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University of Toronto
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LE
MENESTREL
JOURNAL
MONDE MUSICAL
MUSIQUE ET THEATKES
56e ANNEE — 1890
BUREAUX DU MÉNESTREL : S! bis, RUE VIVffiNNE, PARIS
HENRI HEUGEL, Éditeur
TABLE
JOTJENAL LE MÉNESTREL
VVb.
56e ANNEE — 1É
TEXTE ET MUSIQUE
14, \(r°^
IV I. — 5 janvier 1830. — Pages 3 à 8.
I. Histoire de la seconde salle Favart (43° article),
Albert Soubies et Charles Malherbe. — II. Semaine
théâtrale : Les amendes infligées aux directeurs de
l'Opéra ; première représentation de la Grande Vie,
au théâtre des Nouveautés, H. Moreno; première
représentation du ballet Armida, à l'Eden-Théâtre,
Paul-Émile Chevalier. — III. Le théâtre à l'Exposi-
tion (11° article), Arthur Pougin. — IV. Revue des
Grands Concerts. — V. Nouvelles diverses. — VI. Né-
crologie.
Piano. — Antonin Marmontel.
Le long du chemin, petite pièce.
Hf° 2. — 12 janvier 1890. — Pages 9 a 16.
I. Histoire de la seconde salle Favart (44e article},
Albert Soubies et Charles Malherbe. — II. Semaine
théâtrale : La question de f Opéra, H. Moreno: re-
prise des Danicheff, au Gymnase, Paul-Emile Che-
valier. — Le théâtre à l'Exposition ( VI" article],
Arthur Pougin. — IV, Nouvelles diverses. — V. Né-
crologie.
Chant. — Francis Tliumé.
HI" 3. —19 janvier 1890. — Pages 17 à 2i.
I. Histoire de la seconde salle Favart (45° article)
Albert Soubies et Charles Malherbe. — II. Semaine
théâtrale: Une soirée â l'Opéra-Comique et des con-
séquences qu'on en peut tirer, H. Moreno ; première
représentation des Moulinard, au Palais-Royal, Paul
Emile Chevalier. — III. Le théâtre à l'Exposition
(13e article), Arthur Pougin. — IV. La reconstruction
del'Opéra-Comique. — V. Revue des Grands Concerts.
— VI. Nouvelles diverses. — VII. Nécrologie.
Piano. — Philippe Fahrbach.
Echecs-quadriUe.
Hï° 4. — 2G janvier 1890. — Pages 25 à 32.
I. Histoire de la seconde salle Favart (46° article),
Albert Soubies et Charles Malherbe. — II. Semaine
théâtrale: Les débuts du ténor Atlre. à l'Opéra; le
Voyage de Suzette, à la Gaîté, Cendrillonnette, aux
Bouffes-Parisiens, IL Moreno; première représenta-
tion de Margot, à la Comédie-Française, Paul-Emile
Chevalier. — III. Le courrier de " M. Gailhard. —
IV. Le théâtre à l'Exposition (14e article), Arthur
Pougin. — V. Revue des Grands Concerts. — VI.
Nouvelles diverses. — VII. Nécrologie.
Chant. — I. Phïlipp.
La Chanson des Bois (d'après Chopin).
."V 5.-2 février 1890. — Pages 33 à 40.
I. Histoire de la seconde salle Favart (47° article),
Albert Soubies et Cahrles Malherbe. — IL Bulletin
théâtral : Prolégomènes de la reprise de Dimitri à
l'Opéra-Comique ; M. Paravey se multiplie, H. M.
— III. Le théâtre à l'Exposition (15B article), Arthur
Pougln. — IV. Les études classiques au Conservatoire.
— V. Revue des grands concerts. — VI. Nouvelles
diverses. — VIL Nécrologie.
Piano. — Philippe Fahrbach.
Causerie d'oiseaux, polka.
W° 6. - 9 février 1890. — Pages 41 à 48.
I. Histoire de la seconde salle Favart (48° article),
Albert Soubies et Charles Malherbe.— il. Semaine
théâtrale: Dimitri, â rOpéra-Comique; Ma mie Rosette,
aux Folies-Dramatiques, IL Mobeno; le Comte d'Eg-
mont, à l'Odéon; les Vieux Maris, h. la Renaissance,
Paul-Emile Chevalier. — 111. Le théâtre â l'Exposi-
tion (16e article), Arthur Pougin. — IV. Revue des
Grands Concerts. — V. Nouvelles diverses. — VI.
Nécrologie.
Chant. — Francis Thomc.
fiitournelle.
X" 7. — 10 février 189Û. — Pages 49 à 56.
I. Théâtre Royal de la Monnaie: Salammbô, opéra
en 5 actes et 7 tableaux de M. Ernest Reyer, paroles
de M. Camille du Locle, d'après Flaubert, Lucien
Solvay. — II. Bulletin tbéàlral : A l'Opéra, H. M.;
première représentation de Nos Jolies Fraudeuses, aux
Nouveautés, Paul-Émile Chevalieh.— III. Le théâlre
à l'Exposition (17° article), Arthuii Pougin. — IV.
Revue des Grands Concerts, — V. Nouvelles diver-
ses. — VI. Nécrologie.
Piano. — André Wormser.
Gigue.
%' S. — 23 février 1890. — Pages 57 à G\.
I. Histoire de la seconde salle Favart (49° article),
Albert Soubies et Charles Malherbe. — IL Semaine
théâtrale: Rentrée de M. Lhèrie, à l'Opéra-Comique;
les boniments de M. Gailhard, H. Moreno; remise
des Pilules du Diable, au Cbâtelet, Paul-Emile Che-
valier. — III. Le théâtre à l'Exposition (18° article).
Arthur Pougin. — IV. Revue des Grands Concerts.
— V. Nouvelles diverses.
Chant. — *I. Faure.
Espoir en Dieu.
]V 9.-2 mars 1890. — Pages 65 à 72.
I. Histoire de la seconde salle Favart (50° article),
Albert Soubies et Charles Malherbe. — II. Bulletin
théâtral: Opéra et O aéra-Comique, H. M.; premières
représentations de Fin de siècle, au Gymnase, et de
Grand'mère, à l'Odéon, Paul-Émile Chevalier. —
III. Le théâtre à l'Exposition (19L1 article), Arthur
Pougin. — IV. Histoire vraie d«s h3'ros d'opéra et
d'opéra-co .nique (32e article): Struensée, Edmond
Neukomm. — V. Revue des Grands Concerts. — VI.
Nouvelles diverses.
Piano. — Denricti Strobl.
Chants du Tyrol, polka-mazurka.
iV° IO. — 9 mars 1890. — Pages 73 à 80.
I. Histoire de la seconde salle Favart (55° article),
Albert Souries et Charles Malherbe. — IL Semaine
théâtrale: Samson et Dalila, au Théâtre des Arts, à
Rouen, Intérim; première représentation de Monsieur
Belsy, aux Variétés, Paul-Emile Chevalier. — III. Le
théâlre à l'Exposition (20° article), Arthur Pougin.
— IV. Revue des Grands Concerts. — V. Nouvelles
diverses.
Chant. — Ambroise Thomas.
Fleur de neige.
X° 11. — 16 mars 1890. — Pages 81 à 88.
I. Histoire de la seconde s^Ue Favart (53e article),
Albert Soubies et Charles Malherbe. — II. Semaine
théâtrale: premières représentations du Fétiche, aux
Menus-Plaisirs, et de l'Œuf Rouge, ans. Folies-Drama-
tiques, H. Moreno; reprise des Originaux et première
représentation de Camille, à la Comédie -Fiauçaise,
premières représentations d'Amour, à l'Odéon, et du
Mariage de Barillon, à la Renaissance, Paul-Emile
Chevalier. — III. La musique de Lully, dans le Bour-
geois Gentilhomme, J.-B. Weckerlïn. — IV. Histoire
vraie des héros d'opéra et d'opéra-comique (33° arti-
cle): Rienzi,Ei>MONi> Neukomm.— V. Revue des Grands
Concerts. — VI. Nouvelles diverse".
Plvno. — Paul Rougnon.
Le Menuet de l'Infante.
iV 12. — 23 mars 189). — Pages 89 à 96.
I. Histoire de la seconde salle Favart (-54° article),
Albert Soubies et Charles Malherbe.— IL Semaine
théâtrale: première représentation d'Ascu/i/o, à l'Opéra,
Arthur Pougin. — 111. Histoire vraie des héros d'o-
péra et d'opéra -comique (3'i° article): Masaniello,
Edmond Neukomm. — IV. Revue des Grands Concerts.
— V. Nouvelles diverses. — VI. Nécrologie.
Chant. — Francis Thomc.
Les Hussards.
rV 13. — 30 mars 1890. — Pages 97 à lOi.
I. Histoire de la seconde salle Favart (55° article),
Albert Soubies et Charles Malherbe. — IL Semaine
théâtral» : La partition d'Ascanîo, H. Moreno; première
représentation des Miettes de l'année et reprise du
Roi Candaule, au Palai>-Royal, Paul-Emiie Chevalier.
— III. Du leitmotive: de son usage ; de son abu<,
A. Darston. — IV. Correspondance de Belgique : le
Vaisseau Fantôme, Lucien Solvay. — V. Nouvelles
diverses, concerts.
Piano. — Ijcoii Roques.
Le Fétiche, quadrille (Vi 'tor Rorgcr).
i\° 11. — 6 avril 1890. — Pages 105 à 112
I. Histoire de la seconde salle Favart (56u arlicle),
Albert Soubies et Charles Maliikrbe. — II. Semaine
théâtrale: Concert spirituel à l'Opera-Comique, Ju-
lien ïiersot; première représentation de la Clé du
Pdradfej à la Renaissance, Paul-Emile Chevalier. —
III. Du leitmotive: de sou usage; de son abus 12e et
dernier article), A. Darston. — IV. Nouvelles diver-
ses et concerts.
Chant. — Victor Roger.
Assise un soir dans la fougère (te Fétiche).
iV 15. — 13 avril 1890. — Pages 113 à 120.
I. Histoire de la seconde salle Favart (57° article),
Albert Soubies et Charles Malherbe. — II. Semaine
théâtrale: la Société des Grandes Auditions musica-
les de France, H. Moreno; première représentation
des Grandes Manœuvres, aux Variétés, Paul- Emile
Chevalier. — III. Le théâtre à l'Exposition (21e ar-
ticle), Arthur Poegin. — IV. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
Piano. — Raoul Pugno.
Entr' acte-ballet (la Vocation de Marins).
\° 1«. — 20 avril 1890. — Pages 121 à 128.
I. Hislohe de la seconde salle Favart (58e arlicle),
Albert Soubies et Charles Malherbe. — IL Semaine
théâtrale: La Régie à l'Opéra, H. Moreno; le Vénitien,
au Théâtre des Arts de Roueu, Intérim; premières
représentations de la Vie à deux, h l'Odéon, et de
Ménages parisiens, aux Nouveautés, Paul-Émile Cheva-
lier. — III. Le théâtre à l'Exposition (22u article),
Arthur Pougin. — IV. Nouvelles diverses et cou-
Chant. — M. B. Colomer.
Elle a mis sa toilette claire.
JV 17. — 27 avril 1890. — Pages 129 â 136.
I. Histoire de la seconde salle Favart (59* article),
Albert Soubies et Charles Malherbe. — IL Semaine
théâtrale: La question des « Petits droits » en Angle-
terre, H. Moreno. — III. Les Œuvres musicales de
Frédéric le Grand, Michel Brenet. — IV. Nouvelles
diverses et concerts.
Piano. — Philippe Fahrbach.
Capitaine -Pollca (Le Fétiche).
j%° 1S. — 4 'mai 1890. — Pages 137 à 144.
I. Histoire de la seconde salle Favart (60e article),
Albert Sourie et Charles Malherbe. — II. Bulletin
théâtral: Faut-il souscrire? H. Moreno; Paris après
l'Exposition, à l'Édeu, Paul-Émile Chevalier. — III.
Le théâtre â l'Exposition (23° article), Arthur Pou-
gin.— IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — M. R. Colomer.
Nous cheminions dans le sentier.
HT* 19. — 11 mai 1890. — Pages 145 à 152.
I. Liszt et Thalberg. Une lettre de Liszt. Ernest Le-
gouvé. —IL Bulletin théâtral: De l'utilité des répé-
titions générales en public, H. Moreno; première
représentation du Béjaune, aux Variétés, et reprise
d'un Lycée de jeunes filles, à la Renaissance, Paul-
Emile Chevalier. — III. Le théâtre à l'Exposition (24e
anicle), Arthur Pougin. — IV. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
Piano. — Ch. rVeustcdt.
Le Rêve du prisonnier, transcription.
X° 20. — 18 mai 189:1. — Pages 153 à 160.
I. Notes d'un librettiste: Georges Bizet (1er article),
Louis Gallet. — IL Semaine théâtrale: première re-
présentation de Dante, à l'Opéra-Comique. Arthur
Pougin; reprises de la Grande -Duchesse de Gèrolstein,
aux Variétés, et de Jeanne, Jeannette et Jcannelon, aux
Bouflés, Paul-Emile Chevalier. — III. La musique et
le théâtre au Salon des Champs-Elysées (1" article),
Camille Le Senne. — IV. Nouvelles diverses, con-
certs et nécrologie.
Chant. — SI. U. Colomer.
C'e-U ma mignonne amie.
X° 2Ï. — 25 mai 1890. — Pages 161 à 108.
I. Notes d'un librettiste: Georges Bizet (2- arlicle),
Louis Gallet. — IL Semaine théâtrale : Sur les mo-
tifs d'Ascanio, Julien Tiersot; première représentation
d'une Famille, a la Comédie-l'ranraisc, Paul-Émile
Chevalier. — III. La musique et le" théâtre au Salon
dfs Champs-Elysées (2" article), Camille Le Senne.
— IV. Nouvelles diverses, conecris et u"Crulogie.
Piano. — Théodore Liack.
/_,' 'Oiseau- Mouche, caprice.
rVa 22. — lDrjuin 1890. — Pages 16 i à 176.
I. Notes d'un librettiste: Georges Bizet (3e article),
Louis Gallet. — II. Semaine théâtrale : premières
représentations de Zaïre à l'Opéra et de lu Basoche
à l'Opéra-Comique, Arthur Pougin; première repié-
seuUtion du Hanneton d'Hèlo'ise et reprise des Pro-
vincialos à Paris, Paul-Emile Chevalier. — III. La
musique et le théâtre au Salon des Champs-Elysées
(3e article), Camille Le Senne. — IV. Nouvelles di-
verses, concerts et nécrologie.
Chant. — Inouïs flftiémcr.
Le Sentier.
X° 33. — 8 juin 1890. — Pages 177 à 184.
I. Notes d'un librettiste: Georges Bizet (4° article),
Louis Gallet. — II. Semaine théâtrale : Béatrice et
Bénedict, de Berlioz, au théâtre de l'Odéon, Am Bou-
takel ; te Voijar/e à Chaudfontaine, aux Nouveautés ;
début de M— Fierens à l'Opéra, Arthur Pougin. —
III. La musique et le théâtre au Salon du Champ-
de-Mars (4= article), Camille Le Senne. — IV. Fleurs
d'hiver, fruits d'hiver, Ernest Legouvé. — V. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — Antouin Marmoutel.
Valse-sérénade.
IV 24. — 15 juin 1891). — Pages 185 à 192.
I. Notes d'un librettiste : Georges Bizet (5° article),
Louis Gallet. — IL Semaine théâtrale: Ballet à l'Opé-
ra; te Rêve, de M. Gastinel, H. Moreno. — III. La
musique et le théâtre an Salon du Champ-de-Mars
(5« article), Camille Le Senne. — IV. Le théâtre à
l'Exposition (25° article), Arthur Pougin. — V.
Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — Joaunî l*erronnet.
Suzon, chanson.
rV° 25. — 22 juin 1890. — Pages 193 à 200.
I. Notes d'un librettiste : Georges Bizet (6' article),
Louis Gallet. — IL Semaine théâtrale : le Cercla fu-
nambulesque, Arthur Pougin ; reprises de la Fille de
Roland, à la Coniedie-Franca.se et de la Fille de l'air,
aux Folies-Dramatiques, Paul-Emile Chevalier. — III.
Le théâtre à l'Exposition (26» article), Arthur Pou-
gui. —IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — A. Trojclli.
Dansons la tarentelle.
W 26.
29 ju
. 1890. — Pages 2IU à 208.
I. Notes d'un librettiste : Georges Bizet ('■' article),
Louis Gallet. — IL Semaine théâtrale: La direction
de l'Opéra devant, la Commission du budget ; Jeanne
d'Arc à l'Hippodrome, H. Moreno. — III. Le théâtre
à l'Exposition (26 article), Arthur Pougin. — IV.
Histoire vraie des héros d'opéra et d'opéra-comique
(35e article) ; Puccio d'Aniello, Edmond Neukomm. — V.
Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — Darston.
Crépuscule.
X' 29. — 6 juillet 1890. — Pages 209 à 216.
I. Notes d'un librettiste: Georges Bizet (8" article),
Louis Gallet. — II. Bullelin théâtral, H. M. — III.
Le théâtre à l'Exposition (26e et dernier article), Ar-
thur Pougin. — IV. Histoire vraie des héros d'opéra
et d'opéra-comique (36° article) : Tabarin, Edmond
Neukomm. — V. Nouvelles diverses, concerts et né-
crologie.
Piano. — Ed. Cliava^nat.
Un Sourire.
X" 88. — 13 juillet 1890. — Pages 217 à 22i.
I. Notes d'un librettiste : Georges Bizet (9°- article),
Louis Gallet. — IL Semaine théâtrale: Reprise du
Don Juan de Mozart par Charles Gounod. Arthur
Pougin. — III. Les origines du chant liturgique,
d'après une récente publication de M. Gevaert, Ju-
lien Tiersot. — IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
Chant. — Emile Bourgeois.
Les Pommiers.
X" 29. — 20 juillet 1890. — Pages 2:
232.
I. Notes d'un librettiste : Georges Bizet (10e article),
Louis Gallet. — II. Semaine théâtrale: Les specta-
cles gratuits du 14 juillet; nouvelles, H. Moreno.
— III. Une représentation de Henri Vil l au théâtre
du Globe, à Londres, en juin 1613, E. de Lïden. —
IV. Histoire vraie des héros dopera et d'opéra-
comique (37° article) : Turlupin, Edmond Neukomm.
— V. Nouvelles diverses.
Piano. — Théodore Eack.
2° Valse hongroise.
X' 30. — 27 juillet 1890. — Pages 233 à 210.
I. Notes d'un librettiste: Georges Bizet (11e article),
Louis Gallet. — IL Semaine théâtrale : les concours
du Conservatoire; nouvelles, H. Moreno. — III. Ber-
lioz, son génie, sa technique, son caractère, à propos
d'un manuscrit autographe d'Harold en Italie, A.
Montaux. — IV. Histoire vraie des héros d'opéra et
d'opéra-comique (38e article) : Triboulet, Edmond
Neukomm. — V. Nouvelles diverses.
Chant. — A. B.ini
L'Etoile.
rider.
IV- 31. — 3 août 1890. — Pages 241 à 248.
I. Notes d'un librettiste : Georges Bizet (12e article),
Louis Gallet. — IL Bulletin théâtral. H. M. — III.
Berlioz, son génie, sa technique, son caractère, à
propos d'un manuscrit autographe d'Harold en Italie
12" article), A. Montaux. —IV. Histoire vraie des
héros d'opéra et d'opéra comique (39e article) : Blon-
dcl, Edmond Neukomm. — V. Nouvelles diverses.
Piano. — Ch. Aeustedt.
Romance dejocondc, transcription.
Hf« 32. — 10 août 1890. — Pages 249 à
56.
L Notes d'un librettiste : Eugèue Gautier (13e article),
Louis Gallet. — II. La Distribution des prix au
Conservatoire, Arthur Pougin.— 111. Bulletin tnèàlral;
La question du l'Opéra, A. P. — IV. Nouvelles di-
verses et nécrologie.
Chant. — U. Ver dalle.
Vous ne m'avez jamais souri.
X' 33. — 17 août 1890. — Pages 257 à 26'i.
I. Notes d'un librettiste. Eugène Gautier 114" article).
Louis Gallet. — II Semaine théâtrale : Les théâtres
et le droit des pauvres, Arthur Pougin. — III. Berlioz,
son génie, sa technique, sod caractère, à propos d'un
manuscrit autographe d'Harold en Italie (3e article),
A. Montaux. — III. Histoire vraie des héros d'opéra
et d'opéra-comiquH (40° article) : Ange Pitou, Edmond
Neukomm. — IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
Piano. — Edouard Broustet.
Joyeux Rigaudon.
X' 34. — 24 août 1890. — Pages 265 à 272.
I. Notes d'un librettiste : Eugène Gautier (15e article),
Louis Gallet. — II. Semaine théâtrale: W agiterions,
wagnérisme ot littérature wagnérisante, Arthur Pou-
gin. — III. Berlioz, son génie, sa technique, son ca-
ractère, àpropos d'un manuscrit autographe d'itoroZeZ
en Italie (4° article), A. Montaux. — IV. Nouvelles
diverses et nécrologie.
Chant. — Vietor Staub.
Si tu veux !
X' 35. — 31 août 1890. — Pages 273 à 2S0.
L Notes d'un librettiste : Eugène Gautier (16° article),
Louis Gallet. — IL Semaine théâtrale : Le centenaire
d'Herold, Arthur Pougin. — III. Berlioz, son génie,
sa technique, son caractère, à propos d'un manus-
crit autographe d'Harold en Italie (5° article), A. Mon
taux. — IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
Piano. — André Wormser.
Dolce fat nienle.
X' 36. — 7 septembre 1890. — Pages 281 à 288.
I. Notes d'un librettiste : Eugène Gautier (17e arlicle),
Louis Gallet. — II. Semaine théâtrale : La saison qui
s'ouvre, Arthur Pougin; première représentation du
Pompier de Justine, aux Folies-Dramatiques, Paul-Emile
Chevalier. — III. Berlioz, son génie, sa technique,
son caractère, à propos d'un manuscrit autographe
d'Harold en Italie (6° et dernier article), A. Montaux.
— IV. Nouvelles diverses.
Chant. — «J. Faure.
Hymne aux astres,
X' 3Ï. — 14 septembre 1890. — Pages 289 à 296.
I. Notes d'un librettiste : Eugène Gautier (18e arlicle),
Louis Gallet. — IL Semaine théâtrale: Variations sur
le Mage et Salammbô, H. Moreno; première représen-
tation du Secret de Gilberte. à l'Odéon, Paul-Emile
Chevalier. — III. Les deouts et le sifflet au théâtre,
Em. de Lyden. — IV. Histoire vraie des héros d opéra
et d'opéra-comique (41e article) : Le roi d'Yvetot,
Edmond Neukomm. — V. Nouvelles diverses.
Piano. — Franz-IIitz/
Verglas-galop.
X" 38.
21 septembre 1890. — Pages 297 à 304.
I. Notes d'un librettiste: Eugène Gautier (19e article),
Louis Gallet. — II. Semaine théâtrale: Du Mage et
de Salammbô, IL Moreno; reprises du Duc Job. à la
Comédie-Française, et de la Belle Hélène, aux Va-
riétés, Paul-Emile Chevalier — III. Un virtuose
couronné (1er article). Edmond Neukomm et Paul
d'Estrée. — IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
Chant. — J. Faure.
Les Yeux.
X' 30. — 28 septembre 1890. — Pages 305 à 312.
I. Notes d'un librettiste : Jean Conte (20° article),
Louis Gallet. — II. Semaine théâlrale: On demande
un chef d'orchestre, 11. Moreno; reprise rie la Mai-
tresse légitime, à l'Odéon, Paul-Émile Chevalier. —
lit. Un virtuose couronné (2° article), Edmond Neu-
komm et Paul d'Estrée. — IV. Nouvelles diverses.
Piano. — Paul Barbot.
Roses et Papillons.
IV 10. — 5 octobre 1890. — Pages 313 à 320.
I. Notes d'un librettiste : Jean Conte (21e article),
Louis Gallet. — IL Semaine théâtrale : inauguration
de la statue de Berlioz à la Côte-Saiot-Audré, Ju-
lien Tiersot; reprise de Gillette de Narbonne, a'ix
Folies-Dramatiques, Pal l-Émii.e Chevalier. — 111. Un
virtuose couronné (3e article), Edmond Neukomm et
Paul d'Estrée. — IV. Nouvelles diverses.
Chant. — J. Faure.
Mystère!
X' 41. — 12 octobre 1890. — Pages 321 à 328.
F Notes d'un librettiste: Louis Lacombe (22e article),
Louis Gallet. — II. Semaine théâtrale ; Rentrée de
Mma Melba, à l'Obéra; première représentation de
Colombine, à 1 Opéra-Comique, H. Moreno; premières
représentations de l'Art de tromper les Femmes, au
Gymnase, et de En scène, Mesdemoiselles, à la lleuais-
sauce, Paul Emile Chevalier. — III. Uu virtuose
couronné (4e article), Edmond Neukomm et Paul
d'Estrée. — IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
Piano. — l'ranz Bebr.
Petit chéri, gavotte.
V' 42. — 19 octobre 1893. — Pages 329 à 336.
I. Notes d'un librettiste : Louis Lacombe (23e arlicle),
Louis Gallet. — 11. Semaine théâlrale : Reprise de
Sigurd, à l'Opéra, Arthur Pougin; première représen-
tation de tes Femmes des amis, au Palais-Royal,
Paul-Emile Chevalier. — III. Un virtuose couroùnë
f.v article), Edmond Neukomm et Paul d'Estrée. —
IV. Nouvelles diverses.
Chant. — Julien Tiersot.
Le Unis de mai, chant de quête de U Champagne.
Y 13. — 26 octobre 1890 — Pages 337 i, 344.
I. Noies d'un librettiste : Louis Lacombe (24« article),
Louis Gallet.— II. Semaine théâtrale: Une lettre de
M. Ernest Reyer, IL Moreno ; première représentation
du Maître, aux Nouveautés, et reprise de Peau d'Ane
au Châtelet, Paul-Emile Chevalier. — III. Lin vir-
tuose couronné (6e a r L i ■ ■ 1 ■ - , Edmond Neukomm et Paul
d'Estrée. — VI. Nouvelles diverses, concerts et né-
crologie.
Piano. — Théodore L,acl<.
Allegretto •pastoral.
X- II. — 2 novembre 1890. — Pages 345 à 352.
I. Notes d'un librettiste: Louis Lacombe (25e article;,
Louis Gallet. — II. Semaine théâtrale: La candida-
ture de M. Wilder à la direction de l'Opéra, H. Mo-
reno; première représentation de Ma Cousine, aux
Variétés, Paul-Émile Chevalier. — III. La statue de
Georges Bizet. — IV. Un virtuosa couronné (7e et
dernier article), Edmond Neukomm et Paul d'Estrée.
— V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — Julien Tiersot.
Celui que mon cœur aime tant, chanson de l'Angoumois.
A° 45.-9 novembre 1890. — Pages 353 à 360.
L — Notes d'un librettiste : Louis Lacombe t26e article),
Louis Galles. — II. Semaine théâtrale : premières
représentations de Samson et Dalila et de la Jolie Fille
de Penh, au Théâtre-Lyrique. Arthur Pougin ; premiè-
res représentations de Roméo et Juliette, à l'Odéon, et
de la Pie au nid, aux Nouveautés, Paul-Émile Che-
valier. — III. Le monument de Georges Bizet, le
tombeau de Félicien David et la statue de Méhul,
H. M. — IV. Nouvelles diverses et concerts.
Piano. — L..-A. Bourgault-Ducoudray.
Légende slave.
X- 46.
16 novembre 1890. — Pages 361 a
I. Notes d'un librettiste: Louis Lacombe (27° article),
Louis Gallet. — IL, Semaine théâtrale: premières re-
présentations de l'Egyptienne, aux Folies-Dramatiques,
de Miss Helyelt, aux Bouffes-Parisiens, et de la Pari-
sienne, â la Comédie-Française, Paul-Emile Chevalier.
— III. César Franck, Julien Tiersot. — IV. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — Julien Tiersot.
La Mort du roi Renaud.
-V«. — 23 novembre 1S90. — Pages 369 à 376.
I. Notes d'un librettiste : Alexis de Castillon (28°
article), Louis Gallet — IL Semaine théâtrale :
Quelques indiscrétions sur la prochaine Jeanne d'Are
du Châtel-t, Henry Eïmieu; première reorésentation
de Dernier Amour , au Gymnase, Paul-Émile Cheva-
lier. — III. La Sonate à Kreutzer (1er article), Arthur
Pougin. — IV. Nouvelles diverses, concerts et né-
crologie .
Piano. — Théodore Lack.
Mazurka Éolienne.
X" 48. — 30 novembre 1890. — Pages 377 à 384.
I. Notes d'un librettiste : Alexis de Castillon (29e arti-
cle), Louis Gallet. — IL Semaine théâtrale: le vote
des subventions; première représentation de Samson-
net. aux Nouveautés, H. Moreno. — III. La sonate
à Kreutzer (2e article), Arthur Pougin. — IV. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — .lui Un Tiersot.
La Mort du Mari, version normande.
rV° 40. — 7 décembre 1890. — Pages 3S5 à 392.
I. Notes d'un librettiste : Victor Massé (30e article).
Louis Gallet. — IL Semaine théâtrale : Malvenuto
Cellini, à l'Opéra-Comique, H. Moreno; première
représentation d'Un Prix Montijon, au Palais-Royal,
Paul-Emile Chevalier. — III. Une famille d'artistes :
Les Saint-Aubin (1er article), Arthur Pougin. —
IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — Vietor Roger.
Chaconne (Sansonnet}.
X' 50. — 14 décembre 1890. — Pages 393 à 400.
1. Notes d'un librettiste : Victor Massé (31e article),
Louis Gallet. — II. Bulletin théâtral : La repré-
sentation de gala de Carmen, H. M. ; reprise de la
Fiammina, au Gymnase. Paul-Émile Chevalier. —
III. Etranges théories d'un éditeur russe sur la pro-
priété artistique, Henri Heugel. — IV. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — Blanc et Dauphin. »
Les Sabots et les Toupies (la chanson das Joujoux).
A° 51. — 21 décembre 1890. — Pages 401 à 408.
I. Notes d'un librettiste : Victor Massé (32e article),
Louis Gallet. — IL Semaine ihéâtrale : premières
représentations des Douze Femmes de Japhel, à la
Renaissance et de la Fée aux Chèvres, à la Gaîté,
IL Moreno. — III. Une famille d'artistes: Les Saint-
Aubin (2e arlicle), Arthur Pougin. — IV. Revue des
Grands Concerts. — V. Nouvelles diverses et nécro-
logie.
Piano. — Henry Ghys.
Noël breton.
X' 52. — 28 décembre 1890. — Pages 409 à 416.
I. Notes d'un librettiste : Victor-Masse (33e article),
Louis Gallet. —IL Semaine théâtrale: Pour le jour
de l'An de M. Gailhard, IL Moreno. — III. Une
famille d'artistes: Les Saint-Aubin (3e article), Arthur
Pougin. — IV. Revue des Grands Coucerts. — V. Nou-
velles diverses et nécrologie.
Chant. — Blanc et Dauphin.
Les Petits Chasseurs la chanson des Joujoux i.
Cinquante-septième année de publication
PRIMES 1891 du MÉNESTREL
JOURNAL DE MUSIQUE FONDÉ LE 1er DÉCEMBRE 1833
Paraissant tous les dimanches en huit pages de texte, donnant les comptes rendus et nouvelles des Théâtres et Concerts, des Notices biographiques et Études sur
les grands compositeurs et leurs œuvres, des séries d'articles spéciaux sur l'enseignement du Chant et du Piano par nos premiers professeurs,
des correspondances étrangères, des chroniques et articles de fantaisie, etc.,
publiant en dehors du texte, chaque dimanche, un morceau de choix (inédit) pour le CBAXT ou pour le PIANO, de moyenne difficulté, et offrant .
à ses abonnés, chaque année, de beaux recueils-primes CHANT et PIANO.
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Tout abonné à la musique de Piano a droit gratuitement à l'un des volumes in-8° suivants
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recueils du PIANISTE-LECTEUR, reproduction des manuscrits autographes des principaux pianistes-compositeurs, ou à l'un des volumes précédents du répertoire
de STRAUSS, GUNG-'L, FAHRBACH, STROBL et KAULICH, de Vienne.
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G. ANTHE0NIS
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Édition avec double texte français et italien
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NOTA IMPORTANT — Ce» primes sont délivrées srratuiteraent dans no» bureaux, 3 bis, rue Vivicnne, il partir du 1" Janvier 1891, à tout
ou nouvel abonne, sur la présentation de la quittance d'abonnement an lIEiYESTRELi pour l'année 1891. Joindre an prix d'abonnement un
supplément d'UiV ou de IHJUXfranoi pour l'envoi franco de la prime simple ou double dans les départements. (Pour l'Etranger, l'envoi franco
des primes se règle selon lis frais de Poste.)
Lesabonnesa«Cbantpvenlprendrclu|iriiuePiaiio,elvicc versa.— Ceux au Piano el au Chant renais onl seuls droit à la grande Prime. - Les abonnés au texte seul n'ont droit à aucune prime.
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CONDITIONS D'ABONNEMENT AU « MENESTREL
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I" Murle'l'almnnemenl : Journal -Texte, tous 1(
Scènes, Mélodies. Koiiiihh;<, p.ir.iissnut du quinzaine en quinzaine; 1 Recueil
Prime. Paris et Province, un an : 20 lianes ; Étranger, frais de poste en sus. Prime Paris et Province, un an : 20 francs; Mranger : (rais de poste en sus.
tei'abontw-mtit: Journal-Texte, tous les dimanches; 26 morceaux de piano:
Kintaisies. transcriptions, Danses, de quinzaine en quinzaine; 1 Recueil-
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3" Mode àlabormemenl contenant le Texte complet, 52 morceaux de chant et de piano, les 2 Recueils-Primes ou une Grande Prime. - On an : 30 francs, Paria
et Province; Étranger: Poste en P.U9. — On souscrit le 1" de chaque mois. — Les 52 numéros de chaque année forment collection.
4° Mode. Texte seul, sans droit aux primes, un an: 10 francs.
Adresser franco un hon sur la poste a M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, X bis, rue Vivienne.
Dimanche 5 Janvier 1890.
3066 — 56me ANNEE -RM. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
adresser franco à M. Henri HEDGEL, directeur du Ménestbel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement
Un an, T«ite seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
. Histoire de la seconde salle Favart ('i.3° article), Albert Soubies et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale: Les amendes infligées aux directeurs de
l'Opéra ; première représentation de la Grande Vie. au théâtre des Nouveautés,
H. Moreno; première représentation du ballet Armida, à l'Eden-Thëâtre, Paul-
Emile Chevalier. — III. Le théâtre à l'Exposilion (11° article), Arthur Pougin.
— IV. Revue des Grands Concerts. — V. Nouvelles diverses. —VI. Nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à lamusique de piano recevront, avec le numéro de ce jour:
LE LONG DU CHEMIN
petite pièce cVAntomn Maiuiontel. — Suivra immédiatement: Échecs-qua-
drille, de Philippe Fahrhach.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant: Madrigal, nouvelle mélodie de Francis Tbomé, poésie de Ed.
Guinand. — Suivra immédiatement: La Chanson des bois, mélodie d'après
Chopin par I. Philipp, paroles de Jules Ruelle.
IX
Dans l'impossibilité de répondre à l'obligeant envoi de toutes les caries
de nouvelle année qui nous parviennent au Ménestrel, de France et de
l'Étranger, nous venons prier nos lecteurs, amis et correspondants, de
vouloir bien considérer cet avis comme la carte du Directeur et des Colla-
borateurs semainiers du Ménestrel.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
PAR
Albert SOUBIES et Charles MALHERBE
(Suite.)
CHAPITRE XIII
MEYERBEER A l'opÉRA-COMIQUE
l'étoile DU NORD
18S3-1855
C'est à dessein qu'en un seul chapitre se trouvent groupées
ici trois années de l'histoire de la salle Favart. Une œuvre
capitale s'impose en effet, et demeure le point lumineux de
cette époque : l'Etoile du Nord. En outre, une même physio-
nomie parait commune à ces trois années et permettrait
presque d'ajouter, en manière de sous-titre : ou le grand suc-
cès des petits ouvrages. Il suffit, pour s'en convaincre, de
jeter les yeux sur le tableau suivant :
Ouvrages nouveaux
en :
Un acte
Deux actes
Trois actes
Or, de ces douze pièces en un acte, cinq ont obtenu un grand
succès, savoir : les Noces de Jeannette, les Papillotes de M. Benoist,
les Trovatelles, les Sabots de la Marquise, le Chien du Jardinier.
Les pièces en deux actes ont, au contraire, échoué toutes
les quatre. Pour les sept pièces en trois actes, deux seulement
ont réussi; encore l'une d'elles, le Sourd, est-elle si courte,
qu'elle n'a jamais seule rempli tout un programme, et ne
saurait passer que pour un appoint sur l'affiche.
En réalité, tout rayonne autour de l'Etoile du Nord, et l'im-
portance de ce fait artistique justifie l'étude qui lui sera con-
sacrée à sa date de représentation : car ce n'est plus une
simple victoire, c'est un pas décisif dans la voie nouvelle où
s'engage le vieux genre de l'opéra-comique. Quant aux re-
prises, elles devenaient moins fréquentes ; en ces trois années
on ne remettra guère à la scène que des ouvrages en quel-
que sorte appartenant au répertoire courant : les Mousquetaires
de la Reine, Uaydée, le Maçon, le Déserteur, les Diamants de la
Couronne. Un seul n'avait pas été joué depuis cinq ans, le Pré
aux Clercs; un seul n'avait jamais été donné à la salle Favart,
l'Epreuve villageoise.
La plus grosse part des efforts de la direction se porta sur
les nouveautés. A la différence de nombreux directeurs, dont
les noms importent peu, M. Perrin aimait les jeunes; il ne
craignait pas d'accueillir les débutants, et il le prouva, par
exemple, en montant le Miroir (19 janvier 185'3). Ce petit acte
de Bayard et d'Avrigny offrait au musicien une suite de
scènes plus favorables aux couplets qu'aux scènes dramati-
ques ; c'était de la magie, si l'on veut, mais de la magie à
l'eau de rose, où les sorciers n'ont rien d'effrayant, où le miroir
n'est pour ainsi dire qu'un piège à alouettes, destiné à prendre
les amoureux. Parmi ces morceaux, plusieurs étaient agréa-
blement tournés, quoiqu'un critique du temps y eût relevé
« un orchestre trop bruyant et une facture un peu préten-
tieuse. » Mais quel débutant n'a jamais encouru de tels re-
proches I Le plus grave est que son auteur n'eut jamais la
■ chance à son service. Prix de Rome en 1846, M. Gastinel venait
d'attendre huit ans pour se produire, et sans succès ; de
l'Opéra-Comique il descend aux Bouffes-Parisiens, où naissent,
en 1857 l'Opéra aux Fenêtres, en 1860, Titus et Bérénice; puis,
il remonte au Théâtre-Lyrique, en 1861, avec le Buisson vert, et
de là se dirige vers l'Opéra, renonçant aux piécettes en un
acte pour aborder « les grandes machines » et offrant tour à
tour un peu partout, fiianca Capello, la Kermesse et les Bardes,
ces fameux Bardes dont l'annonce apparait toutes les fois
LE MENESTREL
qu'une entreprise théâtrale prend possession du Château-
d'Eau ! En ce moment on répète, parait-il, à l'Opéra un ballet
de M. Gastinel. Gessera-t-il enfin d'être un de ces malheureux
qui attendent toujours une heure qui ne vient jamais ?
Malheureux, Adolphe Adam l'était quelquefois ; mais sou-
vent aussi il comptait de bonnes fortunes : le Sourd en fut
une. Peu de pièces ont subi depuis leur origine plus de
changements et même plus de déménagements. Avec ou sans
musique, le Sourd, a été entendu un peu partout; partout il
s'est fait bien accueillir, parce que le point de départ en
était amusant, et que sur cette donnée carnavalesque chacun,
arrangeur ou interprète, pouvait donner libre cours à sa fan-
taisie. Tout d'abord en trois actes, la comédie de Desforges est
représentée au théâtre Montausier en 1790; le Gymnase se
l'approprie en 1824 et la réduit en un acte ; le Palais-Royal
lui rend un second acte et la joue en 1852. Arrivent les
librettistes de Leuven et Lenglé, qui reconstituent les trois
actes primitifs, et la musique d'Adam, fort appropriée au
sujet, est applaudie à l'Opéra-Comique le 2 janvier 1853. Une
nouvelle odyssée commence, et l'on retrouve le Sourd au
Théâtre-Lyrique en 1856, aux Fantaisies-Parisiennes du bou-
levard des Italiens en 1869, à la Gaité, sous la direction
Vizentini en 1876, jusqu'à ce qu'il revienne à son point de
départ, l'Opéra-Comique, en 1885.
Deux jours après la première représentation du Sourd avait
lieu celle des Noces de Jeannette. MM. Michel Carré et Jules
Barbier avaient retrouvé la tradition de J. -Jacques Rousseau,
de Sedaine, et transporté à la scène, comme on l'écrivait,
« une de ces idées qui sont dans la tète et le cœur de tous
et qui, par conséquent, plaisent à tous. » Victor Massé avait
su joindre en un heureux mélange la gaieté et la sensibilité.
Enfin, Couderc et M11" Miolan avaient, comme interprètes,
atteint la perfection, et l'on s'explique que le soir de la pre-
mière on ait dérogé pour eux à certain vieil usage. D'ordinaire
en effet, c'est l'artiste (homme) qui a joué le principal rôle d'une
pièce, auquel revient après le spectacle l'honneur d'annoncer
au public le nom des auteurs. Cette fois, Jean et Jeannette
se présentèrent ensemble, et ensemble ils furent acclamés.
« Ils vont se marier tous les soirs une cinquantaine de fois
au moins ! » écrivait Henri Blanchard, qui se croyait géné-
reux sans doute en sa prophétie. C'est par centaines de fois
qu'ils se sont mariés et qu'ils se marient encore, à Paris
comme en province, au théâtre comme dans les salons, et
dans leurs mains se conserve peut-être la meilleure part de
la renommée de Victor Massé.
La Tonelli, représentée le 30 -mars 1853, n'eut pas et ne
pouvait avoir semblable fortune; non point que le composi-
teur, Ambroise Thomas, n'y eût apporté quelques-unes de
ses qualités ; il s'était souvenu du Caïd, voire même de la
Double Echelle, et la souplesse de sa principale interprète,
Mme Ugalde, lui avait permis de broder ses plus fines voca-
lises pour une série de morceaux dont l'un même a survécu,
sauvant ainsi de l'oubli sinon l'œuvre, du moins son nom.
Mais le libretto que Sauvage signa seul, bien qu'il eût un
collaborateur, de Forges probablement, offrait un intérêt des plus
médiocres. On y voyait une prima-donna que sa ressemblance
avec une paysanne napolitaine exposait aux plus fâcheuses
méprises, et la distribution des deux rôles à la même chan-
teuse n'était pas pour rendre vraisemblable cette histoire de
ménechmes du genre féminin. C'est ainsi qu'à treize ans de
distance, Ambroise Thomas se trouva mettre à la scène l'his-
toire de deux artistes dont le nom est inscrit dans les fastes
de la Comédie-Italienne, Garline et la Tonelli ! Cette dernière'
eut même au xviii0 siècle son heure de grande célébrité.
Anna Tonelli était en effet l'héroïne du parti italien dans
cette querelle musicale qui agita la cour et la ville, en met-
tant aux prises le coin du roi et le coin de la reine; c'est elle
qui interprétait la Serva Padrona, lorsque la troupe des Bouf-
fons vint à Paris en 1752, et par son succès même poussa dans
une voie nouvelle l'opéra-comique encore à ses débuts. Voilà
pourquoi, au lendemain de la représentation, le critique
de la France musicale pouvait dire : « la glorification de la
Tonelli à. la salle Favart est donc avant tout une œuvre de
reconnaissance, » Le malheur voulut que cette reconnais-
sance fût de courte durée, comme la pièce elle-même.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
Ceci passe vraiment la mesure.
If y a longtemps, on le sait, que MM. Ritt et Gailhard en pren-
nent terriblement à leur aise tant avec les obligations qu'ils ont
contractées du côté de l'État (voir le cahier des charges), qu'avec
celles qu'ils ont souscrites du côté de la Société des auteurs.
Comme l'État en ce moment, c'est M. Constans et nul autre, et
comme la faveur de Constans s'étend sur ce bon Gailhard, l'État
ferme volontairement les yeux pour ne pas voir et se bouche les
oreilles pour ne pas entendre. Mais la Société des auteurs s'est ré-
veillée tout à coup et vient d'infliger aux puissants directeurs deux
amendes de deux mille francs chacune, pour n'avoir représenté ni
en 1888 ni en 1889 le nombre d'actes auquel ils s'étaient obligés.
La gravité de ces amendes consiste surtout dans le blâme qu'elles
comportent et dans le rappel au respect des engagements qu'elles
impliquent ; quant à la peine pécuniaire, elle est dérisoire en elle-
même pour des gens qui gagnent tout près de deux millions de-
puis leur entrée à l'Opéra. Cependant, c'est la seule chose qui pa-
raisse avoir frappé l'excellent M. Ritt, puisqu'il a proposé sans
rougir à un pauvre diable de compositeur, M. Véronge de la Nux,
l'auteur àeZaïre qu'on répète ou plutôt qu'où répétait à l'Opéra, de
partager l'amende avec lui, sous prétexte qu'il n'a pas apporté sa
partition en temps voulu. M. Véronge de la Nux, parait-il, s'effor-
cerait de prouver le contraire par une série de documents sérieux.
Voilà la version donnée par tous nos confrères de la presse. Us
auraient pu ajouter ceci, qui nous est affirmé par une personne
digne de toute foi et bien placée pour être au courant de ces événements.
Nous ne la nommerons pas, et il nous suffira d'en appeler à la con-
science de M. Ritt et à celle de M. "VéroDge de la Nux (nous comp-
tons davantage sur celle du second) pour n'être pas démenti. Nous
disons donc que M. Ritt a demandé positivement à M. Véronge de
la Nux de lui écrire une lettre dans laquelle il expliquerait que le
retard apporté à la représentation de Zaïre ne vient nullement des
directeurs de l'Opéra, mais de lui seul, qui n'a pas livré son manus-
crit dans les délais fixés. On pressent quel excellent usage M. Ritt
pourrait faire d'une pareille lettre et comme il saurait s'en servir,
le pauvre agneau sans tache, aussi bien au ministère des Beaux-Arts
que devant la Commission des auteurs. Mais le malheur a voulu que
M. Véronge de la Nux ait été s'en expliquer tout naïvement devant
cette Commission pour lui demander s'il devait écrire cette lettre.
La Commission lui a répondu qu'elle tenait à ignorer ces petits tri-
potages et qu'il fit ce qu'il croyait devoir faire.
M. Véronge de la Nux écrira-l-il la lettre ou ne l'écrira-t-il pas?
Qui le sait? Toujours est-il qu'en attendant on a suspendu les répéti-
tions de Zaïre, et peut-être pourrait-on voir là un moyen de pres-
sion pour décider l'auteur à prendre sa bonne plume.
Eh bien! je crois que le qualificatif « odieux » n'est pas trop fort
pour stigmatiser toutes ces petites manœuvres vraiment indignes et
qu'on souffrirait à peine chez les directeurs d'un boui-boui de qua-
trième ordre.
Et de plus, je ne sais si je m'abuse, mais il me semble que le
plan des directeurs de l'Opéra se dégage de plus en plus nettement.
Ne sachant trop, malgré les liens qui les unissent à Constans, si
leur privilège sera renouvelé, tant la presse se met à crier contre eux
de tous les côtés et tant l'opinion publique commence à s'émouvoir, ils
paraissent vouloir se garder à carreau et avoir mis dans leur tête de
ne plus représenter rien de nouveau jusqu'à nouvel ordre. De là, ce
prétexte pour ajourner Zaïre, et toutes les misérables raisons qu'ils
mettent en avant pour écarter Ascanio. Les amendes, ils les suppor-
teront sans mot dire. Cela leur coûtera toujours moins cher que de
mettre en scène des œuvres nouvelles, et, s'ils doivent se retirer
sous le mépris général, ils se retireront du moins avec armes et
bagages, c'est-à-dire avec tous les gros bénéfices amassés sans en
rien distraire au profit d'un art qui est le moindre de leurs soucis.
Et tenez, voici Gailhard qui est revenu de ses nombreux voyages
à travers l'Europe, qu'il est censé avoir battue en tous sens pour y
LE MÉNESTREL
découvrir un contralto, capable d'interpréter le rôle de Scozzone dans
YAscanio de M. Saint-Saëns. Le voilà — car l'homme est verbeux —
qui dépose tous ses bavardages dans les journaux à sa dévotion.
Qu'est-ce qu'il nous dit? Qu'il n'a trouvé qu'une artiste à peu près
digne de succéder à MUo Richard : c'est MIle Chavanne, artiste du
théâtre royal de Dresde. Mais elle ne sera libre que dans quatorze
mois ! Dans quatorze mois, MM. Ritt et Gailhard ne seront plus là
et alors l'affaire ne les regardera plus; ou, s'ils y sont encore, ils
se décideront peut-être à représenter enfin l'œuvre du compositeur
français, puisqu'on leur aura donné en compensation sept années
de grâce pendant lesquelles ils pourront encore tondre la musique à
leur guise, sous l'œil calme et paterne de M. Constans.
Je leur répéterai donc encore une fois qu'il n'est pas besoin de
courir l'Europe pour découvrir un contralto et que, s'ils ont réelle-
ment l'envie d'en engager un, il y en a un là tout près qui frappe
à leur porte et qu'ils n'ont qu'à lui ouvrir : M"c Risley, élève de
Mme Marchesi, voix superbe et talent des plus distingués. Mlle Risley,
entendez-vous bien! MUe Risley!! Je vous le crierai pendant cent
chroniques, comme j'ai dû le faire déjà pour Mme Melba, à l'époque
où vous déclariez qu'il n'y avait plus de chanteuses légères.
Au théâtre des Nouveautés, on nous a donné jeudi dernier la pre-
mière représentation de la Grande Vie, vaudeville en trois actes et
quatre tableaux de MM. Henri Bocage et Pierre Decourcelle.
Desbureltes, un honnête rentier de Gondé-sur-Noireau, vient de
refuser la main de sa fille Bmmeline à son neveu Sigismond qui ha-
bite Paris et, de plus, il a joint à ce refus sa malédiction avunculaire
à la suite de fredaines un peu fortes que s'était permises, le jeune
homme fort lancé dans la haute vie. Sigismond, qui est réellement
amoureux de sa jeune cousine, feint un désespoir profond de cette
malédiction, qui le conduit à un suicide simulé dans le lac de Genève.
Mais il laisse un testament par lequel il lègue toute sa fortune, qui
se monte à deux millions, à son oncle lui-même, mais sous la con-
dition expresse que : 1° il enlèvera la célèbre danseuse Cornetta, de
l'Eden-Théâlre ; 2° qu'il dansera avec elle sur ledit théâtre le nou-
veau ballet à la mode, où il tiendra le rôle de Bec-d'Azur ; 3° qu'il
entrera dans la cage de «Gulistan », le lion qu'on exhibe au Moulin-
Rouge. Ce sont précisément les trois forfaits dont s'était rendu cou-
pable le jeune Sigismond et qui lui avaient valu la malédiction de
son oncle. Si celui-ci refuse d'exécuter ces conditions expresses du
testament, toute la fortune reviendra alors à M. de Vertavoine, le
voisin et le rival abhoré de Desburettes.
Desburetles en prend bien vite son parti et il exécute toutes les
clauses du testament. Voilà la pièce. On voit qu'elle n'est qu'un
prétexte à nous faire admirer le boudoir d'une danseuse, puis la
scène, les coulisses et même les dessous de l'Eden-ïhéâtre, et
enfin tous les mystères du Moulin-Rouge. Il y a souvent de la
gaîté dans toutes ces farces, à défaut d'un esprit très fin ; mais sous
ce rapport, la jeune génération d'auteurs qui se lève ne nous a
pas souvent gâtés. Il n'y a donc pas à en vouloir à MM. Henri
Bocage et Pierre Decourcelle plus qu'aux autres. J'ai lu des critiques
sévères sur leur pièce, et sans doute elle n'est pas d'un bien vif
attrait pour nous autres du métier, qui naturellement connaissons
aussi bien que les auteurs les coulisses d'un théâtre ou les ébats
joyeux d'un bal public. Mais elle ne sera peut-être pas sans sel
pour les gens moins gâtés, pour les profanes et les paisibles bour-
geois exclus de ces joies paradisiaques et qui ne seront pas fâchés
au demeurant d'en faire la connaissance approximative. C'est pour-
quoi je vois l'avenir de la Grande Vie un peu plus en rose que
beaucoup de nos grands confrères.
Il y a là, d'ailleurs, des acteurs amusants qui ne laissent pas
refroidir l'action, comme MM. Albert Brassseur, dans ses transfor-
mations si curieuses, Maugé, Guy et Petit, et des dames bien belles
et fort peu habillées comme M""'s Darcourt, qui chante très agréa-
blement, Stella, toujours un peu la même, Debriège, un superbe
morceau de sculpture, et d'autres qui ne sont pas non plus à dédai-
gner. N'oublions pas M"'c Bonnaire, l'étoile de nos cafés-concerts,
qui débutait ce soir-là sur une vraie scène de théâtre. Si l'Eldorado
la regrGtte trop, on pourrait la lui rendre sans inconvénient.
H. Moreno.
Eden-Théatre — Armida, ballet en trois actes et sept tableaux,
de F. Pratesi, musique de Romualdo Marenco.
Le pauvre Ali-Baba ayant succombé à la fleur de l'âge, M. Re-
nard vient de rendre la vaste scène de la rue Boudreau au grand
ballet italien, le seul genre capable de produire quelque effet dans
ce hall immense. Armida est des auteurs mêmes qui signèrent
Excehior et je ne saurais vraiment dire si cette dernière œuvre
est meilleure ou pire que la première. L'aînée de ces deux
grandes machines avait l'immense avantage de la nouveauté
et profitait de l'appoint d'un corps de ballet manœuvrant de façon
merveilleuse au point de' vue de l'ensemble; l'art chorégraphique
n'avait pas grand'chose à y voir, mais c'était le triomphe des ligures
géométriques tirées au tire-ligne et à l'équerre par les jambes plus
ou moins gracieuses de ces demoiselles du corps de ballet. Bralima,
Messalina, Sieba ont usé ce genre forcément monotone et banal, et
jamais on n'a pu retrouver la rectitude et la précision du premier
jour. Armida, la petite fée bienfaisante qui aide la belle Ébe à épou-
ser le fiancé de son cœur malgré le rigorisme entêté d'un vieux grin-
cheux de père, Armida, sans déparer en rien la collection que nous
avons vu défiler déjà à l'Éden-Théâtre, ne donnera pas non plus un
nouveau titre de gloire à l'école chorégraphico-militaire de nos voi-
sins transalpins. La musique, malgré tout le bruit qu'elle fait, reste
terne, fade, incolore et insignifiante tout le temps, se traînant lour-
dement de valses en valses, avec, de loin en loin, quelques mesures
de polka ou de marche, et aussi avec des réminiscences assez nom-
breuses de Faust et de Roméo, qu'on s'étonne à bon droit de trouver
ici. La mise en scène est bien, sans rien de transcendant : des dé-
cors .aux couleurs éclatantes qui nous promènent, on ne saura jamais
pourquoi, de l'Italie en Sicile, de la Sicile dans les Indes, des Indes
à Byzance, de Byzance en Grèce, pour aboutir à un grand escalier
lumineux d'un effet curieux et nouveau. Les théories de danseuses
dévalent, suivant la règle, qui de droite, qui de gauche, qui du
milieu, les unes assez jolies filles, les autres assez bien habillées'.
C'est M11'' Flindt, nouvelle venue à Paris, qui fait les honneurs du
ballet; pas précisément jolie, Mlle Flindt sait évidemment danser et fait
supérieurement les pointes; mais il lui manque la grâce, le parcours
et l'élévation. MUe Galinetti est une très belle Ebe et MM. Camarano
Marchelti, Pastorini et Franchi gesticulent beaucoup pour se faire
peu comprendre. Paul-Émile Chevalier.
Dernière heure. — Toute la chronique qu'on vient de lire sur
l'Opéra était écrite, quand, au moment de mettre sous presse, les jour-
naux du malin nous apportent des nouvelles qui changent la face des
choses. Sous la pression de l'opinion publique et de la presse qui
commençait à se fâcher et voyant leurs affaires prendre décidément
une mauvaise tournure, nos excellents directeurs se décident enfin à
commencer de suite les études i'Ascanio, en adaptant simplement le
rôle du contralto aux moyens de Mme Bosman, — ceci à l'aide de
quelques doubles notes et transpositions. L'ouvrage reste donc ainsi
distribué : Benvenuto, Lassalle ; Ascanio, Cossira (qu'Engel se prépare !);
la duchesse d'Etampes, Mme Adini; Scozzone, Mrne Bosman; Colombe,
MUe Eames. Impossible d'avouer plus ingénument l'impuissance où se
trouve actuellement notre Opéra, — une Académie ! — de monter un
opéra selon les intentions de son auteur. Il n'y a pas de contralto à
l'Opéra ! Ils sont hors de prix en ce moment et les directeurs sont
résolus à s'en passer. Que les compositeurs se tiennent pour avertis
et fassent en sorte désormais de ne plus écrire pour cet odieux
registre de la voix humaine. L'an prochain, ce sera probablement
le tour des barytons.
Enfin! ne voyons en tout ceci que le martyre de M. Saint-Saëns
qui va cesser et félicitons-nous de ce résultat.
Pour Zaïre, les directeurs semblent aussi résolus à aplanir les dif-
ficultés qu'ils avaient créées comme à plaisir. Ils paieront l'amende
et l'ouvrage de M. Véronge de la Nux sera représenté à son heure.
Si ces bonnes nouvelles sont dues au retour de M. Gailhard qui a
remis tout en ordre, conseillons-lui à l'avenir de ne plus abandonner
ainsi à ses seules forces le pauvre papa Ritt. Il arrive à un âge où
la clairvoyance fait défaut. Son entêtement sénile et l'amour exagéré
qu'il a pour ses écus ont failli compromettre pour de bon la posi-
tion des deux compères. Attention, Pedro, et surveillons le bon-
H. M.
homme.
LE THÉÂTRE A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889
(Suite.)
VII
INDUSTRIES THÉÂTRALES
ACCESSOIRES SCÉNIQUES : CARTONNAGE, BIJOUTERIE ET JOAILLERIE, FLEURS ET
PLUMES, ARMURERIE, CHAUSSURES, ETC.
Voici, pour le public, un des côtés les plus mystérieux, les plus
inconnus, de la civilisation et de la vie théâtrales. On ne saurait
LE MENESTREL
guère se rendre compte, en dehors de ce milieu spécial, de l'im-
portance qu'acquièrent certaines industries particulières dont quel-
ques-unes vivent presque exclusivement de la scène, dont d'autres
lui doivent une bonne part de leur activité, de leur succès et de
leur prospérité. Telle maison de cartonnages, par exemple, qui aura
tourné ses efforts du côté du théâtre, y aura trouvé un élément
d'action considérable et qui suffit presque seul à l'emploi et à l'en-
tretien de son nombreux personnel. Voyez, pour n'en citer qu'une,
la maison Halle, dont nous aurons à parler plus loin, qui se vante
d'exister depuis 1780, et qui est en France la première de ce genre !
C'est qu'on ne se figure pas ce que c'est, pour une entreprise sem-
blable, que la mise à la scène d'un grand ouvrage pour l'Opéra,
d'une riche féerie pour le Châtelet ou d'un drame à spectacle pour
la Porte-Saint-Martin, et de quelle importance sont alors ses tra-
vaux et ses fournitures ; outre qu'il entre souvent beaucoup de car-
tonnage dans certains costumes, surtout quand la fantaisie s'en
mêle et lorsqu'il s'agit de la figuration, le nombre d'accessoires
scéniques indispensables dans des ouvrages de ce genre et se rat-
tachant à une telle industrie est incalculable. Les costumiers, eux
aussi, on le comprend, sont de gros seigneurs en ce qui touche le
théâtre; la maison Babin, qui était déjà florissante et en quelque
sorte célèbre aux environs de 1820, et qui aujourd'hui est aux
mains de M. Chalain, pourrait nous en donner des nouvelles. Celle-
là ne travaille pas uniquement pour Paris ; la province lui paie un
large tribut, et elle a un matériel immense de location qui roule
incessamment sur les chemins de fer. Quant aux cordonniers qui
travaillent spécialement pour nos théâtres, ceux-là non plus, on
peut le croire, ne restent pas dans l'inaction. En veut-on un exem-
ple? Il est facile à trouver, si l'on s'adresse à l'Opéra el en ce qui
se rapporte seulement à la danse. Pour se faire une idée de la
gloutonnerie de ce théâtre en matière de chaussons de danse, il
suffira de savoir que les étoiles du ballet reçoivent de l'administra-
tion une paire de chaussons par acte, les premiers sujets une paire
par. soirée, les seconds sujets une paire par trois soirées, les cory-
phées une paire par six soirées, enfin les danseuses des quadrilles
une paire par douze soirées! Voit-on d'ici à quel besoin de consomma-
tion doit répondre l'activité de la maison Crais, fournisseur de l'Opéra?
Dès sa naissance, d'ailleurs, l'Opéra donna un essor immense à
toutes les industries qui pouvaient relever de lui, et celles-ci ac-
quirent aussitôt une importance exceptionnelle. On en trouve la
preuve dans ce fait qu'elles sont mentionnées avec détails, dès 1692
dans un petit livre très curieux d'Abraham du Pradel, le Livre
commode des adresses de Paris, qui est le premier ancêtre de notre
Bottin actuel. Dans ce livret, au chapitre, ou plutôt à la rubrique
Menus-Plaisirs, on peut relever les adresses suivantes, touchant les
diverses industries théâtrales :
Messieurs Baraillon père, fameux tailleur pour les habits de théâtre,
et M. son fils pour les masques et autres choses nécessaires pour les
ballets et comédies, demeurent rué saint Nicaise.
Les sieurs du Creux, au bout du pontNotre Dame, etBoille, rue du Colom-
bier saint Germain, vendent aussi dés masques de théâtre et de carnaval.
Mademoiselle Poitiers, vis à vis les Quinze-Vingts, rue saint Honoré,
fait des coëffures en cheveux pour les ballets et opéra.
Les sieurs Frangeon et la Croix, brodeurs des habits pour les balets du
Roy, demeurent le premier rue saint Estienne, à la Ville neuve, et l'autre
rue neuve saint Denis, proche la porte.
Le sieur Houssard, plumassier du Roy, tient un grand magasin de
plumes pour les balets et tragédies, rue saint Honoré.
Messieurs Cossard et Guerinois vendent toutes sortes d'étoffes or et
argent pour les balets, opéra et mascarades, ils demeurent rue saint De-
nis, près le grand Châtelet.
Autant en fait M. Harlier, rue de la Coutellerie, qui fait et vend des
étoffes brodées or et argent.
Le sieur Carême, qui fait les feux d'artifices de l'Hôtel de Ville et de
l'Opéra, demeure rue Frementeau.
Le sieur Morel, même talent, demeure rue de Tournon.
On était pourtant encore à cette époque dans l'enfance de l'art,
et, de plus, il faut remarquer que trois théâtres seulement existaient
alors à Paris : l'Opéra, la Comédie-Française et la Comédie-Ita--
tienne. Un siècle plus tard, les choses avaient déjà bien marché, et
en 1787 le petit almanach les Spectacles de Paris publiait une liste
aujourd'hui devenue bien curieuse, celle de tous les fournisseurs de
l'Opéra, liste qui comprenait, il est vrai, non seulement les fabri-
cants, les industriels, mais aussi les commerçants, les marchands
de toutes sortes, dont les produits ne s'appliquaient pas seulement
à la scène, mais à la salle et à toutes les dépendances du théâtre.
Ce petit document est vraiment typique, et me semble mériter d'être
reproduit à cent ans de dislance. Lo voici :
FOURNISSEURS DE L'ACADÉMIE
Dhoudan de Villeneuve, poëlier-fumiste et clincailler, grande rue du
F.-S.-M. (faubourg Saint-Martin).
M"cs Faugé, marchandes mercières, rue Montmartre, vis à vis S. Joseph.
Perreau de Villeneuve, marchand d'étoffes de soie, rue des Mauvaises-
Paroles, n° 19.
Halle, successeur du sieur Bignon, fabricant de masques et cabochons,
rue de l'Arbre-Sec (1).
Renault, ferblantier, et entrepreneur du luminaire, rue de la Monnoie.
Noquet, imprimeur sur étoffes, rue de la Tisseranderie.
Collard, graveur, quai de la Mégisserie.
Liger, fourbisseur, rue Coquillère, près celle des vieux Augustins.
Dumas, serrurier, rue et porte S. -Honoré.
Bleterie, aréquier (fabricant d'arcs), Porte saint Michel.
Lauriau fils, cordier, rue saint Denis.
Laubry (veuve), cbapelière, rue S. Nicaise.
Guerrier, vitrier, rue de l'Arbre-Sec.
Lucas, plombier-fontainier, rue S. H. (Saint-Honoré).
Chevreau, marchand papetier, rue S. Denis, au coin de l'ancien grand Cerf.
Renaudin, luthier, rue saint Honoré, près l'Opéra.
Tessier, fourreur, rue de la vieille Draperie.
Renard, artificier du Roi, rue S. Maure.
Farin, nattier, près l'Egout-Montmartre.
Leguay, vannier, place de la Bastille.
Lenoble, tourneur, rue saint Benoît, à côté de celle des deux Anges.
Nattier (V™), fleuriste, rue du grand Hurleur.
Bruno, dit Notrelle, perruquier, rue des Remparts.
Borne, cordonnier, rue des Boucheries S. H.
Sauvât, tapissier, au magasin, F. du T. (faubourg du Temple), au coin
de la rue Fontaine-au-Roi.
Leurain, brodeur, rue Bourg l'Abbé, vis-à-vis celle du grand Hurleur.
Bellanger (V"), boisselière, rue des Petits-Carreaux, au coin de celle
de S. Sauveur.
Bignon, marchand de musique, place du Palais, vieux Louvre.
Racasiol, marchand de bois de menuiserie, grande rue du F. S. A.
(faubourg Saint-Antoine).
Thieri fils, fabriquant de gaze, rue S. Denis, vis à vis celle du Ponceau.
Leprince père et fils, fabriquant de bougies du Mans, rue de Grenelle,
au coin de celle des deux Ecus.
Rollet, marchand fabriquant de lacets, rue aux Fers.
Verdier, fournisseur de gants, hôtel Soissons, rue Mercière.
Maillot, bonnetier, rue saint Honoré, près saint Roch.
Briard, parfumeur, rue Saint-Victor.
Renard, marchand de couleurs, rue des Arcis.
Potier, marchand de bois à brûler.
Donnebecq, plumassier, rue de Grenelle-Saint-Honoré.
Vatinelle, marchand de fer, carrefour de la Croix-Rouge.
Pautonnier, marchand de bois de bateaux, Isle-des-Cygnes.
Tout ce qui concerne les accessoires scéniques, je l'ai dit, acquiert
une grande importance. L'industrie du costume, qui ne saurait se
borner au vêtement proprement dit, à elle seule entraine à sa suite
les perruquiers (dont le métier devient presque un art, si on le con--
sidère d'une part au point de vue de l'élégance et de la précision
du travail, de l'autre au point de vue de la recherche et de l'exac-
titude historiques), les bonnetiers (surtout pour les maillots), les
fleuristes, les plumassiers. les joailliers et bijoutiers. Viennent en-
suite les armuriers, puis les tapissiers, puis les cartonniers, puis
les parfumeurs spéciaux, fabricants de blanc et de rouge pour la
peau, etc.. etc. Et je n'aurais garde d'oublier encore les artificiers,
nécessaires dans les pièces où, comme le Prophète, Mignon, la Madone
des roses, on simule un incendie sur la scène, non plus que les fai-
seurs de trucs, dont le rôle est si important dans tous les ouvrages
où l'élément fantastique est mis enjeu (2).
(A suivre.) Arthur Poiigin.
(1) En 1791, Halle, dont la maison n'a cessé jusqu'à ce jour d'être au
service de l'Opéra, était ainsi mentionné, d'une façon plus complète, au
nombre des fournisseurs de la Comédie-Française: « fabriquant de masques,
casques, cabochons et tout ce qui concerne le carton. »
(2) Il fut un temps où cette industrie toute spéciale était très florissante.
Certains artisans s'ingéniaient à trouver des trucs nouveaux, curieux, in-
connus, parfois d'une complication extrême, ils en construisaient les ma-
quettes, et s'en allaient chez un auteur en renom pour lui soumettre leurs
petits chefs-d'œuvre et les faire fonctionner devant lui. (Feu Clairville et
M. d'Ennery ont eu plus d'une fois affaire à ces ouvriers, dont l'habileté
était prodigieuse.) L'auteur sollicité faisait son choix dans ce qu'on lui
proposait, achetait la propriété de ces petites machines vraiment curieuses,
et fabriquait ensuite une féerie dans laquelle il introduisait les trucs sus-
dits, que le machiniste du théâtre n'avait plus qu'à construire en grand
d'après les modèles.
LE MÉNESTREL
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Au dernier programme du Conservatoire étaient inscrites trois œuvres
seulement, mais trois chefs-d'œuvre : l'adorable symphonie en fa, de
Beethoven (la huitième), les chœurs d'Athalie, de Mendelssohn, et la 32°
symphonie d'Haydn, en ml bémol, l'une des plus exquises du vieux maître.
Je ne voudrais pas chagriner nos excellents voisins d'Allemagne, dont
un journal disait dernièrement qu'il n'y avait qu'un endroit au monde où
l'on sait jouer la musique de Beethoven, et que cet endroit, c'est le
Gewandhaus de Leipzig. Or, sans jamais avoir assisté à une séance du
Gewandhaus, je tiens cette société justement célèbre pour l'une des- pre-
mières de l'Europe ; mais chacun connaît la renommée que s'est faite
particulièrement le Conservatoire en ce qui concerne l'interprétation de
Beethoven, et si l'on peut l'égaler sous ce rapport, il est assurément im-
possible de le surpasser. Il l'a prouvé cette fois encore par une exécution
vraiment prestigieuse de la symphonie en fa, et surtout de son merveilleux
andante scherzando, cet andante dont Berlioz a dit: « C'est une de ces pro-
ductions auxquelles on ne peut trouver ni modèle ni pendant; cela tombe
du ciel tout entier dans la pensée de l'artiste; il l'écrit tout d'un trait,
et nous nous ébahissons à l'entendre... C'est doux, ingénu et d'une indo-
lence toute gracieuse, comme la chanson de deux enfants cueillant des
fleurs dans une prairie par une belle matinée de printemps. » Le public,
émerveillé par cette perle rare, enchanté par son exécution, l'a redeman-
dée à grands cris. — Les chœurs d'Athalie ont obtenu, eux aussi, tout le
succès que mérite cette œuvre si intéressante, si pure de lignes, d'une
inspiration si élégante, si noble et si chaste à la fois. C'est une chose
vraiment singulière que ce cantique catholique écrit par un protestant de
race Israélite! Quoi qu'il en soit, l'œuvre est de toute beauté, et si son
histoire est singulière, si elle a été en quelque sorte écrite sur commande,
elle n'en est ni moins bien venue ni moins heureuse dans l'ensemble
comme dans les détails (1). Je regrette seulement qu'au Conservatoire on
en ait supprimé la Marche, qui n'en est certainement pas le moins bon
morceau. Ce que je regrette aussi; c'est que la Société des concerts ne
nous ait jamais donné l'occasion d'établir un parallèle entre la musique
de Mendelssohn et celle que Boieldieu a écrite sur le même sujet. Boiel-
dieu, en effet, a composé, lui aussi, lors de son séjour en Bussie, des
chœurs pour Athalie qu'il tenait pour une de ses œuvres les plus ache-
vées. Ces chœurs ne furent connus à Paris que quatre ans après sa mort.
La Comédie-Française les fit exécuter le 29 mai 1838, à la représentation
de retraite de Mm6 Paradol, qui prenait congé du public dans le rôle
d'Athalie. L'orchestre était conduit par Habeneck, et le personnel chan-
tant était celui du Théâtre-Italien, renforcé par douze voix d'enfants qui
produisaient, parait-il, une impression délicieuse. Le succès fut si grand
que plusieurs représentations d'Athalie furent encore données dans les
mêmes conditions, et que, la Comédie-Française se voyant dans la néces-
sité de cesser ces représentations pour faire place à celle d'une comédie
nouvelle, ses tragédiens se transportèrent à l'Odéon pour continuer d'y
jouer Athalie accompagnée de ses chœurs, Mlle Gaussin prenant alors la
succession de Mme Paradol. N'y-aurait il pas un véritable intérêt à nous
faire connaître cette œuvre de Boieldieu, dont le talent si plein de charme,
de grâce et d'élégance ne trouve jamais place sur les programmes de la
Société des concerts? C'est une idée, et non une idée en l'air, que je sou-
mets au Comité. Pour en revenir à Mendelssohn, l'exécution instrumen-
tale et chorale a été au-dessus de tout éloge ; les soli ont été chantés avec
goût par Mme! Leroux-Bibeyre, E. Blanc et E. Leroux ; malheureusement
les deux voix de sopranos manquaient un peu de corps et de solidité
pour cette musique d'un si grand style et d'un si bel accent; toutes bien
conduites qu'elles étaient, elles paraissait un peu plus minces et plus
ténues qu'il n'eût fallu. Quant à M. Mounet-Sully, qui s'était chargé de la
déclamation, et dont personne plus que moi ne respecte et n'apprécie le
talent, je trouve qu'il chante trop les vers récités de Bacine. Son accent
plaintif semble se ressentir un peu trop du voisinage de la musique; il
prend des inflexions de voix qui sont de véritables intonations, et il a
sur une même syllable des traînées de son, ascendantes ou descendantes,
qui font presque l'effet d'une gamme mal venue. En un mot, cela manque
de virilité, et cela ne tranche pas assez avec l'accent musical des chœurs.
— La délicieuse symphonie d'Haydn, avec son andante charmant et son
menuet enchanteur, dont le trio surtout est exquis, terminait à souhait
cette belle séance et ce beau programme. Elle a été dite avec une grâce,
une finesse, une élégance et un sentiment délicat qui font le plus grand
honneur à l'orchestre et à son excellent chef, M. Garcin. — Arthuk Poucin.
— Concert du Chatelet. — Un des mérites de M. Colonne est de rendre
ses concerts attrayants. Pour atteindre ce résultat, la diversité des mor-
ceaux ne suffit pas ; il faut encore la variété des styles, sans cela les grands
concerts d'orchestre sont voués à la monotonie. La première partie se
composait de l'ouverture de Coriolan, de Beethoven, cette page si colorée,
si mouvementée, d'un caractère si dramatique ; — de la Symphonie ina-
chevée de Schubert, puisée aux sources de la sensibilité la plus délicate,
la plus exquise; — enfin de la Danse macabre de M. Saint-Saéns, œuvre pittn-
(1) Je renvoie ceux qu'intéresserait cette histoire curieuse et peu connue
à l'article que j'ai publié sur ce sujet dans la Nouvelle Revue du 1CT no-
vembre 1888.
resque, une des rares œuvres modernes qui réponde aux programmes à
l'aide desquels on a maintenant l'habitude de les expliquer. Ces trois belles
pages ont été écoutées sans fatigue, admirablement comprises et sincè-
rement applaudies. — La seconde partie du concert appartenait à M. Grieg,
le célèbre compositeur norvégien, qui a conduit ses œuvres avec une
grande maestria, surtout son concerto. La première composition entendue
a été Bergliot, poème traduit de Bjornson et déclamé par M"10 Marie Lau-
rent. M. Grieg a créé là une œuvre particulière ; ce n'est pas, à propre-
ment parler, le mélodrame venu des Allemands, imité quelquefois chez
nous, dans lequel la déclamation parle sans chanter pendant que l'or-
chestre joue, ce qui produit presque toujours une impression de fausseté:
ici, l'orchestre intervient seulement après que la déclamation a parlé ; il
souligne ses phrases, il les coupe, toujours dans l'impression vraie. C'est
un récitatif à deux, le morceau se termine par une marche funèbre de
toute beauté et vraiment émouvante. Le concerto op. 16, précédemment en-
tendu à Paris et supérieurement exécuté par M. De Greef, est un morceau
de premier ordre, bien rythmé, bien conduit, où déborde une mélodie d'une
saveur étrange et pénétrante. La suite d'orchestre, Peer Gtjnl, révèle moins
d'originalité : le Matin est une suave rêverie; on a bissé la danse, qui est
une très gracieuse composition. Le moins réussi des quatre morceaux est
la Poursuite des Kobolds, qui est trop court et trop bruyant. Grand succès
néanmoins pour le compositeur, qui a été acclamé à diverses reprises par
le public du Chatelet. H. Barbedette.
— La Société nationale a recommencé la série de ses séances
musicales, le samedi 28 décembre, par un concert dont la première
partie était consacrée à M. Edv. Grieg. Des circonstances regrettables
ont empêché le compositeur norvégien de prêter son concours à
cette soirée, bien qu'il l'eût promis d'abord et en eût manifesté clai-
rement le désir : par malheur, il s'est trouvé que des engagements
dont il n'avait pas prévu toutes les rigueurs ne lui ont même pas
permis d'assister à cette séance, donnée en son honneur par une
société de musiciens français dont la seule préoccupation est le culte
de l'art, et qui, dès longtemps, avaient fait connaître ses œuvres à
leur auditoire habituel. On en a été généralement, sinon très surpris, du
moins sincèrement peiné : on l'a regretté d'autant plus que cela a privé
M. Grieg de se trouver, pour la première fois depuis sa venue à Paris,
dans une salle complètement et brillamment garnie en son honneur, de-
vant un public enthousiaste et apte à le comprendre. L'on sait d'ailleurs
que M. Grieg n'est véritablement lui-même que dans la musique de
chambre et la musique intime; aussi le programme de la Société natio-
nale donnait-il une idée beaucoup plus complète et plus heureuse de son
talent que les deux séances d'orchestre données d'autre part. Mme Gabrielle
Krauss a chanté cinq lieder qui sont cinq petits chefs-d'œuvre : la grande
cantatrice les a interprétés avec son talent incomparable, son accert
puissant et expressif, et a été l'objet d'ovations enthousiastes et prolon-
gées. Même chose pour M. Diémer, qui a joué plusieurs pièces pour piano
seul, et, assisté d'un de ses élèves, deux des ravissantes Danses norvé-
giennes à quatre mains; enfin, MM. Heymann, Gibier. Balbreck et Lié-
geois ont exécuté le quatuor à cordes, fantaisiste, brillant et coloré, qui
reste, ce me semble, l'œuvre la plus caractéristique et la plus considérable
de M. Grieg. — Le reste du concert comprenait un Adagio et Scherzo pour
quatuor à cordes de M. A. Vinée, bien écrit, mais où l'invention et l'in-
térêt ne se renouvellent que médiocrement; deux nouvelles mélodies de
M. Paul Vidal, jolies de forme, avec des dessous un peu lourds; l'admi-
rable Élégie pour violoncelle de M. G. Fauré, une page digne des grands
classiques (très bien jouée par M. Liégeois); enfin, une série de pièces
extraites d'une nouvelle œuvre de piano de M. Vincent d'Indy : Tableaux
de voyage, suite de petits morceaux de dimensions analogues à celles de
certaines œuvres de piano de Schumann, où l'on retrouve la richesse
d'harmonies, l'originalité, le sentiment tour à tour intime et pittoresque
que les œuvres antérieures du compositeur nous avaient déjà révélés.
Julien Tiersot.
Belàche. aujourd'hui dimanche, à tous les concerts symphoniques.
Conservatoire, Chatelet et Cirque d'Hiver.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Le Journal de Saint-Pétersbourg fait connaître l'ouverture et publie le
programme du double concours musical international fondé par Antoine
Rubinstein. Ce premier concours aura lieu à Saint-Pétersbourg le 1B (27)
août 1890, au Conservatoire (rue du Théâtre, n° 3), à une heure de l'après-
midi. Deux prix, chacun de cinq mille francs, seront décernés — un prix à
un compositeur, un autre à un pianiste. Les deux prix pourront être adju-
gés à une seule personne, qui sera reconnue digne d'obtenir tant le prix
de composition que le prix de piano. Au cas où l'un des deux premiers
prix ou les deux ne seraient pas adjugés, on pourra les remplacer par des
seconds prix de deux mille francs chacun. Les concurrents — des jeunes
gens de 20 à 2G ans — pourront être de toute nationalité, de toute reli-
gion, de toutes les classes de la société, et sans distinction du lieu où
ils ont fait leur éducation musicale. Voici le programme du concours :
LE MENESTREL
a Programme pour les compositeurs.
Présenter les compositions suivantes :
1' Un concerlstiick pour piano et orchestre (deux exemplaires de la partition],
transcription de la partie d'orchestre pour un second piano, parties d'orchestre
(trois parties du 1er violon, trois du 2° violon, deux d'alto, deux de violoncelle,
deux de contrebasse).
2° Sonute pour piano seul ou pour piano et un instrument a cordes quelconque
{deux exemplaires et la partie de riostrument à cordes).
3° Plusieurs petits morceaux pour le piano (pas moins de deux exemplaires
chacun).
Les compositeurs doivent exécuter eux-mêmes leurs œuvres (1).
Les œuvres présentées au concours doivent être inédites,
b Programme pour les exécutants.
Exécution des morceaux que voici ;
1° J. S. Bach. Prélude et fugue à quatre voix.
2° Haydn ou Mozart — un andante ou un adagio.
3° Beethoven — l'une des sonates: op. 78, 81, 90, 101, 106, 109, 110, 111.
4° Chopin — mazurka, nocturne et ballade.
5° Schumann — un ou deux morceaux des Phantasieslucke on de la Kreisleriana.
6° Liszt — une étude.
Les personnes qui désirent concourir doivent le notifier par écrit au comptoir
du Conservatoire de Saint-Pétersbourg, rue du Théâtre, 3, pas plus tard que
le 14 (26) août 1890, en y ajoutant les documents originaux ou des copies certi-
fiées constatant leur identité et leur âge.
— Voici la liste des opéras nouveaux qui ont été représentés en Italie
au cours de l'année 1889 : 1. Agnese Visconti, de M. Antonio Nani (Malte,
Théâtre-Royal) ; — 2. Il Cas ïno di Campagna, de M. Quercetti (Osimo, th.
des Muses); — 3. Gina, de M. Francesco Gelea (Naples, Conservatoire); —
4. La Mandragola, du prince de Teano (Naples, th. des Fiorentini) ; — 5.
Occhi azzurri, de M. Gavalieri (Fossano, th. Social) ; — 6. — Un Dono fatale,
opérette, de M. Zamhelli (Gènes, Société Cristophe Colomb) ; — 7. Le Gelosie
de padron Grisogono, opérette, de M... (?) ; — 8. Semplicioni e Gabolotti,
o Amori di Cinchetto, opérette en dialecte romanesque, de M. Cesare Pas-
cucci (Rome, th. Rossini) ; — 9. Jolanda, idylle, de M. Gellio Coronaro
(Milan th. Philodramatique); — 10. La Penna d'amorc (ou la Morte d'amore),
Opérette, de M. Palmieri (Naples, th. des Fiorentini) ; — 11. Cleopatra, de
M. Giuseppe Bensa (Milan, th. Dal Verme) ; — 12. Un Telegramma, opérette,
de M. Martini (Milan, th. Pezzana) ; — 13. — Beida, de M. Angelo Botta-
gisio (Milan, th. Dal Verme); — 14. Abulcadabuz, opérette, de M. Buon-
giorno (Naples, th. delà Fenice); — 15. Clara, de M. Panizza-Pugnalini
(Milan, th. Manzoni) ; — 16. Pippetlo avvocato, ovvero un Granchio a secco,
opérette en dialecte romanesque, de M. Cesare Pascucci (Rome, th. Ros-
sini) ; — 17. Il Viaggio di Stentorcllo nella luna, opérette, de M. Giulio
Cocialli (Monlelupo) ; — 18. Et Giro italo-ispano-franco-chinese, opérette en
dialecte romanesque, de M. Cesare Pascucci (Rome, th. Rossini), — 19. I
Granatieri, opérette, de M. Valente (Turin, th. Gerbino) ; — 20. William
Ratclifj, de M. Emilio Pizzi (Bologne, th. Communal) ; — 21. Botton di rasa,
opérette, de M. Forte (Naples, th. de la Fenice) ; — 22. Djalma, de
M. Buongiorno ( N'.ples, th. de la Fenice) ; — 23. Bianca di Nevers, de
M. Adolphp Bacci (Rovigo, th. Social) ; — 24. La Freccia dorala, opérette,
de M. Domenico Bertaggia (Naples, th. de la Fenice) ; — 2b. Adriana
Lecouvreur, de M. Perosio (Gènes, th. Paganini) ; — 26. Nerina, de M. Carlo
Chiappani (Trente, th. Social) ; — 27. Mariska, de M. Giovanni Orerice
(Turin, th. Carignan); — 28. Il Piccolo Haydn, paroles et musique de M. Al-
fredo Soffredini (Faenza, th. Communal) ; — 29. Pippctto imperatore del Gran
Turco, opérette en dialecte romanesque, de M. Cesare Pascucci (Rome,
th. Rossini) ; — 30. Er Marchese der Grilla, opérette en dialecte romanesque,
de M. de Mascetti (Rome, th. Métastase) ; — 31. Batlaglia di donne, de
M. Giovanni Ferma (Turin, Cercle des Artistes); — 32. Na bizzoghella opé-
rette en dialecte romanesque, de M. Cesare Pascucci (Rome, th. Rossini) ;
— 33. Iridc, de M. Vigoni (Cortone). — A ces ouvrages, les journaux ita-
liens ajoutent : lo Schiavo, de M. Carlos Gomes, donné au théâtre Dom
Pedro, de Rio- Janeiro; the Gran Duke, opéra anglais, de M. Tito Mattei,
compositeur italien, représenté à l'Avenue-Théâtre, de Londres; Delta,
opéra anglais de M. Bucalossi, compositeur italien, joué au Princess's
Théâtre de Bristol ; enfin, il Vassallo di Szigelh, opéra traduit en alle-
mand, de M. Antoion Smareglia, compositeur italien, donné au théâtre
impérial de Vienne.
. — 11 est assez difficile de savoir au juste à quoi s'en tenir en ce qui
concerne l'effet produit sur le public de laScala, de Milan, par la repré-
sentation des Maîtres chanteurs, de Richard Wagner. L'impression générale
parait surtout avoir été troublante et indécise, ce qui se comprend, étant
donnée la dose d'étonnement qu'une musique de ce genre a dû provoquer
chez des auditeurs habitués â un tout autre régime, et singulièrement
différent. L'ouverture a produit de l'effet, mais le premier acte (bien que
réduil de sept quarts d'heure â cinq par les coupures)a paru terriblement
long ; le second a été mieux accueilli, et le finale, en a été redemandé ; le
quintette du troisième a été applaudi, mais dans cet acte encore de terri-
bles développements ont fatigué le public, dont l'impression finale ne
parait pas avoir été excellente. En résumé, applaudissements très vifs pour
(1) En reproduisant cet alinéa, dit lo Journal de Sl-1'èlershmirg, nous nous de-
mandons si les organisateurs du concours se sont bien rendu compte de l'exi-
gence qu'ils imposent aux concurrents. Faudra-t-il que tous les compositeurs qui
voudront concourir, arrivent à date fixe à St-PctersDourg pour être en mesure
d' .r exécuter eux-mêmes leurs œuvres »? Un mot d'explication serait désirable.
certaines pages splendides de la partition, sifflets en d'autres endroits, et
sentiment de lassitude générale à la fin de l'œuvre. Succès personnel con-
sidérable pour le chef d'orchestre Franco Faccio, pour l'orchestre et les
chœurs, puis pour M. Seguin et Mme Gabbl. Voici comment le journal
l'Italie résume les nouvelles : n Les journaux de Milan diminuent de beau-
coup le succès des Maestri cantori â la Scala. Les morceaux qui vraiment
ont ému le public ont été l'ouverture, la finale du second acte et le quin-
tette du troisième. Ce que disaient les dépèches à l'égard de l'exécution
se rapportait principalement à l'orchestre et aux chœurs, qui se sont fait
beaucoup d'honneur. Les artistes principaux, M. Seguin et M""5 Gabbi, sont
très loués, le premier spécialement ; par contre, on reproche à M. Nouvelli
d'avoir peu étudié son rôle et de n'avoir pas donné de relief à la très belle
chanson du défi. On prévoit que les Maestri cantori auront un nombre li-
mité de représentations. »
— Dépèche de Rome : « Hier, à f'Argentina, grand succès pour Mignon
avec M110 Frandin, Mm0 Brambilla, Bayo et Cotogni. Orchestre admira-
ble. »
— Les journaux italiens nous apprennent que le compositeur Giuseppe
Apollini, l'auteur d'un opéra célèbre en son pays, l'Ebreo, et de plusieurs
autres ouvrages, est en ce moment gravement malade à Vicence.
— Il est beaucoup question, à Bruxelles, du projet du gouvernement
d'élever au rang de Conservatoire royal belge, l'École de musique d'An-
vers, dirigée par M. Peter Benoit. L'École d'Anvers a été jusqu'ici une
institution communale et provinciale, c'est-à-dire dans l'entretien de
laquelle le gouvernement n'intervenait pas directement. Arrivant au rang
de Conservatoire royal, l'École d'Anvers passerait dans la dépendance
du ministère de l'instruction publique. Il y a actuellement trois Conser-
vatoires royaux en Belgique : A Bruxelles (directeur, M. Gevaert), à Gand
(directeur M. Adolphe Samuel) et à Liège (directeur, M. Radoux).
— A l'occasion de la Noël, l'Opéra impérial de Vienne a donné, au bé-
néfice d'une œuvre charitable, une représentation de la Sainte Elisabeth de
Liszt, exécutée en costumes et avec mise en scène. Du vivant de Liszt on
avait donné à Weimar cet oratorio avec tableaux vivants ; à Vienne, c'est
avec une véritable mise en scène, savamment adaptée à la musique. C'est
Hans Richter qui a dirigé cette intéressante exécution,
— Quatre théâtres incendiés en l'espace d'une semaine ! Le théâtre
allemand de Buda-Pesth, le théâtre Re Umberto, de Florence, le théâtre
municipal de Zurich, et le'théâtre de Parth-Rhondda-Vallay, dans le
pays de Galles (Angleterre), ont été tous quatre, en ces derniers jours,
complètement détruits par le feu, de telle sorte qu'il n'en reste que les
murs calcinés. Par un bonheur providentiel on n'a, dans ce quadruple
désastre, aucun accident de personnes à déplorer,
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Les distinctions honorifiques du 1er janvier. Dans la Légion d'hon-
neur, est promu au grade d'officier : M. Edouard Pailleron, auteur dra-
matique, membre de l'Académie française; sont nommés chevaliers:
MM. Worms, sociétaire de la Comédie-Française ; Paravey, directeur de
l'Opéra-Comique ; Louis Ganderax, critique dramatique à la Revue des
Deux Mondes; Maurice Bouchor, homme de lettres, -r- Sont nommés offi-
ciers de l'Instruction publique : MUe Augusta Holmes, compositeur;
MUo Delaporte, professeur de déclamation ; MM. Henri Meilhac, auteur
dramatique, membre de l'Académie française ; Paul Henrion, Félix Le-
roux, Georges Lamothe, compositeurs; Danhauser, inspecteur de l'ensei-
gnement du chant; Wettge, chef de musique de la garde républicaine;
Henri Carré, chef des chœurs à l'Opéra-Comique; Garrigue, premier cor,
solo à l'Opéra-Comique : Paul Viardot, artiste musicien ; Ad. Brisson,
Doumic (dit René d'Orsel), critiques dramatiques ; Paul Collin, homme
de lettres, librettiste; Charles Constantin, ancien prix de Rome; Duluc,
professeur de musique à Nancy; Hercouët, membre de la commission
de liquidation de la caisse des retraites de l'Opéra. — Sont nommés
officiers d'académie : MM. Gresse (Opéra), Dupuy (Opéra-Comique),
Lematte, Senoutzen, artistes lyriques ; Charles Malo, Pister, chefs d'or-
chestre et compositeurs ; Mme Edme Rousseau, M. Léon Vasseur, compo-
siteurs; M. de Try, pianiste-compositeur; Mms Giraud-Laturse, Maire,
née Nancy-Libert, veuve Didier, dite Berthe Marietti, Mlles Lhéritier,
Gayrard-Pacini, Lenoble, Parent, Lefebvre-Eyre, MM. Gros-Saint-Ange,
d'Hack, Migeon, Martin, Renard, dit Lemaitre, Salmon, Humblot, profes-
seurs de musique ; Cabro, directeur de la fanfare de Montmartre ; Léauté,
président-fondateur du Cercle symphonique de la rive gauche ; Lucien
Gressonnois, Georges Feydeau, André Lenéka, Deleuze, dit Paul d'Ivoi,
Raymond, Rieunier, dit Monréal, auteurs dramatiques; Amable, peintre-
décorateur; Guilloire, secrétaire delà Comédie-Française; Serrand, mé-
decin-adjoint de l'Opéra-Comique; Magnier, professeur de musique à
Toulouse ; Casimir Baille, directeur-de l'École de musique de Perpignan ;
Mailly, chef de musique au 2e régiment étranger; Simonneau, professeur
de musique à Chartres; Mm0 Prus-Seyna re, professeur de piano à Rou-
baix; d'Encausse de Gautier, critique dramatique; Bernard, professeur de
violoncelle à l'École nationale de musique de Nantes ; Brunet, professeur
de piano à l'École de musique de Boulogne-sur-Mer; Colin, chef de la
musique du bataillon des canonniers sédentaires de Lille; Combes, pro-
fesseur de musique à Gahors.
LE MENESTREL
— L'année 1889, on le sait de reste, n'aura pas été florissante à Paris
au point de vue de la production théâtrale, nos directeurs se souciant
peu de se mettre en frais pour le public cosmopolite que devait forcément
leur amener l'Exposition. Le répertoire des nouveautés musicales de
l'année est donc fort restreint, et se borne aux ouvrages dont voici la
]iste : — Opéra : la Tempête, ballot en trois actes et six tableaux, de
MM. Jules Barbier et Hansen, musique de M. Ambroise Thomas. —
Opéra-Comique : la Cigale madrilène, opéra-comique en deux actes, de
M. Léon Bernoux, musique de M. Joanni Perronnet ; Esclarmonde, opéra
romanesque en quatre actes, de MM. Gramont et Alfred Blau, musique de
M. Massenet. — Variétés : la Fille à Cacolet, vaudeville-opérette en trois
actes, de MM. Chivot et Duru, musique de M. Audran. — Polies-Drama-
tiques : Riquet à la Houppe, opérette-féerie en trois actes, de MM. Paul
Ferrier et Glairville, musique de M. Louis Varney. — Bouffes-Parisiens :
le Retour d'Ulysse, opérette en trois actes, de M. Fabrice Carré, musique de
M. Raoul Pugno ; Figarella, opérette en un acte, de MM. Grandmougin et
Jules Méry, musique de M. Justin Clérice ; Monsieur Hucliot, opérette en
un acte, de M. Jacques Teresand, musique de M. J. Clérice ; la Revanclie
de Cornarino, opérette en un acte, de M. Félix Cohen, musique de M. Léon
Rosellen ; le Mari de la Reine, opérette en trois actes, de MM. Grenet-
Dancourt et Octave Pradels, musique de M. André Messager. — Nouveau-
tés : la Vénus d'Arles, opérette en trois actes, de MM. Paul Ferrier et Ar-
mand Liorat, musique de M. Louis Varney. — Menus-Plaisirs : l'Etudiant
pauvre, opérette en trois actes, imitée de l'allemand, de MM. Milher et
Numès, musique de M. Millœcker. — Eden-Théatre : Ali-Baba, opérette en
■trois actes, de MM. W. Busnach et Vanloo, musique de M. Charles Le-
cocq. — Mentionnons, pour terminer, l'Ode triomphale de MUe Augusta
Holmes, (paroles et musique), exécutée sur le théâtre expressément con-
truit à cet effet dans le Palais de l'Industrie.
— L'Académie des Beaux-Arts a procédé, dans sa séance du 28 décembre,
au renouvellement annuel de son bureau. M. Ambroise Thomas a été élu
président et M. Meissonnier vice-président, le bureau étant complété par
le comte Delaborde, secrétaire perpétuel. Dans cette même séance, l'Aca-
démie a entendu la lecture du rapport sur les envois de Rome des jeunes
musiciens pensionnaires de l'Académie de France.
— Opinion de M. Albert Delpit, du Figaro, sur les directeurs de l'Opéra:
Ah! ces malheureux directeurs de l'Opéra! Ils peuvent se vanter d'avoir
ameuté tout le monde contre eux. Qu'est-ce qu'ils nous ont donné de nouveau
depuis dix-huit mois, en dehors de la Tempête? Énumérons: Roméo et Juliette et...
Lucie de Lammermoor! Il est impossible de se moquer des artistes et du public
de plus allègre façon. L'opéra de GouDod est un chef-d'œuvre: soit. Mais Lucie !
C'est absolument comme si la Comédie s'avisait de reprendre lea Templiers de feu
Rajnouard. Encore aimerais-je mieux les vers insipides du barde impérial que les
trou la la d'orchestre de Donizetti. Notez que MM. Rut et Gailhard ont sous la
main la Zaïre de M. Véronge de la Nux etl'Ascanio de Saint-Saéas; sans compter,
dans l'avenir, le Mage de Massenet. Messieurs les directeurs de l'Opéra ne se
doutent pas des effroyables rancunes qu'ils ont soulevées. Leur bilan est bien
simple. Cette administration peut se résumer en quelques mois: pas de réper-
toire, pas de troupe. Le premier se compose d'opéras tellement usés qu'on n'en
veut plus, même à Landerneau. Quant à la seconde, la reprise de Lucie a permis
de la juger. Les malheureux en sont à recruter un ténor dans la salle ! Notre
Exposition a été admirable. Cependant je ne crains pas de dire qu'elle a été dés-
honorée par les représentations de l'Opéra et par les fiacres ! Les nombreux
étrangers qui sont venus nous rendre visite ont dû concevoir de jolies idées sur
notre compétence artistique. Comment! Voilà un théâtre qui s'appelle l'Académie
nationale de musique; ses administrateurs ont non seulement une salle gratuite -
ment concédée, mais encore huit cent mille francs de subvention. Et avec tous
ces avantages, nous n'obtenons pas même une troupe médiocre! Si bien que les
Parisiens voyageurs, tels que moi, sont pris de honte quand ils assistent à une
représentation de la Scala, du San Carlo ou de la Monnaie. Je n'insiste pas. Je
me réserve de revenir sur cette question de l'Opéra, quand la Chambre discutera
le budget des Beaux-Arts. Le privilège de MM. Ritt et Gailhard ne doit pas être
renouvelé. Autrement, la presse et les abonnés pousseraient de telles clameurs
que le conseil des ministres en serait assourdi pendant six mois ! . . .
Et pourtant cela sera, parce que c'est le désir de M. Constans. Le pri-
vilège de MM. Ritt et Gailhard sera renouvelé, et nous aurons encore sept
années à subir cette scandaleuse direction. Les abonnés ne diront rien,
la presse restera muette, et le ministère des Beaux-arts trouvera que tout
va au mieux dans le meilleur des mondes artistiques.
— De son coté M. Henri Bauer termine ainsi un long article qu'il
consacre dans l'Echo de Paris a la merveilleuse direction de l'Académie
nationale de musique (!) :
A quoi bon répéter encore ce que vingt fois j'ai dit sur cette direction de l'O -
péra; elle a discrédité l'Académie nationale, décourage les artistes, lassé les com-
positeurs; elle a ruiné le fonds de la maison, usé les décors jusqu'à la corde,
troué les costumes à tel point qu'il faudra deux millions, vous entendez bien,
messieurs les députés, deux millions pour la réfection du matériel, et ce n'est
pas fini. Pour tous ces mérites, on a accroché la croix delà Légion d'honneur à la
boutonnière decepaillasse ignare anti-arliste, on a permis que les deux compères
fussent gavés d'honneurs et d'argent au détriment des intérêts et des sentiments
de tous. C'est peine perdue que d'y revenir, il faut prendre le parti d'en rire, et
ce n'est pas l'incident le moins burlesque d'une époque fertile en drôferics.
Le Trovalore croit devoir faire remarquer que le répertoire de notre
Opéra comprend, à l'heure présente, cinq opéras italiens, savoir : Lucie de
Lammermoor, Axda, Don Carlos, Rigoletlo et Guillaume Tell. Notre confrère se
trompe. Guillaume Tell, quoique écrit par un musicien italien, est un opéra
français ; quant à Don Carlos, qui est aussi un opéra français écrit par un
italien, il y a plus de vingt ans qu'il n'a paru sur l'affiche de notre grande
scène lyrique. Nous constatons le fait, sans le commenter en aucune façon.
— M. Lancien, troisième chef d'orchestre à l'Opéra, ayant demandé à
faire valoir ses droits à la retraite, c'est M. Paul Taffanel, l'excellent flû-
tiste, qui a été choisi pour lui succéder. C'est la première fois qu'un pareil
fait se présente dans un de nos grands théâtres, et qu'un chef d'orchestre
est pris ailleurs que dans les rangs du qualuor des instruments à cordes.
— Un concours de violon a eu lieu il y a quelques jours à l'Opéra, à l'effet
de remplacer quelques artistes de l'orchestre admis à la retraite. Trente
et un concurrents se sontfait entendre, etl'audition, qui comportait l'exé-
cution d'un morceau au choix de chacun et l'andante du concerto de
Mendelssohn, a duré environ six heures. M. Brun a été choisi pour suc •
céder à M. Lancien comme deuxième violon solo; MM. Carembat et Gibier
sont passés premiers violons ; et MM. Mauhin et Canus ont été admis
comme seconds violons.
NÉCROLOGIE
Le monde des théâtres a été tout particulièrement frappé cette se-
maine, et de toutes les façons. Parmi les morts de la semaine, il nous
faut signaler: Henri Justamant, le maître de ballets bien connu, qui, après
avoir brillé dans les grandes villes de province et de l'étranger: Marseille,
Lyon, Bruxelles, après avoir rempli ces fonctions à la Porte-Saint-Martin,
à la Gaîté, et r.iême accidentellement à l'Opéra, était en ces derniers
temps aux Folies-Bergère. Né à Bordeaux en 1815, Justamant avait été l'élève
de deux chorégraphes fameux, Henry et Blache. — Jules Javelot, compo-
siteur de cafés-concerts, auteur de nombreuses chansons et opérettes, qui
avait été un instant directeur de Ba-ta-clan. — F. Fournier, ancien chef
de claque à l'Opéra, qui avait centralisé jusqu'à un certain point entre
ses mains la vente des billets de théâtre, ce qui lui avait permis de réa-
liser une fortune qu'on n'évalue pas à moins de deux millions. — Enfin, le
docteur Blondeau, médecin de la Comédie-Française, l'ami et le médecin
d'Emile Augier, qu'il avait soigné pendant sa dernière maladie, et qui
vient de mourir subitement à 57 ans.
Nous avons le regret d'annoncer la mort d'un des auteurs drama-
tiques les plus aimables et les plus féconds de ce temps, M. Alfred Duru,
qui a succombé en peu de jours aux atteintes d'une pneumonie, M. Duru,
qui était né en 1829, avait surtout collaboré assidûment avec son ami
M. Henri Chivot, auquel le liait une amitié de collège. Tous deux avaient
écrit ensemble un grand nombre de vaudevilles, ainsi que les livrets de
beaucoup d'opérettes parmi lesquelles nous citerons surtout l'Ile de Tuli-
patan, les Chevaliers de la Table Ronde, les. Cent Vierges, Fleur de Thé, Madame Fa-
vart la Mascotte, la Fille du Tambour-Major, Gillette de Narbonne, le Grand
Mogol, Surcouf, la Fille à Cacolet, etc., etc.
Le fameux ténor Gayarre, dont la renommée était si colossale, a
succombé rapidement à la maladie dont une dépèche nous a fait connaître
il y a quelques jours qu'il était atteint. Voici la notice que lui consacre
dans le Figaro notre confrère Georges Boyer :
Le célèbre ténor Gayarre est mort hier à Madrid. C'est comme un deuil national
pour l'Espagne. A l'étianger, où il était si connu, la nouvelle de sa mort a pro-
duit une très triste impression. Fils d'un modeste forgeron du Roncal (Navarre),
Gayarre travailla, dans sa jeunesse, dans une usine. Son patron, un ingénieur
français, frappé, comme ses camarades, de la voix du jeune ouvrier, lui conseilla
d'aller se faire entendre à Pampelune. Le conseil municipal de cette ville lui
donna une bourse pour qu'il pût étudier à Madrid. Après deux ans d'études il
entra comme choriste au théâtre de la Zarzuela (Opéra-Comique), sous la direction
Gastambide; mais il n'y resta pas longtemps, car il se sentait bien au-dessus de
sa situation. Encouragé par le conseil municipal de Pampelune, et grâce à une
pension qui lui fut faite, dit-on, par Eslava, le grand musicien espagnol, il partit
pour l'Italie, s'y perfectionna et débuta à Milan avec un succès colossal. Puis, à
la recherche de la fortune, il partit pour l'Amérique du Sud et y resta trois ans.
De retour en Europe, presque inconnu dans son pays, il se présenta au théâtre
royal de l'Opéra de Madrid avec Elena Sanz, en 1873, et le succès fut sans précé-
dent. Ensuite il parcourut toute l'Europe, et chanta dans les théâtres de Saint-
Pélersbouig Londres, Rome, Vienne, où il créa les derniers opéras de Verdi et
de Wagner. En même temps que la gloire, l'artiste recueillait beaucoup d'argent,
qu'il était heureux de partager avec son père, un vieillard qui ne quitta jamais son
veston et son béret d'ouvrier et qui, dans les dernières années de sa vie, accom-
pagna toujours le grand artiste dont il était si fier. Le rêve de la vie do Gayarre
était de chanter a Paris, et on sait le succès qu'il obtint au Figaro d'abord, au
Théâtre-Italien et au Grand-Opéra ensuite. On se souvient qu'il y chanta pour
la première fois de sa vie l'Africaine en français. Très bon enfant, très généreux,
fidèle aux affections de la famille et à ses deux ou trois amis de jeunesse, il em-
ploya toutes ses économies à acheter des maisons et des terrains dans son vil-
lage du Roncal, où il a fondé une école et une église. 11 comptait se i étirer dans
son beau pays basque à la fin de sa carrière. C'est Gayarre qui a touché les plus
fortes sommes comme ténor, car il se faisait donner dernièrement jusqu'à sept
mille francs par soirée. On évalue sa fortune à quatre millions de francs. Gayarre
avait quarante ans. Le registre mis à sa porte avait reçu avant-hier six mille signa-
tures. La reine, qui avait récemment nommé Gayarre commandeur d'Isabelle,
se fera représenler à l'enterrement. .
Henri Heugel, direeteur-getant.
LE MENESTREL
Cinquante-sixième année de publication
PRIMES 1890 du MÉNESTREL
JOURNAL DE MUSIQUE FONDÉ LE 1er DÉCEMBRE 1833
Paraissant tous les dimanches en huit pages de texte, donnant les comptes rendus et nouvelles des Théâtres et Concerts, des Notices biographiques et Études sur
les grands compositeurs et leurs œuvres, des séries d'articles spéciaux sur l'enseignement du Chant et du Piano par nos premiers professeurs,
des correspondances étrangères, des chroniques et articles de fantaisie, etc.,
publiant en dehors du texte, chaque dimanche, un morceau de choix (inédit) pour le CHANT ou pour le PIANO, de moyenne difficullé, et offrant.
à ses abonnés, chaque année, de beaux recueils-primes CHANT et PIANO.
PIANO
Tout abonné à la musique de Piano a droit gratuitement à l'un des volumes in-8° suivants ;
A, THOMAS
LA TEMPÊTE
GEORGES BIZET
LES CHANTS DU RHIN
EDOUARD LASSEN
12 CÉLÈBRES MÉLODIES
TRANSCRITES ET VARIEES POUR PIANO
Par GUSTAVE LANGE
H. STROBL
HEURES DE LOISIR
20 DANSES CHOISIES
2e et nouveau volume*
BALLET EN 3 ACTES LIEDER POUR PIANO
Partition piano solo. Recueil grand
ou à l'un des volumes in-8° des CLASSIQTJES-MARMONTEL : MOZART, HAYDN, BEETHOVEN, HU1YIMEL, CLEMENTI, CHOPIN , ou à l'un des
recueils du PIANISTE-LECTEUR, reproduction des manuscrits autographes des principaux pianistes-compositeurs, ou à l'un des volumes précédents du répertoire
de STRAUSS, GUNG'L, FAHRBACH, STROBL et KAULICH, de Vienne.
CHANT
Tout abonné à la musique de Chant a droit à l'une des primes suivantes :
LOUIS DIÉMER
VINGT MÉLODIES
RECUEIL IN-8
E. PA1SIELL0
LE BARBIER DE SÉVILLE
Opéra en A actes. — Partition.
TRADUCTION DE VICTOR WILDER
F. GODEFROID
MESSE DES RÀMEÀDX
à 4 voix, soli et chœurs.
AVEC ACCOMPAGNEMENT D'ORGUE
R. PUGiXO
LE RETOUR D'ULYSSE
Opéra bouffe en 3 actes.
PARTITION PIANO ET CHANT
GRANDE PRIME REPRÉSENTANT LES PRIMES DE PIANO ET DE CHANT REUNIES, PODR LES SEULS ABONNÉS A L'ABONNEMENT COMPLET :
TRADUCTION FRANÇAISE ■■■■■■■m an m i «■^■H bbb m «rm RÉCITATIFS & RÉDUCTION PIANO
G. ANTHEUNIS
Partition chant et piano.
Opéra en 3 actes de
BEETHOVEN
F. A. GEVAER.T
Édition modèle.
NOTA IMPORTANT. — Ces primes sont délivrées gratuitement dans nos bnreaui, 2 bis, rue Vivieune, à partirdu lBr Janvier 1890, à tout ancien
ou nouvel abonné, sur la présentation de la quittance d'abonnement au MÉNESTREL pour l'année 1890. Joindre au prix d'abonnement un
supplément d'UrV ou de DEUX francs pour l'envoi franco de la prime simple nu double dans les départements. (Pour l'Etranger, l'envoi franco
des primes se règle selon les frais de Poste.)
Les abonnésau Chanlpeuvenlpreadre la prime Piano et vice versa.— Ceux au Piano el au Chant réunis ont seuls droit à la grande Prime. - Les abonnés au leste seul n'ont droit à aucune prime.
CHANT CONDITIONS D'ABONNEMENT AU MÉNESTREL PIANO
1" Mode d 'abonnement : Journal-Texte, tous les dimanches; 26 morceaux de cbant : i 2" n oded'abonnement : Journal-Texte, tous les dimanches; 26 morceaux de piano :
Scènes, Mélodies, Komances, paraissant de quinzaine en quinzaine; 1 Recueil- Fantaisies. Transcriptions, Danses, de quinzaine en quinzaine; 1 Recueil-
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs ; Étranger, Frais de poste en sus. Prime. Paris et Province, un an : 20 francs; Étranger : Frais de poste en sus.
CHANT ET PIANO RÉUNIS
3' Mode d'abonnement contenant le Texte complet, 52 morceaux de chaut et de piano, les 2 Recueils-Primes ou la Grande Prime. — Un au : 30 francs, Paris
et Province; Étrauger : Poste en sus. — On souscrit le l"r de chaque mois. — Les 52 numéros de chaque année forment collection.
h' Mode. Texte seul, sins droit aux primes, un an : 10 francs. Adresser franco un bon sur la poste à M. Henri HETJGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne.
En vente, AU MENESTREL, 2hU rue Vivienne, HENRI HEU GEL, Editeur.
NOTES ET ETUDES D'HARMONIE
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H. REBER
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Prix net: 15 fr.
THÉODORE DUBOIS
Professeur d'Harmonie au Conservatoire de Paris
Inspecteur de l'Enseignement musical
3067 — 5(ime AME — N° 2.
DïmancTie 12 Janvier 1890.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, nie Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement,
Un an, Tsite seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sua.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (44' article), Albert Solbies et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale : La question de l'Opéra, H. Moreno :
reprise des Danicheff, au Gymnase, Paul-Émile Chevalier. — Le théâtre à
l'Exposition (12" article), Arthur Pougin. — IV. Nouvelles diverses. — V. Né-
crologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
MADRIGAL
nouvelle mélodie de Francis Thomé, poésie de Ed. Guinand. — Suivra
immédiatement: La Chanson des bois, mélodie d'après Chopin par I. Phi-
lipp, paroles de Jules Ruelle.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano: Échecs-quadrille, de Philippe Fahrbach. — Suivra immédiatement:
'Causerie d'oiseaux, nouvelle polka du même auteur.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Albert SOUBIES et Charles MA.LHERBE
CHAPITRE XIII
MEYERBEER A l'OPÉRA-COMIQUE
l'étoile DU NORD
1853-1855
(Suite.)
Un mois plus tard, le 28 avril, l'Opéra-Comique donnait une
•représentation extraordinaire au bénéfice de l'œuvre des sa-
cours à domicile, et profitait de la circonstance pour lancer
deux nouveautés : la Lettre au bon Dieu, deux actes de Scribe
• et de Courcy, musique de M. Duprez, et l'Ombre d'Argentine,
un acte de Bavard et de Biéville, musique de Montfort. L'é-
.preuve resta douteuse pour un ouvrage et trop certaine pour
l'autre. Non que la partition du chanteur-compositeur fût
mauvaise, au sens absolu du mot ; elle se ressentait de l'in-
fluence italienne, et les vocalises dont l'excellent Duprez avait
émaillé le rôle principal, confié à sa fille, ne pouvaient dé-
plaire en un temps où l'école rossinienne était encore dans
toute sa vogue. Mais le public n'était plus assez naïf pour
écouter de saDg-froid l'histoire d'une paysanne qui, menacée
de coiffer sainte Catherine, écrit au bon Dieu afin de lui
demander un mari, dépose la lettre dans le tronc des pauvres
et finit par épouser le seigneur du pays, entre les mains du-
quel est tombée cette singulière missive. On prit la chose
gaiement; mais Duprez ne l'entendait pas ainsi, lui qui avait
eu l'honneur de faire jouer son premier opéra à Bruxelles en
1851 sous le titre de l'Abîme de la Maladetta, et au Grand-Opéra
de Paris, en 1852, sous le titre de Joanita. Mécontent de voir
que sa Lettre au Bon Dieu n'allait pas même à l'adresse du
public, il envoya une note aux journaux après la quatrième
représentation, pour prévenir qu'il retirait sa pièce : et l'on
fit aussitôt comme il le désirait.
L'Ombre d'Argentine eut un sort moins désastreux. Cette
bouffonnerie appartenant au genre de l'Irato, ou de l'Eau mer-
veilleuse, ressemblait fort à une contrefaçon de la célèbre
comédie de Montfleury, la Femme juge et partie. On y voyait un
marquis de Pierrot, plaisamment représenté par Sainte-Foy,
retrouvant sa femme qu'il croyait morte, et agréablement
berné par elle. Pour exciter ses remords et le mieux tor-
turer, la malicieuse Argentine lui apparaissait en effet sous
cinq figures et costumes différents, revêtant tour à tour, « la
défroque d'une vieille, l'habit noir d'un clerc de tabellion,
la jupe écourtée d'une soubrette, le voile blanc d'une ombre
échappée au tombeau, et enfin la robe d'une mariée. » La
variété de ces travestissements, gaiement portés par M"e Le-
mercier, et l'entrain d'une musique aimable, avaient produit
d'abord une impression favorable. La presse crut à un long
succès : tout se borna pourtant à vingt-sept représentations.
Jusqu'alors, depuis le commencement de l'année, chaque
mois avait apporté ses primeurs : janvier, le Miroir; février,
le Sourd et les Noces de Jeannette; mars, la Tonelli ; avril, la
Lettre au bon Dieu et l'Ombre d 'Argentine ; la série des reprises
pouvait s'ouvrir et l'on vit se suivre en effet, le 26 mai,
l'Epreuve villageoise, le 4 juin, les Mousquetaires de la Reine, le
5 juillet, Hagdie et le 23 juillet, le Déserteur. De ces ouvrages,
un seul, celui de Grétry, présente ici quelque intérêt histo-
rique. Il n'avait pas été donné depuis 1828, et, pour la cir-
constance, Auber avait revu et corrigé l'édition ancienne. Il
affectionnait particulièrement l'Epreuve villageoise, et, un jour
qu'il assistait à une répétition, il avait constaté lui-même la
pauvreté de certains accompagnements et proposé au direc-
teur un « rentoilage » ; nul ne pouvait l'exécuter avec plus
de finesse et d'esprit ; aussi M. Perrin s'empressa-t-il d'ac-
cepter l'aubaine. Grâce à cette version nouvelle, comme
' aussi à la qualité des interprètes, Bussine et Ch. Ponchard,
Mllc Lefebvre et Mllc Revilly, qui pour la première fois abor-
dait un rôle de mère, l'Epreuve soutint avec succès celle du
public, et fut vite acclimatée da<ns cette salle Favart où
jamais encore elle n'avait paru.
Les autres reprises n'offraient qu'un intérêt de distribution,
car ces ouvrages ne quittaient jamais longtemps le réper-
toire. Les Mousquetaires de lu Reine et Haijdée servirent aux dé-
buts d'un nouveau ténor, Puget, qui arrivait précédé d'une
certaine réputation conquise en province, et qu'on espérait
40
LE MENESTREL
voir recueillir la succession de Roger, toujours vacante.
A côté de lui nous trouvons dans l'ouvrage d'Halévy, Mocker,
l'Olivier de la première heure, Mlle Caroline Duprez, qui chan-
tait pour la première fois la partie d'Athénaïs, et Mllc Lemer-
cier, celle de Berthe, remplaçant ainsi l'une M"e Lavoye,
l'autre MllcDarcier. Quant au personnage de Roland, il avait été
confié à M. Carvalho au lieu et place d'Hermann-Léon. qui.
peu après d'ailleurs, reprit le rôle et y retrouva son succès
d'autrefois. Pour l'œuvre d'Auber, l'excellent Ricquier res-
tait seul à son poste sous les traits de Domenico ; tous les
autres interprètes étaient rouveaux : Mues Lefebvre et Belia,
M. Jourdan et M. Faure, qui ne pouvait manquer de réaliser
un remarquable Malipieri. Quant au Déserteur, il suffit de rap-
peler que le rôle principal était tenu par Delnunay-Riquier,
et qu'au bout de quelques représentations le rôle de Louise,
donné d'abord à M"0 Révilly, fut confié à M110 Favel, qui
brillait pour le moins autant par son opulence capillaire que
par le charme de sa voix, puisque la grave Revue et Gazette
musicale elle-même constatait qu'au dénouement, elle avait
« déployé dans toute sa richesse une admirable chevelure,
dont la propriété ne saurait lui être contestée. » (sic).
Entre toutes ces reprises, un fait important pour l'histoire
du théâtre s'était produit ; l'Opéi a-Comique avait émigré
pour quelque temps, et la salle Favart fermé ses portes le
20 juin, pour cause de réparations, modifications et décora-
tion nouvelle : interrègne musical assez court d'ailleurs, mais
que faillit prolonger un accident, une explosion de gaz sur-
venue au cours des travaux de réfection, Je 30 juin. Après
cinq jours de clôture-, pendant lesquels on répétait sur
la petite scène du Conservatoire, on joua du 26 juin au
4 juillet à la salle Ventadour, et le 5 juillet on reprenait,
avec Haydée, possession de la salle Favart remisa à neuf et
embellie.
On sait que M. Perrin se plaisait à ces questions d'aména-
gement, et il est curieux de rappeler que sous son adminis-
tration ont été restaurées les salles des trois théâtres qu'il a
successivement dirigés. l'Opéra-Comique, l'Opéra et la Comé-
die-Française. C'était la première métamorphose que subis-
sait la salle Favart depuis treize ans qu'elle avait été inaugu-
rée. L'aspect général différait un peu : au lieu de la teinte
bleutée qui dominait, on avait maintenant, pour les pein-
tures, un mélange de blanc mat, rehaussé d'ornements dorés
sur fond vert tendre, et pour les tentures, des rideaux de ve-
lours rouge se détachant sur le papier des loges d'un vert un
peu plus foncé. Les fresques du plafond avait été nettoyées,
et le rideau repeint se trouvait bordé d'un immense cadre
doré, entraînant la suppression 'des avant-scènes du dernier
étage, et donnant à la scène l'apparence d'un tableau de co-
lossale dimension ; au sommet, un écusson aux armes impé-
riales, supporté par deux Renommées; à terre, une toile cirée
garnissant le parquet de l'orchestre ; pour les sièges, la cou-
leur rouge exclusivement, adoptée; entin un peu partout rap-
pelés les insignes du nouveau souverain, qui vint d'ailleurs
avec l'impératrice consacrer solennellement, par sa présence,
la nouvelle inauguration et féliciter le directeur, l'architecte,
M. Charpentier, et le tapissier, M. Winter, celui-là même qui
avait déjà procédé aux arrangements de 1840.
(A suivre.)
SEMAINE THÉÂTRALE
LA QUESTION DE L'OPÉRA
Ou s'est beaucoup agité, cette seuiaiue, autour de cotte laineuse
(i question » qui commence à passionner tout Paris, et nous n'avons
cette l'ois qu'à laisser parler nos confrères. Ceci aura un double
avantage: ce sera d'abord de détourner de notre tête les colères de
MM. Kitt et Gailhard, qui auront fort à faire s'ils veulcnl, cette
fois, poursuivre tous les journaux qui ne trouvent pas Jeur adminis-
tration admirable; et ensuite nous prouverons ù nos lectouis, par
k-s citations qui vont suivre, qu'il n'y a aucune espèce de rancune
personnelle dans la campagne que nous menons depuis si longtemps
contre la néfaste direction de ces messieurs et que là-dessus tous
les esprils libres et indépendants sont d'accord avec nous.
Ce qui a paru toucher le plus les éminents directeurs, ce sont
naturellement les attaques du Figaro, parce que ce seront celles
qui auront le plus de retentissement. Aux déclarations très nettes
de M. Albert Delpil, au sujet de « l'incident Vérongo de laNux » (1),
ils opposent une succession de dates où ils croient trouver leur
justification. La pièce est trop longue pour pouvoir être reproduite
ici en son entier, mais le Gil Blas en donne le résumé impartial que
voici :
MM. Ritt et Gailhard déclarent avoir reçu Zaïre, opéra en deux actes, le 14 sep-
tembre 1886. (L'opéra de Emile Pessard, prix de Rome, Tabarin, ayant été re-
présenté le 12 janvier 1885, l'opéra de M. Véronge de la Nux devait être joué en
1887, daprès le cahier des charges.) Le 4 juin 1887, plainte au ministre. On n'a
pas de nouvelles de M. Véronge de la Nux. Le 9 février 1888 nouvelle plainte au
ministre, le compositeur n'ayant fait entendre que le premier acte de son ou-
vrage. Enfin le 27 novembre 1889, livraison par l'auteur de la partition piano et
chant, et le 21 décembre, sur sommation par huissier, de la partition d'orchestre,
« c'est-à-dire deux ans après que cette livraison aurait dû avoir lieu. »
Voici, d'autre part, le résumé de la déclaration, très honnête et
très courageuse.de M. Véronge de la Nux. donné par le même journal:
Le 28 juin 1887, le livret de Zaïre est accepté par l'Opéra, et livraison, dans la
première semaine de juillet 1887, du livret au musicien.
En février 1888, sur la demande de MM. Ritt et Gailhard, l'auteur joue le pre-
mier acte et le-i trois premières scènes du second. Et il y a plus d'un an, avis
doDné à MM. Ritt et Gailhard que tout était prêt. Sur quoi on répond: « Attendez
votre tour. » Enfin, le 21 décembre, remise à l'Opéra de la partition d'orchestre
complète, trois heures avant la réception du papier timbré.
Et après avoir reproduit in extenso ces deux pièces, M. Delpit
conclut ainsi dans le Figaro:
On vient de lire la lettre de MM. Ritt et Gailhard. Je laisse à nos lecteurs le
soin de juger, après avoir lu la déclaration de M. Véronge de la Nux. Je n'ajou-
terai qu'un mot. M. V. de la Nux nous a dit, à la séance de la Commission des
auteurs et compositeurs dramatiques, que M. Ritt lui avait fait le brouillon
d'une lettre où lui, M. de la Nux, s'avouait coupable de retards.
M. Sardou, président, a demandé au compositeur :
— Alors, M. Ritt a exigé de vous une déclaration fausse ?
— Oui, une déclaration fau-se, a répliqué M. de la Nux.
Qui trompe, ou qui trompe-t-on ? dirai-je avec le public (2).
Voici maintenant un « interview » assez curieux que nous trou-
vons dans le journal l'Estafette :
— Que pensez-vous de la question de l'Opéra ? disions-nous hier à une per-
sonne que sa situation officielle nous interdit de nommer, mais qui, par cette
position même, est mieux que toute autre placée pour connaître et juger les
derniers incidents.
— Ce n'est pasd'aujourd'hui, nous répond notre interlocuteur, qu'il y a une question
de l'Opéra. En ce moment, dans le monde politique et dans la presse, un toile
général s'est élevé contre les directeurs, mais les reproches qu'on leur adresse,
on était tout aussi bien en droit de les leur faire il y a un an ou deux, car, pas
plus qu'aujourd'hui, ces messieurs ne tenaient les engagements résultant du cahier
des charges. En ce qui concerne les ouvrages à monter chaque année, par exemple,
MM. Ritt et Gailhard sont en retard en ce moment d'un grand opéra et de deux
petits. La Société des auteurs compte la Tempête, de M. Ambroise Thomas,
comme un grand ouvrage. Tel n'est pas mon avis ni, je crois, celui de l'admi-
nistration. Quant à la prétention de MM. Ritt et Gailhard de compter Jtoméu et
Juliette comme un ouvrage nouveau, elle ne se discute même pas. Dans ces con-
ditions, ces messieurs sont bien loin des six actes que, d'après le cahier des
charges, ils doivent monter tous les ans.
— Au point de vue du matériel, que reproche-t-on à la direction?
— Sur ce point, MM. Kitt et Gailhard émettent une théorie bien étrange ; ils
prétendent que le matériel étant à l'Etat, ils ne doivent pas le renouveler. Cette
prétention est évidemment inadmissible, car ils ont la jouissance complète de
ce matériel, ils s'en servent pour gagner de l'argent ; il est donc tout naturel,
non seulement qu'ils l'entretiennent, mais encore qu'ils en renouvellent les
parties qui sont hors de service. 11 parait que l'entretien lui-même laisse beau-
coup à désirer, et pourtant, après une campagne aussi laborieuse que celle de
l'Exposition, où l'on a joué à l'Opéra tous les jours peudant six mois, il doit y
avoir bien des choses à réparer et pas mal aussi à remplacer. Pendant ces six
mois, les directeurs de l'Opéra ont encaisse des sommes énormes, ce qui ne les
empêche pas de laisser certains décors dans un état lamentable et de se servir
de toiles dont presque toute la couleur est effacée.
— Que pensez-vous des reproches qu'on adresse aux directeurs au sujet du
personnel ?
Eu ce qui touche le personnel de l'Opéra, les avis sont partagés ; les un-*
prétendent que nous sommes au niveau et même au-dessus des autres grandes
scènes de l'Europe, taudis que d'autres estiment que nous leur sommes très in-
férieurs. C'est là une affaire toute d'appréciation, sur laquelle il est difficile de
se prononcer. Il y a une chose certaine, pourtant, c'est que depuis le départ de
M"' Renée Richard notre première scène lyrique est restée sans contralto, ce
qui rendait i ..possible la représentation du Prophète, à'IIamlel, de la Favorite et
de Henri VIII. Il est inouï qu'à notre Académie nalionale, avec la subvention
donnée par l'État, une lacune de cette importance puisse subsister pendant de
longs mois sans être comblée.
(1) Voir te Ménestrel du 5 janvier.
(21 Ceci vient confirmer notre assertion de dimanche dernier au sujet de la
lettre qu'on voulait imposer a M. Véronge de la Nux.
LI-: MENESTREL
II
Ce n'est pas sans raison non plus qu'on reproche à MM. RUt et Gailhard de
faire débuter des jeunes gens à leur sortie du Conservatoire, dans les grands
rôles du répertoire, qui les écrasent. C'est pour beaucoup d'entre eux une cause
d'insuccès, tandis que si, comme on le devrait, on les produisait d'abord dans les
rôles secondaires, ils se formeraient, acquerraient la pratique qui leur manque et
pourraient réussir. Oui. Mais voilà. Ces débutants ne coûtent pas cher; un té-
nor pour 5,000 francs, c'est pour rien, et l'excessive parcimonie de la direction
s'en trouve fort bien.
En résumé, nous dit notre interlocuteur, je ne m'explique pas pourquoi on
mène aujourd'hui une campagne furibonde contre MM. Ritt et Gailhard, quand
on avait tant de raison de l'entreprendre beaucoup plus tôt (1). Une solution ne
peut intervenir que quand M. Fallières sera revenu de Ncrac. Mais pour ma part
je ne serais pas fâché qu'on laissât ces messieurs continuer leur traité jusqu'au
bout. Ils ont encore deux ans à faire, qu'ils les fassent ; ils mangeront peut-
être un peu de l'argent qu'ils ont si facilement gagné pendant l'Exposition, il n'y
a pas grand mal à cela.
— Oui. Mais c'est le public qui en souffrira.
— Nullement. Le cahier des charges est là, il suffit de vouloir, mais de vou-
loir fermement, en faire respecter les clauses.
Le journal la Justice, qui reproduit comme nous cet excellent
article, l'approuve en tous ses termes. Il en critique seulement la
conclusion, et cela avec juste raison selon nous:
Seule, dans cet excellent article, la conclusion ne me paraît pas exacte. Quel-
que sentiment que puissent inspirer à l'égard de MM. Ritt et Gailhaid leurs pro-
cédés de gestion, le moyen de venger l'art, en faisant dessécher à petit feu les
directeurs, ne semble pas devoir être employé. Il est plus dangereux pour l'Opéra
que pour ces messieurs. Si longtemps qu'ils y gouvernent, je ne pense pas qu'ils
s'y ruinent jamais, tandis qu'en y gouvernant fort peu de temps encore, ils rui-
neront la maison. On sait, ou plutôt on ne sait pas, pour ne citer qu'un exemple,
ce qu'ont fait MM. Ritt et Gailhard des décors commis à leurs soins: que res-
tera -t-il du matériel, si les directeurs restent en fonctions?
Le même journal qui semble un des plus ardents à tenir la cam-
pagne contre la direction de l'Opéra, s'élève contre la note officieuse
que M. Gailhard a fait insérer dans le Temps à l'occasion de l'inci-
dent Zaïre et qui laisse entendre que l'Opéra va bientôt donner
« des spectacles nouveaux et intéressants. »
L'optimisme du Temps sera déçu. Les Parisiens n'ont à attendre de la direc-
tion de l'Opéra comme spectacles nouveaux et intéressants, que des incidents
scandaleux dans le genre de l'étrange histoire racontée ci-dessus avec une dis-
crétion trop grande. Le Temps ne dit pas que MM. les directeurs de l'Opéra,
affolés par l'idée de payer sur les deux millions de gain réalisés pendant l'Expo-
sition aux dépens de notre réputation artistique, une amende de deux mille
francs, ont proposé à M. Véronge de la Nux de prendre tous les torts à son
compte et de signer un papier dont le brouillon avait été rédigé par la direction.
Dans ce papier le compositeur reconnaissait que tout le mal venait de lui, et
qu'il devait payer l'amende, et que son manque de ressources seul pouvait l'em-
pêcher de restituer à MM. Ritt et Gailhard le montant de l'amende à eux
infligée.
M. Véronge de la Nux rejeta avec indignation ces propositions invraisemblables,
et la direction de l'Opéra, mettant à exécution la menace sous laquelle étaient
faites ses propositions, interrompit les études de Zaïre. On a peine à croire que de
pareilles combinaisons puissent être machinées dans un théâtre subventionné
par l'Etat, et soumis à la surveillance de l'administration. La situation devient
grotesque, il serait peut-être temps d'aviser!
Encore du même journal :
On connaît le moyen bouffon trouvé par les directeurs de l'Opéra pour rendre
possible aux débris de leur troupe l'interprétation cVAscanio : changer le rôle
écrit pour le contralto que l'Opéra n'a plus, en rôle accessible au soprano que
l'Opéra possède encore. Ainsi, supposez un peintre qui n'a pas de bleu sur sa
palette pour faire son ciel, il le peint en jaune; rien n'est plus aisé.
Le compositeur à'Ascanio est en voyage, il a confié ses intérêts à M. Gallet, le
librettiste, et à M. Guiraud. Or, voici un charmant petit tableau de famille, scène
d'intérieur artistique, où Ton voit fonctionner le moyen susdit.
M. Durand, l'éditeur, est assis au piano. Derrière lui se tiennent MM. Gallet
■et Guiraud. M. Gailhard est à côté de M. Durand, tournant les pages de la parti-
tion A'Ascanio. A chaque fois que l'on rencontre une note que ne peut donner le
soprano de M"" Bosman, on fait une variante, façon Gailhard, et gràee à un arran-
gement hardi, tout ce que le compositeur avait écrit sans penser à M™° Bosman,
devient tout justement fait pour elle.
— Croyez-vous que M™* Bosman puisse fournir cette note?
— Non ! nous n'avons plus cette note à l'Opéra.
— Alors biffons, transposons !
Jamais les intérêts de l'art n'ont été mieux défendus, et jamais cuisine plus
extraordinaire n'a été faite. On peut vraiment s'étonner de ce que M. Saint-
Saens accepte ces malfaçons dans sa musique et laisse de la sorte tripatouiller
son œuvre.
Pour en finir avec la Justice, où il y aurait encore beaucoup à
glaner, laissons-lui la responsabilité de cette assez grosse nouvelle
qu'elle annonce en fin d'article :
La Société des auteurs et compositeurs dramatiques est, nous afHrmc-t-on,
décidée à porter plainte contre MM. Ritt et Gailhard au sujet de diverses opéra-
tions pratiquées à son préjudice.
De son côté, notre confrère Tisserand donne dans la Bataille
cette autre nouvelle que nous reproduisons toujours sous toutes
réserves :
Il pourrait bien se faire que cette fois le ministre prête une oreille plus atten-
(I) Pour notre part nous n'y avons pas manqué.
tive aux plaintes soulevées par les deux traitants do l'Opéra. Nous apprenons, en
effet, qu'un certain nombre de critiques, de compositeurs et de musiciens, ont
formé le projet d'unir leurs efforts et d'adresser une pétition à la Chambre des
députés, pour demander ou qu'on oblige MM. Ritt et Gailhard à se conformer â
leur cahier des charges ou à passer la main.
L'Écho de Paris ayant eoi l'idée d'aller interwiever M. Ernest
Reyer jusqu'à Bruxelles et lui ayant demandé quand il pensait que
Salammbô serait représentée à Paris, en a reçu la réponse suivante :
«Quand l'Opéra n'aura plus à sa tête les... (Ici une expression tellement énergique,
que nous ne pouvons la reproduire), qui le dirigent actuellement. C'est une honte
pour la France de voir notre première scène lyrique entre de telles mains (sic).
MM. Ritt et Gailhard savent pourtant bien le peu de sympathie qu'ils inspirent,
car ils ne manquent pas de lire tous les journaux, y compris le Moniteur de la
Cordonnerie, qui est particulièrement envoyé à M. Gailhard. Et il n'y a pas que
la presse qui sache apprécier ces... (Ici se place une autre expression non moins vio-
lente que la première, et que nous ne reproduisons pas pour les mêmes raisons) à leur
juste valeur. Les artistes aussi, pour peu qu'ils se respectent, sont écœurés des
procédés de ces messieurs. M'" Caron, notamment, ne rentrera à l'Opéra que lors-
que Ritt et Gailhard en auront été chassés. »
Tels sont les renseignements que M. Reyer a bien voulu nous donner, ajoute
le journal. J'ai cité textuellement, lui laissant la responsabilité de ses apprécia-
tions. 11 est, en tout cas, déplorable de voir un de nos plus éminents composi-
teurs obligé d'aller faire représenter son œuvre à Bruxelles, alors que notre
Académie de musique en est réduite à nous donner, comme nouveauté, la reprise
de Lucie de Lammermoor, et à vouloir compter la Tempête comme le grand ouvrage
inédit en quatre actes, qu'aux termes du cahier des charges la direction est tenue
de donner chaque année (1).
Il faut lire aussi le joli conte que notre spirituel Armand Silvestre
consacre, dans le même journal, à la direction de l'Opéra. Un Début,
c'est l'histoire de ce pauvre Cadet-Bitard qui avait pris, sans songer
à mal, un fauteuil d'orchestre à l'Opéra et qu'on force, pour ainsi
dire, à remplacer sur la scène un ténor indisposé. On sait que ces
choses-là ne se voient pas que dans les contes :
.... A ce moment, Cadet-Bitard, qui s'était retourné pour jouir de l'appétissante
vue d'Herminie, se sentit l'épaule touchée par une main gantée de blanc. Un
monsieur tout en noir, cravaté de blanc, n'ayant que la moustache et portant
avec une aisance pleine de dignité
Le dynastique honneur du grand nom des Colleuilles
lui demandait, sur un ton infiniment poli :
— N'avez-vous pas chanté quelque chose, monsieur, il y a une quinzaine, dans
un concert de bienfaisance privé, à Montmartre, en faveur des inondés du Mont-
Valérien ?
— Si fait, monsieur, entre amis, fit Cadet-Bitard interloqué.
— Une chanson comique: Ça m'gratl' sous l'pied, n'est-ce pas?
— C'est exact.
— M. Ritt, qui était là, ayant obtenu un billet de faveur, vous a entendu et a
trouvé votre voix charmante.
— Vous me flattez.
— Non ! non ! pas du tout. Vous voyez ce qui vient de nous arriver. Plus pos-
sible de compter sur rien avec les artistes 1 II n'y a plus que les amateurs de
sérieux. Ne sauriez-vous pas le rôle d'Edgar dans Lucie'!
— Quelques airs seulement, et à peu près.
— Ça suffit. Ça n'est pas d'ailleurs plus difficile que votre Ça m' gratt' sous l" pied
que vous avez enlevé, avec tant de brio ! Ah I monsieur, sauvez-nous ! C'est M. Ritt
plein d'angoisses qui m'envoie vers vous. Vous ne voudriez pas faire mourir un
vieillard si entamé déjà par le temps 1 à peu près aveugle ! tout à fait sourd! Ayez
un peu de pitié, mon bon monsieur !
Et l'excellent Coleuille pleurait à fendre le plastron de sa chemise, constellé
de trois boutons d'or.
— Pardon, monsieur, fit cet excellent Cadet-Bitard, ému malgré lui, mais j'ai
une situation dans le monde, et je ne tire pas parti d'une voix d'ailleurs agréable...
Rassurez-vous, monsieur, on ne vous paiera pas.
Le pauvre Cadet-Bitard sort de son mieux de cette terrible aven-
ture et, comme il est un peu poète, il s'empresse, dès qu'il a quitté
les chausses de l'infortuné Edgar, de consacrer ce sonnet à 1'
ACADÉMIE NATIONALE DE MUSIQUE
Ah ! quel théâtre charmant,
Cet Opéra que l'on fronde !
Il fait chanter tout le monde,
— Même le gouvernement.
Pas de lënor? quoi! vraiment?
— Ritt, sans perdre une seconde.
Cherche qui veut, à la ronde,
En servir gratuitement.
D'Edgar j'achevais le rôle,
Quand Mauri, — chose moins drôle, —
Manqua... Gailhard, survenant,
Me dit, le Gascon obèse:
— Vous chantiez? J'ensuis fort aise.
Eh bien, dansez maintenant I
(1) Art. 38 du cahier des charges: Le directeur sera tenu de faire jouer, chaque
année pendant toute la durée de son exploitation, deux ouvrages nouveaux re-
présentant un minimum de six actes, dont quatre actes au moins dopera: 1° un
grand opéra avec ou sans ballet; 2° un opéra ou un ballet, en un ou deux actes.
12
LE MENESTREL
244.000
2(3.800
Mais il faut savoir se borner. Arrêtons ici ces citations. On en
trouvera d'ailleurs quelques autres aux « nouvelles diverses ».
Il est bien vrai que le Gaulois a tenté de tendre la perche à nos
honorables directeurs, en demandant leur opinion sur la « question »
à diverses personnes qui leur sont notoirement favorables. C'est
d'abord M. Gounod, qui naturellement ne peut trouver rien à re-
prendre dans un théâtre qui joue régulièrement Faust et Roméo toutes
les semaines. C'est ensuite M. Henri Maret, ex-rapporteur du budget
des Beaux-Arts, un politicien égaré dans la musique, dont on con-
naît les anciennes tendresses pour la direction et qui ne saurait se
récuser après les étonnants rapports qui ont fait la joie du tout
Paris artistique. Puis voici M. Halanzier, qui ne peut naturellement
dire du mal de ceux qui l'ont remplacé à l'Opéra et a le bon goût de
se récuser. Un « vieil abonné s déclare qu'il y a de jolies danseuses
dans le corps de ballet, et cela paraît lui suffire. M. Auguste Vitu,
notre éminent ami, déclare sans rire que MM. Rilt et Gailhard per-
daient 400,000 francs avant l'ouverture de l'Exposition, quand le
rapport de M. Denormandie au Sénat conclut, d'après la compta-
bilité même de l'Opéra, à 386,827 fr. 56 c. de bénéfice au 31 octobre
1888, auxquels il convenait d'ajouter, comme nous l'avons dit dans
le Ménestrel du 30 décembre de la même année :
1° Quatre années d'appointements aux directeurs.
2° Le produit delà location d'une loge sur la scène.
3° Certain intérêt extraordinaire de 2 0/0 (en plus
de l'intérêt normal de 4 0/0), sur 800,000 francs
déposés (1), soit 64.000 »
Cela faisait au total : 721,627 fr. 5'6 c. de bénéfice au 31 octo-
bre 1888.
Pendant l'Exposition les pauvres gens auraient encore réalisé,
d'après leurs livres, un bénéfice de 927,000 francs, auxquels il faut
encore ajouter les mêmes petits profits que nous venons de signaler.
Voyons, voyons, monsieur Vitu, nos amis ne sont pas trop à plaindre.
Faut-il le dire, j'avais été convié aussi fort aimablement par la
direction du Gaulois à formuler mon avis sur la « question », mais
je me suis gardé d'ajouter la moindre goutte de vinaigre à ce con-
cert d'éloges. Mon opinion, je la crois suffisamment connue. Je
peux la résumer ici en une seule phrase : MM. Ritt et Gailhard
feront bien de se retirer de bonne volonté, avant de tomber sous
les pommes cuites.
H. Moreno.
P. S. — Gymnase. Les Danicheff, comédie en 4 actes, de M. P. Newsky.
Il faut croire que M. Koning avait l'idée bien arrêtée* de nous donner,
cette saison, une pièce russe, puisque, la censure lui ayant interdit de
représenter l'Officier bleu, il s'est hâté de reprendre les Danicheff. Cette re-
prise semble avoir fait grand plaisir au public, et c'est là, évidemment,
le point principal. Malgré des défauts très apparents, la comédie de m!
Newsky n'en reste pas moins attachante et curieuse en plus d'un endroit;
le succès lui a toujours souri et je ne pense pas qu'il se sépare d'elle"
cette fois encore, grâce surtout à une interprétation de tout premier ordre
delapartdeMmoPascaet de la part des* artistes chargés des rôles d'hommes.
Mmc Pasca reste, en effet, cette hautaine comtesse Danicheff que nous
avions applaudie déjà; nulle n'est plus grande dame et ne joue avec plus
de naturel et de distinction native. Le rôle de Wladimir Danicheff est
sans contredit le meilleur, pour lui, que M. Marais ait jamais rencontré
dans sa carrière ; il y est absolument supérieur et joue la fameuse scène
du second acte, dans laquelle le fils s'insurge contre sa mère, avec une
colère contenue qui produit un grand effet. M. Valhel est assez plaisantdans"
le rôle de Taldé, M. Ch. Masset fort émouvant en Osip, M. Lagrange amu-
sant en vieux prince Walanoff et M. Paul Devaux original en Zàkaroff.
.T'aime moins M'1» Brindeau, chargée du personnage de Lylia Walanoff;
sa diction hésitante et son maintien manquant parfois de grâce, la desser-
vent malheureusement. Mllc Daulaud est une touchante Anna, mais M. Ko-
ning n'a-t-il pas peur d'abîmer d'aussi jolis yeux, en les forçant à pleurer
si souvent ;
P.-E. C.
LE THEATRE A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889
VII
INDUSTRIES THÉÂTRALES
ACCESSOIRES SCÉMQUES : CARTONNAGE, BIJOUTERIE ET JOAILLERIE, FLEURS ET
PLUMES, ARMURERIE, CHAUSSURES, ETC.
(Suite.)
Si nous faisons, à l'extérieur, le tour de la rotonde de l'exposition
théâtrale, nous la voyons garnie de toutes parts d'objets curieux ei
intéressants. Sous le nom de la maison Babiu (Chalain, successeur),
|1) Voir la Ménestrel du 10 décembre 1888.
toujours si renommée, ce sont d'abord trois mannequins de gran-
deur naturelle, vêtus de costumes riches et pleins d'élégance. Deux
sont de l'époque de la Renaissance et représentent deux gentilshom-
mes du temps de Henri II. L'un a le pourpoint et les canons de
satin blanc, le maillot blanc, toque et manteau de velours ; le cos-
tume de l'autre est entièrement violet, pourpoint, canons et mail-
lot de soie, toque et manteau de velours. Le troisième mannequin
nous montre un seigneurLouis XV en costume de cour : habit de
velours bleu brodé or, à parements blancs, culotte velours bleu, veste
blanche. Ces trois figures sont d'un très heureux effet.
La maison Leblanc-Granger (Richard Gutperle, successeur) a ob-
tenu très justement une médaille d'or pour sa belle exposition d'ar-
mures de théâtre. 11 y a là deux armures sévères de fer du quinzième
siècle, deux armures brillantes de cuivre du seizième, qui sont vrai-
ment d'un beau caractère. Il est impossible d'obtenir un meilleur
résultat et de pousser plus loin la perfection. Avec cela des bou-
cliers et des casques de style, des trophées d'armes superbement
disposés et d'un aspect tout à fait remarquable.
La maison Gaston Thomas expose aussi deux belles armures, qui
nécessitent des éloges. Je rappelle à ce propos que cette maison
s'est signalée, dans la rotonde même, par une exhibition d'un autre
genre, toute une grande vitrine remplie de très jolis objets de bi-
jouterie et de joaillerie théâtrales : bagues, bracelets, rivières, col-
liers, couronnes, diadèmes, chaînes de col, boucles de jarretières et
de chaussures, ordres de chevalerie, éperons, stylets, poignards, etc.
Tout cela est plein de goût et d'élégance, d'un effet charmant et
d'un goût parfait.
Une exposition très curieuse, très intéressante et vraiment ori-
ginale est celle de la maison Bor, qui, en deux groupes, sur deux
fûts de colonnes, a disposé toute une abondante série de chaussures
historiques d'un véritable caractère et d'une scrupuleuse exactitude-
Sandales, brodequins antiques et modernes, souliers à la poulaine,
bottes à entonnoir, mules, chaussons de danse, bottes à revers,
bottes à l'éeuyère, bottines diverses, galoches, sabots, escarpins,,
il y en a là de tous les temps, de toutes les formes et pour tous
goûts, sans compter les chaussures de fantaisie, le tout en modèles
exécutés avec un soin et une conscience rares et qu'on ne saurait
trop louer. Il est à regretter seulement que, l'espace ayant sans
doute manqué, on n'ait pas pu, au lieu de les grouper ainsi, de
les masser en quelque sorte, disposer toute cette série de chaus-
sures de façon qu'elles se présentent dans un ordre chronologique
et qu'elles offrent comme un raccourci de l'histoire de la chaus-
sure.
L'exposition de la maison Crais, uniquement et uniformément
composée de chaussons de danse, n'appelle aucune remarque parti-
culière. On ne peut, en la signalant, que louer la légèreté, la grâce
et la parfaite élégance qui distinguent ces produits de ses ateliers.
Je ne saurais guère faire davantage en ce qui concerne la maison
Marlineau, qui a exposé de nombreuses et fort jolies guirlandes
de Heurs et de feuillages fantastiques (1 ).
J'arrive aux cartonnages de la maison Hollé, qui lui ont fort jus-
tement valu une médaille d'argent, et qui montrent à quel point on
peut en ce sens pousser l'illusion scénique. Les deux vases égyp-
tiens, les quatre vases pompéiens et les deux vases grecs qui figu-
rent là, remarquables par le fini et la perfection du travail, sont
d'une exécution irréprochable. J'en dirai autant de divers trophées
et faisceaux romains, d'un élégant trophée d'instruments de musique,
de deux belles corbeilles de fruits et d'un trophée égyptien qui
complètent cette exposition, avec deux vases gigantesques qui sont
placés de chaque côté, au sommet de la rampe de l'escalier qui
conduit au premier étage. Mais ce n'est pas tout pourtant, et j'ai
découvert par hasard dans une autre section, celle du mobilier, où
je ne l'eusse certes' pas cherchée, uue autre exposition, très origi-
nale et très curieuse, faite par la même maison. Il s'agit, cette
fois, de la représentation exacte et complète d'une cuisine, — avec
sa cuisinière, qui penchée sur sa marmite, semble en surveiller et
en vouloir presser l'ébullitiou. A part ce mannequin, fort bien ar-
rangé d'ailleurs, tous les objets reproduits ici sont des fruits de
cette industrie du cartonnage, devenue si prodigieusement habile
à Paris ; la grande cheminée de campagne, aux angles de laquelle
deux personnes pourraient aisément s'asseoir, la marmite suspen-
due à la crémaillère et sous laquelle il semble qu'on entende cré-
(1) Tous les objets fabriqués exposés dans la rotonde ou ses dépendan-
ces portaient cette mention spéciale : « Exposition théâtrale. Fournisseurs
des théâtres subventionnés. Maison... »
LE MENESTREL
43
piter le bois qui brûle, le dressoir avec sa vaisselle bien rangée et
soigneusement alignée, les tables chargées de poissons, de volailles,
de fruils, de légumes, de fromages, les plats, les assiettes, les pots,
les couteaux, enfin les ustensiles de tout genre et de tout usage
qu'on a coutume de trouver en pareil lieu. Comme forme, comme
ton, comme couleur, tout cela est d'une imitation parfaite, mer-
veilleusement arrangé, exécuté avec un rare talent, et tromperait
l'œil le plus exercé. Juste au-dessus et comme pour faire contraste,
dans un espace resté vide, la même maison, toujours, a imaginé
de produire un tableau d'un tout autre genre et de représenter
comme une sorte de scène de féerie, vivante et animée. Sous un
ciel bleu, éclairé d'une lueur vive, on voit une nymphe des eaux,
une naïade quelconque, entourée de deux tritons qui lui font es-
corte, glisser lentement et gracieusement sur l'onde où. elle semble
se jouer avec ses compagnons. Ceci est tout à fait charmant, et
l'on ne saurait, sans l'avoir vu, se faire une idée des résultats
vraiment surprenants obtenus par une telle industrie.
J'en ai dit assez, je pense, en ces quelques pages, pour faire
ressortir toute l'importance de cette partie de l'exposition théâtrale.
Sans qu'il soit besoin d'insister plus longuement sur ce sujet, le
lecteur comprendra facilement tout l'intérêt qui s'attache, en de-
hors ou à côlé du décor et du costume proprement dits, à tous les
objets de second ordre mais si nécessaires, qui, complétant avec
eux le matériel scénique, concourent pour leur part, d'une façon
puissante, à procurer au spectateur la plus grande somme d'illusion
possible et à présenter à ses yeux la fiction théâtrale avec toute
l'apparence de la réalité (1).
(A suiiTe.) Arthur Poiigm.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (9 janvier). — Nos théâtres n'ont
décidément pas de chance, cette année. Le théâtre de la Bourse vient de
brûler, de fond en comble. C'était un des seuls qui fissent un peu d'argent,
avec des reprises de vieilles féeries encore séduisantes pour le gros pu-
blic. La salle, construite il y a quatre ans, sur le modèle des Édens-thèà-
tres de Paris, de Bruxelles et d'ailleurs, était charmante. Il paraît que tout
cela va être reconstruit, et que le théâtre de la Bourse, renaissant de ses
eendres, fera sa réouverture dès le mois de septembre. — Autre catastro-
phe, d'un autre genre, il est vrai : la fermeture de l'Alhambra. Le Mikado
n'aura pas eu la vie longue, et la direction de M. Silvestre, aussi mal-
heureuse ici qu'à Paris, non plus. L'un entraine l'autre dans sa chute.
Celui-ci se relèvera-t-il ? On dit que oui. Attendons. — La Monnaie, pen-
dant ce temps, travaille, et, un peu éprouvée, elle aussi, par les événements,
se prépare à de grandes batailles qui, bien certainement, rétabliront ses
forces. Les répétitions de Salammbô marchent; celles du Vàisseau-Fanlùme
ne vont pas moins bien ; on prépare aussi Bon Juan, avec M. Bouvet,
MUes Sarné et Merguillier ; et nous aurons prochainement une reprise d'un
des plus charmants ouvrages de M. Ambroise Thomas, le Songe d'une Nuil
d'été, qui n'a plus été joué à Bruxelles depuis vingt-cinq ans ; on nous le
donnera conforme à la nouvelle version de 1886, avec M. Badiali, baryton,
dans le rôle de Shakespeare; MUe Merguillier chantera celui d'Elisabeth,
M"1-" Rachel Neyt celui d'Olivia et M. Sentein celui de Falstaff. — En atten-
dant, nous avons eu hier /a Favorite; pour n'être pas une nouveauté, elle a
remporté cependant un vif succès, grâce surtout â MM. Bouvet et Ibos, qui
ont été tous les deux très remarquables. — Laissez-moi enfin vous signa-
ler une curieuse et bien intéressante séance, qui a eu lieu, la semaine
dernière à Gand, au Grand-Théâtre, à l'occasion de la distribution des
prix aux élèves du Conservatoire de cette ville. Les élèves lauréats du cours
d'n art de la scène », que donne, avec l'autorité que l'on sait, l'excellent
(1) En Italie, les industries spéciales au théâtre sont aussi très vivaces
et très florissantes, et dans toutes les grandes villes d'importantes mai-
sons s'y attachent particulièrement. J'ai pu relever à ce sujet, entre au-
tres, les noms suivants : à Milan, Brunetti-Chiappa, costumes; Biraghi
et fils, bijouterie et joaillerie théâtrales ; Napoleone Corbella, « costumes,
diadèmes, décorations, armures, quincaillerie, etc. ; » Bertoletti, Cazzola,
cordonnerie théâtrale ; Ercole Sermani, « fournisseur de décors » ; Ernesto
Pozzolo, maillots, bonneterie théâtrale, cottes de maille, etc. ; Edoardo
Hancati, accessoires, armures, joaillerie de théâtre ; à Naples : Carlo
Guillaume, costumes; à Turin: Barbagelato, costumes; à Florence :
Luigi Taui, accessoires et fournitures diverses de théâtre ; puis, Robba
pour les ileurs et plumes, Panni et Fratalocchi pour la bonneterie théâ-
trale et les maillots, Nobili pour les coill'ures et perruques, etc., ete. —
A Paris, il faudrait encore citer, parmi les fournisseurs et fabricants
d'accessoires de théâtre, les maisons Lerat, Rouget, Armand, la parfu-
merie Mnthiron, spéciale pour le théâtre, et d'autres dont les noms m'é-
chappent.
professeur M. Rey, s'y sont fait entendre dans les scènes principales de
Robert le Diable, d'A'ida, du Pardon, des Noces de Jeannette et de la Favorite,
C'était une vraie représentation, donnée par de jeunes élèves, dont M. Itey
a su faire des comédiens intelligents et déjà très habiles'. Cette audition a
obtenu un très grand succès. Le Conservatoire de Gand est le seul qui ait
inauguré en Belgique ce genre d'exercices, si utile pourtant à la pratique
de l'art lyrique et qui complètent si elficacement les études techniques.
L. S.
— La critique musicale devient, en Belgique, un bien difficile métier!
Notre collaborateur M. Lucien Solvayen fait, en ce moment, l'expérience.
Ayant osé écrire dans le Soir, de Bruxelles, en termes sévères, mais par-
faitement convenables, que M. Bourgeois, artiste du théâtre de la Mon-
naie, avait mal chanté dernièrement le rôle de Méphistophélès de Faust,
celui-ci lui a, purement et simplement, envoyé des témoins!... Notre con-
frère a, naturellement, fait à cette étonnante provocation l'accueil qu'elle
méritait. D'où, colère de l'artiste, menaces, injures, le tout par exploit
d'huissier. M. Solvay n'a trouvé d'autre moyen de mettre un terme à celte
irritation, qui prenait des proportions exagérées, que de traduire M. Bour-
geois devant les tribunaux. L'affaire sera plaidée par M. Eugène Robert,
un des plus spirituels et des plus brillants avocats du barreau bruxellois;
elle sera intéressante, car elle remettra en discussion la question de la
dignité et des droits de la critique, que certains artistes traitent vrai-
ment trop légèrement. — A ce propos, relevons la façon tout à fait
inexacte dont le correspondant bruxellois du Guide musical il cru devoir
raconter la chose. Contrairement à ce qu'il dit, il n'y a pas eu, de la part
de M. Bourgeois, la moindre « voie de fait », et l'incident n'a nullement
pour cause ni pour point de départ une question personnelle. Le Guide
musical doit le savoir. Est-ce donc pour satisfaire ses petites rancunes
contre notre rédacteur qu'il insinue le contraire ?
— Une correspondance adressée de Vienne à la Gazzetta Piemontese
donne quelques détails sur l'opéra de M. Smareglia, Vassal von Szygeth,
représenté dernièrement en cette ville et dont certains journaux italiens
avaient, comme de coutume, annoncé le succès comme une sorte de
triomphe. Il en faut rabattre. « Je vous ai annoncé, dit le correspondant,
comment cet opéra, qui ne se distinguait que par une facture très soi-
gnée, n'était guère fait pour se maintenir au répertoire d'un théâtre tel
que le nôtre. Il n'y parait plus déjàque très rarement; l'intérêt du public
en ce qui le concerne, a toujours été en diminuant, et il aurait sans
doute disparu complètement déjà, sans la splendide mise en scène et les
danses nationales hongroises du second acte. Cependant M. Smareglia,
qui joui*, à ce qu'on dit, de très hautes protections, s'est vu commander1
un nouvel opéra pour l'année prochaine, et s'est fait faire une avance de
6,000 florins sur cette partition ! En calculant que ce n'est là que la moitié
de ce qui lui sera payé pour le total, voilà une somme de 24,000 francs,
sans compter le produit du Vassal von Szygetli. M. Smareglia a donc bien
fait de se consacrer à la scène allemande, car, avec le système de saisons
des théâtres d'Italie, jamais ses opéras n'auraient pu certainement lui
rapporter de semblables bénéfices. »
— Le même correspondant, parlant des représentations wagnériennes
qui se donnent à l'Opéra impérial de Vienne, s'exprime ainsi: «Le public
qui assiste aux cycles wagnériens de l'Opéra est, en grande partie, un
public tout à fait spécial. Les wagnériens constituent ici une colonie
à' intransigeants, pour lesquels l'art italien est un sacrilège... » Eh bien, et
la fameuse triple alliance, dont nos bons amis italiens se montrent si
fiers ! A quoi sert-elle donc, et quel bénéfice en retirent-ils :'
— On a vendu récemment à la librairie J. A. Stargardt, à Berlin, une
série nombreuse et importante de manuscrits autographes de musiciens.
L'ouverture Polonia, de Richard Wagner, réduite pour piano, avec, sur la
dernière page, les paroles et la musique d'une romance française : Adieu,
charmant pays de France, écrite de la main de Wagner, a été payée
320 marks (400 francs) ; l'ouverture de Fierabras, opéra de Franz Schubert
(24 pages in-4°), a trouvé acquéreur à 290 marks ; un autre manuscrit de
Schubert : A' Variations pour le fartepiano composées par François Schubert,
écolier de Salieri, premier maître de la chapelle impériale et royale de Vienne,
4845, est monté' à 170 marks; des esquisses de Beethoven ont été ven-
dues 75 marks et l'autographe de l'op. 70 n° 1, de Schumann, pourpiano,
74 marks.
— Une des feuilles spéciales les plus connues de l'Allemagne, la Berli-
ner Musik Zeitung, a cessé sa publication depuis le lor janvier 1890, après
43 ans d'existence.
— On annonce que la société Beethoven, de Bonn, a fait l'acquisition
du dernier piano dont s'est servi l'illustre auteur de Fidelio, delà Messe
en ri et de la Symphonie pastorale. Cet instrument. a été construit, dit-on,
expressément pour le maitre et sur sa demande, par le facteur Conrad
Graff, fournisseur des pianosde la cour impériale d'Autriche, à Vienne.
— Johann Strauss, ayant remarqué que l'on valse aujourd'hui beaucoup
moins qu'autrefois, veut transformer cette danse : « Je partagerai, a-t-it
dit, ma prochaine valse en deux parties distinctes. La première sera tou-
jours de trois-quatre, mais avec ie mouvement de Vandanlino; à ce moment,
on pourra flirter à son aise. La seconde aura le mouvement ordinaire de
la valse. Cette composition n'est pas encore sur le papier. J'en ferai l'essai
u
LE MENESTREL
sans bruit; je ne veux pas me poser en réformateur. Si mon essai tourne
mal, nous reviendrons aux valses essoufflées d'antan. Je collabore avec
un maître de danse pour ma nouvelle valse, laquelle sera intercalée dans
un grand opéra, auquel je travaille depuis deux ans, et qui sera intitulé
le Chevalier Pasmann. »
— Le prix fondé à Berlin par Michel Béer avait été cette année attribué
à la musique par l'Académie des beaux-arts de cette ville. Un concours
avait été ouvert à cet effet pour une grande composition, celle du
Psaume 9lj, pour soli, chœurs et orchestre, le prix consistant en une
somme de 2,25'0 marks (2,812 fr. 50), destinée à faciliter au vainqueur un
voyage d'une année en Italie. Cinq concurrents ont envoyé des manus-
crits, mais aucune des partitions présentées par eux n'a paru digne de la
récompense. Il en résulte que la somme attribuée au prix, restant libre
cette année, ira augmenter d'autant le capital de la fondation Michel Béer.
— Le répertoire lyrique français continue de s'implanter à l'étranger,
jusque dans les pays du Nord. C'est dans le rôle de Masaniello de ta Muette
de Porlici, d'Auber, que le nouveau ténor de l'Opéra royal de Stockholm,
M. Charles Hagman, a fait son premier début sur la scène suédoise. Ce
début a été des plus heureux, et le public a fait fête au jeune chanteur.
— On écrit de Saint-Pétersbourg qu'il pourrait bien y avoir un spec-
tacle d'opéra italien en cette ville pendant le carême, et que les promoteurs
et directeurs de cette entreprise seraient d'une part l'éditeur de musique
Bernard, de l'autre, le propriétaire du théâtre Panajeff. On cite même
déjà le nom de certains artistes tels que Masini, Cardinale, la Leonardi,
etc. Toutefois on se presse sans doute un peu, car rien n'est réellement
arrêté et la chose n'est encore qu'à l'état de projet.
— Signalons un intéressant concert de musique ancienne donné l'autre
semaine à Saint-Pétersbourg par l'Archangelsky. Cette phalange célèbre a
fait entendre un Requiem de François Anerio (xvie siècle), maître de cha-
pelle du roi de Pologne, récemment imprimé par Pustet à Ratisbonne.
Le Requiem a été suivi des litanies tirées de la Musica divina de Proske ;
enfin, le programme était complété par d'importants fragments de VOrfeo
de Monteverde (1608). Ces fragments ont vivement intéressé le public, car
c'est de cet Orfeo qu'est sortie toute notre musique dramatique. Les réci-
tatifs ont paru monotones et peu expressifs ; mais les beaux chœurs de
cette œuvre ont beaucoup porté.
— Le maestro Spetrino, chef d'orchestre du Théâtre-National de Bucha-
rest, a fait exécuter, le soir de sa représentation à bénéfice, un Hymne
national roumain composé par lui et chanté par Mme Cataneo, M. Luci-
gnani et Silvestri.
— La musique Scandinave en Turquie. On raconte que lorsque, au
commencement de décembre, la corvette suédoise Frcja était à l'ancre à
Constantinople, les officiers de ce navire furent invités par le sultan à un
superbe banquet pendant lequel la musique de la Freja exécuta de nom-
breux hymnes et chants nationaux de la Suède. Ces chants plurent telle-
ment au sultan, qu'après avoir distribué des médailles et de l'argent aux
musiciens, il voulut qu'on fit venir à Constantinople toute une collection
de cette musique pour qu'elle pût être exécutée par ses bandes militaires.
— A l'occasion de la fête patronale de Casal-Monferrat, le compositeur
Polibio Fumagalii a fait exécuter dans le temple de San Domenico, de
cette ville, une nouvelle messe à quatre voix, chœur et orchestre, dontle
succès a été complet. On signale surtout parmi les chanteurs les ténors
Cinquanta et Ambrosoli et la basse Moretti ; les voix fraîches, dans les
chœurs, de vingt-cinq jeunes élèves du collège de Borgo San Martino,
produisaient un excellent effet, et un orchestre de cinquante artistes com-
plétait une excellente exécution, que dirigeait le maestro Navaretti, tandis
que l'orgue était tenu par M. Fumagalii en personne.
— L'insuccès, à la Scala de Milan, des Maîtres Chanteurs de Richard
Wagner, est décidément éclatant et complet. On n'en saurait douter en
lisant ces lignes d'un critique très sympathique à l'œuvre, celui de la
Gazzetta teatrale italiana, qui s'exprime ainsi : — « Vous savez que je suis
tombé tout à fait à faux dans mon pronostic sur l'intérêt que devait pren-
dre le public aux Maîtres Clianteurs. Je regrette d'avoir à constater le fait,
mais la vérité avant tout. De l'opéra de Wagner on a donné cinq repré-
sentations, et le concours du public est allé chaque fois en diminuant,
tandis qu'au contraire l'interprétation de chaque personnage et celle des
masses me faisaient toujours découvrir de nouvelles beautés. C'est une
question de goût, avec laquelle il n'y a pas à discuter... J'aurais juré que
les Maîtres Chanteurs seraient un succès pour la direction ; je m'en croyais
sûr, et pour la valeur de la musique et pour l'originalité du sujet. Je me
suis trompé. » Pauvres Maîtres Chanteurs ! On «st obligé de les retirer de
l'affiche, et de leur substituer un Ratio in maschera. Rnjniescant inpace !
— En Italie, comme ici, on a commencé par plaisanter avec Vinfluenza ;
il est probable qu'on en rit moins à cette heure, où ses effets deviennent
meurtriers. Toujours est-il que le célèbre bouffe Bottero, le Papa Martin
et le Don Bueefalo si fameux là-bas, a adressé à tous ses amis, le 1°'' jan-
vier, une carte de visite ainsi conçue : — « Alessandro Bottero, maître de
chant et de piano, et, depuis quatre jours, professeur à'influensa. »
— Pendant la présente saison de carnaval, huit théâtres sont ouverts à
Milan : deux pour l'opéra, la Scala et le Dal Verme; quatre avec des com-
pagnies dramatiques, le Manzoni, le Philodramatique, le Fossati et le
Politeama ; le Milanese avec une troupe de dialecte milanais, et le Gero-
lamo avec des marionnettes. — A Rome aussi, huit théâtres en exercice,
dont un seul pour l'opéra, l'Argentina, et un avec opérettes, le Quirino ;
trois compagnies dramatiques desservent le Manzoni, le Valle et le Nazio-
nale, deux troupes d'opérette en dialecte romanesque sont au Metastasio
et au Rossini, et le Politeama romano est occupé par une compagnie
équestre. — Huit théâtres à Turin : le Regio avec opéra ; le Carignan,
l'Alfieri et le Gerbino avec compagnies dramatiques, le Balbo avec opé-
rette ; le Rossini avec une troupe de dialecte piémontais ; le Victor-
Emmanuel avec une troupe équestre et le théêtre d'Angennes avec des
marionnettes. — Naples n'a pas moins de onze théâtres appelés à varier
ses plaisirs : au San Carlo et au Bellini, opéra ; au Sannazzaro, aux Fio-
rentini, au San Ferdinando et au Rossini, troupes dramatiques ; au Poli-
teama, une compagnie équestre; au Nuovo, à laFenice, au Mercadante et à
la Parthènope, compagnies en dialecte napolitain. — Enfin, à Venise, cinq
théâtres : opéra à la Fenice, opérette au Malibran, comédie au Goldoni.
dialecte milanais et ballet au Rossini, et marionnettes au Minerve.
— Le théâtre de Cortona a inauguré sa saison de carnaval par la pre-
mière représentation d'un opéra nouveau, Irlde. du compositeur Vignoni.
Le Trovatore assure que « le succès a été splendide », et que le quatrième
acte surtout « a été un triomphe complet pour l'auteur ». Les principaux
interprètes étaient le ténor Duvicler, le baryton Fonlanaet la signora Fianb;
— Pendant cette saison de carnaval, les divers théâtres ouverts en Italie
ne représenteront pas moins de neuf opéras nouveaux. Le fait mérite
d'être signalé pour sa rareté.
— On écrit de Madrid : Ce matin, il a été procédé à l'embaumement du
cadavre du pauvre Gayarre. Puis on l'a revêtu d'un habit noir et placé
d'ans la bière, une bière magnifique avec double ou triple enveloppe,
métal et bois précieux. La bière est exposée sur un catafalque somptueux,
dans un cabinet contigu à la chambre mortuaire. Vous savez déjà qu'il a
été procédé à l'extirpation du larynx du célèbre chanteur par les docteurs
Cortejo, Salazar et San Martin, qui doivent le soumettre à une étude
approfondie. Je n'insisterai pas sur les détails de cette opération, que je
vous ai déjà transmis par le télégraphe. Si je les rappelle, c'est pour vous
dire que c'est là, au larynx, qu'était le siège de la maladie qui a tant
fait souffrir l'artiste et qui, finalement, l'a emporté. Comment M. Gayarre
a-t-il pris son mal? Cela remonte déjà loin, à cinq ou six ans. Un refroi-
dissement, un simple refroidissement qu'il ne soigna pas, dont il riait,
qu'il n'avait pas cru grave dans le principe, mais qui avait laissé dans sa
gorge des lésions dont souvent il souffrait. Il n'y a pas plus de trois se-
maines, le brillant ariiste chantait encore i Pescalori di perle, de Bizet, au
théâtre royal de l'Opéra. Vous savez qu'il y a, au premier acte, une jolie
romance pour ténor ; Gayarre attaqua la romance avec sa vaillance accou-
tumée, mais, quand il fut arrivé aux notes élevées du morceau, on le vit
tout à coup s'arrêter, passer la main à la gorge, s'adosser contre un décor,
puis il s'écria par deux fois, et avec un sentiment de désespoir: « Je ne
puis pas, no puedol » Le public, dont Gayarre était l'enfant gâté, lui répondit
par une chaleureuse salve de bravos. Mais l'artiste quitta la scène et il
n'y est jamais plus remonté.
— On va mettre incessament à l'étude, au théâtre San Carlos de Lis-_
bonne, un opéra nouveau, Frei Luis de Suuza, dû à un compositeur port u
gais , M. Freitas Gazul. Le fait est assez rare pour être remarqué.
— La belle Messe des Rameaux de M. Félix Godefroid, exécutée plusieurs
fois déjà en notre église Saint-Eustache, vient d'obtenir un énorme succès
à Cheltenham, en Angleterre, le jour de Noël. L'abbé Wilson, musicien
remarquable lui-même, curé du St-Gregory's Priory, avait apporté tous
ses soins à l'organisation de cette belle fête et, comme il l'écrit à l'auteur,
« le résultat en a été vraiment magnifique ». La Messe des Rameaux sera
de nouveau exécutée à Cheltenham le jour de Pâques.
— Une exposition uniquement consacrée à l'art musical militaire se pré-
pare à Londres, dans le courant de cette année, dit l'Écho musical de Bru-
xelles. Elle comprendra une exposition des instruments de musique de
toutes les époques disposés de façon à présenter historiquement le dévelop-
pement graduel de la musique militaire. L'idée est neuve et mérite d'être
encouragée. Une exposition de ce genre offrira un très grand intérêt et ne
peut manquer de mettre en lumière bien des points oubliés de cette par-
tie intéressante de l'histoire de la musique. Un comité vient de se former
sous le haut patronage de S. M. la Reine d'Angleterre. Il est décidé, dès
à présent, que cette exposition musicale sera internationale, qu'elle sera
tout à fait indépendante de celle qui touchera un but mercantile ; elle
aura son catalogue spécial, tous les objets prêtés au Comité seront assurés
contre tous risques et les plus grands soins seront pris pour rendre toute
dégradation impossible. Le Comité croit pouvoir compter sur la coopéra-
tion des conservatoires, des musées, des amateurs, de tous ceux enfin qui
possèdent quelque objet dont l'exposition conviendrait au but proposé.
Nous formons des vœux pour qu'il en soitainsi. Le Comité musical a pour
secrétaire, à qui on est prié d'adresser toutes les communications, M. la
capitaine C.-R. Day; du ist Oxfordshire Light Infantry Régiment, Albany
Bnrracks, Porkhurst (Islo of Wight).
LÉ MÉNESTREL
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Aujourd'hui à l'Opéra, représentation populaire à prix réduits. On
donnera Hamlet avec M"1C Melba, MM. Lasalle et Plançon. Serait-ce une
indiscrétion de demander où on en est des représentations populaires à
prix réduits? On sait qu'aux termes du cahier des charges, nos excellents
directeurs doivent en donner une par mois. Ils sont bien loin de compte :
on pourrait, sans crainte de se tromper, constater un retard d'au moins
vingt-cinq représentations. Qui donc est chargé au ministère des beaux-
arts de veiller au respect du cahier des charges ?
— Dans un interview de complaisance qu'il a obtenu au Voltaire, M. Gail-
hard n'avait pas craint d'avancer ceci, pour justifier les retards apportés
à la représentation d'Ascanio : « Pour créer le principal rôle, nous avions
M"c Richard. Elle tombe malade. Nous attendons six mois. Elle nous dé-
clare alors qu'elle se marie et renonce au théâtre. » Mllc Richard riposte
par la lettre suivante :
Il est vrai que j'ai été soutirante au commencement de l'année 1883, mais ma
voix n'a jamais été menacée, ma rentrée au mois de mai 1889 en a été la preuve,
ainsi que les succès que j'ai obtenus devant le public de l'Opéra — jusqu'à la fin
de mon engagement.
Je suis toujours en pleine possession de tous mes moyens vocaux, et si je n'ai
pas renouvelé mon engagement, c'est par suite de désaccord entre MM. Ritt et
Gailhard, qui n'ont pas voulu accepter mes conditions.
Renée d'Ozanville-Richard
— On a l'air enfin de répéter sérieusement Ascanio à l'Opéra, mais nous
n'avons pas grande confiance tout de même dans les résolutions subites
des directeurs de ce théâtre, bien qu'elles aient été forcées par l'altitude de
la presse et de l'opinion publique. Nous nous attendons très bien à ce
que, dans les environs du mois d'avril, quand l'ouvrage paraîtra mûr,
on nous tienne à peu près ce langage : « Sapristi ! nous n'avions pas
réfléchi que M. Lassalle allait prendre son congé pour remplir ses enga-
gements à Covent Garden. Il nous faut remettre au mois d'octobre. »
N'est-ce pas que cela peut très bien arriver, chers directeurs ?
— Du journal la Justice : « Le Gaulois d'hier nous dit que MM. Ritt et
Gailhard ont eu la pensée de monter pendant l'Exposition YOlello de Verdi
et publie deux lettres, l'une de la direction de l'Opéra, l'autre de l'édi-
teur Ricordi, montrant qu'en effet MM. Ritt et Gailhard ont tenté de re-
prendre les négociations interrompues. Voilà qui va des mieux, mais
l'intéressant serait de savoir pourquoi ces négociations avaient été inter-
rompues. Le Gaulois, pour être complet, ferait bien de nous donner les
raisons qui ont empêché Otello d'être représenté à Paris, et d'expliquer à
quelles considérations Verdi a cédé en rompant avec l'Opéra et ses direc-
teurs. » Et en effet, nous croyons nous rappeler que Verdi avait refusé sa
partition à MM. Ritt et Gailhard, parce qu'il ne trouvait pas à l'Opéra
une interprétation suffisante. Il aurait désiré notamment qu'on pût lui
donner Mme Caron.
— Du journal Y Événement, sous toutes réserves: « Il est fort possible
que, d'ici à quelques jours, M. Renard résilie le contrat qui le lie à
l'Éden, et que M. Bertrand reprenne ce théâtre, dont il se débarrasserait
également en signifiant congé trois mois à l'avance à la Société des action-
naires. Dans ce cas, il est à présumer qu'un théâtre lyrique sera créé là,
avec M. Carvalho comme administrateur général et une subvention muni-
cipale. Mmcs Caron, Krauss, Richard, MM. Talazac et Bouvet seraient
aussitôt engagés, et l'on débuterait avec Salammbô et les Troyens. ■• Trop
beau pour être vrai.
— Suite des distinctions honorifiques accordées à l'occasion du 1er jan-
vier. Sont nommés officiers d'Académie : MM. Darthu, rédacteur au
ministère de la guerre, compositeur (?); Desrousseaux, publiciste et chan-
sonnier, à Lille; Gaubert, professeur à l'École de musique de Valen-
ciennes; Gauthier, directeur de la société chorale la Sexlia, à Aix; Karren,
chef de musique à la division des équipages, à Brest.— Un erratum inséré
au Journal o/jiciel fait connaître que M. Serrand, médecin de l'Opéra-Comi-
que, a été nommé officier de l'Instruction publique, et non officier d'Aca-
démie, comme il avait été dit par erreur.
— Nous annoncions récemment la déconfiture et la fermeture du beu-
glant dont, sous le nom de Concert Favart, on avait indécemment autorisé
L'odieuse construction sur l'emplacement de notre pauvre Opéra-Comique.
Nous nous étions trop pressés de nous réjouir. Peu de jours après, cel
aimable établissement rouvrait presque honteusement ses portes, et cette
réouverture provoquait de la part des habitants du quartier, justement
indignés, l'énergique protestation que voici, adressée par eux à M. le mi-
nistre de l'instruction publique et des beaux-arts :
Monsieur le ministre,
Pour faire suite à notre pétition du 4 courant, réclamant la démolition du concert
Favart et la reconstruction, aussi rapide que possible, de l'Opéra-Comique, dont
la disparition est la ruine de notre quartier, nous nous permettons de vous pré-
senter les considérations suivantes :
Le concert Favart, contrairement a toutes les prévisions, a rouvert ses portes.
Une nouvelle troupe a pu être recrutée par les soins d'une nouvelle adminis-
tration.
Le public seul a fait défaut. Une centaine de spectateurs tout au plus ont été
aperçus le jour de la réouverture et les jours suivants, errant dans la salle où
pour la plupart, ils étaient entrés à l'aide de billets de faveur distribués à profu-
-i'.n, mémo aux commerçants de la place Boicldicu, qui se sont empressés de
n'en pas faire usage.
Cette réouverture d'un établissement voué à la ruine s'est faite à votre insu et
dans les conditions suivantes :
Quelques jours après la publication de notre précédente pétition, M. Poujade,
lequel n'a pas cessé d'être le concessionnaire du terrain, a été mandé à l'Admi-
nistration des bâtiments civils. Sommation lui a été faite d'avoir à faire rouvrir
immédiatement le Concert, sous peine de recevoir, dans un délai de deux jours,
l'ordre de le démolir d'office.
En présence de celte menace, M. Poujade a rouvert l'établissement avec le
secret espoir de le remettre sur pied, grâce à l'appui du gouvernement.
La situation de l'administration actuelle est des plus critiques; elle se sait
condamnée à vivre misérablement au jour le jour, attendant comme le Messie
l'arrivée du capitaliste de ses rêves , dont l'apparition paraît bien improbable
après l'insuccès édifiant de la précédente administration.
Et telle est la vérité de cette assertion que les affiches du Concert portent
continuellement cette mention : <> Représentation extraordinaire », afin de se
réserver moralement aujourd'hui le droit de fermer demain.
Cette réouverture nous laisserait par elle-même indifférents si elle ne pouvait
servir de prétexte au statu quo, c'est-à-dire à retarder la reconstruction de l'Opéra-
Comique.
Il n'est pas douteux que l'administration nouvelle ne s'évanouisse d'elle-même,
comme la précédente.
Néanmoins, nous croyons de notre devoir d'y aider de toutes nos forces.
Aussi, sommes-nous décidés à prendre la mesure suivante :
Si promesse formelle ne nous est pas faite que le concert sera démoli dans un
délai d'un mois, nous ferons de la place Boieldieu un trou sordide et obscur, en
fermant tous les soirs, à la nuit tombante, les devantures de nos établissements,
dont la lumière est à peu près la seule jetant un peu d'éclat sur les rues Favart,
Marivaux et sur la place Boieldieu.
Nous nous permettons d'ailleurs, de vous rappeler à ce sujet que M. Poujade,
auquel la concession avait été accordée par le gouvernement jusqu'au 31 octobre,
avait pris par écrit, vis-à-vis de nous, l'engagement formel de faire démolir son
établissement au plus tard le 31 décembre 1889.
Le concert ne continue donc à exister qu'en dépit de toutes les promesses et
de tous les engagements.
Il est temps qu'une question depuis trop longtemps à l'ordre du jour ait défi-
nitivement sa solution et nous comptons, monsieur le ministre, sur votre concours
à cet effet.
Recevez, etc. (Suivent les signatures.)
Cette protestation a produit son effet, parait-il, puisque, « par ordre de
l'autorité supérieure » dit le Figaro, le concert Favart est de nouveau
fermé. Cela va-t-il enfin amener la reconstruction de l'Opéra-Comique sur
l'emplacement où depuis longtemps déjà nous aurions dû le voir repa-
raître?
— Il nous faut bien dénoncer quelques-uns des hauts faits àeVin/luenza,
puisque aussi bien la maudite maladie fait parler d'elle plus qu'on ne le vou-
drait. On sait qu'à Paris la marche du répertoire est singulièrement
entravée dans nos théâtres du fait de l'épidémie; mais on conçoit que c'est
bien pis en province, où les troupes sont moins nombreuses et où l'on n'a
pas, comme ici, la possibilité de doubler les rôles. Dans certaines villes, d'ail-
leurs, le public, véritablement effrayé, a complètement renoncé au plaisir du
spectacle: de sorte que, soit par suite de maladies des artistes, soit par dé-
faut de spectateurs, les directeurs se sont vus obligés de suspendre les re-
présentations. Fermé le Grand-Théâtre de Bordeaux, comme celui de Lille :
fermé le Capitule, à Toulouse; fermés les théâtres à Angers, au Havre, à
Nimes, à Montpellier, à Dijon et ailleurs. — A l'étranger, la situation
n'est pas meilleure. A Madrid, plusieurs théâtres sont fermés ; à Gènes,
le théâtre Carlo-Felice a suspendu ses représentations ; à Pesth, soixante-
dix personnes du Théâtre National hongrois sont atteintes de la maladie.
A Parme, on a dû licencier le Conservatoire. Tous les théâtres d'Italie
sont dans un état de désarroi complet : à Milan, M. Franco Faccio, chef
d'orchestre de la Scala, et à Turin son confrère M. Mascheroni, ont dû
cesser leur service ; la prima donna Tecla Ivner s'est vue obligée, pour cause
de maladie, de résilier son contrat avec le Dal Verme, de Milan, de même
que Mme Fortuzzi, actrice du Manzoni, de la même ville ; à ce même
Dal Verme. deux ténors, MM. Callioni et Tomei, ont été atteints à la
fois ; le baryton Tezzi, du théâtre San Carlo, est malade à Naples, ainsi
que le chanteur Barilati à Rome; à Cagliari, trois ténors sont hors de
service, MM. Manfrin, Laudi et Mazzolani ; il en est de même au théâtre
Regio, de Turin, et enfin, au San Carlos de Lisbonne, trois des principaux
artistes de la compagnie italienne ont été frappés coup sur coup, la
Tetrazzini, son camarade Ercolani, et le chef d'orchestre, M. Campanini.
— C'est des théâtres maintenant qu'on peut dire que les morts vont
vite. Il semble que plus on prend de précautions en ce qui les concerne,
plus les malheureux brûlent avec facilité. Nous annoncions, il y a huit
jours, l'incendie de quatre d'entre eux; nous avons cette fois deux sinis-
tres du même genre à signaler : de l'AIcazar, du Havre, et du théâtre
de la Bourse, de Bruxelles, il ne reste plus rien à l'heuie présente.
Fort heureusement, cette fois encore, on n'a aucun accident do personnes
à déplorer.
— Plusieurs de nos confrères parlent d'un projet qui serait, disent-ils,
sur le point de se réaliser. On donnerait, dans le courant du mois de jan-
vier, à Paris, une série de représentations de la Tétralogie des Niebelungen,
de Wagner. L'imprésario Angelo Neumann qui de Vienne doit aller en
Espagne avec sa troupe pour les fêtes du carnaval, serait dispos.', au lieu
de passer par l'Italie et la voie de mer, à prendre la voie de terre et à
s'arrêter à Paris pour donner une représentation de toute la. série. Ces
représentations ne seraient pas publiques, elles se feraient par souscrip-
tion, ce qui enlèverail toul prétexte à manifestation.
16
LE MÉNESTREL
— Une dépèche de Lyon adressée au Soleil annonce q ue la statue de
Berlioz qui doit être érigée sur une des places de la Côte-Saint-André,
sa ville natale, vient d'arriver de Paris dans cette ville. La statue, en
bronze, mesure 2 mètres 2o de hauteur. Berlioz est dans l'attitude contem-
plative; il a le coude appuyé sur un pupitre, pendant que l'autre main se
perd nonchalemment dans une poche de son pantalon. A ses pieds gisent
pèle-mèle les diverses partitions de ses œuvres.' On lit sur l'une d'elles,
placée en évidence : la Damnation de Faust. La cérémonie d'inauguration
de la statue aura lieu au mois d'août prochain. La ville de la Côte-Saint-
André prépare, à cette occasion, une grande solennité artistique à laquelle
sont conviées toutes les notabilités du département et de Paris.
— Le 13 janvier prochain aura lieu à l'église Saint-Germain-l'Auxerrois
le mariage d'un violoniste de grand talent, M. Armand Parent, qui épouse
Mlle Gabrielle Bourges. Pendant la cérémonie religieuse, MM. Widor,
Delsart, Rémy, etc., se feront entendre et apporteront un précieux con-
cours à leur jeune confrère, qui compte tant de sympathies dans le
monde musical parisien.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : symphonie en mi mineur (J. Brahms) ; scène des Enfers
d'Alceste (Lully), air de Caron par M. Delmas ; suite symphonique (J. Gar-
cin); récit et chœurs des Pèlerins de Tannhuuser (R. Wagner), par M. Del-
mas ; thème varié, scherzo et finale du septuor (Beethoven). — Le concert
sera dirigé par M. J. Garcin.
Châtelet, concert Colonne : symphonie en xil mineur (Beethoven); pré-
lude à'Eloa (Ch. Lefebvre; ; sérénade de Namouna (Lalo) ; concertstûck pour
piano ("Weber), par M. Léon Delafosse ; Symphonie romantique ( V. Jon-
cières) ; l'Or du llhin (Wagner), première scène du premier acte, soli par
M. Auguez (Alberich), Mlle de Montalant (Woglinde), Mlle Delorn (Wel-
gunde), Mme de Clercq (Flosshilde) ; fragments de Sigurd (E. Reyer).
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux : ouverture de Ruy Blas
(Mendelssohn); Symphonie fantastique (Berlioz); ouverture du Vaisseau-
Fantôme (Wagner) ; l'Enchantement du vendredi saint de Parsifal (Wagner):
prélude de Tristan et Yseult (Wagner) ; Chevauchée de la Vallcyrie (Wagner).
— La première réunion de Mmc la vicomtesse de Tredern a été très
brillante. On a entendu et applaudi différentes œuvres d'Ambroise
Thomas, de Mme deGrandval, de MM. le prince de Polignac, de Boisdeffre,
de Dépret, interprétées par la maîtresse de la maison, Mme Benardacki,
M. Lelubez, M"' Deménil, M. ***. On a fait un accueil enthousiaste à une
nouvelle mélodie de M. Francis Thomé, la Nuit, que l'auteur avait orches-
trée pour la circonstance et qui a été dite par Mm0 de Trédern avec un
sentiment exquis. Cette mélodie, fort bien accompagnée par un excellent
orchestre, conduit par Maton, a été redemandée.
NÉCROLOGIE
Un violoncelliste de beaucoup de talent, M. Philippe Lamoury, vient
de succomber aux suites d'une longue maladie de poitrine. C'était un
honnête homme, d'une rare bonté, toujours prêt à»prèter son concours
aux œuvres de charité, toujours prêt aussi à rendre service à ses cama-
rades. Sa perte sera vivement regrettée par tous ceux qui l'ont approché.
Il laisse une femme et deux enfants dans une situation difficile. Philippe
Lamoury était âgé de quarante ans environ.
— Un grand artiste, depuis longtemps disparu — et oublié, le célèbre
baryton Giorgio Ronconi, est mort ces jours derniers à Madrid, où il s'était
retiré. Fils d'un ténor de grande renommée, à qui il dut son excellente
éducation musicale, Giorgio Ronconi était né, dit-on, à Milan en 1810, et
débuta avec éclat à Pavie en 1831, d'où il fut aussitôt engagé à Rome, où
son succès ne fut pas moins grand. Bientôt il parcourut toute l'Italie en
triomphateur, et se fit entendre tour à tour à Naples, Florence, Parme,
Milan, Venise, Turin, Trieste, Livourne, Lucques, Modène, Vérone, Padoue.
Recherché alors à l'étranger, il ne fut pas moins heureux en se produisant
à Vienne, à Francfort, à Londres, à Madrid, et enfin à notre Théâtre-Italien,
où il débuta le 3 octobre 1843 dans Lucia di Lammermoor. Doué d'une jolie
voix, mais qui manquait de puissance, il rachetait ce défaut naturel par
de superbes qualités de chanteur et de comédien, et se faisait aussi bien
applaudir dans; le genre comique que dans le genre dramatique, dans le
Barbier et dans l'Elisir d'amore en même temps que dans Nabucco, Maria di
Rohan, et Rigoletto. Il brillait sur notre scène italienne en compagnie de
Taglialico, de Malvezzi, de Salvi, de M™ Viardot, de la Brambilla et de
cette admirable Marietta Alboni, dont le souvenir n'est pas éteint chez
ceux qui ont eu le bonheur de l'entendre. Par malheur, Ronconi eut la
fâcheuse idée de prendre la direction de ce théâtre en 1849, dans un mo-
ment peu favorable, il y dissipa vite ses économies, et en 1830 était rem-
placé par Lumley. Il partit alors pour l'étranger, et dix ans plus tard venait
faire une nouvelle et courte apparition à la salle Ventadour; il n'était plus
que l'ombre de lui-même. Il se rendit bientôt en Espagne, qu'il ne quitta
plus. Il fonda et dirigea d'abord un conservatoire à Cordoue, puis se fixa
à Madrid, où il vient de mourir, âgé de soixante-dix-neuf ans.
— De Londres on annonce la mort de M. W.-S. Gilbert, écrivain dra-
matique bien connu surtout par sa constante collaboration avec le com-
positeur sir Arthur Sullivan, dont il fut le librettiste fidèle et avec lequel
il écrivit nombre d'opérettes qui obtinrent de bruyants succès, entre
autres Pinafore, Ruddigore, the Mikado, et tout récemment encore, the
Yeamen of the guard.
— D'Anvers nous arrive la nouvelle de la mort, à Fàge de 77 ans, de
M. le chevalier Léon de Burbure de Wesembeck, un amateur de musique
pratiquant et éclairé qui a rendu à l'art de signalés services. M. de Burbure,
à qui une grande fortune eut pu créer de vastes loisirs, ne cessa jamais de
travailler pour le plus grand bien de cet art qu'il aimait avec passion. Compo-
siteur fécond et fort distingué, écrivain patient et ingénieux, fondateur de
plusieurs sociétés musicales, il a donné une vive impulsion à la propagation
et à l'étude du chant choral en Belgique, qu'il ne cessait d'encourager de
tous ses efforts. Appelé, depuis longtemps déjà, à faire partie de l'Académie
de Belgique, dont il était l'un des membres les plus assidus et les plus
laborieux, il a publié dans les Mémoires de cette compagnie de nombreux
travaux, parmi lesquels il faut signaler deux intéressantes notices sur
Ch.-L. Hanssens, le célèbre chef d'orchestre de la Monnaie, et sur C.-F.-M.-
Bosselet. On doit à M. de Burbure plusieurs autres publications utiles et
sérieuses : 1° Aperçu sur l'ancienne corporation des musiciens instrumentistes
d'Anvers; 2° Recherches sur les facteurs de clavecins et les luthiers d'Anvers depuis
le XVIe siècle jusqu'au XIXe siècle ; 3° la Sainte-Cécile en Belgique ; 4° Notice
sur Jean van Ockeghem (en flamand), etc. Nous ne saurions énumérer ici
les très nombreuses compositions de musique d'église, de musique de
chambre et de musique instrumentale de M. de Burbure, qui se distin-
guaient par des qualités sérieuses et solides. Nous dirons seulement que
ce galant homme, qji était un artiste remarquable, se signalait aussi par
les plus hautes qualités morales, et que ceux qui ont été à même de le
connaître et d'être reçus par lui dans son élégant hôtel de la rue de Vénus,
avec la courtoisie charmante qui le caractérisait, conserveront de lui le
meilleur et le plus affectueux sou-enir. A. P.
— Les journaux américains annoncent la mort de Cari Formes, le célè-
bre basse, décédé à New- York le 16 novembre. Il était né le 7 août 1810
à Muhlheim-sur-Rïihr et avait débuté avec succès en 1842 au théâtre de
Cologne, pour acquérir bientôt une grande notoriété, puis la célébrité.
C'est pour lui qu'ont été écrits les rôles de Falstaff dans les Joyeuses Com-
mères de Windsor de Nicolaï et de Plunkett dans la Marlha de Flotow.
— Le 31 décembre 18S9 est mort à Vicence, où il était né le 8 avril 1822,
le compositeur Giuseppe Apolloni, auteur d'un opéra, l'Ebreo, qui depuis
plus de trente ans n'a cessé de paraître avec le plus grand succès sur
toutes les scènes de la Péninsule. En 1832 il faisait son début au théâtre
avec un ouvrage intitulé Adelchi, représenté à Vicence ; le 23 janvier 1855
il donnait son Ebreo à la Fenice, de Venise, et l'année suivante, aussi
à Venise, il faisait jouer Pielro d'Albano. Dix ans après, en 1866, paraissait
à la Pergola, de Florence, son quatrième opéra, il Conte di Kœnigsmark,
et enfin, en 1872, il donnait à Trieste son dernier ouvrage, Gustavo Wasa.
Aucun de ceux-ci ne put retrouver le succès éclatant de l'Ebreo, qui avait
fait triomphalement le tour de l'Italie ; c'est que l'auteur, de son côté, ne
retrouvait plus le flot mélodique, la vigueur et l'abondance d'inspiration
qui avaient fait la fortune de cette partition en charmant et en étonnant le
public. Et comme Apolloni était surtout un musicien d'instinct, comme
son savoir et son instruction étaient absolument insuffisants, il ne pouvait
renouveler son talent et se vit dans l'impossibilité d'écrire, au point de vue
de la forme et de la facture, une œuvre d'un mérite solide et durable.
— A Florence est mort un autre compositeur, Giorgio Valensin, qui fit
représenter au théâtre des Loges, de cette ville, le 28 février 1874, un
opéra intitulé la Capricciosa.
— A Florence encore vient de mourir un musicien modeste et distin-
gué, Cesare Androet, qui était né en cette ville, où il fut l'élève de Fal-
coni, de Romani, de Casamorata et de M. Mabellini. On lui doit plusieurs
compositions, entre autres plusieurs messes, un oratorio, Salomone, exé-
cuté en l'église San Giovannino, et un opéra représenté en 1852.
— A Borgosesia, où il vivait retiré depuis plusieurs années, vient de
mourir un ténor renommé en son temps, Andréa Castellan, né à Vicence,
qui partagea les triomphes de la Frezzolini, de la Cruvelli, de laTadolini,
de Rubini, de Donzelli, de Coletti, etc. « Il fit une splendide carrière, dit
le Trovatore. Il chanta sur les premières scènes de l'Europe et à la Scala
en 1840-41 avec la Frezzolini dans Béatrice di Tenda, avec la Tadolini et
Donzelli dans il Bravo de Mercadante, et avec la Frezzolini et Donzelli
dans il Proscritto de Nicolaï. Après avoir gagné beaucoup d'argent, il fut
réduit à la ruine par son cœur bon et généreux. Il suffit de dire que ce
célèbre artiste a fini, à soixante-dix-sept ans, comme revendeur de sel et
de tabac ! »
— De Turin on annonce la mort subite d'un artiste estimable, Lorenzo
Bellardi, chef d'attaque des seconds violons à l'orchestre du théâtre Regio
et professeur d'harmonie au Lycée musical de cette ville. C'est précisément
pendant qu'il faisait sa classe au lycée qu'il fut pris subitement d'une
syncope et tomba sans connaissance. Il expira au bout de deux heures,
au Lycée même, sans qu'on ait pu le transporter chez lui.
Henri Heugel. directeur-getanl
EN VENTE chez A. Leduc, 3, rue de Grammont, Laudate dominum,
à 4 voix avec accompagnement d'orgue, par LÉON BOELLMANN.
IMI-RIMEBIE CENTRALE 1
— Illl'ltnil-IIIE t
3068 — 56"
N° 3- PARAIT TOUS LES DIMANCHES
Dimanche 19 Janvier 1890.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 lr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 3U lr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les Irais de poste eu sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (45° article), Albert Soubies et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale: Une soirée à l'Opéra-Comique et des consé-
quences qu'on en peut tirer, H. Moreno ; première représentation des Moulinard,
au Palais-Royal, Paul-Émile Chevalier. — III. Le théâtre à l'Exposition (13" ar-
ticle), Arthur Pougin. — IV. La reconstruction de l'Opéra-Comique. — V. Revue
des Grands Concerts. — VI. Nouvelles diverses. — VII. Nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
ÉCHECS -QUADRILLE
de Philippe Fahrbach. — Suivra immédiatement : Causerie d'oiseaux, nou-
velle polka du même auteur.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant:. La Chanson des bois, mélodie d'après Chopin par I. Phii.ipp,
paroles de Jules Ruelle. — Suivra immédiatement : Ritournelle, nouvelle
mélodie de Francis Thomé, poésie de François Coppée.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Albert SOUBIES et Charles MALHERBE
CHAPITRE XIII
MEYERBEKR A L'OPÉRA-COMIQUE
L'ÉTOILE DU NORD
1853-1855
(Suite.)
Dans cette salle remise à neuf, les deux premiers ouvrages
montés n'eurent pas un heureux sort: le Nabab (lel septembre
1853), trois actes de Scribe et de Saint-Georges, musique
d'Hiilévy, et Colette (20 octobre), trois actes de Planard, mu-
sique de Cadaux. Si morale qu'elle fut, l'histoire de ce prince
indien (le Nabab), laissant son palais de Calcutta pour deve-
nir ouvrier en Angleterre, se guérissant par le travail des
soucis de la fortune et troquant l'aventurière à laquelle il
est indûment allié contre la jeune fille qu'il épouse en justes
noces, toute cette série d'aventures laissa le public indiffé-
rent; il y retrouva, mais sans plaisir, un écho de ces pièces
à héros britanniques, fort en honneur à la fin du siècle
dernier et au commencement de celui-ci: l'Anglais de Patrat,
les Deux Anglais de Merv'lle, et tant d'autres dont la fortune
a été moins biillante. Un incident puéril que nous a conté
M. Schœnerverk contribua à détourner son attention de l'in-
trigue imaginée par les librettistes. Au milieu d'une scène
d'amour, le chapeau de Couderc , malencontreusement
tombé d'un guéridon, décrivit sur la scène une série de zig-
zags capricieux dont s'amusèrent fort les spectateurs (il n'eu
faut pas plus quand on s'ennuie) jusqu'au moment où il dis-
parut ou faillit disparaître dans le trou du souffleur. Bref, si
honorable que fût la musique, si remarquable que fût l'in-
terprétation, confiée à des artistes comme Couderc, Mocker,
Ponchard et Bussine, M"c Favel, enfin M"e Félix Miolan, qui
depuis quelques semaines s'était mariée et s'appelait désor-
mais Mme Miolan-Carvalho, le Nabab courait à sa perte. Vaine-
ment la presse in • ressée publiait des entrefilets où l'on
apprenait que la « Joule continuait à être attirée et charmée, »
et que « la salle Favart était devenue trop étroite pour le
monde qui s'y pressait »: au bout de 38 représentalions, le
Nabab tomba pour ne plus se relever.
Il en fut de même, et pis encore, pour Colette, qui n'était
point fille d'auteurs si réputés, et dut, en conséquence, se
contenter de 13 représentations. Cadaux n'avait point relrouvé
la \eine des Deux Gentilshommes et des Deux Jaket, Planard,
celle de Marie et du Pré aux Clercs. En cherchant bien, on
pourrait dénicher l'idée première du livret dans l'ouvragé
bien connu d'Alfred de Vigny, Servitude et Grandeur militaires. Il y
a là, en effet, certain épisode intitulé Histoire de l'adjudant, où
Ton reconnaît Colette sous le nom de Pierrette, Pierrot sous celui
de Mathurin, la reine Marie-Antoinette à la place de la marquise,
et ce même Michel Sedaine, le tailleur de pierres « qui taille
en même temps des pièces, du papier et des plumes », héros
d'opéra-comique ressuscité récemment à la Gaîté dans le
Dragon de la Heine. « L'auteur et le compositeur, écrivait un
critique, semblaient s'être dit: Payons un large tribut aux
idées connues, et nous réussirons. » Ils échouèrent, et le
librettiste, qui n'avait pu assister aux répétitions, survécut peu
à cet échec : Planard mourut, en effet, le 13 novembre, moins
d'un mois après la première.
Cependant l'année musicale 1853 finit avec un succès, sinon
très grand, du moins plus qu'honorable, les Papillotes de
M. Benoist (28 décembre). Sous ce titre bizarre, MM. Jules
Barbier et Michel Carré avaient mis en scène les suites ro-
manesques d'une déclaration d'amour adressée par écrit à
une ingrate qui s'en était fait piosaïquement des papilloies.
Ce petit acte servait de cadre à une action dramatique peu
compliquée, mais fournissant au compositeur quelques situa-
tions où la sensibilité, la tendresse, la grâce se mélangeaient
heureusement: on y retrouvait comme un souvenir de Rodolphe
et du Bonhomme Jadis. De même, la partition gardait une sa-
veur archaïque, marque distinctive de Reber, ce composi-
teur fin, délicat, savant sous l'apparence voulue de la sim-
plicité, ennemi du bruit dans la musique, comme il le fut
de toule réclame dans sa carrière. Curieuse coïncidence : le
même sujet, ou du moins un sujet très analogue devait être
18
LE MENESTREL
traité l'hiver suivant par un musicn d'un tout autre tempé-
rament, M. Ernest Reyer. Ici, comme là, on voyait l'amour
jeune triompher de l'amour plus âgé. Or, Maître Wolfram est
revenu quelque vingt ans plus tard à la salle Favart. Pour-
quoi . n'en est-il pas de même des Papillotes de M. Benoist,
qui ont obtenu en somme 60 représentations réparties en
quatre années? Peut-être parce qu'on n'a pas trouvé de vrais
successeurs à Mme Carvalho, à Gouderc et à Sainte-Foy surtout,
comédien à qui tous les genres sont accessibles, écrivait un
critique, car dans ce rôle « il se tient sur la limite du sen-
timent et du ridicule avec infiniment de tact; aussi s'y fait-
il aimer, autant qu'il s'y fait applaudir. »
La troupe de l'Opéra-Gomique était d'ailleurs, à cette
époque, admirablement composée. Sans doute elle avait subi
en 1853 quelques pertes; Meillet et sa femme, Mme Meyer,
engagés au Théâtre-Lyrique; Boulo, engagé à l'Opéra; de
même Coulon, qui avait été prêté quelque temps par M. Per-
rin à M. Seveste, et faisait ainsi double service à l'Opéra-
National et à la salle Favart; Mme Ugalde, qui, par un caprice
inexplicable, quitta le 19 juin la salle Favart, pour aller jouer
les Trois Sultanes aux Variétés, mais qui revint d'ailleurs
l'année suivante au bercail, et fit dans Galathée, le 23 décem-
bre 1854, une rentrée triomphale; Mlle Wertheimber enfin,
qui, par la nature de son talent, semblait plus propre à in-
terpréter en musique le drame que la comédie, mais dont
M. Perrin eut quelque peine à se séparer. En effet, il l'avait
engagée pour trois ans, à raison de 25,000 francs pour les
deux premières années, et 30,000 pour la troisième ; comme
elle rendait des services moindres que ses appointements, le
directeur de l'Opéra-Gomique crut faire une excellente opé-
ration en la repassant à son collègue de l'Opéra, lequel,
moins généreux, ne lui allouait que 12,000 francs. Mais, sin-
gulièrement experte en affaires, M»e Wertheimber ne consen-
tit à résilier qu'à la condition que la différence entre les
deux chiffres lui serait payée jusqu'à l'époque où expirait son
premier contrat, c'est-à-dire en mai 1855. Donc, quinze mois
de traitement sans services, voilà ce qu'il en coûta à la caisse
du théâtre pour se priver d'une bouche inutile !
En revanche, on avait conquis un ténor, Puget, et une
dugazon, Mue Zoé Belliat (dont le nom s'orthographia peu
après Bélia), qui débuta le 3 janvier dans Madelon, et au suc-
ées de laquelle sa beauté fut loin de nuire. De plus, on
pourrait signaler l'utile rentrée de serviteurs fort appréciés,
M1* Lemercier, le 2 février, dans Pétronille dn Sourd, et Mocker
dans la Tonelli, Bataille et MUe Caroline Duprez, le 18 août,
dans Marco Spada, Hermann-Léon, le 16 octobre, dans Roland
des Mousquetaires de la Rêne; sans parler de Mme Charton-
Demeur, qui, de passage à Paris, vint donner quelquesr epré-
sentations, reparut dans le rôle d'Angèle du Domino noir le
1er août, puis dans celui de Virginie du Caïd, et ne tarda pas à
reprendre sa course à travers le monde, car, en dépit de son
nom, Mme Charton-Demeur ne demeurait jamais nulle part.
L'année 1854 devait grossir encore ce bataillon de quel-
ques recrues : par exemple, Mue Boulard ou Boulart, élève
de Mme Damoreau pour le chant, de Moreau-Sainti pour l'ô-
péra-comique, et qui, dans les deux classes, avait remporté le
premier prix aux concours de l'année précédente. Le 6 janvier,
elle débuta dans les Noces de Jeannette, et aveo un succès qui
lui permit de conquérir bientôt une place fort honorable.
Plus tard, ayant quitté la scène, elle tenait encore aux choses
du théâtre par son mari, régisseur général de l'Opéra, et par
son flls, notre spirituel confrère Ad. Mayer ; elle est morte
récemment, emportant l'estime et le regret de tous ceux qui
l'ont connue. Citons encore M"e Larcéna, qui avait passé par
le Théâtre-Lyrique et les Variétés, et qui débuta le 26 mars
dans le rôle de Berthe de Simiane des Mousquetaires de la
Reine; enfin, M1" Amélie Rey, qui avait obtenu en 1853 le se-
cond prix d'opéra-comique dans la classe de Morin, au Con-
servatoire et qui débuta le 19 août dans le rôle d'Anna de la
Dame blanche.
En somme, la troupe était au grand complet, belle et
nombreuse, le jour où Meyerbeer livra sa première bataille à
l'Opéra-Comique, le 16 février 1854, date célèbre dans les fastes
de la salle Favart.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
UNE SOIRÉE A L'OPÉRA-COMIQOE
— Des conséquences qu'on en peut tirer —
Quand le doux M. Paravey veut bien s'y mettre, il n'y va pas par
quatre chemins. Il a fort bien senti qu'au milieu du désarroi où se
traîne à présent 1' « Académie nationale de musique » et qu'à côté du
spectacle lamentable qu'elle nous donne, il avait un grand coup à
frapper pour relever du moins le prestige de notre seconde scène
lyrique subventionnée et prouver qu'on faisait encore de la musique
quelque part en France. Et voilà pourquoi il nous a convoqués mer-
credi dernier à l'audition d'un petit acte, pas trop méchant, de
MM. Charles Narrey et Michel Carré fils pour les paroles, et de
M. Millet pour la musique.
Cela s'appelle Hilda, et je ne sais pourquoi ce litre me remet en
mémoire une anecdote qu'on m'a contée, il y a beaux jours. C'était à
l'époque où Ernest Reyer donnait connaissance de sa nouvelle parti-
lion Sigurd à M. Halanzier, alors directeur de l'Opéra. Lecture en
était faite dans ce fameux cabinet que devaient si fort illustrer plus
tard MM. Ritt et G-ailhard. M. Halanzier, qui ne se piquait pas de
belles-lettres comme M. Ritt ou de grand savoir artistique comme
M. Gailhard, parut surtout frappé d'une chose dans cette lecture, qu'il
écouta d'ailleurs avec résignation. C'était du nom d'une des héroïnes
de l'œuvre. Hilda ! Cela lui semblait peu euphonique. Cet, h très
aspiré ne lui revenait pas. Il le fit observer timidement, en conseil-
lant plutôt le nom de Bilda, qui avait, selon lui, de la grâce et de
l'harmonie. Ernest Reyer en prit-il de l'ombrage? Toujours est-il
qu'il regarda un peu de travers le directeur en remportant son ma-
nuscrit; puis, se retournant sur le pas de la porte : « Ah ! ç.à, est-ce
que je vous appelle Balanzier, moi! »
Il faut croire que M. Paravey n'a pas trouvé la même objection
à faire aux auteurs de Y Hilda qu'il vient de nous servir. Car c'est
bien le nom qui flamboie sur l'affiche.
Hilda, c'est le nom d'une cabaretière de Bergen, en Norwège, qui
attend son fiancé, lequel, étant pêcheur de son état, court les mers
au loin à la recherche d'une morue complaisante. Que fera-t-elle à
son arrivée, pour bien éprouver son amour ? Elle simulera la mort,
— vous voyez qu'on est gai en Norwège. Mais lui, qui est un malin,
ne s'y laisse pas prendre et, pour compléter la farce, il simule la
folie. Elle, voyant bien qu'il simule, simule à son tour d'en aimer
un autre. Alors, lui, simulant d'en être au désespoir, simule d'aller -
se pendre, et de simulation en simulation, on arrive tout doucement
au dénouement qui paraît être, pour de bon cette fois, une réconci-
liation générale.
C'est là ce que nos pères appelaient une bluette, un petit prétexte
à chansons, qui n'a qu'un tort, celui de ne pouvoir inspirer à un mu-
sicien qu'un simulant de musique. M. Millet n'y a pas manqué. Mais
il n'y a lien qui doive le décourager dans cet essai infructueux. Il
fera mieux sans doute quand on lui donnera uDe meilleure occasion
de déployer ses talents. Ce jeune homme nous paraît avoir de la
facilité et, déjà un certain faire, et quand son professeur, qui n'est
autre que M. Massenet, aura su lui communiquer un peu de la
sincérité de son talent, il n'est pas dit qu'il ne puisse un jour com-
poser des Esctarmonde tout comme un autre.
Il faut être juste, il n'y avait pas que cela dans la soirée de mer-
credi à l'Opéra-Gomique. Oh! non. M. Paravey lui-même ne se fût
pas contenté de la frugalité d'un pareil programme. Non ; nous avons
eu encore une représentation des Dragons de Villars, l'œuvre popu-
laire d'Aimé Maillart, qui conserve encore les grâces aimables de
ces anciennes douairières qu'on trouvait au siècle dernier. Ml, de plus,
elle servait de début à un jeune ténor, qui fut l'un des derniers lau-
réats du Conservatoire. Commb tous les élèves de M. Bax, M. Car-
bonne. — c'est le nom du débutant -- a du slyle et de la ligne
musicale. Malheureusement, ses moyens ne sont pas puissants. On
pourra l'employer utilement dans les rôles amoureux d'une chaleur
contenue, ce que l'ex-ténor Michot appelait les rôles d' « amoureux
flegmatique » (1).
(1) Aux premières répétitions de llomt'o et Juliette, lors de la création de cet ou-
vrage à l'ancien Théâtre-Lyrique de M. Carvalho le ténor Michot se désolait de ne
LE MENESTREL
19
Dans son ensemble, la représentation des Dragons de Villars a
d'ailleurs été des pins convenables. Fugère et Barnolt y sont d'un
comique excellent, et il"'' Nardi y fait montre de grandes qualités.
Sa voix est charmante, bien pleine et bien pâteuse ; il ne lui manque
qu'un peu de souplesse. C'est l'affaire d'un travail intelligent pour
l'artiste si elle veut s'en rendre complètement maîtresse.
.... Et ce spectacle enchanteur nous conduisit jusqu'à près d'une
heure du matin ! Saturé de jouissances artistiques aussi vives, nous
reprenions le chemin du logis, tout entier livré à no3 réflexions.
Et je ne sais pourquoi il nous vint à l'idée que décidément le principe
des subventions fixes ne pouvait nullement favoriser l'épanouisse-
ment de l'art musical. Il est évident que des soirées comme celle
que nous venions de supporter D'ont aucune espèce de droit à un
encouragement de la part de l'Etat. Il est clair aussi que les
1,600,000 francs de secours donnés à MM. Ritt et G-ailhard pour les
années 1888 et 1889, pendant lesquelles ils n'ont produit de nou-
veau qu'un ballet en trois actes, n'ont pas davantage de raison, si
ce n'est celle d'enrichir bénévolement des directeurs peu scrupuleux,
et cela à un moment d'Exposition où toutes les recettes grossissent
comme par enchantement et sont une subvention toute naturelle.
Non. décidément, ce n'est pas là le bon système.
Quand les députés ont voté un budget spécial de douze cent mille
francs pour la musique, ils croient avoir rempli tout leur devoir
envers elle, et la laissent se débrouiller comme elle peut. Eh ! bien, ce
n'est pas suffisant. Il faudrait encore s'inquiéter de l'usage qu'on fait
de tout cet argent, qui est le nôtre, et savoir si ces douze cent mille francs
servent un progrès artistique quelconque. Il n'y a pas de cahier des
charges qui ne prête à mille interprétations diverses. Quand vous
énoncez gravement, dans celui de l'Opéra, « qu'il devra être dirigé
avec la dignité et l'éclat qui conviennent au premier théâtre lyrique
national », pouvez-vous dire où devra s'arrêter au juste la dignité de
M. Ritt et l'éclat de M. Gailhard ? Tout cela, ce sont des mots qui
n'ont pas de sanction, et chaque fois que vous mettrez des spécu-
lateurs en face d'une forte somme, ils chercheront seulement le
moyen de s'en approprier la plus grosse part. Ils discuteront l'af-
faire par doit et avoir, sans s'occuper le moins du monde de son
importance artistique; rognant par-ci, rognant par-là sur la dignité
et l'éclat de l'institution, ils n'auront qu'un but, celui de tout bon
commerçant, d'équilibrer les dépenses avec les recettes en s'assu-
rant un bénéfice suffisamment lémunérateur pour eux-mêmes : « La
subvention produit tant, l'abonnement donne tant, les recettes quo-
tidiennes doivent donner tant au dernier minimum, c'est à nous à
nous arranger pour que nos dépenses restent toujours au-dessous
de ce produit assuré. » Croyez-vous que l'art puisse trouver son
compte à ces calculs? Ce serait une illusion de le croire.
Tout en réservant avec soin au budget des Beaux-Arts la somme
spécialement affectée à la musique, ne serait-il pas plus profitable
de supprimer purement et simplement toutes les subventions fixes
et de dire aux directeurs: « En principe, vous êtes seuls et nous ne
vous soutenons plus. A vous de vivre comme vous pourrez et de
trouver des spectacles de nature à attirer le public. Pour nous, nous
nous réservons de récompenser et d'encourager chacun selon ses mé-
rites et ses efforts. Nous avons là douze cent mille francs que nous
répartirons entre les diverses entreprises musicales, aussi bien au
théâtre qu'ailleurs, qui auront réellement servi l'art et lui auront
fait faire un progrès. » Quand M. Paravey aura monté le Roi d'Ys.
il aura droit à la forle somme; il l'aura encore pour Esclarmonde,
bien que l'œuvre soit discutable. On ne mesurera pas les efforts à
leur réussite, mais seulement à leur grandeur et à leur sincérité.
A ce compte-là, me direz-vous, les directeurs seront peu faciles à
trouver. Sans doute, on ne verrait plus les Ritt et les Gailhard se
mettre sur les rangs pour diriger nos grandes scènes lyriques. Je l'es-
père bien. 11 y faudrait des gens de grande foi et de grand courage.
Soyez persuadé que là seulement est le salut pour la musique.
Croyez-vous que nous aurions eu jamais les belles soirées artistiques
de l'ancien Théàtre-Lyique Carvalho, si son directeur n'avait pas dû
pour vivre eue constamment sur la brèche et en quèle de sensations
nouvelles pour le public?
Voilà à quoi nous songions l'autre nuit, en quillant l'aimable do-
micile oii le doux M. Paravey venait do nous abreuver de musique
suave et lénitive.
H. Moreno.
pas découvrir le véritable caractère du héros de Shakespeare. Enfin il s'approcha
un jour de M. Gounod et lui dit tout rayonnant : « Enfin, je sais à présent ce
cm'CBt au juste Roméo; c'est un amoureux tlegmatique. »
Palais-Royal. — Les Moulinard, comédie-vaudeville en trois actes,
de MM. Ordonneau. Valabrègue et Kéroul.
Un théâtre à qui le succès remporté par les Moulinard au Palais-
Royal doit être tout particulièrement désagréable, c'est assurément
le Vaudeville, qui se vit. de par le. caprice d'un de ses comédiens,
M. Jolly, obligé de rendre à leurs auteurs ces trois actes qu'il ré-
pétait sous le titre de la Coquille. De son côté, M. Jolly lui-même
ne doit pas être beaucoup moins penaud eu voyant quel parti excel-
lent M. Dailly a su tirer d'un rôle qu'il jugeait mauvais et indigne
de son talent. Et voilà comment l'erreur des uns profite au bonheur
des autres : et voilà pourquoi le théâtre de la rue Montpensier est
certain de n'avoir point à renouveler son affiche d'ici quelque temps,
tandis que le théâtre de la Chaussée-d'Antin en est réduit à faire
des reprises successives d'un intérêt douteux.
Moulinard, qui s'est enrichi dans la moutarde, ce dont il est con-
fus, est le type du bourgeois infatué de sa supériorité, naïf et pré-
tentieux, mais bon garçon; un des types qu'affectionnait Labiche.
Il a une fille à marier et il l'a promise à Bodard, à la condition que
ce dernier soit nommé sous-préfet. Une coquille du journal le Temps
attribue au jeune Bodard la sous-préfecture des Réglisottes au
lieu et place de Godard, le vrai titulaire. Comme Bodard est amou-
reux de la jeune fille, il se garde de dissuader son futur beau-père
et voilà toute la famille partie. Arrivés à destination, ils descendent
à I' « Hôtel de la Sous-préfecture », etMoulinard, se croyant à la sous-
préfecture même, relègue son gendre au second plan, met tout sens
dessus dessous, se laisse nommer M. le sous-préfet, reçoit la fanfare
et flanque à la porte les habitués de l'hôtel qui viennent le déran-
ger. Mais l'erreur de lien finit par se découvrir, et tonte la famille
prend le chemin, cette fois, de la vraie sous-préfecture, où, fata-
lement encore, on tombe sur le vrai fonctionnaire. Bien entendu, tout
s'arrange : Godard, écœuré du trou où on l'a envoyé, demande son
changement, et c'est Bodard qui le remplace.
Tout cela est absolument énorme d'illogisme et d'irréalité ; mais
les auteurs y ont dépensé tant de verve endiablée et de belle humeur,
qu'on s'y amuse 1res réellement et aussi 1res agréablement. M. Dailly
a rendu le personnage de l'encombrant Moulinard avec un entrain
jovial et une bonne bêtise exubérante qui le mettent hors de pair.
Les autres rôles' demeurent un peu effacés, mais il n'en faut pas
moins complimenter M"es Mathilde et Berny, MM. Galipaux, Calvin,
Pellerin et Luguet, qui traversent gaiment ces trois actes très amu-
sants et aussi essentiellement honnêtes.
Paul-Emile Chevalier.
LE THÉÂTRE A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889
(Suite)
VIII
ESTAMPES. DESSINS ET PORTRAITS
lin assez grand nombre d'estampes et de gravures diverses ont
figuré dans l'exposition théâtrale du Champ de Mars, les unes pré-
sentant un intérêt assez vif, les autres — le plus grand nombre —
n'offrant qu'une mince valeur, et placées là tout simplement parce
qu'au dernier moment on s'est prouvé avoir, dans la galerie supé-
rieure du palais, auprès de l'histoire de l'aérostation, un assez grand
espace vide qu'il a fallu remplir tellement quellement. De là, toute
celte série de portraits et d'estampes un peu banales, que le public
superficiel et peu instruit regardait néanmoins, mais qui n'avaient
rien à apprendre à ceux qui sont peu ou prou au fait de l'histoire
du théâtre.
Atout seigneur, tout honneur! Commençons par une pièce rare,
unique, extrêmement curieuse, celle-là, et telle qu'on en aurait
bien voulu contempler quelques antres de son espèce. Il s'agit ici,
non d'uue estampe, mais d'un dessin, d'une gouache, dont la valeur
en tant qu'oeuvre d'art proprement dite est modeste sans doute, mais
qui, restée absolument inconnue jusqu'à ce jour, constitue un do-
cument de la plus haute importance pour l'histoire de notre ancien
théâtre. Cette gouache, dont l'heureux propriétaire est M. Gillet de
Grammonl, nous représente l'ancien théâtre de l'Hôtel de Bourgogne,
fondé par les confrères de la Passion et qui fut le berceau de nos
premiers acteurs, et l'expulsion, on 1697, des Comédiens-Italiens,
qui occupaient ce théâtre. Ceci demande une courte explication.
On sait que les Comédiens-Italiens, qui depuis 1570 avaient pé-
nétré chez nous et s'y étaient établis d'une façon plus ou moins
permanente, avaient, à partir de l'installation de Molière et de sa
20
LE MENESTREL
troupe au Palais-Royal, dans la salle élevée par les soins de Riche-
lieu, partagé cette salle avec lui jusqu'à sa mort (eus jouant trois
fois par semaine, lui quatre), et, en 1680, s'élaient définitivement
fixés dans celle de l'Hôtel de Bourgogne, qui avait été l'asile de nos
premiers véritables comédiens français et qui avait retenti des beaux
vers de Corneille et de Racine. Abandonnant alors peu à peu leur
répertoire original, c'est-à-dire les pièces italiennes, et se transfor-
mant eux-mêmes pour plaire davantage au public, ils en étaient
venus, non sans de fréquentes et 1res vives contestations avec les
successeurs de Molière, à ne plus jouer guère que des pièces fran-
çaises, dont la plupart étaient écrites par quelques-uns d'entre eux.
Confiants dans la bienveillance du roi, qui ne leur avait jamais fait
défaut, et qui leur valait une pension annuelle de 15,000 livres, ils
prenaient de grandes privautés et se croyaient tout permis, jusqu'au
jour, où, au dire de Saint-Simon, une insigne effronterie de leur
part provoqua un ordre souverain qui venait tout à coup, en 1697,
les expulser non seulement de Paris, mais de toute la France. S'il
faut en croire, en effet, le noble chroniqueur, ces comédiens auda-
cieux s'étaient avisés « de jouer une pièce qui s'appelait la Fausse
Prude, où Mrae de Maintenon fut aisément reconnue. Tout le monde
y courut ; mais après trois ou quatre représentations qu'ils donnè-
rent de suite parce que le gain les y engagea, ils eurent ordre de
fermer leur théâtre et de vider le royaume en un mois. Cela fit
grand bruit, et si ces comédiens y perdirent leur établissement par
leur hardiesse et leur folie, celle qui les fit chasser n'y gagoa pas
par la licence avec laquelle ce ridicule événement douna lieu d'en
parler. » Ce qui est vrai, et ce qu'on sait de certain, c'est que le
malin du 4 mai 1697, M. d'Argenson, en sa qualité de lieutenant de
police et en vertu d'une lettre de cachet du roi, procéda à l'expul-
sion des Comédiens-Italiens de l'Hôtel de Bourgogne, où ils ne
revinrent que dix-neuf ans plus tard, en 1716, par suite d'une per-
mission du Régent.
C'est cette scène même de l'expulsion des fameux comédiens, qui
fil tant de bruit et dont le retentissement fut si grand dans Paris il
y a près de deux siècles, qu'offre à nos yeux le dessin si curieux
et, je le répète, inconnu jusqu'à ce jour, exposé au Champ de Mars
par M. Gilletde Grammonl. Aimable et naïf au point de vue de
l'exécution, avec un sentiment franchement comique et un caractère
évident de vérité, il est d'autant plus précieux que c'est presque le
seul document de ee genre que nous possédions en ce qui touche
l'événement qu'il reproduit. Il offre d'ailleurs, je le répète, sous le
rapport des détails de toute sorte, un rare caractère d'exactitude,
d'après ce qu'on sait, en se référant aux anciens plans de Paris, de
la situation de l'ancienne halle aux cuirs, où ss trouvait la salle
de l'Hôtel de Bourgogne. A ces divers titres, tous ceux — et
ils sont nombreux — qu'intéresse vivement l'histoire du théâtre en
France, seraient heureux de le voir reproduire, afin qu'un tel docu-
ment ne restât pas à jamais ignoré dans l'ombre d'une collection
particulière. En tous cas, il n'est pas inutile de le décrire au moins
d'une façon sommaire, et c'est à quoi je vais m'essayer.
En bas et au milieu du dessin, lin cartouche porte, en lettres d'or
sur fond bleu, l'inscription suivante, qui en fait connaître le sujet :
• La déroute burlesque des
Comédiens Italiens chassé de Parit
en 4697.
tandis qu'au fond, sur la façade du théâtre, ou lit cette autre ins-
cription en forme d'enseigne :
La seule troupe des Comédiens Italiens
entretenu par Sa Majesté en leur Hôtel de
Bourgogne (1).
Des sentinelles placées près de l'Hôtel, et avec elles des officiers
de police venus dans leur carrosse, qui les attend à quelques
pas, gardent les portes, pour en interdire l'entrée. Les comédiens,
revêtus de leurs costumes traditionnels (Pantalon, Mezzetin, Gilles,
Colombine, Isabelle, Polichinelle), parcourent la place en se lamen-
tant, suivis de comparses et d'employés qui emportent divers
objets, dont l'un, un grand écrileau fixé au bout d'une perche avec
la fameuse devise latine : Castigat ridendo mores, que le poète San-
teul avait imaginée jadis pour les Comédiens-Italiens à la requête
du plus fameux d'entre eux, le célèbre Arlequin Dominique (Bianco-
lelli). Pendant ce temps de nombreux ouvriers procèdent au démé-
nagement, et l'on voit, sur le côté, une voiture qui s'éloigne,
chargée surtout d'instruments de musique. Aux premiers plans, à
(1) On remarquera, dans ces inscriptions, deux incorrections que j'ai
respectées scrupuleusement.
droite, sur le mur d'une maison dont on voit les trois quarts, une
affiche est placardée qui porte ces mots :
Vente des meubles
et dé,orat>'ons
et habits de la
Comédie.
Et enfin, auprès de cette maison et de cette affiche, sur le bas de
la place, un huissier en robe, debout devant une table sur laquelle,
à côté de plusieurs sacs d'écus, sont jetés différents costumes de
théâtre, procède à la vente, aidé d'un greffier qui se trouve à ses
côtés. Plusieuis personnes sont là, paraissant s'intéresser plus ou
moins à cette vente, et l'on voit s'éloigner une femme, les bras
chargés d'un certain nombre d'habits que sans doute elle vient
d'acheter.
Telle est celte pièce unique, véritablement curieuse à tous les
titres, qui est à la fois une date et un inappréciable document, et
dont il est regrettable que l'on ne puisse connaître l'auteur. Ce qui
est plus regrettable et plus fâcheux encore, c'est que son heureux
possesseur n'ait pas la bonne pensée de la faire reproduire par un
des nombreux procédés dont l'usage est aujourd'hui si prompt et si
facile, ce qui n'enlèverait rien à la valeur de l'original, mais ren-
drait un signalé service à notre histoire artistique en donnant à ce
petit monument une expansion très désiiable (1).
(A suivre.) Arthur Poi;gin.
LA RECONSTRUCTION DE L'OPÉRA-COMIQDE
La question de la reconstruction de l'Opéra-Contique serait-elle enfin
sur le point de recevoir une solution ? Sans se bercer de trop d'illusions,
à voir ce qui se passe on serait tenté de le croire. Constatons d'abord que
grâce aux énergiques réclamations des habitants du quartier, l'horrible
baraque qu'on avait eu la cruauté de laisser s'installer sur les décombres
de la 6alle Favart va disparaître rapidement. Voici, en effet, la lettre que
M. Poujade, concessionnaire des « Grands Concerts Favart, »a reçue du
ministre à ce sujet:
Monsieur,
Pour faire suite à ma lettre du 8 janvier dernier, j'ai l'honneur de vous'faire
savoir qu'après un nouvel examen de l'affaire je maintiens définitivement ma dé-
cision relative à la fermeture de la salle des Concerts Favart : la concession
qui vous a été consentie par le traité du 25 mai 1889 vous est, en conséquence,
retirée.
En vous accordant, le 7 novembre dernier, une prolongation de concession,
j'avais expressément stipulé qu'à première réquisition vous devriez «remettre les
lieux en leur état primitif, » conformément à l'article de votre traité qui vous donne
un délai d'un mois à cet effet.
Je vous invite, monsieur, à prendre immédiatement les mesures nécessaires
pour vous conformer à cette prescription.
Recevez, etc.
Le ministre de l'instruction publique
et des beaux-arts,
Fallièbes.
Voici donc un premier point acquis, et non le moins important. Le
ministre, en effet, voulait une situation nette, au moment où il se pré-
parait à saisir les Chambres du projet, depuis si longtemps attendu, re-
latif à la reconstruction de l'Opéra-Comique. Ce projet est tout prêt,
paraît-il, au double point de vue artistique et financier. Il renonce mal-
heureusement, en raison de la dépense, à transporter sur le boulevard
la façade de la nouvelle salle, et laisse, comme jadis, l'entrée publique
sur la place Boieldieu. C'est une erreur et une maladresse ; car, avec la
(1) Certains amateurs pensent que cette gouache peut être attribuée à
un artiste nommé Baron, dont la ville de Paris possède plusieurs autres
dessins, et qui avait eu l'heureuse idée de peindre sur vélin, pour des
éventails, différentes vues du Paris de son temps. Watteau. lui aussi, avait
représenté, sur une estampe aussi rarissime, cette scène si piquante de
l'expulsion des Comédiens-Italiens, qui fit si grand bruit en son temps.
Mais si, il est à peine besoin de le dire, son dessin est incomparablement
supérieur à celui que je viens de décrire, il est moins intéressant sous
un autre rapport, en ce sens que "Watteau, cherchant surtout à produire
une scène animée, n'a donné à l'architecture qu'une importance à pou
près nulle et ne nous fait pour ainsi dire rien connaître du bâtiment de
l'Hôtel de Bourgogne. D'ailleurs, Watteau, né en 1681 et âgé seulement
de treize ans lors du départ des Comédiens-Italiens, n'a certainement l'ait
cela que plus tard et a traité son sujet de chic, comme nous dirions au-
jourd'hui. Son estampe étant devenue pourtant en quelque sorte introu-
vable et constituant, elle aussi, un document précieux, je l'ai reproduite
dans mon Dictionnaire du Théâtre d'après le superbe exemplaire qu'en pos-
sède la Bibliothèque de la ville de Paris, où elle m'avait été obligeam-
ment signalée et communiquée par M. Jules Cousin. C'est le seul ouvrage
dans lequel on la puisse rencontrer.
LE MENESTREL
2d
vue du théâtre sur le boulevard, son activité, son mouvement, ses lu-
mières, on eût pu l'aire de ce point de Paris une chose originale et char-
mante. Passons.
Le projet porte donc façade sur la place, avec trois escaliers de chaque
côté et un grand escalier d'honneur donnant sur l'entrée. Le mur qui sé-
parait l'ancien Opéra-Comique des maisons voisines et qui a fait ses
preuves de solidité, sera maintenu; cependant un second mur sera cons-
truit et de longs couloirs, établis à chaque étage, circuleront entr_- ces
deux murs. On perdra de ce fait, pour assurer la sécurité de la scène, un
mètre et demi environ, que l'on regagnera amplement sur la place Boiel-
dieu.
La façade, en effet, gagne sept mètres sur la place, de la façon suivante :
la marquise de l'ancien Opéra-Comique est supprimée dans le projet ac-
tuel. On sait que cette marquise, qui avançait juste de sept mètres, ne
couvrait qu'une partie de la façade et montait jusqu'au premier étage. Elle
sera remplacée par un auvent qui sera construit au faite du monument,
sur toute la longueur occupée par le fronton. De cette façon, il ne sera
nullement nécessaire d'empiéter sur la place pour obtenir un léger agran-
dissement. Enfin, on n'a pas suivi les errements de l'ancienne construc-
tion, et les escaliers continueront jusqu'en haut. Seule, la salle, qui était
un véritable bijou, sera identiquement reconstruite.
Le nouveau projet se termine par l'assurance qu'on apportera à l'édifi-
cation du monument et à son installation intérieure toute la sécurité qu'on
est en droit d'attendre de la prudence humaine.
Si ce projet est voté par la Chambre avant la fin de janvier, et accepté
par le Sénat, les travaux pourront commencer dès le lor avril. Il faut tenir
compte dans ce délai du temps nécessaire à la préparation et à l'exécution
des adjudications. Le théâtre sera monté et couveit pour le commence-
ment de l'hiver, et l'on pourrait s'occuper, l'été suivant, des travaux inté-
rieurs. L'architecte, M. Crépinet, demande vingt mois pour mener à bien
son entreprise et promet de livrer le théâtre pour le mois de décembre 1891.
Quant à la dépense, le projet l'évalue à trois millions 800,000 francs,
soit quatre millions en chiffres ronds, et quant aux voies et moyens,
voici comment le ministre procéderait: une première annuité de400,000fr.,
destinée à commencer les travaux, serait demandée par lui pour 1890. Il
fait observer que les compagnies d'assurances ont déjà payé un million,
qui viendra en défalcation de la dépense, et, d'autre part, que l'État n'aurait
plus à payer une somme de 80,000 francs pour le loyer de la salle du Chà-
telet. Cette annuité de 80,000 francs permettrait, si on le voulait, de gager
un emprunt de deux millions fournissant, avec la somme payée par les
compagnies d'assurances, la presque totalité du capital nécessaire à la
reconstruction.
On voit que tout est prêt, et il est certain que M. Fallières va présenter
i mmédiatement son projet à la Chambre. L'espoir nous est donc permis,
et peut-être pouvons-nous croire que l'Etat offrira aux Parisiens, pour
leurs étrennes de 1892, un Opéra-Comique tout battant neuf et digne de
retrouver leur ancienne affection,
REVUE DES GRANDS CONCERTS
La Société des concerts nous offrait, à sa dernière séance, la pre-
mière audition d'une symphonie de M. Johanne^ Brahms, la quatrième,
en mi mineur, qui n'a pas produit, il faut le dire, tout l'effet que peut-
■être on en attendait. M. Brahms est assurément l'un des premiers artistes
de l'Allemagne contemporaine, je serais tenté de dire : le premier, et
l'on sait ce que Schumann écrivait de lui, dès 185.3, à son ami Maurice
.Strakergan : « ... Nous avons en ce moment, à Dusseldorf, un jeune
homme de Hambourg, nommé Johannes Brahms, d'un talent si puissant
et si original, qu'il me semble dépasser de beaucoup tous les jeunes
artistes de ce temps-ci. Ses œuvres si remarquables, particulièrement ses
mélodies, ne tarderont pas sans doute à parvenir jusqu'à vous... »
Schumann complétait plus tard sa pensée en qualifiant de « garçon de
génie » le jeune artiste dont il avait fait son élève. Génie est peut-être
heaucoup dire. Je n'ignore pas qu'en Allemagne, où on exalte volontiers
le talent des nationaux, ne fut-ce que pour essayer de rabaisser celui des
étrangers. M. Brahms est devenu, pour quelques-uns, comme une sorte
de chef d'école et de porte-drapeau ; mais, malgré la profonde estime
que je professe pour sa personnalité, je ne saurais trouver en lui l'étoffe
d'un de ces grands créateurs qui laissent après eux une trace brillante et
lumineuse. Et ce n'est pas la symphonie qu'on nous a fait entendre
dimanche qui me fera revenir sur cette opinion. Cette œuvre importante
se distingne sans doute par de solides et fortes qualités, par un talent de
forme et de facture extrêmement remarquable, mais l'inspiration, la per-
sonnalité - lui manquent malheureusement un peu trop, et l'élégance,
parfois la grâce du vêtement, ne sauraient faire passer condamnation sur
la sécheresse et la pauvreté du corps qu'il enveloppe. Je cherche vaine-
ment la trace d'une idée quelconque dans le premier morceau, allegro
non troppo; l'allure de ce morceau est ferme et vigoureuse, mais sans
charme, l'orchestre en est solide et corsé, mais sans particularité et sans
nouveauté; c'est là un excellent devoir de bon écolier. L'amiante moderato
à 0/8 qui vient ensuite, commence presque comme une chasse; le motif
initial est présenté par le cor, non sans une certaine vigueur; malheu-
reusement, ce motif n'est qu6 de quatre mesures, et n'offre aucune origi-
nalité; rendons-lui justice toutefois: il sert de pivot à tout le morceau,
où le compositeur le présente tour à tour sous les formes les plus diver-
ses, et ses développements exquis, toujours pleins d'intérêt, véritablement
curieux, feraient honneur même au plus grand des symphonistes,
à Beethoven. L'allégro giocoso à 3/4, qui sert en quelque sorte de scheizo,
est d'une allure vive et élégante, mais toujours sans originalité, d'une
inspiration maigre pour ne pas dire nulle, et n'acquiert quelque brillant
que par le nerf et la solidité de l'orchestre. Le finale est peut-être la
meilleure page de l'œuvre ; divisé en plusieurs épisodes dont les carac-
tères divers ne rompent pas l'unité générale, instrumenté d'une façon
brillante, avec un rôle très important donné aux violons, d'une marche
rapide et sûre, d'une allure énergique, ce morceau termine d'une façon
heureuse une composition dans son ensemble froide, un peu compassée,
très honorable assurément, mais à laquelle, je ne saurais trop le répéter,
l'originalité et la chaleur de l'inspiration font absolument défaut. — Après
la scène des Enfers d'Alceste, de Lully, bien connue au Conservatoire et
dans laquelle l'air superbe de Caron a été fort bien dit par M. Delmas,
nous avons eu une autre première audition, celle d'une Suite symphoni-
que (prélude, adagio, canzonetta, kermesse), de M. Garcin, qui je le crois,
bien, dirigeait pour la première fois une de ses compositions, ce qui
devait effaroucher quelque peu sa trop grande modestie. Celle-ci est tout
à fait charmante, et lui fait le plus grand honneur. Le prélude, qui
commence vigoureusement, se déroule avec beaucoup de grâce et d'élé-
gance, en un dessin tout aimable, où brillent surtout les violons; l'adagio
présente un chant large et soutenu, fort heureusement développé et d'un
sentiment excellent; la canzonetta forme un joli petit intermezzo, d'une
allure coquette, fine et délicate, avec un orchestre rempli de détails
exquis ; cela est léger, fluide et charmant; enfin le finale, très vif, très
coloré, avec une grande ampleur instrumentale, est entraînant et plein
de chaleur, sans cesser un instant d'être élégant de forme et d'une heu-
reuse inspiration. Le succès, un succès très franc et tout spontané, a
accueilli cette composition charmante, qui a montré sous un jour favorable
le talent du chef d'orchestre de la Société des concerts. Le programme se
terminait par le récit et le chœur des Pèlerins du Tannliaûser, et par le
thème varié, le scherzo et le finale du Septuor de Beethoven, qui, grâce
à leur merveilleuse exécution, ont produit leur effet accoutumé.
Arthur Pougin.
— Association artistique, douzième concert. — M. Colonne, comme
toujours, par l'heureux choix des morceaux qu'il a fait exécuter, avait
rendu son concert très attrayant. Il avait fait une large place aux compo-
siteurs vivants. Nous avons entendu avec le plus vif plaisir deux beaux
fragments du Sigurd de M. Beyer : le Sommeil de Brunehild et le Pas
guerrier; l'andante de la Symphonie romantique de M. Joncières, très
beau fragment, d'un excellent style et d'une mélodie pénétrante ; la séré-
nade du ballet de Namouna, de M. Lalo, où il y a de jolis effets de harpes
combinés avec les pizzicati des violons, mais dont l'harmonie est un peu
tourmentée ; enfin, un délicieux prélude de l'Eloa de M. Ch. Lefebvre,
d'un caractère très pur, très séraphique, qui a été bissé. M. Colonne a fait
entendre la première scène du Rheingold, de Wagner. Sujet bizarre s'il en
fût jamais ! on entend couler le Bhin longtemps, longtemps, sous un
accord parfait de mi majeur. Pendant que le bon vieillard se livre à cette
douce occupation, il confie son portefeuille bondé d'excellentes valeurs à
trois jeunes personnes, MUes de Montalant, Uelorn et Mme de Clerck, qui,
tout en nageant, ne perdent pas de vue le précieux dépôt. Un nain hor-
rible, chercheur de trésors, M. Auguez, vient leur faire un doigt de cour,
mais il n'a aucun succès ; les dames lui rient au nez et le renvoient très
confus. Ce n'est pas là du Wagner ennuyeux. C'est même assez mouve-
menté, presque scénique. C'est de la gaîté à la Wagner, la gaîté d'un
éléphant en délire. Je ne serais pas fâché de réentendre ce morceau, qui
a été supérieurement rendu par les quatre vaillants artistes. La partie
classique du concert était représentée par la symphonie en ut mineur de
Beethoven, dite avec un peu plus de mollesse que d'habitude, mais dont
une partie a été supérieurement rendue et frénétiquement applaudie ; nous
voulons parler du passage étonnant qui clôt le scherzo et amène par des
artifices de rythme extraordinaires l'explosion foudroyante de la marche
triomphale. Un jeune pianiste, M. Delafosse, âgé de seize ans, qui à treize ans
a remporté un premier prix de piano au Conservatoire (classe Marmontel)
et travaille actuellement avec M. Lack, a fait ses débuts devant le grand
public dans le amcerlstûck, de Weber. Le succès de M. Delafosse a été très
grand; il a dit l'œuvre de Weber avec une correction parfaite et un ex-
cellent style. Nous l'engageons à se défier de la tendance qu'ont beau-
coup de jeunes pianistes à réaliser les effets de pianissimo moins par
l'assouplissement des doigts que par l'emploi de la pédale sourde; cette
méthode ôte au jeu son énergie et sa puissance, et dénature la sonorité
de l'instrument. A part cette légère critique, nous n'avons que des éloges
à donner à M. Delafosse, et nous applaudissons de tout cœur à son grand
et légitime succès, II. Bahbedette.
Concerts Lamouroux. — La Symphonie fantastique de Berlioz a paru, dans
chacune de ses parties, d'une transparence extrême, grâce à une exécu-
tion merveilleusement soignée. La richesse mélodique de l'œuvre est in-
contestable et, autour des thèmes principaux, s'épanouissent, en véritable
essaim, une quantité de motifs secondaires qui les l'ont valoir et en ren-
LE MENESTREL
dent le retour plus piquant. Il faut aussi constater que chacune des
phrases musicales est douée d'une force expressive intense et d'un coloris
très spécial. Berlioz présente ses mélodies presque toujours à découvert,
sans parure harmonique, et leur caractère se prête fort bien à cette sorte
d'exhibition. Il rencontre des effets dans la succession des intervalles mé-
lodiques, plutôt que dans l'enchaînement harmonique des accords. Ses
accompagnements, souvent très primitifs, laissent planer librement la
phrase mélodique sans faire corps avec elle. Il y a dans le premier mor-
ceau un crescendo chromatique suivi d'un silence de trois mesures dont
on ne peut expliquer la présence qu'en se reportant aux intentions des-
criptives de l'auteur; pourtant, le thème repris ensuite presque sans
préparation impressionne vivement. La Scène aux champs, dont le décor est
posé par le chant alpin du début et de la fin, exprime des sentiments
toujours douloureux, mais empreints de calme, de résignation, une sorte
d'accalmie dans la fièvre. Cette partie est d'une beauté achevée. A la fin
de cette scène, les timbales ont joué sans exagérer le forte, ce qui parait
d'accord avec le sens du morceau. De même dans la Ronde du Sabbat, le
son des cloches s'est mêlé aux harmonies de l'orchestre sans violences.
Ainsi rendue avec goût et précision, la Symphonie fantastique a été acclamée
avec plus de chaleur que jamais, et toutes les parties en ont semblé aussi
claires que le Bal et la Marche au supplice. L'ouverture du Vaisseau fan-
tôme, le prélude de Tristan et Yseult et la Chevaucliée des Walkyries ont été
interprétés dans un style peut-être un peu uniforme. Ne semhle-t-il pas
que des morceaux si différents devraient prendre à l'orchestre une phy-
sionomie pour ainsi dire personnelle. Le tumulte d'un orage en mer ou
d'une chevauchée d'amazones ne pourraient-ils comporter d'autres procédés
d'exécution que des, élans d'amour ou le calme mystique d'un cantique
d'actions de grâce ? Ces derniers mots se rapportent à l'Enchantement du
Vendredi Saint de Parafai, qui a été délicieusement rendu et peut passer
pour une des pages les plus suaves, les plus pures et les plus sainement
mélodiques de Wagner. Le concert avait débuté par la brillante ouverture
de Ruy Blas, de Mendelssohn. Amédée Boutarel.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche:
Conservatoire : même programme que dimanche dernier.
Chàtelet, concert Colonne : symphonie en ut mineur (Beethoven) ; air
de Lucifer de la Résurrection (IPendel), par M. Auguez ; Sarabande (J .-S.
Bach), orchestrée par M. Saint-Saëns, et gavotte pour violon seul (Bach ),
exécutées par M. Remy; Absence et Villanelle (H. Berlioz), chantées par
MUe de Montalant ; l'Or du Rhin (Wagner), première scène du premier acte,
soli par M. Auguez (Alberich), M11" de Montalant (Woglinde), MllG Delorn
(Welgunde), M'™ de Clercq (Flosshilde) ; le Songe d'une nuit d'été (Mendels-
sohn).
Cirque' des Champs-Elysées, concert Lamoureux; ouverture d'Egmont
(Beethoven) ; Rapsodie cambodgienne (Bourgault-Ducoudray) ;Symphonie fan-
tastique (Berlioz) ; le Dernier Sommeil de la Vierge (Massenet) ; Marche funè-
bre du Crépuscule des Dieux (Wagner) ; ouverture A'Euryanthe (Weber.)
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
La chute des Maîtres Chanteurs à la Scala, de Milan, a été plus com-
plète encore et plus lamentable qu'on n'eût pu le croire. On s'en rendra
compte par ces fragments d'un article de la Lanterna, de cette ville. Après
avoir constaté que depuis deux ans quelques-uns n'ont cessé de parler
de cet ouvrage et de son apparition prochaine, l'entourant d'une réclame
anticipée et furibonde, ce journal dit :
Pourtant si ceux qui se sont tant efforcés, qui en ont tant dit el écrit, si ceux-là
sont honnêtes et loyaux, ils ont dû éprouver un sentiment d'amère tristesse et
ensuite un peu de honte pour le succès peu... moins... pour le succès absolu-
ment négatif des Maîtres Chanteurs. Car il faut surtout avoir le courage et la
loyauté de dire que quand, à la seconde et à la troisième représentation d'un
opéra nouveau d'un génie comme Wagner, le public, dans un théâtre comme la
Scala, ne dépasse pas une centaine de personnes ou un peu plus, cet opéra n'a
obtenu qu'un insuccès qu'il est inutile de discuter, qu'il est vain de justifier.
J'ai lu ces jours derniers les longues colonnes de critique qui ont été écrites, j'ai
remarqué le soir de la première représentation certaines bouches ouvertes —
éternellement ouvertes — aux exclamations étudiées ou apprises par cœur; mais
je n'ai pas su me rendre raison ni des unes ni des autres. Ou je me suis créti-
nisé, me disais-je, ou ces gens qui jouissent béatement, placidement, surnalurelle-
ment, sont faits d'une autre pâte que moi ; ou c'est là une musique qui fera for-
tune dans un avenir très lointain, ou je ne suis plus capable d'entendre ni d'é-
prouver les émotions que peut, que sait et que doit donner la vraie musique.
On répond : Mais, pour comprendre Wagner il faut .avoir dix années d'études
musicales ; Wagner n'est pas du pain pour toutes les dents, ni de la musique
pour toutes les oreilles. — Et alors, que Dieu vous bénisse! laissez-le aller aux
seules oreilles qui le peuvent entendre. Et alors, ne venez pas nous l'imposer
avec une orgie de réclame. La musique est cosmopolite, elle doit être comprise
de tous, comme la peinture, comme la sculpture...
Trois morceaux seulement ont plu, dans les Maîtres Clianteurs: l'ouverture, le
finale du second acte et le quintette du troisième. Or, quand dans un opéra du
moule des Maîtres Chanteurs de Nuremberg trois morceaux seulement sont applau-
dis, il n'est pas possible, sans exagérer, de dire qu'il réussit. Et donc, comment
écrire alors et comment soutenir que la bataille wagnérienne a été gagnée ?
Gagnée, quand? gagnée, comment? gagnée, par qui ? J'admets l'évolution comme
base du progrès, mais l'évolution logique, non celle qui conduit à l'incompréhen-
sible, à l'obscur, à l'inintelligible. Et quand la musique me devient pesante comme
une table de logarithmes, ou incompréhensible comme la langue chaldéenDe, je
préfère ne pas l'entendre. Et il me paraît que le public milanais a voulu donner
un démenti solennel à tous ces wagnériens enragés, poseurs (en français!. Wagner
vous plaît? a dit le public aux wagnëriens, eh bien, goûtez-le. — Et il a laissé
le théâtre vide.
— Cruels, les abonnés du théâtre San Carlo, de Naples! On assure que
quelques-uns d'entre eux seraient décidés à protester et à refuser de
payer leur abonnement par suite de la mort de Gayarre, qui avait été
engagé par la direction et qu'ils ne pourront plus entendre. L' imprésario
ne peut cependant pas ressusciter l'infortuné ténor pour la satisfaction
des oreilles de ces messieurs, qui nous semblent un peu longues. On
croit, du reste, que ledit imprésario songerait à offrir à son public le ténor
Masini en remplacement du chanteur défunt. — A propos de la mort de
Gayarre, la Correspondencia de Espana annonce qu'en apprenant cette nou-
velle son camarade Stagno a adressé à notre confrère Pena y Guni la
dépêche suivante : « La mort de Gayarre est un deuil pour l'art. Je vous
prie de vous faire, auprès de la famille, l'interprète de ma profonde dou-
leur devait un si grand malheur. » En même temps, Stagno télégraphiait
à un autre de ses amis pour le charger de déposer sur la tombe de Gayarre
une couronne avec cette inscription : Au plus éminent de mes compagnons,
offre affectueuse et dernier hommage de Roberto Stagno.
— Les conseils municipaux d'Italie se livrent parfois à des comptes
fantastiques. Celui de Campobasso a voté récemment une somme de
5,297 fr. quatre-vingt quinze centimes pour réparations à effectuer au théâ-
tre de la ville. Ces 95 centimes rendent rêveur ! Il prouvent toutefois que
le conseil communal de Campobasso est économe des deniers publics.
Tant d'autres auraient carrément volé 5,298 francs!
— Le compositeur Carlos Gomes, qui était allé faire représenter à Rio-
Janeiro un opéra nouveau, lo Schiavo, dont nous avons enregistré le vif
succès, est de retour du Brésil et vient de rentrer à Milan. Il a écrit là-
bas, parait-il, un autre ouvrage : il Cavaliero bizzaro, et il s'occupe, en ce
moment, d'en terminer un troisième, la Sirena. On ne dira pas de celui-
là qu'il perd son temps.
— L'Opéra royal de Berlin remonte entièrement à neuf le Tannhâuser
de Richard Wagner, dont la reprise aura lieu le 27 janvier, à l'occasion
de l'anniversaire de la naissance de l'empereur d'Allemagne. Ce n'est pas
là ce qui nous intéresse ; mais ce qui est assez singulier, c'est que pour
cette reprise... solennelle, on règle la mise en scène d'après celle qui
fut établie à notre Opéra, lors des représentations de l'ouvrage à Paris.
C'est M. Sylva qui est chargé du rôle principal.
— Un procès assez singulier vient d'être jugé à Vienne. Il s'agissait
d'une danseuse de l'Opéra de cette ville, Mlle Doré, congédiée récemment
pour défaut... de jeunesse et de beauté, et qui pour ce fait intentait une
action contre la caisse des retraites de ce théâtre, lui réclamant une pen-
sion pour incapacité de travail. La Caisse répondait que la demanderesse
n'élait pas incapable de travailler, mais ne se trouvait plus dans les con-
ditions requises pour danser à l'Opéra. Les experts désignés ont déclaré
que la femme qui s'est présentée devant eux était, par suite de son défaut
de jeunesse et de grâce, absolument incapable de reprendre son service
non seulement comme sujet, mais encore comme simple danseuse et môme
comme figurante. Il lui manque, d'après eux, tout ce qui est nécessaire
dans sa profession : la jeunesse, la grâce, la beauté. Cette appréciation,
cruelle pour la vanité de l'artiste, lui a fait tout au moins gagner son
procès.
— De l'Éventail, de Bruxelles : « Le théâtre municipal de Hambourg
vient de représenter, avec un réel succès, Patrie, de Paladilhe. Les cri-
tiques s'accordent à dire beaucoup de bien de cet ouvrage lyrique, qui.
« sans être l'œuvre d'un maître, ni briller par l'originalité, est une parti-
tion pleine de mérites, d'un épigone rempli de talent et possédant un
grand sens artistique. » Le rôle de Dolorès a valu un énorme succès à la
forte chanteuse Klafsky. Une des particularités de l'interprétation, c'est
qu'on a complètement supprimé le personnage de la Trémoille, ce qui n'a
pas précisément rendu l'action de Patrie très claire, bien au contraire. Ce
n'est pas tout; on a amputé la partition du cinquième acte tout entier et
c'est au quatrième que Karloo poignarde Dolorès, sans que l'on apprenne
comment il a su qu'elle avait été la dénonciatrice des conjurés. On Yoit
que les théâtres allemands ne se gênent pas plus que les autres pour pra-
tiquer des coupures, et quelles coupures ! et qu'on est bien mal venu de
vanter la « piété » avec laquelle ils suivent toutes les intentions des com-
positeurs. »
— M. Angelo Neumann, directeur du théâtre de Prague, vient de don-
ner pour la première fois, en Allemagne et en Autriche, le Ruy filas de
Victor Hugo, avec la musique de Mendelssohn. Ray Blas a été traduit
plusieurs fois en allemand, mais la censure n'en avait pas autorisé la
représentation jusqu'ici. Le succès a été considérable. Mendelssohn a
écrit pour ce drame une ouverture qui est bien connue, et la mélodie
d'une chanson.
— On vient de donner au théâtre Josephstadt, de Vienne, une nouvelle
opérette en quatre actes : le Cocher viennois, paroles de M. J. Wimnrer. mu-
sique de M. Julius Stem, qui n'a obtenu aucun succès.
LE MENESTREL
23
— Une des plus anciennes associations musicales de l'Europe, la So-
ciété philharmonique de Budapest, a célébré le 8 janvier, avec son cen-
tième concert, la cinquantième année de son existence.
— On ne plaisante pas, en Allemagne, avec les droits de la critique.
Le directeur du théâtre de Hambourg, M. Pollini, rendu furieux par un
article d'un journaliste de cette ville, avait trouvé bon de lui refuser tout
net l'entrée de son théâtre; mais ce dernier ne l'entendait pas ainsi, et
trouva bon, de son coté, d'intenter un procès au trop irascible entrepre-
neur. Or, le tribunal a décidé que l'exclusion d'une personne d'un théâtre
public est un fait arbitraire et illégal; en conséquence, le directeur a été
condamné non seulement à des dommages-intérêts pour son refus d'ad-
mission, mais éventuellement à payer une somme de 300 marks au jour-
naliste pour chaque refus subséquent.
— Antoine Rubinstein vient de faire connaître son intention d'aban-
donner au profit du Conservatoire de Saint-Pétersbourg, et de la succur-
sale à Saint-Pétersbourg de la Société impériale russe de musique, toutes les
sommes d'argent qui lui ont été offertes à l'occasion de son jubilé.
— Une dépèche de Saint-Pétersbourg annonce que le nouveau ballet de
Tschaikovski, la Belle au Bois dormant, a obtenu un magnifique succès à
l'Opéra. La musique du troisième et du cinquième acte est spécialement
remarquable. L'empereur et l'impératrice avaient assisté à la répétition
générale. Les grands-ducs Serge et George et l'élite de la société péters-
bourgeoise étaient présents à la première représentation. La première
danseuse, Mme Brianza, et le maître de ballet Petitpas ont été acclamés.
On s'accorde à dire que ce ballet est le grand événement musical de la
saison.
— A propos de la reprise du r aisseau-Fantôme, de Wagner, qui va avoir
lieu à la Monnaie de Bruxelles, l'Éventail, de cette ville, en rappelant le
four obtenu par cet ouvrage, il y a quelque dix ans, rapporte à son sujet
certains détails amusants : — « La direction Vachot, dit-il, avait fait exé-
cuter par M. Daran le décor de la mer, et c'est le chef machiniste Hack
qui construisit les deux navires qui évoluaient en scène au premier acte.
Ces deux navires furent montés complètement à l'atelier. Quand il s'agit
de les transporter au théâtre, on les divisa chacun en deux parties, mais
l'on constata, quand ils arrivèrent à la Monnaie, que la porte d'entrée des
décors était trop étroite pour permettre le passage de cette flottille. Elle
resta en détresse rue des Princes, jusqu'à ce qu'on eût résolu de démolir
le plafond du foyer des musiciens, situé au rez-de-chaussée du théâtre,
sous la scène. On introduisit les parties de navires par les fenêtres du
foyer, d'où elles furent hissées jusque dans les coulisses. Pendant toute
la durée des représentations du Vaisseau-Fantôme, il fut impossible de jouer
à la Monnaie des pièces à spectacle, le fond et le côté jardin du théâtre
servant de garage aux navires tout gréés. Comme l'oeuvre était mal ac-
cueillie, on s'empressa de faire rentrer au magasin ces encombrants vais-
seaux, qui n'ont plus repris la mer depuis lors. »
— Les journaux néerlandais nous apportent la nouvelle d'un fait assez
rare, la première représentation, au théâtre de Rotterdam, d'un opéra
inédit écrit sur le sujet et sous le titre de Norma. Le compositeur de cet
ouvrage est M. J. Rijken. La critique s'étonne un peu de la témérité d'un
artiste qui ne craint pas de s'attaquer à un tel sujet, rendu fameux par
le génie tendre et sympathique de Bellini, niais elle constate le succès
et la valeur de l'œuvre, à laquelle, parait-il, le public a fait un excellent
accueil.
— Ce n'est point M. W.-J. Gilbert, le collaborateur de M. Arthnr Sul-
livan, l'auteur de l'inafore et du Miliado, qui est mort la semaine dernière
à Londres, mais bien son père. M. W.-J. Gilbert fait en ce moment un
grand voyage dans les Indes.
— On assure que les vingt et une représentations données à l'audito-
rium de Chicago par la compagnie Abbey et Grau, dont l'étoile est
M1"0 Adelina Patti, ont produit une recette totale de 232.933 dollars, soit
1,164,773 francs, ou 33,463 fr. 47 en moyenne par soirée. C'est assurément
un joli résultat. Reste à savoir quelles seront les suites de la campagne
dans des théâtres qui n'offriront pas, comme l'auditorium de Chicago, un
ensemble de 8,000 places aux entrepreneurs.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Il est peut-être intéressant de connaitre les recettes réalisées dans
nos deux théâtres lyriques, du 16 décembre au 10 janvier. Puisqu'un
hasard heureux met ce renseignement entre nos mains, reproduisons-le
ici sans commentaire. Voici les recettes de l'Opéra :
Itl Décembre. — Faust Fr. 11.894 'il
18 — Les Huguenots 11.755 20
20 — Hamlet 13.175 91
23 — liigoletto, ta Tempête 11.786 91
25 — Faust 12.898 26
27 La Tempête, Lucie 15.831 91
30 — Roméo et Juliette 14.019 91
1" Janvier. — La Tempête, Lucie H. 759 76
2 — Les Huguenots 7.102 s
3 — La Tempête, Lucie 13.431 41
4 — isamedit Romeo 4.695 »
H —, L'Africaine 12.829 41
8 — Coppélia, Lucie 12 808 70
lo — A'iaa 14.778 'il
Voici à présent les recettes de l'Opérn-Comique :
16 Décembre.— Mireille 4.101 50
17 — Fra Diavolo 1.603 »
18 — Mireille 4.833 »
19 — Le Barbier de Séuille 2.148 »
20 — Le Pré aux Clercs •. . . 1.570 50
21 — La Dame blanche 3.442 50
22 — (matinée) Les Dragons de Villars. 2.837 50
22 — (soir) La Traviala 2.834 »
23 — Mireille 4.389 »
24 — Esclarmonde 3.057 »
25 — (matinée) Le Paslillon.de Lonju>ncau. 3.844 »
25 — (soir) Carmen 4.292 50
26 — Mireille 4.607 »
27 — Esclarmonde 2.579 »
28 — Mireille 6.673 50
29 — (matinée) Le Barbier de Séville . . Z.llb »
29 — (soir) Esclarmonde 3.680 »
30 — Les Dragons de Villars 2.443 a
31 — Mireille 5.6J7 50
. 1" Janvier. — Le Barbier de Séville 3.945 »
2 — (matinée) Carmen 3.296 50
2 — (soir) Esclarmonde 3.^29 »
3 — Mireille 6.884 »
4 — (matinée) Le Barbier de Séville. . 2.779 »
4 — (soir) Esclarmonde 5.029 50
5 — (matinée) Mignon 7.575 50
5 — (soir) Carmen 4.187 50
6 — La Traviala 1.827 50
7 — Mireille 5.012 50
8 — Le Barbier de Séville 2.923 »
9 — Mireille 5.835 50
10 — Esclarmonde 2.460 50
A chacun de tirer de ces petits tableaux les déductions qu'il lui con-
viendra, en remarquant que les recettes de la première semaine de jan-
vier sont d'ordinaire les plus fortes de l'année, à cause des congés du
jour de l'an. Notons encore que ces recettes sont celles données à l'As-
sistance publique et qu'elles diffèrent toujours un peu de celles données
à la Société des auteurs, par suite sans doute des « billets d'auteurs ».
— La « dernière » de MM. Ritt et Gailhard. Troisième avatar. Nous
avons vu d'abord les éminents directeurs appeler dans la rue des passants
inoffensifs pour remplacer leurs ténors indisposés (cas du ténor Devilliers);
e nsuile ils s'en sont pris aux spectateurs eux-mêmes (cas du ténor Engel).
Les voici maintenant qui violent le domicile des simples particuliers
pour y trouver des artistes à leur convenance. Voici à ce propos ce
que raconte le Gil Bios :
Figurez-vous de braves gens à table. La chère est bonne, les vins exquis. La
maîtresse de la maison est une personne charmante, et son mari n'est pas moins
aimable. Ils traitent ce soir-là douze invités. On est entre soi, causant, mangeant,
souriant, buvant. On en est au rôti.
Drelin! drelin ! ! drelinll! Qui diable arrive à cette heure? Le bruit des four-
chettes s'arrête. Une porte s'ouvre. Colleuille ! Il a son air de chien battu des
grands jours, son sourire mystérieux et ses pauvres yeux vagues, un peu affolés.
II vient, au nom de MM. Ritt et Gailhard, supplier M"" Raunay-Dumény de sau-
ver l'Académie nationale de musique. Le bon Colleuille attendait. Tout était
perdu, M"° Vidal était malade. On ne pouvait jouer, Aida était affichée. Seule,
M"' Raunay-Dumény tenait le sort de l'Opéra dans ses mains.
Les douze convives ne pipaient mot. Madame regardait monsieur, qui regardait
madame, et Colleuille s'hypnotisait à l'éclat de la suspension avec dans tout le
corps de petits frétillements d'inquiétude. Enfin, la discussion s'engagea, on finit
par rire, et l'on s'en fut eu bande à l'Opéra, comme on va à la foire au pain d'épice.
Cela ressemblait à un mariage, car les douze invités suivaient; ils pénétrèrent
dans les coulisses, ils s'en furent sur la scène, dans les loges, au foyer des dan-
seuses; on se heurtait à eux darjs l'ombre; on ne voyait partout que les douze
invités de M""Dumcny. Celle-ci cependant se taillait un gros, gros succès dans
un rôle qu'elle venait chanter là sins une répétition, sans même un raccord.
Drôle de soirée, tout de même, pour des bons bourgeois en train de dîner bien
tranquillement.
Le journal la Justice, qui raconte la même histoire, conclut ainsi, après
avoir constaté que les rôles n'étaient pas sus « en triple » à l'Opéra,
ainsi que l'exige le cahier des charges : « Ceci ne se passait pas au Grand-
Théâtre de Pontarlier, mais à l'Académie nationale de musique. »
— Notre confrère l'Art musical commence son dernier numéro par cette
virulente apostrophe : «L'année 1890 a commencé par une œuvre de jus-
tice, par un effort de toute la presse pour appeler la sévérité du ministre
des Beaux-Arts sur les procédés au moins étranges des directeurs de
l'Opéra. La suspension des répétitions de Zaïre, de M. Véronge de la Nux,
a suffi pour soulever contre MM. Ritt et Gailhard un toile général, au point
que tous les matins, sur quarante journaux paraissant à Paris, trente-cinq
au moins demandent, soit clairement, soit implicitement, la révocation
de ces fonctionnaires. Il y a une question de l'Opéra, grâce à la presse.
Toute question appelle une solution, et M. le ministre des Beaux-Arts ne
peut tarder à nous accorJer celle dictée par la justice et la raison. » Sui-
ventdiïs détails intéressants et inédits sur les agissements de MM. Ritt et'
Gailhard envers M. Véronge de la Nux. Puis, l'auteur conclut ainsi son
article... « D'après le rapprochement de ces faits relatés en partie par
toute la presse; il évident que MM. Ritt et Gailhard, après avoir mis /.aire
M
LE MENESTREL
en répétitions, n'ont arrêté ces répétitions que sur le refus de M. de la
Nux d'accepter par signature une responsabilité les dégageant devant le
ministre, la Société des auteurs et l'opinion publique. La situation est
extrêmement grave, se compliquant d'une question de droit et d'une ques-
tion de moralité. Des intérêts sont enjeu, des personnalités compromises.
Le ministre est appelé à se prononcer. Qu'il prescrive une enquête, s'il
est nécessaire, et donne enfin satisfaction aux légitimes désirs exprimés
si unanimement par tous les gens de cœur et d'honneur. »
— L'Académie des beaux-arts a choisi le poème de la cantate du pro-
chain concours Rossini; elle a pour titre Isis et pour auteurs MM. Adenis
frères. Les compositeurs de musique trouveront ce poème au secrétariat
de l'Institut à partir de fin janvier. Les concurrents auront jusqu'au
31 décembre 1890 pour déposer leur partition. On sait que le prix est de
3,000 francs.
— Le Journal officiel a publié une nouvelle liste de distinctions honori-
fiques accordées à l'occasion du 1er Janvier, parmi lesquels nous relevons
les suivantes. Sont nommés officiers de l'Instruction publique : M"e Pa-
rent, directrice de l'école préparatoire au professorat du piano ; MM. Ad.
Rivet, professeur au Conservatoire de Toulouse ; Edmond Lemaigre, com-
positeur; Francis Bettes, fondateur et directeur de la Société chorale
d'Oloron. — Sont nommés officiers d'Académie : Mmes Archainbaud, Co-
lonne, Mitelet-Pouilley, professeurs de chant ; Ïhénard-Masson de Puits-
Neuf, professeur de diction ; MM. de Bernardi, Lucien Durand, Pierre
Germain, Alfred Josset, compositeurs ; Broche, professeur de musique ;
Goberl, directeur du Conservatoire Sainte-Cécile, de Bordeaux ; Mazingue,
professeur de musique au Lycée de Lille ; Puisais, id. à l'École normale
de Poitiers; Servel, id. aux écoles normales de Montpellier ; Dieudonné,
id. à Orléans; Dumas, premier violon à l'Opéra; Suzanne, chef de musique
au 89e de ligne; Blémant, sous-chef de musique au 4e régiment du génie ;
Pégot, directeur de la Société musicale du XIX0 arrondissement; Rosoor,
chef de la société chorale orphéoniqueCricks-Sicks, de Tourcoing ; Sinoquet,
chef de la Fanfare d'Allery (Somme) ; Chastanet, administrateur du Théâ-
tre-Libre ; H. d'Albert, directeur du Théâtre municipal d'Amiens; Izouard,
critique dramatique ; Mme Olympie Granier, ancienne artiste lyrique. —
Sont nommés officiers d'Académie les artistes étrangers dont les noms
suivent et qui ont pris part à l'Exposition universelle de 1889 : MM. Otto
Andersen, président des sociétés chorales de Christiania (Norvège) ; Grœn-
dahl, directeur du Choral des étudiants de Christiania ; Slaviansky d'A-
gi eneff, directeur de la Chapelle nationale russe ; Pascual Veiga, directeur
de l'Orphéon Corunes (Espagne); Cleto Zabala, directeur de l'Orphéon de
Bilbao (idem); Mariano Armeo, président de la Société chorale de Saint-
Sébastien (idem).
— Demain lundi, au théâtre de la Gaîté, premièro représentation du
Voyage île Suzelte, et prochainement aux Bouffes-Parisiens celle de Cen-
drillonnette, pièce nouvelle de M. Paul Ferrier, avec musique de MM. Gas-
ton Serpette et Victor Roger.
— Nous rendons compte plus haut de la première représentation d'Hilda,
-qui a eu lieu cette semaine à l'Opéra-Comique. Deux jours auparavant,
le même compositeur donnait aux Bouffes-Parisiens un autre petit acte,
dont le livret lui avait été confié par MM. Charles Narrey et Michel Carré
fils, et qui a pour titre Friquette et Blaisot. Un accapareur, ce M. Albert
Millet !
— D'après nos grands confrères, nous avions compris le Grand-Théâtre
de Bordeaux au nombre de ceux qui avaient dû fermer provisoirement
leurs portes, sous les atteintes de la fâcheuse in/luenza. Nous apprenons
qu'il n'en est rien: trente représentations ont été données à ce théâtre
pendant le mois de décembre, et depuis le 1er janvier les spectacles n'ont
pas cessé de suivre leur cours régulier.
— Une très intéressante audition des élèves du cours supérieur, que
fait, à l'Institut musical de M. et Mmo Comettant, notre maître éminent
Marmontel, a eu lieu jeudi dernier, salle Pleyel. Dans le joli bataillon de
jeunes filles qui se sont fait entendre, il en est bien une quinzaine que
nous pourrions citer, qui sont déjà de véritables artistes. Et comment ne
pas nommer MUcB Sicard, Paraf, Tanguy, Heimann, Gabrielle et Lucie
Frantz, Meyer, Mathias, Marguerite Le Sidaner, de Bilcesco, Popovitz,
Marguerite Lucien, Duquesnoy, Gafé, Tencey. J'en passe, qui mériteraient
les honneurs de la citation. Nous avons, avec tout l'auditoire, applaudi à
cette séance le violoncelliste Casella, dans de fort jolies compositions de
M.Thomé. La partie vocale étai t représentée par M"0 Jeanne Lyon, professeur
à l'Institut musical, qui a chanté d'une voix pénétrante, conduite avec un
ail parfait, Dam la Font, de Schumann, et la délicieuse mélodie de M. Théo-
dore Dubois, Matin d'avril. Belle soirée en somme pour VInstitut musical.
— Au programme de la troisième séance de musique de chambre don-
née par M. Lefort, se trouvait le 3° quatuor de Schumann, le trio en sol
de M. Godard, brillamment interprété par MM. I. Philipp, Lefort et C.
Casella, et la belle sonate en ut mineur de M. Saint-Saëns, jouée avec
une fineose, un sentiment et une précision extrêmement remarquables
par MM. Philipp et Casella. M"« Lépine a dit d'une façon charmante l'air
du printemps de Rodelinda et une jolie mélodie de M. Ch. Lefebvre,
— M. Ed. Nadaud, le violoniste bien connu, annonce la réouverture de
ses intéressantes séances de musique de chambre. Depuis la fondation de
cette société, un nombre considérable d'ceuvres inédites de compositeurs
français ont été interprétées. Au programme de la première séance, qui a
lieu mardi prochain, salle Pleyel, . première audition d'un quatuor de
M. Pfeiffer et d'un sextuor de M. Alary.
— M. Joseph "Wieniawski donnera salle Érard, le 25 février et le S
mars, deux séances de piano. La première, par invitations, sera consacrée
à l'audition de ses œuvres, notamment à ses vingt-quatre études; le pro-
gramme de la deuxième — un concert public — contiendra des composi-
tions de Bach, Hœndel, Beethoven, Mendelssohn, Schubert, Schumann,
Field, Graun, Raff, Saint-Saëns, Chopin, Liszt, etc.
— M. A. Decq, organiste de Saint-Honoré, donnera le mardi 21 janvier,
salle Erard, un grand concert dans lequel il fera entendre quelques-unes
de ses nouvelles compositions.
NÉCROLOGIE
Baltasar Saldoni.
Le patriarche de la musique espagnole, le vénérable Baltasar Saldoni,
qui était à la fois un compositeur remarquable, un organiste habile, un
excellent professeur et un écrivain musical fort distingué, est mort ré-
cemment à Barcelone, où il était né le 4 janvier 1807. Cet artiste vérita-
blement exceptionnel, dont l'éducation avait été aussi solide qu'étendue,
se distingua, on peut le dire, dans toutes les branches de l'art, et fit preuve
dans toutes d'un talent élevé, d'une rare initiative et d'une singulière
fécondité. Comme compositeur, il se fit vivement et souvent applaudir ;
comme professeur, il forma de nombreux et excellents élèves; comme
historien de l'art de son pays, il rendit de signalés services, que ses com-
patriotes, toujours indolents sous ce rapport, n'ont pas su apprécier à leur
juste valeur. Il n'en était pas moins admiré et estimé dans son pays
comme il méritait de l'être; et sa qualité de président de la section de
musique de l'Académie des Beaux-Arts, prouve tout le cas qu'on faisait
de sa personnalité artistique. On ne saurait, dans une simple notice né-
crologique, donner même un aperçu de l'existence exti'aordinairement
laborieuse d'un homme aussi bien doué ; il faut se borner à une sèche
énumération de quelques-uns de ses ouvrages et de ses travaux les plus
importants ; comme auteur dramatique, Saldoni a écrit : Saladino e Clo-
Ulde, [permettra, Clconice regina di Siria, Guzman il buono, opéras italiens;
Boabdil, ullimo Rey moro de Grenada, opéra espagnol; el Trionfo del amor,
el Rey e la Coslurera, la Carte de Monaco, las Maridos en las Mascaras,
zarzuelas. Comme compositeur religieux, on lui doit : deux Messes
de Gloria, avec orchestre, deux Stabat Mater, un Miserere, un Salve Regina,
un grand nombre d'hymnes, motets, cantiques à une, deux, trois, quatre,
six voix et plus, avec orchestre, ou orgue, ou piano ; quatorze fugues
et plus de deux cents versets pour orgue. Il a écrit aussi deux grandes
cantates, quatorze morceaux de genre pour orchestre, d~es marches, des
chœurs, des morceaux à une ou plusieurs voix avec orchestre, quarante
morceaux de chant avec piano, enfin des pièces pour musique militaire,
une trentaine de morceaux de piano, des chansons andalouses, un Recueil
de vingt-quatre vocalises et une Méthode de solfège el de chant, adoptée dans
les classes du Conservatoire de Madrid. Comme écrivain musical, Saldoni
a donné un très intéressant et très excellent résumé historique de la célè-
bre école de musique du monastère de Montserrat, dont il fut l'élève, et il
est le premier qui se soit occupé de l'histoire des musiciens espagnols,
en publiant un ouvrage en quatre volumes intitulé: Diccionario biogra/ico-
bibliogra/ico de efemcrides de musicos espaholes, le seul où l'on puisse trouver
des renseignements exacts et précis sur les artistes de son pays. Il a laissé,
parait-il, en manuscrit, un cinquième volume formant le complément his-
torique et rectificatif de cet ouvrage, dont on annonce la publication pro-
chaine. Baltasar Saldoni a véritablement fait honneur à l'an et à son pays,
et l'hommage éclatant qui lui a été rendu par ses compatriotes à l'occasion
de ses funérailles n'avait rien de surprenant ni d'excessif.
Arthur Pouoin.
— Le 13 décembre est morte, à Detmold, M1™ Charlotte Moschelès, veuve
du fameux pianiste Ignace Moschelès, mort lui-même en 1870, à l'âge de
soixante-seize ans. Elle était la mère du peintre Félix Moschelès. Elle
avait publié, en 1872 el 1873, chez les éditeurs Dancker et Humblot, un
ouvrage en deux volumes, donné sous ce titre : Vie de Moschelès, d'après ses
lettres et son journal, publié par sa veuve.
— A Sinigaglia est mort le chantear Pietro Mattioli-Alessandrini,
pour qui le compositeur Carlo Pedrotti écrivit naguère le rôle de basse
de son joli opéra Guerra in quatlro. Il se produisit lui-même comme com-
positeur de musique bouffe et écrivit deux ouvrages de ce genre : la
Morte di Sofonisba et il Sognaccio.
Henri Heucel. directeur-getant
Dimanche 26 Janvier 1890.
3067 - 56™ ANNEE - N° l PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (46° article), Albert Soubies et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale : Les débuts du ténor Affre, à l'Opéra ; le
Voyage de Sujette, à la Gaîté, Cendrillonnette, aux Bouffes-Parisiens, H. Moreno;
première représentation de Margot, à la Comédie-Française, Paul-Emile Chevalier.
— III. Le courrier de M. Gailnard. — IV. Le théâtre à l'Exposition (14" article),
Arthur Poogin. — V. Revue des Grands Conceits. — VI. Nouvelles diverses.
— VII. Nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour:
LA CHANSON DES BOIS
mélodie d'après Chopin par I. Philipp, paroles de Jules Ruelle. — Suivra
immédiatement : Ritournelle, nouvelle mélodie de Francis Tiio.mé, poésie
de François Coppée.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano: Causerie d'oiseaux, nouvelle polka de Philippe Fahrbach. —
Suivra immédiatement : Gigue, par André Wor.mser.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Allbert SOUBIES et Charles MALHERBE
CHAPITRE XIII
meyerbeer a l'opéra-comique
l'étoile du nord
1853-1855
(Suite.)
Si l'on voulait écrire une histoire complète de l'Étoile du
Nord, il faudrait remonter au 7 décembre 1844. Ce jour-là
on inaugurait à Berlin le nouveau Théâtre Royal, construit
pour remplacer l'ancien qu'un incendie avait détruit, comme
celui même dont nous racontons ici l'histoire. A cette occa-
sion, Meyerbeer avait composé un opéra en trois actes inti-
tulé le Camp deSilésie; puisse une œuvre semblable venir au
monde à l'heure, hélas, indéfiniment retardée, où la troisième
salle Favart renaîtra de ses cendres! Le succès fut tel qu'on
joua bientôt l'ouvrage à Vienne sous le titre de Vielka, et
qu'il fut question de le monter à Paris. Nous avons raconté
comment, en 1845, la commission des auteurs avait protesté,
déniant à l'Opéra-Comique le droit de représenter les tra-
ductions. Scribe et Meyerbeer n'étaient pas gens à s'embar-
rasser pour si peu ; ils devaient trouver le moyen de tourner
la difficulté. Scribe écrivit sur la musique, ou à peu près,
un poème nouveau ; et Meyerbeer refit un nombre de mor-
ceaux assez grand pour donner à l'ensemble le caractère de
la nouveauté : ainsi les apparences étaient sauvées.
Mais ce tour de passe-passe agitait encore l'opinion en 1853
comme en 1845, et c'est sans doute pour répondre à ces con-
troverses de presse que la Revue et Gazette musicale publiait les
lignes suivantes : « L'ouvrage dont il est question n'est nul-
lement le Camp de Silésie : c'est une oeuvre complètement
neuve, poème et musique. Seulement, dans le premier tableau
du second acte, on a intercalé quelques morceaux inédits du
Camp de Silésie. Mais le premier et le troisième acte, ainsi que
le deuxième tableau du second acte ne contiennent que de
la musique entièrement nouvelle. » Et c'est le journal de
Brandus, éditeur de Meyerbeer, qui avait parlé ainsi ! Certes,
le livret n'avait de vieux que son intrigue, s'il est vrai que
Scribe l'ait empruntée à une certaine Henriette de M"e Rau-
court, jouée à la Comédie-Française, le 1er mars 1782; n'a- i _i
vait-il pas déjà pris le sujet de la Favorite dans le Comte deCom-
minges, dont l'auteur était contemporain de MUe Raucourt !
mais pour Meyerbeer, point de doute possible. L'Etoile du
Nord renfermait un certain nombre de morceaux du Camp de
Silésie, par exemple, au premier acte, la ronde bohémienne :
« Il sonne et résonne » ; au second acte, l'introduction et la
plus grande partie du célèbre finale ; au troisième acte, le
trio de la voix et des flûtes. A défaut de ces indications pré-
cises, un fait suffirait seul à démontrer la situation délicate
dans laquelle se trouvait l'éditeur et l'inanité de ses appré-
ciations : c'est que du jour où se leva l'Étoile du Nord, on
n'entendit plus parler du Camp de Silésie; nous ne savons s'il
en fit détruire les planches pour rendre toute comparaison
impossible, mais jamais plus un exemplaire ne s'en est tiré ;
nos bibliothèques ne le possèdent pas, et vainement aujour-
d'hui les curieux tenteraient de se le procurer.
Quant à l'Étoile du Nord, qui, détail amusant, avait failli
s'appeler l'Étoile polaire et avait même été annoncée un instant
sous ce titre plus froid que brillant, elle obtint un succès
immédiat, complet et retentissant. Tous les interprètes étaient
de premier ordre, et les plus petits rôles avaient trouvé en
de grands artistes des interprètes remarquables et dévoués ;
il suffit de rappeler Battaille, Mocker, Jourdan, He.rmacn-
Léon ; Mlles Caroline Duprez, Lefebvre, Lemercier etDecroix;
l'orchestre et les chœurs avaient remarquablement fonctionné
sous la direction énergique de Tilmant ; enfin, la mise en
scène et la décoration faisaient vraiment honneur à l'intelli-
gence artistique du directeur. Aussi, l'empressement du
public fut-il extraordinaire .^«Une indisposition de M1,e Duprez
mit huit jours d'intervalle entre la deuxième et la troisième
représentation ; mais depuis ce moment jusqu'au 28 juillet,
où la pièce atteignit sa soixante-quatrième représentation,
l'Étoile du Nord fut jouée régulièrement trois fois par semaine,
26
LE MENESTREL
et même quatre par exception. Le 16 octobre, après une in-
terruption causée par le congé annuel de Battaille, une se-
conde série recommença, non moins brillante que l'autre,
de sorte que la centième fut atteinte le 14 février 1S55, un an
moins deux jours après la première. Les vingt-cinq premières
représentations avaient produit 153,000 francs, soit une
moyenne de 6,200 francs par soirée ; sur cette somme, les
auteurs avaient perçu 21,700 francs et les pauvres 14,090 fr.
90 c. Dans la première année et la suivante, c'est à peine si
les interprètes de la création se firent remplacer ; ils tenaient
à leurs rôles, et si quelque indisposition les forçait à y re-
noncer quelques jours, ils se bâtaient de les reprendre. Ainsi
entrevit-on, dans le rôle de Catberine, après Mlle C. Duprez,
Mme Ugalde, dans celui de Prascovia, après Mlle Lefebvre,
M"es Rey et Boulart; dans celui d'une des deux vivandières,
après Mlle Lemercier, Mlle Revilly ; dans celui de Pierre le
Grand, après Battaille, Faure, qui s'y montra de tous points
remarquable ; dans celui de Danilowitz, après Mocker, Pon-
chard ; dans celui de Gritzenko, après Hermann-Léon, Nathan
et Carvalho.
De Paris, l'ouvrage ne tarda pas à prendre son essor en
Europe. Les premières villes qui le montèrent furent, à l'é-
tranger : Stuttgart (28 novembre) avec Mm0 Marlow dans le
principal rôle, Copenhague et Bruxelles, avec Barielle et
Mue Anna Lemaire; en province, Toulouse avec Balanqué et
Mme Hébert-Massy, Lyon, avec Belval et Mme Barbot, Marseille,
avec Melchissédec et Mme Laborde. Dès la première année
théâtrale, 1854-85, on signalait l'Étoile du Nord un peu par-
tout : Lyon, -Strasbourg, Lille, Nantes, Metz, Rennes, Gre-
noble, Marseille, Bordeaux, Nimes, Nancy, Valenciennes, Li-
moges, Avignon, Amsterdam, Utrecht, Gand, Londres, Dresde,
Bruxelles, Nouvelle-Orléans, Cologne, Darmstaclt, Munich,
Hambourg, Cassel, Leipzig, Brunswick, Hanovre, Brème,
Wiesbaden, Erfurt, Mayence, Vienne et plus de trente-cinq
villes! et partout le public s'y portait en foule et témoignait
d'un indéniable engouement. De bonne heure aussi la popu-
larité s'en était emparée ; moins d'un mois après la première
représentation, on signalait déjà l'Étoile du Nord comme
enseigne à un hôtel meublé situé sur l'un des quais de
Paris, et à un grand magasin de nouveautés du Faubourg-
Montmartre. Il lui fallait aussi la consécration d'une parodie,
et elle l'eut, en effet, le 31 mars, aux Délassements-Comiques,
avec une plaisante bouffonnerie ainsi dénommée. : les Toiles
du Nord, par MM. Guénée, A. Monnier, et A. Flan, musique
de Meyerbeer, Auber, Donizetti, etc., mise en désordre (sic),
par M. Kriesel. La pièce, où le- noble czar était devenu un
vulgaire industriel débitant les produits de sa manufacture,
était précédée d'un prologue, bon à rappeler, car il témoigne
du respect des auteurs et combien ils s'inclinaient devant le
génie du musicien, s'excusant :
Pauvres pygmées
De menacer le trône du géant.
O Meyerbeer, ajoutaient-ils,
En contemplant ton étoile argentée,
Pour composer ce chef-d'œuvre immortel,
Tout Paris croit que, nouveau Prométhée,
Ta main osa ravir le feu du ciel.
Somme toute, ils n'en voulaient qu'au poème :
.... Est-ce donc un grand crime
D'en rire un peu? car tel est notre but.
C'est le serpent qui veut mordre la lime,
C'est l'écolier corrigeant l'Institut.
Et finement ils terminaient ainsi :
Enfin, messieurs, malgré toute manœuvre,
Rappelez-vous, qu'en aiguisant ses traits,
La parodie est fille du chef-d'œuvre :
Faites-en donc la fille du succès!
Ils avaient raison, ces spirituels auteurs, de prononcer le
mot de chef-d'œuvre et de s'incliner devant le génie. Certes,
il est de mode aujourd'hui de décrier dans certains cercles
musicaux, un peu en France et beaucoup en Allemagne,
celui dont le nom était synonyme de succès, l'auteur de tant
d'ouvrages restés debout malgré les caprices de la mode,
l'innovation des théories et le dédain du passé. Déjà même
autrefois cette opposition trouvait des avocats, et l'on ne
saurait oublier l'étrange oraison funèbre prononcée par Beulè
en 1865, sous la coupole de l'Institut: « Il n'a eu ni la majesté
antique de Gluck, ni la grâce divine de Mozart, ni l'éclat émi-
nentde Rossini,ni même le parfum étrange de Weber.» A dé-
faut de tant de mérites, si tant est qu'il n'eût aucun de ceux-
là, Meyerbeer possédait du moins cette étincelle sacrée qui
tire la vie du néant. Il se peut que sa force fût faite de
volonté; mais par le sens raisonné de sa critique, jointe à
l'excellence de ses dons naturels, par ce mélange incompa-
rable d'inspiration spontanée et de lente réflexion, il arrivait
à l'intensité de l'effet, et savait créer, lorsque tant d'autres
imitent. Que de formules on lui reproche maintenant, dont
la faute retombe sur ses plagiaires! Que de merveilles en son
œuvre qui nous paraissent toutes simples, parce qu'elles sont
tombées depuis dans le domaine universel ! Sévère et dur
pour lui-même, indulgent pour les autres, il songeait encore
à s'instruire, lui qui savait tout ce que l'on peut apprendre.
Par exemple, il assistait à la première représentation des
Porcherons, et comme Grisar venait le remercier de l'honneur
qu'il lui faisait en daignant écouter son œuvre : « Monsieur,
répondit Meyerbeer, je viens prendre des leçons d'opéra-
comique ! » Le mot est piquant ; l'auteur de l'Etoile du Nord,
à laquelle il travaillait alors, était assez fin diplomate pour le
dire sans y croire ; il était aussi assez bon connaisseur pour
y croire en le disant. De fait, il avait profité de l'enseigne-
ment et réduit, pour ce cadre nouveau, la dimension ordinaire
de ses toiles. Mais si humble qu'il eût tâché de se faire, il
était demeuré grand. Aussi ne pouvons-nous, sans quelque
émotion, feuilleter les premières épreuves de cette partition
d'orchestre que le hasard a fait tomber en notre possession.
Toutes ces pages sont là, revues et corrigées par cette main
qui trahit en son écriture la vivacité delà pensée et l'énergie
de la décision. En traçant ces lignes, Meyerbeer ne se doutait
pas qu'il allait, plus que personne, modifier le caractère de
ce théâtre où il donnait sa pièce ; il apportait la force et la
puissance sur une scène où l'on s'était presque toujours con-
tenté jusque-là de grâce et d'esprit; il élargissait ce cadre
un peu étroit; il poussait l'opéra-comique dans la voie de
l'opéra : le temps lui a donné raison.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
LES DÉBUTS DU TÉNOR AFFRE
A L OPERA
MM. Ritt et Gailhard viennent de prendre une terrible revanche de
la presse parisienne, qui les malmenait si fort depuis quelque temps.
Qu'ont-ils fait? Ils l'ont traduite en bloc, pensez-vous, devant les
tribunaux de leur pays. Ah! que non pas! ces faveurs exceptionnelles
sont réservées au Ménestrel. Ils ont trouvé mieux pour les autres;
c'est de les convoquer simplement à une seconde audition de Lucie
de Lammermoor, sous prétexte de les faire assister au début d'un
nouveau ténor, qui chantait le rôle de l'infortuné Edgar.
Toujours stoïque et d'une abnégation sans seconde, la presse a
fait bonne contenance devant l'horrible supplice que l'académique
direction lui infligeait à nouveau, d'autant que les bourreaux ont été
trompés en partie dans leur criminelle attente. Ils pensaient, comme
surcroît de peine, nous faire subir les abominations du début d'un
des derniers fruits du Conservatoire, cet odieux potager qui n'en
produit que d'exécrables, au dire de M. Gailhard. On le croirait vo-
lontiers si l'on songe qu'il en est sorti lui-même; mais on doit être
d'un autre avis si l'on considère que plusieurs des plus précieux
sujets de l'Opéra sortent précisément de cet établissement d'instruc-
tion, qui vient encore d'offrir aux honorables directeurs, en la per-
sonne de M. AfTre, à raison de cinq mille francs par an, un nouveau
LE MENESTREL
27
-ténor qui eu vaudrait bien trente ou quarante mille s'il avait fallu
l'aller chercher ailleurs. Pareille aubaine leur était déjà advenue
avec M. Duc. On ne peut donc voir dans les récriminations cons-
tantes de l'important Gailhard contre le Conservatoire que les mau-
vaises dispositions d'un esprit chagrin et jamais satisfait, si ce n'est
de lui-même.
Donc, M. Affre a réussi. Je ne vous dirai pas qu'il soit détaille à
•effacer déjà la gloire de Duprez, qui fut le premier Edgar connu en
notre pays; mais il a de l'allure en scène, et une vois qui, sans être
puissante, possède cependant suffisamment de timbre pour se faire
■ écouter avec plaisir; voix pure, onctueuse et de bonne pâte, une
vraie voix d'archevêque, comme le nom de l'artiste semblait d'ailleurs
le faire pressentir. Il fera donc bonne figure à l'Opéra, si ses direc-
teurs ne forcent pas ses moyens en les appliquant à des rôles trop
tendus.
Est-il besoin de dire encore les ovations qu'on a décernées, ce
.soir-là, à la triomphante Melba, dont le grand talent est assurément
digne d'une musique moins défraîchie?
LE VOYAGE DE SUZETTE
AU THÉÂTRE DE LA GAITÉ
Ce voyage n'a rien à voir avec ceux qu'entreprend M. Gailhard à
travers l'Europe, quand il est censé y chercher un contralto introu-
vable. Les voyages de M. Gailhard sont burlesques; ceux de Suzette,
imaginés par MM. Chivot et Duru, ne sont que plaisants et gracieux.
En voici l'odyssée en quelques mots :
Blanchard le riche, qui meneaux Indes une véritable vie de pacha,
n'a qu'un regret, c'est de ne pas retrouver la trace de son ami Ver-
duron, qu'il a quitté, il y a bien longtemps, pour courir après les
richesses. Il avait été convenu entre les deux amis qu'ils partage-
raient toujours la bonne comme la mauvaise fortune, et que plus
tard ils uniraient leurs enfants. Blanchard, qui est homme d'honneur,
se désole de ne pouvoir tenir ses engagements: c'est à-dire donner
cent millions à Verduron puisqu'il en possède deux cents, et lui
demander en même temps la main de sa fille Suzette pour son fils
André.
Enfin un des émissaires dont il inonde l'Europe lui annonce qu'il
a découvert Verduron. pauvre maître d'école à Barcelone. Fréter un
navire et envoyer André quérir sa fiancée n'est pour Blanchard que
l'affaire d'un coup de baguette. Mais Suzette se trouve avoir à Barce-
lone un vieil amoureux ridicule, qui convoite sa main et fera tout
pour empêcher l'heureuse issue du voyage. Voilà le cadre de la
pièce, dont nous ne suivrons pas toutes les péripéties. C'est une
succession de tableaux très variés et toujours amusants, un véritable
kaléidoscope qui nous montre tour à tour le port de Barcelone, puis
Athènes avec des aventures de brigands. Smyrne et l'intimité de
ses harems, enfin un véritable cirque avec pantomime anglaise et dé-
filé éblouissant, le tout pour aboutir à la réunion de Blanchard et de
Verduron et au bonheur de leurs enfants.
Ce panorama animé a remporté, fort justement, un gros succès.
11 ne s'y glisse pas une minute pour l'ennui, et la mise en scène
en est toujours curieuse et intéressante. La pantomime anglaise
et son monvement perpétuel sont d'une drôlerie irrésistible, et le
défilé du cirque Blackson à travers les rues de Smyrne est d'un
luxe éblouissant en même temps que d'une originalité qui n'a pas
encore été dépassée.
On a pris la musique à droite et à gauche, puisant çà et là dans
des partitions d'Offenbach, Lecoeq, Hervé, Johann Strauss, Fahrbach,
Lacome, Suppé et autres maîtres de l'opérette, le tout panaché d'un
peu de musique inédite de M. Léon Vasseur.
Et par-dessus tout cela le rôle de Suzette a trouvé pour interprète
une petite divette endiablée tout à fait charmante. Jamais Mme Si-
mon-Girard n'a été plus en verve ni plus en grâce. Elle est extra-
ordinaire de vivacité dans la pantomime anglaise. Avec cela, chanteuse
spirituelle et intelligente. Elle a dû redire presque tous ses couplets
et même trisser la jolie valse de la Reine Indigo (Johann Strauss),
qu'elle chante avec un brio et une adresse extraordinaires.
M1"0 Simon-Girard est d'ailleurs bien entourée. M. Mesmacker a
donné une excellente physionomie au personnage de Verduron, le
vieux maître d'école ; M. Simon-Max est très amusant dans un rôle
de domestique qui vient des Balignolles. Enfin, il. Alexandre soupire
agréablement la romance, un peu trop du bout des lèvres cependant.
Ce n'est plus du chant, cela, mais plutôt le petit susurrement du ruis-
seau qui court h travers la campagne.
Donc, très grand succès. Tout Paris voudra faire avec Mmc Simon-
'Jirard le voyage de Suzetle.
CENDRILLONNETTE
AUX BOUFIF..S-1'AKISII'.NS
Encore une primeur! M. Paul Ferrier a eu l'idée nullement déplai-
sante d'adapter au genre de l'opérette l'histoire de la pauvre Cendrillon,
et, comme il a du talent et de l'esprit, il en a fait un gentil conte
très parisien auquel M"0 Mily-Meyer prèle les grâces de sa mignonne
personne. Zizi, qui n'est qu'une pauvre petite blanchisseuse, est dé-
daignée par sa tante, qui n'a d'yeux et d'oreilles que pour ses deux
autres nièces, artistes quelque part dans un théâtre du boulevard.
Or, il arrive que Zizi, qui a de la chance, fait fortune, tandis que
ses deux sœurs ne font que folies sur folies, si bien qu'à la fin toute
la famille est bien heureuse de trouver Zizi pour pouvoir subsister;
il en est de même d'un garçon coiffeur dont elle raffolait et qui
avait le tort de ne pas s'en douter. Vous voyez, c'est simple comme
un conte d'enfant. Mais il y a des diversions charmantes, telles que
l'interprétation d'une revue au Garden-club et les allées et venues
d'une boutique de coiffeur à la mode.
MM. Gaston Serpette et Victor Roger ont uni leurs efforts pour
écrire sur ce canevas une petite partitionnetle, sans aucune préten-
tion, mais vive et légère, qui va son chemin sans laisser d'ennui.
Tout est donc pour le mieux, et nous souhaitons longue vie el pros-
périté à cette aimable Cendrillonnette, qui compte parmi ses inter-
prètes, indépendamment de MUe Mily-Meyer, M. Dieudonné du Vau-
deville — excusez du peu — M. Piccaluga , un chanteur exquis,
et la belle M"e Gilberte.
H. MORENO.
MARGOT
A LA COMÉDIE-FRANÇAISE
Dix-huit ou dix-neuf ans, gracile, délieate,blonde, avec de grands
yeux étonnés et gentiment malicieux, de la grâce, de l'élégance,
et un aimable sans-façon, telle nous apparaît, au physique, Margot,
née on ne sait où ni comment, élevée à la campagne dans une
cour de ferme et jetée tout à coup par une femme à la mode, qui
veut la lancer, dans le tourbillon de la vie galante. Presque naïve,
bien que n'ayant plus rien à apprendre de la vie réelle qu'elle
connaît parfaitement, intelligente naturellement, ayant appris le
peu qu'elle sait parmi les poules et les canards, et ayant deviné le
monde à la vue seule des paysans qui la soignaient et de l'élégante
qui la venait voir de loin en loin, ainsi la devinons-nous au moral.
Ecœurée dès les premiers pas, elle a tout autant, comme elle le
dit elle-même, de dispositions pour se jeter à l'eau que pour mener
l'existence à laquelle on la destine. C'est à Boisvillette qu'elle fait
cette confidence, Boisvillette, un vieux garçon, joyeux viveur et
bon vivant, qui lance aux quatre vents de sa folie des écus large-
ment et facilement amassés, et qui, surpris du caractère de cette
enfant, et, inconsciemment, attiré aussi par son charme magique,
lui propose de l'arracher au monde où elle se meut, et d'en faire
une honnête femme qu'il mariera un jour ou l'autre. Elle accepte,
et la voilà installée aux environs de Paris, écartée du monde et
éloignée du bruit, piochant l'histoire, s'escrimant à l'orthographe,
martyrisant son piano et épelant Musset :
Ninon, Ninon, que fais-tu de la vie ?
L'heure s'enfuit, le jour succède au jour,
Rose ce soir, demain flétrie,
Comment vis-tu, toi qui n'as pas d'amour?
Et la petite Margot, que la vie calme el paisible des champs
avait, jusqu'alors, laissée paisible et calme, la petite Margot n'a
pas besoin de fouiller bien profondément son petit cœur, qui s'ou-
vre, pour y trouver l'image du jeune Georges, le neveu de Bois-
villette, à peine entrevu par hasard. Mais Georges est fiancé, il va
se marier; Margot, désespérée, reproche à Boisvillette ses bienfaits,
l'accusant du mal dont elle souffre, puisque, sans lui, elle n'aurait
jamais pu connaître l'amour véritable, et elle veut fuir l'ami qui
l'a recueillie. L'ami s'aperçoit alors que, malgré ses nombreuses
années de vie à grandes guides, il est des sensations qu'il n'a pas
encore ressenties, et, pris bénévolement au piège qu'il s'est tendu lui-
même, il offre à la jeune fille de l'épouser. Margot refuse brave-
ment, se révoltant à l'idée qu'on pourrait l'accuser d'avoir machiné
une petite intrigue pour devenir Mmo de Boisvillette et, déclinant les
offres sa taniques d'un autre viveur fort déjeté, Leridan, qui promet le
petit hôtel entre cour et jardin et le coupé, elle donne sa main à
un brave homme de garde qui, peu avant, lui avait très naïvement
déclaré son amour.
Je vous ai dit ainsi le fond de la pièce, et vous y avez retrouvé
une question déjà traitée au théâtre, à savoir : que devient la
28
LE MENESTREL
femme arrachée à la boue et placée dans un milieu d'hoDueur? Si
M. Meilhae a traité son sujet d'une façon charmante et surtout
toute parisienne, principalement au premier acte, qui est délicieux,
je ne vois pas bien qu'il ait nettement tranché la question posée.
Margot épouse un homme qu'elle n'aime pas et. de maîtresse qu'elle
était, la voilà devenue presque servante. Ne regrettera-l-elle pas
un jour le luxe entrevu, ne relira-t-elle pas Musset en pensant à
un Georges nouveau, ou bien même résistera-t-elle aux tentations
adroitement, offertes par les nombreux Leridan qui l'ont convoitée
lors de sa courte apparition dans le monde? De gros points d'in-
terrogation, d'autant plus gros que Margot n'a pas entièrement
goûté à l'existence si vite traversée et. qu'étant femme, elle doit
être curieuse
L'interprétation est entièrement parfaite de la part de Mlle Rei-
cbenberg (Margot), de M. Febvre (Boisvillette), et de M. Worms (le
garde) ; elle est très spirituelle de la part de M. Coquelin cadet
(Leridan), et fort élégante de la part de M. Le Bargy (Georges).
Elle reste aimable du côté de Mmcs Bertiny, Moulaland, Fayolle,
Rachel Boyer et Nancy Martel.
Paul-Émle Chevalier.
LE COURRIER DE M. GAILHARD (1)
M. Gailhard est dans son cabinet de travail. 11 est neuf heures du matin. Il
se dirige vers son bureau. Avec une certaine terreur, il voit un monceau de
lettres. Il se met à en chercher une, il cherche, il cherche, enfin il la trouve :
elle porte comme en-tête : Caisse de l'Académie nationale de musique. Il ouvre et
il lit ceci :
Bulletin des recettes du 15 janvier 1890
Recettes du 15 janvier 8,710 francs.
Recettes du 15 juillet 1889 .... 23,530 —
La lecture de ce simple billet du matin ne remplit pas précisément de joie
M. Gailhard, qui s'écrie :
— Le goût artistique est bien plus développé chez les provinciaux
que chez les Parisiens. Je finirai par être directeur d'un théâtre
de province.
— Oh ! oh ! continue M. Gailhard, mais voilà une lettre de ce bon
Constans. Voyons !
« Mon cher copain,
» Plus moyen de te soutenir : tu fais trop de bêtises. Et il y a
cette satanée histoire de la caisse des retraites qui me paraît bien
difficile à arranger. Quand on fait des coups de ce genre, il faut
être plus adroit. Enfin, mon vieux, tire-toi de là comme tu pourras,
tu comprends bien que cela me fait de la peine de lâcher un Tou-
lousain, mais il n'y a plus moyen.
» Constans. »
— J'avais bien raison de dire toujours qu'il fallait se méfier des
gens du Midlss. Ce lâcheur. Tant pis pour lui ! je vais lui faire de
l'opposition. Voilà justement une lettre de mon ami Clemenceau :
« Monsieur,
» J'ai trop longtemps, par une coupable bienveillance, empêché
la Justice de suivre son cours. Rien ne l'arrêtera plus maintenant.
Vous comprenez que, lorsqu'on a trouvé son chemin de Damas sur
le chemin de Bayreuth, on ne peut plus, par des connivences cou-
pables, protéger une entreprise beaucoup plus commerciale qu'ar-
tistique. Vous n'aurez plus ni ma confiance, ni mon soutien, ni mon
journal.
» Clemenceau. »
— Sont-ils bêtes, tous ces gens-là, avec leur sens artistique ! J'ai
fait des affaires... Tiens, voilà une lettre du commissaire du gou-
vernement; qu'est-ce qu'il me veut, celui-là?
« Monsieur.
» Chargé par l'Etat d'inspecter les magasins de décors et de cos-
tumes de votre exploitation, j'ai l'honneur de vous faire savoir que
j'ai trouvé les costumes dans le plus piteux état. Contrairement aux
cahiers des charges, vous avez employé les mêmes costumes pour
des œuvres différentes, et vous vous êtes servi des mêmes décors
pour des opéras auxquels ils n'étaient pas destinés. Je ne cite que
les décors de la Dame de Monsoreau, du Tribut de Zamora, de Roméo
et Juliette, qui ont été employés pour les représentations d'autres
œuvres.
(1) Nous signalons à l'indignation de MM. Ritt et Gailhard et à leurs
foudres judiciaires cette fantaisie que nous reproduisons de la Vie par i-
» Les costumes sont dans un état déplorable. J'ai eu communica-
tion de lettres par lesquelles les choristes (hommes et femmes) se
plaignent des loques qu'on les oblige à porter. Il y a là un état de
choses absolument inadmissible. Et, au moment où votre privilège
va prendre fin, je dois vous avertir qu'à dire d'experts, il faudra au
moins deux millions pour remettre le matériel en état.
» Agréez mes salutations. »
(Illisible.)
— A-t-on jamais rien vu de plus bête que l'administration fran-
çaise !. Enfin ! il me reste la littérature. "Voilà une lettre de Sardou,
qu'est-ce qu'il me dit ?
« Monsieur,
» Je vous prie de bien vouloir vous rendre au siège de la com-
mission des auteurs, dont je suis président, pour répondre à certai-
nes questions qui vous seront posées au sujet des retards mis par
vous à l'exécution du cahier des charges. Voilà deux ans que vous
n'avez pas donné d'opéras nouveaux — vous n'avez jamais donné le
nombre réglementaire d'actes de ballet ■ — vous devez des amendes
à la Société des auteurs. Vous avez essayé d'obtenir d'un malheu-
reux compositeur une fausse déclaration...
» Sardou »
— Ah! mais ils m'ennuient tous à la fin; qu'est-ce qu'ils ont
donc?... Tiens! voilà des lettres de femme:'
« Monsieur,
» Vous savez à la suite de quoi j'ai quitté l'Opéra... »
Qu'est-ce encore? signé: Caron. Oui... je sais, elle voudrait rentrer.
Jamais!... Encore une lettre de femme... « Désolée.., pleine du
désir... » qui? Richard. Nous n'en avons pas besoin.
Et celle-là :
« Monsieur,
» Je désirerais savoir pourquoi, après avoir été averti par moi de
l'impossibilité dans laquelle j'étais de chanter, vous n'en avez pas
moins laissé mon nom sur l'affiche pour une représentation â'Aïda.
Vous n'avez pas fait d'annonce, vous m'avez fait remplacer par une
chanteuse de province (à laquelle vous avez donné cent francs et
deux loges de seconde pour tout cachet), et, comme cette artiste n'a
pas eu de succès, il y a des gens qui croient à l'heure qu'il est que
je n'ai pas de voix. C'est dur!
» Je vous salue.
» Vidal. »
« Monsieur le Directeur,
» Le métier n'est pas tenable : ces messieurs et ces dames sont
tous à plaindre, et, comme ils disent que ce n'est pas la peine de
s'adresser à la direction, ils tombent sur moi. Eu bas. les messieurs
de l'orchestre sont moins regardants parce qu'ils regardent tout le
temps la scène, mais quand une dame déchire sa robe à un clou,
comme c'est arrivé au n° 141, ou quand elle s'écorche le bras à un
fauteuil, comme la belle mère du 133, ce sont des cris à n'en plus
finir. Et puis on se plaint que les portes ne ferment plus, que les
tables des salons ne tiennent plus : l'autre jour, après un bal, on a
trouvé un os de poulet au 139. Et c'est toujours sur moi que ça re-
tombe. Et comme, à cause de cela, les étrennes ont été maigres et
que les pourboires ne sont pas gras, alors, monsieur le directeur,
je vous écris pour vous faire savoir que ce n'est plus possible et
que je vous salue bien. »
» EuLODIE MATHIVET,
Ouvreuse des Premières loges. »
— Ce que je vais la flanquer à la porte, celte vieille bête! Enfin
plus qu'une lettre, et elle est de mon vieux Ritt.
« Mon cher ami,
» Il me vient une idée : les répétitions d'Aseanio vont être très
difficiles : lâche donc avec ton sens artistique de les faire durer
jusqu'en mai. A ce moment expire l'engagement de Lassalle, nous
ne le renouvellerons pas, et nous n'aurons pas besoin de jouer
Ascanio ; qu'en dis-tu? Et puis, j'ai aussi trouvé la raison pour
laquelle Delpit nous travaille. Je lui ai refusé Dica Petit en 1872,
quand j'étais directeur de la Porte-Sainl-Martin. Il ne me l'a
jamais pardonné. »
» Ton ami et associé,
» Ritt. »
En voilà un qui me comprend! et qui comprend le métier! quel
génie! Avec un homme comme lui je ne crains rien, ni personne. Et
en 1900, nous serons encore directeurs de l'Opéra !
LE MENESTREL
29
LE THEATRE A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889
VIII
ESTAMPES, DESSINS ET PORTRAITS
(Suite)
Celte gouache se trouvait, non dans la rotonde de l'exposition
théâtrale, mais dans la petite salle voisine dont les vitrines conte-
naient de nombreux objets que j'ai décrits et quelques autographes
de musiciens que j'ai reproduits dans un chapitre précédent. Non
loin d'elle se voyait un autre dessin, plus moderne et tout à fait
charmant, mais malheureusement inachevé, un projet d'éventail re-
présentant une vue intérieure de la salle de l'Opéra sous la Restau-
ration, pendant le spectacle, sans nom d'auteur. Puis venaient plu-
sieurs estampes intéressantes à des litres divers. D'abord, une série
de « vues et plans des principaux tbéàlrcs parisiens au dis-huitième
siècle, » comprenant le théâtre de Monsieur aux Tuileries, la salle
Favart, la Comédie-Française (élevée en 1779 sur l'emplacement de
l'Odéon actuel) et l'Ambigu-Comique. On voit que, même à part
l'Opéra, il manque là les Grands Danseurs du Roi ou théâtre de
Nicolet, aujourd'hui la Gaité, déjà pourtant célèbre à cette époque ;
c'est que, chose assez singulière, on ne connaît aucune estampe,
aucune gravure faisant connaître la première salle construite sur le
boulevard du Temple pour ce théâtre où le public courait en foule.
Dans le même cadre on avait placé, sans autre indication de détail,
divers « dessins de décors représentant des scènes d'opéra au dix-
huitième siècle. » Un peu plus loin se trouvait un « plan cavalier du
Théâtre-Français, sous l'empire. » Puis enfin, à côté, dans un autre
et vaste cadre, on avait réuni une suite fort curieuse et assurément
très rare de « dessins de décors et machines ayant servi aux opéras
Adonis et Germanicus sur le Rhin, représentés au théâtre San Salva-
tor, de Veuise, en 1675 (1)». Nous ne trouvons plus ensuite, dans
cette salle, qu'une ccuroone de lauriers offerte jadis à Talma, et
quelques jolis spécimens de billets de faveur pour divers théâtres,
dont un entre autres, de la Comédie-Française, est tout à fait exquis.
Il nous faut maintenant monter à la galerie supérieure pour pour-
suivre notre revue.
Là, je l'ai dit, on s'était trouvé, au dernier moment, en présence
d'un assez grand espace resté vide et qu'il fallait s'occuper de garnir
à la hâte et à tout prix. C'est ce qui explique le manque relatif d'inté-
rêt de quelques-uns des objets groupés en cet endroit, dont on fit
comme une sorte d'annexé et de complément de l'exposition théâtrale.
Outre les maquettes et plans de théâtres anciens (très curieux, ceux-
là), dont j'aurai bientôt à parler, on eut l'idée de réunir là un peu
au hasard diverses séries d'estampes relatives au théâtre et à la
musique ; et comme on était pressé par le temps, on prit à peu près
les premières choses venues, pourvu qu'elles se rapportassent à ce
double sujet. Il va sans dire que rien de tout cela ne trouva place
ni mention sur le catalogue, établi vraiment un peu trop à la
diable, comme je l'ai déjà fait remarquer.
Il semblait que tout ceci fût divisé en deux sections, dont l'une
était comprise sous cette rubrique : « Estampes et gravures relatives
aux instruments de musique et à leur emploi. » Cette collection,
peu nombreuse, se composait uniquement de planches extraites de
divers ouvrages, et particulièrement du célèbre livre de Laborde :
Essai sur la musique, qui date de la seconde moitié du dix-huitième
siècle. Encore eùt-on pu au moins en indiquer la provenance, ce
qu'on avait négligé de faire.
(1) Ici, la pancarte officielle commettait une légère erreur; les deux
opéras en question furent représentés non en 1673, mais en 1670. Le
théâtre San Salvatore, où ils virent le jour, avait été construit par les
soins de la célèbre famille Vendramin au commencement du dix-septième
siècle, et consacré d'abord à la comédie. Détruit par le feu vers 16S0 et
réédifié aussitôt dans de meilleures conditions, il fut, à partir de 1661, ré-
servé aux représentations d'opéra, pour revenir a la comédie en 1700. II
porte aujourd'hui le nom du grand poète Carlo Goldoni, et il est le plus
ancien de ceux de Venise; il n'a pas cessé d'ailleurs d'être aux mains de
li I ille Vendramin, et à cette heure encore il appartient à la signora
Itegina De Marchi, veuve du « noble homme » Domenico Vendramin.
C'est en effet là que furent représentés, en 1676, les deux opéras ci-des-
sus mentionnés ; Adone in Cipro, paroles du docteur Giannini et de Tebaldo
Fatorini, musique de Giovanni Legrenzi, dédié « aux illustres seigneurs
Cesare Calimero et Alessandro Cigola, » et Germanico sul Ileno, paroles de
(jiuliu Ce.san; Corradi, musique du môme Legrenzi, dédié c à Son Altesse
Sérénissime le prince de Monaco, duc de Valentinois,pair de France, etc. »
(Vmj. : I Tealri musical! di Venesia ncl seeolo AT//,' per Livio Niso Galvani,
Milan,. Hicordi, 1879, in-4°.)
La seconde section était ainsi annoncée : « Estampes et gravures
relatives au théâtre: décors, costumes et portraits. «Quelques-unes
des estampes exposées ici auraient dû trouver place dans l'autre
section, par exemple celles-ci : le Concert agréable, de Lavrince ;
Sainte Cécile (gravée par UTmer, d'après le tableau de Mignard) ; les
Musiciens ambulants (gravé par "Wille, d'après le tableau de Diétricy);
le Passe-temps (gravé par Audran, d'après Watteau); salle de con-
certs de la société Félix Mentis, à Amsterdam. Pour les autres,
je signalerai : le Parnasse de Raphaël, assez singulièrement placé en
cet endroit; le Bal paré, de Saint-Aubin; le tableau magique de
Zémire et Az-or, de Touzé ; une Scène de comédie à l'hôtel de Bourgogne;
deux Décors italiens du dix-septième siècle, de Bibiena ; un Décor du
dix-huitième siècle; une Harlequine dansante; et enfin l'eau-forte cé-
lèbre de Duplessis-Bertaut représentant Grétry traversant l'Achéron,
avec ce quatrain signé : P. Villiers :
Pour charmer t'ennui de la route,
Grétry, sa lyre en mai:}, traversait. l'Achéron.
Ramez-donc, dit-il à Caron,
Que faites -vous?... J'écoute...!
Venaient ensuite un certain nombre de portraits d'artistes de
théàlre, dont quelques-uns vraiment, par leur peu de valeur et leur
peu de rareté, ne méritaient guère d'être ainsi placés sous les yeux
du public, qui peut en rassasier sa vue chaque jour aux vitrines
des plus modestes marchands d'estampes. C'était, pour la comédie
et la tragédie: Baron, Talma, Baptiste cadet, AdrieDne Lecouvreur,
MUe Dumesnil, Mlle Duclos, M1"' Raucourt, Mmc Joly, M"« Favart,
Miss Smithson, Rachel, Mme Allan, Mlle Plessis; pour le chant:
MUe Pélissier, Sophie Arnould, Mme Belmont, la Malibran, Giulia
Grisi; pour la danse: MUe Salle, M1Ie Dulhé, Mlle Chameroy,
Mlle Hillisberg, danseuse anglaise, Fanny Elssler. Enfin, pour le
reste, on ne trouvait que quelques scènes et types de théâtre, et
une série de costumes d'acteurs français ou étrangers portés par eux
dans divers ouvrages. On voit que tout cela n'était que d'un in-
térêt médiocre. Cette partie de l'exposition théâtrale se complétait
par les très curieuses maquettes d'anciens théâtres que j'ai signalées,
et par une nombreuse suite d'estampes et de vignettes originales
relatives à l'art théâtral dans l'Extrême-Orient et surtout au Japon.
Ceci mérite qu'on s'y arrête, et nous allons nous en occuper (1).
(A suivre.) Arthur Pougin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts du Cuatelet. — L'exécution de la symphonie en ut mineur
a été, dans le premier morceau, remarquable de finesse et de précision,
très expressive dans le deuxième, tour à tour chaleureuse ou empreinte
d'une extrême ténuité dans le scherzo et entraînante autant que tumul-
tueuse à partir des fanfares du finale. Interprétée avec cette variété de
nuances, l'œuvre passe rapide comme un rêve, et l'on sa prend à en trouver
les dimensions trop restreintes. Dans ces conditions, le rétablissement de
la grande reprise du finale serait une témérité que l'on pourrait se per-
mettre et contre laquelle personne assurément ne protesterait. L'air de
Lucifer, extrait de la Résurrection de Haëndel, nous a paru emphatique et
d'une expression toute superficielle. M. Auguez l'avait choisi sans doute
parce que ses périodes musicales permettent à la voix de se draper pour
ainsi dire comme sur un piédestal et de se répandre en vibrations d'une
(1) Bien que ceci ne puisse être compris dans l'exposition théâtrale,
j'ai relevé, dans l'exposition des beaux-arts, un certain nombre d'œuvres
ayant pour objet le théâtre ou la musique, et qu'il ne me semble pas sans
quelque intérêt de mentionner ici, au moins en note et à titre de ren-
seignement, comme complément indirect à ce chapitre. Dans l'exposition
centennale de l'art français : portrait de Baptiste (acteur de la Comédie-
Française), par Drolling; Hamlet lue Polonius, par Eugène Delacroix; por-
trait de Berlioz, par Courbet; Joueuse de mandoline, par Corot; la Guimard,
buste marbre, de Cambos; Beaumarchais, idem, d'Henri Allouard; Duprez,
idem, de Lormier; la Danse, statue marbre, de Delaplanche. En ce qui
concerne les sections étrangères, pour l'Autriche-Hongrie: Projet de rideau
pour le Ihèâlre tchèque de Prague, par Hynaïs; les quatre voussures du plafond
pour le Hofburg théâtre de Vienne (les poètes dramatiques de l'antiquité et
des XVI", XVIIe, XVIID et XIXe siècles), par le même; une Valkure et le
Héros mourant, par Hans Mackart; le Quatuor, par Bruck Lajos; — pour
la Russie: Sivori, buste bronze, par Léopold Bernstamm; — pour la
Finlande: Au piano, tableau, par Edelfelt; — pour l'Italie: Verdi, grand
pastel, par Boldini; le Joueur dorgue, tableau, par Innocenti; le Petit
Flûtiste, statuette marbre, par Caroni; Sivori, buste marbre, par Beltrami;
— enfin, pour l'Angleterre: le Musicien, tableau, de John Pettie. —Je
dois déclarer que cette courte liste n'a point la prétention d'être complète.
30
LE MENESTREL
excellente sonorité. La première scène du Rlieingold, de Wagner, est ravis-
sante de fraîcheur et d'une facture curieuse, étant établie sur un accord
en mi bémol qui exprime, autant que cela peut se faire musicalement, les
ondulations des flots. Une délicieuse phrase émerge, par intervalles, jus-
qu'au moment où les ondines commencent à interpeller le Nibelung Albe-
rich, représenté par M. Auguez. La scène s'achève sur une explosion d'un
coloris éblouissant; c'est là du vrai théâtre et du Wagner des meilleurs
jours. Les filles du Rhin, M"« de Montalant, Delorn et d'Ajac ont chanté
avec beaucoup de verve et d'entrain. Mllc de Montalant, qui a fait ses
premières études avec M. Chevé, joint à ces qualités une grâce toute par-
ticulière. Elle a interprété les deux mélodies de Berlioz: Absence etVillanelle,
avec un charme incontestable et un goût parfait. M. Rémy s'est montré
virtuose de premier cdre dans son interprétation de deux fragments de
Bach : Sarabande orchestrée par M. Saint-Saëns et Gavotte de la 6e sonate
pour violon seul. Une belle sonorité, une grande exactitude dans 1». rendu
des nuances, un jeu plein d'aisance ont valu à l'excellent artiste de cha-
leureux bravos. Des fragments du Songe d'une nuit d'été avec adjonction des
deux romances sans paroles orchestrées par M. Guiraud ont été supérieu-
rement rendus par l'orchestre. Amédée Boutarel.
— Le douzième concert de M. Lamoureux a été très intéressant. Il nous
a fait entendre une Rapsodie cambodgienne de M. Bourgault-Ducoudray.
M. Bourgault-Ducoudray, qui est un excellent musicien doublé d'un érudit
de premier ordre, a été séduit par quelques-uns de ces rythmes étranges,
de ces mélopées vagues, qui ont retenti à notre oreille pendant l'Expo-
sition. Il a pu les utiliser ; mais son harmonie et sa manière de traiter les
divers sujets qu'il emploie n'ont rien de cambodgien. La rapsodie de
M. Ducoudray est une œuvre originale, parfois étrange, mais qui séduit;
elle a eu un très grand succès, et elle le méritait. Déjà nous avions en-
tendu un Carnaval d'Athènes du même auteur, qui avait particulièrement
attiré l'attention des musiciens. — L'exécution de la Symphonie fantastique
de Berlioz a été admirable : ce n'est qu'avec une exécution pareille qu'on
peut juger cette œuvre extraordinaire d'un musicien sincère même dans
ses écarts. Cette symphonie, qui s'adresse, nous l'avons dit plus d'une fois,
plutôt aux sensations qu'aux sentiments, qui impressionne la fibre ner-
veuse jusqu'à produire parfois la souffrance, restera comme une des ma-
nifestations musicales les plus étonnantes de ce siècle. C'est, avec Faust,
ce que Berlioz a fait de plus condensé, de plus complet, de plus réellement
musical. Berlioz était un musicien autrement sincère que Wagner, qui
pose toujours et semble plus préoccupé d'étonner son auditoire que de le
convaincre et de le séduire. Certes il est un Wagner intéressant, celui du
Vaisseau fantôme, celui de Lohengrin, celui qui a écrit les belles ouvertures
du Tannhauser, de Rienzi, celui qui était resté fidèle à la tradition de
Weber, son premier inspirateur; mais l'homme de Bayreuth, l'homme aux
robes de chambre multicolores, à la couronne de papier doré, l'homme de
la Tétralogie, que nous serions disposé à appeler la tératologie, plus nous
le connaissons, plus nous trouvons qu'il a perdu le sens esthétique; il ne
se révèle plus que par quelques fragments épars, cette admirable marche
.funèbre du Crépuscule des Dieux, par exemple, que l'on entend toujours
avec plaisir. M. Lamoureux donne souvent l'ouverture d ' Eyryantlie, de
Weber ; on dirait qu'il tient à ne pas laisser oublier ce morceau, qui a
servi de modèle à Wagner dans la plupart de ses premières ouvertures et
de ses marches, notamment celle du Tannhauser. Quand nous aurons men-
tionné une excellente exécution du Sommeil de la Vierge de M. Massenet,
nous aurons épuisé le compte rendu du concert de M. Lamoureux. qui a
été fort beau. . H. Barbedette.
— Musique de chambre. — MM. Berthelier, Carembat, Laforge et Loeb
ont donné, salle Pleyel, une première séance de musique de chambre,
ayee le concours de M. Taffanel et de Mlle Monvel. Le quatuor en mi de
Mendelssohn, qui inaugurait la séance, avait été très heureusement, choisi.
D'une inspiration claire et élevée, il a produit un très grand effet. Le
scherzo a été détaillé avec infiniment de goût, et l'andanle a été dit avec
.une émouvante expression. M. Taffanel a joué avec sa merveilleuse vir-
tuosité, avec son style si pur, la délicieuse suite pour flûte de M. Widor
dont les deux morceaux intermédiaires sont des bijoux de linessr et
de grâce. Le quintette de Schumann clôturait le concert. Cette œuvre
admirable a été bien exécutée, quoique le scherzo ait été joué dans une
alluretrop vive : la netteté n'y gagne pas et l'effet est très amoindri. —
Une séance donnée par M. I. Mendels, le réputé violoniste, a été assez
mil i- iante. Le succès est allé à M. Casella, qui a interprété avec les belles
qualités de puissance et de mécanisme qui distinguent son grand talent,
un adagio exquis et une charmante valse pour violoncelle, de M. Widor'
dont -m ,'i, encore entendu de séduisants petits trios pour piano, violon et
violoncelle fort bien dits par l'auteurj MM. Mendels et Casella.— Le concert
de M. -I. Salmon a été réussi. L'excellent artiste ivioloncelle-solo des con-
certs Lamoureux) a joué avec une belle sonorité et avec un sentiment
charmant, une série d'oeuvres de Saint-Saëns, Widor, Jacquard et Lindner.
M. Coenmen, le très habile virtuose, a fait, entendre les variations en ut de'
Beethoven et des pièces de Chopin, et M"0 Pouget, une cantatrice du
plus grand talent, s'est fait vivement applaudir en chantant avec un art
consommé l'air : Ah! perfide, de Fidelio, cl un fragment de Samson et Dalila.
I. l'u.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche:
Conservatoire: Symphonie en la mineur (Mendelssohn); Ode à sainte
Cécile, cantate (Hœndel), soli par Mm? Melba et M. Engel; ouverture
à'Euryanthe.
Chàtelet, concert Colonne-. Symphonie écossaise (Mendelssohn); pièces
orchestrales, première audition (Alph. Duvernoy); Prière deRienzi Wagner),
par M. Vergnet; concerto en ré mineur (Mozart), exécuté par Mme Roger-
Miclos; Siegfried-Idyll(R. Wagner); fragments de l'Enfance du Christ (Berlioz),
par M. Vergnet; le Sotige d'une nuit d'été (Mendelssohn).
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux : Symphonie en ut mi-
neur (Beethoven); Ra;:sodie cambodgienne (Bourgault-Ducoudray); trio des
Jeunes Ismaélites de l'Enfance du Christ (Berlioz); ouverture de Uanfred
(Schumann); prélude de Lohengrin (Wagner) ; Siegfried-] dyll (Wagner);
Marche funèbre du Crépuscule des Dieux (Wagner) ; ouverture de Rienzi
(Wagner).
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
La Gazzetta musicale de Milan n'est point satisfaite que nous ayons
constaté la chute irrémédiable, à la Scala, des Maîtres chanteurs de Richard
Wagner, et elle s'inscrit en faux contre nos assertions, auxquelles elle
répond par la petite note que voici : « La vérité est que le fiasco de l'opéra
les Maîtres chanteurs n'existe en aucune façon; le succès a été chaud pour
les morceaux principaux, bon pour le reste. La direction n'a jamais pensé
à retirer la susdite partition, comme personne n'a jamais songé à lui
substituer il Ballo in maschera. Du reste, on sait où le Ménestrel pèche ses
nouvelles. » Le Ménestrel, qui cite ses sources, a « péché » les nouvelles
relatives aux Maîtres chanteurs dans deux journaux de Milan, la Gazzetta
teatrale italiana et la Lanterna, qui savent sans doute à quoi s'en tenir sur le
« succès » de cet ouvrage et qui constataient que la seconde représenta-
tion avait réuni une centaine de spectateurs dans la vaste salle de la Scala.
Si ces journaux ont altéré la vérité, c'est à eux, et non à nous, que la
Gazzetta doit s'en prendre. Pour le reste de notre information, la Gazzetta
joue ingénuement sur les mots et profite d'un lapsus calanii qui nous a fait
écrire il Ballo in maschera au lieu de Simon Boccancgra. Or, la vérité est qu'à
l'heure où la Gazzetta imprimait sa petite prétendue rectification, les
Maîtres chanteurs avaient cédé la place, sur l'affiche de la Scala, à Simon
Boecanegra. Et voilà comment « la direction n'avait jamais pensé à retirer
la susdite partition. »
— Uinfluenza, qui semble enfin vouloir nous laisser un peu de repos,
poursuit son tour d'Europe et continue de faire des siennes à l'étranger
A Bari, on a dû fermer le théâtre Piccinni, tandis qu'on suspendait les
représentations au Théâtre municipal de Reggio d'Emilie, où l'on comptait.
62 malades parmi les danseuses, les musiciens de l'orchestre et les cho-
ristes, ainsi qu'au théâtre des Nuovi Avvalorati de Livourne. A Naples,
deux d'entre eux ont été fermés, les Fiorentini ' et le Politeama, et les
deux seuls théâtres de Pavie sont dans le même cas. A Prague et dans
toute la Bohème, la clôture des théâtres est générale. Vienne n'est pas à
l'abri de la calamité. Enfin, si le théâtre San Carlos de Lisbonne n'est pas
fermé à l'heure présente, la direction doit se trouver dans un singulier
embarras, car on annonce comme frappés d'influenza Mm0>Corsi,Teti'azzini,
Matliuzzi, Cisterna, MM. Brogi, Menotti, Borucchia, Paroli et jusqu'au
chef d'orchestre Campanini.
— Les journaux espagnols ne cessent de rappeler des souvenirs de leur
compatriote, le fameux ténor Gayarre, et de parler des hommages rendus
ou à rendre au célèbre chanteur. La Iberia nous apprend qu'un graveur
distingué, M. Manuel Gonzales de Losatla, a frappé une médaille com-
mémorative de la mort de Gayarre, dont le premier exemplaire a été
déposé dans sa bière, auprès de son corps. Sur l'avers de cette médaille,
on voit l'ange de la mort qui voile une urne funéraire, auprès de laquelle
brûle une torche. A l'entour on lit : Miserere met Domine. Sur le revers est
gravée l'inscription suivante : A la mort de Giuliano Gayarre — Illustration
du. théâtre, gloire de l'art — L'Espagne se souvient de toi — Repose en paix —
Madrid, i janvier 1890. — Un autre journal propose de rendre un grand
honneur à Gayarre, c'est-à-dire de créer par souscription nationale à
Roncal, sa ville natale, un musée Gayarre. On y réunirait les costumes
que revêtait l'artiste dans les opéras où il chantait; les partitions sur
lesquelles il étudiait; les autographes de personnages notables qu'il reçut
durant sa carrière artistique ; les joyaux qui lui ont été offerts par des
souverains ; les couronnes et les objets d'art qui lui ont été présentés lors
de ses bénéfices : les armes précieuses qu'il possédait : enfin, tout ce qui
était intimement lié à la vie artistique et publique de Gayarre. La pitto-
resque vallée d'Ariz se transformerait ainsi en un lieu de pèlerinage
pour les artistes et les touristes qui passent de ce côté. D'aucuns trou-
veront peut-être tout cela un peu excessif. — Enfin, on rapports un joli
mot de Gayarre. Se promenant un jour, à Rome, avec quelques amis, un
de ceux-ci se mit à raconter les exploits de Garibaldi et certains incidents
des luttes soutenues pour l'affranchissement de l'Italie. Gayarre, de' son
côté, se mit à rappeler, non sans humour, certaines démonstrations aux-
quelles, dans sa jeunesse', il s'était trouvé mêlé en Espagne, et qui l'avaient
conduit, un jour, à coucher au corps de garde. « A partir de ce moment,
LE MENESTREL
31
dit-il, je ne m'occupai plus de politique. — Vous vous en êtes prompte-
ment fatigué, lui répondit l'autre, — Non, je ne m'en suis pas fatigué,
répliqua Gayarre avec un sourire. Seulement, j'ai compris qu'en politique,
je ne serais jamais devenu qu'un choriste. »
— De notre correspondant de Belgique (16 janvier) : — Je vous parlais,
dans ma dernière correspondance, de l'intéressante audition donnée au
théâtre de Gand par les élèves du cours d'art de la scène du Conserva-
toire de cette ville; et je vous disais que ce Conservatoire était « le seul »
en Belgique qui ait inauguré ce genre d'exercices. J'avais oublié le Con-
servatoire de Liège, où, dès 1874, les élèves de la classe de déclamation
lyrique (la seule classe de ce genre, on peut le dire, existant dans les
Conservatoires belges) jouaient, au Théâtre royal, avec décors et costumes,
deux actes des Noces de Figaro de Mozart. Depuis lors, tous les ans, à
Liège, un concours de déclamation lyrique a lieu au même théâtre et
dans les mêmes conditions. Il serait injuste de ne pas le constater et de
ne pas rendre à M. Théodore Radoux le même hommage que nous avons
rendu à M. Adolphe Samuel. C'est sans aucun doute à l'excellence d'un
pareil enseignement que l'on doit le grand nombre d'artistes sortis de
ces établissements et qui se sont fait une réputation sur les principales
scènes de l'Europe. On sait les succès remportés par plusieurs élèves de
M. Georges Bonheur, qui esi professeur aux deux Conservatoires de Liège
etdeGand, notamment par Mlls Jeanne De Vigne elM. Noté,l'un et l'autre
sortis du Conservatoire de Gand. D'autres, élèves du Conservatoire de
Liège, MM. Dechesne, Boussa, Delvoye et Franklin, tiennent en ce moment
les premiers emplois à Genève, Nancy, Nantes et Anvers. Tout cela,
d'ailleurs, sans rien enlever aux succès du Conservatoire de Bruxelles qui,
de son côté, serait en droit de réclamer si je ne rappelais pas ici que Paris
même a applaudi plusieurs de ses anciens élèves, MUes Dufrane et Bosman,
M. Claeys, et bien d'autres, sans compter ceux qui sont répandus un peu par-
tout en France, en Belgique e tailleurs; de tous ceux-là, M.HenryWarnots a,
particulièrement, le droit d'être fier. Pour en revenir au Conservatoire de
Liège, je profite de l'occasion pour signaler une autre innovation, dont la
récente distribution des prix a fourni un nouvel exemple : deux élèves
de la classe de composition de M. Th. Radoux, M. Smulders et M. Paque,
ont fait entendre, l'un une symphonie, l'autre un concerto pour piano et
orchestre de leur composition ; et ces deux œuvres, remarquables à plus
d'un titre, ont été fort applaudies. L'idée de montrer ainsi en public les
résultats d'un cours qui, généralement, ne se produit pas auxgrand jour,
est assurément très bonne, très curieuse et très stimulante pour les élèves;
et il faut féliciter M. Théodore Radoux de la voir si féconde. L. S.
— Le Cercle artistique et littéraire de Bruxelles vient de donner en
l'honneur de M. Francis Thomé une grande soirée musicale, qui a été un
éclatant succès pour le virtuose et le compositeur.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Berlin : Les études d'Otello, de
Verdi, sont activement poussées, et on pense en donner la première repré-
sentation le 13 février. Le choix de cette date n'est pas sans soulever
quelques protestations dans la presse musicale, qui préférerait la voir con-
sacrer au souvenir de Richard Wagner, mort, comme on sait, le 13 fé-
vrier 1883. Carlsrujie : Le nouvel intendant du Théâtre de la Cour-, le
Dr Bïirklin, a été installé le 1er janvier. Dresde : Une nouvelle opérette
que vient de produire le Residenz theater, l'Aventurier, livret de MM. Phi-
lipp et E. Sondermann, musique de M. C. Stix, a reçu du public le meilleur
accueil. Leipzig: L'accueil a été très froid pour un opéra « patriotique » du
compositeur Otto Neitzel, intitulé der Aile Dessauer, représenté le 7 janvier
au théâtre municipal. L'ancien théâtre municipal a eu la main plus heu-
reuse avec une opérette nouvelle en trois actes, le Roi Luslik, livret et mu-
sique de deux auteurs de Leipzig, MM. C. Crome-Schwiening et H. A.
Platzbecker. Vienne : Le théâtre An der Wien tient un grand succès avec
la dernière opérette de Millôcker, le Pauvre Jonathan, livret de MM. Witt-
mann et Bauer; on croit cette opérette appelée à une vogue retentissante.
"Weimar : Gunlbd, l'opéra posthume de Peter Cornélius, instrumenté par
M. Hoffbauer, également décédé, ne passera pas au Théâtre de la Cour
aussitôt qu'on l'avait dit. L'examen de la partition d'orchestre a révélé de
nombreuses défectuosités dans le travail de Hoffbauer, et M. Ed. Lassen se
voit obligé de réorchestrer l'ouvrage d'un bout à l'autre. A signaler au
même théâtre une belle reprise de Benvenulo Cellini, de Berlioz, sous la
direction de M. Ed. Lassen. Hambourg: Au théâtre Cari Schultze, première
représentation d'une opérette nouvelle, der Amerikaner, livret de M. Gustave
von Moser, musique de M. G. Grûneke.
— < in sait que l'illustre Joseph Haydn, l'un des pères de la symphonie,
avait un frère, Michel Haydn, compositeur ainsi que lui et non sans
talent, mais qui fut complètement éclipsé par l'adorable génie de l'auteur
des Saisons et de tant d'autres chefs-d'œuvre. Or, clans un concert donné
récemment à Dresde, on a exhumé une symphonie du vieux Michel
Haydn, oubliée depuis un siècle, et dont l'exécution a été très favorable-
ment accueillie.
— M. Max Bruch, l'auteur du « Chant de la Cloche » (d'après les paroles
de Schiller) et de maintes autres compositions de valeur, renonce à partir
du 1° juin à sa place de chef d'orchestre à l'Orchesterverein de Breslau.
Il l'occupait depuis 1883 et sa direction était très prisée. On dit que les
difficultés financières de la société ne sont pas étrangères à cette déter-
mination.
PARIS ET DEPARTEMENTS
MM. Ritt et Gailhard auraient-ils enfin trouvé un contralto? c'est à
croire, puisqu'ils annoncent l'engagement qu'ils viennent de faire de Mmo
ConsueloDomenech, élève de M. Giraudet, laquelle débutera prochainement
dans le rôle d'Amnéris, d'Aïda. Mais alors, les clefs d'ut 4e ligne vont re-
prendre droit de cité à l'Opéra, et il n'y a plus de raison pour faire chan-
ter, dans VAscanio de M. Saint-Saëns, un rôle de contralto par le soprano
de M"10 Bosman. Attendons-nous donc au rétablissement prochain du texte
primitif voulu par le compositeur.
— Il est fort question de monter à l'Opéra i Etoile du Nord pourM"lc Melba,
qui y retrouverait, après l'Ophélie d'Ambroise Thomas et la, Lucie de Doni-
zetti, l'occasion de s'y montrer à son avantage dans une troisième scène
de folie ! Nous savons bien que M. Paravey proteste contre le projet qu'on
aurait ainsi de lui enlever une œuvre de Meyerbeer qu'il croit appartenir
à son théâtre. Mais ce projet n'en existe pas moins. Cela ferait, avec Roméo
et Juliette, deux œuvres importantes que l'intelligent directeur se laisserait
souffler avec une dextérité charmante par MM. Ritt et Gailhard. Rebilfez-
vous, bon Paravey. Il n'est que temps.
— Continuation des réceptions de M. Paravey à l'Opéra-Comique :
l'aimable directeur vient de recevoir un opéra en cinq actes et dix
tableaux, intitulé les Normands, dont le poème et la musique sont du
même auteur, M. Castegnier. M. Castegnier est surtout connu da public
anglais ; il dirige en effet, chaque année, des tournées en Ecosse et en
Irlande. L'action, des Normands se passe sous le règne de Richard Cœur
de Lion, au moment du départ pour la troisième croisade. — On a lu de
plus cette semaine, au même théâtre, un opéra-comique en un acte, de
MM. Sarlin et Michiels, Colombine, qui sera joué par MmK Mole et Auguez,
MM. Fugère et Grivot. Le stock déjà important d'ouvrages reçus par
M. Paravey s'augmente donc de deux partitions encore. Il est vrai qu'il
y a loin de la parole d'un directeur à son exécution.
— M. Paravey a eu le regret de perdre devant la septième chambre
du tribunal civil un petit procès que lui intentait Mmc Salla. Oh ! il s'a-
gissait de peu de chose : de l'interprétation seulement d'un traité qui
accordait ou retirait dix jours d'appointements à l'ex-pensionnaire de
l'Opéra-Comique, selon le sens qu'on lui donnait. Le tribunal a donné
gain de cause à l'artiste, mais le directeur a fait appel du jugement.
— Au cours d'une des dernière séances, M. Fallières, ministre de
l'instruction publique et des beaux-arts, a déposé sur le bureau de la
Chambre le projet relatif à la reconstruction de l'Opéra-Comique, qui en-
traîne une dépense totale de 3,400,000 francs.
— Les entrepreneurs qui ont pris part à la construction des grands
concerts Favart et qui, de ce fait, par suite d'un concours de circonstances
bizarres, se sont trouvés en être également les administrateurs, ont tenu,
cette semaine, une réunion fort orageuse. Ils ont décidé, paraît-il, d'aller
protester à la Chambre des dé_putés contre la fermeture de leur établisse-
ment. En second lieu, ils ont catégoriquement refusé à M. Poujade,
concessionnaire, de se charger des travaux de démolition qui, suivant un
ultimatum de M. Fallières, doivent être terminés avant un mois. En
conséquence, M. Poujade a écrit à M. Comte, directeur des bâtiments
civils au ministère des beaux-arts, pour le prier d'obtenir du ministre
que les baraquements de la place Boieldieu soient démolis d'office par
les soins du gouvernement. Si la direction des bâtiments civils accepte
cette proposition, l'administration des domaines reprendra possession du
terrain de la place Boieldieu.
— La Société des compositeurs a tenu, ces jours derniers, son Assemblée
générale annuelle. En l'absence de M. Camille Saint-Saëns, en ce moment
en voyage, la séance était présidée par M. Georges Pfeiffer. Après la lec-
ture du rapport annuel sur les travaux de la Société, et quelques paroles
sous forme d'appel à la confraternité artistique prononcées par M. Pfeiffer,
il a été procédé à l'élection de dix membres du comité pour remplacer
les dix membres sortants. Ont été élus : MM. Saint-Saëns, Canoby, Gigout,
de la Tombelle, Limagne, Lavello, de Boisdeffre, Guiraud, Dautresme,
Michelot. Rappelons que M. Dautresme est le député de la Seine-Inférieure,
ancien ministre du commerce, connu pour un compositeur fort distingué,
qui a donné naguère au Théâtre-Lyrique un ouvrage remarquable intitulé
Cardillac.
— Parmi les spectacles qui doivent être offerts aux abonnés de l'Odéon
pour les soirées du lundi et du vendredi, ligure le beau drame de Gœthe,
le Comta d'Egmont, traduit nouvellement par M'. Adolphe Aderer. Ce drame
sera accompagné de l'admirable partition qu'il a inspirée à Beethoven,
dont la musique sera exécutée par l'orchestre de M. Lamoureux. Douze
représentations seulement seront données du Comte d'Egmont.
— Le violoncelliste Adolphe Fischer, n'est point mort, comme plusieurs
journaux l'ont annoncé. Le pauvre artiste est toujours à Sainte-Anne, où
un de ses amis a pu obtenir l'autorisation de lui apporter son violoncelle,
ce qui est. parait-il, tout à fait en dehors des habitudes de l'hospice.
Fischer s'est de suite remis à l'étude, et c'était, dit-on, un spectacle cu-
rieux de voir les malheureux aliénés et tout le personnel de Sainte- Anne
écouter religieusement cet 'excellent musicien, qui, l'archet à la main,
retrouvait immédiatement toutes ses facultés. Le docteur Rouillant, mé-
decin de Sainte-Anne, ne désespère pas de le guérir, grâce à ce moyen.
32
LE MENESTREL
— Petite fable extraite du journal fa Silhouette et signée de notre confrère
Mercurey:
LE SAVETIER ET LE... MARCHAND DE BEURRE
Un savetier chantait à l'Opéra, le soir ;
C'était merveille de le voir,
De l'ouïr. Il chantait très fort, la chose est sûre,
Mais... manquait parfois la mesure.
Un vieillard, son ami, Grésus tout cousu d'or,
Chantait peu... mais plus mal encor!
Ce n'était qu'un marchand de beurre.
Cependant une envie au cœur le tenaillait ;
Il jalousait tout bas le chanteur qui braillait,
Et ce vieux beurrier se plaignait
De ne pouvoir point, même une heure,
Remplir à l'Opéra les fonctions d'acteur,
De directeur ou bien de machiniste.
Il fit donc mander le chanteur
Dans son home et lui dit: » Or çà, monsieur l'artiste,
Que gagnez-vous par an » — « Par an ? Ma foi, mon vieux,
Répondit, d'un air glorieux,
Le gaillard savetier, je ne suis pas un cuistre,
Et je suis appointé mieux qu'un simple ministre ;
Mais je ne puis fixer un chiffre, car
Du casuel mon gain s'augmente d'un bon quart.
Ma belle voix, tant admirée
Des salons du Faubourg, à ceux du Boulevard
Fait florès ! » — « Combien donc gagnez-vous par soirée? »
— a Tantôt plus, tantôt moins. Le mal est que toujours
(Sans cela mes cachets seraient bien plus chouettes)
D'autres que moi, moins forts, apportent leur concours
Gracieux, mais non pas gratuit à ces fêtes.
Au lyrisme de la haute société
Je suffirais pourtant tout seul. Que vous en semble? »
Le vieux beurrier, riant de sa fatuité,
Lui dit : « Si vous voulez, faisons accord ensemble ?
Dirigeons l'Opéra [ » Point ne leur fut besoin
De pousser l'entretien plus loiu.
Les voilà dirigeant tous deux l'Académie
De musique, où, jusqu'à présent,
Ils empochaient beaucoup d'argent,
N'en dépensant d'ailleurs qu'avec économie.
Lorsque soudain Yinfluensa
A leur fortune s'opposa.
Finir Quatre-vingt-neuf si mal! Quelle déveine !
Plus d'insulaires en vestons,
Plus de Chinois, plus de Teutons.
Toute résistance était vaine.
Le chanteur dans Lucie avait mis son espoir.
Il fut, hélas ! déçu. Lors, voyant, chaque soir,
S'enfuir leur bel argenl, à la fin, le pauvre homme
Courut chez le beurrier, lequel n'en dormait plus :
« Retirons-nous, dit-il, avec la forte somme.
AvoL- des millions, c'est notre rôle en somme,
Puisque presse, abonnés, public, sont convaincus
Qu'on doit parler de nous quand on parle d'écus ! »
— Le premier bal de l'Opéra a été absolument navrant. Nul entrain,
nulle gaité ; sous tous les masques moroses qui se promenaient clans les
couloirs lugubres, on croyait découvrir le nez allongé de M. Gailhard, pro-
menant sa mélancolie de directeur. Pour M. Ritt, il a pu constater le
lendemain une perte sèche de plus de 6,000 francs, dit-on, et cela n'était
pas fait pour le rendre radieux.
— A ajouter à la liste des nouveaux officiers d'académie les noms de
MM. Ernest Aider et Georges Mac-Master, compositeurs de musique.
— Dimanche dernier, très belle exécution, à Saint-Sulpice, de la Messe
Pontificale à deux chœurs avec accompagnement de deux orgues, de
M. Widor. Le beau Kyrie a été superbement enlevé, et le Gloria, le mor-
ceau de la partition le plus difficile, a été dit avec ensemble; la fin parti-
culièrement, d'une majesté et d'une grandeur admirables, a produit son
effet habituel. A l'Offertoire, le maître organiste a joué le premier morceau
de sa 5e symphonie pour orgue, que nous avons entendu dans la salle du
Trocadéro, où il sonnait moins bien qu'à l'église. La Messe s'est terminée
par le Sanctus, dont le motif simple revient avec un grand charme après
l'élévation sur les paroles du Benedictus, puis par VAgnus Dei, cette page
exquise, une des plus délicates et inspirées de l'œuvre de M. Widor. Une
trouvaille comme celle-là suffit pour faire d'un compositeur un maître.
Tous les honneurs de l'exécution reviennent de droit à M. Ph. Bellenot,
l'éminent maitre de chapelle autant qu'excellent organiste, qui dirige
avec tant de talent la maîtrise de Saint-Sulpice. — Henry Eymieu.
— Mardi 18 janvier, salle Erard, audition de musique moderne avec
chœurs, donnée par le ténor Rondeau, avec le concours de MmK Chami-
nade, Deleage, Pregi, Mélodia, de MM. Georgetti, Braud, etc., des œuvres de
MM. J. Faure, Puget, Gahen, de Saint-Quentin, Pessard, Alexandre
Georges, Bergson, etc., exécutées sous la direction des auteurs.
— Dimanche 2 février, à deux heures, à l'Académie de musique, 24,
bouievard des Capucines, concert donné par M. Ferdinand Munier, pia-
niste, pour l'audition générale de ses élèves.
— La société d'amateurs Euterpe donnera le 3 février une audition du
Requiem de Schumann (œuvre posthume) à la salle Érard.
— Mm0 Marie Jaêll donnera le 10 février, à la salle Érard, avec le con-
cours de l'orchestre Colonne, un concert particulièrement intéressant, dans
lequel elle exécutera les quatre concertos de piano de M. Saint-Saëns,
dans leur ordre naturel ; 1er, en ré majeui', op. 17 ; 2°, en sol mineur,
op. 22; 3e, en mi bémol, op. 2'J; 4e, en «( mineur, op. 44.
NÉCROLOGIE
Le compositeur Franz Lachner, le second et le plus fameux des quatre
frères de ce nom, est mort ces jours derniers à Munich. Fils d'un organiste
qui fut son premier maitre, il acquit lui-même un très grand talent non
seulement sur l'orgue, mais sur le piano et le violon, en même temps qu'il
devenait un compositeur extrêmement distingué et un chef d'orchestre
d'une rare habileté. Organiste de l'église évangélique de Vienne à la suite
d'un concours, chef d'orchestre ensuite au théâtre de Kaertnerthor. puis
maitre de chapelle de la cour ducale de Manheim, il se fixa enfin à Munich,
où il devint chef d'orchestre du théâtre royal et directeur général de la
chapelle et de la musique de chambre du roi de Bavière. Il a conservé ces
fonctions pendant plus d'un demi-siècle. Comme compositeur, Franz Lach-
ner, dont le talent était basé sur de solides études classiques, a pro-
duit considérablement et dans les genres les plus divers. Au théâtre, il
a donné plusieurs grands opéras, représentés à Munich : Alidia, die Burg-
scluift (la Caution), Catherine Cornaro et Benvenuto Cellini, plus une musique
pour un drame intitulé Lanassa, et une cantate, les Quatre Ages de l'homme.
On lui doit aussi un oratorio : Mo'ise. Pour l'orchestre il a écrit huit
symphonies, plusieurs ouvertures de concert, huit suites d'orohestre.
Pour l'église, trois messes solennelles, une messe de Requiem en fa,
des offertoires, hymnes, psaumes et graduels avec orchestre. Il s'est
aussi distingué dans la musique de chambre, avec des quintettes et qua-
tuors pour instruments à cordes, des quintettes pour instruments à vent, .
des trios pour piano, violon et violoncelle, des' sonates pour piano, piano
à quatre mains, piano et violon ; puis enfin deux concertos de harpe, un
concertino de basson, une élégie pour cinq violoncelles, des sonates,
fugues et canons pour l'orgue, des chants à quatre voix d'hommes, des
trios pour voix de femmes, de nombreux morceaux de genre pour piano
et pour divers instruments, sans compter des récitatifs pour la traduction
allemande de la Médée de Cherubini. La plupart de ces compositions sont
remarquables, et toutes décèlent un talent clair, sobre, ingénieux et
distingué. Né à Rein-sur-Leich. en Bavière, le 2 avril 1804, Franz Lachner
était conséquemment dans sa quatre-vingt-sixième année.
— De Wiesbaden on annonce la mort d'une des cantatrices les plus
distinguées de l'Allemagne, M"16 Peschka-Leutner. Née à Vienne le 2b
octobre 1839, Mlle Mina von Leutner, qui épousa plus tard un médecin, le
docteur Peschka, fit ses études musicales sous la direction de Proch et
débuta en 1850. au théâtre de Breslau, dans le rôle d'Agathe du Freischûtz.
Son succès fut très grand, grâce à sa voix de soprano léger, à son goût
naturel et à son intelligence de la scène. De Breslau elle passa à Dessau,
puis se rendit à Vienne, où elle se maria et où elle affermit son talent
en travaillant pendant deux années avec la célèbre Mlue Bockholtz-Falconi.
Elle débuta alors à l'Opéra impérial de Vienne, où le public lui fit fêle
dans le rôle de Marguerite des Huguenok; et où elle chanta successivement
Robert le Diable, Bon Juan, la Flûte enchantée, l'Africaine et divers autres
ouvrages. En 1867, après plusieurs années passées à Vienne, elle alla à
Darmstadt, y resta jusqu'en 1876, puis fut engagée à Leipzig et y conti-
nua le cours de ses succès, non seulement au théâtre, mais aussi aux
fameux concerts du Gewandhaus, comme chanteuse de lieder et d'oratorios.
Elle se fit entendre encore dans d'autres villes, notamment à Cologne, à
Dusseldorf et à Hambourg.
— Une dépèche nous annonce la mort, à Vienne, de M. Salomon Sul-
zer, le créateur de la liturgie israélite moderne. Sulzer avait rempli, pen-
dant cinquante-cinq ans, les fonctions de premier ministre officiant du
temple central de la capitale autrichienne. Ses brillantes capacités lui
auraient assuré une carrière facile et fructueuse au théâtre, comme pro-
fesseur de musique ; il préféra rester attaché à la carrière sacrée dans
laquelle il était entré dès l'enfance. Il employa son temps à réformer le
chant en recueillant les airs légués par la tradition, en les codifiant pour
ainsi dire au point de vue musical, en les arrangeant pour la voix et
pour l'orgue. Il les réunit en aeux volumes, connus sous le nom de Schir
Zion (les Chants de Zion), et qui lui coûtèrent trente années de travail. Il
avait composé en outre des hymnes, dont plusieurs datent du mouvement
de 1848 auquel il avait pris une part active. Sulzer a été le compagnon
et l'interprète de Liszt, de Schubert, de Beethoven et des principaux
représentants de la génération artistique de 1S30. Voici comment Liszt a
apprécié sa personne et son talent :
J'ai eu une seule fois la vision de ce que pourrait être un nouvel art musical
juif si les israélites pouvaient manifester, avec toute la chaleur qu'il comporte,
leur génie oriental. Cette vision, je l'ai eue en écoutant, à Vienne, le célèbre
Sulzer, qui, en sa qualité de marlre ebantre de la synagogue, a acquis une répu-
tation d'autant plus grande qu'elle est limitée à un cercle restreint de connais-
seurs. Chez cette nature d'artiste, le masque destiné à dissimuler l'intérieur était
moins épais : il y avait des moments où l'on pouvait lire dans l'Ame du chanteur
et y retrouver le cachet imprimé par les leçons paternelles. On eût dit que Sulzer
avait mesuré les quartiers de roches destinés à construire les pyramides, qu'il
avait traversé l'obscurité d'Egypte et vu, de ses yeux vu, l'orgueilleux Pharaon.
Il me semblait qu'il avait dû assister à l'engloutissement du roi et des siens dans
la mer Rouge, tandis qu'il apercevait ou ciel la colonne de feu destinée à montrer
le chemin au peuple élu. On aurait pensé que l'esprit du psalmiste voltigeait au-
dessus de nous dans le temple et que des chérubins planaient dans les airs,
s'agenouillant aux pieds du Créateur.
Sulzer s'est éteint à l'âge de quatre-vingt-six ans.
Heniu Heugel. directeur-gérant
IMI-HPILItlE UMIUU, I
•3068 - Sftme ANNEE - N° 5. PARAIT TOUS LES DIMANCHES Dimanche 2 Février 1890.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 Us, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement,
Un an Teste seul ■ 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 10 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 lr.. Pans et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. - Pour l'Etranger, les Irais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (47" article), Albert Soubies et Charles
Malherbe. — II. Bulletin théâtral : Prolégomènes de la reprise de Dimitri à
l'Opéra-Comique ; M. Paravey se multiplie, H. M. — III. Le théâtre à l'Espo-
sitkra (15" article), Arthur Pougix.— IV. Les études classiques au Conservatoire.
V. Revue des grands concerts. — VI. Nouvelles diverses. — VIL Nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour:
CAUSERIE D'OISEAUX
.nouvelle polka de Philippe Fahrbach. — Suivra immédiatement : Gigue,
par André "Wormser.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant : Ritournelle, nouvelle mélodie de Francis Thojié, poésie de François
Coppée. — Suivra immédiatement : Espoir en Dieu, nouvelle mélodie de
J. Faore, poésie de Victor Hugo.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Albert SOUBIES et Charles MALHERBE
CHAPITRE XIII
MEYERBEEK A l'opÉRA-COMJQL'E
l'étoile DU NORD
1853-1855
(Suite.)
Après l'Etoile du Nord, il était à craindre que le premier
ouvrage en trois actes, coulé dans le vieux moule, ne parût
bien petit. Victor Massé risqua la partie et en vingt représenta-
tions la perdit. La Fiancée du Diable, jouée en 1834, avait pour
auteurs Scribe et Romand, qui s'étaient inspirés pour leur livret
•d'une légende ayant cours au pays d'Avignon et déjà mise
en vers par Jasmin sous le titre de Francounetta. Ce diable
n'était autre qu'un marquis, joyeux farceur auquel l'amour
suggérait la pensée assez... infernale de pénétrer, déguisé
comme un démon, dans la chambre nuptiale de deux jeunes
époux ; mais il avait compté sans une amie qui découvrait
la fraude et l'arrêtait au milieu de sa folle équipée par la
menace d'un coup de pistolet. Pour expier son badinage, il
épousait finalement celle qui avait failli le faire passer de
vie à trépas et qui se trouvait ainsi mystifier son mystifica-
teur. L'histoire supposait chez les personnages une forte dose
de naïveté; le public se montrait trop sceptique pour l'accepter
■sans discussion et Victor Massé, dont c'était le premier grand
ouvrage, n'avait pas rencontré la veine mélodique de ses
charmants levers de rideau.
Une revanche fut prise le 28 juin avec un acte de Michel
Carré et feu Lorin, les Tromtelles. Sous ce nom, l'on désigne à
Naples les orphelines ou enfants trouvées qui sont élevées
dans un couvent jusqu'au moment de leur mariage. A certain
jour fixé, les pauvres recluses sortent de leur retraite et les
garçons des environs accourent pour choisir parmi elles
celles dont ils feront leurs femmes; c'est un peu ce que l'on
retrouve dans Martha, et dans une pièce du siècle dernier
appelée le Marché aux filles. Remarquons d'ailleurs que dans
l'antiquité, les mariages ne se faisaient pas autrement chez
les Assyriens. Les Trovatelles, qui d'abord avaient pour titre
l'Anier, puis l'Anier amoureux, parce que telle était la condition
de celui qui s'éprenait de la trovatelle, servirent de début à
un jeune compositeur, élève de Leborne et lauréat de l'Ins-
titut, M. Duprato. Début heureux, il faut le dire, puisque,
jouée pendant huit années, la pièce obtint 107 représenta-
tions. Ces bonnes fortunes se rencontraient alors, et nous
eu avons signalé plus d'une à cette époque, où le nom d'un
inconnu n'était pas un épouvantail pour le directeur. Aujour-
d'hui les portes du théâtre s'ouvrent plus difficilement, et
l'on ne trouverait guère à citer en vingt-cinq ans que Sylvie,
la Grand'Tante et les Amoureux de Catherine qui aient valu
comme levers de rideau un succès à leur auteur débutant.
Il est vrai qu'un début favorable n'est pas un sur garant de
réussite en l'avenir, et l'exemple de M. Duprato suffirait à
le prouver. Bien doué, plein de savoir, ce compositeur n'a
pas en naissant fait pacte avec la fortune, et toute sa carrière
artistique se poursuit dans une pénombre indigne de son
talent. Il a certes écrit plus de musique qu'il n'en a signé;
grâce à lui, plus d'un a remporté de vrais triomphes. Mais
qui le sait?
Il nous faut glisser rapidement sur l'Opéra au Camp (18 août
1854), primitivement intitulé l'Opéra à Fontenoy, un acte de
Paul Foucher, qui mettait en scène le maréchal de Saxe et
Mme Favart, une troupe de soldats et une troupe de comé-
diens. De tels héros sont communs au théâtre; ils ont tenté
plus d'une fois la verve des auteurs; qui ne se rappelle en
effet Adrienne Lecouvreur et aussi Maurice de Saxe, une pièce de
Jules Amigues qui contenait des parties excellentes, et dans
le domaine de l'opérette, Madame Favart d'Offenbach, successi-
vement personnifiée par Mmes Simon-Girard et Judic. Pour
l'Opéra au Camp, le maréchal de Saxe s'appelait Duvernoy, et
Mm Favart, M"e Andréa Favel. Leur talent ne suffit pas à plaider
avec succès la cause du compositeur, Varney, qui vivait
toujours sur la réputation de son Chant des Girondins, et la
13e représentation fut la dernière.
Un mois plus tard, le 16 septembre 1854, avait lieu une
34
LE MENESTREL
des reprises les plus importantes de celte période, importante
et par la valeur de l'œuvre et par la qualité des interprètes.
Croirait-on que le Pré aux Clercs, cette pièce classique, n'avait
pas reparu sur l'affiche depuis 1849? Il faut ajouter qu'une
telle interruption rentrait assez dans le système de M. Perrin :
produire de l'effet et par conséquent amener la recette, même
avec un vieil ouvrage. Volontiers il le laissait, pour ainsi
dire, reposer quelque temps, semblait l'oublier, puis tout à
coup le rappelait à la vie et au succès par une distribution
brillante et une mise en scène soignée. Ainsi fit-il pour le
Pré aux Clercs, où furent applaudis Mme Miolan-Carvalho (Isa-
belle), Mme Golson, venue du Théâtre-Lyrique et débutant à
la salle Favartdans le rôle delà Reine, Mne Lefebvre (Nicette),
MM. Puget (Mergy), Couderc (Comminges) Sainte-Foy, (Can-
tarelli), Bussine (Girot). L'événement répondit aux calculs
du directeur; cette reprise fournit 46 représentations en
1854, et 44 l'année suivante. C'est, par parenthèse, à la suite
de la représentation gratuite donnée, en cette année 1855, à
l'occasion de la prise de Sébastopol, que fut modifié certain
détail de mise en scène relatif à l'œuvre d'Herold. Jusqu'alors,
les acteurs chargés du rôle de Mergy tiraient de leur poche
le message qu'ils apportaient, à Marguerite de Valois de la
part de son mari le roi de Navarre. Ce soir-là, un soldat
placé à l'orchestre fit à haute voix une réflexion assez juste:
«Oh! ce gaillard-là prend dans sa culotte la lettre à la Reine! »
Le mot franchit la rampe, et depuis lors Mergy dut placer le
message dans sa ceinture. Fermons notre parenthèse pour
constater que depuis la reprise de 1854, le Pré aux Clercs s'est
maintenu fermement au répertoire et, sur un espace de plus
de trente ans, on ne signale à son passif qu'une éclipse de
deux années, en 1863 et 1864.
Une telle reprise laissait dans l'ombre toutes les autres, et
c'est pour mémoire seulement que nous citons en cette même
année : le 24 avril, le]Songe d'une Nuit d'été avec MIles Lefebvre
(Elisabeth), Belia, MM. Couderc, Jourdan et Faure, excellent
sous les traits de Falstaff; le 17 juillet, Gille Ravisseur, avec
Mlle Lemercier (Isabelle), Mme Blanchard, MM. Hermann-Léon
(Crispin), Ponchard (Léandre), Sainte-Foy (Valentin), Duver-
noy et Lemaire ; le 11 août, les Porcherons, avec Mllc Lefebvre
(Mmede Bryane) Mme Félix, MueDecroix, MM. Mocker(Danceny),
Hermann-Léon, Sainte-Foy, Bussine, Lemaire; le 25 août, les
Mousquetaires de la Reine avec une distribution toute nouvelle,
puisque Hermann-Léon restait seul de la création, soit avec
MM. Puget (Olivier), Delaunay-Riquier, Mlle Boulart (Athénaïs),
M1Ie Larcéna (Berthe) ; enfin, le 26 août, Marco Spada avec Mlle Du-
prez (Angelo),M1IeFavel, MM. Jourdan, Couderc, Bussine, Car-
valho et Faure; ce dernier remplissait, pour la première fois,
le rôle du baron de Torrida, créé par Battaille.
A toutes ces reprises devait succéder, avant que l'année
musicale eût pris fin, une nouveauté ; et cette nouveauté fut
un succès. Une fois de plus, Michel Carré et Jules Barbier
avaient été bien inspirés en traçant ce petit tableau du
XVIIIe siècle, où certaine marquise jouait la paysanne pour
mieux ensorceler son amoureux; avec les Sabots de la Marquise
ils avaient retrouvé l'heureux filon des Noces de Jeannette, et le
compositeur, Ernest Boulanger, donnait un pendant à son
premier succès, le Diable à l'école. Cet acte fut joué le 29 sep-
tembre 1854, se maintint au répertoire pendant dix années
consécutives, et fut repris en 1867. Il n'obtint pas en tout
moins de 110 représentations, et de nos jours, il est plus
d'une ville en province où résonne encore l'aimable couplet
que disait si finement M"e Lemercier :
Aimons qui nous aime!
C'est le bon système
A suivre ici-bas ;
Si Nicolas m'aime.
Va pour Nicolas !
Cependant, à la salle Favart un événement s'était produit,
qui pouvait influer sur ses destinées et changer en bien ou
en mal le cours de sa fortune. Le directeur du Théâtre-Ly-
rique, M. Jules Seveste, était mort subitement, et la nécessité
de ne pas laisser péricliter son entreprise à l'heure où elle
commençait à prospérer, avait fait naître l'idée de recourir
aux talents de M. Emile Perrin. Par décision du 16 juillet, il
arriva donc que les privilèges des deux théâtres, quoique
demeurant distincts, furent réunis entre les mêmes mains.
C'était la réalisation d'un rêve assurément cher au directeur
privilégié, puisque plus tard, lorsqu'il administra l'Opéra, puis-
la Comédie-Française, il eut l'idée d'adjoindre à l'Opéra
l'Opéra-Comique, à la Comédie l'Odéon, se plaisant ainsi
à la concentration des pouvoirs et à l'unité de la direc-
tion. Mais en 1854, l'opinion s'émut de cette combinaison,
et la presse en général la désapprouva. On voyait dans
le Théâtre-Lyrique une sorte d' « éperon mis au flanc
de l'Opéra-Comique, » autrement dit une cause perpétuelle
d'émulation. On craignait que cette rivalité, profitable à
l'art, ne disparût, et d'aucuns soupçonnaient déjà M. Perrin de
ne vouloir diriger cette entreprise que pour n'avoir pas à
souffrir de dommage s'il la laissait diriger par un autre. On
disait même que « cette double administration risquait d'ar-
mer, d'une dangereuse omnipotence, les prédilections et les
sympathies de celui à qui elle était confiée, et que la disgrâce
encourue fermerait ainsi toutes les portes à la fois. » Devant
cette opposition, jointe aux exigences très exagérées de la
Société des auteurs, M. Perrin donna sa démission, puis, sur
des instances venues de haut, il la reprit et consacra dès
lors autant de zèle et d'activité au second théâtre qu'au
premier. Il avait constitué une troupe solide, en tète de la-
quelle marchait une nouvelle recrue, qui devait un jour ser-
vir sous ses ordres à la salle Favart, Mme Marie Cabel ; il avait
choisi un certain nombre d'ouvrages, et trouvé ceux qui de-
vaient produire de fortes recettes : parmi les nouveaux, Jagua-
rita l'Indienne, parmi les anciens la Sirène, la seule pièce
d'Auber qui ait jamais été jouée au Théâtre-Lyrique; en un
mot, du jour de l'ouverture (30 septembre 1854), à celui de la
clôture (30 juin 1855), car, en dépit de l'Exposition universelle,
on s'avisa de fermer l'été, — son ardeur ne se ralentit pas;
malheureusement, si intéressante que fût sa tentative, il re-
nonça bientôt à la poursuivre. A la rentrée, le sceptre direc-
torial était passé, par un décret en date du 29 septembre
1855, aux mains de Pellegrin, prédécesseur immédiat de
M. Carvalho; l'expérience n'avait donc pas assez duré pour
être concluante, et l'en ne peut savoir le bien ou le mal qui
serait résulté pour les théâtres, pour les auteurs et pour les
artistes de cette gestion en partie double, confiée à un homme
dont le talent et l'honorabilité ne faisaient doute pour per-
sonne. (A suivre.)
BULLETIN THEATRAL
PROLÉGOMÈNES DE LA. REPRISE DE DIMITRI
C'est très probablement mercredi prochain qu'aura lieu à l'Opéra-
Comique la première représentation de la reprise de Dimitri. Il est
donc tout naturel qu'on se répande en renseignements préliminaires
et en souvenirs rétrospectifs au sujet de cette intéressante partition
de M. Victorin Joucières. C'est ce que nous allons faire comme nos
confrères.
C'est le compositeur lui-même qui eut l'idée de tirer un sujet
d'opéra d'un drame que Schiller avait laissé inachevé et qui déjà
avait inspiré un roman à Prosper Mérimée, le Faux DémHrius, et une
pièce en vers à M. Léon Halévy, le Csar Démétrius, représentée non
sans succès ;i la Comédie-Française vers 1835. A ces diverses sources
puisèrent les deux collaborateurs : MM. Henri de Bornier et
Armand Silvestre que le musicien s'adjoignit pour la confection
du livret de Dimitri.
M. Joncières était alors, — et il l'est même encore, croyons-nous, —
professeur au lycée Henri IV, et c'est dans une des vastes salles
de cet établissement, mise gracieusement à sa disposition par le
proviseur pour l'isoler du reste des humains et favoriser son travail,
que le compositeur écrivit la partition que nous allons bientôt
réentendre.
Ouand l'oeuvre fut achevée, on pensa tout de suite à l'Académie
LE MENESTREL
35
nationale de musique pour sa représentation. Ce n'était pas alors
MM. Ritt et Gailhard qui en conduisaient les destinées de la façon
brillante qu'on sait, mais simplement l'honnête M. Halanzier, qui
n'était peut-être pas aussi brillant, mais qui faisait tout de même
de meilleure besogne. Malheureusement, les circonstances n'étaient
pas favorables alors pour l'apparition d'une oeuvre nouvelle à l'Aca-
démie de musique, — elles ne le sont jamais au dire des directeurs.
M. Halanzier était uniquement absorbé, à cette époque, par la recon-
stitution du répertoire. Car on était au beau temps de l'inauguration
de la nouvelle salle de M. Charles G-arnier, où tout était à faire et
à refaire au point de vue des représentations.
Notre compositeur, empêché de ce côté, eut bien vile fait de se
retourner d'un autre.
Le Théâtre-Italien, venait brusquement de disparaître, laissant
sans emploi, sur les fonds votés Tannée précédente pour sa subven-
tion, une somme liquide de 200,000 francs. Cette somme devait faire
retour au Trésor si elle ne trouvait pas de destination avant le
1er juin 1876.
M. Joncières eut connaissance de cet état de choses, il en fit
part à M. Vizentini, qui venait de prendre la direction de la G-aité
et qu'il savait être écrasé, comme l'avait été son prédécesseur Of-
fenbach, par les frais énormes des féeries et des pièces à spectacle.
Il lui insinua qu'un changement de genre dans ce quartier pourrait
être pour lui un coup de fortune, et que de la Galté il devait faire
un théâtre de musique. Sur quoi tous deux s'en allèrent solliciter
privilège et subvention ; ils obtinrent l'un et l'autre. Les ministres
d'alors prenaient quelque souci des choses de la musique.
On était au mois de mars ; il n'était pas facile à cette époque de
l'année de constituer une troupe d'opéra ; les difficultés furent
-grandes ; on les surmonta pourtant, et, le 6 mai, le Théâtre-Lyrique
ouvrait ses portes avec Dimilri, établissant ainsi ses droits à la
subvention.
Pour remettre l'oeuvre à la scène, M. Paravey, toujours fastueux
— ses moyens le lui permettent — n'a rien négligé. Tous les décors
sont neufs et vous m'en direz des nouvelles. Il n'y a pas moins de
480 costumes, également nouveaux, dus au crayon élégant de
M. Bianchini, d'après des dessins originaux de l'époque.
Dimitri ne comporte pas moins de cinq actes et six tableaux, dont
voici l'énumération.
1er tableau. — Les abords du monastère de Wiadka. Site sauvage.
Effet de neige'.
2e tableau. — Le palais de Wanda, à Cracovie. Grande fête en
l'honneur de Sigismond, roi de Pologne.
3e tableau. — Une salle basse de la forteresse de Wilska.
4° tableau. — Le Camp devant Moscou, avec la ville en perspective.
La lente de Dimitri à droite. Grand déploiement militaire.
Se tableau. — Intérieur de la tente de Dimitri.
6e tableau. — La place Rouge à Moscou, avec un aperçu de l'é-
glise Wasili; à gauche et dans le fond, la porte rouge du Kremlin.
A droite, au premier plan, la fenêtre avancée d'où le comte Lusace
tire le coup d'arquebuse qui tue Dimitri. C'tst ce tableau qui en-
cadre le défilé du couronnement : grand cortège, officiers moscovites,
grand'gardes, boyards, dames d'honneur, Cosaques Zaporogues, le
Tsar et les deux Impératrices.
Voici la distribution actuelle de Dimitri, en regard de celle de la
création :
Dimilri
Comte Lusace
Job
Le Prieur
Un Hetmann
Marpha
Narina
Wanda
THEATRE-LYRIQUE
5 mai 1876
MM. Duchesne
Lassalle
Gresse
Comte
Watson
MmcB Engally
Zina Dalti
Belgirard
OPERA-COMIQUE
février 1890
MM. Dupuy
Soulaeroix
Fournets
Cobalet
Galand
Mmcs Deschamps
Landouzy
Gavioli
Il y aura au 4e tableau un grand ballet réglé par M110 Marquet.
Et maintenant au rideau !
Ce n'est d'ailleurs pas la dernière fois de la saison que nous le
verrons se lever, ce fameux rideau de M. Paravey, s'il faut en croire
toutes les annonces mirifiques qui courent les journaux. On ne sait
plus auquel entendre.
L'un nous dit avec le plus grand sérieux que le premier ouvrage
qui passera après Dimitri sera Joël, le drame lyrique de M"1" la ba-
ronne Legoux, attendu qu'elle a un traité en poche qui lui assure la
représentation de son ouvrage pour le mois de février. Et de fait
cela nous paraît certain, car, ce traité, nous l'avons pu lire de nos
yeux, et M. Paravey n'est pas homme à manquer à un engagement.
Mais voici l'autre qui réclame, et prétend qu'avant tout c'est le
tour du Marchand de Venise de M. Défies, lequel n'a pas un moindre
traité que la baronne, toujours pour le mois de février. Il y aurait
même un dédit stipulé et l'agent des auteurs, M. Debry, serait déjà
intervenu auprès du directeur pour lui demander l'exécution de sa
promesse,
Un dédit! s'écrie un troisième, mais il y en a un aussi de fixé
(15,000 francs) dans l'engagement conclu entre M. Paravey et
M.Casteignier, l'auteur des Normands, drame lyrique en cinq actes et
six tableaux qui doit être représenté sans faute dans le courant du
mois de mai.
Et Dante et Béatrix, deM. Godard? Et Benvenuto Cellini, de M. Diaz?
Et l'Ondine, de M. Rosenlecker? Et tout le reste, clament encore
nos autres confrères? Tous ont des traités, tous ont des dédits,
tous des époques fixes. Et devant ce flot d'opéras qui menacent de le
submerger, M. Paravey demeure calme et imperturbable. Vous verrez
que ce diable d'homme dont l'activité est déjà légendaire, tiendra
parole à tous, et qu'il saura s'y prendre de telle façon que cha-
cun arrivera à l'heure dite, quand il devrait pour cela se multiplier.
Au lieu d'un seul Paravey, nous en aurons deux, trois, quatre, cinq.
Il n'y en aura jamais de trop. H. M.
LE THÉÂTRE A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889
IX
ARCHITECTURE ET MACHINERIE THÉÂTRALES
Nous n'en avons pas fini avec la galerie supérieure du palais des
Arts libéraux, et nous allons cette fois nous trouver en présence
d'une des manifestations les plus neuves et les plus curieuses aux
quelles ait donné lieu l'exposition relative au théâtre. Je veuxparler
de la reconstitution exacte, à l'aide de documents d'une authenticité
incontestable, et sous la forme de maquettes établies avec une fidélité
scrupuleuse, de quelques-unes des plus anciennes salles de spectacle
qu'ait possédées Paris: celle de l'Hôtel de Bourgogne lors de sa
seconde occupation par la Comédie-Italienne; celle qui, édifiée au
Palais-Royal par les soins du cardinal de Richelieu pour les repré-
sentations de sa tragédie de Mirame, servit ensuite à Molière et à sa
troupe, puis devint celle de l'Opéra de Lully; la fameuse salle dite
des Machines, construite en 1661 aux Tuileries par Vigarani pour
les grands spectacles de la cour, et qui, longtemps abandonnée,
abrita plus tard le Spectacle en décoration de Servandoni, servit un
instant de refuge à l'Opéra (après l'incendie de 1763), puis à la
Comédie-Française (c'est là qu'eut lieu le couronnement de Voltaire),
et enfin fut occupée en 1789 par le Théâtre de Monsieur, jusqu'au
jour où la Convention y tint ses mémorables séances; enfin, la salle
que la Comédie-Française se fit construire en 1689 au jeu de paume
de l'Étoile, rue Neuve-des-Fossés (aujourd'hui rue de l'Ancienne-
Comédie), et où elle demeura jusqu'en 1770.
Procédons par ordre, et commençons par l'Hôtel de Bourgogne, le
plus ancien théâtre régulier qu'ait connu Paris. Il va sans dire que
nous ne le verrons pas ici tel qu'il était au temps où les Confrères
de la Passion l'avaient fait aménager à leur usage, ni même à l'épo-
que où nos premiers grands comédiens français s'y faisaient les in-
terprètes des comédies de Boisrobert et de Quinault, des tragédies
de Corneille et de Rotrou. J'ai dit qu'il s'agissait de la seconde
période de la Comédie-Italienne, celle qui s'étend de 1716 à 1783, et
nous touchons même à la fin de cette période, eelle où, malgré son
ancien titre, ce théâtre est devenu presque exclusivement frança1S.
et où il s'adonne surtout au genre de la « comédie à ariettes, »
c'est-à-dire de l'opéra-comique. En effet, la maquette qui nous
représente l'ancienne salle de la rue Mauconseil a été établie d'après
un dessin de Wille fils, conservé au cabinet des estampes de la
Bibliothèque nationale, et qui est daté de 1767. Ce dessin, qui donne
l'ensemble de la salle et de la scène, a été pris pendant une repré-
sentation de Rose et Colas, le gentil petit chef-d'œuvre de Sedaine
et Monsigny, dont il nous montre un épisode : Malhurm est assis,
à droite, auprès du rouet, écoutant Rose et Colas, qui sont debout
devant lui.
Il est évident que les anciens Comédiens-Italiens, en prenant pos-
session de la salle de l'Hôtel de Bourgogne, avaient dû la modifier
selon les coutumes de leur pays, et que ceux qui prirent en 1710
36
LE MENESTREL
leur succession avaient laissé les choses en l'état. Aussi voit-on ici
que, selon ces coutumes, l'avant-scène pénètre profondément dans
la salle, presque jusqu'aux deux tiers, et que les acteurs, laissant
bien loin derrière eux le manteau d'Arlequin, sont littéralement
entourés, on pourrait dire enveloppés par le public; c'est ce que
nous voyons encore aujourd'hui en Italie, surtout dans les grands
théâtres lyriques, comme la Scala de Milan, qui peut être considérée
comme le type de ceux-ci. La scène est éclairée, par en haut, à
l'aide de deux lustres à bougies, placés l'un à droite, l'autre à gauche.
Quant à la salle, elle comporte trois rangs de loges, dont les balcons
sont décorés avec goût, le second rang étant orué d'une série de lyres
peintes sans doute lors d'une réparation récente, et depuis que le
théâtre s'était surtout consacré à la représentation de pièces musi-
cales. La maquette, très aimable et très vivaute, nous montre ces
loges garnies d'un nombreux public. L'effet d'ensemble est tout à
fait charmant.
Avec la gouache très curieuse dont j'ai parlé précédemment et qui,
en reproduisant l'épisode de l'expulsion des premiers Comédiens-
Italiens en 1697, nous donnait une vue extérieure di leur théâtre,
avec le dessin de Wille fils et cette maquette qu'il a servi à établir,
nous pouvons aujourd'hui nous faire une idée exacte, précise, non
seulement de l'aspect architectural de l'ancien Hôtel de Bourgogne,
vu du dehors, mais de ce qu'était, intérieurement et extérieurement,
cet aimable théâtre de la Comédie-Italienne dans la seconde moitié
du dix-huitième siècle, c'est-à-dire au temps de sa plus grande
vogue et de sa plus complète splendeur.
La seconde maquette est ainsi désignée: « Salle du Palais-Royal,
construite pour le cardinal de Richelieu, transformée et occupée par
Molière,I660-1673, puis par l'Opéra, 1673-1763. » Cette salle en effet
fut celle que le cardinal, qui, on le sait, aimait beaucoup le théâtre
et prétendait en faire lui-même, fit élever dans son palais par les
soins de Le Mercier, pour sa fameuse tragédie de Mirame, écrite
avec Boisrobert, et dont la représentation date de 1639. Le succès
assez fâcheux de cette pièce le découragea au point de laisser sans
destination un théâtre qui était eonsidéré comme le plus beau qu'il
y eut alors en France. La maquette nous offre la coupe longitudi-
nale de la scène et de la salle après les modifications que Molière
leur eut fait subir non seulement lorsqu'il vint s'y établir le 20 jan-
vier 1661, mais après le remaniement auquel il les soumit dix ans
après. Ce modèle nous présente la scène complètemente nue, sans
aucun décor, et meublée seulement des portants destinés à recevoir
et à supporter les faux-châssis des coulisses, de sorte qu'on voit lf s
quatre fenêtres qui percent les murs en haut, sur le côté situé à
droite de l'acteur, et les deux qui donnent sur le corridor du cintre.
On a seulement fait figurer sur la scène deux personnages, deux
danseurs, pour donner une idée exacte des proportions. En décri-
vant ce théâtre, Sauvai dit, dans ses Antiquités de Paris: « La ma-
nière de ce théâtre est moderne, et occupe, ainsi que je l'ai dit,
une longue salle couverte, et quarrée longue. La scène est élevée à
un des bouts, et le reste occupé par vingt-sept degrés de pierre,
qui montent mollement et insensiblement, et qui sont terminés par
une espèce de portique, ou trois grande arcades : mais cette salle
est un peu défigurée par deux balcons dorés, po=és l'un sur l'autre
de chaque côté, et qui, commençant au portique, viennent finir
assez près du théâtre. » La Bibliothèque uationale possède un des-
sin qui représente la salle du Palais-Royal à la suite des transfor-
mations dont elle fat l'objet d'abord de la part de Molière pour sa
troupe, ensuite de la part de Lully pour l'Opéra. C'est d'après ce
dessin, document absolument authentique, qu'a été établie la
maquette dont il est ici question. On y voit, en premier lieu, que les
deux balcons dorés qui la défiguraient, au dire de Sauvai, ont été
remplacés par trois rangs de loges qui contournent la salle, et, en
second lieu, que le plancher de celle-ci a été considérablement
exhaussé, puisque, sous les bancs de l'amphithéâtre, on peut aper-
cevoir les degrés de pierre dont parle l'écrivain et sur lesquels on
plaçait des sièges destinée aux nobles invités que le cardinal en-
gageait à venir voir chez lui la comédie. ■
La salle du Palais-Royal, rendue publique en 1661, fut détruite,
le 6 avril 1763, par un incendie qui coûta la vie à deux capucins.
Elle avait donc eu une existence active d'un peu plus d'un siècle,
et l'Opéra y avait séjourné pendant quatre-vingt-dix ans. Durant les
premières années de son occupation par ce théâtre, elle avait retenti
des nobles accents de Lully, et les dernières lui firent connaître tous
les chefs-d'œuvre de Rameau (1). Elle vit donc deux des périodes
les plus brillantes et les plus mémorables de l'histoire de la musi-
(1) Hameau mourut le 12 septembre 1764.
que dramatique française. Et si l'on songe qu'elle vit représenter
auparavant la plupart des œuvres maîtresses de Molière et quelques-
unes de Corneille et de Racine, on peut dire qu'elle tient une place
à part, et singulièrement importante, dans les annales de notre'
théâtre.
(A suivre.) Arthur Poiigin.
LES ÉTUDES CLASSIQUES Aïï (MSERYATOIRE
Nous avons annoncé que le conseil supérieur d'enseignement du Conser-
vatoire avait été convoqué, sous la présidence de M. Larroumet, directeur
des beaux-arts, pour étudier les modifications à apporter dans le régime
des examens et concours de cet établissement. A la suite de cette étude
et sur le rapport de M. Larroumet, M. Faîtières, ministre de l'instruction
publique et des beaux-arts, vient'd'adresser la lettre suivante à M. Ambroise
Thomas, directeur du Conservatoire :
Palais-Roval, 27 janvier.
Monsieur le directeur,
Le Conservatoire national de musique et de déclamation n'a pas reçu jusqu'à
présent de programmes détaillés. Dans un ordre d'études où les mêmes règles
ne sauraient s'appliquer à des enseignements très divers, l'administration supé-
rieure a voulu laisser à chaque maître la liberté d'appliquer sa méthode d'après
son expérience personnelle et la nature de son talent ; l'autorité et la compétence
des artistes éminents qui se sont succédé dans la direction ont toujours suffi
pour maintenir l'unité générale de tendances et de résultats.
Je ne songe pas à rompre avec une tradition qui a donné beaucoup de sou-
plesse à l'enseignement du Conservatoire, mais selon votre désir, je tiens à fixer
par des prescriptions formelles le régime des concours' de fin d'année qui, en-
constatant les résultats des études, exercent sur elles tant d'influence.
L'enseignement du Conservatoire doit être fondé sur l'étude de notre répertoire
classique musical et dramatique. Consacrées par le temps, les œuvres qui le com-
posent ont fait leurs preuves d'excellence et restent au-dessus des variations du
goût ; elles offrent un caractère commun de simplicité, de justesse et de mesure
qui constituent les qualités essentielles de notre génie national ; elles sont les
meilleurs guides pour la formation et la direction premières des talents ; elles ne
risquent jamais d'égarer et peuvent suffire à toutes les variétés d'aptitudes.
Nos compositeurs et nos auteurs contemporains ajoutent incessamment à ce
répertoire nombre d'eeuvres dont beaucoup sont destinées à devenir classiques-.
Mais, avant de leur accorder une place prédominante, il importe que le temps
leur ait donné sa consécration.
Les élèves du Conservatoire sont trop portés à méconnaître cette nécessité.
Ils croient trouver des succès plus faciles en s'essavant dans des œuvres que le
public vient d'applaudir. Us négligent de plus en plus le répertoire classique et,
dans les programmes des derniers concours, le nombre des morceaux modernes
l'emportait de beaucoup sur celui des morceaux anciens. C'est le contraire qui
devrait être.
J'ai donc chargé le conseil supérieur d'enseignement institué près le Conser-
vatoire d'étudier la question et de me proposer les mesures qu'il croirait les plus
capables de ramener les élèves à la vraie notion de leurs études. Après avoir pris
connaissance des procès-verbaux de ses séances, j'ai arrêté un certain nombre
de dispositions qui s'appliquent également à l'enseignement musical et à l'ensei'-
gnement dramatique.
Elles ne visent pas à exclure le répertoire moderne de l'enseignement et des
concours. Il doit y conserver sa place légitime ; mais il sera désormais néces-
saire que tous les élèves aient étudié le répertoire classique et, s'ils le négligent,
vous aurez le moyen de les y ramener.
Ces dispositions sont les suivantes :
1° Les scènes ou morceaux d'examens et de concours doivent être soumis au
directeur du Conservatoire. Ils sont proposés par les professeurs de chaque classe
un mois avant l'épreuve ; la liste générale est arrêtée par le directeur.
2° Pour les examens semestriels, chaque élève doit présenter une liste compre-
nant quatre scènes ou morceaux dont deux peuvent être modernes. Le comité
d'examen des classes choisit la scène ou morceau sur lequel l'élève sera examiné..
3° Pour les concours publics, la liste doit comprendre deux scènes ou mor-
ceaux : l'un ancien, l'autre moderne. L'élève peut indiquer ses préférences et,
après avis du professeur, le comité d'examen des classes décide dans lequel de-
ces scènes ou morceaux l'élève doit concourir.
4° Les élèves qui concourent pour la première fois ne peuvent passer que dans-
une scène ou morceau ancien.
5° Les scènes de déclamation lyrique et dramatique ne peuvent être choisies
que dans les ouvrages joués sur l'un des théâtres nationaux, et dont la première
représentation remonte au moins à dix ans.
Ces dispositions, monsieur le directeur, seront exécutoires pour les examens et
concours de 1890 ; je vous invite donc à les porter immédiatement à la connais-
sance de MM. les professeurs et à tenir la main à leur application. J'apprécierai,
sur votre rapport, à la fin de la présente année, les résultats obtenus, et je verrai
quelles modifications peuvent être apportées à ce règlement provisoire avant de
lui donner la forme d'un arrêté définitif.
Pour la déclamation dramatique, il convient d'entendre par morceaux anciens
ceux qui sont empruntés aux auteurs des XVII0 et XVIII" siècles et de la pre-
mière moitié du XIX", en s'attachant de préférence aux œuvres de premier rang.
Quant aux morceaux de musique et de déclamation lyrique, il serait à sou-
haiter, afin de guider le choix des professeurs et des élèves, qu'un catalogue de
scènes et de morceaux fut dressé par le conseil d'enseignement. La variété de
connaissances et de talent des maîtres qui composent le conseil donnerait à ce
catalogue toute la largeur désirable et écarterait certains morceaux trop faciles
ou trop difficiles, surannés ou conventionnels, qui offrent des inconvénients de
diverses natures et ne prouvent pas assez.
Je charge le directeur des beaux-arts de s'entendre avec vous pour que ce cata-
LE MENESTREL
37
logue soit dressé le plus tût possible; dès qu'il aura été revêtu de mon approbation,
les morceaux de concours ne pourront plus être choisis en dehors de lui.
Veuillez, etc.
Le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts.
A. FAI.LIÈRES.
Pour amplialion,
Le directeur des beaux-arts,
GUSTAVE I.ARROUMET.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
La Société des concerts du Conservatoire nous a fait connaître, à sa
dernière séance, une œuvre importante et d'un grand caractère, depuis
longtemps célèbre en Angleterre, mais qui, je crois, n'avait jamais été
exécutée en France, ou tout au moins à Paris. Je veux parler de la
fameuse Ode à sainte Cécile, de Hïcndel, Ode sanla Cecilia'sday, que ce grand
maitre écrivit à Londres en 1739, sur un poème de Dryden, et qu'il pro-
duisit avec un très grand succès sur le théâtre de Covent-Garden, dont
il était alors directeur. Cette noble et puissante composition date de
l'époque où il commença à se consacrer tout particulièrement à la pro-
duction des oratorios, et où il écrivit successivement Israël en Egypte, le
Messie, Samson, Saùl, Sémélé, Hercule, Balthazar, Judas Machabée, Josué, etc.
Son talent était dans toute sa splendeur, dans toute sa force, dans tout
son éclat, son expérience était complète, et l'on s'en aperçoit à la façon
dont est traitée l'Ode à sainte Cécile, qui, pour un peu monotone qu'elle
paraisse à certains esprits superficiels et inhabiles à se rendre compte
de la différence des temps, n'en est pas moins très curieuse, en dehors
de sa grande valeur intrinsèque, pour l'ingéniosité avec laquelle l'auteur
a su varier ses effets aussi bien que ses moyens d'action, accompagnant
chaque morceau d'une façon différente, mettant en relief dans chacun de
ces morceaux tantôt un instrument, tantôt un autre, changeant ainsi
chaque fois de couleur et d'allure et produisant les impressions les plus
diverses. Et puis, quel style, quelle belle ordonnance générale, et quelle
admirable langue musicale ! Dès l'ouverture, en style fugué, on peut
remarquer l'attaque originale de l'allégro par les premiers violons, aux-
quels les seconds répondent bientôt avec précision. Le premier récit du
ténor paraît un peu froid, mais il est suivi d'un chœur d'une sonorité
superbe, annoncé par une jolie ritournelle de violons, dont le contrepoint
ingénieux contraste ensuite heureusement avec l'ampleur du dessin
choral. Un air de soprano, admirablement chanté par Mm0 Melba, et
précédé d'un solo de violoncelle au rythme plein de grâce et d'élé-
gance, forme comme une sorte de duo concertant entre la voix et le
violoncelle, que soutiennent seulement les altos et les violoncelles du
ripieno. L'air de ténor avec chœur, qui suit, et qu'annonce une attaque
vigoureuse des trompettes dans leur diapason le plus élevé, forme avec
ce morceau plein de charme et de douceur le contraste le plus frappant;
celui-ci est énergique, vivement coloré, plein de carrure et de majesté.
La marche qui lui succède, courte et d'un beau style, est elle-même suivie
d'un second air de soprano, d'une grâce et d'une délicatesse exquises, dans
lequel la flûte dialogue délicieusement avec la voix ; c'est là une inspira-
tion vraiment enchanteresse. Vient ensuite un air de ténor, qu'accompagne
le seul quatuor des instruments à cordes, et, pour terminer, un finale
grandiose, dans lequel l'orgue, par une entrée majestueuse, prépare un
récit de soprano d'un style merveilleux et d'un phrasé magistral, lequel
fait place à un chœur d'un éclat, d'une grandeur et d'une sonorité su-
perbes. Finis coronat opus: c'est là le digne couronnement d'une œuvre
tantôt hardie et vigoureuse, tantôt pleine de séduction, toujours pure de
lignes, d'un caractère plein de noblesse et d'élévation. — L'exécution était
à la hauteur de l'œuvre. M"10 Melba, chargée de la partie de soprano, y a
fait briller non seulement sa voix si pure, si caressante, si énergique
lorsqu'il en est besoin, mais les qualités d'un style d'une largeur et d'une
sévérité qu'on n'attendait peut-être pas d'elle parce qu'elle n'avait pas eu
l'occasion de les déployer encore; aussi son succès a-t-il été bruyant et
complet. Ce succès a été partagé par son partenaire, M. Engel, dont le
rôle était moins important, mais qui a su, lui aussi, y déployer de re-
marquables qualités. A côté des deux chanteurs, il faut signaler les solistes
de l'orchestre, qui se sont distingués d'une façon toute particulière:
M. Taffanel, dont la flûte a fait merveille dans le second air de M"10 Melba;
M. Teste, dont on ne trouverait sans doute pas l'égal à Paris pour la justesse,
la vigueur, l'éclat, la sûreté qu'il a su donner aux attaques et aux rentrées
de trompette de l'air de ténor; enfin, M. Rabaud, qui, s'est surpassé dans
la ritournelle et l'accompagnement du premier air de soprano. Quant à
l'ensemble, qui fait le plus grand honneur à la direction de M. Garcin,
il a, été parfait de tout point, aussi bien de la part des chœurs que de l'or-
chestre. — Je ne saurais plus m'étendre longuement sur l'exécution de la
symphonie en la mineur de Mendelssohn, qui ouvrait le programme, non
plus que sur celle de l'ouverture i'Euryanthe, de Weber, qui le terminait. Il
me suffira de dire que l'une et l'autre étaient dignes des traditions et des
coutumes de la Société. — Arthur Pougin.
— Quatorzième concert du Chàtelet. Très bonne exécution de la Sym-
phonie écossaise de Mendelssohn. Il y a eu un peu d'hésitation dans le
début lu scherzo; mais le reste de l'œuvre a marché à ravir. M. Vergnet
a dii avec infiniment d'ampleur et de goût la prière de llieuzi, île Wagner.
Cette belle page, dont le motif figure comme introduclion dans l'ouver-
ture, fait moins d'effet dans un concert qu'à la scène, où elle esl vérita-
blement émouvante. Combien ce morceau est supérieur à la Siegfried-ldyll,
composée par Wagner en l'honneur de son premier-né, sur divers motifs
de son opéra. Cette pièce, destinée à endormir un enfant, produit égale-
ment bien cet effet sur les adultes. Il y a cependant quelques jolies phrases
dans cette berceuse. Le public l'a généralement trouvée un peu longue,
malgré sa bonne exécution. Les pièces d'orchestre de M. Duvernoy :
Moment musical, Marche funibre, Scherzo symphonique, ont été bien accueillies,
surtout le scharzo, qui a été fort applaudi. M""* Roger-Miclos a dit avec
beaucoup de sentiment et de délicatesse le concerto en ré mineur de
Mozart. Son succès eût été plus vif si elle avait accentué les passages
énergiques de ce concerto. Certes, le côté tendre domine dans la musique
de Mozart, mais, qui dit tendre ne dit pas efféminé. La tendresse de
Mozart est quelquefois aussi de la passion, et elle se manifeste alors par
des accents pleins de vigueur et d'éclat. Il y en a dans le concerto en ré
mineur, et nous aurions voulu les percevoir sous le jeu si élégant et si
pur de Mme Roger-Miclos. Après l'air du Repos de la Sainte Famille (Ber-
lioz), remarquablement dit par M. Vergnet, et le petit enfantillage musicat
qui le suit, le concert a ('.té magnifiquement clos par les fragments du
Songe d'une Nuit d'été, de Mendelssohn, que l'orchestre de M. Colonne rend-
avec une grande perfection et parmi lesquels figurent avantageusement les
deux jolis arrangements de M. Guiraud sur le Rêve du printemps et la Fileuse.
II. Bahiiedette.
— Concerts Lamoureux. — L'interprétation de la symphonie en «(mi-
neur, telle qu'elle est comprise aux concerts du Cirque, semble un travail
de précision si bien coordonné qu'aucun détail de l'œuvre n'échappe à
l'attention. C'est là un point capital, mais cette rigoureuse exactitude
ne laisse peut-être pas suffisamment apercevoir ce qu'il y a de fougue
entraînante dans le finale, dont le début présente une suite de motifs
amoncelés dans un désordre apparent. A cet endroit il faudrait que l'on
sentît quelque chose de chaleureux, de spontané, se dégager de l'ensem-
ble orchestral. — La Rapsodie cambodgienne est quelque chose de mieux qu'un
ouvrage de circonstance. M. Bourgault-Ducoudray, en réunissant une
gerbe de chants exotiques, a évité avec beaucoup de tact l'exagération de
couleur locale qui aboutit à la négation du progrès de l'art. Son œuvre
ne présente aucune excentricité de mauvais goût, elle est de forme très
moderne, bien équilibrée et d'une instrumentation toujours intéressante.
— Le trio des Jeunes Israélites de l'Enfance du Christ, pour deux flûtes et
harpe, constitue une tentative curieuse et très réussie au point .de vue
de l'accouplement des timbres d'instruments de caractère différent; la
mélodie en est délicieuse. — Siegfried-ldyll a été écrit par Wagner pour sa
propre satisfaction et celle de quelques intimes, plutôt que pour le public.
Pour bien apprécier ce petit poème symphonique, il faudrait connaître
dans tous ses détails la partition de Siegfried, à laquelle en sont empruntés
les thèmes; pourtant Wagner n'en jugeait pas ainsi, puisqu'il fit exécuter
Sieyfried-Idijll en 1871. Cette pièce un peu longue, dans laquelle est en-
châssée une berceuse populaire, fatigue par ses modulations que n'éclai-
rent pas suffisamment les motifs dominants. Les initiés peuvent évoquer
en l'écoutant la « Mystérieuse fraîcheur des Sous-bois d'Allemagne »,
mais il nous semble que les tableaux de ce genre que l'on retrouve dans
les autres ouvrages de Wagner, notamment dans Siegfried, sont tout au-
trement lumineux et poétiques. Le prélude de Lohengrin, la marche fu-
nèbre du Crépuscule des Dieux, l'ouverture de Rienzi et la superbe préface
symphonique de Manfred de Schumann ont terminé la séance.
Amédéê Bouta rel.
— Musique de chambre. — M. Nadaud vient de donner une première
séance, intéressante surtout par deux œuvres nouvelles qui se trouvaient
au programme : un quatuor pour piano et cordes, de M. G. Pfeiffer, et un.
sextuor pour cordes, de M. Alary. M. Alary n'est point un inconnu : il a
produit plusieurs quatuors, qui de temps en temps apparaissent sur les
programmes de nos concerts. Son sextuor est une composition remarquable
au double point de vue de la facture et des idées, et il méritait les applau-
dissement* qui l'ont salué. Le quatuor de M. Pfeiffer peut être considéré
comme une de ses meilleures productions. Les deux morceaux intermé-
diaires, un adagio du plus joli sentiment et un scherzo très délicat, on-t
surtout semblé charmants. Le succès de l'œuvre de M. Pfeiffer a été très-
grand. — A la quatrième séance de M. Lefort, nous avons réentendu avec
plaisir le joli quatuor de M. Boellmann, fort bien joué par l'auteur,
MM. Lefort, Casella et Giannini. M. Warmhrodt a chanté avec talent un
air du Messie, et MM. Coenen, Casella et Lefort ont interprété d'une façon
remarquable le trio en mi bémol de Beethoven. — Le concert donné par
M110. Taine doit encore être mentionné. On y a entendu la sérénade pour
harmonium, piano, flûte, violon et violoncelle de M. Widor, et deux
ravissantes pièces de violoncelle du même auteur, admirablement dites-
par M. Casella. M"0 du Minil, de la Comédie-Française, a détaillé, avec
le goût qui caractérise son charmant talent, plusieurs poésies d'auteurs-
modernes. '• ""■
— Mercredi dernier, MM. Marsick et Loys ont donné un premier con-
cert avec le concours de MM. Diémer, Brun et Laforge. On a exécuté un
trio en sol mineur de Rubinstein, très intéressant dans toutes ses parties
et assez original malgré certaines réminiscences des maîtres anciens ; lie-
quinzième quatuor de Beethoven, œuvre imposante entre toutes, très- mélo-
38
LE MENESTREL
dique et d'une merveilleuse sonorité; enfin, la Fantasieslucke de Schumann,
Ce dernier ouvrage n'est pas un trio, mais, comme le titre l'indique, une
suite de morceaux détachés qui sont d'une couleur charmante, avec une
pointe de rêverie, mais d'un caractère plus élégant que profond. Grand
succès pour les exécutants, surtout pour MM. Marsick et Diémer, qui ont
joué avec une grande variété de nuances, beaucoup de finesse et de
charme. — Am. B.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire, même programme que dimanche dernier.
Chàtelet, concert Colonne : Symphonie écossaise (Mendelssohn) ; scène et
air A'Armide (Gluck), par Mme Krauss; choral pour orchestre (WidorJ ;
concerto romantique pour violon (B. Godard), par M. Johannès Wolff;
Irlande (A. Holmes); Marguerite au rouet (Schubert), orchestrée par M. Am-
broise Thomas, chantée par Mme Krauss ; le Paradis et la Péri (Schumann),
par Mme Krauss; fragments de Carmen (G. Bizet).
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux : Symphonie en ut mi-
neur (Beethoven,); trio des jeunes Ismaélites de l'Enfance du Christ (Ber-
lioz); fragments i'Esclarmonde (Massenet); concerto en mi bémol pour
piano (Liszt), par M. F. Blumer; prélude de Lohengrin (Wagner); ouverture
de Rienzi (Wagner).
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Beulin : Les Huguenots viennent de
reparaître sur la scène de l'Opéra royal avec une mise en scène toute nou-
velle. On a profité de l'occasion pour rétablir plusieurs passages coupés
par Meyerbeer lui-même; d'autre part, on a supprimé la scène des bai-
gneuses, au deuxième acte. L'interprétation actuelle est considérée comme
médiocre. — Kissingen : Les baraquements en bois qui servaient de théâtre
à cette station balnéaire vont disparaître pour faire place bientôt à une
élégante construction en pierre dans le style Renaissance. Kissingen pos-
sédera alors un vrai théâtre, bâti sur le modèle de celui d'Augsbourg. —
Olmutz : A la suite de plaintes adressées par les abonnés du théâtre au con-
seil municipal, celui-ci a infligé deux blâmes successifs au directeur, M. C.
Stick, au sujet de sa gestion. Ces mesures n'ayant produit aucun effet,
M. Stick a été purement et simplement révoqué de ses fonctions. Appelons
sur ce fait les méditations de MM. Ritt et Gailhard. —Vienne : Les dispo-
sitions de lois concernant l'observance du repos dominical en Autriche
sont d'une sévérité exagérée. Ainsi, un changement de spectacle ayant
eu lieu dimanche dernier au Burg Theater, on ne pouvait, sans contre-
venir aux lois, faire imprimer de nouveaux programmes, et les spectateurs
durent se contenter de programmes au crayon, griffonnés à la hâte par les
employés du théâtre.
— Si, malgré tous les efforts des intéressés, l'opéra de jeunesse de
Richard Wagner, les Fées, n'est parvenu à s'implanter dans aucune ville
d'Allemagne, le titre de cet ouvrage, du moins, sera sauvé de l'oubli.
En effet, on vient de décider l'apposition d'une plaque commémorative à
Wûr/.bourg, sur la maison où Wagner a composé les Fées. Les fonds
nécessaires à l'accomplissement de cet acte de touchante sollicitude en-
vers la postérité ont été réunis au moyen d'un concert organisé par la
Liederlafel de Wùrzbourg.
— On s'est enfin mis d'accord — définitivement, paraît-il — au sujet
de l'emplacement à donner au monument de Weber, à Eutin. Ce sera au
milieu d'une prairie connue sous le nom d'Eichenheim, située non loin de
la ville. Les fêtes pour l'inauguration du monument auront lieu le 30juin
et le 1er juillet prochains.
— A la suite dn singulier procès intenté récemment par une danseuse
retraitée de l'Opéra de Vienne à l'administration de la Caisse des re-
traites, M. le baron Bezecny,' intendant du théâtre de la Cour, vient de
rendre un arrêté qui détermine exactement la limite d'âge pour une dan-
seuse « active. ». Partant de ce principe que les dames du corps de ballet
débutent généralement à l'âge de 15 ans, M. Bezecny estime qu'elles
doivent cesser leur service au plus tard à 43 ans. Ces dispositions ne
sont pas applicables aux premières danseuses, dites « étoiles ».
— Hans de Bulow, après avoir dirigé à Berlin les six premiers con-
certs philharmoniques de la saison, est en ce moment à Hambourg, où il
a célébré le 8 janvier son soixantième anniversaire de naissance, en
dirigeant, au sixième concert d'abonnement, la- Symphonie héroïque de
Beethoven et l'Ouverture tragique de Brahms. Le public a fait au célèbre
chef d'orchestre une chaleureuse ovation.
— h'Almanach wagnérien de Bayreuth publie, et les journaux wagnériens
français s'empressent de reproduire le chiffre des représentations pour
l'Allemagne et l'Autriche (soit 90 millions d'habitants) des « chefs-d'œuvre
du Maître • — car il est bien convenu que Wagner, qui ne s'est jamais
trompé, n'a pu écrire que des chefs-d'œuvre. Nous ne ferons nulle diffi-
culté de reproduire aussi ce petit document, qui suscite quelques réflexions ;
le voicî :
1887-1888
25-1
16b
71
69
Lohengrin 251
Tannhauser ■ 186
Walkyrie • 117
Le Vaisseau fantôme 110
Maitres-Chanteurs 86
Rheingold 50 24
Tristan 40 23
Crépuscule 38 34
Rienzi 35 28
Siegfried 26 28
Nous ferons remarquer que si l'on voulait établir, pour la France,
moitié moins peuplée que l'Allemagne et l'Autriche réunies, une liste du
mêmegenre relative à certains ouvrages, tels que la Juive, Faust, Mignon,Car-
men,etc.,on arriverait peut-être à un chiffre supérieur à celui obtenu dans
les pays allemands par les « chefs-d'œuvre du Maître.» Nous ajouterons, ce
qui ne sera pas pour flatter les ultra-wagnériens, que les derniers de ces
« chefs-d'œuvre », ceux qui sont précisément préconisés et admirés par
ceux-ci, font dans leur liste une assez piteuse figure. Tandis que Lohengrin
et Tannhauser, parfaitement acceptables en tout pays au point de vue des
doctrines musicales, comptent, l'un 251, l'autre 186 représentations, nous
voyons que les ouvrages dans lesquels « le Maître » a poussé ses théories
jusqu'à l'absurde, n'obtiennent, même sur leur terre d'élection, qu'un
succès singulièrement relatif. Rheingold doit se contenter de 50 représen-
tations, soit cinq fois moins que Lohengrin; Tristan n'en a que 40, le Crépus-
cule des Dieux 38, et quant à Siegfried, il tombe à 26, neuf fois moins que
Lohengrin et huit fois moins que Tannhauser. Nous le répétons, c'est un
succès maigre pour les anarchistes en musique, et le Wagner exaspéré, —
et exaspérant — est condamné sur son propre terrain.
— La Société des amis de la musique de Vienne vient de faire connaître le
résultat du concours de composition institué par elle sous le nom de
concours Beethoven et dont le prix est de 1,000 florins. Les lauréats sont
M. Jules Zellner, de Vienne, pour un quintette pour instruments à cordes
et piano, et M. Emmanuel Tjuka, qui obtient un second prix de 500 flo-
rins pour une suite d'orchestre. Vingt-deux compositeurs avaient pris part
au concours, dont douze anciens élèves du Conservatoire de Vienne. Le
jury a eu fort à faire, car il a dû examiner cinq symphonies, deux ouver-
tures, quatre pièces d'orchestre, six pièces de musique de chambre, un
concerto pour clarinette, un opéra et trois compositions chorales. Ce jury
était composé de MM. Hellmesberger, Hans Richter, Johahnes Brahms,
Kremser, Krenn et Weinwurm.
— La Neue Rerliner Musik-Zeitung, jusqu'ici publiée par la maison d'édi-
tion Bote et Bock, de Berlin, devient la propriété du D1' Richard Stern,
qui en continuera la publication avec sa propre rédaction.
— Nouvelles musicales de la Scandinavie. Un de nos correspondants
nous écrit le 19 janvier: L'Opéra de Stockholm a, le 16 janvier, donné la
première de Lakmé avec un succès considérable. Le rôle de l'héroïne était
chanté par une débutante, Mlle Marthe Petrini, dont la voix possède toutes
les qualités nécessaires. M. Oedmann a été un Gerald remarquable, et
l'exubérance suédoise qui n'est pas moindre que celle d'Italie et de Saint-
Pétersbourg, lui a prodigué vingt rappels et lui a fait don d'une bague en
diamants. L'Opéra royal avait déjà représenté le Roi l'a dit en (1877) et Jean
de Nivelle en (1880). — Dans une récente notice sur le début du ténor Hag-
mann à Stockholm comme Masaniello, le Ménestrel écrit: Le répertoire
lyrique français continue de s'implanter à l'étranger, jusque dans les pays
du Nord. Pardon! Depuis cent cinq ans, la salle de Gustave III joue de
l'opéra six fois par semaine, et la Muette de Portici est en route pour sa
troisième centaine de représentations; l'œuvre est également fort populaire
dans les autres capitales Scandinaves. Quant à M. Hagmann, notons qu'il
était déjà célèbre dans tout le Nord avec les opérettes d'Offenbach. A pré-
sent qu'il s'attaque au répertoire d'opéra, il n'a débuté que pour partir
immédiatement en Italie achever ses études de chant. Mmc Oselio vient de
partir de Stockholm, pour revenir au printemps; elle créera alors la Des-
demona de Verdi. La presse a demandé à grands cris l'engagement fixe
du rossignol norvégien, mais avant que quelque chose fût décidé. l'Opéra
de Copenhague l'emportait. — Au ciel musical de Copenhague vient de mon-
ter une nouvelle étoile, Mllc Frida Schytte, virtuose du violon et élève de
M. Massart. Mlte Schytte joue fort bien et elle est extrêmement belle. Elle
a donné plusieurs concerts presque triomphaux à Copenhague et puis à
Stockholm, mais elle retournera à Paris pour terminer ses études. Notons
enfin qu'une nouvelle cantatrice suédoise, M1", Morris, élève de M. Bax de
Paris, et qui vient de débuter à Copenhague avec beaucoup d6 succès,
épouse le ténor norvégien, M. Bratbost — et que M"0 Nordgrén, autre
cantatrice suédoise qui accompagnait M. Grieg à Bruxelles, épouse un offi-
cier de l'armée norvégienne.
— Autre correspondance de Stockholm : A l'Opéra Royal de Stockholm,
Lakmé, l'opéra de L. Delibes, vient d'obtenir un grand succès; elle est
donnée presque chaque jour et tous les billets sont enlevés à l'avance. La
mise en scène est splendide, les premiers rôles sont tenus par Ml,e Martha
Petrini (début), qui a étudié celui de Lakmé sous la direction même de
M. Delibes, et par M. Arvid Oedmann qui, dans le personnage de Gérald, a
trouvé l'occasion de montrer un grand talent de chanteur, une grande
pureté de style et l'expérience d'un acteur consommé. Le public, enthou-
LE MENESTREL
39
siasnié, transporté, n a pas marchanda ses bravos et ses rappels à ces
deux vaillants et superbes artistes, qu'il a littéralement ensevelis sous un
monceau de fleurs. Ann. L.
— Le directeur du tbéàtre de Ratisbonne, qui est en même temps le
chef d'orchestre dudit théâtre, vient de monter un opéra, dont il a composé
le texte et la musique, et dont il a dirigé l'exécution. Marina Faliero, c'est
le titre de l'ouvrage, a eu un succès retentissant. Ajoutons que le nom
du triomphateur est W. Freudenberg.
— M . Emile Vaupel, baryton suisse et Guillaume Tell remarquable,
a, le 20 janvier, célébré son 25e anniversaire comme chanteur dramatique.
M. Vaupel a, pendant plusieurs années, été directeur du Stadtstheater
de Berne.
— Il vient de se former, à Pozzuoli, un comité qui s'est donné pour
mission d'élever un monument à l'un des plus célèbres musiciens napoli-
tains, Giannattista Pergolèse, l'auteur du Stabat Mater, de la Serva Padrona
et de vingt autres ouvrages.
— Bon succès à Naples, au petit théâtre de la Fenice, pour une opé-
rette nouvelle du maestro Buongiorno, Occhi di lince, qui a été représentée
récemment.
— Le maestro Achille Lucidi, compositeur distingué, est appelé à suc-
céder au maestro Odoardo Vera, en qualité de professeur de musique de
la reine Marguerite d'Italie.
— Deux compositeurs italiens font encore annoncer qu'ils viennent de
terminer chacun la partition d'un nouvel opéra. L'ouvrage de M, Salvatore
Catalanotti a pour titre Margherita; quant à celui de M. Luigi Venturi-
Vagnuzzi, qu'il a écrit sur un livret de M. Alfredo Baccelli, on ne sait
encore comment il sera intitulé.
— Encore un enfant prodige! Les journaux italiens nous apprennent
qu'à Catane une jeune pianiste de sept ans, Angelina Spedalieri, a donné
récemment un concert, dans lequel elle a été fort applaudie.
— Une singulière nouvelle nous arrive d'Espagne, et nous ne la repro-
duisons, comme disent nos grands confrères, que sous d'expresses réser-
ves. On assure que le ténor Marconi, qui se trouve en ce moment malade
à Madrid dans la maison d'un ami, aurait été déclaré en état d'arrestation
et que son lit serait « gardé par deux agents de police ». On ignore, dit
un de nos confrères étrangers, le pourquoi d'une telle mesure.
— Politique et dilettantisme mêlés. Le grave différend anglo-portugais
a été récemment, au théâtre San Carlos de Lisbonne, l'occasion d'une
petite manifestation dont la musique s'est trouvée la cause involontaire.
On devait jouer Lakmé, mais on avait oublié que cette pièce mettait en
scène un épisode de la domination anglaise dans les Indes. Sur les récla-
mations du public on -fut obligé de changer le spectacle, et Lakmé dut
céder la place à Mignon.
— On annonce de Londres la fermeture subite de Her Majesty's Theater.
Depuis huit jours, la direction de ce théâtre ne payait à son personnel
que la moitié des appointements et, avant hier, elle a suspendu tous ses
paiements. Cette faillite est vivement commentée à Londres, car, pendant
ces derniers temps, le théâtre en question faisait beaucoup d'argent avec
une pantomime à grand spectacle, intitulée Cinderella.
— La Société philharmonique de Londres vient d'inviter M. Ch.-M.
Widor à venir diriger l'exécution de sa fantaisie pour piano et orchestre
au concert du 13 mars. C'est M. I. Philipp qui interprétera l'œuvre du
maître français en Angleterre.
— Tout va de mal en pis à l'Opéra allemand de New-York. On ne pou-
vait pas toujours jouer des pièces françaises et italiennes, bien que quel-
ques-unes d'entre elles fissent recette, et il a bien fallu, un beau jour,
attaquer le répertoire allemand. Ce fut le signal d'une débâcle qui a atteint
son point culminantlors de la récente reprise de Lohengrin. La presse amé-
ricaine est unanime à reconnaître que cette représentation a été une honte
et un scandale. Le public, indigné, a commencé à se retirer dès la fin du
premier acte. Sur soixante loges occupées au début de la soirée, vingt-
huit étaient vides au deuxième acte. Désormais abandonnée par ceux qui
la soutenaient naguère, l'entreprise de M. Stanton est vouée à une mort
prochaine.
— A propos de l'inauguration de la splendide salle de concert de l'Au-
ditorium de Chicago dont nous avons déjà parlé, nous lisons dans les jour-
naux américains les appréciations les plus élogieuses sur le morceau
, pour orgue et orchestre composé spécialement par M. Th. Dubois et
exécuté pour la première fois, à cette occasion, lo mois dernier : « La Fan-
taisie triomphale de Th. Dubois, dit le Chicago-Herald, est une œuvre ma-
gnifique pour grand orgue et grand orchestre : elle est écrite dans un
style large et élevé; la pensée en est majestueuse et les idées sont clai-
rement exprimées, avec des harmonies riches et des mélodies expres-
sives, etc. »
— Les journaux de Mexico sont pleins d'éloges enthousiastes pour une
messe à quatre voix, chœur et orchestre du maestro Melesio Morales, dont
L'exécution a eu lieu en cette ville avec un succès retentissant. Le fils du
SOmpositeur, M. .Iules Morales, s'est trouvé associé au succès paternel,
car lui-même a fait entendre, à l'Offertoire, un prélude symphonique qui
a produil Bur l'auditoire uns excellente impression.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
L'Académie des beaux-arts a procédé, dans sa dernière séance, à la
nomination des jurés adjoints pour les concours des grands prix de Rome
de 1890. Ont été nommés pour le concours de composition musicale: jurés
adjoints, MM. Widor, Ernest Guiraud, Benjamin Godard; jurés supplé-
mentaires, MM. Edouard Lalo, Gabriel Fauré.
— Plusieurs de nos confrères annoncent gravement que « M. Ambroise
Thomas songerait à mettre à exécution le projet qu'il caresse depuis long-
temps et qui consiste à transposer le rôle d'Hamlet pour ténor. » M. Am-
broise Thomas n'a pas eu à caresser longtemps ce projet, puisque dès
l'origine sa partition était écrite pour ténor, et qu'il l'a transposée tout
au contraire pour baryton, quand il s'est décidé à confier le rôle d'Hamlet
à notre grand chanteur Faure, qui en a tiré le beau parti que l'on sait.
La version originale de ténor reposait donc tranquillement dans les cartons
du compositeur, quand M. Dereims, qui en a eu vent, on ne sait comment,
s'est imaginé de l'en sortir et d'en faire l'essai au théâtre de Monte-Carlo.
D'après le résultat de cette tentative, les ténors présents et à venir juge-
ront s'ils peuvent prétendre désormais à disputer le rôle aux barytons qui
jusqu'ici le tenaient sans partage.
— A la suite des examens qui viennent d'avoir lieu au Conservatoire
pour les classes de déclamation dramatiqne, des bourses d'études ont été
accordées aux élèves dont les noms suivent : M"e Duluc (classe de M. Got),
M. Dehelly, Mllcs Partmann et Carlix (classe de M. Delaunay), M. Lugné-
Poë, MUes Moreno, Syma et Thomsen (classe de M. Worms), MUc Laurenl-
Ruault (classe de M. Maubant). En outre, des encouragements sont
accordés à MM. Godeau, David, Esquier et à MUes Cosme, Lebardy, Tré-
ville et Bouffé.
— La Société des concerts du Conservatoire entre décidément dans le mou-
vement, et l'on ne dira plus d'elle qu'elle s'acoquine et s'ankylose dans
une sénile contemplation du passé. Elle fera entendre à ses habitués, à son
prochain concert, plusieurs fragments des Maîtres Chanteurs de Richard
Wagner, entre autres toute la superbe scène du concours et le quintette
du troisième acte. Ces deux pages admirables de l'œuvre trop longue et
trop touffue du maître saxon produiront certainement sur le public du
Conservatoire, en dépit des préjugés qu'on lui peut reprocher parfois,
tout l'effet qu'on en peut attendre. Une autre composition, d'un tout
autre genre, est aussi à l'étude en ce moment au Conservatoire; nous
voulons parler de la puissante Messe en ré de Jean-Sébastien Bach, qui
paraîtra sur les programmes avant la fin de la saison.
— Qui donc prétendait que notre cher Pedro Gailhard n'était plus vu
d'un aussi bon œil dans les sphères officielles, et que sa situation était
menacée à l'Opéra? On disait que M. Constans tournait le dos à son
copain de Toulouse, qu'il trouvait décidément trop compromis. Quelle
erreur! Voici que dans la dernière séance de l'Association des artistes
dramatiques, « une médaille d'honneur décernée par le ministre de
l'intérieur » a été remise en grand'pompe à l'éminent directeur. Aujour-
d'hui les médailles d'or; demain on lui tressera sans doute des couronnes
en renouvelant son privilège pour sept nouvelles années à la direction
de l'Opéra. Voilà le cas que l'on fait de l'opinion publique, en ces temps
de mauvaise toulousainerie où nous vivons.
— M. Emmanuel Chabrier est parti pour Carlsrube, où il va diriger les
dernières répétitions du Roi malgré lui. Ce. joli ouvrage, qui sera donné
le 23 février, est monté aussi en ce moment au théâtre de la Cour., à
Dresde. Gwendoline, du même auteur, continue son tour d'Allemagne.
Après Carlsruhe, les théâtres de Leipzig et de Munich montent cet
opéra, que nous serons probablement les derniers à connaître.
— Le violoniste Joseph White doit se faire entendre au concert Lamou-
reux le 9 février. Il jouera le 2e concerto de Wieniawski.
— Mardi 28 janvier, a été célébré, à l'église Saint-Denis du Saint-Sacre-
ment, le mariage de M. Jean Rouart avec la fille de M. Gabriel Morris, le
sympathique imprimeur des théâtres. Pendant la messe, M. Danbé a exé-
cuté sur le violon, avec un grand talent, la Rêverie de Schumann. Le Paler
noster et un 0 Salutaris ont été remarquablement chantés par M. Fugère, de
l'Opéra-Comique. Grande aflluence de monde dans cette belle église, trans-
formée en véritable jardin d'hiver. Parmi les invités nous avons remarqué
de grandes personnalités appartenant à l'armée, à l'Institut, au monde
des sciences, des arts, des théâtres et de la grande industrie française.
— Mlle Thérèse Castellan, violoniste, arrivée à Paris pour y passer la
saison d'hiver, a repris ses leçons de violon et d'accompagnement.
— Enregistrons la naissance d'une petite publication périodique fort
intéressante, qui paraît sous ce titre : « Archives historiques, artistiques et
littéraires, recueil mensuel de documents curieux et inédits, chronique
des archives et des bibliothèques. » C'est notre collaborateur Michel
Brenet qui est chargé, dans ce nouveau recueil, de tout ce qui concerne
la musique.
— Au dernier din er amical des membres de la Société artistique et
littéraire de l'Ouest, on a beaucoup applaudi MM. Landély-Hettich et
Stéphane Lafarge, qui ont chanté remarquablement les mélodies bretonnes
de M. Bourgault-Ducoudray. Grand succès aussi pour le jeune pianiste
A. Lachaume, dans son interprétation des pièces pour piano du méma
auteur.
10
LE MÉNESTREL
— L'Académie de musique de Toulouse, dont M. Edouard Broustet est
président, met au concours pour l'année 1890 : 1. Une Ouverture sijmpho-
nique à grand orchestre ; — 2. Un Quatuor à cordes en quatre parties, dans
la forme et le style classiques; — 3. Une Mélodie pour voix seule, avec
accompagnement de piano (texte libre); — i. Un Pater Noster, trio pour so-
prano, ténor et basse (accompagnement d'orgue); — o. Un Chœur à quatre
voix d'hommes, sans accompagnement (texte libre); — 6. Un Librelto
d'opéra-comique en un acte, à deux ou trois personnages; — 7. Une Marche
solennelle pour musique d'harmonie. Les manuscrits devront être envoyés
franco jusqu'au 31 avril, au siège social, 72, rue de la Pomme, à M. le pré-
sident de l'Académie, qui fournira aux concurrents tous les renseigne-
ments nécessaires et le règlement du concours.
— Le successeur de M. Paravey à Nantes, M. Poitevin, qui avait pris
la direction des théâtres municipaux de cette ville, a dû cesser son exploi-
tation ces jours derniers, par suite du fâcheux état de ses affaires. Les
artistes se sont constitués en société pour terminer la saison.
— La société de musique d'ensemble dirigée par M. Bené Lenormand
donnait samedi dernier sa troisième séance. Dans chacune de ses séances
une large place est réservée aux compositeurs qui viennent faire exécuter
leurs œuvres. C'est ainsi que nous avons entendu les Eolides. de M. César
Franck, les Chansons de Miarka, de M. Alexandre Georges, différentes œu-
vres de M. Bené Lenormand, des pièces pour alto de M. Chevillard, etc.
Parmi les interprètes, citons le ténor Mauguière, dont la diction parfaite
a obtenu un grand succès dans la mélodie de ï'aure, Mignonne, que désirez-
vous, l'excellent violoniste Géloso, Mme Deléage, le violoncelliste Dres-
sen, etc.
— Le concert annuel donné par M. A. Decq, pour l'audition de ses nou-
velles œuvres, a complètement réussi. Un public nombreux et choisi a
fait fête à tous les artistes : M"! Magdeleine Godard, M. François, de l'O-
péra, M. Duchesne, de l'Opéra-Comique, MUc Verne, MUc Walter et
M. Falconnier, de la Comédie-Française. Mais ce qui a surtout ravi l'au-
ditoire, c'est la façon remarquable dont M. Decq a détaillé le Concert-Stûck
de Weber, lequel était accompagné d'un excellent orchestre. M. Decq
s'est fait applaudir tout à la fois comme compositeur, organiste et pia-
niste.
— Le concert donné mardi salle Érard par M. Bondeau a été très réussi.
Le jeune ténor s'est fait applaudir dans plusieurs mélodies de MM. Paul
Puget, Albert Cahen, de Saint-Quentin, et le Notre-Père de Faure, qu'il a
fort bien détaillé avec le baryton Georgetti. Signalons encore le concerto
de Mlle Chaminade, exécuté par l'auteur et M. Paul Braud, et les origi-
nales Chansons de Miarka de M. Alexandre Georges (poésies de M. Bichepin),
interprétées par Mlucs Deleage, Mélodia, MM. Bondeau. Georgetti, et des
chœurs d'amateurs.
— La très intéressante scène lyrique de M. Jules Bordier, le Rêve d'Os-
sian, qui fut exécutée pour la première fois à Paris il y a quatre ans,
vient d'obtenir un brillant succès au deuxième concert de la Société
philharmonique de Beims, où les solos en étaient chantés par M. Auguez
avec le beau style qu'on lui connaît. De nouvelles exécutions du Rêve
d'Ossian se préparent en ce moment à Bouen, au Havre et à Marseille.
— A Nantes, où nous l'avons dit, le directeur, M. Poitevin, a dû cesser
son exploitation, les artistes se sont constitués en société pour terminer
la saison. On annonce qu'ils viennent de mettre en répétitions un opéra-
comique inédit, la Revanche de Srjanarelle, dont la musique a pour auteur
M. Léon Dubois, grand prix de Borne du Conservatoire de Bruxelles, en
■ce moment second chef d'orchestre à Nantes.
— Un jeune compositeur qui est aussi un poète distingué, M. J.-G.
Bopartz, vient de faire exécuter à Bennes, en l'église Notre-Dame, une
messe à trois voix égales, qui a reçu du public un accueil favorable.
— Les concerts du quatuor Marsick-Loys ont repris mercredi 29 jan-
vier, à 9 heures du soir, salle Pleyel. Comme les années précédentes, il y
aura six concerts. Interprètes : M."K Marie Poitevin, MM. Marsick, Loys,
Brun et Laforge.
— M"c Caroline Chaucherau annonce pour le -i février, salle Pleyel, un
concert dans lequel elle se produira comme cantatrice et pour lequel elle
s'est assuré le concours de M. Lauwers, de M"c C. Chaminade, de
MM. Mendels et Bonchini.
— M. Ernest Moret, le jeune et brillant violoniste, donnera le S février,
à la salle Erard, un concert dont il défraiera seul le programme, composé
d'oeuvres de Bach, Brahms, Joachim, "Wieniawski, Sarasate, Saint-Saëns,
et, en outre, d'une étude de Chopin transcrite "par lui.
— Vendredi 14 février, salle Érard, concert de M. Arnold Heitlinger,
avec le concours de M"K llabey-Declat, de MM. H. Berlhelier et J. Loeb.
— M»10 Marie Minaldi, qui a obtenu de grands succès sur tous les théâ-
tres de Portugal, où elle a chanté longtemps, et qui, prématurément,
• avait renoncé aux succès de la scène, va rentrer au théâtre après le
concert qu'elle annonce pour le 6 février prochain, salle Kriegelstein,
J±, rue Charras.
— Mlle Marie Garnier a repris ses cours de musique chez elle, 33, rue
Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, avec le concours de MM. Carré et Jouet,
et de Mmes Guéroult et des Lonchamps.
NÉCROLOGIE
Un des quatre grands prix de la section musicale à l'Exposition uni-
verselle de 1889, M. Victor Mustel, le facteur d'harmoniums bien connu,
vient de mourir à l'âge de 74 ans, après une longue carrière de lutte opi-
niâtre, semée trop souvent de nombreux déboires. Scrupuleusement hon-
nête et d'une modestie poussée à l'extrême, cet homme intelligent et bon
s'était fait des amis de tous ceux qui l'ont approché. La façon toute artis-
tique dont il traita la facture des harmoniums et le degré extrême de per-
fectionnement auquel il était arrivé, sans jamais faire la moindre conces-
sion au mauvais goût, lui valurent à la dernière Exposition ce grand prix,
que suivit peu de temps après la décoration de la Légion d'honneur... Et
c'est au milieu de toute cette gloire, au moment où l'humble et infatigable
travailleur allait enfin pouvoir se reposer de toute une vie de labeur et de
peine, que la mort vient l'arracher brusquement à l'affection des siens.
Puissent ses fils restés sur la brèche persévérer longtemps encore dans la
glorieuse voie que leur a tracée leur père ! Charles Loret.
— On nous écrit de Moulins pour nous annoncer la mort de Mmc Du-
vois, femme de M. Charles Duvois, l'excellenl professeur et l'organiste
fort distingué de la cathédrale de cette ville, à qui elle était unie depuis
près de quarante-huit ans. M. Duvois a été, en cette circonstance dou-
loureuse, l'objet de nombreuses sympathies, et tous les Alsaciens que
compte la ville de Moulins ont tenu surtout à donner un témoignage
d'affection à leur vénérable compatriote.
— De Dresde on annonce la mort d'un artiste estimable, Karl Banck.
compositeur de lieder, qui fut aussi un critique distingué et qui depuis
quarante ans était en cette qualité le collaborateur actif du Dresdner Jour-
nal. Né à Magdebourg le 27 mai 1811, Karl Banck avait été l'élève de
Bernard Klein et de L. Berger, à Berlin, puis de Friedrich Schneider à
Dessau, après quoi il fit un voyage artistique en Italie. De retour en
Allemagne, il se fixa à Dresde, où il devint conseiller de cour du roi de
Saxe et se consacra surtout à la critique, aussi éloigné, dans l'expression
de ses jugements, des traditions maladroitement immuables que des ten-
dances ultra-révolutionnaires de quelques-uns. Ses chansons et ses lieder
n'ont pas été sans obtenir quelque succès. Il a succombé, dans les pre-
miers jours de janvier, aux suites d'une atteinte A'influenza compliquée
par son grand âge.
— Le ténor Wilhelm Sedlmayer est mort le 8 janvier, à New-York,
des suites de l'influenza. Il remplissait les premiers rôles à l'Opéra alle-
mand du Metropolitan House. C'est à Vienne qu'il avait reçu son ins-
truction musicale et qu'il effectua ses premiers débuts. Il passa ensuite
au théâtre de la Cour, à Munich, où sa réputation s'établit solidement.
Sedlmayer a fait partie, depuis, des principales troupes lyriques de
l'Allemagne. Tout dernièrement, il obtenait â Hambourg des succès reten-
tissants dans le répertoire wagnérien.
— Un peintre décorateur de grand talent, Angelo Quaglio, qui était
peintre des théâtres royaux de Munich, vient de mourir en cette ville. Il
avait exécuté de nombreux décors pour les théâtres de Munich, de Ber-
lin, de Vienne, de Stuttgard, de Meiningen et de Prague. Le talent de la
peinture était héréditaire dans la famille Quagiio depuis deux siècles et
demi, et l'artiste dont nous parlons, qui était d'origine italienne, descen-
dait d'un peintre renommé, Giulio Quaglio, né à Luino, sur le lac de
Côme, en 1601.
— Un jeune ténor italien. Lodovico Fagotti, que nous avons entendu
l'an dernier à la Gaité pendant la cimpagne d'opéra italien entreprise à
ce théâtre par M. Sonzogno, vient de mourir subitement à Caracas, âgé
seulement de vingt-huit ans. Ce jeune artiste était le fils d'un baryton,
Enrico Fagotti, qui jouit naguère de quelque réputation.
— Do Madrid on nous annonce la mort du compositeur Antonio
Aguado, ancien élève du Conservatoire de cette ville, où il fut admis
en 1833 dans les classes de Ballhasar Saldoni et de Pedro Albeniz, et
où plus tard il devint lui-même professeur de piano et d'accompagne-
ment. On lui doit un assez grand nombre d'oeuvres de musique reli-
gieuse : deux messes, un Salve Heijina, des motets, lamentations, etc. Il
prit part à la rédaction d'une méthode de piano publiée sous le titre de
la Union artistica musical, et fut un des sociétaires fondateurs de la Lyra-
sacro-hispana, association créée en 1852 pour la publication des grandes
œuvres de musique religieuse espagnole, publication que dirigeait avec
un grand goût et une rare érudition le célèbre compositeur Eslava.
Henri Heugel. directeur-gérant
EN VENTE chez Bornot, Dijon : Pileuse, par YVacken tiialeh, net : 2 fr. 50.
Du même auteur: Marche héroïque, Marche triomphale, chaque, net: 3 fr.
300 — SI}
— 1\° 6.
Dimanche «J Février 1890.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pus rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur dn Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
S0MMÀIEE- TESTE
I. Hisloire de la seconde salle Favart (48° article), Albert Soubies et Charles
Malherbe.— II. Semaine théâtrale: Dimilri,k l'Opéra-Comique; Ma mie Rosette,
aux Folies-Dramatiques, H. Moreno; le Comte d'Egmont, à l'Odéon; les Vieuœ
Maris, à la Renaissance, Paul-Emile Chevalier. — III. Le théâtre à l'Exposition
116' article), Arthur Pougin. — IV. Revue des Grands Concerts. — V. Nouvelles
diverses. — VI. Nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
RITOURNELLE
nouvelle mélodie de Francis Thojié, poésie de François Coppée. — Suivra
immédiatement : Espoir en Dieu, nouvelle mélodie de J. Faure, poésie
de Victor Hugo.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano : Gigue, par André Wor.user. — Suivra immédiatement : Chants
dit Tyrol, nouvelle polka-mazurka de Heinrich Strobl.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Albert SOUBIES et Charles MA.LUEHBI3
CHAPITRE XIII
MEYERBEER A l'OPÉRA-COMIQUE
l'étoile DU NORD
1853-1855
(Suite.)
Se consacrant désormais à l'unique salle Favart, M. Perrin
n'eut guère à recueillir, en 1855, que la récolte semée par
lui en 1854. C'était l'année de la première Exposition uni-
verselle, les étrangers vinrent en nombre, et ses deux grands
succès de l'année précédente, l'Étoile du Nord et la reprise
du Pré aux Clercs, fournissaient aux spectacles un élément
assuré. Autour de ces deux chefs-d'œuvre devaient rayonner
un certain nombre de pièces, dont la première surtout avait
une réelle valeur et méritait son franc succès : le Chien du
Jardinier, paroles de MM. Lockroy et Cormon, musique de Grisar,
représenté le 16 janvier 1855. C'est d'Espagne que vient, dit-
on, cette vieille légende du chien qui ne maDge passa pâtée,
mais ne veut pas que les autres y touchent. En somme, la
morale de cette histoire convient à tous pays, et transportée
dans le domaine des sentiments, appliquée, par exemple, à
la coquetterie féminine, elle fournit les éléments d'uno
action piquante, alerte et vraie. C'est ainsi que l'entendirent
les auteurs de ce petit acte lorsqu'ils tracèrent le portrait de
leur jolie paysanne qui hésite à choisir un prétendu et qui
le veut quand une rivale l'a choisi. Le dialogue était amu-
sant, la musique spirituelle et l'interprétation remarquable
avec Mlles Lefebvre et Lemercier, MM. Faure et Ponchard ;
aussi l'œuvre fut-elle accueillie chaleureusement. Elle se
maintint sur l'affiche jusqu'en 1869, époque où elle atteignit
sa 98e représentation. Depuis on ne l'a plus revue, si ce n'est
au Chàteau-d'Eau; autant dire qu'elle n'a pas été reprise.
Elle mériterait cependant de l'être.
Le 13 février on donnait un acte encore, mais moins bien
accueilli que le précédent, puisqu'il ne compta que 38 repré-
sentations. Il avait pour auteurs d'une part Jules Barbier et
Michel Carré, de l'autre Victor Massé ; seulement, Miss Fauvette
nevalaitpas lesNoces de Jeannette. On y voyait un Anglais, ini-
mitable d'ailleurs en la personne de Sainte-Foy, cherchant à
faire taire une jeune voisine qui gazouillait tout le jour
comme un oiseau, et usant de mille subterfuges, violence,
douceur, argent, pour éteindre l'ardeur de son gosier; ce
qui peut passer pour une version dramatique de la fable
bien connue, le Savetier et le Financier. A cette pièce se rat-
tache un simple détail, prouvant que Mue Lefebvre était alors
le véritable terre-neuve de la salle Favart. Princesse ou
paysanne, elle abordait tous les rôles avec une abnégation
que pouvaient seuls égaler son intelligence et son talent.
En 1851, le Songe d'une. Nuit d'été avait été écrit pour Mme Dgalde ;
au dernier moment une indisposition survint ; M1U Lefebvre
prit le rôle d'Elisabeth et le garda. De même, en 1855, Miss
Fauvette avait été écrite pour Mme Miolan-Carvalho; sur ces
entrefaites, il fut question de son départ de l'Opéra-Comique
et de son engagement à l'Opéra, lequel n'eut pas lieu d'ail-
leurs ; M"0 Lefebvre se dévoua et fut payée de sa peine par
des bravos unanimes.
Par une série de malchances, le reste de l'année 1855 ne
devait plus amener que des chutes, tout au plus des demi-
succès ; qu'on en juge par le chiffre des représentations :
12 pour Yvonne; 19 pour la Cour de Célimène; 39 pour Jenny Bell
(malgré la signature d'Auber); 2 pour Jacqueline; 4 pour l'An-
neau d'argent; 17 pour Deucalion et Pyrrha; Id pour le Housard
de Berchiny ; 38 enfin pour les Saisons.
Il ne faut pas être grand clerc pour deviner qu'avec un nom
comme Yvonne, l'action se passait en Bretagne. Quatre ans
plus tard, dans cette salle Favart, le même titre reparaissait
au service d'un « drame lyrique », ce qui tendrait à prouver
que la pénurie de noms est grande sur cette terre armori-
caine. On y trouvait un personnage appelé Janic, tout comme
dans la belle œuvre de Richepin, le Flibustier, homme dans
la première, femme dans la seconde, ce qui témoigne par
conséquent un certain désordre dans les habitudes onomo-
plastiques des auteurs. Enfin et surtout on y voyait deux
42
LE MENESTREL
paysans naïfs dont l'amour était exploité par un vieux berger
qui se faisait passer pour sorcier : cette invention n'avait
pas dû coûter beaucoup d'efforts aux librettistes, de Leuven
et Deforges. Une musique princière ne sauva pas la pièce,
représentée le 16 mars. M. le prince de la Moskowa, nous
l'avons vu, avait réussi avec son premier ouvrage, le Cent-
Suisse ; avec le second, Yvonne, il échoua.
La Cour de Célimène, donnée le 11 avril, se heurta de même
non pas à la résistance, mais à l'indifférence du public. Le
librettiste Rosier avait pris texte de la coquetterie de Céli-
mène pour grouper autour d'elle toute une armée de sou-
pirants et les mettre aux prises pour les yeux de la belle.
On y comptait quatre vieillards, quatre jeunes gens et quatre
adolescents (sic), représentés par des femmes, Mlles Révilly,
Decroix, Talmon, Bélia. Aussi la pièce s'appelait-elle primi-
tivement les Douze. Elle aurait dû, en ce cas, s'appeler plutôt
les Quatorze, car on avait oublié dans ce nombre le comman-
deur (Battaille) et le chevalier (Jourdan), les deux seuls
amoureux sérieux, justement. Par une disposition originale,
ces douze voix, réparties en trois groupes, tenaient lieu de
chœurs et donnaient plus de légèreté à cette comédie, que
l'on s'était efforcé de maintenir dans le ton du XVIIIe siècle.
Le compositeur, Ambroise Thomas, avait écrit son principal
rôle pour Mme Miolan-Carvalho, dont ce fut la dernière créa-
tion à la salle Favart. Le mari avait déjà résilié, préparant
en sous-main son entrée dans la carncie directoriale: la
femme allait le suivre et remporter bientôt ces triomphes
qui l'ont associée aux succès do tant de compositeurs.
Malgré l'excellence de cette" marque de fabrique : Scribe et
Auber, Jenny Bell, le 2 jir.n 1855, ne dépassa guère le niveau
d'un succès d'estime. On aurait pu trouver quelque intérêt
dans l'histoire de nÇtte enfant abandonnée, protégée mysté-
rieusement par,"ii noble lord anglais, devenue cantatrice et
finissant par Cpouser le fils de ce bienfaiteur, qui pour l'ap-
procher et se faire aimer d'elle avait pris l'apparence et le
nom d'un jeune musicien. C'était, comme on le voit, une
nouvelle édition de l'Ambassadrice, additionnée de la Traviata ;
peut-être s'y joignait-il aussi quelques souvenirs d'un Sullivan
de Mélesville et d'un Tiridate de. Maxime Fournier. Jenmj Bell,
en tout cas, n'avait rien de commun avec Jenny Lind,
comme on se plaisait à le dire avant la représentation. L'a-
mour d'une actrice et d'un grand seigneur aurait plutôt
éveillé le souvenir d'Adrienne Lecouvreur et de l'admirable
lettre qu'elle écrivit à la mère du jeune d'Argental, pour
expliquer sa conduite et dévoiler son cœur « comme une
femme, disait Sainte-Beuve, qui veut concilier tous les de-
voirs naturels avec les convenances de la société. » Pour le
guérir de sa passion, la mère voulait éloigner son fils, et la
comédienne lui écrivait : « ... Ne lui témoignez ni mépris
ni aigreur ; j'aime mieux me charger de toute sa haine,
malgré l'amitié tendre et la vénération que j'ai pour lui que
de l'exposer à la moindre tentation de vous manquer...
Faites tomber sur moi tout son ressentiment, mais que vos
bontés lui servent de dédommagement. Je lui écrirai ce qui
vous plaira; je ne le verrai de ma vie, si vous le voulez,
j'irai moi-même à la campagne, si vous le jugez nécessaire....
Enfin, madame, vous me verrez plutôt me retirer du monde
que de souffrir qu'il soit à l'avenir tourmenté pour moi et
par moi. » Mais ces subtilités psychologiques conviennent
plus à la prose qu'à la musique et ressortissent moins de
l'opéra que du roman; à la salle Favart on les comprit peu,
et les trois actes d'Auber furent vite oubliés.
(A suivre.)
SEMAINE THÉÂTRALE
Dimilri à l'Opéim-Comique.
Pour le moment, il fait bon d'être russe en notre chère France.
Tout ce qui nous vient du Nord est admirable ; tout ce qui touche
à l'histoire des czars émeut notre fibre patriotique au même degré
que l'histoire même de nos rois ou de nos empereurs. Quand on
n'en a plus chez soi, on les prend où on les trouve. Nos sympathies
sont slaves désormais, en attendant qu'elles suivent un autre cou-
rant. Voyez : un imprésario aventureux — je n'ai pas dit aventurier
— a l'idée de représenter au théâtre municipal de Nice l'opéra de
GliDka : la Vie pour le Tzar, pour lequel, en d'autres temps, on
n'eût eu que des compliments de condoléance, non qu'il soit dé-
pourvu de tout mérite, mais parce qu'il n'est plus guère dans notre
mouvement musical, ayant été conçu en 1830, sous l'influence évi-
dente de l'art italien qui dominait alors. Mais quoi ! Il s'agit d'un
compositeur russe, d'une partition qui proclame lagloire d'un tzar !...
Et voilà l'opéra passé chef-d'œuvre ! Voilà le directeur, qui vient
d'enjamber la balustrade de son avant-scène pour sauter sur le
théâtre et y entonner l'hymne russe, proclamé grand homme. Que
dis-je! Des journaux mettent en avant sa candidature à la direc-
tion de notre Académie nationale de musique au cas où nous
aurions la douleur de perdre MM. Ritt et Gailhard. Gunzbourg —
c'est le nom de cet heureux imprésario — se dresse déjà comme
une catapulte dirigée contre eux. Tout cela est très beau vraiment,
mais passe un peu la mesure, si l'on songe que, par suite de la
dénonciaiion de la convention de 1861, la musique française ne
jouit plus d'aucune espèce de protection en Russie, où chacun
peut en faire des choux ou des raves à son gré, sans avoir de
compte à rendre à nos compositeurs, et je vous assure que M. Gunz-
bourg ne s'est pas gêné, quand il était directeur à Saint-Pétersbourg,
pour prendre avec leurs intérêts toutes les libertés possibles, au mépris
même des engagements particuliers qu'il avait conclus. Nous pour-
rons le démontrer quand le moment sera venu.
Donc, Dimilri nous revient aussi à une bonne époque, puisque
ses librettistes nous entretiennent précisément d'un point de l'his-
toire de Russie toujours resté obscur, et que d'ailleurs ils ne se sont
pas chargés d'éclaircir plus que l'histoire elle-même. Dimitri était-il
réellement le fils du tzar Ivan le Terrible, ou n'élait-il qu'un im-
posteur ? Avant comme après le livret de MM. Henri de Bornier et
Armand Silvestre, la question reste sans réponse.
Quand Ivan le Terrible, qui régnait au xvic siècle, vint à mourir, il
laissa un fils en bas âge, Dimitri, sous la régence de Boris Goudou-
now. Pour s'assurer la couronne, celui-ci n'eut rien de plus pressé que
de charger, moyennant honnête récompense, un certain comte Lusace
de supprimer l'héritier d'Ivan. Le comte exécuta-t-il l'ordre, ou se
contenta-t-il, comme il le prétendit plus tard quand il eut à se
venger de Boris, d'enfouir le jeune Dimitri au fond d'un couvent
pour l'en tirer quand l'heure serait venue? C'est là ce qu'on n'a
jamais pu savoir au juste. Toujours est-il que, d'après MM. Henri
de Bornier et Armand Silvestre, Lusace se présenta un beau jour
au couvent de Viatka pour révéler à l'enfant du mystère les
hautes destinées qui l'attendaient. Douce surprise pour le jeune
homme, mélangée pourtant d'un peu d'amertume. Car Lusace lui
ménage en même temps une riche alliance destinée à servir sa
propre ambition. Il ne s'agit de rien moins que d'épouser la nièce
du roi de Pologne. D'autres se laisseraient faire, mais notre ami
Dimitri a un autre amour au cœur ; il aime Marina, fille du
voïvode de Sandomir (sic), pour les beaux yeux de laquelle il a
même tué le comte de Lysberg, qui avait des prétentions sur sa main.
Mais voyez l'astuce qui s'empare de suite de cette jeune âme, avec
la perspective d'une couronne. Il no se déclare pas franchement au
comte de Lusace, et feint d'entrer dans ses vues. Le roi de Pologne,
il faut le dire, se momre plein de courtoisie à son égaid, encore
qu'un peu bien emprunté dans sa collerette à longs tuyaux, et sa
nièce Vanda se montre particulièrement bien disposée pour l'héri-
tier du trône de toutes les Russies.On part donc en guerre elle siège est
bientôt mis devant Moscou, où tremble l'usurpateur Boris. Si Boris
pouvait obtenir de la veuve d'Ivan le Terrible, toujours vivante, la
déclaration que Dimitri n'est pas son fils, tout serait sauvé ; car im-
médiatement le prétendant perdrait le prestige qui lui a fait trouver
tant de partisans. Il tente en vain d'obtenir cet aveu. Marpha — c'est
le nom de l'ancienne czarine — très désireuse de tirer vengeance
des procédés de l'iofâme Boris, se garde de tomber dans le piège,
bien qu'elle ne soit pas assurée autrement de la légitimité des
prétentions de Dimitri. Elle proclame au contraire bien haut que
Dimitri est son fils. Et il arrive que Boris est bientôt assassiné par
ses propres soldats. Dimitri entre triomphalement dans Moscou, où
on va le couronner czar, avec Marina qui devient czarine du même
coup. C'est alors que Lusace, trompé dans ses espérances et excité
par la vindicative Vanda, l'abat d'un coup de mousquet sur le seuil
même de l'église où on va le sacrer roi et empereur. Dimitri expire
LE MENESTREL
43
sans trop savoir s'il était réellement le fils d'Ivan : « La vérité, mon
Dieu ! toi seul me la diras. » Voilà pourquoi il la sait sans doute à
cette heure, sans que nous en soyons plus avancés pour cela.
Tel est ce livret qui assurément ne manque ni de mouvement, ni
de variété. Peut-être même est-il un peu touffu et compliqué. Il
n'en a pas moins inspiré à M. Victorin Joncières sa meilleure parti-
lion. Elle est solidement construite dans la manière de Meyerbeer,
avec çà et là des bouffées d'italianisme. Wagner aussi, dont, à l'époque
de la composition de Dimitri, M. Joncières était un des plus fervents
adeptes, semble l'avoir inspiré en quelques pages, qui ne sont pas
les moins bien venues. Telle qu'elle est, avec ce mélange de courants
divers qui tiraient le compositeur à hue et à dia, cette production n'en
restepas moins une des œuvres les plus intéressantes qu'ail produites
l'école française depuis une vingtaine d'années. Elle a la première
des qualités, qui est la sincérité, et, au lendemain A'Esclarmonde, on
l'a réentendue avec un vif plaisir.
Noire collaborateur Victor Wilder, a apprécié ici même, lors de
l'apparition de l'œuvre au théâtre National-Lyrique, le 5 mai 1876,
la partition de M. Joncières, et il l'a fait avec une autorité et un
savoir que nous ne saurions avoir la prétention d'égaler : « Il y a
chez M. Victorin Joncières, disait-il, deux hommes tout à fait dis-
tincts : l'homme à système d'abord, qui vante volontiers les prin-
cipes de Wagner en condamnant un peu trop légèrement peut-être
tout ce qui s'en écarte; l'homme pratique ensuite, qui, dans la cha-
leur du travail, s'abandonne à son inspiration sans la faire passer
sous le niveau de ses théories. » Puis il signalait avec une sorte de
malin plaisir, ainsi que nous venons de le faire, l'inffuenza italienne
qui sévissait, malgré tout, dans plusieurs morceaux, mais il était
loin d'en faire un reproche au compositeur : « Les Italiens, quoi
qu'on en dise, écrivait-il alors, ont inventé pour la musique drama-
tique une série de formes typiques, dont les esprits les plus affa-
més de nouveauté ne parviendront à s'affranchir qu'en cessant de
faire de la musique dramatique. Ce n'est point le cas de M. Jo-ncières,
qui comprend la scène et sait ce qu'elle exige du compositeur.
Aussi, loin de le blâmer de son heureuse inconséquence, ne veux-je
que l'en féliciter. » Oh ! oh ! Notre ami Wilder ne tiendrait plus au-
jourd'hui le même langage. C'est lui, à cette heure, qui s'est en-
foncé jusqu'au cou, et à en perdre pied, dans les idées wagnériennes
les plus avancées, tandis que le compositeur, qui en était alors tout
rempli, parait au contraire avoir opéré une sage retraite et vouloir se
tenir dans les limites du raisonnable. Que les temps sont changés!
Presque tout le second acte est italien de forme et d'idées, à l'excep-
tion du chœur d'entrée et de la belle polonaise qui le termine. Ce
n'est pas le meilleur à cotre goût, et nous faisons assez bon marché
des couplets et du grand air de Lusace, ainsi que du finale solennel
établi sur une phrase mélodique que les voix étagées reprennent
tour à tour. Combien nous préférons à ce travail habile d'architecture
musicale la jolie rêverie de Marina au premier acte : Pâles étoiles, ou
encore l'invocation inspirée de Dimitri : Moscou, voici la ville sainte!
Ces deux pages de petite dimension en valent beaucoup de grandes
qui font plus d'embarras. Il faut mettre aussi hors de pair toute la
charmante musique du ballet, d'une couleur ravissante et d'une or-
chestration étincelante. Il y a de la grandeur dans les scènes du troi-
sième tableau, où Marpba et l'archevêque Job se trouvent en pré-
sence. C'est là de la belle déclamation lyrique, qui se termine par un
superbe arioso : Il est mon fils! que Meyerbeer n'aurait certes pas
renié.
C'est là, en résumé, une œuvre de valeur que quatorze ans d'exis-
tence n'ont pas vieillie, aune époque où tout marche si vite? N'est-
pas la meilleure preuve qu'on puisse donner de sa réelle solidité?
Elle a rencontré à l'Opéra-Comique une interprétation excellente
en plusieurs parties, tout à fait inférieure en d'autres.
Il est bien certain que le ténor Dupuy devrait se garder avec
soin de ces rôles de force, où il ne peut que compromettre la fragilité
d'un organe qui semble devoir se vouer uniquement aux Dame blanche
et aux Fra Diavolo. Si la représentation a péché, c'est surtout de
son côté. Pour M. Soulacroix, il a certainement la voix qui con-
vient au personnage de Lusace ; mais en a-t-il bien l'allure et la
taille? De plus, on l'avait habillé comme le chat botté, avec une
belle barbe d'or qui lui donnait l'aspect le plus singulier, et des
"bottes enluminées de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. On aurait
envie d'en faire une affiche-réclame pour nos marchands de chaussures
à la mode: «Tu as donc fait un héritage quetu portes d'aussi belles
bottes ? — Mais non, elles ne me coûtent que 3 fr. 15 c. Je les
prends chez Gailhard, le grand cordonnier de l'Opéra. — Vite! son
adresse, que j'y coure ! »
Le rôle de Marpha convient tout à fait à la belle voix de
Mme Desehamps, comme aussi celui de Marina aux délicatesses du
talent de M"10 Landouzy. Il est regrettable que celte charmante ar-
tiste n'ait réellement à chanter que pendant le premier acte. Mais
avec quelle poésie elle a dit la rêverie : « Pâles étoiles », et son
canlabile et le duo avec Dimitri ! Si on savait se servir de Mm° Lan-
douzy et la mettre en lumière comme il conviendrait, elle devien-
drait vite l'étoile de l'Opéra-Comique.
A signaler encore une débutante, MUo Gavioli, un peu grimacière,
mais non sans mérite ; M. Fournets, dont la magnifique voix sonne
toujours merveilleusement; M. Cobalet, dans le rôle du prieur; et
enfin M. Collin, un roi de Pologne d'une raideur voulue mais in-
vraisemblable. Ce roi-là a été fabriqué à Nuremberg, sans aucun
doute.
Orchestre et chœurs à l'abri de tous reproches et mise en, scène
splendide.
Ma Mie Rosette aux Folies-Dramatiques.
C'était un rêve, rien qu'un rêve. Ma foi ! ma mie Rosette l'a échappé
belle. On moissonnait ferme sous l'ardeur du soleil, et cette gentille
fillette, à bout de forces, s'était laissée choir sur une botte de foin
où elle n'avait pas tardé à s'endormir. Et voilà qu'elle vit passer le
roi dans les champs et s'arrêter devant elle. C'était le Vert-Galant en
personne, Henri de Navarre, qui l'emmena au château. Elle devint
grande dame, elle connut les splendeurs, et puis les misères, si bien
qu'elle est tout heureuse de se réveiller enfin et de voir que rien de
tout cela n'était arrivé. Et quand le roi vient à passer pour de bon,
elle le renvoie sans plus de façon à sa belle Corisande. Pour elle, elle
épouse Vincent, l'excellent villageois qui soupire pour sa mignonne
personne.
C'est un petit conte tout à fait charmaut, dont M. Armand Liorat
et le regretté Jules Prével ont tiré le meilleur parti. Il a, de plus,
inspiré à M. Lacome une partition des plus réussies. M. Lacome
est à nos yeux un maître en ces sortes de petites œuvres, qu'il
touche toujours d'une manière délicate, sans tomber dans la tri-
vialité. Nous voudrions nous étendre davantage sur le nouveau
succès des Folies-Dramatiques ; malheureusement, cette semaine a
été si chargée en nouveautés de tous genres, qu'il ne nous est permis
de nous appesantir sur aucune. Disons bien vite que l'interprétation
de Ma Mie Rosette a contribué au succès, qu'on n'est pas plus joyeux
que M. Gobin, qu'on n'a pas plus de grâce que Mlle Nesville, ni de
voix de baryton plus franche que celle de M. Huguet.
H. Moreno.
Le Comte d'Egmont, a l'Odéon
Traduit de Goethe, par M. A. Aderer.
Le directeur de l'Odéon continuant avec ténacité son incursion
parmi les chefs-d'œuvre du théâtre étranger, je pourrais continuer,
moi aussi, à faire des variations innombrables sur ce que j'ai dit,
plusieurs fois déjà, à cette même place. Et de fait, le Comte d'Egmont,
à part les trois derniers tableaux et deux ou trois scènes, éparses çà
et là dans le reste de l'ouvrage, me paraît un drame assez fade et
démesurément long. Je sais bien qu'il y a là deux figures admira-
blement campées, d'une netteté de traits merveilleuse et d'un des-
sin impeccable, celle d'Egmont et celle de Claire; mais il me semble
qu'un peu plus d'action dramatique, demouvement scénique, ne nuirait
en rien au relief presque exclusif que Gœthe a voulu donner à ces
deux caractères principaux. M. Aderer a, sur ce dernier point, scru-
puleusement respecté l'intention de l'auteur, et ce n'est certes pas à
lui qu'il faut s'en prendre si la pièce reste terne trop souvent. Son
adaptation est fort adroitement et fort savamment faite; le texte en
est des plus littéraires et le sens de notre théâtre s'y révèle autant
que faire se peut; de tout ce qu'il a cru devoir couper dans l'œuvre
originale, rien à regretter, si ce n'est le côté poétique de la jolie
scène entre Egmont et Claire, dont M. Aderer ne me semble pas
s'être suffisamment servi; en revanche, il aurait pu supprimer, sans
regret, le personnage, fort peu sympathique, de la mère trop bien-
veillante, et donner une allure moins gauche au personnage du jeune
Ferdinand. Si je fais ces quelques réserves, ce n'est point pour
diminuer le très grand mérite du travail de M. Aderer, mais c'est
pour montrer combien la tâche est toujours difficile et combien elle
demeure trop souvent ingrate. Le génie de Shakspeare, pas plus que
celui de Gœthe, ne sont celui de notre race; peut-être l'esthétique
dramatique de Schiller est-elle encore celle qui se rapproche le plus
de la nôtre.
C'est M. Dumény qui est chargé du rôle assez lourd d'Egmont,
et si l'artiste donne le relief désirable au côté léger et insoucieux
du personnage, il me semble manquer de l'ampleur nécessaire pour
bien représenter ce prince, un peu volage, sans doute, mais qui
44
LE MENESTREL
n'en a pas moins montré des qualités viriles indéniables; M. Dumény
reste toujours un 1res aimable comédien, et les passages de force
ou de sentimenls tragiques le trouvent, selon nous, toujours un peu
trop aimable. Mlle Sanlavillo joue Claire en artiste de grand mérite
et obtient, malgré son manque de vigueur, de très heureux effets
dans les scènes dramatiques. Il faut aussi nommer Mme Antonia
Laurent, MM. Lambert, Candé, Calmetles, Cornaglia et Marquet
dans des rôles de second plan.
M. Porel a confié le soin d'exécuter la musique syrnphonique
créée par Beethoven pour ce drame, à M. Lamoureux el à son or-
chestre. Il est inutile de dire que de ce côté, tout a merveilleusement
marché, depuis l'ouverture, si belle, jusqu'à la délicieuse musique
de scène de la mort de Claire, qui a été saluée de bravos unanimes,
si ce n'est Mlle Sanlaville qui essaie en vain de chanter l'air de bra-
voure. Pourquoi ne pas faire dire cette chanson dans la coulisse
par une vraie chanteuse ?
Les Vieux Maris, a la Renaissance
Après avoir passé de mains inexpertes en mains inhabiles, voici
le théâtre de la Renaissance rentré sous la direction intelligente de
M. Fernand Samuel, et ce petit événement a causé tant de plaisir
dans le monde qui s'intéresse aux choses du théâtre, que personne
n'a songé, un moment, à être sévère pour la pièce qui a servi de
réouverture. C'est que si M. Samuel compte parmi les sympathi-
ques, M. Antony Mars ne doit pas non plus avoir beaucoup d'ennemis,
malgré son grand succès des Surprises du Divorce. Les Vieux Maris
sont simplement une pochade inoffensive, qui a le tort de com-
mencer avec des allures de comédie. Plus d'une scène y est amu-
sante et le public y rit. Le sujet en est assez scabreux, ce qui me
permettra de ne point vous le raconter. La troupe, recrutée à la hâte,
compte déjà de très bons éléments: MM. Vois, Montcavrel, Kéraval,
Calvin fils, Mmœ Irma Aubrys et Defoder. Mlle Chassaing a fait d'ai-
mables débuts qui nous promettant une coquette élégante.
Paul-Émile Chevalier.
LE THÉÂTRE A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889
ARCHITECTURE ET MACHINERIE THEATRALES
(Suite)
Après celle-ci nous trouvons une reproduction très remarquable
de la fameuse Saile des Machines, construite aux Tuileries en 1661,
pour les grandes fêtes de la cour. Celte maquette, comme la précé-
dente, nous donne, non l'ensemble complet, mais la coupe longitu-
dinale de ce théâtre immense et somptueux, qui émerveilla si foit
les contemporains el qui ne fut rendu public qu'après quatre-vingts
ans écoulés. C'est le célèbre architecte-peintre-mécanicien italien
Vigarani, qui, sur l'ordre de Louis XIV, l'édifia pour les représen-
tations des riches ballets dont ce prince était si friand et dans les-
quels on sait qu'il ne dédaignait pas de danser en personne. On lui
donna le nom de « Salle des Machines, » parce qu'il avait été
aménagé de façon à produire les effets matériels les plus compliqués
et les plus surprenants, et à déployer au point de vue scénique une
magificence inconnue jusqu'alors. Il fut inauguré le 7 février 1662
par la représentation d'un opéra italien de Cavalli, Ercole amante
(Hercule amoureux), dont la splendeur stupéfia littéralement les
nobles assistants. L'abbé de Pure dans son livre : Idée des spectacles
anciens et nouveaux, publié en 1668, a donné de ce théâtre une des-
cription qu'on chercherait vainement ailleurs; il nous fait connaître
ses vastes proportions, et nous met au courant des prodiges opérés
par le jeu des machines:
Le corps de ta sale est partagé on deux parties inégales. La première
comprend le théâtre et ses accompagnemens. La seconde contient le par-
terre, les coridors et loges, qui font face au théâtre, et qui occupent le
reste du salon de trois cotez, l'un qui regarde la cour, l'autre le jardin,
et le troisième le corps du palais des Thuileries.
La première partie, ou le théâtre, qui s'ouvre par une façade égale-
ment riche el artiste, depuis son ouverture jusqu'à la muraille qui est du
costé du pavillon, vers les vieilles écuries, a de profondeur vingt-deux
toises. Son ouverture est de trente -deux pieds sur la largeur, ou
entre les coridors et châssis qui régnent des deux coslez. La hauteur, ou
celle des châssis, est de 24 pieds jusques aux nuages. Par dessus les
nuages, jusqu'au tiran du comble, pour la retraite ou pour le mouvement
des machines, il y a 37 pieds. Sous le plancher ou parquet du théâtre,
pour les enfers ou pour les changemens des mers, il y a quinze pieds de
profond.
C'est sur ces espaces que le sieur Charles Vigarany, outre plusieurs
autres surprenantes machines, en a fait marcher une de 60 pieds de pro-
fondeur sur 4b de largeur, et a eu la hardiesse d'y porter toute la maison
royalle, et pour le moins S0 autres personnes tout à la fois, avec autant
d'estonnement de la facilité de ceux qui le permirent que d'admiration
de l'assurance de l'entrepreneur et de la beauté de l'ouvrage (1.)
La seconde partie, ou celle du parterre, qui est du costé de l'aparte-
ment des Tuilleries, a de largeur entre les deux murs 63 pieds, entre les
coridors 49. Sa profondeur depuis le théâtre jusqu'au susdit apartement
est de 93 pieds : chaque coridor est de six pieds, et la hauteur du par-
terre jusqu'au platfonds est de 49 pieds. Ce platfonds a deux beautez
aussi riches que surprenantes, par sa dorure et sa dureté. Celle-cy est
toutefois la plus considérable, quoy que la matière en soit commune et
de peu de prix, car ce n'est que du carton, mais composé et pétry d'une
manière si particulière, qu'il est rendu aussi dur que la pierre et que les
plus solides matières. Le reste de la hauteur jusqu'au comble, où sont
les rouages et les mouvemens, est de 62 pieds.
Voilà pour les proportions et l'ensemble de l'édifice, et l'on voit
que la salle proprement dite était immense. La vue que nous en
offre la superbe maquette exposée au Champ de Mars nous; la
présente en effet comme grandiose. La scène, de son côté, n'était
pas moins vaste, ainsi qu'on peut s'en rendre compte par les me-
sures qui précèdent. Six plans seulement s'en trouvent indiqués
sur cette maquette ; mais on sait, à n'en pas douter, qu'elle en
comportait bien davantage. Il suffira d'ailleurs, pour donner une
idée de son étendue, de faire connaître la transformation dont elle
fut l'objet plus tard, c'est-à-dire lorsqu'après l'incendie qui détrui-
sit l'Opéra en 1763, ce théâtre vint provisoirement, la cour habi-
tant alors Versailles, s'installer aux Tuileries en attendant la re-
construction de sa salle du Palais-Royal. Sur le seul emplacement
de la scène, Soufflot et Gabriel furent alors chargés d'élever un
nouveau théâtre qui comprendrait la salle et la scène, et celui-ci
était encore assez vaste pour que les deux architectes, se confor-
mant aux ordres qui leur étaient donnés, pussent reproduire la
forme et la distribution du théâtre incendié, « afin, disait le Mer-
cure de France, que les locataires des loges s'y retrouvassent dans
les mêmes positions sans qu'il fût besoin de passer de nouveaux
baux (2). » De la salle spécialement on fit alors un vaste magasin
qui servait à serrer et à remiser les décors et ie matériel. C'est ce
théâtre, ainsi refait, qui, dès que l'Opéra l'eut quitté pour aller
s'établir de nouveau au Palais-Royal (1770), fut occupé pendant
dix ans par la Comédie-Française, dont la salle commençait à me-
nacer ruine; c'est lui qui. en 1789, servit durant quelque temps à
l'exploitation du nouveau Théâtre de Monsieur; c'est lui enfin qui,
de nouveau transformé pour un nouvel usage, devint le siège de la
Convention lorsque cette assemblée quitta la salle du Manège, où
venaient de se dérouler les épisodes émouvants du procès de
Louis XVI.
Mais nous n'en avons pas fini avec la description de l'abbé de
Pure, qui va nous donner quelques derniers renseignements sur les
dégagements et les dépendances de l'immense salle des Machines :
Les portes grandes et commodes pour les entrées et pour les issues,
des escaliers pour aller aux coridors. des galeries secrètes par où le Roy,
après avoir dancé, peut se retirer dans sa loge pratiquée au fonds de la
sale et au point de veuë du théâtre, toutes ces;sortes de commoditez,
dis-je, n'y ont pas esté oubliées. Mais la plus mignonne et la plus apa-
rante est une porte pratiquée du costé de l'apartement des Tuilleries, et
qui rend dans une petite gallerie el ensuite dans une espèce de loge pour
la Reine, où est son haut dais.
La commodité ne s'en peut exprimer. Car outre que l'entrée en est par-
ticulière, la disposition en est telle qu'une princesse est, toujours et sans
besoin de ses gardes, séparée de la foule par la construction des grilles
de fer bien dorées et appropriées avec tous les soins, toute l'intelligence
et toute la magnificence possible.
Les ornemens n'en peuvent point estre fidellement descrits, car ceux
du théâtre sont ebangeans et ne durent qu'autant que les représentations
qui s'y font. Les autres y sont épars avec tant d'art et tant d'agrément,
qu'il n'y a que les yeux qui puissent satisfaire sur cette curiosité. Je ne
puis toutefois passer sous silence les accompagnements extérieurs pra-
tiqués dans le pavillon qui joint la salle, tant pour la commodité du
prince, quand il fait quelque balet, que pour celle de ses danceurs. Car
il y a de grandes salles, de belles chambres, avec les escaliers dégagez,
où le Roy, les princes, les dames peuvent s'habiller, et se coéffer séparé-
ment. Les danceurs communs ont diverses chambres où ils peuvent pla-
(1) On assure en effet que dans une superbe apothéose, Louis XIV ne
craignit pas de se faire enlever ainsi sur une « gloire » entourée de
nuages.
(2) Huit mois lurent employés à cette transformation. Les dépenses s'éle-
vèrent à la somme de 409,535 livres.
LE MENESTREL
cer seurement leurs mannes et leurs habits, où ils peuvent changer selon
les diverses entrées qu'ils peuvent dancer, sans crainte et sans embarras,
et sans souffrir de froid. Les ouvriers ont de grands et spacieux celiers,
où ils peuvent tout le long de l'année travailler ou à des machines nou-
velles, ou à la conservation des vieilles. Les brodeurs, tailleurs, pluma-
ciers, peintres, faiseurs de masques et autres ouvriers nécessaires ont
des galtas et tout l'air, le jour etl'espace qu'ils peuvent désirer pour dorer,
peindre et sécher tous les ouvrages de leur façon.
La maquette du Champ de Mars nous montre précisément la porte
dont l'abbé de Pure fait un si grand éloge, et qui servait d'entrée
particulière à la reine. Cette porte était surmontée de l'écusson
royal. Elle s'ouvrait sur un très large espace vide qui s'étendait
entre la salle et la scène, et que la reine parcourait évidemment
« séparée de la foule, » comme le dit l'écrivain, pour aller joindre
sa loge. Deux grandes galeries entouraient la salle dans toute son
étendue, supportées par une rangée de colonnes et situées à une
assez grande hauteur pour que, au-dessous de ia première de ces
galeries, et en retrait, pour ainsi dire, on vit sur chacun des côtés
ainsi qu'au fond, une sorte de petit balcon divisé en trois parties,
qui semblait fiché dans la muraille et qui formait comme trois
espèces de petites loges. Tout le reste de la salle était occupé par
des banquettes et des gradins qui, au fond, s'étageaient en amphi-
théâtre et s'élevaient jusqu'à celui de ces balcons qui faisait face
à la sceDe.
Cette salle, d'un caractère vraiment grandiose, ne servit pourtant
que pendant peu d'années, et fut assez promplement abandonnée.
Il y avait fort longtemps déjà qu'elle restait inutile, lorsqu'en 1738
le fameux architecte et peintre Servandoni, dont le taleut tout par-
ticulier révolutionna l'art de la décoration scénique, obtint l'auto-
risation d'y ouvrir son « Spectacle eu décoration, » qui attira tout
Paris et qui a laissé une trace dans les annales du théâtre en
France. Il représentait là des pantomimes accompagnées de mu-
sique, dont l'action n'était guère qu'un prétexte, et dans lesquelles
on venait surtout admirer la splendeur des décors et les merveilles
de la machinerie. Vers 1742, Servandoni renonça à cette entre-
prise, puis la reprit, toujours aux Tuileries, depuis 1754 jusqu'en
1757. A partir de cette dernière date, il ne fut plus question de la
salle des Machines jusqu'au jour où elle fut transformée, comme
je l'ai dit plus haut, pour donner asile à la Comédie-Française. On
a vu ce_qu'elle devint par la suite, et que la Convention finit par
y tenir ses séances. Ce n'est pas tout. Abandonnée de nouveau
après sa courte existence- politique, elle fut l'objet d'une dernière
transformation." Sur son emplacement, Napoléon 1er fit construire la
chapelle et le théâtre particulier des Tuileries, théâtre ou, sous
son règne et sous celui de Louis-Philippe, comme sous le second
empire, les artistes des scènes subventionnées étaient appelés assez
fréquemment à donner des représentations devant le souverain et
ses invités. Ce théâtre subit le sort du palais lui-même et disparut
dans l'incendie de 1871. Les gros murs, que le feu avait épargnés,
ne furent abattus qu'en 1873.
(A suivre.) Arthur Poijgin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Châtelet, 15° concert. — Comme partie purement orchestrale, M. Co-
lonne a, de nouveau, fait entendre la Symphonie écossaise de Mendels-
sohn, dont l'exécution a été de tout point irréprochable. Grand succès
pour le poème symphonique de Mme Holmes, Irlande, qui est bien certai-
nement l'œuvre la plus remarquable de ce compositeur distingué. Il y
règne un grand souffle ; l'inspiration est toujours élevée et les préoccu-
pations orchestrales ne font pas négliger par l'auteur la pensée mélodique
qui est l'essence même de la vie dans toute conception musicale. Nous
n'en dirons pas autant du Choral de M. Widor, qui est traité d'une façon
très sévère, qui est une œuvre assurément de valeur, mais dont le motif
peu mélodique ne comporte pas les eiïets peut-être trop wagnériens dont
l'auteur a cru devoir l'agrémenter. Le dernier numéro du programme
était rempli par la. délicieuse suite de Bizet, tirée de Carmen. Bizet est là
ce qu'il est partout : un musicien consommé, un mélodiste de premier
ordre et un coloriste exquis. Comme solistes, nous avons entendu
Mm" Krauss et le violoniste Johannès Wolff. M. Wollf a dit, avec des
qualités de style très réelles et d'un archet un peu lourd, le beau Concerto
romantique de M. Godard; M. Wolff a été surtout remarquable dans
l'adagio et le finale; la canzonetta a été accompagnée d'un tel pianissimo,
qu'à part le contre-sujet du hautbois et de la flûte, on n'entendait pres-
que rien de l'orchestre, et que les modulations fines et inattendues qui
font le charme de ce joli épisode, l'harmonie manquant, perdaient abso-
lument de leur effet. M™ Krauss a interprété en incomparable artiste,
comme toujours, trois morceaux de styles absolument différents, le récitatif
et l'air de la haine il'Armide (Gluck); le Rouet (Schubert), orchestré par
M. Ambroise Thomas, et un air du Paradis et la Péri (Schumann). A chaque
morceau Mmo Krauss a donné le style qui lui est propre, et toujours avec
la même supériorité. Elle a été l'objet d'une longue et chaleureuse ovation.
II. Barbedette.
— Concerts Lamoui
avec une précision r
■ 1 1 x . — La symphonie en ut mineur a été rendue
goureuse qui, en satisfaisant , pleinement l'esprit,
laisse parfois un regret, car cette interprétation matériellement impecca-
ble enlève toute sensation d'imprévu et a l'inconvénient, par la recherche
trop évidente des effets, de retenir l'attention sur les détails d'exécution
au lieu de la laisser s'arrêter sur l'œuvre dans son ensemble. — La suite
pour orchestre tirée i' Esclarmonde comprend quatre morceaux : Evocation,
l'Ile magique, Hyménée et Dans la Forêt. Ici, M. Massenet semhle avoir re-
noncé au style simple et aux harmonies limpides et transparentes qui
distinguent plusieurs de ses compositions antérieures. Son orchestre est
plus chargé de dessins et devient parfois tumultueux, mais la grâce et le
charme s'y retrouvent malgré tout, et certaines parties apparaissent lumi-
neuses et clairement mélodiques. Le 2e et le 3° morceaux sont à peu près
conformes à la partition que l'on joue au théâtre; les deux autres sont
écrits sur des motifs dominants traités symphoniquement. Cette suite a
obtenu un grand et légitime succès. M. Blumer a exécuté le concerto en
mi bémol de Liszt. Cette oeuvre est une de celles que le talent de l'inter-
prète transforme le plus. Tantôt elle parait sèche et froide, tantôt pleine
de chaleur et de vie. M. Blumer possède un jeu d'une irréprochable net-
teté, un style clair et sobre, un nuancé délicat, mais il ne tire pas du
concerto de Liszt tout l'effet dont cette composition brillante et mouve-
mentée serait susceptible. Néanmoins, il a recueilli de chaleureux applau-
dissements, justifiés d'ailleurs par ses qualités de premier ordre. Le
programme comprenait encore le trio des jeunes Ismaëliles de Berlioz, le
prélude de Lohengrin et l'ouverture de Rienzi. Amédée Boutarel.
— Le dernier concert de la Société nationale comprenait, comme œu-
vres de musique de chambre, un sextuor pour instruments à cordes (dédié
à J. Brahms), de M. G. Alary, œuvre estimable, non d'une grande origi-
nalité, mais d'une facture souvent intéressante, et le deuxième quatuor de
M. Glazounow, le jeune compositeur russe dont les concerts de l'Exposi-
tion nous avaient déjà fait connaître de si remarquables œuvres orches-
trales. Ce quatuor, dont toutes les parties ne sont évidemment pas
également recommandables, et dont quelques-unes dénotent encore
quelque inexpérience (l'œuvre d'ailleurs remonte à plusieurs années), est
néanmoins d'une originalité rare. Les thèmes, parfois très courts, mais
toujours nets et précis, ont le plus généralement le caractère de la mé-
lodie populaire russe : le scherzo, composé de deux motifs, l'un d'allure
classique formant opposition avec le suivant, une mélodie ravissante et
savoureuse empruntée sans doute à quelque chanson nationale, est un
morceau excellent; dans l'adagio niolto, où sont parsemées des bribes de
phrases mélodiques que souvent l'auteur ne prend pas la peine de déve-
lopper, un Russe de mes amis disait reconnaître des thèmes de chansons
de travail de son pays, chants de labour ou de moisson, et retrouver dans
ce morceau comme une peinture musicale du mouvement et de la vie
des « champs paternels ». On a chaleureusement accueilli l'œuvre de
M. Glazounow, et cela sans penser aucunement à l'alliance russe, ce qui
valait peut-être mieux. Les Djinns, poème symphonique de M. César Franck,
transcrit pour deux pianos, et deux élégantes pièces pour flûte de M. Ch.
Lefebvre, exécutées par le toujours incomparable Taffanel, complétaient
la partie instrumentale du concert, à la hauteur de laquelle la partie
vocale ne fut pas. — Du concert précédent, dont nous n'avons pas rendu
compte, nous nous repiocherions de ne pas signaler un quatuor pour
piano et instruments à cordes de M. Vincent d'Indy, où l'on retrouve la
fermeté, la sûreté de main, les tendresses transcendantes qui caractérisent
jusqu'aux moindres productions du compositeur. Il y a notataiment, dans
cette œuvre, une ballade d'un grand caractère, et dont le développement
est d'une magnifique élévation. — Samedi prochain, 15 février, aura lieu
le 200e concert de la Société, à la salle Pleyel, comme toujours depuis
vingt ans. Julien Tiersot.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : Relâche.
Châtelet, concert Colonne : symphonie i'n«( majeur n° 1 (Beethoven)
air à'Euryanthe (Weber), par Mme Krauss; Siegfried-Idyll (Wagner); fan-
taisie pour piano et orchestre (E. Bernard), par M. Philipp ; suite, d'or-
chestre (J. Garcin) ; Prière d'Elisabeth de Tannhâuser (Wagner) et Ode
de Sapho (Gounod), par Mmc Krauss ; fragments de Carmen (Bizet).
Champs-Elysées, concert Lamoureux : Ouverture de Freischiitz (Weber) ;
Lever du soleil (Chaumet) ; Suite d'orchestre d' Esclarmonde (Massenet); con-
certo pour violon (Wieniavvski), exécuté par M.White; scherzo du Songe
d'une nuit d'été (Mendelssohn) ; une ouverture pour Faust (Wagner); Pré-
lude do Parsifal (Wagner); Marche de Tannhâuser (Wagner).
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique, G février. — La a première » do
Salammbii est décidément lixéc à lundi prochain. C'est, vous vous en dou-
46
LE MENESTREL
tez bien, tout un événement, — un événement qui n'est pas unique à
Bruxelles depuis que la Monnaie est devenue le vrai Théâtre-Lyrique
parisien et que la critique française a pris l'habitude de venir chez nous,
comme elle va à l'Opéra et à l'Opéra- Comique, aussi facilement et pres-
que aussi souvent. Je n'ai rien, pour le moment, à vous dire de l'œuvre
nouvelle de M. Ernest Reyer, dont je vous parlerai comme il convient la
semaine prochaine; ou plutôt il ne m'est pas permis de vous en dire
quelque chose; M. Reyer n'aime ni les indiscrets ni les indiscrétions.
Pourquoi cependant vous cacherai-je que, non seulement, on s'attend à un
grand succès, mais que — je puis vous l'assurer de science personnelle —
ce succès ne fait pas l'ombre d'un doute. Salammbô est une œuvre tout à
fait supérieure et qui produira une profonde impression. Il n'y a donc
aucune crainte à avoir à ce sujet. La direction de la Monnaie en a si
peu, du reste, elle-même, que comptant, non sans raison, sur cette œuvre
pour réparer les pertes qu'elle a subies jusqu'à présent, elle a augmenté
le prix des places pour les représentations de Salammbô. Cela fait crier un
peu le public, mais le public viendra... et paiera. C'est le principal. Les
frais sont d'ailleurs énormes. Outre l'engagement de Mmo Caron, il a fallu
engager M. Vergnet pour jouer le rôle du grand prêtre; la mise en scène
sera superbe, et tout cela grève naturellement le budget du théâtre de
dépenses considérables que l'on espère couvrir par la susdite mesure. —
Voici, en tout cas, la distribution complète des rôles de Salammbô :
Mathô, M. Sellier; Hamilcar, M. Renaud; Narr'Havar, M. Sentein; Sha-
haharim, M. Vergnet; Giscon, M. Peeters; Spendius, M. Bouvet; Antha-
rite, M. Challet; Salammbô, M"">Garon; Taanach, sa nourrice, MUe A. Wolff.
Je n'ai pas besoin de vous dire que tout l'intérêt de la semaine s'est con-
centré sur cette grande « première » en préparation. I.es journaux ne
parlent que de cela; on fait des prodiges pour obtenir une place, et il y
a même des conférences sur Flaubert et sur son voman célèbre, mis en
opéra par MM. du Locle et Reyer : témoin celle qu'a donnée l'autre jour,
au Cercle artistique, notre autorisé confrère, M. Gustave Frédérix, et à
laquelle assistaient M. Ernest Reyer et Mme Caron, qui sont les héros du
jour. A la Monnaie, toute autre besogne a été délaissée, même les répé-
titions du Vaisseau Fantôme et du Songe d'une nuit d'été, dont on va pouvoir
enfin s'occuper. — En dehors du théâtre, j'ai à vous signaler deux inté-
ressantes séances musicales données par les Vingt-un, cercle de peintres
qui fait, à certains j :urs, de la musique dans ses salons d'exposition. La
première a été consacrée à la musique belge; on y a applaudi des œuvres
de MM. Léon Jouret, Kefer, Aug. Dupont, Gilson, Soubre, etc., et un joli
poème lyrique nouveau de M. Emile Mathieu, le Sorbier, pour soli et
chœurs. Dans la seconde, on a entendu des œuvres très remarquables de
la jeune école française, notamment de M. Vincent d'Indy, qui dirigeait la
séance et y figurait lui-même en qualité d'exécutant. Outre la Mort de
Wallenstein, les Tableaux de voyage, un lied pour violoncelle de M. Vincent
d'Indy, nous avons eu un trio d'A. de Castillon, des mélodies de César
Franck et de Fauré, etc. Tout cela a été très goûté, et la jeune musique
française a remporté là une vraie victoire. L. S.
— On nous écrit de Lisbonne que MllB Marie Van Zandt, après avoir
chanté avec un énorme succès, au théâtre San Carlos, Lakmé et Mignon,
vient d'obtenir un triomphe éclatant dans Hamlet, où les acclamations,
les ovations et les rappels lui ont été prodigués. La représentation du
chef-d'œuvre d'Ambroise Thomas a été superbe d'ailleurs et a produit
l'impression la plus profonde, avec l'aide surtout du talent de la protago-
niste et de l'excellence de l'interprétation générale, confiée à Mm0 Pasqua
(la reine), à MM. Menotti (Hamlet), Borruchia et Paroli.
— Nous avons annoncé, d'après les journaux espagnols, et sans pouvoir
expliquer le motif de cette mesure singulière, que le ténor Marconi, ma-
lade à Madrid, était gardé à vue par deux agents de la force publique.
Un de nos confrères italiens nous apporte le mot de cette énigme. « Une
lettre de Madrid, dit-il, nous explique cette mystérieuse arrestation de
Marconi dans sa propre maison. Il aurait voulu, par crainte de Yinjluenza,
rompre le traité qui le liait à la direction du théâtre ; mais celle-ci qui,
surtout après la mort de Gayarre, n'aurait su où donner de la tête, eut
recours aux moyens extrêmes, et obtint de la police que la maison de
Marconi, indisposé depuis quelques jours, serait gardée par deux algua-
zils, vulgo gendarmes, afin d'éviter une fugue. Une fois guéri, tout s'ar-
rangea entre la direction et Marconi, qui, le fait ayant été divulgué comme
on l'a vu, a joui sans le chercher du bénéfice assez appréciable d'une
forte réclame. «
— Décidément, les Espagnols n'en ont pas fini encore avec leur compa-
triote Gayarre. Leurs journaux nous apprennent que la municipalité de
Pampelune a décidé de donner son nom à une rue de cette ville. A quand
sa statue?
— Le compositeur portugais Augusto Machado, auquel on doit déjà
deux opéras, Lauriana et les Doria, représentés non sans succès au théâtre
San Carlos de Lisbonne, termine en ce moment la partition d'un nouvel
ouvrage : Paola e Vicenzo, dont le livret est tiré d'un drame de son com-
patriote Almeido Garrett : um Auto de Gil Vicenle.
— Changement de front. Après avoir obtenu pendant plusieurs années,
comme ténor, de grands succès en Italie, M. Victor Delilliers, qui s'était
fait ensuite imprésario, puis professeur de chant, devient aujourd'hui notre
confrère. La Rioista teatrale melodrammatica, dont le directeur est mort il y
a peu de jours, annonce en effet, en tète de son dernier numéro, qu'elle
passe sous la direction de M. Victor Delilliers. ,
— Les Milanais s'amusent. Dans la soirée du Vendredi gras, le compo-
siteur Rossi doit faire exécuter par un ensemble de huit bandes musi-
cales un « hymne » intitulé : il Risorgimento del Camevalone. Les auditeurs
trouveront peut-être cela plus gai que les Maîtres Chanteurs, ou l'on trouve
pourtant de véritables scènes de carnaval.
— A Rome, comme on jouait le Cid au théâtre Argentina, Mme Teodo-
rini, l'excellente cantatrice, se trouva subitement indisposée au commen-
cement du troisième acte, et tomba à la renverse de toute sa hauteur, en
présence du public. On s'empressa de la secourir et de la porter dans sa
loge, où bientôt elle reprit ses sens. Elle put ensuite terminer la repré-
sentation et reparut sur la scène, où le public lui fit une véritable ovation.
— On lit dans l'Italie : « On se rappelle que M. Sonzogno a ouvert un
concours lyrique pour trois opéras en un acte qui seraient représentés au
Costanzi. 73 partitions ont été présentées; le jury devait faire son choix
à la fin de décembre; mais, avec un aussi grand nombre d'œuvres à exa-
miner, il n'a pu terminer encore son travail. En attendant nous apprenons
une nouvelle qui fait honneur à nos jeunes compositeurs ; les examina-
teurs (MM. Marchetti, Platania, Sgambati, d'Arcais et Galli) ont déjà
déclaré que les partitions présentées au concours qui peuvent être écar-
tées à la première lecture sont peu nombreuses ; beaucoup, par contre,
méritent toute l'attention du jury. Ce dernier, après avoir choisi les huit
ou dix meilleures, fera venir à Rome les compositeurs et les invitera à
faire entendre eux-mêmes (pour mieux faire comprendre leurs intentions)
leurs ouvrages sur le piano. Ce n'est qu'après cette expérience que l'on
décernera les prix. Tout fait donc espérer que ce concours donnera au
théâtre lyrique italien quelque bonne partition. »
— A Pesaro, ville natale de Rossini, on a formé le projet de restaurer'
de fond en comble le théâtre qui porte le nom du glorieux maitre, de
façon que l'inauguration puisse s'en faire en 1892, pour le centième an-
niversaire de la naissance de l'auteur du Barbier et de Guillaume Tell.
— Au théâtre du Corso, de Bologne, on doit donner très prochainement
la première représentation d'un opéra nouveau en quatre actes, Pellegrina,
œuvre d'un jeune compositeur romain, M. Filippo Clementi, élève du
maestro Terziani, qui en a écrit les paroles et la musique.
— A Vicence, la présidence du théâtre Eretenio a songé à rendre un
hommage solennel à son compatriote le compositeur Apolloni, l'auteur de
l'Ebreo, mort récemment. A cet effet, et à une date qui n'est pas encore
fixée, il a été décidé qu'on exécuterait, avec le concours gracieux des
chanteurs et des artistes de l'orchestre, la dernière œuvre du compositeur,
un Stabat Mater qu'il n'a pu achever complètement, et qui a été terminé
par deux de ses confrères, MM. Lésine et Orefice. On fera entendre, dans
la même séance, plusieurs fragments tirés de diverses autres œuvres
d'Apolloni.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. —Berlin: M. H. Ernst, un des
chanteurs les plus estimés de l'Opéra royal, a demandé et obtenu sa
retraite, à la suite de mauvais procédés dont il a été l'objet de la part
de la direction. Le public et la presse déplorent vivement le départ de
M. Ernst.— L'opérette de M. Sullivan, le Garde du roi, a dû quitter l'affiche
du théâtre Kroll après un très petit nombre de représentations. — Brème:
Benoenuto Cellini de Berlioz, a réussi de la façon la plus brillante au théâtre
municipal. — Francfort : Une très heureuse reprise de l'Étoile du Nord a eu
lieu au théâtre municipal, le 17 janvier. Mmc Schrôder-Hanfstângl a été
très remarquée dans le rôle de Gatarina. Au même théâtre excellente réus-
site d'une opérette nouvelle, Monsieur l'Abbé, musique de M. Zamara, livret
de MM. Léon et Brackl. — Leipzig : Après un très long repos, Zampa a
reparu au théâtre municipal le 21 janvier et conquis tous les suffrages.
Le succès de M. A. Schott, dans le rôle du héros, a été particulièrement
vif. — Pesth : M^Laura Hilgermann, engagée en représentation à l'Opéra
hongrois, a remporté dans Mignon un succès prononcé. — Presbodrg: L'o-
pérette Gôdôllo, musique de M. A. H. Mayer, livret de M. Groos, déjà
jouée au château du comte Esterhazy, vient d'être transportée au théâtre
municipal et a reçu du public le meilleur accueil. — Salzbourg : Le théâ-
tre royal-impérial vient d'être fermé à la suite de désastres financiers. —
Vienne : A l'Opéra on a fêté, le 26 janvier, le 100° anniversaire de la pre-
mière représentation de Cosi fan lutte, le ravissant opéra de Mozart. Malgré
son grand âge, cet ouvrage n'a été donné en tout que 95 fins à l'Opéra
de Vienne.
— Les artistes suivants sont engagés au théâtre Privé, de Moscou, qui
doit donner pendant le carême une série de représentations italiennes :
soprani, Mmos Mei, Solîritti et Pattini ; mezzo-soprano, M""-' Lubatovich ;
ténors, MM. Masini, Figner et Masin ; barytons, MM. Blanchard et
Pignalosa; basse : M. Fabro.
— La Pall Mail Gazette nous apprend que le compositeur Edward Salo-
mon s'est engagé à écrire, pour le Lyric Théâtre de Londres, un opéra
nouveau dont il a dès à présent le livret entre les mains. D'autre part,
un autre artiste, connu déjà par de nombreux succès, M. Frédéric Cowen,
écrit en ce moment un autre opéra pour le théâtre Drury Lane.
MENESTKEL
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Comme nous l'avons dit, le 13 janvier dernier, M. Poujade, conces-
sionnaire des Grands Concerts Favart, recevait, en vue de la reconstruction
de l'Opéra-Comique, un ordre ministériel l'invitant à démolir son établis-
sement et a à remettre les lieux en leur état primitif » dans un délai d'un
mois. Les travaux de démolition pourtant ne sont pas encore commencés,
l'affreuse baraque est toujours là, et l'on se demande si tout cela Unira
par unir. Voici quelle serait la situation à l'heure présente : à la suite
de la faillite déclarée des Concerts Favart, les administrateurs, après avoir
fait des démarches auprès de l'Etat pour obtenir une nouvelle concession
qui leur a été refusée, ont complètement cessé de s'occuper de l'entre-
prise, laissanttoute la responsabilité à M. Poujade. De son côté, M. Poujade
ayant négligé de faire quoi que ce soit en vue de la démolition, les lieux
se trouvent encore aujourd'hui dans l'état où ils étaient au moment de la
fermeture. Il y a quelques jours seulement que la direction des bâtiments
civils s'est émue de cet état de choses et, sur sa demande, le tribunal
de commerce vient de rendre une ordonnance de référé, invitant la direc-
tion des domaines à procéder d'office à la mise en adjudication. Les affi-
ches vont être apposées d'ici quelques jours. La mise à prix sera de cinq
à six mille francs, et l'acquéreur devra prendre à sa charge la démolition
de l'établissement. Le montant de la vente, déposé à la caisse des dépôts
et consignations, sera tenu à la disposition du syndic de la faillite. Quoi
qu'il en soit, il est bien certain que le 15 février, malgré l'ordre formel
du ministre des beaux-arts, les Concerts Favart ne seront pas encore
démolis.
— M. Ambroise Thomas est parti jeudi dernier pour sa villa Saint-
Bernard, à Hyères, où il va se remettre tout à fait de l'influenza bénigne
qui ne l'en avait pas moins forcé de garder la chambre depuis plus d'un
mois. Quelques jours de soleil suffiront pour nous le rendre aussi vaillant
qu'auparavant.
— Comme on demandait à M. Gailhard s'il n'allait pas se rendre à
Bruxelles pour la première de Salammbô, il a répondu : « Certes non ;
si c'est un succès, quelle tête pourrais-je bien y faire? Si, au contraire,
c'est un insuccès, j'aurais l'air d'y être allé chercher un triomphe per-
sonnel ; dans l'un et l'autre cas, je serais ridicule. » M. Gailhard est-il
hien sûr de ne l'être pas quand même en restant à Paris ?
— Sait-on à combien revient, dans ce moment, à l'Opéra, l'emploi des
contralti? Tout juste à 9,000 francs l'an, avec Mlles Vidal et Domenech.
Sous les directions Halanzier et Vaucorbeil, les contralti revenaient
à 120,000 francs environ par année. C'est peut-être par suite de cette
différence d'appointements vraiment exagérée que MM. Ritt et Gailhard
ne peuvent pas trouver une artiste digne de leur Académie ?
— Puisque nous avons donné, dans l'un de nos derniers numéros, les
recettes de l'Opéra jusqu'au 10 janvier, il peut être intéressant de com-
pléter tout le mois. Voici donc ces recettes en chiffres ronds :
Lundi 13 Les Huguenots 12,300 francs.
Mercredi 15 Roméo 13,300 —
Vendredi 17 La Tempête. — Lucie 15,300
Lundi 20 Le Cid 13,300 —
Mercredi 22 Coppélia. — Lucie 14,100 —
Vendredi 24 Le Prophète 15,900 —
Samedi 25 Faust 8,900 —
Lundi 27 La Tempête. — Lucie 13,000 —
Mercredi 29 Le Cid 12,300 —
Vendredi 31 Roméo 18,200 —
— M. Lhérie fera, dit-on, cette semaine, sa rentrée à l'Opéra-Comique
dans Zampa. D'autre part, M. Paravey, dans une note officielle adressée
à la presse, dresse ainsi son ordre de bataille pour les prochains ou-
vrages qu'il va représenter. Nous aurions d'abord la Basoche, de M. Mes-
sager, avec MM. Fugère, Carbonne, Grivot, Mmes Landouzy et Auguez
pour interprètes. Viendraient ensuite l'Ondine, de M. Rosenlecker, chantée
par MlleB Nardi et Auguez, MM. Taskin et Fournets ; enfin le Dante, de
M. Benjamin Godard. Que vont dire les bons auteurs qui avaient des
traités en poche, avec dédits stipulés, pour les mois de février et mars?
— Le 17 janvier dernier, notre ami Marmontel a reçu, par les soins
affectueux de M.E. Guiraud, un des anciens premiers prix de sa classe,
du temps de G. Bizet, Cohen, Thurner, Wiéniawski, Planté, etc., etc., une
superbe lyre en bronze, œuvre du sculpteur nantais Le Bourg. L'éminent
artiste s'était gracieusement offert à traduire la délicate pensée des disci-
ples et amis de Marmontel en symbolisant, par une lyre laur ée portant
gravés les noms desdonateurs, la vive affection qui unit le vieux maître à
ses élèves, aujourd'hui devenus des artistes célèbres. Grâce à l'initiative de
MM. Weingaertner, Planté, Guiraud, ce témoignage d'affection, ce souvenir
artistique a été résolu, et l'empressement des souscripteurs a prouvé
combien l'attachement au vieux maître était resté fidèle, invariable.
Marmontel adresse à ses chers disciples et amis l'expression de sa vive
reconnaissance pour ce généreux témoignage d'affection. Ce beau sou-
venir est la glorification de sa longue carrière et la plus belle récompense
de son dévouement à l'art.
— M. Bourgault-Ducoudray,dont on vient d'applaudir deux fois au Cirque
d'Eté l'originale Itapsodie cambodgienne, si remarquablement interprétée par
l'orchestre Lamoureux, a été invité à se rendre à Orléans pour diriger
ses compositions au concert populaire du H février. Toute la seconde
partie du concert sera consacrée aux œuvres du compositeur. On entendra
de lui : 1" et 2f Gavotte, Menuet, l'Enterrement d'0/>fté/<e(piècespourorcheslre),
les Goélands, l'Hippopotame, mélodies chantées avec accompagnement d'or-
chestre par le baryton Auguez, et trois chansons bretonnes, dont l'une,
V Angélus, procure toujours un éclatant succès à cet excellent chanteur. L'au-
teur s'est déjà rendu une fois à Orléans pour une répétition préparatoire:
il n'a eu qu'à se louer du talent et du zèle apporté à l'interprétation de
ses œuvres par la Société des Concerts populaires, fondée et dirigée avec
tant de dévouement par M. J. Gack.
— Avant que Salammbô ait fait son apparition à Bruxelles, annonçona ls
publication d'un livre fort intéressant relatif à son auteur et à l'œuvre la plus
récente de celui-ci : la Légende de Sigurd dans l'Edda, l'opéra d'E. Reyer (Paris*
Fisehbacher, in-12). M. Henri de Curzon, le jeune écrivain très élégant et
très consciencieux à qui nous devons ce nouveau livre, nous est déjà
connu par une excellente et très complète traduction annotée des Lettres
de Mozart, dont j'ai rendu compte ici-même en en disant tout le biea
qu'elle mérite. Dans le volume dont il est question ici, M. de Curzon s'est
appliqué d'abord à nous faire connaître, d'après les poèmes Scandinaves
dont la réunion a pris le nom à'Edda, l'origine septentrionale de la
légende historique de Sigurd, dont le germanisme s'est si bien emparé
que pour beaucoup aujourd'hui elle semble lui appartenir. Ce travail de
restitution, fort habile et mené avec beaucoup de conscience, fait le plus
grand honneur à l'auteur et nous met au courant de tous les détails du
mythe original, empreint tout à la fois d'une grandeur farouche^ et d'une
poésie pénétrante. Après cette étude si pleine d'intérêt du sujet qui a
inspiré la superbe partition de M. Reyer, l'écrivain se livre à une analyse
critique très substantielle et très sentie de cette partition de Sigurd, œuvre
mâle, savoureuse et colorée à qui l'on ne reprochera certainement pas de
ne pas être de son temps, mais qui a, sur les drames lyriques dont le
maitre de Bayreuth a puisé l'idée aux mêmes sources, l'avantage de la
clarté, de la sobriété et de la concision. Dans cette analyse très serrée,
facilitée par la reproduction de nombreux fragments du texte musical,
l'auteur s'efforce de mettre en relief le caractère mélodique et harmonique
de l'œuvre, ses tendances esthétiques, la saveur et la couleur de l'instru-
mentation, la façon dont les situations dramatiques y sont interprétées
et comprises, enfin les motifs typiques qui soulignent ces situations et
personnifient en quelque sorte les héros de l'action mise en scène. C'est
la une étude vraiment curieuse, faite avec un grand sentiment de l'art,
très « poussée, » comme on dit en peinture, et qui caractérise très exac-
tement et de la façon la plus heureuse l'œuvre si noble et si fière de
M. Reyer, ce bel opéra de Sigurd, qu'une direction infidèle à son mandat
a prématurément et traîtreusement enlevée aux sympathies et aux jouis-
sances du public. A. P.
— On annonce, à l'Eden-Théàtre, la reprise immédiate a'Orphée aux
Enfers, avec M"e Jeanne Granier.
— Nous aurons prochainement, à Paris, une audition de la Jeanne d'Arc
d'Alfred Holmes. En attendant, la ville de Nancy, dans sa fête patriotique
pour l'inauguration de la statue de Jeanne d'Arc qui lui est offerte par
M. Osiris, doit faire entendre cette œuvre, dont l'orchestre et les chœurs
seraient dirigés par M. Gluck, directeur du Conservatoire de Nancy ; le
rôle de Jeanne d'Arc sera chanté par Mm0 Krauss, qui est la seule canta-
trice en France l'ayant interprété jusqu'ici.
— L'Association philanthropique des artistes de l'Opéra, fondée en 183b,
fera exécuter le jeudi 13 février, à onze heures, en l'église Sainte-Clotilde.
la Messe solennelle de M. Samuel Rousseau. Les soli seront chantés par
MM. Faure, Escalaïs, Auguez et Lambert des Cilleuls. L'orchestre et les
chœurs seront dirigés par M. Vianesi.
— Le Cercle funambulesque a repris cette semaine le cours de ses soi-
rées si intéressantes, si recherchées, et d'un goût artistique si original et
si fin. Son nouveau spectacle comprenait quatre petites pièces : 1° Arlequin
opère lui-même, comédie en un acte et en vers, de MM. Michel Carré et
P. Faunay, malheureusement un peu longue, et où le vers libre aurait dû
prendre la place de l'alexandrin, trop lourd pour le genre; M. Goneau a
montré beaucoup d'intelligence dans le rôle de Pierrot, et M"c Aumont,
très en beauté, nous adonné une Colombine pleine de grâce et de finesse ;
2° Colombine pour deux, pantomime en un acte, de M. Henri Amie, musique
de M. Pierre Joret; ceci est une véritable et amusante arlequinade à
l'italienne, jouée à merveille par M"c Félicia Mallet, absolument excellente
sous le pourpoint bariolé d'Arlequin, M,uc Dathènes, d'un comique plein
de grâce et d'esprit dans le rôle de Colombine, et M. Schutze, un Pierrot
idéal, qui semble avoir retrouvé la tradition des maîtres du genre;
3° En bonne fortune, pantomime en deux tableaux, de M. Théodore Massiac,
musique fort agréable de M. Laurent Grillet; ici, nous sommes en pré-
sence d'une adaptation moderne et mondaine de la pantomime : Pierrot
est'un homme du monde, qui rencontre au bal une jeune femme à la
fois charmante et légère, qui l'invite à souper, qui l'emmène dans un
cabinet particulier et qui... Mais il suffit de savoir que l'idée de la pièce
est ingénieuse, qu'elle est traitée avec goût et discrétion, ot surtout jouée
à ravir et avec beaucoup d'esprit, pour les deux rôles principaux, par
M. Eugène Larcher et Mllc Ellen Andrée, dont la beauté élégante a fait
sensation; 4" la Révérence, pantomime en un acte, de M. Le Corbeiller,
musique spirituelle, fine et charmante de M. Paul Vidal. Très amusante
48
LE MÉNESTREL
aussi, cette aimable Révérence, et d'un très bon sentiment comique; elle
nous a surtout donné l'occasion d'admirer le jeu intelligent, très expert
et plein d'esprit de Mlle Jane May dans le rôle de Golombine, qui lui a
valu un très grand succès ; Pierrot, cette fois, c'était M. Tarride, et
Arlequin M. Eugène Larcher, tandis que Cassandre était joué par
M. Chautard; l'ensemble de l'interprétation était excellent. En somme,
soirée exquise et spectacle charmant. A. P.
— Les acteurs du Grand-Théâtre de Nantes, réunis en société, comme
nous l'avons dit, à la suite de la déconfiture de M. Poitevin, viennent de
recevoir et répètent activement, dit-on, un ballet-pantomime inédit en
deux tableaux, de M. Thomas Maisonneuve, musique de M. Adolphe
David. Pour ce ballet qui a pour titre Pierrot surpris, on se met en frais
d'un nombre considérable de costumes nouveaux.
— On nous écrit de Lille que dimanche dernier a eu lieu à l'Hippo-
drome le troisième grand concert populaire, sous la direction de M. Paul
Martin. Au programme figuraient les noms d'une Lilloise, M"0 Marthe
Baude, et d'une jeune et charmante Américaine, Mllc Nina Burt. Le public
leur a fait fête à toute deux.
— Mme Ed. Colonne a donné le Ie1' février une matinée charmante, dans
laquelle on a entendu les élèves de son cours. Le programme comprenait
un heureux mélange d'oeuvres classiques et de compositions modernes,
avec deux intermèdes, l'un par M. Remy, qui a joué deux pièces de Bach
et de Leclair pour violon, l'autre par M. Jean Rameau, qui a dit des
poésies dont il est l'auteur. Les élèves de Mme Colonne ont chanté avec
beaucoup de charme et ont su interpréter avec une grande délicatesse de
nuances les morceaux qu'elles avaient choisi. La plupart disent fort bien
et articulent purement. Nous avons particulièrement remarqué M"e de
Montalant, Mlle Delorne, Mme de Berny, Mlle Leclerq, Mme Martinez.
Am. B.
— La société chorale d'amateurs Eulerpe a donné lundi dernier, avec
le concours de MM. Warmbrodt et Auguez et de Mmes Colombel et
Devisme, la première audition à Paris du Requiem, de Schumann.
L'œuvre a produit sur l'assistance une impression très vive par le senti-,
ment concentré, sombre et profondément triste qui s'en dégage, par l'in-
tensité de l'expression musicale et par l'étrange fascination de certains
rythmes. L'exécution a été excellente. h'Euterpe a fait entendre dans la
même soirée le finale de Loreley, de Mendelssohn, et la marche de Tann-
hduser. M. Auguez a chanté un air de la Lyre et la Harpe, de M. Saint-
Saëns. Am. B.
— Très intéressante audition d'élèves donnée au cours de MUIC Fabre.
Citons, parmi les jeunes filles les plus applaudies, M,les Marthe et Marie-
Thérèse Bertrand, Jeanne Boas, Marguerite Boussac, Gabrielle de Séve-
lingës, Gabrielle Fallek et surtout MUe Alice Petitnicolas, excellente
musicienne, très remarquée et très applaudie. M. Léon Delafosse a ter-
miné la séance de la façon la plus brillante avec la Valse hongroise et
l'Allégretto pastoral, de M. Théodore Lack^ On a beaucoup apprécié également,
du même auteur, le Chant du ruisseau et la Sicilienne-Caprice, ainsi que sa
belle transcription pour deux pianos du ballet Sijloia, de Léo Delibes. Au
programme encore divers morceaux de M. Francis Thomé et de MUj Cha-
minade.
— Mardi dernier, salle Erard, intéressante soirée musicale donnée par
M"* Jeanne Meyer, violoniste, et M"e Wassermann, pianiste. Mmc Meyer,
qui est à la fois une artiste de mérite et un excellent professeur, s'est
fait entendre dans deux morceaux très périlleux, la sonate en la mineur
de Schumann et le rondo de Schubert. Le premier morceau, qui est d'une
grande élévation de pensée et renferme une adorable canzonelta, est écrit
dans une tonalité sourde qui n'est pas favorable au violon; le second
renferme, à côté de beautés de premier ordre, des modulations brusques,
des passages heurtés qui constituent une grande difficulté pour l'exécu-
tant. Mmc Meyer, parfaitement secondée par son partenaire, a exécuté les
deux oeuvres avec une maestria irréprochable. Elle a non moins bien
rendu la Polonaise de "Wicniawski. Mllc Wassermann a été particulière-
mont remarquée dans une Gigue de Hiendel et dans la Valse Caprice de
Liszt. M. Warmbrodt nous a fait connaître une belle œuvre que
nous croyons inédite, le Cantique des cantiques de M. René de Boisdell're.
En somme, charmant concert et joli succès. — H. B.
— Nous sommes un peu en retard avec l'intéressante matinée de
Mmj Gallet, un vrai concert de musique historique, commençant par un
chant latin populaire du XII1' sicle etja jolie cantilène du jeu de Robin
et Marion d'Adam de la Halle: Robin m'aime, Robin m'a, etc., pour finir
à Lully. Un chœur d'Orlando de Lassus : Vigne, vignolet, a été chanté
d'une façon remarquable, et la Pavane (auteur inconnu), du milieu du
XVIe siècle, a été bissée avec acclamation. Deux anciennes chansons tirées
des Voix de ville, volume rarissime publié parChardavoine en 1575, ont été
fort goûtées, autant pour leur caractère original que par la façon charmante
ilonl elles ont été interprétées par Mme la comtesse Mniszech et le chœur.
Une autre chanson, du temps de Louis XV, celle-là: Aime-moi bergère, a
été soupirée avec beaucoup de sentiment par M. Félix Lôvy, un ténor ama-
teur bien connu; M. Damât, autre amateur doué d'une belle voix de basse,
nous a fait entendre l'air deCaron dans l'A Iceste de Lully , applaudi comme
aux concerts du Conservatoire. Enfin la maîtresse de la maison, M1"" Galle t]
a chanté un air ravissant de la partition d'Amadis, également de Lully;
un goût délicat, une diction pure et un charmant sentiment musical, ont
fait redemander ce morceau. La soirée s'est terminée avec Chantons victoire I
du Judas Macchabée de Hœndel. Ce programme curieux avait été dresse
par M. Weckerlin, qui en a dirigé l'exécution à la grande satisfaction de
la nombreuse assemblée.
— La matinée donnée dimanche par M. Ferd. Maunier a été très bril-
lante. Une vingtaine de ses élèves ont montré les résultats produits par
la lecture à vue pendant la moitié de la leçon de musique nouvelle choisie
et graduée par le professeur. Un charmant concert, dans lequel se sont
fait entendre plusieurs artistes de nos principaux théâtres, a terminé celle
intéressante séance.
— Vendredi prochain, 14 février, M. Bisler, le brillant premier prix de
piano de cette année au Conservatoire, donnera un concert à la salle
Pleyel, avec le concours de MUe Hollebeke et de MM. Louis Diémer,
Dumoulin et Staub.
NÉCROLOGrIE
Nous avons le regret d'apprendre la mort, dans toute la force de la
jeunesse, d'un de nos meilleurs confrères de province et des plus juste-
ment appréciés, M. Pradelle, critique musical' et littéraire du Sémaphore
de Marseille.
— Un artiste dont il a été parlé dans ces derniers temps et qui, quoique
étranger, avait eu à Paris son moment de quasi célébrité — il y a qua-
rante ans! — Giuseppe Daniele, est'mort mercredi dernier à l'hospice
Saint-Joseph. Giuseppe Daniele, Italien, comme son nom l'indique, était
venu fort jeune à Paris, et s'y était fait aussitôt une sorte de situation.
C'était au lendemain de la révolution de février, à l'époque de la grande
vogue du Chàteau-des-Fleurs et du Jardin d'Hiver, deux superbes établis-
sements de concerts et de bals, situés, l'un et l'autre, dans le haut des
Champs-Elysées. C'est dans l'un de ces établissements que Daniele de-
vint chef d'orchestre, s'y faisant une réputation, y faisant exécuter sa
musique et publiant nombre de quadrilles, polkas et autres morceaux
de danse. Par quel mystère déchut-il si rapidement et si complètement
de cette situation? Toujours est-il qu'au bout de quelques années il en
fut réduit au rôle de simple musicien d'orchestre, et qu'en ces derniers
temps, le pauvre artiste, vieilli, usé, souffrant, n'avait d'autre ressouce,
pour lui et sa femme, qu'un modeste emploi de contrebasse dans un de
nos plus modestes théâtres. Puis, il y a quelques mois, vint la maladie
qui devait se terminer d'une façon funeste.
— Un ancien chanteur dramatique, Arthur Byron, qui s'était fait en-
tendre avec quelque succès en Italie, notamment au théâtre dal Verme
de Milan, dans Gioconda et l'Africaine, et . qui s'était ensuite établi à
Londres, comme professeur de chant, n'avait pas fait fortune en cette
ville, paraît-il, car il vient d'y mourir à l'hospice.
— C'est encore à l'hospice qu'est mort, à New-York, des suites d'une
atteinte à'-in/luenza, un musicien italien, Alessandro Fontana, qui était
contrebasse dans un des théâtres de cette uille.
Henri Heijgel. directuur-gei ant
— Le Maire de la ville de Rouen a l'honneur de porter à la connais-
sance des intéressés que la direction du Théâtre des Arts sera vacante à
partir du 5 mai 189U. Les demandes relatives à l'exploitation de ce théâtre
sont reçues dès à présent à la mairie.
— Vient de paraître chez Mathieu fils, éditeur, ru 3 Labruyère, 20, deux
morceaux pour piano, de Mmc Delacour-Bonnamour : Gavotte-Blanche et
Variations sur l'air de la Mère Michel. Ces deux intéressantes compositions
sont appelées à un véritable succès.
— Cours parisiens de musique et de déclamation. — Sous ce titre : Cours
parisiens, il vient de se former une Association de professeurs ayant pour
objet l'enseignement du piano, du violon, de l'accompagnement, du solfège,
de l'harmonie, du chant, de l'opéra, de l'opéra-comique et de la décla-
mation. Ces cours ontlieu dans les salons Flaxland, 48, rue deChâteaudun,
où les inscriptions sont reçues dès à présent. Les Cours parisiens se ter-
mineront chaque année par un concours jugé par des notabilités artisti-
ques. — Noms des professeurs: Piano: M"cs Marguerite Balutet, Hélène
Collin, Jeanne de Gentile, M. Edouard Chavagnat; — Violon: M"» Laure
Le Tourneux; — Cours d'ensemble et Harmonie : M. Le Tournera; —
Soli'ègç, Transposition: M"e Aline Papillaud; — Chant, Opéra, Opéra-
Comique: M. Genevois; — Déclamation: M. Sadi-Pety.
— UN PIANISTE fort exécutant et compositeur, est demandé pour,
en dehors des autres avantages, exploiter un brevet, sans aucun risque
pour lui, tout en partageant avec l'inventeur les bénéfices, qui peuvent
être incalculables.
S'adresser, l'i,. rue Saint-Lazare. Paris, à M. RaSSAERTS.
— IHPIUHEIUE C.HAIX. — I
, 20,
3070 — S6me ANNEE — N° 7.
Dimanche 16 Février 1890.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement,
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Théâtre Royal de la Monnaie: Salammbô, opéra en 5 actes et 7 tableaux de
M. Ernest Reyer, paroles de M. Camille du Locle, d'après Flaubert, Lucien
Solvay. — II. Bulletin théâtral : A l'Opéra, H. M. ; première représentation de
Nos Jolies Fraudeuses, aux Nouveautés, Paul-Emile Chevalier. — III. Le théâtre
à l'Exposition (17° article), Arthur Pougin. — IV. Revue des Grands Concerts.
— V. Nouvelles diverses. — VI. Nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
GIGUE
par André Wormser. — Suivra immédiatement: Chants du Tyrol, nouvelle
polka-mazurka de Heinrich Strobl.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant : Espoir en Dieu, nouvelle mélodie de J. Faure, poésie de Victor
Hugo. — Suivra immédiatement : Fleur de neige, nouvelle mélodie de
Amrroise Thomas, poésie de Jules Barbier.
THEATRE ROYAL DE LA MONNAIE
SALAMMBO
éra en 5 actes et 7 tableaux ; paroles de M. Camille du Locle.
musique de M. ERNEST REYER
Bruxelles, 13 février.
MM. Ritt et Gailhard ont eu le nez fin en restant à Paris,
lundi dernier. Ils se sont épargné une cruelle amertume,
celle de voir, une fois encore, le public enthousiaste accla-
mer une œuvre par eux dédaignée. Ces amertumes-là, il est
vrai, commencent à ne plus compter dans leur existence;
ils doivent y être habitués. N'importe ; ils ont bien fait de
se cacher: ils auraient trop souffert. On me dit que
M. Gailhard viendra celte semaine, à Bruxelles, incognito,
quand il n'y aura presque plus de Parisiens dans la salle.
Peut-être se fera-t-il raser, ou mettra-t-il une perruque. Nous
le lui conseillons. Sa souffrance sera tout aussi vive, mais du
moins elle sera peu remarquée.
Mes prévisions ne m'avaient pas trompé. Salammbô a
remporté un succès considérable, et elle est digne en tous
points de l'auteur de Siyurd. Très différente de cette dernière
œuvre comme sentiment et même, çà et là, comme facture,
elle en constitue cependant la suite logique; elle la continue
et la complète. On peut préférer Siyurd au point de vue du
pittoresque ou de l'éclat; on ne peut méconnaître la supé-
riorité de Salammbô au point de vue de l'unité de concep-
tion, de l'affirmation des tendances encore indécises dans la
première, et de la personnalité artistique de l'auteur. Loin
d'abandonner la voie où il s'était engagé, celui-ci, au con-
traire, y pénètre entièrement et décidément. Sa volonté de
tenter un compromis entre l'art français ancien et l'art alle-
mand nouveau, de réaliser un art de transition, où les
vieilles qualités de la race gauloise, maintenues intactes,
pussent se retremper dans une forme plus jeune et plus
moderne, trouve, dans Salammbô, son expression bien nette
et bien arrêtée. Que cette expression soit, pour parler comme
les philosophes, le suprême desideratum de l'art lyrique con-
temporain, certes non. Mais le pas est énorme et le résultat
obtenu incontestable.
Le choix du sujet n'était pas indifférent à la tentative. Le
radieux roman de Gustave Flaubert avait déjà séduit plus
d'un musicien. Berlioz s'en était épris, et, quoi qu'on en ait
dit, Flaubert ne se refusait nullement à livrer son œuvre aux
mains tripatouilleuses des librettistes. Mais ce qui avait sé-
duit l'auteur de la Damnation de Faust, l'admirable richesse
descriptive du livre, sa couleur intense et son mouvement
superbe, n'ont pas été, j'imagine, ce qui a surtout captivé
M. Ernest Reyer quand, plus heureux que son devancier,
Salammbô est devenue son bien. Le caractère hiératique et
légendaire du sujet, ces héros pareils aux Dieux, ce voile sa-
cré, le Zaïmph, frère du Saint-Graal, toute cette terreur mys-
térieuse et le charme presque symbolique qui planent sur le
drame et l'enveloppent d'une atmosphère surhumaine, de-
vaient, bien plus encore que ces attraits extérieurs et maté-
riels, servir la pensée du maître, comme l'avait déjà servi
précédemment la légende eddique de Sigurd. Et il est un
fait curieux à constater, c'est que les pages les plus réussies
de sa partition sont précisément celles où ce caractère se
développe à l'aise, où il a pu s'élever et donner à son ins-
piration son plus libre accent. Quand le sujet le force à re-
prendre terre, par suite des nécessités du livret, il faiblit;
et ce sont les situations les plus banales qui le trahissent le
plus.
Salammbô est donc, me direz-vous, un drame wagnénen?
Oui et non. Et c'est là sa véritable portée. C'est du drame
lyrique, dans toute l'acception du mot, — du drame lyrique
dans la forme générale telle que l'a voulue Wagner , mais
telle aussi que, bien avant lui, la comprenaient Gluck et Spon-
tini, — cherchant toute sa puissance d'expression dans la jus-
tesse de la parole déclamée, revêtue des grâces d'un dessin
mélodique continu et logique, et ne la cherchant que là seu-
lement. Plus d'airs, ni de duos, ni d'ensembles proprement
dits; les anciennes formes sont abolies, mais non le rythme,
la construction de la phrase, le chant, quand les circons-
tances l'exigent; tout est laissé au sentiment exact des situa-
tions, sans qu'aucun élément parasite vienne les retarder
50
LE MENESTREL
ou les contrarier. Certes, bien d'autres que M. Reyer avaient
essayé ce système avant lui, et non pas seulement les derniers
venus, mais aussi plusieurs parmi les plus anciens ; mais aucun
ne l'avait appliqué aussi résolument, en faisant le sacrifice
volontaire de tous les gros effets, de toutes les fins de pé-
. riodes, de toutes les scènes où s'indique l'appel des applau-
dissements.
Le rôle de l'orchestre dans le drame lyrique de Gluck est
un rôle, en général, purement passif; l'orchestre y est
l'humble serviteur de la voix. Chez Wagner il devient, sinon
le maître, du moins l'égal de la parole humaine. Il exprime,
comme elle et autant qu'elle ; et la voix s'abaisse parfois à n'être
qu'un simple instrument. Dans Salammbô, M. Reyer donne à
l'orchestre un rôle en quelque sorte intermédiaire entre celui
que lui donne Gluck etcelui que lui assigneWagner.lt n'est pas
esclave, et il n'est pas souverain. Peut-être même abdique-t-il
plus qu'il ne devrait; peut-être, par crainte de trop emprunter
au système wagnérien, M. Reyer lui emprunte-t-il trop peu.
L'emploi discret de leitmolive, répétés plutôt que transformés,
comme un fil conducteur qui relie toutes les parties de
l'œuvre et aide à son unité, est à peu près tout ce qu'il
consent, pour son orchestration, à accepter de ce système. La
polyphonie, dirait-on, lui fait peur. Ses harmonies sont presque
continuellement d'une simplicité qui frise la nudité ; elles
savent être élégantes, mais elles perdent à vouloir atteindre
l'éclat; alors, elles deviennent bruyantes ; on les souhaiterait
plus nourries et plus curieuses ; et, avec plus d'intérêt, elles
n'en auraient pas moins de sobriété. Sous ce rapport, l'œu-
vre, malgré ses tendances si avancées, retarde évidemment.
Est-ce parti pris ou impuissance ? Je ne sais. Il y a peut-être
de l'un et de l'autre. Et cela ne laisse pas que de faire re-
gretter dans cette partition, si forte et si éloquente d'ailleurs,
l'absence d'une saveur d'art, d'un ragoût de facture jeune et
vivace, qui l'auraient faite plus séduisante, sans la faire pour
cela moins personnelle.
Mais, je me hâte de le dire, ce regret est le seul qu'inspire
sérieusement Salammbô. Le souffle de Gluck a réellement
passé dans certaines pages, tour à tour puissantes, magnifi-
ques et charmantes ; ce sont les plus nombreuses ; et s'il en
est, à côté de celles-là, d'inégale valeur, il n'en est guère
qui ne se distinguent par la même sincérité d'accent et la
même probité artistique dont l'ouvrage est empreint, tout
entier, profondément.
Il n'a peut-être pas tenu à M. Reyer seul que cet ouvrage
ne fût encore meilleur. Si quelqu'un doit porter la peine de
quelques relatives défaillances/ c'est le librettiste, M. Camille
du Locle. Son châtiment, du reste, il l'a cherché. Le jour où
il a assumé la lourde tâche de mettre en pièce le roman de
Flaubert, il savait d'avance, je suppose, les malédictions
dont il allait être l'objet. Toucher à un chef-d'œuvre litté-
raire, le réduire en rimes françaises, couper, trancher, tra-
vestir quelquefois, mettre tout cela au goût du parterre, cela
entraine à de rudes responsabilités. Il faut être bien habile
pour y échapper. M. du Locle l'a été autant qu'il lui était
possible, et il n'y a tout de même pas échappé. Transporter
sur la scène ce rêve formidable de Salammbô, sans faiblir,
il n'y fallait pas songer. Tout au plus pouvait-on essayer d'y
transporter quelque chose, l'affabulation, l'amour du merce-
naire Mathô pour l'héroïne, traversé d'un peu du mouvement
qui grouille dans l'œuvre originale et éclairé d'un pâle reflet
de la lumière qui l'inonde. C'est ce qu'a fait M. du Locle,
consciencieusement, avec un respect . timide, modifiant à
peine deux ou trois épisodes, faisant de la fille d'Hamilcar
une amoureuse suffisamment théâtrale et du sauvage Mathô
un amant suffisamment passionné, laissant dans l'ombre la
jalousie de Narr'Havas, et rapetissant le cadre du drame aux
nécessités de la scène et à la division traditionnelle des cinq
actes d'opéra.
Indiquons rapidement la marche de ces cinq actes.
Le premier se passe dans les jardins d'Hamilcar, où les
Mercenaires, conduits par leur chef Mathô, fêtent, par une-
immense orgie, l'anniversaire de la victoire d'Erys. Le Numide
Narr'Havas et Mathô boivent en compagnons d'armes. Tout
à coup, excités par l'esclave Spendius, dont Mathô vient de
briser les fers, les Mercenaires se révoltent et, malgré les
supplications du suffète Giscon, commencent le pillage du
palais. Cette scène, si merveilleusement décrite par Flaubert,
et qui était très difficile à traiter, a du mouvement, du pitto-
resque et un « beau désordre ». L'apparition de Salammbô,
sortant du palais, environnée des prêtres de Tanit, arrête le
pillage. Le musicien a trouvé là un contraste délicieux; la
couleur du personnage, de cette héroïne moitié femme et
moitié déesse, est, dès le premier moment, exquise, et elle
reste telle d'un bout à l'autre de l'œuvre, où elle laisse, avec
une teinte légère d'orientalisme, comme une longue traînée
lumineuse. Et le contraste se poursuivra ainsi jusqu'à la fin
et amènera les plus belles pages, celles où l'inspiration du
maître a tout ensemble le plus de fraîcheur, de grâce et
d'élévation.
Devant les imprécations de Salammbô, entrecoupées de-
plaintes et de prières, les Mercenaires interrompent leurs
dévastations. Salammbô tend à Mathô une coupe pleine, en
signe d'apaisement et de réconciliation. Narr'Havas, emporté
par la jalousie, se précipite sur le Lybien et le blesse. Cepen-
dant la révolte est décidée ; le commandement est offert à
Mathô, qui l'accepte, tandis que Salammbô rentre daDs le
palais. Spendius offre de servir sa vengeance et son amour,
en l'aidant à conquérir Carthage, qu'il convoite, et Salammbô,
qu'il aime. — Toute cette fin d'acte a le mouvement du début,,
sans rien offrir pourtant de particulièrement digne d'être
signalé.
Au deuxième acte, nous sommes dans le temple de Tanit.
Mathô, conduit par Spendius, y pénètre avec l'intention de
ravir le voile de la déesse, le Zaïmph saint, à la possession
duquel est attachée la victoire constante. Salammbô, avertie
par de mystérieuses révélations, s'aperçoit du sacrilège,
qu'elle prend tout d'abord pour une manifestation de la puis-
sance céleste. Mathô, couvert du voile dont il vient de s'em-
parer, prend à ses yeux l'aspect d'un dieu. Elle reconnaît
bien vite son erreur ; le prétendu dieu n'est qu'un amoureux
audacieux; elle le repousse avec horreur en appelant à l'aide.
Mais Mathô, rendu inviolable par le Zaïmph, disparaît en
emportant avec lui « la fortune de Carthage ». — Cet acte,,
tout entier, est un pur chef-d'œuvre ; jamais M. Reyer, servi
par une situation forte, attachante et d'un coloris superbe,
n'a trouvé, même dans Sigurd, de pareils accents, d'une pureté
et d'une séduction aussi pénétrantes, et, avec cela, d'un sen-
timent religieux aussi intense.
Le troisième acte, partagé en deux tableaux, conçus chacun
dans une note absolument différente, ne lui est pourtant pas
inférieur. La scène se passe au Conseil des Anciens. Hamil-
car, suffète de la mer, accable les Carthaginois de reproches,
condamne leur lâcheté et, finalement, accepte le comman-
dement de l'armée qui doit aller combattre les Mercenaires,
favorisés maintenant par la possession du Zaïmph. — Dans
le roman, cette scène est d'une rare éloquence. Elle est
magnifique aussi dans l'opéra, bien présentée par le libret-
tiste et admirablement traitée par le compositeur en une
déclamation pleine d'allure et de majesté. — Puis, le théâtre
change et nous conduit sur la terrasse du palais d'Hamilcar,
au moment où le grand prêtre Schahabarim décide Salammbô
à se présenter au camp des Mercenaires pour reprendre à
Mathô le palladium de Carthage. Ce tableau est adorable, avec
sa mélancolie douce qui tranche encore une fois sur tout ce
qui précède et sur tout ce qui suit. Il y a là des détails ravis-
sants, — la toilette de Salammbô, l'invocation à la lune,
l'appel aux colombes: « Que n'ai-je, colombes, vos ailes! » —
qui sont d'une grâce poétique absolument émue et touchante.
Le quatrième acte, dans la tente de Mathô, amène, après un
court divertissement, la rencontre de Salammbô et de Mathô,
LE MENESTREL
:;i
la grande scène d'amour qui semblait devoir être le point
culminant du drame dans la partition, comme il est le point
culminant du drame dans le livre. Supplications de Salammbô
réclamant le Zaimph ; déclarations passionnées de Mathô ;
menaces; résistance; puis, abandon. Mais dans l'opéra, par
discrétion sans doute, le héros ne va pas jusqu'à couper les
chaînes d'or gênantes qui relient l'un à l'autre les pieds de
l'héroïne... Le sacrifice d'amour est interrompu au moment
psychologique par l'attaque des Carthaginois, qui mettent le
feu au camp et forcent Mathô à quitter la partie, laissant
Salammbô seule; celle-ci en profite pour s'emparer du
2aïmph et s'enfuit avec le précieux voile. — M. Reyer n'a pas
été inspiré, dans cette scène capitale, comme il l'a été dans
la plupart des autres. Soit crainte de recommencer le tradi-
tionnel et banal duo de tous les quatrièmes actes d'opéra,
soit manque de souffle, il ne nous a pas donné là tout ce
que nous attendions. Quelques très jolies phrases, certes;
■mais c'est tout. La situation est d'ailleurs bien conduite, et
elle a de la vie, sinon de l'élan et de la puissance.
A partir de cette scène, l'intérêt faiblit, et il ne pouvait que
faiblir; plus rien de saillant dans le drame ne retenant très
vivement l'attention, si ce n'est, à la fin, la mort du héros.
M. du Locle n'a pas osé nous conserver la version du roman :
Mathô traîné expirant sur la scène, déchiré par la populace,
et Salammbô mourant sans un geste, sans un soupir, « pour
avoir touché au manteau de Tanit ». Il les a fait succomber
tous les deux au conventionnel échange de coups de poignard
qui termine tant de tragédies. L'acte dure à peiue quelques
minutes ; les chants du peuple et les musiques guerrières
forment remplissage — rien que remplissage; — mais la scène
finale du sacrifice, très concise, est d'un beau caractère et
d'un accent poignant, qui font à l'œuvre une digne péroraison.
Comme on le voit, le compte est facile à faire : un acte
remarquable, deux actes tout à fait supérieurs, et, dans les
deux autres, quelques belles parties qui, si elles n'ajoutent
guère à la valeur de l'ouvrage, la soutiennent néanmoins, ou
n'en retranchent pas grand'chose. Dans son ensemble, une
•œuvre d'une admirable « tenue », d'un style élevé et d'une
expression artistique profonde ; — œuvre de poète, non
moins et plus encore que de musicien; œuvre forte et char-
mante, honorable pour le compositeur et glorieuse pour l'art
français.
Quant aux « paroliers », on sait trop peu combien est ingrate
et rude tache, surtout en des occasions semblables, où
ils doivent lutter avec non seulement les difficultés du mé-
tier, mais aussi avec les- souvenirs du public. Si le roman de
Flaubert, découpé en tranches, s'est trouvé rapetissé, « na-
turalisé » nécessairement et inévitablement, s'il a perdu de
sa grandeur, tout ce qu'on pouvait souhaiter, c'est que le dé-
coupage fut ingénieux et respectueux ; et il l'est. M. Du
Locle n'a fait, du reste, que suivre les indications mêmes de
Flaubert, qui avait, — chose ignorée, je pense, — tracé à
l'avance, lui-même, le canevas du libretto.
Salammbô a trouvé à la Monnaie l'interprétation rêvée, à
peu de chose près, par M. Reyer. Pour le rôle principal, le
rêve est devenu complètement réalité, grâce à Mme Caron, qui
s'y est incarnée avec un art incomparable. Comme femme,
comme voix, comme talent, il semble qu'elle fût destinée
naturellement à représenter, que dis-je? à créer cette Sa-
lammbô suggestive et troublante, qu'on ne s'imagine pas au-
trement que sous ses traits. Tous les éloges ne suffiraient pas
à rendre l'impression profonde qu'elle a produite lundi ; et
M. Reyer, seul peut-être, doit savoir combien est grande la
part qu'elle a prise dans son propre triomphe.
M. Renaud est un Hamilcar superbe; M. Bouvet donne un
relief inattendu au rôle secondaire de Spendius; M. Sentein
est un Narr'Havas très satisfaisant. Et si M. Sellier avait la
voix plus fraîche, il y aurait peu de chose à lui reprocher; il
donne au personnage de Mathô un aspect décoratif imposant;
il en a la prestance et toute la plastique ; et il est aussi
chanteur habile, sachant phraser et ne manquant ni de cha-
leur ni de sentiment. Les chœurs et l'orchestre, dirigés par
M. Barwolf, ont été excellents. Quant à la mise en scène,
qui avait ici une importance particulière, elle est d'une
somptuosité brillante, quoique pas toujours conforme aux
indications de Flaubert. La fantaisie de l'écrivain permettait un
peu de fantaisie aussi de la part des costumiers et des décora-
teurs. Ils ont reconstitué une Carthage qui n'est peut-être
pas très authentique, mais qui est très vraisemblable ; et il
ne nous déplairait pas du tout de l'habiter.
Salammbô est donc un succès pour tout le monde, sans ou-
blier les directeurs de la Monnaie, MM. Stoumon et Calabresi,
que ce succès va récompenser certainement de leurs peines
par de fructueuses recettes, attendues avec impatience. Entre
temps, M. Calabresi a reçu le soir même de la « première» son
brevet de chevalier de la Légion d'honneur, presque à la même
he«re où M. Reyer recevait du roi celui d'officier de l'ordre
de Léopold. MM. Ritt et Gailhard en crèveront de jalousie...
Un bonheur n'arrive jamais seul.
Lucien Solvay.
BULLETIN THÉÂTRAL
On vient de lire le bel article sur Salammbô que nous a envoyé
de Bruxelles notre correspondant Lucien Solvay, et on a pu voir,
par quelques-uns de ses paragraphes, que la réputation de MM. Ritt
et Gailhard paraissait aussi solidement assise chez nos voisins que
chez nous-mêmes. Nos pauvres directeurs ont, en effet, beaucoup
« écoppé » dans la presse de tous les pays au sujet de cette malen-
contreuse représentation. Il n'est personne qui puisse comprendre
comment des directeurs, se disant éclairés, ont pu bénévolement se
priver d'une œuvre aussi forte et aussi marquante. C'est encore
notre distingué confrère, M. Victor "Wilder, qui a, le plus énergi-
quement, formulé dans le Gil Blas les griefs de l'opinion publique à
ce propos :
« ... Eh bien I je le demande, dit-il, n'est-ce pas scandaleux que le plus réservé
et le moins encombrant de no9 compositeurs soit précisément celui que l'on
consigne obstinément à la porte de nos théâtres subventionnés?
Eh quoi! Ton a monté, sans se faire tirer l'oreille, de plats mélodrames, comme
le Tribut de Zamora, ou de lamentables inepties, comme la Dame de Monsoreau,
faisant accueil, d'une part, aux ambitions prématurées, de l'autre, aux vanités
séniles,et lorsqu'un maître robuste — dans toute la force du talent — se présente,
avec Sigwd ou Salammbô sous le bras, on lui ferme, sans façon, la porte au nez et
on l'envoie se faire... jouer à Bruxelles. Jugé capable de siéger à l'Institut,
M. Reyer n'est pas trouvé digne d'entrer à l'Académie... de musique. C'est tout
simplement boufton I
Ah! si la justice était de ce monde et si nos hommes politiques avaient quel-
que souci de l'art, le jour où MM. Ritt et Gailhard ont troqué Salammbô contre
Lucie, le ministre les aurait pris au collet et jetés sur la place de l'Opéra, avec
un coup de pied <i occulte », suivant la délicate expression du poète des Odes
Ce coup de pied occulte, personne n'a manqué de l'allonger aux
tristes directeurs à l'endroit où il convient, et ils ne trouvent natu-
rellement pas de meilleur moyen de s'en relever que de nous parler
le plus possible de l'œuvre nouvelle qu'ils vont bientôt nous présen-
ter à leur tour, après deux ans d'attente. Tous les journaux sont
pleins de notes administratives autant qu'académiques, célébrant à
l'avance les louanges d' Ascanio, cet opéra de M. Saint-Saëns pour
lequel MM. Ritt et Gailhard n'avaient pas assez de mépris et qu'ils
décriaient partout, alors qu'ils pensaient pouvoir s'en passer. La
campagne entreprise par la presse n'aurait-elle eu que ce bon ré-
sultat, de mettre l'épée dans les reins de ces directeurs trop indolents
et de les forcer à tenir leurs engagements, qu'il faudrait encore s'en
féliciter. Ce n'est pas nous qui entreprendrions de tuer Saint-Saëas par
Reyer ; ce sont deux musiciens que nous tenons dans une égale
estime, et nous applaudirons de grand cœur aux succès de l'un et
de l'autre. Reproduisons donc la note envoyée par la direction à la
plupart de nos confrères, puisqu'elle nous donne un petit avant-goùt
de l'œuvre que nous entendrons prochainement :
o Mercredi, à l'Opéra, première lecture à l'orchestre de la partition
à! Ascanio. Cette répétition a marché presque sans arrêt, grâce à un
procédé d'étude appliqué pour la première fois et qui consiste à
faire répéter, préalablement à l'ensemble, les artistes par groupes :
cordes, bois, cuivres. Ce procédé, indispensable pour la parfaite
exécution de la musique moderne, permet aux exécutants de s'assi-
52
LE MENESTREL
miler bien exactement le rôle qu'ils ont à jouer dans l'ensemble
symphonique.
» D'après cette épreuve, l'ouvrage paraît se rapprocher, comme
tempérament, d'une œuvre célèbre, les Maîtres Chanteurs, avec la-
quelle le compositeur d'Ascanio s'est bien certainement avoisiné
sans aucun parti pris. Dans trois actes, il y donne une note légère
dans les scènes de l'atelier et de la rue, élégante à la cour, pour
retourner, dans les deux derniers actes, aux traditions du grand
drame.
» L'œuvre, composée de sept tableaux, dont le plus long n'excède
pas trente minutes, commence par une très brève introduction et
se termine, en revanche, par un très large ensemble. On n'a pas
répété encore la musique du ballet. Lue au piano seulement, elle
s'est révélée abondante en motifs archaïques.
» Les répétitions de scène d'Ascanio sont entièrement terminées. On
a réglé hier la plantation du décor du « Jardin des Buis », qui
donnera une très vaste place au ballet. L'ouvrage sera absolument
prêt pour la première quinzaine de mars.» m
Voici, d'autre part, la distribution en double de cet opéra :
Créateurs Doubles
Benvenuto MM. I.assalle. Bérardi
Ascanio Gossira.. Affre
François 1" PlaDçon. Delmas
Duchesse d'Étampes M™" Adiny. .. D'Ervilty
Scozzone Bosman. Pack
Colomba Eames... Agussot
Tout va donc au mieux jusqu'à présent. Pourvu qu'il n'y ait pas
de nouvelles anguilles sous roche ! Avec MM. Ritt et Gailhard, une
expérience, trop de fois renouvelée, a montré qu'on pouvait s'at-
tendre à tout.
H. M.
Nouveautés. — Nos Jolies Fraudeuses, comédie-vaudeville en trois
actes, de M. Alexandre Bisson.
Prenons, si vous le voulez bien, la nouvelle pièce de M. Bisson
pour ce qu'elle est, une aimable ébauche sans grande prétention et
faite assez vite entre deux études plus sérieuses, sans doute ; laissons
de côté le nom de comédie que l'auteur lui a donné en partie, et
ne nous souvenons que de celui de vaudeville qu'il a mis là comme
palliatif; rions quand les mots sont drôles, ou les situations comiques;
ne cherchons pas la petite bête, et vous verrez que nous ne nous
ennuierons pas trop. Il eût évidemment mieux valu que M. Bisson
mît son laleDt et sa verve au service d'une œuvre moins inconsis-
tante et moins quelconque; mais, encore une fois, sachons nous
contenter, pour le moment, de ce que l'on nous donne ; nous au-
rions pu être beaucoup plus mal partagés.
Je ne vous raconterai pas nos Jolies Fraudeuses ; d'abord parce que
la place restreinte dont je dispose ne me permettrait pas de vous
dire clairement la chose, ensuite parce que tout cela est d'un leste,
devant lequel vous me saurez certainement gré de reculer. Qu'il
vous suffise de savoir que M. Bisson, devançant nos législateurs,
fait que l'impôt sur le revenu est .dûment établi, et qu'il nous pré-
sente un jeune employé de l'administration chargé de relever des
chiffres chez les dames seules, jouissant de « professions libérales ».
Imaginez sur ce thème tout ce que vous voudrez, ou mieux, allez-y
voir.
Nos Jolies Fraudeuses n'étaient point destinées aux Nouveautés,
mais bien à un théâtre de comédie. Pensez donc, pas une note de
musique en trois actes ; aussi la petite troupe avait-elle l'air un peu
désorientée. Il n'en faut pas moins féliciter MM. Brasseur père et fils,
très amusants tous deux, et aussi MM. Guy, Maugé et MUes Darcourt
et Davray.
Paul-Émile Chevalier.
LE THÉÂTRE A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889
architecture et machinerie théâtrales
(Suite)
L'une des plus intéressantes parmi ces maquettes, et l'on va voir
pourquoi, est celle qui reproduit la « salle de la Comédie-Française,
rue Neuve-des-Fossés, aujourd'hui de l'Ancienne-Comédie, 1689-
1770. » Grâce à un dessin très exact de Y Architecture de Blondel,
on a pu reconstituer ce théâtre avec une précision rigoureuse, non
seulement en ce qui concerne l'ensemble et la forme générale ainsi
que les plus petits détails, mais aussi relativement aux proportions,
qui, pour cette maquette comme pour les précédentes, ont été éta-
blies à l'échelle de trois centimètres par mètre. Il y a plus: ce des-
sin de Blondel — et c'est ce qui est particulièrement intéressant —
ce dessin, auquel il semble que personne jusqu'ici n'eût fait attention
sous ce rapport, a permis, ce qu'on n'avait encore jamais essayé, ■
de reproduire avec une précision absolue l'aménagement des ban-
quettes où l'on sait que, sur la scène même, certains spectateurs
venaient prendre place, au grand ennui du public de la salle et au
grand détriment encore du jeu des acteurs, interrompus à chaque
instant par l'entrée bruyante d'un gentilhomme désireux de se faire
remarquer, et gênés dans leurs mouvements par l'excessive exiguïté
de l'espace qu'un usage absurde, laissait à leur disposition.
On sait en effet qu'au dix-septième siècle et pendant une bonne
partie du dix-huitième, le public était admis sur la scène de la
Comédie-Française, embarrassée ainsi par une foule de gens de
condition : courtisans, petits-maîtres, grands seigneurs, financiers,
qui venaient là non pour jouir personnellement du spectacle, mais
pour se donner en spectacle eux-mêmes et se montrer à cette place,
d'autant plus recherchée par eux qu'elle coûtait plus cher que les
autres. Molière, qui ne laissait échapper sans le fouailler aucun ridi-
cule, a daubé celui-ci dans les Fâcheux, avec sa verve ordinaire, en
présence de ceux-mêmes qui s'en rendaient coupables; on se rappelle
ces plaintes ironiques d'Ergaste :
J'étois sur le théâtre en humeur d'écouter
La pièce, qu'à plusieurs j'avais ouï vanter ;
Les acteurs commençoient, chacun prètoit silence,
Lorsque d'un air bruyant et plein d'extravagance.
Un homme à grands canons est entré brusquement
En criant: Holà! ho! un siège promptement!
Et, de son grand fracas surprenant l'assemblée,
Dans le plus bel endroit a la pièce troublée.
Tandis que là-dessus je haussois les épaules,
Les acteurs ont voulu continuer leurs rôles:
Mais l'homme pour s'asseoir a fait nouveau fracas,
Et, traversant encor le théâtre à grands pas,
Bien que dans les côtés il put être à son aise,
Au milieu du devant il a planté sa chaise,
Et, de son large dos narguant les spectateurs,
Aux trois quarts du parterre a caché les acteurs.
Cela se passait ainsi du temps de Molière. Plus tard sans doute
ies chaises furent interdites, et les poseurs d'alors durent se con-
tenter des banquettes qui leur étaient réservées. Mais si notre his-
toire théâtrale a enregistré cet étrange et ridicule usage des ban-
quettes sur le théâtre, on ne savait pas au juste, jusqu'ici, comment
elles étaient disposées et quel aspect elles offraient sur la scène. C'est
justement là ce que le dessin de Blondel a permis d'établir et de repro-
duire avec précision, et ce qui nous vaut une vue exacte de la scène
de la Comédie-Française telle qu'elle était occupée à la fois par les
acteurs et les spectateurs. L'avant-scènë se prolongeait dans la salle
fort en avant du mauteau d'arlequin, et les banquettes, dont on trouvait
cinq rangs de chaque côté, disposés en longueur, commençaient à la
rampe, très serrées les unes contre les autres, pour s'enfoncer jus-
qu'au second plan de la scène, mais en s'espaçant alors considéra-
blement, de façon que l'espace laissé libre aux acteurs prenait la
forme d'une sorte de grand entonnoir dont l'orifice était précisé-
ment devant la rampe. L'effet produit était exactement celui-ci :
Avants-scène et rampe.
Sans parler du bruit qui les importunait, de la distraction qui
leur était causée, on devine, malgré la balustrade qui s'étendait de-
vant cette double rangée de banquettes, combien une telle disposition
LE MÉNESTREL
53
devait être gênante pour les acteurs, doût toutes les entrées et sor-
ties devaient se faire forcément par le fond, et dont les mouvements
étaient singulièrement entravés par le rétrécissement de la scène. Il
faut remarquer aussi qu'on ne pouvait point baisser le rideau, la
présence de ces sottes banquettes en rendant la descente impos-
sible. D'autre part, et dans ces conditions, comment s'opéraient les
changements de décor? c'est ce que je ne saurais dire. Il est pro-
bable qu'alors on faisait momentanément évacuer la scène par ces
spectateurs importants autant qu'importuns (1).
La salle avait trois rangs de loges. Au premier rang, les deux loges
du roi et de la reine, faisant saillie et formant baleoD, ornées des
armes de France, se faisaient vis-à-vis (2). Elles touchaient la
rampe de chaque côté de la salle, précédées de deux loges qui ter-
minaient la rangée en s'avançant jusqu'au manteau d'arlequin.
Deux lustres, placés précisément en dehors de ce manteau d'arle-
quin, éclairaient le devant de la scène, comme à la Comédie-Ita-
lienne. L'aspect général était du reste flatteur à l'œil, à la fois
noble, gracieux et élégant, et le tout était couronné par un beau
plafond, œuvre du peintre Bon Boulogne, que les connaisseurs
tenaient en très haute estime.
Comme il arrivait alors pour tous les théâtres, celui-ci avait été
élevé sur un ancien jeu de paume, dit jeu de paume de l'Étoile,
dont le terrain avait été donné par Henri IV à Louis Audrac, fa-
meux maître paumier avec qui ce prince jouait souvent. C'est l'ar-
chitecte François Dorbay qui avait été chargé de sa construction,
et le total des dépenses s'était élevé à 198,233 livres, 16 sols, 6 deniers,
dont 60,000 livres pour le seul achat du terrain. La salle avait été
inaugurée le 18 avril 1689 par un spectacle composé de Phèdre et du
Médecin malgré lui, et la recette avait été de 1,870 livres. Elle tom-
bait presque en ruines lorsque l'Opéra quitta les Tuileries pour
retourner au Palais-Royal, dans le nouveau théâtre que Moreau lui
avait construit presque sur l'emplacement de celui récemment détruit
par le feu. En attendant qu'on lui construisit à son tour une nou-
velle demeure, la Comédie-Française vint alors remplacer l'Opéra aux
Tuileries, où elle donna son premier spectacle le 23 avril 1770. Peu
de jours auparavant, elle avait clôturé ses représentations à la rue
Neuve-des-Fossés en jouant Beverley et le Sicilien, avec une recette
de 2,350 livres. Cette salle de la rue Neuve-des-Fossés avait donc
vécu quatre-vingt-un ans, presque jour pour jour (3).
(A suivre.) Arthur Poiigin.
(1) Voici ce que Blondel lui-même dit à ce sujet, en reproduisant les
plans et les dessins de cette salle de la Comédie Française : — « .... Ces
places tiennent le premier rang dans ce spectacle, et dans celui de la
Comédie-Italienne ; il n'y en a point à l'Opéra à cause des changements
continuels et des machines, qui font un des principaux mérites de ce
spectacle. Sans doute que le goût que la nation française a pris pour le
théâtre dont nous faisons la description, tant pour l'excellence de nos
pièces dramatiques que pour la supériorité des acteurs, est la cause que
les comédiens français ont supprimé leurs machines, cette salle étant de-
venue beaucoup trop petite pour le nombre des spectateurs, ce qui les
aura déterminés dans la suite à multiplier les places par ces bancs placés
sur le théâtre ; de manière que ce théâtre est réduit à 15 pieds sur le
devant et à 11 dans son extrémité opposée. » — (Architecture française,
1732, t. II.)
(2) La loge du roi était à droite du spectateur, celle de la reine à
gauche.
(3) Le jour de la clôture, et suivant un usage qui subsista jusqu'à la
Révolution, l'un des comédiens, d'Allainval, adressa au public un compli-
ment dont voici le texte :
« Messieurs, le Théâtre François touche enfin à l'époque la plus flatteuse
qu'il pouvoit espérer. Le gouvernement daigne fixer un moment son
attention sur lui, et s'occuper des moyens de faire élever un monument
digne des chefs-d'œuvre des hommes de génie qui vous ont fait l'hommage
de leurs veilles. La scène lyrique vient d'offrir à vos yeux les ressources
de l'architecture. Vous avez rendu justice au travail de l'artiste célèbre
(M. Moreau) qui a eu le courage de s'écarter des routes d'une imitation
servile, et qui a été assez heureux pour vous plaire en osant innover. Il
est temps que le théâtre national jouisse des mêmes avantages ; il est
temps que les mânes de Corneille, de Racine et de Molière viennent
contempler les changemens dont ce théâtre est susceptible et nous dire :
« Voilà le temple où nous aimons à être honorés; » il est temps enfin de
faire cesser les reproches très fondés des autres nations, jalouses de la
gloire de la nôtre. Accoutumés depuis longtemps à votre bienveillance,
nous ne cesserons jamais de vous donner des preuves de notre empresse-
ment à vous offrir des productions dignes de vos suffrages. C'est dans ces
sentimens que nous quittons un théâtre où vous avez tant de fois secondé
nos efforts. Pénétrés de la plus vive reconnaissance pour la bonté dont
vous daignez nous honorer, nous osons vous en demander la continuation
sur la nouvelle scène que nous allons occuper. »
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts du Chatelet. — La symphonie en ut majeur de Beethoven,
reléguée au second rang par la splendeur de celles qui lui ont succédé,
n'en reste pas moins admirable par la fraîcheur des idées et par l'ingé-
niosité des développements. Elle a été rendue avec la simplicité de style
et la discrétion qui conviennent à une œuvre aussi achevée dans ses
détails qu'exempte de toute prétention à la grandeur des formes ou à
l'éclat des sonorités. — Grâce à une interprétation parfaitement pondérée
et très expressive, Siegfried-hhjll semble avoir acquis plus de cohésion et
d'homogénéité. L'ensemble porte merveilleusement, et les soli d'instru-
ments se fondent dans la masse orchestrale sans la déséquilibrer ou la
démembrer pour ainsi dire, comme cela se produit quand on les laisse
prédominer tour à tour avec trop de vigueur. La Fantaisie de M. E. Ber-
nard, pour piano et orchestre, déjà exécutée en 1883, se compose de deux
morceaux de forme très libre. Le premier renferme une sorte de Scher-
zando très finement écrit ; le second ne manque pas de véhémence et a
produit beaucoup d'effet. M. I. Philipp a bien rendu cette composition
intéressante et très mélodique. Dans la Suite d'orchestre de M. J. Garcin,
une délicieuse canzonetta a été bissée. Cette suite, qui a obtenu un brillant
accueil, renferme de très jolis détails d'instrumentation, et les thèmes en
sont toujours fort distingués et d'un tour élégant, bien que l'auteur semble
avoir été constamment sous l'empire de ses réminiscences classiques. —
Mme Krauss a chanté la prière de Tannhduser avec une ampleur de style
superbe, et l'ode de Sapho, de M. Ch. Gounod. avec un sentiment poétique
intense. La cantatrice, qui avait interprété d'abord un air d'Euryanthe, a été
l'objet de chaleureuses ovations. Le concert s'est terminé triomphalement
par les fragments symphoniques de Carmen, parmi lesquels la Séguedille,
la Chanson des dragons d'Alcala et l'Entr'acte ont été particulièrement
applaudis. Amédée Boutarel.
— Concert Lamoureux. — Dimanche 9 février, nous avons eu le plaisir
d'entendre un violoniste de grand talent, M. White. M. White, Français
natif de Cuba, est un élève très distingué d'Alard; il jouissait à Paris d'une
grande réputation. En 1870 il fit bravement son devoir comme soldat fran-
çais; en 1874, à la suite de grands malheurs de famille, il partit pour le
Brésil, ou il se fit une grande situation musicale; il était attaché à la
maison de l'Empereur et il est revenu à la suite des malheurs qui ont
affligé ce souverain ami des sciences et des arts. M. White a eu un très
grand succès dans le 2e concerto de Wienawski; un peu intimidé au débu',
il a bien vite repris la plénitude de ses moyens et dit, avec un style excel-
lent et une virtuosité remarquable, bandante et le finale de ce charmant
concerto. J'ai quelquefois entendu dire que les compositions de Wieniawski
étaient démodées, que c'était le vieux jeu; si l'on appelle vieux jeu une
conception qui donne le rôle principal à la mélodie, un enchaînement clair
et lumineux des idées, une orchestration fine et discrète qui fait valoir
l'instrument sans l'écraser, nous ne faisons nulle difficulté d'avouer que
ce vieux jeu nous plaît assez et que le concerto de Wienawski, interprété
par M.White, nous a fait passer un moment des plus agréables. — L&Suite
d'Esclarmonde, de M. Massenet, n'est pas vieux jeu du tout; on y sent la
recherche des effets nouveaux et bizarres; quant à la mélodie, elle se
cache si modestement qu'on a beaucoup de peine à la trouver. D y a loin
du Massenet d'Esclarmonde au Massenet de Marie-Magdeleine et des Scènes
pittoresques ; celui-là était peut-être vieux jeu ; nous avions la faiblesse de
le préférer. Ce Massenet-là disait clairement ce qu'il voulait dire, et ce
qu'il disait était parfois charmant. C'est aujourd'hui un sous-wagnérien,
qui peut se comprendre lui-même, mais que les autres ne comprennent
pas toujours. Une réflexion nous venait en entendant un crescendo wa-
gnérien du fragment Hyménée et aussi un crescendo non moins wagnérien
du Lever de soleil de M. W. Chaumet : il n'y a pas formule au monde qui
ait été plus dépréciée, plus vilipendée que le crescendo italien qui a fait,
dans son temps pâmer tant de générations ! Nous le trouvions nous-même
un peu démodé ; nous l'avons échangé pour le crescendo wagnérien, qui
fait plus de bruit et qui est moins musical: faire dire le chant à un mo-
ment donné par tous les instruments à vent déchaînés, accompagnés par
les violons jouant à tour de bras, cela' peut constituer du bruit, mais pas
de la musique ; on se lassera bien plus vite encore de ce procédé, que les
imitateurs de Wagner ont rendu intolérable. Pour en revenir à Esclarmonde,
nous dirons que cette musique sans inspiration sent l'effort, l'artifice, et
ne dit rien au cœur ni à l'esprit. Il y a mille fois plus d'inspiration et
plus de musique, dans le sens esthétique du mot, dans une courte page
comme l'ouverture du Freischûlz de Weber ou le scherzo du Songe d'une
nuit d'été de Mendelssohn. Voilà des modèles que M. Lamoureux fait bien
de nous produire de temps en temps, et qui nous montrent la différence
entre la musique et ce qui n'en est pas. H. Barbedette.
— Musique de chambre. — M. W. l'en Hâve et 14"" ïen Hâve viennent
de donner une séance de musique de chambre fort intéressante. Le quatuor
en si b de M. Saint-Saëns, une des œuvres les plus complètes du maître,
a trouvé en M. et M"° Ten Hâve, assistés de MM. Delsart et Van Waef-
felghem, des interprètes de premier ordre. Mllc Madeleine Ten Hâve, qui
est une remarquable pianiste, possédant d'excellents doigts et un excellent
style, a dit seule les Variations sérieuses de Mendelssohn. La sonate op. 13
deGrieg et un quatuor de Beethoven complétaient le programme. —Nous-
LE MENESTREL
avons entendu à la dernière séance de M. Mendels le quatuor pour piano et
cordes de M. G. Fauré. L'auteur et MM. Mendels, Van Waeffelghem et
Casella en ont donné une belle exécution. C'est là une œuvre très remar-
quable, l'une des plus réussies de son auteur: les idées, toujours choisies
et se tenant loin de tout ce qui pourrait paraître convenu ou vulgaire, sont
développées avec l'art le plus exquis, les rythmes sont variés et riches, et
l'instrumentation est colorée et brillante. Le succès a été très chaleureux.
M. Mendels a joué, seul, à cette même séance, deux pièces de MM. Lalo et
Svendsen avec une be'.le sonorité et un mécanisme élégant. M. Warm-
brodt, un ténor à la voix charmante, a dit avec style le Noël païen de Mas-
senet et Yaubade du Rois d'Ys, et M. Staub, un jeune pianiste élève de
M. Diémer, s'est fait vivement applaudir après une exécution fort bril-
lante de la spirituelle Valse en octaves de son maître. I. Ph.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : symphonie en ut mineur (Beethoven) ; 3e concerto pour
piano (Pfeiffer), par MmG Roger-Miclos ; les Maîtres Chanteurs, scène finale
du troisième acte (R. Wagner) : M. Engel(Walther) ; M. Soulacroix (Beck-
messer); M. Auguez (Hans Sachs); ouverture de Ruy Blas (Mendelssohn).
— Le concert sera dirigé par M. Garcin.
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux : ouverture du Vaisseau
Fantôme (Wagner) ; Lever de soleil (W. Chaumet) ; fragments de Roméo et
Juliette (Berlioz); prélude de Parsifal (Wagner) ; scherzo du Songe d'une nuit
d'été (Mendelssohn) ; Joyeuse Marche (E. Chabrier) ; ouverture du Carnaval
romain (Berlioz).
Chàtelet, concert Colonne: Relâche.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Berlin : La première représen-
tation i'Otello, de Verdi, à l'Opéra royal, n'a abouti qu'à un succès de
déférence. Seul, le deuxième acte paraît avoir produit quelque effet. Les
journaux berlinois ne sont pas d'accord au sujet du mérite de l'interpré-
tation; celle-ci est qualifiée de satisfaisante par les uns, de médiocre par
les autres, mais nulle part il n'est question d'un succès sérieux. Les prin-
cipaux rôles étaient tenus par MM. Sylva (Otello), Dulss (fago), et MUe Lei-
singer (Desdéinone). La prochaine nouveauté sera l'opéra de Reinthaler,
lidlhchen von Heilbronn, qu'on compte représenter vers la fin du mois de
mars. — Brunn : Mmc Hermine Braga a effectué un très heureux début au
Théâtre municipal dans Mignon. — Hambourg : Le Théâtre municipal don-
nera, dans le courant du présent mois, la première représentation de la
traduction allemande de l'opéra Asraél, du baron Franchetti. — Leipzig :
Le Théâtre municipal tient un gros succès avec un nouveau ballet scien-
tifico-patriotique intitulé Porcelaine de Misnie, scénario du directeur
Stâgemann et du maître de ballet Golinelli, musique de M. Hellmesberger,
devienne. Les décors et les costumes, -dus au peintre Lucas von Cranach,
ne seiaient pas moins réussis que la chorégraphie et la partition. —
Munich : Le théâtre de la Cour a fêté l'anniversaire de la naissance
de Beethoven par une belle représentation de Fidelio, suivie des Ruines
d'Athènes.
— Nous avons dit que le 26 janvier dernier, il y a eu cent ans que fut
donné pour la première fois, à Vienne, le Cosi fan tulle, de Mozart,
arrivé aujourd'hui au chiffre de 93 représentations seulement, ce qui ne
fait pas en moyenne une représentation par an depuis la date de la pre-
mière. Les autres ouvrages dramatiques de Mozart ont eu une vogue
plus constante à l'Opéra de Vienne. Ainsi, l'Enlèvement au Sérail, donné
pour la première fois le 16 janvier 1782, a atteint en 1890 le chiffre de
162 représentations; les Noces de Figaro, qui sont du 1er mai 1786, ont eu
423 représentations; Don Juan, qui est du 7 mai 1788, a été joué -475 fois,
cH la Flûte enchantée (24 février 1501), 389 fois. Idoménée et Titus n'ont eu
qu'un nombre très restreint de représentations en l'espace d'un siècle :
Idoménée, 19, Titus, 84, et enfin la petite opérette, le Directeur de
Théâtre, 39.
— Plus heureux que les spectateurs de l'Opéra de Paris, le public de
l'Opéra impérial de Vienne vient d'avoir la joie d'entendre VArmide de
Gluck, dont la. reprise a eu lieu récemment, avec Mme Materna et M. Van
Dyck. L'ouvrage, qui avait disparu du répertoire depuis quelques années,
a produit une impression profonde, et l'on se demande là-bas comment il
se fait que nous restions si complètement privés d'un tel chef-d'œuvre.
Ce ne seraient pourtant pas les interprètes qui nous manqueraient ici,
si on le voulait bien ; se Bgure-t-on ce que serait, par exemple, l'exécution
,|'1" lm' aussi .'mouvante avec deux artistes comme M""0 Caron et
M. Jean de Reszké, et quelle jouissance il en résulterait pour les audi-
teurs? Mais il faudrait pour cola ou un artiste, ou un homme intelligent
a la tète de notre Opéra, et nous n'avons par disgrâce ni l'un ni l'autre..
guni qu'il en soit, à Vienne, les journaux ne dissimulent pas que
M™ Materna n'a pas répondu à l'idée qu'on s'était faite d'elle dans ce
rôle. Elle a eu des moments superbes, mais la voix commence à se fati-
guer et, il n'y a plus à dire, la grande artiste est à son déclin. M. Van
Dyck a été, en somme, le héros do la soirée. Orchestre et chœurs excel-
lents, sous la direction de M. Hans Richler.
— Le ministre des cultes de Prusse vient, par arrêté, d'ordonner l'em-
ploi dans toutes les écoles de l'Etat d'un diapason en acier sortant des
ateliers de physique de l'État à Charlottenbourg. Ce diapason, conformé-
ment à la convention internationale du diapason, donne le la de 870 vi-
brations simples. On sait que le diapason de 870 vibrations estle diapa-
son « normal s adopté, sur un rapport d'Halévy, par la commission
nommée à cet effet, et dont l'usage a été prescrit en France par un arrêté
en date du 31 mai 1859, signé par M. Achille Fould, ministre d'État.
— Un curieux procès de propriété littéraire va se plaider à Berlin. Un
compositeur, M. Sommer, avait demandé à M. Wolff, auteur d'un poème
épique intitulé Lurley, de tirer de ce dernier un livret d'opéra. M. Wolff
n'ayant pas cru devoir donner l'autorisation demandée, M. Sommer a passé
outre et s'est fait confectionner un livret par un autre poète, M. Gurski,
qu'il a mis en musique et fait publier. Delà le procès. M. Sommer prétend
qu'un auteur n'a pas le droit d'empêcher, par un refus arbitraire, comme
celui de M. Wolff, qu'on tire parti d'une œuvre publiée pour en créer un
nouvel ouvrage d'un genre différent. Ainsi, le Lurley de M. Wolff étant
un poème épique, il serait permis à chacun d'en faire un drame, un
opéra, sans autre obligation que de citer sa source. M. Jules Wolff pro-
teste énergiquement, on le comprend. Les tribunaux décideront.
— Un artiste italien, M. Ferruccio Busoni, s'est produit à la fois comme
virtuose et comme compositeur à l'un des derniers concerts du Gewandhaus,
de Leipzig. Il a exécuté avec succès le concerto de piano en mi bémol, de
Beethoven, et a fait entendre avec moins de succès une Suite symplionique
de sa composition pour piano et orchestre.
— Dans l'une des dernières séances de la ■Société de musique de
chambre de Pesth, MM. Jeno Hubay et Popper ont fait entendre uû
nouveau trio de Brahms. Ce trio n'est autre que le trio en sol majeur pour
piano, violon et violoncelle, que le maître a complètement refondu et
remanié. Il n'a conservé de l'œuvre ancienne que les thèmes. Le scherzo
seul n'a pas été sensiblement modifié. Joué par MM. Brahms, Hubay et
Popper, le nouveau trio a obtenu un très vif succès.
— Petites nouvelles du Nord. — A l'Opéra de Stockholm on a repris
le 8 février, pour sa 191° représentation, le Robert de Normandie (Robert
le Diable) de Meyerbeer. Des six ouvrages de l'illustre compositeur repré-
sentés à Stockholm, c'est celui qui est devenu le plus populaire. Lors de
sa première apparition en cette ville en 1839, le rôle d'Alice fut créé par
la célèbre Jenny Lind. — A Copenhague, la Société Cecilia a donné une
représentation de VArmide de Gluck. — A Christiania, grand concert... de
sifflets, au théâtre, à l'occasion d'une pièce norvégienne, le Roi Midas, jouée
actuellement avec un immense succès au Théâtre Royal de Copenhague et
acceptée au Théâtre Royal de Stockholm. Le motif du rejet est qu'il existe
une trop grande ressemblance entre le héros du drame et le poète Bjœrson,
le Victor Hugo du Nord.
— Le célèbre quatuor Eugène Isaïe et la Société de musique de Tournai,
organisent pour le 27 avril prochain, un concert exclusivement consacré
à l'œuvre de M. César Franck. La Société de musique exécutera son églo-
gue biblique : Ruth ; M. Isaïe et ses collègues interpréteront le superbe
quintette du maître français. On connaît le succès remporté par cette ex-
cellente Société lors du concert du 26 janvier dernier, où l'on exécuta en
présence de M. Massenet, sa légende sacrée: la Vierge.
— Deux des plus grandes scènes lyriques italiennes, le San Carlo, de
Naples, et la Scala, de Milan, traversent en ce moment, chacune de leur
côté, une crise qui pourrait bien se terminer fatalement. A Naples, par
suite d'une série de sottises de la municipalité qui ont mis l'impresa dans
une situation impossible, celle-ci est aux abois, et le Trovatore termine
ainsi un article qu'il consacre à cette question : « Au moment de mettre
sous presse, on nous dit que MM. Molina et Buono (les directeurs), épou-
vantés de l'énorme déficit et des obstacles si graves et si nombreux qui
s'opposent à la bonne marche de l'entreprise, ont déclaré qu'ils aimaient
mieux perdre les sommes déboursées par eux et se retirer, abandonnant
une situation difficile jusqu'à être désespérée. Si la nouvelle est exacte,
et s'il ne surgit point d'autre combinaison, les portes de notre grand
théâtre seront fermées. » A la Scala de Milan, les choses ne sont guère
en meilleur état, grâce au fiasco colossal des Maîtres Clianteurs, dont la re-
prise peu heureuse de Simon Boccanegra n'a pu conjurer l'effet désastreux.
Le même Trovatore, qui est un enfant terrible, et qui ne sait pas farder la
vérité, nous apprend que tandis que les rédacteurs des journaux de Milan
cherchent, dans ces journaux, à sauvegarder la situation, ils l'annoncent
comme très grave, sinon désespérée, dans les correspondances qu'ils
adressent aux feuilles étrangères, ce qui est au moins singulier. Ce qui
est vrai, c'est que le théâtre est désert pendant que les frais courent tou-
jours, et le dernier incident qui vient de se produire n'est pas pour
rétablir ses affaires. Cet incident est celui-ci ; « Le mardi 4 février,
l'affiche de la Scala annonçait : « Ce soir, répétition générale du Roi d'Ys,
et jeudi, première représentation. » Or, le soir même, le Secolo, journal
de M. Sonzogno, éditeur-propriétaire pour l'Italie de la partition du
Roi d'Ys, publiait la petite note que voici : a — L'impresa de la Scala a
publié sur les affiches d'aujourd'hui que jeudi prochain on donnerait
la première représentation du Roi d'Ys. Cette annonce est prématurée, par
la raison qu'il n'a pas encore été décidé, par qui de droit, si et quand aura
lieu cette première représentation. » En reproduisant cette note, le Tro-
LE MENESTREL
vatore ajoute: « En fait, et d'après les dernières nouvelles qui nous par-
viennent, il y a beaucoup à craindre que le Boi d'Ys devienne pour la
Scala le Roi d'X. Il' ne manquerait plus que cela! » On voit où en sont
les choses.
— Deux premières représentations en Italie. Au théâtre Parthénope, de
Naples, la Rivista del 1889, avec musique nouvelle de MM. Valente, Forti,
Pannain, Fanti, Buonanno et... plusieurs autres ; grand succès. A Osimo,
il Sor Yenanzo, opérette de M. Tappa, pour les paroles, de M. Domenico
Querceti, pour la musique ; réussite complète.
— Légende plaisante d'un dessin de la Scena illustrata, de Florence :
On répète, tout le monde est en place, et le chef d'orchestre, assis à son
pupitre, s'adresse à une chanteuse en scène : « Vous attaquez pianissimo,
pian, pian, pian, lui dit-il, et si vous oubliez le ton dans lequel vous
chantez, faites un nœud à votre mouchoir pour vous le rappeler. »
— Nous avons enregistré l'apparition d'un opéra nouveau, Iride, repré-
senté récemment à Cortone avec un succès qui paraît de bon aloi. L'au-
teur de cet ouvrage, le jeune compositeur Giuseppe Vigoni, qui fut élève
de Ponchielli, vient de terminer la partition d'un second opéra, fort im-
portant, qui ne compte pas moins de (rois actes et neuf tableaux. Celui-ci,
dont l'action se développe à Florence vers l'an 1440, a pour titre Bal-
daccio d'Anghiari. L'auteur du poème est M. Nicola Gabiani.
— Un artiste fort distingué, M. Enrico Bossi, abandonne les doubles
fonctions d'organiste et de maître de chapelle qu'il occupait à la cathé-
drale de Come,pour aller prendre possession, à Naples, de la classe d'orgue
au Conservatoire de San Pietro, àMajella. Il a fait à ce sujet ses conditions
conditions purementartistiques et fort honorables, qui ont été aussitôt accep-
tées. C'est ainsi que la direction du Conservatoire s'est engagée à pourvoir
cet établissement d'un grand orgue construit selon toutes les exigences
de l'art moderne, en même temps que d'autres petites orgues destinées à
l'instruction et au travail des élèves. D'autre part, M. Bossi veut com-
pléter son cours d'orgue en enseignant à ses élèves l 'harmonie complé-
mentaire, le plain-chant et l'histoire de l'orgue.
— Au théâtre Royal de Madrid on vient de commencer les études d'un
opéra italien nouveau de M. Emilio Serrano, Giovanna la pazza (Jeanne la
folle), qui aura pour principaux interprètes MmK Arkel et Amelia Stahl,
MM. Moretti, Dufriche et Tabuyo.
— La saison italienne de Y Auditorium de Chicago a pris fin le 4 janvier,
avec le Barbier et Mm0 Patti dans le rôle de Rosine. L'entreprise a donné
des résultats financiers absolument fantastiques. Une moyenne de quatre
mille sept cent soixante spectateurs assistait à chacune des vingt et une
représentations que comprenait la saison et qui ont produit, au total,
■1,167,099 fr. 55 ! Soit, en moyenne, 57,610 francs par soirée.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
M. le juge des référés a fait faire un pas important à la question de
l'Opéra-Comique. Sur les observations de M0 Denormandie, avoué des
Domaines, et de M. Châle, syndic, il a ordonné l'expulsion de M. Poujade
et la démolition des Concerts Favart, ainsi que la vente des matériaux à
en provenir. Une affiche apposée dès les premiers jours de la semaine sur
l'horrible grange qui avait pris l'appellation ambitieuse de « Grands
Concerts Favart », annonçait en effet pour jeudi dernier l'adjudication des
travaux de démolition, adjudication qui devait avoir lieu par les soins et le
ministère de MeThouroude, commissaire-priseur. Ajoutons que le cahier
des charges portait, entre autres, les conditions que voici :
Le terrain devra être livré à l'Etat libre de toute construction, et entouré d'une
palissade semblable à celle qui existait au moment de la prise de possession par
M. Poujade.
Disons, en passant, que cette palissade, qui avait trois mètres de haut
et une étendue de deux cent quarante-neuf mètres vingt-cinq centimètres,
peut être évaluée à plusieurs milliers de francs. Elle a été employée à la
construction des Concerts Favart.
Les anciens murs, conservés pour la solidité de l'immeuble voisin, ne feront
pas partie de l'adjudication.
L'adjudicataire sera tenu de prendre, au besoin, toutes les mesures d'étayement
commandées par la situation.
S'il était commis des dégradations, au cours des travaux de démolition laissés
à sa charge, un état en serait dressé par M. Arcbambault, inspecteur des bâti-
ments civils, et elles seraient également à sa charge.
Les travaux de démolition ne seront commencés que le lendemain de la mise
en adjudication. Ils devront être terminés dans un délai de trente jours, c'est-à-
dire qu'au bout de ce temps-là la palissade elle-même devra être rétablie.
Ce délai est de rigueur, il n'est pas comminatoire.
Des dommages et intérêts de cent francs par jour, prélevés sur un cautionne-
ment de 'i,000 francs déposés à la Caisse des dépôts et consignations, seraient
infligés à l'adjudicataire si les travaux n'étaient pas terminés à la date indiquée.
Le minimum des surenchères est de cinquante francs.
L'adjudication a eu lieu en effet jeudi, précédée de quelques explica-
tions données préalablement par le commissaire-priseur, M0 Thouroude.
Une première enchère de mille francs a rapidement monté jusqu'à cinq
mille, et, après un temps d'arrêt au cours duquel les Concerts Favart ont
été à deux doigts d'être adjugés pour cette somme minime, les surenchères
ont repris jusqu'à onze mille francs, grâce à l'arrivée de M. Leboucher,
entrepreneur des travaux publics, qui en est demeuré acquéreur pour
cette somme. Ces onze mille francs, qui ont été payés comptant, vont être
déposés à la Caisse des dépôts et consignations, et les créanciers de la
société Poujade, dont la dette s'élève à 270,000 francs, se les partageront
au prorata. — Enfin, nous allons être débarrassés de ce qui fut, ou pré-
tendit être, les « Grands Concerts Favart! » A quand maintenant la recon-
struction de l'Opéra-Comique?
— L'archevêque de Paris a décidé, d'accord avec le conseil de fabrique
de la métropole, de faire restaurer l'orgue du chœur de Notre-Dame et d'y
appliquer le système électro-pneumatique employé déjà, avec succès, pour
plusieurs de ces instruments de grandes dimensions. L'orgue de Notre-
Dame a été construit en 1803.
— On annonce qu'à la suite de la représentation de Salammbô au théâtre
royal de la Monnaie, le roi des Belges a conféré à M. Ernest Reyer le
grade d'officier de l'ordre de Léopold.
— Du Gil Blas: « Le Marcliand de Venise, de MM. Jules Adenis et Louis
Deffès, qui devait par traité passer ce mois-ci à l'Opéra-Comique, est
ajourné en décembre ou janvier prochain. M. Paravey, comme tout Fran-
çais, né malin, s'est délicatement tiré cette épine du pied. Mais il va sans
dire que cette fois la date est tout à fait sérieuse... il y a un nouveau
traité de signé! » Et d'un! c'est au tour à présent de Gilbert Desroches,
de Casteignier, de Rosenlecker, de Diaz et tutti quanti. Tous seront « roulés »
à leur heure avec la même désinvolture. M. Paravey ne s'embarrasse pas
pour si peu.
— On a donné cette semaine, aux Menus-Plaisirs, la première repré-
sentation d'une opérette en un acte, TEntr'acle, paroles de M. Maxime
Boucheron, musique de M. André Martinet, jouée par MM. Bartel, Vavas-
seur, Schey, Berthier, etMllœ Ellen Andrée et Mary Gillet.
— Le Guide musical nous donne les intéressants détails que voici sur un
nouveau portrait de Beethoven : — Un éminent aquaforiste néerlandais,
M. Carel L. Dake, bien connu de tous les amateurs de gravure par ses
planches d'après Rembrandt, Franz Hais et surtout par sa magistrale eau-
forte de « Guillaume d'Orange et Henriette-Marie Stuart » de Van Dyck,
vient de terminer un admirable portrait de Beethoven à l'eau-forte. De
tous les portraits du grand symphoniste publiés jusqu'à ce jour, celui-ci
est assurément le portrait qui donne le mieux la sensation de vérité et de
fidélité. Il représente Beethoven dans la force de l'âge, le front puissant,
la bouche volontaire, le menton tourmenté, le regard profond mais humain.
Rien dans cette gravure ne rappelle le Beethoven épileptique que nous ont
fait les graveurs allemands delà période romantique. C'est une restitution
artistique très impressionnante. Il existe, on le sait, un grand nombre de
portraits de Beethoven, dont un portrait à l'huile qui le montre de face,
déjà grisonnant, et qui est conservé au conservatoire de Leipzig, croyons-
nous; puis un grand nombre de portraits gravés, dont les plus curieux
et les plus frappants de ressemblance, au dire de tous ceux qui ont connu
Beethoven, sont les deux bois qui le représentent le chapeau sur la tête, mar-
chant les mains croisées sur le dos. M. Dake a consulté à Vienne tous les
documents qui existent: mais il s'est particulièrement inspiré du buste
de F. Klein, fait du vivant de Beethoven, et des deux masques en plâtre,
pris l'un du vivant, l'autre après la mort. Avec ses moyens restreints, une
intelligence supérieure et une main d'artiste, M. Dake vient de créer un
nouveau portrait de Beethoven, qui, pour sa valeur artistique et sa res-
semblance, peut être considéré comme un chef-d'œuvre. L'eau-forte de
M. Dake mesure, sans les marges, 47 1/2 centimètres sur 371/2. Elle fait
ainsi pendant à l'eau-forte de Richard Wagner, par Nerkomer. C'est la
maison Dietrich et Cic, de Bruxelles, qui vient de faire paraître cette re-
marquable gravure. »
— Je reçois d'Italie un petit volume publié à Naples sous ce titre : Inter-
meszi musicali. Sur la couverture, un portrait de Richard "Wagner, très
réussi, ma foi ; sur le dos de la même couverture, une liste des autres
écrits de l'auteur, parmi lesquels je découvre un « Hymne pour la venue
de Guillaume II à Rome. » Très bien ! Cette fois je sais à quoi m'en tenir,
et je vois qu'ici encore la triple alliance fait des siennes. L'auteur n'est
certainement pas un ami de la France, et il le prouve. Il le prouve, non
par l'enthousiasme véritablement furibond qu'il déploie en faveur du génie
de Wagner, mais par la peine qu'il prend pour rabaissercelui de nos mu-
siciens et pour railler ceux d'entre nous qui ne partagent pas complète-
ment son admiration et qui ne s'écrient pas comme lui, sur un ton sybillin :
Lohengrin ! Lohengrin ! Lohengrin .'... Il constate « la petitesse du génie
d'Auber ; » il nous parle de la jalousie de Berlioz envers le « divin maître »
de Bayreuth; il raille M. Gounod, « qui a pris à Wagner sa couleur d'or-
chestre, et son caractère dramatique musical (!!!) ; » il bafoue « la foule
des ignorants français qui combattent la musique de Wagner sans peut-
être en connaître une note; » mais, comme compensation, il cite complai-
samment M. Dujardin et sa défunte Revue wagnérienne. Il n'y a qu'à Naples
qu'on puisse parler sans rire de cette ex-fleuue. Tout cela, il faut le dire,
dans une langue très alerte, très vivante, très expressive, et dans le Ion
de la vraie polémique. J'oubliais de dire que l'auteur est M. Pagliara, le
successeur du vénérable Florimo dans les fonctions d'archiviste du Conser-
vatoire de Naples. M. Pagliara a dû bien souffrir du fiasco colossal que
viennent de subir à Rome les Maîtres Chanteurs, sur lesquels il a écrit un
56
LE MENESTREL
dithyrambe enflammé. Aux chapitres sur Wagner qui émaillent son livre
(lequel d'ailleurs, je le répète, est plein de vivacité et fort intéressant), je
préfère beaucoup ceux qu'il a consacrés à Francesco Florimo, son prédé-
cesseur, ainsi qu'à Rossini, à Donizetti, à Bellini, d'autant plus que ceux-
ci renferment non seulement des anecdotes curieuses, mais des lettres
pleines d'intérêt, lettres que nous ne connaissions pas en France et qui
sont dignes d'attention. Quant au reste, ceux de nos wagnériens qui aiment à
voiries étrangers dire du mal de notre pays et de nos artistes pourront lire
avec fruit le volume de M. Pagliara ; ils seront servis à souhait. Et l'au-
teur se pique d'être « un wagnér'ien tolérant ! ». Saperlotte, que serait-ce
donc s'il était intolérant! A. P.
— Nous sommes heureux d'enregistrer les nouveaux succès que vient
de remporter notre jeune compatriote M110 Clotilde Kleeberg à Hambourg,
Brème, Kiel, Rostock, Breslau et dans toute la Hollande, où elle a donné
des séances de piano très intéressantes. La Chaconne de M. Th. Dubois
figure sur tous ses programmes et lui est invariablement hissée.
— On nous demande le nom du morceau que M. Faure a chanté à la
cérémonie du mariage de M. Georges Desvallières, le petit-fils de M. Ernest
Legouvé. Ce morceau n'est autre que VO Salutaris (Pie Jesu) du grand chan-
teur, qu'accompagnait merveilleusement le cor de M. Brémond, premier
cor solo de la Société des concerts du Conservatoire.
— Tous les amateurs savaient-ils que Ingres avait fait un portrait de
Paganini? Nous en doutons un peu, car, pour notre part, nous l'ignorions
complètement. Toujours est-il que ce portrait faisait partie de la galerie
de M. le comte Osborne, le riche collectionneur dont les admirables col-
lections de livres rares, manuscrits, tableaux, objets d'art, etc., évaluées
à deux millions, ont péri dans l'incendie qui a éclaté cette semaine chez
lui, au numéro 6 de la rue de Seine. Ajoutons cependant que, parmi les
trop rares objets échappés à ce désastre artistique, le portrait de Paganini
par Ingres a pu être sauvé sans avoir éprouvé trop de dommage.
— Nous lisons dans le Réoeil du Loiret : « Le superbe concert donné hier à
Orléans, par l'orchestre de M. J. Gack, a eu un très grand succès. M. Bour-
gault-Ducoudray, qui avait présidé le jury de notre concours d'orphéons
en 1883, est venu diriger quelques-unes de s.es plus belles compositions.
L'auditoire lui a fait l'accueil le plus sympathique ; plusieurs de ses mor-
ceaux ont été bissés, entre autres l'Angélus et une délicieuse symphonie
intitulée l'Enterrement d'Ophélie. Saluons dans M. Auguez un chanteur ac-
compli. Quant à l'orchestre, il a su donner aux différentes œuvres de
M. Bourgault-Ducoudray l'expression la plus juste et la mieux sentie. »
— Concerts. — C'étaitfète mardi dernier, salle Érard, au concert donné par
M"° Spencer-Owen, une harpiste de très grand talent. Notre grand chanteur
Faure avait gracieusement prêté son concours à la charmante artiste, et le
public très nombreux l'a salué avec enthousiasme. On lui a bissé son
Crucifix, qu'il a merveilleusement dit avec M. Bosquin, et on lui aurait
<le même redemandé tous les morceaux du programme si on avait osé.
M. PaulViardota aussi recueilli de nombreux applaudissements, en jouant à
ravir. — Dernièrement, très brillante matinée à Neuilly, chez Mme Au-
dousset. La première partie de la séance était occupée par les élèves de
Mme Audousset ; elle se terminait par un charmant concert dans lequel
on a applaudi Mmes Casquard et S. Delaunay, MM. Binon et Belville.
Mme Audousset s'est fait entendre plusieurs fois avec beaucoup de succès.
— La dernière matinée donnée par M""c Lafaix-Gontié a été fort inté-
ressante. On y a entendu divers morceaux de Grieg, un air d'Â Iceste bien
interprété par une des élèves de M"10 Lafaix-Gontié, qui, en compagnie de
la même élève, a dit un duetto de M. Mathias Miquel, le pianiste espa-
gnol. Cet excellent artiste s'est fait entendre aussi avec un vif succès; à
signaler encore le joli air de Jean de Nivelle: « On croit à tout lorsque l'on
aime. » — Belle soirée, salle Erard, pour le récital de piano de M™ de Van-
deul-Escudier, qui a joué avec une grande autorité la sonate op. 31, n° 2,
•de Beethoven, un andante et un scherzo de Hummel, d'une allure charmante,
puis différentes pièces de Rameau, Mendelssohn, Chopin, etc. L'excellente
pianiste a du recommencer une ravissante berceuse de M. A. de Bertha.
— Dernièrement à la salle Philippe Herz , a eu lieu la première des
trois matinées que MUc C. Carissan a annoncées, pour faire entendre ses
nouvelles compositions de chant et de piano, en y ajoutant chaque fois
deux ou trois morceaux de musique instrumentale de premier choix. Avec
le concours de MM. Lefort et Casella, on a eu cette fois l'excellent trio en
si bémol de Rubinstein et la merveilleuse sonate, en si bémol également,
de Haendel, admirablement exécutés. Diverses compositions de Mlle Ca-
xissan pour le chant et pour le piano ont été ensuite très bien accueillies.
— Le mardi, 4 février, M"° Chaucherau a donné, à la salle Pleyel, un
brillant concert où elle s'est fait applaudir très chaleureusement, princi-
palement en chantant les Ailes, de M. Louis Diémer. Beau succès
aussi pour M"1' Chaminade et MM. Lauwers, Mendels et Ronchini.
— L'abondance des concerts ne nous a pas permis jusqu'à ce jour
de rendre compte de celui donné par la jeune Norvégienne Hanna Hansen
à la salle Kriegelstein. Cette jeune enfant, élève de M. Thurner, a obtenu
un vif succès; c'est un vrai tempérament d'artiste. Très applaudie dans le
trio en sol mineur de Rubinstein, dans des pièces deSchumannainsi que de
son maître, elle a déployé de rares qualités d'expression et de couleur dans
Chopin et Beethoven. Quand, avec l'âge, le mécanisme aura atteint plus
de fermeté et d'éclat, Mlle Hansen sera certainement au nombre de nos
plus brillantes étoiles du piano. MM. Truffier et Laugier, de la Comédie-
Française, ont prêté leur précieux concours à ce concert en tous points
réussi, ainsi que l'aimable couple Ciampi ; en somme soirée réussie pour
la bénéficiaire et tous ses excellents coopérateurs. — Salle comble à la
séance donnée par M. Georges Falkemberg pour faire entendre quelques
élèves; tous ont été vivement applaudis, ainsi que leur professeur lorsqu'il
a exécuté à son tour divers morceaux, dont un brillant Scherzando de sa
composition. MM. Montardon et Mazalbert ont grandement contribué à
l'intérêt de cette séance, et recueilli leur part de bravos; la belle mélodie
de Paladilhe, Purgatoire, a produit son effet accoutumé. — Mentionnons
le concert donné avec un très grand succès par M. Ernest Moret, et dont
ce jeune violoniste faisait à lui seul tous les frais. Il s'est fait très
vivement et très justement applaudir en jouant, avec un très grand style
et de rares qualités d'exécution et d'expression, diverses œuvres de Bach,
de Wieniawski, de MM. Saint-Saëns et Sarasate, ainsi qu'une Etude de
Chopin, transcrite par lui-même.
— Concerts annoncés. — M. André Bloch, premier prix de piano de cette année
dans la classe de M. Diémer, donne demain lundi un concert à la salle Érard,
avec le concours de M11" Renée du Minil, Marcella Pregi et Renée Langlois, et
de MM. Diémer, Widor et Casella. — M. Léon Delafosse, qui a obtenu un si
beau succès dernièrement aux Concerts du GMtelet, donne un concert, salle
Érard, le jeudi 20 février, avec le concours de M. Colonne et de son orchestre.
— Le 22 février, salle Pleyel, concert avec orchestre donné par Mmo Roger-Miclos,
qui y fera entendre le concerto en ré mineur de Mozart, le concerto en sol mineur
de Saint-Saëns, et des œuvres de Haendel, Beethoven, Chopin, Ch. Lefebvre, Grieg
et Liszt. L'orchestre sera dirigé par M. Ed. Colonne.
NÉCROLOGIE
Nous avons le regret d'annoncer la mort, à l'âge de 86 ans, d'Edmond
Lhuillier, le chansonnier bien connu, qui a écrit et composé pendant
près de soixante-dix ans, puisqu'il n'en avait que dix-sept lorsqu'il pro-
duisit sa première chanson, la Lettre de faire part, et qu'il donnait encore,
il y a quelques semaines à peine, son concert annuel pour faire entendre
ses dernières compositions. On évalue à plus de mille le nombre de ses
chansons et chansonnettes comiques, dont, la plupart du temps, il écrivait
à la fois les paroles et la musique. Ces petits poèmes formaient jadis
une bonne partie du répertoire de Déjazet, d'Achard père, de Levassor
et de Sainte-Foy ; plus tard, il eut pour interprètes Berthelier, MM. Bras-
seur, Fusier, Tervil, puis Mm»s Scriwaneck, Thérésa, Judic, Théo, Mily-
Meyer. On cite, au nombre des plus grands succès obtenus en ce genre
par Edmond Lhuillier : Jean Nicaise, Ce que femme veut, Comment on mène
son mari, Monsieur fait ses visites, C'est ma fille, les Cerises, Nos amateurs,
le Quadrille d'honneur, Sur l'impériale... Il a écrit aussi les paroles et la
musique de deux opérettes de salon : M. et Mme Jean et le Bal de il/11» .Rose.
Fils du général Lhuillier, qui, en qualité d'aide de camp du prince
Eugène de Beauharnais, vice-roi d'Italie, résidait alors en Italie, Edmond
Lhuillier était né. à Milan en novembre 1803 ; il est mort le 9 février,
dans la petite chambre meublée qu'il habitait depuis plus de trente ans
dans le passage de l'Opéra.
— De Christiania on annonce la mort, à l'âge de soixante-dix ans, de
M. Johann-Didric Behrens, le créateur et le propagateur du chant choral
en Norvège. C'est lui qui était venu, lors de l'Exposition universelle de
1878, diriger au Trocadéro les concerts norvégiens. Les funérailles de
Behrens, qui était extraordinairement populaire, ont pris le caractère d'un
deuil national. Une souscription est ouverte dans le but d'élever un
monument à sa mémoire.
— Un chanteur qui connut naguère de nombreux succès, le baryton
Davide Squarcia, fameux en Italie il y a vingt-cinq ans surtout pour la
façon dont il chantait Guillaume Tell, vient de mourir à Fano, sa ville
natale.
— Une violoniste, nommée Glementina Tuhertini, qui, chose assez
singulière et chez nous inusitée, faisait partio de l'orchestre du théâtre
de Bologne, est morte en cette ville, à l'âge de trente-six ans.
-- - Un vétéran du théâtre et de l'art lyrique, Henri de Marchion, s'est
éteint le 17 janvier, à Dresde, à l'âge de 74 ans. C'était un ténor plein
de talent, de verve et d'intelligence, et dont les états [de service ont été
particulièrement brillants. Né à Berlin en 1816, il commença sa carrière
théâtrale en 1848 à Lubeck ; mais ses véritables débuts datent do 1836
alors qu'il entreprit une tournée de concerts avec Henriette Sontag, à
Hambourg, à Prague et à Vienne. Il a fait partie du théâtre de la Cour de
Dresde depuis 1854.
Henri Heugel. directeur-geiant
VIENT DE PARAITRE, chez MM. Maquiït et C1», la partition piano
et chant de Ma Mie Hosetle, le nouvel opéra-comique de MM. Lacome
Prével et Liorat.
- nil'IUMlilUE CI1AIX. — I
3071 — 5l)me ANNEE — IV0 8.
Dimanche 23 Février 1890.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à H. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr.", Paris et Province. — Pour l'Étranger, les Irais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
. Histoire de la seconde salle Favart (50° article), Albert Solbies et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale: Rentrée de M. Lhérie, à l'Opéra-Comique;
les boniments de M. Gailhard, H. Moreno; reprise des Pilules du Diable, au
Châtelet, Paul-Emile Chevalier. — III. Le théâtre à l'Exposition (18" article),
Arthur Pougin. — IV. Revue des Grands Concerts. — V. Nouvelles diverses.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour:
ESPOIR EN DIEU
nouvelle mélodie de J. Faure, poésie de Victor Hugo. — Suivra immé-
diatement : Fleur de neige, nouvelle mélodie de Ambroise Thomas, poésie
de Jules Barbier.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano: Chants du Tyrol, nouvelle polka-mazurka de Heinrich Strobl. —
Suivra immédiatement: Le Menuet de l'Infante, de Paul Rougnon.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Albert SOOBIBS et Charles MALHERBE
CHAPITRE XIII
meyerbeer a l'opéra-comique
l'étoile du nord
1853-1855
(Suite.)
Il n'y a pas de profits sans quelques charges, et l'honneur
d'être un théâtre impérial obligeait parfois l'Opéra-Comique
à subir les caprices qui venaient de haut. Ainsi vit-on re-
présenter par ordre, le 6 juin, Jacqueline, pièce en un acte,
paroles de Léon Battu, musique de MM. d'Osmont et Costé,
jouée déjà une première et unique fois à la salle Ventadour
le 15 mai précédent, au bénéfice de l'œuvre des secours à
domicile. Cette bluette, plus ou moins dérivée de deux pièces
connues alors, le Capitaine Rolland et le Méridien, ressemblait
fort à une comédie de salon. Par ordre signifiait que l'auteur
était bien en cour. L'empereur en effet vint à la première;
mais le public ne vint pas à la seconde, de sorte que la
troisième n'eut jamais lieu
Ce fâcheux début fut suivi d'un autre à peine plus heu-
reux, l'Anneau d'argent, « bergerie » en un acte, paroles de Jules
Barbier et Léon Battu, musique de M. Deffès (5 juillet 1855).
Le livret, que ses auteurs avaient d'abord baptisé la Ferme,
suivant les uns, la Ferme et la Fabrique, suivant les autres, ne
brillait pas par son intérêt. Prix de Rome en 1847, le com-
positeur devait s'estimer heureux qu'on eût enfin songé à
lui; mais le futur directeur du Conservatoire de Toulouse ne
put en ce premier essai donner sa mesure; il avait une re-
vanche à prendre, et, quelques années plus tard, il la prit en
effet avec les Bourguignonnes et le Café du Roi.
Il était écrit qu'en 1855 nulle autre nouveauté que le Chien
du Jardinier ne se maintiendrait debout ; la malchance souf-
flait sur les compositeurs et renversait leurs ouvrages tour à
tour; tous étaient frappés, même les habitués du succès,
Victor Massé, Ambroise Thomas, Auber, et maintenant Mont-
fort avec DeucalionetPyrrha, et Adolphe Adam, avec le Housard
de Berching ; de ces deux pièces, la première, jouée le 8 oc-
tobre, n'avait d'antique que l'étiquette ; c'est Arlequin dont
Michel Carré et Jules Barbier avaient fait le héros dans ce
petit acte, et ils lui avaient prêté une certaine dose de naïveté,
puisqu'à la suite d'une inondation, il croyait déjà au déluge
universel, et, rencontrant, la jeune Coraline, il commentait
avec elle la légende mythologique racontée par Ovide en ses
Métamorphoses et songeait aux moyens de repeupler le monde.
Un mariage était le moyen tout indiqué, et Arlequin se ma-
riait en effet. Ce fut la dernière partition de Montfort, qui
avait commencé par un succès, Polichinelle, et qui finit ainsi
par une chute.
Adolphe Adam échoua de même, le 17 octobre, 1855 avec la
berquinade en deux actes que lui avait fournie son collabo-
rateur Rosier. Ce sergent mystifiant deux vieux avares au
point de les faire, par un escamotage de signatures, s'enrôler
l'un comme soldat, l'autre comme vivandière, et les amenant
à se racheter d'un tel engagement au prix d'une somme
d'argent qui devient la dot de Martin et Rosette, deux amou-
reux pauvres, ce personnage d'opérette, même interprété par
Battaille, ne causa ni gaieté ni émotion. La musique ne put
sauver la pièce, et pourtant Adolphe Adam écrivait, en par-
lant de cette partition, qu'il croyait n'avoir jamais mieux
réussi ! L'auteur est souvent le pire juge de son œuvre I
Victor Massé avait, lui aussi, un faible pour les Saisons, dont
la première représentation fut donnée le 22 décembre 1855.
Il rêvait toujours d'une reprise possible, et c'est avec cet
espoir qu'il avait remanié plus tard les trois actes de Michel
Carré et Jules Barbier, répétés d'abord sous le nom de Simone.
Cependant le premier accueil n'avait pas été favorable; pour-
quoi? c'est ce qu'à distance on ne saurait démêler; car le
livret, qui nous montre une sorte de Mireille avant la lettre, ne
semble pas dénué d'intérêt, et la musique, à coup sur, contient
des pages charmantes. Il y a peut-être là, qui sait 1 un procès
perdu en instance et qui sera quelque jour gagné en appel.
A côté de ces pièces nouvelles et oubliées, il en est d'autres
anciennes qui dans le même temps avaient subi le même sort.
58
LE MENESTREL
Au commencement de ce chapitre, nous établissions, pour
les trois années qu'il embrasse, l'actif de l'Opéra-Comique; il
est juste d'établir ici son passif, c'est-à-dire ce qui a définitive-
ment disparu, soit : un seul parmi les ouvrages donnés de-
puis l'ouverture de la seconde salle Favart, Gille ravisseur ;
quatre parmi les œuvres antérieures à cette date, Adolphe et
Clara, l'Irato, Maison à vendre et Action.
L'anDée 1855 vit, en outre, le départ de quelques artistes
justement réputés, Hermann-Léon, Mmo Miolan-Garvalho ,
Mme Golson. De tels vides devaient être difficilement comblés;
les nouveaux pensionnaires de l'Opéra-Comique étaient :
Mlle Mira, petite-fille du célèbre acteur Brunet, qui débuta le
2 juillet dans Diane des Diamants de la Couronne ; Beckers, qui
débuta le 9 septembre dans Gritzenko de l'Etoile du Nord, et
M"e Henrion-Berthier (2e prix d'opéra, 1er accessit de chant et
d'opéra-comique au concours de 1855), qui débuta le 24 no-
vembre dans Angèle du Domino noir.
Enfin, on ne saurait quitter alors la salle Favart sans
mentionner quelques-unes des soirées qui doivent compter
dans son histoire: le concert spirituel du 7 avril, où fut exé-
cuté, sous la direction de Berlioz, son oratorio l'Enfance du
Christ, précédemment entendu trois fois de suite à la salle
Herz ; la représentation de gala donnée en l'honneur de la
reine d'Angleterre, où Haydée vit pour la circonstance les
chœurs de l'Opéra-Comique doublés par l'adjonction de ceux
du Théâtre-Lyrique ; surtout la représentation gratuite du
•13 septembre, où, pour fêter la prise de Sébastopol, retentit la
célèbre cantate d'Adolphe Adam, Victoire.' C'était une véritable
improvisation. La veille, à trois heures, il n'y avait rien de
prêt; vite on s'adresse à Michel Carré, qui écrit des vers sur-
le-champ; on les porte à Adolphe Adam qui se met au travail
sans plus tarder : avant dix heures du soir la musique était
faite et l'on copiait les parties. Pendant ce temps on brossait
un décor ; on improvisait des costumes ; Faure, Jourdan,
Delaunay-Riquier, Bussine répétaient, et, le soir, la cantate
était si chaleureusement accueillie, que, pendant treize jours,
elle accompagna le spectacle.
Et comment en eùt-il été autrement ! Pour notre patrie,
1855 marquait en effet une année de gloire et de prospérité,
où, au prestige de la première Exposition universelle, s'ajou-
tait celui de nos armes en Crimée. Au moment où nous
écrivons cette histoire, de nouveau une Exposition a brillé.
Mais dans l'intervalle, la fortune a montré hélas! combien le
poète de Victoire s'illusionnait quand il écrivait ces vers, qui,
chantés par les chœurs, étaient applaudis chaque soir ;
0 grande journée, à jamais féconde.
Tu fais notre orgueil! Fais la paix du monde !
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
Petite semaine, semaine de carême ou les événements maigres
l'emportent sur les événements gras. Est-ce au maigre ou au gras
qu'il faut classer la rentiée du baryton Lhérie au bercail de M. Pa-
ravey? Il est certain en tous les cas que le talent de cet excellent
artiste n'est pas ordinaire. Et d'abord, chacun sait cela aujourd'hui,
M. Lhérie, dans les ardeurs de sa prime jeunesse, ne connaissait
pas d'obstacles; les altitudes du registre élevé des ténors n'eurent
pas de mystère pour lui, jusqu'au jour où monté sur le faîte, pris
de vertige sans doute, il aspira à descendre pour se tenir plus
volontiers dans les régions tempérées de l'empire des barytons; mais
sa voix n'en reste pas moins encore comme dorée du soleil dont
elle s'était illuminée sur les sommets d'antan. El c'est là la sin-
gularité de l'artiste: baryton sans doute, puisqu'il l'a voulu, mais
avec des relans vers les hauteurs où il se plaisait jadis.
Et il faut avouer qu'aucun autre rôle mieux que celui de Zampa
ne convient à cette sorte de dualité chez un chanteur. Bien qu'é-
crit pour un ténor, sa tessiture pourtant ne s'élève jamais au point
de devenir inabordable pour un baryton quelque peu ambitieux et ne
craignant pas les escalades à l'occasion. C'est pourquoi on a pu y
applaudir tour à tour M. Victor MaureL. puis M. Soulacroix et en-
fin M. Lhérie, chevaliers de la clé de fa qu'Herold n'avait certai-
nement pas en vue quand il écrivit son chef-d'œuvre.
M. Lhérie n'y a pas moins réussi que ses devanciers, car il ne
leur est pas inférieur en talent. Il a composé le personnage de
façon originale, lui conservant bien son caractère mystérieux et
fantastique. D'autre part le chanteur est habile et ne se laisse ja-
mais prendre sans vert; si une difficulté se présente, il sait la
tourner avec une aisance admirable, et bien malin serait celui qui
découvrirait l'endroit où le blesse la cuirasse d'un rôle qui n'a pas
été tout à fait façonné sur sa mesure. C'est là, en somme, le fin du
métier, et nous étions avec ceux qui ont fait, l'antre soir, à>
M. Lhérie un succès bruyant. Il le méritait. Celui-là est un artiste
assurément, et on les compte aujourd'hui que M. Gailhard s'est
retiré de la partie pour se consacrer uniquement au bonheur et à:
la gloire de notre Académie nationale de musique.
Vite un mot sur les autres interprètes de Zampa, qui faisaient
comme une garde d'honneur à M. Lhérie. Il y avait là Mllc Mèzeray,
une artiste précieuse, puis M110 Chevalier, toujours intelligente, et
l'amusant Grivot, et Barnoll non moins plaisant, et enfin le ténor
Galand, qui soupire fort agréablement la romance. On voit que
M. Paravey ne se fait pas tirer l'oreille quand il s'agit d'entourer
d'une manière brillante le chef-d'œuvre d'un de nos compositeurs
« les plus nationaux ».
MM. Ritt et Gailhard continuent à battre la grosse caisse sur le
dos d'Ascanio, pour essayer d'étouffer les chants de victoire qui leur
arrivent par bouffées du théâtre de la Monnaie de Bruxelles, où les
représentations de Salammbô se poursuivent triomphales. Les nuits
de ces deux gentilshommes ne doivent pas être tranquilles, quand
ils réfléchissent dans l'ombre et dans le silence à toutes les vilenies
dont ils se sont rendus coupables depuis leur court et déjà trop
long règne à l'Opéra. Mais, le jour, ils tentent de s'étourdir et d'étour-
dir les autres. Voici donc le petit boniment qu'a débité cette semaine
notre ami Gailhard, émule des bobèches, sur les tréteaux du journal le
Temps, qui se prête d'ailleurs avec beaucoup de complaisance à ces
petites plaisanteries :
Ascanio, offre, au point de vue de la composition musicale, de nota-
bles différences avec les opéras représentés ordinairement (Boum, boum1
allez, la grosse caisse). On n'y voit pas l'élément dramatique dominer l'œuvre
d'un bout à l'autre. C'est la vie de Benvenuto Cellini qui est représentée,
avec les milieux qu'elle traverse, les jeunes sculpteurs et les jeunes ar-
tistes, leurs plaisanteries, leurs frasques (très bien trouvé pour un simple
Gailhard). Il y a des scènes populaires fort vives : altercations dans la rue,
échange de propos vifs (comme dans le cabinet des directeurs de l'Opéra, quand
ils sont en tête à tête et se reprochent mutuellement leurs méfaits). En même-
temps apparaît la figure de la duchesse d'Etampes, qui amène, avec elle,,
la cour si brillante de François Ier (la mise en scène de MM. Kilt et Gailhard
en donnera une vague idée).
Une intrigue amoureuse parcourt naturellement la pièce et noue le drame
nécessaire (sans amour, saurait-on vivre, S Pedro !) La musique de M. Saint-
Saêns suit exactement les phases si variées du livret, et le tout forme
une sorte de grande comédie lyrique, qui sera d'un effet nouveau à
l'Opéra.
Boum ! Boum ! Entrez, bonnes d'enfants et soldats. P uis M. Aderer,
toujours du Temps, intervient, et demande insidieusement au Barnum
quelles merveilles succéderont à Ascanio, dans un avenir lointain :
— Zaïre, a-t-il répondu, Zaïre de MM, Blau, Besson et de la Nux,
puis le Mage, de MM. Bichepin et Massenet, et le ballet de il. Gastinel....
— Et Salammbô*!
— Salammbô, certainement, sera monté à l'Opéra; mais, malgré notre
désir et vu nos engagements, la belle œuvre de M. Rayer ne pourrait être
représentée que l'année prochaine à Paris.
Ainsi donc, c'est promis; nous aurons Zaïre et Salammbô. Nous
tenons à l'une et à l'autre, à la première, parce qu'il serait d'une in-
justice criante de voir écarter l'œuvre d'un jeune compositeur pour
le punir de sa trop rude franchise dans le récent incident que l'on
sait, à la seconde parce que c'est assez d'avoir exilé do parti pris une
partition do cette haute valeur et qu'il est temps de la rapatrier au
plus vite pour ne pas ajouter encore à la honte des directeurs actuels
de l'Opéra.
Nous avons donc la promesse de Gailhard, à laquelle le pauvre
M. Ritt donnera son adhésion sans aucun doute. Zaïre et Salammbô !
Nous ne nous contenterons pas à moins ; œuvre de justice, d'une
part, œuvre d'honneur de l'autre. Celle promesse, nous la rappelle-
rons à l'occasion.
LE MENESTREL
39
Et Salammbô entraîne naturellement le retour à l'Opéra de H"1'-' Rose
Caron, cette remarquable artiste que M. G-ailhard ne peut pas sen-
tir, quoi qu'il dise aujourd'hui ii ses protecteurs du gouvernement
qui la lui imposent. Il a fallu que M. Gailhard mette les pouces par-
tout et se fasse plus plat que punaise, sous la poussée formidable de
la presse. Elle est donc bonne à quelque chose !
Mais n'est-ce pas pitoyable de voir ces deux puissants directeurs
ne faire de besogne vraiment honnête et artistique qu'à leur corps
défendant et parce qu'ils se sentent menacés de toutes parts ?
Quoi qu'il en soit, s'ils veulent, bon gré, mal gré, suivre le droit
chemin et se décider enfin à faire œuvre d'art, il en est temps en-
core et nous ne leur marchanderons pas notre concours. C'est là toute
la rancune que nous leur gardons.
H. Moreno.
Chatelet. — Les Pilules du Diable, féerie en trois actes et trente ta-
bleaux, de MM. F. Laloue, Anicet-Bourgeois et Laurent.
« Allons, bon ! Voilà les bêtises qui vont recommencer ! » s'écrie
quelque part le joyeux Babilas, et de fait les bêtises ont recommencé,
et cela pour la plus grande joie des babies bien sages dont la
conduite exemplaire aura mérité la faveur d'un spectacle. Je ne sais
à quel nombre de représentations ont dû atteindre déjà, à Paris
seulement, les Pilules du Diable; mais je suis bien certain que ce nom-
bre doit être au moins aussi respectable que le grand âge de Sarab
la Sorcière. MM. Floury et Clèves, qui viennent de se très longue-
ment reposer, ont remonté avec luxe cette féerie classique et, avec
l'aide de leurs décorateurs et costumiers, ont composé un ballet, le
Réveil des Fleurs, qui est de tous points réussi. A signaler aussi de
nombreux couplets nouveaux, dont la facture élégante révèle la main
experte d'un poète qui a voulu rester masqué dans la coulisse. Il a
travaillé, là eûcore, pour le bonheur des Enfants, mais cette fois
sans la musique de M. Massenet. C'est M. Scipion qui est chargé
du i ôle de Seringuinos, et il s'en acquitte le plus joyeusement du
monde, bien secondé par MM. Chameroy, A. Lévy, Lérand et Boéjat.
— Mlle Lantelme personnifie la Folie et lait superbement valoir ses
nombreux costumes. MUos Wittmann et Germaine forment un agréable
petit couple d'amoureux et M110 Miroir se brise consciencieusement
la voix et la taille pour représenter la vieille fée. La Mouche d'or
ne s'appelle plus Mlle Jïnea, mais bien MUe Precioza; si le nom a
changé, les exercices restent les mêmes et demeurent toujours aussi
gracieux.
Paul-Émile Chevalier.
LE THÉÂTRE A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889
ARCHITECTURE ET MACHINERIE THEATRALES
(Suite)
De l'architecture théâtrale nous allons, avec une cinquième ma-
quette, passer à la machinerie. Dans un autre ordre d'idées, celle-ci
n'offre pas un moindre intérêt , et cet intérêt se double du
•caractère en quelque sorte mystérieux qu'elle revêt à l'égard de
ceux — et le nombre en est grand — qui n'ont pas eu l'occasion de
se familiariser avec le plancher scénique et qui du théâtre ne con-
naissent que la partie située en dehors de la rampe, autrement dit
la salle. Cette nouvelle maquette nous présente donc, non plus la
reproduction réduite d'un de nos anciens théâtres, mais un modèle,
extrêmement curieux et d'une fidélité scrupuleuse, de machinerie
théâtrale telle qu'on la comprenait jadis. Il portait l'indication que
voici : « Machinerie théâtrale (xvne-xvme siècle). Modèle construit
par M. C. Philippon, sous-chef machiniste à l'Opéra. » Ce petit
chef-d'oeuvre (le mot n'a rien d'excessif) a été établi d'après un
dessin inspiré lui-même par les gravures de l'Encyclopédie, dont on
connaît la précision et l'exactitude. Il n'est plus ici question de
salle ni de public : en nous plaçant devant cette maquette, nous
formons en réalité nous-même le public, nous sommes eomme le
spectateur assis dans sa stalle, et nous avons devant les yeux, le
rideau étant levé et le décor équipé (ce qui veut dire en place), la
scène d'un grand théâtre machiné, dont on a découvert à notre
intention, pour nous les montrer en même temps, les dessus et les
dessous. C'est-à-dire qu'avec le théâtre proprement dit, nous voyons
en haut, le cintre, et en bas, le premier et le second dessous, soit
les deux étages qui s'enfoncent sous la scène, avec tous les engins
qu'ils renferment et qui servent à la manœuvre des décors : treuils,
chariots, faux-châssis, cordages et le reste, chacun à sa place et
prêt à remplir son office.
Beaucoup moins compliqué que celui qui est en usage aujourd'hui,
le système de décoration employé aux deux derniers siècles était non
seulement simple, mais uniforme. Les procédés ne variaient guère,
par conséquent, en ce qui concernait la machinerie, et le change-
ment des décors s'opérait toujours de la même façon. M. Ch. Nuitter.
l'excellent archiviste de l'Opéra, qui a été l'un des agents d'organi-
sation les plus actifs de l'exposition théâtrale du Champ de Mars,
l'a rappelé brièvement en un article publié à ce sujet dans le Journal
officiel et auquel j'emprunte ces quelques renseignements :
... Les décors en eux-mêmes étaient peu compliqués et d'une plantation
toujours uniforme. La perspective en était régulièrement établie d'après
un point central placé au fond du théâtre. Les châssis (de coulisses) di-
minuaient progressivement de grandeur, au point d'avoir à peine deux
mètres de haut aux derniers plans. Que l'on représentât un paysage ou
un palais, c'était la même symétrie, et au fond, rétréci et abaissé, ce
n'était même pas un rideau, c'est un simple châssis qui fermait la déco-
ration.
Avec ces décors dont le poids était peu considérable, le système de ma-
chinerie pour opérer les changements à vue était ingénieux et d'une
extrême simplicité. Il a été reproduit très exactement par M. Philippon,
■sous-chef machiniste de l'Opéra, d'après un dessin conservé aux Archi-
ves nationales. Ce modèle en menuiserie, muni de ses cordages et de ses
machines, nous montre, à une échelle de quatre centimètres pour mèlre,
ce qu'était au dix-huitième siècle la machinerie de l'Académie royale de
musique. A chaque plan et de chaque côté sont installés deux faux-châs-
sis destinés à porter les décorations ; un treuil placé dans le dessous fait
avancer l'un de ces faux-chàssis en même temps qu'il fait reculer l'autre.
Celui qui a reculé est revêtu dans la coulisse d'une nouvelle décoration
et tout prêt à reparaître au signal, par un mouvement contraire, quand
un nouveau tour de treuil fera reculer à son tour celui qui a avancé. Ce
mouvement de va-et-vient, se reproduisant dans les dessus, faisait alter-
nativement descendre et monter les plafonds et suffisait pour produire des
changements à vue complets. C'est ainsi qu'à l'Académie de musique les
opéras ont pu se jouer, depuis l'origine jusqu'à la Restauration, sans que
l'on baissât le rideau. Il n'y avait de véritable entr'acte qu'entre l'opéra
et le ballet. La Muette de Porlici, représentée en 1828, fut le dernier ou-
vrage auquel on appliqua ce système.
Il y a loin de là aux « plantations » irrégulières et étonnamment
compliquées que l'on voit aujourd'hui , doublées de praticables de
toutes sortes, comme celles, par exemple, que nous offrent le qua-
trième acte de Faust, le premier acte de Patrie, et particulièrement
le troisième acte du Tribut de Zamora. Ce n'est pas, cependant, que
certains essais n'aient été tentés en ce sens, et avec un grand succès.
Il y a plus de cent cinquante ans, Servandoni, dans son Spectacle
en décoration si justement célèbre et que je signalais tout à l'heure,
voire même à l'Opéra, avait fait preuve sous ce rapport d'une
o-rande initiative, et, pour varier les effets, s'était efforcé de com-
battre la régularité dont on ne se départait guère alors. Pour cela,
il imagina de présenter des perspectives obliques, en même temps
qu'il donnait plus d'élévation aux seconds plans, de façon à faire
deviner au spectateur les parties de la construction qu'il ne voyait
pas, et à produire, sur un espace restreint, une impression de gran-
deur impossible à obtenir avec les décors tels qu'on les comprenait
en France à cette époque. Mais l'exemple de Servandoni ne fut pas
suivi, du moins chez nous, et les mêmes errements se perpétuèrent.
Pour le décor, comme pour le costume, il faut arriver à la période
du romantisme pour voir l'effort de tous briser les anciennes cou-
tumes et rechercher le naturel et la vérité par tous les moyens pos-
sibles.
Revenons-en à la maquette charmante de M. Philippon, qui nous
montre la scène de l'Opéra dans l'état où elle était il y a cent cin-
quante ou deux cents ans, avec ses sept plans réguliers, et tout son
matériel de machinerie, fonctionnant là comme sur un vrai théâtre.
Ce modèle est exécuté avec tant de soin, de délicatesse et de préci-
sion, qu'en le visitant de nouveau aux Archives de l'Opéra, où il est
aujourd'hui déposé, j'ai pu, en faisant avec un doigt tourner le treuil
placé dans le premier dessous, faire manœuvrer le système et opé-
rer le changement de décor (1). On ne saurait adresser trop d'éloges
(1) Les cinq maquettes dont je viens de donner la description ont pris
place aujourd'hui aux archives de l'Opéra, ainsi que les trente-six maquettes
de décors qui entouraient la rotonde de l'exposition théâtrale et qui à
cette heure ont fait retour dans leurs tiroirs. En effet, les maquettes, au
nombre de près de deux cents, qui représentent en ce moment la collec-
tion complète des décors faits à l'Opéra depuis l'inauguration de la nou-
velle salle du boulevard des Capucines, peuvent se replier sur elles-mêmes
et, sans crainte de détérioration, être emmagasinées dans des tiroirs ; on
60
LE MENESTREL
à l'auteur de ce petit travail, qui y a fait preuve d'autant de goùl et
de savoir que de patience et d'exactitude.
Pour terminer ce qui concerne cette partie si neuve et si intéres-
sante de l'exposition théâtrale, je n'ai plus à signaler qu'une der-
nière maquette, et celle-ci n'est que celle d'un décor, semblable à
toutes celles dont j'ai eu l'occasion de parler précédemment. Mais
ce décor est absolument adorable, ei il nous reporte à plus de deux
cents ans, car celte maquetle était ainsi signalée : « Décor de
Psyché, tragi-comédie de Molière, Corneille et Quinault ('1671), exé-
cuté pour la reprise de 1684 à l'hôtel de Guénégaud, par Joachim
Pizzochi. » Ce Pizzochi, qui était assurément un artiste de talent,
avait construit ce décor d'après les données précédemment établies
par son célèbre compatriote Vigarani ; au point de vue de l'agence-
ment et de l'effet, c'est un vrai chef-d'œuvre, plein de grâce et de
poésie, et d'une couleur charmante. La maquette qui le reproduit
appartient à la Comédie-Française, et a pris place aujourd'hui dans
ses archives.
(A suivre.) Arthur Pougin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
« La symphonie en ut mineur, la plus célèbre de toutes, sans con-
tredit, est aussi la première, selon nous, dans laquelle Beethoven ait
donné carrière à sa vaste imagination sans piendre pour guide ou pour
appui une pensée étrangère... Elle nous parait émaner directement et
uniquement du génie de Beethoven; c'est sa pensée intime qu'il y va
développer; ses douleurs secrètes, ses colères concentrées, ses rêveries
pleines d'un accablement si triste, ses visions nocturnes, ses élans d'en-
thousiasme en fourniront le sujet; et les formes de la mélodie, de l'har-
monie, du rythme et de l'instrumentation s'y montreront aussi essentielle-
ment individuelles et neuves que douées de puissance et de noblesse. »
C'est ainsi que Berlioz, dans son analyse si intéressante et si substantielle
des symphonies de Beethoven, résume son impresssion au sujet de la
symphonie en ut mineur, qui ouvrait le dernier programme de la Société
des concerts du Conservatoire. La glose est si abondante aujourd'hui, en
tous pays, sur ces poèmes admirables, qu'il est bien difficile de trouver
quelque chose de nouveau à dire sur l'un ou sur l'autre. Je ne l'essaiera:
pas en ce qui concerne la symphonie en ut mineur, dont on nous a
donné, cette fois encore, une exécution viaiment incomparable. 11 n'y a
qu'un mot au sujet d'un tel chef-d'œuvre et d'une telle interprétation, le
mot : admirable, et j'emploie celui-là parce que je n'en connais pas de
plus expressif et de plus complet. — Nous avons eu, après la symphonie,
le troisième concerto de piano (en ut) de M. Georges Pfeiffer, exécuté par
Mme Roger-Miclos, composition fort intéressante, digne du renom de son'
auteur, et dont le troisième morceau est d'un rythme plein de grâce et
d'élégance. Si j'ai bonne souvenance, ce concerto a été exécuté pour la
première fois par Mme Roger-Miclos, il y a une dizaine d'années, aux
Concerts populaires du regretté Pasdeloup. On connait le jeu élégant et
fin de l'aimable virtuose, et sa grâce délicate ; ce qui lui manque, c'est la
sonorité brillante, c'est l'éclat et la grandeur, c'est surtout la solidité du
style. Elle n'en a pas moins obtenu, par ses qualités réelles, un succès
flatteur. — La grande nouveauté du programme, c'était la belle scène
finale du troisième acte des Maîtres Chanteurs, de Richard Wagner, que
la Société nous a fait entendre dans son intégralité et qui comprenait
par conséquent la valse, la marche des corporations, le choral, tout
l'épisode du tournoi et le superbe chœur qui suit. Je n'ai pas à faire ici
l'éloge de ce fragment magistral et noblement inspiré d'une1 œuvre dont
je réprouve d'une façon absolue les tendances générales, mais qui,
comme toutes celles de Wagner, renferme des pages d'une incomparable
beauté. Le public du Conservatoire l'a accueilli avec sympathie, mais sans
les aboiements d'enthousiasme auxquels se livrent dans d'autres milieux
en distrait seulement quelques-unes, une douzaine environ, qui sont
journellement exposées au musée attenant à la bibliothèque publique.
Quant aux maquettes de théâtres, qui sont de véritables petites construc-
tions en miniature, elles doivent forcément rester dans leur état naturel.
Mais pourquoi ne les introduirait-on pas au musée, au lieu de les laisser
dans les combles du monument, où la poussière et le manque de soins
les mettront vite en un piteux état? Leur transport du Champ de Mars à
l'Opéra, fait sans doute dans des conditions peu favorables de trop grande
rapidité, n'a pas été sans causer à une ou deux d'entre elles quelques
avaries; le mal n'est pas grand toutefois, et serait facilement réparable.
Mais puisqu'on s'est donné tant de peine pour faire une besogne si inté-
ressante, puisqu'on a dépensé tant d'intelligence pour reconstituer avec
un rare bonheur des documents matériels dignes d'un si vif intérêt et
dont l'utilité historique n'a pas besoin d'être démontrée, je demande
encore qu'on leur donne place au musée, qui ne saurait rien contenir de
plus précieux et de plus véritablement curieux. 11 est certain qu'en aucun
autre pays on ne saurait trouver quelque chose d'analogue. C'est une rai-
son pour en faire montre et ne le point cacher.
certains énergumènes. L'exécution générale, cette première fois, manquait
encore un peu de fondu et de fini, ce qui n'a certes rien d'extraordinaire, et.
peut-être certains mouvements manquaient-ils un peu d'élan et de cha-
leur ; l'ensemble, néanmoins, était très satisfaisant. Les soli étaient chantés
par M. Engel (Walther), qui a été fort remarquable, M. Soulacroix
(Beckmesser), dont le rôle était ici bien effacé et qui avait fait, à
Bruxelles, une si belle création de ce personnage curieux, enlin M. Auguez
(Haps Sachs), qui, malgré tout son talent, n'a pas pu donner a sa voix le
mordant et le métal nécessaires. En résumé, c'est une tentative fort
intéressante qn'a faite là la Société des concerts. — La séance s'est digne-
ment terminée par la noble ouverture de Rmj Blas, de Mendelssohn.
Arthur Pougin.
— Concerts Lamourbux. — Le seizième concert de M. Lamoureux débu-
tait par la belle ouverture du Yaisscau-Faniôme, une des premières et des
plus franches inspirations de Wagner. L'exécution a été fort belle; il
nous a semblé, cependant, que les instruments à cordes étaient trop
souvent couverts par les instruments à vent ; cela tient peut-être à
l'acoutisque de la salle et à la disposition de l'orchestre. Dans la par-
tition de Roméo et Juliette, de Berlioz, que M. Colonne nous avait fait en-
tendre, il y a quelques années, dans toute son intégrité, M. Lamoureux a
choisi trois fragments pour orchestre seul : le premier morceau n'est pas
le meilleur de la partition; il est gâté par la coda (Concert et Bal), dont le
sujet est trivial et traité d'une façon quelque peu banale. La Scène d'amour
est, au contraire, admirable d'un bout à l'autre ; on ne peut rien conce-
voir de plus pénétrant et de plus grandiose. Le scherzo de la Reine Mab a
eu un prodigieux succès. Il prêtait à un rapprochement curieux avec le
scherzo du Songe d'une Nuit d'Eté, de Mendelssohn. Ces deux morceaux
appartiennent au même ordre d'idées et sont traités l'un et l'autre avec
une inconcevable sûreté de main. Seulement, on y voit la différence des
deux tempéraments. Berlioz n'avait pas la mélodie facile; sauf quelques
échappées où il se montre le rival de Gluck (comme, par exemple, dans
l'Invocation à la nature, le duo de Faust), il ne trouve trop souvent que
des idées qui, dans leur nudité, sembleraient banales, mais qu'il relève
en les traitant avec toutes les ressources de son merveilleux savoir-faire.
Le scherzo de la Reine Mab excite une curiosité indicible : on y entend
les murmures les plus étranges et les plus doux, c'est un fourmillement
d'ailes, ce sont des harmonies exquises ; mais la mélodie n'y coule pas
de source, tandis que, dans le scherzo de Mendelssohn, elle coule à pleins
bords, ce n'est même qu'une mélodie d'un bout à l'autre, et voilà pour-
quoi le scherzo de Mendelssohn est supérieur à celui de Berlioz, qui
n'en est pas moins un chef-d'œuvre. Berlioz a su décrire les « murmures
de la forêt » bien autrement que Wagner et, du scherzo de la Reine Mib
au fragment célèbre de Siegfried, il y a la différence d'un fil de la Vierge
au câble le plus grossier. Le reste du concert était des plus variés.
M. Lamoureux a été gracieux pour tout le monde : à ceux qui aiment à
voir naître le jour, il a offert le Lever de Soleil de M. Chaumet, œuvre très
colorée, dans laquelle nous avons pu critiquer légèrement le procédé,
mais qui est l'œuvre d'un artiste de grand talent; à ceux qui ne détestent
pas le petit mot pour rire dans les arts, la Marche joyeuse de M. Emmanuel
Chabrier, un musicien de valeur, mais à surprises; aux âmes affamées
d'idéal et désenchantées des mélodies de ce monde, le prélude de Parsifal;
enfin, à ceux qui se préparaient aux délices du mardi-gras, l'ouverture
du Carnaval romain, de Berlioz, une des pages les plus mouvementées et
des mieux réussies de ce maître français. Nous le répétons, on ne saurait
être plus aimable. Le public a, du reste, manifesté son entière satisfac-
tion par les bravos les plus enthousiastes. H. Barbedette.
— Société nationale. — Le 200e concert a eu lieu samedi 1b février.
La maison Pleyel l'a fêté galamment par une abondance de fleurs dis-
tribuées à toutes les sociétaires présentes. A part cela, la séance ne se
se distinguait pas des autres, et lé programme était composé dans le
même esprit que ceux des séances ordinaires. On a commencé par le
trio en ré mineur de Schumann et terminé par le trio en sol mineur de
M. Ernest Chausson. Cette dernière œuvre est déjà ancienne, et je crois
bien ne pas me tromper en assurant l'avoir entendue il y a près de dix
ans : elle date donc de la toute première jeunesse du compositeur; et, à
en juger par certains développements exagérés ou malhabiles, par une
tension constante et l'emploi de certaines formules dérivant directement
de Wagner ou de M. César Franck, il apparaît qu'en effet l'auteur, lors-
qu'il l'a écrite, n'était pas encore en la pleine possession de sa person-
nalité. Cette personnalité s'accuse néanmoins, et d'une façon très vive,
par le caractère et l'expression intense des éléments mis en œuvre, révé-
lant un tempérament plus porté à l'expression des sentiments intimes et
profonds qu'aux petits détails de forme extérieure, et des tendances d'une
rare élévation. Les variations pour piano de M. Chevillard, exécutées par
l'auteur, sont d'une facture fort intéressante, avec des développements
symphoniques qui dénotent une connaissance approfondie des ressources
de l'instrument et dans lesquels, malgré les difficultés et la monotonie
inhérentes au genre, l'intérêt se soutient et se renouvelle constamment.
L'on a exécuté encore deux pièces en trio de Mmo de Grandval, Andante
et Intermezzo, puis des morceaux de piano de MM. Saint-Saéns, Fauré et
P. Lacombc, et deux mélodies, d'une idéale poésie, de M. Fauré, qu'a
interprétées avec un graud sentiment et une voix très bien posée une
jeune cantatrice dont le programme ne donnait que les initiales, M"0 Th. R.
Quant aux deux mélodies de M. Julien Tiersot : A Fanmj, sur des vers
LE MENESTREL
(il
d'André Ghënier, et une Aubade provençale, chantées l'une et l'autre par
l'auteur (ténorisant, encore qu'enrhumé), je suis le dernier, on vérité,
qui puisse exprimer une opinion sur ces choses. Au reste, je n'en ai
aucune. — J. T.
Concerts et musique de chambre. — MM. Pugno, Viardot et Casella
viennent de donner une troisième séance de musique de chambre. Les
noms seuls de ces artistes prouvent que l'interprétation du trio en ut
de Raff, la première œuvre inscrite au programme, a été de tous points
excellente. M. X. Leroux, qui se sert en habile virtuose du clavecin, a
joué avec M. Paul Yiardot une sonate de Mozart dont l'effet a été tout à
fait agréable. Mais le succès de la soirée a été pour Mmu Leroux-Ribeyre,
qui a chanté avec le charme le plus exquis une fort belle mélodie de son
mari, la Nuit, deux lieder de Grieg, et qui a déployé des qualités surpre-
nantes de virtuosité dans une valse d'après Chopin de I. Philipp, laquelle a
été bissée. Le beau quintette de M. César Franck terminait le concert. —
A la cinquième séance de M. Lefort on a entendu le quatuor avec piano
de Beethoven, fort bien exécuté par Mme Roger-Miclos, MM. Lefort,
Casella et Giannini, et le sextuor à cordes de M. Alary, mentionné dans
nos précédentes notes. M110 Fanny Lépine, très en voix, a dit de Ja façon
la plus délicieuse Brises du soir et Pourquoi ? (bissé), mélodies extraites
des Soirs d'été, un court poème, petit chef-d'œuvre plein de fraîcheur, de
finesse. et de distinction, de M. Ch.-M. Widor. — Le même soir, M. A.
Reitlinger donnait, chez Érard, un concert dont nous avons pu entendre
la seconde partie. M. Reitlinger possédé un jeu sympathique, un style
souple et une remarquable technique : il l'a démontré en jouant supérieu-
rement plusieurs œuvres de Schumann, Liszt et Saint-Saëns. — Deux
jennes pianistes, MM. Risler et Bloch, élèves de M. Diémer, ont donné
cette semaine un premier concert. M. Risler a un jeu coloré, chaud, net,
qui n'exclut pas les finesses de style. Il s'est fait vivement applaudir dans
diverses compositions de Lisz', de MM. Diémer et Dubois, et dans le
gracieux scherzo à deux pianos, la dernière œuvre de M. Saint-Saëns,
joué avec son maître. — M. Bloch, qui a, lui aussi, des qualités incontes-
tables de pianiste, a joué avec talent le Concertstiick de M.L. Diémer, un
allegro de M. Guiraud et une polonaise de M. Godard. M. Casella lui prê-
tait son précieux concours et a interprété deux pièces de M. Thomé,
avec ce jeu si élégant, si senti, qui en font un des maîtres du violoncelle.
I. PllIUPP.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire ; Symphonie en ut mineur (Beethoven) ; troisième concerto
pour piano (Pfeiffer), par Mme Roger-Miclos ; les Maîtres Chanteurs, scène
finale du troisième acte (R. "Wagner), par M. Engel (Walther), M. Soula-
croix (Beckmesser), M. Auguez (Hans Sachs); ouverture de Ruy Blas
(Mendelssohn). Le concert sera dirigé par M. J. Garcin.
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux : Symphonie en /«(Bee-
thoven) ; ballade symphonique (Chevillard) ; concerto en la pour piano
(Liszt), par M"10 Sophie Menter ; fragments de Roméo et Juliette (Berlioz) ;
prélude du troisième acte de Tristan et Iseult (Wagner) ; Joyeuse Marche
(Charmer).
Chàtelet, concert Colonne : Ouverture du Roi d'Ys (Lalo) ; symphonie
en sol (Haydn) ; Marche héroïque (Saint-Saëns) ; Psyché, première audition
(César Franck) ; fragment du septuor (Beethoven).
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Le projet relatif au Mozart-Feslpielhaus de Salzbourg, dont nous avons
parlé, n'est pas sans inquiéter quelque peu les journaux wagnériens. Rs
Tedoutent pour l'avenir de Beyreuth cette concurrence inattendue et ont
commencé contre elle une campagne active. De son côté, le comité inter-
national nommé pour administrer le Mozarteum se met à l'œuvre avec
ardeur. On s'est déjà mis d'accord sur les points suivants : Le nouveau
temple musical s'élèvera sur la colline du Moine (Mônchsberg). La salle
de spectacle sera aménagée pour recevoir de quinze à dix-huit cents au-
diteurs et pourvue, ainsi que la scène, de tous les perfectionnements
récents. Les frais de construction sont évalués à environ un million de
francs ; chaque cycle de vingt représentations entraînera 37b, 000 francs
de frais généraux, mais pourra rapporter 780,000 francs. L'entreprise sera
ultérieurement transformée en une société par actions. En ce qui touche
la partie artistique, il a été décidé qu'indépendamment des opéras de
Mozart on montera d'autres chefs-d'œuvre de différentes écoles, ainsi que
certains ouvrages de Wagner. On compte inaugurer le nouveau Festpielhaus
dans le courant de l'année prochaine, avec la Flûte enchantée.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Lembeho : le théâtre national
polonais vient de représenter avec succès une nouvelle opérette, les Petits
Chats, de M. Hugo Félix, pseudonyme sous lequel se cache un amateur
de Vienne. Mayence : Roméo et Juliette, de M. Gounod, a effectué, le 30
janvier, sa première représentation au théâtre municipal et y a remporté
un brillant succès. Munich : le théâtre de la Cour a donné, le 31 janvier
le Vaisseau-Fantôme, de Wagner, pour la centième fois. La première re-
présentation de cet opéra avait eu lieu le 4 décembre 1864, sous la direc-
tion do l'auteur. Pesth : au Théâtre national hongrois, heureuse réussite
d'une opérette nouvelle en 3 actes, Pépita, du compositeur Bêla Ilegyi.
On dit le livret amusant et la musique entraînante.
— Le tribunal civil de Dresde vient d'être appelé à se prononcer sur
un cas assez original. Il s'agissait de décider si le plaignant, un chanteur
du nom de Kiefer, est une basse ou un baryton ! Voici les faits : Il y a
quelques années, M. Kiefer, — qui depuis s'est produit avec succès dans
les concerts de Dresde, — se présenta chez les professeurs Wullner et
Stolzenberg pour connaître leur avis sur ses facultés vocales. Des deux
côtés, on lui assura qu'il disposait de moyens suffisants pour tenir l'em-
ploi des basses. M. Kiefer ne se tint pas pour suffisamment édifié et
s'adressa à un professeur de Dresde, M. Armin von Bôhme, qui lui dé-
clara que sa voix n'était pas celle d'une basse, mais bien celle d'un
baryton. Ce témoignage parut à M. Kiefer plus digne de foi et il suivit
les " leçons de M. von Bôhme, s'engageant à les lui payer à raison de
dix marks. Cinq cent quatre-vingts leçons furent prises par M. Kiefer,
qui. de ce chef, devint débiteur envers M. von Bôhme de la somme de
5,800 marks. Il y eut désaccord au sujet du règlement. Un procès s'en-
suivit, et M. Kiefer fut condamné à payer à M. von Bôhme 800 marks en
tout, pour prix do son enseignement. Pourtant M. Kiefer déclara qu'il
était prêt à ajouter 3,000 marks à cette somme, s'il réussissait, avec l'ins-
truction que lui avait donnée M. von Bôhme, à obtenir un engagement
de chanteur dramatique. Ce vœu ne se réalisa pas, malgré tous les efforts
de M. Kiefer. Partout il reçut la même réponse : « Vous n'êtes pas un
baryton, mais une basse. » Au comble de la perplexité, notre chanteur
s'en fut auprès du directeur général de musique, le conseiller royal Schuch,
qui, sans hésiter, lui certifia qu'il avait une voix de basse, nettement
caractérisée. Cette appréciation reçut la confirmation d'une autre autorité
musicale, le professeur G. Scharfe. M. Kiefer se décida alors à poursuivre
son ex-professeur. Il fit valoir que par suite de la fausse direction donnée
à ses études vocales', sa voix avait été forcée hors de son registre naturel,
et développée à l'aigu alors qu'elle devrait l'être au grave. Il estime qu'il
lui faudra, pour désapprendre, le même temps qu'il a passé à apprendre,
et qu'en outre un nouvel enseignement, plus en rapport avec ses moyens
vocaux, lui coûtera une somme égale à celle qui lui a été réclamée. En
conséquence, il demande : 1° l'annulation de son contrat envers M. von
Bôhme, 2° le payement par celui-ci de 4,500 marks de dommages-intérêts
et d'une autre somme de 2,000 marks comme compensation pour le temps
perdu pendant vingt mois, qu'il va lui falloir consacrer à de nouvelles
études, sans pouvoir rien gagner. Avant de rendre son jugement, le tri-
bunal a décidé d'entendre des avis compétents et il a fait appeler les
professeurs Dr Wullner, Stolzenberg et Werman. L'affaire en est là.
— Toujours des jubilés. La Société philharmonique de Pesth acélébré,
le 15 janvier dernier, le jubilé de son centième concert. Le premier de
ces concerts avait eu lieu le 11 novembre 1875, et il était dirigé, comme
celui-ci, parle chef d'orchestre Alexandre Erkel. Dans l'ensemble de ces
cent séances musicales, la Société a exécuté 78 ouvertures, 190 sympho-
nies, poèmes symphoniques, suites, rapsodies et divers autres morceaux
pour orchestre, 51 morceaux de chant, 28 compositions pour le piano,
17 pour le violon et 4 pour le violoncelle ; enfin, elle a fait entendre 7 fois
le Requiem de Verdi, 3 fois le Requiem de Berlioz et une fois la Messe en
si mineur de Jean-Sébastien Bach.
— On nous écrit de Leipzig : « Au 17° concert du Gewandhaus, M. Paul
Taffanel, de Paris, a obtenu un succès extraordinaire. Le public de ces
concerts célèbres, très sévère et presque toujours un peu froid et rigide,
a été électrisé par le jeu admirable de cet éminent artiste. L'auditoire a
été ravi par son exquise exécution du concerto de Mozart et par la gen-
tillesse de trois charmants morceaux de M. Godard. Les applaudissements
semblaient ne vouloir pas cesser, et la salle entière était enthousiasmée
par le jeu de M. Taffanel, qui est certainement, et sous tous les rapports,
supérieur à tous les flûtistes que nous avons entendus ici depuis quarante
années. »
— A Saint-Pétersbourg on a vendu récemment aux enchères le théâtre
Panaieff, qui jusqu'ici n'a pas été très heureux. Sur une mise à prix de
100 000 roubles, les enchères sont montées jusqu'à 300,000. Le théâtre a
été 'adjugé pour cette somme à une dame Hunter. — La troupe d'opéra
italien qui devait se rendre prochainement à Saint-Pétersbourg avec le
ténor Masini, n'ira décidément pas; elle sera remplacée par la compagnie
dramatique du célèbre tragédien Ernesto Rossi. — Pendant le carême, on
entendra à Saint Pétersbourg la Damnation de Faust, de Berlioz, et le Re-
quiem de Verdi, exécutés par les chanteurs et l'orchestre de l'Opéra
impérial.
— A. Saint-Pétersbourg, dit le Mondo artistico, la cassette de l'empereur
subventionnait, outre le théâtre de l'Opéra russe, le théâtre de l'Opéra ita-
lien, celui de la comédie allemande et celui de la comédie française. On
a d'abord supprimé l'Opéra italien, sous le prétexte qu'on n'avait plus de
théâtre pour l'abriter, et voici que maintenant on supprime aussi la comé-
die allemande à partir du mois de mai prochain. — D'où il résulte qu'il
n'y a plus là-bas, en fait de grands théâtres, que l'opéra russe etla comédio
française.
62
LE MENESTREL
— Nous recevons d'Amsterdam la dépèche suivante : — « Mllc Sigrid
Arnoldson, le rossignol suédois, donnait hier, au grand Théâtre-Royal,
une. seule grande représentation extraordinaire. Depuis Adelina Patti,
jamais succès pareil ne s'était vu à Amsterdam. La jeune diva chantait
Lakmé. Ovations sans fin, air des clochettes hissé, 2o rappels, flot de
couronnes et de bouquets. Malgré l'augmentation considérable du prix des
places, on avait refusé plus de 500 personnes. MUe Arnoldson chantera
encore cette saison à Vienne, Florence, Milan et Rome, et au printemps
ira à Londres. » Nous apprenons d'autre part que le chiffre de la recette
s'est élevé à 11,840 francs.
— Autre dépêche d'Amsterdam, d'un caractère plus fâcheux: — «Ce
matin, à cinq heures, un incendie a éclaté au théâtre communal d'Am-
sterdam. A huit heures, le théâtre ne formait plus qu'un brasier. La bi-
bliothèque, les décors, tout a été détruit. Jusqu'à présent on ne signale
aucun accident de personne. »
— A la Scala de Milan, où les Maîtres Chanteurs ont si bien fait le vide
dans la salle et où Simon Boccanegra n'a pas réussi à ramener le public,
Vimpresa a du, M. Sonzogno se refusant toujours à laisser jouer le Roi d'Ys,
se rejeter sur le Barbier, flanqué du ballet Pietro Micca. Les spectateurs
trouvent ce régime maigre. A San Carlo de Naples, la situation n'est pas
meilleure; le baryton Fumagalli a rompu son engagement, et la prima
donna Elena Teriane menaçait d'en faire autant, la direction ayant voulu
l'obliger à accepter une réduction d'appointements; celle-ci a dû mettre
les pouces pour conserver l'artiste. Dans d'autres villes les choses vont
plus mal encore. A Bari, la direction est en faillite, et les artistes se
sont constitués en société pour terminer la saison. Enfin, à Trieste, un
fort noyau d'abonnés a déclaré ne pas vouloir payer la seconde moitié de
l'abonnement si Vimpresario Piontelli ne se décidait pas à améliorer sa
troupe, considérée comme absolument insuffisante. Décidément, la crise
théâtrale est intense chez nos voisins.
— A mettre en regard de l'éclatant fiasco des Maîtres Chanteurs à Milan,
l'insuccès complet que vient d'obtenir à Rome Lohengrin, insuccès cons-
taté par toute la presse romaine et qui a arrêté net les représentations de
l'opéra de Wagner. Celui-ci était pourtant chanté cette fois, à l'Argentina,
par une réunion d'artistes qui ont fait leurs preuves et qui comptent parmi
les meilleurs que l'on connaisse en Italie, à savoir MmK Bellincioni et
Fursh-Madi, le ténor Stagno, MM. Pini-Corsi, Wulmann et Berardi. On
dit, il est vrai, que les chœurs et l'orchestre ont été déplorables, et les
■wagnériens gallophobes de là-bas s'empressent de les rendre responsables
de tout le mal.
— Première représentation à Turin de Loreley, opéra nouveau de M. Ca-
talani, chanté, pour les rôles principaux, par Mme Ferni-Germano, le té-
nor Durot et un débutant du nom de Dexter. L'accueil a été très froid de
la part du public, bien que selon la critique l'œuvre du compositeur soit
tout à fait remarquable.
— AVérone est mort, à l'âge de 74 ans, le compositenr Alessandro Sala.
Né à Valeggio et venu fort jeune à Vérone, il avait été, pour le piano et
l'harmonie, l'élève de Domenico l'oroni, et devint un excellent organiste
en même temps qu'un pianiste remarquable. Il se produisit à la scène
avec deux opéras : l'un, Gineora di Monnaie, donné au Théâtre Philhar-
monique de Vérone en 1857, l'autre, Bice Alighieri, représenté au Théâtre
Ristori, de la même ville, en 1865, et qui obtint quatorze représentations.
Il ne put jamais réussir pourtant à 'faire jouer un troisième ouvrage :
VVsurio in trappola. On connaît encore de cet artiste une Trilogie sympho-
nigue couronnée en 1881 à l'Exposition musicale de Milan, une Messe
funèbre écrite pour le 25e anniversaire de la mort du roi Charles-Albert
une Messe solennelle, un Miserere exécuté à Vérone en 1878, une Élégie
pour la mort de Victor-Emmanuel, et enfin beaucoup d'autres composi-
tions pour le chant, pour le piano et pour l'orchestre. Sala s'est fait
connaître aussi comme écrivain spécial, et on lui doit deux publications
intéressantes, l'une : Sui musicisti veronesi, et l'autre : Sulla influenza benefica
délia musica.
— M. Aristide Franceschetti vient de donner à Rome un concert histo-
rique fort intéressant, dont voici le très curieux programme: 1. Sonate
en sol pour 5 violons et violoncelle, d'Arcangelo Corelli (1653); 2. Sonate
en si bémol pour 2 violons et violoncelle, de Francesco Zanetti (1740);
3. Inno a Calliope, texte grec attribué à Mesomède de Crète (date incer-
taine entre les n° et iv° siècles de l'ère vulgaire), harmonisé a la manière
hypolydienne par C.-A. Macfarren ; 4. Caazonnelta à la napolitaine, avec
accompagnement de luth (M. Branzoli), de Gabriel Fallamero, réduction
de M. Oscar Chilesotti ; 5. Air i'Eurldice, opéra de Jacopo Péri (1500) •
6. Villanelle d'Andréa Falconieri (1616), réduction de M. A. Parisotti ■
7. Cappriccio en fa, pour quatuor à cordes, de G. B.Vitali (1614); 8. Scherzo
du quatuor en sol pour instruments à cordes, de Cherubini (1760) ; 9. Can-
tate d'Arcangelo del Louto (1645), réduction de M. A. Parisotti ; 10. Danse
enfantine, de Francesco Durante (1684), réduction du même; 11. Potess'io
air d'Alessandro Stradella (1045), réduction du même; 12. M'ha preso alla
sua ragna, air de l'ier Domenico Paradius (1710), réduction du même. Ces
derniers morceaux font partie d'un recueil de mélodies anciennes publiées
avec un accompagnement réduit au piano par M. Parisotti, secrétaire de
'Académie de Saint-Cécile. Le succès du concert a été complet.
— A Reggio d'Emilie, dans la soirée d'adieu d'une cantatrice du théâ-
tre, la Gargano, l'orchestre a exécuté un poème symphonique inédit du
maestro Giordani, qui a produit un grand effet et que le public a rede-
mandé.
— Un des écrivains italiens les plus brillants et les plus justement
estimés, qui est en même temps un véritable ami de la France, M. Angelo
De Gubernatis, vient de le prouver d'une façon charmante. M. De Guber-
natis, qui prépare en ce moment à Florence, pour le mois de mai pro-
chain, à l'occasion du centenaire de Béatrice Portinari, une exposition de
travaux féminins italiens qui sera la première de ce genre qu'on aura vue
en ce pays, veut compléter cette solennité en provoquant, pour la même
époque et dans la même ville, la réunion d'un congrès de la paix. C'est
à ce sujet qn'il a eu la pensée ingénieuse d'inviter un de nos compositeurs
féminins français à écrire une œuvre de circonstance, et qu'il a demandé à
M1Ie Augusta Holmes, l'auteur de l'Ode triomphale exécutée au Palais de
l'Industrie pendant notre Exposition universelle, de vouloir bien com-
poser pour celle de Florence un Hymne à la Paix, qui serait chanté au
Politeama par trois cents voix. « Les sentiments humanitaires et poéti-
ques exprimés par M. De Gubernatis, dans sa lettre à M"e Holmes, dit un
de nos confrères italiens, ont excité un aimable enthousiasme chez la
vaillante artiste, qui a répondu en acceptant. »
— L'odyssée d'une compagnie lyrique italienne. La compagnie Raspan-
tini occupait le théâtre d'Acireale lorsque la mort du prince Amédée, frère
du roi, est venue l'obliger à suspendre ses représentations. Les artistes
sont partis alors pour Palerme, où ils étaient appelés à occuper le théâtre
Bellini; mais là, après une première représentation, Vinfluenza se mettant
de la partie, on dut fermer le théâtre. Les infortunés se réfugièrent à
Trapani, où, Vinfluenza les poursuivant, leurs engagements furent enfin
résiliés. De retour à Palerme, ils s'y promenaient depuis douze jours, aux
dernières nouvelles, sans savoir que faire!
— Le baryton Squarcia, dont nous avons annoncé la mort, tout en as-
surant par testament le sort de sa famille a légué une somme de 100,000
francs à l'Institut Hermès de Loreto, sa ville natale. Cet institut est une
maison de refuge pour les vieillards pauvres.
— Grand succès, parait-il, au Théâtre Philharmonique de Vérone, pour
un opéra nouveau en cinq actes, Catilina, paroles de M. P.-E. Frances-
coni, musique de M. Federico Cappellini, chanté par Mmes Emma Zilli et
Carolini, le ténor Beduschi, le baryton Fari et la basse Broglio. Les trois
premiers actes surtout ont été bien accueillis. M. Cappellini n'était guère
connu jusqu'ici que pour un Agnus Dei qu'il avait fait exécuter à Venise.
— La maison Giudici et Strada, de Turin, vient de publier Six petites
fugues amusantes, à gualre parties, sur des sujets méthodiques, rythmés pour orgue
ou harmonium ou piano, par G. Perky. Des fugues amusantes, le fait est
trop rare pour n'être pas signalé, et celles-ci ne mentent pas à leur titre.
Elles sont, déplus, d'un excellent musicien. N'en voilà-t-il pas plus qu'il
n'en faut pour justifier le succès qui a accueilli dès l'abord ces petites
pièces, et les éloges qu'elles ont valus à l'auteur?
— Gayarre ! toujours Gayarre ! le Figaro de Madrid publie un numéro,
dont chaque page est encadrée de noir et qui est entièrement consacré
à la mémoire du célèbre chanteur; ce numéro contient des esquisses bio-
graphiques, articles divers, poésies, pensées, etc., inspirés par son sou-
venir. D'autre part, on va inaugurer à Barcelone un théâtre nouveau qui
portera le nom de Théâtre Gayarre, et l'on se prépare à faire de même, le
mois prochain, à Las Palmas (iles Canaries).
— Le gouvernement espagnol fonde en ce moment à Manille une École
musicale, pour laquelle il a établi un budget de 115,000 francs. Les pro-
fesseurs sero'nt au nombre de onze, avec un traitement annuel uniforme
de 7,500 francs, le directeur ayant 2,000 francs, et le secrétaire 1,000 francs
en plus de traitement. On ne connaît encore le nom ni des uns, ni des
autres, et l'on sait seulement que la date de l'ouverture de l'École est i\\6e
au mois de juillet prochain.
— Le programme du festival de Norwich, qui aura lieu au mois d'oc-
tobre prochain, vient d'être définitivement arrêté ainsi qu'il suit : le 14.
Judas Machabée, de Hiendel ; le 15, la nouelle cantate du D1' Parry, dont
le titre n'est pas encore arrêté, et le Slabat mater de Rossini ; le 16, le Martyr
a'Antioche, de M. Sullivan, le Jugement dernier, de Spohr. et une nouvelle
cantate de M. H. Me Cunn, intitulée, Hynde, reine de Calédonie ; le 17, Elle
de Mendelssohn, et, pour la clôture du festival, une séance mixte qui
comprendra, entre autres, le deuxième acte du Vaisseau-Fantôme de Wag-
ner. M™ Albani, dont le concours avait été annoncé, n'a pas été engagée
par des raisons d'économie. Elle sera remplacée par M™' Nordica. Les
autres solistes seront M",cs Mac Intyre, Lchmann, Mackcnzie, Damian et
MM. Lloyd, Marsh, Novara et Honschel.
— M"10 Adelina Patti a donné, l'autre mardi, sa première représentation
au théâtre de l'Opéra de San Francisco. C'était le troisième anniversaire
du jour où, sur ce même théâtre, un nommé John Hodgo avait jeté à l'ar-
tiste un bouquet dans lequel était renfermée une bombe chargée do dyna-
mite. John Ilodge avait été condamné pour cet attentat à deux ans de
prison. Relâché il y a quelque temps, après l'expiration de sa peine, il
disait ouvertement qu'il renouvellerait son attentat le jour où Mm° Patti
reparaîtrait sur la scène de l'Opéra. Mais il n'a pu exécuter son criminel
LE MÉNESTREL
03
dessein : trois jours avant la représentation, il fut atteint de folie et se
trouve actuellement enfermé dans une maison d'aliénés.
— On a exécuté le mois dernier à San Francisco, en l'église Sainte-Ma-
rie, une Messe militaire de Cimarosa, dont on pourrait jurer sans crainte
qu'aucun musicien européen ne connaît une note. Cette Messe est écrite
pour voix seules, orgue, quatuor d'instruments à cordes et cors.
— La Nasione italiana de Buenos-Ayres paris avec de grands- éloges
d'une messe solennelle d'un compositeur italien, M. Pasquale Romano,
dont l'exécution a produit sur l'auditoire une impression profonde. Selon
ce journal, cette œuvre serait tout simplement un chef-d'œuvre, « et l'in-
comparable maestro est une vraie gloire pour la colonie. »
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Le jury du concours pour la composition d'un poème destiné au con-
cours musical de la Ville de Paris, réuni au pavillon de Flore, a rendu,
le jeudi 13 février, son jugement définitif. Il a décidé qu'il n'y avait pas
lieu de décerner de prix, aucun poème n'ayant paru réunir l'ensemble
des conditions nécessaires pour être mis à la disposition des compositeurs
appelés à prendre part au concours musical. Le jury a, en outre, émis le
vœu que le concours musical soit ouvert, le plus tôt possible, dans la forme
des concours précédents.
— Notre confrère Georges Boyer, du Figaro, donne la date du 14 mars
pour la première représentation à'Ascanio à l'Opéra, et il ajoute que,
fidèle à ses résolutions d'exil volontaire, M. Saint-Saëns ne reviendra pas
avant cette représentation: «Ce sera la première fois, dit-il, qu'un com-
positeur aura eu le courage de ne point suivre les études d'un ouvrage
sur lequel il peut à bon droit compter. On prête à M. Saint-Saëns bien
des idées bizarres, entre autres celle d'être venu s'installer à Saint-Ger-
main et de s'y tenir coi, attendant l'heure de paraître. Pour qui connaît
la vivacité de l'homme, cette patience est invraisemblablement angélique !
Des gens convaincus prétendent pourtant l'avoir vu. Aucun n'affirme lui
avoir parlé. Ces victimes d'une ressemblance ou d'une illusion n'ont qu'à
aller consulter le livre des voyageurs de l'hôtel de France à Cadix, ils y
apprendront que le compositeur français s'est embarqué pour Ténériffe
en décembre dernier. «. Cadix, disent-ils, est bien loin, pour y aller voir. »
Ténériffe est encore plus loin pour en revenir, quand on craint l'in-
iluenza, quand on a les bronches malades, quand on a déclaré à ses amis
depuis plus d'un an, comme l'a fait M. Saint-Saëns, qu'on ne passerait
plus l'hiver en France sans péril. Voilà de quoi, je pense, mettre un
terme à la légende qui fait passer inconnu à travers la foule, tout comme
le calife des Mille et une Nuits, le compositeur à'Ascanio. »
— Ile notre confrère Nicolet, du Gaulois, sous toutes réserves : « La
question du Théâtre-Lyrique revient sur le tapis. Une société serait con-
tituée, et les capitaux seraient prêts. Une nouvelle salle serait élevée sur
le boulevard Poissonnière, à l'angle de la rue d'Hauteville et destinée à
la résurrection du Théâtre-Lyrique. M. Derenbourg, actuellement direc-
teur du théâtre des Menus-Plaisirs, serait à la tête de cette nouvelle
combinaison. Les deux premiers spectacles seraient déjà arrêtés : Lohen-
grin, de Richard "Wagner, et les Noces de Figaro, de Mozart. » Quand nous
verrons la nouvelle salle sortir de terre, nous commencerons seulement
à y croire.
— Si nos renseignements sont exacts, M. Paravey, directeur de l'Opéra-
Comique, a dû recevoir cette semaine du papier timbré de M. J.-B.
Wekerlin, qui lui demande dix mille francs de dommages-intérêts pour
n'avoir pas fait représenter dans les délais fixés par la Société des auteurs
son opéra le Sicilien, déjà répété sous la précédente direction de
M. Carvalho. M. "Wekerlin demande non seulement l'amende que la Société
réclame des directeurs pour les auteurs dont les pièces ont été reçues et
non jouées, mais encore la somme qu'il devait recevoir de son éditeur
pour cet opéra, lors de la première représentation. Il est malheureuse-
ment à craindre pour M. Paravey que d'autres compositeurs, également
bernés, ne suivent l'exemple donné par M. "Wekerlin. Et alors, où cela
s'arrètera-t-il? 11 ne faut pas oublier que, d'après le Monde Artiste, M. Pa-
ravey a près de quarante actes dans les mêmes conditions!
— Quelques renseignements sur le nouveau tableau dont va s'enrichir
le musée du Théâtre-Français. Le portrait de Molière, légué à la Comédie-
Française par le docteur Gendrin, est, comme on l'a dit, celui de Charles
Coypel, rendu populaire par la gravure de Lépicié, exécutée pour la
grande édition Boucher de 1734. Molière est représenté la plume à la
main et songeant, accoudé du bras gauche sur deux in-octavo. Il n'a donc
pas été fait d'après nature. Mais ce portrait de Coypel reproduit le type
Mignard, accommodé au goût du temps. C'est le même portrait qui a été
gravé par Friquel, sans indication d'origine. Il serait très important de
connaitre la provenance du portrait du docteur Gendrin, car il offre de
grandes ressemblances avec celui de la vente Denon, que le catalogue
attribuait à Sébastien Bourdon. Avis aux moliéristes.
— Au Théàtre-Franeais, les répétitions de Camille, la nouvelle comédie
de M . Philippe Gille, ont commencé cette semaine. Tous les interprètes
Boni ravis de leurs rôles.
— M. Rocheforl fait parler de lui à Londres, où il a eu l'imprudence
de s'attaquer à M« Weldon, dont on connaît les démêlés homériques
avec M. Gounod. M. Rocheforl s'est fait intenter un procès par M™ Geor-
gina 'Weldon, assez coutumière du fait, procès qui vienl de se terminer
par un arrangement entre les deux parties. M. Rocheforl, payera à
Mm" Weldon 250 livres sterling, les frais du procès et lui fera des excuses
devant la Cour. M. Rochefort avait attaqué avec violence Mmc "Weldon à
l'occasion du procès intenté par celle-ci à M. Charles Gounod, procès
qui s'était, on se le rappelle, terminé par l'obtention pour la plaignante
d'une somme de 10,000 livres sterling,
— Mm0 Emma Nevada, qui, engagée à Madrid et atteinte en cette ville
de l'influenza avant d'avoir pu s'y présenter au public, était venue à Paris
pour s'y faire soigner, est allée remplir l'engagement contracté par elle
au Théâtre-Royal. Elle a donné le 11 février sa première représentation
avec la Sonnambula, qui lui a valu un succès éclatant. Mal rétablie encore
pourtant, elle avait trop présumé de ses forces, et s'est évanouie en scène
en chantant le rondo.
— Un violoncelliste russe, M. Arved Poorten, membre de la chapelle de
l'empereur de Russie et ancien professeur au Conservatoire de Saint-Pé-
tersbourg, aujourd'hui, je crois, fixé en Belgique, vient de publier sous
ce titre : Testament d'un musicien, que je ne m'explique pas beaucoup, un
livre qu'il dédie à M. Antoine Rubinstein et qui n'est qu'une charge à
fond contre tout ce qui touche à la musique. Pessimiste renforcé, M. Arved
Poorten est d'avis que notre époque est une époque de décadence absolue
pour tous les arts, que tous les artistes ne pensent qu'à l'argent, que la
plupart sont des imbéciles ou de simples vaniteux, et qu'en ce qui con-
cerne la musique particulièrement, jamais on n'a vu sa culture pratiquée
par tant d'adeptes en même temps qu'on ne l'a vue plus abaissée par la
stérilité des résultats obtenus. Plus de créateurs convaincus, plus de com-
positeurs, plus de virtuoses, plus de professeurs; tous ménétriers, racleurs
de boyau, tapoteurs de piano et simples souffleurs d'instruments quelcon-
ques. Il n'y a plus qu'à arrêter cette valse infernale et à fermer les con-
servatoires, ce que Fauteur recommande expressément. Ce petit volume
n'est qu'un petit recueil de petits potins artistiques, présentés dans un
style de petit journal qui n'est pas toujours un modèle de pureté et de
correction. Il n'y a là-dedans que du découragement, ou pour mieux dire
du dénigrement, sans l'ombre d'une idée saine, d'une réflexion heureuse
ou d'une observation juste. Il ne vaut vraiment pas la peine de prendre
une plume quand on n'a rien à apprendre au public et qu'on n'a à lui offrir
que des négations. Ce Testame?U d'un musicien n'a même pas la valeur d'un
pamphlet; c'est, pour me servir d'une expression à la mode, une simple
« fumisterie». Encore, certaines sont-elles amusantes ; celle-ci est fu -
nèbre. A-- P-
— Mmc Marie Jaëll, qui, au commencement de l'hiver, avait donné
chez elle six séances privées dans lesquelles elle avait fait entendre l'en-
semble des compositions si nombreuses et si diverses de Schumann pour
piano seul, renouvelle ce curieux et extraordinaire tour de force, cette
fois en vue du grand public. Elle donnera donc, dans la petite salle Erard,
six concerts exclusivement consacrés à l'audition des œuvres de Schumann,
concerts dont les dates sont fixées aux lundi 3, jeudi 0, lundi 10, ven-
dredi 14, lundi 17 et samedi 22 mars, à trois heures de l'après midi.
— L'excellent violoniste "White, dont le retour en France a été si bien
accueili et qui a remporté l'autre semaine un si grand succès au concert
Lamoureux, va se faire entendre très prochainement à Monte-Carlo.
Concerts. — Samedi dernier, à la salle Érard, le concert donné par le
violoniste Derso Lederer, avait réuni un public nombreux, qui a beaucoup
applaudi le bénéficiaire dans plusieurs morceaux de styles très variés et
très propres à faire briller les qualités du virtuose accompli. M. Lederer
s'est fait connaître en outre comme compositeur, dans le premier allegro
de son concerto en la mineur et des airs hongrois de sa façon. Il était
secondé par MM. Binon, Stern, Franck, de l'Opéra, Bergon, Staub,
Mariotti et Mm0Terrier-Vicini. — Au concert du 16 février, à l'Institution
Sainte-Croix de Neuilly, grand succès pour le joli petit morceau de
piano: Pendant la Fête, de M. A. Trojelli, orchestré et dirigé par l'auteur.
— Une brillante soirée musicale a eu lieu chez Mme Gignoux. Quelques
œuvres de M. Théodore Dubois : le Canlabile, Ducllino d'amore et une mélodie
ont été admirablement interprétées par M110 M.-E. Gignoux, pianiste-
compositeur. M"0 M.-E. Gignoux a fait entendre sa « Vision de Jeanne d'Arc »,
scène lyrique d'un beau caractère, remarquablement chantée par MUc Juliette
d'Alfa. Deux romances du même compositeur, l'Exilé et Madrigal, ont valu
à Mlle Selma de vifs applaudissements.
— Concerts annoncés. — Mardi 2S février, salle Pleyel, deuxième séance
de la Société de Musique française, fondée par M. Ed. Nadaud, avec le
concours de MM. Diémer, Risler, Mas, Cros Saint-Ange et Laforge. —
Mardi 2o février, salle Érard, séance donnée par M. Joseph Wieniawski
pour l'audition de sa sonate pour piano et violoncelle (exécutée avec
M. Jules Delsart) et de ses vingt-quatre études pour piano. — Mercredi 2G,
salle Érard, concert, avec l'orchestre Colonne, donné par M. Breitner,
qui fera entendre le nouveau concertstuck de Rubinstein, le concerto de
M. Lalo, et diverses œuvres de Schumann, Chopin et Tschaïkowsky. —
Jeudi 27, salle Pleyel, grande séance de piano, donnée avec le con-
cours de l'orchestre Colonne, par Mmc Marie Jaëll, qui exécutera les qua-
tre concertos de M. Saint-Saëns, op. 17, 22, 29 et 4i. — Vendredi 2s fé-
vrier, salle Érard, concert donné par M. Victor Staub avec le concours
de M""-' Leroux-Ribeyre, de M. Diémer et de M. Golonno et de son orchestre.
Henri. Heugel. directeur -géiant
64
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Composée pour les petites mains el suivie d'un recueil d'exercices, d'éludés et de petites fantaisies 1res faciles suc des mélodies d'auteurs célèbres
Emile decombes
Professeur au Conservatoire de Musique
TABLE DES PETITES FANTAISIES
Contenues dans cette Méthode
(Accentuées, soigneusement doigtées el classées par ordre de difficulté progressive)
N°B 1. — Andante.
2. — Air suisse.
3. — Musette.
4. — Triste raison.
5. — Air du ballet de Psyché (A. Thomas).
6. — Dernière rose d'été.
7. — Petite valse.
IJS 8. — Petite marche.
9. — Valse des adieux (G. Nadaud).
10. — Mélodie (Schumann).
11. — Obéron, barcarolle (Weiier).
12. — Chanson de Fortunio (Offenbach).
13. — Fleur des Alpes (Wekebxin).
14. — La Flûte enchantée (Mozart).
N° 22. — Mignon, entr'acte-gavotte (A. Thomas)
Nos 15. — Romance de Joseph (Mêhul).
16. — Romance (Martini).
17. — Le Roi s'amuse, passepied (Li
18. — Mignon, o Connais-tu le pays >
19. — Les Noces de Figaro (Mozart]
20. — Mignon, « Elle ne croyait pas i
21. — Le Roi l'a dit, sérénade (Léo
o Delides).
(A. Thomas).
(A. Thomas)
Delibes),
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N™ 23. — Adieu, à trois mains (Schubert). Nos 25. — L'Éloge des larmes, à 4 maius (Schubert).
24. — Sérénade, à trois mains (Schubert). 26. — Les Plaintes de la 'jeune fille, à 6 mains (Schubert).
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MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement
Un on, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour ^'Étranger, les Irais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (51" article), Albert Soucies et Charles
Malherbe. — II. Bulletin théâtral : Opéra et Opéra-Comique, H. M. ; premières
représentations de Fin de siècle, au Gymnase, et de Grand'mcre, à l'Odëon,
Paul-Émile Chevalier. — III. Le théâtre à l'Exposition (19" article), Arthur
Pougin. — IV. Histoire vraie des héros d'opéra et d'opëra-comique (32' article):
Struensëe, Edmond Neukomm. — V. Revue des Grands Concerts. — VI. Nouvelles
diverses.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à lamusique de piano recevront, avec le numéro de ce jour:
CHANTS DU TYROL
nouvelle polka-mazurka de Heinrich Sirobl. — Suivra immédiatement :
Le Menuet de l'Infante, de Paul Rougxon.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant : Fleur de neige, nouvelle mélodie de Ambroise Thomas, poésie de
Jules Barbier. — Suivra immédiatement : Les Hussards, nouvelle mélodie
de Francis Thomé, poésie de Ch. Popelix.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Albert SOUBIES et Charles A1A.LHERBE
(Suite.)
CHAPITRE XIV
MEYERBEER A L'OPÉRA-COMIQUE
LE PARDON DE PLOERMEL
(1856-1859)
Si le nom de Meyerbeer se retrouve en tète de ce chapitre,
c'est que pendant les trois années, ou plutôt les quarante
mois, dont nous allons raconter l'histoire, aucun maître ne
surgit dont l'œuvre s'impose par une valeur semblable ou
rencontre une fortune égale. A la salle Favart comme à la
salle Le Peletier, Meyerbeer est alors et demeure le premier;
nul échec ne vient compromettre l'éclat de la victoire une
fois remportée ; sa gloire est intacte et son succès persiste.
Certes les pièces nouvelles ne font pas défaut. Parmi les
grandes, il s'en rencontre d'intéressantes, comme Manon
Lescaut, Psyché, Quentin ùurward, les Trois Nicolas ; mais, hormis
l'ouvrage d'Ambroise Thomas, objet d'une reprise assez éphé-
mère en 1887, toutes ont disparu du répertoire, aussi bien à-
Paris, qu'en province ou à l'étranger. Parmi les petites, on
en. rencontre , d'agréables, comme Maître Pathelin, le Mariage
extravagant, les Désespérés; mais leur mérite ne saurait se. com-
parer a celui de leurs ainées, et leur sort s'est aussi réglé
plus vite. Quant aux reprises, elles ont le plus souvent pour
objet des opéras-comiques fréquemment joués et applaudis,
Richard Cœur de Lion, Joconde, Zampa, etc. Deux seulement cor-
respondent à des nouveautés pour la salle Favart: le Valet de
chambre et les Méprises par ressemblance; encore ne comptent-
elles pas parmi les plus productives.
Pour trouver le pendant de l'Étoile du Nord, il faut donc ar-
river au Pardon de Ploërmel, sans que d'ailleurs l'équivalence
soit absolue. La seconde de ces œuvres fut moins spontané-
ment acclamée que la première; le succès moins fruc-
tueux tout d'abord, a peut-être été, en revanche,, plus
durable, ou plutôt plus général. En effet, tandis que l'Étoile
du Nord n'apparait plus sur les scènes lyriques qu'à des inter-
valles de moins en moins rapprochés, le Pardon de Ploërmel,
sous le titre de Dinorah, se maintient constamment, sinon à
Paris, du moins en Allemagne et en Italie. De toute façon,
ce deuxième triomphe eut une importance décisive, à l'époque
où il se produisit. Le Théâtre-Lyrique, sous la direction Car-
valho, commençait à prospérer, et déjà se posait en rival
redoutable ; on allait y donner Faust et y remonter Orphée. Il
fallait un géant comme Meyerbeer pour soutenir la concur-
rence; l'honneur et la fortune de la maison étaient entre ses
mains ; s'il ne sauva pas la fortune, il sauva du moins l'hon-
neur.
Mais avant d'atteindre ce point de notre récit, il nous faut
évoquer le souvenir de bien des pièces, ou tombées lourde-
ment ou disparues après une carrière simplement honorable.
Ce dernier cas est celui de la première œuvre que nous ren-
controns, Manon Lescaut, puisqu'elle obtint cinquante-huit re-
présentations la première année, et seulement cinq la seconde.
Ce n'était pas la première fois, et ce ne devait pas être la
dernière, qu'on transportait à la scène le roman célèbre de
l'abbé Prévost. On en pourrait citer en ce siècle plusieurs
adaptations, sérieuses ou gaies, par exemple : 1° à la Gaîté
(16 novembre 1820), Manon Lescaut et le chevalier Desgrieux, mé-
lodrame en trois actes, de Gosse; 2° à l'Opéra (3 mai 1830),
Manon Lescaut, ballet-pantomime en trois actes, scénario de
Scribe et Aumer, musique d'Halévy ; 3° à l'Odéon (26 juin
1830), Manon Lescaut, drame en trois actes et six tableaux, de
Carmouche et de Gourcy; 4° aux Variétés (24 juillet 1830), la
Lingère du Marais ou la Nouvelle Manon Lescaut, vaudeville en trois
actes, de H. Dupin et Achille Dartois; 5° aux Nouveautés
(13 novembre 1830), Manette ouïes dangers d'être jolie, vaudeville
en trois tableaux de M. Emile R. (Rougemont); 6° au 'Gymnase
(12 mars: 1851) Manon Lescaut, drame en cinq actes de Th. Bar-
rière et Marc Fournier ; 7° à l'Opéra-Comique (23 février 1856),
■Manon Lescaut, opéra-comique en trois actes, paroles de Scribe,
musique d'Auber, c'est l'ouvrage dont il est question ici;
■S' aux Variétés (13 mars 1.836), Madelôn Lescaut, cri du cœur en
66
LE MENESTREL
un acte et trois tableaux sans entr'actes (sic), par Lambert
Thiboust; 9° à l'Opéra-Comique (19 janvier 1£S4), Manon,
opéra-comique en cinq actes et six tableaux, paroles de
Meilhac et Philippe Gille, musique de J. Massenet.
Entre tant de versions différentes, la dernière est, soit dit
sans flatterie, la plus rapprochée de l'original, la plus artis-
tique et la plus réussie. En passant par les mains habiles de
MM. Henri Meilhac et Philippe Gille, le type de l'héroïne ne
s'est pas trop altéré, et dans sa délicieuse partition M. Mas-
senet a su peindre, mieux que personne, ces amours deve-
nues presque légendaires. Tout au plus, pourrait-on reprocher
aux auteurs d'avoir modifié le dénouement, puisqu'ils fout
mourir leur Manon sur la route du Havre : petite tache qui
pourrait disparaître à peu de frais, si l'on suivait à la pro-
chaine reprise, un conseil donné par nous jadis et alors
agréé. En effet, certains personnages fictifs sont aussi vivants
que les héros de l'histoire ; il n'est pas permis d'y toucher
sans contrarier et choquer les habitudes du public, sans s'ex-
poser par cela même à des objections assez légitimes.
Sur ce point, Scribe n'entendait pas se gêner; pour les
besoins de la cause, il changeait, sans hésiter, le Crime en
bienfait et le vice en vertu. Ainsi par l'espèce de purification
qu'il lui faisait subir, sa Manon perdait, en intérêt dramatique
et en sympathie, ce qu'elle gagnait en prétendue innocence.
Comme l'écrivait un critique: « Ce n'est plus une Dame aux
Camélias, mais ce n'est pas non plus une Lucrèce, et ce ca-
ractère, tracé d'une main indécise, est inférieur à celui de
la Manon de Prévost. » En revanche, Scribe avait maintenu
le dénouement classique, et ce tableau de la Louisiane avait
justement fourni à Auber l'occasion d'écrire une scène des
plus émouvantes et des plus passionnées. On en put juger il
y quelques années, le 30 janvier 1882, dans une représenta-
tion extraordinaire donnée à la salle Favart à l'occasion du
centenaire d'Auber. Cette fin du troisième acte fut chantée
par M. Furst et MUe Isaac dont le talent contribua à faire
valoir une page curieuse en somme, car elle montre la pas-
sion vraie chez un compositeur auquel on ne prêtait guère
que le badinage élégant de l'amour; par endroits même on
y sent passer le souffle dramatique et chaud d'un Verdi. A
l'origine, les deux héros se nommaient Puget, dont ce fut à
ce théâtre la dernière création, puisque le 25 juillet suivant
il débutait brillamment à l'Opéra dans Lucie de Lammermor, .et
M"10 Gabel qui débutait, ou, pour mieux dire, redébutait, car
elle avait, en 1849-50, fait un stage, d'une année environ, à
l'Opéra-Comique. Désormais, elle allait briller au premier
rang, et soutenir en partie le poids du répertoire.
Manon Lescaut ne fut qu'un demi-succès pour un maître comme
Auber, le Chercheur d'esprit fut presque un succès pour un com-
positeur débutant comme Besanzoni. Ce petit acte, joué pour
lapremière fois le 26 mars 1856, avait pour librettiste Edouard
Foussier, le futur collaborateur d'Emile Augierpour les Lionnes
Pauvres; il mettait en scène une célèbre nouvelle de Boccace,
les Oies du frère Philippe, qui plus d'une fois déjà avait servi
au théâtre, depuis la Coupe enchantée de La Fontaine jusqu'à
certain opéra-comique en un acte de Duport pour les paroles
et de Dourlen pour la musique, te Frère Philippe, représenté
à Feydeau la 20 janvier 1818. Fétis a négligé de mentionner
le Chercheur d'esprit dans l'article de son dictionnaire relatif à
Besanzoni. Il ne cite qu'un liuy Bios, représenté en 1843;
M. Pougin, dans son supplément, a justement comblé cette
lacune. Ajoutons que le Cliercheur d'esprit se maintint cinq
années au répertoire et fut joué cinquante-huit fois.
L'œuvre en trois actes d'Halévy, venue au monde juste un
mois plus tard, le 26 avril, fut moins heureuse, puisqu'elle
n'obtint que vingt-trois représentations. Les librettistes, Jules
Barbier et Michel Carré, avaient imaginé un sujet bizarre
dont l'originalité n'était acquise qu'aujprix d'une forte invrai-
semblance. A certain baron, venant de sa province et ju«é
naïf, un coquin de chevalier présentait comme fiancée une
actrice de la Comédie - Italienne et prétendait pousser
l'aventure jusqu'au mariage inclusivement. La découverte
finale de cette machination valait au mystificateur un bon
coup d'épée;mais le public, n'étant point sur de ne pas y être
mystifié à son tour, prit peu de goût à la plaisanterie. La
musique elle-même ne lui plut guère; des enthousiastes et
intéressés sans doute, eurent beau écrire qu'ils y trouvaient
« l'inspiration mélodique unie à la science la plus accom-
plie, le lyrisme de la pensée à l'élégance de la forme, les
grâces de l'esprit à l'expression des sentiments les plus tendres
et les plus passionnés », la foule ne vit rien de tout cela
dans Valeiitine d'Aubigny, et, restant insensible au bruit vain
de ces réclames, infligea au compositeur un des plus rudes
échecs de sa glorieuse carrière.
(A suivre.)
BULLETIN THEATRAL
Toujours bien peu do chose dans nos théâtres de musique.
A I'Opéra on est tout à Ascanio qu'on répèle sans trêve ni merci,
presque du matin au soir. Pensez-donc, on a deux ans de relard à
rattraper! C'est bien le moins à présent que, forcée et contrainte
par l'opinion et la presse à représenter enfin l'œuvre de M. Saint-
Saëns, la direction de l'Opéra mette les morceaux doubles. On est
à peu près certain de passer vers le milieu de mars ; et cette par-
tition que Mil. Rilt el Gailhard déclaraient à tout venant insipide
e.t sans idées vient au contraire admirablement aux répétitions et
parait tout à fait digne de son auteur. Il est vrai que par contre
M. Gaiihard déclarait, dans le temps, avant qu'elle ait vu le feu de
la rampe, la Dame de Monsoreau le « chef-d'œuvre des chefs-d'œuvre. »
, Ah ! nous avons de fameux connaisseurs à la tète de noire Académie
nationale de musique !
On comprend sans peine que M. Saiut-Saëns ait de la répulsion à
les voir et qu'il, se cache obstinément. Mais où? C'est ce que chacun
ignore. Est-il à Ténériffe, comme quelques-uns l'assurent, ou sim-
plement à Bois-Colombes, comme d'autres l'affirment, tout prêt à
sortir de sa cachette au moment opportun? Celte dernière hypo-
thèse me semble la plus vraisemblable. Nous De croyons pas
beaucoup aux compositeurs qui abandonnent leur œuvre et déserlent
en quelque sorte le champ de bataille. Ce serait ne pas connaître
les entrailles de père qu'ont tous les musiciens pour les enfanls
qu'ils ont portés si longtemps dans leur cerveau. Non, M. Sainl-
Saëns est là tout près de nous. Je le sens, je le vois presque.
Voici d'ailleurs ce qu'en dit Nicolet du Gaulais :
Tandis que les études à' Ascanio se poursuivent sans relâche à l'Opéra,
les bruits les plus étranges continuent à circuler au sujet de la mystérieuse
présence de M. Saint-Saëns à Paris.
Selon ces bruits, auxquels M. Louis Gallet, son collaborateur, et M. Du-
rand, son éditeur, persistent à opposer les plus formelles dénégations, le
compositeur serait à Colombes ou à Bois-Colombes, rue des Carbonnets,
chez un -.mi, M. Bellenot, le jeune maître de chapelle de Saint-Sulpice ;
et ce serait M. Colleuille, régisseur de la scène de l'Opéra, qui serait le
ténébreux confident de l'auteur A'Ascanio et se chargerait de la correspon-
dance secrète nécessitée par les répétitions entre 'lui et M. Gailhard.
Voilà de quoi faire affluer les nouvellistes chez M. Bellenot et chez
M. Colleuille, lequel est de sa nature silencieux comme un sphinx. Mal-
heureusement, les gens qui en savent si long sur M. Saint-Saëns ajoutent
que leijour où on connaîtra le secret de sa retraite — le voilà dévoilé ! —
il en disparaîtra soudainement.
Envolez-vous donc, Saint-Saiins, mais pas ^trop loin, toujours dans
le rayon du chemin de fer de ceinture, n'est-ce pas? C'est plus sur
et moins trompeur que les Ilots qui clapotent aulour des lies Cana-
ries.
A l'Oi'éha-Comiqce, nous avons eu cette semaine les débuts assez
doux, mais cependant non malheureux, de M"1' de Berridez, une Espa-
gnole de marque que mon excellent confrère Louis Besson de l'Evé-
nement croit tout uniment de Paris. Elle a débuté dans le rôle de Mar-
pha de Dimitri, laissé vacant par le départ de M"c 'Deschamp pour
Monte-Carlo. Toujours les émigrations en usage à l'Opéra-Comique
à cette époque de l'année. J..a voix de MUo de Berridez n'est pas d'un
fort calibre, mais elle a du timbre et quelque charme. La comé-
dienne a beaucoup à apprendre sans doute, mais elle parait 'intelli-
gente. Attendons donc tout du temps pour 'voir M"1'' de Berridez en
sa véritable l'orme.
LE MENESTREL
m
Les représentations de l'intéressant ouvrage de M. .foncières vont
d'ailleurs être interrompues pour quelque temps, par suite d'un nou-
veau départ, celui de M. Soulacroix, toujours pour Monte-Carlo. Il
faut bien subvenir aux besoins artistiques de la capitale du trente-
et-quarante. C'est une des raisons évidemment qui font, allouer
240,000 francs de subvention annuelle à M. Paravey.
Cette semaine, les auteurs du Dante ont lu leur œuvre aux artistes
réunis. Laissons encore la parole à Nicolet, qui a toutes sortes de
bonnes raisons pour être mieux renseigné que nous à ce sujet :
M'. Edouard Blau a d'abord lu son livret, après quoi M. Benjamin Godard
a exécuté, au piano, — donnant lui-même, par moments, la réplique
à ses interprètes — les sept tableaux de sa parlition. Les rôles sont distri-
bués de la façon suivante :
Béatrice M1Ies Simonnet
Gemma Xardi
Un écolier Lyven
Dante Alighieri MM. Gibert
Simeone Bardi Ltaérie
L'Ombre de Virgile Taskin
Plus quelques petits rôles qui ne sont pas encore distribués. L'ouvrage
comporte en outre une masse cborale assez considérable: seigneurs, sol-
dats, gens du peuple, ombres, damnés, maudits, anges et séraphins.
Les costumes sont dessinés par M. Biancbini. Les décors sont brossés
par MM. Lavastre et Carpezat. En voici la description analytique :
Premier acte. — Une place publique à Florence. Lutte entre les Guelfes
et les Gibelins. Election du Gonfalonier. Dante est choisi.
Deuxième acte. — Une salle du palais des Seigneurs. Rivalité d'amour
entre Dante et Bardi, qui aiment tous deux Béatrice. Cette dernière, pour
sauver la vie à Dante, que ses partisans ont trahi, consent à entrer au cou-
vent. Dante est exilé par ordre de Charles de Valois, frère du roi de France,
à qui les deux partis ont fait appel.
Troisième acte. — Le troisième acte débute par un divertissement, réglé
d'après le tableau des Moissonneurs, de Lëopold Robert, dans la campagne
de Naples, au pied du Pausilippe. Un tombeau ombragé par des lauriers-
roses. Dante apparaît, revêtu du costume légendaire. Il invoque Virgile,
qui sort du tombeau, couronné de lauriers, vêtu d'une longue robe blanche,
éclairé par un rayon de lune. Dante, endormi, voit successivement dans
un songe les différents tableaux suivants : La nuit se fait d'abord intense
sur le théâtre ; un rideau de nuages se lève lentement, puis, continuant
son ascension, disparaît. On aperçoit l'Enfer. Cavernes sombres, dont les
voûtes ont des reflets sanglants. Des ombres confuses grouillent et se tor-
dent derrière des blocs de roches noires. Chœur de damnés. Apparition
d'LTgolin. Tourbillon infernal. Apparition de Paolo et Francesca. Puis des
clartés divines succèdent à ce sombre tableau. Le ciel se dégage des té-
nèbres. Béatrice apparaît au milieu d'un choeur céleste.
Quatrième acte : premier tableau. — Un site agreste. Dante toujours
endormi près du tombeau. Il se réveille. Bardi se présente soudain devant
lui, promettant, pour obtenir son pardon, de lui faire retrouver Béatrice,
qui est retirée dans un couvent de Naples.
Deuxième tableau. — A Naples. Le jardin d'un couvent. A gauche, la
chapelle. Béatrice se sent mourir et voudrait revoir Dante. Celui-ci arrive
et Béatrice rend le dernier soupir entre ses bras.
Première représentation dans le courant d'avril, si rien n'arrive à
la traverse.
H. M.
Gymnase. — Paris fin de siècle, pièce en 4 actes et ."> tableaux, de
MM. Ernest Blum et Raoul Toehé.
Roger de Kerjoël, qui vit retiré en Bretagne, arrive subitement à
Taris pour épouser une sienne cousine, Mrac Claire de Chanceoay,
jeune veuve qui vient de quitter le deuil. Fort jolie, très élégante et
jouissant d'une belle fortune, Claire mène la vie joyeusement et dis-
pendieusement, mais aussi très honnêtement; elle accepte les pro-
positions de son cousin à la condition que celui-ci la laissera jouir
six mois encore de sa chère liberté. Roger consent, et le voilà, à la
suite de sa fiancée, lancé dans le monde où les fêtes succèdent
aux fêtes, ou toutes les femmes sont frivoles et insouciantes,, où
tous les hommes sont fats ou insolents. Dès sa première soirée, des
mots ambigus, chuchotes à droite et à gauche, lui apprennent que
Claire, manquant d'argent, a accepté du duc de Linarès le paiement
d'une note chez l'a couturière. Provocation, duel et explieatien finale :
Claire croyait s'adresser à un usurier quelcouque. Bref, la leçon lui
sert: elle épousera son cousin de suite et ira vivre doucement avec
lui au fond de la Bretagne. Si vous y ajoutez l'historiette d'un
jeune homme et d'une jeune fille, également fiancés mais ne se con-
naissant absolument pas, qui se rencontrent au bal et se font des
confidences sur l'idéal qu'ils rêvent dans la vie du méuage, et re-
grettenl qu'ils ne soient pas destinés l'un à l'autre, vous saurez la
pièce entière. Et si, après cela, vous étisz indiscrets et me deman-
diez comment les auteurs ont pu bâti i- quatre actes avec une inlrigue
aussi futile, je vous répondrais simplement que MM. Blum et Toché
sont gens fort habiles puisqu'avec rien, ou presque rien, ils nous ont
donné une pièce qui, si elle manque de consistance, n'est point
une minute ennuyeuse. Ce sont de petits tableaux amusants et spi-
rituels que la troupe du Gymnase joue on ne peut plus agréablement.
MM. Noblel, Lagrange, Burguet, Plan, Numès, Achard, Hirsch et
Berny, Mrats Sisos, Desclauzas, Grivot, Depoix, Darlaud et Demarsy
ont la note très fin de siècle qu'il fallait pour interpréter cette chro-
nique vivante. Très fin de siècle aussi M. Koning qui a fait des
trouvailles de mise en scène avec le décor du premier acte et celui
où se déroule la gracieuse farandole des arlequines, et qui a su
grouper sur son théâtre une petite collection de femmes excessi-
vement jolies et habillées à ravir. Enfin, superlativement fin de
siècle, M. Jules Massenet, le membre de l'Institut, compromettant
à plaisir la muse d'Esclarmonde dans une vulgaire ronde de café-
concert, qui n'a même pas le mérite d'être réussie !
Odéon. — Grand'mère, comédie en 3 actes de M. Georges An cey.
Le Théâlre-Libre déborde! Aujourd'hui, M. Georges Aneey. De-
main MM. Métenier, Heonique et Lavedan. Le premier pas, hors de
la maison paternelle, des enfants sevrés par M. Antoine, n'a été
qu'un faux pas ; Grand'mère n'a pas plu au publie et la formule,
nettement appliquée, :ie semble pas devoir être celle dont notre
théâtre se trouvera revivifié.
La pièce de M. Ancey sérail, en effet, bien près d'être l'absolue
négation du théâtre, s'il n'y avait encore là quelque souci de la manière
dont les personnages doivent entrer ou sortir de scène, une recherche
évidente de. l'effet sur lequel doit tomber le rideau après chaque
tableau et la façon dont sont coupés ces tableaux. La formule ! D'une
simplicité navrante ! Il suffit pour s'en servir d'avoir des yeux, des
oreilles, de la mémoire, une plume et du papier. Exemple : Intro-
duisez-vous chez une jeune femme sur le point d'avoir un bébé;
installez-vous dans le salon, entre le mari, sa mère, le docteur, une
bonne et unegarde religieuse. Si vous avez le bonheur de savoirsténogra-
phier, tirez votre calepin et ne perdez pas un mot ni des uns ni des
autres ; que pas un détail dans la manière dont cette famille bouge,
mange, gesticule, ne vous échappe. La séance terminée, rentrez
bien vite chez vous ; transcrivez toutes vos notes, et rien que vos
notes, sur du papier écolier, séparant chaque réplique par les noms
des personnages suivis des attitudes observées; sur une page spé =
ciale décrivez scrupuleusement la pièce avec ses meubles et acces-
soires, et sur un dernier feuillet inscrivez un titre court et facile à
retenir qui, si le hasard vous favorise, hypnotisera les passants lors-
qu'il sera collé sur les colonnes Morris. Si une séance ne vous a
pas suffi; retournez dans celte même maison, deux, trois, quatre,
cinq fois même, suivant que vous aurez besoin de deux, trois, quatre
ou cinq actes. Maintenant laissez-moi vous dire que si vous obtenez
quelque succès en vous servant de ce système, c'est que très certai-
nement vous n'aurez pas été strictement consciencieux. MM. Dumény,
Montbars et Jahan, Mmes Crosnier, Raucourt et Dheurs font de leur
mieux pour masquer l'ennui qui remplit, à lui seul, ces trois actes.
Paul-Emile Chevalier.
LE THEATRE A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889
(Suite)
L'EXPOSITION DU TIIÉATllE JAPONAIS
Lorsque je passerai en revue les théâtres de tout genre qui ont
été au point de vue pittoresque, l'un des éléments particuliers de
succès de l'Exposition universelle, j'aurai à m'occuper du Théâtre
Annamite, qui a si bien attiré la foule et qui nous a donné une
idée, au moins approximative, des moeurs artistiques de l'Extrême-
Orient. Là, nous avons eu sous les yeux le spectacle même qui
émeut et enchante les peuples de ces contrées lointaines, si long-
temps fermées aux Européens et qui commencent seulement à nous
révéler leurs secrets. Ce spectacle, toutefois, n'était pas — et ne
pouvait pas être complet. Pour qu'il le lut, il eût fallu que celui de
la salle fût joint à celui de la scène, et que nous pussions jouir de
la vue du public et de ses coutumes particulières comme il nous était
donné de contempler le jeu des acteurs et de pénétrer la façon dont
ils comprennent l'art dramatique. Ce qui revient à dire que c'est
chez eux-mêmes, que c'est dans leur propre milieu qu'il les fau-
drait voir pour recevoir d'eux, de leur talent, de l'art dont ils sont
68
LE MENESTREL
les interprètes, une impression aussi exacte et aussi fidèle qu'on
peut l'espérer, au moins en ce qui concerne le côté extérieur, lors-
qu'on igDore la langue qui traduit les sentiments exprimés.
Ici , dans cette galerie supérieure du palais des arls libéraux
qui contenait tant de trésors de tout genre, non loin de la petite
collection d'estampes théâtrales que j'ai fait connaître, des très cu-
rieuses maquettes d'anciens théâtres que je viens de rappeler, on
avait exposé toute une série de petits documents relatifs à l'art
théâtral tel qu'il est pratiqué dans les divers pays d'Extrême-Orient:
Inde, Chine, Japon, Siam, Cambodge, Java, etc. Nous avions là,
sans prétention impossible au complet, mais dans toute leur origi-
nalité documentaire, la reproduction de quelques-uns des éléments
extérieurs de cet art si complètement inconnu de nous jusqu'ici :
costumes, masques, accessoires, portraits d'« artistes », estampes
diverses, et cela était vraiment intéressant et digne d'attention,
tant pour sa nouveauté que pour son étrangeté. Deux amateurs
surtout avaient fait les frais de cette petite exhibition d'un genre
si particulier : d'une part, M. K. Krafft, de l'autre, M. Louis Gonse,
rédacteur en chef de la Gazette des Beaux-Arts, dont la collection
japonaise est peut-être la plus belle de Paris et qui a publié sur
l'art et les artistes japonais plusieurs ouvrages si substantiels et si
caractéristiques.
Mais avant de détailler et de passer en revue cette exhibition où
le Japon tenait la place la plus importante, il ne serait pas superflu,
je pense, d'avoir quelques détails pratiques et précis, exacts sur-
tout, sur le théâtre tel qu'il existe et qu'on le comprend en ce
pays. Je vais les emprunter à un écrivain élégant et disert qui a
fait, sur place, une étude de ces contrées lointaines, et qui avait,
pour ce qui concerne ce chapitre spécial, le grand avantage d'être
en même temps un artiste, musicien et compositeur instruit, grand
amateur de théâtre, très épris et très au fait de tout ce qui le
touche et s'y rattache. Je veux parler de M. Emile Guimet, dont les
très vivantes et très aimables Promenades japonaises contiennent, sur
le sujet qui nous occupe, quelques pages fort bien venues, tracées
par un voyageur qui sait voir, comprendre et décrire.
C'est à Yokohama que M. Guimet s'est pour la première fois, au
cours de son voyage, enquis d'un théâtre, c'est là qu'il a pu assis-
ter à un spectacle japonais, et, en rendant compte de la représenta-
tion qu'il lui a été donné de voir, il nous fait faire, tout d'abord,
connaissance avec la salle et son public :
...Je finis, dit-il, par savoir qu'il y a dans la ville le théâtre de Mina-
Toza, où nous pourrons voir des pièces japonaises. Et, le soir même,
malgré une pluie battante, je me fourre dans un djinrikecha fermé et,
accompagné de Régamey, je vole à la représentation.
L'entrée est grillée de grosses barres de bois qui forment des cages dans
lesquelles sont installés les caissiers, les contrôleurs, les placeurs et
même le bureau des cannes ; pardon, je veux dire le vestiaire, où l'on
dépose ses chaussures...
Des faisceaux d'immenses parapluies en papier jaune garnissent les an-
gles et forment de petits ruisseaux sur le plancher.
La salle se compose d'un vaste parterre et d'un rang de première ga-
lerie où sont des loges. Ce n'est ni un parterre assis, ni un parterre de-
bout, mais c'est un parterre accroupi. Les spectateurs s'assoient sur leurs
talons et restent dans cette position, familière aux Japonais, pendant
tout le temps de la représentation, qui dure souvent la journée entière et
une partie de la nuit (1).
Des séparations carrées, de trente centimètres de haut, divisent le par-
terre en compartiments, figurant des espèces de loges découvertes. Ces
séparations sont assez larges pour qu'on puisse marcher facilement dessus:
elles forment des sentiers que l'on suit pour gagner sa place ou pour
se retirer. C'est aussi sur ces chemins surélevés que, pendant les entr'actes,
les marchands de programmes, les marchands de gâteaux ou de thé pas-
sent au milieu des spectateurs, qui généralement, étant venus là pour
s'amuser complètement, consomment tout le temps.
Dans chaque compartiment il y a un petit brasero, non pas comme
moyen de chauffage — il fait certes assez chaud — mais pour que hom-
mes, femmes, enfants puissent fumer de temps à autre la petite pipe dont
on vide les cendres dans un tube de bambou, au moyen d'un coup sec et
violent, dont le bruit incessamment répété est la première chose que je
remarque en entrant.
Outre lus séparations praticables dont j'ai parlé, il y a deux chemins
plus larges, à droite et à gauche, et qui, placés à la hauteur de la scène,
permettent aux acteurs de faire leur entrée autrement que par le fond du
théâtre, et donnent parfois l'occasion de représenter des scènes différentes
et simultanées. Un de ces chemins est assez large pour que des voitures
(1) Parfois le spectacle commence vers midi, pour finir seulement au
lever du soleil. Les Japonais ont, sous ce rapport, l'estomac plus solide
que nous.
des bateaux à roulettes, puissent y circuler. Mais c'est toujours sur le
théâtre que l'action se passe ; on ne représente dans la salle que les
scènes d'introduction et de sortie.
Nous nous installons dans une loge de galerie, assez près d'une loge
d'avant-scène où siège un policeman tout seul, chargé sans doute de
maintenir l'ordre, que personne, du reste, ne songe à troubler.
Le public est très nombreux et fort animé. Il y a beaucoup de femmes
et des enfants de tout âge. On voit que l'on est venu là en famille. C'est
toujours, à mon avis, une bonne note pour la moralité d'un pays lorsque
la famille entière est admise aux divertissements.
La salle est éclairée au gaz et, malgré la pluie qui a rafraîchi l'air, la
chaleur est intense. Aussi les spectateurs se sont mis à leur aise en se
dépouillant le plus possible de leurs vêtements, que quelques jeunes gens
ont supprimés tout à fait.
Je me figure que cette assemblée élégante, lettrée et à demi nue, doit
donner une idée du public athénien assistant aux représentations du
théâtre de Bacchus.
J'ajouterai que la rampe, un peu clairsemée, qui éclaire la scène
du théâtre japonais, se compose seulement de quatre becs de gaz
à nu, disposés de façon que la lumière arrive à peu près à la hau-
teur de la ceinture des acteurs. Cet éclairage parcimonieux ne per-
met guère de voir le jeu des physionomies ; aussi est-on obligé
pour cela d'employer un procédé qu'on trouvera décrit plus loin et
qui est quelque peu destructeur de l'illusion. Quant aux loges de
la salle, elles sont éclairées par des lanternes lumiueuses.
Il n'y a point là d'orchestre, comme chez nous, les musiciens, peu
nombreux, se tenant sur un des côtés de la scène ; parlant, point
de vide, point d'espace libre entre l'acteur et le public. Les specta-
teurs les plus proches de la scène la touchent absolument, et, pour
mieux voir, se haussent volontiers quelque peu, de sorte que leur
tête surgit en quelque façon au-dessus de l'avant-scène, qui pénètre
assez profondément dans la salle. Au rez-de-chaussée, contournant
le pourtour, il y a une rangée de loges assez semblables à nos
baignoires. La familiarité est grande, comme nous l'avons vu, et
les mères nourrices ne se gênent nullement pour amener leurs
petits enfants au théâtre et leur donner le sein devant la foule.
Mais laissons M. Guimet, après avoir décrit la salle, nous met're
au courant de ce qui se passe sur la scène :
Voilà bien une autre réminiscence de l'antiquité.
L'acte commence.
Dans une. loge grillée de l'avant-scène un homme joue de la guitare
(sammissen) et parle d'un ton larmoyant et cadencé. Il raconte au public
la situation, et de temps en temps décrit les sentiments des acteurs, pen-
dant que ceux-ci expriment par leurs gestes et leurs physionomies les
mouvements de leur âme.
Or, cet homme, qui sert d'intermédiaire entre l'acteur et le spectateur
qui s'adresse parfois aux héros de la pièce pour leur donner du courage
ou de la prudence, qui conseille les uns, qui invective les autres, qui
annonce, explique et conclut, qui pleure, s'indigne, s'émotionne, palpite
avec le drame... cet homme est le chœur antique dans toute sa pureté.
Au-dessous du chœur se tient un régisseur de la scène, armé de deux
rectangles de bois massif avec lesquels il fait des roulements sur une
petite tablette excessivement sonore. C'est dans les moments pathétiques
qu'il frappe à tour de bras et souligne les paroles de l'acteur par un
étourdissant trémolo. Il est également chargé d'annoncer, à coups redou-
blés, l'entrée des acteurs principaux. C'est, à la fois, un appel à l'attention
du public, une réplique pour l'artiste et une réclame pour les chefs
d'emploi. De l'autre côté de la scène, dans les coulisses, se tient l'orchestre
et un souffleur chargé des cantonades.
Les comédiens parlent en faisant beaucoup chanter la voix, qui monte
et descend sur chaque phrase. Mais cela n'a rien de la mélopée criarde
et conventionnelle des acteurs chinois. Les Japonais sont vraiment acteurs,
et, à part certaines habitudes théâtrales, comme celle d'exagérer les gri-
maces aux endroits dramatiques, ils jouent avec beaucoup de naturel et
non sans talent. Les rôles de femmes sont remplis par dos hommes.
Indépendamment des acteurs, il y a sur la scène d'autres personnages
vêtus de brun et que l'on est censé ne jamais voir. Les uns vont cl
viennent pour donner les accessoires ou faire fonctionner les becs de gaz.
Les autres portent au bout d'un bâton (horizontal) une bougie qu'ils tien-
nent constamment devant la figure des acteurs principaux, pour mettre
en lumière les jeux do physionomie. D'autres enfin se tiennent derrière
les personnages pour glisser sous leurs vêtements un tabouret, quand ils
veulent s'asseoir, leur passer un mouchoir, une tasse de thé, ou les rafraî-
chir à grands coups d'éventail. C'est justement dans les scènes émotion-
nantes que ces gnomes dramatiques interviennent, s'agitent, secondent
les acteurs, comme pour les soulager dans la douleur et l'émotion qu'ils
simulent.
(A suivre.)
AUTIIUR Pougin.
LE MENESTREL
60
HISTOIRE VRAIE
DES HÉROS D'OPÉRA ET D'OPÉRA- COMIQUE
XLI
STRUENSÉE
Tout jeune, imbu des doctrines matérialistes, l'étudiant en méde-
cine danois Struensée avait pris pour ligne de conduite que, nos
organes développant seuls la pensée, on pouvait, avec l'unique ré-
serve de ne nuire à personne, mépriser tous les préceptes et ne
tenir aucunement compte de l'opinion des autres hommes.
Avec un pareil programme, Struensée devait aller loin, et, en
efïét, il s'éleva haut. Sorti du peuple, il visa les cimes jusque-là ju-
gées inaccessibles à sa classe. La noblesse était alors toule-puis-
sante, il lui déclara la guerre. Il avait pris Richelieu pour modèle,
et se promet' ait bien de l'imiter en toute occasion, afin de devenir,
comme ce grand homme, un ministre souverain.
Il y parvint. Attaché tout d'abord comme médecin au roi Chris-
tian VII, Struensée ne tarda pas à devenir son lecteur, ce qui
l'obligeait à une présence conlinuelle auprès de lui. Mais loin de se
plaindre de cette servitude, il l'utilisa pour atteindre son but plus
sûrement. Les circonstances le favorisèrent, mais il dut surtout à
lui-même, à son caractère, à ses défauts, et à ses qualités, la
promplitude et le degré de son élévation.
« Il était, rapporle Reverdil, d'une ligure agréable, d'un commerce
doux ; il aimait à rendre service. Joyeux convive, beau joueur,
empressé auprès des femmes, chasseur et voyageur infatigable, il
eut la vogue comme médecin : on en fit même un ami ? »
Un ami, c'est ce qu'il fut pour le roi, mais un ami de vues assez
larges, son scepticisme le portant à faire bon marché des principes
les plus élémentaires du code de l'amitié. Pour s'ancrer plus avant
dans les bennes grâces de Christian VII, il lui fit tout d'abord con-
naître une personne dont il avait, pour lui-même, pu apprécier tout
le dévouement, et qui lui rapporlait fidèlement toutes les pensées
du roi. Mais il ne tarda point à remarquer le danger de cette con-
duite.
La reine Mathilde prit en haine le favori de son royal époux :
Elle devint la tète de la faction qui s'élevait contre lui. Struensée
pensa dès lors qu'il aurait tout à gagner à connaître les pensées de
son maître, directement, par celle qui partageait son trône.
La reine avait évité tout rapprochement avec Struensée. Ce fut
son mari qui la supplia de le recevoir, à l'occasion d'une maladie
qui la tenait. La reine ne tarda point à guérir. Aussitôt, à la cons-
ternation générale, on vit Struensée nommé premier ministre.
Alors commença, pour l'ambitieux, une existence de seigneur
tout -puissant. Autoritaire , inflexible et rigide , il bouleversa
tout le système gouvernemental du Danemark. Il décréta la liberté
de la presse et supprima la censure pour les livres, ce qui parut
monstrueux à une époque où la pensée, par toute l'Europe, était
tenue sous le boisseau (la chose se passait au milieu du siècle der-
nier). Il est vrai que celte liberté s'étant promptement tournée contre
lui-même, il s'était hâté de la restreindre jusqu'à la rendre illusoire.
Mais ce ne fut là que le commencement des réformes qui boulever-
sèrent de fond en comble la constitution de ce petit pays, jusque-
là si tranquille. Avec une dévorante activité, le ministre travailla
sans relâche au renversement de tout ce qui existait. Chaque jour
fut marqué par une exécution sommaire ; aucun rouage de la ma-
chine politique ne demeura intact : l'armée, la marine, l'adminis-
tration furent désagrégées. Chacun en souffrait et tous en criaient.
Mais où le mécontentement fut à son comble, c'est lorsqu'on apprit
subitement que Struensée, d'un trait de plume, et sans qu'aucune
indication eût fait pressentir cette éventualité, venait de décréter
la suppression du Conseil d'Etat... « attendu, lisait-on dans le dé-
cret, que dans une monarchie absolue le nombre des personnes
d'un haut rang qui participent aux affaires du gouvernement et la
considération qu'elles acquièrent à la longue par ce moyen ne font
qu'embrouiller et retarder l'exécution, et que nous n'avons rien de
plus à cœur que d'avancer avec zèle le bien public... ». Suivait le
rescrit ordonnant la dissolution. Puis vint le tour du Conseil privé,
afin, déclarait le roi, « d'établir dans sa pureté le principe monar-
chique tel qu'il a été confié à nos ancêtres par la nation dans le sens
oii la nation le leur a doDné ».
Pour le coup, tout le monde se fâcha. La reine douairière, mère
de Chris1 ian VII, se mita la tète du complot, et l'on décida, dans
ses appartements, la perte de Struensée.
La nuit du 16 au 1" janvier 1772 fut choisie pour l'exécution de
la sentence. Il y avait, ce soir-là, bal masqué au château. Pendant la
fête à laquelle Christian n'avait point pris part, suivant son habitude,
les conjurés se rendirent auprès de lui pour lui extorquer, en évo-
quant le spectre d'une conspiration imaginaire dirigée contre lui,
l'ordre de faire arrêter dix-sept personnes, parmi lesquelles le pre-
mier ministre, et... la reine.
Christian prit peur ; il signa tout ce qu'on voulut. Struensée et
Mathilde, — la reine Mathilde, sœur du roi George III d'Angleterre
— furent arrêtés et jetés en prison, au secret, la nuit même.
Le procès s'instruisit. Il comprenait six chefs d'accusation :
1° Dessein abominable contre la personne du roi ;
2° Projet de forcer le roi à renoncer au gouvernement ;
3° Commerce avec la reine :
4° La manière dont le premier ministre avait élevé le prince royal ;
5° Le pouvoir et l'autorité sans bornes qu'il avait acquis dans les
affaires de l'Etat ;
6° L'administration de ces mêmes affaires ;
Cinq semaines durant, Struensée demeura aux fers, ainsi que sou
collègue Brandt, directeur des spectacles de la cour, compromis,
sans raison, dans sa disgrâce. Reconnus coupables de lèse-majeste,
ils furent condamnés à avoir la main droite et la tète coupés, le
corps mis en quartiers et exposé sur la roue. Quant à la reine, elle
fut exilée. Quelques voix s'élevèrent pour la grâce dans le conseil.
Mais Rantzau, l'une des créatures du ministre, et qui lui devait
tout, s'y opposa.
Le 28 avril 1772, on tira Struensée et Brandt du cachot infect où
ils étaient enfermés depuis plusieurs mois, pour les conduire au
supplice. Brandt fut exécuté le premier, et Struensée dut mettre sa
main sur le billot encore ruisselant du sang de son ami, dont les
restes étaient dispersés autour de lui.
Par un retour coutumier des choses d'ici-bas, la population, qui
pourtant n'avait pas à se plaindre du favori disgracié, souligna
cette exécution de ses vivats et de ses extravagances. On décréta
un jour de jeûne et d'actions de grâces « pour remercier Dieu
d'avoir sauvé le roi, le royaume et la famille royale du danger le
plus imminent ».
(A suivre.) Edmond Neukomm.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts du Chàlelet. — M. Lalo que ses récentes compositions ont
placé dans les premiers rangs de nos compositeurs français, est un de
ceux qui, avec M. Reyer, sans répudier les vieilles traditions du passé,
acceptent, des tendances modernes, ce qui leur parait un progrès néces-
saire. C'est à ce compromis heureux que nous devons le Roid'Ys et la belle
ouverture que nous applaudissions le dimanche 23 février. — M. Camille
Saint-Saëns est celui de nos contemporains qui s'est le plus nourri des
fortes études classiques : ses vrais maîtres sont Hœndel, Beethoven et
Mendelssohn. Dans tout ce qu'il fait, il y a une facture puissante dont
ceux-là seuls ont le secret qui connaissent les ressources du contrepoint
et de la fugue. Aussi, ses compositions se tiennent-elles ; elles ont une
base solide. Elles peuvent plus ou moins réussir devant le public, mais
pour les musiciens qui méritent ce nom, elles ont toujours une incontes-
table valeur. C'est à quoi nous songions en écoutant la belle Marche hé-
roïque, dédiée à la mémoire d'Henri Regnault. — Avec M. César Franck
(poème symphonique de Psyché), nous sommes en plein dans le mouve-
ment : c'est le règne de la mélodie continue dans toute son exagération.
A travers une série non interrompue d'abracadabrantes harmonies serpen-
tent des formules indécises qui, n'ayant aucune raison de commencer,
n'en ont aucune de finir. L'orchestre gémit et murmure; les chœurs,
derrière les coulisses, imitent le bruit vague des harpes éoliennes sus-
pendues aux branches des pins. M. Franck est le plus mystique de nos
compositeurs : il excelle à peindre les. divines bypostases, les béatitudes
célestes, les formes impalpables, les abimes sans fond et les immensités
sans limites. Il y a, en lui, du Pater extaticus et du Pater seraphicus de
l'épilogue, dans le ciel, du second Faust. Comme M. d'Indy, il aime
à initier ses auditeurs à la profondeur de ses conceptions : il fait distri-
buer des brochures qui expliquent les arcanes de sa pensée, comme Scho-
penhauer expliquait les arcanes de la métaphysique en publiant la
Quadruple racine de la raison suffisante. L'orchestre du Chàtelet s'est surpassé
dans l'exécution d'une œuvre aussi difficile à interpréter que la Psyché de
M. César Franck. Par un effet, que nous croyons être de pur hasard,
cette composition se trouvait encadrée entre deux vieilles choses : la
symphonie en sol. d'Haydn, et le Septuor, de Beethoven. Or, il s'est trouvé
qu3 ce sont ers deux vieilles choses que le public a applaudies avec le plus
de frénésie. L'orchestre de M. Colonne a été excellent, comme toujours.
TU
LE MENESTREL
Mais pourquoi M. Colonne oublie-t-il qu'il y a, dans l'œuvre immense
d'Haydn des symphonies qu'il serait bon de faire quelquefois entendre,
ne serait-ce que l'admirable symphonie en ré mineur, et qu'il y aurait
un essai à tenter avec VOctuor de Schubert, qui est une des plus admira-
bles compositions de ce maître et dont certains fragments seraient suscep-
tibles d'une exécution analogue à celle du Septuor de Beethoven?
H. Barbedette.
— Concerts Lamoureux. — L'interprétation de la symphonie en fa n'a
pas été exempte de quelque raideur ; aussi les thèmes charmants de
Beethoven ont-ils paru manquer de souplesse et d'élégance. — La Ballade
symplwnique de M. Ghevillard est une composition distinguée qui, sans
exciter d'enthousiasme, ne donne que faiblement prise à la critique. Il
n'y a là aucune excentricité de mauvais goût, mais par contre aucune
mélodie originale ; le sentiment poétique est bon, la facture dépasse
peut-être la moyenne des œuvres de second ordre, mais l'ensemble
manque de vie et d'originalité. — Mme Sophie Menter a montré, dans l'exé-
cution du concerto en la, de Liszt, qu'elle possède une technique admi-
rablement consistante qui se traduit extérieurement par une qualité de
son superbe, un mécanisme d'une aisance parfaite et une merveilleuse
pondération de tous les éléments qui constituent la ligne et donnent à
l'œuvre toute sa cohésion. Son jeu est empreint d'une qualité précieuse
et rare que l'on pourrait appeler la droiture artistique. L'on n'y remarque
jamais aucun artifice, aucun subterfuge destiné à forcer l'attention par le
grossissement du détail ou l'exagération du sentiment. En écoutant
jjme Menter, ce n'est pas tel ou tel trait, tel ou tel motif que l'on
applaudit au passage, c'est un ensemble d'éminentes qualités, supérieu-
rement équilibrées et qui ont fait que l'œuvre de Liszt s'est présentée
en pleine lumière, brillante et colorée. — Les fragments de Roméo et Juliette,
de Berlioz, la scène du bal, l'adagio et le scherzo ont produit beaucoup
d'effet, bien que l'exécution n'ait eu ni le caractère tour à tour intime
et emporté que semble comporter le premier morceau, ni la souplesse
amoureuse qu'exige le second, ni même l'étincelante vivacité qu'il fau-
drait dans le troisième. Néanmoins, la perfection du rendu dans les détails
suppose une étude opiniâtre et consciencieuse et le résultat obtenu au
Cirque démontre que l'exécution a été l'objet des soins les plus minu-
lieux. — La séance s'est terminée par l'audition du prélude du troisième
acte de Tristan et Yseult qui est superbe au théâtre mais qui, au concert,
devient une simple étude de son à l'usage du cor anglais, et par une
brillante interprétation de Joyeuse Marche de M. Emmanuel Chabrier,
œuvre qui ne peut être considérée que comme une excentricité amusante
et spirituelle destinée à distraire et à détendre l'esprit.
Amédée Boutarel.
— Programmes d'aujourd'hui dimanche:
Au Conservatoire : Symphonie avec chœurs (Beethoven), par Mmcs Leroux-
Ribeyre et Nardi, MM. de Latour et Auguez; airs de ballet Iphigénie en
Âulide (Gluck); duo nocturne de Béatrice, et Bénédict (H. Berlioz), par Mmes Le-
roux-Ribeyre et Nardi; polonaise de Struensée. Le concert sera dirigé par
M. J. Garcin.
Chàtelet, Concert Colonne : Ouverture de Benvenuio Cellini (H. Berlioz);
Symphonie en ut (Jupiter) (Mozart) ; premier Concerto pour piano (Tschaï-
kowsky) par M. Sapelnikoff; Psyché (César Franck); Ballet d'Henry VIII
(Saint-Saëns).
Cirque des Champs-Elysées, Concert Lamoureux : Symphonie en la (Bee-
thoven); Ballade symplwnique (C. Chevillard): la Toute-Puissance (F. Schubert),
par M""3 Materna; Siegfried-Idyll (Wagner); Danse macabre (Saint-Saëns) ;
scène finale du Crépuscule des Dieux (Wagner) ; ouverture du Frcischûtz
("Weber, .
— Concerts et musique de chambre. — La Société de musique de
chambre pour instruments à vent, vient de reprendre ses très intéres-
santes séances. On a commencé par le quintette (op. 55) de Rubinstein,
joué par MM. Diémer, Talïanel, Turban, Garrigue et Espaignet, avec un
ensemble merveilleux. L'œuvre en elle-même est grise, trop longue,
agréable seulement dans ses morceaux intermédiaires. M. Gillet a inter-
prété avec la virtuosité si brillante et la sonorité si pure, si distinguée,
qu'il sait tirer do son instrument, quatre pièces de M. Bartbe. J'ai hâte
d'arriver a la pièce de résistance du programme, le divertissement pour
deux flûtes, deux hautbois, deux clarinettes, deux cors et deux bassons de
M. E. Bernard. Une partition dont chaque mesure s'enchaine avec une
admirable logique ne s'analyse pas en quelques lignes. Ce que je puis
dire, c'est que cette œuvre porte également l'empreinte du goût fin et
châtié et du savoir technique si complet de son auteur. D'un bout à l'au-
hv elle se tient, et la grande variété qui résulte de la multiplicité des
détails n'affaiblit nulle part le principe d'unité sur lequel elle repose. Le
divertissement est composé de quatre parties : un allegro au développe-
ment très intéressant, un scherzo, badinage musical, tout plein de grâceet
de délicatesse, de charme et d'élégance, un andante d'un beau et profond
sentiment et un finale entraînant, coloré, qui clôt dignement l'œuvre,
supérieurement interprétée, point n'est besoin de l'affirmer, et chaleureu-
semeni reçue. — M. Coenen, le très habile pianiste, vient de donner un
concert où il a luit entendre, avec grand succès, la première sonate de
Schumann et plusieurs courtes compositions de Chopin, Tausig et Saint-
Saëns. M"'- Antonia Pouget, une artiste de grand talent douée d'une fort
belle voix lui prêtait son concours et a dit avec style l'air Ah! perfide ! de
Fidelio, un air de Samson et Dalila, de Saint-Saëns, et une mélodie de
Schumann. — Mentionnons encore le succès obtenu à son concert par
MUc Depecker, une remarquable élève de M. A. Duvernoy, qui a déployé
de grandes qualités de virtuosité et de style dans un programme artiste-
ment composé et où se trouvaient réunis les noms de Beethoven, Bach,
Schubert, Schumann, Liszt, Chopin et de MM. Godard, Alph. Duvernoy
et Lenepveu. I. Ph.
— Le beau concert donné par M. Léon Delafosse avec l'orchestre Colonne,
le place définitivement et malgré son jeune âge (il n'a que seize ans) au
premier rang des virtuoses français. Dans le concerto en si b de Mozart,
il s'est montré un interprète d'une simplicité exquise, d'une tendresse et
d'une grâce incomparables, comme il convient pour cette musique d'un
charme si pénétrant. Dans le brillant coneerto en soi mineur de Men-
deissohn. au contraire, son jeu chaud et coloré, plein de fougue, de jeu-
nesse et d'élan, a littéralement enthousiasmé la salle entière. Il y avait
en outre au programme une douzaine de morceaux classiques et modernes
pour piano seul, parmi lesquels nous avons particulièrement remarqué
une nouvelle composition de M. Théodore Lack, l'Oiseau-Mouche, véritable
bijou mnsical, d'une couleur imitative charmante, interprétée de façon
exquise et que le public a redemandée par acclamation, une très belle
étude du même compositeur et deux fort jolies pièces de M. Th. Dubois.
M. Delafosse n'était hier qu'un enfant gâté du public, il est aujourd'hui
un virtuose accompli.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Courrier musical de Monaco. La représentation d'Hamlet a été tout
un triomphe ; à la fin de chaque acte, il y a eu des applaudissements et
des rappels sans nombre, de la part d'une salle comble où l'on remarquait
l'élite de la haute société cosmopolite, en déplacement sur le littoral, venue
pour juger la nouvelle version du rôle d'Hamlet écrit par l'auteur pour
voix de ténor. Beaucoup de connaisseurs ont trouvé que l'ouvrage gagnait
à cette transformation. Le rôle d'Hamlet a d'ailleurs été joué et chanté
d'une façon remarquable par M. Dereims, qui y a remporté un vif succès
personnel comm'e chanteur et comme comédien. Mme Melha s'est montrée
grande cantatrice dans le rôle d'Ophélie et, après l'air de la « Folie » elle
a été rappelée et couverte de fleurs. Mmî Deschamps-Jehin a été superbe
dans le rôle de la reine, où l'ampleur de sa voix a fait merveille. MM. Is-
nardon, excellent dans le rôle du roi ; Waimps (Laërte), Cordier (le spectre)
Dethurens (Horatio), Jouanne (Marcellus), ont été aussi fort applaudis ;
ballet fort bien réglé et orchestre magistralement conduit par M. Jehin.
Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Brème : Un opéra comique nou-
veau en un acte, de MM. J. Kulenkampff pour les paroles et G. Kulen-
kampff pour la musique, le Paye, a réussi de la plus brillante façon au
théâtre municipal. L'opinion de la presse', en général, est que l'ouvrage
fera son chemin. — Cologne : Une excellente reprise de Geneviève, de Schu-
mann, vient d'avoir lieu au théâtre municipal. L'interprétation, à la léle
de laquelle sont M. Gotze et M"10 Saak, a largement contribué au succès.
— Dresde : La prochaine nouveauté du théâtre de la cour sera le Roi mal-
gré lui, de M. Chabrier, interprété par Mlucs Friedmann, Scbuch ; MM. Schie-
demantel et Nebuschka. — Gôttingen : Le nouveau théâtre, entièrement
achevé, vient d'être livré à la commission des bâtiments municipaux.
L'inauguration aura lieu au printemps. — Innsbruck : La direction du
théâtre municipal est passée aux mains de M. Paul Blasel, du Cari Tlwater
de Vienne. — Leipzig : Girendoline, l'opéra de M. Chabrier, vient d'être
représenté pour la première fois au nouveau théâtre municipal. L'inter-
prétation et l'exécution orchestrale ne paraissent pas avoir été satisfai-
santes. La presse locale malmène assez rudement l'ouvrage de notre com-
patriote, à l'exception du Leipziger Tugeblatl qui est plein d'enthousiasme.
— Munich : L'opérette de Sullivan, le Garde du Roi, a été bien accueillie
au théâtre Gaertnerplatz. — Prague : Le théâtre allemand est activement
occupé à monter le Roi d'Ys, de M. Lalo, avec la traduction allemande du
Dr Berggruen, de Vienne. La date de la première représentation n'est pas
encore fixée. — Reichenberg : M. Paul Hiller, le fils du compositeur
Ferdinand Hiller, a été renommé pour trois ans directeur du théâtre muni-
cipal.
— L'Allgemeine Musikzeitung de Berlin annonce que, dès à présent, l'on
songe à Bayreutb aux représentations de l'année prochaine. M. Kniese
parcourt en ce moment l'Allemagne â la recherche des artistes qui pour-
raient convenir pour le Tannliduser, qui s'ajoutera cette fois aux ii'uvres
jouées sur la scène du théâtre Wagner. On a également commencé les
décors qui seront la reproduction aussi exacte que possible de sites de la
Thuringe où se passe l'action. D'après YAUgemeine Mnsikzeitung, on don-
nera en 1891 quatre ouvrages, Parsifal, Tristan, les Maîtres chanteurs et
Tannliduser: L'année suivante, Lohengrin s'ajoutera à la série et en 1893 on
reprendrait probablement le Ring des Nibelungen.
— La ville de Vienne prépare pour le mois d'août prochain une série
d'importantes fèlos musicales, à l'occasion du quatrième festival de L'Union
des chanteurs allemands. Une commission de trois cents citoyens apparte-
nant à toutes les classes de la société, et divisé.3 en dix sous-commissions,
LE MEMESTREL
s'occupe de l'élaboration du programme et de l'organisation générale du
festival. Les frais sont d'ores et déjà couverts par un fonds de garantie de
175,000 francs. De vastes constructions spéciales vont être élevées au
Prater, entre autres un hall gigantesque destiné à abriter vingt mille per-
sonnes. Des invitations seront adressées aux principales sociétés de l'Al-
lemagne et de l'étranger. Les sociétés participantes formeront un défilé
monstre qui parcourra les principales rues de Vienne avant de se rendre
au Prater pour l'inauguration solennelle du festival.
— Le théâtre de la cour de Stultgard a fêté avec un éclat inusité, un
jubilé peu ordinaire, celui d'une de ses plus modestes pensionnaires qui
peut bien être considérée comme la doyenne de la profesUon, étant âgée
de 84 ans, et ayant à l'heure actuelle 7b ans de service sur les planches.
Mmc Louise Schmidt — c'est son nom — a pris part elle-même à la
représentation donnée en son honneur, remplissant son rùle favori de
Barbel dans la comédie Village et Ville. Après le troisième acte, le roi
Charles est venu en personne féliciter la vieille duègne, que, de son côté,
le public ne se lassait pas d'acclamer.
— Les trois séances de piano données par Mme Teresa Carreno à la
Singakademie de Berlin ont éveillé le plus vif intérêt dans le monde mu-
sical de la capitale allemande. Les feuilles locales apprécient avec force
éloges le talent de la brillante virtuose. A sa dernière séance, Mme Car-
reno ('tait assistée de Mmc Anny Scherwin qui a fait applaudir une ravis-
sante voix de soprano dans l'air de la Perle du Brésil et celui de la Reine
de la nuit de la Flûte enchantée.
— Nous avons annoncé l'incendie du théâtre communal d'Amster-
dam. Le Grand-Théâtre de la ville (Stadsclwuœburg) avait déjà été détruit par
un incendie au siècle dernier. On fit à cette époque pour le théâtre hol-
landais ce qu'on avait fait à Paris pour l'Opéra de la rue Le Peletier,
c'est-à-dire qu'on construisit hâtivement une salle de spectacle en bois.
Or, il se fit que ce théâtre provisoire devint une merveille d'acoustique
qui acquit bientôt une renommée européenne. Ces qualités merveilleuses
furent cause qu'on ne démolit pas la salle de bois, et que le provisoire
subsista. Seulement, on entoura ce théâtre extraordinaire d'un bâtiment
en maçonnerie dont la façade avait fort grand air. Le Stadschomvburg était
de dimensions absolument inusitées en Hollande. Les troupes d'opéra de
la Haye et de Rotterdam desservaient cette scène le mardi de chaque
semaine. Les autres soirées étaient consacrées à la représentation de
comédies, de drames, de vaudevilles, en langue néerlandaise. On y don-
nait parfois des divertissements-ballets.
— Spa (Belgique). — Le grand festival international de Spa s'annonce
sous les meilleurs auspices. Tout est maintenant décidé, arrêté. Les har-
monies, fanfares et orphéons y sont invités les 10 et 11 août 1890. Nous
rappelons que le président de ces belles fêtes est M. Lousberg, bourg-
mestre de Spa. Il y aura quatre primes en espèces tirées au sort entre les
Sociétés. La première, 1.S00 francs ; deuxième, 800.; troisième, 300; qua-
trième, 300. Et quatre tirées entre les chefs de musique : de SOO, 300,
200 et 100 francs. En outre, des médailles en vermeil et en argent seront
offertes à chaque Société et à chaque directeur. — Prière en cas d'omis-
sion et pour toutes demandes d'invitations et du règlement, d'écrire à
M. Parent, secrétaire général du. festival.
— Correspondance de Barcelone. — Oncques ne se vit plus pauvre sai-
son théâtrale de carnaval! Généralement, jadis, dans notre bonne capi-
tale de la Catalogne, cette folle saison de carnaval, toute consacrée à
la joie, était, en l'absence de tous autres divertissements, très profi-
table aux entrepreneurs de spectacles — même lyriques. Mais voilà-t-il
pas que la société argentée de Barcelone s'avise de devenir mondaine!
Voilâ-t-il pas qu'elle se met à recevoir, cette société autrefois « en-
tasseuse » de gros sous ! Voilà-t-il pas qu'elle donne des bals
masqués, tout dorés, tout parfumés, avec éclairage électrique, giran-
doles de fleurs naturelles et... buffets!!! Oui, monsieur, avec buffets,
et buffets bien garnis encore ! — N'est-ce pas le bouleversement des bou-
leversements? Aussi, tout ee que notre ville compte de femmes élégantes
et de jeunes gens copurchics s'est-il empressé de planter là la musique
qui s'écoute pour celle qui se « gigote ». — Voilà pourquoi nos salles de
spectacle ont été, pendant les trois quarts de cette mémorable saison
de carnaval, de véritables petits Saharas. Mais nos directeurs qui
sans doute, prévoyaient le coup, se sont préoccupés de rester sur la
plus défensive réserve, et tùusdeurs efforts ont été de s'efforcer à ne rien
faire d'intéressant. Ils y sont parvenus presque aussi complètement que
lorsqu'ils font tout leur possible pour atteindre le but contraire. Au grand
Teatho del Liceo, après les triomphales représentations de Marie Van
Zandt, on prétexta de l'épidémie d'inlluenza pour fermer la salle, avec un
soldo débiteur do treize représentations d'opéra aux abonnés, et des
queues de compte de tous les côtés. — Au bout d'une quinzaine, on rou-
vrit les sublimes portes (rien de Turquie) avec un grand ballet italien
intitulé Messalina. Comme argument, ce n'est rien, comme musique, c'est
pis; mais la chose est très luxueusement mise en scène... et voilà qua-
rante jours qu'elle dure! Un bon opéra nouveau, bien interprété, eût
peut-être bien, en cas de grand succès, fourni une carrière de dix soirées!
Mais une insanité, ça a la vie dure! Vous parlerai-je du Teatho Principal,
OÙ l'on joue très convenablement des traductions de Dumas, Sardou et
consorts, et du Romea, où se vient d'étrenner (nie) une lamentable tragédie
intitulée Rey y Monjo (Roi et Religieux (jésuite), écrite en patois du cru
par une célébrité idem? — Non, n'est-ce pas? Vous m'en dispenser.
Alors, passons. Et arrivons à l'annonce do l'inauguration du Teatho
Gayaroe. Vous aimez le Gayarre, on en a mis partout : rue Gayarre, place
Gayarre, yacht Gayarre, pilules Gayarre, cravates Gayarre, le pauvre
défunt est plus que jamais de haute mode. Mais revenons au Teatro
Gayarre. Son inauguration — les affiches disaient : solennelle — a eu
lieu avec Lucie de Lammermoor. La soirée n'a pas été trop mauvaise, et le
Liceo voit souvent, dans son auguste enceinte, des représentations infini-
ment plus médiocres. L'interprétation de l'œuvre de Donizetti a été
presque excellente dans son ensemble : les chœurs et l'orchestre se sont
fort bien comportés, et les artistes ont fait tout ce qu'ils ont pu. M"1' Fer-
retti chante agréablement, et, si son style et son jeu avaient un peu plus
d'expression, de sentiment dramatique,, elle eût été une Lucie irrépro-
chable. Le ténor Tromben est doué d'une voix assez puissante, mais
dure et peu agréable; en revanche, il est comédien intelligent. Le bary-
ton Villani fait son affaire. En somme, pour la somme de fr. 1,50 que
coûtent les premières places (fauteuils d'orchestre), on doit être satisfait.
On l'a été. Comme cette soirée d'inauguration était dédiée (sic) à la mé-
moire de Gayarre, le parrain de l'établissement, on fit suivre la représen-
tation de Lucie d'une petite manifestation allégorique, qui eut l'heur de
transporter la nombreuse assistance. Cette manifestation consista en l'exé-
cution, par les chœurs et l'orchestre, de fragments de la Favorite, et, au
moment où la ritournelle de la cavatine Spirto gentil se fit entendre, un
voile de gaze noire qui cachait le fond de la scène se leva et découvrit
le buste du célèbre ténor, éclairé à la lumière Drumont, et autour duquel
les choristes déposèrent de grandes couronnes de laurier. Pour simple
qu'elle fût, cette cérémonie ne laissa pas d'être touchante. Elle produisit
la meilleure impression. Et maintenant on nous promet, à ce même théâ-
tre, l'opéra bouffe de Usiglio, le Donne curiose, qui fut créé à Madrid, il y
a onze ans, par Gayarre, Verger, Nannetti, Fiorini, MmM Borghi-Mamo.
Vitali et Eléna Sanz, avec un grand succès. Privée de ce splendide
septuor d'interprètes, l'œuvre recevra-t-elle ici le même accueil? C'est ce
que nous verrons et vous dirons alors, cher lecteur, avec le plus grand
plaisir. A.-G. Bertal.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Les auteurs dramatiques et les compositeurs de musique se préoccu-
pent vivement d'une proposition de loi sur la propriété littéraire et artis-
tique déposée sur le bureau de la Chambre des députés par M. Philipon.
En effet, la propriété dramatique et musicale est actuellement régie par
la loi du 13 janvier 1791, qui assure aux auteurs et compositeurs le respect
absolu de leurs droits, en vertu de l'article 3, ainsi conçu :
Les ouvrages des auteurs vivants ne pourront être représentés sur aucun
théâtre public, dans toute l'étendue de la France, sans le consentement formel
et par écrit de l'auteur, sous peine de confiscation du produit total des repré-
sentations au profit de l'auteur.
Il est certain que ceci est absolument clair et depuis que Beaumarchais
a fait voter cet article de loi dont il était l'auteur, par la Convention, les
intéressés l'ont toujours déclaré satisfaisant. Or, il paraîtrait que la propo-
sition de M. Philipon supprime la loi de 1791 et ne la remplace qu'im-
parfaitement ; en un mot, ce projet de loi, qui a pour but de fortifier la
propriété littéraire, n'aurait pour résultat que de l'affaiblir. — Les repré-
sentants des auteurs et compositeurs se sont émus de cette situation, et,
M. Victorien Sardou, comme président de la Société des auteurs et com-
positeurs dramatiques, et M. Laurent de Rillé, comme président de la
Société des compositeurs et éditeurs de musique, ont proteste contre la
nouvelle loi, comme étant absolument contraire aux intérêts des auteurs
et compositeurs français. M0 Pouillet, l'éminent jurisconsulte, a été prié
de transmettre à M. Philipon les observations des délégués des deux So-
ciétés, observations que ces messieurs se proposent de renouveler, s'il y
a lieu, devant la commission nommée par la Chambre pour examiner la
proposition deloi en question. Nous ne doutons pas que ces observations,
basées sur une longue expérience et sur la pratique, ne soient prises ,en
sérieuse considération, et que s'il est donné suite à la proposition de loi
de M. Philipon, les auteurs et compositeurs français n'y trouvent des
garanties au moins égales à celles qui leur sont assurées par la loi
de 1791.
— Les bureaux de la Chambre des députés ont élu, cette semaine, la
commission chargée d'examiner le projet de reconstruction de l'Opéra-
Comique. Elle se compose de MM. de Douville-Maillefeu, Philipon, Baile,
Michou,Lechevalier, tous les cinq opposésau projet ;et de MM. Emile Ferry,
Georges Berger, Pichon, Louis Jourdan, Gaillard (Vaucluse) et Delaunay,
tous les six favorables. M. Emile Ferry a été nommé président et M. Louis
Jourdan secrétaire. Le ministre de l'Instruction publique a été entendu.
Il a développé les motifs de son projet, que nous avons déjà fait connaître.
Il a notamment fait observer que la dépense, évaluée à trois millions et
demi serait couverte jusqu'à concurrence de onze cent mille francs par
l'indemnité versée parles compagnies d'assurances et que, pour le surplus,
le crédit de 80,000 francs voté annuellement pour le loyer du théâtre des
Nations suffirait à gager un emprunt de deux millions fournissant le
complément des ressources nécessaires. La commission s'est ajournée
pour entendre l'architecte qui a dressé les plans de reconstruction.
1-2
LE MENESTREL
— La question de la reconstruction de l'Opéra-Comique sur son ancien
emplacement parait d'ailleurs devoir se compliquer singulièrement par
suite du vote récent émis par le Conseil municipal, celui-ci. désireux
sans doute de conserver son bail du théâtre des Nations, refusant
à l'État le droit d'avancer ses constructions sur la place Boieldieu.
Alors, que faire? Se renfermer dans les anciennes limites trop étroites !
Nous ne sommes pas près encore de sortir de cette sempiternelle
question.
— On parle beaucoup en ce moment, de l'engagement de M11-' Sanderson
à l'Opéra, pour la création du Mage de M. Massenet. Et pourquoi pas?
— Effet du papier timbré. M. Paravey a promis de mettre très prochai-
nement au tableau des répétitions le Sicilien de M. "Wekerlin. Une note un
peu ambiguë de la direction de l'Opéra-Comique envoyée aux journaux
voudrait laisser croire qu'il n'y a pas eu expédition de papier timbré ;
mais nous maintenons quand même notre information. Car nous tenons le
fait de l'auteur lui-même, et il est homme d'honneur.
— Que nous apprend le Monde artiste? M. Paravey aurait renoncé à
représenter le Joël de Gilbert Desroches et les Normands da M. Casteignier.
Ce serait vraiment dommage.
— M. Renaud, le bayton qui s'est fait remarquer dans le rôle d'Hamilcar
de Salammbô, à Bruxelles, vient d'être engagé à l'Opéra-Comique. Cet
artiste va faire son service militaire à Paris et pourra bénéficier des
heures de liberté que lui laisseront les exercices militaires pour aller à
l'Opéra-Comique.
— Les personnes qui, ces jours derniers, contournaient l'Opéra, en pas-
sant par la rue Halévy éprouvaient un sentiment de stupeur, en aperce-
vant, derrière les immenses fenêtres, des perchoirs gigantesques sur
lesquels folâtraient des pigeons. On se demandait si MM. Ritt et Gailhard
avaient bien le droit d'accroitre leurs faibles ressources par le commerce
de ces volatiles et, comme on exagère toujours, il en était qui, l'imagi-
nation aidant, avaient cru voir des lapins sortir des sous-sol du palais de
M. Garnier et étaient absolument hostiles à la transformation de ce mo-
nument en palais d'acclimatation : « Des lapins dans le sous-sol, mais ce
serait un comble ! » disaient-ils.
— Du Petit Journal: « Grand scandale vendredi soir, à l'Opéra. C'est-
à-dire que de mémoire d'abonné, on n'avait jamais vu pareille chose.
On donnait l'Africaine, et il parait qu'au troisième acte (le Vaisseau) les
chœurs ont été si mous et si faux, que des chut et des sifflets nombreux
ont couvert la voix des choristes. L'orchestre a été obligé de s'arrêter
devant le mécontentement du public, très énergiquement exprimé, et la
représentation a été interrompue. »
— M™ veuve Buchère, en léguant, sa fortune à l'Institut pour que le
produit en soit appliqué au perfectionnement de l'éducation musicale
d'une ou plusieurs jeunes filles, élèves du Conservatoire de musiqua et se
destinant à l'art dramatique, n'a fait qu'accomplir la dernière volonté de
sa fille, Marie Demerson, morte à Cannes, il y a quelques années.
M"0 Marie Demerson avait été au théâtre de Bouffes-Parisiens sous la
direction Offenbach. Elle fut danseuse à l'Opéra sous la direction Emile
Perrin. Sa santé l'avait éloignée du théâtre.
— Demain lundi, au théâtre des Arts de Rome, première représentation
de Samson et Bailla, opéra de M. Saint-Saëns.
— M. Gelée-Bertal, notre excellent correspondant de Barcelone, vient
de terminer, sur commande, un livret d'opéra en quatre actes, Galilée
(rien de Ponsard) que M. Viladevall-Garcia mettra en musique et qui sera
joué à Madrid, au Théâtre-Royal, l'an prochain. M. Pedro Viladevall-
Garcia est, déjà l'auteur d'un autre opéra en quatre actes, Aida.
— Sous le titre : Au pays des Kangourous, notre excellent' confrère Oscar
Comettant vient de publier, à la librairie Fisbacher, un très intéressant
volume, où il résume ses impressions de voyage en Australie. C'est une
étude curieuse des mœurs et coutumes du pays, avec force documents
et pièces authentiques. Nous aurons occasion d'y revenir prochainement.
— Chansons de Village, par Charles Grandmougin. Lemerre, éditeur,
1 volume. Ces poésies, tout à fait originales, écrites dans le style popu-
laire, rendent avec une vérité et une saveur nouvelles les types campa-
gnards. Le Bûcheron, le Braconnier, le Vigneron, les Petits Maraudeux, etc.,
nous apparaissent tour à tour, avec un charme profond et un relief sai-
sissant. C'est là du bon réalisme qui marque un retour particulier vers
la verve gauloise et la couleur locale. Le poète franc-comtois a écrit là une
œuvre de choix qui comptera dans le mouvement littéraire contempo-
raine.
— M. Eugène Verconsin publie, chez Hachette, un second volume de
ses ravissantes saynètes et comédies.
— Mercredi dernier, première et très brillante soirée de la saison chez
M. et M""- Louis Diémer, qui faisaient les honneurs de leurs salons avec
leur amabilité et leur courtoisie -habituelles. On a fait, comme toujours.
de fort excellente' musique. Au programme, M""» Krauss et Conneau qui
ont chanté des mélodies du maître de la maison et de M. Gounod accom
pagnées par les auteurs; MM. Marsick, Loys et Wormser qui ont été abso-
lument parfaits. M. Diémer a été le héros de la fête en jouant d'une
façon exquise, sur un clavecin que vient de construire la maison Pleyel,
Wolf et Cie, trois- ravissants morceaux de Couperin, Rameau et Bach.
P.-E. C.
— L'un des plus anciens cercles artistiques de province, la Société des
Beaux-Arts de Nantes, a donné, il y a quelques jours, une magnifique
soirée musicale. Figuraient au programme, M. Talazac, le célèbre ténor,
Mlle de Montaland, dont le public parisien a apprécié le style et la jolie
voix aux concerts Lamoureux et Colonne, et enfin Gillet, le merveilleux
hautboïste de la. Société des concerts du Conservatoire. Le succès de ces
artistes a été des plus complets, et l'excellent orchestre de la Société des
Beaux-Arts, sous la direction entraînante de son nouveau chef, M. Lévy,
a eu sa grande part d'applaudissements dans les ouvertures de Zampa et
des Joyeuses Commères et dans les difficiles accompagnements du R.i d'Ys.
— Du journal l'Union républicaine de Béziers : « Dimanche, notre
théâtre n'a pas chômé, et la foule qui s'y était portée n'a pas
regretté son empressement. Nous avons assisté à une représentation du
Désert, ode symphonique en trois parties, de Félicien David. C'est une
œuvre musicale dont nous n'avons plus à faire l'éloge. M. Castelbon de
Beauxostes a vaillamment conduit son orchestre à travers les multiples
difficultés dont est émaillée la partition de Félicien David. Nous avons .
surtout écouté avec délices un ravissant duo de hautbois. Quand aux
chœurs, ils ont été parfaits. Les voix sont superbes. Pour beaucoup, la
surprise n'était pas petite, lorsque nous avons vu cette masse compacte
d'hommes chanter avec sûreté et résolution le poème lyrique du Désert.
M. Rustan a délicieusement chanté les soli. Succès très grand et des plus
mérités. »
Concerts et soirées. — Samedi iï février, le salon littéraire de
MmeDardoize s'était transformé en un vrai sanctuaire musical. Entre autres
friandises artistiques, on y a beaucoup apprécié et applaudi les nouvelles
œuvres de M. Bourgault-Ducoudray, remarquablement interprétées par deux
charmantes cantatrices, MmG Montégut-Montibert et Mllc Bréjean. — Très
beau concert donné samedi soir, salons Pleyel, par Mmc Roger-Miclos,
qui a joué avec beaucoup de style deux concertos, l'un de Mozart, l'autre
de M. Saint-Saëns, avec accompagnement d'orchestre, et seule le largo d'une
sonate de Beethoven ; puis elle a dit, avec un charme infini, la Valse
posthume, VImpromptu et la Ballade de Chopin, et exécuté, avec une grande
maestria, la diabolique 11e rapsodie de Liszt. L'orchestre, sous l'habile
direction de M. Colonne, a interprété dans la perfection le délicieux prélude
A'Eloa, de M. Cb. Lefebvre, qui a été bissé.— Très belle soirée musicale
dimanche dernier chez M""5 la comtesse de Beaumont-Gastries. Mme Ga-
brielle Krauss a chanté plusieurs lieder de M. Grieg, le Roi des Aulnes
de Schubert et le duo de Lohengrin avec M. Labat. L'impression pro-
duite a été profonde et la grande artiste a été l'objet des manifestations
les plus sincères et les plus flatteuses. M. Delsart a chanté délicieuse-
ment sur le violoncelle des fragments de .la sonate, op. 63, de Chopin, et
deux pièces de M. Widor arrangées par lui avec infiniment de talent.
Enfin Mm0 Jaëll a fait preuve d'une virtuosité pleine de charme dans les
Souvenirs d'Italie de M. Saint-Saëns. — A la dernière soirée dramatique
du Cercle des Malhurins. le programme était composé de trois pièces de
caractère différent qui toutes ont également diverti les nombreux assis-,
tants. L'Histoire d'une Carte, comédie en un acte de M. Maurice Bouchard,
est pleine de mots drôles et de situations imprévues. Une comédie du
XVe siècle, arrangée en vers modernes par M. Gassier des Brulies, la
Farce du Pâté et de la Tarte, a provoqué des explosions d'hilarité et de
chaleureux bravos dont les excellents interprètes, tous membres du Cercle,
à l'exception de Mme Regina Ferney, peuvent revendiquer une bonne
part. Enfin, il me reste à constater le succès d'une pantomime moder-
niste de M. Jules Oudot, le Coq et la Perle, sur laquelle M. Alexis Noël a
composé une partitionnette fine, spirituelle et pleine d'entrain, tout à
fait en rapport avec le scénario. Mm's Milly Datbènes, Henriette Des-
courty, MM. Léofort et Pollux étaient les joyeux interprètes de cette
élégante fantaisie. L. Scii.
Concerts annoncés. — Mercredi prochain, 'j mars, salle Érard, deuxième
concert de Joseph Wieniawski. Le programme des plus intéressants con-
tiendra des œuvres de Bach, Haëndel, Beethoven, Graun, Field, RalT,
Saint-Saëns, Chopin et Liszt. — Jeudi 0 mars, concert de .M"° Sl.eiger avec
le concours de M. Auguez et de l'orchestre Colonne. — Jeudi. G mars,
salle Érard, concert de M. J.-J. Paderewski. Outre quelques-unes de
ses compositions, il interprétera des œuvres de Bach. Beethoven, Schu-
mann, Chopin et Liszt.
Henri Heijgel. directeur-géi ant
— La 7° livraison du Costume au Théâtre vient de paraître chez A. Lévy,
éditeur, 13, rue Lafayetle. Elle est consacrée au Voyage de Suzelle et con-
tient les intéressants costumes de M"10 Simon-Girard (Suzelle), et de
MM. Mesmacker et Castelli. Aquarelles par M. Lebèguo. Texte par
MM. Muliisson et René-lieuoisl.
EnCÈKE, 20,
3075 — S6me ANNEE — N° 10. PARAIT TOUS LES DIMANCHES Dimanche » Mais 1890.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un on, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 Er., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMEE- TEXTE
.1. Histoire de la seconde salle Favart (53" article), Albert Soubies et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale : Samson et Dalila, au Théâtre des Arts, 4
Rouen, Intérim,- première représentation de Monsieur Betsy, aux Variétés, Paul-
Émile Chevalier. — III. Le théâtre à l'Exposition (20° article), Arthur Pougin.
— IV. Revue des Grands Concerta. — V. Nouvelles diverses.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour:
FLEUR DE NEIGE
nouvelle mélodie de Ambroise Thomas, poésie de Jules Barbier. — Suivra
immédiatement : Les Hussards, nouvelle mélodie de Francis Thomé, poésie
de Ch. Popelin.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano : Le Menuet de l'Infante, de Paul Rougnon. — Suivra immédiate-
ment: Le Diable au corps, nouvelle polka de Heinrich Strobl.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Albert SOUBIES et Charles MA.LHER.BE
(Suite.)
CHAPITRE XIV
MEYERBEER A l'OPÉRA-COMIQUE
LE PARDON DE PLOEBMEL
(1836-1859)
Peu de temps après, le 3 mai 1856, POpéra-Gomique éprou-
vait une perte sérieuse en la personne d'un de ses auteurs
favoris, d'un maître souvent applaudi, Adolphe Adam. « La
■veille de sa mort, lisons-nous dans le journal d'un de ses
amis, il élait allé à l'Opéra entendre M1Ie Elvire dans la Reine
de Chypre; ensuite, il s'était rendu au Théâtre-Lyrique où l'on
jouait le Bijou perdu et il avait longtemps causé avec M. Car-
valho au sujet d'une contestation qui s'était élevée entre ce
dernier et M. Perrin, relativement à Richard Cœur de Lion qu'on
reprenait simultanément dans les deux théâtres. En rentrant,
il montra à sa femme le brouillon d'une lettre qu'il avait
•écrite à M. Carvalho pour que celui-ci put le présenter au
ministre. Après avoir ainsi causé quelque temps, il s'en alla
•dans son cabinet où il écrivit trois lettres... » Il se coucha
et le lendemain, quand on pénétra dans sa chambre, il avait
cessé de vivre. Ses obsèques furent célébrées en grande
.pompe, au milieu d'une aflluence énorme de gens qui n'é-
taient pas des indifférents ou de simples curieux; car Adolphe
Adam était bon; il avait rendu bien des services et ne comp-
tait que des amis. On peut, du reste, retrouver l'écho de ces
sympathies dans les sept discours prononcés sur sa tombe ;
le premier par Halévy, au nom de l'Institut; le second par
Auguste Maquet au nom de la Société des auteurs; le troi-
sième par de Saint-Georges, au nom des collaborateurs
d'Adam ; le quatrième par le baron Taylor, au nom de l'Asso-
ciation des artistes musiciens; le cinquième par Battaille, au
nom du Conservatoire et des chanteurs; le sixième par Sau-
vage, au nom delà Société des compositeurs et éditeurs; le
septième, enfin, par Delaporte, au nom des sociétés chorales.
Aujourd'hui ces harangues sont curieuses à relire; elles dé-
peignent moralement celui qui les a prononcées autant et
plus que celui en l'honneur de qui elles furent faites. Par
exemple, sous l'éloquence un peu apprêtée d'Halévy, on
devine la rivalité d'un confrère. Peut-être l'auteur connaissait-
il une lettre datée d'octobre 1834 et passée récemment en
vente publique. Adolphe Adam écrivait à l'ami d'un ministre
afin d'obtenir la croix; il invoquait comme titre à cette ré-
compense le Chalet dédié d'ailleurs à une des princesses
royales, Marie d'Orléans, duchesse de Wurtemberg et il
ajoutait : « Halévy va faire jouer la Juive dont on dit grand
bien. C'est un garçon de beaucoup de talent qui peut avoir
fait très bien et on ne pourra s'empêcher de lui donner la
croix. Je serais désolé qu'il l'eût avant moi. » Quoi qu'il en soit,
Halévy semble affecter de s'occuper de l'homme et de né-
gliger l'artiste; il fait allusion à de « petits airs », à des
« mélodies ingénieuses », mais il ne cite aucun ouvrage et
ne prononce pas une fois le mot de succès. Quelle différence
avec la simple et touchante allocution de Battaille ! Comme
son langage vibrait d'émotion! On devine aisément quelle af-
fection unissait le maître et son interprète.
Bien qu'il occupât la scène depuis vingt-sept ans, puisque
son premier opéra-comique Pierre et Catherine remontait à 1829,
Adolphe Adam était jeune encore; il n'avait que cinquante-
trois ans; sa carrière était loin d'être achevée; il tombait en
pleine maturité d'âge et de talent. Jusqu'à la dernière heure
son activité ne s'était pas démentie puisque, quatre jours
avant sa mort, il donnait aux Bouffes les Pantins de Violette,,
charmante partitionnette où l'on avait bien vite reconnu sa main,
quoique son nom ne figurât pas sur l'affiche. C'est à propos
de cette pièce qu'un critique de l'époque, Victor Moulin, pu-
blia un compte rendu où se trouvait cette appréciation bien
étrange, dont le sens, par suite d'une coquille d'imprimeur,
sans doute, est et demeure à jamais caché : « l'ouverture
renferme une phrase confiée aux cordes des instruments à vent,
dont l'effet original est une vraie trouvaille. » Avis au lec-
teur, qui le croira sans peine!
L'auteur du Chalet disparaissait à l'heure même où il allait
74
LE MENESTREL
voir représenter sur deux théâtres ensemble, à l'Opéra-
Comique le 19 mai et au Théâtre-Lyrique le 23 mai, ce Richard
Cœur de Lion dont il avait en 1841, on se le rappelle, retouché
si heureusement l'instrumentation. Cet exemple de simul-
tanéité n'est pas unique dans les fastes du théâtre, et quelques
années plus tard on trouverait à rappeler notamment l'Ecole
des Femmes, jouée en même temps à la Comédie-Française, à
l'Odéon et au Gymnase. Il nous souvient même que le fait
fut relevé dans une revue de fin d'année où trois ingénues
se présentaient ensemble sur la scène et provoquaient l'hi-
larité du public en récitant à l'unisson le fameux récit
d'Agnès. Pour Richard Cœur de Lion, l'intérêt historique de ces
deux reprises est surtout la distribution des rôles, et nous
la donnons d'autant plus volontiers qu'elle montre, vu le
nombre des personnages, la composition d'une grande partie
de la troupe à cette époque dans les deux théâtres.
Opéra-Comique Théâtre-Lyrique
Richard . . MM. Jourdan MM. Michot (début)
Blondel . . Barbot Meillet
Florestan. . Delaunay-Riquier Legrand
Williams. . Beckers Cabel
Le Sénéchal Duvernoy Quinchez
Mathurin. . Lemaire )
Un paysan . Sainte-Foy j °^
Guillot. . . Chapron Girardot
Urbain. . .. Beaupré Adam
Marguerite . Mmes Rey Mmes Brunet
Laurette . . Boulart Pouilley
Antonio . . Bélia Girard
Mathurine . Félix Vadé
Colette. . . Talmon C. Vadé
Beatrix. . . Lasserre Caye
Parmi tous ces noms deux sont à noter particulièrement :
Barbot, qui venait de province après avoir passé par l'Opéra,
avait débuté récemment, le 11 mars, dans le rôle de Georges
de la Dame blanche; Michot, débutait au Théâtre-Lyrique dans
le rôle de Richard. Or, ces deux débutants devaient plus
tard trouver dans le Faust de Gounod un des plus grands
succès de leur carrière; en effet, Barbot fut le créateur du
rôle principal, et Michot l'un de ses meilleurs interprètes.
Ajoutons que sous les traits de Blondel, le premier se tailla un
double succès de chanteur et d'instrumentiste, car il jouait
lui-même sur le violon les variations du sultan Saladin.
A cette reprise succéda, lo 2 juin, un acte de Duprato pour
la musique, de E. Grange et La Rounat pour les paroles, Pâ-
querette. C'était une bluette sans importance où un certain
gentilhomme, ayant accepté de déniaiser une jeune paysanne
trop innocente, pour le compte d'un jeune paysan trop inno-
cent, se prenait dans ses propres filets et finissait par donner
raison à la vieille et populaire croyance des rois qui épousent
les bergères. En Bretagne, où se passait l'action, peut-être
l'aventure pouvait-elle plaire; à Paris, elle fit sourire; le
compositeur n'avait pas eu la main aussi légère que pour les
Trovatelles, et sa Pâquerette, après dix-sept représentations la
première année, une la seconde et une la troisième, se trouva
fanée, morte et oubliée.
Pour ramener la chance, M. Perrin se hâta de recourir à
de nouvelles reprises, et l'on vit ainsi reparaître le 1er sep-
tembre Zampa, et le 7 novembre Jean de Paris, ouvrages né-
gligés tous les deux depuis dix ans. Jean de Paris servait au
début d'un baryton, Stockhausen, qui, dans le rôle du séné-
chal, n'avait pas le physique de l'emploi, mais rachetait cette
imperfection par la qualité de sa voix; le succès de Jean de
Paris fut assez vil, mais non tel cependant que celui de Zampa.
L'œuvre d'Herold fut acclamée en effet, et le buste de l'au-
teur couronné, à la fin du spectacle, au milieu de l'enthou-
siasme général. Les critiques relevèrent bien quelques erreurs
dans la distribution des rôles; celui de Zampa était, disaient-
ils, trop bas pour Barbot, celui de Camille trop sérieux pour
MM Ugalde ; Jourdan était un Alphonse trop remuant, Mocker
un Daniel trop distingué. M"1' Lemercier une Rita trop jeune;
seul, Sainte-Foy personnifiait à merveille Dandolo ; mais la
musique d'Herold fit tout accepter, si bien que l'œuvre obtint
quarante-une représentations en 1856, quinze en 1857 et
douze en 1858, époque où de nouveau elle s'éclipsa jusqu'en
1863.
Pendant ce temps, le Théâtre-Lyrique remportait une grosse
victoire avec une pièce originairement destinée à la salle
Favart où, du reste, elle devait revenir, mais repoussée d'ail-
leurs avec une persistance qui n'est point pour donner tort
aux auteurs, lorsqu'ils se plaignent de l'impéritie ou des.
dédains des directeurs : les Dragons de Villars. Lockroy et Cor-
mon étaient des librettistes de talent; Maillart comptait à
son actif le succès de Gastibeha. Et pourtant leur œuvre fut
présentée successivement à trois directeurs qui tous les trois
la refusèrent : Perrin, parce qu'il la jugeait « trop dramati-
que » (c'est d'un des auteurs lui-même que nous tenons le
fait) ; Séveste, au Théâtre-Lyrique, parce qu'il la croyait
mieux à sa place à l'Opéra-Comique ; Pellegrin, parce que
son prédécesseur l'avait condamnée. M. Carvalho, plus avisé,,
s'en empara.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
Théâtre de Arts de Rouen : SAMSON ET DALILA
Opéra en 3 actes et 5 tableaux de M. Ferdinand Lemaire
Musique de M. CAMILLE SAINT-SAENS
On sait qu'un comité de musiciens et de critiques s'est formé, il
y a dix-huit mois, à l'effet de créer sur la scène principale de Rouen,,
dont la réputation artistique est depuis longtemps consacrée, une
sorte de théâtre lyrique — un peu lointain il est vrai — à défaut
de celui dont nous sommes si regrettablement privés à Paris. Le
nouveau et fort intelligent directeur, 1U. Verdhurt, s'était engagé à
monter un certain nombre de pièces françaises inédites ou incon-
nues parmi nous. Son attention s'est portée tout d'abord sur Sam-
son et Dalila. Il ne pouvait mieux choisir. Si quelque chose doit
surprendre, c'est même que ce très bel opéra écrit en 1871, joué pour
la première fois à Weimar le 3 décembie 1877, n'ait pas été repré-
senté en France depuis longtemps déjà. Mais il ne faut pas plus
approfjndir ce mystère que celui de la représentation, en Belgique,.
d'Uérodiade, de Sigurd, de Gwendoline et de Salammbô. « Il y a un che-
min à prendre pour être apprécié en Allemagne, écrivait Mendels-
sohn en 1831, c'est celui qui passe par Paris. » Il en est tout au-
trement aujourd'hui. Pour être apprécié à Paris, il semble qu'il soit
nécessaire de revenir de l'étranger, sauf même à faire une halte en
province.
L'écueil d'un sujet tel que celui de Samson et Dalila est évidemment
le rôle odieux de l'héroïne, Dalila, qui, dans le récit biblique, livre
Samson, simplement pour obtenir en récompense quelques milliers
de pièces d'argent. Je ne sais comment avait procédé certain au-
teur anonyme d'une tragédie intitulée le Fort Samson et qui, par
une coïncidence assez singulière, fut précisément jouée à Rouen vers
la fin du seizième siècle. Dans son opéra de Samson (opéra mis en
musique par Rameau, interdit par la censure et non représenté)
Voltaire imagina, pour rendre Dalila moins antipathique, de la faire
obéir, non aux sollicitations des Satrapes, mais à la voix de l'oracle.
Elle se laissait d'ailleurs prendre au piège amoureux tendu par elle
à Samson et, lorsque les Philistins entraînaient sa victime, elle
s'écriait, subitement déchirée par le remords :
Allons partager son supplice !
C'était aller peut-être un peu loin.
M. Lemaire a essayé de tourner autrement la difficulté. La Dalila
qu'il nous présente est une sorte de Judith, de Salammbô — pour
chercher un terme de comparaison plus récent — qui, en séduisant
Samson, venge ses frères opprimés et ses dieux méconnus. Sauf
cette transformation capitale et diversement appréciée du principal
personnage, le livret de Samson et Dalila est assez exactement inspiré
de la Bible.
Au premier acte nous assistons à l'insurrection victorieuse des
Hébreux captifs contre les Philistins. Le décor représente la place
LE MENESTREL
11)
publique de Gaza dominée, à gauche, par le temple de Dagon. Il
fait nuit. A une introduction symphonique très mouvementée, coupée
par un chœur chanté derrière la toile, succède un ensemble d'un
beau caractère. Les Hébreux implorent la miséricorde de Dieu et se
plaignent de son abandon. Dans une apostrophe énergique Samson
leur reproche leur découragement. Justement Abiméleeh, satrape de
Gaza, se présente, réveillé par les clameurs des Israélites. A ses
objurgations insultantes, Samson répond par un appel aux armes,
d'une noble et fière allure. Abiméleeh se précipite sur Samson,
l'épée à la main. Samson la lui arrache, et le frappe. Il tombe mort.
Une lulte s'engage entre les captifs et les Philistins et se poursuit
dans la coulisse tandis que le grand prêtre de Dagon sorti du temple
fait emporter le cadavre d'Abimélech. Le soleil s'est levé peu ù peu.
Les Hébreux vainqueurs rentrent en scène, et les vieillards célèbrent
leur triomphe dans un cantique d'actions de grâce d'une majestueuse
sérénité.
Ici se place un épisode d'une grâce et d'une poésie exquises. Les
portes du temple de Dagon se sont ouvertes. Dalila entre suivie des
femmes philistines qui portent des guirlandes de Heurs et chantent
un chœur délicieux « voici le printemps » autour duquel s'enroulent
les délicates arabesques de l'orchestre. « Printemps qui commence,
ton souffle qui passe, de la terre efface les jours malheureux » dit
à son tour Dalila dans un air d'une irrésistible séduction. Est-il besoin
•de rappeler la danse originale et justement célèbre des « prêtresses
de Dagon » ? Il semble qu'il y ait dans cette danse sacrée, comme
•du reste dans la bacchanale du dernier acte, une ingénieuse intui-
tion de ces cultes sensuels que célébra si longtemps, et même
:sous la domination romaine, cette Asie Mineure où ne cessa de
fomenter un étrange levain exotique et mystique.
Un grand air de Dalila, d'allure classique, ouvre le second acte.
A cet air, souvent chanté dans les concerls, je préfère beaucoup
celui, d'un sentiment si pénétrant, qui reliera tout à l'heure les deux
parties du duo île la séduction. Ce long duo que précède une scène
Un peu faible entre Dalila et le grand prêtre, présente une certaine
•analogie de situation avec le troisième acte de Lohengrin. M. Saint-
Saëns y a déployé une intensité d'accent, une largeur d'inspiration,
un art des gradations, qui eu font, non seulement, la page capitale
de l'œuvre, mais l'un des plus beaux morceaux du répertoire lyrique
•contemporain.
Le troisième acte, partagé eu trois tableaux, nous montre d'abord
Samson tournant la meule et répondant par une sorte de lamento
d'une tristesse poignante aux plaintes de ses compagnons de capti-
vité: « Samson, qu'as-tu fait de tes frères? » Le décor change. Dans
le temple de Dagon les Philistins préparent un sacrifice solennel.
Les chants d'allégresse et les danses se succèdent. Cette scène
d'orgie, d'une riche couleur musicale, se termine par la catastrophe
légendaire de l'écroulement du temple. Seulement, au tableau de
l'écroulement même, succède à Rouen, par une innovation due à
M. Verdhurt, celui des décombres que dominent, se découpant sur
l'azur du ciel, de rares fragments de colonnes.
Avec sa belle prestance, M. Lafarge incarne à merveille le per-
sonnage de Samson où il s'est montré chanteur exercé et s'est fait
constamment applaudir. Mlle Bossy (Dalila) interprète avec une vive
intelligence un rôle qui ne convient pas à sa voix. MM. Mondaud,
Feran et Vérin méritent une mention honorable, non moins que les
musiciens de l'orchestre. Les chœurs sont plus faibles. Quelques
défectuosités de détail n'ont pas, du reste, compromis un seul ins-
tant le succès de l'œuvre.
A l'issue de cette brillante soirée je songeais à un mol prêté à
Mozart : « J'ai écrit Don Juan pour moi et deux de mes amis ».
M. Saint-Saëns pourrait presque en dire autant de Samson et Dalila.
Il en a demandé le livret, non à un librettiste de profession, mais à
un simple amateur. Il s'est affranchi, en le mettant en musique, de
la plupart des règles qui présidaient — surtout il y a vingt ans — à
la confection d'un opéra. Avec cette liberté d'esprit, il a écrit incon-
testablement sod plus remarquable ouvrage dramatique, celui qui,
bien qu'exiléde Paris, contientle plus de fragments connus, appréciés
de tous, populaires même. En faut-il conclure, une fois de plus, que
pour plaire au public il n'est pas besoin de lui faire trop d'avances?
Intérim.
Variétés. — Monsieur Betsy, comédie en quatre actes de MM. Paul
Alexis et Oscar Méténier.
Avec Monsieur Balsa nous retrouvons la fameuse et déjà si vieille
formule de la jeune école réaliste; mais appliquée moins rigoureu-
sement que dans Grand'mère et encore plus dissimulée sous les
oripeaux fripés d'une convention surannée, dont on aura, au théâtre,
bien de la peine à se défaire. Toute la nouveauté, puisque nou-
veauté il y a, consiste, cette fois, à nous étaler crûment sous les
yeux des situations que, jusqu'à présent, nos auteurs dramatiques
n'avaient osé esquisser à la scène qu'accidentellement et sur les-
quelles ils glissaient toujours le plus légèrement qu'il leur était
possible. Les maîtres du théâtre contemporain pensaient, peut-être
non sans raison, qu'il est malpropre et malsain de se vautrer à
plaisir dans l'ordure et de disséquer amoureusement les plaies mo-
rales et physiques d'une société qui, quoi qu'on en dise, n'est point
encore totalement gangrenée. Ils s'imaginaient, ces auteurs bonasses
et sans foi, qu'il était de très mauvais goût et absolument malhon-
nête de convier le public à ces orgies nauséabondes. Nos étonnants
analystes d'aujourd'hui ont changé tout cela. La comédie, fatiguée
de ses trop longs succès, semblait se traîner péniblement et se mou-
voir toujours dans les mêmes limites bornées; vite, on a voulu
agrandir le cercle et il arrive que, ce faisant, on l'a singulière-
ment diminué, car, s'il se trouve circonscrit à la seule pourriture, il
n'en est, je pense, que plus restreint. Ces messieurs ont donc com-
mencé par s'emparer du livre où ils ont, je m'empresse de le recon-
naître, rencontré souvent des succès bruyants et légitimes ; puis,
fascinés par les feux de la rampe, ils se sont groupés sous les ordres
de M. Antoine et ont débité, chez eux, en famille, leurs petites sa-
letés. Enfin, non contents, les voilà qui s'essayent à envahir nos
théâtres et à nous imposer leurs turpitudes. Mais le public qui, là,
se trouve chez lui, se rebiffe et, sans façon, rejette les novateurs dans
leur antre fermée. Grand'mère a déjà succombé, je ne sais si Mon-
sieur Betsy lui survivra beaucoup.
Et pourtant, le sujet honteux de la pièce étant mis à part, bien
entendu, il y a des qualités dans la comédie de MM. Alexis et Mété-
nier, et les deux derniers aetes, tout au moins, décèlent un sens
assez juste du théâtre. Il faut croire que ces deux auteurs daigne-
ront, une autre fois, employer leur talent de façon plus saine.
Monsieur Betsy est merveilleusement défendu : si merveilleusement
que le public, malgré la grande envie qu'il en avait, n'a pas osé
siffler. M. Dupuis est absolument parfait et cette création le met
tout à fait hors de pair. Mlle Réjane est charmante et cynique, et
MM. Baron, Cooper, Barrai et Deltombe sont fort amusants.
Maintenant, espérons que nous en avons fini avec les adeptes du
répugnant; l'épreuve a été tentée, elle a fait long feu ; il faut trou-
ver autre chose.
Paul-Emile Chevalier.
LE THÉÂTRE A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889
l'exposition du théâtre japonais
(Suite)
Notre observateur a voulu tout voir, tout visiter, tout comprendre.
Après avoir examiné la salle et le public, s'être rendu compte du
jeu des acteurs et des coutumes seéniques, avoir établi les diffé-
rences qui, sous divers rapports, existent entre ce théâtre et le nôtre
tant en ce qui louche les comédiens qu'en ce qui concerne les spec-
tateurs, il a voulu connaître ce qu'on peut appeler l'envers du rideau,
et de la salle est passé sur la scène. Il va donc, après nous avoir
décrit l'une et l'autre, nous mettre au fait et au courant de ce qui
se passe dans les coulisses; ainsi, il ne nous laissera rien ignorer
sur le sujet qui nous intéresse :
Pendant un ent.r'acte nous allons dans les coulisses, où règne une grande
animation. En effet, on prépare la plaque tournante.
Lorsqu'une pièce nécessite de nombreux et de rapides changements de
décoration, on dispose deux décors accolés dos à dos. Le plancher de la
scène peut tourner sur lui-même, et, au changement, un groupe d'acteurs
s'en va par la rotation, tandis qu'un autre apparaît dans un appartement
tout différent. Cela permet même de représenter deux scènes simultanées
en faisant voir au public tantôt ce qui se passe d'un côté, tantôt ce qui
se passe de l'autre.
Les machinistes se sont mis à leur aise et n'ont gardé que leur koshi-
maki blanc ella blague qui ne les quitte jamais. La jeune maîtresse de la
belle Signenoï (1) parait étouffer sous sa lourde robe de mariée. Quant à
l'héroïne, elle n'y met pas tant de façons et, relevant jusqu'à la ceinture
ses robes de grande dame, elle rafraîchit ses jambes masculines.
Les enfants, des spectateurs ont envahi les coulisses, soit en passant à
côté de la toile, soit en passant dessous. Les acteurs paraissent trouver
tout naturel de voir leur scène transformée en école pendant la récréation.
(1) La pièce représentée avait pour titre : les Aventures de lu belle Signenoi.
76
LE MENESTREL
Dans un coin, les musiciens accordent gravement, et avec un grand
sérieux, des instruments qui n'arriveront jamais à être dans le même ton-
C'est en vain qu'on essaie de mettre à l'unisson les timbales avec le
gong et le tambour avec la guitare; car, en supposant qu'on y arrive, les
instrumentistes auront toujours soin par amour delà recherche et de l'étrange,
de fausser la note le plus possible, ce qui est le suprême de l'art musical.
Je-remarque combien les types des acteurs sont beaux, délicats et dis-
tingués : soit par leurs traits naturels, soit par les lignes qu'ils ajoutent
en se grimant, ils reproduisent avec exactitude les nobles figures des
peintures historiques.
Le régisseur de la scène se met à frapper l'un contre l'autre, à coups
pressés, ses deux rectangles de bois; l'entr'acte est fini et le rideau tombe.
Car le rideau ne se lève pas. A la fin des actes, il se déploie horizonta-
lement et avec lenteur pour laisser plus longtemps le spectateur sous
l'impression de la scène qui se continue; mais à la fin des entr'actes il
tombe brusquement, afin d'éblouir tout d'un coup le public par les splen-
deurs de la mise en scène. Puis des valets retirent l'étoffe par la coulisse.
On change plusieurs fois de rideaux dans une même soirée. Ces toiles
couvertes de caractères cursifs des plus fantastiques, noir sur orange,
blanc sur bleu, violet sur rouge, avec des lisérés qui font relief, sont des
cadeaux qu'on fait aux principaux acteurs, qui voyagent avec leurs
rideaux et leurs costumes. Il va sans dire que plus un acteur a de rideaux,
plus il est célèbre, et que, lorsqu'on veut parler d'un comédien de grand
talent, on dit: « C'est un homme qui a six rideaux. »
Par tout ce qui précède, on voit que les Japonais jouent aujour-
d'hui la comédie à visage découvert. Il n'en a pas toujours été
ainsi, et leurs acteurs étaient jadis masqués à la scène — ainsi que
les nôtres, d'ailleurs. Eu ce qui nous concerne, on sait, en effet
que non seulement dos anciens comédiens italiens, conservant l'u-
sage de leur pays, ne paraissaient au théâtre que masqués, de
même que les premiers farceurs de notre Hôtel de Bourgogne, mais
que les premières pièces de Corneille, entre autres le Menteur, furent
jouées ainsi. Le masque ne disparut même chez nous que peu à
peu, non tout d'un coup, et, pour certaines pièces au moins, il fut
conservé plus longtemps qu'on ne serait porté à le croire ; on peut
s'en convaincre en lisant ces lignes du Mercure de France, rendant
compte, en 1736, d'une remise à la scène des Fourberies de Scapin :
— « Reprise des Fourberies de Scapin. Il y avait, dit ce journal, dix
ou douze ans qu'on n'avait joué cette pièce. Dangeville et Dubreuil
y jouent les deux vieillards sous le masque. C'est la seule pièce
restée au théâtre où l'usage du masque se soit conservé. »
Toutefois, tandis que les anciens avaient le masque tragique et le
masque grotesque, il semble bien que chez nous l'emploi du masque
se soit exclusivement borné aux pièces du genre comique, peut-être
même aux seuls rôles ridicules. Je ne saurais dire si les acteurs de
Kiolo ou de Yokohama ont renoncé au masque depuis aussi longtemps
que les nôtres, mais je croirais volontiers que, pour eux aussi, son
usage s'est borné aux pièces ou tout au moins aux caractères comi-
ques. Dans la petite exposition théâtrale japonaise dont je m'occupe
ici, on a pu voir, dans une vitrine, une série de. « masques japonais
anciens ayant servi au théâtre et aux-danses de Nô. » Cette petite col-
lection, fort curieuse, comprenait seize masques d'homme, tous du
genre grotesque, remarquables par leurs grimaces et plus encore par
celles des yeux que par celles delà bouche; car ces yeux étaient tantôt
démesurément ouverts, tantôt clignants d'une certaine façon, tantôt
louchant, tantôt surmontés de sourcils absolument extraordinaires,
prenant enfin toutes sortes d'expressions ridicules et burlesques.
On peut supposer, d'ailleurs, que les acteurs japonais actuels ne
prennent pas moins de soin que les nôtres on ce qui concerne le
costume et ses accessoires, sinon sous le rapport de l'exactitude
historique telle que nous la comprenons et l'observons aujourd'hui,
du moins pour ce qui est de l'ensemble et du détail de l'habille-
ment considéré au point de vue scéoique. La coiffure, entre autres,
semble être de leur part l'objet d'une attention toute particulière,'
et l'on voit, par certaines estampes exposées, qu'ils prennent une
peine infinie pour la disposer d'une façon conforme à l'âge, au
caractère ou à la condition du personnage représenté. Plusieurs de
ces estampes nous montraient en effet toute une série de « perruques
de théâtre » et de coiffures diverses qui témoignent de leur solli-
citude à cet égard, du soin qu'ils apportent à cette partie impor-
tante du costume. Il y avait là des modè'es de coiffures de toutes
sortes, coiffures de princesse, de couiti=aue, de son aine, de jeunes
garçons, de jeunes filles, qui présentaient de très nombreuses va-
riétés et suffisent à nous donner une idée de la conscience qui pré-
side chez eux à la pratique matérielle de l'art théâtral.
Une autre estampe, placée auprès de celle-ci, nous offrait préci-
sément la vue de divers costumes de théâtre, pris celte fois dans
leur ensemble et avec leurs détails les plus compliqués ; mais une
autre, encore, attirait surtout les regards et excitait l'intérêt d'une
façon toute particulière, d'abord par le fait de la scène qu'elle re-
présentait avec un mouvement endiablé, ensuite en raison de son-
caractère éminemment populaire et du rare accent de vérité qui
l'animait. Cette dernière nous montrait la « façade d'un théâtre au
Japon, » à "heure évidemment où, près de commencer, le spectacle-
appelle à lui les amateurs d'impressions vives et de puissantes-
émotions. La place sur laquelle s'élève le théâtre est en ce moment
remplie d'une foule aussi baiiolée qu'affairée, composée de gens de
tout âge, de tout sexe et de toute condition, riches ou pauvres,.
arlisans ou bourgeois, qui accourent tous également au plaisir et1
dont la physionomie épanouie indique le contentement en quelque
sorte préventif. Hommes, femmes, enfants, les uns en famille, en
bande, pourrait-on dire, les autres seuls, ceux-ci à pied, ceux-là"
en chaise ou eu voiture, débouchent de tous côtés, se pressent
d'arriver non sans se bousculer quelque peu. se croisent, se heur-
lent, s'enlre-choquent, et finalement assiègent les portes du théâtre,
où tous vont chercher, avec la joie attendue, avec l'émotion que
doit leur procurer la fiction dramatique, l'oubli de la fatigue du
jour, la consolation des soucis et des tracas de la vie quotidienne..
Il y a là un fouillis humain que l'artiste populaire a su rendre
d'une façon très heureuse, avec une verve humoristique et une vi-
vacité de crayon très intenses; tout ce monde vit, marche, court,,
s'agite, grouille dans un ensemble plein de couleur et de mouvement,,
dans un tohu-bohu ti es amusant, tiès naturel à la fois et très carac-
téristique, et qui donne à cette gravure destinée au vulgaire toute la
valeur d'un document original. On sent que cela est vrai, et pris sur.
le vif. Cela sert, en tout cas, à nous prouver tout l'attrait qu'exerce,
sur le peuple japonais comme sur nous-mêmes, le plaisir du théâtre^
Pour en finir avec le Japon, je n'ai plus qu'à signaler toute une
collection de « brochures japonaises anciennes relatives au théâtre »,.
brochures d'apparence très curieuse, ornées de nombreuses images
et qui, parleur âge, tendent à prouver que l'art du théâtre est depuis
fort longtemps en honneur en ce pays, et une petite série de por-
traits d'acteurs célèbres représentés dans leurs principaux rôles; ces
portraits sont de simples cartes photographiées, et ces acteurs sont
des artistes contemporains dont voici les noms : Sadanji, Kikougoro,.
Kikisik', Danjiure. Je ne sais rien autre chose en ce qui concerne
ces Febvre et ces Delaunay d'un pays si éloigné et d'un art si dif-
férent du nôtre, pas même s'ils sont décorés, pas même s'ils sont
professeurs au Conservatoire.
En dehors du Japon , cette petite exposition d'un caractère si étrange
et si savoureux perdait un peu de son unité et ne nous offrait plus,
que quelques documents épars, curieux encore sans doute, mais*
d'un intérêt secondaire et que ne rattachait pas entre eux une-
communauté d'origine. Nous nous trouvions en présence d'une série
d'estampes ou de photographies représentant des scènes ou des per-
sonnages que je ne saurais décrire, et que je ne puis faire connaîtr.e-
très sommairement qu'on reproduisant les courtes inscriptions dont
chaque cadre était accompagné. L'un d'eux portait cette mention :.
a Acteurs siamois ; acteurs cambodgiens ; acteur annamite. » Un au-
tre : « Chine : chanteurs et acteurs. » Un troisième : « Java : Baya-
dère et orchestre; Bayadères; Orchestre, dit G.amelong ; Théâtre de
marionnettes, dit Wayang- Koelis. » Plusieurs autres enfin repré-
sentaieut des danseurs et danseuses, des chanteurs ambulants, des
acteurs, lutteurs, prestidigitateurs, orchestres, charmeurs do ser-
pents, etc., de l'Inde et du Japon.
En somme, et quelque incomplète qu'ait été — et que ne pouvait
manquer d'être — celle modeste exhibition relative à la pratique
de l'art théâtral dans les contrées de l'Extrême Orient, elle ne lais-
sait pas, au moins en ce qui touche le Japon, d'offrir un intérêt
très appréciable. C'est la première fois qu'il nous était donné de
trouver ainsi groupés, réunis dans une sorte d'ensemble, un certain
nombre d'objets et de documents concernant l'art et les artistes de
ce pays, et le peu que nous en savons aujourd'hui ne peut que nous
inspirer le désir de les connaître davantage et de trouver les moyens
de les étudier d'une façon moins superficielle. Les relations établies-
à cette heure, l'échange fréquent des idées, la facilité relative des,
communications peuvent nous laisser espérer que ces moyens ne
nous feront pas longtemps défaut, et que ce côté particulier de la
civilisation d'un peuple si bien doué à divers points de vue ne de-
meurera pas toujours mystérieux et caché pour nous. Et qui sait si,
malgré la perfection do notre théâtre, nous ne pourrions pas faire
de ce côté quelques utiles emprunts, qui nous dit que nous ne trou-
verions pas là pour lui les éléments d'une sorte do renouvellement,,
qui nous permettraient de le varier, de le fortifier et de le rajeunir?
(A suivre.) Arthur Pougin.
LE MENESTREL
77
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts du ChàteleL — La forme musicale adoptée dans
poème symphonique avec chœurs de M. César Franck, a permis au com-
positeur de donner libre carrière à sa fantaisie et de traiter chaque épi-
sode poétique avec une entière liberté. Dans les compositions de ce
genre, la tendance générale est d'exagérer le rôle de l'orchestre et de lui
confier la tâche de traduire des sentiments et des pensées dont le lan-
gage musical est impuissant à se rendre maître. De là une fatigue, pro-
venant de ce que certaines parties ne sont pas mises suffisamment en
relief et manquent de netteté. M. César Franck a fait distribuer une
notice dont la rédaction confuse a contribué du reste à égarer parfois
l'auditeur. La mélodie abonde dans Psyché, mais c'est une mélodie qui ne
comporte pas d'éclaircies radieuses ; c'est mieux que cela, diront les
fanatiques, c'est l'uniformité dans la beauté. Nous croyons que la beauté
est faite d'ombres et de lumière et qu'il y a danger à ne pas placer dans
une œuvre musicale des points lumineux, ne fût-ce que pour conduire
et diriger l'attention. Psyché n'en reste pas moins un ouvrage plein de
force et de consistance, inattaquable au point de vue de la structure
mélodique et harmonique et d'une inspiration noble et distinguée. —
M. Sapellnikoff a obtenu un joli succès dans le premier concerto pour
piano de M. Tschaikowsky. Son jeu a de l'énergie, beaucoup de brillant,
de rythme et de solidité. La souplesse parait manquer un peu, bien que
le pianiste ait rendu avec un certain charme l'andante du concerto. —
L'orchestre a interprété de la façon la plus exquise et la plus délicate,
la symphonie en ut (Jupiter), de Mozart; il a été superbe d'entrain et de
fougue bien réglée dans l'ouverture de Benvenuto Cellini, de Berlioz, et il
a rendu dans la perfection les airs de ballet d'Henry VIII, de M. Saint-
Saëns, qui ont obtenu le plus brillant accueil. Amédée Boutarel.
— Concert Lamoureux. — La part faite aux compositeurs français mo-
dernes par M. Lamoureux, consistait dans la Danse macabre de M.Saint-Saëns.
cette page si pittoresque, si bien écrite et dont le succès est toujours aussi
vif qu'aux premiers jours , et dans la Ballade symphonique de M. Chevil-
lard: Ballade ou non, nous constatons avec une vive satisfaction que c'est
là une œuvre qui tranche sur ce que nous entendons depuis quelque
temps; il n'y règne nulle préoccupation de style wagnérien : c'est bien
pensé, bien conduil, mélodieux d'un bout à l'autre. On sent que le mu-
sicien a été à la bonne école, à celle des maîtres. Nous engageons M. La-
moureux à nous donner souvent des œuvres de cette valeur. — Les grands
maîtres allemands étaient représentés par Beethoven, dont la Symphonie
en fa a été assez mollement exécutée au début, mais dont le finale a été
rendu avec une grande finesse d'expression par l'orchestre de M. Lamou-
reux; — par Weber dont l'immortelle ouverture de Freischutz a été dite
d'une façon qui ne laisse rien à désirer, enfin par Schubert dont la can-
tate, la Toute-Puissance, orchestrée par Liszt, a été dite par Mme Materna.
Mme Materna chante la musique allemande à l'italienne. Elle a émaillé
l'œuvre de Schubert de nombreux ports de voix qui feraient peut-être
très bien dans un air de Bellini, mais qui n'ajoutent rien à la beauté de
la mélodie de Schubert. B en résulte même une certaine incertitude dans
la tonalité, et, dans l'esprit de quelques-uns, cette appréhension que la
voix de l'artiste ne soit pas toujours d'une justesse irréprochable. Cette
remarque n'implique en rien une négation du talent de Mme Materna qui,
dans le finale du Crépuscule des Dieux de Wagner, a déployé une énergie
peu commune et lutté avec un courage surhumain contre les déchaîne-
ments de sonorité de l'orchestre de Wagner ; il y avait des moments où
ses cris désespérés dominaient toute cette tempête. On sait que le Crépuscule
des Dieux se termine par une catastrophe absolument extraordinaire. Non
seulement la plupart des acteurs du drame périssent par le feu et l'eau
mais les dieux eux-mêmes expirent et il ne survit au désastre que l'émi-
nent chef d'orchestre M. Lamoureux, etl'éminente cantatrice M"10 Materna
que le public enthousiasmé a confondus dans une même ovation. Quand
les wagnériens en délire eurent quitté la salle, en proie à une émotion
bien compréhensible après de tels événements, un nombre assez considé-
rable de gens paisibles et un peu arriérés ont écouté avec recueillement
l'ouverture du Fre'schûl: qui leur a procuré un notable plaisir.
H. Barbedette.
— Programmes d'aujourd'hui dimanche.
Conservatoire (2 h.) — Société des concerts, direction J. Garcin (12e con-
cert) : même programme que dimanche dernier.
Théâtre du Chàtelet (2 h. 1/4), 19e concert Colonne ; 1° Ouverture de
Tannhàuser (K. Wagner) ; 2" Le Rouet d'Omphale (C. Saint-Saëns) ; 3° Slruensée,
tragédie de Michel Béer (Meyerbeer) ; 4" Dernier Printemps (Ed. Grieg);
5° Le Rheingold (l'Or du Rhin) (R. Wagner), (traduction française de V.
Wilder). première scène du premier acte: Albérich, M. Auguez; Woglinde,
fille du Rhin, M11" de Montalant; Welgunde, Mu»Delorn ; Flosshilde, Mlncde
Clercq; 6° Invitation à la valse (Weber), orchestrée par H. Berlioz.
Cirque d'été (2 h. 1/2), 19e concert Lamoureux: 1° Wallenstein, trilogie
d'après le poème dramatique de Schiller (V. d'Indy) ; 2° Concerto en la
mineur, pour piano, (Paderewski), exécuté par l'auteur ; 3° a. Air de Judas
Macchabée (ILcndcl). — b. Air d'entrée d'Elisabeth (Tannhàuser) (Wagner),
chantés par M""' Materna; 4° Ouverture de Fidelio (Beethoven), première
audition au\ concerts Lamoureux ; S0 a. Romance (Saint-Saëns). — b. La
Campanella (Liszt), exécutées par M. Paderewski ; G0 Scène finale du Cré-
puscule des Dieux (Wagner) :Brunehilde : M'"" Materna ; 7° Ouverture d'Oberon
(Weber).
' — Mme Jaëll a fait entendre, l'autre jeudi, salle Pleyel, les quatre
concertos pour piano de M. Saint-Saëns, dans l'ordre de leur composition.
Le concert, commencé à 9 heures devant une salle superbe, s'est terminé
un peu avant 11 heures, sans que l'assistance ait subi un seul instant
de lassitude. Dès le commencement de la soirée, l'on sentait à je ne sais
quels courants qui se dégagent des assemblées nombreuses quand elles
se trouvent en communion de foi artistique, que le tour de force
musical qui paraissait impossible la veille allait être réalisé avec un
succès dépassant toute attente. En effet les applaudissements n'ont pas
manqué et les marques d'approbation les plus flatteuses ont été prodi-
guées. — Les quatre concertos, écrits avec la connaissance parfaite des
ressources du piano, sont de caractères variés et l'ordre de composition
(Ré, Sol mineur, Mi bémol, Do mineur), s'est trouvé excellent pour l'exé-
cution en une seule séance. Mme Jaëll a captivé son auditoire tantôt par
le charme, tantôt par la puissance d'une interprétation qui n'a jamais
rien de vulgaire et qui, sans cesser d'être personnelle et d'éveiller à
chaque instant dos sensations nouvelles et imprévues, sait respecter
l'œuvre et nous la présente toujours attrayante et merveilleusement équi-
librée. M. Colonne a obtenu à plusieurs reprises un succès d'orchestre en
accompagnant avec tant de souplesse que le piano se trouvait doucement
soutenu, mais nullement gêné par l'expansion des sonorités instrumentales.
Améoée Boutarel.
— La saison commence abattre son plein, comme on dit, et les pianistes
semblent sortir de dessous les pavés: mais on leur pardonne beaucoup
parce que tous et toutes ont beaucoup... de talent. M. Breitner, le re-
nommé virtuose, a donné la semaine dernière un concert avec orchestre
salle Erard. B y a fait entendre le Concerto de Lalo, l'Introduction et allegro
de Schumann et un Concerstiick, la dernière composition de Rubinstein.
On a ici même parlé do l'œuvre de M. Lalo, et l'allégro de Schumann est
classique. Le Concerstuck, m'a paru interminable: les idées, en elles-mêmes
peu originales, sont terriblement délayées ; la partie de piano, pour diffi-
cile qu'elle soit, n'est pas brillante, l'orchestration est souvent lourde.
La seule partie qui échappe à cette impression — car on ne peut juger un
morceau de cette importance à une première audition — est peut-être
l'adagio du commencement dont les sonorités sont agréables. M. Breitner
a interprété l'œuvre de son maître avec la correction et l'autorité qui
distinguent son grand talent. — Un élève de M. Diémer, M. Staub, qui
a eu un brillant premier prix au Conservatoire, il y a deux ou trois ans,
a, lui aussi, voulu se faire entendre dans un concert avec orchestre. Au
programme se trouvaient le concerto en sol de M. Saint-Saëns, un Concertstiick
de M. L. Diémer et la Fantaisie hongroise de Liszt. Le jeune artiste possède
une remarquable technique, un style coloré et de la chaleur. M"0 Leroux
lui prêtait le concours de son talent et a chanté avec charme et virtuosité
diverses mélodies, dont le Sentier de M. L. Diémer et Chanson des bois d'après
Chopin de M. I. Philipp. M. Colonne a dirigé avec son habileté consommée
les trois concerts précédents. — Mardi dernier M. Wieniawski nous avait
conviés à une séance intéressante où il a fait entendre vingt-quatre éludes
de slyle et de mécanisme et une Sonate de violoncelle. Les études sont pour la
plupart très réussies; ce sont aussi bien des études de concert que des
études d'école. M. Wieniawski en a donné la plus fine exécution etl'effet
a été tout à fait agréable. La sonate jouée avec M. Delsart, le maître vio-
loncelliste, a produit une non moins bonne impression. — Mme de Pach-
mann, une très séduisante pianiste, s'est fait entendre samedi, toujours
chez Erard, et a soutenu avec vaillance un long et difficile programme.
Son jeu se distingue surtout par la grâce, la légèreté, la finesse, qualités
plus rares qu'on ne pense, aujourd'hui surtout, où, bien à tort, l'on ne
recherche au piano que les effets de force et de puissance. — Mentionnons
encore l'audition donnée par MUc Jaeger, une élève de M. Duvernoy, qui
s'est fait vivement applaudir en jouant avec d'excellentes moyens, une
série d'œuvres classiques et modernes. I. Ph.
— Mardi dernier, à la suite du dîner annuel des Philosophes du XVIIIe siècle,
fondé par M. Grand-Carteret, a eu lieu un concert organisé par nos colla-
borateurs, MM. Arthur Pougin et Julien Tiersot, et composé exclusivement
de musique de Jean-Jacques Rousseau, avec un intermède formé de frag-
ments d'œuvres des plus célèbres contemporains du philosophe : Rameau,
qui eut à se prononcer sur son premier ouvrage, le Projet concernant de nou-
veaux signes pour la musique ; Pergolèse, dont la Serva padrona fut jouée en
France moins de trois mois avant le Devin du village et détermina la célè-
bre Guerre des Bouffons dans laquelle Rousseau joua un rôle important;
Grétry, l'ami des philosophes ; Gluck, sur l'œuvre de qui Rousseau écrivit
ses meilleures pages de critique musicale, les Observations sur l'Alceste de
M. Gluck, etc. D'importants fragments du Devin du village, près de la moitié
do la partition, chantés délicieusement par Mme Bilbaut- Vauchclot,
MM. David et Ilcttich, ont vivement intéressé et charmé l'auditoire, ainsi
que plusieurs romances tirées des Consolations des misères de ma vie, recueil
général des œuvres de chant do J.-J. Bousseau. En outre M110 Borthe de
Monlalant a chanté d'une voix magnifique et avec un excellent style l'air
Tristes apprêts de Rameau ; M"'° Montégu-Montibcrt, avec les grandes tradi-
tions de. M1"» Viardot, a interprété l'air de Gluck: Divinités du Slyx, et
Mmc Vidaud-Lacombo a dit avec beaucoup do grâce et un sontimenl char-
78
LE MÉNESTREL
mant les deux Romances du Saule de Grétry et de J.-J. Rousseau, dont l'une
au moins, la première, constituait une véritable rareté, n'ayant pas été
publiée séparément et figurant seulement, à notre connaissance, dans un
volume rarissime intitulé Voyage à Ermenonville, ainsi, croyons nous, que
dans la première édition de l'Otello de Denis pour lequel elle a été com-
posée. Le choral Galin7Chevé a fait entendre encore le chœur final du
Devin du village et un chant arrangé sur différents motifs de Rameau.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (6 mars) : La Monnaie nous a
donné enfin, lundi, la première du Songe d'une nuit d'été. C'était, pour
Bruxelles, une vraie «première ». Le joli opéra-comique de M. Ambroise
Thomas n'avait plus été joué à la Monnaie depuis un temps si éloigné
que personne, sauf les très vieux, habitués, ne s'en souvenait plus. La
cause de cet oubli? Je ne saurais la dire, et rien ne pourrait la justifier,
si ce n'est la difficulté d'interprétation. Dans la forme conventionnelle du
vieil opéra-comique, l'œuvre est, tout ensemble, d'un éclat et d'une fraî-
cheur d'inspiration qui la mettent bien au-dessus de la plupart des pro-
ductions du genre. Le livret est, avec la fantaisie et l'invraisemblance
admises en des sujets de cette sorte, un des plus ingénieux et des plus
attachants du répertoire; et la musique, franche, alerte, mouvementée,
a une variété d'expression, dans la tendresse et dans la grâce, traduite
musicalement avec une habileté rare, qui, à part quelques pages, les
moins réussies de la partition, l'ont conservée jeune et charmante jusqu'à
ce jour. On l'a bien vu, lundi. Malgré les grincheries nécessaires d'un
petit clan pour lequel il n'est rien de bon hors le genre ennuyeux, le
Songe d'une nuit d'été a fait un plaisir extrême, et il a obtenu un succès des
plus accentués. Ce succès, l'interprétation y a pris une large part.
Mlle Merguiller a vocalisé comme un rossignol le rôle d'Elisabeth, où il
suffit d'avoir de la virtuosité pour être parfaite; Mllc Rachel Neyt a fait,
à côté d'elle, une Olivia émue et distinguée; M. Badiali a chanté le rôle
de Shakaspeare avec sa voix de baryton riche et souple et un très bon
style, sans le transposer, comme l'avait fait M. Maurel, lors de la dernière
reprise de l'œuvre à Paris; M. Sentein a été un excellent Falstaff et
M. Isouard un très agréable Latimer. Voilà qui va faire d'aimables len-
demains à Salammbô, qui continue le cours de sa carrière triomphante et
fructueuse, en attendant la reprise du Vaisseau-fantôme et de Carmen
utile dulci. — En dehors du théâtre, la musique ne chôme pas. Nous
avons eu deux admirables concerts au Conservatoire : le dernier consacré
aux Ruines d'Athènes, avec M110 Dudlay, notre jolie compatriote; et l'on-
nous promet, au prochain, l'Orphée de Gluck avec M"lc Caron. — En pro-
vince, j'ai à vous signaler le succès remporté au Conservatoire de Gand
par les œuvres de M. Bordier, et à Liège celui de M. Widor qui, avec
M. Mailly, y sont allés inaugurer le nouvel orgue du Conservatoire. Le
concert auquel a donné lieu cette inauguration a été superbe; exécution
remarquable de la Symphonie pour orgue de M. "Widor, et de diverses
œuvres anciennes et modernes, sous la direction de M. Théodore Radoux
qui, décidément, marche un des premiers à la tète du mouvement musi-
cal dans notre cher et ingrat pays. C'est aussi à M. Radoux, permettez-
moi de vous le rappeler, qu'est due l'organisation du musée Grétry. Ce
musée commence à devenir des plus curieux, grâce aux dons qui affluent
de toutes parts. Il doit se trouver bien certainement à Paris des collec-
tionneurs dont la générosité lui serait d'un très utile secours. Allons, un
bon mouvement! j_1_ g_
— Quelques dépêches :
De Liège : « Grand succès pour M. Widor au concert du Conservatoire,
donné à l'occasion de l'inauguration des nouvelles orgues, de M, Schvven.
M. "Widor a exécuté avec l'orchestre sa sixième symphonie, et" seul
plusieurs pièces qui lui ont valu d'enthousiastes rappels. »
De Gand : « Grand succès au Conservatoire, pour les œuvres de M. Jules
Bordier. Tous les morceaux ont été applaudis, le chœur de Nadia a été
bissé et l'auteur rappelé après le dernier morceau. »
De Carlsruhe : « Première représentation du Roi malgré lui, d'Emmanuel
Chabrier. L'œuvre, l'auteur et les interprètes ont été acclamés. »
— A l'école Royale de musique de La Haye, on a célébré le 21 février
le jubilé de M. "W. F. G. Nicolai, directeur de cette institution depuis
25 ans. Un grand concert avait été organisé, auquel n'étaient admis à
prendre part que les élèves de l'École anciens ou nouveaux. L'orchestre
de 70 exécutants était recruté parmi les plus habiles musiciens dos Pays-
Bas. Le concert a donné lieu, bien entendu, à de nombreuses dé-
monstrations sympathiques à l'adresse de M. Nicolai: cadeaux, couronnes
de lauriers, discours et députations, rien n'a été oublié de ce qui consti-
tue, de nos jours, le jubilé artistique.
— Décidément la musique tient une grande place dans les préoccupa-
tions du jeune empereur d'Allemagne. On sait toutes les réformes qu'il a
introduites dans le répertoire et l'organisation des musiques militaires de
l'Empire. Ce n'était pas assez; il veut à présent que la musique vocale soit
cultivée dans ses armées de terre et de mer aussi bien que la musique
instrumentale. Le ministre de la guerre vient donc d'envoyer des instruc-
tions en ce sens à tous les régiments, en même temps que des cargaisons
de recueils de chansons.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Berlin : Une nouvelle saison
italienne sera inaugurée, le 6 avril, au théâtre Kroll, sous la direction
de l'imprésario Gardini. Ont été engagés : MM. Lucignani, du théâtre
royal de Madrid ; S. Terzi, de la Scala de Milan, et Mm° Prevosti, comme
prima donna. L'orchestre sera dirigé par M. G. Pomè. — Olmdtz : Le
théâtre municipal, dont le nouveau directeur est M. Berghoff, vient de
donner, avec succès, la première représentation d'une opérette en 3 actes,
le Major Lumpus, dont M. 0. Stoklasla a écrit le livret et M. Max von
"Wildfeld la musique. — Pragde : On nous signale l'insuccès, dû surtout
à l'insuffisance du livret, d'un opéra-comique nouveau de M. F. von
"Woyrsch, intitulé le Curé de Mcuion. — Après le cycle xvagnérien projeté
par M. Angelo Neumann pour sa prochaine saison d'opéra allemand, on
montera les Templiers, de Litolff, et une nouveauté du compositeur Ri-
chard Mandl, intitulée Inespérée !
— Le flûtiste Charles Krûger, dont on se rappelle les succès à Paris,
vient d'être gratifié, par la chapelle royale de Stuttgart d'un « jubilé », à
l'occasion de ses 40 années de service comme musicien de la cour. Au
cours de la cérémonie, l'intendant général Dr von "Werther remit au vir-
tuose une épingle en brillants de la part du roi de Wurtemberg et le
hofkapcllmeister D1' Klengel une superbe couronne au nom de l'orchestre,
Le nom de Krûger est d'ailleurs intimement lié au mouvement musical de
Stuttgart. Le père du « jubilant » actuel a fait partie pendant 51 ans de
la chapelle royale en qualité de première flûte; son frère Gotlieb est de-
puis 48 ans dans la même chapelle; enfin un autre frère, Guillaume, décédé
depuis quelques années, était un pianiste remarquable et le fondateur de
la nouvelle Société chorale de Stuttgart.
— Edouard Strauss et son orchestre vont bientôt se mettre en route pour
les Etats-Unis où les appellent un engagement. Les laissera-t-on débar-
quer? Telle est la question que l'on se pose de l'autre côté de l'Atlantique
et que la commission des finances sera chargée de résoudre. En effet, le
receveur général à New-York vient de porter au ministre des finances les
revendications des associations musicales ; celles-ci s'opposent au débar-
quement des musiciens viennois, lequel à leurs yeux, constituerait une
contravention à la loi sur la protection des travailleurs. Les musiciens
d'orchestre doivent-ils être assimilés à des artistes ou non? Toute la question
est là. Le ministre pense que les membres de l'orchestre Edouard Strauss
ne sont pas des travailleurs dans le sens du texte de la loi et qu'il n'y a pas
lieu à s'opposer à leur débarquement. Le conseiller du ministre, M. Hip-
burn, est d'un avis contraire.
— On sait que M. Edouard Sonzogno, directeur du Tcatro-Illustrato, a
ouvert un nouveau concours pour la composition de (rois opéras en un
acte. Soixante-treize partitions ont été soumises au jury, qui, après un
premier jugement sommaire, en a réservé onze pour un examen plus
attentif. Les auteurs de ces onze partitions sont invités à se rendre à
Rome pour les faire entendre eux-mêmes au jury. Quelques indiscrétions
se font jour, et l'on cite déjà, parmi les œuvres réservées, une Rosalia,
de M. Riccio, et une Marina, d'unjeune élève du Conservatoire de Naples,
M. Giordano.
— Les journaux italiens rapportent un petit faitassez fantaisiste. On re- '
présentait récemment à Reuil Guillaume Tell de Rossini, et la représenta-
tion avait jusqu'alors marché sans encombre, lorsqu'après le quatrième
acte on voit paraître sur la scène l'imprésario, qui, s'avançant jusque sur
la rampe, salue respectueusement le public, et prononce ces paroles :
« Mesdames et Messieurs, nous n'achèverons pas la représentation, le
cinquième acte étant indigne de Rôssini. » Voilà certainement un direc-
teur à encadrer.
— Awlanche de premières représentations en Italie. Au théâtre Regio
de Turin (16 février), Loreley, opéra en trois actes de M. Alfredo Catalani,
qui paraît avoir obtenu un succès retentissant et que la critique accueille
comme une œuvre mémorable ; les deux principaux rôles de cet ouvrage
sont tenus par le ténor Durot et la Ferni-Germano ; les autres, par
M"* Dexter, et MM. Stinco-Palermini et Pozzi. A San-Remo, la Modella,
opéra en quatre actes de M. Oreste Bimboni ; celui-ci n'est nouveau que
pour l'Italie, car il a été précédemment représenté à Bukharest; il a été
fort bien accueilli, ainsi que ses interprètes, Mmpa Stecchi, Sommelins-
Bottero et Maineri, le ténor Quiroli, le baryton Talamanca et le bouffe
Rosa. A la Fenice de Venise, (21 février), Béatrice di Svevia, opéra en
quatre actes de M. Tomaso Benvenuti. Ce dernier est le plus malheureux.
L'œuvre du compositeur paraît avoir été massacrée par ses interprètes,
et l'allure ridicule du livret, jointe à cette exécution déplorable, a amené
une chute si éclatante que le compositeur a cru devoir retirer sa parti-
tion dès le lendemain de la première représentation. Enfin, à la Fenice
de Naples, enregistrons le succès d'une nouvelle opérette l'Isola incantanta,
paroles de M. Malfei, musique de M. Rossi.
— On annonce pour l'automne prochain, au théâtre Dal Verme de Milan,
un spectacle d'un genre particulier. C'est un poème lyrique, paroles de
M. Marco Praga, musique du jeune maestro Samara, et figurines du pein-
tre Sala (sic). Le principal rôle sera rempli par la fameuse ballerine Zuc-
chi. Titre de l'œuvre : Danae.
LE MENESTREL
79
— Le 14 février, au théâtre Eretenio de Vicence, a eu lieu la grande
soirée commémorative en l'honneur du compositeur Giuseppe Apolloni,
mort il y peu de mois. La salle était comble, comme dans les occasions
les plus solennelles. La scène était transformée en une sorte de vaste jar-
din, et devant un groupe de magnifiques plantes exotiques surgissait le
buste du maestro, œuvre d'un sculpteur vicentin, M. Giuzzon. La soirée
s'ouvrit avec une c rapsodie », / Canti dell' Apennine, œuvre symphonique
d'Apolloni, après quoi, vinrent des fragments de deux de ses opéras : la
romance pour ténor de VEbreo, la romance du page du Conte di Kœnigs-
mark, et la scène pour baryton avec chœur de VEbreo. La soirée finit
par un Stabat mater, œuvre posthume d'Apolloni, laissée par lui inachevée,
et qui fut terminée par deux de ses confrères, MM. Oufice et Lésine.
— Nous avons annoncé qu'une commission s'était constituée à Tarente,
patrie de Paisiello, pour provoquer le transfert en cette ville des cendres
du compositeur, mort à Naples comme on sait. Cette commission est ac-
tuellement à Naples, où elle fait les démarchas nécessaires au but qu'elle
s'est fixé.
— Au Théâtre-Royal de Madrid on répète, en ce moment, avec beau-
coup d'activité un nouvel opéra du maestro Serrano, Giovanna la Pazza.
Cet ouvrage aura pour interprètes M"105 Arkel, Stahl ; MM. Moretti, Du-
friche et Tabuyo.
— Un journal anglais nous apprend qu'à Londres, il n'y a pas moins
de quatre mille professeurs de chant et d'instruments, tant mâles que
femelles ; et qu'on en compte sept mille dans les provinces. A Londres,
on trouve 1,600 musiciens d'orchestre, parmi lesquals 700 violonistes.
— De l'Eco d'Italia, de New-York : « Ceux de los Angelos, en Californie,
n'auront pas l'inénarrable jouissance d'entendre la Patti, parce que
l'imprésario Abbey leur a fait comprendre qu'il voulait une somme de
18,000 dollars (90,000 francs) pour y donner trois représentations, dans
une seule desquelles la diva aurait chanté. Le prix fut trouvé trop raide,
et c'est pourquoi l'on s'est privé d'un divertissement vraiment un peu
salé. »
— Le banjo règne en tyran aux États-Unis. Un orchestre de 150 ban-
jos, guitares et mandolines vient de se faire entendre à Boston, et le
Chickering Hall de New-York résonne encore du son de la marche de
Tannhâuser exécutée par une autre armée de cent banjos ! Les Américains
ne respectent plus rien.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Le journal la Justice insiste en ces termes sur la soirée tapageuse de
l'Opéra, dont nous n'avons dit que quelques mots dimanche dernier : « La
dernière représentation de l'Africaine a été marquée par des incidents
scandaleux inconnus à l'Opéra avant la direction Ritt et Gailhard. Au troi-
sième acte pendant le chœur qui précède la prière O grand saint Domini-
que! un différend bruyant s'est produit entre l'orchestre et les chanteurs.
Les choristes se sont refusés à accepter l'accord donné par les musiciens
et ont baissé le ton avec une admirable indépendance. M. Vianesi, vexé
de n'être pas suivi par les chanteurs, a fait taire son orchestre. Or le mor-
ceau est symphonique, les instruments y ont leur rôle comme les voix ;
les malheureux choristes abandonnés à eux-mêmes ont produit la plus
étrange cacophonie qui ait jamais écorché les oreilles des abonnés, faites
pourtant aux tortures. Le public s'est révolté. Et c'a été pendant quelques
minutes une tempête de sifflets, et des huées à faire sombrer le vaisseau
de l'Africaine. La représentation a été interrompue. Pour la première fois,
à l'Académie nationale de musique, on assistait à ces manifestations tu-
multueuses qui accueillent, à Toulouse ou à Nimes, les mauvais chanteurs.
Puisqu'on donne au public des représentations de province, c'est bien le
moins qu'il en prenne les mœurs. Il ne faut pourtant point blâmer trop
sévèrement les malheureux choristes. Ces infortunés sont tués de travail.
Leurs directeurs qui tiennent beaucoup à ce qu'Ascanio soit représenté
avant que la Chambre ait à statuer sur leur cas, surmènent impitoyable-
ment leur personnel. Les artistes sont si fatigués par les répétitions qu'ils
arrivent brisés, exténués, sans forces à la représentation. Leurs défail-
lances sont donc excusables; seuls les extraordinaires directeurs sont sans
excuses de donner à Paris des spectacles aussi ridicules que celui que
nous venons de raconter. »
— A l'Opéra l'on compte donner la première représentation d'Ascanio
vendredi prochain. Mais il se pourrait qu'il y eut un retard de quelques
jours, si les costumes n'étaient pas prêts à temps. Dame! Il ne faut pas
oublier qu'il y a seulement deux années que MM. Ritt et Gailhard songent
à représenter l'opéra de M. Saint-Saëns. Ce n'est pas trop assurément pour
la conception et la confection de costumes aussi beaux que ceux qu'ils
nous préparent.
— Mm0 Melba a fait, lundi dernier, une très brillante rentrée à l'Opéra
dans la fastidieuse Lucie de Lammermoor. Le public ne lui en a pas moins
fait un accueil enthousiaste. Le charmant ballet d'Ambroise Thomas,
la Tempête, a complété le spectacle, avec Mllc Mauri, toujours très applaudie.
— La charmante étoile de l'Opéra-Comique, Mmc Landouzy, chantera
eette semaine pour la première fois à Paris le rôle de Virginie dans le
Ca'id de M. Ambroise Thomas. C'était avec le Roi l'a dit de Léo Delibes, où
elle était si remarquable, l'un de ses meilleurs rôles au théâtre de la
Monnaie de Bruxelles.
— Nous ne nous étions pas trompés sur le cas du Sicilien à l'Opéra-
Comique. Voici en effet la lettre que l'auteur, M. Weckerlin, adresse à
M. Georges Boyer, notre excellent confrère du Figaro :
Mon cher ami,
La patience humaine a des bornes, ce qui prouve une fois de plus que nous ne
sommes point parfaits. Je le suis sans doute moins que beaucoup de mes confrè-
res, tant il est vrai qu'après avoir attendu pendant quatre ans la représentation de
mon Sicilien, pièce de Molière, j'ai fini par envoyer du papier timbré à M. le direc-
teur de l'Opéra-Comique.
Le Sicilien a été répété pour la première fois le 21 juin 1886 ; la pièce était prête
ou à peu près lors du terrible incendie de l'Opéra-Comique. Quelques jours aupa-
ravant, M. Carvalho m'avait envoyé au Conservatoire les parties d'orchestre qui
venaient d'être copiées, afin que je pusse les revoir. Cette circonstance les
empêcha d'être brûlées, les chœurs seuls furent détruits ; mais comme la parti-
tion était déjà gravée, ce n'était qu'un petit malheur.
A l'avènement de M. Paravey à la direction de l'Opéra-Comique, la Commission
de la Société des auteurs dramatiques lui accorda deux ans pour jouer les quel-
ques pièces reçues alors ; cette convention arrivait à son terme le 31 décembre
dernier, et, n'étant point joué, je veux au moins être indemnisé. Voilà au vrai ma
situation. Je vous serre les deux mains. J.-B. Weckerlin.
— Le gros œuvre de la démolition des concerts Favart est déjà presque
entièrement achevé. La scène, les bureaux de l'administration, les loges
des artistes ont disparu sous la pioche des démolisseurs. Il ne subsiste
plus que la carcasse et les murs extérieurs. M. Archambault, inspecteur
des bâtiments civils, et M. Rolly de Balnègre, commissaire de police,
viennent tous les jours s'assurer de l'exécution du cahier des charges.
D'après des ordres formels de la préfecture de police, la construction de
la palissade qui doit entourer le terrain de la place Boieldieu, y compris
les trottoirs, sera commencée dès aujourd'hui. On peut désormais dire
qu'avant quinze jours tout sera terminé, et que les habitants du quartier
vont de nouveau se trouver en présence du « trou Favart ». Il ne restera
plus alors... qu'à reconstruire l'Opéra-Comique.
— L'Académie des Beaux-Arts a été autorisée à accepter, jusqu'à con-
currence des trois quarts seulement, le legs universel fait à son profit
par la dame veuve Buchère, née Marie-Elise Demerson. Le produit de
cette libéralité devra être appliqué au perfectionnement de l'éducation
musicale vocale d'une ou plusieurs jeunes filles, élèves du Conservatoire
national de musique, et d'une ou plusieurs jeunes filles qui se destinent
à la comédie ou à l'art dramatique.
— M. Ernest Reyer a passé cette semaine par Paris, mais pour gagner
bien vite le Midi où il va se remettre d'une sorte de bronchite qu'il a
trouvée à Bruxelles au milieu des lauriers de Salammbô. Toujours le
serpent sous les fleurs ! on soupçonne MM. Ritt et Gailhard de l'y avoir
glissé.
— Notre excellent collaborateur, Arthur Pougin, est assez gravement
malade en ce moment d'une attaque de petite vérole. Toutefois on a pu
se rendre maître du mal à temps, et toute crainte de danger est aujour-
d'hui écartée. Notre confrère pourra reprendre bientôt le cours de ses
travaux.
— Notre excellent confrère, M .Georges Boyer, a commencé vendredi der-
nier avec beaucoup de succès, une série de conférences intitulées « Quin-
zaine théâtrale » qu'il donne à la salle des Capucines, et qu'il continuera
deux fois par mois le vendredi.
— Au théâtre des Menus-Plaisirs, on donnera dans le courant de la
semaine, la nouvelle opérette de MM. Paul Ferrier, Charles Clairville
et Victor Roger. D'après les répétitions, le Fétiche s'annonce sous les
meilleurs auspices.
— Avant de partir pour l'Amérique, où, comme on le sait, il est engagé
pour trois ans moyennant une somme ronde de 500,000 francs, départ qui
aura lieu vers le 10 avril, M. Victor Maurel est allé donner une série de
dix représentations au Théâtre Communal de Trieste, où il obtient des
succès enthousiastes.
— Les Rouennais voient d'un mauvais œil, paraît-il, la tentative de
théâtre lyrique imaginé chez eux par M. Verdhurt. Il paraît qu'ils sont
jaloux des Parisiens ! Lorsqu'ils ont su que, pour la première représen-
tation de Samson et Dalila, il serait fait un service à la presse de Paris,
ils se sont mis en grande fureur et, par le canal de leur Conseil muni-
cipal, ont fait rappeler au directeur qu'il ne lui, était permis de délivrer
des entrées gratuites que sous le contrôle et avec l'autorisation dudit
Conseil municipal. M. Verdhurt a alors épelé son cahier des charges et a
montré à ces messieurs que les mots entrées gratuites étaient suivis du mot
permanentes ; il se trouvait donc avoir toute latitude pour inviter à sa pre-
mière tous les Parisiens qu'il lui plairait. Très nature, ces chers provin-
ciaux qui ne vont jamais à leur théâtre et ne veulent pas que les autres
y aillent ! Mais ils auraient bien dû réfléchir que, si l'essai de M. Ver-
dhurt avait réussi, c'est avant tout à leur ville de Rouen que cela aurait
profité, et que soixante-douze Parisiens (c'est le nombre des abonnés du
Théâtre-Lyrique départemental) venant à une représentation, auraient
certes plus rapporté aux hôtels, aux restaurants, aux fiacres, que trois
cents Normands de Rouen vivant chez eux.
80
LE MENESTREL
— La ravissante opérette de Johann Strauss, la Tzigane, qu'on ne con-
naît pas assez en France vient de remporter un succès signalé au théâtre
du Casino de Nice. Il en a été ainsi partout où on a pris la peine de
l'essayer, caria partition du maître viennois est une véritable petite mer-
veille de goût et de couleur. Peut-être finira-t-on par s'apercevoir chez
nous combien ce compositeur charmant et presque génial en son genre
est supérieur à tous nos petits faiseurs d'opérettes à la mode? Toute la
presse niçoise enregistre le nouveau succès de la Tsigane. Voici, entre
autres journaux, ce qu'en pense le Phare du littoral : « La Tsigane, à pre-
mière vue, brillait par l'éclat des affiches: elle ajoute aujourd'hui, à cette
gloire murale, tout le resplendissant prestige d'un triomphe artistique
des mieux caractérisés. C'est un rêve d'harmonie savante, délicieuse, L'ins-
piration se joue à travers les gammes, jaillit en trilles d'orchestre, entraine
les violons à une douce mélodie. C'est le susurrement nuancé des cordes
entremêlé aux vibrations des cuivres. Musicien, magicien. Je pose en fait
que, pour Strauss, ces deux vocables sont synonymes. »
— Très belle soirée, jeudi dernier, chez Mmc Gabrielle Krauss. MM.Mar-
sick et I. Philipp ont été fort applaudis dans des œuvres de M.Wormser
et de Chopin. Mmc Krauss a chanté avec un art empreint de la plus noble
simplicité et avec une émotion communicative plusieurs mélodies parmi
lesquelles deux lieder de M. Grieg, Marguerite de Schubert et le Rêve du
Prisonnier, une des compositions vocales les plus saisissantes de Bubins-
tein. Am. B.
— Dimanche dernier, à l'Hôtel Continental, l'Association de la presse
a donné une grande fête de bienfaisance destinée à former une caisse de
secours dite VQEuvre des veuves et des orphelins de la Presse française. On avait
fait appel à tous les concours, et tous ont généreusement répondu. Dans
les salons du rez-de-chaussée superbement décorés de fleurs et de tapis-
series, on a dansé toute la nuit aux sons de l'orchestre entraînant de
M. Desgranges. A une heure du matin, au premier, a eu lieu la première
et unique représentation de la Revue libre, deux actes signés de nos plus
spirituels confrères. Comme Dame censure n'avait rien à voir dans cette
fête de famille, les auteurs s'en sont payé à cœur joie et ont tapé ferme à
droite et à gauche. La volée de bois vert administrée aux deux compères
de l'Opéra n'était point pour nous déplaire et nous y avons applaudi des
deux mains, de même que la salle entière. Parmi les artistes qui se sont
prodigués, gros succès pour MM. Cooper, Dumény, Béer, Milher, Galipaux,
Begnard, Numès, Daubray, Colombey, Germain, Coquelin cadet, Bomain,
Chalmin, Mmes Lavigne, Larive, Mallet, Ellen Audrée, Silviac, etc., etc. Tout
était admirablement réglé, grâce aux dévouements et la bonne volonté de
tous, enrégimentés sous les ordres de l'organisateur modèle, M. A. Vizentini.
P.-E. C.
— On entendra de nouveau la belle Messe des Rameaux, de M. Félix
Godefroid, le jour de Pâques, à l'église Sainte-Eustache. Pendant l'offer-
toire, l'auteur exécutera un solo de harpe, également de sa composition.
— Béunion des plus brillantes, jeudi dernier, chez M™ Ziéger-Alboni,
où l'on fêtait l'anniversaire de naissance de la grande artiste. Tous ses
amis avaient tenu à lui apporter leurs témoignages de vive sympathie et
de grande admiration et l'hôtel du Cours-la-Reine se trouvait, ce soir-là,
beaucoup trop petit. On a fait d'excellente musique, et la maîtresse de la
maison a été, comme c'était justice, la reine de la fête en chantant de sa
voix merveilleuse et puissante toujours. On a beaucoup applaudi aussi
MllM Eames et Durand, Mmcs Conneau, Kynen et Gutzwiller, MM. Widor,
Plançon, Diérner, Delsart, Baillet et Diaz de Soria qui ont été absolument
parfaits. Dans l'assistance, nous avons remarqué la princesse Mathilde, le
prince Louis Napoléon, MM. Alexandre Dumas, de Giers, Ressmann,
Dietz-Monin, I> Blanche, Georges Boyer,Weckerlin, etc., tout un public
d'élite acclamant la reine de l'art du bel canto. P.-E. C.
— A la dernière réunion des Enfants du Nord et du Pas-de-Calais (La
Betterave), grand succès pour MM. Gluck, Eycken, Pieret — et Claeys de
l'Opéra. Ce dernier a chanté magistralement l'air d'Aben-Hamet, de M.Théo-
dore Dubois.
Concerts annoncés. — Demain lundi, à la salle Érard, concert de MUe
Kara Chatteleyn, avec le concours de M. Bouhy et de l'orchestre Colonne.
— Vendredi 14 mars, même salle, concert de M. Adolphe Lavello, avec le
concours de MUes Nina Burt, Elisabeth Bémer, A. Magnien et de M. Du-
moulin. — Jeudi 13 mars, même salle, concert de M. L. Boussagol (de
l'Opéra), avec le concours de M"0 Janvier et de MM. Escalaïs, Coquelin
cadet, Brun, Marthe, Chaussier, Hennebains, Franck et Pickaert. —
Samedi prochain 15 mars, à la salle Pleyel, séance de piano donnée par
M. Pierre-Bené Hirsch.
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LE
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Malherbe. — II. Semaine théâtrale : premières représentations du Fétiche, aux
Menus-Plaisirs, et de l'Œuf Rouge, aux Folies-Dramatiques, H. Moreno; reprise
des Originaux et première représentation de Camille, à la Comédie -Fiançaise;
premières représentations d'Amour, à l'Odéon, et du Mariage de Barillon, à la
Renaissance, Paul-Emile Chevalier. — III. La musique de Lully, dans le Bour-
geois Gentilhomme, J.-B. Weckerlin. — IV. Histoire vraie des héros d'opéra et
d'opéra- comique (33° article): Rienzi, Edmond Neukomm. — V. Revue des Grands
Concerts. — VI. Nouvelles diverses.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour:
LE MENUET DE L'INFANTE
de Paul Rougnon. — Suivra immédiatement: Le Diable au corps, nouvelle
polka de Heinrich Strobl.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant : Les Hussards, nouvelle mélodie de Francis Thomé, poésie de Ch.
Popelin. — Suivra immédiatement la vieille romance, Assise un soir dans
la fougère, extraite de l'opéra bouffe le Fétiche, le nouveau grand succès du
théâtre des Menus-Plaisirs, paroles de Paul Ferrier et Charles Clairville,
musique de Victor Roger.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
PAR
A.lt>ert SOUBIES ©t Charles MALHERBE
(Suite.)
CHAPITRE XIY
MEYERBEER A l'opÉRA-COMIQIIE
LE PARDON DE PLOERMEL
(1856-1859)
M. Perrin n'eut pour se consoler d'avoir perdu les Dragons de
Yillars que les vingt-trois représentations d'un opéra-comique en
deux actes le Sylphe, paroles de Saint-Georges, musique de Cla-
pisson. Ce sylphe est naturellement un beau jeune homme qui
•chantait à minuit sous la fenêtre de la rêveuse Angèle et, caché
dans l'ombre du feuillage, lui avait conseillé d'épouser le
marquis de Valbreuse ; le mariage célébré, la voix du sylphe
ne s'était plus fait entendre. Or, certain cousin amoureux
vient tenter de rôder autour de la marquise ; on le berne
d'abord, puis on l'écoute, et quand le danger devient immi-
nent, le sylphe se retrouve. C'est le marquis lui-même qui,
sylphe en chair et en os, se jette aux pieds de sa femme
pour se faire pardonner son mauvais caractère qui avait un
instant failli troubler la paix du ménage. Cette baliverne.
ornée musicalement d'oripeaux médiocres, avait été repré-
sentée à Bade le 7 août précédent avec Mlles Duprez, Mira,
MM. Montjauze, Prilleux et Legrand. Elle convenait peut-être
à un public cosmopolite et peu sévère en ses jugements ; le
public parisien fut plus difficile, et, le premier soir (27 no-
vembre 1856), il réserva tous ses applaudissements pour les
deux principaux interprètes: d'une part, Mlle Duprez qui avait
épousé le 13 septembre un accompagnateur de l'Opéra et
s'appelait désormais Mme Yandenheuvel ; de l'autre, Faure qui
dans cette pièce accomplissait un vrai tour de force, car il
chantait sur la scène en voix de baryton et dans la coulisse
en voix de ténor, délicieusement d'ailleurs, et avec une
égale facilité dans les deux registres. Un mois après, il était
nommé professeur de chant au Conservatoire en remplace-
ment de Ponchard, démissionnaire : nul plus que lui ne le
mentait.
Avant de quitter l'ouvrage de Clapisson, rappelons que la
première représentation donna lieu à une innovation pratiquée
pendant quelque temps et diversement commentée alors par
la presse. Le nom des auteurs fut proclamé non plus par
l'un des artistes, mais par le régisseur, M. Palianti. Cette
dérogation à l'usage établi semblait indiquer une volonté
arrêtée de remédier à certains inconvénients qu'un journaliste
de l'époque, M. Pommereux, rappelait non sans raison :
« D'abord, écrivait-il, l'apparition du comédien lorsque le rideau '
se relève, après la pièce, provoque généralement des manifes-
tations qui ont le tort de se confondre avec l'expression du
jugement attendu. Il arrive que les spectateurs, contents de
l'artiste, se croient en droit de lui témoigner leur satisfaction
par des applaudissements, tandis qu'une certaine partie du
public, comprenant autrement la situation, prétend donner
immédiatement et exclusivement son avis sur la pièce, avis
qui peut n'être pas d'accord avec les bravos. Ensuite le
droit de nommer les auteurs, droit qui appartient le plus
souvent au plus important des acteurs qui ont joué dans
l'ouvrage qui vient de finir, donne lieu souvent à des con-
testations regrettables. Tantôt, quand la pièce a réussi, tout
le monde prétend à cet honneur agréable ; tantôt, quand elle
est tombée, tout le monde décline cette fonction périlleuse.
« Il arrive encore qu'une partie dés spectateurs n'approuve
pas complètement le choix qui a été fait et que la manie
du redemandage, trop pressée de s'exercer, réclame en faveur
d'un autre contre celui qui s'apprête à faire l'annonce. Nous
avons vu souvent des exemples de cette inconvenance qui
a eu rrême parfois des suites fâcheuses. Il y a eu jadis, au
théâtre de la Renaissance, des insultes verbales et même
des voies de fait échangées entre deux artistes recomman-
dables et qui n'avaient pas eu d'autre cause.
» L'usage de confier toujours au régisseur le soin de nom-
82
LE MENESTREL
mer les auteurs met fin à tous ces inconvénients. Aussi le
voyons-nous avec plaisir établi à l'Opéra-Comique et voudrions-
nous être sur qu'il deviendra général, et que les autres théâ-
tres suivront en ceci l'exemple de l'Opéra-Comique comme
celui-ci a suivi en l'adoptant, l'exemple de l'Obéra. »
Ces réflexions étaient sensées ; elles auraient dû prévaloir
mais il n'en fut rien, car nous savons tous que la vieille
coutume a reparu plus tard et se maintient encore.
L'année 1856 devait finir par le grand succès d'une petite
pièce, Maître Pathelin , paroles de Leuven et Ferdinand
Langlé, musique de Bazin (12 décembre). Tout le monde
connaît la farce de maître Pathelin, ce chef-d'œuvre de la
scène française au moyen âge, et la liste même est longue
de ceux qui ont étudié ce monument littéraire du langage et
de la gaieté de nos pères. Il faudrait presque un volume pour
résumer les commentaires de toute espèce épars dans les tra-
vaux de Rabelais, Coquillart, Pierre Borel, Duverdier, Gabriel
Naudé, etc. Ce qu'on sait du moins, c'est que l'aventure avait
fourni déjà la matière d'un opéra-comique en deux actes, joué
le 21 janvier'1892 au théâtre Montausier, l'Avocat Pathelin, paroles
de Patrat, musique de Chartrain. L'ouvrage eut du succès et
pourtant ne fut pas imprimé ; peut-être les préoccupations poli-
tiques du moment contribuèrent-elles à cet oubli ; ce qu'il y a
de certain, c'est que le souvenir en disparut à ce point que Fétis,
dans sa Biographie, ne l'a pas mentionné parmi les œuvres dra-
matiques de Chartrain, lequel cependant fut loin d'en écrire
un grand nombre. Plus heureuse, la partition de Bazin fut
jouée et gravée; nul biographe ne l'oubliera, car elle compte
parmi les plus gaies de son auteur, et elle se maintint pendant
quatorze ans au répertoire de la salle Favart, fournissant un
total de 235 représentations. En 1887, Maître Pathelin a même
reparu au théâtre du Chàleau-d'Eau, mais hélas ! sans la
distribution primitive ; on n'avait rencontré ni Couderc, qui
dans le rôle de Pathelin atteignait la perfection, ni Berthe-
lier, qui devait devenir un des plus célèbres comédiens de
notre temps, et qui débutait alors sous les traits d'Aignelet,
déjà plein de gaieté communicative, de verve malicieuse et
de fantaisie originale.
Ce début venait grossir la troupe des recrues dont nous
avons déjà parlé, Mme Cabel, MM. Barbot et Stockhausen ; il
y faut joindre les noms de Prilleux qui venait du Théâtre-
Lyrique et débuta le 20 juin dans le Maçon ; d'Azéma, baryton
qui arrivait de province après avoir appartenu jadis aux
chœurs de l'Opéra-Comique et qui débuta le 1er août dans
Frontin du Nouveau Seigneur; d'Edmond Cabel, beau-frère de
la cantatrice, jeune lauréat du Conservatoire, qui débuta
dans l'Ambassadrice ; enfin, de Mue Lhéritier, qui débuta dans
la même pièce le 26 novembre, après avoir obtenu aux pré-
cédents concours du Conservatoire, les premiers prix de chant
et d'opéra-comique, plus un second d'opéra et un second
d'harmonie. Ainsi se trouvait comblé le vide laissé par les
quatre partants de cette année 1856, Bussine, le vieux Ric-
quier, MmG Blanchard et le ténor Puget.
Dans ce bilan sommaire, quelques soirées méritent d'être
rappelées : par exemple, celle du 17 mars, représentation
gratuite où fut, après les Porcherons, exécutée et bissée une
cantate composée par Halévy sur des vers de Michel Carré
et Jules Barbier, à l'occasion de la naissance du prince
impérial. Citons encore, le 8 juin, une représentation com-
posée de Richard et du Pré aux Clercs, au profit des inondés du
Midi; le 15 juin, une nouvelle représentation gratuite, en
l'honneur du baptême du prince impérial, où fut redonnée,
après Richard et les Noces de Jeannette, la cantate d'Halévy déjà
mentionnée; le 3 juillet, une représentation extraordinaire
au bénéfice de Mme Casimir, dont on se rappelle les succès
passés; elle joua encore une fois Colombine dans le Tableau
parlant, et, pour un soir, Roger reparut dans Haydèe, dans
ce rôle de Lorédan qu'il avait si brillamment créé huit
années auparavant. Une autre représentation extraordinaire
eut lieu le 4 septembre, en faveur de l'Association des
artistes dramatiques, avec Mme Ristori qui interpréta la Médée
de Legouvé, traduite en italien, avec Mme Déjazet qui dit la
Lisette de Béranger, avec la troupe du Gymnase qui joua le
Chapeau d'un Horloger; le Chien du Jardinier complétait ce
spectacle.
Surtout n'oublions pas deux soirées curieuses : celle du
16 mai qui n'eut pas lieu faute de gaz au moment de la repré-
sentation; et celle du 10 août qui n'eut pas lieu davantage
pour cause de refus de service de M. Faure, disait brutalement
l'affiche. L'éminent artiste s'expliqua dans une lettre adressée
au Figaro, et menaça de « déférer l'appréciation de ce fait au
tribunal de commerce ». Fort heureusement le directeur et
son pensionnaire n'en vinrent pas à cette extrémité ; ils s'en-
tendirent pacifiquement et les avocats n'eurent pas plus à
plaider cette affaire que les magistrats à la juger.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
Naturellement Ascanio, le nouvel opéra de M. Saint-Saëns, n'a pu
passer cette semaine sur notre première scène lyrique (est-ce bien
la première?). Les costumes n'étaient pas prêts, ce qui n'a rien de
surprenant puisque les éminents et perpétuels directeurs de notre
Académie de musique n'avaient rien préparé ni commandé depuis
deux ans qu'ils avaient reçu l'ouvrage, espérant toujours pouvoir
s'en débarrasser au moment opportun et l'abandonner au coin d'une
borne de leur Opéra. Heureusement l'opinion publique et la presse,
qui s'est enfin montrée, sont venues s'opposer à ces noirs projets,
et il a fallu s'exécuter bon gré mal gré. Ce n'est pas encore pour
cette semaine, mais ce sera pour la prochaine.
En attendant cette manifestation de haute musique, les opérettes
s'en donnent à cœur-joie et nous eu avons encore eu deux dans nos
huit jours, ce qui est assurément une bonne moyenne.
La première a été représentée au théâtre des Menus-Plaisirs, sous
ce titre :
LE FÉTICHE
Elle est de MM. Paul Fcrrier et Charles Clairville, pour les pa-
roles, et de M. Victor Roger, pour la musique. La réussite en a été
brillante, selon le terme consacré, et il y avait un bon bout de temps
qu'on n'avait autant ri .
L'histoire est difficile à raconter dans toutes ses complications,
mais à la scène elle se déroule claire et vive.
C'est une croyance, au pays de Ploukérouan (Bretagne) que, le
jour de son mariage, si c'est en pleine lune, un marié doit accom-
plir quelque bonne action pour que le Korrigan le protège et lui
assure jusqu'à la fin de ses jours fortune et félicité. Et voilà pour-
quoi le beau Canuche, qui précisément va convoler en justes noces
avec Yvette la fermière, cherche quelque infortuné qu'il puisse
secourir eD ce jour de bonheur. L'infortuné se présente en la per-
sonne du chevalier Valentin des Hauts-Créneaux, capitaine de dra-
gons, qui, après un duel malheureux pour son adversaire, fuit devant
la justice de son pays fort sévère pour ces sortes de fredaines san-
glantes. Il va être arrêté, quand le beau Canuche prend le parti de le
dissimuler sous les habits de mariage de sa propre fiancée. Mal-
heureusement il n'a pas le temps d'exécuter ce hardi stratagème ;
un garde champêtre a saisi le complot au vol et vient saisir au
collet... qui? La jolie Yvette en personne, sous le voile nuptial
de laquelle il pense que le délinquant cache son épaulette et sa
moustache.
Canuche et Yvette qui sont d'accord laissent aller les choses pro-
fitant de la bêtise du garde champêtre. Quand l'erreur sera reconnue,,
le chevalier sera loin déjà et hors d'atteinte.
Pendant ce temps la triste Irène de Kerganigoukaradec, noble de-
moiselle des environs, se morfond avec son père le marquis dans l'at-
tente d'un fiancé qui ne vient pas. Or il se trouve — bizarre coïn-
cidence — que ce fiancé et le chevalier Valentin ne font qu'un, si
bien que le garde champêtre triomphant est accueilli à bras ouverts
quand il amène Yvette sous les jupons de laquelle il assure que se
dissimule le chevalier. — hypothèse d'autant plus acceptable que
jamais Irène et son noble père n'ont vu le chevalier. De là une suite
de quiproquos plaisants dont vous devinez tout le parti que des
gens d'esprit comme SIM. Paul Ferrier et Charles Clairville ont su
tirer. Tout s'explique à la fin naturellement, quand le chevalier
LE MENESTREL
83
a reçu sa grâce du roi et peut venir prendre la place d'Yvette dont
le dévouement commence à être aux abois.
C'est fort drôle, je vous assure, et plein de scènes amusantes. On
y a ri beaucoup et c'est là le principal, puisque rire est le propre de
l'homme.
Sur ce plaisant canevas, M. Victor Roger a brodé sa plus jolie
partition. Il n'y a pas là de ces prétentions et de ces alambiquages
à la mode chez nos ennuyeux petits faiseurs d'aujourd'hui. C'est franc
et c'est net, à la manière d'Offenbach et d'Hervé. Voilà pourquoi
on a beaucoup applaudi ce petit discours musical bon enfant et
d'une verve saine. Trois morceaux bissés et deux trissés, c'est le
bilan de la soirée. Bon nombre de ces petits airs lestes et pimpants
vont devenir bientôt populaires. Citons pêle-mêle le Rondeau de Ca-
nuche, le Duetto de la Basse-cour, la Vieille Romance, le terzetlo déjà
fameux Imperturbablement, les Couplets du Dragon et par-dessus tout
la valse délirante : 0 légère hannetonne, qu'on a voulu entendre
trois fois.
Interprétation d'ensemble bonne, et même supérieure pour ce qui
est de Germain, qui a fait de son garde champêtre un type inou-
bliable. La gracieuse MUe Decroza (Yvette) a été des mieux accueil-
lies, comme aussi Mlle Peyral, toute charmante dans le rôle d'Irène.
M. Dekernel (Ganuehe) a de l'entrain et M. Bartel (le marquis) de la
finesse. N'oublions pas le couple Vavasseur et Mary Gillet, le juge
■de paix et madame son épouse, deux caricatures réussies.
La mise en scène de M. Derenbourg est fort chatoyante et les cos-
tumes sortis de la meilleure plume de M. Job. C'est donc toute une vic-
toire que nous avons à signaler.
La seconde des opérettes de la semaine a été représentée aux
Folies-Dramatiques, sous ce titre :
L'ŒUF ROUGE
paroles de MM. Busnach et Van Loo, musique de M. Edmond Audran.
Cette fois nous avons affaire à un opéra-comique. C'est le pro-
gramme qui le dit et M. Edmond Audran ne pouvait se contenter à
moins.
Je ne sais pourquoi sa nouvelle partition, comme quelques autres
de sa façon d'ailleurs, me donne l'impression d'un jardin anglais
parfaitement tenu, froid et correct dans sa rigidité. Toutes les allées
s'y allongent admirablement ra lissées et les plates-bandes en sont tirées
au cordeau. Pas une fleur qui dépasse. Il ne faut pas chercher là de
la fantaisie ou de l'imprévu. Mais c'est de la musique joliment peignée.
M. Edmond Audran est le Le Nôtre de l'opérette. Je ne vous citerai
pas un morceau plutôt qu'un autre, car ils sont tous d'une égale
venue, tirés à quatre épingles et d'une désespérante perfection. Cette
petite œuvre, un peu compassée, a trouvé un public qui lui a rendu
toutes ses froideurs, peut-être même avec usure.
Chose curieuse, la pièce de MM. Busnach et Vanloo suit les
mêmes errements. C'est une pièce bien menée et logiquement dé-
duite, où l'on peut suivre à la fois plusieurs intrigues, marchant de
front sans se gêner. Et pourtant, l'étincelle lui manque comme à la
musique de M. Audran. Sans qu'on sache pourquoi, elle vous enve-
loppe peu à peu d'une atmosphère somnolente et ce n'est guère que
dans les dernières scènes de l'ouvrage qu'elle consent à faire quel-
ques risettes au spectateur.
Gobin, l'immortel Bobèche, s'en trouvait lui-même décontenancé ; il
n'a pas eu ses expansions ordinaires, et a voulu se rattraper sur des
effets de larmes qui ne lui ont pas beaucoup réussi. M. Huguet abuse
de sa belle voix, comme à son habitude. M. Guyon fils fait de son
mieux, M,le Leriche exagère, mais en revanche MUe Thibault est
«harmanle de grâce et de jeunesse.
Mise en scène très soignée dans tous ses détails.
H. Moreno.
Comédie-Française. — Les Originaux, comédie en un acte en prose
de Fagan. — Camille, comédie en un acte en prose de M. Philippe
Gille.
Ces Originaux, qui comptent aujourd'hui leur siècle ample-
ment dépassé et portent péniblement un aussi grand âge, ne
sont rien moins qu'une parade insignifiante, d'un intérêt nul et
d'une composition navrante ; spectacle tout à fait indigne de la
Comédie-Française, même la veille de la mi-carême. Aussi, j'en
veux tiès fortement à M. Coquclin, instigateur de cette exhumation
ridicule. Je sais qu'il déploie, dans les cinq rôles de la pièce de
Fagan, une verve merveilleuse, une souplesse étonnante et une
dextérité prestigieuse, et qu'il y récolte un succès personnel très
mérité ; je sais aussi que ce rôle à transformations plaira beaucoup
en Amérique ; mais, franchement, ce ne sont point là raisons suffi-
santes pour engager notre premier théâtre français dans une aven-
ture qui ne peut que le discréditer. Je plains de tout mon cœur
Mmes Bartét et Samary et M. Le Bargy de la figuration qu'on leur a
imposée, et je suis heureux de la revanche qu'ils ont pu prendre,
dans la même soirée, en jouant à ravir l'Etincelle.
Le numéro à sensation de ce spectacle coupé était la première
représentation de Camille, un acte de M. Philippe Gille. Le spirituel
auteur des Charbonniers et des Trente millions de Gladiator, invité
par M. Claretie à lui donner une pièce, ne s'est pas laissé intimider
par la solenoité de la maison et a donné libre carrière à sa verve
de bon aloi et à son esprit parisien et mordant. L'intrigue repose
sur une erreur commise dans un bureau de mairie à la déclaration
de naissance de Camille Prélard, enregistré comme étant du sexe
féminin. Le pauvre garçon promène timidement dans le monde, et
sans en rien dire, son faux état civil, jusqu'au jour où, amoureux
d'une ravissante Américaine, il se décide à dévoiler le secret de sa
vie. Le mariage ne pourrait se célébrer si la jeune fille ne faisait
partie de la viDgt-septième section de la religion mormonne qui or-
donne à ses adeptes de faire seulement ce qui leur plaît et, par
conséquent, de se marier comme ils l'entendent, et sans formalités
aucunes. M. Coquelin cadet est parfait en victime de la fatalité et
Mlle Muller charmante en miss rieuse. M. de Feraudy a dessiné un
type amusant d'Américain toujours armé d'un revolver ; M. Truffier
est un fin et élégant Parisien et M. Leloir un pasteur mormon bien
original.
Odéon. — Amour! Drame en trois parties et quatre tableaux, de
M. Léon Hennique.
M. Léon Hennique, encore un de Médan, qui a passé aussi par
le Théâtre libre, où il a rencontré des succès. Esthétique assez
vieillotte, bien qu'il se réclame très haut de son titre de novateur.
Amour est un mélodrame quelconque, assez adroitement présenté
et suffisamment intéressant. Le but auquel l'auteur- a tendu, pen-
dant les trois actes, est la reconstitution de la langue du
XVIe siècle ; c'est en cela que consiste son réalisme , car je ne
sache pas que les personnages soient absolument pris sur le vif, ni
la fable qu'il nous présente complètement vécue. Le système de
M. Hennique a des défauts capitaux, si capitaux qu'il n'a pu l'ap-
pliquer complètement. Si son premier acte, le meilleur, garde bien
l'allure et l'expression de l'époque, dans les deux autres, il s'est
laissé entraîner par son sujet et semble avoir oublié souvent la
tâche qu'il s'était proposée. La tentative n'en reste pas moins inté-
ressante, sinon nouvelle. MM. Candé, Calmettes, Numa, Cabel, et
Mmes Antonia Laurent, Duhamel et Samary se sont fait applaudir à
plusieurs reprises.
Renaissance. — Le Mariage de Barillon, vaudeville en trois actes de
MM. Georges Feydeau et Maurice Desvallières.
C'est l'histoire d'un gendre marié par erreur avec sa belle-mère
(ce que les employés de mairie ont bon dos!). On comprendra faci-
lement que le malheureux épousé fasse tout au monde pour faire
réparer cette cruelle bévue et je ne vous étonnerai certainement pas
en vous disant, qu'après mille péripéties, il y arrive. Le vaudeville
nouveau de MM. Feydeau et Desvallières est absolument fou, c'est
de la quintescenee d'insenséisme, mais si adroitement débitée que
le public rit quoi qu'il en ait. On aimerait pourtant mieux voir ces deux
jeunes auteurs, qui ne manquent de talent ni l'un ni l'autre, s'atteler
à une besogne un peu plus sérieuse. La troupe de la Renaissance
donne avec entrain et gaieté, et il n'y a que des éloges à adresser
à MM. Raimond, Francès, Montcavrel, et à MmM Aubrys et Boulanger.
Paul-Émile Chevalier.
LA MUSIQUE DE LULLY
DANS LE BOURGEOIS GENTILHOMME
M. Claretie, administrateur du Théâtre-Français, a envoyé à
M. Francisque Sarcey, pour son instruction, une sorte de factum
sur la « musique de scène à la Comédie-Française », dû à la plume
de son chaf d'orchestre. Je me sers de l'hospitalité du Ménestrel pour
y répondre en quelques mots.
Dès le début, M. Léon, l'auteur du factum, mets les pieds dans
le plat en parlant des airs à cinq parties, qui étaient d'usage en ce
temps-là, de Cambert à Lully. Eh bien ! je ne serais pas fâché de voir
une pièce à cinq parties de Cambert, qui n'écrivait ses instruments
à cordes qu'à quatre parties. Pour s'en convaincre, il suffit d'aller
84
LE MÉNESTREL
consulter les deux seuls actes qui nous restent de Cambert, l'un
de Pomone et l'aulre de Peines et Plaisirs d'amour.
J'ai été toute nia vie fort désireux de m'instruire; ce petit faclum
m'a appris entre autres choses merveilleuses qu'il est de tradition à
la Comédie-Française d'accompagner discrètement la littérature avec de
la musique (heureuse littérature !) et que dans les trois partitions du
Bourgeois gentilhomme, de Lully, il n'y a aucune désignation d'instru-
ments ! ! 1
Voilà du nouveau. Il n'y a pourtant, pour se convaincre du con-
traire, qu'à examiner les partitions de Lully, tant gravées et im-
primées, que celles qui sont restées manuscrites !
Pour l'exécution du Ballet de la Reine, en 1381, il y avait déjà des
flûtes, des hautbois, des trompettes, etc.
Au ballet de la Délivrance de Renaud, en 1617 (Louis XIII), il y
eut 64 chanteurs, 28 violes et des luths.
Pour la Pastorale de Cambert, jouée en 1659, le musicien eut soin
de se servir des instruments déjà acquis, et Saint-Evreniond parle
avec enthousiasme des concerts de flûte qu'on entendit dans cette
Pastorale.
Enfin, quoique M. Claretie paraisse convaincu, d'après le factum
de son chef d'orchestre, qu'il donne le Bourgeois gentilhomme abso-
lument comme au temps de Louis XIV, en se servant de huit voix
d'hommes et de cinq violons, nous sommes obligé d'affirmer que le
roi Soleil avait mieux que cela et que, outre ses douze instruments
à cordes, Lully avait encore comme flûtistes Piesche, Laine, Hotte-
terre et Duclos ; comme hautboïstes Plumet et Lacroix ; comme bas-
sonistes Bluchet et ***, enfin, comme timbalier, Philidor.
Ce qui a dérouté complètement mon savant confrère, le chef d'or-
chestre de la musique de scène à la Comédie-Française, c'est qu'il ignore
sans doute que chez Lully les mêmes parties servaient aux pre-
miers violons et aux flûtes, aux seconds violons et aux hautbois,
aux basses et aux bassons, du moins dans les ensembles, et ce
n'est que quand les instruments à vent jouent seuls, qu'on les dé-
signe dans les partitions ; on peut le voir daDs toutes les œuvres de
Lully. Il en est de même pour le Bourgeois gentilhomme, où dans le
ballet final il y a un menuet pour les hautbois, indiqués en toutes
lettres.
Le manuscrit de Philidor, dont M. Léon a la bouche pleine, re-
présente, selon lui, la loi et les prophètes; mais alors, pourquoi le
chef d'orchestre de la musique de scène à la Comédie-Française ne fait-il
pas jouer l'ouverture dudit Bourgeois gentilhomme ?
Et cette grande scène du commencement, où l'élève du maitre
de musique compose une sérénade, cette scène à grand effet que
chantait le sieur Gaye devant Louis XI"V, que devient-elle?
Et la scène des musiciens et musiciennes : Un cœur dans l'amoureux
empire, — Il n'est rien de si doux, — Aimable ardeur (trio), avec les
ritournelles d'orchestre qui séparent ces pièces de chant, qu'en
a-t-on fait?
Et les airs de danse qui suivent ?
Et tout le finale en musique (quarante pages in-folio), finale qui
termine le Bourgeois gentilhomme?
Tout cela n'est donc pas dans le manuscrit du Théâtre-Français?
Mais, en ce cas, il fallait se fournir ailleurs et ne pas fourvoyer son
directeur, homme charmant s'il en fut, en lui persuadant que c'est
ainsi que les choses se passaient sous Louis XIV ! Je dois faire
remarquer encore qu'actuellement on introduit dans la partition de
Lully, né en 1633, un tambourin de Rameau, né en 1683. Lully
n'avait pu prévoir cette facétie !
J.-B. Weckerux.
HISTOIRE VRAIE
DES HÉROS D'OPÉRA ET D'OPÉRA- COMIQUE
XLI
RIENZI
Rienzi présente de grandes affinités avec Struensée. L'un et l'autre
partis de bas, s'élèvent au rang suprême, et tous deux, victimes des
haines accumulées autour de leur personne, meurent tragiquement.
Rienzi était fils d'un cabaretier et d'une lavandière. Il ne portait
point de nom de famille, les gens du peuple n'en avaient pas alors.
L'étude le charme, il s'instruit, et comme un talent d'élocutiou natu-
rel seconde ses facultés improvisatrices, il choisit le métier d'ora-
teur, qui est le métier de ceux qui n'en ont pas.
C'était le temps où Rome, abandonnée parles papes, était livrée à
l'anarchie la plus absolue. Les patriciens, retranchés dans leurs pa-
lais, transformée en places fortes, y vivaient en routiers, toujours
prêts à s'entre-dévorer, quand ils ne s'alliaient pas pour fondre sur
la plèbe et la pressurer à main armée. La rue, transformée en
arène, était devenue le théâtre de brigandages quotidiens. Les ci-
toyens, affolé?, n'osaient plus sortir de chez eux. Ce n'était qu'un
cri de rage et d'angoisse par toute la ville. Le vicaire du pape, de-
meuré dans la cité sainte, voyait son autorité méconnue. Il était
impuissant à combattre le mal. Son seul espoir était dans le peuples-
mais le peuple, bien qu'irrité, souffrait son mal en patience.
Entre temps, Rienzi commençait sa propagande révolutionnaire.
Il avait pris le titre de Consul des orpihelins, des veuves et des pauvresr
et prêchait l'évangile de la révolte. Mais ceux qui l'écoutaient, avi-
dement suspendus à ses lèvres, se bornaient à recueillir, comme une--
manne humaine, la bonne parole, sans se décidera l'action. Le
temps n'est pas venu, pensait Rienzi, et il attendait.
Un incident propice, d'aucuns disent une disette provoquée par
les riches, d'autres un assassinat commis sur un frère du Consul et
dont celui-ci ne put oblenir justice, lui indiqua que le moment d'a-
gir était venu.
Le dimanche 20 mai 1347, jour de 'a Pentecôte, Rienzi, après
avoir entendu trente messes pendant la nuit, convoque le peuple
devant l'église de Saint-Jean de la Piscine. L'évêque d'Orvieto, vi-
caire du pape, est à ses côtés. Le Consul harangue la foule. Sa pa-
role enflammée porte le feu dans tous les esprits. On l'acclame, les
mains se tendent vers lui en manière de serment et quand il lève-
l'épée et la brandit dans l'air, un seul cri retentit : Au Capitole!
Là, le prêtre le bénit et lui décerne le titre de Tribun et de Li-
bérateur.
Alors commence une de ces épopées qui ressemblent à un rêve,
à un conte des Mille et Une Nuits. Le fils du cabaretier écrit, en les
appelant «mon cousin », à tous les princes de l'Europe pour leur.
annoncer le rétablissement du « Bon état » à Rome. Et chacun de-
s'incliner devant le souverain improvisé. Bien plus, on le choie, on
l'exalte. L'empereur Louis IV le prie de le réconcilier avec le pape;..
Jeanne de Naples demande son amitié; et Louis de Hongrie le prend
pour juge dans la poursuite de l'assasinat d'un de ses fières. Ces.,
bouffées d'encens montent à la tête du parvenu. Ils s'enivre d'or-
gueil, s'entoure de pompe et de magnificence et ne paraît en public
que la tète ceinte d'une tiare, composée de sept couronnes de diverses-
significations, dont la dernière, d'argent, était surmontée de la.
pomme impériale. Bientôt, son exaltation tyrannique ne connait-
plus de bornes. Il arme son fils Chevalier de la Victoire, se compare
au Christ envoyé sur la terre pour régénérer l'humanité, et, procla-
mant que le choix de l'empereur appartiendrait dorénavant, comme -
dans les anciens temps, au peuple romain , il cite les électeurs à
comparaître devant son tribnnal.
Pour le coup, la mesure était comble. Les souverains s'émeuvent-
les patriciens romains réussissent à intéresser à eux le pape Clé-
ment VI. Celui-ci envoie à Rome un légat muni de pleins pouvoirs.
Or, par un revirement propre aux masses et dont l'Histoire donne do
nombreux exemples, ce prélat est acclamé comme l'avait été Rienzi
six mois auparavant. Il profite de ces bonnes dispositions pour por-
ter le dernier coup au tribun, à l'idole delà veille, en l'exeomniunianU-
Dès lors, Rienzi est perdu sans retour. Il se retire au château Saint-
Ange ; mais ceux qui l'entourent, en petit nombre, abandonnent
leur maître déclaré hérétique et séditieux, et à qui l'usage du feu
et de l'eau est interdit. Il se cache, il s'éloigne, il se réfugie en Bo-
hême; mais l'empereur, son grand ami des jours glorieux, le fait
arrêter et le livre au pape, dont la résidence était alors à Avignon.
La mort de Clément "VI le sauve du supplice.
Alors, par une éclaircie soudaine autant qu'iuattendue, de la fortune,
son étoile recommence à briller. Iunocent IV ne partageait par les
idées de son prédécesseur; il donne mission à Rienzi de soumettre
les Etats de l'église. Le Tribun assiège victorieusement Orvièle et
Vilerbe; il revient à Rome en triomphateur... Mais cette apothéose
fut de courte durée.
Excité contre le peuple, qui l'avait si lâchement abandonné, il
veut user de représailles. L'écbafaud se dresse en permanence sur la
place publique, et la plèbe est écrasée d'impôts. Ou murmure; bien-
tôt l'orage gronde; les nobles font cause commune avec les humbles;
on crie aux armes, et la foule se précipite au* Capitole, où elle
s'empare de Rienzi.
Alors commence une scène de carnage, dont on ne trouverait le
pondant qu'en remontant au massacre de Vitellius. Conduit au piedi
du grand escalier, près du lion de porphyre, Rienzi voulut parler,
haranguer la foule, essayer une dernière fois de l'empire que sa paroler-
LE MENESTREL
8o
avait eu sur elle ; mais, comme il ouvrait la bouche, un artisan lui
enfonça son estoc dans le ventre et l'étendit mort à ses pieds. Aus-
sitôt, on se précipita sur lui; son cadavre exposé aux dernières igno-
minies, lacéré, mutilé, fut traîné dans la boue, puis, ce qui était le
comble de l'ignominie, brûlé par des juifs avec un feu d'orties
sèches.
t Telle fut la fin dû Tribun » dit l'historien Papencordt, qui ra-
conte ces détails. Et il ajoute :
« Par un noble essor de son esprit, il s'éleva à la plus haute posi-
tion ; mais elle dépassait tellement ses forces morales et intellectuelles
qu'il ne nous présente pas une seule fois le spectacle d'une lutte
grandiose pour la réalisation de son idée. Bien plus, cette idée elle-
même, il l'abandoûna presque entièrement à la fin; et comme les
conditions et les bases matérielles de la puissance lui manquaient,
sa chute était inévitable. Toute sa vie ne nous offre que de l'extra-
ordinaire et point de véritable grandeur. Mais dans l'histoire et dans
l'opinion des hommes le souvenir de sou noble commencement a
prédominé, et il a entouré son nom d'une auréole romantique comme
peu de figures du moyen âge en ont obtenu. Ses crimes, confondus
avec ceux de ses contemporains, ont disparu dans l'ombre pour ne
laisser briller que la beauté de son entreprise. »
(A suivre.) Edmond Neukomu.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts du Chàtelet. — M. Colonne a fait entendre, dimanche der-
nier, la partie musicale complète du Struensée deMeyerbeer. L'orchestration
de Meyerbeer, qui passait autrefois pour bruyante, parait modeste aujour-
d'hui si on la compare aux déchaînements wagnériens. Pour nous, cette
sobriété est un mérite, car la musique n'est pas une question de bruit :
un compositeur pourra toujours faire plus de bruit qu'un autre ; Berlioz,
dans une de ses marches, a bien employé le canon. C'est une question
d'oppositions bien ménagées. Sous ce rapport, Meyerbeer est parfait, de
plus, il est profondément humain. Il excelle à peindre les passions indi-
viduelles, et, encore mieux, les passions des foules; il les peint dans un
langage précis, vivant. La musique est une langue, et, comme tout lan-
gage, elle doit avoir et elle a sa prosodie, sa syntaxe. Voilà précisément
ce qu'oublient nos prétendus novateurs qui, en croyant se rapprocher de
la vérité, s'en éloignent. Pour eux il n'y a plus de symétrie, plus de tona-
lité, les foules ne chantent plus, elles font entendre des hurlements; la
voix humaine est perdue dans les sonorités orchestrales, elle ne se prête
plus à ces harmonieux ensembles qui étaient un charme et un repos pour
l'esprit. On a perdu le secret des belles mélodies bien ordonnées, on a vu
cette innovation barbare, la mélodie continue, qui est la négation de toute
mélodie et nous fait retourner aux vagissements indéterminés de l'enfance;
l'orchestration est confuse, elle n'a plus la clarté des œuvres du passé. Ces
observations, toutefois, ne s'appliquent pas à l'ouverture du Tannhàuser,
qui est conçue sur les anciennes données et que les vrais wagnériens désa-
vouent. Le Rouet d'Omphale, de M. Saint-Saëns, est une composition charmante
qu'on ne lasse pas d'en tendre. Le Dernier Printemps, de M.Grieg, est une œuvre
poétique mais un peu vague, et qui ne laisse pas dans l'esprit une im-
pression bien profonde. M. Colonne a donné une troisième audition de
l'Or du Rhin, de Wagner. La première fois que nous entendîmes ce frag-
ment, notre curiosité lut vivement éveillée; il y a là des ingéniosités
d'orcheslre tout à fait inusitées, un certain mouvement, quelque chose de
scénique. Une fois le procédé reconnu, le sentiment de curiosité dispa-
rait, et il ne reste pas grand'chose à la place. Décidément, pour bien
juger ce morceau, il faudrait l'entendre, comme cela est indiqué, dans un
aquarium où les filles du Brun chanteraient en nageant, où M. Auguez
nagerait en chantant, où le public lui-même nagerait. Attendons l'été pour
cela. Ce qui prouve une fois de plus que le sentiment mélodique est seul
apte à vivifier les œuvres d'art, c'est le succès qu'a eu cette' vieille ren-
gaine de l'Invitation à la valse, de "Weber, orchestrée par Berlioz. Tout le
monde sait ce morceau par cœur depuis deux ou trois générations, il n'y
a pas de surprises à en attendre, c'est connu comme l'alphabet, etpourtant
on n'en a pas perdu une note, on écoutait avec recueillement et à la fin
les applaudissements sont partis. C'était le bon sens, c'était la vérité qui
prenaient leur revanche. H. Barbedette.
Concerts Lamoureux. — La symphonie de Walknstein, de M. V. d'Indy,
est d'une structure solide et ferme, la veine mélodique en est féconde et
certaines phrases sont d'une saveur délicieuse. Le vice de l'œuvre et de
toutes celles de la même écolo, consiste en ceci : l'auteur choisit au
hasard de ses goûts une œuvre littéraire et en décrit musicalement les scè-
nes. Or, le plus souvent le développement littéraire est une entrave per-
manente à l'expansion du développement de la musique pure. L'idée
seule doit dominer, disent les convaincus, et ils citent "Wagner. "Wagner
faisait dire à ses personnages ce qu'exprime son orchestre, mais vous,
vous remplacez les dialogues, la mise en scène, les costumes, la mimique
par... une notice explicative. — L'ouverture de Fidelio n'a produit aucun
effet. Elle a été disséquée par l'orchestre avec une froideur qui s'est com-
muniquée au public. — Quand un virtuose prend la plume de composi-
teur, nous avons le droit d'attendre de lui, sinon des pensées musicales
vraiment belles, du moins des effets de nature à intéresser au point de
vue du mécanisme de son instrument. M. Paderewski a joué son con-
certo en la majeur qui ne nous satisfait pas entièrement à ce point de
vue. Gomme pianiste, M. Paderewski a des délicatesse de style et de
toucher qui charment délicieusement, mais il n'est réellement lui-même
que quand il joue seul, sauf peut-être quand il interprète avec une
glande effervescence les œuvres de Liszt, car alors il se livre et le rythme
lui impose sa loi. Dans les autres cas, c'est le contraire qui a lieu. En
exécutant une romance de M. Saint-Saëns et surtout la Campanella de
Liszt, il s'est montré avec ses qualités supérieures, dégageant les thèmes
dans leur limpidité parfaite, les faisant briller sous toutes leurs faces et
dédaignant de recourir aux effets maladivement tendres dont il émaille
certaines compositions. — MI11C Materna, par la nécessité qui s'impose à
elle de chanter dans une langue étrangère, se trouve placée hors des
conditions ordinaires de la critique. Pour ceux qui ne peuvent la suivre
mot pour mot sur un texte allemand, il reste à admirer sa voix encore
superbe et son imposant maintien quand elle ne se trouve pas gênée par
de longs intervalles remplis par les mouvements d'orchestre.. Elle a chanté
un air de Haendel et un air de Tannhàuser, mais c'est dans le finale du
Crépuscule des Dieux qu'on peut la trouver magnifique, quand on possède
une connaissance suffisante du texte qu'elle déclame- avec une intensité
d'accent vraiment prodigieuse. Elle a été couverte d'applaudissements
après cette scène superbe qui se termine par un formidable déchaînement
d'orchestre où le thème de la chute des dieux de l'Or du Rhin et le
tbème d'amour de Siegfried s'enlacent et forment un contraste d'une
expression poignante. Amédée Boutarel.
— Programmes d'aujourd'hui dimanche :
Au Conservatoire : relâche.
Au Chàtelet (2 h. 1/4) concert Colonne : Roméo et Juliette, drame lyrique
d'après la tragédie de Shakespeare, paroles de Emile Deschamps, musique
de Hector Berlioz. — Soli M"e de Montalant, M. Mauguière, M. Auguez
(de l'Opéra).
Au Cirque d'Eté (2 h. 1/2), 20° et dernier concert Lamoureux : 1° Sym-
phonie en la (Beethoven) ; 2° Air de Rienzi (Wagner), chanté par M."™ Ma-
terna ; 3° Attila, ouverture (Salvayre) ; 4e a. Prélude du lor acte ; b. Mort
d'Yseult (3e acte) de Tristan et Yseult (Wagner) ; Yseult, Mme Materna ;
5° Une ouverture pour Faust (Wagner) ; 6° Scène finale du Crépuscule des
Dieux (Wagner) ; Brunehilde : Mm8 Materna ; 7° Marche hongroise, de la
Damnation de Faust (Berlioz).
— Concerts et musique de chambre. — On ne peut rien imaginer déplus
gracieux, déplus fin, de plus aimable que la petite symphonie de M. Ch. Gou-
nod, que vient de nous faire entendre la Société des instruments à vent.
On y retrouve à un égal degré les qualités de pureté harmonique, d'élé-
gance instrumentale et le style séduisant, le charme tout personnel de
l'auteur de Faust. Le succès a été très grand et on a accueilli avec la même
faveur les quatre parties de l'œuvre. MM. Diémer et Turban ont dit d'une
admirable façon le beau duo (op. 47) pour piano et clarinette de Weber.
M. Turban est un virtuose extrêmement remarquable et joue aussi musi-
calement que possible. De M. Diémer il est inutile de parler : c'est la per-
fection même. Si je trouvais un superlatif au mot « perfection », c'est à
M. Taffanel qu'il faudrait l'appliquer. Il a interprété trois gracieuses pièces
de M. Godard, comme lui seul pouvait les interpréter, c'est tout dire. La
séance s'est terminée par l'adorable sérénade de Mozart. — M. J. Pade-
rewski, de retour à Paris, vient de donner un premier concert. On peut lui
reprocher quelques exagérations de style, une recherche trop constante
de l'effet; mais ces défauts sont compensés par des qualités remarquables
de virtuosité, un son d'une grande variété, une exquise délicatesse, de
la chaleur et du charme et, — ceci est incontestable, — par un jeu em-
preint d'une véritable individualité. Sur son premier programme se trou-
vaient réunis les noms de Bach, Beethoven, Schumann, Chopin et Liszt;
deux morceaux de sa composition, d'une grâce tour à tour coquette et
langoureuse, ont été écoutés avec plaisir. —Je ne puis terminer ces notes
sans mentionner le très grand succès obtenu à la dernière séance de
M. Mendels, par M. Van Waeffelghem qui a joué sur la viole d'amour
deux pièces de Martini avec un sentiment, un charme infinis. Il a un
instrument de premier ordre et s'en sert en virtuose accompli. I. Ph.
— La deuxième séance donnée par le quatuor Ed. Nadaud, avait attiré
dans les salons Pleyel un auditoire des plus choisis. Cette séance était
consacrée aux maîtres classiques et à l'audition de plusieurs pages écrites
pour le clavecin. M. L. Diémer avait bien voulu se charger d'interpréter
ces œuvres sur un instrument construit, d'après un nouveau système, par
la maison Pleyel. Les registres sont remplacés par des pédales et l'artiste
peut ainsi obtenir les nuances les plus délicates, ce qui n'était pas possible
sur les anciens clavecins. Nous regretterions de ne pas mentionner d'une
façon toute spéciale le quatuor en mi mineur de Mondelssohn, exécuté
avec un rare talent par MM. Nadaud, Laforgo, Mas et Cros Saint-Ange.
86
LE MENESTREL
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Une singulière nouvelle nous arrive d'Allemagne, où l'on annonce
que M. Emile Naumann, directeur du Conservatoire de Berlin, a été
arrêté sous l'accusation d'avoir étranglé le fils d'une de ses nièces, à
cause des relations que celui-ci entretenait avec une élève de l'établisse-
ment (!). M. Naumann est un compositeur estimé, à qui l'on doit plu-
sieurs œuvres importantes ; entre autres, plusieurs symphonies, un grand
oratorio, le Christ messager de paix, une pièce à ariettes, intitulée la Sorcière
du Moulin, et une grande cantate dédiée au roi de Prusse, en l'honneur
des succès des armes prussiennes pendant la campagne de 1866 contre
l'Autriche. Il s'est fait connaître aussi comme écrivain musical, a publié
entre autres, un mémoire sur la musique italienne, depuis Palestrina jus-
qu'à nos jours, et a été l'un des collaborateurs de la Nouvelle Gazette musi-
cale de Berlin.
— Une exposition musicale à Vienne. — Il vient d'être décidé qu'une
exposition internationale d'instruments de musique de toutes sortes, depuis
le violon et le piano jusqu'au tambour — (nous allions dire jusqu'à la
guimbarbe) — de partitions originales, d'autographe, lettres, portraits,
photographies, de tous les musiciens célèbres, aura lieu dans le courant
du mois d'août. La princesse Pauline de Metternich prend le plus vif
intérêt à cette entreprise qui coïncidera avec l'époque du festival du
Sangerbund. On parle de douze mille choristes.
— Une exposition d'un nouveau genre va s'ouvrir à Bonn au mois de
mai, organisée par les soins des administrateurs du musée Beethoven à
Bonn. Cette exposition, qui prendra le nom de Beethoven- Ausstellung, sera
exclusivement consacrée à l'examen rétrospectif de la vie et des œuvres
du grand maître. Toutes les personnes connues pour être possesseurs
d'objets, de manuscrits, de tableaux ou de documents quelconques ayant
trait à Beethoven ont été invitées à exposer leurs, précieuses reliques à
Bonn. Différents concerts de musique de chambre seront donnés pendant
l'exposition, avec le concours des premiers artistes de l'Allemagne,
entre autres M. Joachim et Mme Clara Schumann.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Hall : Le théâtre municipal a
exhumé un vieil opéra de Flotow, intitulé Indra, totalement inconnu de
la présente génération. Parfaitement interprété, cet ouvrage a trouvé bon
accueil auprès du public. — Hambourg : La première représentation alle-
mande de l'opéra Asraël, du baron Franchetti, que vient de donner le
théâtre municipal, a remporté un succès extraordinaire qui s'est dessiné
dès le début. Pas moins de huit rappels à la fin du premier acte. —
Mannheim : Le comte von Stengel, ancien directeur artistique du théâtre
municipal de Brunn vient d'être nommé, pour cinq années, intendant du
théâtre grand-ducal national de la Cour. — Salzbourg : Le théâtre impérial-
royal, dont nous avons annoncé la faillite, va rouvrir sous la direction
de M. A. Lechner, ancien directeur du théâtre municipal de Teplitz. —
Troppau : Angelor, opéra burlesque en un acte de M. J. Horst, musique
de M. C. Weinberger, vient d'être représenté avec succès au théâtre
municipal.
— Franz Lachner, dont nous avons annoncé la mort à Munich, était un
des derniers musiciens de ce temps .qui eussent connu personnellement
Beethoven. Il y a encore à Vienne deux contemporains du grand maître
c'est le poète Bauernfeld, et un cabaretier de Nussdorf, près de Vienne'
appelé Greiner. Il y a quelques mois Bauernfeld a célébré gaiement, lé
verre en main, son 89» anniversaire de naissance. Le jour de l'enterre-
ment de Beethoven, Bauernfeld marchait, avec Franz Schubert, le peintre
Moritz Schwind, le musicien Franz Lachner, derrière le corbillard, pour
rendre un suprême hommage au grand homme qui, à Vienne même' avait
été respecté à l'égal d'un souverain. Tout récemment, un journaliste de
Vienne s'est rendu à Nussdorf pour interviewer le vieux Greiner. C'est
chez ce dernier que Beethoven avait pris parfois un verre de vin. Assis
dans le jardinet, plongé dans ses idées, il ne causait avec personne et
n'avait qu'un grognement rébarbatif pour ceux qui essayaient de lui
adresser la parole. La symphonie pastorale et d'autres œuvres sont nées
sous la tonnelle de ce petit enclos. Au journaliste qui venait l'interwie-
ver, le vieux cabaretier, aujourd'hui âgé de 93 ans, ne donna que ce ren-
seignement : « Que voulez-vous que je vous dise? Ce Beethoven c'était
un de ces fous musicastres, voilà tout. »
— Au Gewandhaus, de Leipzig, on a exécuté récemment deux compo-
sitions nouvelles : une Suite d'orchestre en fa, de M. Mozkowsky dont le
succès parait avoir été médiocre, et une œuvre très importante de
M. Edouard Grieg. Cette dernière est une sorte de drame lyrique, intitulé
Olaf Trygvason que le compositeur a écrit sur un poème de M. Bjo'rnsterne
Bjornson. Olaf Trygvason parait avoir obtenu un succès considérable.
- La date de la fermeture définitive du Théâtre allemand de la Cour
à Saint-Pétersbourg, a été officiellement fixée au 1er mai prochain.
— Nous avons dit qu'un concours avait été ouvert par le Teatro Itlustrato
journal de M. Edouard Sonzagno, le grand éditeur de musique de Milan'
pour trois opéras en un acte destinés à être représentés. Le jury de ce
concours, composé de MM. Platania, Marchetli, Sgambati, Am'inlo Galli
et D'Arcais, a rendu son jugement, et a choisi à l'unanimité les trois
ouvrages suivants : 1° Cavalleria rusticana, de M. Mascagni ; 2° Labilia, de
M. Nicolo Spinelli ; et 3° Rudello, de M. Ferroni, professeur de haute com-
position au Conservatoire de Milan. M. Pietro Mascagni, qui, on le voit,
a obtenu le premier prix, n'est pas tout à fait inconnu ; élève pendant
six ans à Livourne, de M. Alfredo Joffredini, aujourd'hui rédacteur en
chef de la Gazzetta musicale de Milan, et ensuite d'une classe de composi-
tion du Conservatoire de Milan, il a déjà produit plusieurs œuvres impor-
tantes, entre autres deux cantates : In Filanda et l'Ode à la joie de Schiller,
ainsi que deux compositions religieuses avec lesquelles il obtint, en 188-1,
une mention honorable à l'Exposition de Milan. Outre les trois ouvrages
couronnés, le jury a pris en sérieuse considération les partitions suivantes:
la Leggenda Vmana, de M. Bossi, travail qui, malheureusement, par la
nature de son sujet, ne se prête pas à la représentation ; Andréa di Francia,
de M. Armando Seppilli ; Marina, de M. Giordano ; Il Bacio délia Péri, de
M. Majani ; Gli adoralori del Fuoco, de M. de Lorenzi Fabris ; Il Profeta Ve-
lalo, de M. Napolitano; Viviano, de M. Pizzi ; et la Bella del Bosco dormente,
de M. Vitale.
— Les ténors me font toujours rire. Voici ce qu'on dit dans un journal
italien: « On sait quel soin et quelle élégance apporte le célèbre ténor
Stagno dans les costumes qu'il revêt pour les différents rôles de son
répertoire. Il a maintenant l'intention d'exposer dans une grande salle
de sa villa, à Naples, l'armure tant admirée de Loliengrin, en même
temps que les costumes d'Eléazar, Almaviva, Bobert, Baoul, etc.; tout un
petit musée artistique. Le comité pour les fêtes de mai à Rome s'est
adressé au commendatore Stagno pour qu'il consente à faire cette exposition
de ses. costumes à Rome, précisément à l'occasion de ces fêtes. Si le célè-
bre ténor répond favorablement, lesdits costumes seront exposés dans
une salle du palais des Beaux-Arts, et on en revêtira des mannequins
qui représenteront les divers personnages du répertoire du chanteur. »
— C'est toute une avalanche de nouveaux opéras dont les journaux
italiens nous annoncent la naissance... dans les cartons de leurs auteurs.
En voici une liste que nous ne donnons pas pour absolument complète :
Galileo, de M. Pietro Viladerale-Garcia ; Pergolese, du baron Pierantonio
Tasca, paroles de M. Eugenio Checchi ; Ermengarda, du même compositeur;
Mala Pasqua, de M. Gastaldan, que l'on croit devoir être représenté au
Costanzi de Borne, avec la Teodorini et le fameux baryton Cotogni;
Ginevra di Monreale, de M. Bonavia; enfin, le maestro Giovanni Pelozo n'a
pas terminé d'un coup moins de trois ouvrages, Idae Kalebe, opéra sérieux
en trois actes ; «7 Grilto del Folcolare, opérette en deux actes ; et il Morto
vivo autre opérette en deux actes.
— Un journal italien, il resto del Carlino, imprime ceci : « Dans les
cercles artistiques, on assure que Boito donnera l'année prochaine son
Nerone à la Scala de Milan, et qu'il a déjà choisi pour protagoniste le
ténor Van Dyck, qui chante, en ce moment, les opéras de Wagner en
Allemagne. Boito aurait même terminé un nouveau livret, Maometto,
qu'il mettra lui-même en musique. Ce livret lui a été demandé par plu-
sieurs compositeurs auxquels il l'a naturellement refusé. » Le Trovatore,
naturellement est justement incrédule et fait remarquer tout d'abord que
M. Van Dyck est engagé, pour l'hiver prochain, à l'Opéra de Vienne.
Il ajoute : « Si Boito fait pour Maometto comme pour son Nerone, qui
n'est pas encore en vue, alors que son Mefistofele date de vingt-deux ans,
ce seront nos héritiers qui pourront voir ledit Maometto. »
— Dans un concert qui vient d'avoir lieu à Gand s'est révélé, parait-
il, un compositeur qui s'est fait connaître sous le pseudonyme de Paul
d'Acosta. C'est un dilettante, et non un artiste de profession, qui a fait
entendre deux compositions importantes : une symphonie dramatique
pour grand orchestre, Mazeppa, et un opéra en un acte, la Reine des Fies,
dont les paroles sont dues à M. Constant Frédéricx. Les deux composi-
tions de M. d'Acosta ont été accueillies par le public avec une véritable
chaleur.
— 11 existe au théâtre San-Carlos, de Lisbonne, une coutume assez sin-
gulière. Chaque année, aux derniers jours du carnaval, on a l'habitude de
représenter un opéra travesti. C'est ainsi que, cette année, on a donné
le Barbier de Rossini avec tous les rôles d'hommes tenus par des
femmes, ainsi que le prouve la distribution que voici : Almaviva, la
signora Eva Tetrazzini ; Bazilio, la signora Baliciolï; Rosina, la signorina
Corsi ; Bartholo, la signora Mattiuzzi ; Fiorello, la signorina Cisterna; la
Vieille, la signora Gazul ; l'officier, la signorina Judice. Seul, le rôle de
Figaro était tenu par un chanteur mâle, M. Magini-Coletti, et cela au
refus de M"'c Pasqua, qui n'avait pas voulu prendre part à cette mas-
carade.
— Encore un ténor exigeant. M. de Lucia, sollicité par l'administration
du Théâtre-Royal de Madrid qui lui demandait ses conditions, a répondu
en demandant cent mille francs pour une série de trente représentations !
On croit que les pourparlers sont rompus.
— La Philharmonie Society de Londres a demandé pour la saison prochaine
à M. Peter Benoit, le célèbre directeur de l'Ecole Royale de musique
d'Anvers, une composition symphonique nouvelle. On sait que l'année
dernière, l'oratorio Lucifer, de M. Péter Benoit, a été donné avec succès
à l'Albert Hall. A la fin du mois, la Philharmonie Society doit donner, en son
honneur, un concert dans lequel le compositeur dirigera l'exécution de
fragments importants de sa partition de Charlotte Corday.
LE MENESTREL
87
— La ville de Birmingham prépare pour l'année 1801 un festival de
musique dont le programme, bien qu'encore incomplet, est pourtant déjà
plein d'alléchantes promesses. Il annonce un Requiem nouveau de Dvorak
(composé spécialement), un nouvel oratorio du docteur Mackenzie, inti-
tulé the Lord of life, et d'autres œuvres inédites de MM. II. Macbunn,
Villiers Stanford et Goring Thomas. Pourtant nous tenons de source au-
torisée que ce dernier a décliné les propositions du comité, occupé qu'il
est à la composition d'un grand ouvrage lyrique qui verra le jour à
Londres. Elie et le Messie auront, bien entendu, leur places traditionnelles
au programme du festival de Birmingham.
— Une dépêche de New-York annonce que la compagnie Abbey et
Grau, qui comprend la Patti, l'Albani, Tamagno, etc.. se rendant de
Mexico à San-Francisco, est restée, pendant quinze heures bloquée par
les neiges, le train spécial qui apportait les artistes étant dans l'impos-
sibilité absolue d'avancer. La dépêche ajoute que ceux-ci se plaignaient
vivement du froid rigoureux qui les enveloppait, ce que l'on comprendra
sans peine.
— Le National de Mexico ne consacre pas moins de deux grandes
colonnes aux détails de l'arrivée de la « reine des divas » — on a deviné
qu'il s'agit de la Patti — dans la capitale du Mexique, le 11 janvier der-
nier. Les abords de la gare du chemin de fer étaient gardés, absolument
comme il est fait en Europe pour les réceptions princières, et on ne
permettait l'entrée qu'aux personnages de marque (personas décentes), gé-
néraux, hauts fonctionnaires, députés, journalistes, etc. Au moment où
la diva descendit de son wagon-salon, un orchestre, placé sur le perron,
attaqua une marche triomphale, tandis que la foule des personas décentes
fit retentir un énergique Evviva ! Le reporter du National assure que la
chevelure blonde que Mm0 Patti porte à présent la rajeunit de trente ans (!)
et que son physique est plus séduisant que jamais. On ne se lassait pas
d'admirer aussi le wagon-salon de la Patti, le plus luxueux qui ait été
construit par la compagnie Pullmann. Le salon proprement dit qui occupe
le milieu du wagon, est orné de panneaux en bois de santal et de bas-
reliefs artistiques en bronze et la décoration générale présente des tons
chatoyants où dominent le blanc et l'or. Le plafond, où sont peintes
des figures allégoriques, est l'œuvre de célèbres artistes parisiens
(textuel). Mais le principal ornement du salon est un piano Steinway qui
a coûté 5,200 francs. Faisant suite au salon, se trouve une salle à manger
somptueusement aménagée, qui aboutit à l'office et à la cuisine. Du
côté opposé sont deux chambres à coucher, un cabinet de toilette et une
salle de bain avec la baignoire en argent massif. La clé de cette salle de
bain a été confectionnée avec de l'or pur pesant 18 carats. Ajoutons
comme dernier détail, que 62,000 francs ont été dépensés en tout pour la
construction du wagon-salon de la Patti.
— A l'Opéra Tivoli, de San-Francisco, on a donné avec grand succès
une opérette nouvelle en quatre actes, intitulée : Furiosa, la Fille de l'Enfer,
paroles de Fritz Lafontaine, musique de M. Théodore Vogt. Le composi-
teur est allemand, et il exerce à San-Francisco la profession d'organiste,
en même temps qu'il est directeur d'une société chorale.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
On a distribué cette semaine, aux membres de la Chambre des dé-
putés, un certain nombre de fascicules du budget, entre autres celui
relatif aux Beaux-Arts. D'après le tableau comparatif, par chapitre des
crédits demandés pour 1891, avec les crédits alloués pour 1890, nous
constatons que les chiffres proposés pour l'an prochain sont identiquement
les mêmes que ceux de l'année présente. Voici ces chiffres :
Conservatoire de musique Fr. 258.700
Succursales du Conservatoire et écoles de musique dans
les départements 220.500
Théâtre!! nationaux 1.476.000
Concerts populaires et Sociétés musicales dans les dépar-
tements 55.000
Palais du Trocadéro 13.000
Indemnités et secours (théâtres) 100.000
En résumé, le budget de la France, pour la musique et les théâtres, se
réduit donc à une somme de 2,123,200 francs : avouons que pour l'impor-
tance que les théâtres et la musique française ont prise dans le monde
entier, ce n'est pas exagéré. Il n'y aurait qu'à mieux surveiller l'emploi
qui est fait de tout cet argent par ceux qui en ont la trop libre dispo-
sition.
— La troisième Commission parlementaire, présidée par M. Noël Par-
fait et chargée d'examiner le projet de loi de M. Philippon, sur la propriété
littéraire et artistique, a reçu mercredi MM. Georges Ohnet, vice-prési-
dent de la Commission des auteurs dramatiques; Gustave Roger, agent
général; Victor Souchon, agent de la Société des compositeurs et édi-
teurs de musique, et Jules Lermina, secrétaire de l'Association littéraire
internationale. Ces messieurs, après avoir vivement protesté contre la
nécessité d'une loi nouvelle et déclaré au nom des sociétés qu'ils repré-
sentaient que la législation actuelle donnait toute satisfaction aux auteurs
et compositeurs, qui sont les véritables intéressés, ont demandé le main-
tien du statu quo absolu. Ils ont ensuite présenté sur la plupart des arti-
cles de la nouvelle loi des observations qui ont paru frapper vivement la
Commission et devoir être prises par elle en sérieuse considération. Nous
ne doutons pas qu'une entente ne survienne entre les intéressés et
M. Philippon, dont les excellentes intentions no sauraient d'ailleurs être
mises en doute.
— Allons bon, voilà les bêtises qui recommencent: Un député deParis
M. Chassaing, a saisi la Chambre d'une proposition qui a pour objet de
laisser le théâtre de l'Opéra-Comiquc sur la place du Chàtelet. M. Chas-
saing estime qu'il répond au vœu de la population parisienne en faisant
sa proposition, et il ajoute que pour les étrangers ou les provinciaux il
est aussi facile de se transporter place du Chàtelet que place Boiejdieu
Quant aux quelques boulevardiers, dit M. Chassaing, amateurs de ce « genre
éminemment français », ils sauront bien risquer une course de voiture ou dix
minutes d'omnibus, eux qui n'hésitent pas à faire le voyage de Bruxelles pour
applaudir Reyer ou Massenet et celui de Bayreulh pour admirer Wagner. La
salle est excellente; la Ville y a réalisé les derniers perfectionnements en vue de
la commodité et de la sécurité des spectateurs ou des artistes. On n'en pourrait
dire autant de l'État pour ses deux autres théâtres subventionnés et c'est peut-
être là qu'il conviendrait de dépenser une partie du crédit qui vous est demandé.
Il faut aussi songer aux petits et aux faibles. La translation de l'Opéra-Comique
à la placo du Chàtelet a déplacé le personnel inférieur. Les machinistes, les cho-
ristes, les ouvreuses, qui habitaient autrefois Montmartre ou les Batignolles, se
sont approchés du théâtre où ils viennent depuis près de trois ans, et la recons-
truction sur place de l'Opéra-Comique, bien loin de les satisfaire aujourd'hui, les
obligerait à un nouveau déplacement, allées et venues funestes à de petites
bourses. Il y a là aussi des intérêts fort respectables.
Notre confrère Louis Besson de l'Evénement, fait suivre ce petit bonie-
ment des réflexions très judicieuses que voici: « Rien ne manque àcette
petite conférence de M. Chassaing sur la musique française, pas même le
coup de patte traditionnel à la presse qui va à Bruxelles et à Bayreuth
pour applaudir Reyer ou admirer Wagner. Par malheur, le rapport de
M. Chassaing ne contient aucun argument nouveau. Tout ce qu'il dit a
été dit cent fois pour une, et l'on n'a pas eu de peine à prouver que de
tels arguments ne tiennent pas debout. M. Chassaing, qui a longtemps ha-
bité à l'Hôtel de Ville, est enchanté que l'Opéra-Comique soit placé près
de la maison municipale. Mais il y a une majorité énorme de gens qui
ne logent pas dans le même quartier, et qui sont très embarrassés quand
ils veulent entendre un chef-d'œuvre classique. C'est pour cette, raison
qu'on préfère le quartier central du boulevard des Italiens, où tout Paris
vient se promener chaque jour. Sans qu'il soit utile de rappeler les autres
raisons qui nous font réclamer la reconstruction de l'Opéra-Comique, je
crois bon d'ajouter que le Théâtre-Lyrique — siège actuel de l'Opéra-Co-
mique — n'a jamais donné des résultats pécuniaires, et que, même en
faisant le minimum des frais, en restreignant ses dépenses de façon à mé-
contenter bien des spectateurs, M. Paravey n'arrive que très péniblement
à joindre les deux bouts, malgré les recettes de l'Exposition. Quand
M. Paravey, découragé, se sera retiré, et quand cinq ou six directeurs
auront fait faillite, peut-être faudra-t-il penser à ce théâtre si gai et si
parisien de la place Favart. Mais alors il sera trop tard. Et nous conti-
nuerons à aller plus que jamais à Bruxelles, à Rouen ou à Nice pour en-
tendre'des œuvres nouvelles. Et je ne vois pas ce que la ville de Paris y
gagnera. »
— La commission de l'Opéra-Comique s'est d'ailleurs prononcée contre cette
singulière proposition de M. Chassaing et elle a maintenu simplement et
purement sa précédente décision, concluant à l'adoption du projet du
gouvernement.
— La première représentation d'Ascanio à l'Opéra n'aura lieu que ven-
dredi prochain. Question de costumes qui ne sont pas prêts, comme
nous l'avions fait pressentir dimanche dernier.
— Une douce surprise était encore ménagée par les directeurs de
l'Opéra à M. de la Nux, le compositeur de Zaïre. On lui a annoncé gra-
vement que le rôle qu'il avait destiné à M. Lassalle allait être distribué
à M. Delmas : « Mais, s'est écrié le malheureux auteur, le rôle est pour
baryton, et vous le donnez à une basse chantante ! » Ce qui peut surprendre,
en tout ceci, c'est l'étonnement de M. de la Nux. On voit bien qu'il est nou-
veau dans la carrière. Ah! çà, est-ce que MmcBosman, qu'on avait toujours
prise pour un soprano, ne va pas chanter un rôle de contralto, primiti-
vement destiné à M110 Richard, dans la nouvelle partition de M. Saint-
Saëns, Ascaniol Eh! bien alors, comment admettre la réclamation de ce
petit présomptueux de musicien? L'opéra actuel, c'est la confusion de
tous les registres, comme la tour de Babel était la confusion de toutes les
langues.
— MUe Litwinne vient de résilier son engagement avec la direction de
l'Opéra. Il reste en tout comme falcons à cette académie nationale de
musique, MUo Adiny et Mme Pack. Avouons que c'est maigre. Nous avons
donné naguère le chiffre des appointements annuels des contralti enga-
gés en ce moment par l'Opéra (à eux tous neuf mille francs), il serait
curieux de connaître aussi celui des falcons, qui ne doit pas être
beaucoup plus élevé.
— L'Opéra-Comique fait comme son grand frère l'Opéra. Il a dû faire
relâche mercredi, par suite d'une indisposition de M. Taskin.ce qui prouve
que M. Paravey, pas plus que MM. Ritt et Gailhard, ne se préoccupe de
faire doubler les rôles des ouvrages qu'il représente. Il ne faut pas oublier
d'ailleurs qu'une partie de sa troupe est toujours à Monte-Carlo, ce
qui ne lui laisse à Paris qu'un personnel insuffisant pour défrayer le
répertoire.
LE MENESTREL
— Abondance de théâtres lyriques, rien qu'en projet malheureusement.
Nous avons dit celui qu'on se proposait d'établir, sous la direction de
M. Derenbourg, au coin du boulevard Montmartre et du faubourg Pois-
sonnière. Le terrain serait déjà acheté et les fonds souscrits en partie.
Déjà le nouvel imprésario voit dans ses rêves le théâtre sorti de terre,
complètement paré et équipé pour le mois de janvier prochain. Voici, à
présent, qu'un autre théâtre lyrique encore s'élèverait dans les environs
de la rue Basse-du-Eempart, à l'angle de la Caumartin. Une société
d'actionnaires se formerait dans ce but, au capital de six millions. Il
serait bâti sur les plans de la Scala de Milan, avec quatre étages de
loges dont les titulaires seraient non pas locataires, mais propriétaires,
ainsi que cela existe en Italie. Tout cela est véritablement très beau,
mais nous croyons davantage à une troisième combinaison qui se pré-
pare dans l'ombre et qui éclatera tout d'un coup, un beau matin, sans
crier gare. Celle-là est plus sérieuse, parce qu'il n'y a rien à construire
et que tout est prêt et agencé, sans le secours d'aucun actionnaire à
chercher de droite ou de gauche.
— On s'étonne, dit notre confrère Besson de l'Événement, que les direc-
teurs de l'Éden-Théàtre se succèdent et tombent comme des capucins de
cartes. Or, voulez-vous savoir quel est le loyer de cette salle? Il s'élève
à 325,000 francs; c'est-à-dire que tout'le bénéfice de l'exploitation est
absorbé par ce loyer énorme qui se décompose, de la manière suivante :
Intérêts des cinq millions formant la part do propriété du
Crédit foncier Fr. 185.000 »
Plus-value exigée par la société propriétaire 40.000 ••
2 0/0 sur les recettes annuelles évaluées à deux millions
pour parfaire l'intérêt des capitaux engagés dans l'affaire. . 100.000 »
Total : 325,000 francs, ci . . . Fr. 325.000 »
Et dans ce chiffre, nous ne comprenons pas D.s intérêts et l'amortisse-
ment de la réfection de la salle, — réfection estimée à 300,000 francs
pour la construction de deux nouvelles galeries. Il n'y a rien d'étonnant
à ce que, après six mois ou un an d'exercice, les directeurs se voient
obligés de déposer leur bilan. C'est bien de payer son terme, encore faut-il
payer son personnel.
— M. Gounod, d'après un journal américain, serait sur le point d'ac-
cepter la proposition qui lui aurait été faite de composer un grand opéra
en quatre actes, qui serait représente dans le Nouveau-Monde en 1892.
Le maître surveillerait lui-même les répétitions et conduirait l'orchestre
à la première. Les premiers, deuxième et quatrième actes se passent au
Mexique, à l'époque des Montezumas, le troisième a pour théâtre les ter-
ritoires de l'Ouest. Jusqu'à plus ample informé, nous nous refusons à
croire que l'illustre maître veuille ainsi se livrer, sur la fin de sa car-
rière, à des travaux d'exportation qui ne pourraient rien ajouter à sa gloire
— Mlle Samé quittera décidément Bruxelles à la fin de la saison. La
charmante artiste n'a pu s'entendre avec les directeurs au sujet des ap-
pointements. Le départ de Mlle Samé, dont le talent était fort apprécié,
sera regretté par tous les habitués du théâtre de la Monnaie. M11" Samé
retourne à Paris où elle créera l'hiver prochain un rôle très important
dans un opéra-comique nouveau de M. Varney. Cette pièce à grand spec-
tacle, sera représentée à la Gaité.
— M. Cavaillé-Coll, notre grand organier, a reconstruit récemment le
grand orgue de l'insigne basilique Saint-Cernin de Toulouse. Le rapport
de la commission chargée de la réception et de la vérification des travaux
vient de paraître en une brochure -de 28 pages (Toulouse, imprimerie
Douladoure Privât) accompagnée d'une superbe vue du nouvel instrument.
Il est inutile d'ajouter que ce rapport est complètement à l'éloge du grand
facteur à qui l'on doit ce nouveau chef-d'œuvre.
— Le théâtre des Bouffes a donné lundi dernier la première représen-
tation d'un opéra-comique en un acte intitulé Un pas de clerc, qui a ren-
contré l'accueil le plus flatteur. C'est une amusante paysannerie de
M. Riondel, pour laquelle M. Camys a écrit une dizaine de numéros de
musique pour la plupart réussis. Nous citerons la ronde de la meunière
chantée d'une façon charmante par M"c Revil, un ravissant mouvement
de valse en duo qui a valu de chaleureux applaudissements à M"e Lafon-
taine et M. Pbilippon, l'air d'entrée du marquis, enfin un autre duo sen-
timental où le musicien se révèle de la plus heureuse façon. L. Sch.
— M. Gigout est en ce moment en Angleterre. Ses récitals d'orgue obtien-
nent beaucoup de succès non seulement à Londres, mais à Manchester et
ù Bradford. Il a inauguré brillamment sur le nouvel orgue du Conserva-
toire d'Hampstead, à Londres, la série des récitals français. MM. "Wïdor
et Guilmant doivent s'y faire entendre prochainement.
— Nous avons reçu les premiers numéros d'un recueil, la Voix parlée
et. chantée (anatomie, physiologie, pathologie, hygiène et éducation), revue
mensuelle, publiée parle Dr Chervin, directeui\de l'Institution des Bègues
de Paris, avec le concours des médecins, professeurs, critiques et artistes
les plus compétents. C'est un recueil fort utile et fort intéressant, recom-
mandable sous tous les rapports.
Soirées f.t Concerts. — Mardi dernier, M. et M— Louis Diémer ont donné leur
seconde soirée de la saison, et, comme toujours, le maître de la maison a tenu ses
nombreux invités sous le charme de son parfait talent ; il a joué en perfection le
concerto de M. Ed. Lalo, l'orchestre étant remplacé par un piano d'accompagne-
ment très bien tenu par M. Victor Staub, et avec M. Risler, un scherzo pour deux
pianos de M. Saint-Saëns. M"" Marie Bataille a obtenu un très gros succès avec
une nouvelle mélodie de M. Diémer, Chanson de Printemps, et, magistralement
secondée par M. Bouhy, dans les duos de Mignon. M. Bouby a dit seul et en per-
fection le Cavalier, un air d'iphigénie en Aulide et Chanson napolitaine, de M. "Yvidor.
Beau succès aussi pour M. Delsart qui a superbement joué et pour le poète Jean
Rameau qui a dit plusieurs ravissantes pièces de lui. P.-E. C. — La semaine der-
nière, a eu lieu, salle Érard, une très brillante audition, donnée par M. Diémer,
des élèves de sa classe du Conservatoire. Parmi les élèves nouveaux, nous avous
particulièrement remarqué MM. Desespringallo, Niederbofeim et A. Bonnel, et
parmi ceux qui se disputeront très certainement la première récompense, aux
prochains concours, nous avons applaudi MM. Pierret, Baume, Quévremond et
Galand. Les œuvres inscrites au programme étaient toutes de MM. Delioux, An-
tonin Marmontel, Emile Bernard et G. Pierné. La séance s'est terminée par la
belle Marche de Jeanne d'Arc, de M. Théodore Dubois, très bien exécutée, sur deux
pianos, par MM. Bloch et Risler, premiers prix de l'année 1889. — Soirée lundi
dernier chez 51°" Dubois. Au programme M"" Thuillier-Leloir, Janvier, Galitzin,
Jeanne Meyer, les frères Cottin, etc. Grand succès pour diverses mélodies de
M. Francis Thomë, accompagnées par l'auteur : « Sonnet d'Arverj», «Si tu veux fai-
sons un rêve » chantées par M"c Janvier avec le talent qu'on lui connaît, et « Bon-
jour, Suzon!» ravissante mélodie délicieusement dite par M"" Thuillier-Leloir. On
a également beaucoup applaudi plusieurs morceaux à deux pianos de M. Thomé,
joués par M110 Marie Dubois et l'auteur. — Une innovation heureuse est celle qui
vient d'inspirer à M"'p Lafaix-Gontié, femme du monde et professeur de chant
renommée, l'idée intelligente et ingénieuse de faire des conférences-cours, sur
l'état du chant. Dans ses séances, M"° Lafaix-Gontié analyse et explique plusieurs
airs et mélodies au point de vue de l'interprétation, s'étendant sur leurs beautés
diverses. Chose qui est excellente à tous les points de vue, car, combien de fois,
certaines de ces beautés, moins saillantes, mais néanmoins précieuses, passent
inanerçues, ou à peu près, à l'oreille de l'auditeur distrait ; tandis qu'en les faUant
toucher du doigt, pour ainsi dire, elles jaillissent, lumineuses, à l'esprit charmé.
Mrae Lafaix-Gontié, par sa parole claire et ficile, rend fort intéressante et fort
agréable l'heure passée à ses conférences-cours lesquelles sont destinées spécia-
lement aux jeunes femmes et aux jeunes filles. Elle rend ainsi un réel service à
l'art et il serait à désirer qu'elle eût des imitateurs. — M"" L. Steiger a donné jeudi
dernier son concert habituel avec l'orchestre de Colonne. Tout y a été excellent,
particulièrement le concerto de Pfeiffer entendu récemment au Conservatoire;
œuvre et interprète ont été également applaudis. Grand succès aussi pour l'excel-
lent baryton Auguez. — Dimanche dernier les salons de l'habile facteur Gaveau
avaient été réservés à un groupe nombreux d'élèves particulières de Marmontel
père. Suivant ses habitudes traditionnelles, le maître a fait interpréter des compo-
sitions modernes, alternant avec les grands classiques ; ainsi les noms de MM. de
Boisdeffre, Pfeiffer, Salomon, Thomé, Rosen, A. Marmontel, etc., etc., se trou-
vaient tout à côté de ceux de J.-S. Bach, Beethoven, Weber, Schumann, Brahms,
Chopin, Liszt, programme d'un électisme parfait. Pour être juste, il nous faudrait
citer les noms de toutes les jeunes filles qui ont pris part à cette intéressante
audition, mais forcés de nous limiter, nous avons noté au passage les plus vail-
lantes, celles dont la brillante virtuosité, le style plein de charme a su captiver,
émouvoir l'auditoire. Nommons doue avec éloges la mignonne îlelbronner, M,lcsSpal-
ding, Baudelier, Salaynad, de Beautot, Palazzi, Guelle, Bourron, les jeunes demoi-
selles Arger, Bon, Lopez; enfin, parmi les virtuoses qui sont déjà des artistes:
M1'01 Desbordes, Levy, Marchand, Arnold Bonheur, Lucien Daquesnoy, Bilcesco,
Popovitz et M1'01 Sinay et Gafe, dont le talent éprouvé s'est affirmé dans les con-
certs. Belle audition, qui prouve l'excellence de l'enseignement du doyen des
maîtres du piano. Nous avons été vivement touché de la déférence respectueuse
et des sentiments affectueux exprimés par les disciples à leur maître vénéré. —
Réunion des plus brillantes, au concert donné samedi, à l'Académie de musique,
par M"° Geoffroy-Bidault, qu'on a fort applaudie. M"" Marie Dubois, une pianiste
des plus distinguées, le violoncelliste Gurt, M"" Thérèse Walter de la Comédie-
Française, M. Sadi-Pety de l'Odéon, qui prêtaient leur concours à cette soirée
artistique, ont conquis leur bonne part de bravos. M. Gluck, un ténor c di primo
cartello » a été acclamé. Nos félicitations à l'accompagnateur M. Burgat. — Très
brillante soirée, lundi dernier, salle Pleyel, (2"" audition des élèves pianistes de
M-'Guéroult). Mm° Guéroulta exécuté les variations de M. Saint-Saëns sur un Thème
de Beethoven, uvec M. Emile Bourgeois; elle a fait preuve de virtuosité dans cette
œuvre intéressante. Parmi les élèves distinguées qu'elle a fait entendre, on a
beaucoup remarqué Mllu Grosrichard qui se destine au professorat, MUo Peignot,
et une toute petite fille de 9 ans, Mllc Numa, douée d'une intelligence musicale
extraordinaire. M. de Vroye l'éminent flûtiste, MM. Franck et Loëb de l'Opéra
prêtaient leur concours à M™0 Guéroult, ainsi que M. Lemaitre, excellent profes-
seur de violon, artiste de grand mérite, dont la réputation n'est plus à faire et qui
a été récemment décoré des palmes académiques par M. le Ministre de l'instruc-
tion publique. H. B.
Concerts annoncés. — Vendredi 21 mars, salle Kriegelstein, concert donné par
l'organiste compositeur Edmond Ilocmelle, qui fera entendre ses compositions
vocales et instrumentales et valoir l'orgue Alexandre ; des artistes d'élite prêteront
leur concours à cette soirée.
— L'excellent professeur de piano, Mlle Marie Boisteaux, a transporté le
siège de ses cours et leçons, 83, Faubourg-St-Honoré.
Henri. Heugel. directmr-géianl
— La partition A'Ascanio de M. C. Saint-Saëns, édition conforme au ma-
nuscrit de l'auteur, avec illustration de G. Clairin et fac-similé d'une
médaille de Benvenuto Cellini tirée de la Bibliothèque nationale, est en
vente chez les éditeurs Durand et Schoenewerk.
— OCCASION. Beau piano Pleyel demi-queue, à vendre (1,200 francs.)
— S'adresser chez M. Pichot, 48, rue Caumartin.
Dimanche 23 Mars 1890.
3077 - 36- ANNEE - N° 12. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. liistoire de la seconde salle Favart (55e article), Albert Soubies et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale: première représentation d'Ascanio, a l'Opéra,
Arthur Pougin. — III. Histoire vraie des héros d'opéra et d'opéra - comique
(34" article): Masaniello, Edmond Neukomm. — IV. Revue des Grands Concerts.
— Y. Nouvelles diverses. — VI.- Nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à lamusique de chant recevront, avec le numéro de ce jour:
LES HUSSARDS
nouvelle mélodie de Francis Thomé, poésie de Ch. Popelin. — Suivra im-
médiatement la « vieille romance, » Assise un soir dans la fougère, extraite de
l'opérette le Fétiche, le nouveau grand succès du théâtre des Menus-Plai-
sirs, paroles de Paul Ferrier et Charles Clairville, musique de Victor
Roger.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano : Le Diable au corps, nouvelle polka de Heinrich Strobl. — Suivra
immédiatement: le quadrille brillant composé sur le Félicite, la nouvelle
opérette à succès de M. Victor Roger, aux Menus-Plaisirs.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
PAR
Albert SOUBIES et Charles MALHERBE
(Suite.)
CHAPITRE XIV
MEYERBEER A L'OPÉRA-COMIQUE
LE PARDON DE PLOERMEL
(1836-1859)
Par une coïncidence assez curieuse, le bilan de 1857 res-
semble fort à celui de 1856 : le nombre des nouveautés est
sensiblement le même : six ouvrages, un en deux actes, plus
trois en trois actes et deux en un acte, contre deux en trois
actes et trois en un acte ; un seul grand succès avec une
petite pièce ; enfin de nombreuses reprises qu'il convient de
mentionner ici, parce qu'elles' donnèrent lieu à d'importants
changements de distribution, et plusieurs fois servirent à des
débuts remarqués.
Ainsi :
Le 9 janvier, la Fille du Régiment avec Jourdan, Lemaire,
Nathan, Mmc Félix et Mme Cabel tenant pour la première fois
le rôle de Marie.
Le 23 février, l'Éclair, avec Barbot (Lionel), Jourdan (Georges),
M°"J Vandenheuvel-Duprez, qui devait céder, peu de temps
après, son rôle à M110 Lhéritier, et M1"' Boulart qui eut alors
l'honneur de voir ajouter à son rôle de Mme Darbel deux
couplets intercalés au commencement du deuxième acte, et
composés par Halévy exprès pour faire briller son talent de
vocalisation. Cette reprise fournit dans l'année 30 représen-
tations ; et puis ce charmant ouvrage, dont la carrière semble
intermittente, ne reparut qu'en 1865.
Le 2 avril, les Diamants de la couronne, oubliés depuis 1849,
et brillamment remontés avec Couderc, Mue Boulart et Mme Van-
denheuvel-Duprez.
Le 25 avril, Joconde, qui n'avait pas été repris depuis 1846
et qui fournit, dans cette seule année 1857, 63 représenta-
tions, grâce à ses interprètes hors ligne : Mocker (Robert),
Mmes Boulart (Edile), Bélia (Mathilde), surtout M"e Lefebvre,
une adorable Jeannette, et Faure dont le rôle de Joconde fut
un des plus grands succès de l'artiste à la salle Favart, on
peut ajouter un de ses plus prolongés ; car il le chanta une
centaine de fois. La partition avait été revue par une personne
qui connaissait au moins les traditions de l'ouvrage, par la
fille même du compositeur, MueNicolo. Cette aimable femme,
bonne musicienne et distinguée professeur de chant, s'occu-
pait aussi de composition et elle tint à donner, pour la cir-
constance,preuve de ses talents en ajoutant au troisième acte
une petite introduction symphonique.
Le 29 juin, la Fête du Village voisin, négligée depuis 1852, et
menée gaiement par Stockhausen (Henri), Prilleux (Rémi),
Ponchard (Renneville), M"s Lemercier (Rose), Bélia (Mme de
Ligneul), Decroix (Geneviève.)
Le 10 juillet, tes Mousquetaires de la Reine, à peine négligés
depuis dix-huit mois, et cette fois marqués par trois intéres-
sants débuts: MM. Nicolas, Barrielle et Mlle Dupuy. De plus
les rôles d'Hector et de Berthe de Simiane étaient pour la
première fois tenus par Delaunay-Riquier et Mlle Henrion.
Nicolas sortait à peine du Conservatoire, où il n'avait obtenu
en 1856, qu'un second prix d'opéra-comique (classe Moreau-
Sainti). Sous les traits d'Olivier d'Entragues, il fit presque
sensation ; la presse fut unanime à vanter sa voix « si jeune,
si pure et surtout guidée par une si exquise méthode ». On
ajoutait que « ce jeune ténor ne l.arderaitpas à devenir une des
meilleures recrues que l'Opéra-Comique eût faites depuis
longtemps dans un emploi où il y a généralement plus d'ap-
pelés que d'élus. » On sait que l'événement a justifié ces
prévisions favorables, mais ailleurs qu'à la salle Favart,
puisque ce Nicolas a acquis la célébrité sous le nom de Ni-
colini. Barrielle, qui mit au service du capitaine Roland sa
bonne diction, sa rondeur et son expérience de la scène,
venait de Belgique et même, à cette occasion, il dut, après
procès, payer 1,000 francs d'indemnité à son ancien direc-
teur pour avoir rompu trop tôt l'engagement qui le liait avec
le théâtre de la Monnaie à Bruxelles. Quant à M110 Dupuy,
90
LE MENESTREL
deuxième prix de chant et d'opéra-comique, 1er accessit d'opéra
au. concours de 1856, elle fut le premier soir une Athénaïs
fort émue, et c'est aux représentations suivantes que l'on put
mieux juger son intelligence et la souplesse de son talent.
Le 23 juillet, Baydée, avec Jourdan (Lorédan), Ponchard
(Andréa), Prilleux (Domenico), Mmes Lefebvre (Haydée), Bélia
(Raphaëla). A cette reprise, Faure chantait encore le rôle de
Malipieri, et quelques jours plus tard, le 7 août, il cédait ce
rôle à son élève Troy, lequel débutait à l'Opéra-Comique,
après avoir remporté au Conservatoire, en cette même année
1857, les premiers prix de chant et d'opéra-comique, mais ne
devait être apprécié à sa juste valeur que plus tard au Théâ-
tre-Lyrique, où son nom est resté attaché à un certain nombre
de créations importantes.
Le 12 octobre, Jeannol et Colin, avec Stockausen (Jeannot),
Couderc (Colin), Berthelier (Biaise), Ponchard (le chevalier),
Mmes Lhéritier (Thérèse), Henrion (Colette), Révilly (la comtesse.
A ces noms d'artistes, dont quelques-uns étaient nouveaux
à la salle Favart, il faut joindre ceux de deux débutants
dont la fortune différa sensiblement. D'une part, Mlle Duprat
qu'on vit le 21 juillet dans Brigitte du Domino noir, mais qu'on
n'entendit guère ; à peine pouvait-elle parler, à plus forte
raison chanter ; son trouble était tel que, suivant le mot d'un
témoin, elle paraissait « asphyxiée par l'émotion ». Aussi,
pour la malheureuse ancienne élève du Conservatoire, cette
épreuve, réellement douloureuse, n'eut-elle pas de lendemain.
D'autre part, Crosti, qui avait obtenu en 1857 le premier
prix de chant (classe de Battaille) et le second d'opéra-comique
(classe de Moreau-Sainti); il parut dans le rôle de Joconde,
le 28 octobre avec succès et l'on sait qu'il a compté depuis
parmi les serviteurs les plus sympathiques, les plus utiles et
les plus dévoués de la salle Favart.
C'est à cette place qu'on peut rappeler aussi la rentrée de
Mme Cabel dans l'Etoile du Nord, où elle succédait à Mmes Du-
prez et Ugalde. La presse alors s'était occupée d'elle à pro-
pos d'un incident qui fit quelque bruit. Dans le Courrier de
Paris, où il tenait la plume de critique, Ernest Reyer, le
célèbre compositeur, qui n'a jamais plus aimé les chanteuses
à vocalises que les pianos, ne s'était-il pas avisé d'écrire
qu'à Bordeaux où elle donnait dés représentations, elle avait
intercalé dans l'Etoile du Nord un de ses morceaux à succès,
l'air des Fraises du Bijou perdu. La cantatrice répondit par la
voie de la presse, disant : « Je saisirai toujours l'occasion
d'offrir mon tribut de reconnaissance à l'auteur de mon pre-
mier succès (Adolphe Adam) mais ce ne sera jamais au mé-
pris du respect que je dois à l'illustre maître dont je révère
le génie (Meyerbeer). » La vérité est qu'à la demande de quelques
personnes et malgré de nombreux témoignages de désapprobation, elle
était venue en manteau impérial, escortée du fzar Pierre, chanter
sa ronde, non pas au milieu de la pièce, mais à la fin du
spectacle. Ce fait, attesté par le directeur d'un journal bor-
delais, donnait beau jeu à Reyer, et, dans une lettre parue
au Courrier de Paris, il riposta avec l'esprit qu'on lui connaît
couvrant l'artiste de fleurs, mais jouant de l'ironie avec
désinvolture : « Par bonheur, s'écriait-il en terminant, Félix
Mornand (alors directeur du Courrier de Paris) est un doux
maître ; il a compris mon repentir; il s'est laissé toucher pal-
mes larmes et la seule punition qu'il m'a infligée c'est de
me donner vingt fois à copier le verbe : Je me garderai à
l'avenir d'exciter, à quelque degré que ce soit, le courroux d'une can-
tatrice.» En guise de post-scriptum,il ajoutait: « J'ai demandé
la permission de faire paraître ce pensum en feuilleton ; elle
m'a été refusée. » C'était mettre les rieurs de son côté, et
Mm0 Cabel ne répliqua pas; au lieu d'écrire, elle préféra
chanter, et lutter par son seul talent, non plus contre un
critique, mais contre les rivales qui lui disputaient alors la
première place au théâtre, notamment Mmes Ugalde et Lefebvre
dont toute la presse avait constaté le succès à propos de
Psyché, la première nouveauté de l'année 1857, représentée
le 26 janvier.
C'est là une de ces œuvres sur laquelle on fondait de gran-
des espérances et qui ne les a jamais complètement justifiées,
sans que d'ailleurs on puisse trop s'expliquer pourquoi. Les
trois actes de Jules Barbier et Michel Carré ne manquent
pas d'intérêt ; en tout cas, le sujet choisi par eux est ou
doit être musical, si l'on songe au nombre de musiciens qui
l'ont traité avant Ambroise Thomas. Sait-on, en effet, qu'il
existait déjà onze opéras de ce nom, et cinq ballets dont un,
celui de Gardel, musique de Millet, fut joué à l'Opéra, de-
1790 à 1829, onze cent soixante et une fois'?
Quant à la partition, elle compte assurément parmi les plus
distinguées de l'auteur de Mignon. Certains morceaux sont jus-
tement réputés et goûtés par tous les connaisseurs comme la
romance: « 0 toi, qu'on dit plus belle, » et le chœur délicieux:
« Quoi! c'est Eros lui-même » et les spirituels couplets de
Mercure « Simple mortelle ou déesse. » On ne peut pas non'
plus s'en prendre aux interprètes, à l'origine, comme à la
reprise du 19 mai 1878, où l'œuvre reparut après avoir subi
de notables remaniements dont quelques-uns furent d'ailleurs
critiqués. Ces interprètes furent excellents ; les deux distri-
butions suivantes le prouvent :
1857 1878
Mercure MM. Battaille, MM. Morlet
Antinous Sainte-Foy, Collin,
Gorgias Prilleux, Prax,
Le Roi Beaupré, Bacquié,
Eros MmCS Ugalde, Mmes Engalli,
Psyché Lefebvre, Heilbron,
Daphné Boulart, Donadio-Fodor,
Bérénice Révilly. Irma Marié.
Et pourtant cet ouvrage de valeur n'a pu atteindre que-
soixante-dix représenlations; quarante et une d'abord et vingt-
neuf ensuite. Le théâtre a ses surprises !
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
Opéra. — Ascanio, opéra en 4 actes et 7 tableaux, d'après le
drame Benvenuto Cellini de M. Paul Meurice, poème de M. Louis
Gallet, musique de M. Camille Saint-Saëns.
(Première représentation le 21 mars 1890.)
Le souvenir de Benvenuto Cellini évoque aussitôt le souvenir de
cette merveilleuse ville de Florence, qui lui a donné le jour, et où
il semble qu'à chaque pas on va voir surgir l'apparition lumineuse
de l'immortel artiste. L'émotion gagne surtout le visiteur étranger
lorsque, débouchant pour la première ibis sur la Piazza délia Signo-
ria, il se trouve, après avoir d'abord contemplé le Palazzo veeehio,
austère et farouche monument qui rappelle les jours sombres et
tragiques du moyen-âge, en face de celte adorable Loggia dei Lanzi,
où il peut admirer à loisir l'un des plus incomparables chefs-d'œuvre
du vieux maître, ce Persée en bronze, qui est biea l'une des créations
les plus enchanteresses de ce génie si élégant, si souple, si mer-
veilleux et si divers.
On sait quelle fut l'existence glorieuse de l'illustre artiste floren-
tin, et quelle place elle tient dans l'histoire de cet art prodigieux
de la Renaissance italienne. Un écrivain de race et de tempérament,
M. Paul Meurice, frappé de la puissance de ce noble génie et du
rôle glorieux qu'il avait joué, conçut un jour la pensée de faire de
Benvenuto le héros d'une puissante action dramatique. Il y a de cela
quelque trente-cinq ans. Il avait sous la main, pour interpréter sou
personnage, l'un des derniers et des plus puissants représentants du
romantisme théâtral, celui qu'on appelait le beau Mélingue, qui
était, lui aussi, un artiste de race, un peu superficiel peut-être,
mais d'une valeur très réelle, et qui, ne se contentant pas de son
talent de comédien, était aussi un peintre et un sculpteur habile. Ce
fut même là, en dehors des nobles et hautes qualités du drame, l'une
des causes extrinsèques de l'éclatant succès qui accueillit à la Porte-
Saint-Martin le Benvenuto Cellini de M. Paul Meurice. En effet, cha-
que soir, sous les yeux du public, Mélingue modelait en scène une
LE MENESTREL
!»l
statuette d'Hébé qui jouait un rôle important clans l'un des épisodes
■de l'ouvrage, et les spectateurs ébahis n'avaient pas assez d'admi-
ration pour l'artiste qui leur procurait une sensation si neuve et si
inattendue.
Il peut sembler étonnant que jusqu'ici aucun de nos théâtres de
drame n'ait eu l'idée de reprendre celui de M. Paul Meurice, qui
renouvellerait peut-être au moins une partie du succès que lui fit
naguère le public parisien. Toujours est-il qu'un jour M. Saint-Saëns
s'éprit de ce drame, et qu'il conçut le désir de le voir transformer
en opéra et de le mettre en musique. Ce n'était pas la première fois
que la brillante et mâle figure de Benvenuto excitait la sympathie des
musiciens. On sait que Berlioz, au plus fort de sa lutte contre ceux
qui niaient son génie, fit représenter à l'Opéra en 1838, sur un poème
de Léon de Vailly et Auguste Barbier, un Benvenuto Cellini qui tomba
misérablement sous le poids des sifflets et des brocards de ses
ennemis. En Allemagne. Franz Lachner écrivit un Benvenuto Cellini
qu'il produisit, vers 1840, sur le théâtre royal de Munich. Enfin, un
compositeur italien qui a joui en son pays d'une véritable renommée,
Lauro Rossi, fit représenter à Turin, en 1845, un opéra intitulé
Cellini a Pariç/i, dont le principal rôle féminin était tenu par une grande
artiste, notre compatriote, Mme Anna de Lagrange, qui a laissé sa
trace dans l'histoire du chant dramatique au dix-neuvième siècle.
M. Saint-Saëns méditait donc de transformer à son profit le drame
émouvant de M. Paul Meurice. Il s'adressa pour cela à l'un de ses
collaborateurs ordinaires, M. Louis Gallet, qui, une fois obtenu
l'agrément de l'auteur, se mit au travail et eut bientôt accompli son
office. Ce n'est pas chose facile que l'espèce de réduction Collas qu'il
faut effectuer pour tirer d'un drame développé et fertile en incidents,
les simples éléments nécessaires à un livret d'opéra, tout en con-
servant les situations essentielles et en laissant à l'œuvre sa couleur
personnelle et sa puissance première. M. Gallet s'est tiré à son hon-
neur de cette tâche difficile, et si le livret à'Âscanio (car c'est le titre
choisi pour cette adaptation) ne contient pas un de ces épisodes
grandioses qui suffisent parfois à faire la fortune d'une œuvre lyri-
que, c'est qu'il ne l'a pas rencontré dans l'œuvre originale.
Dans ses lignes essentielles, le sujet peut se résumer ainsi. Ben-
venuto est à Paris, à la cour de François Ier, dont il est, on le sait,
l'artiste favori. Parmi les nombreux élèves qui fréquentent son atelier
il en est un, le jeune Ascanio, son compatriote, pour lequel il ressent
une affection vive et profonde, affection qui lui est rendue par celui-
•ci. Ascanio est l'objet des poursuites amoureuses de la duchesse
d'Etampes, la maîtresse du roi ; Benvenuto voit le danger terrible
que court son élève, et tous ses efforts tendent à détourner de lui ce
danger. Ascanio, d'ailleurs, aime autre part, et cet amour, s'il le
défend contre les enjôlements de la duchesse, ne lui est pas moins
fatal en ce qu'il lui attire la haine de celle-ci. Mais Benvenuto, lui
aussi, est épris, et sa fureur ne connaît pas de bornes lorsqu'il
s'aperçoit que celle qu'il aime, la jeune Colombe d'Estourville, est
précisément celle qui est chérie d'Ascanio, à qui elle rend affection
pour affection. Pourtant, après un long combat intérieur, il finit par
se sacrifier à l'enfant à qui il a voué une tendresse presque pater-
nelle, et, tout en sauvant Ascanio des griffes puissantes delà duchesse
d'Etampes, il finit par lui faire épouser celle qu'il aime.
On voit que dans cette fiction dramatique, Benvenuto est devenu
un être bon, dévoué, tendre et généreux jusqu'au sacrifice, ce qui
s'accorde médiocrement avec la tradition historique. Mais ici le
poète a usé de son droit incontestable, en transformant à sa conve-
nance et selon ses besoins le caractère du héros choisi par lui. Quant
au librettiste je l'ai dit, son œuvre est adroite, habile, intelligente,
et le compositeur n'eût su rien lui demander de plus.
Artuur Pougin
Une indisposition subite de notre collaborateur Arthur Pougin,
encore mal remis de la maladie qui l'a tenu si longtemps éloigné
de nous, nous oblige à suspendre ici tout ù coup l'article qu'il nous
préparait et le temps qui nous presse ne nous permet même pas
de reprendre la plume qui tombe de ses mains pour le suppléer tant
bien que mal. Force nous est donc de remettre à huitaine notre
jugement motivé sur la nouvelle partition de M. Camille Saint-
Saëns. Nous pouvons dès à présent constater que, bien qu'un peu
grise dans son ensemble, elle n'en est pas moins une des plus inté-
ressantes que l'éminent compositeur ait signées et qu'il s'y trouve
nombre de pages délicates et curieuses.
De l'interprétation, sur laquelle nous nous appesantirons davan-
tage la semaine prochaine, nous pouvons dire qu'elle est loin d'être
satisfaisante et peu faite pour mettre l'œuvre en sa valeur réelle.
Il conviont toutefois de donner des éloges ù M. Lassalle, toujours un
peu le même dans tous ses rôles, mais qui a de l'autorité et du
prestige, ù M""-' Bosman, artiste intelligente, ù Mllc Eames, toute
fraîche et toute gracieuse dans le rôle de Colombe, et à M. Plançon,
qui donne une certaine allure au personnage de François Ie',. Mais
que dire de M"10 Adiny ! Que dire même de M. Cossira!!! Que dire
des rôles de second plan !!! C'est là que se montre dans toute sa
splendeur le désarroi actuel de notre Académie nationale de mu-
sique et l'insuffisance d'une troupe que MM. Ritt et Gailhard vou-
draient nous faire passer pour la première du monde. Nous sommes
un peu loin de compte.
Quant ù la mise en scène, réglée « spécialement » par M. Pedro
Gailhard, comme dit la partition, elle n'a rien de spécialement
brillant. Ce qu'il y a encore de plus spécial en elle, c'est l'écono-
mie rigide qui semble y avoir présidé. A dimanche pour plus
amples détails. H. M.
HISTOIRE VRAIE
DES HÉROS D'OPÉRA ET D'OPÉRA- COMIQUE
XLIII
MASANIELLO
La Révolution était victorieuse. Le due d'Areos, vice-roi du
royaume de Naples pour l'Espagne, parlementait d'égal à égal, avec
le lazzarone transformé en chef souverain. Au dehors, le peuple
faisait entendre de longues acclamations de joie et de triomphe.
Soudain, une bande armée se précipita sur Masaniello. A sa tête
marche un patricien. Dix, vingt coups d'arquebuse éclatent. Par
miracle, le tribun n'est pas atteint. Alors, la foule mise au courant
de ce qui se passe, fait irruption dans le palais, et massacre sans
merci les agresseurs qui s'y trouvent.
Masaniello se fit apporter la tête de leur chef. Il passa la main
sur ses moustaches en le raillant, et lui fit, comme s'il le compre-
nait encore, des reproches sur sa cruauté et sur sa fourberie. Puis
il fit mettre cette tête dans une cage de fer, qu'on suspendit au
fronton de la demeure du défunt, avec celte inscription :
C'est ici Don Carafa
ennemi de la patrie
et traître au peuple fidèle de Naples
Carafa !
Avouons que le descendant du supplicié napolitain s'est montré
généreux envers le bourreau de son aïeul, en exaltant, en excel-
lente musique, les péripéties de son étonnante aventure.
Il a dû. même pour comble de désintéressement, apitoyer Scribe
et Auber sur son client. L'élément féminin manquait dans le drame
historique. Ils le fournirent en produisant Fenella, muette de nais-
sance.
La sœur de Masaniello était-elle vraiment privée de la parole ?
Rien ne le dit. En attendant, son mari n'avait pas, comme on dit
vulgairement, sa langue dans sa poche.
C'est lui qui mit le feu aux poudres.
Dès longtemps la tempête menaçait. L'Espagnol pressurait le Na-
politain. En moins de quinze ans il lui avait arraché plus de cent
millions d'écus. Mais où le peuple perdit patience, c'est quand on
le pressura d'un droit supplémentaire de 70,000 ducats sur les fruits.
Dans un climat chaud, les fruits de la campagne sont, en été, la
nourriture la plus ordinaire à la multitude. Déjà, la farine était
imposée. Le macaroni et les melons d'eau, c'était trop à la fois.
Aussitôt le marché devint le Forum. On se révolte, on s'insurge
contre les péagers. Mais l'effervescence manque d'une âme pour la
conduire. Elle est là, pourtant, tout près, sous la forme, non d'un
pêcheur, comme nous le présente la tradition, mais d'un pauvre
hère, qui à proximité des poissonniers, vendait des cornets de
papier à ceux qui achetaient des petits poissons.
Cet homme allait d'un groupe à l'autre, chuchotant à l'oreille
des fruitiers : point de péage. Il avait rassemblé des enfants pour
leur apprendre à chanter quelques formules où il demandait de di-
minuer le prix des vivres. On se moqua de lui tout d'abord, sur-
tout quand il demanda h se mettre à la tête des Lazares, composés
de la lie du peuple, qui à la fête do Maria del Garmina, avait cou-
tume de livrer bataille aux Alabarbes costumés en soldats turcs.
Celai1, à eux à attaquer, et ordinairement ils remportaient la vie
toire. Masaniello avait son plan en s'assurant de ces gens qui lui
composaient une armée toute faite, armée de bâtons, et quels bâtons!
Le jour de la fête, le hasard servit merveilleusement ses desseins.
92
LE MENESTREL
Le beau-frère de Masaniello avait apporté des figues au marché.
Les péagers se présentèrent pour percevoir les droits. Alors, le
paysan :
Puisque je dois avoir apporté mes fruits pour rien, j'aime
mieux que le peuple de Naples en profite que ces chiens de péa-
gers, qui sucent le royaume jusqu'au sang.
Aussitôt Masaniello, qui se tenait à ses' côtés, s'écrie:
— Plus d'impôts ! Plus d'impôts !
On l'acclame; on renverse tous les paniers, les péagers sont cri-
blée de fruits, puis de pierres. Ils fuient devant cette grêle impro-
visée. Bientôt la foule est maîtresse de la place.
Alors Masaniello saute sur une des tables, et s'écrie :
— Prenez courage et rendez grâce à l'être suprême, l'heure de la
liberté est enfin arrivée; malgré ces haillons, preuve de mon indi-
gence, j'espère, comme un second Moïse, délivrer mon peuple de
la servitude. Saint Pierre, un simple pêcheur, a sauvé Rome et le
monde entier de l'esclavage du démon; un autre pêcheur affranchira
Naples de l'insupportable fardeau d'impôts exorbitants, et ramènera
des temps plus heureux. En vain la mort me menace. Que je sois
traîné dans les rues, ma tète empalée, mon corps exposé sur la
la roue, je mourrai content, pourvu que je parvienne à la gloire
ineffable de m'étre sacrifié pour le bonheur et la prospérité de la patrie.
On sait que Masaniello tint parole. Le soir même de la fête,
la ville était au pouvoir de l'insurrection. Le lendemain,
le chef acclamé montait à l'assaut du château, à la tête de cent
cinquante mille hommes, avec des fusils et du canon. Tout le
monde était accouru à son appel; on vit- dans les colonnes d'atta-
que un régiment d'amazones .-une des plus belles et des plus consi-
dérables dames de la ville le commandait, portant les armes d'Es-
pagne avec: Vive à jamais le roi et le peuple fidèle de Naples. Le
siège de la tour Saint-Laurent dura trois heures. Quand elle fut
prise, on chercha vainement le vice-roi : il s'était enfui ; mais
bientôt il reparut, sur la foi d'une proclamation déclarant que le
peuple ne faisait point ia guerre à l'Espagne, mais seulement aux
impôts. Le duc d'Arcos demanda à Masaniello quel titre il désirait
pour lui.
— Aucun, répondit le vainqueur; aussitôt que j'aurai repêché la
liberté publique qui semblait être noyée depuis si longtemps, je
reprendrai, avec mes premiers baillons, ma première condition, dé-
sirant vivre à l'avenir comme je l'ai fait par le passé et ne souhai-
tant pour toute reconnaissance qu'un Ave Maria de chacun à
l'heure de mon trépas.
Deux jours après, un cortège magnifique se dirigeait vers le châ-
teau. Le vice-roi avait envoyé à Masaniello une grande partie de
ses officiers et deux superbes chevaux pour lui et son frère. 11 avait
sur l'ordre du cardinal Filomarino, sous menace d'excommunication,
revêtu de riches habits sur lesquels flottait le manteau d'or doublé
d'hermine. Il s'avançait à cheval, au son des cloches et du canon,
suivi du cardinal-archevêque, et de tous les princes et de tous les
nobles, au milieu d'une foule idolâtre qui jonchait la route de
fleurs et de branches de laurier.
Avant d'entrer au palais, il fit debout sur son cheval, une nou-
velle harangue. C'est pendant l'entretien qui suivit qu'eut lieu la
tentative dont nous avons parlé.
Justice faite, rien ne resta de cet incident. Le duc se rendit à
l'église del Carminé, où il approuva solennellement les capitulations
et jura de les observer. Ici, les historiens racontent que Masaniello,
son but atteint, remercia le peuple et le vice-roi, déchira ses habits
et regagna à pied sa demeure. La chose est peu probable, car
dans la courte durée de son commandement, sa femme rendit visite
à la duchesse d'Arcos en un appareil dont un contemporain nous a
laissé la description: revêtue d'étoffes d'argent, sa parure était re-
levée par de riches joyaux; et un superbe carrosse, autrefoisau duc
Carafa (!) lui servait d'équipage. Ses plus proches parentes, d'hon-
nêtes poissonnières, maintenant couvertes d'or, l'accompagnaient.
La duchesse les reçut avec un air de satisfaction ; sa noble bouche
ne dédaigna pas d'embrasser le jeune fils de Masaniello, et elle les
renvoya chargées de présents.
Comment ce rêve finit-il plus promptcment encore qu'il était né.
Un historien peu connu, auquel nous avons emprunté la plupart des
détails qui précédent, l'a dit:
c Après avoir brillé comme un météore éclatant pendant dix jours
entiers, rempli toutes ses promesses, à l'égard de ses pa'rtisans,
arraché à ses adversaires même l'aveu de son mérite et la confirma-
tion de ses hautes dignités, il ne déchut de sa gloire que parce que
sun esprit l'abandonna. »
Comment son esprit l'abandonna-l-il ? On a parlé de la folie des
grandeurs, et il y avait, en vérité, de quoi tourner la tète au plus
robuste, en cette aventure inouïe. Mais le cas est plus simple : Ma-
saniello gênait et Masaniello fut supprimé.
C'est au sortir d'un festiu de chez le vice-roi que sa raison se
perdit. Le soir même, sans chapeau, sans épée, il courut chez le
duc d'Arcos et se plaignit d'avoir soif. La gorge lui brûlait. Dans
la journée, en sortant du palais, il avait jeté des poignées de se-
quins à la mer, puis avait parcouru les rues de la ville en criant :
« Je suis le roi du monde ! » Le lendemain, maître absolu de Na-
ples, il avait, sans raison, fait décapiter, à tort et à travers, des
gens pris au hasard: « Le soleil, disait-il, n'éclaire aucune tète.
que je n'aie le droit et le pouvoir de faire abattre. » Le vice-roi ne
soufflait mot, c'était pour lui la revanche prochaine. L'ne fois assuré
de l'impunité populaire, il donna signe de vie.
Un soir, comme Masaniello venait de rentrer dans sa demeure, on
l'appela du dehors.
Il sortit aussitôt :
— Est-ce moi que tu cherches, mon peuple? Me voici!
Quatre coups d'arquebuses lui répondirent. Il tomba mort sur le coup.
Sa tête fut portée au palais, où il y eut fête ce soir-là. Et l'on
jeta son corps dans un fossé .
Un auteur italien a comparé le peuple de Naples à un chien de
chasse qui toujours attentif aux regards de son maître, au premier
signal donné, tombe avec fureur sur le gibier indiqué.
Le peuple de Naples traîna aux gémonies le corps de celui qui
l'avait émancipé. Puis, pris d'un remords, il alla réclamer sa tête, la
joignit aux restes mutilés par lui, et fit au tout des funérailles
splendides.
Mais ce fut le dernier, éclair de sa liberté, tuée dans l'œuf.
Bientôt, on rétablit la gabelle, et les melons d'eau et le macaroni
payèrent leur tribut comme devant.
(A suivre.) Edmond Neukomm.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts du Chàtelet. — Le Roméo et Juliette, de Berlioz, qui a été
exécuté en entier (moins la scène des tombeaux), est cité assez souvent
comme une œuvre hardiment descriptive. Les différents morceaux de cet
ouvrage peuvent se classer dans trois catégories : 1° ceux qui, étant ac-
compagnés de paroles, ne doivent pas être considérés comme purement
descriptifs; ils forment, à eux seuls, plus de la moitié de la partition:
2° ceux qui sont destinés â exprimer symphoniquement des sentiments
simples que certaines formes musicales éveillentnaturellement dans l'âme.
De ce nombre sont la scène du bal, la scène d'amour, le scherzo de la
fée Mab ; 3° ceux dans lesquels Berlioz a prétendu décrire non plus des
sentiments, mais des faits précis ayant pu se passer de cent façons dif-
férentes et qu'aucune formule musicale ne représente à l'auditeur. Par
exemple, la musique peut bien, à la rigueur, donner l'idée d'une bataille,
mais elle ne saurait nous faire songer à l'intervention d'un prince venu
pour y mettre fin, comme cela se passe dans l'œuvre de Shakespeare. La
musique pourra bien encore exprimer un désespoir violent, mais elle ne
nous dira pas que c'est celui de Roméo dans le tombeau où repose Ju-
liette. En résumé, si Berlioz a commis l'erreur, commune à toute une
école de musiciens modernes, ce n'a été que très exceptionnellement dans
deux morceaux de Roméo et Juliette et encore faut il dire que le second de
ces morceaux est parfaitement justifié par le chœur qui le précède et qui
a pour titre : Convoi funèbre de Juliette. L'œuvre de Berlioz peut donc être •
considérée comme reposant sur des bases logiques. D'ailleurs, ce que Berlioz
a pu tenter sur un drame aussi populaire que Roméo et Juliette, il serait
téméraire de l'essayer en choisissant un sujet moins connu; car, dans les œu-
vres descriptives, la mémoire de l'auditeur estle commentaire naturel de
l'œuvre. Quant à la valeur de Roméo et Juliette, au point do vue de l'origi-
nalité, de la facture musicale, de la richesse mélodique, du sentiment
poétique, elle est incontestable. Le prologue tout entier avec les strophes
de soprano que Mllc de Montalant a dites avec beaucoup de charme et
de poésie et le scberzetto qui a été bien détaillé par M. Mauguière est
une pure merveille. Le finale, renfermant l'air du père Laurence, chanté
avec beaucoup de sentiment et de chaleur par M. Auguez, est une pa"e
superbe de musique dramatique. L'exécution a été excellente dans l'en-
semble. Le grand succès de la séance a été pour les strophes du prolo-
logue, le scherzetto qui a été bissé, la scène d'amour et le grand finale.
Amédée Boutarel.
— Concerts Lamoureux. — Le vingtième et dernier concert du Cirque
débutait par une exécution mathématiquement exacte, mais absolument
dénuée de couleur, de la Symphonie en la de Beethoven : nous sommes
loin du temps où M. Lamoureux, installé au théâtre du Chàteau-d'Eau,
donnait, des Symphonies de Beethoven, des exécutions que l'on pouvait
qualifier de modèles. — L'air de Rienzi, de Wagner, tiré d'une partition
où les traditions de la musique italienne jouent un grand rôle, où l'on
trouve, à chaque instant, des terminaisons de phrases à la Donizetti et à
LE MENESTREL
93
la Bellini, a été très bien dit par M"le Materna et applaudi de confiance
par un public qui, généralement, juge sur l'étiquette. — L'Ouverture
(d'Attila?) de M. Salvayre est une œuvre bien faite, mais sans trop'grande
originalité; on y retrouve certaines réminiscences puisées, il est vrai,
aux bons endroits. — L'Ouverture pour Faust, de Wagner, composée dans
les environs de 1830, est de la période où, selon nous, le maitre écrivait
bien. Elle est fort remarquable comme, élévation de pensée et netteté
mélodique. Nous n'en dirons pas autant du prélude de Tristan et Yseult,
dont les hautes prétentions descriptives sont énumérées dans la notice
obligée qui accompagne chacune des auditions de M. Lamoureux. Que ce
prélude peigne les péripéties d'un amour coupable, je n'y fais aucune
opposition; mais, à mon avis, il peindrait encore mieux les troubles
inévitables d'une digestion difficile; on l'avait maladroitement soudé à un
air du troisième acte, que Mme Materna a dit avec une très grande tris-
tesse partagée du reste par le public. — La scène finale du Crépuscule des
Dieux a été mieux dite qu'aux deux premières auditions. Nous y avons
même remarqué certains effets de douceur qui nous ont tout à fait plu
et qui ont fait ressortir encore davantage l'explosion de sonorité qui ter-
mine cette scène étonnante. Mmû Materna a été applaudie à outrance.
Jamais le délire wagnérien n'avait sévi avec autant d'intensité. Quelle
belle occasion, en effet, de s'incliner devant la supériorité de nos voisins
d'outre-Rhin ! Musique allemande, chanteuse allemande, c'était complet.
Les Wagnériens étaient debout, brandissant en signe d'admiration leurs
chapeaux et leurs parapluies, tandis que l'éminent chef d'orchestre et
l'éminente cantatrice viennoise, émus de l'ovation collective qui leur était
faite, s'efforçaient de manifester leur reconnaissance en formant un
groupe extrêmement gracieux. Puis les enthousiastes sont partis comme
d'habitude, laissant un nombre, assez considérable cependant, d'encroûtés
écouter avec plaisir la Marche de la Damnation de Faust, orchestrée par
Berlioz, un compositeur qui n'avait qu'un tort, celui d'être Français.
H. BARDEDETTIi.
— Programmes d'aujourd'hui dimanche :
A la Société des concerts, treizième concert sous la direction de M. J.
Garcin : 1° Symphonie en ré, de Beethoven; 2° Psyché (fragments), de
M. A. Thomas : Introduction, chœur des Nymphes, récit et romance
du Sommeil, invocation à la Nuit, scène de l'extase, bacchanale:
Psyché, Mmc Krauss ; Eros, Mlle Landy ; Mercure, M. Delmas. 3° Hymne
de Haydn ; 4° ouverture de Coriolan de Beethoven; S0 la Vestale (finale du
deuxième acte), de Spontini ; 6° ouverture du Freischùtz de Weber.
— Au Châtelet, sous la direction de M. Colonne : deuxième audition de
Roméo et Juliette, drame lyrique d'après la tragédie de Shakespeare, paroles
de M. Emile Deschamps, musique de Hertor Berlioz; soli par M11- de Mon-
talant, MM. Mauguière et Auguez.
— Mercredi dernier a eu lieu, salle Pleyel, la quatrième séance de mu-
sique classique donnée par Mme George Hainl et MM. Marsick et Loys,
avec le concours de MM. Brun et Laforge. Le quatuor n° 2, pour piano
et cordes, de M. Gabriel Fauré, a laissé le public un peu froid, mais on
a chaleureusement applaudi le quatuor en ré majeur de Mendelssohn qui
renferme un délicieux andante, et le trio en sol de Raff. M. Marsick, très
bien disposé, a été acclamé après chaque morceau, ainsi que ses excel-
lents partenaires. Am. B.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
La belle partition de M. Lalo, le Roi d'Ys. n'a pas été comprise par
le public romain. Les journaux italiens sont unanimes à constater sa
chute lamentable au théâtre Costanzi, quoique, selon eux, l'exécution en
ait été excellente. Les interprètes étaient Mmcs Teodorini et Calvé,
MM. Garulli et Seguin. te Don Chiscwtte, se livrant à un jeu de mots,- dit
que c'est un Re d'Ys... grazialo (un Roi d'Ys-grucié)'.
— On croirait qu'au San-Carlo de Naples, dit le Trovatore, ï'injluenza
règne toujours. Pendant tout le cours de la dernière semaine, le théâtre a
fait relâche allègrement. On a donné une seule représentation des Hu-
guenots.
— On avait espéré que le nouveau Grand-Théâtre de Palerme pourrait
être ouvert à l'occasion de la prochaine exposition qui aura lieu dans
cette ville, mais il parait qu'on est loin de compte. Il manque seulement
quatre millions pour l'achèvement des travaux, et l'on ne sait où trouver
celte misère.
— De notre correspondant de Belgique ("20 mars). — Les auteurs belges
ont fait beaucoup parler d'eux, en ces dernières semaine, au théâtre et
dans les concerts. Au théâtre, il s'est produit tout à coup une véritable
lièvre de composition, une épidémie de drames et de comédies qui, pen-
dant un mois, a exercé sur la population bruxelloise de terribles ravages.
On en a vu surgir jusque sur trois scènes â la fois, presque le même
soir. Mais je dois â la vérité de dire que presque rien de tout cela n'a
réussi. C'a été, sur toute la ligne, une hécatombe d'auteurs belges abso-
lument épouvantable, un carnage affreux et sans précédent. Inutile donc
d'insister. Ces malheureux sont morts, et bien morts. Paix à leurs cen-
dres ! Mais la comédie et le drame ne sont pas les seuls genres qui aient
tenté nos compatriotes. La Salammbô de M. Ernest Rayer a exercé aussi
leur verve humoristique sous la forme de parodies aussi nombreuses que
variées. Nous avons eu successivement une Salam-Booth à l'Alcazar, un
Sarlahot aux Galeries et une Salle en beau à la Scala. La première est spi-
rituelle et a obtenu grand succès; la seconde est tombée à plat. Comme
vous voyez, rien n'aura manqué à la gloire do M. Reyer, ni à la renommée
de son œuvre, — qui, entre parenthèses, continue, à la Monnaie, le cours
de son succès avec Mm0 Caron, toujours admirable et toujours admirée. —
Les compositeurs ont eu plus de chances que les dramaturges. Le der-
nier concert populaire, consacré tout entier à M. EdgarTinel et à M. Emile
Mathieu, a fait applaudir sincèrement diverses œuvres lyriques et sym-
phoniques de ces deux musiciens de très réel talent. M. Tinel, l'auteur du
bel oratorio Saint François, dont je vous ai dit, il y a deux ans, le très
grand succès à Malines, puis à Bruxelles, a fait entendre de remarquables
Fragments symphoniques pour le Polyeucte de Corneille; et l'on a retrouvé
dans le Sorbier, une œuvrette nouvelle de M. Mathieu, les qualités de
grâce et de pittoresque un peu minces, qui distinguent l'auteur de Ri-
childe. Quelques jours après, le Cercle artistique nous faisait faire la con-
naissance de M"e Folville, une jeune Liégeoise plus connue à Paris qu'en
Belgique, et qui non seulement joue très bien du piano et du violon,
mais compose aussi très agréablement. Je vous ai parlé naguère de cette
charmante artiste, élève de M. Théodore Radoux, à propos du dernier
concours de Piome auquel elle faillit prendre part et auquel elle renonça,
vous vous rappelez peut-être dans quelles circonstances, qui émurent
vivement l'Académie et les apôtres de l'émancipation des femmes. — Enfin,
nous avons assisté aux débuts d'une nouvelle phalange instrumentale, le
Club symphonique, créé et dirigé par un de nos jeunes cap^llmeister les
plus distingués, M. Emile Agniez; et, à cette occasion, plusieurs œuvres
inédites se sont aussi produites, de M. Agniez et de M. De Greef, toutes
fort distinguées et très applaudies, jouées par ledit Club symphonique et
chantées par Mlle Rachel Neyt, de la Monnaie. — Pour en revenir à la
Monnaie, c'est ce soir qu'a lieu enfin la reprise du Vaisseau-Fantôme et les
débuts de M. Frantz Servais comme chef d'orchestre au théâtre. Ce sera
une curieuse soirée et l'une des dernières batailles de l'année théâtrale,
qui touche à sa fin. On parie déjà des réengagements pour la saison
prochaine : nous gardons MM. Bouvet, Badiali, Isouard, Delmas, MllcCar-
rère et Mmc Durand-Ulbach. Plusieurs, par contre, nous quittent, MnleFie-
rens-Pecten, engagée à l'Opéra, MUe Samé, dont le départ sera vivement
regretté, M. Renaud, qui entre à l'Opéra-Comique, MUe Merguiller et d'au-
tres encore. Pour le reste, rien n'est encore décidé. Lucien Solvay.
— Du Patriote de Bruxelles: « Lundi soir, intéressant concert donné dans
la salle de la Grande-Harmonie par les Artisans réunis, sous la direction
de M. Adolphe Goossens, avec le concours de MUc Clotilde Balthazar,
violoniste, et de M11" Mathilde Cardon, cantatrice. Nous y avons entendu
un chœur de F. Riga : les Esprits de la Nuit (poésie de Lucien Solvay).
MUc Balthazar, que nous avions déjà eu l'occasion d'applaudir l'an passé
au Cercle artistique, a moissonné hier tous les applaudissements de la
salle. Cette gracieuse jeune fille a un tempérament artistique des plus
prononcés; elle possède un vigoureux archet; en outre, il y a du style,
de la délicatesse et de l'expression dans son jeu. Le son qu'elle tire de
son violon est généralement pur et homogène, deux qualités précieuses
qui font souvent défaut à nos artistes violonistes. Mlle Balthazar nous a
fait entendre la deuxième polonaise de Wieniawski, puis une berceuse
(du ballet la Vision d'Harry de Balthazar-Fiorence), un vrai bijou de déli-
catesse et de suave et caressante mélodie; enfin, Habanera, de Sarasate,
dont elle a su vaincre les capricieuses difficultés avec une animation et
un brio remarquables. Le public a vivement applaudi la sympathique
artiste, qui était légèrement émue. »
— De Namur : Le Cercle musical a donné son grand concert, composé
exclusivement d'oeuvres d'artistes belges. Nous y avons entendu : Les
Noces féodales, marche caractéristique, œuvre d'un style large et d'une
belle venue; le monologue et le finale des Houilleurs, de H. Balthasar-
Florence. A remarquer la phrase du violoncelle très artistement rendue
par le soliste (les chœurs, trop peu nombreux, étaient malheureusement
écrasés par les cuivres); le Houyoux, d'E. Mathieu, poème lyrique et sym-
phonique dont nous n'avons plus à faire l'éloge. L'interprétation en a
été assez faible. La marche triomphale de la cantate De Ktokkc Roeland,
d'Edgar Tinel, musique chaude, d'un souffle puissant où éclatent les vi-
goureuses qualités du maitre, a été bien enlevée par la symphonie.
M'k' Clotilde Balthazar a de nouveau recueilli tous les suffrages des con-
naisseurs par son jeu ferme et distingué. Elle s'est montrée artiste dans
loute l'acception du terme en interprétant l'œuvre de son père, notre
maitre namurois, un remarquable concerto, des fragments du ballet la
Vision d'Harry : la berceuse, une suave mélodie, et l'intermezzo que la
gracieuse virtuose a très finement détaillé! M. Albert Moussoux a inter-
prété la prière d'Osbern de l'opéra Richilde et une ravissante mélodie
inédite de H. Balthasar : Aimer. A noter en terminant, une ballade
d'Emile Mathieu : le Barde, très bien dite par un baryton amateur; en-
suite le monologue des Houilleurs, récité avec beaucoup de sentiment et
de vérité par l'auteur, M. Louis Delisse ; enfin, parmi les instrumentistes,
une mention toute spéciale au cor solo. M. Hock, président du Cercle
musical, a remercié, aux applaudissements enthousiastes de l'auditoire,
nos deux maîtres belges^ H. Balthasar et E. Mathieu, et leur a remis une
1 palme et une médaille en souvenir de cette solennité musicale.
u
LE MENESTREL
— De l'Opinion libérale de Namur : « Dimanche au Théâtre-Royal a eu
Heu la première représentation à Namur d'un Modèle. C'est une des plus
charmantes opérettes en un acte que nous ayons entendues. Le livret dû
à MM. Manuel Lerouge et André Thomas est frais, coquet, gentil, essen-
tiellement parisien. La musique est d'un tout jeune compositeur parisien,
M. Léon. Schlesinger, gui promet beaucoup. Elle est très mélodique,
bien inspirée, originale, coulant de source et ne trahissant nul effort.
Cette petite pièce, bien jouée, a obtenu le plus franc et le plus légitime
succès. »
— Dépèche de La Haye : Hier, on a donné une grande sérénade en
l'honneur de MLo Sigrid Arnoldson. Après sa représentation d'adieu dans
Lakmé, l'orchestre du régiment des grenadiers a joué l'hymne national sué-
dois. Plus de 6,000 personnes ont fait des ovations enthousiastes à l'artiste
jusqu'à une heure du matin. La grande place était illuminée de feux de
Bengale devant l'hôtel Doelen. Une députation des abonnés a offert une
adresse superbe à MllB Arnoldson, qui est partie pour Paris.
— Genève, 18 mars : Le charmant opéra de Léo Delibes, le Roi l'a dit,
a été donné hier soir avec un brillant succès pour le bénéfice du chef
d'orchestre Bergalonne. On a applaudi chaque numéro de la délicieuse
partition, chaque scène du spirituel poème d'Edmond Gondinet. La direc-
tion, qui a monté l'ouvrage avec autant de soin que de luxe, peut
compter sur une belle série de représentations. Extrait de la distribution,
qui met sur pied toutes nos jolies femmes : Javotte, Mme Jouanne-Vachot;
Benoît, M. Bonijoly; Montcontour, M. Dauphin; Miton, l'exquis Miton,
M. Lespinasse. M.me* Legault et Luce jouaient les deux travestis et
M,M Urbain, la marquise de Montcontour. Une jeune artiste déjà très
remarquée dans la reine du Pré aux Clercs, M110 Jane Ediat, a fort bien
dit et chanté le rôle de Philomèle. E. Delphes.
— On presse activement les travaux de reconstruction du nouveau théâtre
de Zurich afin d'être prêt à inaugurer le monument au mois de novembre.
M. Schrcetter conservera ses fonctions de directeur de cette scène munici-
pale. La souscription pour les victimes de l'ancien théâtre a produit,
à l'heure actuelle, plus de 30,000 francs.
— L'opéra royal de Berlin prépare pour le mois de septembre la pre-
mière représentation de Salammbô en langue allemande. C'est notre ancien
correspondant viennois, M. le docteur Berggruen, actuellement fixé à
Paris, qui s'est chargé de la traduction allemande. Le directeur Tetzlaff,
de l'Opéra de Berlin, prépare une mise en scène des plus raffinées et la
distribution réunira les meilleurs sujets de l'Opéra royal.
— Il vient de se former à Berlin une association de musiciens qui se
propose d'exécuter les œuvres nouvelles éditées ou inédites de jeunes com-
positeurs. Elle a pris pour titre : « Union musicale libre ».
— M. Hans de Bûlow, le célèbre pianiste et chef d'orchestre allemand,
vient de s'embarquer pour l'Amérique. Il va entreprendre une grande
tournée de concerts à travers les BtatsrUnis.
— Le musée Richard "Wagner, fondé à Vienne par M. Nicolas Oester-
lein, a acquis, dans le cours de la dernière année, plusieurs centaines
d'objets : manuscrits originaux, dessins, parmi lesquels beaucoup de
portraits, opéras, livres, et aussi plusieurs milliers de journaux relatifs à
Wagner. On signale, parmi ces objets, comme méritant une mention
particulière, un album d'autographes provenant d'un petit village bava-
rois, et dans lequel, au cours des années 1864 à 1882, sont inscrits, sou-
ventes fois, les noms du roi Louis II,' du prince Othon, le roi actuel, et
de la reine-mère, Marie de Bavière.
— Le Requiem de Berlioz figurait seul au programme du quatrième
concert de la Société des Amis de la musique, à Vienne. Cette œuvre si
importante de Berlioz avait été exécutée pour la première fois à Vienne,
il y a trois ans, avec un succès éclatant; il n'a pas été moindre cette fois.
— Mme Cosima Wagner, dit le Guide musical, a arrêté dès à présent la
distribution du Tannhauser qui figurera parmi les œuvres qui seront exé-
cutées en 1891 au théâtre de Bayreuth. Le rôle de Tannhauser sera tenu
alternativement par MM. Van Dyck, Alvary et Winckelmann. Pour le
rôle du landgrave, M. Blauwaert est dès à présent engagé. Wolfram, ce
sera M. Reichmann, de Vienne; Elisabeth, la belle Mme Sucher, de
Berlin, et M™ Mika Termina, une nouvelle étoile, paraît-il, actuellement
à Brème. M"18 Wagner se propose de suivre exactement la mise en scène
des représentations de 1861 à l'Opéra de Paris, auxquelles Wagner
avait présidé. Il va sans dire que l'œuvre sera exécutée en entier, sans
une suppression.
— L'opérette viennoise en voyage ! La troupe complète du théâtre An
der Wien est en ce moment en tournée dans le midi de l'Autriche. La
tournée a débuté le 8 mars au Politeama Rosetti de Trieste avec le Baron
des tziganes, de Strauss.
— M"10 Teresa Carreno a obtenu un tel succès à Dresde, qu'elle s'est
vue obligée de donner un concert supplémentaire, à la demande générale.
La brillante pianiste a surtout captivé le public avec les douze études
symphoniques de Schumann, l'étude en sot bémol, la polonaise en la
mineur de Chopin et la célèbre valse-caprice de Rubinstein.
— Deux inventions intéressant la facture instrumentale sont signalées
d'Allemagne. L'une, duo au pianiste E. Olbrich, de Berlin, consiste en
un nouveau clavier où les touches blanches sont surélevées de façon à se
trouver presqu'au niveau des noires. L'essai public de cette invention n'a
pas encore eu lieu. L'autre invention, qui a pour auteur M. R. Lange,
concerne le basson. Il s'agit d'un nouveau système de trous destiné à
rendre l'exécution plus facile et le son plus agréable.
— La Roumanie présente, depuis plusieurs années, un assez riche
contingent de chanteurs. Dans la seule carrière italienne, en en compte
sept en ce moment, dont quelques-uns célèbres. Ces sept artistes sont la
Teodorini, la Kitzu, la Messe, la Stefanesco ; et les ténors Gabrielesco,
Dimitresco et Poppesco.
— Le marquis Sant'Anna, propriétaire et fondateur de la Correspon-
dericia de Madrid, se propose de fonder en cette ville un hospice-refuge
pour les artistes musiciens pauvres ou malades.
— On doit commencer prochainement à Barcelone, les travaux de recons-
truction du Théâtre-Espagnol, récemment détruit par un incendie. Le
nouveau théâtre sera construit en fer et en cristal, et pourra servir tant
pour les représentations d'été que pour les spectacles d'hiver.
— La saison d'opéra anglais de la Compagnie Cari Rosa, au théâtre
Drury-Lane de Londres, commencera le S avril. L'événement principal
de cette saison sera la première représentation d'un opéra nouveau de
M. Frédéric Cowen, qui a pour titre: Scandinavie. On y représentera aussi
l'Hamlel d'Ambroise Thomas, traduit en anglais.
— Les journaux anglais publient un appel à la charité en faveur de
M. Michel W. Balfe, le fils unique de l'auteur de Bohemian Girl. Il parait
qu'il est dans une misère noire.
— De Londres nous recevons la nouvelle de la réussite très brillante du
premier concert de la « Philarmonic Society » qui inaugurait sa 78e sai-
son. A la place d'honneur du programme se trouvait inscrite la belle
fantaisie pour piano et orchestre de Ch.-M. Widor, interprétée par
M. I. Philipp et dirigée par l'auteur. Voici ce qu'en dit le Times «Une
autre œuvre d'origine plus récente était la fantaisie de M. Widor, con-
duite avec une grande autorité par l'auteur, la partie de piano jouée d'une
façon exquise par M. Philipp, un pianiste français, donton a été unanime
à admirer la sonorité singulièrement belle et la virtuosité parfaite.
L'œuvre de M. Widor est plus qu'une pièce de virtuose : comme dans
toutes ses compositions il faut louer la pureté de la forme, l'originalité
de l'idée, le charme de l'harmonie. Les détails délicieux de l'instrumen-
tation montrent avec quelle habileté et quel soin M. Widor écrit. Elle a
valu un triple rappel à l'auteur et à son interprète. »
— De Chicago, par dépèche : « A l'Auditorium, hier, première repré-
sentation de Lakmé, grand succès, la Patti acclamée, a dû bisser trois
morceaux. »
PARIS ET DÉPARTEMENTS
A l'Opéra-Comique, réapparition mystérieuse du Domino noir, avec
deux débutants, MM. Carbonne et Gilibert, pour lesquels M. Paravey n'avait
pas cru nécessaire de convoquer la presse. Il en paraît cependant en-
chanté, s'il faut en croire les notes olficieuses qu'il envoie à ce propos
aux journaux, innovation hardie, mais non dépourvue d'intelligence.
Il est clair que les directeurs feraient mieux de faire toujours eux-
mêmes la critique de leurs opérations. On n'est jamais si bien servi que
par soi-même.
— Encore un coup d'éclat à l'actif des directeurs de l'Opéra !
M" Adiny et M1Ie Pack ne leur suffisaient pas ; ils viennent d'engager une
nouvelle falcon pour compléter ce trio d'artistes distinguées : M"16 Fierens-
Peters, qui chante actuellement au théâtre de la Monnaie de Bruxelles.
MM. Ritt et Gailhard sont-ils myopes à ce point de n'avoir pas distingué,
au même théâtre, à côté de M1"0 Fierons, une autre chanteuse dramati-
que, MmeRose Caron, qui a bien aussi son petit mérite? Nous verrons s'ils
ont eu cette fois la main heureuse en lui préférant Mmc Peters-Fierens.
— M. Duquesnel, le directeur du théâtre de la Porte-Saint-Martin,
voyant la grande Sarah lui échapper, aurait, paraît-il, quelques velléités
musicales. On parle notamment de l'opéra de Saint-Saëns, Samson et Dalila
que M. Verdhurt lui porterait de Bouen tout monté avec son personnel
d'artistes et de chœurs. On dit aussi que Mllc Van Zandt pourrait bien lui
prêter son concours pour quelques représentations. Cela, nous avons de
bonnes raisons pour ne pas y croire, la charmante artiste n'ayant aucune
envie de se refrotter aux Parisiens qui ont été si pou gracieux pour elle.
Enfin, on cite encore le Werther de M. Massenet, avec Mllc Sanderson na-
turellement, comme pouvant faire partie du nouveau programme de
M. Duquesnel. A cela encore un obstacle. C'est que M. Massenet, qui est
sur le point de donner le Mage à l'Opéra, ne voudra pas se faire concur-
rence à lui-même et que de plus il est en train de négocier l'engagement
de M"c Sibyl, la créatrice ordinaire de ses opéras, avec MM. Ritt et
Gailhard. Il ne peut pourtant, nouveau Salomon, la partager en deux pour
lui faire chanter à la fois Werther et le Mage. Ce serait vraiment dommage.
Il va sans dire que les projets lyriques de M. Duquesnel n'en ont pas
moins tout notre assentiment.
— De notre confrère Georges Boyer du Figaro : Une combinaison pour
l'Eden-Théâtre. M. II. Milliaud veut y transporter l'Opéra-Populaire, qu'il
avait fondé au Château-d'Eau. Les pourparlers sont très avancés; au cas
LE MÉNESTREL
où l'affaire se conclurait, on ouvrirait soil avec Patria de Verdi, soit avec
Méphisto de Bôïto, soit avec Gioconda de Ponchielli. Il est probable que
M. Talazac se ferait entendre dans l'un de ces ouvrages.
— M. Mayer, régisseur général de l'Opéra, a remis sa démission entre
les mains do MM. Ritt et Gailhard. Ce départ était décidé depuis quelque
temps déjà, et les directeurs ont essayé à plusieurs reprises de faire re-
venir leur régisseur sur sa décision, mais M. Mayer n'a pas jugé que son
état de santé lui permit de conserver plus longtemps ses fatigantes
fonctions. M. Mayer était entré à l'Opéra en septembre 1872, où il avait
succédé à M. Cormon, sous la direction de M. Halanzier. Après le départ
de celui-ci, M. Vaucorbeil n'eut garde de se séparer d'un auxilliaire pré-
cieux, et, plus tard, MM. Ritt et Gailhard tinrent également à le conserver.
M. Mayer serait certainement resté à son poste jusqu'à la fin du privi-
lège actuel, sans une chute grave qu'il a faite cet hiver et dont il ne s'est
jamais complètement rétabli. Il sera très regretté à l'Opéra où tout le
monde l'aimait beaucoup et reconnaissait sa haute compétence.
— Une bonne nouvelle : La rentrée de M. Delaunay à la Comédie-Fran-
çaise, en qualité de directeur de la scène, est décidée. M. Jules Claretie
était très favorable à ce projet, et nous croyons savoir que les sociétaires
eux-mêmes avaient tout récemment manifesté à M. l'administrateur leur
désir de revoir au milieu d'eux l'éminent artiste. On sait que le soin de
« mettre en scène » les ouvrages à l'étude incombe aux semainiers qui
remplissent ce devoir à tour de rôle. Les semainiers en seront désormais
délivrés, et leur fonctions ne consisteront plus qu'en une besogne de sur-
veillance disciplinaire et administrative peu absorbante. M. Delaunay sera
seul maître des études delà Comédie. Ses fonctions seront celles que rem-
plissait jadis Régnier.
— Sigrid Arnoldson, la célèbre diva suédoise, que nous n'avons fait
qu'entrevoir à Paris, M. Paravey n'ayant pas su la gafder à son théâtre,
est de nouveau parmi nous, après la tournée triomphale qu'elle vient de
faire en Europe avec Mignon et Lakmé. Un imprésario intelligent saura-
t-il cette fois la retenir ? Peut-être !
— Le violoniste Sarasate fournit, aux Américains, des renseignements
bien curieux sur les compositeurs français. Oyez plutôt ce qu'il confie au
Musical Courier de New- York : « Les compositeurs allemands ne sont pas
wagnériens, mais les français le sont à outrance. Brahms, Reinecke,
Goldmark et je puis ajouter Gade et Rubinstein sont antiwagnériens,
tandis que Saint-Saëns, Lalo, Delibes et Reyer sont des wagnériens
féroces, enragés. Je dois vous dire, cependant, que Lecocq est le plus en-
ragé de tous : lorsqu'il apprend que la Tétralogie va être donnée à Bruxelles,
-vite le voilà parti pour Bruxelles. Quand elle est annoncée à Munich, il
se met en route pour Munich, quand c'est à Vienne, il court prendre le
train pour Vienne. C'est de la folie chez lui. Massenet conserve une atti-
tude neutre dans la question. » Que faut-il croire de tout cela?
— Le ténor Duc vient d'obtenir un mois de congé. Il doit partir cette
semaine pour donner une série de représentations à Bordeaux et à Mont-
pellier. Il se rendra ensuite à La Haye, où il terminera son congé.
— L'Opéra-Comique donnera cette année, comme tous les ans, pondant
la semaine sainte, les jeudi 3 et samedi 5 avril, deux concerts spirituels,
composés de l'ouverture d'Euryanlhe, de fragments du Stabat Mater, de Per-
golèse avec MmK Landouzy et Nardi, de fragments à'Élie, deMendelssobn
avec MUes Simonnet, Deschamps, MM. Delaquerrière et Soulacroix, du
Requiem, de Mozart, avec Mmcs Landouzy et Nardi, MM. Dupuy et Fournets
et de la Création d'Haydn. Le bureau de location pour ces deux concerts est
dès aujourd'hui ouvert, place du Châtelet.
— Décidément la version i'Bamlel pour ténor commence son tour de,
France. Après Monte-Carlo, voici M. Dereims qui vient encore d'obtenir
à Nîmes un éclatant succès dans ce rôle. M. Tournié n'y a pas moins réussi
à Toulouse. Attendons-nous à une lutte curieuse entre les barytons et les
ténors, laquelle ne pourra que favoriser la fortune de la belle œuvre d'Am-
broise Thomas.
— Un Nouveau Musiciana, de M. Weckerlin, vient de paraître à la librai-
rie Garnier frères. Ce petit volume, illustré de neuf photogravures et de
nombreuses pièces de musique est, comme son aîné de 1877, un recueil
d'anecdotes intéressantes et amusantes sur la musique et les musiciens.
Les chapitres humoristiques ne font pas défaut ; citons la représentation
de la Dame blanche, dans une petite ville d'Alsace, par une troupe alle-
mande ; une farce de Rossini ; la Marseillaise, transformée en messe par
le musicien allemand Holtzmann; la quasi-préface de Hippolyte Monpou,
la Berceuse de notre mère Eve remise au jour par Craton Butner, etc., etc.
Mais à côté de ces pages amusantes et de bonne plaisanterie, il y a aussi
des documents qui intéressent l'histoire de la musique, comme la repro-
duction de la minute nommant Lully secrétaire du roi Louis XIV, les
instruments de musique enlevés en 1795 dans les palais royaux et dans
les hôtels des émigrés (404 numéros), huit pages inédites d'Halévy sur la
naissance de la musique, les fragments de la Gazette de Loret, relatifs à la
musique, et tant et tant de choses qui s'adressent aussi bien aux gens
du monde qu'aux musiciens.
— M. et M"1" Lefebvre Niedcrmeyer célébreront, jeudi prochain, en
l'église Saint-Louis d'Antin,par une messe d'actions de grâces, l'anniver-
saire de leur vingt-cinquième année 'de mariage. Tous les amis du sym-
pathique directeur de l'école de musique classique seront là pour h- féli-
citer de cet heureux événement.
. — On nous écrit de Lille : Nous avons à enregistrer la très brillante
réussite du sixième concert populaire donné avec le concours de MM. Ch.
M. Widor et I. Philipp. Nous avions déjà apprécié plusieurs oeuvres de
M. "Widor, mais non encore des compositions d'une aussi haute valeur
que celles qui se trouvaient au dernier programme : une Fantaisie pour
piano et orchestre, une Symphonie (en la) et des fragments de Maître.
Ambros. La musique du maître est de celles qu'il faut entendre plusieurs
fois pour en apprécier toutes les beautés comme elles le méritent. L'ins-
piration toujours originale ne faiblit pas, les recherches harmoniques
abondent; toujours intéressante l'orchestration, est travaillée, fouillée, la
forme très pure dans sa modernité. La Fantaisie, une œuvre adorable d'un
bout à l'autre, a été jouée par M. Philipp d'une façon absolument supé-
rieure. Très applaudi dans l'œuvre de Widor, le brillant virtuose a rem-
porté un véritable triomphe, avec cette fantaisie de Liszt, si chatoyante,
si étincelante, que jouait souvent le pauvre Ritter. M. Philipp possède
un mécanisme impeccable, un son puissant et de toute beauté, des qua-
lités de délicatesse et d'expression rares : les applaudissements du public
ont été si chaleureux et si persistants, qu'il a joué en surcroit un charmant
morceau de Chopin, qui a fait grand plaisir. Le programme était dirigé
avec la plus grande autorité par M. Widor. En résumé, bonne journée
pour l'art et pour les concerts populaires. — C. D.
— Les journaux de Nantes constatent le succès de Pierrot surpris, ballet-
pantomime inédit en deux tableaux, scénario de M. Th. Maisonneuve,
musique de M. Adolphe David, dont la première représentation a eu lieu
récemment au Grand-Théâtre. Les interprètes étaient MM. Roux (Pierrot)
et Delafolie (Cassandre), Mmes Roux (Arlequin) et Rozier (Colombine).
— Le Cercle des Beaux-Arts de Nantes fait quelquefois à la musique des
infidélités qui paraissent enchanter les auditeurs car, vendredi dernier,
une salle comble a applaudi une représentation donnée par une troupe
d'artistes parisiens, en tète desquels il faut citer MUes Kalb et du Minil.
MM. Alb. Lambert fils et G. Berr de la Comédie-Française. Le spectacle
se composait : du Luthier de Crémone, le Baiser, la Nuit d'Octobre et le Petit
Hôtel. Le succès a pris pour tousies artistes les proportions d'un triomphe.
La musique n'était pas heureusement d'ailleurs mise complètement de
côté et, dans le Luthier de Crémone, le solo de violon, qui est comme on
le sait, l'un des gros effets de cette pièce si touchante, était joué dans la
coulisse par l'éminent violoniste, M. Alphonse "Weingaertner, Directeur
du Conservatoire.
Concekts et soirées. — La dernière séance du pianiste Léon Delafosse, consa-
crée à l'audition des nouvelles œuvres de M. Théodore Lack, pleinement réussi.
Vingt-quatre morceaux de piano au programme!... et malgré cela le public ne
s'est pas un seul instant lassé d'écouter et d'applaudir le jeune et merveilleux
virtuose qui n'a jamais mieux joué. Parmi toutes ces œuvres si élégantes et si
variées du plus fécond et du plus populaire des compositeurs modernes de piano,
nous avons particulièrement remarqué la délicieuse bluette V Oiseau-mouche. Ballet-
tino, Valse-rapide, Polkettina, le Chant du ruisseau et la célèbre Valse- Arabesque
encore et toujours acclamée I La très gracieuse cantatrice M"" Marie Veyssier a
bien mis en lumière deux ravissantes mélodies du même compositeur, et la
jolie violoniste danoise 11"° Schytte a profondément charmé l'auditoire dans
Tsiganyi, par son interprétation pleine de saveur et d'originalité. — Une soirée
charmante a eu lieu, lundi dernier, chez M"1 Joséphine Martin. On a entendu
des mélodies de Schumann, de M. Léo Delibes, de M-' Augusta Holmes et G.
Ferrari, des œuvres pour piano et instruments à cordes de Mozart, de MM. Godard,
Raoul Pugno- et H. Barbedette. M"" Ferrari a joué avec verve sa rapsodie espa-
gnole et M"0 J. Martin a été très applaudie dans deux de ses compositions :
Tarentelle et Fanlarella. — Au dernier et brillant samedi de notre excellent colla-
borateur H. Barbedette, M. Paul Lemaître et uDe jeune violoniste de très bel
avenir, Mlk Alice Robert, élève de M-° Jeanne Meyer, ont eu un grand succès
dans la Sonate à deux violons de H. Barbedette. M. Lemaître a dit aussi avec
l'auteur la troisième sonate pour piano et violon. M"" Joséphine Martin
a été fort applaudie dans plusieurs pièces de Chopin. M™0 Simouneau, avec
la magnifique voix de mezzo et le grand talent qu'on lui connaît, a interprété
nombre de mélodies de Schumann, Bizet, Gounod, A. Thomas et H. Barbedette.
— Nous avons entendu cette semaine, dans une soirée présidée par M. Antonin
Marmontel, les élèves de M"" Angot-Moutier, directrice des cours de la rue de
Rennes. Nous avons constaté que le jeu de ces élèves dénotait un excellent
enseignement. Quelques morceaux de genre ont été très bien rendus par M"" Ma-
rie Fabre et Thérèse Chabot. Une enfant de neuf ans, M"" Andrée Camaret, a
joué d'une manière remarquable les variations de «■ Ah! vous dfrai-je maman! «
de Mozart. La Belle Capricieuse de Hummel a été brillamment exécutée par
M"'' Claude Blanchet. M— Duménil de l'Opéra, s'est fait entendre dans l'air de
Samson et Dalila de Saint-Saëns et dans deux mélodies de A. Marmontel. Tout
dans cette réunion nous a intéressé et nous félicitons le professeur du succès
obtenu par ses élèves. — M. Marcel Hervegh a donné le vendredi U son concert
annuel à la salle de la rue de Grenelle avec le concours de M""* Chaminade et
Prégi. La belle sonate de Grieg a vivement impressionné l'auditoire, jamais le
violon de M. Hervegh n'avait vibré avec plus de majesté et de charme. L'andante
de Bach, Bohémienne, scherzo (de M"° Chaminade) et le concerto de Wieniawski
ont montré tour à tour ce talent multiple sous toutes ses formes ; la danse espa-
gnole qui terminait ce brillant concert a valu une véritable ovation au jeune
virtuose. La belle voix et le talent de M"« Prégi ont été appréciés. M"» Cha-
minade s'est montrée, comme toujours, compositeur et exécutante des plus
distinguées. — M"0 Bréjean donnait, vendredi dernier, un concert à la salle
Kriegelstein. Elle y a été applaudie dans plusieurs morceaux très intelligemment
interprétés avec une voix fraîche et jeune. Elle a du son vrai succès à la Vieille
Chanson de Bourgault-Ducoudray, œuvre infiniment délicate et d'une tendresse
toute caressante, qui nous révèle, plus varié, plus souple encore, le talent du
maître. La faveur du public place désormais l'auteur de la Rapsodie cambodgienne
I au premier rang de notre école moderne. — La matinée de M"" Millet-Fabre-
96
LE MÉNESTREL
(mettes, dimanche, salle Pleyel, était des plus réussies. De nombreux artistes
prêtaient leur concours: M. Jobert Brun, M— Hammer, vivement applaudies
dans Fin de bail (comédie), puis M- Conneau. Citons le coloris tout particulier
de deux pastorales pour piano, flûte et hautbois, jouées par MM. Gennaro, Boul-
lard et l'auteur M"- Filliaux-Tiger. Ils ont eu un vrai succès. — Angers-Artiste,
relate le grand succès remporté par M»' Geoffroy-Bidault, au concert de l'Asso-
ciation artistique. On a surtout fort applaudi l'air de la Flûte enchantée, que
M"* Geoffroy, comme la Patti et la Nïlsson, a exécuté dans le ton d'une façon
remarquable; ceci nous dispense de tout autre éloge. — Le 4" concert de l'Asso-
ciation artistique de Nantes a brillamment réussi. M. Paderewski s'est fait entendre
dans différents morceaux classiques et une cracovienne de sa composition qui
lui fait grand honneur. M"' Martini que nous avons déjà remarquée dans les
grands concerts parisiens, a été très appréciée. — Les journaux de Cambrai nous
apprennent le grand succès obtenu par M1" Magnien, la brillante élève de
M. Charles Dancla, au dernier concert de la Société philharmonique. Elle a
interprété les œuvres de Sarasate, de Godard et de son maître avec un
véritable talent... — Le concert donné par M1" Thérèse Duroziez le 8 mars à
la salle Érard a été très brillant. M11" Duroziez a exécuté avec une rare sûreté, un
mécanisme remarquable et un excellent sentiment, des œuvres de piano de Liszt,
Schumann, Chopin, Bizet, Godard, et, avec MM. Gillet, Turban, Brémont et Es-
paignet, le quintetto pour piano et instruments à vent de Beethoven, op. 16. —
Tristan et l"seu/f entrant au répertoire des théâtres de société, voilà certes une chose
que l'on n'avait pas prévue : elle vient de se réaliser pourtant, car le premier acte
de l'œuvre wagnérienne vient d'être représen'é dans un salon, d'ailleurs coutumier
d'auditions de ce genre, mais où l'on n'avait jamais poussé les choses aussi loin.
Dans l'auditoire, nombre de musiciens et d'amateurs qui, pour la plupart, s'étaient
déjà trouvés réunis à Bayreuth; la salle dans l'obscurité, les pianos (remplaçant
l'orchestre) placés sous la scène et invisibles, la langue allemande, les décors, les
costumes, tout contribuait à donner l'illusion de Bayreuth à des Parisiens assis
à trois cents mètres de l'Arc de Triomphe de l'Étoile. Nous ne parlerions pas de
cette représentation s'il s'agissait d'une vulgaire exhibition d'amateurs comme il y
a des chances pour que cela eût été partout ailleurs; mais, bien loin de là, l'exé-
cution, préparée et dirigée par un jeune maître qui n'en est pas à son coup d'essai
en ces matières, confiée à des interprètes ayant profondément le sentiment et les
traditions du drame musical de Wagner, a été absolument remarquable, et telle
que nous ne pouvions pas supposer qu'on pût en obtenir une pareille en ce mo-
ment à Paris. Et, sans vouloir ôter à cette réunion toute privée son caractère
anonyme, nous ne tairons pas que l'interprète du rûle d'Yseult s'est révélée une
tragédienne lyrique d'ordre supérieur. Chroniqueurs wagnériens, prenez des notes:
voici une date pour vous, le 10 mars 1890, jour de la première représentation d'un
acte de Tristan et Yseult à Paris. Et, vu la réussite, pourquoi 1891 ne nous donne-
rait-il pas les trois actes entiers? J. T.
Concerts annoncés. — Mardi 25 mars, salle Pleyel, troisième séance de la
Soeié'.é de Musique Française, fondée par M. Ed. Nadaud, avec le concours de
M""- Conneau, de Monvel et de MM. Cros Saint-Ange, Mas, Gibier et de Bailly.
Mardi 25 mars, le violoniste Stanislas Taubé donnera, dans Ja petite salle
Érard, une matinée musicale, avec le concours de Mllc' Caroline Chaucherau et
Marie Dubois. — Le 28 mars, salle Érard, 2° concert de M"" la baronne de
Yandeul-Eicudier. — Le ténor Rondeau donnera le 31 mars, salle Pleyel, sa troi-
sième audition de musique moderne. On y entendra les œuvres de MM. Th. Dubois,
Pfeiffer, Alexandre Georges, Albert Cahen, Marty, de Keveguen, Franck, exécu-
tées sous la direction des auteurs par M"" Lavigne, Mélodia, Maréchal, MM. Juil-
lard, Paul Braud, Pierret, et des chœurs de dames du monde et de l'école Nie-
dermeycr. — Mardi soir, 25 mars, salle Erard, la première des deux séances de
piano que donne M"1 Jenny Maria, de Beethoven à Chopin et à Wagner-Liszl,
programme des plus appétissants, comme chaque printemps. — Samedi 29 mars,
au soir, salle Ph. Ilerz, 3° et dernière séance de M"' C. Carissan, la compositeur-
pianiste, dout deux mélodies inédites remarquables ont eu l'honneur d'être chantées
par M"" Gabrielle Krauss à son dernier jeudi. — Aujourd'hui dimanche, à 1 h. 1/2,
salle Kriegelstein, «mcert donné par M. Lucien Lefort, violoniste, avec le con-
cours de M""' Seguin-Loyer, Blanche Dufrêne, Lucy Blind, MM. Karren, Everard,
Launay et Salomon.
NÉCROLOGIE
Un chanteur qui a eu son heure de notoriété dans les concerts
parisiens, Marc Bérod, s'est suicidé cette semaine dans un petit logement
qu'il occupait, 10, galerie "Vivienne. Le malheureux avait adressé une lettre
rédigée avec une simplicité touchante au commissaire de police de son
quartier pour le prévenir de sa résolution et lui en expliquer les motifs.
a Je meurs sans le sou, y disait-il, mais grâce à Dieu, honnête homme,
ne laissant pas de dettes. » Ancien soldat à la légion étrangère, Bérod,
après avoir eu divers engagements dans les cafés-concerts de province,
était entré aux Ambassadeurs en 1869 et y avait eu un vif succès. Il avait
signé ensuite un brillant engagement avec un théâtre de Saint-Péters-
bourg, où il était resté sept ans et demi.' De retour à Paris en 1870, il
était rentré à la Scala. Puis avec l'âge, la malchance et la gène étaient
venues. Le commissaire de police l'a trouvé étendu sur son lit, les pieds
liés avec une corde, à côté d'un réchaud de charbon allumé, dont les
émanations l'avaient asphyxié. L'ancien chanteur avait voulu sortir de la
vie avec autant de correction que d'honnêteté : soigneusement rasé, en
habit noir, en cravate blanche, il s'était mis en grande tenue pour attendre
la mort.
— L'Angleterre vient de perdre un de ses artistes les plus estimables.
Le chef d'orchestre et compositeur Henry Wylde est mort ces jours der-
niers à Londres, à l'âge de soixante-huit ans. Né en 1822 et destiné par
sa famille à entrer dans les ordres, il se tourna pourtant du côté de la
musique, devint à seize ans l'élève de Moschelès, et, en 1843, étudia la
composition sous la direction de Cipriani Potter, à l'Académie royale de
musique, où il devait être plus tard professeur d'harmonie; Docteur en
musique de l'Université de Cambridge en 1850, l'un des jurés de la sec-
tion de musique aux Expositions universelles de 1851 et de 1862, il fut
élu professeur de musique au Gresham-Gollège de Londres, en 1863. C'est
sur son initiative que fut fondée, en 1852, la New Philharmonie Society.
En 1858, il entreprit et organisa une série annuelle de concerts, qu'il ne
cessa de diriger jusqu'en 1879. C'est lui qui fonda l'Académie de Londres,
qui a ouvert des succursales à South Kensington et à Brighton. Comme
compositeur, on doit à Henry "Wylde une cantate pour soli, chœurs et
orchestre, sur le Paradis perdu de Milton, une autre cantate : frayer and
Fraise, un concerto en fa mineur, et plusieurs sonates pour piano, des
fantaisies pour le mêjne instrument, des Clumts anglais sur des paroles
imitées de Goethe et de Schiller, un duo vocal intitulé les Nymphes de la
mer, etc. Il a publié aussi divers ouvrages d'enseignement : la Science de
la Musique, le Contrepoint moderne, la Musique et les mystères de l'art. Henry
"Wylde a été le maître d'un artiste fort distingué, M. John Francis
Barnett, compositeur, professeur de piano au Collège royal de musique
de Londres, et qui ,s'est fait connaître par plusieurs écrits fort inté-
ressants.
— Quand les Norvégiens s'y mettent, c'est absolument comme en Espa-
gne. Le plus grand acteur contemporain de la Norvège et du Nord,
.lohannes Brun, vient de mourir après quarante ans de service. Les jour-
naux de Christiania ont paru encadrés de noir et les théâtres de Norvège
ont fait relâche le soir de sa mort. Des autres pays du Nord des couron-
nés avaient été envoyées pour les funérailles. La ville était pavoisée de
drapeaux avec crêpe de deuil, et le théâtre de Christiania donnait une
représentation à la mémoire de l'illustre défunt, à laquelle assistait le roi.
Comme acteur, M. Brun n'appartient pas directement aux colonnes du
Ménestrel. Il a cependant, au commencement de sa longue carrière, rendu
des services signalés au répertoire musical grâce à sa bonne voix et à
son excellente oreille. Parmi les innombrables anecdotes dont fourmillent
à présent nos journaux, je trouve la suivante qui n'est pas étrangère à la
musique. C'était pendant la foire annuelle de Christiania 1867. M. Brun,
accompagné d'un ami, se promenait à travers la foule, rendant conscien-
cieusement visite à toutes les baraques et faisant par sa seule présence
une immense réclame aux établissements. Dans un coin du marché, il
avise une vieille femme tournant un orgue de Barbarie et chantant des
chansons tristes sans qu'un chat en prenne le moindre souci. M. Brun
ému par la triste mine de cette femme, prit à la main une des romances
qu'elle vendait — c'était Napoléon à Moscou, — el s'improvisa sur-le-champ
ménestrel de foire, accompagné par l'orgue. Immédiatement un audi-
toire nombreux se groupait autour de lui et le succès fut foudroyant, —
M. Brun dut s'interrompre devant les masses en délire. Rapidement il lit
la quête qui fut abondante, et la vieille femme s'écriait en sanglotant:
« Quel homme que M. Brun ; il n'a pas son pareil dans le monde
» entier ! » — M. Brun était le premier et encore le seul acteur-c/ieua/ier de
Norvège.
Henri Heugel. directeur-géi ant
ON DEMANDE ténor soliste, bon lecteur, à l'Annonciation de Passy.
Paris, A U MENESTREL. 2 >", rue Vivienne, HENRI HEUGEL, Editeur-propriétaire.
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PAUL FERRIER et CHARLES GLAIRVILLE
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CTOR ROGER
Partition piano et chant. — Morceaux détachés. — Fantaisies, danses et arrangements divers.
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Dimanche 30 Mars 1890.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HECGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Pjano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus»
SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (56° article), Albert Soubies et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale : La partition d'Ascanio, H. Morexo; première
représentation des Miettes de Vannée et reprise du Roi Candaule, au Palais-
Royal, Paul-Emile Chevalier. — III. Du leitmotive: de son usage ; de son abus,
A. Darston. — IV. Correspondance de Belgique : le Vaisseau Fantôme, Lucien
Solïay. — V. Nouvelles diverses, concerts.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
LE FÉTICHE
quadrille brillant sur la nouvelle opérette à succès de M. Victor Roger,
par Léon Roques. — Suivra immédiatement: L'Enlr' acte-Ballet, de la Voca-
tion de Marius, la nouvelle opérette du théâtre des Nouveautés, musique
de Raoul Pugno.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant : la « vieille romance, » Assise un soir dans la fougère, extraite de
l'opérette le Fétiche, le nouveau grand succès du théâtre des Menus-Plai-
sirs, paroles de Paul Ferrier et Charles Clairville, musique de Victor
Roger. — Suivra immédiatement: Elle a mis sa toilette claire, n° 3 des
Rondels de Mai, de M. B. Colomer, poésie de Lucien Dhuguet.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
PAR
Allbert SOUBIES et Charles MALHERBE
(Suite.)
CHAPITRE XIV
MEYERBEER A l'OPÉRA-COMIQUE
LE PARDON DE PLOERMEL
(1856-1859)
Pour la Clef des champs, opéra-comique en un acte, paroles
de H. Boisseaux, musique de Deffès, donné le 20 mai 1857, on
fut surpris, mais on ne se trompa pas ; on traita la partition
à sa juste valeur en lui accordant quarante-quatre représen-
tations en cinq années ; seulement on critiqua le livret qui
montrait Mme Du Barry faisant, par caprice et bouderie, une
fugue au pays natal où son ingénuité apparente allait lui
faire décerner, par un naïf bailli, la couronne de rosière,
lorsqu'un seigneur dont on ne disait pas le nom, mais qu'on
devinait, survenait à temps pour sauver la rose et reprendre
la belle.
A la couronne près, l'anecdote a passé pour vraie dans
certains mémoires du XVIIIe siècle, et déjà Bayard s'en
était emparé pour un vaudeville, joué au Gymnase et intitulé
Un soufflet n'est jamais perdu. Mais ces précédents n'étaient pas
pour satisfaire Clément, qui, parlant de la Clef des champs
dans son Dictionnaire lyrique, déclare simplement la donnée
« extravagante ». Or. rapprochement bien curieux, cet hon-
nête critique ne se doutait pas que vers la même époque, la
favorite d'un souverain devait jouer pour de bon le rôle prêté
à Mme Du Barry. Elle partit un jour pour son village et c'est
là qu'elle fut retrouvée en sabots, jouant à la paysanne, par
certain magistrat célèbre qu'on avait dépêché à sa poursuite
et qui nous a laissé de cette entrevue le plus charmant récit.
Tant il arrive que l'invraisemblable est souvent près de la
vérité !
On pourrait encore tirer une morale, mais celle-là diffé-
rente, de l'ouvrage en trois actes, représenté le 3 juin 1857,
sous le titre des Dames Capitaines et répété d'abord sous celui
de Gaston. L'action se déroulait au temps de la Fronde, à
cette époqne troublée où les femmes s'occupaient avec au-
tant d'activité que de caprice des affaires de l'Etat, où l'amour
nouait et dénouait au gré de sa fantaisie les intrigues poli-
tiques, où Gaston, duc d'Orléans, adressait ainsi une de ses
lettres : « A Mesdames les Comtesses, Maréchales de Camp
dans l'armée de ma fille contre le Mazarin! » On y voyait
une duchesse s'introduire dans un camp, y remarquer un
bel officier, puis pénétrer dans la ville assiégée, et finale-
ment la livrer au chef des assiégeants qui se trouvait être le
dit officier, ce qui permettait aux adversaires de s'unir en
politique, comme en amour. Toute cette intrigue ne tenait
guère debout et faisait médiocrement honneur au librettiste
Mélesville. Vainement le compositeur Reber s'était mis en frais
d'imagination et d'habileté; il vit disparaître son œuvre après
onze représentations, et le chagrin qu'il en ressentit l'éloigna
définitivement de la scène. L'opéra qu'il écrivit depuis n'a pas
vu le jour, et l'on ne sait trop si c'est parce que l'auteur
ne l'a pas voulu ou parce que les directeurs n'en ont pas
voulu. Mais voici le point curieux de cette affaire. On avait
jugé le livret absurde, détestable, et ce même livret détestable,
absurde, a fait la fortune d'une opérette de Strauss, intitulée
la Guerre joyeuse, comme plus tard la Circassienne d'Auber celle
de Fatinitza de Suppé. D'où l'on doit évidemment conclure
que l'opérette et l'opéra-comique diffèrent, que ce qui répu-
gne à l'un peut convenir à l'autre, et qu'erjfin le succès
d'une œuvre dépend souvent du cadre dans lequel elle s'est
produite.
Au moment où Reber quittait l'Opéra-Comique, un jeune
compositeur y entrait, de qui l'on n'avait encore joué qu'au
Théâtre-Lyrique quelques petits actes d'ailleurs favorablement
accueillis, Eugène Gautier. L'affiche était ainsi conçue, ae
lendemain de la première représentation qui eut lieu le
20 juin: « Le Mariage extravagant, pièce en un acte d'après Dé-
LE MENESTREL
saugiers, mêlée de musique par E. Gautier. » Ces indications
demeuraient fort incomplètes. D'abord on oubliait de Valory
qui fut collaborateur de Désaugiers pour le vaudeville de ce
nom, représenté en 1812 ; ensuite on négligeait de faire con-
naître l'adaptateur et habile transformateur de ce vaudeville
en opéra-comique, Eugène Cormon, l'un des auteurs du Chien
du Jardinier et des Dragons de Villars. On a fait observer que,
dans ce Mariage extravagant, tout était extravagant, sauf le mariage
de raison qui s'y conclut finalement entre Edouard et son amie
d'enfance, Betzy, la fille du docteur Verner, directeur d'une
maison d'aliénés. Ce mot seul indique combien le cadre prê-
tait aux folies ; aussi voyait-on le père prendre pour un fou
son futur gendre, tandis qu'un vrai fou était pris par le fiancé
pour son futur beau-père. La gaieté des quiproquos, l'entrain
de la musique assura la vie de ce lever de rideau qui, joué
111 fois de 1857 à 1862, et 64 de 1871 à 1874, a atteint le
chiffre de 175 représentations.
Le même librettiste, aidé cette fois d'Eugène Grange, repa-
rut le 30 septembre à la salle Favart avec un opéra-comique
en deux actes et trois tableaux, le Roi Don Pèdre, appelé suc-
cessivement aux répétitions Don Pèdre le Cruel et Don Pèdre le
Justicier. Tels étaient en effet les deux surnoms donnés par
l'histoire à ce roi d'Espagne qui n'a certainement jamais fait en
réalité ce qu'on lui faisait faire au théâtre, savoir : rendre un
arrêt contre le duel, puis courir les rues de Tolède comme un
simple bachelier, se heurter la nuit à un amoureux qui rou-
coule sous le balcon d'une belle, et lui administrer un coup
d'épée, solution fâcheuse qui embarrasse un moment les
deux adversaires épris de la même jeune fille, tandis que
dans l'ombre se profile la figure d'un juif équivoque, surpre-
nant les secrets pour en battre monnaie.
Comme Eugène Gautier, le compositeur, Ferdinand Poise
n'avait pas encore été joué à l'Opéra-Comique ; il avait passé
par les Bouffes et le Théâtre-Lyrique ; son coup d'essai sur
une nouvelle scène réussit assez pour qu'il ait survécu de
cette partition une charmante sérénade. On goûta et l'on
peut dire que l'on goûte encore, si l'on songe à ses récents
succès, les Surprises de l'amour et l'Amour médecin, par exemple,
cette manière spirituelle et fine, cette orchestration minus-
cule, cette délicatesse de touche qui réveillait le souvenir
des petits-maîtres du dix-huitième siècle.
Plus vigoureux était le talent de celui dont l'œuvre vint au
monde le 9 décembre 1857, le Carnaval de Venise, opéra-comique
en trois actes, paroles de Sauvage, musique d'Ambroise
Thomas. L'année finissait donc comme elle avait commencé;
en moins de douze mois, le même théâtre avait représenté
deux grands ouvrages d'un même auteur, générosité qui de nos
jours passerait pour un abus ! Le Carnaval de Venise, s'écriait
un critique, Henry Boisseaux, « c'est tout un monde d'in-
trigue, d'amour, de folie ; c'est le quiproquo en action, c'est
le bruit, c'est l'éclat, c'est le rire ! » Par malheur l'intrigue
fut embrouillée, le quiproquo banal, l'éclat assez terne, et le
rire absent. Aussi le public réserva-t-il toute son admiration
pour la principale interprète, Mme Gabel. Au bout de 33 re-
présentations l'œuvre avait vécu ; il n'en est resté que l'ou-
verture où sont intercalées de charmantes variations sur l'air
qui donne son nom à la pièce. Bemarquons combien était
alors à la mode cet air délicieusement vocalisé par Mrae Gar-
valho dans la Peine Topaze de Victor Massé, gaiement mirli-
tonné dans les Petits Prodigues de Jonas, et joué partout sur
le violon par l'aimable Saint-Léon. Ajoutons que cet ouvrage
préparé par un directeur, fut monté par un autre. L'Opéra-
Comique, en effet, avait changé de maître. Depuis le 19 novem-
bre Nestor Boqueplan avait succédé à Perrin, et cette trans-
mission de pouvoir ne manquait pas de réveiller dans la
presse les vieilles et stériles querelles relatives à la cession
des privilèges, dont nous avons parlé assez longuement pour
n'avoir plus à y revenir ici. En somme, Emile Perrin faisait
une affaire avantageuse, et se retirait au bon moment. Pour
513,000 francs payables en argent comptant, le jour de son
départ, il abandonnait l'exploitation, et se voyait libéré de
tout engagement, de toute responsabilité. Certainement il
pressentait que le vent de la fortune allait tourner, et que la
salle Favart allait traverser une période difficile. L'arrivée de
M. Carvalho avait donné la vie au Théâtre-Lyrique. En moins
de trois ans s'étaient produits la Fanchonnetle, les Dragons de
Villars, la Reine Topaze; on avait monté Obéron, et pour 1858, on
préparait le Médecin malgré lui. Cette concurrence, au reste,
avait influé sur les recettes de l'Opéra-Comique, qui, belles
encore, suivaient une marche nettement descendante.
1855. — 1,389,999 fr. 03 c.
1856. — 1,117,353 fr. 17 c.
1857. — 1,066.414 fr. 70 c.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
LA PARTITION D'ASCANIO
On prête à M. Saint-Saëns ce propos singulier, qui étonnera les
âmes sensibles, que la musique, la bonne musique se fait avec le
cerveau et non avec le cœur. Ce n'était peut-être au surplus qu'une
boutade de l'auteur d'Ascanio; mais cette déclaration de principes
paraît s'appliquer merveilleusement à sa manière de composer. Le
cerveau, certes, est l'agent principal dans toutes les œuvres de l'esprit,
cependant il n'est pas mauvais que le cœur se mette aussi de la
partie et vienne à propos pour colorer et animer les productions du
cerveau, qui sans lui courraient le risque de demeurer froides et
inertes. De cerveau d'artiste, il n'y en a guère de mieux organisé
que celui de M. Saint-Saëns ; il n'y a pas de musicien qui soit plus
maître de son art. L'auteur de la superbe symphonie qu'on a exé-
cutée au Conservatoire n'est plus à discuter ; cette symphonie res-
tera certainement comme l'un des monuments de la musique fran-
çaise au XIXe siècle. Elle est d'une main d'ouvrier vraiment
merveilleuse.
Et cette main nous la retrouvons encore, avec moins de puis-
sance cependant, dans la partition d'Ascanio, qui reste si intéressante
dans ses détails, bien qu'on l'aperçoive mal ail travers d'une
exécution défectueuse. 11 y a d'ailleurs, dans cette partition, beau-
coup d'intimités charmantes auxquelles le grand cadre de l'Opéra ne
convient nullement. Et puis il a manqué à l'œuvre les dernières
caresses de son auteur. Nous ne disons pas que l'absence ou la dis-
parition de M. Saint-Saëns, de laquelle on fait tant de bruit en ce
moment, ait nui au succès de l'œuvre. Nous pensons au contraire
qu'elle constitue une incessante réclame et un tremplin excellent
sur lequel rebondit à souhait la nouvelle partition, comme une balle
élastique bien lancée; mais il n'en est pas de même pour son exé-
cution. Le compositeur présent eût su autrement animer son orches-
tre, lui indiquer les nuances, les mouvements, tous ces mille riens
que l'auteur a vécus lui-même et qu'il transmet à ses interprètes
comme aucun autre suppléant ne saurait le faire, si dévoué et si
avisé soit-il.
On peut bien le dire aujourd'hui que la première représentation
est venue casser, comme il arrive souvent, le jugement trop hâtif
qu'on avait porté sur l'œuvre, la répétition générale, donnée devant
une salle pleine et en présence de toute la critique assemblée, fut un
véritable désastre. Tout ce qu'il y a d'intéressant dans la partition
avait passé à peu près inaperçu et les plus malins n'y avaient pas
distingué grand'ehose. A ce moment-là on n'aurait pas donné deux
sols de la partie que MM. Ritt et Gailhard allaient engager. C'est
qu'il n'y a pas dans Ascanio de ces grandes envolées qui vous sai-
sissent tout d'abord et que ce n'est pas trop d'y revenir à deux fois
pour y découvrir les intimités charmantes dont nous avons parlé.
Prenons pour exemple le premier tableau, qui est l'un des plus
fins et des plus achevés de la partition. La mélodie n'y déborde
pas, encore qu'elle soit fort distinguée quand elle veut bien montrer
le bout de son nez, mais suivez le petit, discours musical de l'or-
chestre et vous en serez ravi toujours. Voyez ce qu'il y a de ten-
dresse dans l'accompagnement qui double le chant d'Ascanio :
Si loin et si haut dans l'espace
Ma céleste vision passe!
Puis ce sont les impatiences de Scozzone. la maîtresse jalouse, qui
commencent à se manifester et qui auront plus tard uno action im-
portante sur la marche du drame. Là, ce ne sont encore dans Torches-
LE MÉNESTREL
99
tre que des tressautements anodins, mais qui en font prévoir de
plus sérieux. Benvenuto y répond dans la sérénité de son génie par
quelques nobles phrases bien coupées. A noter le mouvement appas-
sionato de Scozzone :
Vers cette divine conquête
Maître, marchez sans hésiter.
Et voici la cour, le roi François Ior et sa mie, la noble duchesse
d'Etampes, qui va tenter de prendre le bel Ascanio dans ses filets.
Remarquez toute la séduction qui perce ici dans les dessins d'orches-
tre; les tons les plus chatoyants se succèdent les uns aux autres et
la phrase revient toujours avec son charme persistant :
Ascanio, je suppose
Que ce bijou n'a point de maître encor.
Voyez s'il va bien à mon bras.
Puis ce cri de fierté de la même duchesse, quand on l'avertit
de se garder de nouvelles amours que le roi pourrait prendre tra-
giquement :
Laisse! me défier, Jeanne, c'est m'enhardir!
Je l'aime !
Ici une vocalise intempestive, qui détonne d'une façon singulière.
On en trouvera d'autres dans ce même rôle qui ne sont pas davantage
justifiées. Si encore Mme Adiny, qui personnifie le personnage de
la duchesse, pouvait leur donner un peu de tournure et de style !
Pendant ce temps, le roi admire tous les trésors de l'atelier de
Benvenuto, il s'arrête en extase devant un Jupiter lançant la
foudre.
Voilà le pur chef-d'œuvre!
Voilà le roi des Dieux, voilà le Dieu des rois/
Il y a beaucoup de majesté dans cette sorte d'invocation. Mais
François attend son frère Charles-Quint, il en fait part à Benvenuto
et de suite l'orchestre, comme c'était son devoir, esquisse une fan-
fare discrète qui nous annonce de belles fêtes.
C'est tout et c'est délicieux. Rien de bruyant sur la scène, mais
des grâces cachées dans l'orchestre, et des fleurs au parfum délicat
qui embaument sous le chant des violons. Et il en sera ainsi tout
le long de cet ouvrage parsemé de violettes, mais il faut savoir les
découvrir. Elles n'éborgnent pas les passants d'un éclat tapageur.
Au deuxième tableau on trouvera, encore dans la même teinte
pâle, la rencontre des deux amoureux, Ascanio et Colombe, avec
son dessin d'orchestre serpentin, puis toute la scène de ce mendiant
bizarre qui marie les gens dans la rue. Elle n'en est pas moins tou-
chante. Plus jolie encore la jolie phrase qui échappe aux violons,
quand Benvenuto aperçoit Colombe :
Hébé! céleste Hébé!
Que l'Olympe aujourd'hui ne te reprenne pas!
A côté une scène plus violente entre la duchesse d'Etampes et
Benvenuto, qui prétend préserver Ascanio du danger qui le
menace.
Des gens, qui n'ont peut être pas tort, estimeront sans doute que
le théâtre ne peut trouver son compte à toutes ces bagatelles, et
qu'il y faut d'autres passions et d'autres emportements, surtout sur
la scène qui a vu naître les Huguenots et le Prophète. Je n'en discon-
viens pas, mais n'en ai pas moins de penchant, comme le sage, à
prendre mon plaisir où je le trouve. Ce n'est peut-être pas du
théâtre, soit, je le veux bien. Mais qu'importe, s'il y a au bout une
sensation musicale qui me prenne et qui m'émeuve. Cela reste, en
tous les cas, une œuvre d'artiste sincère et ciselée à la façon de
Benvenuto lui-même, et, ma foi par ces temps lï'Esclarmonde et autres
blocs enfarinés, je serais bien fol de ne pas m'en contenter.
Nous allons d'ailleurs trouver des pages plus mâles en pénétrant
plus avant dans l'action.
Au commencement du deuxième acte, une chanson un peu tour-
mentée de Scozzone, mais qui a de l'originalité. La partition publiée
par les éditeurs Durand et Schœnewerk nous en donne deux ver-
sions, celle de l'auteur et celle de l'Opéra. N'esWl pas plaisant
de voir la première scène lyrique du monde, pour parler comme
MM. Ritt et Gailhard, ne pouvoir nous donner la version exacte
de l'auteur, faute d'une artiste pour l'interpréter? On n'ignore
pas en effet que, depuis le départ de M"0 Richard, l'Opéra se trou-
vant dépourvu d'un contralto présentable, il a fallu confier au so-
prano de Mme Bosman un rôle écrit dans la clef de fa. Il en est
résulté nombre de transpositions obligées qui sont loin d'être favo-
rables à la partition de M. Saint-Saëns. Enfin, il faut prendre
l'Opéra pour ce qu'il est aujourd'hui, c'est-à-dire pour peu de chose.
La chanson de Scozzone est suivie d'un air langoureux d'Ascanio,
dans la manière archaïque, qui ne manque pas de saveur pour les
amateurs d'antiquité. Archaïque encore, et d'une couleur charmante la
plainte de Colombe :
Mon cœur est sous la tombe
Où nous l'avons scellé,
Quand tu t'en es allé.
Ce n'est pas ici l'orchestre qui domine, puisque le chant est sans
accompagnement. A cette plainte, Benvenuto répond par un empor-
tement d'amour. Eh! oui, le voilà enfin l'emportement :
Un divin et fol amour
Est dans cette âme.
Je fais assez bon marché de cet allegretto à l'italienne, mais je
trouve fort belle la phrase
0 beauté, j'ai compris ta puissance,
qui a de l'ampleur mélodique et qui s'épanouit tout à fait dans la
reprise en duo avec Ascanio. C'est avec le quatuor que nous trouve-
rons plus loin l'une des pages capitales de la partition.
On a- coupé la plus grande partie du deuxième tableau du second
acte, qui faisait en effet longueur, et on a fondu ce qui en restait
dans l'acte du ballet. On en a conservé notamment le joli madrigal
de François Ier :
Adieu, beauté, ma mie.
Puis, c'est le ballet, dans la couleur du temps, avec des nymphes
et des déesses. Le symphoniste s'en est donné à cœur-joie et en a
réussi tous les morceaux qui sont au nombre de douze, ni plus ni
moins. Nous les retrouverons dans nos salles de concert.
Au quatrième acte, on ourdit une vilaine conspiration contre la
pauvre Colombe et l'orchestration de M. Saint-Saëns se colore des
teintes les plus sombres ; mais nous avons hâte d'arriver au superbe
quatuor, qui peut marcher de pair avec celui que l'auteur nous avait
servi déjà dans Henry VIII. Seulement la situation est retournée. Ce
n'est plus, celte fois la pauvre Anne de Boleyn qui souffre de
toutes les affres de la jalousie, c'est M. Lassalle à son tour, ex-
Henry VIII et maintenant Benvenuto, qui assiste, poussé par Scozzone,
à une scène d'amour délicieuse entre Ascanio et Colombe. La page
est de premier ordre. On y Irouve enclavé l'arioso obbligato que
M. Lassalle a coutume de chanter dans tous les opéras à H heures
pour le quart :
Enfants, je ne vous en veux pas.
Celui-là n'est pas inférieur aux autres et l'artiste ne le chante pas
moins bien. Posé de trois quarts et solidement planté sur des
jambes un peu arquées, le bras droit légèrement étendu devant lui,
tandis que le gauche balance doucement, M. Lassalle ouvre la bou-
che modérément; la voix en sort comme une pâte onctueuse :
Enfants, je ne vous en veux pas !
Ce n'est pas votre faute, hélas !
Si vous aimez, si l'on vous aime !
Vous entendez cela d'ici. On crie, on trépigne, on bisse. C'était
déjà comme cela dans Patrie, quand Rysoor pleurait sur le corps
du pauvre sonneur frappé par les Espagnols. Que dis-je? La tradi-
tion de l'arioso remonte au Roi de Lahore, et M. Lassalle s'y taille
chaque fois un nouveau succès. Ni l'artiste, ni le public ne paraissent
s'en lasser.
Et après ? Il y a le sacrifice de Scozzone, qui se dévoue et prend
la place de Colombe, victime désignée des colères de la duchesse
d'Etampes. Là encore des accents très sobres, mais très émus.
Au cinquième acte, presque rien, un dénouement, précédé d'une
scène dramatique où Mme Adiny tente de chausser, mais sans succès,
les cothurnes laissés vacants par M™ Krauss.
L'interprétation générale n'est pas ce qu'elle devrait être, nous
l'avous déjà laissé pressentir dimanche dernier. En dehors de la
qualité des artistes, l'absence du maître qui eût pu les améliorer,
s'est fait sentir un peu partout. Il n'y a guère que M. Lasalle qui
soit à la hauteur de son rôle. Nous n'aurons pas la cruauté d'insis-
ter sur les mérites restreints de Mme Adiny. M. Cossira a une jolie
voix, mais il manque complètement d'autorité; c'est un Ascanio
insignifiant. Le rôle de Scozzone n'est pas du tout dans la nature
de Mme Bosman; il convient néanmoins de rendre justice à ses
efforts et à son intelligence. MUc Eames n'a guère qu'à montrer son
gracieux visage dans le petit rôle de Colombe, mais elle le fait avec
beaucoup d'agrément et de suavité. M. Plançon, artiste des plus
consciencieux, est en train de prendre à l'Opéra une des premières
places; il chante remarquablement le madrigal de François Ier.
Tous les autres rôles sont faiblement tenus. L'orchestre lui-même
n'a eu ni la netteté ni le relief nécessaires.
100
LE MENESTREL
Voilà ce que l'Opéra peut mettre aujourd'hui à la disposition d'un
compositeur éminent pour la défense d'une œuvre importante. Pas
de contralto et si peu de falcon, que ce n'est pas la peine d'en
parler! Il faul que la partition à'Ascanio ait les reins solides pour
résister à un pareil traitement.
Triste mise en scène, pauvres décors et costumes à l'avenant.
M. Ritt s'est bien vanté quand, répondant aux instances de
M. Saint-Saëns, il trouvait ce compositeur bien pressé de lui voir
dépenser 250,000 francs! Il en faut rabattre de plus des trois cin-
quièmes.
H. Moreno.
P.-S. — Hier, samedi, au théâtre des Nouveautés, on a dû donner
la première représentation de la Vocation de Marins, vaudeville-opé-
rette de MM. Fabrice Carré et Debelly, musique de M. Raoul Pugno.
D'après la répétition générale, à laquelle nous avons assisté, tout
fesait présager un vif succès. La pièce, gaie et spirituelle, mène son
action, au premier acte, dans une brasserie du quartier Latin, au
deuxième, dans un bureau d'agence théâtrale, et au troisième, dans
les coulisses du théâtre de Castres. Celte succession de milieux
différents a fort servi la verve des deux auteurs et a donné matière
à nombre de scènes amusantes. La musique de M. Pugno, très sim-
ple et très claire, les souligne à merveille et vient encore leur don-
ner un nouveau relief. La soirée n'a été qu'un long éclat de rire.
Brasseur père et fils, tous les deux surprenants, Maugé, le fin co-
médien, Mmc Montrouge, une commère qui n'engendre pas la mé-
lancolie, et la gracieuse M"le Théo sont les principaux interprètes
de cette heureuse folio.
H. M.
Palais-Royal. — Les Miettes de l'année, revue de printemps en
3 actes, de MM. E. Blum et R.-Toché. — Le Roi Candaule, comédie
en 1 acte de MM. H. Meilhac et L. Halévy.
Voici un succès de plus à l'actif du théâtre du Palais-Royal et à
l'actif aussi de MM. Blum et Toehé. Leurs Miettes d; Vannée, bien
que tardives, sont excellentes et forment un petit régal d'un fumet
fin et alléchant auquel tous les Parisiens voudront goûter et même
regoùter. M. Dailly en compère et Mlle Bonnet, en commère, sont,
l'un toujours plein de bonne humeur, l'autre toujours des plus
agréables à contempler. Parmi les numéros à sensation , il faut
citer l'excellent Saint-Germain, distribuant un prix de beauté parmi
les spectatrices; M. Milher, en abonné de l'Opéra-Comique, qui
pleure son pauvre théâtre disparu , sur tous les airs du répertoire,
depuis les Dragons jusqu'au Caïd; Mme Malhilde, en mouquette, qui
fait les visites académiques pour son patron, et Mme Lavigne, abso-
lument impayable sous l'armure de Jeanne d'Arc. — Mais les deux
clous de la soirée sont assurément le pas ultra-moderne que danse
étonnamment, sur un air espagnol, M"e Larive, une toute petite
brunetle à la grâce débraillée et spirituelle, et la parodie de Margot
jouée par MM. Calvin, Galipaux, Mmes Mathilde et Lavigne, grimés
en marionnettes et suspendus par des fils comme les poupées de
Thomas Holden.
Les Miettes de l'année étaient précédée» de la reprise du Roi Candaule,
cette très spirituelle comédie de MM. Meilhac et Halévy qui
contient une scène, — entre Bouscarin et Adèle, — qui est un
véritable petit chef-d'œuvre. M. Daubray s'est montré comédien
absolument parfait dans le rôle de Bouscarin ; M. Milher est un
amusant Duparquet, M. Luguet un parfait Capuron, M"e Lavigne
une désopilante ouvreuse et M1'6 Berny une fine Adèle. MM. Pelle-
rin, Maudru, et Mlles Pierval, Clem et Renaud complètent un ai-
mable ensemble.
Paul-Émile Chevalier.
DU LEITMOTIVE
DE SON USAGE; DE SON ABUS
Cm a beaucoup écrit, et encore plus parlé, pour et contre le leit-
molive. De quel côté est la vérité, ou plutôt de quel côté est la plus
grande part de vérité ? Car c'est surtout en de telles questions
qu'il n'est rien d'absolu. Le procédé, propagé par un homme de
génie qui l'a mis en valeur avec une rare puissance, avec une
grande variété, peut-il être définitivement adopté dans la musique
dramatique, et s'il peut l'être, en quelles occasions, dans quelle
mesure?
C'est ce qu'on va s'efforcer de rechercher, de préciser.
I
Et d'abord, le leitmotive ne saurait constituer simplement un signe
distinctif entre les divers personnages du drame. Pour discerner ai-
sément Eisa d'Ortrude, Walther de Hans Sachs, Raoul de Marcel,
le costume, le timbre de la voix suint. Pas n'est besoin de recourir
à un moyen qui, — on l'a dit, — serait, en quelque sorte, pour
l'oreille ce que serait pour l'œil un écriteau placé sur le chapeau
de chaque acteur et indiquant son nom au spectateur.
Le leitmotive n'est pas non plus indispensable pour caractériser
une figure. Ce n'est certes pas avec un artifice de métier qu'un
compositeur peut faire vivre la physionomie propre à chaque indi-
vidualité, lui prêter le langage particulier à ses passions, à son
âge, à sa race, à son état, à son temps, au milieu même dans le-
quel il se meut. Il faut, pour y réussir, une faculté d'évocation,
qui n'a rien de commun avec la mise en pratique d'un système
préconçu, et qui est un des dons supérieurs du génie. Weber n'eût
pas besoin de leitmotives pour tracer le rôle de la rieuse Annette,
de telle sorte qu'il fit un vivant contraste avec celui de la rêveuse
Agathe; — non plus que Mozart, pour imprimer au profil de Dona
Anna l'énergique relief que l'on sait. On n'imaginerait même pas,
— je dirai tout à l'heure pourquoi, — ces adorables et admirables
héroïnes suivies pas à pas et, alourdies, dans leur action théâtrale,
par un motif typique.
II
Il n'est pas contestable pourtant que la réapparition de certains
thèmes significatifs puisse produire dans le drame lyrique un grand
effet.
On ne parle pas ici, bien entendu, du retour d'une ou plusieurs
phrases provoqué par une situation déterminée comme, par exem-
ple, dans la scène finale du Faust de Gounod, les fragments de la
valse, di la première rencontre et du duo d'amour. — Il n'est
question que du leitmotive proprement dit, qui est reproduit, par
intervalles, au cours d'un ouvrage, en dehors des situations excep-
tionnelles, pour appeler l'attention sur un sujet ou sur une idée.
Dans ce procédé, objet de tant de controverses, le compositeur
peut trouver, quoi qu'on en dise, de précieuses ressources, car, en
art, aucun moyen n'est à proscrire ni à adopter a priori ; tout dé-
pend de l'usage qu'on en fait. Un parti pris, quel qu'il soit, est
un détestable critérium, de jugement, "Voilà beau temps que Weber
a jeté, de ci de là, dans la trame musicale de son noble Freischiitz,
l'éclair d'une phrase brève, aux trilles féroces, aux petites notes
lancinantes avivées par deux ottavini accouplés, qui évoque à notre
oreille la vision grimaçante de Samiel.
On doit admettre encore, comme dans la doctrine wagnérienne,
que l'auteur ait le droit de parer ce leitmotive, à chaque réappari-
tion, des richesses nouvelles que lui fournissent le contrepoint et
le coloris instrumental, puisque ces transformations peuvent très
heureusement concourir à la réalisation d'un objectif à la fois esthé-
tique et technique.
Mais encore y a-t-il certaines lois de logique théâtrale, je dis
mieux, de bon sens, à observer.
Ce sont précisément ces lois qu'il convient d'établir.
III
Dans le train ordinaire, et même dans les circonstances ^exception-
nelles de la vie, dont le drame parlé ou chanté doit être la repro-
duction aussi exacte que possible, quoiquanoblie par l'art, l'âme
humaine n'est pas une. Si remplie qu'elle soit par une préoccupation,
cette préoccupation ne la possède que par instants. Walther, le beau
chevalier franconien, a beau être profondément épris d'Eva, ses
ambitions de poète, la vie bruyante des étudiants qui l'entourent,
que sais-je encore, mille suggestions occasionnelles mettent de l'in-
tervalle entre celles de ses pensées qui vont au même but. Sa
passion même affecte des formes diverses, comme l'amour tantôt
idéal, tantôt charnel, hier joyeux, aujourd'hui assombri par le plus
ou moins d'espérances qu'un rien lui aura données et qu'un rien
lui aura ôtées. S'il en est ainsi pour ceux des héros du drame
qu'accapare une aspiration maîtresse, que sera-ce pour ceux qui ne
sont pas dominés par une passion? Ceux-là ont encore bien plus
de variété dans les sentiments, dans le langage.
C'est dire que la répétition constante d'un même motif attaché à
un même personnage, communique à ce personnage quelque chose
d'artificiel, qui est précisément le contraire de la vérité qu'on a
recherchée. Dans le drame parlé, si un acteur exprimait toujours
la même pensée, fût-ce en des termes différents, il serait bien près
de ressembler à un maniaque. — Pourquoi dans le drame chanté
LE MENESTREL
101
■en serait-il autrement? — Une œuvre lyrique dans laquelle tous les
rôles seraient ainsi connus, ne nous présenterait plus de créations
vivantes, animées de cette complexité d'idées et de sentiments qui
■est la vie même, mais une réunion, impossible à rencontrer dans
la réalité, d'êtres maladifs, à l'esprit hanté d'une vision unique.
rv
On peut concevoir cependant que certaines individualités aient cet
aspect, puisque la nature produit aussi de temps en temps des or-
ganisations anormales. Et c'est là que je voulais en venir, car c'est
à ces exceptions que s'applique merveilleusement le leitmotive,
Si, par exemple, dans un drame religieux, l'artiste avait à évo-
quer l'image supraterrestre de sainte Thérèse, séparée du reste du
monde, l'esprit et le cœur sans cesse enfiévrés de la divine vision
du Christ, sans nul doute devrait-il la nimber d'un leitmotive.
D'une façon générale, on peut affirmer que le motif typique peut
très opportunément caractériser des personnages mus par un sentiment ex-
traordinaire qui prime et absorbe tous les autres. Tel un amour poussé
jusqu'à la folie, c'est-à dire si violent qu'il est dû à une cause sur-
naturelle, à l'influence magique d'un philtre (Tristan); tel un
fanatisme religieux surexcité par uneterrible succession d'événements
tragiques (Marcel); telle la jalousie, tel un désir ardent de ven-
geance, si ces passions font naître l'obsession d'une idée fixe con-
finant à un délire maniaque (Othello, Hamlet).
Par extension, notre imagination peut admettre encore le leitmotive
pour des sujets appartenant à des époques très éloignées de nous:
dieux, demi-dieux, héros des temps fabuleux, figures enveloppées
de légendes (Wotan, Siegfried, la Walkyrie, Sigurd, Samiel,
Méphisto) .
On comprend, en effet, que dans ce cas, l'artiste puisse nous re-
présenter ces personnalités comme il lui plaît. Nous ne serons pas
•autrement choqués de telle ou telle attitude qu'il leur fera prendre,
parce que nous n'avons aucun point de comparaison à opposer à sa
conception, parce que, pour ces mythes, il n'y a pas de vérité,
•même relative comme celle qui existe dans le drame chanté, et que
leur évocation est toute conventionnelle.
Il en va tout autrement lorsqu'il s'agit de personnages placés
dans les conditions humaines de la vie et animés des mêmes
passions que nous. Or, ce sont ceux-là qui nous émeuvent le plus,
qui remplissent le plus grand nombre de drames.
Avec la prescience du génie, Weber a bien senti cette différence
lorsqu'ayant marqué le front de Samiel d'une manière de leitmotive,
11 s'est gardé d'user du même procédé pour Max, pour Agathe, pour
Annette. C'est que Samiel est un être d'une essence telle que nous
n'en avons jamais vu, et que nous sommes forcés de le supposer
par une sorte d'hallucination de notre esprit, tandis que Max,
Agathe, Annette sont simplement des êtres comme nous, que font
agir les mêmes mobiles, que nous vîmes hier, que nous voyons
aujourd'hui, que nous verrons demain; — que dis-je, ne sont-ils
pas, en quelque façon, nous-mêmes ?
Nos déductions théoriques concordent donc avec les renseignements
fournis par les chefs-d'œuvre. On ne saurait appliquer indifférem-
ment le leitmotive à toutes les personnalités, et il convient d'en
restreindre l'usage aux exceptions qu'on s'est efforcé de déter-
miner.
En ces exceptions mêmes, n'y a-t-il pas une mesure à apporter?
(A suivre.) A. Darston.
CORRESPONDANCE DE BELGIQUE
Bruxelles, le 27 mars.
LE VAISSEAU FANTOME
La reprise du Vaisseau fantôme, jeudi dernier, à la Monnaie, a été
bien accueillie. C'était mieux qu'une reprise, presqu'une vraie « première ».
Pour la première fois, en effet, l'œuvre de Wagner, était jouée, en fran-
çais, dans sa complète intégralité. En 1872, quand la Monnaie la joua,
sous la direction de M. Vachot, on y avait fait de larges coupures. Et puis,
l'interprétation laissait beaucoup à désirer, non seulement du côté des
chanteurs, mais surtout du côté de l'orchestre, guidé par un chef n'ayant
aucune expérience de la musique wagnérienne et qui, faute d'une parti-
tion d'orchestre, en avait été réduit à conduire ses musiciens d'après une
«impie réduction au piano!... Je me rappelle, en tout cas, l'impression
produite sur presque tout le monde: celui d'un très profond ennui.
L'impression, cette fois, a été toute différente. Est-ce grâce à l'interpré-
tation, meilleure, quoique loin d'être parfaite cependant? Ou bien grâce
à l'initiation, lentement opérée, du public bruxellois, qui, depuis vingt
ans, en a vu bien d'autres? Je ne sais. Toujours est-il que l'œuvre, même
avec son livret naïf et écourté, n'a paru nullement fatigante; bien au
contraire. La musique a gardé, dans son ensemble, une puissance et une
couleur étonnantes ; et si elle a vieilli, çà et là, c'est à coup sûr et uni-
quement dans quelques-unes de ses pages écrites d'après les anciennes
formules de l'opéra italien. L'effet que font ces pages-là est assurément
curieux et elles détonnent singulièrement dans cette partition de Wagner,
entourées qu'elles sont d'autres pages, où la véritable forme du drame
wagnérien se dessine déjà avec une volonté superbe et triomphante.
Cette reprise a donc eu un réel intérêt. Et je crois qu'il faut bénir le
ciel — et la direction — de nous l'avoir donnée, un peu malgré elle, après
avoir beaucoup tàté, et à défaut d'autres ouvrages de Wagner présentables
dans les conditions de la troupe actuelle. Descendre insensiblement du
Siegfried, tant souhaité et tant réclamé des wagnéristes féroces, jusqu'au
Vaisseau fantôme, en passant par Lohengrin, un moment entrepris et aban-
donné enfin, la chute pouvait paraître dangereuse, et il y avait à craindre
que les « purs », les fervents, les disciples, trouvassent bien maigre la
pitance. Heureusement, les craintes ont été vaines. Les disciples ont
fait bonne mine à mauvais jeu, ont accepté ce qu'on leur offrait, et en
ont tiré, en somme, un sujet de gloire inattendu :
— « Voyez, se sont-ils écriés, comme le Wagner même des primes
années, le Wagner timide d'autrefois, est resté frais et jeune au milieu
de l'écroulement général, et combien il était plus solide, alors, que ne le
sont les autres, aujourd'hui ! ».
Ça ne prouve pas grand'chose ; mais ça a fait plaisir aux intéressés ; on
aurait mauvaise grâce de leur disputer le bénéfice de ce facile triomphe.
L'orchestre, dirigé par M. Frantz Servais, a fort bien marché, selon les
idées de M. Servais, qui a ses idées a lui, mais en tout cas avec une
belle vaillance. En ce qui concerne les chanteurs, M. Renaud, dans le
rôle du Hollandais, a remporté un très vif succès pour la façon très ar-
tistique dont il a interprété ce rôle, écrit pourtant trop bas pour lui.
Mme Fierens-Peeters a donné à celui de Seuta ce qu'elle pouvait: sa voix
riche et généreuse, à défaut du sentiment et de l'expression poétique,
qui ne sont du reste pas son affaire. Les autres sont convenables, rien
de plus.
A part cela, rien de nouveau dans les théâtres de musique. Les concerts,
à Bruxelles, ont été peu nombreux; nous n'avons eu guère que le troi-
sième concert de l'Association des artistes musiciens, où Mlle Elly
Warnots a chanté avec un style et une virtuosité tout à fait remarquables,
à côté de M. Bouvet, très applaudi aussi, et de M110 Hoffmann, une jeune
pianiste, prodige vraiment extraordinaire, élève de M. Auguste Dupont.
La province, cette semaine encore, s'est particulièrement distinguée,
A Liège, au Conservatoire, très belle exécution complète de la Damnation
de Faust, avec MM. Bouhy et Vergnet, et M1Ie Lépine. — A Gand, au
Conservatoire aussi, je suis allé entendre la 6e symphonie de M. Adolphe
Samuel, une œuvre absolument étonnante et superbe, avec des idées
jeunes, une vigueur et un éclat merveilleux.
Lucien Solvay.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Une singulière nouvelle nous arrive de Hollande, où l'on annonce
que l'évêque de Harlem vient d'interdire l'exécution de ta Damnation de
Faust, de Berlioz. La juridiction ecclésiastique n'ayant jusqu'ici, que nous
sachions, aucun pouvoir en matière d'art, nous supposons que l'évêque a
dû se contenter simplement d'interdire l'exécution de ce chef-d'œuvre
dans la cathédrale ou dans toute autre église de la ville, ainsi que cela
se fait d'ordinaire en Hollande, où ont lieu couramment dans les temples
les grands concerts d'oratorios. La détermination du prélat n'en paraît pas
moins quelque peu bizarre. Quoi qu'il en soit, si les admirateurs de Ber-
lioz ne peuvent entendre son œuvre à Harlem, ils pourront, à l'aide de
vingt minutes de chemin de fer, aller l'applaudir à Amsterdam, où elle
sera exécutée sous la direction de l'excellent chef d'orchestre Henri Viotta.
— Le compositeur Frédéric Gernsheim, bien connu à Paris, et chef
d'orchestre de l'Opéra allemand de Rotterdam, vient d'être élu directeur
des chœurs du Conservatoire Stern à Berlin. Il a réuni 111 voix sur 147
votants. Cette direction fut confiée, il y a quelques années, au célèbre
chanteur Stockhausen, aujourd'hui professeur à Francfort.
— La « Maison de Beethoven » à Bonn sera inaugurée l'été prochain
par deux glands concerts auxquels ont promis de prendre part, entre
autres, Antoine Rubinstein, J. Brahms, Eugène d'Albert et Joachim. On
annonce, d'autre part, qu'à Londres a eu lieu récemment à l'Athénée
allemand, sous la présidence de sir George Grove, une séance dans le but
d'instituer une section anglaise de la « Société de la maison de Beethoven »
de Bonn. On y a décidé de donner à Londres au cours de la saison pro-
chaine, sous la direction de Joachim, un concert dont le produit serait
destiné à l'acquisition de la maison de Bonn où est né l'immortel auteur
de Fidelio et de la symphonie en ut mineur.
— Les Hamburger Signale viennent de publier une série de curieuses
lettres humoristiques absolument inédites adressées par Beethoven à ses
éditeurs Steiner et Haslinger, au cours des années 1811 et 1815.
102
LE MENESTREL
— M. Paul Simon, directeur de la maison d'édition musicale G. F.
Kahnt, à Leipzig, vient de découvrir par le plus grand des hasards, mêlées
et comme enfouies sous un tas de vieux papiers, toute une série de lettres
inédites de Liszt, Richard "Wagner, Peter Cornélius et autres musiciens
de ce temps. Rappelons à ce sujet que c'est M. Simon qui déjà a retrouvé
le manuscrit de l'article fameux de Richard "Wagner sur VArt de diriger.
— Les journaux d'Agram parlent beaucoup d'un incident qui interrompt
la tournée du célèbre chœur russe de Slavianski d'Agreneff, bien connu
à Paris depuis quelques années. La jeune Nadine, fille de M. Slavianski,
a été arrêtée au moment où elle prenait la fuite avec un jeune chanteur
de la troupe. Elle a été rendue à sa famille. Mais le chanteur est sous les
verrous à Agram, Cet emprisonnement a provoqué une révolte delà troupe
russe, composée d'une cinquantaine d'individus, qui se sont portés devant
la prison, réclamant à grands cris la mise en liberté de leur camarade.
Ils menacent M. Slavianski de le quitter, si celui-ci ne demande pas lui-
même la mise en liberté du coupable. La jeune Nadine a déclaré qu'elle
voulait, en s'enfuyant, échapper à la tyrannie de sa mère.
— Nous avons déjà dit que la Roumanie fournissait une part impor-
tante au personnel des chanteurs dramatiques contemporains. Aux noms
des artistes de ce pays que nous avons cités précédemment, un journal
italien ajoute ceux de MmeB Charlotte Leria et Charlotte Feliciani, sopranos
légers, Nori Crisenghi et Aman, sopranos dramatiques, et celui de M.Teo-
doresco, une basse dont on dit grand bien.
— De Saint-Pétersbourg on annonce que le général Annenkoff vient
de former une troupe de 70 chanteurs tirés du Turkestan, de l'Afganistan
septentrional et du kanat de Boukhara, qu'il enverra donner des concerts
à Saint-Pétersbourg, à Moscou, et dans diverses autres grandes capitales
de l'Europe. L'artiste chargé de diriger ces concerts s'appelle Ak-Jou-
chlai-Ogli, et le produit sera employé à la construction d'écoles et d'hôpi-
taux dans l'Asie centrale.
— Le public italien fait preuve parfois, envers les théâtres et les chan-
teurs, d'une sévérité ou d'une justice que nous souhaiterions voir imiter,
à l'occasion, par le public parisien. Voici ce qu'on écrit de Milan à
l'Italie : « Nous avons eu hier, à la Scala, une soirée orageuse comme on
ne se souvient pas d'en avoir eue. Pour faire prendre patience aux abon-
nés, désormais fatigués des répliques du Simon Boccanegra, jusqu'à la repré-
sentation à'Ernani, qui sera chanté par Mme Cattaneo, le ténor Cardinali
et M. Battistini, on a monté à la hâte i Pescalori di perle, de Bizet. Dès
les premiers morceaux, le public a commencé à siffler le ténor et le baryton,
en criant, assez ! assez ! Mmc Brambilla a réussi à calmer la tempête et à
se faire entendre et applaudir ; mais, au second acte, les désapprobations
contre le ténor ont recommencé avec plus de violence, et au commence-
ment du troisième acte on a dû baisser le rideau. »
— Un cas assez singulier vient de se produire à Trieste, dit le Trovatore,
celui de la réunion, dans une même troupe et dans un même ouvrage, de
représentants des quatre grandes familles latines. « UOtello de Verdi, qu'on
donnait au Théâtre Communal de cette ville, était interprété par la Bor-
linetto, Italienne, la Mendioroz, Espagnole, par Maurel, Français, et par
Gabrielesco, Roumain. » Il ne manquait qu'un artiste portugais pour que
l'ensemble fût complet.
— On devait donner cette saison, au théâtre San-Carlos de Lisbonne,
un opéra nouveau, Fret Luiz de Souza, d'un compositeur portugais,
M. F. de Freitas Gazul. Des difficultés de distribution et une grande éco-
nomie apportée par la direction dans les projets de mise en scène ont
engagé le compositeur à retarder l'apparition de son œuvre. On ne sait
aujourd'hui quand elle sera représentée, et les journaux regrettent vive-
ment cet incident.
— La Gazeta musical de Lisbonne nous apprend qu'un chanteur qui s'est
fait une belle réputation en Italie depuis quelques années, la basse Uetam,
s'appelle en réalité Francisco Mateu, et est né le 12 mars 1849 à Palma
de Majorque. Le pseudonyme de Uetam, qu'il a adopté, forme l'anagramme
de son nom véritable.
— L'ouverture de la prochaine saison d'opéra italien au théâtre Covent-
Garden, de Londres, aura lieu le 19 mai, au lieu du 12, date annoncée
précédemment. Parmi les artistes engagés on cite Mnll:s Tetrazzini, Renée
Richard et Colombati, MM. Jean de Reszké, Valero, Lassalle, Rawner,
Edouard de Reszké et Darval. Les chefs d'orchestre seront MM. Luigi
Mancinelli, Bevignani et Randegger. On donnera Hamlet d'Ambroise Thomas
en français.
— Le « Hamptead Conservatoire » de Londres a invité les principaux
organistes de l'Europe à venir donner des organ-récitals dans sa belle
salle. Celui donné par M. Ch. M. "Widor, avec le concours de M. I. Phi-
lipp, a été extrêmement brillant. L'éminent maître y a fait entendre ses
cinquième et septième symphonies et (avec M. Philipp) ses duos pour
orgue et piano, et l'andante si fin et charmant de son concerto. Le succès
des deux artistes a été très grand. Quelques jours auparavant M. "Widor
avait été prié de se faire entendre à la « Royal Academy », et il a joué
devant un public enthousiaste composé des directeurs, des professeurs et
des élèves de cette institution, des œuvres de Bach et deux de ses sym-
phonies. A propos des symphonies de M. "Widor, nous apprenons que
M. "Warren, le plus célèbre des organistes américains vient de consacrer
huit séances à l'audition des huit symphonies d'orgue du maître français.
— Une nouvelle et splendide salle de concerts, due à la libéralité d'un
mécène américain, M. J.-D. Crimmins, vient d'être inaugurée à New-
York, sous le nom de Lenox Lyceum. Indépendamment de la salle princi-
pale qui a la forme d'une vaste rotonde et peut contenir plus de cinq
mille personnes, le Lenox Lyceum, renferme plusieurs salons pour des
concerts intimes et autres réunions, ainsi qu'un café-restaurant. Les
concerts symphoniques ont lieu sous la direction de M. Théodore Thomas
qui, le premier, a conçu l'idée de cette nouvelle salle et a été l'inspirateur
de M. Crimmins dans son acte de générosité artistique.
— L'opéra allemand de New-York a ouvert un "Wagner-cyclus avec une
représentation de Rienzi qui a été un vrai désastre. Ni -les interprètes, ni
les choristes, ni l'orchestre dont le chef s'est presque endormi pendant la
première moitié de l'ouverture, dit le Musical Courier, personne enfin ne
trouve grâce auprès des feuilles musicales même les plus dévouées au
wagnérisme. Cela promet pour les représentations qui continueront la
série !
PARIS ET DÉPARTEMENTS
On s'est beaucoup occupé, cette semaine, de la disparition de M. Saint-
Saëns, dont les meilleurs amis sont restés sans nouvelles depuis plusieurs-
mois. — Qu'est-il devenu ? Personne ne le sait au juste. Et les journaux
mettent leurs plus fins reporters en campagne pour trouver sa trace. Nous-
croyons, pour nous, qu'il est temps que Stanley, le grand explorateur,
organise une caravane et sonde les déserts si on veut arriver à un résul-
tat pratique. Voici déjà un indice qui pourra l'aider dans ses recherches :
« Une note communiquée par un des amis de M. Saint-Saëns, dit le Figaro,
annonce que l'auteur d'Ascanio aurait été rencontré à Ponte Delgada, île
San Miguel, dans les Açores. Saint-Saëns allait à Terceira et de là à
Santa-Maria, îlot du même groupe. Mais nous ne pouvons contrôler ces
nouvelles puisque les îles Açores ne sont pas reliées à l'Europe par fil
télégraphique. Un détail nous est donné de source indiscutable qui jette
un jour nouveau sur cette disparition. Avant de s'embarquer, au mois
d'octobre dernier, M. Saint-Saëns a donné à la ville de Dieppe, sa ville
natale, son mobilier artistique et les objets auxquels il attachait le plus
de prix. Ce mobilier a été légué par lui à la bibliothèque de Dieppe et la
bibliothèque en a déjà pris possession. » — D'autre part, l'Echo de Paris
s'exprime ainsi sur le même sujet : « M. Saint Saëns est retrouvé.
D'après une lettre reçue hier par un de ses amis, le compositeur d'Ascanio
est à Madère, où il continue à se reposer de ses fatigues. Beaucoup de
bruit pour rien. »
— Nouvelles de l'Opéra : Hier samedi, Mmo Melba a dû y chanter pour
la première fois le rôle de Marguerite dans Faust ; soirée d'attraction. —
MUe Domenech, le nouveau contralto engagé par MM. Ritt et Gailhard,
débutera cette semaine dans le rôle d'Amneris d'A'ida. — Les études de
Zaïre sont reprises avec M. Delmas et Mlle Eames, remplaçant dans cet
ouvrage M. Lassalle et Mme Bosmann, retenus par les représentations
d'Ascanio. — On s'occupera ensuite du nouveau ballet de M.Gastinel, le Rêve
(ex-Daïla), sur un livret japonais de M. Edouard Blau. — M. Gailhard
part pour Bruxelles afin d'y étudier de ses propres yeux, de ses yeux
spéciaux, la mise en scène de Salammbô, qu'il projette, contraint et forcé,
de représenter à Paris. A l'époque du budget, les directeurs de l'Opéra
deviennent doux comme de petits agneaux et font tout ce que veulent ces
messieurs de la presse. Us se sentent menacés et se hâtent de mettre de
côté toute morgue méridionale, pour conserver leur place. Il est bien
possible que cette attitude résignée leur réussisse.
— On sait que le directeur de l'Opéra est tenu, aux termes de son cahier
des charges, de donner tous les deux ans, un opéra ou un ballet en un ou
deux actes, dont la partition doit être écrite par un des grands prix de
composition musicale choisi par le ministre de l'instruction publique et
des beaux-arts, sur une liste de cinq noms qui lui est présentée par
l'Académie des beaux-arts. L'Académie des beaux-arts, invitée- par le
ministre à lui présenter une liste de cinq candidats pour l'ouvrage en
deux actes qui doit être représenté en 1891, a dressé dans sa séance du
22 mars, la liste suivante : 1° M. Bourgault-Ducoudray; 2° M.Ch.Lefebvre;
3° M. Maréchal ; A" M. Vidal ; S0 M. "Wormser.
— Nouvelle de l'Opéra-Comique : réception par M. Paravey d'un acte
nouveau intitulé Jour de fête, livret tiré de Florian par M. Stéphane Bor-
dère, musique de M. Ed. Diet ; continuation des études simultanées du
Dante de M. Benjamin Godard, et de la Basoche de M. Messager ; rentrée
prochaine dans Dimitri de Mm0 Deschamp et du baryton Soulacroix, de
retour de leurs petites pérégrinations dans les provinces françaises.
— M. Edouard Colonne est parti cette semaine pour Moscou, où il va
diriger un grand concert de musique symphonique. Il ne sera de retour
qu'après Pâques. En son absence le concert spirituel du Vendredi Saint
au Châtelet, exclusivement composé d'œuvres de M. Charles Gounod, sera
dirigé par le compositeur lui-même.
— M"°ClotildeKleeberg, de retour d'une tournée triomphale à l'étranger,
s'est fait entendre dimanche dernier à la Société philharmonique de
Reims, où elle a été l'objet de plusieurs ovations après le concerto de
Schumann et la Chaconne de M. Th. Dubois. La brillante étude des Ailes, que
lui a dédiée M. B.Godard, a été bissée par un public enthousiaste.
LE MENESTREL
103
— M. Alexandre Guilmant est en ce moment à Londres, où il a été
appelé à faire partie du jury des examens du Royal Collège de musique,
institué sous le patronage du prince de Galles. M. Guilmant donnera ensuite
en Angleterre une série de récitals d'orgue.
— Nous parlerons dimanche prochain plus amplement du dernier pro-
gramme des concerts du Conservatoire, programme qui se répète encore
aujourd'hui. Disons dès aujourd'hui cependant le grand succès qui a
accueilli les fragments de la Psyché, d'Amhroise Thomas, chantés par
M1™ Krauss, Mllc Landi et M. Delmas. Belle musique française superbement
interprétée.
— Concerts du Chatelet. — Si M. Lamoureux a beaucoup fait pour
acclimater en France les œuvres d'un compositeur allemand, ennemi
acharné de la France, M. Colonne n'a pas fait moins pour mettre en lu-
mière un compositeur français qui est une de nos gloires, Hector Berlioz.
Le moment serait peut-être venu de mettre en parallèle deux novateurs
dont la fortune a été bien différente : l'un a assisté, dans son pays, à sa
propre apothéose; l'autre, dans le sien, a été méconnu de son vivant.
Nous écoutions samedi, avec ravissement, cette belle partition de Roméo
et Juliette. Certes, le plan est défectueux, il y a, par-ci par-là des taches.
Pourquoi Berlioz n'a-t-il pas remplacé par un récitatif vocal cette malen-
contreuse intervention du prince qui se traduit, dans l'introduction, par un
effet, tout à fait manqué, d'instruments de cuivre? Pourquoi le motif
d'une Fête chez Capulet a-t-il un caractère si commun? Mais que sont ces
taches légères auprès de l'immense poésie et de l'élévation de pensée qui
régnent d'un bout à l'autre de cette œuvre incomparable? — Dans la
plan qu'il s'est tracé, Berlioz a fait pour Roméo ce qu'il avait fait pour
Faust : il s'est mis en présence du drame de Shakespeare comme il s'était
mis en présence du drame de Gœthe, et, sans autre règle que le caprice
de sa pensée, il a traduit les impressions que produisait en lui le chef-
d'œuvre du poète. Dans le drame de Gœthe, il y a plus de variété que
dans celui de Shakespeare. Faust est une sorte de cosmos où se concrètent
tous les éléments humains et surhumains, aussi le Faust de Berlioz a-t-il,
par la diversité des situations et des sentiments qu'il dépeint, plus d'ac-
tion sur les masses que Roméo, qui a pour ressort, presque unique, la
pitié. Seuls, les deux ravissants épisodes du scherzetto et du scherzo de
la Reine Mab jettent quelque lueur moins sombre sur la trame sévère de
l'œuvre. Nous n'entrerons pas dans le détail de ce drame lyrique qui a
été si bien analysé par notre excellent confrère, M. Boutarel. Disons seu-
lement, avec lui, combien Mlle de Montalant, dans les strophes, M. Mau-
guière, dans le scherzetto, et M. Auguez dans le finale monumental de la
seconde partie, se sont imprégnés de la pensée du musicien, et avec quel
art ils rendent cette pensée. — Comme dans Faust, Berlioz, dans Roméo et
Juliette, s'est trouvé en présence du même sujet qu'un autre grand compo-
siteur français, Gounod.il y aurait là matière à un parallèle bien curieux
à établir. Chacun a senti son sujet avec son tempérament particulier
d'homme et d'artiste. Gounod raconte Gounod dans Faust et Roméo, comme
Berlioz, dans Roméo et Faust, raconte Berlioz. Tous deux sont sincères,
et c'est là ce qui fait le charme infini de leurs œuvres. Combien, dans
ce qu'ils écrivent, posent devant le public et ne racontent autre chose
que leur incommensurable vanité! H. Bariiedette.
— Société nationale. — Le dernier concert tombait le même soir que
la première d'Ascanio, une première au Théâtre-Libre, une reprise à
l'Odéon, et diverses autres fêtes de l'esprit. Cela était regrettable, privant
évidemment plusieurs personnes d'assister à un concert qui a été fort beau,
mais n'a pas empêché la salle Érard, où se donnait cette séance avec chœurs
et petit orchestre, d'être absolument remplie. L'on a entendu d'abord une
cantate de Bach connue sous le nom d'Actus tragicus : un hymne à la mort
d'une puissance et d'une intensité d'expression au delà desquelles le
maître d'Eisenach n'a pas été. Comme dans VUthal de Méhul, les seuls
instruments à cordes sont les altos et les basses, sans violons, mais les
parties supérieures sont suffisamment marquées par quatre flûtes qui don-
nent à l'ensemble de la sonorité quelque chose de doux et triste, un peu
terne, merveilleusement approprié à la nature du sujet. Les chœurs, diri-
gés par M. Vincent d'Indy, ont dignement interprété cette œuvre admirable,
avec une grande sûreté, de jolies voix (surtout dans les parties féminines)
et un sentiment artistique parfait; ils ont chanté de même le Chant clé-
giaque de Beethoven (op. 118), composé sur la mort d'une jeune fille, et
un morceau religieux d'un joli sentiment mystique, de M. Pierre de Bré-
ville. Les soli étaient chantés par Mme Hellmann, la remarquable Yseult
de la représentation wagnérienne dont nous rendions compte récemment,
Mm0 Storm, MM. Mauguière et Auguez. M"le Hellmann a dit encore l'air de
l'Archange de Rédemption, de M. César Franck, et, avec les chœurs et l'or-
chestre, les deux premières scènes de Gwendoline, de M. Chabrier, deux
pages exubérantes et colorées, dans des tons d'ailleurs très différents :
la première d'une poésie extérieure charmante, d'un éclat très vif, la se-
conde énergique et sauvage, toutes deux pleines de jvie, comme l'est
l'œuvre tout entière qui, partie de l'étranger, passera par la' province et
nous reviendra triomphante, comme les autres, — et cela le plus vite
possible, il fautl'espérer. Julien Tiersot.
— Deux représentations de Lakmé, à Lille, ont valu à M110 Ernma Ne-
vada un grand et légitime succès, ainsi qu'à l'œuvre charmante de Léo
Delibes. La critique loue le grand talent de l'artiste, ainsi que son jeu
très fin, très gracieux et très intelligent. A l'exception des strophes du
premier acte, tout le rôle a été chanté en italien par la cantatrice, à qui
l'on a fait fête.
— Le lundi de Pâques, à l'église Saint-Eustache, on exécutera de nou-
veau la belle Messe des Rameaux de Félix Godefroid, avec le concours
d'Hermann Léon. Pendant l'offertoire première audition d'un Exaudi nos
du même auteur, pour dix violoncelles et dix harpes.
Soirées et Concerts. — A la salle Érard, grand succès pour M"° Kara Chatte
leyn. Elle a joué notamment le concerto en ré mineur de Mozart, le Retour de
Bîzet et le Chant du nautonier de L. Diémer. M. Bouhy, ,1e célèbre baryton, a été
vivement applaudi dans le bel air de Françoise de Rimini et dans une délicieuse
mélodie de L. Diémer, accompagnée par l'auteur. L'orchestre était dirigé par
M. Ed. Colonne. — Au dernier mardi de M. et M"' Louis Diémer, on a entendu
et applaudi chaleureusement M"" Lalo, Leroux-Ribeyre, M"0 Pregi, MM. Taffanel,
Casella et le maître de la maison. Très gros succès pour la charmante M"" Le-
roux-Ribeyre dans une mélodie nouvelle de M. Louis Diémer, le Sentier ; pour
M. Casella, qui a fait preuve d'une virtuosité extraordinaire ; pour M. Taffanel
qui a joué en perfection selon son habitude et pour M. Diémer lui-même, qui a
été acclamé comme virtuose et comme compositeur. — Lundi, 24 mars, brillante
audition, salle Érard, donnée par les élèves de M"" Emile Ratisbonne, qui se
sont tait particulièrement applaudir par le brio de leur mécanisme joint à une
grande pureté de style. Le 10 avril, Mm° Ratisbonne se fera entendre dans diffé-
rentes œuvres de Schumann, Chopin, Litolff, avec le concours d'artistes distin-
gués, Mm° Gramaccini, MM. Laforge, Mariotti, F. Halphen, etc. — Au concert
de l'organiste Ed. Hocmelle, on a remarque une charmante cantatrice,
M»' Duval-Érard, applaudie dans une scène de M. Ed. Hocmelle ; le brillant pianiste
Risler, premier prix de cette année, a obtenu le plus grand succès à côté du
violoniste Berquet et du bénéficiaire lui-même, qui a- joué en perfection l'orgue
Alexandre. — A Nice, très intéressant concert donné par M"" Perny, une pia-
niste très distinguée, qu'on entend toujours avec un nouveau plaisir. Une chan-
teuse de talent, M"" Tarquini, lui prêtait son concours et a eu sa part de
succès. — Remarquable audition d'élèves donnée par l'excellent professeur de
piano, Philippe Courras, un des brillants premiers prix de Marmontel. Au pro-
gramme, MM. Guiraud Antonin Mamiontel et Paul Véronge de la Nux. Parmi les
élèves, dont quelques-unes sont déjà des artistes, on a remarqué M1Ui Moreau,
Sichel, Feuillebois, Krehmer, Sarrut, Bischoff et une fillette de douze ans, Marthe
Rennesson. Prêtaient leur concours : M'" Dumenil, de l'Opéra, qui a admirable-
ment chanté des mélodies de MM. Guiraud et Antonin Marmontel, et M. Gaston
Courras, un jeune élève de M. Rabaud. qui a joué avec un joli son et un très bon
style deux pièces de Guiraud et Rabaud. — La soirée de piano, donné mardi 25,
salle Érard, par M"" Jenny Maria, a été des plus brillantes. Les quinze numéros
du programme ont montré; toutes les qualités remarquables de cette artiste^
Elle a excellé dans le Beethoven, comme dans le Mozart, dans le Schubert
comme dans le Chopin et le Liszt. Mlle Jenny Maria a été comblée de bravos et
écrasée sous les fleurs! Espérons qu'elle ne s'en porte pas plus mal. — Ma,e Chéné,
professeur au Conservatoire, a donné jeudi dernier une intéressante audition
des œuvres de M. A. Rabuteau. On a vivement applaudi divers morceaux sympho-
niques et plusieurs airs ou duos tirés des opéras d'Isabelle et du Vendéen, dont
les livrets sont dus à la plume de M. Ed. Guinand. — Brillante réunion,
dimanche dernier, salle Kriegelstein, à la matinée donné par M. Lucien Lefort,
violoniste. La première partie, entièrement consacrée aux élèves, a fait valoir
l'excellente méthode du jeune et sympathique professeur. On a vivement
applaudi M"01 Marie Karren et Jeanne Mare, MM. Menjot, de Dammartin,
Jlauduit, Haas, Deguergue, Piquée, Chapuis et André Simon. La partie de con-
cert, très bien composée, n'a été qu'un long succès pour les artistes : Mmca Se-
guin-Loyer, M"" Blanche Dufrêne, Lucy Blind, Gabrielle Chapuis, MM. Eve_
rard, Karren, Salomon, Launay, comique de salon, et M"" Bleickard, qui a tenu
avec talent le piano d'accompagnement.
Concerts annoncés. — Après-demain, mardi soir, à la salle Érard, neuvième
concert annuel, au profit de l'Association des artistes musiciens, donné par
M™° Marchesi, l'ëminent professeur, avec le concours de M"" Krauss, de
M""' Risley et Komaromi et de MM. Diémer, Taffanel et Casella. — Mardi pro-
chain, M. Eugène Gigout fera entendre chez lui, dans sa salle de musique ornée
d'un bel orgue de Cavaillé-Coll, les élèves de son cours d'orgue. Le programme
comprend des œuvres de J.-S. Bach, Hœndel, Mendelssohn, Lemmens, Saint-
Saëns, Gigout et Boellmann, M™» Gramaccini-Soubre, MM. Warmbrodt et
A. Lefort prêtent leur concours à cette très intéressante audition. — Lundi,
31 mars, troisième concert de musique moderne donné par M. Rondeau, avec le
concours de M"'" Mélodia, Lavigne, Maréchal et de MM. Depère, Juillard, Hirsch,
Braud et Pierret. On entendra des œuvres nouvelles de MM. Théodore Dubois,
Georges Pfeiffer, Georges Marty, Albert Cahen, etc., diiigés par les auteurs.
— Les examens d'admission au Conservatoire sont de véritables concours
qu'on ne doit affronter avec quelque chance de succès qu'après de solides
études. Mmc Schaller a songé à fonder comme une succursale de notre
grand établissement national, où les élèves trouvent sous la direction des
mêmes professeurs la préparation indispensable à ces examens et où ils
rencontrent, une fois admis au Conservatoire, les répétitions nécessaires
au complément de leur éducation artistique. Mme Schaller est arrivée à
grouper pour le chant, l'opéra, l'opéra-comique, la déclamation, le piano,
le violon, le solfège, l'harmonie, la danse, le maintien, etc., des profes-
seurs du Conservatoire tels que MM. Crosti, Warot, Barbot, Melchissédec,
Maubant, Laroche, Dupont-Vernon, Marck, de Bériot, Decombes, Riéra,
Bérou, Rougnon, Chevalier, l'Adam, etc., et grâce au dévouement de tous
ces mailres de l'art, elle est parvenue à offrir cet enseignement exception-
nel à des prix variant de 8 à 30 francs par mois. Le cours de Mmo Schaller
est situé 5, rue Geoffroy-Marie.
Henri Heugel. directeur-géiant.
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MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
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Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 l'r.; Texte et Musique de Piano, ^0 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 l'r., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les trais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (57° article), Albert Soubies et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale: Concert spirituel à l'Opêra-Comique, Julien
Tiersot; première représentation de la Clé du Paradis, à la Renaissance, Paul-
Émile Chevalier. — III. Du lcitoiotive : de son usage; de son abus (2° et der-
nier article), A. Darston. — IV. Nouvelles diverses et concerts.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour
ASSISE UN SOIR DANS LA FOUGÈRE
vieille romance extraite de l'opérette le Fétiche, musique de Victor Roger
paroles de Paul Ferrier et Charles Clairville,
Elle a mis sa toilette claire,
poésie de Lucien Dhuguet.
Suivra immédiatement:
3 des Rondels de Mai, de M. B. Colomer,
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano V Enlr' acte-Ballet, de la Vocation de Marias, la nouvelle opérette
des Nouveautés, musique de Raoul Pugxo. — Suivra immédiatement:
Capitaine -polka, sur les motifs de l'opérette le Fétiche, par Philippe
Fahrdach.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Albert SOUBIES et Charles MALHERBE
CHAPITRE XIV
MEÏERBEER A L'OPÉRA-COMIQUE
LE PARDON DE PLOERMEL
(1856-1839)
(Suite.)
Enjoueur habile, Perrin préféra passer la main et laisser
le souvenir d'une gestion brillante et fructueuse, puisque
pendant les neuf ans qu'elle avait duré, de mai 1848 à no-
vembre 1857, les receltes avaient atteint, en chiffres ronds,
plus de onze millions. On sait d'ailleurs quelle intelligence
il apportait aux moindres détails de son administration. Sans
doute il ne parvenait pas à réaliser tous ses projets. On cite-
rait, par exemple, quelques ouvrages annoncés par lui et
ajournés, comme Lady Melvil, de Grisar, joué en 1838 à la
Renaissance, et répété vainement en 1856 sous le titre de
le Joaillier de Saint-James ; comme les Deux Avares, qu'il préten-
dait faire remanier par Eugène Gautier pour servir aux
débuts de Berthelier; comme, pensée plus extraordinaire, les
mdes gâtantes de Rameau, dont il avait confié le rajeunissement
à Michel Carré pour le poème et à Gounod pour la musique,
voyant là prétexte à beaux décors et riche mise en scène;
comme enfin cette Josépha ou le Dernier Bal, dont parle ainsi
M. Arthur Pougin dans son livre si intéressant sur la vie et la
carrière d'Adolphe Adam. « Le Dernier Bal avait été reçu à
l'Opéra-Comique peu de temps avant, la mort de son auteur,
et, si j'ai bonne mémoire, avait donné lieu à un procès dont
je ne me rappelle ni la cause ni les détails. » Complétons
cette lacune. La pièce avait été non seulement reçue, mais
répétée en 1854; un beau jour de juillet, les répétitions ces-
sèrent, et il n'en fut plus question qu'en 1857, lorsque
Mme Adam, devenue veuve, demanda aux tribunaux une solu-
tion à cette affaire. Perrin fat condamné à représenter/os^/ia
dans les six mois ou à payer une indemnité de 6,000 francs
à chacun des auteurs, Scribe et Adam. Ce jugement fut ré-
formé en appel, et un arrêt de 1858 réduisit l'indemnité au
chiffre de 750 francs par tête. C'était pour rien, et la pièce
fut d'autant moins exécutée que l'auteur lui-même n'était
plus là pour défendre ses droits. Nul directeur n'y a songé
depuis. On néglige tant les vivants, qu'à plus forte raison on
oublie les morts ! Et cependant M. Perrin ne pouvait être
compté parmi ces négligents. Il avait surtout le mérite de
monter avec le plus grand soin les ouvrages, même insigni-
fiants; comme on l'a écrit, «il avait le respect des choses de
l'intelligence et, l'opéra une fois reçu, il ne se reconnaissait
plus le droit de le sacrifier et d'enlever ainsi à l'auteur une
chance de succès. »
Son successeur ne possédait ni les mêmes scrupules ni la
même habileté. Il avait administré l'Opéra de 1847 à 1854,
laissant d'ailleurs un passif de 900,000 francs que la liste
civile s'était chargée de solder; c'était un fâcheux précédent.
Mais il était bien en cour; il avait d'ailleurs beaucoup d'esprit,
et, en dépit de son scepticisme de commande et de son dédain
affecté pour certaines œuvres, il était loin d'être dépourvu
de sens artistique.
Tout d'abord, il fallait combler les vides qui s'étaient pro-
duits en 1857. Mue Rey avait accepté un engagement au
Théâtre-Lyrique ; Battaille s'éloignait, lui qui appartenait
depuis 1848 à l'Opéra-Comique, où il ne devait plus rentrer
que momentanément en 1861, et où il avait marqué sa place
par des rôles joués et même créés, savoir: Jacques Sincère
du Val d'Andore (1848), Don Belflor du Toréador (1849), Atal-
muck de la Fée aux Iioses (1849), Falstaff du Songe d'une nuit
d'été (1850), Mathéus Claës du Carillonneur de Bruges (1852), le
Père Gaillard (1852), Marco Spada (1852), Peters de l'Étoile du
Nord (1854), le Commandeur de la Cour de Célimène (1855), Gédéon
du Uousard de Berchiny (1855), Gilbert de Valentine d'Aubigmj (1856),
Mercure de Psyché (1857) : douze créations importantes en neuf
années! Enfin M"18 Ugalde, la volage et capricieuse Mme Ugalde,
se retirait aussi, paraissant pour la dernière fois le 23 février
1858 dans une représentation à son bénéfice où elle chanta
106
LE MÉNESTREL
des fragments de Galalhée et le deuxième acte du Caid. Elle
avait accepté un engagement au Théâtre-Lyrique et n'allait pas
craindre, quelques mois plus tard, de s'essayer sur la scène
même de l'Opéra dans le rôle d'Éléonore du Trouvère, le
28 août, lors d'une représentation au bénéfice de* Roger,
tant l'audace chez elle égalait le talent! Ces départs devaient
être suivis la même année de ceux d'autres artistes, Mlles Lhé-
ritier et Dupuy, MM. Barbot et Nicolas, ce dernier envoyé à
la Scala de Milan et décidé désormais à suivre la carrière
italienne.
Pour remplacer ces artistes on vit tour à tour : M. Hilaire
dans Lorédan d'Haydée (29 juin) et M. Ganet dans Daniel du
Chalet (8 août), deux ténorinos fort inexpérimentés encore ;
M. Barré dans Germain du Valet de chambre (14aoùt),un jeune
baryton qui débuta sans tambour ni trompette, et n'eut pas
même l'honneur d'une mention dans la presse musicale, lui
qui devait un jour tenir dans ce même théâtre les premiers
rôles; Mue Pannetrat dans Béatrix des Monténégrins (14 août),
agréable chanteuse et transfuge du Théâtre-Lyrique; Mlle Ver-
non dans Betty du Chalet (10 octobre) et le même soir M.Warot,
dans Sergis des Monténégrins, un ténor qui s'était senti la voca-
tion et qui, sans passer par une école, avait brusquement
quitté les bureaux et les livres de caisse pour le théâtre, ce
qui lui réussit; Mue Prost dans Stellina du Chercheur d'esprit
(21 octobre), une élève de Massé et de Moreau-Sainti qui, au
Conservatoire, venait d'obtenir simplement un 3e accessit de
chant et un 2e accessit d'opé^a-comique; M. Davoust, dans
Girot du Pré aux Clercs (22 octobre), un baryton qui se con-
fina vite dans les rôles d'utilités et dont les services à l'Opéra-
Comique ont été aussi longs que dévoués; M. Carré dans
Lorédan d'Haydée, un ténor léger qui arrivait d'Algérie après
avoir passé par le Théâtre-Lyrique. Il n'y avait pas d'étoile en
perspective; tous ces nouveaux venus, sauf Warot et Barré
ont brillé d'un assez faible éclat ; la récolte de l'année de-
meurait donc des plus modestes.
Comme les débuts, les reprises furent nombreuses et le
plus souvent médiocres, sauf la première, celle de Fra Diavolo ,
négligé depuis 1852, remis à la scène le 4 janvier et gratifié
de 52 représentations en cette seule année 1858; les inter-
prètes se nommaient Barbot (Fra Diavolo), Ponchard (Lorenzo),
Sainte-Foy (Mylord), Beckers (Beppo), Berthelier (Giacomo),
Nathan (l'hôtelier), Mlles Lefebvre (Zerline), Lemercier (Paméla).
Un journal reprocha à Sainte-Foy, d'ailleurs parfait dans
son rôle, d'avoir péché par modestie en s'abstenant de chan- '
ter l'air bouffe ajouté à Londres par Ronconi. On sait ce qu'il
faut penser de ces hors-d'œuvre imposés par le caprice d'un
interprète, arrachés à la faiblesse du compositeur et le plus
souvent manques. En revanche, on avait intercalé au pre-
mier acte un trio, tiré des Chaperons blancs. Cette addition
compensait la soustraction!
Et puis, les reprises se succèdent avec une continuité re-
marquable: la Fiancée (10 février), le Muletier (7 mai), le Valet
de chambre (2 juillet), les Méprises par ressemblance (29 juillet),
les Monténégrins (14 août), la Part du Diable (4 septembre). Parmi
ces ouvrages, deux, celui de Carafa et celui de Grétry, n'avaient
jamais été donnés à la salle Favart; aucun, sauf le dernier,
n'y devait plus jamais reparaître.
La Fiancée, oubliée depuis 1849, avait pour interprètes
Jourdan (Fritz), Riquier-Delaunay (Frédéric), Crosti (Saldorf),
M"es Boulart (Henriette), Révilly (Charlotte), dont les talents réu-
nis ne parvinrent pas à faire revivre l'œuvre plus de 17 soirées.
Ln souvenir se rattache à cette reprise, à laquelle assistaient
l'Empereur et l'Impératrice : ce soir-là en effet, on inaugura
un escalier desservant leur loge et construit spécialement
pour leur usage. Trouver un escalier large et spacieux, pré-
cédé d'un grand salon d'attente et aboutissant à un vaste
palier avec devant, tout cela sans gêner les services et dans
un local aussi étroit que la salle Favart, c'était un tour de
force, mais la flatterie rend ingénieux. Roqueplan avait eu
cette idée, et l'architecte Charpentier l'avait réalisée.
Le Muletier, oublié, lui aussi, juste depuis la même époque
que la Fiancée, fut joué par Lemaire .(Rodrigue), Riquier-
Delaunay (Henriquez), Sainte-Foy (Flandrinos), le seul qui
restât de la reprise de 1849, Mlles Lefebvre (Inesia), Henrion
(Zerbine), et obtint à peu près le même résultat que la Fiancée,
21 représentations au lieu de 17.
Le Valet de chambre remontait au 16 septembre 1823. Le
poème de Scribe et Mélesville n'était en réalité qu'une deuxième
édition, à peine modifiée, d'un vaudeville des mêmes auteurs
joué au Vaudeville le 18 janvier 1821 sous le titre de Frontin
mari-garçon. La partition avait pour auteur Carafa, un musi-
cien de talent, en dépit de son rossinisme déclaré, en tout cas
un galant homme et si désintéressé qu'il finit par tomber
dans un état voisin de la détresse. Dans son histoire du
théâtre, Alphonse Royer a donc dit à tort que Carafa mourut
« sans avoir jamais pu faire remettre un seul de ses ouvrages
au répertoire. » De plus, on avait remonté en 1855 au Théâtre-
Lyrique son fameux Solitaire,
Qui voit tout,
Qui sait tout,
Entend tout,
Est partout.
Enfin même on faillit revoir Masaniello en 1860; les rôles
étaient déjà distribués à Jourdan, Barrielle et Mne Pannetrat,
lorsque le départ de Jourdan, et surtout le changement de
direction, mit sans doute à néant ces bonnes dispositions,
ce qui fut une cruelle désillusion pour le pauvre Carafa et
une perte regrettable pour le public ; car, même après la
Muette de Porlici, Masaniello se défend contre l'oubli et mérite
l'attention des curieux. Quant au Valet de chambre, il avait été
joué à l'origine par Huet (le comte), Darboville (Germain),
Mmes Prévost (la comtesse) et Boulanger (Denise) ; il le fut
cette fois par Ponchard, Stockhausen, Mu,s Dupuy et Lké-
ritier, et n'obtint que 29 représentations réparties en deux
années.
(A suivre.)
e2=«SïSSfc^j=s>-
SEMAINE THEATRALE
LE CONCERT SPIRITUEL DE L'OPÉRA-COIIIQUE
Ce n'est jamais sans quelque malin plaisir gue nous voyons des
noms tels que ceux de Bach, Hœndel, Haydn. Mozart, Pergolèse,
Hendelssohn, Weber, prendre place sur l'affiche de l'Opéra-Comique,
habituée à en porter d'autres évoquant l'idée d'un art assurément
plus aimable, mais moins relevé. Cela est un signe des temps et-,
sans doute, un bon signe : qui aurait pu prévoir, à l'époque de
l'histoire de l'Opéra-Comique dont nos confrères Soubies et Mal-
herbe nous racontent hebdoniaireinent les détails, qu'un jour vien-
drait où, sur la scène alors vouée aux imbroglios des Dames capi-
taines et du Mariage extravagant, l'on exécuterait des Requiem et des.
Stabat ? Dans le théâtre de Grétry, voilà que, non content de lais-
ser « la statue s'introduire dans l'orchestre », grave grief de l'au-
teur de l'Epreuve villageoise contre Mozart, mais qui ne scandalise
plus personne aujourd'hui, l'orchestre prend résolument la place de
la statue et s'élève, s'étageant par gradins, en masses imposantes,
au-dessus des voix qui, n'en déplaise encore à Grétry, semblent se
résigner décidément à servir de piédestal.
Donc, nous avons entendu cette semaine à l'Opéra-Comique un
concert spirituel à l'absolue sévérité duquel il faut rendre hom-
mage. Le programme ne comprenait que des œuvres consacrées des
grands maîtres classiques, œuvres que Pasdeloup faisait exécuter
régulièrement autrefois, mais que, depuis sa disparition, l'on n'a
presque plus jamais l'occasion d'eutendre ; et. bien que je sois
fort loin de trouver mauvais le mouvement en avant qui s'est pro-
duit depuis lors, je suis le premier à reconnaître qu'il est bon que
le public, que les musiciens eux-mêmes puissent se retremper par-
fois au contact de ces œuvres. L'Opéra-Comique ne peut donc
qu'être loué de l'avoir permis. D'ailleurs, il ne fait ainsi que repren-
dre et faire revivre la tradition du Concert spirituel, institution
déjà près de deux fois centenaire, trop peu connue dans ses pre-
mières manifestations et grâce à laquelle, pendant tout le XVIII1'
siècle, le public français put soupçonner que la musique existait eu
LE MENESTREL
107
dehors de l'Opéra et des bouffonneries des théâtres de la Foire, ce
dont il n'aurait pas eu sans cela le moindre concept. Aussi bien
n'avons-nous plus, aujourd'hui, de véritables concerts spirituels :
il suffit, pour s'en convaincre, de jeter les yeux sur les programmes
des grands concerts syrnphoniques de cetle semaine, ceux du Con-
servatoire, du Cirque et du Chàtelet ; même en ce dernier établisse-
ment, le mot « spirituel » a dû, depuis quelques années, être rayé
du litre du concert du « vendredi dit saint », nos remarquables
conseillers municipaux, émanations irrésistibles et suaves d'un
suffrage aussi incorruptible qu'universel, ayant frémi à l'idée que,
dans un immeuble appartenant à la Ville, il put être chanté une
musique susceptible d'évoquer les affreux souvenirs de l'obscuran-
tisme et de la superstition ! On a des principes. Si même le conseil
municipal savait que Mors et Vita de M. Gounod, dont on a exécuté
des fragments vendredi, est composé sur un texte liturgique latin,
ce pauvre M. Colonne n'aurait qu'à se bien tenir pour l'année pro-
chaine ! Heureusement qu'il ne le saura pas. — Mais, j'y songe :
l'Opéra-Comique actuel est, lui aussi, un immeuble municipal.
Ouvrez l'oeil, messieurs de l'Hôtel de Ville, et mettez bien vite or-
dre à ce scandale inqualifiable : un immeuble municipal, et de la
musique religieuse dedans !... Aussi, pour les punir, n'hésitez pas
à mettre à la porte directeur, chef d'orchestre, chanteurs et musi-
ciens, et à les inviter à aller se livrer, le plus vite possible, à
leurs manoeuvres réactionnaires sur la place Boieldieu.
Je m'écarte: j'ai le prélude toujours trop prolixe. Revenons donc
à nos violons. Ils ont brillamment exécuté, sous l'impulsion de la
baguette de M. Danbé, la chevaleresque ouverture i'Euryanthe, puis
discrètement accompagné aux voix de femmes, choeurs et soli, les
fragments du Stabal mater de Pergolèse. Cette œuvre musicale, tout
intéressante qu'elle soit, n'est pas la meilleure qu'aient inspirée les
strophes attribuées (d'ailleurs sans raisons suffisamment probantes)
à Fra Jacopone, et dont d'autres désignent le pape Innocent III
pour l'auteur. Fra Jacopone, moine italien du XIIIe siècle, a laissé,
en dehors de ses écrits satiriques, des poésies religieuses, les unes
en langue vulgaire, les autres en latin, composées sur des rythmes
populaires, et qu'on chantait dans les églises et les processions pour
distraire quelques instants les fidèles des austérités de la liturgie.
Mais le Stabat mater (les auteurs les plus récents et les mieux infor-
més l'ont démontré) ne figure pas parmi les œuvres authentiques de
Fra Jacopone, pas plus qu'une autre forme de la même prose, celle-
ci d'une grâce exquise, dont on retrouve l'idée, mais traitée diffé-
remment, dans les poésies du moine : c'est le Stabat de la Vierge,
non plus au pied de la croix, mais à la crèche, devant le berceau
•de l'enfant Jésus :
Stabat mater speciosa
Juxta fœnum gaudiosa,
Dum jacebat parvulus.
« La mère gracieuse se tenait auprès du foin, joyeuse, pendant
que le petit enfant était couché. »
La musique de Pergolèse, écrite pour des voix exclusivement
féminines, a, elle aussi, des grâces et du charme, mais sans relief
ni expression vraiment profonde. Nous sommes bien loin de la beauté
plastique et de la puissance incomparable du Stabat mater à double
chœur de Palestrina : celui de Pergolèse, tout aimable, est super-
ficiel et épidermique ; la douleur qu'il exprime parait être aisément
consolable : elle rappelle celle de ces Madeleines des tableaux re-
ligieux, îi l'air navré, demi-pâmées au pied de la croix, mais dont
la toilette savamment dérangée, la chevelure habilement éparse,
prouvent que leurs yeux pleins de larmes ont commencé par donner
un coup d'œil à ces détails. La gloire de Pergolèse, due à des cir-
constances historiques indépendantes de sa valeur personnelle, est
absolument exagérée. Il ne faut pas oublier que l'auteur de la
Serva padrona et de ce Stabat à l'eau sucrée est venu après les
géants Bach, Haendel et Rameau : à côté, non seulement de ces
maîtres, mais aussi de ses prédécesseurs italiens, Palestrina, Cavalli,
Carissimi, Scarlatti, il est ce que sont les Jules Romain, les Domi-
niquin, les Albane auprès de Michel-Ange et de Raphaël, c'est-à-
dire de second ordre.
Le concerto pour hautbois d'Haendel, avec ses formes mélodiques
précises, ses chants lents et purs, ses broderies d'un rococo si ca-
ractérisé, nous ramène aux souvenirs et impressions de l'ancien
Concert spirituel, où ces sortes de compositions instrumentales
étaient très goûtées. Il est vrai que les auditeurs du X\III° siècle
n'avaient rien qui pût leur donner l'idée d'une interprétation telle
que celle de M. Gillet, le prince du hautbois, comme M. Taffanel
est le roi de la ilûle.
Élie est évidemment une des meilleures œuvres de Mendelssohn.
L'andante de l'air de soprano : Écoute Israël, avec son prélude de
flûtes et de hautbois en tierces, faisait pressentir déjà ce style néo-
grec que MM. Gounod et Massenet ont inauguré plus tard ; l'air :
Ali.' c'en est fait, où la voix de baryton dialogue avec les violon-
celles eu un beau chant dans lequel on retrouve certaines inflexions
favorites de Mendelssohn, enfin le joli trio des Anges, sont des
morceaux très distingués et agréables, écrits avec une habileté
consommés. Si j'en juge par mes souvenirs de Pasdeloup, l'œuvre
entière n'est pas dénuée de quelque monotonie, mais la sélection
de l'Opéra-Comique n'a pas donné un seul instant cette impression.
Dussé-je être une fois de plus taxé d'indiscipline et d'irrespect, je
ne cacherai pas que je professe à l'égard du Requiem de Mozart une
opinion assez semblable à celle que j'exprimais tout à l'heure sur
le Stabat de Pergolèse, à savoir, sinon que cette œuvre célèbre est
de second ordre, du moins qu'elle n'occupe que le second rang dans
l'œuvre de l'auteur de Don Giovanni. En cela, je le sais, je suis en
désaccord à peu près avec tout le monde : d'une part avec les admi-
rateurs exclusifs de Mozart (et l'on sait s'il en est de fanatiques!),
aux yeux desquels, la musique religieuse occupant une place très
élevée dans la hiérarchie des genres, le Requiem se trouve tout na-
turellement, et sans autre examen, porté à cette place; d'autre part
avec les avancés, qui, considérant les formes polyphoniques employées
dans l'œuvre, y voient une concession faite à leurs tendances, et
approuvent. Il faut que je sois insuffisamment avancé, car ce point
de vue m'échappe. Mozart est sans rival, il est incomparable, il est
unique dans l'emploi des formes mélodiques : il est Mozart. Mais
dans le style polyphonique, Bach, Beethoven, Wagner, etc., le dé-
passent de cent coudées. Où était la nécessité qu'il se prêtât ainsi à
une comparaison peu à son avantage? Et quel est donc ce progrès
qui consiste à faire sortir un Mozart du domaine où il est maître
incontesté pour se mesurer avec ceux contre lesquels il ne saurait
lutter? En réalité, le Requiem de Mozart doit le plus clair de sa
réputation aux circonstances dans lesquelles il a été composé, à la
légende qui en a entouré l'éclosion, nous dirions volontiers, de nos
jours, à la réclame. Il est vrai que cette réclame a consisté, pour
Mozart, à mourir. Ses parties les plus belles sont les moins poly-
phoniques : c'est le Lacrymosa, chant de deuil admirable, dont Mozart,
mourant, n'a pu écrire que les premières mesures, mais dont il a
très certainement dicté toute la suite, car je tiens Sùssmayer pour
très incapable de l'avoir tirée de son propre fonds ; c'est le Confutatis,
avec ses entrées bien accentuées des ténors et des basses, auxquelles
répondent par deux fois les voix suppliantes des femmes ; puis le
Rex tremendœ, concis et énergique. Le Recordare, tout de facture, est
déjà d'une portée moindre. Quant au Tuba mirum, j'avoue qu'un
accord de .si bémol, arpégé d'une façon quelconque par un trom-
bone solo, me parait véritablement trop peu suggestif, qu'il n'évoque
aucunement l'idée des trompettes du dernier jugement, surtout
lorsqu'aussitôt après un basson vient nous chanter un doux cantabile,
replacé par Meyerbeer dans un morceau de Robert le Diable (le duo :
Mais Alice, qu'as-tu donc?), lequel cantabile, pas plus dans l'une que
dans l'autre œuvre, ne donne l'impression d'événements bien terribles.
Il n'est pas indispensable, tant s'en faut, que le musicien nous trace
par avance un tableau descriptif des horreurs du Jugement dernier;
mais, s'il en a pris le parti, il faut qu'il lui donne toute l'ampleur et
l'étendue nécessaires à un sujet aussi colossal. A cet égard, Berlioz
a ouvert une voie que plusieurs ont suivie depuis lui, mais dans
laquelle il n'a pas été dépassé.
L'audition de l'Opéra-Comique a eu ceci de particulièrement
intéressant qu'elle nous a permis d'entendre la dernière partie
du Requiem, que l'on n'exécute jamais. On sait que Mozart mou-
rut sans avoir pu achever son œuvre, et qu'elle fut terminée,
d'après ses indications, par le compositeur Sùssmayer, sou élève et
son ami, élève aussi (détail piquant et peu connu) de son ennemi
intime Salieri. La part de Sùssmayer dans la composilion du Re-
quiem est considérable : sauf le premier morceau, il a orchestré toute
l'œuvre, dont Mozart, dans la partie qu'il fit exécuter, n'avait laissé
que les parties vocales et la basse, avec quelques indications som-
maires pour l'instrumentation ; il a terminé le Lacrymosa, dont huit
mesures seulement (sur trente) sont de la main du maitre, et com-
posé le Sanclus, le Benediclus et YAgnus Dei avec le Libéra (cette der-
nière partie reproduit purement et simplement le développement
fugué du Kyrie eleison). Quels sont les éléments que Mozart, dans ses
dernières confidences, lui a fournis pour ces morceaux? C'est ce que
l'on ne saura jamais. Toujours est-il que ces dernières pages, si elles
manquent en général de relief et d'originalité, sont parfaitement
écrites, d'une main sûre et très habile, et de façon à faire illusion :
inférieures, sans doute, au Lacrymosa et au Confutatis, elles sont cor-
108
LE MENESTREL
lainenient aussi bonnes que les deux morceaux de l'Offertoire, qui,
bien que du maître, ne sont pas de bon Mozart.
Après le Requiem, le programme annonçait le Magnificat de J.-S. Bach.
Si les lauriers de certains critiques grincheux m'empêchaient de
dormir, je n'aurais pas manqué de signaler déjà plus d'une faute
de rédaction émaillant le programme. J'aurais dit, par exemple,
que c'était à tort qu'on y lisait ces mots : Cujus anima, alors qu'il
faut l'accusatif animam: qu'au lieu de quando corpus morialur, il aurait
fallu imprimer morietur, le subjonctif étant un solécisme. Je ne l'ai
pas fait ; mais, par contre, je ne puis m'empêcher de protester
contre l'annonce d'un Magnificat de Bach, alors qu'on ne nous en
donne qu'une seule strophe. En outre, cette strophe, dans laquelle le
contralto dialogue avec deux flûte--, est accompagnée par une basse
continue, qui doit être exécutée non seulement par les basses de
l'orchestre, mais encore par l'orgue, celui-ci remplissant les vides
de l'harmonie par des tenues absolument indispensables pour la
compléter. On ne l'a pas fait, et c'était affreux. Enfin, M™ Des-
champs-JehiD, de qui j'eslime infiniment le talent, a cru devoir
terminer son air par une transposition de notes suivie d'un grupelto
abominable. Je regrette profondément d'avoir de telles critiques à
adresser : je n'en connais pas de plus graves. Si l'on ne sait pas
à l'Opéra-Gomique que l'on ne doit pas toucher à la musique de
Bach, que c'est chose respectable, je me fais un devoir de le faire
savoir. — D'ailleur-% malgré tout, l'air do Bach venant après le
Requiem de Mozart et Sussmayer, paraissait avoir singulièrement
de relief, de vie et d'accent !
Et savez-vous quel a été le vrai héros de la journée ? C'est le
bon Haydn, avec les fragments de ta Création. Quelle musique char-
mante, aimable, éternellement jeune ! Et comme, au travers, on
devine aisément une. àme pure, un esprit sain, d'un optimisme
tranquille, sans crainte i'e l'au-delà ! On peut considérer la nature
sous un tout autre point de vue, en traduire les impressions d'une façon
très différeate — certes oui; —mais le point de départ étant admis, il
était impossible que l'exécution musicale en fût traitée avec plus de
bonheur. Haydn a su réaliser pleinement l'idéal qu'il s'était formé.
H est excellent que le personnel musical de l'Opéra-Gomique ait
pu se consacrer aux études d'un concert aussi long et aussi sérieux,
ne fût-ce qu'au point de vue des progrès généraux qui en pour-
ront résulter, et dont les œuvres futures bénéficieront certainement.
L'effort principal, cela était visible, a poité sur le Requiem, qui
a été exécuté avec cohésion et ensemble. Parmi les solistes il
faut mettre hors de pair Mn,e Landouzy, bien que les rôles les plus
avantageux ne lui soient pas échus : la voix est excellente, solide
homogène, d'une justesse absolue, sans chevrotement, le style
simple, la diction sûre : en un mot. toutes les qualités requises
pour l'exécution de la bonne musique. De même, MM. Soulacroix
et Fournets ont fort bien interprété, dans un excellent style, l'un
l'air à'Èlie, l'autre celui de la Création. M1Ie Simonnet. toujours si
charmante à entendre et à voir, Mmo Deschamps avec sa voix su-
perbe, Mlle Nardi, l'aimable Parseis d'Esclarmonde, eufin les ténors
Dupuy et Delaquerrière dans leur parties de la Création. Élie et le
Requiem, ont concouru, chacun pour sa part, à l'excellence del'exé-
CUU0D- Julien Tiersot.
l'.-S. — Renaissance. — La Clé du Paradis, vaudeville eu trois
actes, de MM. Chivol et Duru.
On sait la courtoise réclamation que firent MM. Chiv.rt et Duru
lors de la récente représentation, au Palais-Royal, du Cadenas, de
MM. Blum et Toché ; ou sait aussi que ces deux derniers auteurs
n'eurent pas même besoin de se disculper d'un plagiat dont pe--
sonne, pas même les intéressés, ne les accusèrent. L'affaire en resta
donc là, à ce moment. Mais voilà qu'aujourd'hui M. Samuel nous
donne la pièce de MM. Chivot et Duru el, sans nous l'expliquer
sans même chercher à deviner, attribuant au seul hasard cette
coïncidence bizarre, nous sommes forcés d'avouer que le Cadsnas et
la Clé du Paradis, sauf eu certains détails, ne font qu'une «eule
et même pièce. Ici et là, jeune fille jurant a son professeur de
piano de n'épouser que lui, famille trompant la perspicacité de
l'amoureuse et la mariant à la hâte, retour intempestif du profes-
seur de piano le soir même du mariage, demande de divorce et
finalement réconciliation des mariés qui mettent dehors le pianiste
Si MM. Blum et Toché avaient traité leur sujet en comédie'
MM. Chivot et Duru, à l'encontre, en ont fait un vaudeville abso-
lument sans prétention. Quelques scènes drolatiques ont semblé
satisfaire le public qui a paru enchanté de l'interprétation confiée
à MM. Raimond, Vois, Francès et à M"lcs Irma Aubrys, Dezoder et
Berthier. Paul-Emile Chevalier.
DU LEITMOTIVE
DE SON USAGE; DE SON ABUS
Les maîtres se sont servis du leitmotive pour caractériser non seu-
lement des sujets animés, mais encore des sujets inanimés, c'est-à-
dire des personnes ou des choses. Qu'il soit Dieu, table ou cuvette,
encore faut-il que l'objet ait dans le drame une importance capitale,
car autrement pourquoi y appeler l'attention ?
Si, par exemple, on me dépeint Roland brandissant sa Durandal,
je consens à ce que le compositeur fasse entendr» une phrase
guerrière soulignée par une sonorité éclatante, incisive, qui donnera
à mon oreille une sensation analogue à celle que donnerait à mes
yeux la lame effilée et brillante. Et si j'y consens,, c'est parce que
cette épée, compagne des hauts faits de Roland,.' semble avoir eu
une telle part de sa vie que le souvenir et jusqu'au nom en ont
traversé les âges. Ayant eu une personnification historique, elle
peut avoir une personnification musicale. Mais il va de soi que ce
procédé ne saurait s'appliquer à toutes les épées.
Il y a plus; — même lorsqu'il s'agit de Durandal, on ne doit
m'y faire songer qua si, au moment précis ou l'on m'en parle, elle
joue un rôle décisif. — Si Roland, cerné par les Sarrazins, s'écrie:
A moi, ma Durandal ! et tire sa vaillante épée, mon imagination
sera vivement impressionnée par la réapparition triomphante du
thème qui la rappelle à mon souvenir. Mais si, dans la suite des
faits les plus ordinaires du drame, Roland, fatigué, quitte son
glaive, son heaume et son bouclier, je n'ai que faire du leitmotive
particulier à Durandal. Il n'y aurait pas de raison alors pour qu'on
ne fit défiler successivement devant moi trois motifs, dont l'un ca-
ractériserait l'épée, le second le heaume et le troisième le bouclier,
ce qui serait absolument puéril et aboutirait à une sorte de vola-
piick musical, dernier mot de l'alexandrinisme, — dans lequel cha-
que expression aurait sa traduction artificielle dans la laugue des
sons.
Une observation attentive nous amène donc à deux autres con-
clusions : non seulement le leitmotive ne peut opportunément s'appliquer
qu'à des objets ayant dans le drame une importance capitale, mais encore
on n'en peut faire cette application que lorsque ces objets doivent logi-
quement accaparer l'attention à l'instant même ou il en est question.
Un second exemple achèvera la démonstration.
VI
Je suppose que le poète ait eu à décrire les magnificences du
Walhalla et que le musicien ait symbolisé cette description par
un leitmotive. Si, plus tard, au cours du drame, Odin s'écrie que
pour le héros qui saura surmonter certaines épreuves, le Walhalla s'ou-
vrira radieux, j'admets que le compositeur fasse reparaître le motif
du Walhalla, surtout si ce motif est noble et beau, car, étant donné
la rapidité des sensations au théâtre, c'est seulement la splendeur
de la récompense qui vous frappe dans cette promesse. — C'est
aussi vers un tableau paradisiaque que l'artiste veut avec raison
hausser mes sens et, par une sorte d'action réflexe, mon oreille,
frappée des mêmes sonorités, appellera dans mon imagination les
mêmes impressions qu'y a éveillées l'évocation précédente ; — mais
il ne s'enauit nullement que ce motif doive reparaître toutes les
fois que le nom du Walhalla sera prononcé, même incidemment.
Si, par exemple, on me dit qu'Orfm a quille le séjour des Dieux pour
descendre pendant un jour sur terre, l'idée du Walhalla est devenue
très accessoire et il se pro luit une regrettable distraction de mon
esprit, par cela seul qu'on le fixe sur un objet subsidiaire. J'en
éprouve une fatigue qui fera promptement place à de l'ennui ; car.
au théâtre, tout ce qui est inutile est ennuyeux.
VII
Quel est, en effet, le but du compositeur dramatique ? C'est de
provoquer l'émotion par une impression musicale concordant exacte-
ment avec la situation; — j'entends, d'abord avec la situation générale,
soit la situation d'ensemble de la scène qui se déroule devant nos
yeux, ensuite, avec le fragment de celle même situation que fournit
nou plus seulement Vidée dominante de la scène, mais encoie (car, à
la rigueur et avec précaution, on peut souvent aller jusque-là),
avec l'idée dominante de la phrase sensationnelle, dite par tel ou tel J
personnage. Si, au lieu d'attirer mon imagination d'abord vers
cette impression générale, puis, par occasions, vers celte impression
plus particulière — (qui doit être d'accord avec l'impression gêné-
LE MENESTREL
409
raie), — l'auteur m'attarde sur tel ou tel passage sans intéièt par-
ticulier dans le moment où l'on parle, s'il souligne par un leitmotivs
un mot pour l'instant sans portée, l'encastrement de ce leitmotive
dans le discours musical me fait l'effet seulement d'un ingénieux
travail de marqueterie ; mon attenlion s'éparpille, et adieu l'émo-
tion !
VIII
Les règles qu'on s'est efforcé d'établir restreignent donc l'emploi
du leitmotive, — pojr les personnages — à certains types exceptionnels,
et même pour ces exceptions comme, d'ailleurs, daus Lous les cas,
le subordonnent, d'abord aux convenances générales du drame,
ensuite aux convenances particulières du dialogue déclamé ou chanté.
La conséquence de ces déductions est que le compositeur qui, les
ayant reconnues justes, les l'ait passer dans la pratique, n'usera par
ce seul fait du procédé qu'avec une grande sobriété, et à des
intervalles éloignés.
La logique théàtiale se trouvera ainsi d'accord, — comme elle doit
l'être toujours, — ave? les exigences légitimes du public à qui on
s'adresse.
Dans le cas contraire, le pla'sir que ce public vient chercher au
théâtre serait compromis; car si c'est une disposition naturelle de
notre goût de retrouver volontiers un motif heureux déjà entendu,
c'est une disposition plus naturelle enroie d'éprouver une insur-
montable lassitude en le retrouvant trop souvent. Quel que soit l'art
du musicien à varier l'effel en parant son motif d'ornements toujours
nouveaux, il semble qu'il ne nous produise plus rien d'assez inédit,
d'assez intéressant pour nous captiver, si bien que nous serions ten-
tés de le supplier qu'il ne parle plus de ce que n'.us connaissons tant
et qu'il nous parle enfin d'autre chose. Encoie n'est-il question ici
que de l'auditeur éclairé, ayant l'oreille exercée par la culture de la
musique, car pour l'autre, qui ne reconnaît pas le motif inilial sous
ses t'ansformations successives, et qui n'y peut goûter un plaisir
d'ouvrier, il se débat péniblement contre une impression grise, toute
brouillée.
C'esL qu'au théâtre il faut de grandes fresques. Ces retours de
motifs, ces développements, ces enluminures n'y doivent trouver
place qu'à ùlre de rapides épisodes. Si on les prodigue, ce n'est plus
de l'opéra, c'est de la symphonie ; — ou plutôt ce n'est plus ni l'un
ni I'autie. rar quoi qu'on en ait, avec l'action qui nous presse, avec
le décor, avec la mise en scène, on ne peut retrouver la' liberté d'al-
lure de la symphonie, sorte de morceau oratoire où il s'agit de tirer
éloquemment toutes les conséquences de quelques idées fécondes
proposées. Il y a confusion de genres, — ou, ce qui est pire, un
genre faux, bâtard, d'une action amoindrie, en dépit du talent ou
même du génie qu'on peut mettre à son service, car il n'est telle
beauté qui ne perde une partie de son effet si elle n'est à sa vraie
place.
Et qu'on ne dise pas que la faute en est au genre de l'opéra, ou à
son public, avec lequel, à tout prendre, il faut compter :
A propos d'une pièce naturaliste tombée avec fracas, un anonyme
qui pourrait bien -être M. Brunetière, écrivait naguère dans la Revue
des Deux Mondes :
Ils eussent mieux fait d'examiner si ces préjugés de théâtre,
comme ils les appellent, n'avaient pas quelques raisons d'être, au lieu de
croire ou d'affecter de croire qu'établis par le hasard, c'est la routine qui
les perpétue. Car peut-être se fussent-ils aperçus que si le roman était
le théâtre, et si le théâtre était le roman, il n'y aurait plus, à proprement
parler, ni roman ni théâtre, mais une forme indécise de l'art. Et en
creusant un peu davantage, ils eussent aussi pu voir qu'au sein de- cette
forme unique la distinction des deux genres ne se fût pas opérée, si ce
n'était que nous allons demander au théâtre, — et eux aussi, — un genre
de plaisir assez différent que celui que le roman nous procure.
Lisez symphonie au lieu de roman, et vous aurez la meilleure
réponse à faire à certaines théories qui courent le monde depuis
quelque temps.
On veut apporter dans le drame musical de prétendues réfoimes,
qui, à force de transformer le genre, ne tendraient à rien moins qu'à
le supprimer. Qu'il y ait quelque chose à prendre dans ce mouvement
d'esprit pour vivifier l'art toujours le même et pourtant toujours
rajeuni, c'est indubitable. Il n'y a courant si trouble qui ne puisse
contenir quelques parcelles d'or. Kéjouissous-nous donc de tout ce
qui peut aviver l'intelligence humaine. Mais prenons garde, pour
courir après un progrès, de ne point retourner en arrière. Car ce
serait faire reculer le drame lyrique que confondre des genres abso-
lument distincts, dont aucun n'est inférieur à I'autie, dont l'heu-
reuse séparation est l'œuvre des générations successives, et qu'ont
illustrés des génies différents mais d'égale grandeur.
L'art nouveau, écrit encore l'auteur que je citais tout â l'heure, tel
qu'il s'annonce dans Germinie Lacer/eux, c'est l'enfance même de l'art, et
ses procédés n'ont rien'de plus original que de nous reporter aux origi-
nes mêmes du théâtre. Je pourrais aisément philosopher là-dessus et
montrer que sortis autrefois des mêmes commencements, si le théâtre et
le roman se sont perfectionnés en se séparant, et en passant, comme, l'on
dit, de l'homogène à l'hétérogène, ce serait sans doute un singulier pro-
grès que de prétendre aujourd'hui les ramener à leur état d'indivision ou
de confusion primitive.
A. Dabston.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (4 avril). — Malgré la présence de
MmcCaron, qui, en décembre dernier, avait fait sa rentrée dans Faust, la
Monnaie a repris cette semaine l'opéra de Gounod avec une autre titu-
laire, Mme de Nuovina. Ce droit strict qu'avait la direction de confier à
qui bon lui semblait un rôle que M01" Caron ne s'était pas exclusivement
réservé a du néanmoins, j'imagine, affecter d'une manière sensible la
grande artiste, et elle a dû éprouver quelque peine de ce qu'elle a sans
aucun doute considéré comme un certain manque d'égards envers elle.
Certains petits trottins du corps de ballet, qui lui en voulaient, paraît-il,
pour je ne sais quelles vétilles, n'ont d'ailleurs rien eu de plus pressé
que de l'accabler insolemment, vendredi dernier, en pleine représentation
de Salammbô, dans des conversations tenues à haute voix, sous le poids
de cette concurrence, d'ailleurs peu redoutable; cela a été à un tel point,
et les nerfs de l'artiste en ont été affectés d'une façon telle que s'étant
contenue, à force de volonté, jusqu'au dernier acte, elle a fini par tomber
en scène, dans un évanouissement prolongé dont le public s'est justement
ému. Personne, comme on voit, même la plus invulnérable, n'est à
l'abri de ces petites misères de la vie de coulisses. Quanta Mme Nuovina,
on lui a fait un succès dans la vivacité duquel il y avait certes plus d'en-
gouement et d'encouragement que de réel enthousiasme, mais dont une
bonne part était vraiment méritée. Il serait injuste de faire retomber sur
elle le poids du zèle exagéré de ses trop empressés amis. M"113 de Nuovina
est intelligente ; elle a de jolies notes dans la voix, du tempérament, et
elle a chanté plus d'une page de son rôle avec charme, gentillesse et
d'excellentes intentions. — Au Conservatoire, nous avons eu dimanche
une superbe exécution de l'Orphée de Gluck, en entier. La séance a été
remarquablement intéressante. On a beaucoup applaudi, dans le rôle
d'Orphée, une cantatrice peu connue encore, Mu<! Carlolta Desvignes, douée
d'une magnifique voix de contralto, avec du style, de la correction, de
l'expression, — en un mot un talent d'artiste tout à fait sérieux. L. S.
Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Berlix : L'opéra de M. C. Rein-
thaler, Kmihehen von Heilbronn, n'a rencontré qu'un accueil assez froid à
l'Opéra Royal. On s'attendait à un meilleur résultat après l'épreuve satis-
faisante de Francfort-sur-le-Mein en 1881. La critique berlinoise s'est
montrée d'une sévérité excessive pour cet ouvrage, auquel le souffle dra-
matique fait, parait-il, totalement défaut. L'action est terne, les person-
nages n'ont aucun relief, et dans toute la partition on ne trouve à louer que
l'air de Gottschalk, au troisième acte. M1Ie Hiedler, MM. Lieban et Betz se
sont acquittés de leurs rôles avec talent; le reste de l'interprétation était au-
dessous du médiocre. — Francfort : On signale la réussite de Patrie,
l'opéra deM.Paladilhe.au Théâtre Municipal. — Riga : Un nouvel opéra
de M. Otto Lohse, le Prince maigri lui, a trouvé un excellent accueil au
Théâtre Municipal. — Weimar : Deux opéras-comiques de M. A. Ritter
sont en répétition au théâtre de la Cour et passeront très probablement
dans le courant du mois de mai ; ce sont Jean le paresseux et A qui la Cou-
ronne? On s'occupe également de la reprise prochaine du Cheval de brome,
d'Auber, avec un nouveau texte de Humperdinck.
— Valseurs, rassurez-vous ! La révolution dont on accusait Johann
Strauss d'être l'auteur, et qui devait avoir pour effet de changer complète-
ment le caractère de votre danse favorite, n'est pas sur le point d'éclater,
ainsi qu'en font foi les lignes suivantes adressées par l'auteur du Beau
Danube bleu à la Neue Freie Presse, de Vienne : « Il n'est jamais entré et il
n'entrera jamais dans mes intentions de réduire le mouvement delà valse,
de façon à en faire un Andante commodo, ni de le modérer d'une manière
quelconque. Mes deux dernières compositions: Kaiserwàlzer et Ratlihausball-
tânzc, sont la meilleure réfutationà de telles assertions. Le mouvementetle
caractère de la valse y subsistent tels qu'ils existent depuis quarante ans.
J'ai seulement développé quelque peu l'introduction et la coda. En maintes
occasions j'ai exprimé à mes amis l'avis que ces parties comportaient des
développements plus importants. »
— Un nouveau concours pour l'érection d'une statue de Mozart à Vienne
va s'ouvrir incessamment. Il comportera trois prix, le premier de 3,000,
le deuxième de 1,000 et le troisième de 500 florins. Le proja nécessitera
une dépense de 1)0,000 florins, sur lesquels 77,600 florins sont déjà sous-
MO
LE MENESTREL
crits. Le monument s'élèvera au milieu de la place d'Albrecht, à peu
près sur l'emplacement de l'ancien théâtre de la Porte de Carinthie.
— L'Exposition musicale qui devait s'ouvrir à Vienne l'été prochain, en
même temps que le grand festival des chanteurs allemands, sera remise
au printemps de l'année 1891, pour cause d'agrandissement du projet pri-
mitif. Au lieu d'être circonscrite à l'élément austro-hongrois, l'Exposition
sera internationale, et toutes les nations du monde civilisé seront invitées
à y participer. La princesse Pauline de Metternich qui, la première, a eu
l'idée de cette Exposition internationale de musique à Vienne, a fait
adopter à la commission d'organisation, présidée par le bourgmestre, les
résolutions suivantes. Les bénéfices nets de l'entreprise seront affectés à
des établissements philanthropiques. L'Exposition sera divisée en quatre
grandes sections ainsi dénommées : 1° Manuscrits, partitions des plus
illustres compositeurs, lettres et documents ; 2° Histoire de la facture
instrumentale ; 3° Portraits et souvenirs de compositeurs et d'artistes mu-
siciens célèbres ; 4° Documents divers se rattachant aux premières audi-
tions d'opéras et d'œuvres musicales en général. Les invitations aux nations
seront faites par. la voie diplomatique. L'Exposition se tiendra dans les
somptueux locaux de l'Hôtel de Ville et durera deux mois, du mois de
mars au mois de mai 1891. Le projet comporte encore un festival à la
mémoire de Mozart, mort à la fin de l'année 1791. On choisira pour date
de cette solennité celle qui se rapporte au centenaire de la Flûte enchantée,
lequel tombe pendant la période de l'Exposition.
— On vient de faire en Autriche, pour l'Hymne national, quelque chose
d'analogue à ce qui s'est fait en France, il y a deux ans, pour la Mar-
seillaise. On sait que la musique de cet hymne est due à Haydn. Or, le
texte exécuté par les musiques militaires s'écartait assez sensiblement
du texte original, et des modifications, des changements fâcheux avaient
fini par s'y introduire. Il vient d'être reconstitué, conformément au ma-
nuscrit authentique, par le chef de musique du 48e régiment d'infanterie,
M. Komzak, et a été exécuté, à Vienne, en présence du ministre de la
guerre, de plusieurs généraux divisionnaires et de plusieurs compositeurs
éminents. Le ministre va faire imprimer et transmettre à tous les corps
de musique militaire l'œuvre reconstituée de Haydn.
— A l'Opéra impérial de Vienne on vient de donner, avec succès, le
joli opéra-comique de Berlioz, Béatrice et Bénedict, dont les deux rôles
principaux sont tenus par M1,c Renard et M. Schrœder. Le nocturne du
premier acte surtout a fait fureur, comme jadis à Bade, lors de la créa-
tion de cet ouvrage. C'est le directeur de l'Opéra en personne, M. Jahn,
qui dirigeait l'orchestre. Le dialogue parlé a été remplacé par des récita-
tifs dont l'auteur est M. Félix Mottl, le chef d'orchestre wagnérien bien
connu.
— On écrit de Munich à la Perseveranza, de Milan, que l'intendance de
l'Opéra-Royal a obtenu de Mmc Gosima "Wagner l'autorisation de donner
cette année quelques représentations de Parsifal. On sait que, jusqu'ici, le
théâtre de Bayreuth avait conservé le monopole de la dernière œuvre de
Wagner.
— On écrit de Bade au Journal de Carlsruhe : « Hier soir, dans la Mai-
son de Conversation, a eu lieu la Soirée Rosenhain organisée par le Cur-
Comité, dans laquelle on n'a exécuté que des œuvres de J. Rosenhain.
Cette soirée s'est transformée pour le compositeur en un véritable triomphe.
Après le' troisième morceau (concerto -de piano, œuvre 73, en ré mineur),
joué par Mllc Lilly Oswald d'une manière si remarquable qu'on l'a rappelée
unanimement, l'auteur, malgré sa résistance et aux acclamations de
toute la salle, a été entraîné sur l'estrade, comblé d'applaudissements et
couvert de cinq couronnes de lauriers, dont une offerte par le comité
de la ville et ornée de rubans magnifiques. »
— Un véritable événement musical se prépare à Milan, où le maestro
Gallignani, maître de chapelle du dôme de cette ville, s'apprête à faire
exécuter solennement, pour la fête de Pâques, la Messe du pape Marcel, l'un
des plus beaux chefs-d'œuvre du grand Palestrina. On sait que cette messe
est la dernière des trois messes à six voix qui ont surtout contribué à la
gloire de l'immortel artiste.
— Continuation de la série des opéras italiens éclos... dans les cartons
des compositeurs: il Trionfo d'amore, opéra en quatre actes, de GiulioTa-
nara, qu'il est question de représenter au Théâtre Philharmonique de
Vérone ; F rine (Phryné), du maestro Alitti ; Roma, grand drame lyrique de
M. Lionello Ventura, qui travaille depuis seize ans à sa partition; Dilara
et Non loccare la regina, de M. Oronzo Scarano, qui nous semble bien avoir
cherché le sujet du premier de ses ouvrages dans le Gulistan de Dalayrac
et celui du second dans l'opéra de M. X. Boisselot: Ne louchez pas à la reine.
Enfin on annonce que le maestro Carlos Gomes, fameux par son Guarany.
s'occupe en ce moment de la partition d'un opéra intitulé Wanda, dont
le livret lui a été fourni par M. Vincenzo Valle.
— Du 20 avril au 1er mai, on donnera à la Scala de Milan quatre
grands concerts, pour lesquels on a fait appel au jeune maestro Giuseppe
Martucci, l'ardent et savant directeur du Lycée musical de Bologne. C'est
M. Martucci qui organisera et qui dirigera ces concerts, dont on peut
■ 1';^ \ once escompter le succès.
— Tandis que, à part le Conservatoire, nos vieux maîtres français, et
les plus glorieux, sont vraiment un peu trop délaissés par nos grandes
entreprises de concerte, on les dédaigne un peu moins à l'étranger, où
l'on trouve qu'ils ont encore du bon. C'est ainsi qu'au troisième concert
de la Société orchestrale de Rome on a exécuté, avec beaucoup de succès,
toute une série de fragments de Castor et Pollux, l'un des plus beaux
opéras de Rameau : ouverture — gavotte — tambourin — air gai — menuet-
chassé-croisé — et chaconne. Au même concert on a entendu une ouverture
de M. Vessella, qui a été très bien accueillie du public.
— C'est à Pâques que commencent, pour les théâtres italiens, la saison
dite de printemps. Au Costanzi, de Rome, cette saison s'ouvrira le 10 avril
pour se poursuivre jusqu'à la fin du mois de mai. Elle commencera avec
un opéra nouveau de M. Gastaldon, qui sera suivi de la Statue, de M. Reyer,
jouée pour la première fois en Italie, après quoi viendront les trois petits
opéras inédits récemment couronnés au concours Sonzogno. Les études
de la Statue sont déjà commencées, et l'orchestre a fait une première lec-
ture de la partition.
— On a célébré à Tolentino, le 16 mars, le centième anniversaire de la
naissance de Giuseppe Vaccai, un compositeur fort distingué, mais dont
les œuvres sont aujourd'hui bien oubliées. Sur l'initiative de la Société
philharmonique de la ville, avec le concours du municipe et l'intervention
des autorités, des associations, des bandes musicales de Tolentino, de
Macerata, de Sanseverino et d'une nombreuse et cordiale population, on a
exécuté un hymne de circonstance, mis en musique par le maestro
Bodessi. Des couronnes ont été déposées sur la pierre commémorative de
la maison où naquit Vaccai, le professeur Vitali a fait au théâtre une
conférence sur le compositeur, et le soir avait lieu un grand concert
donné à sa mémoire, tandis que la ville était magnifiquement illuminée.
— A Florence, la Société philharmonique dite de San Gallo a résolu de
se débaptiser. Elle a pris une nouvelle dénomination et s'appellera désor-
mais Cercle musical Giuseppe Verdi.
— On vient de donner à Monte-Carlo la « première » d'un opéra nou -
veau en trois actes et quatre tableaux, le Pilote, paroles de M. Armand
Silvestre, musique de M. John Urich, un élève de M. Charles Lenepveu,
connu déjà comme auteur d'un ballet : Nourmabal et d'un opéra-comique:
la Dot de Suzette. Constatons toutefois que le Pilote n'est qu'une amplifica-
tion d'un petit ouvrage en un acte, l'Orage, donné à la Monnaie de
Bruxelles, sous la première direction Stoumon et Calabresi, le 2 mai 1879.
Les auteurs ont agrandi et développé cet ouvrage, qui, sous sa nouvelle
forme vient d'obtenir un vrai succès à Monte-Carlo, où il est joué par
Mlles Levasseur et Paulin, MM. Soulacroix et Isnardon. Et puisque nous
sommes à Monte-Carlo, enregistrons une heureuse reprise qui vient d'y être-
faite de la Fête du Village voisin, l'adorable opéra de BoieJdieu, et consta-
tons qu'on a intercalé au second acte de cet ouvrage un ballet dont la
musique, fort agréable, dit-on, a été écrite par le chef d'orchestre,
M. Léon Jehin.
— La mort du D1' Henry Wylde, dont nous avons rendu compte, laisse
vacante la plus ancienne chaire de musique de l'Université britannique,
celle connue sous le nom de Gresham Professorship. Les candidats à cette
honorable- succession seront assurément nombreux, mais il n'est pas pro-
bable qu'on assiste à la répétition des scandales des anciens jours, alors
que pendant plus d'un siècle le Gresham Professorship constituait une
sinécure abandonnée à des médecins, des prêtres et des avocats. Cet état
de choses dura jusqu'en 1702, lors de la nomination d'un barbier-chirur-
gien et constructeur d'orgues du nom de Thomas Griffin. Les étudiants se
révoltèrent et huèrent le nouveau professeur jusqu'à ce qu'il eût quitté la
salle du cours.
— Hier soir a dû avoir lieu au Théâtre royal Drury Lane, de Londres,
la réouverture de la saison d'opéra anglais Cari Rosa. Les nouveautés
projetées pour la saison sont la production d'un opéra nouveau en quatre
actes de M. F. H. Cowen, Thorgrim (livret de M. Joseph Bennett) et les pre=
miéres représentations, en anglais, des opéras Roméo et Juliette, de Gounod,
le Talisman, de Balfe, et les Pêcheurs de Perles, de Bizet. Au mois d'août
viendra l'Hamlet d'Ambroise Thomas.
— La Pall Mail Gazette annonce que plusieurs dames de l'aristocratie
anglaise recueillent des souscriptions en vue d'élever une statue à la prin-
cesse de Galles. La princesse sera représentée en costume et avec les
insignes de « doctor of music ». Cette statue sera placée à côté de celle
du prince de Galles, dans le hall du Collège royal de musique à Londres.
— Selon quelques journaux, la tournée de la troupe Abbey-Grau, dont
font partie Tamagno et la Patti, aurait été extrêmement fructueuse. A Chi-
cago, les représentations à VAudilorium, inauguré par ces artistes, auraient
produit 333,000 dollars, et à Mexico le chiffre des places retenues à l'avance
monterait à 150,000 dollars. Pourtant, le résultat ne serait pas partout
aussi brillant; c'est ainsi qu'on écrit de San Francisco au Dramatic News:
« Les représentations de la compagnie Patti-Tamagno, qui se sont ter-
minées avec Olello, n'ont pas été un succès financier, et les recettes en-
caissées sont restées de beaucoup inférieures aux prévisions établies.
MM. Abbey et Grau, d'après leurs dires officiels, y ont perdu 20,000 dol-
LE MÉNESTREL
111
lars. » D'autre part, voici ce qu'on écrit de Londres : « Le télégraphe
nous fait connaître les prix exorbitants fixés au Métropolitain de New-
York pour les concerts qu'y doivent donner les artistes de la compagnie
Abbey-Grau : une place dans une loge, 300 francs; une stalle de parterre,
33 francs; parterre debout, 2S francs; place de galerie, 1b francs; paradis,
7 fr. 50 c. Même à nous autres Anglais, ces prix semblent singulièrement
exagérés. »
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Le ministre des Beaux-Arts a ratifié le choix de l'Institut et désigné
M. Bourgault-Ducoudray pour écrire la partition de l'ouvrage en un ou
deux actes qui, aux termes du cahier des charges, doit être représenté
en 1891 sur la scène de l'Académie nationale de musique. Le choix est
excellent. M. Bourgault-Ducoudray est un artiste sincère et convaincu,
qui a ses idées à lui en matière d'art. Il est clair que la plupart de ses
oeuvres déjà connues dénotent une personnalité vigoureuse et originale.
La dernière venue, la Rapsodie cambodgienne, récemment exécutée aux con-
certs de M. Lamoureux, n'est assurément pas banale, et elle a vivement
frappé l'esprit de tous les musiciens. Le public lui-même, tout surpris
de procédés aussi nouveaux, ne lui a pas marchandé ses suffrages. Que
donnera M. Bourgault-Ducoudray au théâtre? Nous l'ignorons. Mais il
était bon en tous les cas de l'y essayer, et comme MM. Ritt et Gailhard
ne seraient certainement pas venus à lai de bonne grâce, on ne peut
qu'applaudir au choix du ministre qui va le leur imposer.
— A l'Opéra, Mme Melba vient de remporter, dans le rôle de Marguerite
de Faust, un succès qui rappelle celui qu'elle obtint à ses .débuts dans le
rôle d'Ophélie A'Hamlet. Et comme, le même soir, M. Jean de Reszké
prenait pour la première fois possession du rôle de Faust, il en est résulté
une soirée comme on n'en voit plus souvent à l'Académie nationale de
musique. M. Gounod déclarait même sur la scène qu'il n'avait jamais vu
un pareil Faust. On sait de reste qu'avec l'illustre compositeur ce sont
toujours ses derniers interprètes qui sont les meilleurs. Aussitôt MM. Bitt
et Gailhard de chanter victoire et d'inonder les journaux de petites notes
dans ce genre : « Cette représentation permet d'établir qu'aucun théâtre
en Europe ne peut présenter une troupe aussi remarquable. » Et le len-
demain, que voit-on avec Ascanio ? Un ténor quelconque, une chanteuse
dramatico-comique, et cette pauvre Mme Bosman obligée de tenir l'emploi
d'un contralto qu'on ne trouve pas dans cette troupe remarquable ! Quels
banquistes que ces deux éminents directeurs !
— Ils viennent pourtant de faire acte de sagesse en s'assurànt le con-
cours de M. Lapissida. l'ancien directeur du théâtre de la Monnaie, qui
vient prendre la place à l'Opéra de M. Mayer, le régisseur général démis-
sionnaire. Personne n'était plus apte que M. Lapissida à remplir ces im-
portantes fonctions. Si on veut le laisser agir, il fera certainement d'ex-
cellente besogne. Donc, nous le répétons, acte de sagesse de la part des
directeurs et aussi bien entendu, acte d'économie. Ce serait bien maj
connaître MM. Ritt et Gailhard que de ne p as penser qu'ils ont su tirer
bon parti de la situation.
— De l'Echo de Paris: « Nous avons annoncé que M. Gailhard était parti
pour Bruxelles afin de voir Sulammbô. On fait maintenant courir le bruit
que M. Gailhard se serait décidé à engager MmeCaron et à jouer Salammbô
la saison prochaine. Origine de tous ces bruits : la prochaine discussion
du budget des beaux-arts. Une fois la discussion passée, on n'en parlera
plus. »
— Du même journal : « Les petits voyages forment les chanteurs. Pen-
dant la semaine sainte, trois artistes de l'Opéra, MM. Duc et Gresse et
Mme Adiny sont allés interpréter les Huguenots au nouveau théâtre de Mont.
pellier. Pourquoi les artistes du théâtre de Montpellier ne viendraient-ils
pas à leur tour nous jouer quelque chose à Paris? »
— A l'Opéra-Comique, M. Paravey complète sa troupe. On donne comme
certain l'engagement à ce théâtre de Mlle Jane Harding, une de nos plus
aimables Parisiennes, qui fit 'déjà sur plusieurs scènes de genre quelques
apparitions d'une plastique irréprochable. Elle fera assurément très bonne
figure dans le prochain opéra de M. Massenet. — On pense donner, aussitôt
après les congés de Pâques, le petit, ouvrage de M. Michiels, Colombine, au-
quel succéderait, dans les derniers jours d'avril, le Dante, de M. Benjamin
Godard. La Basoche, de M. Messager, suivrait de près, au commencement de
mai. Voilà de la belle activité. Attendons toutefois l'événement avant d'y
croire.
— Salammbô a vu le jour à peine, et voici que l'on commence à parler
d'un nouvel ouvrage dont s'occuperait déjà M. Reyer. Ce serait une
Omphale dont le livret aurait pour auteurs MM. Alfred Blau et Louis de
Gr amont.
— M. Edouard Lalo, l'heureux compositeur du Roi dYs, met en ce mo-
ment la dernière main à une nouvelle partition, sur un livret de M. Edouard
Blau. Le sujet de ce nouveau drame met en scène un épisode de la Jac-
querie, au moyen-âge. Il a été inspiré au librettiste par le roman dialogué
de Mérimée et le livre de Michelct intitulé la Sorcière.
— M"" Van Zandt est de retour à Paris, venant de Lisbonne, où elle
vient d'interpréter avec grand succès Mignon, Hamlel et Lakmé.
— De l'Evénement : « C'est fait... ou à peu près. M. Albert Vizentini
va devenir directeur du théâtre des Variétés au lieu et place de MM. Ber-
trand et Baron. Les paroles sont échangées. Si M. Vizentini — ce dont
nous ne doutons pas — doit donner à ce théâtre parisien une allure
moderne et jeune, nous saluons son retour avec une grande satisfaction.»
— Un concours pour les emplois de chef et de sous-chef dans les régi-
ments d'infanterie, auquel sont appelés à prendre part les candidats des
différentes armes proposés pour cet emploi à l'inspection générale de 1889,
sera ouvert à Paris le lundi 14 avril, à une heure de l'après-midi, au
Conservatoire national de musique. Le concours comprendra deux épreuves :
1° harmonie ; 2° orchestration. — Le 14 mai prochain, un autre concours
spécial sera ouvert pour les emplois de chefs de musique dans les Écoles
d'artillerie et les régiments de génie. Ce concours comportera trois épreuves :
1° harmonie ; 2° composition; 3° orchestration. La durée de chacune de ces
épreuves sera de 14 heures, de 7 heures du matin à 9 heures du soir.
— Bésultat des concours ouverts, pour l'année 1890, par la Société des
compositeurs. 1° Un morceau de concert pour piano et orchestre, prix
de S0O fr. Fondation Pleyel-Wolff. Le prix n'est pas décerné. 2° Une
Scène à deux voix sur des paroles françaises, avec accompagnement de
piano, prix de 200 francs offert par la Société. Pas de prix. Une mention
honorable est décernée au manuscrit portant pour épigraphe : « C'était
l'heure où l'oiseau sous les vertes feuillées repose, et où tout s'endort,
les hommes et les dieux. » Le pli cacheté ne sera ouvert qu'avec l'auto-
risation de l'auteur. 3° Une Messe brève à trois voix, prix de 200 francs
offert par la Société. Aucun prix n'a été décerné. 4° Andante et Allegro
pour flûte, cor anglais et harpe, prix de 200 francs offert par la Société.
Le prix a été décerné à M. Anselme Vinée. S0 Une Fantaisie pour grand
orgue, prix de 200 francs offert par la Société. Le prix ex œquo est attribué
à MM. Samuel Rousseau et Boelmann. La somme affectée au concours
de la messe n'étant pas décernée est attribuée à l'un des lauréats.
— Avec un portrait de M. Saint-Saëns tel que nous le connaissons au-
jourd'hui, l'Illustration reproduit, dans son dernier numéro, un portrait de
l'auteur d'Ascanio publié par elle dans son numéro du 23 mai 1846, et qui
est tout à fait curieux et original. C'était à l'occasion d'un concert que le
jeune Saint-Saëns venait de donner à la salle Pleyel ; on le représentait
devant un piano, sur lequel couraient ses mains ; pour costume, pantalon
foncé, petite veste noire, gilet blanc et cravate flottante. Ce portrait était
accompagné d'un article dont nous extrayons ces lignes : « Nous venons
d'assister aux débuts d'un enfant de dix ans qui, dans un concert donné
chez M. Pleyel, s'est fait entendre sur le piano. Camille Saint-Saëns nous
a fait connaître une de ces hautes intelligences qui font époque. Sa pro-
digieuse mémoire lui a permis de jouer dans la même soirée, sans en
avoir la musique écrite sous les yeux : un concerto de Mozart, un air de
Hœndel, une fugue du même auteur, une toccata de Kalbbrenner, un
prélude et une fugue de Bach, et enfin un concerto de Beethoven. » Ce
n'était pas mal en effet, en dehors même du talent déployé, cet effort de
mémoire de la part d'un bambin de dix ans, et le public en fut justement
émerveillé.
— Un incident du concert que vient de donner M. A. Maton. Mlle Sybil
Sanderson, subitement enrouée, prévint, au dernier moment, qu'elle était
dans l'impossibilité de chanter. A cette nouvelle, l'Alboni, qui se trouvait
dans la salle, fit annoncer qu'elle allait la remplacer. On lui installa sur
la scène un fauteuil et, assise, la grande artiste chanta, avec son style et
sa voix incomparables, l'air de la Favorite. Inutile de parler de l'enthou-
siasme du public.
— Le jeudi 24 avril, M. Weckerlin donnera une soirée musicale dans
la salle du Conservatoire pour faire entendre à ses amis diverses com-
positions , dont l'exécution sera confiée à l'orchestre et aux chœurs de
la Société des concerts, dirigés par M. Garcin. Il y aura, entre autres
œuvres, le Samson de Voltaire, mis en musique par M. Weckerlin.
— Un roman musical. \ Le Figaro a commencé, mercredi dernier, la
publication d'un feuilleton de M. le comte Léon Tolstoï, qui a pour titre
la Sonate de Kreutzer.
CONCERTS ET SOIRÉES
La dernière séance de la Société des concerts, au Conservatoire,
s'ouvrait par la symphonie en ré de Beethoven, dont l'exécution nous a
paru laisser un peu à désirer du côté de l'ensemble et .de la netteté. On
est habitué, de la part de cet admirable orchestre, à une telle per-
fection, qu'on en devient d'autant plus difficile à son égard, et qu'on
reste étonné lorsqu'il n'est pas absolument irréprochable. La vérité est,
croyons-nous, que la symphonie en ré, jouée plus rarement que la Pasto-
rale, ou l'Héroïque, ou Vut mineur, est peut-être moins dans les doigts et
la mémoire de tous ; d'où une faiblesse relative dans l'interprétation. L'un
des grands attraits du programme était la sélection de Psyché, de M. Am-
broise Thomas, dont M"lc Krauss et MUe Landi faisaient les frais au point
de vue vocal, et qui comprenait les morceaux suivants : Introduction —
Chœur des Nymphes — Récit et romance du Sommeil — Invocation à la
Nuit — Scène de l'extase — Bacchanale. Ces fragments, dont le choix ne
saurait. être plus parfait, ont produit un grand effet, justifié tout à la fois
par la valeur exquise des divers morceaux et par leur admirable inter-
prétation. M1110 Krauss, avec son articulation superbe, son style incompa-
rable et son merveilleux sentiment artistique, a mis en leur plein relief
ces deux pages délicieuses du rôle de Psyché, l'Invocatiou à la Nuit et
l'air : O l'extase divine. A côté d'elle, MUa Landi, qui représentait Eros, a
I J2
LE MENESTREL
fait briller sa belle voix et son beau phrasé, si vraiment musical, dans la
romance du Sommeil, qui n'aurait su être chantée avec un goût plus
parfait. Chacun a eu sa part dans le succès qui a accueilli ces fragments:
l'orchestre, pour la grâce et la délicatesse qu'il a apportées à l'exécution
de l'introduction, et les chœurs, pour le charme et l'ensemble avec lesquels
ils ont détaillé ce bijou qui a nom le Chœur des Nymphes et qui depuis
longtemps est justement célèbre. Après l'Hymne d'Haydn, après l'étonnante,
la foudroyante, la prodigieuse ouverture de Coriolan, de Beethoven, venait
le finale si puissant et si dramatique du second acte de la Vestale de Spon-
tini, dont Rossini s'est si bien souvenu en écrivant celui du Barbier. Les
soli do cette page si poignante, si pathétique et d'une intensité d'expres-
sion qu'on ne saurait dépasser, étaient confiés à Mme Krauss, qui s'y est
montrée d'un bout à l'autre admirable, pleine tour à tour d'une énergie
sombre ou d'un désespoir déchirant, et à M. Delmas, dont c'est faire suf-
fisamment l'éloge que de dire qu il était digne en tous points d'une telle
partenaire. Tous deux ont montré une incomparable vaillance, et, puis-
samment secondés parles chœurs et l'orchestre, ont littéralement soulevé
l'enthousiasme du public, qui leur a fait une longue et chaleureuse ova-
tion. Il ne fallait rien de moins, pour terminer dignement une si belle
séance, que l'étincelante ouverture du Freischûtz, qui complétait un des
plus beaux programmes de la saison. A. P.
— Au concert du vendredi saint nous avons entendu de nouveau la
symphonie en ut mineur de M. Saint-Saéns, qui est bien décidément une
œuvre superbe, d'une facture merveilleuse et d'une solidité de construc-
tion à défier toutes les critiques. On n'y voudrait qu'un peu plus de spon-
tanéité et d'originalité dans les idées; mais, telles qu'elles sont, ces idées
sont développées avant tant d'art et d'habileté, les harmonies sont si riches
et si ingénieuses, la pâte instrumentale est si puissante, si colorée, par-
fois si neuve, que l'œuvre reste certainement une des plus belles et des
plus nobles en son genre qui se soient produites depuis bien longtemps.
Le public du Conservatoire ne se lasse pas de l'entendre, et son effet a été
aussi complet cette fois que les précédentes. Après la Marche religieuse de
Lohengrin, qui venait ensuite, M. Paderewski est venu jouer le concerto
de Schumann, qui lui a valu un succès éclatant. M. Paderewski, que
nous avons eu l'occasion d'entendre cet hiver un peu partout, est devenu
l'un des favoris du public parisien, et il mérite l'accueil qu'on lui fait en
tous lieux par un ensemble de qualités qui en font un artiste accompli.
Il joint la grâce à la vigueur, la délicatesse à la force, son style est irré-
prochable à part une légère nuance de maniérisme, enfin sa précision ryth-
mique, la correction et la netteté parfaites de son jeu, la belle sonorité
qu'il tire de l'instrument grâce à une attaque superbe de la note, un art
infini des nuances, en font un des plus remarquables pianistes de ce temps.
Des applaudissements unanimes et un double rappel lui ont prouvé tout
le plaisir qu'il avait causé. Je n'en saurais dire autant de M"cSibyl San-
derson, à qui l'on avait eu la singulière et malencontreuse idée de confier
le solo de la Gallia de M. Gounod. Ici, nous ne sommes plus à l'Opéra-
Comique, et il ne s'agit plus à'Esclarmonde ; i! faudrait un peu de voix et
un tantinet de style pour chanter cette musique ; or, Mlle Sanderson est
aussi dépourvue de l'une que de l'autre, et sa merveilleuse beauté, aidée
d'une toilette exquise, n'est qu'une qualité extra-musicale qui ne rachète
pas l'insuffisance absolue de la cantatrice. L'auditoire le lui a fait com-
prendre par la politesse froide dont il a fait preuve envers elle. Les frag-
ments du Songe d'une nuit d'été de Jlendelssohn sont venus heureusement
effacer cette fâcheuse impression et, grâce à eux et à leur brillante exécu-
tion, la séance s'est terminée d'une façon plus satisfaisante. A. P.
— Musique de chambre. — MM. Le'fort, Guidé, Giannini et C. Casella
viennent de donner deux dernières séances de musique de chambre. Au
programme, le quatuor à cordes de Mendelssohn, le quatuor avec piano
de Schumann et la Sonate à Kreutzer de Beethoven. La pianiste était
Mmo Godchaux-Hullmann, qui possède une très remarquable virtuosité.
M. Taffanel a merveilleusement joué la délicieuse suite pour flûte et
piano de M. "Widor, et M. Casella a dit avec le brio, la verve et la chaleur
qui caractérisent son grand talent, un adagio et une valse exquise, vive-
ment redemandée, du même maître. — Nous sommes en retard pour
parler de la troisième séance de musique de chambre pour instruments à
vent. L'intérêt du concert, du reste, était moins grand que d'habitude.
XJnsextuor de M. Thuille, dont c'était la première audition, est une œuvre
agréable; on en a bissé le troisième morceau, le moins bon, assurément,
des quatre qui composent l'œuvre ; la Méditation de M. Lefebvre est d'une
inspiration charmante ; il n'y a rien à dire de Voltetto de M. Gouvy, que
nous entendons chaque année et que MM. Taffanel et consorts exécutent
parfaitement. I. Ph.
— On abuse tellement aujourd'hui de la puissance et même de la vio-
lence, que c'est une véritable béatitude pour l'oreille d'entendre une pianiste
qui cherche et rencontre l'effet dans la délicatesse, dans la couleur et
dans le charme. Aussi, le public qui était accouru samedi dernier au
concert donné par M1™ Herman à la salle Pleyel, l'a-t-il applaudie avec
chaleur. Tous étaient conquis, subjugués par ces doigts mis au service
d'une « âme », Trois morceaux de Chopin : Berceuse, Tarentelle, Polonaise,
ont été traduits par MIM Herman avec un style très personnel et un sen-
timent exquis. Elle a su donner au Menuet de Schubert son charme mé-
lancolique et pénétrant, enlever avec un brio féerique la Novellette de
Schumann et prouver, dans la Rapsodie Hongroise de Liszt que le charme
n'exclut point la vigueur. Enfin la L'gend slave de M. Bourgault-Ducoudray,
jouée pour la première fois en public, a procuré à M™ Herman une véri-
table ovation. Elle est très belle, cette « légende ». Mme Herman l'a admi-
rablement interprétée, les nuances étaient exquises. Aussi le public a-
t-il manifesté son plaisir d'une manière bruyante. Compositeuret interprète
devaient être satisfaits, puisqu'il a fallu « bisser », chose extrêmement
rare dans ce genre ds concert. Nous ne savons dans quel « mode »
M. Bourgault-Ducoudray a écrit sa « légende » ; mais'le dernier accord est
une trouvaille.-
— A la matinée d'Alexandre, donnée jeudi dernier à l'Opéra-Comique,
le charmant duo d'Emile Bourgeois — la Tourterelle et le Papillon, — chanté
par M1'" Nardi et Mme Bernaêrt et accompagné par l'auteur, a obtenu beau-
coup de succès. Il en avait été de même deux jours avant, au concert de
la Société Philharmonique d'Elbeuf.
— Mercredi dernier a eu lieu, salle Pleyel, avec le concours de
MM. Brun, Laforge, Taffanel, Dressen et Guidé, le cinquième concert
donné par MM. Marsick, R. Loys et Mme George Hainl. Le programme
comprenait le trio en sol mineur de Schumann, la sérénade pour flûte,
violon et alto de Beethoven, qui a ravi l'assistance par son charme déli-
cieux et sa ravissante désinvolture, et le sextuor pour cordes de Brahms,
œuvre d'un caractère élevé et d'une inspiration noble et soutenue. Ces
morceaux ont été rendus avec un goût très pur, beaucoup de sentiment
et une virtuosité pleine d'aisance et de distinction. Am. B.
Soirées et Concerts. — Gomme d'ordinaire, la matinée des élèves de M. Louis
Diëmcr donnée à la salle Érard a été des plus intéressantes. Tous ces élèves
sortaient de sa classe du Conservatoire, cla-se superbe, on peut le dire, puisqu'aux
derniers concours elle remportait toutes les lécompenses. A entendre MM. Galand,
Quévremont, Biume, Pierret, Bonnel, BlO' dîn, Niederhofheim et Descspingalle, il
n'est peut-être pas présomptueux de prévoir le même succès pour cette année.
Ce sont tous de jeunes virtuoses bien stylés, qui donnent les plus grandes espé-
rances. Au programme, des composition1* de Théodore Lack et de Francis
Thomë. De celui-ci, 2't préludes exécutés les un« après les autres par toute la petite
phalange de M. Diémer; de celui-là, une série de morceaux à deux pianos, parmi
lesquels les suites concertantes sur Sylvia et Coppélia ODt été surtout chaleureu-
sement accueillies. Ce sont des arrangements vraiment merveilleux et d'une ingé-
niosité exquise. M. Léo Delibes, qui assistait à la séance, en ae xprmé tout son
contentement à M. Théodore Lack. — Dimauche dernier, salle Érard, M"" Hor-
tense Parent faisait entendre sa classe supérieuie de piano. Quinze élèves se sont
fait chaleureusement et justement applaudir. Citons le concerto de M. Lalo, le con-
certo de Rubinstein, la Vélocité de Mathias, jouée en perfection par M"° Lizzie P.;
le Scherzo et Choral de Dubois, etc. Parmi les morceaux d'ensemble, toujours très
remarqués aux séances de M"' Parent, se trouvaient le Cortège de Racclius (8 mains)
et les Pizzicati (18 mains) de Léo Delibes. Ces deux morceaux, exécutés de mé-
moire et avec un ensemble surprenant, ont été bissés. — Brillante matinée
d'élèves chez M010 Ducatez-Lévy, consacrée aux œuvres de piano et de chant de
M. Georges Pfeiffer: citons parmi les plus applaudies la Mélodie en ut et Sérénade
tunisienne, ainsi que Hondel et Pour mon bien-aime mélodies chantées par Mme Pouillet.
Lcsjcunes pianistes font grand honneur à l'eicellent enseignementdeMm'Ducattz-
Lévy. — La semaine passée avait lieu au théâtre de la Galerie. Vivienne le con-
cert annuel de M. Victor Géo. Le sympathique chanteur comique s'est fait applaudir
dans une opérette de sa façon, le Nouveau Genre, dont c'était la première repré-
sentation, et pour laquelle M. Léon Regnisel a composé une partition très réussie.
M. Géo avait pour partenaire Mm0 Cécile Bernier, des Variétés, couverte de bravos
après ses couplets turcs, qu'elle interprète avec beaucoup de finesse et d'esprit.
Parmi lés meilleurs intermèdes de la soiiée citons la romance de Jean de Nivelle,
qu'on a bissée à M"" Georgette Bréjean, une jeune cantatrice douée d'une voix
souple et pleine de charme, le duo du Crucifix, de Faure, rendu avec chaleur par
MM. Georges et Edmond Clément (de l'Opéra-Comique), enfin les tavissantes
pièces pour cor anglais de M™0 de Grandval, Prélude et Valse lente, parfaitement
exécutées par M. Jules Bertain. M"0 Jeanne Petit s'est acquittée de s- s fonctions
d'accompagnatrice à la satisfaction générale. (A suivre.)
Concerts annoncés. — Mardi prochain, 8 avril, salle Kriegtlstein, concert de
M"" Marie Minaldi, avec le concours de M"' Cornélie Gouay et de MM. Paul
Berquet, Gaston Courras, Dumesson, Talandet, Brissier, Dodement et Emile Bour-
geois. — Le violoniste Ladislas Gorski donnera, le mercredi 9 avril, un concert à.
la salle Érard. MM. Paderewski, Alonzo, Parent et Salmon prêteront leur concours
à l'excellent artiste. — Samedi 12 avril, concert de la violoniste M"* Albeitine
Magnien, avec le concours de M'"" Vandeul-Escudier et de MM. Charles Dancla,
Ernest Mousset, Ronchini, Victor Gèo, Wittwer et Buonsollazzi. — L'association
artistique du Quatuor vnca , fondée par Mm0 Muller de la Source, donnera ses deux
concerts les dimanche 21) avril (en matinée) et vendredi 16 mai (soirée) à la salle
d'Hoiticulture, 84, rue de Grenelle. — A la salle Duprez, rue Condorcet, le 21 avril
au soir, concert de M™" Men dès-France, avec le concours de M1,u L. Steiger, de
MM. Geloso, Dressen, Maton et Maurice Schutz, du Conservatoire. — Le
mardi, 15 avril, à l'Institut Rudy (Académie internationale de musique), 7, rue
Royale, sera donnée, a 8 heures et demie du soir, une audition de piano par
M. Victor Benham, de New- York. Ce jeune virtuose, élève de M. Mathis Lussy,
professeur a l'Institut Rudy, vient demander a Paris la consécration d'une répu-
tation acquise en Amérique. — Demain lundi, a la salle Pleyel, concert donné
par M"* Adélaïde Barbé.
Henri Heuoel. directeur-qét anl .
WWW en l'Aude de Me CIIERRIER, notaire à Paris, 44, rue du
V1j±\1I1i Louvre, le 23 avril 1890 à midi, en cinquante-sept lots avec
faculté de réunion : 1" D'un FONDS d'éditeur de musique et lirrairië
â Paris, rue des Bons-Enfants, n° 22. — 2° La propriété LITTÉRAIRE
et artistique de divers ouvrages. — S'adressser au notaire pour le
Catalogue.
Dimanche l'i Avril 1890.
3080 - 56™ ANNEE - l\° 15. PARAIT T0US LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vi vienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement,
Un on, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 l'r.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 l'r., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste eu sus.
SOMMAIRE -TESTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (53° article), Albert Soubies et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale: la Société des Grandes Auditions musicales
de France, H. Moreno; première représentation des Grandes Manœuvres, aux
Variétés, Paul- Emile Chevalier. — III Le théâtre à l'Exposition (21* article),
Arthur Pougin. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour 1'
ENTRACTE- BALLET
extrait de la Vocation de Marius, la nouvelle opérette des Nouveautés,
musique de Raool Pugno. — Suivra immédiatement: Capitaine-polka, sur
les motifs de l'opérette le Fétiche, de Victor Roger, par Philippe Fahrbach.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant : Elle a mis sa toilette claire, n° 3 des Rondels de Mai, de M. B.
Colomer, poésie de Lucien Dhuguet. — Suivra immédiatement : Nous che-
minions dans le sentier, n° i des Rondels de Mai, de M. B. Colomer, poésie
de Lucien Dhiiguet.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
A.lt>ex>t SOUBIES et Charles MALHERBE
CHAPITRE XIV
MEYERBEER A l'OPÉRA-COMIQUE
LE PARDON DE PLOERMEL
(1856-1859)
(Suite.)
Dans l'œuvre de Grétry, comme dans celui de tout maître
en son art, il faut distinguer trois sortes d'ouvrages : les
bons, qui passent à la postérité ; les médiocres, qui résistent
plus ou moins longtemps; les mauvais, qui meurent en nais-
sant. Les Méprises par ressemblance, données pour la première
fois à Fontainebleau devant la Cour le 7 novembre 1786 et
aux Italiens à Paris le 16 du même mois, appartiennent à la
seconde de ces catégories. La dernière reprise dalait de 1822 ;
c'étnit donc une nouveauté pour le public de 1858, qui
voyait une vieille pièce, cetLe fois, par extraordinaire, non
retouchée par un arrangeur, et qui vint trente fois en deux
ans applaudir Beckers (Robert), Nathan (le Bailli), Delaunay-
Ricquier (Sans -Quartier), Crosti (La Tulipe), Troy (Sans-Re-
gret), Saiote-Foy Llacquinoi.), Mlle Lhéritier (Thérèse), M"" De-
croix (Louison), MM Casimir (Margot), dans les rôles créés
par Narbonne, Rosières, Philippe, Meunier, Chenard, Trial,
Mm<!S Adeline, Carline et Gonihier.
On connaît l'histoire du directeurqui remplacé la musique de
la Dame blanche par « un dialogue vif et animé! » C'est pour les
Méprises par ressemblance qu'une telle légende est entrée dans le
domaine de la réalité! Le librettiste Patrat, l'auteur de l'Anglais
ou le Fou raisonnable, estimant que s-on collaborateur, si célèbre
qu'il fût, ne lui avait fait obtenir que dix représentations en
deux ans, et rêvant de succès plus durables et plus fructueux,
supprima d'un trait de plume toute la musique; il fit de la
comédie « à ariettes », une comédie « sans ariettes, »
changea le titre, et, sous cette nouvelle forme, les Deux Gre-
nadiers ou les Quiproquos furent représentés en 1792 au théâtre
de la Cité, puis au théâtre Montansier, où ils se maintinrent
plusieurs années. Tous ces détails, et d'autres encore, se re-
trouvent dans la magnifique édition des Œuvres complètes de
Grétry dont le gouvernement belge a pris l'initiative, et qui
se publie à l'heure actuelle chez les célèbres éditeurs de
Leipzig, Breitkopf et Hârtel. Disons en passant que par la
beauté de l'impression, par la correction du texte, par l'exac-
titude et l'intérêt des notices qui accompagnent chaque vo-
lume et que rédigent M. Edouard Fétis et M. Victor Wilder,
cette édition critique est le plus beau monument que l'on
pût élever à la gloire de Grétry : un pays s'honore en hono-
rant ainsi l'un de ses plus illustres enfants.
C'était un Belge encore ce Limnander, dont on reprenait,
peu après les Méprises, l'opéra réduit en deux actes les Mon-
ténégrins, avec Barbot (Sergis), Troy (Ziska), Nathan (Andréas),
Mlle Pannetrat (Beatrix), une débutante estimable, et les deux
seuls artistes ayant appartenu à la distribution primitive
de 1849, Sainte-Foy (Foliquet) et Mue Lemercier (Regina).
Cette tentative fut un succès pour le chanteur Troy, mais
non pour l'œuvre, à laquelle onze représentations portèrent
le dernier coup.
Plus heureuse au contraire fut la Part du Diable, le troisième
ouvrage d'Àuber qu'on reprenait depuis huit mois ! Hono-
rablement représentée par des interprètes comme Jourdan
(Raphaël), Prilleux (Gil Vargas), Beckers (le Roi), Mme Cabel
(Carlo), Mue Henrion (Casilda), M"« Révilly (la Reine), l'œuvre
d'Auber se maintint quatre années de suite au théâtre avec
un total de 63 représentations.
Mais cette abondance de reprises laissait deviner une
grande disette de nouveautés. C'était la qualité qui faisait
défaut, plus que la quantité : sur sept pièces, une seule
réussit, les Désespérés ; deux autres obtinrent un succès d'es-
time, Quentin Durward et les Trois Nicolas; le reste n'a pas
laissé de trace.
Un mylord millionnaire, et un paysan pauvre qui vont se
pendre par désespoir, et entre lesquels se glisse une joyeuse
fillette qui les raccommode avec la vie, en faisant de l'un
son ami et de l'autre son mari, voilà toute l'intrigue des
414
LE MENESTREL
Désespérés; mais de Leuven et Jules Moinaux l'avaient con-
duite avec esprit, et Bazin avait montré de la verve dans sa
partition ; bref, l'acte fut accueilli le" 25 janvier 1858 de telle
sorte qu'il atteignit en six années 86 représentations.
La veine souriait à ce compositeur plus qu'à M. Gevaerl, dont
le Quentin Durward (25 mars) ne put dépasser le chiffre de 59.
Et pourtant, le poème de Michel Carré et Gormon était inté-
ressant! Et pourtant, la musique était à quelques égards re-
marquable ! ' Explique qui pourra ces inconséquences du
public ! En Belgique on a repris l'ouvrage, il y a quelques
années ; à Paris plus d'une fois il en fut question, et si l'au-
teur consentait à effacer quelques taches, à supprimer no-
tamment quelques italianismes aujourd'hui démodés, Quentin
Durward ferait sans doute encore honorable figure : l'épreuve
au moins vaudrait qu'on la tentât.
Il n'était pas non plus sans mérite, ce petit acte que les
curieux seuls connaissent dans l'œuvre de Victor Massé, les
Chaises à porteur, joué le 28 avril ; la musique avait de la
grâce et de l'entrain ; le poème, signé par deux hommes
d'esprit, Clairville et Dumanoir, présentait un amusant im-
broglio, dont le titre indiquait le principal élément, car chacun
des personnages se servait du véhicule qui ne lui apparte-
nait pas, d'où résultait un vrai « pêle-mêle de mari et d'a-
mants, de femme et de maîtresse, de chaises et de porteurs »,
le tout .d'ailleurs assez leste et lestement conduit. Mais
l'Opéra-Gomique tenait d'autant plus à ces pièces, franche-
ment gaies, qu'il possédait une troupe incomparable pour
les interpréter. Dans ce petit acte, par exemple, paraissaient
Couderc, Ponchard, Prilleux, Muc Lemercier; et le théâtre
tenait encore en réserve Sainte-Foy, Berthelier, Mlle Lefebvre,
tous artistes dont on n'a plus guère aujourd'hui que la
monnaie.
Leur valeur toutefois ne put sauver les malheureux ou-
vrages qui marquèrent la suite et fin de l'année 1858. Les
Fourberies de, Marinette (2 juin), ne trompèrent personne. Ce
petit acte en vers avait pour librettistes un journaliste, M. de
Chazot, et Michel Carré, lequel ne se fit pas nommer le pre-
mier soir; il semblait donc se rendre compte de la médio-
crité de son œuvre. Quant au compositeur, M. Jules Creste, il
avait précédemment combiné, à l'usage de Mme Ugalde, une
adaptation musicale des Trois Stdtanes, de Favart, transportées,
nous l'avons dit, aux Variétés. C'était un nouveau venu à
l'Opéra-Comique; il n'y revint plus.
Mêmes circonstances et même résultat pour les auteurs de
l'ouvrage en un acte représenté le 18 juin, Chapelle et Bachau-
mont. En nous montrant les deux célèbres amis pris de vin et
se faisant berner l'un par une actrice, l'autre par une grisette,
Armand Barthet avait imaginé une fable qui ne rappelait
guère le Moineau de Lesbie, auquel il devait sa réfutation. Le
compositeur, lui, n'avait d'autre titre musical que ses fonc-
tions, et lorsque, su ivant l'usage qui tendait à se maintenir,
le régisseur Palianti vint en habit noir et gants paille
nommer les auteurs, il annonça tout au long que c'était
« le premier ouvrage de M. Jules Cressonnois, chef de mu-
sique du 2e régiment des cuirassiers de la garde impériale. »
Il devait plus tard passer des cuirassiers aux guides et des
guides à la Garde de Paris. Rapprochement assez curieux :'
deux ans plus tard, un autre futur chef de musique de la
Garde Républicaine, M. Sellenick, débutait au Théâtre-Lyrique
avec une pièce en un acte, et, comme la précédente, clas-
sique au moins par le sujet, Cris-pin rival de son maître. :
Les Chaises à porteur furent jouées 51 fois en cinq ans; les
Fourberies de Marinette n'eurent que 17 représentations; Chapelle
et Bachaumont, 11 ; la Bacchante, 3 seulement. C'est tout ce que
méritait cet ouvrage en deux actes donné le 4 novembre, et
dans lequel les auteurs, gens d'esprit cependant, de Leuven
et de Beauplan, s'étaient plu à jeter au bon sens une sorte
de défi. N'avaient-ils pas imaginé une jeune fille, soi-disant
honnête, qui prenait le masque et le nom d'une courtisane
pour ramener à' elle un sien cousin qu'elle aime, se faisant
d'ailleurs aider, en cette triste besogne, par un chevalier
d'industrie qui pousse le jeune homme au mariage en l'exci-
tant à perdre sa fortune au jeu? Pour"~saiïvêr "une "pareille"
donnée, il eût fallu un musicien de génie ; Eugène Gautier,
le compositeur, n'avait tout juste que du talent.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
LA SOCIÉTÉ DES GRANDES AUDITIONS MUSICALES DE FRANCE
Allons-nous entrer enfin dans une période d'activité, et la musique
aura-t-elle droit à une existence honorée comme d'autres arts plus
heureux, ou plus protégés? Il est clair qu'entre MM. Rilt et Gail-
hard d'une part, et M. Paravey de l'autre, qui d'ailleurs ne peuvent
suffire à tout, elle se traîne misérablement réduite à la portion
congrue, sans pouvoir donner l'essor à toutes ses conceptions, à tous
ses rêves. La musique étant avant tout un art d'imagination, il con-
vient de lui laisser la bride sur le col et de se prêter à toutes ses-
fantaisies, d'où peuvent sortir des nouveautés inattendues et d'auda-
cieuses envolées qui la renouvelleront. Ce n'est pas avec notre
concentration parisienne et les deux scènes que nous" mettons géné-
reusement à sa disposition, qu'on peut avoir l'espoir de suffire à ses
besoins, et c'est pour cela que depuis des années elle se replie sur
elle-même, rongeant son frein en attendant l'heure de la délivrance. -
On la berne depuis longtemps d'un tas de projets qui ne se réalisent
jamais, el il faut vraiment qu'elle soit de robuste santé, pour n'avoir
pas encore succombé tout à fait. Eh! bien, voici un petit coin de
ciel bleu qui se découvre pour elle. Qu'y a-t-il de sérieux dans ce
projet et qu'en adviendra-t-il "? On a le droit d'être méfiant après tant
de déboires. N'importe ! Voici une branche qu'on nous tend, accro-
chons-nous-y avec l'énergie du désespoir et souhaitons qu'elle ne
soit pas pourrie comme tant d'autres.
Nous ne pouvons faire mieux que de reproduire ici m extenso le
programme de la nouvelle Société, tel qu'il a été publié dans le
Figaro :
Une œuvre est en train de se fonder qui rendra les plus grands services
aux compositeurs français, et qui est assurée d'un légitime succès parce
qu'elle répond à un besoin public. C'est la « Société des grandes Auditions
musicales de France ».
On sait les difficultés qu'éprouvent nos compositeurs à se faire jouer
dans Paris, et la contrainte où ils se trouvent d'exporter leurs partitions-
les plus remarquables.
Las d'attendre aux portes de nos théâtres lyriques, Reyer, Gounod, Sal-
vayre, Saint-Saëns, Ghabrier, Litolff, Benjamin Godard, Lenepveu, les"
frères Hillemacher, Théodore Dubois, Massenet, et le Maître, jadis, Ber-
lioz, se virent forcés d'expatrier leurs plus belles œuvres.
C'est ainsi que Londres eut la primeur de la Rédemption et de Velléda, -
que Darmstadt donna la première de Samson et Dalila, que Saint-Péters-
bourg monta Richard III, et que la Monnaie de Bruxelles offrit à un publié-
d'élite, accouru de tous les points de l'Europe, une série de premières inou-
bliées : Sigurd, Jocehjn, Ilérodiadc, les Templiers, Saint-Mégrin, Salammbô, etc.
Quant aux opéras de Berlioz, représentés pour la plupart en Allemagne,
ils restent, dans leur ensemble, inconnus de la grande majorité des Fran-
çais et n'ont jamais été joués que par fragments dans les concerts.
Cet exil doit avoir un terme. Aussi un groupe de Français, composé de
personnes du monde et d'artistes, a-t-il décidé de faire appel au patrio-
tisme de tous, pour fonder une Société qui assurerait enfin à notre pays
la primeur des œuvres françaises, et qui, dans de grandes auditions»
donnerait les partitions complètes de compositeurs anciens ou contem-
porains. La Société s'appliquerait d'abord à mettre en pleine lumière les >
maîtres d'autrefois et à monter les chefs-d'œuvre qui; toujours expatriés,'
sont restés fermés pour des milliers de Français,
Cinq ou six représentations de chaque œuvre seraient données consécu-'
tivement, puis un autre opéra serait étudié, préparé' et joué, le nombre
des œuvres dépendant, bien entendu, des ressources de la Société.
Quant à la salle, elle est déjà trouvée, et de puissants protecteurs veu-:
lent bien la prêter gracieusement, évitant, par conséquent, les lourdes dé-
penses de la construction.
Paris n'aura donc bientôt rien à envier aux grandes capitales de l'Eu-
rope, et pourra suivre l'exemple de Londres, en particulier, où le Messie
do Haendel, laPassion de S. Bach, le Christ au Jardin des Oliviers de Beetho-'
ven, Alceste, Armide de Gluck, les Troyens et Benvenuto de Berlioz, etc.,
ont été révélés, magnifiquement interprétés, devant un auditoire enthou-
siaste!
Un des maîtres les plus applaudis, M. Gounod,, est le président d'iion-'
neur de cette Société éminemment française, qui a été formée par 'les soins'
dévoués de Mm<! la comtesse Greffulhe, avec le patronnage de la pluparti
LE MENESTREL
m
■des membres de l'Académie des Beaux-Arts et de Mm0B Carvalho et
Krauss.
Le comité se compose, en outre, d'administrateurs et de membres con-
sultatifs. Les administrateurs sont: le prince A. d'Arenberg, le prince
Pierre de Caraman-Cbimay, le comte E. de Ganay, M. A. O'Connor et le
prince de Polignac, avec M. François Hottinguer, comme trésorier de
l'œuvre.
Le comité consultatif comprend MM. César Franck, Camille Benoit,
■Onfroy de Bréville, Chausson, Chevillard, Chabrier, Fauré, Vincent d'Indi,
André Messager, X. Perreau, Pillaut, Vidal, etc..
Un tel patronage est le plus bel éloge que l'on puisse faire de l'œuvre.
Aussi, le premier appel adressé par M"10 la comtesse Greffùlhe à quel-
ques personnalités dont le concours lui était acquis, a-t-il produit de tels
résultats que le succès semble dès maintenant certain, et qu'un premier
opéra pourra être représenté dans peu de semaines?
Tout le monde voudra d'ailleurs concourir à cette fondation artistique
et patriotique ; et une vaste propagande va s'organiser pour couvrir les
frais de ces vaillants.
Mais, demandera-t-on, sous quelle forme doit se manifester le concours
du public?
Sous forme de cotisation.
Par les soins de M. Ehret, un livre de souscription va circuler dans
Paris. On y inscrira, non point l'argent versé, mais une simple promesse
de souscription, personne, en ce moment, n'étant chargé de percevoir une
somme quelconque pour cette œuvre projetée.
Les personnes qui s'inscriront pour un versement de cent francs au-
ront droit à deux places pour la répétition générale et à deux autres places
pour la seconde représentation de chacune des œuvres jouées pendant
l'année. Celles qui donneront la somme de vingt-cinq francs assisteront
à la répétition générale, etc. ; le détail en est d'ailleurs mentionné sur le
livre; et on publiera à la fin de l'année les noms de tous les sous-
cripteurs.
Quant à la première représentation de chaque œuvre, elle sera réservée
au public payant et à la critique; et cette recette, venant s'ajouter aux
souscriptions déjà recueillies, contribuera ainsi à subventionner de jeunes
■compositeurs, et à solder les frais de mise en scène des œuvres qui se-
ront montées l'année suivante.
Par conséquent, rien de plus simple que cette organisation, dans la-
quelle tout est consacré à l'art.
Le public des concerts classiques et populaires forme maintenant une
armée assez considérable dans Paris, et le mouvement musical y tient
assez de place pour qu'une entreprise aussi intéressante puisse se déve-
lopper avec toute facilité. On va donc nous faire entendre non plus des
fragments d'œuvres inédites, mais les œuvres elles-mêmes, entières, dans
leur primeur, qu'elles soient anciennes ou modernes : le succès les fera
peut-être entrer ensuite à l'Opéra. Peut-être aussi leur apothéose tardive
effacera-t-elle bien des injustices, et des noms méconnus sortiront-ils de
leur tombe, ressuscites de l'oubli !
La Société des grandes Auditions musicales de France veut, pour son début,
donner dans son intégrité l'une des plus belles œuvres de Berlioz. Elle
montera, dans les premiers jours de juin, sous la direction de M. Ch.
Lamoureux et avec l'aide de son merveilleux orchestre, Béatrice et Béné-
dict. Cet opéra en deux actes du grand compositeur français n'a jamais
été joué qu'en Allemagne !
Ce détail en dit plus que tous les commentaires. Il faut que tout Paris
contribue au succès de cette fondation éminemment française ; ce n'est
pas une. question de personnes en effet; ce n'est pas une question d'école;
c'est une question d'utilité publique (1).
Mon Dieu ! il n'y a pas de constitution parfaite, et nous voyons
bien par où celle-ei peut pécher.
Sans doute, le patronage d'une grande dame est infiniment gra-
cieux ; il est même précieux au point de vue des souscriptions
princières qu'il ne peut manquer d'entraîner. Mais il donne à l'en-
treprise une sorte de vernis mondain qui ne concorde pas tout à
fait avec l'austérité dubut qu'on poursuit. Et, comme on est accou-
tumé de voir à la tète de toutes nos œuvres de bienfaisance le nom
de nos plus belles comtesses, ce qui est à leur grand honneur, on
sera peut-être tenté d'assimiler l'oeuvre de régénération de la mu-
sique française, qu'on rêve, à un acte de simple charité, ce qui serait
fâcheux et peu digne de la noble cause qu'on prétend défendre. Il
ne faut pas qu'on puisse appeler, avec quelque apparence de rai-
son, l'appel de fonds qu'on va faire : Souscription pour les œuvres
abandonnées des petits musiciens français en détresse.
Voilà un premier danger. En voici un autre ; il consiste dans la
composition du comité d'honneur, où nous voyons figurer beaucoup
de gentilshommes distingués, qui ne sont pas sans nous faire frémir.
On a vu des princes composer de la musique et des financiers oc-
cuper leurs loisirs à aligner sur leurs livres de redoutables partitions.
(1) Les promesses de souscription pour l'œuvre des Grandes Auditions de France
peuvent être adressées dès maintenant à la présidente, W" la comtesse Greffùlhe,
en son hOtel, 8, rue d'Astorg.
Et, comme tout dégénère en ce monde, il faut craindre qu'une
entreprise noblement commencée avec le Benvenuto de Berlioz ne
finisse eu une simple succursale du cercle des Mirlitons.
Le « comité consultatif » ne saurait non plus nous convenir plei-
nement. Sous le couvert du nom très décorai if de M. Gounod et à
l'abri de « plusieurs membres de l'Académie des Beaux-Arts » dont
on parle vaguement et qu'on ne nomme même pas, j'y vois nombre
de jeunes compositeurs de l'avenir, nommés au contraire avec
complaisance, parfaitement honorables d'ailleurs et même intéres-
sants, mais chez lesquels je crains de ne pas rencontrer un esprit
d'éclectisme suffisant pour une œuvre nationale comme celle qu'on
vise et où il faut des vues singulièrement larges. Il serait profon-
dément regrettable qu'un esprit de coterie vînt se mêler à cette
affaire. Or, tous les membres effectifs de ce « comité consultatif »,
tous ou à peu près, font partie de cette Société nationale, qui n'est
guère autre chose qu'une société d'admiration mutuelle, dont notre
collaborateur, Julien Tiersot, nous conte régulièrement les hauts
faits, avec beaucoup de courtoisie, dans les colonnes du Ménestrel.
Une « Société nationale », en petite édition comme celle-ci, pa-
raîtra sans doute suffisante ; si elle devait prendre la proportion
d'une grande institution, cela deviendrait peut-être dangereux et
déplorable pour le repos des citoyens français.
Il n'est pas jusqu'au chef d'orchestre « éminent » qu'on a choisi,
qui n'indique des tendances fort accusées vers un but unique et
contestable. Si on ne doit nous servir dans les « grandes auditions »
projetées que la menue monnaie de Wagner, ou mieux, les miettes
qu'il a laissé tomber de sa table et que de jeunes disciples ont
pieusement ramassées, l'institution nouvelle devient tout à fait
inutile. Il est mieux de nous donner tout de suite le grand maître
de. Bayreuth, au lieu de prendre des chemins détournés pour le
produire sous de fausses espèces.
Au résumé, tout ceci est assez semblable à l'ancien projet de
M.Charles Lamoureux, lors des mémorables représentations de Lohen-
grin à l'Eden-Théâtre, avec cette différence toutefois qu'on agit avec
plus de prudence et qu'au lieu de se mettre sous la protection d'un
maître allemand, si grand soit-il, on a pensé qu'il était plus adroit
de se mettre à l'ombre du nom de Berlioz. Cela est bien, et c'est ce
que nous-même avions indiqué à M. Lamoureux, quand il s'est lancé
dans la terrible aventure de l'Eden.
Voilà les objections principales que nous avions à faire au pro-
gramme de la nouvelle Société. Enregistrons encore pour mémoire
la singulière idée qu'on a d'écarter des premières représentations les
souscripteurs de l'œuvre. Ce n'est pas un bon moyen de les attirer,
étant donné l'amour-propre qu'on met à assister aux fêtes artistiques
dans leur primeur. Qu'on donne au moins aux souscripteurs un droit
de préférence pour la location des places aux premières représen-
tations.
Il n'y a pas moins là un effort artistique qu'il convient d'en-
courager de toutes les manières pour voir ce qui pourra bien en
sortir, et on peut inscrire le Ménestrel au premier rang des souscrip-
teurs.
H. Moreno.
P. -S. — Variétés. — Les Grandes Manœuvres, comédie en deux
actes de MM. H. Baymond et A. de Saint-Albin.
Décidément le théâtre-chronique fait école, et si cela continue,
nous serons bientôt condamnés à ne plus assister, comme spectacle,
qu'à de plus ou moins longs articles ou faits divers dialogues, cou-
pés dans le journal et transportés simplement sur la scène. Le sys-
tème peut paraître aimable et chatoyant; mais je crois qu'à la
longue il finira justement par lasser le public. Paris fin de siècle a
réussi, les Grandes Manœuvres n'ont pas encore trop mal tourné ; qui
nous dira quel accueil serait fait à la pièce de demain coulée dans
le même moule? Donc, l'intrigue de MM. Baymond et Saint-Albin
est réduite à sa plus simple expression et, si 'leurs deux actes ne
sont pas ennuyeux, c'est grâce à la légèreté du dialogue et à l'esprit
facile dont ils ont fait montre. Une jeune veuve, friande d'émotions
variées, se déguise en femme de chambre pour se laisser mieux
lutiner par les soldats qui font les grandes manœuvres dans les
environs du château où elle habite, et elle se trouve tout justement
être fiancée à un colonel qui, sans la connaître, lui fait des propo-
sitions assez cavalières. Bien entendu, l'identité do la fausse sou-
brette se découvre ; le mariage avec le colonel est rompu et c'est
un jeune vicomte réserviste qui épousera. Marivaux s'était déjà servi.
de ce thème, ce qui rendait la tâche plus difficile, ou plus facile,
comme vous le préférerez, à MM. Baymond et Saint-Albin. M. Du-
puis est parfait dans le rôle épisodique d'un cuisinier épique ;
416
LE MENESTREL
M. Baron semble gêné par la tenue trop correcte que lui impose son
uniforme de colonel ; M. Cooper reste un élégant réserviste gen-
tilhomme, même sous sa capote de fantassin, et M. Germain se taille
un succès, dès son entrée en scène, en fredonnant la valse fameuse:
« 0 légère hannetonne » qu'on ne se lassait pas de lui faire répéter
dans le Fétiche. — Mllc Jeanne May est une petite poupée très délu-
rée et Mllcs Crouzet et Durand sont toujours fort aimables à voir.
Le spectacle était complété par les Sonnettes, cet acte exquis de
MM. Meilhac et Halévy, enlevé à ravir par M. Dupuis et MUe Jeanne
May, et par Deux contre un, une amusante petite pièce de M. De-
belly, l'un des joyeux auteurs de la Vocation de Marins.
Paul-Émile Chevalier.
LE THÉÂTRE A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889
(Suite)
XI
Ce travail reslerait incomplet si, pour le terminer, je ne réunissais
ici quelques notes sur les divers théâtres qui ont été l'une des joies et des
distractions favorites des visiteurs de l'Exposition universelle. On
sait que les organisateurs de cette entreprise merveilleuse, voulant
faire une large part à la curiosité amusante, s'étaient proposé de
placer toujours l'agréable à côté de l'utile, et nul n'ignore de quelle
façon singulièrement heureuse ils avaient réalisé leur dessein. Au
nombre des divertissements de tout genre imaginés par eux se trou-
vaient donc plusieurs théâtres disséminés dans diverses parties de
l'immense espace consacré à l'Exposition : à l'Esplanade des Inva-
lides, dans le groupement formé par les exhibitions si pittoresques
et si savoureuses des colonies françaises, le théâtre Annamite; au
Champ de Mars même le Grand Théâtre de l'Exposition, qu'ont rendu
fameux les représentations des Gitanas espagnoles, le Grand Théâtre
International, où la troupe égyptienne du khédive oblint aussi un
grand succès; et les Folies-Parisiennes, qui, elles, n'étaient guère
autre chose qu'un café-concert saDS originalité particulière.
En dehors de ces théâtres, il faut au moins consacrer un souvenir
rapide à quelques spectacles dont l'étrangeté était faite pour piquer
la curiosité du publie avide de nouveautés. En prtmier lieu, le pa-
villon des gentilles et si gracieuses danseuses du Kampong javanais ;
puis, les exercices plus effrayants que réjouissants des Aïssaouas;
la tente marocaine de la rue du Caire, où les amateurs allaient con-
templer la danse du ventre et, les exploits du derviche tourneur; en-
fin, les séances du Concert tunisien, où, entourée de ses compagnes
trônait la belle Fatma, de son vrai nom Eachel Bent-Eny. Quand
nous aurons rapidement passé tout cela en revue, rien ne nous sera
plus étranger de tout ce qui concernait le théâtre à l'Exposition uni-
verselle.
LE THÉÂTRE ANNAMITE
Au point de vue spécial qui nous occupe, le clou de l'Exposition
était certainement le Théâtre Annamite de l'Esplanade des Invalides,
qui pendant cinq mois, jour et soir, n'a cessé d'attirer la foule.
C'est qu'il y avait là, pour nous autres Français, soit délicats et
raffinés, soit simplement curieux, la révélation d'un art inconnu,
étrange, très brillant, dont, ignorants de la langue employée, nous
ne pouvions assurément saisir les détails, mais qui nous frappait à
la fois non seulement par son caractère de nouveauté, mais, d'une
part, par son accent de sineérit ■'-, de l'autre par sa bizarrerie naïve et
par un mélange de luxe et de simplicilé tout à fait particulier. Ce
spectacle curieux nous prenait d'abord par les yeux, et, quoique for-
cément étrangers à l'action qui se déroulait devant nous, notre in-
térêt finissait par être excité et par devenir très réel. Nous éprouvions
là, presque instinctiventent, le sentiment d'une forme d'art très inté-
ressante, très intelligente, très compliquée, qui nous frappait sur-
tout par son côté extérieur et plastique, mais qui certainement avait
une valeur indéniable.
Dans les premiers jours de juin, a dit un chroniqueur, les visiteurs de
l'Exposition qui se trouvaient, vers midi et demi, à l'Esplanade des In-
valides, dans les environs du palais de l'Annam, ont assisté à un spec-
tacle surprenant. Ils ont vu défiler une procession d'Annamites en grand
costume d'apparat, le visage peint de bigarrures étranges, marchant aux
sons discordants d'un orchestre bruyant de tam-tam et de trompettes
criardes, et précédés d'un mandarin à l'air farouche, qui se livrait à une
mimique assez animée pour faire écarter la foule des curieux. Deux de
ces Annamites portaient un Bouddha doré et les autres tenaient deux
riches parasols à. longs manches, des drapeaux multicolores de formes
carrée et triangulaire, ou bien des hallebardes munies d'une large lame
d'acier.
C'étaient les acteurs du Théâtre Annamite qui, avant d'inaugurer la
scène sur laquelle ils allaient donner des représentations au public de
l'Exposition, venaient placer solennellement dans les coulisses, selon
l'usage de l'Extrême-Orient, l'image de leur idole, qu'ils avaient apportée
de Saigon. Bouddha protège, en effet, l'industrie, les arts et la guerre,
et sa présence est nécessaire à la réussite de toute entreprise. Aussi un
bon Annamite ne saurait se soustraire à cette pieuse coutume, même sur
l'Esplanade des Invalides, et le directeur de la troupe théâtrale de l'Ex-
position coloniale n'aurait pas voulu ouvrir sa salle aux Parisiens sans
s'être préalablement placé sous la haute protection de son dieu, dont la
sérénité lui enseigne sans doute la résignation dont il a besoin pour faire
jouer les pièces de son répertoire devant un public profane, qui paraît
tout déconcerté par le bruit assourdissant et discordant des instruments
et par les cris aigus des acteurs. L'installation du Bouddha s'est donc
faite avec tout le cérémonial accoutumé, avec les prosternations et les
invocations de rigueur, exactement comme elles se seraient faites sur le
territoire de la Cochinchine pendant les pérégrinations de la troupe (I).
Nous verrons tout à l'heure ce que sont les pratiques artistico-
religieuses des comédiens annamites.
Le Théâtre Annamite est une sorte de grand pavillon rectangulaire
en bois, d'un aspect exlérieur assez simple. Lorsqu'on a franchi le
eonlrôle, où setiem, impassible dans sa robe soyeuse d'un mauve
clair et caressant, une jeune Annamite charmante, femme de l'in-
terjîrète de la troupe, lorsqu'on a traversé un vestibule peint en bleu
avec une bordure rouge, on pénètre, par une petite porte de forme
orientale et tendue d'étoffes, dans la salle propement dite. Celle-ci,
à peu pies carrée-, peut contenir de quatre à cinq cents spectateurs.
Sur trois côtés sont disposés, comme dans un cirque, des gradins
s'étageant jusqu'à un promenoir qui s'étend tout au-dessus d'eux;
le quatrième côté est occupé par la scène, qui rnerd profondément
sur l'orchestre — ou le parterre, comme on voudra l'appeler. Cette
disposition est exactement celle d'un de nos cirques, un jour de
concert. Les places d'orchestre se paient 5 francs ; les premières,
2 fraDcs; les secondes, 1 franc; enfin, le promenoir, SO centimes.
On assure qu'avec ces prix le Théâtre Annamite n'a pas encaissé
moins de 230,000 francs au cours de sa saison. 11 est vrai qu'il ne
donnait pas moins de huit représentations quotidiennes : cinq d'heure
en heure dans la journée, à partir d'une heure et demie, et trois le
soir, à partir de huit heures! C'est à se demander comment les mal-
heureux acteurs pouvaient y tenir. Ceux-là n'ont pas dû connaître
beaucoup Paris !
Ces acteurs faisaient partie d'une troupe nomade comme celles
qui, chez nous, parcoureul les départements et s'en vont de ville en
ville. C'est la mode aussi là-bas, où il existe très peu de théâtres
fixes et où les comédiens de la Cochinchine, de l'Annam et du Ton-
kin parcourent ainsi le pays incessamment. La troupe de l'Exposi-.
tion, qui vraisemblablement n'avait jamais entrepris une aussi am
pie excursion, est, dit-on, l'une des meilleures qu'on ait connues à
Saigon, et elle étend d'ordinaire ses voyages jusqu'aux provinces
méridionales de la Chine, où ses grands drames si mouvementés
obtiennent le plus vif succès. Elle était réunie ici au nombre d'une-
quarantaine de personnes, en y comprenant les musiciens (!) et les
employés.
Le directeur, Nguyen Dông Tru, qui est aussi l'auteur des pièces
qu'il fait représenter et pour qui le théâtre est une véritable passion,
est un jeune Annamite de vingt-cinq ans environ, le seul de son
personnel qui sût dire quelques mots de français d'une façon à peu
près intelligible. L'un de ses premiers artistes était Nguyet, un co-
mique fort intéressant; il y avait Thô, qui faisait le roi avec beau-
coup de dignité et dont le visage était fort expressif, puis Chô et
Thinh, qui jouaient les mandarins; puis encore Qui, remarquable
dans les sorciers, Thao, Dang, Rit, Phung... Enfin, contrairement
à la coutume annamite, où, comme dans le théâtre antique, les rôles
féminins sont tenus par de jeunes hommes imberbes, Nguyen avait
amené ici deux jeunes femmes charmantes, Tani et Guong, qui te-
naient leur emploi de la façon la plus gracieuse (2).
Les acteurs annamites prennent leur art très au sérieux. Quelques-
uns ont exagéré sans doute en assurant qu'ils n'abordaient la scène
qu'après dix années d'études préparatoires ; mais il est certain que
ces éludes sont d'autant plus importantes qu'il leur faut avant tout
se familiariser, d'une manière absolue, avec la langue des lettrés,
langue toute spéciale et dans laquelle les pièces sont écrites, qu'ils
doivent apprendre les rôles de tous les ouvrages du répertoire,
qu'ils sont tenus à certains exercices physiques relatifs aux marches
et aux danses à exécuter sur la scène, enfin qu'ils sont obligés à un
(1) Louis Roussclet : L 'Exposition universelle de 1889 (Paris, Hachette, in-8°).
(2) On n'est pas d'accord sur leurs noms, car certains chroniqueurs les
ont présentées au public sous ceux do Tau et Tu.
LE MENESTREL
117
exercice d'un autre genre pour amener leur voix au diapason ef-
froyablement aigu qui leur permet par instants non de parler, mais
de crier, de hurler, si l'on peut dire, de façon à couvrir jusqu'au
bruit de leur orchestre pourtant si bruyant.
En dehors do leur talent, ils poussent fort loin la science du cos-
tume, et surtout de ce qu'on peut appeler le grimage. L'art de « faire
sa figure, » comme disent nos comédiens, est en effet pour eux
fort important et autrement compliqué. C'est que l'acteur annamite
ne doit pas seulement indiquer, par l'aspect de sa physionomie, son
âge et son rang social: grâce à certaines conventions, il faut aussi
qu'il fasse connaître exactement, dès son entrée en scène, la posi-
tion qu'il occupe dans la vie, de telle sorte que le spectateur ne s'y
puisse tromper. Ainsi, un roi ou un prince du sang royal doit avoir
le visage recouvert d'ocre rouge, sans autre tatouage, tandis qu'un
mandarin chef d'armée, un pirate chef de bande se zèbre la figure
de blanc et de noir de façon à présenter la face d'un tigre, dont il
porte d'ailleurs le nom comme un titre ; avec cela, des moustaches
effarouchantes, rouges ou noires, et des barbes invraisemblables.
Quant au mandarin civil, il est presque toujours marqué d'une teinte
grisâtre, avec une longue barbe tombante, attribut de l'âge, de la
sagesse et de l'expérience. Pour ce qui est des serviteurs, ils ont
simplement une ligne blanche ou noire sur les joues, parfois des
espèces de limettes dessinées autour des yeux, et c'est tout. Ajoutons
que les femmes ne se griment jamais.
Les grands personnages sont revêtus du costume d'apparat en
usage dans les circonstances solennelles : grande robe à larges man-
ches en soie richement brodée, dont les dessins, de couleurs très
diverses et très voyantes, ' figurent des animaux fantastiques ; un
cerceau qu'ils ont autour de la taille, à une certaine distance des
hanches, permst de relever, en arrière et à sa hauteur, deux pans
de la robe, de telle façon qu'ils ressemblent aux ailes de certains
canard' chinois. Pour coiffure, un casque doré en forme de tiare,
souvent orné de plumes, qui se porte un peu en arrière et qui re-
couvre les cheveux, noués sur le sommet de la tête et enveloppés
d'une sorte de serre-tète noir. On comprend, en les voyant ainsi
vêtus, les scènes que leurs peintres reproduisent sur le ventre des
potiches. Le costume des femmes est d'une richesse extrême et
plein de grâce; leur coiffure est charmante, et elles portent leurs
robes de soie et de brocart avec une rare élégance. Elles sont chaus-
sées. Si je fais cette remarque, c'est qu'elles sont à peu près les
seules qui se permettent ce luxe. Dans une de leurs pièces, j'ai vu
tous les acteurs pieds nus, à l'exception d'un seul mandarin.
(A suivre.) Arthur Pougin.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
h'ilamlet d'Ambroise Thomas vient de remporter un succès décisif
à la Scala de Milan. Toutes les dépèches qui nous parviennent sont d'ac-
cord sur ce point et aussi toute la presse italienne. Même les quelques
feuilles wagnériennes qui ilorissent à Milan sont obligées de le constater,
bien qu'en maugréant : « De toute manière, conclut- la Perseveranza, c'est
une œuvre digne d'un maître comme Thomas et digne d'un grand théâtre
comme la Scala ». — « Résumons-nous, dit le Pungolo, succès imprévu
et d'autant plus agréable pour tous, pour le public comme pour la direc-
tion ». — « Nous augurons que le triomphe de cet Hamlet, dit Yltalia, va
réparer en partie sinon en totalité, tous les maux soufferts par la direc-
tion depuis le commencement de la- saison. » — « Le public était accouru
en foule, ditleSeco/o, et s'est enthousiasmé au contact de cette création
d'un esprit supérieur. » L'interprétation remporte également tous les suf-
frages. La Calvé est « idéale » dans Ophélie, Batistini « incomparable »
dans Hamlet, M"0 Litvinne « tragédienne sculpturale » dans la reine,
Navarini « consciencieux » dans le roi, et le chef d'orchestre Mugnone
« digne de succéder à Faccio » à ce pupitre redoutable de la Scala.
Bonne soirée pour la musique française.
— Une grave et triste nouvelle nous est apportée de Milan par le télégra-
pne. L'éminent chef d'orchestre Franco Faccio, qui depuis près de vingt
ans s'est fait à la Scala une si grande et si légitime renommée, vient d'être
frappé d'aliénation mentale et conduit dans une maison de santé. On se
rappelle que M. Faccio, qui avait été sur le point, il y a deux ans, d'abandon-
ner son pupitre à la Scala pour aller prendre à Rome une situation sem-
blable, s'était décidé il y a quelques mois, sur les instances de Verdi et du
ministre de l'instruction publique, à s'éloigner définitivement de Milan et
à accepter les fonctions de directeur du Conservatoire de Parme, dont il
devait prendre possession prochainement. M. Faccio est à peine âgé de
49 ans, étant né à Vérone le H mars 1841.
— Un journaliste italien rend compte d'une entrevue qu'il a eue ré-
cemment à Gènes, avec Verdi. Après avoir causé de différentes choses et,
naturellement, de musique, l'interlocuteur de Verdi mit quelque insistance
à lui demander si décidément Otello resterait son chant du cygne : —
« Je ne sais, je ne sais, répondit le maître. Pour le moment je suis fati-
gué, et je voudrais me reposer. Pourtant, ajouta-l-il après un moment de
silence, qui sait si je ne me déciderais pas... au cas où me viendrait
l'inspiration. » Et de ces paroles le journal conclut, peut-être un peu in-
considérément, que Verdi a déjà mis la main à une nouvelle partition.
— Avis aux amateurs. Les journaux italiens annoncent qu'à Venise sont
en vente, pour la somme de 12,000 francs, deux superbes violons d'Amati,
contenus dans une boite ancienne avec deux archets. L'un de ces ins-
truments porte la signature de Nicolas Amati et la date de 1618; l'autre
est de Jérôme Amati et daté de 1695. Tous deux sont sans défauts et
« avec leur vernis original. »
— La disparition d'un directeur de théâtre. Le journal il Sislro, de Flo-
rence, annonce que l'imprésario du théâtre Niccolini, de cette ville, M. Aldo
Maria Colonnelli, n'a plus reparu ni à ce théâtre ni chez lui depuis le
27 mars dernier. Sa famille fait d'activés recherches pour savoir ce qu'il
est devenu. Les représentations du théâtre continuent.
— Aucun prix n'a été décerné au concours ouvert par l'Académie de
l'Institut royal de musique de Florence pour la composition d'un Offer-
toire destiné à la Messe des Morts, mais trois mentions honorables ont
été attribuées à MM. Girolamo Gaudino, chef de musique au 64° régiment
d'infanterie, Giuseppe Sestini, de Plaisance, et Guglielmo Mattioli, de
Reggio d'Emilie.
— Avec le produit du concert donné au bénéfice du personnel du théâtre
Umberto, de Florence, incendié il y a quelques mois, on a pu racheter
et distribuer, aux 87 artistes de l'orchestre de ce théâtre, des instruments
en remplacement de ceux qu'ils avaient perdus dans ce sinistre.
— Un fait artistique vraiment curieux vient de se produire à Lodi, où
le conseil directif d'une œuvre de bienfaisance « les Cuisines économi-
ques », a décidé de donner au profit de cette œuvre un grand concert
dont les élèves de l'Institut des aveugles de Milan, fameux dans toute
l'Italie, étaient appelés à faire tous les frais. En effet, le programme, où
se trouvaient les noms de Haendel, Boccherini, Schubert, Richard Wag-
ner, Mariani, Rubinstein, Bazzini, Adolphe Adam, Popper, Scuderi, Sof-
fredini, et qui comprenait des ouvertures, des chœurs, et divers morceaux
pour quatuors, solos d'instruments et de voix, a été entièrement défrayé
par les élèves des deux sexes de l'Institut. L'un des jeunes aveugles diri-
geait l'orchestre, un autre les chœurs, et un troisième faisait exécuter
une symphonie originale pour orchestre de sa composition. Pour cette
manifestation musicale d'un caractère particulier et véritablement inté-
ressant, qui avait lieu au théâtre Gafîorio, des trains spéciaux avaient été
organisés à Milan, à Crema et à Pavie, qui ont amené à Lodi un grand
nombre d'amateurs et de curieux.
— Une caricature du Trovatore, de Milan, qui ne donne pas une haute
idée de la situation artistique du théâtre de la Scala. Un pécheur endurci
entre dans un confessional, où le prêtre lui dit : Vous avez sûrement
passé le carnaval dans des divertissements fous... — Oh ! mon révé-
rend! Je me suis seulement abonné à la Scala. — En ce cas, mon fils,
allez en paix ! Ego te absolvo... parce qu'en carnaval et en carême vous n'avez
vécu que de privations en pénitence des fautes commises. »
— Un journal spécial d'Oporto, le Correio dos Theatros, annonce qu'il
commencera sous peu la publication d'une Histoire du théâtre royal Saint
Jean, de cette ville, l'un des plus importants du Portugal.
— Voici la composition de la troupe du grand théâtre du Lycée, de
Barcelone, pour la saison prochaine : Mmes Borghi-Mamo, Borelli, Kupfer-
Berger, Garagnani, Pia Roluti, prime donne; MM. Aramburo, Moretti,
Salto, ténors ; Laban, Seguin, barytons ; Vidal et Rossi, basses.
— Aux renseignements que nous avons publiés concernant le 4° festival
de l'Union des chaiiteurs allemands, qui se tiendra à Vienne dans le courant
du mois d'août, nous pouvons ajouter les détails complémentaires suivants:
cinq cents sociétés musicales (représentant neuf mille chanteurs) ont déjà
envoyé leur adhésion. On compte toujours sur un effectif total de douze
mille exécutants. A l'heure actuelle, des logements gratuits ont déjà été
réservés pour six mille hommes. Le 1er mai paraîtra une feuille spéciale,
véritable publication artistique, qui sera l'organe officiel du festival. La
grande cavalcade qui partira de l'Hôtel de Ville pour se rendre au Prater,
sera divisée en trois groupes principaux, comportant chacun de nombreuses
subdivisions. Un de ces groupes figurera le développement historique de
l'art du chanteur. H y aura des chars allégoriques en quantité.
— Une nouvelle à la main de la Neue-Muzik-Zeilung de Stuttgart : Un
Viennois rencontre un de ses amis tenant un enfant par la main. « Quel
est ce marmot? » lui demande-t-il. « C'est un petit prodige. L'enfant a
deux ans..., et il ne joue pas encore de piano. »
— Les Signale, de Leipzig, publient de curieux renseignements sur les
compositions musicales de l'eu l'impératrice Augusta. Elle eut pour pro-
fesseur l'ancien directeur de ballets et compositeur de la Cour, Hermann
Schmidt. C'est ce qui explique le goût dominant de la souveraine pour la
118
LE MÉNESTREL
musique de ballet et de danse en général. Ainsi, l'ouverture du ballet la
Mascarade, qu'on représentait, fréquemment, avec Fenny Essler, sous le
règne de Frédéric-Guillaume III, est de sa composition. Un grand nombre
de ses œuvres ont été intercalées dans des opéras et des ballets. Lors-
qu'elle monta sur le trône, la reine Augusta fit retirer de la circulation
artistique toutes ses compositions. Elle mettait une sorte de coquetterie à
se soustraire aux éloges des musiciens de marque. « C'est déjà bien assez
mal de ma part, leur répétait-elle, de gâter le métier des véritables com-
positeurs. » Un pas redoublé de l'impératrice porte le n° 103 au répertoire
des marches de l'armée prussienne.
— L'anecdote suivante, qui concerne Franz Liszt, nous est encore racontée
par le Neue Musikzeitung de Stuttgard. Emmitoufilé dans sa robe de cham-
bre, les pantoufles aux pieds, le maître était, un soir, commodément assis
dans son fauteuil, prêta travailler et laissant venir l'inspiration. A l'étage
supérieur, chez un banquier, bruyante soirée musicale. Les touches du
piano, brutalement traitées, semblaient voler en éclats et souffrir... autant
que le maître lui-même. Les polonaises avaient succédé aux valses et les
nocturnes aux polonaises, quand tout à coup la porte du salon s'ouvrit
brusquement, et que vit-on apparaître? Liszt en personne, toujours enve-
loppé dans sa robe de chambre. On se figure l'étonnement qui s'empara
de la brillante assemblée devant cette apparition aussi étrange qu'inatten-
due, mais au maître vénéré on pardonnait tout, même une tenue excen-
trique, et tous épiaient ses mouvements avec la plus vive curiosité. A pas
lents, Liszt se dirigea vers le piano, d'où s'éloigna prestement un jeune
tapoteur; il s'assit devant l'instrument, promena négligemment ses doigts
sur les touches comme pour préluder, puis, brusquement fermant le cou-
vercle, mit la clef dans sa poche. Et tout aussitôt, du même air tranquille
qu'il avait pris pour entrer, il sortit et regagna son appartement, où il put
travailler à l'aise.
— Le Conservatoire de Bucharest a célébré le 8 mars dernier, par une
fête musicale, le vingt-cinquième anniversaire de sa fondation.
— Un ancien artiste delà Renaissance, M. Félix Puget, vient de prendre
la direction du théâtre Livadia, à Saint-Pétersbourg. Ce sera une bonne
concurrence à l'Arcadia, dirigée par M. Gunzbourg. Tous nos vœux sont
naturellement pour M. Puget, qui a le souci de se mettre en règle avec
les auteurs ou leurs ayants droit, tandis que M. Gunzbourg se moque
absolument de leurs intérêts et manque même à ses engagements avec
une désinvolture charmante.
— Le vieux ténor Sims Reeves, dont la renommée est si grande depuis
près d'un demi-siècle en Angleterre, surtout comme chanteur d'oratorio,
se prépare à la retraite et organise un grand concert d'adieu par lequel il
clôturera sa carrière musicale. Ce sera pour l'artiste et pour le public qui
l'applaudit depuis si longtemps une véritable fête, à laquelle, dit-on,
Mmc Christine Nilsson a promis son concours.
— M. Seidl, chef d'orchestre de la compagnie Neumann, à New-York,
doit donner prochainement en cette ville une grande exécution de Parsifal.
de Richard Wagner... avec l'orchestre seul. L'idée peut paraître origi-
nale, mais pour ceux qui savent se rendre compte de l'inutilité des
chanteurs dans les opéras du « maître »...
— Les journaux américains annoncent qu'à l'issue de la tournée Abbey-
Grau, dont elle fait partie, Mmo Emma Albani ira donner quelques repré-
sentations au Canada, sa patrie, et l'on peut escompter d'avance l'accueil
triomphal qui lui sera fait en cette circonstance. M'ne Albani sera accom-
pagnée du ténor Ravelli et du baryton Zardo.
— Un directeur faussaire. On écrit de Buenos-Ayres au Cosmorama, de
Milan : « On a arrêté, le 22 février dernier, dix-sept individus, dont le
chef est le nommé Conde, bien connu, l'imprésario de la compagnie d'opéra
partie d'Italie il y a cinq mois pour le théâtre Onrubia et là abandonnée
par lui après un mois de saison. Tous ces individus sont inculpés de
faux, de rapines et pire encore, et ils semblaient sur le point, d'accomplir
un coup de maître, d'accord avec un employé d'une banque de Buenos-
Ayres, pour une somme de plus d'un million qu'ils auraient récoltée au
moyen de fausses traites et lettres de change sur Paris, Madrid et Barce-
lone. » Les chanteurs coûtent si cher, aujourd'hui! Il faut bien que les
directeurs trouvent le moyen de vivre.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Aujourd'hui dimanche, à l'Opéra, représentation populaire à prix réduits.
On donnera Guillaume Tell. Il faut bien avoir l'air de remplir ses enga-
gements, au moment où l'on va discuter la subvention devant le Parlement.
Les directeurs n'en restent pas moins en retard d'un nombre considérable
de représentations à prix réduits, puisqu'aux termes du cahier des
charges ils doivent en donner une chaque mois.
— Comme compensation à l'engagement de M11' Jane Harding sans doute,
M. Paravey vient d'engager Mllc Vuillaume, une jeune chanteuse légère
qui fut remarquée au Grand-Théâtre de Lyon et à la Monnaie, où elle a
chanté Lalimè avec talent. — La reprise de Dimitri a eu lieu cette semaine,
et on a des mieux accueilli l'œuvre do M. Victorin Joncières et ses ex-
cellents interprètes, MM. Soulacroix, Dupuy, Cobalet, M"les Landouzy et
Deschamps.
— A ['Opéra-Comique, on doit commencer, la semaine prochaine, les
répétitions d'orchestre de Dante el Béatrice, le drame lyrique de M. Benja-
min Godard, dont la première représentation serait donnée vers la fin du
mois.
— On mande de Madrid (12 avril) : « Une dépêche de Las Palmas
(Canaries) annonce que M. Saint-Saëns est de nouveau arrivé dans cette
ville. » Pour Dieu, qu'on laisse donc en repos l'éminent compositeur
d'Henry VIII et de Samson et Dalila. N'est-il pas libre de voyager à sa
guise sans que tout l'univers en prenne ombrage et le poursuive de ses
inquiétudes!
— Nous trouvons dans l'Économiste français de curieux renseignements
sur les recettes des théâtres de Paris de 1848 à 1889. Voici les chiffres :
18-18 Fr. 5,553.411
18111 6.431.231
18ô;i 8.206.818
1831 8.661.916
1832 9. 837. 993
1851. 11.332.222
1831 10.738.078
1833 (Exposition) 13.828.123
1836 , . . . . 12.186.123
1837 12.722.301
1858 12.737.498
1839 12.432.314
1860 14.332.944
1861 • 13.704.301
1862 , 14.306.683
1863 13.800.317
1864 13.033.665
1865 15.907.006
1866 16.962.502
1867 (Exposition). . .' 21.983.867
1868 13.361.020
1869 15.198.000
1870 (guerre ■ • 8.107.285
1871 (guerre) 5.715.113
1872 16.114.597
1873 , . . 16.303.379
1874 18.368.279
1875 20.907.391
1816 21.663.662
1877 20.978.180
1878 (Exposition). . 30.637.499
1879 20.619.310
1880 22.614.018
1881 27.434.418
1882 29.068.592
1883 29.144.600
1884 29.984.054
1885 25.590.077
1886 25.074.458
1887 22.062.440
1818 23.007.975
1889 (Exposition) ■ 32.138.998
~Le cercle de la critique a renouvelé cette semaine son bureau. Ont été •
nommés : Président, M.Hector Pessard; vice-présidents, MM. Emile Blavet
et Léon Kerst; archivistes, MM. Stoullig et Edouard Noël; secrétaire,
M. Maxime Vitu. Le cercle a ensuite nommé une commission pour étu-
dier le remaniement des règlements afin d'exercer une action plus déci-
sive sur les directeurs de théâtre dans l'intérêt de la corporation des
critiques. Font partie de cette commission : MM. Henry Fouquier, Emile
Blavet, Henri Bauër, Maurice Lefèvre et Oswald. M. Georges Daudet a été
adjoint à cette commission comme secrétaire, sans voix délibérative.
— On vient d'apposer, en exécution d'une délibération du conseil mu-
nicipal de Paris, sur la façade de la maison sise rue de la Chaussée-
d'Antin, 2, à l'angle du boulevard, une plaque portant une inscription
commémorative conçue et disposée comme il suit :
GIOACCHINO ROSSINI
COMPOSITEUR DE MUSIQUE
NÉ A PESARO
LE 29 FÉVRIER 1792
MORT A PASSY
LE 13 NOVEMBRE 1868
HABITA CETTE MAISON
DEPUIS 1857
— M. Colonne, dit le Gaulois, est de retour de Moscou, où il a dirigé les
orchestres du Conservatoire et de l'Opéra de cette ville. L'éminent chef
d'orchestre n'a donné qu'un seul concert, qui comprenait deux parties. La
première réservée aux œuvres classiques : Beethoven, Mozart, Schumann,
Mendelssohn, etc., et la seconde partie, composée exclusivement d'ouvrages
des maîtres français : Berlioz, Bizet, Gounod, Saint-Saëns, Delibes, etc.
Le public moscovite a fait une véritable ovation à M. Colonne, qui a
dirigé les deux orchestres russes avec une maestria toute française, et
n'a pas ménagé ses applaudissements à Mme Colonne, qui s'est fait en-
LE MENESTREL
m
tendre dans plusieurs romances de MM. César Franck, Widor, Lalo et
M11" Augusta Holmes. Le sympathique directeur des concerts du Châtelet
a dû promettre de retourner à Moscou l'année prochaine.
— L'excellent violoniste Joseph White est de retour à Paris de sa
tournée dans le Midi. Il se fera entendre, le Ier mai, au concert de l'œuvre
des Saints-Anges, qui doit avoir lieu au Conservatoire.
— M. Diaz Alhertini vient aussi de rentrer à Paris, après avoir remporté '
de nombreux succès dans la grande tournée qu'il vient de faire en Alle-
magne.
— M. Julien Tiersot fera le lundi 21 avril, à la salle des Capucines, une
conférence sur les chansons populaires des provinces de France, avec
audition de chansons normandes, bretonnes, poitevines, bourguignonnes,
morvandelles, etc.
— Nous apprenons qu'une collection très importante de lettres auto- ,
graphes et de documents originaux de musique sera mise en vente à
Paris les 5, 6 et 7 mai 1890. Nous relevons dans le catalogue, les noms
snivants : J.-S. Bach, Beethoven, Bellini, Chopin, Cimarosa, Flotow,
Glinka, Gluck, Gossec, Grétry, Jomelli, Liszt, Litolff, Lvolff, Martini,
Méhul, Mendelssobn-Bartholdy, Meyerbeer, Mozart, Paganini, Paisiello,
Pergolèse, Philidor, Piccinni, Sacchini, Salieri, Scarlatti, Schubert, Schu-
mann, Vieuxtemps, Viotti, Wagner, Weber, Zingarelli, etc., etc. Le cata^
logue sera envoyé franco à toutes les personnes qui en feront la demande
à, M. Eugène Gharavay, expert en autographes, chargé de la vente, 8, quai ,
du Louvre à Paris-.
— La collection internationale de la Tradition vient de publier deux petits
volumes relatifs à la musique: la Musique et la danse dans les traditions des Li- •
thuaniens, des Allemands et des Grecs, par M. E. Veckenstedt, et les Traditions
japonaises sur la chanson, la musique et la danse, par M. D. Brauns. Le sujet
traité dans ces deux ouvrages n'est pas, comme on pourrait le croire sur la foi
'des titres, l'étude proprement dite de la musique et des danses populaires
des peuples énoncés (seul, M. Brauns a consacré quelques pages à la musique
japonaise, mais il est aisé d'apercevoir que cette partie n'est pas traitée
par un homme du métier). Le but des auteurs a été de considérer le rôle ■
joué par la musique dans les traditions populaires, contes, mythes, super-
stitions, etc. T'eûtes ces traditions s'accordent à reconnaître à la musique
une origine divine. Il y a des contes lithuaniens et japonais, colorés et'
savoureux, par lesquels on voit quel pouvoir magique l'imagination primi- ,'
tive des peuples a constamment attri'bué à l'art des sons. A propos de
l'Allemagne, M. Veckenstedt se livre à des considérations très savantes et
très ardues sur les légendes de Tannhâuser et de Dame Venus. On y verra
comment le chevalier Tannhâuser est identifié avec Odin (ou Wotan); et
comme, d'après les anciens mythes, ce dieu est une personnification du
soleil, Tannhâuser ne serait autre qu'une nouvelle incarnation du soleil
lui-même, — et toute sorte d'autre belles choses. J. T.
— La première représentation du Vénitien, opéra en trois actes et quatre
tableaux, de M. Albert Cahen, est annoncée pour demain lundi, au théâ-
tre des Arts de Rouen.'
— Pour la troisième fois' en une année, la maîtrise de Saint-Eustache,
sous l'habile direction de M: Steenman, a fait entendre la belle « messe
des Rameaux » de Félix Godefroid et toujours avec le même succès. Cette
fois, c'étaient MM. Hermann-Léon et Girod qui en faisaient entendre les
soli. Ils ont été fort appréciés tous les deux.'
— Le théâtre Valette, à Marseille, a été fortement éprouvé par l'ef-
froyable ouragan qui s'est abattu ces jours derniers sur cette ville, et a
Vu sa toiture entièrement défoncée, en même temps que les caisses à
eau, d'une contenance de 30,000 litres, cédant sous le poids d'un mur
voisin, étaient entraînées avec le plafond de la scène. Tous les instruments
de la Société des concerts classiques qui se trouvaient là ont été brisés.
On juge de ce qui serait arrivé si l'accident s'était produit au cours d'une
des représentations qui ont lieu chaque dimanche, ou pendant le concert
qui devait être donné le même jour.
— A Marseille, première représentation, au Grand-Théâtre, d'un ballet
intitulé Massilia, scénario de M. Poigny, musique de M. Armand Tedesco, '
dansé par M11"» Rigauti, Boine et Montcamp. Succès.
— Le Conservatoire de Nancy, succursale du Conservatoire de Paris,
ouvre un concours pour une place de professeur de contrebasse, concours
qui aura lieu le 3 mai à Nancy. Les demandes des candidats seront reçues
au secrétariat de la mairie jusqu'au 22 avril inclus, et les conditions du
concours leur seront communiquées à partir du 25 du même mois. Le
traitement annuel du professeur de contrebasse est de 1,200 francs, auquel'
sont joints un autre traitement de 1,200 francs comme chef de pupitre à
l'orchestre du Théâtre municipal et environ 200 francs pour les concerts
populaires.
— On a donné ces jours derniers à Nantes la première représentation
d'un petit opéra-comique inédit, la Revanche de Scjanarelle, qui paraît n'a-
voir 'obtenu qu'un médiocre succès. L'auteur de la musique, M. Léon:
Dubois, ancien prix de Home de TAcâdémie do Belgique, aujourd'hui'
second chef d'orchestre à Nantes, est, parait-il, très épris des doctrines
wagnériennes, et cet idéal n'était assurément pas de nature à le faire-
réussir dans la composition d'un opéra-comique léger et coquet. On reproche
donc à sa partition, malgré le talent qu'il y a déployé, une lourdeur exces-
sive et une ambition qui s'accorde peu avec la nature du sujet traité •
CONCERTS ET SOIRÉES
Le concert du Vendredi Saint, au Châtelet, magistralement conduit
par M. Gounod, n'a été qu'une série d'ovations. Dans la symphonie en
mi bémol, qui date de quelque quarante ans, Gounod ne fait pas encore
preuve d'une grande indépendance de style : le premier morceau offre
nombre de réminiscences de Beethoven ; le larghetto, plus original au
début, est quelque peu gâté par une formule sautillante qui en amoin-
drit le caractère; le finale, traité dans le style d'Haydn, est charmant et a
été vivement applaudi. Grand succès pour le Cantique d'Alhalie, merveil-
leusement dit par Mm0 Krauss et M110 de Montalant. L'Hymne à sainte
Cécile est très connu : en composant cette œuvre, dont l'effet sur le public
tient surtout à un crescendo de violons à l'unisson, l'auteur avait voulu
renouveler et avait renouvelé son grand succès du prélude de Bach. La
mélodie, du reste, en est fort belle. Le concerto pour piano-pédalier,
remarquablement dit par Mme Lucie Palicot, est une œuvre tout à fait
intéressante ; :1e premier morceau est traité dans le style de Hsendel,
aussi bien que le dernier, où interviennent de beaux effets de trompette.
Mais les deux morceaux qui ont emporté tous les suffrages sont la Marche
funèbre et une sorte de scherzo intitulé Escarmouche, qui sont traités avec
une élévation et un art incomparables. La Vision de Jeanne d'Arc, tirée de
la messe exécutée à Reims en 1887, est un solo de violon d'un caractère
pénétrant, qui a été dit avec un grand charme par M. Paul Viardot, et
redemandé. Nous n'avons pas à nous étendre longuement sur Gallia, la
Lamentation si connue et si belle, dans laquelle Mme Krauss a été,
comme toujours, admirable. Pour nous, le point culminant du concert
était dans les quatre, morceaux de Mors et Vita: Y 'Introït, VAgnus, le Judex
et le Judicium eleclorum, que l'orchestre, les chœurs et le remarquable
quatuor vocal composé de MmesKrauss et Montalant, de MM. Auguez et
Mauguière, ont dit avec une perfection qui a soulevé des transports
d'admiration Ce festival, composé uniquement d'oeuvres de M. Gounod,
a été un grand enseignement : jamais le maître français n'avait brillé
d'un plus grand éclat. A quoi cela tient-il, sinon à' l'élévation de sa
pensée, à la clarté de ses idées, à l'ampleur avec laquelle il les développe.
La mélodie coule à pleins bords dans la musique de M. Gounod ;,il n'est
pas besoin d'un esprit transcendant pour la, découvrir ; elle n'a pas besoin ,
de programmes détaillés pour en exposer le sens caché ; elle a une forme,
elle a une symétrie, elle a une tonalité. Choses usées, ohoses banales
que tout cela ! nous crie-t-on, mais ces cris n'émeuvent guère ceux qui-
restent persuadés que les vraies règles sont celles auxquelles ont obéi les
grands maîtres de l'art, qui leur ont suffi pour créer d'immortels chefs-
d'œuvre. Quand on a chez soi des maîtres comme Gounod et quelques
autres, je me demande d'où vient le besoin de se prosterner devant des
idoles exotiques et de nous déprécier nous-mêmes en exaltant ceux qui
ne nous valent pas. IL Barredette.
Concerts Lamoureux. — M. Lamoureux a donné le vendrédi-saint, au-
Cirque d'hiver, une soirée musicale et littéraire avec le concours de M™
Sarah Bernhardt, de MM. Philippe Garnier et Brémont pour la partie
littéraire, et de M. Talazac pour la partie musicale. Le programme annon- '
çait la première et unique audition (lecture) de la Passion, mystère en.
six parties de M. Haraucourt. Cette lecture a dû être, écourtée de moitié,
après quelques incidents causés par la fatigue du public .et l'intervention
peu opportune du poète. On a pu s'apercevoir à, cette occasion,que la parole,
déclamée semble froide à côté d'inspirations musicales comme celles de
Beethoven, de Méhul, de Berlioz et de Wagner; aussi, lorsqu'une voix
partie des gradins supérieurs a prononcé le mot : musique, il est devenu
évident que cette voix exprimait le sentiment de la majorité. Il est regret-
table d'ailleurs que l'œuvre annoncée n'ait pu être entendue intégralement,
car l'auditoire, ayant été prévenu d'avance, pouvait exercer le droit d'appro-
bation ou d'improbation, mais le droit de suppression peut paraître beau-
coup, plus discutable., La. partie musicale du concert, a.' été applaudie à
outrance. La symphonie en ut mineur a produit un effet considérable qui ,
a. été encore dépassé par celui de l'ouverture de Tannhâuser, ce qui prouve
que les idées d'une valeur moyenne, si elles ont un caractère entraînant,-
agissent plus sûrement sur un nombreux auditoire que les conceptions
d'une grande élévation et d'une irréprochable noblesse. Le prélude, de
Parsifal et l'Enchantement du Vendredi-Saint ont été supérieurement rendus
par l'orchestre. M. Talazac a. chanté avec beaucoup de charpje .un air de,
Joseph et le Repos de la Sainte Famille de l'Enfance du Christ, précédé du,
petit morceau, d'orchestre ., exprimant la, réunion ,des bergers, pour le,s-
adieux. La marche nuptiale de Lohengrin a, terminé le, concert.,.
. AméoéeBoutarel.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche.
Conservatoire :. symphonie en la (Beethoven) ; Hymne (Écoute, ma prière,!)
(Mendelssohn), solo par M"° FannyLépine; le Roi s'amuse{, airs, dp, danse .
(Léo Delibes) ; chœur de Cosi fan lutte (Mozart) ; Andante, m,enuel et finale
de la symphonie en ut inédite, (Haydn). Le concert sera dirigé par M. J;
Garcin. . .
Châtelet, concert Colonne : Si" audition ' de la Damnation de Faust, de
Berlioz, chantée par M"10 Gahrielle Krauss, MM. Talazac, Auguez etAugier.''
— Toujours infatigable, Mmo Marie, Jaëll. inaugure, chez elle, tous les „
lundis,. une série, de douze auditions, les, six premières consacrées aux.
trente-deux sonates ,de Beethoven, les six dernières à toutes les œuvres,
pour piano do Chopin.
120
LE MENESTREL
— Demain lundi, 14 avril, MUe Clotildé Kleeberg donne salle Érard, un
concert avec l'orchestre Lamoureux. — . ..
— Le mercredi 16 avril, à quatre heures, aura lieu à Saint-Augustin la
première audition d'une œuvre inédite de M .Gounod (Consécration), que le
maître veut bien conduire lui-même. Sa présence donnera un attrait de
plus à la solennité de ce Salut donné au profit d'une bonne œuvre. Les
artistes qui prêtent leur concours sont Mnles Brun, Moégelin, Prioré,
B. Martha, Héhlot, Boussagol, Villet, MM. Auguez et Gigout.
— Soirées et concerts. — Le 9° concert annuel donné à la salle Érard au profit
de l'Association des artistes musiciens, par M"" Mathilde Marchesi, a été très brillant.
Mme Krauss a été applaudie par un public extrêmement nombreux dans le Roi des
Aulnes, magistralement accompagnée par M. Diémcr, dans le Soir, d'Ambroise Tho-
mas, et dans le duo de Psyché du même maître. Deux autres élèves de Mlnc Marchesi,
II"" Risley et Komaromi, ont fait applaudir leur voix superbe et leur style excel-
lent. Grand succès aussi pour MM. Taffanel, Gasella, et pour une jeune et char-
mante violoniste viennoise, M'"L' Gabrielle d'Amann-Neusser. — La dernière séance
de la Société des concerts d'Orléans était en grande partie consacrée à l'audition
des œuvres de Mmt de Grandval. Parmi les plus applaudis citons deux morceaux
d'orchestre : Fête hongroise, Ronde de nuit, et une scène fantastique avec chœurs,
sur des paroles de M. Paul Gollin, la Ronde des songes, dont Mm8 A. Castillon a
chanté les soli avec beaucoup de talent. — La 4" séance de la Société des
concerts populaires de Valenciennes a été fort brillante. Sous la direction
de M. Henri Dupont, l'orchestre a exécuté l'ouverture de Ruy Bios et la Fan-
taisie-ballet de M. Pierné (la partie de piano tenue par M"° Chandelier). Les chœurs,
hommes et dames, ont été fort applaudis, mais la grande part du succès a élé pour
M. Schelbaum, violoniste. Il a d'abord fait entendre le 7g concerto de Bériot, puis
la charmante transcription de M. Marsick sur la Barcarolle et le Pizzicati de Sylvia,
qui a été bissée à la demande générale. — La 3U soirée donnée, mardi, salle Herz,
par M"°C. Carissan, a été tout à fait charmante. Plusieurs de ses nouvelles mélodies
ont été chantées avec grand succès par M"° Wohrnitz et par le jeune ténor Depère.
— Au concert de la Société des compositeurs de musique, le jeudi 27 mars, M. Benjamin
Godard avait les honneurs de la soirée. Il accompagnait lui-même son con-
certo romantique à M110 Bourgaud, qui l'a interprété d'une façon vraiment
supérieure. Cette jeune violoniste, à peine sortie des rangs du Conservatoire, où
elle vient d'obtenir un premier prix dans la classe de M. Massart, possède un
talent déjà mûr et merveilleusement souple, auquel ni le charme, ni l'éclat ne
font défaut. A mentionner encore un sextuor de M. G. Alary, parfaitement exécuté
par MM. Lefort, Guidé, Giannini, Berquet, Casella et l'auteur, deux pièces pour
hautbois de M. Pénavaire, que le talent de M. Georges Gillet a su faire valoir,
et le grand duo de Samson et Dalila, dont M. Piroia s'est seul tiré d'une façon
honorable. — Pour son second concert, qui avait lieu lundi dernier à la
salle Pleyel, M. Rondeau avait groupé des éléments nombreux autant qu'in-
téressants, ce qui donnait une fort belle mine au programme. Les œuvres mo-
dernes de compositeurs français l'absorbaient tout entier. Au premier rang
brillaient les compositions de M. Théodore Dubois : le Paradis perdu, diame-
oratorio dont quelques importants fragments pleins d'élévation et de vigueur
étaient interprétés par M11*" Mélodia, Lavigne, MM. Rondeau. Juillard et les
chœurs sous la direction de l'auteur; les mélodies le Baiser et Par le sentier, si
gracieuses, d'un charme si pénétrant, et que M"* Mélodia a rendues de façon à
soulever des bravos persistants et un bis unanime pour le dernier de ces mor-
ceaux. Les transcriptions pour deux pianos des Eolides de M. C. Franck et de la
Danse tckerlcesse de M. Ritler, superbement exécutées par MM. Paul Braud et
P.-R. Hirsch, ont également reçu bon accueil, ainsi que la Fille de Jaire, scène
de M. Pfeiffer, où M"' Maréchal a fait apprécier une voix charmante. M. Ron-
deau s'est lui-même fait applaudir dans les fragments d'Endymion, de M. Albert
Cahen, et la scène biblique de M. de Kervéguen, Jérusalem. N'oublions pas
M. A. Pierret, qui a tenu avec autorité le piano d'accompagnement. — C'a
été une petite séance triomphale que la charmante matinée donnée dimanche
dernier, salle Pleyel, par M"" Donne, pour l'audition de leurs élèves. On
a entendu là une trentaine de jeunes filles et de mignonnes fillettes qui pro-
mettent pour l'avenir, et dont quelques-unes font déjà parler le piano non seule-
ment avec habileté mais avec un véritable charme. Nous ne saurions citer tous les
noms de ces futures artistes; nous mentionnerons pourtant d'une façon toute
spéciale M"" Ogc'e, Fernet, Desplats, Deldicq, Lavello, Jozin, Degouy, Gérard,
Véras de la Bassetiète, Eytmin, sans oublier M"" Got et Juliette Barat, les deux
chefs incontestés de ce gentil petit bataillon féminin, qui ont terminé la séance
en exécutant d'une façon superbe, à quatre mains et à deux pianosi la Danse macabre
de M. Saint-Saëns. — L'Association artistique d'Angers a donné son dernier concert
extraordinaire en l'honneur de M.Francis Thomé, qui était venu diriger plusieurs
nouvelles œuvres symphoniques. Salle comble et grand succès pour l'auteur et
pour les interprètes : la charmante M"" Ly ven, de l'Opéra-Comique, qui a chanté
d'une façon remarquable la mélodie la Nuit, très délicatement orchestrée, et
M"e Renée du Minil, de la Comédie-Française, qui s'est fait applaudir chaleureu-
sement en récitant les poésies sur lesquelles M. Francis Thomé aécrit cesadapta-
tions symphoniques dont nous avons plus d'une fois constaté la haute valeur
artistique. Ces adaptations ont produit à Angers un grand effet et M. Francis Thomé
a été rappelé plusieurs fois avec sa gracieuse interprète. — M"° Laure Taconet,
professeur à Versailles, a donné, salle Pleyel, une matinée qui mérite une men-
tion spéciale. D'abord on a eu, ce qui n'est pas banal, la première audition
d'une œuvre importante avec chœurs, le Bêve de l'Enfant prodigue. Sur un joli
poème de M. Paul Collin, M. Paul Deschamps, organiste à Versailles, a écrit une
musique un peu touffue et compliquée peut-être, mais où, dans maintes pages, se
distinguent des qualités d'ordre supérieur. Puis l'Enlèvement de Proserpine, la
charmante scène de M. Th. Dubois, a retrouvé, sous la direction de l'auteur, le
succès qu'elle rencontre partout. M1" Taconet et M. Derivis ont chanté les soli de
ces ouvrages, plus diverses mélodies de M— Viardot, Par le Sentier, de Th.
Dubois, bissé d'acclamation. Citons encore le ravissant chœur de Jean de Nivelle
et les bravos légitimement prodigués à MM. Loys, Lopez, L. Dclafosso, Levadé.
— Voilà que les dames du monde se mettent aussi à donner des soirées spiri-
tuelles: c'était la suite naturelle et obligée do l'accroi<sement des concerts spiri-
tuels, qui tous trouvent un public. M"' Gallet a donné l'élan samedi-saint, et cela
avec un programme des plus intéressants, dirigé par M. 'Weckerlin. Le chœur
des élus, la Prière de Beethoven, le Lacrymosa et le Rex tremendo du Requiem de
Mozart, l'Offertoire à quatre voix du Requiem de Verdi, des fragments A'Elie de
Mendelssohn et un Psaume de Marcello, voilà certes des pièces qui valaient la
peine qu'on se dérange pour les écouter. Mais il y avait aussi la part des com-
positeurs vivants, qui ont dirigé eux-mêmes leurs œuvres: un cantique à quatre
voix de M. Fauré, un Ave Maria de M. Weckerlin, remarquablement chanté par
Mma Gallet et le chœur (bissé), un Veni Creator de M. Lalo, dit avec son talent
connu par MD,C Lalo, et une Résurrection de M. Hue. L'élément instrumental était
représenté par un quadruple quatuor, deux contrebasses, une harpe et un oigue,
ce qui était très suffisant pour un chœur d'environ cinquante personnes, la plupart
amateurs de talent. — La séance que M. Gigout, l'éminent organiste de Saint-
Augustin, vient de donner pour faire entendre les élèves de son cours d'orgue et
d'improvisation, a vivement intéressé les nombreux artistes qui se pressaient dans son
charmant hall delà rue Jouffroy. Les jeunes Vivet, Pickaèrt, Dussault et Guiot sont
particulièrement à signaler. Ils ont exécuté avec beaucoup de brio et d'intelligence
des œuvres classiques et modernes fort difficiles d'interprétation. — Le conceit
donné la semaine dernière par Mmc Lafaix-Gontié était des plus réussis. On y a
entendu Mllc Marie Dubois, MM. Guidé, Van-Goens et Emile Bourgeois, ainsi
qu'une élève de Mra0 Lafaix-Gontié, MilB Dionis du Séjour, dont la parfaite mé-
thode et la charmante voix ont été vivement appréciées et fort applaudies.
Mmc Lafaix-Gontié a interprété, entre autres morceaux, la brillante polonaise de
Mignon, et avec M"1 Dionis de Séjour un très gracieux et très spirituel duo de
M. Emile Bourgeois, la Tourterelle et le Papillon. — Mercredi dernier, avant-
dernière soirée de la saison chez M. et M"" Louis Diémer. Le maître de la
maison, comme toujours, a été couvert d'applaudissements après l'exécution
magistrale de la Rapsodie d'Auvergne, de M. Camille Saint-Saëns. On a fêté aussi
plusieurs de ses élèves, parmi lesquels M.Victor Staub, qui a joué en perfection
le Chant du Nautonnier de son maître et une valse nouvelle de M. Elis Borde, et
MM. Bloch, Risler et Stojowski, qui ont très bien rendu plusieurs pièces à deux
pianos. M"" Landi, dans l'air du Sommeil de Psyché, de M. Ambroise Thomas,
et dans A une étoile, de M. Louis Diémer, et M. Lelubez dans la Sérénade espa-
gnole, de M. Diémer également, ont fait applaudir leur voix pleine de charme ;
M. Diaz Albertini a joué avec énormément de brio et de goût plusieurs pièces
pour violon. — Le jeudi-saint, l'Hippodrome de Lille a donné, sous la direction
de M. Paul Lelong, un grand concert spirituel avec, au programme, les noms
de M"° Caron et de MM. Diémer et Vergnet. La soirée n'a été qu'une longue
suite d'ovations pour ces merveilleux artistes. On a acclamé M. Diémer dans
le concerto pour piano et orchestre de M. Ed. Lalo, et dans sa grande Valse de
concert, et M-" Caron et M. Vergnet dans le duo du troisième acte de Salammbô.
Les journaux de la localité ne tarissent pas d'éloges et, de fait, nous avouons que
les Lillois ne sont pas gens à plaindre.
NÉCROLOGIE
Nous apprenons la mort de M. Emile Louis, officier d'Académie, an-
cien chef des chœurs au Théâtre-Italien, compositeur et professeur de
chant depuis seize ans, à Liverpool. Il s'est beaucoup employé à la pro-
pagation de la musique française en Angleterre et a lui-même laissé des
œuvres d'un grand mérite.
— Mme Thérèse Stroppock, née Schubert, propre nièce du grand compo-
siteur, est morte à Steyr, à l'âge de soixante-quatorze ans. Franz Schubert
l'affectionnait tout particulièrement à cause de ses remarquables dispo-
sitions pour la musique et de sa jolie voix. Il chargeait toujours sa nièce
Thérèse d'essayer ses nouvelles compositions pour soprano, et rien ne lui
faisait plus de plaisir que lorsqu'elle les interprétait suivant ses intentions.
— De Vienne, on annonce la mort de deux artistes qui ont eu leur heure
de célébrité. L'une est Mm0 Henriette Cari, qui, de 1830 à 1850, a été l'une -
des cantatrices les plus applaudies du répertoire italien en cette ville et le
professeur de chant de la reine actuelle des Belges, quand celle-ci était
simple archiduchesse d'Autriche; elle était âgée de quatre-vingts ans.
L'autre, Augusta Crombé, qui dirigeait encore en cette ville une école de
danse, avait été l'une des premières danseuses de l'Opéra impérial de
Vienne, après avoir obtenu, en 1836 et 1837, de vifs succès à la Scala
de Milan.
— A Trieste vient de mourir, à l'âge de soixante-quinze ans, un excel-
lent artiste, Giuseppe Buzzelli, qui remplissait les fonctions de première
contrebasse au Théâtre-Communal de cette ville depuis 1832, c'est-à-dire
depuis cinquante-huit ans ! et qui tenait le même emploi aux Concerts
classiques. On peut dire de lui qu'il est mort sur la brèche, car c'est au
théâtre même, et en faisant sa partie, qu'il a été saisi du mal qui devait
l'emporter.
— A Ca'.uso est mort un peintre décorateur fort distingué, Giuseppe
Camino, qui peignit de nombreux décors pour le théâtre Regio, de Turin,
l'un des premiers de l'Italie.
Henri Heugel. directeur-gé) ant .
— La Nouvelle Bastille est plus vibrante et plus solide que jamais.
Ses portes sont ouvertes toutes grandes au public, avec des attractions
variées et des nouvelles fêtes charmantes.
VPWri? en lé,ll^e de M° CHERRIER, notaire à Paris, 44, rue du
VEjjMIu Louvre, le 23 avril 1890 à midi, en cinquante-sept lots avec
faculté de réunion : 1° D'un FONDS d'éditeur de musique et librairie
à Paris, rue des Bons-Enfants, n° 22. — -2° La propriété littéraire
et artistique de divers ouvrages. — S'adressser au notaire pour le
Catalogue.
ruiMLitiK aviiiAu. i
: FiiR. — IMPIIIHEIIIE CIIA1X. — 1
e, 20,
Dimanche 20 Avril I8!)0.
3081 - 50- ANNEE - N° 10. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri UEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement,
Unan, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 2u |'r.; Texte et Musique de Piano, ilii l"r., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 t'r., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les trais de poste en. sus.
S0MAIEE- TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (59° article), Albert Soubies et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale: La Régie à l'Opéra, II. Morexo; le Vénitien,
au Théâtre des Arts de Rouen, Intérim; premières représentations de la Vie à
■Deux, h l'Odëon, et de Ménages Parisiens, aux Nouveautés, Paul-Émile Chevalier.
— III. Le théâtre à l'Exposition (-22' article), Arthur Podgin. — IV. Nouvelles
diverses et concerts.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
ELLE A MIS SA TOILETTE CLAIRE
ti0 3 des Rondels de Mai, de M. B. Colomer, poésie de Lucien Dhuguet. —
Suivra immédiatement : Nous cheminions dans le sentier, n° i des Rondels de
Mai, des mêmes auteurs.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano : Capitaine-polka, sur les motifs de l'opérette le Fétiche, de Victor
Hoger, par Philippe Fahrbach. — Suivra immédiatement : le Rêve du pri-
sonnier, célèbre mélodie de Rlbinsteix , transcrite et variée pour piano
par Gh. Neustedt.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Albert SOUBIES et Charles MALHERBE
CHAPITRE XIV
MEYERBEER A l'OPÉRA-COMIQUE
LE PARDON DE PLOERMEL
(1856-1859)
(Suite.)
La série tournait à la noire, et le nouveau directeur com-
mençait à perdre courage. Une carte lui restait cependant,
les Trois Nicolas; elle fut assez bonne pour soutenir le théâtre
pendant quelques mois. Ce n'est pas que le libretto en trois
actes de Bernard Lopez et *** (lisez Scribe), brillât par un
vif intérêt, ni que la partition de Clapisson eût une grande
valeur artistique; mais cette pièce, jouée le 16 décembre,
servait au début d'un ténor qui, par avance, piquait toutes
les curiosités et faisait tourner toutes les têtes, Montaubry.
Avec ses 45 représentations en trois années, la pièce n'eut
qu'un succès honorable; le ténor eut un triomphe retentis-
sant. « Il faut remonter jusqu'aux débuts de Roger, écrivait
un critique, pour lui trouver un terme de comparaison. Sa
voix est souple, étendue et parfaitement timbrée; tour à tour
énergique et suave, elle se prête également aux effets de
force et de sentiment. On s'aperçoit que les conseils de
Chollet, dont il a épousé la fille, n'ont pas été sans influence
sur lui... »
Qui se souvenait alors qu'en 1847 il avait déjà paru sur
cette même scène, et qu'il avait dû se retirer devant le succès
d'un rival plus heureux, comme cette fois le futur Nicolini se
retirait devant le sien! D'un bond il s'était élancé à la pre-
mière place ; enlevé à Bruxelles, il allait régner à Paris, et
rappeler pendant bien des années de service, à la salle Fa-
vart, le joli portrait qu'a tracé de lui Albert Vizentini dans
son amusant volume intitulé Derrière la toile. « Vous faut-il
la jeunesse incarnée, la plus agréable gaminerie , l'aplomb
imperturbable, la tyrolienne faite homme, le chanteur plein
d'adresse et de ficelles aimables, la voix de tête la plus ado-
rable, le style le plus sucré du monde, le bon musicien
personnifiant l'opéra-comique, bref le comédien léger infatué
de sa jolie personne? Prenez Chapelou-Saint-Phar, le dernier
descendant d'Elleviou, Montaubry, qui redresse si vivement
ses petites moustaches et semble toujours avoir une colombe
dans le gosier. »
A côté de tels débuts devaient pâlir ceux de Mlle Bousquet
dans Anna de la Dame blanche, le 21 décembre 1858, et de
Mlle Breuillé dans Catherine des Diamants de la Couronne, le
3 janvier 1859, deux jeunes filles qui avaient quitté le Con-
servatoire en 1858, la première avec le premier accessit de
chant, la seconde avec le deuxième prix de chant et le pre-
mier prix d'opéra-comique. MUo Breuillé devait mourir peu de
temps après, le 2 juin 1859, à l'âge de dix-huit ans, après
avoir simplement marqué son court passage à l'Opéra-Comiqe
par la création du rôle d'un des pâtres dans le Pardon de
Ploérmd. Egalement inaperçue passait, le 23 février, M11-' En-
jalbert, qui venait du Vaudeville après avoir appartenu quel-
que temps au Conservatoire.
Du reste, dès les premiers jours de l'année, toute l'attention
du public, toutes les espérances du directeur, toute l'activité
du personnel étaient tournées vers le fameux ouvrage dit à
la collaboration nouvelle de Jules Barbier, Michel Carré et
Meyerbeer. La pièce avait été lue aux artistes le 10 décembre
1858. On s'était mis à l'œuvre aussitôt, on avait commandé
à MM. Muhldorfer père et fils, de Mannheim, toute la ma-
chinerie du deuxième acte, savoir : la mécanique du pont, de
la rupture des écluses et de l'irruption des eaux, et l'on dé-
fonçait le théâtre pour y établir la fameuse cascade naturelle;
on s'occupait de l'achat et du dressage non d'une chèvre,
mais de trois, qui répétaient à tour de rôle et faisaient la joie
du personnel des coulisses ; on brossait de magnifiques
décors; on disposait d'une troupe d'élite commandée par
Mme Cabel, MM. Faure et Sainte-Foy; enfin on travaillait sans
cesse afin d'arriver à une perfection qui coûtait quelque
peine non seulement aux artistes, mais au maître lui-même,
122
LE MENESTREL
Ou sait que Meyerbeer, en effet, arrivait au théâtre avec trois
instrumentations différentes pour les principaux morceaux,
la première écrite à l'encre noire, la seconde à l'encre bleue,
la troisième à l'encre rouge; il se faisait exécuter les trois
versions, et se prononçait de auditu pour l'une ou pour l'autre.
Les chœurs et l'orchestre avaient été renforcés d'ailleurs, pour
donner plus d'éclat à la représentation; et cependant, quel-
jours avant la première, Meyerbeer disait à un critique qui
l'interrogeait : « Je fais un acte digne d'un sous-lieutenant
en livrant un ouvrage où je me suis privé volontairement de
toutes les ruses de guerre qui ont fait ma réputation. Contrai-
rement au grand poète latin, je veux moduler sur les pipeaux
rustiques, cjracili avenu, après avoir embouché la trompette
héroïque et chanté les grandes passions des cœurs humains ;
que la critique me soit légère!» En raison de ces craintes,
les répétitions furent exceptionnellement nombreuses; nom-
breux aussi les relâches (on en compte huit : 18, 22, 23, 24,
25, 26, 28, 30 mars), alors qu'une seule répétition générale
suffisait d'ordinaire aux grands ouvrages. Heureusement les
recettes, grâce à Montaubry, se maintenaient à un taux hono-
rable ; on comptait 108,419 francs en janvier; 97,973 fr. 30
en février; 80,411 fr. 43 c. en mars. Entre temps on cherchait
un titre à l'ouvrage, et l'on annonçait tour à tour : les Cher-
cheurs d'or, Binorah, le Pardon de Notre-Bame-d Auray. Le pre-
mier convenait à une action qui se serait passée en Californie
plutôt qu'en Bretagne; le second ne signifiait rien, c'est pour
cette raison peut-être qu'on l'a depuis adopté à l'étranger ;
le troisième fut écarté par la censure, disent les journaux du
temps; on peut ajouter sans doute : et par le directeur, qui dut
trouver ce titre bien long sur l'affiche. Enfin l'on adopta le
Pardon de Ploërmel presque à la veille de la représentation. Le
4 avril 1859 eut lieu cette bataille décisive et le lendemain,
célébrant le nouveau triomphe de son ami,Fétis traduisait en
somme l'impression du moment en écrivant : « Celui qui, par la
grandeur de ses conceptions, par la force de son sentiment
dramatique, par sa profonde connaissance des ressources de
l'art et par l'originalité de son style, a remué le monde
comme il l'a fait, comme il le fait encore, celui-là est un
grand artiste, il le sera toujours. »
Le Pardon de Ploërmel n'eut pas cependant tout le succès
qu'on en pouvait attendre. Si, comme le souhaitait le com-
positeur, « la critique lui fut légère », le public parut surpris,
incertain, et cette incertitude se traduisit par un ensemble
de représentations moins soutenu que pour l'Étoile du Nord.
Ou en peut juger par le décompte suivant :
Pour 18S9: avril, 11; mai, -15; juin, 6; oetobre, 8; no-
vembre, 12; décembre, 3; soit 55 représentations la première
année, avec une moyenne d'environ 6,100 francs par soirée
(195,000 francs pour 32 représentations).
Pour 1860: janvier, 8; février, 6; mars, 4: avril, 2; sep-
tembre, 1; octobre, 4; novembre, 7; soit 32 représentations
la seconde année.
Total, 87 en deux ans ; et une interruption se produisit
alors, telle qu'on aurait pu croire l'ouvrage à jamais oublié.
Vainement on parla de le reprendre en 1863, à propos d'une
rentrée de Mrae Cabel ; ce fut à l'Étoile du Nord qu'on revint
quatre années plus tard, en 1867. Il faut aller jusqu'à 1874
pour retrouver le Pardon de Ploërmel, qui se joua alors 35 fois,
puis 59 fois de 1881 à 1884, et enfin 11 fois en 1886. A cette
date, le total général des représentations s'élevait donc au
chiffre, relativement modeste pour une telle œuvre, de 192.
Sa réussite fut beaucoup plus grande à l'étranger, à Londres
en particulier, où, dès la première année, M""' Carvalho chanta
le rôle principal à côté de Graziani (Hoël) et de Gardoni
(Corentin), avec une incomparable virtuosité. Qui sait même
si, désignée par l'auteur au lieu de Mmo Cabel, elle n'eût pas
à Paris assuré à l'ouvrage de plus brillantes destinées. Au
surplus, la distribution primitive ne devait pas tarder à se
modifier; une indisposition prolongée de Faure obligeait la
direction de confier le personnage d'Hoël à Troy d'abord,
puis en 1860 à M"° Wertheimber, revenue à l'Opéra-Comique-
et, par un, singulier chassé-croisé, remplaçant ainsi Faure,
comme celui-ci l'avait jadis remplacée dans Galalhée. Avant
ce moment Mlle Monrose avait succédé à Mme Cabel, et l'on
ne retrouvait plus guère, fidèles à leur poste, que Sainte-Foyr
l'inimitable Corentin, Warot, le faucheur, et Barielle sous
les traits de celui qu'on appelle aujourd'hui un chasseur,,
et que les affiches d'alors désignaient ainsi : un braconnier.
(A suivre.)
SEMAINE THÉÂTRALE
LA RÉGIE A L'OPÉRA
Voici du nouveau. IL paraîtrait que la Commission du budget et
le gouvernement seraient assez disposés à rendre à l'État la gestion
de j'Opéra, c'est-à-dire, à rétablir le système de la régie, qui fut
longtemps en honneur à ce théâtre national. C'était déjà l'idée de
M. Antonin Proust en 1878, quand il était, comme aujourd'hui, rap-
porteur du budget des Bcaux-Aris, idée qui fut même adoptée à cette
époque et par la commission consultative des théâtres et par le mi-
nistre d'alors. M. Bardoux. L'administrateur qui devait régir au
nom de l'État était même choisi, et la nomination de M. Emile Per-
rin n'était plus qu'une question de jours, quand une brusque crise
ministérielle -vint tout remettre en question. M. Jules Ferry, qui prit
le portefeuille de M. Bardoux, tint à confier la direction de l'Opéra
à son ami personnel M. Vaucorbeil, et tout fat dit.
Aujourd'hui, M. Proust reprend la question et arrive aux mêmes
conclusions qu'autrefois, encore qu'il reconnaisse que la situation
n'est pas aussi bonrie pour cette petite révolution qu'elle l'était lors
du départ de M. Halanzier. Comme alors l'État partageait avec le-
viirecteur les bénéfices de l'entreprise et qu'il se trouvait, de ce chef,
à la tête de 600,000 francs, il avait pu, avec ces nouvelles ressources
jointes aux foDds votés par la Chambre, reconstituer en partie le-
matériel décoratif du théâtre brûlé dans l'incendie de la rue Le
Peletier. Si donc il avait pris résolument en ce moment la direction
du théâtre, il l'avait dans les meilleures conditions, avec des décors
tout battant neufs. Il n'en est plus de même aujourd'hui pour ce
matériel dont MM. Ritt et Gailhard ont usé et abusé; il y a beaucoup
à faire et à reconstituer, d'où, en perspective, une grosse dépense
pour l'Ëlat. Il est vrai qu'on pourrait demander aux directeurs sor-
tants d'y participer généreusement ; il y a dans le « cahier des
charges » un article, dont nous avons souvent parlé, qui autorise-
rait parfaitement le ministre à avoir des exigences de ce côté. On
dit même que M. Ritt ne fait aucune difficulté de le reconnaître et
offrirait volontiers une petite somme qu'on obtiendrait aisément
plus grande avec un peu d'insistance.
L'erreur est de n'avoir pas songé à la régie, à la veille même de
l'Exposition, comme nous l'avions si vivement conseillé. On n'avait
pas moins de raisons légitimes de se priver des services de MM. Ritt
et Gailhard qu'aujourd'hui même , et l'État eût bénéficié des
fortes recettes encaissées pendant l'Exposition, ce qui le mettait bien
à son aise pour réparer les désastres artistiques et autres causés par
la triste direction des tenants actuels de l'État.
Quoi qu'il en soit et même à présent, M. Antonin Proust estime que-
la régie de l'État s'impose malgré tout, et il n'a pas tort si on sait
l'entourer d'une infinité de précautions.
Elle est, en effet, bien préférable au système du privilège pour
l'impulsion qu'elle peut donner à l'œuvre musicale de notre pays de
France. Il est évident qu'une eutreprise particulière, comptant avec
ses propres deniers, lésinera toujours davantage sur les moyens que
ne le fera un État qui doit écarter toute pensée de lucre de visées
purement artistiques.
Il serait donc question de nommer à l'Opéra une sorte d'adminis-
trateur général, comme il est fait à la Comédie-Française, et même
on voudrait trouver un moyen de mettre les artistes en association et
de leur partager les bénéfices de l'entreprise. Ceci sera plus difficile,
car il n'est guère possible d'assimiler des chanteurs aux sociétaires
de la Comédie, dont les emplois peuvent se modifier avec l'âge : le-
jeuno premier, quand il prend des cheveux blancs, peut laisser les
amoureux pour prendre les financiers ou les pères nobles et par suite
rendre toujours des services à la maison; mais le ténor prend rare-
ment sur ses vieux jours une voix do basse profonde. Espérons pour-
tant que les esprits ingénieux de la Commission du budget trouveront
le moyeu d'accommoder toutes choses.
LE MÉNESTREL
123
On parle encore de mettre en adjudication les loges d'abonnement
■au lieu de les concéder à prix fixe, et on espère trouver là une nou-
velle source de profits. On voudrait en quelque sorte démocratiser
l'Opéra. Nous n'y verrions pas d'inconvénient pour notre part. Car
il n'est pas de public plus nul, ni plus indifférent aux choses de la
musique que celui qu'on voit s'étaler présentement aux premières
places de l'Opéra. Peu lui importe ce qui se passe sur la scène ; il
ne s'occupe guère que de ce qui se passe dans la salle, et pourvu
qu'il voie sa propre image reflétée dans les mille glaces de l'intérieur,
il se déclare satisfait. Ce n'est pas avec un public comme celui-là
qu'on peut prétendre à de grandes choses. Il n'y a donc nul incon-
vénient à le remplacer si l'on peut. 11 ne faudra pourtant pas laisser
■envahir le prétoire par l'élément demi-mondain, qui pourrait ainsi
se faufiler à coup de banknotes là où il n'a que faire.
Toutes ces réformes vont d'ailleurs être examinées à bref délai,
dès la rentrée des Chambres ; car le budget des Beaux-Arts est en
tète de l'ordre du jour de la prochaine séance de la commission du
budget. Toute combinaison qui nous débarrassera de la triste coali-
tion Ritt et Gailhard sera déjà un bienfait.
H. Moreno.
Théâtre des Arts de Rouen (Nouveau théâtre lyrique français). —
Le Vénitien, opéra en trois actes et quatre tableaux, poème de
M. Louis Gallet, musique de M. Albert Cahen.
M. Verdhurt, le directeur du théâtre des Arts de Rouen, poursuit,
avec une persévérance à laquelle il convient de rendre hommage,
l'essai de décentralisation artistique qu'il a entrepris cet hiver. Après
nous avoir fait connaître Samson et Dalila, qui n'avait jamais été
joué en France, il vient de monter un opéra absolument inédit, le
Vénitien. Il nous promet, avant la fin de la saison, la première re-
présentation d'un autre opéra nouveau, la Coupe et les Lèvres, de
M. Canoby. On ne peut nier que cette activité et cette initiative
contrastent singulièrement avec l'indolence et l'esprit de routine de
la plupart des directeurs de province.
Le sujet du Vénitien est tiré d'un poème de lord Byron, le Siège
de Corinthe, publié au mois de janvier 1815. L'auteur donna même,
au sujet de cette publication, un exemple de désintéressement et de
■conscience littéraire qui, par le temps qui court, trouverait évidem-
ment peu d'imitateurs. Un éditeur, M. Murray, avait offert mille
-guinées pour le manuscrit du Siège de Corinthe et celui du Parisina.
« Votre offre est extrêmement généreuse et bien au-dessus de la
valeur de ces deux poèmes, répondit lord Byron, mais je ne dois
ni ne veux les accepter, car je ne puis consentir à les publier sé-
parément. Je ne dois pas hasarder la faveur, méritée ou non, que
m'ont value mes premiers poèmes, sur des compositions qui, je le
sens, ne sont pas ce qu'elles devraient être , quoiqu'elles puissent
très bien passer comme des ouvrages sans prétentions, et paraître
avec quelques poésies légères, à la suite des publications précé-
dentes. »
L'action se passe en 1715. A cette époque l'armée ottomane, voulant
s'ouvrir un passage au cœur de la Morée, cédée depuis vingt ans aux
Vénitiens, entreprit le siège de Corinthe. La garnison songeait à
capituler, lorsque l'explosion accidentelle d'un magasin à poudre fit
périr cinq ou six cents soldats turcs; cet événement causa parmi les
assiégeants une exaspération telle qu'ils refusèrent toute espèce
d'accommodement, donnèrent l'assaut avec impétuosité , empor-
tèrent la ville et massacrèrent le gouverneur Minotti et toute la
garnison.
Tel est le fait historique relaté en tète du poème de lord Byron
•et qui sert de cadre à l'action romanesque, très simple et suffisam-
ment attachante, imaginée par le poète et développée par M. Louis
Gallet. Supposez que le gouverneur de Corinthe, Minotti, a une fille,
Régina, éprise du jeune Vénitien Marco contre qui Minotti professe,
on ne sait trop pourquoi, une haine farouche: que Marco, furieux
de n'avoir pas obtenu un commandement dans l'armée de la Répu-
blique, passe du côté des Turcs et se fait nommer leur chef. Étant
données ces prémisses il n'y a que deux conclusions possibles : ou
bien, à l'exemple de Coriolan, Marco cédera aux supplications de
Régina et lèvera le siège de la ville; ou bien il se montrera inflexible
et livrera l'assaut quand même. C'est à ce dernier parti que s'arrête
Marco. Mal lui en prend. Eutré en triomphateur dans Corinthe. il
trouve Régina devenue folle et expirante. Fou de douleur, il se fait
tuer par quelques soldats vénitiens revenus en force et victorieux
à leur tour.
Sur ce livret, très clair et bien découpé pour la musique, M. Albert
Cahen a écrit une partition que distinguent, à défaut d'une origi-
nalité bien accentuée, la franchise du sentiment mélodique et le soin
apporté à la mise en œuvre. Poème et musique ont été accueillis
avec faveur par le public rouennais et les critiques et amateurs
parisiens venus tout exprès pour assister à cette première.
Parmi les pages qui ont produit la meilleure impression je signa-
lerai tout d'abord, au premier acte, qui se passe à Venise, la phrase
rêveuse: « Plein des blancheurs de l'aurore », le chœur des jeunes
Vénitiens, un duo d'amour d'où se détache une très jolie phrase :
« Non, viens, oublions le monde », et le tableau assez animé de la
séance du Conseil des quarante. Au second acte, qui nous transporte
dans le camp des Turcs, se placent de gracieux motifs d'orchestre,
la pittoresque chanson du berger Dracos, un air inégal de Marco et
un vigoureux chant de guerre. Citons encore, au dernier acte (la
salle du palais de Minotti dans Corinthe), la. phrase expressive de
Régina : « je la bénis, l'heure attendue ».
M. Lafarge a retrouvé, dans le rôle de Marco, le succès que lui
avait valu celui de Samson. A côté de lui il convient de citer
Mmes Bossy et Fouquet, MM. Mondaud, "Vérin et Schmidt, sans ou-
blier Mlle Piron, l'ex-premier sujet de la danse à l'Opéra : bref, un
ensemble d'interprétation honorable, sinon très brillant. La mise
en scène est soignée. L'orchestre est bien dirigé par M. Gabriel
Marie. Puisse, en récompense de ses effort?, M. Verdhurt trouver
les fonds et le local suffisants pour transporter à Paris, comme il
le désire, son i nouveau théâtre lyrique français ».
Intérim.
Odéon. — La Vie à deux, comédie en trois actes de MM. Charles
de Courcy et Henri Bocage.
Décidément M. Porel est d'un éclectisme merveilleux. La facilité
surprenante avec laquelle il passe du grave au doux, du triste au
gai, du sérieux à la gaudriole, ne laisse pas que de nous étonner
un peu, sans que, cependant, nous pensions le moins du monde à
l'en blâmer, loin de là. Et de fait, voilà l'Odéon devenu le théâtre
le moins classé comme genre de tout Paris. Si nous n'y avons pas
eu encore d'opérette, il ne faut pas se hâter d'en conclure qu'on
ne nous en donnera jamais; je me rappelle certain Marquis Papillon
qui était si près, si près du genre, que beaucoup de gens sortaient
du spectacle en fredonnant des couplets qu'ils étaient convaincus
avoir entendus pendant la soirée. Pour ce qui est du grand opéra,
tout le monde sait que si les honorables MM. Ritt et Gailhard n'y
avaient mis le holà, il y a longtemps déjà que le Second Théâtre
français ferait, au palais Garnier, une concurrence redoutable.
Pour le moment, et avec la Vie à deux, la concurrence n'est
braquée que sur le pauvre petit théâtre Cluny, chétif qui n'en peut
mais et qui, bien innocent, ne méritait certes pas cet excès d'hon-
neur de la part de son gros confrère subventionné. La pièce de
MM. de Courcy et Bocage n'est donc qu'un simple vaudeville, une
sorte de Divorçons pour quartiers exotiques. Ce n'est pas ennuyeux,
qualité essentielle, et si les situations sont des plus convention-
nelles, elles ne choquent pourtant pas outre mesure. Mais le gros
atout, c'est Mllc Réjane qui joue à ravir le rôle d'une jeune mariée
qui, décidée à divorcer pour incompatibilité d'humeur, veut au
moins, avant de quitter son mari, lui choisir une femme avec la-
quelle il sera sûrement heureux. La chose est si peu facile qu'elle
s'aperçoit qu'elle seule est capable de faire le bonheur de M. La-
bronchère, et que le petit ménage se raccommode pour vivre en une
félicité parfaite. M. Dumény joue, comme toujours, en amateur de
mérite, le rôle du mari. MM. Cornaglia, Duard, Gauthier, Calmettes
et Mmes Dheurs, Raucourt, Déa-Dieudonné et Duhamel se trouvent
fort à l'aise dans des rôles fort simples.
Nouveautés. — Ménages parisiens, comédie en trois actes de
M. Albin Valabrègue.
Si M. Porel varie les plaisirs de son public par pure coquetterie
directoriale, je ne crois pas qu'il en soit précisément de même de
M. Brasseur, qui, tout en s'essayant aussi à des exercices divers,
me semble surtout rechercher le genre à succès qui remettra à flot
le joli théâtre des Nouveautés, légèrement ballotté par des vents
contraires depuis quelque temps. Je souhaite que l'expérience tentée
jeudi soir soit décisive, ce qui ne o'étonnerait nullement, étant
donné l'accueil chaleureux qui a été fait aux Ménages parisiens.
La comédie de M. Valabrègue roule encore sur le divorce ; toute-
fois, ici, il ne s'agit plus d'un seul couple, mais bien de deux qui
ont divorcé. C'est là un petit procédé de multiplication dramatique
avec lequel nos jeunes auteurs semblent vouloir nous familiariser.
Donc, Paul et Jeanne de Faverolles ont divorcé ; Jeanne s'est re-
mariée avec Gatinard et Paul vit maritalement avec Maria Pont-
Gaudin, l'emmo divorcée de Pont-Gaudin, et ancienne maîtresse de
Gatinard. Nous sommes ainsi en présence de deux ménages : l'un
iU
LE MENESTREL
régulier, M. et AI"16 Gatinard, l'autre irrégulier, Paul et Maria, et
d'un célibataire, Pont-Gaudin, — et par un de ces hasards comme
on n'en saurait rencontrer que par-delà la rampe, tout ce petit,
monde se trouve réuni dans un hôtel de Nice. Ce qui se passe alors
est assez difficile à dire clairement, car, si les personnages sont peu
nombreux, l'intrigue est grandement compliquée. Jeanne n'aime
pas son nouveau mari et garde le culte du premier toujours regretté.
Paul est fatigué de Maria et resonge à Jeanne; Gatinard est lassé
d'être berné par Jeanne qui le consigne à sa porte, et Pont-Gaudin
trouve Maria beaucoup plus avenante que jadis. Vous devinez ce
qui arrive. Au baisser du rideau, nous n'avons plus devant nous que
deux ménages réguliers : M. et Mme de Faverolles, M. et Mme Pont-
Gaudin, et un célibataire, Gatinard. M. Valabrègue a assez adroite-
ment exécuté ce petit tour de passe-passe, lepublicena été enchanté.
Et pourtant la pièce, faite presque exclusivement de mots d'esprit,
m'a semblé assez déconcertante par son ton indécis et ses scènes de
comédie à l'allure trop sérieuse. — M. Romain, engagé spéciale-
ment, a joué eu homme du inonde le rôle de Paul, M. Maugé est un
fort amusant Pont-Gaudin. Le personnage de Gatinard convient peu
à M. Albert Brasseur, qui pourtant s'y est fait applaudir. MUc Dhar-
court joue en fine artiste le rôle de Maria et M"e Davray est une
Jeanne décorative.
Paul-Émtle Chevalier.
P.-S. — Mardi dernier on a très joyeusement fêté, au théâtre de
la Gaîté, la centième représentation du Voyage de Sujette. Dès après
la représentation, les heureux invités ont été reçus par MM. De-
bruyère, Chivot et Delilia au foyer fort artistement décoré de
plantes et de fleurs, au milieu desquelles apparurent tout à coup,
dans leurs costumes chatoyants et variés, les principaux interprètes
de la pièce, chant et danse. Gaîté et cordialité sur toute la ligne.
Aussi a-t-on follement dansé aux sons d'un orchestre conduit avec
entrain par Prosper Artus, et a-t-on grandement sablé le Champagne
à un excellent buffet. On n'a pu se séparer qu'au grand jour, faisant
bien promettre aux très aimables amphitryons de recommencer une
fête aussi réussie lors de la deux-centième.
P.-E. C.
«=-©^ss&^e>^s>— ■
LE THÉÂTRE A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889
XI
(Suite)
J'ai parlé de la ferveur religieuse des acteurs annamites, pour qui
le culte de Bouddha s'enchevêtre avec le culte de l'art. Nous les
avons vus placer l'image de leur dieu dans l'intérieur de leur théâtre
pour implorer sa protection. 11 faut ajouter qu'ils n'entreraient pas
une fois en scène sans faire leurs dévotions devant cette image. Un
écrivain qui pendant leur séjour ici les a pratiqués d'une façon toute
spéciale, qui les a bien et de près étudiés, M. Ernest Laumann, en
parle ainsi à ce sujet, en décrivant les coulisses et l'autel devant
lequel ils font leurs invocations (1) :
Nous sommes dans un endroit qui tient du foyer et du temple. C'est
une sorte de long couloir percé de trois baies ouvrant de plain-pied sur
la scène et masquées de draperies en portières. Au centre, accotée au
mur du fond et face à la baie centrale, une petite table tendue de rou°-e.
sorte d'autel formant un carré dont la face, qui rentre d'une dizaine de
centimètres au centre, permet aux deux coins de se développer en avant.
Ce carré de bois rouge est enjolivé de lignes d'or qui exécutent leurs
méandres en fines nervures capricieuses ; les coins seuls, plus lourds,
présentent un enchevêtrement de caractères mystiques, légendes attestant
le mérite et la valeur des Dieux.
Cet autel est recouvert, à son centre seulement, d'une sorte de toit
plat simulant la tuile, en bois de teck. A son ombre trois fauteuils
où sont affalés, en de ridicules positions de marionnettes, trois bons-
hommes habillés d'un pantalon blanc et d'une veste verte à boutons d'or.
Flanquant ce premier groupe, deux bonshommes sont également assis à
gauche et à droite, sorte de gardiens du temple et qui semblent chargés
de la garde perpétuelle des idoles. Devant, et-dans un buisson d'odoran-
tes baguettes éteintes, une baguette allumée laisse flotter son parfum
mystérieux dans l'air alourdi (2), et à ses côtés des fruits et des gâteaux
(1) Il n'y a pas à proprement parler de coulisses, puisque la scène,
complètement nue et sans décors, n'est qu'une estrade élevée sur l'un des
côtés de la salle. C'est l'espace situé derrière cette estrade, c'est-à-dire ce
qu'est chez nous le fond du théâtre, qui tient lieu tout à la fois de loges,
de coulisses et de foyer.
(2) On se rappelle ces petits paquets de baguettes rouges odorantes que,
pour dix centimes, déjeunes Annamites offraient et vendaient au public
sur l'Esplanade des Invalides.
d'offrande attestent aux dieux du dévotisme des acteurs. Avant d'entrer
en scène, l'artiste s'arrête devant cet autel, joint les mains et, d'un geste
lent, les lève et les abaisse trois fois, demandant au dieu la faveur d'un
public indulgent et la force de remplir son pénible rôle (1).
Voyons enfin ce qu'est la scène du Théâtre Annamite. Pas autre
chose qu'une estrade, je l'ai dit. sur laquelle, comme au Japon,
les acteurs sont entourés de trois côtés par le public. Cette estrade
peut avoir environ dix mètres de large sur quatre de profondeur.
Pas de rideaux, pas de décors, à peine quelques accessoires indis-
pensables. Les entrées et les sorties se font toutes forcément par le
fond, lequel présente, on l'a vu. trois baies, fermées par des tapis-
series éclatantes. Entre ces baies et au-dessus d'elles la cloison,
qui forme le fond du théâtre et qui sépare la scène du foyer (ou'
des coulisses, comme on voudra), est partagée dans sa partie supé-
rieure en trois panneaux sur lesquels sont peints, en couleurs
voyantes, les épisodes les plus animés des drames les plus émou-
vants du théâtre annamite.
Là, comme chez nous, de nombreuses conventions, qui, après
tout, ne sont pas plus grossières que les nôtres, bien qu'elles nous
paraissent étranges parce que ce ne sont pas celles auxquelles nous
sommes accoutumés. D'abord, comme il n'y a point de décors, il
faut bien, d'une façon quelconque, donner au spectateur la pensée,
l'illusion du lieu où le transporte l'action. Le procédé, comme on
va le voir, est d'une simplicité élémentaire, et c'est M. Ernest Lau-
mann, déjà cité, qui va nous le faire connaître :
Une scène se passe-t-elle dans un palais, une table, des sièges, font la
décoration. Au contraire, si elle a lieu dans la campagne, au bord de
l'eau, une natte fait la rivière. Dans un pays montagneux, un tabouret
représente la montagne, et enfin, si, comme cela arrive souvent dans les
pièces annamites, une scène se passe dans le ciel, le même tabouret va
figurer un nuage. Nous pourrions multiplier encore ces exemples, mais
ceux-ci suffisent pour démontrer à quel naïf point de départ en est encore
le côté scénique de l'art dramatique en Extrême-Orient.
Voici pour les décors ; passons aux personnages. Un mandarin conduit
une armée à la guerre ; ce mandarin est à cheval ; une simple cravache
qu'il tient attachée au poignet et dont il se sert quelquefois pour frapper
sa botte de feutre, indique le fait aux spectateurs. Si, comme nous le disions
plus haut, le ciel devient le lieu de l'action et que l'Un des personnages
soit doué d'un pouvoir magique qui lui permet de voler, deux petits dra-
peaux attachés sous les aisselles figurent les ailes. Le public n'en de-
mande jamais plus, tant l'hyperacuité de leur sens inventif sait suppléer
à l'insuffisance des moyens employés. Et il est à noter qu'en Annam le
théâtre est très en faveur, aussi bien pour le public lettré que pour celui
de' la caste inférieure (2).
Comme dans tout l'Extrême-Orient, les pièces du théâtre anna-
mile sont des espèces de longues épopées dont la représentation
exige plusieurs jours, et qui sont divisées en épisodes importants
dont chacun forme un spectacle complet. Ces divers fragments por-
tent tous le même titre général, mais avec un sous-titre particulier
à chacun d'eux. Ce soDt pour la plupart de grands drames à l'ac-
tion très compliquée, où l'élément militaire joue un grand rôle, et
où cette action se déroule à travers des duels, des meurtres, des
vengeances, des combats, des poursuites, des trahisons, le tout en-
tremêlé de danses, de cortèges .et de défilés de toutes sortes. L'élé-
ment passionnel n'en est pourtant pas exclu, et l'on y trouve par-
fois des scènes d'amour touchantes et expressives. De même, la
faniaisie s'y mêle parfois au drame et y insère une note toute pai»
ticnlière. Voici d'ailleurs une analyse aussi exacte que possible de
la première pièce que les acteurs annamites ont offerte au public
de l'Exposilion, le lioi de Dwmij :
Un jour, Chieu-Où invite son beau- frère, le roi de Duong. Ly-Tieng-
Vuong, à venir assister à un festin qu'il donne, en vassal respectueux, à
son maître et à son parent.
Mais voici que quatre mandarins pervers conseillent à Chieu-Où de se
débarrasser du roi et de monter sur le trône. La convoitise chuchote aussi
ses conseils dans l'esprit de Chieu-Où, qui consent à tramer dans l'ombre
un attentat horrible contre la personne sacrée du roi.
Au loin, les fanfares éclatent en notes joyeuses et triomphales, annon-
çant l'arrivée de Ly-Tieug-Vuong, qui descend devant le palais au milieu
de l'allégresse et des honneurs.
Mais Ly-Tieng-Vuong a trois mandarins lidéles et fervents qui veillent
sur leur maître. Ils ont surpris les allures suspectes des mandarins Tbiet-
Hoai, Thiet-Hû, Ïliiet-Long et Thiel-I'buong, et ils conseillent au roi de
fuir une hospitalité qui cache des traîtrises et peut-être des meurtres si- ;
lencieux.
Le roi, pris de crainte, s'enfuit avec ses mandarins, el les voilà errants
(1) Art ci Critique, ISSO, n" II).
(Vf Arl el Critique, 1889, n" 15.
LE MENESTREL
125
dans les rizières bleutées ; en passant sur le fleuve Âuh Trung, le hasard
meurtrier fait que l'un des mandarins se noie et Ly-Tieng-Vuong reste
avec ses deux seuls amis.
Chieu-Où, voyant ses projets dévoilés et son ambition mourir à l'aube
de la réussite, envoie les quatre mandarins, accompagnés d'innombrables
guerriers, à la poursuite du roi.
Il ne faut pas que Ly-Tieng-Vuong regagne son royaume et la demeure
paisible où ses épouses désolées attendent son retour.
Thiet-Hoai, Thiet-IIô, Tbiet-Long et Thiet-Phuong arrivent avec leur
troupe, le roi est cerné et les régicides mettent le feu aux plaines in-
finies pour faire mourir le roi.
Dans l'incendie, Thiet-Phuong perd la vie.
Mais ne voyant pas revenir le roi, le fils adoptif de Ly-Tieng-Vuong
rassemble aussi des troupes et accourt au-devant de son maître.
Il rencontre les armées du traître, la bataille s'engage, terrible, les
hommes tombent. Enfin, le roi est sauvé et revient au milieu de l'allé-
gresse générale, précédé et suivi des armes étincelantes des guerriers, sous
le chaud soleil qui fait miroiter les co aux plis ondoyants et dans le con-
cert des lay de joie de tout un peuple prosterné.
Les acteurs annamites nous ont représenté ici quatre des pièces
de leur répertoire ; mais de ces quatre pièces, trois n'étaient, selon
co que j'ai dit plus haut, que des épisodes d'un grand ouvrage inti-
tulé le Roi de Duong. La première, qui portait ce litre, est celle dont
on vitnt de lire l'analyse; la seconde, qui en était la suite, avait pour
sous-tilre Nuy-Ho (Cinq tigres mandarins), et la troisième, suite de
celle-ci, était intitulée Yo-Haû. La quatrième, indépendante des pré-
cédentes, était une féerie qui avait nom Lé Hué (La Rose), une féerie
sans trucs et sans changements à vue, où l'imagination du specta-
teur doit faire beaucoup de frais pour se représenter ce qu'on ne
peut offrir à ses yeux.
Mais on pense bien que pour les spectacles donnés à l'Esplanade
des Invalides, et dont la durée n'atteignait même pas une heure, il
avait fallu pratiquer de larges coupures dans le dialogue et dans
l'action de chacune de ces pièces. Restaient-elles suffisamment intel-
ligibles ? c'est ce qu'aucun spectateur parisien sans doute ne saurait
dire. La curiosité du publie cosmopolite de l'Exposition était uni-
quement excitée par le spectacle des yeux, si nouveau, si curieux,
si étrange, parfois si saisissant, si différent surtout de tout ce qu'on
avait vu jusqu'à ce jour en Europe.
Décrire ce spectacle n'est pas chose facile. Nulle surprise d'abord
pour commencer, puisque la scène, que ne cache aucun rideau, est
immédiatement visible au spectateur dès qu'il pénètre dans la salle.
Avant la première entrée des acteurs, quatre musiciens, aux instru-
ments ctiards et discordants, viennent y prendre place, deux à
droite, deux à gauche ; un cinquième, placé dans un des angles du
fond, est chargé d'une sorte de grosse caisse dont il se sert en cons-
cience. Ces cinq « artistes, » du reste, n'interrompent pas un seul
instant, tout le long de l'action, leur musique enragée. Enfin la
pièce commence, et dès l'abord on est étonné des cris farouches, des
hurlements forcenés auxquels, dans certaines situations, se livrent
les acteurs ; ces cris effroyablement stridents, mais plus prolongés
que les sifflets de nos locomotives, sont véritablement déchirants
pour nos oreilles lorsqu'ils, sont poussés à la fois par plusieurs d'entre
eux. comme il arrive fréquemment. Ils y joignent parfois une mimi-
que enragée, mais qui ne laisse pas d'êtie par instants très expres-
sive, et l'on se demande comment, avec les peintures de leur visage,
avec leurs moustaches hérissées, leurs barbes épaisses, ils peuvent
donner à leur physionomie tant de mobilité et des aspects si divers.
Leurs jeux de scène, dans les épisodes dramatiques, sont véritable-
ment excessifs, et à leurs cris aigus se joignent des gestes en quel-
que sorte épileptiques et les mouvements les plus étranges.
Puis, à des scènes très animées succèdent de temps à autre des
dialogues tranquilles, dans lesquels ils parlent avec beaucoup de
calme et de naturel. Mais, ce qui est curieux, ce sont les combats,
les poursuites, les cortèges, qu'accompagnent les hurlements ordi-
naires. Dans ces poursuites, dans ces cortèges, on voit se produire
ce qu'on a tant raillé naguère dans ceux de nos théâtres où l'on
jouait des pièces militaires; c'est-à-dire que pour faire illusion sur
le nombre, les figurants qui sont entrés par l'une des portes du
fond et qui, après avoir traversé la scène, sont sortis par l'autre,
rentrent en courant par la première pour ressortir par la seconde
et recommencent cinq ou six fois ce manège. Dans ces parties de
l'action, tous les personnages se livrent ù un mouvement endiablé,
à un bruit infernal, et (ceci est une de leurs nombreuses conven-
tion.^ ils sont excités et surexcités par le légisseur, qui ne se gêne
pas pour pénétrer sur la scène, où sa présence et ses exhortations
maintiennent chacun dans le droit chemin.
Parfois le chant ou la danse vient se mêler au dialogue, mais
seulement pour les personnages prenant part, à l'action, car les
figurants ne chantent ni ne dansent jamais. Dans une de leurs
pièces j'ai vu une des deux femmes (je ne saurais dire si c'est
Tani ou Guong) faire preuve dans une sorte de mélopée langoureuse
d'une voix, ma foi ! fort agréable. Quant à la danse, elle n'offre
guère autre chose que des attitudes. Pour les hommes, elle consiste
surlout à se tenir en équilibre tantôt sur une jambe, tantôt sur
l'autre, à tourner sur soi-même les bras en avant, soit la main fer-
mée avec deux doigts levés à la façon sacerdotale, soit la main
tout ouverte et la paume projetée en avant ; pour les guerriers, elle
se termine par une sorte de saut périlleux accompagné d'un grand
cri. En ce qui concerne la femme, c'est plutôt une série de gestes
lents et harmonieux, empreints d'une rare souplesse, par lesquels
elle décrit autour de son corps, divers signes d'un caractère par-
ticulier.
Certaines scènes sont tout à fait singulières; ainsi dans Vo-Hau.
celle où l'on voit Ky-Loan-Auh, épouse du pirate Tiet-Cuong, prise
en scène des douleurs de la maternité. Elle s'éloigne alors vers le
fond, tourne le dos au publie et s'accroupit par terre, pendant que
ses serviteurs, se groupant autour d'elle et tormant un demi-cercle,
la cachent complètement aux yeux des spectateurs. Pais, lorsque
l'événement s'est produit, elle se retourne, tenant dans ses bras une
poupée qui figure le jeune citoyen auquel elle vient de donner le
jour. Cela est d'une étonnante naïveté.
En résumé, le Théâtre Annamite a été, à son point de vue spécial,
l'un des attraits les plus curieux de l'Exposition universelle. Si, par
le fait de notre ignorance de la laogue, il ne pouvait, nous donner
une idée même approximative de la valeur littéraire des œuvres
qu'il faisait passer sous nos yeux, il nous a du moins familiarisés
avec le côté extérieur et plastique d'un art sous ce rapport très
particulier, très riche, très brillant, il nous a mis au fait de coutumes
scéniques absolument différentes des nôtres, dont nous n'avions
aucune notion, et si malheureusement nous étions dans l'impossibilité
d'apprécier le talent des acteurs, aussi bien que la nature des pièces
jouées par eux, le spectacle qu'ils nous offraient n'en élait pas
moins digne de nous inspirer un intérêt très réel et très vif (I).
(A suivre.) Arthur Pougiiv.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (17 avril). — L'année théâtrale
est sur le point d'expirer. La dernière reprise intéressante a été celle de
Carmen, avec Mllc Samé. C'a été aussi une des plus discutées. Les uns
i ont beaucoup loué l'interprétation que la spirituelle artiste nous a donnée
de l'héroïne de Mérimée, traduite par Bizet; les autres l'ont beaucoup
critiquée. Et cela a été même le sujet de débats ardents entre familiers
du théâtre. La vérité est, à mon sens, que MUs Samé a apporté, dans
cette création nouvelle, toutes ses qualités, toute son intelligence, avec
son tempérament très personnel. Vous devinez le résultat : une Carmen
vivante, piquante, très parisienne, plus encore que très bohémienne, et,
par cela même aussi, extrêmement séduisante et extrêmement jotie. Ce
n'est ni la version de Mlne Galli-Marié, qui donnait au personnage un
caractère âpre et pénétrant, ni la version de M"lc Deschamps, dont la voix
et la plastique sont (faut-il l'en plaindre ou l'en féliciter?) l'antipode de
la voix et de la plastique de M1" Samé. C'est autre chose, un peu menu,
un peu « étagère », mais très habile, et fout à fait charmant, avec des
intentions d'impitoyable réalisme que le sourire et les doux yeux de l'ar-
tiste ne parviennent pas toujours à réaliser. Quant aux autres rôles, ils
sont médiocrement tenus; si la victoire a été indécise pour MIle Samé, la
défaite ne l'a été aucunement pour ses partenaires. C'est une revanche à
prendre... l'année prochaine. Mais l'année prochaine verra la troupe
d'opéra-comique et la troupe de grand opéra sensiblement modifiées.
M"os Samé et Merguiller, Mmes Caron et Fierens, MM. Renaud, Sellier,
Bourgeois, — Ibos aussi, je pense, — et plusieurs artistes remplissant
les seconds emplois nous quittent. Il ne nous restera guère que M11, Car
rère, MM. Bouvet, Delmas, Badiali et Isouard. Vous voyez que le renou-
vellement ne sera pas mince. En attendant, résumons rapidement le tra-
vail de la saison : deux nouveautés : Esclarmonde et Salammbô, et vingt
reprises, en comptant les œuvres qui n'avaient pas quitté le répertoire
courant : le Pardon, la Julie, le Barbier de Séville, le Ca'id, Mignon, le Muilre de
Chapelle, Si fêlais Roi, A'idu, Hamlel, l'Africaine, le lloi d'Ys, Faust, Robert le
Diable, Manon, la Favorite, le Songe d'une Nuit d'été, le Vaisseau fantôme,
(1) Après cinq mois environ passés parmi nous, tout le personnel du
Théâtre Annamite a quitté Paris h' 9 novembre, et s'est embarqué peu
île jours après .1 Marseille, fori désireux sans doute de revoir le pays
natal.
426
LE MENESTREL
Carmen et le ballet des Fumeurs de Kief. On remarquera que Meyerbeer,
qui, les années précédentes, avait été pour ainsi dire abandonné, s'est
nn peu rattrapé, et que M. Ambroise Thomas n'a pas cessé d'être en
faveur, puisqu'il figure dans ce tableau avec quatre ouvrages, à lui tout
seul ! — Dans les autres théâtres, l'opérette semble reprendre un regain
du succès qu'elle avait perdu un peu injustement. L'Albambra continue à
passer en revue les opérettes allemandes, Boccace après l'Étudiant pauvre,
et ainsi de suite, prétextes ingénieux à mise en scène, à défaut d'autres
mérites particuliers : et les Galeries viennent de monter Cendri lionne tte,
qui a beaucoup réussi. — Nous avons eu dimanche le troisième concert
populaire de la saison. Fidèle à sa résolution, M. Joseph Dupont avait,
cette fois encore, après avoir préparé activement, comme d'habitude, les
répétitions, modestement cédé son bâton de chef d'orchestre à un autre.
Cet autre, c'était M. Rimsky-Korsakow, qui a conduit seul ce concert,
eonsacré tout entier à la musique russe. Vous connaissez suffisamment
les couvres de cette jeune école, dont une audition eut lieu l'été dernier
au Trocadéro, dirigée par le même Rimsky-Korsakow, pour que je me
permette de vous en parler ici en détails. Qu'il me suffise de vous dire
que l'impression produite par elles, à Bruxelles, a été très diverse. On
l'es a exaltées et décriéeà, non sans violence. Ces compositions, hautes en
couleur, visant surtout à l'effet, de sonorités si opulentes et de mouve-
ment si curieux, ont généralement peu satisfait ceux qui demandent à la
musique des sensations moins superficielles, une inspiration plus pro-
fonde et plus sincère. Mais il n'est personne qui n'ait admiré l'extraordi-
naire habileté, le « métier étonnant », le savoir-faire de ces musiciens
vaillants qui, à ce point de vue-là du moins, tiennent une place brillante
parmi les novateurs. Et tout le monde a été d'accord aussi pour applaudir
l'admirable' exécution que l'orchestre des Concerts populaires nous a
donnée de leurs œuvres, parmi lesquelles il y avait des choses complè-
tement inédites : une Grande Pdque russe, de M. Rimsky-Korsakow, et de
bien jolis fragments symphoniques de l'opéra que M. César Cui a tirés
de la comédie de M. Jean Richepin, le Flibustier. Luciex Solvay.
— Nous avons, dans notre dernier numéro, fait connaître l'affligeante
nouvelle qui nous annonçait la maladie mentale de M. Franco Faccio, le
célèbre chef d'orchestre de la Scala. Nous trouvons à ce sujet des détails
intéressants dans le Piccolo. de Trieste : — « La nouvelle, dit ce journal,
que le maestro Franco Faccio était depuis quelque temps affligé d'une
maladie cérébrale, s'était répandue dans tous les cercles musicaux, où
elle avait causé généralement une pénible impression. Faccio avait été,
on le sait, envoyé à Gratz à la suite d'une consultation médicale ; il avait
passé par notre ville, où il a des parents et des amis, et il y était revenu
ces jours derniers, après qu'à Gratz on avait fait cette triste déclaration
qu'il était frappé d'une folie désormais incurable. Hier, à quatre heures
et demie, un infirmier accompagnait le maestro Faccio à la gare, d'où il
devait le conduire de nouveau à Milan, et à la gare s'étaient réunis,
pour le voir encore, quelques parents et amis de l'infortuné. Alors que
le train qui emportait le pauvre maestro s'était déjà mis en mouvement,
une sœur de Faccio, qui était venue là, se prit à pleurer et à s'agiter
convulsivement, s'arrachant les cheveux et s'écriant : Mon pauvre frère !
Il est fou! Il est foui Le chef de gare la fit entrer dans son bureau, où il
chercha à la calmer ; mais ses efforts furent infructueux, et la malheu-
reuse, toujours plus agitée, continuait de crier, en proie à des spasmes
nerveux et à une crise fébrile. Le docteur Fabris, aussitôt appelé, se
rendit immédiatement à la gare pour lui prodiguer les soins nécessaires
et, finalement, elle fut reconduite chez elle en voiture. » Un journal de
Milan, la Lombardia, en reproduisant ces lignes, ajoute : — « La doulou-
reuse nouvelle n'est que trop vraie : Franco Faccio, dans la guérison du-
quel on espérait tant, surtout après son séjour à Gratz, est arrivé avant-
hier à Milan, accompagné de sa soeur Clara, et a été hier transporté dans
un maison do santé. Le malheureux est complètement transformé, par
suite de la paralysie progressive qui l'a envahi et qui a été constatée
par les docteurs Todeschini etDe Vincenti. Il ade longs assoupissements,
puis des explosions émouvantes, durant lesquelles il appelle et ne recon-
naît qu'Arrigo Boito, qui l'assiste avec une affection vraiment fraternelle.
Ces nouvelles ont produit la plus douloureuse impression dans nos cer-
cles artistiques et, partout où Faccio était connu, une impression de cha-
grin sincère et profond pour le malheur qui frappe un artiste véritable,
une illustration de la musique italienne. » Un de nos amis nous écrit de
Milan : « Les études et les répétitions des Maîtres Chanteurs ont achevé
notre pauvre Faccio. Deux mois de répétitions et deux par jour lui ont
fa.it perdre tout à fait la raison. Il est perdu pour toujours ! »
— A la Scala de Milan, pour la clôture, on a donné cinq représenta-
tions à'Hamlel en sept jours ! Voici ce que dit ta Perseveranza de la der-
nière représentation : a Public nombreux, applaudissant avec chaleur et
dpn.nani aux artistes des marques spéciales de sa sympathie. A Battistini,
après la scène de l'esplanade, on a présenté une couronne d'or et d'argent.
Navarrini a été gratifié d'une semblable couronne après son air du troi-
sième acte. A M"" Lilvinno, une corbeille do fleurs après le trio du
même acte. Pour M"= Calvé, après la scène do la folio, c'a été une véri-
table pluie de bouquets, au milieu d'applaudissements et d'ovations qui
l'ont obligée à revenir cinq fois en scène. - La Scala a donc lerminé
pur un beau succès une saison qui avait été bien malheureusejusque-là.
— A propos du récenl ef 1res fâcheux insuccès du Roi d'Ys à l< la
Sazdetta musicale do Milan, i|ui. do svagnérophobe enragée qu'elle était il
y a deux ans à peine, est devenue wagnéromane ardente pour des raisons
que chacun connaît, exprimait l'espoir que 1" « invasion » des opéras
français en Italie allait être enfin arrêtée par cet événement et que
bientôt on n'en entendrait plus parler. C'était une nouvelle édition du
mot du grand Cavour : l'Ilalia fara da se. Tous les confrères de la Gazzetta
ne sont point de son avis, car voici ce qu'écrit son voisin le Trovatore au
sujet de la brillante apparition à la Scala de YHamlet de M. Ambroise
Thomas : — « Une des choses que l'avocat Barbetla aurait pu dire dans
son interpellation au conseil communal de Milan sur les cose délia Scala.
c'est qu'un théâtre comme la Scala n'a aucun droit à se croire et à vou-
loir être appelé le premier du monde lorsqu'on y laisse ignorés les neuf
dixièmes des opéras qui depuis des années et avec honneur parcourent
toutes les scènes de premier ordre. Parmi ceux-ci était YHamlet de Tho-
mas, et quel que puisse être son succès financier et di casselta, on a bien
fait de le jouer, parce que le public, pour pouvoir affiner son goût, doit
pouvoir entendre les œuvres les plus estimées des diverses écoles et des
divers pays, et ne pas être contraint aux chefs-d'œuvre... forcés et à vie
tels qu'Ernani et la Gioconda. » C'est parler d'or, quoi qu'en puisse penser
la Gazzetta.
— Opéras de compositeurs français joués en Italie dans les deux der-
nières semaines : Bologne (théâtre du Corso), Carmen ; Venise (Fenice). Faust,;
Milan (Scala), Hamlet; Ravenne, Fra Diarolo ; Rovigo, FraDiavolo; Brescia
(théâtre Guillaume), Fra Diavolo; Turin (Carignan), Mignon ;Casalmonferrat,
Mignon ; Udine, Mignon ; Gènes (Politeama), Carmen, Mignon ; Padoue
(théâtre Verdi), les Pêclxeurs de Perles, Mignon ; Malte, les Diamants de la
Couronne ; enfin, Naples (théâtre Bellini), Carmen, dont c'était la quaran-
tième représentation. A cela nous pouvons ajouter les ouvrages français
écrits par des compositeurs étrangers : Venise (théâtre Goldoni), la Fa-
vorite ; Terni, l'Africaine; Lodi, la Favorite; Naples (San-Carlo), les Huguenots;
Modène (théâtre Communal), Dinorah (le Pardon de Ploërmelj; Salerne, la
Favorite.
— « Nous avons ici, à Rome, dit V Italie, un jeune homme de talent,
M. Gastaldon ; il cherchait depuis longtemps, ainsi qu'une vingtaine d'au-
tres, le moyen de se frayer un chemin au théâtre. Il avait déjà terminé
deux opéras; seuls, les amis intimes en connaissaient quelques morceaux.
Les imprésarios de tous les théâtres d'Italie restent sourds aux demandes
des jeunes; ils ont une horreur profonde pour toute nouveauté, et quand
un compositeur se présente à eux ils ne demandent pas quel est le sujet
de l'opéra qu'on leur offre, mais bien la somme d'argent que l'auteur peut
dépenser pour se faire représenter. Les municipalités continuent à donner
aux théâtres de forts subsides, mais elles se désintéressent toujours plus
du répertoire. Les grands éditeurs encouragent les jeunes gens... en im-
primant des romances. M. Gastaldon avait déjà eu le succès des salons ;
il aspirait inutilement à celui du théâtre. Heureusement que son bon
génie l'a conseillé de se présenter à Mme Theodorini; la célèbre artiste a
lu la partition de Mala Pasqua ! et a dit : — « Le rôle me plaît; je chanterai
votre opéra! » Et grâce aux efforts, à l'énergie, à la volonté développés
par Mme Theodorini en faveur du jeune compositeur et de son œuvre,
celle-ci a été représentée au théâtre Costanzi, où, grâce aussi au talent de
la cantatrice, elle a obtenu le premier soir un bruyant succès. La poème
de Mala Pasqua est tiré d'un drame très populaire de M. Verga, Cavalleria
rusticana, par M. Bartocci-Fontana. L'ouvrage est en trois actes et, avec
Mu° Theodorini, les principaux interprètes sont M™ Mariani-De Angelis,
le ténor Russitano et le baryton Franceschetti. Il résulte d'ailleurs des
comptes rendus que le grand succès de la première soirée est dû beau-
coup plus au talent superbe déployé par Mms Theodorini qu'à la valeur
de la partition, qui semble n'être que l'œuvre estimable et un peu inco-
lore d'un débutant. »
— On doit donner prochainement, au théâtre Sannazaro, de Naples, la
première représentation d'un nouvel opéra-comique, la Itegina Seinon, dont
le compositeur, M. AnacharsisPrestreau, a écrit la musique, sur un livret
français de M. Jack Ferni, traduit en italien par M, Golisciani.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Barmen : Au théâtre municipal
Mmc Amélie Joacbim, la femme du célèbre violoniste, vient de se faire
entendre, pour une représentation à bénéfice, dans le rôle de Fidès du
Prophète. Son magnifique organe et ses qualités dramatiques ont soulevé
un enthousiasme indescriptible. — Berlin: A l'Opéra royal on prépare une
reprise du ballet Promélhée, de Beethoven, avec une chorégraphie nouvelle
du maître de ballet Graeb. La scénario a également subi un remaniement
complet, travail qui a été confié au professeur E. Taubert. — Bueslau :
L'opéra-comique do M. E. Lindner, le Maître voleur a été froidement
accueilli au théâtre municipal. — Leipzig : Le rôle de Mignon dans l'opéra
d'Ambroise Thomas a trouvé une nouvelle titulaire en la personne de
M"0 Barlay. La débutante a fait bonne impression sur le public. — La
nouvelle opérette de M. Sullivan, Je Garde du roi, vient d'être représentée
au vieux théâtre municipal, sans rencontrer le succès auquel on s'atten-
dait. — Mavence : M,nc Angelina Luger, de Francfort, a donne au théâtre
municipal une représentation do Mignon qui lui a valu un véritable
triomphe. — Munich: Le grand événement théâtral de la saison a île la
reprise de Joseph, avec M. Max Alvary dans le rôle principal. Le célèbre
ténor y a remporté un des plus brillants succès de sa carrière. Les autres
interprètes ont également été 1res remarqués. La représentation du chef-
d'œuvre de Méhul, dirigé par le gênerai direktor Lovi a produit sur lo pu-
LE MENESTREL
427
blic une impression de. poignante émotion. — Phagiie: Victoire complète
pour les Templiers, de LitollV, au Théâtre Allemand, malgré une interpré-
tation défectueuse. Celle-ci est qualifiée par un journal local de perpetito
trémolo. On prépare la reproduction des Enfants des landes, le premier
opéra deRubinstein, créé à Vienne en 1861. — Stuttgart : Le ténor Son theim,
qui a fêté l'année dernière son jubilé de cinquantenaire artistique, vient
de donner, au théâtre de la Cour, sa représentation d'adieux, dans le
rôle de Vasco de l'Africaine. Des ovations nombreuses ont été prodiguées
au vieux chanteur, qui a adressé au public quelques paroles de remer-
ciements.
— A Moscou. Mi Mamontoff, directeur du théâtre Privé, a dû restituer
aux abonnés une partie des sommes versées par eux, par suite de l'im-
possibilité dans laquelle il s'est trouvé de leur donner toutes les repré-
sentations promises par le ténor Masini, une maladie de celui-ci ne lui
ayant permis de chanter que quatre fois.
— C'est décidé. Le Her Majesty's Théâtre de Londres va disparaître, et
sera vendu en septembre. Tous les beaux souvenirs que lui a laissés
l'ancienne splendeur, aujourd'hui évanouie, de l'opéra italien, ne sauraient
le sauver d'une destruction prochaine et complète. Le théâtre sera démoli
de fond en comble, et, sur son emplacement, on élèvera un vaste hôtel
avec de nombreuses boutiques.
— L'évèque de Ripon vient de rendre une ordonnance assez originale.
Convaincu que le pouvoir de la musique n'était pas assez fort pour
attirer les fidèles aux messes du vendredi-saint, il a décidé que certaines
églises de son diocèse seraient autorisées à égayer les services du soir au
moyen de lanternes magiques !
— La saison d'opéra italien qui a été inaugurée le 24 mars au Metro-
politan Opéra House de New-York, sera exceptionnellement brillante. La
direction espère sortir victorieuse de la lutte acharnée qu'elle soutient
contre les wagnériens. Le tableau de troupe comprend les noms suivants :
M'"cs Adelina Patti, Albani, Nordica, Valda, Bauermeister, MM. Tamagno,
Ravelli, del Puente, Carbone, Novaro, Castelmary, etc. Au nombre des
ouvrages annoncés figurent Roméo et Juliette, Lakmé, Mejistofele, Lohengrin,
Otello (de Verdi). L'orchestre et les chœurs sont placés sous la direction de
MM. Arditi et Sapio.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Aujourd'hui, à l'Opéra, nouvelle représentation populaire à prix
réduits ; cela fait deux dimanches de suite consacrés à ce genre d'exer-
cices. Jamais MM. Ritt et Gailhard ne se sont montrés aussi empressés
pour l'exécution de leur cahierdes charges. Comme on voitbien qu'ils vont
se trouver prochainement sur la sellette devant la commission du budget!
— Il est retrouvé. Voici en effet la dépèche qu'il adresse à M. Francis
Magnard, du Figaro :
Merci pour vos inquiétudes. Rassurez les amis. Reviendrai dans un mois.
Saint-Saens.
: La France peut enfin respirer à l'aise.
— C'est à l'Odéon que la Société des grandes auditions musicales de France,
dont nous avons publié le manifeste dimanche dernier, donnera son pre-
mier spectacle, qui sera composé, comme nous l'avons dit, de l'opéra de
Berlioz Béatrice et Benedict. Le quartier est un peu excentrique ; il le sera
moins cependant que l'endroit choisi pour le deuxième spectacle, i'Armide
de Gluck, puisqu'il est question de le donner à... Versailles! Où? Dans
le parc probablement. Jamais Armide n'aurait eu en effet à sa disposition
d'aussi beaux jardins. Ce sera l'école du plein air appliquée à la musique.
— Nous recevons la curieuse lettre que voici :
Monsieur,
J'ai trois pianos dans ma maison et trois filles pour s'y exercer. C'est assez vous
dire que M. Ernest Reyer, l'illustre auteur de Salammbô, a coutume de descendre
chez moi quand il nous fait l'honneur de visiter Perpignan. On sait de plus que
je dirige avec quelque éclat la fanfare municipale de mon pays et que je ne dé-
daigne pas de collaborer au Hanneton mélomane, qui fait les délices de tout le
département des Pyrénées-Orientales. Ce n'est donc pas sans étonnement que
j'ai lu dimanche dernier, dans te Ménestrel, la formation d'une Société d'auditions
musicale!*, laquelle est pourvue d'un « comité consultatif » dont je ne fais pas partie.
Pourquoi cette exclusion que rien ne justifie ? Veuillez bien soumettre ma récla-
matioa à qui de droit et agréer, avec mes remerciements, l'expression de mes
meilleurs sentiments.
Cadet Roussel, de Perpignan.
Auteur d'un quatuor en ré pour trois trombones et un ophicléide.
Cette lettre nous embarrasse fort, nous l'avouons, et nous prions notre
correspondant de bien vouloir l'adresser lui-même aux bureaux de l'asso-
ciation. La popularité du nom de Cadet Roussel nous parait, en effet,
devoir s'imposer aux organisateurs de la nouvelle Société.
— Nous recevons communication de la note suivante : « Un concours
est ouvert par la Ville de Paris, entre tous les musiciens français, pour
la composition d'une œuvre musicale avec soli, chœurs et orchestre. Les
concurrents seront libres de faire composer eux-mêmes leur poème,
dont Ir sujet devra être pris dans l'histoire, les légendes ou les grandes
œuvres littéraires de la France, et se prêter aux développements les
plus complots de l'art musical en même temps qu'il s'adressera aux sen-
timents do l'ordre le plus élevé. Les manuscrits devront être déposés
m. la Préfecture do la Seino (Bureau des Beaux-Arts), du 1™ février au
15' mars 1890, à quatre heures du soir. Les artisles musiciens qui
désirent prendre part à ce concours, sont prévenus que le programme
leur sera délivré à la Préfecture de la Seine, Bureau des Beaux-Arts, a
l'Hôtel de Ville (escalier D, 2e étage), de midi à quatre heures. » Dans
cette note, officielle pourtant, et dont feu Joseph Prudhomme n'aurait
pas renié le style emphatique et boursouflé, une grosse erreur s'est glissée.
On y lit, en effet, que les manuscrits devront être déposés « du l1'1 février
au 13 mars 1890 », et nous sommes déjà à la lin d'avril. Tout porte donc
à croire que c'est 1891 qu'il faut lire. Mais un peu de soin ne messiérait
pas aux rédacteurs de noies officielles.
— La date de l'assemblée générale de la Société des auteurs et composi-
teurs dramatiques a été fixée au S mai. Le rapport sera lu par M. Paul Ker-
rier. Il sera procédé à l'élection de cinq nouveaux commissaires, en rem-
placement de MM. Victorien Sardou, Georges Ohnet, Jean Rlchepiu,
Charles de Courcy et Jonas, membres sortants et non rééligibles.
— C'est demain lundi qu'aura lieu à la salle des Capucines la confé-
rence-audition de M. Julien Tiersot sur les chansons populaires des pro-
vinces de France.
— La soirée de gala de M. Weckerlin promet d'être fort brillante, en
voici le programme: première partie: 1° Ouverture de concert; 2° Psaume
au roi ; 3° Suite vénitienne pour orchestre: i° Chœur de bacchantes; 5° Pas-
torale pour flûte et hautbois (MM. Taffanel et Gillet) ; 6° Marche magyare.
Deuxième partie : Samson, drame biblique en deux parties, poème de
Voltaire (Dalila, Mmc Bilbaut-Vauchelet ; Samson, M. Baudouin-Bugnet).
Cette fête aura lieu jeudi soir 24 avril, dans la grande salle du Conser-
vatoire, avec le concours de la Société des Concerts, dirigée parM.Garcin.
— On a dû donner hier samedi, au Grand-Théâtre de Nantes, la pre-
mière représentation de Ma mie la Lune, « pantomime musicale » en un
acte, scénario de M. Paolo de Lerne, musique de M. Jean Silvany, jouée
par Mme Roux, MM. Roux et Delafolie, et dans laquelle une sérénade était
chantée par M. Jean Delvoye.
CONCERTS ET SOIRÉES
La dernière séance de la Société des concerts du Conservatoire s'ouvrait
par la symphonie en la de Beethoven, qu'il me semble avoir entendu
exécuter parfois avec une perfection plus absolue. J'y ai îemarqué une
tendance qui me' paraît regrettable à accélérer tous les mouvements; dans
l'allégretto, particulièrement, cela se faisait sentir un peu plus qu'il
n'eût fallu, et le rythme, aussi bien que le caractère de ce morceau
admirable, en recevait une atteinte vraiment sensible aux oreilles déli-
cates. Après la symphonie venait l'hymne de Mendelssohn : Écoule ma
prière, dont le solo était confié à M110 Fanny Lépine ; quelle que soit ma
sympathie pour le talent de cette jeune et tout aimable cantatrice, il me
faut bien constater qu'elle ne possède ni la voix corsée, ni le style ample
et ferme qui conviennent à une composition de ce genre. Mais quel
charme et quel contraste, après ce morceau un peu froid et compassé,
venaient nous offrir les « airs de danse dans le style ancien » écrits par
•M. Léo Delibes pour le Roi s'amuse de Victor Hugo! La Gaillarde se dis-
tingue par sa franchise et son accent de belle humeur qui conviennent
si bien à son nom; la scène du bouquet, avec son chant de violoncelles
et d'altos si bien accompagné par les pizzicati des violons, forme un petit
tableau d'un aspect chatoyant et séduisant: le Madrigal, où la coupe de
la phrase mélodique est si originale, où les harmonies sont si fines et
si recherchées sans être jamais bizarres, est une pièce d'un tour plein
d'élégance et de charme; enfin, le Passspied, avec sa tonalité indécise,
qui chatouille l'oreille d'une façon singulière, avec sa grâce légère, son
rythme piquant et son allure aimable, est l'un des morceaux les plus
charmants, les plus exquis que l'on puisse imaginer. Tout cela, exécuté
par l'orchestre avec une délicatesse et une légèreté parfaites, a été accueilli
par le public avec un plaisir dont l'expression s'est traduite en de longs
et vifs applaudissements. M. Deldevez, ordinairement plus scrupuleux,
eut, il y a quelque dix années, l'idée au moins singulière de transformer
en chœur l'adorable quintette de Cosi fan lutte, de Mozart, l'une des ins-
pirations les plus enchanteresses du maître, et de faire chanter cela par
les masses chorales. Je n'aime pas, malgré l'effet qu'ils produisent sur
un auditoire généralement peu éclairé, les arrangements de ce genre,
qui trahissent et dénaturent complètement la pensée du compositeur. Il
me semble qu'il y a dans le répertoire international, dans Gluck, dans
Mozart lui-même, dans Méhul, dans Cherubini, dansLesueur, dans Cima-
rosa, assez de beaux chœurs écrits expressément, pour qu'on ne soit pas
obligé de travestir des morceaux qui ne sont nullement écrits pour être
chantés par soixante ou quatre-vingts voix. Ce n'est pas le bis dont a été
l'objet, dimanche dernier, celui dont je parle ici, qui me fera revenir sur
cette opinion. La séance se terminait par Validante, menuet et finale de
la symphonie inédite d'Haydn, en ut, qui a obtenu son succès ordinaire
et qui a été dite par l'orchestre d'une façon adorable. — C'est aujourd'hui
qu'a lieu la dernière séance de la Société des concerts, sans que nous
ayons eu, cette année encore, la célèbre messe de Jean-Sébastien Bach,
dont on parle depuis deux ans. Ce n'est, qu'on le croie bien, ni paresse
ni mauvaise volonté ; c'est, tout simplement, scrupule excessif. La Société,
qui tient à son honneur artistique et à* a bonne renommée, a trouvé que
deux années d'études de cette œuvre colossale ne lui avaient pas suffi,
jointes à ses autres travaux, pour la présenter au public dans des condi-
-128
LE MÉNESTREL
tions d'exécution suffisamment satisfaisantes. Elle a la coquetterie bien
naturelle et le souci fort légitime de sa gloire, ce dont on ne peut que
lui savoir gré. Ce n'est donc que l'année prochaine que nous entendrons
la messe du grand Bach, et nous savons d'avance à quel point son exé-
cution aura été étudiée dans toutes ses parties et soignée jusque dans
ses moindres détails. A. P.
Concerts du Chatelet. — La 54e audition de la Damnation de Faust a eu
lieu avec une interprétation en partie renouvelée. M. Talazac, qui chanta
le rôle de Faust dès 1877 aux concerts Pasdeloup et au Chatelet, s'y re-
trouve, avec moins d'exubérance et moins de vigueur peut-être, mais
avec une voix plus assouplie, un style plus pur et un goût plus épuré. Il
chante d'une façon charmante les trois premières parties de l'œuvre,
jjmo Krauss, dans le rôle de Marguerite, nous laisse, pour ainsi dire, l'im-
pression d'une création nouvelle, achevée et définitive. Pas un détail ne
passe inaperçu, pas une note n'échappe, toutes les nuances de sentiment
sont mises en relief et graduées avec un art si pur que chacun croit en-
tendre l'œuvre telle qu'il l'avait rêvée et comprise. C'est l'accent vrai, ou
plutôt l'accent artistique dans sa plénitude calme et superbe. M. Auguez
n'a pas la voix suffisamment déliée et fine pour exprimer l'ironie incisive
du rôle de Méphistophélès, mais il chante en bon musicien. M. Augier a
été justement applaudi dans l'amusante chanson du Rat. Les chœurs ont
été suffisants, sauf dans l'apothéose, dont l'interprétation idéale est encore
à trouver. L'orchestre a été acclamé à plusieurs reprises, et plusieurs
morceaux de caractères différents ont été bissés après une exécution tan-
tôt tumultueuse comme celle de la Marche hongroise, tantôt délicieusement
aérienne comme celle de la Valse des Sylphes. Amédée Boutarel.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche.
Conservatoire : Symphonie en la (Beethoven): Hymne (Écoute ma prière!)
Mendelssohn), solo par MUo Fanny Lépine; le Roi s'amuse, airs de danse
(Léo Delibes); chœur de Cosi fan tulle (Mozart); Andante, menuet et finale de
la symphonie en ut inédite (Haydn). Le concert sera dirigé par M. J. Garcin.
Chatelet, concert Colonne : bo° audition de la Damnation de Faust, de
Berlioz, chantée par Mme. Gabrielle Krauss, MM. Talazac, Auguez et Augier.
— Concerts et musique de chambre. — Mme Sophie Menter vient de don-
ner un récital de piano extrêmement intéressant. Mme Menter possède une
bravoure d'exécution incomparable, un son d'une puissance superbe, un
style toujours intéressant: c'est incontestablement une des virtuoses les
plus admirables de ce temps. Elle a commencé par une fugue de Liszt sur
le nom de Bach, élucuhration diffuse, lourde et ennuyeuse, qu'elle a fait
suivre de la sonate op. 81 de Beethoven, jouée avec une délicieuse simpli-
cité. Son interprétation exquise de la Prédication aux Oiseaux (Saint Fran-
çois d'Assise), de Liszt, et de trois transcriptions du même auteur, d'après
Schubert, a soulevé des applaudissements enthousiastes, qui ont redoublé
après une exécution absolument merveilleuse de l'ouverture de Tannhâuser
(Liszt-Wagner). On pourrait reprocher à M'"° Menter le choix d'un trop
grand nombre de transcriptions de virtuoses , lorsque la littérature ori-
ginale du piano est si riche en chefs-d'œuvre, mais le plaisir est si grand»
d'entendre vaincre avec une telle aisance les plus grandes difficultés,
qu'on ne peut qu'admirer et applaudir. Le concert se terminait par quel-
ques courts morceaux de M. Tschaïkowski et une Valse-Caprice d'après
Strauss par Tausig, dans laquelle nous n'avons reconnu ni le style ni les
procédés de ce grand virtuose. — M"; Clotilde Kleeberg est une de nos
plus renommées pianistes : ses qualités de virtuosité, de finesse et de
charme, la simplicité et la grâce de son style lui ont valu de grands suc-
cès à l'étranger comme chez nous, et le concert qu'elle vient de donner'
ne peu1 qu'augmenter sa réputation acquise. Deux concertos de Schumann
et i mdelssohn (en ré mineur), la sonate, op. 31 n° 2 de Beethoven, et
'I'" ■ < s île Heller, Chopin et Raff formaient son programme. L'or-
ch.BStri aous la direction de M. Lamoureux, a accompagné avec beaucoup
de souplesse et d'habileté. — La Société des instruments à vent continue
la série de ses intéressantes séances. Au programme de la dernière se
trouvaient un otetto de Lachner, œuvre pâle et bien vieillie, des mor-
ceaux de fantaisie de A. Klugbardt, où nous avons remarqué le très habile
emploi de l'alto combiné avec le hautbois et le piano, et le septuor de
Beethoven, dont MM. Marsick, Turban. Brémond, Espaignet, Laforge.
Loys et de Bailly ont donné une fort remarquable interprétation.
I. PllILIPP.
— L'Institut musical fondé et dirigé depuis dix-neuf ans par M. et M"10
Oscar Comettant, avec la précieuse collaboration effective de l'éminent pro-
fesseur M. Marmontel père, l'Institut musical a donné, salle Pleyel, une
audition d'élèves qui a mis en ligne une vingtaine de jeunes personnes
du cours supérieur fait par M. Marmontel, et qui toutes ont témoigné de
l'admirable enseignement qu'elles reçoivent. Nous citerons un peu au ha-
sard Mllos Pennington-Mellor, de Vilade, Nelissen, Tanguy, Marguerite
Sicard, Paraf, Pitsch, etc. Plusieurs de ces jeunes filles sont arrivées à
une virtuosité appuyée sur des qualités de style absolument remarquables.
Nous citerons notamment M"M Tencey, Marguerite Lucien, Pignat, Mar-
guerite Le Sidaner, Popovitz, de Bilcesco et Mathiais. Une diversion char-
m: 3 à ce long défilé de pianistes a été faite par une toute jeune violo-
niste. Mllc Bourgaud, qui a exécuté un morceau avec sourdine d'une ex-
pression pénétrante, avec des qualités qui promettent une véritable artiste,
et des fragments du Concerto romantique de M. Godard, que l'auteur a voulu
accompagner lui-même au piano. Succès et rappels. Bref, audition des
plus intéressantes.
Soirées et Concerts. — Une brillante audition d'élèves a eu lieu samedi der-
nier chez M"0 Marchesi. On a beaucoup applaudi M"" Risley, Komaromi, Malas-
tine, Brass, Bensburg et Hyprecht, toutes douées de fort belles voix. M"" Hada-
mard, Roger-Miclos, Arnau-Neusser, MM. Place et Casella ont rehaussé l'intéiêt de
la matinée par leur précieux concours. Des chœurs de MU. A. Thomas, Gounod et
Joncières, exécutés à la perfection par les élèves, ont ravi l'auditoire. M. Taffanel
étant indisposé, c'est la fille de la maison, la baronne Blanche de Popper, qui, en
chantant Deuil d'avril, de M. Lenepveu, Dormez-vous, de M. Weckerliu et Jalouse, de
M. Bonnadier, a soulevé l'enthousiasme du nombreux auditoire. — Lt concert donné
par M"° Magnien a été pour la brillante violoniste l'occasion d'obtenir un légi-
time succès. La difficile et intéressante sonate de M. Godard pour violon seul, la
fantaisie sur Faust, de M. Dancla, la Rêverie, de Noris, et les Airs bohémiens, de M. Sa-
rasate, ont été dits avec une grande sûreté d'exécution et une justesse rare. —
Grand succès pour M™0 Ratisbonne jeudi dernier (salle Erard). Après le quatuor de
Schumann, admirablement secoodée par MM. Halphen, Laforge et Mariotti,
M™0 Ratisbonne a interprété avec charme différents auteurs, Chopin, Raff,
Thalberg et Litolfl. — Samedi 12, concert de MM. Lundberg, pianiste suédois,
et Sôdermann, de l'opéra de Stockholm. Nous y avons entendu interpréter avec
un style très pur et un mécanisme remarquable des œuvres de Beethoven,
Chopin, Lizst, Paderevvski. Deux mélodies de Schumann nous ont également char-
més.— La société chorale l'Abeille a donné le lt avril, à la salle Pleyel, un fort
intéressant concert où se sont fait applaudir M. Jamet, dans l'air du Cdid, M""0 Cé-
cile Bernier avec une chansonnette de M. Léon Schlesing'r, C'estle vent ! (paroles
de M. Georges Boyer), M. Géo, dans ses chansonnettes comiques, et le violoniste
Nobels. Les chœurs d'Esther, de M. Coquard, bien exécutés par la Société, ont
produit une heureuse impression. — Le concert donné dimanche à la mairie de
Passy, par l'Union musicale de la Muette, a parfaitement réussi. Parmi les artistes
nous avons remarqué M. Léon Dumont, dont la jolie voix de baryton a prêté un
charme particulier à la mélodie de M.Schlesinger : Si tu voulais, qui lui a valu des
bravos persistants. M"0 Fernande de Bret a exécuté avec beaucoup de verve Tzi-
ganyi, pour violon, de M. Lack, et sa sœur, M"" Jeanne de Bret, s'est fait applaudir
daos différents morceaux de piano. Citons encore les chansonnettes comiques de
M. William de Bret, les mélodies de M"" Dihau, chantées par l'auteur, et les
numéros d'orchestre parfaitement rendus par l'harmonie. — Le concert du vio-
loniste Magnus avait attiré beaucoup de monde, mardi, à la salle Pleyel. Le
bénéficiaire, dont le succès a été très vif, s'était entouré d'artistes de talent :
M1'0 Janvier, de l'Opéra, qui a interprété d'une voix chaude et pleine d'éclat deux
nouvelles mélodies de M. F. Thomé : Sonne! d'Arvers et Si tu veux, faisons un
rêve, toutes deux très applaudies ; M. Martapoura, de l'Opéra ; la jeune pianiste
M"'' Petit-Gérard (premier prix du Conservatoire), qui a fait preuve d'un talent sé-
rieux: M"" Sanlaville, de l'Odéon, et l'excellent accompagnateur M. F. Rivière.
— M°c Watto a donné, avec son succès accoutumé, une très intéressante ma-
tinée, où s'est fait entendre un excellent choral de dames du monde, ses élèves,
sans doute. A citer spécialement dans le programme, composé très habilement,
l'Étoile de M. Maréchal (soli par M. Baudoin et un soprano malheureusement
anonyme). Cette délicieuse petite scène arrive, ce nous semble, bien près de sa
100e audition, ce qui n'est pas banal. Puis, Jean de Nivelle et les Norwégiennes de
M.L. Delibes et divers morceaux de MM .Gounod, Saint-Saëns, Ch. Lefebvre, Faure,
etc. Le succès personnel de M"' Watto comme chanteuse n'a pas été moindre que
celui qu'elle a obtenu comme professeur. — La dernière matinée de M. Thurner
a réuni un nombreux auditoire et a révélé quelque jeunes artistes d'avenir; on a
été émerveillé du talent de la jeune Hanna Hansen, qui a joué avec une maestria
et un style remarquables. Parmi les maîtres modernes, figuraient au programme
les noms de Godard, Heller, Moskowski, Lacombe, Lack.
— L'œuvre si connue et si justement populaire des orphelinats agri-
coles et des orphelins d'Alsace-Lorraine donnera le 22 avril, à 8 h. 1/2
'du soir, dans les salons de l'Hôtel Continental, son concert annuel. Ce
concert aura un caractère spécial. On y reproduira l'Histoire de la musique
au théâtre, de 1682 jusqu'à nos jours. Les œuvres de Beaujoyeux, Lulli,
Rameau, Mozart, Donizetti, Ambroise Thomas, Victor Massé, Bizet, etc.,
etc., seront exécutées sous la direction de M. Frémaux, du Conservatoire,
par MmCB de Tredern, de Wolf-Taylor, MM. "Warmbrodt, Lorrain, des
chœurs et un orchestre.
— Concerts annoncés : Mardi 22 avril, salle Érard, grand concert donné par
M. Charles René, avec le concours de M"" Marcella Prégi, de MM. Berthelier et
Brémond. On y entendra une Fantaisie de concert pour violon, une Suite pour
piano, des strophes pour cor et deux mélodies de M. Charles René. — Lundi, à la
salle Érard, 205* concert (avec orchestre et chœurs) de la Société nationale de
musique, avec le concours deM""" Brunet-LalleuretFanny Lépine, deMM. Gilibert,
de l'Opôra-Comique, Warmbrost et René Chansarel.. — Vendredi, même salle,
concert avec orchestre, donné par M. L. Breitner. — Mardi 22 avril, salle Pleyel,
quatrième et dernière séance de la Société de musique française fondée par
M. Ed. Nadaud, avec le concours de M"1 Kleeberg, de MM. Taflanel, Mas et
Cros Saint-Ange. — Demain lundi, salle Pleyel, concert de M"" Maria Panthès,
avec le concours de l'orchestre Lamoureux. M"" Panthès jouera le concerto en
mi bémol de Beethoven, celui en sol mineur de M. Saint-Saëns, et divers mor-
ceaux de Chopin, de Schumann, de MM. Benjamin Godard, Chabrier et Georges
Pfeiffer.
Henri Heugel, directeur-géiant.
LAZARD, 10, r. de la Tour-d'Auvergne, suer. dep. 10 ans d'un compositeur
connu, inf. personnes du monde etartistes, qu'il se charge do copie, transposi-
tion musicale et tons travaux calligraphie et corresp. Exécu tion irrép. Prix modérés.
— mnUMLlllE CUAI\.
GÈRE, :
Dimanche 27 Avril 1890.
3082 - 56- ANNEE - 1\M7. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (60e article), Albert Soubies et Charles
Malherbe. — II. Semaine théâtrale: La question des « Petits droits » en Angle-
terre, H. Moreno. — III. Les Œuvres musicales de Frédéric le Grand, Michel
Brenet. — IV. Nouvelles diverses et concerts.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
CAPITAINE -POLKA
sur les motifs du Fétiche, opérette de Victor Roger, par Philippe Fahrbach. —
Suivra immédiatement : le Rêve du prisonnier, célèbre mélodie de Rudins-
tein, transcrite et variée pour piano par Ch. Neustedt.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant: Nous clieminions dans le sentier, n° i des Rondels de Mai, de M. B.
■CoLOMEii, poésie de Lucien Diiuguet. — Suivra immédiatement : C'est ma
mignonne amie, n° 6 des Rondels de Mai, des mêmes auteurs.
HISTOIRE DE LÀ SECONDE SALLE FAVART
Albert SOUBIES et Charles MALHERBE
CHAPITRE XIV
MEYERBEER A L'OPÉRA-COMIQUE
LE PARDON DE PLOERMEL
(1856-1859)
(Suite.)
Mais avant d'atteindre cette époque, il nous faut dresser
l'acte de naissance, ou, pour parler plus justement, l'acte de
décès des œuvres nées au cours de cette année 1859, car la
plupart ne sont venues au monde que pour disparaître
■aussitôt. Il en faut excepter, toutefois, le Diable au moulin, un
acte représenté le 43 avril, dont Cormon et Carré avaient
écrit le livret et M. Gevaert la musique. C'était l'histoire de la
Méchante femme mise à la raison ou la Sauvage apprivoisée de
"Shakespeare, avec interversion des rôles. Ici, la douce Marthe
•épousait par dévouement !e brutal Antoine et, pour corriger
son mari, imitait son défaut, l'exagérait même et, se faisant
-plus irascible que lui, opérait enfin le miracle d'une con-
version; la paix rentrait dans le ménage et les coups ne
pleuvaient plus. Signée par un véritable musicien, la parti-
tion fut lestement enlevée par Mllc Lefebvre, dont ce fut la
dernière création avant son mariage avec Faure, grande céré-
monie qui eut lieu à Sèvres, dans l'église Saint-Romain, le
4 juin suivant; par Mocker, Poachard, et M"e Lemercier, ces
trois artistes remplacés l'année suivante par Ambroise, Ber-
thelier et M"e Belia. Avec ses divers interprètes le Diable ait
moulin, qu'on avait un instant répété sous le nom bizarre
de VAne rouge, se maintint cinq ans au répertoire et atteignit
le chiffre honorable de 69 représentations.
Il n'en fut pas de même d'un autre acte, joué le 10 août,
sous ce titre: le Rosier, qui d'ailleurs expliquait peu la pièce,
car on n'y voyait point de roses, mais un jeune docteur pris
entre deux amours, celui d'une veuve qui lui veut du bien,
et celui d'une jeune fille qui par ses soins lui avait sauvé
la vie en un temps où elle portait la cornette de religieuse.
A. Challemel avait tracé ce livret assez gracieux, et, contrai-
rement aux usages de la maison, très « moderne » ; H. Potier
en avait écrit la musique assez agréable; on accorda même
une certaine popularité à la romance du Rosier, madrigal
dont la botanique faisait naturellement les frais, et servait à
éclairer le principal personnage sur la nature de ses senti-
ments. Les deux couplets étaient bien « dits » plutôt que
chantés par un débutant, Ambroise, lequel avait l'habitude
des plauches, car il venait des Variétés; ce qui fit dire plai-
samment et non sans raison qu'il chantait au boulevard Mont-
martre et qu'il jouait au boulevard des Italiens. A ses côtés
figurait aussi une débutante, mais celle-ci bien novice, et
qui ne fit que passer, MHe Marietta Guerra, soeur d'une can-
tatrice que l'on avait entendue aux Italiens en 1858. Dans ce
même rôle de Berthe, une autre débutante lui succéda le
2 octobre, M"c Emma Belia, sœur de Zoé Bélia, et comme
elle agréable chanteuse.
Le 12 août, deux jours après le Rosier, l'Opéra-Comique don-
nait encore un acte, Voyage autour de ma chambre, qui n'avait
de commun que le titre avec la célèbre fantaisie de Xavier de
Maislre. C'était un vaudeville gai, presque trop gai, écrit par
Duvert et Lausanne en vue d'Arnal, et accommodé avec une
petite sauce musicale par Grisar en vue de Couderc. Cet
excellent artiste y tenait le rôle d'un voyageur qui, parti
pour l'Amérique sous couleur d'héritage à recueillir, revient
en hâte, car il a oublié certains papiers nécessaires ; mais il
trouve sa chambre occupée par une petite dauie et un pe-
tit jeune homme qui ont profité de son absence pour s'ins-
taller dans ses meubles, et dès lors il a maille à partir avec
un mari jaloux et terrible, avec un concierge fantaisiste,
avec un sergent du guet, avec des voleurs même, jusqu'au
moment où tout se dénoue par un mariage. La première
impression de ce spectacle fut favorable, si l'on en juge d'a-
près le mot d'un compte rendu de l'époque: « Le public ne
rit qu'une fois pendant le cours de cette pièce ; seulement ce
rire commence au lever du rideau et finit à sa chute. » Ce
témoignage flatteur ne put cependant conduire l'ouvrage au
delà de 23 représentations.
130
LE MENESTREL
Moins solide encore fut la Pagode. On pouvait s'y attendre,
si Pottlôngë 'à la bizàTrerie du sujet, au mérite contestable
de la partition et aux circonstances particulières dans les-
quelles l'œuvre avait vu le jour. Le livret de Saint-Georges
présentait, dans un cadre indien, les ruses d'un prêtre bat-
tant monnaie avec une enfant trouvée qu'il a recueillie et
qu'il fait passer pour fille du ciel aux naïfs indigènes. Du
compositeur, nommé Fauconier, on sait peu de chose, sinon
qu'il, était belge, car il n'a point jeté grand éclat dans le ciel
musical. Félix Clément, daDs son Dictionnaire, lui attribue un
opéra-comique en un acte, Roman d'avenir, représenté à
Bruxelles « vers 1850 », dit-il. Or, dans son Répertoire drama-
tique belge, ouvrage si complet cependant, M. Alexandre Du-
pont, n'en fait pas même mention. Ce dont on ne saurait
douter, c'est que le compositeur, « estimable », disent les uns,
« insipide », disent les autres, et Scudo en particulier, avait
un protecteur influent, mais resté mystérieux, qui prétendait
lui ouvrir les portes de l'Opéra. C'est ainsi que la Pagode avait
d'abord été présentée à M. Crosnier, qui la passa à son suc-
cesseur, Alphonse Royer, lequel feignit de l'oublier. Alors on
recommença les mêmes démarches à l'Opéra-Comique, et la
pièce fut reçue par Emile Perrin, qui la passa à son succes-
seur,. Nestor Roqueplan, lequel eut la conscience de l'exécu-
ter enfin. Le public se méfie de ces sortes d'ouvrages, im-
posés en quelque sorte aux directeurs ; il y répond par l'in-
différence. Tel fut le sort de cet opéra-comique en deux actes,
né le 26 septembre, et mort à l'âge de sept soirées.
Plus heureux que Fauconier, M. Limnander, un autre Belge,
s'était fait depuis longtemps une place honorable à la salle
Favart; il y avait même changé pour son usage personnel le
vocabulaire usité dans la maison, car il y apportait toujours,
non pas un opéra-comique, mais un drame lyrique. Ce mot,
qui depuis a connu d'autres destinées, nous surprend au-
jourd'hui appliqué à des œuvres comme celles de Limnander,
où les couplets abondent, et où les principes wagnériens ne
reçoivent encore aucune application. Le compositeur dénom-
mait ainsi ses pièces, parce qu'il affectionnait les sujets un
peu sombres et les situations plus dramatiques que comiques.
C'était le cas de l'ouvrage en trois actes représenté le 29 no-
vembre, et baptisé successivement les Rlancs et les Bleus, puis
Yvonne la Fermière, et finalement Yvonne tout court, comme
l'opuscule du prince de la Moskowa joué sur la même scène
quatre années auparavant. Ici l'on assistait aux luttes san-
glantes des Vendéens et des républicains. Scribe avait puisé
l'idée première de son livret dans une nouvelle de M. d'Her-
bauges et n'avait pas craint .de traduire en scène les pas-
sions politiques les plus vives. Son collaborateur l'avait suivi
dans cette voie, et mêlait dans le prélude du troisième acte
l'air de Vive Henri IV avec le Chant du Départ, ce qui, en plein
empire, pouvait passer pour un coup de hardiesse. Le prin-
cipal rôle était confié à, une actrice qui quittait l'Opéra pour
l'Opéra-Comique, après avoir quitté l'Opéra-Comique pour
l'Opéra; Mlle Wertheimber en effet venait de jouer Fidès, et
dans Yvonne elle figurait encore une mère aux prises avec le
devoir et l'affection. A certain moment la pauvre femme de-
vait se contraindre et épargner le meurtrier de son fils, que
le hasard lui livrait, pour ne pas désobéir aux derniers vœux
de cet enfant et assurer le bonheur de sa fille.
(A suivre.)
SEMAINE THEATRALE
Là QUESTION DES « PETITS DROITS » EN ANGLETERRE
Comme je n'ai rien de théâtral à vous dire cotte semaine et qu'il
me faut attendre huit jours encore pour vous parler du Dante de
M. Benjamin Godard, qu'on répète avec acharnement à l'Opéra-
Comique, je reviens de nouveau sur celte question qui me tient au
cœur. Je sais bien que les musiciens français, avec leur coupable
indolence, s'en désintéressent complètement, quitte à crier comme I
' de beaux diables quand le mal sera fait et irrémédiable. Nous m-
leur aurons pas du moins ménagé les avertissements. ^
Nous répétons donc que la nouvelle mesure imaginée par la So-
' :JMté des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, et qui consiste
à vouloir prélever des droits sur l'exécution des « petites œuvres »
françaises dans les bals et concerts anglais, nous disons que cette-
mesure est en train de ruiner peu à peu l'importation de notre
musique chez nos voisins, qu'elle soulève un toile presque général
contre nous et qu'il n'est que temps d'aviser si on veut voir figurer
encore avec honneur sur les programmes anglais les compositions
de nos musiciens. Et qu'il ne s'établisse pas de confusion dans l'es-
prit du lecteur. Il ne s'agit nullement ici des droits sur les repré-
sentations théâtrales, qui sont réglés depuis longtemps par les soins
des éditeurs et qui produisent, chaque année, des sommes impor-
tantes. Il n'y a aucun inconvénient à prélever ceux-ci, puisqu'il
en est de même pour les œuvres italiennes ou allemandes que les
théâtres anglais représentent. Sur ce terrain, nous luttons à armes
égales. Nous voulons parler seulement des droits d'exécution dans
les concerts et dans les bals, droits que nous sommes seuls à vou-
loir exiger, ce qui nous met dans une posture tout à fait inférieure
vis-à-vis des autres nations qui laissent exécuter librement leurs
œuvres.
Mais, je n'ai pas l'intention de refaire à nouveau les articles que
j'ai déjà publiés à ce sujet. Ce que je veux aujourd'hui, c'est sim-
plement produire quelques documents à l'appui de ma thèse. Je
les ai depuis longtemps dans mon dossier, sans avoir jusqu'ici
trouvé la place de les exposer.
Voici d'abord une lettre qui nous a été adressée par une des plus-
importantes maisons de musique de Londres. Nous la traduisons
le plus exactement possible, sans aucune prétention à l'élégance :
A Monsieur Heugel, directeur du Ménestrel.
Monsieur,
Nous avons lu avec beaucoup d'intérêt vos articles au sujet de l'intro-
duction en Angleterre du système français de prélèvements sur les au-
ditions musicales et de l'effet déplorable que produit, au point de vue de .
la popularisation de la musique française dans notre pays, cette taxe à.
laquelle sont soumises les auditions publiques des œuvres de petites
dimensions (minor works). Instruits par l'expérience des faits, nous n'hé-
sitons pas à déclarer que nous sommes entièrement d'accord avec vous
et qu'on ne saurait trop chèrement évaluer'le dommage qui vous est causé
par les efforts de M. Souchon, efforts mal dirigés, quoique sans doute
bien intentionnés.
Nous n'irons pas, cependant, jusqu'à croire avec vous que le système
des « petits droits » finira par être accepté ici, et cela pour beaucoup de
raisons dont voici les principales :
1° La grande majorité des concerts donnés en Angleterre sont des spé-
culations individuelles ; beaucoup, parmi ceux de la province, ont même
un caractère des plus vulgaires. Tous sont publics, sans doute, mais sou-
vent, et particulièrement dans les petits villages et hameaux, ils sont
organisés à l'improviste et dans un but charitable. Le gros de la subven-
tion qui fait vivre le système en France est, croyons-nous, fourni par les
établissements reconnus, grands ou petits, sur toute l'étendue du terri-
toire, par ceux enfin où se donne chaque soir de l'année une représen-
tation quelconque. Cette subvention principale ne pourrait jamais être
obtenue de ce côté-ci du détroit.
2° Il existe dans notre public un sentiment extrêmement violent contre
ces petits droits, par suite des agissements de certains individus qui, il y
a plusieurs années, ont accaparé à leur profit ces droits d'auditions sur
les chants et ballades, et usé de ces droits d'une façon vexatoire et tyran-
nique. Ce sentiment s'est si bien affermi, qu'une législation spéciale a été
réclamée dernièrement, tendant à une protection plus efficace des entre-
preneurs de concerts et du public contre les personnes revendiquant de&
droits sur les auditions publiques des œuvres de petites dimensions.
(minor works).
3° Il n'est pas douteux que la vente des morceaux de musique est bien
plus considérable en Angleterre qu'en France. De plus, le compositeur
anglais participe aux bénéfices provenant de son œuvre, par le fait du
système de royalty, lequel système lui assure une somme de tant sur
chaque exemplaire vendu. En conséquence, il a tout intérêt à ce que son
œuvre soit exécutée le plus souvent possible ; d'un autre coté, il se trouve
suffisamment rétribué, sans désirer soutirer du public une somme sup-
plémentaire tout à fait insignifiante, au risque de le vexer et de l'indis-
poser. Si, par conséquent, les compositeurs anglais ne se montrent pas
disposés à prélever ces droits d'un auditoire anglais, il est à supposer
que les prétentions des compositeurs français ne seront pas davantage
acceptables.
Vous remarquez très justement que toute tentative des compositeurs
allemands en vue de prélever une taxe sur l'audition de leurs œuvres en
France rencontrerait une opposition absolue. Sommes-nous donc plus
déraisonnables que vous? D'ailleurs, notre opposition ne date pas de
l'invasion actuelle de M. Souchon parmi nous. Lors des premières pro-
LE MENESTREL
131
positions de M. Moul (1) tendant à l'adoption du projet, nous avons net-
tement déclaré que nous y résisterions de tous nos efforts. M. Moul
répliqua en insinuant que si nous consentions à l'assister pour l'obten-
tion de ces droits français, il nous assisterait à son tour en vue de nous
assurer des droits similaires en Angleterre. Nous avons décliné cette
proposition, comme incompatible avec nos traditions de liberté des au-
ditions. Jamais on n'obtiendrait l'unanimité chez nous. Et tous les édi-
teurs et compositeurs qui tiendront bon contre le nouveau système seront
sûrs de trouver l'appui sans réserve de notre public, chez lequel, à tort
ou à raison, une prévention a déjà pris naissance.
En conséquence, nous avons refusé de risquer, pour une somme mi-
nime, des intérêts incomparablement supérieurs, qui, nous en sommes
persuadés, auraient été lésés pour les raisons que nous avons données
plus haut. II va sans dire que notre protestation ne vise que les petits
droits. Autres pays, autres mœurs; ils sont impossibles ici. Personne ne
bénéficiera de leur introduction parmi nous, si ce n'est peut-être M. Moul,
dans son désir très légitime de faire prospérer ses affaires. Même chez
vous, les avis sont partagés quanta leur utilité. Au cours d'une conver-
sation récente avec un ou deux des plus populaires parmi vos composi-
'tëurs parisiens, nous avons appris que les résultats pécuniaires des efforts
;de la petite société étaient pour eux, individuellement, tout à fait insi-
gnifiants, tandis que son fonctionnement, sous d'autres rapports, donnait
ilieu à beaucoup de mécontentement. A vrai dire, nous sommes portés à
croire que, sans l'influence d'une ou deux de vos grandes maisons d'é-
dition, le système des petits droits, même parmi vous, compterait bien
peu de partisans.
En matière de conclusion nous vous citerons le fait suivant, qui est
de nature à vous intéresser. Nous avons reçu dernièrement, et dans l'es-
pace d'une seule semaine, pas moins de quatre lettres venant de chefs
d'orchestre de province, au sujet de la Mireille de Gounod. « L'ouverture
■de cet ouvrage, nous demandait-on, peut-elle être exécutée sans le paye-
ment d'un droit? Si non, nous nous verrons obligés, à notre grand regret,
de la rayer de notre programme. » Les mélodies de Bizet et d'autres com-
positeurs distingués de France sont fréquemment exclues des programmes
pour la même raison. Si tel est l'effet que produisent les revendications
au sujet des morceaux consacrés, on peut se demander par quel moyen
la nouvelle musique française arrivera à se frayer un chemin en Angle-
terre pour briller au premier rang ! A moins que la question ne soit de
nouveau étudiée par les compositeurs et éditeurs français, et cela à une
date prochaine, nous ne serons pas surpris de voir se former une asso-
ciation composée de nos entrepreneurs de concerts et directeurs, ayant
pour but d'exclure totalement de leurs programmes toutes les petites
œuvres étrangères pour lesquelles on réclame de petits droits.
Agréez, etc.
Signé : Boosey et G0
Celte lettre est suggestive. On fera bien de la méditer sous toutes
■ses faces et d'en tirer des enseignements.
Elle n'est pas la seule que nous ayons reçue. En voici une autre
■de la maison Schott, celle de toutes les maisons d'Angleterre qui
s'intéresse le plus aux publications françaises et leur assure le plus
large débouché :
Cher monsieur Heugel,
J'ai lu dans votre journal un article de grande importance et extrêmement
judicieux sur la perception des droits d'auteurs en Angleterre, qui a pour
résultat certain de réduire la vente de la musique française à la moindre
quantité possible. C'est donner toutes les chances à la musique anglaise et
à la musique allemande, dont l'exploitation est libre. Nous avons déjà bien
assez de mal à lutter contre la concurrence des éditeurs anglais, qui non
seulement laissent libre toute exécution des œuvres qu'ils publient, mais
encore paient de fortes primes aux artistes en vogue pour qu'ils interprè-
tent leurs nouveautés. Je veux bien espérer que les compositeurs français
toucheront de forts bénéfices de l'application du nouveau système, mais il
est de notre devoir de nous sauvegarder contre un excès de zèle de la part
de M. Souchon, qui a mis entre les mains de son représentant ici une
liste des membres de la Société de Paris, sans assez se soucier de savoir
si ses mandants n'avaient pas cédé nombre de leurs œuvres à des éditeurs
anglais, y compris les droits d'audition. De là, peuvent surgir bien des
difficultés et bien des procès.
Agréez, cher monsieur, etc.,
Schott et C°.
Un des critiques musicaux les plus accrédités de Londres, un
Français fixé chez nos voisins depuis de longues années, M. L. Engel,
du Musical World, nous écrit de son côté :
Cher monsieur Heugel,
Seriez-vous assez bon pour m'envoyer encore une fois votre excellent
article sur celte sotte affaire des droits perçus par la Société des auteurs,
compositeurs et éditeurs de musique. Vous ne savez peut-être pas vous-même
combien vous avez raison. Gela va tout simplement tuer la musique fran-
çaise ici. Tout le monde est do votre avis.
Votre dévoué,
L. Engel.
(1) M. Moul est le représentant et l'agent en Angleterre do M. Victor Souchon.
Pour moi, j'en suis toujours à me demander comment M. Victor
Souchon, que je tiens pour un homme fort, intelligent, a pu s'em-
barquer si légèrement dans une pareille aventure. Je veux croire
qu'il a été abusé par les rapports de certains agents anglais, en quête
d'un os à dévorer. Mais n'est-il pas temps encore de revenir sur ses
pas? Il vaut mieux convenir tout franchement qu'on s'est trompé
que de s'entêter dans une entreprise fâcheuse, dont la musique
française et la Société elle-même auraient a se repentir tôt ou tard.
Comment! voilà M. Souchon dans une position très enviable, à la
tête d'une agence prospère, où l'a placé la confiance de ses commet-
tants, et il va risquer son portefeuille sur une pareille question!
Si j'avais besoin d'un dernier appui pour la défense de ma thèse,
je voudrais le trouver dans la personne même du président de la
Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de musique, l'honorable
M. Laurent de Rillé. N'a-t-il pas prononcé récemment, dans un récent
interwiew avec un rédacteur de l'Écho de Paru, à propos du projet de
loi inconsidéré de M. Philippon sur la propriété littéraire et artisti-
que, ces judicieuses paroles:
«... Pour ce qui est du droit des étrangers, je crois qu'avec le principe
de la réciprocité nous ferons fausse route. On crie bien haut que la France
est beaucoup trop large, trop généreuse, que dans ses rapports et ses
contrats avec l'étranger elle est souvent lésée. . . Je ne crois pas qu'elle
le soit tant que cela, et lorsqu'elle se laisse faire, elle a ses raisons pour
agir ainsi. Si nous ne protégions pas chez nous par exemple, les droits
d'auteur de "Wagner, eh bien ! on jouerait du "Wagnerpoitr rien, et on lais-
serait de côté nos Gounod, nos Massenet, nos Saint-Saëns, etc., qu'il fau-
drait payer. Nous avons donc avantage à protéger les œuvres des étrangers
aussi bien que celles de nos nationaux, même si les droits de ces derniers
ne sont pas respectés chez nos voisins. Là où nos auteurs ne reçoivent
pas d'argent, ils gagnent tout au moins de la gloire ou de la célébrité, ce
qu'ils ne dédaignent généralement pas. Et ils ont raison. Non, nous ne
devons point perdre nos qualités proverbiales de désintéressement et de
générosité. On nous reproche assez nos défauts pour que nous tenions
jalousement à conserver des qualités qui leur font équilibre, et qui, après
tout, ne sont pas si nuisibles qu'on le pense. Le Français, né malin, a
des remèdes pour tous les maux. Il trouve bien vite une compensation à
ses moindres ennuis et, lorsqu'il a l'air de céder d'un pas, vous pouvez
être sûr qu'il en gagne deux de l'autre côté. »
Ne peut-on pas conclure de ce petit discours, et par analogie, que
M. Laurent de Rillé est d'accord avec nous sur la question des
« petits droits » en Angleterre?
1 H. Moreno.
LES ŒUVRES MUSICALES DE ERÉLÉRIC LE &RAUD (,)
Voici déjà plus d'un siècle que le talent musical de Frédéric le
Grand fait l'objet de commentaires très variés ; beaucoup de gens,
imbus d'un préjugé assez généralement justifié contre les ouvrages
d'amateurs et surtout les talents de princes, n'en parlent qu'avec
raillerie, le doute et le sourire aux lèvres ; d'autres, inféodés d'a-
vaDce à'l'admiration pleine et entière d'un homme supérieur, que
leur imagination transfigure, n'y veulent penser qu'avec un religieux
et docile enthousiasme (2). Aux uns comme aux autres, la publica-
tion d'un choix des œuvres musicales de Frédéric II, préparée depuis
plusieurs années, demandée depuis bien plus longtemps (3), apporle,
soit un moyen d'en avoir le cœur net sur une question si souvent
débattue, soit un aliment pour le zèle des fidèles serviteurs et sujets
de la maison de Brandebourg. Sous ce rapport, l'entreprise arrive
à son heure pendant le règne de Guillaume II, et les éditeurs se
trouvent avoir fait tout ensemble œuvre d'historiens, d'artistes et
de courtisans.
Pourtant, il manque un frontispice à ces magnifiques volumes;
tout en les'feuilletant, en lisant cette longue et instructive préface
(1) Musikalische Werke Friedrich's des Grossen. Leipzig, Breitkopf et Hœrtel,
1889, 4 vol. in-folio. — La présente étude a été faite sur l'exemplaire
acqu'is fin 1889 par la Bibliothèque nationale.
(2) A ceux-ci appartenait M. Wilhelm Kothe, auteur d une brochure de
soixante pages, intitulée : Friedrich dur Grosse als Musiker, sowie als Freund
und Forderer der musikalischen Kunst, Braunsberg, 1869, in-8». Ainsi que la
couverture l'annonce, le fruit de la vente de cet écrit était patriolique-
ment destiné par l'auteur à constituer un fonds dont les revenus seraient
distribués tous les ans, le jour anniversaire de la naissance de brédéric
le Grand, aux meilleurs élèves de l'école normale dont M. Kothe était le
professeur de musique. .
(3) Entre autres par M. Edouard Fétis, à la fin de sa séné d articles
sur Frédéric II musicien, dans la Revue et Gazette musicale do Pans, an-
nées 1854-55.
1.32
LE MENESTREL
signée d'un des maîtres de la littérature musicale allemande (1), en
parcourant ces pages de musique royale, admirablement imprimées,
nous nous représentons sans cesse un petit tableau de Gérôme,
exposé naguère au Salon de 1874 sous le titre de Rex tibicen : Fré-
déric, à peine descendu de cheval, botlé, éperonné, encore couvert
de poussière, jetant là chapeau et fouet, pour saisir fiévreusement
sa flûte et répéter un trait difficile, devant un cahier de musique
ouvert sur des papiers d'Etat : autour de lui, ses grands lévriers
fatigués, subissant d'une oreille blasée ses roulades et ses trilles :
et cette petite peinture minutieuse, anecdotique, sèche et froide,
s'harmonise au mieux avec le profil anguleux, froid et sec, avec la
musique même qui nous est révélée aujourd'hui, et dont les sons
aigus, les formules froides et sèches aussi, nous semblent revivre
et sortir de la toile.
Peinture et musique réunies dous offrent la singulière évocation
d'un côté spécial de la vie de ce roi, grand militaire et grand des-
pote, plein de génie et entièrement dénué de scrupules, en un mot
tel qu'il faut l'être pour devenir le fondateur d'un État, occupé des
plus vastes desseins, des plus épineuses affaires, et en même temps
de petits vers, de petits jeux philosophiques ou littéraires, attei-
gnant dans un sens le sommet des facultés humaines et ne sachant
pas s'élever ailleurs au-dessus d'un idéal bourgeois, ayant enfin
l'esprit très inégal et très « divers », mais nullement « ondoyant » :
car la persévérance et la ténacité qu'il mit dans ses entreprises de
souverain se montrent aussi fortement marquées dans ses occupa-
tions d'homme privé.
Certes, il fallut que son goût musical fût bien vif pour résister
aux entraves de sa jeunesse, aux obstacles de son âge mûr; alors que,
prince royal, tenu à l'écart et traité par son père avec nne rigueur
toute prussienne, Frédéric, relégué sur les bords du Rhin, cher-
chait dans l'étude et la pratique de la littérature et de la musique
un aliment pour son activité, le roi ne perdait pas une occasion de
le contrecarrer ; tous les moyens lui paraissaient louables pour ar-
racher son fils au culte énervant des arts ; apprenant que, dans
une honnête tamille bourgeoise, le prince avait joué de la flûte,
accompagné au clavecin par la fille de la maison, lé terrible monar-
que envoya, dit-on, un bourreau saisir et fouetter par les rues la
malheureuse musicienne (2). Chez lui, Frédéric ne pouvait avoir
de virtuoses qu'en qualité de domestiques, et l'éminent violoniste
Benda se trouvait obligé de vêtir la livrée d'un laquais. Malgré
tout, l'opiniâtre héritier du trône sut trouver le moyen de satisfaire
ses goûts et continua de cultiver la musique, tantôt presque en
secret, tantôt ouvertement, jusqu'au jour où la tyrannie paternelle
céda, de guerre lasse.
Le prince n'avait pas borné son ambition à acquérir un talent
d'exécutant. ; le clavecin, puis la flûte, à laquelle il avait bientôt
donné une entière préférence, ne lui suffisant point, il avait entre-
pris des études théoriques destinées à le mettre en état d'aborder
la composition ; c'était le but ordinaire des amateurs distingués
do son temps : on commençait par le clavecin, et l'accompagnement
sur la basse chiffrée, qui venait ensuite, était un acheminement
tout naturel vers la production d'oeuvres personnelles ; les maîtres
étaient nombreux qui flattaient habilement ces tendances, et plus
d'un trouvait son intérêt à publier des méthodes spéciales à cet
usage. D'autres, plus rares, savaient imprimer à leur enseignement
une direction toute différente : le savant M. Chrysander fait re-
marquer, à la louange de Hsendel, que l'illustre auteur du Messie,
étant professeur de la princesse Anne d'Angleterre (3), sut éviter
l'écueil et donner à sa royale élève une instruction musicale d'une
rare étendue, en se bornant à faire d'elle une claveciniste habile,
une lectrice éprouvée, une accompagnatrice remarquable, sans ja-
mais la pousser vers les résultats problématiques d'une pratique
de la composition (4).
Les maîtres de Frédéric, l'organiste Heyne, le flûtiste Quantz, le
compositeur Henri Grauo. n'eurent pas des principes aussi fermes,
ou bien il faut supposer que leur élève se montra plus ambitieux.
Heyne, en bon organiste, lui avait fait écrire des chorals et s'était
efforcé de lui enseigner la théorie du contrepoint rigoureux dans
les anciens modes : à cela le prince ne mordit guère, et, bien plus
tard, il racontait encore à Quantz, en jouant sur les mots, que les
(1) M. Spitta. — Celte préface a été reproduite dans la livraison d'avril
1889 de la Vierteljahmchrift /»>■ Musikwissehsckafl.
(2) Tihkii.ui.t, Mes Souvenirs de vingt ans de séjour à Berlin. — Emile Mi-
chel, Frédéric II el le.s arts n la Cour de Prune (Revue des Deux Mondes du
15 avril 1883).
(3) Mariée an prince d'Orange en I7:ii.
Cd Ciibïsandbb, G.-F. Ilrendel, l. it. p. :![;;;.
tons plagaux n'avaient été pour lui qu'une plaie. Point n'était be-
soin de tant de science pour pouvoir écrire quelques airs d'opéras,
des sonates, voire même des concertos et une ouverture; c'est par
cette dernière forme musicale que Frédéric semble avoir débuté,
car, étant encore prince royal, en 1735, il écrivait à sa sœur la mar-
grave de Bayreuth, qu'il était occupé de la composition d'une
sinfonia (ouverture) ; une autre, qu'il produisit vers 1743, et qui
servit, en 1747, d'introduction à une sérénade de "Villati, exécutée
à Charlottenbourg, fut, de toutes les œuvres de Frédéric, la première
à qui furent faits, peut-être, assure-t-on, à l'insu même de l'auteur,
les honneurs de la gravure. Dès 1737, le prince de Prusse avait
déjà envoyé à sa sœur deux concertos pour flûte avec petit or-
chestre, mentionnés dans sa correspondance, et qui sont peut-être
parmi les quatre aujourd'hui connus et publiés. Ses premières
sonates remontent à la même époque ; le nombre total de celles
dont les manuscrits ont été retrouvés est de cent vingt et un, soigneu-
sement copiées en double exemplaire, l'un pour Postdam (Sans-Souci),
l'iulre pour Charlottenbourg, et numérotées, de la main de Frédéric,
dans un ordre selon toute apparence chronologique, qui a permis
à M. Spitta d'en fixer à peu près les dates extrêmes : 1737 ou en-
viron, jusqu'à 1756. 11 est probable qu'à cette date et à ce chiffre de
121 sonates s'arrête la période de productivité du roi, désormais
occupé d'autres besognes. En 1759, Frédéric, tenant ses quartiers
d'hiver à Breslau, disait à Henri de Catt qu'il avait composé cent
vingt solos pour la flûte, et ce nombre correspond, à une unité
près, à celui des manuscrits. Si l'on en croyait d'Alembert, il s'agi-
rait de bien davantage : « Hier, écrit-il de Postdam à M"0 de L<;s-
pinasse, le 22 juin 1763, le roi me fit voir sa bibliothèque de Sans-
Souci... Il me mena à son concert, qu'il donna hier pour la première
fois, et où il joua admirablement de la flûte; il eut même la bonté
de jouer à ma prière un solo qu'il a composé et dont je fus très
content, pour la musique et l'exécution ; il en a fait deux cents que
j'ai vus hier dans son cabinet. Quel homme ! et où trouve-t-il du
temps pour tout cela!... (1) » Evidemment il ne faut pas prendre à
la lettre cette assertion de d'Alembert, relative aux soi-disant deux
cents solos de flûte du roi. Mais cette correspondance, que M. Spitta
n'a pas connue, est assez intéressante à consulter pour le côté privé
de l'existence de Frédéric. Pendant environ trois mois qu'il retint
le philosophe français auprès de lui, ce furent, de la part du roi,
toute une série d'attentions et de cajoleries dont d'Alembert fut
immédiatement charmé ; aussi son enthousiasme est-il sans bornes
pour la personne de Frédéric, pour le génie, l'esprit, le talent du
monarque prussien. De Clèves, le 13 juin 1763, il écrit: « Je suis
logé ici dans la maison du roi et à côté de lui ; je l'entends tous
les soirs et tous les matins jouer de la flûte, dont il joue aussi bien
que s'il n'avait pas gagné douze batailles ». Et le 26 juillet: « Dites
à M. d'Ussé que le roi de Prusse ne fait pas grand cas de la mu-
sique française et de la méJecino de tous les pays, et n'en est pas
moins un grand homme. Si M. d'Ussé l'entendait jouer de la flùte,-
il ne voudrait plus des vêpres de Lulli... (2) » Aussi ne fallut-il
rien moins que la cuisine allemande et les déménagements inces-
sants de Berlin à Postdam et de Postdam à Berlin, pour décider
d'Alembert à refuser les offres du roi, d'un établissement en Prusse;
hâtons-nous d'ajouter, pourtant, qu'à ces raisons se joignait à son
insu un peu de mal du pays.
Quelques années plus tard, en 1767, le diplomate anglais Harris
se montrait beaucoup moins chaleureux que le célèbre Français
dans son admiration : « Le principal amusement du roi de Prusse,
dit-il, consiste à jouer de la flùle, ce qu'il fait en maître. J'eus
l'occasion de l'entendre longtemps, le jour où j'attendais ma présen-
tation. Quoique nul ne soit admis à ses concerts, si ce n'est, outre
les exécutants, un très petit nombre de personnes, cependant il a
si peur de jouer faux que, quand il essaie un nouveau morceau, il
s'enferme dans son cabinet plusieurs heures avant pour l'étudier.
Malgré cette précaution, il tremble toujours quand il s'agit de com-
mencer avec les accompagnements. Il a une belle collection de flûtes
et en prend le plus grand soin. Un homme qui n'a rien autre chose
à faire est chargé de leur entrelien afin de les préserver, selon la
saison, de la sécheresse ou de l'humidité. Toutes sont du même
faiseur (3) et il les paie jusqu'à cent ducal.s. Dans la dernière guerre,
alors qu'il donnait à tout le monde do la fausse monnaie, il veillait
à ce que son facteur de flûtes fût payé en pièces de bon aloi, de
il) Trois mois à la cour de Frédéric, lettres inédites de d'Alembert, publiées i
illimitées par Gaston Maugras ; Paris. Lévy, 1880, iu-8", p. 30.
(2) Iliid., p. 22, 05.
(3; C'est-à-dire de Quantz.
LE MÉNESTREL
133
peur que celui-ci, de son côté, ne cherchât à le tromper sur la qua-
lité de ses instruments... (1) »
Quoi qu'il en soit, les lettres de d'Alembert, pour exagérées
qu'elles puissent être, sont un témoignage de plus en faveur du
royal flùlis'e: des écrivains très compétents, Burney,Fasch, Reichardt,
Nicolaï. la célèbre cantatrice Mara, en avaient déjà jugé très favo-
rablement, vantant surtout la beauté de son jeu dans l'adagio, et
insistant sur ce que Frédéric jouait non pas eu roi, mais aussi bien
et mieux que beaucoup d'amateurs et même que certains flûtistes
de profession ; à la longue, l'haleine devenant plus courte, les,
morceaux rapides eurent moins de sûreté ; de même, « à mesure
qu'il perdait quelque dent, son souffle produisait un bruit plus
sensible, qui gâtait un peu les sons de la flûte (2) ». Mais le zèle
et la persévérance du roi ne se ralentirent qu'avec la vieillesse;
tous les soirs il y avait séance de musique, à heure fixe, comme
une manœuvre, et la musique s'y faisait à la prussienne; on jouait,
ou plutôt le roi jouait les trois cents concertos de Quaulz dans
l'ordre où ils avaient été écrits (3), et quand la série était finie, on
la recommençait; de peur de se tromper, on consultait le catalogue
de ces morceaux, placé sur un meuble spécial dans la salle de
concerts ; Philippe-Emmanuel Bach accompagnait au clavecin, Quanlz
indiquait les mouvements, et les auditeurs admis par une faveur
insigne à s'asseoir dans un coin, ne soufflaient mot, le professeur
du souverain ayant seul le devoir, la charge et la permission de
crier bravo dans les endroits où Frédéric reprenait haleine après un
trait bien enlevé ; les malins assuraient que le roi manquait assez
souvent à la mesure, mais qu'en ce cas « c'était à ceux qui l'ac-
compagnaient à couvrir sa faute, ou à en essuyer le. reproche (4) ».
Si Frédéric se souciait peu des applaudissements de ses hôtes, si,
parlant à Henri de Gatt avec une apparente modestie, il se qualifiait
lui-même de « roi pauvre musicieu », il mettait 'pourtant assez
d'amour-propre à étaler sa virtuosité. Sa flûte faisait tous les frais
de ces concerts quotidiens et tenat le premier, l'unique rôle ; en
véritable amateur, Frédéric estimait avant tout la musique qu'il
faisait lui-même; en véritable amateur, il n'aimait jouer que les
morceaux qu'il savait, et dont il se sentait sur; ces concerts, dont
jamais la monotonie n'était rompue par la moindre nouveauté, par
le moindre imprévu, étaient pour le roi une habilude. une nécessité,
bien plus qu'un plaisir esthétique; il jouait de la flûte à heure
fixe, comme d'autres marchent ou font de la gymnastique, pendant
un temps fixé à l'avance, et selon des principes adoptés. A défaut
des témoignages contemporains, les œuvres musicales de Frédéric
en apporteraient aujourd'hui la preuve.
Dans cette série de vingt sonates choisies soigneusement par
l'éditeur dans un nombre six fois plus considérable, que trouvons-
nous pour caractériser le talent de compositeur du roi de Prusse ?
La forme générale, d'abord, mérite l'attention; elle est ferme et
bien proportionnée, quoique sans hardiesse ni personnalité; Fré-
déric, nourri des modèles de Quantz, son maître, ne sent ni ne
cherche au-delà ; ce prince, qu'on voit ailleurs n'écouter que son
.propre génie, se montre ici docile aux plu« ordinaires influences,
sagement renfermé dans son petit cercle; on aimerait trouver dans
sa musique, au prix de quelques gaucheries, un élan qui trahisse
un peu d'indépendance : il faut bientôt y renoncer. M. Spitta nous
dit bien que la visite à Postdam du grand Bach, en 1147, avait agi
sur l'inspiration du roi, et lui avait dicté le finale d'une sonate, la
deuxième de l'édition actuelle ; et M, Spitta est un trop fin con-
naisseur en Bach pour que personne le contredise : toujours est-il
que cette iulluence fut fort passergère et que nulle autre tentative
d'écrire daus la forme fuguée, habituelle à l'illustre maître, ne
semble avoir été faite par Frédéric. D'ailleurs, à quoi bon chercher
dans l'œuvre écrite du roi l'indice d'efforts et de tendances qui
restaient à cent lieues de sa peusée ? Si le compositeur, chez Fré-
déric, eût été mieux doué, le flûtiste l'aurait arrêté dans sou vol ;
ces sonates sont des études, des exercices mélodiques avec accom-
pagnement; nous y voyons des allégros, des adagios ornés, des
siciliennes, des finales en forme de presto et de gigue, voire des
récilatifs ù prétentions, le tout coupé sur le bon patron, proprement
écrit, avec une partie supérieure ni plus ni moins mélodique, ni
(1) Journal de James Barris, p. X'->~. Voy. Revue des Deux Mondes du
IS août 1863.
(2) Thiéimi i.t. i. i. p. 323.
f.'lj M. Spitta fait remarquer que ces trois cents concertos deQuantzsé
iéduisefll à 296, les quatre concertos de Frédéric étant compris dans la
série.
f'u Thiébault, ouvrage cité.
plus ni moins commune ou distinguée qu'il n'est exigible, mais avec
une série régulière, régulièrement ramenée, de formules de pur
mécanisme, de trilles, d'agréments, et surtout de traits et de bat-
teries liées, placés au bon endroit, mis en relief d'une façon par-
fois assez naïve, sur des accompagnements suffisants, convenable-
ment réduits à la portion congrue d'humbles mais utiles serviteurs
de la flûte; on reconnaît les eudroils où Quantz plaçait son imman-
quable bravo, et ceux où lo roi, après une roulade heureuse, laissait
le clavecin frjpper quelques accords, satisfait comme l'écolier qui
vient de réciter une leçou bien suc, ou comme le sergeut arrêtant
net ses hommes après un exercice impeccable.
Les quat'res concertos, avec plus de prétentions, nous offrent les
mêmes caractères; dans l'édition actuelle, on nous les donne en
double exemplaire, l'un en partition avec petit orchestre, c'est-à-
dire dans leur version originale, et l'autre avec l'accompagnement
instrumental réduit pour piano par M. Cari Reinecke. 11 n'est pas
à douter que ce double arrangement ne soit utilisé, au delà du Rhin,
par tout bon flûtiste prussien, ou tout bon Prussien flûtiste, de ceux
qui disent dévotement que « cette édition se dérobe à la critique,
étant un acte de vénération envers le grand Frédéric ». Pourquoi,
cependant, la qualité de Prussien serait-elle indispensable pour jouer
et entendre l'un ou l'autre de ces morceaux ? A coup sûr, à défaut
de ce sentiment de « vénération ». une assez vive curiosité pourrait
en garantir le succès: la rondeur de la forme — qui est celle toute
classique des concertos de Vivaldi — la clarté limpide des idées,
l'allure suffisamment animée des mouvements, le charme vieillot
des formules elles-mêmes, tout cela, aisément ravivé par un vir-
tuose moderne, plairait, pour une fois, chez nous, non seulement au
petit nombre des curieux, mais à beaucoup d'amateurs: il y a dans
notre bon public tant de gens toujours prêts à prendre des copies
pour des originaux !
En dehors de sa flûte, le roi aimait pourtant encore un peu
d'autre musique, mais ses goûts étaient fort exclusifs. Ni la mu-
sique italienne, ni la musique française de son temps ne lui plai-
saient; à Berlin, il avait « rouvert le temple des Muses » et bâti
un théâtre d'opéra; volontiers il se mêlait du répertoire et des
chanteurs, imposant ses préférences, que personne ne songeait à
contredire; une sorte d'opéra de transition, plus tout à fait italien,
mais p.is encore complètement allemand, lui suffisait, et Henri Graun
était en ce genre son producteur favori ; parfois il s'amusait même
à faire à ce maître ou à d'autres l'honneur d'introduire dans leur
œuvre un air ou deux de s» façon... Mais il se donnait peu de
peine pour encourager d'autres manifestations, pourtant jdus éle-
vées, de l'art : un écrivain allemand (1) a remarqué combien il fut
indifférent à l'apparition du célèbre oratorio la Mort de Jésus, que
Graun fit jouer à Berlin, à côté du roi, sans que celui-ci parût y
prendre garde ; le même auteur remarque aussi, chose frappante,
comment daus le graud Bach, qu'il reçut avec un empressement si
rare, avec des égards si marqués, Frédéric ne sembla rechercher que
l'exécutant merveilleux, le fuguiste émérite, en un mot le technicien,
et nou point l'immortel créateur de tant de cantates à jamais admi-
rables, de la Passion selon saint Mathieu, de la messe eD si mineur.
La musique, pour Frédéric, fut un délassement d'abord et presque
une passion, puis bientôt une habitude, et plus tard un besoin, une
affaire de régime, un exercice quotidien, régulier, obligé, trauchons
le mot, une manie: le roi de Prusse fut un amateur convaincu et
persévérant, un flûtiste vraiment habile, un compositeur tout au
moins fort présentable; ful-il jamais un artiste? Nous ne le croyons
pas.
Michel Breset.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Gomme son confrère le Trovatore, le Mondo artistico exprime l'avis
que depuis longtemps déjà Vllamlel de M. Ambroise Thomas devrait être
entré dans le répertoire italien. En examinant la partition, il exprime
quelques réserves de détail lmi conotatant sa haute valeur, et il ajoute :
« De tout cela il reste un travail lyrique sérieux, élevé, extrêmement in-
téressant et émouvant. Il reste une facture presque toujours exquise, une
musique presque toujours noble, toujours absolument bien faite et riche
d'effets spéciaux, d'épisodes qui sont des chefs-d'oeuvre. Ilamlet a été jugé,
et quelle que soit sa valeur, sa place dans le grand monde de la produc-
(1) R. von LiLiiïNcnoN, Berlin uni die deulsche Musik, dans la Deutsche
Rundschau du "2 novembre 1888.
134
LE MENESTREL
tion lyrique aurait dû dès l'abord le faire acclimater sur notre scène. La
nécessité de reprises annuelles d'opéras entendus et réentendus rend le
retard plus inexplicable encore. » Les cinq représentations du chef-
d'œuvre d'Ambroise Thomas qui ont clôturé la saison de carnaval de la
Scala ont été, en somme, un véritable triomphe pour le compositeur et
"pour ses interprètes. A ce propos, le Monda arlistico dit encore : « Emma
Calvé, l'Ophélie si applaudie de la Scala, est une élève reconnaissante.
Elle désire que l'on sache qu'elle s'est perfectionnée dans ces trois der-
nières années sous l'habile direction de Mme Laborde, la grande artiste
qui dans un temps fut applaudie aussi à Milan. »
— Toujours à propos de YHamlct d'Ambroise Thomas, les journaux
italiens publient la liste suivante des opéras connus sous ce titre et sur
ce sujet : Hamlet, de Gasparini (paroles de Zen et Pariani), Venise, th.
San Cassiano, 26 décembre 1705; — Hamlet, de Scarlatti, Rome, th. Ca-
prinica, 1715 ; — Hamlet, de Carcano (paroles de Zen et Pariani), Venise,
th. Sant'Angclo, carnaval, 1842: — Hamlet, de Stadtfeld, Darmstadt, 1757;
— Hamlet, de Garuso, Florence, th. de la Pergola, 1790 ; — Hamlt, ouver-
ture et intermèdes, de l'abbé Vogler, publiés à Spire en 1791 ; — Hamlet,
de Mercadante (paroles de Felice Romani), Milan, th. de la Scala, 26 dé-
cembre 1822; — Hamlet, de Buzzola (paroles de Peruzzini), Venise, th. de
la Fenice, 24 février 1848 ; — Hamlet, de Zanardini (paroles et musique),
Venise, th. San Benedelto, 30 mai 1854: Hamlet, de Moroni (paroles
de Peruzzini), Rome, th. Apollo, 2 juin 1860; — Hamlet, de Franco Faccio
(paroles d'Arrigo Boito), Gènes, th. Carlo Felice, 30 mai 1865. — A tous
ces ouvrages il convient d'ajouter VHamlet de M. Aristide Hignard, depuis
longtemps publié mais non représenté, et Hamlet (ouverture, entr'actes et
mélodrames), de M. Victorin Joncières, exécuté à Paris d'abord, puis à
Nantes, en 1867, pour la traduction d'Alexandre Dumas.
— C'est une chose triste et fâcheuse, dit le Trovatore, de voir avec
quelle légèreté les journaux donnent, sans aucun contrôle, les nouvelles
les plus graves et les plus douloureuses. On a dit de Faccio qu'il avait
été enfermé dans une maison de santé (tandis qu'il est soigné chez lui) et
que son état était désormais désespéré. On va jusqu'à publier de lui un
testament fantastique. Pour couper court à tant de sornettes et de com-
mérages, nous pouvons assurer que Faccio est toujours à Milan, et, en ce
qui touche la gravité de sa maladie, on peut dire qu'elle n'a point empiré,
ainsi que le savent les amis qui sont admis chez lui. Du reste, la domes-
tique ne laisse pénétrer dans la chambre du malade personne qui ne soit
de ses plus intimes. — Nous avons tenu à rapporter ces lignes après les
renseignements très précis et très circonstanciés que nous avons reproduits
il y a huit jours d'après divers journaux italiens.
— La cour d'appel de Naples a rendu son jugement, tout en faveur de
la ville de Pavie, dans l'affaire de la succession du grand chanteur Fras-
chini. Nous avons dit en son temps, c'est-à-dire il y a trois ans, que
Fraschini, en mourant à Naples, avait laissé, par testament, presque
toute sa fortune au municipe et à la congrégation de charité de Pavie,
sa ville natale. La veuve du chanteur avait attaqué la validité du testa-
ment; vaincue en première instance, elle avait été en appel, où elle vient
de perdre définitivement son procès. Il ne s'agissait de rien moins que
de 600,000 francs environ.
Le cardinal Capecelatro, archevêque de Capoue, avait chargé le
maestro Sassaroli d'écrire, pour être exécutée dans la cathédrale, une
composition nouvelle sur le Tre are d'agonia di Gesit. Cette composition a
été exécutée en effet avec succès à Capoue, le & avril, puis à Gênes, dans
l'église Saint-Ambroise, ici sous la direction de l'auteur en personne.
Une opérette nouvelle, la Zingara, paroles de M. Mattei, musique de
M. Crescenzo Buongiorno, a été représentée avec un très grand succès,
applaudissements, rappels et bis, sur le théâtre de la Fenice, de Naples.
On vient de publier le cartellone de la saison de printemps du théâtre
Costanzi, à Rome. On représentera au cours de cette saison les trois petits
opéras couronnés au concours Sonzogno : Rudella, paroles de M. Modesto
Zucchetti, musique de M. Vincenzo Ferroni ; Labilia, paroles de M. Vin-
cenzo Valle, musique de M. Nicola Spinelli; et Cavalleria rusticana, paroles
de MM. Targioni-Tozzetti et G. Mangasci, musique de M. Pietro Mas-
cagni. On donnera aussi, outre les Pécheurs de perles, la Djamileh de Bizet,
qui n'a jamais été jouée en Italie. Parmi les artistes figurent la Bellin-
cioni et la Gargano,MM.SIagno et Cotogni, ce qui veut dire que les jeunes
compositeurs qui vont entrer en ligne auront pour interprètes de vrais
giands artistes. On s-ait que des trois petits opéras couronnés, deux seu-
lement ont droit à une prime, le premier de 3,000 francs, le second de
2,000. Une prime de 1,000 francs sera attribuée aussi au meilleur des
soixante-treize livrets présentés. Autours et compositeurs récompensés con-
servent d'ailleurs l'entière propriété de leurs œuvres.
— Les journaux de Naples enregistrent un véritable tour de force ac-
compli par une cantatrice, Mlle Adèle Agresti, prima donna au théâtre San
Carlo, qui, ces jours derniers, pour mettre la direction à même de tenir
ses engagements, a chanté en matinée il Trovatore et le soir Aida.
Gucrra in tempo di pace, tel est le titre d'une nouvelle opérette qu'on
vient de représenter à Catane, au théâtre du Prince de Naples, et dont
l'auteur est le maestro Urgi. Elle a été favorablement accueillie.
— L'intendance des théâtres royaux de Berlin vient de publier son
rapport statistique pour l'année 1880. En ce qui concerne la musique, il
a été donné, tant à l'Opéra qu'au théâtre de drame 265 représentations
d'opéras et 12 de ballets. Le répertoire comprenait 47 opéras et 9 ballets
ou divertissements chorégraphiques. En fait de nouveautés il y a eu
3 opéras (en tout H actes) et un ballet en deux actes ; les reprises étaient
au nombre de six.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. Berlin : La saison italienne de
M. Gardini a été inaugurée au théâtre Kroll, avec le Trovatore. La deuxième
soirée, consacrée à la Traviata, a été marquée par le début de Mme Prevosti,
qui, dans le rôle de l'héroïne, a acquis d'emblée la faveur du public.
Cassel : Vif succès au théâtre municipal pour une nouvelle opérette en
trois actes, le Roi des escrocs, livret de MM. Edwald et W. Bennecke, mu-
sique du Dr F. Beier. — Darmstadt : L'opérette règne également au théâtre
de la Cour de cette ville, lequel vient de représenter pour la première fois
et avec d'excellents résultats le Cliâteau enchanté, de Millôcker. Francfort:
M"1" Sembrich vient d'être fêtée au théâtre municipal dans les Noces de
Figaro et la Fille du Régiment. — Gotha : On annonce la très prochaine pro-
duction d'un nouvel opéra-comique en quatre actes, la Chanteuse des rues,
livret de M. J. Bachmann, musique du jeune compositeur et pianiste ber-
linois J. Dœbler. — Lemrehg : Une grève vient d'éclater parmi les artistes
du théâtre national polonais, à la suite d'une décision du directeur rédui-
sant les traitements de 33 0/0.
— A l'occasion de la reprise, à Vienne, de VArmide de Gluck, un cri-
tique de cette ville, M. Hirschfeld, a eu l'idée de donner une soirée dans
laquelle il a fait exécuter des fragments de toutes les Ârmides célèbres,
savoir : celles de Lully (1686), de Htendel (1711), de Sacchini (1738, le
chœur des Démons), et de Sarti (1785, le chœur des Furies).
— On vient de jouer au théâtre allemand de Prague, avec un vif succès,
un opéra-comique en un acte, la Rencontre imprévue, de M. Richard Mandl,
dans la version allemande de M. O. Berggruen, On va monter cette œuvre
à l'Opéra impérial de Vienne et à l'Opéra royal de Budapest.
— Petites nouvelles de la Scandinavie. — Copenhague : On vient d'exécuter
pour la première fois et avec beaucoup de succès la Damnation de Faust.
A l'Opéra, belle reprise de Fra Diavolo. Aux Concerts philharmoniques
de M. Johann Svendsen, débuts triomphaux de M. Ernest Van Dyck et
de M,ne Thérèse Carreno, la pianiste sud-américaine. — Stockholm : La
Damnation de Faust vient d'avoir sa huitième exécution depuis trois années;
le public est tout épris du chef-d'œuvre de Berlioz. A l'Opéra, Mignon a
vu, le 14 avril, sa 150e représentation. Lakmé fait toujours des salles archi-
combles, et les Huguenots ont été repris avec Mlle Orelio comme Valentine;
les Stockholmois n'ont pas eu une pareille Valentine depuis MmeNilsson,
en 1876. — Christiania : M. Edouard Grieg est rentré après son séjour à
Paris et à Leipzig. A la Société musicale, dirigée par M. Holter, pre-
mière audition d'une nouvelle symphonie en fa mineur, de M. Christian
Sinding, nom norvégien, consacré à Leipzig depuis deux ans. La critique
a été assez réservée cette fois, tout en reconnaissant l'importance de
l'œuvre; on avait seulement espéré trop de cet artiste de grand talent.
On aura une bonne idée de la symphonie de M. Sinding, si l'on se souvient
des grands tableaux du haut Nord de son frère. M. Othon Sinding, mé-
daillés au Salon de 1885. Toute l'immensité de la nature norvégienne se
peint dans la symphonie ; elle est sauvage et violente, et parfois, mais
rarement, douce et caressante. Le scherzo rappelle trop la neuvième
symphonie de Beethoven.
— Un concert officiel à Saint-Pétersbourg, d'après la correspondance
russe du Figaro. « Le concert annuel au profit des invalides a eu lieu au
théâtre Marie, avec l'incomparable éclat habituel. Mille hommes y ont pris
part. Ils étaient placés, en décor vivant, sur des gradins montant jusqu'au
cintre de la scène. La rampe était formée par les casques des cuirassiers.
Les chantres de la cour, en costume grenat à longues manches brodées d'or,
formaient un triangle au milieu. Parmi les soldats il y a de grands talents;
entre autres le sous-officier IvanoiT et le cosaque Lutovinoff. On a com-
mencé par l'hymne national; ensuite on a joué et chanté les œuvres des
maîtres russes et étrangers avec un ensemble parfait. »
— On vient de jouer avec beaucoup de succès, au théâtre de la Haye,
un acte do MM. Jules Barbier et de Hartog, le Mariage de Don Lope, un
petit ouvrage qui eut une centaine de représentations au Théâtre-Lyrique
à Paris, il y a eu une vingtaine d'années. M"10 Dorian a été charmante;
son boléro a été bissé, et il y a eu deux rappels pour tous les artistes à la
chute du rideau.
— Le célèbre pianiste et chef d'orchestre sir Charles Halle va quitter
prochainement l'Angleterre pour se rendre on Australie, où l'appelle un
engagement. Un banquet d'adieu vient de lui être offert à Manchester,
sa ville d'adoption, banquet présidé par le Mayor, assisté de toutes les
notabilités locales. Sir Ilallé a prononcé une causerie brillante, pleine
d'anecdotes piquantes, où il a rappelé, en ternies spirituels, l'histoire de
la société musicale parisienne sous la monarchie de Juillet, à l'époque de
ses premiers débuts. L'extrait suivant n'est pas sans intérêt : « Environ
une semaine avant la révolution, j'avais tant d'élèves que je ne savais
qu'en faire ; j'en comptais jusqu'à cent. A certains d'entre eux je ne
pouvais donner qu'une leçon par quinzaine, à d'autres, une toutes les
trois semaines. Deux années auparavant, j'avais institué, avec l'aide de
LE MÉNESTREL
m
deux artistes français très distingués, les premiers concerts de musique
de chambre donnes à Paris, lesquels réussirent d'une fanon très brillante.
De telle sorte que je passais dans les cercles musicaux pour un homme
très prospère. Mais il ne faut pas croire que ma prospérité était telle que
la comprennent les commerçants. C'était tout différent. La veille de la
journée mémorable du 24 février 1848. j'avais environ quatre-vingts élèves
et j'avais placé tous les billets pour les deux derniers concerts qu'il me
restait à donner. Une semaine après la révolution, je n'avais plus qu'un
élève — et c'était un Anglais ! Quant à mon concert, — bien que la salle
fut louée d'avance, je le donnais devant trente-sept personnes ; les autres
s'étaient abstenues. Elles avaient payé leurs places, mais n'avaient pas jugé
bon de venir. » Ajoutons que M. Charles Halle se découragea à son tour
et que, peu de temps après ces événements, il quitta la France, après
douze années de séjour, pour aller se fixer en Angleterre.
— Une solennité aristocratique doit avoir lieu prochainement à Londres.
Dans la salle "Westminster Town, on jouera VAntigone de Sophocle avec
la musique de Mendelssohn, et tous les exécutants, solistes et chœurs,
seront des amateurs appartenant aux plus hautes classes de la société.
— Une jeune violoniste, âgée de seize ans seulement, miss Mary
Brammer, élève et lauréate du Conservatoire de Leipzig, s'est produite
récemment à Edimbourg, dans un grand concert donné à la Freemason's
Hall, et a reçu du public un accueil enthousiaste. C'est, parait-il, une
virtuose extrêmement remarquable.
— Les musiciens américains se préparent à opposer à l'invasion des
musiciens viennois, conduits par Edouard Strauss, une résistance achar-
née. Huit cents délégués de la Ligue musicale américaine se sont réunis
dernièrement à Cincinnati et ont pris en ce sens des résolutions énergiques,
qui ont été immédiatement télégraphiées aux délégués des autres villes
où l'orchestre Strauss doit se faire entendre. Des instructions spéciales
ont même été adressées à la délégation de New-York, à l'effet de s'opposer
au débarquement des « envahisseurs » en vertu de la loi sur la protection
du travail. La ligue motive sa protestation en faisant ressortir le tort
considérable que l'orchestre viennois va porter aux nationaux, notamment
aux célèbres « bands » Gilmore et Cappa, dont les tournées habituelles
vont être sacrifiées au profit de la tournée de Ed. Strauss, qui a accepté
des engagements au rabais. On estime que les bénéfices hebdomadaires
de la tournée Strauss s'élèveront à trois mille dollars, alors que Gilmore
et Cappa reçoivent en moyenne cinq mille dollars par semaine pour le
même service. Sur la demande de quelques délégués conciliants, une
nouvelle convention va être tenue à Cincinnati. On agitera la question
de savoir s'il n'y aurait pas lieu de tolérer les musiciens viennois sous
certaines conditions. On leur ferait, par exemple, subir un examen, au
cours duquel ils auraient à déchiffrer une des sept cents ouvertures de
M. Cappa! Quand ils s'y mettent, ces Américains deviennent machiavé-
liques dans leurs projets.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Le programme du septième concours triennal de la fondation Cressent
vient d'être publié. Le poème mis à la disposition des compositeurs qui
désireraient prendre part au concours est une œuvre lyrique en un acte de
M. Louis Gallet : Stratonice. Ce livret et le programme détaillé de toutes les
conditions à remplir sont remis gratuitement à tous ceux qui en font la
demande, à la direction des Beaux-Arts, bureau des Théâtres, 3, rue de
Valois. Les partitions seront reçues jusqu'au 30 novembre prochain. Nous
rappelons qu'une prime de 2,300 francs est accordée à l'auteur de l'œuvre
couronnée et qu'une somme de 10,000 francs est attribuée au théâtre qui
montera l'ouvrage.
— Au cours de ses dernières séances, le conseil municipal de Paris,
que l'Europe sans doute ne nous envie pas, a décidé l'ouverture d'un con-
cours entre artistes français pour le modèle d'une statue à ériger à Beau-
marchais sur l'une des places publiques de Paris. Beaumarchais n'appar-
tient pas seulement au théâtre par sa fameuse trilogie : le Barbier de Séville,
le Mariage de Figaro et la Mère coupable; il appartient aussi à la musique,
non pas seulement d'une façon indirecte, parce qu'il a inspiré à Mozart
et à Rossini deux de leurs plus beaux chefs-d'œuvre: les Noces de Figaro
et le Barbier de Séville, mais encore parce qu'il était musicien lui-même,
qu'en un temps il donna des leçons de harpe, et qu'il écrivit lui-même et
publia la musique des couplets de , son Barbier de Séville lorsqu'il le fit
représenter à la Comédie-Française.
— On a apporté cette semaine à la Comédie- Française le buste de
M. Emile Perrin, par M. Guillaume, directeur de l'École des beaux-arts
et membre de l'Institut. C'est M. Guillaume lui-même qui est venu offrir
au comité son œuvre, d'une très belle venue et d'une ressemblance parfaite.
Le buste de M. Perrin a été placé provisoirement au comité, en attendant
qu'il reçoive une destination définitive.
— M. Porel continue de vouloir faire de l'Odéon une sorte de théâtre
semi-lyrique. Parmi les ouvrages qu'il compte donner au cours delà saison
prochaine, il annonce une traduction de VAlceste d'Euripide faite par
M. Gassier, dans laquelle trouveront place des chœurs et des morceaux
aymphoniques tirés de VAlceste de Gluck, qui seront, comme d'ordinaire,
exécutés par le personnel et sous la direction de M, Lamoureux. Puis
viendra Conte d'Avril, comédie en vers de M. Auguste Dorchain, pour la-
quelle M. Widor vient de terminer une partition qui comprend une ou-
verture, des entractes et plusieurs morceaux de musique de scène.
— Il n'est plus question i'Aida à l'Opéra pour les débuts de M"0 Dommech,
mais bien du rôle de la bohémienne dans Bigoletto, ce qui est moins ambi-
tieux pour une débutante. Et alors, pour reprendre Aida, il est question de
renouer les négociations avec M"c Richard, d'autant que M. Massenet la
réclame aussi pour créer le principal rôle dans son prochain opéra le
Mage.
— Voici à présent que M. Duquesnel, le directeur de la Porle-Saint-
Martin, songerait à faire une saison lyrique pour remplacer le drame de
M. Sardou, Cléopâlre, qui lui échapperait. Il voudrait représenter Paul et Vir-
ginie, de Victor Massé, avecM"c Arnoldson, et le lendemain Werther avec...
mais nous avons promis le secret sur ce dernier point. Toutefois, rien de
définitif encore dans tous ces projets, soumis à beaucoup d'éventualités.
— Le fils aîné de Georges Kastner (le seeond, Frédéric, l'auteur du
pyrophone et des Flammes chantantes, est mort depuis plusieurs années déjà)
vient de mourir il y a dix jours à peine. C'est ce dernier qui était en pos-
session de la nombreuse bibliothèque de son père, l'auteur de la Parémio-
logie musicale, des Sirènes, des Chants de l'armée française et de bien d'autres
ouvrages importants qui lui avaient valu l'honneur d'être nommé membre
associé de l'Académie des beaux-arts. Or, nous apprenons que Kastner fils
a légué toute la bibliothèque de son père à notre Conservatoire, qui doit
entrer rapidement en possession de ce legs magnifique.
A l'occasion du voyage dans le Midi de M. le Président de la Répu-
blique, M. Lapierre, directeur du Conservatoire d'Aix, et M. Millont, doyen
des professeurs du Conservatoire de Marseille, ont été nommé officiers
de l'instruction publique.
On nous écrit de Rouen : « Le magnifique orgue construit par la mai-
son Cavaillé-Coll pour l'église Saint-Ouen a été inauguré hier, en grande
pompe, en présence de M" l'archevêque et d'une assistance des plus nom-
breuses et des plus choisies. M. Widor était venu tout exprès de Paris
pour celte cérémonie. Il a magistralement exécuté plusieurs morceaux
classiques et improvisé avec une merveilleuse audace, en s'inspirant de
ses souvenirs et de son érudition. On ne peut rien imaginer de plus beau
qu'un tel orgue vibrant sous de tels doigts. »
On vient d'inaugurer à l'église Sainte-Anne de Montpellier un orgue .
électrique, construit par MM. Merklin et Cie; ce bel instrument comprend
une partie installée sur la tribune, l'autre dans le chœur, et l'organiste
peut à volonté réunir les deux instruments, qu'il fait entendre simultané-
ment ou alternativement sur les mêmes claviers. . .
L'oratorio de M. Charles Poisot, Cœcilia, vient d'obtenir un nouveau
succès à Bourges, où l'exécution était fort bien dirigée par M. l'abbé
Protat, et où les soli étaient chantés par Mme Marquet et MM. Bosquin
et Marquet.
— Le dimanche de Pâques on a exécuté à Lille, dans l'église Sainl-
Étienne, une messe à quatre voix, orchestre et chœurs, de la composi-
tion de M. Ernest Mazingue, organiste de la paroisse. Les soli étaient
chantés par MM. Morel et Bonaventure, ténors, Verbèke, baryton, et •
Canon, basse, et l'œuvre a été fort bien accueillie. A l'offertoire, M. Ga-
briel Sinsoilliez a exécuté avec talent un solo de violon de sa compo-
sition.
CONCERTS ET SOIRÉES
Concerts du Châtelet : C'est M. Colonne qui a eu l'honneur de clore, ■
pour la saison de 1890, la série des grands concerts de musique instru- ;
mentale; il l'a close par une 55° audition de la Damnation de Faust, qui a
été non moins brillante que les précédentes. Nous n'avons à revenir ni ,
sur le mérite intrinsèque, ni sur l'exécution de cette œuvre magistrale.
C'est de M. Colonne que nous voudrions parler aujourd'hui, et des ser-
vices qu'il a rendus à l'art en dirigeant pendant seize ans les concerts
de l'Association artistique. Nous avons la bonne fortune d'avoir en mains
la collection complète ou à peu près complète des programmes de M. Co-
lonne. L'étude de ces programmes est intéressante : elle permet d'étudier,
le mouvement musical en France depuis 1874, l'accueil fait par le public
aux œuvres françaises aussi bien qu'aux œuvres d'importation étrangère,
les divers courants d'opinion, les diverses écoles qui se sont fait jour.
Les limites nécessairement restreintes de cet article ne nous permettent
pas de traiter ici un pareil sujet, il comporte une certaine étendue, et il
faudra un certain temps pour le mener à bonne fin. H. Barbedette.
— Concerts et musique de chambre. — On ne saurait contestera M. Wec-
kerlin le profond amour de son art, avec le désintéressement qui en ré-
sulte et qui est une des qualités morales les plus remarquables du vérita-
ble artiste. Parmi ceux-ci, on n'en trouverait pas beaucoup sans doute
qui fussent capables de se donner le luxe d'un concert avec orchestre et
chœurs (avec le personnel de la Société des concerts du Conservatoire, s'il
vousplait!), pour avoir la jouissance d'entendre sa musique merveilleu-
sement exécutée et de la faire entendre à ses seuls amis et confrères. Car,
à propos de l'intéressante séance qu'il nous a donnée jeudi soir dans la.
grande salle du Conservatoire, aucune pensée de lucre n'était entrée dans
136
LE MENESTREL
l'esprit de M. Weckerlin ; cette brillante soirée avait lieu uniquement par
invitations, et l'assistance était exclusivement composée d'artistes, parmi
lesquels un grand nombre des plus célèbres, qui avaient tenu à répondre
par leur présence à l'appel courtois du compositeur. Le programme com-
prenait, dans sa première partie, six morceaux: Ouverture de concert;
Psaume au roi, sur une poésie du cardinal Du Perron; Baghas de l'Inde,
pour orchestre; Chœur de Bacchantes, sur des vers de Pontus de Thyard ;
Marche magyare, pour orchestre; Pastorale pour flûte et haubois, exé-
cutée par MM. TafUnel et Gillet. La seconde partie était composée de la
musique de Samson, drame biblique en deux actes écrit sur le poème
bien connu de Voltaire. L'ouverture de concert, conçue un peu dans la
forme de celle d'Oberon, de Weber, a de la couleur, de la chaleur et de
l'éclat, et le rôle des violons y est très important. La première partie
surtout du Psaume au roi a de la largeur et développe une belle et impo-
sante sonorité. Le Chœur des Bacchantes, beaucoup plus bref, et d'un
très heureux effet, et la Marche magyare, dont l'orchestre est curieux,
ont été fort justement applaudis. Mais ce qui a mis le public en joie
et en belle humeur, c'est la Pastorale pour flûte et hautbois, que
MM. Taffanel et Gillet ont exécutée avec un ensemble étonnant,
avec leur talent si fin et si délicat et d'une façon vraiment merveil-
leuse. Ici, le succès a été colossal, les excellents interprètes du compo-
siteur ont été l'objet d'un triple rappel, et lorsque, la troisième fois,
ils sont revenus amenant en scène M. Weckerlin, que chacun d'eux tenait
par une main, on a fait à celui-ci une ovation dont il se souviendra long-
temps. Dans Samson, les deux rôles principaux étaient tenus par la tout
aimable M™ Bilbaut-Vauchelet et par M. Baudoin-Bugnet, ingénieur de
son métier et excellent amateur, à qui l'on peut seulement reprocher un
tremblement fâcheux de la voix. Il n'en a pas moins fort bien chanté, au
premier acte, un air vigoureux de ténor, en si bémol, finissant en chœur,
et qui a fait une fort bonne impression. M'"e Bilbaut-Vauchelet s'est fait
vivement applaudir dans l'invocation à Vénus, qu'accompagne très heu-
reusement la harpe et qui est l'une des pages les plus importantes de la
partition, dans laquelle iï faut signaler encore le grand duo final, écrit
avec une véritable puissance. En résumé, M. Weckerlin peut se montrer
fier du succès qu'il a obtenu devant un auditoire aussi naturellement dif-
ficile et connaisseur que celui qu'il avait su réunir. — M. Paderevvski,
que nous avions l'occasion d'entendre et d'applaudir à l'une des dernières
séances de la Société des concerts, dans le concerto de Schumann, a
donné cette semaine, salle Erard, un quatrième concert, entièrement con-
sacré par lai à l'exécution d'œuvres de Chopin. Élève de M. Leschetitzky,
successivement professeur au Conservatoire de Varsovie et au Conserva-
toire municipal de Strasbourg, M. Paderewskt, depuis deux saisons, fait
littéralement tourner les tètes de toutes nos jeunes pianistes et exerce
sur la partie féminine du public un véritable charme. On l'a pu constater
une fois de plus l'autre soir, où des ovations sans fin l'ont accueilli et
où nombre de petites mains élégantes se fatiguaient à l'applaudir. Malgré
l'estime que j'éprouve pour l'incontestable talent de M. Paderewski, je
ne saurais, je l'avoue, partager en cette circonstance un enthousiasme
aussi excessif. Le jeu et le style du virtuose m'ont paru en cette soirée d'une
inégalité un peu trop flagrante, et si quelques morceaux, l'une des études,
notamment, et le scherzo, ont été dits par lui d'une façon charmante, je ne
saurais lui adresser le même éloge en ce qui concerne la sonate en si et
surtout la huitième polonaise, où non seulement le style, mais le mécanisme
même était loin d'être impeccable. Mais il n'y a pas à réagir contre l'engoue-
ment du public, surtout du public féminin, et l'on ne peut que protester un
peu contre ces manifestations excessives. —C'est avec le concours de M. La-
moureux et de son orchestre que M110 Marie Panthès, l'un des plus récents
premiers prix de notre Conservatoire, donnait ces jours derniers un brillant
concert dont elle faisait d'ailleurs tous les frais. Mlle Panthès est une jeune
artiste qui mérite les plus sincères encouragements: avec l'orchestre, elle a
exécuté. d'une façon très distinguée le concerto en mi bémol de Beethoven
et le concerto en sol mineur de M. Saint-Saëns, ne craignant pas de s'atta-
quer à deux œuvres aussi redoutables et s'en tirant tout à son honneur.
Pour le reste, elle a dit, avec de très bonnes qualités de style, diverses
pièces de Mendelssohn, Chopin et Schumann, de MM. Fissot, Chabrier,
G. Pfeiffer et Godard. Je n'aurais peut-être qu'une légère réserve à faire
au sujet du scherzo de Mendelssohn, ce qui ne m'empêche pas d'applaudir
M"0 Panthès comme elle le mérite et de voir en elle une artiste de véri-
table avenir. A. P.
— Le second concert du pianiste Léon Delafosse, qui avait attiré de nouveau
une foule énorme à la salle Erard, samedi dernier, a été cette fois encore
pour ce jeune et incomparable virtuose une longue suite d'ovations cha-
leureuses et justifiées. M. Delafosse avait consacré la première partie de
son programme à des œuvres classiques, dans lesquelles le charme irrésis-
tible et la parfaite correction de son jeu, la simplicité artistique et parfois
élevée de son style ont fait merveille comme toujours. Parmi les œuvres
modernes dont a été formée la deuxième partie du concert, signalons celles
qui ont reçu le meilleur accueil : Esquisse, de M. Th. Dubois, d'un très
joli sentiment: l'original Cavalier fantastique, de M. Benjamin Godard;
l'Oiscau-mouche, de M. Théodore Lack, véritable petit bijou de finesse et
d'esprit, déjà bissé au premier concert de M. Delafosse, que le public lui
a redemandé et bissé de nouveau, cette fois encore; la très élégante Valse-
râpide, du même compositeur, interprétée avec un éclat merveilleux et une
rapidité vertigineuse ! MM.. Jules Delsart et PaulViardot prêtaient à M. De-
lafosse le précieux concours de leur remarquable talent.
Soirées et concerts, -r- M. Marmontel réunissait chez lui, dimanche dernier, un
second groupe de ses élèves particulières, qui toutes ont interprété avec maestria
et autorité les œuvres des grands classiques et des romantiques modernes. Ci-
tons parmi les plus vaillantes de ces jeunes pianistes : M"" Ortys, Lezaud,
Momondi, Bouron, et de véritables artistes : MllLB Pallazzi, Lucien, Bonheur, Lévy,
Arnold, Marchand. Nos compliments sincères au maître qui se dévoue avec une
infatigable ardeur à la propagation des saines traditions de l'art. Grâce à son don de
transmission de la pensée des maîtres, Marmontel a fondé une école qui restera
appréciée entre toutes, comme l'expression du vrai et le culte du beau. — Très inté-
ressante audition, cette semaine, des élèves de M. et M"1 Ciampi-Ritter. Plus de
trente numéros au programme, interprétés par de fraîches et jeunes voix qui ont
fait grand plaisir. Plusieurs chœurs ont été chantés d'une façon cnarmanle,
notamment celui des nymphes de Psyché, d'Ambroise Thomas, qu'on a dû bisser.
M"" Renée du Minil, de la Comédie-Fiançaise, prêtait son concours à cette char-
mante matinée. — Le second concert de M"' Steiger n'a pas été mains brillant
que celui de mars. Séance toute moderne cette fois, avec le concours des auteurs,
M"' Chaminade, MM. Thomé, Pfeiffer, Godard, de M"0 Lyon, la remarquable
cantatrice, et de M. Mariotti. Grand succès pour tous. — Grand succès lundi
dernier pour les élèves de Mm6 Marie Rueff, l'excellent professeur de chant, à
l'Institut Rudy. M"' Maria Genoud y a surtout obtenu une véritable ovation. —
Lundi soir, salle Duprez, Mn,e Anita France a donné un concert très réussi avec
le concours de Mlle Steiger, de MM. Geloso, Dressen et Maton. Tous les artistes
ont été fort applaudis. Mentionnons aussi les monologues de M. Schulz, qui ont
excité comme toujours des rires inextinguibles. —Dimanche, très brillante matinée
chez Mn,! Laborde. Parmi les nouvelles élèves de l'éminent professeur, nous avons
remarque MlkB Meignant, Levant, Hanners, Marcus, etc. On a donné une audition
des œuvres de M. Th. Dubois, exécutées sous la direction de l'auteur. On a particu-
lièrement applaudi le duo i'Aben Hamet (M11" de la Blanchetais et Levy), Par le
Sentier [M"" de Marcilly), A Douarnenez en Bretagne (Ml,° Passama Domenech) et
bissé le Baiser au ténor Rondeau, qui s'était déjà fait applaudie- dans udo mélodie
de Faure, le Joli Rcce. Grand succès également pour M"" Joséphine Martin et
Mmu Victor Roger. — Lundi soir, à la salle Kriegelstein, M,n0 Deleàge donnait son
concert annuel. On a vivement applaudi Mracs Herman, Bernaërt de l'Opéra-Comi-
que, MM. Martapoura, Gluck et Coquelin cadet. Grand succès pour M™" De-
leàge et Bernaërt dans un duo, Tourterelle et Papillon, de M. Emile Bourgeois,
accompagDé par l'auteur. — L'audition des élèves de M™ Cécile Laflolay a été
des plus intéressantes. Tout ce petit monde a joué avec un style et un sentiment
du rythme qui font le plus grand honneur à l'excellent professeur. Parmi les
morceaux les plus applaudis, citons les charmantes compositions de M. Antonin
Marmontel, Le long du chemin et la Valse-Sérénade; les ïricotets, de Ketten; la
Danse des Sylphes, de Godefroid, etc., etc.
— Concerts annoncés : Lundi, 28 âvrili dernière matinée Mendels, avec le con-
cours de M. et M"" Alph. Duvernoy, de MM. 1. Philipp, Casella et Van Waeffel-
ghem. — Lundi 28, Concert de M. L. Magdanel, avec le concours de Mlk Antonia
Pouget et de M. I. Philipp.
Henri Heugel. directeur-gciant.
En vente chez Mack.vu et Noël, 22, passage des Panoramas, Paris, édi-
teurs des œuvres de Tschaïkowsky, Gottschalk, Alard et de la Méthode
de A. Le Carpentier, etc. :
TSCHAÏKOWSKY, op. 66. La Belle au Bois dormant, ballet en trois actes.
Grand succès à l'opéra de Saint-Pétersbourg. — Partition, danses diverses,
morceaux détaillés.
AU MÉNESTREL, 2 bls, rue Vivienne, HENRI HEUGEL, Éditeur.
POUR PARAITRE PROCHAINEMENT
LES PETITS DANSEURS
L. STREABBOG, A. TROJELLI, RUMMEL, FAUGIER, H. VALIQUET, ETC.
3083 — 56me ANNEE — N° 18. PARAIT TOUS LES DIMANCHES Dimanche 4 Mai 1890.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 l'r.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 l'r., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les irais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Histoire de la seconde salle Favart (61' article), Albert Sourie; et Charles
Malherbe. — II. Bulletin théâtral: Faut-il souscrire? H. Moreno ; Paris après
/'Exposition, à l'Éden, Paul -Emile Chevalier. — III. Le théâtre à l'Exposition
(23" article), Arthur Pougin. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
NOUS CHEMINIONS DANS LE SENTIER
n° & des Rondels de Mai, de M. B. Colomer, poésie de Lucien Dhuguet. —
Suivra immédiatement : C'est ma mignonne amie, n° 6 des Rondels de Mai,
des mêmes auteurs.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano : le Rêve du prisonnier, célèbre mélodie de Rubinstein, transcrite
et variée pour piano par Ch. Neustedt. — Suivra immédiatement : L'Oiseau
mouche, caprice pour piano, de Théodore Lack.
Nous terminons aujourd'hui la première partie de
l'intéressant travail de MM. Albert Soubies et Charles
Malherbe pour n'en reprendre crue plus tard la deuxième
et dernière partie. Nous publierons dimanche prochain
un article charmant de M. Ernest Legouvé, sur Isisst
et Tfttifftfi-f/. puis nous commencerons la publication
des Notes fl'nn librettiste, de M. Louis Gallet, où les
figures les plus curieuses et les documents les plus
inédits défileront sous les yeux de nos lecteurs.
HISTOIRE DE LA SECONDE SALLE FAVART
Allbert SOUBIES et Charles MALHERBE
CHAPITRE XIV
MEYERBEER A l'OPÉRA-COMIQUE
LE PARDON DE PLOERMEL
(1836-1859)
(Suite.)
Au bout de 18 représentations, les trois actes de Limnan-
der cédèrent la place aux trois actes du comte Gabrielli,
Don Gregorio, joué le 17 décembre. Le sujet n'en était pas
nouveau, car depuis longtemps on connaissait le Précepteur
dans l'embarras, cette jolie comédie en trois actes, écrite en
italien par un Français d'origine, le comte Giraud, et donnée
avec un succès retentissant à Rome, en 1807, au théâtre
"Valle. Le jour où une traduction française lui fit passer les
monts, tous les adaptateurs s'en emparèrent, et juillet 1828
ne vit pas éclore à Paris moins de quatre versions, toutes
en un acte, de cette amusante bouffonnerie. L'année suivante
Donizetti en donnait à Rome une adaptation musicale, sous
son titre primitif, l'Ajo nell imbarazzo. Il appartenait à Sau-
vage et de Leuven d'en tirer, trente-cinq ans plus tard, une
dernière mouture à l'usage de la salle Favart, et de conter à
nouveau, comme écrivait Paul de Saint-Victor, « l'histoire de
ce précepteur, organiste comrre don Basile et naïf comme
Michel Perrin, qui se démène au milieu d'une tentation gri-
voise d'écoliers, de soubrettes, de dragons et de comé-
diennes. » Appelé d'abord Péché de Jeunesse, ce Don Gregorio ne
manquait pas de gaieté, et Couderc personnifiait à ravir le
personnage principal. Mais pour dessiner musicalement ce
type original, il fallait une autre plume que celle du comte
Gabrielli, dont le plus grand mérite était d'être bien en cour.
Cette faveur d'un Italien comme le comte Gabrielli est
très symptomatique; elle correspond manifestement à un état
de choses qui n'existe plus ; elle montre, par un nouvel
exemple qui s'ajoute à tant d'autres, combien alors les mu-
siciens étrangers étaient tenus en amitié, et quelle hospita-
lité généreuse leur accordaient les théâtres parisiens.
En 1859, par exemple, dans cette salle Favart avaient paru
sept nouveautés ; une seule était d'un Français, le Rosier ; un
Allemand, Meyerbeer, avait écrit le Pardon de Ploërmel ; un
Italien, Gabrielli, avait écrit Don Gregorio et quatre Belges
avaient écrit le Diable au moulin, le Voyage autour de ma chambre,
la Pagode et Yvonne, soit Gevaert, Grisar, Fauconier et Lim-
nander. On le voit, l'hospitalité que Bruxelles donne aujour-
d'hui à nos compositeurs, est comme le paiement d'une dette
autrefois contractée. Depuis le commencement du siècle, la
France passait aux yeux de ses voisins pour une terre pro-
mise. Sans remonter jusqu'à Gluck et Lulli, que de noms
étrangers parmi les compositeurs qui ont trouvé la gloire à
Paris! Paisiello, Cherubini, Paër, Grétry, Viotti, Rossini,
Bellini, Donizetti, Meyerbeer, Verdi I etc. Car on accueillait
tout le monde, grands et petits, maîtres et débutants, un
Flolow et un Giulio Alary, un duc de Saxe-Cobourg-Gotha
et un Ricci. Que les temps sont changés! Aujourd'hui, à
l'Opéra comme à l'Opéra-Comique, on n'admettrait plus qu'un
maître, Verdi, et encore !
Un fait explique, il est vrai, la faveur dont jouissaient no-
tamment alors, les œuvres venues de la Péninsule : la France
et l'Italie marchaient au combat, la main dans la main. Le
7 juin, par exemple, on fêtait la victoire de Solferino par
l'exécution d'une cantate avec chœurs intitulée Italie, et dont
Saint-Georges avait composé les paroles et Halévy la mu-
sique. Les interprètes s'appelaient Montaubry, Troy, Jour-
dan, Crosli, Mm0 Faure-Lefebvre, et le succès fut tel qu'on
138
LE MENESTREL
donna quatre autres. auditions dans le même mois, le 8, le 10,
le 27 et le 29 ; pour les deux dernières, Warot avait rem-
placé Montaubry. Le 1S août devait être exécutée une nou-
velle cantate, écrite par M. Duprato sur des paroles de
M. Trianon et confiée à Mue Wertheimber, qui la servit au
public deux jours de suite.
A côté de ces solennités en quelque sorte officielles, on
pourrait en rappeler d'autres d'ordre plus exclusivement ar-
tistique,' celle, par exemple, du 23 avril 1859, concert spiri-
tuel où figurait, parmi les numéros du programme, l'Enfance
du Christ, de Berlioz. L'exécution de l'œuvre avait lieu sous
la direction de Berlioz lui-même, cet incompris qui, dans
la précédente élection à l'Institut, se présentant contre
Ambroise Thomas, n'avait même pas obtenu une voix, cet en-
fiévré qui voyait le ridicule s'attacher à ses œuvres comme
à sa personne, ce compositeur de musique à programme que
visait assurément Emile Augier, lorsqu'il poussait jusqu'à
la charge le portrait de Landara dans une œuvre aujourd'hui
peu connue, Ceinture dorée. Simple souvenir: deux artistes
participaient à ce concert en qualité d'accompagnateurs,
dont les noms sont connus de tous, mais dont les destinées
devraient être bien différentes : Théodore Ritter, qui finit si
misérablement, et Auguste Durand, le sympathique éditeur
et compositeur parisien.
Rappelons aussi d'autres soirées plus directement liées à
l'histoire ordinaire de la salle Favart puisqu'elles marquent
quelques reprises importantes, par exemple, le 19 avril, Fra
Biavolo, avec Montaubry qui, dans ce rôle où il devait exceller
plus tard, donna d'abord prise à certaines critiques. On don-
nait précisément cet ouvrage le 22 mai, lorsque se produisit
un incident bizarre et effrayant à la fois, dont le récit fit le
tour de la presse à cette époque . Vers la fin du premier
acte, on vit tout à coup une jeune femme enjamber le rebord
de la deuxième galerie pour se précipiter dans la salle ;
l'instinct de la conservation la retint un instant, et, se
cramponnant au velours, elle demeurait suspendue dans le
vide. On put la ressaisir enfin, et elle se trouva mal, ainsi
d'ailleurs que bon nombre de spectatrices, témoins de cette
scène. Revenue à elle, la malheureuse déclara se nommer
Estelle D. âgée de vingt-huit ans et demeurant faubourg
Saint-Honoré ; et, ce disant, elle retira vite de son corsage
une lettre qu'elle déchira. On sut alors qu'un désespoir d'a-
mour l'avait déterminée à se suicider, et l'on constata en
effet que dans son domicile elle avait tout préparé pour
recevoir sa dépouille mortelle, jusqu'au linge où elle devait
être ensevelie.
Moins troublée, heureusement, fut la représentation du
25 juin pour une reprise des Mousquetaires de la Heine avec
interprètes nouveaux : Montaubry (d'Entragues), Mocker
(Biron), Barrielle (Roland), Leprince (Gréqui), Davoust (Gon-
taut), Duvernoy (le grand prévôt), Goutan (Narbonne), Ed.
Gabel (Rohan), Mmes Faure-Lefebvre (Berthe de Simiane),
Henrion (Athénaïs), Casimir (la grande maîtresse). Une autre
reprise, celle de l'Ambassadrice, servit le 18 juillet pour le
début, dans le rôle d'Henriette, d'une ancienne élève du
Conservatoire, Mlle Cordier, qui revenait des États-Unis et se
voyait honorablement accueillie à côté de Jourdan, Nathan,
Ponchard, de Mm<,s Lemercier, Révilly, et Casimir. Enfin, le
22 septembre reparut un ouvrage qu'on semblait négliger
depuis quelque temps, le Songe d'une Nuit d'été, avec Montaubry
(Shakespeare), Crosti (Falstaff), Warot (Latimer), Nathan
(Jérémy), M110 Bélia (Olivia), Mllc Monrose (Elisabeth), une
débutante, élève de Duprez et de Mocker, une Américaine,
puisqu'elle était née à la Nouvelle-Orléans, une comédienne,
puisqu'elle était la petite-fille du célèbre acteur de ce nom,
enfin et par-dessus tout, une femme élégaate dont la beauté
fit sensation, si l'on s'en rapporte au portrait tracé par Henry
Boisseaux : « Son noble profil a les arêtes finement décou-
pées que les anciens donnaient à leurs déesses. Il y règne
en même temps cette passion tempérée par de charmants
sourires, dont le regard et la bouche de Marie Stuart savaient
si bien le secret. » (? !)
Au cours du récit qui précède, presque tous les débutants
de l'année 18S9 ont été mentionnés, savoir, par ordre de
date : Mllc Breuillé, M1,e Enjalbert, Mue Cordier, M. Ambroise,
Mlle Marietta Guerra, Mlle Monrose, M1,e Emma Bélia; à ces
noms il convient d'ajouter MUe Faigle, qui, le 27 juin, débuta
modestement dans le Chalet (rôle de Betly) ; M. Caussade,
sorti en 1859 du Conservatoire, où il avait obtenu le
deuxième prix d'opéra-comique et le deuxième accessit de
chant, et qui débuta le 22 août dans les Chaises à porteur
(rôle du chevalier) ; Mlle Geoffroy, venue des Bouffes-
Parisiens, où elle jouait sous le nom de Coralie Guffroy,
jeune et belle personne qui débuta le 26 septembre dans la
Pagode (rôle de Nadidja); enfin M. Holtzem, qui débuta le
3 octobre dans la Fille du Régiment (rôle de Tonio). Ainsi se
trouvait compensée la perte de quelques artistes comme
Mlle Dupuy, qui, engagée à la Monnaie de Bruxelles, revint,
il est vrai, l'année suivante à la salle Favart; comme Mlle De-
croix, également engagée à Bruxelles ; comme Delaunay-
Riquier, enlevé par le Théâtre-Lyrique auquel il apparte-
nait, quand il épousa le 27 octobre sa camarade Mue Lhéritier.
Vers le même temps, d'autres mariages d'artistes étaient
signalés (outre celui de Faure avec MllB Lefebvre): celui
de Berthelier avec Mlle Boin et celui de Mrae Ugalde, née
Beaucé, avec M. Varcollier.
Mais, de tous ces déplacements, allées et venues, le plus
fâcheux pour la prospérité du théâtre devait être celui qui,
décidé alors, s'effectua au début de l'année suivante, le dé-
part de Faure. Ce départ, suivi de près par la retraite du
directeur Roqueplan, contribua à déterminer une crise pres-
sentie depuis quelque temps déjà, et qu'un succès plus fruc-
tueux du Pa-don de Ploërmel eût peut-être seul conjurée.
Aussi pouvons-nous arrêter, non sans raison, au Pardon de
Ploërmel, la première partie du travail que nous avons entre-
pris.. Quelque succès qu'il ait obtenu, l'ouvrage deMeyerbser
n'en fixe pas moins une date dans l'histoire de la salle
Favart. Nombre de compositeurs avaient essayé d'élargir le
cadre de l'Opéra-Comique; avec l'Etoile du Nord et le Pardon,
Meyerbeer le fit presque éclater. Au lendemain de cette
rude poussée, les nouvelles œuvres coulées dans le moule
ancien devaient sembler grêles et médiocres ; de là un temps
d'incertitude et d'insuccès. Mais il nous reste aussi à mon-
trer la victoire définitive remportée par ceux dont le génie
souple et mesuré a su mettre à profit les conquêtes du pré-
sent pour les renouer adroitement à la saine tradition du
passé. La fusion des deux styles est le principe qui dominera
la nouvelle période où nous entrerons bientôt. L'opéra
mixte s'imposera au goût des musiciens et à la faveur du
public, et c'est de ce genre tempéré que relèveront les œuvres
nouvelles dont le succès sera le plus brillant et le plus
durable, Lalla Roukh et Mignon, Carmen et Lakmé.
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE
BULLETIN THEATRAL
FAUT-IL SOUSCRIRE ?
Je suis eu vérité fort perplexe. Dans une récente chrouiquc que
j'ai consacrée à la nouvelle Société des « Grandes auditions musi-
cales de France », après en avoir reproduit le programme et fait à
son sujet les justes observations qu'il m'inspirait j'avais demandé
néanmoins qu'on voulût bien inscrire le Ménestrel au nombre des
souscripteurs. Nous n'avons pas coutume, en effet, de bouder en
ces sortes de circonstances et nous encourageons volontiers toutes
les tentatives artistiques, même quand elles nous paraissent devoir
faire fausse route. Mais je ne m'attendais pas à la forme qu'on
allait donner, cette fois, aux souscriptions. Voici, en effet, le
bulletin qu'on m'adresse et qu'il me faudrait signer pour donner
suite à mes projets généreux :
LE MENESTREL
139
,j7o désire^ fairu partit^ àtj la Société des
Grandes Auditions Musicales de France
A TITRE DE
FONDATEUR :
Cent francs annuellement
ou mille francs une fois donnés
3v>m
^Adresse
LES FONDATEURS ONT DROIT :
à deux places pour- les Répétition}
générales et deux places pour- la
2me Représentation.
SOUSCRIPTEUR
Vingt-cinq francs annuellement
tfttfim
^Adresse
LES SOUSCRIPTEURS ONT DROIT :
une ^lace^ pour- les Répétitions
générales.
Nota. — Le titre de Fondateur ou de Souscripteur équivaut à celui d'Abonné.
Eh bien ! la teneur de ce petit billet doux, qui semble inoffensif
tout d'abord, ne laisse pas que de m'inquiéter un peu quand j'y
réfléchis. Si je suis volontiers l'homme des souscriplioDs artistiques
qui n'entraînent, pour l'avenir, aucune responsabilité ni aucune in-
quiétude, en revanche j'y regarde à deux fois avant de m'engager à
* faire partie d'une Société » qui n'a pas de statuts définis, ce qui
est le cas pour celle des « Grandes auditions musicales ».
C'est alors que mes souvenirs juridiques reviennent m'assaillir
en foule. Je crois me rappeler que les entreprises de spectacles
publies sont expressément classées par la loi dans la catégorie des
actes de commerce (art. 632). La société dont il s'agit ayant pour
objet l'organisation d'auditions musicales, où serait admis le public
payant, est donc une société commerciale (1), soumise à peine de
nullité à l'accomplissement des formalités prescrites par la loi de
1867.
Il résulte de là que les organisateurs, c'est-à-dire les membres du
Conseil d'administration (2) seraient tenus in infinilum du passif et
responsables, en outre, de la nullité de la Société, si elle venait à
être prononcée par les tribunaux. Ceci est leur affaire et ne nous
regarde pas.
Mais, en l'absence de statuts, la situation des souscripteurs et
des fondateurs est plus difficile à déterminer. Les termes du pros-
pectus sont en effet assez contradictoires. Tantôt ce sont de simples
abonnés, comme il est dit au nota bene, tantôt ils « font partie de
la Société » comme il est dit au début du bulletin de souscription.
Comme abonnés, leurs droits et leurs obligations sont des plus
simples: ils ne peuvent être tenus au-delà du montant de leur
mise ; mais comme membres fondateurs d'une société, c'est tout
autre chose. N'auraient-ils pas alors la qualité d'associés? Et où cela
les eDtralnerait-il ? A ce titre, ils ne seraient plus tenus seulement
jusqu'à concurrence de leur souscriptioa. Cette limitation des obli-
gations des associés n'existe que dans les sociétés anonymes ou en
commandite pour les commanditaires, et il n'y a de sociétés ano-
nymes ou en commandite que si les formalités légales ont été ob-
servées. La Société ne serait pas davantage en nom collectif pour
le même motif. Nous nous trouvons donc simplement en face d'une
« Société de fait », nulle à l'égard de tous les intéressés; ceux-ci,
néanmoins, ne sauraient opposer la nullité aux tiers, c'est-à-dire
aux créanciers, et seraient tenus à l'égard de ceux-ci solidairement
et in infinitum.
Il) Ceci n'r-st pas douteux après l'arrêt que vient de rendre le Conseil d'État
au sujet de l'Association des Concerts Colonne. Celle-ci devait-elle être consi-
dérée comme une entreprise commerciale et, à ce titre, soumise à l'impôt de la
patente ?
M. Colonne disait non, mais le Conseil d'État vient de dire oui, « attendu que
la Société dite a Association artistique » donne chaque semaine, pendant une
partie de l'année, dans la salle du théâtre du Chùtelet, des concerts pour lesquels
elle fait appel au public, qui y est admis en payant.
» Que la salle du Châtelet est mise à cet effet à sa disposition moyennant le
paiement d'une redevance à l'adjudicataire du bail de ce théâtre ; que, dans ces
circonstances, c'est à bon droit que l'Association artistique a été réputée entre-
preneur de concerts publics, conformément au tableau annexé à la loi du 15 juil-
let 1880, et que l'imposition a raison de cette entreprise a été établie en son
nom. »
(2) On nous a dit au secrétariat de la Société qu'il n'existait point de statuts,
mais que l'entreprise était dirigée par M™" la comtesse Greffulhe, assistée d'un
Conseil d'administration composé de MM. de Polignac, de Canay, etc., etc.
Voilà les réflexions, un peu arides — nous en demandons pardon
aux lecteurs, — que nous a suggérées la lecture du petit bulletin
que nous avons reçu. Il en est résulté, pour nous, la conviction
que la situation des souscripteurs et des fondateurs de la nouvelle
entreprise serait des plus ambiguës. Car enfin on a vu des Sociétés,
même artistiques, mal tourner et tomber dans ce qu'on appelle la
déconfiture.
Nous demandons donc, en grâce, à l'Administration des « grandes
auditions musicales » de changer la forme de ses demandes d'adhé-
sions, en les convertissant en simples bulletins d'abonnement.
Comme cela tous les esprits seront rassurés et les souscriptions vien-
dront plus abondantes.
H. Moreno.
P. S. — Éden-Théatre. — Paris après l'Exposition, revue en trois actes et
dix tableaux, de MM. Blondeau et Monréal.
De même que le titre de l'amusante revue de MM. Blondeau et Monréal
n'a été que fort peu modifié en passant de l'affiche des Variétés à celle
de l'Ëden, de même la pièce elle-même n'a subi que de très légers rema-
niements. Au tableau de la rue du Caire, un nouvel intermède espagnol
dansé par la petite Soledad, cette brune Andalouse qui fit courir tout Paris
pendant plusieurs mois et qui, lors de son intempestive disparition,
occupa l'attention presque autant que M. Saint-Saëns. Le public de
l'Éden a paru moins enthousiaste et moins emballé que celui du Grand-
Théâtre de l'Exposition ; question de milieu sans doute ; et puis, n'avons-
nous pas eu, depuis, Jeanne Granier etLarive? Comme il fallait utiliser
les jambes des dames de la maison, on a ajouté un ballet dansé sous
la tour Eiffel pendant que jouent les fontaines lumineuses, et un dernier
divertissement protégé par les ailes irradiantes du Moulin-Bouge. MUc Jane
Evans et M. Baiter remplacent M110 Lender et M. Baimond et s'appliquent
de leur mieux à chausser des escarpins vernis, alors qu'une bonne paire
de souliers ordinaires ferait peut-être beaucoup mieux leur affaire.
MM. Baron, Lassouche et Germain restent la joie de la soirée, et MUo M.
Durand s'est taillé un fort joli succès dans une très intelligente imitation
de Mm0 Sarah Bernhardt.
Paul-Emile Chevalier.
LE THEATRE A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889
XI
(Suite)
LE THÉÂTRE INTERNATIONAL
L'Exposition était, je crois, déjà ouverte, lorsque la concession
de ce théâtre fut accordée à un Anglais, M. Seymour Wade, qui,
par conséquent, n'avait pas de temps à perdre pour se mettre en
mesure d'en tirer profit. Il se mit à l'œuvre aussitôt, et en trente-
cinq jours le théâtre fut construit, un théâtre pouvant contenir en-
viron 2,500 spectateurs. Il était situé en bordure de l'avenue
de Suffren, parallèlement et à côté du Grand Théâtre de l'Expo-
sition, dont j'aurai à parler tout à l'heure , tout près du Globe
terrestre et de ce superbe palais Mexicain, si curieux et si caracté-
ristique. La salle, malheureusement assez mal éclairée d'ordinaire,
comprenait un vaste parquet, qu'une balustrade séparait d'un large
pourtour-promenoir, au-dessus duquel s'élevait un spacieux amphi-
théâtre. Point de richesse d'ailleurs, point d'apparence de décora-
tion. On se serait cru volontiers dans un de ces grands cafés-concerts
qu'on élève pour la circonstance dans les grandes foires de province.
La scène ne manquait pas d'étendue, mais , dépourvue de rampe,
elle était, elle aussi, fort mal éclairée, et restait constamment clans
une sorte de pénombre qui nuisait considérablement à l'effet et qui,
lors des représentations pourtant fort intéressantes de la troupe
égyptienne, ne permettait que de voir fort mal des décors qui ne
laissaient cependant pas que de présenter un certain caractère d'o-
riginalité. Partout dans ce théâtre on fumait et l'on buvait. Le prix
des places était de 5 francs à l'amphithéâtre, 2 francs au parquet
et 1 franc au pourtour. Quatre représentations avaient lieu chaque
jour, deux dans la journée, à trois heures et quatre heures et demie,
deux le soir, à huit heures et neuf heures et demie.
Le Théâtre International fit son inauguration le samedi 6 juillet.
Il n'offrit d'abord au publie rien de particulièrement original, et ses
spectacles n'étaient guère autre chose que ceux qu'on voit dans nos
cafés-concerts bien achalandés. Entre autres attraits, on y eut les
expériences d'un prestidigitateur fort habile et bien connu du pu-
blic parisien, M. Bualier de Kolta, et les imitations très amusantes
d'un aitiste aussi très habile en son genre, M. Pichat. A cela se
joignaient des tableaux vivants, l'exécution de chants nationaux de
divers pays par un chœur de trente voix d'hommes, etc.
440
LE MENESTREL
Mais ceci n'était que peloter en attendant partie, et M. Seymour
Wade préparait un coup de maître. Il avait entamé des négociations
avec M. Soliman Cardahi, directeur, non point, comme on l'a dit,
de l'Opéra khédivial du Caire, mais d'une troupe de danseuses,
chanteuses, lutteurs, etc., dépendant peut-être de ce théâtre et du
Khédive, mais n'ayant assurément, malgré son spectacle très sa-
voureux, très original, aucun rapport avec l'importante scène
lyrique égyptienne où l'on représente, tout comme sur nos grands
théâtres d'Europe, les œuvres du grand répertoire musical interna-
tional. Ces négociations avaient abouti, et M. Cardahi avait obtenu
du Khédive l'autorisation d'amener à Paris une troupe d'une tren-
taine d'artistes, choisis parmi les meilleurs de son personnel. Cette
troupe, conduite par lui, s'embarquait à Alexandrie le samedi
17 août, à destination de France, arrivait à Paris huit jours après,
le 24, et donnait, le 31, sa première représentation au Théâtre In-
ternational. Je ne crois pouvoir mieux la faire connaître qu'en re-
produisant ici le programme, à la saveur exotique assez prononcée,
qui se vendait à l'intérieur du théâtre et qui donnait tous les détails
du spectacle.
Voici d'abord pour le personnel et les principaux artistes :
La troupe a été soigneusement choisie par M. Soliman Cardahi, direc-
teur du Théâtre Arabe à l'Opéra Khédivial du Caire, qu'il a accompagnée
en France et qui est le seul qui a eu de grands succès auprès du gouver-
nement égyptien.
La troupe se compose de trente des meilleurs artistes et se divise en
chanteuses, danseuses, musiciens, lutteurs, escrimeurs, joueurs de bâton
et de naboute.
Les chanteuses sont les célèbres Zénahe Effendi, Labiba Effendi et La
Haneme Effendi. Les danseuses, les charmantes Choke Effendi, Amina Effendi
Latifa, Salime et Farida Effendi.
Les musiciens renommés sont: Ckeik Ali Osman, Cheik Mohamed et Selim
Mahmovde. Il y a en outre trois musiciens pour la musique de danse.
Les grands lutteurs de l'Orient Hassan Moustapha, ancien lutteur de Abd-
el-Kader, et Ali Abou-Housman.
Les escrimeurs de première force, Joseph Sâbe, qui a reçu de grandes
récompenses de Rodolphe, kronprinz d'Autriche, de l'empereur Nicolas
de la Russie et de l'empereur du Brésil ; Habib Effendi Fadoube, le célèbre
Syrien, et Kali Effendi. Il y a aussi chez eux des joueurs de canne, etc.
Tous ceux-ci étaient ce que nous appelons chez nous « les vedettes. »
Si les femmes étaient « célèbres » ou « charmantes, » on voit que
les hommes ne leur cédaient en rien, puisqu'ils étaient « renommés, »
ou a grands, » ou « de première force ». Les cadres de la troupe
étaient remplis par les emplois secondaires et par les chœurs de
chant ou de danse. Après les renseignements sur le personnel, le
programme nous offrait des détails sur le spectacle :
La scène représente la forêt du Mont-Liban, en Syrie.
Tableau I. — Les Arabes se vengent du grand héros Antare. — Tableau
II. — La chanson d'amour, par Zenabe et sa compagnie, et des danses
par Latifa avec le sabre.
Décor fantastique.
Tableau III. — Jeux d'escrime donnés par Joseph Sàbe etHabibe Effendi
Fadoube. — Tableau IV. — Les lutteurs Hassan Moustapha et Ali Abou
Housman.
Décor rue de la Mosquée, au Caire.
Tableau V. — Les jeux de canne par Mohamed Mabou et le nègre Has-
san. Jeux de naboute, par Eliasse Ab-Dou et Joseph Sàbe.
Pour le jour, Décor Salle Egyptienne.
Décor pour la nuit, Fontaines lumineuses.
Tableau "VI. — La danse, par Choke Effendi. — Tableau VII. — La
danse, par Amina Effendi. — Tableau VIII. — La danse, par Farida
Effendi. — Tableau IX. — ■ La danse, par Ahaneme Effendi. — Tableau X.
— La danse, par la négresse Hadame. — Tableau XL — Les chants, par
Ali Housman et compagnie. — Tableau XII. — Les chants, par Zenabe
et deux nègres. — Tableau XIII. — Danse par toute la troupe.
Le programme nous faisait connaître en outre que les décors
étaient « peints par le célèbre Mancini, d'après l'Opéra khédivial du
Caire. » C'était, comme l'indique le nom du peintre, des décors à
l'italienne, mais qui ne manquaient ni de caractère, ni de chic, ni
de pittoresque. Entre autres, celui qui représentait la rue de la Mos-
quée, au Caire, était curieux comme plantation et comme effet. Enfin,
une dernière mention, tranchant avec le reste et n'ayant plus rien
d'égyptien, nous annonçait « Gauthier et son orchestre. » En effet,
un orchestre parfaitement européen, placé au fond de l'amphithéâtre
et face à la scène, invisible par conséquent pour les spectateurs du
fond du parquet ou du pourtour, occupait les eutr'acles, pendant
lesquels il se faisait entendre. Et c'était un singulier effet pour les
oreilles musicales que les sons de cet orchestre, faisant succéder
les tonalités de notre système européen à la musique, étrange pour
nous quoique non toujours sans charme, qui accompagnait toujours
sur la scène les chants, les danses et les combats. L'alternance de
ces deux modes de musique proiuisait un contraste saisissant.
On a vu, par les détails mêmes du programme, qu'il ne s'agit pas
ici, comme au Théâtre Annamite, d'une manifestation littéraire et
véritablement scénique, d'un spectacle suivi, logique, régulier, nous
offrant une action dramatique empreinte d'un intérêt passionnel plus
ou moins vif et se présenlant à nous comme un reflet des mœurs,
de la civilisation, des coutumes et des tendances intellecturlles d'un
peuple. Ceci n'est qu'un spectacle de curiosité pure, formant une
succession de tableaux pittoresques et nous mettant simplement au
fait des distractions plus ou moins délicates d'un pays où l'art dra-
matique n'existe en aucune façon, et où l'on ne se propose ainsi
d'autre but que d'amuser, de caresser, de bercer en quelque sorte
les yeux et les oreilles. Ce ne sont que chants, danses, exercices de
corps et d'adresse d'un genre particulier, qui tiennent à l'art d'une
façon presque indirecte et par un fil assez ténu, mais qui n'en sont
pas moins intéressants pour nous autres Européens (je parle de
ceux qui n'ont jamais mis le pied sur la terre d'Afrique), parfaite-
ment ignorants des plaisirs de ce genre qu'on goûte en Orient et qui
n'exigent du spectateur qu'une contemplation passive et silencieuse.
Ici point de passion, point d'émotion, aucun trouble possible pour
l'esprit, nulle part laite au cœur ou à l'intelligence, mais une jouis-
sance calme, paisible, sans surprise et sans secousse, qui s'accorde
on ne peut mieux avec le flegme habituel, imperturbable, de la race
à laquelle elle est destinée.
C'est au Théâtre International, et par les sujets féminins de la
troupe égyptienne de M. Soliman Cardahi, que j'ai eu pour la pre-
mière fois le plaisir (?) de contempler celle chose étrange qui
s'appelle « la danse du ventre », que je devais retrouver partout
ensuite, dans les cafés de la rue du Caire, au Souk tunisien, à
l'esplanade des Invalides, et qui pendant plusieurs mois semble
avoir affolé les Parisiens et hypnotisé les visiteurs de l'Exposition.
Dieu sait cependant si c'était là un spectacle aimable et ragoûtant!
« Le ventre tient à l'Exposition, disait à ce sujet un de mes con-
frères, une place considérable, non seulement en tant que victuailles,
mais en tant que plaisir. Les restaurants font des affaires d'or et
les concerts orientaux ne désemplissent pas. Or, ces concerts sont
l'apothéose du ventre. On n'y ehanle point, on y fait peu de mu-
sique, on y danse, mais, au rebours des danses ordinaires, les
pieds n'ont qu'un rôle secondaire; c'est l'abdomen qui a toute la
besogne. La foule a pris plaisir à ce divertissement qui tient le
milieu entre l'enfantement et le mal de cœur. Chaque mois un
nouvel établissement s'est monté, et les anciens, devant le succès,
ont augmenté leurs prix. Avec la troupe royale égyptienne, qui
vient de débuter, cela fait, sans exagération, une cinquantaine de
ventres qui se trémoussent tous les jours. Trémousser n'est pas
trop dire. Cet exercice dont la grâce est exclue est un simple tour
de force anatomique ; il consiste, le reste du corps demeurant im-
passible, à imprimer au ventre un mouvement giratoire, élévatoire,
ou de lacet ou de galet. Cela fait un va-et-vient assez surprenant,
mais qui ne tarde pas à devenir monotone. Une aigre musique
accompagne ces contorsions qui sont dénuées d'un sens quelconque. »
Dans la même séance j'ai pu trois fois admirer cet aimable exer-
cice au théâtre de l'avenue de Suffren. La première fois par une
jeune femme assez jolie dont les mains étaient armées d'espèces de
crotales ou castagnettes métalliques, qu'elle agitait tandis que sa
danse était accompagnée d'un semblant d'orchestre composé de
deux musettes, d'un tambour lâche et d'une petite caisse claire ;
autour d'elle étaient groupés une douzaine de ses compagnes et
compagnons, qui, sur le rythme de ce singulier orchestre, psal-
modiaient par instants une sorte de chant traînant et dolent, et par
instants aussi l'excitaient en frappant des mains. La seconde fois,
c'était par deux négresses, dont la vue en cette occurrence manquait
absolument de grâce. La troisième fois eulin, c'était par cinq dan-
seuses à la fois, toujours armées des fameuses crolales, qui faisaient
un bruit terrible sans rendre ce spectacle plus affriolant.
Combien était plus curieux le combat au sabre de Joseph Sàbe et
de Kali Effendi ! Toat habillés de blanc, ces deux hommes, munis
de leur long sabro et de leur tout petit bouclier, résonnant sous
les coups répétés de l'arme tranchante, faisaient preuve d'une
adresse vraiment merveilleuse. Mais le plus intéressant, sans contre-
dit, c'était la reproduction de certains tableaux, de certaines scènes
de la vie égyptienne, tout pleins de couleur, do caractère et d'ori-
ginalité; entre autres la grande cérémonio nuptiale, , avec ses épi-
sodes divers et son cortège si pittoresque et si bien réglé, le tout
LE MÉNESTREL
141
si nouveau pour nous. Il y avait aussi l'exécution de certains hymnes
au Khédive, qui, eux non plus, n'étaient pas sans un véritable
intérêt.
En fait, les représentations de la troupe égytienne au Théâtre
International étaient dignes d'attention, et par son afïluence cons-
tante le public a prouvé qu'il y prenait un réel plaisir.
(A suivre.) Arthur Poitgin.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (1er mai). — La Monnaie est tout
entière aux soirées d'adieux ; on passe en revue le répertoire, et l'on donne
aux artistes qui s'en vont définitivement l'occasion de reparaître dans
leurs meilleurs rôles. Et comme, ainsi que je vous l'ai dit déjà, les dé-
parts définitifs sont nombreux, ces dernières soirées sont bien remplies.
D'autre part, on songe déjà aux nouveaux engagements. La nouvelle de
celui de MUo Sybil Sanderson, conclu ces jours-ci assez à l'improviste, a fait
quelque bruit ici. Il sera curieux de voir la créatrice à'Esclarmonde da ns
des rôles nouveaux, qui n'auront pas été écrits pour elle, et dans quelques
œuvres du répertoire qu'elle jouera certainement. En tout cas, cette acqui-
sition met fin aux bruits qui avaient couru de l'entrée de la jolie Améri-
caine à l'Opéra de Paris, dans le Mage de M. Massenet. M. Gailhard se
repentira-t-il de l'avoir laissé échapper ? Peut-être bien. Ce n'est pas
d'aujourd'hui qu'il n'a pas de chance, et que ce qu'il a dédaigné devient
bientôt pour lui un objet de regret. Il vient de lui arriver, cette semaine
même, un nouveau malheur. M. Gailhard a débarqué à Bruxelles, dans
l'espoir de voir Salammbô... Hélas ! justement ce jour-là, M. Renaud étant
tombé malade, on dut remettre la représentation, et M. Gailhard, — très
pressé, parait-il, — a quitté Bruxelles sans avoir vu l'œuvre de M. Reyer!
H sera le seul, décidément, en France, à ne pas la connaître. — Pour le
reste, rien de bien important à vous signaler pour le moment. Concerts
variés, et en attendant le dernier Concert populaire, qui sera donné jeudi
prochain sous la direction de M. Hans Richter. Ce sera la grande clôture '
musicale de l'année. — Au moment de fermer ma lettre, je reçois le
nouvel ouvrage que M. Gevaert vient de publier chez Lemoine, la première
partie du Cours méthodique d'orchestration, œuvre considérable, à la fois
savante et pratique, faite d'érudition, d'expérience personnelle et de tact,
et dans laquelle le maître expose, avec une admirable lucidité et en ap-
puyant ses leçons d'innombrables exemples puisés dans les chefs-d'œuvre
de Haydn, de GlucK, de Weber et de Beethoven, cette science de l'ins-
trumentation qu'il connaît si profondément. C'est un beau livre, et un livre
précieux. — L. S.-
— Composera!... Composera pas!... Cette question Verdi passe à l'état
de scie. Voici ce qu'on ht dans le Trovatore: « Verdi écrit ! ! C'est une grande
nouvelle que nous vous donnons! Contrairement à ce que M. Etienne Des-
tranges a raconté, relativement à un interview qu'il aurait eu avec le
grand maître, et dans laquelle l'auteur de Kigoletto lui aurait dit qu'Olello
a été son dernier mot, nous pouvons assurer, l'ayant appris de source cer-
taine, qu'Otello ne sera point la dernière œuvre du cygne de Busseto. Son
dernier opéra, auquel il travaille en ce moment, sera Giuiiella e Romeo,
sur un livret d'Arrigo Boito. Cette nouvelle est positive. » Après le Roi Lear,
après le Barbier, après un troisième dont nous oublions le nom, nous voici
à Roméo et Juliette. Quand cela finira-t-il?
— La santé du maestro Franco Faccio, d'après le Mondo arlistico, de
Milan. « Les nouvelles que nous avons ne sont pas meilleures, mais ne
font pourtant pas désespérer de la possibilité d'un rétablissement de la
santé de l'illustre artiste. Il s'est maintenant rendu dans une villa prise
en location dans les environs de Monza, où l'ont accompagné sa sœur,
M™ Clara Fabrizi, et le mari de celle-ci, Arrigo Boito et quelques autres
intimes. Sa sœur et son beau-frère resteront avec lui pour le soigner, ainsi
que la gouvernante, qui n'a cessé de lui donner des preuves d'une affection,
d'un attachement et d'un zèle extraordinaires. A la nouvelle de sa situa-
, tion, le gouverneur et toutes les personnes qui appartiennent au Conser-
vatoire royal de musique de Parme, dont il était nommé directeur, ont
adressé à notre cher ami une lettre affectueuse, à laquelle Arrigo Boito
a répondu au nom de la famille. »
I — Comme c'était à prévoir, dit le Trovatore, les représentations de la
Mala Pasqua de M. Gastaldonau Costanzi de Rome, qui avaient été donnée s
dans le but avoué de recueillir quelques fonds pour le Comité des dames
en faveur du concours de tir, se sont terminées avec un très notable dé-
ficit. C'est presque toujours ainsi qu'on encourage en Italie les jeunes
compositeurs.
— Deux concours de composition sont ouverts en Italie : à Florence,
pour la mise en musique du Psaume de David 80, Exultate Deo, etc.; les
musiciens italiens, ou qui ont fait leurs études musicales en Italie, sont
seuls admis à concourir; le prix est do 300 francs, offert par l'Académie
de l'Institut royal do musique de Florence; le second concours est ouvert
par l'Académie Philharmonique do Bologne, pour la composition d'une
messe chorale à quatre voix (deux ténors et deux basses), avec accompa-
gnement d'orgue, à exécuter pour la cérémonie annuelle de Saint-Antoine
de Padoue; cette messe renfermera les morceaux suivants: Kyrie, Gloria,
Graduale, Credo, O/j'vrlorio, Sanctus, Bimediclus et Agnus Dei; pourront concourir
seulement les membres de l'Académie Philharmonique, italiens ou étran-
gers, inscrits dans la classe des compositeurs.
— On signale l'exécution à Florence, dans l'église des Chevaliers, d'une
grande composition religieuse, les Sept Paroles du Christ, dont l'auteur est
M. Emilio Cianchi, secrétaire de l'Académie de l'Institut royal de musique
de cette ville. L'œuvre est, dit-on, d'une véritable valeur.
— Au théâtre Alûeri, de Turin, on a donné avec un médiocre succès
une opérette nouvelle, Cin-ko-ka, dont la musique est due à un composi-
teur viennois, M. Sommer.
— M. Alexandre Guilmant obtient en ce moment de grands succès en
Italie, où il a été appelé à donner quatre séances sur l'orgue de l'Immaculée
Conception à Gènes, patrie de Sivori. Le grand violoniste s'est fait enten-
dre aussi dans ces séances et a été très fêté. Un banquet a été offert aux
deux artistes par les notabilités de la ville.
— Dépêche de Séville : « Lakmé immense succès. Véritable triomphe
pour Nevada. »
— Le théâtre de la Cour de Stuttgart vient de représenter avec, un
succès signalé le Roi l'a dit de M. Léo Delibes. Ce charmant ouvrage ins-
pire les lignes suivantes à la New Musikzeitung : « Cet opéra-
comique est riche en idées musicales dont il faut admirer la fraîcheur.
Delibes fait preuve d'jn goût parfait en restreignant les développements
de ses motifs si gais et si piquants, et en s'abstenant de fréquentes ré-
pétitions qui ne pourraient que détruire l'effet visé. Lorsque les pensées
musicales jaillissent, gracieuses et généreuses, de la fantaisie créatrice
d'un compositeur, comme c'est le cas avec Delibes, il doit lui être facile
de les présenter aux auditeurs sous mille faces diverses et chatoyantes.
L'instrumentation habille avec élégance les piquantes mélodies et dénote
une habileté consommée ; jamais elle n'affecte de ces airs mélodramati-
ques qu'on est surpris de rencontrer si fréquemment dans les œuvres
prétendues gaies de la nouvelle école. L'opéra-comique de Delibes est une
œuvre qu'on prend plaisir à entendre et à réentendre. Parmi les inter-
prètes, il faut placer au premier rang M. Hromada, qui chante et joue
d'une façon irréprochable; puis vient M"e Dietrich, une sémillante
Javotte. Mmcs Kugelmann et Hiefer se sont également bien tirées
d'affaire. La mise en scène était très soignée. »
— Au théâtre de Carlsruhe, M. Félix Mottl, l'un des chefs d'orchestre
svagnériens les plus renommés, vient de monter et de remettre à la scène,
avec succès, l'un des opéras les plus oubliés de Grétry, Raoul Barbe-Bleue.
Pourquoi n'essaierait-on pas en France une reprise de ce genre? Il est
vrai qu'il faudrait que nos directeurs connussent même les titres des opéras
de Grétry, ce qui n'est pas absolument certain.
— Les inventeurs ne savent à quoi s'ingénier. Voici qu'un ingénieur
saxon vient d'imaginer un appareil automatique pour lequel il s'est em-
pressé de prendre un brevet, et qui est destiné dans sa pensée à épargner
aux chefs d'orchestre âgés une trop grande fatigue dans l'exercice de leurs
fonctions. Grâce à cet appareil, et par le moyen d'un simple bouton
qu'il suffit de presser, lesdits chefs d'orchestre pourront faire mouvoir,
avec la régularité précise d'un métronome, un bras mécanique muni d'une
baguette, qui marquera les temps de la façon la plus scrupuleuse !
— A Copenhague, la Société de Sainte-Cécile a clos sa saison musicale
par un concert dont l'intérêt particulier était fort vif, en ce sens que le
programme comprenait uniquement des compositions du dix-septième
siècle soit de compositeurs danois, soit de membres de la chapelle du roi
Christian IV.
— On ne s'ennuie pas à Odessa! Un journal raconte que les abonnés
du théâtre de cette ville ont offert au directeur, M. Setoff, une chemise
de soie, accompagnée d'une poésie dans laquelle on l'engage à conserver
précieusement ce... vêtement pour le jour où il n'en aurait plus d'autre
du même usage, en raison des dépenses folles auxquelles il se livre pour
satisfaire le public.
— Mme de Nori, une charmante cantatrice qu'on a remarquée aux soirées
espagnoles données dernièrement au théâtre du Vaudeville, vient d'être
engagée en représentations extraordinaires au théâtre de Bucharest, où le
public roumain se fait une fête de l'applaudir, M"10 de Nori étant elle-
même de Roumanie.
— La saison des concerts, à Bâle, s'est terminée par une séance supplé-
mentaire, avec le concours de Mmc Sembrich. Les feuilles locales disent
que la célèbre cantatrice était merveilleusement en voix et que son succès
a pris les proportions d'un triomphe, principalement après la valse d'Ar-
diti, Parle I et l'air de la Somnambule.
— La Compagnie Cari Rosa vient de donner au théâtre Drury-Lane, à
Londres, plusieurs représentations de Carmen et de Roméo et Juliette, ainsi
que la reprise d'un opéra de Vincent Wallace, Lurline, qui obtint il y a
quelque quarante ans un très grand succès. Un journal anglais fait remar-
quer à ce propos quo Wallace, dont la renommée pourtant était grande,
142
LE MENESTREL
et d'ailleurs fort légitime, car c'était un artiste extrêmement remarquable,
ne reçut des directeurs Pyne et Harrison que la ridicule somme de dix
sliellings (12 fr. 30 c.) pour le droit de représentation de son ouvrage en
Angleterre. Or, Lurline, dont le succès fut éclatant, rapporta à ces mes-
sieurs la bagatelle de 70,000 livres sterling, soit 1,730,000 francs ! Le reçu
des dix shellings attribués par eux à Wallace est exposé aujourd'hui au
British Muséum.
— A l'Opéra Cari Rosa de Londres, Miss Fanny Moody a débuté dans
Mignon avec un succès retentissant. Les journaux disent que l'héroïne de
l'opéra d'Ambroise Thomas n'a pas eu de titulaire plus parfaite en Angle-
terre depuis Mlle Van Zandt, c'est-à-dire depuis six ans. Dans son ensemble,
la représentation a été très remarquable, sous la direction du chef d'or-
chestre Goossens.
— Voici, s'il faut en croire les bruits qui circulent, qu'on viendrait de
découvrir à Manchester toute une série de manuscrits de Mozart, compre-
nant plusieurs compositions concertantes datant de sa première jeunesse
et des fragments de Mithridate, l'opéra que le maître a laissé inachevé.
Toutefois, on ne dit pas s'il s'agit de manuscrits autographes d'œuvres
connues, ou de compositions inédites ou prétendues telles.
— S'il faut en croire la Pall Mail Gazette, de Londres, la recette totale
faite en Amérique par la tournée Abbey et Grau, avec le concours de la
Patti, de MM. Tamagno, etc., ne s'élèverait pas à moins d'un million de
dollars, représentant cinq millions de francs. Quel coup de filet dans la
poche des Yankees !
— -La nouvelle d'une catastrophe terrible vient d'arriver des Etats-Unis.
La troupe d'opérette de M. Edward E. Rice (Pearl of Pékin Company) voya-
geait dans l'Etat de Virginie quand le wagon-lit dans lequel elle se trou-
vait s'est détraqué près la ville de Staunton et a roulé du haut en bas
d'un endiguement escarpé. M. Louis Harrisson, un des meilleurs comé-
diens d'Amérique, a eu les deux bras brisés; l'on craint pour sa vie.
MUe Myrtle Knox, la prima donna de la troupe, une jeune et jolie artiste,
a été tuée instantanément. Plusieurs autres artistes sont dans un état très
grave.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
C'est hier, à dix heures, qu'a eu lieu le concours d'essai pour la
composition musicale, au Conservatoire. Le concours comprend une
fugue et un chœur. Les candidats entrent immédiatement en loge, où
ils resteront jusqu'à vendredi soir 9 mai. Le jugement de cette épreuve
préparatoire au grand prix de Rome sera prononcé le samedi 10, à dix
heures du matin. Et c'est six jours plus tard que sera prononcé le
jugement des cantates, dont les paroles serviront de thème aux jeunes
compositeurs qui seront admis à prendre part au concours définitif.
— Quel beau feu, et comme on voit bien que la Commission du
budget des Beaux-Arts va se réunir prochainement pour prononcer sur
les destinées de MM. Ritt et Gailhard! L'Opéra donne encore aujourd'hui
dimanche une représentation populaire à prix réduits. On représentera
l'Africaine, avec MUo Pack dans le rôle de Sélika. Les deux directeurs
auront beau se démener, ils n'arriveront jamais en temps voulu au nom-
bre de représentations populaires qui leur était imposé par le cahier des
charges. Ils ont pour cela trop de retard. Rien ne sert de courir, il faut
partir à temps.
— Au même Opéra, les répétitions générales de Zaïre vont commencer
cette semaine. Le compositeur, qu'on n'avait pas beaucoup vu jusqu'ici,
tant il se dérobait devant les mauvais procédés de MM. Ritt et Gailhard,
commence à montrer le bout de son nez de temps à autre. Il a compris
qu'il ne pouvait ainsi abandonner son œuvre au hasard ; il surmontera,
pour cette raison, tous les mépris et tous les dégoûts qu'il peut avoir au
fond du cœur.
Le Bulletin des lois enregistre l'ouverture de la pension de retraite d'un
certain nombre d'artistes de l'Opéra. Le violoniste Lancien, chef de pu-
pitre à l'orchestre, après trente-quatre ans de services reçoit une pen-
sion de 1,511 francs ; M. Lalliet, également chef de pupitre à l'orchestre,
reçoit une pension de 1,310 francs après vingt et un ans de service; deux
autres artistes de l'orchestre, MM. Dihau et Dumas, reçoivent respecti-
vement des pensions de 1,105 et 947 francs, après vingt-six et vingt-deux
ans de services; Mm0 Victorine Jousset, artiste de la danse, reçoit une
pension de 821 francs, après vingt et un ans de services; Mme Marie de
Uonde, artiste des chœurs, reçoit une pension de 1,020 francs, après vingt-
cinq ans de services; M. Emile Perrot, artiste du corps de ballet, reçoit
une pension de 649 francs, après trente ans de services. — Rappelons à
ce propos que M. Lancien, premier prix de la classo d'Alard en 1852, et
qui depuis longues années était à l'Opéra 'chef d'attaque des premiers
violons, a rempli le même poste aux Concerts populaires de Pasdeloup
psndanl toute leur existence, c'est-à-dire pendant environ vingt-cinq ans,
sans en jamais manquer un seul. Son camarade Dumas, qui lit partie de
la Société des concerts, était aussi élève de la classe d'Alard au Conser-
vatoire, où il obtint le premier prix en 18-47.
— Il est question, à l'Opéra, de la retraite prochaine de M""' Zina Mê-
lante, l'excellente directrice de la classe de danse, à qui l'état actuel de sa
santé, ne permettrait pas de continuer ses leçons. On met en avant, comme
pouvant recueillir sa succession, les noms de M"'8 Théodore, Laure Fonta,
Sanlaville et Berthe Bernay. On pourrait y ajouter sans doute celui de
Mlle Léontine Beaugrand, qui semblerait également indiqué.
— A l'Opéra-Comique, la première représentation de Dante, le nouvel
opéra de MM. Benjamin Godard et Edouard Blau, tient toujours pour
mercredi prochain, 7 mai. Il parait que c'est l'anniversaire de la pre-
mière apparition du Roi d'Ys, et M. Paravey parait attacher une certaine
importance à cette coïncidence des deux dates. Heureux les directeurs
qui n'ont pas d'autres préoccupations!
— Comme nous l'annonce notre collaborateur Solvay dans sa petite
correspondance de Belgique, Mlle Sybil Sanderson a signé un engagement
pour la saison prochaine avec MM. Stoumon et Calabresi, directeurs du
théâtre de la Monnaie de Bruxelles. C'est un acte de sagesse ; cette char-
mante personne pourra compléter là tout à son aise son éducation artis-
tique et nous revenir plus forte et plus sûre d'elle-même quand il en sera
temps : « Faut-il conclure de là, dit M. Besson de l'Événement, que
Wle Sanderson créera à Bruxelles la Kassia de Léo Delibes ? » Pas du tout,
cher confrère ; M. Delibes n'a nullement l'intention de faire passer la
frontière à sa dernière œuvre, qui, d'ailleurs, n'est pas encore achevée. Il
attendra une occasion favorable de la présenter aux Parisiens. De plus,
le rôle de Kassia n'est pas du tout écrit dans la voix de Mlle Sanderson. Il
y faudrait un mezzo-soprano quelque peu élevé, et plus de sentiment
dramatique que de tours de force de vocalisation : quelque chose comme
une Galli-Marié bien en voix ferait parfaitement l'affaire. Mais où trouver
cet oiseau rare?
— Le déblaiement complet du terrain de l'ancien Opéra-Comique, où
avait été édifiée, pendant l'Exposition, la salle du concert Favart, a été
terminé mercredi dernier.
— L'assemblée générale annuelle de l'Association des artistes musiciens
aura lieu le mercredi 13 mai, à une heure précise, dans la grande salle du
Conservatoire. Ordre du jour: 1° compte rendu des travaux du comité
pendant l'année 1889, par M. Paul Rougnon, secrétaire-rapporteur;
2" élection de quinze membres du comité. Les sociétaires qui se présentent
comme candidats au comité sont invités à se faire inscrire, avant le 13
mai, au siège de l'Association, rue Bergère, 11.
— Un de nos grands confrères quotidiens publie la petite note que
voici : « M. Brasseur ayant traité depuis un mois avec M. Alhaiza, direc-
teur du Théâtre-Molière de Bruxelles, pour la location du théâtre des
Nouveautés, se verra obligé d'interrompre bientôt les Ménages parisiens.
M. Alhaiza a l'intention de transporter à Paris, non seulement sa troupe
d'artistes, mais le personnel de son orchestre et son matériel de costumes
et de décors. Il débutera par le Voyage de Chaufontaine, un opéra-bouffe
composé en 1757 par Hammal, qui fut le maître de Grétry, et dont la
partition vient d'être retrouvée aux archives du Conservatoire de Liège. »
Jean-Noël Hamal ne fut pas, comme le dit cette note, le maître de Grétry,
bien que tous deux fussent Liégeois de famille, de naissance et d'éduca-
tion: avant de partir pour l'Italie, où il se forma surtout, Grétry n'eut
d'autres maîtres en son pays que trois artistes nommés Leclerc, Renekin
et Moreau. Mais Hamal, qui, lui aussi, visita l'Italie, où il se lia avec
Amadori, Durante et Jomelli, n'en était pas moins un artiste de grande
valeur. Entre autres compositions, il écrivit deux grands oratorios, Jonathan
et Judith, et plusieurs opéras bouffes sur des livrets non français, mais
conçus dans ce patois de Liège si curieux et si amusant. De ce nombre
est le Voyage de Chaufontaine, dont le titre véritable est H Voegge di Clio-
fontaine, et que M. Alhaiza aurait l'intention de nous faire connaître. La
tentative pourra ne manquer ni de piquant ni d'intérêt. En tout cas. elle
sera vraiment musicale.
— Mercredi dernier, les Bouffes-Parisiens ont donné la première repré-
sentation d'un petit opéra-comique en un acte, les Trois Souhaits, dont le
livret, tiré, bien entendu, du conte de Perrault, a été écrit par l'auteur de
la musique, M. Georges Villain.
— M- Cobalet, l'excellent artiste de l'Opéra-Comique, est sur le point de
partir pour Londres, où il va remplir l'engagement contracté par lui pour
la saison italienne du théâtre Covent-Garden comme première basse-
baryton.
— Le « Nouveau-Théàtre-Lyrique-Français» de Rouen, ou tout bonnement
le théâtre des Arts, continue de faire parler de lui. Il a dû donner ven-
dredi dernier la première représentation d'un opéra-comique inédit en un
acte de M. Alexandre Georges, le Printemps, et hier samedi celle d'un ou-
vrage beaucoup plus important, la Coupe et les Lèvres, opéra en cinq actes,
imité d'Alfred de Musset par M. Ernest d'Hervilly, musique de M. Gus-
tave Canoby. Après quoi... il doit fermer ses portes, sa saison étant ter-
minée.
— Mu° "Wita Carritte, une jeune et jolie Américaine, douée d'une belle
voix de soprano, vient d'être engagée par M. Harris pour la saison d'opéra
au Covent-Garden, de Londres. M"c Carritte est une élève de M"10 Aima de
Lagrango.
— Nous empruntons à la Gazette de Francfort du 23 avril le compte-rendu
suivant : « Il est parmi beaucoup d'Allemands comme un axiome, que les j
Français ne possèdent pas de véritables chansons populaires. C'est une j
grave erreur, qui tire son origine de ce fait que les Français n'ont re- ]
cueilli le trésor do leurs chants populaires qu'après les Anglais et les
LE MENESTREL
443
Allemands. Mais ils uni, depuis lors, regagné le temps perdu par un
redoublement de zèle... En ces dernières années, un concours de l'Aca-
démie des beaux-arts a produit une œuvre étendue d'un jeune savant et
musicien, M. Julien Tiersot, où se trouvent résumés, dans une histoire
de la chanson populaire française, les résultats les plus récents de ces
études. Hier soir,, enfin, l'auteur de ce livre a risqué l'entreprise hardie
de présenter le résumé de ses recherches au public de la salle des Confé-
rences du boulevard des Capucines, et, joignant la pratique à la théorie,
il a fait entendre lui-même, avec une très agréable voix de ténor, quel-
ques-unes des plus jolies chansons populaires. Le public n'était pas aussi
nombreux qu'aux conférences boulangistes, antisémites ou anarchistes
de Naquet, Laur ou Louise Michel, mais, en fin de compte, il était mani-
festement plus d'accord dans l'approbation que pour ces discours incen-
diaires. Comme la perle de la chanson populaire française, M. Tiersot a
donné la chanson de Jean Renaud, qui, si je ne me trompe, doit se trouver
aussi dans les recueils de chansons populaires en Allemagne... Son carac-
tère sombre n'est pas une exception, mais presque la règle. Même des
chansons gaies et spirituelles seront souvent chantées par le peuple sur
un ton traînant et une mélodie mélancolique, tandis que le contraire, des
mélodies gaies sur un texte sérieux, à la manière des opéras italiens, est
beaucoup plus rare. M. Tiersot a pu aussi retrouver le chant d6s labou-
reurs du Berry décrit par George Sand dans la Mare au Diable... Cette
autre chanson du Pauvre Laboureur est extrêmement mélancolique. M. Tier-
sot regrette, comme tous les folk-loristes, que les refrains de cafés - chan-
tants et même des opérettes supplantent de plus en plus dans le pays le
vieux chant populaire, même dans les provinces les plus riches en chan-
sons, comme la Bretagne, où cependant l'ancienne langue celtique tient
encore la place du français, et, par là, la chanson populaire y est mieux
protégée qu'ailleurs. »
— Le Conservatoire de Nancy, succursale du Conservatore de Paris,
vient de s'enrichir d'une importante collection de musique française et
étrangère d'auteurs peu connus pour la plupart, collection qui lui a été
offerte par M. le docteur Parisot, frère de l'artiste distingué et si regretté
qui en était possesseur. Cette bibliothèque musicale, connue sous le nom
de collection Henry Parisot, va permettre au Conservatoire de Nancy de
créer un cours d'accompagnement pour les jeunes artistes, et sera pré-
cieuse aussi pour les professeurs, qui trouveront là un recueil de musique
savante.
— M. Gounod est arrivé dimanche soir à Douai, à cinq heures, venant
de Paris. Le maître venait diriger les dernières repétitions de Sapho, dont
l'exécution a eu lieu au cours d'un concert de bienfaisance donné le len-
demain. La foule, qui attendait l'auteur de Faust sur la place de la Gare,
lui a fait une véritable ovation. Par une attention à laquelle le maître a
paru fort sensible, la musique d'artillerie a joué le chœur des Soldats de
Faust au moment où il entrait en ville.
CONCERTS ET SOIRÉES
Où est le Paris qui eût pu, l'autre jeudi, au Cercle de l'Union artistique
décerner sans hésitation le prix à la toilette la plus élégante? Il n'est
guère moins embarrassant de donner la pomme au vainqueur de tournoi
musical qu'on nous conviait à juger. Prudemment, et équitablement d'ail-
leurs, je la diviserai en beaucoup de tranches et chacune en aura sa part.
Voici le prince de Polignac (fragments du Roi de Thulé) et M. Ch. Grisart
(fragments inédits du Bossu, qu'on acclame et qui viendront l'un et l'autre
partager leur gloire avec leurs vaillantes interpiètes, Mmcs Krauss et
J.Thibault. Voici M. Saint-Quentin, dont la Sérénade est chantée, à ravir
par M. Engel, et dont lapoétique Prière du matin prend sur les lèvres en-
fantines et déjà inspirées de Marguerite Naudin un accent enchanteur
(bissé). Voici M. de Boisdeffre, dont la muse rêveuse fait résonner dans
la Forêt les plus suaves mélodies. Voici M. J. Cohen, dont M"c Renée
Langlois rend d'un archet pieusement magistral un doux andante
relùjioso, auquel succède un éclatant Sanctus (hissé). Distinction, finesse,
joli contour mélodique dans les délicates et trop courtes pièces d'orchestre
de M. A. Duveruoy, de M. Chaumet etdeM.Ch. Malherbe. Quand j'aurai
encore cité à l'ordre du jour MM. de Wailly et d'Harcourt. qui ouvraient
et fermaient brillamment la séance, je n'aurai, je crois, oublié personne
et ce sera justice. — Paul Collin.
— On ne saurait trop louer M. Ed. Nadaud de la composition des pro-
grammes de ses concerts. Le dernier comprenait un quatuor inédit pour
instruments à cordes, de M. Gounod, véritable merveille de style et
de facture, qui a été exécuté dans la perfection. Après la sonate
pour piano et violoncelle de M. Saint-Saëns, remarquablement rendue
par M110 de Monvel et M. Cros-Saint-Ange, nous avons entendu l'Esclave,
de M. Lalo, et Chanson ancienne de M. Sauzay, avec violon obligé. Ces
deux mélodies ont été chantées dans un grand style par Mmo Conneau ;
M. Nadaud a eu sa large part de succès dans la Chanson ancienne. Dans
Kàuditoire on remarquait, outre M. Gounod, la présence de M. Ambroise
Thomas, à qui M. do Boisdeffre a dédié son nouveau sextuor. Cette com-
position fort distinguée a obtenu un succès très mérité.
— La Société nationale, plus que jamais pleine d'activité, a donné cette
Bfimaine deux concerts en trois jours, et, dans l'un (samedi 19 avril, salle
Pleyel), elle a fait entendre pour la première l'ois une œuvre capitale, un
nouveau quatuor à cordes do M. César Franck. C'est une œuvre d'une
beauté sereine et d'une incomparable élévation. Le premier morceau,
d'une coupe très neuve, commence par un mouvement lent assez déve-
loppé, qui sert d'introduction à un allegro coupé en deux parties inégales
par un épisode fugué, sur le thème lent du prélude, lequel, par sa forme
et son inspiration, évoque l'idée des plus grandes pages de Bach, sans
trahir d'ailleurs nulle réminiscence. Son thème principal revient dans
tous les morceaux du quatuor : d'abord un scherzo en sourdines, de carac-
tère fantastique, avec le mouvement duquel il forme une opposition très
accusée; puis un larghetto qui débute par une longue phrase, magnifique-
ment développée, où la mélodie déborde, et d'une inspiration toute bee-
thovénienne; enfin un finale très animé où reparaissent tour à tour, traités
avec la science que personne ne conteste à l'auteur dos Béatitudes, tous
les thèmes précédents : à signaler notamment le retour du chant du lar-
ghetto, surgissant après un développement vif et passionné, le continuant
et le prolongeant avec une puissance d'expression d'une intensité extraor-
dinaire. Il est inutile d'ajouter que le public de la Société, que l'on sait
n'être pas hostile à ces tendances, a fait à M. César Franck une ovation
prolongée; mais il serait injuste de ne pas signaler la très remarquable
exécution donnée de cette œuvre, nouvelle pour les interprètes comme
pour le public, par le quatuor de la Société, MM. Heymann, Gibier,
Balbreck et Liégeois. Les autres morceaux du programme se sont un peu
ressentis, pour la plupart, de ce voisinage absorbant : c'étaient deux mélo-
dies de M. S. Lazzari, chantées par une gracieuse cantatrice, M"e Bertha
Herman; des pièces de piano de MM. Diémer, Pfeiffer et Stojovski (un
lauréat des derniers concours du Conservatoire, où il étudiait la compo-
sition et le piano sous MM. Léo Delibes et Diémer) exécutées par M. Diémer
avec le talent qu'il est superflu de constater une fois de plus ; deux mélo-
dies de M. E. Chausson, d'un sentiment très contemplatif ; deux autres
aimables mélodies de M. Diémer, Fleur éphémère et Chanson de printemps,
chantées avec talent par MUo Marcella Pregi, enfin le Poème des montagnes
de M. V. d'Indy et la transcription à deux pianos de Lénore, le remarquable
poème symphonique de M. H. Duparc. — Le lundi 21 a eu lieu, à la salle
Erard, un concert d'orchestre et chœurs. Celui-ci a été contrarié, ou du
moins écourté, par le retrait au dernier moment de deux œuvres portées
au programme, et même répétées : mesure fâcheuse qui, bien que prévue
et défendue par les statuts de la Société, a, par une tolérance peut-être
excessive, été néanmoins autorisée. Parmi les sept morceaux restant au
programme, il faut signaler surtout : le prologue à'Azaël, drame lyrique
de M. Léon Husson, dont la musique a d'excellentes qualités dramatiques
et expressives; une mélodie de M. Ch. Bordes, sur des vers de M. Ver-
laine : Dansons la gigue, pu un thème de danse populaire forme une oppo-
sition très caractérisée avec une partie triste, dont l'expression est intense;
le prologue de la Passion, mystère de M. Haraucourt, musique de M. G. Fauré,
d'un très beau sentiment religieux, avec ses formes sévères, sa tonalité
archaïque, ses basses nobles et solidement marquées, dans la manière de
Bach; enfin une ouverture de M. Lucien Lambert, des mélodies de
M. G. Huê et de Mmc de Grandval, et un prélude de M. Jacques Durand.
Quelques personnes, trompées par les changements apportés au dernier
moment, suivaient pendant le morceau de M. Durand sur le programme
destiné au prélude des Noces corinthiennes de M. Camille Benoit, qui n'a
pas été exécuté; elles n'ont pas manqué d'y découvrir une concordance
étroite entre la musique et les vers de M. Anatole France, dont le senti-
ment religieux leur a paru très bien exprimé par un choral franc et
sonore, lancé par tous les cuivres. L'exécution, à laquelle ont pris part
Mmea Brunet-Lafleur et Fanny Lépine, MM. Warmbroodt et Gilibert, a
été dirigée tout entière par M. Vincent d'Indy, qui, par la sûreté, la fer-
meté de main et la justesse d'interprétation dont il a fait preuve, a pro-
duit là un nouvel argument vivant en faveur de la cause du compositeur
chef d'orchestre. — La Société donnera encore un dernier concert, avec
orchestre et chœurs, le 17 mai; on y entendra des œuvres nouvelles de
MM. Bourgault-Ducoudray, Paul Lacombe, G. Fauré, C. Franck, Marty,
de la Tombelle, etc. Puis, l'hiver prochain, elle commencera sa vingtième
année d'existence. Durant ces dix-neuf ans, elle n'a jamais cessé d'être
au service des jeunes compositeurs français, entre les mains desquels elle
a toujours été : tour à tour c'a été Bizet, de Castillon^ MM. Saint-Saëns,
Massenet, Guiraud, Lalo, César Franck, etc. A mesure que de plus vastes
théâtres s'ouvraient à chacun de ces maîtres, ils laissaient la place à de
nouveaux venus ; l'on sait à quelles mains sont aujourd'hui confiés les
intérêts de la Société : les noms cités dans ce seul article sont assez nom-
breux et significatifs pour témoigner du large esprit d'éclectisme dont elle
est plus que jamais animée. Je ne parle pas du désintéressement plus
que complet de ceux de ses membres qui en ont le plus particulièment la
direction, et qui lui consacrent la plus grande partie de leur temps sans
autre préoccupation que celle d'être utiles à l'art. Je pense que de
pareils services et des travaux si intéressants méritent bien d'être appré
ciés avec des paroles courtoises. Julien Tiersot.
Soirées ei concerts. — Le septième conceit annuel, organisé par M1"" Marchesi
au profit des œuvres de Montmartre, a eu Heu mardi dans les salons de l'Hôtel
continental. M"'" Melba s'y est surpassée dans le duo à'Hamlel avec M. Delmas, et
dans l'air de Lucie, accompagné par la flite magique de M.Taffanel. Le •■ pianiste
du jour », M. Padcrewski, a trouvé à ce même concert le succès enthousiaste
auquel le public parisien l'a habitué, et MM. Ilassehnans et Talïanel, nos deux
grands virtuoses, ont été couverts d'applaudissements bien mérités. M"0' Risley
et Komaromi, deux élèves de M"" Marchesi, douées de superbes voix et d'une
excellente méthode, ont contribue au succès de la soirée avec le beau duo d'Atoi-
144
LE MENESTREL
Hamet, de M. Th. Dubois. N'oublions pas la violoniste viennoise M"° Neusser, qui
a su se faire beaucoup apprécier en exécutant des morceaux de Monasterio et
de Sarasate, ainsi que le quatuor des dames Vormese, Huon, Riwinach et Maleyx,
qui a ouvert la séance par un fragment du 77° quatuor d'Haydn. La recette a dépassé
10,000 fr. et la qu3te a rapporté près de 900 fr. — Chez M"0 Gabrielle Krauss a eu lieu,
le 26 avril dernier, une très brillante soirée musicale. La plupart des morceaux exé-
cutés étaient de M. Francis Thomé. Le violoncelliste M. Casella s'y est fait aussi ap-
plaudir, de même que M. Hasselmans, le harpiste si remarquable. M"' du Minil a
déclamé la Fiancée du Timbalier, de Victor Hugo, avec la musique de M. Thomé,
arrangée pour petit orchestre. Enfin, Mra0 Krauss a été acclamée, selon son habitude.
— Lundi a eu lieu la dernière séance de M. Mendels. Au programme un trio de
M. Lazzari, pour piano, violon et violoncelle, dont les deux morceaux intermé-
diaires, un andante d'un beau sentiment et un joli scherzo, sont les plus réussis. Il
y a quelques longueurs et des développements inutiles, dans le reste de l'œuvre,
qui, malgré ce reproche, reste fort intéressante. MM. Philipp, Mendels et Casella
l'ont brillamment interprétée. MM. Philipp et Casella ont dit aussi d'une façon re-
marquable la belle sonate en ut mineur de M. Saint-Saëns. M",e Duvernoy a chanté
avec un beau style l'air d'Hérodiade, de M. Massenet, et une mélodie de M. Guiraud.
M. Philipp a fait entendre quelques courts morceaux, dont une Arabesque de sa
composition. — M. Magdanel a donné un concert avec le concours de M"° Pou-
get et de M. I. Philipp. Il s'y est montré virtuose de grand talent dans un con-
certo de Servais, dans divers morceaux de MM. Widor et Popper, et musicien
parfait dans une sonate de M. Saint-Saëns, jouée avec M. Philipp. M"° Pouget,
très en voix, a admirablement chanté une mélodie de M. Saint-Saëns et un air
d'Ariodant, et M. Philipp a joué avec un style charmant plusieurs pièces de
Chopin. — Samedi dernier, le programme de la Société de musique d'ensemble
dirigée par M. René Lenormand, renfermait un certain nombre d'ouvrages de
M. Widor. Le grand succès a été, comme toujours, pour la ballade de Maître
Ambros, chantée par M"0 Lépine et accompagnée par l'auteur. Citons encore parmi
les œuvres les plus applaudies, VOiseau léger, mélodie pour chant , violon et
violoncelle de M. Lenormand, et la Marguerite deSchubert, chantée par Mme Ruefl.
~ A la dernière soirée musicale de M"° Martin, M. Joseph White s'est fait entendre
dans la Cavatine de Raft et le trio en ut mineur de Mendelssohn. Il a eu un
grand succès avec la Zamacueca, danse chilienne, transcrite par lui pour le violon
et pleine d'effets originaux et inattendus. — L'audition des élèves de M™0 Canivet,
entièrement consacrée aux œuvres de M. Théodore Lack, a été un grand succès
pour toutes. Parmi les morceaux les plus applaudis, signalons particulièrement
la belle et brillante paraphrase à deuxpianos sur Coppélia, qui produit toujours un
effet prodigieux, et le duo sur la Juive, merveilleusement interprété par la char-
mante virtuose M"'' Depecker, professeur aux cours de M"" Canivet, et M. Staub,
l'élève favori de M. Diëmer. Cette intéressante séance fait grand honneur au par-
fait enseignement de M"" Canivet et à celui de son intelligente collaboratrice,
M"0 Depecker. — Très réussie également la réunion des élèves de M110 Barbier-Jussy,
où nous avons entendu, entre autres jolies choses, bisser avec enthousiasme l'Oi-
seau-Mouche, la ravissante bluette de M. Théodore Lack. Très remarquées aussi les
jolies marches à quatre mains de M. Georges M&thi&s : Marche chinoise eiMarchemau-
resque. — La réunion annuelle des élèves de piano de Mrop Chauvin avait lieu jeudi
dernier, à la salle Erard, devant un nombreux et brillant auditoire. Les élèves de
MmL' Chauvinjouent toutes en musiciennes, quelques-unes en véritables virtuoses,
teiles que M11" Vaucorbeil, Goguet et Jeanne Tavant. Cette dernière a exécuté la
célèbre Valse arabesque de M. Th. Lack avec beaucoup de charme et d'élégance.
Tous nos complimentsau vaillant professeur sur la perfection de son enseignement.
— La Gironde du 26 avril nous apporte le grand succès de M"" Rose Delaunay à
la représentation-concert donnée par la Société des soirées intimes de Bordeaux.
Elle a surtout été acclamée dans l'Amour est un enfant trompeur, de Martini, et
dans la Tarentelle, de M. Th. Dubois, morceau très difficile qu'elle a enlevé avec
un brio étourdissant et qui a été bissé d'enthousiasme. — Au compte-rendu du
dernier concert de M"1 L. Steiger, notre rédacteur a oublié de mentionner l'exé-
cution par la jeuDe artiste du beau concerto capriccioso de M. Th. Dubois et le
grand succès qu'elle y a obtenu.— M1K' Bertucat, l'excellent professeur de chant,
a donné son concert la semaine dernière et a été fort applaudie. Parmi les mor-
ceaux qui ont produit le plus d'effet, citons la jolie Valse mélancolique de
M. Th. Dubois, très bien chantée par M"° Bertucat et un chœur de jeunes filles
aux voix ravissantes. — Le 21" concert donné au profit de l'hôpital Hannemann,
salle Pleyel, a été très brillant. M"" J. Duran, de l'Opéra-comique, y a très bien
chanté la valse du Pardon de Ploérmel et deux ravissantes mélodies de M. Emile Bour-
geois. M™ Cornélie Gouay s'y est fait applaudir aussi, ainsi que M"" deTchertoff;
M. Carlo Schmidt très applaudi dans la Charité de Faure. L'un des succès de la
soirée a été pour le charmant duo de M. Emile Bourgeois, la Tourterelle et le Papillon,
fort bien dit par M"" J. Duran et de Tchertoff et accompagné par l'auteur.
— Brillante et nombreuse assemblée au concert du violoniste-compositeur Péna
vaire, qui a fait applaudir plusieurs de ses œuvres vocales et instrumentales, fort
bien interprétées par M™1 Carol- Vincent, de Roskilde, de Bar et MM. Gillet, Di-
mitri, Rbnchini, de Léry, etc. Les fragments du Contrai et de la Fée de Mérindol,
opéras de M. Pénavaire, ont été fort appréciés. — Le programme très intéressant
du concert donné par M"° Lucie Jusseaume, premier prix du Conservatoire, avait
attiré un nombreux auditoire à la salle Erard, où la jeune pianiste a été vivement
applaudie. Grand succès aussi pour les artistes remarquables qui lui prêtaient
leur concours : M- Leroux-Ribeyre, M. Paul Viardot, M"" Marie Panthès et
M. Charles Jobert. — Le 29 avril, M'1' Kryzanowska a donné, Salle Erard, un
concert de charité, avec le quatuor classique et le concours de M"° Novvocka.
De nombreux applaudissements on t accueilli non seulement les morceaux de Chopin
et de Liszt, exécutés par M"" Kryzanowska avec beaucoup de brio et d'expression,
mais encore ses compositions: Gavotte et Romance en la. — Salle Érard, ven-
dredi 11 avril, concert avec orchestre, sous la direction de Ed. Colonne, donné
par M11" Louisa Collin, premier prix du Conservatoire de Paris et professeur au
Conservatoire de Nancy. Cette soirée a été un véritable triomphe pour elle. Avec
un tel professeur, le Conservatoire de Nancy doit espérer beaucoup des élèves
d'une artiste dont la place serait, certes, à Paris parmi nos pianistes les plus émi-
nents. — Très réussi le concert donné, vendredi dernier, salle Kriegelstein, par
M"* Clarisse Yvel, une jeune et charmante cantatrice qui fait grand honneur à son
professeur, M™" Vachot. M11" Clarisse Yvel a été applaudie àla fin de chacun de ses
morceaux; on lui a même fait bisser l'Espoir en Dieu, la nouvelle et si belle mélodie de
Faure. — Au festival Galin-Paris-Chevé, dimanche, au Trocadéro, les exécutions d'en-
semble et les épreuves de lecture à vue, par les élèves de l'école, alternaient avec
d'agréables intermèdes où nombre d'artistes aimés du public se sont fait applaudir,
entre autres M"" de Montalant, M"" Noblet. MM. Gennaro, de Feraudy, de la Co-
médie Française, Palianti, Boussagol et Frémaux, de l'Opéra. Ce dernier a obtenu
un vif succès avec l'air d'église de Stradel'a, transcrit par Lefëbure-\Vely, avec
accompagnement par les élèves des cours de violon, lesquels se sont également
distingués dans les pizzicati de Sylvia, qui leur ont été bissés. Le baryton Chardot
a dit d'une voix pleine de charme la mélodie de M. Léon Schlesinger, Si tu vou-
lais, accompagnée par l'auteur. — Pleine d'entrain et de gaieté, la soirée du cercle
œ La Franquette », dimanche, au théâtre de la Galerie Vivienne. La partie musi-
cale a révélé plusieurs artistes d'un réel mérite : M'"0 de Montcaup, qui a charmé
l'assistance en chantant le Clair de lune, de Campana, M"° Montelly, très applaudie
dans une valse chantée, M. Barcier, dont l'agréable voix de baryton a rendu à
merveille le Rêve du prisonnier, de Rubinstein. — Le violoniste Achille Dien est
un artiste de très grande valeur, comme on l'a pu voir à la salle Érard« Parmi
les morceaux inscrits au programme de M. Dien, il convient de citer la char-
mante Mélodie de M. Bourgault-Ducoudray. Une Étude de concert du même auteur a
été interprétée avec toute la fougue voulue parM"' Marie Jaëll, qui a fait entendre
également la poétique romance sans paroles, Souvenirs lointains, de M. Léo De-
libes. M"1 Leroux-Ribeyre a fait apprécier la pureté de sa voix et de son style
dans plusieurs mélodies. — Dans un grand concert donné dernièrement, on a fort
applaudi le baryton Jules Diaz de Soria dans des mélodies de Lassen et le trio
d'Hamlet, chanté avec Mm" Panchioni et S. Van Brock. Un autre baryton du plus
grand talent, M. Chassaing, a chanté aussi avec succès les Hameaux, de Faure, et son
duo du Crucifix avec le ténor Dupuy, qui, de son côté, s'est fait applaudir dans la
romance deLakmé. Mm0 Panchioni aétë très applaudie dans l'Ave Maria de Gounod,
M"0 Van Brock dans l'air de Psyché et le Rêve du Prisonnier, de Rubinstein. Très
belle soirée. — Mardi dernier, audition des élèves de M. Béer en son hôtel de la
rue Duperrë, au milieu d'un public des plus choisis. Très bonne interprétation
de fragments de Lakmé par Mlk' Dagmar et M. Obert. M™" Kévary, de l'Opéra-
Comique, a fort bien chanté la légende du Paria, accompagnée par l'auteur, Léo
Delibes, qui a été chaleureusement fêté.
Concerts annoncés. — La Société « Euterpe » donnera une audition de la Lyre
et la Harpe, de M. Saint-Saëns et du Requiem de Schumann, avec le concours de
M"" Menuisier et Lalo, de MM. Warmbrodt et Auguez, le 5 mai, salle Erard. —
Vendredi soir 9 mai, à la salle Pleyel, concert de M""1 Marie Rueff. — Le concert
de Mm0 Marie Minaldi n'a pas eu lieu le 8 aval dernier, par suite de l'indispo-
sition de plusieurs artistes. Il est remis à une date ultérieure.
NÉCROLOGIE
De Rome on annonce la mort du compositeur Alessandro Orsini, ex-
bibliothécaire et depuis 1873 professeur de chant à l'Académie de Sainte-
Cécile. Pendant plusieurs années il avait été chef d'orchestre et avait
écrit la musique de plusieurs opéras, dont un seul, la Modista alla carte,
fut représenté. Outre quelques ballets, on lui doit aussi diverses compo-
sitions religieuses, un Ave Maria, un Benedictus, un Hymne de la Pentecôte,
etc., différentes pièces d'orchestre, et un recueil de 42 Études d'harmonie
pratique. Enfin, il avait publié un. petit écrit intitulé Considérations générales
sur l'art du chant, et s'était vu couronner pour plusieurs cantates envoyées
à différents concours : Lamberti di Pavia, il Genio di Roma, et une cantate
écrite pour l'inauguration du monument de Gavour à Turin. Orsini était
né à Rome, le 24 janvier 1842.
— A Cheltenham vient de mourir le compositeur John Barnett, dont les
opéras, inconnus de la génération actuelle, eurent à leur heure une cer-
taine vogue. Né en 1802, à Bedford, de parents prussiens, Barnett com-
mença son éducation musicale sous la direction de C.-E. Horn et da
Price, ce dernier chef de chœurs au théâtre Drury Lane ; plus tard il de-
vint élève de F. -Ries, pour l'harmonie. Ses premiers essais au théâtre
datent de 1825, alors qu'il lit représenter au Lyceum une bouffonnerie
musicale intitulée Avant le déjeuner. Cinq ans après il donna Charles XII.
grand opéra, au théâtre Covent Garden. En. 1832 il fut engagé par
Mme Vestris, au théâtre Olympic, . en qualité de directeur musical. L'ou-
vrage qui établit le mieux sa réputation fut le Sylphe de la Montagne,
produit au Lyceum. Cet opéra fut suivi de deux autres : la Belle Rosemonde
et Farinelli. En 1841 il se retira à Cheltenham pour s'adonner au pro-
fessorat, situation qu'il conserva jusqu'à sa mort.
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3084 — 5ttme ANNEE — N° 19. PARAIT TOUS LES DIMANCHES Dimanche 11 Mai 1890.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne» les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement,
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 ù\, Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 3(J fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les trais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Liszt et Thalberg. Une lettre de Liszt. Ernest Legouvé. — II. Bulletin théâtral:
De l'utilité des répétitions générales en public, H. Moreno; première représen-
tation du Béjaune, aux Variétés, et reprise d'un Lycée de jeunes filles, à la
Renaissance, Paul-Emile Chevalier. — III. Le théâtre à l'Exposition (24" article),
Arthur Pougin. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
LE RÊVE DU PRISONNIER
célèbre mélodie de Rubinstein, transcrite et variée pour piano par Ch.
Neustedt. — Suivra immédiatement: L'Oiseau-mouche, caprice pour piano,
de Théodore Lack.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant : C'est ma mignonne amie, n° 6 des Rondels de Mai, de M. B. Co-
lomer, poésie de Lucien Dhugcet. — Suivra immédiatement: le Sentier,
de Louis Diémer, poésie de A. de Montferrier.
LISZT ET THALBERG
UNE LETTRE DE LISZT
Je vais faire une profession de foi bien hardie. J'adore le
piano! Toutes les moqueries dont il est l'objet, tous les ana-
thèmes dont on l'accable, me révoltent, comme autant d'actes
d'ingratitude, devrais-je le dire, comme autant d'absurdités,
Le piano est pour moi un des dieux Lares de notre foyer
domestique. C'est grâce à lui, à lui seul, que nous possédons
à nous, chez nous, sous toutes ses formes, le plus poétique
et le plus intime de tous les arts, la musique. Qui apporte
dans nos logis un écho des concerts du Conservatoire? Le
piano. Qui nous donne l'opéra au coin du feu? Le piano. Qui
réunit quatre, cinq, six voix amies dans l'interprétation d'un
chef-d'œuvre de musique vocale, comme le trio de Don Juan,
le quatuor de Moïse, voire même le finale du Barbier? Tou-
jours le piano. Supprimez le piano, comment pourrez-vous
avoir l'exquise joie d'entendre Faure de tout près ? Je dis
Faure, je pourrais dire Taffanel, Gillet, tous les instrumen-
tistes, car tous les instruments sont ses tributaires; ils ont
tous besoin de lui, lui seul n'a besoin de personne.
Auber me disait un jour : Ce que j'admire peut-être le plus
dans Beethoven, ce sont quelques-unes de ses sonates, parce
que là sa pensée se montre toute seule, dans sa pure beauté,
dépouillée de l'ornement des richesses orchestrales. Or, pour
qui ont été composées les sonates de Beethoven ? Pour le
piano. Je ne puis oublier que l'œuvre entière de Chopin a
été écrite pour le piano. En outre, il est le confident des
rêves de l'homme de génie, de tout ce qu'il n'écrit pas. Ah!
si le piano de Weber avait pu répéter ce que l'auteur de
Freischiltz n'a dit qu'à lui seul I
Enfin, dernière supériorité, le piano est de tous les ins-
truments le seul qui soit progressiste. Un Stradivarius et un
Amati restent supérieurs à tous les violons d'aujourd'hui, et
il n'est pas bien sur que le cor, la flûte, le hautbois n'aient
pas autant perdu que gagné à toute cette surcharge de clefs
ou de pistons. Seul, le piano s'est toujours enrichi en se
transformant, et chacun de ses agrandissements, ajoutant
quelque chose à sa puissance d'expressiou, lui a permis de
renouveler l'interprétation même des maîtres anciens. Un jour,
Thalberg jouant chez moi une sonate de Mozart sur un Pleyel,
Berlioz me dit : Ah ! si Mozart était là, il entendrait son ad-
mirable andante, tel qu'il se le chantait à lui-même au dedans.
Un de nos plus chers souvenirs de musique est donc d'a-
voir non seulement connu, mais pratiqué, goûté dans l'inti-
mité, les trois grands triumvirs du piano, Liszt, Thalberg et
Chopin.
L'arrivée de Thalberg à Paris fut une révélation, je dirais
volontiers une révolution. Je ne connais que Paganini, dont
l'apparition ait produit le même mélange d'enthousiasme et
d'étonnement. Tous les deux excitèrent le même sentiment qu'on
éprouve devant l'inconnu, le mystérieux, l'inexplicable. J'ai
assisté au premier concert de Paganini (c'était à l'Opéra) à côté
de Bériot. Bériot tenait dans sa main le morceau qu'allait
jouer Paganini. « Cet homme est un charlatan, me dit-il, il
n'exécutera pas ce qui est imprimé là, attendu que c'est
inexécutable». Paganini commence. Je l'écoutais et je regar-
dais Bériot avec anxiété! Tout à coup Bériot s'écrie tout bas:
« Ahl le scélérat. Je comprends. Il a modifié l'accord habi-
tuel de l'intrument. »
Pareille surprise au premier concert.de Thalberg. C'était au
Théâtre-Italien, dans la journée, au foyer du public. J'y as-
sistais à côté de Julius Bénédict, qui fut, on le sait, le seul
élève de Weber, comme pianiste. Je n'oublierai jamais sa
stupéfaction, son émerveillement. Penché fiévreusement sur
l'instrument dont nous étions tout près, les regards attachés
sur ces doigts qui lui faisaient l'effet de magiciens, il en
croyait à peine ses yeux et ses oreilles. Pour lui, en effet,
comme pour Bériot, il y avait, dans les oeuvres imprimées
de Thalberg, quelque chose qui ne s'expliquait pas. Seule-
ment, le secret n'était pas cette fois dans l'instrument mais
dans l'instrumentiste. Ce n'était pas les cordes qui étaient
autres, c'étaient les doigts. Une combinaison nouvelle de
doigtés avait permis à Thalberg de faire dire au piano ce
qu'il n'avait jamais dit auparavant. L'émotion de Bénédict
était d'autant plus vive que le pauvre homme se trouvait
dans une situation d'esprit et de cœur toute particulière.
i46
LE MÉNESTREL
Sa jeune femme qu'il adorait, était partie le matin pour
rejoindre ses parents à Naples. La séparation ne devait pas
durer moins de six mois. Il en avait un chagrin profond, et
c'était pour le distraire que je l'avais amené à ce concert.
Mais là, se fit alors en lui le plus étraDge amalgame de mari
et de pianiste. A la fois désespéré et enchanté, il me rappelait
ce personnage de Rabelais qui, entendant les cloches de l'é-
glise sonner presque au même moment le baptême de son fils
et le service mortuaire de sa femme, pleure d'un œil et rit
de l'autre. Bénédict éclatait à la fois en exclamations comi-
ques et touchantes. Il allait de sa femme à Thalberg, et de
Thalberg à sa femme. « Ah! chère Adèle, c'est affreux ! Ah!
cher Thalberg, c'est délicieux! » J'ai encore dans l'oreille ce
duo original qu'il chantait à lui tout seul.
Le triomphe de Thalberg causa à Liszt une irritation pro-
fonde. Ce n'était pas de l'envie... Il était incapable d'aucun
sentiment bas!... C'était la colère d'un roi détrôné. Il appelait
dédaigneusement l'école de Thalberg, l'école du pouce. Mais
il n'était pas homme à se laisser prendre sa place sans se
défendre, et alors s'engagea entre eux une lutte d'autant plus
curieuse, que l'antithèse était aussi grande entre les deux
hommes qu'entre les deux talents.
On a parlé cent fois de l'attitude de pythonisse qu'avai tLiszt
au piano. Rejetant sans cesse ses longs cheveux en arrière, les
lèvres frémissantes, les narines palpitantes, il promenait sur
l'auditoire des regards de dominateur souriant; il avait quelque
peu un air de Comédien, il ne l'était pas, il était Hongrois...
Hongrois sous ces deux faces : à la fois Maggyar et Tzigane.
Vrai fils de la race qui danse en faisant sonner ses éperons!...
Ses compatriotes l'ont, bien compris en lui envoyant, pour
témoignage d'honneur, un grand sabre.
Rien de pareil chez Thalberg. C'était l'artiste gentleman;
un mélange parfait de talent et de respectahiliUj. Il semblait
avoir pris pour règle d'être tout le contraire de son rival. Il
entrait dans la salle sans fracas, je dirais volontiers sans
déplacer d'air. Après un salut digne et plutôt un peu froid,
il s'asseyait sur son siège de piano, comme sur Une chaise
ordinaire.
Le morceau commencé, pas un geste! Pas un jeu de phy-
sionomie! Pas un regard jeté sur l'auditoire. Si les applaudis-
sements éclataient, une respectueuse inclinaison de tête était
toute sa réponse. Son émotion, très profonde, j'en ai plus
d'une preuve, ne se trahissait que par un violent afflux de
sang, qui empourprait ses oreilles, sa figure et son cou.
Liszt semblait saisi par l'inspiration dès le début; àla première
note il jetait son talent à toute volée, comme les prodigues
jettent leur argent par la fenêtre sans compter, et, si long
que fût le morceau, sa verve endiablée ne faiblissait jamais.
Thalberg commençait lentement, posément, avec calme,
mais avec un calme ému ; sous ces notes, tranquilles en
apparence, on sentait... à quoi? je ne puis le dire, on sentait
l'orage futur. Peu à peu le mouvement s'accélérait, l'expres-
sion s'accentuait, et par une série de crescendo gradués, il
vous amenait, haletant, jusqu'à une explosion finale qui
emportait l'auditoire dans une émotion indescriptible.
J'ai eu la rare bonne fortune d'entendre ces deux grands
artistes, le même jour, dans le même salon, à un quart d'heure
d'intervalle, à un concert donné par la princesse Belgiojoso,
pour les Polonais. Là m'apparut d'une façon palpable, évi-
dente, la différence caractéristique de leurs talents. Liszt
élait incontestablement plus artiste, plus vibrant, plus élec-
trique. Il avait des sonorités d'une délicatesse qui les faisait
ressembler à un pétillement d'étincelles; jamais doigts n'ont
bondi ?i légèrement sur le piano, mais en même temps sa
nervosité lui donnait parfois quelque chose d'un peu sec,
d'un peu cassant. Je me rappelle toujours qu'après un morceau
où Liszt, emporté par sa fougue, avait très fort tapé sur les
touches, le cher et charmant Pleyel, s'approcha de l'instru-
ment et regarda les cordes avec une expression de pitié!
Que faites-vous donc, mon cher ami? lui dis-je en riant.
Je regarde le champ de bataille, me répondit-il d'un ton mé-
lancolique, je compte les blessés et les morts.
Thalberg ne tapait jamais. Ce qui constituait sa supério-
rité, ce qui faisait du plaisir de l'entendre une volupté pour
l'oreille, c'était le son. Je n'en ai jamais ouï un pareil. Si
plein! Si rond! Si gras! Si velouté! Si doux en étant si fort!
Enfin, que vous dirai-je? la voix de l'Alboni.
A ce concert, en entendant Liszt, je me sentais dans une
atmosphère toute chargée d'électricité et toute sillonnée
d'éclairs,
En écoutant Thalberg, il me semblait nager en pleine lu-
mière.
Le contraste entre les deux caractères n'était pas moins
saillant qu'entre les deux talents.
J'en eus la preuve à propos de Chopin.
11 ne faut comparer personne à Chopin, attendu qu'il ne
ressemble à personne. Tout en lui n'était qu'à lui. Il avait
un son à lui, un toucher à lui, un jeu à lui. Tous les artistes
ont exécuté et exécutent encore avec un grand talent les
œuvres de Chopin, mais en réalité, il n'y a que Chopin qui
ait joué Chopin. Seulement, il n'avait jamais été l'homme- ni
des grands concerts ni des grandes salles. Il n'aimait que
les auditoires d'élite, et les salons restreints, comme il ne
voulait pour instrument qu'un Pleyel, et pour accordeur que
Frédéric. Nous, les fanatiques, nous nous indignions de ses
réserves, nous réclamions pour lui le grand public, et un
jour, dans une de ces belles envolées d'enthousiasme qui
m'ont fait faire plus d'une maladresse, j'écrivis dans la Gazette
musicale de Schlesinger: « Que Chopin se jette donc bravement
à l'eau!... Qu'il annonce une grande soirée musicale! Et
que, le lendemain, quand reviendra l'éternelle question : Quel
est le plus grand pianiste aujourd'hui, Liszt ou Thalberg?
le public réponde comme nous, c'est Chopin ! »
Soyons francs, j'aurais mieux fait de ne pas écrire ce mot-là.
J'aurais dû me rappeler mes relations amicales avec les deux
autres. Liszt m'en voulut pendant plus de deux mois. Le
lendemain du jour où parut l'article, Thalberg élait chez moi
à dix heures du matin; il entra en me tendant la main et
en me disant : « Bravo ! votre article n'est que juste. »
Enfin, un jour, cette rivalité, qui en réalité n'avait jamais
été qu'une émulation, éclata sous une forme plus accentuée
et plus saisissante.
Jusqu'alors aucun pianiste n'avait osé affronter une salle
de grand théâtre, un auditoire de douze ou quinze cents
personnes. Thalberg, poussé par le succès, annonce un con-
cert au Théâtre-Italien, non pas au foyer, mais sur la scène.
Il y joua pour la première t'ois son morceau sur Moïse. Le
succès fut un triomphe.
Liszt, piqué au jeu, vit là comme un défi, et il annonça
un concert à l'Opéra.
Pour cheval de bataille, il prit le concert-stùck de Weber.
J'étais au concert. Il m'avait envoyé une loge, en me priant
de rendre compte de la soirée dans la Gazette musicale.
J'arrive, tout plein d'espoir et de joie. Un premier regard jeté
sur la salle me serre un peu le cœur. Du monde, beaucoup
de monde sans doute, mais, çà et là, des vides qui m'inquié-
taient. Mes craintes avaient raison. Demi-succès. Dans un
entracte, je rencontre Berlioz, avec qui j'échange mes im-
pressions pénibles, et je rentre chez moi fort tourmenté de
mon article à faire. Le lendemain, à peine installé à ma
table, m'arrive une lettre de Liszt. Cette lettre, la voici, et
je suis heureux d'en reproduire la principale partie, car elle
montre un Liszt inconnu, un Liszt modeste! oui, modeste.
Cela ne m'étonna, moi, qu'à moitié. Car une circonstance
assez particulière m'avait déjà fait voir une fois ce Liszt-là.
C'était chez Scheffer, qui faisait son portrait. Tout en posant,
il prenait des airs d'inspiré. Scheffer, avec sa brusquerie
primesautière, lui dit : « Mais que diable ! Liszt, ne prenez-donc
pas avec moi ces figures d'homme de génie ! Vous savez
bien que je n'en suis pas dupe. »
LE MENESTREL
147
Que répondit Liszt à ces paroles un peu rudes ? Il se tut
un moment, puis allant à Scheffer : « Vous avez raison,
mon cher ami. Mais pardonnez-moi, vous ne savez pas
comme cela vous gâte d'avoir été un enfant prodige! »
Ce mot me semble absolument délicieux de simplicité, je
•dirais volontiers d'humilité.
Eh ! bien, la lettre que je cite textuellement, a le même
caractère.
« Vous m'avez témoigné, dans ces derniers temps, une af-
fection si compréhensive, que je vous demande la permission
de vous parler d'ami à ami! Oui, mon cher Legouvé, c'est à
ce titre que je viens vous confier une faiblesse. Je suis très
heureux que ce soit vous qui rendiez compte de mon concert
d'hier, et j'ose vous demander de vouloir- bien, pour cette
fois, pour cette fois seulement, garder le silence sur les côtés
défectueux de mon talent. »
Eh! bien, je le demande, est-il possible de faire un aveu
plus difficile, avec plus de délicatesse et de franchise cor-
diale? Gonnait-on beaucoup de grands artistes capables d'é-
crire ce mot : les côtés défectueux de mon talent ?
Je lui répondis immédiatement ce mot : « Non, mon cher
ami, je ne ferai pas ce que vous voulez ! Non. Je ne me tairai
pas sur les côtés défectueux de votre talent, et cela pour une
raison bien simple, c'est que vous n'avez jamais eu plus de talent
qu'hier. Dieu me garde de nier la froideur du public, et de
vanter votre triomphe, quand vous n'avez pas tri"omphé! Ce
■serait indigue de vous; permettez-moi d'ajouter et de moi.
Mais qu'est-il donc arrivé ? Et pourquoi ce demi-échec ? La
faute en est à vous ! Ah! maladroit que vous êtes! Quelle
erreur de stratégiste vous avez commise là ! Comment ! mal-
heureux ! au lieu de mettre, comme au Conservatoire, l'or-
chestre derrière vous, de vous placer directement en contact
avec le public, d'établir entre vous et lui un courant élecL
trique, vous coupez le fil ! Vous laissez ce terrible orchestre
à sa place ordinaire. Vous jouez à travers je ne sais combien
de violons, de basses, de cors, de trombones, il faut que
votre voix, pour arriver à nous, passe par-dessus tout ce
bacchanal orchestral! Et vous vous étonnez du résultat! Mais
mon cher ami, pourquoi, il y a deux mois, au Conservatoire,
avez-vous produit avec le même morceau un effet si prodi-
gieux? Parce que, seul, en avant, avec tout l'orchestre der-
rière vous, vous aviez l'air d'un colonel de cavalerie à la
tête de son régiment, lancé en plein galop, le sabre à la
main, et entraînant ses cavaliers, dont l'enthousiasme n'était
que l'accompagnement du sien! A l'Opéra, le colonel avait
quitté sa place et s'était mis à la queue de son régiment !
Le beau sujet de surprise, que la voix ne soit pas arrivée à
nous vibrante et retentissante ! Voilà ce qui s'est passé, mon
cher ami, et voilà ce que je dirai. Et j'ajouterai qu'il n'y a que
Liszt au monde qui aurait pu, dans des conditions pareilles,
produire l'effet que vous avez produit! Car enfin votre échec
eût été un grand succès pour tout autre que vous.
» Sur ce, mauvais stratégiste, je vous envoie un cordial
serrement de main, et je commence mon article. »
Le dimanche parut mon article, et j'eus le grand plaisir
de l'avoir satisfait.
E. Legouvé.
BULLETIN THEATRAL
DE L'UTILITÉ DES RÉPÉTITIONS GÉNÉRALES EN PUBLIC
Dante nous échappe encore cette semaine, bien qu'on l'ait répété
généralement mardi dernier, devant toute la presse assemblée et en
présence d'une salle bondée comme pour une première représentation.
Auteurs et directeurs ont pour habitude de se plaindre beaucoup
de ces sortes d'expériences avant la lettre, auxquelles ils se croient
cependant obligés, par déférence pour la critique et par crainte
d'indisposer les puissants seigneurs de la plume. Ils prétendent
qu'on ne peut emporter de là que des impressions mauvaises et
superficielles, puisqu'on ne voit pas l'œuvre encore dans sa com-
plète maturité d'étude et de mise en scène. Cela est bien possible.
Mais avouons aussi que le système des auditions préventives, s'il
a des inconvénients, présente aussi un avantage considérable, celui
de mettre l'œuvre face à face avec un public de circonstance, qui
n'est pas encore celui qui doit la juger définitivement et dont l'atti-
tude cependant porte des enseignements précieux et des indications
qu'un directeur habile et des auteurs clairvoyants savent mettre à
profit d'une séance à l'autre.
Voici déjà plusieurs œuvres que nous voyons sortir plus vigou-
reuses de cette expérience; on les croyait aux abîmes et voici qu'a-
près un travail intelligent de refonte et d'allégements, elles rebon-
dissent à la surface, à la grande surprise de ceux qui les pleuraient
déjà comme des partitions défuntes. Pour ne parler que de la der-
nière, n'est-ce pas ce qui arriva pour Ascanio? Supprimez la répé-
tition générale devant un public provisoire, et voyez ce qui en serait
résulté. Auteurs et directeurs, réduits à leurs seules impressions et
se concertant entre eux, n'y auraient certainement pas vu plus clair
qu'aux répétitions précédentes. On perd toutes notions véritables
des choses trop vues et trop ressassées. Mais voici des auditeurs
nouveaux, avec des impressions neuves, et de suite la lumière se fait.
Ou voit où sont les ombres et les longueurs, on taille de côté et
d'autre, et l'on arrive à la première représentation avec une œuvre
plus resserrée, moins diffuse, et qui porte en elle plus de vie et
plus de sang qu'on ne pouvait le supposer. C'est certainement à
cette épreuve publique de la répétition générale qu' 'Ascanio doit
d'avoir échappé au désastre qui l'attendait.
Il ne nous appartient pas encore de porter un jugement sur Dante,
la nouvelle partition de M. Benjamin Godard. Mais certainement
l'œuvre peut tirer profit de l'expérience qu'elle vient de faire, tout
au moins au point de vue de la mise eu scène. M. Paravey, dont
on connaît pourtant le zèle et la rare inlelligence, a mis deux
années bientôt à s'apercevoir que son théâtre n'était pas suffisam-
ment machiné pour reproduire les enfers et le paradis de Dante.
Après nous avoir servi déjà la merveilleuse lanterne magique à'Esclar-
monde, il rêvait cette fois de créations encore plus émouvantes. L'en-
fer de Dante ! Le paradis du même ! Quel vaste champ ouvert aux ri-
chesses de son imagination. Et qu'a-t-on vu, bon Dieu? Quelque
chose d'assez ridicule, des ombres chinoises se mouvant dans un
milieu enflammé, et encore n'y voyait-on pas grand' chose. A l'appa-
rition d'Ugolin, il ne manquait qu'Ugolin lui-même. Paolo et
Françoise restaient dans la coulisse; mais on nous contait ce qu'ils
devaient faire en scène. C'était une sorte de réédition de la fable
du bon La Fonfaine :
Je vois bien quelque chose,
Mais je ne sais pour quelle cause
Je ne distingue pas très bien.
La bon M. Paravey avait oublié d'éclairer sa lanterne. Le paradis
n'était pas mieux partagé. Jamais ciel ne se vit plus sombre et plus
brumeux. Dans la salle, tout le monde ouvrait son parapluie.
Eh! bien, n'est-ce pas heureux que là encore il y ait eu une
expérience préalable, et qu'on ait pu prendre quelques jours pour
aviser et réparer ce qui est réparable "?
C'est donc mardi seulement que nous aurons la « première » de
Dante. Et il y aura eucore lundi, dans la journée, une nouvelle
répétition générale devant la critique assemblée.
H. Moreno.
Variétés. Le Béjaune, folie-vaudeville en trois actes, de MM. Burani
et Cermoise. — Renaissance. Un Lycée de Jeunes filles, vaudeville en
trois actes et quatre tableaux, de M. A. Bisson.
Trois représentations, tel est exactement l'actif du Béjaune, que
les Variétés nous ont offert la semaine dernière. L'erreur-folie-
vaudeville de MM. Burani et Cermoise a donc trop peu vécu pour
que nous nous croyions obligé de lui consacrer une pompeuse orai-
son funèbre. Mais nous nous tiendrions pour tout à fait incivil,
si nous ne rendions un hommage posthume aux efforts demeurés
stériles de M. Lassouche, un général fantoche dont nous connais-
sions, de longue date, des parenls très proches; de M. Cooper, un
bon Belge que nous avioUs une fois déjà rencontré quelque part
ailleurs; de M. Germain, qu'on se rappelait, avec joie, avoir tant
applaudi dans le garde champêtre du Fétiche: et de M"'e Grassot, à
qui le changement de boulevard n'a pas porté bonheur. Nous nous
considérerions, de plus, comme absolument peu galant si nous n'en-
voyions nos compliments à M"cs Durand et Folleville.
Pendant que les "Variétés se désolaient, la Renaissance, à l'exemple
de ses pensionnaires, dansait, en signe d'allégresse, un quadrille
échevelé. M. Samuel, à qui les pièces nouvelles n'avaieut, jusqu'à
148
LE MENESTREL
présent, que modérément réussi, vient, eu effet, de mettre la main
sur un succès, en reprenant la très amusante pochade de M. Bisson,
un Lycée de Jeune-s filles. Il n'y a là aucune prétention à la comédie,
mais simplement une veine de bonne et franche gaîté adroitement
exploitée. La direction nous a fort agréablement présenté la chose,
de jolies femmes, de ravissants costumes ; en consultant l'affiche
d'un peu près on verra même avec quelle prodigalité elle s'est at-
tachée à n'avoir, du côté de ces dames, que des noms à particules !
C'est M. Montcavrel qui joue Gavenecadas avec sa bonhomie habituelle,
et l'amusante Mn'e Aubrys qui personnifie l'amoureuse Polymnie.
M. Guy a dessiné d'une façon originale la silhouette du pion Sulpice et
s'est taillé un joli succès de virtuose en jouant adroitement du vio-
lon. M. Eegnard est un Vol-au-Yent de bonne marque, M"e Berthier
une élégante et vivante Tambourine et Mlle Boulanger une ravis-
sante Valentine. MM. Gildès, Calvin fils, MUe Berthin sont amu-
sants et les jolies personnes de*"* et d'*** complètent un ensemble
des plus affriolants.
Paul-Emile Chevalier.
LE THÉÂTRE A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889
(Suite)
LE GRAND THEATRE DE L'EXPOSITION
Près du pilier sud de la tour Eiffel et bordant l'avenue de Suf-
fren, on avait élevé, sous le nom de Palais des Enfants, un bâti-
ment qui changea vite de destination et dont on fit bientôt un
théâtre, le Grand Théâtre de l'Exposition, qu'on appelait indiffé-
remment aussi le Grand Théâtre Parisien. Moins grande que celle
du Théâtre-International, situé tout à côté, mais assez vaste encore,
la salle, éclairée à la lumière électrique, pouvait contenir un millier
de spectateurs. Elle comprenait simplement un parterre et un amphi-
théâtre avec promenoir. Partout on fumait et l'on buvait. La scène,
petite, était assez bien disposée ; mais ses dimensions restreintes
rendirent impossibles les représentations que l'Opéra-Comique eut
un instant la pensée d'y donner; car c'est là que ce théâtre avait
formé le projet d'offrir au public un certain nombre de pièces choi-
sies parmi celles qui formaient son répertoire à l'époque de la Révo-
lution. En raison de l'exiguïté du local il fallut renoncer à ce pro-
jet, qui reçut alors un commencement d'exécution dans la salle de
la place du Châtelet, mais qui ne rencontra que l'indifférence du
public.
La salle du Grand Théâtre de l'Exposition était entourée d'une
sorte de grand bazar très vivant et très animé, avec cafés, brasse-
rie, jeu de petits chevaux, marchands de toutes sortes, découpeurs
de silhouettes, etc. Elle était simplement fermée par un rideau de
tapisserie, qu'il suffisait d'écarter pour y pénétrer. Ouverte au public
dès la fin de mai, sous la direction de Léon Sari (dont ces jours
derniers on annonçait la mort), on n'y vit d'abord que des spectacles
d'un intérêt médiocre et d'une originalité douteuse. Eatie autres,
« la belle Fatma, » déjà bien connue des Parisiens, vint y trôner
dès la première semaine de juin. Cela n'attirait qu'une foule... rela-
tive, et il fallait à la curiosité du public un aliment plus subs-
tantiel. Celui-ci ne devait pas tarder à lui être offert.
Une dame fanatique de l'Exposition, comme tout le monde, M"1" Mon-
teaux, voyant l'embarras de Sari, lui parla avec enthousiasme
d'une troupe très curieuse de Gitanas que, dans un récent voyage
en Espagne, elle avait eu l'occasion de voir à Grenade, et lui affirma
qu'il y avait là de quoi affrioler les spectateurs et les attirer de
tous côtés. Sari ne se le fit pas dire deux fois, et envoya aussitôt
en Espagne un agent qu'il chargeait de rechercher et de ramoner au
plus vite la troupe en question. Ce ne fut pas chose absolument
facile : les Gitauas furent bien retrouvées, mais, on ne sait pourquoi,
elles avaient peur de Paris, et, malgré leur misère relative là-bas,
elles hésitaient à venir ici. L'assurance d'une fortune inespérée
nuit pourtant par les décider : on leur offrait dix francs par jour,
défrayées de tout, à elles qui d'ordinaire gagnaient à peine quel-
ques sous (Chivo touchait cinquante francs pour lui et ses trois
lilles : Soledad, Mathilda et Viva), et on leur comptait immédia-
tement une ceitaine somme à titre d'avances. De telles offres les
séduisirent, et ce fut alors une joie, un entrain, une galté qui
tenaient du délire. Elles étaient presque en guenilles ; avec le quel-
que argent qu'on leur donne elles achètent ces étoffes voyantes et
bariolées qu'elles aiment à la folie, elles se taillent et se préparent
des costumes présentables, elles font leurs paquels et — en route pour
Paris ! Ole! Ole! Cinq jours et six nuits de voyage ! On arrive, érein-
tées, fourbues, n'en pouvant plus, on débarque à l'hôtel de la Smala,
et deux jours après on se présente au public, Dieu sait avec quel
succès — un succès qui ne se démentit pas un instant pendant plus
de quatre mois.
« Les Gitanas de Grenade avec leur capitan » formaient une troupe
composée de onze personnes : huit femmes : Soledad (l'étoile de la
compagnie), Mathilda, Viva, Pepa, Dolorès, Reyes, Lola, Anlonia,
et trois hommes : Chivo (le capitan), Antonio et Manuel. Peu après,
une seconde étoile, la Maccarona, venait se joindre à ce personnel,
et ne contribuait pas pou à entretenir l'enthousiasme du public. On
vit venir aussi par la suite Pichiri, un comique vraiment impayable,
puis quelques autres danseuses : Juana, Zola, Sanchez et Goncep-
cion. Dès le début de la troupe, qui eut lieu vers le 10 juillet, le
nombre des représentations fut fixé à cinq par jour, savoir : dans
la journée, à deux heures un quart, tiois heures vingt-cinq et
quatre heures et demie; le soir, à huit heures et à neuf heures un
quart. Le prix des places variait d'un franc à cinq francs — et la
salle ne désemplissait pas.
On sait ce que sont les gilanos d'Andalousie, qui ont surtout leurs
grands centres à Grenade, Séville et Malaga: d'anciens nomades
venus on ne sait d'où sur la 'erre ibérique, une sorte de bohémiens
d'Espagne, mais qui, fixés à demeure aujourd'hui en certaines par-
ties du pays, ont fini par se mêler à la race autochtone, et,
tout en perdant leur langage, leur dialecte originaire, ont conservé
dans le croisement une partie de leurs mœurs et de leurs coutumes
primitives. En particulier, leurs danses, essentiellement primesau-
tières et originales, n'ont rien perdu de leur couleur, de leur saveur
et de leur caractère absolument personnels. Si les hommes, avec
leurs pantalons à bottes, leurs courtes vestes, leurs ceintures rouges
et leurs larges sombreros, ressemblent \olontiers à tous les autres
Espagnols, les femmes sont plus typiques, surtout lorsqu'elles se
livrent à ces danses endiablées, enfiévrées, effrénées, auxquelles elles
semblent prendre pour le moins autant de plaisir que les spectateurs,
et où elles apportent un entrain, une ardeur, une fougue et comme
une sorte de furie vraiment saisissante. Il fallait les voir, là, sur
ce théâtre, dans ces costumes bariolés qu'elles portent avec tant de
crânerie, la jupe voyante, le corsage souple, le fichu sur le cou, les
bras nus, un gros accroche-cœur collé à chaque tempe, une fleur
dans les cheveux, et une cigarette fichée derrière l'oreille quand
elles ne l'avaient pas aux lèvres. Elles semblaient heureuses seu-
lement de se montrer, et la vue de leur joie mettait aussitôt le
public en belle humeur.
Mais c'était bien autre chose quand, l'œil en feu, le regard plein
d'ardeur, les narines gonflées, le sourire provocant, tout le corps
en quelque sorte crispé de plaisir, l'une ou I autre commençait la
danse où elle voyait se renouveler une fois de plus les sensations
que déjà cent fois elle avait éprouvées, sensations qui étaient toujours '
pour elle une source nouvelle de bien-être étrange et d'ardente sa-
tisfaction. Car il semble que ces femmes soient nées pour la danse,
et que la danse soit pour elles comme une sorte d'é ément naturel.
« Nous avons tous applaudi, disait un chroniqueur, ces tangos, ces
baile del novio, ces allegrias, ces fandangos, ces panaderas d'un cachet
si spécial. Il y avait là Juana, souple comme une panlhère, avec son
torse flexible, sans corset, et ses déhanchements pleins de promesses-
Mathilda, la meilleure danseuse peut-être, qui levait la jambe
comme la Goulue, et avait même des notions de pointes; le dan-
seur Pichiri, un grand gaillard au teint olivâtre, sec comme une
allumette, qui, sanglé dans son étroite culotte, avait des tortille-
ments de reins les plus extravagants. Il y avait aussi Pepa. une
grosse réjouie, canaille achevée, potelée comme une caille, avec les
plus beaux bras du monde; dans le masque gouailleur, quelque
chose de notre grande Thérésa. Pour danser, elle se campait sur
l'oreille un feuire d'homme; mais avec Pichiri commençait un cer-
tain tango que l'univers entier a applaudi. Soulevant do sa main
gauche sa jupe, comme si elle craignait de la perdre, le poignet
appuyé sur sa croupe extra-andalouse, elle exécutait une certaine
danse du ventre autrement suggestive que le trémoussement froid
et mécanique de la rue du Caire. Pendant chaque pas, les cris guttu-
raux, les interpellations rauques, les castagnettes, les tambourins-
formaient un concert assourdissant et dont l'entrain allait en cres-
cendo. La danse finie, les spectateurs envoyaient des bouquels que
les danseuses se piquaient sur leurs cheveux, ce qui formait les
casques les plus gracieux du monde. » Il y avait aussi Soledad, la
plus jeune des trois filles de Chivo et la plus jolie de la troupe,
bien qu'elle n'eût encore que quatorze ans, prodigieuse d'agilité.
LE MENESTREL
[49
de souplesse et de grâce; puis la Maccarona, celle qu'on appelle
« la reine des gitanes, » et qui était bien, comme danseuse, la plus
étrange créature qui se puisse concevoir. C'étaient là les deux étoiles
de la compagnie andalouse, et, quand venait le tour de l'une ou de
l'aulre, une grande pancarte, sur l'un des côtés de la scène, annon-
çait son nom (1).
Mais il est temps de faire connaître le milieu dans lequel se
produisaient ces hauts faits chorégraphiques et peu académiques,
et de quelle façon ils se manifestaient.
La petite scène du « Grand Théâlre » de l'Exposition représentait,
dans un mignon décor très lumineux et très gai, quelque chose
comme l'extérieur d'une posada quelconque. Au lever du rideau,
danseurs et danseuses, assis sur des chaises, étaient placés eu
ligne au milieu et en travers du théâtre, les trois hommes au centre,
les femmes sur les côtés. Ceux des hommes qui ne dansaient pas
jouaient de la guitare, et formaient le seul orchestre chargé de
rylhmer la musique des pas, orchestre accompagné d'une paît par
les castagnettes des danseuses, fort habiles à s'en servir, de l'autre
par les mains des autres femmes, qui marquaient la cadence en les
frappant l'une contre l'autre, et parfois, dans les moments solennels,
par une sorte de bruyant trémolo obtenu avec les deux pied-. Par-
fois encore, dans les eas excentriques, et pour exciter les danseurs,
qui pourtant semblaient n'avoir pas besoin d'encouragements, ces
femmes poussaient de temps en temps des cris, et comme des appels
à pleine voix, entremêlés de olè! olè! vigoureux (2). Enfin il arrivait
que, au plus fort de certains pas échevelés où les dauseurs eux-
mêmes, par leurs exclamations et leurs piétinements, couvraient la
molle et flasque sonorité des guitaies, celles-ci s'arrêtaient, l'accom-
pagnement géuéral devenant alors uniquement rythmique à l'aide
des mains, des pieds, des castagnettes, des tambours de basque et
des cris de toutes sortes. Alors la scène et la salle, les specta-
teurs et les danseurs étaient complètement étourdis, ceux-ci se gri-
saient eux-mêmes de tout ce tapage aussi bien que de leur éton-
nantes évolutions, et le public, saisi de toutes manières, enfiévré
par les yeux, par les oreilles et par l'esprit, éclatait en applaudis-
sements et criait bis de tous côtés. Au reste, le caractère musical,
tel qu'il se produisait soit par la guitare, soit par le chant (car
parfois un couplet se mêlait à la danse) était très particulier et très
étrange ; cela tenait beaucoup du plain-chant au point de vue de
la tonalité, avec toujours un rythme vif, marqué et pétulant, et
c'est cet assemblage si peu habituel et vraiment curieux qui était
tout à fait caractéristique.
Tous ces pas d'ailleurs, généralement si savoureux, si originaux,
étaient loin de se ressembler, outre que chaque danseur, chaque
danseuse, avait sa personnalité propre et bien tranchée. J'ai remar-
qué un tango dan:-é par la Juana, une tille pas belle, mais d'une
physionomie remarquable et un peu sauvage. Puis, un baile (tel no-
vio où brillait la MathilJa, qui commençait par une soite de scène
de pantomime et se terminait en une espèce de jaleo très animé. Il y
avait ensuite un tango à quatre parMaccaron etPichiri, la Reyes et la
Dolorès, qui aurait fait pâmer un hypocondre, mais qui, je dois le dire,
ne serait pas de mise dans un couveut de demoiselles, non plus que le
tango à cinq où se montraient Juana, Zola, Concepcion, Dolorès et le
seul Pichiri. L'un des giands succès était pour Soledad dans son olle
gracioso; elle avait là-dedans des trémoussements, des sauts, des
mouvements de croupe, des tours de hanches, des poses et des atti-
tudes tantôt étranges et brutales, tantôt souples et félines, auxquels
sa grâce charmante et sa vivacité donnaient une étonnante saveur.
Su rivale ou plutôt son émule, la Maccarona, n'était pas moins bien
accueillie dans son tango allegtia, qui formait comme une espèce
de scène : elle commençait par chanter un ou deux couplets, que
suivait un pas comique ; sa danse ensuite devenait tranquille et
presque langoureuse, puis s'animait peu à peu, se développait dans
une sorte de crescendo en des évolutions qui passaient presque à
l'état de contorsions, et se terminait enfin d'une façon folle en une
espèce d'emportement furieux, d'une audacs et d'une hardiesse ex-
traordinaires. Il y avait encore un fandango à quatre, où dansaient
(I) (Jn lisait dans le Figaro, à propos de la Maccarona: — « C'est Maca-
rena qu'il faudrait dire et écrire. C'est, bien entendu, un surnom. La
Macarena signifie en argot espagnol : la reine, la plus chouette, la plus
gironde. C'est un sobriquet faubourien. Il ne faut pas oublier que la Ma-
carena est une danseuse faubourienne et que ses danses, étant donnée la
différence de latitude, sont l'équivalent de celles des partenaires de notre
quadrille naturaliste: ses déhanchements représentent les levées de jambe
et les trémoussements de la Grille d'Égout parisienne. » C'est égal, je
préfère encore le surnom espagnol au sobriquet parisien.
l2) Olèl olèl (Hardi! hardi!).
Chivo et ses trois filles : Viva, Mathilda et Soledad, et qui était
bien l'une des choses les plus curieuses qu'on pût imaginer par
l'entraînement, la fougue et; si l'on peut dire, la sauvagerie à la-
quelle ils se livraient.
Tout cela, ou ne saurait trop le répéter, eut un succès monstre,
et il faut le dire aussi, très mérité. C'est que c'était de l'art, un art
populaire sans doute, mais un art sui generis, très coloré, véritable-
ment original, intéressant sous beaucoup de rapports et fait pour
exciter l'attention. Tous ces gens-là, les Chivo, les Pichiri, les Sole-
dad, les Maccarona, les Mathilda, avaient vraiment le diable au
corps, et se livraient avec une ardeur, un abandon, surtout une sin-
cérité qui justifiaient leur succès et provoquaient les applaudisse-
ments. Aussi ces applaudissements ne leur étaient-ils pas prodigués
seulement par le public vulgaire, mais par les spectateurs plus dé-
licats et plus raffinés, par ceux qui savaient voir, apprécier et com-
piendre. On peut bien dire que tout le Paris artiste et lettré s'est
donné pendant longtemps rendez-vous au Grand-Théâtre de l'Expo-
sition pour y contempler « les Gilanas et leur capitan. » En parti-
culier, tout le personnel de l'Opéra y a passé, et l'on y a vu plus
d'une fois la gentille Rosila Mauri et la jolie Mlle Subra applaudir
de toutes leurs forces l'aimable Soledad et l'étonnante Maccarona.
(A suivre.) Arthur Pougin.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (8 mai). — J'avais été mauvais
prophète en prédisant que M. Gailhard, contre qui s'acharne le destin,
serait le seul à ne pas voir Salammbô. Il l'a vue, enfin! Après avoir dû partir
de Bruxelles, la semaine dernière, sans avoir fait la connaissance de
l'œuvre de Reyer, il nous est revenu, courageusement, le soir de la clôture
théâtrale; et, cette fois, la chance l'a favorisé: on n'a pas fait relâche.
J'ai aperçu, pendant un entr'acte, le directeur de l'Opéra se dirigeant vers
la loge de Mme Caron, qu'il est allé féliciter, — ce qui m'a fait penser que
la paix pourrait bien être faite ; — je l'ai vu, ensuite, penché sur le bour-
relet de sa loge, très absorbé, pendant tout le temps qu'a duré le spectacle ;
et je me suis laissé dire que, lorsque tout fut terminé, il n'avait point
caché son enthousiasme, accompagné du ferme propos de monter Salammbô
à l'Opéra. Je vous donne mes documents pour ce qu'ils valent. Quoi
qu'il en soit, cette visite de M. Gailhard a beaucoup fait parler ici, et
elle a été une des curiosités de cette dernière représentation, d'autant plus
brillante que Mme Citron et M. Renaud y faisaient leurs adieux; — celui-
ci pour tout de bon; — celle-là peut-être nous reviendra, car on parle
d'elle pour créer VOtello de Verdi, l'hiver prochain. Ces adieux ont été
très enthousiastes, surtout pour M">e Caron. Je ne me rappelle pas avoir vu
jamais pareilles ovations et pareil déluge de fleurs. La veille, les adieux
des autres avaient été également très chaleureux; la triomphatrice, ce
soir-là, a été Mllc Merguillier, acclamée et rappelée cinq ou six fois, avec
une insistance prouvant bien l'estime où le public bruxellois, malgré sa
froideur, tenait cette réelle artiste. Mm° Fierens-Peters et Mlle Samé ont eu,
elles aussi, mais plus modérément, leur part de regrets bruyants et fleuris.
Et, en somme, c'a été pour tous et pour toutes une fête que M11" Sanderson,
du fond d'une loge, a contemplée avec bien certainement le vif désir de la
mériter, à son tour, l'année prochaine. — Le théâtre de la Monnaie, à peine
fermé, — en compagnie de la plupart des autres théâtres — s'est rouvert
presque aussitôt hier pour le dernier Concert populaire. L'attrait par-
ticulier et exceptionnel de ce concert était M. Hans Richter, qui l'a
dirigé tout entier et à qui on a fait un triomphe absolument extraordinaire
et absolument mérité. Assouplissant l'excellent orchestre des Concerts
avec toute l'autorité de son talent et de son prestige, il nous a donné, de
plusieurs fragments symphoniques de "Wagner, suivis de la Rapsodie hon-
groise de Liszt et de la symphonie en ut mineur de Beethoven, une inter-
prétation merveilleuse, idéale, qui a transporté l'auditoire dans un vé-
ritable élan d'enthousiasme. Ce que M. Joseph Dupont avait préparé
admirablement , le capellmeister viennois l'a achevé et complété d'une
incomparable façon. Quel chef d'orchestre! Quel bras, quel rythme, et
quelle clarté! Et comme la plupart de nos chefs, ceux-là mêmes qui pré-
tendent posséder les traditions de Wagner, avec notes, commentaires
et partitions originales, feraient bien de lui demander humblement quel-
ques petits conseils! — L. S.
— Voici le bilan du théâtre de la Monnaie, de Bruxelles, pour la saison
qui vient de s'écouler. On a donné pendant celte saison 23 ouvrages,
dont 12 opéras, 10 opéras-comiques et un ballet, au lieu de 38 ouvrages,
dont 17 opéras-comiques, trois ballets et un oratorio (le Francisais de
Tinel), qui avaient été donnés pendant la campagne précédente. Les nou-
veautés sont au nombre de trois : Esdarmonde (il représentations), Sa-
lammbô (32), la Meunière de Marhj (4). Les deux dernières œuvres seulement
étaient inédites. Comme; reprises : Aida ('<•), h Vaisseau Fantôme (8), Ma-
non (12), le Songe d'une nuit d'été (7), tes Fumeurs de Kiff (8), auxquelles
150
LE MENESTREL
s'ajoutent les œuvres du répertoire : Mignon (17), Hamlet (13), les Hugue-
nots (13), le Maître de chapelle (10), Faust (10), la Juive (8), le Caïd (8), le
Pardon de P'.oërmel (6), Si j'étais Roi (6), l'Africaine (6), te Favorite (3), fe i?0(
(Fis (4), iio&ert fe Diable (une!...) Parmi tous ces auteurs, Ambroise Thomas
a. la corde avec quarante-cinq représentations, et Massenet, parmi les
modernes, en a trente-trois. Voilà déjà des indices de toute une esthé-
tique, Ambroise Thomas pour les aînés, Massenet pour les jeunes. Rêver
atteint à trente-deux grâce à l'intérêt de nouveauté qui s'attache à
Salammbô, et Wagner avec son Vaisseau Fantôme, repris à la fin de la
saison, arrive à huit représentations. C'est tout ce que son nom fournit
en un hiver.
— La date de l'inauguration de la statue de Weber au Eichenhain,
près Eutin, est définitivement fixée au 1er juillet. La cérémonie sera
précédée et suivie d'un grand concert de musique sacrée et profane,
dont "Weber fera seul les frais. Les plus célèbres artistes de l'Allemagne
prendront part à cette solennité.
— L'Exposition-Beethoven qui s'ouvre le 10 mai courant à Bonn (Prusse
rhénane) et qu'accompagnera une série de concerts de musique de cham-
bre, promet d'être un événement artistique du plus haut intérêt. Un grand
nombre d'institutions publiques ou privées, sans compter les particuliers,
ont mis généreusement à la disposition du comité les reliques, manuscrits,
souvenirs, etc., qui ont trait à Beethoven et à son œuvre. Dans le nombre
il y a toute une série de documents précieux, des manuscrits de jeunesse,
de nombreuses pages de la maturité, un grand nombre de lettres de
toutes les périodes de la vie du maître, le piano de Beethoven, les instru-
ments à cordes qui lui appartenaient, le cornet acoustique dont il se ser-
vait pendant sa surdité, et, ce qui est peut-être le plus intéressant, la
collection complète des portraits peints, gravés ou dessinés, parus de son
vivant ou depuis sa mort.
— On raconte que, ces jours derniers, l'empereur d'Allemagne a fait
venir au palais impérial un savant japonais, le Dr Shoé Tanaka, qui a
étudié à Berlin les sciences physiques et s'est particulièrement occupé de
lia théorie des sons. Le Dr Tanaka a présenté à l'Empereur et à l'Impéra-
trice un nouvel instrument de son invention qu'il appelle enharmonium,
construit et accordé de manière à comprendre tous les tons justes, tels qu'ils
existent dans la nature et tels que la science les a mesurés. On sait que
nos instruments actuels, surtout ceux à clavier, sont en réalité très discords,
lia même touche correspondant à des sons absolument différents, tels que
sol' dièse et la bémol, mi bémol et ré dièze, etc., dont la fonction harmo-
nique et le nombre de vibrations ne sont nullement correspondantes. Le
D1' Tanaka, afin de comprendre dans son clavier tous les sons vrais, a du
naturellement en modifier la disposition actuelle. Dans son audience au
palais impérial, le D1' Tanaka était accompagné de l'organiste Papendick,
qui a joué alternativement sur un harmonium ordinaire et sur le nouvel
enharmonium différents morceaux de maîtres, afin dj faire mieux saisir la
dïfférence de l'harmonie pure et de l'harmonie factice 'de nos instruments
actuels. Rappelons à ce propos que le savant physicien Helmholtz, à qui
l'on doit de si importantes découvertes au point de vue acoustique, s'était
déjà fait construire, il y a vingt ans, un harmonium accordé selon les
données de la physique expérimentale. Seulement, l'instrument n'étant pas
pratique, on ne put en faire usage. Il serait vraiment intéressant que
ce que Helmholtz avait alors tenté fut enfin réalisé aujourd'hui. Ajoutons
qne le Dr Tanaka, qui parle couramment les langues européennes, vient
de publier un opuscule : Etudes dans le domaine de l'accord pur, qui fait du
bruit dans le monde savant d'outre-Rhin.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne : — Berlin : l'Opéra royal a joué,
le 19 avril, les Huguenots pour la 230e fois. La première représentation,
sur ladite scène, avait eu lieu le 20 mai 1842. Un nouvel opéra-comique de
M. Peter Gast, le Mariage secret, vient d'être accepté par la direction du
théâtre Kroil, pour être représenté aj cours de la présente saison. —
Breslau : deux nouveautés viennent d'être produites au théâtre municipal:
le Juge de village, opéra-comique en un acte, tiré de la Cruche cassée de
Kleist, musique de H. Kahn, et Naieshda, opéra du compositeur anglais,
M. Goring Thomas. — Cologne : le théâtre municipal vient de produire,
avec un très heureux résultat, la quatrième nouveauté de sa saison:
lalanlhe, la (die du roi, opéra romantique du chef d'orchestre, M. Mùhldor-
fer. — Dresde : le Roi malgré lui, de M. Chabrier, a remporté le 25 avril,
au théâtre de la Cour, un succès des plus francs. L'interprétation, aux mains
de M""s Schuch et Friedman, de MM. Scheidemantel, Erl et Nebuschka, ■
était do premier ordre. — Hambourg : réussite pour un opéra-comique
en trois actes de M. Félix von Woyrsch, intitulé la Guerre des femmes. —
Leipzig : le théâtre municipal vient de représenter pour la première fois
un grand ouvrage lyrique en quatre actes de M. J. J. Abert, intitulé
les Almohaden, qui ne semble pas avoir produit une impression bien favo-
rable. La partition manque d'unité, et l'intérêt n'est éveillé qu'à de trop
rares intervalles. Interprétation satisfaisante', surtout en ce qui concerne
M"" Moran-Olden. — Muxicn : le théâtre de la Cour a remporté une nou-
velle victoire artistique en remettant à la scène un ancien opéra de Spohr
presque totalement oublié : Pielro d'Albano. Les beautés de la partition
font passer sur la faiblesse du livret et suffiront, espère-t-on, à maintenir
l'ouvrage au répertoire. — Ol.mDtz : un nouvel opéra romantique de
M. Rudolf Thomas, les Roses d'Helga, a rencontré bon accueil au théâtre muni-
cipal. — Piugue : malgré son titre prédestiné, l'opérette de Suppé,
la Chassr au bonheur, n'a pas eu de chance au théâtre allemand. Un plus
heureux sort a été réservé à un opéra-comique de M. Richard Mandl,
Nâchlliche Werbung, paroles allemandes de M. Oscar Berggruen, représenté
sur la même scène. Ce petit ouvrage avait déjà été joué à Rouen, avec
un livret français.
— Deux prix de la « fondation Félix Mendelssohn-Bartholdy » seront
décernés le 1er octobre prochain. Chacun de ces prix, dont l'un est destiné
aux compositeurs, l'autre aux' artistes exécutants, s'élève à 1,500 marks
(1,875 francs). Tous deux doivent être attribués à des artistes qui auront
accompli leurs études dans des écoles musicales d'Allemagne subven-
tionnées par l'Etat, sans distinction d'âge, de sexe, de religion ou de na-
tionalité.
— MmeGaroline de Serres vient de donner à Vienne sa dernière réunion
musicale. Au programme, sonate de M. Saint-Saëns pour piano et vio-
loncelle avec M. Hellmeisberger fils. Puis, la grande cantatrice, M"10 Ma-
rianne Brand.t a chanté admirablement l'air de Samson et Dalila, une
délicieuse composition de M™ Viardot, l'Étoile, et plusieurs romances de
M. Robert Fischoff, qui a joué avec Mmc de Serres de remarquables varia-
tions à deux pianos que le Ménestrel va publier bientôt. Réunion d'élite
d'aristocratie, de monde officiel et d'artistes.
— Un curieux procès est pendant à Vienne entre Mme Schônerer, direc-
trice du théâtre An der Wien, et les trois auteurs habituels de cette, scène,
MM. Millocker, Wittmann et Bauer. Dans le contrat que ces derniers
avaient passé avec la direction relativement à leur plus récent ouvrage,
le Pauvre Jonithan, figurait une clause interdisant à M"™ Schônerer d'in-
terrompre les représentations de la pièce tant que la moyenne des recettes
quotidiennes, d'une semaine à l'autre, ne tomberait pas au-dessous de
mille guldens. Or, cette moyenne s'était maintenue, pendant la dernière
semaine de mars, au chiffre de 1,600 guldens. Ce qui n'empêcha pas la
directrice de retirer la pièce pour livrer sa scène à une troupe de Munich,
en exécution de conventions antérieures. MM. Millocker, "Wittmann et
Bauer réclament de ce fait le paiement des dommages-intérêts stipulés
dans leur traité, soit trois mille guidons. La défenderesse refuse de se
soumettre à pareille obligation, alléguant le cas de force majeure. La
parole est au tribunal.
— A Munich a eu lieu, au théâtre de la cour, la première représentation
d'un nouvel opéra de M. Victor Nessler, l'auteur du Preneur de rats de
Harlem et du Trompette de Sackingen. La nouvelle pièce est intitulée la Rose
de Strasbourg. La musique de M. Victor Nessler a obtenu un grand succès
auprès du public qui aime les mélodies faciles. La mise en scène est
très pittoresque et les tableaux représentant le vieux Strasbourg, la place
de la Cathédrale et l'arrivée des Zurichois avec la bouillie de millet, ont
été vivement applaudis.
— M. Edouard Lassen, le fameux capellmeisler de Weimar, vient de
célébrer, dans cette ville, le soixantième anniversaire de sa naissance.
— M. Pierre ï'schaïkowsky vient de terminer un opéra intitulé la Fille
du Capitaine, qui va être monté au théâtre impérial de Saint-Pétersbourg.
Le livret est tiré d'une nouvelle de Pouchkine. L'action se passe à Saint-
Pétersbourg, d'abord au jardin d'été, puis sur le quai du canal d'hiver,
près l'ermitage impérial.
, — On télégraphie de Florence à l'Italie, de Milan : « Le début de
M™10 Arnoldson dans le Barbiere. donné hier soir au théâtre Nicolini, de
Florence, a soulevé un véritable fanatisme; depuis longtemps on n'a vu
pareil succès; on a constaté que c'est la seule diva qui rappelle Adelina
Patti. Après chaque morceau il y a eu des applaudissements enthou-
siastes, après chaque acte des rappels insistants. Le public en délire a
donné et obtenu le bis de plusieurs morceaux; le théâtre était rempli par
un public choisi. Après le spectacle, les chœurs ont fait une belle séré-
nade à l'éminente artiste. » A bientôt Mignon avec la même artiste.
— Un opéra nouveau, Ginevra de Monreale, du maestro Bonavia, vient
d'être représenté sur le théâtre royal de Malte. Le succès du compositeur
et de ses interprètes semble avoir été très grand.
— Thorgrim, le nouvel opéra de M. F. H. Cowen, que vient de produire
le théâtre Drury-Lane, à Londres, a remporté un succès très prononcé. Le
livret de M. Joseph Bennett n'est pas suffisamment dramatique, mais ce
défaut, paraît-il, est amplement racheté par les qualités de la partition,
qui est non seulement très scénique dans son ensemble, mais encore
pleine d'élévation et de vigueur. MIlc Zélie de Lussan a fait du rôle d'Olof
une superbe création, et M. B. Mac Guckin personnifiait Thorgrim avec
beaucoup d'autorité et de caractère.
— Le Figaro de Londres annonce que, par ordre de la princesse Béatrice
d'Angleterre, deux mélodies juives ont été utilisées comme musique de
scène pondant les tableaux vivants représentés au château d'Osborne :
Eslher devant Assuérus et le Couronnement d'Estker. C'est M. Lazarus, chef de
musique d infanterie légère de la marine royale, qui a été chargé de
l'instrumentation de ces mélodies, dont la première, intitulée Zigdal, se
chante pendant les fêtes du Nouvel an, et la seconde, Hodu, aux cérémo-
nies de la nouvelle lune. La Reine, particulièrement frappée de la beauté
de ces chants, les a, parait-il, fait arranger en « Kyrie » pour la chapelle
de Saint-Georges, au château de Windsor. C'est peut-être pousser un peu
loin la manie de l'adaptation !
LE MENESTREL
151
— L'Opéra italien de New-York vient de représenter Lakmé, avec
]y[mG patti. Triomphe complet pour l'ouvrage de Delibes et son admirable
interprète. Dans L'air des clochettes, qui a été bissé, les applaudissements
partaient presque après chaque phrase, MM. Ravelli (Gerald) etMarcassa
(Nilakanla) ont fait une excellente impression.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Voici le nom des candidats appelés à prendre part au concours défi-
nitif pour le Grand- Prix de Rome. Nous les donnons dans l'ordre de
leur admission: 1. M. Carraud, élève de M. Massenet; 2. M. Lutz, élève
de M. Guiraud; 3. M. Bachelet, élève de M. Guiraud; 4. M. Silver, élève
de M. Massenet; 5. M. Fournier, élève de M. Delibes. C'est samedi pro-
chain que les concurrents entreront en loge.
— La Commission supérieure des théâtres était convoquée cette se-
maine par le ministre des beaux arts, qui désirait la consulter sur
diverses questions relatives aux théâtres subventionnés, en vue des expli
cations qu'il sera appelé à fournir à la Chambre, devant la commission
du budget, sur le même sujet. Il a été question, notamment, de la ré-
fection des décors du répertoire de l'Opéra, qui sont, comme l'on sait, en
assez mauvais état, — en bien plus mauvais état encore qu'on ne le sup-
pose.
— On se souvient que le projet du gouvernement, relatif à la recons-
truction de l'Opéra-Comique, a été approuvé par la commission de la
Chambre à laquelle il avait été renvoyé. A son tour la Commission du
budget était appelée hier à donner son avis sur ce projet, au point de
vue financier, comme elle est tenue de le faire pour tous les projets de loi
qui engagent le Trésor. M. Antonin Proust, rapporteur du budget des
beaux-arts, chargé de la question, a proposé d'émettre un avis favorable
au projet de loi. Mais la commission, par dix voix contre huit, s'est pro-
noncée contre. Toutefois, à la suite d'un échange d'observations, la com-
mission a chargé M. Antonin Proust de reprendre la question à l'origine
même et de rechercher si la concession du terrain de la place Boieldieu,
faite par le duc de Choiseul à l'Etat il y a un siècle, entraînait pour
l'Etat les obligations que les héritiers prétendent exister aujourd'hui, no-
tamment celle de reconstruire le théâtre par lui-même, sous peine de
déchéance du legs. M. Antonin Proust a reçu tous les documents du
ministère et en a commencé l'examen. Il a retrouvé, en particulier,
la copie du jugement dans le procès intenté en 1882 et gagné par la
famille de Choiseul, au sujet de l'attribution d'une loge. Ce jugement
constate la validité de la donation faite, en 1781, par la famille de
Choiseul au roi de France, de l'emplacement actuel du théâtre, sous la
condition que cet emplacement servirait à la construction d'une salle de
spectacle, et sous la réserve que la donation perdrait son effet en cas
d'affectation contraire. Il est assez curieux de remarquer, à ce propos,
que l'acte de donation même n'a pu être retrouvé dans les archives de
l'État.
— De son côté, M. Bourgeois, ministre de l'instruction publique et des
beaux-arts, a mis le conseil des ministres au courant de l'étal actuel de
la question. Le projet de loi tendant à la reconstruction du théâtre sur la
place Boieldieu, avec emprise de cinq mètres sur cette place, ayant été
repoussé par la commission de la Chambre, M. Bourgeois est décidé a
reprendre le projet de M. Fallières et à le soutenir devant la Chambre. Il
est certain, et nous l'avons dit déjà, que si la Chambre ne vote pas le
crédit qu'on lui demande, elle perdra bénévolement sans profit pour per-
sonne, si ce n'est pour les héritiers Marinier, un terrain dont la valeur
n'est pas moindre aujourd'hui de trois à quatre millions.
— L'assemblée générale des auteurs et compositeurs dramatiques a eu
lieu mercredi dernier, sous la présidence de M. François Coppée, vice-
président, remplaçant M. Victorien Sardou, encore souffrant. Le rapport,
présenté par M. Paul Ferrier et adopté à l'unanimité, a obtenu un succès
sans précédent. Les applaudissements, soulignant nombre de passages et
plusieurs fois répétés après la lecture, s'adressaient à la fois au rappor-
teur et à la Commission tout entière, dont les importants travaux de l'an-
née méritaient d'ailleurs cette juste appréciation. Ce rapport a été imprimé
et sera mis à la disposition des intéressés chez les agents généraux,
MM. Roger et Debry. Entre autres documents les intéressant, ils y trou-
veront toutes les améliorations introduites dans les traités des théâtres de
Paris, des explications sur les différentes mesures relatives à l'admission
des auteurs nouveaux, des renseignements relatifs au projet de loi sur la
pibpriété littéraire présenté à la Chambre par M. Philippon, et enfin le
texte d'un article additionnel aux traités de certains théâtres de Paris et
qui intéressera plus particulièrement les jeunes auteurs, auxquels la Com-
mission a voulu ouvrir les scènes importantes dont l'accès leur était
d'un si difficile abord. Les élections pour la nomination de cinq nouveaux
commissaires ont donné les résultats suivants :
Votants: 100. — Majorité absolue: 54.
Ont été élus:
Auteurs: MM. Ludovic Ilalévy 92 voix.
Camille Doucet 87
Edouard Pailleron 70
Henri Bocage 00
Compositeur: M. J. Massenet 93
Venaient ensuite: MM. Jules Barbier, 57 voix, et Gaston Marot, 1K. \,:,
Commission se trouve donc ainsi composée : MM. Camille Doucet, Ludovic
Halévy, Edouard Pailleron, Henri Bocage, J. Massenet, Philippe Gille,
Victorin .foncières, Léo Delibes, Henri de Bornier, Armand d'Artois,
François Coppée, de Courcy, Albert Dolpit.
— A l'Opéra, MM. Jean et Edouard de Reszké vont prendre leur congé
annuel du 13 mai au 13 septembre. M"'c Melba et M. Lassalle ne partant
pas avant le Ie1' juin, donneront avant leur départ quelques représentations
d'Hamlet et de Rigoletlo. A partir du mois prochain, M" Peeter-Fk-rens,
la nouvelle falcon que vient d'engager la direction de l'Opéra, abordera
successivement tous les rôles de son répertoire. Aujourd'hui, représen-
tation populaire à prix réduits. On donnera les Huguenots.
— On attend d'un jour à l'autre l'arrivée à Paris de M. Camille Saint-
Saëns, mais il ne fera qu'y toucher barre. Il prendra juste le temps d'as-
sister à une représentation d'Ascanio et repartira pour une destination
inconnue. Quel amour des voyages mystérieux!
— Nous lisons, dans le Journal iks publications légales, l'avis suivant :
« D'un. acte... il appert que la Société Paravey et Gie, ayant pour objet
l'exploitation du théâtre national de l'Opéra-Comique, a été modifiée comme
suit : le capital social, qui était de 300,000 francs, a été porté, à la date
du 31 mai 1889, à la somme de 380,000 francs. » Ce que c'est que les
entreprises prospères!
— Nous annoncions récemment que le dernier fils survivant de Georges
Kaslner venait, en mourant, de léguer la superbe bibliothèque de son
père au Conservatoire. Nous apprenons aujourd'hui que M. Ambroise
Thomas et M. Weckerlin viennent d'être avisés que la bibliothèque du
Conservatoire allait être appelée à recueillir un second héritage, plus
précieux encore peut-être. Il s'agit cette fois de la très riche collection
d'autographes de musiciens (lettres et manuscrits) réunie au cours de
vingt années, à force de soins et d'efforts, par M. le marquis de Queux
de Saint-Hilaire, l'un des plus intelligents et des plus avisés collection-
neurs de ce temps. Or, M. de Saint-Hilaire, dont nous faisions connaître
la mort il y a quelques mois, a légué par testament, au Conservatoire,
cette collection infiniment précieuse que nous avons été à même d'appré-
cier et qui formera un fonds spécial d'une extrême importance dans la
bibliothèque de cet établissement.
— Nous pouvons annoncer que la première soirée des « Grandes audi-
tions musicales de France » sera donnée lé mardi 3 juin, à neuf heures,
au théâtre de l'Odéon. Le spectacle sera composé de Béatrice et Béncdict, de
Berlioz, et de fragments musicaux pris dans l'céuvre du maître et exécutés
par M. Charles Lamoureux et son orchestre. Voici le prix des places pour
cette soirée : Premières loges, baignoires d'avant-scène, baignoires, fau-
teuils d'orchestre, fauteuils de balcon, la place, 25 francs. Deuxième
étage : deuxièmes loges de face, seconde galerie, 10 francs la place. Par-
terre, 10 francs. Deuxième balcon, deuxièmes loges de côté, avant-scène
des secondes, 5 francs la place. Les places du 3e étage et du 4'- étage
seront doublées. On peut louer dès à présent ses places au secrétariat de
la société: 8, rue Favart. Ajoutons, comme dernier renseignement, iq.ue
Béatrice et Bénédict sera interprété par Mme Bilbaut-Vauchelet, MM. Euged
et Mouliérat.
— On a relevé le compte des recettes faites par les théâtres de Parie,
de 1848 à 1889 inclusivement, soit pour une période de quarante-deux
années. Il en résulte que dans cet espace de quarante-deux ans, le total
de ces recettes s'est élevé au chiffre invraisemblable de 730 (sept cent trente)
millions! lien résulte encore que le double prélèvement de 10 0/0 fait
d'une part au profit de l'assistance publique, de l'autre pour les droits
des auteurs, a rapporté à l'une et aux autres la bagatelle de 73 millions.
— Et l'on nous chicane pour deux ou trois millions nécessaires à la re-
construction de l'Opéra-Comique, qui entre assurément pour sa bonne
part dans un tel résultat !
— On a établi aussi la progression des recettes pendant la période donU
nous venons de parler. Le chiffre annuel, qui 'était de 6,431,251 francs eu
1849, avait déjà doublé dix ans plus tard, car il s'élevait en 1839 à
12,452,314 francs; en 1869 il atteignait 15,198,000 francs, et voici le. compte
des onze dernières années :
1879 20.619.310
1880 22.614.018
1881 27.434.418
1882 29.068.592
1883 29.144.600
1884 29.984.0')4
•1885. . .' 25.590.077
1880 25.074.458
1887. ....... 22.062.440
1888 23.007.975
1889 (Exposition) . 32.138.998
— Aux renseignements que nous avons donnés, la semaine drniiri'C,
sur le Voyage de Chaudfonlaine, l'opéra bouffe belge plus que centenaire
que la troupe de M. Albaiza doit venir jouer prochainement aux Nou-
152
LE MÉNESTREL
veautés, ajoutons ceux-ci, que nous apporte l'Éventail, de Bruxelles :
« Pour ces représentations parisiennes, dit notre confrère, M. Alhaiza a
fait faire une adaptation française plutôt qu'une traduction du livret, par
M. Henri de Fleurigny, l'auteur de Fin de siècle, qui donnera l'hiver pro-
chain plusieurs pièces inédites au Molière. M. Thys, l'amusant Golzan,
conservera son rôle qu'il jouera en français, mais avec l'accent liégeois.
L'excellent Charvet, qui a chanté les basses bouffes à ce même théâtre des
Nouveautés, représentera li batelier Girard, et le rôle de Marie Bada sera
joué par une jeune fille qui a obtenu un premier prix de chant au Con-
servatoire de Liège. Elle est excellente musicienne et possède une voix
superbe. »
— Le Congrès américain a repoussé, samedi dernier, un projet de bill
qui consacrait la reconnaissance de la propriété littéraire et artistique dis
étrangers aux Etats-Unis. La Chambre n'étant pas en nombre lorsque ce
vote a été rendu, on espère généralement que la question sera reprise dans
une séance prochaine et qu'un résultat favorable sera obtenu. Il s'est, en
effet, formé aux États-Unis une association puissante (Copyright league)
composée d'écrivains, d'artistes, d'éditeurs, d'hommes politiques, et son-
tenue par un grand mouvement d'opinion publique, qui a fait depuis
plusieurs années les effortsles plus énergiques pour faire entrer les États-
Unis dans le concert des nations qui reconnaissent à la propriété litté-
raire et artistique un caractère international.
— En attendant que, selon sa coutume, notre collaborateur Camille Le
Senne nous rende compte du Salon annuel en ce qui touche le théâtre et
la musique, nous voulons signaler à l'attention de nos lecteurs la belle
statue de Méhul exposée par M. Croisy et qui doit être érigée prochai-
nement à Givet, ville natale de l'illustre auteur à'Euphrosine, de Joseph et
de l'halo. La statue de M. Croisy, pour laquelle l'artiste s'est inspiré de
documents précis et certains, est d'un beau caractère, d'une allure sévère
et d'un mouvement plein de noblesse. Elle reproduit bien la physionomie
que l'esprit prête à l'immortel auteur de taDt et de si beaux chefs-d'œuvre,
et fait le plus grand honneur à l'artiste qui l'a conçue. N'oublions pas,
à ce sujet, de rappeler que la souscription pour le monument de Méhul
à Givet reste ouverte au Conservatoire, et que tous les musiciens se feront
honneur en prenant part à l'hommage dont l'initiative est due au Comité
que préside M. Ambroise Thomas.
— Mariages artistiques. Cette semaine a été célébré le mariage de
M. Joseph Aichainbaud, fils de l'excellent professeur du Conservatoire,
avec Mllc Jeanne Paulin. — Le lundi 19 de ce mois, aura lieu à Saint-
Sulpice le mariage de M. Gabriel Pierné avec Mlle Louise Bergon.— Enfin
on annonce le très prochain mariage de M. Charles Lamoureux et de
M" Brunet-Lafleur.
— Une dépèche télégraphique annonce la réussite complète de la Cowpe
et lesLèvres, l'opéra tiré du poème d'Alfred de Mussetpar M. Ernest d'Her-
villy, musique de M. G. Canoby, qui a été représenté ces jours derniers
au Théâtre des Arts de Rouen.
— C'est au moment où le théâtre de la Monnaie termine sa saison
annuelle que paraît, à Bruxelles, un fort beau livre le concernant et don-
nant l'histoire complète de ce théâtre qui, dans ces dernières années, a vu
grandir encore son importance par la représentation d'oeuvres françaises
inédites qui ont eu le retentissement que l'on sait. Le Théâtre de la Monnaie
depuis sa fondation jusqu'à nos jours, tel est le titre de ce beau volume
publié avec un luxe rare et un goût. véritable, et que son succès appelait
tout naturellement à un succès considérable chez nos voisins. Dédié à la
reine des Belges, il a pour auteur un des nôtres, un de nos compatriotes,
qui n'est point un écrivain de profession, mais simplement un chanteur,
qui, après s'être fait applaudir vivement sur cette scène importante, a voulu
retracer son existence et son histoire : c'est M. Jacques Isnardon, un jeune
artiste goûté naguère à l'Opéra-Gomique au sortir de ses classes du Conser-
vatoire, et qui s'en est allé ensuite à Bruxelles tenir avec succès l'emploi des
basses chantantes. M. Isnardon a eu en mains toute une série de documents
précieux et inédits, il a su les employer avec intelligence et sagacité, et
il en a tiré les éléments d'un livre bien fait, fort intéressant, véritablement
curieux et neuf, que précëue une préface vive et piquante de notre colla-
borateur Arthur Pougin et qu'accompagne toute une suite de gravures et
de documents de toute sorte du plus vif intérêt, reproduits avec talent
par M. Dardenne. C'est là une publication de premier ordre, et telle
qu'on en souhaiteiait pour chacun de nos grands théâtres parisiens.
La place de professeur de flûte au Conservatoire de Rennes et de
flûte solo à l'orchestre du théâtre est vacante. Un concours pour l'obten-
tion de cette place aura lieu à Rennes, le lundi 2 juin 1890. Les artistes
qui désireraient prendre part à ce concours sont priés de s'adresser di-
rectement à M. le directeur du Conservatoire' de Rennes, et de poser
leur candidature avant la date du 25 mai 1890, dernier délai.
CONCERTS ET SOIRÉES
La Société des instruments à vent vient de clore sa douzième sai-
son musicale par une séance extrêmement brillante. Le public a pris le
plus grand plaisir à l'audition de tous les morceaux portés au programme :
le septuor de Hummel, dit avec un style très pur et un ensemble merveilleux,
par MM. Diémer, Taffanel, Gillet, Garrigue, van "Waeffelghem, Delsart et
de Bailly ; le Rondino de Beethoven; des pièces de Rameau pour clavecin,
flûte et basse, supérieurement interprétées par MM. Diémer, Taffanel et
Delsart; des fragments d'un sextuor de M. Diémer; le charmant scherzo
à deux pianos, de M. Saint-Saêns, et deux pièces de Mozart, pour harmo-
nica (joué sur le Célesta Mustel), flûte, hautbois, alto et violoncelle.
— Le concert avec orchestre donné par M. Delaborde a été un véri-
table événement, cet éminent artiste ne paraissant depuis quelques
années que très rarement en public. Au programme se trouvaient inscrits
à côté de deux grandes œuvres, les concertos en sol de Beethoven (avec
cadences de Delaborde) et en mi \> de M. Saint-Saëns, toute une série de
courtes compositions, 9 études et. 9 préludes de Chopin, le Roi des aulnes et
la 12e rapsodie de Liszt, une étude de Rubinstein, etc. M. Delaborde est
l'un des plus merveilleux virtuoses de l'époque actuelle : avec lui on n'a
pas à redouter ces mièvreries efféminées, ces fades pâmoisons sur chaque
note, ces recherches raffinées de l'effet à tout prix, chères à toute une
école moderne; on est frappé au contraire par la fougue, la hardiesse de
son exécution, la puissance et souvent la noblesse de son jeu, par le res-
pect de l'œuvre que respire toute l'interprétation. On a pu admirer ces
multiples qualités dans le concerto de M. Saint-Saëns, cette œuvre si ori-
ginale, si intéressante, l'une des meilleures assurément du répertoire
moderne du piano, et dans le concerto de Beethoven, dont il a su dire
l'admirable andante avec un sentiment profond et le finale avec une verve
juvénile, une couleur bien remarquable. Son interprétation de la 12° Rap-
sodie de Liszt, de certaines études de Chopin, celle en tierces, celle en
ut mineur, op. 25, n° 12 notamment, de l'étude en ut de Rubinstein, du
Roi des aulnes de Liszt, de Vélude d'après une valse de Chopin de M. I. Phi-
lipp, du chœur des Derviches-tourneurs de Beethoven-Saint-Saëns, a été le
triomphe de la virtuosité la plus étonnante. Inutile d'ajouter que le public
a fêté M. Delaborde par de longs et enthousiastes applaudissements.
M. Garcin a conduit l'orchestre avec habileté.
— M. Delsart vient de donner une intéressante séance avec le concours
de Mm° Krauss et de MM. Widor et L. Diémer. Il a fait entendre le beau
concerto de M. Saint-Saëns et trois charmantes pièces de M. Widor:
andante, allegro et valse (bissée), et a joué toutes ces œuvres si diverses de
style et de sentiment, avec une égale perfection : il est superflu de louer
une fois de plus les belles qualités de sonorité, de charme et de finesse
de ce très excellent artiste. M. Diémer, après avoir interprété, avec M. Del-
sart, la sonate pour piano et violoncelle de Chopin, a joué seul, avec la
prodigieuse technique dont il dispose, le Coucou de Daquin, une orientale
de sa composition et une valse de M. Godard. Mnie Krauss, admirablement
en voix, a dit avec un style superbe le Doux appel, une des plus délicieuses
inspirations de M. "Widor, et Ici-bas tous les lilas meurent, une jolie mélodie
de M. Ch. Lefebvre. Le concert s'est terminé par une transcription sur
Lohen'jrin pour huit violoncelles. I. Ph.
NÉCROLOGIE
Un artiste fort remarquable, le grand violoniste Hubert Léonard, qui
a continué pendant un demi-siècle les nobles traditions de cette superbe
école belge illustrée par Wéry, Ch. de Bériot, Robberechts, Vieuxtemps
et tant d'autres, est mort mardi dernier à Paris, où il était fixé depuis
plus de vingt ans et où il continuait à se livrer à l'enseignement. Léonard -
était né à Bellaire, près de Liège, le 7 avril 1819. Après avoir commencé
son éducation musicale à Liège, il vint la terminer à Paris, au Conser-
vatoire, dans la classe d'Habeneck, et fit partie des orchestres de l'Opéra-
Comique et de l'Opéra. Mais bientôt, confiant dans son talent, il entre-
prit uns série de voyages artistiques en Allemagne , en Suède , en
Autriche, en Belgique, voyages auxquels il dut d'établir solidement sa
renommée, que justifiaient ses éminentes qualités, un son superbe, un
style très pur et l'intelligence la plus sûre des œuvres des maîtres. Lui-
même se livra à la composition, et on lui doit, outre plusieurs concertos,
toute une série d'études remarquables et diverses fantaisies, parmi les-
quelles ses Souvenirs d'Haydn et ses Souvenirs de Grétry lui valurent à Paris
un succès d'enthousiasme. Nommé vers 1850 professeur au Conservatoire
de Bruxelles, Léonard y forma nombre d'excellents élèves, et ne quitta
cette situation que pour venir, en 1807, s'établir à Paris qu'il aimait et
que depuis lors il ne quitta plus. Au nombre de ses élèves les plus
réputés, il faut citer MM. Léopold Auer, Emile Sauret et Paul Viardot.
Tous ceux qui ont connu et approché Léonard,' qui ont été à même de
l'apprécier, regretteront en lui, en même temps qu'un grand artiste, un
honnête homme, un grand cœur et le meilleur des compagnons.
Arthur Pougin.
Henri Heugel. directeur-gétant.
En vente chez Mackar et Noël, 22, passage des Panoramas, Paris, édi-
teurs des œuvres de Tschaïkowsky, Goltschalk, Alard et de la Méthode
de A. Le Carpentier, etc. :
TSCHAÏKOWSKY, op. GO. La Belle au Bois dormant, ballet en trois actes.
Grand succès à l'opéra de Saint-Pétersbourg.— Partition, danses diverses,
morceaux détaillés.
Dimanche 18 Mai 1800.
3085 - 56- ANNEE - N° 20. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Cn an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 l'r.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEXTE
I. Notes d'un librettiste : Georges Bizet (1°' article), Louis Gallet. — II. Semaine
théâtrale: première représentation de Dante, à l'Opéra-Comique, Arthur Pougin;
reprises de la Grande-Duchesse de Gérolslein, aux Variétés, et de Jeanne, Jeannette
et Jeannelon, aux Bouffes, Paul-Emile Chevalier. — III. La musique et le théâtre
au Salon des Champs-Elysées (1" article), Camille Le Sesne. — IV. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
C'EST MA MIGNONNE AMIE
n° 6 des Rondels de Mai, de M. B. Colomer, poésie de Lucien Dhuguet. —
Suivra immédiatement: le Sentier, de Louis Diémer , poésie de A. de
MONTFERRIER.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano: L'Oiseau-mouche, caprice, de Théodore Lack. — Suivra immédia-
tement: Valse-sérénade, d'ANTONiN Marmontel.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
GEORGES BIZET
On écrit beaucoup sur les musiciens célèbres; on. fait à
leur sujet de l'histoire, avec des documents d'origine diverse,
avec des renseignements sur l'homme, avec de la critique
ou de l'analyse largement appliquée à l'œuvre.
Les notes que je consigne ici, d'après des souvenirs déjà
lointains, n'ont point de prétention à l'histoire et à la cri-
tique; elles ne sont qu'une modeste et familière chronique
des choses vues et vécues — des croquis sur nature, que je
vais donner tels que je les retrouve, au hasard des impres-
sions et au courant de la plume, me souciant seulement de
rester Adèle à la vérité.
J'ai vu Georges Bizet, pour la première fois, le soir de la
représentation des Pèclieurs de perles, le 30 septembre 1863. —
Il avait vingt-cinq ans. — L'ouvrage avait été bien accueilli
et de nombreux rappels réclamaient, avec les artistes, le
jeune compositeur. Ma mémoire l'évoque encore très nette-
ment, arrivant sur la scène, ramené d'autorité par ses inter-
prètes, Ismaël, Morini etMU0 de Maësen, un peu étourdi, la tête
baissée, ne laissant bien voir qu'une forêt de cheveux, blonds,
drus et fri*és, couronnant un visage rond, encore un peu
enfantin, me sembla-t-il, animé de la vive lumière des yeux,
qui, alors très mobiles, enveloppaient toute la salle de regards
à la fois ravis et confus.
A Rome, d'où il venait, il avait eu pour compagnons le
peintre Seillier et le sculpteur Tournois; la seconde année de
son séjour lui était arrivé celui qui, après avoir été simple-
ment pour lui un camarade de Conservatoire dans la classe
de composition de F. Halévy, allait être son ami le plus
intime et le plus cher, Ernest Guiraud, à qui j'aurai plus
d'une fois recours pour contrôler ou compléter les souvenirs
que je réunis dans ces pages.
Plein d'une fougue juvénile que les premières épreuves de
la vie de Paris devaient un peu calmer, cédant à un constant
besoin d'activité, il faisait dans la campagne romaine ou dans
les montagnes de fréquentes excursions, durant lesquelles,
marcheur infatigable, il entraînait ses amis jusqu'à quatre
ou cinq lieues du gite, que tous n'avaient point la force de
regagner d'un pied aussi léger que le sien. Ce sport ne l'em-
pêchait pas de travailler, de préparer l'avenir.
Quand je l'ai connu, beaucoup plus tard, le voyant si sou-
cieux des choses de son art, j'ai voulu savoir comment
s'était révélée sa vocation musicale.
Le frère de sa mère était le musicien Delsart. Son père,
modeste artisan jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans, s'était alors
seulement mis en tête d'étudier la musique et avait fini par
l'enseigner. Point d'atavisme bien net, par conséquent.
Le père, pris tardivement de ce goût pour la musique,
avait résolu de faire de Georges Bizet un compositeur. Dès
ses premières années il le dirigea dans ce sens, et la vive
intelligence de l'enfant répondit aux intentions paternelles.
D'autres ont raconté comment, tout d'abord, il étonna ses
professeurs et se fit prédire par eux une brillante carrière.
Ce qu'on n'a pas dit, je crois, c'est que, si bien doué qu'il
fût pour la musique,- il se sentit d'abord entraîné surtout
vers les études littéraires.
Ceux qui, dans le petit appartement de la rue de Douai
qu'il occupa jusqu'à ses derniers jours, ont vu sa biblio-
thèque, très complète, très variée, et les titres des livres qu'il
aimait, soigneusement reliés, méthodiquement rangés, savent
combien ce goût a persisté chez lui et quelle place le com-
merce des maîtres de la littérature, la fréquentation des
vieux conteurs, ont tenue dans l'économie de son existence.
« — Je ne me suis donné qu'à contre-cœur à la musique,
me disait-il un jour; quand j'étais enfant, on me cachait
mes livres pour m'empècher de sacrifier les études musicales
aux études littéraires. »
En songeant à cette carrière si brillante en sa brièveté du
compositeur de Carmen, je me suis souvent pris à douter de
la fidélité de ma mémoire au sujet de ce que je viens de
rappeler. Bizet, rebelle à l'enseignement musical, ce père lui
154
LE MÉNESTREL
enlevant ses livres pour le pousser au piano, cela réappa-
raissait quelque peu invraisemblable, tout au moins quelque
peu paradoxal raconté par ce garçon d'esprit !
Et je ne me serais certainement pas risqué à enregistrer
ce détail, si Ernest Guiraud, prudemment consulté, ne
m'avait affirmé avoir reçu pareille confidence.
Les paroles de Georges Bizet à ce propos m'ayant fort sur-
pris, me sont restées très présentes. — Avec cette singulière
acuité de certains souvenirs, je revois le lieu même où il me
les a dites. — C'était sur le boulevard Poissonnière, non loin
du restaurant Vachette, dans un lent va-et-vient à la porte
d'un cercle où quelque parent, je crois, l'attendait. Et, tou-
jours, il parlait, oubliant l'heure, entraîné par ce retour sur
son existence d'écolier, émettant d'intéressantes théories d'art,
son accent s'imprégnant parfois de quelque amertume, car
il était à ce moment de sa vie où déjà il avait lutté et
souffert...
C'est seulement neuf ans après cette soirée des Pêcheurs de
Perles que j'ai réellement connu Bizet. — Peu de temps avant
notre première rencontre, l'éditeur Choudens m'avait chargé
de mettre des paroles sous la musique de deux valses de
Godfrey, compositeur anglais, chef de musique célèbre
alors chez nos voisins, et dont toutefois le dictionnaire de
Fétis n'a jamais enregistré le nom. — C'est une valse restée
fameuse, les Gardes de la Reine, qui l'avait mis quelque temps
à la mode en France.
Pour me faciliter ma tâche, il m'avait remis ce qu'on ap-
pelle familièrement un «monstre », sorte de maquette repro-
duisant au moyen de mots sans suite la forme musicale du
morceau. Cette fois ce « monstre » était de Bizet, chargé de
l'adaptation et qui, au lieu d'aligner banalement des paroles
quelconques dénuées de sens et simplement faites pour in-
diquer les points d'appui, s'était amusé à écrire une fantaisie
familière, d'une ironie fine, qui me donna le désir vif de con-
naître l'homme.
Je retrouve, dans mes papiers anciens, ce jalon musical que
voici :
Cette valse est admirable;
C'est un morceau ravissant.
Oui, Godfrey seul est capable
De trouver pareil accent.
L'harmonie irréprochable
Indique un cœur innocent.
Ah ! c'est vraiment adorable.
C'est neuf, c'est intéressant !
Voilà de la mélo'die,
Ou je ne m'y connais pas !
Ta grande âme répudie
Le tapage et le fracas.
Va, Godfrey, quoi qu'on en die,
Tu m'as l'air d'un rude gas.
De ton œuvre que j'envie,
Moi je fais le plus grand cas.
Cette valse est admirable
C'est un morceau ravissant.
Oui, Godfrey seul est capable
De trouver pareil accent.
Gounod,Meyerbeer, Berlioz et Rayer
Ne sont près de toi que poussière;
Mozart et Weber, Schumann et Wagner
Çont morts ! Allons ! qu'on les enterre '.
De Lajarte et d'Azevedo
Sois l'idéal, sois le rêve !
Dans le ciel l'illustre Scudo
Te murmure aux filles d'Eve.
Voyager en ta bémol
C'est peut-être raide,
Il faudra rentrer en sol
Sans secours, sans aide,
Module bien simplement
Pas d'enharmonique,
Et que l'accompagnement
Soit très sympathique.
Ah! quelle valse! c'est un morceau ravissant
Oui, Godfrey seul est capable
De trouver pareil accent!
l'n dîner chez l'un des directeurs de FOpéra-Comique,
Camille du Locle, nous réunit bientôt. Nous étions à table
l'un près de l'autre, et ce fut à propos de ces valses de God-
frey que nous échangeâmes nos premiers mots. — Georges
Bizet, bien que très jeune encore, n'était déjà plus le gros
garçon dont nous avions eu la rapide vision à la première
représentation des Pêcheurs de Perles.
L'air très doux et très fin sous le binocle inamovible, la
lèvre presque continuellement arquée par un sourire imper-
ceptiblement moqueur, il causait doucement, d'une voix un
peu sifflante et de cet air détaché des choses que je lui ai
toujours connu, parlant de ce qui le touchait avec ce senti-
ment de vraie et noble modestie qui ne consiste pas à pa-
raître douter de sa propre valeur, mais bien à laisser voir
qu'avec la conscience de ce qu'on vaut, on garde toujours
le regret de n'avoir pas mieux fait ce qu'on s'est donné la
tâche de faire.
Il avait fait alors représenter au Théâtre-Lyrique de la
place du Chàtelet, après les Pêcheurs de Perles, la jolie Fille de
Perth et il se préparait à aborder avec un petit ouvrage la scène
de l'Opéra-Comique, dont Camille du Locle tenait à honneur
de lui ouvrir les portes. — Et ce n'était pas par hasard que
ce soir-là le jeune directeur nous avait placés coude à coude
à sa table. — De cette rencontre allait naître une collaboration
d'où sortit tout d'abord ce petit acte qui s'est appelé Djamileh
et qui prend date — dans le répertoire du compositeur, —
entre la jolie Fille de Perth et Carmen,
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
Opéiia-Comique. — Dante, drame lyrique en quatre actes, paroles
de M. Edouard Blau, musique de M. Benjamin Godard. (Première
représentation le 13 mai 1890.)
M. Paravey, directeur du théâtre national de l'Opéra-Comique,
n'est pas un homme superstitieux et pusillanime. Ayant une grosse
partie à jouer, il n'hésite pas à la risquer sur le chiffre 13. N'ayant
pu, comme il l'avait rêvé, donner la première représentation de
Dante le jour anniversaire de l'apparition du Roi dYs, de M. Edouard
Lalo. c'est-à-dire le 7 mai, il ne s'est nullement effrayé de la pen-
sée de remettre cette solennité à une date fatidique. D'où il appert
que c'est le mardi 13 mai, à huit heures du soir, que le public
de l'Opéra-Comique a été appelé à juger l'oeuvre nouvelle de
MM. Edouard Blau et Benjamin Godard.
Il y avait peut-être quelque audace, de la part d'un librettiste, à
prendre le grand Florentin, l'auteur de la Divine Comédie, du Banquet,
de la Vita nuova, pour héros d'une œuvre lyrique, et à présenter à la
scène un Dante jeune et amoureux, car si nous savons par lui-même
que Dante a été passionnément amoureux, si nous pouvons rai-
sonnablement supposer qu'il fut un temps où il était jeune, nous
avons, en esprit, quelque peine à nous le figurer ainsi, et nous ne
nous le représentons guère qu'au déclin de son existence dramatique
et tourmentée, vieilli avant l'âge (il mourut à peiae âgé de cin-
quante-six ans), la physionomie austère, le front sombre et sillonné
de rides, tel enfin que nous le font connaître la tradition et les
portraits fort authentiques qui sont restés de lui. Ce n'est pourtant
pas, quoi qu'en aieot dit la plupart de mes confrères, la première
fois que Dante s'est trouvé transformé ainsi en héros d'opéra, et si
on ne l'a pas mis aussi souvent à la scène que le Tasse, toujours
est-il qu'en 1832 on représentait au théâtre Carcano, de Milan, un
drame lyrique intitulé Dante e Béatrice, dont la musique avait été
écrite par le compositeur Carrer, artiste parfaitement inconnu du
reste.
A tout prendre, et si l'on voulait faire abstraction du préjuge
traditionnel que je sigoalais à l'instant, c'e9t pourtant une figure
chevaleresque et dramatique, avec un côté vraiment théâtral, que
celle de ce grand homme qui fut, comme le disait un de ses historiens,,
poète, soldat, publiciste, philosophe, homme d'Étal et simple citoyen,
fondateur d'un art et d'une langue, tantôt l'un des chefs de sa cité
LE MENESTREL
155
républicaine, tantôt proscrit, presque mendiant, théologien, mem-
bre tertiaire d'un ordre religieux et ardent apôtre d'une théorie po-
litique opposée a la puissance temporelle des papes, Guelfe et
Gibelin, condamné au feu par un tribunal révolutionnaire, pour-
suivi comme hérésiarque par l'Inquisition et placé après sa mort
jusque dans le Vatican parmi les docteurs de l'Église, qui corres-
pond à tout et réunit en lui tous les extrêmes et tous les contrastes...
Ce fut un homme prodigieux en tous sens, qui, vivant en des
temps singulièrement troublés, à la fin de ce sombre moyen-âge,
dut aux hasards de sa naissance de se trouver fatalement et acti-
vement mêlé aux compétitions ardentes, aux luttes intestines, aux
guerres civiles dont l'Italie était alors le théâtre ensanglanté; qu<,
soldat courageux, prit part à dix batailles, politique éminent devint
l'un des cinq prieurs de Florence et le plus influent, philosophe
généreux avait le plus profond amour de la liberté et du droit popu-
laire, polémiste ardent combattit la papauté par des écrits dont la
puissance même lui devint fatale; avec cela, esprit profond et cer-
veau encyclopédique, qui étudiait l'histoire et la scolastique, la
théologie et les sciences physiques, voire l'alchimie et les sciences
occultes, qui savait le latin, le français, le provençal, cultivait le
dessin, la musique, et chantait à ses heures ; qui entretenait des
relations intimes, fraternelles, avec les hommes les plus distingués
de son temps : le grand architecte Arnolfo, le peintre Cimabue,
dont il reçut des leçons de dessin, un autre peintre illustre, Giotto,
avec qui il vint à Paris et fréquenta l'Université et les écoles de
théologie, le mosaïste Gaddi, le savant Cecco, l'écrivain Francesco
Barberino, les fameux troubadours Guido Gavalcante, Gino di Pistoia,
son homonyme Dante di ilajano et tant d'autres; poète immortel
enfin, génie créateur et profond qui fixa les règles de l'art d'écrire
et auquel l'Italie doit la langue admirable qu'elle parle depuis cinq
siècles, ce qui ne l'empêcha pas, en ces temps d'horribles discordes
civiles, d'accumuler sur lui les haines politiques, les haines reli-
gieuses, les haines littéraires qui empoisonnèrent sa vie et pendant
vingt années le firent errer de ville en ville, toujours proscrit, tou-
jours exilé, toujours malheureux, jusqu'à ce qu'enfin il mourût
presque subitement à Ravenne, au moment peut-être où il allait
lui être donné de revoir sa chère Florence, dont il était éloigné
depuis si longtemps.
Depuis longtemps aussi l'Italie, lui rendant la justice qui lui est
due, a glorifié comme il le méritait son illustre concitoyen. Si Ra-
venne a tenu à conserver son tombeau, qu'on peut contempler dans
l'église des Minorités de Saint-François (on sait qu'il est mort sous
la robe et la capuche des Franciscains), Florence, qui s'apprête à
le fêter dignement, lui a élevé un monument à Santa Groce, ce
Panthéon des gloires nationales, et Vérone lui a érigé une statue
sur la place qui porte son nom, Piazza Dante, dont le caractère
austère et sombre s'accorde bien avec ce qu'on sait de son existence
si fière et si tourmentée. Je dis: ce qu'on sait de son existence,
car certaines parties de la vie du grand poète, dont Boccace a été
le premier historien, sont restées en effet entourées d'un voile
épais et d'une profonde obscurité. Ce qu'on en sait néanmoins suffit,
et amplement, à donner un intérêt suffisant à ?ine action dramatique
dont il est le moteur et le héros. Je ne m'étonne donc pas outre
mesure que M. Edouard Blau ait fait choix de cette noble et mâle
physionomie pour sujet du drame qu'il confiait à l'inspiration de
M. Benjamin Godard. Il ne s'agit que de savoir de quelle façon il
s'en est servi et le parti qu'il en a su tirer. C'est ce que je vais
essayer de faire connaître.
Au premier acte de l'action imaginée par M. Blau, nous voyons
Dante, en pleine jeunesse, de retour à Florence d'un voyage entre-
pris pour ses études, sans doute à l'époque où il fréquentait l'Uni-
versité de Padoue. Il revient le cœur plein d'amour pour sa Béatrice,
anxieux de la revoir, mais juste au moment où Guelfes et Gibelins
se disputent la prééminence dans la vieille cité reconstruite par
Gharlemagne. Un seigneur influei.t, son ami, Simeone Bardi, vou-
lant le rendre utile à son parti, le fait élire prieur de Florence.
Mais Simeone, qui a rendu un éminent service au vieux Portinari,
le père de Béatrice, et qui en a obtenu la promesse de la main de
sa fille, s'aperçoit que celle-ci aime Dante et qu'elle en est aimée.
11 jure donc de défaire ce qu'il a fait, et de précipiter le nouveau
prieur de la situation où il l'a élevé.
Au second acte, Simeone ourdit un complot qui doit amener le
renversement de Dante. Il est confirmé dans ses projets par une
confidence de Gemma, l'amie de Béatrice, qui vient le supplier de
renoncer à celle-ci, dont la santé est mise en péril par l'annonce
d'un mariage qui lui est odieux. Bientôt Béatrice et Dante se re-
trouvent ensemble, et leur passion éclate dans toute son intensité.
Au moment où ils éclfàngent un serment d'éternel amour, Simeone
pénètre à la tèle des conjurés, qui ont, envahi le palais, prêt à
faire poignarder Dante si Béatrice ne fait le serment de se consacrer
à Dieu et d'entrer au couvent. Béatrice jure et son amant est sauvé,
mais un ordre de Charles de Valois, qui entre dans Florence avec
les soldats français, prononce l'exil de Dante, qui est obligé de
s'éloigner.
Au troisième acte, nous assistons au songe du poète, qui a re-
vêtu, un peu tôt au gré de l'histoire, le costume de moine sous
lequel son image nous est si familière. Nous sommes aux environs
de Naples, au pied du Pausilippe, près du tombeau de Virgile, où
Dante vient chercher tout à la fois l'inspiration pour ses vers et la
consolation pour ses malheurs. Brisé de fatigue et de douleur, il'
s'endort sur une pierre, et là voit Virgile lui apparaître en songe,
drapé de blanc, le front ceint du laurier d'or. Le chantre de l'Enéide
dicte alors à l'amant de Béatrice le poème qu'il devra écrire, et
pour l'inspirer, après avoir fait paraître à ses yeux l'enfer et ses
horreurs, il évoque le ciel et lui montre, resplendissante au milieu
d'un nuage azuré qu'entourent de lumineux rayons, l'image de sa
bien-aimée qui semble l'appeler aux cercles de lumière. Puis la vision
disparait, Dante s'éveille, et le paysage reprend sa forme première.
Le quatrième acte nous mène au couvent où s'est retirée Béatrice,
qui n'a pas encore pris le voile et prononcé ses vœux. Le chagrin a
miné sa santé, malgré les soins de son amie Gemma, qui ne l'a pas
abandonnée. Au moment où l'infortunée exhale ses plaintes dou-
loureuses, paraissent Dante et Simeone. Celui-ci, repentant et contrit
de sa mauvaise action, vient la relever du serment que par la force
il lui a arraché et la jeter dans les bras de celui qu'elle aime. Dante
et Béatrice entrevoient le bonheur prochain. . . mais il est trop tard.
Cette suprême émotion a brisé dans l'âme de la jeune fille ce qui
restait de force à son corps épuisé. Après un élan de joie irrésistible,
elle chancelle tout à coup et tombe pour ne plus se relever. Le ciel
seul peut désormais réunir les deux amants.
Je ne chicanerai pas M. Blau sur les entorses qu'il a volontaire-
ment données à l'histoire, sur la façon dont il a travesti ou mécon-
nu certains faits parfaitement avérés. Il a usé là, et tout à sa guise,
de son droit absolu de poète dramatique. Qu'il ait oublié le mariage
très authentique de Béatrice Portinari avec Simeone Bardi, celui,
non moins certain, de Dante avec Gemma, dont le poète n'eut pas
moins de sept enfants, c'est ce dont je n'ai, pour ma part, ni cure,
ni souci. J'aurais voulu seulement, dans son livret, une action plus
serrée et plus vive, un mouvement moins factice, plus de vie réelle,
et par- dessus tout plus de situations foncièrement dramatiques ou,
pour mieux dire peut-être, plus véritablement scéniques. Il est cer-
tain, entre autres et pour ne citer qu'un exemple, que le finale du
premier acte est insuffisant sous ce rapport et n'offre pas les éléments
nécessaires au développement naturel et majestueux de l'idée mu-
sicale telle qu'elle doit se présenter dans un tableau de ce genre.
Ce n'est assurément pas la passion qui manque dans ce livret, c'est
la mise en œuvre et en action de l'élément passionnel. Cette réserve
faite, il ne m'en coûte nullement de constater que son poème est
construit et écrit avec beaucoup de soin. On y trouve de fort jolis
vers, très capables de provoquer et d'aider l'inspiration du musicien.
Mais c'est à celui-ci que j'ai affaire maintenant, et ma tâche, en
ce qui le concerne, ne sera ni toujours facile, ni toujours agréable.
Je tiens à déclarer, tout d'abord, que je compte M. Godard au nom-
bre de nos artistes les mieux doués et les plus dignes d'estime.
Son plus grand tort, à mon sens, est d'avoir en lui-même une con-
fiance beaucoup trop grande, de ne pas se surveiller assez scrupu-
leusement, de croire avec trop de facilité que tout ce qu'il fait est
digne d'éloges, et par conséquent de livrer sans contrainte au public
des choses qui ne sont pas au point ou qui ne méritent pas de lui
êlre offertes. En un mot, M. Godard ne sait pas raturer, ne sait pas
se corriger, semble ne pas reconnaître la valeur du travail et de la
réflexion qui, d'une idée parfois médiocre, savent tirer les éléments
d'une page excellente, soit par la grâce ou la nouveauté de l'agen-
cement harmonique, soit par l'ingéniosité des développements, soit
par le soin apporté à l'accent rythmique, soit enfin par la puissance,
ou la délicatesse, ou le relief donné à l'instrumentation. Il paraît
ignorer complètement la sagesse du précepte de Boileau, aussi par-
faitement applicable à la musique qu'à la poésie :
Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez...
Je soupçonne M. Godard de ne se point hâter assez lentement,
156
LE MENESTREL
et je croirais volontiers qu'il n'a jamais effacé une note de sa vie
de toutes celles qu'il a pu écrire.
Pour en venir à sa partition de Dante, je suis étonné, je l'avoue,
qu'un artiste de son âge et de sa génération y ait montré si peu de
souci des progrès et de l'évolution qui se sont produits dans la mu-
sique depuis un quart de siècle. 11 semble que cette partition date
de trente ans, tellement les procédés en sont arriérés et surannés.
Je ne parle pas du manque d"originalité ; c'est là son péché
mignon. On y rencontre des imitations flagrantes de M. Gounod,
comme daus le duo du second acte entre Dante et Béatrice, ou de
Verdi, comme dans le finale de ce même acte, qui nous reporte aux
jours triomphants de l'ancienne école italienne, ou d'Auber, comme
dans le duo du quatrième acte, ou d'Halévy, comme en divers au-
tres endroits. On voit ce que peut devenir l'unité d'une œuvre, avec
de pareilles façons d'agir. Quant à l'inspiration générale, elle est
souvent bien pauvre, et cette pauvreté n'est pas relevée par l'habi-
leté de la main, par fa fermeté du travail. Ce n'est pas donner du
piquant à son inspiration que de terminer la plupart de ses morceaux
sur la médiante ou sur la dominante, au lieu de les faire tomber tout
naturellement sur la tonique ; ce n'est pas donner de la force à son
instrumentation que de la bourrer à tout, propos de trombones, de
grosse caisse et de timbales, mais simplement de la brutalité ; ce n'est
pas relever l'idée mélodique que d'abuser, sans rime comme sans
raison, des oppositions éternelles de forte au piano et de piano au
forte; ce n'est pas corriger la mollesse de la déclamation que de
placer les temps forts de la phrase musicale sur les syllabes fai-
bles de la phrase poétique, et vice versa. Tout cela seulement dénote
le manque de soin, le manque de travail, le manque de conscience
artistique et, comme je le disais, le trop de confiance en soi.
J'ai d'autant plus regret à émettre de pareilles critiques que,
comme je le disais aussi, je tiens M. Godard pour un de nos ar-
tistes les mieux doués, pour l'un de ceux qui me semblent appelés
à faire 'le plus d'honneur à notre jeune école française. Il faut donc,
dans son intérêt propre, lui ouvrir les yeux sur ses défauts, et
tâcher de le convaincre que toute oeuvre sortie de ses mains n'est
point par cela même un chef-d'œuvre.
J'avais pourtant été bien disposé, par les premières pages de sa
partition. Tout le chœur d'introduction, très crâne d'allure, m'avait
semblé très coloré, plein de mouvement et de chaleur, et la canti-
lène de Dante : le ciel est si bleu sur Florence ! quoique médiocrement
chantée, m'avait paru d'une inspiration délicate et charmante, avec
son caressant accompagnement de harpe. Mais bientôt nous tom-
bions, et pour n'en presque plus sortir, daus le vide et la banalité.
Non seulement certains morceaux sont insignifiants, mais ils sont
manques, comme l'interminable duo de Dante et de Simeone et l'air
de Dante au premier acte, comme la romance de Béatrice au second,
comme l'air éternel qu'elle chante au quatrième. Je ne trouve guère
à signaler, comme dignes de quelque attention, que la péro-
raison du duo des amants au second acte, l'invocation de Dante à
Virgile, qui ne manque ni d'élan ni d'ampleur, certains fragments
de la scène des enfers et du chœur des damnés... et c'est tout. Si
certaines pages ont été accueillies encore le premier soir avec faveur,
telles que l'épisode de Gemma dans son duo avec Simeone au second
acte, et les strophes qu'elle dit au début du quatrième, elles le
doivent surtout au goût et au talent remarquable qu'y a déployées
MUe Nardi.
Car c'est en grande partie à cette aimable artiste que reviennent
les honneurs de la soirée. Son talent de cantatrice, 3on intelligence
de comédienne, joints h sa voix si souple, si chaude et si pure, lui
ont valu, dans le rôle de Gemma, un succès indiscutable et mérité
à tous égards. M1" Simonnet, dont on se rappelle le rayonnant
triomphe daus le Roi d'Ys, n'a pas trouvé, en Béatrice, un rôle ap-
proprié à sa personne et à ses moyens ; elle briserait bientôt sa jolie
voix si l'on devait la contraindre à lutter ainsi longtemps, non
seulement contre les fureurs d'un orchestre désordonné, mais contre
le diapason terrible dans lequel elle est obligée de se mouvoir : tous
les efforts très intelligents de l'artiste ne sauraient surmonter de
telles difficultés. M. Gibert, qui représente Dante, et dont la voix
est dans le haut superbe et pleine d'éclat, élève malheureusement le
cri à la hauteur d'un principe, phrase très mal et articule d'une
façon déplorable, avec un accent que je ne saurais définir; il n'y a
donc pas à l'Opéra-Comique un régisseur capable de faire connaître
aux artistes comment on doit prononcer le français? Quant à
.M. Lhérie, il nous a donné la caricature la plus curieuse d'un traître
de mélodrame transporté sur une scène lyrique; il a des mouve-
ments de corps, des roulements d'yeux, des excès de gestes, tout
cela retour d'Italie, qui sont les plus étonnants du monde.
Parlerai-je de la mise en scène? Elle aussi elle est étonnante, pro-
digieuse, inénarrable, peut-être retour de Nantes, où M. Paravey opé-
rait avant d'être appelé à diriger les destinées d'une scène parisienne
largement subventionnée. Non, vous ne sauriez vous faire une idée,
si vous ne l'avez vu, de ce qu'est le tableau burlesque du rêve de
Dante ; et si vous l'avez vu vous ne sauriez imaginer ce qu'il était
avant d'être accommodé et raccommodé comme il l'est à l'heure ac-
tuelle. Il n'y a pas un boui-boui à Paris où l'on oserait se permettre
une telle plaisanterie, où l'on se moquerait ainsi de cet excellent
publie parisien, si longanime et si bonasse. J'aime mieux terminer
cet article en adressant à M. Danbé et à son excellent orchestre les
éloges que, eux du moins, méritent sans restriction. C'est la partie
la plus agréable de ma tâche.
Arthur Potigin.
Variétés : La Grande-Duchesse de Gérolstein, opéra-boufîe en trois
actes de MM. Meilhae et Halévy, musique de J. Offenbach. —
Bouffes-Parisiens : Jeanne, Jeannette et Jeanneton, opv.ra-comique en
trois actes de MM. Clairville et Delacour, musique de M. P.
Laeome.
Voilà Mlle Jeanne Granier absolument lancée dans le répertoire
de Mme Schneider. Après avoir remporté un très grand succès dans
le rôle de Boulotte de Barbe-Bleue, elle vient de triompher une fois de
plus sous l'élégant uniforme de la grande-duchesse de Gérolstein.
La souplesse de son talent et sa merveilleuse intelligence des choses
de la. scène lui permettent maintenant d'aborder tous les genres et
lui assurent dans chacun une réussite complète. Parisienne absolu-
ment exquise et capiteuse, comédienne de tact tout en jouissant
d'une exubérance communicative, chanteuse d'un mérite rare pour
le genre de théâtre qu'elle a choisi, elle n'a qu'à paraître pour en-
lever tous les suffrages, et lorsqu'elle détaille une phrase un peu
large sur les notes graves qu'elle possède si pleines et si veloutées,
la salle entière l'acclame en délire. Ecoutez-la chanter la phrase de
l'air de la déclaration sur les si, ut, ré graves, rappelez-vous la ma-
nière dont elle disait également cerlain passage de l'Evohé d'Orphée
aux Enfers, et dites s'il ne court pas à ce moment, dans le public,
comme un frisson de volupté. Pleine d'entrain dans les couplets
du Sabre, elle a fait montre de sensibilité dans son duo avec Fritz
et déployé son brio habituel partout ailleurs. Le « mauvais soldat v,
c'est toujours M. Dupuis, comédien merveilleux à qui l'on pardonne
aisément de ne plus avoir de voix. M. Baron joue le baron Puck à
la grande joie de ses admirateurs, M. Germain a fait du prince
Paul un singe en délire et M. Chalmin, à défaut de fantaisie, se sert
de son organe puissant dans le rôle du général Boum. M110 Crouzet
est une ravissante Wanda. Le petit orchestre des Variétés exécute
brillamment la musique d'Offenbach, qu'on entend chaque fois avec
plus de plaisir.
De l'opéra bouffe, nous passons à l'opéra-comique avec Jeanne, Jean-
nette et Jeanneton de M. Laeome, que les Bouffes ont repris cette se- '
maine. Partition tout à fait charmante qui avait été fort bien accueillie,
en 1876, lors de sa première apparition aux Folies-Dramatiques, et
que le public des Bouffes a semblé écouter avec une nouvelle salis-
faction. Les trois rôles de femmes sont distribués à Mmcs Lardinois,
Thuillier-Leloir et Noëlly, qui toutes trois ont trouvé le moyen
d'avoir leur succès personnel au cours de la soirée : M"1' Lardinois
en enlevant avec facilité l'air à vocalises du deuxième acte,
MmG Thuillier-Leloir en disant très finement les couplets du troi-
sième acte et M'"e Noëlly en détaillant d'une façon amusante la
Chanson des Jeunes et des Vieux. M. Piccaluga reste chanteur impec-
cable sous le costume du marquis de Noce et MM. Gaillard, Phi-
lippon et Désiré tiennent leurs rôles de façon amusante.
Paul-Éhile Chevalier.
LA MUSIQUE ET LE THEATRE
AU SALON DES CHAMPS-ELYSÉES
(Premier article.)
C'est l'année des bouchées doubles, car on a coupé la poire en
deux, et tout do même, par un miracle qu'explique l'amour-propre
en éveil de chaque syndicat rival, cela fait deux poires. Le Salon
des Champs-Elysées ne se porte pas trop mal pour un décapité
exposant, comme on l'appelle dans le clan Mcisson'ier. Et quant
aux Cbamp-de-Marsupiaux, ainsi défini par les Champs-Élyséens
LE MENESTREL
im
amis de la littérature tintamarresque, leur Salon, leur Sélection, leur
Galerie (avec toutes sortes de majuscules) a fort bon aspect, malgré
l'absence du lot de « maîtres » jeunes ou vieux restés au Palais
de l'Industrie. La quantité a donc gagné et la qualité n'a pas
perdu. Dans ces conditions, on m'excusera de passer sur les consi-
dérations préliminaires et ie commencer par le véritable commen-
cement, c'est-à-dire par les tableaux.
La première toile qui nous intéresse est un immense tableau de
Munkaczy, plafond pour le musée de l'Histoire de l'art, à Vienne,
allégorie de la Renaissance italienne, placé dans le salon carré,
toujours un peu salon d'honneur. La première impression n'est pas
déplaisante. Les comparses de talent qui entourent les hommes de
génie dans la galerie peinte par M. Munkaczy ne font pas trop
mauvaise figure; la coloration, blonde et souple, a même quelques
caresses pour le regard. Quand on étudie plus attentivement cette
toile kilométrique, on trouve le dessin lâche et la composition
soporeuse, les architectures suspectes et les corps sans solidité.
Bref, un énorme trompe-l'œil, mais qui ne produit pas une illusion
durable. C'était un proverbe aimé des Grecs qu'il ne faut pas
chanter plus haut que la lyre. On pourrait en faire son profit, même
dans la colonie hongroise du quartier de Villiers.
M. Benjamin Constant n'a pas voulu ménager les nerfs des spec-
tateurs sensibles avec la « Sonate au clair de lune », d'un grand
sentiment mais d'une exécution euténébrée qui tourne au rébus.
Le Beethoven assis devant le clavier, sur lequel glisse un pâle rayon,
a plutôt l'air de bénir un cercueil que d'improviser une sonate, et les
assistants ressemblent plus à une famille en deuil qu'à une réunion
de musiciens concertants. A placer dans la même série peu réjouis-
sante : « l'Art domine tout ». dernières paroles de Feyen-Perrin,
illustrées et commentées par Achille Cesbron en une toile assez
habilement traitée qui représente un violoncelliste jouant un grand
morceau au pied du lit du peiutre, tandis qu'un bouquet d'azalées
s'effeuille et qu'une bougie brûle près du profil ascétique de Feyen.
Enfin, à titre de compromis, de terme moyeri entre ces tristesses,
la note doucement rêveuse qui se dégage du tableau de M. Ozambre :
« Musique de chambre ». Deux jeunes geus au piano, et, au pre-
mier plan, une jeune fille assise qui laisse bercer sa pensée au
charme mélancolique de la mélodie.
Quelques grands tableaux décoratifs, pour n'en pas perdre l'habi-
tude : la « Ronde des Damnés, » de M. Marius Poujol, Dante aper-
cevant Paolo et Francesca di Ri mini dans la tourmente des volup-
tueux; la Jeanne d'Arc à l'oriflamme de M. Aman Jean, bonne
illustration pour le quatrième tableau du drame de Jules Barbier,
destinée au musée d'Orléans, assez visiblement inspirée des procédés
d'Olivier Merson; sans oublier la vaste toile de M. Jules Lefebvre,
dont la mise en scène animée ferait tant d'effet si la censure
voulait le permettre et s'il se trouvait,., mais il se trouverait certai-
nement... une actrice de bonne volonté pour représenter l'héroïne
principale — à la Porte-Saint-Martin et à la Galté : « lady
Godiva. » ■
Cette lady Godiva, d'après la légende, était la femme du comte de
Coventry. Timide comme un agneau, douce comme une colombe, sa
chasteté était sans tache et sa pudeur scrupuleuse. Un jour que les
habitants de Coventry suppliaient leur suzerain de diminuer les
charges publiques — ni impôts, ni emprunt — elle intercéda pour
eux : — « De par Dieu, s'écria le dur guerrier, homme d'imagina-
tion sous une rude écorce, je ne remettrai aucune des taxes que
vous ne vous aliiez promener à cheval, nue comme l'enfant qui vient
de naître, d'un bout à l'autre de la ville. » Il pensait sauver ainsi
la caisse, mais lady Godiva le prit au mot. — « Je ferai ce que vous
dites, s'il le faut pour sauver ces pauvres gens. » Le comte, fort
marri de son imprudence, ordonna qu'au jour de l'épreuve on ne mit
pas le pied dans la rue et que chacun restât chez soi, portes closes,
fenêtres barrées. Bref, on ferma la Bourse et les grandes adminis-
trations chômèrent. Tout porte à croire que les employés et les pe-
tits commerçants en profitèrent pour aller faire un tour dans la
banlieue de Coventry et s'y livrer aux douceurs de la pêche à la
ligne. Seul, un boulanger, mù par une curiosité coupable, hasarda
un œil à travers sa porte entrebâillée et fut cruellement puni, car il
perdit subitement les deux yeux. Comme il lui arrive souvent, la
justice céleste avait fait l'usure.
Sur cette donnée, passablement égrillarde, M. Lefebvre a peint un
tableau sobre et même sévère, mais que réveillent les carnations
savoureuses de la charitable lady, nue, en effet, comme l'enfant qui
vient de naître. Le décor n'en reste pas moins triste, mais il fait son
métier de repoussoir.
Si des grands tableaux nous passons aux grandes œuvres, arrêtons-
nous dans la salle des Henner. Le maître peintre a fait deux envois.
Ils sont mieux que parfaits; ils sont suggestifs dans leur étrangeté
voulue. A première vue, on baptiserait l'un la Madeleine aux Camé-
lias; c'est la « Mélancolie » aux yeux bleus reflétant l'infini des
stériles appétences, au teint pâle, aux trails ravagés, une mélancolie
bien moderne, qui a dû faire de bien mauvaises lectures ; et l'autre,
que les promeneurs irrévérencieux ont baptisé « l'Institutrice fatale »,
est le portrait de Mmc Roger-Miclos, l'excellente virtuose casquée de
sa lourde chevelure d'ébène. Dans un tout autre genre de facture,
et d'une valeur artistique moindre, mais très vivant, très parlant en
sa pose qui fait face au public, l'« Emile Blavet » de M. Chartran.
Vous plairait-il de revenir aux tableaux de genre? Voici deux
Rochegrosse qui nous intéressent à un point de vue particulier,
celui du portrait moderne en oripeaux antiques. Le premier est le
combat de cailles, toute une famille du patriciat romain rangée au-
tour de la table sur laquelle se déchirent à coups de bec les oiseaux
balailleurs. M. Rochegrosse ayant cette année le parti pris de mo-
derniser le genre historique, la mère de famille qui préside à cette
distraction iûlime ressemble prodigieusement à Mmc Paul Mounet
qui fut M110 Barbot. Dans l'autre Rochegrosse, « l'arrivée de la nou-
velle au harem », seconde ressemblance. Elle rappelle étonnamment,
cette nouvelle, la première jeunesse de Mllc Legault (qui commence
à peine la deuxième). Elle a les cheveux blonds, très clairs et très
envolés, les yeux faussement naïfs, l'air absorbé de Tète de linotte.
Les autres femmes font sa toilette et s'amusent de son ahurissement.
M. Rochegrosse semblait destiné, lors de ses brillants débuts, à
quelque chose de plus et de mieux que la reprise des procédés de
M. Lecomte de Nouy, même améliorés. Cette petite mascarade n'en
est pas moins fort amusante.
Il n'est pas loin, M. Lecomte de Nouy, avec une scène d'opéra-
comique: promenade en gondole à Venise. Toujours des personnages
découpés dans les buis des tons les plus variés. De ce tableau
cruellement froid on tirera une bonne gravure.
Plus vivant le « récit du torero» de M. Worms suivant la formule,
d'ailleurs habile, de toutes les wormseries passées, présentes et
futures. Il ressemble à Jolly, ce torero. Il a l'air de M. Perrichon
racontant comment il a tué le taureau lors de son dernier voyage en
Espagne.
Très théâtrale la composition que M. Glaize intitule Sainte Agnès.
La patronne des ingénues de la scène, et même de la ville, traverse
la plus rude épreuve qu'ait jamais subie sa sainteté. Elle a été
conduite par l'ordre du préteur dans un mauvais lieu. Ce tableau
tout en longueur, qui fait d'abord songer à une parade de saltim-
banques en costumes mythologiques, contient cependant quelques
morceaux curieux d'une exécution osée, par exemple l'éphèbe sus-
pect qui fait le boniment au public, à fleur de toile, et aussi l'ivro-
gne titubant qui s'appuie sur le bras d'un compagnon d'orgie. Mais
l'ensemble manque d'unité, et, quant à la sainte Agnès, vêtue
d'une longue robe aux plis lourds, qui joint les mains au milieu
du tableau, elle donne l'impression d'un anachronisme de bibelot,
d'une statuette en bois du quinzième siècle égarée au milieu de
figurines de Tanagra.
M. Maillart nous montre Jeanne d'Arc écoutant les voix célestes :
saint Michel, sainte Marguerite et sainte Catherine. La Sainte Cécile
de M. Matignon « ... Et souvent, le soir, les petits oiseaux venaient
chanter auprès d'elle », est une composition d'un bon sentiment
poétique. M. Poncet (Orphée) s'est appliqué à traduire sur la toile
un passage des Géorgiques. arrangées par Delille :
Près du Strymon glacé, dans les antres de Thrace,
Durant sept mois entiers il pleura sa disgrâce;
Sa voix adoucissait les tigres du désert,
Et les chênes émus s'inclinaient dans les airs.
La peinture de M. Poncet est aussi du Delille. M. "Wagrez, en une
vaste composition décorative, dous montre une scène du Décameron,
prise au moment où la reine prononce ces mémorables paroles dans
le bois sacré propre aux devis élégants : « Valeureuses jeunes fem-
mes, comme dans les nuits sereines les étoiles sont l'ornement du
ciel, et comme au printemps les fleurs sont l'ornement des prés
verts, ainsi les bons mots sont l'ornement des belles manières et des
entretiens agréables. » M. Jean-Paul Laurens, en de moindres pro-
portions, et avec une certaine sécheresse de pinceaux, représente
la fondation des jeux Floraux. Sept troubadours en robes rouges,
sept Dantes. C'est beaucoup.
(A suivre.) Camille Le Senne.
458
LE MENESTREL
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Nouvelles de Londres : La courte saison d'opéra anglais par la troupe
Cari Rosa s'est terminée samedi avec deux représentations : Carmen et
Mignon, les deux pièces les plus heureuses de la série. L'ensemble de la
troupe a laissé beaucoup à désirer, surtout du coté masculin : M. Mac
Guckin. le ténor indispensable, n'a plus que quelques rares notes dans
la voix. MUo Zélie de Lussan a été très appréciée dans le rôle de Carmen,
qu'elle chante avec une jolie voix ; mais elle manque complètement d'au-
torité pour personnifier la bohémienne, qu'elle joue tout à fait à côté, en
accentuant le côté espiègle du rôle. Le public a aussi fait un gros succès
à Mlle Fanny Moody, une fort jolie Mignon, ayant une bonne voix et d'ex-
cellentes intentions ; malheureusement, cela ne supplée point au manque
d'école de la chanteuse ni aux maladresses de la comédienne. A propos
de cette représentation, je dois vous signaler les mutilations qu'on a fait
subir à la partition d'Ambroise Thomas. Non seulement le prélude du
troisième tableau, le duo : » As-tu souffert?» et la berceuse ont complète-
ment disparu, mais on a encore pratiqué une coupure inouïe au beau
milieu de l'air : « Connais-tu le pays ? » ; je n'en aurais pas cru capable
l'excellent chef d'orchestre M. Goossens. Thorgrim, le nouvel opéra de
M. Frédéric Cowen, considérablement raccourci après la première repré-
sentation, n'est réellement qu'un succès d'estime et ne se maintiendra
pas au répertoire. — A la Société Philharmonique, après le grand et
légitime succès remporté par la nouvelle symphonie en sol de Dvorack.
dirigée par le compositeur, c'était le tour de M. Mancinelli, qui est venu
conduire une nouvelle suite d'orchestre de sa composition : « Scènes véni-
tiennes «.Malgré l'accueil très bienveillant du public, j'aurais de grosses
réserves artistiques à formuler contre cette œuvre bruyante et vide. L'au-
teur s'est du reste attiré de nombreuses protestations en faisant répéter un
scherzo des plus vulgaires. — L'invasion des pianistes continue : Sta-
venhagen, Sappelnikoff, Teresa Careno, Paderewski,- Franz Rummel,
Sophie Menter, etc., font tous en même temps appel au public qui ne
sait où donner de la tète. Je ne sais si c'est à cette cause ou peut-être au
très mauvais temps qu'il faut attribuer les nombreux vides constatés au
premier concert Paderewski, fort maladroitement annoncé du reste comme
le lion de la saison parisienne. Après tout, ce sont les absents qui avaient
tort; car dans un programme très éclectique, le pianiste polonais a affirmé
une grande souplesse de talent et un mécanisme impeccable : son exécu-
tion par trop vigoureuse choque au premier abord; mais l'artiste sait la
tempérer par des touches d'une délicatesse charmante, et la fougue de
ce tempérament artistique finit par avoir raison de l'auditoire le plus
prévenu. Le public se portera en foule à ses prochains concerts. — L'émi-
nent chef d'orchestre viennois Hans Richter a commencé lundi sa nou-
velle saison de concerts, avec son dernier programme de Bruxelles. Foule
énorme et succès considérable, surtout pour les fragments wagnériens.
La saison d'opéra italien sera inaugurée lundi 19 mai à Covent-Garden :
on jouera Faust pour la rentrée des frères de Reszké et le début de M",c Nuo-
vina. Jeudi 22, les Pécheurs de perles, pour le début de M. Cobalet. A.G.N.
— Le successeur du docteur Henry "Wylde à la célèbre chaire universi-
taire du Gresham professorship of music est désigné. C'est le docteur
J.-F. Bridge, organiste de Westminster Abbey, examinateur des Universités
d'Oxford et de Cambridge, et compositeur d'un grand nombre d'oeuvres
religieuses très estimées. Le docteur Bridge l'a emporté sur six redou-
tables concurrents. Comme thèse, il avait choisi le sujet suivant : « Du
siècle de musique anglaise qui a suivi immédiatement la fondation du
Gresham chair of music. »
— Il ne faut pas toujours se fier à l'annonce de certains succès faite
par certains journaux. Voici ce que nous trouvons aujourd'hui dans une
correspondance de Munich, au sujet du nouvel opéra de M. Nessler, dont
nous avons annoncé la récente apparition en cette ville : — « Le nouvel
ouvrage de Victor Nessler, l'auteur du Trompette de Sàkkingen, a fait ici un
four des mieux conditionnés. Die Rose von Strassburg (la Rose de Strasbourg)
est, comme texte, un très plat pastiche des Maîtres-Chanteurs, comme
musique, un très méchant ramassis de lieux communs, distillant l'ennui
le plus noir. Le compositeur n'en a pas moins été l'objet d'un rappel,
mais c'est sans doute, dit un critique, parce que le public voulait se
payer la tète de l'auteur célèbre du Trompette. C'est bien possible après
tout. »
— Un début à sensation nous est signalé de Vienne, au théâtre An der
Wien. C'est celui de la diva hongroise Icka Palmay, dans Mam'zelle
Nitnuche, qu'elle interprétait pour la première fois en langue allemande.
Depuis l'époque des Gallmeyer et des Geistinger, dit un journal, Vienne
n'a pas applaudi une chanteuse d'opérette aussi piquante, aussi gracieuse.
Avec Mam'zelle NUouche semblent revenir les beaux jours du théâtre An
der Wien.
— Nos confrères italiens ne sont pas d'accord entre eux en ce qui con-
cerne Verdi et l'opéra que le maitre serait en train d'écrire, ainsi que
nous l'avons rapporté d'après le Trovatore. « Nous ne le faisons pas avec
plaisir, bien au contraire, dit le Mondo arlislico, mais nous devons démen-
tir la nouvelle donnée par notre excellent collègue le Trovatore, à savoir
que Verdi serait sur le point d'écrire un nouvel opéra : Romeo e Giuletta,
et cela après informations prises auprès de qui nous pouvions les obtenir
d'une façon indiscutable. Nous pouvons ajouter qu'en effet il en a eu un
moment l'idée aussitôt après Otelio, mais qu'il l'a abandonnée pour ne
point distraire de son Néron Arrigo Boito, qui lui aurait construit le
livret. » A cela le Trovatore, un peu piqué, répond en ces termes : —
« Démenti à un démenti. A la dernière heure nous recevons le Mondo
artistico, qui prétend démentir la nouvelle donnée par le Trovatore du
25 avril: Verdi écrit! Quoi qu'en dise le Mondo, le Trovatore affirme que
Verdi écrit, et précisément Giulietla e Romeo. » Souhaitons que ces frères
ennemis finissent par s'entendre, soit au sujet de Romeo e Giulietla, soit
au sujet de Giulietta e Romeo, car ici tout parait reposer sur une transpo-
sition de noms.
— Les spectateurs italiens ne paraissent pas plus s'accorder que leurs
journaux. Un ténor, nommé Giordano, qui avait été engagé à Triestepour
y chanter les Pécheurs de perles, s'y était vu si mal accueilli qu'il n'avait
pas pu terminer la représentation. Or, le même artiste, dans le même
ouvrage, vient d'obtenir un succès éclatant au Costanzi de Rome. Tant il
est vrai, dit à ce propos un critique, que « la scène est une mer instable!»
— A Florence, il avait été question de transformer le théâtre Rossini
en une grande salle de concert. Ce projet a été abandonné, mais l'exis-
tence du théâtre n'en parait pour cela pas moins menacée. On parle
aujourd'hui d'en faire « une église anglaise », ce qui est on ne peut plus
édifiant.
— Dépêche de Florence : « ISHxjmne à la Paix de M"e Augusta Holmes
a été exécuté vendredi avec un succès considérable : chaque strophe était
soulignée parles cris de : Vive la France! Au milieu des ovations et
sous une pluie de fleurs, on a redemandé deux fois l'Hymne A la Paix.
L'auteur a été rappelé à trois reprises. Le Comité de l'Exposition a de-
mandé deux nouvelles représentations : on donnera ensuite une repré-
sentation populaire. »
PARIS ET DÉPARTEMENTS
M. Gailhard, au lieu et place de M. Ritt, gravement malade, a été.
entendu vendredi par la Commission supérieure des théâtres, présidée par
M. le ministre des Beaux-Arts. La séance a duré deux heures, pendant
lesquelles M. Gailhard a donné, sur la gestion artistique et financière de
l'Opéra, depuis 1885 jusqu'à ce jour, des explications dont la Commission
verra le compte qu'elle peut en tenir. Il faut considérer, d'ailleurs, que
M. Gailhard se remue beaucoup depuis quelque temps pour tenter d'effacer
les impressions fâcheuses qu'a laissées dans le public sa gestion désas-
treuse à l'Opéra, en collaboration avec le digne M. Ritt. Voici qu'il vient
enfin de réengager Mme Caron, ce qui nous promet une belle reprise de
Sigurd et, probablement aussi, la prochaine apparition de Salammbô. Mais
pourquoi ne faire toutes ces belles choses que contraint et forcé et jamais
d'abondance? Cela prouve une bien courte vue et un manque complet
d'intelligence artistique. Nous avons vu les mêmes errements, déjà,
au sujet de M"16 Melba, dont les directeurs ne voulaient à aucun prix, ne
lui trouvant « aucune espèce de talent ». Il a fallu de bien grandes
pressions encore pour les amener à cet engagement qui leur a fait tant
d'honneur. Avant de partir pour Londres, M"10 Melba va donner une série
de représentations d'Hamlet; c'est le rôle d'Ophélie qui lui a valu son
grand succès à Paris, on sera donc heureux de l'y revoir, car c'est là,
certainement, qu'elle trouve à utiliser, avec le plus d'avantage, ses mer-
veilleuses qualités.
— Toujours la question de l'Opéra-Comique qui se traîne dans les
mêmes ornières. La commission du budget a entendu cette semaine
M. Bourgeois, ministre de l'instruction publique et des beaux-arts, sur
les conséquences financières du projet relatif à la reconstruction de l'Opéra-
Comique. Le ministre, après avoir tout d'abord déclaré qu'il faisait sien
le projet déposé en dernier lieu par son prédécesseur, M. Fallières, a in-
sisté sur les raisons qui militent en faveur delà reconstruction du théâtre
sur son ancien emplacement. Il a expliqué, notamment, que les recettes
de l'Opéra-Comique, qui, pendant les dix dernières années antérieures à
l'incendie, s'élevaient en moyenne à 172,000 francs par mois, étaient tombées,
depuis deux ans, à 143,000 francs par mois. C'est donc une diminution
mensuelle de 30,000 francs dans les recettes du théâtre, depuis son instal-
lation place du Chàtelet. Si cette situation devait se prolonger, a ajouté
le ministre, la subvention de l'Etat deviendrait insullisante et force serait
de l'augmenter. Or, combien coûterait la reconstruction sur la place
Boieldieu ? — 3,480,000 francs. Les sommes versées par les compagnies
d'assurances, jointes à la vente des anciens matériaux, réduisent la dé-
pense réelle à 2,413,000 francs. En empruntant cette somme, à i 50 0/0,
l'amortissement se ferait en trente années, moyennant une annuité de
118,000 francs. Or, comme dans l'état actuel, :1 faut payer à la Ville de
Paris, pour prix de location de la place du Chàtelet, 80,000 francs par an,
il suffirait en somme, d'une dépense supplémentaire de 38,000 francs par
an pour être propriétaire, au bout de trente ans, du théâtre reconstruit sur
son ancien emplacement. Après le ministre, M. Delaunay, rapporteur de
la commission spéciale, a été également entendu; il a repris les argu-
ments de M. Bourgeois et les a appuyés de considérations relatives aux
droits de la famille de Choiseul. Malgré tout, la commission du budget,
par 12 voix contre 8, a maintenu l'avis défavorable qu'elle avait précé-
demment émis. Le projet n'en sera pas moins, .d'ailleurs, incessamment
LE MENESTREL
1ÏJ9
déposé sur le bureau de la Chambre, et le ministre des beaux-arts se
joindra au rapporteur pour en demander l'adoption.
— A l'Opéra-Comique on presse beaucoup les répétitions de la Basoche,
petite œuvre dans le genre gai, de MM. Albert Carré etMessager. En voici
la distribution : Clément Marot, M. Soulacroix ; le duc de Longuoville,
M. Fngère ; Jehan Léveillé, M. Carbonne ; Roland, M. Cobalet ; Maître
Guillot, M. Grivot; Louis XII, M. Maris ; Marie d'Angleterre, M'™ Lan-
douzy ; Colette, Mmo Mole. On voudrait donner la première avant la fin
du mois. Mais voilà, M. Paravey se demande avec inquiétude si son théâ-
tre est suffisamment machiné pour suffire à la mise en scène de la Basoche.
Nous verrons bien.
— On assure que M. Bertrand vient d'écrire à M. Cantin pour le prier
de convoquer les membres de la société propriétaire de l'Eden-Théàtre.
Il lui proposerait, à la charge par la société de reconstruire la salle et
d'installer des galeries, de reprendre lui-même l'exploitation. Il avisera,
par la suite, au genre de spectacle qu'il conviendra de donner. L'archi-
tecte se fait fort d'opérer en trois mois la réfection partielle de la salle
par l'installation de deux nouvelles galeries. Le nombre des places attein-
drait deux mille, ce qui ferait une augmentation de plus de huit cents.
Le promenoir disparaîtrait, et le problème de l'acoustique de la salle
serait en même temps résolu. C'est le plan Schmidt, qui avait été primi-
tivement adopté par M. Garvalho. La dépense s'élèverait à 350,000 francs
environ.
— M. Antoine nous menace d'un nouveau « théâtre libre » à jet continu,
c'est-à-dire d'un théâtre où l'on jouerait tous les jours et où le public se-
rait admis comme autre part. Voici son petit boniment, tel qu'il l'envoie
aux journaux : « La nouvelle salle de spectacle sera édifiée sur un empla-
cement en façade sur le boulevard, non loin de l'Opéra. La salle contiendra
900 places. Elle sera de dimensions telles que des comédiens parlant au
diapason naturel seront facilement entendus de toutes les parties de l'édi-
fice. Les places coûteront 50 0/0 meilleur marché que dans la moyenne
des théâtres actuels. La décoration de cette salle, les dégagements, les
foyers, l'aménagement matériel seront empruntés aux installations les
plus rationnelles des théâtres étrangers. La scène, pourvue d'une machi-
nerie, d'un éclairage et de dégagements inconnus, permettra la réalisation
sans entr'actes de n'importe quelle conception dramatique, quelles que
soient son importance ou sa nature. Un orchestre aménagé comme à
Bayreuth permettra, le cas échéant, de faire des exécutions musicales. Le
Théâtre-Libre comportera une troupe de trente-cinq artistes des deux
sexes. Ils recevront des appointements annuels et jouiront de la participa-
tion aux bénéfices. Ils joueront tous les emplois que la direction leur
assignera. — Les rôles importants seront remplis tour à tour, dans le
même ouvrage, par plusieurs artistes. Les noms de ces artistes ne paraî-
tront jamais sur les affiches publiques, lesquelles mentionneront simple-
ment l'heure du spectacle, l'ouvrage représenté et l'auteur de cet ouvrage.
Le spectacle sera renouvelé tous les quinze jours, quel que soit le sort de
l'œuvre représentée; s'attarder sur un succès, ce serait recommencer l'en-
combrement et ralentir la production. Il y aura seize spectacles par saison.
Les premières représentations de chacun de ces spectacles seront données
à bureaux fermés, devant une salle composée de la presse, d'invités et des
membres honoraires du Théâtre-Libre. Ceux-ci, privilégiés, conserveront
dans la nouvelle combinaison leurs droits de possession d'un fauteuil à
l'abonnement sans que le prix de cet abonnement soit modifié. Ils jouiront
des seize spectacles de la saison. En cas de difficultés avec la censure, le
Théâtre-Libre, reprenant pour un soir sa forme ancienne, donnera, en
représentation privée, l'œuvre qui aura causé la contestation. Sur tous les
autres points, le Théâtre-Libre rentrera dans la catégorie des théâtres
ordinaires, — les ouvrages à représenter, leur mise en scène et leur dis-
tribution restant sous la direction exclusive de M. Antoine. » Voilà un
beau théâtre lyrique pour l'avenir.
— La reprise d'OEdipe roi avec la musique de Membrée a eu lieu cette
semaine, avec un grand succès, à la Comédie-Française. Mounet-Sully a été
superbe ; son frère Jean-Paul s'est fait applaudir dans le personnage de
Tirésias, qu'il avait interprété lors de la représentation du théâtre d'O-
range. La partition de Membrée est devenue partie intégrante d'OEdipi;
elle est à la fois élégante dans les deux idylles et dramatique dans la
scène où Œdipe s'est crevé lesyeux. Nous espérons entendre la partition
complète dans un de nos grands concerts, avec le développement orches-
tral que comporte l'œuvre importante de Membrée, qui ne contient pas
moins de douze morceaux.
— Dans sa dernière séance, la Commission des auteurs et compositeurs
dramatiques a procédé à la formation de son bureau pour l'exercice 1890-
1891. Ont été élus : MM. Camille Doucet, président; Ludovic Ilalévy, Fran-
çois Coppée, Edouard Pailleron, vice-présidents; Philippe Gille, trésorier;
Paul Ferrier, archiviste; Armand d'Artois, Albert Delpit, secrétaires.
— L'assemblée générale annuelle de l'Association des artistes musiciens
a eu lieu, mardi dernier, au Conservatoire. M. Eugène Gand présidait, en
l'absence de M. Golmet d'Aage, empêché par une indisposition heureuse-
ment sans gravité. Le rapport sur les travaux de l'année a été présenté par
M. Paul Hougnon, secrétaire. L'assemblée a constaté avec une vive satis-
faction que l'exercice 1889 avait été exceptionnellement fructueux. On a
encaissé, en ell'et, une somme de 312,381 fr. 13 c, chiffre le plus élevé qui ait
jamais été atteint depuis la fondation de la Société, en 1843. Le chiffre
des cotisations n'entre dans cette somme que pour 54,960 fr. 50 c; celui
des rentes de l'Association y figure pour 107,210 francs. Le surplus de la
recette est dû à l'encaissement du legs Boucicaut, 100,000 francs, et aux
legs et dons de M"10 Erard, de MM. Heugel, d'Aoust, Baillot, Ritt et Gail-
hard, etc. Pour très brillante qu'elle soit, la situation de l'Association
ne lui permet pas encore de faire droit à toutes les demandés de pensions
qui se produisent, mais le comité, dans la mesure du possible, atténue
cet état de choses en accordant aux ayants droit, dont la situation ne per-
met pas d'attendre la liquidation de leur pension, des allocations presque
équivalentes à la pension qu'ils pourraient recevoir. C'est ainsi que 368
sociétaires, pensionnaires ou ayants droit à la pension reçoivent sur les
revenus de l'Association plus de 100,000 francs; le surplus en secours
pour cause de maladie, accidents, situations imprévues, etc. Le rapport,
qui constate que le nombre total des membres de l'Association était, au
1er janvier 1890, de 5,940, a excité à plusieurs reprises les applaudissements
de l'assistance. Il a été procédé, aussitôt après sa lecture, à l'élection de
quatorze membres du comité. Le nombre des présents était de 209; 206
seulement ont pris part au vote. Ont été élus pour cinq ans : MM. Colmet
d'Aage, par 205 voix; Rougnon, 205; Garcin, 202; Dancla, 202; Ernest
Altès, 201 ; Jules Cohen, 200; Lebouc, 199; Wettge, 198; Benjamin Godard.
197; Taskin, 197; Danhauser, 182; Paul Girod, 145. Pour trois ans:
MM. Papaïx, par 125 voix ; Charles Caillon, par 117. M. Guilmant, dont
les pouvoirs expiraient, et qui ne se représentait pas, a réuni 79 voix ;
puis venaient MM. Gandon, Maillet du Boullay, etc.
— Aussitôt la campagne de M. Brasseur terminée, les Nouveautés ne
fermeront pas leurs portes, cet été. Comme nous l'avons annoncé déjà,
M. Alhaiza l'intelligent directeur du théâtre Molière, de Bruxelles, vient s'y
installer pour y faire représenter le Voyage de Chaudfontaine, le charmant
opéra-comique, plus que centenaire, de Jean-Noël Hamal, découvert naguère
dans la poussière de la bibliothèque du Conservatoire de Liège, et joué
en Belgique, avec un énorme succès. Complétons nos renseignements. Le
livret, écrit en patois liégeois, a été traduit et adapté à la scène française
par M. Henri de Fleurigny. C'est à tort que certains journaux ont dit que
M. Alhaiza venait à Paris avec la troupe de son théâtre. C'est une troupe
toute nouvelle qu'il a formée expressément et qui est composée des meil-
leurs éléments. Les trois rôles de femmes seront chantés par M!ls Rachel
Neyt, la charmante dugazon du théâtre de la Monnaie, M1,c Zelo Duran,
qui a joué pendant tout l'hiver, avec un vif succès, l'opérette à l'Alhambra
de Bruxelles, et MUo Bastin, une lauréate du Conservatoire de Liège,
douée, paraît-il, d'une très belle voix. L'orchestre sera celui des Nouveautés,
et les chœurs sont recrutés à Paris, parmi les meilleurs sujets. Les études
ont commencé et la première est dès à présent fixée au lundi 2 juin. Le
spectacle commencera par une comédie inédite de M. H. de Fleurigny,
intitulée : La Chanson du Tzigane, interprétée par Mllcs Suzanne Richmond
et Jenny Diska, MM. Deval, Berthal et Mortier. M. Vidal s'est chargé
de composer l'ouverture, la musique de scène et celle de la Chanson du
Tzigane.
— Comme on parle beaucoup de M. Saint-Saëns en ce moment, de son
voyage mystérieux à Las Palmas et de son prochain retour parmi nous,
M. Colonne, qui est toujours à l'affût des actualités, en profite pour orga-
niser au Trocadéro, le samedi 31 mai, à deux heures, une sorte de festival,
où ne seront exécutées que des œuvres de l'auteur d'Ascanio.
CONCERTS ET SOIRÉES
Avant de quitter Paris, M. Paderewsky a donné à la salle Erard
une dernière séance de piano, au bénéfice d'une œuvre de bienfaisance.
Il avait composé, pour la circonstance, tout un petit programme de compo-
sitions françaises qui ont fait le plus grand plaisir. C'est le charmant
Rigaudon de Léo Delibes qui a eu les honneurs de la séance, avec une
petite œuvre de M. Pierné. Ces deux numéros ont été bissés d'acclama-
tion. Très remarquée aussi \d.Cliansondu rouet, de Francis Thomé. Quanta
l'exécutant,on l'a fêté de la bonne manière. G'estl'enfantgàté des Parisiennes.
— Dimanche dernier, salle Pleyel, brillante audition d'oeuvres de M.Léo
Delibes interprétées devant l'auteur par les élèves de Mlle Hortense Pa-
rent. Les morceaux d'ensemble à dix, douze et dix-huit mains, découpés
dans Lakmé, Sijlvia, le Roi s'amuse, etc., etc., ont émerveillé l'auditoire.
Parmi les solistes, on a particulièrement applaudi MUe Louise S., qui a
joué le ravissant divertissement de Coppélia : « Fête de la Cloche », tout
entier de mémoire avec une maturité de talent bien remarquable. A
l'issue de la séance, en quelques paroles empreintes d'une cordialité
toute sympathique, le maître a exprimé sa .satisfaction et chaleureuse-
ment félicité les élèves et leur professeur.
— M. Louis Diémer vient de remporter de grands succès au Cercle philhar-
monique de Bordeaux, où il s'est fait entendre tour à tour sur le clavecin
et sur le piano forte. Les pièces des Clavecinistes d'Amédée Méreaux ont
paru tout à fait charmantes, et la Grande valse de concert de M. Diémer lui-
même, enlevée d'une façon vertigineuse, a achevé de mettre le feu aux
poudres. Acclamations pour l'auteur et l'exécutant.
Soirées et Conceiits. — Matinée musicale particulièrement brillante dimanche
dernier, chez M. Delsart. L'impression produite a été d'autant plus vive que le
programme était court et composé avec un goût vraiment exquis. Il réunissait
les noms de Beethoven et de Schumann à ceux de MM. Massenet, Widor, Fauré
160
LE MÉNESTREL
et Diaz. M. de Soria a fait admirer, dans plusieurs morceaux de chant, une voix
pure et une diction élégante et distinguée; II. TafJanel a étonné et ravi une fois
de plus par le velouté, la douceur et le charme des sonorités qu'il tiie de son
instrument; M. Rémy a joué en excellent virtuose une jolie berceuse et un tam-
bourin de Leclair. Enfin M. Delsart a été acclamé après l'exécution de sa trans-
cription de deux pièces de M. Widor. Le piano était tenu par JIM. Widor et
Leitert. — VEuterpe, société chorale d'amaleurs, a fait entendre lundi dernier,
salle Erard, avec le concours de 1T" Lalo, de M"0 Menusier et de MM. Warm-
brodt et Auguez, la Lyre et la Harpe de M. Saint-Saëns et le Requiem de Schumann.
L'exécution n'a rien laissé à désirer. L'œuvre de M. Saint-Saëns est d'une inspi-
ration noble, très soutenue et vraiment poétique. Le Requiem est à la fois austère
et d'une expression pénétrante. Entre ces deux ouvrages, Mm° Marie Jaëll a joué
avec une verve exubérante Etude en forme de valse, Souvenir d'Italie de M. Saint-Saëns
et la Toccata de Schumann. — Très agréable soirée musicale chez M. Gustave
Sandoz, où on a pu applaudir M™° Masson dans Y Ave Stella de Faure, puis dans
le beau duo Crucifix du même auteur avec l'excellent baryton Chassaing, très
apprécié aussi dans le Rêve du Prisonnier de Rubinstein.A citer encore le violoniste
Herman et la pianiste virtuose M"* Descales. Intermèdes par M. Albert Sanson,
du Vaudeville. — C'est dimanche dernier que M"° Lafaix-Gontié donnait, salle
Erard, la grande audition annuelle de ses élèves, audition qui a prouvé, une fois
de plus, toute l'excellence de l'enseignement du professeur. Plusieurs jolis chœurs,
'parmi lesquels la Fêle de Sila de M. Lacome, ont été parfaitement chantés. A citer
parmi les morceaux de piano : Balletiino et 1' Oiseau-Mouche de M. Lacis, qui sont de
toutes les fêtes. — M1" Joséphine Martin a joué, à la belle soirée qu'elle a donné
chez elle, deux de ses ravissantes compositions, V Aurore et Mazourka pastorale.
MIle Léonie a supérieurement chanté la Colombe de Membrée, avec accompagne-
ment de violoncelle. Les deux sœurs ont été acclamées. Grand succès pour les
excellents chanteurs, MM.- Paul Seguy, Lauwers, Rondeau, et pour M™1 Ferrari
et M. White, l'excellent violoniste. — Très intéressante audition d'élèves donnée
mardi dernier par M"" Jenny Howe et Sarah Bonheur. Bonnes voix bien po-
sées et diction intelligente. — Dimanche 4 mai, audition des élèves du cours
de W' Jane Béchet, sous lhabile direction de M. André "Wormser. Nous cite-
rons particulièrement MllcB Geors-ette P., Madeleine L., Suzanne M., Pauline J.,
qui ont joué avec un style parfait et une remarquable qualité de son. Très bonne
exécution du Passepied de Delibes et de Dansons la Tarentelle de Trojelli, par
M"" Juliette et Flore H. Grand succès également pour M"" Suzanne C., Mar-
guerite et Geneviève H. — Lundi soir 5 mai a eu lieu à la salle de Géographie le
concert annuel de M. Frémaux, de la Société des concerts du Conservatoire. Un
trio de M. Cabassol pour piano, violon et violoncelle (lre audition), une berceuse de
M. Frémaux (4° audition), laBohémienne de MUo C. Chaminade, ont permis à la violo-
niste Marie Saintel de montrer une fois de plus sa grande virtuosité, son brillant
mécanisme et la perfection de son style. — Le groupe de fillettes que nous
avons entendues à la séance d'élèves de M1"0 Edouard Lyon font le plus grand
honneur à l'enseignement de leur distingué professeur de piano. Nous citerons,
comme étant douées de qualités particulièrement sérieuses, Mllc9 IIortenseB. (qui
a exécuté les variations, op. 42, de Beethoven), Lëa K. (Fantaisie, de M.Godard),
Jenny S. (la Paix,'àe M. Delibes), Thérèse M. [valse posthume de Chopin), Alice H.,
Marie II., Hortense et Claire B. Des intermèdes d'un haut goût artistique étaient
offerts par M"0 Jeanne Lyon, dont la superbe voix a fait sensation, MUo M. de
Lapeyrière, qui dit la poésie à ravir, et le violoniste Ed. Nadaud. — Grand succès
au concert de la société d'amateurs la Tarentelle pour M""-' Cognault, qui a chanté
d'une façon magistrale l'air du second acte d'Hamlet et la valse du Pardon de Plocr-
mel ; pour M. Dubulle, qui s'est fait vivement applaudir, et pour un excellent
violoniste, M. Cousin, directeur du Conservatoire de Versailles. L'orchestre a eu,
lui aussi, sa part légitime d'applaudissements. — « Les Mathurins » continuent
bravement et victorieusement la campagne qu'ils ont si bien commencée. A leur
dernière soirée, ils se sont offert le luxe d'un petit orchestre sous la direction
sévère de il. Lucien Grus. On a exécuté avec succès une Marche guerrière de
M. L. Schlésinger, d'un sentiment très mâle, plusieurs petites pièces très réussies
de M. Marcel Fournier, parmi lesquelles une pimpante Séguedille et une originale
Marche nègre, et des morceaux de MM. -Weckerlin, Cieutat, Elsen et Desormes.
La partie lyrique était remplie par les Maris de Juanita, un petit opéra-comique
de MM. Bouchard et Carré fils, pour lequel M. Gaston Lemaire a écrit une par-
tition séduisante, dans laquelle nous avons remarqué une romance pour baryton,
un trio bien conduit et une valse d'un rythme facile. La partie dramatique com-
prenait un gai vaudeville de M. L. Pujol, Chez les Frotlc-Mouillard, un petit drame
en vers sonores et d'un bon sentiment seénique de M. de Lihus, Honneur! et
une piécette en vers rieurs et spirituels de M. Jules Perrin, le Mariage interrompu.
Les membres du cercle se sont prodigués la soirée entière, ravissamment soutenus
par M"01 d'Yeu, Mario, Pitter, Camm, Marmier, Marcel, la plupart élèves du Conser-
vatoire. — Le concert donné jeudi à la salle Erard, par la Société chorale d'amateurs
(fondée par Guillot de Sainbris), peut compter comme une nouvelle victoire à
l'actif de cette célèbre et laborieuse institution musicale. La composition du pro-
gramme, où se reflétait le goût raiïrué des organisateurs, la perfection de l'exé-
cution, l'excellence des solistes, tout concourait à faire de cette soirée un événe-
ment artistique. Le défaut de place ne nous permet que d'énumérer les principaux
numéros du programme, ceux que le public a le plus particulièrement applaudis:
le chœur a Retraites secrètes... » de l'oratorio Salomon, de Ilaendel; Notre-Dame
au peigne d'or, du prince de Polignac, avec soli par M"" Marcella Pregi; la scène
lyrique : les Lendemains de la vie, œuvre de M. de Boisdefïre, couronnée au der-
nier concours de la Société des compositeurs et interprétée par M"° Fanny
Lépine. M. Marlapoura et les chœurs; la scène de la fonte de la mer d'airain
dans la Heine de Saba, de M. Gotinod, supprimée à -l'Opéra à cause des difficultés
de la mise en scène (soli par M"" L. Menusier, MM. Gluck et Martapoura); les
fragments de 'Adiré, opéra de M. Ch. Lefebvre; la première audition de Noce en
Finlande, poésie de M. Paul Collin, musique de M. Edmond Diet. Le finale de la
Nativité, de M. Henri Maréchal, terminait le concert, que M. Matûn a dirigé avec
beaucoup d'habileté, — Dimanche 11 mai, très intéressante matinée musicale,
chez M'"" Rosine Laborde, pour la troisième audition de ses élèves. M""" de Gro-
ville, Pons, Cornet, Meignant de Marsilly, Levy, Boisgond, Mareus, de la Blan-
chetais, etc., se sont montrées dignes de l'émineut professeur ; M. Charles
Dancla, professeur au Conservatoire, M. Brcmont, le remarquable corniste des
concerts du Conservatoire, M™" Suffit, pianiste, avaient prêté leur concours à
Mmc Laborde. M. Leydstrom a obtenu un grand succès dans un air de Jocelyn,
de M Godard, et dans l'interprétation de divers chants suédois. — Beau programme,
superbe exécution, public charmé, tel est le bilan de la soirée que M"" Marie
Rueff nous offrait vendredi à la salle Pleyel. M"" Rueil a été fort applaudie. Très
remarqué aussi, un jeune ténor de ses élèves, M. Jules Gogny, du théâtre de la
Monnaie, qui, avec M. Dimitrr, a magnifiquement interprété le Crucifix de Faure.
— Très intéressante audition des élèves de M.Louis Diémer, à la salle Erard. Belle
poussée déjeunes artistes pour l'avenir. C'étaient Staud, Bloch et Risler, anciens
premiers prix, Galand et Quévremont, Pierret, Baume et Catherine, puis le jeune
Bonnel, très intéressant, Niederhoftreim, Desespringalle, Auher, Blandin, Morelos
et Leroux, toute la lyre enfin, et tout l'espoir de la belle classe de M. Diémer au
Conservatoire.
NÉCROLOGIE
Nous avons le regret d'annoncer la mort de M. Arthur Rousseau de
Beauplan, ancien chef du bureau des théâtres au ministère de l'inté-
rieur, ancien sous-directeur des beaux-arts. M. de Beauplan était âgé
de 66 ans, et non de 60 ans, comme tous nos confrères l'ont dit par
erreur.
— M. Paul-Victor Martin, artiste fort distingué, ancien premier prix
de violon dans la classe d'Alard au Conservatoire, professeur au Conser-
vatoire de Lille et fondateur des Concerts populaires de cette ville, qu'il
n'a cessé de diriger, est mort à Lille le 11 mai, à l'âge de 57 ans.
— M. Alex. Guilmant vient d'avoir la douleur de perdre son père, Jean-
Baptiste Guilmant, mort à l'âge de quatre-vingt-dix-sept ans et qui fut
organiste pendant cinquante ans à l'église Saint-Nicolas de Boulogne-sur-
Mer, où il jouissait de la plus haute estime. Musicien de grande valeur,
il avait fondé les principales institutions musicales de sa ville natale et,
après la grande révolution, alors que la musique d'église était tombée en
désuétude, il eut le mérite de fonder une maîtrise qui est maintenant une
des plus célèbres des villes du Nord. Son initiative et sa renommée lui
avaient acquis l'amitié des plus grands artistes, entre autres de Meyerbeer,
qui lui faisait de fréquentes visites.
— Les journaux italiens nous apportent la nouvelle de la mort de deux
artistes qui ont joui d'une grande renommée et qui ont fini l'un et l'au-
tre d'une façon lamentable. Le premier est le grand baryton Giovanni
Corsi, dont les anciens habitués de notre Théâtre-Italien n'ont sans doute
pas perdu le souvenir. Né en 1822 à Vérone, Corsi se consacra à la car-
rière lyrique après avoir fait d'excellents études littéraires à l'Université
de Padoue. Il débuta en 18-44 au théâtre Be, de Milan, où son succès fut
tel qu'on l'engagea aussitôt à la Scala; il ne fit pas moins de dix-sept
saisons â Milan, dont dix à ce dernier théâtre. De 1836 à 1839 il se pro-
duisit sur notre scène italienne, où il fut très apprécié, non seulement
pour son grand talent de chanteur et sa vocalisation brillante, mais aussi
pour ses rares et solides qualités dramatiques, après quoi il retourna
dans sa patrie. H brillait surtout dans Rigolclto, Maria di Rohan, Mosè,
Otello, Poliuto, i Due Foscari, Béatrice di Tenda, Luisa Miller, Lucrezia Borgia,
etc. Une maladie de la voix l'ayant obligé d'abandonner la scène, il
accepta lss offres qui lui étaient faites de se rendre à Saint-Pétersbourg,
où il devint professeur de chant au Conservatoire. Une chute malheu-
reuse qu'il fit eut les suites les plus fâcheuses: la gangrène se mit à un
pied, qu'il fallut lui amputer. Il revint alors en Italie s'établir dans une
villa qu'il possédait à Monza; mais sa santé était détruite, et c'est là qu'il
est mort, le 4 de ce mois, à l'âge de 68 ans. — Le ténor Émilio Naudin,'
dont la famille était d'origine française, était né à Parme le 23 octobre
1823. Dès ses plus jeunes années il étudia la musique, et l'on assure qj'à
l'âge de treize ans il composa un hymne à la Vierge et un motif pour
litanie. Toutefois, destiné aune carrière libérale, il fit de brillantes études
au collège Marie-Louise, où il remporta les quatre grandes médailles d'or
et d'argent pour les sections de langues, de littérature, de physique et de
mathématiques. Cela n'empêcha point l'amour de l'art de se développer
en lui. Doué d'une belle voix de ténor, il se rendit â Milan, et au bout
de deux années d'études avec le professeur Panizza il fut en état de dé-
buter vers 1845 à Crémone, où dès l'abord il fut bien accueilli. Il se pro-
duisit alors successivement dans toutes les grandes villes de l'Italie:
Gènes, Turin, Florence, Borne, Venise, Milan, Bologne, puis à l'étranger,
et obtint de véritables triomphes à Vienne, Londres, Saint-Pétersbourg,
Moscou, Lisbonne, Madrid, Barcelone, Berlin, le Caire... C'est en 1862
qu'il vint à notre Théâtre-Italien, où il se fit surtout applaudir dansLuciœ
di Lammennoori Rigolelto, Lucrezia Borgia et le Cosi fan lutte de Mozart, et
c'est là que Meyerbeer l'entendit et fut charmé de sa voix. On sait que,
par son testament, le martre mit pour condition à la représentation de
l'Africaine que Naudin y remplirait le rôle de Vasco de Gama, qu'il créa
en effet. Mais la voix de gorge du chanteur ne convenait que médiocre-
ment au répertoire français, son talent de comédien était absolument nul,
et Naudin. dont le traitement annuel était de '110,000 francs, ne resta que
deux ans à l'Opéra. Il retourna en Italie, où il se fit encore beaucoup ap-
plaudir, entre autres dans la Juive et, chose plus singulière, dans Fra
Diavolo. Mais, frappé d'une maladie terrible, atteint d'une paralysie qui
le lit tomber presque en enfance, Naudin, inconscient de sa propre exis-
tence, n'était plus que l'ombre de lui-même lorsqu'il mourut à Bologne,
dans les premiers jours de ce mois.
Henri, Heugel. direcleur-gciant.
UEMIXS DE FEH.
BEnGÈRE, *2f) l'AUIS.
3086 — sa™ m:E - v 21.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
Dimanche 25 Mai 1890.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pus rendus aux auteurs.)
LE
MENES
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : lu francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 2u l'r.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 3u l'r., Paris et Province. — Pour L'Éli'anger, les Irais de piste en s
SOMMAIRE-TEXTE
I. Noies d'un librettiste: Georges Bizet (2' article), Louis Gallet. — II. Semaine
théâtrale : Sur les motifs d'Ascanio, Julien Tiersot ; première représentation de
une Fi mille, à la Comédie-Française, Paul-Émile Chevalier. — III. La musique
et le Iheâtre au Salon des Champs-Elysées (2' article), Camille Le Senne. —
IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
L'OISEAU -MOUCHE
■caprice, de Théodore Lack. — Suivra immédiatement: Valse-sérénade,
■d'A.NTONIN MaRMOXTEL.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant: le Sentier, de Louis Diémer, poésie de A. de Moxtferrier. —
Suivra immédiatement: Suzon, chanson de Joanni Perroxnet, paroles de
Mme A. Perronxet.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
GEORGES BIZET
Le poème n'avait pas été écrit spécialement pour lui et
n'arriva pas tout d'abord entre ses mains. J'en avais arrêté
la première version durant l'été de 1867, en m'inspirant d'un
souvenir de lecture: — un livre, un bouquin, dirais-je vo-
lontiers, car c'était un vieux livre, du xvnic siècle, un recueil
d'anecdotes, lu en province, tombé sous mes yeux par hasard
et où j'avais trouvé en quelques lignes une aventure ana-
logue à celle de la Namouria d'Alfred de Musset. Si ce conte
charmant n'est pas sorti en une floraison spontanée de l'es-
prit du poète des Nuits, s'il en a puisé par hasard l'idée à
une source étrangère, dans le fonds que j'indique, par
exemple, il serait curieux qu'un bibliographe retrouvât un
jour et nous dit le titre de ce recueil, à mon grand regret
oublié, et dont je serais bien embarrassé aujourd'hui de re-
trouver la trace, dans cette bonne et vieille maison de la
campagne dauphinoise où je l'ai autrefois rapidement feuilleté.
Sous le titre même de Namouna, cet acte avait été d'abord
confié par Camille du Locle à un charmant musicien et à un
aimable homme, naguère son collaborateur, alors que se
contentant d'être un délicat poêle, peu soucieux encore assu-
rément des charges d'une direction, il faisait représenter à
l'Opéra et à l'Opéra-Comique divers ouvrages dont fut le Don
Carlos, mis en musique par Verdi, et écrivait ce Sigurd qui
devait, vingt ans plus tard, consacrer la réputation musicale
•d'Ernest Reyer. — Ce musicien était Jules Duprato, lauréat
de Rome, d'où il avait rapporté la partition des Trovatelles,
dont le succès si vif à l'Opéra-Comique lui valut, avec la
collaboration de Camille du Locle, la Déesse et le Berger, sur le
même théâtre, et la Fiancée de Corinthe à l'Opéra.
Or, Duprato paressait agréablement; il donnait au directeur
et à l'auteur de bonnes paroles, sans que l'ouvrage avançât
réellement d'une note. Quand j'allais le voir, et que, sans
rigueur, — il me rendra cette justice, si jamais ces pages
tombent sous ses yeux, — je lui demandais où il en était, il
se mettait gravement au piano et me jouait un délicieux air
de danse, une mélopée orientale dite par le chœur, sur ces
vers qu'on retrouvera dans la partition de Bizet :
Indolente,
Grave et. lente
Et les yeux assoupis,
Elle pose
Son pied rose
Sur les fleurs du tapis.
Et comme elle,
Solennelle,
La musique s'endort,
Soupir vague
De la vague
Baisant le sable d'or. . .
C'est tout ce que Duprato, je crois, a jamais fait de Na~
mouna. Sa musique, que je savais par cœur, m'a hanté bien
des fois en entendant celle de Bizet, sur ces mêmes paroles,
l'une me gâtant l'autre et réciproquement, et il a fini par s'en
faire dans mon cerveau un tel amalgame, que je crois bien
que l'air que me chante encore quelquefois ma mémoire est
une troisième- version, monstrueux accouplement des deux
premières.
Un jour, l'Opéra-Comique, ayant établi le programme de sa
saison et comptant y voir figurer Namouna, s'impatienta sérieu-
sement : j'eus mission de mettre en demeure le compositeur
de s'exécuter ou de renoncer à l'œuvre. Duprato déclara
qu'il n'y renoncerait pas ; mais il ne travailla pas davantage,
et il fallut un jour lui dire qu'on ne comptait plus sur lui.
Une lettre chargée lui- notifia cette décision. Ce fut un gros
ennui, même un gros chagrin pour nous deux. On se parla
un jour d'un air pincé; après quoi compositeur, directeur et
auteur, une fois l'incident clos, n'en restèrent pas moins bons
amis.
Ce fut ainsi que l'ouvrage alla de Duprato à Ceorges
Bizet, qui ne s'est peut-être jamais douté de toute cette di-
plomatie.
On décida alors que le titre du poème serait changé et
462
LE MÉNESTREL
que Namoùna ferait son entrée dans le monde sous le nom de
Djamileh. Camille du Locle fut le parrain de l'héroïne et lui
choisit ce nom, qu'il avait recueilli au cours de l'un de ses
voyages au Caire, où se trouva dès lors tout naturellement
placé le lieu de l'action.
Et Bizet se mit aussitôt à l'œuvre avec cette ardeur, cette
conscience, ce scrupuleux souci de bien faire, cette sincé-
rité si rare, qui s'accusaient dans toutes ses conversations,
comme ils s'affirmaient dans toutes ses lettres. C'était peu
de chose sans doute que ce léger ouvrage, destiné à servir
de lever de rideau à la Fille du régiment, qu'on jouait alors
beaucoup ; cela paraîtrait d'une bien plus médiocre impor-
tance encore aujourd'hui; la conception et l'exécution n'en
"furent pas moins l'objet de préoccupations aussi constantes
et aussi sérieuses que s'il se fût agi d'un opéra destiné à
remplir toute une soirée.
Tout fut écrit ou bien peu s'en faut , au Vésinet ,
rue des Cultures, n° 8, dans une petite maison rustique,
cachée au fond d'un grand jardin, où Bizet, en chapeau de
canotier, en veston large, se promenait avec l'aisance heu-
reuse d'un gentilhomme campagnard, fumant sa pipe, devi-
sant joyeusement avec ses amis, les recevant à table avec sa
bonhomie toujours un peu narquoise, entre sa charmante et
toute jeune femme et son père, qui était alors son hôte et
jardinait tout le long du jour pour se délasser de la fatigue
des leçons.
11 me souvient d'une journée passée là.
On était encore au lendemain de la guerre, un lendemain
qui durait déjà depuis plus d'un an et n'avait point suffi à
effacer les traces de l'invasion. Paris avait repris sa belle
ceinture verte; mais sous cette verdure doucement et joyeu-
sement réfléchie dans les eaux lentes de la Seine se cachaient
encore bien des ruines. On n'allait pas auPecq ou au Vésinet
sans quelque embarras. Bizet, pour m'épargner tout contre-
temps, avait pris soin de venir m'attendre à la gare de Bueil,
d'où nous gagnâmes en voiture cette petite maison où il
s'était fixé pour la saison.
La journée fut charmante, et Djamileh fit un grand pas en
cette causerie menée a travers les allées du jardin. C'est
pour moi la caractéristique du tempérament de Bizet que
cette habitude de traiter ce qui l'intéressait en agissant, en
marchant. Je ne me souviens pas d'un de nos entretiens
importants ayant eu lieu autrement qu'au cours d'une flâ-
nerie, au grand air, ou tout au moins debout, en allant et
venant dans son cabinet de travail. On en conta long, cette
après-midi-là, et sur les destinées de l'art musical déjà in-
fluencées par la doctrine wagnérienne, et surtout sur l'accueil
réservé à cette Djamileh, en voie d'éclosion, et par le public,
et par la direction même de l'Opéra-Comique, alors partagée
en deux courants contraires, le courant du Locle allant vers
l'avenir, le courant de Leuven, son associé, remontant à
toute force vers le passé.
Les directeurs, unis d'abord en un commun témoignage
de sympathie pour Georges Bizet, ne devaient point voir en
effet l'œuvre nouvelle d'un œil également favorable. Elle
n'avait rien pourtant de révolutionnaire, cette modeste Dja-
mileh; si simple qu'elle fût toutefois, elle n'était plus selon
la formule du genre en honneur depuis tant d'années, place
Favart.
Cela n'allait pas sans préoccuper Georges Bizet. Nonobstant
cette préoccupation, il suivait toujours tranquillement son
chemin, s'inquiétant bien plus de faire ce que lui dirait son
sens artistique que d'éviter ce qui pourrait choquer un
public généralement hostile aux novateurs, ce public qui,
à ce moment-là même, dédaignait Berlioz, huait Wagner,
que dix ans plus tard il devait acclamer, aussi inconscient,
aussi moutonnier dans le dédain que dans l'enthousiasme.
A l'Opéra-Comique, ce public était d'autant plus redou-
table à Bizet qu'il le savait composé d'un fond d'abonnés,
gens très doux dans le commerce de la vie, mais féroces-
quand il s'agissait d'une dérogation aux règles de la poétique
locale.
Le soir, Bizet voulut me remettre sur le chemin de Paris.
— Les ponts n'étaient pas encore rétablis. — Nous partîmes
à pied, en compagnie de Mme Bizet, pour aller chercher le
bateau du passeur. Délicieuse promenade à travers les îles,
dans la tiédeur du couchant, le long du chemin ds halage,
étroit, envahi par les herbes hautes, où il fallait marcher à
la file indienne; joyeux devis, souvent traversés de quelque
mélancolique pensée, de quelque poignant souvenir, éveillés
par l'éraflure d'une écorce d'arbre, blessure encore fraîche,
éclat d'obus, coup de feu perdu dans les taillis. On parlait
de la guerre, de toutes ces choses récentes et si doulou-
reuses. Et là-bas, vers la droite, par delà le massif du mont
Valérien, la main s'étendait, cherchant à désigner le point
où le peintre Henri Regnault est tombé...
Une barque nous conduisit jusqu'à l'autre rive. A l'extré-
mité d'un sentier brillaient les lumières de la gare. Nous
nous quittâmes là. Je ne repris plus que bien longtemps
après le chemin des rives de la Seine qui menait à la
résidence d'été de Bizet. D'aucune de mes visites je n'ai
gardé un souvenir aussi vif, et d'une impression aussi heu-
reuse, que celui de cette première journée.
Quelque temps après, le compositeur m'annonçait l'achè-
vement de Djamileh, et nous touchions à ce moment où elle
allait tenter la périlleuse fortune de la scène.
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
SUR LES MOTIFS D'ASCAMO
Il n'y a pas à dire, le leit-motiv est à la mode. On en découvre-
partout, même où il n'y en a pas. Si par hasard on venait nous
faire entendre aujourd'hui une œuvre lyrique dépoudlée de cet or-
nement, il ne se présenterait évidemment que deux alternatives :
ou en trouver, quand même, ou se résigner au four, le noir four.
Le leit-motiv, ou la Mort ! Comme, dans Ascanio, il y a positivement
des thèmes qui circulent et se reproduisent de scène en scène, les
amateurs du genre ont été contents, car il y avait pour eux une
ample matière à dissertation : je vous assure qu'ils en ont abon-
damment prolité. Un thème, surtout, a intrigué au dernier poiut des
personnes, d'ailleurs remplies de bonne volonté, mais encore peu -
expertes à ces sortes de jeux : il a nom motif du travail, et son exis-
tence ne saurait être révoquée en doute, même par les plus sceptiques,
car elle a été bien et dûment constatée par le compositeur lui-
même, ainsi qu'en fait foi une lettre écrite par lui à son collabora-
teur, datée d'Alger, 17 novembre 1887, et publiée dans le Figaro du
1S mars 1890 :
« Ça commence, dit-il en parlant de la première scène de son opéra,
par la peinture d'une activité dévorante qui se calme à l'entrée du
héros. Il parle sur un ton demi-léger. Quand il arrive au dessin de
Pagolo, l'orchestre joue à l'envers le motif du travail pour montrer
que Pagolo a travaillé en dépit du bon sens. C'est drôle comme
tout. »
Cette idée de motif joué à l'envers pour exprimer le contraire de
ce qu'il avait voulu dire à l'état direct a jeté beaucoup de geus
très honorables dans une stupéfaction dont je me refuse à sonder les
profondeurs, bien qu'il ne soit peut-être pas très difficile d'en don-
ner une idée, ce qui pourrait être fait par quelques citations d'articles
de journaux. Mais si partagées que soient les opinions sur ce sujet
aussi délicat que considérable, il est un point sur lequel elles sem-
blent se rapprocher au point de se confondre : c'est; qu'on n'a pas
trouvé cela drôle du tout. Ce en quoi je suis, du moins en principe,
d'un avis tout contraire. L'idée en elle-même, encore qu'un peu sub-
tile, me parait en effet non seulement très acceptable, mais ingé-
nieuse et même comique. Au reste, ce serait bien à tort que l'on
verrait dans ce motif à l'envers une innovation de toutes pièces do
de M. Saint-Saéns : l'éminent, compositeur s'est borné à une simple
application d'un procédé de contrepoint très ancien, l'imitation par
mouvement contraire. Tous les élèves d'harmonie du Conservatoire
LE MENESTREL
163
le connaissent et le pratiquent. On en trouve d'innombrables exem-
ples dans Bach, non employés, à la vérité, avec l'intention expressive
manifestée par M. Saint-Saëns; mais je serais fort surpris si, en
•cherchant bien dans la tétralogie des Nibelungen et surtout dans les
Maîtres chanteurs, l'on ne découvrait pas quelques exemples de ces
sortes de plaisanteries scolasliques. En tout cas, je sais un ouvrage
français où le motif à l'envers a été employé avec, beaucoup de bon-
heur et d'à-propos, et dans un esprit absolument identique à celui
de la première scène à'Ascanio : c'est Kerim, de M. Alfred Bruneau,
dont le succès fut compromis imprudemment dans une aventure où
tout fut perdu, fers l'honneur — je parle de l'honneur du composi-
teur, mais non de celui des interpièles, qui furent au-dessous de tout
ce qu'on peut lever de plus mauvais : j'en appelle aux souvenirs de
ceux qui ont assisté aux deux seules représentations de. ce remar-
quable ouvrage au Châleau-d'Eau, il y a quelques années. Il y avait
à la fin du second acte une grande scène d'ensemble commençant
par un chœur nuptial dont le thème était une mélodie populaire orien-
tale assez développée, fort originale et d'un relief très accusé. Après
diverses péripéties qu'il est inutile de rappeler, il arrivait qu'au mo-
ment décisif tout était subitement rompu. Alors, le chœur reprenait
son chant nuptial, mais, pour montrer que la situation était retour-
née, il le chantait par mouvement contraire, à l'envers, comme dit
M. Saint-Saëns. Gomme le thème était bien rythmé et d'une dimen-
sion suffisante pour avoir attiré du premier coup l'attention, il était
facilement reconnaissable sous sa nouvelle forme, et l'intention amu-
sante de l'auteur pouvait apparaître sans difficultés à l'esprit de
l'auditeur quelque peu au courant de ces sortes de procédés.
Il n'en est pas absolument de même avec Ascanio. D'abord l'oppo-
sition qu'avait voulu indiquer M. Saint-Saëns se trouve exprimée
d'une façon différente et beaucoup plus claire par un thème qui,
exposé en mesure à quatre temps, noblement, avec calme, à l'en-
trée de Benvenulo et pendant tout le temps que celui-ci examine
le travail d'Ascanio, se transforme dès que le personnage de Pagolo
intervient, passe à six-huit dans un mouvement plus rapide, et prend
un aspect sec et saccadé : l'idée se trouve ainsi traduite très exac-
tement, mais sans « motif à l'envers ». Ce motif existe, cèpe ndanl, mais
il est tout à fait de second plan: ce sonteinq notes entendues seulement
(si tant est qu'on les ait entendues) dans le brouhaha du lever du
rideau, puis une seconde fois au début de la scène, et qui, au mo-
ment voulu, de ré la ré fa la (qui signifie : travail bien fail), devien-
nent ré la ré si sol (représentant le mauvais travail). Notons d'ailleurs
que l'imitation n'est pas exacte : elle devait commencer par ré sol ré.
Au fait, c'est peut-être pour indiquer que le travail de Pagolo est
incorrect. Vous voyez que je ne demande pas mieux que d'entrer le
plus possible dans l'esprit de la chose. Enfin, il y a de quoi con-
tenter tout le monde : le « motif à l'envers » n'est pas un mythe,
«'est entendu; d'autre part, étant assez insignifiant et insuffisamment
entendu au préalable, il est impossible de le reconnaître sans une
attention toute spéciale, d'autant que la même idée est exprimée en
même temps, et mieux exprimée, par un autre motif. Consolez-vous
donc, ô amateurs angoissés qui n'avez pu découvrir le « motif à
l'envers » : vous avez droit au moins aux circonstances atté-
nuantes.
Je n'ai pas l'intention de me livrer ici à une étude de tous les
leit-molifs à'Ascanio. D'abord cela pourrait être un peu long, si l'on
en juge par les dimensions du commentaire des notes ré la ré fa la
ci-dessus; et puis ce serait un travail critique que je n'ai point à
entreprendre. Je voudrais seulement attirer l'attention sur l'origine
■de quelques autres thèmes, qui ne sont pas des leit-molifs, mais qui
ont pour effet de donner une couleur et un caractère spécial à cer-
taines parties de l'œuvre.
L'on sait que M. Saint-Saëns (on ne saurait trop l'en féliciter),
attache une importance très grande à l'exactitude de la couleur
extérieure, dans ses œuvres théâtrales. Dans Henry VIII, on retrou-
vait par endroits, et cela non seulement dans le ballet et les scènes
épisodiques, mais même dans les situations les plus intimes du
drame, des formules mélodiques ou harmoniques empruntées aux
compositeurs anglais du temps de la reine Elisabeth, mémo anté-
rieurs : piècQS de clavecin ou de virginale, airs de danse à l'allure
noble et sérieuse de William ByrJ. le Dr Bull, Tallis, Orlando
Gibbons, etc. Je sais des gens qui le blâment de ces emprunts : je
ne puis, pour ma part, que l'en louer hautement. C'est le droit,
c'est le devoir du musicien tout aussi bien que du peintre ou de
l'écrivain de s'inspirer de documents de l'époque qu'il traite, et
c'est faire acte d'une rare conscience artistique que de remonter
aux sources authentiques et véritablement sérieuses, sans se borner
aux vagues indications qui suffisent aux vulgaires faiseurs de pas-
tiches. Quant à la niaise et enfantine accusation de plagiat, très
à la mode encore, et qu'une foule d'amateurs, chercheurs de rémi-
niscences, coupeurs de quadruples croches en quatre, n'épargnent
pas aux plus grands maîtres, je ne m'y arrête même pas : ces
emprunts de quelques notes, un rythme, une formule harmonique
ou mélodique, sont généralement fort peu de chose, et pourraient
être remplacés sans peine par des éléments d'égale valeur; ils ne
prennent place définitivement dans une œuvre qu'après que l'au-
teur se les est assimilés par un travail personnel; enlin, dans le
cas qui nous occupe (comme dans tous les cas analogues), ils sont
pratiqués au vu et au su de tout le monde. M. Saint-Saëns n'ignore
pas les progrès faits de nos jours par l'érudition musicale, et il ne
cherche aucunement à puiser à des sources inconnues. Cela est si
vrai qu'il avait voulu d'abord faire chanter à Scozzone, dans la
scène de l'atelier, au deuxième acte, le madrigal de Paleslrina :
Alla riva del Tibro, la plus célèbre de toutes les compositions pro-
fanes de l'auteur de la Messe du Pape Marcel. A un certain point de
vue, je regrette qu'il n'ait pas donné suite à cette idée, car il eût
été curieux de voir quel parti il aurait tiré de ce morceau, modèle
de pureté et d'élégance harmonique, mais où l'élément mélodique
fait complètement défaut : pour faire chanter par une voix seule
ce chef-d'œuvre de polyphonie, le compositeur moderne aurait dû
certainement lui faire subir un nouveau traitement musical qu'il
eût été évidemment intéressant d'étudier. Mais, soit qu'il ait été
arrêté précisément par la crainte de loucher à Palestrina, soit qu'il
ait préféré un rythme plus vif et un chant plus gai, peut-être aussi
considérant que Palestrina, né un quart de siècle environ après
Benvenuto Cellini, avait quinze ans à peine à l'époque où se place
l'action d'Ascanio, et n'avait par conséquent rien produit encore,
M. Saint-Saëns a remplacé le madrigal par une chanson à six-huit,
rythmée à la façon des modernes chansons napolitaines, et qui,
sur la partition, est précédée de cette mention : « D'après une
chanson du xvie siècle. » De quel livre est tiré l'original imité
par l'auteur à'Ascanio, c'est ce que j'ignore : sans doute de quelque
vieux recueil de Frottole ou de Canzone alla napolitana, à trois ou
quatre voix, dont les plus anciens furent imprimés à Venise
au commencement du xvic siècle, ou bien d'un livre de chansons
pour le luth, genre très à la mode à cette époque et dès longtemps
auparavant, mais dont les vestiges authentiques sont de la plus
grande rareté. En tout cas, il apparaît, à la simple lecture de la
chanson de Scozzone, que les emprunts de M. Saint-Saëns se bor-
nent uniquement à quelques rythmes notés à la manière moderne
et très accélérés, peut-être aussi à quelques détails de tonalité,
comme dans la phrase de début : « Fiorentinelle! Ah! qui m'ap-
pelle ? » où le si bémol (en ut majeur) donne à l'attaque de la
mélodie un aspect de septième ton du plain-ehant très archaïque ;
enfin, le refrain : Bella, bella Fiorentina, peut avoir aussi conservé
quelque chose des formes musicales du xvi° siècle. Mais tout le
développement du morceau, avec ses cadences et modulations va-
riées, est évidemment moderne : l'ensemble forme un compromis
entre les anciennes chansons, lourdement notées, et les vives
chansons populaires de l'Italie de nos jours, et l'influence de ces
dernières n'est pas la moindre.
Une tendance analogue se manifeste dans deux autres morceaux
vocaux : d'abord le chant de provocation d'Ascanio devant le grand
Nesle : De par le Roi, avec sa ligne mélodique franche et nette,
comme dans nos chansons de plein air; puis la gracieuse et mélan-
colique chanson de Colombe: Mon cœur est sous la pierre, dont la
coupe rythmique a la liberté propre au chant populaire, en même
temps que la mélodie, en mineur avec le septième degré naturel,
lui emprunte un de ses modes les plus earacléristiques. Ces deux
mélopées sont écrites sans aucune harmonisation. Mais, dans l'une
comme dans l'autre, le compositeur s'est borné à s'approprier des
formes usuelles dans tout le répertoire de la chanson française, sans
imiter spécialement aucun modèle déterminé.
C'est dans le ballet d'Ascanio que se retrouve le plus la couleur
du xvie siècle : cela d'ailleurs non d'un bout à l'autre. En effet,
malgré le parti pris d'archaïsme attribué à cette partie de l'œuvre,
la musique ne pouvait évidemment pas se tenir dans l'imitation
constante des airs de danse du xvie siècle, tous très lourds et abso-
lument privés d'entrain et de mouvement. Aussi peut-on poser en
principe que toutes les danses vives sont de la composition de
M. Saint-Saëns. Parmi les autres, quelques-unes sont des pastiches,
imitant les formes et les rythmes anciens , mais introduisant
quelque chose de piquant et d'imprévu qu'on ne trouverait jamais
dans la musique authentique du xvr3 siècle. Parfois même ces mor-
ceaux semblent avoir pris îles modèles moins anciens : ainsi le
164
LE MENESTREL
commencement ci; l'acte de Fontainebleau, avec son majestueux
unisson du quatuor coupé d'accords des trompettes, puis des vois,
rappellerait plutôt Haendel. Mais du moment que l'impression est
juste, nous n'en sommes pas à deux siècles près.
Un morceau entièrement fait sur un thème du xvie siècle, c'est le
n° S du ballet : a Apparition de Phœbus-Apollo et des neuf Muses. »
Ce thème est un air de basse-dame noté dans l'Orchésographie, traité
de danse du xvie siècle (1SS9), non moins célèbre que rare, et dans
lequel on trouve, avec la théorie de la danse de ce temps-làj un
certain nombre d'airs à danser vocaux et instrumentaux : celui-ci est
une transcription, arrangée en vue de la danse, avec accompagnement
continu de tambour ou tambourin, de la chanson de Clément Marot,
Jouissance vous donnerai, citée par Rabelais dans son énumération des
chansons à danser du cinquième livre de Pantagruel, mise en parties
par plusieurs compositeurs du xvr3 siècle, et dont nous trouvons
déjà une première forme mélodique, plus lente et nullement appro-
priée à la danse, dans un des livres de chansons d'Attaignant publiés
à Paris en 1331. Ces deux formes de la chanson ont été reproduites
assez récemment dans un livre que ma modestie « bien connue »
m'empêche de désigner plus exactement. M. Saint-Saëns a repris
textuellement la version de YOrchésograpkie, avec tout son développe-
ment, y compris même la petite variation, très élémentaire, du second
couplet; chantée par les violoncelles et accompagnée par les instru-
ments les plus doux de l'orchestre (harpes et flûtes dominent, si j'ai
bonne souvenance), elle est d'un effet charmant. Voilà, après un
siècle de popularité et trois d'oubli, une nouvelle fortune, et bien
imprévue, qui survient pour la vieille chanson de Marot!
Le ballet n° 3 : « Diane, Dryades et Naïades, » nous révèle un
procédé nouveau et fort intéressant, et mérite d'être analysé de très
près. Ici, plus de motif extrait d'un vieux bouquin et purement et
simplement replacé dans l'œuvre moderne avec les ornements né-
cessaires, mais une série de petites formules mélodiques et harmo-
niques mises bout à bout, une mesure par-ci, une cadence par-là, et
formant par leur réunion un morceau nouveau et très homogène. Ou-
vrez la partition du Ballet de la Rogne (1382), et, dans le premier ballet
instrumental, vous trouverez, épars et délayés au milieu d'un fatras
de notes, tous les éléments dont M. Saint-Saëns a formé son pastiche^
très habilement réussi, Le retour fréquent des cadences au relatif
mineur ou au second degré, et l'absence absolue de toute cadence
à la dominante qui pourrait donner une impression de tonalité mo-
derne, ne contribuent pas peu à l'exactitude de la leconslitution :
seul, un dessin plus moderne vient, dans une période intermé-
diaire, relier deux fragments anciens, mais il se fond très bien dans
l'ensemble, qui est d'un travail infiniment curieux.
Le dernier morceau du ballet : « Apothéose ». est fait d'après le
même procédé. Bien que les trompettes s'y fassent entendre, la
sonorité des instruments à cordes y domine ': lourds accords note
contre note, formules rythmiques, cadences au relatif mineur basses
procédant par grands intervalles diatoniques, nombreuses cadences
plagales, tous les procédés harmoniques du xvi° siècle y sont em-
ployés.
Une œuvre ainsi conçue est donc du ressort de l'érudition aussi
bien que de la critique pure : elle est doublement intéressante com-
portant à la fois l'élément artistique et historique ou archéologique
Déjà, au lendemain de la première d'Ascanio, un de nos plus savants
confrères nous donnait, sur la topographie du grand Nesle et du
couvent des Qrands-Augustins, des renseignements qui ont intéressé
vivement les personnes habitant ce quartier : l'on a vu par cet
article que l'histoire de la musique y trouve aussi son compte
Voila, certes, une façon assez imprévue, instructive un tout cas
d'apprécier les opéras, et un nouveau chapitre à ajouter aux cha'
pitres innombrables des considérations, toujours renaissantes, sur
1 Utilité des Spectacles/ T.,,,-». m
Julien Tiersot.
^Comédie-Française. - Une Famille, comédie en quatre actes de
M. Henri Lavedan.
Quelques nouvelles, je n'ose dire romans, éparses çà et là dans
des revues, des chroniques légères signées d'un pseudonyme dans
la Vie parisienne, des articles plus sérieux au Figaro et une tenta
live toute mince et assez insignifiante au Théâtre-Libre, tel était le
bagage littéraire do M. Henri Lavedan, lorsque, pour son vrai
début, il ne recula pas devant l'idée de faire représenter quatre
actes a la Comédie-Française. Son audace lui a réussi, et tenez
pour certain qu'il n'en restera pas là et que, dans un avenir très
prochain, a en juger par les promesses contenues dans cette pre
miere tentative, il prendra, parmi nos auteurs dramatiques une
place enviable, sinon tout à fait supérieure.
Ce petit préambule très sincère me permettra de dire, avec au-
tant de sincérité, ce que je pense de la nouvelle pièce et, si j'en
loue grandement les immenses qualités, me donnera le droit d'en
blâmer aussi franchement les erreurs. Une Famille avait été annoncée
et même répétée sous le titre beaucoup plus précis de Deux Belles-
Filles, et cette indécision dans le choix du titrj doit être absolument
l'image de l'incertitude avec laquelle l'auteur a composé son œuvre.
C'est, qu'en effet, il y a deux pièces dans une Famille, et deux pièces
qui se disputent la place prépondérante. Un drame intime d'abord :
la rivalité et la jalousie de deux jeunes femmes dont l'une, Jeanne
Le Brissard, fille du commandaut Chalus, veuf récemment remarié,
se sent privée peu à peu de l'affection de son père et voit s'effacer
complètement le souvenir pieux de sa mère morte ; l'autre, Marie
Ferai, entrée par hasard dans une famille dont une partie lui garde
rancune d'avoir usurpé une place qu'elle n'avait nullement con-
voitée. Une comédie très moderne ensuite : celle qui nous fait
étudier le caractère pris sur le vif du parisien Le Brissard et nous
fait assister à l'intrigue amoureuse qu'il ébauche avec sa belle-
mère. Nous serions fort étonné si, dans l'esprit de M. Lavedan, ce
n'était pas le drame qui devait attirer de préférence l'attention du
spectateur, ne laissant à la comédie qu'un rôle épisodique. Mais le
spectateur en a jugé autrement, non, cependant, sans quelques
hésitations, et ce sont précisément ces hésitations, créées par l'au-
teur, qui constituent le défaut capital de la pièce, et, si vous
ajoutez à cela que la partie dramatique est assez pauvrement traitée,
vous comprendrez combien nous regrettons que M. Lavedan n'ait
pas saisi quel intérêt il avait à sacrifier toute une partie maus-
sade pour donner plus de développements à une comédie de caractères
se dessinant absolument remarquable et se posant heureusement
neuve en sa hardiesse de bon ton. Car elles sont charmantes, toutes
les scènes où paraît ce clubman d'une correction bien à lui, spiri-
tuel à la manière des salons élégants, fat, écervelé et toujours
presque impertinent avec son scepticisme bien moderne. Ce sont
elles qui, avec un premier acte réussi de tous points et une inter-
prétation digne de la Comédie-Française, ont décidé d'un succès-
presque compromis par des fautes faciles à éviter.
M. Le Bargy a supérieurement composé le personnage complexe
de Le Brissard; il est impossible de s'y montrer plus adroit, plus
fin, plus parisien et même plus sympathique dans ce rôle qui ne lui
attirera pourtant pas toutes les sympathies des dames. M'"e Pierson a
partagé, avec lui, les nombreux applaudissements de la soirée en
nous donnant une M'"e Cbalus très personnelle et très spirituelle.
Mllc Bartet prête sa distinction et son organe merveilleux à Mme Le
Brissard; Mme Baretla reste aimable dans un rôle trop dramatique
pour elle, et Mllc Marsy élégante dans un mauvais rôle de traîtresse
de mélodrame. MM. de Féraudy, Laroche et A. Lambert fils sont
excellents dans des personnages écourtés ou inutiles.
Paul-Émile Chevalier.
LA MUSIQUE ET LE THEATRE
AU SALON DES CHAMPS-ELYSÉES
(Deuxième article.)
Plus les artistes se multiplient, plus la production s'exagère, et
moins la peinture garde ces catégories précises, ces divisions tran-
chées qui faisaient jadis la fortune et la sécurité des spécialistes. On
rencontre au Palais de l'Industrie une série de toiles qui ne sont à
proprement parler ni du Genre ni de l'Histoire mais quelque chose
de très particulier, de très moderne et de fort complexe, rentrant par
là même dans l'ensemble des œuvres dont nous poursuivons l'exa-
men sous cette rubrique musicale et théâtrale : des tableaux de
mise en scène. Est-ce autre chose qu'une mise en scène de cin-
quième acte, qu'un décor de « grand spectacle » pour quelque drame
pseudo-historique genre Tliéodora, cette « course romaine » de
M. Cheea, un des envois les plus curieux et les plus regardés du
Salon des Artistes libres. Un merveilleux hippodrome, meublé et
peuplé à souhait pour le plaisir des yeux; au fond, sur les gradins,
la populace ; plus près, au-dessus de la borue fatale, le Tout-Rome
sélect, la fashion, le gratin des chevaliers et des belles patriciennes.
Les quadriges roulent sur la piste: un char est renversé; uu autre
va se briser sur cet obstacle infranchissable. Le cocher du troisième
char, qui dessine un mouvement tournant, gagnera « comme il aura
voulu ». Et là-bas, dans la pénombre des portiques, ou devine le
frémissement, on entend les clameurs des parieurs à la cote euri-
LE MENESTREL
4 Go
chis ou ralissés par ce coup du sorl. Il y a là, noyés malheureuse-
ment dans une tonalité savonneuse, à la Flameng, des qualités
d'exécution, une vie furieuse, un diable-au-corps qui donnent l'il-
lusion d'une belle fin d'acte, réglée par un régisseur qui manierait
comme de simples ficelles les plus gros câbles de son métier. Les
chevaux piétinenl, les comparses hurlent, les enfants s'épouvanteut,
le public applaudit. Au rideau!
Voulez-vous de la mise en scène encore historique, mais sans évo-
cation de monde romain ? Voici « Moustache », un tableau de
M. Alexandre Bloch que je ne saurais trop recommander aux con-
fectionneurs de drames patriotiques. Nous ne sommes plus au cirque
Flavien, mais à l'ancien cirque du boulevard du Temple. « A la
bataille d'Austerlitz, raconte le lieutenant Jupin dans son Histoire
des chiens militaires (?), le porte-étendard venait de tomber trappe à
mort; le chien Moustache saisit avec ses dents le glorieux haillon
couvert de sang, l'arrache des mains d'un Autrichien qui s'en était
déjà emparé et le rapporte à la compagnie. Moustache fut décoré (!)
par le maréchal Lannes ». Vous figurez-vous l'effet de ce Mous-
tache rapportant dans sa gueule le « glorieux haillon » en quelque
pantomime de l'un des nombreux cirques qui ont gardé tout ou par-
tie des anciennes traditions ?
Autre échantillon: la note tragico-comique (le genre se perd,
heureusement, mais on ne saurait reprocher à M. Louis Baader
cette tentative de résurrection, car il est d'une évidente, d'une aveu-
glante bonne foi): « la Fin d'un Célibataire ». Le pauvre vieux garçon
expire dans un appartement d'ailleurs confortable. Il avait trop
bien diné au cercle et là-dessus il a attrapé la forte culotte du
bac ou du pocker. Une congestion l'a foudroyé et déjà la femme
de ménage tend le trousseau de clefs ramassé sous l'oreiller à un
Alphonse de barrière embusqué derrière la porte. Moralité : Mariez-
vous pendant qu'il est temps encore, ou si vous restez célibataires,
allez mourir à l'hôtel. (N. B. — Le même enseignement ou du
moins la seconde variante de la morale, peut s'appliquer aux
séparés, aux divorcés et aux veufs.)
Suite du même. M. E. Chaperon, l'auteur de « l'Abandonnée »,
travaille dans le mélodrame pour cour d'assises. L'abandonnée a
étranglé l'enfant — pour ne rien garder de celui qui l'a si vilaine-
ment trahie — brisé le berceau, et déchiré sa propre chemise. Elle
sera acquittée haut la main par un jury propice aux crimes pas-
sionnels. Voulez-vous maintenant de petites scènes d'opéra-comique
ancien genre. Voici les tableautins délicatement fignolés de
M. Georges Caïn, « la Nouvelle Servante » d'où venez-vous, ma
chère... — j'arrive du pays... et « une Noce sous le Directoire ».
MUe Mélanie Besson travaille à des scènes plus modernes bien que
déjà un peu vieillies « Melpomène chez la portière » une apprentie
Rachel étudiant son morceau de concours dans la loge maternelle. -
Spécimen de gros anecdotisme; pas de style, mais une certaine
habileté. Voulez-vous une scène biblique, mais d'un hiblisme mis
au point du Moulin-Rouge : voici la « Suzanne » de M. Brouillet.
Elle est assise entre les deux vieillards légendaires, cette Suzanne
aux robustes appas ; mais au lieu du costume historique (la garde
qui veille aux portes des établissements de plaisir (!) n'en permet-
trait pas même un semblant d'exhibition), elle porte un collant
mastic à la dernière mode et les deux consommateurs qui prennent
à sa table des apéritifs variés sont des clubmen habillés par les
premiers fournisseurs. C'est même le défaut de l'amusante compo-
sition de M. Brouillet (un succès à Paris, en peinture; un triomphe
à l'étranger, en chromo) : ces trois comparses sont un peu trop
gravures de mode.
Pêle-mêle encore, de l'anecdotismo à la douzaine, « la Bouteille
de Champagne » de M. Brispot ; tout le personnel d'une ferme
normande ou bretonne suivant avec anxiété la manœuvre savam-
ment ralentie du commis-voyageur qui s'apprête à faire sauter le
bouchon d'une bouteille de Champagne. Nouveau tableau de noce
villageoise, « la Chanson de la Mariée », tradition poitevine par Jean
Brunet.
M. Vibert, célèbre par ses cardinaux d'un si beau rouge et d'une
observation si amusante quand ne la gâte pas une tendance
caricaturale confinant à la charge, s'est avisé, cette fois, de nous
montrer une scène du « Malade imaginaire ». Argan est devenu
un monsieur d'importance, un fermier général pour le moins, un
« ventre doré » comme on dit dans l'argot des coulisses. Et sa
femme, l'obséquieuse M"'" Argan, semble, en ses majestueux ori-
peaux, une M"10 de Maintenon soignant un Louis XIV ventripotent.
Le brocart, le velours, la dentelle habillent ces deux comparses
d'un « Malade imaginaire » dont Molière ne se figurait pas certai-
nement la somptueuse mise on scène. On a rappelé à M. Vibert les
indications de costumes de la comédie moliéresque et notamment
le passage qui concerne Argan : « Il est vêtu en malade. De gros
bas, des mules, un haut-de-chausses étroit, une camisole rouge
avec quelque galon de dentelle, un mouchoir de cou à vieux pas-
sements, négligemment attaché; un bonnet de nuit avec la coiffe
à dentelle. » On a eu raison, au point de vue de l'exactitude his-
torique ou plus simplement de la couleur locale; Mais M. Vibert
répondra que c'est sa joie de peindre de belles étoffes, de chif-
fonner les velours et les moires. Et que répondre à M. Vibert?
Verrons-nous au théâtre la scène que M. de Richemont a empruntée
au « Rêve » de M. Zola : « Angélique extasiée regardait devant
elle dans la blancheur de la chambre...?» Ainsi parle le livret, mais
il parle mal, eu.- la blancheur de la chambre c'est Angélique elle-
même, Angélique à l'état spectral. Aux pieds de ce fantôme, le
jeune premier s'agenouille comme devant une apparition. Les
« Lions de Salammbô » sont une scène de genre historique : le
crucifiement des lions par les paysans carthaginois. A l'Opéra-Co-
mique, répertoire Scribe et Auber, appartient le tableau de M. Fré-
déricHumbert, « Louis XIII et M"0 de Beaufort », commentaire d'un
court passage de Michelet : « Pour faire échec à l'influence de
Richelieu et ressaisir le roi, la reine avait fait venir M110 de Beau-
fort. Louis XIII l'aperçoit pou- la première fois et lui fait porter le
carreau sur lequel il était agenouillé ». M. Élouard Richter, qui
sait composer et qui possèle même une certaine m.aitrise, a la spé-
cialité d'un orientalisme confiture, engroseillé. aux reflets d'un rose
acide. Il nous en donne cette année un nouvel échantillon avec ses
« Méditations de la sultane Scheberazade », l'origine des Contes des
Mille et une Nuits : « Elle racontait au sultan les contes qu'elle avait
médités pendant le jour, et, dès que l'aube p iraissait, elle s'arrêtait
de parler. »
M. Alexis Vollon. qui continue avec honneur un nom difficile à
porter, représente « Don Quichotte » non pas sur les grandes routes,
faisant le rude métier d'un Cid errant et justicier, mais dans son
son cabinet de travail tel que nous le montre Cervantes au début
du livre. « Notre hidalgo s'acharna tellement à la lecture que les
nuits se passaient en lisant du soir au malin, et les jours du malin
au soir... Si bien qu'à force de dormir peu et de lire beaucoup il
se dessécha le cerveau. » A mentionner en passant la « Manon
Lescaut » de Mme Real del Sarte, la « Chanson » de M. Borione,
« Sarah » ...la baigneuse de M. Marius Vasselon, la Sarah des Orien-
tales — Sarah belle d'indolence — se balance, les « Chanteurs
ambulants », de M. Henri Cain, enfin un assez aimable tableau
inspiré à M. Pascal Blanchard par une des pages les plus nouvelles
du chef-d'œuvre sensualiste qui s'appelle « l'Affaire Clemenceau » : Ida
buvant une tasse (on disait encore une coupe avant 18"0, en style
noble) de lait pur. « ...Non, le cœur d'abord, dit-elle. Et saisis-aut
la coupe, elle se met toute mouillée, el toute rose, à boire lente-
ment et à petites gorgées... la tête portée en avant, les reins légère-
ment courbés. » Très suggestif.
(A suivre). Camille Le Se.nne.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Nouvelles de Londres :
Le premier concert Patti de la saison a été signalé par des témoignages»
peu équivoques de mauvaise humeur de la part de la foule énorme qui
emplissait Albert Hall. La diva, assez souffrante, avait dû non seulement
remplacer son principal morceau,, la Prière et Barcarolle de l'Etoile du
Nord, par la Romance de la Rose, mais refuser tout bis contre son habitude.
Le public, jugeant sans doute qu'on ne lui en donnait plus pour son
argent, a protesté bruyamment, empêchant le concert de continuer. Le
violoncelliste Hollman essaya vainement de tenir tète à l'orage, mais re-
nonça bientôt à la lutte et se retira de l'estrade. La foule alors finit par
se calmer et le concert se termina tant bien que mal.
La collaboration Gilbert-Sullivan àlaquelle est due toute cette série d'opé-
rettes anglaises depuis Pinafore jusqu'aux Gondoliers vient de se dissoudre.
M. Gilbert destine son prochain libretto à M. Alfred Cellier, le composi-
teur applaudi de Dorolluj. Quant à M. Arthur Sullivan, il travaille en ce
moment à un opéra sérieux, dont le sujet est emprunté à Ivanlmé, et qui
devra inaugurer l'hiver prochain le nouveau théâtre de grand opéra
anglais de M. Carte.
Le second concert Paderewsky a été donné mardi devant un audi-
toire très distingué: pas encore la foule, mais un progrès très sensible
sur le concert de début. Le brillant pianiste a voulu aussi avoir raison
de ses plus acharnés critiques, et il a su pendant celle séance dompter sa
puissante personnalité et l'aire ressortir les côtés tendres et délicats de
son talent. Son succès a été des plus complets, surtout dans l'impromptu
466
LE MENESTREL
en si bémol de Schubert et une étude de Chopin en fa qu*il ajoués à la
perfection.
Les deux soirées de début de la saison d"opéra italien à Covent-Garden
ont été assez ternes. M. Jean de Heszké a fait une brillante rentrée dans
le rôle de Faust, mais son frère Edouard, subitement indisposé, avait dû se
faire remplacer par unMephisto très médiocre. La débutante, MmeNuovina,
paraissait visiblement émotionnée et a eu plus de succès pour son intel-
ligence dramatique que pour l'ampleur de sa voix, à peine suffisante pour
une aussi vaste salle. Un jeune ténor espagnol, M. Valero, a été fort bien
accueilli dans Carmen : il rappelle Gayarra par certains côtés, malheureu-
sement sous le rapport de l'émission de la voix aussi. Jeudi, les Pêcheurs
de Perles doivent servir-de début à M, Dufriche, et non pas à M. Cobalet,
ainsi qu'il avait été annoncé.
Il est vaguement question d'une courte saison d'opéra français à Her
Majesty's en juillet. Il s'agit d'une série de représentations de Salammbô
avec les principaux artistes de la création. Ce serait là évidemment le
grand événement musical de la saison, fort maigre autrement sous le
rapport des nouveautés.
— La musique, dans les églises anglaises, est menacée d'un coup
mortel si les projets du cardinal Manning arrivent à se réaliser. Le
vénérable prélat veut la suppression totale des orchestres, des choeurs,
des solistes, etc., en un mot de tout musicien gagé, dans les églises
placées sous son autorité. Les chants religieux ne devront avoir d'autres
interprètes que les membres de la communauté.
— Le premier des trois petits opéras couronnés récemment au concours
Sonzogno, Labilia,- a été représenté l'autre jeudi, à Rome, au théâtre
Costanzi. Il est en deux tableaux et a pour auteurs MM. Valle pour les
paroles, et Spinelli pour la musique. La partition, à qui on reproche le
manque d'originalité, mais dans laquelle on loue de grandes qualités de
facture et des détails charmants, a été accueillie par le public avec la plus
réelle sympathie et les applaudissements les plus vifs. Deux des plus
grands artistes de l'Italie, Mllc Bellicioni et M. Stagno, n'avaient pas
dédaigné de se faire les interprètes d'un jeune compositeur à ses débuts.
Us en ont été récompensés par un très grand succès. — Quant au second
des opéras de ce même concours, Cavalleria rusticana, de M. Mascagni,
représenté peu de jours après, ce n'est plus un succès qu'il faut enre-
gistrer, mais un véritable triomphe, et absolument éclatant. «Le jeune
compositeur, dit ïllalie, a été rappelé une vingtaine de fois! Et pour
un opéra en un acte! Trois morceaux ont été bissés; on voulait les bisser
tous. M. Stagno, qui a admirablement chanté, et MUe Bellincioni, qui a
déployé tout son art et son sentiment, ont beaucoup contribué à ce succès.
La partition a fait une impression réelle. Hier, peut-être, le public,
agréablement surpris, a exagéré un peu ses applaudissements ; mais, au
fond, le jugement qu'il a porté est juste. Nous sommes heureux de le
constater, nous réservant de parler du mérite réel de Cavalleria rusticana
après une représentationplus calme. » Cette représentation eu a lieu deux
jours après, et l'enthousiasme ne s'est pas ralenti. Tout au contraire, bis,
rappels, ovations à l'auteur et à ses interprètes, rien n'y a manqué. Il
semble que vi aiment M. Sonzogno a enfin découvert le compositeur depuis
longtemps cherché.
— On écrit de Florence au Temps: « Une foule immense se pressait au
théâtre du Politeama, pour la première représentation de l'Hymne à la
Paix de W" Holmes, composée spécialement pour les fêtes de Dante et de
Béatrice. Les fauteuils et les places réservées étaient occupés par toute
l'aristocratie de Florence et un grand nombre d'étrangers. Des places
d'honneur avaient été réservées aux délégués français. A l'avant-scène
flottaient les drapeaux italiens et français. Le chœur d'ouverture d'Italiens
et de Français a été salué par de vifs applaudissements; les soli de l'Italie
et de la France, fort bien interprétés par Mmcs Saffo Bellincioni et Singer
ont été bissés. Le chœur des anges annonçant Béatrice et le chant
de Béatrice ont produit un grand effet. Le duo entre l'Italie et la France,
ehanté avec beaucoup de passion, a excité l'enthousiasme. A la fin de la
cantate, la salle entière a demandé l'auteur. M110 Holmes, vivement impres-
sionnée par la démonstration de sympathie, a remercié et a été rappelée
quatre fois. Le comité de l'exposition lui a présenté un parchemin artisti-
que en souvenir des fêtes de Florence. La composition de M"e Holmes, à
part toute autre considération, est jugée une puissante œuvre d'art. » A la
suite do la seconde audition do l'Hymne à la Paix, accueilli avec le même
enthousiasme que le premier soir, un grand banquet a été offert aux dé-
légués fiançais et à Mllc Holmes. Entre autres toasts, M. le comte de
Gubernatis, promoteur de l'exposition Béatrice et des fêtes de Florence, en
a porté un, dans les termes les plus flatteurs, à M110 Augusta Holmes, dont
l'œuvre venait d'obtenir un si grand succès. Enfin, le président du conseil
des ministres, M. Cripi, a adressé à M"° Ilolmès'la lettre suivante :
Rome, 16 mai 1890.
Madame,
J'ai reçu votre llijniiie de la Paix, en l'honneur de la Béatrice de Dante, et je
tous remercie de l'hommage que vous avez bien voulu me faire de cette compo-
sition remarquable.
Personne plus sincèrement que moi n'applaudit à l'inspiration qui vous guide,
car personne plus que moi n'apprécie les bienfaits de la paix. Je bénis une fois
de plus l'art qui revêt, grâce à vous, des formes les plus chères au génie italien
d'aussi nobles sentiments et des pensées d'une portée aussi haute.
Veuillez agréer, madame, l'assurance de ma considération la plus distinguée.
Tout dévoué, f. crispi.
— Le succès de Mme Sigrid Arnoldson à Florence, dans Mignon et le
Barbier de Séville, fait vraiment sensation; toute la presse de Florence le
constate unanimement.
— L'auteur de Mèfistofele, M. Arrigo Boito, dont nous avons fait con-
naître le dévouement envers son malheureux ami Franco Faccio, vient,
de lui donner une nouvelle preuve de grande affection, que révèle la
dépèche suivante, adressée de Rome par le docteur Giovanni Mariotti,
syndic de Parme, au vice-directeur du Conservatoire de cette ville : <i Ar-
rigo Boito, auquel, avant tout autre et à diverses reprises, Verdi avait
offert inutilement la direction de notre Conservatoire, accepte aujourd'hui,
par un sentiment très noble, de devenir notre directeur en remplacement
de son ami malade. Hier a été signé le décret royal qui .nomme Boito
directeur honoraire de notre Conservatoire, lui confiant la suprême auto-
rité didactique durant l'absence du directeur effectif. C'est une précieuse
acquisition, dont Parme sera orgueilleuse sans aucune doute. » Quant au
pauvre Faccio, que son ami Boito ne cesse de visiter chaque jour, son
état est de plus en plus misérable. Il n'a plus conscience de lui-même,
et ne reconnaît plus personne.
— Tandis que le fils de M. Seismit-Doda, ministre des finances du
royaume d'Italie, se fait remarquer comme compositeur, voici que le fils
du fameux médecin Cantini, sénateur de ce pays, se fait applaudir comme
virtuose par son talent sur le violon. C'est un enfant à peine âgé de onze
ans7"et dont l'habileté, dit-on, est déjà remarquable.
— On doit représenter vers la fin de ce mois, au théâtre Philodrama-
tique de Milan, un opéra nouveau en quatre actes, Anna di Dovara, du
compositeur Gaetano Zeglioli. On parle aussi de l'apparition prochaine,
au théâtre Manzoni de la même ville, d'un autre opéra, Raggio di Luna,
de M. Alberto Leoni, et de l'exécution, dans un salon particulier, d'un
troisième ouvrage lyrique, Gringoire, paroles de Cordelia (M"D Virginia
Trêves), musique du maestro Scontrino. Plusieurs autres compositeurs sont
sans doute désireux aussi de voir luire pour eux et pour leurs œuvres le
grand jour de la représentation; tels M. Vittorio Baravalle, qui vient de
terminer un Andréa del Sarto sur un poème de M. Ghislanzoni; M. Giuseppe
Bensa, qui de son côté a achevé un Matteo Sehinner sur un livret de
M. Tommasucci; le comte Domenico Selvieri, qui a mis la dernière main
à une Mercede d'Aulnay; M. Leone Ribeiro, qui n'a pas moins de deux
opéras tout prêts, Liropeya et Grazalema; enfin, M. Smareglia, qui en écrit
deux en ce moment avec la collaboration du poète Luigi Illica. Et nous en
oublions certainement.
— Certains théâtres italiens continuent d'être dans un état peu florissant.
A Catane, à Parme, à Trieste entre autres, on annonce la déconfiture de
diverses entreprises et la fâcheuse situation des artistes et employés,
laissés, par les directeurs, sur le pavé avec leurs appointements impayés.
— Ce n'est pas le théâtre Sannazzaro, de Naples, qu'on accusera de se
lancer dans des tentatives téméraires et des essais aventureux. Dans sa
prochaine campagne, ce théâtre se propose d'offrir successivement à son
public : 1° la Bohémienne, de Balfe, qui fut jouée pour la première fois au
Drury-Lane, de Londres, au mois de novembre 1844; 2° la Flûte enchantée,
de Mozart, dont la représentation à Vienne date de 1791 : 3° enfin, la Cec-
china, de Piccinni, dont l'apparition à Rome remonte à l'année 1760. Tor-
niamo all'antico, disait Verdi dans une lettre restée célèbre.
— On s'occupe en Italie, parait-il, de la publication prochaine d'une
série de lettres de Donizetti. En attendant, en voici une, tout à fait humo-
ristique, que publie un journal de Rome, et dans laquelle l'auteur de
iucic annonçait à sa manière à un de ses parents, Antoine Vasselli, le
succès que venait d'obtenir à Vienne, sur le théâtre de la Porte de Carin-
thie, son nouvel opéra Maria di Rohan :
Vienne, 6 juin 1843.
Carissimo Toto,
Avec la plus grande douleur je dois t'annoncer qu'hier soir, 5 juin, j'ai donné
Maria di liohan avec la Tadolini, Roccooni etGuasn. Tout le talent n'a pas suffi à
me sauver d'une mer... d'applaudissements. Rappels à chaque acte..., en somme,
fiasco complet avec enthousiasme! Tout bien, tout, tout. Écris-le à Naples, écris-
le à ta femme et à ta fille, à toute la maison et aux amia.
Toute la famille impériale, venue expressément de la campagne, est restée jus-
qu'à !a fin de la pièce pour... siffler. Et vous verrez ce soir... quelle sympho-
nie, signor Toto !
Bergamus et non plus ultra I Gaetano.
— Le prix institué par Cincinnato Baruzzi à Bologne, dit le Trovalore,
est attribué, pour l'année 1891, à la musique. En conséquence, un concours
est ouvert, avec un prix de S,500 francs, pour « un drame musical divisé
en plusieurs parties et de proportions adaptées à un théâtre de premier
ordre ». Les compositeurs italiens no sont pas accoutumés à pareille au-
baine.
— . Les tribunaux belges viennent de prononcer le divorce entre
jjmo Montalba, la cantatrice dont les abonnés de l'Opéra ont gardé le
meilleur souvenir, et son mari, M. Renier, consul général en Belgique.
— Relevé du répertoire français sur les scènes lyriques de l'Allemagne
pendant la dernière quinzaine : Berlin : la Fille du Régiment, Carmen, Fra
Diavolo. — Cassel : Roméo et Juliette (-2 fois), Mignon, la Juive. — DRESDE :
les Huguenots, Carmen, Guillaume Tell, la Muette, le Roi malgré lui (3 fois). —
Francfort : Guillaume Tell, la Muette, le Prophète, Faust. — Hambourg : Car-
men, le Prophète, la Permission de dix heures. — Leipzig : Carmen, Zampa,
Mignon. — Mannueim : la Juive, les Huguenots ("2 fois), la Muette. — SCHWERIN :
LE MENESTREL
4 07
Fra Diavolo, Joseph, les Huguenots. — STUTTGART : le Prophète, le Roi l'a dit,
les Huguenots. — Vienne : les Deux Journées, l'Africaine, Guillaume Tell, Roméo
et Juliette, la Juive, les Dragons de Villars, Mignon, Robert le Diable.
— ■ Les hommages à la mémoire du prodigieux génie qui fut Beethoven
ne tarissent pas en Allemagne, et surtout en Autriche. A Oherdœbling,
près Vienne, sur la façade de la maison qui porte le n° 92 de la Ilaup-
strasse, on vient de poser une pierre rappelant que c'est dans la maison
existant antérieurement sur cet emplacement que l'auteur de Fidelio
écrivit, en 1803, son admirable Symphonie héroïque.
— Ces jours derniers a eu lieu dans l'église de la garnison, à Berlin,
en présence de la famille impériale, la première audition de la nouvelle
association des musiciens d'harmonies, le Bliiserbrund. Cet orchestre d'un
nouveau genre se compose uniquement de trompettes, pistons, cors,
trombones et timbales, en tout, deux cents exécutants. L'effet de la mu-
sique religieuse, interprétée par cette masse cuivrée, est, parait-il, très
imposant.
— Un des plus jolis opéras d'Auber et l'un de ceux que depuis long-
temps on a le plus laissé oublier, le Cheval de bronze, traduit et adapté à
la scène allemande par M. E. Hamperdinck, vient d'obteni r au théâtre
de la Cour de "Weimar un brillant succès qui, dit-on, s'adressait autant
au poème qu'à la musique.
— Cordélia, opéra russe, inconnu jusqu'ici hors des limites de l'empire
moscovite, vient d'être traduit en allemand et va être représenté au
Deutsche Landestheater, à Prague. C'est un des meilleurs ouvrages de
Solovieff, qu'il ne faut pas confondre avec le nihiliste pendu en 1889.
— L'Exposition Beethoven s'est ouverte à Bonn par une série de séances
de musique de chambre consacrées uniquement à Beethoven et fournies
d'une part par le quatuor Joachim, de l'autre par le quatuor Hollœnder, de
Cologne. L'exposition des portraits, manuscrits, reliques de tout genre
relatifs à Beethoven est, dit-on, extrèmemsnt intéressante. Parmi les
objets exposés, se trouvent les appareils acoustiques confectionnés pour
Beethoven devenu sourd, par le célèbre physicien Maelzel, l'inventeur du
métronome. Il y a trois cornets de laiton construits en 1813 et 1814. Deux
de ces cornets ont jusqu'à soixante-dix centimètres de long et se termi-
nent tous les deux par une sorte de cuvette, l'une fermée mais percée
de sept trous à sa partie supérieure, l'autre, ouverte en forme d'entonnoir
et qui s'appliquait à l'oreille. Ces deux instruments portent encore les
cordonnets de soie et les fourches d'acier au moyen desquelles Beethoven
se les adaptait à la tète pour mieux entendre. La vue de ces appareils a
fait sur tous les visiteurs une indicible impression. Se iigure-t-on le
supplice du pauvre grand homme s'affublant de ces mécaniques pour
rester en communication avec le monde extérieur, avec le monde des
sons qui était sa vie même ! Le soin avec lequel sont construits les ins-
truments de Maelzel prouve d'ailleurs que celui-ci s'était vraiment dévoué
à Beethoven et qu'il avait cherché par tous les moyens physiques connus
à atténuer la surdité du grand homme. Ces appareils étaient jusqu'ici à
la Bibliothèque royale de Berlin : par ordre de l'Empereur, le ministre
des cultes et des beaux-arts, M. de Gossler, en a fait don au Musée
Beethoven, où ils sont évidemment plus à leur place.
— Le célèbre professeur de chant Mlle Augusta Gotze, établie à Leip-
zig, a donné dernièrement une brillante audition de ses meilleures élèves.
Toutes les scènes d'opéras étaient jouées en costumes. On a surtout
applaudi le duo de Néron, de Rubinstein," par Mlles Ullrnann et Kobers-
tein, et la romance de Mignon, par Mlle Fink.
— L'Opéra impérial russe de Saint-Pétersbourg fera sa réouverture l'au-
tomne prochain avec Faust, et il jouera, au cours de la saison, Tannhiiuser,
Norma et la Rognéda de Serow, sans compter un opéra nouveau de M. Tschaï-
kowski, la Dame de pique. On parle aussi de mettre à la scène le Prince
Igor, l'opéra posthume de Borodine. D'autre part, on annonce que le
théâtre Arcadia inaugurerait sa prochaine campagne avec la Vie pour le
Czar, traduite en français!... Enfin, le théâtre Livadia, qui abandonnerait
ce nom pour prendre celui d'Eden-Théàtre, se consacrerait à l'opérette
française.
— L'opéra que M. Pierre Tschaïkowsky doit faire représenter l'hiver
prochain à Saint-Pétersbourg, la Dame de pique, a été écrit par lui à Naples
sur un livret que son frère, M. Modes Tschaïkowsky a tiré pour iui
d'une nouvelle du grand poète Pouschkine qui porte le même titre.
On compte que l'ouvrage fera son apparition dans le courant du mois de
novembre.-
— Au théâtre royal de Stockholm, sur les vingt-deux représentations
données au mois d'avril, onze étaient consacrées aux ouvrages suivants
du répertoire français : Carmen (3 fois), les Huguenots (1 fois), Lakmé,(3 fois),
Mignon, Robert le Diable, Faust et Si j'étais Roi (chacun une fois).
— Le gouvernement égyptien vient d'allouer une subvention de
100,000 francs pour l'exploitation du théâtre khédivial de l'Opéra du Caire
pendant l'hiver prochain. La saison sera de trois mois et demi à quatre
mois, partant du 1er décembre pour prendre fin le lb ou le 31 mars. Elle
comportera 00 représentations d'opéra ou opéra-comique — le choix en
sera laissé au directeur — opérettes et ballets. L'intendant du théâtre
khédivial, M. Clémente, est parti pour Paris, où il est envoyé pour
fournir tous les renseignements dont peuvent avoir besoin les direc-
teurs. Un des premiers soins de M. l'intendant devrait être de régula-
riser la situation du théâtre khédivial vis-à-vis des auteurs, qui
jusqu'ici ont été pillés effrontément par les divers directeurs qui se sont
succédé là-bas à la tète de l'Opéra égyptien. Voilà la première réforme
à opérer, celle de donner un peu d'honnêteté à tous ces pseudo-impresarii
sans foi et sans honneur.
— A New-York, la saison de l'Opéra allemand s'est terminée par une
perte sèche, pour l'entreprise, de 730,000 francs, soit 11,194 francs pour
chacune des 67 représentations données. C'est un résultat à décourager les
plus hardis et les plus obstinés.
— Le 26 mars dernier a eu lieu, à Washington, un concert exclusive-
ment consacré à l'exécution d'œuvres d'artistes américains. En voici le
programme : In tlie Mountains, ouverture (Arthur Foote) ; pièces pour piano
(Arthur Whiting) ; Ophélia, poésie symphonique (E.-A. Mac-Dowell) ; Ga-
votte pour orchestre (Arthur Bird) ; arioso de Moniezuma (F. -G. Gleason);
the Tempest, suite (Franck Van der Stucken) ; prélude d'OEdipus Tyrannus
(J.-K. Paine) ; Romance et Polonaise (H. IIuss) ; Melpomène, ouverture
(W. Chadwick); fragments à'Italia, suite (Arthur "VV'eld); Mélodies (Mar-
garet, R. Lang, Wilson, G. Smith et YV. Gilchrist); the Star Spangled Ban-
ner, ouverture solennelle (Dudley Buck).
PARIS ET DÉPARTEMENTS
MM. Ritt et Gailhard sur la sellette. La Commission consultative
des théâtres s'est réunie cette semaine, pour la troisième fois, sous ba.
présidence de M. Léon Bourgeois, ministre des Beaux-Arts, assisté de
M. Larroumet, directeur des Beaux-Arts, vice-président. La première
séance avait été consacrée tout entière à l'exposé de la situation de l'Opéra,
fait par M. Larroumet, au point de vue du nombre d'ouvrages nouveaux
que doit représenter ce théâtre, de celui des représentations à prix réduits,
de l'état des décors et de celui de la troupe. Dans la seconde, M. Gailhard,
représentant de M. Ritt, que la maladie empêchait de se présenter en
personne, s'est attaché à démontrer que son co-directeur et lui-même
avaient strictement exécuté toutes les obligations de leur cahier dés
charges. Dans la séance d'hier, la discussion générale s'est engagée. Après
un échange d'observations auxquelles ont surtout pris part, outre le mi-
nistre et le directeur des Beaux-Arts, MM. Antonin Proust, Hébrard,
Durier, Berthelot, Emmanuel Arène, Charles Garnier, Denormandie, etc..
la Commission a émis les avis suivants : Sigurd, quoique joué à Lyon et
à Bruxelles, peut être considéré comme ouvrage nouveau (!) et entrer, à
ce titre, dans le décompte d'ouvrages de cette catégorie que doit la direc-
tion de l'Opéra. La question est réservée en ce qui concerne Roméo et
Juliette (!!). L'administration de l'Opéra devra donner le nombre de repré-
sentations à prix réduits pour lesquelles elle s'est mise en retard. Quant
à l'état des décors, une sous-commission est chargée d'examiner le maté-
riel et de faire un rapport où elle indiquera les conditions dans lesquelles
on pourrait procéder aux améliorations ou aux réfections jugées indis-
pensables. La Commission se réunira de nouveau dès que la sous-com-
mission aura déposé son rapport, et continuera l'examen des autres ques-
tions relatives à l'Opéra. Aurions-nous enfin un ministre des Beaux-Arts
ennemi de la fraude et soucieux des intérêts dont il a la garde ! La chose
serait nouvelle et mériterait qu'on en fit honneur à M. Léon Bourgeois.
Qu'il achève résolument l'œuvre commencée par M. Edouard Lockroy et que
les hasards de la politique n'avaient pas laissé à ce dernier le temps
d'achever !
— A l'Opéra, belle reprise A'Hamlet, avec M"1" Melba, mais sans M. Las-
salle, qui est généralement indisposé chaque fois qu'on reprend l'oeuvre
d'Amhroise Thomas ; M. Berardi l'a remplacé très courageusement, bien
que prévenu à la dernière heure. On lui en a su gré par de vifs applau-
dissements. Pour Mme Melba, elle a été étincelante, selon son habitude,
dans le rôle d'Ophélie, si bien approprié à sa voix et à ses moyens. A citer
encore M. Plançon, artiste d'un très réel mérite. Jetons un voile sur le
reste de l'interprétation. Il ne faut pas trop demander à l'Opéra de
MM. Ritt et Gailhard.
— La première représentation de Zaire, l'opéra en deux actes de M. Vé-
ronge d°. la Nux, est annoncée pour mercredi prochain. Le Rêve, le ballet
de M. Gastinel, ne passera que dans la première quinzaine de juin, le
mercredi M très probablement. Les débuts de Mmo Fierons dans la Juive
auront lieu le 9 juin. M. Affre chantera le rôle de Léopold.
— La troupe de l'Opéra n'était déjà pas bien riche en sujets de talent,
et pourtant elle va perdre l'un de ceux-ci en la personne de M. Jean de
Reszké, le ténor aimé des dames, qui décidément renonce, pour le pro-
chain hiver, à Paris et à ses pompes. Il a signé en effet des engagements
pour Madrid, Monte-Carlo et Saint-Pétersbourg, sans s'inquiéter le moins
du monde des embaras qu'il allait causer à l'infortuné Ritt et au mal-
heureux Gailhard, sans se soucier non plus de toutes les belles éplorées
qu'il allait laisser derrière lui. C'est une consternation générale dans le
clan des brunes et des blondes. Les directeurs comptaient sur la rentrée
de Mu° Richard pour parer en partie ce coup terrible, et voici qu'elle aussi
parait leur échapper, pour raison de santé! Alas poor Yoritt!
— A l'Opéra-Comique, la première représentation de la Basoche, opéra-
comique en trois actes, paroles de M. Albert Carré, musique de M. André
Messager, paraît irrévocablement fixée au jeudi '29 mai.
168
LE MENESTREL
— Les membres de la section de musique de l'Académie des beaux-
arts, et M. le comte Delaborde, secrétaire perpétuel de cette Académie,
se sont réunis cette semaine au Conservatoire, pour procéder au choix de
la cantate à mettre en musique par les concurrents du prix de Rome.
Neuf cantates avaient été adressées au jury, qui a choisi une scène ly-
rique de M. Fernand Beissier, intitulée Cléopûtre. M. Beissier avait déjà
réussi au concours des cantates de. 188S, avec une scène ayant pour sujet
Velléda. Les vers de la cantate ont été aussitôt dictés aux cinq candidats
admis au concours définitif, MM. Carraud, Lutz, Bachelet, Silver et Four-
nier, qui sont immédiatement entrés en loge, pour n'en sortir que le
10 juin prochain.
— Dans sa dernière séance, l'Académie des beaux-arts a attribué à
M. Ferdinand Poise la partie du prix Trémont réservée à un compositeur
de musique.
— La Société des compositeurs de musique met au concours pour
l'année 1891 : 1° Une Suite pour piano, avec accompagnement d'orchestre.
Prix unique de 300 francs. (Fondation P!eyel-Wolf). 2° Un Trio pour
violon et violoncelle. Prix unique de 300 francs, offert par la Société.
3° Une Scène pour soli et chœur, avec piano remplaçant l'orchestre. Prix
unique de 300 francs, offert par la Société. Les compositeurs français
sont seuls admis à concourir. Les manuscrits devront porter une épi-
graphe reproduite sur un pli cacheté, renfermant les noms et adresse de
l'auteur. On devra les faire parvenir avant le 31 décembre 1890, à
M. "Wekerlin, archiviste, au siège de la Société, 22, rue Rochechouart,
maison Pleyel- Wolf et C. — Pour tous renseignements, s'adresser a
M. Delphin Balleyguier, secrétaire général provisoire, entrepôt de Bercy,
pavillon Crépier.
— Dans sa séance de jeudi dernier, le comité de l'Association des artistes
musiciens a procédé au renouvellement annuel de son bureau. Ont été
nommés : président, M. Colmet Daage; vice-présidents, MM. Deldevez,
Ch. de Bez, Emile Réty, Eugène Gand, Ch. Dancla et Albert Lhote ; secré-
taires, MM. Arthur Pougin, Verrimst, Paul Rougnon, Ch. Bannelier, Le
Brun et Gallon ; archivistes, MM. Ch. Laurent et Le Brun.
— M. Saint-Saëns, dont on avait, à tort, annoncé le séjour à Oran, est
arrivé cette semaine à Marseille, à bord du paquebot la Ville-de-Brest.
Parti de Marseille par le rapide de six heures, l'auteur d'Ascanio est arrivé
mardi matin à Paris, à neuf heures. Il est descendu à l'hôtel Terminus,
où il occupe la chambre 208, au troisième étage. M. Saint-Saëns a con-
firmé les renseignements donnés à plusieurs reprises sur les raisons de
son exil volontaire. C'est pour soigner sa santé qu'il a quitté Paris pen-
dant l'hiver, et maintenant il est bien décidé à quitter la France chaque
année, du mois de septembre au mois de mai. Pendant cet été, il va se
fixer à Saint-Germain et y travailler à de nouvelles œuvres. Il a assisté
mercredi soir à la représentation d'Ascanio à l'Opéra : à cette occasion,
tous les rôles étaient tenus par les interprètes qui les ont créés.
— Félicien David va voir enfin spn « monument » terminé. On sait que
par suite de l'insulïisance des souscriptions, il avait fallu s'en tenir jus-
qu'ici au gros œuvre seulement et aux quatre grandes colonnades qui ne
supportent rien. A force d'économiser de droite et de gauche sur les
droits fournis par les partitions de David, la légataire universelle, Mme Tas-
tet, dont on ne saurait trop louer le zèle et le dévouement pour honorer
la mémoire du grand musicien, est parvenue à mettre de côté la somme
qu'il fallait, et le sculpteur Chapu s'est mis de suite à l'œuvre pour l'exé-
cution du bas-relief qui doit compléter le monument. C'est encore l'affaire
d'une année, mais c'est beaucoup de voir enfin le but qu'on désespérait
d'atteindre.
— M. Georges Boyer, le charmant poète des Enfants, fera samedi pro-
chain, dans la journée, au théâtre d'Application, une conférence sur
Gustave Nadaud et ses chansons. Il s'est assuré du concours de plusieurs
artistes de choix, qui prêteront à sa parole le secours de leur voix en chantant
les plus jolies productions du maître chansonnier tout à la fois si popu-
laire et si fin. Voilà une matinée d'attraction qui va remplir la jolie
petite >alle de M. Bodinier.
— Une grosse nouvelle est arrivée cette semaine des Élats-Unis. Jeudi
dernier, on apprenait de source officielle que la Chambre des représen-
tants, à Washington, avait voté, par 162 voix contre 142, le nouveau tarif
général, exécutoire à partir du \" juillet prochain, comprenant la sup-
pression des droits de 30 0/0 sur les objets d'art (peintures, sculptures,
gravures, etc.; et de 23 0/0 sur l'importation des livres étrangers (sauf
ceux en langue anglaise). Ce résultat, si heureux pour les artistes, les
écrivains et les éditeurs français, est du en majeure partie aux grands
efforts de M. de Kératry, le délégué à Washington du syndicat de la pro-
priété littéraire cl, artistique, qui lui a fait parvenir aussitôt l'expression
de ses plus chaleureux remerciements. Ce bill a été présenté par M. Mac
Kinlcy, mais il nu faut pas le confondre avec un autre Mil émanant du
même député, le custom bill, qui est relatif nu règlement des contestations
do douane. — Espérons que la reconnaissance pleine et entière du droit
de la propriété littéraire et artistique suivra de prés cet allégement aux
droits qui la frappent.
— M. Paladilhe s'est rendu cette semaine à Montpellier pour surveiller
les dernières répétitions de Patrie, qui a dû être représentée hier samedi,
à la représentation de gala offerte au président de la République. Ce sont
les chœurs de Toulouse et les artistes de Marseille qui interprétaient l'ou-
vrage de M. Paladilhe, pour lequel la ville a dépensé 16,000 francs.
— Société nationale. — Au dernier concert, avec orchestre et chœurs (salle
Pleyel, 17 mai), on a entendu une Suite pour orchestre de M. Boellmann,
quatre petits morceaux de facture intéressante sinon d'une inspiration très
neuve ; un Chant laotien de M. Bourgault-Ducoudray, original et d'une fort
jolie couleur orchestrale; le Convoi du fermier, commentaire musical d'une
poésie de Brizeux.par M.Guy Ropartz, où une mélodie populaire bretonne
est traitée dans un excellent sentiment poétique. La chanson bretonne était
d'ailleurs largement représentée à ce concert; les airs de ballet de Lysic de
M. Marty, sont en effet composés presque exclusivement sur des thèmes
tirés du recueil de M. Bourgault-Ducoudray. La musique de scène de
Shylock, de M. Fauré, gagne singulièrement à être exécutée au concert;
elle est exquise d'un bout à l'autre : deux morceaux (sur six) ont été
redemandés par tout l'auditoire. La Fantaisie pour piano et orchestre de
M. de la Tombelle est de caractère, sinon de forme, très classique.
Le Paysage de M. R. Bonheur (un nom que nous voyons pour la première
fois sur les programmes de la société) est beaucoup plus moderne : le
sentiment en est délicat et raffiné, la facture habile; on y peut critiquer
seulement un peu trop de réminiscences de Wagner. La séance s'est
terminée par le n° 6 des Béatitudes de M. César Franck, un chef-d'œuvre
dont le moment est venu, nous semble-t-il, de donner enfin une exécution
intégrale : le fragment entendu l'autre jour est d'une admirable beauté.
MM. Marsick, Leprestre, Dinard, et M"0 Marguerite Allard ont prêté leur
concours à l'exécution, dont l'ensemble a été dirigé avec une grande
autorité par M. Gabriel Marie. J. T.
— A la dernière soirée donnée, chez eux, par M. et Mmc Louis Diémer,
on a grandement fêté Mmc la comtesse de Guerne, qui a chanté, avec
beaucoup de talent et une fort jolie voix, Menuet, Inquiétude, du maître
de la maison, et l'air de Rigoletto, Mmo Conneau s'est montrée, comme à
son habitude, chanteuse de grande méthode dans des Variations de Mozart,
avec Mmc de Guerne dans un duo de M. Gounod et, accompagnée par
M. Gillet, dans le Chant provençal de M. Massenet. Ma Diémer a ravi ses
nombreux invités en interprétant merveilleusement une Pièce romantique
de sa composition et la Rapsodie espagnole de Liszt. Enfin, très beau succès
aussi pour M. Gillet, l'incomparable hautboïste, et pour M White, qui a
joué en maître du violon. MM. Staub et Risler ont terminé la soirée en
enlevant avec brio les Danses norwégiennes de M. Grieg. Puisque nous parlons
de M. Diémer, réparons l'oubli que nous avons fait en rendant compte
de sa dernière audition d'élèves. Parmi les premiers prix nommés, nous
n'avons pas cité M. Stojiowski, qui n'est certes pas le moins intéressant
de ces artistes d'avenir et qui a obtenu un très légitime succès en jouant
un concerto de sa façon.
Soirées et Concerts. — Dimanche dernier, au Cbàtelet, à la matinée organi-
sée par « l'Union du Commerce », M. Talazac a chanté une ravissante mélodie,
les Pommiers, de M. Emile Bourgeois, qui a eu les honneurs du bis. M"0 Valenline
Marcolini, une jeune violioniste de il ans, a joué avec un grand charme Absence-
Elégie, du môme auteur. Puis, MM. Talazac et Martapoura ont magistralement
interprété Crucifix, de M. Faure. Un des grands succès de la séance a été, comme
toujours, joir le charmant duo la Tourterelle et le Papillon, de M. Emile Bourgeois,
chanté par Mm" Deschamps-Jehin et J. Duran, de POpéra-Comique, et accompagné
par l'auteur. — La jeune et intéressante pianiste, M1'0 Jacger, a douné son deuxième
concert à la salle Pleyel devant un nombreux auditoire qui lui a lait fête. Nous
avoDS particulièrement applaudi le Sentier, de M. Delahaye, le Sclurso et Choral, de
M. Th. Dubois, V Oiseau- Mouche, de M. Th. Lack, que non» trouvons maintenant
sur tous les programmes, et la célèbre Valse-arabesque du même compositeur.
La parfaite interprétation de cescharmantes œuvres avalu a la t-ympathiquo béné-
ficiaire un succès flatteur et bien mériié. — La deuxième audition d'élèves de
M"0 Hortense Parent était exclusivement consacrée aux œuvres de MM. Théodore
Lack et Francis Tbomé. Parmi celles du premier de ces composileurs qu'on a le
plus applaudies, citons la Berceuse-rCverie, le Balîettino, Tzyganyi, Tunisienne,
Valse-rapide, Valse-arabesque, l'Oiseau-Mouche et le thème slave de Coppèlia, trans-
crit pour deux pianos. Les œuvres de M. Thomé ont eu aussi leur succès, surtout
la jolie transcription de la Chaconne de Lully. — Charmant concert et des plus
variés que celui de M"* Thérèse CastellaD, la violoniste si distinguée et toujours
si applaudie. C'était d'abord M. Léon Delafosse, le jeune pianiste d'unsi beau pré-
sent et d'un plus bel avenir encore, qui a dit i lusieurs petites pièces d'une façon
charmante, entre autres I Oiseau-Mouche-, de M. Théodore Lack ; puis M"" Komaromi,
la brillante élève de Mmu Marcbesi, dont la superbe voix a été fort appréciée dans
la romance de Mignon, le Soir, d'Ambroise Thomas, et la si expressive mélodie de
M. Faure, Myosotis . N'oublions pas l'organiste, M"° Tainc, qui a dit sur l'harmonium
la valse lente de Sylvia. Qui encore? M1"" Ritter-Ciampi et son mari, M"* Fonte-
nay, MM. J. Papin, Villcmin, Devriès et Dassy. li y en avait, comme l'on voit,
pour tous les goûts. — M"" Audousset a donné dimanche dernier, a Neuilly, une
matinée musicale et littéraire. On y a successivement applaudi M1" Taiue, l'or-
ganiste, et M. Binou, le violoncelliste. Pour la partie littéraire, M"" S. Delaunay
et M. Rambert. M™° Audousset a interprété, avec beaucoup de succès, des œu-
vres de Mendelssohn, Chopin, Widor et un joli Prélude d'Elis Borde. — M. Ro-
bert Ton Brink a donné un concert fort intéressant, avec le concours de M"'° de
Montalant et de M" Roger-Miclos. Il y a eu des bravos pour tous.
Henri Heuoel, directeur-géiant.
Dimanche Ier Juin 1890.
3087 - 56- ANNÉE - N° 22. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 l'r.; Texte et Musique de P|ano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 l'r., Paris et Province. — Pour L'Étranger, les Irais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Notes d'un librettiste : Georges Bizet (i< article), Louis Gallet. — II. Semaine
tbéàtrale : premières représentations de Zaïre à l'Opéra et de la Basoche à
l'Opéra-Comique. Arthur Pougin ; première représentation du Hanneton d'Heloïse
et reprise des Provinciales à Paris, Paul-Emile Chevalier. — III. La musique
et le théâtre au Salon des Champs-Elysées (3° article), Camille Le Senne. —
IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
LE SENTIER
nouvelle mélodie de Louis Diémer, poésie de A. de Montferrier. — Suivra
immédiatement : Suzon, chanson de Joamni Perronnet, paroles de Mme A.
Perronnet.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano: Valse-sérénade, d'ANTONix Marmontel. — Suivra immédiatement:
Dansons la Tarentelle, de A. Trojelli.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
GEORGES BIZET
La distribution de l'ouvrage fut tout de suite faite pour
les rôles d'hommes, dont on chargea le ténor Duchesne et
Potel. Pour l'unique rôle de femme, le choix ne fut pas tout
d'abord arrêté.
« Priola ou Galli-Marié, m'écrivait le compositeur ». Ce
fut à une troisième qu'il échut.
Une jeune femme, d'une beauté rare et d'un charme très
grand, venait précisément de débuter dans le répertoire,
sous le nom d'Aline Prelly. Elevée dans le monde, encore
inexpérimentée, ayant grandement besoin de leçons, elle
s'était bravement lancée dans la carrière dramatique, avec
une crànerie enfantine. Elle fut désignée pour le rôle de
Djamileh, dont plastiquement elle réalisait le type idéal.
Le personnage, agréable à représenter, d'une simplicité
touchante, offrait au point de vue vocal bien des aspérités
pour une débutante. On pensa que sous la direction du com-
positeur lui-même tout irait au mieux. On fit une épreuve
sommaire, jugée satisfaisante par le principal intéressé, et
les répétitions commencèrent.
Elles furent amusantes au possible. La partition de Georges
Bizet entrait dans le sanctuaire de l'Opéra-Comique avec des
airs d'indépendance peu faits pour plaire aux pontifes. Il y
y avait là le vieux régisseur Avocat, qu'on appelait familiè-
rement Victor, homme de tradition, ayant vu, je crois, la
première représentation du Pré aux Clercs et de la Dame blanche,
regardant Bizet d'un œil à la fois indigné et navré, écoutant
parfois d'un coin de la coulisse cette musique dont la for-
mule lui échappait et se retirant d'un pas lourd vers son
cabinet, avec un imperceptible haussement d'épaules et un
grognement de mauvais augure. Il y avait de Leuven, le di-
recteur, qui, sous ses airs froids de gentilhomme, dissimulait
poliment ses impressions en public, mais ne se privait pas
de les exprimer dans l'intimité. On n'est pas pour rien l'au-
teur du Postillon de Lonjumeau, et le Postillon de Lonjumeau était
si loin de Djamileh! Les inspirations de Bizet, si fines, si co-
lorées, si pleines de séduction et de passion vraie, tombaient
comme une pluie morne sur de Leuven, habitué à la mu-
sique facile, légère et courante des opéras de sa jeunesse.
Il ne comprenait pas, ou, bien que d'un esprit fort subtil, il
ne voulait pas comprendre. Gomme on dit, il était buté.
Un jour que j'étais en retard, il m'arrêta dans le couloir
et, me faisant signe d'écouter un air de l'ouvrage qui nous
venait de l'avant-scène, il me dit de son grand air impas-
sible : « Allons, vous arrivez pour le De Profanais! »
Pour Camille du Locle, il était aux anges. Avec une malice
de gamin de Paris, il prenait plaisir à attiser les indignations
de Victor et à dérider la gravité dédaigneuse de son associé,
de Leuven. Les petits détails matériels de l'œuvre le ravis-
saient; très artiste, orientaliste raffiné, il courait, tous les
matins, à la recherche de quelque étoffe, de quelque ajus-
tement original, de quelque meuble ou de quelque costume
authentique. Devant un amour de l'exactitude poussé jusqu'à
l'extrême minutie, moi qui estime qu'au théâtre, en fait de
mise en scène, le semblant est presque toujours d'un effet
plus grand que le vrai, je me permettais parfois de le plai-
santer sur ce chiffonnage. Il allait toujours, habillant Splen-
diano-Potel d'un bel abaïl syrien de soie gros bleu strié d'or,
Haroun-Duchesne d'une veste superbement brodée dans
quelque féerique bazar de Constantinople, et Djamileh d'un
ravissant costume d'aimée.
Le décor était dans le goût hispano-mauresque, s'il m'en
souvient bien, avec une large ouverture sur le plein ciel.
Une belle lanterne multicolore qu'on manœuvrait en scène,
à un certain moment, pour l'allumer quand tombait la nuit,
devait faire l'admiration des connaisseurs et ravissait tout
d'abord le jeune directeur, ce qui était le principal, car
j'ai toujours remarqué, ayant déjà vu quelques directeurs à
l'œuvre, combien le plaisir de mettre en scène est un plaisir
égoïste.
Une des trouvailles de du Locle, au cours des répé-
titions, fut d'occuper les quelques mesures précédant,
170
LE MÉNESTREL
au lever du rideau, le réveil et la rêverie du ténor, par
une scène muette, durant laquelle Djamileh traversait le
théâtre, légère comme une vision, se penchait avec adora-
tion vers son amant endormi pour lui baiser la main, et
s'éloignait, les yeux extasiés. Le soir de la première, cette
furtive et délicieuse apparition fit passer dans la salle un
frémissement de plaisir. L'actrice, qui n'avait pas eu à chan-
ter une note dans cet épisode, recueillit tous les suffrages,
pour sa grâce et pour sa beauté. Ses grands yeux noirs
humides en disaient plus alors que la plus douce des can-
tiièoes, et le triomphe eût été complet si les choses avaient
pu aller ainsi jusqu'au dénouement.
Comme Bizet n'était pas sans inquiétude touchant quelques
détails de l'exécution de son œuvre, la voulait parfaite
autant que possible, et entendait ne rien abandonner de ce
qui pouvait concourir à ce résultat, il décida que pour la
première représentation il prendrait la place du souffleur et
serait ainsi au premier rang, pour soutenir ses artistes de
la voix et du regard, leur envoyer le mot, les mettre en garde
contre une faute.
Djamileh fut représentée à 1" Opéra-Comique, le 22 mai 1872.
Le soir de la représentation, Bizet arriva ponctuellement,
très calme, et comme j'avais résolu de ne point l'aban-
donner, nous descendîmes tous deux dans les dessous de la
scène, au moment où le chef d'orchestre Deloffre prenait
place à son pupitre.
Bizet s'installa dans la boîte du souffleui, moi sur une
chaise au-dessous et en face de lui, dans l'étroit passage, le
long de la rampe, en contre-bas de son poste. Et nous voilà
nous regardant avec de gros yeux, échangeant quelques mots
rapides, un peu fiévreusement, tandis qu'au-dessus piéti-
naient les artistes, attendant le lever du rideau.
Enfin, on frappa les trois coups, le chef d'orchestre leva
son bâton et Bizet, l'œil en éveil, commença sa besogne de
conducteur, avec une sûreté, avec une volonté froide, faites
pour surprendre de la part d'un compositeur sentant der-
rière lui une foule dont bien des éléments pouvaient à bon
droit lui inspirer de l'inquiétude.
Les premières scènes très applaudies, l'action s'engagea
dans des conditions favorables. Tout à coup, je vis Bizet
s'agiter dans sa logette; un trouble se fit autour de nous,
aussitôt dissipé mais très appréciable. Djamileh venait de
passer trente-deux mesures de la chanson persane, placée
juste au beau milieu de la pièce. Et l'orchestre, éperonné
par Deloffre, courait éperdùmènt pour rattraper la chanteuse.
A part cet accident, la soirée s'acheva sans encombre, ce
qui n'empêcha pas Bizet, près de quitter la place, de se
pencher vers moi pour me dire : « Allons, un four com-
plet! »
De la modestie, assurément, car si l'ouvrage surchargé
de musique avait paru un peu long, cela n'enlevait rien à
la valeur de chaque morceau. Le goût du public ne l'en-
trai'jait guère alors vers les choses purement lyriques;
l'action toute simple de Djamileh n'était point faite pour le
séduire, peu sensible qu'il était encore au développement
des passions. Il en serait tout autrement sans doute aujour-
d'hui, où le théâtre musical vit précisément de ces déve-
loppements et dédaigne les complications et les péripéties
conventionnelles. Et il aurait été absolument impossible,
dans Djamileh, d'user de l'un de ces moyens de « théâtre »
que de Leuven m'indiquait parfois, en riant narquoisement,
et qu'il empruntait à un vieil auteur, ami de sa jeunesse.
— Voyez-vous, quand l'action languit, c'est bien simple :
Un des personnages laisse tomber une pile d'assiettes et
voilà le public réveillé!
Malheureusement, dans Djamileh, il n'y avait point d'as-
siettes à casser. L'ouvrage eut une douzaine de représenta-
tions, et seuls s'en souviennent peut-être ceux qui ont étudié
de près l'œuvre de Georges Bizet, où ce petit acte marque une
période d'évolution dans la carrière du compositeur qui,
bientôt, allait donner, dans Carmen, sa formule définitive.
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THÉÂTRALE
Opéra. — Zaïre, opéra en deux actes, de MM. Edouard Blau et Louis
Besson, musique de M. Véronge de la Nux. — Opéra-Comiqoe. La Basoche,
opéra-comique en trois actes, paroles de M. Albert Carré, musique de
M. André Messager.
M. Paul Véronge de La Nux, élève de Bazin, grand prix de Rome
de 1876, est plus heureux que M. Charles Lefebvre, son prédécesseur,
grand prix de Rome de 1870. Quels ennuis que lui ait suscités la
direction de l'Opéra — et l'on sait qu'elle ne s'en est pas fait faute,
— le voici joué enfin, et sa Zaïre a vu le jour devant le public
parisien. Quant à M. Charles Lefebvre, connu par de nombreuses
et intéressantes compositions, parmi lesquelles un beau drame bi-
blique intitulé Judith, il n'a pu réussir encore à aborder la scène à
Paris, et, auteur, lui aussi, d'une Zaïre dont le poème lui avait été
fourni par M. Paul Collin, il a dû se résigner à la transporter en
province et à la faire jouer à Lille, ou le rôle principal en était
tenu par une jeune artiste de tempérament, Mmc Fierens, que l'Opéra
vient précisément d'engager et qui doit débuter prochainement.
Nous étions fort peu, parmi les critiques parisiens, qui nous étions
décidés à faire le voyage de Lille, pour y entendre, le 3 décembre
1887, la Zaïre de M. Ch. Lefebvre, où l'on rencontrait des pages
d'une véritable valeur, si bien que la publicité donnée à l'œuvre
fut des plus restreintes. Plus heureux, M. de la Nux voit la sienne
représentée sur notre première scène lyrique, et toute la presse s'en
occupe à l'envi.
Il est vrai que mes confrères, pour la plupart, sont loin de se
montrer tendres pour la partition du jeune compositeur, et je me
permettrai de trouver leur sévéïité quelque peu excessive. Mais
avant d'en donner mes raisons, i) me faut dire quelques mots de
l'arrangement dont la Iragédie de Voltaire, réduite de cinq actes à
deux, a été l'objet de la part des librettistes. On sait que Zaïre était
elle-même une imitation très libre de V Othello de Shakespeare. Pour
ma part, je confesse ingénument que je préfère de beaucoup l'ori-
ginal, Othello étant autrement vivant, autrement humain, autrement
mouvementé, autrement passionné enfin que Zaïre, si l'on excepte le
dernier acte, où, étant donné le sujet, la passion s'imposait d'elle-
même. Mais les longs entretiens de Zaïre et de Fatime, les conci-
liabules fatigants de Nérestan et de Chàtillon, les interminables
tirades d'Orusmane, tout cela, il faut le dire, est bien froid, bien
compassé, bien languissant, en dépit de la richesse de certains vers
et de quelques scènes vraiment heureuses. L'action étant resserrée'
en deux actes, tous ces hors-d'œuvre ont nécessairement disparu ;
le rôle de Fatime est réduit à ta plus simple expression, celui de
Chàtillon n'exisle plus pour ainsi dire, et de l'œuvre primitive il
ne reste en quelque sorte que l'ossature, la carcasse essentielle.
Ainsi comprimé, si l'on peut dire, le poème de Voltaire pouvait
offrir l'aliment nécessaire à l'inspiration d'un musicien doué de
chaleur, de passion et de tempérament. Or, ce sont là, précisément,
les qualités qui, jusqu'à présent du moins, semblent manquer à
M. de La Nux. Partout où il eût fallu de la virilité, de la puissance,
un sentiment pathétique et chaleureux, le compositeur parait se
dérober complètement. D'autre part, son inspiration est courte, elle
se traduit en membres de phrase parfois élégants et bien venus,
mais que ne suivent pas leurs corrélatifs, et qui tournent court
d'une façon fâcheuse. Enfin, on peut lui reprocher, comme je le
faisais récemment à M. Godard, de ne tenir aucun compte du mou-
vement, de l'évolution qui signale aujourd'hui la marche de l'art
musical, et de marcher un peu trop à reculons alors qu'il s'agirait
d'aller de l'avant et, en se garant de tout excès, de prendre sa part
des idées nouvelles que quelques-uns exagèrent hop volontiers.
Mais ce n'est pas à dire pour cela que la partition de Zaïre soit
dénuée de toute espèce de talent, et je trouve, pour ma part, qu'on
a été un peu trop dur et cruel pour son auteur. Si l'on peut repro-
cher à cette partition un caractère trop tempéré, une couleur trop
uniforme, et, pour tout dire d'un mot, une constante monotonie, il
n'en est pas moins vrai qu'elle est écrite avec beaucoup de soin,
que les morceaux en sont généralement bien construits, et surtout
que l'orchestre, très sobre, très mesuré, et cependant très vivant,
LE MENESTREL
m
en est remarquablement conçu. On y remarque même, par instanls,
un sentiment seénique qui n'est pas très commun, comme dans la
scène ou Orosmane ordonne à sa suite de sortir pour rester seul
avec Zaïre, et l'on pourrait signaler telle ritournelle de violons,
telle rentrée de violoncelles qui préparent ou font ressortir la dé-
clamation et qui produisent l'effet le plus heureux.
Je ne veux pas prétendre, car telle n'est pas ma pensée, que
l'ensemble de l'oeuvre soit réussi. Elle manque, je l'ai dit, essen-
tiellement de force et de passion, jusque dans les moments les
plus dramatiques, jusque dans la scène du meurtre de Zaïre, qui
était, ou jamais, de nature à exciter la verve et l'imagination d u
musicien, inspiration qui est vraiment trop absente. Mais je veu x
tenir compte au compositeur du respect qu'il prouve de sa plume,
aussi bien que de l'intelligence dont il fait souvent preuve et qui
se retrouve dans maints détails intéressants. Je ne veux pas ou-
blier d'ailleurs que c'est là le premier ouvrage d'un artiste qu i
jamais encore n'a eu l'occasion de s'entendre à la scène, et quand
je me reporte aux premières œuvres dramatiques de certains com-
positeurs de quelque renom qui s'appelaient Spontini, Auber, Meyer-
beer, je dis qu'il ne faut pas être trop dur pour un musicien à ses
débuts, et qu'on doit se garder autant que possible de le décou-
rager.
Je ne crois pas nécessaire, après les réflexions qui précèdent, de
faire une analyse détaillée de la musique de Zaïre. Je me bornerai
à signaler certains passages qui m'ont plus particulièrement frappé.
Parmi ceux-ci, le duo de Zaïre et de Fatime, qui contient un épi-
sode charmant: Orosmane revient, il revient triomphant! annoncé par
une élégante ritournelle des violons, et qui se termine très ha r-
monieusernent et très heureusement sur ce vers : Je suis heureuse et
ne sais rien de plus; puis, le chœur des captifs, qui ne manq îe ni de
verve ni de couleur; et enfin, dans le finale du premier acte, toute
la partie dans laquelle la voix de Lusignan plane sur l'ensemble
choral et le domine avec une véritable grandeur. Cela est d'un ex-
cellent effet.
En tête de l'interprétation, il faut placer MUe Eames, qui nous a
donné une Zaïre idéale. La femme est charmante et d'une élé -
gance patricienne ; la chanteuse, douée d'une voix adorable, juste ,
caressante et d'une exquise pureté, conduit cette voix avec un
goùl parfait et phrase délicieusement; la comédienne enfin fait
preuve d'une véritable intelligence et ne laisse rien à désirer.
M. Delmas est un superbe Orosmane, bon comédien et remarqua-
ble chanteur, à qui je reprocherai seulement de traîner parfois un
peu trop la phrase musicale et de lui enlever ainsi son nerf et sa
vigueur. Quant à M. Esealaïs, qui représente Lusignan, son bel
instrument conserve toute sa puissince et sa sonorité; peut-être
cependant pourrait-il approfondir davantage l'art des nuances el des
contrastes. M. Jérôme est un Nérestan suffisant, et Mm- Pack une
Eatime bien insuffisante et par trop chevrotante.
Passons à l'Opéra-Comique, et occupons-nous maintenant de
la Basoche. Nous ne sommes plus ici aux jours sombres du
Roi d'Ys, de Dante et d'Esclarmonde, et la Basoche semble vou-
loir nous ramener au vrai genre de l'opéra-omique, vraiment
un peu trop négligé depuis longtemps. Seulement, peut-être la
note est-elle uu peu fo C-'e, et l'opéra-comique cette fois tourne-t-il
un peu trop vers l'opérette. Cette réflexion s'applique surtout au
livret, qu? je vais essayer de faire comprendre, ce qui ne sera pa s
toujours facile, car il n'est pas toujours d'uue absolue limpidité
Nous sommes sous le règne du bon roi Louis XII, dit « le Père
du peuple. » Ou sait ce. qu'était alors la Basoche, qui comprenait
la corporation des clercs du Parlement et de la Ciur de* Comptes
et qui, de toute cette jeunesse spéciale formait une vaste association
gouvernée par un roi — le roi de la Basoche — et toute une série
de dignitaires : chancelier, grand référendaire, maître des requêtes,
garde du sceau, etc., jusqu'aux notaires, secrétaires et huissiers.
Les clercs delà Basoche furent, avec les confrères de la Passion,
nos premiers comédiens, et ils obtinrent, ainsi que ceux-ci, 'le
privilège de donner des représentations publiques qui étaient très
suivies et dans lesquelles ils ne se gênaient point pour railler et
critiquer les gouvernants, le parlement et jusqu'au souverain lui-
même.
Chaque année la Basoche élisait son roi, lequel, entre autres
prérogatives, avait le droit de frapper une monnaie particulière
qui avait cours entre les clercs et les fournisseurs attitrés de la
corporation. La première condition, pour être élu roi de la Basoche,
était d'être célibataire, et c'est justement là le point de départ de
l'action imaginée par M. Albert Carré.
Au premier acte , en effet , nous voyons que les basochiens
viennent de choisir pour leur roi le poète Clément Marot. Mais
Marot, qui s'est marié récemment, a dû celer son mariage pour
obtenir cette dignité, et confiner sa jeune femme, Colette, dans un
village des environs de Paris. Malheureusement, Colette s'ennuie,
et elle vient à la recherche de son époux, qu'elle rencontre à
l'auberge du Plal-d'étain et qui la supplie de ne point révéler leur
union. A cette même auberge descend, avec le due de Longueville,
qui l'est allé chercher à la cour de Henri VIII, la princesse Marie
d'Angleterre, sœur de ce prince, dont le mariage avec le roi de
Erance doit avoir lieu prochainement.
Tandis que la princesse s'étonne que le roi ne s'empresse pas
de la venir chercher lui-même pour l'emmener au palais, on lui
apprend qu'il va venir, et Colette apprend de son côté que son
mari a été, le matin même, revêtu de la dignité royale. Il s'agit
ici du roi de la Basoche, ce que l'une et l'autre ignorent également,
et ce qui fait le fond de l'intrigue. En effet, Marot se présente à
l'auberge, où la princesse, le supposant son époux, trouve plaisant
de le faire souper avec elie, tandis que Colette, furieuse, veut abso-
lument rentrer en possession de son mari, qu'elle s'imagine roi de
France.
Cette situation, qui se prolonge un peu trop pendant le cours de
trois actes fort développés, engendre naturellement une foule d'inci-
dents, de surprises et de quiproquos, dont les uns sont plaisants,
dont les autres abusent de la faculté d'être invraisemblables.
Louis XII apprend l'équipée de la princesse Marie, et s'en montre
courroucé. Il veut savoir avec qui la princesse a soupe au Plat-
d'étain, et, comme Colette s'est présentée au palais sous le costume
de la reine de France qu'elle croit être (!!), il l'interroge sans en
pouvoir obtenir aucun renseignement; il interroge de même le duc
de Longueville, qui est dans l'impossibilité de l'éclairer davantage.
Enfin, la princesse Marie, c'est-à-dire la vraie reine, s'offre à ses
yeux, tout s'explique, non sans quelque difficulté, Colette est ren-
due à son époux, lequel était menacé d'être pendu pour extorsion
de qualité, et le mariage de Marot étant rendu public, il est obligé
de se démettre de sa souveraineté et de céder le trône de la Basoche
à un confrère plus foncièrement célibataire que lui.
Tel est le livret de la Basoche, qui ne manque ni de galté, ni
de mouvement, mais un peu de réel intérêt, et à qui l'on peut
reprocher une fantaisie parfois excessive. Nous retrouvons ici les
procédés jadis chers à Scribe, que pour ma part je ne trouve pas les
plus mauvais, mais nous n'y trouvons pas la solidité de charpente,
l'ingéniosité de détails et la fertilité d'incidents logiquement enfantés
les uns par les autres, qui en sauvaient l'invraisemblance.
Sur ce livret M. Messager a écrit une partition importante — trop
importante — dont la première partie, je veux dire le premier acte,
est vraiment le meilleur. Ce premier acte, qui s'annonce par une
eourle ouverture, d'une facture franche et décidée, contient plusieurs
morceaux fort bien venus : la ballade de Marot, sur les vers de
Clément Marot lui-même : Je suis aimé de la 2'lus belle, dont le tour
mélodique est empreint de grâce et d'élégance ; les couplets du même :
Quand tu connaîtras Colette, qui sont fort distingués; un petit chœur
de femmes, harmonieux et d'un joli effet; les couplets de Léveillé :
Dans ce grand Paris, d'un sentiment mélodique pleiu de charme et de
grâce; et enfin une phrase de l'air de Colette : Je suis veuve, dont
l'accent est d'une mélancolie pénétrante. Ce que je ne pardonne pas
à M. Messager, qui est capable d'écrire de si jolies choses, c'est le
malencontreux air de bravoure qu'il a placé dans la bouche de la
princesse, et qui est d'un poncif désespérant.
Auseconl acte, il faut signaler un chœur dansé, très franc, le
duo de Marot et de Colette, qui contient quelques élans passionnés,
et le trio, dont toute la première partie est charmante, solidement
construite, el tout à fait dans le ton du véritable opéra-comii|ue, avec
d'excellents détails d'orchestre. Le troisième acte est le plus faible à
mon sens, bien que le meDuet qui firme l'entr'acte avec son joli
dessin de violons, soit tout à fait aimable et plein de grâce.
C'est M. Soulacroix qui personnifie Clément Marot. Son éloge
n'est plus à faire; il joue et chante ce rôle d'une façon exquise.
Celui du duc de Longueville, qui est mal tracé, est tenu par M. Fûgère,
qui en tire tout le parti possible, M1"" Landouzy représente la prin-
cesse Marie d'Angleterre, et Mme Molé-Truffier, la gentille Colette ;
M100 Landouzy est fort aimable, et M"10 Mole toujours un peu pincée,
avec une voix toujours aigrelette. Les autres rôles sont convena-
blement tenus par MM. Carboune, Baruoll, Thierry et Maris.
L'ensemble est en somme très satisfaisant. Mais je crois que la part
il '2
LE MENESTREL
faite à la musique dans la Basoche est excessive, et que quelques cou-
pures pratiquées dans cetle partition l'allégeraient très heureuse-
ment et rendraient la pièce plus alerte et plus vive.
Arthur Pougin.
Folies-Dramatiques. Le Hanneton a" Héloïse, vaudeville en quatre
actes, de M. Georges Du val. — Palais-Royal. Les Provinciales à Paris,
comédie-vaudeville en quatre actes de MM. E. de Najac et Pol
Moreau.
Beaucoup plus avisé que le hanneton qui s'était tualeneontreu
sèment logé dans l'oreille du pauvre Rinsbeck, l'inoubliable garde
champêtre du Fétiche, de joyeuse mémoire, celui de Ml:e Héloïse
s'off.e, hors des regards indiscrets, une petite promenade des plus
intimes. Et comme la belle enfant pousse des cris de détresse,
il se présente un bon jeune homme qui se trouve très heuieux de
jouer le rôle de sauveteur. Mais au moment où il va saisir la petite
bête, un oncle surgit fâcheusement, s'explique mal la situation et
exige... un mariage. Voilà comment Héloïse est devenue la femme
de Chalendrin et voilà pourquoi tous les ans, pour têter l'anniver-
saire de ce grand jour, les deux époux vont passer une journée à
Nogent dans les bosquets qui furent témoins de leur première ren-
contre. Or, il y a déjà dix ans que Chalendrin accomplit pieusement
le pèlerinage imposé par sa femme, lorsque les beaux yeux d'une
certaine Delphine lui font prendre en grippe le hanneton et l'hom-
mage qu'il doit rendre à son souvenir. Il s'ingénie alors à fuir sa
femme pour regagner la bien-aimée et, à Nogent même, nous assis-
tons à des chassés-cioisés et à des quiproquos, auxquels viennent
se mêler un joyeux riveur, un jeune chapelier, la nièce d'Héloïse et
une employée des Chalendrin, chasses-croisés et quiproquos que je
m'avoue absolument incapable de vous narrer, et auxquels j'ai ri,
comme la salle entière, de très grand cœur. M. Gobin est un Cha-
lendriu d'un entrain merveilleux, et MM. Montbars et Guyon fils
ne mauquent ni d'esprit ni de galté. MIle Leriche grimace tant
qu'elle peut le rôle de la femme au hanneton et Mlles Laborie, Stella
et Marie Patry sont avenantes. C'tst M. Baggers qui a semé de cou-
plet-; très heureux le nouveau succès de M. Georges Duval.
Encore un vaudeville ; celui-ci vieux de douze ans déjà, mais qui
ne semble écrit que d'hier seulement. C'est l'histoire des tribulations
d'une famille parisienne qui, pendant l'Exposition Universelle, se
voit obligée d'héberger des parents et amis qui leur tombent des
quatre coins de la province. On en couche partout, on se blottit
dans les chambres des domestiques au sixième étage, on se torture
et on désorganise son existence pour satisfaire ses hôtes et on n'en
reçoit que des plaintes, et en ne récolte de leur passage que des
ennuis et des désagréments. Une vieille tante chasse les domesti-
ques qui lui déplaisent, un ami installe son appareil à douches en
plein salon et transforme la pièce en lac artificiel, une amie se
laisse donner des rendez-vous dans votre propre appartement et
vous compromet horriblement. Tout cela est d'une observation très
amusante et mis en œuvre avec une adresse remarquable. La troupe
du Palais-Royal y est absolument parfaite de gaité, de finesse et
de bonne humeur. Il faut citer en première ligne MM. Saint-Ger-
main, Milher, Galipaux, Calvin et Mmes MathiLie, Lavigne et Cheirel.
M'"'s Bonnet, Clem, Dolci et Froment complètent un ensemble qui
assure de nombreuses représentations à cette très amusante reprise.
Paul-Emile Chevalier.
LA MUSIQUE ET LE THEATRE
AU SALON DES CHAMPS-ELYSÉES
(Troisième article.)
La musique est en grand honneur parmi nos paysagistes, surtout
parmi ceux qui ont le goût des titres nouveaux et qui répu°-ncnt à
intituler un effet de nuit « effet de nuit » ou uu effet de matin « effet
de matin », à la manière de Corot, de Daubigny, de Rousseau et
autres simplistes. Nos peintres actuels de la nature surprise à l'aube
ou au crépuscule, cherchent des appellations plus compliquées- il
en est, comme M. Hareux, qui combinent l'ancien procédé et la
nouvelle manière avec un large opportunisme : « les Bords de la
Creuse, symphonie matinale », titre encore intelligible. On en ren-
contre comme M. Whistler, qui poussent jusqu'au rébus avec le
« nocturne en bleu et argent », et le « nocturne en noir et or ».
Une jetée, de l'eau bleue, — d'un bleu pâle et transparent — des
petits bateaux dont les feux multicolores ont l'air de jouer aux
régates vénitiennes, des alouettes indécises et mouvantes qui pour-
raient être des spectres, qui sont peut-être des promeneurs, voilà
le nocturne en bleu et argent : un point d'interrogation avec beau-
coup de charme et un très petit peu de musicalité symphonique tout
autour. Quant au nocturne en noir et or, vous saurez. . . mais je me
défie de mes facultés descriptives sur un terrain aussi délicat que la
définition du « rienisme » préciosé, fignolé, raffiné, enguirlandé, et
j'aime mieux recourir aux lumières spéciales d'un initié. Donc, s'il
faut en croire M. Gustave Geffroy : « le nocturne en noir et or s'élabore
au-dessus des pelouses, autour de chevelures d'arbres, au long d'un
haut édifice. Des feux courent au ras du gazon, tombant en pluie
lumineuse à travers les feuillages, dorent les cours entr'aperçues,
trouent l'obscurité. Des voiles de deuil s'entrecroisent, de déchi-
rantes lueurs traversent l'espace ; le sol frissonne, devient phospho-
rescent d'une lueur verdàtre. C'est infiniment délicat et tendre. Par
un prodige de sensitivité et de virtuosité, la nuit reste despotique et
mystérieuse tout en étant clarifiée et pénétrée de lumière. » Si vous
n'êtes pas renseigné maintenant...
Autre harmoniste, moins savant, mais plus compréhensible que le
peintre des deux necturnes, M. Lucas, dont le Soir de Fête nous
montre une jeune musicienne jouant du violon dans un parc où le
sous-bois s'éclaire de la lueur orange des lanternes vénitiennes.
Mais arrachons-nous au charme perfide des concerts nocturnes —
l'ombre même « piquée » des notes aiguës, des notes amusai tes
d'une lanternerie fantaisiste, est dangereuse pour les virtuoses comme
pour les chanteurs, — et revenons à un petit groupe de tableaux de
pure mise en scène. Très original, très beau cinquième acte de
drame patriotique, époque révolutionnaire, le Clairin, « l'Armée
française dans l'église de Saint-Marc à Venise », contraste saisis-
sant des va-nu-pieds et des sans-culottes de l'armée républicaine
avec les costumes éclatants, les ors et les écarlates des officiants.
La tonalité générale, un peu papillotante, fait songer aux aqua-
relles d'Isabey, mais l'ensemble est plus net. Encore un finale mis au
théâtre et même en opérette, si j'ai bonne mémoire: la « prise de la
Flotte hollandaise par les hussards français » , de M. Sauzea.
Et quelle pose théâtrale ont prise les « protestants fugitifs » de
M. Maurice Bloir attendant, sur un pic des Cévennes, l'armée des
dragons qui ont surpris leur asile ! On l'a dit très justement, et je
ne puis que le répéter : le chef semble chanter un grand air sur
la révocation de l'édit de Nantes. Nous retiouvous un effet décoratif
beaucoup plus sobre avec le Détaille « En batterie », artilleur de la
Garde, régiment monté. Oai, j'entends les objections devant ce rendu
simple, sans romantisme ni panache. Évidemment ce n'est pas de
Géricault, mais la peinture de la' guerre moderne ne doit-elle pas
s'inspirer aussi des sincérités et des sobriétés du modernisme ? Et
d'ailleurs je le trouve, pour ma part fort logique dans son métho-
dique emballement, ce chef d'escadron qui couduit la charge avec
autant de simplicité qu'un bon chef d'orchestre sûr de ses exécutants.
Je signale aux directeurs de théâtre à la poursuite d'un « clou »"
mélodramatique le tableau de M. Mae-Even : « l'Absente », la mère
morte, apparaissant en transparence à la veillée pendant que le père
sommeille et que l'enfant s'attarde à quelque lecture pieuse. Rien
n'est plus facile à réaliser soit avec un jeu de glaces, soit avec tout
autre procédé, et l'effet serait énorme. A quelle scène du Boulevard
adjugerons-nous «. l'Absente » ? Trois cents représentations assurées
et pas de frais. Avec un clou pareil on peut se passer de littérature
et même de dialogue.
Arrivons aux portraits. Voici M"lc Paladilhe, une très belle étude
de Georges Desvallières, qui a reirouvé au Palais de l'Industrie son
grand succès de l'Exposition au cercle Volney ; le Pierre Loti de
Mmo Marie Bon; un portrait de Gustave Nadaud, par Auguste de la
Brély; Georges P.ichard, l'acteur-auteur, le Lafontaine du Chàleau-
d'Eau, par M. Gorguet ; M. JablockoiT (un prince de la rampe!),
par M. Jardon; unbeauDiaz de Soria.par Aima Tadcma; M. G. Viardot.
par Victor Marec. . . J'en oublie, et j'ai déjà cité le remarquable portrait
de Mmc Roger-Miclos, par Henner.
Promenades rapides, courtes entrevues, ce sont, tous les ans, les
mêmes rapports entre la critique d'art et la section intitulée sur le
livret : « Cartons, aquarelles, pastels, miniatures, vitraux, émaux,
porcelaines, faïences... » Et pourtant, que d'oeuvres charmantes dans
ces salles peu fréquentées. 11 me faut citer au passage un bon
portrait de Mlle Rosita Mauri par M"0 Auboise; uu fusain très per-
sonnel, très puissant do M"'' Beaury-Saurel, dont le talent se virilise
chaque année : Mmo Tessaudier, de la Comédie-Française (pas pour
longtemps); deux intéressantes séries de dessins de Bida pour
l'illustration des œuvres de Shakespeare; une Sarah Beruhardt en
porcelaine, de M"0 Bouleau — et comme elle a l'éclat du verre, elle
LE MENESTREL
173
en a la... solidiLé !. . . De M. Fournery, une aquarelle d'une tona-
lité très juste : l'unique Denise, la Francillon incomparable,
M1U" Barlet. Le Mascarille de Mlle Real del Sarte : Vivat Mascarillus
fourbum imperator, ne manque ni de vigueur, ni d'esprit. A la
gravure, quelques reproductions d'une bonne venue : le Mounet-
Sully de Ciairin, en Hamlet, par Boilct; le Verdi de Boldini, par
Lafond; l'Orphée de Corot, par M"0 Leluc; Beethoven, par Michalek;
la Mme Valmore de David, par Mougin; le Comédien de Béraud et
la Javanaise de ReDOuard, par Paillard; la Sonate de Leloir, par
Ruet; le Concert de Melzu, par Sevrelte; la Sortie de Bal de Romain
Ribera, par Torné; le Concert Serbe au Champ de Mars, par Vil-
lemsens.
.Passons à la statuaire. Et d'abord, une station devant l'œuvre où
M. Falguière a cru devoir faire une concession d'un goût qui me
semble au moins douteux, à la virilisation des modes féminines,
la « Femme au paon », dont le marbre se dresse ihéâtralement,
orgueilleusement, à l'entrée de la grande nef; c'est, ma foi! il faut
bien dire le mot, c'est l'aimable garçon, c'est le joli jeune homme
des pièces actuelles, des comédies de mœurs genrs Variétés ou
Vaudeville, c'est le camarade désexé que tant de mondaines es-
sayent d'incarner dans la haute société ou plutôt dans la grande
bohème de Paris, à l'imitation des excentricités Belbeuviennes. On
se la figure — Chaumont, Réjane ou Lavigne — costumée en chas-
seur, le chapeau tyrolien sur l'oreille, les cheveux frisés en boucles
serrées, l'oreille rose et pointante, librement dégagée. L'impression
est bizarre, et, somme toute, assez équivoque. Très heureusement
traitée, quant aux finesses du marbre (l'artiste se double, chez
M. Falguière, d'un praticien fort expert), cette Androgyne attire et
ne retient pas. Aussi bien, elle n'est pas esthétiquement sans défaut.
Il me faudrait trop de périphrases pour expliquer où s'affirment les
exagérations, mais on peut s'eu rendre compte à l'œil nu. La vue
n'engage à rien.
Plus innocente et plus vraiment femme dans sa gaucherie assez
primitive, I' « Eve » de M. Cordier, commentaire du verset biblique :
« L'Éternel dit à la femme : « Pourquoi as-tu fait cela? » Et la1
femme répondit : « Le serpent m'a séduite et j'ai mangé du fruit
» de l'arbre. » C'est une Eve grassouillette et savoureuse à souhait;
on croirait voir 1III"! Théo dans l'opérette des Nouveautés. J'aime
assez peu le trompe-l'œil dessiné en larges boucles sur la poitrine
du modèle ; mais ce serpent qui parle à la femme en se collant à
son épiderme, ce serpent frôleur est une heureuse trouvaille.
Encore quelques œuvres d'inspiration franche : le monument de
Flaubert — la vérité, l'humble vérité célébrée par Maupassant,
écrivant sous la dictée du maître — et la Danseuse destinée à l'hôtel
du baron Alphonse de Rothschild. Voici, pour ne pas trop nous
éloigner de Flaubert, Salammbô après la rupture de la chaînette
d'or : « On a accoutumé les vierges, dans les grandes familles, à
respecter ces entraves comme une chose presque religieuse, et
Salammbô, en rougissant, roula autour de ses jambes les deux
tronçons de la chalue d'or. » Cet embarras pudique rentre dans les
données normales de la statuaire, et M. Coudray en a tiré bon
parti. Les sujets ainsi spécialisés ont plus d'accent que les banales
allégories d'ingénuités qui s'inquiètent, — d'innocences qui s'explo-
rent. — De Carlier, une scène des Travailleurs de la Mer, Gilliatt
saisi par la pieuvre, groupe maibre : « ... Gilliatt avait enfoncé
son bras dans le trou; il se sentit saisi... quelque chose qui
était mince, plat, glacé, gluant et vivant, venait de se tordre dans
l'ombre autour de son bras. La bête l'avait happé. » De beaux
détails dans ce morceau tourmenté.
Section des « grands spectacles populaires », classe de la mise en
scène pour quatorze juillet, mais plus bizarre que séduisant et plus
•enlevé comme tour de force que réussi comme morceau de statuaire,
le bas-relief plàtie de M. Léopold Mo ri ce : « Gluire à Marceau »
(souvenir de la translation des cendres de Marceau au Panthéon en
1889). Ce hussard qui s'envole dans les bras de la Gloire, botté,
éperonné, sabre au flanc, est une silhouette quelque 'peu déconcer-
tante.
La Sirène de M. Puech a des ailes, de grandes ailes, ce qui doit la
gêner pour nager entre deux eaux, mais elle s'acquitte en conscience
de son métier de mangeuse d'hommes. C'est une gaillarde. — Encore
;:me bicu belle personne, mais dotée d'un état civil certainement
tragique mais pas mythologique pour un denier: Mllc Adeline Dud-
lay, qui a servi de modèle à la « Tragédie » do M. Roufosse. Pêle-
mêle une suite d'allégories dont quelques-unes ne manquent pas
de vigueur : la Chanson, de M. Charpentier (qui nous montre aussi
des lutteurs genre Folies-Bergère, en équilibre professionnel mais
instable : l'un d'eux a la tête en bas et les jambes en l'air) ; la
muse éplorée de M. Lefèvre; la Bacchante de M. Banque; la Clytie
de M. Claudius Marioton (celle-là une statuette) ; la Muse des Bois
de M. Pierre Rambaud, point du tout poitrinaire.
On a déjà signalé aux lecteurs du Ménestrel le Méhul en bronze de
M. Croisy, résultat d'une souscription nationale et destinée à la
place de Givet. Une belle œuvre et qui mérite qu'on y revienne,
une figure sobre et sévère, mais sans raideur, et bien française
d'inspiration comme il convenait pour éterniser les traits de l'auteur
de la CAas.se du jeune Henri. Aux statues décoratives, la Sainte
Cécile, de M. Choppin ; la Joueuse de Lyre, de Mme Ducoudray; la
Psyché, de Luca Madrassi ; l'Armide, d'Albert Mulot; le Sophocle
dansant, de Pech ; la Harpe et l'Ëpée, de Georges Récipon ; l'Orphée
jeune, de Mme Ruggles.
Aux bustes, M. Mercié avec Je Victor Hugo commandé pour le
palais du Sénat. Labiche, par M. Boisseau. Au hasard: Dalayrac,
par Basly ; Baillet, de la Comédie-Française, par Briden ; Destouches,
par Capellaro ; Mme Roger-Miclos, par Cadès ; Champfleury, par
Guilkmin; Mlle Magdeleine Godard, par Lecointe; Mlle Chassaing,
dans les Bavards, par Henri Rocq. De M. Guillaume, un Emile Perrin
où l'on retrouve la simplicité, le calme, le soin du petit détail qui
caractérise l'artiste. Nos jolies actrices — style romain — sont repré-
sentées par M1Ic Brandès, de Nelsonn, et MUe Francine Decroza,
d'Amélie ColomCier.
Camille Le Senne.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Nouvelles théâtrales de Berlin : l'Opéra royal fermera ses portes le
•1er juillet pour les vacances d'été, et les rouvrira le 1er septembre. La
récente reprise des Maîtres chanteurs a été un effondrement complet, au
suj et duquel VAUgenwine Musikseitung s'exprime en ces termes : « Nous étions
privés des Maîtres chanteurs depuis bien longtemps à Berlin. Voici qu'on
nous les redonne, et nous sommes amenés â souhaiter que cet admirable
ouvrage soit abandonné à tout jamais plutôt que de le voir représenter de
nouveau d'une manière si peu artistique, si dépourvue de tout caractère
et de toute poésie ». La troupe italienne de M. Gardini a quitté le théâtre
Kroll non sans quelques avanies, pour céder la place à l'Opéra allemand
d'été, qui a été inauguré avec le concours du ténor Gôtze et de Mme Mar-
cella Sembrich. La Fille du Régiment, la Somnambule et la Traviata ont été
pour l'éminente cantatrice autant d'occasions de succès retentissants. Le
Théâtre Central a vécu. La dernière représentation a eu lieu le 30 avril.
Le lendemain, les démolisseurs prenaient possession de l'immeuble qui
va être converti en un nouvel établissement lequel s'intitulera Théâtre
Thomas, du nom de son propriétaire-directeur.
— Voici qu'on parle de l'organisation prochaine, à Berlin, d'une nou-
velle grande scène musicale qui serait placée sous la direction de
MM. Hans de Bûlow, Neumann et H. Wolff. Construction, administra-
tion, répertoire, tout serait calqué sur le fameux théâtre de Bayreuth, et
le nouveau théâtre deviendrait la scène wagnérienne par excellence.
— Du Musical Courier : « Le prince de Bismarck, traversant un jour le
palais royal, s'arrêta dans une salle où les jeunes princes prenaient gaie-
ment leurs ébats aux sons d'un orgue de Barbarie ; les enfants insistèrent
pour que le prince de Bismarck restât auprès d'eux et prit part à leurs
danses. « Je suis trop vieux, s'écria l'austère septuagénaire, mais si
le prince impérial veut danser, je tournerai l'orgue très volontiers ! » La
proposition fut acceptée. Le prince impérial se joignit à ses deux frères et
le prince de Bismarck se mit à moudre des airs consciencieusement, tandis
que les enfants se livraient à une joyeuse ronde. Tout à coup la porte
s'ouvrit, livrant passage au jeune empereur. Il sourit de voir le redou-
table chancelier attelé à un orgue de Barbarie, et, après quelques paroles
de bienvenue à ses enfants, décocha au prince de Bismarck ce trait
incisif : « A la bonne heure! Vous ne perdez pas de temps pour habi-
tuer l'héritier présomptif à danser au son de votre musette. C'est, ma
foi! la quatrième génération de Hohenzollern à laquelle vous vous
consacrez. »
— Le tribunal civil de Berlin vient de rendre un jugement qui inté-
resse tout particulièrement le monde des agences théâtrales. Il établit la
nullité de certains contrats par lesquels uns jeune artiste, nouvelle dans
la carrière, s'oblige à versera l'agent qui lui a procuré son premier en-
gagement une commission, non seulement sur le bénéfice de cet enga-
gement, mais encore sur tous ceux qu'elle réalisera dans le cours de sa
carrière. Le tribunal considère une pareille convention comme «contraire
à la morale » et indigne d'une sanction légale.
— La saison du théâtre de la cour de Gotha, qui vient de prendre fin,
a été exceptionnellement riche en productions nouvelles ainsi qu'en repri-
ses d'ouvrages anciens.. Parmi ces dernières on cite Jessonda (de Spohr),
Euryanthe, Joseph, la Juive, Carmen et Mignon. Les nouveautés étaient
Hamlet, la Vie pour le Czar, Don Pasquale, et une opérette inédite en un
474
LE MENESTREL
acte, la Chanteuse des rues, livret de M, Dôbler, musique de M. S. Bach-
mann, basse bouffe de la troupe. Ce petit ouvrage a obtenu un certain
succès. Un des événements de la saison a été l'apparition de M""c Klafsky
(engagée en représentations) dans Fidelio. L'opéra de M. Franchetti, Asraël,
est annoncé pour la réouverture. La scène ducale de Gotha se distingue,
comme on le voit, par une activité peu commune.
— La germanisation des termes de musique, dans les pays allemand s,
préoccupe depuis plusieurs années l'esprit réformateur de nos voisins.
Mais jusqu'ici, malgré la campagne menée par les feuilles spéciale s,
aucun résultat appréciable n'avait été signalé. Voici qu'on prête au mi-
nistre de la guerre prussien l'intention de supprimer les termes en lan-
gues étrangères dans la musique employée par l'armée et de les remplacer
par leurs équivalents allemands. Ce n'est pas tout. Les projets du ministre
comporteraient en outre une révolution complète dans le système de
l'écriture musicale. Les portées seraient à l'avenir de six lignes au lieu
de cinq, afin de réduire le nombre des petites lignes supplémentaires et
d'arriver ainsi à ce que la première ligne supplémentaire inférieure et la
première ligne supplémentaire supérieure deviennent exactement les
limites de deux octaves. Par ce moyen, la note formant le milieu de ces
deux octaves se trouvera juste au milieu de la portée. D'autre part, les
notes de la basse auront la même disposition que les notes de la partie
haute. La clé de fa subsistera, mais simplement pour indiquer que les
notes sont situées deux octaves plus bas. Le ministre de la guerre
exprime la conviction que le patriotisme et la discipline militaire sauront
faciliter l'accomplissement de toutes ces réformes. Son Excellence ne pa-
rait pas se douter qu'en pareil cas le patriotisme et la discipline sont des
éléments d'une insuffisance absolue.
— Les 8 et 9 courant aura lieu à Dortmund le premier festival
westphalien. Les œuvres suivantes y seront exécutées, sous la direc-
tion de M. Janssen : la Consécration du foyer, ouverture, de Beethoven ;
le Messie, de Haendel (version Robert Franz); symphonie en ut mineur, de
Beethoven; air de la Création, d'Haydn, par MUo Oberbeck; air d'Ottavio,
de Don Juan, par M. Gudehus; scène des Furies, d'Orphée (solo par
Mlle H. Spies), de Gluck; airs pour basse, par M. C. Perron; Alléluia du
Messie; prélude des Maîtres chanteurs; air du même ouvrage, par M. Gu-
dehus; le; Préludes, poème symphonique de Liszt; différents soli, et enfin,
Kaisermarsch, de Wagner.
— A Cracovie, le compositeur Heinrich Frœhlich a été poursuivi à la
requête du compositeur Czibulka, auteur de la Gavotte Stéphanie; du chef
de plagiat de ce morceau dans une Krolewna Gawot (Gavotte de la Princesse
héritière) qu'il vient de publier. Acquitté en première instance, il a été
condamné en appel, le conseil de M. Czibulka ayant eu l'idée ingé-
nieuse, mais originale, de demander au tribunal qu'il ordonne à l'un des
experts de jouer les deux morceaux sur son violon en pleine audience.
Cette proposition a été du goût des juges, et l'audition des deux gavottes
a démontré à l'évidence qu'il y avait plagiat. Le défendeur a, par suite,
été condamné à l'amende et aux dépens, et le tribunal a ordonné la saisie
des exemplaires existants de sa gavotte et la destruction des planches.
— On nous écrit de Stockholm : — « Le 10 mai, l'Académie royale de
musique a célébré sa fête annuelle en présence de S. M. le roi, d'un
grand nombre de membres et d'un public d'invités qui remplissaient la
grande salle jusqu'aux dernières places. A cette occasion, M. Richard
Henneberg a exécuté avec un grand talent un fort joli concerto pour
piano et orchestre, en la mineur, dont l'effet a été considérable. Le pro-
gramme portait aussi l'exécution d'une œuvre importante de M. Saint-
Saëns, le Déluge, qui a été accueillie avec la plus grande faveur. Les soli
étaient chantés par des artistes de l'Opéra royal, M11» Wolff, MM. Straud-
berg et Lundquist, les chœurs par les élèves du Conservatoire ; c'est le
célèbre violoniste Book qui s'était chargé du solo de violon, et l'or-
chestre, qui s'est montré entièrement remarquable, était dirigé par
M. Nordquist, maître de la chapelle royale. o Ab. L.»
— Les Roumains eux-mêmes veulent avoir leur organe artistique. Il se
publie depuis peu, à Rucharest, un journal spécial qui a pris pour titre
la Romania musicala .
— C'est sur les plans des architectes viennois Fellner et Helmer que
sera érigé le nouveau théâtre de Zurich. Le coût de cette construction, qui
sera dans le style Renaissance, est de neuf cent mille francs. La salle
pourra contenir douze cents spectateurs. L'inauguration est fixée au prin-
temps de l'année prochaine.
— C'est décidément de l'enthousiasme, on pourrait dire de la frénésie,
qu'inspire au public romain le petit opéra de M. Mascagni, Cavalleria
rustkana, dont nous avons annoncé la récente apparition au Costanzi.
Depuis vingt ans, dit l'Italie, on n'a vu un succès- égal pour un composi-
teur. Devant ce succès, il est question d'envoyer tout le personnel du
théâtre Costanzi (artistes, chœurs, orchestre), donner à Naples une série
de représentations de Cavalleria rustkana.
— Un procès engagé par l'administration du théâtre de- la Pergola, à
Florence, au gouvernement italien, vient d'être jugé par le tribunal civil
de cette dernière ville. Le gouvernement toscan avait, par un décret
accordé une subvention annuelle de .16,000 francs au théâtre. Le ministre
des finances refusait de continuer le service du subside. Le ministre a
obtenu gain de cause.
— M. 89 et M"c 90, tel est le titre d'une revue de MM. Petrai et Rindi,
agrémentée de musique de M. Rispetto, qui a été représentée avec beau-
coup de succès au théâtre Manzoni, de Milan.
— La compagnie engagée pour la saison au théâtre du Lycée, de Bar-
celone, est ainsi composée : soprani, MmM Russel-Giraud, Calvi et Peydro;
m ezzo-soprano, Mme Boblio; ténors, MM. d'Enrici, Zverni et Mandolini:
baryton, M. Vinci; basse, M. Tosi; chef d'orchestre, M. Bimboni. Outre
les ouvrages du répertoire courant, on compte monter à ce théâtre
Orphée et Alceste, de Gluck, et il Matrimonio segreto, de Cimarosa.
— Les journaux portugais annoncent que l'ancien directeur du théâtre
San Carlos de Lisbonne, M. Diego deFreitas-Brito, vient d'accepter la di-
rection du théâtre Saint-Jean, d'Oporto, sous la condition d'une subvention
de douze millions de reis. Ce chiffre, formidable en apparence, est plus
modeste qu'on ne le supposerait au premier abord : le reis valant quelque
chose comme la moitié d'un centime, la subvention en question se réduit
à 60,000 francs environ.
— La Post de San Francisco annonce que le professeur Boncelli, de cette
ville, a réussi, sur plusieurs pianistes, hommes et dames, l'opération
chirurgicale de la libération de l'annulaire, et que les résultats ainsi
obtenus sont merveilleux. Schumann aussi avait eu l'idée de cette petite
opération, et il avait réussi... à s'estropier pour la vie.
— On signale aussi de San Francisco la naissance d'un organe musica1
« consacré aux intérêts des joueurs de cithare ». Cette publication s'in-
titule gravement Cithare-Journal de la côte du Pacifique.
— Ce n'est pas une sinécure de donner des concerts aux Etats-Unis.
Voici le relevé des auditions données par M. Hans de Bulow pendant un
seul mois. Après avoir « débuté » en mars à New-York et s'être fait
entendre à Boston, le célèbre pianiste a joué de nouveau à New-York, les
1er, 2 et 3 avril; à Boston, le S; le 7 à Toronto ; le 8 à Buffalo ; le 10 à
Cleveland ; le 11 à Détroit ; les 14, 16, 18 et 19 à Chicago ; le 17 à Mil-
■\vaukee; les 21 et 22 à Cincinnati. Le 23 il devait êlre à Saint-Louis, le
2b à Pittsbourg, le 29 à "Washington et le 30 à Baltimore. Soit dix-neuf
concerts en moins de 30 jours dans des villes distantes l'une de l'autre
de plusieurs centaines de lieues. Le 7 mai M. Hans de Bulow comptait se
rembarquer pour l'Europe à bord du steamer Aller.
— Un Américain vient d'inventer un instrument qui est certainement
appelé à faire du bruit dans le monde. Ledit instrument est un trombone
à vapeur(l), de proportions colossales, dont les notes, dit-on, se perçoi-
vent très distinctement à une distance de quatre milles. Par malheur pour
l'inventeur, l'expérimentation de ce monstre musical a porté l'effroi chez
tous ses concitoyens, qui, assourdis par l'insupportable sonorité de cet
engin harmonique'd'un nouveau genre, lui en ont fait interdire l'usage
sur leur territoire. Si bien que le trombone et son auteur ont été obligés
de s'expatrier, ne sachant s'ils trouveraient ailleurs moins d'hostilité pour
leurs exercices.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Un long débat s'est engagé à la Commission du budget sur la ques-
tion des théâtres subventionnés. Nous avons déjà indiqué les critiques
que le rapporteur a formulées en général contre le système des cahiers
des charges. M. Proust s'est ensuite occupé plus particulièrement de
l'Opéra. M. Proust a constaté que ce théâtre, dont la construction avait
coûté à l'Etat 40 millions, était sans aucun profit pour lui. Il est encore
organisé comme sous l'ancien régime, où l'Académie royale de musique
était à la fois théâtre et école. Il y avait trois jours de représentations,
trois jours d'école et un jour, le dimanche, réservé à la chapelle du roi.
Actuellement on ne continue à jouer que trois jours par semaine; le fait
de ne pas jouer les quatre autres jours fait perdre 60 0/0 de ressources.
M. Proust croit qu'à la veille de l'expiration de la concession actuelle-
de MM. Ritt et Gailhard, qui prend fin en 1891, il est nécessaire de sou-
lever ces questions, de prendre position en vue de l'établissement d'un
nouvel état de choses, et il propose, en conséquence, d'enten Ire le
ministre des beaux-arts dans une séance ultérieure. — ■ M. Clemenceau a
pris alors la parole et formulé, sur la gestion de l'Opéra par les conces-
sionnaires actuels, les critiques les plus virulentes. Il s'est plaint que la>
direction actuelle violât le cahier des charges, en ce qui concerne les
ouvrages nouveaux, qu'elle n'a pas représentés en nombre suffisant; en ce
qui concerne la composition de la troupe, qui ne répond pas aux exigences
du service; en ce qui concerne les décors, qui ne sont pas restaurés, ou
qui servent d'une pièce du répertoire à l'autre; enfin en ce qui concerne
les précautions contre l'incendie, qui ont été à peine prises dans la salle.
A ce propos un long débat s'est engagé entre M. Proust et M. Clemenceau,
sur la question de savoir à qui incombe la dépense pour l'entretien et
la réparation des décors. Le cahier des charges de la direclion actuelle est
insuffisamment clair à ce sujet; M. Clemenceau croit que la dépense
incombe à MM. Ritt et Gailhard, M. Proust a déclaré qu'aux yeux du
ministre la question élait au inoins litigieuse. Il a fait savoir en outre
que le ministre avait chargé une commission de trois jurico'nsultes de
l'étudier et de lui présenter un rapport, et qu'en tout cas une solution
interviendrait certainement avant l'expiration du privilège actuel. M. Cle-
menceau a persisté dans sos appréciations et a déclaré qu'il combattrait
les conclusions du rapport, et que dès maintenant il demandait la suspen-
sion du payement de la subvention pour inexécution du cahier des
charges. (Le Temps.)
LE MENESTREL
175
— Le Gaulois, de son côté, donne les renseignements suivants: M. «Anto-
nin Proust estime que le système du cahier des charges, tel qu'il existe,
est gênant pour tout le monde : et pour l'Etat et pour le théâtre, sans
profit pour l'art et sans proQt pour le public. Est-ce à dire que le rappor-
teur des beaux-arts soit partisan de la liberté absolue? Non. Mais il con-
çoit l'organisation d'un régime intermédiaire, qui consisterait, par exemple,
à soumettre à la surveillance du parlement les conventions qui lient à
l'Etat les théâtres subventionnés, la subvention étant maintenue. Pour
le mode d'exploitation de l'Opéra, M. Antonin Proust a exposé un système
spécial. Il voudrait voir reprendre d'anciennes traditions interrompues et
admettre le personnel artistique du théâtre — personnel de l'orchestre, du
chant et de la danse — à la participation aux bénéfices par groupe. Le
personnel du chant comprendrait, par exemple, le groupe des ténors, le
groupe des basses, le groupe des barytons, etc., et les artistes de chaque
groupe participeraient aux bénéfices d'après le système des cachets. Ils y
gagneraient, et le public aussi, car il arriverait que des artistes en renom,
pour augmenter la part de bénéfice de leur groupe, n'hésiteraient pas à
se charger de certains rôles un peu sacrifiés aujourd'hui ».
— L'Académie des beaux-arts a décerné le prix Chartier (pour la mu-
sique de chambre) â Mme la comtesse de Grandval, et le prix Monbinne
(pour un opéra-comique), à M. Benjamin Godard, pour son Jocelyn.
— L'assemblée générale annuelle de la Société des concerts a* eu lieu,
mardi, au Conservatoire. Après la lecture des divers comptes rendus et rap-
ports relatifs aux travaux et résultats de la session 1890-91, l'assemblée a
été saisie d'une proposition de modification de l'article des statuts con-
cernant la nomination du chef d'orchestre. Cette proposition, signée de
33 sociétaires, avait pour but de faire nommer le premier chef d'orchestre
pour cinq années au lieu de deux, durée actuelle de ses fonctions. Un
vote favorable a été émis à la majorité absolue des voix. Mais un membre
ayant fait observer que, d'après les statuts de la Société, les votes im-
portants devaient réunir au moins les deux tiers des votants, il a été,
après discussion vive, procédé à une nouvelle épreuve. La majorité des
deux tiers n'ayant pas été acquise, la proposition s'est trouvée rejetée. Il
a été ensuite procédé à l'élection du premier chef d'orchestre pour deux ans :
M. Jules Garcin a été réélu, et l'on ne peut qu'en féliciter vivement la société..
— Quelle que soit l'incontestable valeur des produits admirables de
l'ancienne école de lutherie italienne, on peut se demander où s'arrêtera
la folie de certains amateurs pour certains instruments. On annonce en
effet qu'un violon de Stradivarius, — superbe à la vérité, — celui qui est
connu sous le nom du Messie et qui appartint naguère à notre grand
violoniste Alard, vient d'être vendu à Londres pour la bagatelle de 2,000
livres sterling, soit 50,000 francs ! A ce compte, il est certain que dans un
avenir très prochain tous les beaux instruments seront devenus la proie
des dilettantes opulents, qui n'en feront rien, et que les artistes, qui pour-
raient s'en servir et les faire parler, pour la jouissance de tous, seront
dans l'impossibilité d'en acquérir aucun.
— Un lapsus calami assez singulier a échappé à un de nos confrères de
Milan, le Cosmorama, qui, en parlant de VInno alla pace de notre compa-
triote Wù Holmes, qui vient d'être exécutée avec tant de succès à Florence,
l'intitule Inno alla guerra. Heureusement M. de Bismarck n'y est pour rien,
et les fêtes de Florence n'ont rien non plus de belliqueux.
— Le violoniste J. "Write s'est rendu ces jours-ci à Londres pour y passer
un mois.
— C'est un fort gentil petit livre, et fort gentiment fait, ma foi! que
■celui que vient de publier sous ce titre : la Danse au théâtre, MUs Berthe
Bernay (petit in 8°, Dentu,' éditeur). M"0 Bernay est elle-même une dan-
seuse, déjà retirée de la scène, quoique fort jeune encore, après une carrière
de plus de vingt années à l'Opéra. Son livre est donc écrit ex professo, et
et il est non seulement agréable, mais utile. Je passe sur la partie histo-
rique, traitée un peu à bâtons rompus et d'une façon tant soit peu in-
suffisante malgré les citations que l'auteur y emprunte à Balzac, â Voltaire
à Saint-Marc-Girardin et à Lamennais (!), qui n'ont pas toujours formé,
sans doute, ses lectures favorites. Mais il y a une partie excellente et
qui suffirait à justifier le succès de cet aimable volume, c'est celle qui a
trait aux « études de la danse au théâtre » et dans laquelle le travail pré-
liminaire des classes, les exercices des élèves, les études de pas, d'atti-
tudes, de positions, les pirouettes, les arabesques, les pointes, les plies,
les ronds de jambe, etc., sont décrits, expliqués, commentés, — avec fi-
gures â l'appui, ce qui est très pratique, fort utile et on ne peut plus
intelligent. Où je ne suis pas de l'avis de M"e Bernay, c'est lorsqu'elle
croit pouvoir affirmer que l'art de la pantomime est en progrès sur ce qu'il
était au temps jadis; c'est le contraire qui est vrai, et il est certain qu'on
ne trouverait pas aujourd'hui, à l'Opéra, une danseuse assez comédienne
pour procurer au public les émotions que lui donnaient, il y a soixante ou
quatre-vingts ans, les Clotilde, les Bigottini, les Vestris, les Montessu, et
autres grandes artistes dont les critiques contemporains nous ont raconté
les exploits. Cette réserve faite, je répète que le petit livre de M11" Bernay,
fort délicatement illustré par M. Dousdebès, est tout â fait charmant.
J'ajoute que l'auteur est en excellents termes avec divers confrères qui ne
visent point d'ordinaire à sa spécialité, puisque son volume est précédé
de trois préfaces : une en vers, de M. Armand Silvestre, et deux en prose
de MM. Paul Arène et Gustave Gœtschy. C'est un luxe que tous les écri-
vains ne pourraient point se permettre. A. P.
— Un jeune écrivain qui semble vouloir se lancer avec ardeur dans le
vaste champ de l'histoire musicale, M. Henri de Curzon, vient de publier
sous ce titre: tes dernières années de Piccinni à Paris (Fischbacher, éditeur),
une brochure substantielle et fort intéressante dans laquelle il retrace, à
l'aide de lettres autographes et de documents authentiques, les malheurs,
les angoisses, la misère navrante qui aflligèrent les derniers jours du
grand artiste dont on fit à tort le rival de Gluck, mais qui était lui-même
un vrai créateur, ce dont témoignent suffisamment ses belles partitions
de la Buona Figliuola, de la Cecchina maritata, de Roland et de Didon. Les
faits racontés par M. de Curzon étaient connus déjà, mais les documents
dont il les accompagne les mettent en lumière d'une façon plus complète
et nous familiarisent davantage avec le caractère de l'infortuné composi-
teur dont les derniers jours entre la France et l'Italie s'écoulèrent d'une
façon si douloureuse. Si M. de Curzon voulait compléter encore ses in-
formations sur ce sujet, il aurait à consulter la biographie de Piccinni
insérée au tome deuxième de l'intéressant ouvrage de Francesco Flo-
rimo : la Scuola musicale di Napoli, dans laquelle il trouverait quelques
faits nouveaux et précis. Telle qu'elle est, sa hrochure se fait lire avec
plaisir, et donne une heureuse idée de sa conscience d'historien et du
soin qu'il apporte dans les recherches qui doivent le conduire à la vérité.
A. P.
— Un livre plein d'intérêt et d'actualité vient de paraître à la librairie
E. Kolb, ayant pour titre Berlin tel qu'il est. L'auteur et notre excellent
collaborateur, M. Edmond Neukomm, avait publié, il y a quelque temps,
un ouvrage intitulé Guillaume 11 et ses soldats, qui obtint un succès
légitime par les révélations qu'on y trouvait et les explications qui fai-
saient comprendre des événements restés assez obscurs pour le public. Le
nouveau volume de M. Neukomm est tout aussi intéressant et tout aussi
curieux. L'auteur nous initie à la vie intime et publique des Berlinois
en général et même en particulier. Car il ne craint pas d'aller jusque
dans la vie privée des gens, nous faisant faire connaissance, par exemple,
avec le favori de Guillaume II et nous racontant le premier amour de
M. de Bismarck. Ajoutons que certains chapitres concernant le théâtre
et la musique dans la capitale prussienne sont très curieux et tout
particulièrement intéressants.
— Sous ce titre : Souvenirs du second Empire, M. le comte de Maugny
vient de publier chez E. Kolb un volume de souvenirs du plus haut
intérêt et qui aura un grand retentissement. Nul mieux que M. de Mau-
gny, qui a marqué successivement dans l'armée et dans la diplomatie,
qui a été à la fois un des familiers de la cour des Tuileries et l'un des
hommes les plus répandus de la haute société parisienne, n'était en
situation de faire revivre la brillante période du règne de Napoléon III.
Les Souvenirs du second Empire sont remplis de révélations intéressantes,
d'aperçus nouveaux, d'anecdotes amusantes. Beaucoup de portraits aussi.
C'est, de plus, une oeuvre d'histoire contemporaine qui datera parmi les
mémoires de ce temps-ci.
— Le ministère des beaux-arts vient d'augmenter la subvention accordée
par lui à la Société des Concerts populaires de Nantes, et de 1,000 francs
l'a portée à 1,500 francs.
— Soirées et Co-Ncehts. — Avant d'entrer en vacances, l'excellente Société Chorale
d'Amateurs, dite Société (te Sainbris, a donné, pour clore sa 26° année, une matinée
très réussie sous tous les rapports. Nous devons louer sans réserve l'exécution
merveilleusement nuancée, délicate et intelligente des chœurs classiques de
Joseph, d'Armide, d'Obéron, de Philèmon et Baucis. Il importe aussi de mentionner
la scène si poétiquement mélancolique de Barberine, de M. de Saint-Quentin;
M™° Bataille eu a dit a ravir la délicieuse Ballade, qu'on a voulu réentendre, avec
le joli chœur de femmes dans lequel elle est encadrée. D'autres mélodies de
M. de Saint-Quentin ont obtenu un vit succè', ainsi que VIphigénie du M. Ch.
Lenepveu, la Fête japonaise de M. A. Hignard et la Prière du soir de M. Ch.
Gounod (poésie d'Eug. Manuell. Tous nos meilleurs compliments donc à cette
vaillante phalange et à M. A. Maton, qui l'a conduite une fois de plus à la victoire.
— Très brillante soirée musicale, dimanche dernier, chez M"° la comtesse de
Beaumont-Castries M-" Krauss a produit une très vive impression en se faisant
l'interprète chaleureuse et passionnée des œuvres des maîtres. Elle a dit avec un
art infini le Soir de M. Ambroise Thomas. M. Delsart a trouvé des sons d'une
ténuité exquise pour nous révéler les charmes d'une délicieuse sonate de Bocche-
rini, et M. Marsick a joué en artiste pénétré deux morceaux de sa composition
et en virtuose accompli la mazurka de Wieniawski . — M™0 Roger-Miclos a
donné un brillant concert, salle pleyel, avec le concours de MM. Marsick et
Plançon. L'excellente pianiste a été longuement applaudie et fêtée dans tous ses
morceaux, et M. Marsick a joué d'une façon superbe la sonate h Kreutzer et des
pièces de MM. César Cui et E. Lalo. M. Plançon a fait bisser le madrigal d'.ls-
canio. — Au concert de M"' Anna Meyer, donné à la salle Pleyel, mercredi
dernier, la bénéficiaire a supérieurement exécuté diverses pièces de Chopin, dont
le Rondo à deux pianos a été fort applaudi ; la comtesse de Méjaw tenait une des
deux parties. M."" Kevary, de l'Opéra-Comique, Neyt, du théâtre de la Monnaie,
l'excellent violoniste Magnus, le charmant diseur C. Périer, et enfin M. Martel,
de la Comédie-Française, et M. Riva, de l'Opéra, participaient à ce fort intéres-
sant programme. —L'audition des élèves du célèbre cours Fabre a été certes une
des plus intéressantes de la saison. Tous ces petits virtuoses font grand hon-
neur à l'enseignement qui leur est donné. La séance était consacrée principa-
lement aux œuvres d' Antonin Marmontel, le fils de notre grand professeur. C'est
un musicien exquis, qui prend une toute première place parmi les maîtres du
piano. Voici les morceaux de sa façon qu'on a surtout applaudis : Le long du
chemin, petite pièce des plus piquantes, une délicieuse Valse-Sérénade, un
intermezzo d'excellent style, puis la Chanson slave, la Chanson arabe et une endia-
blée Tarentelle. On a fort remarqué aussi la Chaeonne de Théodore Dubois, la
17G
LE MENESTREL
Gigue de Wormser, la Danse des Sylphes, de Godefroid, la Romance de Rubinstein,
et la charmante transcription à six mains des Pizziccali de Sylvia, par Anschutz.
Des artistes éprouvés comme M"" Hillemacher, M"°" Sacha Skoff et Herbault-
Sarrande prêtaient leur concours à cette intéressante séance. — La. Société phil-
harmonique du IIP arrondissement s'est brillamment comportée au concert qu'elle
Tient de donner dans la salle des fêtes de la mairie, sous la direction de MM. Bar-
rau et Léon Schlesinger. Les exécutions de la 49° symphonie d'Haydn, de la
marche de Rienzi et de la valse du Couronnement, de Strauss, ont été des plus
satisfaisantes. Les couplets du Mysoli de la Perle du Brésil, très soigneusement
accompagnés par l'orchestre, ont valu un véritable succès à M11" Jeanne Duet
d'Arbel, qui s'esi fait également applaudir dans une nouvelle valse chantée de
M. Léon Schlesinger, qui a été bissée. Applaudissements encore pour M11" Adé-
laïde Barbé, une pianiste de la bonne école, et l'excellent chanteur comique
Eugène Dassy. — Les administrateurs de la tour Eiffel ont compris que pour
engager la foule à venir respirer l'air du soir à 60 mètres d'altitude, la promesse
d'un peu de bonne musique était indispensable. Et ils ont chargé M. Georges
Auvray d'organiser dans l'ancienne brasserie alsacienne de la première plate-forme,
transformée en salle des fêles, des séances quotidiennes de musique vocale et
instrumentale. Au premier programme figuraient plusieurs fragments d'opéras
(entre autres le grand duo de Lakmc et la polonaise de Mignon} chantés par Mllts Net-
tingham, Mélodia, Lavigne et l'excellent ténor Rondeau.
— Grand succès à Nantes, pour l'exercice des élèves du Conservatoire,
si bien dirigé par M. Weingaertner. Avec l'ouverture du Jeune Henry, de
Méhul, et divers morceaux de Beethoven, Mendelssohn, Chopin, Rossini,
Verdi, Victor Massé, Joncières, qui ont mis en relief les qualités de plu-
sieurs élèves des classes vocales et instrumentales : M"°s Guérin, Marquet
et Nantier, MM. Audrain, Cocault, Royé, Hervouet, Busson, Le Mestayer
et Cartier, le programme portait le titre d'une œuvre considérable de
M. Saint-Saèns, le Déluge, dont l'exécution, qui ne comprenait pas moins de
140 instrumentistes et choristes, fait le plus grand honneur à M. Wein-
gaertner, aussi bien comme chef d'orchestre que comme directeur d'une
école importante. Les soli du Déluge étaient confiés à Mlles Clerc et Bonna-
font, à MM. Landrin et Lavigne, et l'ensemble était excellent sous tous
les rapports.
— L'exercice-concert annuel donné par les élèves du Conservatoire de
Toulouse a eu lieu en présence d'un public très nombreux. On a particu-
lièrement applaudi un duo de violoncelles, le trio de l'Enfance du Christ
et les scènes du Mariage de Figaro et du Tartuffe. Les chœurs ont produit
un grand effet. Mais le plus beau succès revient à la classe d'ensemble
instrumental, qui, après deux ans seulement d'existence a brillamment
exécuté la symphonie en ut de Beethoven et la Méditation de M. Louis
Deffès, directeur de l'établissement. M. Théodore Dubois assistait au
concert. Il a quitté Toulouse on ne peut plus satisfait de son inspection
et après avoir vivement félicité le directeur de l'Ecole, les professeurs et
les élèves.
— Le samedi 3 mai, la Société musicale libre de Laval donnait son
troisième concert annuel à ses abonnés. Le programme était exclusive-
ment composé d'œuvres de Félicien David. L'orchestre, qui comprend
plus de 70 musiciens, tous amateurs, a enlevé avec brio l'ouverture de
la Perle du Brésil, l'andante et le finale de la symphonie en mi bémol. Ces
morceaux ont soulevé les applaudissements ; mais le succès le plus'
grand était réservé au Désert. L'orphéon, pour la circonstance, avait prêté
son concours à la Société, et l'ensemble était parfait. Cette exécution fait
le plus grand honneur aux directeurs de l'orchestre et de l'orphéon,
MM. Auguste et Emile Laurent. Sur la demande du public, une deuxième
audition sera donnée dans le mois de juin.
— Au dernier concert de l'orchestre municipal de Strasbourg, qui s'est
distingué dans l'exécution de la Symphonie pastorale, d'un fragment de la
suite symphonique de Moszkowski et de l'ouverture du Carnaval romain,
de Berlioz, grand succès pour un ténor d'origine russe, M. Raymond von
Zur Mûhlen, dans plusieurs lieder et surtout dans le bel air de Lakmé :
« Prendre le dessin d'un bijou », chanté par lui en français, d'une façon
délicieuse. Le Journal d'Alsace dit à ce propos : « L'audition de cette ra-
vissante page, si imprégnée de poésie et de sentiment, ne pouvait être
offerte plus à propos pour faire naître le désir, bien partagé assurément,
de faire connaître en son entier l'œuvre lyrique de Léo Delibes, que
toutes les grandes scènes théâtrales, celle de Strasbourg jusqu'ici exceptée,
tiennent à honneur de posséder au répertoire courant. A. Oberdoefeer. »
— A Valenciennes, plus de 180 musiciens ont exécuté un oratorio-cantate
avec un plein succès. Cette œuvre, qui retracé avec des couleurs très
vives les principaux traits de la vie du Bienheureux Chanel martyrisé dans
une ile sauvage de l'Océanie, a pour auteur le P. Garin, dont les com-
positions musicales sont, on le sait, fort appréciées.
— Grand concours national de musique d'harmonies, de fanfares et
d'orphéons, ouvert, à Abbevillu les 13 et 1G août 1800. 4,000 francs de
prix en espèces, 0,000 francs de récompenses : couronnes, palmes et mé-
dailles de vermeil. Concours de fanfares de .trompettes et concours de
trompes de chasse. Concours d'honneur pour les excellences, les supé-
rieures et les premières divisions : 300 francs en espèces, 1 objet d'art.
Concours d'honneur pour les 2mos et Zmw divisions ayant obtenu un premier
prix d'exécution; prix: couronnes et palmes de vermeil. Délai d'adhésion
fixé irrévocablement au 1™ juin. Pour toutes demandes de renseigne-
ments, s'adresser au président du comité d'organisation, à la mairie
d'Abbeville.
— M. Riquier-Delaunay, dit la Semaine musicale de Lille, le sympathique
artiste bien connu, est nommé professeur de la classe de chant des demoi-
selles et du cours de déclamation lyrique de notre Conservatoire, en rem-
placement de M. Queulain, qui a quitté Lille.
NÉCROLOGIE
Un écrivain qui s'est fait connaître par d'intéressants travaux sur
l'art musical et sur la peinture, M. Léonce Mesnard, auteur, - entre
autres, d'une substantielle étude sur Robert Sehumann, est mort presque
subitement à Grenoble, le 13 mai, à l'âge de 64 ans. Il était né à Roche-
fort-sur-Mer, le 14 février 1826.
— Nous avons le regret d'annoncer la mort, à l'âge de cinquante-deux
ans, de Mme Gigout, femme de l'excellent et si distingué organiste de Saint-
Augustin. Mmc Gigout, née Caroline Niedermeyer, était fille du compositeur
Niedermeyer, l'auteur de la Fronde et du Lao, le fondateur de l'Ecole de
musique religieuse.
— Cetts semaine est morte à Paris, à l'âge de 62 ans, une artiste qui
avait tenu naguère une place brillante sur les scènes lyriques italiennes,
Mm0 Fa-ssi, née Carlotta Cattinari, femme de l'agent dramatique bien
connu.
— M. Victor Nessler, le compositeur alsacien, vient de mourir à
Strasbourg, après une courte maladie. On se rappelle qu'il y a peu de
jours il a fait représenter au théâtre de Munich un nouvel opéra, la Rose
de Strasbourg. Il était l'auteur du Trompette de Sœckingcn, du Preneur de rats
de Harlem et du Chasseur magique, dont les trop faciles mélodies avaient ob-
tenu dans l'Allemagne entière un succès populaire. M. Victor Nessler
n'était âgé que de cinquante ans.
— A Liverpool est mort Thomas Armstrong, chanteur et pianiste dis-
tingué, à qui l'on doit une intéressante Histoire de l'art musical à Liverpool.
— On annonce de Saint-Pétersbourg la mort d'Ostap Véressaï, luthier
petit-russien plus qu'octogénaire, qui était considéré comme le dernier
survivant des « bardes » populaires de l'Ukraine. On doit à la mémoire
exceptionnelle de ce vieux chantre la conservation d'une foule de légendes
et de chansons de la Petite-Russie. Lors d'un voyage que Véressaï avait
fait à Saint-Pétersbourg, il y a une dizaine d'années, il lui est arrivé plu-
sieurs fois d'avoir pour auditeurs d'augustes personnages. Il est mort à
l'âge de quatre-vingt-trois ans.
— On annonce la mort, à Monselice, du compositeur Luigi Formaglio,
auteur de deux opéras sérieux représentés tous deux à Venise : l'un,
Brenno all'assedio di Chiusi, au théâtre San Benedetto en 1832, l'autre,
Gismonda di Mendrisio, au théâtre Apollo en 1831.
— Un violoniste russe nommé Poustarnakow, don ton vantait le très grand
talent et qui habitait dans les provinces méridionales de l'empire, s'est
suicidé récemment.
— De Naples on annonce la mort d'un artiste qui a joui en cette ville
d'une certaine renommée, Giovanni Valente, habile professeur de chant,
qui s'est fait connaître aussi comme compositeur . scénique. Après
avoir fait représenter à Molfetta, en 1863, un drame lyrique intitulé
Roberto de' Gherardini, il donna sur le théâtre Nuovo, de Naples, un opéra
bouffe, la Festa dell' Archetiello, dont le succès se prolongea pendant deux
saisons, puis, au théâtre des Variétés, un autre ouvrage bouffe, i Cabalisli
di prima forza (12 juin 1873). Il écrivit encore, en société avec MM. Buo-
nomo, Campanella et Ruggi, un dernier ouvrage du même genre, la Donna
romanlica ed il medico omeopatico, qui fut aussi bien accueilli du public.
Depuis lors, il ne reparut plus à la scène. Valente était âgé de
soi: ante ans.
Henri Heugel. directeur-géi anl .
Cours de musique lyrique. — Salons J. Lacape, boulevard Saint-Martin, 29.
Toute personne, musicienne ou non, y chante romances, airs, duos, trios,
chœurs des principaux opéras et opérettes. Prix d'admission : 5 francs
par mois.
A CÉDER, dans bonne ville de province, préfecture, magasin de musique
et pianos, très bien situé. Bonne clientèle. S'adresser aux bureaux du journal.
En vente au MENESTREL, 2 bis, rue Vivienue
ïisp a t * -a
COMPOSÉ 1" 0 U II LA
FÊTE NATIONALE
Du 14 Juillet
PAR
L.-A. BOURGAULT-DUCOUDRAY
3088 — 5(ime ANNEE — K° 23. PARAIT TOUS LES DIMANCHES Dimanche 8 Juin 1890.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivierme)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
' Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, "2U ïr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 3U fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sua.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Notes d'un librettiste: Georges Bizet (4° article), Louis Gai.let. — II. Semaine
théâtrale: Béatrice et Uénediet, de Berlioz, au théâtre de l'Odéon, Am. Boutahel;
le Voyage à Chaud fontaine, aux Nouveautés; début de MmI Fierens à l'Opéra,
Arthur Poùgin. — III. La musique et le Ihéàtie au Salon du Cbamp-de-Mars
(4' article), Camille Le Senne. — IV. Fleurs d'hiver, fruits d'hiver, Ernest
Legouvé. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Non abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
VALSE-SÉRÉNADE
d'ANTONiN Marjiontel. — Suivra immédiatement: Dansons la Tarentelle, de
A. Trojelli.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant : Suzon, chanson de Joanni Perronnet, paroles de Mme A. Per-
ronnet.— Suivra immédiatement: Crfpuscule, nouvelle mélodie de Darnston,
poésie de Rosemoniie Gérard.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
GEORGES BIZET
En feuilletant au hasard les journaux du temps, j'y retrouve,
avec un vif intérêt, les appréciations des critiques sur l'ou-
vrage et sur le musicien.
Le critique musical du Figaro était alors B. Jouvin, dont
les procédés de la jeune école commençaient à bouleverser
singulièrement les idées. Dans ses conversations, il se mon-
trait curieux de toutes c> s nouveautés; il en recherchait avec
empressement la genèse; il s'élonnait avec une bonne foi
naïve des impressions 1res inattendues qu'elles lui appor-
taient; il flairait le succès prochain; mais, la plume à la
main, le feuilletoniste attaché aux formules anciennes repre-
nait le dessus et il avait parfois la dent dure.
« M. Georges Bizet, disait-il à propos de Djamileh, avait
écrit deux partitions plus importantes. Toutes deux avaient
fait applaudir l'imagination et la main d'un musicien, la main
avant l'imagination; dans toutes deux certaines idées précon-
çues et scientiliques se substituaient trop souvent à l'inspira-
tion du compositeur; on eut dit qu'en écrivant, la main de
Georges Bizet, serrée comme dans un étau, était dirigée par
celle de l'homme qui a plus bouleversé encore l'Allemagne
musicale qu'il ne l'a remuée...
» M. Georges Bizet a placé au début de son ouverture la
marche en ni mineur du défilé des esclaves: elle manque de
caractère, de mélodie et de rythme; la tonalité s'y dérobe
avec affectation à l'oreille qui la voudrait saisir. Pour rendre
ceci par une imags corporelle, figurez-vous l'auditeur mar-
chant sur des dissonances établies en masses superposées et
perdant l'équilibre à la suite du musicien en posant le pied
à vide. »
Frederick, de Paris- Journal (rien de commun assurément
avec notre éminent confrère de l'Indépendance belge), exécutait
ainsi qu'il suit le jeune compositeur :
« Ce n'est pas, nous le craignons fort, la ûjamileh que nous
venons d'entendre qui rendra célèbre le nom de M. Bizet.
L'espace et le temps nous manquent pour analyser chacun
des morceaux de sa laborieuse partition, et nous devons nous
borner à en dégager le sens général et la valeur d'ensemble.
Ainsi envisagée, la musique de M. Bizet se présente sous un
aspect terne, vague, confus, sans relief, sans contour et sans
coloris. En l'écrivant, l'auteur n'a dû jamais souffrir de cette
fièvre et jouir de cette émotion que connaissent seuls les musi-
ciens de tempérament. Il n'est pas né compositeur, il l'est
devenu, et sa musique a tout juste la valeur d'une amplifi-
cation correcte de rhétoricien. L'idée est complètement
absente, et nous craignons bien qu'elle fasse à jamais défaut
au compositeur. »
La Liberté parlait d'autre sorte, par la voix de.Victorin .fon-
cières :
« En abordant la scène sur laquelle ont été données les
mille et quelques représentations de la Lame blanche, en se
présentant devant le public qui a acclamé le Voyage en Chine,
M. Bizet, un des plus ardents prosélytes de la nouvelle foi
musicale, jouait gros jeu. Deux partis s'offraient à lui : ou
renier momentanément ses croyances, et, sous le couvert fort
excusable d'une fantaisie d'artiste, faire franchement un
opéra-comique selon la formule, ou, sans tenir aucun compte
des préférences des habitués du théâtre qu'il abordait, com-
poser un ouvrage suivant son tempérament, sans conces-
sion d'aucune sorte, ne s'adressant qu'aux véritables connais-
seurs.
» Ce parti était le plus dangereux ; aussi M. Bizet s'y est-
il arrêté, et comme il arrive le plus souvent aux audacieux,
sa hardiesse lui a complètement réussi. Aux applaudisse-
ments des amateurs sérieux sont venus se joindre les bravos
de la foule ignorante, qui, d'abord dépaysée dans ce nouveau
milieu où la transportait l'imagination poétique du musicien,
a subi bientôt, sans s'en douter, l'influence irrésistible du
parfum oriental qu'exhale la pariition de M. Bizet. »
Dans l'Avenir national, Albert Wolff entendait, en même
temps qu'à Bizet, dire son fait à toute « une école déjeunes
musiciens français égarés dans la même voie funeste » :
« Il est vraiment pénible de voir un musicien d'un très
grand talent succomber sous cet art prétentieux. De sa par-
478
LE MENESTREL
tition s'exhale un parfum d'ennui auquel les seuls amis des
auteurs peuvent résister. Gela vous serre la gorge lentement,
mais sûrement. On voudrait résister, mais cette musique
monotone terrasse la bonne volonté et la sympathie. Depuis
le commencement jusqu'à la fin, Djamileh est une suite de
lamentas. De ci de là, un éclair de gaité, un sourire, ' mais
aussitôt M. Bizet, chassant son naturel, revient au parti pris.
Les sonorités de l'orchestre inspirées de Richard Wagner
frappent d'abord, par une certaine ampleur, mais bientôt les
altos et les violoncelles agacent par leurs continuels gémis-
sements. Le compositeur semble n'avoir qu'un but, celui de
rendre son art incompréhensible. »
Pauvre Bizet I Voilà heureusement des encouragements qui
lui arrivent:
« Djamileh, dit le critique du Journal de Paris, est un
petit tableau oriental d'une couleur exquise, d'un charme
et d'une poésie qui bercent et enivrent, un tableau de maître
pour cette partie de l'œuvre qu'on peut riommer le paysage.
Mais au théâtre, le paysage n'est qu'un cadre : il faut encore
mettre quelque chose dedans. L'élément scènique n'est pas
ici dans les incidents, qui se réduisent à peu. Il est dans la
passion ardente et profonde de l'esclave Djamileh pour son
maître Haroun. C'est assez pour animer et dramatiser la légère
action dont le musicien s'est inspiré.. ... A côté de ce senti-
ment dramatique que je relève avec plaisir dans la partition
de M. Bizet et qui s'y accuse d'abord par la passion de
Djamileh, et, en général, par une expression très juste dans
la déclamation, à côté de cela le musicien a mis dans son
œuvre toutes les rêveries et toutes les langueurs que le ciel
d'Orient verse dans les esprits. Son orchestre a des sonorités
enivrantes et d'une nouveauté remarquable. »
La Patrie, tout en portant haut le drapeau de la mélodie,
ne méconnaissait pas les grandes qualités de Georges Bizet.
Mais l'épithète d'homme de science lui arrivait encore, et
c'était alors le mot le plus accablant pour un compositeur.
Le conseil lui était donné de prendre vite un parti pour
sortir d'une voie dangereuse:
« On peut rester savant et être mélodiste; des grands
maîtres l'ont prouvé. Et s'il aime les Allemands, qu'il choi-
sisse pour modèles Don Juan, les Noces, le Freischuts. Ils sont
assez bien écrits tout en étant remplis de belles mélodies. »
M. Barbe (d'Arromanches), affirme dans le Gaulois que
M. Bizet a écrit une « longue, très longue, mais une jolie,
assez jolie partition. » — Cela n'est point compromettant
comme opinion.
« M. Bizet, dit le critique du Soir, a des partis pris d'étran-
geté qui me choquent... Adepte de l'école nébuleuse alle-
mande, on dirait qu'il fait en sorte, parfois, de supprimer
impitoyablement et de propos délibéré toute apparence de
rythme et de tonalité. Je pourrais citer à ce sujet certains
passages de l'air de Djamileh qui est bien la négation de toute
musique voulant produire autre chose qu'une sonorité con-
fuse et sans accent. Je citerai ensuite, comme exemple de
hardiesse harmonique, d'une de ces hardiesses dont
M. Wagner lui môme serait jaloux, l'introduction du mor-
ceau intitulé lamenlo. Ce morceau débute par un accord brisé
de mi majeur, contre lequel vient se heurter, pour le plus
grand déchirement de l'oreille, un accord de septième ma-
jeure pris sans préparation et frappé sur un si bémol. On ne
me reprochera pas d'abuser, dans ma critique, des définitions
et des explications techniques; mais ceci est tellement hor-
rible, d'un effet tellement sauvage, que je n'ai pu résister
au désir de l'indiquer, pour l'édification des personnes assez
instruites musicalement pour me comprendre.
« Et pourtant, quand M. Bizet veut bien ne pas persister
dans son système, il redevient un musicien civilisé, et l'ins-
piration ne lui fait même pas défaut. Sa partition conlient,
en somme, quelques bons morceaux, et il est certaines pages
qui sont remplies de charme et de fraîcheur. »
Voici, dans le Bien public, une réflexion d'une équité et
d'un bon sens assez rares dans ce conflit d'opinions généra-
lement excessives :
« Il est un des musiciens distingués de cette jeune école
qui, en enlevant aux voix l'intérêt mélodique pour le fondre
dans les sonorités de l'orchestration, tend à s'éloigner de
plus en plus des traditions de l'opéra, tel que les maîtres et
le public l'ont compris jusqu'à ce jour. En persévérant dans
cette voie, récoltera-t-elle les fruits de son labeur ? je ne
voudrais pas l'affirmer. Toutefois, c'est faire preuve de vail-
lance artistique que de chercher des sentiers nouveaux,
surtout en sachant combien sont rares pour nos compositeurs
les occasions de se faire entendre au théâtre. »
Hippolyte Hostein, dans le Constitutionnel, s'étend longue-
ment sur le poème, sur certains détails de scène. Pour la
musique, il la traite assez sommairement et pour ainsi dire
du bout de la plume. « En somme, conclut-il, assez banale-
ment, M. Bizet est un chercheur, et il l'a bien prouvé dans
Djamileh. »
Sylvain Saint-Etienne s'ajoute dans l'Evénement aux nom-
breux critiques visant « les tendances wagnériennes » de
G. Bizet.
Il y a là comme un inévitable refrain de ces couplets va-
riés de la chronique musicale parisienne.
C'est surtout à l'intention des musiciens que j'ai voulu
recueillir, au courant de ces notes, quelques pièces de cet
habit multicolore dont la critique habilla, en son temps, la
petite partition de G. Bizet. Que ces jugements leur paraîtront
extraordinaires aujourd'hui, à eux qui « savent lire » et peuvent
aller contrôler, sur le texte même, ces opinions vieilles de
près de vingt années. Et comme ce Bizet que font revivre ces
pages, est différent du modèle! On était pourtant à la veille
de cette Carmen qui devait le faire triomphant! Il faudrait
faire sur ce dernier ouvrage, à travers la critique, une sélec-
tion pareille à celle que je viens de présenter sur Djamileh.
Mais, non ! il ne faut pas la faire : cela ennuierait trop de
gens ! Rien n'est plus désagréable aux hommes que de se
retrouver à quelques années de distance face à face avec
leurs opinions !
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
BEATRICE ET BENED1CT
1862-1890
Berlioz, dans une de ces lettres violentes qu'il écrivait au mo-
ment où sa passion pour Miss Smithson l'exaspérait jusqu'à la folie,
glissait, entre deux blasphèmes, cette phrase étrangement calme
et familière : « A propos, je vais faire un opéra italien fort gai.
sur la comédie de Shakespeare : Beaucoup de bruit pour rien. » C'était
en 1833. Vingt-neuf ans après, Béatrice et Bénédict était joué à
Bade.
Le théâtre de Bade avait coûté un million et devait rapporter
environ 30,000 francs pendant la saison. Un article de Méry repro-
duit dans le Ménestrel du 17 août 1802 eu donnait la description :
« Il s'épanouit avec grâce dans la corbeille d'arbres et de fleurs où
» il est placé. Le premier coup d'œil jeté sur l'ensemble de la salle
» est suivi d'un éloge spontané ; en arrivant aux détails, l'éloge
» continue, et quand tout est vu minutieusement, on se résume
» ainsi : c'est beau, riche et charmant. »
La fête d'inauguration eut un grand retentissement. Le Ménestrel
consacra plusieurs colonnes à l'insertion d'une chronique : Les trois
âges de Bade et d'un Prologue d'ouverture composés par Méry, le 'tout,
suivi d'une analyse de l'œuvre. Dans le Journal des Débats, Amédée
Achard entonnait un chant pindarique : « Ville gagnée, criait-on
» autrefois quand les fiers soldats d'une armée en campagne avaient
» pu réussir à planter leurs drapeaux victorieux sur les remparts
» d'une ville emportée d'assaut. Eh bien, je puis écrire à présent :
» bonne nouvelle, la bataille est livrée et c'est victoire gagnée. »
Mais les cordes trop tendues de la lyre ne pouvaient résister long-
LE MENESTREL
179
temps : le chroniqueur se raille bientôt lui-même de son incompé-
tence: « Ne serait-ce pas l'occasion de chanter avec la vieille et
populaire chanson :
Au clair de la lune,
Mon ami Janin,
Prête-moi ta plume
Pour écrire un brin. »
D'autres journaux prodiguèrent sur le même ton les éloges.
Berlioz reçut 4,000 francs par acte, plus 1,000 francs pour avoir
dirigé son œuvre les 9 et H août. Aucun ouvrage ne devant être
joué plus de deux fois, on donna ensuite Èrostrate de M. E. Reyer.
Béatrice et Bénédict eut alors pour interprètes Mm° Charton-Demeur.
M"é Monrose, M1M Geoffroy, et MM. Montaubry, Lefort et Prilleux.
Berlioz put croire un instant que son opéra serait porté par l'opi-
nion publique jusque sur la scène de l'Opéra-Comique. Son illusion
fut courte. Le duo seul triompha de l'indifférence parisienne;
Mmes Viardot et Vandenheuvel le chantèrent au Conservatoire le
22 mars 1863. La partition, un peu modifiée et enrichie du trio du
2e acte, venait d'être gravée.
Béatrice et Bénédict fut depuis donné à Weimar, le 10 avril 1863,
avec Mlle Milde et M. Knop dans les deux rôles principaux. Une
reprise eut lieu à Bade les 8 et 10 août 1863 avec Mme Charton-
Demeur, Mile Henrion, M'10 Faivre et M. Jourdan. Le duo se chanta
souvent dans les concerts, et l'ouvrage entier reparut encore à Wei-
mar, le 13 novembre 1863.
Bien accueilli depuis sur plusieurs scènes allemandes, il a été
représenté récemment à Carlsruhe (1887) et à Vienne (1890) avec des
récitatifs ajoutés par MM. de Putlitz et Mottl.
Les victoires musicales de Berlioz à Bade lui avaient attiré des
sympathies parfois très ardentes. Les femmes sensibles aimaient le
musicien-poète qui avait su les faire pleurer en écrivant la musique
de ces vers :
Tu sentiras couler tes larmes à ton tour,
Le jour où tu verras couronner ton amour.
Il se laissait aimer, mais son âge le réduisait au désespoir : « Voyez
donc ces joues creuses, ces cheveux gris, ce front ridé/ disait-il à
un ami en froissant une lettre d'amour... j'ai soixante ans, elle ne
peut pas m'aimer, elle ne m'aime pas. » Et les aveux les moins
déguisés ne parvenaient pas à lui donner le change. Berlioz était
l'éternel révolté que rien ne trouve résigné, pas même le bonheur.
Ne soyons pas sévère pour lui : un autre vieillard sentit la tête et
le cœur lui tourner sous les mêmes ombrages de Bade ; nous en
avons pour preuve un joli madrigal dans lequel Voltaire se dénonce
lui-même :
Souvent un air de vérité
Se mêle au plus grossier mensonge.
L'autre jour dans l'erreur d'un songe
Au rang des rois j'étais monté.
Je vous aimais, princesse, et j'osais vous le dire.
Les dieux, à mon réveil, ne m'ont pas tout ôté,
Je n'ai perdu que mon empire.
II
En art. il faut marcher en avant, toujours devancer quelque peu
son siècle. En écrivant Béatrice et Bénédict, Berlioz a méconnu cette
loi du progrès. Qu'en est-il résulté? Une chose bien naturelle, hélas !
ss partition, toute charmante, toute délicieuse qu'elle est, n'a pu
exercer qu'une faible influence au moment de son apparition et se
présente à nous aujourd'hui, dépourvue de cette liberté d'allures, de
ce rayonnement, de celle incandescence qui distinguent les aurores
naissantes des lueurs affaiblies du crépuscule.
Béatrice et Bénédict, composé il y a près de trente ans dans la
forme alors usitée de l'opéra-comique, ne peut pas être considéré
comme une œuvre type. Les représentations de cet ouvrage auront
malheureusement pour résultat d'égarer l'opinion ; aussi peut-on dire
en toute vérité que la Société des grandes auditions de France, dont
nous ne suspectons nullement les intentions, a montré Berlioz sous
un jour défavorable et aura contribué à enraciner l'idée que ses
œuvres dramatiques demeurent rétrogrades, chose vraie en ce qui
concerne Béatrice et Bénédict, mais certainement fausse quand il
s'agit de Benvenuto Cellini, de la Prise de Troie et des Troyens à Car-
Ihaije. Là du moins, Berlioz a donné sa mesure complète, prenant
toujours pour modèles les drames lyriques de Gluck et de Spontini,
offrant même parfois des morceaux d'une facture un peu vieille,
mais n'en restant pas moins, si l'on excopie Wagner, le plus hardi,
le plus iudépendaut , le plus vigoureux, le plus novateur, le plus
essentiellement poète de tous les musiciens dramatiques de son
temps.
Le sujet de Béatrice et Bénédict est emprunté à Shakespeare (1) ;
Berlioz a lui-même écrit son livret, un enfantillage parfois plein de
charme. Il s'agit de vaincre le préjugé antimatrimouial qui anime
l'un contre l'autre Béatrice et Bénédict et devient entre eux l'occa-
aion d'un échange ininterrompu de railleries, d'un petit commerce
d'épigrammes qui donnent à leurs entretiens une tournure leste cl
piquante. Le moyen employé consiste à leur persuader qu'ils se
consument d'amour Pun pour l'autre et refusent de se l'avouer pin
orgueil. Bénédict déclare que le monde ne finira pas par sa faute el
Béatrice apprivoisée l'accepte par dévouement pour son sexe, afin
qu'il ne fasse pas le malheur d'une autre femme. Un double mariage
devient le couronnement de ces innocents badinages.
Les dialogues de Béatrice et Bénédict manquent de finesse et d'es-
prit. Berlioz a mal copié Shakespeare. Par exemple, il fait dire à
Béatrice parlant des exploits de Bénédict : « J'ai promis de faire
dire une messe pour chaque infidèle qu'il tuerait ; je vais être ré •
duite à mendier sans doute. » Shakespeare avait écrit : « Dites-moi
combien il a tué d'hommes... car, en vérité, j'ai promis de manger
tout ce qu'il tuerait. » Berlioz était seul à trouver spirituelles des
phrases comme celles-ci: « C'esl un chant d'amour, d'amour poussé...
jusqu'à... jusqu'au bout enfin. .. » — « J'ai fait une fugue pour
frapper l'esprit des jeunes gens et leur rappeler la fuite du temps. »
Plus loin, il compare l'estomac des choristes à des éponges, il met
dans la bouche d'un musicien ridicule ce mot de Sponlini : « Mes-
sieurs, l'ouvrage que nous allons exécuter est un chef-d'œuvre,» et
rappelle des manies de Fétis par certains détails de son texte.
Plusieurs morceaux de la partition, pris séparément, peuvent
être considérés comme de petits chefs-d'œuvre. Ce soûl l'ouverture,
les deux duos, l'air de Béatrice, le trio pour voix de femmes, la
marche nuptiale, et le scherzo vocal. Presque tous les autres ont
des qualités mélodiques, de l'aisance, de la clarté, du style.
L'instrumentation est admirable d'ingéniosité, de discrétion et
de convenance dans l'expression des sentiments. Rien, absolument
rien d'excentrique ou de trop bruyant. Dans sa partition, Berlioz a
écrit presque partout une ligne pour les cors simples et une ligue pour
les cors à cylindres, ce qui semble bizarre, car il a déclaré queleson
des deux instruments était identique. Les harpes y apparaissent
aussi dans la marche nuptiale, mais on ne les a pas entendues à
l'Odéon. Dans le duo célèbre les violons se trouvent divisés, et
vers la fin, deuxpremiers et deux seconds, également divisés, jouent
à l'octave haute des autres. Dans le même duo, le hautbois répète
avec persistance une noie haletante qui frappe comme le bruit per-
sistant d'une cigale. Les couplets de Somarone sont écrits pour gui-
tare', trompettes et cornet, sans quatuor. Le ravissant chœur d'hy-
ménée est accompagné par la guitare seule.
M""6 Bilbaut-Vauchelct prête une grâce mutine au rôle de Béatrice,
dont elle sait fort habilement graduer les effets, surtout dans l'air:
« Il m'en souvient ». Malheureusement elle a manqué de chaleur
à l'entrée de l'allégro. M. Engel a en d'excellents moments: c'est
un artiste consommé. M'le Levasseur, un peu intimidée d'abord, a
partagé avec M"" Landi le succès d'interprétation du duo. MM. Ba-
diali, Queuelain et Gourdon remplissent convenablement les aulres
rôles d'hommes. M. A. Lambert s'est montré acteur excellent dans
le personnage de Léonalo.
M. Lamoureux semble porté à exagérer les sonorités. Il a pris
certains mouvements avec une lenteur et une solennité peut-être
excessives. Mais il a rendu l'ouverture du Carnaval romain, qui
commençait la soirée, avec un entrain superbe.
Les décors sont assez ordinaires, et peu conformes aux indications
du livret. Les principaux costumes sont riches et brillants.
MUe Bartet a récité devant le buste de Berlioz une ode écrite par
M. Georges Lefevre.
Et maintenant, uous attendons les Troyens.
Amédée Boutarel.
Opéra. — Début de Mme Fierens dans la Juive :
Mmc Fierens, dont le début a eu lieu vendredi à l'Opéra, est une
jeune artiste belge, élève du Conservatoire de Bruxelles, où elle
obtint, il y a quatre ans, un premier prix exceptionnellement bril-
lant, qui fit aussitôt bien augurer de son avenir. Elle fut immédia-
(1) On en retrouve les éléments dans l'Arioste et dans une nouvelle de
Bandello. La l'rincesse d'EUde de Molière, Montano et Stéphanie, l'opéra de
Berton, &lV Héritière de Scribe, présentent des analogies avec la donnée do
Shakespeare.
480
LE MLNESTREL
tement engagée, ainsi que son maii, qui avait été Sun camarade de
classe au Conservatoire, par M. Bonnefoy, directeur du Grand-
Théâtre de Lille. C'est là que, tout en jouant les grands rôles du
répertoire courant, où elle obtenait de véritables succès, elle créa
d'une façon fort distinguée la Zaïre de M. Charles Lefebvre. J'eus
l'occasion de l'entendre dans cet ouvrage et je jugeai qu'il y avait
dans la jeuue cantatrice l'étoffe d'une véritable artiste, chez qui le
travail et l'expérience de la scène ne pouvaient manquer de déve-
lopper de précieuses qualités.
Depuis lors, Mmc Fierens est allée tenir son emploi à Marseille,
où le public l'accueillit très favorablement, et la voici maintenant
à l'Opéra, toute préparée à rendre les grands services qu'on est en
droit d'attendre d'elle. La voix de la nouvelle falcon est d'une, éloffe
solide, d'un timbre très flatteur, et très égale dans son étendue
d'environ deux octaves; le médium est corsé, et les notes hautes :
si, ut, ré. ont beaucoup de vaillance et d'éclat. Cette voix est bien
conduite, avec sagesse, avec sobriété ; le phrasé est heureux, l'arti-
culai ion excellente, et l'on ne perd pas une parole. Avec cela de
bonnes qualités de comédienne, une réelle intelligence de la scène,
une physionomie expressive et mobile, voilà les qualités qui lui
ont valu l'autre soir un accueil très chaleureux. L'air: II va venir,
le duo du second acte, le finale du troisième ont montré du premier
coup tout ce que peut faire Mme Fierens. C'est là, croyons-nous,
une bonne, très bonne acquisition pour l'Opéra.
Nouveautés. — Le Voyage de Chaud fontaine, opéra bouffe wallon en trois
actes, musique de Jehan-Noel Hamal (1757), adaptation française de
M. H. de Fleurigny. — La Clxanson du Tzigane, pièce en un acte, en vers,
de M. H. de Fleurigny, avec musique de scène de M. Paul Vidal.
Le Ménestrel a déjà donné quelques renseignements sur Hamal, le
musicien assurément distingué à qui l'on doit la gentille partilion-
nette du Voyage de Chaudfontaine, et qui ne fut point, comme on
l'on a dit à torl,le maître de son illustre compatriote Grétry. Hamal
était âgé de quarante-huit ans lorsqu'il fit représenter ce petit ou-
vrage, écrit par lui sur un livret en patois wallon. On en était alors
à la première grande vogue de l'opéra-comique français, tout fiais
éclos, à Paris, par l'apparition brillante des Troquews, de Dauver-
goe, joués avec tant de succès à l'Opéra-Comique de la Foire Saint-
Germain. Nos jeunes compositeurs n'avaient pas tardé à se lancer
sur cette piste, et la Belgique, on le voit, ne voulait pas être en
retard. Dans l'espace de deux années seulement, Hamal donna à
Liège quatre ouvrages de ce genre: le Voyage de Chaudfontaine et la
Recrue ds Liège en 1757, la Fête troublée par la pluie et les Hypocondres
en 1758.
Les partitions de ces quatre ouvrages avaient disparu depuis lors,
et c'est un hasard qui fit retrouver, il y a peu de temps, celle du
Voyage de Chaudfontaine, que M. Alhaiza se mit en devoir de mon-
ter au théâtre Molière, de Bruxelles, où sa résurrection obtint un
tel succès qu'il eut l'idée de venir nous la faire entendre à Paris.
On m'assure que M . Gevaert et M. Joseph Dupont se sont pris d'une
sorte de passion pour cette musique, et cela ne m'étonne nulle-
lement, car non seulement elle est écrite avec une grande sûreté de
main, mais elle a des qualités de verve, de franchise, de gaieté
sans prétention qui, étant donnée l'époque à laquelle elle a paru,
sont faites pour séduire les artistes instruits et délicats. Ce n'est,
d'ailleurs, il faut bien le dire, comme nos premiers opéras-comi-
ques, qu'une sorte de grand vaudeville, dont les morceaux ne com-
portent point de développements. Des ariettes, comme on disait
alors, des chansons, des couplets, parfois précédés d'un court réci-
tatif, quelques chœurs, et c'est tout. On chercherait vainement, dans
la partition du Voyage de Chaudfontaine, la trace d'un morceau d'en-
semble, et c'est à peine si l'on y rencontre un semblant de duo.
Mais dans ses proportions mignonnes, cette partition est écrite de
main d'ouvrier, et l'on y voit qu'Hamal était un véritable artiste,
à l'instruction solide, à l'imagination alerte et à la plume expé-
rimentée.
Le malheur, c'est que le livret sur lequel s'est exercé à Liège,
en 1757, l'inspiration du compositeur, ne saurait intéresser en au-
cune façon les Parisiens de 1890. Non seulement ce livret ne
constitue pas une pièce, mais il est essentiellement local, et perd
toute sa saveur à être transplanté dans un milieu tout différent de
celui qui l'a vu naître. Chaudfontaine est un petit pays situé près de
Liège, où l'on se rendait de cette ville en bateau pour y faire des
parties de plaisir, et c'est précisément un incident de ce geure qui
forme le canevas très léger du poème mis en musique par Hamal.
Or, que l'on se figure une pièce bâtie sur les habitudes de nos cano-
tiers d'Asnières, de Bougival ou de Nogent-sur-Marne ; elle pourra.
nous amuser beaucoup, nous qui sommes au courant de ces cou-
tumes, mais paraîtra parfaitement et naturellement insipide à cent
lieues de Paris. C'est justement un peu là ce qui s'est produit aux
Nouveautés avec le Voyage de Chaud fontaine, et ce qui empêchera le
public parisien de prendre goût à celte bleuette musicale, en dépit
de la gentillesse de la musique et de la gaité très franche, très com-
municalive, qu'y déploient d'ailleurs les interprètes.
Car la pièce est jouée et chantée d'une façon très satisfaisante,
avec beaucoup de verve, de crâuerie et de jeunesse. Il y a là un
petit trio féminin tout à fait réjouissant : Mlle Zélo Duran (Tonton),
qui est jolie comme un cœur sous son grand chapeau de paille, et
dont la voix est fort aimable; M"e Thérèse Bastin (Rose), à la phy-
sionomie pleine d'intelligence, au jeu plein de finesse et de gaité;
et Mlle Rachel Neydt (Adyle), qui ne le cède en rien à ses deux
compagnes. Les deux rôles d'hommes sont aussi fort bien tenus par
M. Thys (le caporal Golzau), un trial qui n'est pas sans mérite,
et M. Charvet (le batelier Girard), comédien plein de rondeur dont
la bonne voix de basse n'est pas à dédaigner. Tous ont fait ressor-
tir de leur mieux la gaité trop locale du livret, dont les vers fran-
çais sont, ma foi. gentiment tournés, et la franchise do la musique.
Dans celle-ci, j'ai surtout remarqué, au premier acte, l'air à
vocalises du sergent : Apaisez-vous, mes tourterelles, qui est d'un
très heureux effet, et le chœur final, qui est très harmonieux; au
second, l'ariette de Rose : L'entendez-vous? la chanson en duo : Je
voudrais faire un voyage, qui est d'une grâce et d'une fraîcheur char-
mantes, et la ronde en chœur du cramillon, dont la gaité élégante
est tout à fait comnmnicative, et qui est réglée de la façon la plus
heureuse ; enfin, au troisième, les couplets fort amusants du batelier,
et l'air de Rose : Au diable la séquelle, dans lequel, avec ses singu-
liers effets de sifflement, M"0 Bastin s'est fait justement applaudir
et a mis la salle en joie.
En résumé, le Voyage de Chaudfontaine est aussi bien monté que
possible. Reste à savoir si l'intérêt très réel, mais un peu trop
rétrospectif de la musique, suffira pour compenser la trop mince
valeur du livret?
Le spectacle commençait par une sorte de drame en vers : la
Chanson du Tzigane, dont je n'ai pas bien compris l'utilité, et qui
était loin d'être à sa place sur cette scène joyeuse des Nouveautés.
Il est inutile d'insister là-dessus. Je me contenterai de nommer les
interprètes : M110 d'Arsac; M"e Mariane Chassaing, une gentille sou-
brette, MM. Mortier, Deval, et surtout Montigny, le seul qui sache
dire les vers. Akthur Pougin.
LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE
AU SALON DU C H A M P - D E - M A R. S
(Quatrième article.)
Un peu loin, un peu arrière-centenaire et Tour Eiffel posthume...
— Oui, certainement. Et puis il y lait bien chaud en et'. Elle devrait
avoir lieu de mars à mai, l'Autre Exposition. Mais c'est vi aiment
un salon, c'est-à-aire une sélection, un triage, une réunion de gens
de goût et de talent, de valeur nécessairement, inégale mais de
tempérament varié et de tendances identiques, se complétant les
uns les autres, formant un ensemble homogène. Voilà en effet la
caractéristique du hall aux peiutures et à la statuaire ouvert dans
l'ancien palais dos Beaux-Arts, sous les auspices de M. Meissonier.
On y trouve un peu de tout, depuis le tireur de coups de pistolet
jusqu'à l'allumeur de lanternes magiques, depuis les pasticheurs de
Carolus Duran jusqu'à Carolus lui-même, depuis les peintres qui
exagèrent la nature jusqu'à ceux qui se contententent de l'inter-
préter; on y trouve le bibelotier, le costumier, l'anecdotier, l'inven-
teur d'éclairages perfectionnés, le coloriste-chimiste, le metteur en
scène et même le cabotin. On n'y rencontre guère le pompier. Il n'y
a pas que des chefs-d'œuvre à l'Autre Salon (qui vaut bien cette
répétition de majuscules), mais les œuvres banales y sont fort rares.
Le vaste panneau de M. Puvis de Chavannes, inter artes et natu-
ram, destiné à l'escalier du musée de Rouen, joue au Champ-de-
Mars à peu près le même rôle que le plafond de Munkaczy aux
Champs-Elysées : c'est le plal de résistance. Groupement symbolique
des premiers artistes qui furent, en effet, les premiers interprètes
de la nature. Toujours le dessin sommaire et le volontaire à-peu-près
du coloris dans le rendu des figures; mais un paysage d'une remar-
quable solidité, où se retrouve la maîtrise du décorateur :: de belles
ordonnances, d'harmonieuses symétiies, une symphonie qui serait
de Corot si elle n'était de Puvis de Chavanues: •
LE MENESTREL
181
Apres le Puvis, arrêtons-nous à la salle des plafonds, intelligem-
ment organisée et éclairée. Les plafonds sont placés dans leur posi-
tion naturelle, c'est-à-dire anormale. Des ciels clairs, de poétiques
envolées : « les Arts » par Gallaud. Au milieu, le Besnard. une magni-
fique esquisse du plafond qu'il destine ù l'Hôtel de Ville. Nous
sommes daus un chaos lumineux de mondes supra-terrestres : la
Vérité s'élance, fière, eu portant dans ses bras des gerbes de feu
dout elle éclaire l'humanité. Un peu rude de ion, mais une magis-
trale esquisse, un beau décor.
Suite des grandes toiles: l'allégorie de M. Agache, « Vanité ». La
composilion est intéressante : la jeune fille au sourire énigmatique
qui tient entre ses doigts une boule de verre, symbole des félicités
d'ici-bas, le poète au laurier d'or et à la figure décharnée, les armoires
vides qui remplissent le premier plan, forment un ensemble très
iuteUigible, et l'allégorie ne tourne pas au rébus. Le défaut du tableau
— et un défaut assez grave — est dans la sécheresse, dans l'excès
du fini, dans la perfection même du rendu. M. Agache traite les
natures mortes qui occupent une place importante dans cette « Vani-
té » tiès bien meublée, avec la patience et la sûreté de main d'un
Desgoffes. C'est faire œuvre de bon ouvrier, mais en même temps
c'est enlever à l'allégorie ce vague, cette illusion, cet idéalisme qui
sont les premières conditions du genre.
M. Alfred Stevens, qui n'avait rien donné depuis longtemps.... —
depuis le Salon où exposa Mm0 Sarah Bernharàt, prise d'une voca-
tion subite pour les beaux-arts, — a fait huit envois au Champ de
Mars pour réparer le temps perdu. Il y a beaucoup à prendre et
un peu à laisser dans ce petit Salon. Il faut prendre une œuvre de
tout premier ordre, « la Musicienne », portrajt de harpiste en robe
verle, un pauvret caraco noir, d'un rendu saisissant et d'une sobriété
d'exécution plus que méritoire chez M. Stevens. Il faut laisser « la
Jeune Veuve », commentaire assez froid du distique du fabuliste:
Le deuil enfin sert de parure
En atlendant d'autres atours...
Non seulement l'exécution est sèche et dure, mais la composition
manque d'uDité, j'allais dire de vraisemblance. Ce Cupidon joufflu
qui se g isse sous la table serait inexcusable, s'il n'était pas en
bois ou en plâtre, de figurer dans un décor tout moderne où le
portrait du mari (détail assez spirituel) apparaît en perspective
coupé à mi-ligure par un battant de p >rte, mais laissant voir un
revers de redingote taché d'une rosette rouge. L'« Ophélie » et
« lady Macbeth » rentrent dans l'art décoratif.
Saluons eu passant M. Charles Meissonier (le fils), toujours fidèle
aux galantes résurrections du dix-buiiième siècle, un Saint-Preux.
UDe nouvelle Héloïse ou un Jean-Jacques et une Madame de Warens
dans un berceau de feuillage et de fleurs, ainsi qu'un « Goûter au
Jardin » dans un décor d'opéra-comique-, et M. Prinet, qui ne va
pas chercher si loin les sujets de tableaux. Il se contente de nous
montrer un petit chef-d'œuvre d'observation et de spirituelle mise
en scène, sans aucun sacrifice à l'anecdotisme : la « Leçon de
danse », une troupe de gamines en tabliers blancs et bas noirs étu-
diant, sous la direction d'uu violoniste dégingandé, les premiers
principes de l'art des Subra et des Mauri.
Même série : les Gustave Courtois, un charmant portrait de
Le Bargy, de la Comédie-Française, un peu idéalisé, un peu « re-
garni », comme disent les tailleurs, sous le costume et la poudre
d'un jeune seigneur répertoire Marivaux ; une composition plus im-
portante mais passablement encombrée : Lisette du Légataire uni-
versel, panneau pour le foyer de l'Odéon... Cela fait trois panneaux
dans un seul tableau, car Lisette se tient debout devant une grande
armoire normande dont les porles sont ouvertes et qui, malgré
l'habileté du trompe-l'œil, me parait un meuble bien gênant. N'ou-
blions pas une « Ninon », pour laquelle je donnerais volontiers la
Lisette avec tout son bric-à-brac d'hôtel garni.
De M. Blanche, qui a une ambition fort louable même quand le
succès reste incertain, celle de c. imposer le portrait, une très sug-
gestive étude d'enfant en manteau de velours noir doublé de vert:
quelque chose comme la jeunesse d'Hamlet. Puis, la suite des
Béraud, très variée: entre autres une petite Arlequine argent et noir
et une composition anecdotique qui pourrait bien être transportée
au théâtre par un directeur aimant la mise en scène pittoresque:
« Rien ne va plus; » la salle de jeu de Monte-Carlo. Beaucoup de
figures intéressantes et de types saisis dans la fièvre du jeu, depuis
le joueur fataliste, hypnotisé, jusqu'au passionné qui rentre on cou-
rant dans la salle du jeu en tenant à la, main une liasse de billets
de banque. Faut-il l'avouer ? Je préfère à ces détails amusants, mais
d'une exéculiou lelativemenl facile, une petite femme en veston
mastic, en coiffure frisée au petit fer, vue de dos, appuyée sur le
lapis vert, d'une étonnante vérité d'attitude.
Uu bon portrait de Plançon en François Ier i'Ascanh, par M. Delé-
cluse; de M. Paul Robert un intéressant Paul Mounet en don Sal-
luste de Ruij Bios. M. Rixens a fait une série d'œuvres d'une belle
tenue, depuis le portrait de M"" Ducasse jusqu'à l'étude qu'il intitule
« la Toiletle ». Les Roll sont d'une modernité intense, suivant la
formule : M",c Jane Hading, celle qui fut la Claire de Beaulieu du
Maître de Forges et « Toute la lyre » de Sapho, un peu trop vernis-
sée dans un décor de serre un peu trop chargé; Coquelin cadet, dé-
bitant un monologue. De M. Duez, un portrait de M. Georges Hugo
en homme du monde, pas très bon, presque criard, assez préten-
tieux avec ses vagues réminiscences de poses romantiques et qui
fait fureur. M. Sargent nous montre la célèbre tragédienne Ellen
Terry dans son rôle de lady Macbeth, où elle semble surtout une
héroïne des Niebelungen . De Mmo Madeleine Lemaire une Ophélie à
la Ctiaplin, dans un décor à la Lerolle, mais avec une profusion de
fleurs merveilleuses, de fleurs qui seraient à elles seules la marque
et la signature de Mmo Lemaire.
Pour varier un peu nos plaisirs, passons à un symphonisle-lumi-
nisle (c'est !e vocabulaire à la mode), M. Besnard. 11 y a sept Bcs-
nard au Champ-de-Mars, tous curieux; tous personnels, mais de
plus en plus conformes à la loi tirée du sonnet de Baudelaire:
Comme de longs échos qui de loin se répondent
Dans une triomphante et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les tons se confondent.
Donc, pour M. Besnard, le violet faisandé est la couleur du cau-
chemar, car c'est dans une brume violacée que baigne le modèle
féminin intitulé « l'Insomnie ». Ces Ions vifs et gais, rouges, roses,
bleus, sont la couleur de la famille, car c'est la note dominante du
« Groupe d'enfants »; quant à la femme aimée, elle doit être parée,
en large, de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, car la « Vision de
jeunesse » est verte, jaune, orangée, ponceau, lilas... Mais derrière
cette coloration tout austère et conventionnelle, que d'admirables
morceaux, que de détails révélant la maîtrise du grand peintre ! Et
quel artiste aurait élé M. Besnard, si les marchands de produits chi-
miques n'avaient en bocaux des suggestions aussi perverses. —
Autre symphoniste, celui-ci eu brouillard majeur : Eugène Carrière.
II possède d'admirables qualités d'observateur et d'exécutant,
M. Carrière, mais il les noie dans une buée grise, couleur de mau-
vais rêve; et pourtant quel album intime d'une merveilleuse délica-
tesse : ce sommeil de l'enfant et de la mère, la « Tendresse », la
« Coupe »; la jeune fille à la coiffure; le cahier; le déjeuner; de petits
Chardins, vus à travers une vitre brouillée. — Et pour ne pas ter-
miner cette première promenade sans parler des maîtres étrangers,
une très belle étude de M. Kuehl : une jeune femme en robe blanche
jouant de l'orgue dans une tribune Louis XV.
(A suivre.) Camille Le Senne.
FLEURS D'HIVER, FRUITS D'HIVER
Sous ce titre, M. Ernest Legouvé vient de faire paraître chez Paul 01-'
lendorf un curieux petit volume qui contient, pour ainsi dire, toutes ses
impressions intimes d'octogénaire. Il y a là bien des pages charmantes,
et comme la meilleure manière de louer le livre d'un tel maitre et la
plus agréable pour le lecteur est encore d'en citer des fragments, nous-
avons choisi celui qui va suivre :
Plus j'avanc?. dans la vie, plus grandissent en moi deux
goûts bien propres à la prolonger. J'aime chaque jour davantage la
campagne et la poésie. Ces deux" goûts se tiennent et s'entretiennent
l'un l'autre. Dès que le mois do mai me ramène dans mon petit
village, je icdeviens écolier; j'apprends tous les jours quelques vers
par cœur; je les retiens encore ; je me les répète tout haut ; ce sont
mes compagnons do promenade. Dieu merci! les longs ouvrages en
prose ne me font pas encore peur, mais il faut compter avec mes
yeux, voire avec nia lête, pour qui les lectures trop prolongées sont
une fatigue. La poésie a cela d'admirable qu'elle contient beaucoup
de subîtancos sous un petit volume. La sagesse et l'imagination
humaines s'y trouvent comme lésumées; c'est la cristallisation des
idées et dos sentiments de tous les temps.
Luinurliuc a dit :
Tout ce qui sort de l'homme est rapide et fragile,
Mais le vers est de bronze et la prose est d'argile.
482
LE MENESTREL
. Ajoutez un autre avantage de la poésie sur la prose : elle est
portative ; on l'a dans sa tète. Enfin, dernier privilège, elle se prête
merveilleusement à l'exerc'ce de la diction à haute voix. Les rimes,
les rythmes, les timbres, les nombre?, les lichesses de coloris, les
mille nuances de sentimenls, sont autant de sujets d'étude délicieux
pour nn passionné de diction comme moi. Je passe quelquefois de
longs moments à chercher la note juste qui convient à tel ou tel
passage, à faire sur les vers rie la musique parlée. Allez doue es-
sayer ce métier-là à Paris! Cherchez donc des intonations dans les
rues, au milieu de la cohue dès passants !... Dieu sait pour qui l'on vous
prendrait! Taudis qu'en plein bois! en plein champ! en plein ciel !
en pleine solitude!.. Dès que deux ou trois heures sonnent, me voilà
parti en course, un bâton à la main, le nez en l'air, les poches vides
mais la mémoire pleine de tous mes chers poètes. Je dis tous, car
je n'en ai pas de préférés, ou plutôt je préfère chacun d'eux à son
tour; cela dépend du paysage, de l'heure du jour, de la saison de
l'année. Il y en a dont les vers me viennent d'eux-mêmes sur les
lèvres par une belle matinée de printemps. Il y en a d'amtres qui
chantent plus volontiers comme les merles, au milieu des brouil-
lards d'automne. J'en ai pour les horizons lointains et bleuâtres. J'en
ai. aussi pour les petits recoins sombres, cachés au plus épais des
taillis de chênes. Croirait-on que j'en ai même pour les heures de
sommeil? L'insomnie est la triste compagne de la vieillesse. Pour
moi, s'éveiller et s'endormir ne sont pas des verbes réfléchis, ce sont
des verbes actifs. C'est vraiment moi qui m'éveille et me tiens
éveillé avec ma maudite imagination ; et c'est moi qui suis forcé
de m'endormir comme un enfant qu'on berce. Eh bien, je me berce
avec des vers! Une certaine fable de La Fontaine content un certain
passage qui m'a fait vingt fois l'effet d'une goutte de chloral ; c'est
dans l'Alouette et ses Petits :
Cependant soyez gais, voici de quoi manger.
Eux repus, tout s'endort, les enfants et la mère.
Quand j'arrive à ce vers-là, il me semble que mon lit devient un
nid, et je m'endors avec toute la couvée.
Par exemple, je n'emploie pas Victor Hugo à cet usage, il est
trop éclatant! ni Musset, il est trop excitant! ni même Béranger...
car j'apprends aussi du Béranger! J'en apprends bien d'autres ! Cor-
neille, Bacine, Bégnier, Casimir Delavigne, André Chénier, Lamar-
tine, Boileau. Tout cela vit côte à côte dans ma mémoire. Victor
Hugo aurait frémi d'indignation si je lui avais dit qu'après m'ètre
récité avec enthousiasme tel ou tel passage de la Légende des Siècles,
une heure après je disais tout bas avec délices ce morceau de
Ducis :
Petit logis commode et sain,
Où des arts et du luxe en vain
L'on chercherait quelque merveille...
Il faut vraiment être né en 1801 pour se permettre de tels amal-
games!... Demandez donc à la jeunesse un pareil polythéisme!...
Elle crierait au sacrilège! Ses admiratious sont trop exclusives, ses
antipathies trop violentes. Pour, elle, adorer rime toujours avec
exécrer. Elle n'élève jamais une statue qu'avec les débris d'une
autre. Elle se croirait impie envers Shakespeare, si elle ne lapidait
pas Andromaque avec Othello. Mais quand on est depuis si longtemps
dans le monde, quand on a vu mourir tant de renommées réputées
immortelles, qu'on a vu s'éteindre tant d'étoiles qui passaient pour
des étoiles fixes, alors toutes les petites distinctions de genres, de
temps, de modes, disparaissent; on ne s'attache plus qu'à ce qui
survit, et on aime tout ce qui survit. On fouille à travers toutes
les cendres du passé pour y découvrir quelque lueur qui y brille
encore. Ce n'est quelquefois qu'une étincelle ! Qu'importe, je la re-
cueille et je lui garde une modeste place à côté du flambeau qui
rayonne et de l'astre qui resplendit. Je me fais l'effet d'un ancien;
j'ai mon petit feu sacré à la maison.
Ernest Legouvé.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Nouvelles de Londres :
La période assez laborieuse des débuts touche à sa fin au théâtre de
Covent-Garden. Le public s'est montré ptus que réservé pour la plupart
des nouveaux pensionnaires de M. Harris, qui a été fort mal avisé en
exhumant à leur intention des vieilleries telles que le Trouvère, la Tra-
viala et la Somnambule, n'ayant plus cours même en Angleterre. Il convient
de signaler la bonne impression produite dans le rôle de dona Anna par
Uwe Tabary, mieux connue en Allemagne sous le nom de Basta. Par1
contre, il serait peu charitable d'insister sur les défailtances de Mm° Gerster,
qui remontait sur les planches après une longue et cruelle maladie.io/iengrm,
avec les frères de Beszké et Mm0 Fursch-Madi, a été le premier succès
franc de la saison et a eu un heureux lendemain avec Roméo et Juliette,
qui a servi de rentrée brillante à Mmc Melba. Samedi ce sera le tour de
M. Lassalle dans les Maîtres chanteurs, qui lui avaient valu un succès très
légitime la saison dernière. On répète activement le Prophète pour lé début
de Mn,e Richard, avec une distribution des plus remarquables. M. Jean
de Reszké chantera pour la première fois à Londres le rôle dn Prophète,
Edouard de Reszké fera Zacharie, Cobalet Obertbal, Dufriche et Montariol
les deux anabaptistes, et M™ Nuovina, Bertha. La direction promet de
rétablir les trop nombreuses coupures qui avaient jusqu'ici défiguré le
chef-d'œuvre de Meyerbeer à Covent-Garden. Une distribution nouvelle
des plus savoureuses de Carmen serart celle dans laquelle M. Jean de
Reszké prendrait le rôle de Don José et M. Lassalle celui d'Escamillo.
Il faut espérer que dans ce cas on pourra décider Mme Richard à chanter
l'héroïne de Bizet. La titulaire actuelle du rôle, M"0 Zélie de Lussan, n'a
ni la conception artistique, ni l'ampleur vocale du rôle, pour un tel milieu
et avec de pareils partenaires. Pour l'unique représentation des Pêcheurs
de Perles, on a renoncé cette saison aux tripatouillages de M. Mancinelli,
et le troisième acte a été exécuté selon la partition définitive, avec le trio
de M. Benjamin Godard.
Mm0 Patti ne voulant pas s'exposer à la même mésaventure qu'à son
précédent concert, s'est fait remplacer cette fois par M™ Albani, retour
d'Amérique. Malheureusement le public n'y a rien gagné comme compo-
sition de programme, même si on ne tient pas compte des exhibitions
pénibles de M. Sims Reeves, le ténor-fantôme, et de Mn,c Trebelli, une
artiste qui aurait pu se montrer plus soucieuse de sa vieille réputation.
Le succès de M. Paderewski a été grand à son troisième concert, donné
enfin devant un public très nombreux. Pour sa quatrième et dernière
séance l'éminent pianiste s'est assuré le concours de l'orchestre Henscbell
et exécutera son propre concerto en la mineur, celui de Saint-Saëns en
ut mineur et la Fantaisie hongroise de Liszt. — M. Sarasate, de retour
des Etats-Unis, donnera samedi son premier concert avec le concours de
Mml! Berthe Marx. — La prochaine nouveauté musicale de la Société
Philharmonique sera une Suite d'orchestre en sol mineur de Moszkowski,
dirigée par l'auteur. — A. G. N.
— Le jeune maestro Pietro Mascagni, l'auteur de Cavalieria rusticana,
est décidément le lion du jour en Italie, et il semble qu'on ne sache que
faire pour griser son esprit par des procédés d'une bienveillance peut-être
excessive. Il suffira de dire que la petite ville de Cerignola, modeste com-
mune de la province de Foggia, où il est directeur de la Société philhar-
monique et, croyons-nous, organiste à l'église, l'a nommé citoyen hono-
raire ; que Livourne, sa ville natale, fait frapper en son honneur une
médaille d'or ; enfin que le roi vient de le nommer chevalier de la Cou-
ronne d'Italie, ce que les journaux trouvent prématuré, rappelant que
Verdi avait écrit une vingtaine d'opéras quand il obtint cet honneur.
Quant au succès de son opéra, il n'a été non épuisé, mais interrompu
que par la fermeture du théâtre, et la représentation de clôture fut une
véritable fête pour le jeune compositeur, qui a été l'objet d'ovations sans
nombre. Après le spectacle, le jury qui avait décidé la représentation des
trois opéras distingués par lui, s'est réuni pour décerner les primes : la
première a été attribuée, à l'unanimité, à M. Mascagni, la seconde à M. Spi-
nelli, auteur de Labilia. Enfin, on annonce que M. Sonzogno a commandé
à M. Mascagni un nouvel opéra, dont le livret sera emprunté, dit-on, au
drame de M. Alexandre Dumas, les Danichc/f.
— Le troisième opéra couronné au concours Sonzogno, Rudello, musique
de M. Ferroni, professeur de composition au Conservatoire de Milan, a
été représenté sans grand succès au théâtre Costanzi, de Borne, comme les
deux précédents. « Beaucoup de savoir, dit le Cosmorama, grande mono-
tonie, aucune inspiration. » Et le Trovatore, de son côté : « beaucoup de
science, mais peu de théâtralité et de mélodie, et trop de mélopée. » En
somme, chute honnête.
— Bonne nouvelle pour les compositeurs français ! La Scala de Milan
passe aux mains de M. Edouard Sonzogno. Et dès, à présent on annonce
pour la saison prochaine VUamlet de M. Ambroise Thomas, le Sigurd de
M. Reyer et le Cid de M. Massenet.
— Trois opéras nouveaux doivent être donnés prochainement en Italie :
au théâtre Dal Vernie, do Milan, Edilla, paroles de M. Arkel, musique de
M. Pizzi ; au Philodramatique de la même ville, Linna di Dovara, paroles
de M. Visentini, avocat de Mantoue, musique de M. Ziglioli, compositeur
natif de Pescarolo, organiste à Caravaggio et qui jusqu'à présent n'est
connu que comme compositeur de musique religieuse ; à Sant'Areangelo
(Romagnes), pour l'ouverture du théâtre, remis à neuf, la '/.ingara di Gra-
nata, musique de M. Bartolucci.
— « Opéras nouveaux en gestation ». C'est ainsi qu'un journal italien
annonce toute une série d'ouvrages qui attendent leur tour de représenta-
tion et dont voici la liste : Manon Lescault, livret de MM. Marco Praga et
Domenico Oliva, musique de M. Puccini ; * Medici, poème et musique de
M. Ruggero Leoncavallo, ouvrage qui n'est que la première partie d'une
trilogie intitulée Crepusculum ; Andréa del Sarto, paroles de M. Ghislanzoni,
musique de M. Baravella ; Matteo Schivner, paroles de M. Tommasucci,
musique de M. Bensa; il Trionfo d'fimore, musique de M. Giulio Tanaro ;
LE MENESTREL
183
«7 Figlio délia Selva, livret de M. Ghislanzoni, musique de M. Gesare
Dell'AUis ; Makado, musique de M. Angelo Bottagisio ; enfin Gnnlher,
musique de M. Nino Rebora.
— Au théâtre Pezzana, de Milan, grand succès pour une nouvelle opé-
rette du compositeur viennois Sommer, Cin-Ko-ha, joué par MM. Grossi,
Giovannini, Principi, et par M™! Morroto, Ferrara et Narducci. — Au
Politeama Duc de Gênes, à la Spezia, première représentation de la Ca-
pricciosa, ballet du chorégraphe Razzeto, musique de M. Galleani. — A
Rome, à l'école normale Vittorio Colonna, exécution d'une « idylle » en
trois actes, Minoelta, paroles de M. P. Rinaldi, musique de M. A. d'Esté,
chantée par des amateurs et des élèves de l'école, et accompagnée par
un orchestre improvisé, qui, dit un journal, « a fait souffrir les oreilles
bien organisées ». — Enfin, à Milan, dans les salons de M. Giuseppe
Trêves, exécution d'une opérette en un acte, Gringoire, livret imité par
Mrac Trêves de la comédie de Théodore de Banville, musique de M. Scon-
trino, chantée par Mmc Adélaïde Morelli, MM. Russitano, Angelini-For-
nari, Cromberg et Marini.
— A l'occasion du cinquantième anniversaire de la mort de Paganini,
qui tombait le 27 mai dernier, on a placé à Parme, dans le Borgo Felino,
sur la façade du palais de M. le comte Filippo Linati, sénateur, une
pierre commémorative rappelant le long séjour fait en cette demeure par
l'illustre violoniste. On sait que c'est à Parme que Paganini fit son
éducation musicale, sous la direction de Rolla et de Ghiretti ; c'est à
Parme aussi qu'il fut enterré et que se trouve le riche tombeau que lui
a fait élever son fils, le baron Achille Paganini ; c'est dans sa belle villa
de Gaione, située à quelques milles de cette ville, que le baron Achille
Paganini conserve religieusement tous les ohjets qui rappellent le sou-
venir de son père, un violon et un violoncelle d'Amati, une mandoline,
une guitare dont il se servait souvent, les manuscrits de la plupart de
ses compositions, dont plusieurs inédites, ses innombrables décorations,
sa tabatière préférée, des mèches de ses cheveux, le béret noir qu'il por-
tait à son lit de mort, divers portraits, les cadeaux qu'il reçut de tous
les souverains au cours de ses voyages et de ses triomphes, etc., etc. On
compte présenter prochainement au conseil municipal de Parme une de-
mande tendant à faire donner au Borgo Felino le nom de rue Paganini.
— Le 12 avril 1892 sera le second anniversaire centenaire de la nais-
sance d'un autre violoniste illustre, Giuseppe Tartini. Un comité vient
de se constituer à Pirano, en Istrie, ville natale de cet artiste justement
fameux, pour préparer dignement la célébration de cette date intéres-
sante.
■ — Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Cobourg-Gotha : Le chambellan
von Rekowski a été relevé de ses fonctions d'intendant du théâtre de la
Cour. Le baron Ebart est désigné pour le remplacer. — Cologne : Le théâ-
tre Municipal a clôturé sa saison par une réprésentation de la Flûte en-
chantée donnée au bénéfice des chœurs et du corps de ballet. — Dresde :
Le succès du Roi malgré lui, de M. Chabrier, au théâtre de la Cour, va en
s'accentuant. La direction vient de recevoir un grand ouvrage lyrique du
compositeur Félix Draeseke, Hérat, qui verra le jour dans le courant de
l'automne. — Inspruck : Au théâtre Municipal a eu lieu ces jours der-
niers la première représentation de l'opéra de M. Freudenberg, Marina
Faliero, interprété par la troupe du théâtre Municipal de Regensburg.
Brillant succès, dit-on. — Vienne : M110 Jenny Broch est remontée sur la
scène de ses anciens succès, à l'Opéra Impérial, pour y donner deux
triomphales représentations du Barbier de Sécille et de la Fille du Régiment.
— C'est le professeur Schapper, sculpteur à Berlin, qui a été chargé de
l'exécution de la statue de Wagner, destinée à la ville de Leipzig.
L'ébauche, exposée chez l'auteur, représente le maître assis ; la pose est
énergique, les traits sont pleins d'animation. L'architecture du piédestal
sera dans le style Renaissance et s'harmonisera avec la façade du théâtre
municipal, devant lequel le monument va être érigé.
— On commence à s'occuper sérieusement en Autriche de la con-
struction du théâtre Mozart, dont nous avons parlé déjà, et qui doit
s'élever tout près de Salzbourg, sur le Monchsberg, un des sites les plus
souriants et les plus aimables de la contrée. Les architectes, MM. Helmer
et Fellner, viennent de soumettre au comité qui s'est formé à Salzbourg
les plans du nouveau théâtre. La façade du monument, conçue dans le
style de la Renaissance italienne, sera précédée d'Un escalier grandiose
sous lequel un abri sera aménagé pour les visiteurs, et qui sera flanqué
d'une riche balustrade ornée de figures allégoriques. Le portail se com-
posera de cintres supportés par une colonnade courant sur toute la largeur
• de la façade. L'édifice, comprenant plusieurs étages élégamment ornés,
sur les cotés, par des galeries à jour, des escaliers, des balcons et des
statues, sera surmonté d'une large, coupole correspondant à la salle pro-
prement dite. L'intérieur de cetie salle diffère, par son aménagement, des
théâtres ordinaires; elle prend l'aspect d'une salle de concert et comprend
environ 1,.*J00 places, réparties entre un rez-de-chaussée en forme de gra-
I dins s'élevant jusqu'à la galerie du premier étage, qui fait tout le tour
du vaisseau, et quelques loges seulement, placées à la hauteur du balcon
et des galeries. Toutes les places sont disposées de façon qu'aucune
d'elles ne soit à plus de deux mètres au-dessus du niveau de la scène.
Derrière le balcon se trouve un grand foyer communiquant avec les gale-
H' et les balcons extérieurs. Le théâtre sera entièrement éclairé par
l'électricité. Enfin, pour faciliter l'accès do théâtre Mozart, la ville de
Salzbourg fait construire une route qui gravira en serpentant le Monchs-
berg et qui, partant des bâtiments de l'Ecole normale, près du Salzbach,
passera par la vieille porte connue sous le nom de Monikathar. « Quand
ce théâtre sera construit, hasarde en raillant le Guide musical, il restera à
trouver des artistes capables de chanter la musique de Mozart. Ils ne
sont pas si nombreux qu'on pourrait le croire, et ce sera l'une des diffi-
cultés de cette entreprise destinée, dans l'esprit de ses promoteurs, à
contre-balancer l'influence de la scène wagnérienne à Bayreuth. » Sans
paraître s'en douter, le Guide fait là la critique la plus sanglante de
l'œuvre wagnérienne, œuvre morbide malgré ses incontestables beautés,
et complètement destructive de l'art du chant et du vrai sens musical.
Toutefois, nous pensons que cet art du chant n'est pas encore si complè-
tement corrompu qu'on ne puisse trouver un noyau d'artistes capables
d'interpréter, comme elle doit l'être, la musique de Mozart, et d'en faire
ressortir l'immortelle splendeur. Mozart est « vieux jeu » sans doute aux
yeux de nos wagnériens. mais ceux-ci n'ont pas encore fait la conquête
de l'univers, et il se pourrait bien que l'auteur de Don Juan ait conservé
un nombre suffisant d'adeptes et d'admirateurs.
— Stockholm, 30 mai. L'Opéra a représenté avant-hier pour la première
fois et avec succès YOtello de Verdi. Principaux interprètes : M. OEd-
mann-Otello et M110 Oselio-Desdemona, qui ont été remarquables.
— Copenhague, 1er juin. — Le Théâtre Royal vient de finir sa 142° saison.
Il a représenté 49 pièces, parmi lesquelles 16 opéras. L'opéra ne figurant
que deux jours par semaine sur les affiches, le nombre des représentations
musicales n'est pas grand. Voici les chiffres des représentations pour cette
saison : Carmen 8 fois, Don Juan 1, la Mantille (opéra danois en un acte) 6,
Guillaume Tell 1, Iphigénie en Aulide 6, Roméo et Juliette 6, Roi et Connétable
(opéra danois en quatre actes de Pierre Heise) 8, Faust 3, la Fille du régi-
ment 3, les Contes d'Hoffmann 13, la Traviata 4, Fidelio o, Fra Diavolo 6, Aida 7,
Taming of lire shrew 2, Mignon 5.
— La direction des Concerts populaires de Bruxelles se propose de
continuer la saison prochaine le système qu'elle a inauguré cet hiver
par suite de la retraite volontaire de M. Joseph Dupont. Elle engagerait
pour chacun de ses quatre concerts un chef d'orchestre différent. Cet
hiver on a vu se succéder au pupitre : MM. Edouard Grieg, Rimski-
Korsakow, Hans Richter, et deux Belges : MM. Emile Mathieu et Edgard
Tinel. L'an prochain, on y verrait paraître successivement MM. Colonne,
Lamoureux, Hans de Bulow et Hans Richter. Voilà qui ne sera pas sans
offrir un certain intérêt.
— MM. Barwolff et Franz Servais sont réengagés au théâtre de la
Monnaie à Bruxelles comme premiers chefs d'orchestre pour la saison
prochaine. Comme précédemment, M. Barwolff dirigera le répertoire
français et italien, M. Franz Servais le répertoire allemand. Comme se-
cond chef, en remplacement de M. Philippe Flon, la direction a engagé
M. Léon Dubois, ancien prix de Borne de Belgique, compositeur de
talent et musicien excellent qui a déjà été accompagnateur à la Monnaie.
— Edouard Strauss et ses musiciens sont arrivés sains et saufs à New-
York. Leur débarquement a eu lieu sans incident. Les démonstrations
auxquelles on s'attendait de la part de la Ligue des travailleurs ne se sont
pas produites. Le capellmeister viennois et ses cinquante instrumentistes
ont pris immédiatement le train pour Boston.
— On doit procéder prochainement, à Bilbao, à l'inauguration d'un
nouveau théâtre. A cette occasion sera exécutée une Marche triomphale,
due à un jeune compositeur de Bilbao, M. Pedro Martinez.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Aujourd'hui à l'Opéra, continuation des représentations populaires à
prix réduits avec l'Africaine ; demain apparition du Réue, le nouveau ballet
de MM. Edouard Blau et Gastinel.
— Les frères de Reszké quittent l'Opéra, c'est entendu et nous l'avons
déjà annoncé. Mais voici MmE Melba qui veut les suivre dans leur retraite.
Cela devient plus grave. Elle fuit devant les procédés du farouche Gailhard,
qui ne veut pas lui accorder un tout petit congé d'un mois, l'hiver pro-
chain. M. Gailhard a tort de ne pas céder; Mme Melba n'est certes pas
payée à sa valeur à l'Opéra, dont elle est « l'étoile » incontestée. Il serait
peut-être honnête et en même temps adroit de le reconnaître en lui per-
mettant de trouver ailleurs des compensations à ses modestes appointe-
ments pendant quatre pauvres petites semaines de l'hiver. Autrement
Mmo Melba parait décidée à payer son dédit pour aller chanter sous
d'autres cieux. Et alors que restera-t-il à Pedro Gailhard ? Plus de frères
polonais et plus de chanteuse américaine à sensation. Il est vrai qu'on
vient de renouveler l'engagement de Mmo Adiny «à de belles conditions»,
nous disent les feuilles amies de cette belle cantatrice. Est-ce une com-
pensation suffisante???
— Il est questiou de remonter à l'Opéra le ballet Sylcia pour la rentrée
de Mlle Subra. Ce n'est pas dommage, vraiment. Pourquoi M. Gailhard
laissait-il pourrir dans ses magasins de la rue Richer cette petite merveille
de grâce et de finesse? Et la Tempête? qu'attend-on pour en continuer les
représentations arrêtées en pleines recettes!
— Elle a été tout à fait charmante, la petite causerie de M. Georges
Boyer sur Gustave Nadaud et ses chansons, pleine d'aperçus ingénieux et
de fines observations. Aussi on a fait grande fête au conférencier et aux
-184
LE MENESTREL
trois artistes qui lui prêtaient le concours de leur talent : M. Saint-Ger-
main, le diseur exquis, M.Gibert, le fantaisiste spirituel, et MllG Darcourt,
toujours bien intelligente et bien originale. C'est ainsi qu'on a vu défiler
tour à tour un certain nombre des plus jolies chansons de Nadaud, parmi
lesquelles la Bouche et l'Oreille, le Boulanger de Gonesse, la Grande Blessée, le Soldat
de Marsala, Cheval et Cavalier, Jalousie, Oscar l'irrésistible. 1rs Dieux, Bonliomme,
la Lettre de l'Étudiant et beaucoup d'autres qui ont placé leur auteur à la
tête des chansonniers de notre époque. Comme le disait si justement
M. Boyer, en appliquant à Nadaud lui-même l'histoire de son Bonhomme :
« Bonhomme vit encore et vivra éternellement. » Si éternellement qu'on
ne comprend pas que l'Académie, souvent si embarrassée au. milieu des
multiples candidatures qui sollicitent ses suffrages, n'ait pas songé d'elle-
même à ce véritable homme de lettrss dont elle pourrait si facilement
s'honorer. Tant pis ! le gros mot est lâché. Que la modestie de Nadaud
me le pardonne! H. M.
— Nous aurons encore, au Chàteau-d'Eau, une saison d'été d'opéra.
Cette fois, c'est M. Bival de Bouville qui tente l'aventure. M. Bival de
Rouville est un imprésario intelligent, qui n'est pas tout. à fait inconnu
des Parisiens, puisqu'il a fait déjà une petite saison lyrique au théâtre
de la Gaité. On peut espérer mieux de lui que de ses prédécesseurs. Atten-
dons-le donc à l'œuvre.
— L'éminent violoniste Sarasate et Mme Berthe Marx, l'excellente pia-
niste, qui viennent de faire une longue et fructueuse tournée de six mois
en Amérique, sont de retour en Europe et ont débarqué ces jours derniers
en Angleterre.
— C'est mercredi prochain M juin, à quatre heures, à l'hôtel Drouot,
que sera vendu le superbe violoncelle du pauvre Fischer, qui est toujours
enfermé à l'asile Sainte-Anne, où l'on désespère absolument de sa guéri-
son. Le pauvre artiste, dont les facultés mentales ont été complètement
détruites par la perte de son modeste avoir, qu'il avait placé dans une
maison de banque, joue toujours du violoncelle à Saint-Anne, mais il va
sans dire qu'on ne lui a pas laissé dans les mains le merveilleux instru-
ment avec lequel il obtenait naguère tant et de si légitimes succès. Celui-ci
est un Carlo Bergonzi de premier ordre, qu'accompagne un magnifique
archet de Tourte. L'un et l'autre seront vendus par les soins de Mc Léon
Tuai, commissaire-priseur, assisté de MM. Gand et Bernardel.
— Par suite de la démission de Mme Mérante, qui prend sa retraite
pour raisons de santé, plusieurs nominations de professeurs de danse
ont eu lieu hier à l'Opéra. La classe de Mme Mérante, qui comprenait les
sujets et les coryphées, a été scindée et aura désormais deux professeurs:
Mlle Sanlaville pour les sujets, Mme Théodore pour les coryphées,
jjme Théodore est remplacée, à la classe des quadrilles, par Mlle Théodore,
et celle-ci a pour successeur, à la class3 des petites, M"e Roumier, qui
conservera en même temps son rang parmi les sujets de la danse.
. — L'assemblée générale annuelle de l'Orphelinat des Arts, tenue cette
semaine au Vaudeville, sous la présidence de M'm Marie Laurent, pré-
sentait cette année un intérêt particulier. L'aimable trésorière, Mme Coque-
lin, n'avait, en son rapport, à donner que de bonnes nouvelles de la
situation financière de l'œuvre ; les recettes de l'exercice 1883-90 sont
supérieures de plus de 23,000 francs à celles de l'exercice précédent,
l'actif immobilier s'élève maintenant à la somme de 129,443 francs, la
somme placée à la caisse d'épargne sur la tète des pupilles de l'Orphe-
linat est de 6,921 francs, soit une augmentation de 1,533 francs sur l'année
dernière, etc., etc. ; toutes ces bonnes nouvelles ont été bien accueillies,
comme on pense, par les gracieuses sociétaires. D'autre part, M1»' Marie
Laurent, au début de son compte rendu sur l'état général de l'Orphelinat,
a pu rappeler que dix années s'étaient déjà écoulées depuis la fondation
de la charitable institution, qu'en ces dix années soixante-seize enfants
d'artistes et de littérateurs avaient été recueillies, élevées, instruites,
tendrement choyées, et que sur ce chiffre de soixante-seize, dix-sept
jeunes filles, arrivées à l'âge réglementaire de dix-huit ans, étaient sorties
de l'hospitalière maison, amplement armées pour la rude bataille de la
vie, pourvues de bons états et d'un solide savoir. Dans son intéressant
rapport, M'"e Marie Laurent a ensuite passé en revue les divers événements
de l'année sociale de l'Orphelinat, les succès scolaires des enfants, le
concert du l™ juin de l'année dernière au Trocadéro, les visites faites
pendant l'Exposition par les membres de divers congrès à la maison de
Courbevoie, la vente de charité organisée à la salle Georges Petit, le bal
du 6 mars dernier ; elle a donné ensuite la longue énumération des dons
et legs faits à l'œuvre et a rappelé en terminant que l'Orphelinat des
Arts avait obtenu, à l'Exposition universelle de 1889, l'une des plus
hautes récompenses, une médaille d'or. La séance s'est terminée par la
réélection de M""» Franceschi, Marquet et Barretta-Worms, membres
sortants du comité et rééligibles.
— Festival Saint-Saéns. — Salle du Trocadéro. — Le programme a
montré combien l'œuvre de M. Saint-Siens a de variété et a bien fait res-
sortir le talent avec lequel ce compositeur a traité tous les genres. La
symphonie en ut mineur a frappé l'auditoire par sa majestueuse ampleur.
Elle est riche d'idées et d'un développement superbe. Sur l'indication de
M. Saint-Saëns, certains mouvements ont été pris par l'orchestre avec plus
de largeur qu'au Conservatoire, étl'effet de l'ensemble s'en trouve peut-
être augmenté. On sait que l'auteur à'Ascanio écrit pour le piano avec
une maestria sans égale, ainsi que l'a prouvé son concerto en ut mineur,
que M. Paderewski a interprété avec beaucoup de finesse, pas mal de fan-
taisie et une vigueur tempérée par les dimensions de la salle. M. Saint-
Saëns excelle encore dans la musique d'un caractère simple et calme ; on
s'en, est aperçu en écoutant le trio de l'Oratorio de Noël chanté par
jfDie Krauss, MM. Lafarge et Auguez. Dans un genre plus libre, nous
avons eu l'air de la Lyre et la Harpe, dans lequel l'orchestre entraine la voix
dans un véritable tourbillon. M. Auguez a été superbe dans cette page
hardie. Mme Deschamps-Jehin a fait bisser la chanson florentine d'Ascanio.
M"» Krauss a interprété en grande artiste l'air de Henry VIII. M. Lafarge
a chanté avec Mme Deschamps le beau et très scénique duo de Samson et
Dalila. M"° de Montalant a été longuement applaudie dans la romance du
Timbre d'argent avec violon solo par M. Remy. M. Colonne a dirigé ce
très intéressant programme avec une sûreté, une assurance et un entrain
qui lui ont valu des applaudissements aussi fréquents que légitimes.
Amédée Boctarel.
Soiiiées et concerts. — L' Institut musical, ce conservatoire des dames et des
jeunes filles du monde, dont la réputation n'est plus à faire, n'avait pas dit son
dernier mot de la présente année scolaire avec les remarquables auditions d'élèves
qui forment, à l'institut de M. et Mmc Oscar Gomettant, le cours supérieur de
notre cher maître Marmontel, le docte professeur. Jeudi, nous étions conviés à
une dernière auditioo, salle Pleyel, des élèves de MBC Louise Comettant et des
jeunes personnes qui suivent l'excellent cours de piano fait par le distingué pro-
fesseur et compositeur M. Dolmestch. Nous ne pouvons entier dans le détaild'une
pareille audition, dans laquelle ont défilé une trentaine de jeunes piauistes dont
quelques-unes sont dans l'âge bien tendre encore de cinq à huit ans, dont quelques
autres sont leurs aînées de quelques année5, et qui toutes ont témoigné de l'excel-
lence de l'enseignement que l'on reçoit à l'Institut musical. En somme, audition
des plus intéressantes, agrémentée par plusieurs morceaux de violon, véritables
morceaux de concert, supérieurement exécutés par le jeune et très applaudi vir-
tuose M. Henry Ten Brinck. — L'association amicale des Eûfants du Nord et du Pas-
de-Calais (la Betterave) a donné mardi son dernier banquet de la saisou. La soirée
s'est terminée par un concert des mieux réussis. Après Gustave Nadaud, plus en
verve que jamais, nous avons entendu le chansonnier Léon X.anroff, MM. Bacquié,
de l'Ambigu, Durieux, violoniste, Claeys, de l'Opéra, qui a très bien chanté la
chanson bachique d'Hamlet, A Douarnenez, de Th. Dubois, et le Prisonnier, de
Rubinstein. Grand succès également pour M"c Madeleine Jaeger dans le Scherzo
et choral de Th. Dubois et la Valse arabesque, de Th. Lack. — Au concert de
M. Lauwers, on a entendu avec beaucoup de plaisir deux charmantes pianistes,
M"'" Hélène et Marguerite Moulins, puis M"" Deschamp» et M. Delaquerrière, de
rOpéra-Comique, sans oublier M. Emile Bourgeois, le maître accompagoateur. —
Nous lisons dans le Phare de la Loire : « A l'audition des élèves de M. Charles, le pro-
gramme comportait, comme attraction, la première audition de la Sonate roman-
tique, une des dernières œuvres de notre éminent concitoyen M. Dolmestch.
M. Charles avait eu l'idée originale de confier à quatre élèves différents les quatre
parties de l'œuvre, et l'auteur, venu pour assister à l'exécution, &'est montré
enchanté et a chaudement complimenté professeur et élèves. » — Matinée char-
mante le 30 mai chez Mmc Colonne pour l'audition de ses élèves. On a entendu
une trentaine de morceaux très variés, de MM. Ambroise Thomas, Saint-Saëns,
Lco Delibes, B. Godard, de M" Viardot, de M"* Augusta Holmes, etc. Nous
avons remarqué tout particulièrement Mllu de Montalant, désormais classée hors
de pair, Mlu Delorn et MUc Leclercq, qui chantent fort gentiment Topéra-comique,
M110 de Berny, MUo Pregi et M. "Warmbrodt. — Nous tenons à signaler l'audition
des élèves de piano de Mllc Henriette Thuillier, dans laquelle la Ballerine, le
Menuet de l'Infante, la Valse joyeuse et lAstrc des Nuits, de M. Paul Rougnon, ont été
brillamment exécutés en présence de l'auteur et à son entière satisfaction. — Sur
l'initiative et par les soins de M. Alexandre Batla, un superbe salut en musique a
été célébré, le 29 mai, dans la chapelle du château de Versailles, au profit de l'Asso-
ciation des artistes musiciens. Le programme, superbe, était défrayé par M™0 Alice
Cognault et M11" Alice Lavigne, MM. Batta, Maton, Emile Renaud, Berlhelier,
Mouliérat et Auguez. Ces deux derniers se sont fait vivement applaudir dans le
Crucifix, de Faure, et M. Mouliérat a obtenu aussi un grand succès dans l'O
Salutaris, du même compositeur.
NÉCROLOGIE
Nous annonçons avec regret la mort de Mmc Tardieu (née Charlotte-Eli-
sabeth d'Arpentigny de Malleville), qui s'est fait connaître et applaudir
sous le nom de Mu'° Tardieu de Malleville. Artiste fort distinguée, pia-
niste de bonne école, Mme Tardieu de Malleville avait obtenu dans nos
concerts des succès brillants et prolongés. Elle avait aussi publié plusieurs
gracieuses compositions. Elle est morte à Paris le 29 mai, à l'âge de 60 ans.
— Jeudi dernier, à la suite d'une cruelle maladie, est morte à quelques
lieues de Paris, dans un village où elle était allée réfugier ses souf-
frances, une artiste excellente, dont le public et les théâtres parisiens
conserveront longtemps le souvenir. M1"0 Laurence Grivot, la femme du
joyeux trial de l'Opëra-Comique, avait tenu une grande place sur nos
scènes de genre, et l'on se rappelle, avec sa dernière et toute récente
création au Gymnase dans Paris fin de siècle, le grand succès qu'elle avait
obtenu à ce théâtre dans l'Abbé Constantin. Elle avait passé aussi avec
grand succès sur plusieurs de nos scènes d'opérette, où elle fut très re-
marquée dans Madame l'Archiduc et la Jolie Parfumeuse. Atteinte d'un
cancer à l'estomac, M1"" Grivot a succombé, dans toute la force de l'âge
et du talent, à ce mal terrible et sans remède.
Henri Heugel, directeur-gétant.
3089 — S6rae tsm — \° M.
Dimanche \'i Juin 1890.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉN
LE
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco q M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un on, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr.-, Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sua.
S0MMAIEE -TEXTE
I. Notes d'un librettiste : Georges Bizet (5° article), Louis Gallet. — II. Semaine
théâtrale: Ballet à l'Opéra; le Rave, de M. Gastinel, II. Mobeso. — III. La mu-
sique et le théâtre au Salon du Champ-de-Mars (5° article), Camille Le Sensé.
— IV. Le théàlre à l'Exposition (25e article), Arthur Pougik. — V. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
SUZON
nouvelle chanson de Joanni Perroxnet, paroles de M"" A. Perronnet. —
Suivra immédiatement : Cri'puscule, nouvelle mélodie de Darnston, poésie
de ROSESIONDE GÉRARD.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano: Dansons la Tarentelle, de A. Trojelli. — Suivra immédiatement:
Un Sourire, de Ed. Chavagxat.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
GEORGES BIZET
Bizet wagnérien! que pensent aujourd'hui de ce jugement
ceux qui l'ont prononcé? N'était-il pas plutôt de la famille de
Schumann que de celle de Wagner, et surtout n'était-il pas
bien lui-même?
Quand cette réflexion me revient à l'esprit, dans ce voyage
que tout homme aime à faire de temps en temps à travers
ses souvenirs de jeunesse, elle me fait relire un des plus
délicieux articles qu'ait jamais écrits Ernest Reyer. Il y a là,
à côté d'une appréciation sur la caractéristique du talent de
Bizet, une page d'une merveilleuse justesse, sur ce qu'on
appelle en matière de musique dramatique la « couleur lo-
cale ». Cette page, dont j'ai parlé bien des fois à propos de
tel ou tsl ouvrage, je m'étais prorais de la reproduire un jour
et je saisis avec empressement cette occasion de l'extraire de
la volumineuse collection des Débats :
« Voilà bien la vraie musique orientale, telle que l'ont
comprise du moins ceux qui, étant allés dans le pays même,
en ont rapporté des souvenirs. Elle est vraie, non par l'imi-
tation de certains effets d'instruments sui generis, non par
l'emploi d'une gamme toute différente de la nôtre, mais bien
par l'accompagnement qu'elle fait au paysage que notre ima-
gination évoque ou au tableau qui passe sous nos yeux. C'est
une vérité un peu de convention, un peu habillée, si l'on
veut, mais une vérité qui tieot compte de la délicatesse de
nos oreilles et de la nature des sensations musicales aux-
quelles nous sommes habitués. D'ailleurs, ne sait-on pas que
toute musique qui se déplace, qui change de climat, perd de
son influence en perdant de sa poésie et quelquefois même
change de caractère. La poésie dé la musique d'Orient, c'est
l'immensité du désert ou la fraîcheur de l'oasis, c'est le
minaret qui chante, c'est l'eau du fleuve où les ibis vont
boire, c'est le bleu du ciel, c'est le soleil que ne peuvent
remplacer au théâtre ni la rampe lumineuse, ni toutes les
féeries de la mécanique et du pinceau. Vous ne ferez pas,
malgré toutes vos combinaisons plastiques, malgré tout votre
art de mise en scène, qu'étant dans une loge de l'Opéra-
Comique je me croie dans une maison du vieux Caire ou sur
les bords de l'île de Philœ. Le théâtre ne donne pas à ce
point des illusions à ceux qui admirent la nature, et voilà
pourquoi ceux-là vont les chercher, quand ils peuvent, ces
chères illusions, dans l'audition d'une belle symphonie qu'ils
écoutent, les yeux fermés...
« Est-ce que les Parisiens qui ont été entendre les musiciens
du Caire ou de Constantinople à l'Exposition universelle se
figurent par exemple qu'ils ont une idée de la musique arabe
et des sensations qu'elle produit? Vraiment, il n'est pas
besoin de tant d'inspiration, de tant de science et de toutes
les ressources de nos instruments pour nous faire goûter un
chant de batelier sur le Nil; mais alors conduisez-nous au
bord du Nil. Ici, dans ce milieu très civilisé, il faut absolu-
ment, pour qu'elle nous charme, que votre musique arabe
se civilise ; il faut qu'elle prenne la forme la plus suave, la
pins poétique; si, sous prétexte de couleur locale, d'origi-
nalité, que sais-je? vous faites du réalisme, vous blesserez
notre oreille et nous ennuierez fort jusqu'à ce que vous ayez
fini votre parodie. »
Il me semble qu'on ne saurait dire plus finement ni plus
juste.
« M. Georges Bizet, continue le critique, n'est pas tombé
dans une faute si grossière, et il s'est mis en frais de science
et d'inspiration pour écrire ce lever de rideau de Djamileh,
qui est d'une suavité, d'un charme incomparables. Et c'est
pour celte raison que je ne le compare à rien qui ait été fait
dans ce genre-là.
» Ailleurs, M. Bizet voudra être plus réaliste et nous
charmera moins; puis il abandonnera tout à fait l'Orient et se
lancera en plein germanisme. Faut-il dire en plein wagné-
risme? Oui, car j'ai senti passer comme un souffle des Maîtres
Chanteurs dans certaines pages de Djamileh. »
— C'est le souffle de Gounod qui passe...
— Eh quoil s'écriera un troisième observateur, ne recon-
naissez-vous pas la manière de Robert Schumann?
« Nulle part, ce n'est à proprement parler une réminis-
cence; c'est,. si l'on veut, une préoccupation. Etj'entends dire
486
LE MÉNESTREL
par là, que lorsqu'on se préoccupe un peu trop de ne pas
faire comme tout le monde, on finit toujours parfaire comme
quelqu'un. A tout prendre, ou plutôt à prendre quelque chose,
Wagner, Gounod et Schumann ont du bon, et j'estime aussi
que le musicien qui trébuche en faisant un pas en avant
est plus digne d'intérêt que celui qui nous montre avec quelle
aisance il sait faire un pas en arrière.
» Mais mon ami Bizet n'est pas de ceux qui trébuchent
jamais; il a, pour le soutenir dans ses hardiesses comme dans
ses défaillances, une connaissance approfondie des secrets de
l'art, une habileté, une sûreté de main que deux ou trois
tout au plus parmi les jeunes possèdent au même degré que
lui. Et encore me paraît-il tenir la tète de la jeune école. Ses
partitions des Pêcheurs de Perles et de la Jolie Fille de Perth
lui ont donné le pas sur des compétiteurs moins heureux ou
moins habiles que lui. Djamileh, quelle que soit sa fortune,
marque une étape nouvelle dans la carrière du jeune maître.
Il y a dans cet ouvrage plus que la manifestation d'un talent,
il y a l'expression d'une volonté. Et je crois que si M. Bizet
apprend que son œuvre a été appréciée par un petit nombre
de musiciens jugeant sans parti pris, il en sera beaucoup
plus fier que d'un succès populaire. »
Bizet eut, dans les suffrages de ses amis, de quoi se con-
soler de quelques méchancetés de la presse musicale.
Camille Saint-Saëns, qui donnait en même temps à l'Opéra-
Comique son premier ouvrage : la Princesse jaune, et qui aimait
en Bizet l'homme et le musicien, lui adressa, à propos de
Djamileh, ce sonnet que j'ai une fois cité dans une de mes
chroniques, mais qui n'est point assez connu pour que j'hé-
site à le donner ici :
Djamileh, fille et fleur de l'Orient sacré,
D'une étrange guzla faisant vibrer la corde,
Chante en s'accorajiagnant sur l'instrument nacré
L'amour extravagant dont son âme déborde.
Le bourgeois ruminant dans sa stalle serré,
Ventru, laid, à regret séparé de sa horde,
Entr'ouvre un œil vitreux, mange un bonbon sucré,
Puis se rendort, croyant que l'orchestre s'accorde.
Elle, dans des parfums de rose et de santal,
Poursuit son rêve d'or, d'azur et de cristal,
Dédaigneuse à jamais de la foule hébétée.
Et l'on voit, à travers les mauresques arceaux,
Ses cheveux dénoués tombant en noirs ruisseaux,
S'éloigner la houri, perle aux pourceaux jetée.
Juin 1872.
Camille Saint-Saëns n'écrivit alors que trois copies de ce
sonnet, une pour Bizet, l'autre pour du Locle, qui lui fit les
honneurs d'un album où tous les poètes n'étaient point faci-
lement admis, et la troisième pour moi. Je la reçus, superbe-
ment calligraphiée sur vélin, en un rouleau lié d'un lacs de
soie orange, scellé d'un sceau de cire rouge où s'entrecroi-
saient comme des serpents les deux §, initiales du compo-
siteur poète, très curieux de ces petits détails archaïques,
comme il l'est des enluminures et des dessins fantaisistes
dont il accompagne ses lettres familières, quand la musique
lui fait des loisirs.
Au lendemain de Djamileh, les artistes reçurent de nous un
petit souvenir bien modeste: Djamileh, un éventail, Haroun,
un couteau arabe, et Splendiano, un porte-cigare garni.
Splendiano, c'était Potel, amusant compagnon, artiste in-
telligent, chanteur de moyenne force, classé comme trial,
mais ayant des prétentions à compter comme ténor , titra
mieux fait pour flatter son amour-propre.
Quand les épreuves de la partition arrivèrent au théâtre,
de chez l'éditeur Choudens, Potel remarqua avec indignation
cette indication sur la distribution :
Splendiano.— M. Potel, trial.
Il entreprit Choudens, qui n'en voulut pas démordre; il
s'adressa à du Locle et à Bizet, qui ne réussirent pas à le-
calmer. Puis, soudainement, il devint muet. Il avait son
plan.
Et quand la partition fut mise en vente, Choudens, qui
croyait avoir gagné la partie et qu'on ne prenait pas com-
munément au piège, lut avec stupeur, sur la première page,
cette triomphante mention.
Splendiano. — M. Potel, ténor.
Potel était allé tout bonnement chez le graveur et, d'auto-
rité, il avait fait la correction sur le bon à tirer.
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
Ballet a l'Opéra. — Le Rêve, de M. Gastinel.
Pauvre Ritt! Pauvre Gailhard ! Quelle, secouée encore, cette se-
maine. On est vraiment trop dur pour ces estimables directeurs,
qui sont pourtant la fleur de la chevalerie et de l'industrie fran-
çaises. La Commission consultative des théâtres leur fait grise mine,
et le Budget montre les dents; il semblerait qu'on veuille leur
rogner de leur bonne subvention. Clemenceau est acharné dans
l'attaque, et Proust Antonin assez mol pour la défense. Albert Del-
pil, du Figaro, les régale d'un véritable réquisitoire, qui ne comporte
pas moins de trois colonnes du journal, où sont marqués un à un
tous leurs manquements au cahier des charges. D'autres emboîtent
le pas. Et Gailhard ne sait plus où donner de la tète ; c'est en vain
qu'il se confond en platitudes de toutes sortes, qu'il se prosterne
aux genoux de Constans, qu'il écrit des lettres éplorées aux pen-
sionnaires de son théâtre qui ne veulent plus de lui, qu'il promet
tout ce qu'on voudra, quitte à ne rien tenir, son attitude piteuse ne
parvient pas à désarmer les saintes colères amoncelées sur sa tète-
Le terrain se dérobe sous ses pieds, et l'heure de la justice imma-
nente semble avoir sonné pour lui et Gubetla, son vieux coruDÎice.
Et cependant il faut danser, sourire avec grâce et pirouet-
ter d'un air serein. Cet air, ce sera M. Gastinel qui le fournira avec
beaucoup d'autres. Qu'est M. Gastinel? Mais un fort galant homme,
qui cueillit des lauriers universitaires en 1846, année bénie qui lui
valut le prix de Rome au Conservatoire. 1846! C'estbien loin; mais il
ne faut pas croire que M. Gastinel soit resté inactif depuis cette
époque. 11 a écrit beaucoup et dans tous les genres. Il a passé par
l'Opéra-Comique, par le Théâtre-Lyrique et même par les Bouffes-
Parisiens, y laissant partout des traces aimables de son talent; les
pages plus lourdes de son bagage, telles que messes, oratorios, mu-
sique de chambre, gros opéras, sont restées au fond de son porte-
feuille, où leur poids même les retenait majestueusement. Mon
Dieu, M. Gastinel, qui est surtout rentier avant d'être musicien, n'a-
pas fait de grands efforts pour les en faire sortir, il faut lui rendre
cette justice. Il sait ce qu'a d'ingrat la carrière de compositeur; sa
modestie, et sa philosophie ne se sont jamais effarouchées de l'oubli
où on semblait le confluer. Charmant vieillard couronné de roses,
il souriait dans l'intimité à ses compositions qui lui rendaient tous
ses sourires; et ni l'auteur, ni ses enfants ne s'aperçuient jamais
des rides qui se glissaient au milieu de la fraîcheur et des grâces
pouponnes de leur gentille personne. Tout allait bien, quand M. Ritt,.
qui a des tendresses naturelles pour les hommes de sa génération,
alla troubler cette quiétude en réclamant de son vieil ami un ballet
scintillant qui fit pâlir de jalousie tous les jeunes malfaiteurs es mu-
sique de cette fin de siècle. Alors, qu'est-il arrivé? C'est que
M. Gastinel, qu'on avait laissé trop à l'écart, confiné dans ses ma-
nuscrits et replié sur ses œuvres amoncelées, a écrit, en 1890, la
partition qu'il eût écrite en 1847 au sortir du Conservatoire, si on
se fût adressé alors à la primeur de ses talents. Les temps ont
marché, des révolutions se sont accomplies, mais M. Gastinel, immo-
bile, est resté étranger aux mouvements qui se produisaient autour
de lui; il est toujours le jeune lauréat d'antan. C'est pourquoi il est
inutile de chercher dans la partition du ttëve tous les raffinements,,
toutes les curiosités, toutes les surprises, tout le ragoût 'auxquels nous
ont habitué un Léo Delibes, un Widor ou un Théodore Dubois. Mais il
doit certainement s'y trouver autre chose, puisque la partition, publiée
avec beaucoup d'élégance chez l'éditeur Hartmaun, ne comporte
pas moins de 133 pages. Vous ne me ferez pas croire qu'on imprime
133 pages de musique sans rien mettre dedans. Et tenez, jo vous-
LE MENESTREL
487
•signale à la page 108 « la Mikagoura, pas japonais » qui n'est pas
d'une couleur musicale d'un japonais bien accentué, mais qui est
■assurément une petite inspiration originale qui mérite d'être mise
hors pair. Et puis, vous trouverez partout ailleurs répandue une grande
facilité. M. Gastinel n'est pas un musicien gêné dans les entour-
nures; les idées sont chez lui nomme dans un sac, d'où il n'a qu'à
les tirer au hasard.
Voulez-vous qu'à présent nous parlions de l'affabulation qui a
servi de thème aux inspirations du musicien. Pourquoi pas ? J'ai
■des lecteurs qui tiennent à ce qu'on leur raconte tout. Sachez donc
que Daïta est une petite japonaise qui ressemble fort à une petite
parisienne. Elle est curieuse et coquette; sa curiosité la porte à
vouloir approfondir les mystères de la « Déesse des Flots bleus »,
sa coquetterie à se faire aimer du seigneur Sakouma, bien qu'elle
•ait un fiancé, Yokio, qui naturellement en enrage. Ysanami, déesse
des flots bleus, entreprend de la corriger de ces deux défauts. Elle
lui procure un rêve qui commence agréablement au milieu des
-ébats nautiques dos jeunes nymphes des eaux, mais qui finit dans
un affreux cauchemar, où elle voit le terrible Sakouma percer
•d'une flèche le pauvre Tokio accouru à son secours. Dat'ta se ré-
veille heureuse d'avoir échappé à tant de dangers imaginaires, et
désormais elle sera sage comme une image.
Bien que tout cela soit présenté fort gracieusement par le poète
Edouard Blau, nous ne pouvons trouver là autre chose qu'un de
ces petits divertissements auxquels nous ont habitués MM. Ritt et
Gaillhard et qui ne remplacent que fort imparfaitement les grands
et beaux ballets qu'on représentait autrefois. C'est l'école des Folies-
Bergère appliquée dans toute son horreur à l'Académie nationale
de musique. Je voudrais bien savoir pour combien figurera ce ballet
au chapitre des dépenses de l'Opéra. On a pris les costumes de ci
de là, dans les défroques du ballet Yedda, autre japonaiserie repré-
sentée il y a quelques années; et je compte en tout un seul décor,
avec deux fonds différents. Et M. Ritt appelle cela pompeusement
iun « ballet en deux actes et trois tableaux » ! C'est se tirer à bon mar-
ché des obligations du cahier des charges.
Le vrai, le seul régal de celte soirée maussade a été Mlle Mauri,
plus en grâce que jamais, légère, aérienne, et charmante au pos-
sible. Il faut la voir dans son pas japonais, « la Mikagoura », dé-
ployer toutes les séductions de sa danse merveilleuse. Rien que cela
vaudrait le voyage à l'Opéra, s'il ne fallait à côté affronter l'ennui
de tant d'autres pages insipides. Une mention encore à Mlle Inver-
inizzi, qui mime très spirituellement, et puis restons en là si vous le
voulez bien.
H. Moreno.
LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE
AU SALON DU C H A M P - D E ~ M A R S
(Cinquième article.)
La mise en scène picturale dont j'ai longuement parlé à propos du
"hall des Champs-Elysées occupe au Champ-de-Mars une place moins
importante, mais encore appréciable : voici, par exemple, les tableaux
de M. Toulmouche, cinq études féminines d'une modernité toujours
un peu maniérée, mais d'une observation évidemment sincère, et qui
semblent des illustrations toutes prêtes pour un recueil de comédies
de salon. De M. Frappa, quelques fantaisies genre Vibert et une
composition anecdotique d'une cerlaine importance : le bureau de
nourrices; le médecin au milieu du troupeau des nounous, tandis que
le papa, interloqué, nerveux, mord le bout de sa canne; de M. Jean-
mot: le « vieux ménage », les vrais Philémon et Baucis; de M. José
Pando, a En attendant le beau temps », des masques de carême arrêtés
dans un cabaret; de M. Louis Dtschamps tout ce qu'il y a déplus nou-
veau en fait d'enfants pour album familial et ancien théâtre Comte :
l'enfant au canard, l'enfant qui traîne le chapeau de la maman, sans
compter une Marguerite en prières, une Gretchen dans sa première
fleur d'ingénuité. Tout cela très gentil, très attirant, et même d'une
excellente écriture d'artiste. Du Lobrichon qui atteindrait au style.
M. Edouard Sain a peint une grande tarentelle d'exécution fort
complexe : la couleur de Léopold Robert, les enfants des tableau-
tins néo-grecs d'Hamon, les figures de jeune fille dans le goût de
Raphaël Colin. De M. Clément une curieuse danse arabe et de
Mme Fanny Fleury une étude à la Béraud, « la Chanson moderne »,
Mealy de l'Eldorado. A. signaler aussi les danseuses de M. Georges
Roussin, la leçon de plain-chant de M. Moreau Nélaton, la leçon de
guitare de M. Lecointe et de bien amusantes marionnettes fort gen-
timent peinturlurées: les « musiciens japonais » de M. Moore-Huni-
phrey. La « danseuse à sa toilette » de M. Willy-Mart^ns ne manque
ni d'observation ni de jolis détails... Encore de la mise eu scène :
« la Cour d'appel », de M. Salzedo, avec plaidoirie de l'avocat, et la
« Distribution des prix » de M. Aimé Perret, une grande paysanne-
rie visiblement disposée pour l'effet. De M. Dubufe fils un bon
panneau décoratif : acquis pour le plafond du foyer du Théâtre-Fran-
çais. De M. Aublet de petites scènes de la Vie Parisienne aux bains
de mer, fort joliment troussées : le canal du Tréport, les jetées, la
planche, et « A l'eau », (du Pelez, première manière, bonne manière),
en négligeant certain grand décor luministe intitulé « la Fête-Dieu »,
la cueillette des roses, dans un jardin aux verdures outrancières,
par une demi-douzaines de jeunes personnes en robe de gravure de
mode. Trop de papillotement, trop de transparence. C'est de la chair,
les plus belles roses; ce n'est pas du verre. Et c'est encore de la
chair, les plus jolies femmes; ce ne sont pas des lanternes même
magiques. Autre décor plus réussi d'un Munichois, M. Stœker,
un tableau qui ne sent vraiment pas la Nymphenburger Strasse : la
« Religieuse », grande composition dont certains détails rappellent les
procédés d'Emile Adan et dont l'ordonnance générale fait penser
aux strophes de Théophile Gautier :
Au fond du parc dans une ombre indécise,
Il est un banc solitaire et moussu...
La religieuse de M. Stacker y rêve en égrenant son rosaire, et,
sur le tapis de feuilles mortes qui couvre l'allée, dorment des flaques
lumineuses. N'oublions pas, pour les amateurs de l'aneedotisme
historique, les tableaux de M. Delort : « les Fugitifs s (émigrés sur
la côte bretonne), « Retour de l'escadre » (curieuse restitution des
modes premier Empire), très habiles malgré la surcharge des dé-
tails amusants et des accessoires.
Un grand nombre de numéros intéressants à la section des dessins,
aquarelles, pastels, etc. M. Pierre Carrier-Belleuse est un des peintres
attitrés du petit monde des ballerines, avec sa suite de pastels :
« la Toilette »; « l'Attitude » (classe de l'Opéra); « Dans la loge »,
danseuse tirant son maillot; les « Chaussons neufs »; etc. Très re-
marquable aussi, d'un faire délicieux et d'une rare sûreté d'observa-
tion, l'envoi de Mme Marie Marshall. L'excellent professeur de chant
a fait là une heureuse incursion dans le domaine du pastel, et le
« Modèle au repos » comptera parmi les œuvres de style du palais des
Beaux-Arts. Autre pastel à mentionner : « la Comédie », de M. Perret.
M. Renouard expose une suite de dessins d'aspect original, comme
toujours, et de très vivante allure : « Soutien de famille » et
« Croquis de Drury-Lane », pantomimes à Londres. M. Forain nons
montre les originaux de deux douzaines d'études à la Gavarni où>
le corps de ballet déjà esquissé par M. Carrier-Belleuse occupe
une certaine place. Aux miniatures, un portrait de Sarah Bernhardt
dans Jeanne d'Arc, par MUo Pothin-Labarre ; de Pierrina Tamburini
une étude d'après M"0 Mars et un portrait de Mm6 Morio, du
Théâtre-Italien.
A la gravure, quelques envois de premier ordre, et tout d'abord
les Marcellin Desboutin : « Le Flûtiste », d'après Franz Hais, et
« le Flûtiste »; de M. Le Rat, « l'Enfance de Chopin », d'après
Gow; de M. Bellenger, « Orphée et Eurydice », d'après Watts.
M. Auguste Moru nous montre, dans un cadre, douze gravures
d'après Guillaume Dubufe fils, pour le théâtre d'Emile Augier. De
M. Théodore Roussel, une eau-forte c Pierrot en pied », qui est
d'ailleurs un portrait de lady. De M. Baud, « Beethoven », puis « les
Mages », série de portraits en préparation; de M. Egusquiza, une
eau-forte, « Richard Wagner ».
A la sculpture, l'exposition la plus importante est celle de
M. Jean Baffier, le vigoureux artiste berrichon. Il n'a pas envoyé
moins de dix-huit œuvres, qui mériteraient toutes une étude dé-
taillée. M. Baffier est le poète du travail aux champs : c'est aussi
un joyeux vivant, un Gaulois, un grand beuveur et rieur; aussi
chante-t-il Rabelais, Armand Silvestre et les maîtres sonneurs de
musette et de vielle du Nivernais et du Berry. La « Dernière
Nymphe », de M. Michel-Malherbe, sommeille doucement, couchée
dans l'herbe :
Dors dans l'enchantement de tes formes sacrées,
Les dieux n'habitent plus la grande ombre des bois...
De M. Rodin, une Danaïde qui a l'air d'une Madeleine en pleurs
— ot en chair — ; de M. Ringel d'Islach, un bronze fort suggestif :
la « Perversité » ; de M. Cordonnier, une Electricité suffisamment
moderne et une Obsession qui ne manque pas de qualités drama-
tiques. De M. Alfred Lenoir, un buste d'Edmond de Goncourt, dur
188
LE MENESTREL
et tragique, un autre buste de Daumier, fin et souriant. Et c'est
tout. Les statuaires n'ont pas déserté la nef du palais de l'Indus-
trie; les insurgenls sont eu petit nombre au Champ-de-Mars. . .,
une élite, un état-major, si vous voulez. Mais un élat-major sans
soldats.
(A suivre.) Camille Le Senne.
LE THEATRE A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889
(Suite.)
LE KAMPONG JAVANAIS
Les acteurs annamites, les gitanas de Grenade, la troupe égyp-
tienne du Grand-Thoàtre-Intcrnational ont excité chez tous les visi-
teurs de l'Exposition, Français ou étrangers, une curiosité ardente,
parfois un véritable intérêt artistique, surtoat un vif désir de con-
naître ce dont jusqu'alors ils ne se faisaient aucune idée. Il y a
quelque chose de plus, un sentiment indéfini et tout particulier, de
la part de ce public cosmopolite, à la fois naïf et sceptique, en
ce qui concerne les étranges et charmantes petites danseuses qui
ont attiré tant et tant d'amateurs au kampong javanais de l'Esplanade
des Invalides. Ici, à l'attrait de la nouveauté, au plaisir que causait
la vue d'un spectacle si curieux, si plein de grâce et de poésie, se
joignait une véritable sympathie, et comme une sorte d'affection
subite pour ces aimables créatures, pour ces quatre mignonnes fil-
lettes au teint bronzé, au sourire presque mélancolique, au regard
empreint d'un vague étonnemeut, qui ravissaient les yeux par leur
danse tout ensemble chaste et langoureuse, par leurs attitudes vir-
ginales, par leurs poses et leurs évolutions d'un caractère si mysté-
rieux et d'une si étonnante souplesse. On sentait instinctivement —
et c'est là que gisait la différence avec tout ce qu'on voyait ailleurs
— que l'innocence et la pureté de tous ces êtres frêles et délicats
ne pouvait être mise en doute, que leur physionomie pudique
révélait la candeur de leur ùme, et de là résultait le mouvement
sympathique qui était aussitôt éveillé de tous côtés en leur faveur,
le sentiment presque touchant qu'elles inspiraient à tous et à cha-
cun. Paris, qu'elles enchantaient littéralement, conservera longtemps
le souvenir des petites Javanaises qui l'ont si vivement charmé, et
elles resteront dans son esprit comme l'une des plus aimables sur-
prises que lui ménageait cette admirable Exposition de 1889.
Lorsque les commissaires hollandais eurent décidé d'organiser à
l'Esplanade des Invalides une exposition des Indes néerlandaises,
ils, songèrent à y joindre un élément tout particulier de curiosité
et d'attraction sous la forme d'un village javanais dans lequel on
amènerait des danseuses, danseuses qu'on n'avait jamais vues en
Europe. La chose n'était pas très aisée, les Malais s'expatriant dif-
ficilement et craignant toujours de s'éloigner de leur pays. Grâce à
l'obligeante intervention du gouvernement colonial, tout s'arrangea
cependant. On obtint sans trop de peine l'assentiment de quelques
artisans indigènes, mariés pour la plupart, qui consentirent à s'em-
barquer avec leurs femmes pour venir à l'Exposition, où ils peuple-
raient le kampong. Les difficultés furent plus grandes en ce qui
touche les danseuses; de ce côté pourtant on finit aussi par aplanir
les obstacles, en s'adressant au prince Mangko-Negoro,l'uu des rares
souverains de Java auxquels, avec quelques revenus, les Hollandais
ont laissé un semblant d'indépendance et d'autorité. Ce prince, qui
réside à Solo, entretient à son service un ballet de viogl-huit
danseuses; il en détacha quatre, qu'il autorisa non seulement à
venir à Paris, mais à emporter leurs costumes de cour et de céré-
monie, costumes parfois très coûteux, en raison des riches ornements
dont il sont surchargés. Elles furent amenées en France par une
personne qu'elles connaissaient bien, M. Bernard, qui devait avoir
la direction du village javanais, et qui, familier avec leur langage
et leurs coutumes, ne cessa de les entourer de soins et d'une sol-
licitude toute paternelle. Chacune d'elles touchait 80 francs par
mois, et leurs pères et mères, qui les accompagnaient, en recevaient
chacun quarante. Il va sans dire que tous étaient nourris et logés
aux frais de l'administration.
Ces quatre danseuses avaient nom Tamina, Wakiem, Ayou, soeur
de celle-ci, et Sariem. Cette dernière était fille d'un des musiciens
de la troupe et d'une Malaise encore jeune, ouvrière très habile en
son genre, qu'on pouvait voir le matin, dans le village, assise sur le
sol, traçant sur des étoiles les dessins les plus étonnants avec un
stylet de roseau, trempé dans de la cire liquide. Elles étaient toutes
fort jeunes, car lamina, l'ainée, avait dix-sept ans à peine, et
"Wakien, la plus jeune, n'en avait que douze. Toutes quatre appar-
tenaient à la première classe de leur profession, les Sarimpi, sorte
de caste privilégiée, dont les membres naissent, vivent et meurent
sur les domaines du prince. Dès leur enfance on les forme au genre
de danse qu'elles doivent exercer, elles restent vierges et jouissent
d'une grande considération, au rebours des danseuses publiques,
dont j'aurai l'occasion de parler tout à l'heure, et qui, libres de
leur personne et de leur conduite, et profitant de celte liberté,
sont entourées d'une estime médiocre.
Tamina et ses trois compagnes étaient de race javanaise pure,
ce qu'on reconnaissait, au diie des initiés, à leurs yeux noirs un
peu bridés, à la pelitesse de leur taille, à la teinte brune légèrement
cuivrée de leur peau, enfin à la forme de leur nez, qui n'est pas
écrasé comme chez les individus des autres races océaniennes. Chez
elles la gorge est peu développée, le buste n'est pas toujours irré-
prochable, mais les extrémités sont fines, les attaches délicates, et
tous leurs mouvements, leurs attitudes, leurs gestes se font remar-
quer par une grâce pleine de langueur tt de morbidesse (1).
Le kampong javanais (2), fort intelligemment installé par M. Martin
Wolff, l'un des membres de la commission hollandaise, était situé
à l'extrémité de l'esplanade des Invalides, au delà du village cochin-
chinois, tout à côté du panorama de Tout-Paris. Je n'ai pas à le
décrire ici, prétendant ne m'occuper que du spectacle qui surtout y
attirait les amateurs. Au milieu même du village s'élevait un grand
pavillon à colonnes de bambous : c'était la salle où avaient lieu les
danses, accompagnées d'une musique étrange, parfois bizarre, faite
assurément pour étonner nos oreilles européennes, accoutumées à d'au
très résonances, à d'autres sonorités, mais qui n'était pas toujours
sans douceur et sans charmé. Cette musique n'était pas la même, ni
jouée avec les mêmes instruments que celle qui se faisait entendre
au dehors lorsqu'arrivait l'heure des représentations. Au moment
où l'une de celles-ci allait commencer, une petite bande de musi-
ciens faisait le tour du kampong, à la grande joie du public, en
agitant leurs ank/angs ou ang-klongs. instruments singuliers, faits
de tuyaux de bambous de longueurs diverses, qui rendaient un son
sec et mat, très net, mais sans intonation appréciable, et dont l'en-
semble produisait comme une sorte de grelottement doux, assez
semblable à celui de nombreuses clochettes de bois.
A cet avertissement, bientôt connu de la foule, la salle se rem-
plissait en un instant. Au milieu de cette salle s'élevait une plate-
forme carrée : c'était la scène où les danseuses devaient évoluer.
Tout au fond de cette scène se trouvait groupé l'orchestre des musi-
ciens accompagnants, avec leurs rebabs, leur gamelang, leurs
gongi, etc. Vêtus d'une espèce de veston de toile, avec un long
sarong, pièce d'étoffe de couleur qui s'enroule autour des jambes et
tombe jusqu'aux pieds, la tète coiffée d'un turban fait d'un foulard
(1) Pour ces Javanaises, comme pour nos Européennes, la toilette est
une affaire d'importance , et elles y emploient un temps considérable.
Une partie surtout de cette toilette, celle qu'on pourrait appeler le « ma-
quillage, » est de leur part l'objet d'un soin extrême, et nos danseuses
s'y livraient chaque jour, avant d'entrer en scène, en une longue et sé-
rieuse séance. Elles n'y apportaient du reste point trop de mystère, et le
promeneur hâtif qui parcourait le malin l'esplanade pouvait les voir, ca-
quetantes et joyeuses, installées sur le balcon do leur case, dans leur
négligé de première heure, procéder à la... décoration très compliquée
de leur visage. Les bras, le col, le haut de la poitrine déjà passés au
safran, ce qui donnait à leur peau naturellement basanée un beau teint
doré plein de chaleur, elles commençaient par lisser, avec de petites
brosses trempées dans l'encre de Chine, leurs beaux cheveux soyeux,
longs et noirs, qu'elles relevaient élégamment sur la nuque, pour les
emprisonner plus tard dans leurs coiffures bizarres. Cela fait, elles pre-
naient un miroir, et se livraient à l'opération délicate de la peinture.
Entourées d'une foule de petits pots et d'ingrédients de toutes sortes : eau
amidonnée, teinture de safran, encre de Chine délayée, bâtons de noir de
fumée, pinceaux, tampons, etc., elles étalaient d'abord sur toutle visage une
espèce d'empois, puis, à l'aide du pinceau, passaient sur le front, sur la ré-
gion des tempes et sur les joues, en avant des oreilles, une couche d'encre
de Chine qui s'avançait en pointe vers l'extrémité des sourcils, pour simuler
en bas, vers la joue, une longue mèche de cheveux légèrement recour-
bée; puis, pour que cette mèche se détachât avec netteté,, elles en
essuyaient lus bavures au moyen d'un petit tampon de laine, et l'entou-
raient d'uno mince couche de blanc étendue sur la peau voisine. Le des-
sin des sourcils, très minutieux, très artistique, venait ensuite, réclamant
toute leur adresse, ut elles terminaient enfin cette partie si importante
de leur toilette en plaquant délicatement sur le front, au-dessus do la
racine du nez, une petite mouche noire. Tout cela fait, elles n'avaient
plus, avec le même soin et la même patience, qu'à revêtir le riche cos-
tume sous lequel elles devaient su montrer au public.
(i) Kampong : village.
LE MÉNESTREL
LS9
bariolé qui se roule daus les cheveux, ils étaient là, accroupis
devant leurs instruments, fumant avec placidité leurs longues ciga-
rettes odorantes enveloppées de feuilles de maïs.
(A suivre.) Artihjh Pougin.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Nouvelles de Londres. — Les Maîtres Chanteurs ont retrouvé à Covent-
Garden leur gros succès de la saison dernière. Sans rechercher les éléments
divers de popularité de cette partition remarquable, il faut constater que
l'interprétation actuelle est absolument supérieure, et qu'elle a été rare-
ment égalée, même en Allemagne. M. Jean de Reszké est un Walther
exquis; M. Lnssalle un Hans Sachs superbe comme chanteur et comme
comédien ; M. Montariol plein de vivacité dans le rôle de David et chan-
tant très habilement sa partie si importante;' enfin M. Isnardon un excel-
lent Beckmesser, franchement amusant, sans jamais verser dans la charge.
On voit qu'en ce qui concerne surtout les principaux interprètes, on au-
rait eu fort avantage à adopter la version française de cette comédie mu-
sicale, quelque peu alourdie en italien. Après M"10 Albani, c'est Mmc Ta-
bary qui est chargée du rôle d'Eva : elle est dépourvue de certaines
qualités essentielles à la gentille héroïne de Wagner, la fraîcheur et le
charme, mais la cantatrice est expérimentée et a très bien mené le fameux
quintette du dernier acte. M. Mancinelli parait avoir encoie pioché cette
volumineuse partition et a sagement rétabli certaines coupures excessives
de l'année dernière. — Mardi dernier, M",e Melba s'est essayée pour la
première fois dans le rôle d'Eisa de Lohengrin. Très bien costumée et fort
gracieuse, elle a témoigné d'une grande intelligence dramatique dans
l'interprétation du rôle. Elle en a aussi chanté les parties douces ou ten-
dres dans un style charmant. Mais le rôle est écrit trop bas pour sa voix,
et elle a souvent manqué de souffle et d'ampleur dans les ensembles. Le
reste de la représentation a beaucoup laissé à désirer : M. Jean de Reszké,
visiblement enroué, avait dû réclamer après le premier acte l'indulgence
du public, et tous les autres paraissaient plus ou moins mal disposés,
surtout le héraut, qui faisait peine à entendre. — M" Richard fait sa
première apparition, vendredi, dans la Favorite, en français, secondée par
MM. Ibos et Cobalet. La reprise si attendue du Prophète est ûxèe au
23 juin. — Les concerts se suivent avec une rapidité vertigineuse, mais la
saison est peu favorable aux artistes de second plan ou à tous ceux qui
n'ont pas encore su imposer leur talent au public assez rebelle de la
métropole. MM. Sarasate et Paderewski sont les deux principaux triom-
phateurs du moment. M. Sarasate, avec ou sans orchestre, exerce toujours
une attraction puissante sur le public, particulièrement sur la partie fémi-
nine. Quant à M. Paderewski, il a du lutter à force de talent pour avoir
raison des partis pris de la critique locale, et le succès énorme de son
dernier concert le décidera sans doute à se faire entendre encore avant
la fin de la saison. — Mme Roger-Miclos, dont le talent fin et distingué
est de plus en plus apprécié à Londres, a donné un excellent concert
cette semaine avec le concours du violoniste Johannes "Wolff. — R faut
signaler aussi le concert d'une jeune violoniste française d'avenir, Mllc Isa-
belle Levallois, élève du regretté Léonard. A. G. N.
— Mm0 Adelina Patti, qui est actuellement dans sa propriété de Craig
y Nos, est indisposée à la suite d'un refroidissement qu'elle a pris durant
la traversée, à son retour d'Amérique. Elle a du résilier tous les engage-
ments qu'elle avait contractés pour la saison d'été.
— Le compositeur F.-JI. Cowen a été choisi pour juge dans un concours
institué par le journal anglais Puck, qui offre un prix de vingt guinées
pour la meilleure adaptation musicale d'un chant de ralliement destiné
aux vélocipédisles. Ce chant porte le titre bizarre du Démon de la roue tour-
noyante.
— Après s'être fait entendre au palais du Lord Mayor, à Londres, notre
jeune compatriote Pierre-René Hirsch vient de donner au Prince's Hall
delà même ville une séance de piano dont la presse anglaise est unanime
à. constater le succès. Parmi les œuvres qui composaient le programme
très varié de M. Hirsch, on a surtout applaudi la Vélocité de M. Mathias,
la Chaeonnc de M. Th. Dubois et les Novelelles de Schumann. — Le récital
de M""! Carreno à Sainl-James's Hall est également à signaler. La brillante
pianiste a été acclamée après le Joyeux Forgeron de Haendel, le Menuet de
Bocchcrini, et la Valse-Caprice de Kubinstein.
— Nous n'en avons pas fini avec l'enthousiasme délirant des Italiens
à l'égarl de leur jeune compatriote, le maestro Mascagni, l'auteur de
Cavalleria rustkana. Tous les journaux illustrés, le Secolo illuslralo, le Carro
di Tespi, le Cicérone, etc., publient à l'envi le portrait du triomphateur.
D'autres nous donnent, ce qui est peut-être plus intéressant, le chiffre
des recettes encaissées pour les sept représentations de Cavalleria ruslwana,
lequel ne s'élève pas à moins de 46,000 francs. D'autres oncore nous
apprennent que, se rendant do Rome àLivourne, sa ville natale, M. Mas-
cagni a été de la part de ses concitoyens l'objet d'une imposante mani-
festation ; il a dû se rendre auprès des autorités pour les remercier de
la réception qui lui était faite, et le soir, tandis que la ville était illumi-
née en son honneur, la musique éclatait sous ses fenêtres, une sérénade;
lui était donnée et une foule immonso applaudissait. Tout cela est à la
fois un peu enfantin et un peu excessif, car enfin, que pourra-t-on faire
de plus le jour où, ce que Dieu veuille, M. Mascagni donnera un pendant
à Wgolclto ou à Aida. Précisément, à propos de l'auteur à.' Aida et de Hi-
goletlo, un journal, l'Epoca, se laisse peut-être un peu trop emporter par
son imagination en racontant ce qui suit. Lorsque, selon ce journal, Verdi
apprit le succès do Cavalleria rustkana, il sortit de son impassibilité ordi-
naire et fit demander la partition de l'ouvrage que les Romains quali-
fiaient de chef-d'œuvre. L'ayant obtenue, il s'enferma dans son cabinet,
« exécuta au piano l'heureuse inspiration du jeune Livournais, l'éludii,
l'analysa, puis, renvoyant à l'auteur sa partition, l'accompagna de cette
seule phrase : Maintenant, je puis mourir lonlcnt. Giuseppe Verdi. » Après
celle-là il faut évidemment tirer l'échelle, et ce renouvellement d'un mot
jadis attribué à Mébul à l'égard d'Herold estdu plus heureux effet. Enfin,
ajoutons que l'on ne sait encore si c'est aux Danicheff, ou à Charlotte Corday,
ou à Severo Torelli, ou à la Tosco, ou à toute autre pièce française que sera
emprunté le livret du nouvel opéra commandé à M. Mascagni par l'éditeur
M. Sonzogno.
— De grandes fêtes viennent d'avoir lieu à Gatane en l'honneur de Bellini,
à l'occasion de l'inauguration du nouveau théâtre qui porte son nom.
Une foule nombreuse assistait à cette inauguration, la ville était en fête,
les rues étaient pavoisées et le soir brillamment illuminées. Le lendemain
s'ouvrait, dans quatre grandes salles du palais municipal, une grande
exposition entièrement consacrée à Bellini et qu'inaugurait un discours de
M. Di Bartolo, président du Cercle artistique. Nous citerons les suivants
parmi les nombreux objets qui figurent dans l'exposition bellinienne :
un bijou avec le portrait en miniature de la Malibran ; la médaille don-
née à Bellini par le roi de Naples François Ier; le portrait de Bellini,
miniature exécutée par la Malibran (?) ; deux montres en or et deux
cannes lui ayant appartenu ; la partition autographe du premier ouvrage
dramatique de Bellini, Adelson et Salvini, représenté au Conservatoire de
Naples; une épinette avec laquelle il étudia, à Catane, les premiers élé-
ments de la musique ; la médaille que la commune de Catane lui décerna
en 1829 ; l'autographe de la romance l'Abbandone et celui d'une autre
romance, composée en 1828; une lettre de trois pages, adressée à M. Cot-
trau en 1830, et dans laquelle il déclarait qu'il voulait dédier à Catane
son opéra Capuleti e Montecchi; la médaille que la ville de Paris fit frapper
expressément lors de la mort de Bellini ; la partition autographe des
Puritains; un piano qui lui a appartenu; un exemplaire de la partition
lilhographiée de Capuleti e Montecchi, avec son portrait sur la première
page, donné par lui à la ville de Catane ; etc., etc.
— Au théâtre Dal Verme, de Milan, a eu lieu ces jours derniers la première
représentation de deux petits opéras en un acte : il Veggente (le Voyant), paroles
de M. Gustave Macchi, musique de M. Enrico Bossi, et Editha, paroles de
M. Arkel d'après une nouvelle de Carmen Sylva, musique de M. Emilio
Pizzi. Ces deux ouvrages avaient été envoyés au concours Sonzogno, où
ils s'étaient trouvés classés parmi les six ou sept jugés les meilleurs à la
suite des trois choisis par le jury pour la représentation à Rome. Il ne
parait pas que le succès en ait été brillant, et la Gazzetla musicale, assez
indulgente à son ordinaire, les enterre elle-même avec une aimable poli-
tesse. « Les deux jeunes maeslri, dit ce journal, ont réussi à faire mettre
leurs ouvrages en scène au théâtre Dal Verme, et à les présenter ainsi au
verdict du public, après celui du jury de Rome. Le public milanais, très
bien disposé envers les auteurs, écouta avec intérêt, applaudit certains
passages des deux opéras, appela plusieurs fois sur la scène les deux
compositeurs, mais ne subit aucune de ces émotions profondes qui se
résolvent ensuite dans l'enthousiasme. Ce fut, en somme, un salut d'es-
time à deux musiciens distingués, qui ont su confirmer ainsi la bonne
réputation qui s'attache à leur nom ». Ce qu'on reproche aux deux ouvra-
ges, c'est la recherche de l'étrangeté, de la nouveauté à tout prix, qui les
entraine dans le baroque et dans l'incompréhensible. M. Bossi est un
organiste-compositeur que l'on dit fort distingué ; M. Pizzi est l'auteur
d'un William RadcU/je couronné dans un concours et représenté avec quel-
que succès à Bologne. Les interprètes de leurs opéras étaient Mmcs
Bonaplata, Baus etOthon, MM. Signoretti, Pessina et Bonfante.
Tjn autre opéra nouveau a été représenté à Milan, celui-ci au théâtre
Manzoni. Il a pour titre liaggio di luna et pour auteur un jeune artiste,
M. Franco Leoni. Son insuccès a été complet, et un journal croit pouvoir
affirmer que jamais œuvre musicale ne fut plus complètement manquée-
Le livret est de M. Zenoni.
An théàtro Manzoni, de Rome, apparition d'une opérette nouvelle en
trois actes et en dialecte romanesque, i Due Santarelli, musique de
M. Cesaro Pascucci, bien accueillie du public.
— A Naples, au Politeama, première représentation d'une autre opé-
rette, Malcmus, d'une platitude exemplaire, et dont on ne nous fait pas
connaître les auteurs.
— Le municipe de Parme a décidé qu'une chapelle de la grande galerie
du cimetière de cette ville serait consacrée à la mémoire do Bottesini, et
et que dans cette chapelle seraient recueillis les restes du grand artiste,
ainsi que ceux des professeurs ot des élèves du Conservatoire.
490
LE MENESTREL
— On écrit de Turin à la Lmnbardia : « A l'excellent ténor De Negri,
qui depuis quelque temps se trouve malade à Turin, on vient de faire
une très difficile opération chirurgicale, consistant dans l'extirpation
d'un9 partie du foie. Cette opération a été exécutée par le distingué pro-
fesseur Novaro, venu expressément de Sienne, en compagnie de son col-
lègue Bbzzolo. De Negri va mieux. »
— Un artiste italien, le maestro Demetrio Androni, de Bologne, vient
d'être appelé à la direction du Lycée musical de Corfou.
— On annonce la création prochaine, grâce à une initiative absolument
privée, d'un Institut ou Conservatoire de musique à Malte. Cet établisse-
ment serait placé sous la direction du maestro Paolino Vassallo, auquel
en est due la première idée.
— De la statistique de sa dernière saison que vient de publier l'admi-
nistration de l'Opéra impérial de Vienne, il résulte que du commencement
d'août 1889 à la fin de mai 1890, ce théâtre, dans un ensemble de 300 re-
présentations, a offert à son public 70 opéras divers et 13 ballets, soit un
total de 83 ouvrages.
— On nous écrit de Bucharest que le pianiste Matias Miquel, bien
connu à Paris, vient d'être honoré, par le roi, de la croix de chevalier
de la Couronne de Roumanie.
— Un fait au moins singulier vient de se produire à Barcelone. Sur
l'un des théâtres de cette ville on jouait, avec un grand succès, un drame
intitulé Judas. Ce drame en était arrivé à sa soixantième représentation
lorsque, tout à coup, un ordre du Vatican, vint le mettre en interdit.
S'inclinant alors devant la décision de la Congrégation de l'index, tous, l'au-
teur, le directeur du théâtre, les acteurs, les éditeurs, les libraires, tous,
comme un seul homme, se soumirent sans mot dire, et de Judas il ne fut
plus un instant question. Ce sont cosas de Espaha.
— La dernière représentation du théâtre de La Haye a été attristée par
un douloureux incident. La salle était absolument remplie d'un public
nombreux, qui se préparait à fêter les artistes, à l'intention desquels il
avait apporté des fleurs et des cadeaux de toutes sortes. Mais le spectacle
était à peine commencé, que le chef d'orchestre, M. Granier, qui rem-
plissait ces fonctions depuis quatorze ans, tombait tout à coup de son
siège, frappé d'une attaque d'apoplexie foudroyante.
— Le gouvernement égyptien vient d'accorder pour l'hiver prochain
une subvention de 100,000 francs au théâtre khédivial du Caire, où l'on
jouera l'opéra français, l'opérette et le ballet. C'est encore un théâtre
perdu pour l'opéra italien, s'écrient avec amertume nos confrères de ce
pays!
— De Buenos-Ayres les nouvelles sont mauvaises. Par suite de la crise
financière, l'Opéra, direction Ferrari-Ciacchi, fait de fort mauvaises
affaires, malgré la réunion d'artistes tels que MM. Maurel et Tamagno,
Mmœ Galli, Dalti, Stahl, Baux, etc., etc. Nous ne le regrettons qu'à
moitié, en présence de la conduite peu loyale des deux directeurs, qui
jouent là-bas tous les ouvrages français avec des orchestrations de contre-
bande et sans en avoir honnêtement traité avec les auteurs ou leurs
ayants droit. Leurs désastres ne peuvent donc nous affliger beaucoup.
— Les journaux du Royaume-Uni ont publié récemment un rapport
médical sur l'excellent effet sanitaire produit par l'étude de la flûte, qui
constitue, paraît-il, un exercice hygiénique des plus efficaces et remplace
avantageusement la marche au grand air. Le Musical Times conçoit de ter-
ribles inquiétudes de cette découverte : « Le danger de l'affaire, dit-il,
c'est que des amateurs jusqu'alors inoffensifs et qui n'avaient pas les
moindres dispositions pour la musique, vont se rendre insupportables à
leurs voisins, sous prétexte qu'ils suivent l'ordonnance de leur médecin.»
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Notre collaborateur Moreno fait allusion dans sa « Semaine théâ-
trale » à l'article publié par le Figaro du 9 juin par M. Albert Delpit
contre la direction de l'Opéra. Cet article fait sensation, tant il est logi-
quement déduit et irréfutable. Nous ne pouvons songer, à cause de ses
développements, à le reproduire in extenso. Du moins pouvons-nous en
donner l'éloquente péroraison : « ... A l'heure qu'il est, l'Opéra est le
théâtre de Paris où le public a le plus de chance d'être brûlé. Il y a
deux petites baignoires qui encombrent les couloirs d'évacuation. Ce ne
sont plus à présent que des goulots de bouteille. Ces deux baignoires
n'existaient pas dans le plan de M. Garnier. C'est M. Halanzier qui les a
fait établir. La Commission de la Préfecture de police a ordonné de re-
faire le passage : on n'a pas tenu compte de l'ordre. Le préfet de police
a envoyé une injonction formelle : on n'a pas obéi à l'injonction. Bien
plus, M. Ritt et son associé ont trouvé que" la sortie de l'ampbithéâlre
n'était pas assez, obstruée. Alors, ils ont ajouté un rang de plus aux
rangs qui existaient déjà. Ce travail a été exécuté aux dépens du parterre.
Et naturellement c'est l'Etat qui a payé (service des Bâtiments civils).
Enfin, le même M. Ritt et le même M. Gailhard ont tranformé deux rangs
de parterre en orchestre. Résultats nets : augmentation des bénéfices aux
dépens de la sécurité. Qui les a autorisés à faire courir de gros risques
au public pour gonfler leur bourse? Personne. En cas de panique, il su/fit
d'une femme tombant les pieds pris dans sa robe, et le passage est bouché, et tout
le monde brûle! Ah! il sera bien temps de s'occuper de la question quand
un nouveau sinistre sera venu épouvanter Paris, la France et l'Europe !
Je me résume en quelques lignes : 1° La direction de l'Opéra ayant
manqué à l'article 8 du cahier des charges, doit à l'État huit actes, soit
au prix moyen de 20,000 francs l'acte, 160,000 francs. 2° La direction
ayant manqué à l'article 10, doit une amende d'environ 13,000 francs.
3° La direction ayant manqué à l'article 57 (Représentations à prix ré-
duits), doit une amende d'environ 100,000 francs. Ce qui donne un total
de 275,000 francs. J'ai suivi de près toutes les séances de la Commission
des théâtres. Elle a des échos sonores, car elle est nombreuse. Je sais
donc que l'Administration s'était placée sur ce terrain des amendes : la
Commission a refusé de l'y suivre. Elle a eu tort. En effet, à quoi eussent
servi ces amendes? A remplacer les décors et les costumes. En triplant
la somme, on arrivera peut-être à opérer la réfection du matériel très
riche que M. Ritt et son associé, M. Gailhard, ont dilapidé de gaité de
cœur! Faites rendre gorge, Messieurs les membres de la Commission du
budget! Je vous ai montré jusqu'où ces messieurs avaient rabaissé la
dignité de l'Art français. Je vous ai montré aussi que s'ils avaient gagné
beaucoup d'argent, c'était en coûtant très cher au Trésor public, en mena-
çant la sécurité des spectateurs confiants ! »
— A propos d'incendie de théâtre, on a fort remarqué, dans le même
Figaro, un article de M. Francis Magnard. qui donne des documents ins-
tructifs et des pièces officielles au sujet du dernier incendie de l'Opéra-
Comique. Il y a là des rapports préventifs du colonel des pompiers et de
la Commission supérieure des théâtres, faisant pressentir tout ce qui allait
arriver et indiquant le moyen d'y remédier, qui donnent fort à réfléchir.
On est stupéfait il voir, à ce sujet, l'incurie des divers ministres des
Beaux-Arts qui se sont succédé rue de Valois sans rien faire pour prévoir
la catastrophe qu'on leur prophétisait. Et c'est M. Carvalho, qui ne ces-
sait, lui aussi, de se plaindre de cet état de choses, qu'on a traduit
devant la justice!!! Heureusement qu'il y a encore des juges à Paris.
Mais les ministres sont restés indemnes!
— Déjà des indiscrétions dans les journaux au sujet du Mage, le pro-
chain opéra de MM. Jean Richepin et Jules Massenet, dontla représentation
doit avoir lieu vers la fin de l'année, si rien ne vient à rencontre. Avec
nos honorables directeurs Ritt et Gailhard, on ne sait jamais ce qui peut
arriver, ni quelles idées malsaines ils peuvent avoir derrière la tète. On
se rappelle par quelles alternatives ont dû passer Zaïre et ^Iscanio. Pour-
quoi ces épreuves cruelles ne seraient-elles pas de même réservées au
Magel Ritt et Gailhard sont de grands tortionnaires de compositeurs, et,
cette fois pas plus que les autres, ils ne voudront sans doute manquer
à leur mission fatale. Bientôt écœuré, bafoué et atteint dans sa dignité,
nous verrons Massenet boucler sa malle et, tout comme un autre Saint-
Saêns, cingler vers Las Palmas, où l'attend la chambre du martyr. Quoi qu'il
en soit, MM. Ritt et Gailhard, pour le moment, ont l'air de croire qu'ils
trouveront dans leur troupe médiocre et insuffisante la distribution né-
cessaire au Mage, sans confier le rôle du ténor à une basse, et sans cher-
cher parmi les spectateurs une abonnée de bonne volonté pour remplir
le rôle de l'héroïne. C'est bien, mais attendons la fin. Ils nous disent aussi
que le Mage comportera cinq actes et six tableaux : 1. Le camp de Zarastra ;
2. Les souterrains du temple de la Djahi; 3. La salle du trône; 4. La
montagne sainte; 5. La salle du sanctuaire; 6. La même salle, mais cette
fois en ruines. Ce dernier tableau leur sera surtout d'une exécution facile,
puisqu'ils n'auront qu'à choisir dans le tas de leurs décors qui tombent
tous en loques pour simuler admirablement la désolation et les désastres
qu'exige le poème de M. Jean Richepin.
— La commission supérieure des théâtres va se réunir vendredi pro-
chain, au ministère des beaux-arts. Elle entendra la lecture du rapport
fait par M. Charles Garnier, au sujet de la réfection des décors de l'Opéra.
M. Charles Garnier était, avec MM. Durier et Antonin Proust, l'un des
membres de la sous-commission nommée dernièrement par la commis-
sion, pour procéder aux constatation^ matérielles sur l'état des décors de
notre Académie nationale de musique. Le rapport de M. Garnier, qui a
été approuvé par ses deux collègues, est très circonstancié et dit toute la
vérité sur la question. Les décors de l'Opéra sont dans un état déplo-
rable. Il y en a sur lesquels ne subsiste plus que la toile. La couleur a
complètement disparu. La réfection des décors de l'Opéra est donc une
mesure qui s'impose absolument, et il est probable que M. le ministre
des beaux-arts, après avoir entendu la lecture du rapport de M. Garnier,
prendra des mesures à cet effet.
— De YÉcho de Paris : L'opéra de M. Saint-Sâëns n'a pas de chance. Il
y a quelques jours, c'était M. Lassalle qui était forcé de se faire rem-
placer par M. Bérardi; hier, c'était M. Cossira qui faisait prévenir, à
cinq heures, l'administration, qu'il était dans l'impossibilité de chanter
le soir et qui a été suppléé par M. Affre dans le rôle d'Ascanio. Gailhard,
furieux, et qui s'était vu sur le point de faire relâche, a écrit l'étonnante
lettre qui suit à son pensionnaire :
Paris, le 13 juin 1890.
Mon cher monsieur Cossira,
11 est inadmissible pour un théâtre comme l'Opéra d'avoir de semblables
alertes 1 Voilà la seconde fois que vous nous mettez dans le cas de faire relâche
en nous prévenant de vos indispositions à la dernière heure.
Je vous prie donc, à l'avenir, de nous faire savoir avant onze heures si vous
n'êtes pas indisposé.
J'ai bien l'honneur de vous présenter mes salutations.
P. Gailiuiid.
LE MENESTREL
491
Cet étrange directeur a pourtant été chanteur, et il lui est arrivé plus
d'une fois de se faire remplacera la dernière heure. Mais, devenu l'associé
de M. Ritt, il défend aux chanteurs d'être malades après onze heures du
matin : il ne peut, d'après sa lettre, si cet ordre n'est pas respecté, et si
un artiste a le malheur d'être indisposé après midi, assurer le service des
représentations annoncées. L'administration de i'Opéra, quoique recevant
une subvention très forte, n'a donc pas la précaution de faire apprendre
les rôles en double, comme son devoir l'y oblige. La commission du bud-
get fera bien de lire la prose de M. Gailhard. M. Cossira a répondu à son
directeur :
Mon cher monsieur Gailbard,
Je m'étonne qu'ayant été artiste, vous osiez aujourd'hui me tenir de semblables
propos.
Vous seriez bien aimable à votre tour de me faire savoir toutes les nombreuses
fois que vos directeurs ont dû pourvoir à votre remplacement par suite de vos
indispositions pendant votre carrière artistique.
Vous trouveriez peut-être alors « admissible » que ce ne soit que la deuxième
fois que pareil accident m'arrive.
Vous êtes directeur, vous défendez votre argent ; je suis artiste, je défends mes
intérêts et mon avenir comme vous le faisiez jadis.
Quant à m'imposer de vous avertir à onze heures, je n'ai autre chose à vous
répondre que ceci : « Je vous avertirai a quand » je me sentirai dans l'impossi
bilité de pouvoir chanter.
J'ai l'honneur de vous saluer. Cossira.
Paris, ce 13 juin 1890.
— Aimable entrefilet du journal la Justice à propos de l'Opéra: «Etrange!
On signale le début de M'M Fierens à l'Opéra dans la Juive. Contraire-
ment à ce qu'on était en droit de supposer, M"" Fierens est une canta-
trice de profession, et non pas simplement la locataire d'un fauteuil d'am-
phithéâtre cueillie dans la salle par M. Colleuille. Non moins étrange !
iime Lureau-Escalaïs a profité de l'étonnement général pour ne chanter
qu'un seul rôle. Et par une inexplicable coïncidence, il se trouve que ce
rôle est précisément de son emploi. Mme Bosman, qui à titre de soprano,
chante naturellement un rôle écrit pour contralto dans Ascanio, s'est mon-
trée, dit-on, fort mécontente qu'on ne l'eût pas essayée dans le rôle du car-
dinal. Que l'excellente artiste veuille bien patienter un peu. On le lui
proposera quelque jour « pour sauver la recette. »
— Voici tantôt vingt ans que l'on s'escrime de toutes parts pour amener
la reconstitution de l'ancien Théâtre-Lyrique, débouché si utile pour nos
compositeurs et pour l'expansion de l'art français. Jusqu'à ce jour tous les
efforts ont été vains, malgré l'ardeur avec laquelle on a mené le combat,
et l'on a paru chaque fois s'éloigner plus que se rapprocher du résultat.'
Et voici qu'aujourd'hui, tout à coup, sans crier gare, au lieu d'un Théâtre-
Lyrique on nous en offre deux ! Fasse le ciel qu'au moins la moitié de cet
espoir se réalise; nous nous tiendrons pour satisfaits. Toujours est-il que,
d'une part, on annonce, très sérieusement cette fois, la prochaine trans-
formation de la salle de l'Eden en une scène lyrique, dont le directeur
ne serait autre que M. Verdhurt, l'ex-directeur de la Monnaie de Bruxelles
et du Théâtre des Arts de Rouen, où il a prouvé le souci qu'il avait de
l'art français et son désir de l'encourager d'une façon efficace. On affirme
que non seulement M. Verdhurt se serait assuré déjà la possession de la
salle de l'Éden transformé, que les paroles, sinon les signatures, seraient
échangées, mais que M. Verdhurt aurait déjà conclu des engagements,
entre autres ceux de MM. Jehin et Gabriel Marie comme chefs d'orchestre,
celui de MUc Cécile Mézeray, et qu'il serait en pourparlers très sérieux
avec M. Engel et Mm8 Renée Richard. M. Verdhurt songerait à monter
Samson et Dalila, de M. Saint-Saëns, les Troyens et la Prise de Troie, de Berlioz,
Gwendoline, de M. Chabrier, sans compter les trois ouvrages inédits qu'il
a produits la saison dernière à Rouen: le Vénitien, de M. Albert Cahen,
la Coupe et les Lèvres, de M. G. Canoby, et le Printemps, de M. Alexandre
Georges. — Et maintenant — ne riez pas — voici qu'il est question d'une
entreprise nouvelle et quelque peu compliquée, dans laquelle trouveraient
place à la fois les trois personnalités de M. Antoine, directeur du Théâtre-
Libre (très libre), de Mmc la comtesse de Greffûlhe, initiatrice de la So-
ciété des Grandes Audition Musicales de France, et M. Charles Lamou-
reux, fondateur des Nouveaux Concerts. On sait que M. Antoine a projeté
la construction, dans les entours de l'Opéra, d'un théâtre nouveau des-
tiné au vrai public, et dans lequel il transporterait celles des pièces de
son Théâtre-Libre que celui-ci se montrerait disposé à avaler. Or, s'il
faut en croire les On-dit, le projet que M. Antoine avaitformé seul pren-
drait corps avec l'appui et la participation de M"10 de Greffûlhe et de
M. Lamoureux, ce qui donne à croire que nous aurions là au moins la
moitié d'un Théâtre-Lyrique. Si bien que dans un avenir plus ou moins
rapproché, Paris, qui en est privé depuis si longtemps, se trouverait à la
tète, sinon de deux, au moins d'un Théâtre-Lyrique et demi. Ainsi soit-il !
— Peut-être aurons-nous plus tôt que nous ne le pensions la solution de
la question de l'Opéra-Comique. Jeudi en effet, au conseil du cabinet
présidé par M. de Freycinet, M. Bourgeois, ministre dos Beaux-Arts, a
annoncé qu'il avait reçu la visite d'un certain nombre de commerçants
du quartier Favart, venus pour lui demander si l'Opéra-Comique serait
reconstruit ou pas ! Les visiteurs ont insisté pour qu'une décision inter-
vienne rapidement. M. Bourgeois a été chargé par ses collègues de se
mettre d'accord avec la Commission spéciale de la Chambre pour obtenir
la mise à l'ordre du jour, dans un délai rapproché, du projet du gouverne-
ment relatif à la reconstruction.
— Depuis mercredi soir, minuit, jour et heure auxquels expirait le
délai de vingt-cinq jours qui leur était accordé pour la composition de
leur cantate, les jeunes logis'tes du concours de Rome sont rendus à la
liberté. Disons, pour être exacts, que deux d'entre eux seulement, MM. Car-
raud et Bachelet, ont mis leur temps à profit jusqu'à la dernière minute.
Leurs trois compagnons de captivité, MM. Lulz, Silvère et Fournier, plus
expéditifs, étaient sortis de loge le samedi soir précédent. Quelques indis-
crets de la première heure, jouant les bien informés, prétendent que le
concours sera cette fois particulièrement brillant, ce qu'il n'est guère
possible de savoir encore, personne ne connaissant, à l'heure présente,
une seule note des cantates écrites. Faisons remarquer seulement que,
cette année, l'Académie des beaux-arts peut disposer de deux premiers
grands prix, par cette raison qu'elle n'en a point décerné l'an passé. Les
candidats se sont réunis avant-hier, au Conservatoire, pour tirer au
sort l'ordre dans lequel leurs cantates devront être exécutées. Voici le
résultat de cette opération : 1° M. Bachelet, deuxième grand prix en 1887,
élève de M. Guiraud. Interprètes : Mlle B. de Monlalant, MM. Auguez et
Imbart de la Tour. — 2° M. Lutz, élève de M. Guiraud. Interprètes :
Mllc Eames, MM. Plançon et Lafarge. — 3° M. Silvère, élève de M. Massenet.
Interprètes : Mms Yveîing RamBaud, MM. Clément et Fournets. — 4°
M. Fournier, élève de M. Léo Delibes. Interprètes : Mme Fierens, MM. En-
gel et Dubulle. — 5° M. Carraud, élève de M. Massenet. Interprètes :
MM. Cossira... et X..., et M"" X...
— Voici l'ordre dans lequel auront lieu, cette année, les concours du Con-
servatoire de musique :
CONCOURS A HUIS CLOS
Lundi 30 juin Harmonie (Hommes).
Mardi 1" juillet Solfège, Instrumentistes.
Mercredi 2 — — —
Jeudi 3 — Solfège, Chanteurs.
Vendredi 4 — — —
Samedi 5 — Violon (Classes préparatoires).
Lundi 1 — Fugue.
Mardi 8 — Harmonie (femmes).
Mercredi 9 — Piano (Classes préparatoires, femmes).
Jeudi 10 — Piano (Classes préparatoires, hommes).
Vendredi 11 — Orgue.
Samedi 12 — Accompagnement au piano.
CONCOURS PUBLICS
Samedi 19 juillet Contrebasse, Violoncelle.
Lundi 21 — Chant (hommes).
Mardi 22 — Chant (femmes).
Mercredi 23 — Tragédie, Comédie.
Jeudi 24 — Harpe, Piano (hommes).
Vendredi 25 — Piano (femmes).
Samedi 26 — Opéra-Comique.
Lundi 28 — Violon.
Mardi 29 — Opéra.
Mercredi 30 — Instruments à vent.
Le musée instrumental du Conservatoire de musique, si riche en
instruments précieux de toutes sortes, manquait, jusque dans ces dernières
années, de pièces de lutherie de hautes marques. Depuis l'année 1887,
cette magnifique collection a vu enfin ces vides regrettables commencer
à se remplir, grâce à de généreux donateurs. En 1887, le général Daridoff
laissait par testament, au musée du Conservatoire, un très beau violon
de Stradivarius daté de 1708. En 1889, Mm°s Guesnet et Croué, filles de
l'illustre violoniste-compositeur Alard, donnaient au musée le magnifique
violon de Guarnerius dont leur père se servait. Au commencement de cette
année, le musée s'est accru, par voie d'acquisition, d'une pièce de luthe-
rie qui est certainement une des plus rares et des plus artistiques qu'on
connaisse. C'est un cistre, sorte d'instrument à cordes pincées, dont la
tète et le manche sont couverts de sculptures d'une grande perfection
d'exécution. Les heureuses proportions de l'instrument, l'élégance de sa
facture, la qualité de son vernis, le désignent comme sortant de l'atelier
de Stradivarius. L'étiquette du maître y est apposée et datée de 1700.
Enfin, un nouveau violon de Stradivarius vient d'entrer au musée en
vertu du legs de M. le marquis de Queux Saint-Hilaire. C'est un autre
spécimen de la facture du maître italien. Celui-ci est du format dit longuet
et daté de 1699. Ce violon était accompagné d'un alto, de deux violons de
Vuillaume et de plusieurs archets de valeur. Il ne manque plus mainte-
nant au musée du Conservatoire, pour compléter la trinité des grands
luthiers italiens, qu'un violon d'Amati, soit de Antoine et Jérôme, soit
de Nicolas Amati.
— L'assemblée générale annuelle de l'Association des artistes drama-
tiques aura lieu le lundi 16 juin, à une heure et demie dans la grande
salle du Conservatoire de musique et de déclamation. Ordre du jour:
1» lecture du rapport des travaux de l'exercice 1889-1890, rédigé et lu par
M. Eugène Garraud, secrétaire-rapporteur; "2° élection du président et de
sept membres du comité.
— Nous allons avoir l'Hippodrome musical! Très prochainement, grande
pantomime de Jeanne d'Arc avec toute une partition importante de M. Ch.-
M. Widor, écrite largement à grandes fresques, comme il convient pour
ce hall immense : de la musique à cheval. La tentative est intéressante.
— Samedi dernier a eu lieu le dîner annuel des membres de la Société
des compositeurs de musique. Cette fois, pour se conformer à la mode du
'192
LE MÉNESTREL
jour, on s'est réuni au haut de la tour Eiffel, rien ne donne de l'appétit
comme le grand air! M. Camille Saint-Saèns a présidé les agapes, et, à
nn tnast en son honneur, il a répliqué par une charmante pièce de vers
sur la musique. Après le Champagne, les garçons ont apporté un piano;
le programme a été court, mais d'une gaieté folle. M. Weckerlin a régalé
ses confrères de quelques chansons gauloises, qu'on a fort applaudies.
Pour terminer, le président a fredonné un bout de chanson du XVIIe siècle
trouvée sur une assiette du temps.
— L'excellent violoniste Sarasate, dont nous avons annoncé lo retour en
Europe, a donné son premier concert à Londres, où il a retrouvé ses
succès ordinaires. La tournée de concerts qu'il vient d'effectuer en Amé-
rique : Etats-Unis, Californie, Mexique, comprenait 100 séances, pour
chacune desquelles il recevait 3,000 francs, tous ses frais de transport
payés. Le pianiste Eugène d'Albert, engagé avec lui, avait 1,000 francs par
séance, auxquels il faut ajouter une somme de 1S0,000 francs (nous disons:
cent cinquante mille) qui lui était payée par la maison Steinway pour jouer
exclusivement ses pianos. M. Sarasate avait emporté là-bas le superbe
violon de Stradivarius acheté récemment par lui, au prix de 23,000 francs,
à MM. Gand etBernardel; au sujet de cet instrument, nous lisons dans
une lettre adressée ces jours derniers par lui à un de ses amis et qu'on
veut bien nous communiquer les lignes suivantes : «Un certain M. John-
son m'a offert à New-York 100,000 francs de mon nouveau Stradivarius.
C'est un gentleman qui a 300 millions de fortune et qui a la manie de
toutes sortes de choses anciennes. Je lui ai répondu que je n'achetais pas
pour revendre, et je l'ai épaté pour la vie. Je n'ai pas encore joué ce violon
en public, car jusqu'à maintenant il reste assez insensible à mes caresses,
et fait comme les femmes qui se savent trop belles : il se laisse adorer,
et ne se livre pas. En6n, il finira peut-être par se laisser attendrir. Dans
tous les cas, je l'adore pour sa beauté... » De Londres, M. Sarasate se
rendra en Espagne, où il est attendu dans les premiers jours de juillet, et
il viendra à Paris au mois de septembre.
— La vente du violoncelle de Carlo Bergonzi appartenant au malheureux
Fischer, que nous avions annoncée, a eu lieu cette semaine. L'instrument
a été adjugé pour la somme de 4,500 francs, à M. Cros-Saint-Ange.
Fischer l'avait acheté 6,000 francs, il y a quelques années, dans des cir-
constances assez singulières. Se trouvant en Allemagne, il avait été invité
à se faire entendre à Eissen, chez M. Krupp, le fameux fondeur, qui
voulait sans doute goûter une musique moins brutale que celle de ses
fameux canons. Arrivé à la gare, Fischer monta dans une voiture de
M. Krupp, qui l'attendait, et sur laquelle on jucha son violoncelle, un bel
instrument italien soigneusement enfermé dans sa caisse. Mais pendant
le trajet un accident se produisit par la maladresse du cocher, le malheu-
reux violoncelle tomba sur la route et, malgré son enveloppe, fut brisé en
mille morceaux. On devine le désespoir de l'artiste. Lorsque M. Krupp
lut informé de cet accident, il dit à Fischer que la maladresse de son
serviteur devait être réparée par lui, qu'en conséquence il le priait
d'acheter un autre instrument à sa convenance, et de lui envoyer la fac-
ture du luthier, qu'il acquitterait lui-même. Ce fut alors que Fischer, de
retour à Paris, ht, aux frais de M. Krupp, l'acquisition du violoncelle de
Bergonzi qui vient- de passer aux mains de M. Cros-Saint-Ange. Quant
au bel archet de Tourte qui accompagnait le violoncelle et qui était vendu
en même temps que lui, il a été acquis pour 300 francs par M. Delsart,
l'excellent professeur du Conservatoire.
— Une ode musicale inspirée par la théorie de l'inoculation rabique.
Les journaux quotidiens anglais annoncent qu'une députation aristocra-
tique va quitter Londres pour se rendre auprès de M. Pasteur et lui re-
mettre un album photographique d'honneur. Ce présent .sera accompagné
d'un autre témoignage d'admiration, sous la forme d'une ode, composée spé-
cialement par lady Thompson sur des paroles de lady Paget. C'est à
miss Paget qu'est réservé l'honneur de chanter cette composition devant
l'illustre savant.
— Nous lisons dans VAllgemeinc Musikzeilung que la Société de la Croix-
Rouge à Bruxelles, organise un grand concert franco-allemand, auquel
prendront part la musique du régiment d'artillerie en garnison à Lille et
celle du 16e régiment d'infanterie prussienne qui a ses quartiers à Cologne.
On prépare aux deux corps de musique des réceptions splendides.
— Un journal étranger signale l'année prochaine, 1891, comme amenant
les anniversaires de quatre grands musiciens : ceux de la naissance
d'IIerold (28 janvier), de Charles Czerny (21 février), et de Meyerbeer
(o septembre), et celui de la naissance de Mozart (o décembre). A'propos
de ce dernier, qu'on se propose fort justement de célébrer en Allemagne,
il paraît qu'un certain compositeur nommé Cari Goepfart, de Bade, élève
de Liszt, est en train d'écrire un grand opéra intitulé Sarastro, sur un livret
en trois actes de M. Gottfried Stommel, qui ne serait autre chose qu'une
suite à la Flûte enchantée ! Broie d'idée.
— Soirée fort intéressante jeudi dernier, à la salle Kriegelstein, où
M°>° Pauline Thys donnait une audition très brillante et très soignée d'une
tragédie lyrique en cinq actes et six tableaux, Judith, dont elle a, selon sa
coutume, écrit tout ensemble le poème et la musique. L'orchestre étant
remplacé par un piano, et les chœurs comprenant seuhment douze voix,
on comprend que l'exécution n'a pas été absolument intégrale, et qu'il en
a fallu retrancher quelques morceaux et quelques fragments. La partition
s'est développée pourtant dans ses parties essentielles, et de façon à
donner aux auditeurs une impression assez exacte de la valeur de
l'œuvre, qui a été accueillie par eux avec une sympathie légitime et
marquée. Il y a là, de la part du compositeur, un effort vraiment
intéressant, souvent heureux, et qui ne peut que lui mériter des encou-
ragements. Nous ne saurions dire, dans les conditions où elle se pro-
duisait, si l'œuvre nouvelle de Mme Pauline Thys est véritablement ori-
ginale, mais à coup sûr elle contient des pages dignes d'attention, des
morceaux bien écrits, d'un bon sentiment scénique et d'un effet certain.
Nous avons surtout remarqué toute l'introduction très importante du pre-
mier acte, la scène de Judith, le grand récit de Nathaniel et le sextuor
du serment, au second, l'élégie de Judith, au troisième, son duo avec
Nathaniel et la scène d'Holopherne accompagnée par le chœur, au qua-
trième enfin, la grande scène de Judith et d'Holopherne. L'espace nous
manque pour entrer danè plus de détails. Constatons seulemeut que les
rôles de Judith et de Nathaniel étaient admirablement tenus par la belle
et pathétique Mm0 Montalba, que l'Opéra n'a pas encore remplacée et qu'il
devrait bien rappeler à lui, et par M. Talazac, mieux en voix que jamais,
et que ces deux excellents artistes se sont surpassés. MM. Martapoura et
Duhulle ont produit aussi un très grand effet dans les personnages d'Ho-
lopherne et du grand prêtre Eliachim, et les autres rôles étaient remplis
avec beaucoup de soin par MM. Piroïa, Gallois, Lambert et Palianti. Un
grand succès était réservé à M. Berthelier, qui a exécuté le solo de violon
du prélude du deuxième acte. L'exécution était dirigée par M. Vianesi,
chef d'orchestre de l'Opéra, tandis qu'au piano se tenait M. Maton, le
maître accompagnateur par excellence. A. P.
— M1Ie Moore est actuellement à Paris, retour d'Amérique, où elle a
obtenu de grands succès, notamment, en ces derniers temps, à New-York
et à Philadelphie, où elle a joué le nouvel opéra de M. Sullivan, les Gondoliers
de Gilberte. Nous avons eu le plaisir d'entendre cette charmante artiste,
dont la voix nous a paru plus jolie que jamais. Mlle Moore compte retour-
ner, dès le mois prochain, au pays des dollars. Nous voudrions, pour
notre part, qu'un directeur parisien sût mettre obstacle à ce projet.
— On a exécuté récemment à l'église Saint-Pierre, à Dijon, une messe
à deux voix égales avec accompagnement d'orgue, de M. Gihaux-Batt-
inann, qui a été accueillie avec beaucoup de faveur, et dont on doit don-
ner prochainement une seconde audition, cette fois avec orchestre. L'auteur
de cette composition importante, M. Gibaux-Battmann, est un tout jeune
homme, petit-fils d'un artiste distingué mort il y a deux ans, J.-L. Batt-
mann, qui se fit connaître par un granl nombre de compositions religieuses
et de publications didactiques pour l'harmonium et pour le piano.
— Vendredi 6 courant, a eu lieu, à Notre-Dame de Paris, la séance
d'expertise et d'audition de l'orgue de chœur transformé en orgue élec-
trique par la maison Merklin et C'e. Les essais de cet orgue électrique
ont été faits par MM. César Franck, Dallier, Sergent et l'abbé Geispitz,
en présence de la commission d'expertise et d'un grand nombre de mu-
siciens.
NÉCROLOGIE
Nous avons conduit l'autre jour au cimetière une artiste distinguée,
Mme Tardieu de Malleville, dont le Ménestrel a déjà fait connaître la mort.
Le mot de distinction est celui qui convenait le mieux au talent comme
à la physionomie et à toute la personne, à l'esprit et au cœur de
M"10 Tardieu. Plus encore que pianiste, elle était musicienne; elle avait
le sentiment intime des maîtres intimes; elle ne jouait pas seulement
avec ses doigts, mais avec son âme, et son âme était charmante. Elle
avait vu se transformer, avec la technique, l'esthétique elle-même du
piano et, de cet instrument qu'elle avait connu, qu'elle avait aimé plus
discret et plus modeste, peut-être réprouvait-elle tout bas les excès un
peu tapageurs et la trop bruyante popularité. Nous étions un enfant
quand nous avons connu M",B Tardieu. Elle avait été le premier maître
do celle qui fut notre premier maître à nous. C'est donc presque un de
ses élèves qui lui donne ce souvenir d'affection et do reconnaissance.
Nous l'écoutions jadis, il y a déjà plus de vingt ans. Nous lui devons
quelques-unes de nos premières impressions musicales, et c'est un peu
par idle que nous avons aimé d'abord les œuvres les plus pures, les
plus saines, celles qu'il faut souhaiter de toujours aimer le mieux.
Camille Bellaigue.
— Un excellent artiste, aussi modeste qu'il était vraiment distingué,
M. Pierre Adam, ex-alto solo de l'Opéra et de la Société des concerts du
Conservatoire, est mort cette semaine à Pari s à l'âge de 70 ans. M. Pierre
Adam, bien connu et fort estimé dans le monde musical parisien, était
professeur à l'Institut national dos Jeunes Aveugles, et il avait tenu jadis
la partie d'alto dans la société de musique de chambre que M. Lamou-
reux fondait, il y a quelque trento ans, avec son concours, et celui de
MM. Colonne et Rignault.
Heniu Heugel. directeur-géiant.
i 1IM 1IH-, 1,| t
— [MPHI UElUE i
Dimanche 22 Juin 1890.
3090 — 56™ ME — N° 25. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un on Texte seul ■ 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province,
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Abonnement complet d'un an, Texte, Musiqu
SOMMAIRE -TEXTE
il. Notes d'un librettiste : Georges Bizet (6° article), Louis Gallet. — II. Semaine
théâtrale.- le Cercle funambulesque, Arthur Pougin; reprises de la Fille de Ro-
land, à la Comédie-Française, et de la Fille de l'air, aux Folies-Dramatiques,
Paul-Emile Chevalier. — III. Le théâtre à l'Exposition (26e article), Arthur
Pougin. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
DANSONS LA TARENTELLE
•de A. Trojelli. — Suivra immédiatement: Un Sourire, de Ed. Chavagnat.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant: Crépuscule, nouvelle mélodie de Darjsston, poésie de Rosemoxde
Gérard. — Suivra immédiatement: les Pommiers, nouvelle mélodie d'ÉMiLE
Bourgeois, poésie de F. Couturier.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
GEORGES BIZET
Les inquiétudes de la première soirée n'étaient pas pour
altérer la bonne humeur de Bizet.
Voici en quels termes, à propos
de ces menus cadeaux
envoyés aux artistes, il me rendait ses comptes :
» J'ai fait nos comptes.
» "Voici :
-
Eventail
70 fr.
Couteau
20 fr.
Porte-cigares
9 fr.
5 cigares à 0 fr. 60
3fr.
102 fr.
» (J'ai fumé le sixième et j'ai l'extrême délicatesse de ne
pas -vous le faire payer.)
y> J'ai versé 32 francs, je vous dois donc 19 francs que je
me sens disposé à vous rembourser lundi.
» Autre chose. Le chef de claque est venu me raser pour
ses émoluments. De Leuven, que j'ai consulté, m'a encao-é
à donner 50 francs à la première et 50 francs à la vingtième.
Je me charge des 50 de la première ; si nous allons à 20
•vous casquerez à votre tour. J'avais pensé à une combinaison
pour l'affaire Paul de Musset : qu'il paie les machinistes et
la claque et nous lui permettrons de toucher à partir de la
100e représentation. Qu'en pensez-vous?»
Et voilà à quelles prodigalités entraînaient, en l'an 1872,
la représentation d'un opéra en un acte !
■ Cette « affaire Paul de Musset, » à laquelle Bizet faisait
allusion, était née de la modification du titre de notre petit
ouvrage. Les journaux avaient annoncé Namouna, puis
Djamikh. Dans tout cela, nous avions eu ou plutôt, car cela
me regardait seul, j'avais eu le tort de ne pas me soucier de
la famille du poète. Paul de Musset réclama à la Société des
auteurs, et mon insouciance amena une discussion dans
laquelle les membres du Comité se partagèrent en deux
partis, l'un soutenant que nous devions des droits d'auteur
à Musset, l'autre que nous n'en devions point, en vertu du
mot bien connu du poème :
J'ai dit que l'histoire existait. La voilà :
Puisqu'en son temps et lieu je n'ai pas pu l'écrire,
Je vais la raconter, l'écrive qui voudra !
L'argument était gracieux, mais il faut bien avouer qu'il
était faible.
Ce léger débat ne pouvait avoir qu'une solution amiable.
Il l'eut. Je fis à Paul de Musset l'aveu d'une légèreté qu'il
voulut bien excuser, dans les termes très courtois que
voici :
« Les explications que vous me donnez sont satisfaisantes ;
je regrette seulement qu'en me les donnant après la repré-
sentation de la pièce, vous m'ayez privé du plaisir de vous
donner une autorisation dont je me féliciterais à présent.....
Quant à la question des droits d'auteur, je désire qu'elle
reste au point où elle en est. »
A la suite de cette lettre qui mettait fin au débat à peine
engagé, un long entretien avec Paul de Musset me donna la
vive satisfaction de trouver en lui un homme très heureux
de cette modeste adaptation du poème de son illustre
frère et disposé à encourager un nouveau travail de même
nature.
On a, avant et depuis ce temps, puisé, toujours discrète-
ment, dans le riche fonds d'Alfred de Musset. A cette même
époque, G. Canoby avait déjà écrit une partition sur la Coupe
et les Lèvres, Offenhach en allait écrire une sur Fantasio. En
dehors de ces deux œuvres, il n'a pas, je crois, été fait
d'autre emprunt à Musset que celui de cette Carmosine du
très fin et très délicat compositeur Ferdinand Poise, que
prépare avec un soin patient la direction de l'Opéra-Comique.
De Djamileh devaient dater entre G. Bizet et moi une
amitié plus étroite et une communion d'idées plus constante.
Des projets de travail commençaient à s'ébaucher. On re-
muait des sujets, on les passait au crible, on les abandonnait.
4 94
LE MÉNESTREL
Cela fournissait la matière de longues causeries, où se révé-
laient la préoccupation constante du compositeur de chercher
une formule neuve, de faire faire à la musique dramatique
un pas en avant, et aussi cette crainte perpétuelle de ne pas
recueillir le fruit de longs et patients efforts.
— Voyez-vous, disait-il avec la mélancolie presciente d'un
homme qui ne doit point voir le triomphe définitif de son
œuvre, on a beau se dépenser, faire de son mieux; pour
réussir aujourd'hui, il faut être mort... ou Allemand.
Puis une blague parisienne éclatait sur ses lèvres ironiques,
effaçant l'impression amère de cette parole sortie du fin fond
du cœur de l'homme ayant déjà souffert de la vie et noble-
ment jaloux de la consécration définitive de son talent.
De tous ces projets, deux seulement devaient se réaliser,
dont l'exécution fut heureusement traversée par cette Car-
men, qui a porté dans le monde entier le nom glorieux de
Bizet et dont les commencements furent pourtant si dif-
ficiles.
Aujourd'hui, Carmen est classée dans la catégorie des chefs-
d'œuvre.
Chef-d'œuvre ! — « Un enfant qu'on ne baptise générale-
ment qu'après la mort de son père », selon un mot d'humo-
riste recueilli par le Figaro et qui ne saurait être mieux
appliqué.
Cet ouvrage n'alla pas d'abord sans quelque contretemps.
On devait le jouer à terme fixe ; puis le vent sautait, il fal-
lait accepter des délais indéterminés et peut-être intermi-
nables. Avec une philosophie rare, le compositeur remisait
la partition commencée et se rejetait sur un autre aliment.
« Carmen est remise, m'écrivait-il; j'ai deux mois inoccupés,
je vous attends. »
Et on travaillait avec cette foi aveugle que seule donne la
jeunesse et qui prépare tant de mécomptes.
Un des biographes de Georges Bizet, M. Charles Pigot,
raconte qu'après les Pêcheurs de perles, Bizet, vivement épris du'
style dramatique de Verdi, travaillait sous cette impression
à un grand opéra en cinq actes, Ivan le Terrible. Il ajoute
que la partition d'Ivan, terminée, orchestrée, fut présentée et
reçue au Théâtre-Lyrique, mais que Bizet, reconnaissant bien
vite l'erreur qui l'avait fait se mettre à la remorque du com-
positeur italien, retira sa partition, qu'il brûla quelques
années plus tard. « Ceci, conclut le biographe, se passait
en 1865. »
J'ai lieu de croire que la légende entre pour une forte
part dans cette histoire. M. Charles Pigot m'attribue, en effet
en collaboration avec Edouard Blau, la paternité du poème
d'Ivan le Terrible. Je ne sais si Georges Bizet a jamais fini cet
ouvrage dont je me rappelle vaguement lui avoir entendu
parler. Ce qui est bien certain, c'est que ni moi, ni Edouard
Blau, n'en avons jamais écrit un mot et qu'on nous a gratui-
tement attribué l'œuvre d'un autre. En 1865 d'ailleurs ie
ne connaissais Bizet que pour l'avoir vu un instant, comme
je l'ai raconté, sur la scène du Théàtre-Lvrique, à la fin de
la première représentation des Pêcheurs de perles
Voilà un erratum que pourra utiliser pour une nouvelle
édition de son livre l'auteur de l'ouvrage, très intéressant
d ailleurs, que je viens de citer.
Au cours de ces causeries communément consacrées aux
choses de 1 art musical ou de la petite chronique parisienne,
nous parlions quelquefois de cette guerre de ce doublé
siège de Paris, dont, à chaque pas, les trac s demeuraien
encore autour de nous, bien plus profondes, bien p?„. w
vantes que celles que notre promenade le long des rives de
la Seine nous avait naguère montrées
J'avais lu alors dans les yeux humides de Bizet une
émotion profonde, que dissimulaient mal sa parole sifflante
et son sourire sceptique.
Et quand, de nouveau, nous causions de ces événements
et qu'il les évoquait seulement pour me raconter quelque
histoire plaisante de garde national au rempart, je ne pou-
vais m' empêcher de chercher, sous ces dehors d'insouciance
railleuse, l'impression réelle de cette âme que je sentais si
délicate et si tendre.
Ce n'est que bien des années après, en me rappelant ces
fugitives et légères causeries, que, tourmenté du désir de
descendre dans l'intimité des impressions du compositeur
pendant cette douloureuse période de 1870-71, je suis allé
frapper à la porte d'Ernest Guiraud, qui a ouvert devant
moi, en me permettant d'y puiser, un paquet de lettres de
son ami.
C'est dans ces lettres que j'ai enfin trouvé tout entier
G. Bizet, avec cette âme ardente de patriote que je devinais
et dont, par une sorte d'enfantin respect humain, il sem-
blait vouloir sans cesse dissimuler les émotions.
Le 8 août 1870, il écrivait de la campagne, de Barbizon :
« Hier, anxieux, désespérés, ne pouvant tolérer plus long-
temps cet atroce état d'indécision, nous sommes allés à pied
à Fontainebleau et là, à la mairie, nous avons lu la poignée
de dépêches que le Gaulois publie aujourd'hui. Ainsi, à trois
reprises différentes, nos soldats ont combattu un contre dix,
un contre cinq, un contre trois! Ainsi, l'armée prussienne
manœuvre tranquillement, sachant à merveille où sont nos
différents corps d'armée, les bat, à son aise successivement,,
et nos généraux ne savent rien. L'empereur disait hier : « Je
» ne sais plus où est Mac-Mahon. » C'est navrant!... La Lor-
raine envahie; une bataille imminente entre Metz et Nancy,
et si nous la perdons!... Certes, je ne suis pas chauvin, tu
le sais; mais j'ai le cœur serré et les larmes aux yeux de-
puis hier!... Pauvre pays!... Pauvre armée! Gouvernés et
dirigés par une incapacité désormais notoire! Ce n'est pas le
moment de récriminer, mais Voncle au moins savait où trou-
ver l'ennemi. Est-ce que la campagne de Sadowa va recom-
mencer?... Je ne sais pas du tout, mais pas du tout ce que
nous deviendrons. Mais ceci n'est actuellement qu'une ques-
tion accessoire. Pourquoi laisser des soldats dans l'intérieur?...
Pourquoi ne sommes-nous pas tous employés à la défense
de nos cités? A-t-il peur d'armer la nation? Aujourd'hui,,
sans aucun doute, se décide une grande question: l'invasion
avec tous ses dangers, toutes ses horreurs! Inutile de te dire
que depuis trois jours je n'ai pas même essayé de tracer '
une note ! Si nous perdons la grande bataille, je ne sais
trop si je ne ferai pas mieux de rentrer à Paris... J'envoie
à Fontainebleau, où les nouvelles arrivent incessamment. Je
pense que ces messieurs vont changer de note et faire affi-
cher les dépèches à Paris... Espérons!... Ce soir, nous serons-
peut-être fort à plaindre. »
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
LE CERCLE FUNAMBULESQUE
Ce n'est pas un succès, c'est un véritable petit triomphe, que le-
Cercle funambulesque vient de remporter avec la représentation
donnée par lui, le 14 juin, dans la salle des Bouffes-Parisiens. Ceux
d'entre nous, les ouvriers de la première heure, qui depuis deux
ans ont contribué do tous leurs efforts, avec leur excellent prési-
dent, M. Félix Larcher, à la fondation et à l'administration du
Cercle, ont la satisfaction de pouvoir se dire aujourd'hui qu'ils
n'ont pas perdu leur temps. Us ont remis en lumière une forme
d'art toute spéciale, toujours aimable, parfois exquise, et depuis
trop longtemps oubliée, ils ont fait revivre ce spectacle charmant
de la pantomime, dont la génération actuelle ne connaissait ni la
finesse ni la séduction, et grâce au concours dévoué, ardent, dé-
sintéressé, d'artistes do premier ordre, qui ont compris tout l'inté-
rêt que présentait un tel essai et qui n'ont pas dédaigné d'y prendre
LE MENESTREL
195
part, grâce à la collaboration d'écrivains et de musiciens fort dis- i
tingués, ils ont obtenu enfin un résultat qui non seulement a at-
teint, mais dépassé toutes les espérances qu'ils avaient pu concevoir.
Les voici maintenant ressuscites, tous ces aimables types de
l'ancienne comédie italienne qui s'étaient réfugiés dans la panto-
mime, Arlequin et Isabelle, Pierrot et Colombine, et Léandre, et
Polichinelle, les voici de nouveau sous nos yeux, bien vivants,
bien portants, bien plaisants, avec leur gaîté communicative, leur
fantaisie charmante, leur grâce aimable, jusqu'à un petit fonds de
philosophie comique et particulière, et chacun est à même de voir
le parti qu'on en peut tirer. On se presse aujourd'hui pour les
contempler, leur présence est une véritable fête, et de toutes parts
on exprime le regret qu'un tel spectacle soit si rare, qu'il soit
réservé aux seuls membres d'une petite société artistique, et que
le grand public ne soit pas appelé à en profiter et à prendre sa
part du plaisir qu'il procure. Eh bien, que voulions-nous? donner
la sensation d'une jouissance artistique presque inconnue de tous,
imprimer le désir de la voir se répandre de tous côtés, faire revivre
un art en quelque sorte disparu et prouver enfin que cet art, avec
sa forme originale, a sa raison d'être et sa nécessité. C'est fait, et
le but est atteint. Il ne reste qu'à poursuivre (1).
Voici le programme de la dernière représentation du Cercle
funambulesque : 1° Au public, à-propos en vers de M. Henri Remond;
2° Saint Pierrot, pantomime en un acte, de M. Pernand Beissier,
musique de M. Pragerolle ; 3° Pierrot puni, opéra-comique de
MM. Semiane et A. Gères, musique de M. Henri Cieutat ; 4° les
Noces de Pierrot, pantomime en un acte, de M. F. Beissier, musique
de M. de Kervéguen; S0 l'Enfant prodigue, pantomime en trois
tableaux, de M. Michel Carré, musique de M. André Wormser.
Saint Pierrot est un petit bijou, qu'ont joué adorablement Mlle
Luclwig et M. Berr, de la Comédie-Française. L'esprit troublé par
la vue continuelle d'un portrait de saint Antoine, Pierrot a résolu
de mener désormais une vie ascétique et exemplaire. Il mortifiera
sa chair, il se privera de toute espèce de jouissance matérielle, il
gagnera le ciel enfin par une conduite digne du saint homme
qu'il a pris pour modèle. Cela ne fait pas l'affaire de Pierrette, sa
femme, avec qui il veut rompre toute espèce de relations intimes,
et qui, elle, n'est point en veine de sacrifice et de mortification.
Elle fait tous ses efforts, mais inutilement, pour le ramener à des
sentiments plus humains. Voyant que ses câlineries et ses gentillesses
sont en pure perte, elle emploie le grand moyen, elle prendra
Pierrot par son côté faible — la gourmandise. Selon son désir, elle
lui sert sur une petite table un repas éminemment frugal, composé
d'un petit pain et d'un verre d'eau. Pierrot fait une trempette qui
amène sur ses lèvres une grimace significative, grimace qu'il
réprime aussitôt, décidé qu'il est à gagner le ciel. Mais Pierrette
s'est installée, du côté opposé de la chambre, devant une autre
table chargé d'un petit repas succulent, dont le fumet fait aussitôt
gonfler les narines de son époux. On devine ce qui s'ensuit : le
combat intérieur de Pierrot, ses concessions successives envers
lui-même, et finalement sa déroute complète. Il répudiera l'héritage
de saint Antoine, deviendra un époux modèle et restera le gour-
mand qu'il a toujours été. Ce petit acte charmant, plein de
détails exquis et joué d'une façon merveilleuse, a littéralement
enchanté le public.
Je n'en dirai pas autant du vaudeville à couplets intitulé Pierrot
puni. Cola est un peu enfantin, sans prétention d'ailleurs, et cela
n'a guère valu que par la grâce coquette de Mlle Lardinois et la jolie
voix de M. Ghasne. Les Noces de Pierrot ont laissé aussi les specta-
teurs un peu froids, malgré le jeu toujours intelligent et fin de
MUe Invernizzi et les petites mines de Mmo Théo. Mais de l'Enfant
prodigue, qui terminait la soirée, on peut dire que c'est un petit chef-
d'œuvre en son genre, et que ce petit chef-d'œuvre a été joué d'une
façon admirable. — Le mot n'est pas trop gros; j'en appelle à tous
•ceux qui étaient là.
Au premier acte, nous voyons Pierrot, adolescent, à table avec
son père et sa mère. Il est tout songeur. Que se passe-t-il en lui ?
Il l'iguore lui-même, et ne sait que répondre à ses parents, qui lui
demandent avec quelque inquiétude ce qu'il peut désirer. Mais voici
qu'une jeune fille, Phrynette, se présente, et Pierrot se transforme.
Il devient amoureux fou, et tandis qu'il croit son père et sa mère
endormis, il ouvre le tiroir de son père, emplit ses poches d'or et
(1) Le désir exprimé l'autre soir à ce sujet, d'une façon unanime, va
être réalisé au moins en partie. La direction des Bouffes, s'emparant du
grand succès de la soirée, l'Enfant prodigue, annonce une série de repré-
sentations de cette pantomime, qui ont commencé dès hier samedi.
de billets de banque, et s'enfuit à la recherche de celle qu'il aime.
Les pauvres gens oiit tout vu et, surpris, désespérés, n'ont pas même
eu la force ou la pensée de le retenir. — Le second acte nous
montre Pierrot et Phrynette dans un appartement luxueux. Mais le
quart d'heure de Rabelais est arrivé, Pierrot n'a plus d'argent, ses
créanciers le harcèlent, et Phrynette le menace de le quitter s'il ne
peut continuer à satisfaire ses besoins et ses fantaisies. Pierrot est
aux abois. Que fera-t-il? Son amour le pousse au crime. Il sort.
Et lorsqu'il revient, les poches pleines d'un or volé par lui au jeu,
sa maîtresse est partie au bras d'un homme plus riche que lui. Il
est fou de douleur. — Le troisième acte nous ramène dans l'inté-
rieur que nous avons vu au premier. Pierrot père et sa femme, sans
nouvelles de leur fils, sont toujours dans la désolation. Le père
reste sévère, quoique chagrin, mais la pauvre mère est prête à tout
pardonner. Tandis qu'elle reste seule, son mari s'étant absenté, on
frappe à la porte. Elle ouvre au malheureux qui vient implorer sa
charité, et tout à coup reconnaît en lui son fils, hâve, sans force
défiguré, mourant de faim. La reconnaissance est pathétique; elle
soigne son enfant, le réconforte, le couvre de baisers... Mais on
entend les pas du père, s Cache-toi! Ton père est furieux. Il faut
le préparer à ta vue. » L'enfant se cache, et la mère, avec toutes
les précautions possible, finit par apprendre à son mari le retour de
son fils. Mais Pierrot père est inflexible. L'enfant vient se jeter à
ses pieds, veut lui baiser les mains, implore son pardon. Rien D'y
fait. Mais voici qu'au dehors on entend le tambour battre et le
clairon sonner. C'est un régiment qui passe. Pierrot est pris d'une
idée soudaine : il s'est déshonoré; il se réhabilitera en se faisant
s oldat et en menant une conduite exemplaire. Il présente un papier
à son père en le suppliant d'y mettre son consentement, celui-ci
signe le papier, Pierrot embrasse ses mains avec respect, saute au
cou de sa mère, et part pour joindre le régiment qui passe.
Ce petit drame mimé, dont la note comique est loin d'être exclue,
mais dont le côté pathétique est poussé à une rare puissance quoique
sans excès ni exagération, est mené avec un art exquis. A part
quelques longueurs dans le second acte, qui a besoin d'être un peu
émondé, c'est une pièce charmante, d'un intérêt toujours croissant,
et qui a ému les spectateurs jusqu'aux larmes. II est vrai que
l'Enfant prodigue, je l'ai dit, est joué d'une façon admirable. Il y
faut tirer de pair tout d'abord M"e Félicia Mallet, qui, dans le rôle
extrêmement difficile et dramatique de Pierrot, s'est montrée vérita-
blement grande artiste et mime de premier ordre. L'an passé déjà,
dans Barbe-Bleuette, elle avait révélé des qualités rares et précieuses.
Cette fois elle a littéralement transporté la salle. Elle a tout à la
fois la grâce, la jeunesse, la galté, et d'autre part le sentiment dra-
matique, le don du pathétique et des larmes, avec une étonnante
sobriété et sans que jamais, dans un sens ou dans l'autre, on puisse
reprendre chez elle une fausse note, la moindre faute contre le
goût le plus raffiné, le plus épuré et le plus délicat. Les représenta-
tions du Cercle funambulesque n'auraient-elles servi qu'à mettre en
lumière et en valeur le talent d'une telle artiste, qu'elles n'auraient
certainement pas été inutiles.
A côté de M110 Félicia Mallet, il faut citer surtout M. Courtes et
M"16 Crosnier, l'excellente duègue de l'Odéon, chargés des rôles du
père et de la mère de Pierrot. Il est impossible d'être plus pleins
de bonhomie et de franchise au premier acte, plus émouvants, plus
touchants, plus sobrement dramatiques qu'ils le sont l'un et l'autre
au dernier. C'est la perfection même, et ce troisième acte, ainsi
joué par les trois artistes, nous donne la sensation de l'idéal qu'on
peut atteindre au théâtre. Mais je m'en voudrais d'oublier MUe Du-
hamel, qui est tout à fait aimable dans le rôle de Phrynette, et
M. Gouget, qui représente avec beaucoup de tact celui du baron
séducteur. Tous ont droit aux mêmes éloges, car tous ont contribué
à un ensemble parfait. Quant à la musique fort élégante de l'En-
fant prodigue, elle est due à M. André Wormser, et elle a eu, elle
aussi, sa bonne part du succès.
Il n'y a pas de petit art, a-t-on dit, il n'y a que de petits ar-
tistes. Le mot est absolument vrai. Et pour ce qui est de la panto-
mime, quand elle est conçue et comprise comme l'a été celle-ci de
la part de tous, auteurs et interprèles, elle donne l'impression d'un
art exquis et complet.
Arthur Pougin.
Comédie-Française. — La Fille de Roland, drame en quatre actes, en
vers, de M. Henri de Bornier.
C'était en 187;'>, presque au lendemain de la guerre, et je me sou-
viens très bien du puissant effet produit par l'apparition de la Fille
de Roland. Les spectateurs de la première représentation, absolument
496
LE MENESTREL
enthousiasmés et inconsciemment grisés par le souffle patriotique de
l'auteur, colportaient dans tout Paris le bruit du triomphe de M. de
Bornier; le public se porta de suite en foule à la Comédie-Française,
et le délire du premier jour mit quelque temps à s'apaiser. Je me
rappelle aussi, assez nettement, de combien de poésie et de grâce
Mmc Sarah Bernhardl avait entouré le rôle de Berthe ; mais j'avoue
qu'il ne me restait rien de la pièce elle-même et à peu près rien des
épisodes les plus dramatiques. L'œuvre m'était donc pour ainsi
dire nouvelle, lorsque je l'ai réentendue mercredi dernier, et je
m'explique aujourd'hui pourquoi l'impression ressentie autrefois avait
été si peu vive malgré les émotions fortes et nombreuses auxquelles
l'auteur nous soumet.
Je sens que malgré des beautés de premier ordre, cette tragédie
est incomplète ; que si les personnages pris séparément sont inté-
ressants, l'action est parfois trop languissante et coupée inutilement,
et que, si ce que l'on nomme les coups de théâtre y sont souvent
très heureux, ils y sont beaucoup trop nombreux et me semblent
se nuire les uns aux autres. Enfin, on ne trouve pas là la forme que
réclament d'aussi nobles sentiments. Levers de M. de Bornier n'est
pas à la hauteur des idées qu'il veut exprimer. Qu'il dise l'amour
exalté de la patrie, la passion, la douleur ou la joie, il reste trop
fréquemment dans la note bourgeoise et monotone. Et c'est surtout
cette monotonie dans la facture qui se répand sur la pièce entière,
la fait paraître beaucoup plus terne qu'elle ne devrait paraître et
émousse forcément les sensations qu'on y devrait éprouver.
L'interprétation n'est malheureusement point faite pour masquer
ces défauts de la Fille de Roland. Il faut, cependant, mettre hors de
pair M. Silvain, qui joue Ganelon en perfection. M. Mounet-Sully
soulève l'enthousiasme du public bien plutôt à cause des choses
qu'il dit qu'à cause de la manière dont il les dit. MM. Laroche,
Martel, Dupont- Vernon, Laugier. Villain, P. Mounet, Leitneir, Co-
cheris et M110 Dudlay, tous avec de réelles qualités, sont trop quel-
conques pour une Comédie-Française.
Folies-Dramatiques. — La Fille de l'Air, opérette fantastique.
Après la Fille de Roland, la Fille de l'Air; après Joyeuse et Du-
randal, — les talismans de la victoire et de la gloire, — l'étoile
en brillants de la petite Azurine, — talisman d'immortalité des
génies de l'air. — Les jours se suivent et ne se ressemblent pas
et, même dans la grandissime famille dramatique, ou voit des filles
qui, entre elles, n'ont aucune espèce de parenté. Celle-ci, il est vrai
de le dire, est l'aînée de celle-là de quelaue chose comme une cin-
quantaine d'années et le temps n'a pas été sans lui creuser au
visage des rides assez marquées. La directiou des Folies-Drama-
tiques s'est appliquée de son mieux à badigeonner toute sa frêle
personne d'un cold-eream réparateur et dissimulateur, et si elle
n'a pas réussi à nous la faire prendre pour une toute jeune per-
sonne, elle a du moins l'immense mérite d'avoir fait de louables
efforts. Elle a, de plus, appelé à la rescousse M. Lacome, qui a
composé de jolis morceaux, et M. Liorat qui a démarqué, pour la
circonstance, quelques scies de" café-concert. Enfin elle s'est
attaché l'épileptique Germain qui a été la joie de la soirée. C'est
Mlle Nesville qui porte les ailes légères d'Azurine et se montre
gentille. Mmcs Stella, Deval, Génat et "Vernon ne sont nullement
désagréables, non plus d'ailleurs que M. Larbaudière, le téno-
rino aux douces notes de tête. Je regrette de ne pouvoir en dire
autant de M. "Vandenne qui m'a paru horripilant.
Paul-Emile Chevalier.
LE THEATRE A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889
(Suite.)
Sur un signe du maître, l'orchestre se met en branle et fait en-
tendre un morceau plus bruyant que brillant, dans lequel se détache
pourtant par instants comme une mélopée plaintive et douce. Mais
les danseuses entrent en scène, et l'orchestre se tait aussitôt; elles
s'avancent avec gravité, saluent les spectateurs en ébauchant à
peine un sourire, et s'asseyent sur les chaises placées presque au
bord de l'estrade.
Mais bientôt la musique reprend, et nos danseuses, quittant leurs
sièges, s'apprêtent à commencer leurs danses. Nous pouvons les
examiner tout à loisir. L'aînée, Tamina, à la physionomie intelli-
gente et douce, au regard peut-être un peu mélancolique, est pleine
de grâce sous son riche costume : un corsage brodé d'or qui s'ar-
rête sous les bras, le haut du corps couvert par une sorte de pèle-
rine aux bords frangés qui cache le dos, les épaules et la poitrine;
pour jupe, un grand sarong un pou flottant, richement brodé aussi,
dont les longs plis, traînant à terre en forme de queue, laissent voir
le bas des jambes et le pied mignon ; autour du corps une large cein-
ture, fixée sur le devant par une large agrafe de métal ; en haut
de chaque bras, un bracelet de mêlai élégamment, orné ; aux poi-
gnets, deux bracelets de perles ; enfin, comme coiffure, un casque
d'or merveilleusement ciselé, au cimier de plume, dans lequel la-
chevelure est emprisonnée (1). A part quelques détails, le costume
de ses compagnes était presque de tout point ■ aifi'. Cependant,
"Wakiem, la plus jeune et la plus espiègle, ne portait pas la pèle-
rine que j'ai signalée; le bronze de ses épaules et de ses bras sur-
gissait de son corsage, brillant, vivant et frémissant, et, ainsi parée;
chaste et modeste sous ce vêtement qui laissait à nu le haut de son
corps frêle et délicat, elle semblait, comme on l'a dit, la personni-
fication d'une de ces idoles de l'Inde qui inspirent aux fidèles le
respect et la vénération.
Leurs danses, dont on ne saurait méconnaître l'allure en quelque-
sorte hiératique, sont par conséquent fort loin, on le comprend,,
d'avoir le caractère lascif et provocant de la plupart des danses de
l'Extrême-Orient. Elles ne sont autre chose que la représentation
mimique de certains épisodes empruntés aux grands poèmes hindous
et particulièrement aux chroniques du royaume de Passey. l'un des
Etats les plus florissants de la Malaisie avant l'invasion musulmane.
Ces danses, dans lesquelles la vivacité fait place à l'expression, et
où la pantomime prend une assez large part, se composent donc
surtout d'évolutions lentes, de poses gracieuses, de marches caden-
cées, d'attitudes soit sévères, soit mélancoliques, de mouvements-
souples des bras et des mains, de salutations cérémonieuses, de
gestes pleins de langueur, le tout constituant un ensemble d'un-
charme séducteur, tout empreint de poésie et d'originalité. L'un de
ces pas (si l'on peut ainsi les qualifier), l'un de ces pas surtout,
auquel nos Javanaises donnaient, je crois, le nom de Feuille d'or,.
et qui était accompagné par le rebab en un motif d'une mélancolie
vraiment pénétrante, produisait sur le spectateur attentif une im-
pression étrange et indéfinissable. En réalité, c'était là, pour nous
autres Européens, un spectacle saisissant et séduisant par sa cou-
leur, sa grâce et sa nouveauté.
Lorsqu'elles avaient terminé leurs évolutions, nos danseuses sa-
luaient le public avec un gentil sourire, puis, gravement, lentementr
à pas comptés, descendaient de leur estrade et, cheminant parmi
la foule, sortaient de la salle pour rejoindre leur case et prendre-
quelques moments de repos en attendant la séance suivante. Mais
tout n'était pas fini pour cela, et un autre tableau, d'un autre genre,,
nous était offert.
Il s'agissait alors de la véritable danse populaire de Java. Quand
je dis véritable, j'exagère peut-être, car, s'il faut en croire certains
voyageurs, cette danse ne pourrait guère être offerte à des specta-
teurs, surtout à des spectatrices européennes, si l'on n'en estompait
quelque peu les traits trop accentués et trop hardis. Cette fois c'était
un danseur et une danseuse (celle-ci s'appelait Lees, j'ai oublié le
nom de son compagnon), qui, dans le costume très simple et très
rustique du peuple javanais, venaient nous donner une idée de ce-
genre de divertissement. Lees était ce qu'on appelle là-bas une tandak,
c'est-à-dire une danseuse publique, de celles que je signalais plus
haut en notant la différence essentielle qui, au point de vue social,,
les sépare des danseuses de cour telles que nous les faisaient si
gracieusement connaître Tamina, "Wakiem, Ayou et Sariem. « La
danseuse publique — disait à ce propos un de mes confrères, grand
voyageur, qui les a vues chez elles, dans leur milieu — va de ville
en ville, accompagnée d'un musicien, pour égayer les fêtes, les
mariages, les anniversaires. Ce n'est ni la foule, ni les maîtres des
maisons où elle exécute ses contorsions lascives qui la paient, c'est
chacun de ceux qui dansent avec elle, et ses moeurs sont ce qui lui
convient qu'elles soient dans ce pays où la femme est absolument
libre, coquette, portée au plaisir, et a des droits égaux à ceux des
hommes... Cependant, tout en étant moins sérieuse, moins classique
que celle des Sarimpi, la danse que Lees exécute avec un de ses
compatriotes n'est encore qu'un pastiche bien timide de la choré-
graphie passionnée à laquelle j'ai vu les Malais se livrer dans cer-
tains endroits spéciaux, à Mysteer-Cornelis, par exemple, sur la roule
de Batavia à Buitenzorg, le jour du marché d'armes... »
Il est certain que la danse de Lees et de son compagnon, pour
être moins sévère, moins solennelle, moins cérémonieuse que celle
(1) Nos danseuses portaient co casque tantôt à la manière des dragons
ou des cuirassiers, tantôt en bataille, comme les chapeaux de nos gen-
darmes; parfois aussi, ce qui était charmant, leur tête mignonne était
comme encadrée dans des touffes épaisses de blanches fleurs de lotus.
LE MENESTREL
497
que nous venions de voir, n'offrait encore qu'un élan et un mouve-
ment très relatifs. Elle ne manquait pas toutefois d'une certaine
couleur; mais elle n'avait plus pour nous le même attrait d'absolue
nouveauté, et cette poursuite, souvent gracieuse, de l'homme et de
la femme, ce rapprochement et cet éloignement alternatifs de l'un
et de l'autre sexe aboutissant à un accord définitif, en nous rendant
l'élément vraiment humain et passionnel, faisait d'autant plus res-
sortir le contraste de celte danse avec le caractère en quelque sorte
religieux et un peu mystique des lentes et douces évolutions qui,
précédemment, nous avaient étonnés et charmés à un si haut degré.
Aussi, le public de l'Exposition n'accorda-t-il jamais au couple
populaire qu'une attention distraite et secondaire. Tout le succès,
le succès indiscutable et constant, fut toujours pour Tamina et ses
compagnes. — Avez-vous vu les petites Javanaises? se demandait-on
à chaque rencontre. Et ceux qui les avaient vues retournaient les
voir; et ceux qui n'avaient pas fait connaissance encore avec elles
s'empressaient de se rendre au Kampong pour les contempler et
les applaudir. Si bien que depuis le milieu de juin environ, époque
où elles firent leur première apparition, jusqu'à la fin d'oclobre, où
les fraîcheurs de notre automne, excessives et douloureuses pour
elles, obligèrent à les renvoyer dans leur pays, le pavillon du Kam-
pong ne désemplit pas un seul jour, pas une seule représentation.
Les gentilles Javanaises ont été, on peut le dire, les lionnes de la
partie exotique de l'Exposition; et elles ont laissé parmi nous, dans
ce Paris, souvent si oublieux, mais qui a le culle de la jeunesse,
de la grâce et de la beaulé, un souvenir qui n'est pas près de
s'éteindre (1).
(A suivre.) Arthur Pougin.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Nous avons rapporté le mot renouvelé de Méhul et singu'ièrement
attribué à Verdi, par un journal italien, à propos de l'opéra du jeune
maestro Mascagni, Cavallcria rusticana : « Maintenant, je peux mourir
tranquille! ». Un autre journal, il Carrière, qui avait contribué à l'expan-
sion du canard en question, lui coupe aujourd'hui les ailes en se disant
« autorisé à démentir formellement cette étrange nouvelle. » Voilà beau-
coup de solennité pour una beffa.
— On litdansle Trovatore : — « Hélas! c'était une chose prévue, et le
silence ne nous était imposé que par une pieuse et tendre amitié! Mais
toute réserve serait vaine désormais, et Boito lui-même, l'ami, le frère
de Faccio, écrit que que sa folie est incurable. // n'est que trop vrai, dit-il,
toute espérance de guérison est perdue. La maladie suit son cours fatal. Pauvre
Faccio! Pauvre ami ! »
— Les exigences ridicules des chanteurs, retour d'Amérique ou non,
finiront par rendre le théâtre impossible en Italie, où il n'est pas déjà
très florissant. Quelques-unes des scènes lyriques les plus importantes de
la Péninsule menacent de rester fermées, les conseils municipaux refu-
sant de voter dès subventions dont ils trouvent le chiffre excessif. C'est
ainsi qu'à Gênes le conseil a repoussé une demande de 100,000 francs
pour trois ans qui lui était adressée pour le théâtre Garlo-Felice. Il en est
de même à Venise pour la Fenice, à Trieste pour le théâtre Communal,
et dans plusieurs autres villes. Les dice et les divi seront bien avancés
quand ils auront arrêté net le mouvement de l'art ! Ils ne peuvent pour-
tant pas aller tous en Amérique!
— On lit dans ['Italie : « Un associé de l'imprésario de San Carlo de
Naples s'étant retiré, et la municipalité de cette ville ne trouvant pas suf-
fi) Un trait de mœurs, pour finir. Tous les Javanais amenés à Paris ne
revirent pas la terre natale. Le 6 juillet, en pleine représentation, un des
leurs, un des musiciens, nommé Anan, mourait subitement. Le commis-
saire de police du quartier, M. Santucci, prévenu de l'accident, donnait
aussitôt l'ordre de faire transporter le corps à la Morgue. Mais il avait
compté sans les compagnons du défunt, qui s'opposèrent absolument à
l'enlèvement du corps, disant que leur ami n'était pas mort, qu'il ne pou-
vait mourir ainsi loin de son pays, qu'il n'était qu'endormi. « Pourquoi
voudrait-il nous quitter? disaient-ils; il était bien ici, au milieu de nous,
rien ne lui manquait », etc. Le commissaire était fort embarrassé. Il lui
faillit parlementer pendant plus d'une heure, à l'aide de l'interprète, pour
les décider enfin, leur dire qu'Anan serait transporté dans un vaste monu-
ment, très décoratif, le temple de Notre-Dame, où le bien-être qu'il trou-
verait dissiperait certainement sa mauvaise humeur, et où d'ailleurs ses
compatriotes pourraient aller le voir dès le lendemain, lui porter du
tabac, des friandises, etc. Le lendemain matin en effet, tous les Javanais
du Kampong arrivaient à la Morgue, dans seize voitures, et comme le
pauvre Anan n'était pas ressuscité, ils consentirent sans trop de peine à
le laisser nterrer.
lisantes les garanties offertes par M. Villani tout seul, a déclaré le contrat
dissous. On croit donc que l'hiver prochain, le San Carlo restera fermé.
L'argent de la subvention sera employé à des réparations trouvées néces-
saires. Cette nouvelle a causé à Naples un grand mécontentement. Il est
probable que l'on reviendra sur cette décision pour satisfaire l'opinion
publique. »
— A Rome, dans l'église américaine, concert d'orgue et audition de
nouvelles compositions religieuses par les élèves de l'Académie de Sainte-
Cécile, en présence des membres de l'Académie, du représentant du mi-
nistre de l'Instruction publique et d'un brillant auditoire. On a exécuté
dans cette séance un motet à trois voix de M. Ugolini, un O salutaris à
quatre voix de M. Bajardi, un motet à quatre voix de M. De Angelis, et
un Benedictus à quatre voix de M. Settaccioli. — A la salle Palestrima,
fête musicale et littéraire en l'honneur de la Béatrice de Dante, dans la-
quelle ont été exécutés deux chœurs pour enfants et une cantate à Béatrice,
écrits par M. Tonizzo. — A l'Institut des aveugles de Milan, exercice
musical et audition de deux œuvres dues à deux jeunes élèves de compo-
sition de l'école : un prélude symphonique de M. Noseda, et une cantate
pour voix seule, chœur et orchestre, de M. Mascetti.
— Il est question de donner prochainement au théâtre des Fiorentini,
de Naples, un opéra nouveau de M. Giulio Cottrau, Griselda, et au théâtre
municipal d'Alexandrie un autre opéra inédit, Fiamma, du maestro Havera.
— Un pauvre diable de musicien du nom de Paolo Perego, réduit par
la misère au désespoir, a tenté ces jours derniers, à deux reprises, de se
suicider à Milan en se jetant sous les roues d'un train en marche. Les
deux fois on a réussi à le sauver. Ce désespéré est âgé seulement de 29 ans.
— La ville de Catane, malgré ses 80,000 habitants, n'avait jamais eu
jusqu'ici que des théâtres indignes d'elle. Le nouveau théâtre Bellini,
dont nous avons annoncé la récente inauguration, est un édifice somp-
tueux, élégant, d'une riche architecture, qui lui faitle plus grand honneur
et qui la dote enfin d'un monument bien approprié à son objet. L'inaugu-
ration, tout naturellement consacrée à Bellini, enfant de Catane, s'est faite
par une représentation de Norma, dont la recette a dépassé 16,000 francs.
— Un journal de Trieste, l'Arte, rappelle le souvenir d'un compositeur
mort il y a quelques années, Privitera, qui avait écrit un opéra intitulé
la Vergine del Caslillo, dont la partition disparut dans les flammes, le théâ-
tre de Malte, où on allait représenter cet ouvrage, ayant été complètement
détruit par un incendie la veille même de la représentation et pendant la
répétition générale, qui avait lieu on présence d'un nombreux public. Cet
artiste composa ensuite un second opéra, iBergolini, mais il ne put jamais
se décider à le livrer à la scène, son esprit étant constamment troublé
par le drame auquel il avait assisté et qui avait ruiné toutes ses espérances.
— Tableau de la troupe du Théâtre-Royal de Madrid pour la prochaine
saison : soprani, Mmos Tetrazzini et Pacini ; mezzo-soprano, Mme Stahl ;
ténors, MM. Durot, Lucignani etMassimi; baryton, M. Battistini ; basses,
MM. Uetam et Barucchia ; chef d'orchestre M. Luigi Mancinelli.
— On nous écrit de Liège que la partition du Voyage de Chaud fontaine,
dont les Nouveautés donnent en ce moment les dernières représentations,
ne dormait pas dans les archives du Conservatoire de Liège. Cette parti-
tion, ainsi que celles de tous les autres ouvrages de Jehan-Noël Hamal,
faisait partie d'une collection musicale très précieuse et très riche, celle
du compositeur Léonard Terry, qui la légua en mourant, il y a quelques
années, au Conservatoire. Terry avait fait et publié à Liège une réduction
au piano du Voyage de Chaudfonlaine, et, il y a vingt ans environ, il faisait
entendre le premier acte de ce gentil petit opéra au public de Liège, dans
un concert organisé par lui. M. Théodore Radoux, l'excellent directeur
du Conservatoire de cette ville, s'occupe en ce moment de la réduction et
de la publication d'un autre opéra wallon de Hamal, le Liégeois engagé
(li Ligeoi egagi), qui, dit-on, renferme des pages dignes de Gluck et de
Haendel. Il compte donner l'an prochain, au Conservatoire, par les élèves
de la classe de déclamation lyrique, une audition de cet ouvrage.
— Le Leipziger Tagblalt publie un rapport statistique sur les publications
musicales en Allemagne pendant l'année 1889, rapport qui accuse un mou-
vement sensiblement rétrograde dans le nombre des nouveautés, comparé à
celui atteint en 1888. C'est la première fois depuis bien longtemps, dit le
rapport, que la production musicale allemande est arrêtée dans son mouve-
ment ascensionnel. Le chiffre total des nouveautés de 1889 s'élève à 6,650,
contre 7,169 en 1888, soit une diminution de 7 0/0. Cette diminution porte
sur toutes les catégories d'œuvres, musique de chambre et de piano, musi-
que dramatique, religieuse, vocale, symphonique et instrumentale. La
musique de quatuor a particulièrement souffert. Le chiffre en est tombé
de 43S à 23b. Par exemple, le nombre des ouvrages de littérature a augmenté
dans une proportion de 23,8 0/0 (312 volumes contre 232 en 1888.)
— On écrit de Berlin que. le pianisle Xavier Scharwenka est depuis
longtemps en plein travail de composition d'un ouvrage lyrique sur lequel
on fonde de grandes espérances. C'est un opéra, dont le sujet est emprunté
à l'histoire du roi des Goihs, Vitigès, et qui aura pour titre Masaswintha.
Les deux premiers actes sont achevés.
— Le directeur du Conservatoire royal de Dresde, M. Pudor, ayant
donné récemment sa démission, est remplacé, depuis le lor juin, par un
des professeurs de l'établissement, M. Eugène Krantz, artiste très actif et
ianpiste de premier ordre. Le nouveau directeur a fait lui-même son édu-
LE MÉNESTREL
cation musicale au Conservatoire, de 1858 à 1865, et il y est professeur
depuis 1S69, non seulement d'une classe de piano, mais de la classe supé-
rieure des chœurs et de celle de pédagogie. C'est un homme d'initiative,
qui, dit-on, fait autorité en matière d'art, et qui ne craint ni le progrès
ni les innovations. Il a célébré, au mois de décembre dernier, sa huit
centième coopération à des concerts de tout genre, soit comme exécutant,
soit comme chef d'orchestre.
— Si nous en croyons la New Musikzeilung de Stuttgart, on peut lire sur
une pierre tombale du cimetière de Madrid l'inscription qui suit : « Ci-gît
Juan Pinto, l'Orphée espagnol. A son arrivée au ciel, il unit sa voix à
celles des archanges. Mais le Seigneur l'eut à peine entendu, qu'il s'écria :
« Faites silence tous et laissez chanter seul le eantor de caméra Pinto. »
— Un souvenir historique raconté par la même New Musikzeitung :
ci En Angleterre, sous le règne de Charles II, les mœurs étaient à ce point
sévères, qu'on allait jusqu'à exclure les femmes de la scène. En consé-
quence, les rôles féminins étaient confiés à des jeunes gens, travestis
comme il convenait. Certain soir, le commencement du spectacle se faisait
longuement attendre. Le public devint impatient et le roi, qui était arrivé
depuis un bon moment, se montra fort contrarié du retard. Au bout de quel-
ques minutes il fit venir le directeur: — Que se passe-t-il donc aujourd'hui?
demanda le roi, avec courroux, n'allez-vous pas vous décider à commencer
la représentation? — Veuillez me pardonner, sire, répondit le directeur
en s'inclinant profondément, mais... la reine n'est pas encore rasée ! »
Charles II éclata de rire, et attendit patienment que la reine eut terminé
sa barbe. »
— Un musicien grec, qui a fait son éducation artistique en Italie et
qui depuis est retourné dans sa patrie, M. Paul Carrer, déjà connu par
deux opéras représentés, Marco Botzaris et Frossini, vient d'achever la
partition d'un nouvel ouvrage, Marathon-Salamis, qu'il se propose de faire
jouer, au cours de la prochaine saison, sur quelques-uns des nombreux
théâtres de Grèce, notamment à Athènes, Syra, Patras, Nauplie, Pirgos,
Corfou, Céphalonie et Zante.
— On annonce la prochaine mise à la scène, à Saint-Pétersbourg,
d'un nouvel opéra de Rubinstein, intitulé les Malheureux. Le livret a pour
sujet les mésaventures amoureuses d'un prince russe qui vivait vers la
fin du douzième siècle.
— On écrit de Constantinople, à la date du 10 juin :
Hier soir, à 8 h. 1/2, le feu a entièrement détruit le petit théâtre d'été dit des
« Petits-Champs ». La troupe française Claudius, arrivée de la veille, devait dé-
buter ce soir dans le Voyage en Chine. Tous les costume» des pauvres artistes,
qu'on avait déposés le jour même, près de la scène, à l'endroit de l'orchestre, ont
été tous perdus ; le désespoir de ces pauvres gens, dont ces oripeaux étaient la
seule richesse, faisait mal à voir. Dans ce cas de force majeure, rien ne leur est
dû, et ils sont ici sans ressources- Les dégâts matériels ne sont pas très grands.
Le théâtre était tout en bois, et en une demi-heure de temps le feu avait tout
consumé. Le propriétaire, dit- on, était assuré, mais ce sont les artistes qui sont
le plus à plaindre.
Le directeur Claudius, dont il est ici question, était un grand contrefac-
teur devant l'Éternel. Son métier consistait à prendre des copies fraudu-
leuses des partitions d'orchestre de nos compositeurs et à les exploiter à
son profit. Un jugement du tribunal correctionnel de Marseille l'avait
déjà sévèrement condamné à ce propos. A présent,il se contentait d'exer-
cer sa coupable industrie à l'étranger. Espérons que les flammes n'au-
ront pas épargné sa belle collection de contrefaçons ; ce sera la seule
consolation qu'on puisse tirer de cet épouvantable désastre.
— Nous avons fait connaître récemment la vente, en Angleterre, d'un
des plus fameux violons de Stradivarius, celui connu sous le nom du
Messie, qu'un amateur n'avait pas hésiter à payer 50,000 francs. Le
Scottish leader nous apporte à ce sujet les renseignements que voici : —
« Le monde musical apprendra avec intérêt qu'un violon fameux de Stra-
divarius vient de rejoindre les spécimens du genre que possèdent déjà les
collectionneurs du Royaume-Uni. C'est un riche écossais, grand connais-
seur, qui vient d'en faire l'achat, M. Robert Crawford, d'Edimbourg.
L'instrument porte la date de 1716, et par ce fait appartient à la grande
période de la carrière du maître. En 1872, les Anglais eurent l'occasion
de le voir à l'Exposition d'instruments de musique, à South-Kensington,
où son propriétaire d'alors, M. Vuillaume, le fabricant célèbre de Paris,
l'exposa. C'était l'unique violon datant de l'époque qui présentât toutes les
conditions parfaites de conservation. Il fut, en 1760, la propriété du comte
Cozio di Salabrie, amateur italien renommé. Après la mort de celui-ci.
en 1824, il passa dans la collection célèbre de Luigi Tarisio, lequel ne le
laissa voir à personne, tenant caché son trésor jusqu'à sa mort, en 1854.
Un an après, les héritiers de Tarisio vendirent sa collection, et feu
Vuillaume fit l'acquisition du Messie. L'état remarquable de conservation
dans lequel se trouvait le violon était une garantie suffisante pour affir-
mer que pendant 150 ans de son existence, personne n'y avait touché.
Vuillaume, qui ne voulait se séparer de son trésor à aucun prix d'argent,
le laissa en mourant à son gendre, Alard, le violoniste bien connu et
l'heureux possesseur d'une des meilleures collections. Alors que le Messie
était à l'Exposition de South Kensington, il fut estimé par l'expert de
Londres Charles Read, d'une valeur supérieure à 600 livres sterling. Alard
le légua à son gendre, M. Crone, et aujourd'hui le Messie est la propriété
de M. Robert Crawford, qui en a donné le prix le plus élevé que jamais
ait atteint un violon, soit 2,000 livres (cinquante mille francs). »
— Les deux récitals que vient de donner MUc Clotilde Kleeberg au
Prince's Hall de Londres lui ont valu des articles très élogieux de la part
du Times et des principales feuilles musicales de la capitale. On s'accorde
à considérer la jeune pianiste française comme une des plus brillantes
virtuoses de l'époque. Parmi les morceaux les plus applaudis de son pro-
gramme on cite surtout \a.Chaconne de M.Théodore Dubois et la Fantaisie de
M. Godard, tirée de ses belles Études artistiques.
— Le Musical Standard de Londres, qui plaisante toujours si agréablement
l'ignorance des journaux français en ce qui concerne certains menus faits
divers de la vie anglaise, ferait bien de ne pas s'exposer lui-même à ce
qu'on puisse lui retourner le compliment. Il devrait éviter d'annoncer,
comme il le fait, sous la rubrique Nouvelles de Paris : 1° que la troupe de
l'Opéra va prendre possession de l'Eden-Théâtre pour y représenter Sam-
son et Dalila, sous la direction de M. Verdhurt ; 2° que l'administration des
Concerts populaires a engagé pour diriger ses concerts MM. Colonne, La-
moureux, Hans de Bulow et Richter! — Votre deuxième nouvelle de Paris,
cher confrère, est tout bonnement une nouvelle de Bruxelles.
— Les succès d'Edouard Strauss en Amérique font naître sous ses pas
les envies et les provocations de concurrents jaloux. L'un d'eux, Nahan
jKranko, vient d'envoyer au kapellmeister viennois un cartel lui enjoignant
de venir se mesurer avec lui. Edouard Strauss a relevé le défi. Les condi-
tions de ce combat à armes courtoises (on ne s'y servira que... d'instru-
ments de musique) sont les suivantes : M. Fianko disposera d'un orches-
tre égal en nombre à celui d'Edouard Strauss et fera exécuter un pro-
gramme établi par Strauss lui-même, tandis que ce dernier fera jouer
par son orchestre, sur la même estrade que son concurrent et alternati-
vement avec lui, un programme élaboré par M. Franko. Le but du chef
d'orchestre américain est de démontrer que les musiciens de New-York
sont supérieurs à tous ceux d'Europe. Il nous semble que pour être
jugée avec toute l'impartialité désirable, la lutte aurait besoin d'être pla-
cée sur un terrain et devant des arbitres plus essentiellement neutres.
— A propos d'Edouard Strauss, annonçons, d'après les journaux améri-
cains, que le célèbre kapellmeister a déjà été victime d'un vol de 700 dol-
lars, qui, heureusement, a pu être découvert à temps. Un soir de la
semaine dernière, à Pittsburg, en rentrant à son hôtel, M. Strauss trouva
la porte de sa chambre fracturée et vit, gisant à terre, complètement vidé,
le sac dans lequel il avait serré le produit de ses concerts, s'élevant à
trois mille cinq cents francs. Le voleur, un garçon de l'hôtel, a été arrêté
le lendemain. On a trouvé la somme dissimulée sous ses vêtements. Bien
qu'il eût en sa posssession la clé de la chambre, il n'en avait pas moins
fait sauter la serrure, pour détourner les soupçons.
— M. Stanton, directeur du Metropolitan Opéra House de New-York, a confié
à un reporter du World qu'il s'était assuré le droit de représentation en
Amérique du nouvel opéra de M. Massenet, le Mage, et qu'il produirait
cet ouvrage, au Metropolitan, le jour même de la première représentation
à Paris. 11 projette également des reprises d'Hamlet et des Joyeuses Commères
de Windsor.
— Un nouvel opéra-comique romantique, le Roi des mers, a vu le jour le
mois dernier au Chestnut street Théâtre de Philadelphie. La critique locale
parle en termes favorables de la partition, due à M. Richard Stabl, ainsi
que de l'interprétation.
— Les exhibitions de petits virtuoses prodiges deviennent tellement
fréquentes, que c'est à peine si à présent on y fait attention. Aussi, le
manager de miss Webb, pianiste américaine âgée de huit ans, prévoyant
l'indifférence du public, a-t-il eu recours à un nouvel effet de mise en
scène pour mettre sa pensionnaire en évidence. Lors d'un récent concert
à New-York, les auditeurs virent apparaître l'enfant tenant une superbe
poupée dans ses bras. Elle fit deux fois le tour de l'estrade puis, avec
toutes sortes de petites manières, assit sa poupée dans un petit fauteuil,
avant de grimper sur le tabouret du piano. Dans l'esprit du manager, le
public a dû se sentir intimement convaincu qu'il était en présence d'un
vrai bébé, quittant subitement sa poupée pour aller tapoter une sonate de
Beethoven.
— Dans un concert donné à San Francisco on a entendu deux composi-
tions d'un musicien américain, M. F. G. Gleason, qui est le critique
musical du journal the Tribune, de New-York, et qui a fait son éducation
artistique à Leipzig et à Dresde, où il a sucé le lait des doctrines wagné-
riennes dans ce qu'elles ont de plus farouche. Les deux morceaux en
question sont l'introduction d'un opéra intitulé Olhon Visconti, et la Mar-
che religieuse d'un autre opéra, Montezuma. L'un et l'autre, parait-il, sont
parfaitement incompréhensibles, d'ailleurs dépourvus de toute espèce
d'inspiration, ce qui fait dire à un critique que « quand un compositeur
n'a rien à dire de nouveau, il ferait mieux de se taire et de ne pas fatiguer
son auditoire par un bruit insupportable et inutile. »
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Hier samedi à l'Institut, audition et jugement des cantates pour le
prix de Rome. Les cinq cantates ont été entendues dans cet ordre et avec .
cette interprétation :
1. M. Bachelet, premier second grand prix en 1887, élève de M. E. Gui-
raud ; interprètes : M"0 de Montalant, MM. Imbert de la Tour et Mar-
tapoura ;
LE MÉNESTREL
199
2° M. Lutz, élève de M. Guiraud ; Ma,° Lyven, MM. Delly et Plançon ;
3° M. Sylver, élève de M. Massenet ; M1"0 Yveling RamBaud, MM. Clé-
ment et Fournets ;
4° M. Fournier, élève de M. Léo Delibes, deuxième second grand prix
en 1S89 ; M™ Montalba, MM. Engel et Dubulle ;
5° M. Carraud, élève de M. Massenet; MUa Baretti, MM.'Cossira et
Taskin.
— Voici le jugement rendu hier par l'Académie :
Premier Grand Prix, M. Carraud.
2e Premier Grand Prix, M. Bachelet.
1er Second Grand Prix, M. Lutz.
2« Second Grand Prix, M. Sylver.
— Voici la liste des morceaux d'exécution désignés pour les principaux
concours des classes instrumentales du Conservatoire : Piano, hommes :
lre Ballade de Chopin. — Piano, femmes : Concerto en sol mineur, de
M. C. Saint-Saêns. — Piano (classes préparatoires), hommes : 3e Concerto
de Henri Herz. — Piano (classes préparatoires), femmes : Concerto en la
mineur, d'Hummel. — Harpe : Concerto, op. 81, de Parish-Alvars. —
Violon : lel concerto de Paganini. — Violon (darses préparatoires) :
19e Concerto de Kreutzer. — Violoncelle : 8e Concerto de Romberg. —
Contrebasse : Morceau de concours de M. Verrimst.
— La Commission des théâtres s'est réunie vendredi, sous la présidence
de M. L. Bourgeois, ministre de l'instruction publique et des beaux-arts,
pour entendre la lecture du rapport rédigé par M. Charles Garnier, au
nom de la sous-Commission qu'elle avait chargée d'étudier la question
des décors de l'Opéra et qui comprenait, avec l'éminent architecte,
MM. Antonin Proust et Durier. Ce rapport, au dire des membres de la
Commission que nous avons pu consulter, est un modèle de science théâ-
trale, de précision et de mesure. Il passe en revue l'état du matériel
tout entier, par comparaison entre ce qu'il était lors de la prise de pos-
session par MM. Ritt et Galhard et ce qu'il est aujourd'hui. Il conclut à
une réfection nécessaire et laisse à la Commission le soin d'en recher-
cher les moyens. Une longue discussion s'est aussitôt engagée à laquelle
ont surtout pris part, outre le ministre et M. Larroumet, directeur des
Beaux-Arts, MM. Proust, Garnier. Durier, Emmanuel Arène, Denorman-
die, etc. L'ordre du jour suivant a été voté sur la proposition de M. De-
normandie : « La Commission estime qu'en présence du litige qui existe
entre l'administration des Beaux-arts et la direction de l'Opéra, il con-
vient, avant de faire valoir les droits que l'administration peut avoir à
invoquer, de tenter un règlement transactionnel. » La sous-Commission
a été chargée de préparer les voies et moyens de ce règlement, sous la
présidence de M. Larroumet, directeur des Beaux-Arts.
— Vendredi dernier, le ministre des beaux-arts devait être entendu par
la commission du budget, au sujet des subventions théâtrales. A ce
propos M. Francis Magnard, du Figaro, l'esprit très modéré et plein de
bon sens que l'on sait, faitles réflexions suivantes, qui viennent à l'appui
d'une thèse que nous avons souvent nous-mème développée : « Ce n'est
pas au principe des subventions que nous sommes hostile, comme on a
feint de le croire, mais à leur 'fonctionnement actuel. Nous voudrions,
au contraire, une caisse des musées largement dotée; nous voudrions un
Opéra-type réalisant les meilleurs conditions d'art et de spectacle; nous
savons que cela coûterait plus cher que ce que nous avons et nous ne
regretterions point la dépense, tandis qu'avec, le système en vigueur la
dépense existe sans qu'elle fasse honneur au budget et serve les intérêts
de l'art. — La querelle n'a rien de personnel; nous ne relevons d'aucune
coterie, nous n'avons aucun candidat à présenter pour la direction de
l'Opéra. Bien plus, nous sommes convaincu que les successeurs de M. Ritt
ne le dirigeraient pas mieux, au point de vue artistique, si on ne modi-
fiait pas le cahier des charges. Là est le nœud de la question : M. Ritt
et M. Gailhard l'ayant accepté en connaissance de cause, ils sont tenus
d'en remplir les conditions, et les irrégularités de leur gestion donnent
barre contre eux, mais c'est dans ce cahier des charges, nous le répé-
tons, que gît le mal. Il devrait être revu de fond en comble. Quand les
directeurs actuels plaident leur cause, ils sont maladroits en voulant nous
prouver qu'ils dirigent artistiquement leur affaire. Leur troupe est mé-
diocre dans son ensemble, les chœurs et l'orchestre chantent ou jouent
comme on va à son bureau. Le répertoire est monotone, les décors sont
ordinaires, les costumes manquent d'élégance, et dans les ballets jamais
un ensemble de couleurs ne charme l'œil. Donc, direction antiartistique.
Où ils deviennent excusables, c'est quand ils se plaignent des frais déme-
surés qu'exige le grand gâteau monté qui s'appelle le théâtre de l'Opéra,
de l'impossibilité de varier le répertoire parce que l'emplacement manque
pour un magasin de décors. Ils peuvent se plaindre de beaucoup d'autres
choses, de la difficulté de recruter des chanteurs, de la coupe obligatoire
en cinq actes pour les opéras quand même le sujet n'en comporte que
trois, etc., etc.; bref, de ce cahier des charges, dont il faudrait voter la
réforme en même temps qu'on admettra le principe des subventions —
car on l'admettra pour ne pas avoir l'air de ne point protéger les arts et
de dédaigner le tutu des danseuses. »
— A l'Opéra, engagements sur engagements, pour faire croire à la
Commission du budget que la troupe est aussi nombreuse que distinguée.
Cette semaine on a enrôlé coup sur coup le ténor Vergnet et M"" Durand-
Ulbach. De plus, on nous laisse entrevoir la possibilité d'une rentrée de
M"10 Richard. Pourquoi n'arriver à toutes ces belles choses que contraints
et forcés et sous la pression continuelle de l'opinion publique exaspérée?
N'aurait-on pas mieux fait de s'exécuter tout de suite avec grâce?
— A l'Opéra-Comique, M. Paravey vient de recevoir un drame lyrique
en quatre actes, Enguerrande, paroles de MM. Victor Wilder etE.Bergerat,
musique de M. E. Chapuis. M. Chapuis est l'auteur des Jardins d'Armide,
œuvre lyrique couronnée au concours de la Ville de Paris, il y a deux ans.
Enguerrande prendra rang après les innombrables ouvrages déjà reçus par le
directeur et qui attendent leur tour avec tant de résignation.
— Dans sa dernière séance, l'Académie des beaux-arts a décerné le
prix Bordin, de 3,000 francs, dont le sujet était cette année : De la musique
en France, à M. Arthur Coquard, auteur du manuscrit n° A, portant pour
devise: « L'expression est le caractère propre de la musique. »
— Lundi a eu lieu, dans la grande salle du Conservatoire de musique,
l'Assemblée générale annuelle de l'Association des artistes dramatiques.
M. Garraud, secrétaire-rapporteur, a d'abord lu son rapport sur les tra-
vaux de l'exercice 1889-90. En voici les passages les plus intéressants :
« La Société arrive, cette année, à la cinquantième année de son exis-
tence. Elle a commencé par une première mise de 1,000 francs, don de
son fondateur, le baron Taylor, et aujourd'hui l'Association des artistes,
en y comprenant les quatre associations également fondées par le regretté
baron Taylor, a réalisé la somme de 21,938,114 francs de recettes. Sur
cette somme, il a été distribué, en secours et en pensions, 7,351,001
francs. L'Association s'est augmentée cette année de dix-huit nouveaux
sociétaires perpétuels, ce qui porte à 3,304 le nombre total de ses mem-
bres. L'Association a reçu de nombreux dons ; parmi les plus importants,
citons : une somme de 1,000 francs, don de M. Mounet-Sully, a l'occa-
sion de sa nomination de chevalier de la Légion d'honneur ; une autre
somme de 10,000 francs, don de Gaston Mélingue, à la mémoire de ses
père et mère ; une pension perpétuelle de 300 francs, don de M™0 veuve
Christian, à la mémoire de son mari, pension qui portera le nom de sa
fondatrice. Voici un exemple assez frappant de l'utilité de l'Association,
et qui démontre quels grands services elle est appelée à rendre à tous ses
membres: huit sociétaires décédés, qui avaient versé à la caisse, pendant
leur vie, une somme de 3,893 francs, ont touché des pensions s'élevant
à So,608 fr. 3o c. 38 pensions nouvelles ont été créées cette année ;
Mm° Jouassain a fait abandon de la sienne au profit des membres malheureux
de la Société. » Après la lecture de ce rapport, il a été procédé à
l'élection du président et de sept membres du comité. Nombre des votants:
240. M. Halanzier a été réélu président à l'unanimité. Membres sortants
réélus : MM. Dumaine, 240 voix ; Saint-Germain, 239 voix ; Pellerin, 240
voix; Morlet, "240 voix; E. Bertrand, 220 voix; Coquelin cadet, 240 voix.
Membre nouveau : M. Raphaël Duflos, par 233 voix, en remplacement de
M. Laray, décédé.
— On continue de s'entretenir avec activité de la reconstitution si inté-
ressante du Théâtre-Lyrique dans la salle de l'Eden-Théâtre. M. Verdhurt,
qui serait à la tète de la nouvelle entreprise, a adressé cette semaine à
la presse la note que voici: « En dehors du répertoire que M. Verdhurt a
formé l'hiver dernier, en vue de Paris, au nouveau Théâtre-Lyrique
français de Rouen, aucun ouvrage nouveau n'a été encore reçu par lui
pour la saison prochaine de l'Eden, où il installera le Théâtre-Lyrique en
septembre. Les œuvres dont la représentation est jusqu'à présent décidée
sont donc seulement : Samsonet Dalila, le Vénitien, la Coupe et les Lèvres et le
Printemps. En outre, Gwendoline, de MM. Emmanuel Chabrier et Catulle
Mendès, Chanson nouvelle, de MM. Jules Bordier et Henri Moreau, reçus
déjà l'année dernière et qui n'ont pu être représentés. La troupe du
Théâtre-Lyrique est en voie de formation. Les artistes — musiciens, cho-
ristes et danseuses — qui désireraient en faire partie peuvent adresser
leur demande écrite à M. Verdhurt, au théâtre de l'Eden. Ils seront con-
voqués en temps utile pour examen ou audition. » Aujourd'hui, on
annonce que les actes relatifs à la transformation de la salle de l'Eden
sont signés par les parties, que l'ouverture du nouveau Théâtre-Lyrique
aura lieu en octobre prochain, et que le secrétaire général de l'adminis-
tration sera notre confrère M. PaulLordon. S'il en est ainsi, tout est pour le
mieux, et nous ne pouvons que souhaiter longue vie et réussite brillants
à un théâtre que nous avons toujours appelé de tous nos vœux.
— C'est irrévocablement mercredi prochain que sera donnée, à l'Hip-
podrome, la première représentation de Jeanne d'Arc, légende mimée en
quatre tableaux, avec musique de M. Ch. Widor.
— Nous croyons qu'il n'est pas inutile d'insister sur l'importance de la
correspondance suivante adressée de Londres au Figaro, et qui rend
compte de l'effet considérable produit dans la capitale du Royaume-Uni
par les représentations lyriques françaises : « Grand succès à Covent-
Garden pour Roméo et Juliette, chanté en français par M'»e Melba, Jean et
Edouard de Reszké. Pas une loge, pas une place qui ne fut occupée ;
tout ce que l'Angleterre possède de grands noms et de jolies femmes
était là réuni. C'est par dizaine de millions qu'il eut fallu estimer les
diamants étalés sur les épaules nues ! Ce qui s'est passé ce soir semble
être le début d'une révolution dans les habitudes anglaises au théâtre.
Le public de Londres parait prendre un plaisir extrême à l'audition de
l'opéra français et pourrait bien exiger, dans l'avenir, qu'il fut substitué
I au répertoire italien. La Favorite a été chantée en français, pour le début
200
LE MÉNESTREL
de Mnlc Richard; Carmen et Esmeralda, du jeune compositeur anglais,
M. Goring Thomas, seront, chantés dans notre langue. MM. Lassalle, Jean
etÉdouard de Reszké, sur la proposition qui leur a été faite par le co-
mité-directeur de Covent-Garden de doubler leurs cachets pour la saison
prochaine, s'ils consentaient à revenir, ont, à ces conditions, renouvelé
leurs engagements pour 1891. M. Lassalle a eu un très vif succès dans
Hans Sachs des Maîtres chanxurs. Le Prophète ne sera donné qu'après
les courses d'Ascot, cela sur le désir exprimé par S.- A. R. le prince de
Galles, qui tient à assister à cette première. » Ce qui vient de se produire
pouvait être facilement prévu, et pour les esprits attentifs il paraissait
certain qu'à un moment donné l'opéra français proprement dit ferait
place, sur les scènes étrangères, à l'opéra français italianisé. En effet, le
centre de production musicale s'est déplacé depuis un demi-siècle; d'Italie
il est venu en France, et de la France il rayonne sur tous les pays.
Puisqu'il en est ainsi, pourquoi s'obstinerait-on plus longtemps à le
dénationaliser, et, par suite d'une habitude séculaire, à chanter en italien
des œuvres qui n'ont plus absolument rien d'italien? Le fait serait d'autant
plus singulier que la langue française est beaucoup plus répandue de
tous côtés que la langue italienne, et que les dilettantes de tous pays
s'accommoderaient beaucoup plus de la langue de Molière et de Voltaire
que de celle de Dante et de Pétrarque, par ce fait qu'elle leur est beaucoup
plus familière. Pour ces diverses raisons, nous croyons que, dans un
avenir très prochain, toutes les grandes scènes lyriques internationales
substitueront l'opéra français à l'opéra italien.
— Un jugement intéressant. Le tribunal correctionnel de Reims vientde
juger, comme beaucoup d'autres tribunaux déjà, que la reproduction ma-
nuscrite d'une partition d'opéra et, en général, de toute œuvre littéraire
ou artistique, constitue manifestement la contrefaçon, et que le directeur
qui fait exécuter cet opéra sur son théâtre, à l'aide de partitions manus-
crites, se rend coupable du même délit. Ce jugement est intervenu à la
requête d'un certain nombre d'éditeurs de musique qui avaient fait saisir
entre les mains de M. Vilanou, directeur du Grand-Théâtre de Reims, des
copies manuscrites de partitions et de parties d'orchestre. Le tribunal de
Reims a donc condamné le prévenu à une amende et à des dommages -
intérêts envers les plaignants.
— M. Jules Gariez, directeur du Conservatoire de Caen, à qui l'on doit
déjà nombre d'écrits sur la musique et les musiciens, a publié récem-
men, un opuscule de 21 pages : Deux poèmes sur la musique (Caen,
Delesques, éditeur), qui avait été inséré d'abord dans les Mémoires de
l'Académie de Caen. Cette brochure est une analyse assez curieuse de
deux poèmes relatifs à la musique dus à un écrivain du dix^huitième
siècle, Jean de Serré de Rieux, et compris par lui dans un livre publié
sous ce titre : les Dons des enfants de Latone. Le premier est intitulé
Apollon ou l'Origine des spectacles en musique, le second simplement : la
Musique. Tous deux sont des espèces de poèmes didactiques, curieux en
leur genre et non sans quelque intérêt, que M. Jules Cariez a eu raison
de remettre ingénieusement en lumière et de tirer d'un complet oubli.
— La mise en scène de Salammbô au point de vue archéologique, tel est le
, titre d'une mince brochure de huit pages que vient de faire paraître à
Bruxelles M. Paul Saintenoy, architecte. C'est une appréciation et une
critique raisonnée de la façon dont ont été conçus et exécutés par
MM. Lynen et Devis, décorateurs du théâtre de la Monnaie, les décors
de l'opéra de M. Reyer. Les observations contenues dans ce petit écrit,
dont l'auteur estsecrétaire général de la Société d'archéologie de Bruxelles,
ne seront sans doute pas, le cas échéant, inutiles aux directeurs de
notre Opéra, si, comme on l'assure, ces messieurs, après avoir dédaigné
Salammbô lorsque l'ouvrage était inédit, sont décidés à le monter aujour-
d'hui que le public de Bruxelles en a eu la primeur.
— A l'occasion de la superbe restauration, ou plutôt de la reconstruc-
tion que M. Cavaillé-Coll vient de faire subir à l'orgue de la cathédrale
d'Amiens, on vient de publier en cette ville (Langlois, éditeur) une
notice historique et descriptive sur les Grandes Orgues ae la cathédrale
d'Amiens. Cette notice est plus intéressante que ne le sont parfois les
brochures de ce genre, en ce qu'elle retrace l'histoire de l'orgue d'Amiens,
qu'elle rappelle sommairement les admirables travaux qui ont fait de
M. Cavaillé-Coll le premier facteur d'orgues du monde entier, et qu'elle
reproduit des lettres de MM. Théodore Dubois, Guilmant et Widor, dans
lesquelles ces excellents artistes proclament éloquemment son incontes-
table supériorité sur ses confrères de tous les pays, même les plus dis-
tingués. Tous ceux qui auront en main cette brochure la liront avec
autant d'intérêt que de plaisir.
— Lundi dernier, M. Louis Diémer a donné une nouvelle audition de
ses élèves, salle Érard, dans laquelle on a exécuté exclusivement de la
musique classique. MM. Quévremont, J. Baume et Bonnel se sont particu-
lièrement fait remarquer; on a aussi fort justement apprécié MM. Cathe-
rine, Niederhoffeim, Désespringalle et L. Aubert. MM. Galand et Pierret,
tous deux malades, n'ont pu prendre part à l'audition ; ils ont été bril-
lamment remplacés par M. Victor Staub.
— Au cours de musique siexcellent de M°«> Poulain, il y a eu une audi-
tion d'élèves entièrement consacrée aux œuvres d'Antonin Marmontel.
Parmi les œuvres de piano, citons entre les plus charmantes et les plus
applaudies : Le long du Chemin, cette petite pièce piquante qui est l'un
des grands succès de cette année avec la Valse-Sérénade, d'une tournure si
gracieuse, puis encore l'Intermezzo, la Chanson arabe, la Chanson slave, la Valse-
Caprice, la Tarentelle à 2 pianos, etc. — Parmi les mélodies : la Sérénade,
la Chanson- d'Automne, Aubade, et Au désert, chantées tour à tour par
Mme Boidin-Puisais et M'1"- J. Brun. Toutes les élèves de Mme Poulain,
petites et grandes, se sont fort bien comportées et elles ont fait honneur
à leur professeur.
— La dernière audition des élèves de M. André "Wormser, qui a eu
lieu dimanche, chez lui, a été un nouveau et grand succès pour le sym-
pathique compositeur et son précieux enseignement. Parmi les morceaux
les plus appréciés, citons: une ravissante gigue du jeune maître et sa ma-
gistrale transcription à huit mains du Cortège de Bachus de Sylvia ; la
Fantaisie hongroise de Liszt, une Valse de Lack, le 3e Concerto de Pfeiffer, etc.
— Très intéressante séance ds En d'année à l'école de musique de
M. et de Mme Amand Chevé. On a applaudi les élèves du premier cours
de chant dans les chœurs : Charmant ruisseau, de M. Albert Renaud, et la
Sérénade napolitaine, de M. Paladilhe. Se sont particulièrement distinguées
parmi les élèves solistes, MUc A. Gaston dans Malgré moi, de M. Pugno,
et MIle Chaix dans une Sérénade de M. Viardot.
— Mardi dernier, salle Thibout, très intéressante audition des élèves
de M"" Guéroult. Le programme était composé d'oeuvres modernes de
MM. Lack, Thomé, Barbedette, Bourgeois. Grand succès pour M1Ie Gros-
richard, dans le scherzo de M. H. Barbedette, ainsi que dans Mandante de
la première sonate du même auteur, pour piano et violon. Le trio en
ut mineur de M. Emile Bourgeois a produit un très grand effet. Parmi les
élèves de Mm0 Guéroult nous devons citer,outreMUcGrosrichard, M"rePeignot,
Mathenetet Numa, qui ont été très applaudies. M. Lemaitre avait prêté à
cette charmante matinée le concours de son grand talent de violoniste.
— Du journal V Indépendant des Pyrénées-Orientales, qui rend compte du
grand concours instrumental d'orphéons venant d'avoir lieu à Perpignan :
«... Vient ensuite l'exécution de la cantate de M. Bourgault-Ducoudray,
la Mort de Rolani, par l'orphéon de Perpignan, l'École philharmonique de
Toulouse, les orphéons de Latour et de l'Isle-en-Jourdain, les élèves du
Conservatoire et la musique du 12e de ligne. M. Gabriel Baille conduit les
sociétés chorales et M. Adeilhac la musique du 12e de ligne. Il est fâcheux
que le tumulte épouvantable produit par le défaut d'organisation ait em-
pêché d'entendre la première partie de la cantate. L'œuvre de M. Bourgault-
Ducoudray n'en a pas moins produit u.i puissant effet, et chanteurs et
musiciens ont été longuement applaudis. Le public réclame l'auteur; les
invités des tribunes se lèvent et font une ovation à M. Bourgault-Ducoudray.
qui est visiblement ému. Il donne l'accolade à M. Gabriel Baille au milieu
des applaudissements unanimes de l'assistance. »
— On nous écrit de Rennes pour nous signaler la dernière audition
d'élèves de Mrae Pilet-Comettant, qui à été particulièrement brillante. Le
défilé musical était aussi gracieux à voir qu'intéressant à entendre. Parmi
ces jeunes pianistes, il en est qui sont déjà en possession d'un véritable
talent; il en est même une, MUc Bournichon, qui compte aujourd'hui
parmi les jeunes professeurs de la ville. Deux artistes' de talent et fort
appréciés à Rennes, M. Grouanne, violoniste, et M. Fablet, violoncelliste,,
ont, avec une cantatrice amateur des plus distinguées, M'"0Galicier, prêté
leur concours à cette audition, dont on gardera le souvenir.
NÉCROLOGIE
Un compositeur français d'un réel talent, Théodore de Lajarte, est mort
brusquement vendredi soir, d'une congestion cérébrale. Il se trouvait
chez un de ses amis, rue Grange-Batelière, quand, vers quatre heures du
soir, il a été frappé. Reconduit à son domicile, rue Berryer, il y est mort
vers dix heures, sans avoir repris connaissance. Auteur du Secret de l'oncle
Vincent, de Mam'zelle Pénélope, du Neveu de Gulliver et autres petits opéras
jouées de '1850 à 1870, Théodore de Lajarte était aussi un critique musical
fort apprécié et surtout un musicien érudit. Il n'avait pas son pareil
pour fouiller dans les vieux manuscrits et reconstituer la musique archaïque.
Ces jours-ci, encore, il dirigeait à Montpellier une fête artistique pleine
de couleur locale et fournissait au correspondant du Petit Journal des notes
intéressantes sur le travail curieux auquel il s'était livré à cette occasion.
C'aura été son dernier ouvrage. Théodore de Lajarte avait soixante-quatre
ans; il était archiviste de l'Opéra depuis une quinzaine d'années.
— On annonce la mort de M. Edmond Lemaigre, organiste et maître
de chapelle de la cathédrale de Clermont-Ferrand. C'était un artiste des
plus distingués, élève d'Edouard Batiste. Pendant l'été il dirigeait l'or-
chestre du casino de Royat. Il laisse des compositions d'orgue fort
estimées
Henri Heugel. directeur-géi ant .
A CÉDER, dans bonne ville de province, préfecture, magasin de musique
et pianos, très bien situé. Bonne clientèle. S'adresser aux bureaux du journal.
mrill >IIIUE CHAH.
3091 — 56™ ANNEE — N° 26. PARAIT TOUS LES DIMANCHES Dimanche 29 Juin 1890.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
{Les manuscrits doivent être adressés franco au journa!, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
TREL
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un on, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, "20 l'r.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr,, Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus-
SOMMAIRE-TEXTE
ï. Notes d'un librettiste : Georges Bizet ("• article), Louis Gallet. — II. Semaine
théâtrale: La direction de l'Opéra devant la Commission du budget; Jeanne
■cVArc à l'Hippodrome, H. Moreno! — III. Le théâtre à l'Exposition ('26 article),
Arthur Pougin. — IV. Histoire vraie des héros d'opéra et d'opéra-comique
(35= article) Puccio d'Aniello, Edmond Neukomm. — V. Nouvelles diverses, con-
certs et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
CRÉPUSCULE
Nouvelle mélodie de Darston, poésie de Rosemonde Gérard. — Suivra
immédiatement: les Pommiers, nouvelle mélodie d'ÉMiLE Bourgeois, poésie
•de F. Couturier.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
-de piako: Un Sourire, de Ed. Chavagnat. — Suivra immédiatement: Deu-
xième Valse hongroise, de Théodore Lack.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
GEORGES BIZET
De Paris, où il était rentré et où il faisait modestement et
bravement son devoir, il écrivait sous une tout autre im-
pression, le 26 décembre 1870. Les événements avaient
marché terriblement, on le sait, entre les dates de ces
deux lettres :
«c L'Officiel de ce matin me faisait espérer votre prochain
retour. Nepthali me dit que, vu votre conduile exemplaire,
vos supérieurs demandent à vous garder... Tu n'as sans doute
pas lu l'Officiel de ce matin : les nombreux et importants
•extraits des Gazettes de Breslau, de Silésie, ont fait ici une
impression excellente. Avant de reprendre Orléans, ils ont
■été rudement éprouvés. Il y a loin de ces combats acharnés,
souvent heureux, aux désastres de Forbach, de Sedan, etc.-
Décidément, ces trois mois de République ont enlevé le plus
.gros de l'épaisse couche de honte et d'ordure dont cet
infâme empire avait badigeonné le pays.
» Je pressens que Gambetta est bien l'homme que nous
•espérions.
» Chasser les Prussiens et garder la République! C'est
dur, mais mon espoir augmente chaque jour. »
Une curieuse ec amusante lettre se place dans cette col-
lection entre celles que je viens de citer. Elle fait voir un
peu de la physionomie de Paris pendant le terrible hiver du
siège; elle évoque une vivante et réjouissante image de
celui qui fut l'éditeur et l'ami de G. Bizet, Choudens, un
original, qui la « faisait », comme on dit, au scepticisme,
et dont les vives boutades d'esprit n'altéraient pas la foncière
bonté de cœur.
Cette lettre est du 13 décembre. Guiraud est hors de Paris,
quelque part aux avant-postes. Marié, Bizet est resté dans la
ville, son tempérament ardent souffrant fort de cette situa-
tion passive:
« Cher, ta description enthousiaste du palais que tu habites
nous rassure un peu sur ton sort. Chaque jour nous pensons
au froid, à l'humidité, au riz, aux Prussiens et autres ver-
mines qui te menacent. Je continue à me reprocher mon
inaction. Vrai, ma conscience n'est pas tranquille, et pourtant
tu sais, toi, ce qui me retient ici. Je me reproche sérieu-
sement de ne faire que ce que la loi me demande. Enfin I
» Nous ne mangeons plus. Suzanne m'a apporté tout à
l'heure quelques os de cheval que nous allons nous par-
tager. G... rêve poulets et homards toutes les nuits...
» Choudens est venu tout à l'heure chercher les mélodies
que je lui destinais. J'ai dû, selon ses habitudes, lui don-,
ner préalablement connaissance des paroles. Tu connais les
vers d'Hugo :
Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie
J'avais intitulé ce morceau : Morts pour la France! — A ce mot
Choudens m'interrompt:
« Bien triste, mon ami, bien triste ! Si ça vous est égal,
pas celle-là, mon ami, pas celle-là! Ça m'attristerait d'avoir
ça dans mon magasin ! Quand le siège sera fini, nous man-
gerons un gigot, et puis, il ne sera plus jamais question de
rien ; j'ai beaucoup souffert depuis trois mois ! — J'ai eu
l'immense douleur de séparer mes enfants de leur père! J'ai
mal mangé ! Je ne mange plus, ce qui me l'ait engraisser
considérablement! Je manque de charbon! Mon gendre s'est
enrhumé au rempart ! Si par malheur votre affaire avait du
succès, je serais rasé toute la journée par : « Morts pour la
France, monsieur, S. V. P. ? » Rasoir, mon ami, rasoir! —
Chantez donc le printemps, les roses, l'amour ! « Viens ! Ah I
viens sous les bosquets en fleurs ! » D'ailleurs, je suis étran-
ger; et puis, j'ai payé ma dette : Je me suis fait photogra-
phier en franc-tireur, j'ai mis la vareuse de mon gendre et
un chapeau tyrolien que m'a prêté Carvalho. — Le photo-
graphe va m'arranger cela : je serai entre Trochu et Ducrot.
On écrira au-dessous en gros caractères : Défense de Paris,
1870! Quelle monstruosité que la guerre! J'ai horreur du
sang, surtout du mien! Vous savez, je ne suis pas belli-
queux! Depuis trois mois, on abreuve nos sillons! — En voilà
assez! De la musique, mon ami, de la musique! En faire, en
vendre surtout, voilà la vérité ! Ah ! pas celle-là, mon ami,
je vous en prie, pas celle-là?
202
LE MÉNESTREL
» Je ne change pas un mot!... Et les gestes, la panto-
mime! Tu vois cela d'ici? »
Je n'ai pu résister au plaisir de citer ce monologue du
maître éditeur ; ne croirait-on pas entendre un personnage
de Labiche! Et de quel trait vif et net Georges Bizet l'a
crayonné sur nature ! Comme il est vivant et parlant pour
ceux qui l'ont connu et fréquenté !
Choudens était de nationalité suisse, très français, très
parisien d'ailleurs, n'ayant gardé de son origine que le béné-
fice de l'indépendance d'esprit.
*
Pendant les jours de la Commune, Bizet était venu cher-
cher le repos dans cette maison de la roule des Cultures,
au Vésinet, qu'il croyait devoir être, durant cette période
troublée, la maison du silence et du travail.
Un immense découragement l'avait pris, après le premier
siège et, durant les tristes épisodes du second. Il voulait
oublier ; la canonnade le rappelait à la réalité :
« Nous sommes ici campés, sans effets, sans livres, et pas
moyen de rentrer à Paris! On s'est battu hier. Aujourd'hui,
le canon tonne. (Cramponne-toi, v'ià qu'ça r'commence).
Quel temps! Quel pays! Quel peuple! Quelles mœurs! »
Puis, le -17 avril 4871 :
» Cher ami, si tu as quelques nouvelles de Paris, sois
assez gentil pour me les communiquer. — Ici nous ne sa-
vons rien. — Je lis des journaux de Paris, qui célèbrent les
victoires de la Commune; je lis des journaux de Versailles,
qui apprennent aux populations abruties que la France est
tranquille, Paris seul excepté (sic). — Qui trompe-t-on ici ? La
Commune ment, je le veux; mais à coup sûr M. Thiers ne dit
pas la vérité. — La journée du 14 a été chaude. Durant
douze heures, nous avons été assourdis par la canonnade.
Il nous est arrivé des réfugiés de Courbevoie et Neuilly, etc.
et tous s'accordent à donner l'avantage aux gardes nationaux.
» Nous sommes ici tout à fait en sûreté, hélas ! On
peut se battre à Rueil, mais au Vésinet, les Prussiens sont
chez eux. — Leurs patrouilles se multiplient, mais nous n'en
sommes pas incommodés, et, selon toute probabilité, ils
n'occuperont pas le Vésinet. — Dans quelques heures
l'émeute aura un mois d'existence, et rien, absolument rien,
ne peut faire prévoir la fin de cette situation ruineuse
» Les Prussiens ont désarmé les gardes nationales de Puteaux,
Carrières-Saint-Denis, ed aitri. Les paysans de Seine-et-Oise
ne sont certes pas partisans de la Commune ; mais ils ont un
grand dégoût du Gouvernement de Versailles, et, vrai, il y a
de quoi ! Les circulaires de Si. Thiers sont, à mon sens, de
véritables monstruosités, tant au point de vue politique qu'au
point de vue humanitaire. Des militaires sérieux avouent
qu'il est plus que difficile de prendre Paris. Neuilly, Cour-
bevoie, Meudon, Clamart sont plus abîmés par quinze jours
d'escarmouches que par un siège de cinq mois. L'Arc de
Triomphe est endommagé. Mon pauvre ami, je suis absolu-
ment découragé et je crains qu'il n'y ait plus pour nous
d'avenir possible!
» Je vais tout à l'heure au village pour y examiner un
piano. Je voudrais essayer de travailler, d'oublier. On fait
appel aux gardes nationaux bien pensants ! Il est bien temps!
Pour ma part, je ne bouge plus. La gauche, la droite et le
centre me soulèvent le cœur. Rochefort dit : « On nous an-
nonce que les escarpes sont endommagées; mais nous ne
pouvons savoir s'il s'agit des fortifications ou des soldats de
Versailles. »
» Napoléon, Trochu, Thiers, Cluseret, tout cela me semble
également bête et répugnant. A qui le tour? »
C'est au courant de 1873 que mes souvenirs me reportent,
après ce iegard jeté sur la vie intime de G. Bizet pendant
les tristes jours de 1870-71.
L'Opéra venait de représenter la Coupe du Roi de Thulé, ou-
vrage en trois actes, dont le poème, primé au concours insti-
tué par le ministère. des Beaux-Arts , en 1867, nous jeta,,
Edouard Blau et moi, en pleine musique.
Faure jouait le principal rôle de cet ouvrage. Eugène Diaz,
fils du célèbre peintre, auteur de la partition de la Coupe du
Moi de Thulé, nous amusait de ses récits. Il avait été, pendant
toute cette période de travail qui l'avait conduit au triomphe,
dans une perpétuelle excitation d'esprit. Ayant terminé la
composition de son œuvre, il se souciait grandement de
l'instrumentation, et, modeste, confiant en la science de ses
aînés, il allait tour à tour les consulter. A Bizet et à Guiraud
il venait, anxieux, demandant: Que mettrai-je là? Un accom-
pagnement de flûte ou un accompagnement de cor? — Moi,
je mettrais la flûte, disait Guiraud. — Moi, je mettrais le
cor, disait Bizet. Eugène Diaz, perplexe, soumettait le cas à
son père. Le vieux peintre, très philosophiquement, répon-
dait: » La flûte? le cor? mets-les deux, comme ça tu ne
risques pas de te tromper. »
(A suivre.) - Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
LA DIRECTION DE L'OPÉRA DEVANT LA COMMISSION DU BUDGET
Eh! bien, que disons-nous ici depuis trois années? Que MM. Ritt
et Gailhard ne tiennent pas leurs engagements envers l'État. Et
nous pensions le prouver en meltant simplement en regard le texte
du cahier des charges et les actes de leur direction. De quel nom
peut-on appeler les gens qui manquent à leur signature?M. Gailhard,
qui a la moralité douteuse du cabotin, peut bien l'ignorer, mais
M. Ritt, qui est un ancien commerçant, doit le savoir.
Et pourtant il s'est trouvé un tribunal pour trouver que nous
avions qualifié trop durement les deux copains, et qui, de ce fait,
nous a condamnés, dans un jugement rendu d'ailleurs en un fort
mauvais français, à un franc de dommages-intérêts ! La phraséo-
logie creuse et la fausse sentimentalité du médiocre avocat de ces
messieurs et l'ambition d'un substitut qui espérait de l'avancement
l'ont emporté sur tous les arguments lumineux et sur toutes les
preuves éclatantes fournies par notre défenseur. Le premier pré-
sident, M. Aubépin, avait eu le bon goût de tomber malade avant
l'audience et de passer ses pouvoirs à un juge qui. n'aimant pas la.
musique, devait avoir naturellement toutes les indulgences pour
ceux qui la martyrisaient de la façon la plus odieuse.
Appeler de ce jugement? J'en eus un instant l'intention. Mais
qui m'eût répondu davantage des juges d'une Cour si bien épurée,
au moment précis où l'influenza sévissait à Paris avec tant de
force. J'ai donc tout attendu du temps pour faire triompher ma>
cause, qui était la bonne.
Or, voici que la commission du budget, qui depuis des années
fermait volontairement les yeux sur les méfaits de MM. Ritt et
Gailhard, vient de découvrir tout à coup que l'attitude des deux,
gentlemen n'était pas décidément des plus correctes. Elle a déclaré
dans un vote formel et à l'unanimité « qu'elle avait le regret de
constater que le cahier des charges n'était pas exécuté par la di-
rection et que l'administration des Beaux-Arts n'avait pas tenu la
main à l'exécution dudit cahier des charges. »
Pdur marquer sa désapprobation, la Commission a réduit de mille
francs la subvention de 800,000 francs accordée à l'Opéra, et de
mille francs aussi le traitement des Commissaires du gouvernement
chargés de veiller à l'exécution du cahier des charges.
De plus, par un second vote, sur la proposition de M. Clemen-
ceau, il a été convenu que « le principe de la subvention de
l'Opéra étant admis, et les 799,000 francs étant volés ferme, l'attri-
bution en serait réservée, jusqu'au jour où un arrangement accep-
table serait intervenu entre la direction de l'Opéra et l'administra-
tion des Beaux-Arts pour la réfection des décors (1). »
» En outre, le rapporteur, M. Proust, demandera dans son rapport
que toutes les précautions réclamées par la préfecture de police, en'
cas d'incendie, soient prises à l'Opéra comme dans tous les autres
(1) Il est établi que les décors de onze opéras ou ballets sont en mauvais état:
ceux de Çoppélia et de Sijivia, le* Huguenots, Don Juan, ta Favorite, Hainlet, Faust,
Guillaume Tell, la Juive, le Prophète, Robert le Diable. Le ministre a reconnu que
de ce chef il incombe a la direction une grande responsabilité.
LE MENESTREL
203
théâtres. La commission a constaté, en effet, que ces précautions
n'avaient pas été prises.
» En ce qui concerne la troupe, le ministre a pris l'engagement
de veiller à l'exécution du cahier des charges. Il a reconnu qu'en
effet l'engagement des artistes pour un certain nombre de mois
seulement oblige à un examen attentif pour savoir si les rôles sont
toujours tenus en triple comme ils doivent l'être.
» Quant aux représentalions à prix réduits, il a reconnu qu'il en
manque plus d'une vingtaine sur le chiffre de celles qui auraient dû
être données, et il s'est engagé à contraindre les directeurs de
l'Opéra à payer cet arriéré. »
Pouvais-je rêver un appel plus concluant que celui-ci ? Et ce
n'est pas à vingt insertions que les directeurs ont été condamnés.
Il n'est pas une feuille de France qui n'ait inséré le jugement que
vient de prononcer la Commission du budget. Qu'en pensez-vous,
illustre Ritt, aimable Gailhard?
Mais comment en a-t-on pu arriver à cet état de désarroi et de
laissez-faire sur notre première scène lyrique ? C'est là qu'il convient
de rechercher les responsabilités. Ou a l'air de prendre pour bouc
émissaire le malheureux Commissaire du gouvernement ; le plan
arrêté de MM. Ritt et Gailhard paraît être de se cacher toujours
derrière lui, pour éviter les coups qui les menacent. « Si nous étions
coupables, disent-ils avec la belle audace qui les caractérise,
pourquoi donc nous a-t-on servi chaque mois la subvention? Est-ce
que nous n'avoDS pas là une sorte de quitus qui nous a été donné
par le commissaire du gouvernement. » A d'autres, mes braves gens.
M. Gouzien est assurément un fort galant homme, qui a peut-être
poussé trop loin la courtoisie à votre égard; mais on ne fera croire
à personne que les divers ministres qui se sont succédé aux
Beaux-Arts n'aient pas été tenus au courant tous les mois, soit par
rapports écrits, soit de vive voix, de tout ce qui se passait d'anormal
à l'Opéra. Non, le commissaire du gouvernement a rempli son
devoir dans les limites du possible. Ceux qui n'ont pas rempli le
leur, ce sont les ministres qui, par faiblesses et complaisances,
ont supporté un tel état de choses, malgré les avertissements qui
leur arrivaient de toutes parts. Le plus coupable, c'est assurément
M. Fallières, qui a consenti aux nouveaux directeurs cet étonnant
cahier des charges, où on leur accordait tout sans mesure et sans
précaution d'aucune sorte ; c'est ensuite la série des ministres qui
lui ont succédé, et qui, tous, ont subi l'ascendant et l'impulsion de
M. Constans, le grand protecteur de MM. Ritt et Gailhard. Seul,
M. Lockroy esquissait un mouvement de résistance, quand les
hasards de la politique sont venus le renverser bien mal à propos.
Depuis, M. Bourgeois est entré enfin résolument dans la voie du
droit et de la légalité. Il a fait des enquêtes, et on voit ce qui en
est résulté.
Pour nous, qui ne relevons d'aucun ministre et qui vivons libre
et indépendant, à l'écart de toute coterie et de toutes faveurs, ce nous
est une douce satisfaction de pouvoir parler hautement et de dénoncer
les responsabilités là où elles se trouvent. Oui, nous disons que
toute la toulousainerie de Paris a joué là un rôle funeste, aussi
bien M. Constans, le grand chef qui avait vraiment de singuliers
protégés, que M. Hébrard, qui s'est acharné, dans la Commission
consultative des théâtres, à défendre la mauvaise cause des direc-
teurs, soutenu en cela par M. Henri Maret, le Rapporteur surprenant
dont les études sur la direction de l'Opéra ont fait les délices de
tous ceux qui étaient au courant de la question.
Puisque nous avons parlé de la Commission consultative des
théâtres, disons-en aussi notre sentiment et déclarons qu'elle n'est
nullement indépendante, étant composée en majeure partie de
membres qui ne peuvent prendre aucune attitude précise. Ou ce sont
des fonctionnaires qui tiennent à leur place et se gardent bien de
mécontenter des directeurs influents qui ont Constans dans leur
•manche, ou ce sont des musiciens qui relèvent plus ou moins de
MM. Ritt et Gailhard et craignent pour leur répertoire. Les uns ou
les autres seront toujours dirigés par les trois ou quatre amis méri-
dionaux que les délinquants possèdent dans la commission. De là, les
compromis et les transactions que cette commission propose sans
■cesse pour sauver les directeurs.
Enfin, aujourd'hui toutes les batteries paraissent démasquées, et
il est permis d'espérer que nous serons débarrassés dans un avenir
prochain de cette néfaste association qni a été si fatale aux desti-
nées artistiques de notre première scène. Il ne nous parait pas pos-
sible, eu effet, qu'on puisse songer à renouveler le privilège de gens
qui viennent d'être ainsi blâmés à l'unanimité par la Commission du
budget des beaux-arts. Pour essayer d'influencer le vote futur de
la Chambre, MM. Ritt et Gailhard laissent entendre qu'ils vont sus-
pendre tout travail à l'Opéra, qu'ils ajournent indéfiniment le Mar/e,
de M. Massenet, et qu'ils arrêtent les engagements en cours. La
Chambre ne se laissera pas prendre à ces menaces enfantines. Si,
en effet, les directeurs de l'Opéra affectaient de vouloir se mettre en
grève, ils ne feraient qu'aggraver leur situation en augmentant leurs
manquements au cahier des charges, qui les oblige à un nombre
d'actes nouveaux chaque année, comme aussi à posséder une troupe
complète. Toute rébellion un peu prolongée de leur part devrait
donc amener simplement leur révocation immédiate, et il ne serait
pas difficile, en attendant qu'on ait trouvé de nouveaux directeurs,
de prendre un homme du métier, comme M. Halanzier ou M. Car-
valho par exemple, pour régir provisoirement au nom de l'État.
Nous avons parlé de révocation; car il n'est pas probable qu'après
le vote de la Commission, MM. Ritt et Gailhard comprennent que,
s'ils avaient un reste de dignité, c'est leur démission qu'ils devraient
envoyer de suite au ministre.
Trop de bassesses après trop d'arrogances !
JEANNE D'ARC A L'HIPPODROME
... Et maintenant, à cheval, messieurs. Nous voici à l'Hippo-
drome. C'est encore de la pantomime, mais pas dans le genre in-
time comme celle que célébrait dimanche dernier dans ces mêmes
colonnes notre collaborateur Arthur Pougin. Cette fois, c'est de la
pantomime grandiose, de l'épopée, puisqu'il s'agit de la glorieuse
légende de Jeanne d'Are. Trois chapitres seulement, les plus saillants
choisis dans ce roman de chevalerie: Domremy, le siège d'Orléans
et le bûcher.
S'il s'agissait ici d'une de ces cavalcades à grand fracas, comme
nous en donne d'ordinaire l'Hippodrome, d'un Skobelef quelconque
ou d'une chasse à courre en habits rouges, je ne prendrais pas votre
temps pour vous raconter de tellesbillevesées. Mais aujourd'hui, c'est
d'une tentative véritablement artistique qu'il s'agit, puisqu'un
musicien de la valeur de M. Widor a bien voulu y attacher son
nom. On aurait pu croire vraiment que c'était là un coup de folie.
Brosser à grands traits une telle partition en l'espace de quelques
semaines, pour un établissement dont l'amplitude et les échos
bruyants pouvaient à bon droit inspirer des inquiétudes ! Y rêver
autre chose que la musique hippique ordinaire à ce hall immense,
c'était d'une belle audace! Peut-être est-ce là ce qui a tenté M. Wi-
dor. Et la fortune lui a souri.
Elle est en vérité d'une bonne pâte, cette partition onctueuse et
sonore dans toutes ses parties; on n'en perd pas une bouchée. C'est
déjà un tour de force que de se faire entendre clairement dans un
pareil entonnoir. Mais ce n'est pas la seule qualité de cette œuvre
spéciale et curieuse; car l'inspiration y est soutenue d'un bout à
l'autre. Nous aimons toute cette pastorale, très fine et très délicate,
qui se déroule à Domremy, avec l'épisode charmant des voix d'en
haut et les apparitions célestes ; nous aimons ce ballet des ribaudes
sous ies murs d'Orléans, petite série de pages pittoresques tout à
fait dignes de l'auteur de la Korrigane. Il y a de l'émotion dans la
scène du bûcher; tous les motifs typiques de l'œuvre y sont ra-
menés fort heureusement, comme des souvenirs qui viennent
assaillir l'héroïne pendant sa marche au supplice. Le tout se ter-
mine par un hymne patriotique écrit sur des vers chaleureux de
M. Dorehain et chanté autour de la statue de Jeanne d'Arc, qui a
jailli tout à coup triomphante au milieu des flammes du bûcher.
Il faut louer aussi sans réserve la mise en scène dont la direction
de l'Hippodrome a entouré cette œuvre, et souhaiter qu'elle con-
tinue dans cette voie artistique qui pourrait offrir un débouché
nouveau à nos jeunes musiciens. M. Widor a démontré victorieu-
sement qu'on pouvait faire de la musique, même à l'Hippodrome.
Que d'autres le suivent hardiment dans la route qu'il a tracée I
H. Moreno.
LE THÉÂTRE A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889
(Suite.)
LES FOLIES-PARISIENNES
Situé non loin du chalet finlandais, du chalet norvégien et de la
curieuse taillerie de diamants de MM. Boas frères, entre l'extrémité
de la rue de l'Université et le Lac, au milieu d'une sorte de petit
parc coquettement aménagé, le théâtre des Folies-Parisiennes, dont
il faut bien rappeler l'existence, n'était rien autre chose qu'un grand
204
LE MENESTREL
café-concert. Placé sous la direction de trois acteurs parisiens,
MM. Daubray, Scipion et Georges Richard, qui n'y ont point fait
de brillantes affaires (il s'en faut de tout), ce théâtre a eu évidem-
ment à souffrir de la concurrence terrible que lui faisaient les divers
spectacles, autrement étranges et curieux, disséminés dans la vaste
enceinte du Champ-de-Mars, et que les visiteurs de l'Exposition lu;
préféraient tout naturellement, les cafés-concerts ne manquant point
dans Paris même et s'y trouvant en nombre assez considérable pour
satisfaire les désirs de tous les amateurs du genre.
Ce que le théâtre des Folies-Parisiennes présentait de plus inté-
ressant, et dont bien certainement le public se souciait le moins,
c'était sa construction, qui offrait un caractère de véritable origina-
lité. Edifié sur les plans de M. Letorey, architecte, par l'ingénieur-
constructeur M. de Schryver, inventeur des maisons en acier dé-
montables et transportables, ce théâtre était lui-même complètement
en acier, fondations et couvertures comprises, et l'on peut bien dire
qu'il était incombustible. Les murs, les cloisons, les planchers
étaient formés de panneaux de tôle mince d'acier d'un millimètre d'é-
paisseur auxquels un emboutissage convenable donnait le maximum
de résistance ; les paro;s d'un même mur, distantes de seize centi-
mètres et constituées par les tôles, étaient réunies au moyen de
larges plats boulonnés sur les bords supérieurs de chacun des pan-
neaux. Ainsi entendue, la construction entière était d'une extrême
légèreté. A l'issue de l'Exposition, ce théâtre, démonté pièce à
pièce, a été envoyé dans l'Amérique du Sud, où il devait être trans-
formé en salle de bibliothèque publique.
Pour le reste, quand j'aurai dit que le chef d'orchestre desFolies-
Parisiennes était M. Paul Frémaux, que Mlle Mariquita y remplissait
les fonctions de maîtresse de ballet, qu'on y joaait des ballets, di-
vertissements et pantomimes tels que les Petits Maraudeurs, les
Aventures d'un Gascon, un Drôle de contrat, que les danseurs avaient
nom Magron, Joulins, Bardoux, Mmcs Lebreton, Ida Briant, Léon,
que les chanteurs s'appelaient d'Aubreuil, Mmes Reine, Thérèse, etc.,
enfin, que trois représentations étaient données chaque jour à deux
heures et demie, quatre heures et huit heures, et que le prix des
places était fixé à un franc et deux francs, je n'aurai rien à ajouter
sur le compte de cet établissement, dont le plus grand défaut était
de manquer complètement d'originalité.
LES AISSAOUAS
Ceux-là me font un peu l'effet d'appartenir à la nombreuse trjbu
des Beni-Farceurs, et ce n'est pas le succès très incontestable qu'ils
ont obtenu qui modifiera mon opinion à leur égard. Si je ne me
trompe, ils avaient d'abord commencé l'exhibition de leurs exercices
aussi étranges que parfaitement répugnants, au café algérien de
l'Esplanade des Invalides, et ce n'est qu'ensuite qu'ils sont allés
s'installer au Concert marocain de la rue du Caire, où la vogue
les suivit si bien qu'après avoir donné seulement trois représenta-
tions par semaine, ils finirent par en donner trois chaque jour.
Ces baladins d'une espèce toute particulière, dont le sérieux im-
perturbable délierait toute concurrence, sont, paraît-il, les pontifes
d'une religion siogulière, dont le prophète, qu'ils honorent à leur
manière (une bien vilaine manière), répondait de son vivant au nom
de Mohammed Ben Aïssa — d'où leur nom d'Aïssaouas. Pour
réjouir la mémoire de ce prophète, qui sans doute manifeste de rares
exigences, ces excellents ministres d'un culte heureusement ignoré
de la plupart d'entre nous passent un temps, qu'ils pourraient em-
ployer d'une façon plus utile, à broyer entre leurs dents du verre
qu'ils avalent ensuite (sans douleur!), à dévorer gloutonnement des
couleuvres et des serpents, à s'enfoncer dans les yeux des épingles
et autres engins, à promener tranquillement et en tous sens leur
langue sur un fer rouge, à marcher sur des lames de sabre, que
sais-je encore ? Ce sont ces exercices aimables et variés qu'ils ré-
pétaient tous les jours devant une foule qui semblait fort justement
répugner à ce spectacle, mais qui ne persistait pas moins à emplir
leur salle à chaque représentalion. Par quels moyens, par quels pro-
cédés, ces hommes parvenaient-ils à s'insensibiliser assez complè-
tement pour pouvoir sans danger se livrer' à des pratiques aussi
singulières et en apparence aussi périlleuses? C'est ce que je ne
saurais dire, devant me borner à constater les faits. Il est bien évi-
dent qu'il y a là de la jonglerie, mais elle est le résultat d'un ou
de plusieurs secrets qu'il nous est impossible de pénétrer.
Chose assez singulière, ces Aïssaouas, dont le succès à l'Exposition
fut si général et si complet, se virent complètement dédaignés du
public une fois colle-ci terminée. Tandis que la recette totale de
leurs représentations au Champ-de-Mars ne s'était pas élevée, dit-on
à moins de 400,000 francs, ils cherchèrent vainement ensuite pen-
dant plusieurs semaines un engagement quelconque, et finirent par
trouver seulement, pour les accueillir, un café-concert de bas élage
dans un quartier excentrique, sur un des boulevards extérieurs. Ils
végétèrent là quelque temps, sans pouvoir réveiller l'attention qui
s'était si bien attachée sur eux primitivement, puis... puis' sans doute
ils retournèrent dans leur pays, car on n'en entendit plus parler.
SPECTACLE ÉGYPTIEN
Il ne faut pas confondre celui-ci avec le spectacle fort intéres-
sant de la troupe Khédiviale du Caire, que j'ai décrit précédemment
et qui se donnait dans la salle du Théâtre International. Ce « spectacle
Egyptien » avait été organisé par les soins de M. Delore de Gléon,
commissaire général de la section égyptienne à l'Exposition univer-
selle, et il fut inauguré le 26 juin. Il était situé dans cette éton-
nante rue du Caire, toujours si grouillante et si animée, à droite, en
montant, avant le théâtre des Aïssaouas. Le petit bâtiment qu'on
lui avait construit était curieux extérieurement, et sa façade, comme
nous disait le programme, était « faite entièrement de mouehara-
biés, c'est-à-dire en petits morceaux de bois moulés et rapportés
ensemble avec un art spécial dont les Egyptions sont très fiers. »
Un Egyptien qui ne paraissait ni fier ni timide, c'est 1' «aboyeur» en
turban qui, dans un français véritablement exotique, se tenait à la
porte et adressait au public un boniment bien senti sur les mer-
veilles qui l'attendaient dans l'intérieur du théâtre pour la modique
somme d'un franc par personne. Ici nous avions (comme aussi chez'
les Aïssaouas, où j'ai oublié de la mentionner) la fameuse danse du'
ventre, spectacle peu ragoûtant dont j'ai déjà eu l'occasion de par-
ler, puis la danse des aimées, plus gracieuse, et la danse du sabre,
aussi originale et plus intéressante. La danse du ventre étiit exé-
cutée par une assez jolie femme nommée Aïoucha, qui se tordait eê
se torturait ainsi à plaisir, au son de trois maigres instruments,
et qui obtint immédiatement un succès de curiosité, parce qu'elle
était, je crois, la première qui se soit ainsi exhibée en ces parages.
Mais passons. Nous allons lui trouver des émules , sinon des;
rivales.
LA TENTE MAROCAINE
Toujours à droite dans a rue du Caire, au-dessus du spectacle
Egyptien et du théâtre des Aïssaouas, se trouvait la Tente Maro-
caine. Là aussi nous rencontrions la danse du ventre (celle-là avait
même la prétention d'être la seule authentique), avec d'autres dan-
ses variées. Si j'ai bonne mémoire, c'est là qu'on pouvait contem-
pler une charmante jeune femme qu'on appela aussitôt a la belle-
Zorah » et qui méritait celle qualification. Mais auprès d'elle s'en
trouvait une autre qui ne lui cédait en rien, une fort jolie fille qui
n'était autre que la cousine de c la belle Fatma, » et dont le vrai
nom, un peu compliqué, était Baya Mathilde Akoun Bent-Eny.
Fille d'un ancien interprète militaire d'Algérie, qui pendant quatrer
ans avait été précisément caissier de la troupe où figurait Fatma,.
elle avait, sur ses conseils, consenti à marcher sur les traces de sa
cousine et su conquérir en quelques mois la réputation que celle-
ci n'avait acquise qu'au bout de plusieurs années ; elle avait même
obtenu un prix de beauté au concours de Neuilly. Elle était, on.
peut le dire, l'étoile de la troupe qu'exhibait la Tenle Marocaine, où
à ses côtés dansait toute sa famille, voire son frère, Gradoudja, qui
portait un travesti féminin.
Les exercices et les danses ne différaient guère ici de ce qu'on
voyait au Spectacle Egyptien. Seulement, l'ensemble peut-être était
un peu plus brillant, en même temps que l'orchestre plus nom-
breux. Tous ces établissements, d'ailleurs, regorgeaient de specta-
teurs. L'Exposition terminée, la troupe de la Tente Marocaine trouva
un refuge aux Montagnes Russes du boulevard des Capucines, après,
quoi elle fui engagée au Village Japonais du boulevard de Stras-
bourg. Je ne sais ce qu'elle devint ensuite.
Il y avait, à l'extrémité et do l'autre côté de la rue du Caire, non,
loin du palais des Machines, une autre Tente Marocaine, qui pré-
tendait, celle-là aussi, posséder la seule danse du ventre véritable,
authentique et brevetée sans garantie du gouvernement marocain.
Cette tonle, richement tapissée, pouvait contenir environ 200 per-
sonnes. Accompagnées par deux seuls musiciens, dont un jouait une
sorte de mandoline, j'ai vu là trois femmes exécuter cette trop fa-
meuse danse chacune à leur tour, en en marquant le rythme avec
des crotales de métal en guise de castagnettes. Mais ce que je n'ai
vu que là, c'est la danse du derviche tourneur, exécutée par un
bonhomme vêtu d'une robe très ample serrée à la taille, coiffé d'uni
long bonnet pointu, qui, commençaul à tourner lentement, méthodi-
LE MÉNESTREL
205
quement, puis, s'animaot peu à peu et accélérant toujours son
mouvement, en arrivait à un tournoiement en quelque sorte méca-
nique et d'une rapidité vertigineuse jusqu'à ce que, essoufflé, épuisé,
haletant, il s'arrèlât tout d'un coup, roide et immobile, comme s'il
avait été fiché en terre. — Entre temps, deux individus à longue
barbe, enculotlés et enturbannés, circulaient dans la salle, porteurs
de minuscules tasses de café qu'ils offraient gratis aux amateurs.
Los personnes délicates refusaient volonliers ce breuvage, en raison
de la propreté tout approximative des mains qui le leur présen-
taient.
Dans tous ces établissements le prix d'entrée était fixé à un
franc, la représentation ne durait guère plus de vingt minutes, et,
à quelque heure que ce fût de jour ou de soir, les salles étaient
presque toujours boudées de spectateurs. Selon toute apparence,
toutes les petites entreprises de ce genre, dont les frais, en somme,
étaient minces, et dont les recettes étaient abondantes, ont dû être
singulièrement fructueuses.
LE CONCERT TUNISIEN DE LA BELLE FATMA
A l'Exposition universelle de 1878. où l'on n'avait pas, comme
cette fois, fait une large place à l'élément exotique et pittoresque, il
y avait, auprès du pont d'Iéna. un petit concert Tunisien, qui était
le seul établissement de ce genre que l'on pût rencontrer. Un assez
maigre orchestre s'y faisait entendre, dont le principal musicien
était une sorte de colosse, un énorme Algérien, grand et gros, père
d'une adorable fillette dont la grâce souple et mignonne contras-
tait d'une façon singulière avec celui qu'on appelait « le Géant de
Souze. » Un jour, pour amuser les clients, ce bonhomme eut l'idée
de faire danser sa fille, tout familièrement. L'enfant, à ce moment
âgée de sept eu huit ans, se mit alors, un peu gauchement, sans y
mettre d'intentions, à imiter la danse du ventre, qui, à Alger, avait
frappé sa petite imagination. Elle obtint un succès fou, plut à tous
les visiteurs, recueillit, avec de nombreuses caresses, des sous et
même de belles pièces blanches, et jusqu'à la fin de l'Exposition
recommença chaque jour son petit exercice, qu'elle renouvelait
même plusieurs fois dans la journée. Cette enfant, qui de son vrai
nom s'appelle Rachel Bent-Eny, est devenu la séduisante jeune
femme que nous connaissons aujourd'hui sous celui de « la belle
Fatma » et dont on a tant parlé en ces dernières années.
La belle Fatma ne pouvait manquer de se produire à l'Exposition
de 1889, où son succès paraissait assuré d'avance. Elle s'y produisit
même en divers endroits successivement, ce qui ne prouve pas que
ce succès ait été aussi spontané cette fois que la précédente, On la
vit d'abord, dès les premiers jours de juin, au Grand Théâtre de
l'Exposition, avant que les Gitanas de Grenade y vinssent faire leur
bruyante et triomphante apparition. De là elle passa, si je ne me
trompe, dans l'une des deux tentes marocaines de la rue du Caire ;
puis enfin elle se mit « dans ses meubles » et alla s'installer préci-
sément tout auprès des Gitanas, en un coin de l'espèce de grand
bazar au milieu duquel se trouvait le Grand-Théàlre dont elle avait
été l'un des premiers ornements.
C'est là que je la vis pour ma part, dans ce petit établissement
minuscule qu'on avait baptisé du nom de Concert Tunisien et qui
prouverait qu'on peut rencontrer des entrepreneurs de fumisterie
même sur les bords africains de la Méditerranée.
La petite salle, toute tendue de tapisserie, mais qui n'avait guère
plus d'importance qu'une vaste antichambre, pouvait bien contenir,
en les compressant avec énergie, une cinquantaine de spectateurs
dont quelques-uns seulement trouvaient le moyen de s'asseoir sar de
mauvaises chaises. On y pénétrait brusquement en soulevant une
simple portière, et l'on se trouvait aussitôt en face de la scène, c'est-
à-dire d'une estrade garnie aussi de tapisserie, sur laquelle était
groupé tout le personnel de la troupe. Au fond, sur une sorte de
trône exhaussé de deux marches, une grande glace derrière elle, la
belle Fatma, tenant un darabouka que ses mains mignonnes frap-
pent parfois avec une certaine indolence. A sa gauche, accroupi sur
ses pieds, son père, le « colosse de Souze », raclant avec fureur une
espèce d'alto qu'il tient comme un violoncelle; auprès de celui-ci, un
nègre sans doute authentique, armé d'un tambour de basque, et
une femme avec un darabouka. A droite de Fatma, une vieille
femme tenant un tambour de basque, et trois danseuses ayant cha-
cune en mains un darabouka. Enfin, au bas de l'estrade, par consé-
quent dans la salle même, un piano tenu par une Tunisienne des
Batignolles, dont le langage trahit une longue fréquentation avec la
plus pure population parisienne.
Le spectacle (un franc pour les civils, les militaires et les bonnes
d'enfants) durait bien une douzaine de minutes, et comprenait:
1° une « danse algérienne », qui n'était qu'une fausse danse du
ventre exécutée avec un sans-façon exemplaire ; 2° une « danse
circassienne », qui avait la prétention d'fttre une danse des épées,
mais dont l'étude n'avait certainement pas coûté grand mal à celle
qui s'y livrait; 3° enfin, une « danse tunisienne », exécutée par la
belle Fatma en personne, mais qui ne devait pas faire perler la
sueur sur son beau front, car elle pouvait la répéter plusieurs fois
par jour sans se fatiguer outre mesure.
(A suivre.) Arthur Pougin.
HISTOIRE VRAIE
DES HÉROS D'OPÉRA ET D'OPÉRA- COMIQUE
XLIV
PUCCIO D'ANIELLO
Nos lecteurs doivent se demander si nous en avons bientôt fini
avec la série rouge.
Tous ces tyrans, tous ces conspirateurs sont assurément de très
intéressants personnages et ont inspiré de sublimes accents aux
grands maîtres de la musique ; mais leur sombre assemblage n'est
pas, nous en convenons, fait pour récréer l'esprit.
Passons à des tableaux plus riants. Aussi bien, noire dernière
scène a eu pour théâtre Naples et sa campagne, le pays du soleil
et du bleu dans l'air et dans l'eau. Ne trouverons-nous pas un gai
visage en opposition au funeste Masaniello ?
Eh parbleu ! le voilà, en pleine place publique.
Puccio d'Anifllo !
Ce nom ne réveille en vous aucun souvenir... Puccio d'Aniello ?
... Permettez-nous de vous présenter le personnage :
« Dans le siècle passé, lisons-nous dans le Vocabulaire napolitain,
une bande de comédiens ambulants fut assaillie par une bande de
vendangeurs, près d'Acerra, ville délia campagna felice ; ils eurent
le dessous à cause d'un certain paysan nommé Puccio d'Aniello,
qui triompha d'eux et qui avait une figure de charge, nez long,
visage noirci par le soleil. Consolés de leur défaite, ils eurent l'idée
d'associer cet homme à leur troupe. Celui-ci accepta et eut le plus
grand succès. De là son masque, son rôle et son nom sont entrés
au théâtre sous le litre de Polecenella. »
Eh oui ! c'est lui-même ! C'est le compagnon joyeux de notre
enfance. C'est Polichinelle ! Il a existé, il a vécu, mangé et ri comme
nous. Qui eût cru cela ?
D aucuns, à la vérité, s'inscriront en faux contre cette origine.
Les uns nous diront que Polichinelle naquit tout d'une pièce de
l'imagination napolitaine. D'autres chercheront en lui tel ou tel
personnage historique ; un historien sérieux a bien cru reconnaître
Henri IV sous son habit pailleté. Enfin il se trouvera, et il s'en
est trouvé, car il s'en trouve toujours, des gens, qui, éprouvant le
besoin de tout faire remonter aux Grecs et aux Romains, affuble-
ront Polichinelle de la robe — prétexte :
« Il est avéré, dit un de ces gens, que Polichinelle a diverti les
Romains de la République ; il s'appelait en ce temps-là Maccus.
Les farces atellanes n'étaient pleines que de son nom et de ses ex-
ploits. L'identité n'est pas douteuse : on a déterré aux environs de
Naples une figure de bronze antique représentait Maccus, bossu
par derrière et par devant et le visage orné de ce long nez crochu
qui a valu à ce personnage sou nom italien moderne : Pulcinella, bec
de poulet. On peut s'assurer dufaitdans Ficoroni, De larvis scenicisn.
Nous laissons à nos lecteurs le loisir de consulter Ficoroni, si
tel est leur goût. Pour nous, nous nous contentons de la première
version, que nous proclamons la vraie, l'incontestable.
Suivons donc les pérégrinations de Puccio d'Aniello à travers le
monde ; car il a droit de cité dans tous les pays. Bien plus, il
prend les mœurs des contrées où il se trouve et personnifie leurs
habitants.
En France, c'est le marquis goguenard, frondeur et quelque peu
fanfaron :
Quand je marche, la terre tremble,
C'est moi qui conduis le soleil.
Nodier l'appelait un personnage immortel. Il ne se lassait pas
d'applaudir Polichinelle rossant le commissaire. Son aventure
avec l'imprésario d'un théàtro do marionnettes est légendaire. De-
vons-nous la rappeler ? Le petit instrument, appelé pratique, dont
cet homme se servait, excitait particulièrement sa curiosité. Un
206
LE MÉNESTREL
jour, il voulut s'en servir et fit à son tour parler Polichinelle. Mais
soudain, une angoisse lui vint :
— Est-ce que, dit-il, vous ne craignez pas parfois d'avaler ce
petit joujou ?
— Oh ! Monsieur, c'est sans conséquence, répliqua le forain ;
ainsi, celui dont vous vous servez, je l'ai hien avalé cinq ou six fois.
En Angleterre, Monsieur Punch est un personnage avec lequel
il faut compter. Il est mêlé à tous les événements, et cela depuis
longtemps :
— Viens ici, mon garçon, faisait-on dire à l'amiral Nelson, après
la bataille d'Aboukir ; viens sur mon bord m'aider à combattre les
Français. Je te ferai capitaine ou commodore, si tu le veux.
— Nenni, nenni ! répond Punch, je ne m'en soucie pas, je me
noierais.
— N'aie donc pas cette crainte, réplique le marin ; ne sais-tu
pas bien que celui qui est né pour être pendu ne court aucun risque
de se noyer ?
Eu remontant plus haut, nous trouvons la célèbre ballade de
M. Punch, qui date de 1793. Punch fait des infidélités à sa femme,
mistress Judith. Celle-ci lui fait des remontrances. Alors Punch,
d'un revers de bâton, lui fend la tête en deux. Les parents de la
défunte viennent à la ville. Il prend une trique « et leur sert la
même sauce qu'à sa femme ». Il se prend ensuite à voyager par
tous les pays, « si aimable et si séduisant que trois femmes seu-
lement refusèrent de suivre ses leçons si instructives ». 11 parcourt
l'Italie, la France, l'Espagae, l'Allemagne. Mais il n'alla pas plus
loin vers le Nord, c'eût été une folie. On disait qu'il avait fait un
pacte avec le diable, avec le vieux Nick'las. A la fin, il revient en
Angleterre, c franc libertin et vieux corsaire ». On l'arrête, on ins-
truit son procès, il est condamné à être pendu :
Alors, prétendant qu'il ne savait comment se servir delà corde qui pen-
dait de la potence, il passa la tète du bourreau dans le nœud coulant et
en retira la sienne sauve. Enfin, le diable vint réclamer sa dette ; mais
Punch lui demanda ce qu'il voulait dire : on le prenait pour un autre, il
ne connaissait pas l'engagement -dont on lui parlait. Right toi de roi loi.
' Ah ! vous ne le connaissez pas ! s'écria le diable ; très bien! je, vais
vous le faire connaître. Et aussitôt ils s'attaquèrent avec fureur et aussi
durement qu'ils le purent. Le diable combattait avec sa fourche. Punch
n'avait que son bâton ! et cependant il tua le diable comme il le devait.
Hourra ! Old-Wick est mort ! Right toi de roi loi !
George Sand nous a montré Polichinelle dans le pays des Nei-
ges. Là, il est doux et blond, et son cœur tendre s'accommode d'un
esprit franc, sans malice. En Allemagne, c'est Hanswurst, Jean Sau-
cisse, personnifiant, suivant Lessing, la balourdise et la voracité.
Mais que nous sommes loin de notre Puccio d'Aniello, de notre
Polichinelle !
Gardons-le précieusement, ce trésor de galté.
Et laissons dire les pince-sans-rire !
(A suivre.) Edmond Neukojw.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Nouvelles de Londres : — La saison bat son plein à Govent-Garden,
mais avec six représentations par semaine, l'intérêt artistique ne se sou-
tient pas toujours au même niveau. Il faut aussi reconnaître que la
troupe est loin d'être complète et que plusieurs emplois sont très insuffi-
samment tenus, entraînant des distributions forcées, souvent absurdes
auxquelles est du l'insuccès de certaines reprises récentes. Celle des Noces
de Figaro est de ce nombre ; sous la direction molle de M. Randegger
l'interprétation du chef-d'œuvre comique de Mozart a été absolument
lugubre. M™ Richard a fait un excellent début dans la Favorite, chantée
en français. Le public anglais n'a pas été long à reconnaître les émi-
nentes qualités de jeu et de chant de l'artiste, dont l'emploi a été fort
négligé depuis quelques saisons à Londres. M. Montariol, bien que pré-
venu au dernier moment, s'est tiré fort adroitement du rôle de Fernand;
mais M. Cobalet paraissait mal à l'aise dans un rôle de baryton. La
reprise du Prophète est jusqu'ici l'événement le plus considérable de la
saison. L'opéra de Meyerbeer, bien que placé par beaucoup do musiciens
au premier rang de son œuvre, n'est pas un des préférés du public anglais.
Il ne faut pas rechercher le motif de cette défaveur ailleurs que dans lé
caractère irréligieux du sujet, qui cboque le puritanisme britannique.
C'est dans ce même ordre d'idées que la critique locale s'est élevée il y
a un an, avec une unanimité touchante, contre la représentation du Roi
d'Ys : l'intervention do saint Corentin dans le bel opéra de Lalo est
parait-il, une profanation telle que nul public anglais ne saurait la tolérer!
Pareilles inepties ne méritent pas d'être discutées ; il n'en est pas moins
vrai qu'encore l'autre soir la galerie a sifflé les trois anabaptistes comme
elle a l'habitude de siffler les traitres de mélodrames, et il est certain que
le Prophète n'a été imposé à Londres dans le passé que par le talent de
ses principaux interprètes : Mario, Gayarre et Mme Viardot. M. Jean de
Reszké avait depuis longtemps envie de se faire entendre ici dans le rôle
du Prophète, mais la troupe manquait toujours d'artiste capable de lui
donner dignement la réplique et il n'a fallu rien moins que l'engagement
de Mmo Richard pour permettre la reprise actuelle. Hâtons-nous de cons-
tater le succès énorme de ces deux artistes, affirmé par les ovations
d'un auditoire de gala. M. Jean de Reszké a été acclamé après le finale du
troisième acte, bien que sa voix n'ait peut-être pas toute la solidité
exigée par cette page redoutable. La Fidès de Mme Richard est trop connue
pour qu'il soit nécessaire de l'analyser ici : elle a retrouvé son succès
habituel devant le public anglais, vivement impressionné par la concep-
tion dramatique du personnage.. La voix de l'artiste a malheureusement
subi quelques altérations qui ont amoindri l'effet purement musical du
rôle. M1"0 Nuovina, actrice intelligente, est une Rerthe des plus énergiques.
M. Edouard de Reszké est un Zacharie de superbe allure, mais a chanté
un peu lourdement son air du deuxième acte. M. Cobalet fait un excel-
lent Oberthal, rôle de son emploi, et il faut également citer MM. Montariol
et Mirandon, deux anabaptistes bien consciencieux. La mise en scène est
quelconque, comme le plus souvent à Covent-Garden, à l'exception peut-
être de la catastrophe finale, assez bien machinée. Le ballet, très maigre,
mal costumé et encore plus mal réglé, a fait sourire. Orchestre et chœurs
convenables sous la direction de M. Mancinelli, qui a fait rétablir plusieurs
pages le plus souvent supprimées ici, mais en sacrifiant le trio de la
prison.
— Les plans du nouveau collège de musique qui va être érigé à Lon-
dres, avec la donation d'un million 123,000 francs léguée à cet effet par
M. Samson Fox, ont été définitivement approuvés. Le prince de Galles a
promis de venir poser la première pierre du nouvel édifice dans le cou-
rant du mois prochain. On pense pouvoir célébrer l'inauguration à l'au-
tomne.
— On dit que la musique n'est pas un art britannique. Il y a cependant
peu de pays où l'on pratique plus la musique et dans lequel les autorités
fassent plus pour le développement de l'instruction musicale. Des chif-
fres publiés par le dernier rapport de la Commission de l'instruction
publique, il résulte qu'en 1889, dans les seules écoles du pays de Galles
et de l'Angleterre proprement dite, 2,358,560 enfants ont appris le chant
et le solfège et qu'ils ont reçu en différentes occasions, à titre d'encoura-
gement et de rémunération, comme exécutants dans les festivals, la
somme de 117,928 livres sterling, soit 1,948,200 francs. Il y a six ans, la
proportion des enfants ayant appris le chant et sachant lire était de
20 0/0, elle est aujourd'hui de 63 0/0. Depuis 1881, le chiffre des écoles
où l'on enseigne la musique s'est élevé de 3,871 à 12,790.
— Une nouvelle Académie de musique, c'est-à-dire une école d'instruc-
tion musicale, vient d'être fondée à Glascovv. La direction en a été con-
fiée à M. Alan Macbeth, directeur des concerts de l'Union chorale de cette
ville.
— On nous adresse de Stockholm la liste des ouvrages représentés à
l'Opéra de cette ville pendant l'exercice 1889-1890 (209 représentations).
Voici d'abord ce qui concerne les ouvrages français, et ce qui prouve à
quel point notre répertoire est florissant dans la capitale de la Suède :
Lahmé (représentée 27 fois), Mignon (11), Carmen (II), Faust (11), Robert le
Diable (10), Roméo et Juliette (9), Si j'étais Roi (8), la Muette de Portici (4), les
Contes d'FIoffmann (4), les Huguenots (3), la Dame blanche (3), les Diamants de
la Couronne (3), l'Étoile du Nord (1). A signaler pour le répertoire italien :
Leonora, de Donizetti (18), Mefistofele'(l%), Aida (II), le Rarbier de SévUle (10),
Otello (8), Ernani(l), le Trovatore (3) . Enfin, des œuvres de Mozart, Beetho-
ven, Weber, Flotow et Wagner ont occupé ensemble 19 soirées. La saison
a été fructueuse pour le directeur, M. Conrad Nordquist. On commencera
cet automne la construction du nouveau théâtre de l'Opéra, pour lequel on
possède la somme de quatre millions de francs. La troupe gardera toutes ses
étoiles de la dernière saison.
— On assure que Mme Materna, la grande cantatrice qui obtint ici
même, l'hiver dernier, de si grands succès aux concerts Lamoureux,
serait décidée à se retirer dès l'année prochaine, ou du moins à ne plus
paraître sur la scène de l'Opéra impérial de Vienne que dans certains
rôles du répertoire wagnérien dans lesquels elle n'a pas trouvé jusqu'ici
de rivale. — D'autre part, les journaux de Prague nous apportent la
nouvelle de la nomination au Conservatoire de cette ville, comme profes-
seur de chant, d'une autre cantatrice fameuse, M"c Mallinger, qui fit
aussi naguère les beaux jours de l'Opéra de Vienne, ainsi que de celui
de Berlin.
— Les journaux de Vienne signalent une invention intéressant tout
particulièrement le monde musical. Il s'agit d'un système imaginé par
un luthier de Vienne du nom de Lutz, pour améliorer le son des instru-
ment à cordes anciens ou modernes. Des résultats surprenants ont,
parait-il, été obtenus par le procédé de M. Lutz, qui n'en a révélé le
secret à persoene. Il en sera probablement de ce procédé comme de ceux,
très nombreux, du même genre, dont il a été souvent parlé et qui n'ont
jamais, dans la pratique, donné de résultat appréciable.
LE MENESTREL
207
— Voici la liste des nouveautés promises par le Théâtre Municipal de
Cologne pour sa prochaine saison: la Reine de Saba, de Goldmark,/eC/teïai
de bronze (version Ilumperdink), le Roi malgré lui, de Chahrier et lidtchcn
von Heilbronn, de Rheinthaler.
— Outre le nouveau théâtre d'opéra que l'on construit en ce moment à ,
Berlin et qui sera dirigé par M. Angelo Neumann, la capitale de l'empire
allemand aura, dit-on, l'hiver prochain, un troisième théâtre lyrique à la
tète duquel serait M. de Strantz, l'ancien intendant de l'Opéra Royal. On
assure que dans cette entreprise sont engagés de fort capitaux anglais.
La quadruple alliance ne serait donc pas un vain mot?
— On a inauguré récemment à Darmstadt un monument élevé à la
mémoire de l'abbé Vogler, plus célèbre comme professeur et comme théo-
ricien que comme compositeur, et dont la plus grande gloire est peut-
être d'avoir été le maître de ces deux grands hommes qui furent Weber
et Meyerbeer. Précisément, le monument qui lui est consacré rappelle
ce double titre de l'abbé Vogler à la reconnaissance de l'art et des artistes.
Les médaillons de l'auteur du Freischûtz et de l'auteur du Prophète ornent
le socle en grès rouge qui porte son buste en bronze, et font revivre ainsi
le lien qui unit jadis le vieux maître et ses deux illustres disciples.
*— Liszt avait facilement le mot pour rire. « Au cours d'un de ses
voyages, raconte la Neue Musikzeilung, le maître se vit obligé de s'arrêter
dans certaine petite ville. On n'eut pas plutôt signalé sa présence, qu'un
groupe d'admirateurs, parmi lesquels le bourgmestre, vinrent le saluer et
lui offrir un banquet d'honneur. Déjà les convives avaient pris place
autour de Liszt, quant le bourgmestre remarqua qu'on se trouvait treize
à table. — ■ « Ne vous alarmez pas pour cela, fit le maître tranquillement,
» je mange pour deux! »
— La Cavalleria rusticana du jeune maestro Mascagni sera jouée, dit-on,
au cours de la prochaine saison d'automne-carnaval, sur plus de douze
théâtres d'Italie. Dès le mois de septembre on donnera cet ouvrage à la
Pergola, de Florence, avec MUe Galvé, MM. Valero et Pozzi pour inter-
prètes. Quant à l'opéra nouveau qui lui a été commandé par M. Sonzogno
et au sujet duquel on a fait courir déjà tant de bruits divers, M. Mas-
cagni déclare lui-même qu'il ne sait encore quel livret il choisira.
— Une jeune artiste, MUe Teresa Guidi, pianiste distinguée et ancienne
élève du Conservatoire de Milan, auteur déjà de plusieurs opéras, termine
en ce moment la musique d'un nouvel ouvrage en trois actes intitulé
Maleschina.
— A la Scala, de Milan, on doit donner, au cours de la saison pro-
chaine, deux opéras nouveaux : Lionella, de M. Spiro Samara, et un ou-
vrage de M. Carlos Gomes, dont on n'indique pas le titre. Parmi les
artistes engagés pour cette saison, on cite les noms de MM. Stagno
Cardinale, Terzi, Caméra, Ancona, et de Mmes Bellincioni et Rodriguez. Le
chef d'orchestre sera M. Mugnone.
— Un Bacio alla Regina, tel est le titre d'un opéra nouveau qui vient
d'être représenté à Naplcs, au théâtre Sannazzaro, avec un demi-succès.
Le livret, emprunté, selon une coutume fréquente, à un ouvrage français,
a été imité par M. Cammarono d'un opéra de Scribe et Boisselot : Ve
louchez pas à la reine, et la musique est due à M. Camillo De Nardis, qui
dirigeait lui-même l'orchestre ; on reproche à cette musique, « bien faite, »
d'ailleurs, de n'être rien moins que comique, malgré la nature du sujet.
L'interprétation, inégale, était confiée à Mme» Inès Biliotti et Patalano, au
ténor Mastrobono et à la basse Rossi.
— Deux opérettes nouvelles ont vu le jour en Italie. A Rome, au théâtre
Quirino, Mahmus, féerie musicale, paroles de M. Grassi, musique très
agréable de M. Sassone; vif succès pour les auteurs et pour les inter-
prètes, M"1C5 Bianchi, Vergy et Polizzi, ainsi que pour M. Luigi Grassi,
qui remplissait lui-même dans sa pièce la rôle masculin le plus impor-
tant. — A Aquila, Porla-forluna, musique de M. Quintavalle.
— Un musicien portugais distingué, M. Alfred Keil, auteur d'un opéra
représenté non sans succès il y a deux ou trois ans, Donna Branca, ne se
contente pas d'être un compositeur habile; c'est encore un peintre d'un
véritable talent. Il a ouvert récemment chez lui-même, à Lisbonne, une
exposition de tableaux dont il est l'auteur, et pendant que les visiteurs
contemplaient ses œuvres en ce genre, un petit orchestre, placé dans un
des salons, exécutait plusieurs de ses compositions, entre autres une suite
intitulée una Caçada na côrte, le prélude de sa cantate Patria, une suite
de valses : Souvenir de Vienne, et divers autres morceaux.
— Un autre compositeur portugais, le vicomte d'Arneiro, qui, à la suite
d'un long voyage en France et en Italie, s'est fixé provisoirement en
Galice, travaille en ce moment à un nouvel opéra intitulé Don Bibas, qu'il
destine, dit on, à un théâtre du Brésil.
— Un des professeurs de l'École do musique de Barcelone, le compo-
siteur Sabalza, vient d'écrire un opéra intitulé les Cloches de Roncal, qu'il
compte faire exécuter dans un concert donné par lui, à l'Ecole même,
en l'honneur et à la mémoire de son compatriote le fameux chanteur
Gayarre. On se rappelle que Gayarre était natif de Roncal.
— Après le trombone àvapeur, dont nous avons annoncé l'invention, la
basse géante! Concitoyen du premier, ce nouvel engin musical est l'oeuvre
du professeur Geycr, de Cincinnati, qui nous menace, parait-il, d'une
tournée en Europe pour faire connaître sa redoutable invention. La hau-
teur de l'instrument est de 4m,70, la largeur de 2'",85. Pour en jouer, il
est nécessaire de gravir et descendre continuellement les degrés d'une
petite échelle, suivant la position des notes sur la touche. — Puisque
nous sommes sur le chapitre des instruments excentriques, signalons
encore une invention, celle du nasi-flaulo, dont on peut jouer tout en
fumant sa cigarette, puisqu'on s'en sert à l'aide du nez. Cette flûte nasale
a, parait-il, la forme d'une petite trompette et a été imaginée par il
signor Filippo Ato, de Bari. Un compositeur amasserait une fortune
en écrivant un trio pour nasi-flaulo, basse géante et trombone à vapeur.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
On sait que, par suite de récentes instructions ministérielles, un
mode nouveau doit être appliqué pour le choix des morceaux que feront
entendre, dans les concours publics, les élèves des classes de chant du
Conservatoire. Pour ces concours, les élèves doivent soumettre au choix du
Comité d'examen des classes deux airs, l'un ancien, l'autre moderne. Chaque
élève concurrent peut indiquer sa préférence et, après avis du professeur,
le Comité décide dans lequel des morceaux présentés l'élève doit concourir.
En vertu de cette instruction, appliquée pour la première fois, le Comité a
arrêté cette semaine le programme du concours de chant qui aura lieu les
lundi 21 et mardi "22 juillet. Classe de M. Bax: MUe Blanc, air du Freischûtz;
MM. Imbart de la Tour, l'Africaine; Théry, la Création; Castel, Nabuchodono-
sor. Classe de M. Boulanger : M"cs Facciotti, la Reine de Saba; Morel, le Pré
aux Clercs; MM. Commène, Lucie de Lammermoor ; Duvernet, Za'ira. Classe
de M. Bussine : Mlles Popovits, Don Juan (donna Anna); Thommerel, Freis-
chûtz; Cléry, Sémiramis; MM. Dinard, les Vêpres siciliennes; Leprestre, les
Abencérages; Gasne, Iphigénie en Aulide. Classe de M. Barbot : Mlles Youde-
lewski, Fidelio; Ibanes, Lucie; Médart, les Huguenots; Vauthrin, le Serment;
M. Vaguet, les Abencérages. Classe de M. Crosti : MUes Bréjean, Lucie; Mi-
chel, le Barbier de Séville; MM. Collinet, Fernand Cariez; Lequiem, les Vêpres
siciliennes. Classe de M. Archaimbaud : M"cs Audran, Hamlet; Roussel, Fi-
delio; MM. Victor Petit, Robert Bruce; Tisseyre, Robert Bruce; Silvestre, Don
Carlos. Classe de M. Warot : MUes Lemeignan, les Huguenots; Vincent,
Charles VI; Pacary, Obéron; Mangin, Fidelio; Selma, Freischûtz; MM. Chas-
sing, l'Africaine; David, la Dame blanche (2° acte); Grimaud, Fernand Cariez ;
Defly, Freischûtz. Classe de M. E. Duvernoy : MIles Issaurat, Norma; Blan-
kaërt, Don. Juan (donna Anna); Brillant, Fernand Cortez; Bréval, Freischûtz;
MM. Nivette, le Messie; Bérard, Zampa; Albert Petit, la Résurrection (Hœn-
del), air de Lucifer.
— M. Delaunay a déposé cette semaine, sur le bureau de la Chambre,
son rapport relatif à la reconstruction de l'Opéra-Comique. Les conclusions
de M. Delaunay sont favorables à l'adoption pure et simple du projet du
gouvernement et elles seront vraisemblablement discutées avant les
vacancs prochaines. On sait que le projet du gouvernement consiste sim-
plement à reconstruire, sur l'ancien emplacement, sans autre modification
qu'une avance de trois mètres sur la place Favart. Ainsi, à une époque
où la musique tend à s'agrandir de toutes parts, on ne pense chez nous
qu'à la refourrer dans la petite boîte à incendie où elle se mouvait si mal
à l'aise !
— Notre Opéra-Comique va fermer ses portes. A Vienne, l'Opéra et le
théâtre An der Wien ont déjà clos les leurs; il en est de même à l'Opéra
de Berlin, au théâtre royal de Stockholm, au Costanzi de Rome, à la
Scala de Milan, et dans la plupart des capitales et des grandes villes
d'Europe. A Londres seulement la saison musicale bat son plein, alors
que partout ailleurs l'art est « dans le marasme ».
— L'Opéra-Comique perd une de ses meilleures pensionnaires. MlleNardi,
qui s'était fait justement remarquer dans plusieurs créations récentes,
vient de signer un brillant engagement avec le théâtre de la Monnaie de
Bruxelles. On a fait courir le bruit que M110 Nardi exigeait 7,000 francs
par mois pour le renouvellement de son traité avec l'Opéra-Comique. Il
est presque inutile d'affirmer que ce bruit est absolument ridicule.
— Nous développions récemment cette pensée que, dans un temps peu
éloigné, le répertoire lyrique international, chanté depuis plus d'un siècle
en italien, le serait en français, et cela parce que le centre de la produc-
tion musicale, se déplaçant, a passé d'Italie en F'rance, et que, d'autre
part, la langue française est beaucoup plus répandue que la langue ita-
lienne dans la haute société européenne, où elle fait partie de toute bonne
éducation. Le correspondant anglais du Figaro exprime le même avis, au
moins en ce qui concerne Londres : « Je ne pense pas me tromper beau-
coup, dit-il, en disant que, dans un avenir prochain, la saison italienne
de Londres sera une saison française. » De Londres, on peut être sûr que
la coutume se répandra rapidement ailleurs, et déjà nous savons que la
Russie est toute prête pour cette réforme.
— M. Ch.-M. "VVidor vient d'adresser la lettre suivante à M. G. Witt-
mann, chef d'orchestre de l'Hippodrome :
Paris, 25 juin 1890.
Mon cher monsieur Wittmann,
Je tiens à vous exprimer ce soir môme ma profonde reconnaissance pour toute
la sympathie et tout le talent que vous avez prodigués a notre Jeanne d'Arc. L'infa-
tigable activité que vous avez déployée pendant ces journées d'un travail aussi corn-
208
LE MÉNESTREL
plexe et aussi rapide, la sûreté de vos appréciations m'ont été d'un précieux con-
cours. Soyez mon interprète auprès de tous les artistes de votre orchestre, dont
l'exécution a été admirable. Ch.-M. Widor.
— Le Ménestrel publiait dans ses colonnes, il y aura tantôt vingt ans,
une excellente traduction du pamphlet si incisif, si curieux, si savoureux,
de Benedetto Marcello, il Teatro alla moda, justement fameux au siècle
dernier. Ce qui était vrai il y a cent cinquante ans l'est encore aujour-
d'hui, et la critique si fine et si spirituelle que Marcello se permettait à
l'égard des chanteurs et des cantatrices, des directeurs, des auteurs, des
compositeurs, des danseurs et de tout ce qui tient au théâtre n'a rien
perdu de sa saveur et de son à-propos. La traduction donnée par le Mé-
nestrel avait été faite fort habilement par l'un de ses meilleurs collabora-
teurs, Ernest David, dont nous avons eu depuis à regretter la perte. Il
eût été fâcheux qu'elle restât enfouie dans les colonnes d'un journal.
C'est ce qu'a pensé M. Bourgault-Ducoudray, qui a eu l'idée d'en faire
une publication spéciale, en la faisant précéder d'une préface écrite par
lui-même. Ce petit ouvrage vient de paraître en une charmante brochure
de ISO pages, à la librairie Fischbacher, sous le titre que voici : Le Théâtre
à la mode au XVIIIe siècle (il Teatro alla moda), de Benedetto Marcello, tra-
duction précédée d'une étude sur Marcello, sa vie et ses œuvres, par
Ernest David. Tout le monde ainsi pourra lire ce petit chef-d'œuvre de
raillerie fine, spirituelle et mordante, que seuls jusqu'à ce jour connais-
saient les initiés. A. P.
— M. Louis Pagnerre vient de publier sous ce titre : Charles Gounod, sa
vie et ses mœurs (Paris, Sauvaître, in-8°), un gros volume qui est plutôt un
recueil de documents pouvant servir au récit de la vie du maître, qu'une
véritable biographie de l'auteur de Faust, de Mireille et de la Rédemption.
De nombreux catalogues, des analyses des poèmes mis en musique par
M. Gounod, la reproduction un peu trop complaisante de jugements portés
sur ses œuvres par des écrivains qui souvent n'ont pas droit au titre de
critiques, toute une longue histoire, trop longue, des démêlés du compo-
siteur avec Mme Georgina Weldon pendant et après le séjour qu'il fit en
Angleterre, voilà surtout ce qu'on trouve dans le livre de M. Pagnerre.
De renseignements nouveaux sur le musicien illustre qui aura tenu une
si grande place dans l'histoire de l'art français au dix-neuvième siècle il
n'est guère question, non plus que de véritable critique je ne dirai pas sur
les œuvres, mais sur l'ceuwe du maître, sur l'ensemble de sa carrière et de
sa vie artistique. C'est précisément la vue d'ensemble et le jugement syn-
thétique qui manquent ici, et l'on voit que l'écrivain, trop préoccupé du
détail, n'a pas eu le coup d'œil assez vaste pour envisager comme il con-
vient et dans tout son parcours une carrière inégale sans doute, mais si
glorieuse et si bien remplie. Néanmoins, ce livre, fertile en documents,
bien que ceux-ci soient de valeur inégale, sera fort utile dans l'avenir à
celui qui sera suffisamment armé pour entreprendre une véritable histoire
critique de la vie et des œuvres de M. Gounod. A ce titre seul il mérite-
rait l'attention, car l'auteur n'est point un fantaisiste ; il remonte aux
sources, et il les cite avec une parfaite honnêteté. A. P.
— Un écrivain italien dont nous avons eu déjà l'occasion de signaler
quelques publications, M. Leopoldo Mastrigli, vient démettre au jour sous
ce titre : Manuale del caillante, un petit volume assez curieux. Ce volume
n'est pas un traité de chant, comme on serait tenté de le croire d'après
son titre ; c'est précisément, ainsi que l'indique celui-ci, un manuel du
chanteur, mais uniquement composé de préceptes et de conseils extraits
d'un grand nombre d'ouvrages traitant soit de l'art du chant et des études
qu'il nécessite, soit des soins à donner à la voix et de la façon de la di-
riger au point de vue de son hygiène et de sa santé. L'auteur, ou plutôt
le compilateur, a pris pour épigraphe cette phrase de l'excellente Méthode
de chant de M. Faure : a Pour rendre à l'art du chant son éclat d'autrefois,
il n'y a d'autre parti à prendre que de revenir aux fortes études qu'exi-
geait l'interprétation des ouvrages délaissés aujourd'hui, et d'y ramener
les élèves, sans se préoccuper s'ils auront ou non à en faire l'applica-
tion. » Puis il emprunte ses préceptes, ses citations, aux traités et aux
écrits de J.-J. Bousseau, Grétry, Crescentini, Porpora, Fétis, Rossini,
Pier-Francesco Tosi, Emmanuel Garcia, Lichtenthal, Berlioz, Panofka,
Stendhal, Reicha, Richard Wagner, les docteurs Colombat de l'Isère,
Edouard Fournie, Louis Mandl, Second, Mackenzie. MM. Djprez, Faure,
Délie Sedie, Maurel, Marmontel, Gamucci, Lamperti, etc., en les classant
et en les groupant d'une façon systématique et rationnelle. En résumé,
c'est là un petit livre fort utile, et dont il serait à souhaiter que nos
jeunes chanteurs eussent ici le pareil.
— Le centenaire de la Fédération : — On sait qu'à l'occasion de l'an-
niversaire de cette grande date de la Révolution française, M. Georges
Boyer a composé un chant patriotique dont M. J. Massenet a écrit la mu-
sique. C'est une sorte de pas redoublé, une mélodie simple, mais très
rythmée, qui dans la pensée de son auteur doit être chantée en marchant,
sur le refrain suivant:
Au nom de la patrie et de la liberté,
Soyons unis, car il est temps, ô frères,
A l'étendard sanglant des guerres
D'opposer le drapeau de la fraternité!
— M. Albert Jacquot vient de donner, en séance publique du Congrès des
Sociétés savantes réunies au grand hémicycle des Beaux-Arts, lecture d'un
mémoire sur la « Lutherie d'Art et la Lutherie en Lorraine «.L'assistance
a paru prendre à cette lecture un vif intérêt, M. Albert Jacquot a fait
d'abord l'histoire des instruments à cordes et à archet. Après un coup
d'oéil rétrospectif sur la lutherie dans les différents pays, en Italie d'abord,
où il a mis en lumière les célèbres chefs des écoles depuis Amati et Stra-
divarius, puis en France, en Allemagne, en Lorraine, il s'est occupé de
la construction du violon, fournissant des détails techniques peu connus
jusqu'alors; il a montré l'influence exercée au XVIe siècle sur la lutherie
lorraine par l'école italienne et rappelé Mirecourt. M. Jacquot a rappelé
aussi l'origine lorraine de. nos anciens luthiers les plus célèbres, les
Yuillaumedès 1681, les Lupot — aujourd'hui Gand et Bernardel — dès 1G96,
les Chanot en 1716, les Jacquot (ancêtres de la famille actuelle) en 1731.
— Un public fort élégant et très nombreux assistait samedi dernier à
l'audition d'élèves donnée par Mme Marchesi à la salle Érard, fin de l'an-
née scolaire 1889-90. M"es Risley, Komaromi, Bensberg, Brass, Devlin,
Niven, Mataftine, Weyprecht et Drake ont tour à tour fait la preuve de
l'excellent enseignement de leur éminsnt professeur, et elles ont recueilli
les plus chaleureux applaudissements de l'assistance. Plusieuis de ces
jeunes artistes ont déjà signé d'importants engagements.
— M. Charles René a clôturé la saison de ses cours de piano à l'Ins-
titut Rudy par une brillante séance donnée mardi dernier. Trente et une
personnes y ont été entendues sans aucune fatigue, grâce à un choix
heureux des morceaux, et aussi, grâce à une grande variété dans l'inter-
prétation des œuvres de styles et de maîtres différents. Citons parmi les
numéros les plus applaudis : le Retour, de Bizet, l' Impromptu-valse, de Louis
Diémer et une mazurka de Scharwenka. La réouverture des cours de
M. Charles René aura lieu le mardi 7 octobre.
— Dans la dernière matinée d'élève données par M"e Cortat, profes-
seur de piano, l'Astre des Nuits et la Fête alsacienne do M. Paul Rougnon ont
été très applaudis en faisant valoir les qualités de grâce et de sentiment
des deux dernières œuvres de l'auteur de Ballerine, du Menuet de l'Infante
et de la Valse joyeuse.
— Cette semaine, à l'Ecole Normale de musique dirigée par M. Thurner,
ont eu lieu les examens annuels, présidés par notre vaillant et éminent
maître Marmontel. MM. Ravina, Ad- David et Pessard ont formé le jury,
qui a été unanime pour féliciter M. Thurner sur les excellents résultats
de l'enseignement. Il y a là de sérieux éléments de vrai succès et d'a-
venir.
— Malgré la chaleur de lundi dernier, on se pressait dans les salons de
Mmc Lafaix-Gontié, pour assister à sa matinée de clôture de la saison. On
y entendait et applaudissait les œuvres de MM. Wekerlin, Delibes, Widor,
ainsi que celles de Mme Gennaro-Chrétien. Les élèves de Mm0 Lafaix-
Gontié ont toutes fait honneur à l'excellent enseignement de leur distin-
gué professeur.
NÉCROLOGIE
A Barcelone est mort récemment un artiste qui s'était distingué tour
à tour comme chanteur, comme chef d'orchestre et comme compositeur.
Francis Pedrell, qui était né à Palma de Majorque, le 2 avril 1813, avait
abandonné l'étude de la médecine et de la chirurgie pour celle de la
musique, et débutait en 1836 comme ténor, sur le théâtre de sa ville
natale, dans la Norma de Bellini. Il so produisit ensuite à Valence, à
Barcelone, à Bilbao, puis, ayant perdu la voix à peine âgé de trente ans,
se fit connaître comme chef d'orchestre et comme compositeur. Il a écrit
quatre Opéras dont un intitulé el Trovador, qui vit le jour onze ans avant
le Trovatore de Verdi. On lui doit aussi une zarzuela, un hymne patrioti-
que pour chant et piano, une symphonie, un Te Deum, une messe de Gloria,
un hymne allégorique, une fantaisie espagnole et plusieurs morceaux de
divers genres. Pedrell était non seulement un musicien de talent, mais
un homme fort distingué. Tout en poursuivant sa carrière artistique, il
avait obtenu en 1829 le titre de bachelier en philosophie et en 1836 celui
de bachelier en médecine et chirurgie.
— Le Conservatoire de Saint-Pétersbourg vient de faire une perte sen-
sible en la personne de M.Charles Siecke, professeur d'harmonie et maître
des chœurs. Il avait dirigé pendant deux saisons consécutives les concerts
de la Société musicale russe, tant à Moscou qu'à Saint-Pétersbourg.
— On annonce également de Russie la mort de Nicolas Christianovitch,
décédé à Pultawa. Quoique magistrat de profession, il s'est fait un nom
dans la littérature musicale russe, en publiant en 1876 un volume de
lettres sur Chopin, Schubert et Schumann. A Pultawa, il avait créé une
école musicale dont il a été l'âme jusqu'à ces derniers temps. Le défunt
était frère de M. Alexandre Christianovitch, l'auteur bien connu d'un
livre français sur l'ancienne musique arabe, publié à Paris en 1863.
Henri Heugel. directeur-géiant.
i -ii'iipu, n,,.: LBIIf
■ IHPIUNEIUE «.mil. — RUE BEIlGÈItE, 20,
Dimanche 6 Juillet 1890.
3092 - 86™ ANNEE - N" 27. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement
Un on, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sui.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Notes d'un librettiste : Georges Bizet (8° article), Louis Gallet. — II. Bulletin
théâtral, H. M. — III. Le théâtre à l'Exposition (26° et dernier article), Arthcr
Pougin. — IV. Histoire vraie des héros d'opéra et d'opéra-comique (36* article) :
Tabarin, Edmond Neukomm. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
UN SOURIRE
de Ed. Chavagnat. — Suivra immédiatement: Deuxième Valse hongroise, de
Théodore Lack.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant : les Pommwrs, nouvelle mélodie d'EmiLE Bourgeois, poésie dé
F. Couturier. — Suivra immédiatement: l'Étoile, mélodie de Limnander,
poésie de A. Van Hasselt.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
GEORGES ' BIZET
Georges Bizet venait fréquemment à l'Opéra. Il causait
longuement avec Faure, qui l'aimait beaucoup et se trouvait
tourmenté du désir de le voir réussir au théâtre et tout à
fait disposé à l'y aider de son autorité, en créant le maître
rôle d'un ouvrage de lui.
Un soir, il me dit : Il faut que vous me fassiez quelque
■chose pour Bizet. Il a beaucoup de talent. — Qu'est-ce que
vous verriez? Il me faudrait un rôle très sympathique. — Je
viens de créer votre Paddock de la Coupe du Moi de Thulê. Je
voudrais vous voir, Edouard Blau et vous, vous associer pour
un autre ouvrage, dont Bizet serait le compositeur et qui
serait pour moi, — bien pour moi.
Nous nous mimes en quête sans retard. Et, tour à tour,
nous apporlâmes divers sujets, qui ne convinrent pas à l'il-
lustre baryton, épris d'un extraordinaire idéal.
Nous lui parlâmes, entre autres personnages, du Lorenzaccio
d'Alfred de Musset, sujet analogue au Lorensino de Dumas.
Mais Faure, tout en reconnaissant la valeur du drame ne
goûtait pas le caractère du personnage, Brutus cauteleux,
menant avec un sourire, jusqu'à l'heure de sa perte, l'homme
qu'il doit tuer. — « Je n'aime pas, disait-il, celui qui trahit
ainsi. »
Cette recherche consciencieuse d'un personnage réunissant
toutes les qualités, tous les charmes, tous les héroïsmes,
n'allait pas sans éveiller la verve caustique de 6. Bizet.
— Eh bien, me disait-il, avez-vous trouvé ?
Et comme je lui racontais nos efforts et les objections de
notre ami :
— Ce Faure, disait-il avec une malice qui ne diminuait
en rien son affection et son admiration pour le grand artiste,
il veut tout 1 Non seulement il faut qu'il soit grand, beau,
généreux et fort, mais encore il faut qu'on puisse dire du
bien de lui quand il n'est pas en scène 1
Enfin, Bizet lui-même mit fin. à ces recherches et à ces
hésitations en m'apportant un matin un vieux numéro du
Journal pour tous, contenant une traduction de la Jeunesse du
Cid de Guilhem de Castro.
— Voilà ce que je veux faire, me déclara-t-il, très nettement.
Ce n'est pas le Cid de Corneille, c'est le Cid original, avec sa
couleur bien espagnole. Il y a là une scène : la scène du
mendiant, qui est merveilleuse. Voyez cela. Faure, j'en suis
sûr, sera content. Le Cid amoureux, filial, chrétien, héroïque,
triomphant, que pourrait-il désirer de plus !
Ainsi fut fait. Faure, mis au courant du projet, se déclara
enchanté, et nous nous mimes aussitôt à l'œuvre.
L'impitoyable histoire aura beau examiner à la loupe les
grandes figures telles que le Cid, elle ne détruira pas la lé-
gende. Ce Rodrigue Diaz de Bivar, le grand Cid, qui, son épée
Tizona au flanc, fut couché par Chimène inconsolable dans
un cercueil « aussi noir que sa tristesse » en la chapelle de
Saint-Pierre de Cardena, elle nous le représentera en vain
comme un soldat à demi-barbare, un mercenaire tour à tour
au service des rois de Castille et des rois des Maures, redou-
table à tous et faisant brûler vif, au mépris de la parole
donnée, Ahmed-el-Moaféry, le gouverneur de Valence, son
prisonnier, épousant enfin une parente du roi, Ismena ou
Chimène, vieille, laide, mais grassement dotée ! Nous ne
voudrons jamais voir en lui que le héros du drame de Cor-
neille, ce poème de jeunesse, « fleur immortelle d'honneur
et d'amour », selon le mot de Sainte-Beuve.
Ce n'était pas cependant le Cid de Corneille, je l'ai dit, qui
tentait Bizet; c'était celui de Guilhem de Castro, plus naïf,
plus proche du Romancero. Il entendait qu'on s'en tînt à cette
version, et recommandait qu'on évitât par-dessus tout d'em-
prunter un seul vers à Corneille. Il redoutait, non sans raison,
cette audace musicale de repétrir le bronze du vers cornélien.
En lisant dans Guilhem de Castro cette « Scène du men-
diant » dont Bizet m'avait parlé, j'en fus frappé et charmé
comme lui. Elle m'apparut simple, touchante et grande.
Elle montrait Rodrigue de Bivar sous un jour tout nouveau.
Les auteurs nombreux qui ont traité ce beau sujet du Cid
ont montré dans le héros le fils respectueux jusqu'au sacri-
210
LE MÉNESTREL
fice de son amour, l'amoureux Adèle à l'amour jusqu'au
sacrifice de sa vie ; aucun n'a vu en lui le chrétien, le
croyant à l'âme évangélique. comme l'a dépeint Guilhem de
Castro, comme le Romancero l'a célébré.
Dans le vieux drame espagnol, Rodrigue est représenté,
un soir de bataille, alors que tout lui manque, que la for-
tune le trahit. Seul, à l'entrée de sa tente, il rêve à sa
sombre destinée, quand le bruit d'une querelle frappe son
oreille. Ses officiers ont surpris un homme dans le voisinage;
brutalement ils le chassent. C'est un lépreux, un vagabond...
Rodrigue s'interpose. Il fait amener l'homme devant lui. Il
donne à ses officiers une dure leçon d'humanité , de
charité.
— Tu as faim et soif, dit-il à ce misérable. Tiens, mange
et bois. Et il partage avec lui son pain noir, ses oignons
crus et le vin de sa gourde.
— Tu as sommeil! Prends mon manteau et dors sur cette
pierre.
Et tandis que le lépreux s'endort, le Cid reste debout pour
prier.
Et, tout à coup, quand la fatigue enfin triomphe des forces
du héros et le couche à son tour sur la terre nue, voici que
le pauvre inconnu se lève, transfiguré, et bénit, au nom du
Seigueur, le Cid chrétien.
Il faut ici écouter la narration du Romancero, qui a quel-
que chose de la simplicité superbe des Ecritures.
« Vers minuit, alors que Rodrigue dormait, le lépreux lui
souffla entre les épaules et si fort fut ce souffle qu'il lui tra-
versa la poitrine...
» Il se releva très effrayé, chercha le lépreux, ne le trouva
point et demanda en criant de la lumière.
» On lui avait apporté de la lumière, et le lépreux ne pa-
raissait point...
» Il s'était recouché, quand vint à lui un homme tout vêtu
de blanc, qui lui dit : Dors-tu ou veilles-tu, Rodrigue ?
— Je ne dors pas. Dis-moi qui tu es, toi que je vois si
resplendissant.
— Je suis Lazare, je viens te parler; je suis ce lépreux à
qui tu as rendu un si grand service pour l'amour de Dieu-
— Rodrigue, Dieu t'aime bien...
» Et tout ce que tu entreprendras dans la guerre ou autre-
ment, tu l'accompliras à ton honneur. Rodrigue, Dieu t'en-
voie sa bénédiction.
» Et. ce disant, il disparut... »
En ces créations légendaires, ce n'est pas toujours la figure
du lépreux ou de Lazare qui apparaît. C'est bien souvent
celle de l'apôtre saint Jacques, le grand protecteur des Cas-
tillans, que le Romancero montre parfois entrant dans la
grande mêlée, tout armé et à cheval pour combattre les
Maures.
L'imagination vive de Bizet s'enflammait à ces récits. Il
parlait avec une foi ardente de cette scène et il nous com-
muniquait son enthousiasme. Tout le drame évoluait pour
lui autour de ce tableau du lépreux, que son modernisme
musical mettait au premier rang, alors que les commenta-
teurs de Guilhem de Castro l'avaient compté à son auteur
comme une faute de goût et que Corneille l'avait dédaigné.
J'ai gardé très présente l'impression que produisit sur
l'excellent comédien Régnier, homme d'esprit et fin lettré
s'il en fut, cette scène que je lui racontai un soir en lui di-
sant quelle place elle tenait dans les préoccupations de notre
compositeur.
Comme il aimait les belles choses, il s'inclinait devant
cette page de l'antique légende castillane. « Mais, ajoutait-il,
moi, voyez-vous, j'en reste à Corneille. »
Cet avis n'allait pas sans nous préoccuper fort; mais Bizet
aurait, je crois, donné à ce moment tout le répertoire de la
Comédie-Française pour son tableau légendaire.
Il eut donc sa « scène du mendiant », pour ne pas dire
sa « scène du lépreux * un mot qui, de son aveu même,
était fait pour évoquer une image trop rebutante.
La voici telle que je l'emprunte au manuscrit, rectifié de
la main même de Bizet et mis par lui d'accord avec sa par-
tition. Il me semble qu'il y a là le sujet d'une comparaison
intéressante. Comme dans le Cid représenté depuis à l'Opéra,
la scène se passe dans le camp de Rodrigue.
Au moment où, désespérant de la fortune de ses armes, le
jeune chef va pénétrer dans sa tente, des rumeurs éclatent
à peu de distance. Des soldats paraissent, poussant et ru-
doyant un mendiant :
LES SOLDATS.
Hors d'ici, misérable! Hors d'ici! Fais-nous place!
Va t'en !
RODRIGUE.
Quel est cet homme?
LES SOLDATS.
Un mendiant qu'on chasse!
RODRIGUE.
Pourquoi ? Quel crime a-t-il commis ?
LE MENDIANT.
Seigneur, je demandais un asile, une aumône !...
Ce que je possédais, les Maures me l'ont pris !
LES SOLDATS.
Il ment! C'est un bandit!
RODRIGUE, prenant doucement la main du mendiant.
Frère, Tiens et pardonne
Au zèle de ceux-là qui devraient bien savoir
Que la charité sainte est leur premier devoir.
(Aux soldats.)
Eloignez- vous !
LES SOLDATS.
Seigneur, redoutez sa présence..
RODRIGUE.
Allez! votre doute est cruel.
Un pauvre est l'envoyé du ciel:
Pourquoi lui faire offense?
(Les soldats se retirent avec confusion.)
Viens près de moi.
LE MENDIANT.
Seigneur.
RODRIGUE.
As-tu faim. Prends ceci.
Es-tu lassé? Sommeille ici
Dans mon manteau jusqu'au jour.
(Il fait étendre le mendiant sous la tente et le couvre de son manteau.)
LE MENDIANT, d'une toii faible.
Mais, vous?
RODRIGUE.
Frère,
Moi, je reste debout jusqu'à l'heure dernière.
(Regardant le mendiant étendu et déjà immobile.)
Déjà ses yeux' sont clos.
(Après un silence, joignant les mains.)
0 trésor du sommeil! 0 bienfaisant repos!
Il dort, insoucieux des misères prochaines,
Quand je veille désespéré.
Il a des haillons, j'ai des peines;
Par de plus rudes coups mon cœur fut déchiré.
Dieu clément! ah! pardonne à la plainte dernière:
De celui qui bientôt paraîtra devant toi!
Ses regards aujourd'hui sont bien loin de la terre.
Il proclame, en mourant, ta justice et ta loi.
Tu m'as pris mon amour et j'ai courbé la tète ;
Tu me prends la victoire et je me suis soumis.
Que ton ciel soit du moins ma suprême conquête,
Que l'amour éternel à mon cœur soit permis !
Mais, qu'ai-je donc? Un lourd sommeil accable
Malgré moi, tous mes sens.
Dieu!... je succombe... Ah! oui, c'est la mort socourable.
Elle vient... Je le sens!...
(Il tombe sur le sol, la tête appuyée sur une pierre, et s'endort. — Musique. —
Au bout d'un instant une vague clarté emplit la scène autour du mendiant, qui
se lève, transfiguré.)
LE MENESTREL
211
LE .MENDIANT, debout devant Rodrigue.
0 grand cœur ! L'Esprit saint te parle par ma bouche,
Et Dieu par mes mains le bénit.
Les anges radieux se penchent vers ta couche,
Leur voix à la mienne s'unit.
Je suis Lazare !
CHOEUR CÉLESTE.
Entends-tu la voix de Lazare,
Le messager du Seigneur!
C'est la fin de ta douleur,
Ton triomphe se prépare!
LE MENDIANT.
Dieu soutient le cœur docile à sa loi !
Rodrigue, lève toi!
RODRIGUE, dans no r.ve.
Ah ! quelles harmonies
Etranges, infinies,
Planent autour de moi!
CHOEUR CÉLESTE.
La prière et la souffrance
T'ont deux fois purifié.
Le ciel te prend en pitié
Et te rend ton espérance !
LE MENDIANT.
Oui, Dieu rendra l'amour à qui fut doux pour moi !
Lève-toi! Lève-toi!
RODRIGUE, se dressant lentement.
De célestes clartés éblouissent ma vue!
Quelle splendeur est dans la nue?
Quel feu divin échauffe et pénètre mon cœur ?
Des voix me proclament vainqueur
Et font revivre en moi l'espérance perdue !
Reprends pour le combat le courage et la foi.
Rodrigue lève-toi! lève-toi ! lève-toi !...
(// disparaît.)
RODRIGUE, debout.
Oui, j'ai la foi qui porte les montagnes !
Alerte, compagnons, nous avons trop dormi !
Appels de trompettes au loin. Les soldats se lèvent de toutes parts.
Cette citation donne bien la physionomie musicale de
l'œuvre à jamais perdue de Georges Bizet.
Je l'y retrouve tout entier, élargissant ses vues, accentuant
la puissance de ses effets, développant la grandeur mystique
de la scène, ajoutant à la prière du Gid des mots de son
propre fonds pour en rendre plus majestueux le rythme, avec
l'évidente préoccupation de donner à la voix de Faure un
point d'appui digne de sa magnifique ampleur.
(A suivre.) Louis Gallet.
BULLETIN THEATRAL
Il parait que Mm0 Fierens a fait, cette semaine, son second début
à I'Opéra dans tes Hwjuenots, incognito et masquée. Du. moins on
n'avait pas fait appel à la presse pour en juger. Mais M. Gailhard,
dans de petites notes officieuses envoyées aux journaux, se déclare
satisfait et nous annonce que tout a admirablement marché. Il n'y
a aucune raison pour ne pas croire cet homme de bien. Tout est
donc pour le mieux dans la meilleure des Académies nationales de
musique.
Pour demain lundi, on annonce les débuts de Mme Durand-Ulbach
dans le rôle d'Amnéris ai1 Aida. Seront-ce aussi des débuts masqués?
Le spectacle gratuit du 14 Juillet sera, sur la demande du conseil
municipal, composé du Rêve et de Zaïre. On compte, pour enlever
les masses, sur le chant patriotique qui termine le 1er acte de
l'intéressant opéra de M. Véronge de la Nux.
A I'Opéra-Comique, en ce même jour de fête et de haute liesse, on
donnera Fra Diavolo et les Noces de Jeannette. En guise d'intermède,
la Marseillaise, chantée par M. Mouliérat. Le Conseil municipal avait
demandé qu'on remplaçât cette « vieille rengaine nationale » par
« l'Expulsion » ou le « Bal à l'Hôtel de Ville » de Mac Nab, le chan-
tre ordinaire du peuple et de ses élus. Mais M. Paravey, toujours
correct, n'a pas voulu se prêter à une fantaisie qu'on eût pu voir
d'un mauvais œil à l'Elysée, dont il est le directeur favori et fraî-
chement décoré.
C'en est fait ! Les signatures sont échangées. M. Verdhurt ins-
talle définitivement le Théâtre Lyrique à l'Éden-Théûlre. Grand
bien lui fasse, et à nous aussi ! Il ouvrirait, dès le 1er octobre, avec
Samson et Dalila, de M. Saint-Saëns, et le lendemain il donnerait
la Coupe et les Lèvres, de M. Canoby. On parle aussi dans un avenir
prochain de Lenick, opéra de M. Raoul Pugno.
Pendant le mois de septembre on procédera à la transformation de
la salle, de la façon suivante. Les deux premiers rangs seront sup-
primés et remplacés par une série de loges découvertes dans le
genre de l'ancienne corbeille du Théâtre-Italien. Entre les colonnes,
on construira des deuxièmes loges et des fauteuils. Les baies se-
ront fermées complètement. Dans les intervalles, on placera de
grandes glaces.
L'inévitable Ciiateau-d'Eau, qui nous revient périodiquement tous
les étés en même temps que le choléra, a rouvert ses portes fatales
vendredi dernier, avec Roland à Ronceveaux, opéra redoutable de
M. Mermet. Nous avons trop souvent parlé ici même de cette tapa-
geuse partition pour y revenir encore. Elle est interprétée par le ténor
Van-Loo, qui a des poumons, et par plusieurs dames pleines de
grâces qui ont des noms divers et des talents variés.
H. M.
LE THEATRE A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889
(Suite. )
LE CONCERT ALGÉRIEN
Concerts tunisiens, concerts marocains, concerts algériens, il y en
avait de toutes sortes, et il faut convenir que l'Afrique musicale (!)
était amplement représentée à l'Exposition... Il n'y manquait qu'un
concert tripolitain, et même un concert congolais. Je les ai vai-
nement cherchés l'un et l'autre ; à mon grand regret, je n'ai pu les
découvrir.
Mais pour pénétrer au Concert Algérien, il nous faut quitter le
Champ-de-Mars, abandonner cette rue du Caire dont le souvenir
grouillera longtemps encore dans l'esprit des Parisiens, et franchir
la distance qui nous sépare de l'Esplanade des Invalides.
Très curieux, ce Concert Algérien, dont le programme nous an-
nonce des « danses mauresques, ouled-naïls, kabyles et nègres, diri-
gées par trois orchestres. » Il va sans dire qu'ici encore nous re-
trouvons, comme un cauchemar, l'éternelle danse du ventre, qui
nous poursuit de ces hideuses contorsions. Il y en a, fort heureuse
meut, d'un autre genre, et fort heureusement aussi, les danseuses
sont pour la plupart jeunes et jolies. Une surtout, une petite Kabyle
de quatorze ans, toute mignonne et toute charmante, qu'on appelait
Torkia, et qui, les bras nus et des paillettes sur les joues, exécutait
la danse des épées avec une grâce et une crânerie délicieuses. Cette
même danse des épées nous était offerte aussi, mais d'une tout
autre façon, par une femme plus formée et d'un aspect bien diffé-
rent, à la physionomie énergique et rude, au regard sec et brillant
comme l'acier, qui, tournant sur elle-même d'un mouvement très
rapide, jouait avec ses deux sabres recourbés comme avec de sim-
ples plumes, les agitant et les brandissant en cadence, en posant tour
à tour les pointes sur ses bras, sur sa poitrine, sur son cou, jusque
sur ses yeux, et, avec une adresse étonnante, les maintenant en
place sans cesser son tourbillonnement, dont elle augmentait au
contraire la vivacité, encouragée qu'elle était par le rythme de l'or-
chestre, qui allait toujours, toujours, toujours s'accélérant. C'était
là un spectacle vraiment curieux, intéressant et original, on peut
dire saisissant. -
Tranchant avec celle-ci, les danses d'aimées se faisaient remar-
quer par certaines attitudes pleines de grâce et de langueur, par un
accompagnement musical qui n'était pas toujours sans charme, et
auquel parfois venait se joindre le chant. Par exemple, les danses
de nègres et de négresses, grotesques sans le vouloir, n'avaient pour
elles que leur caractère d'étrangeté vulgaire. A ces danses lourdes
et sans grâce je préférais les chansons arabes, d'une couleur savou-
reuse et pittoresque, que chantait une des femmes en s'accompa-
gnant elle-même sur une sorte de luth oriental appelé kouitra.
En somme, les séances du Concert Algérien offraient un intérêt
réel à qui était bien préparé pour voir et entendre, et l'originalité
n'en était certes pas exclue.
242
LE MENESTREL
LE CONCERT TUNISIEN DU SOUK
Je n'en saurais dire autant du Concert installé au Souk tunisien.
Celui-ci était assez vulgaire, et ne se distinguait par rien de parti-
culier. Je me trompe : il se distinguait par ce fait que les danses des
aimées y étaient accompagnées — ô horreur ! — par un piano euro-
péen, sur lequel les airs arabes, parfois si curieux, perdaient tout
leur cachet et leur caractère. Le virtuose qui tenait ce piano était
un juif arabe nommé Bennini-Semmama, à qui le séjour de Paris fut
fatal: il tomba malade ici, et mourut dans les derniers jours du
mois d'août. Je ne sais qui lui succéda dans son emploi.
Cela me rappelle un souvenir.
Dans les premiers jours de décembre, la cour de l'Hôtel des ventes
de la rue Drouot fixait les regards des passants, qui s'arrêtaient,
surpris, devant un amas énorme de divans en tapisserie turque, de
lanternes aux tons criards, de tentures fanées, de guéridons aux
couleurs éteintes, de drapeaux déchirés, de tables, de bancs, de ta-
bourets... Contre le mur, on avait étalé des glaces, sur lesquelles
diverses inscriptions avaient été faites avec des diamants, entre au-
tres celle-ci, que j'ai retenue: Aïcha,je t'aime I que son auteur avait
heureusement négligé de signer. On se demandait d'où pouvaient
provenir ces étranges débris, qui faisaient, ainsi et pêle-mêle en-
tassés, jetés sans ordre sur le pavé, le plus singulier et le plus mi-
sérable effet.
Or, ce qu'où vendait là, c'était le mobilier du Concert du Souk
tunisien à l'Exposition universelle. C'était la revanche du hasard
contre l'odieuse danse du ventre, qui venait ainsi s'échouer à l'Hôtel
des ventes, où son succès était moins grand que là-bas, au milieu
des merveilles de l'Esplanade. Car, il faut le dire, tout cela s'est vendu
à vil prix, et tout ce matériel, qui comprenait douze glaces, trente-
deux lanternes, six divans, deux grandes tables turques, des ten-
tures, des drapeaux; des tapis, 100 tabourets, 50 tables-guéridons,
a produit péniblement une somme totale de 1,350 francs. Les
tabourets durent être vendus par douzaines, à raison de un franc
la pièce; les guéridons trouvaient à peine acquéreurs à 11 francs
les six, et on avait un divan avec ses coussins pour moins de
25 francs! Sic transit...!
Nous n'en avons pas fini avec l'Esplanade des Invalides, qui
nous réservait des surprises de plus d'un genre. C'était d'abord
les fantasias si brillantes des cavaliers arabes, spectacle superbe et
presque émouvant que ceux-ci donnaient chaque jour au public
sur la large place formée par les façades des premiers bâtiments
algériens qu'on rencontrait en arrivant à la porte du quai. C'est
là que neuf beaux cavaliers tunisiens se livraient à des évolutions
curieuses, pleines de couleur et de caractère. Malheureusement, et
malgré son succès très grand et parfaitement justifié, ce spectacle
dura peu. Après quelques semaines à peine, ces pauvres diables,
d'une apparence si forte et si robuste, étaient pris de nostalgie et
demandaient instamment au commissaire général l'autorisation de
retourner dans leur pays. Il y aurait eu cruauté à les retenir
malgré eux, et il fallut bien se résigner à les laisser partir.
C'est sur cette même place que, à certaines heures du jour et
presque toute la soirée, se réunissait et se faisait entendre la
nouba algérienne, c'est-à-dire la musique des tirailleurs algériens
(turcos), avec ses instruments aux sons perçants et criards. Celle-
ci obtenait aussi un vrai succès, mais dû bien plus à la curiosité
qu'au sentiment de l'art, car l'art n'a pas grand chose à faire avec
cet assemblage d'instruments primitifs, d'une sonorité stridente et
d'une justesse moins qu'approximative, qui vous répèle jusqu'à
vingt-cinq fois de suite le même motif de seize mesures sur un
rythme enragé, scandé par le battement des tambours. Il n'im-
porte- ces braves gens avaient l'air enchantés de se faire admirer
et de se voir entourés par tant d'amateurs.
Mais un spectacle unique, un spectacle vraiment intéressant par
son étrangelé, par son caractère absolument neuf, par sa couleur
toute particulière, par sa variété savante, par son luxe tout oriental,
par son allure, par son mouvement, par le sentiment pittoresque
qui s'en dégageait, par le milieu même dans lequel il se produisait,
c'est le grand défilé de la procession du Dragon de l'Annam, pièce
de résistance des quatre grandes fêtes de nuit qui furent données
à l'Esplanade quatre mardis de suite, les 13, 20 et 27 août et 3 sep-
tembre. J'ignore qui avait réglé ce cortège étonnant, prodigieux,
stupéfiant et tel qu'on n'en reverra jamais, mais certainement celui-
là, quel qu'il soit, a fait preuve d'une habileté peu commune et
mérite les éloges les plus complets de tous ceux qui possèdent à
un degré quelconque ce sentiment de l'art dont je parlais il n'y a .
qu'un instant.
Qu'on se figure, parcourant l'Esplanade, dont les parterres, la
pièce d'eau, les pavillons et tous les bâtiments étaient brillamment
illuminés, un cortège ainsi composé : en tète, une musique arabe;
puis, sur des chevaux de troupe, neuf cavaliers, dont quatre spahis
et cinq Sénégalais, à la tête noire fière et superbe; un groupe de
spahis à pied; Tunisiens et Algériens portant étendards, oriflammes
et bannières; janissaires à pied; la nouba des tirailleurs algé-
riens; dans des pousse-pousse, tous en grands costumes d'apparat,
les acteurs du Théâtre Annamite, les aimées des différents concerts
tunisiens, algériens et marocains, les femmes sénégalaises, enfin
les petites danseuses javanaises, toujours souriantes, toujours gra-
cieuses, toujours aimables; un grand palanquin, portant encore
quelques femmes; les Canaques de la Nouvelle-Calédonie, couverts
de leurs hideux et effroyables masques de guerre ; les nègres du
Gabon, du Congo et du Sénégal, avec leurs musiques ; et enfin, pour
fermer le défilé, le Grand Dragon de l'Annam, aux longs replis
tortueux, comme la Tarasque provençale, entouré de ses prêtres et
de ses servants. Ce long cortège, se déroulant entre une double
haie de porteurs de torches et de lanternes, le son de toutes ces
musiques jouant ensemble et dont la cacophonie semblait presque
harmonieuse, les cris et les exclamations des uns, les mouvements
singuliers et les contorsions des autres, les applaudissements du
public, tout cela, par une belle soirée d'été, au milieu de flots de
lumière, avec des feux de bengale qui d'instants en instants sem-
blaient enflammer les arbres et les bosquets, tout cela était unique,
féerique et sans précédent. Qui ne l'a pas vu ne peut se figurer,
dans de telles conditions, l'effet d'un tel défilé.
Maintenant, et quand j'aurai rappelé, ne fût-ce que pour mé-
moire, le spectacle, vraiment grandiose et vraiment artistique,
celui-là, que nous offrit, au Palais de l'Industrie des Champs-
Elysées, l'exécution superbe de la belle Ode triomphale de M110 Au-
gusta Holmes, j'aurai, je crois, mis en évidence tout ce qui, de
près ou de loin, directement ou indirectement, nous a été offert
par l'Exposition universelle de 1889 touchant le théâtre et tout ce
qui s'y rattache d'une façon quelconque. C'est la première fois, je
l'ai dit en commençant, qu'une grande exhibition internationale
nous met à même de passer ainsi en revue,' même d'une façon
incomplète, une foule de choses et d'objets se rapportant à un art
que tous les peuples civilisés cultivent aujourd'hui avec une passion
si ardente, et qui semble avoir atteint son plus haut point de dé-
veloppement. Aucune Exposition ne pourra se tenir désormais,
après un tel exemple, sans que le théâtie y trouve la place qu'il
est en droit d'occuper et d'exiger. Au point de vue général, le
succès qu'il a obtenu et l'accueil qu'il a reçu eu celte circonstance
n'ont pas été sans influence sur le succès d'ensemble de l'Exposition ■
même, et il est certain que si il y avait manqué, quelque chose
manquerait au triomphe colossal de celle-ci.
C'est ce qui m'a engagé à entreprendre ce travail, dont je ne
prévoyais pas moi-même tous les développements, et ce qui me
fait croire que sa publication n'aura pas été peut-être sans quelque
utilité.
Arthur Pougin.
HISTOIRE VRAIE
DES HÉROS D'OPÉRA ET D'OPÉRA- COMIQUE
XLV
TABARIN
Celui-là est français, bien français!
Un écrit de son siècle le représente « comme un des,' plus naïfs
esprits qui ayent été de sa profession, comme un homme profondé-
ment versé dans la science d'Hypocrate et de Gallien, un nouveau
Raimond Lulle, un autre Paracelse, un génie au petit pied. »
De cette appréciation, la fin seule est vraie. Encore faut-il appli-
quer le génie do Tabarin, non à ses connaissances médicales, imais
à ses facultés grotesques. Tabarin ne fut qu'un paillasse, mais quel
paillasse !
L'homme de science, le disciple d'Epidaure, c'était sou maître,
Mondor, opérateur empirique, qui vendait sa drogue en plein venl,
sa drogue, baume souverain « contre la migraine et les vertigots. »
LE MENESTREL
213
Le maître était en habit court, vêtu de clinquant. C'était un
homme de mine vénérable avec ses longs cheveux et sa grande barbe
blanche. Il avait, en outre, de l'esprit et un peu de lettres, et eût
été, suivant un contemporain, capable, s'il eût voulu, d'une vocation
plus honorable,
« Il est civil et courtois, ajoute le même auteur, ostant son cha-
peau bien honneslement et avec un doux soubris, quand il renvoyé
le mouchoir ou le gand. »
Tabarin, son pitre, figurait en pantalon large, le manteau de ses-
sionnaire en écharpe, ou, pour parler plus clairement, deux aunes
de serge à plis ramassés et jetées en forme do chaperon sur une
épaule. Un hoqueton de toile verte et jaune complétait le costume :
c'était la pièce d'honneur de son ajustement. Il portait l'épée de bois
à la ceinture, avait de longues moustaches, une barbe, et tenait en
main un immense chapeau, qu'il pétrissait sans cesse entre ses doigts
pour lui faire prendre mille formes bizarres.
Pour théâtre : quelques planches ajustées sur des tréteaux, avec
trois lambeaux de tapisseries, deux pour couper le vent, un troisième
pour cacher le mur.
Une estampe du temps nous a gardé le spectacle de cette instal-
lation.
Sur le devant, Tabarin et Mondor. Derrière eux, un joueur de vio-
lon, uu joueur de rebec, et un valet qui ouvre un coffre pour passer
des fioles à son maître.
Puis il y a Francisquine, la femme de Tabarin, qui figurait sous
les traits d'Arlequine. « On pourrait convenir, dit une mauvaise langue
de l'époque, que Francisquine, jeune et jolie, « contribua par des ta-
lents de plus d'un genre à l'illustration du théâtre et de la cuisine
de son mari ». La même langue ajoute qu'ils jouaient plus d'une fois
pour leur propre compte la Farce de Francisquine et de Siphane,
dont la péripétie se déclare par un œil poché et des coups de pied
dans le ventre du héros de la pièce. C'est dans les Plaisantes Re-
cherches d'un homme grave sur un farceur, « ouvrage rare », qu'on
trouve ces détails.
Ils étaient plusieurs à la parade : le patron, plaisant par sa dignité
doctorale; Tabarin, chargé de la partie burlesque; sa femme; Fris-
toliu, valet de Mondor; le vieux Siphane, et Lucas Joufflu.
Mais le meilleur du boniment se passait entre Mondor et Tabarin.
Alors c'était, dans la foule, du délire. Laquais, chambrières, éco-
liers et bourgeois remplissaient la place, riant, suivant les témoi-
gnages contemporains, sans discontinuer, « depuis le lalon gauche
jusqu'à l'oreille droite. » Le vendredi, suivant une coutume qui s'est
transmise jusqu'à nous, était jour de gala. Ce jour-là. la place Dau-
phine était trop petite. Un vendredi, on vit deux contrôleurs de
l'Hôtel de Bourgogne étouffés par la foule. Quelle réclame!
Les parades de Mondor et da Tabarin ont été recueillies. Elles
étaient de gros sel et bravaient l'honnêteté. En voici une, anodine,
par hasard :
TABARIN.
Mon maistre, lequel des deux a le plus grand jugement, l'asne ou
l'homme ?
LE MAISTRE.
Voilà la question d'un asne, Tabarin. As-tu oublié que l'homme est
l'honneur et le premier des animaux, et qu'il passe d'autant en excellence
que son esprit est relevé par-dessus leur nature terrestre?
Vous avez beau conter tout ce que vous voudrez : si est-ce que je prouve
qu'un asne a bien plus de jugement qu'un homme.
En quoy, Tabarin'.'
LE MAISTRE.
Premièrement, en ce que, si un homme mesne un asne au marché pour
porter sa charge, l'asne, comme plus judicieux, marchera devant. Si son
maistre luy fait le moindre signe, à dia ou à hue-han, l'asne l'entend. Ne
sontee pas là des traits d'un grand jugement? Il en a bien plusque l'homme;
car, s'il vient à entonner son langage et parler en langue asinique, son
maistre n'a pas l'esprit de l'entendre seulement; luy au contraire, il en-
tend le langage de son maistre.
De son vivant déjà, les Farces de Tabarin se vendaient dans la
rue. On criait, et la foule se jetait sur : la Descente de Tabarin aux
enfers, avec les opérations qu'il y fit de son médicament pour la brûlure ;
les justes plaintes du sieur Tabarin sur les troubles et divisions de son
temps; la querelle arrivée entre le sieur Tabarin et Francisquine, sa femme,
à cause de son mauvais ménage...
Les succès de Mondor et de Tabarin ne pouvaient durer. La Fa-
culté prit ombrage de la vente des drogues du premier; la police
s'émut des saillies du second. Ils furent poursuivis tous deux. Mais
ils étaient riches, et plièrent, sans réclamer, leurs tapisseries.
Mondor se retira dans sa- province. Pour Tabarin, ne doutant de
rien, il fit acquisition d'une seigneurie dans les environs de Paris.
Mal lui en prit, car ses voisins, humiliés de sa compagnie, le
tuèrent méchamment pendant une partie de chasse.
Il donnait raison à l'aphorisme qu'il avait si souvent proclamé en
place publique... à savoir :
Qu'il ne faut pas soupirer... plus haut que sa guitare!
(A suivre.) Edmond Neukomm.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Nouvelles de Londres. — Semaine peu intéressante à Covent-Garden,
avec la seule exception de la reprise de Rigoletto qui a fourni de nouveau à
Mme Melba l'occasion d'un de ses meilleurs succès. On répèle activement
YEsmeralda de M. Goring Thomas, qui passera la semaine prochaine, avec
la distribution suivante : Phœbus, Jean de Reszke; Claude Frollo, Lassalle;
Gringoire, Montariol; Esmeralda, Mmc Melba; Fleur de Lys, Mlle Puikert.
On sait qu'il ne s'agit pas d'une véritable nouveauté, l'ouvrage ayant déjà
été représenté en anglais par la troupe Cari Rosa en 1883 ; mais le livret a
été complètement remanié pour la version française. Cette représentation
française d'un ouvrage anglais, à Londres, est un indice très significatif
de la transformation graduelle que subit l'opéra ici et un heureux présage
du triomphe définitif de l'idiome français. De l'antique institution de
l'opéra italien il ne reste plus que le titre; son répertoire italien a depuis
longtemps cessé de plaire, tandis que ses interprètes vraiment italiens se
font de plus en plus rares. Ainsi, la troupe actuelle ne compte qu'une seule
artiste italienne de premier plan, Mm0 Scalchi. Pourquoi donc persister à
faire baragouiner, par une troupe cosmopolite, une langue complètement
inconnue à la grande partie du public? Est-ce que la plupart des ouvrages
qui font recette à Covent-Garden n'ont pas été écrits en français, est-ce
que la grande majorité des artistes favoris du public ne sont pas français
ou du moins relevant de l'école française, et, dernier point des plus impor-
tants, est-ce que tout le monde ici ne comprend pas le français? Seub, la
routine a pu faire ajourner jusqu'ici cette réforme si raisonnable, et il n'a
fallu rien moins que l'intervention toute-puissante des frères de Reszké
pour vaincre les dernières préventions locales. La première tentative a été
faite la saison dernière avec Roméo et Juliette. Le succès éclatant dans sa
version originale de cette partition, qui n'avait réussi qu'à demi en ita-
lien, a ouvert les yeux à tout le monde. Cette année, en plus de Roméo et
Juliette nous avons eu déjà la Favorite et le Prophète, et nous aurons encore
Esmeralda, Hamlet et peut-être Carmen. L'élan est donné, le reste n'est plus
qu'une simple question de temps; la partie est gagnée d'avance.
Le Crystal-Palace donnait, l'autre samedi, son grand festival annuel.
L'oratorio Saint Paul, de Mendelssobn, était l'œuvre choisie cette fois, dont
l'exécution était confiée à 3,200 choristes et 300 musiciens. Par une inno-
vation très heureuse, un chœur d'enfants de SOO voix est venu ajoutera
l'effet grandiose de l'œuvre de Mendelssohn, dontle caractère éminemment
choral devait bien se prêter à une exécution aussi colossale. Le nombre
des auditeurs s'est élevé à près de 23,000! — Après l'insuccès relatif de
l'excellente troupe du Gymnase, tout à fait dépaysée dans un cadre aussi
vaste, M"18 Sarah Bernhardt pouvait seule ramener la foule dans cette
salle malheureuse de Her Majesty's. La tentative pourtant était des plus
hardies : jouer Jeanne d'Arc en français, à Londres! La presse locale s'est
tirée d'embarras en critiquant la pièce de M. Jules Barbier, sans nullement
toucher la question historique. Malgré ces réserves de la critique, la
grande artiste, bien qu'à peine remise de sa récente indisposition, a su
vile conquérir son public et s'est fait rappeler à plusieurs reprises. L'exé-
cution de l'intéressante partition de Gounod, confiée à un orchestre et à
des chœurs suffisants, est tout à fait convenable. — Mercredi soir, dernier
grand concert de la saison au palais. Mm0 Albani a chanté VA ce Maria de
VOtello de Verdi, Mmo Melba l'air de la Clochette, de Lakmé, M. Lassalle la
romance du Pardon de Ploërmel, M. Edouard de Reszké l'air de la Flûte
enchantée, et ces deux derniers, avec l'excellent ténor anglais M. Lloyd, le
trio de Guillaume Tell. MaU! Patti n'a pas chanté à ce concert, ainsi qu'il en
avait été .question ; mais on la dit complètement remise, et elle est de
nouveau affichée pour le prochain concert d'Albert-Hall. La Société Phil-
harmonique annonçait le dernier concert de sa 78° saison pour hier samedi.
Le programme se composait de la Symphonie avec chœurs, de Beethoven
et du 9e Concerto de Spohr, exécuté par l'éminent violoniste belge M. Isaye.
Nous relevons les enchères suivantes dans une intéressante vente de manus-
crits et d'autographes quia eu lieu la semaine dernière à|Londres : Auber,
Renedictus, dédié à M1"0 Guyemard-Lauters, 23 francs ; Beethoven, six feuil-
lets au crayon, 03 francs; Gœthe, un reçu au crayon pour le Tartuffe, de
Molière, 10 francs ; Haydn, quelques lignes datées de Vienne 1803, 156 fr.
et un fragment, Donanobis, pour quatre voix, 80 francs ;]Liszt, doux lettres
de Weimar 1851, 32 francs; Mendelssohn, manuscrit d'un morceau pour
piano à quatre mains, daté 26 mars 1841, 250 francs; un Volkslied, ISS fr. ;
huit lettres, 1837-1844, 380 francs; Schiller, cinq lettres très importantes
214
LE MENESTREL
1793-1803, 1,070 francs; Schubert, manuscrit de trois romances, 180 francs;
Schumann, marche n° 2 pour piano, 100 francs; "Wagner, fragment d'ou-
verture inédite, 70 francs; un feuillet de la partition de Rienzi, 63 francs;
une page de la partition allemande de Norma, 62 francs. A. G. N.
— Une nouvelle Lucie de Lammermoor. On annonce que sur la demande
du tragédien Irving, le compositeur A. C. Mackenzie travaille à une par-
tition pour le drame de M. Merivale : la Fiancée de Lammermoor.
— On vient d'inauguré à Eutin. dans le Holstein, le monument élevé
par souscription nationale à l'illustre auteur du Freischiitz et à'Obéron,
Charles-Marie de Weber. Depuis de longues années, des souscriptions
avaient été ouvertes dans toute lAllemagne en faveur de ce monument.
Ce n'est qu'à grand'peine qu'on a pu recueillir le capital nécessaire.
L'inauguration a eu lieu mardi, au milieu d'une afûuence énorme. A
cause du mauvais temps, le discours d'inauguration du baron von
Libenkron n'a pas pu être prononcé sur la voie publique, mais dans le
local couvert, installé pour la fête. Une grande messe, exécutée sous la
direction de M. Heins, a terminé la cérémonie officielle.
— La propriété intellectuelle et la contrefaçon au temps de Weber.
L'auteur du Freischiitz nous fait connaître lui-même où en étaient alors
ces questions — qui sont encore aujourd'hui au premier rang de nos
préoccupations — dans une circulaire adressée à toutes les directions de
l'Allemagne et que nous traduisons d'après VAHgemeine Musikzeitung:
« Attendu qu'en dehors de la France et de l'Angleterre, la propriété intel-
lectuelle n'est nullement garantie contre les entreprises spoliatrices, que
des copistes larrons, des éditeurs de musique sans scrupules et même des
théâtres de premier rang se sont approprié mes œuvres par des voies
illicites, je me vois obligé d'aviser et de vous importuner de la présente
déclaration. J'ai donc l'honneur de vous informer que l'opéra Obé'-on, que
j'ai composé pour Londres et qui sera représenté en Allemagne avec une
excellente adaptation de M. le conseiller de la Cour Winkler (Théodore
Hell), ne pourra être légalement acquis que de moi, directement Je solli-
cite de votre obligeance deux mots comme accusé de réception de la
présente communication, que veuillez bien ne pas considérer comme une
invitation à acquérir mon œuvre. Je sais fort bien que chaque scène
n'est guidée, dans l'établissement de son répertoire, que par ses ressour-
ces et sa position spéciale. Je ferai publier cette communication, avec la
liste des directions théâtrales auxquelles elle a été adressée, dans les
journaux les plus répandus, afin que le public en ait connaissance et que
les escrocs soient avertis. J'ai l'honneur d'être, avec considération.
(Signé) Carl Maria von Weber, —Dresde, janvier 1826. — P-S. 11 est cer-
taines scènes pour lesquelles cette circulaire sera superflue, mais au point
de vue de la bonne règle, je n'ai pas cru devoir faire d'exception en ce
qui concerne l'envoi. Je réclame de ce fait toute votre indulgence ».
— Le Mozarteum de Salzbourg fait en ce moment tous ses efforts pour
augmenter ses recettes. Les ressources de cette société internationale ont
aidé, jusqu'à présent, au maintien du Musée Mozart, à payer le loyer et
l'entretien de la maison où est né l'auteur de la Flûte enchantée, et à sub-
venir aux frais du « Mozarteum », école de musique où les élèves re-
çoivent gratuitement l'instruction. La Société voudrait, nous l'avons dit
déjà, construire sur le Mont-des-Capucins, où est située la maisonnette
en bois qu'habita le maître, un théâtre à l'instar de celui de Bayreuth et
où se donneraient des représentations modèles de l'œuvre de Mozart. Pour
arriver à couvrir les frais, elle s'adresse au public artiste de tous les pays.
On peut devenir membre de la Société, moyennant une cotisation annuelle
minimum de 1 mark (1 fr. 25).
— Le nouveau théâtre allemand de Prague doit donner, au mois d'oc-
tobre prochain, la première représentation en allemand de la Salammbô
de M. Reyer.
— La province de Wesphalie, qui, jusqu'à ce jour, s'était montrée
quelque peu réfractaire à la musique, vient d'opérer une heureuse évo-
lution dans la voie du progrès artistique. Le premier festival de musique
wcslplialien s'est tenu le mois dernier dans la ville manufacturière de
Dortmund et a donné des résultats magnifiques autant qu'inattendus. Les
quatorze principales villes de la province (Munster seul s'était abstenu)
avaient tenu à honneur de se faire représenter par des délégations de
chanteurs. On avait pu réunir un effectif choral de six cents voix, qui
ont donné avec un ensemble remarquable dans la scène des Champs
Élysées d'Orphée et le Messie de Haendel. L'orchestre, fort de cent exécu-
tants, était composé en grande parti;.' de musiciens de Dortmund et des
membres de l'orchestre du Gùrzenich, de Cologne. Sous la direction de
M. J. Janssen, la symphonie en ut mineur de Beethoven, les Préludes de
Liszt et l'ouverture des Maîtres chanteurs ont été très dignement inter-
prétés et applaudis frénétiquement. Grand succès pour les solistes : le
ténor Alvary, dans l'air de Joseph; M"'! Oberbeck, dans plusieurs mélodies
de Schubert, de Janssen et un air de la Création (de Haydn); M"0 Spies,
dans une scène d'Orphée et le baryton Perron. Détail particulier : « L'en-
thousiasme s'est élevé à un tel degré, dit VA II geme ine Musikzeitung, qu'à
certain moment les dames du chœur se sont mises à bombarder (sic) les
solistes de roses et de petits bouquets ». En somme, l'institution du fes-
tival de musique westphalien a trouvé des suffrages et des appuis dans
toutes les classes de la société régionale.
— M. Henri Reimann a donné il y a quelques jours, dans la salle de
la Philharmonie, à Berlin, une séance historique d'orgue qui mérite d'être
signalée à cause de l'intérêt éveillé par une série de pièces du quin-
zième et du seizième siècle, presque toutes inconnues et dont la révéla-
tion a, parait-il, transporté d'admiration tous les auditeurs. Ces compo-
sitions sont ainsi désignées sur le programme du D1' Reimann : Fan-
taisie sur le choral Media vila in morte sumus, par Simon Lohet (1530-1617) ;
Ricercare, de Palestrina; Canzona franeese (la Guamina), de Guammi (né
vers 1350); Pièce, de Nicolas Le Bègue (1630-1702); Passacaille, de Fresco-
baldi ; Fantaisie sur les six notes : ut, ré, mi, fa, sol, la, par Frohberger
(1635-1699); Ciacona, de Muffat (1635-1714); Prélude pour le choral Notre
père..., par G. Bohm ; Prélude et fugue de D. Buxtehude. La Pièce de
Le Bègue, d'un sentiment poétique intense, a produit une impression
profonde. La deuxième partie de la séance commençait avec les compo-
sitions de Bach pour se terminer avec celles de Mendelssohn, Schumann
et Liszt.
— On lit dans l'Eventail, de Bruxelles : « A Berlin, le Kroll Theater,
opéra d'été, vient de reprendre le Maçon, avec un très gros succès, oui,
monsieur! Cet opéra-comique n'a jamais cessé d'être fort goûté par les
Allemands. Est-ce parce qu'il s'intitule là-bas Maçon et Seirurier (Maurer
und Schlosser), ou parce que nos voisins d'outre Herbesthal sont plus naïfs,
moins fin de siècle que nous autres Bruxellois? Point ne le savons et
peu nous chaut a'ailleurs. Un détail de l'interprétation mérite de ne pas
passer inaperçu. Le rôle de Mme Bertrand, la bavarde acariâtre, est rem-
pli par Mme Heink, le contralto de l'Opéra de Hambourg, qui chante
généralement l'Orphée de Gluck, ou Fricka de la Valkyrie! On vante
beaucoup la grande volubilité que cette artiste a déployée dans le dia-
logue du Maçon. »
— On lit dans le même journal : « Dresde est la première ville d'Alle-
magne qui aura donné Tannhâuser avec toutes les modifications et les
ajoutes qu'y a faites Richard Wagner. La première a été un événement ;
on s'est arraché les billets. Disons tout de suite que le nouveau Tannhâuser
a été une déception pour le public. Les parties nouvelles se ressentent
de l'influence de Tristan et jurent avec les parties plus anciennes et plus
italiennes. Le ballet, composé pour l'Opéra de Paris, demande une dou-
zaine au moins de mimes de tout premier ordre, pour que les intentions
de l'auteur soient rendues ; or, quel théâtre au monde peut se vanter de
posséder, au grand maximum, plus de deux artistes de la danse qui
soient de premier ordre? Une heureuse innovation a été de confier le
rôle de Vénus, non à une « princesse à mouchoir », mais à une forte
chanteuse, la grande cantatrice Thérèse Malten, qui a fait sensation dans
le rôle. Les Dresdois vantent sa plastique, mais comme les comptes
rendus de la critique ajoutent que cette Vénus a conservé toute la soirée
un air décent, il faut se méfier. »
— Peu clémente aux artistes, la commune de Roustchouck ! Voici le
texte de l'arrêté qui vient d'être placardé dans ladite ville par ordre du
préfet : « En prévision de l'arrivée parmi nous de nombreux vagabonds
étrangers déterminés à livrer assaut à notre bourse, il est interdit aux
artistes étrangers d'organiser ici des représentations théâtrales et aux
musiciens errants de parcourir la région ».
— Continuation de la substitution de l'opéra italien par l'opéra français.
Les journaux étrangers nous apprennent qu'en Russie l'exemple de Saint- .
Pétersbourg commence à se propager déjà, et qu'à Tiflis la troupe et le
répertoire italiens vont être remplacés, dès la saison prochaine, par une
troupe française jouant le répertoire français.
— L'état de l'infortuné maestro Franco Faccio est tellement désespéré,
en ce qui concerne le recouvrement possible de. ses facultés mentales,
que le tribunal civil de Milan vient de prononcer l'interdiction du mal-
heureux artiste.
— Les journaux de Rome sont dans la mélancolie. M. Sonzogno
ayant renoncé à l'exploitation du théâtre Costanzi, et M. Canori, ancien
directeur de l'Argentina, se préparant à prendre la direction du théâtre
Pagliano, de Florence, ils en sont à se demander si Rome aura un
théâtre d'opéra pour la prochaine saison d'hiver. Le Capilan Fracassa
s'écrie: « Les nuages les plus épais s'amoncellent sur le sort futur de nos
scènes musicales. Le Costanzi ouvrira-t-il cet automne? Aura-t-on une
grande saison musicale l'hiver prochain à l'Argentina? Personne ne pour-
rait le dire. »
— Gros scandale en Italie par la représentation au théâtre Dal Verme,
de Milan, d'un opéra intitulé il Veggente (le Voyant), dans lequel, paraît-il,
le personnage principal ne serait autre, sous un nom différent, que le
Christ lui-même, rédempteur des hommes. Devant un tel fait, les journaux
religieux se sont émus jusqu'à Rome, et la Voce délia Veritù, particulière-
ment, a pris vigoureusement à partie le compositeur, M. Enrico Bossi,
ancien maître de chapelle de la cathédrale de Côme, aujourd'hui profes-
seur au conservatoire de Naples et organiste connu par de nombreuses
œuvres de musique religieuse. Devant l'anathème qu'il avait soulevé dans
le monde ecclésiastique, le maestro Bossi a fait amende honorable au
moyen de la lettre suivante, adressée par lui à la Voce délia Verità :
Naples, 15 juin 1890.
Très révérend et très cher Père De Santi,
Permettez-moi deux courtes et simples paroles relativement ù mon Veggenle, re-
présenté il y quelques jours sur le théâtre Dal Verme de Milan.
LE MENESTREL
215
Les journaux catholiques de cette ville et do plusieurs autres m'ont gravement
blâmé pour le sujet. Je confesse qu'il fut malheureux. Mais eu même temps je dé-
clare formellement que je n'ai jamais eu la moindre intention d'offenser les croyan-
ces religieuses et de porter atteinte à la divine personne du rédempteur. En ma
qualité d'artiste je n'ai eu d'autre objectif que de créer, si j'avais réussi, un nouvel
oratorio religieux, l'oratorio scénique, et j'ai pris, par légèreté et sans trop y faire
attention, le premier libretto qui m'est tombé sous la main. (Pas aimable pour sou
collaborateur, l'organiste !) Je reconnais maintenant ma hardiesse et, bien que je
n'aie pas réfléchi au cours de mon travail à l'offense qu'il contenait, je reconnais
que j'ai erré. Mais je désire ardement que personne ne déluise de ce fait des con-
clusions non conformes à mes sentiments. Plutôt que de tomber sous telle accusa-
tion je serais prêt a quelque sacrifice que ce soit, môme à brûler jusqu'à la dernière
page mon Veggente, qui d'ailleurs ne paraîtra jamais plus à la scène.
Et je vous autorise, si vous le jugez convenable, à rendre tout ceci public dans
un journal de Rome, car je ne saurais supporter une chose qui offense mes princi-
pes absolument religieux. Je puis avoir erré, mais non certainement par parti pris
et plutût avec un désir tout contraire.
Je suis, etc.
Maestro Enbico Bossi.
— On télégraphie de Turin à l'Italie, qu'un nouvel opéra comique, le
Damigelle de Saint-Cyr, du maestro Gesare Bacchini, a obtenu au théâtre
Alfieri de cette ville un succès complet. Il va sans dire que le sujet de
cet ouvrage est encore emprunté au répertoire français, et que c'est la
célèbre comédie d'Alexandre Dumas qui en a fait les frais. ■
— Au théâtre philodramatique de Milan, on a représenté, le 22 juin,
un opéra nouveau en trois actes, Anna di Dovara, livret de M. A. Visentini,
musique du maestro GaetanoZelioli, et cette première représentation, qui n'a
. été suivie d'aucune autre, a obtenu un éclatant succès de fou rire. Il faut dire
que cet ouvrage, écrit en 1863, il y a vingt-sept ans, par un musicien con-
finé au fond de sa province et sans moyens de se tenir au courant jour-
nalier de l'art, a semblé aux auditeurs dater du déluge et, peu recomman-
dable sans doute même à l'époque où il a été conçu, n'a excité chez eux
qu'une gaieté folle et sans mesure. La Gazsetta teatrale italiana fait à ce
sujet les réflexions que voici : — « Devons-nous parler de cette malheu-
reuse Anna di Dovara, du maestro Zelioli, représentée une seule fois au
Philodramatique"? Si cette première et unique représentation a été, pour
certains critiques, « une soirée joyeuse et de véritable bonne humeur »,
nous éprouvons, quant à nous, une peine sincère en songeant à l'amère
désillusion qu'a du éprouver ce pauvre vieil organiste de Caravaggio,
qui, après avoir écrit il y a près de trente ans un opéra qui ne se ressent
que trop de cette époque, et après l'avoir gardé par devers lui pendant
tant d'années comme un trésor, se décide enfin à venir à Milan, sa parti-
tion sous le bras et un petit magot à la main, pour aspirer la volupté
d'un succès et peut-être l'espérance de la gloire. Et ce vieux maestro n'a
pas trouvé un ami consciencieux pour lui épargner le succès burlesque
de cette infortunée Anna di Dovara? Et pendant la longue période des ré-
pétitions il ne s'est pas trouvé un musicien, un professeur, un artiste
pour lui conseiller de retourner à son orgue de Caravaggio, sans même
essayer de faire connaître ce petit avorton de piraterie musicale, comme
on ajustement qualifié cette Anna di Dovara?... N'en parlons donc pas.»
— On annonce la fondation, à Trieste, d'une « Société musicale tries-
tine, » qui a pour but de former des élèves dans le chant et dans l'exécu-
tion instrumentale, et aussi d'organiser, avec ses propres ressources, des
concerts et de grandes fêtes musicales.
— Le kapellmeister Fahrbach remporte en ce moment de grands succès
à Madrid, où il a été engagé au jardin du Buen Retira pour une série de
concerts. Son répertoire de danses y fait rage et toutes ses dernières
compositions sont accueillies par des applaudissements enthousiastes.
Les valses la Jeune Vienne, Au clair de lune, un Soir à Madrid, Jubile, Scènes
de la vie viennoise, les polkas Joyeux Carillon, la Tour merveilleuse, Gaudeamus,
les marches Schezemji, les Gardes nobles, font tourner toutes les tètes des jolies
Madrilènes et tous les journaux sont pleins de la gloire du jeune maître,
que la reine Christine vient de faire chevalier de l'ordre de Charles III.
— La colonie chinoise de New- York fait construire dans cette ville une
salle de spectacle d'après le modèle des étahlissements similaires existant
au Céleste-Empire. Une troupe chinoise a été engagée par la direction
pour inaugurer le nouveau Chinese Musical Hall le 1"' août prochain. La
saison sera de six mois.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
La question de la reconstruction de l'Opéra-Comique marche toujours
admirablement. M. Delaunay, député et membre de la commission spé-
ciale, chargée d'examiner le projet du ministre, avait déposé sur le
bureau de la Chambre son rapport, dont voici les passages les plus in-
téressants :
Le projet qui vous est présenté aujourd'hui par le gouvernement a l'avantage
d'fltre le plus facilement réalisable, puisqu'il consiste à abandonner la pensée
d'une construction en façade sur le boulevard, pour s'en tenir à la simple re-
construction du théâtre sur son ancien emplacement. Le plan de ce théâtre a été
l'objet de profondes études, tant au point de vue de l'aménagement intérieur que
sous le rapport des garanties de sécurité en cas d'incendie, si justement et im-
périeusement réclamées désormais. Le gouvernement avait pense d'abord à pro-
céder par la voie des concours entre architectes, mai-" le Sénat ayant iejeté
toute ouverture de crédit pour ce concours, il a fallu que le ministère compétent
lit dresser un projet do reconstruction. La (açade du monument sera sur la place
Boieldiei', où .-.era établi le grand vestibule, avec les deux escaliers d'honneur;
à la suite : la salle, ses couloirs de dégagements et ses escaliers , enfin, la scène et
ses dépendances. La salle comprendra 1,550 places. La commission s'est préoc-
cupée, à ce sujet, du moyeu d'augmenter le nombre des places à bon marché ;
dans ce but, elle a exigé de l'architecte que l'enceinte du parterre fût agrandie.
De grands escaliers, partant du rez-de-chaussée pour aller à tous les étages du
bâtiment, seront pratiqués de chaque coté du monument et à ses diverses extré-
mités, de façon à permettre l'évacuaiion rapide de la salle. Il en sera de même
pour la scène. Celle-ci sera séparée des maisons du boulevard par un couloir qui
servira de communication à tous les étages entre les dépendances de droite et de
gauche.
Un peu plus loin, abordant la question de savoir si l'Etat peut conserver
la propriété du terrain de la place Boieldieu sans y établir l'Opéra-Comi-
que, le rapporteur fait allusion à la procédure commencée à la date du
17 janvier 1890 à la requête des héritiers de Choiseul, tendant à établir
leurs droits à une revendication pour cause d'inexécution des stipulations
primitives, et il conclut:
Rassurer entièrement la Chambre sur les conséquences d'un procès de cette
naiure nous a paru assez difficile, d'autant plus que la pièce principale du dos-
sier échappe à toutes nos recherches, et que les réclamants peuvent avoir entre
leurs mains certains documents qu'ils ne font pas connaître. Dans de telles condi-
tions, la commission ne voulant pas assumer sur elle une responsabilité aussi lourde,
ne peut que vous signaler le procès pendant. La Chambre, par son vote, l'arrêtera
ou le provoquera, suivant qu'elle adoptera ou repoussera le projet du gouver-
nement.
Ce à quoi la commission du budget répond pas cet « avis », rédigé de
la main de M. Antonin Proust:
La commission du bupget, saisie du rapport de la commission spéciale chargée
d'examiner le projet de loi tendant à la reconstruction du théâtre national de
l'Opéra-Comique, a été appelée à donner son avis sur la combinaison financière
destinée à réaliser les plans soumis à la commission spéciale et approuvés par
elle. Par un premier vote la commission du budget a repoussé cette combinaison,
qu'elle a jugée onéreuse dans ce moment pour le; finances publiques. La com-
mission du budget a cependant exprimé le désir d'être fixée sur la disponibilité
du terrain sur lequel s'élevait le théâtre de l'Opéra Comique et sur lequel le gou-
vernement propose de le réédifier. Cette question de la disponibilité ayant été
examinée, et le résultat de cet examen ayant paru favorable aux droits de pro-
priété revendiqués par l'État, une nouvelle discussion s'est engagée. La commis-
sion du budget n'était pas, ainsi qu'il vient d'être dit, appelée à donner son
opinion sur le projet présenté par le gouvernement, mais uniquement sur la com-
binaison financière destinée à réaliser ce projet. Elle a, cependant, après avoir
entendu le ministre, exprimé l'opinion que le gouvernement pourrait rechercher
le moyen de réédifier l'Opéra-Comique à l'aide d'une combinaison moins onéreuse
pour l'État. Puis, par un second vote, elle s'est prononcée contre la combinaison
proposée par le gouvernement pensant que, dans la situation financière présente,
le sacrifice demandé était hors de proportion avec le résultat que le gouverne-
ment se propose d'obtenir.
— La série des grandes épreuves de fin d'année scolaire s'est ouverte
cette semaine au Conservatoire, et nous avons à enregistrer les résultats
des premiers concours à huis clos, ceux qui concernent la théorie mu-
sicale. Voici la liste des récompenses décernées :
harmonie (hommes). — Jury: MM. Ambroise Thomas, directeur, prési-
dent; J. Massenet, Ernest Guiraud, Ch. Lenepveu, Barthe, Lavignac,
Charles Lefebvre, Raoul Pugno, F. Thomé.
./en* -prix-, MM. Legrand, élève de M. Th. Dubois; Bloch, élève de
M. Taudou ;
2BS prix: MM. Delafosse et Galand. élèves de M. Th. Dubois;
4"a accessits: MM. Staub, Risler et Dupré, élèves de M. Th. Dubois;
2°s accessits : MM. Jolly et Schmidt, élèves de M. Th. Dubois.
solfège des instrumentistes (hommes). Jury: MM. Ambroise Thomas,
président; Barthe, Canoby, Mangin, Mouzin, P.-V. de La Nux, Georges
Pfeifîei', Th. Salomé, Victor Sieg.
4™ médailles: MM. Gallon, élève de M. Lavignac; G. Maquarre, élève
de M. de Martini ; Bonnel et Jouin, élèves de M. Grand-Jany.
2es médailles: MM. E. Vandevelde, élève de M. de Martini; Jumel, élève
de M. Lavignac ; Ringsdorff et Wurmster, élèves de M. Grand-Jany.
3es médailles: MM. Martenot, élève de M. Lavignac; Iïahn, élève de
M. Grand-Jany ; Cortot et Mulet, élèves de M. Rougnon ; Laparra, élève
de M. Lavignac; et Sechiari, élève de M. Alkan.
solfège des instrumentistes (femmes). Même jury.
7re» médailles: MUea Salmon et Maurel, élèves de M"° Donne; Wein-
gaertner, élève de M"lc Doumic et de MmcGennaro-Chrétien ; Rheims, élève
de M"e Vernaut ; Chambroux et Gray, élèves de Mmc Leblanc.
2es médailles: MUos Bourgoin, élève de Mme Maury; Condette et Ponsa,
élèves de M"10 Leblanc; Lasne, élève de M11" Donne; Lopès et Bienaimé,
élèves de M"° Hardouin; Loutil, élève de M1" Donne.
3" médailles: M"es Arger, élève de M"° Hardouin; Campagna, élève de
Muo Papot; Heidet, élève do Mllc Donne; Painparé et Deparis, élèves de
M"' Vernaut ; Dupouy, Dupaingue et Denis, élèves de M"c Donne.
solfège rouit les élèves chanteurs — Jury : MM. Ambroise Thomas,
président ; Canoby, Oscar Comettant, Lenepveu, Lavignac, de Martini,
f.-Y. de La Nux, Salomé et "Weckerlin.
Élèves hommes (19 concurrents) :
4'ee médailles : MM. Bernard et Artus, élèves de M. Heyberger.
2me médailles: M. Berton, élève de M. Danhauser.
3""" médailles: MM. David, élève de M. Heyberger, et Tisseyre élève de
M. Danhauser.
21G
LE MÉNESTREL
Élèves femmes (23 concurrentes) :
4res médailles: Mlles E. Boyer, élève de M. Mouzin, et Crehange, élève de
M. Mangin.
âmes médailles : M,les Clairville, élève de M. Mouzin, et Cholain, élève de
M. Mangin.
3mm médailles: Mlles Michel, élève de M. Mangin, et Giovannetty, élève
de M. Mouzin.
— M. Gailhard, l'étonnant directeur de l'Opéra, a enfin trouvé un défen-
seur dans la presse, en la personne de Bicoquet de l'Écho de Paris, dont il
faut lire le surprenant éloge de gailhard :
... Et je plaide l'irresponsabilité. Pourquoi s'acharner après le protégé perpé-
tuel de l'administration des Beaux-Arts? La réponse semble facile : parce que le
Gailhard est dénué de tout sentiment artistique, de toute valeur intellectuelle et
qu'une déplorable absence d'éducation première le rend impropre à l'exercice de
ses hautes fonctions directoriales.
D'accord!... Tout cela est de notoriété universelle. Mais pourquoi s'en prendre
à ce brave garçon? Est-ce sa faute, à lui, si l'on a cru, en haut lieu politique,
devoir le nommer, puis le maintenir indéfiniment dans la plus enviable situation
théâtrale qui soit au monde. On ne pouvait cependant exiger, fût-ce de l'homme
le moins ambitieux, qu'il se refusât aux caresses de la fortune, aux aubaines du
favoritisme. Voyez-vous Gailhard poussant le désintéressement jusqu'à dire de
lui-même: « J'étais le dernier auquel on dût penser pour diriger l'Opéra ».
Le malheureux n'a pas conscience de sa propre incapacité. 11 s'attribue même
quelque compétence : tout ce qu'il a fait, il le trouve bien et ne se rend aucun
compte des résultats, si néfastes pour le grand art lyrique, de sa déplorable admi-
nistration. De très bonne foi, il est convaincu que sa mission à la tête de l'Opéra
l'obligeait à n'observer aucune clause du cahier des charges, à laisser le matériel
se déprécier, se détruire sans veiller à son entretien ni pourvoir à son renouvel-
lement. Il croit aussi, avec une sincérité désarmante, que l'État l'a doté, l'an der-
nier, d'une grosse subvention, afin qu'il donnât, ses principaux artistes étant en
congé, des représentations indignes de notre première scène lyrique et dont pro-
vinciaux et étrangers durent emporter un singulier souvenir.
L'associé de RUt (je mentionne ce dernier nom pour mémoire) doit donc être
mis hors de cause, je le répète, comme irresponsable, ayant agi sans le moindre
discernement. Qu'on se borne à le mettre dans l'impossibilité de nuire encore ;
qu'on ne renouvelle pas son privilège : cela va de soi, parbleu ! Mais il faut s'en
prendre a d'autres de l'état déplorable dans lequel il laissera la troupe, le maté-
riel, le répertoire, le prestige de l'Opéra. Paix à Gailhard ainsi qu'à tout individu
de bonne volonté I Sa candeur n'est à plus à démontrer. Il a les mains pleines
et, s'il est innocent, c'est bien de naissance. L'essentiel est de le voir partir
après fortune faite. Il ne sera guère à plaindre sur terre et, selon la parole de
Jésus, le royaume du Ciel lui appartiendra. Ne troublons donc pas la quiétude
de ce bienheureux.
— Comment se terminera la question de l'Opéra? M. Ritt offrira cinq
cents mille francs pour la réfection des décors, à condition que l'on
renouvelle son privilège pour sept années et qu'on le nomme officier
de la Légion d'honneur. Et le ministre s'empressera d'accepter cette com-
binaison pour sauver la caisse de l'Etat!
— Les auteurs bernés par M. Paravey commencent à montrer les dents.
On sait que M. Wekerlin a déjà introduit une demande en dommages-
intérêts devant le tribunal civil. Voici à présent que M. Gastaguier, ne
voyant pas représenter son opéra les Normands dans les délais convenus,
a appelé le directeur de l'Opéra-Comique devant le tribunal de commerce,
qui a condamné M. Paravey par défaut, deux fois de suite. Cela n'empê-
chera d'ailleurs pas le jeune directeur, favori de l'Elysée, de continuer à
recevoir tout le jour un ou deux opéras. Quant à les représenter, c'est
autre chose.
— Parmi les futurs décorés de la Légion d'honneur à l'occasion du
•14 juillet, on cite M. Ch.-M. Widor, l'auteur de la Korrigane, de Maître
Ambros et de Jeanne d'Arc. Voilà une distinction qui s'adresse bien et qui
ne rencontrera que d'unanimes approbations.
— Une lettre de l'Alboni adressée à M. Georges Boyer, du Figaro ;
Mon cher monsieur Boyer,
J'ai lu dans le Galignani Messenger un prétendu « Interview Wilh Alboni ».
Voulez-vous être assez aimable de dire dans le Figaro que, non seulement je
n'ai pas eu d'entrevue, mais que je n'ai pas l'honneur de connaître l'auteur de
l'article en question?
Mille remerciements et mes bien sincères compliments.
M.-Z. Albom.
Ville-d'Avray, 3 juillet 1890.
— Les journaux belges démentent formellement le bruit récemment
mis en cours et d'après lequel l'administration des Concerts populaires de
Bruxelles aurait engagé, pour diriger l'hiver prochain deux de ses séan-
ces, MM. Colonne et Lamoureux.
— Un rapport de l'Académie des Beaux-Arts : « L'ouvrage ayant pour
titre : Noies et Éludes d'harmonie pour seroir de supplément au Traité de
M. Heber, par Th. Dubois, justifie bien son titre. Comme le dit l'auteur
dans une introduction claire, concise et résumant avec précision l'objet de
son ouvrage, nul traité ne répond mieux ni aussi complètement que celui
de Reber aux besoins de l'enseignement moderne, et nul n'est basé sur
une théorie plus solide et plus simple. Le travail de M. Th. Dubois est
un complément et un commentaire dont l'utilité théorique et pratique
n'échappera à personne. En ell'et, l'auteur, profilant d'une expérience de
dix-huit années d'un professorat fécond en résultais, ne laisse aucun point
de théorie dans le doute, aucun détail de réalisation inexpliqué ; il met à
même les élèves qui veulent faire des études sérieuses de tout compren-
dre, de tout approfondir, de tout analyser et surtout d'écrire avec une
grande pureté, une grande clarté et une grande élégance, tout en ne
rejetant aucun des éléments dont l'art moderne s'est enrichi. Il fallait
conserver les traditions classiques, base immuable de tout bon enseigne-
ment, et ne pas se montrer hostile aux progrès de la science harmonique.
Cela, M. Th. Dubois l'a bien compris, et les exercices nombreux
qui suivent chaque chapitre de son ouvrage témoignent à la fois d'un
grand sentiment de la tonalité si respectée des anciens maîtres, et du
désir de ne rendre son enseignement ni empirique, ni circonscrit dans
des formules. Ces Exercices complètent utilement ceux du Traité et per-
mettent à l'élève d'acquérir sûrement une expérience indispensable à qui
veut devenir réellement habile dans l'art si difficile de bien écrire. Le
traité de Reber, si parfait et si excellent par la pureté et la simplicité de
sa doctrine, par la hauteur de vues de sa conception, par le grand senti-
ment d'art qui s'en dégage, par la nouveauté de sa théorie sur les altéra-
tions, par la sagacité avec laquelle est traitée la partie qui a rapport aux
notes essentiellement mélodiques, et aussi par sa belle forme littéraire,
était cependant insuffisant au point de vue pratique. De plus, quelques
lacunes théoriques s'y laissaient deviner. M. Théodore Dubois a résolu le
tout de la façon la plu3 heureuse. Il a, selon nous, rendu un véritable
service aux élèves et aux professeurs; nous avons donc la conviction que
ses Notes et Etudes d'Harmonie et le Traité de Reber qu'elles complè-
tent, forment, réunis, un remarquable ouvrage d'enseignement, résumant
méthodiquement et clairement tout ce qui concerne cette belle science,
base de toutes fortes études musicales ».
— Par suite de la mort du regretté Paul Martin, une place de profes-
seur de violon est vacante en ce moment au Conservatoire de Lille. La
direction de cet établissement invite les candidats à adresser leur demande
soit au directeur du Conservatoire, soit au maire de la ville.
— Chaque année, Mmc Méreaux l'artiste vaillante, qui continue avec tant
de succès les traditions d'enseignement de son mari, réunit ses élèves pour
une audition spéciale présidée par Marmontel père. Ce maître et ami nous
affirme que l'impression produite a été excellente. Les nombreuses élèves
dont les noms ont figuré au programme ont toutes vivement intéressé; pas
une défaillance ne s'est produite, et l'auditoire est resté jusqu'à la fin sous
le charme de cette audition musicale. Il est juste d'ajouter que le choix
éclectique et varié des morceaux a donné aux jeunes interprètes toute
liberté pour affirmer leurs belles qualités d'exécution. Plusieurs morceaux
concertants de Beethoven et Weber ont fait valoir les sérieuses qualités
de mesure et de style d'élèves bonnes musiciennes. MM. Payen, Dubosc-
Lettré et Bonnière ont très obligeamment prêté le concours de leur talent
aux jeunes virtuoses qui tenaient la partie de piano, dans ce concert de
famille. Désigner les plus méritantes serait un blâme indirect pour celles
dont le nom serait passé sous silence; puis, nous sommes heureux de
l'affirmer encore, toutes, suivant leurs moyens et leur degré d'avancement,
ont fait acte de. bien dire. Nos félicitations très sincères à Mme Méreaux,
dont l'enseignement est si bien en harmonie avec la brillante école, le
style élevé de notre cher et regretté collaborateur A. Lefroid de Méreaux.
NÉCROLOGIE
Un compositeur qui n'était point sans mérite, mais qui était en
même temps un écrivain effroyablement prolifique, Edouard-Georges-
Jacques Grégoir, vient de mourir à Anvers, après une courte maladie.
Né à Turnhout le 7 novembre 1822, il était le frère cadet d'un pianiste-
compositeur fort distingué, Joseph Grégoir, mort lui-même il y a une
quinzaine d'années. Edouard Grégoir avait écrit et publié un assez grand
nombre de compositions musicales qui ne sont pas sans valeur; mais
c'est surtout comme musicographe qu'il avait voulu attirer l'attention sur
lui. Aussi inondait-il les journaux belges, et même certains journaux
français, de recherches et de travaux de toutes sortes, qui se distinguaient
d'une part par leur absence d'intérêt, de l'autre par une langue vraiment
trop familière et trop incorrecte. Il réunissait ensuite tout cela en volumes
et c'est à peine si, dans l'immense fatras publié par lui, on trouve par-ci
par-là quelques renseignements intéressants et vraiment utiles. Voici,
toutefois, la liste de ses principales publications : Panthéon musical popu-
laire (6 volumes); Galerie biographique des Artistes-Musiciens belges; Histoire
de l'Orgue; Documents relatifs à l'Art musical (4 volumes) ; Recherches histori-
ques sur les journaux de musique; Bibliothèque musicale populaire (3 volumes);
Nouveau système d'enseignement musical pour les Ecoles (adopté par le Gouver-
nement); Notice historique sur le célèbre compositeur Louis van Beethoven; Du
Chant choral et des Festivals en Belgique ; Chansons flamandes pour les Écoles
primaires ; Grétry célèbre musicien belge ; Notices sur les Sociétés et écoles de Mu-
sique d'Anvers ; Mémoire sur Gosscc ; les Gloires de l'Opéra et de la Musique à
Paris (7 volvmes); l'Art musical en Belgique, sous les règnes de Léopold I" et
Lèopold II ; Les Artistes-musiciens néerlandais; etc., etc. — Edouard Grégoir
était d'ailleurs un excellent homme, absolument estimable sous tous les
rapports, et qui laissera un bon souvenir à tous ceux qui l'ont connu.
Henri Heugel. directeur-gérant.
■ "IMM .11 m, ,
3093 — 56me ANNEE -- N° 28. PARAIT TOUS LES DIMANCHES Dimanche 13 Juillet 1890.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 i'r.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Notes d'un librettiste: Georges Bizet (9° article), Louis Gaiaet. — II. Semaine
théâtrale: Reprise du Don Juan de Mozart par Charles Gounod, Arthur Pougin.
— III. Les origines du chant liturgique, d'après une récente publication de
M. Gevaert, Julien Tiersot. — IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT ,
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
LES POMMIERS
nouvelle mélodie d'ÉMiLE Bourgeois, poésie de F. Couturier. — Suivra
immédiatement: l'Étoile, mélodie de Limnander, poésie de A. VanHasselt.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano : la Deuxième Valse hongroise, de Théodore Lack. — Suivra immé-
diatement: la Romance de Joconde, transcrite et variée par Charles Neustedt.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
GEORGES BIZET
Cet ouvrage, qui devait avoir pour titre Don Rodrigue ou CM-
mène et non point le Cid, — car Bizet avait le respect de
Corneille jusque dans cette question du titre, — occupa dès
lors notre musicien en même temps que Carmen.
En m'écrivant, dans une lettre dont j'ai cité la première
partie, « Carmen est remise », il ajoutait aussitôt :
« Et notre Cid? Avez-vous vu notre vaillant Rodrigue"? »
Enfin, le poème s'achevait et la partition marchait grand
train. Bizet me tenait au courant du progrès de son travail.
Dans ses lettres, qu'il ne datait que très rarement et que je
prends au hasard, s'accuse cette conscience minutieuse que
j'ai déjà constatée chez lui et, çà et là, cette noble joie
d'avoir réalisé sa conception.
Je citerai, sans plus de commentaire, les principaux frag-
ments de cette correspondance.
« Cher ami, grande nouvelle ! Le premier tableau du troi-
sième acte est fini et je ne puis résister au désir de vous dire
que je suis content de moi. Ce tableau et le quatrième acte
sont les points culminants de notre œuvre. Mais le quatrième
acte ne m'a jamais inquiété, (— C'est celui dans lequel se
place l'épisode du mendiant) tandis que ce duo d'amour tant
de fois fait et si bien fait !... Car c'est toujours le même,
Roméo et Juliette, Chimène et Rodrigue, Raoul et Valentine,
Faust et Marguerite... C'est toujours ce profond sentiment
d'amour... humain, qu'il faut exprimer avec des formes nou-
velles... C'est, en somme, la vraie pierre de touche du com-
positeur dramatique ! Je vous le répète, cher ami, je suis con-
tent et j'ai mille remerciements à vous adresser à tous deux
pour ce morceau. J'attends pour mettre en partition de très
légers changements que vous serez bien gentil de m'envoyer
tout à l'heure. . .
« Acte II. Scène IIIe. Après ces quatre vers :
RODRIGUE.
Tu le demandes, comte? Eh bien
Si tu n'as pas moins de courage
Pour le combat que pour l'outrage
Viens avec moi. Tu le sauras!
» Je suis tellement lancé qu'il m'est impossible de m'arrê-
ter pour chercher l'accent ironique et interpréter les cinq
vers du comte. Je vous propose donc de lâcher les cinq vers
du comte et les quatre vers de réponse de Rodrigue, de
supprimer complètement l'épisode de la nourrice et de son
lait et de remplacer ces neuf vers importants par un nombre
égal de vers, mais de huit pieds seulement. Du reste, en
voici un monstre.
(L'épisode de la nourrice et de son lait » dont parle ici
Bizet, venait en droite ligne de Guilhem de Castro faisant
dire en substance au comte d'Orgaz : « Tu as encore sur les
lèvres le lait de ta nourrice ».)
» Gardez-moi deux vers pour DonDiègue; ce vieux qui ne
dit rien depuis si longtemps commence à me gêner. Il est
nécessaire qu'il déplore encore une fois de ne pouvoir vider
lui-même l'affaire de la gifle. Envoyez-moi cela de suite, je
vous prie, car j'attends pour mettre en partition. J'aurai peu
de chose à vous demander dans le second acte. — Je suis
content, cela vient vraiment bien. » (Ces mots sont soulignés dans
le texte.)
*
*• *
Voilà, au sujet de ce quatrième acte, dont j'ai cité précé-
demment presque tout le texte une lettre qui nous montre
bien l'homme aux prises avec sa pensée. C'est comme une
longue séance de travail racontée par le maître ouvrier lui-
même :
« Mon cher ami, notre quatrième acte est fini. J'ai plu-
sieurs changements assez importants à vous soumettre. J'irai
à Paris samedi; pouvez-vous m'attendre vers deux heures un
quart? .... Nous pourrons causer et, s'il y a lieu, discuter
les modifications en question. Voici :
» 1° Je vous demande la suppression de ces deux vers :
Allez! — J'ai soif!— J'ai faim!
Non! — Donnez-moi de l'eau! — Non! Seulement du pain!
218
LE MENESTREL
» Mes raisons? — 1° cette idée excellente à la lecture, per-
dra son accent au théâtre ; 2° il faut des temps qui font
longueur ; 3° il y a une fausse sortie des soldats qui m'em-
barrasse beaucoup. J'ai besoin de lier immédiatement la scène
suivante. Vos rimes masculines me sont nécessaires pour le
chœur. Au reste voici :
Cette épée est à lui...
(Morne silence. Remettant l'épée au fourreau.)
Vous gardez le silence !
LES SOLDATS, consternés.
„ ( 0 jour d'épouvante et d'horreur !
Monstre ] „ J,. . , „ , .
( O désespoir! O terreur!
SCÈNE ni '
Les mêmes, le mendiant, soldats.
DEUXIÈME GROUPE DE SOLDATS.
Hors d'ici, misérable, etc....
» Nous gagnons deux minutes. Je crois qu'il n'y a pas à
hésiter :
» 2° La Prière de Rodrigue. — Je ,suis désolé de vous de-
mander de modifier ce morceau qui me plaisait infiniment,
mais j'y trouve, au point de vue musical, un obstacle sérieux
qui me remet en mémoire ce que me disait un jour Méry :
« Dans un morceau d'opéra, la réussite du musicien dépend
du premier vers. »
» En effet, les premiers vers de votre prière sont humains,
l'amour y joue un trop grand rôle et j'ai cherché deux jours
sans rien trouver — j'ai alors abandonné votre texte et j'ai
fait sur le monstre qui suit une vraie prière qui me satisfait
assez — Je vous souligne par des ■ — le rythme, qui est
impérieux.
Dieu clément — Ah ! pardonne — à la dernière plainte —
De celui — qui, demain, — paraîtra devant toi —
Oui, je veux — obéir — à ta volonté sainte —
Et mourir — en chantant — ta louange et ta loi —
Tu m'as pris — mon amour — et j'ai courbé la tête —
Tu me prends — la victoire — et je bénis ton nom. —
O Seigneur! —juste et bon — ta volonté soit faite, —
Au pécheur — repentant — accorde ton pardon. —
» Cet horrible monstre vous explique mon désir. C'est le
soldat qui va mourir et Dieu absorbe tout.
» 3° Après la prière, Rodrigue s'endort, mais je voudrais
qu'il cédât è un sommeil surnaturel. Il a dit : « Moi, je
veille jusqu'à l'heure dernière. » Il doit prier jusqu'au jour,
jusqu'à la bataille, c'est-à-dire .jusqu'à la mort. Le miracle
commence là. La musique est faite sur ce monstre :
Mais qu'ai-je donc. .. et quel sommeil étrange
Vient envahir mes sens?
Dieu!... Je succombe! Ah! de la mort c'est l'ange.
Je le vois!... Je le sens!
» Toujours pardon pour cette poésie infecte.
» 4° Finale. Simple bouleversement des vers pour les besoins
musicaux.
» Voilà ! Je crois, que mon quatrième acte est bien venu.
— La fin surtout a l'effet nécessaire et, heureusement
sans aucun rapport avec le 4™ acte du Prophète. — Dès que
mon 4me acte sera en partition, je vous enverrai les quatre
actes avec toutes vos corrections. — Je suis encore mé-
content de l'extrême fin du finale du troisième acte. — C'est
terne I C'est une phrase à trouver. — Je ne veux rien lâcher!
En faisant de mon mieux, je serai encore bien au-dessous
de ce que je voudrais. — Pourtant, je serais peu sincère, si
je ne m'avouais pas satisfait. — A samedi, 2, h. 4/â. »
Presque toujours, dans ce fougueux enfantement, la musique
jaillit, brisant le moule du vers. — Ce sont alors des
excuses délicates pour se faire pardonner les remaniements
obligatoires :
« Mon cher ami, je suis vraiment confus de vous demander
tant de travail et de bousculer ainsi ce qui était si bien fait;
mais vous referez facilement quelques vers, et moi, je referais
très difficilement des choses dont je suis content et qui sont
venues avec une autorité que j'appellerais inspiration, si le
mot n'était pas ridiculement prétentieux. — Procédons par
ordre.
« Rodrigue seul. — Les quatre premiers vers (récit) sans
changement. — L'air n'est pas venu. — Je l'ai retourné de
toutes les façons et j'ai bêtement trouvé deux strophes qui
feraient bien, je crois. — Je vous donne un monstre
horrible qui vous indiquera assez bien ce que je désire. »
Enfin l'oeuvre touche à son terme, au milieu de toutes ces
préoccupations, de toutes ces recherches scrupuleuses, et
déjà le compositeur songe au moment où il faudra en pré-
parer la mise à l'étude.
« Après avoir terminé, écrit et parachevé le 2me tableau
du 3me acte, je me suis aperçu que le morceau était
impossible et j'ai dû le refaire presque entièrement. — Non
seulement les idées étaient détestables, mais la forme était
mauvaise et les dimensions absolument exagérées. — Je viens
de le remanier et, même avec des idées que je crois bonnes,
le résultat serait désastreux si je ne faisais de nombreuses
coupures dans la première partie et si je ne donnais à la
seconde une forme musicale très nette et très saisissable. »
Et après s'être ainsi sévèrement jugé, après avoir formulé
quelques indications, il ajoute :
« J'espérais bien ne plus avoir à vous torturer pour le
3me acte. Faites-moi le plaisir de m'envoyer ces petits chan-
gements le plus tôt possible.
» Le premier chœur du 1er acte est fait. — J'en suis
content. — Seulement, je crois qu'il faudra ouvrir l'acte par
ce chœur et ne commencer le divertissement qu'après. Il faut
que ce morceau ne soit pas gêné dans son effet ; c'est le
seul chœur proprement dit que nous ayons dans l'ouvrage.
» Quand revient Faure? Je vais me jeter dans le 4me acte.
— J'espère avoir complètement fini pour le retour du Cid!
Lui plairons-nous? Espérons-le. — En tout cas, nous aurons
tous fait de notre mieux, et je crois que ce mieux là sera
presque bien. »
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
Reprise de Don Juan, de Mozart
C'est une reprise superbe que celle de Don Juan qui a eu lieu
cette semaine à Paris, reprise tout à fait inattendue d'ailleurs, et d'au-
tant plus remarquable qu'elle s'est produite à l'aide d'un seul in-
terprèle ; mais cet interprète est de premier ordre, et comme depuis
longtemps il est familier avec le chef-d'œuvre, on comprend faci-
lement que l'ensemble de l'exécution de celui-ci n'ait rien laissé à
désirer.
Pour parler sans ambage et sans métaphore, je dirai tout de suite
qu'il s'agit ici de l'apparition d'un livre que M. Gounod vient de
publier sous ce titre : Le « Don Juan» de Mozart. (1) Mozait et Gou-
nod ! L'auteur de Don Juan commenté, analysé, interprété par l'au-
teur de Faust ! Voilà certes qui n'est pas commun, et qui est fait
pour piquer et exciter la curiosité. L'Allemagne elle-même, patrie
de Mozart, n'a rien de pareil à nous offrir. Je ne sache pas qu'il
existe en ce pays une glose importante sur le chef-d'œuvre du maî-
tre due à un de ses pairs et de ses pareils, et il nous plaît que ce
soit la France, par la plume d'un de ses plus nobles enfants, d'un
de ses artistes les plus illustres, qui rende ce suprême hommage au
génie de Mozart.
Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on connaît la juste et profonde
admiration de M. Gounod pour le maître des maîtres et le chef-
d'œuvre des chefs-d'œuvre. Depuis longtemps il l'a manifestée, et
je retrouve précisément dans mes notes, à la date de 1879, un frag-
ment de journal dans lequel, à ce sujet, on lui prêtait un projet
un peu chimérique, mais suffisamment significatif. Cela s'appelait :
un lUve de Gounod, et voici quel était ce rêve : — « L'auteur de Faust
a pour Don Juan un amour continuel et sans mélange. Une de ses
(1) Chez Paul Ollendorf, rue de Richelieu.
LE MENESTREL
210
grandes préoccupations, en ce moment, est de donner douze repré-
sentations du chef-d'œuvre de Mozart, douze représentations parfai-
tes. Il bâtirait un théâtre à ce dessein, qui serait démoli ensuite. Il
ferait plusieurs fois le tour du monde, s'il le faut, et trouverait les
acteurs dignes de chanter l'œuvre. Il leur ferait les rentes qu'ils
voudront, et leur dirait : « Etudiez votre rôle à votre manière, vous
viendrez ensuite l'étudier à la mienne. » Comme il est besoin d'ar-
gent pour mener à bien les projets les plus délicats, il aurait des
souscripteurs. Mais on n'aurait la faveur de souscrire qu'après avoir
subi un examen et un interrogatoire minutieux. Gounod ne veut à ce
spectacle que « des amoureux. » Les représentations auraient lieu
deux fois par semaine, pendant six semaines. Don Juan aura alors
été exécuté selon le rêve charmant et prodigieux que Gounod se
fait. Le maître est assez aimé du public pour réaliser cette belle
chimère. »
On voit qu'il s'agissait eu effet d'une chimère, mais dont l'idée
même prenait sa source dans l'admiration bien connue de M. Gou-
nod pour Don Juan. Cette admiration, le maître l'affirma avec éclat
quelques années plus tard, lorsqu'il fit, le 2o octobre 1882, dans la
séance publique annuelle de l'Académie des Beaux-Arts, une lecture
sur le Don Juan de Mozart. C'est une pensée qui le hantait sans doute,
et cette lecture est évidemment le point de départ du livre que
nous avons aujourd'hui sous les yeux. Et si l'on veut se faire une
idée du sentiment que le chef-d'œuvre a toujours inspiré à M. Gou-
nod, il faut lire la petite anecdote qu'il racontait, dès le début de
son travail, à ses collègues de l'Académie.
Il avait alors treize ans et demi, ses succès au lycée Saint-Louis
lui avaient valu un congé de faveur, et sa mère, pour le récompen-
ser, l'avait mené au Théâtre-Italien, où l'on jouait Don Juan :
Il me sembla que j'allais pénétrer dans un sanctuaire.
En effet, à peine étions-nous entrés dans la salle, que je me sentis en-
veloppé d'une sorte de terreur sacrée, comme à l'approche de quelque
mystère imposant et redoutable; j'éprouvais, tout ensemble, dans une
émotion confuse et jusqu'alors inconnue, le désir et la crainte de ce qui
allait se passer devant moi...
Il fallut attendre assez longtemps avant que le spectacle commençât,
mais le temps ne me durait pas ; cette salle de théâtre, ce lustre, tout cet
appareil grandiose, étaient déjà pour moi un éblouissement.
Enfin, on frappe les trois coups sacramentels ; le chef d'orchestre lève
son archet, un religieux silence règne dans la salle et l'ouverture com-
mence.
Je renonce à décrire ce que je ressentis dès les premiers accords de ce
sublime et terrible prologue. Commentle pourrais-je, lorsque aujourd'hui
encore, après cinquante ans d'une admiration toujours croissante, mon
cœur tressaille d'y penser et ma main tremble de l'écrire?... Tout ce que
je me rappelle, c'est qu'il me sembla qu'un dieu me parlait; je tombai
dans une sorte de prostration douloureusement délicieuse, et, à demi
suffoqué par l'émotion : « Ah ! maman ! m'écriai-je, ça, c'est la musique ! »
J'étais littéralement éperdu.
Ce sont des émotions de ce genre qui souvent décident de la vie
d'un artiste. On se rappelle celle de Lesueur, fils de pauvres cul-
tivateurs, qui, âgé de sept ou huit ans et entendant pour la pre-
mière fois une musique militaire, celle d'un régiment qui traversait
son village, se mit à la suivre de ses petites jambes, et, enchanté,
enthousiasmé et toujours courant, s'écriait hors de lui : « Plusieurs
airs à la fois! plusieurs airs à la fois! » Ce sont là les faits qui font
éclater, qui déterminent les vocations.
Aujourd'hui, après soixante ans de la première impression per-
çue, après avoir depuis longtemps raisonné son admiration tout
d'abord instinctive, M. Gounod veut nous mettre à même de la par
tager. Il nous présente un commentaire lumineux de l'œuvre qui
semble lui avoir ouvert et tracé la route qu'il devait suivre, et il
nous convie à prendre notre part des émotions que cette œuvre a
excitées en lui. « Don Juan, dit-il dans la préface de son livre, ce
chef-d'œuvre incomparable et immortel, cet apogée du drame lyri-
que, compte aujourd'hui cent ans d'existence et d'universelle re-
nommée : il est populaire, indiscuté, consacré à jamais. Est-il com-
pris? Cette merveille de vérité dans l'expression, de beauté dans la
forme, de justesse dans les caractères, de profondeur dans le drame,
de pureté dans le style, de richesse et de sobriété dans l'instru-
mentation, de charme et de séduction dans la tendresse, d'élévation
et de force dans le pathétique, ce modèle achevé, en un mot, de
l'art dramatique musical, est-il admiré, est-il aimé comme il devrait
l'être? Je me permets d'en douter. »
Non, cher maître, n'en doutez pas. L'admiration, qui dans son
premier élan est une sorte de compréhension intuitive, éclate chez
tous ceux qui sont à même de connaître le chef-d'œuvre, — et de
l'admiration à l'affection il n'y a qu'un pas. Tous ceux qui ont eu
le bonheur d'entendre Don Juan éprouvent le même sentiment; il
s'impose à eux comme la splendeur du soleil s'impose à tous les
êtres animés, parce qu'il est lui-même la splendeur de l'art et qu'il
enveloppe notre âme de sa généreuse chaleur.
Toutefois, c'est pour le faire mieux comprendre, aimer, admirer,
que M. Gounod s'est livrée cet examen pénétrant, à cette analyse si
claire et si savante à la fois, si précise, si serrée, qui nous fait, si
l'on peut dire, toucher du doigt les motifs de notre enthousiasme,
et nous met à même de déterminer les causes de nos sensations.
La partition de Don Juan, dit-il encore, a exercé sur toute ma vie l'in-
fluence d'une révélation ; elle a été, elle est restée pour moi une sorte
d'incarnation de l'impeccabilité dramatique et musicale : je la tiens pour
une œuvre sans tache, d'une perfection sans intermittence, et ce com-
mentaire n'est que l'humble témoignage de ma vénération et de ma re-
connaissance pour le génie à qui je dois les joies les plus pures et les
plus immuables de ma vie de musicien.
Il y a, dans l'histoire, certains hommes qui semblent destinés à mar-
quer, dans leur sphère, le point au delà duquel on ne peut plus s'élever :
tels Phidias dans l'art de la sculpture, Molière dans celui de la comédie,
Mozart est un de ces hommes : Don Juan est un sommet.
Le livre de M. Gounod n'est pas, comme quelques-uns pourraient
le supposer, un livre de combat : c'est simplement une œuvre d'analyse
et d'admiration. Il n'y est pas prononcé un autre nom que celui de
Mozart, et, pour Mozart même, il n'est question que de son Don Juan.
Point de polémique, point de discussion, point de comparaison
avec quelque autre œuvre que ce soit, Don Juan n'appelant et ne
supportant par lui-même aucune comparaison. L'auteur s'est tracé
un cercle étroit, et pas une seule fois il n'a eu l'idée de le fran-
chir. On serait mal venu même à chercher ici une ligne, une
phrase sur l'histoire de Don Juan, de son enfantement, de son succès,
de ses diverses interprétations. Il n'en est pas une seule fois ques-
tion. M. Gounod ouvre la partition italienne, la vraie, celle dont la
division est en deux actes (1) et, la prenant morceau par morceau, en
commençant par l'ouverture pour aboutir au dernier finale, il ana-
lyse, il dissèque chacun de ces morceaux successivement — avec
quelle finesse, quelle pénétration, quelle sagacité, quelle largeur de
vues, je n'ai pas besoin de le dire.
Que celui qui voudra jouir tout à son aise de ce travail d'un es-
prit si délicat à la fois et si élevé, si expert surtout, qui voudra
apprécier comme il le mérite ce jugement par un maître de l'œuvre
d'un maître, prenne à son tour la partition de Don Juan, qu'il la
place sur son piano à côté du livre de M. Gounod, et que, un œil
sur la partition, un œil sur le livre, il complète sa compréhension
de l'œuvre par la lecture de son commentaire. Celui-là me dira
s'il a perdu son temps, et si ce n'est pas là une véritable jouis-
sance !
Quant à faire ici, de ce livre si curieux, si suggestif, ce qu'on
appelle un compte rendu, je n'y saurais songer. On n'analyse pas
une analyse, on ne commente pas un commentaire, et ce serait
battre inutilement les buissons que de s'égarer à la recherche
d'une appréciation de détail parfaitement impossible et absolument
superflue.
La seule remarque que je pourrais me permettre serait pour louer
la langue sobre et claire, ferme, et élégante, employée par M. Gou-
nod. Mais quoi? Chacun ne sait-il pas que le style littéraire de l'au-
teur de Faust n'a rien à envier, pour la grâce et la pureté, à son
style musical? IL nous l'a prouvé à maintes reprises, avec de nom-
breux écrits moins importants que celui-ci sans doute, mais pleins
d'intérêt et remplis d'idées ingénieuses. Il me suffirait de citer la
préface de son George Dandin (dont nous n'avons malheureusement
que la préface], celle des Lettres intimes de Berlioz, son chapitre sur
la Critique, publié naguère dans le Gaulois, son discours sur la
Nature et l'Art, lu en 1886 dans la séance solennelle des cinq Aca-
démies, enfin une intéressante série d'articles sur les compositeurs
chefs d'orchestre, qui paraissaient dans ce journal même il y aura
tantôt vingt ans. Tout cela suffirait à justifier le désir exprimé un
jour par un membre de l'Académie française, de voir M. Gounod
prendre rang parmi ses collègues et entrer dans cette illustre com-
pagnie ; il y tiendrait assurément sa place aussi bien — et mieux —
que bien d'autres.
Et qui sait ? Le livre qu'il vient de publier ne pourrait-il pas lui
ouvrir les portes delà maison des Quarante?
Arthur Pougin.
(1) Cette édition est publiée au Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, d'après le manus-
crit même de Mozart, qui est en possession de M" Viardot. Double texte français
et italien.
220
LE1 MENESTREL
LES ORIGINES DU CHANT LITURGIQUE
D'APRÈS UNE RÉCENTE PUBLICATION DE M. GEVAERT
Il n'est, en toute chose, aucun sujet qui mérite de nous intéresser
autant que la question des origines. Au point de vue particulier de
l'histoire de la musique, c'est vers ce but, ce me semble, que
doivent tendre aujourd'hui tous les efforts, maintenant surtout que
le terrain est presque entièrement déblayé autour de nous, et que,
à part des détails d'intérêt secondaire, nous sommes parfaitement
renseignés sur tout ce qui concerne l'évolution de la musique mo-
derne.
M. Gevaert aura eu l'honneur d'être le premier dans le pays de
langue française à aborder résolument cet ordre d'idées, où il
n'eût pas été possible de pénétrer profondément tant que ce travail
préalable n'était pas achevé. Avec un esprit critique d'une rare
sagacité, une érudition à laquelle rien n'échappe, une patience que
rien ne lasse, déjà il a reconstitué pour nous la musique de la
Grèce antique, et, malgré l'absence absolue de monuments, réunis-
sant des éléments épars, il nous en a montré les mouvements
généraux, les principes constitutifs, la vie. Ce qu'il a fait pour l'an-
tiquité, il le continue maintenant pour le moyen-âge, époque pri-
mitive de la société moderne, enfance d'un monde nouveau, se
rattachant encore par quelques liens à l'antiquité, mais faisant
déjà pressentir pour l'avenir des destinées toutes différentes : pé-
riode aussi importante, en un mot, au point de vue des origines,
que n'importe quel autre moment de l'histoire de l'humanité, et
plus encore à notre gré, puisque ce sont nos origines à nous-mêmes
que nous y considérons.
Nous savons que les chants de la religion catholique représentent,
conjointement avec les chants profanes et populaires des races oc-
cidentales et de celles qui vinrent se mélanger avec elles au com-
mencement du moyen-âge, la matière primitive, l'élément primordial
d'où sortit peu à peu l'évolution tout entière de la musique mo-
derne. Leur élude est donc, pour l'histoire de la musique, d'un
intérêt capital. Elle ne saurait être faite avec une certitude absolue
pour les chants profanes, les monuments authentiques de la pre-
mière période du moyen-âge faisant complètement défaut, et les
traditions populaires (à quelques rares exceptions près) ne pouvant
pas être considérées comme remontant si haut : bienheureux encore
si, dans quelques chroniques, l'on peut trouver de vagues indica-
tions sur leur caractère, leur esprit, leur existence même. Mais il
n'en est pas de même pour le chant religieux, pour lequel celte
étude peut être tentée avec d'autant plus de confiance que, contrai-
rement à ce qui s'est produit pour la musique grecque, nous pos-
sédons un grand nombre de chants authentiques, avec un nombre
d'écrits suffisant pour en préciser 'a nature et les origines el recons-
tituer les grandes lignes du lent mais 1res sérieux mouvement
musical de ce temps-là. C'est donc sur une base d'opérations par-
faitement solide que M. Gevaert a" pu établir son nouveau travail (1),
lequel, bien que peu étendu, nous en apprend plus long sur la
matière que tout ce qui avait été écrit précédemment.
Et d'abord, il rectifie nombre d'erreurs passées à l'état d'articles
de (oi depuis des siècles, et dont l'origine même est parfois presque
contemporaine des événements auxquels elles ont rapport. La plus
étonnante est celle qui a trait au rôle joué par saint Grégoire dans
la constitution du chant religieux, lequel, de ce fait, a pris son
propre nom : le chant grégorien. L'on connaît les anecdotes rela-
tives à la personnalité musicale de ce pape, qui joua dans l'histoire
politique de son siècle un rôle considérable, esprit énergique et
puissant, presque chef d'armées, le premier véritable maître de
Rome depuis la ehutf de l'Empire : cependant on nous le montrait
aussi sous l'apparence d'un humble maître de musique, foudateur
de la sehola cantorum, instruisant lui-même les enfdnts de choeur
— en peut-on douter? l'on montrait, plusieurs siècles plus tarj, le
lit sur lequel il se tenait pendant la leçon, le fouet qui lui ser-
vait à châtier les écoliers iuattentifs, singulières reliques d'un des
plus grauds esprits de son siècle, d'un des hommes qui ont .fait le
plus pour l'expansion et la domination du christianisme. Or, le
biographe auquel on doit le récit de toutes ces belles choses, Jean
le Diacre, est un fantaisiste auquel les inveutions ne coûtaient
guère lorsqu'il s'agissait d'en faire honneur à ses héros : la com-
paraison de la plupart de ses écrits avec les sources sérieuses l'a
démontré amplement. Sa Vita S. Grerjorii Magni, écrite vers 882,
(1) Les origines du citant liturgique de l'Eglise latine, Gand, Librairie géné-
rale, 1890.
est de près de trois siècles postérieure au pontificat de Grégoire
(390-604), et, durant ce long intervalle, aucun de ceux qui ont
écrit sur la musique ou sur lui-même ne lui attribuent le rôle que
l'on a dit; quant à lui, il a laissé un nombre considérable de lettres
et d'écrits de toute sorte, mais dans aucun l'on ne peut trouver la
moindre trace de préoccupations musicales : il n'y est question de
musique qu'une fois, et c'est pour en diminuer l'emploi dans les
cérémonies (il rappelle à la gravité de leur ministère des prêtres
qui le négligeaient pour cultiver leur voix et soigner leur chant).
Enfin, plusieurs pièces de l'antiphoDaire dit grégorien sont mani-
festement postérieures à son époque, et ce ne fut que plus d'un
siècle après sa mort que cette compilation put être arrêtée définiti-
vement. — Telles sont les conclusions auxquelles nous amènent
les sagaees et patientes recherches de M. Gevaert; et quoique je
sache bien avec quelle prudence et quelle réserve il faut procéder,
en de telles matières, avant d'acquérir une certitude, il me paraît
que tous les arguments produits par lui sont d'une valeur inatta-
quable, qu'ils sont déduits et coordonnés selon les principes de la
plus saine critique, et que ses conclusions peuvent être, dès aujour-
d'hui, adoptées sans réserve (1). -
A combien d'erreurs et de confusions avait donné lieu, de même,
la question des tons dits grégoriens! Il faut reconnaître, à la vérité,
qu'il en est peu d'aussi compliquées. Saint Ambroise, saint Gré-
goire, et les modes antiques, et ceux de l'église grecque, tout cela
avait été mêlé dans une étrange confusion. Or, des observations de
M. Gevaert il résulte, non seulement que les tons grégoriens et les
modes grecs présentent entre eux des différences considérables, que
ce sont deux systèmes absolument distincts (j'avais eu déjà l'occa-
sion de faire les mêmes constatations, bien qu'avec d'autres exemples
à l'appui), mais même que la doctrine des modes ecclésiastiques est
indépendante de la tradition antique (M. Gevaert la croit de prove-
nance syro-hellénique) ; que non seulement saint Grégoire n'a pas
eu à en réglementer l'emploi (pour saint Ambroise, de trois siècles
antérieur, est-il besoin de dire combien peu il eût été en état même
d'y songer), mais que ce ne fut qu'à la fin du v!i° siècle, vraisem-
blablement sous le pontificat de Serge Ier, que les chantres romains y
furent initiés.
M. Gevaert montre encore que, depuis la fin du ive siècle jusqu'à
celle du vne, c'est-à-dire pendant l'époque la plus active de la for-
mation du chant liturgique, il n'existe aucun mode de notation
musicala, le système antique ayant été forcément oublié aussitôt
après l'abandon des écoles païennes, fermées sous Théodose, et les
premiers essais, très rudimentaires, de la notation neumatique ne
remontant pas plus haut que la seconde date. Aucun des écrivains
de cette période ne connaît de mode de représentation graphique
des sons, et quelques-uns en nient jusqu'à la possibilité. Quant à
la prétendue notation latine, dite boétienne (notation par lettres, non
encore abandonnée de nos jours), son origine n'est, en réalité, pas
plus ancienne que celle des neumes, et elle n'était pas moins incon-
nue que les autres à la même époque, bien que jusqu'ici, l'on ait
cru le contraire (2).
Enfin certaines attributions d'hymnes de la liturgie primitive à
saint Hilaire de Poitiers, au pape Damase et à saint Grégoire sont
considérées par M. Gevaert comme erronées.
Ces premières conclusions, toutes négatives, étant arrêtées, et la
question dégagée des inexactitudes qui l'encombraient, il s'agit main-
tenant d'arriver à un résultat positif en recherchant les véritables
origines du chant de l'église romaine. M. Gevaert ne croit pas que
la première origine en puisse être trouvée antérieurement au
deuxième quart du v° siècle. On ne sait presque rien de la liturgie
aux quatre premiers siècles du christianisme : sauf la mélopée de la
Préface avec son épilogue choral, le Sanctus, ainsi que quelques
mélodies d'hymnes ambrosiennes, aucun des chanls conservés par le
rite actuel ne parait se rattacher à une tradition aussi éloignée. Mais,
à partir du \c siècle, on voit la liturgie romaine adopter peu à pou
ot s'approprier des formes destinées à survivre jusqu'à notre époque;
l'église romaine emprunte aux églises d'Orient la psalmodie antipho-
nique (introduite à Rome sous le pontificat du pape saint Célestin,
de 422 à 432), non sans la modifier conformément aux usages et au
goût musical des peuples de l'Occident; pour les chants responso-
riaux, d'origine italienne, disent les auteurs du moyen-âge, leurs
(1) La discussion avec la Revue bénédictine, qui occupe les quinze der-
nières pages du livre de M. Gevaert, me semble, notamment, ne plus
laisser le moindre doute à cet égard.
(2) M. Gevaert avait déjà traité ce sujet, avec plus de développement, à
la lin du premier volume de l'Histoire de la musique dans l'antiquité.
LE MEiNESTREL
22d
premières formes paraissent dater à peu près de la même époque.
D'autre part, il résulte des observations les plus minutieuses que
les pièces les plus récentes de l'Antiphonaire ont été introduites dans
la liturgie vers la fin du vu6 siècle ou au commencement du vme;
l'on a des preuves de l'existence de ce recueil vers l'année 760, et
les auteurs du siècle suivant en parlent comme d'un ouvrage d'un usage
général et déjà sanctionné par une longue habitude. M. Gevaert a
donc été amené par là à fixer entre les années 425 et 700 la période
de production du chant romain; il montre que les papes Agathon,
Léon II et Serge Ier sont ceux qui ont eu sur sa formation l'influence
la plus décisive, et que, si la dénomination traditionnelle de « chant
grégorien » a quelque raison d'être, c'est à Grégoire III qu'il faut
en faire honueur, ce pape étant très vraisemblablement celui sous
le pontifical duquel furent coordonnés et réunis les derniers chants
de l'Antiphonaire.
Nous ne saurions entrer dans le détail d'un aussi vaste sujet :
qu'il nous suffise de dire que M. Gevaert divise celte période de pies
de trois siècles en deux parties : la première, correspondant à la
domination des Goths (jusqu'en 552) se rattacherait directement aux
dernières traditions de la musique gréco-romaine et serait caracté-
risée par un chant simple et syllabique imité des chants cilharodiques
de l'art païen; la seconde, contemporaine de la domination byzan-
tine et des papes grecs qui se succédèrent presque sans interruption
au VIIe et au VIIIe siècles, aurait douné lieu à un nouveau style
musical très orné el chargé de mélismes, créé sous l'influence de
l'église grecque, non sans qu'il soit possible, d'ailleurs, de retrou-
ver parfois sous ces ornements accumulés la ligne primitive déjà
existant à l'époque antérieure.
Quant à la forme même de ces chants, il est bien clair que nous
ne pouvons pas la connaître d'une façon absolument certaine, aucun
vestige de notation musicale ne nous étant parvenu de cette époque
(par la pure et simple raison, exposée plus haut, qu'il n'existait pas
de notation).- Cependant, lorsqu'on considère que, malgré les alté-
rations apportées dans le chant liturgique par un si long usage, ce
chant, tel qu'il existe encore, est, au fond, conforme à celui que
nous font connaître les plus anciens manuscrits connus (par exemple
le manuscrit de Montpellier, du Xe siècle : l'Antiphonaire de Saint-
Gall, à peu près de la même époque, que publient actuellement
les Bénédictins de Solesmes, pourra donntr lieu aussi à d'intéres-
sants rapprochements), l'on peut être fondé à croire que, si ce chant
s'est conservé fidèlement pendant dix siècles, il n'a pas dû s'altérer
davantage pendant les deux ou trois siècles antérieurs. M. Gevaert
nous en donne un nouvel exemple par un long extrait d'un traité
de musique du Xe siècle, faussement attribué à Hucbald, dans le-
quel huit mélodies de l'Antiphonaire sont cilées en exemples : or,
sur les huit, une seule s'est dénaturée, les sept autres n'ont pas
varié depuis mille ans. — Par une autre note de l'appendice il
montre que la composition des offices de Laudes et de Vêpres dans
la règle de Saint-Benoît (rédigée veis 740) est, à quelques détails
près, presque semblable à ce qu'elle est encore aujourd'hui. Cette
observation ne concerne, à la vérité, que les textes, mais il n'y a
pas de raison pour que la musique ait varie plus que les paroles.
Au reste, en ces sortes de sujets, il n'est rien qui vaille l'analyse
serrée et méthodique des monuments eux-mêmes, et M. Gevaert
nous en annonce une dont l'intérêt sera vraiment de premier ordre:
il nous promet, pour « son premier moment de loisir », de traiter à
fond la question des modes et des nomes gréco-romains dans les an-
tiennes simples, voulant dégager ainsi des chants de la liturgie chré-
tienne la matière primitive, qu'il croit pouvoir rattacher aux tiadi-
tions antiques. Voilà des loisirs qui seront bien employés, el il
faut souhaiter qu'ils viennent au plus tôt.
Donc, nous possédons assez de données précises, de matériaux
solides [jour qu'il soit possible d'entreprendre enfin, avec quelque
espoir do léussite. une histoire définitive de la musique à cette
époque si obscure et si troublée, où le plain-chant élail la seule
forme d'art qui fût digne de es nom. C'était bien un art, en effet,
quoique n'ayant pas été créé dans un but artistique : mais quelle
est l'époque, quel est le peuple qui a jamais pu se passer de mu-
sique? Aucun, cela est historiquement démontré. Les anecdotes
abondent pour montrer quel intérêt purement artistique et indépen-
dant de tout sentiment religieux y prenaient parfois les gens du
moyen- âge. Nous avons vu plus haut qu'un des plus grands papes
de ce temps se voyait obligé de rappeler à l'ordre des prêtres qui
no voyaient dans la célébration des offices qu'une occasion de faire
des effets do chanteurs. M. Gevaert nous conle encore une anecdote
curieuse rapportée par Grégoire de Tours. Un jour que le docte
évêque avait à sa table le roi Gontran, celui-ci, s'extasiaut sur le
chant d'un graduel qu'il avait entendu la veille à la messe, fit
venir les officiants et les chantres et leur donna l'ordre de le lui
faire entendre derechef. Singulière chanson de dessert, que les
habitués des anciens dîners du Caveau auraient, assurément, trouvée
un peu austère !
Cette histoire, nous espérons bien que M. Gevaert nous la don-
nera sans trop tarder. Sa publication d'aujourd'hui, peu étendue,
ne peut en être considérée que comme un premier chapitre, ou, plus
exactement, un résumé anticipé, un canevas : l'éminent auteur de
l'Histoire de la musique de l'antiquité nous la doit dans tout son dé-
veloppement. Il nous montrera alors le détail de la création des
chants liturgiques, leurs auteurs, et le rôle exact de ceux-ci dans
la composition soit des textes, soit des mélodies; il nous dira sur-
tout quel était le véritable caractère de la. composition musicale en
ce temps-là, quelle part y avait l'imagination, l'invention, la per-
sonnalité (M. Gevaert a donné quelques indications là-dessus, mais
trop brièvement et sans exemples à l'appui, chose indispensable
pour une pareille élude). Nous voudrions aussi qu'il étendît le
champ de ses observations quelque peu davantage : qu'il insistât
plus qu'il ne le fait sur la période primitive, représentée par le
chant des églises d'Orient et de celle de Milan avec saint Ambroise;
qu'il nous parlât aussi du chant religieux en dehors de l'Italie
avant la diffusion du chant romain, notamment de ce chant gal-
lican que Pépin le Bref et Charlemagne eurent tant de peine à faire
disparaître des églises de France et dont il reste peut-être encore
ries vestiges. Knfin il ne serait pas moins désirable qu'il nous don-
nât son avis sur quelques-unes des questions à l'ordre du jour,
non seulement celle de la lonalité, mais encore celle, non moins
controversée, du rythme dans le plain-chant. Assurément ce pro-
gramme est bien fait pour faire reculer tout autre ; mais comme
il y a fort longtemps que M. Gevaert y travaille, il ne s'élonnera
pas que nous désirions le lui voir réaliser; el notre vœu est d'au-
tant plus naturel que, non seulement il nous a prouvé qu'il est
dès à présent en état de le faire, mais encore qu'il est le seul.
Julien Tiersot.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (10 juillet). — « Les concours du
Conservatoire ont occupé, presque seuls, pendant la quinzaine dernière,
l'attention du public qui s'intéresse à la musique. Comme l'an passé, je
vais brièvement vous signaler les « sujets » qui se sont distingués dans
ces concours par des mérites hors ligne et qui promettent de vrais ar-
tistes. Il n'y en a eu guère dans les classes d'instruments à vent. Mais
la classe de violoncelle de M. Jacobs en a produit un, M. Rotondo, italien
d'origine, dont le nom est à retenir; les qualités exceptionnelles qu'il a
déployées annoncent un virtuose de premier ordre. Il en a été de même
dans la classe de violon de M. Cornélis, qui a mis en relief une Russe,
M"e Von Stosch, et dans celle de M. Ysaye, où M. Hill, un Anglais, dont
je vous signalais, lors du précédent concours, les rares aptitudes, a rem-
porté un des plus brillants premiers prix dont on se souvienne ici depuis
longtemps. Celui-là surtout sera, celui-là est déjà un artiste!... Parmi
les pianistes, M. Storck, un Roumain, s'est fait remarquer particulière-
ment (classe de M. de Greef). Comme vous voyez, ce sont les étrangers qui,
en ce moment, tiennent la corde (sans jeu de mots!) au Conservatoire de
Bruxelles. Cela ne prouve qu'une chose : l'excellence de l'enseignement
et la renommée de cet enseignement au delà de nos frontières; et il faut
croire que c'est simplement pour observer les lois do l'hospitalité que nos
compatriotes se laissent distancer. Hàtons-nous de dire qu'ils ne se lais-
sent pas distancer toujours et que, eux aussi, tiennent quelquefois leur
petite place dignement; il serait cruel de les décourager. Il s'en est
trouvé notamment plusieurs, d'un réel mérite, dans la classe de piano de
M. Auguste Dupont (M110 Hoffmann), dans la classe de violon de M. Co-
lyns, (M. Franck), dans la classe d'orgue de M. Mailly. Et, dans le con-
cours de chant, ils ont été seuls vainqueurs. Ce concours-là a été très
brillant. Il a servi de très heureux début professoral à Mrao Cornélis-
Servais, qui remplace son beau-père, M. Cornélis, admis à faire valoir ses
droits à la retraite après cinquante ans d'un labeur fécond, et a consacré
une fois de plus la haute valeur de son collègue, M. Henry "Warnots,
dont la classe s'est encore distinguée par des résultats tout à fait sérieux :
des voix superbes et quelques natures d'artistes. A côté des lauréats,
M. Fierens, le frère de la nouvelle pensionnaire de l'Opéra, M110 Cuvelier,
un mezzo-soprano magnifique, MUo Rollant, une gracieuse chanteuse
légère, et M"lc Langlois, une falcon qui parviendra, — il y en a d'autres
peut-être plus justement applaudis et plus prodigues encore d'espérances:
un bon baryton, M. de Backer, une chanteuse dramatique étonnamment
bien douée, M"° Goetz, et une chanteuse à roulades, M"eParentani, ayant
de la sûreté et de « l'exécution » comme une artiste faite. — En dehors
222
LE MENESTREL
du Conservatoire, notre vie musicale a été bien morne. Le "Waux-Hall,
où l'orchestre de la Monnaie donne des concerts chaque été, a été presque
tout le temps noyé dans la pluie, et les séances consacrées aux écoles
française, russe, allemande, belge, etc., qu'y avaient organisées M. Phi-
lippe Flon, — lequel par parenthèse va quitter Bruxelles pour s'en aller
à Rouen, — se sont trouvées bien dérangées. La tentative n'en a pas moins
eu un commencement de réalisation. Nous avons eu deux « Concerts
Saint-Saëns » qui ont beaucoup réussi. — Pendant ce temps, la direc-
tion de la Monnaie prépare déjà, tout doucement, sa réouverture. Elle
compte profiter, l'an prochain, de l'expérience difficile de ses commence-
ments et ne rien négliger pour rattraper le temps perdu. Le répertoire
sera renouvelé presque complètement, fourni d'oeuvres nouvelles et iné-
dites, et la troupe, composée dé beaucoup d'éléments nouveaux, promet
d'être excellente. A l'heure qu'il est, presque tous les artistes sont en-
cans. Vous les connaissez : M"0 Sanderson, la créatrice d'Esc'.armonde à
Paris; Mllc Nardi, la contralto de l'Opéra-Comique; Mm° Albin-Archam-
baud, première dugazon; le ténor Lafarge, qui a créé à Rouen Samson
et Dalila avec le succès que l'on sait; M. Dupeyron, qui remplira l'emploi
de fort ténor, — une voix superbe, parait-il. Les autres nous restent de la
troupe de l'an passé : Mme de Nuovina, qui chante le grand opéra et le
demi-caractère; Mn° Carrère, MM. Bouvet, Sentein, Delmas, Badiali, etc.
Tout cela formera un ensemble qui permettra d'aborder tout de suite des
œuvres importantes et donnera à la saison théâtrale un intérêt artistique
ininterrompu. Nous le souhaitons sincèrement ». Lucien Solvay.
La musique aura une part importante dans les grandes fêtes qui vont
avoir lieu à Bruxelles, du 20 juillet au A août, pour le soixantième anni-
versaire de l'indépendance nationale. M. Gustave Huberti a été chargé
d'écrire la musique qui accompagnera, le 20 juillet, le grand cortège his-
torique qui parcourra la ville. Une cantate du même compositeur, Naar de
School, sur des paroles de M. Emmanuel Hiel, sera exécutée à Ixelles, par
un groupe de mille enfants. Le 21 juillet, à A heures, sur la place des
Palais, devant la famille royale et les grands corps de l'État, on exécutera
un hymne : Union et Patrie, poème de M. Antoine Clesse, musique de
M.Alfred Tilman; cette exécution sera dirigée par le compositeur, qui
aura sous ses ordres quatre musiques militaires et le personnel de neuf
sociétés chorales ; on entendra ensuite : Vlaanderen, de MM. Ryswyck et
et Richard Hol, Het Lied der Vlamingen, de MM. Hiel et Peter Benoit, et
Ons Yaderland, de MM. Sevens et J. Block. Le 23 juillet, à 11 heures, au
théâtre de la Monnaie, grande fête musicale avec le concours de 800 en-
fants des écoles communales, dont voici le programme : première exécu-
tion de l'oratorio Kinderlust en leed, paroles de M. Emmanuel Hiel, musique
de G. Huberti ; le Prélude, d'Huberti, un chœur de Céphale et Procris, de
Grétry, les Norwégiennes, de Delibes, Dans tes blés, de Gabriel Pierné, et la
Ruche, de Lacome.
— Le jeune Pietro Mascagni continue d'être le héros du jour en Italie.
Nous allons emprunter au compte rendu du concours Sonzogno, publié
par le Tcatro illustralo, quelques renseignements sur ce jeune artiste, qu'on
ne lira pas sans quelque intérêt. M. Pietro Mascagni est le fils d'un bou-
langer de Livourne; il rencontra d'énormes difficultés dans son dessein de se
consacrer à la musique, et après avoir reçu à Livourne des leçons de MM. Pra-
tesi etSofl'redini, il devint élève de M. Saladino au Conservatoire de Milan,
où il resta deux ans, grâce à l'aide matérielle du comte de Larderel,
mais sans cependant finir le cours régulier de ses études. Il parcourut alors
diverses villes comme chef d'orchestre de plusieurs compagnies d'opérette
qui se disloquaient l'une après l'autre, jusqu'à ce que, il y a trois ans, il
acceptât les fonctions de chef de la Société philharmonique de Gerignola,
petite ville située entre Eoggia et Bari. Ayant eu connaissance du concours
Sonzogno seulement deux mois avant le terme fixé pour celui-ci, il ré-
solutpourtant de tenter l'épreuve, et obtint de deux de ses amis de Livourne
le livret de Cavalkria rusticana, modelé sur le drame bien connu deVerga.
Ce livret lui parvenait petit à petit, par menues rations de quelques vers
qui lui étaient adressés sur cartes postales. Quant à la partition, elle fut
écrite sans l'aide d'un piano, que le compositeur nepossédait pas, et elle
arriva au concours l'une des dernières, le jour même fixé comme dernière
limite aux envois. Cette partition produisit sur le jury une impression
extraordinaire, cette impression ne fit que s'accroître encore à l'audition
de l'orchestre, et l'on sait enfin que l'œuvre obtint auprès du public un
succès de véritable enthousiasme. Depuis un mois on la traite à Rome
de chef-d'œuvre. Nous ne saurions dire ici ce qu'il en faut penser, mais
il n'est pas inutile de rapporter ce mot d'un des membres du jury et
assurément des plus qualifiés, M. Giovanni Sgambati, qui s'écriait, en
parlant de la partition de M. Mascagni : « Toute discussion est impossible
à propos de cette musique, qui fascine et qui émeut. » En réalité, il
semble bien qu'un musicien nouveau est né à l'Italie, et que son avenir
est assuré.
— Les manifestations continuent d'ailleurs en l'honneur du jeune artiste.
On a déjà vu que Livourne lui avait fait fête. Il n'en a pas moins été à
Cerignola, où il vient de rentrer. Une foule énorme l'attendait à la gare,
et une immense acclamation l'accueillit à son arrivée. Le syndic de la
ville, la junte municipale et de nombreux représentants do toutes les
classes de citoyens étaient présents. Un imposant cortège de voitures
raccompagna en ville, où il était suivi par la foule, qui ne cessait de
l'applaudir. Du haut des balcons, ornés do fleurs, de plantes et de dra-
peaux, les dames agitaient leurs mouchoirs, tandis qu'on faisait pleuvoir
sur le triomphateur une avalanche de fleurs et de papiers coloriés. Dans
la soirée, musique et sérénades en son honneur. Tout cela est excessif
sans doute, mais tout cela est curieux et, en somme, intéressant, étant
donné l'enthousiasme méridional, toujours extrême en ses manifestations.
Ajoutons que les éditeurs s'arrachent déjà les compositions du jeune
artiste, que le dernier numéro du Tealro illustralo contient une romance
de lui et qu'une maison de Milan vient de publier un recueil de six de
ses mélodies.
— Nous lisons dans le Mondo artislico de Milan : « Tamagno ne chantera
plus ! Les journaux en donnent la nouvelle. Le célèbre ténor aurait déclaré
que, une fois terminée sa saison actuelle dans l'Amérique du Sud, il se
retirerait dans sa villa de Varese, pour ne plus jamais reparaître à la
scène. » Le journal milanais se répand en doléances sur cette prochaine
retraite du fameux chanteur italien. Ma foi, le mieux est sans doute d'en
prendre son parti. Ces gens qui ne considèrent l'art qu'au point de vue
de ce qu'il peut leur rapporter, qui demandent carrément un million à un
directeur pour une saison de trois mois, et qui crient à l'insolence si on
a le malheur de leur offrir 999,090 fr. 50 c, — ces gens-là, quelles que
soient la beauté de leur voix et la puissance de leurs poumons, ne sont
pas des artistes et ne nous intéressent en aucune façon. Si un coup
du ciel voulait éteindre en un instant toutes ces prétendues étoiles, à qui
l'on sacrifie bêtement tout le reste, les théâtres y gagneraient d'avoir un
budget plus facile à équilibrer, de pouvoir former de bonnes troupes d'en-
semble composées d'artistes consciencieux et d'offrir à leurs spectateurs
des exécutions beaucoup plus égales, meilleures et plus respectueuses des
ouvrages qu'ils mettent à la scène.
— La Société de secours mutuels des artistes dramatiques italiens vient
de tenir à Milan une assemblée extraordinaire, causée par un fait fâcheux.
Sur le capital social, qui -est seulement de 80,000 francs, plus de la moitié,
soit 44,000 francs, avait été placée en actions du Crédit foncier de Cagliari.
Or, cet établissement étant en déconfiture, la plus grande partie de cet
argent est complètement perdue.
— L'Opéra impérial de Vienne, en ce moment en vacances d'été,
doit donner, dit-on, dès l'automne prochain, la première leprésentation
d'un opéra-comique nouveau qui portera ce titre assez singulier : Lili,
Lola, Lala.
— Nous empruntons à la Neue Freie Presse les renseignements complé-
mentaires suivants concernant le Mozart- Festspielhans de Salzbourg : Pour
ce qui est de l'aménagement intérieur de l'édifice, la salle de spectacle
pourra recevoir 1,300 personnes ; le parquet de 840 places sera élevé en
amphithéâtre de 20 rangs, jusqu'au balcon composé de cinq rangées de
places, à la suite desquelles se trouvent les loges; enfin, tout au fond de
la salle, il y a la galerie, avec 321 places, réparties entre 12 rangs. La loge'
impériale est située à l'avant-scène, à la hauteur du balcon, en face d'une
autre loge de gala destinée aux visiteurs princiers ; deux loges spéciales
de galerie sont réservées aux artistes. Le blanc, le rouge et l'or seront
les couleurs dominantes dans l'ornementation. Le spectacle commencera
à quatre heures du soir pour se terminer à huit heures, afin de faciliter
aux visiteurs des nombreuses villes d'eaux environnantes les moyens d'y
assister. On sait qu'Ischl, Gmunden et Gastein ne sont qu'à une très fai-
ble distance de Salzbourg. C'est le kapellmeister Schuch qui a été choisi
comme directeur artistique de l'entreprise. L'installation nécessitera un
capital de six cent mille florins ; qui sera employé comme suit : construc-
tion du Festspielhans : 350,000 florins; acquisitions et nivellement de ter-
rains : 80,000 florins ; dépenses pour les deux premiers ouvrages ; 100,000
florins ; avances : 20,000 florins ; fonds de réserve : 50,000 florins.
— La municipalité de Nuremberg a décidé d'instituer des séries de re-
présentations annuelles des Maîtres Chanteurs, de Wagner, à partir de l'an-
née prochaine.
— On signale la présence à Oberammergau d'Antoine Rubinstein. Le
maître est en excellente santé et charme tout le monde par son entrain
et sa bonne humeur. Il se dispose à faire une saison à Badenweiler, dans
la Forêt-Noire.
— Nous avons parlé d'un nouvel opéra do M. G.Gœpfert,Sorns/ro, qui
va être représenté prochainement à l'occasion du centenaire de la mort de
Mozart et dont le livret est une continuation de celui de la Flûte enchantée.
L'idée n'est pas neuve. Une seconde partis ajoutée à la pauvre pièce qui a
inspiré la géniale partition de Mozart a déjà été écrite et ce n'est rien moins
que Gœthe qui en est l'auteur. Mis en musique par Peter von Winter,
cet opéra a passé tout à fait inaperçu.
— Un concours vient d'être ouvert à Vienne pour l'exécution du monu-
ment' à la mémoire de Mozart. Des prix de 8,000, 1,000 et 500 guidons
seront décernés aux trois meilleurs projets.
— On vient de publier en Allsmagne un volume de poésies dues au
compositeur Peter Cornélius, l'auteur du Barbier de Bagdad et de plusieurs
autres opéras, dont un Cid dont il écrivit les paroles et la musique. Cor-
nélius, mort en 1874, était le neveu du fameux peintre de ce nom. Il fut
l'un des disciples les plus ardents de Richard "Wagner, dont il défendit
avec vigueur les théories dans divers journaux, notamment dans l'Echo et
LE MÉNESTREL
223
la Nouvelle Gazette musicale, tout en les pratiquant comme compositeur.
C'était d'ailleurs un musicien de talent, et l'on assure que ses vers sont
ceux d'un véritable poète.
— On écrit de Bozen que la section Bozen de la Société alpine, alle-
mande et autrichienne se prépare à ériger, sur les restes du château où
il est mort, le 4 août 1443 (Hauenstein am Sclhern), une pierre commémo-
rative en souvenir d'Oswald von Wolkenstein, le dernier troubadour de
cette région. L'inauguration de cette pierre aura lieu le jour anniversaire
de sa mort, soit le 4 août prochain.
— On annonce que le pianiste Xavier Scharwenka travaille en ce mo-
ment à la partition d'un opéra intitulé Masaswintha. Le sujet de cet
ouvrage est parait-il, tiré de l'histoire du fameux roi des Ostrogoths, Vitigès.
qui vivait dans la première moitié du sixième siècle et qui fut vaincu
par Bélisaire.
— Les journaux allemands sont remplis en ce moment de biographies
et de portraits du compositeur Robert Franz, à l'occasion de l'accomplis-
sement de sa soixante-quinzième année. On sait que M. Robert Fianz,
artiste extrêmement remarquable, pianiste distingué et chef d'orchestre
habile, musicien formé à l'école de Bach, dont il a été l'un des premiers
à populariser les chefs-d'œuvre, est le compositeur de lieder le plus fa-
meux de l'Allemagne contemporaine. Il en a publié plus de quarante
recueils, dans lesquels l'élévation de la pensée et un charme pénétrant
sont relevés par l'excellence et la solidité de la facture. M. Robert Franz
est né à Halle en 1815.
— Les autorités maltaises ont une singulière façon d'encourager le
théâtre et la musique, et les conditions imposées par elles pour l'entre-
prise du théâtre royal de Malte sont au moins singulières. La direction,
dont le traité aura une durée de quatre années, devra d'abord déposer
un cautionnement de 35,000 francs, soit en espèces sonnantes, soit en
première hypothèque sur des biens certifiés, cautionnement qui sera con-
servé jusqu'à la dernière heure du contrat. Ce n'est pas tout, et le jour
de la signature de celui-ci, il devra verser une nouvelle somme de
2,500 francs. Quant aux avantages qu'on lui offre en retour ils sont
nuls, et il n'a droit à aucune espèce de subvention. Voilà qui s'appelle
favoriser les arts.
— Les journaux turcs signalent la récente découverte faite à Troie des
ruines d'un théâtre, construit en forme d'hémicycle et pouvant contenir
environ deux cents spectateurs. Des inscriptions grecques font remonter
cette construction à l'époque de l'empereur Tibère. Les dalles et les gra-
dins sont en marbre. Les fouilles ont amené au jour deux belles statues
de femmes également en marbre. y
— Bans ses mémoires, publiés par Y American Musician, Max Maretzek
raconte comment la cantatrice ElizaHeuzler est devenue l'épouse du roi de
Portugal : « Elle était la fille d'un pauvre tailleur de Boston et attira l'at-
tention d'un imprésario par sa ravissante voix, la beauté de son visage
et l'éclat de ses grands yeux noirs. Elle avait déjà conquis la réputation
d'une remarquable cantatrice dramatique lorsque Dom Fernand, époux de
la reine de Portugal, Maria délia Gloria, devint « son protecteur ». Peu
de temps après la mort de la reine, il éleva la jeune Américaine au rang
de comtesse d'Edia, et à l'expiration des délais imposés par son deuil, il
l'épousa en légitimes noces. Son mari étant un prince de la famille de
Cobourg, la fille du tailleur de Boston devint belle-sœur de la reine Vic-
toria, tante du prince de Galles et du roi des Belges actuel, enfin belle-
mère du roi de Portugal régnant. Quand la reine Isabelle d'Espagne fut
envoyée en exil, M. de Bismarck essaya de mettre un Hohenzollern sur le
trône espagnol. Louis-Napoléon s'y opposa... En même temps il se forma
une puissante coalition de grands d'Espagne résolus à offrir le trône à
Dom Fernand de Portugal. Mais les épouses de ces dignitaires déclarèrent
qu'elles ne paraîtraient pas à la Cour si la plébéienne de Boston était
élevée au rang royal. Un compromis fut décidé dans une réunion se-
crète, où l'on décida de demander à Pie IX son autorisation pour un
divorce. En fin de compte, Dom F'ernand déclara qu'il renoncerait à la
couronne d'Espagne plutôt qu'à sa femme Eliza Heuzler. Cet attachement
héroïque eut donc pour conséquences indirectes la guerre franco-alle-
mande, la chute de Napoléon III, la perte de l'Alsace - Lorraine et la
situation indécise où se trouve actuellement l'Espagne. »
— Une nouvelle salle de spectacles, de proportions gigantesques, a été
inaugurée dernièrement à New-York. Madison square garden est le nom de
cet établissement, voué au « culte de Terpsicbore ». Les deux ballets
donnés le soir de l'ouverture se nomment le Choix d'une fleur nationale et
la Paix et la Guerre. Le concours d'Edouard Strauss, et de son orchestre,
n'était pas un des moindres attraits de la soirée.
— On a inauguré récemment à San José, dans l'Amérique du Nord, un
Conservatoire auquel on a donné le nom de Conservatoire de l'Université
du Pacifique.
— C'est le cas de dire de celui-ci qu'il dîne de l'autel et soupe du théâ-
tre. Il parait qu'à Saint-Antoine, dans le Texas, un « révérend » nommé
Virgile Maxey, a annoncé solennellement à ses coreligionnaires et conci-
toyens qu'à partir du 1er septembre prochain il prêcherait chaque dimanche
au temple, et que les autres jours de la semaine il paraîtrait au théâtre
comme acteur, son" plus "viTdésir étant de rapprocher ainsi la scène de
la chaire. Malgré la propension bien connue des Américains à l'excen-
tricité et leur sang-froid en présence des actes les plus bizarres, on assure
que cet avis a produit dans la. ville une véritable sensation d'étonnement.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
— La Chambre des députés a repoussé, lundi, en masse le projet de
reconstruction de l'Opéra-Comique présenté par M. Delaunay. Voici com-
ment le Journal officiel en rend compte :
M. Le Président. — La parole est à M. DelauDay sur l'ordre du jour.
M. Delaunay. — Comme rapporteur de la commission chargée d'examiner le
projet de loi concernant la reconstruction de l'Opéra-Comique, d'accord avec le
gouvernement, je viens demander à la Chambre de vouloir bien fixer la discus-
sion de ce projet à l'ouverture de la séance de samedi prochain. (Exclamations
sur un grand nombre de bancs.)
M. Jolibois. — Votre four crématoire sera toujours fait assez tôt I (Rires à
droite.)
M. Le Président. — Je mets aux voix la proposition qui vient d'être faite par
M. Delaunay.
(La proposition n'est pas adoptée.)
Ajoutons qu'il est sérieusement question d'établir un square à la place
de l'ancien Opéra-Comique. N'est-ce pas délicieux? On a découvert, en
effet, tout à coup que les habitants du quartier étaient privés de promenade
et, pour satisfaire en même temps leur goût prononcé pour la musique,
on donnera à ce nouveau jardin le nom de square Boieldieu. Si tout le
monde n'est pas content après cela!
— Changement de spectacle à l'Opéra pour la Fête du 14 juillet. On
représentera Rigolelto et le Rêve, au lieu de Zaïre primitivement annoncé.
— Le nouveau contralto de l'Opéra, Mm0 Durand-Ulbach, a modestement
effectué ses débuts vendredi dernier dans le petit rôle de Madeleine de
Rigoletto. Début masqué, puisque cette fois encore on n'a pas convoqué la
presse. Mais M.Gailhard n'en va pas moins chanter victoire, comme pour
Mmc Fierens, qui pourtant a été si médiocre, l'autre soir, dans les Hugue-
nots. Les deux falcons de l'Opéra, Adiny et Fierens, n'ont vraiment rien
à s'envier l'une à Vautre. Quelle belle Académie que celle de Ritt et
Gailhard !
— On ne s'endort pas à l'Opéra, dit un de nos confrères, en annonçant
que le baryton Martapoura repète le rôle de Rigoletto, que Mme Bosmann
étudie celui d'Eudoxie, que Mn,e Domenech se prépare à chanter Léonore
et que Mme Fierens abordera prochainement l'Africaine. En voilà des beaux
projets et des palpitants! Non certes les directeurs ne s'endorment pas!
Puisse-t-on en dire autant du public quand on le mettra à même d'ap-
précier ces merveilles !
— Et l'Opéra-Comique ne s'endort pas non plus ! Ses portes sont fermées,
nous dit Nicolet du Gaulois, et pourtant les chœurs continuent à répéter le
Benvenuto de M. Diaz. Ah! mais, voilà du zèle, ou je ne m'y connais
pas. Ce n'est pas tout. D'après le Monde artiste, le caisier du théâtre conti-
nuerait de payer à caisse ouverte tous ceux qui, à tort ou à raison, préten-
dent avoir quelque chose à réclamer de M. Paravey. Il n'y a rien de tel
qu'une bonne comptabilité pour indiquer la prospérité d'une entreprise.
— Et le Chàteau-d'Eau? En voilà encore un qui est réveillé. Roland à
Roncevaux ne lui suffisait pas. Il nous gratifie à présent d'Ernani, avec une
distribution étonnante, nous disent les notes de la direction. Il vaut
mieux le croire que d'y aller voir.
Voici les résultats des concours à huis clos, dont la série s'est ter-
minée cette semaine au Conservatoire :
Harmonie (femmes). — Jury : MM. Ambroise Thomas, président; Léo
Delibes, Ernest Guiraud, Th. Dubois, H. Fissot, Ch. Lefebvre, Georges
Marty, P.-V. de la Nux etTaudou.
•/«■ prix : M"e Markreich.
2" prix : MUcs Jozin et Boulay.
/" accessit: M1'0 Renié.
2° accessit : Mlle Jusseaume.
Toutes élèves de M. Lenepveu.
F'uoue. — Jury : MM. Ambroise Thomas, Th. Dubois, Benjamin Godard,
H. Fissot, Bazille, Dallier et Raoul Pugno.
/era prix (& l'unanimité) : MM. Bondon, élève de M. Massenet, et Galeotti
élève de M. Guiraud.
2a prix (à l'unanimité) : M. André, élève de M. Guiraud.
1<xs accessit : M. Briouse, élève de M. Delibes, et M"° Jaeger, élève de
M. Guiraud.
2" accessit: Mlte Ri'vinacb, élève de M. Massenet.
Violon, classes préparatoires. — Jury: MM. Ambroise Thomas, Charles
Dancla, Sauzay, Maurin, Madier de Montjau, Gastinel, Ferrand, Desjar-
dins et Pénavaire.
Yres médailles : MM. Monteux, élève de M. Garcin ; Loiseau et Willaume,
élèves de M. Bérou; Boucherit, élève de M. Garcin.
2°» médailles : M11» Périgot, élève de M. Bérou ; M. Fleurdelys, élève de
M. Garcin.
3" médailles: MM. L. Perrier, élève de M. Garcin; Patthey, élève de
M. Bérou; F. Touche, élève de M. Garcin.
Les concurrents étaient au nombre de 21, dont 4 femmes.
Piano, classes préparatoires (femmes). — Jury: MM. Ambroise Thomas,
224
LE MÉNESTREL
' Chèné ; Jacquinet,
Boissée, élève de
Tavpet ; Rheims,
Belaborde, Th. Dubois, Alphonse Duvernoy, H. Fissot, Pierné, F. Thomé
et Wormser.
4" médailles: MUcs Ruelle, Gérard, élèves de Mmc Trouillebert ; Long, élève
de Mm? Chéné ; Moret, Givry, élèves de M™ Tarpet; Chambroux, élève de
M™ Trouillebert; Vivier, élève de M" Tarpet.
2" médailles: Mlles Belville, G. Bonnard, élèves de Mml
élève de M™ Tarpet; Boutoille, élève de Mme Ghènè;
jjmo Tarpet ; Louise Lbôte, élève de Mme Trouillebert.
3K médailles: Mllcs Bourgoin, Dupouy, élèves de Mm
élève de Mme Chèné; Cellier, élève de M™ Trouillebert; Mignet, élève de
Mme Chèné; A. Cathiard, élève de Mm° Tarpet; Binon, élève de Mme
Trouillebert; Barrellier, élève de Mme Chèné, et Solacoglu, élève de
Mme Tarpet.
Les concurrentes étaient au nombre de 38. Le morceau d'exécution
était le concerto en la mineur de Hummel.
Piano, classes préparatoires (hommes). — Jury: MM. Ambroise Thomas,
Diémer, Cb. de Bériot, Henry Duvernoy, Ed. Mangin, O'Kelly, J. Philipp,
Rabuteau et Wormser.
/res médailles : MM. Chadeigne, élève de M. Anthiome ; Wurmser, La-
parra et Ponsot, élèves de M. E. Decombes.
2es médailles : MM. Decreus, élève de M. Decombes, et Ravel, élève de
M. Anthiome.
3es médailles: MM. Biancheri, élève de M. Anthiome; Gallon et Cortot,
élèves de M. Decombes.
Les concurrents étaient au nombre de 18. Le morceau d'exécution était
le 3e concerto d'Henri Herz.
Classe d'orgue et d'improvisation. (Professeur : M. César Franck). Cinq
concurrents. — Jury : MM. Ambroise Thomas, président; E. Guiraud,
Bazille, Th. Dubois, Dallier, Fissot, Gigout, Guilmant, R. Pugno.
4eI prix : MUo Prestat.
4<* accessit : M. Tournemire.
— Les concerts Lamoureux en Belgique. Par traité signé dimanche,
l'imprésario Schùrmann a engagé M. Charles Lamoureux et son excellent
orchestre pour une tournée en Hollande et en Belgique au mois d'octobre
prochain. Les 120 musiciens composant l'orchestre partiront de Paris avec
leurs instruments par un train spécial qui les mènera directement à
Amsterdam. Tout le matériel, instruments, partitions, pupitres, gradins,
etc. (une caravane entière), sera emporté de Paris sous la garde de deux lu-
thiers et quatre hommes de service.. Les frais s'élèvent à plus de
10,000 francs par concert. Lamoureux et Schùrmann! Curieuse associa-
tion ! Attendons-nous à des querelles épiques.
— M. I. Philipp, un de nos pianistes les plus justement estimés vient
défaire paraître un recueil d'exercices spéciaux extrêmement ingénieux.
Ces exercices qui constituent la base la plus solide du mécanisme, com-
prennent six séries : les extensions, exercices de cinq doigts, arpèges,
tierces, sixtes et autres doubles notes, trilles et gammes. La seule indica-
tion de ces matériaux montre assez que par leur classement logique, on
réalise un ensemble des qualités les plus essentielles pour arriver le plus
promptement possible à une exécution irréprochable de toutes les diffi-
cultés transcendantes de la technique moderne. Il est permis de dire que
M. Philipp vient d'ajouter un ouvrage tout à fait original à l'enseignement
du piano. Selon toute apparence, les douze pages que renferme son recueil
d'exercices de virtuosité surnageront dans le naufrage de tant de gros
recueils, que leur poids purement matériel entraine au fond de l'abîme.
— Le Cercle des Mathurins vient de donner, pour la clôture de la sai-
son, une soirée musicale pleine d'attrait et d'intérêt. Le ténor Clément
(de l'Opéra-Comique), MM. Guidot, Jean Périer et le violoniste Tracol,
ont interprété d'une façon très remarquable les compositions des membres
du cercle: MM. Gaston Lemaire, Alexis Noël, Busser, etc. La jeune har-
piste M110 Skoff, le petit Jacques Berny, doué de merveilleuses qualités de
pianiste, le mandoliniste Gorcinal et les spirituelles chansons satiriques
de M. Jules Oudot. dites par l'auteur, ont tour à tour charmé l'assistance.
Peur finir, les ombres chinoises très artistiques de M. Bouchard, le Voyage
en Corse, une actualité brûlante.
— Les concerts de la Tour Eiffel, que dirige si habilement le chef d'or-
chestre Auvray luttent victorieusement contre le mauvais temps, grâce à
l'attrait des programmes et à l'excellence des solistes chanteurs, le ténor
Rondeau auquel on bisse la Sancla Maria et le Crucifix de Faure, le ba-
ryton Dimitri, M"cs Mélodia, Lavigne, Nettlingham et Maréchal.
— Le mercredi 2 juillet, Mme Dignat, dont l'enseignement musical est
si apprécié, réunissait dans ses salons, 10, rue d'Auteuil, les nombreuses
élèves de ses cours de piano et de musique d'ensemble, ce cours spécial
est confié à M. Diaz Albertini le disciple et continuateur des traditions
d'Alard. Cette brillante audition, véritable concert de famille, s'est termi-
née par la remise faite aux élèves les plus méritantes, de certificats d'é-
tudes et de diplômes classés suivant le chiffre des bons points obtenus et
des notes de l'année. Marmontel père entend chaque mois les élèves du
cours supérieur, et grâce à l'émulation produite, les progrès des jeunes
virtuoses, sont des plus remarquables.
— Les deux auditions d'élèves données à Toulon par l'excellent profes-
seur M. Gustave Baume ont été de tous points réussies. Toutes ces petites
virtuoses du piano ont fait merveille et attestent la supériorité de l'ensei-
gnement qui leur est donné. Les programmes étaient composés avec un
goût charmant. A la première matinée, on a surtout remarqué les mor-
ceaux suivants : le charmant rondo de la Fontaine de Jouvence par Thomé,
le Joyeux Rigaudon de Broustet, un Rêne, mélodie de Lassen, transcrite par
Gustave Lange, le Rèoe du prisonnier de Rubinstein transcrit par Charles
Neustedt, Le long du chemin, d'Antonin Marmontel, la Libellule et la Valse de
Pugno et enfin la superbe suite à deux pianos de Théodore Lack sur
Sylvia. Dans la seconde matinée, les morceaux les plus applaudis ont été :
Pulcinella, Marivaudage, Gavotte, Romance, Soir d'été, et Soir d'hiver, ces six
morceaux de Raoul Pugno, la /re Valse hongroise et la Valse rapide de Lack,
la Gigue et il dolee farniente de Wormser, la Valse-Sérénade, l'intermezzo et
le 2° scherzo d'Antonin Marmontel, et enfin l'originale Sérénade tunisienne
de Georges Pfeiffer.
— Un intéressant concert a été donné le 29 juin à Laval par la Lyre
lavalloise, avec le concours de Mllc de Montalant, qui a enthousiasmé le
public. M. Montecchi, professeur de violoncelle à Rennes a fait preuve
de beaucoup de talent et de virtuosité. MM. Pavot, basse, Robillard mo-
nologuiste, et Beauchesne, accompagnateur, ont eu leur part de succès
dans ce concert organisé avec goût par M. Prosper Morton, l'habile direc-
teur de la Lyre.
NÉCROLOGIE
De Naples on annonce la mort d'un artiste modeste et distingué, Alfonso
Guercia, compositeur aimable, professeur de chant, et depuis de longues
annnées titulaire d'une des classes de chant du Conservatoire de cette
ville. Guercia a publié plus de vingt recueils de mélodies à une ou plu-
sieurs voix, qui pour la plupart se font remarquer par une'gràce touchante
et un sentiment pénétrant. Il a abordé une fois la scène, mais sans grand
succès, en donnant au théâtre Mercadante, le 14 décembre 1875, un opéra
sérieux intitulé Rita, dont la musique fort honorable, manquait de chaleur
et de mouvement. On doit encore à cet artiste une méthode de chant fort
importante, adoptée dans les classes du Conservatoire de Naples et pu-
bliée' sous ce titre : L'Arle del canto italiano. Guercia était né à Naples le
13 novembre 1831.
— On apprend de Moscou le suicide d'une jeune chanteuse, Mllc Olga
Betuzki, qui s'était fait remarquer dans quelques villes d'Italie, notam-
ment à Mantoue. Cette infortunée jeuue femme, qui, dit-on, était d'une
beauté splendide, s'est trouvée, avec sa mère, réduite à la plus extrême
misère, et c'est pour cela que toutes deux se sont asphyxiées.
Henri Heugel. directeur-géiant.
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IME11IE i.iniï. — RUE iti.m.i iu., 31), l'ABIS
30M — 56™ ANNEE — N° 29. PARAIT TOUS LES DIMANCHES Dimanche 20 Juillet 1890.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 l'r.; Texte et Musique de Piano, £0 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 l'r., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les Irais de poste eu sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Notes d'un librettiste: Georges Bizet (10' article), Louis Gallet. — II. Semaine
théâtrale: Les spectacles gratuits du l-'i juillet; nouvelles, H. Mobeno. —
III. Une représentation de Henri VIII au théâtre du Globe, à Londres, en
juin 1613. — IV. Histoire vraie des héros d'opéra et d'opéra-comique (37" article):
Turlupin, Edmond Neukomm. — V. Nouvelles diverses.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour la
DEUXIÈME VALSE HONGROISE
de Théodore Lack. — Suivra immédiatement: la Romance de Joconde, trans-
crite et variée par Charles Neustedt.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant : l'Étoile, mélodie de Lijinander, poésie de A. Van Hasselt. —
Suivra immédiatement: Vous ne m'avez jamais souri, nouvelle mélodie de
G. Verdali.e, poésie de M. Helliot.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
GEORGES BIZET
L'ouvrage était, en effet, terminé, peu de temps après celte
lettre — non datée, — mais qui doit remonter au courant
de l'été de 1873. Ce fut dans la dernière semaine de sep-
tembre de celte même année que Georges Bizet nous réunit
pour nous faire entendre sa partition.
Soirée tout intime, des plus intéressantes, restée nettement
présente à mon esprit. Autour du piano, Edouard Blau,
Faure et moi; Bizet, aux prises avec lui-même pour ainsi
dire, car sa parlition ne contenait sous la partie vocale que
des indications pour la mise en partition définitive et il
devait improviser, en s'aidant de ces jalons, un accompa-
gnement, en même temps qu'il chantait tous les rôles, de la
plus pauvre voix du monde, mais animant chaque phrase de
cette flamme qui était en lui, s'interrompant à peine entre
les actes et ne quittant le clavier qu'après avoir indiqué,
chanté, déclamé jusqu'à la dernière note cet ouvrage qui
nous sembla, à cet instant, définitivement entré dans la vie.
Minuit avait sonné depuis longtemps que nous en étions
encore a nous entretenir de ce que nous venions d'entendre,
Faure approuvant, argumenfant çà et là, Bizet l'écoutant
avec déférence, puis tous nous demandant quelle serait
bientôt la destinée de cet opéra, qui le jouerait, ce qu'en
penserait Ilalanzier?
L'influence de Faure devait compter pour beaucoup dans
nos espérances. — Et déjà, de concert avec lui, on se de-
mandait quelle serait la Ghimène de ce Rodrigue? — On se
sépara, avec la résolution de se mettre dès le lendemain en
campagne.
A travers les rues noires et désertes, Edouard Blau et moi
nous reconduisîmes Faure, leutement, en causant de l'avenir
de cette œuvre d'une si vivante passion et d'une couleur si
rare.
Et le lendemain, Georges Bizet, nerveux, inquiet de savoir
quelle impression vraie il avait produite sur son futur inter-
prète, accourait chez moi et ne m'ayant pas rencontré
m'écrivait ces quelques lignes :
« Je suis allé chez vous ce soir à l'heure du diner. Je ne
veux pas me coucher sans avoir un mot de vous. Quelle est
votre impression sur la séance d'hier? Qu'avez-vous dit en
sortant? Qu'espérez-vous? Que craignez-vous? Et quand vous
verrai-je?... »
Rassuré aussitôt au sujet des craintes que sa modestie
pouvait lui inspirer, notre compositeur devait recevoir peu
après la confirmation de ce que j'avais pu lui dire d'encou-
rageant, en m'inspirant de notre entretien particulier avec
Faure.
« J'ai vu Faure, m'écrivail-il presque immédiatement. Il
m'a répété tout ce que vous m'avez dit. J'ai été vraiment
très touché de sa cordiale amabilité. »
L'avenir semblait donc s'offrir tout souriant à l'œuvre nou-
velle. La rue Le Peletier et la rue Drouot nous semblaient
toutes fleuries de nos espérances et le monument de l'Acadé-
mie Nationale de Musique avec sa façade sur la première de
ces rues, et sur la seconde sa cour verdoyante, ses bâti-
ments administratifs et ce beau cabinet directorial où on
décidait de la destinée des œuvres, nous apparaissait dans
une rayonnante lumière...
Quelques semaines après l'audition de la partition de
Georges Bizet, sujet de tant de beaux rêves, le 28 octobre 1873,
l'Opéra brûlait!
Cet incendie de l'Opéra jeta les choses de la musique dans
un grand désarroi, en ce qui nous touchait tout au moins.
La Coupe du Roi de Thulé, qui venait de dépasser sa vingt et
unième représentation, disparut dans cette catastrophe et
notre Cid, ou pour parler mieux selon les intentions de Bizet,
notre Don Rodrigue, après nous avoir inspiré de grandes es-
pérances, commença à nous donner de très sérieuses inquié-
tudes. Qu'allait-il advenir? Qu'allait répondre la direction de
l'Opéra? Pendant combien de temps le mouvement musical
allait-il être arrêté?
Enfin, la salle Ventadour donna asile à la troupe de
l'Opéra, comme quelques mois auparavant elle avait donné
226
LE MÉNESTREL
asile à celle du Théâtre-Lyrique, pendant les réparations
rendues nécessaires par l'incendie de la scène de la place
du Châtelet.
On recommença les représentations avec les œuvres du
répertoire ; cela pouvait suffire pour les premières semaines;
toutefois la mise à l'étude d'une œuvre nouvelle s'imposait.
L'opéra de G. Bizet était en première ligne sans doute ; l'ap-
pui de Faure lui était assuré; des sympathies nombreuses
l'entouraient; mais le compositeur était encore fort jeune,
ses collaborateurs ne comptaient à leur actif que cette Coupe
du Roi de Thulé déjà disparue et un ou deux menus ouvrages;
tous les trois manquaient fort d'autorité.
Un coup de fortune seul pouvait les tirer d'affaire. Il fallut
bientôt renoncer à cette fragile espérance. Au Don Rodrigue
de G. Bizet fut préféré l'Esclave de Membrée. L'Esclave eut un
petit nombre de représentations et fut bientôt entraîné dans
le tourbillon où s'engloutissent les œuvres quelconques.
Voilà comment ne fut pas joué alors ce Don Rodrigue, qui,
hélas 1 ne devait jamais l'être!
Bien que s'occupant en même temps du Cid et de Carmen
et aussi, je crois, de cette délicieuse Artésienne qui vit le
jour vers la même époque, — je ne contrôle pas les dates,
je me contente de me laisser aller au courant de mes sou-
venirs, — Georges Bizet eut, entre temps, une idée dont il
m'entretint un jour très longuement.
L'année précédente, J. Massenet avait fait exécuter avec un
éclatant succès son drame sacré « Marie-Magdeleine » sur la
scène de l'Odéon. L'émulation de G. Bizet avait reçu alors
comme un coup d'aiguillon.
— Ce petit-là est en train de nous passer sur le ventre, me
dit-il, un matin.
Et tout de suite, il me demanda d'écrire à son intention
un poème dont Geneviève de Paris, la sainte Geneviève de la
légende, serait l'héroïne.
Après la lecture de certain travail historique sur l'humble
bergère de Nanterre, tous les tableaux de l'œuvre future lui
étaient apparus : Geneviève enfant recevant la bénédiction de
l'évêque Germain d'Auxerre ; Geneviève triomphant de l'Es-
prit du mal, et consolant les fugitifs chassés de leurs de-
meures par l'approche d'Attila ; le camp d'Attila ; Geneviève
conjurant l'orage, et menant miraculeusement vers Paris as-
siégé et affamé un bateau chargé de blé ; Geneviève raffer-
missant le courage des Parisiens et finalement triomphant
d'Attila par la seule efficacité d.e sa prière.
Le sujet offrait une grande diversité, la partie symphonique
y jouait un rôle important; l'amour n'y intervenait qu'à titre
purement épisodique. Le poème fut assez rapidement écrit,
selon cette conception ; Bizet le trouva à son gré et un beau
matin, nous nous acheminâmes, tous deux, vers la cité
Frochot, où habitait alors Charles Lamoureux, arbitre des
destinées de Geneviève de Paris.
La lecture du poème produisit sur ce dernier l'effet que
nous en espérions. Il encouragea Bizet à se mettre prompte-
ment à l'œuvre. Désenchanté par la récente mésaventure de
Don Rodrigue et aussi par certains retards apportés encore à
la mise à l'étude de Carmen, déclarant assez volontiers, avec
l'exagération naturelle aux esprits déçus, qu'il n'y avait plus
rien à faire au théâtre, il ne demandait pas mieux que de
dériver vers le concert les forces dont le théâtre lui refusait
l'emploi.
On était au printemps de 1875. Les études de Carmen
avaient été sérieusement entreprises. Décoré presque à la
veille de la première représentation, Bizet à qui, à ce propos,
les envieux versèrent encore quelques gouttes de fiel, avait
vu eniin son nouvel ouvrage sur l'affiche. — Durant ces
mois rapidement écoulés, Geneviève de Paris avait été forcé-
ment délaissée.
Quand, au lendemain de Carmen, Bizet se retrouva libre, sa
pensée le ramena aussitôt vers cette figurg, qui devait le
tenter alors d'autant plus qu'elle faisait un saisissant con-
traste avec celle de l'impétueuse et capricieuse héroïne de
Mérimée.
Mai venu, il comptait aller, comme à chaque été, s'établir
à sa campagne, à Bougival
Il y devait aller, en effet, vivre ses derniers jours!
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THÉÂTRALE
Nous sommes loin. déjà des fêtes du 14 juillet; et pourtant il nous
en faut bien parler quelque peu, tout au moins à titre documentaire..
Aux spectacles gratuits, nous ne sommes pas allé ; mais Nicolet,
qui a eu plus de courage, nous en donne dans le Gaulois, une narra-
tion vive et animée que nous lui empruntons sans vergogne :
A I'OpiSra, il faut remonter à plusieurs années en arrière pour trouver
une aussi grande affluence de public. On a refusé plus de quinze cents
personnes. La queue avait commencé à se former dans la nuit et, au lever
du jour, il y avait déjà assez de inonde pour garnir toute la salle. Beaucoup
d'appelés et peu d'élus ! Spectacle très attrayant, du reste, et tout nouveau
pour le public gratuit : Rigolello, qui n'avait jamais été donné en représen-
tation gratuite. Et quand nous disons jamais, nous voulons tout aussi bien
parler de l'ancien Théâtre-Lyrique et des Italiens que de l'Opéra. Puis,
le Rêve, avec l'incomparable Mauri! L'aspect delà salle est celui des années
précédentes. Public très mélangé. Les premiers arrivants se sont emparés
des meilleures places et la blouse ne s'est pas effacée devant la redingote.
L'ouvrage de Verdi et ses interprètes sont couverts d'applaudissements.
Entre les deux pièces, M. Gresse, dans l'uniforme popularisé par la gra-
vure de Rouget de Lisle, chante la Marseillaise, que la foule répète en
chœur.
Il était curieux de voir quel accueil ce public spécial ferait au ballet de
M. Gastinel. Eh bien ! il l'a beaucoup goûté, et la ravissante Mauri a eu
presque autant de succès que l'hymne « patriotique ». Elle se souviendra
de cette journée qui a été pour elle un triomphe. Aussi, elle remerciait
ce public bon enfant qui lui faisait fête et ne lui a pas marchandé ses
œillades et ses sourires. Ses camarades ne se sont pas montrées aussi
prodigues. Et pourquoi cela, mesdemoiselles? Le peuple souverain n'a
qu'un jour dans l'année... Pourquoi ne lui avoir pas donné la fête complète"?
Après ce spectacle, boulevard Haussmann, les spectateurs s'étaient
portés en masse à la sortie du théâtre, et les applaudissements de la salle
recommençaient à chaque apparition d'un visage qu'on croyait reconnaître.
Quand Rosita Mauri a paru à son tour, toute emmitouflée, c'était du
délire dans toute cette foule. Pour un peu on aurait dételé sa voiture et
on l'aurait reconduite à son domicile. Triomphe de la chorégraphie sur
toute la ligne !
A la Comédie-Fiunçaise, dès huit heures du matin, il y avait sous le-
péristyle, du monde pour attendre l'ouverture des portes. A onze heures,
il était déjà certain que tous ceux qui étaient venus avec l'espoir d'ap-
plaudir la Fille de Roland, n'entreraient pas dans le sanctuaire. L'aspect
d'une queue énorme se déroulant autour du théâtre décourage beaucoup
de gens. A midi quarante, on ouvre les portes. En. huit minutes, la salle
est comble du haut en bas. Force est bien de congédier ceux qui sont
encore à la porte.
Public de petits bourgeois et d'ouvriers et qui s'est placé avec une sorte
de respect de la hiérarchie sociale. La salle marque, en effet, une sorte
d'échelle de la toilette. — Le rideau se lève. — Toute cette salle ainsi
composée, écoute en silence, applaudit avec frénésie, rappelle les artistes
avec fureur. Le beau drame de M. de Bornier a certes eu autant de suc-
cès : il n'a jamais été autant applaudi. Vox populi ! Henri de Bornier,
reconnu dans la salle, est acclamé.
A quatre heures, le spectacle était terminé, et la foule s'écoulait silen-
cieuse en ruminant les beaux vers de la Fille de Roland.
L'aspect de la salle est le même à I'Opéra-Comique qu'au Français ; même
empressement, même public. Les portes n'étaient pas plus tôt ouvertes
que la foule, admise par fournées, s'échelonnait aux divers étages de la
salle. Fra Diavolo et les Noces de Jeannette, spectacle bien fait pour attirer
les amateurs ! On joue la délicieuse ouverture de Victor Massé. Tout le '
public est dans le ravissement. La musique d'Auber achève de transporter
toute la salle. La pièce, l'orchestre, les chanteurs sont acclamés ! Du haut
en bas, ce no sont qu'applaudissements et rappels. Belle journée pour
l'Opéra-Comique. Ah ! si l'on consultait le suffrage universel pour la re-
construction ; mais ce suffrage à deux degrés! mauvais!
Cette journée marque une fois de plus le triomphe du répertoire. L'en-
thousiasme de la sallo est au comble quand le jeune ténor Mouliérat
apparaît, revêtu de l'uniforme de lieutenant au 21° régiment de grenadiers.
L'hymne patriotique de Rouget de Lisle obtient soii succès accoutumé.
LE MENESTREL
227
l'artiste le chante avec une ardente conviction, avec une voix chaude et
bien timbrée. Au refrain, toute la salle l'entonne avec lui. C'est la fin
• du spectacle. Les échos de la Marseillaise se perdent dans les cintres;
la salle se vide comme par enchantement, et, dans la foule, on entend
les uns fredonner les motifs de Fra'-Diavolo, les autres le chant de la
Marseillaise.
Même alïïuence à I'Odéon: Horace et le Barbier de Sévillel Corneille et
Beaumarchais ont fait salle comble ! Très panachée, cette salle! Au bal-
con, on se montre quatre citoyens des faubourgs, qui ne paraissent pas
du tout gênés de se trouver à coté de bourgeois de la rive gauche, en
grande toilette ! Le hasard n'en fait jamais d'autres. Le spectacle est écouté
avec recueillement, aussi bien la tragédie que la comédie ! Et pendant
que l'on joue sur la scène, aux portes des loges, qu'on a laissées ouvertes,
des retardataires cherchent à happer un morceau du spectacle, un vers de
Corneille, une phrase de Beaumarchais, par-dessus les épaules des pre-
miers arrivants. D'autres, se résignant à ne pas trouver de place dans la
salle, se promènent dans le foyer. Tout se passe à merveille, et le classi-
que a, une fois de plus, triomphé sur la rive gauche, cette fois gratis pro
populo.
Tout semble donc s'être passé comme à l'ordinaire; les fiiands de
spectacles gratuits ont été aussi nombreux et aussi enthousiastes que
les années précédentes. Ce qu'on a eu en plus cette année, c'est, la
veille de la fête nationale, le 13 juillet, la double exécution dans la
-cour du Louvre et au Champ de Mars, par plus de deux mille orphéo-
nistes, de la Fédérale, cantate de MM. Jules Massenet et Georges
"Boyer, sous la direction de M. Edouard Colonne, revenu tout exprès
d'Aix-les-Bains. Le succès eu a été immense et a valu aux auteurs
les félicitations toujours flatteuses du chef de l'Ëta', M. Carnot, qui
assistait, avec toute sa cour, à l'exécution du Champ de Mars. Les
vers chaleureusement patriotiques de M. Georges Boyer etla musique
enflammée qu'y a adaptée M. Massenet pourraient bien faire de cette
.Fédérale autre chose qu'une œuvre de circonstance. La Marseillaise n'a
•qu'à se bien tenir, d'autaut que le chant nouveau célèbre les bien-
faits de la paix, ce qui est moins usé que les horreurs de la guerre.
A I'Opéra, par suite d'indisposition (de la direction?), le début de
jjme Durand-Ulbach dans Aida a été remis à mercredi prochain. Nous
l'attendrons très patiemment, encore qu'on nous annonce que
Mme Fierens prendra, ce soir-là, la place de Mlle Adiny, en ce moment
en vacances.
Les représentations du Rêve vont être interrompues par suite du
départ de Mlle Mauri, qui prend, elle aussi, ses vacances. M"0 Eames
est partie, pour le même motif. Ah ! çà, qu'est-ce qui reste alors à
l'Opéra? MM. Ritt et Gailhard. Ce n'est pas régalant. Espérons qu'ils
ne tarderont pas non plus à quitter la place.
Les études du Mage son', remises au mois de novembre prochain.
M. Massenet en profile pour remanier le rôle de la première chanteuse,
tout d'abord destiné à M'Ie Sanderson, en vue de Mnle Melba. On
attend toujours le bon vouloir de Mme Richard pour le rôle du
contralto, mais ce bon vouloir tarde bien à se manifester. Pour le
rôle du ténor, nous disent les notes officieuses de la direction,
l'auteur l'a toujours destiné à M. Duc. Pourtant voici un fragment
■d'une correspondance de M. Blavet, du Figaro, en ce moment à Lon-
dres qui semble prouver qu'on l'avait d'abord offert à M. Jean de
Reszké :
La faveur dont cet artiste jouit auprès du public londonnien
■tient de l'affolement, du délire. Il n'y a d'yeux que pour lui, de sourires
■et de bravos que pour lui. Dès qu'il ouvre la bouche, toutes les profes-
sional beauties tombent en pâmoison. Dès qu'il la ferme, elles reprennent
leur impassibilité native. Les autres artistes, eussent-ils du génie, sont
comme s'ils n'étaient pas. Ce dédain s'étend jusqu'aux femmes. Si la galan-
terie était proscrite de notre beau pays de France, ce n'est pas à Covent-
Garden qu'on la retrouverait.
Il me faudrait la plume de feu Fervacques pour décrire, comme il
■convient, la journée du ténor. Le matin, on lo voit à Rottcnrow, caraco-
lant parmi les jeunes misses aux tresses d'or flottantes et saluant d'un
petit geste amical le prince de Galles, le duc d'Orléans et les nobles lords
qui passent au galop de leur monture. Vers une heure, il répète à Covent-
Garden, comme répétait autrefois la Patti, sans fatigue, pour donner la
réplique aux camarades. Après quoi, il fait gaillardement honneur au
lunch que lady de Grey, prévoyante et maternelle, a fait servir dans le
■cabinet directorial. Et, le soir, il s'épanouit dans sa gloire sur ces tré-
teaux transformés en autel, et, ivre des vapeurs de l'encens et du parfum
•des hosannahs,
11 s'endort doucement, dans son rêve étoile !
Il faudrait avoir l'àme bien haute pour ne pas être grisé par ces dé-
monstrations idolâtres et pour ne pas les préférer aux suffrages discrets
du public parisien! Ces suffrages-là, il est douteux que M. Jean de Reszké
vienne les solliciter encore. Je n'ai pas eu l'honneur de ses confidences,
mais M. Paul Milliet, le librettiste d'Esmcralda, les a recueillies. Massenet
l'avait chargé de dire au brillant ténor que, très désireux de lui voir créer
le Mage, s'il était empêché cet hiver, il remettrait la représentation de
son œuvre à l'année prochaine.
— Je suis très sensible à l'offre de M. Massenet, a répondu M. Jean de
Reszké, mais qu'il ne compte sur moi ni cet hiver ni l'autre. J'ai des en-
gagements plus que je n'en puis accepter; et il est probable qu'en 1891,
après la saison de Londres, je partirai pour l'Amérique, où je suis sollicité
depuis deux ans. Mais, alors même que ce projet ne se réaliserait pas, je
ne créerai pas le Mage.
C'est catégorique, et voilà la question de Reszké résolue.
Ce petit portrait du ténor favori des dames n'est-il pas des plus
plaisants? Nous sommes décidément au siècle des bistrions. Ils
triomphent, ils nous submergent. Tout pour le comédien, tout pour le
chanteur. Quel indice de profonde décadence!
Les Folies amoureuses de M. Emile Pessard seront bien placées à
I'Opéra-Comique, qui est le théâtre de toutes les folies. Aussi lecture
en a-t-elle été faite cette semaine et la distribution arrêtée de suite :
MM. Fugère, Albert; Soulacroix . Crispin ; Carbonne, Eraste;
M110 Vuillaume, Agathe; Molé-Truffier, Lisette. C'est une des dix
partitions qui devront être exécutées à l'Opéra-Gomique entre octo-
bre et décembre et pour lesquelles M. Paravey a pris des engage-
ments. On sait qu'il est homme à les tenir tous.
M. Verdhurt, le directeur du nouveau Théâtre Lyrique constitue
son état-major. Il a choisi M. Georges Marty eo m me chef des chœurs,
M. Lauwers comme chef de chant et M. Gabriel Marie comme chef
d'orchestre. Outre Samœon et Dalila, il annonce la reprise de quelques
autres ouvrages qu'il va exhumer du fond des catacombes de l'ancien
Théâtre-Lyrique. Qu'il prenne garde de ne faire de l'Eden qu'une
fosse aux ours qui pourra entrer en rivalité avec celle de Berne. Le
moindre grain de nouveau mil ferait bien mieux notre affaire.
Il paraîtrait qu'une reprise de VOEU crevé a eu lieu aux Menus-
Plaisirs, mais nous n'y avons pas été convoqués. Merci, Derenbourg.
Au jugement de nos confrères, il semble que la folie légendaire
d'Hervé n'a pas rencontré, boulevard de Strasbourg, une interpré-
tation de nature à hausser ses mérites.
Au Chate-let grande pièce d'été : Orient-express, quatre actes et
douze tableaux, de M. Paul Burani, musique de M. Gandesone. C'est
beaucoup pour la température que nous traversons. Autant que j'ai
pu comprendre à l'invention de M. Burani, l'un des esprits les plus
fins de ce siècle, il s'agit de deux jeunes couples qui font leur voyage
de noces à travers l'Europe, ce qui nous fait voir avec eux, dans des
décors de carton, la Suisse, le Tyrol, le Danube. Nous pensions même
pousser jusqu'à Constantinople; mais arrivés à Budapest, les jeunes
mariés font la rencontre fortuite de M. Gailhard, l'éternel voyageur,
en quête de contraltos et de falcons destinés à tromper la confiance
des Parisiens, et cette rencontre les dégoûte tellement qu'ils re-
viennent tout de suite sur leurs pas pour couver en paix leur lune
de miel dans la capitale de la France, pendant que Gailhard n'y est
pas. On voit que c'est simple et de bon goût.
H. Moreno.
UNE REPRÉSENTATION DE HENRI VIII
AU THÉÂTRE DU GLOBE
A LONDRES, EN JUIN 1613
Nous sommes au temps de l'impôt des éperons « Spur-Money »,
redevance que le bedeau de Saint-Paul, dans « Soutlrwark » prélève
sur les cavaliers qui voulent visiter l'église, en partie occupée par
les « cockatrices » et leurs dignes compagnons les filous, les cheva-
liers d'industrie, c'est-à-dire les « Alphonses » du temps de Sha-
kespeare.
« New Exehange » qu'il faut traverser pour se rendre au théâtre est
encore le quartier des lingères et des tailleurs de luxe.
Dès la veille on a fait savoir dans la ville par le cri que pour cette
représentation de gala « les costumes seraient tous neufs, que l'on
tirerait le canon pendant la pièce et que la plus grande pompe y
serait déployée. » On voit que les Anglais d'il y a doux cent soixante-
dix-sept ans entendaient la réclame tout aussi bien que les impresarii
modernes.
228
LE MÉNESTREL
Aussi quelle foule! c'est à peine si les varlets ou sergents de ville,
la masse à la main et le manteau de cuir sur le dos, peuvent se
frayer un passage. Lourds carrosses qui se traînent plutôt qu'ils ne
roulent, chevaux couverts de longues tapisseries tombant jusqu'à
terre et balayant la boue, litières à bras emportant les « cockatrices »
à la mode chargées de bijoux faux — horizontales de marque,
comme on dit aujourd'hui, — domestiques en livrée bleue, soldats
à casaque brune, bourgeoises à bonnets plais pendues a a bras de
leur mari, apprentis à toquets plats, mules portant des juges, sou-
dards en haillons, voleurs, filles, mendiants, tout cela va grouillant,
marchant, criant, s'injuriant, se poussant, palaugeant dans la boue
et dans les immondices, chacun s'évertuant de son mieux pour
arriver le premier devant ies portes du théâtre.
Le Globe — premier théâtre de Londres — la ville en bois — s'élève
sur les bords de la Tamise, au milieu d'un terrain fangeux; à travers
le brouillard humide et épais qui sort du grand fleuve, pour s'é-
tendre comme un immense rideau gris sur la cité, on aperçoit un
rideau rouge : c'est le drapeau du théâtre. Chaque troupe d'acteurs
a le sien, mais d'une couleur différente comme étaient autrefois en
France, les affiches de spectacle.
Le Globe est un édifice en bois qui ressemble à une forteresse. Il
est à six pans, c'est un cône tronqué découvert par le haut. Deux
toits pointus, assez semblables à des pigeonniers émergent juxta-
posés. C'est entre ces deux toits qu'est planté le drapeau à hampe
de bois doré et qui annonce à la population que le Globe ouvrira
ses portes.
C'est ainsi qu'aujourd'hui on hisse le drapeau national sur la rési-
dence officielle du chef de l'Etat quand Je souverain habile le
palais.
Un fossé bourbeux entoure l'édifice qui n'a que deux portes, l'une
réservée aux acteurs, aux auteurs, aux habitués, aux gentilshommes
et aux notabilités, l'autre au public.
Il est près de trois heures de l'après-midi, la foule va toujours
grossissant, houleuse et bruyante, chacun veut pouvoir lire l'affiche.
C'est une immense pancarte attachée à des poteaux plantés autour
du théâtre et reliés par de fortes cordes. Cette affiche dont les carac-
tères sont d'un rouge vif est ainsi conçu :
a. ALL IS TRUE an historical play » c'est-à-dire : Tout cela est
vrai, pièce historique.
Pas un mot de Henri VIII ; Guillaume Shakespeare déclare seu-
lement qu'il ne raconte que la vérité historique, la critique n'a pas
à s'occuper de l'invenlion.
C'est en abrégé le procédé d'Alexandre Dumas fils expliquant ses
pièces dans une préface.
Pendant qu'on se presse autour de la pancarte, les bateleurs, les
marchands de fruits, les débitants de tabac, les vendeurs de livres
vous assourdissent de leurs cris comme de nos jours les marchands
de journaux et les camelots. Écoutons! « Qui veut un pamphlet? »
« L' Almanach du corbeau » « Vénus et Adonis s par Guillaume
Shakespeare, gentilhomme. « A bas la chemise. » « Les sept péchés de
Londres », etc., etc,
Mais les portes sont ouvertes : on entre.
Au-dessus de l'entrée affectée au public payant se dresse une
colossale statue d'Hercule toute peinturlurée de couleurs éclatantes.
Sur les épaules du fils d'Alcmène et de Jupiter uu globe d'un im-
posant diamètre sur lequel se lil l'inscription suivante :
Totus mundus agit histrionem
Ce qui signifie :
Le monde entier joue la comédie.
"Vérité renouvelée des Grecs.
Sur le seuil se tient un homme vêtu de noir : c est le receveur.
C'est à lui que le spectateur remet son shilling, ses trois pences
ou son penny selon qu'il ira s'asseoir aux loges, aux premières, aux
secondes ou aux troisièmes places.
II
Les privilégiés entrent par le liring-room ou salle des répétitions
séparée de la scène par un rideau. D'ordinaire la scène est garnie
de feuilles et de branchages, mais pour les représentations do gala
on étend des nattes sur le sol.
Un certain nombre de seigneurs ont apporté leur tabouret; ceux
qui n'ont pas pris celte précaution doivent payer un shilling au
valet de théâtre qui leur remet un escabeau de bois à trois pieds >
seulement qu'ils ne le lâchent pas une minute car le loueur l'aura
bien vite enlevé pour le donner à un autre moyennant un nouveau
paiement.
En attendant la pièce, les spectateurs de l'intérieur jurent, voci-
fèrent, et criblent le rideau du fond de projectiles de toutes
sortes.,., les gentilshommes écartent la toile et répondent aux in-
jures et aux projectiles par d'autres projectiles et d'autres injures>
c'est une bataille en règle.
Les cavaliers qui n'ont pas de tabouret s'assoient ou s'étendent
par terre sans souci des besoins de la scène qui sera bienlôt en-
vahie.
Ecartons le rideau et examinons la salle.
L'intéiieur est circulaire comme un cirque, la scène est séparée
du parterre ou cour par une rampe oa plutôt par une grille à hau-
teur d'homme. Ce parterre, où l'on se tient debout, est exposé à
toutes les intempéries de l'air. La scène est couverte par les deux
toits dont nous avons parlé. Les gens du parterre « understanders »
(hommes du dessous), se tiennent debout. Ils sont les ennemis im-
placables des gentilshommes qui du reste le leur rendent bien.
Au-dessus de la cour, ou parterre, sont deux rangs de loges qui,
pour contenir des spectateurs de distinction, n'en sont ni moins
bruyantes Di moins insolentes que le parterre.
Rien de plus primitif que le décor.
Voici celui de Henri VIII.
Un soldat vient suspendre, au-dessus du rideau, un écriteau qui
porte ce mot : « Londou », ce qui informe le public que la scène se
passe à Londres. Un autre accroche à la tapisserie une toile qui re-
présente une fenêtre: avec beaucoup d'imagination cette croisée
indique une maison.
La décoration est complétée par un balcon élevé au fond du
théâtre et recouvert d'un rideau; ce balcon représente les mon-
tagnes, les toits des maisons, les fenêtres où se placent quelquefois
les acteurs.
Il ne faut pas oublier la traverse : c'est un rideau placé au-dessus;
c'est derrière ce rideau que l'on porte les cadavres. des personnages
tués sur la scène.
Comme on le voit, la mise en scène est des moins compliquées.
Deux loges soûl établies sur la scène, elles sont réservées aux
musiciens ; ce sont des artistes au service de Sa Majesté, ils jouis-
sent de grands privilèges.
Mais, trois appels de trompettes ont retenti ; comme les trois
coups frappés aujourd'hui derrière la toile ils annoncent que le
spectacle va commeocer.
Le rideau s'écarte en deux parties et l'acteur du « prologue »,
couvert d'un manteau de velours noir, s'avance avec une branche de
laurier à la main. Le tumulte s'apaise peu à peu et Barbudge — •
c'est le nom du comédien, aimé du public à cette époque — com-
mence sa harangue absolument comme au temps d'Eschyle, de
Sophocle et de Térence; comme eux, il termine par une formule
qui rappelle celle-ci : Plaudite cives. Bien entendu, le « Prologue »
a le soin d'insister sur le caractère essentiellement historique de
l'œuvre.
Bien étrange ce public, composé de l'élite et du rebut de la popu-
lation. Aux loges, comme au parterre, on boit, on fume, on joue
aux cartes. Les bourgeoises fument la pipe comme les soldats; sous
le voile de soie qui leur sert de masque on voit passer le tuyau de
leur pipe ; ainsi font les gentilshommes; ceux-ci ont leur page à
leur côlé attendant que celui-ci leur tende leur pipe qu'ils allument
à une bougie, tout en dissertant sur les diverses façons de fumer.
C'est que fumer est un art qui a ses professeurs. On discute sur la
meilleure manière de brûler le tabac : l'un déclare que I' « ébullition
cubéenne » est la meilleure, l'autre que c'est V « euripe », un troi-
sième que c'est le « whiff ».
Avec 1' « ébullition » on fait séjourner le plus longtemps possible
la fumée dans l'estomac, avec 1' « euripe » ou l'émet alternativement
par la bouche et par les narines ; quant au « whiff » c'est une com-
binaison très complexe qui lient des deux premières.
Comme dans les loges, ils jouent aux caites et boivent sans se
soucier des injures, des délritus de toutes sortes qui leur sont lancés
au milieu d'un vacarme épouvantable ; l'atmosphère est chargée
d'une vapeur épaisse et saturée des acres sen leurs du vin, du labac,
de l'ail. Si le théâtre n'était pas découvert on serait asphyxié au
bout d'une demi-heure.
LE MENESTREL
229
m
Mais de formidables clameurs s'élèveut : les « understanders »
hurlent, menacent d'envahir la scène et de piller le théâtre ce qui
leur arrive assez souvent quand ils sont mis de méchante humeur
par quelque incident, comme, par exemple, un trop long entr'acle.
Alors, bagarre! on se cogne ferme, pour peu qu'on les pousse un
peu ils détruiront le théâtre en dépit de la résistance des acteurs
et des « gentilshommes de l'escabeau ».
Cette fois entre le prologue et le premier acte il s'est écoulé plus
d'une demi-heure! Que s'est-il passé? Tout simplement ceci : la
reine Catherine s'est fait attendre et le barbier n'a pas eu le temps
de la raser : c'est ce que vous explique Barbudge, l'ami de Shakes-
peare, très respectueusement. C'est qu'alors les rôles de femmes
étaient tenus par des adolescents qui, bien que payés fort cher, ne
brillaient pas par l'exactitude. Certaines comédiennes, cantatrices,
ballerines, en font encore autant de nos jours.
Enfin le souffleur pread place, l'orchestre, — un cor, un luth,
une basse de viole, un violon, — exécute un andante et le premier
acte va commencer.
Si les décors ne sont qu'une misérable exhibition de haillons, de
tapisseries en lambeaux, les costumes sont d'une richesse et d'une
exactitude merveilleuses.
Les cortèges sont splendides. On raconte que pour cette représen-
tation de gala le directeur avait emprunté les costumes de la garde-
robe de la cour pour en vêtir les seigneurs qui accompagnent
Wolsey à sa première entrée, alors que Buckingham et Norfolt de-
visent sur les splendeurs du Camp du drap d'or. Livrées magnifiques,
armures brillantes, rien n'a été négligé pour frapper les yeux du
spectateur.
Pendant qu'on entraîne Buckingham enchaîné, une corde descend
du cintre ; elle tient en suspens un écriteau sur lequel se détachent en
lettres rouges ces mots : « Council chamber » (chambre du conseil).
On traîne sur le théâtre une table boiteuse et voilà le changement
à vue opéré. C'est simple, comme on le voit.
Pendant l'entr'acte nouveau le tumulte recommence de plus belle.
Les joueurs de foujalle et de tick-tack ont repris leur partie, les
filous se livrent à leur industrie, les beaux élégants rajustent leur
toilette en écoutant les injures grossières qui leur sont, criées en
anglais et auxquelles ils répondent en italien. Celui-ci fait retirer
sa prédominante par son page, cet autre fait parfumer ses avant-postes.
Les pages répandent l'eau de rose sur la tête de leurs maîtres
pendant que ceux-ci envoient insolemment des baisers aux femmes
qui leur plaisent. A la vérité, les & cockatiices » de tous les étages
forment la majorité de la population féminine.
Mais quels sont ces cris et que veulent dire ces injonctions réité-
rées et violentes : « Brûlez le genièvre! », en même temps qu'une
odeur pestilentielle emplit la salle et persiste à y demeurer malgré
le ciel ouvert.
Voyez là-bas, adossée au parterre, cette immense cuve vers laquelle
les bouchers, les matelots et toute la canaille se dirige à la queue:
c'est, comment dirai-je, un réceptacle d'immondices, comme il en exis-
tait autrefois dans les chambrée?, pour la nuit, et qui sert à l'usage
de tous. Les vapeurs détestables qui s'en exhalent, empestent la
salle et du parterre comme des loges et de la scène, part l'ordre
impératif: « Brûlez le genièvre! »
Un valet apporte un petit réchaud et jette sur le feu du genièvre
dont la fumée épaisse et l'acre et pénétrante odeur se mêle à toutes
les autres sans les faire disparaître.
Un jour, on tenta de supprimer la cuve. « My God ! » il y eut
presque une émeute : la lie du peuple s'y opposa, et il se pas-a de
longues années avant qu'on y pût parvenir.
Mais voici le spectacle terminé, les acteurs sont acclamés, la foule
se rue dehors tout en continuant de proférer les plus grossières in-
jures, tout en se battant. Il est un peu plus de cinq heures, les
carrosses, les chaises, les mules, si mettent en marche comme ils
peuvent, le peuple se répand dans les tavernes, les acteurs quittent
leur costume que le directeur range avec soin, l'écho des bravos et
des acclamations s'éteint, le « Globe » ferme ses portes.
E.m. de Lyden.
HISTOIRE VRAIE
DES HÉROS D'OPÉRA ET D'OPÉRA- COMIQUE
XLVI
TDRLUPIN
« Il y avait une fois, dans les dernières années du xvi° siècle,
nous apprend Victor Fournel, trois garçons boulangers du faubourg
Saint-Laurent, unis d'étroite amitié, gais compagnons et grands
partisans des joyeux passe-temps du théâtre. Or, justement leur
genre lavori s'en allait peu à peu. Les soties, les plaidantes mora-
lités des Confrères de la Basoche et des Enfanis-sans-souci avaient
disparu. Témoins de la décadence de la Farce, ils résolurent de
s'en faire les conservateurs et de la régénérer. Voilà donc nos trois
camarades qui jettent aux orties le tablier blanc des mitrons, et
qui s'en vont héroïquement louer un petit jeu de paume à la porte
Saint-Jacques, ou plutôt près de l'Estrapade. La caisse n'était pas
riche d'abord ; aussi l'entreprise s'en ressentit-elle. Le luxe des dé-
cors se bornait à des voiles de bateau peintes, que nos amis adap-
taient, tant bien que mal, à leur théâtre portatif. C'était tout et
c'était assez. En effet, ils se trémoussèrent si bien sur cette maigre
scène que le public ne tarda pas à accourir et, une fois venu, il
ne s'en alla plus. Du reste, il n'en coûtait que deux sols six de-
niers pour se dilater amplement la rate à ce spectacle inénarrable,
qui recommençait deux fois par jour, d'une heure à deux, pour
MM. les écoliers, et le soir, pour le vulgaire. »
Ces trois joyeux compères, c'étaient Gauthier-Garguille, Gros-
Guillaume et Turlupin.
Dans leur association, chacun avait sa spécialité.
Gauthier-Garguille, presque toujours grimé en vieillard, faisait ie
savant, le maître d'école. Il avait pour accoutrement ordinaire une
espèce de bonnet plat et fourré, point de cravate ni col de chemise,
une camisole qui descendait jusqu'à la moitié des cuisses, uDe ,
culotte étroite. Au dire de ses contemporains, Gauthier-GarguilU se
disloquait comme une marionnette; mais son taleut mimique ne
s'en ressentait pas. Scapin, raeoute Tallemant des Réaux, disait
qu'on no pouvait trouver meilleur comédien que lui. Son taleut lui
valut l'honneur de devenir le gendre de Tabarin. Ce n'était point
un mince avantage.
Son compère, Gros-Guillaume, ne parlait que par doctes senten-
ces. Il était coiffé d'une barrette ronde, avec une mentonnière de
peau de mouton, chaussé de gros souliers gris noués d'une touffe
de laine, vêtu d'une culotte rayée et enveloppé d'une large blouse
blanche, d'un sac plein de, laine, lié au haut des cuisses. Son gros
ventre, qu'il promenait solennellement devant lui, ne lassait point
l'admiration des spectateurs ; son débit faisait le reste, surtout
les jours où, souffrant d'un accès de goutte, il cherchait à s'étourdir
par ses propres lazzis.
Le troisième larron, Turlupin, avait modestement adopté le type
de valet, de même qu'il s'était contenté d'imiter le costume de
l'Italien Briguelli, qui attirait la foule au théâtre du Petit-Bourbon.
L'abbé de Marolles, qui n'a pas craint d'avouer ses liaisons d'amitié
avec Turlupin, dit qu'il avait infiniment d'esprit. Il en montra,
dans cette feinte humilité, presque autant que sur ses tréteaux, où
il dominait ses camarades de toute sa verve et de tout son entrain.
Le répertoire, toujours renouvelé, s'inspirait du goût du jour.
L'invention n'était pas toujours à la hauteur des événement?, mais
un mot drôlement lancé suffisait aux p'aisirs de nos pères.
Gros-Guillaume, habillé en femme, supplie Turlupin de ne pas le
battre :
— Eh, mon cher mari, je vous en supplie par cette soupe aux
choux que je vous fis manger hier et que vous trouvâtes si bonne.
— Ah ! la carogne ! Elle m'a pris par mon faible. La graisse
m'en fige encore sur le cœur.
Dans une autre scène, Gauthier-Garguille cherchait une servante
et se plaignait de la saleté ordinaire de ces tilles, surtout do celles
qu'il avait eues jusqu'alors, disant qu'il en avait trouvé une qui se
peignait au-dessus de la marmite. Alors, Tabarin lui en proposait une
autre qui était un modèle de propreté, puisqu'elle se coiffait toujours
à la cave.
Encore une fois, ce n'était pas bie 1 fort, mais on s'en contentait.
Richelieu, qui aimait la grosse farce, fit venir les trois compères on
sou palais; il fut charmé de leurs joyeusetés et ordonna aux comé-
diens de l'Hôtel de Bourgogne de leur faire place en leur compagnie.
Cette intrusion de la rue sur les planches nobles de MM. les corné-
230
LE MENESTREL
diens du roi déchaîna les colères de la gent cabotine. Bruscanxbille,
dans son Paradoxe, félicite Turlupin de se frotter l'échiné aux piliers
du Louvre, et les petits vers qui suivent coururent les ruelles :
Toutefois à la cour les Turlupins restèrent.
Insipides plaisants, boutions infortunés,
D'un jeu de mots grossier partisans surannés.
A la vérité, les trois nouveaux sociétaires, reniant l'étiqueLle qui
avait marqué leurs succès, avaient pris, pour faire honneur à leur
nouvelle maison, les noms plus appropriés de Fléchelle, Lafleur et
Belleville. Mais cette concession ne put les protéger contre les haines
que leu" faveur avait soulevées. On les attendit à leur première in-
cartade, laquelle ne tarda pas à se produire : Gros-Guillaume avant
contrefait sur la scène le tic nerveux d'un magistrat qui venait de
condamner à une forte amende Turlupin pour ses démêlés avec l'Ita-
lien Briguelli, ils furent tous trois poursuivis. Gauthier-Garguille et
Turlupin se cachèrent, mais Gros-Guillaume, que son ventte indiquait
aux recherches fut arrêté et mis en prison.
Alors se produisit un épisode extraordinaire. Gros-Guillaume mou-
rut de saisissement, le premier jour de sa captivité. Ce que Turlupin
apprenant, il fut pris de fièvre et mourut le surlendemain. C'était
le tour de Gauthier-Garguille; il ne pouvait abandonner ses fi lèles
camarades, même dans la tombe; il ne survécut au dernier que de
quelques heures.
Ou fit sur ce trio sympathique l'épitaphe suivante :
Gaultier, Guillaume et Turlupin,
Ignorants en grec et latin,
Brillèrent tous trois sur la scène
Sans recourir au sexe féminin,
Qu'ils disoient un peu trop malin.
Mais la mort, en une semaine,
Pour venger son sexe mutin,
Fit à tous trois trouver leur fin.
(A suivre.) Edmond Neukomm.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Nouvelles de Londres : Après plusieurs remises dues à des retouches
continuelles de la part du compositeur, la première représentation fran-
çaise d'Esmeralda, imposée pour ainsi dire par une mélomane des plus
influentes, a eu lieu samedi dernier à Govent-Garden devant une salle
superbe. M. Goring Thomas est certes un musicien de talent qui a été à
bonne école, celle de Paris. Il y a acquis des qualités précieuses de fac-
ture et de coloris symphonique. Mais la première scène lyrique de Lon-
dres aurait pu lui demander autre chose que son opéra de début, malgré
les nombreux remaniements qu'on lui a fait subir. En 1883, Esmeralda
était l'œuvre pleine de promesses d'un jeune : aujourd'hui c'est la produc-
tion mal équilibrée et déconcertante d'un musicien qui peut faire mieux.
La pièce suit presque pas à pas le libre tto écrit par Victor Hugo pour
l'opéra de M"° Bertin, y compris la mort des deux amants au dénouement,
rétablie dans la version actuelle. M. Paul Milliet s'est acquitté fort adroi-
tement de la tache du traducteur, tâche scabreuse par moments, où il
devenait difficile de ne pas se rencontrer avec le texte primitif de Victor
Hugo. Mais il est très fâcheux que M. Milliet n'ait pas assisté à la mise
au point de son œuvre : il aurait pu empêcher la façon si cavalière avec
laquelle le texte français a été appliqué à la musique, les phrases retour-
nées, les rimes estropiées, les fautes de prosodie de l'effet le plus choquant.
La partition de M. Goring Thomas a surtout les défauts de la jeunesse :
le manque d'individualité et une fougue souvent excessive. Le musicien
est hanté par les souvenirs de Gounod, Delibes, Ambroise Thomas : il
n'y a pas jusqu'à Liszt dont une rapsodie hongroise n'ait fourni le motif
qui accompagne la bohémienne et qui est le seul exemple dans l'œuvre
de l'emploi de phrases typiques. Du reste, la déclamation de M. Goring
Thomas n'a pas toujours l'accent dramatique et ses personnages manquent
complètement de relief. Le compositeur parait plus à l'aise dans les
parties purement lyriques de l'opéra : de ce nombre, il faut citer l'air
d'entrée d'Esmeralda et la scène finale du premier acte, la romance de
l'ini'lius au deuxième, le duo d'amour du troisième, plusieurs phrases
de Quasimodo et son air des cloches et enfin la- scène du dénouement.
L'épisode de la cour des Miracles aurait pu donner lieu à quelque re-
cherche de couleur locale, à quelque restitution archaïque : il n'est que
bruyant et dill'us. Les airs de ballet dans le divertissement intercalé au
deuxième acte, sunt très gracieux; mais là aussi on s'étonne que le mu-
sicien n'ait pas songé à leur donner le caractère de l'époque.
Soit pour insuffisance de répétitions, soit pour tout autre motif, l'inter-
prétation n'a pas été digne d'une pareille distribution. Il faut en excepter
pourtant M. Jean de Rezské, beau cavalier et chanteur exquis dans sa
jolie romance du deuxième acte, qui a été le gros succès de la soirée.
Mais Mme Melba, probablement souffrante, n'a pas été également heureuse
dans toutes les parties d'un rôle, écrit par endroits trop bas pour sa voix.
Il en est de même de M. Lassalle qui avait à lutter avec un très mauvais
rôle et qui de plus s'est trompé en vieillissant à ce point son person-
nage. M. Dufriche a trouvé des accents fort émouvants dans le rôle
malheureusement très écourté de Quasimodo. Un bon point à M. Montariol,
un Gringoire très consciencieux, mais une mauvaise note à M"e Pinkert,
une Fleur de Lys absolument insuffisante. Chœurs et orchestre trop éner-
giques; mise en scène mesquine.
Il convenait de ramener à ses justes proportions un incident dont on a
cherché à faire un grand événement artistique, tout à l'honneur de l'école
française. La représentation d' Esmeralda est une nouvelle consécration de
l'idiome français à Covent-Garden, voilà tout. Que M. Goring Thomas ne
prenne pas trop à la lettre les applaudissements de complaisance de
samedi dernier et qu'il se remette sérieusement à "l'œuvre pour nous
donner bientôt un opéra personnel et digne de son talent. En attendant,
le moment est venu d'infuser du sang nouveau dans le répertoire aoémi-
que de Govent-Garden. Déjà cette saison on a eu recours à un tas de
reprises inutiles, ne sachant où donner de la tète. Le public payant a clai-
rement manifesté son dédain pour toutes ces vieilleries. Qu'on annexe
au plus vite au répertoire des œuvres telles que Samson et Dalila, Lakmè,
Manon, le Roi d'Ys, Salammbô, etc., etc., et on aura bien mérité de la mu-
sique française à l'Opéra de Londres.
La saison se terminera le 28 juillet par une représentation unique de
Carmen en français, avec Jean de Rezské dans le rôle de don José. D'ici là
nous aurons la reprise à'Hamlet avec Lassalle, Mmcs Melba et Richard.
M. Hans Richter a clôturé sa saison de concerts par une magnifique
exécution de la neuvième Symphonie de Beethoven, qui a pu servir de
leçon à l'orchestre de la vieille Société Philharmonique, dont la récente
interprétation de ■ la même œuvre était d'une faiblesse déplorable. Les
amateurs de musique symphonique devront attendre maintenant jusqu'en
octobre pour la reprise des excellents concerts de Crystal Palace et des visites
périodiques de l'orchestre Halle de Manchester, le premier d'Angleterre.
Agn.
— Le concert de Mm0 Patti à l'Albert Hall de Londres, retardé par
suite d'une indisposition de la diva, a pu enfin avoir lieu. Des milliers
de spectateurs emplissaient l'immense salle et ont acclamé la célèbre
cantatrice dans l'air des clochettes de Lalcmé et quatre autres numéros.
L'ensemble du concert que dirigeait M. Ganz, était fort réussi. Au nom-
bre des solistes, il convient de citer Mmcs Patey, Sterling, Marianne
Eissler, MM. Ed. Lloyd, Johannes Wolff et Emile Bach:
— La Neue Musikzeitung de Stuttgart consacre un article assez étendu à
La Musique dans le Jeu de la Passion d'Obcrammergau. Nous en extrayons les
passages les plus saillants : « Le Jeu de la Passion d'Oberammergau n'est
pas, à proprement parler, un drame ni même un oratorio : c'est un mé-
lodrame avec accompagnement d'orchestre. Le personnel musical se com-
pose d'un orchestre de 3b membres et d'un chœur de 24 chanteurs (appelés
génies ou esprits), soit 7 sopranos, 7 altos, 5 ténors et 5 basses, parmi
lesquels deux solistes. Le chef des chœurs, désigné sous le nom de
« Prologue », remplit un emploi presque entièrement indépendant. Le
chœur, rangé en demi-cercle, se tient à l'avant-scène, dans la partie du
théâtre qui est à ciel ouvert, il ne sert qu'à donner l'explication des
tableaux vivants présentés d'après les récits légendaires. Dès que le ri-
deau du temple s'écarte, le chœur se sépare par le milieu et s'éloigne à
reculons, de façon à ne pas intercepter la vue. Quand le rideau se re-
ferme de nouveau, le chœur reprend sa position première et prépare
l'auditeur à l'action, tirée du Nouveau Testament, puis, quand celle-ci
est engagée, il s'efface derrière les piliers. Le rôle du chœur n'est pas
précisément un rôle actif, mais il n'en est pas moins important et même
fatigant, si l'on pense que la représentation dure huit heures, pendant
lesquelles le chœur est exposé à toutes les intempéries. L'orchestre est
dissimulé dans un bas-fond, comme à Bayreuth. Indépendamment de
l'orchestre symphonique, il y a une fanfare; de même que tous les autres
participants au Jeu de la Passion, les musiciens sont recrutés exclusivement
parmi les habitants d'Oberammergau. — Pour ceux qui n'ont pas assisté
aux répétitions, il est difficile de se figurer comment il a été possible à
de simples campagnards de se rendre maîtres d'un travail aussi compliqué.
Les solistes et les chœurs chantent bien entendu leurs parties de mé-
moire, et l'orchestre est grandement à la hauteur de sa tache. Mais ce
n'est pas tout : les ensembles, les rentrées sont d'une précision surpre-
nante; quant aux nuances, aux 'oppositions du forte au piano, elles sont
exécutées avec une habileté qu'on ne rencontre guère que chez les ar-
tistes de profession. Oberammergau est un village d'artistes formés par
la nature chez qui l'amour de l'idéal joint à la foi religieuse entretien-
nent constamment ce feu sacré grâce auquel le Mystère de la Passion, cette
perle du moyen âge, reçoit tous les dix ans la même admirable interpré-
tation. Le texte actuel a été élaboré de 1811 à 1815, d'après la version
d'origine, par un religieux d'un cloître voisin, celui d'Ettal. C'est égale-
ment un habitant d'Oberammergau, Rochus Dédier, organiste et maître
d'école du. village, qui a composé (de 1810 à 1811) la musique du Jeu de
la Passion. Cette musique a été remaniée en 181.4. En plus d'une ouver-
ture assez courte, l'orchestre exécute des accompagnements très limpides
et d'une grande simplicité, mais qui remplissent admirablement leur but.
LE MENESTREL
234
D'effets descriptifs et de passages colorés, il ne peut naturellement être
question. La simplicité du sujet, son caractère religieux, bannissent
toutes préoccupations d'art. Le rythme est souvent caractéristique et
rappelle par intervalles certains airs de danse des temps anciens, mais le
chœur vient vite effacer cette impression passagère par son chant grave
et recueilli. L'effet de ce chant est vraiment puissant. Le chef des
chœurs, le forgeron Jacob Rutz n'est pas seul à posséder une belle voix
et de remarquables qualités d'exécution; les autres solistes sont égale-
ment bien doués et chantent avec sentiment et sincérité. On peut se faire
une idée du zèle déployé par tous et aussi de l'aridité de la tâche, par
ce fait que le chef d'orchestre, le maître d'école Gruber, n'a pas dirigé
moins de 96 répétitions d'ensemble (Pends-toi, brave Lamoureux!). Les
habitants d'Oberammergau ont reçu les offres des plumes les plus auto-
risées pour un rajeunissement du texte sacré et de la musique de
Dédier, en vue des représentations de 1890, mais rien n'a pu les dé-
tourner du culte pieux qu'ils ont voué aux traditions léguées par leurs
ancêtres. Ils ont voulu maintenir l'antique Mystère de la Passion en dehors
de tout modernisme a.
— Ala dernière réunion de l'Association Gœlhe à "Weimar, M. le conseiller
de la Cour Ruland a lu une communication qui produit dans le monde
musical une véritable sensation. Il paraîtrait qu'en opérant récemment le
reclassement de la bibliothèque de Gœthe au musée national qui porte
son nom, on a trouvé au fond d'une armoire oubliée plusieurs cahiers de
musique écrits de la main de Gœthe, entre autres des devoirs d'harmonie
et des arrangements pour quatuor d'oeuvres de Bach. Toute une collection
d'ouvrages de musique classique était également enfouie dans cette
armoire: pièces religieuses et dramatiques d'anciens maîtres italiens,
compositions de Bach pour orgue, etc. La plus grande partie de cette
musique provient de Leipzig. Cette découverte va singulièrement modifier
l'opinion que les biographes ont répandue dans le public au sujet du peu de
goût musical qu'avait le grand poète allemand.
— Une des compositions de Weber citées par le biographe Jahn comme
ayant disparu, vient d'être retrouvée à Berlin. C'est une canzonetla pour
trois voix d'hommes, sans accompagnement, dont le texte commence
ainsi : « Son troppo innocente nell'arte d'amar ». Elle fut écrite en juil-
let 1811 à Starnberg près Munich, le lieu même qui fut témoin, plus tard,
de la fin tragique du roi Louis II de Bavière.
— Petit courrier de Bruxelles : Vous savez déjà avec quelle cordialité
et quel enthousiasme tout Bruxelles a reçu et fêté la musique du 3° régi-
ment du génie français venu ici le 14 juillet pour prêter son concours à
une fête de charité organisée par la Chambre de commerce française. Fa-
vorisé par une soirée splendide, le concert donné en plein air au Vaux-
Hall avait attiré une telle foule qu'on y étouffait et que, Français et
Belges s'y écrasaient les pieds et s'y enfonçaient les côtes avec un stoïcisme
plein de confraternité. C'est à peine si M. Bourée, ministre de France,
le bourgmestre de Bruxelles et quelques autres autorités avaient pu être
placés à l'abri de toute contusion reçue au profit des Victimes du Travail
et des Français malheureux. Ceux-ci doivent avoir fait une recette qui
leur permettra de donner à leur tour une fête au bénéfice des écrasés. A
côté des acclamations purement patriotiques et des Marseillaises vigoureu-
sement enlevées, succès pour les artistes. La musique du 3° régiment du
génie, dirigée par M. Plachat, un jeune chef de talent, peut compter au
nombre des meilleures de l'armée. Elle a joué avec beaucoup d'ampleur et
de maestria, sinon avec cette finesse qui distingue la garde républicaine
entre toutes les musiques militaires : l'Artésienne, de Bizet, et des mor-
ceaux de Lakmé, d'Hamlet, etc. Mardi, avant son départ, la musique fran-
çaise a donné une aubade au ministre de France, et un second concert,
non moins réussi que le premier, au parc Léopold. En somme, M. Charles
Rolland, l'excellent président de la Chambre de commerce française,
MM. Nodé-Langlois, Ricaud, Bonvallet et tous les autres membres du
comité n'ont qu'à se féliciter d'avoir fourni à la population bruxelloise
l'occasion de témoigner chaleureusement une fois de plus ses sentiments
de sympathie envers la France '.
— Il y a quelques jours, on trouvait dans les environs de Bruxelles le
cadavre d'un homme qui s'était l'ait sauter la cervelle. L'inconnu n'avait
sur lui aucun papier qui pût faire établir son identité ; mais, sur les in-
dications données par des gens qui prétendaient reconnaître le cadavre,
on télégraphia à Paris, à M. Oppenheim, qui accourut à Bruxelles, et
reconnut, dans le cadavre du suicidé, son frère, Albert Oppenheim, ancien
directeur du théâtre de l'Alhambra. A peine l'inhumation avait-elle eu
lieu, qu'une autre personne arrivait, venant reconnaître dans le suicidé
son frère, à lui, un Anglais, descendu quelques jours auparavant au
Grand-Hôtel, et qui avait disparu mystérieusement. Lui aussi, après
exhumation du cadavre, a reconnu son frère. En attendant que ce mystère
soit éclairci, l'autorité communale est fort embarrassée.
— On a annoncé que le compositeur Mascagni, l'auteur de Cavalleria
ruslicana avait choisi, parmi les nombreux livrets qui lui ont été offerts
après le succès de son premier opéra, / Rantzau, tiré du drame bien
connu de MM. Erkmann et Chatrian. Le maestro Ettore Martini déclare
maintenant publiquement que depuis plusieurs mois il travaille à un
opéra sur le mémo sujet. N'est-il pas plaisant de voir les deux composi-
teurs italiens se disputer une œuvre française, pour laquelle ni l'un ni
l'autre n'ont eu même la pensée de consulter les véritables auteurs ?C'est
le mystère des lois italiennes. Quand donc comprendra-t-on partout qu'il
est tout aussi criminel de voler la pièce d'autrui que de lui dérober sa
montre ?
— Le roi de Dahomey fait annoncer dans une feuille coloniale alle-
mande la West afrikanische Posl, qu'il cherche des musiciens pour la for-
mation d'une chapelle royale destinée à se faire entendre pendant les repas
ainsi qu'aux fêtes données parles amazones. Instrumentistes sans emploi,
voguez bien vite vers la cour du Dahomey! Vous y serez goûtés, c'est
certain !
— Les journaux américains parlent très favorablement d'un nouvel
opéra-comique produit récemment à l'Opéra de Chicago sous le titre de
Robin Hood. Composée par M. de Koven sur le livret de M. H. B. Smith,
la partition a conquis tous les suffrages par l'originalité et le caractère
vif et enjoué des motifs.
— En annonçant la récente production au nouveau théâtre de Madison
Square Garden, à New- York, d'un ballet intitulé la Paix et la Guerre, nous
avons omis d'en nommer le compositeur. C'est M. Cressonnois. Nous
réparons cet oubli avec d'autant plus de plaisir qu'il y a, parait-il, dans
ce ballet, un numéro qui fait fureur. Il s'appelle « Pizzicati de Sijlvia,
d'après Delibes. » Le reste de la partition de M. Cressonnois, dit V American
Musician, est vulgaire et bruyant.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
— A l'occasion de la Fête nationale du 14 juillet ont été nommés :
Officiers de la Légion d'honneur :
MM. de Lapommeraye (Henri), homme de lettres, président d'honneur
de l'Association polytechnique ;
Ludovic Halévy, membre de l'Académie française, homme de lettres.
Chevaliers :
MM. Gabriel Fauré, compositeur de musique ;
Georges Ghamerot, imprimeur-éditeur.
Pour M. Charles Widor, dont on avait bien à tort annoncé la décora-
tion, il continuera à se distinguer en ne portant rien à la boutonnière. Il
est vrai qu'en revanche on a décoié trois peintres et deux statuaires
d'un mérite très relatif.
— Le ruban violet, faut-il le dire, a sévi de son côté, et pour la même
occasion, avec la dernière rigueur. On cite parmi ceux qui en ont été
atteints, comme Officiers de l'instruction publique : MM. Louis Gallet,
auteur dramatique, Gravière, directeur du Grand-Theàtre de Bordeaux ;
Hartmann, éditeur de musique; Benoit-Lévy, publiciste ; Pépin, ancien
artiste lyrique; Vaillard, second chef d'orchestre à 1 Opéra-Comique ;
Vasseur, professeur de musique, etc.
Comme Officiers d'académie : MM. Georges Auvray, compositeur de
musique; Mm6 Baré-Sabati, professeur de musique; MUes Bernay, an-
cienne artiste de l'Opéra; Bouet, professeur de piano; Bourgeois, profes-
seur de musique; Berny, professeur au Conservatoire de Toulouse;
Mllc Bosch, professeur de musique à Perpignan; Batta, professeur de vio-
loncelle; Gaveau, professeur de musique à l'Ecole Monge; M"18 Castellano,
directrice de café-concert; Clément, professeur de musique; Castellan
père, professeur au Conservatoire de Marseille; Coquelet, chef de mu-
sique au 76° de ligne; Dubulle, artiste lyrique; Daudiès, professeur à
l'École de musique de Nantes; M"c Dartois, artiste lyrique; Domerc, com-
positeur de musique; MllG Mallet-Fabreguettes, professeur de musique:
J. Floury, auteur dramatique; Fuchs, auteur dramatique; Gaune, com-
positeur de musique; Mmc Geoffroy, professeur de musique; Grenoble dit
Noblet, artiste dramatique; Herzog, professeur de musique; Joly, artiste
dramatique; Legros, compositeur de musique; Landouzy, professeur de
violoncelle; Laurent, professeur au Conservatoire de Dijon; J. Lefebvre,
auteur dramatique; Mmo Lureau-Escalaïs, artiste lyrique; E. Lefebvre,
directeur delà Philharmonique de Reims: M™ Louise Dauville, artiste
dramatique; Legay, compositeur de musique; Mmc Mesnage, professeur
de piano; Michot, artiste lyrique; Moch, artiste dramatique; Parent, ar-
tiste musicien ;Perronnet, compositeur de musique; Mme Réty, professeur de
chant; MlleRevello, professeur de chant; Roche, professeur de déclamation:
Rehfeld, professeur de musique à Périgueux; Ritter, professeur de musique à
Figeac ; Roger dit Dalbert, directeur des Célsstins de Lyon; Romedenne,
professeur de musique à Roanne; Sallet, homme de lettres; Straub, profes-'
seur de chant à Lons-le-Saulnier; Sauvaget, professeur au Conservatoire de
Toulouse; Mlle Tailhardat, professeur de piano; Thibout, facteur de pia-
nos; Toussaint, caissier de la Comédie-Française ; Tridémy, professeur de
musique à Charleville; Volny, artiste dramatique; Warnecke, professeur
de chant dans les écoles de Paris; Mmcs Verheyden de Ladrières, artiste
dramatique; Viguier, professeur de piano.
— Souvenir rétrospectif de circonstance. M. Georges Boyer nous donne
dans le Figaro le programme des spectacles d'il y a cent ans, à l'occasion
de la fête de la Fédération (13 juillet 1790) :
Opéra. — Armide, de Gluck.
Théâtre de la Nation. — Le Journaliste des Ombres ou Momus aux Champs
Élysécs, à-propos en vers, de M. Aude.
Théâtre Italien. — Le Chêne patriotique ou la matinée du 44 Juillet, par
Monvel, musique de Dalayrac.
232
LE MÉNESTREL
Théâtre de Monsieur. — La Famille patriote ou la Fédération. Auteur :
Collot-d'Herbois.
Palais-Royal. — Les Deux Figaro.
Théâtre de la Montansier. — Hélène et Francisque et Poème séculaire ou
Chant pour la Fédération.
Ambigu-Comique. — V Autodafé et le Manteau.
Théâtre-Français comique et lyrique. — Le Berceau de Henri LV.
— Dernier concours à huis clos du Conservatoire : Accompagnement au
piano (professeur : M. Bazille). Jury : MM. A. Thomas. E. Guiraud, Th.
Dubois, L. Delahaye, Heyberger, Lavignac, Mangin, Marty. — 1er prix :
MM. Risler et Levadé ; 4" accessit : M"c Markreich.
— Les concours publics ont commencé hier samedi au Conservatoire
par le concours de contrebasse et de violoncelle, dont nous donnerons
dimanche prochain les résultats. Ils se continueront comme suit :
Lundi, 20, à une heure, chant hommes ; — Mardi, 22, à une heure,
chant femmes; — Mercredi, 23, à dix heures, tragédie et comédie ; —
Jeudi, 24, à dix heures, harpe et piano-hommes ; — Vendredi, 23, à midi,
piano-femmes; — Samedi, 26, à midi, opéra-comique; — Lundi, 28, à
midi, violon; — Mardi, 29, à une heure, opéra; — Mercredi 30, à dix
heures, instruments à vent.
La distribution des prix aura lieu le dimanche 3 août, sous la prési-
dence de M. Larroumet, directeur des Beaux Arts.
— M. Massart, 1 excellent professeur de violon du Conservatoire, va
prendre sa retraite. Il sera remplacé par M. Garcin, qui dirige depuis
plusieurs années une des deux classes préparatoires de violon. Pour suc-
céder à M. Garcin, plusieurs candidats sont en ligne : MM. Ferrand, Du-
jardin, Paul Viardot, Lebrun, Weingaertner, etc.
— De Nicolet, du Gaulois : «Nous avons dit, il y a déjà quelque temps,
que la famille dAlfred de Musset s'opposait à ce que Charles Gounod
mit en musique le drame de On ne badine pas avec l'amour. Devançant l'in-
tention de la famille, M. Jules Barbier avait, en quelques jours, établi le
livret du drame lyrique. On put croire alors que c'était peine perdue.
Mm! Paul de Musset ne voulut rien entendre et demeura inflexible devant
les instances réitérées du compositeur de Fautt et de Roméo et Juliette.
Mais il est avec le temps des accommodements. Tout parait, en effet, sur
le point de s'arranger, et, d'après nos renseignements, M. Gounod serait
sur le point d'être mis en possession de ce sujet éminemment dramatique
et pour lequel il ne dissimule pas sa prédilection. »
— Un de nos confrères reçoit du lac de Corne d'excellentes nouvelles
d'Émilia Laus, la charmante artiste que nous avons tous applaudie à
l'Opéra, lors de la représentation de la Tempête. Fort souffrante, à la suite'
du travail excessif que lui avait donné les répétitions, Émilia Laus avait
été envoyée par ses médecins sur les bords du lac de Côme. Mais, avant
de. partir en congé, ses directeurs, MM. Ritt et Gailhard, qui ont une
grande admiration — ce qui est justice — pour le talent de cette artiste,
ont renouvelé son engagement, et au mois de septembre, Émilia Laus,
plus belle que jamais, fera sa rentrée dans la Tempête.
— M. Edouard Sonzogno, le célèbre éditeur milanais, a fait sa petite
inspection annuelle dans les classes de chant de M""1 Marchesi, et là encore
il a trouvé deux sujets qu'il a engagés de suite à destination de l'Italie:
MUre Kate Bensberg et Komaromi,' deux chanteuses d'un grand talent
déjà.
— Sous ce titre : les Conciles et Synodes dans leurs rapports avec le tradi-
tionnisme, M. F. Ortoli vient de faire paraître un petit volume (chez
Maisonneuve) qui, s'il n'est pas spécialement consacré à la musique,
renferme néanmoins d'intéressants renseignements à son sujet. On sait
quelle est la rareté des documents authentiques concernant la musique,
soit sacrée, soit surtout profane, au moyen âge, et particulièrement com-
bien nous sommes peu renseignés sur le goût et le sentiment musical de
cette époque. Le livre de M. Ortoli, en nous disant quels efforts furent
faits en ces siècles pour arracher de la mémoire du peuple des chants se
rattachant à des traditions païennes, en nous montrant en même temps,
par quelques traits, l'influence universelle et populaire du chant religieux,
nous donne à cet égard plusieurs indications nullement négligeables. —
Une observation de détail. Pourquoi M. Ortoli désigne-t-il, non sans
quelque insistance, le pape Grégoire Ie'' ou S. Grégoire par le nom d'Hil-
debrand? Si mes souvenirs sont exacts, il me semble que ce nom appar-
tient à un autre Grégoire, le septième, lequel vivait simplement cinq ou
six siècles plus tard. Il n'y a pas si longtemps que M. Gevaert nous a
enlevé saint Grégoire pour qu'il ne soit permis encore à un musicien de
relever une erreur de ce caractère. j. q\
— L'entreprise des abattoirs de la rue Pergolèse ne poursuit pas sans
embarras le cours de ses hauts faits. Le public s'y fait d'ailleurs de plus
en plus rare et on aura de la peine à acclimater chez nous des jeux aussi
barbares et aussi ineptes. Voici une véhémente réclamation que la Société
protectrice des animaux vient d'adresser à M. le procureur de la Répu-
blique sous la forme d'un procès-verbal dressé sur la demande de deux de
ses membres, par un huissier du tribunal civil de la Seine.
L'an mil huit cent quatre-vingt-dix, le 3 juillet.
Par devant moi Jules-André Rozier, huissier près le tribunal civil de la Seine,
séant à Paris, y demeurant, 29, rue des Bons-Énfants, se sont présentés :
1° M. Alexandre Cuif, président de la Société protectrice des animaux, demeu-
rant à Saint-Maurice (Seine), route de Saint-Mandé, 46; 2° M. Graudamy, membre
de ladite Société protectrice des animaux, demeurant à Paris, 2, rue Nollet.
Lesquels m'ont exposé : Qu'aux termes de li loi du 2 juillet 1850, dite loi
Grammont, tous les j^ux-spectacles qui ont pour effet de causer la mutilation ou
d'amener la mort d'animaux, tous mauvais traitement?, qu'ils résultent soit d'actes
directs de violence ou de brutalité, soit de tous autres actes volontaires de la
part des coupables, quand ces actes ont pour résultat d'occasionner aux animaux
des souffrances que la nécessité ne justifie pas (Arrêt de cassation, 22 août 1857
et 13 août 1838), tombent sous l'application de ladite loi; — qu'aux tenues d'une
circulaire ministérielle du 4 septembre 1873 et d'un an été du préfet de la Gironde
du 25 août 1873 et pour des faits analogues à ceux ci-après exposés, les courses
de taureaux ont été supprimées ; — qu'il existe à ce moment à Paris une société
espagnole dont le but est d'exploiter un établissement de courses de taureaux.
Que ces courses donnent lieu à des actes de brutalité dont notamment les
chevaux sont victimes ; qu'en effet ces animaux reçoivent des taureaux des coups
de corne qui doivent, malgré les caparaçons dont ils sont en partie couverts,
causer de vives douleurs ; que la nécessité ne ju-jtifie pas ces actes ; que la pré-
sence des chevaux n'est pas indispensable aux courses de taureaux; qu'ils dé-
sirent intenter à ladite société une action qui aura pour but d'assurer la sup-
pression des chevaux dans lesdites courses.
Que, pour appuyer leur demande, ils me requièrent de constater les faits dont
je serai témoin.
Déférant à cette réquisition, je me suis transi orté à Paris, rue Pergolèse, 58, à
l'établissement dit Gran Plaza de Toros, où, étant à trois heures et demie de
relevée, j'ai assisté à la représentation du jour, et pendant les cinq courses dont
j'ai été spectateur, à six reprises différentes, les chevaux montés par les picadores
ont été renversés et leurs cavaliers désarçonnés.
Il est certain que malgré leurs caparaçons, qui quelquefois sont déchirés par
les coups de corne des taureaux, les chevaux doivent éprouver de violentes
souffrances.
De ce que dessous j'ai dressé le présent procès-verbal pour servir ce que ,de
droit.
Coût dix-sept francs quarante-cinq centimes.
Rozier.
En même temps qu'il adressait ce procès-verbal au procureur de la
République, le président de la Société protectrice des animaux a écrit à
ce magistrat une lettre dans laquelle il expose que « les articles 29 et 30
du code d'instruction criminelle imposent non seulement aux fonction-
naires et officiers publics, mais encore à toute personne, l'obligation de
donner avis au procureur de la République des délits dont ils auront
acquis la connaissance. » Il termine sa lettre en disant que la Société
protectrice des animaux fait cette dénonciation, « afin d'obtenir de la
justice française l'application d'une loi française, qui n'est point abrogée
et qui, étant journellement appliquée à des cochers et des charretiers
dans Paris, doit l'être en vertu du principe d'égalité devant la loi, aux
toreadores, picadores et banderilleros de l'arène de la rue Pergolèse. »
Voilà qui est bien dit et mérite d'être écouté.
— M. Victor Ullmann, secrétaire de MM. Abbey et Grau, et bien connu
parmi les artistes en tournée, vient d'être nommé directeur du théâtre du
Khédive au Caire. Il a été choisi sur cent concurrents qui se présentaient. -
M. Ullmann jouera l'opéra-comique et l'opérette, et compte engager plu-
sieurs de nos étoiles parisiennes. Bonne chance au nouvel imprésario,
d'autant plus que, grâce à M. Ullmann, c'est le répertoire français et ses
interprètes qui triompheront cette année au Caire. Espérons aussi que
M. Victor Ullmann saura respecter les droits des auteurs français.
— M. Gigout fera entendre les élèves de son cours d'orgue et d'impro-
visation mardi prochain, 22 juillet 1890, à 3 heures précises. Cette audi-
tion de fin d'année sera donnée chez M. Gigout, 113 6m, rue Jouffroy,
avec le concours de M110 Jeanne Lyon et de M. Auguez. Le programme
comprend des œuvres de J. S. Bach, Hiundel, Mendelssohn, Niedermeyer,
Lemmens, Saint-Saëns, Ch. Lefebvre, Gigout et Boellmann. L'orgue sort
des ateliers de la maison Cavaillé-Coll.
— M. Campocasso, dont le privilège vient d'être renouvelé au grand
théâtre de Marseille jusqu'en 1892, avec une augmentation de subvention
de 30,000 francs, s'étanl attaché comme chef d'orchestre M. Miranne, qui
conduisait les concerts de l'Association artistique, il en résulte que cette
excellente société se trouve sans chef pour l'instant. Les Marseillais font
appel à un musicien de valeur pour occuper ce poste très enviable.
— Au casino de Dieppe, succès très prononcé pour une jeune canta-
trice nouvellement engagée par M. Bourdeau et qui donne les plus bril-
lantes espérances. Mllu Rizzio, — c'est son nom — a été rappelée et cou-
verte de fleurs après l'air de Sémiramis, que lui accompagnait M. Ans-
chiilz.
Henri. Heugel. directeur-gérant.
A LOUER, près Cluny à heures déterminées, salon pour études mu-
sicales. Écrire AA poste restante, bureau 25.
MlEltlE CUMX. — 1
Dimanche 27 Juillet 1890.
3093 - 56- ANNEE - \° 30. PARAIT T0US LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
S0MMAIEE- TEXTE
I. Notes d'un librettiste: Georges Bizet (11e article), Louis Gallet. — II. Semaine
théâtrale : les concours du Conservatoire; nouvelles, H. Moreno. — III. Berlioz,
son génie, sa technique, son caractère, à propos d'un manuscrit autographe
d'Harold en Italie, A. Montaux. — IV. Histoire vraie des héros d'opéra et d'opéra-
comique (38" article) : Triboulet, Edmond Neukohh. — V. Nouvelles diverses.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
L'ÉTOILE
nouvelle mélodie de A. Limnander, poésie de A. Van Hasselt. — Suivra
immédiatement : Vous ne m'avez jamais souri, nouvelle mélodie de G. Ver-
dalle, poésie de M. Helliot.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano : la Romance de Joconde, transcrite et variée par Charles Neustedt.
— Suivra immédiatement: Joyeux rigaudon, de Edouard Broustet.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
GEORGES BIZET
Vers ce temps, G. Bizet, d'ailleurs très souffrant, parut
tomber dans une mélancolie profonde, qui se révélait seule-
ment par des mots échappés de ses lèvres comme malgré lui.
A la surface, il était toujours le même homme, souriant,
parlant de tout de ce même ton de persiflage qui déguisait
si bien pour les indifférents sa sensibilité et sa bonté.
Ce n'est qu'après un événement terrible et foudroyant
comme celui qui devait terminer cette carrière brillaute et
tourmentée, que l'on se rappelle mille détails révélant en
l'homme près de disparaître, comme un pressentiment de sa
destinée prochaine.
En plein épanouissement de vie. alors que tout devait lui
parler de joie, d'avenir et de gloire, G. Bizet portait certaine-
ment au fond de lui-même la notion obscure de quelque
sombre dénouement.
— C'est inouï ce que je me seus vieux! disait-il, un soir,
au cours d'une causerie dans le magasin de l'éditeur
Hartmann.
Vieux ! cet homme de trente-six ans, plein d'exubérance
■et de flamme, au cerveau gonflé de pensées, ayant à peine
connu la vie, ne l'ayant encore connue, il est vrai, que par
ses luttes et ses épreuves I
Il s'en allait pourtant, avec un éclat de rire, qui semblait
démentir sa parole découragée.
Presque toutes les années, il souffrait de la gorge. Cette
affection devenue chronique ne l'inquiétait guère ; elle le
laissait quitte moyennant quelques jours de soins. Elle était
pourtant douloureuse parfois, au point de lui interdire tout
travail.
Avant Carmen, il m'avait écrit à propos de Geneviève :
« Devant donner ma partition de Carmen le 1er mai, je ne
puis finir notre oratorio cet hiver. Je le ferai en Mai, Juin et
Juillet. »
En mai, il était malade, pris plus sérieusement que de
coutume, forcé de s'enfermer.
Un moment vint où le mal prit un caractère assez aigu.
C'est à cette période que se rattache vraisemblablement ce
billet, toujours sans date, écrit à Guiraud :
« Angine colossale. Ne viens pas dimanche. Figure-toi une
double pédale la bémol-m* bémol, qui vous traverse la tète
de l'oreille gauche à l'oreille droite. Je n'en puis plus. Je
t'écrirai. »
Un mieux sensible devait pourtant marquer les dernières
semaines de son séjour à Paris. Il avait hâte de quitter la
rue de Douai, d'aller s'établir à Bougival, au bord de la Seine,
où il retrouvait chaque été la vie indépendante, si utile à son
travail et si chère à ses goûts.
Geneviève de Paris hantait son cerveau. Il s'en entretenait
avec Lamoureux ; il désirait se mettre à l'œuvre.
« J'ai vu Lamoureux qui ne m'a pas caché l'excellente
impression que lui a laissée votre lecture. Il est enchanté.
Je ne pars que jeudi. D'ici là, indiquez-moi un rendez-vous.
Je sors tous les jours en voiture de 2 à 4.
» Je souffre toujours, mais il paraît que ce sera ainsi jus-
qu'à la fermeture de l'abcès!... Charmant! »
Cette lettre est certainement la dernière que j'aie reçue de lui.
Rendez-vous pris, selon son désir, j'allai le voir. Je le
trouvai un peu accablé, souriant d'un sourire encore mélan-
colique, plein d'ardeur pourtant à la pensée du labeur pro-
chain. Assis à l'angle de la cheminée, dans son fauteuil de
malade, il me parla longuement et de ses souffrances pas-
sées et de ses rêves d'avenir. — La maladie, il en riait déjà,
la croyant vaincue! — Les rêves, il les recommençait avec
une satisfaction toujours nouvelle! Bien loin déjà étaient
Djamileh, disparue si vite, Carmen, discutée, dédaignée aussi
par certains, l' Arlésienne plus heureuse , Bon Rodrigue même
arrêté dans son essor par l'incendie de l'Opéra et la préfé-
rence accordée à un autre ouvrage. Toutes les forces renais-
santes du compositeur, toute son ardeur rajeunie tendaient
alors vers cette Geneviève pour l'achèvement de laquelle il s'é-
tait donné naguère trois mois : mai-juin-juillet.
234
LE MÉNESTREL
C'est le seul jour, je crois, où Bizet ne m'ait pas parlé
debout, cédant à ce besoin d'activité, de mouvement qui
faisait le fond de son tempérament. Il serait d'un ridicule
sentimentalisme de dire que j'en fus frappé et attristé alors.
Je n'y pensais pas. Je ne croyais à rien de grave; ce n'est
que bien après que l'impression vaguement triste de cette
dernière rencontre m'est revenue — et que j'ai revu le com-
positeur, dans le lointain pourtant très net de mes souvenirs,
avec ses traits comme attendris, son geste lent et doux, son
regard tout brillant devant les images évoquées, qui le len-
demain allaient vivre et chanter !
Il disait : mai-juin-juillet ! La mort avait dit : juinl
Deux jours après, le lendemain même peut-être, il devait
partir. Il n'existait du poème de Geneviève de Paris que le ma-
nuscrit original, sur lequel nous avions déjà échangé des
idées et qui nous avait servi pour cette lecture à Lamoureux,
qui avait donné au compositeur cette certitude heureuse du
placement de son œuvre.
« — Faites vite copier, me dit-il, quand nous nous sépa-
râmes et expédiez-moi cela à Bougival. »
G. Bizet devait avoir le manuscrit de Geneviève de Paris ; il lui
était certainement parvenu au lendemain, sinon le jour même,
de son arrivée à Bougival et je n'en recevais aucune nou-
velle Je m'étonnais de ce silence; j'accusais déjà de
négligence, d'indifférence, le collaborateur, si ponctuel d'or-
dinaire.
En rentrant chez moi, ce jour -là, j'y trouvai au milieu
des miens, Mme Saint-Saëns, la mère ; on parlait de G. Bizet.
Et comme je manifestais mon sentiment au sujet de ce
silence inexpliqué du compositeur, Mme Saint-Saëns me dit,
d'un ton singulier qui me frappa.
— Il ne vous écrira pas. Il est très malade, très malade !
— Comment? Il allait mieux!
— Il est très malade.
Elle répétait ce mot, avec un regard navré, une tristesse
d'intonation qui achevèrent de me troubler.
— Mais, alors, je vais aller Je voirl
Elle ajouta lentement :
— Non ! n'y allez pas !
Et elle se leva, prit congé.
Mme Saint-Saëns partie, il y eut parmi nous un silence.
Du regard, j'interrogeai ma femme. Puis, tout à coup, la
voyant troublée, spontanément, sans raisonner, je dis:
— Il est mort !
Une affirmation muette me répondit, m'arracha ce cri :
— Oh! ce n'est pas vrai!...
Je ne voulais pas croire! — Les réflexions sottement ba-
nales m'arrivaient en foule: je l'avais vu, il n'y avait pas
huit jours, je lui avais envoyé ce manuscrit de Geneviève...
Mort! était-ce possible?
La nouvelle était arrivée le matin même. Elle avait causé
dans le milieu où Georges Bizet était connu, admiré, aimé,
une douloureuse stupeur !
Il avait succombé dans la nuit du 2 au 3 juin, en quelques
instants. La cause de ce brusque et terrible dénouement, on
n'y songeait pas même tout d'abord! On voyait seulement
l'immensité de la perte que l'art musical venait de faire. Et
après la douleur profonde que la disparition d'un ami cher
peut causer à des amis, c'était cela seul qui importait. La
voix muette, la main glacée à tout jamais! Voilà ce qu'on se
disait en suivant deux jours après, au cimetière Montmartre
le convoi de ce jeune et de ce vaillant emporté en pleine
bataille.
On dit, autour de cette tombe ouverte, toutes les phrases
d'usage. Elles ne varient guère : la mort est la grande nive-
leuse des opinions : celui qui s'en va et qu'il faut louer ne
saurait avoir été qu'un ami fidèle et dévoué, une âme et un
esprit d'élite. Il y a des formules éternelles pour des cir-
constances pareilles. Ce n'était pas dans la banalité pom-
peuse des lieux communs que résidait ce jour-là le véritable
éloge de l'ami et du maître, c'était dans la douleur de tous,
c'était dans les larmes difficilement contenues, dans les
paroles brèves, étranglées par l'émotion, dans les énergiques
serrements de mains de ceux qui souffraient profondément
du même coup.
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
LES CONCOURS DU CONSERVATOIRE
Ils se poursuivent sans relâche; la longue théorie des jeunes filles
et des jeunes hommes concurrents s'allonge sous les voûtes du Con-
servatoire, au milieu des malédictions habituelles de nos confrères de
la presse. C'est toujours le même concert de reproches qu'on leur
fait: « Qu'êtes-vous? Que savez-vous? A quoi avez-vous employé
votre temps? Vous ne chantez pas comme la Krauss, mademoiselle;
vous n'avez pas la tournure de Jean, mon garçon. Vous ne touchez
pas le piano comme Planté, jeune téméraire. Joachim en pince
mieux que vous, vous n'êtes qu'un racleur de violon. » Avouons
que ce petit radotage annuel devient bien ridicule. Le Conserva-
toire n'est qu'une école et on ne peut lui demander de nous fournir
en quelques années des artistes accomplis. C'est comme si l'on disait
aux jeunes sous-lieutenants qui sortent de Saint-Cyr : « Vous ne
valez pas Napoléon Ier ». Non, le Conservatoire ne peut avoir la pré-
tention de fournir des Faure et des Duprez tout fraîchement émou-
lus au sortir de ses classes. Ce serait vraiment trop beau. Tout ce
qu'il peut faire, 'c'est de donner aux jeunes élèves qu'il reçoit de bons
principes d'éducation, lesquels, s'ils tombent sur des natures bien
douées, doivent mettre les jeunes apprentis à même de passer
bientôt artistes par la pratique publique de leur art. Est-ce que le
Conservatoire a manqué à cette tâche, cette année plus que les
années précédentes ? Que non pas ! Et nous en trouvons la preuve
dans les articles mêmes des critiques qui se montrent les plus
amers.
Voici, par exemple, M. Léon BernardDerosne, du Gil Blas, si je
ne m'abuse, qui déclare sans ambages, à propos du concours de
tragédie et de comédie, « qu'il y a longtemps qu'il n'avait assisté
à un concours aussi médiocre ». Puis, tout de suite après, il est
obligé de reconnaître que Mllc Dus, qui cependant n'a eu qu'un
second prix, « a de l'énergie et du feu et qu'elle pourrait aller
loin. » Le concours est médiocre, c'est entendu, et pourtant voici
comment le même critique s'exprime à propos de M. Dehehy :
Le premier prix de comédie a été donné à M. Dehetly, el il lui a été donné
à l'unanimité. Je serais étonné si le jeune lauréat ne réussissait pas avec éclat
dans son métier. Il a dix-huit ans et il connaît déjà son affaire. Il est mince,
gracieux, ému, vibrant même, et cependant son jeu est mesuré et très attentif.
Il a dit d'une façon vraiment touchante, l'admirable scène du Chandelier .
M. Auguste Vitu, l'émincnt critique du Figaro, n'est pas moins
élogieux pour ce jeune homme :
M. Dehelly, dit-il, a conquis le premier prix d'une acciamation unanime. Ce jeune
élève de M. Delaunay, il n'a pas encore dix-neuf ans, est lui-même un jeune
Delaunay ; tel il nous est apparu dans le rôle de Fortunio. L'accent, le geste, la
voix la plus tendrement expressive et portant sans effort, tout cela e,t d'un
charme juvénile qui a uni dans un accord parfait la décision du jury et les ova-
tions du public.
Et que nous dit également M. Vitu sur le compte de M"e Dux?
Voici :
La personnalité hors ligne de cette partie du concours, c'est une jeune fille
qui n'a pas encore seize ans, M"" Dux, qui s'attaquait au rôle d'Hermione. Excu-
sez du peu 1 M"0 Dux nous réservait la surprise d'une voix pleine, flexible et bien
timbrée, d'une diction admirablement juste eii même temps que simple, et, chose
presque incroyable en cet âge si tendre, d'une autorité qui s'impose. Le jury a
été séduit comme le public tout entier, car il a décerné d'emblée le second prix
de tragédie à M"* Dux.
Eh ! bien je n'appelle pas un concours médiocre (!), celui qui
nous donne deux grandes espérances comme M. Dehelly et M"e Dux.
Je vais plus loin et je dis que, le Conservatoire ne produisit-il
par an que la graine seule d'un futur grand artiste, son utilité
serait suffisamment démontrée.
Les classes de chant sont comme d'habitude les plus décriées, et
pourtant il semble y avoir unanimité pour reconnaître les plus sé-
rieuses qualités au jeune baryton M. Ghasne. Je regrette de ne plus
retrouver dans mes coupures les quelques lignes très élogieuses
LE MENESTREL
235
que lui consacre le critique musical du Gil Mas, qui ne passe pas
pour écrire d'ordinaire des articles de complaisance, mais M. Vitu,
déjà nommé, déclare que
M. Ghasne, le premier des deuxièmes prix, a vaillamment gagné cette récom-
pense; il s'était mesuré avec l'air d'Agamemnon « Diane impitoyable », dans
Vlphigénie en Auliâe, de Glùcli. Ce morceau de musique classique, tout en décla-
mation scolastique et sévère, ne porte pas beaucoup son interprète. M. Ghasne
l'a dit avec une justesse bien remarquable chez un débutant; il y a mis du
style et quelque chose de plus. Sa voix de baryton est d'ailleurs solide et
expressive.
Parmi les femmes, c'est M110 Bréval qui a eu l'honneur de
« prendre aux entrailles » notre difficile confrère et ami Victor
Wilder. Elle le doit à « sa voix chaude et à son tempérament -vi-
goureux ». Eh! hien, ce n'est donc rieu que de prendre Wilder aux
entrailles! Et vous voulez me l'aire croire que ce concours a été
médiocre.
Dans celles des classes instrumentales déjà passées en revue, on
se plaît à reconnaître que le jeune Durand (onze ans !) est déjà un
harpiste des plus distingués, et le jeune Lachaumé, premier prix
de piano, une nature artistique d'élite :
Le concours de piano a présenté un jeune élève d'ordre tout à fait supérieur.
M. Lachaumé, élève de M. Charles de Bériot, a interprété le morceiu de concours,
— la 1" Ballade de Chopin — en véritable artiste, et l'impression qu'il a produite
sur le public a été une des plus profondes qui aient jamais été ressenties par
l'auditoire du Conservatoire.
Eh ! mais, sans compter les surprises que peuvent nous réserver
les concours qui n'ont pas encore eu lieu, voici déjà six sujets qui
ne paraissent pas tant à dédaigner : MIlcsDux et Bréval, MM. Dehelly,
Ghasne, Durand et Lachaumé. On est doue bien mal venu, nous sem-
ble-t-il, de se lamenter ainsi suria soi-disant décadence des éludes au
Conservatoire. Ah! si nos confrères voulaient bien faire un petit
tour dans les établissements similaires de l'étranger, ils commen-
ceraient sans doute à comprendre qu'ils ont chez eux une école
sans rivale et qu'ils ont bien tort de la décrier ainsi.
Naturellement peu de chose dans les théâtres pendant ces temps
d'été. L'Opéra continue à se dégarnir peu à peu. Aux artistes qui
courent la prétentaine à l'étranger et que nous avons déjà signalés,
il va falloir ajouter M. et Mme Escalaïs, qui prennent leur congé, la
semaine prochaine, et M. Plançon, qui devrait déjà être parti et n'a
consenti à demeurer que par dévouement pour l'administration. Il
serait curieux de compter au juste les sujets qui restent et de savoir ce
que devient le fameux article du cahier des charges qui enjoint aux
directeurs d'avoir toujours tenus en triple les rôles de chaque ouvrage.
J'imagine que nous serions loin de compte. Il est inutile d'ajouter
qu'avec tous ces départs les représentations déjà si médiocres de
l'Opéra sont tombées au-dessous du niveau du dernier théâtre de
province. Et c'est pour cela que MM. Ritt et Gailhard touchent huit
cent mille francs de subvention à l'année !
Qui l'emportera du Mage ou de Salammbô? Lequel des deux ouvrages
passera avant l'autre ? La lutte est commencée et les paris sont
ouverts. Massenet contre Royer. Les deux compositeurs sont aussi
pleins de talent l'un que l'autre, et aussi pleins d'esprit. L'un a la
signature des directeurs, l'autre leur parole, la partie est donc égale.
Attendons-nous à des incidents curieux. Est-ce pour sortir d'em-
barras que MM. Ritt et Gailhard annoncent à son de trompe
dans tous les journaux que pour eux ils n'ont qu'à se croiser les
bras jusqu'au moment où les Chambres auront statué sur leur
malheureux sort. Il serait surprenant qu'on les renvoie à leur
échoppe et qu'ensuite nous n'ayons ni le Mage, ni Salammbô! Voilà
qui serait regrettable.
* *
Où en est au juste M. Verdhurt avec son Eden? Construit-il? ne
construit-il pas? Engage-t-il ? N'engage-t-il pas ? Les bruits les
plus divers courent la presse à son sujet. Ce qu'on nous annonce
aujourd'hui est démenti le lendemain. On dit que M. Engel est en-
gagé, mais ce pourrait bien être M. Talazac ; on dit que M. Bouhy
a signé. Pourquoi ne serait-ce pas M. Vauthier? Tout n'est ici que
conjecture, sauf bien entendu le capital immense que M. Verdhurt
a su sans aucun doute réunir pour faire prospérer son entreprise.
A la Comédie-Française , nous avons eu une agréable reprise des
Petits Oiseaux de M. Labiche. Ce n'est pas cependant sa plus vive
comédie ; et on fera bien de songer au Voyage de M. Perrichon ou
à Cétimare, qui sont des inventions autrement bien venues. C'est
une bonne idée que d'enrichir le répertoire de la Comédie de
quelques-unes des productions de cet esprit si alerte, si sain, si
français.
H. Moreno.
BERLIOZ
SON GÉNIE, SA TECHNIQUE, SON CARACTÈRE
A propos d'un manuscrit autographe d'HAROLD EN ITALIE
On peut affirmer que jamais en aucun temps les chefs-d'œuvre
ne furent plus étudiés et mieux commentés qu'en celui-ci. L'esprit
d'analyse est tel qu'il n'en est point peut-être dont on ne recherche
l'origine, dont on ne reconstitue l'histoire. On veut savoir en quelles
circonstances telle ou telle composition admirée a été conçue,
quelles passions l'ont inspirée, quelles influences en ont déterminé
la forme, les tendances. Il semble que la vie même des Maîtres
puisse fournir l'explication de leur génie. « L'homme, c'est le style »
diraient aujourd'hui, en retournant un mot célèbre, ces infatigables
curieux que tourmente le désir de connaître le pourquoi de toute
chose. Aussi, à côté des travaux esthétiques et techniques sur les
textes, voyons-nous se multiplier les biographies des auteurs, et
même les publications de correspondances privées , où on espère
découvrir le secret de leurs pensées intimes.
Il est pourtant un ordre d'investigations auquel on n'a pas songé
jusqu'à ce jour et qui compléterait bien celles qu'on multiplie avec
tant d'ardeur. C'est l'étude des manuscrits originaux, où l'on peut
surprendre le premier jet de l'inspiration, retrouver le travail ulté-
rieur de la pensée, et suivre cette pensée en ses transformations
successives. Une telle étude ne serait pas sans analogie avec celle
qu'on a souvent tentée utilement sur les cartons esquissés par les
o-rands peintres pour préparer leurs fresques et leurs tableaux. Elle
doit conduire à des remarques fécondes et en apprsndie plus long
qu'aucune autre sur le tempérament d'un artiste, ses procédés, ses
aspirations.
Sans doute offre-t-elle plus d'une difficulté, car il est malaisé de
se procurer de semblables autographes. La langue usuelle ne suffit
pas non plus pour expliquer clairement les observations recueillies,
et un exposé de cette sorte, s'il se prolongeait, deviendrait inévita-
blement fastidieux. Du moins en peut-on faire l'essai sur des frag-
ments connus, de dimension restreinte, et où la manière d'un Maître
se révèle de la façon la plus caractéristique.
Un des romantiques dont on s'est le plus occupé depuis quelque
temps est Hector Berlioz.
Sans parler de ses propres écrits ni de ses mémoires autobiogra-
fiques où il s'est représenté tel qu'il voulait paraître à ses contem-
porains et à la postérité, deux recueils de ses correspondances ont été
produits ; on a publié sur sa personne et ses travaux de nombreux
ouvrages. Enfin les critiques les plus qualifiés ont décrit son génie
et les moindres particularités de sa vie en des articles épars parmi
lesquels il faut rappeler les curieuses appréciations de Robert Schu-
mann et les apologies enflammées qu'Ernest Reyer lui a dédiées à
plusieurs reprises, notamment au lendemain de sa mort. Ses œuvres
elles-mêmes sont connues aujourd'hui de tous; elles figurent sans
cesse aux programmes des associations symphoniques à Paris, en
province, à l'étranger. Pour tout dire, par un singulier revirement
du "oût,' après avoir été longtemps décriées avec une sotte préven-
tion, elles sont devenues à la mode.
J'ai l'honneur de posséder la partition autographe à'Harold en
Italie. Cette partition fut offerte à Auguste Morel, par Berlioz lui-
même, en témoignage de l'étroite amitié qui les unissait l'un à
l'autre, ainsi que l'atteste la suscription suivante : « Manuscrit auto-
graphe que je prie mon excellent ami Morel de conserver en souvenir de
moi. » Les héritiers d'Auguste Morel savaient son intention de me
léguer ce précieux document ; ils m'en firent généreusement don
lorsque Morel fut enlevé à l'affection des siens par une brusque
maladie. Je leur renouvelle ici mon remercîment.
Le manuscrit à'Harold est écrit en entier de la main d'Hector
Berlioz, avec cette écriture ferme où semble passer quelque chose
de son 'caractère. Les barres de mesures sont soigneusement tracées
à la règle. Mais les corrections, les ratures, les surcharges y abon-
dent, tantôt à l'encre, tantôt aux crayons rouges ou noirs. On y
236
LE MÉNESTREL
trouve aussi beaucoup de collettes (1) rapportées avec précaution sur
les feuillets et maintenues par des pains à cacheter, au-dessous
desquelles on peut lire sans trop de peine le texte primitif. Des
modifications importantes ont été apportées à l'instrumentation.
Souvent aussi un dessin a été noté au bas de la page avec plusieurs
variantes, au milieu desquelles on suit les hésitations, sinon de la
pensée, du moins de la forme que cette pensée devait finalement
affecter.
Celte partition au bout de laquelle le maître a écrit les mots :
« Montmartre 22 juin 1834 » est bien celle qui a servi à l'élaboration
d'Harold.
Auguste Morel l'avait fait relier en un seul volume avec un ma-
nuscrit de la Captive orchestrée, que Berlioz lui avait également
donné. — « Mon cher Morel, » a écrit Berlioz au-dessous du tilre :
« Conservez ce manuscrit autographe en souvenir de l'amitié sincère que
je vous ai vouée et comme un témoignage de mon admiration pour vos rares
et magnifiques facultés musicales. » — Mais cette seconde partition,
qui est d'une grande netteté, ne porte la trace d'aucune retouche.
C'est évidemment une duplique que Berlioz avait eu la touchante
attention d'établir lui-même pour son fidèle ami. Elle n'a donc que
la valeur d'un autographe, sans l'intérêt très particulier qui s'attache
au manuscrit d'Harold.
Ces circonstances et l'ensemble des considérations qui précèdent
m'ont engagé à tenter sur un fragment populaire d'Harold le travail
que je souhaiterais voir renouvelé pour les pages les plus signifi-
catives des maîtres.
III
Le tablean que présente la Marche des Pèlerins chantant la prière du
soir est bien dans la donnée romantique qui attirail, je dis mieux
qui fascinait Berlioz. De ce romantisme, qui caractérise le mouve-
ment intellectuel de 1830, Berlioz se grisait. — «Je puis dire en vé-
rité », écrivait-il" de Lœwenberg, « que jamais je n'entendis exécuter
Harold d'une plus irrésistible façon — je me jouai réellement pour
moi-même, sans penser au public, l'orgie d'Harold, à ma manière, avec fu-
reur; j'en grinçais des dents! » — Et ailleurs : « il n'y avait
pas assez de violons, et les trombones étaient de trop honnêtes gens pour
cette orgie de brigands ».
Souvent dans ses lettres, dans ses mémoires, il revient à la Mar-
che des Pèlerins. — À la première audition, le 23 novembre 1834, il
nous apprend qu'elle fut bissée.-- A Dresde, « les scènes mélanco-
liques et religieuses d'Harold ont paru réunir de prime abord toutes les
sympathies. » — A MaDnheim, « ce sont les deux morceaux d'Harold, la
Marche des Pèlerins et la Sérénade, qui ont eu les honneurs ». — A He-
chingen, la Marche des Pèlerins fait encore partie du programme el,
malgré la douloureuse lacune de la harpe que remplaçait un piano,
malgré l'absence des 3e et 4° cors, il se sent heureux. « Tout a mar-
ché très bien, » dit-il, « avec précision et même avec verve. » A Leip-
zig, à Londres, à Marseille, à Lyon, voici encore la Marche des Pèle-
rins; et dans les Grotesques de la musique, il nous raconte comment,
dans cette dernière ville, la partie de harpe fut exécutée par l'excel-
lent chef d'orchestre, Georges Hainl, « qui enleva les cordes voisines de
Tut et du si, et, sûr ainsi de ne pouvoir se tromper, attaqua les deux seules
notes que renferme cette partie avec un imperturbable aplomb. »
En out'e de son programme romantique, la Marche des Pèlerins
avait d'autres titres à la prédilection de Berlioz. Elle était une pro-
duction de cette période heureuse de la jeunesse où les longs espoirs
soDt ouverts et où il semble à l'artiste qu'il va conquérir le monde.
— Enfin le sujet même d'Harold évoquait dans son âme les souve-
nirs de cette Italie où il avait passé quelques années remplies d'im-
pressions vivaces. Ces impressions, on les retrouve dans le troisième
chapitre de ses Mémoires décrites avec une couleur intense, avec
une rare éloquence :
« 0 grande et forte Italie », s'écrie-t-il en terminant, « Italie sauvage,
insoucieuse de ta sœur, l'Italie artiste,
La belle Juliette au cercueil étendue ! »
Italie ! Italie ! — C'est encore sur cette invocation qu'il achè-
vera les Troijens, magnifique couronnement de sa carrière hantée
toujours par cette lumineuse vision !
Aussi il faut voir avec quelle ardeur, avec quel amour il composa
la Marche des Pèlerins.
(1) La collette est un morceau de papier collé sur la page. Elle couvre
par conséquent, en la cachant, la première écriture, et c'est sur elle que
l'auteur en fixe une nouvelle. Pour la commodité du récit, un utilisera
souvent, au cours de la présente étude, ce néologisme familier, que le
lecteur voudra bien excuser.
Le 16 mai 1834, dans la fièvre de la production, il mandait à son
ami Humbert Ferrand : a II y a une marche des Pèlerins chantant la
prière du soir qui, je l'espère, aura au mois de décembre une réputation ».
— Et, en novembre : « Après la première audition, la Marche des Pèle-
rins a été bissée ; elle a aujourd'hui la prétention de faire le pendant (re-
ligieux et doux) à la Marche au Supplice ».
Ne sourions pas de cette expression naïve d'enthousiaste satisfac-
tion. Nul ne peut aspirer à triompher dans l'art, en dépit des obs-
tacles accumulés sur la route, s'il n'a cette superbe confiance en soi-
même. — Et puis, quand l'artiste enfante quelque chose, il ressent
une sorte d'ébranlement dans tout son être. — Deusl ecce Dtusl —
C'est comme une échappée qui s'ouvre sur un horizon infini.
Certes il ne réalise jamais complètement l'idéal entrevu, car il vise
toujours plus haut qu'il ne peut atteindre. Mais, au moment où l'ins-
piration jaillit, il lui semble que cet idéal, il le tient! il éprouve
des sensations inconnues à tout autre qu'à lui et en retrouvera
l'écho vibrant toutes les fois qu'il entendra son œuvre, tandis que
le public y trouvera seulement la parcelle d'idéal qu'elle peut
réellement contenir. — De la l'idée exagérée que l'auteur peut avoir
quelquefois de ses productions.
Respectons cette exagération, car elle prouve la sincérité même
de son émotion.
Du moins Berlioz, après le premier enivrement de la création, ne
demeurait-il pas satisfait de lui-même.
« Dans la Marche des Pèlerins », — nous confie-t-il dans ses Mé-
moires, — « que j'avais improvisée en deux heures en rêvant un soir au
coin de mon feu, j'ai, pendant plus de six ans, introduit des modifications
de détail qui, je crois, l'ont beaucoup améliorée. Telle qu'elle était alors,
elle obtint un succès complet lors de sa première exécution à mon concert
du -23 novembre 4834 au Conservatoire ».
Six ans! six ans de retouches pour quelques pages de poésie des-
criptive, voilà qui est pour donner à réfléchir à certains de nos con-
temporains, parmi les mieux doués, qui sont toujours prêts à livrer
au public des œuvres de bien autre dimension hâtivement pensées
et hâtivement écrites, pour contenter servilement son caprice du
jour! — Même en tenant compte de ce grossissement involontaire
dont Berlioz est coutumier toutes les fois qu'il s'agit de lui, il est
certain qu'il a remanié en bien des points et à des époques diverses
la conception primitive de la Marche des Pèlerins. — Nocturnâ versate
manu, versate diurnâ. » — Les différences d'écritures, de notations
sont là pour en témoigner.
Ce sont précisément ces « modifications de détail » rappelées avec
tant d'intérêt par le Maître dans ses Mémoires que nous allons pou-
voir curieusement rechercher dans le manuscrit.
(A suivre.) A. Montaux.
HISTOIRE VRAIE
DES HÉROS D'OPÉRA ET D'OPÉRA- COMIQUE
XLVII
TRIBODLET
A l'Opéra, on l'appelle Kigoletto !
Ah ! qu'il tranche sur les joyeux drilles qui précèdent. Eux, amu-
saient tout le monde. Lui, ne distrait personne, pas même son maî-
tre. Triboulet vient du vieux verbe tribouler, qui signifie taquiner ;
ce nom prouve suffisamment le genre d'esprit dont notre homme
était pourvu, encore que Rabelais l'ait appelé un fou sage.
Il traînait, le pitre, ses chausses percées dans les rues de Blois,
en jouant de la cornamuse, quand le roi Louis XII, l'apercevant d'une
fenêtre du château, comme une horde de gamins l'accablait de
pierres, envoya un de ses officiers le quérir et le garda aupiès de
lui pour remplacer son fou, Caillette, qui venait de mourir.
La succession était facile, car Caillette ne brillait pas précisé-
ment par l'esprit. Il jouait au souffre-douleurs et se contentait de
ce iule ridicule. Un jour, des pages lui ayant cloué l'oreille à un
poteau, il demeura dans cette triste situation jusqu'au passage du
roi. Louis XII entra dans une vive colère à la vue du malheureux.
Il manda lout le corps des pages; mais chacun des espiègles, inter-
rogé à son tour, répondit effrontément :
— Je n'y étais pas.
Alors, le fou, piteusement :
— Je n'y étais pas non plus.
Triboulet dut la plus grande part de son succès à son physique :
ses oreilles étaient d'une dimension prodigieuse ; une bouche dénie-
LE MEiNESTREL
237
sûrement fendue s'étendait de l'une à l'autre ; enlin il avait, comme
l'a dépeint Clément Marot :
Petit front et gros yeux, nés grant et taille à voste,
Estomac plat et long, hault dos à porter hotte.
Mais, d'après les contemporains, son esprit était nul ou presque
nul. C'était une sorte d'idiot, qui faisait rire par ses palinodies, et
dont François Ier, au service duquel il était passé après la mort de
Louis XII, se défit, « pour cause qu'il avait lassé sa patience, ven-
dant son cheval pour avoir du foin, et revendant son foin pour avoir
un cheval. »
Les anecdotes sur ce grotesque n'en sont pas moins nombreuses.
Citons- en quelques-unes :
Menacé de coups de bâton par l'amiral Bonnivet, dont il avait mal
parlé, Triboulet demanda à François Ier de le protéger ; celui-ci lui
répondit que si quelqu'un était assez hardi pour le tuer, il le ferait
pendre un quart d'heure après.
— Ah ! sire, s'écria Triboulet, s'il plaisait à Votre Majesté de le
faire pendre un quart d'heure avant.
Une autre fois, exposé à perdre la vie pour avoir gravement insulté
une maîtresse du roi, il n'obtint qu'une grâce, celle de choisir son
genre de mort.
— Bon sire, dit-il, par Sainte-Nitouche et Saint-Pansard, patrons
de la Folie, je demande à mourir de vieillesse.
Enfin, avant la campagne de 1525, entendant les conseillers du roi
discuter les moyens de pénétrer en Italie :
— Ces avis ne me plaisent point, dit-il, vous ne pensez point à
l'essentiel.
— Et quel est l'essentiel?
— C'est le moyen de sortir, dont personne ne parle.
Mais la vérité nous oblige à dire que celte saillie doit êtie portée
non au compte de Triboulet, mais à celui de son successeur Brus-
quet.
C'est Biusquet également et non Triboulet, comme on le croit géné-
ralement, qui marqua sur le Calendrier des Fous le nom de Charles-
Quint, lorsque ce souverain fit demander à François Ier la permission
de traverser la France pour se rendre à Gand.
Questionné par le roi sur cette inscription, il répondit qu'il fallait
être fou pour passer dans les Étals d'uD prince qu'on a maltraité.
Et le roi lui ayant demandé ce qu'il dirait en voyant l'empereur
repasser dans le royaume avec autant de sûreté et d'éclat que s'il
était es Espagne;
— Je ne dirais rien, répliqua le bouffon, mais j'effacerais sur-le-
champ le Dom de Charles-Quint, et je mettrais sur mon registre celui
de Votre Majesté.
Un détail caractéristique :
Des gens qu'on n'estime pas, on dit encore à Blois :
— Je m'en soucie comme de Triboulet.
(A suivre.) Edmond Neukomji.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Nouvelles de Londres :
Les Anglais en ont toujours voulu aux auteurs d'Hamlet d'avoir osé s'at-
taquer au chef-d'œuvre de Shakespeare: au librettiste, on reproche le dé-
nouement modifié et surtout la chanson à boire; au musicien, d'avoir pro-
duit une partition sévère comme si le sombre prince de Danemark
aurait pu être traité d'une façon folâtra. Il n'en est pas moins vrai que
cette belle œuvre n'est pas appréciée à sa valeur à Londres. Et, cependant,
il y avait là des éléments d'interprétation qui à eux seuls eussent du attirer
l'attention du public, si celui-ci n'était atteint de cette horrible lénowlatrie
dont les effets ont été si funestes sur toute la saison musicale. Eh bien !
les absents ont eu encore cette fois bien tort. M. Lasalle s'est vite relevé
de quelques défaillances vocales, au premier acte, se montrant comédien
et chanteur remarquable dans la scène de l'esplanade et dans le duo avec
sa mère. M"lc Richard est toujours excellente dans le rôle de la reine.
Quant à MIEe Melba, elle a été l'objet d'une véritable ovation après le qua-
trième acte qu'elle a chanté d'une façon exquise. M. Isnardon fourvoyé
dans le rôle du roi a fait preuve de bonne volonté, comme toujours. Il
faudrait peut-être aussi tenir compte à l'artiste qui personnifiait le spectre
de l'extrême soin avec lequel il a composé son rôle, au point d'adopter un
accent vraiment de l'autre monde.
La partition a subi de nombreuses mutilations: coupée la phrase du
trombone au commencement du deuxième tableau; coupée la plus grande
partie de la chanson à boire; coupé le solo de saxophone au quatrième
tableau ; coupé le prélude du quatrième acte ; coupé enfin tout le dernier
acte. Le ballefall'reusement costumé et atrocement réglé n'a été qu'une
parodie de la Fête du printemps, que sa délicieuse musique a pu seule
racheter.
Lundi prochain pour la clôture définitive, représentation extraordinaire
de Carmen, en français, avec la distribution suivante: Don José, Jean de
Reszké; Escamillo, Lassalle ; Carmen, Mllc Zélie de Lussan ; Micaela,
Mme Melba. Mais cette distribution quasi inédite ne devait pas suffire à
l'intelligent directeur qui préside aux destinées de Covent-Garden. Pour
être shérif de Londres et titulaire du Théâtre National, M. Harris n'a pas
oublié qu'il a été longtemps directeur de cirque et de féeries. De là
cette recherche de l'imprévu dans la mise en scène qui nous a valu la ca-
valcade de Faust, la voiture de maraîcher de Rigolelto, l'introduction de
poneys dressés dans Carmen, enfin cette étonnante procession du sacre
dans le Prophète, qui a excité l'enthousiasme de la presse locale et dans la-
quelle on voit défiler des rois de toutes les époques. Pour cette représen-
tation mémorable de Carmen, il fallait quelque nouvelle exhibition et M. Har-
ris l'a trouvée. Ce sont ses trois chefs d'orchestre qui en feront les frais ;
M. Mancinelli dirigera le premier et le quatrième actes, M. Bevignani le
deuxième et M. Randegger le troisième; avec l'augmentation du prix des
places, le public avait bien droit à son brelan de chefs d'orchestre.
Espérons que les mânes de Bizet, justement irrités par la façon fort
irrévérencieuse dont on a jusqu'ici traité son chef-d'œuvre, cet été à Covent-
Garden, seront apaisés par ce nouveau procédé de collaboration au pu-
pitre, et remettons à la semaine prochaine quelques réflexions sur les
renseignements artistiques de la saison actuelle. A. G. N.
— De notre correspondant de Belgique (21 juillet):
On a fait beaucoup de musique, cette semaine, à Bruxelles, — mu-
sique dans les rues, musique populaire, musique patriotique. Des fêtes
nationales comme celles que nous sommes en train de célébrer, à l'occa-
sion du soixantième anniversaire de l'indépendance de la Belgique, ne
vont pas sans un certain nombre de festivals et sans quelques cantates.
Nous avons eu de ceci et de cela, à foison. Rien d'intéressant à noter
parmi les premiers. Parmi les cantates, il y a eu celle de M. Alfred
Tilman, sur des paroles de feu Antoine Clesse, Union et liberté, exécutée à
la fête politique de lundi dernier, en présence du Roi, et celle de M. Phi-
lippe Flon, Hymne patriotique, entendu mardi soir, au Cercle artistique.
L'une et l'autre ont les qualités du genre, de l'effet et de la sonorité, rien
de plus. Les auteurs n'ont pas compté sur elles, d'ailleurs, pour conqué-
rir l'immortalité.
Plus curieuse a été l'exécution d'un choix de vieux airs et de chansons
populaires du XVIe siècle, par des groupes de musiciens et de chanteurs,
pendant la durée du cortège historique qui s'est promené dimanche dans
les rues de Bruxelles. Il y en a eu de bien caractéristiques, chantant la
patrie, la révolte contre les oppresseurs, et l'amour, cela va sans dire. La
plupart ont été fournis par M. Gevaert et par M. Gustave Huberti, qui les
avaient harmonisés, et l'effet de quelques-uns était vraiment piquant,
avec leur orchestration d'une naïveté savoureuse et d'une couleur char-
mante. Il est regrettable que l'audition de tout cela ait été si difficile,
dans le brouhaha de la foule et les hasards des rencontres ; on n'en en-
tendait, çà et là, que quelques bribes, en passant. Mais l'impression n'en
a pas été moins forte et moins originale.
L'œuvre capitale des fêtes actuelles a été le poème lyrique et sympho-
nique, en flamand, Kinderlust en Iced (Joies et douleurs de l'enfant), paroles
de M. Emm. Hiel, musique de M. Gustave Huberti, exécuté au théâtre
de la Monnaie par un millier de voix d'enfants, dans une fête scolaire
dont le programme était complété par quelques jolis chœurs de MM. De-
libes, Lacome, etc. Œuvre importante, en deux parties, très travaillée,
très méditée et d'un réel intérêt artistique, comme le sont toutes les œu-
vres de M. Huberti. Ce que l'on peut reprocher à celle-ci, c'est d'être un
peu sérieuse, compliquée, un peu triste même pour une œuvre qui célè-
bre l'enfance et qui est destinée à être chantée par des enfants. L'impor-
tance que l'auteur a attachée à l'expression des « situations », l'a amené à
un développement du dessin mélodique qui se fait au détriment du dévelop-
pement de la mélodie proprement dite, et celle-ci en parait souvent écour-
tée. Il résulte ainsi de ce système que l'auteur, pour donner plus d'intérêt
à son œuvre, surcharge son travail d'orchestre et la sonorité de ses har-
monies ; l'exécution en devient très difficile, ce qui est un écueil en
pareil cas et le défaut ordinaire de nos jeunes musiciens. Et cependant
l'exécution, par les enfants des écoles communales, a été merveilleuse.
Ce qu'on avait pioché, depuis des. mois !... Ces critiques faites, hàtons-
nous de dire que le nouveau poème lyrique de M. Huberti est assurément
une des choses les plus marquantes qu'ait produites notre jeune école
musicale. Très descriptive, avec une instrumentation très distinguée et
une sonorité superbe, pleine et discrète à l'occasion, elle est aussi d'une
inspiration fraîche, d'une conception élevée et. d'une forme absolument
« moderniste ». Toute la première partie est exquise ; et dans la seconde
partie, en général un peu « cherchée » et tourmentée, le choral fort déve-
loppé qui termine l'œuvre a un profond sentiment, un charme de simpli-
cité et de grandeur absolument remarquable. On a vivement applaudi le
poète et le musicien, et c'est, en somme, un succès. Lucien Solvav.
— A Milan a été signé le contrat de mariage de la signorina Gina Ri-
cordi, fille du grand éditeur de musique, avec le nobile signor Luigi Ori-
goni, d'une famille distinguée de Milan. Verdi était venu expressément
de Montecatini à Milan pour féliciter la signorina et la famille Ricordi ;
il est reparti aussitôt après pour sa villa de St-Agata à Busseto.
238
LE MENESTREL
— A l'Oratoire de Saint-Philippe, à Gênes, on a déjà répété les deux
premiers actes de l'opéra Crislofolo Colombo, le nouvel opéra de M. Fran-
chetti; l'exécution orchestrale, faite par cinquante professeurs sous la di-
rection de l'auteur, a été, dit-on, magistrale.
— Le festival de l'Association générale des musiciens allemands, qui s'est
tenu récemment à Eisenach empruntait un intérêt particulier à l'abon-
dance des ouvrages nouveaux qui figuraient au programme ; celui-ci ne dé-
frayait pas moins de six séances sur lesquelles trois ont eu lieu au théâtre
pour l'audition des œuvres chorales et symphoniques ; deux séances étaient
consacrées à la musique de chambre et une aux compositions religieuses.
Le D1' Lassen, le hofkapellmeister Richard Strauss et le professeur Thureau
remplissaient à tour de rôle les fonctions de chef d'orchestre. Les nou-
veautés les plus applaudies ont été un quatuor (op. 8) de R. Kahn, un
autre quatuor (op. 15) de R. von Parger, un quintette pour piano, deux
violons, alto et violoncelle, de Ph. Wolfrum, et une sonate pour orgue du
même, exécutée par l'auteur, une ballade pour chœur et orchestre de
E. Humperdinck, le Bonheur d'Edenhall, dirigée par le compositeur, enfin
toute une série de mélodies inédites que l'auteur, Edouard Lassen, accom-
pagnait lui-même au ténor Hans Giessen. Les autres solistes s'appelaient
MmR Morau-Olden, Uzielli, MM. Prank, R. von Milde, Hungar, Gunz, le
Dr Krùcke, Eugène d'Albert, Stavenhagen, Halir, Grùtzmacher, Hollander,
Schwartz, Klengel et Posse. Le grand succès du festival a été pour le pré-
lude de Penthésilée de Draesek, l'élégie et finale de la sérénade pour ins-
truments à cordes de Tschaïkosvki, enfin le Burlesque pour piano etorchestre
de Richard Strauss, exécuté par Eugène d'Albert et dirigé par l'auteur.
A l'issue du festival, son président, le grand-duc de Saxe-Weimar-Eisenach,
a réuni tous les artistes dans un banquet au château historique de la
"Wartburg.
— Le lendemain d'un concert à Leipzig, raconte la Neue Musikzeitung,
Paganini était allé faire une promenade dans les environs de la ville,
avec son accompagnateur. Près du Bosenthal, ils rencontrèrent un bon vieux
boutiquier qui s'escrimait sur un violon de la plus lamentable façon. Mis
en bonne humeur par son succès de la veille, Paganini demanda au vieillard
de lui confier son instrument pendant un instant. Dès qu'il l'eut entre les
mains il l'accorda rigoureusement, l'épaula et en fit jaillir les traits, les
arpèges et les trilles les plus étourdissants. L'accompagnateur était dans
le ravissement: « Eh bien? dit ce dernier au vieux campagnard qui avait
écouté sans broncher, sans dire une parole, que pensez-vous de ce jeu? »
Et le vieux, pour qui les tours de force de Paganini n'étaient sans doute
que des coups d'archet manques, de répondre sur un ton de bienveillance :
« Voyez-vous, mon bon monsieur, il faut encore un peu étudier; ensuite
cela viendra. »
— Nouvelle à la main du même journal : Un jeune homme prenait des
leçons de violon. Un jour la cheville du sol glissa pendant l'exécution et
fit baisser la corde de plus d'un ton. Pourtant l'élève continuait à jouer
bien tranquillement jusqu'au moment où le professeur se décida à lui
crier: <■ Vous n'entendez donc pas? Votre sol est trop bas d'un ton. » —
« Je le sais bien, répondit le jeune homme avec calme, mais cela n'a
pas d'importance. Je ne joue que pour mon plaisir! »
— Le septième festival de musique de Bristol, qui se tiendra en octobre
prochain, a été fixé ainsi qu'il suit : première journée, mercredi 22 octobre,
la Rédemption, de Gounod, huitième symphonie de Beethoven, suite de Peer
Gynt, de Grieg, quatrième rapsodie- hongroise de Liszt, ouverture des
Maîtres chanteurs et du Freischiitz; jeudi, Elie, de Mendelssohn; vendredi,
Judith, de Hubert et Parry, la Légende dorée, de Sullivan, symphonie en si
mineur de Schubert, la Chevauchée des IValkyries et Kaisermarsch (avec
chœurs) de Wagner; samedi, le Messie, de Haëndel. Se feront entendre,
comme solistes, Mmcs Albani, Macintyre, H. "Wilson, Hope Glenn, MM. E.
Lloyd, Me Kay A. Black, Watkins Mills, B. Pierpoint, Worlock. Le chef
des chœurs, M. Rootham, aura sous ses ordres trois cent soixante-deux
exécutants et sir Charles Halle dirigera un orchestre de quatre-vingt-
quinze instrumentistes.
— L'opéra de Mozart Cosi fan lutte, dont la dernière apparition sur une
scène anglaise date de 1812, vient d'être représenté par les élèves du Royal
collège of music à leur matinée annuelle. Gomme précédemment le Savoy
Théâtre avait été mis à leur disposition par M. d'Oyly Carte. Représentation
très remarquable sous la direction de M-. Villiers Stanford. L'orchestre et
les chœurs, comme les interprètes, s'en sont tirés à leur honneur. Un nou-
veau livret anglais avait été confectionné pour la circonstance par le révé-
rend Marmaduke Brown.
— Encore une histoire américaine ; aussi bien la mine est-elle inépui-
sable. Adolphe Kerz, qui se faisait appeler Aphdolekerz, on n'a jamais su
pourquoi, était le plus ingénieux des directeurs de théâtre. On conte de lui
que, se trouvant pris au dépourvu à Mokemoleû" (Nebraska), où on lui
avait sifflé une première chanteuse sur laquelle il avait fondé de vastes espé-
rances, il annonça qu'il venait d'engager une négresse à la voix phénomé-
nale, une Patti au jus de réglisse. Cette négresse n'était autre que sa pre-
mière chanteuse passée au jus de tabac. Elle eut un succès fou, et Aphdo-
lekerz, grâce à son ingénieux stratagème, récolta une pluie de dollars, là
où il n'avait moissonné les premiers jours qu'un déluge de pommes
cuites.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Voici les résultats des premiers concours publics du Conservatoire
national de musique:
Contrebasse (-classe de M. Verrimst), 7 concurrents. Morceau de concours :
premier morceau en sol de M. Verrimst. Jury : MM. Ambroise Thomas,
président, J. Garcin, Casella, Cros-Saint-Ange, de Bailly, Loëb, Tolbecque
et Tubœuf.
1Q™ prix: M. Pickett. —2e prix: M. Billard.
Pas de premier accessit. — 2e accessit : M. Leduc.
Violoncelle. 17 concurrents. Morceau de concours: 1er morceau du 8e
concerto de Romberg. Même jury que pour la contrebasse.
^ers prix : MM. Schi'denhelm, Barraine, élèves de M. Delsart.
2e prix à l'unanimité : M. Carcanade, élève de Rabaud.
■/"'s accessits à l'unanimité: MM. Furet et Choinet, élèves de M. Delsart.
2e accessit: M. Ghys, élève de M. Rabaud.
Chant (hommes). 21 concurrents. Jury : MM. Ambroise Thomas, prési-
dent, Larroumet, directeur des Beaux-Arts, Massenet, Léo Delibes, Guiraud,
Bouhy, Melchissédec, Vergnet et l'affreux Gailhard.
Ie' prix : M. Imbart de La Tour, élève de M. Bax.
2es prix: MM. Ghasne, élève de M. Bussine, Vaguet, élève de M. Barbot,
et Commène, élève de M. Boulanger.
4CC accessit (à l'unanimité): M. Grimaud, élève de M. Warot.
2CS accessit : MM. Théry, Castel, élèves de M. Bax, Lequien, élève de
M. Crosti. et Nivette, élève de M. Ed. Duvernoy.
Chant (femmes). 23 concurrentes. Jury : M. Ambroise Thomas, prési-
dent, Mme Viardot. MM. Massenet, Léo Delibes, Guiraud, Lenepveu, Bouhy
et toujours l'horrible Gailhard.
4<* prix : Mlle Blanc, élève de M. Bax.
2» prix : Mlles Issaurat et Bréval, élèves de M. Duvernoy, et MUo Bréjean,
élève de M. Crosti.
4er accessit : Mlle Lemaignan, élève de M. Warot.
2e accessit: M110 Cléry, élève de M. Bussine.
Tragédie (hommes). 4 concurrents. Jury: MM. Ambroise Thomas, pré-
sident, des Chapelles, Doucet, Dumas, Halévy, Claretie, Porel, Ed. Thierry,
J. Barbier, Mounet-Sully et Goquelin cadet.
Pas de premier, ni de second prix.
/<=rs accessits : MM. de Max, élève de M. Vorms, et Godeau, élève de
M. Maubant.
2e accessit ; M. Fénoux, élève de M. Maubant.
Tragédie (femmes). 6 concurrentes. Même jury.
4eT prix : M110 Moreno, élève de M. Worms.
2e prix: Mlle Dux, élève de M. Got.
4" accessit : MllG Haussmann, élève de M. Got.
2e accessit-: M110 Hartmann, élève de M. Delaunay.
Comédie (hommes) 8 concurrents. — Même jury.
4er prix : M. Dehelly, élève de M. Delaunay.
Pas de 2e prix.
4<"s accessits : MM. Lugné-Poé, élève de M. Worms; Baron et Schutz,
élèves de M. Got.
2es accessits : MM. Esquier, élève de M. Worms, et Fordyce, élève de'
M. Got.
Comédie (femmes). 15 concurrentes. — Même jury.
4er prix : Mlle Moreno, élève, de M. Worms.
2es prix : Mllcs Hartmann, élève de M. Delaunay : Syma et Guernier,
élèves de M. Worms.
4'K accessits : MUes Duluc, élève dé M. Got; Carlix, élève de M. Delaunay,
et Dux, élève de M. Got.
2es accessits : MUes Gérard, élève de M. Maubant, et Piernold, élève de
M. Got.
Harpe (classe de M.Hasselmans). 8 concurrents. Morceau de concours :
Concerto de Parish-Alvars. — MM. Ambroise Thomas, président ; Léo
Delibes, Georges Mathias, E. Mangin, Nollet, P. V. de la Nux, Georges
Pfeiifer, Baoul Pugno et André Wormser.
Pas de premier prix.
2e prix (à l'unanimité) : M. Durand.
^ers accessits : Mllc Achard, M. Maignien.
2K accessits : Mllcs Loffer et Roland.
Piano (hommes). 20 concurrents. Morceau de concours : ln Ballade de
Chopin. — Même jury.
4ae prix : MM. Lachaume, élève de M. de Bériot; Galland et Baume,
élèves de M. Diémer.
2° prix : M. Pierrot, élève de M. Diémer.
4e' accessit : M. Argaing, élève de M. de Bériot.
20B accessits : MM.de Santesteban, élève de M. de Bériot; Niederhofheim,
élève de M. Diémer; Roux (Emile), élève de M. de Bériot.
Piano (femmes). 38 concurrentes. Morceau de concours : Concerto
en sol mineur, de M. C. Saint-Saëns. Jury : MM. Ambroise Thomas, pré-
sident, Massenet, Delibes, Guiraud, Th. Dubois, Ravina, L. Delahaye, '
Pierné et Thomé.
4m prix ; Mllcs Vannier, Chapart, Weyler, élèves de M. Alphonse Du-
LE MENESTREL
239
vernoy; Allard, élève de M. Delaliorde; Përissoud et Chrétien, élèves de
M. Fissot.
2mes prix : MUes Quanté, Dieudonné et Charmois, toutes trois élèves de
M. A. Duvernoy.
4"'s accessits : Mllcs Etmyn, élève de M. Fissot; Painparé, élève de M. De-
laborde; Deldicq, élève de M. Fissot; Da Silva, élève de M. Delaborde.
2mcs accessits : M"cs Steiger, élève de M. Fissot; Weingartnër, Lepitre,
Bonnard, élèves de M. Delaborde ; Mate, élève de M. A. Duvernoy.
— La sous-commission des théâtres, chargée de tenter un règlement
transactionnel entre le gouvernement et l'administration de l'Opéra au
sujet de la question de la réfection des décors de ce théâtre, s'est réunie
cette semaine au Ministère des beaux-arts, sous la présidence de M. Lar-
roumet. Un seul des directeurs de l'Opéra, M. Kitt, assistait à cette réu-
nion. M. Antonin Proust a développé son système de réfection des
décors en huit années, à l'aide des économies réalisées sur le magasin
de décors de la rue Richer. M. Ritt a insisté sur l'inutilité de ce maga-
sin à une époque où, le gaz ayant été remplacé par l'électricité, les
dangers d'incendie qui le motivaient n'existent plus. Il a ajouté que si,
conformément au projet présenté dernièrement par M. Garnier, archi-
tecte de l'Opéra, on autorisait la construction de ce magasin à l'Opéra
même, l'économie réalisée suffirait en très peu de temps à la réfection
des décors. M. Larroumet n'est pas de cet avis, considérant comme abso-
lument irréalisable, faute de place, le projet de M. Garnier. Ce projet,
d'ailleurs, coûterait cher à l'État, qui est, parait-il, décidé à ne faire
aucuns frais pour l'Académie nationale de musique. L'administration
estime, en effet, que l'Opéra, ayant été doté une fois pour toutes, doit
subvenir à ses propres dépenses, en dehors de la subvention annuelle.
On sait que la question de la subvention de l'Opéra sera réservée jusqu'à
ce qu'un arrangement acceptable, à ce sujet, ait été trouvé. M. Larroumet
a donc fortement engagé les membres de la sous-commission à mûrir un
projet pendant les vacances, la question devant revenir sur l'eau vers le
mois de novembre avec la discussion du budget des beaux-arts. La com-
mission des théâtres ne se réunira pas avant cette époque.
— Nous avions annoncé que M. Antonin Proust devait saisir la com-
mission du budget d'une proposition consistant à diminuer la subvention
accordée aux académies de musique de province, pour augmenter celle
accordée aux concerts classiques de Paris. Or, en présence des sollicita-
tions de plusieurs députés, le rapporteur du budget aurait renoncé à ce
projet, et cela est fort heureux, à tous les points de vue. C'était une singu-
lière idée que de diminuer les subventions de ces très utiles écoles, déjà
si pauvrement dotées ! Le projet d'ailleurs était vu d'un mauvais œil par
la direction des beaux-arts, dont dépendent nos académies de musique.
On étudie donc en ce moment, en haut lieu, d'autres combinaisons pour
améliorer le sort des concerts classiques Ajoutons que M. Colonne s'est
vu refuser la subvention accordée jadis à M. Pasdeloup et qu'il s'était cru
fondé à réclamer, à titre d'ancienneté. Cette subvention est actuellement
répartie entre la Société nationale de musique fondée par M. Saint-Saëns,
l'École de cours d'orgue de M. Gigout et le Théâtre d'application. Elle
n'est donc plus disponible.
— Les fonctions de sous-bibliothécaire de l'Opéra, que remplissait
Théodore de Lajarte, récemment décédé, sont supprimées. Le ministre
des beaux-arts a pensé, non sans raison, qu'un seul bibliothécaire suffi-
sait pour cet emploi dont M. Reyer est le glorieux titulaire depuis de
nombreuses années. La somme laissée disponible par cette suppression
d'emploi sera affectée à la création d'un poste d'archiviste-adjoint et à
l'achat d'ouvrages. C'est M. Banès, employé à la direction des beaux-arts,
qui est appelé à ces fonctions.
— D'après le Gil Blas (à mettre au chapitre des illusions) : — Le square
que l'on devait, aux dernières nouvelles, aménager sur l'emplacement de
l'Opéra-Comique, n'est point encore fait. Nous apprenons, en effet, qu'un
groupe de mélomanes est en pourparlers avec l'Etat pour faire construire
à ses frais, bien entendu, sur la place Boieldieu, un « Théâtre-Lyrique
International ». C'est le projet Crépinet, adopté par la préfecture de
police, qui serait exécuté. Ce théâtre ouvrirait le l01 janvier 1892 au
plus tard. Il contiendrait deux mille places. Quant aux œuvres qui seraient
jouées, elles appartiendraient à tous les genres lyriques, y compris le
genre italien. La direction serait confiée à M. Ch. Epron, un homme, qui,
dit-on, est habile et compétent. »
— C'est à M. Théodore Dubois que M. Jules Barbier vient de confier
son livret de Circé. Il ne s'agit pas de la Circé antique : le nouvel opéra
de M. Jules Barbier est en quatre actes et six tableaux, et son action se
déroule en Espagne, au moment des guerres du premier Empire. M. Jules
Barbier a soumis à M. Théodore Dubois deux manuscrits de Circê, le
premier, mi-vers, mi-prose, le second en vers, avec récitatifs. C'est cette
dernière version qu'a choisie le musicien. M. Théodore Dubois va se
mettre immédiatement au travail.
— M. Camille Saint-Saëns est allé à Dieppe, présider une cérémonie
fort intéressante et de caractère privé. Il s'agissait de la remise officielle
entre les mains du conseil municipal de la ville de Dieppe d'un legs im-
portant consenti par lui en faveur d'une ville qu'il aime, a-t-il dit, « plus
que tout au monde ». La ville a accepté et le « Musée Saint-Saëns » est
aujourd'hui installé au premier du grand salon dus Bains-Chauds. Saint-
Saëns a abandonné son très riche mobilier personnel de l'époque Louis XV.
des pendules d'une grande rareté, des objets d'orfèvrerie, des bijoux, nom-
bre de tableaux, aquarelles, dessins signés des premiers Tnaitres, sa biblio-
thèque, et surtout une collection d'autographes de valeur inestimable. Dans
cette collection se trouvent des lettres de Voltaire, de Liszt, le manuscrit
de la marche de Faust, le manuscrit d'une Marche de Mozart, etc., etc. On
estime le tout à plus de 100,000 francs. En répondant au maire, Saint-
Saëns a promis de perpétuer son nom par d'autres legs.
— La Société des auteurs et compositeurs dramatiques vient de publier
son Annuaire pour l'exercice 1889-90. Nous en extrayons quelques rensei-
gnements intéressants. Voici d'abord les recettes encaissées parles théâtres
de Paris, du 1er mars 1889 au 28 février 1890 :
Théâtres Recettes Droits perçus
Opéra Fr. 4.015.224 16 321.213 20
Français 2.385.236 01 300.695 60
Opéra-Comique 1.982.690 50 240.645 90
Odéon 810.682 30 80.970 »
Vaudeville 687.582 » 82.550 25
Variétés 1.454.612 » 177.750 35
Gymnase, 1.212.204 50 156.455 35
Palais-Royal 997.456 » 129.200 30
Nouveautés 828.726 » ' 99.437 35
Porte-Saint-Martin .... 1.523.727 75 168.465 »
Gaité 1.091.619 25 107.929 »
Ambigu 715.748 50 71.554 73
Chàtelet 1.927.788 23 200.414 10
Cluny 324.103 50 32.410 90
Chàteau-d'Eau 78.443. » 7.922 05
Renaissance 277.638 » 33.316 70
Folies-Dramatiques. . . . 700.860 » 84.102 75
Bouffes-Parisiens. .... 546.286 » 65.564 50
Menus-Plaisirs 416.565 83 41.726 55
Déjazet 194.445 25 19.444 »
Beaumarchais ...... 74.649 75 7.462 95
Boufîes-du-Nord 109.334 25 ' 6.441 15
Eden-Théàtre 1.694.790 50 83.188 35
Folies-Bergère 1.313.302 50 26.256 45
Folies-Voltaire 47.243 05 4.723 55
Théâtre d'Application. . . 672 03
Totaux 25.408.996 48 2.550.531 06
Grâce à l'Exposition, nos théâtres parisiens ont encaissé 23,408,996 fr.
48 c. La différence est donc, en faveur de cet exercice, de 7,218,348 fr.37 c.
Les auteurs et compositeurs dramatiques ont perçu pour leurs droits, à
Paris seulement, la jolie somme de 2,550,531 francs.
— Cette fois, les courses de taureaux si ridicules dans leur cruauté
même paraissent bel et bien condamnées. Lors d'une démarche que faisaient
près de lui plusieurs journalistes pour une représentation de bienfaisance,
voici ce qu'a répondu M. Constans, ministre de l'intérieur: «Vous me de-
mandez de vous autoriser à donner, au bénéfice des sinistrés, la seule
chose que je n'aie pas le droit de permettre. La loi est formelle : elle
interdit la mort des chevaux et des taureaux. Je ne saurais l'enfreindre.
Quand on m'a demandé, il y a deux ans, la permission de construire une
Plaza, les temps étaient tout différents. On allait, en ouvrant l'Exposition,
montrer à la foule les côtés caractéristiques de chaque nation. J'ai donné
l'autorisation sous la réserve que m'imposait la loi Grammont. On devait
ouvrir en mai, on n'a été prêt qu'en juillet. J'ai dû tenir compte cette
année-ci, des sommes dépensées l'an dernier et j'ai donné, afin de per-
mettre de les récupérer, une seconde autorisation, mais on en a déjà outre-
passé les limites. Ainsi, toutes les piques et banderilles n'ont point les
dimensions imposées. Et puis, dernièrement, on a tué un cheval. La
Société protectrice des animaux voulait faire un procès. En vérité, la
Plaza de la rue Pergolèse m'a déjà donné plus de mal que Boulanger.
Soyez sur que je ne renouvellerai plus l'autorisation nécessaire». C'est un De pro-
fundis. Il y avait longtemps d'ailleurs que la population parisienne l'avait
prononcé, cet arrêt, par son abstention même à toutes les fêtes sanglantes
de la rue Pergolèse, qui ne vivaient que de la présence de quelques ras-
taquouères. Allons, toréadors et picadors, repassez les monts et ne reve-
nez plus ; on vous a assez vus.
— Toujours bien amusants les ténors. A ajouter au chapitre des aven-
tures extraordinaires de M. Jean de Reszké à Londres. Celle-ci nous est
contée par M. Georges Boyer, du Figaro : La reine d'Angleterre, ayant
désiré entendre à Windsor lé ténor aimé des dames, lui dépécha un
exprès chargé de prendre jour avec M. Jean de Reszké. Sa Gracieuse
Majesté se permettait seulement de faire observer que, sauf un jour
déterminé où elle devait venir à Londres pour une réception, tous les
autres jours lui conviendraient. M. Jean de Reszké, après avoir consulté
son block-note, répondit à l'envoyé de Sa Majesté Britannique qu'il était
sensiblement désolé, mais que par une déplorable coïncidence toutes ses
journées étaient occupées, sauf précisément celle où Sa Majesté était
empêchée! Réponse fut donnée à la Reine et, le lendemain, arrivait une
240
LE MÉNESTREL
dépêche disant que Sa Majesté, trop désireuse d'entendre M. Jean de
Reszké, contremandait la réception et ne viendrait pas à Londres au jour
indiqué par lui '. »
— M. Gabriel Pierné vient de terminer la partition d'un opéra-comique
en trois actes intitulé Don Luis. Livret de M. Beaumont.
— Le 30 juillet prochain sera célébré, à l'église Saint-Ferdinand des
Ternes, le mariage de notre confrère, M. André Maurel, avec Mlle Hen-
riette Wilder, fille de M. Victor Wilder, le mordant critique musical du Gil
Bios. Les témoins de M. André Maurel seront MM. Emile Bergerat et
Alfred Rambaud, directeur de la Revue bleue. Les témoins de Mllc Wilder
seront MM. A. Gevaert, directeur du Conservatoire de Bruxelles, et René
d'Hubert, directeur du Gil Bios.
— Erreur dans les palmes académiques. C'était fatal. Le Batta, qui
en a été honoré, est non pas professeur de violoncelle, mais bien pro-
fesseur de violon et compositeur de talent. Il s'appelle Joseph de son
petit nom.
— M. Edmond Neukomm, dans son intéressant volume Voyage au Pays
du déficit (la Nouvelle Italie), qui vient de paraître ces jours-ci chez Ernest
Kolb, attaque d'une façon très vive et très juste la politique actuelle de
l'Italio. Il démontre que l'alliance faite entre Crispi et l'Allemagne ne
peut être qu'une alliance fatale qui conduira forcément l'Italie à sa perte.
L'auteur oppose au tableau tracé par M. Crispi de la prospérité de la
Nouvelle Italie, l'énumération fidèle des misères dont elle pàtit, des com-
promissions dont elle souffre, des dangers qui la menacent et surtout
des malentendus dont elle commence à s'inquiéter et qu'il est grand
temps de faire disparaître. Ce livre est émaillé d'anecdotes amusantes
sur la cour, le gouvernement, le Quirinal, etc. M. Edmond Neukomm
ayant vécu en Italie et ayant fréquenté le monde officiel, a fait certaine-
ment un des volumes les plus curieux et les plus intéressants qu'on ait
écrits sur ce pays depuis longtemps. Aussi croyons-nous qu'il trouvera
auprès du public un grand et réel succès qu'il mérite à tous les points
de vue.
— L'institution des jeunes aveugles est à classer parmi nos bonnes
écoles de musique. Jeudi dernier, une séance d'orgue fort intéressante
avait lieu dans la salle des concerts de l'institution. Le programme était
composé exclusivement d'oeuvres de M. Widor qui toutes ont été chaleu-
reusement applaudies. L'organiste, M. Adolphe Marty, a fait preuve d'un
talent très remarquable.
— Très intéressante audition musicale mardi dernier chez M. Gigout.
L'éminent professeur faisait entendre devant un auditoire d'artistes, d'ec-
clésiastiques et de dames du monde quelques élèves de son école d'orgue
Le talent de la plupart de ces jeunes organistes est déjà mûr. Plusieurs
d' entre eux, MM. Vivet, Pickaêrt, Guiot et Dussault, ont exécuté avec la
plus parfaite intelligence et le mécanisme le plus sur des œuvres an-
ciennes et modernes d'un haut intérêt musical et d'une réelle difficulté
d'interprétation. M. Saint-Saëns, présent à la séance, a, à plusieurs
reprises, vivement complimenté M. Gigout et ses élèves. L'illustre maître,
très en train, a fait à l'assistance l'agréable surprise d'accompagner lui-
même à M. Auguez l'air de la Lyre et la Harpe qui a été chaleureusement
bissé. Beau succès également pour M. Auguez dans deux, mélodies de
M. Boellmann et pour M"0 Jeanne Lyon dont la charmante voix et la
parfaite diction ont fait merveille dans l'air de Judith, de M. Charles
Lefebvre et dans les Adieux de Marie Stuart, de Niedermeyer. Une telle
séance prouve surabondamment l'excellence de l'enseignement de
M. Gigout et les services que son institut rend à l'art.
— Le petit opéra-comique de M. Léon Schlesinger, un Modèle (livret de
MM. André Degrave et Manuel Lerouge), dont nous avons signalé les bril-
lants succès à Namur et à Blankenberghe, va être joué aux Bouffes-Pari-
siens dans le courant du mois de novembre. Les signatures ont été échan-
gées cette semaine.
— L'Orphéon de la Corogne qui a obtenu le premier prix au concours
d'orphéons de l'Exposition universelle, vient d'instituer un comité pour
l'organisation d'une fête musicale qui aura lieu au mois d'août prochain,
en l'honneur et à l'occasion du centenaire de l'héroïne de la Corogne,
Maria Pita. Cette fête comprendra un concours de compositions musicales
et l'exécution de ces compositions. Avis en est donné aux compositeurs
et aux sociétés chorales qui devront s'adresser directement au siège du
comité à la Corogne.
Henri Heugel. directeur-géi ant.
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3096 — 56me ANNEE — N° 31. PARAIT TOUS LES DIMANCHES Dimanche 3 Août 1890.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Notes d'un librettiste: Georges Bizet (12" article), Louis Gallet. — IL Bulletin
théâtral, H. M. — III. Berlioz, son génie, sa technique, son caractère, à propos
d'un manuscrit autographe d'Harold en Italie (2* article), A. Montaux. —
IV. Histoire vraie des héros d'opéra et d'opéra-comique (39* article) : Blondel,
Edmond Neukomm. — V. Nouvelles diverses.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
ROMANCE DE JOCONDE
transcrite et variée par Charles Neustedt. — Suivra immédiatement: Joyeux
rigaudon, de Edouard Broustet.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant : Vous ne m'avez jamais souri, nouvelle mélodie de G. Verdalle,
poésie de M. Helliot. — Suivra immédiatement: Si tu veux! nouvelle
mélodie de Victor Staub, poésie de 6. Guérin.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
GEORGES BIZET
Après un silence respectueux de près de cinq mois, le
31 octobre 187S, un hommage public fut rendu à la mémoire
de Georges Bizet, au Concert de l'Association artistique, sous
la direction d'Edouard Colonne ; son orchestre exécuta au
Châtelet, ce jour-là, une composition spécialement écrite par
J. Massenet, un Lamento, après lequel furent dits, par
Mmo Galli-Marié, la créatrice du rôle de Carmen, des vers
qui m'avaient été demandés pour cette manifestation d'un
caractère tout amical.
Rien n'est plus difficile à faire, rien ne donne communé-
ment un résultat plus médiocre que ces improvisations en
souvenir d'un artiste aimé. Il faudrait ne l'avoir apprécié que
dans ses œuvres pour le louer d'un esprit libre ; quand on
l'a connu, chéri, pleuré, les formules poétiques sont bien
incolores et bien froides pour traduire l'émotion réelle.
N'y a-t-il pas même dans le souci matériel, dans le travail de
l'ajustement des rimes, comme une implicite négation de l'in-
time douleur?
C'est la pensée, l'intention seule qu'il faut compter alors.
Ces vers récités par la voix profonde de Mme Galli-Marié,
tandis que chantait dans le lointain de l'orchestre une phrase
de l'Artésienne, les journaux du temps n'ont dû en donner que
des fragments.
Ils ont, vaille que vaille, leur place marquée au courant
de ces notes, et je les recueille au passage :
Georges Bizet! — Ce nom tout à coup prononcé
Met, avec un frisson, un doute dans notre âme;
Nous nous demandons si tant de force et de flamme
Dorment réellement dans l'ombre du passé,
Si nous n'allons point voir, rayonnante de vie,
Se lever parmi nous cette figure amie,
S'il est vrai que ce cœur soit à jamais glacé!
Oui, les rêves parés d'irrésistibles charmes
Ont brusquement fini dans le deuil et les larmes,
Cet esprit que suivait le nôtre s'est éteint.
Oui, tout est vrai: la mort, le coup rapide et rude
Pesant de tout le poids aveugle du destin
Sur un calme bonheur, pur dans sa plénitude,
Sur une jeune gloire à son premier matin.
Sa muse était charmante ; elle aimait la lumière,
L'azur, la pourpre, l'or, les fleurs et les parfums!
Le front plein de lueurs, en sa grâce un peu fière,
On la voyait marcher hors des sentiers communs.
Elle chantait l'amour, la joie et l'espérance
Et des brumes d'Ecosse aux soleils d'Orient,
Des beaux jardins d'Asie aux déserts de Provence,
Elle allait, tour à tour rêvant et souriant.
Sa tendresse parfois et même sa folie
Mettaient en leur accent quelque mélancolie:
On eût dit qu'elle avait comme un pressentiment
Et qu'elle entrevoyait, sur la route trop brève,
Cet abime où devait s'ensevelir son rêve,
Cette' ombre où l'attendait le fatal dénoûment.
Et sa voix s'élevait plus vibrante et plus claire ;
La foule la suivait déjà sur les sommets.
Carmen jetait au vent sa chanson familière;
Le maître avait conquis sa place désormais.
Plus haut, plus loin encor l'entraînait sa pensée,
A de nobles accents son cœur avait battu :
Il voulait nous parler d'héroïque vertu,
Nous montrer la patrie affaiblie et blessée
Et le rude Attila par le Ciel abattu.
Mais la mort vint, avant la tâche commencée.
Le silence se fit... On annonça tout bas
Ce malheur, si cruel que l'on n'y croyait pas !
O toi que nous pleurons, jeunesse épanouie,
Ame ardente, gardien des purs trésors de l'art,
Dors en paix maintenant ; ne crains point qu'on oubli
Ou qu'on fasse à ton nom une trop faible part.
Non ! Les chants envolés de ton âme, ô Poète,
Revêtent la splendeur auguste du tombeau
Et le temps sacrera ton œuvre, où se reflète
La lumière du vrai, comme l'amour du beau !
242
LE MENESTREL
Don Rodrigue avait été complètement mis en musique par
G. Bizet. Geneviève de Paris devait rester à l'état de projet dans
son esprit. Il ne m'est pas même permis d'affirmer qu'après
en avoir connu l'original, il en ait seulement ouvert la copie,
arrivée à Bougival à la veille de sa mort.
C'est donc simplement par erreur qu'on a pu dire que, à
ce moment, le compositeur « travaillait » à Geneviève de Paris.
Il n'a pu exister aucun fragment de cet ouvrage dans la
succession musicale du maître — et la légende affirmant
que certaines pages déjà composées sur ce sujet ont été re-
cueillies et complétées par M. E. Guiraud, utilisées avec de
nouvelles paroles, ne me paraît reposer sur aucun fait cer-
tain.
Don Rodrigue, au contraire, pouvait, devait survivre à son
auteur. Nous en avions entendu la partition de la première
à la dernière note, et ce quatrième acte, dont le biographe
que j'ai déjà cité, M. Charles Pigot, parle comme devant être
remanié, était au contraire précisément celui dont le compo-
siteur croyait avoir assuré la relative perfection.
Un temps assez long s'écoula, durant lequel un sentiment
de respectueuse discrétion ne me permit pas de m'enquérir
de la destinée définitive de cette partition. Je restais avec la
pensée qu'un jour la main d'un ami dévoué pourrait toucher
à l'œuvre dernière de G. Bizet, la mettre au net, l'instru-
menter et la présenter au public.
Il me fut affirmé alors que le manuscrit du compositeur,
très sommairement tracé, indéchiffrable pour d'autres yeux
que les siens, resterait à tout jamais lettre morte.
Bien longtemps après, alors que je dus songer à reprendre
possession du poème, cette perte si regrettable pour notre
art musical me fut définitivement confirmée dans les termes
suivants par M. Ludovic Halévy :
« J'ai fait lire votre lettre à M™ Bizet et il est parfaitement
entendu que vous avez pleine et entière liberté de disposer
du poème du « Cid » en faveur d'un autre compositeur. . .
Georges aimait beaucoup votre ouvrage... Il m'en a parlé
bien souvent... Il était plein de confiance... et la mort a
arrêté tout cela! »
*
*. *
Je regarde souvent un portrait de G. Bizet, agrandissement
d'une photographie faite très peu de temps avant la triste
date du 2 juin 1875 ; c'est une très fidèle image de l'homme
tel que nous le montre aussi le buste érigé à sa mémoire, le
10 juin 1876, au cimetière du Père-La Chaise, par sa famille
et ses amis. Je ne sais si ce buste a été fait du vivant du
musicien; je croirais plutôt qu'il est la copie'scrupuleuse de
l'épreuve photographique dont je possède l'un des rares
exemplaires.
Le jour de l'inauguration de ce buste, un hommage solen-
nel fut rendu à Georges Bizet par M. Jules Barbier, aunom du
comité de la Société des auteurs, et par Emile Perrin qui
associa très éloquemment en cette occasion au nom du 'com-
positeur celui du peintre Henry Regnault.
«c Tous les deux, dit-il, ils devaient être l'orgueil, ils étaient
les chefs de cette jeune génération d'artistes à qui ce rôle
est réservé de maintenir plus éclatante encore la supériorité
de notre pays dans les arts. Ils se ressemblaient parle talent-
ils se ressemblaient par le cœur. Tous deux s'étaient trem-
pes aux fortes études, tous deux avaient pris les armes au
premier appel de la patrie, - tous deux ils ont été moisson-
nes dans leur fleur. Le clavier vibrait encore, les couleurs
étaient humides sur la palette quand s'est éteint le souffle de
vie qui insérait à l'un ses mélodies si colorées, à l'autre la
lumineuse harmonie de ses tableaux. - Ils Se sont réunis
dans la mort, ces deux frères dans l'art; un poète ancien
les représenterait le front ceint de lauriers, errants comme
deux pales ombres dans les jardins enchantés. »
Georges Bizet revit bien souvent dans nos causeries, et
sur tous les points du monde Carmen redit ce nom à la foule.
Il n'est après Faust et Mignon aucune œuvre qui ait plus
contribué à assurer, à l'étranger, l'influence de notre école
nationale.
(A suivre.) Louis Gallet.
BULLETIN THEATRAL
A I'Opéra, continuation des débuts mystérieux. MM. Ritt et
Gailhard n'osent plus soumettre au jugement de la presse les ar-
tistes variés — je n'ai pas dit avariés — qu'ils racolent à bon
compte sur tous les marchés d'Europe. Cette semaine, c'était le tour
de MIle Consuelo Domenech, encore un contralto. S'il faut en croire
les comptes rendus élogieux que l'administration de I'Opéiu envoie
elle-même aux journaux, M"e Domenech a eu un brillant succès, comme
auparavant Mme Fierens ou Mme Durand-Ulbach, toujours d'après la
même source. Souhaitons pour la jeune artiste qu'il n'y ait rien à
rabattre des compliments que lui fait la direction. Elle a d'aillears
un passé musical qui indique tout au moins qu'il y a chez elle
l'étoffe d'une musicienne, sinon d'une chanteuse, puisqu'elle a rem-
porté, il y a quelques années, un premier prix de piano au Con-
servatoire. C'est dans la Favorite qu'elle a fait ses premières armes
de cantatrice, et MM. Ritt et Gailhard lui reconnaissent « une fort
belle voix, de l'intelligence, du goût et de la beauté. » Ce n'est
pas peu de chose, comme on voit. Toutefois ils ajoutent : « Si elle
veut travailler encore, travailler beaucoup, elle doit briller bientôt
au premier rang. » Donc, travaillez, prenee de la peine, mademoi-
selle, c'est l'avis de Gailhard, ce grand oracle qui a mis trois ans
à reconnaître quelque talent à Mme Melba et qui a entendu der-
nièrement, sans même s'en douter, un eontrallo de premier ordre,
M1'3 Bisley, qu'il s'est empressé de laisser échapper. Quel homme,
quel génie, quel artiste que ce méridional qui dirige l'Opéra et
M. Constans tout à la fois et avec la même maestria !
Quelques jours auparavant, nous avions eu la rentrée de la gra-
cieuse Mlle Subra dans Coppéiia. Elle a été tout à fait charmante,
fine et spirituelle à son habitude, et le public lui a fait un accueil
des plus chaleureux, ainsi qu'à M. Hansens, qui prenait, ce soir-là,
pour la première fois, le rôle de Coppélius.
Parmi les lauréats des derniers concours du Conservatoire, il pa-
raîtrait que les directeurs de l'Opéra auraient des vues sur le jeune
ténor Vaguet et sur. M"e Bréval. Mais M. Paravey, directeur de
I'Opéra-Comique, en voudrait bien aussi, s'il faut croire Nicolet du
Gaulois, bien placé pour être renseigné à ce sujet. Voici la petite
histoire qu'il nous raconte à ce sujet :
Parmi les lauréats des concours du Conservatoire, deux seront très pro-
bablement revendiqués parla direction de I'Opéra-Comique.
C'est d'abord M. Vaguet, ce jeune ténor qui s'est fait entendre, tout à
son avantage, dans le duo final de Carmen, et qui, doué d'une très jolie
voix, est d'abord un excellent chanteur et, qui mieux est, un parfait comé-
dien. Sa place est donc tout indiquée à I'Opéra-Comique, où il débuterait
par le rôle de Mergy, dans le Pré aux Clercs, et créerait ensuite un rôle
important dans une pièce nouvelle.
t. C'est ensuite MUe Bréval, dont les qualités dramatiques ont non seule-
ment frappé le directeur de I'Opéra-Comique, mais encore les auteurs d7?n-
guerrande, qui lui réserveraient la création de ce rôle.
Il y a quelques jours, en effet, le soir du concours de chant, si nous ne
nous trompons, il y avait une réunion intime chez M. Wilder, l'auteur,
avec M.Emile Bergerat, du livret d'Enguerrande. M. Auguste Chapuis, après
le dîner, auquel avaient assisté M. Paravey et aussi le dramaturge du Capi-
taine Fracasse, se mit au piano et joua sa partition presque tout entière,
partition qui est très remarquable.
On causa, naturellement, de la mise à l'étude de l'ouvrage pour la saison
prochaine. Une seule chose tenait les assistants en haleine : à qui distri-
buer le rôle capital de la pièce, celui d'Enguerrande? Le directeur de
I'Opéra-Comique, M. "Wilder et le compositeur, à peine échappés du con-
cours de l'après-midi, avaient bien leur idée, mais n'osaient la dire. Ce
fut Emile Bergerat qui rompit le premier le. silence :
— Je parie, s'écria-t-il, que vous pensez à M"° Bréval !. . .
— Si nous y pensons! ripostèrent les trois silencieux... C'est-à-dire
qu'il n'y a qu'elle — et qu'elle réunit merveilleusement toutes les qualités
du personnage.
Mais voilà... MUc Bréval n'a pas suivi les classes d'opéracomique et, par
conséquent, elle n'a concouru que pour l'opéra, où elle a obtenu un pre-
mier prix. La direction de l'Opéra la réclamera-t-elle ? Les auteurs d'En-
guerrande, le directeur de I'Opéra-Comique, espèrent vivement que non...
Car ils ont à offrir à cette jeune artiste, pour son début au théâtre, un rôle
LE MENESTREL
243
superbe et qui la placera tout de suite au premier rang. Dans l'intérêt,
donc, de cette jeune personne, il est à présumer que, malgré son prix
■d'opéra, elle entrera à l'Opéra-Comique. Ce résultat est fort à souhaiter.
Si Mlle Bréval peut être utile à l'Opéra-Comique, il est bien cer-
tain que MM. Ritt et G-ailhard s'empresseront d'autant plus de la
prendre pour eux, ne fût-ce que pour contrarier leur excellent con-
frère de la place du Châtelet.
Deux autres lauréats du dernier concours du Conservatoire vien-
nent d'être engagés à la Comédie-Française : Mllc Moreno et le jeune
Dehelly, qui débutera dans le rôle de Fortunio du Chandelier d'Al-
fred de Musset.
H. M.
Il y a d'autant moins de doute à ee sujet que cette correction se
reproduit encore deux fois avant la lettre C : „
BERLIOZ
SON GÉNIE, SA TECHNIQUE, SON CARACTÈRE
A propos d'un manuscrit autographe d'HAROLD EN ITALIE
(MARCHE DES PÈLERINS)
(Suite)
IV
Le texte définitif de ce manuscrit, tel que l'établissent les rema-
niements successifs de Berlioz, est absolument conforme à celui que
présente, de la page 46 à la page 58, la partition gravée d'Harold
{Paris, Mcc SchlésiDger, Brandus et Cie successeurs). Les points de
repère en chiffres notés au crayon de dislance en distance, démon-
trent d'ailleurs clairement que c'est sur ces feuilles mêmes que le
graveur a effectué son travail.
Dès la première page on surprend quelques traces de grattage. —
C'est d'abord renonciation des 3e et ¥ bassons que Berlioz semble
n'avoir désignés séparément qu'à la réflexion, au lieu de les grou-
per sous une accolade ; simple préoccupation graphique. Puis, aux
■3e et 9" mesures, Berlioz a dû réparer une erreur matérielle dans
les parties d'altos, où il parait avoir écrit d'abord un ré - — ■ — \
au lieu dus/ obligé Ë n ==j que comporte l'unisson accentué en même
temps par la harpe, les violoncelles et les contrebasses.
Aux 6e, 7e, 12e, 16e et 17e mesures après la lettre A, nouveaux
grattages dans la partie de contrebasse. En les examinant avec
soin, il demeure évident que le maître avait noté d'abord certains
passages de cette partie à l'unisson pour l'œil des violoncelles, c'est-
à-dire effectivement à l'octave grave; il a reporté ces passages à l'oc-
tave au-dessus, afin d'obtenir une sonorité moins lourde. — Des cor-
rections identiques se retrouvent plusieurs fois dans la Marche des
Pèlerins, et, pour alléger ee commentaire, je n'y reviendrai pas, les
signalant ici une fois pour toutes,
Aux 9% 10e et IIe mesures après la lettre A, lorsque apparaît
pour la première fois la figure rythmique si originale
4
qui intervient ppp dans les flûtes, clarinettes, bassons et seconds
violons sur chaque repos du motif de la marche présenté par les
cordes, pour déterminer le retour de ce motif, les parties de 2d6S
clarinettes ont été chaugées sans qu'on puisse rétablir la version
primitive. La position même des notes et l'indécision de leurs atta-
ches peuvent faire supposer que les 2,k'a clariuettes avaient été
écrites à l'unisson des !*"■ comme à la réapparition de cette figure,
et que l'addition d'une seconde partie distincte a eu lieu après coup.
Au même épisode se trouve, dans la partie des 1er3 et 2"" bassons, la
marque d'une correction qui a son intérêt. Par la trace qu'a laissée
le grattage, il est aisé de voir que cette partie reproduisait d'abord
exactement la partie de 2'10 flûte :
(I) Le signe X indique l'endroit précis de la portée où se placent les grattages.
A partir de la lettre C on ne rencontre plus de retouche. Il est
donc à peu près certain que Berlioz se sera aperçu de celte défec-
tuosité au cours de son travail, en sorte que lorsqu'il est arrivé au
point de sa partition que fixe la lettre C, son attention étant éveillée,
il avait arrêté la version actuelle, de façon à éviter dans la suite le
mouvement semblable entre les flûtes et les bassons.
Ce détail prouve que Berlioz n'était pas bien maître de la forme.
Il lui fallait un certain effort pour trouver dans la langue des sons
la traduction exacte et pure en même temps des impressions poé-
tiques qu'il ressentait si vivement. Il était en possession moins
complète de sa technique que beaucoup de ses contemporains, qui
lui sont, à tant d'autres degrés, si inférieurs, et je n'apprendrai
rien à personne en rappelant que ce grand artiste est, au point de
■vue absolu, moins musicien qu'eux. Il est toutefois intéressant de
le constater d'une façon topique par des observations prises sur le
vif, et ces observations, nous aurons souvent occasion de les renou-
veler au cours de cette étude.
A la quatrième mesure après la lettre C le second temps est
établi sur un grattage dans tous les instruments en activité, à l'ex-
ception des altos et du troisième basson qui, en poursuivant le
chant, font entendre la tonique. Il y a eu évidemment un change-
ment dans l'harmonie, mais ici le grattage est tel qu'on est réduit
à des conjectures. Il semble que Berlioz ait substitué à l'accord
parfait de tonique l'accord de sixte, qui lui fournit un meilleur mou-
vement de parties par rapport à l'accord suivant. — Toujours la
forme !
*
Quatre mesures avant l'entrée de l'alto solo qui personnifie les rê-
veries d'Harold, Berlioz a légèrement retouché la partie de harpe.
On sait quel rôle joue la harpe dans la Marche des pèlerins : « ... La
sonnerie des cloches du couvent, écrit le maître dans ses Mémoires
(p. 195), se fait entendre de nouveau, représentée par deux notes
de harpe que redoublent les flûtes, les hautbois et les cors... »
Jusqu'au point de la partition où nous sommes, Berlioz avait
écrit ces deux noies comme suit
Au moment d'introduire l'alto solo, Berlioz avait noté une octave
plus bas la seconde note de la harpe j— f I f CM
Il a gratté cette version pour revenir à la version précédente. Il
est malaisé de découvrir le mobile auquel avait d'abord obéi Berlioz.
Peut-être, avant de suspendie pour assez longtemps « la sonnerie
des cloches du couvent », avait-il voulu diminuer l'effet cristallin de
la partie de harpe dans les notes élevées, en la reportant dans le
médium, ne fût-ce que pour mieux mettre en relief l'entrée de l'alto
solo, dont la sonorité voilée n'est pas pour attirer l'attention.
Ce qui rend vraisemblable cette supposition, c'est que précisément
le texte définitif delà partie d'alto solo se piésente, pour les deux
premières mesures, sur un grattage profond. Mécontent de l'entrée
primitive, Berlioz a trouvé la version actuelle :
Cette version lui aura paru, par sa forme syncopée, assez signi-
ficative pour être nettement perçue par l'auditeur, et pour que, par-
tant, il devint inutile de modifier, pour une seule mesure, la partie
jusque-là invariable de la harpe, qui semble une invariable sonnerie
de cloches.
Ces deux corrections parallèles prouvent quel sens délicat le maître
avait des sonorités dans leurs nuances les plus fugitives, et quel soin
méticuleux il apporlait aux moindres détails.
244
LE MÉNESTREL
Berlioz devait d'ailleurs 1enir d'autant plus à souliguer par un
procédé technique la première intervention de l'alto, que cette in-
tervention répondait au programmes esthétique de son œuvre :
« J'imaginai, dit-il dans ses Mémoires, d'écrire pour l'orchestre une
suite de scènes auxquelles l'alto solo se trouverait mêlé comme un person-
nage plus ou moins actif conservant toujours son caractère propre : je
voulus faire de l'alto, en le plaçant au milieu des poétiques souvenirs que
m'avaient laissés mes pérégrinations dans les Abbrusses, une sorte de
rêveur mélancolique dans le genre du Childe-Harold de Byron. De là le
titre de la symphonie : Harold en Italie. »
« Ainsi que dans la Symphonie Fantastique », dit-il encore (p. 194),
« un thème principal (le premier chant de l'alto) se produit dans l'œuvre
entière: mais avec cette différence que le thème de la Symphonie Fantas-
tique, Tidée fixe, s'interpose obstinément comme une idée passionnée
épisodique au milieu de scènes étrangères et leur fait diversion, tandis que
le chant d'Harold se superpose aux autres chants de l'orchestre, avec
lesquels il contraste par son mouvement et son caractère, sans en inter-
rompre le développement. »
Ce chant se superpose, en effet, dans la Marche des Pèlerins « aux
autres chants de l'orchestre » à partir de la lettre D, et Berlioz l'a
signalé dans sa partition par la mention « Thème de l'Adagio » placée
à côté de la partie d'alto solo.
Il n'est pourtant pas présenté seulement par l'alto. Le maître, afin
de le rendre plus perceptible à l'auditeur, et de le différencier mieux
des « autres chants de l'orchestre, » a doublé l'ait j par une clarinette
et un cor soli.
Il avait désigné d'abord la deuxième clarinette pour celte fonction.
Jugeant ensuite que le charme du phrasé devait primer toule autre
considération, il a biffé énergiquement au crayon rouge cette indi-
cation, en y substituant celle de 1°; puis, a effacé les pauses primi-
tives et en a indiqué de nouvelles au-dessous de la notation, pous-
sant le soin jusqu'à accrocher en haut, une à une, les queues de chaque
note, pour que le graveur ne put en ignorer! Ce fougueux avait une
étonnante patience quand il s'agissait d'assurer la bonne interpré-
tation de ses œuvres !
Quant à l'intervention du cor solo, elle donne lieu à une observa-
lion des plus curieuses.
Dans son beau Traité d'instrumentation (p. 200), Berlioz se rit
d'une erreur technique qu'aurait commise un des maîtres contem-
porains les plus admirés. Parlant d i trombone ténor, dont l'ex-
trême limite au grave est le mi $ au-dessous des lignes, J I
Berlioz dit :
« On voit que le mi bémol grave -^ 1 manque au trombone
ténor; cette note donne constamment lieu à une foule d'erreurs dans
les partitions les plus savamment ordonnées. Ainsi, l'un des maîtres
actuels dont l'habileté dans l'art de l'instrumentation est une des
qualités éminenles et incontestées, a commencé un de ses opéras par
plusieurs mi bémols graves du troisième trombone ténor. C'est
l'ophicléide qui les exécute; le trombone ne fait que les doubler à
l'octave supérieure, et l'auteur ne s'est peu l-è Ire jamais aperçu que
son mi bémol n'était pas donné par l'instrument pour lequel il
l'écrivit. »
En rapprochant les diverses circonstances rappelées par Berlioz,
on reconnaîtra que le compositeur visé doit être Meyerbeer. Le pas-
sage incriminé se trouve dans l'introduction des Huguenots, au
milieu de laquelle Meyerbeer a écrit effectivement une série de
mi bémols graves avec indication: « Ophicléide et 3" Trombone. »
Comme le 1er et le 2a trombones sont désignés pour rendre la même
note à l'octave supérieure, l'erreur, ou, pour parler plus exactement,
l'inadvertance n'a aucune portée, puisque le 3e tromboue n'a qu'à
se joindre aux deux premiers; et il serait même très compréhensi-
ble qu'à l'audition, Meyerbeer ne se fût pas aperçu que l'ophi-
cléide produisît seul le mi grave au-dessous des trois trombones
unis.
Eh! bien, ce qui est particulièrement piquant, c'est que nous
allons trouver une erreur, sinon identique, du moins analogue dans
la Marche des Pèlerins. Si celte erreur n'est ' pas arrivée jusqu'à la
gravure, elle n'en a pas moins été commise aussi par un des maîtres
les plus puissants dans l'art de l'instrumentation, auquel il a fait
faire un pas si décisif, et par celui-là même que la distraction de
Meyerbeer faisait sourire.
En effet, je rappelais tout à l'heure que le thème de l'adagio, en
se superposant au motif de la Marche, était accentué par l'alto,
une clarinette et un cor soli. Le cor solo est en mi t). Emporté
par le mouvement de la pensée, Berlioz avait écrit d'abord pour le
cor la même phrase in extenso, qu'il confiait simultanément à l'alto
et à la clarinette soli. Il a, par suite, commencé ainsi :
, etc.
Ainsi faisant, le maître notait évidemment cette partie pour des
cors d'harmonie, — les cors à pistons, et même les cors à cylindres
n'étant pas encore à cette époque en usage dans les orchestres :
(la façon dont la partie est conçue, le démontre d'ailleurs) — et
il a perdu de vue que le fa grave (ré à l'œil), ne pouvait être
fourni que par un son bouché détestable. Il s'en est aperçu après
coup, soit en se relisant, soit en s'entendant, et a simplement
supprimé la note en supprimant la mesure. On lit très aisément
dans le manuscrit la mesure primitive, au-dessous de laquelle
Berlioz a collé avec un pain à cacheter un carré de papier ordi-
naire. Il y a tracé à la main une portée, et, sur cette portée, a
noté deux pauses pour les premiers et seconds cors. Le premier
cor s'interrompt donc pendant cette seule mesure et reprend la
suite de la phrase à la mesure suivante.
L'incident n'est-il pas curieux ?
(A suivre.) A. Montaux.
HISTOIRE VRAIE
DES HÉROS D'OPÉRA ET D'OPÉRA- COMIQUE
XLVIII
BLONDEL
Combien plus sympathique est le ménestrel Blondel, également
un amuseur de roi, mais dont le dévouement à son maître fut tel
qu'il a donné lieu à l'une des légendes les plus touchantes de l'époque
chevaleresque !
Richard Cœur-de-Lion, an retour de la croisade, était reLenu
prisonnier par l'empereur d'Allemagne; mais on ne savait en quel
endroit il se trouvait. Alors, son barde fidèle se mit en campagne,
et. daus tous les châteaux qu'il trouvait sur sa route, il s'arrêtait
et chantait une chanson qu'il avait composée avec son maître.
Car Richard se piquait de poésie. Il en avait pris le goût lors-
qu'il régnait sur le Poitou, qui lui avait été donné en apanage, et
dont il portait le titre de comte. A sa cour de Poitiers les trouba-
dours rivalisaient de grâce et d'esprit; et c'est dans leur fréquen-
tation qu'il avait appris à goûter les charmes de leurs poésies et à
composer lui-même en cette langue romane qui dominait alors toutes
les autres langues de l'Europe.
Nous avons eu le bonheur de retrouver une Sirvente du royal
poète, composée pendant sa captivité. On remarquera que cetLe pièce '
est sur des rimes consécutives et toutes masculines. Ce rythme uni-
forme rendait mieux sans doute, dans l'esprit du prisonnier, la
mélancolie qu'il voulait exprimer :
Ja nuls hom près non dira sa ra\on
Adrcchament, si coin hom dolcns non
Mas per conort deu hom faire canson.
Pro n'ay d'amis, mas paurc son li don;
Ane ta lur es, si per ma reqenson
Soy sai dos yvers près.
Or sapehon bai miey hoi
Angles, Normans, Peyta
Qu'ieu non ay ja si pain
Qn'ieu laissasse, per aver, en preison ;
Non ho die mia per uulla retraison,
Mas anquar soi ie près.
Car sai eu ben per ver, certanament,
Qu'hom mort ni près n'a amie ni parer.
& si m lassan per aur ni per argent,
Mal m'es per mi, mas pîeg m'es per m
Qjipres ma mort n'auron raprochamen.
Si sai mi laissbn près.
No m meravilh s'ieu ay lo cor dolent
Que mos seuher met ma terra en turnu
No li membra de nostre sagrament
Qtic nos f ci mes el San cominalment.
Ben sai de ver que gaire longament
Non serai en sai près.
Suer comtessa, vostre prety sobeiran
Sai Dieus, & gard la belle qu'ieu am t
Ni per cui soi ja près.
: 6'- miey baroi
in û" Gascon,
compagnon
LE MÉNESTREL
245
Voici la traduction de cette pièce :
Jamais nul homme prisonnier ne dira sa raison franchement,' sinon
comme homme malheureux; mais pour consolation on doit faire chanson.
Assez j'ai d'amis, mais pauvres sont les dons ; honte à eux, puisque pour
ma rançon,
Je suis depuis deux hivers prisonnier.
Or, sachent bien mes sujets et mes barons, Anglais, Normands, Poite-
vins et Gascons, que je n'ai jamais eu si pauvre compagnon que je lais-
sasse pour argent en prison; je ne le dis point pour reproche,
Mais encore suis-je prisonnier.
Car.sais-je bien pour vrai, certainement, qu'homme mort ou prisonnier
n'a d'amis ni parent; et s'ils me laissent pour argent et pour or, mal
m'est pour moi, et pire pour mon peuple; vu qu'après ma mort ils en
auront reproche,
S'ils me laissent ici prisonnier.
Je ne m'étonne pas si j'ai le cœur souffrant, vu que mon seigneur (il
s'agit de Philippe-Auguste) met ma terre en tourment; il ne lui souvient
plus de notre serment que nous fîmes au Saint ensemble. Bien je sais
de vrai que guère longtemps
Je ne serai en ça prisonnier.
Sœur comtesse, que votre gloire supérieure sauve Dieu, et qu'il protège
la belle que j'aime tant,
Et par qui je suis déjà prisonnier.
Blondel étant parvenu dans le Tyrol eut la joie d'y retrouver son
maître, que son chant attira à la fenêtre de sa prison. Il signala
sa présence et obtint sa liberté. Telle est la légende. Voici main-
tenant le récit des chroniqueurs.
Jeté par la tempête, au retour de la terre sainte, sur les côtes
de l'Illyrie, entre Aquilée et Venise, Richard fut fait prisonnier
par le neveu d'un marquis de Monlferrat, dont on lui reprochait,
sans aucune preuve, d'avoir causé la mort. Celui-ci le livra au duc
d'Autriche, Léopold, qu'il avait traité d'une façon injurieuse au
siège d'Acre, lequel le vendit pour 60,000 livres à l'empereur Henri,
qui, du chef de sa femme, avait des droits à la couronne de Sicile,
et regardait Richard comme l'allié de l'usurpateur Tancrède.
L'empereur retint le roi d'Angleterre captif, à Mayence d'abord,
puis à Worms, d'où il le fit conduire secrètement à Trifels, dans
le Tyrol. C'est là que Guillaume de Longchamps, peut-être sur
l'indication de Blondel, découvrit la prison de son souverain. Il
obtint la permission de conduire Richard à la diète de Hagueoau.
Là s'ouvrit son procès.
Outre les chefs d'accusation qui précèdent, l'empereur reprochait
à son ancien allié d'avoir forcé le roi de France à quitter la Pa-
lestine, d'avoir conclu avec Saladiu une trêve trop douce, et enfin
d'avoir laissé Jérusalem aux mains des infidèles. Mais Richard,
prenant la parole, s'exprima en termes si éloquents et si persuasifs
qu'il arracha des larmes à toute l'assistance. Avant même qu'il eût
terminé, l'empereur proclama son innocence. Il courut à lui, l'em-
brassa, lui ôta les fers dont il était chargé, et, à partir de ce mo-
ment, le traita avec le plus profond respect. Mais il n'en exigea
pas moins, pour lui rendre la liberté, une rançon de 100,000 marks
de pur argent, plus, la remise d'otages pour la somme de 50, 000 marks,
plus encore, la promesse de donner sa nièce Eléonore de Bretagne
au duc d'Autriche.
Ces deux dernières conditions ne furent point tenues, et l'affaire
s'arrangea pour 83,000 marks, sur les instances du pape. Puis, Ri-
chard retourna prendre les rênes de son gouvernement, après quatre
années d'absence. On l'accueillit joyeusement en Angleterre, mais
on le sacra de nouveau, pour effacer la honte faite, en sa personne,
à la monarchie britannique.
En apprenant sa mise en liberté, Philippe-Auguste n'avait pu
s'empêcher de s'écrier ;
— Tenons-nous sur nos gardes, le diable est déchaîné!
La suite ne tarda point à justifier ces alarmes.
En Orient, les cavaliers se servent encore du nom de Richard
pour gourmauder leur chevaux, et les mères pour effrayer leurs
enfants.
(A suivre.) Edmond Neukomm.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Nouvelles de Londres. — La représentation de Carmen, annoncée à coups
de grosse caisse, a été très digne d'une saison inégale et presque nulle au
point de vue artistique. Il n'est guère besoin do s'étendre sur cette soirée
navrante pendant laquelle le chef-d'œuvre de Bizet a été mis à toutes les
sauces, avec trois maîtres queux au pupitre, présidant à cette affreuse
cuisine. Le rôle do don José ne convient pas sous bien des rapports au
genre de M. Jean de Reszké, qui s'est contenté d'en chanter plusieurs par-
ties avec son charme habituel. Au point de vue dramatique le côté plas-
tique l'emporte chez lui, pour le moment, sur les recherches psychologiques.
M. Lassalle n'a pas hésité à sacrifier sa belle barbe pour pouvoir satis-
faire davantage au dandysme d'Escamillo; le rôle est du reste fort mal
écrit pour sa voix. Je glisserai à dessein sur Mllc Pinkert (remplaçant au
dernier moment Mm0 Melba souffrante) une Micaela déplorable, et sur l'effet
grotesque produit par les deux contrebandiers se donnant la réplique
dans deux langues différentes, tandis que les chœurs chantaient dans tous
les idiomes. Mllc Zélie de Lussan est depuis quelques mois seule titulaire
du rôle de Carmen en Angleterre. L'artiste est jeune et possède une jolie
voix de mezzo-soprano, mais manque complètement d'école et de style.
Sa conception du rôle de la bohémienne se réduit à une série de minau-
deries et de variantes souvent du plus mauvais goût : au lieu de la capi-
teuse héroïne de Mérimée, elle nous présente une sorte d'enfant gâtée,
tout à fait agaçante. M1,e de Lussan s'est laissé griser par les réclames
banales d'une presse trop complaisante et se croit tout permis : lorsqu'on
chante du Mozart comme elle l'a fait cette saison à Covent-Garden, on a
encore tout à apprendre. Qu'elle se remette donc tout à fait au travail, sous
peine de gaspiller de précieuses qualités naturelles; pour le moment, elle
est tout à fait incapable de tenir d'une façon artistique le rôle de Car-
men.
La recette s'est élevée à 45,000 francs ; c'est là le véritable épilogue
d'une saison heureuse pour la direction, moins satisfaisante pour les
agences qui, en dehors des représentations de Jean de Reszké, sont restées
avec de gros paquets de billets sur les bras, et absolument navrante pour
tous les vrais musiciens. Nous voici revenus aux plus mauvais jours
du système des étoiles, le ténor remplaçant cette fois-ci la prima donna,
ce qui ne fait qu'aggraver le cas au point de vue de l'engouement fémi-
nin. Tout a été sacrifié aux soirées du chanteur à la mode, rien pour les
lendemains, ni troupe, ni répertoire, ni public payant. Le manque d'en-
semble et la confusion des emplois ont été les traits caractéristiques de
cette dernière saison. M. Jean de Reszké a été l'unique premier ténor,
comme M. Edouard de Reszké l'unique première basse. L'emploi de
falcon n'a pas eu de titulaire; le rôle de Valentine des Huguenots a été
tenu successivement par trois chanteuses légères, Raoul a été chanté par
des ténors légers, le roi à'Hamlet a eu pour interprète une basse bouffe.
Dans des conditions pareilles, bien des représentations ont été indignes
de Covent-Garden.
La seule nouveauté, Esmfralda, a été appréciée, à cette place, à sa juste
valeur, et c'est la reprise du Prophète qui constitue en réalité, avec celle
à'Hamlet, le seul événement artistique de la saison. On s'est peut-être
aussi trop hâté de triompher de l'adoption de l'idiome français pour cinq
ou six opéras et en ce qui concerne les principaux sujets seulement. Les
petits rôles ont été baragouinés d'une façon affreuse, tandis que les chœurs
ont chanté un composé de toutes les langues. De pareilles énormités
passent inaperçues en italien, que peu de gens parlent, mais choquent
en français, que tout le monde comprend.
Le moment est venu, dans l'intérêt même de l'institution de l'opéra à
Londres, de se prononcer d'une façon formelle pour le genre français.
C'est le seul qui permettrait la composition d'une troupe homogène dans
tous les cas et assurerait la marche d'un répertoire varié et pouvant s'aug-
menter de nouveautés importantes tous les ans. Le système mixte ne sau-
rait se prolonger plus longtemps. Il faudra prendre franchement un parti:
ou bien revenir entièrement au genre italien, qui ne produit plus ni chan-
teurs ni musiciens, ou, marchant avec le progrès, se déclarer définitive-
ment pour l'opéra français. A.-G. N.
— Nous avons fait connaître les détails delà cérémonie qui accompagnait
l'inauguration du monument de Weber à Eutin. Voici à présent la descrip-
tion du monument lui-même. Il consiste en un buste posé sur un socle en
granit. Par devant, sur les degrés du socle, une muse est assise,' plus
grande que nature, tenant une lyre à la main. La tète est levée, contemplant
le buste. Au bas, de l'autre côté, deux enfants sont représentés lisant dans
un cahier de musique. Au-dessus, un bas relief reproduisant une scène
du Freischiitz. Sur les côtés, différents emblèmes groupés avec goût. L'en-
semble du monument est d'un heureux aspect.
— A propos de l'inauguration du monument de Weber à Eutin, les
journaux allemands racontent qu'on eu a toutes les peines du monde pour
réunir la partition et les parties de la messe de Weber qui a été exécutée
à cette occasion à la cathédrale d'Eutin. Cette messe (en mi bémol majeur)
n'a jamais été publiée en partition. Weber l'écrivit à la demande du roi
de Saxe, pour la chapelle de la cour, à Dresde, et le manuscrit fait aujour-
d'hui partie de la collection privée du roi Albert. Il existait toutefois de
cette messe une réduction pour piano, dont quelques exemplaires se trou-
vaient encore à Londres. C'est de là qu'il a fallu les faire venir pour
procéder aux études partielles de l'œuvre. Le roi de Saxe ayant donné
l'autorisation de copier le manuscrit qu'il possède, on a pu reconstituer
l'orchestre. A la demande du roi Frédéric-Auguste Ier, Weber avait composé
un offertoire qu'il ajouta plus tard à l'œuvre originale. Cet offertoire, qu'on
croyait perdu, a pu être retrouvé également, et il a été intercalé, à Eutin,
entre le Credo et le Sanclus. C'est probablement la seule et unique exécu-
246
LE MÉNESTREL
tion de cette messe de Weber qui ait eu lieu en Allemagne, depuis la
mort de son auteur.
— La translation des cendres de Gluck, de l'ancien cimetière au nou-
veau, aura lieu vers la fin du mois. La municipalité a décidé d'entourer la
cérémonie d'un éclat tout spécial. On profitera de la présence des douze
cents chanteurs réunis à l'occasion des grandes fêtes musicales de Vienne
pour former un cortège imposant où on pourra dire que toute l'Allemagne
musicale aura été représentée.
— On vient d'inaugurer à Berlin un musée d'instruments de musique
placé sous la direction du ministère des Beaux-Arts. Le fonds de ce musée
est formé par la collection d'instruments anciens que l'Etat prussien acheta
l'année dernière à M. Paul de Witt, de Leipzig. D'autres collections, tirées
des musées de l'Etat et des bibliothèques royales, ainsi que divers dons
de particuliers, ont rapidement augmenté l'importance et la valeur de ce
musée, qui est dès à présent, après ceux de Paris et de Bruxelles, le plus
riche de l'Europe. Parmi les instruments précieux qu'on y voit, il y a le
fameux quatuor de Beethoven, qui récemment avait été exposé à Bonn,
et le violon d'étude de Mozart. Le musée instrumental de Berlin paraît
être particulièrement bien fourni en modèles d'anciens instruments à
cordes. On cite aussi ses vieux instruments à vent, dont il existe, parait-
il, un orchestre complet en parfait état de conservation.
— Les recettes de la Passion à Oberammergau accusent déjà une plus-
value de 80,000 marcs sur les dépenses. Chaque représentation produit
22.000 marcs. Les étrangers, principalement des Anglais et des Américains,
arrivent en foule. Beaucoup restent la semaine entière à Oberammergau
pour assister une seconde fois à la représentation. Jusqu'à ces derniers
jours pourtant, le temps n'a guère été favorable.
— Ainsi qu'on le sait, la conférence internationale qui s'est réunie au
mois de novembre 1SS5 à Vienne, pour l'introduction d'un diapason normal,
a choisi comme ton normal le la qui se termine par 435 vibrations en-
tières, ou, d'après le système français, par 870 vibrations simples, à la se-
conde. En vue d'introduire ce diapason dit français, le chancelier de
l'Empire a chargé l'institut de physique de Gharlottembourg de fabriquer,
d'examiner et d'approuver des fourches toniques. Le nouveau diapason
est déjà introduit dans les musiques militaires, dans la plupart des orches-
tres et dans les conservatoires de musique. Récemment, le conseil supé-
rieur de l'instruction publi que a prescrit que, par l'intermédiaire des écoles,
ce diapason devra, autant que possible, être introduit dans tout le pays.
En conséquence, les écoles normales ont été avisées d'avoir à se servir du
nouveau diapason à partir de l'hiver prochain, et de faire changer le ton
des orgues et des pianos. En même temps, les inspecteurs scolaires ont
été invités à veiller à l'introduction du nouveau diapason dans toutes les
écoles d'Alsace-Lorraine.
— Le compositeur Franz de Suppé, qui visite en ce moment l'Italie, et
qui de Milan s'est rendu à Florence, s'occupe, dit-on, d'une nouvelle
opérette en trois actes, le Paillasse, dont le livret lui a été fourni par
M. V. L. von Waldberg, et qui sera jouée au théâtre An der Wien de
Vienne.
— M. Franz Kûhmeyer, de Presbourg, déjà connu par son invention de
la lyre à archet électrique, vient de créer un nouvel instrument, d'après le
système du premier, le piano à arcliet, dont il est fait grand bruit dans la
presse allemande. C'est un piano de la dimension des grands pianos à
queue, mais qui ne porte pas dans ses flancs moins de dix instruments à
cordes : six violons, deux altos et deux violoncelles. Des bandes de cuir
fin, faisant l'office d'archets et mues-au moyen des pédales, circulent en
travers des cordes. Quand on appuie le doigt sur une touche, l'archet fait
vibrer la corde correspondante tout le temps que dure cette pression de
la touche. On obtient, parait-il, ainsi des s'ons et des effets enchanteurs.
Circonstance curieuse : il se trouve que l'inventeur, M. Kûhmeyer, est
hors d'état d'expérimenter lui-même son piano à archet, n'étant pas musi-
cien le moins du monde; sa profession est celle de fabricant d'articles en
filigranes d'or et d'argent. Disons, pour finir, que l'idée du piano à archet
était déjà connue au xvn° siècle, et que tout récemment encore un facteur
parisien en a fait une très heureuse application.
— Sur la fin d'une saison théâtrale désastreuse, le directeur d'une pe-
tite scène lyrique autrichienne, désireux de montrer que les déboires n'ont
pas tari sa verve spirituelle, a fait publier dans différents journaux, entre
autres le Tagblatt, la communication carnavalesque dont voici la traduc-
tion : « Un mot d'adieu au public de l'Opéra! Que {Robert) le Diable soit de
la saison ! Loin de me rapporter tout l'Or du Rhin elle ne m'a pas seulement
fait encaisser de quoi payer le Porteur d'eau et le Barbier, et il ne me reste
pus nu centime pour aller assister au Carnaval romain ni même au moindre
Bal musqué. Dieu sait depuis quand il ne m'est arrivé de contempler un
Domino noir, de Joyeuses Commères, ou seulement une Dame blanche. Lorsque
j'aurai payé le Maçon et le serrurier, le Charpentier (Czar et Charpentier),
le Trompette et la Danseuse en voyage, il me restera à peine de quoi aller
passer une Nuit au camp. Je suis assurément économe, mais j'ai Quatre fils
Aymon, qu'il faut que je nourrisse. Je ne suis ni un Templier, ni un Don
Juan et je célébrerais volontiers mon Mariage aux lanternes, si je rencontrais
une riche Juive qui voulût accepter de ma main l'Elixir d'amour et devenir
mu Fiancée. Peu m'importerait qu'elle fût Africaine ou même la fille du
capitaine commandant le Vaisseau-Fantôme. Je ne connais de la Vie pari-
sienne que ce qu'on m'en a décrit, j'ai des goûts simples, je ne porte jamais
aucun ornement, même pas une Croix dor, et suis satisfait quand je ne me
trouve pas trop au-dessous de mes affaires. C'est pourquoi j'invite le public
à se rendre en foule aux représentations d'adieu qui auront lieu le pre-
mier et le deuxième jour de Pâques. Ne l'oubliez pas : le Roi l'a dit!
Signé : Ernest Kônig, directeur de théâtre, concessionnaire. » Comme on
sait, en allemand Konig signifie le roi : on saisit donc la dernière plaisan-
terie. Étourdissant de facétie, ce bon M. Kônig ! Cela n'a d'excuse que les
grandes chaleurs que nous traversons.
— Une somme de neuf cent mille florins a été votée pour la reconstruc-
tion, à Amsterdam, d'un nouveau théâtre, sur l'emplacement de celui qui
a été incendié dernièrement. Le projet d'édification est mis au concours.
— Les concerts Lamoureux, organisés en Hollande, par l'imprésario
Schurmann, auront lieu : le 16 octobre à Rotterdam, à l'Opéra ; les 17,
18, 19 à Amsterdam, grande salle de concerts ; 20 et 21 à La Haye, salle
des Arts-et-Mé tiers.
— Un beau métier que celui de musicien en Italie, mais peut-être pas
très lucratif, s'il faut s'en rapporter à cet avis que nous trouvons dans
les journaux de ce pays: « Il est ouvert à San Mauro de Piomagne, pro-
vince de Forli, un concours pour le poste de maître de musique, avec
obligation d'instruire et de diriger le corps de la bande municipale, et
d'enseigner le piano et l'orgue à tous ceux qui voudront s'y consacrer.
Le traitement annuel est de 800 francs. Outre cela, il aura le logement
gratuit et une gratification annuelle de 2S0 francs pour la composition de
dix-huit morceaux d'harmonie au moins et pour la copie des parties. »
Franchement, il y aurait plus d'avantage à se faire simplement balayeur
municipal qu'à sortir vainqueur d'un tel concours pour obtenir une sem-
blable situation artistique. Huit cents francs par an pour instruire et di-
riger un corps de musique, sans compter les leçons de piano et orgue,
c'est déjà gentil ; mais que dire des 250 francs attribués à la composition
et à la copie de dix-huit morceaux d'harmonie, ce qui fait revenir chacun
de ces morceaux à un peu moins de quatorze francs, composition et copie
comprises ? Décidément, c'est un beau métier que celui de musicien en
Italie — le pays du déficit, comme l'appelle si bien notre collaborateur
Edmond Neukomm dans un livre récent.-
— Singulier avis très personnel que nous trouvons dans un journal
italien: — « On invite la personne qui, peut-être par distraction, a em-
porté des bureaux du Mondo arlhtico quelques partitions, de vouloir bien les
renvoyer promptement, si elle ne veut que, ayant été vue, on ne mette
son nom à la connaissance de tous, sans pour cela renoncer à un procès
pénal. » Distraction de dilettante raffiné, sans doute, ou de ténor dans
l'embarras.
— Une pierre commémorative sera posée prochainement, à Crémone, sur
la façade de la maison où mourut il y a quelques années le compositeur
Lauro Rossi, qui jouit pendant trente ans d'une véritable renommée et à
qui l'on doit une vingtaine d'opéras, parmi lesquels un Domino nero qui
devint presque aussi populaire que le Domino noir de notre Auber, à qui
sans doute il devait bien quelque chose.
— Sans tenir aucun compte d'un projet qui lui avait été présenté par
MM. d'Ormeville et Scalise, le conseil communal de Naples a accepté les
propositions de la junte et a de nouveau concédé l'entreprise du théâtre
San Carlo à M. Marino Villani. La saison s'ouvrira par la Gioconda de
Ponchielli, avec M™' Cataneo et Novelli, MM. De Lucià et Dufriche pour
interprètes. Trois ouvrages viendront sans doute ensuite : Cavalleria ■
ruslicana de M. Mascagni, Cimbellino, opéra nouveau de M. Van Westerhut,
et Spartaco, de M. Platania.
— A propos de Cavalleria rusticana, on assure que l'établissement mu-
sical de M. Sonzogno est littéralement assiégé de demandes de la partition
du jeune compositeur livournais. Depuis son apparition, il en a été déjà
vendu et expédié hors de Milan environ 3,000 exemplaires.
— Au théâtre Alfieri, de Turin, très grand succès pour une opérette
nouvelle du maestro Garlini, i Diavoli délia Corie. Seize rappels au com-
positeur, trois morceaux bissés, exécution excellente, mise en scène
superbe, tel est le bilan de la soirée. — Grand succès aussi, au Politeama
de Gènes, pour une opérette d'enfants, Guglielmo Embriaco, chantée par
les élèves de l'Institut Vittorino, de Feltre, à l'occasion de la distribution
des prix. Le sujet est tiré de l'histoire des croisades, et le compositeur
est M. Penco.
— On écrit de Venise que le théâtre Malibran, remis à neuf, est mé-
connaissable, et que sa transformation est absolument radicale. La nou-
velle décoration, de style égyptien, conduite ingénieusement et exécutée
avec diligence et finesse, a été imaginée par M. Vizzotto et exécutée par
M. Bressan. Le rideau est l'œuvre des peintres Pedrocco et Tagliapietra.
Le grand lampadaire du centre, à la lumière électrique, est magnifique.
On a dû procéder cette semaine, par une représentation de Mignon, à
l'inauguration de la salle ainsi embellie et restaurée.
— S'il faut en croire certains journaux étrangers, le chiffre de la suc-
cession laissée par le célèbre ténor Gayarre ne se monterait pas à moins
de quatre millions. Quatre millions gagnés au cours d'une carrière d'une
quinzaine d'années ! Voilà pourtant où passent les subventions théâtrales.
Correspondance de Barcelone. — Barcelone, 25 juillet 1890. — Si notre
arrière-saison lyrique de Primavera a tin i piteusement, notre saison d'été
— qui actuellement bat son plein — a fort bien commencé. Le grand in-
LE MÉNESTREL
247
térêt de la « temporada » semblait devoir se concentrer sur les spectacles
d'opéra italien annoncés au Teatro-Lyrico. On nous y promettait en effet,
outre une reprise de YOrphce de Gluck, YAlceste du même maître, il Malri-
monio segreto, de Cimarosa — deux ouvrages pour ainsi dire inconnus ici
— et une nouveauté... nouvelle : la Modella, du maestro Oreste Bimboni.
Toutes ces promesses ont été tenues ; mais, hélas ! dans quelles désolantes
conditions. La direction — richissime cependant — de cet élégant Théa-
tro-Lyiuco, se figurant sans doute que l'attrait d'oeuvres inconnues était
suffisant pour attirer le public, ne se préoccupa point du choix des inter-
prètes, et il advint que cette superbe partition d'AIceste et cette toujours
charmante musique d'il Matrimonio segreto furent exécutées d'une façon
absolument lamentable. . . Quant à la Modella, le soi-disant clou de la sai-
son, elle a piqué une de ces tètes. . modèles. C'a été la seule justification
de son titre. C'est du vieux rabâchage italien. Après une telle exhibition,
il ne restait plus au Theatro-Lyrico qu'à fermer ses portes ; c'est ce qu'il
a fait. — Au Theatre-Gayarre, on continue, avec succès, les représenta-
tions du répertoire courant d'opéra, avec une troupe composée d'éléments
de second ordre, mais très consciencieux. — Au Theatro del Eldorado,
vient de débuter une assez bonne compagnie d'opérette italienne, qui nous
a déjà fait entendre plusieurs œuvres inconnues ici : In Cerca di Félicita,
quatre actes, du maestro Suppé. La pièce est peu intéressante. La musique
ne se. recommande guère que par sa facture facile et gaie: elle manque
d'originalité. Un Viaggio in Affrica, du même compositeur, est une oeuvre
sans importance quoiqu'en trois actes : on y sent beaucoup plus de
savoir-faire que de savoir et d'inspiration. Il uice-almiraglio, deux actes
et un prologue du maestro Millôcker. La pièce est drôle ; la musique ne
vaut pas cher, et elle a le tort d'afficher des prétentions. Enfin de
Milan, on nous apprend que M. Bernis, directeur quand même del Liceo,
vient de s'entendre avec la maison Ricordi, au sujet de YOtello de Verdi,
qui sera représenté à Barcelone l'hiver prochain, avec la distribution
suivante, acceptée par les éditeurs propriétaires de l'œuvre : Desdemona,
Mm0 Kupfer-Berger ; Emilia, Mme Carottini ; Otello, M. Gardinali ; Yago,
M. Laban ; Cassio, M. Foughi ; Rodrigo, M. Oliver. Les études seront faites
sous la direction du maestro Pietro Nepoti, et les représentations dirigées
par le maestro (que de maestri, bone Deus!) cavalière Edoardo Masche-
roni. A.-G. Bertal.
— Il parait que par les soins de la municipalité de Pampelune, une
pierre commémorative vient d'être placée sur la maison où naquit, le
16 mars 1844, l'éminent violoniste Sarasate. Personne n'admire plus que
nous l'incomparable talent du grand violoniste dont l'éducation musicale
s'est faite au conservatoire de Paris. Mais en vérité de tels hommages ne
sont-ils pas excessifs, pour ne pas dire ridicules, lorsqu'ils s'adressent à
un artiste encore vivant, et ne pourrait-on appeler cela du cabotinage
officiel ?
— Voici le tableau exact et complet de la compagnie lyrique engagée
au théâtre San Carlos de Lisbonne, pour la saison 1890-91 : soprani,
jjmcs Blena Teodorini, Nadina Bulicioff, Linda Brambilla ; inezzo-soprani,
Mmcs Emma Leonardi et Cesira Pagnoni ; ténors, MM. Gabrielesco, Moretti
et Mastrobuono; barytons, MM. Delûno Menotti et Maurice Devriès ;
basses, MM. Ercolani et "Wulmann; buffo, M. Carbone. Le chef d'or-
chestre est M. Marino Mancinelli.
— L'excellent violoniste Joseph White s'est fait entendre avec le plus
grand succès devant la reine d'Angleterre, au château d'Oshorne, le
24 juillet, et peu de jours après, à Londres, chez le prince de Galles.
— Les journaux américains parlent très favorablement d'un nouvel opéra-
comique produit récemment à l'Opéra de Chicago sous le titre de Robin
hood. Composée par M. de Koven sur un livret de M. H. B. Smith, la par-
tition a conquis tous les suffrages par l'originalité et le caractère vif et
enjoué des motifs.
— Voici qu'on assure que deux ténors renommés, MM. Aramburo et
Anton, se font chefs de compagnie et réunissent en ce moment une
troupe avec laquelle ils comptent faire une grande tournée dans l'Améri-
que. Ces messieurs s'adjugeront-ils, comme artistes, les appointements
qu'ils ont coutume d'exiger des impresari de profession?
PARIS ET DÉPARTEMENTS
C'est aujourd'hui même, dimanche, à une heure, qu'a lieu dans la
grande salle du Conservatoire, la séance solennelle de la distribution des
prix. Nous rendrons compte, dans notre prochain numéro, de cette séance
toujours intéressante, et nous donnerons le texte du discours officiel pro-
noncé à cette occasion par le représentant du gouvernement.
— Voici les résultats des derniers concours publics du Conservatoire,
qui ont eu lieu cette semaine:
Oi'éha-Comique (hommes). 11 concurrents. Jury : MM. Ambroise Thomas,
président, Capoul, E. Guiraud, Massenet, Léo Delibes, Duprato, Descha-
pelles, Jules Barbier, Paravey.
Pas de premier prix.
2°" prix : MM. Vaguet et Théry, élèves de M. Ponchard ;
4"'» accessits : MM. IJefly et Ghasne, élèves de M. Ponchard ;
2™ accessits : MM. Imbart de la Tour, Lequien et Bérard, élèves de
M. Acbard.
Opéra-Comique (femmes). 5 concurrentes. — Mémo jury.
Pas de premier prix.
2e" prix : MUos Buhl, élève de M. Ponchard, et Lemaignan, élève de
M. Achard ;
4™ accessits : Mll(iS Blanc, élève de M. Achard, et Bréjean, élève de
M. Ponchard ;
2e accessit : MUc Morel, élève de M. Achard.
Violon. 32 concurrents. Morceau de concours : 1er morceau du 2° concerto
de Paganini, en ré majeur. Jury : MM. Ambroise Thomas, président, E.
Guiraud, Ernest Altès, Léon Reynier, L. Gastinel, Madier de Montjau,
Bémy, Luigini, Paul Viardot.
4"s prix: M11" Schytte et M. Kosman, élèves de M. Massart; MUc Huon,
élève de M. Sauzay.
2CS prix: M. Belville, élève de M. Sauzay; M. Quanté, élève de M. Mas-
sart.
4 as accessits : M. Conus, élève de M. Massart; M. Capet, élève de M. Mau-
rin ; M. Roillet, élève de M. Dancla.
2e! accessits : M. Monge, élève de M. Maurin ; M. Lebreton, élève de'
M. Sauzay; Mlle Arton, élève de M. Massart; M. Lespine, élève de
M. Dancla.
Opéra (hommes). 5 concurrents. Jury : MM. Ambroise Thomas, président,
Léo Delibes, E. Guiraud, Paladilhe, V. Joncières, Jules Barbier, Descha-
pelles, Ritt.
Pas de premier prix.
2CS prix : MM. Vaguet, Grimaud et Dinard ;
Pas de 1er accessit;
2e accessit : M. Lequien.
Opéra (femmes). 5 concurrentes. — Même jury.
4CI prix : MUe Bréval ;
2e prix : Mlle Issaurat ;
Pas de 1er accessit;
2e accessit: Mlle Lemaignan.
Tous élèves de M. Giraudet.
On sait que les divers concours d'instruments à vent ont tous lieu dans
la même journée et devant un seul et même jury. Voici comment était
composé ce jury: MM. Ambroise Thomas, président, Emile Jonas, V.. Jon-
cières, J. Garcin, Madier de Montjau, Taffanel, Dupont et Turban. .
Flûte (professeur: M. Altès.)
Pas de premier prix ;
2e prix : M. Balleron ;
4" accessit: M. Deschamps ;
2e accessit : M. Danis.
Hautbois (professeur: M. Gillet.)
4'™ prix: MM. Busson et Gaudard ;
2e5 prix: MM. Barthel et Giraud;
4er accessit : M. Gilbert;
2e accessit : M. Duverger.
Clarinette (professeur : M. Rose.)
1eI prix : M. Aubrespy;
2e prix : M. Delamothe ;
^er accessit : M. Pujol ;
2eB accessits : MM. Beaudoin et Pichard
Basson (professeur : M. Jancourt.)
^ere prix : MM. Laigre et Quentin ;
2e prix : M. Cnudde ;
4" accessit: M. Caillol.
Cor (professeur: M. Mohr.)
Pas de premier prix ;
2e prix : M. Brin ;
4ev accessit : M. Coyaux ;
2e accessit : M. Roux.
Cornet a pistons (professeur : M. Mellet.)
4a prix : M. Espagnet ;
2" prix : M. Tourneur ;
4"' accessit : M. Grenaud ;
2CS accessits : MM. Pieyre et Grossier.
Trompette (professeur : M. Gerclier.)
Pas de prix ;
4er accessit : M. Leconte ;
2S accessit : M. Lecherf.
Trombone (professeur : M. Allard.)
Ie' prix: M. Maquaire ;
2e prix : M. Rose ;
2" accessit: M. Brousse.
— M. Castaignier, l'auteur de l'opéra les Normands, a gagné contre
M. Paravey le procès dont nous avons parlé. Le directeur de l'Opéra-
Comique a été condamné à payer le dédit de 15,000 francs, plus 2,000 fj>,
pour intérêts et frais évalués, sous réserve de tous autres à peine de,
dommages. D'après quelques-uns de nos confrères, c'est avec la subvea*1-
tion saisie que le ministère des finances aurait désintéressé le plaignant.
Diable ! si quelques auteurs se mettaient à suivre l'exemple de M. Castai-
gnier, que resterait-il bientôt de la subvention? Est-ce à cela que doit
passer l'argent des contribuables? On a toujours cru jusqu'ici que cette
subvention devait nous assurer de meilleures représentations artistiques,
et non servir à payer les dettes d'un directeur dans l'embarras.
248
LE MÉNESTREL
— Diantre! nos bons amis italiens ne sont pas contents. Il faut voir
comme ils vous traitent la France du haut en bas, il faut entendre les
cris de paon qu'ils jettent parce que le Figaro et le Ménestrel ont osé dire,
déclarer, imprimer, publier, ce que tout le monde commence à sentir et
ce qui parait dès à présent inévitable: à savoir, que, dans un temps donné
et qui se rapproche chaque jour, l'opéra et le chant français sont appelés
à remplacer, sur la plupart des grandes scènes internationales, l'opéra et
le chant italiens. Cette constatation ne fait pas la joie de nos voisins, ce
dont on ne saurait s'étonner ; elle les met au contraire dans une véritable
fureur, qui pour quelques-uns va jusqu'à la rage. Tous les journaux
spéciaux s'occupent de cette grosse question en y montrant leur mauvaise
humeur ; mais parmi eux tous le Trovatore, qui nous avait habitués à plus
d'esprit, se distingue par une colère et des invectives absolument désor-
données. Ce qu'il y a de plus curieux, c'est que ces journaux, qui pour
la plupart ne cachent jamais leur hostilité contre la France et leur appa-
rent dédain artistique pour notre, pays, ne manquent pas une occasion,
lorsqu'elle se présente, de se faire une sorte de gloire du succès ou sim-
plement de la présence chez nous d'un de leurs artistes, fût-ce dans le
milieu le plus infime. Nous ne parlons même pas d'un artiste sérieux qui
se produit dans un théâtre classé. Mais qu'un prétendu chanteur se fasse
entendre dans un boui-boui, qu'une danseuse quelconque enivre les ha-
bitués d'un bastringue de Paris ou de la province, vite, on constate le fait
comme un triomphe, la France est un grand pays, et l'art italien y fait
des merveilles. Un peu d'unité ne ferait pas mal peut-être dans la conduite,
et il ne faudrait pas que l'appréciation change selon la nature des événe-
ments. Pour nous, qui voyons les choses de sang-froid et qui n'avons
aucune raison de nous échauffer la bile, nous nous sommes bornés à
établir une situation, à constater des faits suffisamment publics, et à en
tirer tout naturellement la conséquence que l'une et les autres comportent.
Ce n'est pas notre faute si ces faits et cette situation sont à notre avantage.
Quant à ceux de nos confrères d'outre-monts qui déploient en cette cir-
constance si peu de sagesse et de circonspection, nous ne pouvons que
leur rappeler le vieux proverbe français : Tu te fâches, donc tu as tort.
— Relevé les noms suivants au sujet des nouvelles distinctions honori-
fiques. Officier de l'Instruction publique : M. Bourgeois, professeur de
chant. Officiers d'Académie : MM. Altermann, artiste musicien ; Baratte,
professeur de musique; MIle Brun, professeur de chant; M. Carron, pro-
fesseur de musique; M. Guérout, professeur de chant.
— La Société des auteurs dramatiques, qui a 354 membres seulement,
possède un capital de 1,003,714 francs. Elle sert à ses membres 80 pensions
de retraite, fixées chacune à 600 francs par an. On a admis cette année
sept nouveaux membres, dont voici les noms : MM. de Gramont (Louis-
Ferdinand), comte de Borreli (Emmanuel-Raymond), Cohen (Félix), Fey-
deau (Georges), Janvier de la Motte (Ambroise), Roger (Victor). Ces mes-
sieurs ont eu pour parrains MM. J. Massenet, Alexandre Dumas, G. Obnet,
Meilhac, Paul Moreau et Paul Ferrier.
— Voici une lettre assez curieuse de Richard Wagner qui nous est
communiquée. Elle fut adressée au ténor Roger et n'a encore, croyons-
nous, paru nulle part :
Cher ami,
J'ai eu la maladresse de me blesser à la main droite, de sorte que je suis obligé
de dicter ces lignes. Vous sentez bien que je vous suis très reconnaissant de
votre proposition et que je suis très sensible à votre désir de chanter en Alle-
magne et en France mon Lohengrin. IL me reste à vous prier de vous mettre en
rapport avec mon ami M. Nuitler, pour ce qui est de la traduction, car c'est lui
qui s'est chargé de la traduction de tous mes poèmes, mais je suis persuadé que
vous vous entendrez très facilement avec lui. Quant à M. Garvalho, il m'a fait
prier cet été par M. E. Ollivier de ne point intervenir dans la représentation de
mon Lohengrin à Paris ; comme je n'ai pas le moins du monde envie de pro-
pager mes œuvres, auxquelles je préfère laisser faire leur chemin à elles seules,
j'ai fait dire à M. Carvalho que je ne me mêlerai de rien. Il m'est difficile, pour
ne pas dire impossible, de lui écrire, mais comme j'ai toute confiance en
vous, cher ami, que je vous admire comme artiste et vous estime et vous aime
comme homme, je ne vous cache pas que le seul intérêt que je pourrais prendre
au Lohengrin a Paris, ce serait qu'il fût chanté par vous. — Voulez-vous vous
adresser à M. Carvalho et lui dire cela, ou lui communiquer cette lettre? Je ne
sais pas me tirer autrement de l'impasse où je me vois, grâce à ma parole donnée
à M. Carvalho par l'entremise de M. E. Ollivier.
J'habite Lucerne depuis quelques mois et je n'en bougerai pas d'ici long-
temps; je crains bien que nous ne nous rencontrions point, mais autant je re-
grette de ne pouvoir vous admirer et vous remercier cordialement, autant je suis
convaincu que vous n'avez pas besoin de moi.
Il me reste à vous dire que quelques-uns de mes amis avaient songé à monter
Tannh'ûuser et Lohengrin à Paris pour l'Exposition, mais en allemand; M"" Schnorr
(avec laquelle vous avez chanté plusieurs fois en Allemague, lorsqu'elle était en-
core M"" Garrigues), ma seule interprète en Allemagne, avait eu l'idée de
passer a Paris avec une troupe; M. de Bulow le seul chef d'orchestre dans lequel
j'ai toute confiance, les accompagnerait; comme de coutume je ne me mêlerais
de rien, mais je vous demande, à vous, ce que vuu* penseriez de cette entreprise,
si vous vous décideriez à chanter Lohengrin en allemand à Paris, et si on trouve-
rait un directeur de théâtre assez excentrique pour tenter pareille aventure,
D'ailleurs peut-êtro M'"" Schnorr, la seule Ortrude que je sache, se déciderait-elle
à chanter en français.
Pesez et examinez tout cela, cher ami, je vous donne earte blanche, en me te-
nant coi dans mon réduit suisse, où je suis heureux de pouvoir travailler en paix.
Pour vous, mon cher ami, mes plus cordiales amitiés et mes sincères remer-
cîments. Richard Wagner.
3 novembre 186S.
— Voici une lettre de M. Gevaert qui honore à la fois celui qui l'a
écrite, celle à qui elle est adressée et celui dont elle parle. Malgré les
résistances de Mmc Lacombe qui, dans sa modestie, trouve qu'on lui fait
la part trop belle, nous n'hésitons pas à la publier:
Bruxelles, le 25 juillet 1890.
Madame,
Aussitôt après avoir reçu les trois grandes partitions que vous avez bien voulu
me faire parvenir, j'ai chargé mon secrétaire de vous remercier de votre magni-
fique don.
Mais aujourd'hui, je profite du premier moment de loisir que je trouve depuis
le commencement de mes concours, pour vous réitérer l'expression de ma recon-
naissance et pour vous exprimer en même temps la profonde et respectueuse
admiration que j'éprouve pour vous*
L'éminent artiste dont vous portez si dignement le nom, — Louis Lacombe —
était un compositeur du plus rare mérite, un maître de grand style, qui n'a pas
eu de son vivant — peut-être à cause de la distinction extrême de son art — tous
les succès auxquels il pouvait légitimement prétendre. Mais le ciel lui a réservé
un bonheur plus grand, en un certain sens, — de laisser après lui une compagne
telle que vous, madame, une artiste vaillante, elle aussi, ne vivant que pour la
gloire de son époux, que pour révéler au monde ses œuvres trop peu connues.
J'aurais été heureux et fier de voir mon nom figurer parmi les souscripteurs a
la publication. Mais, je ne sais comment cela s'est fait, je n'ai pas eu connaissanc3
de l'ouverture d'une liste de souscription. Maintenant qu'elle est close — dn moins
je le crains, — il ne me reste plus qu'à prier votre dépositaire, M. Maquet, d'in-
scrire la Bibliothèque du Conservatoire de Bruxelles pour un exemplaire de ces
œuvres et des autres grandes compositions de Lacombe dont elle ne possède pas
la partition. Je veux que nos disciples et nos artistes soient à même de lire et
d'étudier ces belles œuvres d'art.
Veuillez agréer, madame, l'hommage de mon plus profond respect, de mon
entière gratitude. Signé: F. -A. Gevaert.
— Le mariage de MUc Wilder avec M. André Maurel a été célébré jeudi
dernier, à Saint-Ferdinand-des-Ternes, au milieu d'une grande affluence
de notabilités de l'art, qui avaient tenu à rendre cet hommage au distin-
gué critique. Les témoins étaient, pour la mariée, M. Gevaert, directeur
du Conservatoire de Bruxelles, et M. d'Hubert, directeur du Gil Blas ; pour
le marié, M. A. Rambaud, directeur de la Revue bleue, et M. Emile Ber-
gerat. Pendant la cérémonie, se sont fait entendre d'abord MM. Vergnet
et Hourdin, qui ont chanté le Veni Creator ; puis M. Bérardi, qui a dit un
O salutaris, qui n'est autre que l'air de Rysoor, dans Patrie, de M. Pala-
dilhe ; M. Brun a joué ensuite l'Hymne à sainte Cécile, de Gounod ; enfin,
M. Duc a chanté l'Ave Maria, de Gounod, accompagné par Mlls Marie Tayau
et M. Boussagol. L'orgue était tenu par M. Chapuis, organiste à Saint-
Roch, et l'auteur à'Enguerrande, qui a exécuté, pour la sortie, une grande
marche de fête de sa composition. Un lunch était servi dans le délicieux
jardin de M. Wilder, où l'on s'est rendu après la cérémonie religieuse.
— La distribution des prix de l'Ecole de musique classique L. Nieder-
meyer et dirigée par son gendre, M. Gustave Lefèvre, a eu lieu le 2S courant
sous la présidence de M. Georges Graux, député et vice-président du
conseil général du Pas-de-Calais. Dans un éloquent discours fréquem-
ment applaudi, M. Graux a rappelé les éminents services rendus à l'art .
par l'Ecole de musique classique, les nombreux et excellents organistes
et maîtres de chapelle qu'elle a formés et placés et le dévouement du
savant directeur qui la dirige avec une rare abnégation depuis vingt-cinq
ans révolus. Après une allocution très émue du directeur et l'audition des
brillants lauréats des classes de piano, la distribution a commencé. Voici
les principaux lauréats : 1er prix d'harmonie, Omer Lélorey ; Ie1' prix de con-
trepoint (ex œquo), Auguste Bentz et Edouard Guibert; 1er prix de fugue à
l'unanimité, Omer Lélorey; Ie1' prix d'orgue à l'unanimité, Alfred Mari-
chelle ; 1er prix de piano, Auguste Bentz; lor prix de plain-chant, Edouard
Guibert; 1er prix d'improvisation, Auguste Bentz; prix d'honneur, Alfred
Marichelle.
— La distribution des prix aux élèves du Conservatoire de Nantes a eu
lieu mercredi dernier, sous la présidence du préfet, qui a fait un discours
net et bien senti, très élogieux pour l'école et pour son directeur
M.Weingartner. Le grand succès du concert qui a suivi la distribution
a été pour une joune violoniste, M"e Blanche Aubineau, qui a remarqua-
blement joué le 14e concerto de Kreutzer. Ont été applaudis également
Mllc Nantier et M. Audrain, les deux premiers prix de piano, M. Bureau,
violoncelliste, MUcs Guérin et Bonnafond, chanteuses, et M. Royé, baryton,
l01' prix de chant.
— Très intéressante matinée jeudi dernier chez Erard, pour la clôture
des cours de Mlle L. Tailhardat ; l'excellent professeur a fait entendre une
vingtaine de ses élèves, dont plusieurs déjà très remarquables. A la fin de
la séance, toutes les élèves se sont réunies pour offrir les insignes acadé-
miques en diamant à M1'0 Tailhardat, qui vient d'être honorée de cette
distinction.
Henri Heugel. directeur-géiant.
Dimanche 10 Août 1800.
3097 - 56- ANNEE -- N° 32. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et', publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, $ bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement,
Un on, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Notes d'un librettiste: Eugène Gautier (13° article), Louis Gallet. — II. La
Distribution des prix au Conservatoire, Arthur Pougin.— III. Bulletin théâtral:
La question de l'Opéra, A. P. — IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE CHAUT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour:
VOUS NE M'AVEZ JAMAIS SOURI
nouvelle mélodie de G. Verdali.e, poésie de M. Helliot. — Suivra immé-
diatement : Si
GuÉaix.
veux! nouvelle mélodie de Victor Staub, poésie de G.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano: Joyeux rigaudon, de Edouard Broustet. — Suivra immédiatement :
Dolce far niente, de André Wormser.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
EUGENE GAUTIER
« C'est ici avant tout la figure d'un homme d'esprit »
pourrait-on dire, à propos d'Eugène Gautier.
Bien que demeurée, durant sa vie, souveraine maîtresse
de la pensée du compositeur, la musique, en effet, n'illu-
mine que très faiblement son souvenir. Il est là, présenta nos
yeux, avec sa verve railleuse, son érudition, impitoyable
pour les faux savants, son sens artistique très affiné et son
âpre soif de gloire restée toujours inassouvie. L'historien, le
critique se dessinent en lui d'un trait très net; comme com-
positeur sa physionomie s'estompe, se perd dans un indécis
lointain.
L'homme était de forte stature, portant haut la tête, plan-
tée crânement sur de larges épaules. Comme on dit, « il ne
perdait pas un pouce de sa taille » ; il allait, le nez au vent,
l'œil bleu pâle, tantôt vague, tantôt pétillant de moquerie, la
bouche amère, les mâchoires serrées et le menton saillant,
marque do la volonté tenace; il parlait d'une voix mordante;
sa parole abondante s'échappait fréquemment en fusées de
rire; sur sa face rasée, comme celle d'un comédien ou d'un
prêtre, s'épanouissait à grande aise la vieille gaité gauloise.
Bien disant et fin conteur, il s'entendait mieux que per-
sonne à faire goûter le charme d'un mot ou la malice d'un
sous-entendu.
A le voir marcher seul, frappant rythmiquement d'une
canne trop courte l'asphalte du trottoir, le regard porté au-
dessus de la foule, comme en quête d'un « au-delà » inac-
cessible, on l'aurait pris pour quelques rêveur détaché de la
vie; interpellé au passage, il redescendait tout à coup sur la
terre, se répandait en libres propos, faisant pétiller comme
des charges de fulminate ses phrases courtes, pressées, abon-
dantes en traits vifs, défaisait d'un mot une réputation nais-
sante, humiliait d'un sourire une gloire de la veille.
Conscient peut-être d'une infériorité professionnelle, épris
d'un idéal très haut, fort d'une très réelle science, il chargeait
parfois à fond sur les favoris du moment, dont il avait de-
puis longtemps, pensait-il, mesuré la valeur réelle et connu
les humbles commencements.
C'est ainsi que d'un compositeur longtemps tenu en mé-
diocre estime par le public, mais feuilletoniste spirituel,
adepte fervent de Berlioz, en passe de devenir membre de
l'Institut, et dont on parlait comme d'un homme à qui on
rend enfin une justice tardive, il disait avec un ricanement
ironique.
— Lui! musicien? mais il ne sait rien! Il est homme à
confondre Lulli avec Sully et peut-être même avec Bully !
En Eugène Gautier, ce n'est pas cet impitoyable railleur
qu'il faut voir; c'est surtout l'artiste plein de son sujet, dé-
sespérant de l'interpréter dignement, cruellement frappé de
n'y avoir point réussi ou du moins de n'avoir pas fait parta-
ger à la foule les souffrances des longs efforts que sa création
lui a coûtés.
Quand j'ai connu Eugène Gautier, je puis dire, — tout
nouveau venu que j'étais dans la carrière dramatique, — que
je ne me doutais guère de son existence. A peine avais-je lu son
nom au bas de quelques articles de critique musicale. Il
écrivait alors, je crois, au Journal officiel; j'ai su depuis, et
seulement de son propre aveu, qu'il était en outre chargé
de fournir à Nestor Roqueplan, dont il devait plus tard
prendre la succession comme critique, les parties de son
feuilleton relatives à l'appréciation de la musique dramatique.
Il était pourtant depuis longtemps sur la brèche. Né en
1822, admis très jeune au Conservatoire, dans la classe
d'IIabeneck, il avait obtenu en 1838 le premier prix de violon.
Il avait tout de suite, semble-t-il, fait assez bon marché de
son talent de virtuose, pour s'attacher surtout à la composition
musicale. Elève d'Halévy, il donnait à Versailles, en 1845, à
23 ans, son premier ouvrage : l'Anneau de Marie, que devaient
suivre à Paris beaucoup de petits opéras en un ou deux actes:
les Barricades, Murdock le Bandit, Flore et Zëphire, Choisy-le-Boi,
le Mariage extravagant, le Docteur Mirobolan, Schabaham II, la
Bacchante, Jocrisse, le Trésor de Pierrot, représentés soit à
l'Opéra-Comique, soit au Théâtre-Lyrique, et parmi lesquels
250
LE MENESTREL
le Mariage extravagant fut, je crois, le plus heureux devant le
public.
Cette liste des principales œuvres dramatiques d'Eugène Gau-
tier données de 1848 à 1864, ne constituepas, même augmentée
d'une cantate officielle exécutée le 15 août 1861, un bagage
musical bien riche, et le compositeur, arrivé, en 1869, à
l'âge de 47 ans n'avait pas encore connu cette joie d'être
nommé comme l'auteur de quelqu'un de ces petits chefs-
d'œuvre qui mettent un homme hors de pages.
La noble ambition le tenait de se consacrer enfin à une
partition où il mettrait tout ce qu'il sentait en lui de forces
longuement amassées, d'expérience et de science. Il voulait
que tout d'abord le sujet pris isolément, fût à lui seul un
attrait, une garantie de l'intérêt que le public attacherait im-
médiatement à l'œuvre, sans même en connaître une note.
Il avait longuement tâtonné, cherché; son choix s'était
enfin arrêté sur une idée de comédie conforme à ses vues et
lui inspirant cette confiance dont il avait besoin pour se
mettre au travail, suivant un mot qui devait lui échapper
un jour dans un de ces entretiens où se formulaient ses
craintes et ses ambitions :
— Je n'ai pas assez de talent pour me passer d'une bonne
pièce.
*
* *
Cette idée, il l'avait trouvée dans une de ces exquises
études dont se compose l'œuvre d'Octave Feuillet. Par quels
prodiges d'habileté, par quelle suite de finesses diploma-
tiques, obtint-il l'autorisation de s'en emparer, de la faire
sienne, c'est ce que je n'ai pu que pressentir plus tard, en
le voyant à chaque instant soucieux de ne pas démériter de
la confiance que le fin et spirituel auteur du Roman d'un Jeune
Homme pauvre lui avait accordée.
Son choix fait, il se mit aussitôt en campagne, et c'est à
ce moment que je fis sa connaissance.
Une lettre m'arriva, le 4 novembre 1869. A l'écriture de la
suscription, je la pris pour une lettre de Ferdinand Poise,
avec qui j'étais alors en relations constantes. C'a toujours
été un plaisir pour moi, une naïve satisfaction de nommer
celui qui m'écrit sur la seule inspection de l'adresse. Cette
fois, ma pénétration était en défaut. La lettre n'était pas de
Ferdinand Poise : elle était d'Eugène Gautier; grave comme
il convient entre gens qui ne se connaissent point et ne
laissant rien pressentir du libre esprit de celui qui l'écrivait :
» Monsieur, j'ai à vous faire, de la part de M. de Leuven,
une proposition qui, si elle vous agrée , me procurera le
plaisir d'entrer en relations avec vous. Comme il s'agit
d'une affaire importante et pressée, je vous serais bien obligé
si vous pouviez m'indiquer, le plus tôt possible, une heure
où je pourrais vous voir, chez vous ou ailleurs. (Excepté
cependant le vendredi de neuf à onze heures du matin, jour
et heure de mon cours au Conservatoire.)»
Il m'a semblé, depuis, que toute la modestie peut-être in-
consciente de l'homme était enfermée dans cette parenthèse.
Il avait fait représenter dix ouvrages, et il sentait que son
nom n'avait pas pénétré encore à travers les couches pro-
fondes de la foule; écrivant à un humble débutant, il gardait
la crainte de n'être pour lui qu'un inconnu ; il éprouvait le
besoin d'établir qu'il tenait par quelque lien au monde artis-
tique, qu'il était quelqu'un dans la grande famille musicale,
préoccupation qui n'eût point été celle d'un homme sûr de
la simple notoriété de son nom.
Il avait alors produit bien plus que Victor Massé, par
exemple. Mais Victor Massé était l'auteur des Noces de Jeannette,
et en fût-il resté là que c'eût été suffisant pour le dérober
à l'oubli. Pareille fortune n'était point advenue et ne devait
jamais advenir à Eugène Gautier. Il y tendait depuis nombre
d'années sans résultat, s'épuisant en efforts dont il espérait
trouver enfin le prix dans le succès de l'œuvre dont l'idée
venait enfin de s'emparer victorieusement de son esprit.
(A suivre.) Louis Gallet.
CONSERVATOIRE NATIONAL
DE MUSIQUE ET DE DÉCLAMATION
DISTRIBUTION DES PRIX
C'est dimanche dernier qu'a eu lieu au Conservatoire, sous la
présidence de M. Gustave Larroumet, directeur des Beaux-Arts, la
distribution des prix. Assisté de M. Ambroise Thomas, directeur du
Conservatoire, et de M. Des Chapelles, chef du bureau des théâtres,
M. Larroumet était entouré de M. Ludovic Halévy. membre de
l'Académie française, de M. Léo Delibes, membre de l'Académie des
Beaux-Arts, de M. Emile Réty, chef du secrétariat, et de la plupart
des professeurs du Conservatoire, réunis sur l'estrade.
Dans cette langue claire, précise et limpide qui lui est familière,
M. le directeur des Beaux-Arts a prononcé le discours d'usage, semé
d'aperçus ingénieux, de remarques pénétrantes, et surtout d'heu-
reux conseils paternellement adressés à son jeune auditoire. Il s'est
félicité du résultat amené par les mesures prises, depuis une année,
dans le but d'améliorer la marche de l'enseignement en ce qui
concerne les études scéniques, et a annoncé la forme définitive qui
allait être donnée aux règles établies ainsi à titre provisoire. On
remarquera la petite mercuriale lancée par M. Larroumet à l'adresse
des auditeurs des concours qui se permettent de se livrer à des mani-
festations intempestives et impertinentes, lorsque les décisions du
jury ne sont pas conformes à leur sentiment. Il faut espérer que
cette leçon, donnée avec autant de tact que d'à-propos, ne sera pas
perdue. M. Larroumet a rendu, dans les termes les plus délicats,
un hommage bien mérité à M. Ambroise Thomas, et, en rappelant
les décorations à propos de l'Exposition universelle, il a fait ressortir
ce fait que M. Mounet-Sully était le premier comédien décoré « sans
autre titre que celui de comédien ».
Au surplus, voici le discours complet de M. le directeur des Beaux-
Arts :
Mesdemoiselles et messieurs.
L'an dernier, je remplissais un devoir en vous disant, avec une netteté
nécessaire, quels enseignements ressortaient de vos concours et quelles
mesures s'imposaient à l'administration pour vous ramener à une notion
plus juste de vos études. Cette année, la leçon a porté ses fruits, vous
avez suivi nos conseils avec une docilité salutaire et les résultats, en
justifiant notre intervention, sont tout à votre honneur. Vous vous laissiez
aller sur une pente dangereuse, en essayant de vous affirmer comme
artistes avant de cesser d'être des élèves et en négligeant les maîtres du
passé pour ceux du présent. Le mal est en partie conjuré : vous ne faites
plus une concurrence aussi visible aux artistes du dehors, le répertoire
classique a repris sa place dans vos études et vos juges constatent avec
plaisir un sérieux effort de votre part pour approfondir cette grammaire
indispensable de l'art musical et dramatique, dont les règles essentielles-
sont la correction, la simplicité et la justesse. Je suis heureux de consta-
tâtes ces résultats et de vous en féliciter.
L'administration n'a donc plus qu'à donner une forme définitive aux
règles provisoires qu'elle avait établies au début de l'année classique.
Elle profitera de l'expérience acquise en tenant compte de certaines néces-
sités mises en lumière par la pratique des examens et des concours. Si,
pour la déclamation dramatique, nous n'avons rien à modifier en ce qui
concerne le choix et le nombre des scènes, il nous a semblé que, pour le
chant et la déclamation lyrique, il importait de ne pas appliquer aussi
rigoureusement les mêmes prescriptions. Rien de plus net que les mots
classique et moderne appliqués à la tragédie et à la comédie ; avec les œuvres
musicales, ils ont une signification moins précise. En outre, l'étude d'un
morceau de chant est plus complexe et plus longue que celle d'une scène
en prose ou en vers. Il y a donc lieu de laisser quelque souplesse aux
programmes.
Vos concours ne sont pas seulement des épreuves scolaires ; ce sont
aussi des spectacles, avec toutes les conséquences d'éloge ou de blâme
public et de contrôle par l'opinion que ce mot renferme. Du jour au len-
demain, vous passez de l'ombre discrète de la classe à la pleine lumière
de la scène ; une petite scène, sans décors, sans costumes, mais enfin une
scène. Il y aurait là un danger, si le public, qui vient vous juger en même
temps que vos juges, n'arrivait ici avec un grand fond de bienveillance, et
n'était tout disposé à vous tenir compte des moindres qualités, en consi-
dérant les défauts comme une nécessité de la jeunesse et de l'inexpérience ;
mais il y a certainement un grand avantage, outre les joies d'amour-
propre que vous en retirez : celui d'apprendre votre nom au public et de
préparer son attente pour le jour où vous paraîtrez définitivement devant
lui.
Je voudrais, cependant, que vos camarades et vos amis, une fois mêlés
à ce public, voulussent bien en prendre les habitudes, c'est-à-dire garder
une réserve d'autant plus convenable qu'ils sont chez eux et ne pas
accueillir la proclamation des jugements par des manifestations bruyantes
LE MENESTREL
251
que ne connaissent plus les vrais théâtres, même lorsque d'autres noms
et d'autres intérêts dramatiques sont en jeu. Il y a, je vous assure, quel-
que chose de fâcheux à voir l'avis raisonné d'hommes éminents, qui
s'acquittent avec abnégation d'un rôle fort pénible, ainsi commenté par
des tumultes indiscrets. Cette année, l'illustre président de nos jurys a dû
couper court à une scène de ce genre; je le sais disposé, s'il était néces-
saire, à prendre dans l'avenir un parti encore plus énergique ; mais je
suis sûr qu'il aura suffi de vous avertir et qu'il n'y aura plus matière à
sévérité.
Encore un conseil, et j'en aurai fini avec la partie la moins agréable de
ma tâche. Ce conseil, je vous l'ai déjà donné, mais je le renouvelle avec
d'autant plus d'insistance qu'il me semble de plus en plus nécessaire.
Vous continuez à trop compter sur le jeu et pas assez sur la diction. Le
jeu, vous n'y pouvez arriver que d'une façon très incomplète, car il vous
manque le mouvement d'une vraie représentation, les costumes, les acces-
soires, en un mot tout ce qui le soutient et l'explique ; ne jouez donc que
juste assez pour faire valoir votre diction. Celle-ci, au contraire, vous ne
la travaillerez jamais trop ; elle ne sera jamais trop attentive, ni trop
nette. Faire sortir d'une phrase musicale ou d'une période de vers ou de
prose tout ce qu'ils contiennent de sens et d'expression, donner la cou-
leur, l'accent, la vie à une pensée mélodique ou littéraire, communiquer
à l'oreille et à l'esprit ce qu'un musicien ou un poète a su mettre de vérité,
de sentiment et d'émotion dans un assemblage de sons ou de mots, telle
est la tâche essentielle du chanteur et du comédien. Tout le reste n'est
qu'accessoire. Voyez la trace qu'ont laissée les grands artistes dans l'his-
toire de l'art : tous ceux qui ont attaché leur souvenir à des oeuvres
durables étaient des diseurs; par un accent juste, par une intonation
expressive, ils avaient le secret de transporter une salle. Quant aux acteurs
plus ou moins habiles dans l'emploi des moyens matériels, qu'en est-il
resté? Une impression passagère comme eux et des succès d'une soirée.
Il en est ainsi dans toutes les sortes d'art: peintres, sculpteurs, musiciens
et littérateurs, les plus grands, ce sont les plus sincères, ceux qui donnent
le moins aux artifices d'arrangement et de trompe-Fœil, pour appliquer
tout leur effort à ce qui mérite de durer, à ce qui est vraiment l'art, je
veux dire la reproduction loyale de la nature et de la vérité.
Au demeurant, mesdemoiselles et messieurs, vos concours de cette année
sont, en plusieurs parties, pleins de promesses. Il serait prématuré de
dire qu'ils ont produit des révélations, mais tels noms qui vont être pro-
clamés tout à l'heure sont de ceux que répétera souvent la sympathie
publique. Dans quelques mois, ils paraîtront sur les affiches de nos théâ-
tres ; je leur souhaite d'y retrouver l'accueil qu'ils ont reçu ici. L'opinion
est quelquefois sévère pour le Conservatoire ; c'est qu'elle en attend beau-
coup ; il doit rajeunir et renouveler chaque année le personnel des artis-
tes qu'elle aime et qui satisfait ce besoin d'art, de poésie, d'élégance, de
charme, un des plus impérieux et des plus nobles de notre cher Paris.
Tâche difficile, certes, et que les institutions les plus parfaites ne peuvent
remplir qu'avec l'aide d'une puissance capricieuse, qui s'appelle le hasard.
Nous choisissons parmi ce qu'il nous donne et nous le formons de notre
mieux. Mais tout ce que peuvent la sollicitude de l'Etat, le zèle de l'ad-
ministration et le talent des maîtres, je crois que le Conservatoire le
réalise avec succès. Prenons la moyenne de tout ce qui se dit ou s'écrit
à son sujet, et nous arriverons à cette assurance qu'il y a ici une insti-
tution toujours capable de perfectionnements, mais sans rivale, et qui
mérite bien de l'art français.
Messieurs, cette sollicitude du public pour le Conservatoire s'est attestée
cette année comme les années précédentes par des libéralités et des dons
dont je dois remercier publiquement les auteurs. Le musée instrumental,
déjà si riche, a reçu, par le testament du marquis de Queux de Saint-
Hilaire, un violon de Stradivarius et plusieurs instruments de valeur; la
bibliothèque doit au même donateur une collection d'autographes de mu-
siciens. M. Albert Kastner vous a légué la belle bibliothèque musicale,
riche de dix mille volumes, formée par son père, Georges Kastner, mem-
bre de l'Académie des Beaux-Arts et du comité des études du Conserva-
toire, musicien érudit, théoricien distingué, auteur de nombreux et im-
portants ouvrages sur la musique.
Une grande artiste, dont le nom est inséparable des plus belles œuvres
musicales du siècle, l'admirable interprète du répertoire classique,, la
créatrice du Prophète, Mm° Viardot, re s'est pas contentée de vous consa-
crer, cette année encore, comme membre des jurys de chant, son expé-
rience et son autorité. Elle a fait connaître, par une lettre adressée au
ministre des Beaux-Arts, son intention de léguer au Conservatoire la
partition d'orchestre autographe du Don Juan de Mozart. Ai-je besoin de
vous diie le prix inestimable de cette libéralité? Voir de ses yeux, tou-
cher de sa main les pages où le génie a laissé son empreinte, assister au
progrès de son inspiration, à ses recherches, à ses trouvailles, quelle joie
et quelle leçon ! Nous les devrons à Mmc Viardot, et je lui renouvelle, au
nom du ministre, l'expression de notre profonde reconnaissance.
Il y a dans l'histoire certains hommes qui sont destinés à marquer dans
leur sphère le point au delà duquel on ne peut plus s'élever : tels Phi-
dias dans l'art de la sculpture, Molière dans celui de la comédie. Mozart
est un de ces hommes : « Don Juan est un sommet. » Vous connaissez,
messieurs, cette juste appréciation; elle est d'un maître qui vous a donné,
cette année même, la joie artistique d'entendre l'auteur de Faust com-
menter l'auteur de Don Juan. En publiant son pénétrant travail sur ce que
l'on a justement appelé : « le maître des maîtres et le chef-d'œuvre des
chefs-d'œuvre », M. Charles Go.unod ne s'est pas révélé comme écrivain
d'art : nous connaissions déjà ce côté de son riche talent; mais avec cette
étude sur le modèle achevé du drame lyrique, il a fait à votre bibliothè-
que musicale un cadeau qui venait à son heure, en même temps que la
libéralité de M""5 Viardot, et j'ai le droit de le compter au nombre de vos
donateurs.
C'est pendant les fêtes de l'Exposition universelle qu'avait lieu, l'an
dernier, la distribution des prix au Conservatoire, et je constatais quelle
glorieuse part ses maîtres et ses élèves prenaient à cette éclatante mani-
festation de la vitalité française. Au moment où ces fêtes allaient finir,
ils ont voulu rendre hommage à leur chef et célébrer le triomphe com-
mun d'une manière délicate et touchante en la personne de M. Ambroise
Thomas. Avec le concours de leurs confrères étrangers, ils lui ont offert
un banquet dont il n'oubliera jamais la cordialité et l'émotion. L'hommage
que nous vous avons rendu ce jour-là, mon cher maître, n'était pas seu-
lement national : présents ou absents, tous ceux qui comptent dans la
patrie universelle de l'art y étaient associés et ils fêtaient, à votre sujet,
leur amour commun pour cette noble chose qui est la joie et le charme
de la vie, en même temps qu'ils attestaient leur sympathie pour votre
personne et leur admiration pour votre talent.
Peu de temps après, les confrères, les élèves et les collaborateurs de
M. Ambroise Thomas, recevaient, eux aussi, leur juste part de récompen-
ses pour les services qu'ils avaient rendus à l'art français. Le ministre des
Beaux-Arts s'était empressé de signaler à son collègue le ministre du
Commerce, commissaire généralde l'Exposition, les mérites de M. Garcin,
l'éminent chef d'orchestre de la Société des concerts ; de M. Godard, l'auteur
applaudi de Jocelyn et de Dante; de MM. Delsart et Diémer, les virtuoses
si appréciés du public, tous professeurs au Conservatoire, et il obtenait
pour eux la croix de chevalier de la Légion d'honneur, comme aussi pour
M. Taffanel, le flûtiste sans rivaux, qui vous appartient par la Société des
concerts, et pour M. Vianesi, chef d'orchestre de l'Opéra, dont la plupart
des collaborateurs ont étudié parmi vous.
Dans le personnel des théâtres, la même distinction était conférée à
M. Paravey, directeur de l'Opéra-Comique, qui déploie l'activité et le zèle
les plus méritoires, dans une entreprise singulièrement difficile. C'est à
la fois comme sociétaire de la Comédie-Française et comme professeur
au Conservatoire que M. Worms voyait consacrer en sa personne la vigueur
du talent, le dévouement à ses élèves, la droiture du caractère. Son ca-
marade, M. Mounet-Sully, décoré sans autre titre que celui de comédien,
marquait la fin de l'injuste préjugé qui avait longtemps pesé sur une
profession dont il s'honore et qu'il honore ; pour appliquer une mesure
aussi libérale, il était impossible de trouver un homme qui la justifiât
plus complètement.
Quatre croix d'officier de la Légion d'honneur sont encore venues ré-
compenser des mérites éprouvés dans l'art musical, la littérature drama-
tique et l'enseignement. M. Léo Delibes, professeur de composition au
Conservatoire, l'auteur de Coppélia, de Sylvia, du Roi l'a dit, de Lakmé, est
de ceux qui, en représentant les meilleures qualités de leur pays, accusent
à chaque œuvre nouvelle l'originalité gracieuse de leur talent; quant au
maître, il n'en est pas de plus sûr ni de plus aimé. Prononcer le nom de
M. Henri de Lapommeraye, votre professeur de littérature dramatique,
c'est provoquer par cela même l'expression de la sympathie générale pour
la droiture de l'homme, la loyauté de l'écrivain, l'éloquence chaleureuse
du conférencier. Entre nos auteurs dramatiques, M. Edouard Pailleron est
un de ceux que vous étudiez le plus volontiers et auxquels vous devez le
plus ; il en est peu qui reproduisent avec autant de vérité et de bonheur
l'ironie spirituelle, l'émotion légère, la langue brillante qu'aime notre
temps. Quant à M. Ludovic Halévy, membre de votre comité d'enseigne-
ment pour les études dramatiques, j'ai été personnellement bien heureux
qu'une mesure officielle vînt enfin lui rendre une justice tardive et répon-
dre à la grande estime que font le public, ses confrères et tous les lettrés
de ce talent ingénieux et souple, qui, au théâtre, est, avec son collabora-
teur, M. Henri Meilhac, un témoin si ingénieux et si vrai des mœurs
contemporaines et qui, dans le roman ou l'observation satirique, est ar-
rivé sans effort à ce qu'il y a de plus enviable, l'originalité littéraire, en
créant plusieurs figures charmantes et un type inoubliable.
Messieurs, cette revue d'œuvres et de noms est un devoir pour moi ;
elle est aussi une consolation pour nous tous, en montrant la féconde
vitalité de l'art et des lettres dans nos pays, au moment où j'ai à rappeler
la perte qu'il a faite en la personne d'Emile Augier. Ce n'est pas seulement
un maître du théâtre contemporain qui a disparu avec lui, c'est un de
ceux qui, depuis les origines de l'art dramatique en France et à travers
l'histoire universelle du théâtre, ont laissé la trace la plus profonde et la
plus durable dans le domaine de la comédie. Plusieurs de ses œuvres
sont de celles que l'avenir classera parmi les chefs-d'œuvre ; pour nous,
ses contemporains, si nous avons subi le deuil de sa mort, nous aurons
eu la joie de lui faire de son vivant une place digne de lui, de le con-
naître et de l'aimer.
J'ai encore un devoir à remplir en rappelant ce que doit le Conserva-
toire à Mmo Erard. C'est elle qui, en 1887, offrait au ministre des Beaux-
Arts de remplacer d'un seul coup tous les vieux instruments dont vos
classes de piano étaient obligées de se servir par un nombre égal d'ex-
cellents modèles sortis de sa maison. Je voudrais pouvoir vous lire la
252
LE MÉNESTREL
lettre qu'elle écrivait dans cette circonstance; elle est un titre d'honneur
pour celle qui l'a écrite et pour le Conservatoire ; le nom de Mme Erard
est de ceux que vous oublierez d'autant moins que, par une initiative qui
a trouvé de généreux imitateurs, elle ajoute à plusieurs de vos prix les
plus utiles et les plus intelligentes libéralités.
Je me serai acquitté de toutes mes obligations, messieurs, lorsque j'au-
rai mentionné Ascanio, où le talent de M. Saint-Saêns s'est affirmé une
fois de plus avec ses qualités d'innovation originale et de force; Salammbô,
par laquelle M. Ernest Rayer a poursuivi hors de France son œuvre fran-
çaise et magistrale de renouvellement musical ; lorsque j'aurai rappelé
l'honorable carrière de Vaslin, professeur de violoncelle, mort cette année,
et salué dans sa retraite volontaire Mme Doumic, professeur agrégé de
solfège au Conservatoire pendant plus de trente ans ; enfin proclamé les
distinctions que le ministre des Beaux-Arts m'a chargé de conférer en son
nom avec le regret que le nombre de décorations de la Légion d'honneur
données au Conservatoire à la suite de l'Exposition universelle ne lui ait
pas permis d'en attribuer une de plus, selon l'usage, à propos de la céré-
monie qui nous réunit.
Regrettons avec M. Larroumet qu'on se soit cru obligé de déroger
pour cette fois à une coutume heureuse et dont les effets sont loin
d'être excessifs, déplorons qu'on marchande ainsi à un personnel
si méritant que celui du Conservatoire une de ces décorations qui
sont accordées ailleurs avec une prodigalité parfois si singulière, et
constatons que son excellent discours s'est terminé au bruit des
applaudissements chaleureux qui l'avaient scandé déjà à diverses
reprises.
Après ce discours, et à défaut de la décoration absente, M. le direc-
teur des beaux-arts a proclamé les distinctions suivantes, accordées
par le ministre à divers professeurs : officiers de l'instruction publique,
M. Delaunay, professeur de déclamation dramatique, et M. Gillet,
professeur de hautbois; officiers d'académie, M. Grand-Jany, répé-
titeur de sollège, et M. Allard, professeur de trombone.
Puis, M. Dehelly, premier prix de comédie, a fait l'appel de tous
les lauréats, qui sont venus recevoir leurs récompenses, et le con-
cert a commencé. En voici le programme.
1° Première Ballade Chopin.
M. Lachaume.
2° Air de l'Africaine Meyerbeer.
M. Imbart de la Tour.
3° Fantaisie appassionata Vieuxtemps.
M110. Schytte.
4° Air du FreischiUz "Weber.
M'Ie Blanc.
5° Scène du IIe acte de Piièdre Racine.
Phèdre " M»« Moreno.
QEnone Dux.
Hippolyte MM. de Max.
Théramène Lugné-Poé.
6° Scène du IIIe acte Au Chandelier Alfred de Musset
Fortunio M. Dehelly.
Jacqueline M»= Hartmann.
7° Scène du IIIe acte à'Jphigénie en Aulide Gluck.
Clytemnestre M111* Bréval.
Iphigénie Issaurat.
Seul, le second numéro de ce programme n'a pu être exécuté, par
suite d'une indisposition de M. Imbart de la Tour. Tout le reste
a obtenu un vif succès, et il faut signaler surtout les applaudissements
qui ont accueilli le jeu si élégant de M. Lachaume, la rare virtuosité
de M"e Schytte, la belle voix de Mlle Blanc, la superbe nature artis-
tique de Mlle Bréval, enfin les qualités et le tempérament tout excep-
tionnels de Mlle Moreno et de M. Dehelly, qui, tous deux, on le sait
déjà, sont engagés à la Comédie-Française. Pour répondre aux
détracteurs habituels du Conservatoire, on n'aurait qu'à leur signaler
les noms de M"» Bréval, de Mlle Moreno et de M. Dehelly. Une
école qui produit, en une seule année, trois sujets de cette valeur,
n'est pas inutile et ne manque certainement pas à sa mission.
Pour terminer, voici la liste des legs et dons particuliers dont
profitent, cette année, les élèves dont les noms suivent :
Prix Nicodami (500 francs), partagé entre MM. Bondon et Galeotti,
premiers prix de fugue; '
Prix Doumic : M"e Markreich, premier prix d'harmonie;
Prix Guérineau (270 francs), partagé entre M. Imbart d'e la Tour
et M"° Blanc, premiers prix de chant;
Prix Henri Herz (300 francs): M»e Périssoud, premier prix de piano ;
Prix George Hainl (900 francs) : M. Schidenhelm, premier prix
de violoncelle ;
Prix Pomin (435 francs) : M"e Moreno, premier prix de tragédie et
premier prix de comédie.
Selon leur généreuse habitude, MM. Gand et Bernardel font don
d'un violon à chacun des premiers prix de violon, eettte année au
nombre de trois: Mlle Schytte, M. Kosman et M"| Huon, et d'un
violoncelle à M. Barraine, premier prix de violoncelle (son collègue
en premier prix, M. Schidenhelm, bénéficiant du prix George
Hainl).
Enfin, tous les premiers prix de piano reçoivent, M. Lachaume
et Mlle Vannier, un piano offert par la maison Erard, MM. Galand
et Baume, M"es Chapart, Weyler, Allard et Périssoud, un piano
offert par la maison Pleyel-Wolff. On voit que les traditions de
générosité se perpétuent, chez nos grands facteurs et nos grands
luthiers, en faveur des élèves du Conservatoire.
Arthur Pougin.
BULLETIN THÉÂTRAL
Tout à l'Opéra! La grosse nouvelle de la semaine, touchant ce
Panthéon des gloires directoriales et administratives, c'est la distri-
bution aux membres de la Chambre du rapport de M. Anlonin Proust
sur le budget des beaux-arts pour l'exercice 1891. Ce document
fort étendu contient uue étude particulièrement intéressante sur la
question de l'Opéra, qui, on s'en souvient, a soulevé au sein de la
commission un débat très vif, tant au sujet de la direction artis-
tique à imprimer à ce théâtre, qu'en ce qui touche la question toute
spéciale de la réfection des décors. Voici le début du travail, très
instructif de M. Antonin Proust, que ses développements ne nous
permettent pas de reproduire en son entier :
L'Opéra reçoit annuellement sur le chapitre 14 une subvention de
800,000 francs, à laquelle il convient d'ajouter la dotation de la caisse des
retraites et le service de la bibliothèque publique figurant au même cha-
pitre 14, la première pour 30,000 francs, le second pour 6,000 francs. La
commission du budget a émis, à propos de la subvention de l'Opéra, trois
votes, le premier réduisant de 1,000 francs la subvention, le second rédui-
sant de 1,000 francs les traitements des fonctionnaires chargés del'inspecc-
tion de l'Opéra (à prélever sur le chapitre 2); le troisième réservant l'affec-
tation des 800,000 francs jusqu'au moment où un arrangement acceptable
sera intervenu entre le ministre et la direction de l'Opéra pour la réfec-
tion des décors. Le premier vote a été émis sur la proposition de notre
collègue M. Fouquet, le second sur la proposition de notre collègue
M. Horteur, le troisième, en suite d'un ordre du jour présenté par notre
collègue M. Pichon, et ainsi conçu : La commission du budget a eu le regret
de constater que le cahier des charges de la direction de ï Opéra n'a pus été exécuté
et que l'administration n'a pas tenu la main à l'exécution du cahier des charges.
La commission du budget a, en outre, demandé qu'une note émanant de
la préfecture de police fût insérée dans le rapport, indiquant nettement
quelles sont les mesures que prescrit cette administration contre les risques
d'incendie que peut présenter le théâtre de l'Opéra.
Le rapporteur entre ensuite dans une série de considérations fort
intéressantes, au point de vue historique, sur les divers régimes
auxquels l'Opéra a été soumis depuis plus d'un siècle, sur les ques-
tions de régie, de direction personnelle et responsable, .sur les varia-
tions du chiffre de la subvention, etc. De ce tableau, généralement
exact, nous ne retiendrons que la constatation des conditions impo-
sées à M. Louis Véron, lorsqu'il obtint le privilège de ce théâtre
en 1831 (1) :
Il ne pouvait, dit le rapporteur, exploiter sur la scène de l'Opéra que
les genres attribués jusqu'alors à ce théâtre, à savoir: 1° le grand ou le
petit opéra, avec ou sans ballet; 2° le ballet-pantomime. A cet effet, il
était tenu de monter au moins, dans chaque année d'exploitation: un grand
opéra en trois ou cinq actes; un grand ballet en trois ou cinq actes ; deux
petits opéras, soit en un acte, soit en deux actes; deux petits ballets, soit
en un acte, soit en deux actes.
Ainsi, il y a soixante ans, l'Opéra était tenu de donner chaque
année six ouvrages nouveaux, formant un ensemble de dix à dix-huit
actes. Heureux temps! heureux Opéra ! heureux public ! Depuis lors
nos progrès ont été à reculons.
Mais passons. Après avoir passé en revue toutes les directions qui
se sont succédé à l'Opéra depuis la Révolution et le premier Empire,
après s'être arrêté surtout sur les trois plus récentes, celles de
(1) Je dis a généralement exact », quoique j'aie une erreur à relever dans ces
lignes du rapport : ï ... Le régime de la subvention ne date en réalité que de 1757,
époque à laquelle le corps de la ville de Paris reçut la charge d'entretenir l'Opéra. »
C'est en 1757, au contraire, que la ville de Paris s'exonéra de cette charge, quj
pesait sur elle depuis le 25 août 1749. « En mars 1757, les prévôt des marchands
et écbevins, désirant se décharger du soin de cette administration, cédèrent le
privilège à MM. Rebel et Francœur pour trente ans, àcommencerdul"avrill757.»
(Voy. Rapport sur l'Opéra, présenté au corps municipal le 17 août 1791 par J.-J. Le-
roux, officier municipal, nommé administrateur au département des Etablisse-
ments publics, Paris, 1791, in-8").
LE MÉlNESTREL
253
MM. Emile Perrin, Halanzier et Vaucorbeil, M. Proust en arrive à
la direction présente, et, malgré les termes très mesuiés du rapport
il est facile de voir qu'il ne s'en montre que médiocrement satisfait.
Voici toute cette partie très importante de cet important document :
La mort de M. Vaucorbeil amena la concession du privilège à M. Ritt
le lor novembre 1884. La concession de M. Rilt prend fin le 1er novembre
1891. La Commission du budget nommée cette année, et chargée de l'exa-
men du budget de 1891, a donc eu à examiner, indépendamment de la
question même de la subvention, la question du renouvellement du pri-
vilège de l'Opéra. Avant de s'occuper de cette seconde question, la Com-
mission a du rechercher si l'administration qui rédige les cahiers de
charges et qui en surveille l'exécution, avait montré la prévoyance et la
vigilance nécessaires. Au sujet de la prévoyance il avait été déjà signalé
dès l'année 1885 que, prenant en considération la mauvaise situation
laissée à l'Opéra par la commandite de 1879, le gouvernement n'avait pas,
en ce qui touche la conservation du matériel et les garanties à prendre
pour sa réfection, inséré sur le cahier des charges les stipulations né-
cessaires. Dès ce moment, la commission du budget avait cherché le
moyen de reviser le cahier des charges sur ce point en dégrevant la di-
rection de certaines dépenses qui pèsent sur l'immeuble, et en profitant
de ce dégrèvement pour prévoir la réfection du matériel et y pourvoir
moyennant une convention nouvelle avec la direction. Le Sénat ayant
refusé d'entrer dans cette voie, les choses demeurèrent en l'état, et bien
que la direction, qui avait intérêt à rajeunir les décors des pièces du ré-
pertoire, eût appelé l'attention de l'administration des beaux-arts sur
l'obscurité du cahier des charges, aucune mesure ne fut prise. Ce n'est
que deux ans après que la commission des théâtres fut saisie delà ques-
tion par M. Lockroy, mais sans qu'il fût donné suite à une première
délibération de cette commission. Deux années s'écoulèrent encore.
La commission des théâtres ayant été récemment convoquée pour exa-
miner cette question, il fut décidé d'abord que l'on procéderait à un exa-
men des décors existants, puis il fut proposé, sur les conclusions de la
sous-commission qui avait procédé à cet examen, que si neuf des ou-
vrages du répertoire appelaient une réfection presque complète, la
dépense de cette réfection fût répartie sur plusieurs années, à charge
par la direction actuelle de solder la part de cette dépense qui lui incom-
berait. La commission des théâtres émit en définitive le vœu qu'une
transaction intervint entre l'administration des beaux-arts et la direction
pour le règlement de la question des décors. Dans le même temps, le
ministre a fait donner connaissance à la commission consultative des
théâtres d'un rapport de l'administration des beaux-arts, relevant un
certain nombre de griefs de cette administration contre la direction de
l'Opéra. Ces griefs se rapportent:
1° A l'appréciation des ouvrages représentés; quelques-uns de ces ou-
vrages doivent-ils être considérés comme nouveaux, tels que Sigurd, Ro-
méo et Juliette ?
2° A l'obligation par le concessionnaire de l'Opéra de donner un certain
nombre de représentations à prix réduits.
3° A l'insuffisance de la troupe. La commission des théâtres n'a pas
cru devoir s'arrêter à des faits qui n'avaient soulevé de la part de l'admi-
nistration aucune observation au moment où ils s'étaient produits et
pour lesquels elle n'avait pas, dans le cas où ils eussent été répréhen-
sibles, usé des moyens que lui donne le cahier des charges. Elle a au
contraire très vivement insisté sur la question de la conservation du
matériel de l'État, en exprimant le regret que des mesures n'aient pas
été prises plus tôt. Il n'est pas douteux en effet que, depuis 1879, les
cahiers des charges de l'Opéra sont très obscurs sur ce point.
Il est donc nécessaire de réparer le mal qui a été fait de ce côté comme
il a été nécessaire de réparer, il y a quelques années, le mal fait par la
conservation de la caisse des retraites de l'Opéra, rétablie en 1879, sur
des bases tellement étroites, que l'on devait forcément aboutir à un
déficit préjudiciable aux intérêts des contribuables. Il a fallu, pour ce
dernier objet, en 1887, que la commission du budget mît l'administration
des Beaux-Arts en demeure de liquider la caisse des retraites de 1879,
pour éviter un désastre, sauf à la reconstituer dans de meilleures condi-
tions. La commission spéciale, nommée à cet effet, a conclu à la liqui-
dation et a repoussé la reconstitution de la caisse des retraites de l'Opéra.
Mais il n'est pas douteux que si le Parlement n'eût pas avisé, on eût été
encore de ce côté aux prises avec des difficultés qu'il était aisé de pré-
voir dès 1879.
La commission du budget de 1891 s'est prononcée en faveur du main-
tien des subventions aux théâtres et aux concerts. Elle a voté la subvention
de 800,000 francs qui lui parait indispensable pour la gestion de l'Aca-
démie nationale de musique, sous les réserves indiquées plus haut, et il
résulte de la discussion à laquelle elle s'est livrée que le régime de notre
premier théâtre lyrique est défectueux à bien des points de vue. En 1878,
le régime de l'Académie nationale de musique a été examiné dans ses
moindres détails par la commission consultative des théâtres. Cette com-
mission s'est tout d'abord préoccupée de l'installation matérielle, qui lui
paraissait défectueuse. Outre qu'elle a en effet constaté que « la salle est
envabie par un trop grand nombre de places, que la scène n'avance pas
assez dans la salle, que la musique souffre beaucoup de cette disposition;
que le spectateur et l'artiste sont trop loin l'un de l'autre et que celui-ci
dès lors est le plus souvent impuissant à exercer sur celui qui l'écoute
cette action directe, immédiate, puissante, qui les met en communication
et détermine le succès », elle a dû reconnaître « que les scènes de répé-
tition faisaient défaut, que le magasin des décors était insuffisant et que
la réserve sur les bas-côtés de la scène était étroitement mesurée. » La
commission des théâtres de 1878 s'est demandé ensuite s'il ne serait pas
possible de retirer de la salle de l'Opéra un produit plus grand en mul-
tipliant le nombre des représentations et en donnant plus de variété aux
spectacles. Appelée à se prononcer sur le mode d'exploitation de l'Aca-
démie nationale de musique, la commission de 1878 avait été presque
unanime à penser que la gestion directe par l'Etat était manifestement
favorable aux intérêts de l'art et aux intérêts du public. Sans mécon-
naître que l'intérêt privé représenté par un directeur personnellement
engagé qui gère pour son compte à ses risques et périls et sous sa res-
ponsabilité, présente de réelles garanties, elle estimait qu'une gestion
directe par un délégué de l'État était désirable, tout au moins à titre
provisoire, ne fût-ce que pour rétablir le lien rompu entre le Con-
servatoire de musique et l'une des scènes qui complètent son enseignement.
A cette observation, que la concession privée présente l'avantage que,
dans le cas où il y a perte, c'est l'entrepreneur qui paye, elle répondait
que si l'on se reporte au passé, on constate que toutes les fois qu'il y a
eu perte, c'est l'État qui a payé, et que, en revanche, l'État n'a pas tou-
jours participé aux bénéfices quand ces bénéfices se sont produits. Les
travaux de la commission de 1878 ont été d'ailleurs si complets que l'on
ne peut que conseiller à ceux de nos collègues qui désirent étudier la
question de l'Opéra de consulter les rapports et les procès-verbaux de
cette commission.
A l'heure actuelle et avant que l'on discute les conditions dans les-
quelles pourra être gérée l'Académie nationale de musique à l'issue du
privilège de M. Ritt, on est en présence de la réfection des décors. Va-
t-on demander que la réfection s'applique aux ouvrages dont les décors
sont usés et qui, pour quelques-uns, sont visiblement surannés, ou de-
mandera-t-on que la réfection s'applique à un répertoire renouvelé? Ce
dernier parti est certainement le plus sage que l'on puisse prendre, car
on ne saurait, sans méconnaître le rôle de l'Académie nationale de mu-
sique, dans notre système d'enseignement, la condamner à redire éter-
nellement les mêmes choses.
Le dernier paragraphe du rapport affecte, comme on va le voir,
un caractère général :
La commission du budget, tout en appelant l'attention du ministre sur
la nécessité de pourvoir à bref délai à la vacance qui va se produire le
1er novembre 1891, n'a pas à déterminer les conditions dans lesquelles
devra être géré l'Opéra, à l'issue du privilège de M. Ritt. Elle manquerait
cependant à son devoir si elle ne réclamait pas une réforme de l'admi-
nistration des théâtres subventionnés. Il parait, en effet, qu'il est indis-
pensable de rattacher plus étroitement le Conservatoire national de musi-
que et de déclamation aux théâtres d'État. On comprend difficilement que
les théâtres littéraires ne soient pas plus reliés au Conservatoire de décla-
mation et que les théâtres de musique soient indépendants du Conser-
vatoire de musique. En 1881, un décret avait institué une commission
chargée d'étudier et de résoudre cette question. La Chambre pensera
peut-être comme nous que c'est à la solution de ces questions de réor-
ganisation de nos scènes subventionnées, qu'elle doit s'attacher.
La Chambre s'élant séparée jeudi, la discussion sur ce rapport
ne pourra s'ouvrir qu'à la reprise de la session. Mais déjà l'admi-
nistration de l'Opéra, sentant qu'elle est touchée et voulant profiter
du « silence de la tribune », prend la Darole à elle seule et inonde
les journaux de communications pleines d'intérêt, dont nous allons
donner deux exemples.
Première communication :
M. Lassalle fera sa rentrée dans Ascanio en septembre ; Mme Rose Caron,
la ravissante Brunehild, effectuera la sienne dans Sigurd. Le Rêve, le char-
mant ballet de M. Gastinel, interrompu en plein succès par le congé de
Mlle Mauri, sera repris en septembre. Nous apprenons aussi que la di-
rection reprendra, cet hiver, les ouvrages des auteurs qui ont honoré
l'Académie nationale de musique, pendant le cours du privilège qui ex-
pire en 1891.
Nous aurons donc les reprises d'Ascanio, Sigurd, le Cid, Patrie, Roméo et
Juliette, la Tempête et les Deux Pigeons, indépendamment de l'ouvrage nou-
veau qui sera monté cet hiver.
Deuxième communication, complétant la première :
Mllc Domenech fera son second début dans Aida le mois prochain.
Mmc Durand-Ulbach fera son troisième début dans ta Favorite. Ces deux
artistes chanteront ensuite le rôle de la reine, A'Hamlel, au retour de
M. Lassalle et de M"10 Melba.
M. Duc, qui vient d'aborder le rôle de Rhadamès d'A'ida, répète maintenant
l'Africaine, qu'il chantera bientôt pour le dernier début de Mmc Fiérens ; le
même soir, M. Martapoura chantera le rôle de Nélusko.
M. et Mmc Escalaïs sont en congé depuis avant-hier, jusqu'à la fin du
mois; pendant l'absence de M™ Escalaïs, Mme Bosman abordera quelques
254
LE MENESTREL
rôles de princesse, qu'elle n'a pas encore chantés : Inès de l'Africaine,
Isabelle de Robert, etc.
On commence à s'occuper de la reprise de Sigurd, qui doit avoir lieu
dans les premiers jours d'octobre pour la rentrée de Mme Rose Caron, avec
presque tous les interprètes de la création : Mmc Bosman, MM. Lassalle,
Gresse, Martapoura. Les seuls interprètes nouveaux seront : M. Duc
(Sigurd) et M118 Domenech (Uta).
Mllc Bréval et M. "Vaguet se mettront à la disposition de l'Opéra le
15 septembre : il est question de l'Africaine pour M"e Bréval et de Roméo
pour M. Vaguet.
Quelle activité, quelle fécondité, quelle férocité dans le travail !
C'est inouï de voir tant de choses que ça dans un seul théâtre, et
il y a de quoi faire pâlir Parave,y lui-même !
Pourvu que le personnel ne périsse pas à la tâche, et ne succombe
pas sous un pareil effort ! Mais non, il suivra l'exemple de son chef,
et l'on assure que Ritt est Gailhard, plus Gailhard que jamais.
A. P.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Nous avons parlé de la fureur des journaux spéciaux italiens, causée
par la substitution, sur divers théâtres, du chant français au chant italien.
Depuis lors, les feuilles politiques sont, à leur tour, entrées en branle à
ce sujet, et voici, particulièrement, ce qu'on peut lire dans l'une des plus
importantes de Turin, la Gazzetta Piemontese : — « Une recommandation
sérieuse. Nous recommandons chaudement aux impresari et aux publics
italiens les noms de la signora Melba, de MM. de Reszké et Lassalle, artistes
lyriques. Ces braves gens ont réussi, grâce à leur influence, à faire que
la langue italienne soit bannie du théâtre de Covent-Garden de Londres et
remplacée par la langue française. Si jamais il arrivait qu'un jour ou
l'autre il leur prît fantaisie de venir s'essayer sur nos théâtres, rappelons-
nous bien ce fait, afin de leur témoigner comme il convient notre recon-
naissance. » Nous nous garderons bien de flétrir, par un commentaire
quelconque, la grâce et le parfum de cette prose expressive.
— Nous avons dit que le théâtre Malibran, entièrement restauré, remis
à neuf et transformé, devait faire son inauguration avec la Mignon de
M. Ambroise Thomas. Cette inauguration a eu lieu en effet, de la façon la
plus heureuse, et voici ce qu'en dit un de nos confrères italiens : « Mignon,
la douce et charmante fille d'Ambroise Thomas, montée et dirigée avec
une vaillance sans pareille par le maestro Giovanni Bolzani et interprétée
avec art et sentiment par d'excellentes artistes, Adelina Borghi (Mignon),
Vera Domelli (Philine), Cesira Pagnoni (Frédéric), Gioacchino Bayo (Wil-
helm), Ezio Fucili (Lothario) et Alfonso Rosa (Laërte), à eu une réussite
splendide, un vrai succès. » — A propos de cette réouverture du Malibran
transformé, le critique du journal la Venezia a publié une intéressante
chronique sur ce théâtre, qui, par rang d'âge, est le troisième des théâtres
de Venise. L'ancien San Luca (aujourd'hui Goldoni) est le plus vieux de
tous, ayant été fondé en 1629 et étant âgé par conséquent de deux cent
soixante et un ans ; il est probable que celui-là est le doyen de toutes les
scènes européennes et même de l'univers entier; vient ensuite le Camploy,
qui n'est guère moins âgé, puisqu'il date de 1633, puis le Malibran, dont
nous ignorons le premier nom, qui remonte à 1677, et qui a donc encore
plus de deux siècles d'existence. A la suite de ces trois patriarches, vien-
nent le San Benedetto (aujourd'hui Rossini), érigé en 1733, et enfin la
Fenice, qui accomplit son premier centenaire, puisqu'elle date de 1790.
Parmi les anecdotes rapportées par le chroniqueur de la Venezia, nous
reproduirons celle-ci. Lorsque la Malibran vint chanter au théâtre qui
porte aujourd'hui son nom, l'imprésario Giovanni Gallo lui dit: « Après la
représentation, je vous compterai 3,000 lires (francs). » Il se présente en
effet le lendemain à l'hôtel qu'habitait -l'admirable artiste, et lui dit :
a Voici la somme convenue. » — « Quelle somme? quelle somme? »
s'écrie aussitôt la Malibran, qui avait été émue de l'accueil qui lui avait
fait le public vénitien. « Gardez cet argent pour vos bambins. De vous je
ne veux autre chose qu'un baiser. » Et il parait que l'imprésario ne se le
fit pas dire deux fois. Il garda son argent et embrassa de bon cœur la
cantatrice.
— Nous avions annoncé, d'après les journaux italiens, que le théâtre de
la Scala de Milan subirait l'influence de M. Edoardo Sonzogno. Les mêmes
journaux affirmaient, la semaine dernière, que-tout était changé, et que
c'était M. Giulio Ricordi qui l'emportait. Nouveau revirement aujourd'hui,
que le Trovatore fait connaître en ces termes : « Grand rechangement
de scène. A la Scala ce n'est plus Ricordi, mais de nouveau Sonzogno, qui
s'empare de la prochaine saison. Les opéras choisis sont : le Cid, Cavalleria
rusticana, Lionella, de Samara, Gabriella, de Gomes, et peut-être Orphée, si
l'on peut traiter avec la Hastreiter. » Lionella et Gabriella sont deux ouvrages
nouveaux.
— On lit dans le Trovatore: a Treize est le nombre des compagnies ita-
liennes d'opérette aujourd'hui existantes, dont neuf en dialecte et cinq de
marionnettes (ce qui, par parenthèse, fait quatorze). Avant qu'il soit long-
temps, et par suite de la suppression des subventions, les compagnies de
marionnettes se multiplieront, et on les verra occuper la Fenice de Venise,
l'Argenlina de Rome, le Philharmonique de Vérone, et qui sait, avec le
temps, peut-être la Scala de Milan ! »
— Plusieurs opéras nouveaux sont annoncés comme devant être repré-
sentés prochainement sur divers théâtres d'Italie : au théâtre de l'Union,
de Viterbe, il Testamenlo dello zio, du maestro Galassi ; à Sant'Arcangelo di
Rimini, la Zingara di Granata, de M. Bartolucci, qui servira de premier
début scénique à un nouveau baryton, M. Cesare Buggi; et au théâtre
Communal de Bologne, Pellegrina, de M. Clementi. Ce dernier ouvrage,
qui devait être représenté l'hiver dernier au théâtre Brunetti, de la même
ville, vient de donner lieu à un procès intenté aux directeurs par le com-
positeur, qui a gagné sa cause, tout comme M. Castagnier gagnait la sienne
récemment, dans les mêmes conditions, aux dépens de M. Paravey.
— Le 28 juillet a été exécutée, dans l'une des églises de Turin, la messe
annuelle en commémoration de la mort du roi Charles-Albert. Cette messe
était due, cette fois, à un artiste de Novare, le compositeur Antonio
Quartero.
— M. Italo Piazza, professeur de flûte au Lycée musical Rossini, de
Pesaro, vient de publier en cette ville, à l'imprimerie Federici, sous le
titre de Dissertazione storico-critica sul Flauto, un petit résumé historique, fort
bien fait et très intéressant, de l'instrument cher à Tulou. On se demande
seulement pourquoi, en rappelant le souvenir des grands flûtistes de l'Alle-
magne et de l'Italie, il néglige complètement la France, qui a produit de
si grands artistes en ce genre, les Devienne, les Tulou, les Dorus, les
Forestier et autres.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Berlin : A l'Opéra royal, on
annonce, comme première nouveauté de la saison, la production de Hiarne,
opéra de Bronsart. — GiRLSRUHE : Le théâtre de la Cour montera au com-
mencement de la saison les Troyens, de Berlioz, sous la direction de
M. Félix Mottl. Le nouvel intendant Bûrklin a augmenté le traitement
de tous les choristes et musiciens ; c'est le premier acte de son admi-
nistration. Une nouvelle salle de spectacle a été inaugurée le 6 juillet,
avec une représentation de l'Étudiant pauvre, par les artistes du théâtre Cari
Schultze, de Hambourg. Stadgartentheater, tel est le nom du nouvel établis-
sement. — Hombourg: Deux très brillantes représentations de Fidelio vien-
nent d'être données au Casino avec le concours d'anciens et de nouveaux
élèves du fameux Conservatoire Raff de Francfort, et sous la direction de
professeurs de cette institution. Le directeur Maximilien Fleisch était au
pupitre du chef d'orchestre. — Munich: L'opéra de M. Chabrier, Gwendo-
line, est inscrit au nombre des nouveautés promises par le théâtre de la
Cour pour la saison qui va s'ouvrir. — Vienne : La date de la première
représentation du nouveau ballet de M. Paul, intitulé la Danse, est fixée au
4 octobre. Un grand luxe de mise en scène sera déployé pour ce ballet,
qui ne comportera pas moins de dix-huit tableaux.
— L'Opéra de Berlin, actuellement fermé jusqu'au 30 août, vient de
publier son rapport statistique pour l'exercice 1889-90, pendant lequel
274 représentations ont été données. Le compte fait des représentations
depuis le 1er janvier 1890, s'élève au chiffre de 147. Le répertoire com-
prenait 39 ouvrages, de dix-neuf compositeurs. Les auteurs les plus sou-
vent joués étaient "Wagner (33 représentations), Verdi (28), Mozart et
Meyerbeer (chacun 14), Bizet (7), Nicolaï, Nessler, Beethoven, "Weber,
Hofmann (chacun S représentations). A signaler la production à'Olello,
de Verdi, de Kulhchen von Heilbronn, de Reinthaler, et les reprises des
Huguenots et du Bal masqué.
— La question d'une nouvelle scène lyrique à établir à Berlin revient
très sérieusement sur le tapis. La police a donné son autorisation au
projet, et des pourparlers sont engagés pour l'achat du terrain, situé dans
Postdamer et Augustastrasse . Sur les trois millions 300,000 marks auxquels
le capital a été fixé, un million, représentant les parts de fondateurs, a
déjà été souscrit. L'entreprise sera administrée par M. Fellinger, qui
s'adjoindra M. Angelo Naumann comme directeur artistique. La salle sera
aménagée en vue de recevoir 2,300 spectateurs.
— Les préparatifs des prochains Festspiede à Bayreuth sont menés très
activement. Les décors de Tannhâuser ont été commandés à MM. Briickner
frères, de Cobourg. Pour le ballet du Venusberg, auquel une très grande
importance va être donnée, on a engagé une bonne partie du personnel
chorégraphique de l'Opéra de Berlin. Les fonctions de régisseur général
seront dévolues à M. Kranich, du théâtre grand-ducal de Darmstadt. Le
nombre total des représentations est fixé à neuf pour Parsifal et à deux
pour Tannhâuser. Les engagements des solistes ne sont pas tous conclus;
on compte en recruter un grand nombre dans l'école spéciale fondée
récemment à Bayreuth par M. Kniese pour l'éducation des chanteurs
■wagnériens.
— La 10° fête chorale de l'Union des Chanteurs de la Basse-Silésie, qui a
eu lieu récemment à Grùneberg, coïncidait avec le 23e anniversaire de la
fondation de cette institution. Trente-neuf sociétés, sur cinquante et une
dont se compose l'Union, prenaient part au festival, qui présentait une
animation et un éclat exceptionnels. Les compositions chorales de MM.
Seyffert, Handwerg, von Eyken, von Potbertsky, exécutées par six cents
chanteurs, ont eu les honneurs de la journée.
LE MENESTREL
255
— On annonce que M,m Pauline Lucca, la célèbre cantatrice allemande
va quitter définitivement la scène, après avoir donné une série de repré-
sentations d'adieu à Francfort et à Munich. Elle a l'intention de se con-
sacrer à l'enseignement musical. Dans l'avenir, elle passera sept ou huit
mois par an à Vienne, et le reste de l'année, sans interrompre ses cours,
dans sa maison de campagne du Traunsee, où elle fera construire un
petit théâtre d'opéra à l'usage de ses élèves.
— On lit dans la correspondance viennoise du Figaro : « Le 15 août
commencera à Vienne le grand concours des Sociétés chorales allemandes.
On compte sur 15 à 20,000 chanteurs. On sait que Vienne, en dépit de
1866, est pour les tireurs, les chanteurs, les gymnastes, toujours une ville
foncièrement allemande. Gomme il y a dix ans aux tireurs, on fera cette
fois aux chanteurs une réception magnifique. Pour les concerts, on a fait
construire au Prater un hall énorme, et qui est véritablement un chef-
d'œuvre dans son genre. On y voit, du reste, l'influence des grandes
constructions du Champ de Mars. Seulement le tout est en bois, ne devant
servir qu'une quinzaine de jours. Ce hall vient d'être vendu sur place à
une Société de Munich, qui en fera un palais dédié au roi Gambrinus.
Il y a une tribune pour 8 à 10,000 chanteurs, en outre de la place pour
20 à 30,000 buveurs de bocks. »
— M. B. Rollfuss, directeur d'une école de piano à Dresde, publie, dans
le Zcitschrift fur Inslrumentenbau, toute une série d'idées de réformes con-
cernant la fabrication des pianos, qui méritent certainement l'attention
des grands facteurs. M. Rollfuss réclame, en première ligne, l'uniformité
des touches, sous le rapport de la longueur et de la largeur, dans tous
les pianos. De cette façon disparaîtront certaines hésitations d'exécution
que l'on remarque souvent chez le pianiste qui joue sur des touches plus
larges ou plus étroites que celles auxquelles il est habitué ; ensuite il
préconise l'arrondissement des rebords des touches blanches, pour la faci-
lité du placage et de l'arpègement des accords et l'emploi d'un doigté
plus rationnel. M. Rollfus désigne également une hauteur normale pour
la position du clavier ; il devra être situé toujours à 53 centimètres du
sol. La dernière proposition de M. Rollfuss, si elle est prise en considé-
ration, ne contribuera pas peu à la réhabilitation du piano. Il s'agit, en
effet, de munir cet instrument d'un système d'étouffoirs qui, au besoin, en
amortira si profondément la sonorité qu'elle ne pourra être distinguée
dans la pièce voisine. Le projet de M. Rollfuss comporte en outre une
foule de perfectionnements techniques trop longs à expliquer.
— S'il faut en croire la Gazelle de Francfort, la jeune et charmante vio-
lioniste Teresina Tua, dont nous annoncions le mariage il y a quelques
mois à peine, serait depuis trois semaines gravement malade en cette
ville.
— La Espaïia artistka nous apprend qu'on représentera prochainement,
au théâtre du Lycée de Barcelone, un nouvel opéra du compositeur Tho-
mas Breton, l'heureux auteur des Amants de Teruel. Cet ouvrage, dont le
sujet est tiré d'une légende catalane, aura pour titre Jean Garin. Il est à
quatre personnages seulement, soprano, mezzo-soprano, ténor et basse.
— Au nombre des artistes engagés pour la prochaine saison du grand
théâtre de Cadix on cite Mmes Pacini et Paoli, MM. Rawner, Suagnez, Bat-
tistini, Bosch et Ercolani. Le chef d'orchestre sera M. Urrutia.
— Très grand succès à Lisbonne, au théâtre de la Rua dos Condes, pour
une opérette fantastique, o Reino dos mulheres (le Royaume des femm es),
livret traduit du français par M. Souza Bastos, musique de M. Freitas
Gazul.
— On sait que M. Augustus Harris, le directeur du théâtre de Covent-
Garden, a été récemment nommé shériff de Londres. Ses artistes ont ou-
vert entre eux une souscription avec le produit de laquelle ils ont acheté
— et lui ont offert — la grande chaîne d'or qu'il devra porter dans ses
nouvelles fonctions.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
La direction de l'Opéra vient de renouveler, jusqu'à la date de l'expira-
tion de son privilège, les engagements de MM. Duc et Delmas.
— M. Francis Magnard, dans le Figaro, n'est pas tendre pour la direc-
tion actuelle de l'Opéra. Il termine ainsi, en termes d'autant moins flat-
teurs qu'ils sont plus mesurés, son examen du rapport général de M. Antonin
Proust, dont nous reproduisons plus haut les parties principales : —
« Voilà, mis en relief, les traits principaux du travail de M. Proust.
A supposer, ce qui est bien possible, qu'ils n'aboutissent pas à des réali-
sations, il est excellent, je le répèto, qu'on ait dit tout haut que l'Opéra
n'est pas à la hauteur des exigences du goût contemporain, que son réper-
toire est monotone et sa troupe insuffisante. Il est clair d'autre part que
s'il n'est remanié profondément, le principe même des subventions sera
mis en péril devant des députés ruraux trop disposés à marchander des
dépenses artistiques dont profitent évidemment fort peu les habitants
de Pamiers ou de Puget-Théniers, mais qui défendent — ou devraient
défendre — le patrimoine intellectuel de la France. » M. Magnard, un
peu plus haut, dit plus crânement : « Le budget des beaux-arts, tel qu'il
se poursuit et comporte, notamment en ce qui touche la subvention de
l'Opéra, ne nous en donne pas pour notre argent. » Il n'y a certainement
qu'une voix sur ce point.
— On parait s'occuper à l'Eden, transformé en Théâtre-Lyrique par
M. Verdhurt. Les répétitions de Samson et Dalila, de M. Saint-Saêns, sont
sérieusement commencées, de façon à pouvoir faire l'inauguration, avec
cet ouvrage, vers le 15 octobre. M. Verdhurt compte donner ensuite la
Jolie Fille de Perth, le second opéra de Bizet, dont l'apparition à l'ancien
Théâtre-Lyrique remonte au mois de décembre 1867; cet ouvrage sera joué
par MM. Engel, Isnardon, Boyer et MUo Cécile Mézeray, qui tout d'abord
l'auront joué à Monte-Carlo. On annonce que M. Chabrier aurait promis
à la direction son nouvel opéra, Brisais, et l'on parle aussi de quelques
autres ouvrages. Les engagements se poursuivent d'ailleurs, et l'on donne
comme conclus, avec ceux de M. Talazac et de Mmc Renée Richard, ceux
du ténor Lubert et de M. Dinard, jeune basse qui a obtenu un second prix
d'opéra aux récents concours du Conservatoire.
— Avant-hier, chez M. Choudens, MM. Emile Zola et Louis Gallet ont
fait entendre à M. Verdhurt le drame lyrique qu'ils ont tiré du roman
le Rêve et dont M. Bruneau'. a écrit la musique. Résultat de l'audition :
le Rêve sera représenté cet hiver au Théâtre-Lyrique.
— L'autre Théâtre-Lyrique, celui du Ghàteau-d'Eau, se prépare, paraît-
il, à monter un ouvrage inédit, le Ducd'Albe, opéra en trois actes, dû. à la
plume de M. Ventéjoul.
— La Société des «Grandes auditions musicales » dont les intentions
sont excellentes, mais dont le début a laissé quelque peu à désirer, a
formé, dit-on, le projet -de donner, vers le mois d'octobre prochain, une
partie de la Prise de Troie, de Berlioz, qui n'a jamais encore été exécutée
en public. Les études doivent commencer dès les premiers jours du mois
prochain.
— De Nicolet, du Gaulois : « Le vent tournerait-il au lyrisme du côté
de la Porte-Saint-Martin? On prête à M. Duquesnel l'intention de monter,
l'hiver prochain, sur la scène du boulevard, les Contes d'Hoffmann, d'Offen-
bach. L'acte supprimé serait rétabli pour la circonstance, ce qui mettrait
l'ouvrage en cinq actes, comme il fut répété à l'Opéra-Comique. De plus,
un grand ballet serait ajouté au second acte, de façon à donner à la mise
en scène une plus grande importance. »
— Ceci devient sérieux, et Reyer doit être content. Voici, précédé de
l'exposé des motifs, le texte du projet de loi présenté par M. Maxime
Lecointe et qui vient d'être distribué aux députés :
EXPOSÉ DES MOTIFS
Messieurs,
Il est pénible d'avoir à rechercher quelles nouvelles charges pourraient être
imposées aux contribuables. Mais certains dégrèvements ont été reconnus indis-
pensables. L'un a déjà été voté; d'autres ne sont pas moins nécessaires pour
arriver à une meilleure répartition de l'impôt.
Lorsque nous avons, dès le début de cette législature, demandé l'abolition d'im-
pôts mal répartis et justement impopulaires, on nous a objecté que, non pas le
gouvernement, mais nous-mêmes devions rechercher et organiser des ressources
nouvelles susceptibles de remplacer celles dont nous demandons la suppression.
Pour dégrever les objets de consommation commune et de première nécessité,
il nous faut donc demander de frapper les objets qui sont plutôt de luxe et d'a-
grément.
C'est ainsi qu'une taxe vous est proposée sur les vélocipèdes ; qu'une autre existe
sur les billards, etc.
De même les pianos, par leur prix élevé, ne sont pas à la portée de tous et
leurs propriétaires peuvent, par conséquent, supporter une taxe modérée.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
Tout propriétaire de pianos, orgues, harmoniums, etc., sera assujetti à une taxe
de 10 francs par objet.
La Chambre venant d'entrer en vacances, ce projet de loi ne peut être
discuté présentement. Elle aura le temps de réfléchir d'ici la rentrée, et
nous voulons espérer qu'elle fera alors à ce projet saugrenu l'accueil qu'il
mérite à tous égards.
— Un accident qui aurait pu avoir des suites assez graves, est arrivé,
il y a plusieursjours, à Mm0 Christine Nilsson, aujourd'hui comtesse de
Casa-Miranda. Au moment où elle montait en wagon à la gare de l'Est,
pour se rendre à Lucerne, son pied a glissé et elle est tombée. Une de
ses jambes, prise entre le marchepied et le rebord du quai d'embarque-
ment, a été froissée violemment. Mme Nilsson a dû rentrer aussitôt à son
hôtel, rue Clément-Marot. Les médecins appelés pour la soigner ont
constaté qu'il n'y avait pas de fracture, mais simplement une forte entorse.
Toutefois, elle ne peut encore marcher.
— Signalons un livre en son genre très curieux et très instructif, en
dépit de son apparence un peu sèche etl'oa pourrait presque dire rébarba-
tive. C'est celui que M. J. Gallay vient de publier sous ce titre à la librairie
Chamerot: « Un inventaire sous la Terreur, état des instruments de musique
relevé chez les émigrés et condamnés, par A. Bruni, délégué de la Con-
vention, avec introduction, notices biographiques et notes. » On sait que
la Convention, après avoir décrété la confiscation des biens des émigrés,
dont elle déclarait les propriétés biens de la nation, s'occupa de sauver au-
tant que possible de la destruction les objets d'art saisis dans les palais,
dans les églises et dans les maisons des émigrés. Des commissions furent
nommées à cet effet, et des dépôts furent créés, dont l'un, celui des Menus-
Plaisirs, fut spécialement affecté à la garde et à la conservation des ins-
256
LE MÉNESTREL
truments de musique. L'un des commissaires nommés et délégués par la
Convention fut précisément l'excellent violoniste Bruni, qui fut chef d'or-
chestre au théâtre Feydeau et à qui l'on doit de nombreux opéras. Bruni
visita plus de cent maisons d'émigrés ou de condamnés, et fit l'inventaire
des instruments relevés et sauvés par lui. C'est cet inventaire que M. Gallay
a eu la chance de retrouver, et l'heureuse idée de publier, en l'accompa-
gnant' de notes intéressantes et en le faisant précéder d'une introduction
fort bien faite, dans laquelle il démontre que la musique était en grand
honneur chez plusieurs grands seigneurs de l'ancien régime, et même
chez certains bourgeois fortunés qui possédaient parfois un matériel d'or-
chestre complet, servant naturellement à d'intéressantes exécutions mu-
sicales. Si défectueux et insuffisant que soit l'inventaire de Bruni, il a
encore servi à son commentateur à mettre en lumière les noms d'un cer-
tain nombre de luthiers et de facteurs restés jusqu'alors inconnus. C'est
là d'ailleurs un document fort instructif, non seulement à son point de
vue spécial, mais en ce qui concerne même l'histoire de la Révolution. A
ce double titre, et aussi en raison du soin apporté à sa publication, on
doit de la reconnaissance à M. Gallay pour l'avoir tiré de l'oubli. Le livre
est publié d'ailleurs avec un goût parfait, dans un format superbe, et il
s'adresse aussi bien aux bibliophiles qu'aux historiens, aux lettrés et aux
curieux des choses de la musique. A. P.
— Berlioz compositeur et écrivain, sa vie et son œuvre, par P. Galibert,
tel est le titre d'une brochure parue récemment à Bordeaux (impr. Gou-
nouilhou, in-8° de 80 pp.). Cette brochure n'est autre chose que le texte
d'une conférence faite par l'auteur à Bordeaux, sous le patronage de la
Société philharmonique. Elle ne contient ni vues nouvelles, ni faits in-
connus, mais elle donne un résumé exact, précis et judicieux de la vie et
de la carrière de Berlioz, tracé par un admirateur du maître qui a su
éviter la déclamation et rester dans les bornes d'ane appréciation saine et
raisonnée, tout en étant absolument sympathique. Ces quatre-vingts pages,
écrites familièrement et sans prétention, suffiraient à faire connaître Ber-
lioz à celui qui, par impossible, n'aurait jamais entendu parler du poète
de la. Damnation de Faust, de l'Enfance du Christ et de la Symphonie fantas-
tique. On peut recommander seulement à l'auteur d'avoir une confiance
moins ingénue dans la véracité des Mémoires du maître, et de ne pas
accepter comme paroles d'Évangile tout ce que ceux-ci contiennent. Il en
pourrait éprouver un jour quelque désillusion, car si jamais livre a donné
des entorses à la vérité, c'est bien celui que nous connaissons sous le titre
de Mémoires de Berlioz. A. P.
— Le ténor Degenne, que les Parisiens ont le regret de ne plus ap-
plaudir et qui, en ce moment, remporte de très grands et très légitimes
succès à Dieppe, vient d'être nommé chevalier de l'ordre du Portugal.
— M. Manoury, le baryton bien connu, qui était allé à New-York
pour prendre la place de directeur du Conservatoire de musique de cette
ville, laissée vacante par le départ de M. Bouhy, vient de rentrer à Paris.
L'excellent chanteur, après une année d'exil, a eu la nostalgie du pays
natal et du théâtre ; aussi a-t-il donné sa démission pour venir récolter à
nouveau les applaudissements de ses compatriotes.
— On annonce le mariage de M. H. Dupont-Vernon, de la Comédie-
Française, professeur au Conservatoire national de musique, avec M"e
Rothmann, fille d'un officier supérieur en retraite.
— La roulade remplaçant la pirouette, et le jeté-battu s'effaçant devant le
récitatif. Il paraît qu'unejeune danseuse du second quadrille, à l'Opéra,
Mlle Drouineau, s'est découvert une si belle voix de contralto qu'elle
abandonne l'avenir d'une Rosita Mauri pour le présent d'une Renée
Richard. Elle vient de signer un engagement pour Montpellier.
— La représentation de Salammbô est fixée, au Grand-Théâtre de Rouen,
au 13 octobre prochain au lieu du 23. On a avancé la date à l'occasion
de l'inauguration de la statue de Gustave Flaubert, qui aura lieu ce
jour-là.
— On nous écrit de Bourges : « Sur l'initiative de MM. de Laugaudière,
conseiller municipal, ancien conseiller à la Cour d'appel de Bourges, et
Boissier-Duran, professeur de musique très distingué de cette ville, il
vient de se former un comité pour continuer et propager le mouvement
favorable qui s'est produit à l'égard du grand compositeur Louis Lacombe.
Ce comité, dont M. Boissier-Duran a été nommé président, compte ouvrir
une souscription pour placer, dans le foyer du théâtre de la ville, un
buste du maître regretté ; il veui aussi organiser un festival pour l'audi-
tion de quelques-unes de ses œuvres capitales et s'occuper de vulgariser
ses autres compositions. On sait que déjà la municipalité a donné le nom
de Louis Lacombe à l'une des places de Bourges et que les amis et admi-
rateurs du vaillant artiste ont fait placer une plaque commémorative sur
la maison où il est né. >.
NÉCROLOGIE
Nous avons le regret d'annoncer la mort, à l'âge de 78 ans, de M. Au-
gustin Vizentini, père de M. Albert Vizentini, qui vivait retiré à Sens
depuis plusieurs années. Né à Paris en 1811, il était l'un des fils de Louis
Vizentini, qui fut doyen des sociétaires de l'ancien Opéra-Comique et
l'une des meilleures ganaches qu'ait connues ce théâtre. Administrateur
habile, esprit actif et laborieux, il fut successivement régisseur général
de l'Opéra, du Théâtre-Lyrique, de la Porte- Saint-Martin, du Châtelet,
du Vaudeville, directeur de l'Odéon (où il monta la Fille d'Eschyle, d'Au-
tran), administrateur des théâtres royaux de Bruxelles, du Grand-Théâtre
de Lyon, du Caire, directeur à Gand, Lille, etc. Vizentini était surtout
un fort habile metteur en scène.
— Nous apprenons la mort à Paris, à l'âge de 6i ans, d'un artiste
dramatique qui tint quelquefois, durant sa longue carrière, l'emploi de
trial, Amédée Isaac. Il avait subi 1' opération de la trachéotomie, prati-
quée il y a trois mois par le docteur Aragon, à l'Hôtel-Dieu. L'affection
du larynx qui l'a emporté le tenait éloigné de la scène depuis près de
quatre ans. Amédée Isaac joua à l'étranger et principalement en pro-
vince, à Marseille, à Bordeaux, etc., et aussi à Paris, aux Variétés et
aux Folies-Marigny. C_'t artiste mo deste a laissé un. excellent souvenir
partout où il a passé et a surtout été apprécié pour son excellente régie
et ses connaissances de mise en scène.
— On annonce la mort à Rome, à l'âge de 3S ans, de M. Antonio Leo-
nardi, professeur d'harmonie à l'Académie de Sainte-Cécile, auteur d'un
opéra, Jacopo, représenté sans s uccès, il y a deux ans, au théâtre Argen-
tina.
— A Cuneo, où il était pour faire une cure, est mort presque subitement
le violoniste Carlo Roncati, ancien élève du Conservatoire de Milan, ex-
directeur de la bande municipale de Mondovi. Il avait écrit la musique
de quelques ballets et s'était fait connaître aussi comme compositeur de
musique religieuse, entre autres par une messe de Requiem qui a été -
exécutée à ses funérailles. 11 était âgé seulement de 41 ans.
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LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
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Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, % bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Cn an, Teste seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sui.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Notes d'un librettiste. Eugène Gautier (14° article), Louis Gallet. — II Semaine
théâtrale : Les théâtres et le droit des pauvres, Arthur Pougin. — III. Berlioz, son
génie, sa technique, son caractère, à propos d'un manuscrit autographe (VHarold
en Italie (2" article), A. Montacx. — III. Histoire vraie des héros d'opéra et
d'opéra comique (39" article) : Ange Pitou, Edmond Neukomm. — IV. Nouvelles
diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
JOYEUX RIGAUDON
de Edouard Broustet. — Suivra immédiatement : Dolce far niente, de André
Wormser.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant: Si tu veux! nouvelle mélodie de Victor Stalb, poésie de G.
Goérin. — Suivra immédiatement : Hymne aux astres, nouvelle mélodie de
J. Faure, poésie de Frédéric Bataille.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
EUGENE GAUTIER
Je devais la connaître bientôt, cette triomphante idée. Eu-
gène Gautier vint me voir, et aussitôt me mit au courant d'un
projet dont la réalisation devait être l'unique objectif des
dernières années de sa vie. Il s'agissait d'un opéra-comique
à tirer de la Clé d'or, délicate et charmante nouvelle d'Oclave
Feuillet.
Eugène Gautier ne disait pas « opéra-comique », il disait
« comédie-lyrique ». Avec un instinct alors bien rare, surtout
chez un homme nourri des traditions les plus pures, on
pourrait dire aussi les plus fâcheuses de la scène de la place
Favart, il s'orientait vers l'avenir. L'évolution musicale
qu'il prévoyait et qui n'est point encore, malgré les années
écoulées, un fait absolument accompli, lui semblait une né-
cessité, une conséquence naturelle de l'état des esprits.
C'en élait fait, selon lui, de la forme classique de l'opéra-
comique, — en quoi il avait bien raison. Il attribuait à Grétry
une opinion qui avait à ses yeux force de dogme et qu'il
s'était promis d'appliquer, trouvant ainsi dans les préceptes
du passé un appui pour sa marche vers l'avenir.
La comédie musicale devait rejeter tout élément parasite,
ne tirer son intérêt que d'elle-même; l'action et l'émotion se
partageaient l'œuvre. A l'action, la prose ; à l'émotion, la mu-
sique.
« Toutes les fois qu'il y a émotion, il y a musique », ains
disait Gautier, en se réclamant de Grétry.
Cette première rencontre entre le compositeur et moi fut
remplie par l'exposition de ces théories. Eugène Gautier avait
d'ailleurs aux lèvres une foule d'aphorismes dont la répéti-
tion le charmait :
« Le genre n'est rien ; le tout est d'avoir du talent. »
« En art, on ne fait pas ce qu'on veut; on fait ce qu'on peut. »
Ces deux formules particulièrement le ravissaient; il ne
s'apercevait pas qu'elles constituaient de simples truismes ;
il les énonçait magistralement...
Quand nous nous séparâmes, ce jour-là, je restai avec la
joie d'être devenu l'ami d'un homme de l'esprit le plus
original et le plus rare et la vague crainte d'avoir rencontré
en lui un artiste s'égarant sur sa véritable vocation.
Il me mit entre les mains, en me quittant, un volumineux
manuscrit. C'était un projet d'adaptation de la Clé d'or, projet
élaboré selon les idées de de Leuven, dont Eugène Gautier
avait été naguère le collaborateur et était resté l'ami.
De Leuven, alors directeur de l'Opéra-Comique, tenait, selon
Eugène Gautier, la fortune de l'œuvre entre ses mains, et il
fallait se hâter de donner à cette œuvre une forme définitive.
Mais de Leuven n'était pas seul à la tête de notre seconde
scène musicale. Il l'administrait en compagnie de du Locle,
et ce double courant que j'y ai signalé à propos de la Djami-
leh de Georges Bizet, devait se faire sentir plus fortement
encore à propos de la Clé d'or d'Eugène Gautier. Cette fois
seulement, de Leuven était pour et du Locle était contre.
Moins heureux que Bizet, Gautier, pris entre ces deux cou-
rants, devait s'y noyer; il était, dès ce moment, écrit que la
Clé d'or ne serait point jouée à l'Opéra-Comique.
Le compositeur, à ce moment, ne se doutait pas des
flottantes destinées de son œuvre: il était plein de joie et
d'arJeur; il demandait d'abord que cette œuvre existât; il la
voyait déjà vivante et palpitante entre ses mains; il n'était
encore que dans le jardin enchanté des illusions, au pied de
ce calvaire du théâ're, qu'il devait mettre sept ans à gravir.
Avant de pénétrer dans les profondeurs du manuscrit d'Eu-
gène Gautier, il fallait lire ou plutôt relire la nouvelle origi-
nale d'Octave Feuillet.
Qui ne s'est senti ému .et retenu par le charme subtil de
cette nouvelle, perdue au milieu d'œuvres diverses, comme
une fleur au parfum suave clans un bouquet élégant? Qui ne
s'est étonné que le maître romancier ait sacrifié à la mu-
sique une fable sentimentale qu'il eut pu si ingénieusement
présenter sous la forme dramatique?
Suzanne est une jeune fille au cœur d'or, pure comme un
258
LE MÉNESTREL
lis, douce comme un ange, flère pourtant et capable, à l'oc-
casion , d'un mouvement de révolte contre l'indignité
humaine; en la sincérité, en la naïveté de son esprit, elle
s'est éprise d'un fantôme qui n'avait pas de nom encore.
— Je n'aimais personne, dit-elle,... j'aimais, voilà tout.
« Parmi les fantômes dont j'étais assiégée, je ne le cachais
pas, au reste, il en était un que je craignais plus que tous
les autres et que j'évoquais cependant plus souvent. Ses
traits, — à quel souvenir ou à quel pressentiment les avais-je
empruntés? — ses traits respiraient une sorte d'orgueil sou-
cieux que ma présence changeait en tendre sourire. Ses yeux,
semblaient promettre tout ce qu'une femme peut souhaiter
dans son ami, dans son maître, dans son époux... l'honneur,
le géDie, la bonté... Eh bien! tel que je le rêvais... Dieu
me l'a envoyé!... Ce songe divin, ce fantôme adoré, il est
là! vivant! Il m'aime ! Il est mon époux!
Or, cet homme à qui tant d'enthousiasme s'applique, cet
homme vu sous des traits si rayonnants, c'est Raoul d'Athol,
un élégant et correct monsieur, très blasé et, comme nons
dirions aujourd'hui, tout à fait « fin de siècle ». Le soir
même de ses noces avec cette délicieuse Suzanne, il confie
à un ami, Georges Vernon, qu'il n'a aucune espèce d'amour
pour elle, qu'il l'a épousée tout uniment pour faire une fin,
et se déclare tout simplement prêt à concevoir pour sa
femme « l'affection calme qu'un homme d'honneur doit à la
mère de ses enfants. »
Cet entretien, mortel pour la romanesque affection de la
jeune fille, un hasard le lui fait surprendre. Et quand, dans
la chambre nuptiale, elle se trouve seule en présence de
Raoul, elle lui dit nettement qu'elle sait toute l'affreuse vé-
rité... Elle sera madame d'Athol pour le monde; mais pour
lui elle ne sera jamais qu'une étrangère.
Froid, correct toujours, avec une légère pointe d'ironie
pour ces idées d'enfant, il s'éloigne pourtant, tandis qu'elle
pleure son rêve perdu, qu'elle se désespère de sentir encore
vivant et saignant dans son cœur son amour pour un être
indigne d'elle.
La suite de ce roman sera la lente reprise de l'âme de
Raoul, la conquête patiente tentée et réalisée par Suzanne,
de ce mari tout d'abord cantonné dans sa froideur, dans sa
fierté blessée. La jalousie s'en mêle. Raoul se croit trahi par
son meilleur ami, ce Georges Vernon, confident de la pre-
mière heure et qui secrètement adorait Suzanne, au moment
même où on l'a donnée à un autre.
La vérité éclate dans une scène finale violente, brève et
touchante : Raoul et Suzanne possèdent enfin l'amour auquel
l'homme ne croyait plus, auquel la jeune fille avait cru trop
vite.
La clé d'or n'intervient dans tout ceci que pour donner
son titre à l'ouvrage. C'est la clé d'un bracelet que Suzanne
n'a jamais quitté ; elle l'a remise à son mari, comme un
symbole de l'abandon qu'elle faisait d'elle-même ; elle la lui
a reprise dans sa colère de l'amour méconnu ; elle la lui
rend dans sa joie de l'amour reconquis.
A l'époque où cette petite étude fut écrite, on ne nous
parlait pas encore de roman psychologique. On avait alors la
chose sans le mot. L'œuvre d'Octave Feuillet fourmille de
ces analyses délicates dévoilant des « états d'âme » par qui
l'action devient plus saisissante et plus humaine. Mais un
constant souci du mouvement dramatique dirigeait alors l'é-
crivain au cours de ces études et en renouvelait incessam-
ment l'attrait. Aujourd'hui, l'analyse l'emporte sur l'action ;
l'œuvre se fait ainsi plus grave et moins vivante. C'est sans
doute pourquoi, comptant, beaucoup de romanciers de haute
valeur, nous comptons si peu d'auteurs dramatiques. Octave
Feuillet aura été l'un et l'autre.
En relisant le texte original de la Clé d'or, après bien des
années écoulées depuis cette adaptation qui' tenait si fort au
cœur d'Eugène Gautier, je me demande si auteur, librettiste
et musicien ne se sont pas alors également trompés en cher-
chant là le thème d'un ouvrage lyrique.
« Toutes les fois qu'il y a émotion, il y a musique, avait
dit le compositeur. » Peut-être eùt-il été plus juste de dire :
« Toutes les fois qu'il y a exaltation ou expansion, il y a
musique ».
Et là, l'émotion se doublait de la plus fine analyse ; et
quand la musique intervenait, c'était pour couper court à
celte minutieuse constatation que suivait l'auteur à travers
l'âme de ses personnages. Lyrisme inopportun, assurément.
Mais à quoi bon ces réflexions rétrospectives? Je n'avais point
assez d'expérience pour m'en aviser au moment voulu et
faire voir au compositeur que la musique, au lieu de donner
des ailes au drame, allait ne lui être qu'une agréable entrave.
Il était écrit que la Clé d'or serait. Elle fut.
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
LES THEATRES ET LE DROIT DES PAUVRES
Puisque aussi bien le théâtre en ce moment nous met, nous
autres critiques, à la portion congrue, profitons de son repos et de
son nonchaloir pour aborder une fois de plus une question qui le
touche et l'intéresse d'une façon toute particulière, celle du droit
des pauvres. Jamais on ne s'en occupera trop, de cette question si
importante et si douloureuse pour lui, jamais on ne battra trop en
brèche cet impôt sinon injuste dans son principe, du moins ter-
rible dans ses proportions, et qu'on dirait inventé par un ennemi
juré de l'art et de la gloire intellectuelle du pays.
Justement, un jeune membre fort distingué du conseil supérieur
de l'assistance publique, M. Cros-Mayrevieille , administrateur des
hospices de Narbonne, auteur déjà d'un Traité remarqué de /'admi-
nistration hospitalière, a publié récemment sous ce titre : « Le droit
des pauvres sur les spectacles en Europe, origine, législation, jurispru-
dence (1), » une sorte de traité complet de la matière, un livre
bourré de chiffres et de documents, fort bien fait d'ailleurs à son
point de vue et à tous les points de vue, dans lequel, cela va sans
dire, il défend le droit des pauvres de toutes façons, en s'eflbrçant
d'en établir non pas seulement la nécessité, ce qui se compren-
drait, mais la légitimité, ce qui est plus contestable. On sent, à la
chaleur de son plaidoyer, que l'auteur est un M. Josse en son
genre, orfèvre par conséquent, et cela ne pouvait ne pas être. M. Cros-
Mayrevieille prend la défense de ses pauvres, ce qu'après tout je
ne saurais blâmer. Il me permettra bien de prendre à mon tour la
défense de l'art et des artistes, qu'il traite un peu trop cavalièrement
et qui pourtant, l'un et les autres, rendent quelques services et ont
droit, eux aussi, à l'existence.
M. Cros-Mayrevieille raopelle , dans son Introduction , cette
phrase si vraie de La Bruyère : « Il faut chercher seulement à
penser et à parler juste , sans vouloir amener les autres à notre
goût et à nos sentiments; c'est une trop grande entreprise. » De
même que lui, je prends cette pensée à mon profit. Je n'espère pas
plus le convaincre qu'il ne m'a convaincu moi-même. Mais nous ne
sommes pas seuls au monde, et l'on peut nous entendre. Je discu-
terai donc.
L'auteur part de ce principe, cher aux partisans du droit des
pauvres, que c'est là un impôt établi sur le plaisir, et qu'aucun, par
conséquent, ne saurait être plus sensé ni plus légitime. « C'est, dit-
il, une taxe de consommation pesant seulement sur le spectateur,
sur ce consommateur bénévole qui, en entrant dans une salle de
spectacle, démontre qu'il possède du superflu et peut s'offrir, grâce
à ses ressources, des plaisirs qui ne sont pas indispensables. En
effet, on n'est pas, à tout prendre, obligé d'aller au théâtre, an
cirque, au concert et d'acquérir une place comme on est obligé
d'acheter le pain qui sert à la subsistance de chaque jour. » Certai-
nement, nul n'est obligé d'aller au spectacle ou au concert. Mais
j'ai toujours entendu dire que la splendeur de l'art, le talent des
artistes, le génie des écrivains et des musiciens comptaient pour
quelque chose dans la fortune et la gloire d'un grand peuple, qu'ils
(I) Un volume in-8°, chez Berger- Levrault.
LE MENESTREL
259
servaient à établir son influence au dehors, qu'ils n'étaient pas inu-
tiles à son expansion morale et matérielle. Or, si, par des exigences
excessives, vous finissez par rendre impossible l'exercice industriel
de cet art, si vous éloignez et diminuez le public, si vous en arri-
vez à réduire les artisles au silence, croyez-vous que vous aurez
fait de bien bonne besogne, et que vous aurez rendu à votre pays
un service fort appréciable?
Mais, dites-vous, il y a confusion. Ce ne sont pas les entreprises
théâtrales qui paient l'impôt, c'est le spectateur. Et la preuve, c'est
que la loi du 7 frimaire an V, qui a commencé à régulariser le
droit des pauvres, tombé en désuétude pendaut la Révolution, dit
textuellement: « Il sera perçu un décime par franc (deux sous
pour livre) en sus du prix de chaque billet d'entrée... » Ceci est abso-
lument spécieux. En fait, si je veux ouvrir et fonder un théâtre et
que j'établisse le compte de mes frais journaliers, il faut qu'avant
toute chose je songe que, sur ma recette brute, l'assistance publique
viendra percevoir un dixième et l'empochera bravement avant que
je puisse solder un sou de mes dépenses. Que mes affaires arrivent
à être en mauvais état, que je sois dans l'impossibilité de payer mon
personnel, mes artistes, mes employés, mes ouvriers (je ne dis
même pas mes fournisseurs, et je ne parle que de ceux qui n'ont
que moi pour vivre et pour manger), que je sois moi-même à deux
doigts de la faillite, l'assistance publique est là, impitoyable, qui
laissera fermer mon théâtre sans me permettre même de crier grâce-
M. Cros-Mayrevieille appelle cela « des dissertations plus ou moins
sentimentales. » Il en parle à son aise. S'il était au nombre des
pauvres diables que les exigences de l'assistance publique ont mis
si souvent par centaines sur le pavé, qui ont été réduits par elle à
la faim pour nourrir d'autres pauvres, peut-être se montrerait-il
moins optimiste. Il est bien près de me prendre en pitié parce que,
dans mon Dictionnaire du théâtre, j'ai précisément raconté un fait
précis en ce genre : « Il y a une quarantaine d'années, disai>je,
on vit le directeur d'une des grandes scènes du boulevard mis en
faillite après trois années d'exploitation, en laissant un passif de
200,000 francs. Pendant le cours de sa direction, il avait dû prélever
sur ses recettes, avant toute chose et sous le nom de droit des
pauvres, une somme de 330,000 francs au profit de l'administration
des hospices. Si, comme on n'a jamais cessé de le demander, cette
taxe n'avai' été prélevée qu'après le prélèvement des frais quotidiens du
théâtre, la part des pauvres eût été mince sans doute, mais le direc-
teur n'aurait pas subi la faillite et n'eût pas laissé sans place et
sans pain plus de cinq cents artistes, employés et ouvriers de toute
sorte, que l'assistance publique se garda certainement de secourir.
La moralité du fait est facile à tirer et ne prouve pas la moralité de
la taxe qui en amène de semblables, s
Au risque de faire sourire M. Cros-Mayrevieille, je lui avouerai que
je crois encore ces observations pleines de justesse. D'ailleurs, si
vous trouvez votre principe équitable moralement, que ne l'appliquez-
vous d'une façon plus complète. C'est le spectateur, dites-vous, qui
paie le droit des pauvres; que ne lui faites-vous payer un droit
aussi à l'entrée de nos musées? Car, enfin, le visiteur de musée
prend un plaisir, lui aussi, et. pour reprendre vos paroles, on n'est
pas obligé d'aller au musée comme on est obligé d'acheter le pain
qui sert à la subsistance de chaque jour. Mais les musées sont
gratuits, m'allez-vous dire. Raison de plus ! "Vous serez sûr, ici du
moins, de ne léser aucun intérêt.
Mais la vérité est que l'État ne vous le permettrait pas, parce
que l'État sent bien que la diffusion de l'art est un besoin de la so-
ciété. Et voilà pourquoi je trouve votre impôt mauvais, appliqué au
théâtre ou au concert ; et pourquoi je blâme l'Etat de vous laisser faire.
Encore voudrais-je au moins, comme je le disais plus haut, que
cet impôt ne fût perçu qu'après le prélèvement des frais de chaque
jour. Il y aurait ici un commencement, je ne dirai pas d'équité,
mais de moralité. Ici, vous me répondrez par ces paroles de M. de
Lavenay : — « Il y a une loi écouomique à laquelle aucune indus-
trie ne peut échapper : la loi du profit moyen des capitaux. Si, par
le dégrèvement de l'impôt, l'industrie théâtrale devenait plus fruc-
tueuse, une concurrence nouvelle et plus ardente s'établirait et
irait toujours grandissant jusqu'à ce qu'elle eût ramené cette indus-
trie au point de ne plus donner à la masse des entrepreneurs que
le profit moyen des capitaux engagés par eux. D'autre part, l'avan-
tage momentané que les directeurs tireraient de ce dégrèvement,
serait bien vite annihilé par les prétentions qui surgiraient autour
de leur industrie : prétentions des propriétaires de l'immeuble, pré-
tentions des auteurs, des artistes, des employés, exigences du public
qui voudrait plus de luxe sur la scène, encore plus de confortable
dans la salle. » Vous me permettrez de vous dire que malgré le
luxe dont elle est entourée, il n'y a là qu'une hypothèse, et qu'on
ne raisonne pas avec une hypothèse. Cela ne se discute pas.
Ce qu'il y a de vraiment singulier, c'est que de toutes les indus-
tries la plus chargée par l'impôt soit précisément celle du théâtre
(puisque industrie il y a), c'est-à-dire justement la plus difficile et
la plus aléatoire de toutes, celle qui exige non seulement une rare
habileté administrative, mais de vastes connaissances artistiques et
un goût tout particulier, outre qu'elle est soumise au caprice et à
l'inconstance du publie et qu'il lui faut enfin, pour s'exercer, la
disposition de capitaux considérables. Il y a là, en vérité, une
injustice criante, et, quoi qu'on en puisse dire, une inégalité cho-
quante en ce qui concerne la répartition des charges entre les
citoyens. Mais combien il est difficile, dites-vous, de remplacer cette
taxe ! Ça, ça ne me regarde plus, c'est affaire au législateur. Ce
n'est pas parce qu'une iniquité sociale paraît nécessaire qu'elle
devient respectable. Je ne conteste pas que les pauvres ont besoin
de manger, mais ce n'est pas une raison pour enlever leur pain à
ceux qui l'ont honnêtement gagné et qui, eux aussi, ont droit à
l'appétit.
Je me permettrai ici une toute petite réflexion. Qui dit assistance
publique doit dire aussi ordre et économie la plus stricte. Or, si je
suis certain qu'il y a beaucoup d'ordre dans l'administration de
l'Assistance publique, je ne le suis pas autant qu'il y règne une
économie aussi grande qu'on le pourrait désirer. Il y a là un luxe
d'emplois et d'employés, un ensemble de traitements plus ou moins
considérables qui me donnent beaucoup à réfléchir. Le patrimoine des
pauvres devrait être géré au rabais, si l'on peut dire, et il ne me
semble pas qu'il en soit tout à fait ainsi. Je ne serais pas fâché,
je l'avoue, qu'on me mit en regard du chiffre des ressources de cette
administration le chiffre de ses dépenses. Peut-être y aurait-il bien
là, avant toutes choses, quelques réformes utiles à opérer, quelques
économies à réaliser. Je sais bien que c'est une grosse affaire que
l'administration d'une telle fortune ; encore faudrait-il que cela se
fit dans les meilleures conditions possibles.
Veut-on savoir, maintenant, ce qu'a produit, à Paris seulemenl, le
droit des pauvres sur les spectacles depuis son rétablissement en.
1796 jusques et y compris l'année 1887 î Voici le chiffre exact :
106 millions 828,301 fr.SO c. ! Un joli denier, n'est-il pas vrai?
J'ai fait ce total d'après un des nombreux et très curieux tableaux
publiés dans le livre de M. Cros-Mayrevieille. Car, je le répète, son
livre est fort bien fait et fort intéressant. Je ne lui reproche que son
esprit absolument exclusif. Selon l'auteur, il n'y a rien à faire
pour changer ou modifier la situation, aucune réclamation ne sau-
rait être admise, aucune objection contre le droit des pauvres ne
supporte ni l'examen ni la discussion, et tout est pour le mieux
dans le meilleur des mondes — imposables. Je suis moins satisfait,
je l'avoue, considérant les choses à un point de vue diamétralement
opposé. M. CrosMayrevieille pense aux pauvres, ce qui est d'une belle
âme et d'un bon cœur. Je pense, moi, aux milliers de gens qui
vivent du théâtre, qui, je le répète, ont droit aussi à la pitié, pour
eux et leurs familles, el qu'un désastre réduit parfois à la misère et
à la faim. Est-ce juste? Et lorsqu'il arrive que ce désastre est causé
par les exigences d'une administration sans ménagement, sans scru-
pule et sans entrailles pour ce petit peuple si intelligent, si labo-
rieux et si plein de courage, est-ce moral?
Là est toute la question.
Arthur Pougin.
BERLIOZ
SON GÉNIE, SA TECHNIQUE, SON CARACTÈRE,
A propos d'un manuscrit autographe d'HAROLD EN ITALIE
(MARCHE DES PÈLERINS)
IV
(Suite)
Au même endroit, la partie des seconds violons qui reproduisent
le thème de la marche, a été changée, ainsi que la basse.
C'est la première et la seule fois, dans tout le morceau, qu'une
demi-période de ce thème finit par une figure mélodique dessinée
comme suit :
Avant comme après ce passage, toutes les périodes de la marche
et tous les membres de ces périodes finissent par une figure mélo-
260
LE MENESTREL
dique dessinée comme suit : I J j
tHc — * — r
Pourquoi Berlioz a-t-il suspendu ainsi, en ce seul endroit et sans
raison apparente, la poétique uniformité de son dessin ?
Il faut encore chercher l'explication de cette anomalie dans la
difficulté que le maître avait à plier la forme à la conception pré-
méditée de son imagination.
Par la trace du grattage et l'attache du dernier groupe des cro-
ches, il est évident que Berlioz avait bien écrit d'abord la fin de
cette demi-période comme les précédentes ; et il semble même que
ce fût : ~:0s*-=p=f>jLj f ^fr^j^ — iiiiis n'oublions pas que Berlioz
tenait pendant ce même temps à « superposer » le thème de l'adagio,
dont le dessin obligé pouvait être d'autant moins altéré que, —
présenté d'abord, au commencement d'IIarold, en une mesure ternaire,
— il se trouvait à présent encastré en une mesure binaire, ce qui
le rendait moins aisément reconnaissable à l'oreille. Berlioz n'aura
donc pu faire marcher simultanément les deux motifs en les res-
pectant scrupuleusement tous deux et en donnant, à la fin de la
demi-période, une harmonie pure, élégante et significative. C'est
pourquoi, afin de tourner une difficulté technique, il a été amené
à modifier légèrement le dessin de la marche et à y substituer la
version actuelle,
qui a le tort de constituer, sans
raison esthétique, une exception et une sorte d'irrégularité dans la
symétrie mélodique de la marche.
Ce qui donne à ces déductions une grande vraisemblance, c'est
que la basse a été parallèlement changée.
* *
Un peu plus loin, vingt-quatre mesures avant la lettre E, voici
une variante très intéressante, qui affecte tout le quatuor et a en-
traîné une variante latérale dans la partie du premier basson :
\ERSION PRIMITIVE (1)
G H I J K,
VERSION ACTUELLE :
L'alto solo ne change pas, — non plus que la clarinette et le cor
soli qui doublent toujours son chant.
(Le 1er basson, qui suit les violoncelles de l'orchestre à l'octave ai-
guë, a été gratté pour suivre les modifications de la nouvelle version.)
(1) Il y a ici une erreur de gravure impossible à corriger au dernier
moment. La clef d'ut seconde indiquée faussement partie d'alto solo doit
être une clef d'ut troisième ligne.
Ce passage a coûté à Berlioz un certain effort, car le texte pri-
mitif est écrit lui-même, de ci, de là, sur de3 gratlages, si bien que
le texte actuel est établi sur une collette dont les portées sont tracées
à la plume. Dans la partition gravée, la mesure B est notée en entier
en doubles cordes pour le 1er violon, 1 1 J1 i ji 1 en sorte qu'en cor-
rigeant les épreuves, Berlioz a encore apporté cette légère retouche
à la version définitive de son manuscrit.
Quoi qu'il en soit, le maître fut bien inspiré dans ces remanie-
ments successifs, car il est aisé de voir quelles améliorations a
apportées chacun d'eux.
Dans son ensemble, le texte originaire était passablement tour-
menté, et, aux mesures EF, où la partie de violon est demeurée
illisible, l'harmonie paraît ne pas avoir été très heureuse.
Voyons maintenant la seconde version :
Par les doubles cordes ajoutées aux premiers violons et aux altos
pendant les mesures B et C, Berlioz a rendu l'harmonie plus com-
plète. Le mouvement des basses et l'harmonie des mesures DE et F
sont incontestablement préférables. Enfin, à la mesure I, la partie
de violoncelle, se séparant de celle des contrebasses et passant, de
la mesure H à la mesure I et de celle-ci à la mesure J, par mou-
vements contraires au mouvement des contrebasses, est à tous
égards bien meilleure et conçue dans un esprit plus polypho-
nique.
*'*
Au cours des mesures suivantes, la partie de second violon a été
fortement grattée. Elle poursuit actuellement le motif delà marche,
en même temps
que le ier hautbois
et la 1" flûte, celle-ci à l'octave supérieure. Il est difficile d'ima-
giner ce qu'elle pouvait bien être précédemment, car les parties de
lra flûte et de Ier hautbois ont été écrites de primesaut telles qu'elles
sont aujourd'hui. On ne conçoit pas bien comment les seconds
violons, à qui depuis l'intervention de l'alto solo était réservé le
thème de la marche, aient pu énoncer autre chose.
Evidemment, dans toute cette partie, la pensée de Berlioz a hésité.
*'*
De la lettre F a la lettre G, Berlioz avait noté d'abord la sonnerie
de cloches imitée par la harpe comme précédemment, soit :
jygg . I , I r if—
Il a biffé très fortement à l'encre cette notation et y a substitué
la suivante :
pour revenir à la lettre G à la précédente.
Plus ioin, à l'endroit où l'épisode en ut majeur (canto religioso)
prend fin et où la marche retourne dans le ton initial de mi t) majeur,
il modifiera encore par une correction aussi énergique la version
primitive, pour doubler de nouveau l'ut grave; — et cela pour une
seule fois, car à partir de ce moment la notation primitive est
maintenue.
Quelle a été son intention ?
On a quelque peine à la démêler, d'autant plus qu'à la lettre F
il a eu soin de mettre la note suivante : « le diminuendo commencera
ici, mais il ne doit devenir apparent qu'à la lettre G ».
L'ut tj de la harpe étant toujours appuyé par les deux cors en ut,
pourquoi a-t-il tenu à l'accentuer davantage, alors précisément qu'il
demandait un diminuendo à ses interprèles?
C'est que sans doute il faut entrevoir le tableau que Berlioz aura
entrevu lui-même par les yeux de son imagination charmée.
A. ce point de la marche, la troupe des Pèlerins chantant la Prière
du soir est arrivée tout auprès du couvent. Le son de la cloche vibre
plus distinctement à ses oreilles et, du fond du sanctuaire sortent,
comme par bouffées, les accents d'un psaume que se renvoient
l'orgue et les voix intérieures auxquelles s'associent les Pèlerins.
Quand la pieuse théorie s'éloigne, les sons de la cloche lui par-
viennent de nouveau affaiblis.
LE MENESTREL
364
Ce qui justifie cette supposition, c'est que la correction signalée
trouve précisément sa place aussitôt avant et aussitôt après le canlo
niigioso qui alterne entre les flûtes, clarinettes, et le quatuor.
Quand on étudie de près Berlioz, il faut toujours compter avec
•cette préoccupation du pittoresque qui hantait le musicien.
(A suivre.) A. Montaux.
HISTOIRE VRAIE
DES HÉROS D'OPÉRA ET D'OPÉRA-COMIQUE
XL1X
ANGE PITOU
Celui-là chanta, comme Blondel, les malheurs des rois, mais sans
luth et en petits vers marqués au coin d'une malignité perfide. Il
opérait sur la place publique, en pleine révolution; il y avait quel-
que courage à cela.
Ange Pitou a raconté lui-même ses débuts aux carreaux des
Halles.
s En 1794, après le 9 thermidor, dit-il, je fis imprimer le Tableau de
Paris en vaudeville. J'avais tout perdu ; je résolus de chanter moi-
même, tout en me souvenant que Corneille, pour avoir fait la fameuse
chanson : l'Occasion perdue et retrouvée, eut pour pénitence l'Imitation
de Jésus-Christ à mettre en vers, et que Jean-Baptiste Bousseau
faillit être exilé pour quaranle-un couplets.
» Le chant réjouit l'àme, me dis-je, le fripier se pare de l'adresse
du tailleur; le comédien joue le seigneur et emprunte le génie du
poêle : pourquoi rougirais-je plus de vendre mes chansons, qu'un
libraire un volume qu'il n'a pas fait? Cette propriété est le fruit de
mon éducation. Mais si l'ouvrage ne vaut rien? Je ne vendrai pas
«hat en poche. — liais les convenances, les préjugés même ne
s'opposent-ils pas à celte résolution sage en elle-même, qui con-
traste pourlant avec l'opinion qu'on doit avoir de toi? — Le premier
■devoir est rempli, lorsque je gagne la vie à la sueur de mon front.
Je ne vis pas avec deux onces de paiD. (Nous étions au mois de
mai 1795 ; j'étais rédacteur de la séance aux Annales patriotiques
et littéraires, et l'agiotage du papier faisait monter mon traitement
-à un sou par jour).
a D'après ces réflexions, je me levai un jour à quatre heures du
matin ; je venais de faire imprimer des couplets contre l'agiotage ; je
vais les vendre : j'étais confus, mais il fallait manger. Je me mets à
chanter : des pleurs roulaient dans mes yeux, pendant que le sou-
_riie s'épauouisiait sur mes lèvres. A six heures j'eus gagné cent
écus en papier, et je retournai à l'Assemblée. Ceux qui travaillaient
à d'autres journaux, dans la même loge que moi, se trouvaient heu-
reux de partager mon pain; mais la manière dont je le gagnais
donnait matière à un rire caustique qui me déplut. Au bout de quinze
jours je cédai la place, et les laissai jeûner glorieusement. Au reste,
la mauvaise honte et la crainte firent place à la tranquillité et à
une vie pénible, mais moins austère. La multitude s'accoutuma à
m'entendre; on me chercha une origine : ceux-ci, pour me perdre,
inventèrent sur mon compte cent fables plus honorables les unes
que les autres. D'abord ils me firent piètre, pour avoir droit de me
faire proscrire, puis attaché à la maison de Bohan , ensuite évêque,
confesseur de nonnes, gouverneur de l'enfant d'uu grand seigneur.
» Une femme, entre deux âges, m'accosta un jour, après m'avoir
-entendu chanter, et me dit d'un air tout scandalisé :
» — Comment monsieur, vous chanteur !. . . Faut-il qu'une de vos
péuitenles vous moralise!...
» Je souris. Elle insista.
» — Mais, madame, lc vous méprenez-vous point?
» — Oh! certainement non.
» — Hé bien ! madame, si j'étais aussi indiscret que Santeul?
» — Que voulez-vous dire?
• — Que je pourrais tout révéler à votre mari, sans divulguer la
confession.
» Un autrejour, un Prémontré vint chez moi, de grand matin, me
demander si je ne suis pas de son ordre, et dans queilc maison j'ai
étudié. Il y avait vingt-cinq ans qu'on avait voulu m'envoyer à Metz
faire mon noviciat chez ces moines : mais comment avait-il pu savoir
cette particularité ?
« Suivant les uns, je disais la messe tous les jours, et je trouvais
même des personnes qui assuraient y avoir assisté. Le lendemain, on
voulait que je fusse maître de musique. Enfin, j'ai été forcé de faire
le médecin malgré moi. Et si je publiais mes scènes à tiroir du
temps que j'ai chaulé, on jugerait que j'ai été plus ami de la société
et de la joie qu'ennemi du gouvernement. »
Dans la suite, Ange Pitou changea de langage. Il se présenta
comme le royaliste le plus militant qui eût existé pendant la Bévo-
lution et se targua de son internement à la Guyane pour attendrir le
cœur très importuné des Bourbons ; car en vérité il avait élé con-
damné à la déportation perpétuelle par le Directoire, après quinze
arrestations suivies de quinze avertissements charitables. Mais il
s'était évadé. A son retour à Paris il obtint sa grâce de Napoléon,
empereur, à la condition, très superflue, qu'il ne le chansonnerait
pas.
Ange Pitou n'eut garde de manquer à sa promesse. Cayenne avait
laissé des souvenirs peu charmeurs dans son esprit; il employa ses
loisirs à conter son séjour dans ce paradis de la fièvre, et en pré-
senta le récit au public sous ce' titre à effet : Voyage à Cayenne et
chez les anthropophages.
Quand les Bourbons furent revenus, il inonda Paris de ses bro-
chures. Il se plaignait de l'abandon dans lequel on le laissait. Ses
chansons, disait-il, avaient fait plus de 40,000 prosélytes à la cause
royale; elles lui avaient rapporté plus de 260,000 francs, qu'il avait
employés à servir ses rois légitimes. Pour se débarrasser de lui, le
roi Louis XVIII finit par lui accorder une petite pension de quinze
cents francs.
Ange Pitou mourut bien oublié, en 1828. Il était un moment sorti
de son silence, pour demander qu'on élevât une chapelle à saint
Charles sur l'emplacement de l'ancien Opéra, où avait élé assassiné
le duc de Berry.
Mais sa pension ne fut pas augmentée pour cela.
(A suivre.) Edmond Neukomm.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Nos compositeurs de musique ne chôment pas, dit l'Italie ; voici en
effet la nomenclature de quelques opéras nouveaux qui iront enrichir,
espérons-le, le répertoire. M. Puccini, l'auteur des Villi, a terminé une
Manon Lescaut. M. Pizzi, l'auteur d'Edith, écrit un opéra dont on ignore
encore le titre. M. Carlos Gomes, outre le nouvel opéra qui sera représenté
cet hiver à la Scalâ de Milan, Gabriella, vient de terminer Murena, livret
de MM. Parravicini ot Tannaz, et il Cavalier bizzarro, livret de M. Crisa-
fulli ; il est en train d'écrire aussi une Vanda, livret de M. Vincenzo
Valle, et de suite après il compte composer une Grazilla, sujet indien,
livret de M. Giulio Barny. Enfin, M. Sarno, de San Giorgio, a mis en
musique le drame : V Impératrice dei Balcani, écrit par le prince Nikita du
Monténégro. — Si l'on ajoute qu'un jeune compositeur génois, M. Trucco,
vient de terminer un opéra en deux actes intitulé gli Arrimanni, on verra
qu'en effet les musiciens italiens ne paraissent pas en train de flâner.
— Il va sans dire que nous n'avons pas converti le Trovatore à nos idées
touchant la grosse question de la substitution de l'opéra français à l'opéra
italien. A vrai dire, nous ne pouvions l'espérer. Mais notre confrère
apporte dans sa réponse tant de bonne grâce et de courtoisie que nous
serions mal venus à ne point lui en savoir gré. Il veut bien déclarer que
le Ménestrel est un des très rares journaux (uno dei pochissimi) qui savent
lire et comprendre l'italien, et c'est justement parce qu'il en est ainsi que
nous avions regretté les paroles acerbes qu'il adressait à la presse fran-
çaise en général, comme le fait encore aujourd'hui la Gazzetta musicale.
Dans la question qui nous occupe, les récriminations ne serviraient de
rien et resteraient stériles. Laissons aller les choses ; elles nous montre-
ront, en fin de compte, qui a tort ou raison.
— Il paraît qu'on en fait de jolies, dans certaines villes d'Italie, pour
qu'un critique sérieux et modéré comme M. F. D'Arcais puisse écrire ce
qui suit dans son feuilleton de l'Opinione : — « Il faut savoir qu'à Naples
et, en général, dans les provinces méridionales, les représentations d'o-
pérettes sont parvenues à un degré d'obscénité dont on ne saurait se faire
une idée à Borne et dans les autres provinces d'Italie. L'opérette, qu'elle
soit de Suppé, de Lecocq, ou d'autres, n'est plus qu'un prétexte aux plus
immondes turpitudes. L'art n'a plus rien à faire ici, et dans ces triviales
parodies on ne reconnaît pas plus les opérettes françaises que les alleman-
des. La faute, qu'on me permette de le dire, revient en grande partie aux
autorités qui ont la charge de la police des théâtres. Gomment peut-on
laisser faire dans un théâtre ce qui ne serait toléré dans aucun autre lieu
public? Il y a à Naples un grand nombre de petits théâtres qui peuvent
être comparés aux plus ignobles spéculations ; il serait temps que le gou-
vernement intervint au nom de la décence et en ordonnât la clôture sans
autre forme de procès ! Et qu'on ne vienne pas me dire que je combats une
forme de l'art qui doit être libre. Je ne combats point l'opérette, bien que
je n'éprouve pour elle aucune sympathie. Je reconnais qu'il n'y a aucun
262
LE MÉNESTREL
inconvénient à représenter la Donna Juanita de Suppé ou le Jour et la Nuit
de Lecocq, telles que les ont écrites leurs auteurs, et telles qu'on les re-
présente à Vienne et à Paris. Mais ni Suppé, ni Lecocq ne reconnaîtraient
leurs opérettes s'ils les entendaient et s'ils les voyaient sur certains théâtres
d'Italie, et particulièrement sur ceux des provinces méridionales ! Et ils
seraient les premiers à protester contre le massacre qu'on en fait en les
réduisant à n'être qu'une offense continuelle aux lois du bon goût. »
— Nous avons annoncé, d'après certains journaux étrangers, que la
jeune et célèbre violoniste Teresa Tua était gravement malade en Alle-
magne. Rectifions et complétons la nouvelle. Ce n'est pas en Allemagne,
mais à Rome, que se trouvait l'aimable artiste, mariée depuis une année
environ. Quant à sa maladie, elle était précisément la suite naturelle
de cette union, et nous apprenons que la jeune épouse vient de donner le
jour à... deux jumeaux, de sexes différents.
— Les mélomanes génois n'auront pas à se plaindre de leur prochaine
saison lyrique d'automne. On annonce en effet qu'ils auront le choix,
pour cette saison, entre trois scènes musicales qui seront ouvertes à la
fois: le théâtre Paganini, le Politeama génois et le Politeamadelareine
Marguerite. D'aucuns craignent déjà que ce régime ne soit quelque peu
excessif.
— L'Académie de l'Institut royal de musique de Florence vient de
nommer MUc Augusta Holmes membre correspondant de cette compagnie.
On se rappelle le très grand succès qu'a obtenu récemment à Florence
l'Hymne à la paix de MUe Holmes.
— On parle, à Milan, d'un nouveau théâtre qu'on aurait le projet d'élever
dans un quartier très populeux, rue Giuseppe Giusti, entre la porte Volta
et la porte Tenaglia.
— Au théâtre Garignan, de Turin, on compte donner, pendant la pro-
chaine saison d'automne, un opéra nouveau de M. Serravalli, Andréa del
Sarto, qui serait chanté par M™ Busi, le ténor Guttica, le baryton Spara-
pani et la basse Serbolini.
— Une plaque commémorative vient d'être apposée à Wùrzbourg sur la
façade de la maison de l'Humbertgasse où "Wagner a résidé pendant
l'année 1833.
— Le Journal de Dresde vient de publier une étude assez curieuse sur le
séjour de Wagner à Paris, à l'époque de la production du Tannhàuser à
l'Opéra, d'après des communications fournies par un des intimes du
maître, le peintre Ernest B. Kietz, connu par son célèbre portrait d'Henri
Heine. Tous les incidents qui ont marqué les trois légendaires représen-
tations de Tannhàuser à Paris, ainsi que les intrigues de cour qui les ont
précédées, ont été si souvent relatés en ces derniers temps, que nous
croyons superflu d'y revenir. Nous ne retiendrons de cette partie du récit
de M. Kietz, que cette affirmation que les représentations en question
ont été suspendues par ordre, ce qui est en contradiction avec les propres
déclarations de Wagner, prétendant que c'est sur sa demande formelle
que la pièce a été retirée. ■ — Très amusant, ce que raconte M. Kietz du
perroquet du Wagner. Le maître le surnommait «l'esprit de monfoyer». Du
matin au soir, cette intéressante bête criait à tout venant, en scandant ses
mots : « Wagner - est - un - grand - homme ! » C'est le maître lui-même
qui, dans un accès d'ironie, avait enseigné ces vaniteuses paroles à son
c esprit ». Quand éclata l'insurrection de mai, à Dresde, et que Wagner
dut s'enfuir et quitter précipitamment sa femme, ses amis, et... son perro-
quet, ce dernier scandalisa tous les familiers de la maison en clamant sur
un ton vengeur : Richard-Liberté !
— L'Opéra de Vienne vient d'accepter un opéra-comique sans dialogue,
de Johann Strauss, livret de M. Doczi, intitulé le Chevalier Pazman. Ce
nouvel opéra, conçu dans un ordre d'idées très élevé, sera représenté pour
la première fois le 19 novembre prochain, à l'occasion de la fête de l'im-
pératrice d'Autriche.
— On assure que la direction de l'Opéra impérial de Vienne songe à
faire traduire en allemand et à offrir à son public l'opéra fortuné de
M. Pietro Mascagni, Cavalleria ruslicana.
— Deux pièces religieuses de Schubert, découvertes tout dernièrement,
ont été entendues, pour la première fois, au récent festival de musique
d'Eisenach. Ces compositions datent de 1828, l'année de la mort du maître:
ce sont un Tantum errjo et un Offertoire, tous deux pour chœurs et or-
chestre.
— M'"e Emma Nevada, qui vient de terminer une grande tournée en
Espagne, est allé prendre quelque repos à Ems. M. Strakosch, son impré-
sario, qui vient de rentrer à Paris, nous dit que les succès artistiques et
financiers ont été absolument merveilleux. L'enthousiasme des Andalous
n'a pas eu de limites : fleurs, ovations, sérénades, tout a été prodigué.
La diva a interprété, avec son immense talent, le Barbier, la Somnambule,
Lakmé, Faust et la Traviata, et, à chaque représentation, la salle était
archi-comblc. Dans Lakmé, qui a été son grand triomphe et qu'elle a
chanté à Séville, Malaga, Cordoue, Grenade et Gibraltar, on lui a chaque
fois bissé le « Pourquoi ? », et trissé 1' « air des Clochettes » ainsi que
le grand duo du premier acte dans lequel le ténor Del Pepa lui donnait
supérieurement la réplique.
— Voici le tableau de la troupe de MM. Stoumon et Calabresi, pour la
prochaine saison du théâtre de la Monnaie de Bruxelles : chanteuses,
M™5 de Nuovina, Sanderson, Nardi, Paulin-Archainbaud, Carrère et Wolff ;
ténors, MM. Lafarge, Dupeyron, Delmas et Froment ; barytons, MM. Bouvet
et Badiali ; basses, MM. Vérin, Sentein et Chapuis. La réouverture se fera
par Faust, et quelques autres reprises permettront d'attendre l'apparition
du Siegfried de Richard Wagner, avec la version française de M. Victor
Wilder.
— On lit dans l'Éventail, de Bruxelles : « Anvers aura bientôt une scène
néerlandaise d'opéra. Le comité a arrêté déjà une liste de vingt-cinq
œuvres qui seront représentées au nouvel opéra flamand, et parmi les-
quelles nous citons: Charlotte Corday, de P.Benoit; la Pacification de Gand,
du même; Gunlaughi, du même: Karel van Gelder, de Gittens et Benoit;
Philippine de Flandre, de D. Delcroix et L. Van Gheluwe ; Parisina, de Git-
tens et Keurvels ; Stella, de N. de Thière et H. Waelput ; la Fille de Palma,
de Gittens et Keurvels. On interprétera également Préciosa, de Weber,
Struensee, de Meyerbeer, et Peer Gynt de Grieg. » — Les choses ne parais-
sent pas aussi avancées que le dit notre confrère.
— Nouvelles de Londres. — La question brûlante de Covent-Garden n'est
pas encore résolue. Les propriétaires de l'immeuble désirent toujours en
disposer, mais malgré la modicité relative du prix demandé, ni M. Au-
guste Harris, ni la compagnie Cari Rosa dont il relève, n'ont voulu s'en
rendre acquéreurs. On espère qu'une nouvelle combinaison permettra la
conservation de Covent-Garden comme première scène lyrique. Mais dans
ce cas allé échapperait probablement à M. Harris, ce qui nous vaudrait
deux saisons d'opéra rivales. Les amateurs verraient avec plaisir la fin du
monopole actuel. En attendant, M. Lago vient d'organiser une saison d'au-
tomne à ce même théâtre, qui commencera le 18 octobre. Le genre sera
presque exclusivement italien et les prix seront considérablement réduits.
On attribue à M. Lago l'intention de monter YOtello de Verdi ainsi que
son Simon Boccannegra, et de reprendre il Matrimonio segreto, Anna Bolena,
Oberon et Tannhàuser. Avec une troupe d'ensemble, la saison serait des plus
intéressantes. — Deux nouvelles opérettes françaises viennent d'entrer
en répétition à Londres : le Capitaine Thérèse, de Planquette, au Prince
of Wales, ei la Cigale et la Fourmi, d'Audran, au Lyric. A. G, N.
— On exécute en ce moment, à Londres, d'importants travaux d'agran-
dissement au Royal Collège of music, dont les locaux sont devenus insuffi-
sants pour le nombre toujours croissant de ses élèves. Ce qui n'empêche
pas la Royal Academy d'en compter pour sa part environ un millier, et le
Guildhall d'en avoir plus de 2,000. Assurément, si l'Angleterre ne devient
pas une nation musicale, ce n'est pas faute d'encouragements.
— L'exposition d'Edimbourg vient de s'enrichir d'une section musicale
fort importante et remplie d'intérêt. La Collection historique de musique, —
c'est ainsi que cette section a été dénommée, est divisée en trois groupes :
1° instruments ; i" livres et manuscrits ; 3° portraits. Dans le. deuxième
groupe on remarque une très curieuse collection de psautiers écos-
sais, anglais et flamands du XVI0 et du XVIIe siècle. Parmi les manus-
crits se trouve une partition autographe du Messie, accompagnée de notes
au crayon, noms de chanteurs, observations, etc., de la main même de
Hiendel. A citer encore un amusant autographe de Franz Liszt, adressé à
M. Lichtenstein et protestant énergiquement u contre les albums, les col-
lections d'autographes et tout ce qui y ressemble », puis une foule de let-
tres, pour la plupart fort intéressantes, signées des noms de Beethoven,
Spohr, Mendelssohn, Sterndale Bennett, Tausig, Wagner, Berlioz, etc.
— Suite du mouvement en faveur de l'adoption de la langue française
pour l'opéra, dans les théâtres étrangers. L'exposition universelle qui
. doit avoir lieu à Chicago en 1893 comprendra, dit-on, un théâtre d'opéra
modèle, où seront représentés, en français, les chefs-d'œuvre lyriques de
tous les pays. Le projet a été soumis a la Ville, qui l'a adopté en prin-
cipe, à la condition que tous les artistes de l'orchestre soient Américains.
— Diantre! les journaux argentins paraissent avoir une égale propension
à l'enthousiasme et au mépris, et ils joignent le culte de la beauté à celui
d'une austère morale. Un journal de Buenos-Ayres, parlant d'une troupe
lyrique qui se trouve en cette ville, assure que la partie féminine forme
une réunion superbe de Junons et de Vénus, mais que par malheur il ne
s'y trouve que de rares Lucrèces pour beaucoup de Messalines !!! Le rédac-
teur y a donc regardé de bien près?
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Le ministre des beaux-arts et la direction de l'Opéra sont, dit-on,
sur le point de s'entendre. MM. Ritt et Gailhard abandonneraient une
somme assez importante pour la réfection des décors, et, en échange, ils
obtiendraient une légère concession dont il n'est pas temps encore de
parler. « Parler de concession, même très légère, de l'Etat à MM. Ritt
et Gailhard, ne nous semble pas très sérieux », dit à ce sujet un de nos
confrères. Quoi qu'il en soit, il paraît que nous n'aurons pas de sitôt le
Mage do M. Massenet, notre Académie spéciale de musique manquant
pour le moment du contralto nécessaire à l'exécution, de cet ouvrage. A
défaut de Mm' Renée Richard, dont les exigences étaient telles à l'Opéra
LE MÉNESTREL
263
qu'elle a signe un engagement à l'Éden avec M. Verdhurt, M. Massenet
ne pourrait-il confier la partie de contralto à un premier violon? MM. Ritt
et Gailhard trouveraient ce moyen plus économique. Il parait toutefois
qu'en attendant le Mage, nous aurons décidément une reprise de Sigurd,
avec Mlue Caron, après quoi l'on veut bien nous promettre Salammbô,
dont la distribution serait la suivante :
Salammbô 11"° Rose Caron.
Matho MM. Duc
Amilcar Lassalle
Le grand-prêtre de Tanit Vergnet
Nar Havas Delmas
Spendius Melchissédec
Seulement, voilà un ennui. On assure aujourd'hui que la Société des
auteurs est absolument décidée à ne pas compter Salammbô comme ou-
vrage nouveau à l'actif de la direction de l'Opéra. Il faudrait donc en
monter un autre dans le courant de l'année. Si M. Ritt avait pu prévoir
ça, il ne se serait certainement pas tant avancé. Qu'allait-il faire —
dans cette galère — avec Reyer.
— MUe Bréval ne débutera pas à l'Opéra avant deux mois. Son début
doit avoir lieu dans la Juive, et MM. Ritt et Gailhard veulent donner à
leur nouvelle pensionnaire tout le temps d'étudier son rôle à loisir.
Mllc Bréval chantera ensuite Valentine des Huguenots.
— L'Opéra-Comique, toujours d'une activité fébrile, fait annoncer déjà
que sa réouverture se fera le 1er septembre, avec Mireille, « le grand succès
de la saison dernière ».
— La Marcliande de sourires, de Mme Judith Gauthier, qui eut un si grand
succès de mise en scène à l'Odéon, va, paraît-il, être transformée en
drame lyrique pour l'Opéra-Gomique. C'est M. André Wormser, l'heureux
auteur de l'Enfant prodigue, qui sera chargé de la mettre en musique.
— S'il en faut croire les bruits qui courent, les engagements continue-
raient ferme à l'Éden de M. Verdhurt. On en signale encore cette semaine
quelques-uns, entre autres celui de Mme Herbert, femme de l'ancien artiste
de l'Opéra-Comique. Néanmoins, la distribution de Samsonet Dalila est loin
d'être arrêtée encore, et on ne signale que M. Engel comme chargé défi-
nitivement du rôle de Samson. Le Rêve, l'opéra de MM. Zola, Gallet et
Bruneau, dont nous avons annoncé la réception, est divisé en quatre actes
et huit tableaux, dont voici les titres: 1. La maison des brodeurs; — 2.
La lessive ; — 3. La mère d'Angélique ; — 4. La procession de la Fête-
Dieu ; — 5. La chambre d'Angélique ; — 6. La cathédrale ; — 7. L'extrême-
onction ; — 8. L'apothéose.
— M. Camille Saint-Saëns, qui était allé passer quelques semaines à
Dieppe, est de retour depuis plusieurs jours, et s'est installé aussitôt à
Saint-Germain, où il travaille, parait-il, non à un nouvel opéra, non à
une histoire de la musique, comme on l'a dit, mais... à un volume de
vers, qu'il compterait publier prochainement.
— A la série des dons et legs faits en faveur de divers lauréats des
concours du Conservatoire, que nous avons mentionnée dans notre der-
nier numéro, il faut joindre les archets offerts par M. Charles Peccatte à
tous les premiers prix de violon et de violoncelle, savoir : MUo Schytte,
M. Kosman, M110 Huon, st MM. Schidenhelm et Barraine.
— Une nouvelle sujette à caution, qui nous est fournie par les jour-
naux italiens. Selon nos confrères, le jeune maestro Spiro Samara aurait
reçu commission d'un éditeur de Paris pour écrire un opéra dont le sujet
serait tiré d'un épisode de la Révolution française, ledit opéra devant être
représenté sur un de nos théâtres. Ceci, chers confrères, est trop en dehors
de nos usages et de nos coutumes artistiques pour que nous y puissions
croire un seul instant.
— Nous apprenons avec plaisir que M. Masson, membre de la Société
des concerts du Conservatoire et professeur de chant, vient d'être nommé
officier de l'Instruction publique.
— M. Auguste Tolbecque vient de publier sous ce litre modeste :
Quelques considérations sur la lutherie (Paris, Gand-Bernardel, in-8° de 49 pp.),
un opuscule fort intéressant et qui en dit plus qu'iln'est gros. M. Tol-
becque, qui fut en son temps l'un des plus brillants premiers prix de
violoncelle du Conservatoire, et qui depuis ses plus jeunes années n'a
cessé de s'occuper, avec une ardeur passionnée, des questions de facture
et de lutherie, est plus qualifié qu'aucun autre pour les rendre familières
au public. Il connaît du moins ce dont il parle, et il ne parle qu'à bon
escient. Il s'élève tout d'abord, dans sa brochure, contre la manie sotte
de certains amateurs, et même de certains artistes, de juger un instru-
ment non sur sa valeur sonore, mais d'après son aspect extérieur, ce qui
a amené certains luthiers (pourquoi ne pas nommer Vuillaume, et M. Jac-
quot, et quelques autres?) à se jeter dans une imitation maladroite des
vieux instruments au lieu de faire franchement du moderne avec les
dualités modernes. M. Tolbecque déplore ensuite, fort justement, l'excès
de sonorilé donne: au piano, avec lequel, dans la musique d'ensemble, ne
peuvent lutter les instruments à cordes, qui sont étouffés sous les efforts
de leur ambitieux rival. Il donne enfin d'excellents conseils sur la mar-
' lu i suivre dans les réparations des violons et violoncelles, réparations
dont 1rs suites peuvent être si dangereuses lorsqu'elles sont confiées à
un luthier inhabile ou inattentif. Où je ne suis plus de son avis, c'est
lorsqu'il voudrait voir la résurrection de l'ancien ténor et sa substitution
au second violon dans le quatuor à cordes; mais où je partage complè-
tement ses vues, c'est lorsqu'il préconise l'emploi, absolument logique et
rationnel, de la contrebasse en ut, à quatre cordes en quintes. En résumé,
et à part la réserve que j'ai faite, la brochure de M. Tolbecque est excel-
lente, et on voudrait la voir entre les mains de tous les artistes et de
tous les luthiers. — A. P.
— M. Clément Loret, organiste à Saint-Louis-d'Antin et professeur
d'orgue à l'École de musique classique, a publié dans la Revue archéologique
un article plein d'intérêt dont il vient de faire un tiré à part sous ce
titre : Recherches sur l'orgue hydraulique (Paris, Ernest Leroux, in-8° de
31 pp.). Après avoir constaté que l'invention de l'orgue hydraulique est
attribuée par Athénée et Vitruve à un barbier d'Alexandrie nommé Ctési-
bius, contemporain d'Héron, M. Loret étudie le mécanisme de cet instru-
ment, il explique, en les interprétant et en en démontrant l'exactitude, long-
temps contestée, les passages de Héron et de Vitruve qui y sont relatifs;
enfin, il en donne une description complète et détaillée, appuyée par des
dessins fort utiles, et il montre de quelle façon on pouvait le jouer et le
parti qu'on en pouvait tirer. Nous ne saurions entrer ici dans des détails
techniques qui exigeraient trop de développements, mais ce que nous
pouvons affirmer, c'est que cette reconstitution d'un instrument aujour-
d'hui oublié est fort intéressante, en même temps que très utile au point
de vue historique. M. Loret constate d'ailleurs que l'orgue hydraulique
resta en usage jusqu'au douzième siècle, bien qu'alors l'orgue à soufflets
existât depuis longtemps, puisque saint Augustin en fait mention dès le
quatrième siècle, ainsi que Cassiodore. A. P.
— On a représenté cette semaine, aux Menus-Plaisirs, une opérette en
un acte et à deux personnages, paroles de M. L. Reab, musique de
M. Hervé. Titre: les Bagatelles de la porte; interprètes: M. "Worms et
M-8 Stelly.
— Un orgue muni d'un clavier à touches expressives. Tel est l'ins-
trument que M. Barthélemi Laurent, l'inventeur breveté, exposera le
18 courant et jours suivants, dans les salons de la maison Alexandre et
fils, 106, rue de Richelieu. Ceux de nos lecteurs que pareille matière
intéresse, ne manqueront pas d'aller se rendre compte de la valeur de
cette nouvelle invention.
— La direction des théâtres municipaux de Nantes parait décidée à
monter cet hiver, à la salle Graslin, le Lohengrin de Richard Wagner.
Les choses se présentant d'une façon normale, avec une direction qui
n'affiche pas la prétention de violenter le public, nous espérons bien
que ce bel ouvrage sera accueilli tout au moins avec le respect qui lui
est du.
— On lit dans la Semaine musicale, de Lille : « Dans sa réunion générale
de dimanche dernier, l'Association des Concerts populaires de Lille a
choisi, à l'unanimité, M. Paul Viardot comme directeur, en remplacement
de M. Paul Martin. Très remarquable violoniste, M. Viardot s'est déjà fait
entendre à Lille, dans des concerts, et sa réputation de virtuose est établie
partout. C'est là un excellent choix, qui ne peut manquer de donner une
activité nouvelle à notre Société des Concerts populaires. »
— En 183o, raconte la Neue Musikzeitung, Liszt entreprit une tournée dans
la province française. Il s'arrête dans la petite ville de... pour y donner
le concert annoncé. Mais les habitants ne s'intéressaient que médiocre-
ment aux choses de l'art, et lorsque le maître parut sur l'estrade, il se
trouvait dans la salle tout juste sept auditeurs. Liszt s'avança très calme,
et, s'inclinant profondément devant la masse des banquettes vides, il
prononça ce petit speech : « Mesdames et Messieurs, je suis extrêmement
flatté de pouvoir vous saluer ici; mais cette salle n'est pas assez belle, on
y étouffe littéralement. Voulez-vous avoir la bonté de me suivre à mou
hôtel, où je vais faire transporter le piano'.' Nous y serons là tout à fait
entre nour, et j'exécuterai mon programme en entier ». La proposition
fut acceptée à l'unanimité, et Liszt régala ses invités non seulement d'un
concert divin, mais encore d'un excellent souper. Le lendemain, lorsque
l'illustre virtuose parut pour son deuxième concert, la salle était trop
petite pour contenir la foule des dilettantes.
— A l'occasion do l'inauguration de la statue de Gay-Lussac qui vient
d'avoir lieu à Limoges, on a exécuté, avec le concours des sociétés orphéo-
niques et des élèves des écoles primaires, une cantate dont la musique a
été écrite par M. Charreire, maître de chapelle de la cathédrale. Un autre
compositeur, M. Ruben, a reçu, pour la même circonstance, les palmes
académiques.
NÉCROLOGIE
Le fils du grand chanteur Darder, M. Alcide Lemaire, est mort il y
a huit jours, après quelques heures de maladie, en son domicile, 91, rue
de Lacondamine. Alcide Lemaire, qui disait et chantait les œuvres de
son père avec un art infini, avait publié, il y a six ans, un recueil de
poésies sous ce titre : Gavroche poète, recueil qui se fit remarquer par le
sentiment délicat de son inspiration. Il laisse un grand nombre de ma-
nuscrits, que les difficultés de la vie l'avaient empêché d'éditer. Il était
âgé de 39 ans.
Henri Heugel. directeur-géianl.
264
LE MÉNESTREL
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AMBROISE THOMAS
MIG-ITOIT
Opéra- comique en 3 actes.
Partition piano et chant, française net. 20 >
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_ _ — allemande net. 20 i
— — anglaise net. \5 >
— pour chant seul, française net. 4 >
— piano solo (à 2 mains) net. 10 >
— — simplifiée net. 10 >
_ —(ai mains) net. 20 >
Arrangements divers pour pia
HAMLET
Opéra en S actes.
Partition piano et chant, française net.
— — — française, version de ténor . . . net.
— — — italienne net.
— — — allemande net.
— pour chant seul, française net.
— piano solo (à 2 mains net.
— — (à 4 mains) net.
Le Ballet (Fête du printemps) extrait net.
no et autres instruments.
FRANÇOISE IDE RIMIUI
Opéra en 4 actes avec prologue et épilogue.
Partition piano et chant net. 20 » I Partition pour chant seul net. i
— — italienne net. 20 » | — solo (à 2 mains), in-8" net. 12
Arrangements divers pour piano et autres instruments.
PSYCHÉ
Opéra en 4 actes.
Partition piano et chant net. 20
— piano solo (à 2 mains) net. 12
En préparation : Partition italienne net. »
LE OAID
Opéra bouffe en 2 actes.
Partition chant et piano, in-8° net. 15
— pour chant seul net. 4
— pour piano solo net. 10
Arrangements diver
pour piano et autres instruments.
10
LE SONGE L'TTZlnTE USTTTIT L'ETE
Opéra en 3 actes.
Partition piano et chant net. 20 » | Partition pour chant seul .... net. 4 » | Partition pour piano solo ....
Arrangements divers pour piano et autres instruments.
RAYMOND I LA TONELLI
Opéra-comique en à actes. i Opéra bouffe en 2 actes.
Partition piano et chant net. 15 » I Partition piano et chant nef. 12
Arrangements divers pour piano et autres instruments.
L.A. TEMPETE
Ballet fantastique en 3 actes.
Partition piano net 10 »
divers pour piano et autres instruments.
LE PA.NIEK FLEURI
Opéra-comique en 1 acte.
Partition piano et chant net. 8 »
Arrangements divers pour piano et autres instruments.
MÉLODIES DIVERSES
LE SOIB I» -A. S S I F DL. O R. E G R.O Y A *X CE FLEUR X> E NEIGE, ETC.
COMPOSITION POUR PIANO
JL.A. DÉROBÉE, Fantaisie sur air breton.
LEO DELIBES
SYLVIA
en 3 actes.
OOPPELIA I
Ballet en 3 actes.
Partition piano solo (à 2 mains) net. 10 » Partition piano solo (à 2 mains) net. 10
— — (à 4 mains) net. 20 » | — — (à 4 mains) ■ . net. 15
PIÈGES DÉTACHÉES
Arrangements divers pour piano et autres instruments.
SUITES D'ORCHESTRE
: JEAE" LE InIVELLE
Opéra en 3 actes.
Partition piano et chant, française, net. 20 » | Partition piano et chant, italienne, net. 20 » | Partition piano solo (à 2 mains), net. 12
Arrangements divers pc
L^ILIVCIÉ
Opéra en 3 actes.
Partition piano et chant, française ne,
— — italienne ne,
— — allemande ne
— piano solo (à 2 mains!
— — (à 4 mains)
divers pot
piano et autres instruments.
L^ SOURCE
Ballet en 3 actes.
Partition piano solo (à 2 mains) net.
Suite concertante à 4 mains
PIÈCES DÉTACHÉES
1. Danse Circassienne. — 2. Mazurka. — 3. Romance.
Suite d'Orchestre.
piano et autres instrt
LIT
Partition piano et chant
LE IR O I L'^
Opéra-comique en 3 actes.
net. 15 » | Partition piano solo (à 2 mains)
Arrangements divers pour p
LE ROI S'AMUSE
Musique de scène pour le drame de V. Hugo.
Partition piano solo (à 2 mains) net. 4
— (à 4 mains) ■ 10
PIECES DETACHEES
Arrangements divers pour piano et autres instruments.
Suite d'Orchestre.
MÉLODIES DIVERSES
Sérénade de Ruy-Blas. — Sérénade à Ninon. — Chanson de Barberine. — Vieille chanson. — Épithalame
Chrysanthème. — A ma Mignonne, etc.
COMPOSITIONS POUR PIANO
Souvenir lointain. — Romance hongroise sans paroles. — Rigaudon.
no et autres instruments.
LE PAS LES FLEURS
Valse intercalée dans le ballet.
LIE OOSSAIEE
Transcrite par l'Auteur pour piano à 2 et à 4 mains.
Orchestrée par l'Auteur.
Chanson hongroise.
li. 20,
3099 — 56ae ANNEE — N° 34.
Dimanche M Août 1890.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, % bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Noies d'un librettiste: Eugène Gautier (15e article), Louis Gallet. — II. Semaine
théâtrale : Wagnériens, wagnérisme et littérature wagnérisante, Arthur Pougin.
— III. Berlioz, son génie, sa technique, son caractère, à propos d'un manus-
crit autographe i'Harold en Italie (3" article), A. Montauï. — IV. Nouvelles
diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
SI TU VEUX !
nouvelle mélodie de Victor Staub, poésie de G. Guérin. — Suivra immé-
diatement : Hymne aux astres, nouvelle mélodie de J. Faore, poésie de
Frédéric Bataille.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano : Dolce far mente, de André Wormser. — Suivra immédiatement :
Verglas-Galop, de Franz Hitz.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
EUGENE GAUTIER
La Clé d'or m'occupa durant les derniers mois de 1869 et le
commencement de 1870. Il s'agissait alors seulement de donner
au scénario sa forme définitive. Pour corser l'ouvrage, le com-
positeur avait imaginé une sorte de prologue se passant en
Afrique et servant d'entrée en matière brillante à cette co-
médie intime, d'une note si discrète. Cela ne me séduisait
guère. Octave Feuillet en fit d'ailleurs aussitôt justice, en
appuyant son opinion d'un mot qui charma Gautier et le
consola vite de la perte de ce tableau :
. — Ce serait une paillette sur un habit noir!
Ce fut ainsi que l'on se contenta d'une action telle qu'elle
découlait naturellement de la source première.
Lu à de Leuven et à du Locle, ce scénario ne rencontra
point d'objection; mais le choix du compositeur devint, à partir
de ce jour, un sujet de malignes escarmouches entre les
deux directeurs. Quand de Leuven, de son air grave de gent-
leman, prononçait le titre de la Clé d'Or et le nom d'Eugène
Gautier, du Locle se laissait choir de son siège, en apparence
évanoui, foudroyé. Il tenait Gautier pour un homme d'esprit,
pour un journaliste, point pour un musicien. En manière
d'argument contre son associé, il se faisait apporter par le
vieux Victor, régisseur de la scène, le répertoire du théâtre.
— Victor, combien la Bacchante de M. Eugène Gautier a-
t-elle eu de représentations?
Et Victor, d'un doigt tremblant, montrait sur le livre le
nombre infime des représentations de la Bacchante, morte à
peine née sur la scène de l'Opéra-Comique.
— Vous voyez, continuait Du Locle. Et il s'en allait, lais-
sant de Leuven abasourdi, n'osant plus parler de cette mal-
heureuse Clé d'or et de son musicien, pour un temps du
moins; car, grâce à l'obstination de Gautier, quelques se-
maines après la campagne recommençait.
La guerre de 1870 vint couper court à ces discordes in-
times. Les événements se précipitaient. Au mois de juillet,
l'Opéra-Comique représentait un petit ouvrage d'Ernest Gui-
raud, le Kobold, que j'avais, en compagnie de Charles Nuitter,
improvisé pour utiliser les services d'une jeune et charmante
danseuse, M"e Trevisan, engagée pour créer un important
rôle de mime dans le Timbre d'argent, de Camille Saint-Saëns,
provisoirement mis à l'écart. Pendant les répétitions et les
représentations, la foule grondait autour du théâtre; on
criait : « A Berlin ! » dans la salle et dans la rue. Gautier
intervenait un instant pour me dire tout le bien qu'il pen-
sait de ce petit ouvrage, ma première œuvre représentée,
pour en publier une appréciation encourageante. Puis, le
4 Septembre arrivait. Tout Paris s'écoulait comme un torrent
le long des boulevards. Mme Gueymard nous apparaissait,
debout dans une Victoria, chantant la Marseillaise ; dans une
autre voiture, on entendait Gailhard, comme elle artiste de
l'Opéra, crier : « Vive la République ! » de toute la force de ses
poumons d'acier. Toutes les questions d'art sombraient dans
cette grande tourmente. Les théâtres allaient fermer leurs
portes au public, ouvrir leurs foyers aux ambulances. Un
seul drame terrible allait se jouer, qui s'appelait l'Invasion.
Eugène Gautier disparut pour un temps, emporté loin de
moi par la violence du flot.
La chute de l'Empire lui avait été, je crois, fort pénible.
Il ne dissimula pas, dès la première heure, son affeclion
pour le régime disparu, son amertume, son scepticisme à
l'endroit du régime nouveau. Il se disait aristocrate, victime
née de la démocratie terroriste.
— Je suis, disait-il, un candidat perpétuel à la guillotine.
Comme en réalité il était de roture, il se réclamait volon-
tiers d'un Gautier qui aurait été, selon la chronique, ménes-
trel à la cour des ducs de Normandie. C'était toujours un
lien indirect avec l'antique noblesse française.
Tout cela était dit le plus plaisamment du monde; tout
266
LE MÉNESTREL
cela aussi ne l'empêchait pas de tenir à grand honneur de
faire correctement son devoir de patriote.
Quand je le revis, en ces jours troublés et tristes de l'au-
tomne et de l'hiver 1870, il m' apparut sous la forme du par-
fait garde national : képi, vareuse, ceinturon bridant un
ventre prépondérant, mais toujours rasé de frais, belliqueux
sans faste et avant tout artiste, ayant conservé au milieu des
gardes au rempart, des corvées aux boucheries, sa foi ro-
buste en l'avenir, son amour inaltérable de l'œuvre chère
par-dessus toute chose, et déjà vivante, immortelle, bien
que réellement n'existant pas encore. Tout passerait! Tout
reviendrait! Les empires pourraient tomber et aussi les ré-
publiques! La Clé d'or demeurerait!
Ce furent, pendant les dernières semaines si lentes du
siège, des conversations bien amusantes, des récits, des
projets ébauchés, achevés entre deux tours de garde, tandis
que grondait sur Paris le canon prussien, impuissant à faire
taire la voix enthousiaste de cet artiste pour qui les choses
de la musique l'emportaient sur toutes les angoisses de la pa-
trie, gouailleur toujours, leste d'allures comme un moineau
franc, se souciant moins des héros et des dieux que d'un
grain de chènevis ou pour mieux dire d'une note bien
piquée!
Consciencieusement, il faisait son service à son secteur ;
il y mettait même une évidente coquetterie de vieux garçon.
De là, quand il ne pouvait s'échapper, il m'écrivait ses im-
pressions toutes franches et vives.
Je donnerai, sans y rien atténuer, quelques extraits des
lettres d'Eugène Gautier. Il y a, par-ci par-là, des phrases
qui éclatent d'une gaité toute gauloise. Autrefois on les au-
rait arrangées, édulcorées, ponctuées.
A quoi bon! le grand maître de ce siècle n'a-t-il pas res-
titué à l'histoire le mot de Cambronne, et les naturalistes ne
nous ont-ils pas habitués à appeler les choses par leur
nom! Il faut prendre tels qu'ils viennent « les documents
humains. » Les lecteurs des journaux du matin en voient
aujourd'hui bien d'autres.
« Les mauvais temps, m'écrit-il dans l'hiver de 1870, des
gardes réitérées, des inquiétudes sur la santé de ma sœur
m'ont empêché d'aller vous voir.
» Si cela vous est possible, attendez-moi samedi ; à moins
de service militaire, je serai chez vous vers une heure et
demie. Ne me répondez pas, à moins de contre-ordre.
» J'ai passé samedi une triste nuit, tantôt au rempart dans
la neige, et le reste du temps dans une baraque ouverte à
tous les vents. J'ai rapporté à la maison un coryza, pre-
mière qualité, et un abrutissement presque complet, causé
par les raisonnements d'un charcutier, garde national et
philosophe, qui a bien voulu essayer de refaire mon éduca-
tion politique, à l'aide d'arguments dans lesquels on retrou-
vait des mots et des phrases tirées du Siècle et du Rappel,
comme l'on retrouve des pépins dans les digestions des gens
qui ont mangé du melon : je crois la comparaison juste. Ce
qui nuisait un peu à l'élégance de son langage, c'est qu'il
disait : J'ai zévu et Nous avons tété. C'est en songeant que cet
électeur disposait pour sa part de nos destinées que j'ai enfin
compris la beauté du système démocratique.
» Un autre, ne trouvant pas sans doute qu'il entrait assez
de vents par les ais mal joints, produisait de temps en
temps derrière lui des explosions subites qu'il accompagnait
de ce vœu patriotique: « Pour les Prussiens! »
» Enfin, une nuit charmante!
» J'ai bien besoin de voir un homme bien élevé et de
causer avec un artiste intelligent. »
Tout s'était dispersé, évaporé définitivement. On avait
épuisé sur les théâtres tous les refrains patriotiques con-
formes à la situation, depuis les vers de Musset sur le Rhin
allemand jusqu'à ceux de Béranger : En avant, Gaulois et
Francs! mis en musique par Léo Delibes , puis le silence
s'était fait sur Paris, le silence et l'ombre le gaz sup-
primé, les rues désertes, les boulevards sans voitures, les
Halles vides.... C'était la ville affamée, bombardée.
De rares lettres continuaient à s'échanger entre nous. On
s'était souhaité, d'un cœur plus ardent que de. coutume, la
bonne année, — quelle bonne année, celle de 1871 ! — Et
Eugène Gautier, reléguant cette fois au second plan, sa chère
Clé d'or, m'entretenait de ses préoccupations présentes :
« Cher ami, merci de vos bons souhaits que je vous re-
tourne; cette année sera meilleure pour nous, n'en doutez
pas — mais nous sommes rudement éprouvés ; — j'espère que
votre famille et vous serez préservés de cette tempête infer-
nale. Les Lauriers préservent de la foudre.
» Nous sommes dans la plus grande inquiétude : nous
avons, rue du Cherche-Midi et dans tout le faubourg Saint-
Germain, des amis intimes dont nous sommes sans nouvelles
depuis trois jours, et nous savons que deux obus sont tombés
sur une maison qu'ils habitent ! De plus, grâce aux bons soins
de la municipalité du IXe arrondissement, nous mourons
presque de faim ! Et le ministre m'a mis sur le dos, en plus
de mon cours de composition, le cours de chant, que la
maladie d'un de nos rares collègues demeurés à Paris laisse
sans direction ! Mon temps et mon bois s'épuisent; il m'est
impossible en ce moment de décrocher ma lyre; il me sem-
ble, au milieu de ces privations et de ces douleurs, que la
musique s'est momentanément retirée de moi !
» On attaque demain Saint-Denis, dit-on, et nous sommes
de garde le 16 au bastion Saint-Ouen ! ! ! ! On nous entretient,
à l'exercice, de gardes coupés en deux au IXe secteur et de
têtes emportées au Xe. Cela vous monte l'imagination! —
Mais, sargent... ne craignez rien... j'obtempérerai bientôt à
votre invitation et je me mettrai, nonobstant, à notre joli
finale .
» Soignez votre chère famille et votre précieuse santé.
Plutôt que la mort de Tyrtée ou celle de Kœrner, préférons
toujours cette mort qu'Arlequin appelle la belle. — A vous
de cœur. »
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
WAGNÉRIENS, WAGNÉRISME ET LITTÉRATURE WAGNÉRISANTE
Voici, enfin, un Théâtre-Lyrique qui se fonde, le voici qui s'ins-
talle à l'Eden, avec un directeur qui ne paraît pas précisément
épouvanté de certaines audaces. Il semblerait que ce fût là une
bonne occasion à saisir pour nos ardents wagnériens. Je n'ai ce-
pendant pas entendu dire qu'aucun d'eux ait tenté encore aucune
démarche auprès de M. Verdhurt pour l'engager à offrir au public
parisien l'un ou l'autre des chefs-d'œuvre de leur idole. Ce serait
le cas pourtant, s'ils ont véritablement autant de confiance dans le
succès qu'ils le disent, ou plutôt qu'ils le crient chaque jour.
Il n'est peut-être pas sans intérêt de poser à nouveau cette ques-
tion de la représentation en France des œuvres de Wagner, car les
adorateurs du maître ne cessent d'en entretenir le public, et de
ressasser à ce sujet la même série de raisonnements et d'arguments
qu'ils nous servent depuis si longtemps et dont nos oreilles com-
mencent à être un peu rebattues. Justement trois écrits de genre
divers, mais à lui consacrés, ont paru récemment, dont il n'est pas
inutile de dire quelques mots. Ces trois écrits, dont les auteurs ont
fait preuve d'un incontestable talent, nous viennent d'ailleurs de
trois pays différents, bien que tous trois publiés en langue française.
L'un, Essais de critique musicale (1), a pour auteur notre fort distingué
confrère M. Louis de Romain, directeur d'un petit journal très vi-
vant et très agissant, Angers artiste; le second, « Parsifal, de Richard
Wagner, légende, drame, partition (2), » est l'œuvre d'un écrivain
belge, M. Maurice Kufferath, qui depuis longtemps s'est fait re-
(1) Paris, Lemerre, 1 vol. in-12.
(2) Paris, Fischbacher, 1 vol. in-8°.
LE MENESTREL
267
marquer dans la grande bataille wagnérienne ; le troisième enfin,
Wagner et Liszt d'après leur correspondance (1), est dû à un musico-
graphe suisse, M. William Cart, qui n'était connu jusqu'ici que par
un excellent petit livre sur Jean-SébastieQ Bach.
Le livre de M. de Romain, qui est très polémique et qui est loin
de manquer d'intérêt, n'est autre chose qu'un recueil des article3
écrits pour rendre compte des belles el si curieuses séances de
l'Association artistique d'Angers. M. Louis de Romain, qui, avec
M. Jules Bordier, est l'un des soutiens les plus fermes et l'une
des chevilles ouvrières de cette association, est en même temps un
wagnérien endurci. Je n'ai nulle envie de le lui reprocher, estimant
qu'on n'est pas le maître de ses opinions, et qu'on les subit par le
fait d'une tendance naturelle de l'esprit et de l'imagination. Je me
borne à constater le fait. On les subit parfois même un peu trop,
et M. de Romain nous le prouve lui-même, en imitant un peu
servilement les façons d'être de ses coreligionnaires musicaux. Avec
les formes très courtoises d'un homme bien élevé, il se montre très
dédaigneux, et même quelque peu méprisant pour tous ceux qui
ont le malheur de penser autrement que lui, et, s'il ne le dit pas,
il laisse entendre volontiers que ceux d'entre nous qui n'admirent
pas Wagner en tout, sur tout et partout, n'entendent rien à l'art et
sont incapables d'en comprendre les manifestations et les beautés.
Mais nous commençons à connaître cette façon de raisonner, et il
faut bien nous y faire.
Par malheur, M. de Romain ne s'en prend pas seulement à nous
autres, critiques, philosophes artistiques ou simples spectateurs. Il
veut agir aussi sur nos jeunes artistes, sur nos compositeurs, et il
leur donne les conseils les plus dissolvants, entre autres celui-ci :
« Que le jeune compositeur se défie des maîtres qui lui disent
d'écouter chanter en lui le génie de sa race. » On avait cru juste-
ment jusqu'ici que chaque race avait son sens propre de l'art, sa
visée personnelle en ce sens, et que c'était là précisément ce qui
consumait sa force, sa puissance et son originalité. Il semblait que
les Hollandais ne devaient pas peindre comme les Vénitiens, que les
sculpteurs de la Renaissance italienne ne travaillaient point comme
les statuaires de la Grèce antique, que les poètes français ne res-
semblaient pas à ceux de l'Allemagne, et que c'est, je le répète,
dans ces différences que se révélaient les qualités, la grandeur
artistique et le génie de chaque raee. Mais nous avons changé tout
cela. Jeunes musiciens français, oubliez ceux qui ont fait la gloire
de votre pays, méprisez-les, fuyez le souvenir pernicieux de Ra-
meau, de Monsigny, de Méhul, d'Herold et de tant d'autres, dont
l'influence ne pourrait être pour vous que débilitante et fatale. Un
seul artiste doit être étudié par vous ; c'est l'auteur des Nibelungen
et de Parsifal; fréquentez-le exclusivement, imitez-le, copiez-le, et
dites un adieu sincère et sans retour à cette France indigne de vous
donner un modèle. Là, est la gloire, là est l'honneur, là est le salul.
Ceci peut paraître d'autant plus singulier que Wagner, dont M. de
Romain se recommande, était d'un avis tout opposé. C'est lui qui.
dans le discours emphatique qu'il adressa aux spectateurs le jour
de l'inauguration du théâtre de Bayreuth, s'écria avec l'orgueil
qu'on lui connaît : Nous avons montré enfin que nous avons un art alle-
mand! Wagner croyait donc, lui, à ce génie des races, dont son
admirateur fait si bon marché. Et si l'art de Wagner est si profon-
dément allemand qu'il le disait, lui qui devait s'y connaître, ayant
travaillé dans ce but, pourquoi donc vouloir à toute force nous
l'imposer?
Au reste, M. de Romain a une manière, originale à mon sens, de
caractériser le génie musical français en le mettant en regard du
génie musical allemand ; parlant de Rameau, de Méhul et de Féli-
cien David, il les traite simplement de « mélodistes aimables et
faciles, qui semèrent l'esprit à pleines mains. » Si M. de Romain
n'a vu que cela chez ces trois artistes admirables, je suis bien
obligé de déclarer qu'il a la vue courte. Mais il faut bien toujours
réserver à Wagner la gloire d'avoir « inventé » le drame lyrique,
dont aucun musicien n'avait eu l'idée avant lui. Et ici le souvenir
de Rameau et de Méhul était gênant. Après cela, je ne suis pas bien
certain que M. de Romain — et je le dis sans aucune intention
blessante — connaisse intimement l'un et l'autre.
Quant à la défense de l'art wagnérien présentée par l'écrivain
dans quelques-uns des chapitres les plus importants de son livre:
Exielwjr, A chacun son dû, Pro/ios d'un indépendant, Musique el natio-
nalisme, elle ne sort pas des lieux communs auxquels nous sommes
(I) Ce travail fort important n'a encore été publié que dans le recueil
fort eatimé intitulé Bibliothèque universelle el Revue suisse, numéros de jan-
vier, février, mars et avril 1890.
depuis longtemps habitués sur ce sujet. Que ces lieux communs
soient relevés, comme ils le sont en effet, par une forme élégante
et châtiée, ils n'en restent pas moins ce qu'ils sont, et l'on ne
saurait s'y appesantir davantage.
Avec le Parsifal de M. Maurice Kufferalh, nous ne sortons pas,
bien entendu, de la plus pure admiration wagnérienne. Mais cette
fois le jeune écrivain belge s'est abstenu de toute espèce de polé-
mique. J'oserai dire que son livre y gagne. C'est un livre tran-
quille, bien construit, d'un style sobre et ferme, qui résume avec
une clarté lumineuse la genèse, l'histoire et l'analyse poétique et
musicale de cette dernière œuvre du maître de Bayreuth. L'auteur
nous fait connaître les origines internationales de la légende de
Parsifal, il nous met au courant de la manière dont Wagner s'est
emparé de ce sujet et l'a traité au point de vue scénique, et il
nous donne enfin une sorte de critique thématique de la partition,
qu'il analyse d'un bout à l'autre et dans tous ses détails. C'est là,
je le répète, un travail fort bien fait dans sa forme dithyrambique,
et qu'on ne peut consulter qu'avec fruit. Mais par sa nature même
il échappe un peu à l'analyse, et je ne puis que le recommander
en toute conscience à ceux qui ont vu comme à ceux qui n'ont
pas vu Parsifal. Il intéressera également les uns et les autres.
On a publié à Leipzig, en 1887, la correspondance de Liszt et
de Wagner, el l'année suivante les lettres de Wagner à trois de ses
amis, Uhlig, Fischer et Heine, attachés à des titres divers au
théâtre de Dresde. C'est cette correspondance, d'un intérêt capi-
tal (surtout celle avec Lizst), que M. William Cart a entrepris de
traduire en français et de résumer dans l'espace relativement court
de 116 pages in-octavo. C'était une besogne assurément difficile,
dont il s'est tiré tout à son honneur, sinon à l'honneur de Wagner,
et qu'il a accomplie avec autant de soin que de conscience et d'in-
telligence. Son récit est réellement captivant, et les réflexions dont
il accompagne les lettres ou fragments de lettres publiés par lui,
les analyses qu'il donne des autres, les jugements qu'il est amené
à porter sur Wagner, considéré comme homme ou comme artiste, l
dénotent un esprit singulièrement indépendant et élevé.
M. William Cart n'est point français, je ne crois même pas qu'il
appartienne à la Suisse française; de plus, on ne saurait lui repro-
cher d'être anti-wagnérien, car il ne cache pas son admiration
pour les éminentes qualités et le génie du maître; mais cette admi-
ration ne va point, comme chez nous, jusqu'au fétichisme, et elle
n'empêche pas l'écrivain de découvrir et de faire connaître les côtés
faibles — souvent très faibles — de l'ancien révolutionnaire saxon
devenu, par intérêt et par ambition, le plat courtisan du roi Louis
de Bavière (1).
Cette correspondance, il faut bien le dire, est tout à l'avantage
de Liszt, qui s'y montre animé d'une bonté vraiment évangélique,
affectueux, pitoyable, dévoué, généreux moralement et matérielle-
ment, toujours prêt aux sacrifices et aux bons offices, le cœur sur
la main, la bourse constamment ouverte, et sans cesse sur la brèche
au service de son ami. Elle est, au contraire, peu flatteuse pour Wag-
ner, qui s'y dévoile orgueilleux, hautain, exigeant, égoïste, toujours
mendiant, jamais satisfait, infatigable dans ses désirs el ses deman-
des continuelles, accusant la terre, le ciel et les hommes de ses
mésaventures, s'estimant beaucoup, méprisant les autres et ne
pensant jamais qu'à lui.
Je passerai sur le coté moral de l'homme, pourtant, pour m'en
tenir à l'artiste, et aux réflexions dont il est l'objet sous la plume
de M. Cart. Mais précisément je commencerai par constater l'immo-
ralité de l'artiste et de son œuvre, cette œuvre qui, selon quelques-
uns, doit si bien grandir et hausser les intelligences. On a déjà fait
remarquer sous ce rapport, dans l'œuvre du maître, l'amour inces-
tueux et pourtant si passionné de Siegmund et de Siegelinde, qui
savent parfaitement qu'ils sont frère el sœur ; puis la scène où
Brunehilde, victime d'une situation étrange, succombe à son propre
époux sous les traits d'un autre ; puis, la haine monstrueuse de
Siegfried pour son père nourricier. Tout cela est indigue, au seul
point de vue humain ; mais tout cela est souligné encore par la
musique. Ecoutons M. Cart, et comme il parle précisément de celte
scène de Siegmund et de Siegelinde :
(1) Puisque le nom du roi Louis est venu sous ma plume, je ne puis
m'empècher de faire cette remarque singulière : le roi Louis, protecteur
intrépide de Wagner, mort fou; Charles Baudelaire, l'un de ses premiers
el de ses plus farouches admirateurs en France, mort fou ; Frédéric
Nietzsche, l'un de ses plus fougueux apôtres en Suisse, mort fou; enfin,
Emile Scarria, l'un de ses interprètes les plus énergiques et les plus
convaincus, mort fou! C'est une fatalité.
268
LE MENESTREL
La musique, du commencement à la fin, n'est que la glorification de la
passion, de son ivresse, mais aussi de son néant. Tantôt elle éclate en
cris frénétiques, tantôt elle couve, langoureuse, mourante, et c'est sous
cette apparence mensongère de tendresse idéalisée qu'elle distille son ve-
nin le plus mortel... Wagner n'est pas embarrassé pour trouver une
expression musicale à cette démence : dissonances tour à tour criantes,
subtiles, morbides, rytbmes énervés, résolutions retardées et toujours inat-
tendues, toutes ces armes abondent dans l'arsenal de l'enchanteur. Ce
qu'on éprouve, quand on a subi cette musique, ce n'est plus de l'exci-
tation, ce n'est plus de l'agacement, c'est un trouble profond, une souf-
france aiguë ; on est déchiré entre deux obsessions, le dégoût de la vie et
l'exaspération des sens. On regrette d'être accessible au langage de la
musique, on rougit de ce qu'on s'est laissé dire et de ce qu'on a entendu.
On ne croit plus au bien et on doute de la possibilité du bonheur... Di-
sons-le franchement, Tristan est à nos yeux l'œuvre la plus malsaine, la
plus dangereusement immorale de l'art moderne. Elle est mille fois pire
qu'un mauvais roman, car la parole trouble et pervertit dans le sens pré-
cis les mots, la musique trouble et pervertit d'une façon plus générale : en
surexcitant les nerfs, elle fausse toutes les facultés à la fois... L'auteur
de Tristan a profané la musique, le langage de l'idéal.
Ailleurs, en parlant de l'impression produite par la musique de
Wagner, l'écrivain dit :
L'horizon de Wagner ne dépasse pas ses appétits mortels. Nous en
appelons ici à tous les musiciens : qui a jamais demandé à Bach, à
Beethoven, joie, courage ou consolation sans trouver ce qu'il y cherchait?
Wagner peut donner l'ivresse, il peut agir comme un narcotique, mais
qui aurait jamais reçu de lui une salutaire et heureuse impulsion ? Tou-
jours il parle de lui-même et pour lui-même. C'est ce qui fait sa force,
mais aussi sa faiblesse. Il s'impose, mais on respire de soulagement en
lui échappant. . .
Pour ce qui est de l'influence exercée sur l'art par "Wagner,
M. Gart en parle ainsi :
On peut, sans exagérer, dire que Wagner pèse aujourd'hui de tout son
poids sur la musique dramatique de tous les pays. L'Allemagne n'a, de-
puis longtemps, mis au jour que des œuvres non viables. En France la
production est considérable, étonnante; mais elle est sous le coup de la
puissance dissolvante du tyran d'outre-Rhin. Il a éteint les uns, asservi
les autres. Quelle terrible revanche il prend là pour la chute de Tann-
hàtiscr! La musique de théâtre, il faut bien le dire, est pour le moment
dans une impasse Si Wagner n'avait pas existé, la musique serait
incontestablement plus pauvre de bien des nuances, de bien des moyens
d'expression; niait elle se porterait mieux, et toute notre génération avec
elle.
M. Cart caractérise d'une façon originale la musique de Wagner:
Le cœur n'y trouve que rarement son compte, l'oreille pas toujours,
l'imagination bien souvent, l'intelligence presque toujours, les nerfs
toujours et sans exception.
Enfin, l'auteur fait une remarque qui ne sera pas du goût de
tous les adorateurs du dieu de Bayreulh :
Si j'étais wagnérien, dit-il, je n'éprouverais pas une bien vive satis-
faction en voyant qae le groupe le plus militant parmi les sectateurs du
« maître » est formé de tout ce qui,' des deux côtés de l'Océan, est hysté-
rique, décadent, détraqué, déséquilibré. Ce sont là des alliés dont on se
passe volontiers.
Voilà l'artiste dont quelques-uns ne cessent depuis vingt ans de
nous vanter les œuvres, de nous prôner le génie, de faire ressortir
à nos yeux la grandeur et la puissance. Hélas ! nous le connaissons
ce génie, nous éprouvons et nous sentons comme vous cette puis-
sance et cette grandeur, et c'est parce que tout cela nous semble
manifestement hostile à notre race et à notre propre génie, c'est
parce que ces qualités si étonnantes nous semblent renfermer un
élément morbide et pervers, parce que l'influence peut en être néfaste
et dépravante pour les nôtres, que nous n'avons cessé d'en com-
battre les effets dissolvants. J'ajoute que la lecture des lettres de
Wagner ne peut que confirmer cette opinion en faisant connaître
nettement ses volontés, en prouvant qu'il a agi sciemment, qu'il
n'a pas fait autre chose que ce qu'il voulait faire, et que cet homme
n'a mis ses admirables facultés artistiques qu'au service des pas-
sions les plus malsaines et les plus démoralisantes. Qu'on les lise,
ces lettres, qu'on les étudie, qu'on en savoure à loisir le suc em-
poisonné, et l'on siura à quoi s'en tenir. Et, si je veux parler au
seul point de vue musical, je dis que les œuvres de ce maître
sont en contradiction, en opposition flagrante avec notre tempérament
artistique, avec notre idéal, avec les principes qui n'ont cessé de
nous guider en matière d'art, et que jamais elles ne sauraient nous
convenir.
On me dira que je suis intolérant. A d'autres ! voilà vingt ans et
plus que je prouve le contraire, et ma carrière de critique est assez
longue déjà, surtout elle a été assez laborieuse pour qu'on puisse
s'en convaincre. Je ne crains pas le dieu Wagner, soyez-en per-
suadés; je n'y crois pas, voilà tout, je n'ai pas la foi. Ce n'est pas
ma faute. Et après tout j'ai bien le droit de penser autrement que
vous sans être taxé de folie, ou sans qu'on me fasse passer pour
un Aliboron. M'apportez-vous la preuve de la lumière? Ètes-vons
infaillibles? Tenez-vous en vos mains la vérité révélée, et à quel
signe la reconnaissez-vous? Si oui, vous devez me convaincre; si
non, permettez que j'entre avec vous en discussion — parlant, en
contradiction.
Je ne vous crois pas très nombreux, messieurs, et vous me faites
un peu l'effet d'un brillant état-major que ne suivrait aucun soldat.
Mais vous êtes remuants, incisifs, vous avez, passez-moi l'expres-
sion, un énorme toupet, votre verbe est éclatant et, dans votre petite
école, vous criez avec tant d'ensemble et d'énergie que vous finissez
par ameuter les passants et par leur faire lever le nez en l'air.
Mais, corne de bœuf! je ne demande pas mieux, pour ma part, que
le public, le vrai public, soit appelé à être juge du procès qui
nous divise, qu'il soit mis à même d'apprécier la valeur de la cause
que vous défendrz avec un talent qui pourrait être plus utilement
employé. Oui, j'en appelle au suffrage universel. Qu'on le joue,
votre Wagner, pour l'amour de Dieu ! qu'on nous le serve, qu'on
nous en sature ; mais surtout le vôtre, le vrai, celui qui n'est pas
au coin du quai. Qu'on nous donne, non pas Tannh'àuser, non pas
Lohengrin, vieilles défroques méprisées aujourd'hui de ceux qui ont
le culte véritable de l'idole, mais Siegfried, mais Tristan, mais Parsifal,
mais la note vraie, pure, sans tache, sans tare, et sans alliage. Nous
verrons bien l'effet produit sur le public. Si celui-ci acclame les œuvres,
tant mieux pour vous, et dans ce cas vous pouvez être certain que je
serai avec lui, car c'est qu'alors je me serai trompé, et je n'ai jamais
hésité à revenir d'une erreur. Mais si, par impossible (il faut tout
prévoir), s'il lui arrivait de bâiller tout d'abord et de faire le vide
après dix représentations, du moins vous n'auriez plus le droit de
vous plaindre, l'épreuve étant faite, vous n'auriez plus le droit de
crier à la persécution, vous qui depuis tant d'années, êtes les per-
sécuteurs, et votre patriotisme enfin serait satisfait puisque, pré-
tention étrange ! vous affirmez sérieusement que c'est par patriotisme
que vous voulez nous imposer Wagner, ses théories, ses erreurs,
et se3 œuvres. Pour ma part, et je le dis avec la plus absolue sin-
cérité, j'appelle ce moment de tous mes vœux. Car alors, ou nous
serons tous d'accord, ou nous en aurons fini avec la scie wagné-
rienne.
Vous avez d'ailleurs, je l'ai dit, une excellente occasion. Vous
avez le Théâtre-Lyrique de M. Verdhurt, vous avez même la fameuse
grande Société des Grandes Auditions Musicales, dont le comité
directeur est précisément composé de personnages à votre dévotion.
Adressez-vous à l'un ou à l'autre, à tous deux même à la fois,
chapitrez-les, convertissez-les, et les amenez à ce que vous désirez'.
Que si vous ne mêliez pas à profit les circonstances, si vous n'agis-
sez pas, si vous ne faites pas un mouvement, c'est que vous avez le
culte tiède, ou mieux : c'est que vous n'avez pas vous-mêmes con-
fiance en la bonté de votre cause, c'est que vous redoutez le juge-
ment de la foule plus que vous ne voulez le dire, c'est qu'enfin vous
n'êtes pas fâché de vous faire passer pour des victimes, alors que
vous n'êtes que de simples fumistes.
Arthur Pougin.
P.-S. — L'autre samedi l'on avait bien voulu me convier à une pre-
mière représentation qui se donnait au théâtre des Batignolles. Dans
cette petite salle où j'entrais pour la première fois, et où j'eus l'honneur
de me rencontrer avec mon très éminent confrère, M. Sarcey, j'ai fait la
connaissance d'un public tout spécial, convaincu et frémissant bien que
loustic et gouailleur, qui s'amuse pour son argent, et n'est point sans
amuser la très rare partie des spectateurs non habitués de l'endroit. J'y
ai, de plus, appris le nom d'un nouvel auteur dramatique qui ambitionne
la gloire des Bouchardy, des Dugué, des d'Ennery et autres grands sei-
gneurs du trémolo. Je m'en voudrais de décourager le dramaturge qui a J
perpétré Jeanne Dalbret, d'autant que c'est, parait-il, une toute jeune per-
sonne, M"" Marie Privât; mais, dans ce débul, son évidente bonne volonté
s'est laissé submerger par le flot par trop débordant des réminiscences,
des banalités courantes et des développements faciles. Attendons-la donc
à un autre essai plus personnel, et souhaitons-lui, pour cette prochaine
tentative, une troupe qui la défende mieux, dans son ensemble, que celle
du théâtre des Batignolles.
Paul-Emile Chevalier.
LE MENESTREL
269
BERLIOZ
SON GÉNIE, SA TECHNIQUE, SON CARACTÈRE,
A propos d'un manuscrit autographe d'HABOLD EX ITALIE
IV
(Suite)
Voici maintenant une relouche extrêmement intéressante qui
nous révélera encore d'autres aspecls de la personnalité si complexe
du mailre.
Entre la lettre F et la lettre G, Berlioz a complètement refait la
partie d'alto solo.
Il l'avait d'abord écrite comme suit :
Le texte est fortement bàtonné à l'encre, et tout au bas de sa
partition, sur les portées demeurées libres, Berlioz a noté, comme
un projet, au crayon et en clef de fa, le trait que voici, qui est, à
peu de chose près, le trait actuel :
Il est évident que Berlioz, mécontent du dessin primitif confié
a l'alto solo, a cherché autre chose, en se préoccupant seulement
de la ligue musicale, de la pureté harmonique, et en négligeant
son application instrumentale. Mais n'est-il pas bizarre qu'il ait
poursuivi son esquisse en clef de fa, comme s'il l'entendait menta-
lement mieux ainsi? Ce procédé de travail eût été moins surpre-
nant chez un maître habitué à la pratique quotidienne d'un instru-
ment, et porté, par suite, à comparer les sonorités cherchées à celles
qu'il rencontre sans cesse sous ses doigts, parce qu'il les sent
plus nettement avec la notation sous laquelle il a coutume de les
percevoir. On serait peu surpris, par exemple, de rencontrer une
esquisse de ce genre dans un manuscrit de Schumann, qui, on le
sait, composait toujours au piano; et moins encore, dans le manus-
crit d'un maltie qui aurait joué du violoncelle. Mais, chez Berlioz,
qui ne jouait guère que de la guitare, toujours écrite en clef de sol,
l'usage d'un tel moyen d'essai est pour dérouter l'observateur.
Quoi qu'on en ait dit, le mailre n'a évidemment pas dessiné cette
broderie pour le violoncelle, ce qui eût été contraire à l'esprit comme
à l'unité du morceau ; mais il l'a sûrement pensée en clef de fa,
puisqu'elle comprend un ii grave qui n'existe pas sur l'alto. —
d'est après coup qu'il l'a adaptée définitivement à cet instrument
dans une troisième version écrite à la plume, d'une main très ferme,
au-dessous même du projet au crayon, et qui est entièrement con-
forme ii la version gravée:
Beconnaissons du moins que celte troisième version est bien
supérieure à la première, surtout par l'élégance du contour, en
sorte que le labeur du maître n'a certes pas été en pure perte.
Pendant les sept dernières mesures de ce trait et les trois sui-
vante?, le quatuor est établi sur une collette au-dessous de laquelle
la page est restée à peu près blanche. A peine sur cette page ren-
contre-l-on des fragments de notation aux altos du quatuor, dont on
retrouve quelques traces, d'abord dans les 1ers violoncelles, puis dans
la version définitive des altos.
Dans le manuscrit à'Harold. il y a assez fréquemment de ces
projets à peine indiqués, de ci de là, par quelques points de repère,
au-dessus desquels Berlioz a écrit complètement sa partition. On
peut en induire que le maître prenait en quelque sorte des notes
pour donner une fixité relative à une conception d'ensemble autour
de laquelle flottait sa pensée. C'est après une féconde gestation que,
lorsqu'il reprenait la plume, cette pensée devait sortir toute armée
de son cerveau.
.*.
Deux mesures avant le Canlo religioso, quand le morceau passe
du ton de mi $ majeur au ton d'ut majeur, le quatuor et le 1er bas-
son sont écrits sur un grattage très marqué. Il semble que tous ces
instruments, — sauf les contrebasses en la dernière mesure, —
aient eu d'abord à tenir le si sensible se résolvant sur l'ut naturel qui
détermine la tonalité du Canto religioso. C'est pour accentuer da-
vantage la transition et préciser mieux d'avance cette tonalité, que
Berlioz, éclairé sans doute par une audition, aura fait articuler par
tous les instruments en activité le sol $ dominante, indiqué d'abord
seulement par les sourds pizzicali des contrebasses.
A partir du Canto religioso, et jusqu'au moment où elles font en-
tendre un fa #, les flûtes étaient placées d'abord dans le milieu de
Plus tard, Berlioz les a reportées à l'octave supérieure par le signe
8" ajouté au crayon ; et, pour que toute erreur fût
impossible, il a confirmé ensuite ce signe avec une encre d'une
autre nuance que celle dont il s'est servi pour le texte de sa parti-
tion. Plus loin, il a ajouté de la même manière la mention loco, ce
qui ne laisse aucun doute sur son intention. Berlioz a dû tenir tout
particulièrement à cette rectification, car, dans la partition gra-
vée (1), les flûtes sont réparties sur deuxportées et écrites au-dessus
des lignes :
Deux mesures après la lettre J, les deux flûtes étaient unies
d'abord en une seule partie :
(1) Cette partition contient une erreur que Berlioz a laissé passer. Au bas de la
page 52, on y lit l'indication P" flûte, au lieu sans doute de l'indication 1" flûte,
car rien dans le manuscrit n'autoriserait l'intervention de Voctavin, qui n'a rien à
taire dans une composition de ce caractère. D'ailleurs, la notation au-dessus des
ignés qui va suivre prouve bien qu'il y a là seulement une méprise du graveur.
270
LE MÉNESTREL
l-r-J-r-4
ïU,
Berlioz, en les reportant à l'aigu, les a modifiées comme suit :
On voit dans ces diverses retouches une nouvelle preuve de l'at-
tention méticuleuse que le maître accordait aux moindres détails
pouvant améliorer son œuvre.
Au début du Canto religioso, relevons encore une correction, cette
fois purement graphique, dans la partie d'alto solo.
Après les premiers arpèges,
et jusqu'au moment où le morceau retourne en mi tf majeur,
Berlioz avait écrit deux noires à chaque morceau avec la mention
« segue » :
.g f. £■ ■£- -r- -0-
■r -» & -r ■*■ -»-
Il a substitué à ces deux noires une blanche par temps avec la
mention « arpeggiato » et a minutieusement reproduit cette notation
plus claire à l'oeil de l'exécutant, en biffant la notation primitive
pendant les 15 mesures qui suivent :
La composition de ces accords à quatre cordes est aussi fréquem-
ment retouchée, tant à l'encre qu'au crayon rouge.
On peut penser que ces changements ont été introduits sur les
conseils d'un virtuose ayant la grande pratique de l'alto, peut-
être de Paganini, pour qui, on le sait, Berlioz avait écrit Rarold
en Italie. Les circonstances romanesques dans lesquelles Berlioz fit
la connaissance de Paganini et conçut à son intention cette sympho-
nie avec alto principal sont trop connues pour qu'il soit utile de les
rappeler. On ne peut que renvoyer le lecteur aux Mémoires de Ber-
lioz, pages 193 et 194. Ce qu'il faut retenir, c'est la considération
en laquelle ce maître, qui avait le sentiment si vif et si légitime de
sa valeur, prenait les avis de tels ou tels musiciens, — quelquefois
parmi les plus humbles, — familiarisés par un usage quotidien avec
les ressources et les exigences d'un instrument. J'ai entendu conter
à ce sujet certaines anecdotes dont l'authenticité ne me paraît
point assez assurée pour qu'on les puisse reproduire ici. Mais le
fait qu'elles circulent constitue une sorte de tradition, je n'ose dire
de légende, qui atteste ce trait du caractère de Berlioz, le respect
qu'il avait pour son art, l'accueil empressé qu'il faisait à tout ren-
seignement pouvant accroître son expérience technique et, partant,
l'intensité et la sûreté de ses moyens d'expression. Le manuscrit de
la Marche des Pèlerins nous en fournira d'autres preuves.
Au cours du Canto religioso, on remarque encore quelques légères
retouches dans les répliques des cordes qui alternent en dialoguant
avec les instruments de bois, et aussi dans la partie des contre-
basses qui poursuivent sourdement le dessin de la Marche ; ces der-
nières sont plus intéressantes.
Neuf mesures avant la rentrée en mi fcj majeur, Berlioz avait écrit,
dans les quatre parties du quatuor, la mention : « ôtes les sourdines »,
qu'il a fait prendre à partir du Canto religioso.
Son premier plan avait donc été de ne voiler la sonorité des
cordes que pendant le Canto religioso, de façon à mieux différencier
cet épisode du reste de la Marche et à souligner on môme temps la
couleur mystique des accords présentés par le quatuor.
A l'audition, il se sera aperçu qu'une autre intention devait pri-
mer celle-là. C'est celle de donner aussi nettement que possible à
l'auditeur l'impression poétique d'un exode de pèlerins s'avançant
dans le crépuscule, puis disparaissant peu à peu dans les ombres du
soir. Les moyens mis en œuvre lui auront paru insuffisants ; le maî-
tre n'aura pas réussi à obtenir de l'orchestre un decrescendo assez
marqué, et se sera décidé alors à maintenir les sourdines, en accen-
tuant davantage les nuances primitives, car, à partir de ce moment,
non seulement il a biffé fortement la mention : « ôtez les sourdines »,
mais encore il a multiplié au crayon rouge, jusqu'à la fin du mor-
ceau, les indications p. perde.ndo, dimin., pp., ppp. et même pppp.
(A suivre.) A. Montaux.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (21 août) :
Plusieurs journaux parisiens et certains journaux bruxellois, tels que-
YÉventail, ont publié prématurément, de la nouvelle troupe de la Mon-
naie, un tableau assez inexact. Aujourd'hui, bien qu'il n'ait pas encore
été distribué officiellement, je vous envoie le tableau définitif de la
troupe de MM. Stoumon et Calabresi ; j'en élimine naturellement les
détails insignifiants. Le voici :
Chefs de service : MM. Barwolf et Franz Servais, premiers chefs d'or-
chestre ; Léon Dubois, second chef ; Gravier, régisseur général ; Léon
' Herbaut, régisseur; Lafont, maître de ballet; Louis Barwolf, bibliothé-
caire.
Artistes du chant : Ténors : MM. Lafarge, Dupeyron, Delmas, Isouard,
Froment ; — Barytons : MM. Bouvet, Badiali, Vallier, Besnard, — Basses:
MM. Vérin, Sentein, Ctiallet et Chappuis ; — Cantatrices : Mmes Dufrane,
de Nuovina, Sybil Sanderson, Nardi, Carrère, Paulain-Arcbainbaud,
Neyt, Wolf, Langlois et Walter.
Danseuses : M1IeB Teresita, , Riccio, premières danseuses ; Ratero, deu-
xième danseuse ; Dierickx, troisième danseuse ; — Danseurs : MM. Lafont,.
Ducbamps, ITansen et Desmet ; huit coryphées, trente-deux danseuses et
douze danseurs.
Orchestre: quatre-vingt-un musiciens; musique de scène, un chef et
vingt musiciens.
Chœur: trente femmes, quarante-quatre hommes, huit enfants.
On remarquera, dans cette liste, le nom de MUe Dufrane, l'ancienne
pensionnaire de l'Opéra de Paris, que la direction a engagé pour tenir
dans le répertoire courant, l'emploi de falcon. Elle débutera, dès la pre-
mière semaine de la saison, avec le ténor Dupeyron, dans Robert le Diable
ou dans les Huguenots. M1Ie Langlois, nouvellement engagée aussi, est une
des lauréates du dernier concours du Conservatoire de Bruxelles, où elle
avait révélé des moyens peu ordinaires et une vraie nature artistique.
Elle doublera Mllc Dufrane dans les rôles de falcon, et créera peut-être
le rôle de Brunehild dans le Siegfried de Wagner, qui sera la première
grande nouveauté de la saison.
La réouverture est fixée au 4 septembre ; elle aura lieu par Faust, avec
Mues ,je Nuovina et Paulain-Arcbainbaud, MM. Lafarge et Vérin. Le len-
demain, Esclarmonde, avec Mlle Sybil Sanderson. Roméo, Carmen et Manon
suivront de près ; puis la Flûte enchantée. Don Juan ne viendra probable-
ment que plus tard. Et l'on songe aussi à une reprise d'Obéron. — Les autres
tbéàtres s'apprêtent, eux aussi, à rouvrir leurs portes. Nous en aurons
cependant, cette année, deux de moins que l'an dernier, la Bourse et
l'Eden, qu'on ne reconstruira pas. En revanche, les Galeries se vouent
décidément à l'opérette.
En attendant de vous parler de tout cela, j'ai à vous dire quelques
mots des concours de fin d'année qui ont eu lieu récemment, après
Bruxelles, aux Conservatoires de Liège et de Gand. Concours très inté-
ressants l'un et l'autre, au point de vue de leurs résultats et de la mar-
che des études.
A Gand, la direction si vaillante et si intelligente de M. Adolphe
Samuel a, cette année encore, réalisé un nouveau progrès. Les concours
ont eu, en général, un éclat inaccoutumé. Et peut-être les dernières
acquisitions faites dans le corps professoral y sont-elles aussi pour quel-
que chose. On sait, en effet, que M. Jules Deswert a été nommé tout
nouvellement professeur de la classe de violoncelle, et M. Joban Smit
professeur de la classe de violon. Comme toujours, le grand succès a été-
pour la classe de chant de M. Bonheur. Elle a mis en relief une artiste
tout à fait exceptionnelle, douée à la fois d'une voix et d'un tempérament
rares, M110 Tnooris, qui a remporté le premier prix par acclamation, avec
la plus grande distinction et félicitations publiques du jury. Viennent
ensuite, au point de vue des résultats, le concours de violoncelle (profes-
seur, M. Deswert) et celui d'art de la scène (professeur, M. Rey). C'est
surtout par la bonne tenue de la classe, par la valeur hautement accusée
de l'enseignement que ces deux classes se sont distinguées, plus encore
que par la valeur même des concurrents. Pour la première année que
M. Deswert prenait part au concours, il a su affirmer l'excellence de sa
méthode. Deux premiers prix: MM. Albert Smit et Jean Dubois. Et quant
à M. Rey, le parti qu'il a su tirer des éléments, assez ordinaires, qu'il
présentait, est pour lui une nouvelle victoire, qui s'ajoute à toutes celles
LE MÉNESTREL
271
•qu'il a remportées déjà ; et celle-ci n'est pas moins précieuse, bien au
■contraire. Parmi les lauréates, il y a surtout à .citer M'10 Van Ackere,
(1er prix avec distinction), une voix de falcon généreuse, avec une vraie
nature d'artiste. Puis la classe de piano (femmes), professeur M. Heynde-
richs, dont le concours n'a jamais été aussi brillant. Nous avons remar-
qué spécialement M110 Duquesne (1er prix par acclamation, avec grande
distinction), très douée, et MUc Gassée (2e prix avec distinction), une
enfant qui sera un jour une grande artiste... si elle veut. Sur le même
rang, il faut classer l'examen pour le diplôme de capacité (piano), qui a
été extraordinaire au point de vue de la difficulté des épreuves. M"15 Acart
s'est jouée des obstacles et a remporté son diplôme par acclamation, avec
grande distinction. Le sexe faible, décidément, est partout le sexe fort !
A citer, parmi les instruments d'orchestre, la classe de M. Léonard
.(flûte). Enseignement, d'ailleurs, de premier ordre. On peut en dire au-
tant de la classe de hautbois (professeur, M. Lebert) et de la classe de
■ cor (professeur, M. Deprez). Les concours de solfège supérieur (professeurs,
MM. Nevejans et feu Devos) ont été... renversants: 14 premiers prix sur
22 concurrents et concurrentes ! Enfin, samedi, dernier concours, non le
moins important et assurément le plus brillant de tous : harmonie et
•composition. C'est M. Samuel qui donne, comme on le sait, le cours de
composition, et c'est lui qui, depuis huit mois, donne par intérim le cours
supérieur d'harmonie ; quand il l'a repris, les élèves ne savaient rien, ce
cours étant tombé peu à peu à néant; en huit mois, M. Samuel l'a relevé
au point d'arriver à ce résultat : sur dix concurrents et concurrentes, sept
premiers prix, dont un par acclamation avec la plus grande distinction,
un avec grande distinction et trois avec distinction ! Et outre cela deux
seconds prix (dont un avec grande distinction), qui valent les premiers
prix. Voilà qui en dit plus que tous les éloges.
Au Conservatoire de Liège, les concours de cette année n'ont pas fait
■moins d'honneur à son directeur, M. Théodore Radoux, et ils n'ont pas
été moins brillants. Une artiste, une vraie artiste, s'est révélée dans la
classe de déclamation lyrique, Mlle Lejeune; encore insuffisamment ex-
périmentée, ells a montré des qualités naturelles si vives et déjà si per-
sonnelles qu'on peut augurer le plus grand bien de son avenir. C'était la
première fois que MUe Lejeune concourait; le jury lui a accordé un second
prix avec distinction, en espérant, pour l'an prochain, un premier prix
éclatant. Dans ce même concours, on a remarqué aussi un jeune ténor,
•doué d'une voix charmante, et qui promet beaucoup, M. Maréchal. Le
•Conservatoire de Liège est, comme on sait, une vraie pépinière de violo-
nistes. Cette fois encore, les concours de violon ont présenté un attrait
puissant pour le public liégeois. Les trois séances (qui ont pris deux jour-
nées) ont fait défiler dans de multiples épreuves vingt et un concurrents.
Ce chiffre n'avait pas encore été atteint, et cette extension prise par les
■cours de violon peut passer à bon droit pour un nouvel éloge rendu à la
•valeur et au zèle des professeurs : MM. Heynberg, R. Massart, Thomson
■et Dossin. Dix-huit récompenses ont été accordées, parmi lesquelles il
faut compter six premiers prix. Un seul concurrent dans la classe d'orgue,
M. Pierre Van Damme, qui a remporté la médaille de vermeil, avec dis-
tinction. Cinq concurrents dans la classe de piano, et quatre lauréats :
M. Mawet, Mll6S Servais, Sampoix et Hannot. Pour cette dernière, le con-
cours a été un véritable triomphe. Aussi a-t-elle obtenu la médaille en
vermeil par acclamations et avec des félicitations toutes spéciales de
M. Radoux. Ajoutons, pour finir, un détail qui n'est pas sans intérêt et
qui prouve la prospérité du Conservatoire de Liège : 234 concurrents se
sont présentés devant les différents jurys. Placé sous l'énergique et puis-
sante direction de M. Th. Radoux, depuis bientôt vingt ans, le Conser-
vatoire de Liège n'a cessé d'accroître à l'étranger la renommée plusieurs
fois séculaire des musiciens liégeois. Espérons qu'il en sera ainsi pen-
dant plusieurs autres siècles encore ! Lucien Solvay.
— Il y aura, l'an prochain, cent cinquante ans qu'est né l'un des artistes
■qui comptent parmi les plus grandes gloires musicales de la Belgique.
C'est, en effet, le 11 février 1741 qu'a vu le jour à Liège, au n° 28 de la
rue des Récollets, l'illustre auteur de Richard Cœur de Lion, de Zémire et
Azor, de l'Epreuve villageoise, du Tableau parlant et de tant d'autres jolis
chefs-d'œuvre, André-Ernest-Modeste Grétry. L'une des plus importantes
associations musicales de Liège, la Société royale la Legia, s'est réunie
récemment en assemblée générale, à l'effet de rechercher de quelle façon
il conviendrait de célébrer un tel anniversaire et d'examiner divers pro-
. jets présentés dans ce but. Rien n'a été arrêté définitivement encore,
mais la Legia va se mettre en mesure de solliciter immédiatement de
l'État, de la province et de la commune des subsides qui permettent de
faire les choses de la façon la plus honorable et la plus digne de l'artiste
■célèbre dont il s'agit de rappeler le souvenir et le génie. Nul doute que
nos voisins, qui s'entendent merveilleusement à organiser des fêtes de
ce genre, ne préparent à cette occasion une solennité imposante et extrê-
mement remarquable.
— Dans quelques jours, dit-on, sera célébré à Bruxelles le mariage de
M11' Gevaert, fille de l'éminent directeur du Conservatoire de cette ville, avec
un jeune chanteur d'avenir, M. Fierens, ancien élève de cet établissement.
M. Fierens, qui est engagé pour la prochaine saison au Grand-Théâtre de
Lille, est le frère de Mmc Fierens, de l'Opéra.
— L'Indépendance belge nous donne, cette fois complet, l'itinéraire de la
grande tournée de concerts que M. Lamoureux et son orchestre doivent
effectuer, au mois d'octobre prochain, en Hollande et en Belgique : Le 16,
à Rotterdam; les 17, 18 et 19, à Amsterdam; les 20 et 21, à La Haye ; le
22, à Harlem; le 23, à Arnheim; le 21, à Utrecht; le 23, à Anvers; le 26,
à Bruxelles ; le 27, à Liège; le 28, à Gand ; le 29, à Bruxelles. C'est dans
la salle de l'Alhambra qu'auront lieu les deux concerts de Bruxelles.
Le programme du premier sera entièrement français; celui du second,
entièrement wagnérien.
— On lit dans le Guide musical : « Les vacances théâtrales ont déjà pris fin
dans un certain nombre de théâtres d'outre-Rhin. A Dresde et à Munich
la saison d'hiver vient de s'ouvrir. Chose curieuse, sur une des scènes la
première œuvre jouée a été le Tannhàuser, de Wagner, d'après la version
de Paris. On sait que depuis que le théâtre de Bayreuth a annoncé une
reprise du Tannhàuser d'après la version de Paris, la plupart des théâtres
allemands, qui s'en étaient tenus jusqu'ici à la version primitive de l'œu-
vre, se sont empressés de mettre à l'étude les remaniements écrits par
Wagner en 1861 pour le Grand-Opéra. Il en a été ainsi à Berlin, à
Dresde, à Munich, à Carlsruhe, etc. Cependant, aux yeux de plus d'un
sincère admirateur du maître de Bayreuth, la version de Paris n'ajoute
rien à l'œuvre primitive, ou plutôt elle lui enlève son unité. La grande
scène du Venusberg composée en 1860, diffère si foncièrement par le style
des autres parties de l'ouvrage qu'on ne peut s'empêcher d'être désagréa-
blement impressionné. Le nouveau Venusberg qui fut écrit après Tristan
est conçu tout à fait dans le style de cet ouvrage ; selon le point de
vue où l'on se place, cette grande scène fait tort aux parties anciennes,
ou se distingue d'elle par l'absence de mélodie. Aussi, le choix du Tann.-
hduser comme unique ouvrage destiné à faire les lendemains de Parsifal
aux fêtes dramatiques de Bayreuth l'été prochain, est-il loin de rencon-
trer l'approbation unanime dans le camp wagnérien. Quoi qu'il en soit,
on prépare dès à présent très activement cette reprise au théâtre Wagner.
Il y a déjà eu quelques répétitions cet été à Bayreuth. M. Kniese, le chef
des chœurs, vient d'ouvrir dans cette ville une école de musique où sont
admis tous les artistes qui désirent participer aux fêtes théâtrales de
l'année prochaine. De son côté, M" Cosima Wagner qui, soit dit en
passant, ne songe nullement à quitter Bayreuth pour aller s'installer à
Londres, a eu de nombreuses entrevues avec les machinistes, peintres,
décorateurs et couturiers. Les maquettes et les dessins des costumes ont
été approuvés et le travail d'exécution a commencé. On suivra d'ailleurs
exactement les indications de Wagner pour la mise en scène du Grand-
Opéra de Paris, qui ne furent pas en beaucoup de parties exécutées à la
lettre en 1861. »
— C'est le 27 de ce mois, qui correspond au 15 août du calendrier
russe, que doit s'ouvrir, à Saint-Pétersbourg, le premier des grands con-
cours institués par Antoine Rubinstein en faveur des compositeurs et des
pianistes de tous les pays. On se rappelle ce que nous avons dit de ces
concours, dont nous avons fait dès longtemps connaître l'économie, et qui
doivent avoir lieu tour à tour dans les quatre grandes capitales du con-
tinent européen ; le second aura lieu à Berlin en 1893; le troisième à
Vienne en 1900 ; le quatrième à Paris en 1903, pour recommencer ensuite
par Saint-Pétersbourg, toujours de cinq ans en cinq ans.
— L'Opéra allemand de New-York, 'qui va rouvrir le 26 novembre au
Metropolitan Opéra House, sera encore plus éclectique que l'année der-
nière. Le répertoire s'enrichira cette année des ouvrages suivants : le Roi
d'Ys, Eselarmonde1, Asraël (de Franchetti), le Vassal de Ssigeth (de Smareglia),
le Templier et la Juive, le Mage, dont la première représentation aura lieu,
parait-il, le même jour qu'à Paris (?) et les ballets, Porcelaine de Mismie, le
Rêve (de Gastinel) et la Source. De plus, on prépare les reprises de Carmen,
Uamlet, les Joyeuses Commères de Windsor et la Sauvage apprivoisée. Dans le
tableau de la troupe nous relevons les noms suivants : Mmes Minnie Hauk,
Wartegg, Jenny Broch, H. Rothe, MM. Gudehus, Reichmann, Fischer et
Behreas. M. Antoine Seidl est engagé comme premier chef d'orchestre.
— Le manager Hammerstein va rouvrir, dans les premiers jours d'octobre,
le Harlem Opéra House (New-York) pour une saison lyrique anglaise. En
plus du grand répertoire international, il est dans l'intention du directeur
de monter les ouvrages suivants à titre de nouveautés : les Pêclieurs de
Perles, Silvana (de Weber), le Ca'id, Si j'étais roi, le Roi l'a dit (de Delibes),
et Zampa. La saison s'ouvrira avec Ernani, la Muette, Faust et le Bal masqué.
M. G. Hinrichs sera le chef d'orchestre.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
— D'une interwiew qu'un rédacteur du G il Bios a eue récemment avec
M. Gailhard, il semblerait résulter pour l'Opéra une situation au moins
singulière. Comme notre confrère demandait à l'associé de M. Ritt ce
que l'Opéra comptait faire la saison prochaine et comment cette saison
serait employée, celui-ci lui répondit qu'il n'en savait absolument rien.
« Nous restons les bras croisés, dit-il, sans rien faire, sans rien pouvoir
entreprendre, attendant que le ministre décide et que nous sachions enfin
à quoi nous en tenir. » La question de la réfection des décors n'étant
pas résolue, les directeurs de l'Opéra ont eu à ce sujet un entretien avec
M. Larroumet, directeur des beaux-arts, qui leur a demandé s'ils étaient
prêts à accepter une transaction. Sur leur réponse affirmative, M. Larrou-
met leur ayant demandé ensuite s'ils étaient disposés à faire un sacrifice
pécuniaire : « Oui, aurait-il été répondu ; mais comme nous ne devons rien,
absolument rien, que nous donnera-t-on en échange? » Et là-dessus les
272
LE MÉNESTREL
pourparlers auraient cessé, et aussi l'activité proverbiale de l'Opéra. Il
n'est plus question de Salammbô, non plus que du Mage, parce que pour
l'un comme pour l'autre de ces deux ouvrages il faudrait faire des frais
considérables, ce qui serait « une perte sèche » si la direction passait
en d'autres mains. « Et si, ajoute M. Gailhard, confiants dans notre cause,
nous entreprenons ces études, on ne manquera pas de penser que, nous
résignant d'avance à subir toutes les exigences, nous reconnaissons im-
plicitement que nous devons les subir. Or, nous sommes loin de cette pensée-
là. » Pour de l'aplomb, c'est vraiment là un joli aplomb. Mais ces mes-
sieurs auraient bien tort de se gêner, puisqu'on les laisse faire. Tout ce
qu'on peut dire, c'est qu'on n'a jamais vu des gens qui, après tout, sont
chargés d'une fonction publique, se moquer avec plus d'effronterie du
gouvernement, des chambres, du ministère et du public. Quant à l'art
et aux artistes, nous n'en parlons pas, ceci ayant toujours été pour eux
chose absolument inconnue.
— « Et voilà la série des changements de spectacle pour cause d'indispo-
sitions ou, pour mieux dire, pour cause d'insuffisance du personnel, qui
va recommencer. Vendredi, en effet, on a dû donner Aida au lieu de Roméo
et Juliette, M. Gossira se trouvant souffrant.
— M. Roger, agent général de la Société des auteurs dramatiques, com-
munique la note suivante à nos grands confrères : « Plusieurs journaux ont
annoncé que la commission des auteurs dramatiques avait l'intention de
ne pas compter Salammbô dans le nombre des ouvrages nouveaux qui doivent
être représentés tous les ans par le théâtre de l'Opéra. La commission des
auteurs ne s'était pas encore occupée de la question ; elle a décidé, dans
sa séance d'hier, que ce qui a déjà été fait pour Sigurd serait fait pour
Salammbô et que l'ouvrage de M. Reyer, s'il est représenté à l'Opéra, sera
compté parmi les ouvrages nouveaux. »
— Ce monsieur Paravey est infatigable. On a fait toute une histoire,
autrefois, des travaux d'un nommé Hercule ; qu'était-ce que cela en
comparaison de ce que nous annonce la direction de l'Opéra-Comique dans
la note suivante, qu'elle veut bien communiquer aux journaux: «La saison
prochaine à l'Opéra-Comique. M. Paravey va immédiatement s'occuper des
spectacles du mois de septembre, spectacles qui seront faits pour la grande
partie, avec le répertoire : Carmen, Mignon, la Dame blanche, le Pré aux
Clercs, Mireille. La Basoche, de M. André Messager, ne sera reprise qu'aux
environs du 15 septembre. Entre temps, Mlle Yve, une jeune cantatrice
sur laquelle on compte beaucoup, fera son premier début dans le Pré aux
Clercs probablement ; le baryton Renaud se fera entendre pour la première
fois dans le Roi d'Ys ; Colombine, le petit acte de M.Gustave Michiels, fera
son apparition sur l'affiche, et l'on commencera à s'occuper de Benvcnuto,
de M. Diaz, qui sera la première grande nouveauté de la saison. »
— On annonce, à l'Eden-lyrique de M. Verdhurt, la réception d'un ballet
en deux actes et trois tableaux de M. Catulle Mendès, les Formoses, — c'est
ainsi qu'on nomme les fées en Roumanie, — dont la musique sera confiée,
par la direction, à M. André Messager. A ce même théâtre on annonce
encore l'engagement de Mmc Galliné, mezzo-soprano.
— Nous avions, d'après nos confrères du grand format, annoncé l'en-
gagement à l'Éden de Mm,! Renée Richard. Les choses étaient loin d'être
aussi avancées qu'on l'avait dit, et l'on n'en était encore qu'aux pour-
parlers. Or, ces pourparlers sont aujourd'hui rompus, et M,ne Richard n'a
rien conclu avec M. Verdhurt. Voilà une bonne nouvelle et une bonne
aubaine pour MM. les directeurs de l'Opéra, qui depuis un mois, on le
sait, demandent un contralto à tous les échos des entours de ce théâtre.
Ils n'auront garde de laisser échapper une telle occasion, et nous allons
certainement réentendre Mm; Richard à l'Opéra.
— M. Xavier Leroux est chargé de la partie musicale de Cléopàlre, le
drame nouveau de MM. Victorien Sardou et Emile Moreau, que Mme Sarah
Bernhardt, — avant de partir pour sa grande tournée de deux années à
travers Je monde, — doit créer, au commencement d'octobre, à la Porte-
Saint-Martin. C'est M. Massenet, lui-même, qui a présenté son élève aux
auteurs. La tâche de M. Leroux se bornera à la composition de quatre
numéros de musique de scène exécutés par un orchestre placé sur le
théâtre. Au premier acte, à l'arrivée de Cléopàtre, une symphonie orien-
tale, avec accompagnement de harpes et de cithares. Au deuxième, une
sorte de petit ballet-divertissement, ballet de poses et de gestes exécuté
par douze aimées, avec accompagnement à bouche close. Le troisième
morceau est une symphonie sur des barques qui traversent le Nil. Le
quatrième, une invocation à Typhon, le dieu des tempêtes, par les
prêtres du temple d'Osiris.
— La bibliothèque de l'Opéra, qui était fermée depuis six semaines pour
cause de vacances, est rouverte au public et 'aux travailleurs depuis le
18 août.
— M. Colombat, de l'Isère, bien connu par ses travaux sur le bégaie-
ment, le zézaiement et les autres vices de prononciation, par ses cours
d'orthophonie au Conservatoire et à l'Institution nationale des sourds-
muets, a été, ces jours derniers, le héros de la triste aventure suivante,
ainsi raconté-; par un de nos grands confrères : — « Des cris de : « Au
secours! » retentissaient hier soir, vers neuf heures, dans la maison du
boulevard Saint-Michel qui porte le n° 55. La concierge monta aussitôt
l'escalier et arriva devant l'appartement de M. le docteur Colombat, de
l'Isère, d'où les cris sortaient. En même temps, le domestique du docteur
s'élançait dans l'escalier, effaré et continuant d'appeler au secours. La
concierge pénétra dans l'appartement et trouva, au milieu d'une chambre,
le docteur Colombat, en chemise. Dans la main droite il avait un revolver
fumant encore et de la main gauche il tenait, serrées contre sa poitrine,
toutes les valeurs qu'il possédait. Voici ce qui s'était passé. Le docteur
Colombat était malade depuis un certain temps, au point qu'il y a trois
jours on avait dû le faire garder. Dans la soirée d'hier, il avait prié son
domestique de lui préparer un lait de poule. Le domestique avait exécuté
les ordres de son maître. Mais à peine celui-ci avait-il avalé le lait de
poule, qu'il disait à son domestique d'une voix menaçante : « Scélérat,
tu m'as empoisonné ! » Puis il saisit son revolver et en déchargea deux
coups sur le malheureux garçon, qui, par bonheur, ne fut pas atteint.
Lorsque la concierge arriva auprès de lui et courageusement voulut lui
prendre le revolver qu'il tenait, le docteur Colombat était redevenu calme.
Cependant, un attroupement s'était formé devant la maison, et les gar-
diens de la paix arrivaient pour s'emparer du meurtrier. Le docteur se
laissa prendre et emmener au commissariat de police du quartier sans la
moindre résistance. Le commissaire de police reconnut immédiatement
que M. Colombat était atteint d'aliénation mentale et le fit conduire à
l'infirmerie du Dépôt ».
— A l'occasion du 15 août, la petite plage de Saint-Pierre-en-Port était
en fête. M. Déledicque avait organisé un fort joli concert, dans lequel on
a eu la bonne fortune d'entendre Mlle Merguillier, qui a chanté en per-
fection YAve Maria de Gounod. A côté d'elle on a beaucoup fêté aussi
Mlle Yon, dans le Sancta Maria de Faure, M. Déledicque dans la Sérénade
de Schubert, et Mme Raux, qui tenait fort bien le piano d'accompa-
gnement.
NÉCROLOGIE
Une artiste dont la carrière a été assez obscure, mais qui, il y a
vingt-cinq ans, était bien connue du grand monde littéraire et artistique,
par le fait de l'affection aussi sincère que désintéressée qui l'unissait
à Auber, Mlle Pauline Dameron, est morte aux derniers jours de la
semaine dernière. Fort jolie, d'une physionomie douce et d'une élégance
patricienne, douée d'une voix fort agréable sinon fort étendue, M110 Da-
meron avait. obtenu aux concours du Conservatoire, en 1845, un premier
accessit de chant et un premier prix d'opéra-comique. Elle fut engagée
néanmoins à l'Opéra, où elle débuta dans le courant de 1846 et où, dans
l'espace de deux ou trois ans, elle se montra dans Rachel de la Juive,
Alice de Robert le Diable, Isabelle de Charles VI, Marie de Robert Bruce,
Lazarillo de la Xacarilla, etc. Puis, elle créa les rôles de Zeptèle et de la
Princesse dans deux opéras d'Auber, l' Enfant prodigue et Zerbine ou la Cor-
beille d'oranges, et un autre rôle dans la Nonne sanglante de M. Gounod.
Malgré des qualités réelles, elle ne .sortit jamais du second rang et ne
parvint pas à s'imposer au public. Elle quitta l'Opéra après vingt ans de
service environ, belle encore et dans tout l'éclat de sa grâce. Elle prit
soin de la vieillesse d'Auber, et ne le quitta pas jusqu'à ses derniers
jours. Nous nous rappelons, aux heures les plus sombres de la Commune,
l'avoir rencontrée un jour, sur le boulevard, au bras du vieux maître, qui
pouvait alors à peine se traîner. Au milieu de la chaussée passait l'en-
terrement d'un chef de fédérés, avec accompagnement des drapeaux rouges
obligés. Auber considérait cela de ses yeux tout grands ouverts, avec un
sentiment de profond dégoût, et la physionomie de sa compagne était
empreinte d'une indicible mélancolie. Mlle Dameron, atteinte dépuis long-
temps déjà d'une sorte de maladie de langueur, y a succombé à l'âge de
soixante-cinq ans.
— Un des critiques les plus réputés de l'Italie, le marquis Francesco
d'Arcais, est mort le 15 août à Castelgandolfo, d'un cancer à l'estomac.
Issu d'une ancienne et noble famille de Sardaigne, il était né à Cagliari
le 15 décembre 1830, et avait étudié sérieusement, la musique tout en
faisant ses humanités à Turin. Dès 1854 il se vit chargé du feuilleton
musical de l'Opinione, le premier journal de cette ville, qu'il suivit plus
tard à F'lorenc6, puis à Rome, et il s'y lit une véritable réputation, grâce
à la solidité de sa critique, et bien que son sentiment artistique fût sin-
gulièrement en retard sur son temps. Ecrivain élégant d'ailleurs, esprit
très cultivé et très fin, d'Arcais, après avoir joint la critique dramatique
à la critique musicale, devint en 1878, directeur de l'Opinione, et conserva
ces fonctions jusqu'en 1889, époque à laquelle, sans renoncer à son feuil-
leton, il devint rédacteur politique du journal français l'Italie. H avait
collabore à la Gazzetta musicale de Milan et à la Nuova Anlologia. D'Arcais
s'était aussi, mais avec peu de succès, essayé dans la composition dra-
matique. Il avait abordé la scène avec trois ouvrages bouffes : l'un, i Due
Preccltori, représenté vers 1865 ; le second, Sganarello, donné au théâtre
Re, de Milan, au mois d'avril 1871 ; le troisième enfin, la Guerra amorosa,
petit opéra à deux personnages, représenté à Florence. On lui doit aussi
une Messe funèbre, l'Addio del Condannato, scène dramatique pour bary-
ton, et quelques romances et mélodies vocales.
• Henri Heugel. directeur-géiant.
: FEB. — l'II-llIMEUIE CUA1X. — HUE
3100 — 56me AME -- If 35. PARAIT TOUS LES DIMANCHES Dimanche 31 Août 1890.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, % bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sui.
S0MMAIEE -TEXTE
I. Notes d'un librettiste : Eugène Gautier (16° article), Louis Gallet. — II. Semaine
théâtrale: Le centenaire d'Herold, Arthur Poggin. — III. Berlioz, sou génie,
sa technique, son caractère, à propos d'un manuscrit autographe d'Harold en
Italie (4" article), A. Montaux. — IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour:
DOLCE FAR NIENTE
■de André Wormser. — Suivra immédiatement : Verglas-Galop, de Franz
Hitz.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant: Hymne aux astres, nouvelle mélodie de J. Faure, poésie de
Frédéric Bataille. — Suivra immédiatement: Les Yeux, nouvelle mélodie
des mêmes auteurs.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
EUGENE GAUTIER
Après le siège prussien, la Commune. Aux premiers jours
de cette nouvelle période d'épreuves, Eugène Gautier m'é-
crivait :
« Je vis dans une alternative de bronchite et de garde
nationale qui ne m'ont pas permis de vous voir, ni de vous
répondre. Hier, me fiant sur la chaleur d'une matinée de
printemps, je suis parti, après avoir ôté un double gilet,
sur le Comité central, puisqu'on ne doit plus dire l'impériale,
de l'omnibus du square Montholon, qui devait me conduire
chez vous. Arrivé devant la porte Denis, j'ai été pris d'une
sensation de froid si vive que je n'ai pas cru devoir continuer
ma route. Le soir j'ai eu un horrible étouffement, etc....
» Je vous prie, si vous passez dans mon quartier, venez
me voir; sinon je recommencerai, demain mercredi, le voyage
de la Salpétrière, d'autant plus que vous m'avez promis des
vers et que j'aime mieux le bruit de la lyre que celui du
chassepot.
» J'ai aperçu Du Locle dans la cour de l'Opéra, le jour
de l'assassinat du général Lecomte ; je puis attester qu'il
n'a pris aucune part à ce crime, car, à l'heure juste où il
se commettait, il était rue Drouot, dans l'état major du vénérai
Perrin, que les horreurs du siège ont fort engraissé.
» Et maintenant, à bientôt, « Cytoyen pote », comme disait
le grand Maximilien, dans ce français sentwientalo-guillotinesque
inventé par ce malfaiteur de Jean-Jacques Rousseau.
« Tous ces événements ont flétri mon cœur. J'ai hâte de
l'ouvrir à vos accents. »
Le nuage passé, le beau temps revenu, l'Opéra-Comique
rouvert, Eugène Gautier se remit en campagne. La Clé d'or
avançait, prenait corps; toutefois, le dissentiment entre les
deux directeurs à son sujet ne s'arrangeait pas. Gautier sen-
tait l'hostilité grandir contre lui. Il s'écoula ainsi bien des
mois, durant lesquels rien ne fut perdu pour le travail. Le
compositeur avait foi en son étoile.
Un jour vint où la fortune, une fortune inespérée, parut
lui sourire.
Au théâtre Ventadour, abandonné par les Italiens, on s'était
mis en tête de restaurer le Théâtre-Lyrique. Tout de suite,
las des tiédeurs et des difficultés rencontrées à l'Opéra-
Comique, Eugène Gautier se tourna de ce côté.
Et bientôt, il put m'apprendre que, bien que non terminée,
la pièce était reçue, allait être mise à l'étude. Il y eut, en
effet, un commencement d'exécution. L'ouvrage fut distribué,
le rôle principal, celui de Raoul d'Alhol, confié au ténor
Audran, artiste de valeur, qui venait de faire une longue et
heureuse campagne en Belgique; une maquette de décor me
fût même montrée et je pus croire un instant que la première
représentation était proche.
Ce fut une période heureuse, mais brève. Tout s'écroula
bientôt. La ruine subite du projet de restauration du Théâtre-
Lyrique balaya poème, musique, interprétation et maquettes.
Il fallut se retourner encore une fois du côté de l'Opéra-
Comique et certain soir, je crus que Du Locle revenait à des
sentiments meilleurs au sujet du musicien. Je l'écrivis à ce
dernier avec quelques réticences, ne voulant pas lui donner
de fausse joie.
« Que signifie, me répondit-il, votre question qui excite en
moi « un trouble inconnu, un secretémoi », — style d'opéra-
comique?
Faut-il que bannissant la haine et la vengeance
Mon cceur se rouvre à l'espérance?
Faut-il que dans ce cœur charmé,
Ainsi qu'une statue élevée sur un socle,
Se dresse désormais l'image de Du Locle
Nommé par moi : le Bien-Aimé!
» Je rentre au plus vite mettre ceci en musique. A ce
soir, n'est-ce pas? »
A part « élevée sur un socle » qui bousculait la règle, la
joie du triomphe entrevu avait fait s'exprimer en vers le com-
positeur cahoté entre des fortunes si diverses. L'intention du
moins y était.
274
LE MENESTREL
Du Locle devait descendre bientôt de ce socle où Eugène
Gautier, très conscient de sa résistance, venait ironiquement
de le placer. L'Opéra-Comique laissa de côté la Clé d'or et
annonça le Fantasio arrangé d'après A. de Musset, et mis en
musique par Offenbach.
« Je n'ai pas travaillé, me mandait alors Eugène Gautier,
peut-être sous le coup du désenchantement causé par cette
nouvelle ; j'ai le cœur malade au physique et au moral.
» Je vais m'y mettre. Quelle âme d'artiste ne serait pas
échauffée par la pensée que, comme l'on disait autrefois en
parlant de Ruy Bios :
... Là-bas, tout au bout des chemins,
A Fantasio qui se lève un peuple bat des mains!
» Il y a, je crois, un pied de trop clans le dernier vers,
mais vous pouvez le prendre pour le f iche dans le
de celui qui ne trouverait pas la musique de la Clé d'or la
première musique du monde! »
Tout passe pourtant. Fantasio lui-même passa. Même, il
passa vite. Et le courant de Leuven reprit le dessus. De nou-
veau plein de courage, Eugène Gautier partit pour la cam-
pagne et plus vite qu'il n'en avait eu d'abord l'intention. Je
ne sais si les lettres que je repasse ici coïncident exacte-
ment avec les dates des événements, mais elles s'appliquent
trop exactement aux événements eux-mêmes pour que je me
soucie de les coordonner. Souci qui serait d'ailleurs peine
perdue, car, comme celles de Georges Bizet, elles sont géné-
ralement sans date.
» Mon cher ami, le '1er de ce mois, comme je rentrais chez
moi, rue de Laval, ma concierge m'a annoncé, le sourire
sur les lèvres, que la petite vérole était dans la maison. J'ai
pris mes clics et mes clacs, j'ai porté mon chat dans une
maison de santé, j'ai pris le bras de ma sœur, et en wagon! »
Puis, dans un autre mot :
» Je reçois aujourd'hui votre lettre, plus tatouée qu'un
chef sauvage;, les timbres rouges et bleus, etc., la couvrent
presque entièrement. On y lit aussi deux ou trois fois le
mot : inconnu, ce qui est désagréable pour quelqu'un qui
court après la gloire Ce n'est pas moi qui ai fait an-
noncer la Clé d'or. Je me suis contenté de la finir à très peu
près. Et lorsque du Locle le voudra, je suis disposé à
entrer en répétitions. Je ne parle pas de Leuven, car aucune
opposition ne viendra de lui. »
Enfin, ces deux lettres, peut-être d'une époque antérieure,
mais se rattachant au même- fait!
Il était fixé à Donville, près de Granville, dans la Manche.
Il attendait là, en travaillant, une lettre que lui avait pro-
mise de Leuven pour Octave Feuillet, qui restait toujours,
comme de juste, le magistral conseiller en tout ce qui tou-
chait à la Clé d'or :
« Cher ami, je suis parti sans vous voir, car je suis parti
de rage! — On semblait le faire exprès pour m'empêcher de
travailler. Commissions, examens, réorganisation du Conser-
vatoire et de la chapelle que je dirige. J'ai pris la jolie pièce
que je vous dois, ma malle et mon bâton de voyage et je
suis venu m'établir au milieu d'un désert. J'ai devant moi
des rochers et derrière moi la mer! Je ne puis être ici dé-
rangé que par les congres et les lézards. J'ai donc reçu le
beau manuscrit que vous avez bien voulu m'envoyer et j'ai
repris mon morceau après le chœur des paysans. »
Le désert! La retraite qui ne peut être troublée que par
les lézards ou les congres! Illusion d'artiste amoureux de
solitude et de silence.
« Mon cher ami, dit la seconde lettre, le paysan bas-nor-
mand est si stupide, que moi, qui demeure à quinze lieues
de Saint-Lo, je ne puis arriver à savoir encore d'une manière
certaine, au bureau de la voiture, qui fait trois fois par jour
le trajet de Saint-Lô à Granville, si Feuillet est chez lui I
Voulez-vous bien réclamer de ma part à Leuven les quelques
mots qu'il m'a promis pour notre illustre collaborateur -
J'ai travaillé et j'ai fait tout le morceau d'entrée: Ah! Madame,,
que d'élégance! J'en suis satisfait. Hâtez-vous de m'envoyer les
quelques mots que je réclame, car j'ai reçu une lettre du
Conservatoire, qui me rappelle pour les premiers jours de-
septembre.
» Du reste, j'ai encore perdu une illusion relativement au
calme de la campagne : j'ai devant ma fenêtre une .maison,
en construction clans laquelle on tape... en se dépêchant,,
comme si on construisait l'Arche de Noé et que le déluge fut
proche ! A ma droite, on ferre des persiennes, en arrachant
de longs cris de douleur à une muraille en pierres meulières
à laquelle on fait des ponctions avec un vilbrequin de fer
long comme ça A ma gauche, un savetier cogne de toutes
ses forces et sans discontinuer, sur la semelle des savates
de mes convillageois! Semelles moins épaisses et moins in-
sensibles que la plante des pieds avec quoi les Bas-Normands
marchent sur des culs de bouteilles, ou la cervelle, grâce
à laquelle ils éprouvent quelques vagues sensations de dou-
leur ou de bien-être! Après huit jours de recherches, on m'a
envoyé de Granville, sur un chariot mérovingien, une cen-
taine de cordes rouillées, tendues dans une espèce de sale
caisse d'emballage, qu'on m'a assuré être un piano; j'ai de-
mandé l'accordeur à grands cris : le seul que possède Gran-
ville est un marin parti pour la pèche de la morue! Aussitôt
de retour, il sera à ma disposition !
» J'étais venu m'enterrer dans Donville, parce que nous
avions des amis qui demeuraient dans ce sillon! Au moins,
disais-je, après les fatigues du travail et de l'inspiration! ! !
sous les grands arbres, au bord de la fontaine, je jouirai,
comme récompense et comme repos, des doux épanehements
de l'amitié! Nous nous sommes brouillés à propos d'un gigot
(car il est ici plus difficile de se procurer de la viande que
du temps du siège), à ce point que, moi et ma sœur, nous
n'osons plus sortir le soir de peur d'un coup d'escopette de
leur part, et que, sans rien dire, nous faisons essayer notre
cidre par Marie, crainte d'empoisonnement! Et cependant, au
milieu de tout ça (suis-je assez Mozart?), j'ai fait un nou-
veau chef-d'œuvre et j'en sens un autre qui grouille dans
ma tête...
» Dans ce moment, je ne sais pour quelle cause, sous la
fenêtre de ma chambre humide, où les champignons (cette
moisissure que l'on a la faiblesse de traiter parfois comme
un aliment) croissent en liberté, les enfants du village pous-
sent des cris affreux avec un ensemble qui fait songer au
massacre des innocents; des chiens bruyants se précipitent
à leur secours; sur ce fond coloré se détache un cantique
que hurlent des petites filles jouant à la procession? Quel
calme ! Quelle paix!...
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
LE CENTENAIRE D'HEROLD
Le Ménestrel faisait remarquer, il y a plusieurs semaines déjà,
que l'année 1891 verrait le centenaire de quatre grands artistes :
celui de la mort de Mozart, et celui de la naissance d'Herold, de
Meyerbeer et de Charles Czerny. Il n'y aurait rien d'étonnant à ce
que messieurs les wagnériens de Prusse, intolérants comme les
nôtres et comme les sectaires de tous les pays, fissent tous leurs
efforts pour empêcher la commémoration, à Berlin, de la naissance
de l'illustre auteur des Huguenots, du Prophète et de Struensée. On.
sait que Wagner, qui fut plus d'une fois son obligé, n'en a pas
moins exhalé sur lui sa haine et son mépris, non seulement comme
artiste, mais comme juif, ce qui était un crime irrémissible aux
yeux de ce farouche chrétien. Il n'en sera pas de même pour
Mozart à Vienne, et sans doute dans toute l'Allemagne. Celui-là est
si grand quo porsonne encore n'a osé y toucher, et l'on peut être
certain d'avance que son anniversaire, loin de passer inaperçu,
sera célébré dignement, noblement et comme il le mérite.
LE MENESTREL
275
11 s'agit, pour nous, de ne point nous laisser faire la leçon, et de fêter
• de notre côté, comme nous le devons, le centenaire de notre grand
Herold, de l'auteur de Marie et du Muletier, de la Clochette et des
.Rosières, de Zampa et du Pré aux Clercs. Et nous n'avons pas de
temps à perdre pour soDger à nous y préparer, car c'est le 28 jan-
vier 1891 que tombe l'anniversaire de sa naissance. J'ai été assez
heureux il y a quelques années, faisant partie du comité de la
Société des compositeurs de musique, pour obtenir de la Société
qu'elle fit placer, sur la maison natale d'Herold, rue des Vieux-
Augustins (aujourd'hui rue Herold), une plaque commémorative. Je
veux espérer que mon initiative ne sera pas cette fois moins chan-
ceuse, et que l'Opéra-Gomique tout au moins, qui jouit des chefs-
d'œuvre d'un de nos artistes les plus admirables, tiendra à hon-
neur de glorifier sa mémoire comme il convient, et ne se fera pas
tirer l'oreille pour prouver à l'Europe que la France sait digne-
ment consacrer le souvenir de ceux qui l'ont émue, consolée et
charmée.
Il faut bien dire que l'Opéra-Gomique ne sait pas tirer tout le
parti qu'il pourrait du répeitoiie de ce maître enchanteur. De la Clo-
chette et des Rosières, de Marie, du Muletier, de l'Illusion il n'est
jamais question, et Dieu sait pourtant si le publie verrait ces ouvrages
charmants avec un véritable plaisir ! Seuls, Zampa et le Pré aux
Clercs, ces deux chefs-d'œuvre, n'ont jamais pour ainsi dire quitté
l'affiche depuis leur création. Mais aussi, quelle carrière pour tous
■ deux, surtout pour le dernier! C'est à peine si l'on s'en rend compte,
•et il n'est pas inutile de le rappeler avec quelques détails.
Zampa, dont la première représentation remonte au 3 mai 1831,
atteignait sa 425""= le 5 septembre 1871. La reprise du 19 janvier 1886
était la 527me. En cette année 1886 il obtenait 5 représentations
•seulement, et 6 en 1887; mais on le jouait 24 fois en 1888. Je n'ai
pas le compte pour 1889, non plus que pour le commencement de
la présente année, mais je crois bien qu'on ne doit pas être loin de
la 600mc. C'est bien autre chose encore pour le Pré aux Clercs, qui
parut pour la première fois à la scène le 15 décembre 1832. Le 7 oc-
tobre 1866 il atteignait sa 885me représentation, et on le donnait ce
jour-l'a avec la 413me de Marie, dont une reprise — la dernière ! —
avait eu lieu peu de mois auparavant. Mais ce qui est remarquable,
■et singulièrement rare, c'est que plus on avance et plus les repré-
sentations du Pré aux Clercs sont nombreuses et fréquentes, et plus
le public y accourt en foule. Le 11 oelobre 1871 on en célèbre la
.millième, le 10 septembre 1878 a lieu la l,200mc, le 15 octobre 1881
la l,300me, enfin le 17 avril 1886, la 1,400™". On en donne encore
■cette dernière année 18 représentations, puis 25 en 1887 et 19 en 1888,
de sorte qu'on doit être aujourd'hui tout près de la l,500me. Il n'y a,
dans tout le répertoire, que la Dame blanche, qui puisse lutter avec
une telle fortune. Le Domino noir, seul, je crois, a dépassé la l,000me
depuis déjà quelques années.
Et il ne faut pas croire que le succès des deux grands chefs-
d'œuvre d'Herold soit circonscrit à la France. L'étranger n'a cessé,
lui aussi, de leur faire un brillant accueil. Seulement, à l'inverse
de ce qui se produit chez nous, c'est Zampa qui est ici le favori.
Pour donner une idée de la vogue de cet ouvrage au dehors, je
constaterai qu'il a été joué à Bruxelles (à la Monnaie), dès le mois
d'avril 1832 ; à Vienne (théâtre de la Porte de Carinthie), au mois
■de mai de la même année ; à Londres, simultanément en avril 1833
sur deux théâtres, en italien au King's-Theatre et en anglais à
•Covent-Garden ; à Naples (théâtre du Fondo), aussi en 1833; à Milan,
(Seabi), en septembre 1835; à Lisbonne (théâtre San Carlos), en
juillet 1839 ; à Venise (Fenice), en 1843 ; à Londres (Saint-James),
en français, en janvier 1850, et à Londres encore (Covent-Garden),
en italien, en août 1858; à Madrid, en espagnol, en 1863; à Londres
toujours (Gaiely), en anglais, en octobre 1870; enfin, de nouveau à
la Scala de Milan, avec une traduction nouvelle et des récitatifs de
Franco Faceio, en janvier 1889.
On comprend que ces renseignements sont malgré tout fort in-
complets. Ils le sont plus encore, malheureusement en ce qui con-
cerne le Pré aux Clercs, Je puis cependant indiquer que celui-ci a
fait son apparition à Bruxelles en avril 1833, quatre mois seulement
après sa création à Paris; qu'il a été donné en français à Londres
(Princess's-Théâtre), en mai 1819; à Naples (théâtre philharmonique)
en 1872; à Naples encore (théâtre Bellini), mais avec une traduction
différente, en février 1880 ; et de nouveau à Londres (Covent-Garden),
cette fois en italien au mois de juin de la même année. On voit
que le génie de notre Herold n'est pas moins apprécié au dehors
que dans sa patrie.
Pourquoi l'a-l-on si complètement oublié à l'Opéra, où il a été
musicalement, si l'on peut dire, le régulateur du ballet moderne, et
oîi il a obtenu en ce genre des succès éclatants, frayant ainsi la voie
à son digne continuateur Adolphe Adam, qui lui-même a eu pour
brillant successeur M. Léo Delibes ? Herold a donné à ce théâtre
cinq ouvrages de ce genre : Astolphe et Joeonde, la Fille mal gardée,
Lydie, la Relie au bois dormant et la Somnambule, dont le triomphe
surtout a été complet et s'est traduit par un total de 120 représenta-
tions. La dernière reprise de la Somnambule (ballet charmant par
lui-même) date de 1857, et depuis lors on n'a pas entendu à l'Opéra
une seule note d'Herold, qui pendant dix ans a été chef du chant
à ce théâtre, ou il a fait représenter aussi un joli petit opéra en un
acte, Lasthénie, auquel malheureusement son sujet grec, peu goûté
du public, n'a pas permis de dépasser une trentaine de représen-
tations.
Si j'avais l'honneur d'être directeur de l'Opéra-Comique,je voudrais
m'arranger de façon à donner, le 28 janvier 1891, la 1,500e représen-
tation du Pré aux Clercs. Pour que la soirée fût complètement con-
sacrée au souvenir et à la gloire du maître, je compléterais l'affiche
du jour avec une bonne reprise soit du Muletier, soit de l'Illusion.
soit même des deux à la fois, et je voudrais solenniser cette fête par
une grande manifestation en l'honneur de l'artiste immortel auquel
l'Opéra-Comique est redevable de triomphes si éclatants et si prolon-
gés. Je voudrais faire plus encore, et fêter un double anniversaire.
Après avoir ainsi célébré dignement, le 28 janvier, le centenaire de
la naissance d'Herold, je voudrais, le 3 mai suivant, donner la 600°
représentation de Zampa, juste soixante ans, jour pour jour, après la
première apparition du chef-d'œuvre. Voilà qui serait digne de
l'Opéra-Gomique, digne d'Herold, digne de la France musicale. Que
M. Paravey consulte à ce sujet son chef d'orchestre, mon vieux ca-
marade Danbé, qui donnait il y a quelques années, au Palais de
l'Industrie, un si brillant festival à la mémoire d'Herold. Je suis bien
sur que celui-là ne me démentira pas, et qu'il se multiplierait avec
joie pour donner à la célébration du centenaire du maître tout l'éclat
qu'il doit avoir. Il y va, d'ailleurs, de l'honneur de 1 Opéra-Comique,
et il ne faut, à aucun prix, qu'une telle date passe inaperçue pour
nous.
Mais, je l'avoue, cela ne me suffirait pas encore, et pour que la
manifestation fût complète, je voudrais que nos trois théâtres ly-
riques y prissent part à la fois. (Je dis nos trois théâtres lyriques
parce que nous en aurons trois alors, l'Eden étant sans doute en
pleine exploitation.) Si MM. Ritt et Gailhard étaient vraiment sou-
cieux du bon renom de l'Opéra et de l'honneur de l'art national,
ils n'y manqueraient certainement pas. Sont-ils gens à faire preuve
de quelque initiative et à prendre un peu de peine à ce sujet?
toute la question est là. — Mais que faire? diront-ils, et comment
s'y prendre? — Ceci est à étudier; avec de la volonté et un ferme
dessein, on arrive à tout. Ce qui est certain, c'est que le nom
d'Herold a paru plus de trois cents fois sur les affiches de l'Opéra,
qu'il a tenu à ce théâtre un emploi extrêmement important, et que
cela mérite bien de la part de celui-ci un souvenir, que la gloire
du maître justifierait d'ailleurs de toutes façons. Et quand on a
cinq grands mois pour se préparer, on a tout le temps nécessaire
pour chercher et trouver. Quant à l'Eden, rien ne serait plus facile
assurément que d'y organiser, pour une telle circonstance, une
cérémonie intéressante et digne d'un si noble sujet. Et si en effet
nos trois grandes scènes musicales combinaient intelligemment
leurs efforts en vue d'un résultat commun à obtenir, quoique par-
ticulier à chacune d'elles, nous montrerions à l'Europe que la
France a, tout comme d'autres, le culte du génie, le juste souci
de ses gloires, et le respect affectueux des grands hommes qui
l'ont illustrée.
Le nom d'Herold marque une date dans l'histoire de la musique
française. Avec lui, la musique dramatique, se dégageant des en-
traves qui la retenaient encore, répudiant définitivement et pour
jamais la formule, à laquelle Boieldieu avait déjà porté les pre-
miers coups, conquiert son entière indépendance, élargit son vol,
se poétise et s'idéalise complètement, et s'élance à la recherche de
destinées nouvelles. C'est dans une série de chefs-d'œuvre que cet
artiste merveilleux affirme et développe son génie primesautier, si
vivace, si souple et si varié. Il donne successivement Marie, chef-
d'œuvre de grâce et de jeunesse, Zampa, chef-d'œuvre d'énergie et
de passion, le Pré aux Clercs, chef-d'œuvre de tendresse et d'élé-
gance, puis meurt au seuil de la quarantième année, trop jeune
pour avoir pu remplir jusqu'au bout la mission qui lui semblait
dévolue, mais après avoir assez fait pour sa gloire, et en laissant
derrière lui ce sillon de feu qui marque le passage des êtres pré-
destinés.
Comme Weber, à qui il ressemblait par certains côtés, avec
276
LE MENESTREL
lequel il possédait tant d'affinités, comme Weber, dont il avait
l'audace, la grandeur et la fierté, Herold a trop tôt disparu. Il nous
a été enlevé au moment même où il prenait pleine possession de
son génie, où il avait, avec l'expérience, conquis la faculté de le
maîtriser et de le diriger, où il était prêt enfin à produire de nou-
veaux chefs-d'œuvre, plus grands sans doute encore que ceux qu'il
nous a laissés. C'est bien à Herold, nature tendre, poétique et rê-
veuse, musicien pathétique et passionné, esprit tout ensemble médi-
tatif et résolu, artiste au coeur toujours ému, vibrant et endolori,
c'est bien au doux poète de Marie, au chantre énergique de Zampa,
au peintre mélancolique du Pré aux Clercs, qu'on peut appliquer
ces beaux vers de Lamartine :
Notre oreille, enchaînée au son qui la captive,
Voudrait éterniser la note fugitive ;
Et l'âme palpitante asservie à tes chants,
Cette âme que ta voix possède tout entière,
T'obéit comme la poussière
Obéit, dans l'orage, aux caprices des vents.
N'oublions pas enfin qu'Herold est de la race des immortels,
et qu'en le glorifiant nous glorifions le pays qui l'a va naître, ce
pays qui est le nôtre et dont nous avons le droit d'être fiers.
Arthur Poitgin.
BERLIOZ
SON GÉNIE, SA TECHNIQUE, SON CARACTÈRE,
A propos d'un manuscrit autographe d'HAROLD EN ITALIE
(Suite)
Nous arrivons maintenant à la relouche la plus curieuse de la
Marche, et qui donne lieu aux observations les plus caractéristiques
sur le tempérament artistique de Berlioz.
A partir de la lettre K, dès la seconde réapparition de la sonnerie
de cloches représentée par la succession des notes ^X> — p^'iX |
confiées, la première aux flûtes, hautbois et harpe, la seconde aux
cors et à la harpe, se trouve une double correction qui se pour-
suivra jusqu'à la fin.
La pensée première de Berlioz avait été, en rapprochant ces deux
notes d'une mesure, de prolonger le si de telle sorte qu'il vînt
heurter l'ut naturel de la mesure suivante. Sans doute, dominé par
le souci d'une imitation réaliste, voulait-il, pour compléter son
tableau, reproduire l'effet des cloches qu'on mettrait successivement
en branle assez vite pour que, dans le tranquille silence du soir,
les vibrations de l'une durent encore quand l'autre sonne.
Quelle qu'ait été d'ailleurs sa préoccupation esthétique, l'intention
est certaine.
En effet, la partition manuscrite, comprend en cet endroit une
page blanche sur laquelle se trouve noté, comme en projet, le dessin
de la marche, seulement aux altos, puis aux violoncelles, et la
sonnerie de cloches présentée comme suit par les flûtes, hautbois
et cors, sans que rien encore soit indiqué pour la harpe:
Cors en ut \ — ■ -t
On voit qu'à ce moment précis, Berlioz songeait à prolonger le si pen-
dant unemesure entière contre l'attaque des cors produisant l'ut naturel.
Au cours de son travail il s'est ravisé, et éprouvant sans doute
quelque scrupule sur la possibilité technique de cet effet, il l'a
atténué. Sur le feuillet initial il a ajusté une nouvelle page où il a
écrit le texte entier de sa partition, mais en notant cette fois le
passage en question comme ci-après:
Cors on ut
Harpe
et ainsi jusqu'à la fin de la marche.
On voit que le si n'était plus prolongé que d'un temps. Mais
l'effet n'en subsistait pas moins, irrégulier de forme et pénible pour
l'oreille.
C'est seulement en entendant son oeuvre, — peut-être même en
lisant les critiques dont elle était l'objet, — que Berlioz aura renoncé
à cette prolongation malheureuse. Le musicien l'emporta finalement
sur l'artiste hanté par le désir de faire passer dans son art une
impression toute matérielle qu'il croyait d'abord donner à son tableau
plus de relief avec plus de vérité ; et finalement, le maître, qui
aimait la pureté du style plus qu'on ne le croit généralement, et
qui avait pour la forme ce respect mêlé d'un peu de crainte que
la forme inspire à ceux qui ne la possèdent pas complètement, a
reculé devant ce choc de septième inusité, dur et sans réalisation.
Jusqu'à la fin de la marche, il a effacé à l'encre les liaisons et
les noires, de telle sorte que le si ne durant plus qu'une mesure,
le passage se présente très régulièrement comme dans la partition
gravée.
Il n'en a pas agi ainsi lorsque l'ut ne suit pas imméliatement le
', ce qui montre bien à quelle considération a obéi Berlioz:
Berlioz se révèle là sous un de ses aspects les plus personnels.
Il y avait en lui deux tendances opposées qui se combattaient et
l'accaparaient tour à tour. Il avait un sentiment intense du pitto-
resque qui lui faisait trop souvent rechercher l'effet dans de puérils
procédés d'imitation réaliste, et, par une singulière anomalie, il avait
un sentiment non moins vif de cette idéale beauté de la forme qu'il
avait peine à accomplir. Ce romantique adorait Virgile, et l'on sait
que c'est au Divo Virgilio qu'il a dédié ses Troyens. — Tel Goethe-
s'éprit de l'antiquité grecque.
Il était aussi, plus que qui ce fut, l'homme de son temps. S'il
avait toutes les nobles passions des artistes de sa génération, il en
avait aussi les enfantillages. Ce Samson aux longs cheveux aimait à
exciter la colère des Philistins. Il faut voir comme il revient volontiers
dans ses lettres, dans ses divers écrits, sur cette sonnerie de cloches-
qu'il s'était complu à établir sur deux notes, dont l'une était étran-
gère à la tonalité du morceau ! — Pourquoi ne pas le dire? Il y avait
quelque effort dans ce rapprochement de sons et quelque naïveté
dans le plaisir qu'il en éprouvait. C'étaient ces sentiments, c'était ce-
besoin d'étonner le bourgeois qui l'avaient amené sans doute à écrire
la version primitive du passage signalé :
« Les opinions sur ma musique, raconte-t-il dans ses Mémoires,
furent au moins aussi divergentes à Bruxelles qu'à Paris. Une dis-
cussion assez curieuse s'éleva, m'a-t-on dit, entre M. Fétis, qui m'était
toujours hostile, et un autre critique, M. Zani de Ferranti, artiste
et écrivain remarquable, qui s'était déclaré mon champion. Ce der-
nier, citant, parmi les pièces que je venais de faire exécuter, la
Marche des Pèlerins d'Harold comme une des choses les plus intéres-
santes qu'il eût jamais entendues, Fétis répliqua : « Comment voulez-
vous que j'approuve un morceau dam lequel on entend presque constamment
deux notes qui ne sont pas bans l'harmonie ! » (Il voulait parler des •
deux sons ut et si qui reviennent à la fin de chaque strophe et simu-
lent une lente sonnerie de cloches.)
« Ma foi I répondit Zani de Ferranti, je ne crois pas à cette ano-
malie: mais si un musicien a été capable de faire un pareil morceau
et de me charmer à ce point pendant sa durée, avec deux notes
qui n'entrent pas dans l'harmonie, je dis que ce n'est pas un homme,
mais un Dieu !»
o Hélas, eussé-je répondu à l'enthousiaste italien, je ne suis qu'un
simple homme; et M. Fétis n'est qu'un pauvre musicien, car les
deux fameuses notes entrent toujours, au contraire, dans l'harmonie.-
LE MENESTREL
277
M. Fétis ne s'est pas aperçu que c'est- grâce à leur intervention
dans l'accord que les tonalités diverses terminant les strophes sont
ramenées au ton principal et qu'au point de vue musical, c'est pré-
cisément ce qu'il y a de curieux et de nouveau dans cette marche,
et sur quoi un musicien véritable ne peut ni ne doit se tromper un
seul inslanl. Je fus tenté d'écrire dans quelque journal à Zani de
Ferranli, quand on m'eut raconté ce singulier malentendu, pour
démontrer l'erreur de Fétis; puis, je me ravisai et me renfermai dans
mon système, que je crois bon,_ de ne jamais répondre aux criti-
ques, si absurdes qu'elles soienl.
« La partition A'Harold ayant été publiée quelques années après,
M. Fétis a pu se convaincre par ses yeux que les deux notes entrent
toujours dans l'harmonie. »
Dans ce passage de ses Mémoires, Berlioz a-t-il dit toute la vérité
et rien que la vérité? — Quand on vient d'étudier de près le manus-
crit de la Marche des Pèlerins, on a le droit d'en douter. Si grande
que soit notre admiration pour le maître, on se demande involontai-
rement si son récit ne cache pas quelque maligne tticherie. On a
démontré récemment que l'histoire, complaisamment racontée par lui
dans ses Mémoires, d'Habeneek déposant son bâton de commande-
ment pour prendre une prise de tabac au moment le plus périlleux
du Requiem, est de pure invention, et que l'imagination de Beilioz,
atteint d'une sorte de manie de la persécution, en a seule fait les
frais. — Eh bien! on peut craindre qu'il n'en soit de même pour l'his-
toire de Fétis commettant une erreur aussi grossière dans son appré-
ciation de la Marche des Pèlerins, — ou plutôt que les faits ainsi
présentés ne soient qus l'expression très -altérée de la vérité.
On voit que finalement Berlioz se réfère à la partition gravée, qui pa-
rut, dit-il, « quelques années ApitÈs » l'année où se place le récit (1840).
N'est-il pas permis de supposer que lorsque Fétis tint, siDon le
propos que Berlioz lui attribue, du moins, un propos analogue, la
Marche des Pèlerins avait été exécutée plusieurs fois dans les concerts
telle que Berlioz l'avait d'abord écrite et que le manuscrit nous la révèle?
Celte supposition est d'autant plus vraisemblable que, — on s'en
souvient, — le maître nous a dit lui-même y avoir « pendant plus de
six ans introduit des modifications de détail. » La partition gravée qui
reproduit le texte ainsi remanié, a donc dû être publiée très long-
temps après la première audition qui eut lieu à la fin de 1834. —
S'il en est bien ainsi, il est hors de doute que Fétis a entendu le
passage en question sous la forme que Berlioz lui-même a implici-
tement condamnée, puisqu'il l'a modifiée en faisant disparaître l'in-
correction signalée plus haut. — Qui sait même si ce n'est pas la
critique de Fétis qni a ouvert les yeux à Berlioz? car cette critique
a dû être formulée bien avant la date que semble vouloir lui assigner
l'auteur à'Harold, et en d'autres termes. Elle visait sans doute ce
qu'ily avait de fautif dans la prolongation du si sur l'ut sans résolution,
et, dans ce cas, il faut convenir qu'elle était fondée, et que, ce jour-
là, Fétis était mieux inspiré que le jour où il reprochait à Beethoven
d'avoir présenté dans l'admirable adagio de la symphonie en ut mineur
le renversement complet de la septième de sensible avec la note sub-
stituée placée à la partie inférieure (Traité complet de la Théorie et de
la Pratique de l'Harmonie, p. 49). — Berlioz se faisait la partie belle
en le raillant sur les faits ainsi arrangés, et il commettait une véri-
table niche en le renvoyant à la partition gravée où Fétis ne pouvait
retrouver ce qu'il avait entendu. Il y avait de quoi déconceiter le
farouche théoricien, qui dut ne pas en croire ses yeux... ou ses
oreilles !
L'observation de Fétis n'était pas d'ailleurs pour détonner en ce temps
où les œuvres de Berlioz donnaient lieu à des polémiques passionnées.
N'était-ce pas Robert Schumann, novateur ordent (dont on ne saurait
certes suspecter le libéralisme) à la recherche des sentiers non encore
frayés, — ■ combattant le bon -combat contre les Philistins sous les
pseudonymes romanesques de Florestan, Eusebius, Raro, qui, après
avoir entendu la Symphonie fantastique, discutait avec vivacité le sys-
tème de la musique à programme et s'écriait en terminant : « ... Il y a
encore beaucoup de bon et de mauvais ci dire à ce sujet : mais pour
aujourd'hui, il faut m'arrêler là ! Puissent ces lignes amener Berlioz à
rester maltro de son penchant vers V excentricité ; puissent-elles obtenir
des suffrages sans restriction pour sa symphonie, non comme la page
maîtresse d'un maître, mais comme une œuvre qui par so7i originalité se
distingue entre toutes.'...
Étrange ironie des choses ! — Trente ans plus tard, Berlioz adres-
sait les mêmes reproches, avec plus de vivacité, et aussi avec bien
plus d'éloquence, à Richard Wagner, dont il se refusait à comprendre
la géniale introduction de Tristan et Yseull (A travers chants, p. 314
à :J17).
(A suivre.) A. Montaux.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — CHBMNtrz : Le Thalia-Thealer a
fêté dernièrement le 2o° anniversaire de sa fondation. — Gottingue: La
direction du nouveau théâtre municipal, dont l'inauguration est fixée au
-lor octobre, est échue pour trois ans à M. N. Bersll. — Vienne: L'opé-
rette que le maestro Suppé est en train de composer pour le théâtre An der
Wien s'appellera Ver Bajazzo. Les librettistes sont MM. Victor Léon et
H. von "Waldberg.
— L'infatigable Angelo Neumann, vient de contribuera faire connaître,
hors des limites de sa patrie, où il est déjà célèbre, le compositeur russe
Solovieff, auteur d'une Cordélia, dont le livret est emprunté à la Haine, le
drame de M. Sardou. C'est le 18 août que cet opéra a été donné pour la pre-
mière fois à l'Opéra de Prague, avec un succès considérable. « La musique,
ditle correspondant d'un journal de Berlin, est admirablement adaptée aux
situations; elle est d'une inspiration élevée et se rapproche par l'orches-
tration de l'école wagnérienne, tandis que l'invention mélodique fait spn-
ger aux maîtres de l'école italienne. Les chœurs sont admirables et im-
posants. Le compositeur, qui assistait à la représentation, a été ovationné
comme rarement musicien l'a été. »
— Les éditeurs Breitkopf et Hartel, de Leipzig, viennent de publier, dit-
on, deux compositions inédites de Beethoven. La première est la réduction
pour piano solo d'un concerto en mi bémol pour piano et orchestre; la
seconde comprend seulement le premier morceau d'un autre concerto, en ré
majeur, pour piano et orchestre, en partition.
— Les deux fils du compositeur et chef d'orchestre Cari Reinecke, dont
la renommée est grande en Allemagne, MM. Cari et Franz Reinecke, vien-
nent de fonder à Leipzig une grande maison d'édition et de commerce de
musique. Ils ont, pour commencer, publié une série de lieder de leur père,
et diverses compositions pour le piano de MM. GarlWolf, Ebert-Buchheim
et de notre compatriote, M. Charles Gouvy.
— On sait qu'une grande Exposition internationale doit avoir lieu à
Palerme en 1891. En conséquence de ce fait, le conseil municipal de la
métropole sicilienne a décidé d'accorder la direction du Grand-Théâtre à
un entrepreneur pour une durée de trois années, avec une subvention de
100,000 francs pour la première et pour la troisième année, et de
180,000 trancs pour la seconde, qui comprendra la grande saison de l'Ex-
position. Mais ce qui rend les Palermitains perplexes, c'est que l'on
construit en ce moment un nouveau Grand-Théâtre et que l'architecte,
M. Basile, ne s'engage nullement à achever l'édifice pour cette époque
importante et exceptionnelle. On comprend l'émotion qu'a pu soulever
une pareille nouvelle. Quoi qu'il en soit, le comité de l'Exposition vient
de décider l'ouverture d'un concours pour la composition d'une grande
cantate qui devra être exécutée le jour de l'inauguration. Un prix de
500 francs est attribué à la poésie couronnée, un prix de 2,000 francs à la
musique. Il va sans dire que ce concours est exclusivement italien.
— Le jeune compositeur Pietro Mascagni fait décidément perdre le sens
commun à ses compatriotes. A la répétition générale de son opéra, Caval-
leria rusticana, à Livourne, la foule qui s'était massée devant les portes du
théâtre Goldoni pendant qu'y pénétraient les invités, a fini par se ruer
sur le parterre en dépit de la résistance des employés. Il fallut quérir la
force armée pour rétablir l'ordre. Ce fut pis encore le lendemain, à la pre-
mière représentation ; on dut avoir recours aux carabiniers, aux gardes de
sécurité publique et même à la troupe pour maintenir la tranquillité au
dedans et au dehors de la salle, que le public menaçait, comme la veille,
d'envahir de force et par tous les moyens possibles. « Décidément, dit à ce
sujet la Lombardia, le maestro Mascagni et sa Cavalleria rusticana rendent
fou le bon public livournais. Désormais le sublime et le ridicule font
plus que de se toucher, ils se confondant. » Il n'a pas fallu, à cette pre-
mière représentation, moins d'une demi-compagnie d'infanterie pour
défendre les portes du théâtre, tandis que les places réservées étaient gar-
dées t>ar des carabiniers. Quelle rage !
— Deux opéras français, Mignon et Carmen, feront seuls les frais de la
saison d'automne au théâtre de Varèse. On donnera 22 représentations de
ces deux ouvrages.
— A l'occasion des fêtes qui seront célébrées à Rome pour le treizième
centenaire du pape Grégoire le Grand, il sera tenu en cette ville un grand
congrès international de liturgie, auquel seront invités tous les savants
et artistes qui s'occupent de liturgie, d'archéologie musicale et d'art reli-
gieux. On croit que ce congrès sera honoré de la présence du pape. A
cette occasion, il y aura une grande exposition des œuvres littéraires et
musicales les plus anciennes et les plus classiques, « catholiques, ecclé-
siastiques et historiques. »
— La Gazzelta musicale nous donne cette amusante silhouette d'un
artiste un peu excentrique, Antonio Soldano, flûtiste non sans talent,
ancien élève du Conservatoire de Naples, où il vient de mourir à l'âge
de 08 ans; « Excellent virtuose, mais sans fortune, et peut-être non par
sa faute ; c'était un toqué. Il manquait de pain, mais on le voyait partout,
et toujours il avait à manifester quelque idée nouvelle sur la construc-
278
LE MÉNESTREL
tion de tel ou tel instrument. Je ne sais combien de nouveaux instru-
ments il avait en idée, ni à combien d'oeuvres profanes ou religieuses il
avait eu espoir de donner la vie, car chaque jour il se présentait au Con-
servatoire pour 'en faire approuver une nouvelle; mais il se bornait à dis-
courir de leur mérite, et se contentait ensuite de montrer un grand por-
tefeuille, dans lequel étaient entassés de nombreux cahiers de papier de
musique, des mémoires de découvertes et inventions, des projets de
réforme des conservatoires. Le soir, il s'en allait jouer de la flûte, et
souvent très bien, dans les salles des cafés, où quelquefois pour toute
récompense de ces concerts improvisés, il n'obtenait autre chose qu'une
tasse de café et quelques échaudés, alors qu'il n'avait pas pris d'autre
nourriture. Mais il ne se plaignait jamais de sa misère, et ne demandait
rien à qui que ce soit. Tout le jour il parcourait la ville : à qui avait la
patience de l'écouter il montrait son portefeuille, faisait l'énumération de
ce qu'il contenait, puis se plaignait que lui, le réformateur de toutes les
branches de Fart, il dût donner des concerts de flûte pour vivre...» Il ne
faut pas trop plaindre de tels illuminés. Ils ont toujours conservé leurs
illusions, et ils ont traversé la vie sans jamais perdre l'espoir, en culti-
vant l'art avec une passion sincère.
— Antoine Rubinstein, qui était allé s'établir en villégiature à Baden-
vveiler, dans la Forêt-Noire, est retourné à Saint-Pétersbourg, où sa pré-
sence était nécessitée par l'ouverture de son premier concours, fixée,
comme nous l'avons dit, au 27 du présent mois d'août. On assure que le
grand artiste a mis, à Badenweiler, la dernière main à toute une série
de compositions nouvelles, entre autres une ouverture à grand orchestre,
divers morceaux de piano et plusieurs licder.
— Vient de paraître, à Frameries, la quatrième année de l'Annuaire
officiel de la musique en Belgique, par M. Jules Dufrane, secrétaire com-
munal. Cet annuaire n'est autre chose que le répertoire complet de toutes
les sociétés musicales : orphéons, harmonies, fanfares, philharmonies, etc.,
qui, on peut bien le dire, couvrent le sol de la Belgique, où l'étude de la
musique a toujours été en si grand honneur. Veut-on se faire une idée
approximative de leur nombre général? on peut juger par induction.
Malines possède 29 sociétés musicales, Anvers en compte 33, Louvain 41,
Liège 43, Gand 47. Quant à Bruxelles, il ne s'y en trouve ,pas moins
de 71; mais ce n'est pas tout, les cinq communes suburbaines qui ont
chacune leur autonomie municipale, mais qui n'en font pas moins partie
intégrante de Bruxelles, comptent : Schaerbeek 21 sociétés, Saint-Josse-
ten-Noode 8, Molenbeek 11, Saint-Gilles 13 et Ixelles 22; de sorte que
pour toute l'agglomération bruxelloise et une population d'environ
500,000 âmes, on ne trouve pas moins de cent trente-six sociétés musi-
cales ! Qu'on dise donc que les Belges n'aiment pas la musique !
— La réouverture des concerts-promenades de Covent-Garden, à Londres,
a eu lieu la semaine dernière sous la direction du chef d'orchestre
G. Crove et avec le concours de Mmes Marie Roze et Belle Cole, de MM. Carro-
dus, Davies et B. Foote.
— Toute une série de festivals de musique sont annoncés en Angle-
terre pour l'automne. Nous avons déjà fait connaître les programmes des
prochaines fêtes musicales de "Worcester et de Bristol. Il nous reste à
parler de ceux de Norwich et de Cheltenham. Le premier commencera le
14 octobre avec Judas Machabée; le 15 on entendra le Lamentatio Davidi, de
Schùltz, pour voix de basse et accompagnement de quatre trombones et
orgue; la nouvelle cantate du docteur Parry, V Allegro ed il Penseroso
(d'après Milton); le Stabat Mater, de Ros'sim, et la musique de scène com-
posée par le docteur Mackenzie pour le nouveau drame la Fiancée de Lam-
mermoor. Le 16 octobre, Sir Arthur Sullivan dirigera son Martyre d'An-
lioche. Le principal numéro du concert du 17 octobre sera VElie de Men-
delssohn. L'orchestre et les chœurs, formant un effectif de 350 exécutants,
seront dirigés par les auteurs et le chef d'orchestre Randegger. Au nombre
des solistes, on annonce M",ei Nordica, Lehman, Damian, MM. E. Lloyd
et Henschel. — Le festival de Cneltenharn aura lieu, du 27 au 30 octobre,
sous la direction de M. J. A. Mathews. Le programme comprendra une
i velle œuvre chorale composée spécialement pour la circonstance par
le révérend Canon Bell sur une poésie de M. C. H. Lloyd; l'oratorio The
liepenlance of Nineveh, du professeur Bridge; le Stabat Mater de Dvorak; la
première partie de la Création, d'Haydn, et l'inévitable Messie. Ont été en-
gagés comme solistes : MM. Piercy, Mac Kay, Banks Breretin, Mmes Nor-
dica, "Williams, Hilda Wilson et Ilope Glcnn.
— L'opéra de Mozart Cosi fan tulle, dont la dernière apparition sur une
scène anglaise date de 1842, vient d'être représenté par les élèves du Royal
collage of music à leur matinée annuelle. Comme précédemment, le Savoy
Théâtre avait été misa leur disposition par M. d'Oyly Carte. Représentation
très remarquable sous la direction de M. Villiers Stanford. L'orchestre et
les chœurs, comme les interprètes, s'en sont tirés à leur honneur. Un nou-
veau livret anglais avait été confectionné pour la circonstance parle révé-
rend Marmaduke Brown. Nous voulons espérer que cette adaptation an-
glaise était meilleure que l'adaptation française qui valut, il y a quelque
vingt-cinq ans, à notre ancien Théâtre-Lyrique, un four si conditionné à
l'adorable chef-d'œuvre de Mozart.
— Mme Adelina Patti s'est fait construire dans son splendide château de
Craig-y-Nos un théâtre, dont l'inauguration, absolument intime, a eu lieu
ces jours derniers, en présence d'un petit nombre d'invités. La façade do
ce théâtre, sur laquelle, en lettres d'or, est inscrit son titre : Patti-Théâtre,
est dans le style italien. Une large galerie relie l'édifice au château. Les
dimensions de l'auditorium sont de 42 pied s sur 27. Le plafond est supporté par
douze colonnes corinthiennes ; les murailles sont divisées en panneaux ;
le plancher peut s'élever au niveau de la scène, et changer le théâtre en
salle de bal. Dans le jour, l'éclairage se fera par des lanternes placées au-
dessus d'un plafond en verre opaque. Le soir, un foyer central de seize
lumières électriques et des appliques de trois lumières chacune éclaireront
la salle. Ce théâtre bijou contient 180 personnes assises, mais il y a place
pour 200. Les fauteuils sont couverts de. peluche de soie bleue. La décora-
tion, non tout à fait terminée encore, sera bleu et or. A l'orchestre il y a
place pour seize musiciens. Le proscenium a 20 pieds de large et 19 de haut.
Nous passons le détail des ornements. Sur les panneaux du cintre on lit
le nom des grands compositeurs avec Rossini au centre ; c'était indiqué.
Shakespeare lui fait vis-à-vis, au-dessus de la galerie. Les rideaux de
tableaux sont fort élégants, en peluche de soie bleue. Le rideau des actes
représente un portrait de Mme Patti en Sémiramide conduisant un char à
deux chevaux. Ce rideau a été peint par M. White, un artiste fort connu
en Angleterre. La pièce représentée, à laquelle Mme Patti et M. Nicolini
n'assistaient que comme spectateurs, était un opéra-comique anglais, The
Coastguard, de M. Hulley, qui conduisait lui-même l'orchestre composé de
quatorze musiciens. La véritable ouverture de ce théâtre n'aura lieu que
l'année prochaine. Mm0 Patti y chantera ses- principaux airs et le célèbre
acteur anglais Henri Irving y déclamera ses rôles les plus connus. Ajou-
tons enfin que le Patti-Théâtre a une double entrée : l'une communiquant
avec le château, pour les invités ; l'autre consacrée au public, pour les
jours où il sera donné des représentations de bienfaisance.
— Miss Alice Shaw, la célèbre siffleuse américaine a trouvé en M. Frank
M. Steven's, critique musical à Londres, un éloquent défenseur de sa
cause et de sa profession : « On a tort de prétendre, écrit-il, que le sif-
flage est anti-artistique et indigne de la considération des musiciens; c'est
une idée absolument fausse. Cultivez cet art, pratiquez-le, et bientôt il
prendra rang au nombre des progrès dignes du respect des critiques et de
l'admiration du public. » A quand la fondation d'une école de siffleurs?
— Voici pour la prochaine saison, le tableau de la troupe du Théâtre-
Royal de Madrid : Mmcs Tetrazzini, Marcella Sembrich, Pacini, Morelli,
Bordalba, Stahl; MM. Durot, Lucignani, Masin, ténors; Battistini, bary-
ton ; Uetam, Urrutia, Vanrell. basses ; Baldelli, buffo caricato. Le chef
d'orchestre est M. Luigi Mancinelli.
— Une troupe d'opéra italien dans les prix doux vient de s'installer,
pârait-il, à Madrid, dans la salle de l'Alhambra. Le prix d'entrée, qu'on
aurait de la peine à trouver plus modique, est fixé à 75 centimes.
— Au Tivoli de Madrid, on a donné récemment la première représen-
tation d'un « jeu comique » intitulé los Nuestros, paroles de M. Estremera,
musique de M. Chapi, l'un des zarzueleristes les plus favoris du public
espagnol. Ce petit ouvrage a été fort bien accueilli.
— Au grand concours musical qui a eu lieu ces jours derniers à Ge-
nève, les trois grands prix du concours d'honneur entre les sociétés qui
avaient remporté un premier prix ont été obtenus : pour les sociétés
chorales, par l'Union artistique de Besançon; pour les harmonies, par
l'Harmonie de l'Union du Creuzot ; pour les fanfares, par le Cercle des
Dix-Sept, de Vitry-le-François. Le prix d'honneur offert par M. Carnot,
consistant en un buste en pâte de Sèvres du général Desaix, a été gagné
par la Lyre de Troyes. Les sociétés françaises ont fait un pèlerinage au
cimetière de la Châtelaine, sur la tombe des soldats français morts en 1871.
— Nous lisons dans l' American Art Journal: « Une relique littéraire d'un
intérêt tout spécial pour les musiciens est arrivée le 21 juillet par le
transatlantique la Normandie; c'est le manuscrit original de l'oratorio Jeanne
d'Arc, comprenant cent parties de chœurs et cent vingt-cinq parties d'or-
chestre, toutes écrites de la main du célèbre Gounod (!!!). Ces manuscrits
ont été consignés entre les mains de M. Willoughby, imprésario de Mar-
guerite Mather, et seront utilisés pour la production de Jeanne d'Arc par
miss Mather au théâtre Palmer, dans les premiers jours de septembre. La
musique servait à l'origine pour un oratorio, ayant été composée il y a
trois ans à l'occasion de l'anniversaire du couronnement de Charles VII à
Reims et exécutée dans la cathédrale de cette ville par un chœur de
600 voix et un orchestre de 175 exécutants. Aux manuscrits était jointe
une lettre autographe de Charles Gounod, dont voici la teneur : « La mu-
sique de Jeanne d'Arc, dont je vous remets le manuscrit original, a été
entièrement remaniée en vue de l'adaptation scénique, en Amérique, de
l'histoire de la divine fille, d'après la légende de mon confrère Jules Bar-
bier. Comme vous avez acquis le droit exclusif d'utiliser ma musique
pour les représentations américaines, il est entendu que vous êtes seule
autorisée à la produire sous les réserves du contrat passé à Paris le
13 juin. Je suis heureux que l'entreprise de New-York ait été confiée à
une artiste aussi distinguée que vous et j'ai le ferme espoir que le succès
en Amérique égalera le succès en France. » Le représentant de miss Ma-
ther déclare que M. Gounod a reçu des propositions pour aller diriger
son œuvre aux représentations do miss Mather et de sa troupe. Nous pou-
vons, ici, à Paris, confirmer ce fait, mais en ajoutant que M. Gounod, qui
avait tout d'abord accepté ces propositions, s'est ravisé ensuite et a renoncé
à partir pour l'Amérique.
.
LE MÉNESTREL
279
— Un chanteur italien du nom de Reltramo, qui se trouvait à Monte-
video, est devenu fou subitement en cette ville. Il craint à chaque ins-
tant d'être assassiné, et la manie de la persécution engendre chez lui la
manie du suicide. On a du transporter le malheureux artiste dans un
hospice d'aliénés, et l'on doute qu'il puisse revenir à la raison et à la
santé.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
La direction de l'Opéra ne s'endort pas, oh non ! Si MM. Ritt et
Gailhard boudent le gouvernement et se moquent de leur cahier des
charges, s'ils refusent absolument de s'occuper d'aucune œuvre nouvelle,
ils emploient bien leur temps, surtout à envoyer aux journaux des com-
munications palpitantes d'intérêt. Qn'on en juge. La dernière nous
apprend que la direction da l'Opéra : 1° vient d'engager une chanteuse
légère, M"" Loventz, qui vient de Marseille et qui débutera le mois pro-
chain dans les Huguenots; 2° que M. Duc a dû chanter vendredi Vasco de
Gama de l'Africaine; 3° que M. Lassalle fera le o septembre, retour de
Londres, sa rentrée dans le rôle de Benvenuto de VAscanio de M. Saint-
Saëns ; 4° ... C'est tout. Vous ne trouvez pas que c'est assez comme ça?
On assure pourtant que ces messieurs sont très fatigués — malgré les
courses qu'ils font dans tous les quartiers de Paris à la recherche du
contralto qui leur manque toujours.
— Au dernier moment, nous apprenons qu'après bien des lenteurs, bien
des hésitations, bien des tiraillements, l'Opéra a pris une résolution
héroïque et s'est enfin décidé à monter Salammbô. La nouvelle serait officielle
depuis vendredi, et les études vont commencer sur-le-champ.
— Dans la nuit de jeudi à vendredi, vers minuit, un commencement
d'incendie s'était déclaré au théâtre de l'Opéra dans les appareils de ma-
nœuvre des accumulateurs de veilleuse. Grâce à la promptitude des secours
apportés par les sapeurs-pompiers des postes les plus voisins, le feu fut
éteint après un quart d'heure de travail. Les dégâts sont insignifiants. On
nous assure qu'ayant eu connaissance de ce commencement d'incendie,
l'Administration des beaux-arts et la préfecture de police, comprenant
l'immense responsabilité qui leur incomberait en cas de malheur, se-
raient décidées à exiger de MM. Ritt et Gailhard, comme on l'a exigé de
tant d'autres, l'établissement de nouvelles sorties pratiques et suffisantes
pour les fauteuils d'amphithéâtre et pour le parterre. Espérons, cette fois,
que la nouvelle est vraie, et que la direction des beaux-arts et la préfec-
ture de police ont enfin pris la résolution d'agir énergiquement et sans
délai.
— Demain lundi, lor septembre, réouverture de l'Opéra-Gomique avec
le Barbier de Séville, joué par Mme Landouzy, MM. Delaquerrière, Fugère,
Soulacroix et Fournets, suivi, dès le lendemain, de Mireille. Le jeudi
suivant, la Basoche reparaîtra sur l'affiche. Puis, dans le cours de ce mois
de septembre, on retrouvera quelques-uns des grands ouvrages du réper-
toire, c'est-à-dire Mignon, Carmen, le Roi d'Ys, pour le début du baryton
Renaud, le Pré aux Clercs, pour celui de MUe Clarisse Yvel, la Dame blanche,
etc. Dès la réouverture effectuée, on s'occupera des premières études du
Bencenuto de M. Eugène Diaz, et l'on reprendra celles du petit ouvrage
de M. Gustave Michiels, Colombine. S'il faut en croire les notes officielles
adressées à la presse par la direction, ces deux mois de fermeture ont été
bien employés à l'Opéra-Comique. On a complètement refait le plancher
de la scène, qui en avait le plus grand besoin, et l'on a fait quelques
améliorations heureuses dans la salle. Ces travaux doivent être, à l'heure
qu'il est, complètement terminés, et la scène et la salle doivent avoir
repris leur physionomie habituelle.
— Il parait que les services de la scène n'étaient pas encora complète-
ment constitués au Théâtre-Lyrique de l'Eden. En voici l'état définitif,
toujours d'après les notes officielles, dont la fréquence de la part de nos
scènes musicales devient décidément alarmante : chefs d'orchestre,
M. Gabriel Marie, qui dirigera les études et les représentations de Samson
et Dalila, et M. Thibaut, qui dirigera les représentations de la Jolie Fille de
Perlh; chef des chœurs, M. Georges Marty; accompagnateur des chœurs,
M. G. Bondon; accompagnateur du chant, M. Paul Fauchey; maître de
ballet, M. Théophile; régisseur général, M. Baudu. M. Verdhurt, qui
avait fait démentir avec fracas la nouvelle de l'engagement de M. Morlet,
laquelle n'avait pourtant rien de déshonorant, fait cependant annoncer
aujourd'hui cet engagement; alors, pourquoi la fureur de ces derniers
jours? Quoi qu'il en soit, M. Morlet débutera dans le petit opéra de
M. Alexandre Georges, le Printemps, qui complétera l'affiche de l'inaugu-
ration, avec Samson et Dalila. Pour ce qui est de ce dernier ouvrage, on
laisse supposer que c'est Mmc Rosine Bloch qui en établira le rôle prin-
cipal; tout au moins assure-t-on que des pourparlers très actifs sont
engagés avec cette artiste, et que ces pourparlers sont sur le point
d'aboutir.
— >IM" Virginie Haussmann, que les Parisiens se rappellent avoir
applaudir; lors des représentations de Jocclyn, vient de signer un bel enga-
gement avec ce même Théâtre-Lyrique de l'Eden. Premier prix de notre
Conservatoire, M"0 Haussmann, qui est douée d'une belle voix de mezzo-
soprano et d'une grande intelligence de la scène, a toujours remporté de
très grands succès à l'étranger, et notamment en Ralie, avec Mignon,
Carmen, Aida, la Favorite...
— Est-ce l'annonco de la prochaine ouverture du Théâtre-Lyrique à
l'Eden, est-ce l'espoir de voir prendre fin très prochainement la dictature
de MM. Ritt et Gailhard à l'Opéra, est-ce le nombre très engageant des
nouveautés toujours promises par M. Paravey ? Nous ne savons; mais
toujours est-il qu'en ce moment nous assistons à une éclosion féroce de
partitions d'opéras de tous genres. Après le Rêve, de M. Bruneau, les For-
moses, de M. Messager, et la Marchande de sourires, de M.Wormser, annon-
cés ces jours derniers, voici qu'on nous promet encore : Héliogabale, opéra
en trois actes de M. H. Céard, musique de M. Bruneau ; le Prince Noir,
drame lyrique en quatre actes de M. Victor Capoul, musique de M. Du-
prato, et un livret d'opéra tiré du Chevalier de Maison-Rouge, par MM. Emile
Blavet et Paul Millet pour M. Spiro-Samara. A ce propos, nous nous sommes
amusés à rechercher les ouvrages sur les livrets français annoncés depuis
une année seulement, et voici la liste terrifiante, bien que très incom-
plète, du titre des opéras et des opéras-comiques que nous avons pu
dresser : un opéra sur le Tasse, de M. Ambroise Thomas ; On ne badine pas
avec l'amour, de M. Gounod ; Omphale, de M. Ernest Reyer; Werther et le Mage,
de M. Masseiiet; Kassia, de M. Léo Delibes; Montalte, de M. Guiraud; Ciicé,
de M. Théodore Dubois; Carmosine, de M. Poise; Fiesque et quatre actes sur
un épisode de la Jacquerie, par M. Edouard Lalo ; Ruy Blas, par M. Ben-
jamin Godard ; les Folies amoureuses, par M. Pessard ; le Barde, par M. Gas-
tinel ; le Roi Kean, par M. Litolff; le Flibustier, par M. César Cui; Thamara,
par M. Bourgault-Ducoudray; la Messe de Minuit, par M. Limnander ;
Briséis, par M. Chabrier ; Lenik, par M. Raoul Pugno ; le Marchand de Venise,
par M. Louis Deffès ; Benvenuto, par M. Diaz ; le Sicilien, par M. Wekerlin;
Calendal, Deïdamia, et Ping-Sin, par M. Henri Maréchal ; le Légataire universel,
par M. Pfeiffer; les Normands, par M. Casteignier; la Clianson nouvelle, par
M. Jules Bordier ; la Montagne noire, par M,la A. Holmes ; Judith, par
Mmc Thys ; Enguerrande, par M. Chapuis ; Beaucoup de bruit pour rien, par
M. Puget; Don Luis, par M. Pierné ; le Duc d'Albe, par M. Ventéjoul; Co-
lombine, par M. G. Michiels; le Duc d'Athènes, de M. Alph. Duvernoy; la
Ciguë, de M. Gennevraye; le Chevrier, de M. Charles Lecocq; Folie I de
M. Ed. Audran ; Persévérance d'amour, de M. le marquis d'Ivry ; le Persan,
de M™ Olagnier; le Marquis Mascarille, de M. J. Ten Brinck... et tous
ceux que nous oublions !
— Voici, d'après notre confrère "Willy, de la Paix, le sujet de Thamara,
l'opéra en quatre tableaux commandé à M. Bourgault-Ducoudray. De-
puis quatre-vingts jours, Bakou, la ville sainte des Guèbres, est assiégée
par Nour-Eddin, sultan des Perses. La maladie et la famine vont forcer
les Guèbres à se rendre, quand on apprend qu'une jeune prêtresse,
Thamara, sacrifiant sa virginité et sa vie pour sa patrie, se rendra chez
le sultan, se donnera à lui, et le tuera quand il reposera à ses côtés.
Thamara part pour le camp ennemi, mais en voyant avec quelle bonté
le puissant Nour-Eddin l'accueille, sa haine tombe, elle se prend à l'ai-
mer. Pourtant le sentiment de sa patrie opprimée finit par l'emporter et,
après une nuit d'amour, elle poignarde le sultan endormi, met le feu
aux tentes et se sauve vers Bakou. Les Persans fuient. Les Guèbres
acclament leur libératrice. Mais Thamara ne peut survivre à celui qu'elle
aimait, et elle se frappe mortellement au milieu des cris de victoire de
son peuple.
— Encore une note qui nous parait émaner de l'officine infatigable de
l'Opéra, ce qui se reconnaît à son caractère à la fois descriptif, pittoresque
et savoureux : — « Connaissez-vous le Codonophone? Nous l'ignorions en-
core hier et, à l'Opéra, c'est à peine, avant-hier, si l'on en avait vague-
ment entendu parler. Il est pourtant, croyons-nous, appelé à faire beau-
coup de bruit dans le monde. Imaginez un instrument grand à peu près
comme une armoire à glace et qui produit à lui tout seul autant de tapage
que vingt-cinq grosses cloches. Comme, si grands qu'ils soient, il n'est
pas toujours commode d'installer un carillon dans les cintres d'un théâtre,
on cherchait depuis longtemps. Wagner, pendant vingt ans, étudia la
question ; il avait besoin de cloches pour le Rhcingold. A Vienne, on crut
avoir résolu le problème, grâce à une corde de contrebasse, à laquelle il
fallait d'ailleurs joindre le secours d'un tam-tam. Aujourd'hui, le vérita-
ble remplaçant des cloches est trouvé ; il fonctionne merveilleusement et
par le procédé le plus simple. Il y a trois ans, à l'exposition d'Anvers,
M. Gailhard avait remarqué un jouet d'enfant assez curieux : c'était une
série de tubes en métal sur lesquels on frappait et qui rendaient des sons
très vibrants. Il commanda des tubes du même genre et les essaya dans
le ballet de M. Gastinel, le Rêve. Le résultat était déjà satisfaisant, mais
il fallait une habileté extraordinaire pour ne pas faire de fausses notes;
un coup frappé un centimètre trop haut ou trop bas dérangeait tout. C'est
alors que M. Lacape intervint; dans une sorte de buffet, grand, nous l'a-
vons dit, comme une armoire à glace, il enferma vingt-cinq tubes de
métal sur lesquels viennent frapper des marteaux mis en action par les
touches d'un clavier. Le Codonophone était né. Tout d'abord on est arrivé
à la perfection, on le verra le mois prochain, lors de la reprise du Rêve.
Le plus long tube à lm,40, le plus court 0m,60 environ, et un tube pesant
2 kilogs produit le son d'une cloche de 80 kilogs. C'en est donc fait des
cloches au théâtre. » S'il en pouvait être de même de MM. Ritt et
Gailhard !
— Merci, mon Dieu ! Les théâtres d'opérettes menaçaient de nous man-
quer, voici qu'il s'en présente un nouveau. Le Paradis-Latin, vendu par
M. Marcel Simon, est transformé en salle de spectacle par M. Desfossez.
280
LE MÉNESTREL
L'ouverture doit avoir lieu avec les Noces d'Olivette, de M. Edmond Audran,
qui a dirigé les répétitions. La nouvelle salle portera désormais le. nom
de théâtre d'Opéra-Bouffe,
— A propos d'une remarque qui avait été faite à son sujet dans le
Figaro, M. Hans Richter, le célèbre chef d'orchestre allemand qui s'est
rendu fameux surtout par son admirable exécution des œuvres wagné-
riennes, a adressé à ce journal l'intéressante lettre que voici, qui est un
courtois hommage rendu par lui à la musique et aux musiciens français :
Monsieur,
Dans son numéro du 18 de ce mois le Figaro publie, sous la rubrique <c Cour-
rier des théâtres », une correspondance de Vienne dans laquelle il est dit que je
dirige les œuvres de Wagner de la main droite et celles des maîtres français
(Carmen, par exemple) de la main gauche, ce qui serait, d'après votre correspon-
dant, un signe de mépris de ma part pour la musique française.
Ce jugement m'est très pénible, comme artiste, et je prends la liberté de vous
donner quelques mots d'éclaircissement, que vous voudrez bien publier dans la
forme qui vous conviendra.
Votre correspondant n'a probablement jamais dirigé d'orchestre ; sans cela, il
saurait combien la partie physique de cette activité artistique est elle-même
fatigante. Qu'il essaie de tenir le bâton du chef d'orchestre cinq à six heures de
suite pendant plusieurs jours, et il verra combien tous les nerfs et tous les muscles
du bras sont surexcités. Comme chef d'orchestre des plus occupés, je me suis
exercé pendant des années à me servir aussi bien de la main gauche que de la
main droite ; j'évite ainsi la fatigue trop précoce du bras droit, fatigue qui entraî-
nerait pour moi, à trt>s bref délai, un repos forcé. Mais pour que mes collabora-
teurs ne soient pas troublés par cette nouvelle façon de tenir le bâton, je ne
dirige de la main gauche que les œuvres qui sont les plus connues de mon
orchestre, uar exemple Rienzi, Lokengrin, Carmen et quelques-uns des opéras
italiens que nous jouons le plus souvent.
Des sept opéras que votre correspondant cite comme étant le répertoire de la
semaine, il y en a cinq que je conduis moi-même ; il est donc bien naturel que
la main gauche vienne en aide à la droite ; et un reproche à ce sujet est d'autant
moins justifié que votre correspondant lui-même reconnaît que la représentation
n'en a pas moh'S été très réussie.
J'ai trop souvent prouvé l'admiration vraie et rincère que m'inspire la musique
française, cette musique si aimable et si spirituelle, pour ne pas protester contre
cette allégation : il n'y a certes pour moi aucune espèce de mépris, mais au
contraire une grande vénération pour les maîtres français !
Je suppose, monsieur le rédacteur en chef, qu'après ces éclaircissements et en
votre qualité de gentleman et de Français, vous me disculperez devant les lecteurs
du Figaro de la petite faute de goût dont te Figaro m'a accusé.
Veuillez agréer, etc.
Hans Richter,
Premier chef d'orchestre à l'Opéra impérial et royal de Vienne.
Vienne, 22 août 1890.
— On vient d'inaugurer, au cimetière Montmartre, le monument consa-
cré à M" Carlotta Patti-de Munck, enlevée si prématurément à l'affec-
tion de tous. Il se compose d'une stèle en pierre de 3 mètres 10 de hau-
teur et de 1 mètre 07 de largeur. Au milieu se trouve un médaillon en
bronze, la date de sa mort, 27 juin 1889, et une poésie que composa pour
elle Alphonse Karr :
A CARLOTTA PATTI
Ahl je vous reconnais, chère petite Orphée!
C'eBt vous, cette ûlleule à laquelle une fée
Fit, au temps de Perrault, un don si merveilleux
Que veulent en vain mettre au rang des contes bleus
Seuls les gens envieux et tristes.
Oui, le don est réel, car je vois et j'entends
Émeraudes, rubis, topazes, améthystes
Ruisseler à travers les perles dé vos dents!
Nice, septembre 1886. Al. Karr.
Une élégante vasque d'un mètre 72 sur un mètre S0 entoure la stèle.
— Toujours grande aflluence aux festivals du palais de l'Industrie,
très bien organisés par M. Mayeur. On a fait fête dernièrement à une
débutante, M"e Maréchal, dont la voix et la méthode sont excellentes.
— M. Federico Parisini vient de publier la sixième et dernière livraison
du premier volume de son Catalogo delta Biblioteca del Licco musicale di Bo-
logna, dont il est le très actif et très laborieux conservateur. J'ai le regret
d'être obligé d'accentuer encore les critiques que j'ai déjà exprimées sur
les premiers fascicules de cet ouvrage important. Non seulement la clas-
sification est défectueuse et incomplète, mais les œuvres elles-mêmes sont
mal classées et placées dans des sections auxquelles elles ne devraient
pas appartenir. Ainsi, l'on trouve simplement une section d'Histoire gé-
nérale de la musique, qui devrait être complétée par trois sous-sections,
comprenant l'une les Temps anciens, l'autre le Moyen-Age, la troisième les
Temps modernes. De même, l'histoire de la notation, si importante, et que
l'auteur fait entrer dans l'Histoire générale de la musique, devrait former un
chapitre spécial. D'autre part, je vois que M. Parisini fait entrer dans
l'Histoire générale de la musique, qui paraît bonne à tout pour lui, la Storia
del canlo, de G. Fantoni, qui devrait naturellement figurer dans l'histoire
du chant, la Scuola musicale di Napoli, de Francesco Florimo, dont la place
logique est dans la section des conservatoires, les Éludes philosophiques sur
l'histoire de la musique, de J.-B. Labal, qui eussent dû être classées sous la ru-,
brique : Philosophie, esthétique. L'Histoire du Théâtre ne forme à tort qu'une
section, alors qu'il faudrait distinguer entre le théâtre lyrique et le théâ-
tre non lyrique. Et pourquoi, dans cette Histoire du Théâtre, comprendre
des ouvrages comme les Notes de musique, de M. Reyer, qui rentrent dans
la critique, YOEuvre dramatique de Berlioz, de M. Ernst, les Rossiniane, de Gar-
pani, le Richard Wagner, de MM. Malherbe et Soubies, dont la place est
toute marquée dans la Biographie. Puis, des erreurs, comme la double
mention du Dictionnaire des Théâtres, de Léris, qui est catalogué deux fois
dans le même chapitre, d'abord anonyme, puis avec le nom de l'auteur...
Je n'en finirais pas de ces critiques, malheureusement trop nombreuses et
trop graves. Avec tout cela, ou malgré tout cela, beaucoup d'intérêt dans
ce livre, et beaucoup de soin apporté à la reproduction de documents de
la plus grande importance : préfaces, avertissements, dédicaces absolument
précieux d'anciens ouvrages, descriptions fort utiles de traités peu connus,
détails historiques du plus grand intérêt, qui montrent à quel point
M. Parisini a nettement conscience de l'utilité de son travail. En somme,
et en dépit de ses imperfections, ce catalogue, lorsqu'il sera achevé,
constituera une sorte de grande bibliographie de la musique comme je
crois qu'il n'en existe encore dans aucune langue. — A. P.
— Le Livre moderne, journal littéraire, publie sous ce titre : « Amusettes
bibliographiques », la curieuse énumération des parodies théâtrales ins-
pirées par certaines œuvres contemporaines. En voici quelques-unes con-
cernant les opéras : la Favorite devient Nannand et Nonor; le Prophète :
l'Ane à Baptiste; Tannhauser : Panne aux Airs; Roméo et Juliette : Romain et
Julienne et Rhum et eau en juillet. Faust enfin devient le Petit Faust; mais ici,
du moins, la parodie est un petit chef-d'œuvre.
— La saison bat son plein à Dieppe, en ce moment. Les concerts du
Casino, fort bien composés, sont très assidûment suivis par une foule des
plus élégantes qui a fait, dernièrement, un triomphe à M. Degenne et
à M110 Pelosse dans le duo du premier acte de Lakmé. Grand succès aussi
pour M"?e G. Ferrari, MUe Tarquini d'Or et M. Engel.
— Mme Gabriella Ferrari, la musicienne bien connue à Paris, vient
de se faire entendre à Aix, aux grands concerts si artistement dirigés
par M. Edouard Colonne. La charmante artiste a été l'objet d'un très
grand succès comme pianiste et aussi comme compositeur, M™ Ed. Co-
lonne ayant chanté, avec tout le charme que l'on sait, plusieurs de ses
mélodies parmi lesquelles la Boucle blonde, qui a été redemandée par la
salle entière.
— A Aix toujours, et toujours au Grand Cercle des bains, on avait eu
l'avant-veille une merveilleuse représentation à'Hamlet avec Mme Melba
dans le rôle d'Ophélie. La grande artiste a été acclamée, rapp3lée, fêtée,
couverte de fleurs. A côté d'elle, MUe Nardi et M. Maurice Devriès ont
été aussi fort applaudis. Mme Melba, très sollicitée, a dû donner, quel-
ques jours après, une nouvelle représentation dans laquelle elle a chanté
Lucie de Lammermoor.
— Grâce à l'initiative de l'Association chorale d'hommes à Strasbourg, il
vient de se constituer une Union des Chanteurs d'Alsace-Lorraine, à laquelle
soixante-dix sociétés ont spontanément adhéré.
NÉCROLOGIE
Nous avons le regret d'annoncer la mort de M. Maxime Cherubini,
petit-fils de l'illustre auteur de Médée, de Loddiska et des Deux Journées, qui
a succombé, à l'âge de trentvcinq ans, aux suites d'une'pleurésie.
— De Munich on signale la mort du compositeur Robert van Hornstein,
professeur au Conservatoire de cette ville depuis 1873. Né en 1833, à
Stuttgard, il avait fait ses études au Conservatoire de Leipzig. Il s'était
fait connaître par un grand nombre de lieder et de morceaux de piano
et avait écrit la musique de deux opérettes : Adam et Eve et der Dorfadvo-
kat, ainsi que celle d'une pièce de Shakespeare. Il se rattachait, dit-on, à
l'école de Lachner et de Mendelssohn.
— Un artiste italien, M. Sgarzi, qui occupait à Constantinople une
situation importante, a succombé en cette ville sous le poignard des as-
sassins. Directeur de la musique du Sultan et chef d'orchestre de l'Opéra-
Italien, c'est lui qui avait dirigé récemment à Yldiz-Kiosque le grand
concert organisé à l'occasion de la visite de l'empereur d'Allemagne à
Abdul-Hamid. C'est précisément en revenant d'Yldiz-Kiosque, où il avait,
ces jours derniers, dirigé un autre concert, qu'il fut assailli par quatre
malfaiteurs qui le dévalisèrent et le laissèrent mourant sur le grand che-
min. Il succombait dès le lendemain à ses blessures.
— A Gand est mort, à l'âge de 57 ans, M. Edouard de Vos, artiste dis-
tingué, qui était professeur au Conservatoire et directeur artistique de
la fameuse Société royale des chœurs de Gand, l'une des associations cho-
rales les plusjustement célèbres de la Belgique.
Henri Heugel. directmr-géi ant .
A VENDRE : Choron, Principes de composition des Écoles d'Italie, adoptés
par le Gouvernement français pour servir à l'instruction des élèves des
maîtrises des cathédrales, dédié à l'empereur Napoléon. — L'ouvrage, très
bien conservé, est magnifiquement relié. Le prix marqué de chaque volume
est de 180 francs. Total 524 francs.
3101 — 56*
— N° 36.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
Dimanche 7 Septembre 1890.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les'manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 3 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un on, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus-
SOMAIEE- TEXTE
I. Notes d'un librettiste: Eugène Gautier (17" article), Louis Gallet. — II. Semaine
théâtrale: La saison qui s'ouvre, Arthur Pougin; première représentation du
Pompier de Justine, aux Folies-Dramatiques, Paul-Emile Chevalier. — III. Berlioz,
son génie, sa technique, son caractère, à propos d'un manuscrit autographe
d'Barold en Italie (5" et dernier article), A. Montaux. — IV. Nouvelles diverses.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour:
HYMNE AUX ASTRES
nouvelle mélodie de J. Facre, poésie de Frédéric Bataille. — Suivra
immédiatement: Les Yiux, nouvelle mélodie des mêmes auteurs.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piaivo: Verglas-Galop, de Franz Hitz. — Suivra immédiatement: Roses
et Papillons, de Paul Barbot.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
EUGENE GAUTIER
L'hiver venu, la partition étant d'ailleurs fort avancée,
Gautier ne pouvait rester inactif. De temps en temps une
espérance nouvelle semblait luire du côté de l'Opéra -
Comique.
Les pèlerinages de la rue Favart recommencèrent alors.
On allait au cabinet des directeurs, — comme en un sanc-
tuaire où l'on espère un miracle. — Y aller, en pareil cas,
ce n'est rien; les y trouver, c'est une autre affaire.
Généralement, les directeurs n'y sont jamais lorsqu'on va leur
parler d'un ouvrage. Nous en faisions la pénible expérience.
Ce qui étonne, c'est que de loin en loin pourtant et comme
obéissant à quelque irrésistible fatalité, ils jouent quelque
chose de nouveau. Prenez les meilleurs, ceux qui, avant de
s'asseoir dans le fauteuil directorial, ont montré les plus
excellentes dispositions, une fois en place ils présentent le
phénomène d'une cristallisation qui les immobilise et leur
fait considérer comme le pire ennemi celui qui tente de les
tirer de cet état.
Ces amères réflexions étaient communément les nôtres
quand, en attendant le bon vouloir ou le loisir des maîtres
du lieu, nous montions de longues factions mélancoliques
sur la place Favart. Que de projets ébauchés, que de lièvres
levés dans ce va-el-vient de sentinelles perdues! Un avenir
couleur d'aurore consolait du présent couvert de brume. De
la Clé d'or qu'on ne jouait pas, on passait à d'autres sujets,
qui viendraient ensuite et s'imposeraient!
On choisissait dans ce fonds merveilleux, ou plutôt on ne
savait que choisir. Deux de ces sujets revenaient fréquem-
ment dans cet entrelien. L'un d'eux surtout ravissait parti-
culièrement Gautier, qui, tout en le racontant, le créait pour
ainsi dire, — conte des Mille et une Nuits qu'il avait tiré je
ne sais d'où, qu'il appelait Bécri et qui me frappait comme
une lumineuse et à la fois mystérieuse vision d'Orient, his-
toire d'amour poursuivie à travers les jardins enchantés
créés par l'imagination d'un buveur de vin de Schiraz.
Puis, un autre, d'un linéament plus net, légende aussi
pourtant, venue de l'Himalaya, qu'il contait avec une saveur
et un charme tout particuliers et que ma mémoire me redit
ainsi :
« Un rajah des bords du Gange avait une maîtresse, une
femme qu'il adorait et qui, elle, ne vivait que pour lui.
» Forcé de partir pour la guerre, ce fut avec des larmes
qu'il la quitta.
» Or, à la guerre il fut tué.
s C'était un souverain juste, un homme au cœur vaillant
et pur. Quand il parut devant Brahma, le Dieu l'accueillit
avec un sourire et lui fit une place à sa droite.
» Mais le guerrier demeurait triste au milieu des splen-
deurs du ciel. L'amour de sa maîtresse lui paraissait plus
doux que les joies du paradis.
— Que veux-tu? demanda Brahma.
— Je veux vivre! Dix siècles de tourments en échange
d'une nouvelle existence humaine, voilà seulement ce que je
demande.
» Avec un regard de pitié, le Dieu inclina la tête. Et soudai-
nement le rajah se retrouva à la porte de son palais, où nul
ne l'attendait plus.
» Par les jardins, sans être vu, il y pénétra. A travers les
allées d'arbres fleuris , il marcha dans l'ombre jusqu'au
kiosque où celle qu'il aimait avait coutume de se retirer, et
où maintenant elle devait le pleurer dans son inconsolable
solitude.
» Comme, pour la surprendre dans le silence, il marchait
doucement, un léger murmure de voix vint à son oreille et
ensuite le bruit ailé d'un baiser.
» A travers les nattes du kiosque, ayant regardé, il vit celle
qu'il aimait pâmée aux bras de son successeur.
» Il invoqua la mort et, reparaissant devant Brahma :
282
LE MÉNESTREL
— 0 Dieu! je t'ai demandé une nouvelle existence au prix
de dix siècles de tourments. J'ai revécu, je viens subir ma
peine.
» Et le Dieu, le regardant avec bonté, lui dit :
— Dix siècles de tourments! Tu viens de les souffrir! »
C'est de cette légende que devait sortir, peu de temps
après, le Roi de Lahore, le premier grand ouvrage de J.
Massenet représenté à l'Opéra. J'avais d'abord pensé, pour
le jeune compositeur, à mettre en œuvre cette amoureuse
et pittoresque fable de Beeri qu'Eugène Gautier m'avait
contée ; mais ce dernier, très disposé à me laisser faire de la
légende du rajab tout ce que je voudrais, se montra ferme-
ment résolu à se réserver le second sujet.
« Bien certainement, cber ami, je songe à Becri. C'est un
sujet que je me réserve absolument. J'en ai déjà même parlé
à un directeur comme d'un opéra-ballet que je compte écrire
quand le moment sera venu. . .
» Attendons que j'aie fait entrer la Clé d'or en répétitions,
ce qui, j'espère, sera bientôt, et nous reparlerons de cela.
Mais pour me résumer, je garde mon sujet et l'espérance de
le traiter bientôt! »
Il n'en a plus jamais été question.
Tandis que s'éloignait de plus en plus aux regards navrés
de Gautier le tbéâtre de l'Opéra-Comique, but chimérique de
ses efforts, un Théâtre-Lyrique naissait au square des Arls-
et-Métiers : la Gaîté passait du drame à la musique, et un
effort sérieux y était tenté en faveur de la jeune école
française.
Là, après la Jeanne d'Arc de Jules Barbier, illustrée de la
partition de Gounod, œuvre mixte bien choisie pour servir
de transition entre le drame et la musique, devaient défiler,
entre autres œuvres lyriques, sous la direction d'Albert Vizen-
tini, le Paul et Virginie de Victor Massé, le Bravo de Salvayre,
le Timbre d'argent de Saint-Saëns et la Clé d'or d'Eugène
Gautier.
Car elle fut reçue et brillamment reçue enfin, cette Clé
d'or, Gautier ayant mis rapidement le cap sur ce port nou-
vellement ouvert auquel il devait cette fois aborder, oubliant
en un instant toutes les vicissitudes et tous les souffles con-
traires que l'ouvrage subissait depuis tantôt six années.
Tout plein de joie, il s'empressa de m'envoyer la copie que
voici de cette réception officielle :
« Paris, le 30 novembre 1873.
» Mon cher Gautier, c'est encore tout ému de votre lecture
que je reçois avec enthousiasme la Clé d'or. Ce m'est une
joie de restaurer le Théâtre-Lyrique; ce me sera un honneur
d'inscrire en tète des triomphes que je rêve, le grand et
légitime succès de MM. Octave Feuillet et Eugène Gautier.
Inutile d'ajouter que tous mes efforts tendront à ce que le
cadre soit digne du tableau. Votre : Vizentini. »
* *
Il n'était aucunement question là-dedans du modeste
librettiste à qui l'œuvre devait la vie lyrique. Le composi-
teur avait sans doute oublié de le nommer; mais il éprouvait
alors une telle joie qu'on n'avait pas la force d'en vouloir à
son égoïsme. Pour beaucoup, le librettiste est un objet de
première nécessité qu'on entoure de soins, qu'on couvre de
fleurs pendant la genèse de l'œuvre, et qui devient une quan-
tité négligeable quand on en a obtenu l'enfant qu'on en vou-
lait. C'est si naturel!
Dès qu'une œuvre musicale a vu le jour, la personnalité
du compositeur devient d'ailleurs prépondérante sur tous les
points. C'est à lui qu'on attribue la disposition métrique des
vers, l'ordonnance des scènes, la conception lyrique com-
plète. Et de fait, cette opinion courante, faite pour offenser
quelque peu la vanité communément chatouilleuse des
poètes, repose sur des traditions anciennes en qui les esprits
même les plus au courant du mouvement de leur époque
ont gardé une foi complète.
Au temps de la musique italienne, au temps même de la
musique française du commencement de ce siècle, le com-
positeur faisait assez volontiers son morceau en s'inspirant
plus ou moins de la situation. Le librettiste arrivait alors et
devait couler dans ce moule son métal lyrique. Il faisait des
paroles sur de la musique. Il y a heureusement bien longtemps
qu'à de rares exceptions près, les musiciens au contraire se
sont mis à faire de la musique sur des paroles, que leur sens
littéraire s'est éveillé, que chez quelques-uns même, qu'il ne
faut pas citer afin de ne pas déplaire aux autres, il s'est affiné
de telle sorte que non seulement respectueux de leur texte,
ils sont encore soucieux de sa valeur littéraire et tiennent à
honneur de s'y conformer scrupuleusement.
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
LA SAISON QUI S'OUVRE
Que - sera, pour nos théâtres lyriques, la saison qui s'ouvre, et
que nous donnera-t-elle ? J'entends bien que de part et d'autre il
est question de beaucoup de projets ; mais de ces projets je sais
ce qu'en vaut l'aune, et l'expérience m'a appris que sous ce rap-
port il y a loin de la coupe aux lèvres. Dès que la période des
vacances annuelles est .terminée, nos directeurs abreuvent les
journaux de communications pleines d'intérêt dans lesquelles ils
promettent au public monts étonnants et merveilles prodigieuses ;
puis, le temps s'écoule, les semaines succèdent aux semaines, les
mois remplacent les mois, tout ce beau feu s'en va en fumée, et
le bon public s'aperçoit, quand la saison est terminée, qu'on
ne lui a pas donné le quart même de ce qu'on lui avait promis.
En vérité, que fait-on donc dans nos théâtres lyriques pour que
la production s'appauvrisse ainsi de jour en jour, et à quoi y
emploie-t-on son temps? Nos artistes ne sont-ils plus du même
bois que ceux du temps passé, et ne peut-on obtenir d'eux ce
qu'on obtenait naguère de leurs prédécesseurs ? Je vois cependant
ce qu'on faisait sur nos deux grandes scènes musicales il y a juste
un demi-siècle, en 1840, et il me semble qu'il y a de quoi donner
le vertige à nos administrations actuelles.
A l'Opéra, sous la direction Duponchel, on donnait en cette
année 1840 : le Drapier, opéra en trois actes, d'Halévy; les Martyrs,
opéra en quatre actes, de Donizetti ; le Diable amoureux, ballet en .
trois actes et huit tableaux, de Benoist et Reber; la Favorite, opéra
en quatre actes, de Donizetti. Ensemble, quatre ouvrages donnant
un total de quatorze actes.
Voici maintenant le bilan de l'Opéra-Comique pour la même
année, sous le principat Crosnier-Cerfbeer : la Fille du régiment,
deux actes, de Donizetti; Carline, trois actes, de M. Ambroise
Thomas; l'Élève de Presbourg, un acte, de Luce-Varlet; la Perruche,
un acte, de Glapisson ; Zanetta, trois actes, d'Auber; le Cent-Suisse,
un acte, du prince de la Moskowa ; l'Opéra à la Cour, trois actes,
d'Albert Grisar et Boieldieu fils; l'Automate de Vaucanson, un acte,
de Luigi Bordèse ; la Reine Jeanne, trois actes, d'HippolyteMoupou;
la Rose de Péronne, trois actes, d'Adolphe Adam. Ici, nous trouvons
un total de vingt et un actes, répartis en dix ouvrages! On ne se
contentait pas alors, à l'Opéra-Comique, de recevoir les pièces; on
les jouait, sans se faire faire des procès par les auteurs.
En résumé, à cette époque, on travaillait, à l'Opéra comme à l'Opéra-
Comique, on produisait, et les compositeurs pouvaient, plus heureux
que ceux d'aujourd'hui, caresser l'espoir de paraître de temps à
autre à la scène. Et les chanteurs, qui sans donte valaient bien
ceux de l'heure présente, ne se faisaient pas trop prier pour prendre
de la peine et faire ce qu'on leur demandait. Veut-on établir une
comparaison? Voici quel était alors le personnel de l'Opéra, per-
sonnel fixe et qui n'était pas toujours en voyage et sur les grands
chemins, comme nous le voyous maintenant : Duprez, Levasseur,
Massol, Barroilhet, Poultier, Dérivis fils, Alexis Dupont, Wartel,
Serda, Ferdinand Prévost, M"lcs Dorus, Stoltz, Nau, Julian. A l'Opéra-
Comique, on trouvait Chollet, Roger, Couderc, Masset,rrJIpclccr,
Moreau-Sainti,Grignon, Marié, Henry, Bicquier, Sainte-Foy, M'!1'"5 Da-
LE MENESTREL
283
moreau, Anna Thillon, Darcier, Zoé Prévost, Rossi-Caccia, Boulan-
ger, Révilly, Bertaud. Je ne veux, pour ma part, faire aucun paral-
lèle, mais enfin, il me semble que les troupes d'il y a cinquante
ans n'étaient pas trop au-dessous de celles d'aujourd'hui.
Voyons donc enfin ce qu'on nous promet pour cette saison. A
l'Opéra, après s'être bien fait tirer l'oreille, après avoir fait les gros
yeux au ministère et juré ses grands dieux qu'on ne ferait rien
tant que certaines difficultés ne seraient pas résolues, on a fini par
comprendre qu'on faisait fausse route et l'on s'est décidé à déclarer
que la Salammbô de M. Reyer allait entrer en répétitions. C'est bien.
Mais est-ce à cela que se bornera tout l'effort à faire en vue du
renouvellement d'un répertoire archi-usé et qui exigerait vraiment
un peu plus de variété"? Et le Mage, de M. Massenet, dont on par-
lait tant il y a quelques mois ? n'en est-il décidément plus ques-
tion ? Et ne songe-t-on point à un nouveau ballet? Et aurons-nous
du moins sûrement Thamara, le petit opéra commandé en sa qualité
de prix de Rome à M. Bourgault-Ducoudray, qui attend son tour
depuis vingt-huit ans, puisque ce prix lui a été décerné en 1862 ? Car
enfin, il ne faudrait pas que nous fussions obligés de nous contenter,
pour cette saison, des cinq actes de Salammbô, que je suis, en ce
qui me concerne, enchanté de voir pénétrer à l'Opéra, mais qui, en
réalité, ne constitue pas un ouvrage essentiellement nouveau et
qu'on s'en va chercher maintenant à Bruxelles, alors qu'on l'a dédai-
gné quand on pouvait l'avoir dans toute sa fleur et sa fraîcheur, ce
qui est le fait d'une administration quelque peu incohérente. Voilà,
dira-t-on, bien des exigences ! Nullement. Ces réflexions sont sim-
plement motivées par le désir, légitime sans doute, de ne pas voir
l'Opéra se soustraire aux conditions déjà si bénignes de son cahier
des charges, et de l'engager à prendre un peu de souci des plaisirs
du public, qu'il traite généralement avec un laisser-aller, j'allais
dire un sans-gêne par trop exemplaire.
Quant à l'Opéra-Comique, qui recommence avec vigueur le jeu
des petits papiers et qui inonde les journaux d'une prose tout par-
ticulièrement savoureuse, on voit de plus en plus que les promesses
ne lui coûtent guère. Par malheur, c'est avec lui surtout que pro-
mettre et tenir font deux. Essayons pourtant de voir où nous en
sommes de ce côté. On nous annonce tout d'abord la très prochaine
représentation d'un petit ouvrage en un acte, Colombine, dû à la
plume on ne peut plus inconnue de M. Gustave Michiels. Ceci
pourrait passer pour une quantité négligeable, n'était l'interprétation,
qui promet d'être excellente, étant confiée à MM. Fugère et Grivot
(Pierrot et Cassandre), et à Mmes Mole et Auguez (Colombine et
Arlequin). Mais le gros morceau qu'on se prépare... à préparer avec
une activité fébrile, c'est le Benvenuto en trois actes de MM. Gaston
Hirsch pour les paroles et Eugène Diaz pour la musique. On
compte donner cet ouvrage en octobre; étant données les coutumes
de la maison, nous pourrons nous estimer heureux si on nous l'offre
en décembre. Ici les interprètes seront M. Renaud, le nouveau
baryton, qui fera ses débuts par le rôle de Benvenuto, M. Lorrain,
l'ancienne basse chantante que nous avons connu à l'Opéra, qui
ensuite a été en Italie et que nous avons retrouvé l'an passé aux
Italiens-Sonzogno, Mmc Jehin-Deschamps et M110 Yvel.
Après Benvenuto on nous fait espérer Enguerrande, le drame
lyrique que M. Emile Bergerat, aidé de notre ami "Wilder, a tiré
de son roman publié sous le même titre, et dont la musique a été
commandée à M. Chapuis, un jeune compositeur de talent. Pour
celui-ci, comme pour Benvenuto, la date est fixée, et c'est le mois de
février qui est choisi. Que Jupiter le veuille, et protège les auteurs !
En tous cas, la distribution n'est point arrêtée encore, et l'on en
est même à chercher une Enguerrands, qui, paralt-il, n'est pas fa-
cile à découvrir. Entre temps, M. Paravey qui n'est pas chiche de
projets, se propose d'offrir à son public, d'ici le mois de janvier,
deux petits actes : l'Amour vengé, de M. de Meaupou, à qui a été
décerné le prix Cressent, et un Jour de fête, de M. Diet, un jeune
compositeur qui, si j'ai bonne mémoire, a eu deux levers de rideau
joués aux Menus-Plaisirs et aux Bouffes-Parisiens.
Mais dans tout cela, que deviennent donc certains ouvrages, de-
puis longtemps reçus, et même commandés, ouvrages qui attendent
impatiemment leur tour et qu'on semble avoir profondément oubliés?
Sans parler même du Sicilien de M. Weckerlin, qu'advient-il du
Marchand de Venise, de M. Louis Deffès, qui, par traité, devait être
joué avant le lBr janvier 1891? Et des Folies amoureuses, de Regnard,
transformées eu opéra-comique avec musique de M. Emile Pessard ?
Et du Légataire universel, du même Regnard, transformé aussi en
opéra-comique avec musique de M. Georges Pfeiffer? Je me suis
même laissé dire que la distribution de ce dernier ouvrage avait
été presque arrêtée. Et j'allais oublier l'ouvrage que M. Poise a
écrit sur une adaptation du superbe drame de Musset, Carmosine,
dont l'histoire est déjà longue et incidentée et qui, reçu une pre-
mière fois par M. Paravey et ensuite abandonné par lui, a été
récemment de sa part l'objet d'une seconde réception, en vertu d'un
traité par lequel la représentation en est fixée au cours du prochain
mois d'octobre, condition qui, à l'heure présente, semble diffi-
cile à accomplir. Certains auteurs, paralt-il, se montreraient peu
satisfaits, en particulier M. Deffès, qui, s'il faut en croire les bruits
qui courent, serait disposé à réclamer vigoureusement son droit.
M. Paravey, qui reçoit tant de pièces, pourrait bien recevoir de ce
côté certain papier timbré dont la vue est toujours désagréable. Mais
ceci le regarde. Tout ce que le public peut lui demander, c'est de
ne pas dépenser son activité en pure perte, et de faire en sorte que
les affiches ne soient pas stéréotypées. — Que M. Paravey se rappelle
ce que son prédécesseur Crosnier faisait en 1840 ; cela ne pourra
que l'inciter à un travail effectif et fructueux.
De l'Eden lyrique nous ne pouvons trop parler. Jusqu'ici, les pro-
jets connus de M. Verdhurt, qui est sans doute plein de bonne vo-
lonté, consistent surtout à transporter à ce nouveau théâtre les
ouvrages inédits qu'il a montés à Rouen la saison dernière. C'est
ainsi que le premier spectacle comprendra Samson et Dalila, de
M. Saint-Saëns et le Printemps, de M. Alexandre Georges, qui seront
suivis à courte échéance de la Coupe et les Lèvres, de M. Canoby.
Ajoutons à cela les reprises de la Jolie Fille de Perth et de la Statue,
un acte de M. Jules Bordier, Chanson nouvelle, qui vient d'être reçu, et
c'est à peu près tout ce que nous savons de précis sur les premiers
efforts du nouveau théâtre. Pourquoi M. Verdhurt, qui semble beau-
coup plus porté vers le drame lyrique que du côté de l'opéra-
cornique, ne nous donnerait-il pas une belle reprise d'un des chefs-
d'œuvre du grand répertoire? Pourquoi ne nous offrirait-il pas l'Ar-
mide ou YAlceste, de Gluck, ou VOEdipe à Colone, de Sacehini, ou
le Fernand Cortez, de Spontini? Il y aurait là une tentative inté-
ressante et intelligente à faire, et dont le résultat pourrait bien être
considérable. En tout cas, pourquoi ne pas essayer? A défaut de
succès matériel, il y aurait là matière à un grand succès artistique,
et un succès artistique, affirmant le bon renom d'une entreprise,
n'est pas à dédaigner à ses débuts.
Arthur Pougin.
Folies-Dramatiques. — Le Pompier de Justine, comédie bouffe en
trois actes, de MM. A. Valabrègue et Davril.
Justine, c'est une cuisinière au service de M. Blanchinet, huis-
sier. Le pompier, c'est cet huissier lui-même, et c'est aussi son
domestique, Germain. Vous ne saisissez pas très bien, n'est-ce
pas? Je vais essayer de vous faire comprendre. Blanchinet délaisse
sa femme pour une Mmc Durosoir et, dans le but de dépister sa
légitime à lui et le légitime de son illégitime, il se déguise, chaque
fois qu'il se rend chez sa belle, en pompier fort barbu. Or, Justine
a rencontré le beau pompier dans la rue et en est tombée immé-
diatement amoureuse, ce qu'elle explique très candidement à Ger-
main, qui l'aime et qui veut l'épouser. Germain, en singe très malin,
prend alors le parti de se déguiser aussi en pompier non moins
barbu, et comme, sur ces entrefaites, Justine a quitté le service
des Blanchinet pour entrer à celui des Durosoir, les deux faux
pompiers toujours barbus, chacun courant après sa chacune, se
retrouvent dans la maison de ces derniers. Mais Mmo Blanchinet a
été avisée, par un soupirant mal reçu, que son mari la trompait,
et elle se met aussitôt à sa poursuite. Bien entendu, comme dans
tout bon vaudeville qui se respecte, au moment ou elle croit pincer
l'infidèle, c'est sur son domestique qu'elle met la main. Bien en-
tendu encore, M'M Durosoir et Justine se trompent aussi de pompier
et nous sommes lancés dans une série d'imbroglios à en perdre la
tête. Oh ! ces huissiers ! Vont-il donc maintenant prendre, au théâ-
tre, la place des notaires et des avoués? Tout s'explique finalement,
ou, plus justement, tout s'arrange sans trop s'expliquer : Blanchinet
renonce à ses escapades; Justine, convaincue que sur les deux
pompiers il n'y en a même pas un de vrai, épouse Germain, et
M. Durosoir qui, en bon mari, ne s'est aperçu de rien, continue à
soigner les animaux qu'il élève en très grande quantité dans son
appartement. — On a beaucoup ri à cette nouvelle bouffonnerie de
MM. Valabrègue et Davril, principalement au second acte, qui est
étourdissant de drôlerie et de mouvement. Le trio en G, Gobin,
Germain et Guyon, a été cocasse à un degré beaucoup plus élevé
que celui de la température extérieure, et M"e Leriche, moins gri-
macière qu'à son ordinaire, n'en a été que plus amusante.
Paul-Emile Chevalier.
284
LE MENESTREL
BERLIOZ
SON GÉNIE, SA TECHNIQUE, SON CARACTÈRE,
A propos d'un manuscrit autographe d'IIAROLD EN ITALIE
IV
(Suite)
Les retouches que Berlioz a apportées aux dernières pages de la
Marche des Pèlerins, pour n'être pas aussi curieuses que celle qui
nous a si longtemps retenus, n'en sont pas moins des plus heureuses.
Et d'abord, les répliques des allos, violoncelles et contrebasses
qui dialoguent, en s'espaçant de plus en plus, avec la sonnerie des
cloches, étaient primitivement écrites pour l'archet. La mention
pizz. est ajoutée avec une encre moins noire que le texte, et, ce
qui achève de le prouver, c'est que Berlioz a effacé au crayon ronge
une liaison qui prolongeait d'un temps une des dernières notes des
violoncelles et contrebasses, et qui n'avait plus d'effet possible du
moment que les sons n'étaient plus soutenus par l'archet. Ainsi
faisant, le maître estompait davantage le thème de la marche, déjà
réduit aux instruments graves les plus ternes de l'orchestre, comme
si le bruit des pas des pèlerins se perdait peu à peu dans l'éloi-
gnement.
C'est dans la même intention, et avec un sentiment poétique très
délicat, que Berlioz a relouché les dernières mesures confiées aux
violoncelles et contrebasses soli sur lesquelles expire le motif delà
marche, entrecoupé de pauses et de soupirs, qu'on n'entend plus que
vaguement, comme par bouffées.
Berlioz avait noté d'abord la partie des contrebasses à l'octave
aiguë pour l'œil, c'est-à-dire à l'unisson pour l'oreille, des violoncelles.
A la réflexion, il a bàtonné celte notation et a écrit les contrebasses
à l'unisson pour l'oeil, c'est-à-dire à l'octave grâce, pour l'oreille, des
violoncelles. Eu rejetant ainsi les contrebasses dans leurs sonorités
les plus indécises, à l'extrémité de leur échelle, le maître a donné
à ce dernier bruit lointain quelque chose de plus vague, de plus
mystérieux, comme si le crépuscule avait fait place à la nuit dont
l'ombre enveloppe lentement la nature.
Un trémolo des cordes, indiqué ppp. y succède, pareil à un léger
souffle de brise; ce trémolo supporte quelques arpèges d'alto, der-
nière songerie d'HaroId lorsque les pèlerins ont disparu, et que le
mélancolique rêveur s'est retrouvé, loin de toute agitation humaine,
dans la solitude endormie des Abruzzes. Un son harmonique de la
harpe apporte l'écho affaibli du tintement de cloches déjà entendu
et un son harmonique de l'alto y répond, sur un accord ppp. des
cordes allégées des contrebasses, comme un long soupir qui s'exhale
de la poitrine d'Harold "à celte évocation fuyante de ses premières
croyances. — Ainsi finit l'œuvre.
Comme musique pittoresque, je ne connais rien de plus accompli
que cette dernière page de la Marche des Pèlerins.
Il est difficile d'envelopper mieux notre âme d'impressions d'une
mélancolie troublante et de faire passer avec plus de magie devant
les yeux de notre imagination un paysage d'une aussi rare poésie.
Il est curieux de voir que, pour arriver à traduire ces sensations
qu'il éprouvait profondément, Berlioz ail talonné sur les moyens
d'expression.
Il s'y est repris à trois fois pour la dernière note de la harpe.
C'était d'abord le son toujours répété, j». < | ^ZZ3 voilé seule-
ment par une simp'e indication de nuance (pppp). Il l'a ensuite
reporté à l'octave grave, comme pour en transformer la sonorité en
une sorte d'écho, fj \ h ^j Mais cette transformation cher-
chée dans l'échelle grave altérait trop l'effet de la sonnerie primi-
tive, qu'il fallait rappeler, tout en la modifiant, pour donner à
l'auditeur l'impression entrevue.
Finalement, Berlioz s'est arrêté au son harmonique actuel, qui lui
fournissait un son aigu, proche parent du son représentant au cours
de la marche la sonnerie des cloches du couvent, — qui le rappelait
donc, — et qui pourtant avait bien la féerique couleur d'un son nou-
veau, presque surnaturel, altéré, aminci, comme un son qu'altèrent,
qu'amincissent le vent, la distance, l'état de l'atmosphère, et qui n'en
parle que plus éloquemment à notre âme touchée.
Celle dernière version est écrite ù l'encre violette, ainsi que la
mention « son harmonique ».
Peut-être celte trouvaille ful-elle duo à la connaissance que Ber-
lioz fil entre temps du harpiste Parish-Alvars. Le maître se félicite
avec enthousiasme de cette connaissance dans sa Se lettre à Ernst
(p. 275 des Mémoires), écrite de Dresde vers 1841-42, c'est-à-dire
avant, ce semble, que la partition d'Harold ait été publiée. Il rendra
plus tard hommage à l'habileté du célèbre virtuose anglais à propos
des doubles notes synonymes, dans son Traité d 'instrumentation, où
il a décrit merveilleusement le parti qu'on peut tirer des sons
harmoniques de la harpe.
Si Berlioz s'est repris à trois fois pour la dernière note de harpe,
dans la Marche des Pèlerins, il a bien hésité aussi pour la dernière
note de l'alto solo. — Des variantes sont perceptibles sur le manus-
crit, et ces variantes sont établies sur un grattage qui cachait peut-
être un arpège, au lieu de la note tenue que Berlioz lui aurait avec
raison substituée. Mais, le grattage effectué, le maître n'a plus été
indécis que sur la meilleure notation graphique à adopter; il a tou-
jours voulu un son harmonique, dont l'usage et l'effet devaient lui
être beaucoup plus familiers pour l'alto que pour la harpe, car, à
travers d'épaisses surcharges pratiquées avec une encre très noire,
on lit aisément les mots : son réel, doigt effleurant la corde, doigt
appuyé, et on distingue une note carrée.
On peut en conclure que Berlioz s'est arrêté à la noie unique et
son harmonique *T<
à la notation simple constituant la version actuelle In .' p sur
le conseil d'un virtuose, peut-être de Paganini, dont il signale préci-
sément daDs son Traité d'instrumentation la prestigieuse habileté
pour les sons harmoniques, et pour qui, on se le rappelle, Harold était
écrit.
V
Nous voici arrivés au terme de cette étude. — Peut-être ai-je
trop longuement arrêté le lecteur sur des menus faits qu'il aura jugés
de mince importance. C'est que rien de ce qui touche à une person-
nalité comme celle de Berlioz ne parait indifférent. Si l'allraction
du sujet m'a fail illusion sur l'intérêt de cerlaines constatations,
cette passion même de consciencieuse recherche, cette admiration
déférente de l'oeuvre seront mon excuse.
Du moins, ce minutieux examen nous aura-t-il conduits à de sûres
observations.
Nous sommes entrés dans l'intimité de la pensée du maître, et,
en surprenant le secret de son labeur, nous l'avons vu luttant avec
la forme pour arriver à l'idéal poursuivi, comme Jacob lullanl avec
l'Ange pour arriver à Dieu ! — Nous l'avons vu soucieux des moindres
détails, s'efforçant d'assurer, même par la clarté matérielle de l'écri-
ture, par le choix des meilleurs signes et des meilleures disposi-
tions graphiques, par la soigneuse revision des nuances, une exé-
cution aussi précise que possible de son oeuvre. Nous l'avons vu,
dévot de son art, ne se lassant jamais de remanier son esquisse
primitive, profitant de tous les conseils, utilisant tous les progrès .
survenus au cours de son travail, ne ménageant jamais ni son temps
ni sa peine, qui paraissent ne pas compter pour lui quand il s'agit
d'approcher plus près de la perfectiou. Nous l'avons vu, combattu
par des tendances opposées de son génie, sur le point de sacrifier la
pureté plastique à son extraordinaire acuité de sensations pittoresques,
puis revenant loyalement à uu programme esthétique plus sain, et
triomphant en quelque sorte de lui-même pour réaliser le beau, qui
doit être l'objectif de tout artiste vraiment digne de ce nom, et qui
est irréalisable si l'on s'éloigue des règles qui sont la condition, la
base même de tout art. Nous l'avons vu enfin mettant à point son
tableau musical par de vives retouches qui témoignent d'un sens
afflué des sonorilés, d'un superbe tempérament poétique.
Si nous avons surpris aussi quelques défaillances, quelques tâton-
nements singuliers chez un maître qui esl devenu un puissant chef
d'école, quelque tricherie dans les commentaires qu'il a faits lui-
même de son œuvre et des critiques dont elle fut l'objet, il n'y a
rien là qu'il faille regretter. Les génies, quand nous les regardons
de loin, nousparaissenteomme des colosses de granit que nous saluons
avec une sorte de crainte respectueuse. Si, en les regardant de près,
nous découvrons en eux quelque humaine lacune qui diminue un
pou celte admiration banale et tout d'une pièce, il y a dans l'ordre
nouveau des sentiments qu'ils nous inspireut udo exquise compen-
sation. Ils nous étonneot moins et nous les aimons davantage, préci-
sément parce qu'ayant vu leurs faiblesses, nous les voyons plus
près do nous. Ne sont-cc pas ceux dont les défauts mêmes nous altirent
que nous lisons le plus volontiers, et nos livres de chevet ne sont-ils
pas plutôt ceux qui caressent notre penchant que ceux qui arrachent
notre admiration "?
N'exagérons pas d'ailleurs la portée de ces examens critiques.
LE MENESTREL
285
Ils salisfonl la légitime curiosité de notre esprit; ils aiguiseut la
pénétration de notre sens artistique; ils rendent plus sur notre
jugement en nous apprenant toutes les modalités de la peosée;
enlin ils ouvrent des horizons nouveaux à nos efforts créateurs, en
nous montrant comment tel ou tel génie s'y est pris pour arriver à
l'expaosion complote de son inspiration. — C'est par là seulement,
qu'ils sont utiles. — Mais ils ne sauraient modifier notre appréciation
de l'œuvre qui en est l'objet. Si cette œuvre est vraiment belle, elle
ne peut l'être plus ou moins, parce qu'elle a été produite en une
seule venue ou après de nombreuses transformations, — par la puis-
sance de l'imagination s'enfièvrant peu à peu elle-même dans l'eni-
vrement d'une émotion étrangère à l'art ou sous l'incitation et dans
le transport d'une délirante, improvisation au piano. — Les circon-
stances sont contingentes; le beau créé est éternel ! — Peu importeut
les moyens si la fin est radieuse, et nous devons notre plus affec-
tueuse gratitude aux maîtres qui, eu enfantant de nouveaux chefs-
d'œuvre ont accru les plus pures joies que nous puissions goûter
ici-bas !
A. MoNTAUX.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (4 septembre). — C'est aujour-
d'hui même qu'a lieu la réouverture de la Monnaie, trop tard malheu-
reusement pour que je puisse vous en parler avant la semaine prochaine.
Je crois cependant pouvoir vous assurer que cette réouverture sera excel-
lente, à en juger par les répétitions générales, dont le succès a été très vif.
Faust nous revient avec MmG de Nuovina, qui, à la fin de la saison der-
nière, l'avait joué déjà et s'y était fait justement applaudir, M. Lafarge,
le ténor si apprécié à Rouen, Mmc Paulin-Archainbaud, une dugazon dont
on dit du bien, M. Sentein, la basse de l'an dernier, et M. Bouvet, qui
chante Yalentin. Samedi, nous aurons Esclarmonde avec M"0 Sibyl Sander-
son, MM. Dupeyron, Bouvet et Vallier, et les études de cette reprise pro-
mettent aussi des représentations supérieures à celle de l'hiver passé.
M. Massenet est ici depuis plusieurs jours et il a donné à cette reprise
des soins tout particuliers. Tout annonce, en somme, de bonnes soirées,
qui seront suivies, espérons-le, d'autres soirées non moins intéressantes.
Je vous ai parlé déjà des « reprises » importantes qui sont décidées :
Roméo et Juliette, Manon et la Flûte enchantée avec M110Sanderson, Salammbô,
Oberon, Don Juan, etc., auxquelles il faut ajouter Joli Gilles, le joli ouvrage
de M. Poise, et je vous ai parlé aussi de Siegfried, qui sera la première
nouveauté de la saison. Plusieurs journaux ont parlé d'autres nouveautés.
Or, voici, à ce sujet, des renseignements puisés à bonne source et que
je vous certifie exacts. A part Siegfried, rien n'est encore absolument cer-
tain, sauf cependant en ce qui concerne la Basoche, qui sera montée dans
le courant de l'hiver. Il se pourrait que l'on montât l'Otello de Verdi ; le
maître avait paru exiger comme principale interprète Mme Caron , et
celte exigence semblait devoir éloigner toute éventualité d'entendre l'œuvre
à Bruxelles; mais Verdi ne serait pas éloigné de renoncer à la grande
artiste, le caractère du personnage de Desdémone étant, en somme,
moins dramatique que fait do charme touchant et de passive naïveté, et
pouvant convenir à d'autres mieux encore qu'à Mmo Caron. D'autre part,
cet obstacle même étant soulevé, rien ne dit qu'Otello sera joué à la
Monnaie. Verdi et les Italiens sont bien peu dans le mouvement. Et
alors, ce qui est beaucoup plus probable, c'est que nous aurons comme
primeur le 'Werther de M. Massenet, qui, lui aussi, abandonnerait son idée
d'avoir M11"3 Caron pour interprète et confierait le rôle principal à
M110 Sanderson.
Enfin, il est aussi question du Diable à la maison, un opéra allemand de
Goetz, dont la musique est charmante, parait-il.
Entre tout cela, la direction hésile. Il est possible qu'elle choisisse plus
d'un de ces ouvrages-là, au lieu de se contenter d'un seul. Mais en tout
cas, toutes les probabilités, je le répète, sont pour Werther.
Les derniers jours de concerts en plein air, au Waux-Hall, onl été
très contrariés par le mauvais temps. On avait organisé, pour hier, un
concert consacré à M. Massenet et dirigé par lui ; la pluie l'a empêché d'a-
voir lieu. De son côté, le cercle des Arts et de la Presse avait arrangé la
semaine dernière une soirée au profit des victimes de Saint-Etienne, où
l'on a entendu M"c Loventz (de son vrai nom Lovenssohn), une de nos
compatriotes, engagée récemment à l'Opéra et qui a pleinement réussi.
Lucien Solvay.
— On assure que M. Servais, qui est chargé de la direction musicale
des œuvres wagnériennes à la Monnaie de Bruxelles, médite une nouvelle
disposition de l'orchestre, conforme à celle qui est adoptée à Munich :
tous les violons seront rangés suivant une diagonale qui partira du coin
de gauche de l'orchestre, contre la rampe, pour aller aboutir au coin
opposé, de façon à former une ligne mélodique occupant toute la largeur
de la salle. Les contrebasses seront rangées sur une ligne le long de la
rampe. Le chef, qui sera au milieu de l'orchestre, aura les altos à sa
droite et les violoncelles du même côté, plus loin. Les cuivres seront à
l'extrême droite, sauf les tubas, qui occuperont l'extrême gauche avec les
harpes — et les cors qui, avec les bois, seront groupés à la gauche du
chef, de façon à faire pendant aux violoncelles.
— A l'Opéra impérial devienne, on a donné tout récemment la 200e repré-
sentation de J.ohengrin. A cette occasion on se rappelle naturellement les
commencements si dilliciles de Richard Wagner, Tannhâuser el I^ohengrin ; il
les vendit jadis pour une aumône à l'Opéra devienne, mille florins l'un dans
l'autre. L'affaire fut excellente pour l'Opéra, qui encaissait les plus belles
recettes du monde avec les deux ouvrages. "Wagner essaya à plusieurs
reprises de faire annuler ce traité léonin, toujours sans le moindre succès.
Un jour pourtant on lui demanda son opéra de Tristan et Iseult, et il ne
le donna qu'à la condition que l'ancien contrat serait complètement
revisé. Il fallait bien passer par là, et le compositeur fut amplement dé-
dommagé. Plus tard, après 1876, il fut appelé à Vienne pour diriger ledit
Tannhduser et trois autres opéras de sa composition, quatre soirées en
tout. Il demanda 20,000 florins (40,000 francs), frais d'hôtel et voyage
payés. Tout lui fut accordé. L'hôtelier présenta même un mémoire pour
meubles détériorés par le jeune Siegfried Wagner. L'enfant s'était amusé
à tracer son nom sur du satin bleu de ciel avec ses doigts mouillés d'encre
noire — total 800 florins. Le caissier paya sans broncher.
— Puisque nous parlons de l'Opéra impérial de Vienne, faisons con-
naître un cas assez singulier : c'est que le nouveau directeur de ce théâtre,
M. le docteur Max Burckhardt, cumule cet emploi avec les fonctions de
professeur de droit à la Faculté de Vienne. Il vient d'annoncer qu'il fera
son cours cette année comme à l'ordinaire, et il publie déjà le programme
des matières qu'il traitera.
— Au reste, il paraît qu'à l'Opéra de Vienne on se permet, avec les
œuvres des compositeurs, certaines libertés qui confinent à la licence.
C'est un correspondant du Figaro qui le déclare en ces termes: — « ... Je
me permets de vous envoyer quelques petits renseignements sur l'Opéra
de Vienne, que deux lettres récentes ont mis en causé dans votre courrier.
Je dois reconnaître que le spectacle comporte toute la variété désirable et
que, depuis douze jours, nous avons eu douze opéras différents; oh! la
quantité existe, mais la qualité, c'est différent; à vous d'en juger. Hier
nous avons eu la Juive, mais quelle Juive écourtée ! La sérénade de Léopold,
tous ses duos, la moitié de la Pàque, au second acte, et bien d'autres
morceaux encore, supprimés. Mais, le comble,de tout ceci, c'est le ballet.
J'avais toujours cru, et vous aussi, n'est ce pas? qu'Halévy en avait com-
posé un fort joli dans son troisième acte. Il parait que nous étions dans
l'erreur, car, à Vienne, on nous a servi, sur une musique étrangère à la
Juive, et quelle musique! un petit pas de deux dansé ou plutôt chahuté
par une danseuse et un danseur. Le tout dure cinq minutes, aux applau-
dissement du bon public viennois. Du reste, c'est un tour de force que
de vouloir donner en deux heures un quart la Juive. »
— La liste des nouveautés pour la saison qui vient de s'ouvrir à l'Opéra
de Vienne a été arrêtée comme suit : le Fugitif, opéra-comique de
M. Raoul Mader, chef des chœurs du théâtre; Manon, de M. Massenet;
le Barbier de Bagdad, de Peter Cornélius; le Chevalier Pasmann, de Johann
Strauss; enfin, le ballet de MM. Gaul et Hastreiter, la Danse, qui ouvrira
la série.
— Dans la dernière année scolaire, le Conservatoire de Vienne, qui est
un des meilleurs de l'Europe, a été fréquenté par 919 élèves. Au point de
vue des nationalités et des provinces diverses de l'empire, ces élèves se
répartissent ainsi : Basse-Autriche (la ville de Vienne comprise), 605 ;
Hongrie, 63, Bohème, 40 ; Moravie, 33 ; Galicie, 31 ; Transylvanie. 14 ; Ty-
rol, 10 ; Styrie, 9 ; Croatie, 9; Haute-Autriche, 8; Carniole, 7 ; Trieste, 7;
Silésie, 4 ; Carintbie, 4; Bukovine, 4 ; Slavonie, 1. En ce qui concerne les
élèves étrangers, on compte: Russie, 21; Allemagne 16; Roumanie, 11;
Amérique, 6 ; Angleterre, 4 ; Italie, 2 ; Suisse, 2 ; Grèce, 2 ; Turquie, 2 ;
Serbie, 1 ; Egypte, 1.
— Les grandes fêtes musicales de Vienne ont réussi avec éclat. On
estime à plus de 430,000 le nombre des curieux qui étaient, rangés sur
le parcours du cortège historique, entre l'hôtel de ville et le Prater.
Les réceptions des sociétés aux différentes gares ont été l'occasion de
manifestations bruyantes, surtout lors de l'arrivée des Berlinois, où les
hymnes patriotiques, les fanfares, les discours de députés du Reichsrath
se succédaient sans Irève. Les chanteurs ont été logés un peu partout.
Des écoles ont été transformées en dortoirs, et un grand nombre de visi-
teurs ont reçu l'hospitalité chez l'habitant. Un des chars les plus admirés
dans le cortège était celui de Schubertbund, où le maître était représenté
assis, entouré d'un groupe de bourgeois viennois en costumes de l'époque.
Après le premier concert, auquel assistaient 20,000 personnes, un banquet
d'environ 15,000 couverts a été servi au Prater.
— La statue de Mendelssohn que vient de terminer le sculpteur Werner
Stein et qui est destinée à Leipzig, a été expédiée à Brunswick pour être
coulée en bronze. Mendelssohn est représenté enveloppé dans sa houppe-
lande légendaire. La main droite, qui tient un bâton de chef d'orchestre,
est appuyée sur un pupitre; de la gauche il tient un cahier de musique.
La tête, encadrée par de légères boucles, est d'une grande noblesse d'ex-
pression. La slalue, qui mesure 2 mètres 8d reposera sur un socle de granit
286
LE MÉNESTREL
de Suède, orné de différents motifs allégoriques. Sur le devant, une muse
est assise, attentive aux accents de quatre petits génies qui chantent et
jouent à ses pieds. Le monument aura une hauteur totale de sept mètres
et sera érigé devant le nouveau Concert-Haus. L'inauguration aura lieu le
4 novembre prochain, pour l'anniversaire de la mort de Mendelssohn.
— Le huitième festival de musique palatin vient d'avoir lieu àNeus-
tadt, sous la direction de MM. F. Langer, Max Bruch et Krumbholz, qui
ont fait entendre plusieurs ouvrages importants de leur composition.
Trente-deux Sociétés chorales étaient représentées, formant près de mille
exécutants. Le meilleur du succès s'est reporté sur la cantatrice Hœch-
Lechner, de Carlsruhe.
— Le théâtre de la Cour de Gobourg-G-otha a représenté pendant l'exer-
cice 1889-90 vingt-huit opéras différents, parmi lesquels quatre nouveautés :
Hamlet, joué cinq fois ; Jessonda, de Spohr, la Malédiction du chanteur, de
Langert, chacun quatre fois; et la Vie pour le Czar, trois représentations.
— La petite ville de Raïn sur le Lech vient de consacrer le souvenir
de son illustre enfant, Franz Lachner, en ornant la maison où il est né
d'un médaillon en marbre dédié à sa mémoire. Plusieurs sociétés musi-
cales assistaient à la cérémonie d'inauguration, présidée par le kapcllmeister
de Kammerlander. — Une autre cérémoaie du même genre nous est si-
gnalée. Il s'agit encore d'une plaque commémorative que l'on vient
d'élever sur les ruines du château Hauenstein, dans le Tyrol, à la
gloire d'Oswald von Wolkenstein, surnommé le dernier ménestrel, mort
à Hauestein le 4 août 1445.
— L'empereur Guilhaume II vient de faire don à tous les grands con-
. servatoires d'Allemagne d'un exemplaire des œuvres musicales complètes
de son aïeul Frédéric le Grand, publiées récemment à Leipzig, par les
soins de la maison Breitkopf et Hsertel.
— Le Musical Standard raconte qu'une surprise musicale a été ménagée
par l'empereur et l'impératrice d'Autriche à l'archiduchesse "Valérie, la
veille de son mariage. Le baron Bezecny, directeur des théâtres de la
Cour, fut chargé d'inviter un célèbre quatuor vocal de Vienne à se rendre
à Ischl, avec la recommandation de ne souffler mot à personne de ce
déplacement. De la station, les chanteurs furent conduits à la maison du
maître des cérémonies; on les installa dans une pièce où on leur remit
quatre exemplaires d'un chant d'amour, qu'on les pria d'apprendre. Un
repas succulent leur fut servi dans la même pièce, qu'ils ne devaient pas
quitter avant qu'on les fît demander. Quand la nuit fut venue on les
amena, à travers les bois, dan& les jardins de la villa impériale. Placés
sous un épais bouquet d'arbres, en face la terrasse principale, ils atten-
daient le signal convenu pour attaquer leur chant. Enfin l'impératrice
parut, tenant sa fille par la taille ; derrière marchaient l'empereur avec
le fiancé. Comme ils se tenaient silencieusement sur la terrasse, le
prince de Hohenlohe donna le signal, et de dessous les arbres s'échap-
pèrent les sons d'une tendre chanson d'amour dont les paroles et la mu -
sique avaient été composées par la jeune fiancée. L'archiduchesse éleva
vers ses parents un regard baigné des larmes de l'émotion et de la recon -
naissance. Puis l'empereur descendit dans le jardin, et remit à chaque
chanteur une épingle de cravate en diamants.
— On lit dans la correspondance de Londres du Figaro: « En dehors
d'une saison d'automne à Covent-Garden sous la direction de M. Lago,
saison italienne à prix réduit, mais qui sera très suivie, je le pense, on
m'annonce que nous aurons au mois de novembre jusque fin avril une
saison d'opéra-comique français. Des 'engagements importants sont déjà
signés et la direction musicale est confiée à M. Dubois, chef d'orchestre
très apprécié à Londres. Mon opinion personnelle est que si cette entre-
prise est bien conduite, elle doit réussir très complètement. On s'imagine
à tort qu'à Londres, pendant les mois d'hiver, les théâtres sont aban-
donnés. Au contraire; la haute finance, le haut commerce ne quittent pas
la capitale, où les affaires les retiennent ; on va donc davantage au théâtre,
parce que les autres plaisirs sont beaucoup moins nombreux; puis, le
succès des représentations françaises à Covent-Garden indique clairement
le goût anglais. Avec un répertoire tel que celui que j'ai sous les yeux et
qui sera celui du futur Opéra-Comique de Londres, si les œuvres de nos
grands maîtres sont convenablement montées, il est permis d'espérer un
excellent résultat. ».
— Mieux vaut tard que jamais. On annonce que deux auteurs anglais,
MM. Sims et Pettitt, viennent de terminer une « brillante » parodie de la
Carmen de notre regretté Bizet. La musique de cette parodie sera écrite
par M. Meyer Lutz.
— Celle-ci est bien anglaise. Il vient de se former à Londres une société
qui prend le nom d' Edison Phonographic (on aurait pu ajouter : and cxcentric)
Toy and Automaton Company (Limited), au capital de 7,500,000 francs
(300,000 livres sterling), en actions de 25 francs chacune (1 livre sterling),
pour garder le monopole d'un mécanisme ingénieux qui se place dans
les poupées et qui reproduit le chant avec l'exactitude du phonographe.
Ainsi, on pourra acheter désormais une poupée qui chantera avec la voix
de Talazac ou avec celle de M"10 Rose Caron, selon l'air que le mécanisme
aura enregistré. La Société ne fabriquera pas les poupées, mais seule-
ment les mécanismes, qui seront de toutes les dimensions et que les
fabricants de bébés articulés adapteront à leur fantaisie. Une poupée re-
viendra, croit-on, à 25 schillings tout compris (32 francs environ). Voilà
une invention assez « fin de siècle », n'est-il pas vrai?
— Un pendant au festival Hœndel, qui de temps immémorial se tient tous
les trois ans à Londres, va être institué dans cette même capitale en 1892.
Ce sera le festival triennal Mendelssohn. On sait que les œuvres de ce maître
sont plus populaires en Angleterre que partout ailleurs ; cela tient au long
séjour qu'il fit à Londres et à l'amitié dont l'honorait la reine Victoria, à
qui il a dédié son admirable Symphonie écossaise. Les festivals Men-
delssohn seront célébrés avec le même éclat et sur le même pied que
ceux en l'honneur de Hœndel ; c'est-à-dire qu'ils recevront la participation
de cinq mille chanteurs et de cinq cents instrumentistes. Ils auront lieu
dans la grande nef du Crystal Palace, qui contient 25,000 places assises.
— Le festival de Birmingham de 1891 promet d'être exceptionnellement
brillant. Trois ouvrages de grandes dimensions y seront exécutés pour la
première fois, savoir : le nouveau Requiem de Dvorak, un oratorio du
docteur Mackenzie, intitulé le Dieu de vie, et une cantate de M. H. Mac
Cunn, dont le titre n'est pas encore connu.
— Voici le résultat du premier concours Rubinstein, qui, comme nous
l'avons dit, vient d'avoir lieu à Saint-Pétersbourg. Des deux prix de
5,000 francs chacun qui faisaient l'objet de ce concours, l'un, celui de
composition, a été décerné à M. Busoni, de Helsingfors; l'autre, celui
d'exécution sur le piano, a été attribué à M. Dubassoff, de Saint-Péters-
bourg. — C'est à Berlin, qu'aura lieu, en 1895, le second concours.
— On assure que le baryton Gilardoni, qui a renoncé à ses succès scéni-
ques pour se livrer à l'enseignement du chant, vient d'être chargé de la
direction du Conservatoire de Moscou, et qu'il doit aller prendre pro-
chainement possession de son poste.
— On vient de construire à Varsovie un nouveau théâtre qui prendra
le nom de Théâtre-Impérial russe, et dont la salle est, dit-on, plus
vaste que celle de l'Opéra impérial de Vienne. On pense que l'inaugu-
ration de ce théâtre pourra avoir lieu dans le courant du prochain mois
de novembre.
— Est-ce que les Italiens reviendraient sérieusement à Rossini ? Ils
pourraient assurément faire plus mal. Toujours est-il qu'il y a longtemps
que le grand homme ne se sera vu à une fête pareille à celle qu'on lui
prépare au Théâtre-National de Rome, où l'on va jouer coup sur coup
trois de ses opéras : Cenerentola, l'italiana in Algeri et le Comte Ory. Le
premier de ces ouvrages a dû être représenté cette semaine, ayant pour
interprètes Mmes Guerrina Fabbri, Augusta Fiano et Quarenghi-Osanna, et
MM. Chinelli, Pini-Corsi, Carbone et Ceccarelli.
— Deux « premières «imminentes en Italie : à Santarcângelo (Romagne),
la Zingara di Granata, opéra de M. Adelelmo Bartalucci; et au théâtre
Social d'Alba (Piémont), Lina di Monferrato, drame lyrique, paroles de
M. Pablo Dell'Elsa, musique de M. Agostino Roche.
— Les compositeurs italiens ne se lassent pas de perpétrer des opéras.
Voici la liste des plus récemment terminés par leurs auteurs : Maometto II,
de M. Ausonio de Lorenzi-Fabris ; Cdmoens, de M. Gamillo de Nardis (li-
vret de M. Francesco Cimino) ; la Castellana, de M. Vittorio Bellini ; il
Profeto velato del Korasan, de M. Vincenzo Ferroni ; Caritea, de M. Benia-
mino Cesi ; enfin gli Arimanni, de M. Trucco, qu'on espère voir repré-
senter cet automne au théâtre Paganini, de Gênes.
— On vient de donner à Messine la représentation d'une parodie de
Lohemjrin qui peut sembler un peu tardive et qui est, musicalement, l'œu-
vre de deux nobles dilettantes, le prince Ruffo, qui dirigeait l'orchestre
en personne, et le marquis Squillace. La bizarrerie burlesque du livret,
dont l'auteur est M. Citarella, n'a pas paru toujours très heureuse, et l'on
reproche à la musique un caractère un peu trop sérieux pour la circons-
tance. Quelques morceaux pourtant ont fait, plaisir.
— On vient de fonder en Sardaigne, à Cagliari, un cercle musical qui
a pris le nom de Cercle Mario, en souvenir du célèbre ténor Mario, qui,
on le sait, était natif de Cagliari.
— On a exécuté récemment à Pérouse, dans la basilique de sanLorenzo,
une grand'messe à quatre parties du maestro Agostino Mercuri et des
vêpres du même compositeur. Les soli de la messe étaient chantés par
MM. Angeletti, Parroi, Pasquali et Santini, et l'œuvre a produit sur les
auditeurs une impression excellente. Le comité des fêtes qui doivent avoir
lieu prochainement en cette ville pour l'inauguration du monument du
roi Victor-Emmanuel, a chargé M. Mercuri de la composition d'un hymne
populaire qui sera chanté à cette occasion.
— La ville de Trieste ne possède pas moins de cinq théâtres, tous im-
portants : 1° le Théâtre Communal, qui est la grande scène lyrique et qui
peut abriter l,S0O spectateurs ; 2° le Politeama, qui ne contient pas moins
de 2,800 places; 3° l'amphithéâtre Fenice, qui en compte 2,014; 4° le
Théâtre Philodramatique, qui en a 1,290 ; 5° et le Théâtre Armonia, qui
en a seulement 1,060. C'est un total de 9,000 places environ qui sont
chaque jour à la disposition des amateurs.
— On nous écrit de Christiania, 20 août : s J'apprends par le Ménestrel
que l'on songe à monter Peer Gynt, d'Ibsen et Gi'ieg, au nouvel Opéra
flamand d'Anvers. On ferait bien alors de s'adresser au théâtre de Christia-
nia, où Peer Gynt sera repris cet automne, après un repos involontaire de
quinze ans. Un incendie détruisit tout le matériel en 1875, alors que le
chef-d'œuvre d'Ibsen n'avait encore été joué que 35 fois de suite. M. Grieg
LE MÉNESTREL
287
a, pour cette prochaine reprise, refait et augmenté la partition. Le rôle
principal, quelque chose comme le Faust norwégien, sera tenu par
M. Bjœrn Bjœrnson, le fils du grand poète. Peer Gijnt n'a encore été re-
présenté qu'à Christiania et à Copenhague, dans cette dernière ville avec
les créateurs norvégiens de Peer (Pierre) et de sa mère Asa, M. Henri
Clausen et MUe Parelius. A présent, l'œuvre est traduite pour les scènes de
Suède et de Finlande. En librairie c'est une des couvres les plus vendues
du Nord. »
— Le choléra fait des siennes en Espagne. Grâce à lui, on a dû reculer
à une époque indéterminée la réouverture de divers théâtres, entre autres
le théâtre Lopez Ayola, à Badajoz.
— Contre l'ordinaire en cette saison, Lisbonne a un assez grand nombre
de théâtres ouverts : le Colysée, avec opéra italien ; le théâtre des Re-
creios, avec un spectacle d'opérette; et trois scènes secondaires de vaude-
ville et de variétés.
— On assure qu'à l'occasion de l'Exposition universelle de Chicago, qui
aura lieu en 1893, un grand congrès musical international sera tenu en
cette ville. Hum!... International. C'est bien loin de l'Europe, Chicago!
. — Veut-on savoir combien il existe de théâtres à New- York? Il n'y en
a pas moins de vingt-huit, dont voici la liste : l'Academy of music, le
Metropolitan Opéra House, le Grand'Opera House, le Harlem Opéra House,
l'Amberg théâtre, le Bijou théâtre, le Broadway théâtre, le Casino théâtre,
le Daly théâtre, le théâtre de la 3e avenue, le théâtre de la 5e avenue,
le théâtre de la 14e rue, le Lyceum, le Madison théâtre, la New-Gaiety,
le New-Park, le Nibo's Garden. le Palmer théâtre, le théâtre du Peuple,
le Pilling théâtre, le Comik théâtre, le Proctor théâtre, le Standard
théâtre, le Star théâtre, le Thalie théâtre, le Tony Pastor théâtre, le théâ-
tre d'Union Square et le "Windsor théâtre. — Ce n'est pas tout. A cette
liste, il faut ajouter celle des treize théâtres que l'on compte à Brooklyn,
qui peut être considéré comme un faubourg de la grande métropole amé-
ricaine ; la voici : l'Academy of music, le Brooklyn théâtre, l'Amphion
théâtre, le Criterion théâtre, la Gaieté, le Grand Opéra House, le Grand
Théâtre, l'Hyde and Behman théâtre, le Jacoh's théâtre, le Jacobs Lyceum,
la Lee Avenue Academy, le Proctor théâtre et la Zip Casino. Selon toute
apparence, les New-Yorkais ne sont pas près de s'ennuyer. A tout le
moins, ce ne sera pas faute de distractions.
— On roman d'amour au théâtre, raconté par un journal de Buenos-
Ayres. «Ugo Fraschetti était un des bons, des meilleurs barytons que l'on
comptait dans les troupes italiennes d'opérette ; où qu'il se présentât, il
était accueilli avec une faveur toute particulière. Depuis un peu plus
d'une année, il s'était énamouré d'une des plus jolies choristes de la
Compagnie Tomba, et il fut quelque temps au comble du bonheur. Mais
celle-ci, inconstante comme toutes les femmes de théâtre, se détacha
promptement de lui, et de Milan, où elle se trouvait, s'envola avec un
jeune et riche Brésilien qui, outre un amour très vif, lui offrait un bien-
être et des bijoux que le pauvre baryton ne pouvait lui procurer. Ugo
Fraschetti, lorsqu'il apprit son abandon, en fut tellement frappé que sa
raison s'égara et qu'il fut atteint de folie ; l'artiste autrefois tant fêté dut
être transporté et enfermé dans un hospice d'aliénés, d'où il sortit au bout
de quelques mois, l'esprit guéri, mais le cœur plus endolori que jamais,
et, pour comble de malheur, il avait perdu la belle voix qui le faisait si
vivement applaudir. Il apprit il y a quelques mois que son infidèle, la
gentille Fiammetta, était partie pour Buenos-Ayres. Il était alors en Italie,
sans voix et sans ressources ; il s'enrôla comme choriste dans une compa-
gnie d'opérette qui se rendait aussi à Buenos-Ayres, et cela dans le but
de se trouver plus près de celle qu'il aimait toujours. Et maintenant on
peut le voir chaque soir, sur la scène du théâtre Saint-Martin, dans les
rangs des choristes, chargé parfois d'un rôle insignifiant, gagnant à peine
de quoi manger, tandis que sa belle, en compagnie de son riche protec-
teur, éblouit la ville par son luxe, ses toilettes et son opulente beauté. Il
n"a pas cessé de l'aimer... »
PARIS ET DÉPARTEMENTS
MM. Ritt et Gailhard, qui ne se refusent plus rien, ont racheté à
M1"" Caron son congé de trois mois en février, mars et avril 1891, afin
que cette artiste n'abandonne par son rôle de Salammbô pendant cette
période de temps, l'ouvrage de M. Reyer devant passer en novembre. On
ne tardera pas, du reste, à afficher au tableau des répétitions les études
de Salammbô, qui sera la première nouveauté lyrique de la saison à l'Aca-
démie de musique. La scène, comme le personnel de l'Opéra de Paris,
permettront d'y donner des morceaux de cet ouvrage supprimés à Bru-
xelles. Les chœurs commenceront, dès le 15 de ce mois, les premières
répétitions. Leurs parties sont déjà distribuées. La partie chorégraphique
sera des plus curieuses et des plus intéressantes. Elle comprendra trois
ballets : le premier, au premier acte, au milieu de la troupe des merce-
naires ; le second, à la toilette de Salammbô ; le troisième, au quatrième
acte.
— Voici une petite note émanant, comme toujours, de l'administration
de l'Opéra, et, comme toujours aussi, destinée à jeter de la poudre aux
yeux du public et même de la direction des beaux-arts : « A l'Opéra, avec
lea nouveaux engagements faits depuis quelques mois, la troupe est
maintenant composée de la façon suivante : Ténors : MM. Duc, Escalaïs,
Vergnet, Cossira, Affre, Vaguet, Jérôme et Téqui ; barytons : MM. Las-
salle, Melchissédec, Bérardi et Martapoura ; basses : MM. Grosse, Delmas,
Plançon, Dubulle, Fabre, Bataille et Ballard ; fortes chanteuses :
Mmes Caron, Adiny, Fierens, Bréval et Pack; chanteuses légères :
Mraes Escalaïs, Melba, Eames, Bosman, Lovents, d'Ervilly, Agussol et
Dartoy; contralti : M""* Domenech. Durand-Ulbach, Héglon ; cette der-
nière, élève de M" Marie Sasse, et qui n'a encore chanté sur aucune
scène, est engagée depuis samedi. » Ce qu'on oublie d'ajouter, c'est
qu'avec le système ingénieusement combiné des engagements partiels et
des congés , il n'y a jamais en exercice qu'une moitié à peine de ce
nombreux et brillant personnel. D'où les incessants changements de spec-
tacle improvisés dont l'Académie nationale nous donne le non moins
brillant exemple.
■ — M110 Lovents ou Lovenz, dont nous avons annoncé déjà l'engagement
et qui est comprise dans le tableau ci-dessus, s'appelle réellement Amélie
Lowensohn, et, de par ce nom, semble être au moins d'origine allemande.
Elle raisait, la saison dernière, partie, du personnel du Grand-Théâtre de
Marseille. Lauréate du Conservatoire de Bruxelles, elle est la nièce de
M. Van Goor, qui tint, sous la direction Letellier, l'emploi de troisième
basse à la Monnaie, et qui est actuellement « circonciseur » de la com-
munauté israélite de Bruxelles.
— Pas de chance, l'Opéra-Comique, pour sa réouverture, et l'on croirait
que l'exemple de l'Opéra influe sur ses destinées. Cette réouverture, affi-
chée pour lundi avec le Barbier de Séville, a failli presque ne pouvoir avoir
lieu. En effet, l'administration s'est trouvée, dans l'après-midi, en pré-
sence de l'indisposition de trois des principaux artistes qui devaient con-
courir à l'exécution de l'ouvrage annoncé. Il était difficile de composer
un spectacle sans M"0 Simonnet, Mme Landouzy et M. Delaquerrière, qui
se déclaraient malades avec certificats de médecins à l'appui. Heureuse-
ment, M"e Chevalier a accepté de reprendre au pied levé, dans le Domino
noir, le rôle d'Angèle, qui fut son rôle de début à l'Opéra-Comique. Elle
en a été récompensée par le brillant succès que lui a fait le public.
— Quelques renseignements sur le Benvenuto de M. Diaz, dont les répé-
titions vont commencer à l'Opéra-Comique. Dans le milieu si artistique
et si pittoresque de la vie florentine au seizième siècle, s'engage une
action "dramatique intense dont Benvenuto Celhni est le héros. Autour de
lui, les principaux personnages sont : M. de Montsolm, seigneur de la
cour de France, plus tard ambassadeur du roi François Ier à Rome; sa
fille Delphe, fiancée à Benvenuto ; Pasilia, connue par sa beauté, son
charme et ses richesses; Pompéo, frère de Pasilia, sculpteur aux gages de
Cosme de Médicis. Le livret de M. Gaston Hirsch est divisé en quatre
actes et six tableaux. 1er acte. — La place du Grand-Duc à Florence, au
moment de la fête donnée par Médicis à l'occasion de l'inauguration de la
statue de Persée. 2e acte. — La demeure de Pasilia, vue du côté du jardin,
avec une colonnade donnant sur une rue qui aboutit à l'Arno , et le
palais du duc de Florence en perspective. 3e acte. — La salle basse du
château de Sant'Agnolo, devenu depuis le Château Saint-Ange. C'est dans
ce troisième acte que sera intercalé le ballet, avec deux changements à
vue. 4e acte. — La salle d'honneur du château, avec larges fenêtres ou-
vertes sur le Tibre. La pièce de MM. Hirsch et Diaz s'appellera sur
l'affiche Benvenuto tout court. Et pour finir, pas la moindre ressemblance,
pas le moindre point de contact avec VAscanio de l'Opéra.
— On assure que lors de la réapparition de Mignon qui doit avoir lieu
très prochainement à l'Opéra-Comique, peut-être cette semaine, le rôle
de Philine sera chanté, pour la première fois à Paris, par M"1" Landouzy.
— A propos de l'Opéra-Comique. On sait que le théâtre où est installé
l'Opéra-Comique actuel, ex-théâtre de Paris, ex-théâtre des Nations, etc.,
etc., appartient à la ville de Paris. Un traité de location a été passé
entre l'État et la ville, pour une durée de trois années, à dater du
1er juillet 1888. Le loyer annnel est fixé à 80,000 francs. Or ce traité
expirera le 30 juin prochain. Mais son renouvellement est presque cer-
tain. On voit en effet figurer au budget municipal de 1891, parmi les
recettes, une somme de 40,000 francs, montant du loyer de l'Opéra-
Comique pendant le second semestre de l'année prochaine.
— Puisque nous en sommes aux théâtres appartenant à la ville de
Paris, donnons à ce sujet quelques détails. Outre l'Opéra-Comique, la
ville possède encore, on le sait, le Chàtelet et la Gaité; le prix de loca-
tion du premier de ces théâtres est de 150,000 francs par an depuis le
mois d'octobre 1887; auparavant, il était de 173,000 francs. Pour la Gaité,
le prix de location, qui était autrefois de 101,000 francs, a été abaissé à
85,000 francs le 15 octobre 1887. L'Opéra-Comique, le Chàtelet et la Gaité
constituent donc pour la ville un revenu annuel de 315,000 francs ; il
faut ajouter à cette somme ce que rapportent les boutiques installées au
rez-de-chaussée de l'Opéra-Comique et du Chàtelet, soit 19,100 francs
pour le premier, 113,100 francs pour le deuxième. Voilà les recettes;
voyons maintenant les dépenses qui incombent à la ville de Paris,
comme à tout propriétaire. H y a d'abord les primes annuelles pour
l'assurance contre l'incendie. Cela s'élève à 13,284 fr. 85 c. pour le Chà-
telet, à 6,688 fr. 60 c. pour l'Opéra-Comique, à 7,666 francs pour la Gaité.
Les dépenses nécessitées par les travaux d'entretien se montent à
17,200 francs pour l'Opéra-Comique, à 9,000 francs pour la Gaité, à
7,000 francs pour le Chàtelet. Enfin, les frais de surveillance et de con-
trôle dans les trois théâtres municipaux atteignent 3,300 francs. Il faut
également faire figurer parmi les revenus artistiques de la ville de Paris
288
LE MÉNESTREL
une somme de 139,100 francs pour la location du terrain municipal aux
concerts, cirque, etc., installés dans les Champs-Elysées, ainsi que le
produit de la location des marionnettes et guignols. Ces théâtres minus-
cules sont au nombre de quatre aux Champs-Elysées; chacun d'eux paie
à la ville une redevance annuelle de 600 francs. Au bois de "Vincennes
on compte deux guignols, payant chacun HO francs; le théâtre, des ma-
rionnettes de la place des Vosges -îst taxé à 200 francs. Enfin, le grand
théâtre de prestidigitation du Ranelagh paie 36 francs par an, soit environ
la quatre-millième partie de ce que paie le Chàtelet.
— Comme les années précédentes, la direction de l'Odéon fera, cette
année encore, une large part dans ses travaux à l'élément musical, avec
le concours de M. Charles Lamoureux et de son orchestre. En effet, parmi
les ouvrages dont M. Porel annonce la représentation pour la saison qui
s'ouvre, nous remarquons les trois suivants : 1° Alceste, drame lyrique en
cinq actes, en vers, d'après Euripide, par M. Alfred Gassier, avec les chœurs
« originaux » et la musique d'orchestre de Gluck ; 2° Roméo et Juliette.
drame en neuf tableaux, en vers, traduit de Shakespeare par M. Georges
Lefèvre, avec musique de scène et entractes tirés de la partition de
Berlioz; 3° Conte d'Avril, comédie héroïque en six tableaux, en vers,
d'après la Douzième Nuit de Shakespeare, par M. Auguste Dorchain, avec
musique nouvelle de M. Widor.
— Le vieux compositeur Henry Litolff ne renonce pas au travail, ni à
l'espoir de se voir représenter de nouveau, un jour ou l'autre. Il vient de
terminer la partition d'un grand drame lyrique, le Roi Lear, en quatre actes
et cinq tableaux, dont son collaborateur, M. Jules Adenis, a tiré le livret
de la célèbre tragédie de Shakespeare.
— Notre confrère Oscar Comettant se trouve en ce moment à Rotter-
dam, d'où il se rendra prochainement à La Haye et à Amsterdam. Le but
de M. Comettant, en visitant la Hollande, est de rechercher les meilleures
œuvres des compositeurs néerlandais vivants, en vue de composer le pro-
gramme d'un concert où il ne sera exécuté que des compositions néerlan-
daises et qui sera donné à Paris, par la maison Pleyel, au bénéfice de la
caisse de l'Association des artistes musiciens. Des pianistes et des chan-
teurs néerlandais seront exclusivement chargés de l'exécution du pro-
gramme.
— On sait que M. J. Danbé, l'excellent chef d'orchestre de l'Opéra-
Comique, était, cette année, directeur de la partie musicale au Casino de
la charmante station thermale d'Argelès-de-Bigorre, où son succès a été
très grand. Avant son départ, ses auditeurs et ses amis lui ont offert,
au Casino, un punch pendant l'entr'acte de son dernier concert, et
M. Armand Silvestre lui a lu le sonnet humoristique suivant :
Les oiseaux d'Argelès disaient, dans les buissons:
— C'est triste de chanter toujours les mêmes choses!
Tous nos airs sont usés et l'on dit que les îoses
Elles-mêmes en ont assez de nos chansons.
Vienne un magicien dans l'art divin des sons
Qui de motifs nouveaux nous révèle les gloses I
— Profondément ému de leurs plaintes moroses
Tu répondis, Danbé, à l'appel des pmsons.
Ton archet triomphant qui fait rêver les merles,
Secoua, dans les airs le flot d'or de ses perles,
Le rossignol pensa : mes beaux jours sont finis 1
Très attentivement la fauvette l'écoute
Et, le printemps qui vient, nous entendrons, sans doute,
De nouvelles chansons monter du cœur des nids !
— Mmc Muller de la Source ouvrira à partir du 1er octobre un cours de
chant gratuit (deux heures, deux fois par semaine) pour quatre jeunes filles
de 16 à 20 ans. Il sera perçu un droit d'inscription dont le produit inté-
gral constituera deux prix de fin d'année. On peut s'inscrire jusqu'au
25 septembre chez Mmc Muller de la Source, 18, rue de Berlin, tous les
matins, de 9 heures à 11 heures.
— Sait-on quels sont les appointements alloués aux premiers sujets,
pour la prochaine saison, au théâtre de Monte-Carlo ? Un de nos con-
frères, qui est allé ces jours-ci tenter la fortune au pays du soleil et du
trente et quarante, nous rapporte des renseignements sur le budget de
cette importante scène. Nous en extrayons les chiffres les plus... respec-
tables. Artiste' engagés au mois (huit représentations par mois) : M"e Vuil-
laume, 7.000 francs par mois; M. Engel, 10,000; MM. Boyer et Isnardon,
6,000 chacun (ce dernier touche, en outre, des appointements comme
administrateur général). MmKPeretli, Buhl, Leclerc, Toudouze, MM.Nigri,
Delersy, Fronti, dont les appointements varient entre 1,000 et 2,000 francs.
Artistes engages au « cachet » : MmcNordica, 4,000 francs par représentation;
Mmc Arnoldson, 3,000; M'"e Deschamps-Jehin, 1,500; MM. Jean de
Reszké, 6,000; Duc et Melchissédec, 1,500; Fugère et Queyla, 2,000.
Diable! on ne lésine pas sur les frais, à Monte-Carlo, et M. Bias
inaugure royalement sa direction monégasque. Ajoutons à ces rensei-
gnements que la saison commencera le 27 décembre 1890 pour finir le
28 avril 1891.
— Un de nos confrères avait annoncé le prochain divorce du colonel
Henry Mapleson, qui avait épousé Mmc Marie Rôze, la cantatrice française
qu'on a entendue avant la guerre à l'Opéra-Comique. L'imprésario Maple-
son écrit, à ce sujet, que « son mariage avec Mme Marie Roze a été dé-
claré illégal comme n'ayant pas été contracté conformément aux lois
(sic). » Il termine en disant : « Je n'ai rien à ajouter, sauf que j'ai obtenu,
pour elle, dernièrement, de 1res beaux engagements artistiques en Angle-
terre, où elle est l'idole du public. Pour se consoler du passé, elle con-
serve, en sus de très beaux souvenirs, des économies que je crois non
moins belles et ses magnifiques bijoux, tandis que moi je conserve mon
admiration pour sa beauté, son talent et sa jolie voix. »
— Au Casino-Théâtre de Paramé, l'orchestre de M. Bourdeau obtient
toujours de très beaux succès. A l'une des dernières soirées de gala, le
public a salué de bravos unanimes M. Caron, de l'Opéra, qui interprétait
pour la première fois une nouvelle composition de Faure, Hymne aux
astres, appelée, croyons-nous, à un succès retentissant. L'interprète avait
d'ailleurs remarquablement dit cette page très inspirée.
— La semaine dernière a eu lieu, au Casino de Boulogne-sur-Mer, un
grand festival organisé en l'honneur de M. Saint-Saëns dont les œuvres,
parfaitement exécutées par l'orchestre, ont été très applaudies du public.
L'excellent violoniste Diaz-Albertini prêtait à cette fête le concours de son
talent et a été grandement fêté. L'auteur d'Henry VIII, très vivement
sollicité, s'est mis au piano et a été l'objet d'ovations enthousiastes.
— Le 23 août a eu lieu, à l'église d'Étretat, une grande fête religieuse
dont le succès a dépassé toutes les prévisions. Sur le programme, très
bien composé, nous relevons les noms de M"" Delaquerrière de Mira-
mont, qui a chanté de façon supérieure l'Ave Stella de Faure, accom-
pagnée par le violoncelle de M. Baretti ; Mme Trebelli, qui a fait admirer
sa belle voix dans un Ave verum de Hiendel ; MUc Auguez, de l'Opéra-
Comique, qui a dit avec beaucoup de charme \'0 Salutaris de. Nieder-
meyer, et M. Delaquerrière, dont le talent bien connu a été des plus appré-
ciés dans l'air de Joseph. Enfin MmBS Auguez et Trebelli ont interprété le
Crucifix, de J. Faure, et, se réunissant à M. Delaquerrière, ont terminé ce
très beau concert par le trio de Curschmann, Ti preglio. M. Krehmer tenait
l'orgue avec beaucoup d'autorité.
— Un grand concours international de musique, organisé par la fanfare
en Ut, aura lieu à Dijon les 15 et 16 août 1891. Nul doute que les sociétés
musicales de France et de l'étranger ne répondent en masse à l'invitation
de cette Société, dont on se rappelle encore le brillant concert au Troca-
déro pendant l'Exposition,
Henri Heugel. directmr-géiant.
Paris, AU MÉNESTREL, 2Ms, rue Vi vienne, HENRI HEUGEL, Éditeur-propriétaire.
L-A. BOURGAULT-DUCOUDRAY
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(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEDGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un on, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Notes d'un librettiste : Eugène Gautier (18" article), Louis Gallet. — II. Semaine
théâtrale: Variations sur le Mage et Salammbô, H. Moreno; première représen-
tation du Secret de Gilberte, à l'Odéon, Paul-Emile Cbevalier. — III. Les débuts
et le sifflet au théâtre, Em. de Ltdex. — IV. Histoire vraie des héros d'opéra
et d'opéra-comique (40' article) : Le roi d'Yvetot, Edmond Neukomm. — V. Nou-
velles diverses.
MUSIQUE DE PIANO
Nos, abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour:
VERGLAS -GALOP
de Franz Hitz. — Suivra immédiatement : Roses et Papillons, de Paul
Barbot.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant: Les Yeux, nouvelle mélodie de J. Faure, poésie de Frédéric
Bataille. — Suivra immédiatement: Mystère I nouvelle mélodie des
mêmes auteurs.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
EUGÈNE GAUTIER
J'eus, un soir, à propos de cette fausse idée que se fait la
foule de la façon dont on écrit un opéra, la surprise de
m'enlendre dire paT un illustre personnage, alors ministre
des Beaux-Arts, homme aimable et spirituel, mais assurément
bien dégagé des choses de l'art musical :
— Quand vous devez faire un opéra, n'est-ce pas? le com-
positeur vous donne d'abord sa musique ?
Je lui assurai avec respect et discrétion qu'il avait pu en
■être ainsi « dans le temps », mais que nous avions changé
tout cela.
Je ne pouvais en vouloir à Gautier, tout entier au succès
■de ses démarches, de ne mettre exclusivement en avant, à
côté du sien, que le nom brillant du principal auteur de
la Clé d'or. Dans un moment d'enthousiasme intime, mon
compositeur m'avait une fois appelé le « Quinault moderne »;
cela pouvait racheter bien des choses !
Nonobstant l'enthousiasme de Yizenlini, il fallut près de
deux ans pour que la Clé d'or arrivât au grand jour de la
rampe. Reçue le 30 novembre 1875, elle ne devait être repré-
sentée que le 11 septembre 1877.
La question de distribution ne fut pas petite affaire. Il
s'agissait tout d'abord de trouver la Suzanne idéale. Il arriva
ce qui ne manque pas d'arriver en pareil cas. Des artistes
furent nommées dont le compositeur n'aurait pas voulu s'il
avait été livré à lui-même, et qui, présentées par le directeur,
lui apparaissaient tout à coup sous des couleurs presti-
gieuses, tant chez lui la crainte était grande de compromettre
par une résistance quelconque l'avènement d'un ouvrage qui
devait faire époque dans sa vie.
J'ai, à propos de l'une d'elles, ce joli billet d'Octave Feuillet,
que Gautier avait consulté :
« J'ai écrit à Gautier au sujet de Mlle X***. Il avoue qu'elle
a près de quarante ans, mais comme MUe Mars a joué la
duchesse de Guise à soixante ans, il en conclut que Mlle X***
nous convient à merveille pour un rôle d'ingénue, sauf
qu'elle est un peu jeune. »
Ce n'était pas seulement le rôle de Suzanne qui préoccu-
pait Gautier, c'était celui de Georges Vernon, c'était surtout
celui de Raoul d'Athol. Il y fallait à la fois un chanteur et
un comédien. Pour Georges Vernon, il avait d'abord songé à
Melchissédec, qui était alors à la Gaité, où il avait créé le
principal rôle du Timbre d'argent de Saint-Saëns. Ce fut
finalement à Bouhy que le rôle échut. Il avait toutes les
qualités désirables pour le mettre- en valeur.
Pour Raoul d'Athol, Gautier eut une idée qui rentrait bien
dans son parti pris de fonder son succès sur le plus grand
nombre d'attractions possible.
A cette comédie de Feuillet, -il entendit donner non seule-
ment un chanteur, mais un comédien de profession pour
principal interprète. Un charmant artiste faisait alors les
beaux jours du Gymnase, Frédéric Achard, qui avait dû
autrefois embrasser la carrière lyrique, et, jeté par suite de
je ne sais quelles circonstances dans la comédie, regrettait
toujours sa première vocation.
Ses débuts dans un rôle de comédien-lyrique devaient être
un événement. Gautier mit tout en œuvre pour s'assurer
le concours de cet artiste. 11 y parvint, et les répétitions
purent commencer.
Dès lors aussi, le compositeur travailla à ajouter à son
œuvre tout ce qui, au point de vue épisodique, pouvait en
corser l'intérêt musical. Travaillé du même désir que
Meyerbeer dans le Pardon de Ploërmel, il y voulait mettre un
peu de tout, à côté de l'action principale, sans se soucier
trop de l'embarrasser, de l'alanguir, avec cet aveugle
290
LE MENESTREL
égoïsme du musicien jaloux avant tout de se tailler une part
magistrale. C'est ainsi qu'il dut y avoir, au second acte, une
série d'airs populaires et un morceau original, une chanson
groënlendaise, de la façon même du compositeur. De tout
cela, il ne devait finalement demeurer que l'air du Rossi-
gnolet, dont nos érudits confrères de la Revue des Traditions
populaires nous ont certainement indiqué naguère l'origine :
S'il y avait autant d'fiévreux
Gomme il y a d'cœurs amoureux,
— Chante, rossignol, chante, —
Le genre humain disparaîtrait
Et le monde finirait,
Chante, Rossignolet !
Puis une autre, moins connue, je crois, et d'un grand
charme rustique :
Par là vint à passer
Un jeune chevalier;
Il me vit dans la pâture
Mes moutons j'allais gardant!
Fillette, allons, gai, gai,
Fillette, allons gaiment !
Quand, suivant l'expression consacrée, « on descendit en
scène », l'œuvre, déjà très touffue comme dialogue, apparut
tout embroussaillée de musique; il fallut bientôt songer à
des coupures.
Le compositeur, surmené par un travail peut-être poussé
au delà de ses forces, en proie à des préoccupations, à des
inquiétudes constantes, parfois chimériques, résultant sans
doute d'un très fâcheux état de santé, suivait les répétitions
presque machinalement.
Et, comme on le savait fort mécontent de sa situation phy-
sique et qu'on lui demandait de ses nouvelles, il répondait,
poussant l'amour du mot jusqu'à le pratiquer à ses propres
dépens :
— Ça ne va pas. On me conseille l'idiothérapie. Ça me
réussira peut-être.
Au fond de cet esprit, alors évidemment abattu par une
cause impénétrable, veillait toujours le sentiment de la vo-
lonté; il s'exerçait pour ainsi dire mécaniquement.
Il arrivait que, d'accord avec Vizentini, nous pratiquions
une coupure dans une scène, sans que le compositeur parût
prêter grande importance au fait.
Le lendemain, quand on arrivait à cette scène et qu'on la
disait en supprimant le passage condamné la veille, Gautier
se tournait vers Vizentini :
— On a donc coupé, là ?
— On a coupé, répondait froidement Vizentini.
— Ah!
Et après cette exclamation philosophique, le compositeur
retombait dans son silence résigné.
Seulement, la répétition terminée, il montait tranquille-
ment au bureau de copie et faisait rétablir les pages sup-
primées.
Le travail de la coupure était à recommencer le len-
demain.
Je crois que, durant ces jours de travail pénible, nous
avons, sans nous en rendre compte, bien fait souffrir le pauvre
compositeur.
(A suivre.) Louls Gallet.
SEMAINE THÉÂTRALE
VARIATIONS SUR LE MAGE ET SALAMMBO
Il n'y a pas en vérité de direction plus ondoyante et diverse que
celle de notre Opéra. Que fera-t-elle, ou plutôt que no fora-t-elle pas 1
Depuis la verte semonce qu'elle reçut de la Commission du Budget,
elle a passé déjà par trois phases différentes. Celle du méconten-
tement d'abord : « Ah! c'est comme ça! on prétend nous faire
rendre gorge; eh! bien, nous allons nous mettre en grève. Nous ne
ferons plus d'engagements, nous ne monterons plus d'ouvrages nou-
veaux. Paris sera sevré de musique! »
Puis, la réflexion venant, et s'apercevant que cette attitude de
révolte ne pouvait qu'aggraver leur mauvais cas, ils entrent réso-
lument dans la deuxième phase :
— Du nouveau ! Eh! bien si, nous allons en donner aux Parisiens,
mais seulement du nouveau qui reviendra de Bruxelles. Nous allons
tourner agréablement notre cahier des charges; ce ne sera pas la
première fois. Reyer, donnez-nous Salammbô. Cet ouvrage que nous
avons honni et conspué, nous allons l'adorer.
— Mais...
— Mais quoi ? Dans un interwiew resté célèbre, vous avez pro-
mis solennellement que Salammbô ne viendrait à l'Opéra que lorsque
nous n'y serions plus. Est-ce cela qui vous gêne? Des mots, mon
cher maître, des mots, dont nous seuls pourrions vous garder ran
eune. "Vous devez savoir le cas que nous faisons des injures. En
avons-nous assez entendu de toutes les couleurs ! Est-ce que cela
nous empêche d'arrondir chaque jour notre petit magot? Eh! bien,
alors... Oublions tout. Que diable! Salammbô vaut bien un raccom-
modement.
— Topez là, vous êtes les plus étonnants directeurs que je con-
naisse... j'en parlerai à Clemenceau. Au fait, pourquoi donc vous
attaque-t-il ? De quoi vient-il se mêler ? Est-ce que le Général ne
lui suffit pas? J'irai le voir. Mais, sapristi! dites-moi donc, j'avais
entendu dire que vous aviez pris un engagement antérieur avec
mon jeune confrère Jules Massenet.
— En effet, il a notre signature, mais vous avez notre parole.
— C'est juste, nous sommes aussi bien lotis l'un que l'autre, et je
puis m'appuyer sur votre parole comme il peut s'appuyer sur votre
signature.
Et ce fut une rage entre auteur et directeurs. On s'aima autant
qu'on s'était détesté. Les deux compères Ritt et Gailhard en ou-
blièrent leurs habitudes de sévère économie. Il fallait avoir Vergnet
pour le rôle du grand prêtre, on eut Vergnet. Mmc Caron, autrefois
tant décriée par la direction, aujourd'hui si admirée d'elle parce
que les circonstances l'exigent impérieusement, Mme Caron avait un
congé de trois mois en plein cœur de l'hiver, vite on le lui rachète.
De la misérable mise en scène de Bruxelles, il ne devait rien rester.
Gailhard promettait de faire des prodiges; rien ne lui coûterait.
On vivait donc sur des roses. Reyer ne reconnaissait plus les gens
qu'il avait tant maudits autrefois. Il allait les reconnaître.
Nous entrons, en effet, dans la troisième phase. Plus de Salammbô!
Tout pour le Mage!
Un nouveau personnage était venu fort insidieusement jeter une
note discordante au milieu de toute cette joie. Avouons toutefois qu'il
en avait un peu le droit. C'était Jules Massenet, son papier à la
main. Tant qu'il avait pu croire qu'on ne pourrait se passer de lui,
il avait fait le dédaigneux, comme un compositeur qui ne tient pas
autrement à être joué : « Vous voulez mon œuvre ; je ne vous la
refuse pas. Mais donnez-lui une interprétation éclatante. Je ne la
trouve pas dans votre troupe, tant s'en faut ! » On pria Jean de
Reszké pour le principal rôle ; refus très catégorique du prestigieux
ténor, qui entend désormais se consacrer uniquement à la musique
de Wagner. Autant dire qu'il veut se retirer dans un cloître. Pre-
mière douche pour le compositeur du Mage. Il avait rêvé de Sybil
Sanderson pour son héroïne; les directeurs ne purent s'entendre avec
la jeune artiste, qui, sans doute, eut plus de prétentions que de véri-
table talent. Ce n'était plus une douche, c'était un véritable bain
froid où on plongeait notre éminent maestro: « Ah! c'est comme
cela ; eh ! bien n'en parlons plus. Laissons le Mage tranquille. Il
attendra. » Et il s'en alla, avec l'idée qu'on allait courir après lui
pour le faire revenir sur cette intempestive décision, qui, selon lui,
devait jeter les directeurs dans un affreux désespoir.
Mais quand il vit qu'on se retournait tout bonnement d'un autre
côté, cela ne fit pas son affaire. C'est donc lui qu'on vit entrer, un
beau jour, comme le spectre de Banquo, dans le cabinet de la di-<
rection.
— Voyez-vous ce papier?
— Oui. Eh bien?
— Reconnaissez-vous au bas cette signature fulgurante?
— La nôtre. Mais cela n'a pas d'importance.
— Erreur ! Avec cela je vous traînerai devant les juges consulaires,
âmes loyales et intègres de commerçants qui ne badinent pas avec
les engagements pris.
— Se peut-il? Mais vous nous avez dit que vous ne trouviez pas
d'interprètes dans notre troupe.
LE MENESTREL
291
— J'en trouverai. Voyons, vous avez bien au magasin des acces-
soires quelque baryton défraîchi dont on pourra réviser les cordes ;
vous avez bien des ténors qui savent faire les gestes. Ricliepin et
moi nous adorons la pantomime. Nous aurons tout le corps de balle!,
un merveilleux corps, pour nous y aider. Si, avec cela, vous me trou-
vez seulement une chanteuse à laquelle il reste trois notes dans
la voix, je remanierai ma partition pour ce registre, peu étendu
il est vrai, mais qui offre encore des ressources à un compositeur
tel que moi.
— Soit! Mais, s'écrièrent triomphalement en chœur les deux com-
pères, nous n'avons pas de contraltos 1
— Que sil
— Nous en avons sur le papier, pour la forme, pour donner le
change au ministre. Mais ils ne chanteDt pas!
— Qu'importe! Vous en avez un qui joue du piano et qui a même
eu un premier prix au Conservatoire sur cet instrument fallacieux.
Cela pourrait indisposer Eeyer. Mais moi, j'en suis ravi, parce que
j'ai pris le parti de lui faire jouer tous ses morceaux sur un piano,
qae deux de vos huissiers apporteront en scène au moment voulu.
Je compte avec cela sur un effet nouveau. Ainsi donc, c'est dit,
c'est entendu, n'est-ce pas? Songez-y. Tribunal... âmes intègres...
loyales... respect des engagements...
Et l'ombre de Massenet se retira. Les directeurs en restèrent
effondrés dans leur chaise curule. A ce moment Reyer, non sans
inquiétude, frappa à la porte : « J'ai toujours votre parole"? — Oui
mais il a notre signature. C'est juste. J'irai voir Clemenceau. »
On voit qu'il n'y a pas qu'en politique et dans les coulisses du
boulangisme qu'il se passe des choses vraiment amusantes et même
extraordinaires.
H. Moreno.
Odéon. — Le Secret de Gilberte, pièce en 5 actes, en prose de
M. Théodore Massiac.
Auteur nouveau, pièce nouvelle, nombreux artistes nouveaux pour
le théâtre, en voilà plus qu'il n'en fallait pour donner à la réou-
verture de l'Odéon un certain intérêt. L'auteur, M. Théodore Mas-
siac, journaliste de mérite, s'est fait, au Gil Blas, la spécialité des
indiscrétions théâtrales; c'est lui qui, avant chaque première à sen-
sation, court de droite à gauche, furète dans tous les coins, inflige
des interviews aux auteurs, aux interprètes, aux machinistes, aux
costumiers et autres, pour donner à ses lecteurs, avides de primeurs,
des renseignements avant la lettre.
La pièce, c'est l'histoire d'une jeune fille prise de force par un
goujat et qu'un galant homme épouse malgré sa faute; sujet assez
peu original, déjà plusieurs fois mis à la scène, mais qui n'en reste
pas moins d'une grande difficulté à traiter. M. Théodore Massiac
n'a pas hésité devant cette difficulté et, s'il ne l'a point complète-
ment surmontée, du moins a-t-il su en tirer quelque profit. Son
début comme auteur dramatique reste très honorable et promet,
lorsque l'expérience sera venue, quelqu'un avec qui, sans doute, il
faudra compter.
Les artistes nouveaux, ce sont d'abord Mlle Rosa Bruck, qui a
joué avec beaucoup de talent, et plus de charme qu'à son ordinaire,
le rôle de l'héroïne; puis Mme Solesmes, une mère glapissante de
mélodrame, très déplacée au second Théâtre Français; enfin M. Paul
Reney qui, malgré un fâcheux défaut de prononciation, a fait
montre d'une grande distinction et d'une grande justesse de senti-
ment, et M. Monvel, qui n'est point sans qualités. Parmi les anciens
pensionnaires de la maison, j'ai à nommer M. Calmeltes, doué d'une
excellente tenue. Le reste de l'interprétation est tellement insigni-
fiant qu'il n'y a rien à en dire.
Vendredi dernier, la ravissante Suzette-Simon-Girard a reconquis
son public parisien, au théâtre de la Galté. La séduisante pièce
de MM. Duru et Chivot a retrouvé sa vogue de l'année dernière et
Mmo Gélabert, MM. Simon-Max, Alexandre et Vauthier, qui a pris
possession du rôle de Giraflor, ont été très applaudis. La pantomime
anglaise, la valse de la Reine Indigo, qu'on redemande toujours
trois fois, et le défilé du cirque Blackson and C° restent les clous
4e ce Voyage de Suzette, qui est en passe de devenir bi-centenaire.
Paul-Émile Chevalier.
LES DÉBUTS ET LE SIFFLET AU THÉÂTRE
J'ai déjà eu l'occasion de le dire plusieurs fois dans ce journal :
Je repousse le sifflet en quelque circonstance et sous quelque pré-
texte qu'il se puisse produire : c'est pour moi un principe absolu;
je ne l'admets donc pas pour les débuts des artistes en province.
Je considère d'ailleurs, je le dis tout d'abord, les débuts comme
une véritable hérésie en fait d'art dramatique, et j'espère qu'il en
sera fait justice un jour par tous comme du sifflet.
Il y aurait tout un livre à faire sur les débuts en province,
en racontant le rôle odieux qu'y joue le sifflet, mais la question ne
saurait être traitée ici à fond. Je me bornerai à présenter quelques
observations.
Ce qui rend le sifflet particulièrement odieux dans la période des
débuts, c'est qu'il est infligé à des artistes entièrement inconnus et
qui sont condamnés parfois avant d'avoir été entendus.
Par exemple, il n'est pas rare de voir les habitués d'un théâtre se
venger sur le débutant du directeur qui n'aura pas voulu ou pas
pu conserver un comédien qui avait l'année précédente conquis
les faveurs du public. On ne s'inquiète pas si cet artiste, profitant
des sympathies qu'il a su rallier, n'a pas voulu imposer au direc-
teur des conditions trop lourdes.
On ne se demande pas si, à la suite de circonstances particulières,
les rapports sont devenus impossibles entre le directeur et l'ar-
tiste. Cet artiste se retire, l'on siffle son remplaçant.
El quand celui-ci aura été forcé de partir, ce sera le tour d'un
autre, puis d'un troisième. J'ai entendu siffler ainsi et échouer
quatre dugazons, dont deux n'ont pu être engagées ailleurs parce
qu'elles se présentaient avec ce précédent pénible :
« Elles sont tombées à tel théâtre ».
A toutes les observations qui leur étaient faites, les siffleurs
répondaient :
— Ça nous est égal, nous voulons madame X.
— Mais elle est engagée ailleurs.
— Ça ne nous regarde pas!
Or, il arriva que de guerre lasse, pour sortir de l'interminable pé-
riode des débuts, la cinquième chanteuse agréée était inférieure
aux quatre autres!
Le répertoire avait été entravé pendant deux mois.
Et comme en province la société ne va guère au théâtre qu'après
les débuts terminés, ce fut une campagne désastreuse pour le direc-
teur, qui avait dû payer cinq voyages et verser cinq avances.
* *
L'usage des débuts a donné lieu et donne chaque jour matière à
contestation, à procès ; tantôt c'est un directeur, qui prétend que le
publie n'a pas accepté l'artiste et dont, pour une raison quelconque,
il veut faire résilier son engagement; tantôt, fait curieux, c'est un
artiste qui, pour des raisons inconnues, affirme que les sifflets l'ont
emporté sur les bravos pendant que le directeur prétend le contraire.
Tantôt encore c'est un artiste qui se fait siffler pour ne pas rester,
ou un directeur qui est accusé d'avoir fait siffler son pensionnaire.
Le tribunal de Rouen fut saisi, en 1828, d'une affaire où l'appré-
ciation d'un début se compliquait des particularités les plus bizarres.
M. Nicolo Isouard, qui avait acquis une certaine célébrité dans les
départements, avait assigné le directeur du théâtre des Arts pour
faire juger qu'ayant été sifflé, lors de ses trois débuts, son enga-
gement ne pouvait subsister. Le directeur, au contraire, entendait
faire décider que l'acteur avait été applaudi.
Il parait que, dès avant les débuts de M. Nicolo, sa femme, qui
avait été engagée en même temps que lui comme première chanteuse,
avait été forcée de se retirer sous l'explosion des sifflets. Soit dépit
contre le public, soit dévouement conjugal, M. Nicolo ne voulut pas
rester attaché au théâtre des Arts.
Il se mit à rechercher une chute comme on recherche un triom-
phe ; il aposta des siffleurs dans la salle et s'efforça de justifier, par
le désordre de son jeu, les marques d'un mécontentement sollicité!
Mais le public était dans la confidence, et les prévisions de l'acteur
tournèrent contre lui. Plus il jouait mal, plus le parterre applau-
dissait, et ses applaudissements couvraient toujours les sifflets
amis.
M. Nicolo arriva de la sorte au terme de ses débuts, déconcerte
dans son plan par une mystification semblable à celle qu'il avait
préparée pour les spectateurs. Vainement vint-il dire devant le tri-
bunal que les applaudissements qui avaient lutté contre les sifflets
étaient immérités et injurieux pour lui.
Le tribunal, par jugement du 18 juin 1828 (Gazette des Tribunaux,
19 et 21 juin), rejeta ses prétentions, attendu, entre autres motifs,
qu'il était établi que les spectateurs l'avaient agréé ; que le direc-
teur, seul juge en cette matière, avait décidé qu'il était admis,
d'après la manifestation de l'opinion du public; que l'administration
292
LE MENESTREL
municipale avait par son silence confirmé la décision du directeur,
puisqu'en maintes occasions elle avait eu soin de faire exécuter les
votes du parterre relativement au renvoi d'un acteur, et qu'elle
n'avait rien exigé à l'égard de M. Nicolo. Le tribunal condamna en
conséquence cet aeteur à exécuter son engagement sous une con-
trainte de 8,000 francs et en 1,200 francs de dommages-intérêts.
Les faits de ce genre ne sont pas isolés, et, si nous nous bornons à
rappeler celui-ci, c'est parce que, fùt-il unique, il suffirait à prouver
le côté ridicule du sifflet en tant que procédé de réception. Une
arme dont on peut faire un pareil usage est une arme condamnée par
la moralité publique.
* ' *
En maintes circonstances, par exemple quand les débuts d'un ar-
tiste ont excité des désordres, l'autorité peut intervenir, mais en
tout autre cas. c'est aux tribunaux de décider.
Mais où seront les éléments sur lesquels la justice pourra statuer"?
« L'acteur, fait justement observer Lacan, a pu être applaudi le
premier jour et sifflé les jours suivants : ou bien sifflé au premier
début et applaudi dans les autres.
); Il peut y avoir aussi égalité dans les ovations et dans les revers,
et alors où les tribunaux puiseront-ils les éclaircissements qui
devront former leur conviction (1)? »
Lacan estime qu'en général il faut considérer le résultat des der-
niers débuts de préférence aux premiers, parce que, dit-il, l'artiste
qui débute sur un terrain nouveau peut manquer d'aplomb la pre-
mière fois et ne retrouver la plénitude de ses moyens qu'aux repré-
sentations suivantes.
L'argument peut être rétorqué, attendu que tel artiste qui a eu
un début favorable à la première représentation peut, pour une
cause ou pour une autre accidentelle, avoir des défaillances aux
dernières représentations.
Et il aura été sifflé pour ces défaillances, jugé sur ces défaillances
et condamné.
Le 24 juin 1888 M. Roblin, artiste dramatique, soutenait devant
le tribunal de Rouen que son premier début au théâtre des Arts, au-
quel il était soumis comme acteur rentrant, s'était fait sans opposition
et que son engagement dès lors devait sortir son effet. Le directeur
prétendait que, loin d'avoir été applaudi, l'acteur avait été repoussé
parle public; que l'administration municipale l'avait elle-même
reconnu, en engageant dans une lettre la direction à pourvoir au
remplacement de M. Koblin. pour éviter les scènes de désordres que
sa réapparition pourrait occasionner.
Le tribunal accueillit cette défense et débouta l'acteur de sa de-
mande (2).
Huit jours après, le public redemandait M. Roblin; — il est vrai
qu'on ne le lui rendit pas.
Il y a aussi le cas où un directeur a fait tout son possible pour
s'attacber un acteur en l'enlevant à la troupe du tbéâtre où il a
réussi, et qui tout à coup, ne trouvant pas que le public a fait un
accueil suffisamment favorable, use de son droit et le prie d'aller cher-
cher fortune ailleurs, sous prétexte qu'il a été sifflé.
Ce fut ce qui arriva au Havre en 1834. Voici les faits exposés par
M. Toudouze, plaidant contre le directeur du thoàtre du Havre devant
le tribunal de cette ville.
A ses premiers débuts M. Toudouze n'avait vu se manifester contre
lui qu'une opposition assez faible. Il n'en avait pas été de même du
troisième. La salle s'était divisée en deux camps, et il était devenu
difficile de savoir qui des siffleurs et des applaudisseurs avaient la
majorité. Pour faire cesser le tumulte, le régisseur était venu annon-
cer que, par ordre du maire, M. Toudouze ne jouerait plus sur la
scène du Havre, et qu'il achèverait seulement la pièce commencée si
tel était le bon plaisir du public; mais alors, et par un de ces retours
subits auxquels est si sujette l'opinion des masses, l'acteur avait été
applaudi par ceux-là mêmes qui l'avaient sifflé, et la pièce finie, on
lui avait les honneurs d'une quasi-ovation.
Comme la défense du maire subsistait toujours, le directeur pré-
tendit que M. Toudoaze avait été congédié par le publie et que l'en-
gagement ne pouvait avoir d'effet. Le tribunal du Havre accorda à
M. Toudouze un mois d'appointements, à titre d'indemnité, outre la
somme qu'il avait déjà reçue sur son premier mois, et pour frais de
voyage. La cour de Rouen confirma ce jugement.
J'entends qu'on me dit :
(1) Lacan, page 238.
(2) Gazette des Tribunaux, 27 juin 1828.
« Est-ce à dire néanmoins que lorsque l'acteur est en scène, il
» relève tellement des spectateurs devant lesquels il paraît qu'il
» pourra dépendre du premier venu de le renverser à sa fantaisie,
» sous le poids d'une cabale organisée d'avance méchamment et par
» des motifs indépendants de la nature de son jeu? Non... En pareil
» cas le recours devant les tribunaux est ouvert, le principe général
» consacré par l'article 1382 est applicable, l'acteur a une action en
» dommages-intérêts contre l'instigateur de la cabale et ses com-
» plices. »
Vraiment, vous nous la baillez belle avec votre article 138'2! Gomme
si tous les comédiens et surtout les comédiennes, particulièrement en
province, étaient en situation d'intenter une "action en dommages-
intérêts !
Le temps et l'argent, tout leur manque, sans compter dix autres
raisons qui leur enlèvent tout pouvoir d'agir.
Il faut se trouver dans les conditions qui étaient faites à M11" Mélina
Marmet, du Grand-Théâtre de Lyon, contre le sieur Chenaud, pour
se porter partie civile et obtenir gain de cause, et au prix de quels
soucis encore (1) !
En dehors de ces conditions, le comédien doit subir l'avanie des
sifflets sans protester. Est-ce juste ?
E. M. de Lyden.
HISTOIRE VRAIE
DES HÉROS D'OPÉRA ET D'OPÉRA- COMIQUE
LE ROI D'YVETOT
A u noble pays de Caux
Y a quatre abbayes royaux
Six prieure^ conventueux
Et six barons de grand arroy,
Quatre comtes, un duc, un roy.
Ainsi parle V Ancienne Chronique de Normandie. Le royaume d'Yvetot
existait donc? Parfaitement? Gilles André de la Roque, dans son
Traité de la Noblesse, relève dans les registres de l'Echiquier ou an-
cien Parlement de Normandie un arrêt de 1392 qui donne le titre
de roi aux seigneurs d'Yvetot. Et ce titre, ils le conservèrent jusque
fort avant dans l'histoire. Au moment de livrer la bataille d'Arqués,
Henri IV se retourna vers ses amis et, avec sa belle humeur tradi-
tionnelle :
— Si je perds le royaume de France, leur dit-il, je suis du moins
en possession du royaume d'Yvetot.
Il conserva, dans la suite, et sans doute en souvenir de cet inci-
dent , une tendresse toute particulière pour le souverain de ce
royaume lilliputien.
Il l'avait affranchi de toute redevance et de toute vassalité envers
la couronne et lui témoignait en toute occasion la plus cordiale dé-
férence .
— Je veux, disait-il à propos d'une cérémonie qui se préparait,
qu'on garde une place honorable à mon petit roy d'Yvetot, selon la
qualité et le rang qu'il doit tenir.
Plus tard, sous Louis XIV, le titre de roi d'Yvetot disparut, par
suite de l'extinction de la famille de Bellay, qui le portait.
Mais, nous demandera-t-on, le roi d'Yvetot, le roi de la chanson,
le roi de l'opéracomique, a-t-il réellement existé, comme l'a dépeint
le doux poète :
Se levant tard, se couchant tôt.
Dormant fort bien sans gloire,
Et couronné par Jeanneton
D'un simple bonnet de coton ?
L'a-t'on vu, l'a-t'on connu, l'a-t'on fêlé, ce roi modèle, ce roi-idéal,
cet oiseau bleu,
Qui n'agrandit pas ses Etats,
Fut un voisin commode,
El, modèle des potentats.
Prit le plaisir pour codel
Ce dernier trait nous permet de répondre affirmativement, car le roi
d'Yvetot, contemporain de Louis XIII, Charles, marquis du Bellay,
fut un des plus joyeux compagnons de son temps. Son royaume
était le rendez-vous de tous ceux qui se plaisaient aux gaies aventures.
Ami du faste, jaloux do son prestige, et prodigue à l'excès, il avait
(1) Gazelle des trib. 25, 26, 31 mai 1846.
LE MENESTREL
293
fait de sa cour le centre de tous les plaisirs. Les spectacles s'y succé-
daient sans interruption. On y dansait, on y chantait, on y festoyait
sans trêve. Et comme le roi, très friand de popularité, tenait à ce que
chacun, dans ses états, prit sa part de ses réjouissances, la fête, du
palais, s'étendait, bruyante et continue, jusqu'aux extrêmes frontières
du royaume. Partout s'élevaient des mais enguirlandés, autour des-
quels on dansait chaque jour. Les cabarets ne désemplissaient pas. Et
comme la réputation de cette vie folle s'était répandue dans les con-
trées voisines, de toute part arrivaient bateleurs et bohémiens, jon-
gleurs et comédiens, sûrs d'un accueil gracieux autant que profitable,
car le souverain se mêlait volontiers à la foule, buvant avec les
hommes, dansant avec les filles, et semant partout l'or qui semblait
germer sous ses pas.
Ce train de vie ne pouvait durer toujours. Le loi d'Yvetot connut
les douleurs du krach. Sa fortune et celle de la reine, qui était de la
maison de Rieux, menaçant de fondre dans le creoset des dissi-
pations royales, il fallut procéder à la séparation des deux époux.
La marquise du Bellay retourna dans sa famille, tandis que son
mari prenait le chemin de Paris, où il fit bonne figure à la cour.
Devenu très fier et très digne, en dépit d'une double gibbosité qui
ornait sa poitrine et son dos, il ne daignait donner la main à per-
sonne, même aux plus grands seigneurs de France.
Louis XIII l'affectionnait pour cette belle tenue. Il l'appelait volon-
tiers mon cousin et ne tarissait point en éloges sur cette majesté dé-
chue, dont l'histoire n'aurait sans doute jamais mentionné le souve-
nir, sans la chanson joyeuse de JBéranger et la muse facile d'Adolphe
Adam.
(A suivre.) Edmond Neukomm.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Il paraît qu'on doit célébrer aujourd'hui même, 14 septembre, à Ber-
lin, le centième anniversaire de la première représentation en cette ville
du merveilleux chef-d'œuvre de Mozart, les Noces de Figaro. On sait que la
vraie « première » de l'ouvrage avait eu lieu à Vienne, quatre ans aupa-
ravant, le 28 avril 1786, avec un succès prodigieux, succès qui fut encore
dépassé peu de temps après par celui de Prague, qu'un biographe de
Mozart constatait en ces termes : « Dès la première représentation, le
succès égala celui que la Flûte enchantée obtint plus tard. Je ne m'écarte
en rien de la vérité en disant que l'opéra fut joué pendant tout l'hiver
sans interruption et qu'il porta un remède . efficace à la détresse où l'en-
trepreneur Bondini se trouvait alors. L'enthousiasme du public était sans
exemple; on ne pouvait se fatiguer d'entendre Figaro. Réduit pour le cla-
vecin, extrait en quintette pour la musique de chambre, arrangé pour les
instruments à vent, métamorphosé en contredanses, l'opéra se reproduisit
sous toutes les formes, sans qu'il fût possible aux amateurs d'en éprouver
de la fatigue. Les chants de Figaro retentissaient dans les rues, aux pro-
menades, et l'aveugle de la guinguette était obligé d'apprendre Non più
andrai farfallone amoroso, s'il voulait réunir un auditoire autour de son
violon ou de sa harpe. »
— Le 1er octobre prochain verra s'ouvrir à Berlin un nouveau Conser-
vatoire privé, nous voulons dire non officiel, dont les fondateurs entre-
trepreneurs sont MM. 0. Eichelberg et Wegener.
— Le bilan de l'exercice 1888-89 à l'Opéra de Vienne (1er août au 30 mai)
présente les chiffres suivants : Soixant-dix ouvrages lyriques et treize
ballets ont formé le répertoire de la saison, donnant un total de trois
cents représentations. Les nouveautés ont été au nombre de sept : cinq
œuvres lyriques et deux ballets. On a repris onze opéras et quatre ballets.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. Les scènes royales et municipales
rouvrent partout leurs portes. A Berlin, l'Opéra Royal a effectué sa réou-
verture le 31 août avec Lohengrin; à la même date, le théâtre de la cour
de Carlsruhe inaugurait sa saison avec Fidelio. A Hambourg, ce sont les
Noces de Figaro qui formaient le spectacle de réouverture; à Stuttgart,
c'était Ekkelwrd, opéra de M. Abert. — Le nouveau Thomas-Theater (ancien-
nement Central-Theater) de Berlin a été inauguré le 6 septembre, avec
les Contes de Fées, de Raimund. Le Kroll's-Theater a terminé sa saison
lyrique par une représentation de Jean de Paris, de Boieldieu, avec le
concours du célèbre ténor Emile Gûtze et du baryton C. Mayer, en-
gagés spécialement. — Le Freischûtz a reparu le 4 septembre sur la
scène du théâtre municipal de Leipzig avec une décoration et une
mise en scène nouvelles. Le tableau de la fonte des balles a produit un
grand effet.
— Un des chefs d'orchestre les plus estimés de l'Allemagne, M. Ludwig
Deppe, vient de mourir subitement à l'âge de soixante ans, pendant un
séjour aux eaux de Pyrmont. Il devait le meilleur de sa notoriété aux
festivals do musique silésiens qu'il dirigeait depuis de longues années. Il
a occupé pendant quelques mois le poste de premier kapellmeister à l'Opéra
de Berlin, poste qu'il a brusquement abandonné pour des raisons d'ordre
artistique. Il enseignait le piano habilement et a laissé un nombre res-
pectable de compositions.
— En revenant de Badenweiler à Saint-Pétersbourg, Antoine Rubins-
tein s'est arrêté une journée à Cologne et y a assisté à un concert de la
Société philharmonique. Prévenu de sa présence, l'orchestre a exécuté, en
l'honneur du maître, son ravissant ballet de Feramors, qui a provoqué un
grand enthousiasme. Un des assistants a alors poussé un vigoureux
« Hoch » pour Rubinstein, auquel la salle entière et l'orchestre se sont
associés. L'auteur de Néron, confus de cette ovation inattendue, s'est hâté
de regagner la porte, suivi par les acclamations de ses admirateurs.
— On envoie de Saint-Pétersbourg au Signale de Leipzig les renseigne-
ments suivants sur le concours Rubinstein, dont nous avons fait con-
naître les résultat. Les concours a commencé à une heure de l'après-midi.
D'après le règlement, les fonctions de président du jury devaient être
remplies par le directeur du Conservatoire de Saint-Pétersbourg, et ce
directeur s'est trouvé être Rubinstein lui-même. Il avait été loin de pré-
voir ce cas, lorsqu'il y a quatre ans il institua la iondation qui porte
son nom ; c'était alors Dawydow qui était à la tète du Conservatoire. Les
jurés étaient MM. le professeur Abel, inspecteur du Conservatoire de Mu-
nich, le professeur L. Auer, directeur des concerts symphoniques de
Saint-Pétersbourg, Van Arc, professeur au Conservatoire de Saint-Péters-
bourg, Coenen, directeur du Conservatoire d'Amsterdam, A. Hamerick,
directeur du Conservatoire de Baltimore, remplaçant Niels Gade, de Co-
penhague, le professeur Sohansen, du Conservatoire de Saint-Pétersbourg,
le professeur Kundinger, pianiste de la cour, Puchalsky, directeur de
l'École de musique de Kiew, Safonow, directeur du Conservatoire de Mos-
cou, le docteur Swedbom, professeur au Conservatoire de Stockholm, Slatin,
directeur de l'École de musique de, Charkow. Les concurrents compre-
naient trois Italiens : MM. Bayardi, Busoni etCesi; deux Russes: MM. Du-
bassow et Schor, et un Américain, M. Fairbanks. Il s'était présenté encore
deux autres concurrents-compositeurs qui ont dû être éliminés, leur tra-
vail n'ayant pas rempli les conditions énoncées dans le programme. Les
auditions ont pris trois journées entières et ont commencé par les compo-
siteurs Busoni et Cesi ; ensuite sont venus les pianistes. M. Busoni con-
courait à la fois pour les deux prix ; il a présenté un concertstùck pour
orchestre, une sonate pour violon et piano, deux petites pièces et une
cadence pour le 4e concerto de Beethoven; il a exécuté lui-même tous ces
ouvrages. Le 19 août, à deux heures, ont été proclamés vainqueurs M. Fer-
ruccio Busoni, pour l'épreuve de composition, et M. Dubassow pour celle
d'exécution au piano. On leur a décerné à chacun le premier prix de
3,000 francs. Il n'y a pas eu de second prix ni de mention.. Ajoutons que
M. Busoni vient d'être nommé professeur de piano au Conservatoire de
Moscou à partir du 1er septembre.
— Il y avait à la Monnaie de Bruxelles, voici quelques années, un jeune
coryphée ténor du nom de Mansuède, dont l'emploi était des plus mo-
destes et qui ne faisait en aucune façon parler de lui. Depuis lors la fortune
a souri, paraît-il, au jeune artiste, car s'il faut en croire le Bavard, de
Marseille, le susdit viendrait de signer, à raison de 3,000 francs par mois,
un engagement pour une grande tournée en Amérique.
— On lit dans l'Éventail, de Bruxelles : « Le ministère des Beaux Arts
de France a envoyé récemment les palmes d'officier d'académie à M. Flon,
chef d'orchestre du Waux-Hall, à M. Sennewald, chef de la musique des
pompiers, et à M. Segers, président de la Phalange artistique, pour remer-
cier ces messieurs du concours dévoué qu'ils ont prêté à la fête de bien-
faisance organisée au Waux-Hall, le 14 juillet dernier, par la colonie
française de Bruxelles. »
— On doit jouer le mois prochain, au théâtre de Namur, un opéra-
comique inédit, le Reitre, paroles de MM. Manuel Le Bouge et André
Thomas, musique de M. Charles Mêlant. M. Mêlant est un jeune compo-
siteur belge qui s'est déjà produit au théâtre, et qui est connu par plu-
sieurs recueils de jolies mélodies vocales.
— Les Suisses veulent maintenir l'usage de VAIpenhorn (cor des Alpes).
Un concours d'exécution sur cet instrument cher aux touristes roma-
nesques vient d'avoir lieu à Rigi-Klosterli. L'unique prix a été accordé à
M. Joseph Ulrich, de Muotathal.
— Un journal italien annonce la très prochaine publication d'un livre
dont il nous donne le titre en français, le Déclin d'une étoile, et qui, dit-il,
paraîtra simultanément en trois langues : en français à Paris, en allemand
à Vienne, et en anglais à Londres et à New- York. Il ne nous fait pas
d'ailleurs connaître le nom de l'auteur et nous apprend seulement que
cet ouvrage est consacré à MmB Adelina Patti, dont il retracera la car-
rière depuis ses plus jeunes années jusqu'au temps présent.
— Les chanteurs continuent à se croire les bienfaiteurs de l'humanité
souffrante, et à faire preuve de la simplicité modeste qui les caractérise.
On lit à ce sujet dans la Lombardia, de Milan : « Dans les cercles artis-
tiques milanais, on assure que les frères Corti, impresari de la Scala, ayant
télégraphié à Tamagno pour lui proposer de chanter la Cavallcria rusticana
de Mascagni, et lui demandant quelles seraient ses conditions pour quinze
représentations etTamagno aurait répondu en demandant 100,000 francs, en
s'engageant pourtant, pour cette somme, à chanter, durant la saison, un
294
LE MÉNESTREL
autre opéra choisi par lui. » Les directeurs de la Scala, enchantés sans
doute de cette réponse..., ont engagé aussitôt le ténor De Negri pour les
représentations de Cavalier ia rusticana.
— Nous avons dit que le théâtre de Varèse allait fournir sa saison
d'automne exclusivement avec deux opéras français, Carmen et Mignon.
Il en est de même au théâtre de Modène, où les deux mêmes opéras,
Mignon et Carmen, feront les frais de la même saison. Les deux héroïnes
d'Ambroise Thomas et de Bizet seront personnifiées à Modène par Mmo De
Vita, à Varèse par la signora Parboni.
— On a donné au théàire Manzoni, de Milan, la première représenta-
tion de l'opéra nouveau depuis quelque temps annoncé : Non toccate la
Regina. Le poème de M. Almerindo Spadetta, détestable sous tous les
rapport, distille, paraît-il, la pitié et l'ennui. La partition de M. Sarria ne
semble guère meilleure, et retarde d'un quart de siècle sur les idées cou-
rantes, sans que la fraîcheur de l'inspiration puisse faire passer sur l'in-
suffisance de la forme et de la facture. Cela n'a pas empêché le composi-
teur d'être l'objet de vingt rappels et de voir deux de ses morceaux bissés.
Les interprètes étaient Mmes Spaziani et Garbini-Mazzoni, le ténor Mauri,
le baryton Scotti et le bouffe Goletti.
— D'un travail intéressant signé du nom fort estimé de M. Giulio Roberti,
et dont la Gazzelta musicale de Milan commence la publication sous ce titre :
Claudio Monteverdi, il résulterait que le nom du glorieux artiste qui fut
maître de chapelle du duc de Mantoue et qui, quoique prêtre, fut l'un
des plus illustres créateurs de l'opéra italien, a été altéré jusqu'à ce jour
et écrit d'une façon incorrecte, sous la forme Monteverde. C'est sous cette
forme, en effet, que nous avons toujours été habitués à le connaître, et
c'est pourquoi, avant même de commencer son travail, M. Giulio Roberti
publie la petite note que voici : — « Depuis environ trois cents ans
jusqu'aujourd'hui, on a toujours écrit Monteverde; mais comme il résulte
de la façon la plus irréfragable de nombreuses lettres de l'illustre maître
qui ont été découvertes dans les archives des Gonzague de Mantoue et
récemment publiées par l'excellent archiviste Stefano Davari dans les
Actes de la R. Académie Virgilienne, qu'elles sont invariablement signées
Monteverdi, et qu'on lit aussi Monteverdi dans divers documents de ces
mêmes archives, je crois opportun de substituer cette forme à celle com-
munément adoptée jusqu'ici.»
— M. Oscar Chilesotti, dont j'ai eu l'occasion de signaler ici même, à
diverses reprises, les travaux très intéressants, vient de mettre au jour
une nouvelle publication qui ne le cède en rien à ses aînées. Sous ce
titre : Da un codice lauten-buch del cinque-cento, M. Chilesotti a réuni 99 pièces
de luth qu'il a extraites du manuscrit volumineux d'un luthiste allemand
du xvic siècle et qu'il a, d'après la tablature de l'époque, traduites en nota-
tion moderne. C'était là un travail d'autant plus délicat et difficile à effec-
tuer que la tablature changeait naturellement avec le nombre des cordes
appliquées à chaque instrument, et que celui-ci, on le sait, subit de telles
transformations que de six, le nombre de ces cordes fut porté parfois
jusqu'à vingt-trois; ce qui faisait dire au célèbre Matteson que si un
luthiste parvenait à l'âge de quatre-vingts ans, il en aurait certainement
passé soixante rien qu'à apprendre à accorder son instrument. Toutefois
il ne s'agit, dans le livre de M. Chilesotti, que du luth à six cordes. Les
pièces qui y sont transcrites, avec un soin et une intelligence qu'on ne
saurait trop louer, constituaient évidemment le répertoire de l'artiste qui
avait formé le recueil d'où on vient de les tirer après trois siècles. Mais
si elles sont de valeur inégale, il n'en faudrait pas conclure que leur
ensemble n'offre qu'un pur intérêt historique; l'intérêt artistique est fort
loin d'en être exclu, et, bien qu'il s'agisse d'une époque où les formes
musicales étaient loin d'être ce que nous les voyons aujourd'hui, telle de
ces pièces vous frappe encore par sa franchise, sa fraîcheur et son origi-
nalité. Il y a là-dedans des chansons italiennes, françaises et allemandes,
des polonaises, des mascarades, des madrigaux, des villanelles, et surtout
des airs de danse : gaillardes, courantes, saltarelles, allemandes, voltes,
pavanes, etc., dont certaines sont tout à fait caractéristiques. Je croirais
volontiers que quelques-unes de ces pièces, surtout parmi les chansons,
sont antérieures même au xvr3 siècle; mais ce qui est certain, c'est qu'il
en est qui pourraient, soit en conservant leurs harmonies, soit en apai-
sant ce qu'elles ont parfois de heurté et de brutal pour nos oreilles expé-
rimentées, donner lieu à des transcriptions et à des interprétations inté-
ressantes. Par cette publication tout à la fois précieuse et curieuse (que
les éditeurs, MM. Breitkopf et Hiertel, ont entourée d'un soin tout parti-
culier), M. Chilesotti a rendu à l'art un nouveau service dont on ne peut
que lui savoir beaucoup de gré. A. P.
— La famille du regretté Gayarré va ériger au Roncal un monument à
la mémoire du grand ténor qui a tant fait de bien à sa ville natale. C'est
Benlliure, le sculpteur à la mode, qui s'est chargé de ce travail, et sa ma-
quette est fort belle. Sur un piédestal en gradins de marbre, composé de
cinq marches de peu de hauteur, et dont la base rectangulaire mesure six
mètres dans son côté le plus grand, repose une magnifique urne cinéraire,
dont les faces et les angles sont formés de spleudides hauts-reliefs qui re-
présentent des groupes d'anges chantant les mélodies des opéras qui consti-
tuèrent le répertoire de Gayarré ; leurs noms sont capricieusement gravés
sur les quatre côtés de l'urne. Sur la façade principale de celle-ci, appuyée
sur une de ses faces, on voit une jolie figure qui représente la Musique.
Sur l'urne on voit deux autres figures représentant l'Harmonie et la Mélo-
die. Toutes deux soutiennent un cercueil couvert de fleurs, de couronnes,
de lauriers et d'autres attributs. Sur l'un des côtés on a gravé la simple
inscription suivante: « Julian Gayarré. » Enfin, sur le haut du cercueil^
apparaît la figure principale qui sert de couronnement au monument;
elle représente un Génie, qui, en entendant la voix du grand ténor résonner
encore dans la tombe, se pose sur le cercueil avec les ailes ouvertes et
écoute dans une attitude vraiment sublime. Le monument doit être en
marbre et bronze, et les figures de grandeur naturelle. Bien que le sculp-
teur Benlliure refuse toute espèce de rétribution pour son travail, on
estime que les frais d'érection de ce monument ne s'élèveront pas à
moins de 135,000 francs.
— Les journaux portugais nous apprennent qu'à Evora, un riche et
intelligent dilettante, M. Barahoria, vient de faire construire à ses frais
et d'offrir à la ville un superbe théâtre qui prendra le nom de Théâtre
Garcia de Resonde. Ce cadeau princier lui a valu, de la part de la popu-
lation, une ovation brillante et chaleureuse.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Les projets de l'Opéra, indépendamment du Mag : 1° une reprise
i'Ascanio; M. Saint-Saëns a demandé pour cette reprise le rétablissement
de quelques morceaux, incongrûment coupés par la direction, et aussi
de nombreux changements dans les mouvements de la partition qu'on
avait pris souvent à contresens ; 2° une reprise de Sigurd, pour le com-
mencement d'octobre, dit-on, avec Mmcs Caron, Bosman, Domenech et
M. Duc ; 3° rentrée de Mme Melba dans Bamlet, si M. Lassalle ne tombe
pas malade ce soir-là ; 4° une reprise de Patrie, l'opéra de M. Paladilhe,
pour la seconde quinzaine d'octobre; b° une reprise du Rêve de M. Gasti-
nel, pour la rentrée de MUc Mauri. Et voilà.
— En attendant cette belle succession de reprises, nous avons eu, cette
semaine, celle de Zaïre, l'intéressant opéra de M. Véronge de la Nux, avec
tous les interprètes de la création. Il n'avait été fait aucune répétition
préparatoire pour cette reprise ; aussi l'orchestre s'en est il donné à cœur
joie, prenant toutes les licences possibles avec la partition du jeune
auteur. C'était vraiment pitoyable. Et l'on donne huit cent mille francs
de subvention par an à MM. Ritt et Gailhard pour nous faire assister à
des soirées pareilles !
— Au sujet du Mage, dont la représentation est annoncée pour cet hiver
à l'Opéra, une difficulté semble devoir surgir. Un auteur anglais, célèbre
à Londres, a publié il y a quelques années un fort beau roman sur
Zoroastre, dont M. Bernard-Derosne a fait une traduction française. L'au-
teur anglais et son traducteur ont des raisons de croire que leur livre a
servi à M. Richepin pour la confection de son livret du Mage. L'auteur
anglais demande donc que son nom figure sur l'affiche, et M. Bernard-
Derosne réclame sa part de droits. M. Bichepin riposte que Zoroastre
appartient à tout le monde et que son ouvrage est de lui seul. De là,
conflit devant la Société des auteurs. La commission de la Société, décla-
rant n'avoir pas en mains des éléments de contrôle suffisants, attendra la
représentation du Mage pour se prononcer.
— Un de nos confrères raconte que M. Ritt voyant un jour un « homme
de lettres » s'aventurer sur la scène de l'Opéra, pendant un entr'acte, en
simple redingote, fit une grimace épouvantable et rappela à ce personnage
mal vêtu que l'habit de soirée était de rigueur dans les coulisses de
l'Opéra. N'était-ce pas le cas de lui répondre que l'habit ne fait pas le
moine?Ainsi nous voyons tousles soirs M. Gailhard parader sur les planches
en bel habit noir, avec une cravate blanche, et cependant il a toujours
l'air d'être en blouse, tant ses manières de troubadour provençal restent
sous le frac lourdes et empruntées. Celui-là peut bien mettre autant
d'habits qu'il voudra, et les uns par-dessus les autres, ce n'est jamais
cela qui lui donnera l'air d'un gentilhomme. Son tailleur s'en morfond et
s'en désespère.
— A l'Opéra-Comique, lecture aux artistes du Renvemito Cellini de
M. Diaz, qui sera représenté cette saison, s'il plaît à Dieu et à M. Para-
vey. Voici la distribution des rôles, le ténor qui devra interpréter Pompeo
restant encore à trouver :
Benvenuto Cellini MM. Renaud
Pompeo X.
De Montsolm Lorrain
Andréa Carbonne
Orazio Bernaërt
De Cagli Gilibcrt
Chevalier Ugolini Maris
Covernisi Lonati
Pasilea Mmcs Deschamps-Jehin
Delphe Clarisse Yvel
Cet X n'est certainement pas le plus mauvais de la bande. Il va sans dire
que les costumes seront exécutés par la maison Millet.
— Au Théâtre-Lyrique de l'Éden, on mène de front les études de Samsom
et Dalila et de la Jolie Fille de Perlh, qui doivent alterner sur les premières
affiches. C'est' M"10 Rosine Bloch, MM. Talazac et Bouhy qui tiendront
les principaux rôles dans l'opéra de M. Saint-Saëns.
LE MÉNESTREL
295
— Nous avons annoncé déjà sommairement le procès que M. Gounod
allait avoir à soutenir contre des entrepreneurs américains. C'est hier
samedi que cette affaire a dû. venir au tribunal de commerce, et voici
comment, clans le Figaro, M. Georges Boyer a résumé les griefs que les
directeurs américains croient avoir contre l'auteur de Faust. — « Il s'agit,
on le sait, d'une tournée que ce dernier devait faire en Amérique. Au
mois de juin de l'année derriièi'3 l'affaire était conclue, conditions accep-
tées, mais l'avant-veille du jour où l'on devait terminer, M. Gounod se
récusa, prétextant son état de santé. On assure qu'à ce moment des pro-
positions très avantageuses lui étaient faites pour aller en Russie diriger
quelques concerts dans le courant de janvier et février 1890. Cette affaire
n'eut pas lieu, quoiqu'ayant été annoncée. Quelques mois plus tard, re-
grettant la tournée d'Amérique, il chargea un intermédiaire de reprendre
cette affaire pour la saison 1890-1891. On devait lui payer un million de
francs, plus les frais de voyage aller et retour, frais de séjour et d'hôtel
pour lui et une autre personne avec un domestique. Il s'engageait pour
cette somme à diriger comme chef d'orchestre soixante exécutions de ses
œuvres : opéras, oratorios, messes et autres œuvres instrumentales et
vocales. Cette tournée devait se faire en quatre mois, du 26 octobre 1890
au 23 février 1891. M. Gounod envoya son agent en Amérique, avec une
autorisation de traiter en son nom. L'agent partit dans le courant du
mois de mars et revint à Paris le 1er juin, après avoir préparé la tournée
dans les principales villes de l'Amérique du Nord. Quelques détails res-
taient à régler. Le 22 juin dernier, M. Gounod ayant signé les conditions
acceptées par les Américains et imposées par lui, on envoya à New-
York une copie du projet signé du maître, et, le 9 juillet, un de ces
messieurs s'embarquait avec les fonds nécessaires pour remplir les termes
des conventions, c'est-à-dire : 1° le dépôt de 300,000 francs au nom de
M. Gounod chez un banquier de Paris, désigné par lui ; 2° une somme
de 100.000 francs à lui verser directement entre ses mains, comme
avances, et 3° les avances et frais de voyage pour une troupe lyrique,
chœurs et orchestre, ce qui montait à la somme de 700,000 francs à
débourser avant le départ d'Europe. En pareil cas, c'est peu de chose
pour des Américains. Gounod devait faire sensation là-bas. Qu'on en
juge par les conditions suivantes, faites par les directeurs propriétaires
d'un grand théâtre :
Il est bien entendu que pendant seize représentations (quatre par semaine),
vous, fournissant M. Gounod, les artistes, les chœurs, l'orchestre avec leurs
instruments, la musique et les costumes, vous prélèverez d'abord, sur la recette
de chaque représentation, la somme de six mille dollars (30,000 francs), puis le
reste de la recette sera partagé entre vous et nous.
Signé : D'Orsak et Th. Andrews,
Directeurs propriétaires.
Ce n'est que le 14 juillet dernier, alors que le directeur américain allait
débarquer en Europe, que M. Gounod prévint son agent que, craignant
les ennuis qui pourraient résulter pour lui de son ancien procès avec
jjme Weldon, il renonçait à la tournée et chargeait un membre de sa
famille de régler cette affaire, décidé qu'il était à ne plus prolonger une
correspondance inutile et agaçante pour lui. Le délégué des directeurs de
l'entreprise arriva à Paris le 19 juillet, prévint l'agent d'avoir à prendre
rendez-vous dans le plus bref délai possible pour terminer et remplir
toutes les conditions exigées par M. Gounod. Apprenant le désistement
du maître, qui ne répondait même pas à la sommation faite par huissier
le 4 août, l'Américain a engagé son procès pour l'audience du tribunal
de commerce du 16 août. M. Gounod ayant fait défaut, on renvoya à
quinzaine (le 30 août) cette affaire. M. Gounod ayant constitué agréé au
moment de l'audience, le tribunal a dû remettre encore à une autre
quinzaine. Donc, cette affaire sera, comme nous l'avons dit, appelée
■samedi prochain 13 courant. »
— Le journal l'Italia croit savoir que le ténor Oxilia vient d'être engagé
tout à la fois à l'Opéra de Paris et à Saint-Pétersbourg, et qu'en cette
ville il devrait donner cent représentations à raison de 7,000 francs l'une.
Le Trovatore paraît être un peu incrédule en ce qui concerne ce chiffre,
et quant à nous, nous affirmerions volontiers qu'il n'est en aucune façon
question de M. Oxilia à notre Opéra.
— Les lauréats des derniers concours du Conservatoire. M110 Moreno,
1er prix de comédie et de tragédie, débutera au Théâtre-Français, le
samedi 20 septembre prochain, dans la reine de Ruy Blas. M. Dehelly,
1er prix de comédie, débutera au Théâtre-Français, le 7 octobre, dans le
Chandelier. Ml,c Syma,2cprix de comédie, débutera à l'Odéon, le dimanche 21,
en matinée, dans Psyché, et le lundi 29, dans le Philosophe sans le savoir.
— L'infortuné Duc d'Albe (pas celui de Donizetti, celui de M. Ventéjoul)
ne verra décidément pas la lumière de la rampe, au moins pour l'heure
présente. Le non moins infortuné Théâtre-Lyrique du Chàteau-d'Eau a
terminé, en effet, ses représentations sans pouvoir parvenir à offrir au
public l'opéra nouveau tant et si longtemps annoncé par lui.
— La réouverture des concerts Lamoureux, au Cirque des Champs-
Elysées, n'aura lieu, cette année, que le dimanche 9 novembre, à deux
heures et demie, M. Charles Lamoureux et son orchestre s'étant, comme
nous l'avons dit, engagés à donner, du 13 au 31 octobre, une série de
concerts en Belgique et en Hollande.
— Notre ami et collaborateur Albert Soubies vient de faire paraître le
seizième volume de son si intéressant et si curieux Almanach des spectacles,
qui forme déjà une collection si fertile et si précieuse en renseignements
de toutes sortes. Nous lui emprunterons quelques détails d'un intérêt par-
ticulier. D'abord, le nombre des représentations données à l'Opéra-Comi-
ques, en l'année 1889, de certains ouvrages du répertoire : le Roi d'Ys, 64 ;
Mignon, 30 ; Carmen, 47 ; les Noces de Jeannette, 31 ; les Rendez-vous bourgeois,
26 ; le Pré aux Clercs, 23 ; le Barbier de Séville, 22 ; la Dame blanche, 21 ; les
Dragons de Villars, 21. Ensuite, le nombre total de représentations obte-
nues, depuis leur apparition première, par certains ouvrages du répertoire
de l'Opéra : les Huguenots, 861 ; Guillaume Tell, 767 ; Robert le Diable, 763 ; la
Favorite, 609 ; Faust, 539; la Juive, 323; le Prophète, 464; l'Africaine, 436;
Hamlet, 230; Aida, 132. Sans oublier l'adorable ballet de Coppelia, qui a
atteint le chiffre rare de 125 représentations. Ajoutons que les recettes de
nos grands théâtres en l'année d'exposition 1889 ont été : pour l'Opéra,
3,999,221 fr. 75 c. (autant dire 4 millions) ; pour la Comédie-Française,
2,396,417 fr. 20 c; pour l'Opéra-Comique, 1,954,986 fr. 70 c; enfin, pour
l'Odéon, 825,039 fr. 12 c; soit, pour nos quatre grandes scènes nationales,
un total de 9 millions 175,664 fr. 77 c. !
— M. Silver, second prix de Rome, achève la musique d'un acte en
vers à deux personnages, qui va être joué cet hiver, et dont le livret est
de M. Ed. Guinand.
— Nous lisons dans Nantes-Lyrique : « M. Morvand est arrivé à Nantes
cette semaine. Nous nous sommes entretenus avec lui de la question de
Lohengrin. Notre nouveau directeur est irrévocablement décidé à monter
l'opéra de Richard Wagner. Il a signé le traité avec les éditeurs, et dans
ce moment, il est en pourparlers avec M. Lamoureux pour que celui-ci
lui cède les superbes décors qui n'ont pu servir malheureusement qu'une
fois à l'Éden-Théàtre, mais qu'on a revus cette année à Genève, où
Lohengrin a remporté un véritable triomphe. »
— Au Casino de Cabourg, joli succès pour une petite pièce d'orchestre,
L'enfant dort, de M. Thurner. Il a fallu la bisser.
Couns et leçons. — M. et M"" Léon Delafosse reprendront leurs cours et leçons
de piano à partir du 1" octobre, chez eux, 62, rue de Provence. — M"' Elie de
Lavallée reprendra ses cours et leçons particulières, 51, rue de Maubeuge, à partir
du 22 septembre courant.
Henri Heugel, directeur-géiant.
Paris, AU MÉNESTREL,
rue Vivienne, HENRI HEUGEL, Éditeur-propriétaire.
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Exécutée aux CONCERTS LAMOUREUX
Grande partition d'orchestre, prix net: 25 fr. — Parties séparées d'orchestre, prix net: 50 fr.
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(Édition du MÉNESTREL)
CHANSONS IDE L'ÉCOLE
ET DE LA FAMILLE
Sur des airs populaires des prorinces tle France
PAR
FRÉDÉRIC BATAILLE
Ancien instituteur, officier d'académie, chargé de la classe primaire au lycée Michelet
avec une lettre de M. MICHEL BRÉAL
Prix net — Prix net
95CENTIMES ARRANGEMENTS A UNE, DEUX ET TROIS VOIX «s centimes
PAUL KOTTŒLNTOlSr
Professeur au. Conservatoire national cle musique cLe Paris
En vente AU MÉNESTREL, 2 bis, rue Vivienne, HENRI HETJGEL, éditeur - propriétaire pour tous pays.
PETITE MÉTHODE ÉLÉMENTAIRE
PIANO
Cemposéc pour les petites mains et suivie d'un recueil d'exercices, d'études et de petites fantaisies très faciles sur des mélodies d'auteurs célèbres
PAR
EMILE DECOMBES
Professeur au Conservatoire de Musique
TABLE DES PETITES FANTAISIES
Contenues dans cette Méthode
(Accentuées, soigneusement doigtées et classées par ordre de difficulté progressive)
N°» 1. — Andante.
2. — Air suisse.
3. — Musette.
4. — Triste raison.
5. — Air du ballet de Psyché (A. Thomas).
6. — Dernière rose d'été.
7. — Petite valse.
Nos 8. — Petite marche.
9. — Valse des adieux (G. Nadaud).
10. — Mélodie (Schumann).
11. — Obéron, barcarolle (Weeer).
12. — Chanson de Fortunio (Offenbach).
13. — Fleur des Alpes (Wekerlin).
14. — La Flûte enchantée (Mozart).
N° 22. — Mignon, entr'aetc-gavotte (A. Thomas).
Nos 15. — Romance de Joseph (Méhul).
16. — Romance (Martini).
17. — Le Roi s'amuse, passepied (Léo Dembes).
18. — Mignon, « Connais-tu le pays » (A. Thomas).
19. — Les Noces de Figaro (Mozart).
20. — Mignon, « Elle ne croyait pas » (A. Thomas).
21. — Le Roi l'a dit, sérénade (Léo Délires).
MORCEAUX D'ENSEMBLE
1 23. — Adieu, à trois mains (Schubert). N°s 25. — L'Éloge des larmes, à 4 mains (Schubert).
24. — Sérénade, à trois mains (Schubert). 26. — Les Plaintes de la jeune fille, à 6 mains (Schubert)
Prix net, brochée : 2 fr. 50. — Cartonnée : 3 fr. 50.
LES PETITS DANSEURS
PAR
L. STREABBOG, A. TROJELLI, RUMMEL, FAUGIER, H. VALIQUET, ETC.
— IMI'ItlMEUIE '
3103
56™ ANNEE — <\° 38.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
Dimanche î\ Septembre 1890.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
, MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
lin an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Notes d'un librettiste: Eugène Gautier (19° article), Louis Gallet. — II. Semaine
théâtrale : Du Mage et de Salammbô, H. Moreno ; reprises du Duc Job, à la Co-
médie-Française, et de la Belle Hélène, aux Variétés, Paul-Emile Chevalier. —
III. Un virtuose couronné (1" article), Edmond Neukomm et Paul d'Esthée. —
IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour:
LES YEUX
nouvelle mélodie de J. Faure, poésie de Frédéric Bataille. — Suivra
immédiatement: Mystère! nouvelle mélodie des mêmes auteurs.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano: Roses et Papillons, de Paul Barbot. — Suivra immédiatement:
Petit chéri, gavotte de Franz Behr.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
EUGENE GAUTIER
La Clé d'or fut enfin donnée avec Frédéric Achard etBouhy.
Le rôle de Suzanne, après bien des tergiversations, fut créé
par Mlle Marimon, que Gautier avait finalement acceptée ou
choisie à cause de ses grandes qualités de vocaliste. Mme Girard,
de l'Opéra-Gomique, et Mlle Sablairolles restèrent chargées
des deux autres rôles féminins, et les deux personnages
comiques eurent pour interprètes l'excellent Grivot et le fan-
taisiste Christian.
Au sujet de ce dernier, Eugène Gautier n'avait pas été
sans inquiétudes. Il se demandait quelle figure allait faire
ce Jupiter de l'Orphée aux enfers sous les traits et sous l'habit
d'un gentilhomme de campagne, bellâtre et batailleur.
■< J'ai eu peine à décider Gautier, m'avait écrit à ce propos
Vizentini, qui pour Laubriant voulait Soto, une basse, tandis
qu'il faut un ex-beau, homme de tenue, rôle habillé et
composé. Je voulais Christian, non le cascadeur d'Orphée, le
Christian de l'Odéon, un vrai comédien. Gautier a accepté et
nous voilà très bien montés ».
Chistian se montra très digne le soir de cette première
représentation, très ému d'ailleurs, très pénétré de son im-
pottance.
Le malheur fut que chaque fois qu'il ouvrait la bouche,
le public s'attendait à voir, comme des lèvres de la prin-
cesse du conte tombaient les diamants et les perles, s'en
échapper un calembourg ou un coq-à-1'âne.
Il avait tellement habitué la foule à ses fantaisies que,
même sous le frac, l'air sévère, le front noyé dans une per-
ruque blonde correctement bouclée, il ne pouvait dépouiller
le vieil homme, et qu'en ses mains gantées de blanc on
cherchait instinctivement le tonnerre en fer-blanc doré de
papa Piter.
Il y eut encore, au cours de ce premier acte, un de ces
mots d'innocente apparence, dont nul n'aurait pu calculer
d'avance la portée.
Suzanne chantait; elle disait complaisamment ses joies et
ses rêves. — Le morceau était long; musicalement il se
délayait. . .
Et tout à coup, selon le texte, sa confidente lui répondait:
— Aimez votre mari, madame, aimez le tant que vous vou-
drez, mais, je vous en prie, ne le lui dites pas, ne le lui
dites jamais, surtout comme vous venez de me le dire!
Et le public de souligner malignement ce qui, naturelle-
ment écrit, devenait tout à coup une cruelle ironie à l'adresse
du compositeur !
Cette impression ne contribua pas peu à égayer de façon
fort regrettable le commencement d'une soirée qui dut mettre
bien des angoisses dans le cœur du compositeur, s'il put se
rendre compte alors du véritable sentiment de ses juges.
Mais il y a des grâces d'état pour de telles situations.
Tandis qu'il me semblait que cette première représentation
avait été désespérante, j'entendais autour de moi ces paroles
banalement triomphantes que certaines gens trouvent encore
le courage de dire.
Je revois, dans le couloir obscur de la régie de la Gaité,
à minuit passé, la sœur, les amis du compositeur, le cher-
chant, l'emmenant; j'entends les mots brefs, entrecoupés ;
les « Vous êtes content! Ça a bien marché! » « Vous verrez
la seconde!... » « En somme, on est content! » qui sont la
menue monnaie dont se payent l'orgueil blessé ou l'illusion
complaisante.
Tout cela, à distance, m'apparait profondément triste.
La presse fut très panachée. Frédéric Achard récolta quel-
ques conseils aigres-doux pour avoir déserté la comédie pour
la musique; il fallait s'y attendre; d'autres critiques heureu-
298
LE MENESTREL
sèment le coDsolèrent d'avoir couru les risques de cette
équipée lyrique. Au résumé, il n'en demeure pas moins
un très remarquable artiste , heureux de garder, dans une
carrière brillamment poursuivie, le souvenir de ces quelques
représentations durant lesquelles il combattit, pourrait-on
dire, en franc-tireur.
Je ne retrouve pas les extraits des journaux qui eurent à
rendre compte de l'ouvrage. Je me souviens seulement d'y
avoir été quelque peu malmené, payant ainsi la faute d'une
adaptation qui eût dû se passer de musique.
Aujourd'hui on reverrait peut-être cet ouvrage sans tant de
sévérité. Il apparaîtrait comme un aimable e?sai de conci-
liation entre l'opéra-comique ancien et cette comédie-lyrique
toute moderne, dont il n'existe pas encore de spécimen
absolu.
Il me semble que j'ai perdu Eugène Gautier le jour même
de cette première. Du moins ne l'ai-je revu que par hasard.
Le lien qui nous .avait si longtemps uni était rompu.
Il a disparu presque obscurément, achevé peut-être par
cet insuccès d'une œuvre si longtemps, si chèrement caressée.
C'est le refrain tristement banal de bien des existences
d'artiste.
Et souvent je me suis reproché d'avoir été, au cours des
représentations de la Clé d'or, peu iDdulgent pour les fai-
blesses et les illusions du compositeur, d'avoir participé à
des « blagues » qui lui devaient être pénibles. Il demeure
dans mon souvenir comme un artiste délicat, dont le rêve
planait bien au-dessus de la réalité permise à ses moyens,
comme un homme d'esprit joyeusement satirique, ingénieux
et fin.
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
Du Mage et de Salammbô
C'est décidément une nouvelle « question » et, puisque les théâtres
ne sont pas encore fort entrés dans la vie militante et qu'ils nous
laissent des loisirs, pourquoi ne pas y insister? Bien qu'au fond il
n'y ait pas un puissant intérêt à savoir si le Mage passera avant
Salammbô, ou si. au contraire, M. Reyer distancera M. Massenet, il
y a l'a pourtant une petite page d'histoire musicale assez piquante
et qui peut divertir un instant.
Pour notre part, nous apporterons aussi un document à la cause,
et puisque les interwiews sont à la mode, nous aurons le nôtre tout
comme nos grands confrères. Notre excellent correspondant de
Bruxelles, M. Lucien Solvey. a saisi au passage M. Massenet, venu
pour surveiller au théâtre de la Monnaie les dernières répétitions
d'Esclarmonde, et voici le rapport qu'il nous envoie :
Ayant appris, par les journaux, que la question du Mage révolutionne
Paris, et ayant vu les reporters français aller sonner à la porte de
M. Reyer, l'interviewer et apprendre de lui des choses mystérieuses, je
me suis dit que, M. Massenet échappant aux dits reporters, il était de
mon devoir, puisque le maître est à Bruxelles, de m'en emparer, de mon
côté, et de faire profiter te Ménestrel de ma capture. Ainsi, espérais-je,
cette grave question du Mage serait peut-être élucidée.
Justement, j'ai rencontré M. Massenet au Salon, le jour de l'ouverture.
Je l'ai pris par le bouton de l'habit, et voici l'explication qu'il a bien
voulu me donner aussitôt :
« — Il se peut, m'a-t-il dit, que mon éditeur, mon librettiste ou moi
ayons dit un jour à MM. Ritt et Gailhard que, les interprètes rêvés ve-
nant à nous manquer, nous préférions renoncer à voir monter le Mage
cette année. Gela est même certain... On dit tarit de choses quand on est
de mauvaise humeur!... Mais ce n'étaient là que des paroles, et on ne se
délie pas d'un traité rien que par des paroles. Si MM., Ritt et Gailhard
avaient voulu être réellement fixés au sujet de nos intentions définitives
et avant de préparer d'autres projets, leur premier devoir était de nous
demander notre renonciation formelle, par écrit, en échange d'un nouveau
traité les obligeant à monter le Mage l'année suivante. Renoncer purement
et simplement, et verbalement, eût été, de ma part, une duperie; et nous
n'aurions plus eu droit à rien du loul l'année suivante.
S
Tant pis pour les directeurs de l'Opéra si, avec une légèreté incroyable,
ils se sont lancés dans une autre affaire sans s'être assurés qu'ils le pou-
vaient réellement. Je n'y puis rien. J'ai cru qu'il était de mon intérêt,,
toute réflexion faite, de faire jouer le Mage cette année et de réclamer
l'exécution du traité. Je ne veux pas m'inquiéter d'autre chose; toutes
ces discussions de ménage qu'on mêle aux questions d'art sont malheu-
reuses et inutiles. Qu'on attende mon ouvrage, et qu'on le juge, — bon
ou mauvais; voilà tout.
Quant à M. Reyer, on a annoncé, me dites-Tous, dans son propre jour-
nal le Journal des Débats, qu'il publierait sur cette affaire des révélations-
accablantes... Je me demande lesquelles? Nous sommes liés d'amitié.
Voudrait-on nous brouiller? Et pourquoi M. Reyer m'en voudrait-il?
D'avoir changé d'avis et de désirer que le Mage soit joué à l'Opéra après-
avoir exprimé, un instant, le désir contraire? Mais cela n'arrive-t-il pas
à d'autres qu'à moi, de changer d'avis? N'y a-t-il pas des compositeurs-
qui avaient juré que jamais ils ne remettraient les pieds à l'Opéra, et
qui y rentrent aujourd'hui avec transport?...
Et M. Massenet d'ajouter aussitôt, avec un malin sourire :
— Notez bien que je n'ai pas nommé M. Reyer!... »
S'il m'était permis maintenant de hasarder une humble appréciation
personnelle, je dirais que la négligence et la légèreté de MM. Ritt et
Gailhard me semblent tout à fait extraordinaires, — si extraordinaires
qu'elles pourraient bien cacher quelque chose. Leur amour subit pour
Salammbô a-t-il été vraiment bien sincère? J'en doute. L'opinion à peu
près générale ici, sur cette question du Mage, — dont on parle un peu
aussi, — c'est que ces messieurs savaient parfaitement ce qui allait
arriver, qu'ils l'attendaient avec impatience et... qu'ils en sont ravis.
Ritt et Gailhard diplomates, voilà une chose à laquelle on ne s'atten-
dait pas!
Lucien Solvay
Bien entendu, nous laissons à notre correspondant son appréciation
personnelle de la conduite de MM. Ritt et Gailhard en tout ceci.
Supposer qu'ils se soient ainsi amourachés de Salammbô, nulle-
ment pour ses beaux yeux, mais seulement pour apaiser les colères-
inquiétantes de M. Reyer, compositeur bien en cour, qui a son libre
parler dans les ministères et chez les députés influents et qui de
plus possède un feuilleton justement redouté, cela est malheureu-
sement probable. Mais de là à croire qu'ils voulaient simplement
berner notre maestro et lui faire des promesses fallacieuses avec
l'arrière-pensée de ne pas les tenir, cela est bien noir, même pour
un Ritt et un Gailhard! Et d'ailleurs, M. Reyer est homme d'in-
finiment trop d'esprit pour se laisser tromper ainsi.
Lisez son charmant feuilleton du Journal des Débats (18 septem-
bre 1890). Il vous conte tout bonnement comme les choses se sont
passées. Tout est droit et honnête dans la maison Ritt et Gailhard;.
ce n'est pas comme autrefois, quand on n'y jouait ni Sigurd ni
Salammbô. Pourquoi ce revirement subit? M. Reyer croit nous en
devoir donner les motifs. Il a bien tort; personne ne les lui
demande. Il a mille et mille fois raison de s'être remis avec la
direction de l'Opéra, puisque de ce raccommodement dépendait le-
sort de deux de ses ouvrages. S'il nous l'avait demandé, nous lui
aurions donné le conseil d'agir comme il a fait; peut-être même lui
avons-nous donné ce conseil sans qu'il nous l'ait demandé, et c'est
pour cela probablement qu'il l'a suivi.
Oh ! ce n'est pas dans la musique qu'il faut chercher les grands
caractères et les abnégations. Là, plus que partout ailleurs, c'est la
lutte pour la vie. Pensez donc : deux théâtres en tout, et dirigés
par quels mécréants, pour satisfaire aux besoins de toutes les ima-
ginations musicales qui demandent à se faire jour en France ! On
n'a pas le choix ; chacun joue des coudes pour arriver plus vite,
et la place reste souvent au plus habile plutôt qu'au véritable com-
positeur de talent. Il faut se résigner et savoir faire des risettes à
un Ritt ou à un Paravey, sous peine de voir ses œuvres condamnées à
un éternel oubli. Pardonnons donc à nos compositeurs ces compro-
missions si naturelles et, pourvu que leur œuvre sorte pure et
blanche de l'aventure, ne regardons pas de trop près s'ils ont été
éclaboussés eux-mêmes dans la mêlée.
En sa qualité de musicien, peut-être eùt-on pu demander à M. Reyer
de ménager davantage l'art des nuances et des transitions. Mais
qu'importe! puisque le résultat, un peu plus tôt un peu plus tard,
devait toujours être le même.
En ce qui nous concerne, nous avons tout fait pour qu'on réserve
aux œuvres de M. Reyer un meilleur sort à l'Opéra ot pour qu'on y
ramène leur belle interprète, Mmc Caron. Nous ne pouvons donc que
nous réjouir avec ce compositeur de l'heureux résultat de nos efforts
communs. Mais nous sommes arrivés à un point de la route où
nous allons forcément bifurquer et tirer chacun de notre côté. Lui,
LE MENESTREL
299
il a obtenu satisfaction et n'a plus rien à demander aux directeurs
de l'Opéra; toutes ses colères se sont évanouies et il tresserait
volontiers des couronnes de roses aux « deux gentlemen » que dans
le temps il eût volontiers voués aux orties. Cela est bien et c'est
naturel. Pour nous, nous n'avons qu'à continuer dans la route où
nous nous sommes engagés. Reyer, c'est quelque chose dans la
musique, mais ce n'est pas toute la musique, et nous avons encore à
obtenir pour d'autres ce que nous avons obtenu pour lui.
Ceci dit, comme nous avons donné plus haut les raisons qu'allé-
guait M. Massenet pour sa défense, il est juste que nous repro-
duisions une partie du feuilleton de M. Reyer', qui donne aussi les
siennes. Nous passerons rapidement sur la « première entrevue cor-
diale » que l'auteur de Salammbô eut de suite avec Gailhard, sur la
loyale poignée de main de M. Ritt, sur les agréments de sa propriété
de Brunoy « où il se promène commodément assis dans une petite
Toiture attelée d'un gentil poney à tous crins », sur la conversa-
tion qu'eut le compositeur avec le vénérable directeur « sous un
immense parasol », à côté de « belles vaches normandes qui ten-
daient vers l'herbe humide leurs grands mufles noirs », toute une idylle
charmante enfin, tout un paysage délicieux bien fait pour encadrer
cette nouvelle lune de miel, qui durera ce que durent les lunes.
Nous arrivons de suite au passage caoital de son article :
... Bien avant qu'il fut question de Salammbô, M. Massenet l'avait dé-
claré à qui voulait l'entendre — il me l'avait dit à moi-même en des
termes et dans une circonstance que je pourrais lui rappeler si sa mémoire
lui faisait défaut — que, n'ayant pas la distribution qu'il désirait, le Mage
ne passerait pas cet hiver. Il fit la même déclaration à MM. Ritt et
Gailhard, en présence de son collaborateur, M. Richepin, et de M. Hart-
mann, son éditeur. Bien que tous les trois eussent l'air d'être parfai-
tement d'accord, M. Ritt les engagea à réfléchir encore, et leur promit
même de ne prendre aucune décision avant huit jours.
On parla de Salammbô. M. Massenet, en excellent confrère qu'il a toujours
été pour moi, fit l'éloge de ma partition ; M. Hartmann, qui ne me garde
pas rancune d'être retourné chez l'éditeur de mes premiers ouvrages,
parla dans le même sens que M. Massenet. Si, à ce moment-là, M. Ritt
eût proposé aux auteurs du Mage de déchirer le traité existant et de le
remplacer par un traité nouveau, stipulant l'ajournement de l'opéra de
MM. Richepin et Massenet, il est à croire que la substitution de Salammbô
au Mage se fût faite sans la moindre difficulté. On ne peut songer à tout
ni tout prévoir.
Pendant plus de quinze jours, les journaux annoncèrent que Salammbô
passerait cet hiver et en donnèrent la distribution. On parla même des
grands frais de décors et de mise en scène que projetait de faire la direc-
tion de l'Opéra.
M. Richepin, assis sur un rocher de la côte armoricaine, était absorbé
dans la contemplation de cet Océan qu'il a chanté en vers si harmonieu-
sement cadencés. M. Massenet, tout entier à Esclarmonde, dans un coin
retiré du Brabant méridional d'où nulle gazette ne vient, où nulle gazette
n'arrive, ignorait tout. Seul, l'éditeur Hartmann savait les nouvelles,
laissait dire, laissait faire et attendait sans doute le moment propice pour
intervenir. Cependant, aucune communication émanant de la direction de
l'Opéra n'avait encore paru dans les échos de théâtre, MM. Ritt et
Gailhard attendant toujours l'autorisatioji qu'ils avaient demandée au
ministre et sans laquelle ils ne pouvaient prendre aucun engagement for-
mel envers moi.
Mais voilà qu'un beau matin parait dans le Figaro une note qui avait
toutes les apparences d'une note officielle et qui était rigoureusement
exacte, à cela près que l'autorisation impatiemment attendue n'était pas
encore arrivé3 à l'Opéra. Le jour même, M. Hartmann montait en wagon
à la gare de Lyon et arrivait très ému chez M. Ritt, auquel il avait eu
soin d'annoncer sa visite afin d'être bien sûr de le rencontrer. Comme
aucun sténographe n'assistait à l'entretien, tout ce que j'en puis savoir,
c'est que les arguments de M. Ritt et le souvenir d'une renonciation for-
melle qu'il s'efforçait de rappeler, ne purent faire fléchir la volonté réso-
lument exprimée par M. Hartmann de s'en tenir aux termes du traité
que les directeurs de l'Opéra et les auteurs du Mage avaient signé.
Le lendemain, à peine entré dans le bureau de M. Gailhard, je recevais
sur la tète une douche d'eau glacée dont je suis encore tout engourdi.
Après la mise en demeure de M. Hartmann, les directeurs de l'Opéra
écrivirent à M. Massenet pour lui proposer deux distributions: l'une,
dans le cas où il consentirait à l'ajournement du Mage, avec Mllie X... et
MUc Z..., à qui deux des principaux rôles de l'ouvrage étaient primitive-
ment destinés et dont l'engagement ne peut se faire que dans un an;
l'autre, s'il persistait dans sa nouvelle détermination de passer cet hiver,
avec des inturpiètes qu'il serait libre de choisir parmi les artistes qui
font partie de la troupe de l'Opéra actuellement. M. Massenet n'hésita
pas à répondre que c'est cette dernière distribution qu'il acceptait. Reste
maintenant à la fixer d'une manière définitive et de façon à ce qu'il n'y
ait plus à y revenir.
Pourquoi cette détermination soudaine d'accepter sans discussion au-
jourd'hui ce dont on déclarait ne pas vouloir il y a six semaines? Pourquoi
ce brusque changement de front ? Je n'en sais rien. Et même, si je le
savais, trouverais-je peut-être que ce n'est pas à moi le premier qu'il
appartiendrait de le dire. Toujours est-il qu'on s'en est fort étonné.
Deux mots encore et j'ai fini :
Aucun traité n'a été signé entre les directeurs de l'Opéra et moi pour
la représentation de Salammbô pendant l'hiver 1S91-IS92, avec Mnie Caron
comme principale interprète de l'ouvrage, bien entendu. J'ai simplement,
et je m'en contente, la parole de M. Ritt.
En réponse à une lettre que je lui avais adressée dans le but de savoir
si ses intentions étaient bien telles que son éditeur les avait fait con-
naître, M. Massenet m'a donné, au sujet de sa nouvelle détermination,
des explications très nettes, accompagnées de protestations auxquelles
j'ai été très sensible et dont je me trouve très honoré. Je n'en attendais
pas moins de sa franchise et de son amitié. Que puis-je lui offrir en
échange? Mes vœux les plus sincères pour son prochain succès, qui n'est
pour lui peut-être qu'une espérance, qui est une certitude pour moi. Les
quelques privilégiés qui ont eu la bonne fortune d'entendre la partition
du Mage affirment qu'elle sera le digne pendant de celle du Cid. S'il en
est ainsi, la partie est gagnée d'avance, et je serai — que personne
ne me fasse l'injure d'en douter — un des premiers à m'en réjouir.
È finita la commedia! Ce qu'il y a de plus curieux et de plus in-
quiétant là-dedans, c'est de voir MM. Ritt et Gailhard annoncer
gravement qu'ils représenteront Salammbô dans l'hiver 1891-1892,
comme s'ils étaient certaius d'être encore à cette époque directeurs
de l'Opéra. Ah! çà, la paix est donc faite avec la commission du
budget. Nous faudra-t-il subir encore sept années la honte d'une
pareille direction? J'en appelle au ministre des beaux-arts. S'il a
conscience de sa mission et quelque honnêteté dans l'âme, il com-
prendra que cette petite farce a assez duré et qu'il est temps d'y
mettre fin pour son honneur et pour celui, de l'art musical, si impi-
toyablement maltraité par MM. Ritt et Gailhard.
H. Moreno.
Comédie Française. — Le Duc Job, comédie en quatre actes, en
prose, de Léon Laya. — Variétés. La Belle Hélène, opéra bouffe en trois
actes, de MM. Henri Meilhac et Ludovic Halévy, musique de J. Offen-
bach.
Oh! ce Due Job, en avons-nous assez entendu parler par tous ceux
de nos aînés qu'intéressent les choses du théâtre. Comme, en parlant
de la belle âme du sergent, duc de Rieux, on sentait poindre sur la
paupière battante du narrateur une larme mal dissimulée ! Et puis, on
se souvenait du triomphe d'une interprétation remarquable, et l'on
était toujours sous l'impression causée par une série de trois cents
représentations presque consécutives ! Ils l'ont revu, leur Duc Job; mais
nous l'avons revu avec eux! Ils n'ont pu retenir, cette fois encore, de
furtives larmes, nées beaucoup peut-être du souvenir de celles versées
il y a une trentaine d'années, et s'ils se sont doucement gendarmés
devant l'accueil plutôt sceptique que la génération nouvelle a fait aux
amours assez banales de Jean et de sa cousine Emma, ils ont bien
voulu reconnaître que, dans l'ensemble, la comédie avait légèrement
vieilli et qu'elle se réclamait par trop de ce genre ohnète dont on nous a,
depuis, si complètement dégoûtés. Nous aurions, du reste, très mau-
vaise grâce, et l'on pourrait justement nous accuser de parti pris, si
nous ne reconnaissions que ces quatre actes ne sont pas sans certaines
qualités et que, principalement, la fin du second contient une fort jolie
situation, très bien venue et simplement présentée, qui n'est point sans
amener après elle sa petite dose d'émotion réelle. J'avoue que je fais
assez bon marché de la plupart des autres scènes touchantes que con-
tient la pièce, et, si je ne puis guère me laisser prendre à ces artifices
lacrymatoires, c'est surtout parce que le caractère du héros m'appa-
raît, en cette fin de siècle, d'une indigence, d'une naïveté, d'une indo-
lence désespérantes. Ce soldat, retour des campagnes d'Afrique où
il -vient de gagner valeureusement son galon de sergent, passe son
temps de congé à pleurnicher comme une petite fille, et, s'il se
révolte par hasard et montre une âme mâle, ce n'est point dans
l'intérêt de son amour contrarié, mais bien pour stigmatiser de
pauvre petits boursiers de quatre sous qui n'en peuvent mais. Il
pleure trop, ce bon duc Job, pour que nous puissions pleurer tout le
temps avec lui, et dame! dès l'instant où il ne nous attendrit plus,
nous sommes très enclins à le trouver presque ridicule.
Je ne sais quel accueil le public fera à cette reprise. Peut-être
y prendra-t-il goût; mais dans ce cas. il faudrait en rendre respon-
sable, pour une très large part, une distribution qui compte trois
interprètes d'une valeur incontestable. M. Got, d'abord, qui jouait
naguère le duc Jean lui-même, que l'âge a fait monter au grade
d'oncle et qui reste un artiste merveilleux. M1,e Reichenberg, encore,
qui est bien la plus délicieuse et la plus jeune Emma que l'on
300
LE MENESTREL
puisse rêver. Enfin M. de Féraudy, qui jouait pour la première fois
Jean de Rieux, et qui a été digne de ses deux grands partenaires. Si
j'avais un reproche à lui faire, ce serait celui d'accuser trop, par
une tenue penchée et une allure nonchalante, le caractère mou et
indécis du personnage, mais il a fait preuve de tant de saines et
solides qualités que je m'en voudrais de gâter le succès qu'on lui a
fait par de minimes critiques. Mmo Montaland, MM. Boucher, Gar-
raud, Samary, Joliet et Clehr complètent l'interprétation sans bien
grand éclat.
Et maintenant tout à la joie, car voici reparaître la Belle Hélène.
toujours plus jeune et encore plus belle qu'à son ordinaire. C'est
Jeanne Granier qui, après avoir fait siens le rôle de Boulotte de
Barbe-Bleue et celui de la grande-duchesse de Gérolstein, vient encore
de s'approprier celui de la reine de Sparte et d'y remporter un succès
complet. Elle a dit l'invocation à Vénus et le duo du Rêve avec un
brio et un sentiment tels que la salle entière trépignait d'aise et
qu'on l'aurait fait recommencer indéfiniment. Paris, c'est toujours le
beau Dupuis, qui remplace le chant par une espèce de roulement de
la langue et de la glotte du plus réjouissant eiièt et demeure comé-
dien impeccable. Baron est un étourdissant Galchas, et Lassouche a
très curieusement composé le personnage de Ménélas. MUe Crouzet
est un adorable petit Oreste d'étagère, et MM. Chalmin, Raiter, ûu-
play, Prika, M"cs Delys, Derval et Rhène jouent leurs rôles respectifs
avec entrain et grâce. Compliments aux chœurs aussi, qui ont donné
avec ensemble et justesse, innovation due, sans doute, à l'initiative
de M. Albert Vizentini.
Paul-Émile Chevalier.
UN VIRTUOSE COURONNÉ
i
Le violoniste Salomon, qui donnait des leçons au roi d'Angleterre
George III, disait un jour à son auguste écolier :
— Les joueurs de violon peuvent se diviser en trois classes : à la
première appartiennent ceux qui ne savent pas jouer du tout, à la
seconde ceux qui jouent mal, et à la troisième ceux qui jouent bien ;
Votre Majesté s'est déjà élevée jusqu'à la seconde classe.
Ce n'est pas au Grand Frédéric que ce mauvais compliment aurait
pu s'adresser. Un artiste de l'Opéra de Berlin ayant eu l'imprudence
de dire que le roi s'entendait nrieux à la guerre qu'à la musique, Sa
Majesté l'envoya au corps de garde à la discrétion des soldats. Ceux-
ci mirent à l'infortuné chanteur un uniforme et des moustaches et
lui firent faire l'exercice à coups de canne pendant deux heures. Après
quoi, ils le firent chanter et danser pendant deux heures encore et
finirent par lui faire tirer une quantité considérable de sang par le
chirurgien. Puis ils le renvoyèrent-chez lui.
C'est que Frédéric II, notre « virtuose couronné », n'entendait pas
raillerie en matière d'art. Il se croyait un grand musicien et surtout
un inimitable virtuose. Voltaire a d'ailleurs déclaré « qu'il jouait de
la flûte aussi bien que le meilleur artiste ». Et comme ces mots se
trouvent dans un pamphlet dirigé contre le conquérant de la Silésie
par l'auteur de la Henriacle, on peut croire qu'ils sont vrais.
Mais tout le monde ne pensait pas de même, si l'on en ju<*e par
l'aventure dont le futur roi-mélomane fut le héros malheureux. Il
était alors prince royal et voyageait incognito en Hollande. Un jour,
il lui vint à l'idée d'éprouver sur la foule son talent de virtuose.
S'étant arrêté dans une petite ville, il s'inscrivit à l'auberge sous le
nom de Muller, « attaché à l'orchestre de l'Opéra de Berlin », et fit
annoncer à son de trompe un concert donné par un pauvre musicien
allemand.
L'Allemagne était alors, comme maintenant, remplie de musiciens
vagabonds, et pas plus qu'à présent ils n'inspiraient confiance aux
aubergistes. Celui de la petite ville honorée de la présence de l'auguste
visiteur n'échappait pas à la règle. Assez mal prévenu par la figure
souffreteuse et la mise râpée du prince, il ne dissimulait pas ses
appréhensions. Cependant il lui en coûtait de refuser, déprime abord,
ses services à un garçon qui, après tout, pouvait avoir du talent. Il
monta donc à sa chambre et lui tint ce langage :
— Mon bon ami, vous ne payez guère de mine, et sans doute
encore moins de monnaie. Qui dit musicien dit sans le sou, chacun
sait ça. "Vous allez donner un concert, c'est fort bien ; mais rien ne
prouve que vous fassiez recelte. Vous ne connaissez peut-être pas
les habitudes d'ici : le public ne paye qu'en sortant, s'il est content.
Je ne doute pas de votre talent: encore voudrais-je savoir à quoi
m'en tenir. Donc, avant tout, jouez-moi un morceau. Nous verrons
ensuite si je puis faire quelque chose pour vous.
Le prince trouva la proposition fort naturelle, et comme il était
flatté de se produire, même devant un auditeur unique, il tira son
instrument de son étui et commença les premières mesures d'une
sonate de son maître, le flûtiste Quanlz. Mais au bout d'un instant
l'aubergiste l'interrompit :
— Mon garçon, dit-il, je ne veux pas vous décourager; mais je
suis sûr que vous ne feriez pas vos frais chez nous. Si j'ai un bon
conseil à vous donner, c'est de prendre un autre métier. Mais comme
après tout, je puis me tromper, faites un essai dans une ville où
l'on soit moins difficile qu'ici. La diligence va passer dans une
heure. Vous ferez bien de retenir votre place d'avance.
Frédéric fut assez mortifié de ce résultat. Il n'avait à sa disposi-
tion ni corps de garde, ni chirurgien, et dut prendre galamment
son parti de sa mésaventure, tout en faisant ses réserves sur les
bravos habituels de ses courtisans. A son retour à Berlin, il reprit
ses études musicales et les poursuivit avec ténacité, malgré l'oppo-
sition tyrannique. et les brutalités cuisantes de son père, Frédéric-
Guillaume Ier.
L'histoire a conservé le souvenir de ce desposte. Il passait ses
journées à exercer ses soldats, et ses soirées à boire en compagnie
de ses généraux et de ses ministres. On voit à Berlin, dans un mu-
sée consacré spécialement à la famille régnante, la table et les
chaises de jardin, à hauts dossiers à jour, où prenaient place ce
roi-soudard et ses intimes. Cette réunion s'appelait le Collège de
Tabac et se tenait tantôt à Polsdam, tantôt dans une île de la rivière
d'Havel. On s'y grisait d'importance, et le roi ne se privait pas d'y
laisser paraître le fond de sa nature brutale. Un jour, comme l'am-
bassadeur de l'empereur Charles VI, placé entre le souverain et son
premier ministre, soutenait une opinion qui ne plaisait pas à Fré-
déric-Gui.laume, celui-ci lui appliqua un vigoureux soufflet sur la
joue.
L'assemblée fut stupéfaite. Seul, le diplomate impérial ne laissa
rien paraître : sans interrompre son discours, il abattit le revers de
sa main sur la joue du premier ministre, avec ces deux mots :
— Faites passer!
Lorsqu'il sortait de cette tabagie, le roi était ivre, et alors mal-
heur à qui tombait sous sa main. Dans la rue, tout le monde s'en-
fuyait à son approche. S'il rencontrait une femme, il l'apostrophait
en ces termes : — Va-t'en chez toi, gueuse; une honnête femme doit être
dans son ménage..., et il accompagnait cette remontrance d'un soufflet,
ou d'un coup de pied dans le ventre, ou de quelques coups de sa
canne de sergent, dont il ne se séparait jamais.
Au château, c'était une véritable terreur. Quand on entendait de
loin ses lourdes bottes résonner sur le parquet, tout le monde se
cachait dans les armoires ou sous les lits. Un jour, sa fille, qui -
devint la margrave de Bayreuth, tomba évanouie sous les coups de
bâton : on dut la retirer de ses mains; sans cela il l'eût assommée.
Une autre fois, il faillit étrangler le prince royal avec un cordon de
rideau : on arriva juste à temps pour sauver le jeune prince, qui
avait perdu connaissance; il en fut quitte pour quelques jours de
cabinet noir, avec une correction à la sortie.
C'est que ce Vandale était irrité d'avoir un fils plein d'esprit, qui
cherchait à s'instruire, et qui faisait des vers et de la musique.
Voyait-il un livre dans les mains du prince héréditaire, il le jetait
au feu; le prince jouait-il de la flûte, le père cassait la flûte.
Un jour, les choses allèrent plus loin, et l'instrument favori d'Ap-
pollon fut cause d'un drame tel que l'histoire des cours n'en offre
pas de pareil.
Lorsque le prince royal se promenait dans les rues de Potsdam,
il eotrait volontiers chez un apothicaire, dont la fille jouait pas-
sablement du clavecin. Frédéric l'accompagnait de sa flûte : c'étaient
do véritables petits concerts qui se prolongeaient le plus souvent
jusqu'assez loin dans l'après-dîner.
Cette innocente distraction ne pouvait demeurer longtemps ignorée
du roi. Lorqu'il en eut connaissance, il fut pris d'uu violent accès
de colère : il fit arrêter la fille de l'apothicaire et lui fit faire le
tour de la place de Potsdam, conduite par le bourreau qui la fus-
tigea sous les yeux de son fils.
Ce spectacle révolta le prince, qui prit la résolution de s'enfuir
pour échapper aux mauvais traitements et aux persécutions dont il
était l'objet. Il s'en ouvrit à un de ses amis, le lieutenant Katt, qui
lui promit do l'assister. Le jour et l'heure étaient déterminés; mais
l'entreprise ne pouvait rester cachée à Frédéric- Guillaume. Informé,
LE MENESTREL
201
jusque dans ses moindres détails, du plan d'évasion de son fils, il
fit arrêter en même temps le prince et son compagnon de voyage.
Le roi crut d'abord que sa fille était du complot, et comme il
était expéditif en fait de justice, il la jeta à coups de pieds par une
fenêtre qui s'ouvrait jusqu'au plancher. La reiue arriva juste à
temps pour l'empêcher défaire le saul, en la retenant par sa jupe.
Pour le prince, son père, après l'avoir assommé de coups, le fit
transférer à la citadelle de Custrin, située au milieu d'un marais,
et où il fut enfermé, sans domestiques, dans une espèce de cachot.
Frédéric était depuis quelques semaines dans ce réduit, où per-
sonne n'était admis à le voir, lorsqu'un jour un vieil officier, suivi
de quatre grenadiers, entra dans sa chambre, fondant en larmes. Le
prisonnier ne douta pas que sa dernière heure était venue; mais
l'officier, toujours pleurant, le tit prendre par ses hommes, qui le
placèrent à la fenêtre, et qui lui tinrent la tête, tandis qu'on coupait
celle de son ami Katt sur un échafaud dressé immédiatement devant lui.
Le prince s'évanouit. Quand il revint à lui, l'horrible vision subsis-
tait. Tout le jour le corps de Katt demeura sur l'échafaud devaut la
fenêtre qui avait été élargie pour que l'infortuné ne perdit aucun
détail du terrifiant spectacle qu'il avait sous les yeux.
Avec cette scène, tout n'était point encore fini. Le roi n'en voulait
pas demeurer là: son dessein était de faire couper la tête à son fils,
comme il l'avait fait pour le lieutenant Katt; il considérait qu'il
avait trois autres garçons, et que c'était assez pour la grandeur de
la Prusse. Les mesures étaient même déjà prises pour l'exécution,
lorsque les cours étrangères intervinrent; une lettre de l'empereur
décida du salut de Frédéric.
Il lui fut donc fait grâce, et même il fut mis en liberté, mais à
la condition qu'il vivrait à Custrin en petit bourgeois et s'applique-
rait à connaître l'administration des domaines, en assistant journel-
lement aux séances de la chambre chargée de cotte partie, et en
prenant place auprès du plus jeune conseiller.
Le prince n'eut pas la permission de reprendre l'uniforme : il lui
fut prescrit de ne s'occuper que des affaires d'administration, et il
reçut l'ordre spécial de ne point parler français, ce qui était une
grande privation pour lui, car il professait le plus profond mépris
pour la langue allemande.
Cette répulsion instinctive s'accrut de cette défense. Frédéric se
plongea dans la lecture des poètes et des philosophes français, apprit
à les connaître, et se prépara, par cet apprentissage, au rôle prépondé-
rant qu'il devait remplir dans le mouvement littéraire du siècle dernier.
Lorsqu'il eut quitté Custrin, sur une lubie bienveillante de son
père, il se cloitra dans le château de Eheinsberg, où il se livra à
son goût pour les lettres, au point qu'on appela cet endroit le
Séjour des Muses. C'était un acheminement vers Sans-Souci , qui fut
la mosquée sainte de l'esprit de Vollaire. A Rheinsberg, dédaignant
le métier des armes, bien que son père, par un revirement d'opi-
nion, lui eût donné un régiment, le prince eDgagea une correspon-
dance suivie avec Maupertuis, Algarotti et surtout Voltaire.
« Le principal fardeau tomba sur moi, dit ce dernier. C'était
des lettres en vers, c'était des traités de métaphysique, d'histoire,
de politique; il me traitait d'homme divin, je le traitais de Salomon;
les épilhètes ne nous coûtaient rien. »
Mais les prédilections de Frédéric demeurèrent pour sa flûte.
Pendant les premiers mois de son séjour à Custrin, il avait obtenu
de s'adjoindre un valet de chambre, et il s'était empressé d'engager
en cette qualité le flûtist-J Fredersdorf.
Naturellement, on ne faisait pas de musique en ville. Mais on allait
au loin, sous prétexte de la chasse, chercher les endroits les plus
écartés, dans l'épaisseur des bois, pour y jouer des duos de flûte.
Sans doute, le roi fut mis au courant de ces bucoliques ; mais sa
fureur, désormais calmée, fit place à une immense pitié, qu'il tra-
duisait en ces termes résignés :
— Mon fils n'est qu'un petit maître et un bel esprit français, qui
gâtera toute ma besogne.
(A suivre.) Edmond Neukomm et Paul d'Esïrée.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De nuire correspondant de Belgique (18 septembre).
— Avant, de vous parler de la. réouverture de la Monnaie, j'ai préféré
attendre, pour formuler une appréciation exacte sur la nouvelle troupe,
que cette troupe eût défilé à peu près tout entière devant le public ou
BU6, tout au moins, les débuts fussent assez avancés pour être intéressants.
Ce qui s'est passé, du reste, jusqu'à présent, n'a pas été bien considérable!
Nous avons eu Esclarmonde, Faust et les Huguenots, pour tout potage. Ce
potage, il est vrai, n'a pas été .mauvais, et il nous permet même d'espérer
que le dîner tout entier, cet hiver, sera bon. La débutante la plus
curieusement attendue, c'était M"0 Sibyl Kanderson, et je vous laisse à,
penser si la reprise d' Esclarmonde, avec elle sur la scène et M. Massenet
dans la coulisse, a été animée. M"0 Sanderscn avait une peur bleue; elle
qui avait eu, à la « première », à Paris, tant d'aplomb, était ici plus
morte que vive, et ce n'est guère que dans le fameux duo des roses
qu'elle s'est remise un peu. Heureusement, le public, le terrible public
bruxellois, a été charmant; il a tenu compte de toutes ces émotions et fait
à la jolie Américaine un succès tout à fait encourageant. M'10 Sanderson
m'a paru avoir fait, depuis sa saison à Paris, de réels progrès; le médium
de sa voix s'est affermi et développé, et elle chante avec plus de grâce
que jamais. Pour ce qui est du contre-soi et du centre-/», elle a brave-
ment renoncé à l'un et, dès le second soir, a remisé l'autre, qui lui avait
joué un mauvais tour le soir de ses débuts, le soir de la grande peur.
Le contre-ré et le contre-mi nous restent. Nous nous en contentons, —
et nous souhaitons même que, définitivement, la cantatrice-phénomène
que l'on connaissait fasse bientôt place tout à fait à la cantatrice-artiste
tout court que Roméo et Juliette, lundi prochain, vont nous faire connaître,
espérons-le
A côté de la nouvelle Esclarmonde, nous avons eu un nouveau Roland,
M. Dupeyron : voix superbe et généreuse, et qui a tout de suite « em-
ballé » le public. Et nous avons eu aussi un nouveau Pborcas, M. Vallier,
qui remplacera dans certains rôles M. Renaud et qui a réussi ce soir-lâ
à peu près par un ensemble de mêmes qualités naturelles. M. Massenet
avait soigné, surveillé, dorloté, pendant tout le cours des répétitions, cette
reprise d' Esclarmonde ; et l'œuvre, ainsi présentée, a paru faire plus de
plaisir que l'année dernière, où cependant nous avions Mmc de Nuovina,
qui n'était pas désagréable du tout. Mais Mme de Nuovina, si elle n'a
plus eu l'occasion de triompher dans Esclarmonde, a retrouvé son succès
dans Faust. Et c'est dans Faust aussi qu'on nous a présenté M. Lafarge, le
ténor tant applaudi des Rouennais, l'an passé. M. Lafarge est un jeune
séducteur d'une corpulence bien considérable ; mais il chante vraiment
très joliment, avec beaucoup d'art et une aimable voix; on lui a fait un
succès très mérité, et ce succès, j'ai tout lieu de le supposer, se confirmera.
Nous voilà donc, direz-vous, avec deux ténors parfaits, deux idéals de
ténors ? Pas encore. M. Dupeyron, qui avait si bien réussi dans Esclarmonde,
grâce sans doute aux bonnes leçons de l'auteur, a perdu énormément de
terrain, quelques jours après, dans les Huguenots . On a reconnu que, avec
sa très belle voix, il lui reste encore à apprendre à chanter. Aura-t-il le
temps? Peut-être. Mais de grâce, qu'il se dépèche! Et en définitive, ces
deux ténors se réduisent à un ténor, — tout au plus un ténor et demi.
Par contre, nous avons deux falcons, — même trois : Mmc de Nuovina,
qui a fait ses preuves, Mmc Langlois, que nous entendrons plus tard seule-
ment, et M™ Dufrane qui, dans les Huguenots déjà nommés, a été
chaudement applaudie pour ses qualités d'acquis et son expérience, qui
à défaut d'une toute première fraîcheur, viendront à point dans le réper-
toire courant et lui seront précieuses.
Enfin, autre début, favorable également : celui de M",e Paulin-Archaim-
baud, une première dugazon d'une sveltesse excessive, et qui ne chante
pas mal, avec une voix un peu dure.
Les autres artistes qui nous restaient de la saison précédente, ont fait à
peu près tous une bonne rentrée, particulièrement M"0 Carrère, l'élé-
gante princesse d'opéra, très en progrès, MM. Bouvet, Badiali etSenfein,
en attendant la dernièro venue, Mlle Nardi, qui doit débuter prochaine-
ment dans les Dragons de Vdlars. Lucien Solvay.
— A Namur, lundi dernier, à l'occasion du Jubilé royal, grande fête
musicale. Au programme, entièrement r.ational, figuraient les noms de
Gevaert, H. Balthasar-Florence, Tinel, etc. Parmi les œuvres déjà connues,
on a surtout acclamé la ravissante mélodie Aimer, de H. Balthasar-Flo-
rence, pour ténor, violon solo, chœur et orchestre. L'excellent ténor
amateur M. A. Moussoux, ainsi que Mlle Cl. Balthazar-Florence, qui
tenait la partie de violon, ont été bruyamment applaudis. Quant à la
Cantate jubilaire composée pour la circonstance par M. H. Balthasar-
Florence, elle a valu un triomphe incontesté et incontestable au maître
belge. Jamais nous n'avons vu l'enthousiasme du public namurois monter
à pareil diapason. Cette cantate est, de l'avis de musiciens érudits, une
œuvre de premier ordre; elle dépasse, et de beaucoup, la valeur de tous
les ouvrages similaires composés en Belgique depuis bien des années. On
nous en promet une nouvelle audition.
— Les récentes fêtes musicales de Vienne, dont nous avons rendu
compte, ont donné un bénéfice de 30,000 florins à l'Association des chan-
teurs allemands. C'était le quatrième festival organisé par cette institu-
tion. Le premier avait eu lieu à Dresde en 18GS, et s'était soldé par un
déficit de 173,000 marks; le deuxième fut tenu à Munich on 187-i et,
aboutit à un délicit de 3.000 florins environ; enfin, l'avant-dernier, à
Hambourg en 188u2, produisit un excédent de 20,000 marks. A Vienne,
le nombre des chanteurs présents s'élevait à 13,80J; à Dresde, on comp-
tait 10,000 participants ; à Munich, 8,000; à Hambourg, 0,000.
— On lit dans la correspondance viennoise du Figaro : « Rien de nou-
veau pour le moment à l'Opéra. Il est question pourtant d'y créer un
302
LE MÉNESTREL
nouveau titre, celui de Generalmusikdirector, directeur général de musique,
et ce titre serait conféré au directeur actuel, M. Jahn, chef d'orchestre de
premier ordre. Ce titre nous vient de Berlin; il a été inventé pour Spon-
tini, et Meyerbeer, si je ne me trompe, a été le dernier à le porter.
J'avoue que je ne l'aime pas beaucoup. Il sonne tout à fait militairement.
On dira désormais « général de musique » comme on dit général de cava-
lerie. Jadis l'Opéra de Vienne se trouvait sous la haute direction de
quelque aristocrate, portant le titre officiel de musikgraf, comte de mu-
sique. A l'armée, on connaît un « capitaine de musique », et l'on appelle
ainsi le chef de bataillon chargé des affaires de la fanfare. Voilà bien des
titres musicaux. Attendons-nous à voir apparaître bientôt un maréchal
de musique, voire un feldzeugmeister de musique. C'est ainsi que tout se
militarise aujourd'hui, même cet art qui adoucit les mœurs. »
— Les journaux allemands nous font savoir que le fameux ténor Franz
Nachbaur songe à prendre sa retraite et à abandonner définitivement le
théâtre. Né en 1833 en Wurtemberg, Nachbaur Et ses premières études
au Conservatoire de Stutlgard, et alla ensuite se perfectionner en Italie
avec Lamperti. Depuis trente ans ses succès ont été grands dans toute
l'Allemagne, et particulièrement à Munich, où il resta plusieurs années
et où il était le chanteur favori du roi Louis de Bavière.
— Bévue des écrits sur la musique récemment publiés en Allemagne.
Le Thkhre de la cour de Carlsruhe, par "W. Harder, suivi de l'Opéra de Carls-
ruhe, par J. Siebenrock (Carslruhe, Braun); — Dictionnaire encyclopédique du
théâtre allemand, publié sous la direction de MM. A. Oppenheim et E. Gesske
(Leipzig, Beissner); ce sont les deux derniers fascicules (34 et 35) de cet
ouvrage important, qui viennent de paraître ; — Mélodies errantes, étude
musicale, par Wilhelm ïappert (Leipzig, Liste et Warcke), livre dont le
point de départ est intéressant et curieux, l'auteur y développant cette
théorie d'une évolution dans la musique comme dans la nature; pour
le prouver, il prend à leur source les thèmes des plus anciennes mélodies
populaires de l'Allemagne, et les suit d'âge en âge à travers les mille
transformations qu'elles subissent entre les mains des compositeurs, illus-
tres ou obscurs, qui les ont employées ou les emploient encore soit déli-
bérément, soit inconsciemment; — Musique et Littérature, par Edouard Hans-
lick (Berlin, Paetel) ; ce volume forme la cinquième partie de l'ouvrage
de l'éminent critique viennois intitulé l'Opéra moderne; on y trouve des
chapitres pleins d'intérêt sur l'opéra de jeunesse de Bichard Wagner, les
Fées, et sa symphonie en ut, sur sa correspondance avec Liszt, dont le Mé-
nestrel a rendu compte récemment, sur les nouvelles compositions vocales
et instrumentales de Johannes Brahms, sur le Don Juan de Mozart, sur les
opéras de Gluck et ceux de Méhul (d'après le livre intéressant de notre
collaborateur Arthur Pougin, dont l'écrivain fait le plus grand éloge), sur
Henri Heine, sur l'impératrice Marie-Thérèse considérée comme musi-
cienne, sur les Souvenirs de M. Legouvé, etc., etc.; — Catéchisme de l'esthéti-
que musicale, par H. Bitter (Wurzbourg, Hertz), cet ouvrage a réuni un
grand nombre de faits intéressants se rattachant à la philosophie de l'art
musical telle que Baumgarten l'a définie dans ses travaux ; — La Musique
en Bohême, par le comte B. Prochzka (Vienne, librairie de la Revue austro-
hongroise), brochure contenant les biographie» des compositeurs qui ont
illustré la Bohème pendant les XVIIIe et XIXe siècles, entre autres Sech-
ter, Moscheles, Dreyschock, Schuloff, Goldschmidt, Kisser, Hanslick, etc.;
— Guide à travers la littérature de l'orgue, par B. Kothe et Th. Forchammer
(Leipzig, Leuchart), grand ouvrage pédagogique, dans lequel les auteurs
dressent un puissant catalogue non seulement de toutes les compositions
spéciales à l'orgue, mais aussi de toute la musique pour orgue et instru-
ments divers, des transcriptions pour l'orgue, de la musique de chant et
des chœurs avec accompagnement d'orgue, des ouvrages théoriques et
des écrits publiés sur l'orgue ; M. Forchammer propose comme modèles
aux organistes allemands les ouvrages de deux artistes français, MM. Guil-
mant et Widur.
— L'opéra du jeune compositeur Pietro Mascagni, Cavalleria rusticana,
continue à faire florès sur les scènes lyriques de l'Italie et est en train de
conquérir celles de l'Allemagne. L'éditeur, M Sonzogno a confié la ver-
sion allemande de Cavalleria rusticana à notre confrère M. 0. Berggruen,
qui aura bientôt terminé sa tâche, et vers la fin du mois d'octobre l'œuvre
du jeune artiste italien paraîtra sur plusieurs théâtres allemands à la fois.
L'Opéra impérial de Vienne n'attend que les épreuves du texte allemand
pour prendre une décision définitive; plusieurs théâtres de cour en Alle-
magne comptent également sur Cavalleria rusticana pour la saison pro-
chaine.
— Un souvenir de la jeunesse de Weber, raconté par un journal de
Hambourg à propos de la récente inauguration du monument érigé à
Eutin. En 170G, Charles-Marie de Weber se rendit à Munich avec son
père le major de Weber pour y prendre les leçons de Valesi et de l'orga-
niste de la cour, Kalcher. Le major se lia d'amitié avec le commandant de
LûtgendorlV, qui s'était fait un nom comme auteur de nombreuses comé-
dies, et bientôt Charles-Marie de Weber et Ferdinand, le fils de Lûtgen-
dorff, étaient devenus île tels inséparables qu'on ne les appelait pas
autrement que Castor et Pollux. Los deux enfants, qui étaient du même
âge, s'aimaient d'une si tendre affection qu'ils ne crurent pas devoir sur-
vivre à une séparation, et lorsque le major de Weber annonça son inten-
tion d'aller se fixer à Fribourg en Saxe, les deux jeunes amis décidèrent
ie mourir ensemble. Au milieu de la nuit, par un beau clair de lune, ils
se glissèrent hors du logis paternel et se dirigèrent vers un parc des
environs de Munich, connu sous le nom de « Jardin anglais ». Arrivés
sur le bord d'un cours d'eau artificiel, ils adressèrent de solennels adieux
à cette terre de misère, s'étreignirent tendrement et se jetèrent ensemble
au fond de l'onde. Fort heureusement, des promeneurs les avaient obser-
vés et ils furent très facilement sauvés, l'eau n'ayant à cet endroit que
peu de profondeur. Une verte réprimande et un bon rhume de cerveau
furent la punition qui attendait nos jeunes gens, mais leur amitié n'en
souffrit nullement. Une correspondance très suivie s'échangea entre eux.
Lùtgendorff, devenu un peintre célèbre, reçut son illustre ami chez lui à
Prague, en 1813, et ht son portrait l'année suivante, en 1814. On ignore
ce que ce portrait est devenu. Mais des contemporains dignes de foi le
qualifièrent de chef-d'œuvre.
■ — Le petit bout de dialogue que voici fait le tour de la presse musicale
étrangère : Le compositeur Goldmark à une jolie compagne de voyage :
— « Je suppose, madame, que vous ignorez qui je suis. » — Elle. « En effet,
monsieur, je l'ignore. » — Lui : <c Eh bien ! madame, je suis Cari Goldmark,
l'auteur de la Reine deSaba ! » — Elle. « Ah ! vraiment ! Est-ce une bonne
situation? » Tableau !
— D'après une communication reçue par VAllgemeine Musikzeitung ,
Antoine Bubinstein prépare un volume de Pensées sur l'art musical, les
musiciens et la culture de la musique. On annonce également que le
maître vient de terminer une ouverture pour la tragédie de Shakespeare :
A ntoine et Cléopâtre.
— Ce n'est point comme directeur, ainsi que nous l'avons annoncé
d'après plusieurs journaux italiens, mais comme professeur de chant
que l'ex-baryton Giraldoni a été engagé au Conservatoire impérial de
Moscou.
— Sous le titre de Haydn à Londres, nous trouvons, dans la Nette Musik-
zeitung de Stuttgart une série de piquantes anecdotes dont l'auteur de la
Création a été le héros pendant ses deux séjours dans la capitale anglaise.
Voici l'une d'elles qui est assez plaisante. Un jour, un lord richissime
se présente à lui et lui demande s'il serait disposé à lui enseigner le
contrepoint à raison d'une guinée la leçon. « Volontiers, répondit Haydn;
quand désirez-vous commencer? — Mais à l'instant même, fit le lord. »
Et il tira de sa poche la partition d'un quatuor de Haydn en observant
qu'il possédait déjà à fond les principes ainsi que les règles de l'har-
monie et de la composition. « Pour aujourd'hui, ajouta-t-il, nous allons
analyser ce quatuor. Expliquez-moi la contexture générale du morceau,
car je ne l'approuve pas entièrement, et donnez-moi les raisons qui vous
ont guidé dans le choix de certaines modulations et de certains mouve-
ments. » Haydn fut interloqué de ce singulier discours; mais la pensée des
guinées à récolter le calmèrent un peu, et il répondit avec humilité :
« Si tel est le désir de mylord, je suis prêt à présenter la justification de
mon œuvre. » L'Anglais examina les premières mesures; à chaque note
il avait quelque chose à objecter. Haydn, qui n'avait pas l'habitude des
discussions techniques, se contentait de répondre tranquillement : J'ai
écrit ceci parce que c'est plus juste, cela parce que c'était nécessaire,
tel passage à cause de l'effet, et ainsi de suite. Mais l'Anglais, irascible,
ne l'entendait pas de cette oreille; à l'aide d'arguments fantastiques, il
s'efforçait de démontrer à Haydn qu'il avait continuellement péché contre
la règle. Le maître, bien entendu, ne cessait de protester. Enfin, il s'écria:
« Eh! bien, mylord, je vous conseille d'arranger le quatuor à votre ma-
nière; ensuite vous le ferez exécuter. Nous verrons bien alors lequel est
le meilleur. » — « Et pourquoi le vôtre serait-il meilleur?» clama l'An-
glais. — « Parce que... parce que c'est ainsi ! » Mais l'Anglais n'en vou-
lait pas démordre et comme il s'entêtait dans sa manie batailleuse, Haydn
finit par lui dire avec aigreur : « Ecoutez, mylord, j'ai cru que je devais
vous apprendre la musique; je vois que c'est vous qui voulez me l'en-
seigner. Excusez-moi, mais je n'ai pas les moyens de payer vos leçons
une guinée. » Bon gré, mal gré, l'Anglais dut céder. Mais Haydn eut
soin à l'avenir de défendre sa porte à cet élève trop savant.
— Le 167e festival des « Trois chœurs », qui s'est tenu à Worcester du
7 au 12 courant, a dépassé en éclat et en succès toutes les précédentes
réunions. La cérémonie d'inauguration a eu lieu dans la cathédrale et
réunissait toutes les masses chorales et instrumentales dans un ensemble
d'un caractère imposant. L'exécution du Paulus de Mendelssohn, également
dans la cathédrale, a été irréprochable sous la direction de M. C.-L. Wil-
liams, dont on a applaudi une cantate, la Dernière Nuit à Béthunic, chanbée
par Mmcs Albani, Wilson, MM. J. Jones et Brereton. Mais le point culmi-
nant du festival était l'oratorio dramatique de M. Bridge, organiste de
l'abbaye de Westminster, intitulé le. Repentir de Ninive, qui a été exécuté
en première audition le M septembre au matin. Cet ouvrage, dont le
poème a été tiré de la Bible par M. Bennet, est divisé en trois parties ;
il a été accueilli de la façon la plus chaleureuse.
— A la dernière soirée classique « des Promenades-concerts de Covent-
Garden » à Londres, miss Sherwin a eu un succès très prononcé en chan-
tant les couplets du Mysoli de la Perle du Brésil. A côté d'elle, M. J. Bad-
cl i lie s'est fait applaudir dans le solo de Jlùte obligé.
— On lit dans l'Italie, de Borne : « Aux premiers jours du mois d'oc-
tobre on rouvrira le Costanzi avec spectacle d'opéra. Cet hiver, c'est
encore M. Sonzogno qui est l'imprésario de ce théâtre. L'orchestre sera
LE MÉNESTREL
:m
le même que l'année dernière. Le programme n'est pas encore fixé, mais
la saison s'ouvrira probablement avec Cavalleria rusticana, de M. Mascagni.
Il parait que M. Canori a toujours l'intention de donner pendant le car-
naval, à l'Argentina, une série de spectacles grandioses avec des artistes
d'élite; il commencerait avec l'Africaine. Mais avant d'arrêter son pro-
gramme, il veut se mettre d'accord avec M. Sonzogno pour ne pas avoir
de concurrence entre les deux grands théâtres. Il est donc possible qne la
direction de l'Argentina soit assumée par l'éditeur milanais et M. Canori.
Dans ce cas, pendant le carnaval, tout le personnel du Costanzi passe-
rait à l'Argentina et le Costanzi serait fermé. Une décision à ce sujet
sera prise par MM. Sonzogno et Canori, dans le courant du mois, à
Florence. »
— On vient d'inaugurer à Naples, dans le quartier nouveau et un peu
excentrique du Vomero, un théâtre qui a pris le nom de Théâtre-Excel-
sior. peut-être un peu ambitieux. Ce théâtre, construit en bois et en
maçonnerie, est, paraît-il, gracieux et fort élégant. Le parterre peut
contenir 400 spectateurs, il y a deux rangs de loges, la décoration est fort
jolie, le foyer très agréable et l'édifice est éclairé au gaz.
— On ne s'ennuie pas à Milan. Au Nouveau-Politeama, une troupe de
pantomime et de danse joue en ce moment une pièce dont voici le titre
affriolant à la fois et plein d'ampleur : Jérusalem délivrée ou le Retour du
mystérieux pè'erinage de la Terre-Sainte et la chute du terrible Rambaldo le San-
guinaire, avec Stenterello, chef du peuple, héros, conjuré et punisseur du cri-
minel. Ajoutons que Stenterello est l'un des types populaires du théâtre
burlesque italien moderne.
— La saison d'hiver ne s'annonce pas d'une façon trop favorable pour
tous les théâtres d'Italie. Il parait certain qu'à Venise la Fenice restera
fermée, et l'on craint qu'il en soit de même au Philharmonique de Vérone
et au Grand-Théâtre de Brescia. Pour le théâtre Carlo-Felice, de Gènes,
la municipalité parait se faire tirer l'oreille pour accorder une subven-
tion; au Politeama de Palerme on a dû proroger le délai fixé pour la
présentation des candidatures à l'exploitation, et pour le théâtre Civique
de Cagliari rien n'est fait encore. Il est certain que les déplorables con-
ditions économiques dans lesquelles se débat l'Italie sont loin d'être
favorables aux théâtres, et que les municipalités hésitent tout naturelle-
ment à accorder des subventions, les contribuables ployant déjà sous le
faix des impôts existants.
— La réapparition, au Théâtre National de Rome, du vieil et charmant
opéra de Rossini, Cenerentola, a été pour l'œuvre, si complètement et
depuis si longtemps oubliée, et pour ses interprètes, un succès aussi
éclatant qu'inattendu. On dit merveille de la superbe voix du contralto,
Mlle Guerrina Fabbri, du talent de chanteur du ténor, M. Chinelli, du
jeu plein d'entrain et de gaîté du buffo caricato, M. Carbone, de l'originalité
comique du baryton, M. Pini-Corsi, et enfin de la grâce tout aimable de
jlmcs Quarenghi et Sporeni. En somme, grande surprise pour le public et
triomphe sur toute la ligne.
— Au théâtre Niccolini, de Florence, dit l'Italie, après Cavalleria rusti-
cana, on jouera la Griselda de M. Giulio Cottrau. Cet opéra a déjà été
représenté avec succès à Turin en 1878 et à Malte en 1880. L'auteur, qui
est aussi un critique distingué, y a fait depuis des changements impor-
tants ; il a écrit de nouveaux morceaux de genre mélodique et d'une
facture exquise; il a aussi rafraîchi l'orchestration. M. Cottrau aura à
Florence la chance d'avoir pour interprètes Mlle Berenat, une des sympa-
thiques connaissances du public romain, Mile Riso, le baryton Casini,
qui dans ce moment obtient un grand succès à Lucques dans l'Africaine, et
le ténor Bonard. L'orchestre sera dirigé par M. Fornari.
— Les pauvres artistes se ressentent, et l'on peut dire d'une façon
cruelle, de l'état déplorable des affaires dans la République Argentine —
qui n'est pas en ce moment la république de l'argent. Voici quel était, à
la date du 6 août, ce qu'on pourrait appeler le bulletin théâtral de Buenos-
Ayres : Opéra, fermé, la troupe Consigli disloquée; Politeama, fermé, la
troupe Ciacchi en état de dissolution; théâtre Onrubia, fermé, la compa-
gnie dissoute, choristes et emplois accessoires déjà partis, l'entreprise
leur ayant payé le voyage de retour; théâtre Saint-Martin, fermé, la
troupe Gargano débandée, la direction, furieuse, cherchant vainement à
ramener les fugitifs ; théâtre Doria, rouvert, mais sans aucun concours de
public; Variétés, fermé jusqu'à nouvel avis; théâtre Goldoni, fermé jus-
qu'à nouvel avis; théâtre du Passe-Temps, fermé jusqu'à nouvel avis;
théâtre Iris, fermé jusqu'à nouvel avis; théâtre Dante, fermé jusqu'à
nouvel avis. Ainsi, sur dix théâtres, un seul était ouvert, et il ne parve-
nait pas même à faire ses frais.
— Le Grand Opéra Home de Philadelphie a eu dernièrement la primeur
d'un ouvrage lyrique de M. G. Hinrichs, intitulé Onti-Ara, qui a été favo-
rablement accueilli.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
A l'Opéra, le ténor Vaguet, lauréat des derniers concours du Conser-
vatoire, fera son premier début dans Faust. M. Vaguet a commencé à
répéter son rôle au foyer. Il sera prêt à aborder la scène le 15 octobre.
Son second début aura lieu dans Roméo. Dans le courant d'octobre au-
ront également lieu les débuts de M"- Luventz dans la reine des Hugue-
nots, et ceux de MUo Bréval dans la Juive. La reprise de Sigurd est, dèj
maintenant, fixée au lundi 0 octobre,
— A propos de la reprise de la Zaïre de M. de laNux, qui vient d'avoir
lieu à l'Opéra, le feuilletoniste de la Nazione, de Florence, M. Biaggi, a
fait le relevé de toutes les Za'ircs musicales qu'a inspirées la célèbre
tragédie de Voltaire avant cette dernière venue. Il en compte neuf, dues
aux compositeurs suivants : Pierre Winter (Londres, 1805); Vincenzo
Federici (Milan, 1806); Vincenzo Lavigna, le maître de Verdi (Flo-
rence* 1809); Antonio Gandini (Modène, 1829); Bellini (Parme, 1829);
Mercadante (Naples, 1831); Antonio Marni (Modène, 1845); le due
Ernest de Saxe-Cobourg-Gotha (Gotha, 1840); enfin, M. Charles Lcfebvre
(Lille, 1887).
— A la suite d'une difficulté survenue mercredi soir au cours de la
représentation de Faust, entre M. Plancon et le chef de l'orchestre de
l'Opéra, celui-ci, sur les observations de M. Ritt, a donné sa démission
qui a été tout aussitôt acceptée. Nous savons que ces sortes de choses
finissent toujours par s'arranger. Elles ne s'arrangeraient pas cette fois,
qu'il n'y aurait d'ailleurs pas lieu de beaucoup le regretter. M. Vianesi
avait assurément des qualités brillantes pour un chef d'orchestre italien;
c'était un improvisateur plein d'entrain et précieux pour les théâtres où
l'on doit préparer une représentation d'opéra en quelques jours. A l'Opéra,
il n'était pas tout à fait à sa place, il n'avait pas une maturité de talent
suffisante, ni une science de musicien assez complète. Il en est résulté
souvent bien des exécutions qui étaient loin d'être irréprochables. On
le reverra avec plaisir à la tète d'un des grands orchestres de l'étranger.
— Depuis le 16 septembre M. Verdhurt a, de par son bail, pris régu-
lièrement possession de l'Eden, et dès la première heure les ouvriers se
sont mis à l'oeuvre pour l'aménagement de la salle. Les travaux qui ont,
du reste, été préparés à l'avance sur chantier, marcheront rapidement.
Ainsi que cela a été annoncé, l'ouverture du Théâtre-Lyrique se fera pro-
bablement vers le 13 octobre prochain. Les bureaux de location et d'abon-
nement seront ouverts à partir du 1er octobre. — Voici la distribution du
Rêve, de MM. Emile Zola, Louis Gallet et Bruneau, telle qu'elle a été
arrêtée hier, d'un commun accord, entre MM. Verdhurt et Bruneau :
Félicien MM. Engel.
L'évéque Jean d'Haulecœur Dufriche.
Hubert Claeys.
Angélique Mmc5 Boucart.
Hubertine Montalba.
L'ouvrage passera dès les premiers jours de novembre.
— Samedi dernier, ainsi que nous l'avons annoncé, est venue, devant
le tribunal de commerce, l'affaire du directeur américain contre M. Gou-
nod. Déjà remise du 16 août au 30, puis de cette dernière date au
13 septembre, l'affaire a été une fois encore remise à quinzaine. Il est
peu probable cependant qu'elle soit terminée avant le mois prochain. De
quinzaine en quinzaine, en effet, on passe souvent d'une année à l'autre.
M. Gounod a choisi comme agréé Me Houyvet ; Mcs Richardière et Sabatier
représentent ses adversaires.
— C'est le dimanche 19 octobre qui est la date fixée pour la réouverture
des concerts du Chàtelet, sous la direction de M. Colonne.
— L'administration des Concerts Lamoureux, 62, rue Saint-Lazare,
demande des violons, altos, violoncelles et contrebasses. Les inscriptions
sont reçues tous les jours de 2 à 5 heures.
— A Marseille, par suite de la nomination de M. Mirane aux fonctions
de chef d'orchestre du Grand-Théâtre, l'Association des concerts clas-
siques se trouvait sans directeur. C'est M. Jules Lecocq, de Spa, qui vient
d'être appelé à diriger cette Société.
— Mlle Juliette Folville, la jeune artiste liégeoise qui fil, il y a quelques
années, applaudir à Paris, sous les auspices de M. Oscar Comettant, son
triple talent de pianiste, de violoniste et de compositeur, vient de terminer
la musique d'une Alala en deux actes, dont le livret, tiré du célèbre récit
de Chateaubriand, lui a été fourni par notre confrère Paul Collin.
— L'Institut Musical (20e' année), fondé et dirigé par M. et Mm0 Oscar
Comettant, 13, Faubourg-Montmartre, annonce la réouverture de ses
cours complets de musique pour le vendredi 10 octobre 1890. M. Mar-
montel père, l'éminent professeur, fera lui-même, comme les années
précédentes, le cours supérieur de piano.
— M. Giraudet, de l'Opéra, professeur au' Conservatoire, a repris ses
cours et leçons de chant, ainsi que ceux de mise en scène, dans ses salons
de la rue Caumartin, n° 62.
— Beau succès à Dijon d'une sorte d'arrangement à trois voix de la
Marseillaise, par M. Alexandre Marchand.
— Fort remarquée, au concert de bienfaisance donné dernièrement au
théâtre de l'Ambigu, une charmante mélodie de M. J. Verdalls, chantée
par M"° Germaine Henriot : Vous ne m'avez jamais souri. Bis d'acclamation.
Cette petite production, dont la réussite est partout la même, s'annonce
comme un des succès de cet hiver.
304
LE MÉNESTREL
JEANNE SAMARY
L'art dramatique et la Comédie-Française ont fait cette semaine une
perte inattendue et singulièrement cruelle en la personne de Mmc Jeanne
Samary-Lagarde, qui a succombé jeudi dernier, à peine âgée de trente-
trois ans, dans tout l'épanouissement du talent et de la beauté, aux suites
d'une fièvre typhoïde. Mmc Jeanne Samary, qui était née le 4 mars 1857,
et qui avait été élève de la classe de Bressant au Conservatoire, d'où
elle sortit avec un brillant premier prix, avait été nommée sociétaire de
la Comédie-Française à vingt-deux ans, quatre ans après ses débuts, qui
avaient dévoilé en elle une comédienne de race, appelée au plus brillant
avenir. En effet, ses succès depuis lors n'avaient cessé de s'accroitre
dans cet emploi des soubrettes, qui a toujours été tenu, sur notre grande
scène littéraire, par des artistes éminentes qui en ont été la gloire et
l'honneur, les Quinault, les Dangeville, les Bellecour, les Devienne, les
Contât, les Brohan et tant d'autres. D'un talent aussi solide et aussi sain
dans le genre classique que plein de grâce et de souplesse dans le réper-
toire moderne, elle se montrait aussi supérieure dans Tartufe, dans les
Précieuses ridicules, dans le Bourgeois gentilhomme, qu'aimable et toute em-
preinte de fantaisie dans les nombreuses créations dont chacun conserve
le souvenir : Petite pluie, l'Étincelle, Socrate et sa femme, Monsieur Scapin,
Chamillae, la Souris, le Petit Hôtel, Volte-face, et surtout le Monde où l'on
s'ennuie, où son succès fut si éclatant et si complet. Mme Jeanne Samary
qui était non seulement une grande artiste, mais une femme charmante et
une mère pleine de tendresse, sera longtemps regrettée et de tons ceux
qui l'admiraient et de tous ceux qui l'aimaient.
— L'Opéra vient de faire une perte sensible en la personne de Mme Mé-
rante, professeur de la classe de perfectionnement de la danse, morte le
13 septembre à Courbevoie, à la suite d'une douloureuse maladie. Le
public parisien avait surtout connu cette artiste aimable, cette danseuse
pleine de grâce et d'élégance, sous le nom de Zina Bichard, lorsqu'elle
débuta avec succès à l'Opéra en 1857. Elle s'appelait en réalité Zénéide
Bichard, et arrivait de Bussie, son pays, où elle était née en 1832 et où
elle avait conquis une réputation méritée. E1U fut fort bien accueillie
lorsqu'elle se montra pour la première fois, le 12 janvier 1857, dans le
divertissement du Trouvère, après quoi on la vit dans l'abbesse de Robert
le Viable, dans Roméo et Juliette, la Reine de Saba, leCheval de bronze, la Favo-
rite et la plupart des ouvrages du répertoire, puis aussi, cela va sans
dire, dans divers ballets, entre autres la Vivandière, Giselle et le Diable-
à-Qualre. La danse était alors à l'Opéra dans un véritable éclat, et Zina
Bichard s'y trouvait en compagnie de Mme Ferraris, de l'infortunée Emma
Livry, de MUcs Beaugrand, Vernon, Fonta, Marquet, Fiocre, etc. Elle
quitta pourtant ce théâtre en 1874, partit pour l'Italie, se fit applaudir à
la Scala de Milan, puis revint à Paris, parut à la Porte-Saint-Martin dans
une reprise de l'éternelle Riche au bois, et enfin rentra à l'Opéra sous la
direction de M. Halanzier. C'est alors que l'auteur anonyme (M. Félix
Cohen) du petit livre publié sous ce titre : L'Opéra, eaux-fortes et quatrains,
lui consacra ces quatre vers :
D'autres touchent le sol, elle l'effleure à peine;
On la cherche, elle fuit à travers les roseaux.
C'est une fleur d'hiver que li brUe promène
Sur la cime des eaux.
Elle avait épousé Mérante, et bientôt renonça à ses succès personnels
pour se consacrer entièrement à l'enseignement. Professeur de la classe
de quadrille, puis de celle des coryphées, elle remplaça M""1 Dominique,
il y a quelques années, à la tète de la classe de perfectionnement.
C'est elle qui a formé, notamment, Mllc Subra. Depuis plus de trois
mois que durait sa maladie, elle avait dû se faire suppléer par M"c San-
laville.
— A Florence est mort, le 7 de ce mois, le compositeur Domenico
Bertini, ancien élève de Pacini et de Michèle Puccini. Né à Lucques le
26 juin 1829, il fut successivement maître de composition de la Congré-
gation de Sainte-Cécile de cette ville et chef d'orchestre au théâtre (1853),
directeur de l'Institut musical de Massa-Carrara (1857), et en 1862 alla
se fixer à Florence. Il s'est beaucoup produit comme compositeur de
musique religieuse, avec de nombreuses messes, des Magnificat, motets, etc.
Il a écrit aussi deux opéras : Non ti scordar di me et Cinsica Sismondi, qui
n'ont -jamais été représentés. On lui doit encore un ouvrage théorique
publié en 1866 sous ce titre : Compsndio di principî di murica, secondo un
nuovo sistema. Enfin, il s'occupait aussi de critique musicale, et a été l'un
des collaborateurs du Boccherini, de Florence, et de la Scena, de Venise.
— De Londres on annonce la mort, dans un âge très avancé, d'une
cantatrice italienne renommée en son temps, Mmc Maria Palmieri, qui a
brillé pendant longues années sur des scènes importantes, entre autres
la Scala de Milan, par la beauté de sa voix et son très réel talent.
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Le Petit Faust, quadrille (Hervé)
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Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Notes d'un librettiste: Jean Conte (20" article), Louis Gallet. — II. Semaine
théâtrale : On demande un chef d'orchestre, H. Moreno ; reprise de la Maîtresse
légitime, à l'Odéon, Paul-Emile Chevalier. — III. Un virtuose couronné (2" ar-
ticle), Edmond Neukomm et Paul d'Estrée. — IV. Nouvelles diverses.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
ROSES ET PAPILLONS
de Paul Barbot. — Suivra immédiatement : Petit chéri, gavotte de Franz
Behr.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant : Mystère I nouvelle mélodie de J. Faure, poésie de Frédéric
Bataille. — Suivra immédiatement : le Mois de mai, chant de quête de
la Champagne, n° 1 des Mélodies populaires de France, recueillies et
harmonisées par Julien Tiersot.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
JEAN CONTE
Jean Conte, prix de Rome !
Un académicien très jeune, bien qu'il soit parmi les doyens
de l'illustre compagnie, M. Ernest Legouvé, dont les quatre-
vingts printemps enseignent à notre génération l'art raffiné
de la vie, écrivait naguères, dans le livret de l'Amour africain,
une complainte sur les éternels déboires des pensionnaires
de la villa Médicis.
Oyez les tristes contre-temps
D'un mélancolique jeune homme,
D'un jeune homme de soixante ans
Que l'on appelle un prix de Rome.
Cette institution du prix de Rome date de 1803. Depuis
87 ans, la France a donc, bon an mal an, possédé un jeune
compositeur sur l'avenir duquel elle était en droit de fonder
de sérieuses espérances. Combien de grands musiciens Rome
nous a-t-elle rendus sur ce total respectable de néophytes?
Le compte en serait vite fait.
Le premier lauréat fut Androt, qui mourut un an après sa
victoire, ne laissant pour tout bien qu'un petit opéra et un
De Profanais. Il faut aller jusqu'en 1812 pour trouver le nom
brillant d'Herold, jusqu'en 1819 pour saluer celui d'Halévy,
jusqu'en 1830 pour noter l'avènement de Berlioz. De 1830 à
1840 c'est Charles Gounod et Ambroise Thomas que la renom-
mée proclame; dans les dix années suivantes Victor Massé
seul apparaît.
En comptant ceux qui, ayant été ou n'ayant pas été à Rome,
depuis cette première moitié du siècle, ont toutefois marqué
leur place dans l'art musical, il est permis de dire que le
séjour de la villa Médicis n'est en général qu'un agréable
incident dans la carrière des compositeurs « arrivés ».
Le temps passé à Rome est pour le musicien un temps béni;
— c'est la période lumineuse du rêve, l'aurore souriante de
la vie, un aimable et quotidien commerce avec de libres et
jeunes esprits, pleins de sève, de foi et d'espérance, peintres,
statuaires, ciseleurs, architectes, édifiant chaque jour, à
chaque heure, le monument de leur gloire future.
Là, le compositeur aussi bâtit sa maison dans le nuage,
cette maison où il sera heureux, où il sera glorieux; une
porte lui apparaît, toute grande ouverte, celle du théâtre, où
sera représenté son premier ouvrage, suivi d'une foule d'autres ;
derrière le théâtre, une coupole plus haute s'élève, dans un
rayonnement de soleil, celle de l'Institut, où jeune encore
peut-être il ira s'asseoir !
Mais toute cette fortune repose sur quelques minces pages,
dépositaires de sa pensée, bien fragile point d'appui pour
une entreprise aussi ardue I — Dans ce groupe des élèves de
la Villa Médicis, le musicien est le moins favorisé : il peut
regarder avec envie le peintre, son compagnon de travail et
de plaisir, parfois le confident de ses espérances. Pour celui-
là le présent donne de plain-pied sur l'avenir ; il produit, et
immédiatement il trouve des juges : il a l'école des Beaux-
Arts, le Salon annuel, les Cercles, les vitrines des marchands
pour y exposer son œuvre ; son talent s'y formule sans inter-
médiaire. Le statuaire a plus de peine, plus de frais, mais
comme le peintre il peut se mettre en communion immédiate
avec le public. La matérialité de leur art est une garantie
que ne saurait jamais avoir le musicien, esclave et souvent
victime, comme l'auteur dramatique, de cette formidable
puissance secondaire : l'interprétation, le talent d'autrui se
substituant à leur propre talent pour faire vivre l'œuvre ou
pour la tuer !
Et encore, dans la plupart des cas, cette interprétation,
désirable et redoutable à la fois, manque-t-elle au compositeur
retour de Rome ! — Il a bien, il est vrai, le devoir d'envoyer
à la fin de ses études un ouvrage, qui est généralement exécuté
— une fois — devant un auditoire d'élite, par la Société des
concerts du Conservatoire. C'est tout. Désormais l'Etat est
quitte, ou se tient pour quitte vis-à-vis, du lauréat. Il rend
celui-là à la circulation et en adopte un autre. Pas un théâtru
où l'hospitalité lui soit assurée pour sa première œuvre !
306
LE MÉNESTREL
L'Opéra ne doit pas être ce théâtre, l'Opéra-Comique ne veut
pas l'être. Autrefois, le Théâtre- Lyrique pouvait l'être; mais
il n'y a plus de Théâtre-Lyrique. On en voit quelquefois le
fantôme traverser une scène quelconque pendant quelques
semaines; il s'évanouit bientôt, et durant un ou deux ans on
n'en reparle plus.
C'est pourquoi, après les premières années de lutte, d'espé-
rance et de désespérance, le compositeur pauvre, retour de
Rome, se résigne et se noie dans l'ombre des coulisses où
il exerce quelque emploi auxiliaire, se consume dans le dur
labeur du professorat ou finit au fond de quelque orchestre,
dans la peau d'un modeste instrumentiste.
Et c'est ainsi, pourrait-on dire, qu'en tendant chaque année
aux jeunes compositeurs cet appât brillant du prix de Rome,
on leur procure le moyen d'aller, durant trois ou quatre ans,
se perfectionner, libres de tout souci, dans un art qu'au
retour on ne leur donnera pas la possibilité d'exercer.
Il en est qui, philosophiquement, cherchent à s'en conso-
ler : il en est qui fièrement en meurent; il en est, en plus
petit nombre, qui s'en vengent : ils se font critiques d'art I Ce
sont les plus malheureux.
J'ai connu quelques-uns de ces heureux d'un jour, destinés
à devenir le « mélancolique jeune homme » de la complainte :
celui dont la figure m'apparait la plus nette est ce Jean
Conte, dont il me semble qu'on pourrait dire qu'il a goûté
dans sa vie deux heures de pure et ineffable joie, la première
quand il a été proclamé lauréat de l'Académie des Beaux-
Arts, la seconde quand, dix-neuf ans après, par une chance
des plus extraordinaires, la toile s'est levée sur son premier,
sur son unique ouvrage, représenté à l'Opéra-Comique.
Jean Conte était de Toulouse, autant dire, n'est-ce pas?
musicien dans l'âme I
Violoniste, compositeur, élève de Carafa, il était déjà chef
d'orchestre du petit théâtre Comte, lorsqu'il obtint, à 2S ans,
le prix de Rome, pour la composition d'une cantate, Acis et
Galatée, dont Camille du Locle était l'auteur.
Ce jour-là, le librettiste promit solennellement au compo-
siteur que si jamais il était directeur de l'Opéra-Comique, il
lui jouerait certainement un ouvrage, parole qui devait être
scrupuleusement tenue.
Douce physionomie que celle de Jean Conte, nature simple
et bonne, âme naïve et chaude d'artiste, que j'aime à évo-
quer parmi ces disparus que la renommée ne devait point
tirer de leur ombre modeste, dont l'avenir ne répétera pas le
nom, mais dont on se souvient avec une amitié affectueuse.
Je le vois encore, à son pupitre de second violon ou d'alto
de l'Opéra, ou dans quelques rares rencontres, avec ses
traits tout ronds, respirant la bonté et la finesse, non sans
quelques furtifs mouvements d'humeur bourrue, le teint
bistré, les cheveux blancs coupés en brosse comme la mous-
tache, de petite taille, d'allure discrète, et quand il parlait,
surtout quand il parlait de ses espérances, distillant pour
ainsi dire chaque parole, comme pour mieux garder à la
pensée toute sa saveur.
Après Rome, il avait cherché à se faire jouer; en réalité,
il revenait- au bon moment, à la veille de l'ouverture du
Théâtre-Lyrique, où, dans la seule année 18G0, vingt-trois
ouvrages furent repris, ou donnés pour la première fois.
Trente années écoulées ont changé bien des habitudes dans
nos théâtres! — Vingt-trois ouvrages en un an! Comme cela
doit paraître invraisemblable à nos contemporains!
Jean Conte n'eut point sa part des bonnes grâces de la
direction du Théâtre-Lyrique. Los premières ardeurs calmées,
les premiers mécomptes subis, il se tourna vers l'enseigne-
ment; il écrivit des méthodes, d'agréables pages instrumen-
tales, devint professeur à l'école des frères de Passy, et enfin
fit partie de l'orchestre de l'Opéra et de la Société des con-
certs.
Ce fut dans cette sorte de retraite qu'il s'était faite au
milieu de la foule même, dans la quiétude d'une vie labo-
rieuse et méthodique, que vint tout à coup le troubler l'am-
bition d'avoir une pièce sur l'affiche de l'Opéra-Comique.
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
ON DEMANDE UN CHEF D'ORCHESTRE
Les « questions » s'accumulent à l'Opéra, comme dans toutes les
maisons dont la direction n'est ni bien franche ni bien nette.
Après celle du Mage et de Salammbô, dont nous avons entretenu
nos lecteurs dimanche dernier, voici la « question du chef d'or-
chestre » qui s'impose à nos méditations.
La situation de M. Vianesi à l'Opéra paraît en effet fortement
ébranlée. Il y a beau jour d'ailleurs que des manœuvres sourdes
sont dirigées contre lui dans le personnel du théâtre. Les chanteurs
trouvent qu'il ne se prête pas assez à leurs fantaisies, aux effets
qu'ils entendent produire parfois au détriment du rythme et de la
mesure. Les chefs du chant rêvent tous plus ou moins de le rem-
placer au pupitre. Les danseuses voudraient qu'il sacrifiât davan-
tage la musique symphonique des ballets modernes aux exigences
de leurs ronds de jambe et de l'élévation de leur ballon. On voit
que ce n'est pas une situation commode que celle de chef d'or-
chestre à l'Opéra. Le papa Ritt lui-même ne peut plus sentir son
batteur de mesure depuis le jour oîi celui-ci, en véritable fils d'Ita-
lie et descendant de Machiavel, a voulu lui subtiliser sa place au
moyen d'une combinaison mystérieuse mijotée avec cet excellent
Gailhard, qui avait rêvé de jeter son vieil associé et complice par-
dessus bord en en faisant le seul bouc émissaire de toutes les pe-
tites infamies commises à l'Opéra (1).
A l'Opéra, il n'y avait donc à peu près que M. Vianesi qui fût
satisfait de lui-même, lui et ses musiciens, pour lesquels il avait
des bontés qui pouvaient passer pour des faiblesses. Il accordait des
congés sans rechigner à tous ceux qui en demandaient, désireux de
gagner au dehors des cachets supplémentaires. Il s'ensuivait dans
l'orchestre de notre Académie un certain désarroi dont on s'aperce-
vait bien les soirs où il y avait un trop grand nombre de remplaçants.
Les exécutions étaient donc moins bonnes, mais M. Viasesi y gagnait
en popularité parmi ses musiciens. Aussi ceux-ci s'empressent-ils
de signer une pétition pour demander son maintien à la tête de
l'orchestre de l'Opéra (2).
(1) Dans l'Écho de Paris du 27 septembre, M. Henry Bauer fait une allusion à
cette petite histoire, en termes un peu vifs peut-être, mais bons néanmoins à
reproduire pour l'édification de nos lecteurs. Parlant de l'incident Vianesi :
« On remarquera, dit-il, que Gailhard ne paraît pas en toute cette aBaire. L'illus-
trissimo signor Crispino s'essaie à nous jouer un tour de sa façon. Sentant qu'il
a révolté tous les artistes, lassé l'opinion, irrité le Parlement, il affecte une gri-
mace nouvelle. Ce n'est plus le cuistre arrogant et menteur, stupidement ignorant
qui taillait le plus beau morceau de l'œuvre de Reyer et renvoyait les composi-
teurs français à Bruxelles; ce n'est plus le mercanti d'une direction qui aura été
la honte et le scandale de ce temps; le Gailhard fait le bon apôtre et rejette
toute la faute sur son compère : « c'est de lui que vient le mal, à lui seul incombe
la responsabilité des mille et une turpitudes; moi, j'étais plein de bonnes inten-
tions, de générosités, de visées artistiques; quand je serai tout seul, vous me
verrez à l'œuvre. » Ce farceur convoite l'héritage et flaire les souliers du mort.
11 compte escroquer l'investiture officielle, et sitôt qu'il pressent un concurrent,
il lui propose une association éventuelle. La direction Gailhard -Vianesi fut une
espérance hasardeuse durant la dernière maladie de M. Ritt. Mais le vieux per-
siste: pareil à son parent, le vieux rat de la fable,
C'était un vieux routier, il savait plus d'un tour,
Môme il avait perdu sa queue a la bataille.
il se délie des blocs enfarinés, il n'ignore rien, laisse dire et empoche. »
(2) M. Louis Besson s'exprime ainsi dans l'Événement sur le compte de cette
pétition : « Une des causes — je ne dis pas la cause — de la popularité de
M. Vianesi, auprès des artistes musiciens, c'est la grande bonté qu'il montre pour
sa brillante phalange. On n'ignore pas que M. Vianesi accorde volontiers des congés
à ses artistes, et qu'il leur permet toujours de se faire remplacer par des musiciens
du dehors. On ajoutai!, même, hier soir, qu'à la dernière reprise de Bornéo, par
M. Affre, M. Vianesi n'avait pas voulu rétablir dans le ton de la partition (le ton
de si naturel) l'air de Roméo : « Ah I lève-toi, soleil I » que M. Jean de Reszké
avait transposé en si bémol, parce que, le soir du début de M. Affre, vingt musi-
£ MEiNESTKIiL
307
Gailhard aussi soutiendrait volontiers le « maestro » à cause du
complot mystérieux dont nous avons parlé. Mais, sentant la cause
mauvaise, il a bien soin de rester à Biarritz pour y soigner ses
« hémiplégies faciales «. Quand il reviendra, il est probable que
l'affaire Vianesi aura été réglée à son désavantage, et il en feindra
toute la désolation possible. A Italien, Toulousain et demi.
lia suffi, en effet, d'une étincelle pour mettre le feu à cet incendie si
bien préparé. Un bis que le maestro aurait refusé à M""3 Lureau-Escalaïs,
un mouvement trop ralenti au "gré de la basse Plançon, en voilà
assez pour déchaîner des colères qui ne demandaient qu'à partir en
guerre. Immédiatement M. Ritt, qui n'a rien oublié, prend fait et
cause pour ses pensionnaires, et voilà un chef d'orchestre par terre.
Car il me parait difficile, malgré toute sa souplesse italienne, qu'il
puisse s'en relever facilement. Il s'est lui-même condamné en don-
nant sur l'heure, sa démission verbale. Cette parole imprudente,
il voudrait bien la rattraper, mais elle n'est pas tombée dans l'oreille
d'un sourd et le papa Ritt, acharné à sa proie comme tous les vieil-
lards, en tirera tout le parti possible.
Sera-ce, au résumé, un bien grand mal que le départ de M. Vianesi ?
Nous ne le pensons pas. Nous avouons avoir eu sur son compte beau-
coup trop d'illusions, et nous avons certainement salué son entrée à
l'Opéra de fanfares intempestives. Que voulez-vous"? Il était resté
dans noire souvenir, depuis son apparition à l'ancien Théâtre-Italien
de Paris, comme un chef d'orchestre plein d'entrain et de verve. Fraî-
chement ganté de blanc, il n'avait certes pas son pareil pour enlever
une exécution du Barbiei-e ou de la Sonnambula. Sans doute en son en-
fance on l'avait abreuvé de Champagne Rossini et on l'avait bercé avec
les douces cantilènes de Bellini. Il les avait dans le sang et les expecto-
rait d'intuition. C'était vraiment un aimable maestro et sa vogue fut
grande. Il faut croire que notre art français réclame d'autres qualités en-
core, moins de fantasmagorie et plus de sérieux au fond. Toujours est-
il que lorsque l'éminent chef d'orchestre italien dirigeait les Huguenots,
il avait toujours l'air de diriger gli Ugonotti, comme il faisait à Londres
ou à Saint-Pétersbourg, avec le sans-façon qu'on y met. Il avait eu
soin pourtant de se faire naturaliser^ français; mais sa nature était
plus forte que sa naturalisation. N'insistons pas sur la série de
déceptions qu'il nous a procurées. Qu'il s'empresse de redevenir
un simple citoyen de la patrie des Crispi et des Crispins, comme
il est né, et qu'il ne quitte plus le terroir où il a poussé ses pre-
mières années. C'est ce qu'on peut lui souhaiter de mieux.
Voilà donc une succession ouverte, en attendant celle, beaucoup
plus désirable encore, de la direction elle-même.
Quel sera le successeur de M. Vianesi? Il semble tout désigné à
l'avance. M. Danbé se trouvant déjà pourvu ailleurs et dans des
conditions financières qu'il ne pourrait espérer de la rigide écono-
mie de M. Ritt, M. Colonne ayant déjà fort à faire avec ses beaux
concerts du Chàtelet et les diverses entreprises auxquelles il est
attaché, il n'y a qu'à se tourner du côté de M. Joseph Dupont,
l'ancien chef d'orchestre de la Monnaie de Bruxelles. Celui-là a
une autorité et aussi une dignité d'artiste que nul ne saurait con-
tester. Prenons le talent où il se trouve et surtout n'allons pas lui
demander des lettres de naturalisation. Ce serait trop bête et trop
mesquin.
H. Mobeno.
Odéon. — La Maîtresse légitime, comédie en 4 actes, en prose, de
Louis Davyl.'
Le titre seul de cette comédie vous en rappelle suffisamment le
sujet, et je ne me crois pas obligé d'y revenir et de vous le narrer
dans ses détails. Il s'agit là d'un chaleureux et noble plaidoyer en
faveur de la femme qui aime un homme qu'elle ne peut épouser.
L'auteur s'attache à nous démontrer que les liens du mariage ne
sont point les seuls à légitimer une union dans laquelle la femme
vit une vie d'amour, de dévouement et d'abnégation, et que si
Marthe ne peut devenir M™ Dalesmes qu'au baisser du rideau,
elle est digne cent fois de l'être, ou d'être tenue comme telle, dès
le commencement même de l'action. Louis Davyl avait, lors de la
première représentation, en 1874, grandement gagné son procès, et,
chaque fois que l'Odéon a repris la Maîtresse légitime, chaque fois
le publie y est venu applaudir. Cette fois encore la partie drama-
ciens étrangers, pour le moins, avaient pris place à l'orchestre, et que ces vingt
musiciens, non habitués aux transpositions, môme quand elles ont pour but de
rétablir une tonalité originale, auraient pu suivra les parties recopiées et annotées.
Cette petite histoire, entre cent autres, est probablement exagérée. Cependant,
nous le répétons, il faut attendre. En tous cas, la pétition de l'orchestre est dores
et déjà considérée comme un acte de partialité, et nous ne doutons pas que
l'administration supérieure, d'accord avec les directeurs de l'Opéra, ne prenne,
dans un sens ou dans m autre, d",s mesures favorables avant tout à l'art français.
tique de la pièce a produit sou effet accoutumé, et bien des jolis
yeux rougis se dissimulaient mal derrière le grand éventail de
plumes. Mais tout vieillit si vite en cette fin de siècle que la partie
légère et de comédie pure a semblé avoir pris déjà quelques rides
précoces, et le personnage trop sympathique et toujours trop spiri-
tuel du poète Jean Duluc n'en est pas une des moindres causes.
Oh! le raseur de profession qui, à sa première entrée en scène, ne
craint pas de s'écrier : « Vous savez que j'ai en horreur les gens
qui font de la morale », et qui ne peut apparaître sans morigénera
droite et à gauche et sans se moquer le plus aimablement qu'il
peut, d'ailleurs, de tous les gens à qui il daigne parler, en les
fouaillant de son esprit qui sent quelque peu le commis-voyageur.
S'il était né seulement quelques années plus tard et qu'il ait tant
soit peu versé dans la belle manie de psychologie moderne, comme,
en s'analysant sincèrement, il en arriverait à haïr sa pédante petite
personne! Il lui sera, néanmoins, beaucoup pardonné, car, sans
lui, Dalesmes n'épouserait pas Marthe, et la petite Geneviève Boul-
mier ne mettrait pas à nu le délicieux, mais fantasque petit cœur
de jeune fille qu'elle possède en cachette.
L'interprétation actuelle de la Maîtresse légitime est confiée à
Mmf> Antonia Laurent, qui est touchante, el à M. Albert Lambert
père, qui est correct et très froid. M. Dumény personnifie à souhait
Jean Duluc et M'le Déa-Dieudonné est absolument charmante sous
les traits de Geneviève. MM. Montbars, Paul Reney, Cornaglia et
Mme Crosnier demeurent toujours solides au poste.
Paul-Emile Chevalier.
UN VIRTUOSE COURONNÉ
(Suite.)
Revenons donc à cette flûte, cause de tant d'horreurs. Loin de la
délaisser, après de si cruelles épreuves, le prince royal ne fit que
se passionner davantage pour son instrument favori.
Il en joua tant qu'il en garda toute sa vie la tête penchée à gauche,
avec toute une déviation du corps du même côté.
Un musicien de sa chapelle a pu dire, non sans raison :
Si vous croyez que le roi aime la musique, vous vous trompez :
il n'aime que la flûte.
El, de fait, dans sa vieillesse, ayant perdu plusieurs dents, Fié-
déric cessa de jouer de la flûte et se désaffectionna de la musique.
Cependant il serait injuste de lui refuser un certain goût musical,
doublé d'un flair artistique très réel.
Nous ne parlerons que pour mémoire de ses volumineuses com-
positions, dont M. Jules Simon a rapporté un spécimen pour prix
de son philanthropique voyage à Berlin. Frédéric II n'a pas composé
moins de cent morceaux pour la flûte ; mais il n'en écrivait que la
partie principale et chargeait du reste son organiste, Jean Frédéric
d'Agricola, auteur de plusieurs opéras, entre autres d'une Clemensa
di Tito, citée par Voltaire en des circonstances particulièrement
dramatiques, car il semble écrit que rien ne va sans le drame dans
la vie du grand Frédéric.
Mais laissons la parole au philosophe de Ferney :
« Il y avait dans les prisons de Spandau un vieux gentilhomme
de Franche-Comté, haut de six pieds, que le feu roi avait fait enlever
pour sa belle taille ; on lui avait promis une place de chambellan,
et on lui en donna une de soldat. Ce pauvre homme déserta avec quel-
ques-uns de ses camarades ; il fut saisi et ramené devant le feu roi,
auquel il eut la naïveté de dire qu'il ne se repentait que de n'avoir
pas tué un tyran comme lui. On lui coupa, pour réponse, le nez et
les oreilles ; il passa par les baguettes trente-six fois ; après quoi il
alla traîner la brouette à Spandau. Il ia traînait encore quand
M. de Valory, notre envoyé, me pressa de demander sa grâce au
très clément fils du très dur Frédéric-Guillaume.
o Sa Majesté se plaisait à dire, que c'était pour moi qu'elle fai-
sait jouer la Clemensa di Tito, opéra plein de beautés, du célèbre
Metastasio, mis en musique par le roi lui-même, aidé de son compo-
siteur. Je pris mon temps pour recommander à ses bontés ce. pauvie
Franc-Comtois sans oreilles et sans nez, et lui détachai cetle se-
monce :
Génie universel, âme sensible et ferme,
Quoi! lorsque vous régnez il est des malheureux?
Aux tourments d'un coupable, il vous faut me'.tre un terme,
Et n'en mettre jamais à vos soins généreux.
308
LE MENESTREL
Voyez autour de vous les prières tremblantes,
Filles du repentir, maîtresses des grands cœurs,
S'étonner d'arroser de larmes impuissantes
Les mains qui de la terre ont dû sécher les pleurs.
Ah ! pourquoi m'étaler avec magnificence
Ce spectacle brillant où triomphe Titus ?
Pour achever la fête égalez sa clémence
Et l'imitez en tout ou ne le vantez plus.
« La requête était un peu forte, mais on a le privilège de dire
ce qu'on veut en vers. Le roi promit quelque adoucissement, et
même plusieurs mois après il eut la bonté de mettre le gentilhomme
dont il s'agissait à l'hôpital à six sous par jour. Il avait refusé
cette grâce à la reine sa mère, qui apparemment ne l'avait demandée
qu'en prose. »
Voltaire eut d'autres occasions d'éprouver la science musicale de
Frédéric le Grand.
On sait que notre compatriote jouait le rôle d'un agent secret
auprès du roi de Prusse. Il avait été, suivant son propre aveu;
dépêché chez ce monarque pour sonder ses intentions et préparer
une alliance avec la France. A La Haye, il s'était procuré des
copies de toutes les résolutions secrètes des hautes puissances, très
mal intentionnées contre la France. Puis, en Prusse, il avait, fort
de cette expérience, traité d'égal à égal avec Frédéric. Il lui en-
voyait de sa chambre à son appartement ses réflexions sur un papier
à demi-marge, et le roi répondait sur une colonne à ses demandes.
Un jour, Voltaire écrivit :
« Doutez-vous que la maison d'Autriche ne vous redemande la
Silésie à la première occasion? »
Voici la réponse, en marge :
Ils seront reçus, Biribi
A la façon de Barbari, mon ami.
Cette citation prouve que Frédéric appréciait la chanson française.
Mais là se bornait sans doute sa connaissance de notre musique
nationale, car il n'en parle jamais dans ses lettres, tandis qu'il
s'occupe souvent de l'art italien, pour exhaler d'ailleurs sa prévention
contre lui.
Cette prévention, il l'affichait en toute occasion. Lorsque le
musicien Reichardt lui fut présenté, il lui adressa la parole en ces
termes :
— D'où êtes-vous ?
— De Kœnisberg.
— Où avez-vous appris la musique ?
— A Berlin et à Dresde.
— Êtes-vous allé en Italie ?
— Non, Sire, mais...
— C'est votre bonheur. Gardez-vous des Italiens modernes.
Or, ces « Italiens modernes » n'étaient autres que Piccinni, Sac-
chini, favoris du succès, et, parmi les débutants, Paisiello et Cima-
rosa. C'est indiquer suffisamment combien l'éloignement du roi pour
la musique italienne était grand.
Par contre, s'il n'aimait pas la mélodie transalpine, il ne compre-
nait pas qu'on pût se servir d'une autre langue que de la langue
italienne pour accompagner la pensée musicale. De sorte que pour
sa plus grande satisfaction, et pour obtenir l'idéal de son goût, il
faisait composer des opéras italiens par ses musiciens allemands'. Il
en donnait lui-même le plan, en surveillait paroles et musique, et
n'en permettait la représentation qu'après en avoir soigné tous' les
détails.
Avant lui, l'opéra n'existait pour ainsi dire pas à Berlin. Alors
que partout ailleurs l'art lyrique apparaissait entouré de mille séduc-
tions, on en était encore, en cette ville, aux Mystères, — et quels
Mystères!... Dans le Christ mourant, opéra très goûté du public au
momeQt où le traître Judas se pendait, après s'être ouvert le ventre
Satan reprenait en écho ses dernières paroles; puis il rassemblait
dans un panier les entrailles de l'apostat et, s'asseyant dessus, il
entonnait un air de bravoure.
Frédéric II eut donc tout à créer. Il fit construire une salle de
trois cents pieds de long par un de ses chambellans, nommé Kno-
bersdorf, qui n'était pas architecte; [puis, dérivant du même prin-
cipe économique, il forma son menu personnel en réquisitionnant
tout ce qui se trouvait à sa portée. Les choristes, les employés du
théâtre étaient à peine payés. Par contre, les plus belles voix et les
meilleurs danseurs de l'étranger furent à ses gages. Alors que le
poète italien attaché à l'Opéra n'avait que douze cents livres de
gages, la Barbarini, danseuse vénitienne, touchait à elle seule plus
que trois ministres d'État ensemble.
Il est vrai que c'était la Barbarini, c'est-à-dire la favorite, à laquelle
l'histoire a créé une légende de toute-puissance, dont il ne faut
assurément, vu l'esprit absolu du roi et son indépendance en ma-
tière d'affection, ne prendre que la moitié.
Pour le poète italien, il se paya un jour par ses mains : il décousit,
dans une chapelle du premier roi de Prusse, de vieux galons d'or
dont elle était ornée. Frédéric II fut informé de ce rapt, mais
comme il ne fréquentait guère les chapelles, il dit qu'il n'y per-
dait rien. Il venait, d'ailleurs, d'écrire une dissertation en faveur
des voleurs, qui est imprimée dans les recueils de son académie, et
il ne jugea pas à propos cette fois-là de détruire ses écrits par des
faits.
Les premières représentations à l'Opéra de Berlin étaient géné-
ralement précédées de festins de gala, les seuls que le roi se per-
mît au cours de l'année. Rompant, ces jours-là, avec ses habitudes
parcimonieuses, il traitait ses invités avec un luxe qu'on ne con-
naissait pas à Potsdam. C'était un très beau spectacle, parait-il, de
le voir à table, entouré de vingt princes de l'empire, servi dans la
plus belle vaisselle d'or de l'Europe, trente-deux pages et autant de
jeunes heiduques superbement parés, portant de grands plats d'or
massif. Les grands officiers paraissaient alors, mais hors de ces
occasions on ne les connaissait pas.
On allait ensuite à l'Opéra, où le roi, mais le roi seul, applaudis-
sait ses premiers sujets, la Barbarini, cela va sans dire, et aussi
Mme Mara, l'idole du publie et l'étoile de la troupe lyrique rassem-
blée par l'auguste imprésario.
III
Le Mercure de France publiait en 1780 l'article suivant : « Nous
avons une triste nouvelle à annoncer à nos lecteurs : Le roi de
Prusse vient d'ordonner dans ses étals le rétablissement de la tor-
ture. Ce cruel instrument, que nous croyions pour jamais rélégué
dans le vieil arsenal du moyen âge, a donc de nouveau vu le jour.
Et contre qui ce roi sage et bien-aimé emploie-t-il ainsi la question
ordinaire et extraordinaire? Sans doute contre un vassal insolent et
rebelle, contre un misérable dont les crimes ont fait le désespoir de
la justice ? Non pas, mais contre une jeune et belle femme de
vingt ans, une artiste aimée de tous, contre une cantatrice de sa
chapelle privée. Il est vraiment affligeant d'avoir à raconter comment
un prince, naguère devenu maître de deux cent mille Autrichiens,
n'a point rougi d'employer en face de l'Europe les mêmes moyens
pour dompter une faible créature, n'ayant d'autre défaut qu'une voix
touchante et capable de charmer les cœurs, ceux des tyrans exceptés.
» Il s'agit de Mme Mara, nom qui sera bientôt cher à tous les
Français, car sans doute nous l'aurons parmi nous. La malheureuse
persécutée échappera à son bourreau, et la France sera, comme
toujours, prompte à redresser les torts des autres gouvernements
envers les faibles et à prendre la victime sous sa protection.
» Voici le fait: Ma,e Mara ne peut chanter parce que Mmc Mara est
malade. Le roi ordonne qu'elle chante; et, en conséquence de cet
ordre inique, des soldats viennent l'arracher de son lit de douleur
où elle vient de recevoir les sacrements, la jettent dans une voiture
qui ne sert qu'à transférer des condamnés au lieu du supplice et
la traînent jusqu'au théâtre.
» Là, un officier avec ses six dragons la reçoit; et, après l'avoir
prise des mains du sous-officier de gendarmerie qui escortait la
voiture, il l'accompagne jusqu'à sa loge, où il se pose en sentinelle
pour voir par ses yeux que Sémiramis ne néglige aucun des soins
de sa toilette. Se figure-t-on une pareille barbarie? Une jeune
femme, sans égards pour ce qu'on doit à la pudeur de son sexe, à
son orgueil d'aviiste, exposée aux regards offensants d'un lieutenant
de dragons ! Mais, ce n'est pas tout, lorsqu'elle entre eu scène, deux
grenadiers se placent à ses côtés .et voilà les géants fameux de la
garde de Potsdam, l'amour et le joujou de l'ambition des rois de
Prusse, qui se mettent à surveiller les sons d'une cantatrice, tou-
jours prêts à l'écraser de leurs baïonnettes, au cas où elle ferait
mine de vouloir se taire.
» Et tandis que de telles horreurs, dignes du moyen âge, se
passent sur la scène, le docte et philosophique Berlin est assis
tranquillement au parterre et se réjouit de voir son sage roi causer
et rire avec un prince du Nord qui le visile en ce moment.
» En vérité, tout cela semble incroyable, et nous-mêmes n'y ajou-
tons foi que parce que nous le tenons d'une source irrécusable. »
De savants critiques ont préteudu que le rédacteur du Mercure de
France avait forcé la note, que les rancunes patriotiques du moment
lui avaient seules dicté ce foudroyant article et que le grand Fré-
déric n'éla;t pas au«-i lyran qu'on voulait bien le dire.
LE MÉNESTREL
309
Malheureusement pour la mémoire de ce héros, si cher aux
esprits superbes affranchis de préjugés mesquins de patriotisme, les
souvenirs et les lettres de la cantatrice Mara, écrits longtemps après
l'article du Mercure de France, n'en attestent que trop l'exactitude et
la sincérité.
Ce fut en l'honneur du grand-duc Paul de Russie que Mme Mara
dut chanter, sur le théâtre de la cour, non pas Sémiramis, mais
Armide.
« Je grelottais, dit-elle, sous mon manteau de reine, et ma pauvre
tête, déjà si endolorie, avait à supporter le poids d'un diadème
dérisoire. Oui, murmurais-je, tandis que la fièvre battait mes tempes
à coups redoublés, oui je chanterai, mais comme on chante sous
le fouet. Je veux qu'au lieu de le charmer, ma voix l'épouvante
et lui porte jusqu'au fond de l'âme cette haine qu'il ne serait point
permis à mes paroles d'exprimer. Vous dire à quel point je l'abhorais,
cet homme, il n'y faut point songer. Je ne voyais en lui qu'un
barbare (ce que, du reste, avant comme après, il n'a pas cessé
d'être à mes yeux), un barbare menteusement fardé devant l'Europe
par des panégyristes gagés ».
Cet appareil de torture que le rédacteur du Mercure de France
reprocha si eomplaisamment à Frédéric est indiqué avec plus de
précision encore dans le récit de la victime. La Mara nous montre
à sa gauche l'officier lui désignant du doigt la scène, et à sa droite
le médecin lui tâtant le pouls et se demandant si la patiente pourra
supporter jusqu'au bout l'épreuve .
Cependant elle est entrée en scène. Elle se décide à chanter ;
mais sa voix chevrote; ses notes sont incertaines et ses gestes
automatiques. Toutefois, comme elle pressent une catastrophe qui
porterait un coup fatal à sa réputation, elle se raidit contre le mal
qui l'accable; la colère et l'indignation servent la résolution qu'elle
a prise de triompher par le fait seul de sa volonté, dût-elle mourir
au milieu de son triomphe. Du moins le grand-duc Paul pourra
dire qu'il a vu la Mara digne de sa renommée.
Elle fut sublime. Chaque fois que les incidents de la pièce lui
fournissaient le motif d'une allusion contre son persécuteur, le timbre
de sa voix devenait plus clair, plus mordant, plus implacable. Le
grand-duc se penchant hors de sa loge et agitant son mouchoir avec
frénésie donna, le premier, le signal des applaudissements. Ce fut
alors, contre l'étiquette, une frénésie générale; mais la Mara tom-
bait évanouie, aussitôt le rideau baissé, et il fallut la transporter
chez elle où elle resta plusieurs jours, comme elle le direlle-même,
entre la vie et la mort.
Nous ne serions pas éloignés de croire qu'en la circonstance Fré-
déric eût obéi plutôt encore à une vieille rancune qu'au dépit d'un
dilettante blessé. Mm0 Mara, pour être la première cantatrice de la
cour, n'en avait pas moins gardé une certaine liberté d'allures et de
langage qui devait déplaire à ce faux philosophe, le plus despote
des rois. Il n'ignorait pas qu'elle frondait volontiers ses goûts et
ses préférences de musicien, et qui sait si elle n'avait pas déjà dit
tout haut ce qu'elle devait écrire plusieurs années après à un de ses
amis de Leipzig:
« Berlin est à coup sûr une belle ville, mais qu'on pourrait croire
habitée seulement par des tambours, car on n'y entend que battre
la caisse du malin au soir. En fait de sociétés, je ne vois que celles
où l'on ne me demande pas de chanter. J'ai vendu ma voix au roi
de Prusse, elle ne m'appartient done plus et je n'en puis disposer à
mon gré ».
(A suivre.) Edmond Neukomm et Paul d'Estrée.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (2b septembre) : Après plu-
sieurs remises, la reprise de Roméo et Juliette vient d'avoir lieu ce
soir même. Je n'ai que le temps de jeter quelques mots à la poste
sur cette représentation très attendue, qui avait d'autant plus d'intérêt
que, pour M"c Sanderson, c'était pour ainsi dire un véritable début. Il
semble, en effet, qu1 'Esclarmonde ne compte pas : Esclarmonde est pour elle
un cas spécial, une création faite pour ainsi dire par l'auteur bien plus
que par^son interprète. Mais voici que M110 Sanderson se met à voler de
ses propres ailes et entre de plain-pied dans le répertoire. Elle y était
entrée, certes, déjà, à La Haye, où elle passa une saison avant d'aller à
Paris; mais on en sait si peu de chose! Cette fois, le début est tout à
(ait officiel, et il compte réellement. Le succès de la « débutante » a été
très mrable, sinon très brillant. Elle avait très peur, comme dans
Esclarmonde, ou à peu près. Mais une fois remise, elle a fait une Juliette
fort jolie, fort agréable, sinon très émue et très émouvante. C'est M. La-
farge qui chantait Bornéo. Pour lui le succès n'a pas été douteux.
M. Lafarge est chanteur aussi adroit que « diseur » habile. Il a interprété
tout son rôle en artiste de premier ordre, avec infiniment de talent, et il
a été applaudi avec autant de chaleur que de justice. Le reste de la dis-
tribution n'a offert rien de bien surprenant ni de particulièrement digne
d'être signalé. — Samedi, nous aurons les débuts de Mllc Nardi dans
les Dragons de Villars. Lucien Solvay.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. Baden-Baden. Une brillante saison
d'opérettes vient d'être clôturée ici avec la représentation de la Vie pa-
risienne d'Offenbach. — Berlin. B vient de se constituer une société au
capital d'un million de marks, pour l'exploitation d'un Eden-théàtre qui
va être érigé sur l'avenue Unter den Linden. M. A. Bonacher, de Vienne, a
été choisi comme directeur artistique. — L'ancien Konigstàdtische Theater
se consacre dorénavant au drame populaire, et change son nom contre
celui de Biirgerlisches Schauspielhaus. — Stanley en Afrique a quitté l'affiche
du Victoria Theater après 362 représentations, et a été remplacé par une
autre pièce à grand spectacle intitulée le Million, dont les auteurs sont
MM. A. Mosko-wski et Nathanson pour le livret, M. Baida pour la mu-
sique et M. Gredelue, de Paris, pour la partie chorégraphique. Le succès
paraît avoir été considérable. — Cobourg. Le public du théâtre de la Cour
a fait un accueil extrêmement chaleureux à la reprise du Mariage secret de
Cimarosa, remonté entièrement à neuf. — Cologne. Le théâtre municipal a
rouvert ses portes avec la Flûte enchantée. La première nouveauté de la
saison sera le Roi malgré lui, de M. Chabrier; ensuite viendra la Reine de
Saba, de Goldmark. — Dresde. Un nouvel opéra de M. Alban Foerster verra
prochainement le feu de la rampe au théâtre de la Cour. Titre : Dos
Lorle. — Hambourg. Le théâtre Cari Schultze a subi un fiasco lamentable
avec une opérette, le Convive pâle, dû à la collaboration de deux musi-
ciens, MM. A. Zamora et Hellmesberger jeune, et d'autant de libret-
tistes, MM. Victor Léon et H. von Waldberg. — Biga. Le théâtre muni-
cipal offrira cette année à ses habitués les nouveautés suivantes : Béatrix
et Bénédict, de Berlioz, Jean le paresseux, de M. A. Ritter, et le Maître Voleur,
de M. Lindner.
— Correspondance de Berlin adressée à notre confrère l'Eventail,
de Bruxelles : « L'Opéra a rouvert ses portes et, en moins d'une
semaine, a gratifié son public de quatre œuvres de Wagner : Lohengrin,
Tannhduser, le Vaisseau Fantôme et Tristan. Pour ceux qui aiment cette note-
là, c'est parfait; mais les autres? Encore, si l'interprétation avait été
remarquable, le mal n'eût pas semblé grand; mais elle a été médiocre.
L'Opéra de Berlin, qui n'a pas de forte chanteuse, est obligé d'emprunter
tantôt celle de Hambourg, Mm0 Sucher, tantôt celle de Dresde, Mm° Mal-
ien, tantôt celle de Leipzig, Mm3 Moran-Olden. Mme Thérèse Malten, qui
a chanté Yseult dans Tristan, venait d'apprendre, dans l'après-midi, que
sa villa, située près de Dresde, était atteinte par l'inondation. Elle avait
donc fait solliciter l'indulgence du public... par une bande verte posée en
travers des affiches annonçant la représentation. M. Gudehus, son parte-
naire à Dresde, à Bayreuth et dans cette soirée, est, si l'on veut, un
consciencieux chanteur sans talent transcendant, mais sa voix est tout à
fait sur le déclin. L'orchestre, lui, n'avait même pas eu un raccord. D'ail-
leurs, pas plus pour Tristan que pour les autres ouvrages du maître, il n'y
a eu de répétitions. On dirait vraiment que M. l'intendant de Hochberg
cherche à dégoûter le public berlinois des ouvrages wagnériens. Le
pauvre homme ne s'aperçoit pas qu'il est en train de le dégoûter de l'Opéra
lui-même. Du train dont vont les choses, le déficit de cette année dépas-
sera certainement celui de l'année dernière, qui a été considérable. »
— On signale, à Berlin, une intéressante collection d'intruments an-
ciens parmi lesquels se trouvent, entre autres, une épinette de voyage de
Frédéric le Grand, un piano à queue dont "Weber se servit pendant plus
de vingt ans, le piano de voyage de Mozart, et le grand piano à queue de
Mendelssohn, qui sortait des ateliers d'Érard. Nous avouerons que nous
ne sommes pas sans quelque scepticisme, aujourd'hui, à l'endroit des
reliques de ce genre. On a tant découvert, depuis un quart de siècle, de
pianos ayant appartenu à Mozart et à Beethoven!...
On assure que la municipalité de Stockholm, patriotiquement émue
des succès remportés par la jeune cantatrice Sigrid Arnoldson, aurait
décidé, à l'unanimité, de faire placer une pierre commémorative sur la
maison où est né « le rossignol suédois ». Voilà qui s'appelle ne pas
perdre de temps!
_ Mme patti vient de signer, par l'intermédiaire de M. Daniel Mayer,
un engagement avec M. Julius Zet, de Saint-Pétersbourg, pour aller donner
douze représentations à Saint-Pétersbourg et à Moscou. La diva recevra,
pour ces douze représentations, qui auront lieu dans le courant de janvier
et de février, 12,000 guinées (318,000 francs), et aura ses voyages payés
pour elle et sa suite. Les compagnies de chemins de fer russes mettront
un train spécial à la disposition de Mme Patti.
— Les journaux italiens nous apprennent que leur compatriote, le jeune
maestro Ferrucio Busoni, qui a remporté le prix de composition au récent
concours Bubinstein, vient d'être nommé professeur de piano au Conser-
vatoire de Moscou.
310
LE MÉNESTREL
— L'émule de Tamagno et de Masini, le fameux ténor Roberto Stagno,
est devenu, paraît-il, un collectionneur émérite, ce qui l'a conduit à
l'étude du violon. « Nous avons eu, dit à ce sujet un de nos confrères
italiens, l'occasion de faire connaître la passion prédominante de l'illustre
artiste pour les choses d'art et d'antiquité. Il y a quelque temps, l'intel-
ligent et patient collectionneur eut la chance de trouver et d'acquérir, en
Espagne, un violon de Stradivarius de la plus belle époque du célèbre
facteur crémonais, puisqu'il porte la date de 1715. Maintenant, Stagno a
presque complété une petite, mais splendide collection, en faisant l'ac-
quisition de trois autres violons, un Rugger, un Rergonzi et un Guarne-
rius, qui seraient dignes d'une exposition. Depuis quelque temps, le
divo ténor étudie le violon, — sans prétention à devenir un Paganini, —
mais uniquement dans le but de tenir sa partie, pour sa propre satisfac-
tion, dans des quatuors classiques. »
— Le jeune maestro Mascagni et son opéra Cavalleria rusticana conti-
nuent d'affoler non seulement le public, mais les artistes italiens. A la
première à Florence de « l'opéra à la mode, » dit la Nazione, assistait tout
un noyau d'artistes : le ténor De Lucia, les frime donne Maria Durand,,
Medea Rorelli, Giuseppina Gargano, arrivée tout exprès de Bologne, Eva
Tetrazzini, Damerini, les maestri Lombardi et Seppilli, les impresari Bolelli,
Massimini et Lambertini, le fameux tragédien Tommaso Salvini, la
signora Pia Marcbi Maggi, le baryton Sparapani, la basse Wulinann,
enfin beaucoup de professeurs de l'Institut musical, un grand nombre de
critiques et presque tous les musiciens de Florence. — Gela devient déci-
dément une rage, et si le jeune Mascagni ne devient pas fou, c'est qu'il
a la tête solide et qu'il est doué d'une modestie à toute épreuve.
— La municipalité de Gènes s'est enfin décidée à accorder la subven-
tion de 60,000 francs que l'imprésario Massimini lui demandait pour la
prochaine saison d'hiver au théâtre Garlo-Felice. Le programme de la
nouvelle direction comprend, avec Flora Mirabilis, le Cid et la Cavalleria
rusticana du jeune compositeur Mascagni, encore inconnue du public
génois, deux opéras entièrement nouveaux, il Re Lar, de M. Antonio
Cagnoni, et Bianca d'Andorra, de M. G. Elia. — On annonce encore, pour
le cours de cette saison, l'apparition de deux autres opéras inédits : à
Alexandrie, Fiamma, de M. Ravera, et à Alba (Piémont), Lina di Monfer-
rato, paroles de M. Paolo dell'Elsa, musique de M. Agostino Roche.
— Les nouvelles que nous avons de la santé du pauvre Faccio, dit fe
Trovalore, sont de plus en plus mauvaises. Tout espoir est désormais perdu,
au point que le conseil de famille vient de décider de le transporter dans
une maison de santé.
— On nous écrit de Rome, dit le Mondo artistico, que l'on prépare au
théâtre Costanzi, pour le 15 octobre, un spectacle attrayant. La troupe du
professeur Giozza, dirigée par Mme Adélaïde Tessero, représentera l'Arté-
sienne de Daudet, avec les intermèdes musicaux de Bizet. C'est tout un
genre parisien que M. Sonzogno importe en Italie. Nous souhaitons le
succès à cette heureuse tentative. — Ajoutons que Mmc Tessero est l'une
des premières comédiennes de l'Italie.
— La gentille petite ville de Pouzzoles, si joliment assise sur le golfe
de Naples, s'apprête à rendre un digne hommage aux deux artistes illus-
tres dont elle a pieusement conservé le souvenir, Gianbattista Pergolèse
et Antonio Sacchini. On sait que le premier y est mort, à la fleur de l'âge,
le 16 mars 1736, et que le second y naquit le 23 juillet 1734. Une double
fête va réunir leurs deux noms, et l'on doit inaugurer prochainement à
Pouzzoles les bustes en marbre de l'auteur de la Serva padrona et de l'au-
teur à'OEdipe à Colone. La cérémonie doit avoir lieu avec l'éclat qu'elle
comporte, et en présence d'un représentant du ministère de l'instruction
publique. Nous n'oublierons pas de faire remarquer, à ce sujet, que déjà,
dans la cathédrale de Pouzolles, où repose le corps de Pergolèse, un mo-
nument a été élevé à sa mémoire.
— On vient de donner à Sant'Arcangelo (Romagne), la première repré-
sentation de la Zingara di Granata, opéra en quatre actes, musique de
M. Adelelmo Bartolucci. Le succès du compositeur — dont on connaît
déjà un opéra, Giordano Bruno, représenté en 1884 — paraît avoir été très
vif, et il a été l'objet de vingt-deux rappels. Par malheur, l'interprétation
de son œuvre était très inégale, et, d'autre part, le livret sur lequel il a
écrit sa partition est extrêmement médiocre, pour ne pas dire plus. Les
journaux italiens ne nous font pas connaître le nom de l'auteur de ce
livret malencontreux, mais ils adressent de vifs éloges au compositeur,
qui dirigeait lui-même l'exécution de son opéra, et qui avait pour inter-
prètes MmM Théa Dorri et Lucaszewka, le ténor Pellegrini et la basse
Balisardi.
— La profession de musicien n'est décidément pas lucrative en Italie.
Dans une ville de la province de Gênes, à Finalborgo, on demande un
maître de musique à qui l'on offre un traitement annuel de treize cent
cinquante francs, pour : 1° diriger l'orchestre symphonique et la bande
municipale ; 2» composer ou transcrire les morceaux destinés à cette der-
nière ; 3° jouer l'orgue à l'église; 4° tenir au besoin la partie de violon
principal ; 5° donner gratuitement l'éducation musicale à huit élèves, dont
deux pour l'orgue. Il faut avouer que l'artiste qui acceptera ces condi-
tions et qui sera capable de les remplir n'aura pas de temps à perdre, et
qu'il ne volera pas les 112 fr. 50 c. qui lui seront généreusement octroyés
:i la lin de chaque mois !
— La saison rossinienne inaugurée au Théâtre-National de Rome avec
Cenerentola, s'est continuée avec l'italiana in Algeri, qui n'a pas obtenu
moins de succès. Tous les journaux le constatent, et voici ce qu'en dit
l'Italie : — « L'italiana in Algeri a eu hier, au Nazionale, un véritable suc-
cès. La pièce est un opéra bouffe, développé avec une trivialité surpre-
nante de langage. Il paraît que nos aïeux n'étaient pas aussi délicats que
nous en fait du choix des vocables ; ils toléraient sur la scène ce que l'on
n'entend aujourd'hui que dans la bouche des grosses commères du marché.
Mais malgré cela il y a des scènes vraiment comiques et amusantes. La
musique est gaie, alerte ; elle fait deviner le Rossini du Barbiere. On y
sent la jocondité du jeune homme exubérant de vie, sans souci, qui
écrit sans effort et même sans réflexion. Elle est d'une spontanéité admi-
rable. Les roulades, quelquefois ennuyeuses, et les cadences convention-
nelles y abondent; il y a des fragments qui ont vieilli et de beaucoup,
mais il y a des morceaux d'une facture exquise, qui révèlent le génie.
Ceux qui ont fait hier le plus d'impression sont l'ouverture ; la romance
du ténor; le finale, d'une vivacité entraînante, qui éclate comme le gaz
d'une bouteille de Champagne; on l'a bissé; le quatuor Carimacan ! et le
célèbre trio du Pappataci (bissé), ainsi que le grand air du contralto, dont
on a fait répéter trois fois le rondeau. Cet accueil fait à un opéra écrit au
commencement du siècle est la meilleure preuve de la valeur des inter-
prètes. » Ces interprètes étaient, comme pour Cenerentola, Mmos Fabbri et
Quarenghi, MM. Ghinelli, Carlione et Pini-Corsi.
— La correspondance madrilène du Figaro nous donne ces détails sur
une artiste fort distinguée et très populaire en Espagne : « Mrae Cepeda a
inauguré la petite série de représentations d'opéra qu'on a commencé à
donner par abonnement exceptionnel à la Zarzuela. Quelle grande artiste
et quel aimable caractère! Voilà une :emme qui a fait sa carrière sans
autre réclame que son mérite personnel. Jamais une ligne demandée aux
journaux, jamais la moindre réclame. Elle a parcouru tous les théâtres d'Eu-
rope, trouvant partout un accueil chaleureux et se tenant toujours sur la
plus grande réserve, de peur de faire croire qu'elle voulait du bruit. »
La modestie est toujours l'apanage du talent. Ne jurerait-on pas, en lisant
ces lignes, qu'il s'agit d'un chanteur ou d'un comédien français?
— L'Ilustracion musical de Barcelone annonce la mort tragique d'un
vénérable musicien espagnol, M. Bartholomé Blanch, depuis de longues
années fixé à Buenos-Ayres, où il a été l'une des victimes innocentes des
événements récents qui ont ensanglanté cette ville. Le 27 juillet, à huit
heures du matin, il venait de se lever et procédait à sa toilette, lorsqu'une
balle venue du dehors le frappa mortellement; il tomba foudroyé. Bartho-
lomé Blanch était né le 30 novembre 1816, et avait été l'un des meilleurs
élèves du fameux collège de Montserrat. où plus tari il était devenu pro-
fesseur. On lui doit d'intéressantes compositions religieuses.
— Revue des écrits sur la musique récemment publiés en Angleterre.
Les Musiciens de tous les temps, dictionnaire abrégé de biographie musicale,
par David Baptie (Londres, J. Gurwen), petit ouvrage qui ne contient pas
moins de douze mille noms, en ne donnant, bien entendu, que les rensei-
gnements essentiels relatifs à chacun' d'eux. — Beethoven, par M. A.Rudall
(Londres, Sampson et Low), petite notice sans -particularité saillante. —
Manuel d'éducation à l'usage des chantres d'église, par J. Austin Blake, organiste
à Wanstead (Londres, Straker). — Vade-mecum du prêtre et du maître de
chapelle, par le Rév. J.-L. Francis (Londres, Masters). — Les instruments de
musique et leurs patries, par Mary E. Brcwn et "W. A. Brown (New-York,
Dodd et Mead), ouvrage important dans lequel on rencontre d'utiles ren-
seignements, entre autres des descriptions d'instruments jusqu'ici incon-
connus, tels que ceux employés par certaines peuplades sauvages de
l'Amérique du Nord. — Guide du chef de musique amateur et conseils aux
orphéonistes, par "Wright et Round (Liverpool, Wright et Round). — Anec-
doctes musicales et historiettes concernant les grands musiciens (Londres, Georges
Gill), recueil d'anas sans valeur et sans intérêt. — Dictionnaire noté du plain-
cliant, par le Rév. J. "W. Doran et S. Nottingham, 2e partie : les Cantiques
(Londres, Novello, Ever), bonne et utile publication, dont une 3° partie
paraîtra prochainement. — L'Harmonie, sa théorie, sa pratique, par Ebenezer
Prout (Londres, Augener); ce traité, dû à l'un des musiciens les plus
solides de l'Angleterre et conçu dans un ordre d'idées essentiellement
moderne, semble appelé, par l'indépendance même de ces idées, à sou-
lever de vives controverses, mais fixera certainement l'attention de tous
les artistes sérieux et désireux de s'instruire. — Histoire populaire de la
musique, par J.-E. Matthew (Londres, Grevel), ouvrage faible, un peu trop
fertile en erreurs et en omissions de tous genres. — Traité des intervalles,
du tempérament et des principes de musique, par W. B. Woolhouse (Londres,
G. Woolhouse). — La musique populaire : Revue rétrospective de l'Exposi-
tion internationale de Glascow; Rapport sur le développement des sociétés
chorales en Ecosse, par Robert A. Mar (Edimbourg, Menzees). — Les Tra-
vaux de l'Association musicale, 15e session, 1888-89 (Londres, Novello, Ewer),
volume où sont réunis les rapports lus, durant l'année, aux séances de
cette société, entre autres : les Instincts de la forme musicale, par E. H. Tur-
pin; les Cadences, par F. Corder; la Viola di gamba, par E.-J. Payne; les
Lois du progrès dans la musique, par E.-F. Jacques.
— Un congrès international pour la propriété littéraire et artistique
doit se réunir à Londres dans les premiers jours d'octobre. La Société des
auteurs et des compositeurs dramatiques s'y fera sans doute représenter
par des délégués de sa commission, comme elle l'avait fait, l'année der-
nière, pour le congrès de Berne.
LE MÉiNESTREL
IJ I
— Les adaptations scéniques du roman célèbre de Walter Scott, la
Fiancée de Lammermoor, n'ont pas toujours été heureuses. Le drame de John
Calerait, réprésenté à Edimbourg en 1823, celui de Victor Ducange, donné
à la Porte-Saint-Martin le 23 mars 18i8, celui de Charles Dickens et Pal-
grave Simon, joué à Londres quelques années plus tard, l'opéra de Carafa
écrit pour MmcSontag en 1831, n'ont laissé de leur passage que des traces
aujourdhui bien oubliées. Seul, le chef-d'œuvre de Donizetti se maintient
au répertoire des scènes lyriques italiennes après plus d'un demi-siècle
d'existence, grâce à deux épisodes admirables. Le nouveau drame que
M. Herman Merivale a tiré du récit du grand poète et qui vient d'être
représenté au Lyceum de Londres, ne parait pas, lui non plus, appelé à
jouir d'un long succès, malgré la présence de deux interprètes merveil-
leux, M. Irving et MUe Ellen Terry dans les rôles principaux de Ravens-
wood et Lucie. M. Mackenzie, l'auteur de Colomba et du Troubadour, a écrit
pour ce drame des intermèdes symphoniques et des entr'àctes que l'on dit
remarquables et conçus dans une langue musicale très moderne, ce qui ne
l'empêche pas de se dérouler péniblement devant les yeux du spectateur
sans parvenir à l'émouvoir et à l'intéresser comme il faudrait.
— Le cri du jour chez nous est : Trop de pianos! trop de pianistes!
En Angleterre on se plaint qu'il n'y en a pas assez. C'est du moins ce
qui parait ressortir du décret récemment rendu par le School Board (minis-
tère de l'instruction publique) décret qui impose l'étude du piano dans
les écoles communales du Royaume-Uni. Le commerce est dans la joie.
Il y a de quoi!
— Voilà de quoi faire ouvrir les yeux à nos professeurs. Un artiste
anglais, M. Marshall-Hall, vient d'être appelé à Melbourne en qualité de
professeur de musique à l'Université de cette ville, avec un traitement
de mille livres sterling, soit 23.000 francs. Nous n'en sommes pas encore
là en Europe, où l'on aime mieux, au lieu de rémunérer comme il con-
vient le talent d'un professeur distingué, donner 100,000 francs par an à
un chanteur qui souvent chante faux et qui parfois ne sait pas phraser,
mais qui crie à g... osier que veux-tu.
— Les journaux du Rrésil nous apportent la nouvelle de l'apparition et
du succès d'un opéra nouveau dû à un compositeur brésilien, M. José
Gama Malcher, qui a fait son éducation musicale au Conservatoire de
Milan. L'ouvrage est intitulé Bug-Jargal, et le livret italien a été écrit par
M. Valle, qui nous semble devoir s'être inspiré quelque peu d'un nommé
Victor Hugo.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Rentrées sur rentrées et reprises sur reprises à l'Opéra. MUe Mauri a
reparu dans le Rêve, toujours acclamée. Mme Melba et Mme Caron se pré-
parent à reparaître l'une dans Bamlet et l'autre dans Sigurd. On a repris
Ascanio avec M. Lassalle, et nous aurons bientôt les débuts de Mlle Loventz
et de M. Vaguet. Voilà du palpitant !
— Nous trouvons dans TÊcho de Paris un nouvel article de M. Henry
Bauer sur la direction de l'Opéra. Il dédie ce petit billet doux à M. Bour-
geois, ministre des beaux-arts. Nous en reproduisons la conclusion :
« En ce moment, les deux associés s'entendent à merveille et leur intérêt
est identique : il leur importe de gagner du temps, de faire taire les
journaux, afin d'obtenir le renouvellement de leur privilège et surtout
l'abandon des revendications de l'Etat au sujet du matériel ruiné. Aussi
n'ont-ils point hésité, les finauds, à concéder toutes les satisfactions appa-
rentes ; pour tel politicien frotté d'art, c'est le réengagement d'une dan-
seuse ; aussitôt MUe X... est gardée en bonne place. Mais leur plus habile
manœuvre a été la réconciliation avec Reyer, la reprise de Sigurd, la pro-
messe de Salammbô et, partant, la rentrée de Mme Caron. Du coup ils
rangèrent à leur cause Reyer, qui, sous une roideur superficielle, est le
plus aimable, le plus sensible des hommes : ils s'en firent un précieux
avocat. Mais la reprise d'une artiste valeureuse, le retour tardif d'un noble
ouvrage doivent-ils absoudre une direction ignominieuse et assurer à un
faiseur effronté une nouvelle carrière ? Du reste, la question va plus
haut; elle touche l'intérêt de la chose publique. Il y a quatre ans, je
signalai le premier la dilapidation du matériel, la ruine du fonds de dé-
cors et de costumes que les tenanciers rapaces, sûrs de l'impunité, n'avaient
cure ni d'entretenir ni de réparer. Toutes mes prévisions se sont vérifiées;
à l'estimation la plus modérée, la réfection du matériel ne coûterait
pas moins de huit cent mille francs à un million. Heureusement, le ministre
des beaux-arts, M. Bourgeois, est Parisien ; intelligent, bien informé,
ayant le goût des choses artistiques, je ne puis croire qu'il assumera sur
lui de donner quittance aux deux directeurs de l'Opéra et de grever d'un
million le budget de la République. L'accueil réservé au Parlement à
cette demande de crédit ne serait point ordinaire. Qu'attend donc le mi-
nistre des beaux-arts pour aborder ce règlement de comptes? ces pauvres
diables de Ritt et de Gailhard, bénéficiant chacun d'un joli million,
sont-ils donc si intéressants et méritent-ils d'être épargnés ? Pour moi, je
ne cesserai de réclamer la réfection du matériel de l'Académie nationale
aux frais de ses destructeurs. C'est affaire d'intérêt public, c'est un devoir
pour nos ministres. La casse payée, qu'il plaise à la République de nom-
mer Pedro Gailhard son premier directeur. Ceci est affaire de goût et
d'odorat. ;>
— M. Camille Saint-Saëns est parti samedi dernier pour Evian, où il
doit prendre une dizaine de jours de repos. De là, il reviendra directement
à Paris, afin de se consacrer sans réserve au travail des études de Samson
et Dalila, dont il prendra la direction à l'Eden-Théàtre. Puis, il ne tardera
pas à regagner les pays chauds. C'est le compositeur-hirondelle. Il s'en va
avec les premiers froids pour ne revenir qu'au printemps.
— Voici le programme des fêtes qui ont lieu aujourd'hui même, di-
manche 28 septembre, à la Côte-Saint-André (Isère), à l'occasion de l'inau-
guration de la statue d'Hector Berlioz : De huit heures à neuf heures,
réception des sociétés musicales ; à neuf heures et demie, à la gare de
la Côte, réception de M. Bourgeois, ministre de l'instruction publique et
des beaux-arts, et des membres d'honneur du comité: MM. Larroumet,
directeur des beaux arts ; Ambroise Thomas, Ernest Reyer, Gounod, Léo
Delibes, Massenet, Saint-Saëns, de l'Institut; Henri Delaborde, président
du comité de Paris; Edmond Robert, préfet de l'Isère; Henri Couturier,
sénateur; Jules Ronjat, procureur général près la cour de cassation;
Lombard, député ; Mattei, sous-préfet de Vienne. — A dix heures, inau-
guration de la statue, discours du ministre et de M. Ambroise Thomas,
directeur du Conservatoire, — Poésie dite par M. Salomon, ex-artiste de
l'Opéra. — Exécution de morceaux tirés de l'œuvre de Berlioz, par la
Société philharmonique de Vienne, le Cercle choral de Vienne et l'Union
chorale de Grenoble. — A midi et demi, banquet de trois cents couverts
sous la balle. — Dans l'après-midi, festival par vingt-huit sociétés musi-
cales. — Le soir, illuminations, bal et feu d'artifice. — Le service d'or-
dre sera fait par deux escadrons de cuirassiers venus de Lyon.
— Le « Théàtre-Lyrique-Populaire » du Chàteau-d'Eau a vécu. Il est
aujourd'hui remplacé par le Théâtre-Historique, qui s'apprête à offrir à
son public une Marie Stuaii nouvelle, due à MM. Lucien Cressonnois et
Charles Samson. Une part très importante dans ce drame est faite à la
musique, qui a été confiée à M. Paul Cressonnois. Celui-ci fait annoncer
qu'il a intercalé dans sa partition des airs de Clément Marot, de Luther,
du châtelain de Coucy, de David Rizzio, l'amant infortuné de la reine
d'Ecosse, et de Marie Stuart elle-même. M. Paul Cressonnois est-il bien
certain de l'authenticité des airs annoncés par lui?
— Le gouvernement d'Alsace-Lorraine vient d'autoriser un certain nom-
bre de représentations françaises sur les scènes de Strasbourg, de Mulhouse,
de Colmar et de Metz. C'est la troupe de l'imprésario Simon qui a obtenu
cette autorisation. Son répertoire se compose de : les Petits Oiseaux de La-
biche, une Tempête sous un crâne, les Espérances, les Folies amoureuses, Eux,
Démocrite, le Dépit amoureux, le Baiser, un Mari qui pleure, et des monologues,
dits par Mm° Marie Kolb et M. Coquelin cadet. Comme bien on pense, la
nouvelle de ces représentations françaises a été accueillie avec joie par une
grande partie du public alsacien.
— Don Juan réhabilité. D'après une légende accréditée dans la pro-
vince de Séville et recueillie par un correspondant de la Neue Musikzeitung,
Don Juan de Marana, le héros de l'immortel chef-d'œuvre de Mozart,
n'aurait pas été le pécheur impénitent que nous ont montré Molière et
Da Ponte. Loin de mourir le blasphème à la bouche, il aurait fini au con-
traire dans la peau d'un philanthrope. Certain soir, en sortant d'une
orgie, — ainsi débute le récit — Don Juan parcourut la ville en quête
d'une nouvelle aventure. Vint à passer un enterrement. Il arrête le cor-
tège et, railleusement, s'informe du défunt : « Nous enterrons Don Juan
de Marana, » lui fut-il répondu. Un peu frappé par cette réplique, mais
toujours gouailleur, notre héros se mit à suivre le convoi à travers les
ruelles tortueuses. Enfin on arriva à l'église. Pendant que les chants fu-
nèbres ébranlaient les voûtes, pareils aux voix du jugement dernier, on
plaça la bière devant l'autel, on enleva le couvercle, et Don Juan, en se
penchant pour regarder, se reconnut lui-même au fond du cercueil. Ter-
rifié, il recule et tombe sans connaissance. Le lendemain, lorsqu'il rouvrit
les yeux dans l'église déserte, il lui sembla qu'il s'éveillait dans une vie
nouvelle et que c'était son existence passée qui avait été enterrée par
les esprits. Il employa toutes ses richesses à l'établissement d'un hôpital
chrétien, l'Hospicio de la Caridad, et se consacra, pour le reste de sa Tie,
au repentir et à la piété. On montre encore aujourd'hui, derrière l'église
Omnium sanclorum, à Séville, une maison d'apparence modeste, dont le
balcon masque en partie une large fenêtre qui tient à la fois du style
mauresque et du style gothique. C'était la demeure de Don Juan. Elle est
actuellement la propriété de la famille de Montijo y Teba, d'où est issue
l'ex-impératrice Eugénie.
— M. Campo-Casso, directeur du Grand-Théâtre de Marseille, vient
d'engager, dit-on, M. Georges Chevalier, comme premier fort ténor, aux
appointements de 7,000 francs par mois pour dix représentations. Com-
ment veut-on que les théâtres puissent se soutenir avec les prétentions
des chanteurs actuels, lorsqu'un seul interprète grève déjà chaque repré-
sentation de 700 francs de frais.
— On nous écrit d'Aix-les-Bains que M. Colonne et son excellent orches-
tre ont exécuté avec le plus grand succès la belle Rapsodie cambodgienne
de M. Bourgault-Ducoudray, qui avait été accueillie l'hiver dernier à Paris
avec une faveur si marquée.
— Les Folies-Dramatiques annoncent les dernières représentations du
Pompier de Justine. La première représentation de Gillette de Narbonne est
fixée à mercredi prochain 1er octobre.
Henri Heugel. directeur-géiant.
312
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STREABBOG. La même à i mains
FAUGIER . . Tout à la joie ! polka (Ph. Fahrbach)
TROJELLI. . Valse du Couronnement (Strauss)
TROJELLI. . Orphée aux Enfers, quadrille (Offenbach). . .
STREARROG. La Vie d'artiste, valse (Johann Strauss). . . .
FAUGIER . . Pour les Bambins, polka (Pu. Fahrbach) . . .
FAUGIER . . Les Ivresses, valse (S. Pillevesse)
FAUGIER . . La Dame de cœur, polka (Pu. Fahrbach) . . .
STREABBOG. Us Feuilles du matin, valse (Johann Strauss).
STREABBOG. Le sang viennois, valse (Johann Strauss) . . .
FAUGIER . . Uam'zelle Nitouelie, quadrille (Hervé) ....
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— 1G. STREARROG. Aimer, boire, chanter, valse (Johann Strauss).
— 17. VALIQUET. . Le Petit Faust, quadrille (Hervé)
— 18. FAUGIER. . Le Verre en main, polka (Fahrbach)
— 19. STUTZ. . . Les Petites Reines, valse
— 20. STUTZ. . . Les Jeunes Valseurs, valse
— 21. GODARD . . Bébé-Polka
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— 23. VALIQUET. . Dans mon beau château, quadrille
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SOMMAIRE -TEXTE
I. Notes d'un librettiste : Jean Conte (21e article), Loois Gallet. -- II. Se-
maine théâtrale : Inauguration de la statue de Berlioz à la Cote-Saint-
André, Julien Tiersot; reprise de Gillette de Narbonne, aux Folies-Drama-
tiques, Pal'l-É.mile Chevalier. — III. Un virtuose couronné (3e article),
Edmond Neukomm et Paul d'Estrée. — IV. Nouvelles diverses.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
MYSTÈRE!
nouvelle mélodie de J. Faure, poésie de Frédéric Bataille. — Suivra
immédiatement: le Mois de mai, chant de quête de la Champagne, n° 1
des Mélodies populaires de France, recueillies et harmonisées par Julien
Tiersot.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano : Petit chéri, gavotte de Franz Behr. — Suivra immédiatement :
Allegretto pastoral, de Théodore Lack.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
JEAN CONTE
Camille du Locle était co-directeur de ce théâtre! A cette
nouvelle tous les souvenirs de la vingt- cinquième année
avaient assailli comme une troupe ardente et bruyante le
cerveau du compositeur. La promesse de son cantatier de-
venu directeur, caressée, couvée depuis près de virjgt ans
allait pouvoir se réaliser ! C. du Locle, qui, sous des allures
souvent bizarres, sous des dehors d'une rudesse ou d'une
froideur parfois déconcertante, n'aimait rien tant qu'à faire
aux gens la surprise de leur être agréable ou utile, décida,
un beau matin, que le moment était venu de donner à Jean
Conte cette joie, attendue depuis tant d'années, de la com-
mande d'un ouvrage.
Il me chargea d'en écrire le livret, en me désignant le
sujet qu'il croyait propre au tempérament du compositeur :
Beppo, petit poème de lord Byron, dont le seul titre trans-
porta Jean Conte au paradis !
C'était Venise, le carnaval, une aventure galante et légère,
des volées de cloches traversant les clameurs joyeuses d'une
foule de masques, tout ce qu'il avait rêvé naguère, tout ce
qu'il avait vécul L'élève de Carafa, adepte fervent de l'école
italienne, crut certainement, ce jour-là, avoir saisi par le
bout des ailes cette gloire du théâtre, qui jusqu'alors avait
volé si haut et si loin de lui!
Rien ne va sans encombre dans les choses de la vie théâ-
trale .
Écrire la partition de Beppo, la corriger, la perfectionner,
y chercher l'emploi de motifs nouveaux, ce fut la joie de
quelques longs mois qui, malgré son impatience, durent
paraître brefs au compositeur tout à son œuvre, — suppliant
pourtant de temps en temps le directeur de l'Opéra-Comique
de lui donner ce tour spontanément promis et qui, nonob-
stant ses excellentes dispositions, menaçait de se faire un
peu attendre.
Il vint enfin, ce moment « où commence la peine, » selon
le mot de Grétry, où le compositeur livre son œuvre aux
flots changeanls du théâtre, où ses droits sur elle s'amoin-
drissent de tout ce que gagnent les influences, les exigences
de la maison, où les pages les plus étudiées, les plus labo-
rieusement écrites deviennent plus légères qu'un brin de
duvet devant le souffle de l'opinion des familiers de la
direction.
Le pauvre lauréat de Rome connut bientôt, au cours des
répétitions, l'amertume des petites critiques discrètes, des
observations faites « dans son intérêt » par celui-ci ou celui-
là, il sentit l'aiguillon de plaisanteries pourtant innocentes
sur la fragilité des œuvres en un acte. On lui parla de
« vieux jeu » ; il ne voulait pas croire, qu'il y eût un autre
« jeu » que celui de sa jeunesse. La muse de Carafa le
possédait encore tout entier. En vain, pendant des années,
il avait vu défiler sur la scène de l'Opéra tout le répertoire,
confondant les noms de Rossini, de Meyerbeer, d'Halévy, de
Gounod, de Weber, de Mozart, affirmant l'incessant mouvement
de la création musicale, la perpétuelle variété des formules :
il n'avait rien voulu oublier.
On s'en aperçut bientôt à l'avant-scène, pendant les der-
nières répétitions. Cette musique aimable et légère en pre-
nait à son aise avec les exigences de l'action. De loDgues
ritournelles précédaient les diverses parties des morceaux :
l'artiste durant ce temps ne savait que faire de sa personne.
— Eh bien, disait tranquillement Jean Conte, allez au fond
et revenez I
Bien que le personnel du théâtre de la place Favart n'eût
pas perdu le respect des traditions du genre italien, ces
théories du compositeur sur le mouvement scénique étaient
médiocrement goûtées. Cela le rendait réellement malheureux.
Lui, habituellement de si égale humeur, de si facile compo-
sition, il se promenait silencieusement sur la scène, ne ré-
pondant que par monosyllabes à mes questions. Il se sentait
sur un terrain hostile; dépaysé, ses dix-neuf ans de solitude,
de silence, de stérilité pesaient évidemment sur lui d'un
poids lourd. Il entrevoyait le grand abime qui s'était, durant
314
LE MENESTREL
ces années, creusé entre lui et le monde présent. Comme
le « mélancolique jeune homme » de la complainte, il mé-
ditait sur les tristes contretemps de la carrière et sur la pré-
caire gloire des lauréats.
On répétait, en même temps que Beppo, le Florentin, livret
de Saint-Georges, musique de Gh. Lenepveu, ouvrage né de
ce concours que l'Etat avait organisé, à propos de l'Expo-
sition de 1867, et qui avait donné à l'Opéra la Coupe du Roi
de Thulé, au Théâtre-Lyrique un petit acte : le Magnifique, et à
l'Opéra-Comique le Florentin, poème choisi par la direction, et
dont le sujet, offert aux compositeurs rivaux, reposait précisé-
ment sur un concours ouvert dans Florence, pour une figure
nue. Le ténor devait sortir, comme de juste, vainqueur de
ce tournoi pictural.
Saint- Georges était alors au déclin de sa carrière. Il avait
toute l'ardeur, toute l'activité d'un jeune homme. Il suivait
les répétitions avec une assiduité exemplaire, s'intéressant
aux moindres détails de la mise en scène. Là encore, les deux
courants de Leuven et du Locle se heurtaient fréquemment :
de Leuven plein de foi dans l'œuvre de celui qui avait été
son collaborateur, du Locle sceptique, criblant d'épigrammes
discrètes l'œuvre conçue selon des formules déjà démoné-
tisées.
Dans certain décor, Saint-Georges ne trouvait pas assez
d'air. Il voulait plus d'ouvertures, plus de fenêtres, plus de
voies praticables !. . .
— Allons, ne vous fâchez pas, disait Du Locle, en sa pla-
cidité gouailleuse, on vous en mettra des portes et des fenê-
tres, on vous en mettra quatre ou cinq, si vous voulez !
Et tout doucement, il ajoutait :
— Ça fera une par représentation !
Jean Conte assistait quelquefois à ces petites scènes. Bien
que n'en souffrant pas pour lui-même, il en restait navré.
Il apprenait là de quelle fragilité sont les œuvres au théâtre.
Son Beppo tant aimé lui semblait de verre dans ce milieu; il
eût voulu le couvrir d'une enveloppe capitonnée, le mettre
à l'abri des chocs, et ce n'était pas sans angoisse qu'il voyait
s'approcher le jour de la représentation, à la fois désiré et
redouté.
Il vint pourtant, ce jour préparé par dix-neuf années d'at-
tente ; il vint, si je ne me trompe, le 30 novembre 1874.
Il marque l'un des souvenirs les plus curieux, je dirais,
si je ne craignais de paraître prétentieux, les plus philoso-
phiques qui soient restés dans mon esprit.
Je rejoignis Jean Conte au théâtre quelques instants avant
le commencement du spectacle. Le sort de Beppo était confié
à trois artistes : Mlle Franck, le baryton Neveu et le ténor
Chelly. Nous avions fait à nos interprètes la visite obligatoire ;
nous leur avions prodigué les encouragements et les com-
pliments usuels et nous étions venus sur la scène, y atten-
dant le Place au théâtre! traditionnel auquel les auteurs ne cè-
dent que lorsque le rideau va réellement se lever.
Jean Conte voulait entendre son ouverture de derrière la
toile.
Quand elle commença, je vis dans la demi-obscurité de
la scène son visage s'illuminer, rayonner d'une félicité im-
mense.
C'était tout un tableau pittoresque, cette ouverture : le car-
naval vénitien, le mouvement de la foule, la joie des mas-
ques, puis tout à coup, l'Angelus, l'Ave Maria traversant cette
gaieté, l'apaisant pour un instant, enfin' le paroxysme de la
folie succédant à ce calme religieux d'une minute.
Jean Conte suivait toutes les phases de cette scène : il
sautillait, faisait claquer ses doigts comme des castagnettes,
s'apaisait, se découvrait aux tintements de l'Angelus, faisait le
signe de la croix, fléchissait le genou, puis soudainement
repartait, esquissant une pirouette. Il était fou de plaisir, de
satisfaction intense. Il vivait son œuvre!
Je crois que dans ces quelques minutes, il a repassé toute
sa vie, éprouvé la suprême et exquise jouissance de l'homme
qui a donné un corps à son rêve. Il avait traversé près de
vingt ans d'une existence humble, laborieuse, peut-être dou-
loureuse , accusant la destinée de ne lui point payer ce
qu'elle lui devait. Eh bien, il était payé !
Quelques soirées suffirent pour dévorer Beppo. Le poème
n'en a jamais été imprimé; la partition n'en a jamais été
gravée. A peine le compositeur, brutalement replongé dans
son obscure sphère, a-t-il songé à en publier quelques mor-
ceaux choisis pour ses élèves, projet irréalisé d'ailleurs.
Presque en même temps que Beppo disparaissait le Florentin,
son grand compagnon d'infortune. Il y avait pourtant, dans
ce dernier ouvrage, un clou qui devait captiver la curiosité
de la foule.
Le maître peintre, Carolus Duran, avait brossé la figure
nue, principal élément du drame. Quand elle paraissait, un
rayon électrique partait du fond de la salle et l'illuminait
tout entière. Qu'est devenue cette toile, restée le vestige le
plus durable d'une œuvre qui avait pourtant sa valeur mu-
sicale? Elle a vraisemblablement disparu dans l'incendie de
l'Opéra-Comique.
En songeant à Jean Conte je ne sépare jamais son souve-
nir de celui de ce suprême instant où il a goûté la quin-
tessence des joies de la vie. J'ai eu alors la rare vision d'un
homme complètement heureux, ayant conjuré, en cette heure
bénie, la malchance de ses destinées académiques.
Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
INAUGURATION DE LA STATUE DE BERLIOZ A LA COTE-SAINT-ANDRÉ
Le mot de Montaigne : « Nul n'est prophète en son pays, » ne
cesse pas trop de demeurer exact encore aujourd'hui, malgré les
apparences. Seulement, dans notre siècle de vapeur et d'électricité,
les choses vont plus vite; les grandes injustices elles-mêmes, bien
qu'il ne s'en commette pas moins qu'autrefois, sont réparées plus
tôt. Shakespeare et Sébastien Bach ont attendu un siècle et plus
avant d'être admirés, connus même : pour Berlioz, voilà moins de
trente ans qu'il est mort, et déjà la réparation est complète, défini-
tive. Comme de coutume, c'est le pays natal qui est demeuré le
plus longtemps indifférent; mais enfin ce dernier hommage qui
manquait a été rendu, et, depuis une semaine, la statue de Berlioz
se dresse sur l'esplanade de la Côte-Saint-André, dominant la vaste
plaine dauphinoise, au pied de laquelle, au loin, le Bhône coule à
grands flots et qu'enserrent presque de toutes parts les montagnes :
d'abord les coteaux couverts de vignes, terminés par un large pla-
teau boisé et verdoyant, qui abritent la Côte-Saint-André du côté du
nord; plus loin, le lourd massif de la Grande-Chartreuse; et, tout
à l'horizon, les sommets neigeux des Alpes, spectacle digne de-
là contemplation éternelle du fier génie que l'on a enfin fêté dans
sa ville.
Ce que j'ai dit de l'indifférence momentanée des habitants de la
Côte à l'égard de celui que l'on a beaucoup appelé, dimanche, « le
plus illustre de ses enfants », était d'ailleurs sans aucune arrière-
pensée arrière. Les choses devaient être ainsi; il était même impos-
sible qu'il en fût autrement. Lorsqu'il y a quelques années, j'allai pour
la première fois visiter le pays de Berlioz, M. Marcel Paret, le vénérable
maire de la Côte et doyen du conseil général de l'Isère, qui, à la céré-
monie d'inauguration de la statue, a fait aux étrangers les honneurs
de la ville, voulut bien déjà me guider dans mon pèlerinage : iï
me parla surtout de la famille du compositeur, de ses origines,
de ses propriétés, de la fortune qu'elle avait laissée, de ce qu'était
devenue cetto fortune, des héritiers d'Hector Berlioz, des dernières
visites faites par lui à sa ville natale, visites qui furent rares ;
mais, do musique, il n'en fut aucunement question. Dans la ville,
on me montra la maison « de ses pères », jadis maison bourgeoise,
à ce moment transformée en une brasserie; et je n'ai pas pu voir
LE MENESTREL
315
la chambre où il est né, laquelle, servant à je ne sais quel usage
idoine à cette estimable exploitation, avait été à moitié détruite.
Entre temps, j'entendis répéter la fanfare du lieu, et ce qu'elle
tentait d'exécuter ne ressemblait aucunement à du Berlioz. II est
très clair que la musique de l'auteur de la Damnation de Faust était,
est encore complètement inconnue de ses compatriotes, ceux-ci
n'ayant aucun moyen de l'entendre, avec les ressources musicales
d'un simple chef-lieu de canton. Berlioz, dans ses Mémoires, ra-
conte que son père exprimait dans les dernières années de sa vie
le plus vif désir de connaître « ce terrible Tuba mirum » dont on
avait tant parlé : après cela il pourrait dire : Nunc dimitte servum
tuum Domine »; mais il mourut avant que ce vœu eût pu être accom-
pli. La revanche prise de notre temps par le compositeur ne devait
donc venir en aucune façon de l'initiative de ses compatriotes :
ceux-ci ne pouvaient que suivre le mouvement venu des centres ar-
tistiques. J'imagine même que quelques-uns doivent être un peu
surpris de tant d'hommages rendus à un homme qui, dans leur
esprit, n'a rendu aucun service à son pays, puisqu'il s'est borné à
composer de la musique; mais enfin on leur a dit que ce musicien,
parti de chez eux, y revenait grand homme : ils n'ont pas demandé
mieux que de le croire; au fond même ils sont enchantés d'avoir
Tin grand homme à eux, et ils l'ont, après les autres, célébré de
leur mieux.
La cérémonie de l'inauguration de la statue d'Hector Berlioz à la
Côte-Saint-André n'a ressemblé en rien à la fête similaire qui a eu
lieu à Paris en 1886. Celle-ci affectait un caractère sévère, un peu
triste — le temps brumeux qu'il faisait y contribuant — mais très
digne, presque recueilli. Tout ce qui, à Paris, s'intéresse aux choses
du grand art, était accouru pour rendre hommage à la mémoire du
maître; l'assistance se composait presque exclusivement de l'élite
du monde artistique et musical. Qu'on me permette encore un sou-
venir : au square Vintimille, transformé pour un instant en une
enceinte festivale, un assez grand nombre des meilleures places
avaient été réservées, et les gardiens refusaient de les laisser oc-
cuper, assurant qu'elles étaient pour « MM. les membres du conseil
municipal » ; mais il n'en vint pas un seul, et il fallut bien
les abandonner aux simples mortels : la politique avait, pour une
journée, entièrement cédé le pas à l'art. A la Côte, il en a été
tout autrement. La cérémonie était présidée par M. Bourgeois, mi-
nistre de l'instruction publique et des beaux-arts, qu'on ne saurait
trop remercier, d'ailleurs, de s'être dérangé pour rendre hommage
au grand musicien ; auprès de lui étaient M. Ribière. son chef de
cabinet; puis le préfet de l'Isère et ses sous-préfets; les sénateurs
et députés du département, le président du conseil général et de
nombreux conseillers généraux; des représentants de l'Université,
de la magistrature, de l'armée, que sais-je encore? Il n'y manquait
que des musiciens : s'il n'était venu M. Reyer, qui ne saurait faire
défaut dans une fête donnée en l'honneur du maître dont il fut un
des premiers fidèles, ainsi que M. Colonne, à qui Berlioz doit une
si grande part de sa gloire posthume, il ne s'en serait pas trouvé un
seul à la Côte-Saint-André : je ne puis citer, après eux, que
M. Salomon, l'ancien ténor de l'Opéra, venu là beaucoup plus
comme Dauphinois que comme musicien (il a l'honneur, en effet,
d'être le concitoyen de Berlioz). De compositeur, en dehors de l'au-
teur de Sigurd, pas un seul. Peut-être, après tout, les organisateurs
de la fête de la Côte n'ont-ils pas cherché à en attirer beaucoup.
Je me trompe, cependant, en disant que la musique n'était pas suf-
fisamment représentée : elle l'était, au contraire, surabondamment,
et ce par vingt-huit fanfares venues de tous les coins du pays,
lesquelles, à un moment donné, se sont mises à jouer toutes à
la fois.
Au reste, fêle populaire très gaie et très animée. Il faisait un
temps splendide; des arcs de triomphe s'élevaient à toutes les entrées
de la ville ; les maisons étaient pavoisées, ornées de fleurs et de
branchages; toute la population et celle des pays environnants,
étaient sur pied; l'on se réjouissait de saluer le ministre, d'admirer
son escorte de hussards et de gendarmes à cheval; l'on a joué la
Marseillaise, tant et plus ; et, quand toutes les autorités eurent pris
place sur l'estrade, M. Homais ne manqua pas de dire quelques
phrases bien senties sur le spectacle imposant que présentaient les
vingt-huit fanfares rangées autour de la statue, et de prononcer de
sages réflexions sur la puissance du génie, qui finit toujours par
triompher de la routine. — Mais pardon : je me croyais au comice
agricole de Madame Bovary, et j'oubliais que nous étions en Dauphiné,
et non dans la belle Normandie. La vue des Alpes aurait dû suffire
à m'y faire penser.
Je n'ai pas à parler de la statue, qui n'est qu'une répétition de
celle de la place Vintimille, à Paris, œuvre de M. Lenoir : elle est
suffisamment connue et appréciée pour qu'il ne soit pas nécessaire de
la décrire à nouveau.
Deux discours seulement ont été prononcés, ce qui est très bien.
M. le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts a parlé
le premier, et il a dit des choses excellentes : que « Berlioz est
grand entre les plus grands ; nul n'a participé avec plus d'invention
et de courage à ce grand mouvement de la pensée romantique par
lequel notre siècle a marqué sa place originale dans le développe-
ment du génie national » ; qu'il a fait pour la musique « ce que
Victor Hugo a fait pour la poésie, Delacroix pour la peinture, Rude
et Barye pour la statuaire »; que « plus que personne il a éprouvé
ce que la légèreté et la routine des contemporains peuvent réserver
de déboires aux génies créateurs » ; mais qu'aujourd'hui était achevée
« la grande œuvre de justice et de réparation que notre temps a
entreprise envers les grands hommes qui ont honoré ce siècle en ou-
vrant des voies nouvelles dans le domaine de la pensée et de l'art. »
« Pour moi, a-t-il dit en terminant, en répondant à votre appel,
j'ai voulu publiquement attester ce sentiment d'admiration universelle
qui fait de la mémoire de Berlioz une gloire nationale; j'ai voulu
aussi saluer au nom de tous cette vaillante école française dont il fut
le chef et dont les maîtres contemporains ont voulu mettre au service
de votre œuvre, aujourd'hui réalisée, leur nom, leur illustration et
leur dévoué concours. Au nom du gouvernement de la République,
je vous félicite et je vous remercie. »
M. Ernest Reyer lui a succédé. Fidèle dans les bons comme dans
les mauvais jours, il s'est toujours trouvé présent chaque fois que
l'occasion est venue de manifester en faveur de son maître. Discours,
articles, concerts ou festivals, il n'a rien négligé de ce qui pouvait
assurer son triomphe. Je ne relis jamais sans émotion les lignes
qu'il écrivit au lendemain de la mort de Berlioz, avec une douleur
si sincère, si profonde, si eommunicative. Qui s'étonnerait de voir,
sinon de tels sentiments s'émousser avec le temps, du moins leur
expression s'atténuer en une certaine mesure ? Ce que M. Reyer était
presque seul à écrire il y a trente ans, tout le monde l'a répété
depuis : le redire encore est aujourd'hui manquer d'originalité; mais
peu importe, l'intention étant toujours excellente. Cela est pour
dire que M. Reyer, dans son dernier discours, n'a guère fait que
répéter ce qu'il avait déjà dit dans celui de la place Vintimille, dans
son article nécrologique et dans nombre de feuilletons du Journal
des Débats; mais il eût été tout à fait inutile d'en agir autrement,
car si, pas plus que M. Bourgeois dans les fragments ci-dessus cités,
M. Reyer n'a rien appris à ceux qui sont familiers avec l'œuvre de
Berlioz ou qui ont seulement lu ses Mémoires, ce qu'il a dit a paru
être parfaitement inconnu et nouveau pour le public qui l'écoutait.
II s'est donc borné à raconter la vie du compositeur, en résumant
ses Mémoires presque chapitre par chapitre. Le lieu était des plus
favorables pour évoquer les souvenirs de sa jeunesse, que M. Reyer
a rappelés ainsi :
Berlioz aimait sa ville natale et a parlé en vrai poète des sites ravis-
sants qui avoisinent cette délicieuse vallée de l'Isère et où, tout enfant,
une vision lui était apparue qu'il n'oublia jamais. C'est vers ce pays où
était éclos son premier rêve que ses secrètes pensées et les battements
de son cœur le ramenèrent sans cesse, comme s'il trouvait dans ce sou-
venir plus d'orgueil à ses triomphes, moins d'amertume à ses douleurs.
Il a apprécié ainsi qu'il suit le caractère de son génie :
Ce n'est pas de Berlioz qu'on peut dire : Il n'est jamais grand dans les
petites choses, mais il est, en revanche, toujours petit dans les grandes.
La puissance de ses inspirations a plus d'une fois fait éclater le moule où
il prétendait les enfermer. Une simple mélodie de quelques mesures, la
Captive, devient tout un poème par le développement qu'il donne à la
pensée première, par l'adjonction de l'orchestre à la voix; les Troyens, si
soigneusement minutés par lui, trompent ses calculs en arrivant à la
scène et prennent les dimensions de deux grands opéras.
Je regrette seulement de trouver, tout au début du discours, une
phrase où il est question d'un pays où Berlioz a trouvé ses premiers
succès, « mais où son patriotisme aussi bien que sa dignité, j'en
ai la conviction intime, lui défendraient d'aller les chercher aujour-
d'hui », car j'ai pour ma part uns autre « conviction intime », à
savoir que le patriotisme n'a rien à faire dans l'estime accordée ou
refusée aux œuvres d'art : j'espère que M. Reyer en conviendra le
jour où Sigurd et Salammbô reviendront à leur tour d'Allemagne
couverts d'applaudissements, ce qui ne saurait tarder. S'il tenait
absolument à un effet de ce genre, il n'avait qu'à rappeler que Ber-
lioz avait obtenu de son vivant de grands succès en Russie, ce qui
n'aurait pas été accueilli avec de moindres transports d'enthou-
siasme.
316
LE MENESTREL
M. Reyer a terminé en répétant sa phrase finale du discours de
la place Vintimille, ne pensant pas, sans doute, qu'il lui fût possible
d'en trouver une plus belle : « Honneur à Berlioz, à l'un des plus
illustres compositeurs de tous les temps, au plus extraordinaire
peut-être qui ait jamais existé. » Cetle péroraison de l'éminent maître
français a été couverte de longs applaudissements.
Entre temps, M. Salomon a lu une pièce de vers composée par
un poète de la Côle Saint-André en l'honneur de son grand compa-
triote ; puis la Philharmonique de Vienne (musique d'honneur) a joué la
Marche troyenne et les Francs-Juges de Berlioz, qui furent écoutées
un peu distraitement; enfin on alla banqueter, sous la présidence de
l'honorable M. Bourgeois. De nombreux toasts furent prononcés au
dessert : à M. Garnot, au ministre, au Dauphiné, à l'art français, à
l'armée, à la revanche; on a même bu à la mémoire de Berlioz : c'est
M. Reyer qui a eu cette idée étonnante!
J'allais oublier de parler des distinctions honorifiques qui furent
conférées à diverses personnes au cours de cetle imposante céré-
monie : On a distribué cinq palmes académiques, dont une au pré-
sident de la Philharmonique de Vienne (les autres étrangères à la
musique, naturellement); on a même décerné une décoration du
Mérite agricole. L'on m'en voudrait de ne pas faire connaître aux
futurs historiens de la musique le nom de l'eslimable titulaire de
cette distinction : C'est M. Mouton, horticulteur à Vienne.
Pendant ce, temps les vingt-huit fanfares défilaient dans les rues,
bannières déployées, puis chacune d'elles allait prendre possession
de l'emplacement désigné d'avance pour y donner son concert : il
y en avait sur tous les carrefours de la ville, oh, tout le jour
durant, l'on a exécuté du Joly, du Moulin, du Blémant, du Seymat,
du Rigollier, du Comberousse, etc., en l'honneur de Berlioz.
Et le soir il y a eu un grand feu d'artifice dont la pièce princi-
pale représentai!... Berlioz lui-même, debout et accoudé devant
son pupitre, dans l'attitude que lui a donnée le statuaire.
Berlioz en feu d'artifice! Quel rêve!!...
Mais, si les feux d'artifice passent, la statue reste: c'est ce qui
vaut le mieux de tout.
Julien Tiersot.
Folies-Dramatiques. — Gillette de Narbonne, opéra-comique en trois
actes, de MM. Ghivot et Duru, musique de M. Edmond Audran.
Cette Gillette de Narbonne est très certainement l'une des parlitions
les mieux venues de M. Edmond Audran, et parmi les très nombreux
couplets qui la composent, il y en a plusieurs qui sont d'une ins-
piration fort agréable et d'un tour mélodique aimable. Son succès
fut assez vif, lorsqu'elle apparut pour la première fois aux Bouffes,
en 1882, presqu'au lendemain des représentations légendaires de la
Mascotte, et cette reprise pourrait bien ne pas passer inaperçue. Le
livret de MM. Chivot et Duru semble écrit tout exprès pour le théâtre
populaire des Folies-Pramaliques; ses imperfections, ses lourdeurs
deviennent là presque des qualités, et toute la partie chevaleresque
de la pièce, qui n'avait que modérément plu au passage Choiseul, a
transporté le public des hautes galeries du théâtre de la rue de Bondy.
On a donc beaucoup applaudi et beaucoup bissé, et pourtant l'ado-
rable Gillette de la création, Mme Grizier-Montbazon, n'était pas sur
la scène.
C'est M"c Zélo-Duran, une étoile qui déserle le ciel de Bruxelles
où elle était 1res admirée, qui a repris le rôle. Nous avions déjà
entendu la jeune chanteuse lors des représentations que M.Alhaiza
vint donner, le printemps dernier, aux Nouveautés, et notre im-
pression reste la même toujours. Mllc Zélo-Duran, qui est une belle
fille bien en chair, quelque chose comme un Rubens fin de siècle,
sait parfaitement son métier, a une assez bonne voix, sauf toutefois
dans le registre élevé, et n'est pas sans charme; mais elle manque
encore de ce chic qui, seul, pourrait en faire une vraie divetle
parisienne. M. Huguet succède à M. Morlet dans le rôle de Roger
de Lignolle qu'il chante avee une emphase et un sérieux tout à fait
hors de saison: M. Huguet prendrait-il les Folies-Dramatiques pour
notre Académie de musique? Il ferail, dans ce cas, bien peu d'hon-
neur à son directeur, M. H. Micheau. M. Lamy a repris sa création
d'Olivier et y re-te le ténorino charmant que l'on sail. Griffardin,
c'est maintenaut Germain, c'est-à-dire les contorsions et les grimaces
simiesques à jet continu. M"0 Nesville, très en progrès, nous a donné
une fort gentille Rosita ; mais qui donc lui a appris à se lenir en
scène et qui, encore, lui donne des conseils pour ses costumes?
Paul-Emile Chevalier.
UN VIRTUOSE COURONNÉ
(Suite.)
IV
L'histoire de la Mara donne la mesure des exigences tyraniques
de Frédéric II. Il était coutumier du l'ait, et s'il n'avait qu'un mé-
diocre souci de la liberté individuelle et des intérêts personnels de
ses sujets, il traitait plus lestement encore la grande famille artis-
tique dont il se croyait appelé à régenter les destinées.
Il ne le prouva que trop avec la Barbarini, dont nous avons eu
déjà l'occasion de parler.
Cette incomparable ballerine avait signé, à Venise, en 1743, par
les soins du comte Cataneo, diplomate prussien, un engagement
pour la saison du carnaval à Berlin. Mais elle avait compté sans un
jeune seigneur anglais, lord Stuart Mackenzie, qui, s'étant épris
d'elle, voulut l'emmener en Angleterre pour l'épouser. Aussi la
signora crut-elle pouvoir ne prendre aucun souci de son contrat,
lorsque le comte Cataneo en vint réclamer l'exécution prompte et
fidèle.
Frédéric n'élait pas homme à se contenter d'une pareille défaite..
Il enjoignit sur l'heure à son envoyé de réclamer l'intervention de la
République de Venise et d'exiger d'elle l'extradition delà danseuse.
Malheureusement pour le succès de sa requête, présentée en
termes impératifs, le comte Cataneo n'était pas accrédité officielle-
ment en qualité d'ambassadeur prussien. Aussi la République de
Venise répondit-elle au roi par une fin de non-recevoir. En vain,
Frédéric fit-il agir les ministres de France et d'Espagne à Venise,
et même son représentant à Vienne, le comte- Dohna : le gouver-
nement vénitien, qui ne s'était pas toujours montré aussi soucieux
de la liberté individuelle, continua à faire la sourde oreille.
Alors, Frédéric, qui depuis cet incident était en proie à la plus
vive colère, eut recours à un expédient extra-légal pjur avoir enfin
raison de la résislance de la sérénissime république. Capello, am-
bassadeur de Venise à Londres, s'étant imprudemment fourvoyé,
en revenant à son poste, sur les terres du roi de Prusse, celui-ci
fit saisir immédiatement ses équipages.
Le gouvernement vénitien dut céder; il fit arrêter et mettre en
lieu sur la belle Barbarini. Cette première partie de l'expédition
réussit assez bien : la danseuse avait une mère, qui, préférant sans
doute, et pour cause, le séjour de Berlin à celui de Londres, se
prêta complaisamment à l'opération tentée par la république de
Venise. Mais il fallait mener la captive jusqu'à complète destina-
tion, et ce déplacement forcé ne laissait pas que d'offrir certaines
difficultés. Une escorte respectable de sbires et de policiers devait
bien , accompagner jusqu'à la frontière vénitienne la berline de
voyage où gémissait la pauvre Barbarini, que sa mère essayait vai-
nement de consoler. Mais, plus loin, aurait-on facilement raison de
cette belle échevelée, qui poussait des cris à fendre l'âme, et sur-
tout pourrait-on parer aux coups de main que tenterait nécessaire-
ment son adoratiur?
Le comte Dohna. qui surveillait de haut et de loin toutes les
phases de l'enlèvement, en avait' confié la direction à un de ses-
anciens intendants, un juif nommé Mayer. Ce Mercure d'un nou-
veau genre sut comprendre les exigences de sa mission. Pendant
que la berline entraînait vers Berlin l'inconsolable Barbarini, Mayer
s'efforçait de faire miroiter aux yeux de sa captive la perspective
séduisante de la félicité qui l'attendait à la cour do Prusse.
Tout alla bien jusqu'à Goritz : mais, aux portes de cette ville, se-
dressa la silhouette désespérée de lord Stuart qui réclamait énergi-
quement sa danseuse. A vrai dire, sa revendication était appuyée
par une bande de laquais armés de solides gourdins. Mais si l'in-
tendant du comte Dohna n'était pas la bravoure même, il était du
moins incorruptible ; il ne voulut pas entrer en composition avec
l'Anglais, qui se vengea de ses refus en le rossant d'importance. Lord
Stuart eût infailliblement assommé le courtier en enlèvements sans
la police, qui, avisée à temps, mit fin au combat en arrêtant et je-
tant en prison notre Roland furieux. Celui-ci ne fut relâché que
lorsque Mayer fut définitivement hors de son atteinte.
Alors il piqua droit sur Berlin: mais là de nouvelles épreuves
l'attendaient. La Barbarini, que Mayer avait peut-être persuadée ou
que la cruelle ténacité de Frédéric avait sacs doute domptée, venait
de débuter à Berlin sous les plus heureux auspices. Lord Stuart
n'en persista pas moins à fatiguer de ses prières et de ses réclama-
tions la police prussienne, les ministres et les ambassadeurs. Il alla
LE MENESTREL
317
même jusqu'à écrire directement au roi pour l'apitoyer sur son
infortune. Il faut lire cette singulière correspondance, écrite dans
la langue diplomatique, c'est-à-dire en français, pour se faire une
idée exacte de la folle passion de l'amoureux Anglais et de la bruta-
lité du roi de Prusse.
Aussi bien, la patience n'était pas la qualité dominante de Fré-
déric. Il fit signifier à lord Stuart que, s'il ne s'éloignait pas dans
les vingt-quatre heures, il l'enverrait, sans le moindre égard pour
sa nationalité, dans la forteresse de Spandau.
Mackenzie ne se fit pas répéter cette royale sommation, qui pouvait
avoir de graves conséquences.
Quant à la Barbarini, les applaudissements de la Cour et les fa-
veurs particulières de Frédéric changèrent complètement le cours
de ses idées.
Elle fut pendant quelques années l'idole du peuple berlinois, jus-
qu'au jour où une seconde intrigue, qui cette fois se termina par
un bon et solide mariage, souleva de nouveau un furieux conflit
entre le monarque et la danseuse.
Le conseiller privé de Gouci s'étant épris de la Barbarini et voulant
en faire sa femme, malgé la vive opposition de sa famille. Frédéric,
exaspéré, écrivit au jeune rebelle des lettres où il insultait grossière-
ment la ballerine et signa contre elle un ordre d'expulsion.
Correspondance et serments s'échangèrent dès lors plus que jamais
entre la Barbarini, exilée à Londres, et Couei, resté à Berlin. Frédé-
ric fit mettre sous les verrous son conseiller privé ; mais cette fois
la résolution de la danseuse fut irrévocable, et son mariage avec Couci
devint un lait accompli. La police prussienne voulut encore la tra-
casser; mais elle parla haut et fermai au roi, qui, pour avoir le
dernier mot, relégua les deux époux dans un de leurs domaines
éloisné de Berlin.
Frédéric ne témoignait guère plus d'égards pour les artistes fran-
çais que pour les chanteurs et les danseuses italiennes, et cela ce-
pendant à une époque où il affectait la plus grande admiration pour
notre politique, notre gouvernement, nos mœurs, notre littérature
et noire langue.
Le ravisseur de la Silésie, qui devait respecter un moulin (et en-
core l'exactitude de celte anecdote n'est-elle pas bien prouvée)
appliquait aux choses du théâtre l'absence de préjugés qui carac-
térisait sa manière polilique.
Nous eu trouvons l'exemple dans cetle supplique d'une troupe de
comédiens français, que Blaze de Bury a découverte dans les
archives secrètes de Berlin :
« Sire,
» Pleins de confiance dans l'équité ei la justice de Votre Ma-
jesté, les acteurs de la comédie française osent en réclamer les
effets.
» Les ordres de Voire Majesté pour le renvoi duspeitacle français
nous ont été signifiés hier, 1°' avril, par une circulaire de M. d'Arnim
en date du 31 mars. Sire, nous nous trouvons dans la plénitude de
nos engagements. Nous avons été appelés par les ordres de Sa Ma-
jesté à son service; par ses mêmes ordres, ainsi que le portent nos
contrats, nous avons été réengagés, les uns pour un an, les autres
pour deux et trois années. Le nom de Votre Majesté nous a servi
de garant, et l'état le plus affreux va devenir le fruit d'une con-
fiance si légitime.
» L'année théâtrale commençant immédiatement à Pâques, nous
ne pouvons espérer aucune place dans notre patrie, où presque tous
nous avons refusé de retourner, d'après l'assurance de notre sort au
service de Votre Majesté. Notre ruine est inévitable. Nous allons
perdre le fruit de nos travaux, en ce qu'on nous renvoie sans les
dédommagements que nous assurent nos engagements, nos droits et
les usages sur la foi desquels nous nous expatriâmes.
» Nous n'osons point supplier Votre Majesté de daigner ordonner la
révocation de ses ordres pour le cours de cette année théâtrale, ce qui
ferait notre bonheur ; mais nous prendrons la liberté d'exposer sous
ses yeux ce qui s'est pratiqué dans toutes les cours, ce qui se pra-
tique partout où, dans de pareilles circonstances, on donne à chaque
acteur la moitié de son engagement quand il l'a pour plus d'une
année, et son année d'appointements lorsque son engagement ne
renferme que ce terme.
« Serions-nous les premiers et les seuls étrangers à qui le nom
sacré de Frédéric aurait causé des larmes? Non, Sire, nous osons
1 espérer. Votre Majesté n'avoit point connu nos dioits. Elle les con-
noit et elle ne souffrira pas que nos gémissements se fassent
entendre au milieu des acclamations et des éloges de l'Europe.
» Berlin, 2'avrill778.
» Lamberti et sa femme; M"0 Fleury; Courcelle; Doiuval; Chéri-
court et sa femme ; Oyez; M1IcHenneguy; M110 Sauvage; Julien; le Bauld
de Nam; L'Amant; Tissot; D. Monroze fils, MUe Perrin. »
Celte requête demeura sans effet. Les comédiens français rega-
gnèrent leurs foyers comme ils purent; nombre d'entre eux restèrent
en route : Frédéric ne s'inquiéta pas plus d'eux que s'ils n'exis-
taient pas.
C'était la contre-partie de l'aventure dont le célèbre violoncelliste
Duport fut la victime.
Ce musicien, dont la réputation était universelle, avait eu le
malheur de plaire extraordinairement à Frédéric. Vainement celui-
ci s'était-il efforcé delegarder pour sa musique de chambre; Duport,
venu pour quelques mois seulement en Prusse, ne s'était laissé
séduire par aucune offre, par aucune promesse.
Alors, le roi, pour le conserver, eut recours à un stratagème qui
laisse bien loin derrière lui tout ce qu'une imagination tyrannique
peut rêver. Dans une fête offerte à l'illustre virtuose, à l'occasion de
son départ prochain, quelques musiciens de la chapelle royale,
payés pour cette besogne, enivrèrent si bien leur éminent camarade
qu'ils lui firent signer un engagement par lequel Duport entrait
en qualité de tambour dans les régiments du roi.
Quitter la Prusse après cet enrôlement, c'était s'exposer à la peine
capitale comme déserteur. L'infortuné virtuose se vit donc contraint
à rester dans le Brandebourg. Les présents du roi et un riche mariage
qu'il contracta peu de temps après, ne purent le consoler jamais de
la perte de sa liberté.
Duport fut donc, contre son gré, l'astre rayonnant de la chapelle
royale, de l'orchestre de l'Opéra et surtout des concerts de musique
de chambre, qui, jusque fort avant dans la vieillesse de Frédéric,
eurent lieu tous les soirs sans interruption, au point qu'en temps
de guerre il arriva souvent que lorsque sa musique lui faisait
défaut, par suite d'un accident de route ou tout autrement, le roi,
dans les villes conquises, mandait auprès de lui des musiciens de
l'endroit pour l'accompagner.
(A suivre.) Edmond Neukomm et Paul d'Estrée.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Les dates des représentations de Bayreuth, pour l'été prochain, sont
dès à présent fixées. Il y en aura vingt. Parsifal en aura dix, Tannhiiuser
sept et Tristan trois. On sait que Tristan n'entrait pas d'abord dans le
programme de cette série, mais le plébiscite des patrons, des sociétés pro-
tectrices de l'œuvre et des habitués du pèlerinage de Bayreuth a été à ce
point unanime qu'il a fallu faire une place à l'ouvrage; toutefois on n'a
pas pu la faire bien grande : trois représentations seulement, le 20 juillet,
le 5 et le 1S août. C'est Parsifal qui cuvre la série le 19 juillet, pour la ter-
miner le 19 août. Les autres représentations de Parsifal auront lieu les 23,
26, 29 juillet, les 2, 6,9, 12 et 16 août. La première du Tannhauser aura lieu
le 22 juillet, les six autres représentations de l'ouvrage les 27, 30 juillet,
3, 10, 13 et 18 août. Les trois premières de la série seront donc : Parsifal,
19 juillet; Tristan, le 20, et Tannhauser, le 22. La direction musicale est
partagée entre MM. Hermann Levi, de Munich, et Félix Mottl, de
Carlsrube; la direction de la scène confiée au régisseur de Munich,
M. Anton Fuchs; celle de la partie chorégraphique du Tannhauser à
M"0 Virginia Zucchi, de Milan. Le choix des interprètes n'est pas encore
définitivement arrêté.
— Le docteur A. Kohut publie dans la Neue Musikzeitung une lettre
inédite de "Wagner, qui montre à quel point le « maître » avait le souci
de ses intérêts pécuniaires et avec quelle habileté il s'entendait à les
défendre. Cette lettre est adressée au directeur du théâtre de Prague,
M. "Wirsing. En voici la traduction :
Monsieur le Directeur,
Je ne pourrai vous céder le droit de représentation des quatre parties de ma
tétralogie, l'Anneau du Nibelungen, qu'à des conditions qui me garantiront une
solide exécution de mes œuvres à votre théâtre. Je vous énumère ci-après lea
dernières conditions auxquelles je puis vous abandonner ce droit : 1° engage-
ment de représenter les ouvrages dans leur ordre; c'est-à-dire commencer par
l'Or du Rhin et la Vallcyrie et produire ensuite, après un délai facultatif et isolé-
ment, Siegfried elle Crépuscule des Dieux; 2° versement immédiat d'une avance de
cinq mille marks allemands; 3° fixation d'un droit proportionnel do 10 0/0 à pré-
lever sur les recettes brutes (abonnement compris), à partir de la première re-
présentation de ebaque ouvrage jusqu'à trente années après la mort de l'auteur.
La direction du théâtre national est autorisée à retenir 5 0/0 à chaque représen-
tation jusqu'au remboursement intégral de l'avance de 5,000 marks; 4" la direc-
318
LE MÉNESTREL
tion devra se procurer à ses frais, chez l'éditeur Schott iîls, à Mayence, les par-
titions, etc.. — Dans le cas où vous considéreriez ces conditions comme
inacceptables, je vous prierais de vouloir bien renoncer à votre projet.
Bayreuth, 10 septembre 1878.
Avec considération, votre dévoué,
Richard Wagnîr.
— Tandis que quelques-uns, parmi nos modernes critiques, ne cessent
de railler notre répertoire lyrique et de conspuer les maîtres français au
profit d'une école bruyante qui prétend tout effacer, voici comment, en
Allemagne, on juge notre musique et nos musiciens. Les lignes suivantes
sont tirées d'un journal étranger qui rend ainsi compte d'une récente
reprise du Maçon faite à l'Opéra royal de Dresde : — « Hier au soir on
donnait le Maçon et le Serrurier, d'Auber (on sait que c'est le titré adopté
en Allemagne pour cet ouvrage). Costumes et décorations d'une fraîcheur
exquise. Orchestre admirable pour sa finesse, principalement au com-
mencement de l'ouverture, qui est enchanteresse. Le mérite d'un orchestre,
quand il interprète une œuvre étrangère, est de s'approcher autant que
possible de l'original. Il faut que la chapelle de notre ville soit composée
d'artistes de premier ordre pour se distinguer ainsi dans tant de genres
différents. La musique d'Auber, entre toutes les autres, si simple et facile
dans le chant, ravit par ses nuances. M. Hagen, kofkapellmeister, les fait
si bien ressortir que le compositeur lui-même aurait applaudi à une si
exacte interprétation d'un de ses plus beaux opéras-comiques. Impossible
d'être une Henriette plus alerte que Mm0 Schuch, parfaitement à sa place
dans les œuvres comiques. Son admirable duo du troisième acte avec
MUe Loffler a été bissé; le chœur des paysans qui l'accompagne est un
joyau... » Bref, cette reprise du Maçon a obtenu un succès complet, et les
interprètes, parmi lesquels il faut encore citer MM. Riese, Eichberger,
Erl et Decarli, et Mlle Reuther, s'y sont tout particulièrement distingués.
Ajoutons que le dialogue parlé est conservé là-bas, et que des œuvres
légères et fines comme le Maçon ne sont point alourdies par de pesants
récitatifs. On sait d'ailleurs que le Frasc/iûfs et autres ouvrages allemands
sont, en dépit des contempteurs français de notre opéra-comique, comme
lui entremêlés de dialogue.
— M. Paul de Witt, directeur du Journal de facture instrumentale de
Leipzig, vient de céder au Musée royal de Berlin une importante collec-
tion d'anciens instruments de musique parmi lesquels se trouve le propre
clavecin de Bach. Cette précieuse relique avait été vendue par le fils du
grand Bach, Friedemann, dans un moment de gène, au comte de Voss,
puis devint la propriété du directeur de musique Rust, à Dessau. C'est
le descendant de ce dernier, le professeur-docteur W. Rust, qui a cédé à
M. de Witt, le clavicembalo de Bach, sous la condition expresse que cet
instrument ne serait jamais revendu qu'au gouvernement prussien; ce
qui, on le voit, a eu lieu effectivement. Une première collection d'ins-
truments anciens appartenant à M. de "Witt avait déjà été acquise par le
gouvernement, il y a quelques années à peine.
— La New Musik Zeitung de Sttutgard publie le portrait et la biographie
de M. Eugène Goura, l'un des chanteurs les plus renommés de l'Allema-
gne, qui, ainsi que son camarade Henri Yogi, célèbre cette année, à
Munich, le vingt-cinquième anniversaire de son entrée dans la carrière
lyrique. M. Goura, dont la voix de basse est toujours superbe, faisait son
premier début au théâtre le 14 septembre 1863 ; ce n'est qu'après s'être
produit à Leipzig, à Hambourg et dans diverses autres villes, qu'il fut
attaché au Théâtre royal de Munich, dont depuis lors il ne s'est jamais
éloigné ; le soir de son jubilé, il en -était à sa deux mille-cent-cinquante-
cinquième représentation ! Sur les cent trente-neuf rôles successivement
remplis par lui, il a joué 102 fois Wolfram du Tannhâuser, 97 fois Don Juan,
88 fois Hans Sachs des Maîtres Chanteurs, 84 fois le Vaisseau fantôme, etc.
En dehors de son service au théâtre, M. Goura a pris part, comme chanteur
de lieder et d'oratorios, à 341 concerts. Son compagnon, le ténor Yogi, qui
a fait son éducation musicale sous la direction de Franz Lachner, n'a
jamais, croyons-nous, chanté ailleurs que sur la scène royale de Munich
et à Bayreuth ; ses débuts remontent au 5 novembre 1865, et il doit sur-
tout sa renommée à son interprétation extrêmement remarquable des
œuvres de Richard Wagner.C'est lui qui, lors delà mise à la scène à Munich
du Rheingold (22 septembre 1869) et de la Walkùre (26 juin 1870), établit les
deux rôles de Loge et de Siegmund, qui lui valurent un double triomphe.
Son succès ne fut pas moins éclatant à Bayreuth, lorsqu'on 1876 on y
représenta la Tétralogie et qu'il parut dans ce rôle de Loge, qui est resté
l'un de ses plus beaux titres à l'admiration du public.
— On a donné le 14 septembre, à l'Opéra royal de Berlin, pour le
centième anniversaire de la première représentation des Noces de Figaro,
de Mozart, la 388° représentation de ce chef-d'œuvre.
— La Frète musil.alische Vereinigung (Libre Réunion musicale) de Berlin
a donné, au cours de la dernière saison, douze soirées d'auditions, dans
lesquelles ont été exécutées 115 compositions nouvelles, dont 69 déjà pu-
bliées et 46 inédites. De ces dernières, 10 ont trouvé des éditeurs. M. Phi-
lippe Roth, président de la réunion, fait annoncer que la première soirée
de la présente saison aura lieu le 6 octobre, dans la salle Bliithner.
— Extrait de la correspondance viennoise du Figaro : « Après le transport
des ossements de Beethoven au grand cimetière central, nous allons avoir
celui des restes du chevalier Gluck. Il aura lieu, très solennellement, lundi
prochain. Les artistes de l'Opéra et la grande société chorale do Vienne
exécuteront sur la nouvelle tombe du maître des morceaux d'Armide e*
d'Orphée. Comme toujours, les anthropologues seront admis à mesurer le
crâne, ce qui du reste ne cous apprendra plus grand'chose sur les capa-
cités musicales de l'illustre défunt. Ces enterrements — seconde édition,
revue et corrigée — ont quelque chose de déplaisant. Espérons qu'en
voilà assez. »
— Une anecdote assez curieuse racontée par un de nos confrères au
sujet de Mmo Pauline Lucca, la célèbre cantatrice allemande, dont nous
avons annoncé la prochaine retraite. Parmi ses nombreux admirateurs
figure depuis longtemps le prince de Bismarck. Or, il y a quelques an-
nées, aux vitrines de nombreux magasins de Berlin et d'ailleurs, on pou-
vait apercevoir exposée une photographie représentant M. de Bismarck
debout à côté de l'actrice. Grand scandale naturellement par toute l'Alle-
magne. Le prince, dans un moment d'oubli folâtre, avait effectivement
posé avec Mme Pauline Lucca devant un appareil photographique, ne
pensant pas du tout que la photographie tomberait dans le domaine pu-
blic. L'empereur Guillaume Ier montra une grande mauvaise humeur.
M. de Bismarck écrivit à l'empereur, lui expliqua toutes les circonstances
de l'aventure et lui exprima tout son regret de l'indiscrétion qui avait été
commise à son égard. La lettre, de même que la photographie, fut pu-
bliée, au grand désespoir du chancelier. Quant à Pauline Lucca, elle fut
enchantée, quoique cet incident eût mis fin à son intimité avec son vieil
ami. Elle n'en devint, en effet, que plus célèbre.
— On annonce la reprise à la Monnaie, dit l'Éventail, de Bruxelles, de
Coppélia, le ravissant ballet qui n'a plus été donné en entier depuis plu-
sieurs années. Il faudra chercher une danseuse, car il n'en est pas, dans
le personnel chorégraphique de la Monnaie, qui puisse danser le rôle
principal de l'œuvre de Delibes.
— A Bruxelles, un arrêté ministériel récent, communiqué à l'Académie
de Belgique, vient d'adjoindre M. L. de Casembroot, bibliothécaire du
Conservatoire, à la commission chargée de la publication des œuvres des
anciens musiciens belges. Cette commission s'occupe activement de l'édi-
tion complète des œuvres de Grétry. Sept opéras ont paru jusqu'ici et
dans l'ordre suivant : Richard Cœur de Lion, Lucile, Céphale et Procris (deux
livraisons), les Méprises par ressemblance, l'Épreuve villageoise, Anacréon,
(deux livraisons), le Tableau parlant ; les Evénements imprévus sont à l'im-
pression. La partition de l'Embarras des richesses est en préparation. On
sait que le comité est composé de MM. Gevaert, président, Samuel,
Radoux, Ed. Fétis, tous quatre membres de l'Académie, et de M. Victor
Wilder, qui a été nommé membre adjoint, comme vient de l'être M. de
Casembroot. La commission avait perdu, dans le courant de l'année, l'un
de ses auxiliaires les plus érudits : M. le chevalier Léon de Burhure.
— La Cavalleria ruslicana du maestro Mascagni continue son heureuse
fortune. Les trois représentations qui en ont été données à la Pergola de
Florence ont produit plus de 20,000 francs. Quant à la soirée de gala où
elle a été donnée en présence des souverains, la recette a dépassé 17,000 fr.
On annonce maintenant que l'ouvrage va faire son tour d'Europe, à com-
mencer par Saint-Pétersbourg, Moscou, Vienne, Berlin, Dresde, Ham-
bourg, Buda-Pesth, Prague, Madrid, Barcelone, Amsterdam et Stockholm.
— Au théâtre Pagliano, de Florence, on prépare un grand concert dans
lequel sera exécuté un Hymne patriotique pour chœur et orchestre, dont la -
musique est due à une jeune élève de l'Institut musical de cette ville,
MUe Palmira Orso, qui compte en diriger elle-même l'exécution. Les pa-
roles de cet hymne, qui est une sorte de glorification du règne et des
actes de Victor-Emmanuel II, sont du père de la jeune maestra, lieute-
nant-colonel de réserve.
— Tandis que certains journaux de Naples assurent que la nouvelle
impresa du théâtre San Carlo n'a pas encore fait le dépôt du cautionnement
exigé par son traité avec la muicipalité, d'autres publient le tableau sui-
vant de la troupe appelée à défrayer la prochaine saison : soprani, Mrats Ca-
taneo, Calvé, Del Torre et Patalano ; contralti, Mmcs Novelli, Guarnieri et
Alassio ; ténors, MM. De Lucia, Galli et Zerni ; barytons, MM. Maurel,
Borghi et Vinci ; basses, MM. Rossi et Di Grazia. Chef d'orchestre M. Lom-
bardi. Parmi les œuvres qui doivent être représentées, on cite Hamlet,
Carmen, Gioconda, Cavalleria ruslicana, Spartaco, Cimbelino, et divers ouvra-
ges du répertoire courant,
— Un directeur dramatique italien, le professeur Giozza, avait ouvert
un concours d'eeuvres scéniques, avec trois prix, dont l'un de 1,000, le
second de 600, et le troisième de 400 francs. Il n'a pas été envoyé à ce
concours moins de 127 ouvrages de tout genre (excepté du genre lyrique),
se décomposant ainsi : b'4 comédies, 41 drames, 15 bozzetti (croquis scéni-
ques), 9 scènes, 3 esquisses dramatiques, 2 proverbes, 1 monologue, 1 « bi-
zarrerie comique », et 1 fantaisie dramatique. 99 de ces ouvrages sont en
prose, et 28 en vers. En ce qui concerne le nombre des actes, 33 sont en
un acte, 14 en deux, 29 en trois, un en six, et les autres en quatre ou
cinq actes. Enfin, si l'on considère la provenance, on constate que Home
a envoyé 31 manuscrits, Naples 20, Triosto, Florence et Përouse 5 cha-
cune, Milan et Viterbe 4, Turin, Venise, Lugano, Gènes et Païenne 3,
Catane, Bologne, Livourne, Cesena, Lodi, Torre-Maggiore, Pistoie et Spez-
zia 2. Les autres villes en ont envoyé chacune un. Les ouvrages présentés
donnent un ensemble total de cinq cent soixante-seize actes !
LE MÉNESTREL
319
— A Fabricco, petite ville de la province d'Emilie, on a exécuté récem-
ment, dans une soirée de bienfaisance, une cantate avec chœur, intitulée
il Trionfo délia musica, mise en musique par M. Antonio Pegrelfi, direc-
teur de la bande municipale, sur des vers de M. Gesare Magnanini.
— Voici la composition de la troupe du Théâtre-Royal de Madrid pour
la saison 1890-91 : Prime donne Soprano, Gemma Bellincioni, Goncetta Bor-
dalba, Adélaïde Morelli-Gremonesi, Regina Pacini, Marcella Sembrich,
Eva Tetrazzini; mezzo-soprani et contralti, Mmcs Amelia Stahl, Maria Peticb ;
ténors, MM. Durot, Lucignani, Masin, Roberto Stagno ; barytons, Battis-
tini, Cotogni, Tabuyo; basses, Borucchia, Uetam, Wanrell, Ponsini, Ver-
daguer; basse comique, Baldelli; première danseuse, Félicita Garozzi ;
maître de ballet, Moragos. — Chefs d'orchestre, MM. Luigi Mancinelli,
Emanuele Perez, Francesco Carbonell; directeur des chœurs, Gioachino
Alminano ; organiste et maestro concertatore, Gregorio Matios; accompagna-
teur au piano, Antonio 011er. — Premiers ouvrages au répertoire : Otello,
Amleto, Lakmé, Simon Boccanegra, Edgar. Caualliera rusticana, Gioconda,
Orfeo, etc.
— Les œuvres de notre regretté Bizet continuent de triompher en Es-
pagne. A Barcelone, au théâtre Gayarre, la Jolie Fille de Perth vient d'ob-
tenir un succès éclatant, et il en est de même à Sabadelle, où, pour la
première fois, Carmen vient d'être représentée, traduite en espagnol.
— M. Lago ouvrira, le 18 de ce mois, une saison lyrique à Govent-
Garden. A la tète de la troupe se trouvent Mm° Albani et M. Maurel. On
cite parmi les autres artistes engagés Mmes Tavary, F. Moody, Damian
(débuts), les sœurs Ravogli, Emma Strômfeld, MM. Padilla, Galassi et
Gianini. Au répertoire : Otello de Verdi, Gioconda, Tannhiiuser (pour
M. Maurel) et l'Étoile du Nord.
— Le compositeur anglais Villiers Stanford met la dernière main à
un grand oratorio intitulé Eden, qui est destiné à être exécuté au prochain
festival de Birmingham.
— A Bangor, dans le pays de Galles, a eu lieu dernièrement le tradi-
tionnel festival connu sous le nom de Welsh National Eisleddfod, antique
restitution dont le but est de conserver et de répandre la langue, la lit-
térature et les chants celtiques. La cérémonie avait été entourée, cette
année, d'une pompe extraordinaire, à cause de la présence de la
reine de Roumanie, qui avait demandé à être admise dans l'association.
Le vénérable « archidruide », M. Vale, âgé de plus de quatre-vingt-dix ans,
lui a souhaité la bienvenue au nom de la nation cambrienne, et a donné
lui-même l'investiture â la royale postulante en attachant sur sa poitrine
le ruban de l'ordre des Bardes. Une explosion d'enthousiasme a alors
éclaté dans la salle. A la séance du lendemain, la reine a reparu sur
l'estrade et a lu une adresse de remerciements en vers, à laquelle le
maire de Bangor a répondu en termes émus. Le président a fait remar-
quer que c'était là première fois, depuis six cents ans, que Y Eisleddfod
était honorée de la présence d'une reine. Carmen Sylva a tenu à cou-
ronner elle-même le vainqueur du concours de poésie, le révérend Jones,
curé de Llanrcost. Le prix consistait en une somme de 25 livres
sterling et un siège en chêne sculpté, sur lequel le barde victorieux prit
place immédiatement, tandis que le président étendait un glaive au-
dessus de sa tête. Ensuite, le révérend Jones céda galamment son siège
d'honneur à la souveraine et le concours se continua, suivi de l'appel
des lauréats.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Une « rumeur légère » au sujet de l'Opéra, dit M. Louis Besson, de
l'Événement. On dit qu'à la fin du privilège qu'on a concédé aux tenants
actuels de l'Académie nationale de musique, on réunirait les deux
théâtres subventionnés de l'Opéra et de l'Opéra-Gomique sous la seule et
unique direction... de qui? Je vous le donne en mille. De Gailhard en
personne! Ainsi donc, voici un directeur qui s'est rendu impossible à la
tète de notre première scène lyrique, un directeur que l'opinion publique
rejette avec dégoût, et tout aussitôt il se trouverait un ministre pour lui
confier deux théâtres au lieu d'un! Il est vrai qu'on ajoute, pour compléter
la nouvelle, qu'à l'Opéra-Gomique M. Gailhard garderait M. Paravey
comme administrateur. M. Paravey administrateur ! Quel rêve! Tout cela
est trop invraisemblable pour ne pas reposer sur un fond de vérité. Nous
vivons à une époque fertile en événements curieux. Tout le temps de
l'opérette, dans cet amusant gouvernement de Gérolstein !
— Et pendant qu'on raconte toutes ces belles choses, voici 1' « admi-
nistrateur» Paravey en présence d'un nouveau procès. Quand nous serons
à dix, nous ferons une croix, qui ne sera pas celle de la Légion d'honneur
qu'on a si généreusement octroyée à ce pétulant imprésario. MM. Deffès
et Adenis, auteurs d'un opéra en quatre actes tiré du Marchand de Venise,
de Shakespeare, ouvrage qui, par traité, devait être représenté en 1889,
puis en 1890, assignent M. Paravey en exécution des conventions ou en
paiement du dédit stipulé, soit 25,000 francs, plus 20,000 francs de dom-
mages-intérêts.
— Encore une démission à l'Opéra. M. Ritl, toujours irrité et toujours
irritable, comme la plupart des vieillards mal portants, a proposé dans
un moment de méchante humeur au ténor Cossira de résilier son enga-
gement, ce que celui-ci a accepté sur-le-champ. On comprend de reste
qu'après s'y être fourvoyé, un artiste n'hésite pas à sortir d'une pareille
maison quand il en trouve l'occasion. M. Cossira succédait à M. Jean de
Reszké. C'est M. Affre qui succédera à M. Cossira. Quel est le ténor qui
viendra après M. Affre? Dimiimendo, toujours diminuendo, c'est la devise de
M. Ritt, fort expert dans l'art d'alléger son budget. En voilà un que son
poids ne doit pas empêcher de flotter!
— Demain lundi, nous aurons à l'Opéra la rentrée de Mme Melba, la
brillante cantatrice, dans llamlet, puis mercredi, dit-on, celle de Mmo Caron
dans Sigurd.
— Rentrées :
M. Ambroise Thomas est de retour à Paris depuis mercredi, en superbe
santé.
M1,c Van Zandt est arrivée avec sa mère, de passage seulement pour
quelques semaines. Elle chantera cet hiver Mignon, Hamlet et Lakmé un
peu partout en Russie, où elle a signé pour une journée un fort bel enga-
gement: cent cinquante mille francs pour trente représentations à Varso-
vie, Kief, Odessa, Moscou et Saint-Pétersbourg.
Notre vaillant Marmontel et son fils Antonin ont aussi rallié Paris,
après avoir pris leurs vacances habituelles dans les Pyrénées. Tous deux
se sont remis à l'œuvre immédiatement. Le père a recommencé à donner
ses conseils si précieux à la nombreuse phalange d'élèves qui l'attendaient
impatiemment. Pour le fils, il met la dernière main à un charmant
petit lot de compositions qu'il rapporte des Pyrénées et qui ne seront pas
indignes de celles qui ont fait si justement déjà sa réputation.
— M. Camille Saint-Saëns est rentré à Paris. Il est revenu ces jours
derniers par le train de la Savoie, accompagné par le violoniste Diaz
Albertini. Il vient diriger les répétitions de Samson et Dalila au Théâtre-
Lyrique. Le même train ramenait M. Colonne d'Aix-les-Bains.
— On a écrit quelque part que M. Joseph Dupont, le remarquable chef
d'orchestre dont il est tant question pour prendre la succession de M.Via-
nesi à l'Opéra, était flamand d'origine, et on paraissait y mettre quelque»
insistance. La chose n'aurait pas à nos yeux grande importance. Fùt-il
flamand, M. Dupont n'en perdrait pas pour cela une parcelle de sa haute
valeur. Pourtant, par amour de la vérité, rétablissons les faits. M. Dupont
est non pas flamand, mais wallon, par conséquent de la partie de la Bel-
gique, dite française.
— Plusieurs directeurs de province, forts de leurs traités avec l'édi-
teur Choudens, se disposent à représenter Salammbô. Vous en croyez peut-
être M. Reyer enchanté. Pas du tout, et cela se comprend. Car, mainte-
nant que voilà sa partition ajournée à l'Opéra, il eût bien mieux aimé
qu'on ne tentât rien en province, avec des ressources naturellement mé-
diocres, avant l'épreuve de Paris. Plus l'œuvre sera jouée ici et là, moins
elle pourra passer d'ailleurs pour une « nouveauté » à l'Opéra. Et qu'en
pensera le ministre? Mais les directeurs précités ne se paient pas de
mots; ils ont de bons traités en poche et ils en demandent l'exécution.
Voilà les inconvénients du succès.
— C'est demain lundi, 6 octobre, qu'a lieu la rentrée des classes au
Conservatoire. On sait que tout élève qui n'est pas présent à la rentrée
est considéré comme démissionnaire, à moins de cause très grave. Les
concours d'admission pour les diverses classes sont fixés aux dates sui-
vantes : mercredi 22 octobre, chant (hommes) ; jeudi 23, chant (femmes);
mardi 28, déclamation dramatique (hommes); mercredi 29, déclamation
dramatique (femmes); vendredi 31, déclamation dramatique, hommes et
femmes jugés admissibles aux deux séances précédentes; mardi 4 novem-
bre, violoncelle; mercredi 5, harpe; piano (hommes); vendredi 7, violon-
lundi et mardi 11, piano (femmes) ; vendredi 14, instruments à vent. Le
registre d'inscription pour les aspirants sera ouvert au secrétariat du
Conservatoire, à partir de demain lundi 6 octobre.
— Les journaux américains annoncent avec gravité et mystère qu'un
contrat vient d'être passé entre la cantatrice Emma Abbott et M. Edmond
Audran, aux termes duquel celui-ci s'engage à livrer en 1893 la partition
d'un grand opéra, dont miss Abbott est la librettiste. Comme aux profes-
sions de cantatrice et d'écrivain, miss Abbott joint encore celle d'impre-
saria, elle a pris l'engagement de produire l'ouvrage en question pendant
la saison 1893 au cours d'une tournée européenne et avec un déploiement
de luxe scénique qui n'aura jamais été égalé. Aux reporters qui sont
venus l'interviewer, mis Abbott n'a pas voulu révéler le secret de son
scénario ; elle s'est contentée de confesser que « c'est le plus grandiose
qu'on ait écrit depuis que le monde existe, qu'il contient les situations les
plus variées, depuis la tendresse aux couleurs romantiques jusqu'aux
passions les plus violentes ! » Sa foi en l'auteur de la Mascotte n'est pas
moins exaltée. « Je considère, dit-elle, M. Audran comme le plus grand
génie musical et dramatique contemporain (!!) D'autres peuvent peut-être
lui être comparés au point de. vue de l'habileté, mais le feu de jeunesse
et d'enthousiasme qui l'anime lui donne une supériorité considérable sur
tous ses confrères. » Nos condoléances aux « confrères » !
— Dans une collection d'autographes qui sera vendue à Berlin le 13 de
ce mois, ligure une très curieuse lettre de Mendelssohn. On lui avait de-
mandé de faire des cours do musique, et voici sa réponse : « Il me faut
refuser, car je ne suis pas en état de parler musique, avec méthode, une
demi-heure durant, à plus forte raison toute une séance. C'est, je crois
bien, une chose que je ne pourrais apprendre à faire, et j'ai renoncé à
320
LE MÉNESTREL
toute satisfaction de ce côté. Plus je vais, plus je m'attache fermement à
poursuivre le dessein que j'ai formé d'être eu musique un praticien et non
un théoricien. » Cette lettre porte la date de Dusseldorf, 3 janvier 1833-
— On met la dernière main à la construction du théâtre des Arts de
Bordeaux, qui va s'élever sur les ruines de l'ancien théâtre Louit, détruit
par un. incendie il y a deux ans. L'ouverture de cette nouvelle salle de
spectacles est annoncé pour le 23 octobre prochain, et il a vraiment fallu
des prodiges d'activité pour arriver, en quelques mois seulement, à édifier
ce théâtre, qui sera, dans son genre, une petite merveille de bon goût
artistique. Tout y a été fait en vue de la commodité des spectateurs, et
l'on peut dire que, tant sous le rapport de l'éclairage (qui se produira à
l'aide d'un procédé nouveau) que des aménagements spacieux, coquets et
confortables, le théâtre des Arts sera bien le théâtre « moderne » par
excellence.
— Les Concerts populaires de Lille vont reprendre prochainement à
l'Hippodrome, sous la direction de M. Paul Viardot, qui fera commencer
les répétitions d'orchestre dès le 14 octobre. Le premier concert aura lieu
le 9 novembre prochain et le second le 30 du même mois.
— L'Institut musical (20e année), fondé et dirigé par M. et Mme Oscar
Comettant, annonce la réouverture de ses cours complets de musique
pour le vendredi 10 octobre 1890. L'éminent professeur, M. Marmontel
père, fera lui-même, comme les années précédentes, le cours supérieur de
piano. Le cours de deuxième degré sera fait par M. V. Dolmetsch, an-
cien élève de M. Marmontel, attaché spécialement à YInstitut musical.
Cours d'accompagnement : M. Garcin, professeur de violon au Conser-
vatoire, chef d'orchestre de la Société des concerts du Conservatoire.
Cours de chant : M1,e Jeanne Lyon. Cours de composition et d'orchestra-
tion : M. Victorin Joncières. Cours d'harmonie :,Mme Renaud Maury,
professeur au Conservatoire. Cours de solfège et piano élémentaire :
Mme Louise Comettant, élève de M. Marmontel. Des certificats d'études
et des diplômes d'honneur seront délivrés chaque année aux élèves. On
. s'inscrit à Y Institut musical, 13, Faubourg-Montmartre, tous les jours de
2 à 6 heures.
— Cours et leçoss. M"° Henrion, de l'Opëra-Comique, a repris ses leçons par-
ticulières et ses cours de déclamation lyrique du mercredi, 86, avenue de Villiers.
— Mmc Isabelle Roy a repris ses leçons particulières et cours de piano du jeudi
à partir du 1" octobre, 43, bouletard Saint-Germain. (Examen mensuel par
M. André Wormser). — Ou annonce la réouverture des cours Schiller, 5, rue
Geoffroy-Marie, sous la direction de M. et M™" Charles Masset. Parmi les profes-
seurs, on compte MM. Crosti, Bussine, Warot, Barbot, Melchissédec (chant et
opéra), Maubant, Laroche, Dupont- Vernon, M™' A. Fargueil (déclamation), MM. de
Bériot, Delaborde, Decombes (pianoi, Bérou (violon), Rougnon (solfège et har-
monie) etc. — M"e Donne, professeur au Conservatoire, reprendra ses cours le
7 octobre, 50, rue de Paradis. — M™ Rosine Laborde, de l'Opéra, reprend ses
cours et leçon* chez elle, 66, rue de Pontbieu, le lundi 6 octobre. — M. I.
Philipp, de retour à Paris, reprend ses leçons chez lui, 1, rue de Chàteaudun
et à la maison Érard; — Les cours de Mlu Chassevant sont rouverts depuis le
1" octobre, 6, rue de Saint-Pétersbourg. M"« Chassevant fait gratuitement des
démonstrations de sa méthode aux professeurs et aux mères de famille, les lundis
et jeudis, de 5 à 7 heures. — M™0 Breton-Halmagrand reprendra le 3 novembre
ses cours de musique (anciens cours Lebouc), 3, place des Victoires, avec le
concours de MM. Alphonse Duvernoy, Charles Lefebvre, Paul Viardot et de
M"» Cécile Monvel. — A partir du 15 octobre 1890, M. et M'"1 A. de Groot
ouvriront chez eux, 23, rue de Rocroy, un cours de piano, d'harmonie et de
musique d'ensemble. — MM. Engel et Isnardon, les deux artistes bien connus du
public parisien qui les a si souvent applaudis et regrette de ne plus les entendre,
viennent d'ouvrir, 31, rue Victor Massé, un cours de chant complété par des
cours de déclamation lyrique et dramatique, de mise en scène et d'études de
répertoires français et italien. Le nom seul des deux excellents chanteurs est une
garantie de la solidité des études qui se feront dans cette nouvelle école. —
M"° x. Weingaertner, l'excellent professeur de piano et de solfège, reprend ses
cours et ses leçons chez elle, 36, rue d'Enghien. — M"" Rizzio annoncent l'ouver-
ture de leurs cours de chant, piano et solfège pour le 6 octobre, 5, rue Boehard-
de-Saron. — Le cours de piano de Mmc Roger-Miclos ouvrira à la même date,
62, avenue de Wagram. — M™c Edouard Lyon a repris ses leçons particulières en
attendant la réouverture de ses cours de piano, de chant et d'accompagnement,
qui aura lieu dans la première semaine de novembre. — M. Paul Viardot, que ses
nouvelles fonctions de directeur des Concerts populaires de Lille n'obligent pas à
quitter Paris, reprendra ses cours à son nouveau domicile, 16, rue de Bruxelles. —
M"1 Marie Rueff reprendra le 1" octobre ses cours de chant chez elle, 22, cité
Trévise et à l'institut Rudy, 7, rue Royale. Le cours d'ensemble, dirigé par elle et
par M. Dimitri, rouvrira à la même époque. — M. A. Brody reprendra ses cours
et leçons particulières dans son nouveau domicile, 4i, rue de Maubeuge, à partir
du 6 octobre.
Henri Heugel. directeur-géi ani .
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SOMMAIRE -TEXTE
I. Notes d'un librettiste: Louis Lacombe (22* article), Louis Gallet. — II. Semaine
théâtrale: Rentrée de M"1 Melba, à l'O éra; première représentation de Colom-
bine, à l'Opéra-Comique, H. Moreno; premières représentations de l'Art de tromper
les Femmes, au Gymnase, et de En scène, Mesdemoiselles, à la Renaissance, Paul-
Éhile Chevalier. — III. Un virtuose couronné (4° article), Edmond Neukomm et
Paul d'Estrée. — IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
PETIT CHÉRI
gavotte de Franz Behr. — Suivra immédiatement : Allegretto pastoral, de
Théodore Lack.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant : le Mois de mai, chant de quête de la Champagne, n° 1 des
Mélodies populaires de France, recueillies et harmonisées par Julien
Tiersot. — Suivra immédiatement: Celui que mon cœur aime tant, chanson
de l'Angoumois, n° 3 des mélodies populaires de France, recueillies et
harmonisées par Julien Tiersot.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
LOUIS LACOMBE
Il y a dans les bureaux de la Société des auteurs, compo-
siteurs et éditeurs, de la rue du Faubourg-Montmartre, un
buste dont le profil rappelle celui d'Hippocrate de Gos ; cette
ressemblance était plus accentuée encore chez l'original.
C'est, avec moins de lassitude dans les traits, le même crâne
nu cerclé de cheveux rares, la même barbe courte et sur-
tout le même pli du front entre les yeux, marquant l'obsti-
nation de la pensée. L'arête du nez, le trait des lèvres et
surtout la façon de porter la tête en avant, emmanchée obli-
quement sur les épaules rendues comme gibbeuses par l'ha-
bitude de marcher ou de se tenir toujours voûté, complètent
cette relation physique.
Ce buste est celui du compositeur Louis Lacombe, qui fut
un noble esprit et un haut caractère, et qu'on s'occupe
d'honorer, mort, avec plus d'ardeur qu'on n'en a mis à l'en-
courager, vivant.
Bieu qu'il n'ait pas obtenu de la vie tout ce que sa valeur
en aurait pu attendre, il est pourtant un de ceux dont la
trace restera lumineuse dans l'histoire musicale de ce temps.
On lui élève un monument à Bourges, sa ville natale ; on
recueille ses œuvres posthumes ; il est possible qu'il prenne
enfin devant la génération actuelle, la place que ses contem-
porains lui ont refusée, ou du moins qu'ils lui ont faite
bien étroite.
Louis Lacombe, que j'ai connu seulement en 1881, est de:
ceux que j'ai le moins vus et qui m'ont le plus intéressé.
Né en 1818, il appartenait au groupe des romantiques et ne
se mêlait plus depuis assez longtemps au mouvement mu-
sical courant; il était d'ailleurs, il avait toujours été, paraît-
il, un isolé, ne sortant que rarement de sa solitude1 et de
son silence, produisant alors quelque œuvre magistrale, dont
la valeur remettait tout à coup en lumière un nom que dans
le public beaucoup avaient presque oublié, que d'autres
connaissaient à peine.
J'étais, je l'avoue, au nombre de ces derniers. Le nom de
Louis LacomDe se rattachait pour moi au souvenir d'un
jeune et remarquable pianiste, qu'il avait été en effet, et
que je croyais depuis longtemps rayé du nombre des vivants.
Lui-même devait m'apprendre, en se présentant à moi, que
compositeur toujours militant et pianiste autrefois célèbre
ne faisaient qu'une seule et même personnalité. Il devait
avoir alors soixante-trois ans.
Depuis cette rencontre, d'où datèrent des relations pro-
longées durant toute cette année et les premiers mois de
l'année suivante, j'ai voulu connaître mieux le passé artis-
tique d'un homme au sujet duquel j'avais eu tout d'abord à
me reprocher ma presque complète ignorance.
Les biographies sont peu prodigues de détails sur la vie
du compositeur. Ce n'est qu'en 1888 qu'un intéressant travail
de M. Henri Boyer, son compatriote, Louis Lacombe et son
œuvre, a éclairé d'un jour complet les origines et les actes de
cette carrière laborieuse. ,.,..j--\
Un des traits que vise le biographe dans la race berri-
chonne à laquelle appartenait Louis Lacombe, est cette
« force tranquille » qui précisément devait me frapper tout
d'abord en lui et me semble la caractéristique de son talent.
Mais il ne manque pas de lui accorder en même temps
l'imagination, qu'il avait en effet très ardente et très-vive. Un
quart d'heure d'entretien avec lui, sur un sujet pris ,à> cœur;
suffisait pour s'en apercevoir. Il apportait dans la causerie
une passion, une impétuosité de jeune homme, sagement
tempérées par la plus respectueuse attention accordée aux
raisonnements de son interlocuteur.
Comme quelques intelligences d'élite dont la floraison trop
hâtive n'épuise pas prématurément les forces et n'empêche
pas l'homme de tenir toutes les promesses de l'enfant, il
avait été un petit prodige.
M. Henri Boyer raconte qu'un soir, son père jouait aux
322
LE MÉNESTREL
échecs, et tout en méditant quelque combinaison tapait à
petits coups sur la table. L'enfant dans un coin paraissait
indifférent à ce qui se passait autour de lui. Pourtant, quand
la partie fut terminée, il s'approcha de son père et se mit à
lui chanter un air, dont ce dernier avait machinalement mar-
qué le rythme sur le bois du meuble.
Louis Lacombe fut tout d'abord un simple pianiste. Il
obtint un premier prix en exécutant la sonate en la de
Hummel. Le virtuose n'était encore qu'un enfant. Pour l'asseoir
au piano « on entassa livres sur livres, et comme ses petites
jambes erraient dans le vide, Zimmermann (son maître) lui
mit son propre chapeau sous les pieds. »
Liszt lui cria: « Vous me rappelez mon enfance! »
Ce n'était pas modeste, mais c'était fort flatteur.
Après cet heureux début sa route était tracée : il n'avait plus
qu'à partir pour cette pérégrination pénible et brillante, parfois
traversée de rudes épreuves, qui entraine forcément les vir-
tuoses à travers le monde, s'ils veulent vivre de leur talent.
Louis Lacombe y connut bien des jours pénibles ; il y
goûta aussi la joie de bien des triomphes.
Il en revint classé, catalogué sous la rubrique : pianiste.
Si bien que lorsqu'il voulut se révéler compositeur, il ren-
contra des difficultés énormes.
« Pianiste virtuose, il fallait qu'il restât, nous dit encore
M. Henri Boyer. La place qu'on lui mesurait au soleil n'était
elle pas assez belle ? Que venait-il faire dans la galerie de la
composition? »
Nonobstant ces réserves, la volonté ferme de l'homme
devait renverser tous les obstacles. Il fit exécuter au Conser-
vatoire, le 25 mars 1847, une symphonie dramatique en
quatre parties, Manfred, d'après le poème de Byron; puis,
ce fut, le 31 mars 1850, également au Conservatoire, une
autre symphonie, Arva ou les Hongrois.
Un peu plus tard, au Palais de l'Industrie, dans un Festival
organisé par Delaporte, 5,000 exécutants venus de tous les
points de la France firent connaître de lui un chœur, avec
musique militaire : Cimbres et Teutons, dont l'effet fut immense
sur un public de quarante mille auditeurs.
Après bien des travaux, après un deuil qui le tint éloigné
pendant plusieurs années du monde musical, Louis Lacombe
devait encore triompher, en 1878, avec sa symphonie Sapho.
Un concours avait été institué par le ministère des beaux-
arts pour une composition de ce genre, et Louis Lacombe
avait envoyé, comme par acquit de conscience, cette parti-
tion prise comme au hasard dans sa bibliothèque.
Il comptait déjà parmi les « disparus ». Plusieurs jurés
demandèrent quel était ce Lacombe dont on avait à apprécier
le travail,
— Eh quoi? s'écria Saint-Saëns, vous ne connaissez pas
Lacombe? Je vais vous le faire connaître.
« Alors, raconte le biographe, avec cette prodigieuse faci-
lité de lecture qui l'ont rendu célèbre en Europe, Saint-Saëns
prit la grande partition d'orchestre, et, réduisant à première
lecture toutes les parties, chantant la mélodie, donna à ses
collègues une superbe audition des beautés de cette Sapho,
presque contestée avant d'avoir été entendue. L'effet fut
irrésistible et la symphonie de Lacombe classée la première ».
Au théâtre, le compositeur ne connut guère que la mince
satisfaction d'un petit acte, la Madone, joué en 1861, au
Théâtre-Lyrique, en grande partie devant les banquettes,
selon le sort presque commun à tous les levers de rideau.
Précédemment il avait donné au théâtre Saint-Marcel, alors
dirigé par Bocage, un ouvrage, l'Amour, poème de M. P.Niboyet.
C'était, non pas comme on l'a dit, un simple acte, mais
bien, selon les renseignements que je tiens de M. P. Niboyet
lui-même, une légende en sept tableaux, qui étaient de
véritables actes.
Bocage avait été fort enthousiasmé de la pièce ; la musi-
que, dont Fiorentino, Théophile Gautier et d'autres critiques
firent un grand éloge, était fort belle.
« Par malheur, ajoute le poète, un drame lyrique dont
ceux de Gœthe et de Schiller m'avaient donné l'idée ne
pouvait pas réussir là, malgré un bon petit orchestre formé
de chefs d'attaque du Théâtre-Italien. »
Louis Lacombe avait encore écrit divers ouvrages drama-
tiques, dont le plus important est un Winkelried, grand opéra
en quatre actes et cinq tableaux, paroles de MM. Lionel
Bonnemère et Moreau-Sainti ; la représentation a dû en avoir
lieu naguère, au théâtre de Genève.
Enfin, le compositeur s'est plus d'une fois essayé dans la
musique bouffe. Ce n'était là pour lui qu'un délassement
d'esprit. La Muse grave le reprenait bientôt et lui dictait des
œuvres d'une conception grandiose, telle que son oratorio :
le Songe de Jeanne d'Arc, dont il avait écrit lui-même les
paroles.
Voilà bien des choses apprises peu à peu et tardivement,
que j'aurais été heureux de savoir quand Louis Lacombe
vint à moi, un jour de l'été de 1881, pour m'exposer une
idée qui, intéressante et simple en son premier énoncé, allait
bientôt, — développée par son auteur en tous ses détails —
m'apparaitre formidable.
'(A suivre.) Loms Gallet.
SEMAINE THÉÂTRALE
Nous avons eu lundi à I'Opéra la rentrée de Mmc Melba dans Hamlel,
et il ne fallait rien moins que le scintillement de cette étoile pour
mettre quelque lueur au ciel si terne, bien qu'académique, de la
maison d'art tenue par MM. Rilt et Gailhard.
La soirée a fait quelque tapage et on y a entendu autre chose
que les battoirs salariés d'une claque officielle. Il y avait à l'or-
chestre quelques gants de la meilleure marque qui ont bien voulu
se déboutonner pour une fois et joindre leurs applaudissements à
ceux de Polyte et de Gugusse, les admirateurs patentés de tout ce
qu'on entend sur la scène de l'Opéra. Et ce n'est pas peu de chose
pour une cantatrice de dégeler ainsi un public momifié par une
série de lamentables représentations, résigné d'ailleurs à son triste
sort, sachant bien qu'il ne peut rien attendre de mieux d'une direction
aussi démonétisée. Il s'est donc réveillé pour un soir, étonné et charmé,
et retombera demain dans son atonie ordinaire, dans ce sommeil
engourdi qu'on ne saurait comparer à celui du juste, puisqu'il se
produit le plus souvent au milieu de cacophonies épouvantables.
Donc, Mmo Melba a triomphé une fois de plus, et avec elle la
belle œuvre d'Ambroise Thomas, qui reste une dos plus nobles
partitions de ce temps. Après le quatrième acte, il a fallu relever
trois fois le rideau. C'est là en effet le point culminant du succès
pour Ophélie. Lassalle, lui, en fort bonne disposition de voix, le
rencontre dans la superbe scène de l'esplanade et dans les scènes
dramatiques du 3e acte, aux couleurs si sombres, qui font un saisis-
sant contraste avec les scèues poétiques et lumineuses du tableau
qui suit.
MUe Domenech, qui s'essayait pour la première fois dans le rôle
de la Reine, possède vraiment une voix agréablement timbrée et qui
sonne bien. Elle est meilleure assurément que la collection de Ma
jestés pitoyables que MM. Ritt et Gailhard ont fait défiler tour à
tour sous nos yeux, depuis le départ de M"10 Richard. Mais pourquoi
nous l'avoir présentée ainsi attifée, comme une jeune pensionnaire
sortant du couvent dans des vêtements trop étriqués? Elle a l'air de
la petite fille de son fils. A quoi pensait donc notre étonnant Gail-
hard quand il l'a lâchée ainsi fagotée sur la scène? Sans doute à
Constans et à ses pompes.
On l'a dit souvent, il n'y a .pas de petits rôles pour un véritable
artiste. M. Pol Plançon l'a prouvé à nouveau, en chantant d'une ma-
gnifique voix la partie du Roi. Il y a été tout à fait remarquable.
On n'a rien à regretter d'Edouard (de Reszképour les profanes)
quand on a Pol dans sa troupe. N'oublions pas la gentille M"° Su-
bra, qui a été la grâce et le sourire du ballet.
A l'OpÉRA-CoMiQUE, petit ragoût nouveau à la façon de M. Paravoy.
Voilà bien près d'une année qu'on répétait cette Colombine qu'il
LE MENESTREL
323
nous a servie l'autre soir. On ne saurait trop répéter les bonnes
choses pour les mener à leur point de complète maturité. Il ne s'a-
gissait que d'un acte en la circonstance, mais il y a des chefs-
d'œuvre qui n'en comportent pas davantage.
Que vous dirai-je de la donnée du poème extraordinairement
neuve imaginée par M. Sarlin? Pierrot et Arlequin courtisent Co-
lombine, qui est gardée de près par le vieux Gassandre. Le vieux
Cassandre est rossé, ce qui le fait consentir à l'union d'Arlequin
avec Golombine. Pierrot en est pour ses frais. C'est à peine si au-
jourd'hui on peut supporter ces pantalonnades, même en pantomime.
Vous jugez de ce qu'il a pu en être quand on prend la peine de
nous les expliquer longuement en vers et en prose, avec circonstance
aggravante d'une partition lourde et prétentieuse. M. Miehiels —
celui-ei est le musicien — nous parait de ces personnes importantes
qui prennent une massue pour écraser les mouches ou qui embou-
chent la trompette du jugement dernier pour chanter un madrigal.
La pauvre Colombine n'en réchappera pas.
Les interprètes font de leur mienx: Mlle Auguez, avec sa jolie
mine, Mmc Mole, avec sa grâce ordinaire, Fugère, avec sa verve et
son talent, Grivot, avec sa malice spirituelle.
Ne me demandez pas pourquoi M. Paravey a cru pouvoir perdre
son temps à faire représenter cet innocent badinage. Il doit
avoir pour cela d'excellentes raisons. L'Opéra-Comique actuel n'est
pas un théâtre où l'on fasse du sentiment. On n'y épouse pas les
pièces pour leurs beaux yeux; il faut encore qu'elles apportent
leur dot avec elles.
H. Moreno.
Gymnase. — L'Art de tromper les femmes, comédie en trois actes,
de MM. P. Ferrieret deNajac. — Renaissance. En scène. Mesdemoiselles,
revue en trois actes de MM. Charles Clairville et Georges Boyer.
Ne vous alarmez point, madame, et n'allez pas croire, sur la foi du
titre inventé par MM. Fenier et de Najae, que nous avons, dans
noire sac, un tour de plus de la façon de ces deux habiles auteurs.
Je vous assure qu'ils ne nous ont rien appris de nouveau, rien, abso-
lument rien, et, si vous doutez de ma parole, vous pouvez y aller
voir. Vous vous convaincrez alors facilement que l'avocat Loriquois
n'emploie pour tromper sa femme, la crédule Hermine, ou délaisser
la lingère à la mode, la soupçonneuse Colinette, au profit d'une très
jolie étrangère, Casilda, que des trucs que nous connaissons tous de
longue date, que vous connaissez mieux que nous, très certaine-
ment, et dont nous rougirions de nous servir. Pour son épouse
légitime, monsieur en est encore à la bienheureuse chasse, aux bour-
riches commandées chez le marchand de comestibles, aux clients
à aller voir la nuit, aux réunions de labadens ou aux conférences ;
pour l'illégitime, moins bonne enfant pourtant, il ose toujours invo-
quer l'arrivée inattendue de sa belle-mère, les dîners de famille,
les affaires à plaider eu province et s'écrit à lui-même des lettres
qui le mandent en toute hâte. Vous voyez que tout cela est bien
éventé et, véritablement, madame, si le divin hasard permettait que
je me trouve en position pour agir, à votre égard, comme notre héros,
je croirais, pour ma modeste part, vous faire mortel affront en recou-
rant à d'aussi piteux subterfuges. Et remarquez, je vous prie, que ce
Loriquois se pose en dilettante de ce genre de sport tout à fait spé-
cial ; il se croit raffiné dans cet art de tromper les femmes, dont il
joue de si enfantine façon. Pauvre, n'est-ce pas, madame? Aussi je
reste bien convaincu que, loin de vous fâcher comme l'irascible et
jalouse Colinette ou de croire tout bénévolement à ces sottises
comme la trop innocente Mm0 Loriquois, vous vous ririez à belles
quenottes du nigaud qui essaierait de vous berner si naïvement et
lui serviriez quelque spirituelle leçon de votre manière qui le ferait
rentrer tout penaud dans le droit chemin.
Allez au Gymnase, malgré tout, et vous y rirez; de fait, je vous
mets au défi de ne point désarmer en face de la bonne humeur et
de la finesse de M. Noblet et de la fantaisie si nature de M. Numès.
Vous pourrez, de plus, applaudir MUe Marguerite Ugal le, que
M. Koning arrache à l'opéreite, et qui retrouve dans la comédie
ses succès passés. Vous y rencontrerez aussi M. Nertann, un elub-
man sur le retour, que vous avez souvent reçu dans votre saloo,
vous y ferez la connaissance de M. Hirsch, un garçon de magasin
très drôle, et de M. Richemond, un apprenti avocat bien naïf. Enfin
vous aurez l'immense satisfaction, en voyant de fort jolies femmes
comme M11"* Depoix, Demarsy, Lécuyer et Varly, de pouvoir vous
dire que vous êtes cent fois plus jolie encore.
Et puisque je suis en train de vous parler de jolies femmes, vou-
lez-vous que je vous en signale quelques-unes encore que l'on peut
voir tous les soirs, à la Renaissance, évoluer sous les ordres de la
resplendissante Decroza, que vous vous rappelez assurérn»nt avoir
applaudie déjà dans le Fétiche. MM. Clairville et Georges Boyer ont
jeté tout ce petit monde sur la scène et, installés dans les frises du
théâtre, ils tiennent de main de maître les ficelles qui, pendant
trois actes, font mouvoir ces gracieux pantins pour notre plus grande
joie. Courez voir En scène, Mesdemoiselles, vous vous y amuserez
beaucoup et applaudirez, comme il convient, M'lc8 Dezoder, Aubrys,
George, Raphaël, Burty, MM. Regnard, Georges, Bellot, Victorin,
Gildès et tant d'autres dont je m'excuse d'oublier les noms. Si,
encore, j'osais vous donner un conseil, je vous recommanderais de
bien suivre la dernière scène ; vous y comprendriez, madame, com-
bien la direction de l'Opéra, où vous avez très certainement votre
loge, se moque de vous, et vous vous empresseriez, dès le lendemain,
de suspendre un abonnement qui ne peut que vous discréditer auprès
desgensde bien. Vous devriez, alors, de sincères remerciements à
MM. Clairville et Boyer qui, non seulement, vous auraient fait passer
une soirée des plus agréables, mais qui, de plus, vous auraient
rendu un signalé service.
Paul-Éhile Chevalier.
UN VIRTUOSE COURONNÉ
(Suite.)
Dans le Camp de Silésie, opéra de circonstance, d'où Meyerbeer
devait tirer plus lard l'Étoile du Nord, on entend le vieux Frédéric
jouer de la flûte dans la coulisse. Et de fait, sous la tente aussi
bien que dans la salle de musique de Sans-Souci, les gammes et les
arabesques du royal virtuose résonnaient à toutes les heures du jour.
Le matin, il s'exerçait sous la direction de son maitie, Quantz,
pour lequel il professait une véritable vénération et qui, seul, eut
avec lui son franc-parler, poussé le plus souvent à l'extrême, ce
qui faisait dire aux beaux esprits de la cour :
— Quantz mène le roi, M" Quantz mène son mari, le chien de
Mme Quantz mène Mme Quanlz, donc c'est le carlin de Mrae Quantz
qui gouverne la Prusse.
Un jour, Frédéric apprit par les gazettes qu'un jeune flûtiste,
élève de Quantz, venait d'obtenir un immense succès à BerliD. Il le
fit venir aussitôt à Sans-Souci et put s'assurer que sa réputation
n'était pas surfaite.
Alors, le roi, prenant à part son professeur :
— Vous m'avez négligé. Votre élève, qui, je le parierais, n'a pas
plus travaillé que moi, m'a devancé.
— Je conviens, répondit Quantz, que j'ai employé avec lui un
moyen plus expéditif qu'avec Votre Altesse.
— Et lequel, demanda Frédéric, piqué de cette préférence?
Le musicien fit un geste qui voulait dire que le moyen en ques-
tion, c'étaient le sélrivières.
— Oh! pour celui-là, reprit le prince en riant, je conviens que je
ne saurais m'y faire. Tenons-nous en aux autres.
Il n'en demeurait pas moins féru de sa virtuosité. Les concertos
succédaient aux concertos, les solos aux solos. Invariablement, le
concert commençait à sept heures du soir. Mais longtemps avant
cet instant, le roi s'exerçait pour se faire l'embouchure. Lorsque son
instrument était suffisamment échauffé, les musiciens étaient intro-
duits. C'était la fine fleur de la chapelle royale : Graun, les frères
Benda, Charles-Philippe-Emmanuel Bach, tous virtuoses de premier
ordre, ce qui n'empêchait pas le royal soliste de s'emporter contre
eux et de les rendre responsables de ses propres accrocs, lesquels
étaient fréquents.
Généralement le roi jouait trois concertos, ou deux concertos et
un solo de sa propre composition ou de celle de son maître, et son
choix était grand, car Quantz n'a pas composé moins de 300 con-
certos et 200 solos pour flûte, avec accompagnement de clavecin.
Debout, en avant des musiciens, le maître indiquait de la main le
mouvement de chaque morceau. De temps en temps il criait bravo
pour encourager son élève ou pour lui permettre de reprendre
haleine sans qu'on s'en aperçût : c'était un privilège que n'avait
aucun autre musicien. Un jour, un nouveau venu, le pianiste
Fasch, qui n'était pas au courant des habitudes de la maison, crut
devoir surenchérir sur son chef en criant bravissimo. Furieux, le roi
courut a lui, la flûte levée. Sans l'intervention de Quantz, il l'eût
assommé surplace, ce qui lui aurait laissé de cuisants regrets, car il
payait ses flûtes cinquante ducats.
324
LE MENESTREL
Ce Fasch avait succédé comme accompagnateur à Charles-Philippe-
Emmanuel Bach, parti dans des circonstances mémorables, dont le
début n'est pas sans ressemblance avec la triste aventure de Du-
port.
Bach, ayant trouvé une place de maître de chapelle à Hambourg,
demanda sa retraite, mais ne reçut pas de réponse. Peu de
temps après, il renouvela sa requête, mais sans plus de succès.
Alors le vieux Quantz profita d'un moment de bonne humeur de
son royal élève pour lui dire :
— Sire, M. Bach sollicite de Voire Majesté la grâce de son congé.
— De quoi se plaint-il, répondit brusquement le roi ?
— Il ne se plaint pas; mais il a trouvé à Hambourg une place
avantageuse, et il voudrait qu'il lui fût permis d'aller l'occuper.
— J'augmente ses appointements.
— Ce n'est pas ce qu'il demande, Sire, il voudrait partir.
— Eh bien, qu'il parte.
— Je puis donc lui annoncer qu'il a l'agrément de Votre Majesté?
— Qu'il parle, mais seul. Sa femme est prussienne, ses enfants
sout mes sujets ; ils ne peuvent quitter le royaume sans ma volonté.
Dans la suite, l'affaire s'arrangea, et Bach, plus heureux que Duport,
put s'éloigner avec sa femme et ses enfants.
Son successeur, Fasch, dont les débuts avaient été si malencon-
contreux, fut plus tard en grande faveur auprès du roi, qui prit
même de lui des leçons de clavecin. Ce détail a été mis en doute par
plusieurs biographes du grand Frédéric; mais il est fort plausible,
car on trouve dans sa correspondance ce billet à son fidèle Algarotti :
« J'ai fait des vers que j'ai perdus, j'ai commencé à lire un livre
que l'on a brûlé, j'ai joué sur uu clavecin qui s'est cassé, et j'ai
monté sur un cheval qui est devenu estropié. »
Cet épisode doit se placer après la visite du grand Jean-Sébastien
Bach à Sans-Souci.
Un soir, au moment de commencer le concert, Frédéric ayant,
suivant son habitude, jeté les yeux sur la liste des étrangers arrivés
à Potsdam pendant la journée, s'écria:
— Messieurs, le vieux Bach est ici.
Manié sur l'heure, le ce èbre musicien dut quitter la table où il
venait de s'installer, pour se présenter, en habit de voyage, devant
le roi. Celui-ci l'embrassa à plusieurs reprises et lui demanda sur-
le-champ d'improviser une fugue à six parties dont il lui donna le
thème.
9*Bach dut ensuite essayer tous les clavecins de Silbermann qui se
tfô'ùvaient au château. Le lendemain, ce fut le tour de toutes les
orgues de Potsdam et de Berlin. Puis, l'Opéra donna une représen-
tation de gala en l'honneur du vétéran de l'école classique.
£bî[près son retour à Leipzig, Bach écrivit une fugue à trois voix sur
le thème que lui avait donné le roi, un ricercare à six voix, quelques
(fanons aVè'c l'inscription Thematis regii elaborationes canonicœ; il y
joigDit un trio pour la flûte, le violou et la basse, et il dédia le
tout à- Frëcfër'ic II sous le titre d'Offrande musicale (Musikalisches
Opferi).'" <>n°û.
Ces œuvres défrayèrent pendant quelque temps les concerts de
sUns-§otic'îl,'n¥àîs bientôt le roi revint à sa chère flûte, d'autant que
Quantz venait de perfectionner cet instrument par l'addition d'une
(âeï'ètFinvèrrtioTi ffè là pompe d'allonge pour la partie supérieure.
s'Lo'rs?ju.e)'cel! aHme^mourut, ce fut un grand chagrin pour Fré-
déric, qiii'lè'cotisidërailcomme un ami. S'il n'avait pas fait sa for-
tfin;e''dilréc(t;emën'<,'''ilJ,y''àlvalt du moins contribué par l'exemple de sa
vîr'tilbsi%; "En ié'fïè't,')p'a'r ''esprit d'imitation, tout le monde voulut
jfttfér1 dé'la 'flûte 'dahâ'lèà Etats du roi-musicien. A Potsdam comme
âf'Béttlii, on;'è'nïéhMt 'de' toussotes les sons de la flûte, comme en
te'm'p's' ordinàit-e' ceux d'û.l;iiianV."Cet engouement eut pour résultat
dffenWchïr- lfe' 'btfâvé 'QAia'iitzV 'qui' avait fondé une fabrique de ces
instruments dans un faubourg de la capitale prussienne.
J3 BOjl80n03 XU9b JJO ,*.0ll9Ufl00 EÏOll
noe Ut fiûtsm un ob slleo eb n^oiJie.
-iio-i Odfi ab Biiiom èaoqmoo ssq b'xi sias
.(Eeavsiiocèijd6'Vii'taoac.ii(iièi'lttl'isùffisant?p1us,leroi Frédéric II tourna
aésivues .'vers lfeisJCJhoses ,déithléâtfe':eit'lsèl11t"impresario.
oiDèà le débat dpistem rfegnty'Mlse'mit 'èhUerdii1 de réaliser une idée
oaiiles8éqtpapdui-'idèpai»'longte*i^] Néus* '"â'v!6hs"vu comment l'Opéra
dènBerlin s/éleva U Dêlfrotit felUlaïé'nt ïà'.' c^tistruéïidh de la salle, les
engagements, ides < antféte8"iet la11 pré'p'ak-a'tion Sëé'1 spectacles. Le roi,
qui guerroyait elntSilésleljldirigéait de Wiii' tout tfdmotiyèment, réglant
dhaqùeiiétaili'Vo^ou^'aW^éSinWfldreB'pai'ttolàWtésV'éf donnant ses
OOd-teâ commc',te'il>s0<'/â't''ùgi,ud'brgâh'iser'rlvlile 'cëmp'agrië parallèle
àila sierine^M eian&ïuo eh èaeisl liaiue iul îup oa.aoBlct'iu. .
Tandis qu'on se battait à Molwit*,'<&uPragWfer'&) Hônenfriedberg,
Quantz formait l'orchestre et Graun voyageait pour recruter une
troupe d'opéra. De son côté, Voltaire s'inquiétait, en France, des
projets lyriques et dramatiques de son royal ami, qu'il n'avait point
encore visité à Sans-Souci, mais qu'il avait vu, dès le commencement
de son règne, au château de Meuse, près de Clèves.
Après avoir fait des vœux pour une paix prochaine, l'auteur de
SIéivpe écrivait :
o Ce qui me donne une sécurité parfaite, c'est une douzaine de
faiseurs et de faiseuses de cabrioles que Votre Majesté fait venir de
France dans ses Étals. On ne danse guère que dans la paix. Il est
vrai que vous avez faitpayer les violons à quelques puissances voisines.
Au lieu de douze bons académiciens, vous avez donc, Sire, douze
bons danseurs. Cela est plus aisé à trouver et beaucoup plus gai.
On a vu quelquefois des académiciens ennuyer un héros, et des
acteurs de l'Opéra le divertir. Cet Opéra dont Votre Majesté décore
Berlin ne l'empêche pas de songer aux belles-lettres. Chez vous
un goût ne fait pas tort à l'autre. »
Voltaire termine en offrant au roi de lui expédier de bons acteurs
de tragédie. Mais cette partie du programme fut remise à plus tard.
Aussi bien, la troupe française recrutée un peu partout, et négligée
pour d'autres plaisirs, ne causa-t-elle qu'une médiocre satisfaction
à l'hôte du Grand Frédéric.
Un jour, comme ce souverain désirait voir une représentation de
Brutus, tragédie de Voltaire, le poète français demanda des sujets
pour figurer les gardes et les licteurs.
Le roi lui dit: « On vous donnera des hommes».
Or, il advint que Voltaire ne put arriver à faire mouvoir comme
il le désirait ces hommes. Il criait et jurait de si belle façon que le
roi vint à ce bruit et lui demanda ce qu'il avait.
— Comment, ce que j'ai? dit Voltaire. Votre Majesté me promet
de me donner des hommes, et on me f... des Allemands.
Frédéric, qui était, suivant l'expression d'un contemporain, dé-
pouillé de tout germanisme, rit beaucoup de cette sortie, mais il
n'en changea point pour cela ses figurants. S'il dépensait beaucoup
d'argent pour son Opéra, son plus grand soin était de s'en rembour-
ser au détriment de la tragédie et de la comédie. Nous avons vu
comment fut traitée la troupe française de Laubertin ; ce n'était pas
un cas isolé : un directeur de Rouen, La Noue, venu à Berlin où il
avait été appelé, à grands renforts de promesses, par Frédéric, ne
reçut de ce prince aucune allocation, ni même le moindre dédom-
magement. La guerre de 1741 avait, prétendait le monarque, épuisé
toutes ses ressources; de sorte que La Noue fut obligé de payer de sa
propre bourse ses pensionnaires et qu'il dut les rapatrier, toujours à
ses frais, jusqu'à Paris.
(A suivre.) Edmond Neukomm et Paul d'Estrée.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (9 octobre). — Mllc Nardi est venue
apporter un appoint précieux à la troupe de la Monnaie. Accueillie dans
les Dragons de Villars avec une faveur peu ordinaire, elle a été fêtée, accla-
mée par tous, dès le premier jour. Sa voix superbe, d'un timbre si riche
et d'une si rare homogénéité, ont fait merveille, avec, outre cela, ses qua-
lités de bonne musicienne, fécondes déjà en résultats et plus fécondes
encore en promesses. Le succès de Mlle Nardi, très grand dans les Dragons,
a été plus considérable encore, quelques jours après, dans Mignon. Je
n'ai pas besoin de vous détailler ses mérites, vous les connaissiez avant
nous à Paris, et peut-être avez-vous lieu de les regretter un peu. Si
l'Opéra-Gomique n'a rien fait pour garder une artiste si intelligente, ce
n'est pas nous assurément qui en sommes fâchés, et je suis certain
que la Monnaie s'en trouvera particulièrement bien, cette année. Aussi,
celle-ci se hàte-t-elle d'en profiter. Après les Dragons et Mignon, donnés à
peu près coup sur coup, elle nous annonce Carmen, encore avec M"1-' Nardi,
— et bientôt après la Basoche, toujours avec Mlle Nardi, dans le rôle créé
par Mmc Mole. On met les morceaux doubles, comme vous voyez : autant
on avait perdu du temps, l'an dernier, autant on s'efforce d'en gagner,
cette fois. Une activité dévorante règne dans tous les coins. M. Massenel
préside aux répétitions de Manon, dont il veut que la reprise soit tout à
fait soignée, avec M"0 Sanderson, une Manon comme il l'a rôvée. Pendant
ce temps, on achève de préparer la reprise de Salammbô, qui passera la
semaine prochaine, on songe à Werther, et les études de Siegfried se pour-
suivent doucement, — plus doucement même qu'on ne l'avait espéré en
commençant. Divers incidents viennent d'éclater, en effet, qui ne sont
pas sans inquiéter quelque peu ceux qui s'intéressent à cette prochaine
grande « première ». Le plus grave n'est pas celui qu'on a raconté déjà;
je veux parler du différend soulevé entre M. Franz Servais, qui doit diri-
LE MENESTREL
325
ger l'exécution de Siegfried, et le traducteur, notre confrère, M. Victor
Wilder, au sujet de certains mots, non conformes à la prosodie wagné-
rienne et que M. Servais avait cru devoir modifier. Ce différend est du
reste aplani. Mais il y en a un autre, que je tiens des intéressés eux-
mêmes et qui est plus dangereux. M. Servais réclamerait vainement l'or-
chestration complète, la « grande orchestration » de l'œuvre, celle qui a
servi aux représentations de Bayreuth; la direction ou les éditeurs se
refuseraient à lui fournir autre chose que la petite orchestration pour
soixante musiciens, qui sert aux représentations ordinaires, dans les petits
théâtres allemands. De là, conflit. M. Servais insiste pour que l'interpré-
tation soit telle qu'il la rêve et qu'il la comprend; il réclame un supplé-
ment d'instruments et d'instrumentistes, et menace même de tout aban-
donner... Cédera-t-on? Ou bien le bâton du chef d'orchestre passera-t-il
de ses mains dans celles de M. Barwolf, qui parait avoir peu de dispositions
pour conduire un drame lyrique de Wagner, ou de M. Léon Dubois, le
nouveau chef en second, très compétent en matière wagnérienne malgré
sa jeunesse? Nous verrons. Mais les commentaires vont leur train.
L'opérette a fait sa rentrée dans la bonne ville de Bruxelles. Le théâtre
des Galeries s'y voue tout entier. Il a commencé cette semaine par Fati-
nitza et va continuer avec le Petit Faust. Espérons qu'il ne s'en tiendra
pas aux reprises et qu'il ne négligera pas les nouveautés, dont nous avons
été bien sevrés en ces derniers temps. Il y en a de charmantes, — le Fétiche
notamment, dont la musique est ravissante, comme vous savez. M. Durieux,
le sympathique directeur des Galeries, ne doit pas ignorer cela; tout le
monde ici serait heureux s'il voulait bien nous le prouver. Sa troupe est
bonne, et il a tout ce qu'il faut pour rendre la vogue à ce genre autrefois
si fêté à Bruxelles et si injustement abandonné depuis.
Lucien Solvay.
— ■ Nouvelles de Londres. — La morte-saison touche à sa fin et les ama-
teurs qui ont dû se contenter depuis deux mois d'une opérette médiocre,
le Capitaine Thérèse, de Planquette, et des Concerts-Promenades, dépourvus
de tout intérêt artistique cette année, n'auront bientôt que l'embarras du
choix. Le 11 octobre, reprise des concerts du samedi à Crystal-Palace. On
sait que 1 orchestre dirigé par M. Manns est le meilleur de Londres, le
seul, dans tous les cas, qui parvienne à des exécutions d'ensemble se
rapprochant des grands orchestres symphoniques du continent. Les pro-
grammes des dix premiers concerts de cette 3b° saison sont déjà publiés
et ne contiennent aucune nouveauté saillante. J'y constate aussi la part
de plus en plus maigre faite depuis quelque temps par M. Manns à la
musique française : une ouverture de Berlioz et le ballet d'Ascanio, c'est
tout pour dix concerts ! M. Manns, qui est pourtant d'une complaisance
souvent excessive dans le choix de ses nouveautés, aurait dû déjà offrir à
ses habitués la primeur du Wallenstein de M. Vincent d'Indy, de l'Irlande
de Mme Augusta Holmes, et de la Rapsodie cambodgienne de M. Bourgault-
Ducoudray.
La saison d'opéra italien organisée par M. Lago commencera le 18 à
Covent-Garden, avec Mefistofele fort probablement. Parmi les reprises
annoncées, les plus intéressantes sont celles d'Orfeo, Gioconda, Tannhauser,
Matrimonio segreto et peut-être celle d'Otello. Avec une troupe d'ensemble,
et l'orchestre sous la direction de MM. Bevignani et Arditi, cette courte
saison de six semaines, à des prix populaires, mérite à tous les points
de vue de réussir. Elle servira probablement aussi de prétexte à trancher
la question des droits exclusifs réclamés par la compagnie Cari Rosa pour
divers ouvrages tels que Faust, Carmen, Lohengrin, etc.
La Société royale chorale vient de publier le programme de sa 20° saison.
Les dix concerts de cet hiver seront consacrés aux œuvres suivantes :
Élie et Saint Paul, de Mendelssohn, la Damnation de Faust, de Berlioz, le
Messie et Israël en Egypte, de Haendel, la Rédemption et Mors et Vita, de
Gounod, la Rose de Shavon, de Mackenzie, et la Légende dorée, de Sullivan.
Chœurs et orchestre, mille exécutants sous la direction de M. Barnby.
Encouragé par le gros succès artistique de sa tentative de l'année
dernière, M. Charles Halle transportera de nouveau, à six reprises, pen-
dant la saison, son superbe orchestre de Manchester, pour la plus grande
joie de tous les amateurs de Londres. Espérons retrouver sur le pro-
gramme la Symphonie fantastique et le Roméo et Juliette de Berlioz, dont la
belle exécution a produit une véritable sensation l'hiver dernier.
La saison des concerts populaires de musique de chambre commencera
le 20 octobre à Saint-James Hall. Parmi les pianistes engagés cette année
on remarque : Paderewsky, Halle, Sapelnikoff, Stavenhagen, etc. Le
quatuor sera mené par Mmc Neruda et Joachim.
Carmen, le chef-d'œuvre de Bizet, qui avait jusqu'ici échappé aux paro-
disles anglais, vient de fournir le sujet du nouveau burlesque représenté
•cette semaine au Gaiety Tlieatrc. A lire les comptes rendus de la presse
quotidienne, on ne se douterait pas de l'insuccès de cette production,
et cependant, après les applaudissements de complaisance du public de
première, on a franchement baillé à la seconde. Pièce d'un petit esprit,
interprétation terne, costumes d'une crudité de ton aveuglante, voilà le
bilan de cette triste parodie, pour laquelle M. Meyer Lutz a écrit quelques
pages de fort aimable musique.
Ce soir, jeudi, première représentation de la version anglaise de la
Cigale et la Fourmi, fortement tripatouillée pour l'occasion et sans l'assen-
timent de l'auteur. J'y reviendrai. A. G. N.
— D'après le Daily News, Mnic Marie Rôze serait sur le point d'aban-
donner la carrière lyrique où elle s'est si brillamment distinguée. Au prin-
temps prochain elle entreprendra dans les provinces anglaises une grande
tournée d'adieux où elle se fera entendre dans tous ses meilleurs rôles.
Après une dernière apparition à Londres, M""- Marie Rôze ira se fixer à
Paris, près de sa famille.
— La manie du « sifflage musical », qui peu à peu a envahi les salons
et les salles de concerts des pays de langue anglaise, continue à se pro-
pager d'une façon vraiment alarmante. L'Eglise elle-même n'a pas craint
d'accueillir cet art sacrilège, ainsi qu'il résulte d'une petite note que
nous relevons dans une feuille religieuse, la Church Review, qui dit que,
pendant un service récemment célébré à l'église d'Océan Grave (États-Unis),
une personne de la communauté a sifflé l'hymne: « Plus près de toi, Sei-
gneur, » avec variations ! Ce devait être édifiant.
— Les Anglaises ne le cèdent en rien à leurs compatriotes mâles en
ce qui concerne le sentiment de la vanité et le puffisme mis au ser-
vice d'icelie. En voici un exemple. Une chanteuse anglaise, miss Agnès
Huntington, qui, parait-il, a obtenu de vifs succès à Londres dans le genre
de l'opérette, et qui vient de se rendre en Amérique, fait répandre de
tous côtés, parmi les Yankees, le bruit que le célèbre violoniste Joachim
fut tellement enthousiasmé de son talent en l'entendant chanter et qu'il
l'applaudit avec une telle violence qu'il s'en disloqua la main au point de
ne pouvoir jouer du violon pendant huit jours. — Pas si Agnès que ça,
Mlle Huntington !
— Verdi for ever ! Voici ce qu'on lit dans le Trovalore : « Sans rien enle-
ver à l'authenticité de la nouvelle que nous avons donnée les premiers,
et que nous avons confirmée et confirmons, à savoir que Verdi est en
train d'écrire un Romeo e Giulietta, nous rapportons, comme un bruit qui
court, ces lignes de la Guzzetta Piemontese : -< Dans la paisible retraite de
sa villa de Sant'Agata, près Parme, Verdi, qui avait laissé entrevoir
qu'Otello serait son dernier opéra, s'apprête au contraire à donner le jour
à une nouvelle œuvre musicale. Ce nouveau travail du génie fécond de
Verdi ne sera pas un opéra ou un drame lyrique, mais plus précisément
un oratorio, et il parait qu'il aura pour sujet les malheurs de l'infortuné
Roi Lear célébrés par Shakespeare. Arrigo Boito s'attache en ce moment à
étudier la tragédie du poète anglais dans son texte original, afin d'en faire
une version rythmique italienne. »
Continuons d'enregistrer les hauts faits de la Cavalleria rusticana.
Constatons d'abord, d'après le Secolo XIX, de Gènes, que l'ouvrage a déjà
rapporté au jeune maestro Mascagni, son heureux auteur, environ
30,000 francs, tandis que l'éditeur perçoit pour sa part 1.000 francs par
représentation. Le Trovatore nous apprend ensuite qu'à la Pergola, de Flo-
rence, une représentation de la bienheureuse Cavalleria, donnée en l'honneur
du compositeur et sous sa direction, a été splendide. A cette occasion,
plusieurs riches présents lui ont été offerts en présence et aux applaudis-
sements du public, entre autres une coupe d'argent par Vimpresa du théâtre,
un remontoir en or par le ténor Valero, une lyre d'argent par le baryton
Pozzi, une couronne par l'orchestre, etc., etc. Après les grandes repré-
sentations de la Pergola, l'ouvrage a été transporté au théâtre Pagliano,
de la même ville, où il a dû être donné trois fois à des prix populaires,
et où il a trouvé le même succès. A Bologne, on a dû le jouer samedi
dernier; Ancône l'entendra à la fin du présent mois, avec notre compa-
triote MHo Frandin, et en novembre ce sera le tour de Livourne. Turin
pourtant a donné lieu à une surprise. « Les, frais des dix représentations
qui doivent être données au Théâtre Regio de cette ville, dit un journal,
se montent à 4,S00 francs par soirée. Mais, tandis que le premier jour on
a encaissé 13,000 francs, c'est à peine si la recette de la seconde repré-
sentation a atteint 2,300 francs, et la troisième a été presque comme la
seconde. » Quoi qu'il en soit, et à part cet incident, on peut dire que le
succès se poursuit partout de la façon la plus brillante.
Encouragé par l'heureux résultat du concours qui lui a valu Caval-
leria rusticana, M. Edouard Sonzogno se prépare, parait-il, à ouvrir un nou-
veau concours du même genre. Seulement, il ne s'agirait plus cette fois
d'ouvrages en un acte, mais d'opéras ayant au moins deux actes et trois
au plus. Cette fois encore, et pour encourager les débutants, ne seraient
admis à concourir que les compositeurs qui n'auraient jamais fait repré-
senter un ouvrage sur un théâtre public.
Il parait que Mllc Lillian Nordica, la cantatrice américaine bien
connue, s'est trouvée prise tout à coup d'un violent amour pour les beaux-
arts. Elle a chargé un sien ami, résidant à Turin, d'acquérir pour elle
une riche et précieuse collection de tableaux anciens qu'elle eut l'occa-
sion de voir et d'admirer à Florence lors du dernier séjour qu'elle fit en
cette ville. Cette collection appartient à une noble famille florentine dé-
chue de son ancienne splendeur et qui, par suite de revers de fortune, se
trouve contrainte à vendre ce qu'elle possède de plus précieux. On assure
qu'il s'y trouve deux Raphaël et jusqu'à un Michel-Ange. Elle n'y va pas
de main morte, Mllc Nordica !
— Nous avons fait connaître le succès d'enthousiasme obtenu récemment
à Rome par la réapparition d'un des premiers ouvrages de Rossini, Vllaliana
in Algeri, représenté pour la première fois à Venise, en 1813, au théâtre
San Benedetto, avec la célèbre Marietta Marcolini dans le rôle principal.
Il eût été bien étonnant que cet événement ne fit pas surgir quelque
anecdote rétrospective. Nous tenons l'anecdote, que nous apportent les
journaux italiens. L'Italiana in Algeri plaisait beaucoup à la Marcolini,
326
LE MÉNESTREL
mais elle menaçait de ne la point chanter si Rossini n'ajoutait à sa parti-
tion un air pour elle. Celui-ci faisait la sourde oreille, disant que son
Opéra était bien comme il était, et qu'il n'y ajouterait pas une note. Chaque
jour c'étaient des larmes et des discussions. Enfin, le soir venu de la répéti-
tion générale, la Marcolini se refusa décidément à chanter et partit furieuse
du théâtre. Vers minuit elle entendit frapper à sa porte, et le joyeux
maestro, en manches de chemise, avec un manteau de velours sur les
épaules, entra en disant : et Marietta. je t'apporte la cabalelta ! » Et, se
mettant au piano, il chanta le merveilleux rondo final. L'ardente Vénitienne,
folle de joie, lui sauta au cou en le couvrant de baisers et4 accompagnée
par lui, se mit à chanter ce morceau magique. Le lendemain soir le théâtre
croulait sous les applaudissements, comme en ce moment à Rome. Ce
fut la Marcolini qui fit exempter Rossini delà conscription, par l'inter-
vention de la grande-duchesse Elisa Bacciocchi, qui avait pour elle la
plus grande bienveillance, et ce fut elle aussi qui fit engager Rossini par
l'imprésario de la Scala pour écrire la Pietra del Paragone. Ces particularités,
écrit le Fanfulla, nous les avons entendues de la Marcolini même, alors
vieillie et retirée de la scène, qu'elle avait quittée, jeune encore, en 1829.
— Ajoutons que la Marcolini créa en Italie cinq opéras de Rossini :
l'Equivoco stravagante à Bologne, il Cambio dclla valigia à Venise, la Pktra
del Paragone à Milan, l'italiana in Algeri et Sigismondo à Venise.
— Encore quelques opéras éclos... dans les cartons des compositeurs
italiens : V Innominato, du maestro Taccheo ; Joie, du maestro Rocco Tri-
marchi, qui le « destine » au théâtre Costanzi, de Rome ; Manolillo, paroles
de MM. Golisciani et Crisafulli, musique de M. Giovanni Giannetti, qui,
dit-on, pourrait bien être représenté prochainement au théâtre Bellini, de
Naples; enfin, Fiamma, du maestro Rovera, qui serait mis incessamment
en scène à Alexandrie.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne : Berlin, L'Opérai royal vient
d'ajouter à son répertoire un opéra de Marschner, le Vampire, qui date de
soixante-deux ans, la première représentation ayant eu lieu à Leipzig
en 1828. Le public a fait un assez bon accueil à cette résurrection, ainsi
qu'aux interprètes, surtout au baryton Bulss. — Brème. Parmi les nou-
veautés en préparation au théâtre municipal, on signale les opéras
Nadeshda, de M. Goring Thomas, l'Épée du Roi, de M. Hentschel, le Barbier
de Bagdad, de Peter Cornélius, et le Chasseur sauvage, d'Auguste Schulz.
— Cologne. Le Roi malgré lui, de M. Chabrier, va être représenté sous peu
au théâtre municipal. On s'occupe également de la production de la Reine
de Saba, de Goldmark. — Dresde. Un nouveau théâtre, de dimensions co-
lossales, et muni des derniers perfectionnements relatifs à la sécurité et
au confortable, va être construit dans cette ville, avec l'aide des capitaux
viennois. Cet établissement sera consacré aux pièces populaires à spec-
tacle. — Leipzig. La célèbre pièce du Ghâtelet, Michel Strogo/f, vient d'être
montée au théâtre municipal sous le titre de Courrier du Czar, avec une
excellente adaptation allemande de M. Elcho. — Koenigsberg. La nouvelle
direelion Jahn a inauguré sa saison au théâtre municipal avec une re-
présentation très remarquoble, paraît-il, A'Aïda. — Mayence. On annonce
toute une série de nouveautés au théâtre municipal, qui, jusqu'ici, ne
s'était jamais signalé par beaucoup d'activité. Ce sont : le Crépuscule des
Dieux, les Maîtres chanteurs, Judith (de Goetz), Jessonda (de Spohr), Linda
di Chamounix, Idoménée, de Mozart, Ernani, et les opérettes le Pauvre Jona-
than, le Château enchanté (de Millôcker), les Gondoliers (de Sullivan), etc.
— Munich. Le théâtre de la Cour prépare une représentation à la mémoire
du .compositeur R. von Hornstein, dont on reprendra pour la circons-
tance l'opérette Adam et Eve, qui n'avait pas été jouée depuis 1870.
— La Damnation de Faust, qui n'avait pas été entendue à Berlin depuis
l'année 1847, va être exécutée par les soins du Wagner-Verein de cette ville,
à son concert du mois de novembre.
— S'il faut en croire l'Éventail, de Bruxelles, les représentations dé-
pourvues de tout caractère artistique continuent à composer l'ordinaire
de l'Opéra de Berlin. Le 14 septembre, à l'occasion du centenaire de la
première à Berlin des Noces de Figaro, une reprise du chef-d'œuvre a eu
lieu, mais quelle reprise! Elle a fait bondir jusqu'aux critiques inféodés
à l'établissement et chantant ses louanges d'un bout de l'année à l'autre.
Cette semaine on a repris le Vampire, de Marschner, et c'a été le même
massacre, avec cette circonstance aggravante que l'ouvrage, qui est déjà
passablement démodé par lui-même et se traîne péniblement de l'ornière
de Mozart dans celle de Weber, a paru, grâce à l'interprétation, plus dé-
modé encore. Mais il fallait bien produire dans un bon rôle le baryton
Bulss, qui a eu quelque succès d'ailleurs, mais à qui l'on reproche de
manquer absolument de « démonocratie » dans un rôle ultra-romantique et
superlativement fatal et sombre. Un détail assez curieux, c'est que le li-
vret de cet opéra est dû à un certain M. "Wohlbruck, aïeul de M110 Olga
Wohlbruck, ex-artiste de l'Odéon de Paris, actuellement jeune première
au Schauspielhaus de Berlin.
— Le même journal nous apprend que la Société des Amis de l'opéra
( Opéra freunde) qui sévit à Berlin depuis quelques années et s'est donné
pour mission de déterrer ou de tirer de l'oubli les partitions inconnues
des grands et petits maîtres ou colles qui n'ont pas réussi dans leur nou-
veauté, vient do donner, avec le concours d'amateurs de talent, une
oeuvre de jeunesse de Haydn, Baslien et Rasl'wnne, composée en 1768 et
jamais représentée en Allemagne, avec raison du reste, car c'est un opéra-
comique très médiocre, et l'insignifiant Retour de l'Étranger, de Félix
Mendelssohn-Bartholdy, qui est également un ouvrage de jeunesse. C'était
bien la peine assurément de fureter dans les bibliothèques pour n'en tirer
que cela!
— Princesses de bastringue. Il parait que dans un grand établissement
de Berlin, qui est à la fois un café chantant et un bal public, s'exhibent
sans scrupule chaque samedi les deux « princesses » Pignatelli et Dolgo-
ruki. La saison s'est ouverte avec un ballet intitulé Une nuit de bal, auquel
succédaient des danses publiques. La princesse Pignatelli dirigeait les
danses et la Dolgoruki la musique.
— Un chanteur jadis très fêté, M. Nachbaur, longtemps attaché au
théâtre de Munich, vient de prendre sa retraite. M. Nachbaur, qui était
un vrai ténor, et dont la voix avait un timbre d'une douceur charmante,
fut jadis un Lohengrin très admiré. Le roi Louis II de Bavière le tenait
en haute estime et l'avait comblé de cadeaux. En 1870 il lui avait envoyé
une statuette en marbre, sculptée par Zumbusch, et qui le représente en
Lohengrin ; une autre fois il lui envoya un Lohengrin dont la nacelle
était en or et le cygne en argent. A la femme du ténor, le malheureux
souverain avait un jour donné une broche représentant le cygne de Lohen-
grin ; le corps du cygne est formé par une perle d'une grosseur énorme,
les ailes sont figurées par des diamants, le bec par des rubis. M. Nach-
baur possède en outre un grand nombre de lettres de Louis II dans les-
quelles celui-ci le traite absolument d'égal à égal et parle fréquemment
de Richard "Wagner, pour lequel on sait que son admiration était sans
bornes. Dans une de ces lettres, le roi dit au ténor : « Nous sommes,
tous les deux, ennemis de.ee qui est banal, trivial, vulgaire; nos cœurs
brûlent d'un feu divin pour tout ce qui est pur et idéal. C'est pourquoi
nous devons demeurer de fidèles et sincères amis, toute notre vie. »
— A Hambourg, M. Pollini, l'infaligable directeur, vient de découvrir un
nouveau ténor, et cette fois c'est un garçon épicier, qui répond par sur-
croit au nom peu poétique et encore moins euphonique de Klomerkees.
Le phénomène n'a que 17 ans, est, paraît-il, doué d'une voix splendide,
et ne manque pas d'intelligence. Quand il sera un peu dégrossi, M. Pol-
lini le fera débuter. On compte sur un succès d'enthousiasme.
— Dans la petite ville de Steyer, ancienne capitale de la Styrie, où
Franz Schubert passa quelques années de sa trop courte existence, on a
inauguré récemment, par les soins de la liederlafel, un buste du célèbre
compositeur. En même temps, on a placé une plaque commémorative sur
la façade de la maison qu'il a habitée en cette ville de 1819 à 1825. Cette
maison est celle qui porte le numéro 16 de la place du Marché.
— Après avoir longtemps vainement lutté contre l'indifférence du public
officiel et de la haute société de Saint-Pétersbourg, la nouvelle école
nationale russe commence à prendre pied dans la capitale. On annonce
que l'Opéra russe donnera cet hiver le Prince Igor, de feu Borodine, qui
jusqu'ici n'avait pu forcer les portes du théâtre. En décembre, l'Opéra russe
donnera aussi un nouvel ouvrage de Tschaïkowsky, la Dame de pique. Les
frères de Reszké et Mme Melba sont engagés pour une série de représen-
tations dans le répertoire français, Faust et Roméo. A Moscou, au théâtre
russe, on prépare le Prophète et le Don Juan de Mozart. La nouveauté de
la saison sera l'opéra inédit de M. Arensky, un Songe sur le Volga. La sec-
tion moscovite de la Société musicale russe annonce douze concerts syni-
phoniques, qui auront lieu, sous la direction de M. Safonow, du 20 octobre
au 12 avril. Le prospectus ne dit rien sur les solistes engagés, mais énu-
mère les œuvres musicales qui seront exécutées et parmi lesquelles nous
citerons le Requiem de Mozart, l'Enfance du Christ de Berlioz, trois sympho-
nies de Beethoven (n0! i, 6 et S), les symphonies de MM. Rubinstein (en
la) et Tschaïkowsky (en fa mineur), la nouvelle ouverture {Antoine et Clèo-
pàtre) de M. Rubinstein, la Tempête de M. Tschaïkowsky, la Mer de M. Glazou-
now, V Ouverture pascale de M. Rimsky-Korsakow, des fragments de VArmide
de Gluck et du Flibustier de M. Cui, etc. A Saint-Pétersbourg enfin, on
annonce trois concerts de Mm0 Adelina Patti. La célèbre diva se fera en-
tendre dans la salle de l'Assemblée de la noblesse, et elle paraîtra en outre
dans trois opéras, avec une troupe complète, au mois de janvier.
— Un correspondant, du New-York World a interviewé Antoine Rubins-
tein pendant son récent séjour à Badweiller, et il publie d'étranges révé-
lations sur les dispositions d'esprit du célèbre virtuose-compositeur. Son
humeur se serait prodigieusement assombrie et toute sa façon de vivre
et de s'exprimer reflète, parait-il, une misanthropie extrême. Interrogé au
sujet d'une tournée aux États-Unis qu'il avait autrefois projeté d'entre-
prendre, Rubinstein a déclaré qu'il ne retournerait pas aux Etats-Unis et
certainement pas en 1893. « D'ailleurs, ajouta-t-il, j'espère bien mourir
d'ici-là. Le temps qu'il me reste à vivre, je veux le passer à Saint-Péters-
bourg, non pas, cependant, comme directeur du Conservatoire, car j'ai
l'intention d'abandonner ce poste l'année prochaine. Je ne puis plus sup-
porter ces ennuyeux examens. » Si ces propos sont authentiques, il faut
hélas ! considérer l'illustre auteur de Néron comme atteint d'un spleen
incurable !
— Toujours Gascons, ces Américains. Voici la jolie histoire que nous
rapporte un de leurs journaux, le Progrès, de New- York ; « Un violon de
Crémone, qui porte la signature de Stradivarius et la date de 1790, e t
possédé à Pensacola par un de nos compatriotes, M. Gustave Neri, qui l'a
LE MÉNESTREL
327
acheté dans une vente publique pour moins de 2 dollars (10 fr.). Il y a
quelques mois, dans le Texas, on lui offrit d'acheter le précieux instru-
ment pour la somme de 2,770 dollars, et, bien que le bénéfice de 2,768 dol-
lars sur un capital de / dollar TA cents ne soit pas une opération à dédai-
gner, il crut cependant devoir refuser cette offre séduisante. Et voilà
comment le Stradivarius est resté et restera peut-être longtemps encore
dans la maison Neri, à Pensacola. » Il y restera sans doute longtemps,
en effet, à moins qu'il ne se rencontre un nouvel imbécile pour offrir
quelques milliers de dollars d'un instrument qui n'est probablement qu'un
simple sabot, et qui, en tout cas, n'est point un Stradivarius, car le
célèbre luthier étant passé de vie à trépas en 1737 aurait eu de la peine à
signer un violon en 1790, cinquante-trois ans après sa mort !
— Une importante vente d'autographes musicaux aura lieu demain,
13 octobre, à Berlin. La pièce la plus intéressante de la collection est le
manuscrit de la célèbre fugue pour quatuor, op. 134, de Beethoven, trans-
crite pour piano à quatre mains, de la main même du maître. L'existence
de ce manuscrit réfute l'opinion de certains musiciens attribuant à Holm
la réduction pour piano de la fugue en question.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
On sait que la Ville de Paris ouvre tous les deux ans un concours
pour la composition d'une grande œuvre symphonique et chorale, destinée
à être exécutée dans une solennité spécialement organisée à cet effet par
le conseil municipal. C'est cette fondation, due à l'initiative du regretté
préfet de la Seine, F. Herold, qui nous a valu déjà plusieurs œuvres
remarquables, telles que le Paradis perdu de M. Théodore Dubois, le Tasse
de M. Benjamin Godard, la Tempête de M. Alphonse Duvernoy, etc. Ce con-
cours musical est toujours précédé d'un concours poétique, dans le but de
fournir un livret aux compositeurs qui voudraient se présenter, pour le cas
où ceux-ci n'en auraient point à leur disposition, le sujet n'étant d'ailleurs
nullement imposé. C'est ce concours préliminaire qui, n'ayant donné l'an-
née passée aucun résultat, vient modifier cette année les conditions de l'é-
preuve musicale. Il est, pour cette fois, supprimé purement et simplement,
et les compositeurs écriront leurs partitions sur un poème à leur convenance,
qu'ils choisiront eux-mêmes, et dont le sujet devra être emprunté à l'his-
toire, à la légende, aux grandes œuvres littéraires, à l'exclusion des sujets
religieux ou rentrant dans le genre théâtral. Les autres conditions du con-
cours restent d'ailleurs exactement les mêmes que parle passé, c'est-à-dire
que chaque partition devra être accompagnée d'une réduction pour chant
et piano, .que l'artiste dont l'œuvre sera couronnée recevra un prix de
10,000 francs, et que cette œuvre sera exécutée dans un délai de sept
mois à partir du jour de la décision du jury, aux frais et par les soins
de la Ville de Paris. Le jury sera ainsi composé: le préfet de la Seine,
président; l'inspecteur en chef des beaux-arts, secrétaire; huit conseillers
municipaux; quatre membres désignés parle préfet; enfin, quatre membres
élus par les concurrents. Le concours est ouvert dès aujourd'hui; les par-
titions devront être prêtes au mois de février 1891. Au reste, les artistes
désireux de. concourir pourront se procurer à l'Hôtel de Ville le programme
détaillé.
— Aujourd'hui, dimanche, à l'Opéra, représentation à prix réduits :
Rigoletto et le Rêve.
— A l'Opéra-Comique, cette semaine, excellente reprise de Mignon, avec
Mme Landouzy dans le rôle de Philine. Elle y a obtenu le plus grand suc-
cès : cantatrice charmante, comédienne fine et coquette. M. Lorrain débu-
tait également ce soir-là par le rôle de Lothario : il y a été très bien
accueilli. M. Mouliérat chantait Wilhelm et M"0 Simonnet Mignon.
Becette : 6,300 francs.
— Les répétitions d'orchestre de Samson et Dalila ont commencé cette
semaine au Théâtre-Lyrique, sous la direction de M. Gabriel Marie.
— M"°e Sigrid Arnoldson vient d'arriver à Paris. La charmante artiste
suédoise commencera, le 1er novembre, sa grande tournée artistique à
travers la Bussie, l'Italie et l'Espagne. Pendant cette tournée, qui durera
huit mois, Mme Arnoldson chantera, entre autres œuvres françaises : Mignon,
Lakmé, Roméo et Juliette et Faust.
— Au mariage de MUc Jeannine Dumas avec M. d'Hauterive, qu'on a
■célébré cette semaine en l'église de Marly, il y a eu une partie musicale
peu ordinaire, puisque la grande Alboni en personne y a chanté l'Ave
Maria. Une surprise qu'elle a voulu causer à tout l'auditoire, car personne
n'en était prévenu. L'effet a été prodigieux. M. Plançon a également
chanté, en maitre artiste, le Je crois en Dieu de Polyeucte.
— Mercredi dernier a été célébré, en l'église Saint-Germain-des-Prés,
le mariage de M. Fournets, de l'Opéra-Comique, avec M"0 Vernaud, ar-
tiste peintre. M. Fournets avait pour témoins MM. Ambroise Thomas,
directeur du Conservatoire, et Paravey, directeur de 1 Opéra-Comique.
Tous les artistes de ce théâtre assistaient à la cérémonie, heureux de
donner à leur camarade, en cette circonstance, un témoignage de leur
sympathie. On remarquait également dans l'assistance un grand nombre
d'artistes de tous les théâtres. Pendant l'ollice, MM. Delmas et Clément,
de l'Opéra-Comique, ont chanté plusieurs morceaux religieux.
— Une fâcheuse nouvelle est mise en cours, concernant l'excellent pia-
niste Paderewsky, qui, étant en villégiature à Amphyon, chez son émi-
nente protectrice, Mnlc la princesse Brancovan, aurait été victime d'un
accident et se serait cassé la jambe. On assure que le brillant virtuose
devra garder le lit ot rester quarante jours étendu avant de pouvoir
quitter la villa de la princesse Brancovan.
— M. Federico Parisini, l'infatigable conservateur de la bibliothèque
du Lycée musical de Bologne, mène de front trois publications d'une
grande importance et d'un vif intérêt : le Catalogue de cette bibliothèque,
qui comprendra trois volumes dont le premier vient d'être terminé, ainsi
que je l'ai annoncé récemment; la Correspondance inédile du célèbre père
Martini, ouvrage capital au point de vue de l'histoire de l'art, qui comp-
tera aussi trois volumes, dont le premier a paru il y a deux ans et dont
le second est sous presse; enfin, le Catalogue de la collection d'autographes
léguée à l'Académie philharmonique de Bologne par le docteur-abbé Mas-
seangelo Masseangeli. Cette collection d'autographes de musiciens, formée
par un érudit en la matière, est particulièrement précieuse, surtout en ce
qui concerne les artistes italiens, à l'histoire desquels elle apporte des
éléments nouveaux et non sans importance. M. Parisini en a dressé le
Catalogo par lettre alphabétique, et le huitième fascicule, qui vient de
paraître, contient la plus grande partie de la lettre M, de Marcolini à Mon-
ieverdi. L'auteur accompagne chaque nom de quelques notes biographiques
et il a le soin, lorsque le cas se présente, d'indiquer que tel nom ou telles
œuvres de tel artiste, n'ont pas été mentionnés dans la Riographie univer-
selle des musiciens de Fétis ou dans le supplément important que j'en ai
publié. Ce recueil intéressant est l'un de ceux que l'on devra consulter,
dans l'avenir, pour compléter ou rectifier les renseignements relatifs à
certains musiciens. J'ajoute que l'édition, due à la librairie des frères
Merlani, à Bologne, est très élégante, très correcte et d'un fort bel aspect.
A. P.
— Mme Ed. Colonne, qui est de retour à Paris, reprendra ses cours et
leçons de chant à partir du 15 octobre, 12, rue Le Peletier.
— La rentrée des élèves de l'école d'orgue de M. Gigout s'est faite cette
semaine. M. Gigout s'est adjoint, comme professeur suppléant, M. Léon
Boellmann, l'excellent organiste du grand orgue de Saint-Vincent-de-
Paul.
— Le Cercle des Mathurins a repris ces jours derniers la série de ses
réunions artistiques. MM. Jules et Jacques Berny-Tarrides, les joyeux
chansonniers, Jules Oudot et Xanroff, le baryton Getty, très applaudi dans
l'air du Bal manqué, étaient les héros de cette petite fête intime, qui s'est
terminée avec une comédie de M. F. Beissier, le Train '12, interprétée
par M1,e Chassaing et M. Gautier.
— Les compositeurs qui ont pris part au concours ouvert par la Saint-
Hubert Vichyssoise sont prévenus que le jugement de ce concours a du être
reculé au mois de mai prochain. C'est l'abondance des œuvres envoyées,
au nombre de 56, qui a mis le jury dans l'impossibilité de terminer son
classement pour le mois de septembre, ainsi qu'il avait été annoncé, et
c'est dans l'intérêt même des concurrents que le résultat du concours a
dû être remis à la saison prochaine.
— On annonce la publication à Beims, par les soins de M. G. Ménesson,
facteur d'instruments de musique, d'un nouveau journal de musique pa-
raissant sous le titre de Sainte-Cécile. On sait qu'il existe déjà en province
deux feuilles spéciales : l'une à Lille, la Semaine musicale, l'autre à Tou-
louse, la Musica sacra, dont le directeur est l'excellent organiste M. Aloys
Kunc.
— Une jeune cantatrice, M"e Bréjean, récemment sortie du Conserva-
toire, où elle a obtenu cette année plusieurs récompenses, vient de débuter
au grand théâtre de Bordeaux avec un succès éclatant. Tous les journaux
de la localité constatent l'ovation qui lui a été faite par le public borde-
lais dans le rôle d'Inès de l'Africaine, et prédisent le plus brillant avenir
à la jeune et sympathique artiste.
— M. Jules Gogny, un jeune ténor d'avenir, élève de Mmo Marie Bueff,
vient de signer un engagement avec M. Verdhurt, directeur du Théâtre-
Lyrique. Lors du dernier concert de Mmc Bueff, on avait déjà fort remar-
qué le jeune chanteur.
— Gouas et leçons. M. Maton, le roi des accompagnateurs, reprend ses cours et
ses leçons particulières, chez lui, 5, rue Nollet. — Les cours de piano élémentaire
et supérieur de M"° Roger-Miclos recommenceront le 6 novembre, 62, avenue de
Wagram. — M"" Jeany Howe et Sarah Bonheur ont repris leurs leçons, 24, rue de
Vintim'lle, et ouvriront un cours de chant d'ensemble, une fois par semaine, à
partir du mois de novembre. — La réouverture des cours de piano de M"" Hen-
riette Thuillier a eu lieu chez elle, 24, rue Le Peletier, et chez M"1 des Essarts-
Boblet, 108, rue du Bac— Mm" Laure Brandin a repris ses leçons de piano, 3, bou-
levard Magenta. — Les cours de M11" Tribou, 33, avenue d'Antin, ont repris le
premier lundi d'octobre. Professeurs : .chant, M. Heltich ; piano, cours supérieur,
M. Falkenberg; cours préparatoire, M. Falcke; accompagnement, M. L. Dancla;
diction, M. de Féraudy; harmonie, M. Falkenberg; solfège, M"° Papot, professeur
au Conservatoire. — M"" Coevoet ont repris leurs cours complets d'éducation,
36, rue du Château -d'Eau. Les cours de piano sont dirigés par M"" Céline Coevoet,
premier prix du Conservatoire. — Une nouvelle école de musique et de déclama-
tion vient de se fonder, 4, rue Charras, à Paris, ayant à sa tête pour la partie artis-
tique un comilé composé de : MM. Edouard Chavagnat, compositeur, président;
Alfred Rabuteau, prix de Rome, vice-président; Sady-Pety, de l'Odéon, secrétaire;
B. Genevois, du Théâtre-Italien, trésorier ; Goût, de l'Opéra; A. de Vroye. Cette
école donnera des auditions d'élèves tous les quinze jours, et organisera chaque
328
LE MÉNESTREL
innée des concours publics jugés par nos notabilités artistiques.- Les cours de
piano et leçons particulières de M" J. Godchau-Hulman recommenceront à partir
du 18 octobre chez elle, 14, avenue de Wagram. - M" Mackenzie, la piamsle
autrefois si applaudie, reprend ses cours de piano et de chant à son domicile, 8, rue
Pierre-Legrand. — M1" L. Cazelar a repris ses cours de musique et ses leçons par-
ticulières. S'inscrire 235, rue du Faubourg-Saint-Honorë. - M" Rosine Laborde,
l'éminent professeur de chant, reprendra ses cours et ses leçons particulières à
partir du 15 octobre, chez elle, 60, rue de Ponthieu.
NÉCROLOGIE
Nous avons le regret d'avoir à annoncer la mort de Brasseur, qui fut
un artiste comique de grand talent. On se rappelle les innombrables
créations drolatiques qu'il fit au Palais-Royal. Depuis longtemps il s'était
consacré à la direction du théâtre des Nouveautés, ce qui ne l'empêchait
pas de reparaître sur la scène, dès qu'il en trouvait le loisir. Brasseur
meurt victime d'une imprudence, d'avoir bu, comme le pauvre Berthelier,
des boissons trop glacées après de trop fortes chaleurs. Une foule sympa-
thique se pressait à son enterrement, qui a eu lieu dans la petite église de
Maisons-Laffîtte.
— M. Talazac, l'excellent ténor, vient d'avoir la douleur de perdre son
père, qui habitait Bordeaux, où il est mort dans les premiers jours de ce
mois. Les obsèques de M. Talazac père ont eu lieu samedi dernier, dans
l'église Saint-Ferdinand, en présence d'une foule considérable.
Henri Hedgel. directeur-gét ani.
DURAND et SCHOENEWERK, 4, place de la Madeleine, Paris.
TRAITÉ PRATIQUE
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Petit Noël, cantique.
Le Premier Joujou, berceuse.
Les Petits Ménages, ronde.
Les Poupées, berceuse.
Les Ballons ronges, ronde.
Les Sabots et les Toupies, menuet-valse.
Le Petit Chemin de fer, ronde.
Les Soldats de plomb, marche.
Les Petits Jardiniers, idylle-valse.
Le Cerf-Volant, ronde à 2 voix.
11. La Tour-Eiffel, complainte.
12. Les Pantins, ronde.
13. Les Chevaux de bois, galop.
14. La Bergerie, pastorale.
15. Les Volants, triolets.
16. Les Petite Cuisines, rondo.
17 Les Poupards, chanson.
18. Les Petits Lapins, chansonnette.
19. Les Polichinelles, chansonnette.
20. Les Balles, romance.
N°s 21. Le Jeu de Patience, chansonnette.
22. Les Soldats de bois, ronde.
23. Les Petits Navires, barcarolle.
24. La Boutique à treize, boniment.
25. Les Petits Chasseurs, chasse.
26. La Lanterne magique, ronde.
27. Les Fusils de bois, romance.
28. Les Crécelles, farandole.
29. Le Petit Orchestre, menuet.
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PROVINCES DE FRANCE
ire Série
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Le Mois de Mai 5 fr.
Chant de quête de la Champagne.
La Chanson des Métamorphoses 5 »
Version du Morvan.
Celui que mon cœur aime tant 2 50
Chanson de l'Angoumois.
Le Pauvre Laboureur 5 »
Chanson de la Bresse.
La Pernette 3 »
Version de la Franche-Comté.
Briolage . 2 50
Chant du laboureur berrichon.
La Bergère et le Monsieur 2 50
Chanson dialoguée. Version d'Auvergne.
Le Bossignol Messager 4 »
Version bressane.
En passant par la Lorraine 5 »
Version du pays messin.
Le Chant des livrées 5 »
Chanson de noces du Berrv.
2 e Série
11. La Mort du Roi Renaud
Version de la Normandie.
12. C'est le vent frivolant
Ronde française du Canada.
13. Le Retour du Marin
Version poitevine.
14. Voilà six mois qu' c'était le printemps ....
Version bourguignonne.
15. Là-haut sur la montagne
Pastourelle. Version de l'Alsace.
16. Le Joli Tambour
Version de la haute Bretagne.
17. Rossignolet du Bois joli
Chanson populaire de la Bresse.
18. Les Répliques de Marion
Chanson dialoguée. Version du Berry.
19. La Mort du Mari
Version normande.
20. Rondes bretonnes
Haute Bretagne.
Prix
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En passant par la Lorraine : une avec chœur (n° 9) et l'autre pour voix seule (n° 9 bis).
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(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
MUSIQUE ET THEATRES
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Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement
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Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
1. Notes d'un librettiste : Louis Laeombe (23" article), Louis Gallet. — II. Semaine
théâtrale: Reprise de Sigurd, à l'Opéra, Arthur Pougln; première représentation
de tes Femmes des amis, au Palais-Royal, Paul-Émile Chevalier. — III. Un
virtuose couronné (h' article), Edmond Neukomm et Paul d'Estrée. — IV. Nou-
velles diverses.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour:
LE MOIS DE MAI
chant de quête de la Champagne, n° 1 des Mélodies populaires de France,
recueillies et harmonisées par Julien Tiersot. — Suivra immédiatement:
Celui que mon cœur aime tant, chanson de l'Angoumois, n° 3 des Mélodies
populaires de France, recueillies et harmonisées par Julien Tiersot.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano: Allegretto pastoral, de Théodore Lack. — Suivra immédiatement:
Légende slave, de L.-A. Bourgault-Ducoudraï.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
LOUIS LACOMBE
Louis Laeombe me fit d'abord une sorte de préface en
•forme de profession de foi. Ses paroles avaient quelque
amertume ; elles étaient d'un blessé de la vie ; il avait
'beaucoup rêvé, beaucoup travaillé, beaucoup espéré, beau-
coup souffert. — A ses convictions fermement, franchement
républicaines, .il attribuait une part des difficultés de sa
laborieuse carrière. — Bien des gens, pensait-il, ne lui
pardonnaient pas ces opinions; pour d'autres, elles avaient
été, surtout durant l'Empire, un empêchement à le servir;
— mais il regardait encore vers l'avenir avec un grand cou-
rage et une sereine conviction. — Le Centenaire de la
Révolution de 1789 était relativement proche ! Déjà les
esprits s'émouvaient, se tenaient en éveil : déjà on pouvait
songer aux oeuvres destinées à célébrer cette grande date.
Lui avait conçu l'idée d'une symphonie ayant pour titre :
la Révolution française. C'était cet ouvrage qu'il venait me
demander.
Nous causâmes longtemps de ce sujet, échangeant des
idées sur sa forme, sur son caractère, sur ses divisions. —
Je le concevais simple, largement ordonné, je me représen-
tais chaque partie précédée d'un récit déclamé en forme
d'argument préliminaire. — ■ Lui, au contraire, à mesure
qu'il parlait, entrait plus avant dans le détail, me laissait
apercevoir des profondeurs et des complications dont je
n'avais pas eu tout d'abord le soupçon. — J'hésitais; je ne
voulais pas, en ce premier entretien, le rebuter. — Il fut
convenu qu'il m'enverrait par écrit l'exposé complet de ses
idées, — dont la formule, suivant lui, devait rester absolu-
ment lyrique.
C'est dans les lettres de Louis Laeombe que je retrouve
l'historique de ce projet qui, finalement, devait ne pas abou-
tir. Elles sont d'un artiste convaincu et d'un esprit plein
d'équité, d'élévation, de droiture et d'illusions.
La première est datée de Saint-Vaast-la-Hougue (Manche),
le 22 juillet 1881.
Il m'envoyait ce programme, dont un premier entretien
m'avait permis de mesurer l'importance et dont la lecture,
tout en m'intéressant très fort, devait accentuer mes inquié-
tudes sur la possibilité de sa réalisation :
« Voici les notes dont je vous ai parlé. Elles suffiront, je
pense, pour vous indiquer les lignes principales de l'œuvre
à laquelle vous voulez bien collaborer. Si elles ne vous suffi-
saient pas, vous auriez l'obligeance de me le dire et je leur
donnerais un plus grand développement.
» L'exécution d'une symphonie de cette nature ne pourrait
guère avoir lieu que dans un vaste local, au palais de l'In-
dustrie, par exemple; on réunirait là, comme on l'a déjà
fait, un nombre considérable de chanteurs, un orchestre
ordinaire et, dans quelques passages, une musique militaire.
Il serait même possible, je crois, d'appeler à Paris, à cette
occasion, les principaux orphéons de France. Ce serait une
excellente chose, surtout si le dernier morceau, le Chœur des
peuples, était assez beau pour devenir populaire et remplacer
un jour notre magnifique chant national qui, il faut en
convenir, est actuellement en opposition manifeste avec nos
idées. Nous ne demandons plus « qu'un sang impur abreuve
nos sillons »; nous demandons, au contraire, à les féconder
par d'autres moyens.
» Je vais commencer par réclamer de vous un sacrifice,
monsieur, en vous priant de renoncer au projet que vous
aviez formé d'introduire la déclamation dans cette sym-
phonie. Si vous consentez à m'accorder ce point, je vous en
serai vraiment reconnaissant et le reste ira tout seul.
» Me sera-t-il permis, en terminant, de vous exprimer un
désir? Je voudrais que cette formidable épopée, la Révolution
française, reprit vie sous votre plume, sans qu'aucune récrimi-
nation contre tel ou tel parti en vint diminuer la grandeur.
Les partis, quels qu'ils soient, ont l'esprit étroit; il est bon
de planer au-dessus d'eux.
» Un mot encore.
i> Puisque nous introduisons dans notre ouvrage le Génie
de l'Humanité, la France, l'Histoire, ne pourrions-nous y intro-
330
LE MENESTREL
duire aussi, lors de la vision du poète (Sainte-Hélène), les
génies de la mer, quelque chose comme les Océanides de
Prométhée? Peut-être y aurait-il un effet puissant dans cette
fiction ? Rêvez-y. »
Puis, quelques jours plus tard, comme certaines choses
que je lui avais dites tout d'abord le préoccupaient, il
m'écrivait :
« Lors de notre première entrevue vous m'avez paru
craindre, pour la musique, les pensées philosophiques. Ne
les redoutez pas : lorsqu'elles sont lyriques, élevées, elles
conviennent fort bien à notre art. Preuves : j'ai composé
des lieder sur les poèmes de Victor Hugo : Mlors, le Pont,
Dante, Jean, etc. Beethoven n'a-t-il pas écrit sa magnifique
Symphonie avec chœur sur l'ode An die Freude, de Schiller?
» S'il s'agissait du genre de philosophie propre à ce vers :
Pour réparer des ans l'irréparable outrage, il est clair que cela
n'inspirerait pas beaucoup de musiciens. Et cependant, je l'ai
mis en musique avec le songe d'Athalie, ce terrible vers !
mais, c'est là un tour de force que je ne recommencerais pas,
je l'avoue.
« Sérieusement, ce que vous ferez sera bien fait, cher mon-
sieur, j'ai la plus entière confiance en vous et je donnerai la
plus scrupuleuse attention aux modifications que vous juge-
riez bon de me proposer dans l'intérêt de notre œuvre. En y
travaillant, j'écrirai peut-être mon testament musical, et je
voudrais laisser à notre chère France une partition digne du
sujet sublime que nous allons traiter. Ce seul mot vous fera
comprendre quel prix j'attache à la production de cet ouvrage
et quel espoir j'ai mis en vous. »
Toujours soucieux de tout ce qui devait concourir à la par-
faite exécution du travail, il ajoutait en post-scriptum des
explications minutieuses touchant le caractère prosodique
de l'œuvre.
« Dans les morceaux qui exigent du mouvement les vers
de sept syllabes me conviennent fort; ceux de dix syllabes
avec la césure après la quatrième, produisent un excellent
effet dans les passages grandioses; les petits vers rapides
aident aussi le musicien; les alexandrins plaisent au récita-
tif, surtout lorsqu'ils sont coupés, mouvementés comme ceux
de Hugo; enfin, les vers libres vont parfaitement aux récits
tandis que le chant, en général, veut des strophes régulières.
Vous savez tout cela aussi bien que moi, cher monsieur et
je n'ajouterai qu'un mot : ne craignez pas de vous étendre
un peu dans les morceaux de longue haleine, afin d'éviter
le plus possible la répétition des paroles, ce que je déteste. »
M'étendre! c'était bien précisément là ce que je redoutais!
La conception de Louis Lacombe, trop vaste même s'il se
fût agi de quelque drame lyrique, de quelque opéra en cinq
actes, m'épouvantait bien davantage encore appliquée à une
simple symphonie, surtout à une symphonie destinée à des
centaines d'exécutants.
Lui, voyait toute la France chorale accourant à son appel,
le Palais de l'Industrie ouvert à ses bataillons pressés d'ins-
trumentistes et de chanteurs, et la symphonie se développant
durant des heures !
De la difficulté d'une exécution convenable dans de telles
conditions, de la patience du public, il ne se souciait en
aucune sorte. En sa foi naïve, il s'imaginait que cette célé-
bration du glorieux centenaire lui serait permise telle qu'il
la rêvait, qu'il lui serait donné de « faire grand » sans que
quelqu'un s'avisât de trouver impertinemment qu'il avait
fait long.
Et sur le tronc primitif du projet déjà si lourd, venaient se
greffer, de jour en jour, de nouveaux épisodes qui, bien
vivants par eux-mêmes, devenaient mortels à l'œuvre'.
Aux grandes apparitions allégoriques, aux chants victorieux
des peuples secouant l'antique joug, se mêlaient les douceurs
de l'idylle, les éclats de la joie populaire! Les souvenirs des
scènes qui suivirent la prise de la Bastille, les gens du fau-
bourg Saint-Antoine dansant sur les ruines de la forteresse
traversaient, par exemple, son cerveau toujours bouillantîjVite,
il prenait la plume, pour me faire part de sa trouvaille :
«■ Voici un tableau tout à fait populaire. Il fallait jeter
une note gaie au milieu de ces événements graves, magni-
fiques ou lugubres. L'histoire fournissait ces quatre mots :
(s. Ici Von danse » . J'en rends grâce au ciel et j'en profite.
<t Je vous remercie de votre petit mot; il me prouve que
nous allons travailler du même cœur à la glorification du
plus grand événement de notre temps et peut-être de tous les
temps. »
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
REPRISE DE SIGURD A L'OPÉRA, EN ÉDITION PRINCEPS
La semaine a été bonne pour l'Opéra, et de plus elle a revêtu un
véritable caractère artistique : le fait n'est pas de nature tellement
ordinaire qu'on ne s'en puisse réjouir, et pour le théâtre où il s'est
produit et pour le public qui en a été le témoin. Nous avons vu
reparaître enfin l'un des plus beaux ouvrages que ces dernières
années ont vus éclore, et avec lui sa plus merveilleuse interprète,
cette admirable artiste qui a nom Rose Garon et qui est bien l'uni-
que cantatrice dramatique que nous ayons connue en France de-
puis la disparition de Mmes Gabrielle Krauss et Fidès Devriès. Les
choses, il est vrai, ne se sont pas faites toutes seules, et il nous a
fallu batailler longtemps dans la presse pour obliger l'administra-
tion de notre grande scène lyrique à se souvenir qu'il existait
encore quelque part un opéra intitulé Sigurd et une chanteuse
nommée Rose Caron, tous deux exilés, on ne sait pourquoi, du lieu
où pourtant l'un et l'autre avaient remporté un si vif et si éclatant
succès. Enfin, tout est bien qui finit bien, et voici qu'aujourd'hui Sigurd
nous est rendu, en même temps que son émouvante et pathétique
Brunehild.
Il y a plus : on nous a donné un Sigurd nouveau, c'est-à-dire un
Sigurd intact, complet, sans mutilations ni coupures, tel que nous
l'avions entendu naguère à Bruxelles, et tel que le public parisien
ne le connaissait pas encore. Si l'ouverture, cette page si chevale-
resque et si colorée qui sert de digne frontispice à l'œuvre, nous
était familière, ce n'est point par l'Opéra, où l'on avait jugé inutile
de l'exécuter, mais par nos concerts symphoniques, où le regretté
Pasdeloup nous l'avait le premier révélée ; puis on avait retranché
un fort bel air de Brunehild au quatrième acte, on avait outrageu-
sement mutilé, à ce même acte, le duo des deux femmes, et enfin
on avait estropié de-ci de-là divers morceaux, à l'aide de coupures
aussi sottes que maladroites. Je ne dis pas que quelques suppres-
sions, quelques sacrifices nécessaires ne seraient pas à faire, à son
avantage même, dans cette partition si touffue, dont l'exécution ii té-
grale ne dure pas moins de quatre heures et demie, et je crois que
Reyer serait bien inspiré en s'y résignant de bonne grâce. Mais du
moins que ces suppressions soient faites non seulement de son
aveu, mais par lui-même et avec la pleine intelligence de l'œuvre.
C'est le moins que l'on puisse demander.
En entendant Sigurd, je pense toujours involontairement à Iphigé-
nie en Tauride, à Fernand Cortez, à Obéron et aux Troyens. On retrouve
là le caractère héroïque, chevaleresque, plein de flamme et de gran-
deur, qui distingue ces quatre chefs-d'œuvre, et cette noblesse
d'accent, cet éclat en quelque sorte métallique qui font frissonner
l'auditeur et l'impressionnent d'une façon si vive et si profonde. Je
me garderai bien de dire que Reyer imite Gluck ou Spontini,Weberou
Berlioz, car rien n'est plus loin de ma pensée, et rien d'ailleurs ne
serait moins exact; mais il les a si bien étudiés, il s'est à ce point
imprégné de leur génie qu'en restant lui-même et en conservant
sa personalité il leur a, à force de le chercher, dérobé le secret de
leur audace heureuse, de leur ampleur superbe et de leur mâle élo-
quence. Je ne crois pas qu'un seul de nos musiciens actuels ait ce sen-
timent de la grandeur épique qui anime toute la partition de Sigurd
et qui lui donne, avec le parfum do la plus haute poésie, une teinte
si chaude, un accent si hardi et une puisfance parfois si farouche.
L'œuvre est remarquable à la fois par son unité et sa sincérité. On
y sent, non seulement que l'auteur n'a rien laissé au hasard, non
seulement qu'il y a fait ce qu'il voulait faire, mais encore, qu'après
s'être tracé le chemin qu'il prétendait parcourir,il ne s'est pas permis
LE MENESTREL
334
de s'en écarter un seul instant, et qu'il a été droit au but sans se
soucier des avis, des conseils ou des indications de tels ou tels qui
eussent voulu l'entraÎDer dans des sentiers qu'il se refusait à suivre.
C'est, en un mot, l'œuvre d'un artiste convaincu, honnête, œuvre
conçue sans faiblesses, écrite sans tergiversations, et qui donne
vraiment la caractéristique exacte du génie qui l'a enfantée. On
peut lui faire, et je lui ferai, pour ma pari, quelques reproches ;
mais ces reproches porteront sur des points de détail, secondaires
en quelque sorte, et qui ne touchent ni à son ensemble, ni à sa
portée générale. Je ne parle pas de l'emploi des leitmotive, que j'ai
toujours considéré, du moment qu'on en fait un principe, comme
une puérilité et un simple jeu d'esprit musical parfaitement inutile,
n'en déplaise à l'ombre de "Wagner et à ses thuriféraires. Mais je
trouve, et je l'ai déjà dit, que la partition est un peu touffue et de-
manderait à être allégée, éclairée par instants ; je trouve que l'ins-
trumentation est parfois excessive, et que sa sonorité|constamment
stridente gagnerait à être calmée, apaisée en certains endroits ; je
trouve que le rôle de Sigurd est écrit d'une façon quelque peu iné-
gale au point de vue du diapason, et que certaines notes, trop graves
pour le ténor, ne sortent pas comme il faudrait et forment un con-
traste trop vif avec les phrases si éclatantes et si claires qui constituent
son caractère vocal ; je trouve que la chanson de Hagen, au troisième
acte, affecte une sorte de vulgarité d'autant plus fâcheuse que son
importance scénique est très considérable. Mais ces défauts secon-
daires sont rachetés par tant et de si nobles qualités, par un ensem-
ble si magistral, qu'il n'y a pas lieu de s'y appesantir et qu'on peut
facilement passer condamnation en ce qui les concerne. Cette belle
et sereine partition de Sigurd n'en reste pas moins une œuvre hors
de pair, heureusement et richement inspirée, une œuvre mâle et
pleine de fierté, sincère, puissante, vraiment française, et qui fait
le plus grand honneur à l'artiste qui l'a signée de son nom.
Mais il est temps, après en avoir rappelé la haute valeur, de par-
ler de ses interprètes. Nous retrouvons cette fois, parmi ceux-ci,
trois des principaux créateurs de Sigurd à Bruxelles et à Paris :
Mmes Caron et Bosnian dans les rôles de Brunehild et d'Hilda, et
M. Gresse dans celui de Hagen. M. Sellier, qui avait personnifié
Sigurd à l'Opéra, est remplacé aujourd'hui par M. Duc, tandis que
M. Berardi, qui jouait alors le grand prêtre, succède à M. Lassalle
dans le rôle de Gunther, et est lui-même remplacé par M. Marta-
poura. Enfin, c'est MUe Domeneeh qui supplée MIle Richard dans le
personnage d'Ota.
C'est avecune véritable joie que le public attendait le retour de
Mme Caron, qu'on l'avait depuis si longtemps privé d'applaudir, et
c'est avec un véritable enthousiasme qu'il l'a accueillie, enthousiasme,
i'ai hâte de le dire, que justifiait pleinement l'incomparable talent
déployé par l'artiste. Dès qu'on l'a vue, au deuxième acte, descendre
du lit où la "Valkyrie vient de dormir son long sommeil, les applau-
dissements ont éclaté, vigoureux et nourris, pour saluer sa réappa-
rition, et ces applaudissements l'ont suivie tout le long de ce rôle
si étrange, si passionné, si dramatique, dans lequel elle semble
s'être incarnée d'une façon vraiment saisissante. La noblesse de sa
démarche, la fierté de ses attitudes, le feu qui jaillit de ses yeux,
la passion qui couve sous son regard, font d'elle, plastiquement, la
réalisation parfaite de ce type de déesse ardemment éprise d'un
héros mortel. Scéniquement, vocalement, artistiquement, elle n'at-
teint pas moins l'idéal de la perfection rêvée. Telle nous l'avions
vue et entendue naguère, telle nous la retrouvions l'autre soir, su-
périeure encore à elle-même s'il est possible, cantatrice au goût sûr,
à l'étonnante sobriété, à l'accent pathétique et vibrant, tragédienne
lyrique d'une incomparable grandeur, ne visant jamais à l'effet, et
atteignant les plus hauts sommets de l'art à force de simplicité, de
naturel et de puissance expressive. La pureté de la diction, la net-
teté d'une articulation superbe décuplent chez elle les moyens d'ac-
tion qu'un artiste possède sur le public, et son rare sentiment
musical vient compléter l'ensemble des qualités qui forment le fond
de son talent merveilleux. Toute la scène du réveil a été chantée
et jouée par elle d'une façon absolument délicieuse. Mais je ne sau-
rais la suivre dans le reste du rôle, dans la grande scène avec
Gunther, dans son duo avec Hilda... Je me bornerai à constater
qu'elle a été simplement admirable au quatrième acte dans son duo
avec Sigurd, et qu'elle a dit d'une façon enchanteresse, avec une
suavité inouïe la mélodie exquise écrite sur ces paroles:
Des présents de Gunther je ne suis plus parée,
Je porte la verveine et la sauge pourprée
Qui brisent les enchantements...
Viens, Sigurd, que crains-tu? Viens où la lune éclaire,
Et, mirant son front pâle à cette source claire,
Argenté les flots écumants.
La salle, véritablement enivrée par ses accents, lui a fait à ce
moment une ovation enthousiaste et lui a fait répéter cette phrase
d'une pureté idéale.
A côté de Mme Caron, il n'est que juste de citer élogieusement
Mme Bosman, dont la voix semble avoir gagné en puissance et en
ampleur, et qui a acquis une très réelle autorité. Mmg Bosman est
fort remarquable dans ce rôle d'Hilda, qu'elle a fait sien et qu'on
ne saurait mieux jouer ni mieux chanter.
Je n'essaierai pas un parallèle inutile entre M. Duc et son pré-
décesseur, M. Sellier. La voix de M. Duc est toujours superbe, et ses
sonorités stridentes conviennent particulièrement au personnage
de Sigurd, à part certains passages signalés plus haut et qui sont
visiblement trop graves pour lui, comme pour tous les ténors.
Malgré toute l'estime que je professe pour le talent de M. Bérardi,
j'ai été surpris, je l'avoue, de la très grande supériorité dont il a
fait preuve en s'emparant du rôle de Gunther. Il l'a chanté en vraj
grand artiste, avec une voix d'un métal rare et précieux, et il l'a
joué en excellent comédien. Il a cette fois bien gagné ses chevrons.
Avec M. Gresse, qui a retrouvé son rôle de Hagen, il me faut
citer en terminant M. Martapoura qui s'est fort bien acquitté, et en
conscience, du rôle du grand prêtre, et Mu° Domeneeh, qui, malgré
sa jeunesse, s'est montrée très convenable dans celui d'Uta.
Il faut espérer que, maintenant que le voilà remonté, Sigurd ne
quittera plusjle répertoire.
Arthur Pousin.
Palais-Roval. — Les Femmes des amis, comédie en trois actes, de
MM. Ernest Blum et Raoul Toché.
Elle n'est vraiment pas consolante la morale de la nouvelle pièce
de MM. Blum et Toché et, si nous n'avions en horreur les mora-
listes grincheux et pédants, nous leur emboîterions le pas pour crier
avec eux que cette œuvre, au moment où l'on déplore la dépopulation
de la France, est presque antipatriotique. Mais l'on ne va pas, que
je sache, au Palais-Royal pour y entendre de doctes discussions
sur l'économie sociale, et MM. Boyer et Mussay, bien que gens for.t
sérieux de leur nature, n'ont jamais éprouvé le désir de faire, dans
leur théâtre, une concurrence déloyale au Collège de France ou à la
Sorbonne. Amusons-nous donc, puisque les deux spirituels auteurs
nous en donnent, une fois de plus, l'occasion, et tâchons de ne pas
conclure, d'après un système de déduction préconisé par certains
philosophes bien pensants, que, puisque dans cette comédie tous les
hommes ont été, sont ou seront trompés fatalement, il doit en être
forcément de même dans la vie réelle. Oh ! ces trois pauvres mes-
sieurs Boulinier, ce qu'ils sont pourtant convaincus d'éviter, par des
moyens préventifs dissemblables, l'inévitable catastrophe ! Décidé-
ment, plus j'y pense, moins je crois que ce spectacle puisse ramener
à l'idée du mariage les trop heureux célibataires.
Comme à leur ordinaire, MM. Blum et Toché ont bâti leurs trois
actes avec le moins de matériaux possible, et c'est vraiment étonnant
de voir avec quelle adresse et quelle dextérité ils arrivent à nous
donner l'illusion d'une pièce. Quelques épisodes heureusement
trouvés et présentés d'amusante façon; de-ci, de-là, des scènes de
très bonne comédie; de la bonne humeur, de l'esprit partout, et le
tour est joué. Il est très juste aussi de dire que la troupe du Palais-
Royal défend merveilleusement cet aimable badinage. MM. Daubray
et Saint-Germain sont parfaits tous les deux; Mme Mathilde, MM.
Milher, Calvin, Pellerin, Galipaux, Deschamps, sont très amusants.
Mme Lavigne a ajouté un type de plus à la collection de ceux
qu'elle a déjà si drôlement créés. Comme elle cherche des recom-
mandations auprès des directeurs de l'Opéra, où elle doit débuter
comme danseuse, elle en parle à un sien ami : « Vous les connaissez,
demande-t-elle ?» — « Je crois bien, répond l'abonné, chaque fois
qu'ils veulent faire une économie, ils viennent me consulter. » — «Oh!
alors, réplique l'espiègle enfant, vous devez les voir très souvent! s
Sanglant, mais si juste! Mmos Magnier, Cheirel, Bonnet et Losson
sont là pour nous prouver que les Parisiennes restent toujours les
plus élégantes et les plus jolies femmes du monde.
Paul-Emile Chevalier.
P.-S. — Vendredi a eu lieu l'inauguration du Casino de Paris au milieu
d'une aflluence compacte et des plus élégantes. Le Tout Paris avait été
convié, par M. Lointier, à cette fête qui a réussi de tous points.
Deux grandes salles décorées dans une teinte claire charmante composent
l'établissement nouveau, autrefois Skating : la première consacrée aux
promeneurs et aux consommateurs, avec, au milieu, une grande estrade
pour des exhibitions de toutes sortes et un orchestre entraînant sous l'ha-
332
LE MÉNESTREL
bile direction de M. Deransart ; la seconde transformée en ravissant
théâtre avec fauteuils, baignoires ouvertes, promenoir, loges et galeries
d'un aménagement très heureux. C'est sur cette scène qu'a eu lieu la pre-
mière représentation du Capitaine Charlotte, ballet de M. Marenco. Comme
nous n'avions pas été favorisé par un service de fauteuils, nous n'avons
absolument rien vu de ce divertissement en deux actes, qu'on nous a dit
être dansé par de fort jolies personnes transfuges de l'Eden. M. Lointier
se propose de monter de suite un nouveau ballet-pantomime de M. Maurice
Lefèvre, musique de MM. Messager et Street. Voilà une idée artistique.
P.-E. C.
UN VIRTUOSE COURONNÉ
VI
(Suite.)
On remplirait des volumes si l'on voulait raconter tous les traits
d'avarice du Grand Frédéric. En temps de guerre, l'argent marchait
toujours premièrement, et l'avidité qu'en avait le roi fut la cause
d'innombrables scènes de pillage et de meurtre. Le Journal de Bar-
bier a nommé Frédéric un Mandrin couronné, et il faut convenir que
cette comparaison est souvent justifiée. En temps de paix, le roi,
thésaurisant en vue de nouvelles aventures, vivait dans une crainte
perpétuelle : celle d'une requête d'argent. Un jour, visitant une colo-
nie agricole qu'il venait de créer, il vit une certaine quantité de
moissonneurs formant une double haie sur son passage. Aussitôt il se
tourne vers un des personnages qui lui faisaient les honneurs du pays :
— Que diable désirent ces gens ? Est-ce qu'ils veulent me deman-
der de l'argent?
— Oh! que non ! Sire : il sont plein de joie de la bonté que vous
avez de visiter ces contrées.
— Aussi bien, je ne leur donnerais rien.
Lorsque Voltaire vint à Sans-Souci, le roi s'était mis en frais pour
orner dignement le sanctuaire de son hôte. On montre encore aux
visiteurs la chambre de Voltaire décorée de fleurs et d'animaux en
relief, peints à vives couleurs, et parmi lesquels dominent les singes,
ce qui a donné lieu à une interprétation de malignité qui, après
tout, était peut-être bien entrée dans l'esprit, toujours prêt à la satire,
du royal amphitryon.
Tout alla fort bien dans les commencements ; mais où les cartes
se brouillèrent, c'est lorsque le moment fut venu d'acquitter la note
de ces embellissements. Selon son habitude, Frédéric trouva le prix
excessif : 4,260 thalers et demi pour des rinceaux et des figures de
singes, c'était exorbitant. Il finit pourtant par s'exécuter, mais en
maugréant contre les peintres, les sculpteurs et les architectes.
De plus, pour ce qui concerne Voltaire, le roi s'en tint au décor.
Jamais l'auteur de Zaïre ne fit aussi pitoyable chère. Peu ou pas de
bougie ni de sucre; café, thé et chocolat de qualité inférieure. Le
tout prit de telles proportions que Voltaire se plaignit. Frédéric
parla de chasser ses intendants, mais son hôte n'en fut pas mieux
traité pour cela. Le roi donnait d'ailleurs l'exemple à ses gens, en
chicanant sur toutes les dépenses de son visiteur. Un jour, il se
refusa obstinément, à payer les frais de savon portés sur le mémoire;
mais il faut dire que Voltaire en faisait un terrible abus, non pour la
propreté de son être, comme on pourrait le croire, mais d'une façon
qui lui avait dicté cette fin de lettre, lorsqu'il s'était mis en route :
« ... Il me faut un bon lit, une seringue et le roi de Prusse. »
Dans l'intérieur du roi, et même pour les réceptions, en dehors
des jours de gala, tout se ressentait de sa ladrerie A une fête, à
laquelle assista l'ambassadeur anglais lord Malmesbury, qui a laissé
de curieux Mémoires sur son séjour à Berlin, tous les appartements,
sauf la salle de bal, étaient éclairés par une seule bougie. Le souper
était mauvais. Les vins étaient frelatés. Après la danse, l'ambas-
sadeur demandant du vin et de l'eau, on lui répondit qu'il n'y avait
plus de vin, mais qu'on pouvait lui donner du thé. Le roi dirigeait
lui-même l'éclairage de la salle de bal el, pendant cette opération,
la reine, la famille royale et tout le monde attendaient sans lumière,
Frédéric n'ayant pas voulu qu'on allumât d'avance.
Étant à Berlin, il eut à traiter le landgrave de Hesse-Cassel et
la princesse de Wurtemberg. Dans ce but, il fit parvenir à son
contrôleur de bouche une lettre dans laquelle, après avoir fait une
sortie véhémente contre la « filouterie » des domestiques, il faisait
un menu très détaillé du dîner, fixant la qualité et le nombre de
plats, et toujours celui des bougies, qui paraissaient le préoccuper
tout particulièrement. Un jour qu'il faisait venir une douzaine de
bouteilles de vieux vin de Bordeaux, il disait :
— Il faut que j'écorehe un paysan saxon pour me rembourser.
Enfin, il écrivait à son ministre en Danemark, qui lui demandait
des frais de représentation :
« Vous êtes un prodigue : sachez qu'il est beaucoup plus sain
d'aller à pied qu'en voiture et que, pour manger, la table d'autrut
est toujours la meilleure. »
La seule circonstance dans laquelle il ne lésinât pas, c'était lors-
qu'il s'agissait de ses flûtes :
« Dans la dernière guerre, écrit Malmesbury, alors qu'il donnait
à tout le monde de la fausse monnaie, il veillait à ce que son fac-
teur de flûtes fût payé en pièces de bon aloi, de peur que celui-ci, de
son côté, ne cherchât à le tromper sur la qualité de ses instruments. »
De même, il ne reculait devant aucune dépense pour donner à
son Opéra la forme qu'il désirait. De Bohême il écrivait à Algarotti:
« J'attends tout ce qu'il y a de bon en fait de chanteurs d'Italie ;
puis j'aurai les meilleurs chapons harmonieux de l'Allemagne. Nos
danseurs sont presque tous arrivés. Les académiciens les suivront,,
comme de raison. La folie marche avant la sagesse; des mains armées
de lunettes et des mains chargées de compas doivent arriver plus
tard que des cabrioleurs français qui sautent avec des tambourins. »
Ce métier d'imprésario plaisait particulièrement à Frédéric II. A
Bheinsberg déjà, le prince royal faisait des engagements au loin
pour les besoins de sa musique, à laquelle il adjoignait volontiers
des chanteurs, et surtout des castrats, alors fort à la mode.
Par une lettre adressée au comte de Schulembourg, feld-rnaréchal
de la République de Venise, le prince priait ce personnage de lui
procurer un jeune soprano de quatorze ou quinze ans, qu'il lui
serait facile de trouver, « en en choisissant un qui ait appris l'art
de solfier et qui sache déjà chanter quelque chose, ayant bonne
voix et de l'inclination pour la musique ».
Le comte répond qu'il fera les diligences nécessaires pour trouver
le soprano en question ; mais, en attendant, il offre au prince « une
fille âgée do près de trente ans, qui possède parfaitement la mu-
sique et qui a appris à jouer du clavecin pour pouvoir accompagner
les airs elle-même ; avec cela de bonnes mœurs, un esprit vif et d'une
compagnie amusante et agréable ».
Frédéric refusa, dans une seconde lettre, la fille de trente ans et
déclara s'en tenir au castrat, qui lui fut expédié sur l'heure.
Il lui en vint plusieurs, et des plus célèbres, pour son Opéra :
« Mes chapons d'Italie viennent d'arriver, écrit-il au comte de
Rottenbourg, en mission diplomatique à Paris; on dit qu'ils sont
d'un acabit admirable et qu'ils feront tourner la tète à tout Berlin,
tant ils chantent bien. »
Pour le ballet, on le recrutait un peu partout, mais surtout à
Paris, où le comte de Rottembourg faisait des engagements :
» Il fera bon de se hâter, lui écrivait le roi, pour que nous ayons
cette troupe cabriolante cet hiver. »
Et plus loin :
» J'espère que nous avons un baladin et une cabrioleuse , sans
quoi notre opéra aura l'air un peu déshabillé. »
Tout fut prêt à l'heure voulue. Aussitôt après le retour du roi, on
inaugura la salle nouvelle, construite sur le modèle des théâtres
italiens, par l'opéra de Graun, Cléopâtre et César.
Le soir même, le roi mandait à sa sœur, la. margrave de Bayreuth,
le succès qui venait de couronner son œuvre. Suivant sa coutume,
lorsqu'il était satisfait, il s'exprimait en vers. Les voici :
Lors vint du sein de l'Ausonie
L'harmonieuse Polymnie
Qui joignit avec art à ses divins accords,
Aux doux charmes de la musique
Tout ce qu'a de pompeux un spectacle magique
Où la profusion étale ses trésors.
C'est là que l'Astrua par son gosier agile
Enchante également et la cour et la ville,
Et que Felicino, par ses sons plus touchants,
Sait émouvoir les cœurs au gré de ses accents ;
C'est là que Marianne, égale à Terpsichore,
Entend tous ces bravos dont le public l'honore.
Felicino n'était autre que le célèbre sopraniste Félix Salimbeni,
et Marianne la danseuse, M110 Cochois. Ils gagnaient chacun mille
francs par soirée, comme tous les premiers sujets. C'était un joli
dénier pour l'époque et surtout pour la bourse parcimonieuse du
Grand Frédéric.
Il est vrai qu'on ne donnait guère que de quinze à vingt repré-
sentations par an à l'Opéra, pendant le carnaval.
(A suivre.) Edmond Neukomm et Paul d'Estrée.
LE MENESTREL
333
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Qui croire? La Gazzetta Piemontese annonçait que Verdi travaillait à
un oratorio sur le sujet du Roi Lear, et le Trovalore répétait, en confirmant
cette nouvelle, que le maître ne s'en occupait pas moins d'un nouvel opéra,
Romeo e Giulictta. Nous avons tenu nos lecteurs au courant de tous ces
bruits. Mais voici qu'aujourd'hui un autre journal, le Mondo artistico, affirme
résolument que les nouvelles de ses deux confrères sont controuvées et
qu'il n'est pas plus question, de la part de Verdi, d'un Roi Lear que d'un
Roméo et Juliette l Qui croire? On peut remarquer cependant que la Gazzetta
musicale de Milan, organe de l'éditeur de Verdi, et qui a, par conséquent,
des raisons d'être bien informée à son sujet, n'a pas, jusqu'à ce jour,
publié une ligne concernant les deux ouvrages en question. Il semblerait
bien, d'après cela, que le démenti catégorique du Mondo artistico a sa rai-
son d'être.
— Un journal italien annonce qu'on exécutera au Théâtre Social de Tré-
vise, au cours de la prochaine saison, il Popolo Polacco, « chant de guerre »
mis en musique par le compositeur Filippo Brunetto. Un chant de
guerre ! pour le peuple polonais! A quel propos? Espérons que la diplo-
matie arrangera les choses.
— Au Costanzi de Rome, la résurrection du Comte Ory est loin d'avoir
obtenu le succès, que nous avons constaté, de celle des autres ouvrages
de Rossini, Cenerentola et l'italiano inAlgeri. Mais c'est l'interprétation qui,
cette fois, a été cause de ce fâcheux résultat. Elle a été détestable, paraît-
il, de la part de tous, tant au point de vue musical qu'au point de vue
scénique, et à ce point insuffisante et mal préparée que le public, indi-
gné, a fini par se fâcher tout rouge et par manifester sans réserve son
mécontentement trop légitime. — A ce même Costanzi, on a exécuté, à
l'une des dernières représentations de Cavalleria rusticana, une ouverture
inédite d'un jeune compositeur, M. Paglioriti, élève du regretté Terziani.
— La Perseveranza, de Milan, s'avance peut-être beaucoup en affirmant
que le jeune maestro Mascagni, l'auteur de Cavalleria rusticana, a déjà écrit
deux actes complets du nouvel ouvrage qui lui a été commandé par son
éditeur, M. Edouard Sonzogno, et dont le livret est tiré des Rantzau,
d'Erckmann-Chatrian. En tout cas, et si le fait était vrai, il dénoterait
chez son auteur une singulière et rare facilité de travail.
— De Milan on nous télégraphie le grand succès remporté au Théâtre
Philodramatique dans Mignon par Mm0 Tériane, la brillante élève de
M""5 Marchesi. Les journaux italiens sont unanimes à le constater.
— Les premières semaines de réouverture dans les théâtres allemands
ci-après ont amené la reprise des ouvrages suivants du répertoire français :
Berlin. Coppélia. — Cassel. Robert le Diable, Roméo et Juliette, le Postillon de
Lonjumeau, l'Africaine.— Dresde. Robert le Diable, le Roi malgré lui (3 fois), Car-
men, le Maçon, la Juive, la Dame blanche, Joseph. — Francfort. Le Prophète,
Mignon, le Postillon de Lonjumeau, la Juive, la Fille du Régiment, les Huguenots,
l'A fricaine. — Leipzig. Jeanne, Jeannette et Jeanneton, la Vie parisienne, Carmen,
(2 fois), les Dragons de Villars(3 fois), Faust ("2 fois). — Mannheim : La Fille du
Régiment, Faust, les Huguenots, Mignon, Carmen. — Sciiwerin. Carmen, Faust.
Stuttgart. — Le Roi l'a dit, Carmen, Mignon (2 fois). — Vienne. Carmen (2 fois),
les Deux Journées, Béatrice et Bénédic{, Mignon (2 fois), Faust (3 fois), Roméo
et Juliette, la Juive, la Fille du Régiment, Robert le Diable, le Cid, l'Africaine,
le Postillon de Lonjumeau.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. Berlin: Le théâtre Frédéric-Guil-
laume prépare une « soirée historique d'opérettes » où seront ressuscitées
deux doyennes du genre : la Chanteuse de village (la Cantatrice villana ?), de
Fioravanti, et la Chasse, de J.-A. Hiller. M. Raiberti, première basse à
l'Opéra royal, quitte cette scène pour se consacrer à la carrière française.
— Leipzig : On revient aux anciennes opérettes françaises au théâtre mu-
nicipal : M. et M"" Denis et la Permission de dix heures, d'Offenbach, ont
reparu sur cette scène à la plus grande joie du public. — Munich : On
prépare au théâtre de la Cour une reproduction de la Cendrillon de Nicolo.
— Munster : Le gouvernement prussien a prononcé la désaffectation du
théâtre municipal, qui ne remplissait plus les conditions de sécurité contre
l'incendie exigées par les dernières ordonnances de police. — Sigmaringen :
Le théâtre de la Cour, fermé depuis 1885 par suite de la mort du prince
Antoine de Hohenzollern, va rouvrir cet hiver pour une période d'essai,
par ordre du prince Léopold.
— Le Conservatoire national de Budapesth célébrera, au mois de jan-
vier prochain, le cinquantième anniversaire de sa fondation. On prépare
pour cette circonstance deux grandes cérémonies musicales qui seront
présidées par lo comte Geza Zichy, directeur du Conservatoire.
— On demande un troisième acte. Quand nous disons: « on », il s'agit
du célèbre compositeur viennois Johann Strauss, qui, fort ennuyé, vient
de perdre le troisième acte de sa dernière œuvre, un opéra en trois actes
qui devait être représenté cet hiver à l'Opéra de Vienne, sous le titre de :
le Chevalier Pasman. Cette œuvre devait être la nouveauté principale de la
saison. En déménageant de sa villa de Schœnau pour se rendre à Vienne,
le maître a égaré le dernier acte et, ne pouvant le retrouver, il va être
obligé de lo composer de nouveau. On doute, dans ces conditions, que le
Chevalier Pasman puisse être représenté encore dans le courant du présent
hiver.
— Vogl, le célèbre ténor wagnérien, a décliné poliment l'offre d'un
spectacle de gala que l'Intendance des théâtres royaux de Munich voulait
organiser à l'occasion de son jubilé de vingt-cinq ans de théâtre. Cela ne
laisse pas que de surprendre les bons Athéniens des bords de l'Isar qu'un
chanteur refuse les couronnes et les ovations qu'on veut lui offrir, la mo-
destie n'étant pas le lot des ténors allemands... ni des ténors généralement
quelconques.
— La petite ville de Weimar se prépare à célébrer prochainement le
centenaire de sa fondation sous les auspices de Gœthe et de Schiller. C'est
le 7 mai de l'année prochaine que tombe cet intéressant anniversaire. Il
y aura toute une semaine des fêtes théâtrales à cette occasion. Outre le
Wallenstein de Schiller, le Faust de Gœthe, le Chasseur d'Oûland pour le
drame et la comédie, il y aura des représentations d'opéra. Le choix n'est
pas encore arrêté, mais il est certain que l'on exécutera des ouvrages de
Mozart, de Gluck, de Wagner et une œuvre posthume de Peter Cornélius,
l'auteur du Barbier de Bagdad.
— Une correspondance de Dresde nous fait connaître le grand effet
produit en cette ville par la reprise du Joseph, de Méhul, qui a eu lieu
le i de ce mois : « Après les complications de la Trilogie de Wagner,
après l'orchestration magistrale, mais encore tourmentée, de Tannhàuser,
après le mysticisme sentimental de Lohengrin, voici la grandeur religieuse
du Joseph de Méhul. C'est une sorte de decrescendo qui repose l'esprit de
tant de sensations violentes. Hier soir une salle absolument comble
applaudissait la reprise de Joseph en Egypte, représenté il y a quinze ans
à notre théâtre sous le titre de Jacob et ses fils. J'ai entendu quelques spec-
tateurs émettre l'idée que Joseph en Egypte était en quelque sorte un pré-
lude à la Passion d'Oberammergau. Ce qui est certain, c'est qu'on éprouve
une émotion profonde en présence d'une interprétation si exacte d'un des
épisodes les plus pathétiques de l'Ancien Testament, auquel la musique
s'adapte avec la précision qui caractérisait le compositeur. Elle est tout
imprégnée de couleur locale, sauf peut-être un appel de cors qui res-
semble beaucoup à une retraite allemande. Le chœur des vierges égyp-
tiennes, accompagné par deux harpes, est d'un effet merveilleux; les
ensembles des frères de Joseph sont pleins d'énergie ; au second acte,
dans la scène de la nuit, le duo des deux frères est émouvant; l'intro-
duction du troisième acte, avec flûtes et clarinettes, est enchanteresse,
et la prière des Israélites, au lever du soleil, est une page religieuse
admirable. » En somme, succès éclatant de cette reprise du chef-d'œuvre
de Méhul, succès dont une part revient légitimement aux très remar-
quables interprètes, MM. Stritt (Joseph), Nébuschka (Jacob), Scheide-
mantel (Siméon), Mme Schuch (Benjamin), et MM. Decarli, Jensen, Anthes,
Hofmùller, sans oublier l'orchestre et son chef fort distingué, M. Schuch.
— L'éditeur Robert Forberg, de Leipzig, vient de publier un catalogue
thématique complet des trios, quatuors et quintettes de Haydn, Mozart,
Beethoven, Schubert, Mendelssohn et Schumann. Ce catalogue a été dressé
par M. C. Albrecht.
— Encore une découverte ! S'il faut en croire le Guide musical, on vien-
drait de découvrir à Stockholm (??) un concerto inédit de Paganini pour
basson (1 !), avec accompagnement de violons, alto et violoncelle. Basso-
nistes, mes frères, méfiez-vous!...
— On annonce que M. Ivar Hallstrœm, le compositeur suédois, vient
de terminer la partition d'unnouvel opéra, intitulé Alhambra.M. Hallstrœm,
qui est le musicien le plus fécond et le plus populaire de son pays, a
déjà obtenu au théâtre des succès retentissants. Parmi ses nombreux
opéras déjà représentés, on cite surtout Hertig Magnus, la Fiancée du gnome,
la Montagnarde enlevée et les Vikings.
— Le Théâtre-Impérial de Saint-Pétersbourg a rouvert ses portes dans
les derniers jours de septembre. Selon la coutume, c'est l'opéra de Glinka,
la Vie pour le Czar, qui faisait les frais de ce spectacle d'inauguration,
avec le ballet le Talisman. Au mois de janvier doivent commencer, au
Petit-Théâtre, les représentations d'une compagnie italienne dont feront
partie M™ Marcella Sembrich, le ténor Masini, le baryton Cotogni, et peut-
être Mllc Borghi-Mamo. Quant aux représentations de Mm° Adelina Patti,
que nous avons annoncées déjà, on pense qu'elles auront lieu au théâtre
Panaieff. Les concerts populaires ont repris leurs séances le dimanche
28 septembre, au Petit-Théâtre, sous la direction du chef d'orchestre
Krouschevsky ; on a surtout applaudi, dans cette première séance, la fan-
taisie de Glinka, une Nuit d'été à Madrid, et l'ouverture du Tannhàuser.
— Si invraisemblable que cela paraisse, il existe en Europe des artistes
d'opéra qui refusent d'interrompre la pièce pour venir devant le trou du
souffleur saluer le public qui les ovationne. Il est vrai que c'est à l'autre
bout du monde civilisé, à Kiew, en Russie, que ce phénomène s'est pro-
duit. Les artistes du théâtre de cette ville russe, M. Prianischnikow de
l'Opéra impérial de Saint-Péterbourg à leur tête, sont résolus de refuser
toute offrande de fleurs qui leur serait faite pendantla représentation, aussi
bien que de donner suite aux cris de bis. Dès l'ouverture de la saison,
ils ont mis leur résolution à exécution. Cela n'est déjà pas mal. Mais ce
qui louche absolument au sublime, c'est que les spectateurs, loin de recon-
334
LE MÉNESTREL
naître l'excellente et artistique intention des artistes, se sont insurgés contre
ce qu'ils considèrent comme un manque d'égards à leur adresse. Le soir
de la réouverture du théâtre il y a eu un véritable tumulte, et il a fallu
l'intervention des autorités pour mettre fin au tapage. On ne dit pas com-
ment l'incident s'est terminé, si ce sont les artistes ou les spectateurs qui
ont finalement cédé. C'est probablement la première fois, depuis qu'il
existe des théâtres, qu'un pareil conflit se produit.
— Nouvelles de Londres. — La Cigale est un gros succès au Lyric. La
mise en scène en est somptueuse tout en restant dans le bon goût, et l'in-
terprétation excellente dans son ensemble. La jolie musique de M. Audran,
ou plutôt ce qui en a été conservé, a fait grand plaisir, plusieurs morceaux
étant bissés et même trissés. Seulement, comme cela se passe presque
toujours en Angleterre en pareil cas, on ne s'est pas contenté de traduire
l'ouvrage français : M. Burnand, éditeur du Punch, a été chargé de rema-
nier le libretto, qu'il s'agissait de ramener de dix tableaux à trois, et
M. Ivan Caryll, chef d'orchestre du théâtre, a entrepris de faire les rac-
cords nécessaires à la partition. Malheureusement M. Caryll ne s'est pas
contenté de composer un trio mélodramatique et un finale prétentieux pour
une situation nouvelle créée au deuxième acte : il a aussi retouché plusieurs
pages de M. Audran ou substitué sa propre musique à celle du compo-
siteur original dans plusieurs scènes conservées du poème. Et cela sans
que sa collaboration ait été même proposée à M. Audran ! La chose par
elle-même n'aurait pas grande importance dans un pays qui a élevé le
tripatouillage à la hauteur d'une institution; mais on a invoqué, en la
circonstance, un argument contre lequel il convient de protester, dans
l'intérêt de tous les compositeurs étrangers. On déclare sérieusement que
M. Audran n'a aucun droit de réclamer contre cette collaboration forcée
parce qu'il ne cannait pas l'anglais. Et c'est pour cela que M. Caryll a rem-
placé, par exemple, la courte introduction d'orchestre par une pastorale de
son cru ! Est-ce assez grotesque ?
Les deux spectacles d'ouverture définitivement choisis par M. Lago sont
Aida et les Huguenots.
M. Sarasate, toujours fidèle au public anglais, fera sa rentrée samedi
après-midi et exécutera le Concerto de M. Emile Bernard, celui de Max
Bruch et la fantaisie sur Otello d'Ernst.
M. Paderewski, en dépit des racontars de quelques journaux parisiens,
sera bientôt à Londres pour remplir ses engagements, vers la fin du mois,
aux Concerts populaires et au Crystal-Palace.
Le 23e festival triennal se tient cette semaine à Norwich et offre comme
principale nouveauté une version de l'Allégro ed il Penseroso deMilton, mise
en musique par le docteur Hubert Parry, après Haendel.
M. Harris s'est, dit-on, assuré du théâtre de Covent-Garden pour sa
prochaine saison d'opéra. A. G. N.
— Une nouvelle entreprise lyrique vient d'être instituée à Londres, sous
le titre pompeux de the Grand national Opéra Company. Les directeurs,
MM. Edwards Barri et J. O'Connor, ont l'intention de puiser à pleines
mains dans le répertoire anglais. Qu'en sortiront-ils ? j
— Le théâtre du Globe, à Londres, a donné ces jours derniers la pre-
mière représentation d'un opéra sério-comique intitulé le Corsaire noir,
dont les paroles ainsi que la musique sont de M. Luscombe Searelle. Le
livret présente une assez faible imitation du Vaisseau fantôme, de Wagner,
agrémenté de quelques scènes « pour rire .» La partition, elle, n'a nulle
prétention au style wagnérien, ce qui ne veut pas dire qu'elle ait diverti
le public. Le baryton Ludwig s'est fait applaudir dans le rôle du Corsaire.
— M. Mapleson doit entreprendre dans les provinces anglaises, à la fin
du présent mois, une tournée de « Grand Opéra Concert » qui sera dirigée
par M. Tito Mattei et à laquelle prendront part Mmcs Scalchi et Dotti, le
ténor anglais Harley, le bouffe Ciampi et une violoniste, MUo Levallois.
On parle aussi d'une autre tournée que M. Mapleson organiserait pour
l'Amérique avec le concours de MM. Torrigi, Benfratelli, Darvall, Gavi-
rati, Machwitz et le chef d'orchestre Casati, lesquels seraient, dit-on,
associés dans l'entreprise.
— Mmc Marcella Sembrich a fait son début au Théâtre-Royal de Ma-
drid dans Lucia. Elle a remporté un grand succès et on lui a fait de vé-
ritables ovations après l'air de la Folie. Elle répète à présent le rôle
d'Ophélie i'Hamlel, qui doit passer très prochainement.
— Le compositeur Chapi, l'un des plus actifs et des plus renommés
de l'Espagne, vient de terminer un opéra, qui, pense-t-on, sera repré-
senté dans un délai peu éloigné au Théâtre-Royal de Madrid. La Escena
de Barcelone, assure que, celui-ci à peine achevé, il s'est remis au tra-
vail pour en écrire un autre sur un livret de Pérez Galdos, dont elle ne
fait pas connaître le titre.
— La Gazeta musical de Lisbonne annonce que dé sérieuses difficultés se
seraient élevées entre le directeur du théâtre San Carlos et les artistes de
l'orchestre de ce théâtre. Ceux-ci se montreraient disposés à accepter les
offres qui leur sont faites par l'administration du nouveau Colisée le-
quel les emploierait toute l'année tandis que la saison du San Carlos ne
dure que cinq mois.
— Une nouvelle Société philharmonique vient de se fonder à New-
York sous la dénomination de Mclropolitan-Orchcstra. Elle a pour chef
M. Antoine Seidl et compte soixante et onze exécutants. Le premier con-
cert, qui a eu lieu dans la nouvelle salle de Madison-Square, il pleinement
réussi. Le grand succès a été pour la délicieuse suite d'orchestre de Cop-
pélia et deux numéros du Bal masqué de Rubinstein : Pacha et Aimée et
Cosaque et Petite-Russiennc.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
La séance publique annuelle de l'Académie des Beaux-Arts a eu lieu
hier samedi, 18 octobre, sous la présidence de M. Ambroise Thomas. Le
programme de la séance était ainsi composé : 1° exécution de la scène
lyrique qui a remporté le second premier grand prix de composition mu-
sicale et dont l'auteur est M. Bachelet (Alfred-Georges), élève de M. Gui-
raud ; 2° discours de M. le président et distribution des grands prix de
peinture, de sculpture, d'architecture et de composition musicale; 3° pro-
clamation des prix décernés en vertu des diverses fondations ; i" Notice sur
la vie et les ouvrages de M. Charles Questel, membre de l'Académie, par
M. le comte Henri Delaborde, secrétaire perpétuel ; 5° exécution de la
scène lyrique qui a remporté le premier grand prix de composition mu-
sicale, et dont l'auteur est M. Carraud (Michel-Gaston), élève de M. Mas-
senet. On sait que le poème de la cantate de cette année, Cléopâtre, a pour
auteur M. Fernand Beissier ; les trois personnages — réglementaires —
sont Antoine, Cléopâtre, et le spectre de César ; en voici une rapide ana-
lyse. A l'issue de la bataille d'Actium, Antoine vaincu cherche un refuge
dans le tombeau des Ptolémées ; il y rencontre Cléopâtre, qui s'est aussi
réfugiée dans ce lieu sacré. Les deux amants, heureux de se retrouver
après tant d'infortunes, songent à fuir ensemble, loin de ce pays maudit.
Mais le spectre de César apparaît soudain; il ordonne à Antoine de mou-
rir ; le rival d'Octave obéit; Cléopâtre se tue avec lui. — M110 de Montaland,
MM. Imbert de La Tour et Martapoura, pour M. Bachelet; Mmo Fiérens,
MM. Cossira et Taskin, pour M. Carraud, étaient hier les interprètes de
Cléopâtre à l'Académie des beaux-arts.
— La bibliothèque de l'Opéra, déjà si riche et si fournie, vient encore de
s'enrichir d'une importante série de trente-sept partitions formant un en-
semble de quarant-quatre volumes et provenant de la collection Adam. Ces
partitions sont signées des noms d'Auber, Bellini, Berton, Bochsa, Boieldieu,
Carafa, Champein, Cherubini, de Feltre, Gluck, Gomis, Halévy, Herold,
Kreutzer, Labarre, Méhul, Meyerbeer, Mozart, Nicolo, Paisiello, Prévost,
Rossini, Sacchini, Spontini, Vogel, D Z (Dezède). Ces 37 partitions sont
des partitions d'orchestre (celle du Pirate seule est pour piano et chant) qui
toutes, sauf Armide de Gluck, le Solitaire, de Carafa, et la Colonie, de Sac-
chini, manquaient à la bibliothèque de l'Opéra.
— Plusieurs de nos grands confrères publient en ces termes la nouvelle
que voici : « On vient de vendre à Berlin, aux enchères publiques, la
seule partition autographe de Beethoven qui ait été conservée. C'est la
Grande Fugue, datée de mai 1827. Elle est écrite sur quatre-vingts grandes
pages. Elle a été vendue 1,32b marks (1,636 francs). » Il y a là certaine-
ment une erreur, non dans le fait lui-même, que nous tenons pour exact,
mais dans l'assertion à laquelle il donne lieu. Les manuscrits autographes
de Beethoven sont beaucoup moins rares que les lettres de Molière, et
sont fort loin d'être introuvables. Il ne faudrait pas aller beaucoup plus
loin que la Bibliothèque du Conservatoire pour en rencontrer de très pré-
cieux, et nous ajouterons que nous en avons vu passer en vente publique,
ici même, à Paris, sinon fréquemment, du moins plus d'une fois. Il n'est
donc pas exact de dire que le manuscrit qui vient d'être vendu à Berlin
est « la seule partition autographe qui ait été conservée », ce qui, on
l'avouera, serait fort étonnant, étant donnée la prodigieuse fécondité du
maître que Richard Wagner a daigné corriger.
— Les journaux allemands commentent beaucoup une phrase prononcée
par M. Ernest Reyer dans son discours à propos de l'inauguration de la
statue de Berlioz à la Côte-Saint-André. C'est l'endroit où l'orateur parlait
d'un pays où Berlioz a trouvé ses premiers succès, « mais où son patrio-
tisme aussi bien que sa dignité lui défendraient d'aller les chercher aujour-
d'hui ». Les journalistes allemands se montrent fort indignés de cette
allégation ; quelques-uns vont même jusqu'à dire qu'ils espèrent bien
qu'après cela M. Ernest Reyer, s'appliquant à lui-même les doctrines qu'il
professe, se gardera de faire représenter ses œuvres à Berlin, comme il en
est question pourtant. Plusieurs enveloppent même le Ménestrel dans l'ana-
thème lancé contre l'auteur de Salammbô. A ceux-ci nous prendrons la
peine de faire remarquer que nous n'avons nullement approuvé la manière
de voir de M. Reyer en cette occasion. Tout au contraire, M. Julien Tiersot
faisait suivre la phrase malencontreuse qu'on reproche à M. Reyer des
quelques lignes suivantes : « J'ai, pour ma part, une tout autre conviction,
à savoir que le patriotisme n'a rien à faire dans l'estime accordée ou
refusée aux œuvres d'art. » Cette opinion est également la nôtre.
— Le Daily News annonce que des propositions ont été faites à M. Co-
lonne pour une série de concerts d'orchestre à donner à Saint-James's-
Hall, de Londres, aux mois de mai et juin prochains.
— Il nous revient que M. Jacquot, l'excellent luthier nancéen dont la
réputation n'est plus à faire, prépare, pour une Exposition prochaine,
toute une série d'instruments franchement modernes, qui reproduiront
les qualités de facture très habile qu'on avait appréciées dans les beaux-
violons et violoncelles d'imitation ancienne qui composaient sa remar-
LE MÉNESTREL
335
quable exposition au Champ-do-Mars en 1889. Ceci revient à dire que
M. Jacquot ne se cantonne pas, comme jadis feu VuiUaume, dans une imi-
tation étroite et servile des anciens luthiers, mais qu'il sait faire aussi,
dans d'excellentes conditions, de la lutherie d'aspect et de qualités essen-
tiellement modernes.
— Une représentation extraordinaire, au bénéfice de M. Dumaine, sera
donnée à l'Opéra, le jeudi soir 30 courant. En outre d'intermèdes par un
grand nombre d'artistes des principaux théâtres de Paris, on jouera le
Chapeau d'un horloger, avec M. Jolly, du Vaudeville, dans le rôle créé au
Gymnase par Lesueur; le troisième et le quatrième acte d'Hamlet, avec
M. Lassalle, M1"8 Melba et M110 Subra; le troisième acte de Patrie! le drame
de Sardou, dans un décor de l'Opéra, avec le bénéficiaire dans le rôle du
comte de Rysoor, qu'il a créé, et M. Goquelin dans celui du sonneur;
enfin un divertissement chorégraphique, probablement le pas de la Korri-
gane, avec MUe Mauri. La représentation sera terminée par une pièce de
vers de circonstance, que Dumaine lira au public et à ses camarades
réunis autour de lui.
— A l'Opéra-Comique, M. Gibert répète le rôle de Dimilri, qui sera
repris prochainement. Mme Bernaërt étudie celui de la princesse Vanda.
Mmes Deschamps-Jéhin, Landouzy, MM. Soulacroix et Fournets conser-
vent les rôles qu'ils ont joués la saison dernière.
— Rendons à Faure ce qui appartient à Faure. Le beau Credo que
M. Plançon a si magnifiquement chanté au mariage de MUe Dumas, est
de la composition de notre grand chanteur, et non de celle de M. Gounod,
assez riche de sa propre gloire pour ne rien envier à celle des autres.
C'est donc à tort que tous les journaux de Paris — y compris le Ménestrel!
— ont annoncé que ce Credo était tiré de l'opéra Polyeucte.
— Mmo Nevada a quitté Paris hier soir pour commencer la grande
tournée qu'elle va faire, jusqu'en janvier prochain, en Hollande et en
Scandinavie, sous la direction de M. Ferdinand Strakosch. L'habiie im-
présario, qui a su entourer sa brillante étoile de toute une pléiade d'ar-
tistes italiens di primo cartello, donnera de grands concerts et aussi des
représentations. Mm0 Nevada chantera à ces réprésentations Hamlet, Mignon,
Lakmé, le Barbier et la Sonnambula.
— M,le Pringle, une des interprètes préférées de Wagner, avec qui
elle a travaillé les différents rôles qu'elle a chantés à Bayreuth, vient de
traverser Paris. La cantatrice, très fêtée à Londres, s'est fait entendre
avec un grand succès, cette semaine, chez M. Ten Hâve, et compte, cet
hiver, chanter aux concerts de M. Lamoureux.
— Hier a été célébré, à Notre-Dame-de-Lorette, le mariage de notre
excellent confrère, M. Maurice Ordonneau, avec MUe Pirotte. L'église était
trop petite pour contenir la foule des nombreux amis du spirituel etsym-
patique auteur de Durand et Durand.
— Un professeur italien, M. Leopoldo Mastrigli, vient d'appliquer au
piano le procédé ingénieux déjà employé par lui à l'égard du chant. Il
a réuni dans un élégant petit volume, sous une série de rubriques spé-
ciales, toute une suite de conseils, d'observations, de préceptes, d'apho-
rismes relatifs à l'étude du piano et empruntés par lui aux artistes les
plus éminents et les plus qualifiés, et il a publié le tout sous le titre
de Manuale del pianista (Milan, Hoepli, in-16). On trouve là-dedans des
réflexions et des observations fort utiles, signées des noms de Beetho-
ven, Moschelès, "Weber, Czerny, Mendelssohn, Chopin, Kalkbrenner, dé-
menti, Schumann, Liszt, Gottschalk, Fétis, Berlioz, Angeleri, et de
MM. Marmontel, Mathis Lussy, Edouard Hanslick,Eschmann-Dumur, Baz-
zini, Kleczynski, Alfred Quidant, etc. C'est le titre de « Manuel » qui ne me
parait pas convenir à une publication de ce genre, car il va sans dire qu'il
ne s'agit pas d'un ouvrage d'instruction technique et pratique ; cet ou-
vrage vise à la fois moins loin et plus haut, et il s'adresse plutôt à l'àme
de l'artiste qu'aux doigts de l'écolier. C'est donc un Conseiller du pianiste
plutôt qu'un manuel, au vrai sens du mot. Cette réflexion faite, — ce
n'est pas même une réserve, — ce petit volume, très ingénieux, je le
répète, peut être d'une grande utilité et servir beaucoup à l'éducation in-
tellectuelle des jeunes artistes. A. P.
— Le Cercle Funambulesque et le théâtre des Bouffes-Parisiens viennent
de signer un traité d'alliance. En vertu de ce traité, c'est aux Bouffes-
Parisiens qu'auront lieu cet hiver les soirées du Cercle Funambulesque.
Ces soirées gardent d'ailleurs leur caractère absolument privé et conti-
nuent à être réservées aux seuls membres du Cercle et à leurs invités.
D ne reste qu'un très petit nombre de places disponibles et le comité
sera obligé, à bref délai, de ne pas donner suite aux demandes d'admis-
sion. Ajoutons que toutes les communications relatives aux représenta-
lions funambulesques doivent être adressées au président du Cercle, 33,
rue de Chàteaudun, où les inscriptions sont reçues tous les jours de 1 à 4
heures.
— Voici le programme du premier concert Colonne, dont la réouverture
a lieu aujourd'hui dimanche, à deux heures, au Chàtelet: Ouverture de
Phèdre (Massenet) ; Symphonie pastorale (Beethoven) ; Aria de la suite en ré
(J.-S. Bach); Sérénade de Namouna (Ed. Lalo) ; Fragments de Samson et
Dut ila (Saint-Saëns) ; Prélude de Lohengrin (Richard "Wagner) ; Peer Gijnt,
suite d'orchestre (Ed. Grieg) ; la Damnation de Faust, fragments (II. Berlioz).
— On sait que le Théâtre des Arts, de Rouen, va donner prochaine"
ment la Salammbô de M. Reyer. Voici la distribution de l'ouvrage, telle
qu'elle vient d'être arrêtée :
Salammbô
Taanach
Matho
Shahabarim
Hamilcar
Spendius
Narr'Havas
Giscon
Autharite
Le grand prêtre de Khamon
Le grand prêtre de Melkarth
Le grand prêtre d'Eschmoùn
M'™' Dufrasne, de l'Opéra.
De Béridez.
MU. Raynaud.
DepreBtre.
Mandaud.
Montfort.
Lequien.
Larcher.
Gournay.
Fleurix.
Paillard.
Guénaud.
— La Société chorale d'amateurs, dont le président est M. Ed. Guinand
et le chef d'orchestre M. Ad. Maton, reprendra, le 12 novembre prochain,
le cours de ses intéressants travaux. Avec la Mort d'Orphée, la belle scène
si poétique de M. Léo Delibes, qu'elle compte faire entendre de nouveau,
la Société produira, au cours de cette saison, plusieurs œuvres inédites,
entre autres : Hylas, scène lyrique de M. Théodore Dubois, Sonnet du
printemps, chœur de M. Henri Maréchal, le Sommeil d'Hercule, chœur de
M. Georges Hue, et Morgane, scène lyrique de M. Paul Vidal.
— Dimanche dernier, grande solennité à Lyon, où le Caveau avait
organisé, sur la scène du théâtre Bellecour, une superbe représentation
pour élever un monument au grand chansonnier Pierre Dupont. M. Las-
salle, à qui l'Opéra avait accordé un congé, a dit de sa magnifique voix
la Vigne, puis le Grenier de Béranger, la Chanson française de Charles
Vincent, et la Cosaque. Ses compatriotes reconnaissants lui ont fait une
admirable ovation. M. Boudouresque, venu exprès de Marseille, a magis-
tralement aussi chanté les Bœufs, les Sapins, les Taureaux, puis la Toussaint
de M. Lacome. Son succès n'a pas été moins grand. L'aimable chanson-
nier Ernest Chibroux, un des vaillants organisateurs, avec M. Camille
Rov, de cette fête du souvenir pour un vrai poète, a fort joliment dit
deux fantaisies de lui, et un poète du Caveau Lyonnais, M. Rose, s'est
fait applaudir aussi. La salle, une des plus vastes de France, était bondée
jusqu'au faîte.
— La jolie ville de Ribeauvillé, en Alsace, a célébré dernièrement avec
beaucoup d'éclat le cinq-centième anniversaire de la fondation de la con-
frérie des ménétriers ou « chevaliers errants » qui avaient pour patron le
seigneur de Rappollstein (ou Ribeauvillé). De tous les points de la con-
trée la foule était accourue sur les pas du pittoresque cortège historique,
en tète duquel chevauchait fièrement le « roi des ménétriers. » Mais le
principal attrait de cette fête populaire était la représentation en plein
air, dans le parc du vieux château, d'une pièce de circonstance intitulée
Die Pfeiferbrûder, dans laquelle l'auteur, M. A.Jahn, notaire à Ribeauvillé,
avait reconstitué, d'après des documents authentiques, une cour de jus-
tice des ménétriers. La dernière fête officielle de la confrérie date de 1789.
Ajoutons encore que le compositeur Richard Kleinmischel vient de terminer
un opéra en trois actes intitulé le Ménétrier de Dusenbach, dont l'action se dé-
roule à Ribeauvillé au milieu des chevaliers errants du quinzième siècle.
— Un groupe de poètes et de chansonniers vient de fonder le « Concert
Indépendant »,' qui, le 2e et le 4e mercredi de chaque mois, donnera,
Théâtre de la Galerie Vivienne, devant des membres honoraires, une
représentation privée composée de chansons, de fantaisies et d'actualités
inédites. — L'Administration est, 5, boulevard des Capucines. Pour la ;
première représentation, fixée au 12 novembre, on annonce une revue iné-
dite en un acte et à trois personnages, de MM. Xanrof et Bernac, jouée
par les auteurs.
— Une place de professeur de chant (classe des élèves femmes) est
actuellement vacante au Conservatoire de Nantes, succursale du Conserva-
toire de Paris. Les artistes, hommes ou femmes, désireux de poser leur
candidature à cet emploi sont priés d'adresser leur demande, avant le
30 octobre, à M. le Directeur du Conservatoire, à Nantes.
— Cours et leçons. — M"* Grenier, la petite-fille de Georges Hainl, vient d'ou-
vrir, 47, rue Laffitte, un cours où l'on travaillera le chant, le piano et la musique
d'ensemble, sous la direction de l'excellent professeur. — M. Béer, l'excellent
professeur, vient de reprendre ses leçons et cours de chant, 28, rue Duperré. —
Les cours de musique de M. Charles René (piano, harmonie, composition, con-
trepoint, fugue, transposition) sont rouverts depuis le H octobre à l'institut Rudy,
7, rue Royale. — M" Augustine Warambon, professeur de chant, a repris ses
cours et leçons depuis le 15 octobre, 29, rue de Douai. — Les cours de piano de
M. Ferdinind Maunier, ancien professeur à l'Ecole française, sont transfères,
pour cause d'agrandissement, 64, rue de Provence. — M"" M. Marshall reprend
ses leçons de chant, 13, avenue de Clichy, et à SaintrGcrmaiu-en-Laye, le samedi
de chaque semaine. — Cours de chant et de déclamation, sous la direction de
M. Guidon, pour les artistes et les amateurs, et leçons particulières, 39, rue de
Chàteaudun.
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2. La Chanson des Métamorphoses 5 »
Version du Morvan.
3. Celui que mon cœur aime tant 2 50
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4. Le Pauvre Laboureur 5 »
Chanson de la Bresse.
5. La Pernette : 3 »
Version de la Franche-Comté.
6. Briolage , 2 50
Chant du laboureur berrichon.
1. La Bergère et le Monsieur 2 50
Chanson dialoguée. Version d'Auvergne.
8. Le Rossignol Messager 4 »
Version bressane.
9. En passant par la Lorraine 5 »
Version du pays messin.
10. Le Chant des livrées 5 »
Chanson de noces du Berry.
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11. La Mort du Roi Renaud 5 »
Version de la Normandie.
12. C'est le vent frivolant 4 »
Ronde française du Canada.
13. Le Retour du Marin 2 50
Version poitevine.'
14. Voilà six mois qu'c'était le printemps 4 »
Version bourguignonne.
15. Là-haut sur la montagne 4 »
Pastourelle. Version de l'Alsace.
16. Le Joli Tambour 5 »
Version de la haute Bretagne.
17. Rossignolet du Bois joli 3 »
Chanson populaire de la Bresse.
18. Les Répliques de Marion , . 2 50
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MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Noies d'un librettiste : Louis Lacombe (24" article), Loois Gallet. — IL Semaine
théâtrale : Une lettre de M. Ernest Reyer, H. Moreno ; première représentation
du Maître, aux Nouveautés, et reprise de Peau d'Ane, au Cbâtelet, Paul-Emile
Chevalier. — III. Un virtuose couronné (61 article), Edmond Neukomm et Paul
d'Estrée. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour:
ALLEGRETTO PASTORAL
de Théodore Lack. — Suivra immédiatement: Légende slave, de L.-A. Bour-
GAULT-DuCOUDRAY.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant: Celui que mon cœur aime tant, chanson de lAngoumois, n° 3 des
Mélodies populaires de France, recueillies et harmonisées par Julien
Tiersot. — Suivra immédiatement : La Mort du Roi Renaud, version de la
Normandie, n° 11 de la même collection.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
LOUIS LACOMBE
Enfin, après bien des semaines écoulées, durant lesquelles,
intéressé par cette conscience d'artiste aux prises avec sa
propre création, troublé à la pensée de détruire des illu-
sions que je voyais si profondes et si sincères, épouvanté
pourtant de la grandeur folle de la tâche à remplir, je
n'avais pas encore eu le courage de me mettre à l'œuvre, je
reçus, le 17 octobre 1884, ces mots appuyant une fois de
plus sur la réalisation de l'idée telle qu'il la concevait.
« Vous le voyez, j'ai suivi l'histoire pas à pas, ne m'arrê-
tant que sur ses sommets, liant les événements les uns aux
autres au moyen de personnages fictifs qui cependant pren-
nent part à l'action, précisément comme dans l'épopée, et
chargeant les faits seuls de louer ou blâmer les grands et les
petits. Je crois qu'il nous faut suivre cette voie, afin de
conserver à notre œuvre ce parfum d'impartialité qui, en
toute chose, devrait être incorruptible
« Je désire aussi que vous ne reculiez pas devant la
deuxième partie. Il est indispensable d'égayer un sujet aussi
sévère et, si faire se peut, de le rendre populaire. Je m'en-
tends : je n'ai jamais couru après la popularité, mais il est
nécessaire qu'un ouvrage de cette nature, de cette étendue,
de cette élévation, contienne une forte dose de la sève du
peuple et soit formé pour ainsi dire de sa moelle... »
Malgré ces belles raisons, je résistais toujours. Nous
échangeâmes alors bien des observations ; entre le sens
pratique qui me conseillait une entreprise moins ambitieuse et
l'âpre volonté qui l'y poussait, l'entente ne devait pas s'établir.
Il avait toujours présente à la mémoire l'exécution, au Palais
de l'Industrie, de ce chant : Cimbres et Teutons, qui lui avait
donné une satisfaction si complète. En vain, j'aurais voulu
lui démontrer l'impossibilité d'une relation entre un simple
chœur et un ouvrage en plusieurs parties comme la Révolu-
tion française. Il avait son idée, dont je "voyais bien qu'il ne
démordrait pas.
Un jour enfin, il fallut expliquer pourquoi je ne me met-
tais pas au travail immédiatement. Autant pour moi que
pour lui, je lui demandai d'acquérir au moins, avant de
commencer, la certitude que ses peines ne seraient par per-
dues, que les moyens d'action ne lui manqueraient pas, une
fois l'œuvre achevée. Simple et brève, ou encore destinée au
théâtre, on aurait pu l'entreprendre sans autre souci que de
la bien faire, pour le seul amour de l'art; mais telle qu'elle
s'offrait, dépassant les proportions humaines, elle courait
fort le risque de rester dans les cartons de son auteur. Je
confessais mes scrupules et mes craintes à cet égard.
« Votre lettre si loyale me touche beaucoup, me répondit-
il. Je voudrais pouvoir y répondre par la promesse d'une
attente prolongée. Mais comment faire? Je ne suis pas
éternel, je travaille lentement, et il ne me faudra pas moins
de quinze à dix-huit mois pour composer la musique de
l'œuvre projetée.
» Pouvez-vous prendre l'engagement de me livrer la moitié
de votre travail à la fin de janvier ou de février? Réfléchis-
sez. Dans l'affirmative, je vous attendrais ; dans la négative>
je serai bien forcé de prendre d'autres dispositions, car les
raisons que vous alléguez, — raisons dont je sens tout le
poids, dont je comprends toute la gravité, — pourront sub-
sister demain, dans quinze jours, dans trois mois, et je me
retrouverais alors dans la situation où j'étais en juillet
dernier.
» J'ajouterai, pour répondre comme je le dois à votre
franchise, que je ne commencerai à composer que quand
j'aurai le poème complet; cette condition est d'une impor-
tance capitale pour moi, étant donnée ma manière de tra-
vailler, laquelle a sa raison d'être, sa logique.
« Enfin, il faut, si je veux avoir fini en mai ou juin 1883,
que je me mette à l'ouvrage dès le 1er mars prochain, et
encore n'aurai-je pas un instant à perdre.
» Il est difficile de s'occuper si longtemps à l'avance de
l'exécution d'une symphonie dont la première note n'est pas
écrite, dont le premier vers n'est pas fait. — Quoi qu'il en
338
LE MENESTREL
soit, la première question à résoudre est celle-là : pouvez-
vous me promettre d'être prêt à la date sus-indiquée? Quant
à votre bonne volonté, je ne l'ai jamais mise en doute une
minute, et si votre réponse n'était pas conforme à mes désirs,
je n'en garderais pas moins le souvenir de votre cordial
accueil ».
Je ne me sentis pas le courage de lui faire cette promesse,
et les choses durent en rester là. Il reprit ce volumineux
programme dont l'idée m'avait séduit autant que ses propor-
tions m'avaient effrayé. Je retirai du moins de cette aventure
le bénéfice d'un lien amical avec un homme d'une grande
valeur intellectuelle, avec un de ces rares artistes que ne
domine aucune autre préoccupation que celle de leur idéal.
J'ai la conscience de lui avoir causé une grande peine,
mais aussi de lui avoir épargné un grand mécompte.
Ces menus faits de l'histoire de nos musiciens retiennent
toujours mon esprit, malgré leur apparente insignifiance,
surtout s'appliquant à un homme dont l'avenir éclairera peut-
être l'œuvre d'une assez vive lumière pour que l'on se soucie
de ses commencements, de sa tournure d'esprit, du penchant
de ses idées et des traits de son caractère.
Tout récemment encore, je causais de Louis Lacombe avec
Lionel Bonnemère, qui fut pour lui un collaborateur actif et
qui l'a connu bien mieux que moi.
Il me le dépeignait, lui aussi, comme un très galant homme,
d'apparence un peu sournoise, — c'est peut-être plutôt d'une
timidité ombrageuse qu'il faudrait dire — amoureux de la
solitude, et d'un orgueil d'artiste non exempt de quelque
naïveté .
Et comme je demandais à Bonnemère pour quelles causes
ce Winkelried, l'œuvre maîtresse du compositeur dans le
genre dramatique, n'avait pas été représentée :
« J'avais fait avec lui, me dit-il, une cantate sur la ba-
taille de Morat, qui, faute de temps avant les fêtes, pour
les études, ne put être exécutée. — Comme cette œuvre, bien
que non représentée, nous avait valu quelques chaudes ami-
tiés en Suisse, l'idée nous vint d'écrire un opéra national sur
Winkelried. Reçue au grand théâtre de Genève, cette pièce,
dont tous les frais de copie furent payés par la Yille, entra
en répétition; si elle ne fut pas représentée, c'est à la suite
de quelques incidents soulevés par Louis Lacombe lui-même,
qui ne se rendit pas bien compte des nécessités d'un théâtre
de province. Il eut aussi de très grandes exigences comme
choix d'artistes. Pour tout dire, nous eûmes surtout à nous
débattre contre la manière d'agir d'un directeur mort à pré-
sent.
» C'est à ce "Winkelried, le héros de la bataille de Sempach,
que se rattache une anecdote que je vous ai un jour contée,
touchant certaines prétentions bizarres de Louis Lacombe.
» Un matin, il vint me trouver et me demanda si je ne pour-
rais pas faire quelque démarche auprès du gouvernement
fédéral pour avoir l'autorisation de retirer de l'arsenal de
Soleure les drapeaux conquis sur les Autrichiens lors de la
bataille de Sempach. Il voulait qu'ils figurassent au dernier
acte de notre opéra!
» Je lui dis que je ne saurais, pour ma part, faire une
pareille démarche, d'ailleurs inadmissible, les Suisses ne
pouvant consentir à profaner sur un théâtre des étendards
pris sur l'ennemi et conservés depuis des siècles à titre de
reliques nationales. Comme argument pratique, j'ajoutai que
ces glorieux trophées ne produiraient d'ailleurs aucun effet,
vu leur très piteux état...
» Lacombe fut quelque temps avant de se rendre à mes
raisons ! »
Où faut-il chercher la cause de l'isolement dans lequel on
a tenu, une grande partie de sa vie, ce compositeur pourtant
très remarquable? Peut-être, en somme, dans cette tendance,
constamment affirmée, à placer trop haut son but, à ne pas
se contenter pour vivre des conditions de la vie normale.
En renonçant à écrire, selon le plan grandiose tracé par
lui-même, cette fièvolution française que déjà il se plaisait à
considérer comme son testament musical, Louis Lacombe a
pu cependant, avec un juste orgueil, considérer l'ensemble
de l'œuvre qui lui survit.
Il y a dans cette collection bien des pages magistrales, et
peut-être un jour se trouvera-t-il un directeur pour prendre
ce Winkelried resté inédit, le mettre à l'étude et le jouer
enfin, rendant un tardif hommage au compositeur mort, tenté
qu'il sera par cette gloire de révéler à son pays un grand
artiste de plus, ou par ce plaisir, très humain, de faire échec
à quelque compositeur vivant.
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
Voici une lettre de M. Ernest Reyer qui arrive à propos pour
donner quelque intérêt à une « semaine » absolument vide d'événe-
ments intéressant la musique :
Bruxelles, 22 octobre 1890.
Mon cher-Heugel,
Le Ménestrel de dimanche dernier m'apprend que les journaux allemands
« commentant beaucoup » une phrase du discours que j'ai prononcé à
l'inauguration de la statue de Berlioz à la Côte-Saint-André.
Cette phrase, la -voici : « Berlioz trouva ses plus grands succès dans un
pays où son patriotisme et sa dignité lui défendraient d'aller les chercher aujour-
d'hui. » C'est bien de l'Allemagne, en effet, et particulièrement de la
Prusse, que j'ai voulu parler. Les journalistes allemands, qui ne pou-
vaient s'y tromper, ne se contentent pas, à ce qu'il paraît, de commenter
cette phrase « malencontreuse », ils s'en montrentindignés ! Iln'y a vrai-
ment pas de quoi. Et quand votre aimable collaborateur, M. Julien Tiersot,
fait cette réflexion que « le patriotisme n'a rien à faire dans l'estime
accordée ou refusée aux œuvres d'art », M. Tiersot rend parfaitement ma
pensée. Depuis 1870 j'ai continué à aimer, à admirer les maîtres allemands,
à demander, en toute occasion, qu'on fit à leurs œuvres la plus large
place dans le répertoire de nos théâtres et de nos concerts ; je suis un
très chaud partisan de Richard "Wagner, vous le savez bien, et j'ai fait
campagne pour Lohcngriii contre les marmitons qui onteu la facile audace
de le siffler. Mais depuis 1870 je ne suis plus jamais retourné en Alle-
magne, où j'avais cependant beaucoup de sympathies et quelques amis.
Qu'on joue à Paris Lohengrin et tout le répertoire wagnérien, comme on
joue à Berlin et dans toute l'Allemagne Faust, Mignon, Carmen et d'autres
œuvres françaises, rien de mieux; mais faites-moi le plaisir de me dire
ce qu'on penserait chez nous d'un artiste français qui irait, comme au-
trefois Berlioz, faire entendre ses œuvres à' Leipsick ou à Berlin, et en
diriger lui-même l'exécution?
Donc ma « malencontreuse phrase » ne valait pas tant de commentaires,
tant d'indignation non plus : la bien comprendre suffisait.
Croyez bien, mon cher Heugel, à mes sentiments affectueux et bien
sincèrement dévoués.
E. Reyer.
Il n'y a rien de tel que de s'entendre. L'explication est nette et
loyale, et de nature, sans aucun doute, à contenter nos susceptibles
voisins. Il est donc établi dès aujourd'hui qu'on peut représenter
tout à son aise les œuvres d'Ernest Reyer sur les scènes germa-
niques, sans craindre d'essuyer un refus de la part de leur auteur;
mais quant à posséder celui-ci en personne, bernique ! C'est un hon---
neur auquel il faut renoncer. Il consent à donner aux Prussiens
son génie et le meilleur de son âme, celle qu'il a mise dans ses
partitions, mais non pas sa « guenille, » comme dirait Molière. Si
après cela Salammbô ne fait pas le tour de l'Allemagne, c'est que
les Allemands auront vraiment bien mauvais caractère.
Mais que toutes ces petites questions de politique musicale sont
donc compliquées ! Que de nuances et de distinctions subtiles peut
y mettre un esprit sagacc ! Connaissez-vous au parlement une nature
plus véritablement opportuniste que celle du Reyer qui nous occupe?
Dans la question de l'Opéra, aussi bien que dans cette question d'Alle-
magne, on ne peut qu'admirer la dextérité avec laquelle il sait se
retourner et retomber toujours sur ses pieds. S'il n'eût préféré être
un grand musicien, il eût été un parfait diplomate.
N'importe! nous l'aimons mieux — et il s'aime mieux aussi, nous
en sommes bien sur — quand il écrit tout simplement Sigurd et
Salammbô.
LE MÉNESTREL
339
Quelle aimable transition, pour en arriver à vous dire que la pre-
mière de ces deux œuvres reçoit toujours le plus favorable accueil
à l'Opéra, aidée par sa belle interprète M",c Caron, el que les recettes
s'en maintiennent au maximum !
Il n'y a pas de lettres qui tiennent — fussent-elles écrites avec
tout l'esprit de M""1 de Sévigné — à côté de ce fait important : Sigurd
fait de l'argent ! ce qui prouve l'intérêt qu'on commence à prendre
en France aux œuvres d'art sérieuses.
Un autre fait bien curieux. Ne voilà-t-il pas que MM. Ritt et
Gailhard viennent de découvrir un contralto, un vrai, eux qui en
déclaraient la race à tout jamais perdue! El où l'ont-ils déniché?
Tout à côté d'eux. Us n'ont eu qu'à étendre le bras jusqu'à l'Opéra-
Comique, pour l'enlever dextrement à M. Paravey, qui parait d'ail-
leurs décidé à se laisser tout enlever avec la plus complète insou-
ciance. On devine que nous voulons parler de Mmo Deschamps-Jehin,
qui sera évidemment tout à fait à sa place dans le grand hall mu-
sical de M. Garnier. Elle a les poumons et la stature qu'il y faut.
Débutera-t-elle dans le Mage de M. Massenet? C'est bien probable.
On semble s'occuper aussi, à I'Opéra, d'une prochaine reprise
d'Henry VIII, le bel ouvrage de M. Sainl-Saëns. C'est M. Bérardi qui
personnifierait cette fois le sinistre roi d'Angleterre, avec Mme Adiny
pour compagne. M110 Domenech succéderait à M"c Richard dans le
rôle d'Anne de Boleyn. M. Affre répète déjà celui de l'ambassadeur.
Enfin, on s'attend à voir paraître bientôt Mme Melba dans Rigoletto.
Pendant ce temps, l'élégant directeur de l'Opéra-Comique ne se
croise pas les bras. Il a perdu tour à tour Talazac, Mmc Isaac,
M"c Arnoldson, M"0 Samé, M. Bouvet, MmB Deschamps-Jehin, c'est-à-
dire toute l'élite de la troupe rassemblée à grand'peine par son
prédécesseur, M. Carvalho. mais en revanche il vient d'engager
M. Devineau, un jeune ténor, sorti du Conservatoire il n'y a pas
bien longtemps et qui a cueilli depuis quelques lauriers sur les
scènes départementales, à ce que nous annonce M. Paravey. Nous
aurons encore, dans un avenir prochain, les débuis de MlleVuillaume,
qui fut fêtée à Bruxelles et à Lyon et pour laquelle on reprendrait
spécialement V Esclarmonde de M. Massenet. Pauvre enfant !
H. Moreno.
Nouveautés. — Le Maître, étude de paysans en trois tableaux, de
M. Jean Jullien. — Chatelet. — Peau d'Ane, féerie en quatre actes
et vingt-huit tableaux de Vanderbuch, Laurencin et Clairville.
Etude de paysans, voilà bien le seul titre que M. Jean Jullien eût
le droit de donne'r au travail qui, soumis d'abord à l'appréciation du
public spécial du Théâtre Libre, vient d'être donné, pour et devant
tous, dans la salle des Nouveautés. Le Maître, en effet, ne manque
pas d'un intérêt réel en tant que simple élude, et la famille Fleutiaut,
flanquée du ehemineau, Pierre Boulas, et de l'homme d'affaires taré,
Dagneux, est campée d'assez solide façon en un milieu qu'on a fait
aussi réaliste que les planches peuvent le permettre. La langue rude
du paysan attaché à sa terre, atténuée cependant pour ne point
choquer outre mesure les auditeurs, la démarche lourde et fatiguée
du travailleur cassé aux labeurs du sillon, l'amour exclusif, domi-
nateur et indéracinable de tout ce qui constitue la propriété, l'égoïsme
poussé à la sauvagerie et rendu plus odieux encore par l'absence
absolue, non seulement de sentiment, mais même de sens moral,
tels sont les traits caractéristiques choisis par l'écrivain pour nous
présenter ses principaux personnages. Et vraiment, sur ce point, nous
sommes heureux d'avouer que M. Jean Jullien a bien fait ce qu'il
voulait faire et que sa cause est pleinement gagnée. Mais où nous
nous séparons complètement de lui, c'est lorsqu'il prétend, — lui -ou
son école, c'est tout un, ■ — que ces trois tableaux constituent une pièce,
ou pour mieux dire « la pièce », l'idéal, le type, qui synthétisent
et condensent toute l'esthétique du théâtre. Je me suis toujours
laissé dire, et cela sans jamais y contredire, que le théâtre vivait
avant tout d'action et que plus cette action se trouvait noyée, engloutie
sous des détails oiseux ou inutiles à sa propre marche, plus l'intérêt
s'amoindrissait et moins la pièce existait. Or, la fable de M. Jean
Jullien tient en cinq lignes : le père Fleutiaut, le maître, est sur le
point de mourir, et déjà sa femme et son fils se réjouissent à l'idée
du bien qui, sous peu. sera leur. Survient un vagabond qui arrache le
vieillard à la mort et devient l'hôte indispensable de la ferme. La
mère et le fils, dépités déjà d'avoir vu l'héritage leur échapper, mon-
tent la tête au bonhomme contre son sauveur qu'ils finissent par
faire rejeter sur la grande route. C'est tout, absolument tout, avec
un petit roman d'amour ébauché entre Pierre Boulas el la fille des
Fleutiaut. Ne vous semble-t-il pas qu'un tableau aurait suffi pour
nous montrer cette petite histoire et poser très sufiisammont. les
caractères peu complexes des personnages et que, pour en faire trois
tableaux, il a fallu dépenser vraiment uue somme de délayage par
trop peu économisée. Et puis, si je voulais encore chicaner l'auteur,
je lui demanderais en quoi consiste cette formule nouvelle qui doit
régénérer notre théâtre anémié, lui donner une poussée nouvelle vers
la vie, et que nous souhaitons tous aussi ardemment.
Quoi qu'il en soit, la tentative n'en reste pas moins honorable et
il faut savoir gré à M. Jules Brasseur du soin avec lequel il a mis
en scène le Maître. MM. Mévislo, Décori, Angelo, Lauret, et M"'0 Billy
ont su prendre le ton qui convenait à ce genre de spectacle, et Mlle Luce
Collas a été absolument exquise de naïveté champêtre.
Le Chatelet a repris, la semaine dernière, Peau d'Ane, une pièce
qui fil la joie de tous il y a quelque trente ans et qui fut le point
de départ des mises en scènes somptueuses. M. Harmant, alors
directeur de la Gaîté, avait prodigué les soies, les ors, la lumière et
même les cascades, pas lumineuses encore, pour faire de ce spectacle
une chose éblouissante comme on n'en avait jamais vue. M. Floury
n'a eu qu'à se servir des traditions à lui léguées par son habile pré-
décesseur. Comme c'est là, avant tout, un spectacle d'enfants, on ne
s'est pas mis, celte fois, en frais d'une distribution capable d'inté-
resser les parents, et quand nous aurons nommé MM. Alexandre,
Scipion et Angély, Mmes Donat, Miroir et Destrées, nous aurons très
largement fait la part des interprètes des vingt-huit tableaux dus à
l'invention de Vanderbuch, Laurencin et Clairville.
Paul-Emile Chevalier.
UN VIRTUOSE COURONNÉ
(Suite.)
VII
L'Opéra de Berlin ne ressemblait à aucune autre institution du
même genre. Les représentations n'y étaient pas publiques. Les per-
sonnages delà cour, ceux de l'administration supérieure et les hauts
officiers y avaient seuls des loges, parmi lesquelles figurait au pre-
mier rang celle de l'académie. Quanl au parterre debout, qui s'éten-
dait depuis l'entrée jusqu'à l'orchestre, il était occupé par les soldats
qui pouvaient y entrer librement et qui profilaient largement de
ce privilège, en s'y étouffant, pressés les uns contre les autres,
ivres le plus souvent et répandant dans la salle des arômes dont
tout le monde se plaignait.
Seul, le roi ne remarquait pas ce désagrément. C'étaient ses soldats,
et comme tels, ils avaient le droit de sentir aussi mauvais qu'il leur
plaisait. Lui, debout, derrière l'orchestre, la lorgnette à la main,
comme en un jour de bataille, surveillait l'exécution musicale, notant
dans leurs moindres détails les défectuosités qui pouvaient se pro-
duire et menaçant tout baut de punitions corporelles les musiciens de
l'orchestre qui se rendaient coupables d'un contre-temps ou d'une
fausse attaque, et les artistes en scène, même les premiers sujets,
qui se permettaient d'introduire dans leur chant, à la mode italienne,
des fioritures ou des rallentando ne figurant pas sur le texte.
Ces exigences étaient particulièrement insupportables à ces der-
niers, dont l'art et la manière résidaient principalement en ces
habitudes d'indépendance. Mais le roi ne l'entendait pas ainsi. De
même qu'il faisait composer, par ses fournisseurs ordinaires, de la
musique allemande sur des paroles italiennes, de même il exigeait
que ses chanteurs italiens interprétassent ces œuvres hétérogènes
avec le souci de la forme et de l'intégralité qui avaient présidé à
leur élucubration.
Souvent on lui proposa d'engager des chanteurs allemands, mais
il repoussait bien loin de lui cette idée. Il fit une seule exception
pourM110 Schmeling, qui devint Mme Mara. On a vu comment il la
traitait.
Encore l'engagement de cette cantatrice renommée n'avait-il pas
été facile. Le roi l'avait fait venir à Sans-Souci pour éprouver son
talent. Il lui avait fait chanter les airs de Hasse et de Graun qu'il
affectionnait particulièrement; puis, pour expérimenter ses qualités
de musicienne, il s'était, malgré sa goutte, dont il souffrait fort, dirigé
vers une armoire dont il avait la clef, pour y chercher des morceaux
manuscrits de ces maîtres, écrits spécialement pour lui, et que
MUo Schmeling déchiffra magistralement.
Satisfait de ces résultats, Frédéric consentit à entendre souvent
cette Allemande, mais à sa musique privée. Ce n'est que longtemps
après, qu'elle fit partie de l'Opéra. Son succès fut immense, mais le
roi ne lui pardonna jamais complètement son origine. La scène que
nous avons racontée et qui faillit lui coûter la vie en est une preuve.
340
LE MÉNESTREL
Dans la suite, il y eut une aventure rappelant celle de la Barba-
rini. Mm6 Mara voulut quitter Berlin à la fin de son engagement;
mais Frédéric n'admettait pas qu'on se séparât de lui. Pour em-
pêcher le départ de ses artistes, tous les moyens lui étaient bons ;
on l'a vu par son procédé à l'égard de Duport. Le mari de la diva,
violoncelliste aussi, fut donc, de la même manière, embauché comme
tambour, et de plus enfermé à la forteresse de Spandau. Plus tard,
quand la Mara perdit sa voix, les choses s'arrangèrent, mais cette
grande cantatrice a toujours prétendu que son despote imprésario
avait hâté la fin de sa carrière.
Ce despotisme, cette rage de conserver les gens malgré eux, Fré-
déric retendait à toutes les personnes de son entourage.
Algarotti, dont la santé se trouvait fort compromise, eut beaucoup
de peine à obtenir un congé pour aller demander au climat de sa
patrie le rétablissement de ses forces. A peine était-il à destination,
qu'il recevait du roi, tout à l'organisation de son opéra-bouffe, ce
billet laconique :
« Le temps commence à s'adoucir, les alouettes à chanter ; il ne
manque que les hirondelles et les cigognes ; j'espère que vous arri-
verez en leur compagnie. Mon opéra-comique, qui vient de débar-
quer, m'assure que votre santé se remet. »
Algarotti mourut au bout de peu de jours, laissant à son souverain
maître le regret de l'avoir laissé partir, afin de ne pas avoir joui do
sa société jusqu'à son dernier moment.
Pour Voltaire, ce fut bien autre chose. Lorsque l'auteur de Mérope
annonça son intention de reprendre le chemin de la France, Frédéric
fut pris d'une violente irritation; mais comme il ne pouvait en user
avec le grand philosophe comme avec un simple violoncelliste, il se
contint et, changeant de tactique, s'efforça de retenir son hôte par
un étalage de séductions et de prévenances propres à frapper son
esprit.
Un jour, il lui écrivait de son appartement un billet où se trou-
vaient ces lignes :
« ... Je vous respecte comme mon maître en éloquence ; je vous
aime comme un ami vertueux. Quel esclavage, quel malheur, quel
changement y a-t-il à craindre dans un pays où l'on vous estime
autant que dans votre patrie, et chez un ami qui a un cœur
reconnaissant !... »
Cette épître, appuyée d'une clef de chambellan, d'un ordre au cou
et de vingt mille francs de pension vint à bout des résistances de
Voltaire ; mais bientôt il sentit les lisières dans lesquelles on le tenait.
Le roi le faisait appeler à tout moment, l'exhibait à tout venant et
l'emmenait avec lui quand il se mettait en voyage, pour qu'il ne
lui prît point fantaisie de s'enfuir.
Une de ces courses où Voltaire suivait, seul, dans une chaise de
poste, fat marquée par une aventure qui égaya fort l'entourage de
Frédéric II. Un jeune page, que Voltaire avait fait gronder quelques
jours auparavant, s'était promis de s'en venger. En conséquence,
comme il allait en avant pour faire préparer les chevaux, il prévint
tous les maîtres de poste et postillons que le roi avait un vieux
singe qu'il aimait passionnément, qu'il se plaisait à faire habiller
à peu près comme uu seigneur de la cour, et qu'il s'en faisait
toujours suivre dans ses petits voyages ; .que cet animal ne respec-
tait que le roi et que d'ailleurs il était fort méchant ; que si, par
hasard, il voulait sortir de sa voiture on se gardât bien de le
souffrir.
D'après cet avertissement, lorsqu'aux postes Voltaire voulut des-
cendre de sa voiture, tous les valets d'hôtellerie s'y opposèrent for-
mellement, et lorsqu'il étendait la main pour ouvrir la portière, on
la cinglait de coups de canne, pour la plus grande joie de l'assis-
tance, mais pour la plus grande fureur du poète, dont le visage se
contractait d'une façon tout à fait simiesque. Ne sachant pas l'al-
lemand, il ne pouvait s'exprimer que par gestes, ce qui redoublait
l'hilarité de tous les gens accourus, sur l'avis du petit page, pour
voir le singe du roi.
Tout le voyage se passa de la sorte, et, ce qui mit le comble à la
colère de Voltaire, c'est que le roi trouva le tour si plaisant qu'il ne
voulut point en punir l'auteur.
Cette historiette, qui a éfé racontée par M""' de Genlis, décida du
sort de 'Voltaire. Sous l'empire de son exaltation, il envoya ce por-
trait de Frédéric à la margrave de Bayreuth :
Assemblage éclatant de qualités contraires,
Ecrasant les mortels et les nommant ses frères,
Misanthrope farouche avec un air humain,
Souvent impétueux et quelquefois trop fin.,
Modeste avec orgueil, colère avec faiblesse,
Pétri de passions et cherchant la sagesse,
Dangereux politique et dangereux auteur,
Mon patron, mon disciple et mon persécuteur.
La margrave manqua de discrétion, et les -vers de Voltaire par-
vinrent au roi, qui en ressentit un vif ressentiment. Un refroidisse-
ment sensible, auquel succéda promptement une brouille, qui
d'ailleurs ne fut que temporaire dn côté du roi. s'ensuivit. Pour
Voltaire, il ne pardonna jamais à son royal ami ce qu'il appelait ses
légèretés à son égard. Il s'en vengea par la publication de Mémoires,
pendant longtemps considérés comme un pamphlet, mais qui, en
réalité, donnent une image fidèle du roi-conquérant qui terrorisa,
pressura et massacra ses peuples, tout en faisant croire, aux sons
de sa flûte, à l'Europe, qu'il n'existait pas dans le concert de ses
rois un prince plus ami des doux plaisirs lyriques.
Quant à l'aventure du singe, elle eut son pendant. A son retour
de Prusse, Voltaire acheta un de ces animaux, auquel il donna le
nom de Monsieur le Duc et qui avait un rare talent d'imitation. Il
l'habitua insensiblement à copier les gestes, la tournure et même
les tics de Frédéric II ; puis il prit plaisir à l'accabler d'injures,
à lui tirer la langue et même à lui caresser les reins à grands
coups de canne, exercice qu'il appelait battre le roi de Prusse par
ambassadeur.
(A suivre.) Edmond Neukomm et Paul d'Estrée.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Après avoir reposé pendant cent trois ans au cimetière viennois de
Matzleindorf, les restes mortels de Gluck viennent, ainsi que nous l'avons
dit, d'être transférés au nouveau cimetière central. Nous ne suivrons pas
nos confrères de Vienne dans leur reproduction des répugnantes consta-
tations anatomiques auxquelles l'exhumation a donné lieu. Nos lecteurs
voudront bien se contenter de savoir que ce n'est qu'avec les plus grandes
précautions que le docteur Weissbach a pu rassembleranatomiquement les
différentes parties du squelette, pour les déposer dans un cercueil de luxe
orné d'inscriptions et d'emblèmes.
— La musique réformée (Zur Reformation der Musik). Sous ce titre auda-
cieux M. Huth, de Hambourg, vient de publier un placard de huit pages
in-4° où il développe les avantages d'un nouveau système tonal et har-
monique imaginé par lui sur des bases qui, à ce qu'il prétend, satisfont
à la fois les besoins de l'art et la logique. Une série d'instruments spé-
ciaux construits par M. Huth lui a permis, parait-il, d'obtenir tous les
résultats pratiques que comporte son système : simplification de la lecture,
unification du doigté dans tous les tons et sur n'importe quel instrument,
établissement d'un nouveau système harmonique épuré qui supprime
toutes les exceptions, etc., etc. C'est une révolution complète, comme on
le voit; rien n'y manque, pas même la notation en couleurs et la substi-
tution d'une « gamme harmonique de vingt tons » à notre gamine diato-
nique usuelle. Tous ces procédés se rattachent directement à la théorie
du son que M. Huth explique à l'aide de formules nouvelles, plus claires,
selon lui, et qui permettent plus aisément l'application. Nous ne deman-
dons pas mieux que de le croire, mais il est bien difficile de se prononcer
sur le mérite d'un système tant qu'il n'est pas entré dans la pratique.
— La Berliner Morgemeitung jette un cri d'alarme qui a trouvé de l'écho
dans toute la presse allemande : « La chanson populaire se meurt en
Allemagne! Le peuple ne chante plus! » Et sur ce thème désolé le journal
en question brode toute une longue variation en mineur : les ateliers ne
retentissent plus de ces refrains joyeux dont l'ouvrier allemand aimait
jadis à accompagner son travail ; dans les rues c'est le silence, entrecoupé
seulement par le fredonnement de quelque chanson vulgaire ou obscène.
Il n'y a plus guère que les provinces polonaises où les gens du peuple
sachent encore s'égayer par des refrains populaires ; ailleurs, tout est
tristesse et ennui. Et ainsi de suite. Le mal vient, parait-il, de l'école, où
la véritable chanson populaire est abandonnée au profit de la musique
sacrée à trois ou quatre voix qui est enseignée aux enfants, pour honorer
l'inspecteur religieux, une puissance! A la moindre occasion le maître
de musique fait étudier à ses jeunes élèves, qui n'en peuvent mais, un
psaume ou un motet de sa composition, voire même un fragment d'ora-
torio. La Berliner Morgenseitung conclut en réclamant la cessation de cet
abus et le retour de la chanson populaire dans les écoles allemandes.
— La Société philharmonique de Berlin a repris ce mois-ci ses con-
certs symphoniques, qui offrent aux amateurs l'avantage de pouvoir en-
tendre de bonne musique à des prix modérés. A la première séance, ont
été exécutées trois œuvres encore nouvelles pour le public de la société :
la suite d'orchestre de Bizet intitulée Roma, dont la seconde partie (alle-
gretto vivacc) et la dernière (carnaval) ont surtout obtenu un vif succès,
une ouverture descriptive d'un jeune compositeur polonais, M.Nokowsky,
qui a été assez bien accueillie, et un concerto de flûte sur des thèmes
finlandais intitulé Pirum-Polska, de M. Anderssen, qui. a été bruyamment
applaudi»
LE MENESTREL
341
— Qu'on dise donc que la musique ne conduit pas à tout! Les journaux
étrangers nous apprennent que l'ex-chef célèbre de la police de Berlin,
M. Krueger, mis récemment à la retraite, avait cultivé l'art d'Orphée
dans sa jeunesse, non en amateur, mais en praticien, et que pendant
plusieurs années il avait tenu la partie de flûte dans l'orchestre d'un des
petits théâtres de la capitale prussienne.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Bayueuth. Le vieux théâtre mar-
gravien a représenté le 22 octobre, pourla première fois,to Légende de sainte
Elisabeth de F. Liszt, avec décors et costumes et sous la direction du Kapell-
meister J. Kniese. — Brunswick. L'intendance du théâtre de la cour vient
d'être confiée au gentilhomme de la chambre prince de Wangenheim. —
Hambourg : Mlle Olga Polna vient d'effectuer un très heureux début dans le
rôle de Mignon, où elle a fait preuve de brillantes qualités vocales et dra-
matiques. — Prague. Le théâtre national allemand prépare une reprise de
l'Enfant des bruyères de Rubinstein. Au théâtre tchèque, c'est tout une série
d'opéras nouveaux en trois actes qui va être livrée au public: Amaranthe, de
M. H. Trnecek ; Viola, de M. "W. Weiss ; l'Enfant du Tabor, de M. G. Bendel ;
Perditla, de M. C. Kavarovic. — Vienne. A l'Opéra de Vienne les reprises
suivantes sont à l'étude: le Tribut de Zamora, de M. Gounod, avec Male Materna
dans le rôle d'Hermosa, précédemment tenu par M"'e Lucca; Néron, de
M. Rubinstein, avec MUe Lola Beeth, MM. Winkelmann et Semmer, la
Gioconda, de Ponchielli, avec MllB Schlager.— Weimar. Le théâtre de la
cour fêtera au printemps le cinquantenaire de sa fondation. On montera
plusieurs grands ouvrages de Gluck et de Wagner, ainsi qu un opéra pos-
thume de Peter Cornélius : Gïinlod ou bien le Cid.
— Un facteur d'orgues allemand, M. Martin Hechenberger, vient de
construire pour la ville de Passau, en Bavière, le plus grand orgue que
l'on ait, parait-il, connu jusqu'à ce jour en Allemagne. L'instrument nou-
veau possède 93 registres avec 5,097 tuyaux, dont le plus long mesure au
delà de 3 mètres, 3 claviers à mains et un pédalier.
— Le propriétaire du musée Wagner à Vienne, M. Nicolaus Oesterlein,
prépare la prochaine publication du troisième et dernier volume de son
grand catalogue d'une Bibliothèque Richard Wagner. Ce volume contiendra
un compte rendu de tous les écrits qui ont été publiés sur le maître de
Bayreuth et sur ses œuvres jusqu'au 13 février 1883, jour de sa mort.
— A l'Opéra impérial de Vienne on a donné, le 5 de ce mois, la 300e
représentation de Faust du M. Gounod.
— Nous avons annoncé déjà que le Conservatoire de Pesth se prépare
à célébrer, au mois de janvier prochain, le cinquantième anniversaire de
sa fondation. On organisera pour cette solennité deux grands concerts-
festivals, qui promettent d'être brillants. Le programme du premier de ces
concerts comprendra une Cantate solennelle expressément écrite pour la
circonstance par M. le comte Geza Zichy, président du Conservatoire, un
Poème symphonique de M. Edouard Bartay, directeur de l'établissement, et
une Rapsodie hongroise de Liszt. La pièce de résistance de la seconde séance
sera la Symphonie avec chœurs de Beethoven, à l'exécution de laquelle
prendront part toutes les corporations musicales de Pesth.
— Deux importantes nouveautés sont annoncées au théâtre impérial de
Saint-Pétersbourg : le Prince Igor, opéra posthume de Borodine, dont les
concerts ont fait connaître quelques fragments très remarquables, et un nou-
vel ouvrage lyrique de Tschaïkowski, la Dame dépique. Déplus, on compte
sur la présence de Mmc Melba et des frères de Reszké, qui apporteront
leur contingent d'attraction à la saison actuelle. Pour M">° Melba, on
compte tout au moins sans MM. Ritt et Gailhard, qui n'entendent pas se
dessaisir de leur « étoile ». C'est bien assez d'avoir perdu Jean ! — A
Moscou on prépare la production d'un opéra inédit un Rêve sur le Volga,
œuvre d'un tout jeune compositeur, M. Antoine Arensky, un jeune artiste
qui a déjà attiré l'attention sur lui par plusieurs compositions fort dis-
tinguées.
— Les affaires théâtrales continuent de ne pas être brillantes en Italie.
Le Politeama de Naples, qui avait essayé d'ouvrir, a dû refermer ses
portes après deux représentations infructueuses de l'Ebreo d'Apolloni. Au
Politeama de Palerme, un nouveau directeur s'était mis sur les rangs,
mais en raison de l'état avancé de la saison et de la « défiance des ténors, r.
il a renoncé à ses projets. A Gènes, il parait bien certain maintenant que
le grand théâtre Carlo-Felice restera fermé tout l'hiver. Il en est de même
à Venise, où la société propriétaire du théâtre de la Fenice n'a pu parvenir
à s'entendre avec l'imprésario Piontelli ; par conséquent, point de saison de
carnaval". A Ancône, la municipalité a refusé une pauvre petite subvention
de 3,000 francs à un entrepreneur qui proposait d'ouvrir le théâtre des
Muses et d'y donner Cavalteria rusticana. Enfin à Crémone, une pétition
signée par une centaine de citoyens a été adressée au municipe, lui de-
mandant le vote d'une subvention qui rende possible l'ouverture du théâtre
de la Concorde avec un spectacle d'opéra, dont la ville, disent les signa-
taires, tire honneur et profit. — De tout cela on voit que la situation n'est
pas florissante.
— C'est le 10 octobre qu'a eu lieu à Rome, au théâtre Argentina, par les
artistes de la compagnie Giozza, la première représentation de l'Artésienne,
de M. Alphonse Daudet, avec la musique de Georges Bizet. L'insuccès du
drame proprement dit parait avoir été complet, l'alternance de la musique
et du dialogue déroutant le public italien, à qui ce procédé ne plaît que
médiocrement, et, d'autre part, l'interprétation étant absolument mauvaise,
par suite surtout de l'insuffisance des études et des répétitions. Au contraire,
les intermèdes de Bizet, dont l'exécution, dirigée par M. Leopoldo Mugnone,
paraît avoir été excellente, ont produit un grand effet et une très heureuse
impression.
— On écrit de Rome à la Perseceranza que le fameux théâtre Argentina,
dont la restauration, il y a deux ans, n'a pas coûté moins d'un million
et demi, exige encore en ce moment des réparations. Que font donc les
architectes là-bas? On voit bien que l'argent n'a pas de prix, en Italie.
— Très vif succès au théâtre Niccolini, de Florence, pour un opéra sé-
rieux en quatre actes, Griselda, paroles de M. Enrico Golisciani, musique
de M. Giulio Cottrau. L'œuvre n'était pas entièrement nouvelle, ayant été
représentée pour la première fois au théâtre Alfieri, de Turin, le 25 sep-
tembre 1878 ; mais le compositeur avait entièrement remanié sa partition,
pour laquelle il avait écrit plusieurs morceaux nouveaux, et c'est un
opéra refait en grande partie que le public florentin vient d'accueillir de
la façon la plus favorable. On a surtout applaudi au premier acte l'intro-
duction, un air de ténor, un brindisi et un air de soprano, au second, un
finale développé, et au troisième un air de baryton et le finale. M. Giulio
Cottrau, qui a été l'objet de quinze rappels, avait pour interprètes
fil1»» Elena Boronat, Riso et Checchi, le ténor Da Caprile, le baryton
Casini et la basse Baldelli, qui tous ont partagé son succès.
— On voudrait, dit le Trovalore, rouvrir au prochain printemps un des
plus sympathiques théâtres de Turin avec un spectacle d'opéra, et cela
sur l'initiative de quelques Turinais auxquels leur sens de l'art et leurs
moyens de fortune permettent de faire les choses noblement. Les œuvres
tout d'abord choisies jusqu'ici seraient la Statue de Reyer et la Jolie Fille
de Perth de Bizet, Dinorah (le Pardon de Ploërmel) serait aussi représentée,
étant donné que l'on puisse trouver pour l'exécution de cet ouvrage une
protagoniste et un ténor léger de grande valeur.
— Le journal le Secolo, qui a toutes sortes de raisons d'être bien infor-
mé, nous apprend que les dix représentations données à Florence de
l'opéra du jeune Pietro Mascagni, Cavalleria rusticana, ont produit une
recette totale de 68,000 francs, Il est certain que pareil fait ne s'est jamais
présenté en Italie pour un opéra en un acte.
— Au théâtre Paganini, de Gènes, où une saison d'opéra doit s'ouvrir à
la fin de ce mois, on prépare la première représentation d'un opéra nou-
veau, gli Arimanni, dû à un compositeur génois, M. Trucco, dont le nom
est encore inconnu à la scène.
— Le concours annuel de musique d'harmonie de la ville d'Emael, dans
le Limbourg belge, qui a commencé le 11 octobre, s'est terminé trois jours
après, par la plus extravagante épreuve qu'on puisse imaginer, mais il
parait qu'elle est de tradition. Il s'agissait, pour les deux musiques muni-
cipales, les -< rouges » et les « bleus », déjouer simultanément, aussi long-
temps que leurs forces le leur permettraient, le prix étant réservé à celle
des deux sociétés qui finirait la dernière. Pleins d'entrain pour attaquer,
les malheureux musiciens ne savaient plus, au bout d'une heure, ce qu'ils
jouaient. Les faces se congestionnaient, les cheveux se hérissaient, chacun
soufflait ce qu'il voulait, mais il soufflait quand même. Enfin, après trois
heures et demi d'un charivari infernal accompagné par les cris et les voci-
férations de la foule, les « rouges » durent céder, leur grosse caisse venant
de.se crever! — Voilà qui s'appelle encourager la musique.
— Nouvelles de Londres. M. Lago est en train de faire défiler devant
le public les artistes nouveaux qui composent en grande partie sa troupe
actuelle, etqui se sont déjà produits dans Aida, les Huguenots, Faust, le Tro-
vatore et Lucie, avec des résultats divers. Il y aurait bien des réserves à
formuler sur les moyens vocaux ou l'éducation artistique delà plupart des
nouveaux venus; mais le public, devenu sceptique à l'endroit des réputa-
tions italiennes, n'a pas voulu se montrer exigeant, se contentant d'un
ensemble plus ou moins favorable. Il convient de citer cependant M"= Giu-
lia Ravogli, unmezzo-soprano de quelque mérite, et les deux ténors Gian-
nini et Perotti, doués de voix généreuses. Prochainement Robert, la Gioconda
et Mefislofclc, ce dernier ouvrage pour la rentrée de Mme Albani. — Grande
foule au premier concert Sarasate et succès enthousiaste. L'éminent violo-
niste, très en faveur, a exécuté trois morceaux en plus de ceux qui figu-
raient sur son programme. A. G. N.
— Une information du Musical Standard nous apprend que c'est sur les
instances spéciales de la czarine que Mmo Patti va se rendre à Saint-Pé-
tersbourg, et que l'engagement de la diva doit être considéré comme
ayant été fait officiellement au nom de la Cour impériale.
— Voici le tableau complet de la troupe de M. Lago pour la saison du
théâtre Covent-Garden, de Londres : soprani, Mmes Ella Russell, Mac-Intyre,
Stromfeld, Sofia Ravogli, Moody,Peri, Gambogi, Inverni, Norini, Florenza,
Vite ; mezso-soprani et contralti, Mmos Giulia Ravogli, Desvignes, Costanzi,
Damiani ; ténors, MM. Perotti, Giannini,Suane,Guetary,Rinaldini, Lisoni,
Falletti, Testa; barytons, MM. Maurel, Padilla, Faentini-Galassi,Orlandini;
basses, MM. Novara, Meroles, Fiegna, Boccolini, Moro, Manners; bouffe,
M. Ciampi. Les chefs d'orchestre sont MM. Arditi et Bevignani. C'est
samedi dernier que cette troupe a débuté, en jouant Aida.
U2
LE MÉNESTREL
— La Glascower Society of Musicians met au concours, avec un prix de 30
guinées (environ 625 francs), la composition d'une Ouverture de concert
ou d'une Poésie symphonique. Ne pourront prendre part à ce concours
que les compositeurs nés en Ecosse ou y demeurant depuis trois ans au
moins.
— Le célèbre violoniste hongrois Bemenyi, dont on était resté plusieurs
années sans nouvelles, et qui est en ce moment à Londres, de retour
d'une tournée dans le sud de l'Afrique, vient de signer avec une agence
de Boston un traité pour une autre grande tournée de concerts de six
mois aux États-Unis et au Canada. Outre ses frais de voyage et de loge-
ment, le virtuose recevra une somme de 70,000 francs, avec faculté de
proroger le traité pour trois autres mois, aux mêmes conditions.
— Les journaux de Mexico enregistrent les brillants succès de pianiste
obtenus par une de nos compatriotes, M110 Mur, ancienne élève de M. Lack.
Mlle Mur a été tout spécialement fêtée, lors d'une récente matinée donnée
à la légation de France.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Ainsi que nous l'avons dit, c'est le samedi 18 octobre que l'Académie
des Beaux-Arts a tenu sa grande séance publique annuelle, sous la pré-
sidence de M. Ambroise Thomas, assisté au bureau de M. Meissonier,
vice-président, et de M. le comte Henri Delaborde, secrétaire perpétuel. Il
est inutile de dire que la salle était libéralement garnie. Dans l'hémicycle
réservé aux membres d-; l'Institut, on remarquait les secrétaires perpé-
tuels des autres académies, MM. Camille Doucet, J. Bertrand, Wallon,
puis l'ex-empereur du Brésil, qui avait pris place auprès de MM. Charles
Garnier, Falguière, Léo Delibes, Janssen, Thomas, J. Massenet, Bonnat,
Bailly, Barthélemy-Saint-Hilaire, Dehérain, Bouguereau, Vacherot, baron
Larrey, Léopold Delisle, Normand, Pascal, Levasseur, etc.; dans la tri-
bune de droite, Mm" Carnot; puis, çà et là, Mmcs Pauline Viardot, Jules
Comte, Camille Doucet, Bené Brice, MM. Ernest Guiraud, docteur Schnei-
der, Lévy, Gallet, B. de Brauer. . . C'est M. Ambroise Thomas qui, en sa
qualité de président, a prononcé le discours d'usage, discours remarquable
à tous égards, et qui a produit sur l'auditoire une .impression excellente.
Après avoir rendu l'hommage coutumier aux membres que l'Académie
avait perdus dans le cours de cette année: M. Diet, architecte de l'Hôtel-
Dieu, M. André, architecte du Muséum d'histoire naturelle, et l'éminent
peintre Robert Fleury, doyen de la section de peinture, M. Ambroise
Thomas s'est adressé aux jeunes lauréats de cette année, et leur a parlé
en termes excellents du voyage qu'ils allaient faire en Italie, ce voyage
qu'il est de mode pour quelques-uns de railler aujourd'hui, mais que les
bons esprits tiennent au contraire pour très sain et fort utile, et dont
l'orateur constatait lui-même qu'il avait conservé un souvenir cher et
attendri. « Dans la vie charmante qui vous est offerte, leur a-t-il dit en
termes élevés et d'une voix sonore, durant ces quelques années de calme,
de liberté, de travail et de plaisirs, vous saurez vous inspirer des grands
chefs-d'œuvre de l'art et des beautés de la nature. En élevant votre esprit,
vous fortifierez votre talent; par les travaux du présent, vous préparerez
vos succès à venir, et vous ferez en même temps acte de patriotisme en
portant haut et avec honneur le drapeau de notre école française. » Après
ce discours, fort applaudi, et qui a été suivi de la proclamation des lau-
réats, M. Henri Delaborde a lu une notice sur la vie et les ouvrages de
Questel, qui a été accueillie avec une faveur méritée. Mais il va sans
dire que le gros, très gros morceau cette fois, de la séance, c'était l'exé-
cution des deux cantates qui avaient valu à leurs auteurs le grand prix de
composition musicale. Ces cantates avaient été écrites par MM. Bachelet
et Carraud sur un poème intitulé Cléopâtre (Cléopdtre est à la mode), dû à
M. Fernand Beissier, et qui comprend trois scènes, qu'on peut analyser
ainsi. Vaincu sur les deux éléments par Octave et croyant à la trahison
de sa maîtresse, Antoine la maudit et accuse la fatalité ; au moment où,
pour mourir, il s'est réfugié dans le tombeau des Ptolémées, Cléopâtre le
rejoint et réveille sa passion en même temps qu'elle lui promet de nou-
velles armées et la victoire à leur suite. Tous deux vont fuir, lorsque le
spectre de César, apparaissant tout à coupa Antoine, lui défend déporter
de nouveau les armes contre Borne. Antoine, désespéré, se tue alors, et
Cléopâtre meurt avec lui. C'est la cantate de M. Bachelet, deuxième pre-
mier prix, élève de M. Guiraud, qui a été entendue la première ; elle avait
pour interprètes Mlle de Montaland, MM. Imbert de la Tour et Auguez,
et a paru se distinguer par un heureux tour mélodique et des accents
parfois pénétrants, aussi bien que par une instrumentation sonore et
vigoureuse; toutefois, elle faiblit quelque peu vers la fin, et il semble que
l'auteur ait manqué de souffle. Celle de M. Carraud, premier grand prix,
élève de M. Massenet, est plus remarquable dans son ensemble, quoique
peut-être moins généreuse au point de vue mélodique; mais on trouve ici
une sûreté de main, une autorité, une science de l'orchestre qui sont
faites pour surprendre chez un si jeune artiste. Ajoutons que l'exécution
de la scène de M. Carraud, confiée à Mm° Fierens, à MM. Cossira et Taskin,
a été de tous points excellente. — En somme, cette séance de l'Académie
a été, sous tous les rapports, particulièrement remarquable.
— La bibliothèque musicale d'Adolphe Adam a été acquise par le minis-
tère de l'Instruction publique, qui en a fait don au Conservatoire. Cette
bibliothèque se compose de 110 volumes; il y en avait une trentaine de
plus qui ont été offerts à l'Opéra. Environ deux années avant sa mort,
Mmc Adolphe Adam avait donné à la bibliothèque du Conservatoire les
partitions manuscrites qui lui restaient de son mari; ces partitions auto-
graphes sont les suivantes : la Batelière de Brientz. Isaure, la Fêle des Arts,
Casimir, Zambular, la Chatte blanche, Céline, Caleb, Valentine, le Muletier de
Tolède, les Mohieans, la Main de fer, le Toréador, une Bonne Fortune, le Sourd,
la Bose de Péronne, la Poupée de Nuremberg, Henri Y, le Pâtre, Henri VIII, Lam-
bert Simnel (avec Monpou), la Jolie Fille de Gand, Guillaume Tell, le Barbier
châtelain, les Comédiens, Giralda, Mam'selle Geneviève, Falstaff, le Diable à quatre,
les Hamadriades, Richard en Palestine. — Ballets : la Fille du Danube, Orfa,
le Corsaire, Giselle, Faust, the Marble Maiden (la Fille de marbre). — Réor-
chestrations : le Déserteur, Cendrillon, Bichard Cœur de Lion, Zémire et Azor,
Félix, Aline. — Un volume d'airs de vaudevilles; les ouvertures de Phèdre, de
Jeanne d'Arc, de Marie Stuart ; le Pacha de Suresnes, l'Oncle d'Amérique ; enfin,
la Messe de Sainte-Cécile. Ces 116 volumes, de même que les autographes, sont
reliés uniformément en rouge, avec le nom d'ADOLPHE Adam en lettres d'or.
J.-B. Weckerlin.
— Notre confrère M. Fourcaud prend, dans le Gaulois, l'initiative d'une
statue qui serait élevée à Georges Bizet. Il fait appel, pour la réalisation
de son projet, à tous les compositeurs, aux directeurs de journaux, à ses
confrères, aux artistes. L'idée de M. Fourcaud trouvera l'adhésion de tous
ceux (et ils sont nombreux) qui aiment l'auteur de Carmen et voient en
lui l'un des plus brillants représentants de l'école française. Il est ques-
tion, pour l'érection de cette statue, d'une représentation de gala à l'Opéra-
Comique.
— Le concours d'admission pour les classes de chant du Conservatoire,
commencé mercredi matin, ne s'est terminé que jeudi à onze heures du
soir. Cent quatre aspirants hommes et cent trente et une femmes s'y sont
fait entendre ; il y a eu 34 admissions. Voici les noms des admis et
admises : seize hommes, MM. Simon, Thomas, Halary, Vaillier, Lefeuve,
Longuecamp, Deltombe, Lamouroux, Plan, Andrisse, Audap, Bartet. Colin,
Duc, Belhomme, Salomon ; et dix-huit femmes, MUes Berthet, Mante,
Michel, Delcour, Grandjeau, Mauzié, Bondues, Mathieu, Guillon, d'Espar-
sac, Lloyd, Louis, Nathan, Boulleau, Honnoré, Vaudevile, Fournier,
Laisné.
— Une agréable surprise était réservée à M. Widor, l'éminent organiste
de Saint-Sulpice, le compositeur de Maître Ambros, de la Korrigane et de
Jeanne d'Arc. Il recevait ces jours derniers une lettre du cardinal Lavigerie,
l'informant qu'il avait été élevé, par le Pape, a la dignité de commandeur
dans l'ordre de Saint-Grégoire.
— Concerts du Chàtelet. — Dimanche dernier a eu lieu la réouverture
des concerts de l'association artistique sous la direction de M. Colonne.
La salle était comble, l'auditoire très chaleureux et le programme com-
posé d'oeuvres de toutes les écoles. La Symphonie pastorale, la plus douce
et la plus sereine peut-être de toutes les œuvres de Beethoven, a été rendue
avec la simplicité de style et l'expression suave qui lui conviennent.
L'orage a produit d'ailleurs le plus saisissant contraste. Un fragment de
la Suite en ré de Bach, exécuté pour la première fois au Chàtelet, a obtenu
un succès d'enthousiasme; l'on ne se lassait pas d'applaudir cette page
délicieuse et d'une suprême élégance. La musique mélodramatique « poul-
ie drame d'Ibsen, Peer Gynt, » de M. Grieg, ne semble pas avoir une très
grande originalité. La troisième partie est un gracieux air de danse où
les redites sont nombreuses, et la quatrième étonne par l'abus des instru-
ments à percussion. Les deux premières ont plu davantage. La brillante
ouverture de Phèdre, de M. Massenet, renferme de larges idées mélodiques
soutenues par une orchestration souvent somptueuse; elle a été acclamée,
ainsi que la sérénade de Namouna, de M. Lalo, et deux airs de ballet de
Samson et Dalila de M. Saint-Saëns. Le prélude de Lohengrin a été rendu
avec autant de précision que d'ampleur de style; enfin, la Valse des Sylphes
de la Damnation de Faust, et la célèbre Marche hongroise, conduite et exécutée
avec un entrain superbe, ont obtenu leur succès habituel.
Amédée Boutarel.
— Voici le programme du concert du Chàtelet d'aujourd'hui : Dans la
foret (Joachim Baffi; Aria de la suite en ré (J.-S. Bach); Andante de la
5e Symphonie (Mozart); Jocelyn, "ragments symphoniques (B. Godard);
Prélude de Lohengrin (R. Wagner); l' Artésienne (G. Bizet) ; la Damnation de
Faust, Marche hongroise (H. Berlioz).
— M. Francis Thomé a écrit pour Bornéo et Juliette, qu'on répète à
l'Odéon sans relâche, une partition qu'on dit très jolie, et qui ne sera pas
un des moindres attraits du curieux spectacle que M. Porel nous promet
pour jeudi, 30 courant, irrévocablement.
— Les jeunes artistes qui désireraient se porter candidats, pour l'année
181)1, aux bourses fondées par le conseil général du département de la
Siine (délibération du 16 novembre 1881) sont invités à se faire inscrire
à l'Hôtel de Ville, escalier D, 2° étage, bureau des beaux-arts, en appor-
tant les justifications nécessaires. Ces bourses, au nombre de cinq, de
1,200 francs chacune, devront être réparties entre les jeunes peintres ou
sculpteurs sans fortune, nés dans le département de la Seine, et qui, comp-
tant déjà un certain temps d'études, auront, dans leur spécialité, rem-
porté le plus de récompenses au cours de ces études. Les architectes et
musiciens ayant obtenu un deuxième prix de Rome seront également
admis à prendre part à ce concours. Les demandes seront reçues jusqu'au
31 décembre 189J inclus, dernier délai.
LE MÉiNESTREL
343
— Au théâtre des Nouveautés, on va commencer très prochainement
les répétitions de Sansonnet,^ nouvelle opérette de M. Paul Ferrier, avec
musique de M. Victor Roger, l'heureux compositeur du Fétiche et de José-
phine vendue par ses sœurs.
— Un Modèle, le petit opéra-comique de M. Léon Schlesinger (livret de
MM. Degrave et Lerouge), vient d'entrer en répétition au théâtre des
Bouffes, et sera joué par Mllc Mary Stelly, la brillante Bettina des Menus-
Plaisirs, MM. Wolff et Périer. La première aura lieu dans les premiers
jours de novembre.
— Mme Zoé de Nori, la cantatrice roumaine déjà si remarquée, vient de
signer un engagement avec M. Lago, pour la présente saison musicale
de Govent-Garden, où elle débutera dans un Ballo in Maschtra de Verdi.
— Le jc-ur de la Toussaint, on exécutera pour la quatrième fois à l'église
Saint-Eustache, sous la direction de M. Steenman, la belle messe de Félix
Godel'roid. M. Ciampi chantera les solos, et pendant l'offertoire dix violon-
celles, accompagnés de dix harpes, feront entendre le remarquable Hymne
au Seigneur du même artiste.
— Nous apprenons qu'un grand concours international de musique s'or-
ganise à Lyon, pour s'ouvrir au mois d'août 1892. On sait qu'à cette
époque se tiendra à Lyon une grande Exposition nationale et coloniale.
Ce sera un attrait de plus pour les sociétés musicales qui répondront à
l'appel du comité en formation, lequel sera composé des plus hautes nota-
bilités du monde musical, sous la présidence d'un de nos grands maîtres
français, avec le patronage de la ville de Lyon et du comité de l'Exposi-
tion nationale. Avant peu, nous ferons connaître les membres organisa-
teurs du concours et son règlement, ainsi que le siège du comité auquel
les sociétés pourront adresser leur adhésion.
Cours et leçons. — M™1 Emile Herman, 9, rue Gounod, a repris le 1" octobre
ses cours de piano, solfège et musique d'ensemble. — Mm0 J. Gartelier, professeur
de chant, a repris ses cours et leçons depuis le 15 octobre, 19 rue de Berlin. —
Les cours de piano, chant et solfège de II"" Félicienne Jarry, sont rouverts, 22, rue
Troyon. — MllB Marie Le Gallo, de retour à Paris, a repris ses cours et leçons,
85, rue de l'Université. — M™" Lafaix-Gontié a repris ses cours de chant et piano,
15, rue Pierre Charron. — Les cours de chant de Mm0 Rouffe-David sont rouverts
chez elle, 45, rue Rocheehouart. — L'école préparatoire au professorat du piano,
fondée et dirigée par M"° Hortense Parent, a rouvert ses portes vendredi dernier
(2 rue des Beaux-Arts). Plus de cinquante jeunes professeurs et aspirantes-maî-
tresses assistaient à cette première leçon de pédagogie. M"0 Parent continuera
ce cours tous les vendredis à quatre heures et demie. On sait que celte institution
(dont la regrettée M"" Erard avait accepté la présidence) est en même temps une
œuvre, puisque les prix sont très réduits et la bibliothèque entièrement gratuite.
— M"° Jules Baschet, professeur de piano, élève de Marmontel, a repris ses
cours et leçons, tous les mardis, jeudis et samedis chez elle, 47, rue Bonaparte.
— Les cours de piano, de solfège et d'harmonie de MIln Madeleine Jaeger ont
recommencé, 5, rue Duperré.
NÉCROLOGIE
Un grand artiste, à la fois virtuose de premier ordre et compositeur
plein de charme, de saveur et d'originalité, le pianiste Nicolas Ruiz
Espadero, l'ami et l'admirateur de Gottschalk, est mort récemment à la
Havane, où il était né au mois de février 1833 (et non en 1833, comme
on l'a imprimé par erreur). Cet artiste exquis ne put qu'après la mort de
son père, qui était opposé à ses goûts, se livrer sans réserve à l'étude de
l'art qu'il adorait. Élève d'abord du pianiste José Miro, puis de son com-
patriote Fernando Aristi, il termina son éducation musi'cale avec Fontana,
tout en profitant des conseils et des exemples de Gottschalk, avec lequel il
s'était lié d'une étroite amitié, mais sans jamais aliéner les qualités essen-
tiellement personnelles qui constituaient sa très grande originalité. Cette
observation s'applique aussi bien chez lui au compositeur qu'au virtuose,
et la preuve s'en trouve dans ces lignes que Gottschalk lui-même con-
sacrait naguère à son ami : « ... Éloigné du théâtre, des luttes artistiques,
Espadero a pu se préserver de tout contact, bon ou mauvais, qui aurait
pu altérer les qualités naturelles qui caractérisent son talent. Ce jeune
créole n'a encore connu ni la mode, ni les séductions du public, comme
si la muse des tropiques avait voulu éloigner de son favori toutes les in-
fluences impures qui pourraient flétrir la fleur divine qu'elle avait mise
dans son sein, la Heur mystérieuse qui ne pousse que dans la solitude,
qui s'appelle le beauidéal, et n'a de parfum que pour le poète... » Espadero
a publié, tant en France qu'en Espagne et en Amérique, un grand nom-
bre de compositions, parmi lesquelles nous nous bornerons à citer : Sou-
venir d'autrefois, Chant de l'âme, Cantilène, la Plainte du, poète (élégie adorable),
Ossiayi, la Chute des feuilles, Innocence, Tristesse, Deuxième Ballade, Scherzo,
Valse idéale, Plainte de l'esclave, Sur la tombe de Gottschalk, etc. Il en a laissé
beaucoup et de fort importantes en manuscrit, entre autres une Grande
Sonate, un quintette instrumental, une Grande Valse satanique à deux pianos,
un Ave Maria pour soprano, des barcarolles, des nocturnes, ainsi que de
nombreuses mélodies vocales. Après la mort de Gottschalk, Espadero
voulut bien se charger de collectionner, de classer et de publier les
œuvres inédites de son ami, ce que lui seul pouvait faire, car il savait de
mémoire certaines de ces compositions qui n'avaient même jamais été
écrites par leur auteur. Il s'acquitta de cette tache délicate avec un soin
religieux et un désintéressement complet, le cœur étant chez lui à la
hauteur du talent; il mettait sa gloire à augmenter celle de son ami, et
n'ambitionnait pas d'autre récompense. Espadero, je le répète, fut un
grand artiste, doué d'une façon tout exceptionnelle. Étonnamment popu-
laire dans toute l'Amérique, il ne lui a manqué sans doute que de venir
en Europe et de s'y faire personnellement connaître, pour voir sa renom-
mée égaler sa haute valeur et ses nobles facultés appréciées ici comme
elles le méritaient. A. P.
— Nous avons le regret d'annoncer la mort d'un de nos compatriotes,
l'excellent violoniste Sainton, artiste d'un très grand talent, qui était fixé
à Londres depuis près d'un demi-siècle, et qui s'y était fait une situation
aussi honorable que brillante. Né à Toulouse le 5 juin 1813, Sainton avait
déjà en poche son diplôme de bachelier es lettres lorsqu'il vint se faire
recevoir au Conservatoire de Paris, dans la classe d'Habenech, en 1831.
Il obtint le second prix en 1833, et le premier l'année suivante, fit partie
de l'orchestre de l'Opéra ainsi que de la Société des concerts, puis bientôt
alla faire une grande tournée de concerts à l'étranger, se faisant entendre
avec beaucoup de succès en Italie, en Autriche, en Russie, et jusqu'en
Danemark et en Suède. Après être revenu à Paris, il fit un voyage à Londres,
où son très beau talent fut fort apprécié, et bientôt se fixa en cette ville,
où il devint violon-solo du théâtre de Sa Majesté, violon-solo de la reine
d'Angleterre et professeur à l'Académie royale de musique, où il forma
nombre d'excellents élèves. Sainton. à qui l'on doit plusieurs compositions
intéressantes, avait épousé à Londres une cantatrice extrêmement distin-
guée, M110 Dolby, devenue fameuse comme chanteuse d'oratorio sous le
nom de Mmc Sainton-Dolby, et qui est morte elle même il y a quelques
années. Il avait conservé très vif en Angleterre l'amour de son pays, et le
signataire de ces lignes a le devoir particulier de rendre un digne hom-
mage à cet excellent artiste qui ne cessa d'être un bon Français. A. P.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Mmo Croué a repris ses leçons de piano et son cours de solfège du
jeudi, 71, rue Laugier, près la place Péreire.
UNE ANNÉE D'ÉTUDES
EXERCICES ET VOCALISES AVEC THÉORIE
N° '/
ÉDITION
pour
BARYTON ou BASSE
J. FAURE
N° 2
ÉDITION
(Extraits du Traité: LA VOIX ET LE CHANT) pour
Chaque volume in-8°. Prix net : 8 francs VOIX DE FEMMES ou TÉNOR
DU MEME AUTEUR :
AUX JETJIVES CHANTEURS
NOTES ET CONSEILS
Extraits du Traité Pratique LA VOIX ET LE CHANT
UN VOLUME IN-12, NET : 3 Francs
344
LE MÉNESTREL
Pour paraître très prochainement, au Ménestrel, 2 bis, rue Tiyienne, Henri HEUGEL, éditeur-propriétaire.
LA CHANSON DES JOUJOUX
Poésies de Jules JOTJY.
Musique de Cl. BLANC et L. DAUPHIN.
Le Jeu de Patience, chansonnette.
Les Soldats de bois, ronde.
Les Petits Navires, barcarolle.
La Boutique à treize, boniment.
Les Petits Chasseurs, chasse.
La Lanterne magique, ronde.
Les Fusils de bois, romance.
Les Crécelles, farandole.
Le Petit Orchestre, menuet.
Le Dernier Joujou, marche-retraite.
Chaque numéro, avec accompagnement de piano, couverture en couleurs de CHÉRET, net : 60 centimes.
Les trente numéros réunis en un recueil, couverture en couleurs de CHERET, net : 7 francs.
1.
Petit Noël, cantique.
Nos ilm
La Tour Eiffel, complainte.
N°8 21.
2.
Le Premier Joujou, berceuse.
12.
Les Pantins, ronde,
22.
3.
Les Petits Ménages, ronde.
13.
Les Chevaux de bois, galop.
23.
4.
Les Poupées, berceuse.
14.
La Bergerie, pastorale.
24.
S.
Les Ballons rouges, ronde.
15.
Les Volants, triolets.
25.
6.
Les Sabots et les Toupies, menuet-valse.
16.
Les Petite* Cuisines, rondo.
26.
7.
Le Petit Chemin de fer, ronde.
17
Les Poupards, chanson.
27.
8.
Les Soldats de plomb, marche.
18.
Les Petits Lapins, chansonnette.
28.
9.
Les Petits Jardiniers, idylle-valse.
19.
Les Polichinelles, chansonnette.
29.
10.
Le Cerf-Volant, ronde à 2 voix.
20.
Les Balles, romance.
30.
VINGT NUMÉROS CHOISIS
Édition de luxe, avec vingt compositions hors texte et cinquante dessins dans le texte, couverture, titre et table en couleurs par Adrien MARIE,
un beau volume, format soleil, cartonné, net : 10 francs (accompagnement pour la seule main gauche).
Paris, AU MÉNESTREL,
rue Vivienne, HENRI HEUGEL, Éditeur-propriétaire.
L-A. BOMGADLT-DDCOUDRAY
RAPSODIE CAMBODGIENNE
Exécutée aux CONCERTS LAMOUREUX
Grande partition d'orchestre, prix net: 25 fr. — Parties séparées d'orchestre, prix net: 50 fr.
CHAQUE PARTIE SUPPLÉMENTAIRE, PRIX NET: 2 FR. 50 C.
MÉLODIES POPULAIRES
PROVINCES DE FRANCE
lre Série
N°» Prix
1 . Le Mois de Mai 5 fr.
Chant de quête de la Champagne.
2. La Chanson des Métamorphoses 5 »
Version du Morvan.
3. Celui que mon cœur aime tant 2 50
Chanson de l'Angoumois.
4. Le Pauvre Laboureur 5 »
Chanson de la Bresse.
5. La Pernette '. 3 »
Version de la Franche-Comté.
6. Briolage , 2 50
Chant du laboureur berrichon.
7. La Bergère et le Monsieur 2 50
Chanson dialoguée. Version d'Auvergne.
8. Le Rossignol Messager 4 »
Version bressane.
9. En passant par la Lorraine 5 »
Version du pays messin.
10. Le Chant des livrées 5 »
Chanson de noces du Berry.
2e Série
11. La Mort du Roi Renaud
Version de la Normandie. .
12. C'est le vent frivolant
Ronde française du Canada.
13. Le Retour du Marin
Version poitevine.
14. Voilà six mois qu'c'était le printemps ....
Version bourguignonne.
13. Là-haut sur la montagne
Pastourelle. Version de l'Alsace.
16. Le Joli Tambour
Version de la haute Bretagne.
17. Rossignolet du Bois joli
Chanson populaire de la Bresse.
18. Les Répliques de Marion
Chanson dialoguée. Version du Berry.
19. La Mort du Mari
Version normande.
20. Bondes bretonnes
Haute Bretagne.
Prit
5 »
5 »
3 »
2 50
2 50
Nota.
RECUEILLIES ET HARMONISÉES PAR JULIEN TIERSOT
Chaque série de 10 N" en un recueil in-8°, Prix net : 5 fr. — Les 2 Séries réunies en un recueil in-8", Prix net : 8 fr.
Les chansons n03 i, 9, 10, 12 et 20 sont, en partie, avec chœur à l'unisson. — Il existe deux éditions de la chanson n"
En passant par la Lorraine : une avec chœur (n" 9) et l'autre pour voix seule (n° 9 bis).
ÎNl'nniLIUH CENT
R. — n i"i un: .
e, 20,
3109 — 56
Dimanche 2 Novembre 1890.
m — X° M. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Taris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Notes d'un librettiste: Louis Lacombe (25" article), Louis Gaixet. — II. Semaine
théâtrale: La candidature de M. Wilder à la direction de l'Opéra, H. Moreno;
première représentation de Ma Cousine, aux Variétés, Paul-Émile Chevalier. —
III. La statue de Georges Bizet. — IV. Un virtuose couronné (7= et dernier
article), Edmond Neukomm et Paul d'Estrée. — V. Nouvelles diverses, concerts
et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour:
CELUI QUE MON CŒUR AIME TANT
chanson de l'Angoumois, n° 3 des Mélodies populaires de France, recueil-
lies et harmonisées par Julien Tiersot. — Suivra immédiatement: La
Mort du Roi Renaud, version de la Normandie, n° 11 de la même collection.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano : : Légende slave, de L.-A. Bourgaolt-Ducoudray. — Suivra immé-
diatement: la nouvelle Mazurke Eolienne, de Théodore Lack.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
LOUIS LACOMBE
Mes souvenirs personnels étant peu nombreux, et peu
abondantes les sources où tout d'abord je pouvais puiser
pour les compléter, la figure de Louis Lacombe, apparue
dans les notes qui précèdent, resterait assez indécise, si,
pour me donner le moyen d'en accentuer les traits, une
main pieuse n'avait ouvert devant moi la porte du cabinet
de travail où le compositeur a vécu la plus grande partie de
ses derniers jours, la bibliothèque où sont réunies les
œuvres de ceux qu'il aimait et les siennes, les cahiers nom-
breux où sont consignés ses projets, ses essais littéraires,
ses souvenirs de famille , ses intimes pensées d'homme
et d'artiste.
Dans cet appartement, voisin des beaux ombrages du parc
Monceau, resté tel qu'il était du vivant de Lacombe, plein
de vieux meubles, d'objets d'art, de ses portraits le montrant
depuis l'adolescence, rayonnant de la douce joie du pre-
mier succès, jusqu'à la vieillesse, le front ravagé et les yeux
profonds, celle qui le pleure vit dans la mélancolique dou-
ceur de ses souvenirs.
Je me suis assis là, pendant deux heures, devant la table
tout encombrée de ses manuscrits et, tout à coup, j'ai revu
l'homme. J'ai parcouru en sa compagnie toute sa longue et
laborieuse carrière. J'ai eu sous les yeux son àme tout ou-
verte et j'ai pu en pénétrer jusqu'aux plus intimes replis.
Comme il m'avait été donné déjà de le conslater durant
nos brèves relations, Louis Lacombe, en effet, n'était pas
seulement un musicien. C'était un penseur, un philosophe,
un poète.
En des pages innombrables, il a répandu ce que son ima-
gination, toujours en activité, lui apportait. Quelques-unes
de ces pages ont été réunies dans un volume de vers : Der-
nier Amour, paru chez Lemerre en 1886, par les soins de
Mme Andrée Lacombe.
Il y chante en strophes pleines d'une douce émotion,
d'une tendresse délicate, cet amour qui lui était venu à l'âge
où les amours s'envolent, ce Retour inespéré, comme il le dit
lui-même, charmé, comme le bon Ronsard, de se sentir en-
core un cœur si jeune :
Amour, je te connais; c'est bien toi; c'est toi-même!
Ai-je perdu l'esprit et se peut-il que j'aime?
Se peut-il que mon cœur par le chagrin aigri,
Sous ses voiles de deuil frissonnant et meurtri,
Sorte de sa stupeur, se rassérène, vive, -
Et de nouveau s'abreuve à cette source vive,
Source de pur amour! O mon Dieu, se peut-il
Que ce désir sans frein, que ce poison subtil
Que verse le sourire adoré d'une femme,
Une dernière fois bouleverse mon âme ?
Ces vers, datés du 1er février 1869 et qui forment le début
de la première pièce, sont précédés de cette pensée de Louis
Lacombe, épigraphe du recueil, profession de foi évangélique,
aveu dicté par une expérience amère de la vie :
Je me suis fait un cœur de Christ, plein d'amour et de pardon. — Ici-
bas, j'étais sans défense et le monde m'a vaincu.
La bonté n'est pas une arme.
C'est à travers ses œuvres inédites que je me suis plu à
rechercher l'esprit et le cœur de Louis Lacombe.
Ses poésies, qui remplissent plusieurs de ces cahiers, dont
j'ai à mon gré feuilleté les pages, sont d'une grande variété.
La forme en est toujours simple, la rime soignée ; au milieu
d'une abondance de strophes parfois excessive fleurit tout à
coup une pensée charmante, piquante, ingénieuse, ou d'une
philosophie profonde.
J'ai copié deux de ces poésies prises presque au hasard
dans deux cahiers différents : il me semble qu'elles repré-
sentent bien le double aspect moral de l'homme que cet
entretien de deux heures avec son esprit venait de me faire
connaître à fond, en me donnant le regret de ne l'avoir pas
plus réellement et intimement connu naguère :
La première a été conçue « en passant devant une
croix : »
346
LE MENESTREL
Divin crucifié qui, du haut du Calvaire,
Versas sur notre globe avec sérénité
La loi de sacrifice et de fraternité
Dont ta tète et ton cœur devaient être l'ovaire;
Christ, miracle d'amour, de foi, de charité,
Qui rendis l'espérance aux enfants de la terre,
Toi qu'on admire, toi qu'on aime, qu'on révère,
Et qui sus, de ton sang, payer ta royauté,
Tu ne portes pas seul le poids de la croix sainte :
Tout penseur généreux la sent peser sur lui,
Dès qu'il flétrit le vice et prend Dieu pour appui.
Va ! sur tous les fronts purs ta couronne est empreinte.
On châtiera toujours les plus nobles esprits,
Car l'homme doit souffrir : il n'est grand qu'à ce prix !
Cette image du Christ reparaît souvent sous la plume de
Louis Lacombe. Il est un chrétien, non pas seulement dans
l'acception simple du mot. Il est hanté par la vision d'un
Christ rénovateur; ce républicanisme qu'il professait un jour
devant moi était, en réalité, une sorte de socialisme évan-
gélique.
— « C'était un Christ, me disait Mme Lacombe, au cours
de cette si intéressante visite. Il aimait, lui aussi, les petits
et les souffrants ; mais il respectait et admirait les grands,
quand ils étaient justes, généreux et bons. — Dans les notes
et réflexions qu'il m'a laissées, il y a ceci : « La liberté
d'un homme ne doit avoir pour bornes que la liberté des
autres hommes. » Et encore : « Si la République ne devait
donner satisfaction qu'aux intérêts matériels, si elle devait
anéantir l'Art, qui nous rapproche un peu de l'infini, il vau-
drait mieux qu'elle ne fût pas née. »
Il y a une certaine relation entre ces idées de Louis La-
combe et celles que nous révèle la récente publication, dans
la Nouvelle Berne, des fragments d'une correspondance de
David d'Angers, recueillie par M. Henry Jouin. Le grand
statuaire avait aussi cette haute conception du symbolisme
chrétien. La même tendance se retrouverait, je crois, d'ail-
leurs, chez les hommes de valeur, artistes, écrivains ou
politiques de cette génération de 1830 à 1848, dont la démo-
cratie était généralement toute spiritualiste et chrétienne,
et dont la République pouvait se proclamer de droit divin.
« Depuis longtemps, écrit David d'Angers à Lamennais,
selon la correspondance que je cite, j'ai essayé décomposer
quelques sujets principaux de la vie du Christ. Dans l'un,
je voulais le représenter assis sur le Monde, écrivant avec
son sang : « Liberté, Égalité, Fraternité, » ce qui semble le
résumé de sa morale sublime. Nous avons foi dans cette
charte divine, nous autres républicains. Nos pères l'avaient
inscrite sur leurs drapeaux que la mitraille de tant de vic-
toires a consacrés.
» J'ai cherché à rendre cette grande idée dans le faible
croquis que je serais heureux de vous voir accepter. »
Ma seconde citation sera pour une très légère inspiration:
Avril, détachée d'une collection de douze pièces, ayant
chacune pour sujet l'un des mois de l'année, sorte de calen-
drier dont les poètes contemporains associés aux illustrateurs
nous offrent encore de nombreux exemples.
Voici 1' « Avril » de Louis Lacombe . :
Le poing sur la hanche.
Leste, aventureux
Comme un amoureux,
Avril passe... Il penche
Sa couronne blanche
Sur l'arbre poudreux:
Son souffle fiévreux
Fleurit chaque branche.
D'un nuage blanc
Il sort en sifflant;
Dans la plaine il erre.,
Parfois, au buveur
Il fait la faveur
D'un coup de tonnerre.
Ce n'est pas dans ses essais poétiques pourtant que j'ai le
mieux aimé le compositeur; c'est dans ses pensées détachées,,
éparses dans ces feuillets tout couverts de sa magistrale et
ferme écriture; prose ou vers, ironie ou mélancolie, humour,
esprit, elles montrent bien mieux le fond de l'homme que
les poésies proprement dites; elles le montrent du moins-
sous un jour plus vif.
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
Puisque notre ami Georges Boyer, du Figaro, a dévoilé ce mys-
tère qui nous était aussi connu depuis quelque temps, pourquoi
n'en toucherions-nous pas quelques mots à nos lecteurs ?
Eh ! bien oui, pour le jour qu'on peut espérer prochain où
MM. Ritt et Gailhard devront quitter la place, plusieurs candidatures
à la direction de l'Opéra se dessinent déjà assez nettement. Nous-
ne sommes pas autorisés encore à les nommer toutes; mais celle de
M. Victor Wilder, dont parle notre confrère Georges Boyer, est assu-
rément une des plus sérieuses.
Il n'est pas un inconnu pour nos anciens lecteurs, qui se rap-
pellent sa longue et précieuse collaboration au Ménestrel. Depuis, il
bataillait au Gil Blas, où il défendait avec une âprelé quelquefois
excessive les idées qui lui étaient chères. Il a un idéal d'art élevé
et une compétence dans les choses musicales que nul ne saurait
lui contester. Hâtons-nous de dire, afin qu'on ne nous prenne pas
pour un niais, qu'en ces temps de Ritt et Gailhard, où toutes les
places se donnent à la faveur, ces titres artistiques exceptionnels
ne comptent absolument pour rien. Est-on l'homme de Conslans ou
ne l'est-onpas? Tout est là.
Aussi, M. Victor "Wilder, qui n'est pas un imbécile, ne se serait-il
pas risqué à se mettre sur les rangs, s'il n'avait eu que d'aussi bonnes
raisons à mettre en avant. Il sait bien que dans de telles conditions,
le moindre citoyen de Toulouse lui aurait été sûrement préféré.
Non, non, les titres artistiques de M. Victor Wilder, on les prendra
sans doute par-dessus le marché, mais ce qui fait sa force et le
pose du premier coup comme le plus redoutable des candidats, .
c'est bel et bien une excellente commandite de douze cent mille
francs tout comptés qu'il a derrière lui et qui en fait un homme
considérable. Il n'est pas probable, en effet, que ses concurrents
puissent aligner de pareilles piles de louis d'or sous les yeux du
ministre ébloui.
Aussi, M. Bourgeois l'a-l-il écouté avec beaucoup de bienveillance.
A la faveur de son chèque triomphant qu'il agitait de temps en
temps dans les airs, il a pu exposer tout au long son plan de cam-
pagne. Et d'abord, il donnerait des représentations quotidiennes.
Pendant longtemps, quand cela était contraire à leurs intérêts,
MM. Ritt et Gailhard ont déclaré qu'avec les exigences d'un énorme
théâtre comme celui de l'Opéra, jouer tous les jours était d'une
impossibilité absolue. Mais, pendant l'Exposition, quand on était
assuré chaque soir d'une belle recette, même avec d'épouvantables
spectacles et des chanteurs de carton, c'est devenu la chose la
plus simple du monde. Donc, l'expérience est faite et le projet de
M. Wilder n'a rien de chimérique. Il pourrait maintenir l'abonne-
ment des trois jours tel qu'il existe à présent, maintenir aussi tout
le répertoire qui fait la joie des abonnés et facilite leur digestion
accoutumée. Car il y a tels estomacs habitués aux mélodies aisées
des Meyeibeer et des Halévy qui ne se prêteraient pas aussi facile-
ment aux mélodies plus subversives de Richard Wagner, par
exemple. Il y a là des ménagements à garder pour les organismes
susceptibles de l'aristocratique faubourg Saint-Germain. Toute
querelle intestine entre les anciens abonnés et le nouveau directeur
serait ainsi écartée.
Mais il se rattraperait les jours intermédiaires, qui lui donne-
raient l'occasion de créer une nouvelle série d'abonnements pour les
LE MENESTREL
347
amateurs plus robustes. Là, la bannière de la nouvelle école serait
toute large déployée.
Du Wagner sans doute, il faut l'espérer, mais sans excès. Des
œuvres choisies et peut -être expurgées. Ah ! si la famille du grand
homme, mieux inspirée dans son culte à la mémoire du défunt,
pouvait consentir à débarrasser ses œuvres de tout le fatras indigeste
qui les obscurcit, quelles superbes et incomparables pages musicales
viendraient enrichir le répertoire de nos théâtres, en dépit de leurs
poèmes trop souvent incongrus! Mais le zèle de Cosima est farouche
■ et n'admet pas de compromissions. Il faut prendre le vaste génie
de Wagner comme il est, avec ses prolongements infinis, qui dé-
passent les humaines faiblesses. Tant pis ! C'est ce qui l'empêchera
de s'acelimaler chez nous, avant qu'il soit longtemps.
Et, à côté de Wagner, tout ce qui va de l'avant dans la jeune
école. Comme les représentations seraient quotidiennes, il en résul-
terait des recettes doubles qui perpétuaient de monter un plus giand
nombre d'ouvrages qu'on ne le fait actuellement, et jamais on ne se
serait vu à pareille fête. Pour suffire à toute la besogne, M. Wilder
aurait trois chefs d'orchestre, adaptés chacun au genre d'ouvrage
qu'il devrait conduire. C'est ce qui se fait beaucoup dans les grands
théâtres d'Allemagne.
Voilà, en un résumé très bref, les projels de M. Wilder. Il en a
quelques autres que nous ne sommes pas encore autorisé à dire.
De quelque façon que puisse tourner une pareille entreprise, il en
resterait toujours quelque chose d'artistique, on peut en ètie assuré.
Et c'est ce qui nous ferait voir sans désolation le départ de MM. Rilt
et (j-ailhard, qui piétinent depuis bientôt six ans dans l'abominable
routine et entassent les Cid sur les Dame de Monsoreau, sans aucun
profit pour personne.
Et que font-ils, ces chers amis, pendant qu'on complote toutes
ces jolies choses ? Ils font débuter en catimini un jeune ténor échappé
du Conservatoire, M. Vaguet, qui ne s'est vraiment pas trop mal
comporté dans Faust, encore qu'un peu ténorino pour le rôle. C'était
un second prix des derniers concours ; il en a bien donné pour les
trois ou quatre mille francs annuels qu'il doit émarger au budget
de MM. Ritt et Gailhard, qui ne cesseront jamais de nous étonner
•de leur faste et de leur prodigalité.
H. Moreno.
Variétés. — Ma Cousine, comédie en 3 actes de M. Henri Meilhac.
Que cela fait de bien d'entendre, de temps à autre, une comédie
gaie, spirituelle, fine, élégante et de bon Ion, et combien nous avons
lieu, après une telle soirée, de regretter que la nature se soit montrée
si parcimonieuse de Meilhaes, alors qu'elle nous impose tant de...
■Certes, cette pièce nouvelle ne saurait passer pour un modèle d'inven-
tion, et la trame n'en parait ni d'une solidité, ni même d'une vérité
incontestables; mais il faudrait vraiment avoir l'esprit ou bien cha-
grin, ou bien jaloux, pour penser à s'en plaindre ou pour oser en
blâmer l'auteur. Qu'importe que, par moments, la folie s'empare de
.lui et le mèue un peu trop à son gré, s'il sait profiter de cet
entraînement et si, de cette incursion dans le domaine de l'extrava-
gance, doit naltie un trait piquant ou une observation vraie. Car eu
plus de ses qualités d'espril, de viyacité et de facilité aimable,
TVI. Meilhac est encore un profoni observateur. Regardez de près
Champcourtier, le baron Arnay la Hutte, Gaston, Riquette, et la
Berlandet, et dites s'ils n'ont pas été photographiés instantané-
ment dans leur propre milieu et transportés sans retouches aucunes
sur la scène. L'auteur dramatique amateur, homme du monde et
membre « du Cercle », ne le retrouvez-vous pas, une fois pai semaine,
installé dans son fauteuil à l'Opéra et à la Comédie-française? Le
baron infatué de sa personne n'est-il pa3 aussi vivant et aussi nature
que le jeune gommeux Gaston? Cette Riquette ne vous a-t-elle
jamais reçu dans son boudoir tout fanfreluche et ne vous a-t-elle
pas, à vous-même, laissé deviner son cœur subtil de Parisienne ?
L'aimable coquine, Mmo Champcourtier, ne vous a-t-elle jamais invité
à ses five-oclock, et la vieille manicure ne vous a-t-elle jamais pro-
posé, à d'excellentes conditions, du Champagne divin ou des cigares
nec plus ultra? Vraiment, tous ces gens-là sont suprenants de réa-
lité. Et puis, avec quel exquis sans-façon M. Meilhac les fouaille
de sa verve caustique et sceptique! quelle satire implacable habi-
lement dissimulée sous un charme continu et doré d'une enveloppe
chatoyante ! Voilà certainement en quoi consiste l'art dramatique, et
là nous trouvons le talent réel.
Il n'y a que des compliments a adresser à la troupe des Variétés
pour la façon très supérieure dont elle a interprété Ma Cousine.
M11" Réjane est de tout premier ordre et suggestive à un degré impos-
sible à dépasser. M. Baron est parfait et MM. Cooper et Raymond
très bien. Mmo Crosnier Mlles Lender et Crouzet contribuent pour
une très grande part à cet ensemble remarquable, et la direction des
Variétés a donné à la pièce une hospitalité princière et de tous
points réussie.
Paul-Emile Chevalier.
LA STATUE DE GEORGES BIZET
Notre confrère et ami M. de Fourcaud, le très éminent critique
musical du Gaulois, a mis en avant, comme nous l'avons dit
dimanche dernier, Vidée de dresser une statue à l'auteur de Carmen
et de V Artésienne. L'idée a fait rapidement son chemin puisque la
souscription ouverte à cet effet dépasse déjà, en moins de quelques
jours, la somme de vingt mille francs.
A une époque où on a la statue si facile, pourquoi Georges Bizet
n'aurait-il pas la sienne? Il y a des titres évidemment supérieurs
à ceux de la plupart des malfaiteurs politiques qui jouissent de cet
honneur. Car lui, du moins, n'a jamais fait de mal à son pays. Il l'a
doté au contraire de quelques œuvres charmantes , qui eussent été
plus nombreuses encore si la mort n'était venue l'arracher brusque-
ment à la gloire qui l'attendait.
Sera-ce un buste? Sera-ce une statue? Une lettre de M. Saint-
Saëns, pleine de sens humoristique, pose cette double interrogation :
Rien ne peut faire plus de plaisir aux amis de Bizet, à ceux qui,
comme moi, savent quel grand cœur était dans ce grand artiste, que de
lui voir rendre les honneurs qui lui sont dus.
Ceci posé, permettez-moi de vous soumettre une réflexion qui m'est
venue. Pourquoi une statue? Si l'on n'y prend garde, dans un siècle, nos
villes seront peuplées de fracs, de redingotes et de pantalons en bronze, du
plus détestable effet. Xotre costume masculin moderne est informe et, par
cela, rebelle à la sculpture. Serait-ce diminuer Bizet que de demander
pour lui ce qu'on a fait pour Delacroix, un monument surmonté d'un
buste? Vous qui êtes amateur d'art sous toutes les formes, mon cher
Fourcaud, creusez cette idée : elle fera fortune. Ce motif prête à mille va-
riations plus intéressantes les unes que les autres. En l'adoptant, on ferait
la joie des sculpteurs, et l'on ne risquerait pas d'élever à nos grands
hommes des apothéoses qui, avec lé temps, pourraient devenir des piloris,
quand, notre costume ayant disparu, on en verra franchement tout le
ridicule.
L'œuvre est sous le patronage illustre des trois doyens de l'Aca-
démie des Beaux-Arts, section musicale : MM. Amhroise Thomas,
Charles Gounod et Ernest Reyer.
Le Ménestrel, à qui la mémoire de Bizet est chère, autant par son
talent que par la solide amitié qui nous liait à lui, est heureux
d'ouvrir de son côté une liste de souscription parallèle à celle du
Gaulois sur laquelle il espère que tous les musiciens voudront bien
s'inscrire.
LISTE DE SOUSCRIPTION
M. Henri Heugel, directeur du Ménestrel. . . . 100 francs.
M . Paul-Emile Chevalier 80 —
M. Arthur Pougin 20 —
M. Marmointel, père 25 —
M. Antonin Marmontel 2o —
(A suivre.)
Le Comité de l'œuvre se réunira, pour la première fois, lundi
prochain, 3 novembre, au Grand-Hôtel, et s'occupera de suite des
moyens de mener l'entreprise à bonne fin.
UN VIRTUOSE COURONNÉ
(Suite et fin.)
Ces histoires de singes et de Voltaire nous ont éloignés quelque
peu de l'objet principal de cette étude. Nous y revenons pour en-
visager notre héros comme compositeur.
Nous avons dit qu'il donna le plan d'une centaine de morceaux
pour la flûte. Le spécimen qu'en a rapporté M. Jules Simon n'est
pas fait pour donner une grande idée d« l'imagination musicale de
Frédéric II. Le tout est coulé dans un moule uniforme, d'où s'é-
chappent périodiquement des traits, toujours les mêmes, appropriés
au talent du virtuose. De plus, Quantz ne composait pas autre-
ment pour son royal élève. De sorte qu'on peut dire que le réper-
toire des concerts de Sans-Souci, tenu religieusement sous clef par
348
LE MÉNESTREL
le roi, et dont aucune copie ne fut répandue, ne brillait point pré-
cisément par son originalité. C'étaient des exercices, des études
graduées plutôt que des morceaux de concerl, en un mot de la
musique de virtuose, composée pour faire valoir telle ou telle qua-
lité d'une embouchure en quête de succès.
Nous avons dit également que Frédéric s'était occupé, dans les
mêmes conditions, de la facture de quelques opéras. On connait de
lui principalement il Re pastore, représenté dans l'orangerie de
Charlottenbourg et que le roi tenait pour sa « plus grande victoire
musicale. » Toute la cour assistait à celte exécution. Il en fut de
même pour une sérénade, donnée en l'honneur de la reine-mère,
également à Charlottenbourg, en 1747, et pour laquelle Frédéric
avait composé plusieurs morceaux en compagnie de Quantz, de
Nichelmann et de Graun.
Cette œuvre n'est point parvenue jusqu'à nous, non plus que la
partition d'il Re pastore, dont on ne connaît que l'ouverture, qu'on
joue souvent encore à Berlin, et qui affecte la forme d'une marche.
L'époque était aux marches dans l'armée prussienne, et il faut
convenir qu'elles avaient une saveur très particulière. Nous en
avons un spécimen dans la marche de Dessau, que le vieux com-
pagnon d'armes du Grand Électeur et de Fréiéric. I", maréchal
d'Anhalt-Dessau, vainqueur de Hochfelden et de Canova, appelait
la marche des dragons de Notre-Seigneur. Meyerbeer s'est servi de
cette marche au troisième acte de l'Etoile du Nord, dans la scène
du camp. On sait le grand effet qu'elle produit.
— Avec une marche de nos hautboïstes, s'écriait assez présomp-
tueusement un général prussien de la même époque, c'est un vrai
plaisir que de parler à l'Europe à coups de canon.
Un autrj se plaisait à répéter que la marche des grenadiers prus-
siens ava^t été le héros de la guerre de Sept ans.
Entre temps, de l'Allemagne la marche avait gagné la France, où
Maurice de Saxe lui donna son brevet. A l'article sixième de ses
Rêveries, où le vainqueur de Mahon traite de la manière de former
les troupes pour le combat, on peut lire, en effet:
« Je commencerai par la marche. Cela me met dans la nécessité
de dire une chose qui paraîtra bien extravagante aux ignorants.
» Personne ne sait ce que c'est que la Tactique des Anciens; cepen-
dant beaucoup de militaires ont souvent ce mot à la bouche, et croient
que c'est l'exercice ou l'ordonnance des troupes pour les mettre en
bataille. Tout le monde fait battre la charge sans en savoir l'usage,
et tout le monde croit que ce bruit est un ornement militaire.
» Il faut avoir meilleure opinion des Anciens et des Romains, qui
sont nos maîtres ou qui devraient l'être. Il est absurde de croire que
les bruits de guerre ne servent uniquement que pour s'étourdirles uns
les autres. Mais revenons à la marche, sur laquelle je vois que tout le
monde s'étourdit, se tourmente et se tue, et dont on ne viendra
jamais à bout si je n'en découvre le secret. Les uns veulent marcher
lentement, les autres veulent marcher vite, mais qu'est-ce que des
troupes que l'on ne saurait faire marcher vite et lentement, comme
l'on veut et selon ce qu'on en a besoin, auxquelles il faut à chaque
coin un officier pour les faire tourner, les uns comme des limaçons,
et les autres en courant, pour faire avancer une queue qui traîne
toujours?
» C'est un opéra que de voir seulement un bataillon se mettre en
mouvement: ou dirait que c'est une machine mal agencée, qui va
rompre à tout moment, et qui ne s'ébranle qu'avec une peine infinie.
Veut-on avancer promptement? avant que la queue sache que la tête
marche vite, il se fera des intervalles, et pour les regagner, il fau-
dra que la queue coure à toutes jambes; une autre tète qui suit cette
queue fera la même chose, ce qui met bientôt tout en désordre, et
vous met dans la nécessité de ne pouvoir jamais faire marcher vos
troupes avec célérité.
» Le moyen de remédier à tous ces inconvénients, et à d'autres qui
en résultent, qui sont d'une bien plus grande conséquence, est
cependant bien simple, puisque c'est la nature qui le dicte. Le
dirai-je, ce grand mol en quoi consiste tout le secret de l'art, et qui
va sans doute paraître ridicule: — Faites-les marcher en cadence...
Voilà tout le secret, et c'est le pas militaire des Romains.
» C'est pourquoi les marches sont instituées, et pourquoi l'on bat
la caisse. C'est ce qu'où appelle Tact (mesure), et c'est ce que personne
ne sait et ce dont tout le monde s'avise. Avec cela vous ferez mar-
cher vite et lentement, comme vous voudrez; votre queue ne traînera
jamais; tous vos soldats iront du même pied; les conversions se
feront ensemble, avec célérité et grâce; les jambes de vos soldats
ne se brouilleront pas; vous ne serez pas obligé d'arrêter à chaque
conversion pour faire repartir du même pied, et vos soldats ne se
fatigueront pas le quart de ce qu'ils font à présent.
o Si quelqu'un me demande quel air il faut jouer pour faire mar-
cher un homme, je lui répondrai, sans ruminer sur la plaisanterie,
que toutes les marches, tous les airs à deux ou trois temps y sont
propres, les uns plus, les autres moins, selon qu'ils sont marqués,
que tous ces airs se jouent sur le tambour avec le fifre, et qu'il n'y
a qu'à choisir les plus convenables. »
Le maréchal de Saxe ne parle pas des autres instruments com-
posant les musiques militaires, assez pauvrement organisées d'ail-
leurs. Les parties y étaient ainsi distribuées, en Prusse comme en
France : deux hautbois, deux clarinettes, deux cors et deux bas-
sons. Plus tard, on adjoignit à ces instruments une flûte, une ou
deux trompettes, un contre-basson et un serpent.
C'est avec ces moyens restreints que les chefs de musique fai-
saient exécuter les marches, dont ils donnaient souvent d'excellents
modèles. La mode en vint à tel point que des compositeurs
renommés ne regardaient pas comme indignes d'eux d'appliquer à
des marches militaires les ressources de leur talent. Enfin, comme
nous l'avons vu, les tètes couronnées s'en mêlèrent, avec, à leur
tête, le roi-soldat Frédéric II.
En 1842, on a publié une collection de « Marches favorites » pour
instruments à vent, en partition, et arrangées pour le piano. Elles
avaient exclusivement pour auteurs ' des membres de la famille
royale de Prusse : Frédéric II, Frédéric-Guillaume III, le prince
Frédéric de Prusse, les princes Albert et Guillaume, le prince royal
de Hanovre et le prince royal de Suède et Norvège. Depuis, l'im-
pératrice Augusta a composé pour son régiment une marche qu'on
joue encore dans l'armée prussienne.
Il en est de même pour deux marches de Frédéric II, indépen-
dantes de celle qui forme l'ouverture d'il Re pastore : la première,
dédiée à son régiment des Dragons du roi, la seconde, écrite pom
le drame de Lessing : Mina de Barhelm. Naturellement, les mu-
siques militaires les jouaient à l'envi, de façon qu'elles étaient
devenues de véritables airs nationaux. Depuis, on a donné la préfé-
rence à la marche de Dessau. Mais comme l'empereur Guillaume II
recherche et favorise tout ce qui louche à son ancêtre, on a pu
remarquer déjà que les musiques allemandes ont repris ces vieux
airs royaux, qui ont retenti sur tant de champs de bataille, au
temps où les musiciens de régiment n'étaient pas encore transformés
en brancardiers.
La musique faisait partie de l'attirail guerrier de Frédéric II en
temps de guerre, — la musique et la poésie. Ses pensées étaient à
la fois aux armes et à l'idylle. La veille de la bataille de Zendorf,
il s'amusait à refaire une ode de Jean-Baptiste Rousseau.
Ce poète avait écrit :
Les troupeaux ont quitté leurs cabanes rustiques,
Le laboureur commence à lever ses guérets,
Les arbres vont bientôt de leurs tètes antiques
Ombrager les forêts.
Déjà la terre s'ouvre et nous voyons éclore
Les prémices heureux de ses dons bienfaisants,
Cérès vient à pas lents, à la suite de Flore,
Contempler ces présents.
A ces vers le roi substitua cette variante :
Les troupeaux ont quitté leurs cabanes rustiques,
Le laboureur actif sillonne ses guérets,
Un vert tendre et naissant sous leurs rameaux antiques
Orne les arbres des forêts.
Déjà d'un sein fécond la terre fait éclore
Les prémices charmants, l'espoir des moissonneurs,
Les chants sont embellis par les présents de Flore
Et Phœbus brille sans ardeurs.
A la veille d'une autre bataille qui devait, comme il le disait
lui-même, décider du sort de l'empire, de la fortune de la maison
d'Autriche, du paitage des alliés et de la préséance de la France ou
des nations maritimes, Frédéric écrivait à Algarolli de lui envoyer
un air d'un nouvel opéra de Hasse.
On sait quelle prédilection il avait pour ce grand musicien. A
peine entré à Dresde, après la bataille de Kesseldorf, il fit prier
Hasse de faire exécuter le lendemain son opéra d'Arminio. Malgré
sa douleur patriotique, celui-ci, le Saxon par excellence, il caro
Sassone, comme on l'appelait, dut s'exécuter.
Les jours de Dresde furent d'ailleurs des jours de haute liesse.
Frédéric y trouva les deux plus jeunes princes et les deux prin-
LE MÉNESTREL
349
cesses, enfants du roi de Pologne. Il les consola par ses politesses
et donna l'opéra en leur honneur. L'histoire ne dit pas si c'était
un des siens, ou du moins un de ceux dont il avait écrit le poème:
car souvent il se bornait au rôle secondaire de librettiste.
C'est ainsi que G.-aun mit en musique Cinna, Iphigénie, Britan-
iv'cus, Milhridate, Sylla, Mérope, imités de leurs auteurs français par
Frédéric et mis en vers italiens par son poète habituel. Taglia-
zucchi .
Le roi ne signait pas ses œuvres, mais il s'arrangeait de façon
à ce qu'on en connût l'auteur. En tête de Sylla, Tagliazucchi avait
tracé ces mots :
« Je me crois obligé d'avertir le lecteur que cet ouvrage est une
production, ou plutôt le délassement d'un esprit supérieur qui a su
se rendre familier tout ce qu'a de plus solide l'art de la guerre, les
spéculations de la bonne philosophie et les riches agréments des
muses. »
Quelquefois, cependant, le roi sortait de sa réserve habituelle. Un
jour il envoya un morceau de sa composition au comte de Sehaum-
bourg-Lippe, grand amateur de musique, pour lequel il professait
une vive amitié. Celui-ci l'en complimenta, ce qui le ravit d'aise:
« L'approbation que vous donnez à ma symphonie, lui écrivit-il,
m'est d'un prix bien flatteur ; si j'étais capable de vanité, je crois
que j'en prendrais à présent. »
Après tout ce que nous avons raconté du royal virtuose, cet effa-
cement de sa propre personne peut paraître singulier. Quoiqu'il s'en
soit défendu, Frédéric II était bien le « modeste avec orgueil » de
Voltaire. Par conlre, ce qu'on peut lui accorder, c'est que s'il fut un
tyrannique protecteur des arts, il se montra du moins un dilettante
éclairé, doublé d'un apôtre infatigable du grand art. De même, il
aimait, tyranniquement aussi, les lettres, et la peinture, et la
sculpture, comme en font foi ses écrits et ses collections. Il a pu
dire, non sans raison :
Mes organes, flattés des sons de l'harmonie,
Chérissent tous les arts qu'a produits le génie.
Ces vers ne sont pas bons; mais on peut les pardonner à notre
virtuose couronné, parce qu'il s'y est, une fois par hasard, approché
de la vérité.
Edmond Neukomm et Paul d'Estrée.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (29 octobre). — Les débuts ter-
minés et les nouveautés étant encore en préparation, la Monnaie traverse
en ce moment une période peu intéressante. Le temps se passe à faire
des reprises d'ouvrages joués l'an dernier, avec cette seule différence que
les rôles en sont tantôt mieux, tantôt moins bien tenus par les titulaires
nouveaux que par les titulaires anciens. Tout l'intérêt réside dans un
petit travail de comparaison, quelquefois bien stérile, mais dont s'amu-
sent les habitués.
C'est ainsi que nous avons eu ces jours derniers la reprise de Carmen,
avec MUeNardi, qui s'est tirée d'affaire honorablement, avec ses précieux
moyens vocaux habituels, mais dont le succès a été cependant beaucoup
moindre qu'il n'avait été dans Mignon et dans les Dragons. On a trouvé que
M110 Nardi rendait le caractère du personnage avec une discrétion d'ac-
cent bien excessive, qui lui enlève beaucoup de sa couleur et de sa vé-
rité. Pour le reste de l'interprétation, cette reprise de Carmen a été plus
que médiocre, surtout du côté de l'orchestre et des chœurs.
Puis, nous avons eu Salammbô... sans Salammbô, c'est-à-dire sans
Mmc Caron, que remplaçait Mme de Nuovina. Celle-ci s'est attachée à
imiter autant que possible sa redoutable devancière, ce qui est un tort
grave, Mrae de Nuovina n'ayant rien de la physionomie, de la plastique,
ni du tempérament de Mme Caron. La Salammbô de M. Rêver, qui nous
était apparue à la fois terrible et troublante et si extraordinairement sug-
gestive, s'est trouvée ainsi transformée en quelque chose de très gracieux,
de très gentil et de très sympathique, avec beaucoup de charme et au-
cune grandeur. Mmc de Nuovina en a fait une figurine aimable, et elle en
a dessiné les traits avec délicatesse, mais plus encore de mollesse et de
timidité, sauf vers la fin de l'œuvre, dans la scène du duo, où elle a eu
du mouvement et de l'énergie, parce qu'elle a essayé là d'être elle-même
et de n'obéir qu'à sa propre inspiration. Toute la partie d'émotion douce,
avec ces demi-teintes, où Mm0 Caron mettait tant d'accent avec tant de
simplicité, est toujours bien jolie, mais d'une joliesse mièvre, qui laisse
froid. En un mot, c'est toujours l'héroïne du roman célèbre, et ce n'est
plus elle; la statue est descendue de son piédestal. Ce n'est plus la
Salammbô de Flaubert, c'est la Petite Salammbô; et pour un peu, la mu-
sique de M. Reyer, dans la bouche de sa nouvelle interprète, semblerait
avoir été écrite par M. Lecocq.
On a tenu compte des difficultés de la tâche qu'avait Mmo de Nuovina
en reprenant une si lourde succession, et, comme elle avait évidemment
fait preuve d'une grande bonne volonté et même de talent, on l'a chaleu-
sement applaudie. Je lui conseillerais cependant de ne pas trop se faire
illusion sur la valeur de ce succès.
L'ensemble de l'interprétation, je me hâte de le dire, a été fort satisfai-
sant. M. Vallier n'a pas fait oublier M. Renaud dans le rôle d'IIamilcar,
mais sa belle voix, mordante et cuivrée, a parfaitement donné. Quanta
M. Lafarge, bien que le volume de sa voix soit un peu mince, il a ra-
cheté ce qui lui manque de ce côté par de l'animation et de l'accent.
En dehors de la Monnaie, rien de bien digne d'être signalé, si ce n'est
les deux séances que sont venues nous donner cette semaine M. Lamou-
reux et son orchestre. Leur succès a été considérable, particulièrement
dans l'exécution des œuvres de musique française inscrites au pro-
gramme. On a trouvé généralement que l'interprétation des œuvres de
Beethoven et surtout de Wagner, si admirable dans les détails, manquait
un peu de chaleur et de caractère dans l'ensemble. Peut-être est-ce
affaire de tempérament; mais l'impression produite ici par ces mêmes
œuvres, exécutées naguère sous la direction de M. Joseph Dupont et de
M. Hans Richter, n'a été ni dépassée ni atteinte. Néanmoins, il y a eu
accord unanime pour acclamer la remarquable discipline de ce superbe
orchestre et de son vaillant chef, et c'a été pour tout le monde un
véritable régal et un précieux enseignement. Lucien Soi.vay.
— Quelques détails curieux relatifs à la prochaine apparition, à la Mon-
naie de Bruxelles, du Siegfried de Richard Wagner. On sait que MM. Du-
pont et Lapissida devaient monter l'œuvre de Wagner, mais qu'ils ne
purent mettre leur projet à exécution à la suite du désistement de plu-
sieurs artistes. C'est ainsi que M. Engel, après avoir accepté le rôle de
Siegfried, le refusa, et que M. Soulacroix, qui avait promis de chanter le
rôle de Mime, ne put'tenir sa promesse à la suite de son réengagement à
l'Opéra-Comique. Puis vint le changement de direction. MM. Dupont et
Lapissida avaient acheté à Mme Wagner, pour une durée de trois ans, le
droit de représenter l'œuvre. La maison Schott fit copier les parties du
quatuor à Leipzig, et l'harmonie fut copiée, à Bruxelles, par le bibliothé-
caire du théâtre, M. Fiévez. M. Dupont avait collationné tout le premier
acte et corrigé toute la partition. Il répéta même le premier acte, à l'or-
chestre, une quinzaine de fois. Pour mettre cet énorme travail à profit,
M. Dupont fit exécuter cet acte aux Concerts populaires, avec le concours
de MM. Engel (Siegfried), Seguin (Wotan), Gandubert (Mime). Toutes les
parties d'orchestre delà grande partition, copiées sur la partition originale,
sont la propriété personnelle de MM. Dupont et Lapissida. Ces messieurs,
qui sont encore, pendant toute cette année, seuls propriétaires du droit de
représenter l'ouvrage à Bruxelles, ont fait savoir à Mme Wagner que pour
ne pas priver plus longtemps le public bruxellois de la représentation de
cette œuvre, ils faisaient abandon de leur droit. Siegfried avait été préparé
par les anciens directeurs de la Monnaie, non seulement au point de
vue musical, mais encore au point de vue matériel. M. Lapissida, qui
avait été à Dresde pour chercher tous les documents relatifs au premier
acte, et à Vienne ceux relatifs au deuxième acte, avait fait construire,
sur ses indications, les maquettes des deux décors et réglé leur plantation.
Ce sont ces maquettes qui ont servi à MM. Devis et Lynen pour exécuter
les décors. Seul, le premier tableau du troisième acte, qui change à vue,
n'a pas été réglé. Le deuxième décor de cet acte est celui du dernier acte
de la Valkyrie.
— Une amusante histoire racontée qar notre confrère l'Eventail, de
Bruxelles. C'était au temps où Quélus était directeur du théâtre de la
Monnaie. La première année de sa direction il engagea le fameux
Wicart comme ténor « seul et sans partage ». Wicart était un fantai-
siste et un pensionnaire grincheux et ombrageux. Il ne consentait à
chanter que si on l'avait averti de la représentation dès l'avant-veille.
Et, cette condition étant observée, il ne se gênait pas pour faire savoir à
son directeur, quelquefois même à l'ouverture des bureaux, que, souf-
frant de la gorge ou de la tète, il ne chanterait pas. Alors il fallait,
dare dare, changer le programme au grand préjudice du directeur, au
grand désappointement des spectateurs. Wicart étant, malgré tout, en
grande faveur près du public, Quélus dut le réengager l'année suivante.
Mais il eut soin d'engager en même temps un autre ténor — aux ap-
pointements de 1,000 francs par mois — qui avait pour mission de se
trouver au théâtre chaque fois que devait chanter Wicart, de se costu-
mer et de rester pendant toute la soirée au foyer des artistes, prêt à en-
trer en scène. Wicart faillit, pour de bon, en faire une maladie. Mais
le remède énergique de Quélus eut de si bons résultats, que jamais plus
Wicart ne manqua une représentation. Il consentit même à chanter
dans des ouvrages annoncés depuis le matin seulement et, à la fin de
la saison, le ténor supplémentaire quitta Bruxelles sans jamais avoir
paru devant le public.
— Une société de concerts populaires vient de se fonder à Anvers,
sur l'initiative et sous la direction du compositeur Arthur Wilford, ayee
M. Henri Lenaerts comme chef d'orchestre. Ces concerts auront lieu
tous les dimanches, à huit heures du soir, dans la salle du Cirque. La
première séance est fixée au 9 novembre.
350
LE MENESTREL
— La tournée septentrionale des concerts Lamoureux, organisé par
l'imprésario Schurmann, parait obtenir un succès éclatant. Voici les deux
dépèches expédiées de Hollande par M. Schurmann :
La Baye, 21 octobre: Trois concerts Amsterdam ont produit 44,000 francs recette.
Ovations enthousiastes ont été faites à Lamoureux. A La Haye, deux concerts
ont produit 30,500 francs. Succès indescriptible. Demain concert à Haatlem. Ai
signé contrat avec Lamoureux pour 50 concerts en Angleterre. Triomphe sans
précédent.
Rotterdam, 23 octobre : Devant succès étourdissant Hollande, donnerons samedi
concert d'adieu k La Haye. Déjà 12,000 francs location. Maintenez pour Bruxelles
premier concert dimanche 26, second concert mercredi 29. Concert Anvers sera
relardé.
Entre les deux concerts de Bruxelles, c'est-à-dire le lundi 27, a eu lieu
un concert à Liège. Voici comment l'annonçait un journal de cette ville,
l'Orchestre : « Le célèbre orchestre, composé de 120 musiens, arrive à Liège
avec l'imprésario Schurmann, qui fait 9,375 francs de frais par jour pour
piloter ces artistes. C'est une des tournées les plus coûteuses que l'on ait
tentées en Europe depuis celle qu'organisa M. Schurmann avec M1"0 Patti,
à laquelle il paya un million pour 100 concerts. Les 16 concerts que don-
nera la célèbre phalange coûteront 150,000 francs à M. Schurmann. On
comprend, d'après ces chiffres, que le prix des places soit augmenté con-
sidérablement. Voici un aperçu du prix que coûteront les places le 27.
Loges à salon, 12 francs ; 1er rang, 10 francs; fauteuils, 10 francs ; parquets,
7 francs; parterre, 6 francs. »
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Berlin : Au théâtre Frédéric-
Guillaume, le public a fait un accueil très chaleureux à la restitution de
deux opérettes. du siècle dernier: la Chantewe de village (la Cantatrice villa-
na), de Fioravanti, et la Chasse, de Hiller, représentées dans la soirée du
11 octobre. La première de ces deux pièces a vu le jour à Turin, en 1795,
et fut donnée pour la première fois à Berlin en 1810, fournissant un
total de 75 représentations jusqu'en 1S28. Quant à la Chasse, elle remonte à
1771 et eut Leipzig pour lieu de naissance; on l'a jouée aussi fréquemment
à Berlin jusqu'en 1813. Pour les représentations actuelles du théâtre Fré-
déric-Guillaume, M. Pohl, l'adaptateur, ne s'est pas contenté des remanie-
ments de rigueur, il a cru devoir composer tout un prologue dont l'effet
ne paraît pas avoir été très heureux. L'interprétation est, elle aussi, l'objet
de vives critiques ; les artistes jouent sans intelligence et sans goût, et ne
paraissent pas avoir compris que les fastidieuses traditions de l'opérette
moderne étaient tout à fait déplacées dans des ouvrages d'un genre si
spécial. Néanmoins, la tentative a pleinement réussi. — Brème : Un tour
de force peu ordinaire vient d'être accompli au théâtre municipal par la
cantatrice Bettaque, qui, remplaçant une camarade subitement indisposée,
a chanté dans la même soirée les rôles de Vénus et d'Elisabeth dans le
Tannhauser, et cela avec une réelle autorité. Le public l'a rappelée après
chaque acte. — Goettingue : Le nouveau théâtre municipal vient d'être
inauguré par un spectacle de gala comprenant la représentation du Guil-
laume Tell de Schiller. — Munich : La liste définitive des nouveautés et
reprises, pour la saison actuelle, a été- arrêtée ainsi qu'il suit : Gwendoline,
de M. Ghabrier; la Serva padrona, Bonsoir, monsieur Pantalon, le Ciel, de Peter
Cornélius, la Légende de sainte Elisabeth, de Liszt, Murillo, de Langer,
Asraél, de Franchetti, les Deux Journées, Alcesle, Die Folkunger, de Kretsch-
mer, le Roi Hiarne, de Marschner, le Chasseur de rats, Euryanthe et Idomènée.
— Une récente décision du comte de Hochherg, intendant de l'Opéra
royal de Berlin, supprimant les entrées de faveur aux artistes, inspire à
YAUgeincine ilusikzeitung cette judicieuse réflexion: « Nous nous étonnons
de tout le bruit qui se fait au sujet de la détermination de l'intendance
royale de retirer à l'avenir l'entrée gratuite de l'Opéra aux jeunes chan-
teurs et chanteuses. On devrait au contraire féliciter M. l'Intendant géné-
ral d'avoir songé à préserver la jeune génération artistique de l'influence
d'une institution lyrique qui, dans les conditions actuelles, n'a absolu-
ment rien d'édifiant. Les entrées de faveur ont été maintenues à MM. les
cadets et officiers, qui, eux du moins, ne sont pas particulièrement exposés
à un danger de cette nature. »
— Les concerts philharmoniques de Berlin, dirigés par M. Hans de
Bulow, ont effectué le 13 octobre leur réouverture avec le concours de
l'éminente pianiste Teresa Carreflo, qui a exécuté le ¥ concerto de M. Saint-
Saëns de manière à mériter les bruyantes démonstrations enthousiastes
de la part du public. Semblable accueil lui avait été fait, trois jours au-
paravant, à Francfort-sur-le-Mein.
— Les journaux de Berlin nous apportent la nouvelle du grand succès
que vient d'obtenir, dans celte capitale, le pianiste Ludovic Breitner.
— L'éditeur Artaria, de Vienne, vient d'e publier le catalogue, annoté
par le docteur Guido Adler, de sa précieuse collection d'autographes mu-
sicaux de Beethoven, la plus importante qui existe, puisqu'elle ne com-
prend pas moins de quatre-vingt-seize ouvrages manuscrits, presque tous
écrits entièrement de la main de Beethoven. Ces manuscrits sont devenus
la propriété de la famille Artaria en 1828, lors de la vente après décès de
la bibliothèque du maître. Au nombre des pièces les plus intéressantes
se trouvent le finale de la 9° symphonie, la musique pour le drame à'Eg-
mont, le Christ au mont des Oliviers, quatre fragments des Ruines d'Athènes,
puis une quantité d'œuvres inédites de toutes catégories, des carnets
d'ébauches, des devoirs d'harmonie et de contrepoint etc., etc.
— De la correspondance viennoise du Figaro : « L'Autriche aura enfin,
à défaut d'autres réformes, celle du diapason, décrétée depuis 1883, mais
toujours retardée. Los écoles, les théâtres, les musiques militaires, voire
les orgues de Barbarie, seront désormais sujets au diapason normal, qui
sera le même que celui de Paris. Défense absolue de donner désormais le
la autrement qu'avec un diapason estampillé et poinçonné par le gouver-
nement. Dans un pays où l'on parle dix langues diverses, où l'on compte
douze Diètes ou Parlements, où celui qui est empereur à Vienne est roi
à Budapest, où tout change d'une ville à l'autre, dans ce pays aux natio-
nalités multicolores, il y aura enfin une unité, celle du diapason. Espé-
rons que le la unifié prêchera d'exemple. »
— Les journaux allemands nous apprenneut que la Bibliothèque royale
de Munich vient d'acquérir, de la famille Arentin, toute une importante
collection de lettres du fameux compositeur flamand Boland de Lattre,
lettres dont la plus grande partie était adressée par l'illustre artiste à
des membres de la famille ducale de Bavière.
— Le Choeur philharmoniqne de Berlin doit exécuter, dans lès pre-
miers jours de novembre, un oratorio posthume de Mendelssohn, Christus,
laissé inachevé par le maître. Tout le monde ne sait pas que les deux
oratorios célèbres de Mendelssohn, Elias et Paulus, faisaient, dans son
esprit, partie d'une trilogie qu'il voulait compléter avec le Christus, que
sa mort prématurée l'a empêché d'achever.
— On parle d'un changement de direction pour les théâtres royaux de
Budapest. L'intendant actuel, M. de Beniczky, a été nommé obergespan
(préfet) du comitat de Budapest, ce qui l'empêchera fort probablement de
se consacrer aux muses. 11 garde pourtant les théâtres provisoirement,
et ce provisoire se prolongera peut-être indéfiniment. Un fonctionnaire
public à la fois préfet et directeur de théâtre, c'est une spécialité qu'on
n'a pas encore vue.
— M. Wsewolodsky, le très aimable et conciliant directeur des théâtres
impériaux de Saint-Pétersbourg, a demandé aux chanteurs russes de
chanter en français, pour qu'il n'y ait point de dissonance, lors des repré-
sentations avec le concours des frères de Reszké. Ce à quoi les chanteurs
russes ont unanimement consenti. Les frères de Reszké chanteront Faust,
Lohengrin, Roméo et Juliette, Mefistofele et les Huguenots.
— M. Edouard Sonzogno est infatigable. Nous avons annoncé qu'il
venail d'ouvrir aux jeunes artistes italiens un nouveau concours pour
la composition d'un opéra en deux actes au moins et en trois actes au
plus. A peine celui-ci était-il organisé, que nous trouvons, dans le Tea-
tro illustrait), l'annonce d'un autre concours que ce journal fait ainsi con-
naître : — « Le résultat qui a couronné les précédents concours d'en-
couragement ouverts aux jeunes musiciens italiens, — résultat qui, pour la
dernière épreuve, a sfjrpassé toute attente et a rendu la vie et l'espé-
rance à l'art national, — engage l'éditeur Edouard Sonzogno à ouvrir un
nouveau concours pour un opéra en un acte, avec deux prix, l'un de
4,000, l'autre de 2,000 francs. Une commission spéciale, qui sera nommée
en son temps, sera chargée de juger les œuvres présentées au concours,
et en choisira deux qui seront admises à l'épreuve de la scène. Le juge-
ment définitif sera prononcé par la commission seulement après la re-
présentation, qui aura lieu dans le courant de l'année 1893. »
— On signale à Milan la présence d'une jeune et jolie cantatrice russe,
douée d'une fort belle voix de soprano léger, M110 Ewstafiew, qui se des-
tine à la carrière italienne et qui, dit-on, est appelée à produire uue
véritable sensation.
— Au théâtre Philodramatique de Milan, première représentation de
Nerina, opéra-bouffe d'un jeune compositeur, le maestro Chiappani, un
Trentin qui a fait ses études au Conservatoire de Milan, et dont l'œuvre
n'a obtenu qu'un succès absolument négatif. « Le livret mauvais quant
au sujet, quanta la conduite, quant à la versification, ne pouvait certaine-
ment servir le maestro Chiappani, mais celui-ci, de son côté, aurait dû
songer que le scolastique à tout prix, toujours, à tout instant, ne peut
jamais être favorable à la musique destinée au théâtre. » Ainsi parle la
Gazzelta musicale. Le Trovatore dit, d'autre part : « Il ne faut pas s'illusion-
ner : Nerina n'est pas une œuvre viable. L'auteur a voulu faire de la
musique bouffe avec des tendances à la musique... sacrée. » Les inter-
prètes étaient Mmcs Stecchi et Ravasio-Prandi, MM. Pagano, Talamanca,
Pescales et Correggioli.
— Au printemps de 1891 on donnera à Rome, au théâtre Argentina, la
première représentation d'un opéra nouveau, Orlando furioso, dû au maestro
Sangiorgi, honorablement connu déjà par quelques ouvrages. Le prota-
goniste de cet Orlando sera le fameux baryton Cotogni.
— Le municipe de Crémone a reçu une lettre du sculpteur Bordini,
chargé du monument à élever à la mémoire du compositeur Amilcare
Ponchielli, l'auteur d'< Promessi Sposi et de la Gioconda. Le sculpteur avertit
la municipalité que la statue sera terminée sous peu de jours, et que le
piédestal sera prêt prochainement. On pourra commencer la mise en
œuvre dès les premiers jours de décembre, et la statue pourra être en
place vers la fin du même mois. En conséquence, l'artiste insiste auprès
du conseil communal pour qu'il fasse choix de l'endroit où le monument
devra s'élever.
LE MÉiNESTREL
351
— A propos de la prochaine apparition au théâtre San Carlos, de Lis-
bonne, du nouvel opéra Frei Luiz de Souza, du compositeur portugais
Francisco de Freitas Gazul, les journaux de Lisbonne rappellent que cet
artiste s'est distingué à diverses reprises, soit dans le genre de l'opérette
légère, soit dans le genre delà musique sacrée, et qu'il a obtenu, en 1888,
à l'Exposition industrielle portugaise, le grand diplôme d'honneur pour
ses compositions religieuses.
— L'éminent violoniste Sarasate et sa brillante partenaire, M",c Berthe
Marx, l'excellente pianiste, sont en ce moment à Londres, où ils retrou-
vent, dans une série de concerts donnés à Saint-Jame's Hall, le succès
auquel ils sont accoutumés.
— M. Fuller Mailland, le nouveau critique musical du Times, auteur
d'une intéressante biographie de Schumann, reçoit de ce journal, dit-on,
un traitement annuel de 430 livres sterling, soit 11,250 francs, ce qui n'a
rien d'excessif sans doute, étant donné les exigences de la vie anglaise.
Mais ce qui est assez curieux, c'est qu'un supplément de 7 schellings
6 pence, c'est-à-dire environ 9 fr. oO c, lui est attribué pour chaque con-
cert auquel il assiste en qualité de critique.
— La question des études pianistiques faciles à suivre même en voyage
vient d'être résolue avec beaucoup de bonheur par la compagnie améri-
caine des chemins de fer East Tennessee, Virginia and Georgia, qui a décidé
de pourvoir tous ses trains de pianos. Excellente idée assurément. Mais
pour la réaliser d'une façon satisfaisante, la création de wagons spéciaux
s'impose : les wagons pour « pianistes seuls. »
— A la recherche d'une blanchisseuse mélomane. L'avis suivant est
tiré d'un journal américain — naturellement : « On demande une per-
sonne pour laver le linge d'une petite famille, une fois par semaine. En
retour, on lui donnerait des leçons de violon ou de piano. » Voilà une
petite famille très économe, et ferrée sur le libre-échange.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Samedi à deux heures a eu lieu, au palais de l'Institut, la séance
publique annuelle des cinq académies. Cette séance solennelle était pré-
sidée par M. Ambroise Thomas, président actuel de l'Académie des beaux-
arts, assisté de MM. Camille Doucet, Scheffer, Hermite et F. Passy, délé-
gués des académies française, des inscriptions et belles lettres, des sciences,
et des sciences morales et politiques. Le président, en ouvrant la séance, a
prononcé une allocution dans laquelle il a rendu un digne hommage à la
mémoire des membres appartenant aux différentes Académies, morts pen-
dant le cours de l'année. Ces membres sont les suivants : MM. Emile Augier,
Pavet de Courieille, Cobet, Philipps, Hébert, Grad, Péligot, Cosson, Diet,
André Robert-Fleury, Charles Lucas, Havet, comte Daru, Charton, Vergé et
Calmon. « En me faisant ici, dit-il, l'interprète de vos regrets unanimes,
j'accomplis un double devoir: celui que nous imposent à tous des souve-
nirs de confraternité et d'affection, et le devoir prescrit par nos statuts
mêmes, de nous regarder, — quels qu'aient pu être les travaux particu-
liers et les titres de chacun, comme les membres d'un seul corps ou plutôt
d'une seule famille. » Après l'audition du rapport sur le concours du prix
Volney, quatre lectures ont été faites : par M. Rousse, de l'Académie
française, sur Mirabeau; M. Ch. Lévèque, de l'Académie des sciences
morales et politiques, sur s Ce que la nature fournit à la musique »;
M. Fouqué, de l'Académie des sciences, sur « Le plateau central de la
France »; et M. Ravaisson-Mollien, de l'Académie des inscriptions, sur
« La restauration de la Vénus de Milo ». On a beaucoup applaudi
M. Rousse, et aussi M. Lévèque, qui a développé d'une façon charmante
et avec beaucoup d'agrément le sujet fort ingénieux qu'il avait choisi. On
voudrait voir réunir en un recueil, qui serait certainement fort intéressant,
la série des curieuses études sur la musique et la sensation musicale,
que M. Ch. Lévèque, qui est directeur du Journal des savants, a lues ainsi
dans les séances académiques ou publiées à diverses reprises.
— C'est au moment où nous mettons sous presse — le tirage du Ménestrel
se trouvant avancé de vingt-quatre heures par suite des fêtes de La Tous-
saint, — que doit avoir lieu l'ouverture du Théâtre-Lyrique (ancien Eden)
sous la direction de M. Verdhurt. Force nous est donc de remettre à hui-
taine le compte rendu de Sam*on et Dalila, l'œuvre de Saint-Saèns qui
compose le spectacle d'ouverture, aussi bien que celui de la Jolie Fille
de Perlh, de Bizet, qui doit en faire les lendemains.
— A propos de la Jolie Fille de l'erlh, le Capitaine Fracasse de l'Écho de
Paris nous donne les détails préliminaires qui suivent: « Après le succès
de Martlia, au Théâtre-Lyrique, M. Carvalho ayant promis à Georges Bizet
de lui donner M"0 Christine Xilsson pour interpréter la première partition
qu'il composerait, demanda pour lui un livret' à MM. de Saint-Georges
et Jules Adenis, qui lui apportèrent la Jolie Fille de Perlli. Bizet, aussitôt
qu'il eut pris connaissance de l'opéra qui lui était destiné, s'en montra
enchanté, et, dans son enthousiasme, il écrivit à de Saint-Georges une
lettre de remerciement dans laquelle nous relevons le passage suivant :
« La Jolie Fille de Perlh sera, de ma part, une éclatante révélation, et
s l'avenir vous démontrera, cher maître, que l'homme, que l'artiste que
y vous accueillez, mérite votre confiance et votre amitié. » Le 29 décembre
186G, la partition, entièrement orchestrée, fut remise à M. Carvalho. Elle
avait été composée en six mois! Il semblait que, dès lors, son auteur
n'eût plus eu qu'à recueillir les fruits de son labeur, mais, de même que
Lesueur écrivait à la lin de chacune de ses partitions : « Ici commencent
les dégoûts », de même, les amertumes. allaient commencer pour le jeune
et grand artiste. Après des atermoiements successifs, le jour même de la
lecture de la partition aux artistes chargés de l'interpréter M"0 Christine
Nilsson dut quitter, par ordre, le Théâtre-Lyrique pour aller créer à l'Opéra
le rôle d'Ophélie dans YHamlet de M. Ambroise Thomas. Bizet fut déses-
péré. « Je viens de passer quinze jours atroces, — écrivait-il — mais enDn
tout est arrangé, et le rôle de Catherine a été confié à Mllc Jane Devriès,
qui vient de débuter avec succès dans la Somnambule. « EnDn, le 28 dé-
cembre 1867, eut lieu la première représentation. La presse fut excellente
et le public de la première presque enthousiaste, mais, aux représenta-
tions suivantes, le vrai public resta froid, indifférent devant cette parti-
tion si chaude, si vivante, si pittoresque. Le jeune maître ne s'était pas
trompé vis-à-vis du public d'élite de la première représentation lorsqu'il
écrivait à M. Galabert, son élève préféré et son ami : « La partition de
la Jolie Fille est une bonne chose. Je vous le dis parce que vous me con-
naissez. Je suis très content de moi. C'est bon, j'en suis sûr, car c'est en
avant! s Pour le public de 1867 c'était, en effet, trop en avant. Espérons que,
vingt-trois ans écoulés, celui de 1890 trouvera que c'est au point. »
— Jennius, de la Liberté, fait connaître ainsi les modifications apportées
à la salle de l'Eden pour la transformer à l'usage du Théâtre-Lyrique :
— « Nous avons été jeter un coup d'œil dans la nouvelle salle du
Théâtre-Lyrique de l'Eden, qui a subi de grandes transformations. Au
rez-de-chaussée, après les fauteuils d'orchestre, se trouve un parterre,
ainsi que dans tous les théâtres. Puis, derrière ce parterre, une sorte
d'amphithéâtre à plusieurs rangs de fauteuils. Pour établir cet amphi-
théâtre, on a dû sacrifier les quatre grandes baignoires de face. Le pre-
mier étage est plus modifié encore. Les immenses glaces qui séparaient
la salle du promenoir ont été remplacées par des cloisons tapissées de
papier rouge. La salle se trouve donc aujourd'hui complètement close.
Derrière les fauteuils de balcon, une rangée de premières loges. Pour
les établir, il a fallu sacrifier la moitié du promenoir qui cependant est
encore beaucoup plus large que celui des autres théâtres de Paris. A la
suite des avant-scènes qui restent, quatre loges avant-scènes qui sont sans
contredit les meilleures du théâtre. Au milieu des loges du premier
étage a été construit un amphithéâtre semblable à celui du rez-de-
chaussée. Les places du Théâtre-Lyrique, ainsi transformé, se com-
posent donc comme suit : cinq cents fauteuils d'orchestre, cinquante
fauteuils de balcons et sept cents places de loges, parterre et amphi-
théâtre. Ce qui fait en tout dix-sept cents places. »
— Le peintre Henri Gervex prépare, dans son grand atelier de Neuilly,
son plafond de la salle des Fêtes de l'Hôtel de Ville. Cette œuvre, qui
sera certainement une des plus importantes de l'artiste, représente l'His-
toire de la Musique dans toutes ses phases: depuis les Égyptiens jusqu'au
xvme siècle, et l'allégorie qui est portée dans le nuage vient se relier
avec la musique moderne, figurée par Ophélie, dans la scène de la folie
d'Hainlet. Le coin de l'avant-scène de la salle de l'Académie nationale de
musique, qui avait paru d'abord très osé aux membres de la Commission
artistique de l'Hôtel de Viile, est très original par le contraste des cos-
tumes du xvc et du xvm° siècle se mariant avec nos costumes modernes.
— C'est sous ce simple titre: Traité pratique d'instrumentation (Pans,
Durand-Schœnewerk, in-8°), que M. Ernest Guiraud, l'un des trois pro-
fesseurs de composition du Conservatoire, vient de publier l'un des ou-
vrages théoriques les plus clairs, les plus lucides et les plus logiques
que l'on puisse imaginer. M. Guiraud, qui est un esprit méthodique et
réfléchi en même temps qu'un praticien consommé, a exposé en effet
d'une façon lumineuse les principes de cette science à la fois si attrayante
et si difficile de l'instrumentation, dans l'exercice de laquelle tout com-
positeur vraiment doué peut déployer une personnalité si vivace et une
si grande originalité, aujourd'hui surtout que cette science a acquis,
même au théâtre, tant d'ampleur et une importance si considérable. Il
n'est pas besoin de dire que M. Guiraud commence par faire connaître là
nature des divers instruments qui composent l'orchestre actuel, leur
timbre, leur étendue, leur sonorité, leurs facultés particulières, en don-
nant toutes les notions nécessaires en ce qui concerne les instruments
transpositeurs, et en indiquant les lacunes et les défauts de quelques-uns
d'entre eux. Cette première partie du livre n'est et ne saurait être autre
chose que l'énumération et la description, exacte et raisonnée, des élé-
ments nombreux et divers qui sont à la disposition du compositeur et que
celui-ci doit mettre en œuvre lorsqu'il veut jouer de cet instrument admi-
rable et multiple, de cet instrument aux cent voix qui s'appelle l'orchestre.
C'est avec la seconde partie que l'intérêt commence réellement, intérêt
puissant pour celui qui connaît le sujet et qui l'a quelque peu pratiqué.
M. Guiraud divise tout naturellement l'orchestre en quatre groupes: 1° le
quatuor des instruments à archet ; 2° le groupe des instruments à vent en
bois; 3° le groupe des instruments à vent en cuivre ; 4° les instruments à
percussion. Il fait connaître d'abord les effets que l'on peut produire avec
chacun de ces groupes pris isolément : cordes, bois, cuivre (la percussion
ne saurait être employée seule); puis ceux qu'on obtient avec la réunion
des deux seuls premiers groupes: cordes et bois; puis, ceux que peut
donner l'ensemble des trois groupes : cordes, bois et cuivres : et enfin le
parti qu'on peut tirer de la masse orchestrale tout entière. Les démons-
352
LE MENESTREL
trations sont claires, et elles sont rendues saisissantes par toute une série
d'exemples, ou pour mieux dire de citations, merveilleusement choisies
dans les œuvies des plus grands* maîtres anciens et modernes, depuis
Lully, Rameau, Gluck et Haydn, en passant par Beethoven, Cherubini,
Méhul, Herold, Auber, etc., pour aboutir à l'école moderne, c'est-à-dire à
Richard Wagner, Bizet et MM. Ambroise Thomas, Gounod, Léo Delibes,
Verdi, Saint-Saëns, Massenet, Reyer, Brahms... Il va sans dire que l'au-
teur fait connaître tous les détails particuliers de l'instrumentation, tous
les procédés que le compositeur peut employer pour obtenir tel ou tel ca-
ractère: la grandeur, la délicatesse, la légèreté, la mélancolie, etc., tous
les moyens qu'il peut mettre en œuvre pour produire les effets les plus
divers. Puis, ce sont des préceptes excellents, celui-ci entre autres : « Dans
les effets de masse, chacun des groupes doit avoir une harmonie correcte,
suffisante, sinon complète, les lacunes harmoniques d'un groupe pouvant
rarement être comblées par un autre groupe. » C'est là un principe dont
il est dangereux, en effet, de se départir. L'exemple de partition que donne
M. Guiraud pour la disposition graphique de l'orchestre reproduit le sys-
tème adopté en effet, aujourd'hui, par presque tous les compositeurs : en
haut, la famille des bois; au-dessous, celle des cuivres, les cors en tête;
plus bas, la percussion, puis les harpes; et enfin le groupe des instru-
ments à cordes, séparé en deux par les parties de chant, celles-ci se trou-
vant au-dessus des violoncelles et des contrebasses, qui terminent la page.
(Je ferai remarquer toutefois que Verdi dispose sa partition comme on le
faisait très souvent en France au commencement de ce siècle, les violons
et les altos tout en haut de la page.) Parmi les exemples cités par M. Gui-
raud s'en trouve un très curieux, qu'il a emprunté au Traité d'instrumen-
tation publié récemment à Londres par M. Ebenezer Prout, l'un des meil-
leurs théoriciens anglais : c'est une série de douze dispositions différentes
du seul accord d'ut dans son état fondamental, tirées de partitions de
douze maîtres célèbres : Haydn, Mozart, Beethoven, Cherubini, Schubert,
"Weber, Mendelssohn, Rossini, Auber, Meyerbeer, Wagner et Brahms.
On peut voir là, d'une façon saisissante, les différences de sonorités que
peut produire un seul accord par la façon dont les notes en sont distri-
buées dans les diverses parties. — Je ne saurais dire tout le bien que je
pense et que l'on doit penser de l'excellent et très intéressant Traité d'ins-
trumentation de M. Guiraud ; mais je le recommande autant qu'on peut le
faire à tous ceux qui prennent intérêt à ces questions, à tous 2eux surtout
qui ont besoin de se familiariser avec elles et qui trouveront dans ce livre
un guide sûr, un conseiller dont ils ne sauraient trop fidèlement suivre
les préceptes. Et je félicite l'auteur d'avoir publié ce livre dans un format
commode, maniable, qu'on peut feuilleter aussi facilement qu'un roman,
et dont l'aspect plein d'élégance attire à la fois l'œil et l'esprit.
Arthur Pougin.
— Les wagnériens jusqu'ici n'avaient pas encore osé toucher à Mozart ;
voilà que ça vient. L'un d'eux, et des plus distingués d'ailleurs, commence
la destruction de l'idole et n'hésite pas à dire son fait à l'auteur de Don
Juan. Ayant à parler de MM. Reyer et Massenet, que certains classent à
tort parmi les imitateurs de Wagner, il fait remarquer que « c'est admi-
rateurs qu'il faut dire, car ils procèdent tout autrement; » et il ajoute :
« Quant à leurs œuvres, chacun son goût ; non seulement j'aime mieux
entendre Sigurd ou Manon que Robert le Diable et la Flûte enchantée, mais
encore j'ose très simplement le dire. » Ce « très simplement » est tout
simplement héroïque, et Reyer et Massenet n'auront pas lieu de s'en
plaindre. Mais nous pouvons maintenant nous attendre à entendre dire un
jour : Mozart est un polisson! comme on disait il y a soixante ans : Racine
est un polisson I seulement... il y a encore des gens qui lisent Racine, et
des théâtres qui le jouent...
— Concerts du Chàtelet. — La symphonie de Raff, Dans la Forêt, peut
être rangée dans la catégorie des œuvres vraiment remarquables parmi
selles dont les éléments constitutifs ne présentent rien d'entièrement ori-
ginal. La meilleure page, l'adagio, débute par un joli badinage confié
à la clarinette et devient sérieux et grave en exposant un thème dont le
début semble emprunté au chœur des Sylphes de la Damnation de Faust et
dont la fin rappelle une phrase du prélude de Loliengrin. L'ensemble de
la symphonie est si ingénieusement composé de matériaux assemblés
çà et là qu'il faut du temps pour s'apercevoir des analogies que nous
signalons et de quelques autres. L'Aria de la suite en ré de Bach est une
inspiration d'un charme exquis; c'est plus sérieux que de l'Haydn sans
être moins gracieux, et empreint d'une élégance archaïque dont il existe
quelques types malheureusement trop rares. Quant à l'andante de la
5e symphonie de Mozart, c'est la perfection du genre. Rien de plus fin,
de plus subtil, déplus délicieusement espiègle pour ainsi dire, rien de plus
clair sans insipidité. — Les fragments symphoniques de Jocclyn de M. B.
Godard ont été très applaudis: l'entr'acte, si pittoresque, la gavotte, frêle
et délicate au point que sa trame semble à chaque instant vouloir se
rompre, et la scène du bal ont été particulièrement goûtés. Grand succès
pour les cinq morceaux de i' Arlésienne , dont la vogue se prolonge sans
rien leur enlever de leur jeunesse et de leur ascendant, parce que cette
musique renferme quelque chose de profond sous son apparente simpli-
cité. Le prélude de Lohengrin et la Marche hongroise de Berlioz complé-
taient le programme de cette belle séance. Amédée Boutarel.
— Programme du concert du Chàtelet aujourd'hui dimanche : Sympho-
nie en ut mineur n° S (Beethoven); ballet à'Ascanio (Saint-Saëns); la
Chevauchée des Walkyries (R. Wagner); Irlande (Augusta Holmes); la Sici-
lienne de Réatrice et Bénédicl (H. Berlioz); entr'acte de la Basoche (Messager) ;
'e Songe d'une nuit d'été (Mendelssohn).
— Dimanche dernier, petite réunion tout intime chez Mm0 Ambroise Tho-
mas. Grand succès pour Mmc Sigrid Arnoldson, la célèbre diva suédoise,
mieux en voix et plus belle que jamais, qui a interprété magistralement plu-
sieurs compositions de M. Ambroise Thomas, que l'illustre maître a. voulu
accompagner lui-même. Très grand succès aussi pour Mme Montigny-
de Serres, l'éminente pianiste.
— Au grand concert donné dimanche dernier au théâtre du Chàteau-
d'Eau au bénéfice des inondés du Midi et organisé par le Choral de Belle-
ville, M. Caron (de l'Opéra) a remporté un vif succès avec le nouvel
Hymne aux Astres, de Faure, qu'il a dû bisser au milieu des acclamations
de toute la salle. Très remarqué au même concert le grand air de Psyché,
d'Ambroise Thomas, chanté par Mlle Martinez. Le concert s'est terminé
par la Marche fédérale de MM. Georges Boyer et Jules Massenet, exécutée
par cinq cents choristes. Gros effet.
— M. Camille Saint-Saëns, à la veille de faire représenier Samson et Dalila
au Théâtre-Lyrique, publie un volume de vers intitulé: Rimes familières.
Nous venons de le lire et, dans les « Strophes » comme dans les « Poé-
sies diverses », il est des passages qui ne seraient pas indignes d'un vrai
poète. M. Saint-Saëns parait s'abandonner à un certain pessimisme à
l'égard des hommes, et se réfugie dans l'amour de la nature et de l'art
idéal. Le volume se termine par une saynète dédiée à Coquelin cadet et
qui, sous le nom de Botriocéphale , est une sorte de bouffonnerie an-
tique.
— Cours et Leçons. — M"" Augustine Yon, 79, boulevard de Courcelles, recom-
mence le 1" novembre ses cours : de chant, de piano, de déclamation et
d'accompagnement. — M. Duprez, professeur de mandoline, 11, rue Baudin, a
repris, depuis le 1" octobre, ses leçons et ses soirées. — M. Ciampi et M"* Ritter-
Giampi, de retour à Paris, ont repris leurs cours et leçons de chant; sous le titre
de Société Chorale, qui indique son but, M. Ciampi fonde une Société musicale
dont il prend la direction.
NÉCROLOGIE
Le théâtre municipal de Strasbourg vient de perdre son premier chef
d'orchestre, M. Hugo Seidel, mort le samedi 1S octobre, après une courte
maladie. Se sentant très fatigué, il avait dû se mettre au lit le mardi pré-
cédent : le lendemain il se plaignait de très violents maux de tête à
M. Walther, premier ténor du théâtre, avec lequel il était lié depuis de
longues années. Quand M. Walther revint le voir le jeudi matin, il
trouva le pauvre Seidel, la tête en sang, étendu sans connaissance au
pied de son lit. B était probablement tombé sur le sol dans un accès de
fièvre. Le malade, transporté à l'établissement des diaconesses, n'y a pas
repris connaissance malgré tous les soins qui lui ont été prodigués, et
samedi soir il expirait. M. Seidel, engagé à Strasbourg depuis le com-
mencement de la saison théâtrale, était précédemment chef d'orchestre à
Graz. C'était un artiste de grand talent, excellent surtout dans la direc-
tion des grands opéras de Wagner. Ses obsèques ont eu lieu à l'église
Saint-Thomas, où le cortège a fait son entrée aux sons de la marche
funèbre de Siegfried (de la Gœllerdœmme rung) ; après la cérémonie funèbre,
on s'est rendu au cimetière Sainte-Hélène, en passant devant le théâtre,
où le chœur du théâtre, placé sur les marches du péristyle, a exécuté un
chant funèbre. Au cimetière, d'autres chœurs ont été chantés avant et
après la bénédiction do la tombe.
— On signale la mort à Brixam, dans le Devonshire, de l'organiste de
la cathédrale, Mme Partridge, qui, paraît-il. occupait cet emploi depuis un
demi-siècle. Les journaux anglais affirment qu'elle était la doyenne des
organistes du Royaume-Uni.
Henri Heugel, directeur-gérant.
— "L'Annuaire des Artistes, édition de 1891, est en préparation. Nous
engageons les artistes, les professeurs, les sociétés musicales, à envoyer
à la direction, 7, passage Saulnier, à Paris, tout ce qui les concerne au
sujet de leur adresse, de leurs œuvres nouvelles et des récompenses qu'ils
ont reçues. La souscription à l'Annuaire (S francs), donne droit à cinq
lignes d'insertion gratuite.
En vente au MENESTREL, 2 bis, rue Vivienne
MÉTHODE DE DANSE
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TEXTE - DESSINS - MUSIQUE
Nouvelle édition augmentée des nouvelles danses à la mode
— niPIUHEItlE t
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3109 — 56me ANNEE — N° 45. PARAIT TOUS LES DIMANCHES Dimanche 9 Novembre 1890.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco a M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
j. — Notes d'un librettiste : Louis Lacombe l26c article), Louis Uallet. — II. Semaine
théâtrale : premières représentations de Samson et Dalila et de ta Jolie Fille de
Perth, au Théâtre-Lyrique, Arthur Pougin ; premières représentations de Bornéo et
Juliette, à l'Odéon, et de la Pie au nid, aux Nouveautés, Paul-Émile Chevalier.
— III. Le monument de Georges Bizet, le tombeau de Félicien David et la
statue de Méhul, H. M. — IV. Nouvelles diverses et concerts.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour:
LÉGENDE SLAVE
de L.-A. Bourgault-Ducoudray. — Suivra immédiatement : Mazurke Eolienne,
caprice, nouveau de Théodore Lack.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant : La Mort du Roi Renaud, version de la Normandie, n° 11 des Mélo-
dies populaires de France, recueillies et harmonisées par Julien Tiersot.
— Suivra immédiatement : La Mort du Mari, version normande, n° 19 de
la même collection.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
LOUIS LACOMBE
Parmi ces pensées, il y en a de courantes, que d'autres ont
eues et exprimées d'autre sorte; il y en a de tout à fait
personnelles.
Elles n'étaient certainement pas destinées à être publiées.
Louis Lacombe les écrivait pour lui, pour les siens, un peu
partout, sous toutes les impressions et pour ainsi dire à la
marge de toutes ses œuvres. Il les recopiait sans ordre; elles
s'échelonnent ainsi entre des dates, des souvenirs se rappor-
tant à des événements de famille, des plans et des tables ;
souvent elles s'échappent en feuilles volantes, en bouts de
papier, hors du cahier. Le musicien n'a pas eu le temps de
les transcrire.
Ainsi philosophant, il occupait chaque heure de sa vie,
goûtant incessamment, au milieu de ses épreuves, cette
admirable consolation du travail.
Je les ai prises, en une poignée , comme on prend une
gerbe dans un champ, fleurs et folles herbes, et je les jette
ici, au soleil, pêle-mêle, sans les juger, ni les commenter.
On porte un monde dans son cerveau; on rêve de grandes œuvres; on
travaille, on lutte, on meurt, et on laisse quelques fragments.
o Mirabeau a été tué par la médiocrité,
tué comme Mirabeau.
disait Micbelet. J'aurai été
Y a-t-il des âmes noires?
organismes mal équilibrés. (
Non ! il y a des natures imparfaites, des
! janvier 1863.)
L'esprit a ses clartés, la pensée a des yeux
On a sondé les mers, on sondera les cieux!
Mais nul homme ne sait ce qu'un autre homme souffre
Et Dieu seul peut sonder le cœur humain, ce gouffre!
(22 mars 1865.)
Il y a des gens qui se font des ennemis à la journée. Pourquoi? —
Pour rien, pour le plaisir.
Parmi tant de passions toujours prêtes à déchirer ou à ravir le cœur
des hommes, il en est une qui ne les tourmente guère : C'est la passion
du bien.
Les Anglais sont courageux, les Hollandais sont courageux; les Russes,
les Espagnols, les Italiens, les Allemands sont courageux; les Français
ont la poésie du courage (25 décembre 1883).
Le plaisir use l'homme, le travail le conserve.
Que de gens prennent la force pour l'énergie, l'élégance pour la grâce,
la rêvasserie pour la poésie, la mièvrerie pour la suavité, le faire pour le
talent. Beaucoup, même parmi les artistes, ne comprennent que les beautés
de second ordre; celles du premier leur échappent, et ils ne les aperçoivent
que quand tout ce qui était autour d'elles est tombé au contact loyal du
temps.
Michelet. — Un esprit de cœur.
Godnod (Charles). — Un dieu que la volupté a fait homme.
Beethoven. — Un homme que l'amour a fait dieu.
Mis en présence du génie, les hommes raillent; en présence du talent,
ils haussent les épaules et doutent; en présence de la réputation, ils se
prosternent.
L'égoïsme empêche de voir la patrie; le patriotisme empêche de voir
l'humanité.
Les musiciens qui ont des réminiscences ressemblent aux menteurs
qui, à force de répéter le même mensonge, finissent par croire qu'ils
disent la vérité.
Le chagrin, c'est encore la vie; l'ennui, c'est le néant.
L'hypocrisie est la force des lâches.
Il n'y a pas de hasard, il n'y a que des coïncidences.
Mais l'ordre n'est ni un hasard, ni une coïncidence : il est le résultat
d'une conception, d'un plan, d'une vue qui a embrassé toutes choses.
D'ailleurs, rien ne saurait entrer dans le domaine de la réalité, sans
avoir préalablement existé dans l'idée; le réel prend sa source dans l'idéal.
354
LE MENESTREL
Pas de poésie sans poète; pas de musique sans musicien; pas de créa-
ture sans créateur.
La matière fut un germe dans l'esprit ou, si l'on veut, l'esprit fut le
germe d'où naquit la matière. Comment? on l'ignore; on l'ignorera tou-
jours.
Nous ne sommes plus des catholiques et nous ne sommes pas encore
des chrétiens.
Et comme j'interrogeais Mme Lacombe sur cette variété
d'impressions, sur ces contrastes de caractère s'accusant à
tout instant dans les écrits du compositeur:
— C'était, me dit-elle, un austère, d'une grande sévérité
pour lui, d'une grande indulgence pour les autres. Mais cette
austérité ne l'empêchait pas de se montrer parfois d'une
gaieté d'enfant et de rire aux larmes, le cas échéant.
« Vous voyez dans tous ces manuscrits la trace de son
érudition. Elle était réellement profonde, et il l'augmentait
sans cesse. Travailleur infatigable, il se levait à cinq heures,
même l'hiver. Il possédait merveilleusement les auteurs
grecs et latins. Aucun grand maître ne lui était inconnu, et
il disait qu'il « ne savait rien ». Sa modestie, — modestie
réelle — était extraordinaire, bien qu'il eut conscience de
son génie. Il annotait toujours ce qu'il lisait et il lisait
beaucoup. Sa mémoire était prodigieuse. On rappelait une
œuvre quelconque ; il en récitait à l'instant des pages en-
tières. Il savait Molière, La Fontaine et Shakespeare par
cœur. Je ne saurais vous dire ce qu'il avait de partitions
dans la mémoire. Il entendait un opéra, rentrait chez lui et,
se mettant au piano, était capable de le reconstituer d'un
bout à l'autre. Il réduisait une partition d'orchestre à l'ins-
tant et avec la plus grande facilité. Il étaient trois en Europe
de cette force : Liszt, Saint-Saëns et lui.
» Il ne contredisait jamais et n'avançait rien dont il ne
fût absolument certain. Mais alors rien, ni personne, ne
pouvait l'entamer lorsqu'il avait arrêté ses idées. Il n'eût
pas commis un mensonge, même pour sauver sa vie.
» C'était un marcheur infatigable, parce qu'il composait
généralement en marchant. Le chant et l'orchestre venaient
d'un seul jet ; il ne cherchait pas; ses idées l'inspiraient.
Le piano ne lui servait pas pour les trouver. Il exécutait les
choses venues et les fixait sans ratures. Voyez ses manus-
crits, ils sont d'une netteté absolue, comme gravés!
» Si un ami l'avait prié de vérifier des affaires embrouillées,
il y eût apporté une clarté merveilleuse pour lui rendre ser-
vice ; pour ce qui était de lui, il en eût été incapable; il
oubliait la vie matérielle ou -ne s'en souciait pas. Il était
d'ailleurs d'une sobriété absolue; il ne fumait pas, ne pre-
nait ni vin pur, ni alcool, ni quoi que ce soit à l'exception
de sa tasse de café, qu'il aimait beaucoup après le déjeuner.
Il me donnait tout ce qu'il gagnait et ne me réclamait en
échange que quelques pièces de cinquante centimes pour ses
omnibus, — cette monnaie lui plaisait — et des sous pour
ses pauvres.
» Sa bonté n'avait pas de bornes; mais si l'on provoquait
chez lui l'indignation, si on le poussait à bout, il .devenait
terrible de pâleur calme, de majesté et de courage. Alors,
ses petites mains si fines eussent broyé celles d'un hercule.
Je l'ai vu deux fois dans cet élat redoutable; il a failli en
mourir. Ceux qui provoquèrent cette colère vivent encore.
Je ne vous les nommerai pas : il les avait rayés de son sou-
venir. Mais j'en ai vu un qu'il tenait soulevé, les deux mains
enfoncées dans ses bras, suspendu au-dessus d'une cage
d'escalier, prêt' à l'y jeter »
A ce portrait, que je fixe pour ainsi dire mot pour mot,
dans son mouvement tout primesaulier, bien des anecdotes
peuvent s'ajouter, prises encore daas l'intimité de cet inté-
rieur où le musicien et la fidèle et dévouée compagne de sa
vie laborieuse, la confidente de ses travaux, de ses espé-
rances et de ses déboires, partageaient, en donnant des leçons,
en faisant des cours, les charges de l'existence matérielle.
Voyant les années dont les fatigues et les joucis aggravent
le poids s'appesantir de plus en plus sur lui, souvent elle
le suppliait de la laisser pourvoir seule aux besoins du mé-
nage, afin qu'il pût se consacrer entièrement à ses œuvres.
Il ne le lui accordait pas. Cependant, un jour qu'il se sen-
tait plus triste, plus fatigué que de coutume, et qu'elle insis-
tait davantage pour qu'il y consentit :
— Eh bien, dit-il, voyons, tu as tes livres de dépense.
Additionne ma part de nourriture, — ce que coûtent mes
vêtements, combien tu me donnes d'argent de poche pour
mes voitures et mes pauvres, et dis-moi à combien cel amonte
par mois.
Le compte fut fait selon son désir. Alors, il prit les mains
de sa femme et ajouta:
— Mon enfant, je t'obéirai. Je donnerai des leçons jusqu'à
concurrence de cette somme seulement. Le reste du temps,
je l'emploierai pour moi.
Et il tint parole, tout heureux de la concession faite à sa
prétention touchante, tout fier de se dire que ses joies d'ar-
tiste ne coûtaient rien au budget commun.
Tous les trois mois se reproduisait entre ces deux êtres,
liés d'une si étroite affection, une scène charmante, en sa
vulgarité bourgeoise.
La veille du terme, Lacombe se montrait agité, inquiet. Il
ne pouvait rester en place. Enfin, n'y tenant plus, il venait
auprès d'elle.
— Dis-moi, petite Andrée, as-tu ce qu'il te faut pour ton
loyer?
— Oui, tout.
— Bien vrai ?
— Bien vrai, je le l'assure.
— Oh! que je suis content!
Et il s'en allait. Puis, au moment de rentrer dans son
cabinet:
— C'est égal! montre, veux-tu?
Aussitôt on allait au meuble qui servait de caisse et on
comptait la somme mise de côté chaque mois à cet effet.
« Alors, raconte Mme Lacombe, qui semble revivre par
l'évocation de ces souvenirs toute une période de bonheur
tranquille, de joie saine et réconfortante, alors ses bons
chers yeux rayonnaient de tendresse ! Il me disait : mais
comment t'y prends-tu, ma pauvre petite fée? Je le lui expli-
quais, et tout heureux, tout égayé, il retournait à sa be-
sogne, et moi je me sentais fière, et je remerciais Dieu qui me
donnait du travail et la force nécessaire pour l'accomplir,
procurer du calme et de la sécurité à ce cher doux être si
naïf, si grand, si bon et si confiant en moi ! »
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
INAUGURATION DU THÉÂTRE-LYRIQUE
Samson et Dalila, opéra en trois actes, paroles de M. Ferdinand Lemaire,
musique de M. Camille Saint-Saëns. — La Jolie Fille de Perth, opéra en
quatre actes, paroles de MM. H. de Saint-Georges et Jules Adenis, mu-
sique de Georges Bizet.
Le tenons-nous enfin, suitout le conserveruns-nous, ce Théâtre-
Lyrique tant désiié, si indispensable à l'essor et à l'avenir de l'art
français, et qui semble nous échapper et nous fuir chaque fois que
nous croyons le posséder? Depuis la manifestation si artistique, si
intelligente, et l'on peut dire si grandiose de M. Albert Vizeutini à
là Galté, que d'essais avortés, que de tentathes infructueuses faites
ici ou là pour nous rendre une institution si essentielle à l'ensemble
de nos grandes entreprises artistiques, si indispensable à la gran-
deur même de l'art national! Grâces soient rendues à M. Verdhurt
pour le courage et l'initiative dont il vient de faire pieuve à ce
sujet, et puisse-t-il enfin réussir là où tant d'autres ont échoué!
LE MENESTREL
3SS
C'est dans la salle de l'Eden, complètement et heureusement trans-
formée ainsi que nous l'avons fait connaître , c'est devant une
assemblée choisie, devant un public visiblement heureux d'assister
à ce nouvel effort, auquel ses sympathies étaient d'avance con-
quises, que s'est effectuée, le vendredi 31 octobre 1890 (on n'est pas
superstitieux dans la maison) , l'inauguration du nouveau Théâtre-
Lyrique, par la première représentation, à Paris, de Samson et
Dalila, opéra de M. Camille Saint-Saëns.
Quand M. Saint-Saëns écrivit Samson et Dalila, — c'était en 1871 —
il ne s'était pas encore produit à la scène. La représentation de la
Princesse jaune à l'Opéra-Comique ne date que de 1872, et quant au
Timbre d'argent, quoique depuis longtemps composé, il ne parut à la
lumière de la rampe qu'en 1877, à la Gaité, sous la direction de
M. Vizentini. L'un et l'autre n'avaient obtenu qu'un médiocre
succès, et le compositeur semblait alors ne pouvoir se reproduire
à Paris. C'est pourquoi, après avoir seulement fait entendre, dans
nos concerts, quelques fragments de son œuvre nouvelle, entre
autres la jolie danse des prêtresses de Dagon et le duo passionné
de Samson et de Dalila, il se décida h la faire représenter, le 2 dé-
cembre 1877, sur le théâtre de Weimar. Sa réputation était depuis
longtemps établie en Allemagne, et il sentait là d'heureuses chances
de succès. La traduction, fort élégante, avait été confiée à un cri-
tique éminent, M. Richard Pohl, et les trois rôles principaux, ceux
de Dalila, de Samson et du grand prêtre, avaient pour interprètes
trois artistes excellents, Mlle von Millier, M. Ferenczy et M. Milde
(ce dernier fort remarquable, malgré ses soixante ans). Quant à
l'orchestre, où l'on rencontrait des virtuoses comme le violoniste
Koempel et le violoncelliste Griitzmacher, il était dirigé par un chef
de premier ordre, l'excellent compositeur Edouard Lassen. On
comprend qu'avec de tels éléments et dans de telles conditions,
l'exécution ne pouvait qu'être absolument supérieure. Elle le fut en
effet, et le succès de l'oeuvre s'établit aussitôt. Depuis lors elle fut
jouée sur diverses scènes allemandes, mais jusqu'à ces temps der-
niers elle était restée inconnue en France, et c'est seulement l'hiver
passé, à Rouen, que M. Verdhurt eut l'idée de l'offrir au public du
théâtre des Arts. La critique parisienne fut conviée à cette repré-
sentation, Samson et Dalila fut fort bien accueilli, et M. Verdhurt,
devenu directeur du Théâtre-Lyrique, crut ne pouvoir mieux faire,
pour inaugurer sa nouvelle entreprise, que de présenter cet ouvrage
aux spectateurs parisiens.
Samson et Dalila, était qualifié d'abord par son auteur de « drame
biblique, » et l'on peut dire que, musicalement, l'œuvre participe à
la fois de l'oraforio et de l'opéra. Le caractère de Dalila, tel que
nous le connaissons d'après la Bible, a été toutefois quelque peu
modifié dans le poème, sans doute pour le rendre à la fois plus
théâtral et moins antipathique. Ce poème a été écrit par un cousin
du compositeur, et celui-ci, je crois, ne s'est pas absolument borné
à sa collaboration musicale et n'a pas dédaigné de prendre quelque
part au texte qui devait appeler son inspiration.
Donc, le livret de l'opéra nous montre une Dalila plus fanatique
encore que dévergondée, et agissant plus dans l'intérêt de sa reli-
gion que dans son intérêt propre et personnel, ce qui n'est pas abso-
lument conforme aux données reçues. Avec une vertu qu'on ne lui
connaissait pas, elle fait bon marché des richesses qui lui sont pro-
posées, pour ne penser, en séduisant Samson, juge des Hébreux,
qu'à venger les insultes faites au dieu Dagon, le dieu des Philistins,
qu'elle adore elle-même. C'est donc ici, je l'ai dit, une fanatique
farouche plutôt qu'une femme simplement perverse, vicieuse et in-
téressée. A part cette remarque, le poème suit pas à pas et serre
d'aussi près que possible la pure légende biblique, depuis les séduc-
tions de Dalila sur Sainsou, qu'elle veut perdre, jusqu'à la destruc-
tion par celui-ci, quoique aveugle, du temple de Dagon pendant les
réjouissances des Philistins. Une plus longue analyse de ce poème
seiait donc inutile, et nous pouvons maintenant nous occuper uni-
quement de la partition.
Cette partition, il faut le déclarer hautement, est une œuvre de
premier ordre, et, à mon sens, la plus remarquable de toutes celles
que M. Saint-Saëns a produites jusqu'à cejour au théâtre. Les uns —
et je suis de ce nombre — préfèrent le premier acte, pour sa gran-
deur et sa majesté, d'autres loueut surtout le second, à cause de son
caractère dramatique et passionné, d'autres encore préconisent sur-
tout le troisième ; mais ce qui est certain, c'est que l'œuvre est
belle dans son ensemble, puissante et noble, d'une pureté de ligues
remarquable, et qu'elle produit sur l'auditoire une impression pro-
fonde à laquelle il ne saurait échapper. J'ai dit que, par le fait
de son sujet même, elle tient à la fois de l'oratorio et du drame
lyrique, et cette remarque touche surtout le premier acli, où l'em-
ploi des grandes masses chorales et le caractère de certaits chants
religieux font aussitôt penser à Bach et surtout à Hiendel, sans
qu'on rencontre d'ailleurs aucune imitation de l'un ou de l'autre.
Ce premier acte, qui se passe sur une place de Gaza, est absolu-
ment superbe, et il en faudrait citer tous les morceaux — car, n'en
déplaise aux wagnériens, la coupe des morceaux est partout nette
et franche. Il n'y a point d'ouverture, mais une introduction d'un
caractère tout particulier qui, après quelques mesures purement
instrumentales, laisse entendre, derrière le rideau, les exclamations
et les lamentations du chœur des Hébreux, implorant le ciel et
réclamant sa pitié pour leur infortune. Cette entrée en matière, qui
reproduit l'impression de l'ouverture du Pardon de Ploërmel, est
d'un fort bel effet. Bientôt la toile se lève, et le chœur termine sa
déploration. Puis, à cette page empreinte d'une tristesse presque
désolée, en succède une autre, ferme et vigoureuse :
Nous avons vu nos cités renversées
Et les gentils profanant ton autel...
Ici, un chœur en style fugué, d'une grande allure et d'une so-
norité pleine et harmonieuse. L'entrée de Samson donne lieu à
une sorte de dialogue entre lui et le chœur, qui est vraiment partie
prenante à l'action, comme dans le drame antique ; la stance de
Samson :
L'as-tu donc oublié,
Celui dont la puissance
, Se fît ton allié ?
est pleine de noblesse et de fierté, et la phrase mélodique qu'il
chante ensuite et que les harpes soutiennent de leurs arpèges :
Implorons à genoux
Le Seigneur qui nous aime,
est empreinte d'une véritable grandeur. Il faut signaler aussi le
chœur en si p qui précède le meurtre d'Abimelech, scandé par de
vigoureux accords frappés sur chaque temps fort qui lui impriment
un caractère de sombre énergie. Après celui-ci, et lui faisant con-
traste, vient le chant des vieillards :
Hymne de joie, hymne de délivrance...
qui forme un chœur de basses à l'unisson, coupé par un solo, dans
une tonalité de plain-chant, sans note sensible ; et presque aussi-
tôt, accompagnant l'entrée de Dalila, un chœur de jeunes filles
Philistines :
Voici le printemps nous portant des fleurs,
plein de fraîcheur et de grâce. La scène amoureuse de Dalila et
de Samson est coupée par un intermède charmant, la danse des
prêtresses de Dagon, que les habitués de nos concerts connaissent
depuis longtemps, et qui à la scène produit une impression exquise.
Le rideau tombe sur les dernières paroles enflammées que Dalila
adresse à celui qu'elle veut perdre.
J'insiste tout particulièrement sur la valeur exceptionnelle de ce
premier acte, qui me semble être celui où l'auteur a eu à dépen
ser la plus grande somme de talent pour parvenir à varier ses
effets et à éviter la monotonie. D'un bout à l'autre de cet acte,
pour ainsi dire, le chœur occupe la scène, toujours actif, toujours
mouvant, toujours vivant, et le compositeur avait ici de grandes
difficultés à vaincre pour lui faire remplir son rôle en diversifiant
saus cesse ses moyens d'action et d'expression, de telle sorte qu'il
n'en résultât aucune fatigue pour l'auditeur. Or, non seulement
l'inspiration du musicien n'a pas faibli un instant, mais il a su si
bien alterner les tons et renouveler ses couleurs que l'oreille, char-
mée, ne songe qu'à écouter toujours et à se laisser charmer encore.
J'avoue qu'il y a là, pour moi, l'accomplissement d'un tour de
force prodigieux.
Le second acte s'ouvre par un air de Dalila, un air véritable,
avec retour du premier motif, ce qui doit singulièrement scanda-
liser nos jeunes novateurs. Le duo qu'elle chante ensuite avec le
grand prêtre a de belles parties. Mais le point culminant de cet
acte est le long duo passionné qui le termine, entre Dalila et Sam-
son, morceau déjà bien connu, mais dont l'effet, ja n'ai pas besoin
de le dire, gagne considérablement en passant du concerta la scène.
lia obtenu un très grand succès à la représentation, et tout particu-
lièrement la jolie cantilène en ré p, à la fois mystérieuse et pleine
d'ampleur, que Dalila fait entendre d'abord, accompagnée par les
flûtes et les violons:
Oh ! réponds à ma tendresse
et que les deux voix reprennent ensuite dans un ensemble vraiment
émouvant. Un bis énergique a forcé les chanteurs à répéter cet épi-
356
LE MENESTREL
sodé charmant, dont l'effet n'a pas été moindre L la seconde audi-
tion.
Je passerai volontiers sur le premier tableau du troisième acte,'
celui de la prison de Samson, qui est d'ailleurs fort court et qu'on
pourrait couper sans inconvénient, car il ne tient nullement à l'ac-
tion. Mais au second tableau il faut signaler un chœur d'entrée d'une
-suavité mélodique exquise, avec son dessin de violons plein d'élé-
gance, un divertissement dansé d'an rythme original et distingué,
et la scène de Dalila et du grand prêtre, qui offre cette particularité
inattendue qu'elle est écrite en style orné, dans le goût italien le
plus pur, avec de véritables vocalises, ce qui a dû faire frémir
encore d'une juste indignation nos ardents réformateurs.
Je ne m'illusionne pas sur la valeur de l'analyse très incomplète
que je viens d'esquisser. Mais je répéterai, en la terminant, ce que
j'ai dit au commencement de cet article, que la partition de Samson
et Dalila est une œuvre de premier ordre, d'une facture superbe, d'un
style magistral, d'une inspiration remarquable et soutenue, et qui
me semble supérieure à tout ce que M. Saint-Saëns a produit jusqu'à
ce jour au théâtre. Elle a contre elle, malheureusement, le sujet sur
lequel elle a été écrite, qui n'est point théâtral, point vraiment pas-
sionné, qui n'offre qu'un intérêt médiocre, et qui enfin ne laisse
place à aucun incident, à aucune surprise. C'est le malheur des
musiciens de ne pas savoir, la plupart du temps, choisir les sujets qui
doivent exciter et féconder leur inspiration. Mais cette fois la valeur de
l'œuvre reste intacte, et l'on peut affirmer qu'elle est peu commune.
L'exécution l'a mise en relief, d'ailleurs, autant qu'il était pos-
sible. Mlle Bloch, que nous n'avions pas entendue depuis son départ
de l'Opéra, c'est-à-dire depuis huit ans, est une Dalila séduisante
et superbe; j'ajoute qu'elle a chanté et même joué ce rôle, difficile
avec un incontestable talent. La voix de M. Talazac a malheureu-
sement un peu faibli, mais on sait comme il s'en sert, et il a partagé
le succès de sa partenaire ; je ne saurais, par exemple, lui faire
compliment sur son costume, qui est tout simplement horrible.
M. Bouhy, artiste toujours excellent et distingué, donne beau-
coup de relief au rôle important, mais ingrat, du grand prêtre. Mais
ce qu'il faut louer sans réserve, parce que cela est plus rare, c'est
l'exécution d'ensemble, de la part de l'orchestre et des chœurs, qui
est absolument parfaite. Il y a là une conscience, un soin, une
sûreté, un aplomb, un sentiment de tous les détails el de toutes
les nuances qui devraient faire rougir l'Opéra et qui font le plus
grand honneur aux deux chefs de service, M. Gabriel Marie pour
l'orchestre et M. Georges Marty pour les chœurs. On ne saurait à
ce sujet leur adresser trop de louanges, et pour ma part je leur en
fais mon plus sincère compliment. Il est impossible de faire mieux,
et l'on a peine à concevoir un tel résultat, obtenu avec un person-
nel neuf et qui se connaît à peine.
Les lendemains de Samson et Dalila sont faits par la Jolie Fille de
Perth, dont la représentation a eu lieu lundi dernier. Je ne crois
pas la réapparition de cet ouvrage destinée à augmenter notablement
ce qu'on appelle la gloire de Bizet, ce que j'appellerai sa juste
renommée. On qualifierait cela d'.œuvre de jeunesse, si Bizet, mal-
heureusement pour l'art français, n'était mort si jeune. C'est à coup
sûre une œuvre de début et d'étude, dans laquelle le compositeur
essayait ses forces, et où, avec des échappées charmantes et pleine s
de poésie, il est trop facile de constater le manque d'originalité. Il y
a même là des ressouvenirs italiens si flagrants qu'on a peine à les
concevoir de la part d'un artiste qui devait bientôt faire preuve d'une
si grande indépendance d'esprit et de plume. Je n'en veux pour
preuve que la scène de l'ivresse de Ralph, qui rappelle si directe-
ment la scène de Rigoletto et des courtisans alors que le héros de
Verdi cherche sa fille chez le due de Mantoue, et certain passage
du duo de Catherine et Henri, au quatrième acte, qui semble inspiré
par le Donizetti de Lucia di Lammermoor .
Le titre de la Jolie Fille de Perth est trop connu pour que j'aie
besoin de rappeler que le livret de l'opéra qui m'occupe a été tiré
par Saint-Georges et M. Jules Adenis d'un des romans les plus
curieux de Walter Scott, que les auteurs français ont arrangé à
^eur guise. Ce livret n'est, à tout prendre, ni meilleur ni pire que
tant d'autres que nous connaissons; il ne manque même pas d'ingé-
nios é, et les situations y sont bien amenées pour le musicien, qui
en a su tirer bon parti. Toutefois, nous retrouvons là la scène de folie
qui, pendant un demi-siècle, à partir de la Nina de d'Alayrac, refaite
par Paisiello, a défrayé tant d'opéras italiens, avec grand renfort de
vocalises de toutes sortes. Co ne sont pas les vocalises qui manque nt
à celle-ci, et j'ajoute que leur banalité ne le cède en rien à celles
qui ont obtenu le plus de succès.
Il faut constater cependant que si la partition est un peu trop
composite, écrite dans un style franco-italien qui ne laissait guère
prévoir les nouveautés hardies et savoureuses de V Artésienne et sur-
tout de Carmen, elle n'en contient pas moins des pages fort aimables
et d'une heureuse venue. Au premier acte, le chœur d'introduction
des ouvriers, avec son accompagnement d'enclumes, et un joli
quatuor ; au second, le grand morceau d'ensemble qui ouvre l'ac-
tion, un air de danse fort élégant, entrecoupé par des exclamations
du chœur qui produisent un excellent effet, et l'air de Ralph, qui
est fort intéressant malgré sa réminiscence verdienne; au troisième,
le duo du duc et de la bohémienne, qui contient de jolis épisodes,
et le finale, remarquable par l'harmonie de l'ensemble choral et aussi
par la phrase pénétrante de l'invocation de Catherine à Henri, que
son accompagnement de harpe rend plus charmante encore; et enfin,
au quatrième, le chœur adorable de la Saint- Valentin, qui a été le
succès de la soirée el qu'on a fait bisser. Le malheur est qu'en
remplaçant le dialogue original par ries récitatifs, on a alourdi
cette partition conçue dans le vrai style de l'opéra-comique, on lui
a enlevé sa sveltesse et son agilité. C'est une faute à mon sens,
car on a coupé ainsi les ailes de cette musique fine et délicate,
dont la fantaisie supporte mal une pareille entrave.
Lors de la création de la Jolie Fille de Perth (26 décembre 1867),
les rôles du jeune armurier Henri Smith, de son ami Ralph, du
duc de Rothsay et du vieux Glover étaient tenus par MM. Massy,
Lutz, Barré et Wartel; ils le sont aujourd'hui par MM. Engel,
Isnardon, Boyer et Ferran, qui tous quatre sont excellents, chacun
en leur genre; celui de Catherine, qui servait naguère aux débuts
de M"e Jeanne Devriès, est devenu l'apanage de M1Ie Mézeray, et c'est
Ml,e Haussmann qui succède à Mlle Ducasse dans celui de la jeune
bohémienne Mab. L'interprétation générale est très satisfaisante, et
ici encore il faut louer sans réserve les chœurs et l'orchestre, qui se
sont montrés au-dessus de toute comparaison.
Arthur Pougin.
Odéon. — Roméo et Juliette, drame en cinq actes et dix tableaux,
en vers, d'après Shakespeare, par M. Georges Lefèvre, musique
de M. Thomé. — Nouveautés. — La Pie au nid, vaudeville en trois
actes, de M. Georges Duval.
Le Roméo et Juliette que M. Porel nous a donné la semaine dernière
n'est qu'une adaptation, et non une traduction, ce dont nous ne
pouvons que nous réjouir, le théâtre de Shakespeare n'étant possible
à la scène française qu'après avoir subi un travail assez important,
et toujours fort délicat, de remaniement, d'élimination et de con-
densation, travail auquel M. Georges Lefèvre n'a eu garde de man-
quer et qu'il a su mener à bonne fin. Des' vingt tableaux dont se
compose le chef-d'œuvre original, l'auteur n'en a conservé que
dix, tout en s'appliquant à suivre du plus près possible son modèle.
Ne voulant pas sacrifier plusieurs épisodes caractéristiques, mais
secondaires, il a su les présenter de très heureuse façon, tout en
gardant nette et précise la grande ligne du drame passionnel qui.
se déroule entre les deux seuls principaux personnages. Son action
marche ainsi franchement vers uu but déterminé, sans trop s'arrêter
aux détails, et en prend un inlérèl d'autant plus vif. Son dialogue,
sous lequel on sent toujours la solide charpente de celui du grand
Will, est plein de poésie, de charme, d'émotion et de tendresse,
bien que l'on devine, en certains endroits, la préoccupation ou se
trouvait l'auteur de ne point se rencontrer avec les effets heureux
obtenus déjà par MM. Barbier et Carré. Par un pieux scrupule,
M. Georges Lefèvre a voulu rétablir le dénoûment original, sup-
primé de longue date. Après que Juliette s'est frappée d'un coup
de poignard et est tombée morte sur le corps déjà inanimé de
Roméo, Capulet et Montaigu pénètrent dans le cimetière de Vérone
et, devant ies corps enlacés de leurs enfanis, abjurent la haine qui
divisait leurs maisons. Il se peut que la morale gagne à cette appa-
rition des deux vieillards et que l'idée philosophique de cette ré-
conciliation devant la mort ne manque pas d'une certaine profon-
deur ; mais je ne suis pas bien convaincu que l'effet dramatique
ne reste pas plus saisissant lorsque le rideau tombe sur le dernier
soupir de Juliette.
Le rôle de Roméo a mis en complète lumière M. Marquel, qui,
tout en empruntant sagement à l'art de M. Mounet-Sully, a fait
montre de qualités de force et de charme absolument réelles.
M"0 Rosa Bruck, très en beauté, bien que de visage un peu dur, n'a
pas l'organe enfantin et doux qu'il faut à Juliette, ce qui l'a em-
pêchée d'envelopper de toute sa poésie et de toute sa chasteté cette
figure difficile à bien composer. M. Albert Lambert est un frère
Laurence plein d'onction ; M. Dumény, un Mercutio beaucoup trop
LE MÉNESTREL
357
moderne; M. Calmeltes, un Tybalt de franche allure et Mra° A. Lau-
rent une lady Gapulet dramatique. M. Porel a, suivant son habitude,
présenté la pièce avec un goût artistique absolument parfait. Ne
se contentant pas seulement, pour ces sortes de travaux littéraires,
de s'adresser aux jeunes poètes, il semble encore se complaire à.
faire la besogne des directeurs de théâtres de musique en appelante lui
nos jeunes musiciens. Il a donc commandé, pour la circonstance,
toute une petite partition à M. Francis Thomé. Et ce n'est vraiment
pas un des moindres attrails de la représentation que cette délicieuse
musique soulignant de ses harmonies discrètes, à travers lesquelles
court toujours une mélodie exquise, les passages principaux du
drame. Voici M. Thomé entré au théâtre, souhaitons qu'il se
trouve d'autres directeurs assez avisés pour l'y retenir.
Le nouveau vaudeville de M. Georges Duval, représenté lundi
dernier aux Nouveautés, a fait long feu. L'on aurait juré que la
pluie inclémenle qui dévalait des toits aux ruisseaux en cascades
torrentueuses et qui, en quelques heures, a totalement dévêtu nos
pauvres platanes du boulevard, avait trouvé le moyen de filtrer par
le toit du théâtre et de détremper les effets nombreux et variés que
l'auteur de la Pie au nid avait dû préparer avec un soin jaloux. Le
feu d'artifice entier a raté, et, cependant, il était suffisamment com-
pliqué et composé d'une quantité assez respectable de petites pièces
empruntées un peu partout et ayant déjà réussi, pour qu'on ait pu
croire que sur le nombre, un pétard consentirait à tonner ou qu'une
chandelle romaine jetterait, eu temps voulu, sa note claire et lumi-
neuse. La fatalité a voulu que rien ne prit; et les pauvres specta-
teurs, douchés en arrivant, douchés en sortant, l'ont été encore aussi
désagréablement pendant ces trois actes. Et. pourtant, l'on s'était
promis de rire; l'affiche portait les noms de MM. Maugé et Germain,
et l'on se régalait à l'idée de voir ces deux joyeux compères effacer
l'impression pénible produite par ce vieux catharreux que, sur celte
même scène et quelques jours seulement avant, nous avions entendu
tousser et cracher pendant de longues minutes. Mais MM. Germain
et Maugé se sont démenés en vain; la salle est demeurée froide
devant les énormités qu'on lui débitait, et peu s'en est fallu qu'elle
ne se fâchât de cerlaines grossièretés que rien ne saurait excuser.
Cette mauvaise soirée, que M. Duval aura le loisir de racheter faci-
lement, car il ne manque ni d'invention, ni de gaieté, a servi de
débuts à Mmo Harris et à MM. Rablet et Calvin fils, qui, avec le secours
de M. Guy et de Mllc Davray, ont fait de leur mieux.
Paul-Émile Chevalier.
P.-S. — C'est au milieu d'une foule compacte, où les jolies femmes
étaient en nombre, que l'Exposition de Blanc et Noir a donné la
première des Projections humoristiques de M. Albert Guillaume. Le
jeune et spirituel dessinateur avait pris comme thème « La Table à
travers les âges », et les variations dues à son habile crayon ont
charmé et amusé les spectateurs. M. J. Straram, à U tête d'un bon
orchestre, soulignait chaque tableau par une musique aimable et
bien appropriée aux sujets.
LE MONUMENT DE GEORGES BIZET
LE TOMBEAU DE FÉLICIEN DAVID — LA STATUE DE MÉHUL
A la première réunion du comité pour le monument de Bizet
(sous la présidence de M. Ambroise Thomas, assisté de MM. Four-
caud et Philippe Gille), il a été décidé en principe que ce monu-
ment consisterait en un socle élevé, surmonté d'un buste et entouré
de figures allégoriques. L'exécution en sera confiée à MM. Paul
Dubois et Charles Garnier.
Les souscriptions, qui dépassent présentement la somme de qua-
rante mille franc?, sont plus que suffisantes pour suffire aux frais
d'un très beau monument. Néanmoins, pour honorer encore davan-
tage la mémoire du compositeur de Carmen, il a été décidé qu'on
procéderait à une représentation de gala, et à cet effet, sur une liste
qui n'était nullement préparée, on a nommé une sous-commission
qui voudra bien s'occuper du programme de cette représentation.
On ne doit pas oublier non plus que des représentations solennelles
en l'honneur de Bizet et au profit de son monument sont encore pro-
mises au théâtre de l'Odéon et au Théâtre-Lyrique de l'Éden; de
même, M. Colonne a déclaré que le produit de son coueert d'au-
jourd'hui dimanche (dont on trouvera plus loin le programme, ex-
clusivement consacré à l'exécution d'oeuvres de Bizet) serait destiné
au même but.
Cène sout donc pas les ressources qui manquent; elles sont au
contraire trop considérables pour l'œuvre seule qu'on poursuit.
Aussi, quand le moment en sera venu, demanderons-nous qu'on
veuille bien profiler de ce bel élan artistique pour détourner une
faible partie de ce pactole du côté de deux autres monuments de
musiciens qui restent inachevés faute de fonds suffisants. A Saint-
Germain, le tombeau de Félicien David n'est pas encore terminé, et la
belle œuvre de Mereié n'a pu recevoir son entière exécution. A Givet,
il manque plusieurs billets de mille francs pour la statue de Méhul,
qui fut aussi un grand maître français, dont il est resté un pur chef-
d'œuvre, Joseph, partout en honneur et notamment sur les scènes
allemandes, tandis qu'on l'oublie un peu trop chez nous. C'est ainsi
que la jeune gloire de Bizet pourra venir en aide à celle de ses
deux anciens. Nous espérons qu'on ne fera pas d'opposition à cette
double proposition, qui constituera un acte de justice et de répa-
ration.
Pour nous en tenir aujourd'hui exclusivement à Georges Bizet, nous
sommes heureux de reproduire ici, dans son entier, la pièce de vers
de notre collaborateur Louis Gallet, qui sera récitée aujourd'hui même
au concert du Châtelet par M11" Du Minil, de la Comédie-Française.
Une partie de cette pièce est déjà connue de nos lecteurs, puisqu'elle
a figuré dans les Notes d'un librettiste, qui sont actuellement en cours
de publication dans le Ménestrel. Mais la péroraison en est complète-
ment inédite.
A LA MÉMOIRE DE GEORGES RIZET
Concert du Châtelet — 31 octobre 4873.
Georges Bizet! — Ce nom tout à coup prononcé
Met, avec un frisson, un doute dans notre âme :
Nous nous demandons si tant de force et de flamme
Dorment réellement dans l'ombre du passé,
Si nous n'allons point voir, rayonnante dévie,
Se lever parmi nous cette figure amie,
S'il est vrai que ce cœur soit à jamais glacé!
Oui, les rêves parés d'irrésistibles charmes
Ont brusquement fini dans le deuil et les larmes,
Cet esprit que suivait le nôtre s'est éteint.
Oui, tout est vrai : la mort, le coup rapide et rude
Pesant de tout le poids aveugle du destin
Sur un calme bonheur, pur dans sa plénitude,
Sur une jeune gloire à son piemier matin.
Sa muse était charmante; elle aimait la lumière,
L'azur, la pourpre, l'or, les fleurs et les parfums,
Le front plein de lueurs, en sa grâce première,
On la voyait marcher hors des sentiers communs.
Elle chantait l'amour, la joie et l'espérance,
Et des brumes d'Ecosse aux soleils d'Orient,
Des beaux jardins d'Asie aux déserts de Provence,
Elle allait, tour à tour rêvant et souriant.
Sa tendresse parfois et même sa folie
Mettaient en leur accent quelque mélancolie :
On eût dit qu'elle avait comme un pressentiment
Et qu'elle entrevoyait, sur la route trop brève,
Cet abîme, où devait s'ensevelir son rêve,
Cette ombre, où l'attendait le fatal dénoùment.
Et sa voix s'élevait plus vibrante et plus fière;
La foule la suivait déjà sur les sommets.
Carmen jetait au vent sa chanson familière;
Le maître avait conquis sa place désormais.
Plus haut, plus loin encor l'entraînait sa pensée,
A de nobles accents son cœur avait battu;
Il voulait nous parler d'héroïque vertu,
Nous montrer la patrie affaiblie et blessée
Et le rude Attila par le Ciel abattu.
Mais la mort vint avant la tâche commencée.
Le silence se fit... on annonça tout bas
Ce malheur, si cruel que l'on n'y croyait pas !
0 toi que nous pleurons, jeunesse épanouie,
Ame ardente, gardien des purs trésors de l'art,
Dors en paix maintenant; ne crains point qu'on oublie
Ou qu'on fasse à Ion nom une trop faible part.
Non! les chants envolés de ton âme, ô poète,
Revêtent la splendeur auguste du tombeau,
Et le temps sacrera ton œuvre, où se reflète
La lumière du vrai, comme l'amour du beau.
358
LE MÉNESTREL
POUR Mlle DU MINIL
Concert du Châtelet. — 9 novembre 4890.
Ces vers sont vieux déjà de plus de quinze années.
Celle qui fut Carmen ici les avait dits....
Ces fleurs du souvenir, tontes fraîches jadis,
Tant de jours disparus ne les ont point fanées !
Alors, elles mêlaient à ces lauriers amers,
Que la mort ébrancha sur le front de l'artiste,
Un parfum d'amitié délicat, doux et triste;
Et nos larmes coulaient en entendant ces vers
Mais le temps, qui nous fait nos tristesses plus calmes,
En s'enfuyant nous montre aussi l'homme plus grand,
Et nous le voyons là rayonnant sous les palmes !
Tel que nous le rêvions, la Gloire nous le rend.
Et nous n'accusons plus la rigueur de la Vie!
Elle a de justes lois et de jusles retours.
Son prix réel n'est pas dans le nombre des jours
Il est dans la valeur de la tâche remplie.
Brève et superbe fut sa jeune floraison !
Avant d'en voir les fruits s'il tomba sur la route,
Cherchant en vain des yeux son but à l'horizoa;
Du moins son âme ici demeure; elle m'écoute!...
— Maître, demain viendra la foule des amis
Au monument fondé pour un public hommage,
Avec un tendre orgueil saluer ton image.
Ainsi s'accomplira ce qui le fut promis :
L'art réel honoré sous sa forme idéale;
Ta muse franchissant la porte triomphale !
Nous avons reçu quelques souscriptions pour le monument de
Bizet, que nous nous empresserons de faire parvenir au Gaulois, qui
les centrali-e: M. Léo Djlibes, 100 francs; M. J. Faure, 100 fr. ;
Mlle Adrien Marie, 50 francs ; M. Léopold Dauphin, 10 francs.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Nouvelles de Londres. — Les représentations d'opéra italien à Covent-
Garden se poursuivent avec des résultats aussi peu satisfaisants pour les
amateurs de musique que pour la caisse du théâtre. La troupe essentiel-
lement italienne réunie par M. Lago a été bien vite jugée insuffisante
par le public payant, et le répertoire également italien, auquel on a essayé
de s'en tenir, a depuis longtemps cessé de plaire, même à Londres.
Mmc Albani a fait sa rentrée dans la Traviala, rôle qui convient peu à sa
nature passive et qui fait ressortir davantage ses fâcheuses exagérations
de style. Peu de chose à dire des reprises de Norma et de Gioconda. L'opéra
de Bellini a paru vieilli ; quant à l'ouvrage très surfait de Ponchielli,
pastiche à la fois de Victor Hugo et de Verdi, on se demande en l'écoutant
qui est le pire paroùiste du librettiste ou du compositeur. Ce soir, jeudi,
Orphée, dont il sera curieux d'observer l'effet sur le public anglais.
Samedi, Lohengrin, avec Mme Albani. et lundi rentrée de M. Maurel dans
Rigoletto.
L'action intentée contre M. Lago par la maison Chappell, propriétaire
des droits de Faust pour l'Angleterre, a été abandonnée. M. Lago a invo-
qué l'article 6 de la convention de Berne qui autorise tout directeur
ayant produit un ouvrage avant le mois de novembre 18S7, à en conti-
nuer les représentations (?)
Par suite d'un changement prochain de direction au Prince of WaJ.es
Théâtre, on renonce pour lemoment ày monter la Basoche. C'est un opéra-
comique inédit de M. Goring Thomas, auteur d'Esmeralda, et intitulé
le Tissu d'Or, qui remplacera le CapitaineThérèse vers la fîndel'année. A.G.N.
— Quelques journaux de Londres ont pris la singulière initiative d'une
« Ligue contre le tapage, » dans le sein de laquelle ils appellent tous les
gens lassés par les bruits discordants dont retentissent les rues de la ca-
pitale, tels que fanfares de l'armée du salut, cloches fêlées, orgues de
Barbarie, etc. La presse religieuse appuie vigoureusement le mouvement
et va jusqu'à réclamer la « suppression des chiens qui hurlent la nuit,
des pianos sur lesquels on pratique du matin au soir l'exercice des cinq
doigts, des chansons d'ivrognes et des balayeurs des rues qui beuglent
comme des taureaux (sic) ». Une pétition monstre s'organise.
— Le festival de' musique de Norwich, qui vient d'avoir lieu, n'offrait
pas de particularité intéressante en dehors de la cantate du Dr Parry,
l'Allégro ed il penseroso, qui a remporté un succès décisif. Le compositeur a
traité le beau poème de Milton avec infiniment de tact, de goût et de dis-
crétion, tout en employant les ressources complètes de l'orchestre mo-
derne. On s'accorde à reconnaître que les qualités dominantes de la par-
tition du Dr Parry sont le charme et la grâce. Mlle Macintyre et M. A.
Marsh se sont fait remarquer dans les soli. Les résultats pécuniaires du
festival ont été peu satisfaisants, comparativement à ceux de la dernière
réunion.
— Le commerce de pianos à Londres a, parait-il, accueilli avec des
railleries les propositions du ministère de l'instruction publique (Scbool
board) au sujet de la fourniture des pianos aux écoles, conformément au
récent décret dont nous avons parlé. Aucun des grands facteurs n'a jugé
ces propositions acceptables et le gouvernement a dû se rabattre sur des
maisons de catégorie inférieure, qui ont consenti à livrer le modèle officiel
à des prix variant de 450 à 625 francs !
— Nouvelles théâtrales de Berlin. — Une nouvelle mesure administra-
tive vient d'être prise à l'Opéra royal. Dorénavant, les chefs d'orchestre
ne seront plus consultés au sujet du programme de la semaine, comme
cela s'est toujours fait jusqu'à ce jour; l'intendant général de Hochberg
entend se réserver exclusivement le choix du répertoire. — Une reprise
à'Obêfon, excellente sous le rapport de l'interprétation et de la mise en
scène, vient d'avoir lieu sur le même théâtre. On s'était servi pour la
première fois des nouveaux récitatifs composés par M. Wùllner, et dont
on n'a pas paru enchanté. — Mme Rosa Sucher a quitté définitivement la
scène municipale de Hambourg et fait partie, depuis le 1er novembre, de
la troupe de l'Opéra royal.
— Les lettres de Beethoven en français sont assez rares. En voici une
à qui sa forme et ses incorrections donnent une certaine saveur de curio-
sité et que nous reproduisons d'après le Musical Standard, sans nous rendre
d'ailleurs garants de son authenticité :
Mon très Cher Ami Broadwood,
Jamais je n'éprouvais pas un plus grand Plaisir de ce que me causa votre
Annonce de l'arrivée de Cette Piano, avec qui vous m'honores de m'en faire
présent, je regarderai comme un Autel, ou je déposerai les plus belles offrandes
de mon Esprit au divine Apollon. Aussitôt comme je recevrai votre Excellent
instrument, je vous enverrai d'en abord les Fruits de l'inspiration des premiers
moments, que j'y passerai, pour vous servir d'un souvenir de moi à. vous mon
1res cher B, et je ne souhaits, ce que qu'ils soient dignes de votre Instrument.
Mon cher Monsieur et ami recevez ma plus grande considération,
de votre ami
et très humble Serviteur,
Louis Van Beethoven.
Vienne, le 3™°
du mois Février 1818.
— On organise, à Francfort-sur-le-Mein, une exposition internationale
d'électricité où figureront les plus récentes applications téléphoniques. Il
est question d'établir un réseau téléphonique qui reliera cette exposition aux
principaux théâtres lyriques d'Allemagne. On installera aussi des auto-
mates phonographiques, qui, mis en mouvement avec une pièce de mon-
naie, exécuteront des morceaux variés sur différents instruments.
— A Weimar, le jeune compositeur Richard Strauss, déjà très avanta-
geusement connu, vient de faire exécuter avec succès, sous sa direction,
un poème symphonique intitulé Macbeth. On connaissait déjà de lui deux
œuvres du même genre : Don Juan et Mort et Transfiguration. — D'autre part,
à Magdebourg, M. Heinrich Hoffmann vient de produire, à la Société cho-
rale ecclésiastique, une grande composition nouvelle, Edith, légende pour
soti, chœur et orchestre, écrite sur un poème de M. Heinrich Seitz et qui a
été fort applaudie.
— Le Daily News reçoit de son correspondant de Saint-Pétersbourg les
détails suivants concernant les prochains concerts Patti : « L'ouverture
du bureau de location pour la série des concerts-Patti était annoncée
pour hier matin à dix heures, mais dès la veille au soir les souscripteurs
commençaient à affluer. Pendant toute une longue nuit, froide et pluvieuse,
ils se tenaient immobiles, attendant patiemment leur tour dans l'espoir
de trouver une bonne place pour le concert. Vers cinq heures du matin,
la foule était si nombreuse que le chef de la police dut se transporter sur
les lieux avec une armée d'agents pour établir un service d'ordre. Mais la
queue s'allongeait de plus en plus, et la police avait toutes les peines du
monde à maintenir l'alignement. Au lever du soleil il y avait quinze cents
personnes devant le bureau. Vers midi tous les billets_,étaient enlevés, et
dans l'espace de deux heures on avait encaissé 62,500 francs. »
— La direction du théâtre de la Monnaie, de Bruxelles, vient de re-
cevoir, pour être joué au cours de cette saison, un ballet intitulé Lesbos,
dont la musique a été écrite par M. Léon Dubois, second chef d'or-
chestre à ce théâtre et ancien premier prix de Romo de Belgique, sur
un scénario de M. Tnéodore Hannon.
— A Bruxelles, M. Gevaert a l'intention de faire exécuter, par son
excellent orchestre, les neuf symphonies de Beethoven dans les concerts
que le Conservatoire donnera cet hiver. Il y aura en tout cinq concerts.
Les quatre premiers auraient chacun deux symphonies au programme ;
le cinquième, donné en dehors de l'abonnement et dont, par conséquent,
l'accès devient possible à tous les dilettantes non abonnés, sera consacré
à la Symphonie avec chœurs. Le produit net de cette dernière séance
sera destiné à la caisse de l'Association des Artistes musiciens.
LE MENESTREL
359
— Fin décembre ou commencement de janvier passera, à la Scala d'An-
vers, une opérette inédite en trois actes, dont le titre n'est pas encore dé-
signé. La partition est de M. Eugène Brassine, qui dirigeait, il a douze
ou treize ans, le Cercle Bizet, à Bruxelles, et qui préside aujourd'hui
l'Association des Artistes musiciens d'Anvers. M. Brassine n'en est pas à sa
première œuvre, il a écrit déjà un nombre considérable de pièces et,
tout récemment encore, une suite d'orcbestre en trois parties, exécutée
avec grand succès par les Artistes musiciens d'Anvers.
— Petites nouvelles d'Italie. — Le Secolo nous apprend que la Caualleria
rusticana, poursuivant le cours de ses triomphes, a réalisé au Costanzi de
Rome, en cinq représentations, une recette totale de 34,000 francs. Au
théâtre Quirino, de la même ville, très gtand succès pour un nouveau
ballet à grand spectacle, Lola, o In allô mare, du chorégraphe Razzetto,
avec musique de M. Galleani. Toujours à Rome, mais au théâtre Manzoni,
apparition d'une nouvelle opérette, Alburnmastara, dont on ne nous fait pas
connaître les auteurs. — Au théâtre Balbo, de Turin, autre opérette, l'Am-
basciatore, dont les trois actes ont été mis en musique par un compositeur
amateur, M. Luigi Mantegna. — Les Italiens veulent toujours faire grand...
à peu de frais. On vient d'inaugurer à Rome, dans le quartier de l'Es-
quilino, un nouveau petit théâtre de marionnettes auquel on a donné le
nom de théâtre Torquato Tasso. Que diable le poète immorM de la Gcru-
salemme liberata a-t il à faire avec Meneghino et Giangiurgolo? — Une
artiste italienne, la signora Annie "Vivante, annonce la prochaine publi-
cation d'un roman intitulé Marion, artista da Ca/fè-concerto. Ce sera sans doute,
comme on dit aujourd'hui, « une œuvre vécue, » car on assure que, pour
l'écrire, l'artiste romancière n'a pas hésité à s'engager dans un des établis-
sements qu'elle décrit, et qu'elle a chanté pendant quelque temps au
Café Zolesi, de Gênes.
— L'opéra de M. Cottrau, Griselda, dont nous avons annoncé la récente
apparition, a été représenté douze fois au théâtre Niccolini de Florence.
« C'est, dit l'Italie, la preuve la plus splendide du succès ; seuls, les spec-
tacles qui obtiennent la faveur générale dépassent en Italie le nombre de
quatre ou cinq représentations. A la dernière de Griselda, de grandes ova-
tions ont été faites à M. Cottrau et à MUe Boronat, qui a tant contribué par
son talent au succès de cet opéra. •>
— La petite campagne d'œuvres bouffes rossiniennes qui vient de se
produire avec tant de succès à Rome va se poursuivre au théâtre Alfleri
de Turin, où les mêmes artistes vont faire entendre prochainement Cene-
renlola, l'Italiana in Algeri, etc. D'autre part on annonce, au Costanzi de
Rome, la réapparition imminente de YOtdlo du vieux maitre, avec le ténor
Stagno et la Beilincioni dans les deux principaux rôles. A ce même Cos-
tanzi on a dû donner, ces jours derniers, un spectacle composé des inter-
mèdes de l'Arlésienne et de la première représentation en Italie du petit
opéra de Georges Bizet, Djamileh.
— A Alexandrie (Piémont), première représentation d'un opéra nou-
veau, Fiamma, du maestro Ravera. Succès relatif, huit rappels seulement
au compositeur, ce qui semble un peu maigre. Interprètes: Mmcs Amalia
Nicelli et Elena Bans, le ténor D'Enricf (peu satisfaisant), le baryton
Alberti et la basse Travaglini.
— Les journaux italiens annoncent que le compositeur Zesevich, qui
déjà, il y a une quinzaine d'années, s'était une première fois fixé à Milan
comme professeur de chant, et de là était allé s'établir à Trieste, revient
définitivement à Milan, où il rouvre une école de chant. M. André
Zes-îvich, qui, croyons-nous, est Triestin, a fait naguère d'excellentes
études au Conservatoire de Vienne, et a fait représenter, principalement à
Trieste, plusieurs opéras italiens qui lui ont valu une notoriété légitime :
le False Apparenze , Fra^cesca da Rimini, Orio Soranzo, il Mutrimonio d'un
ma, etc. Il s'est fait connaître aussi comme chanteur, à l'aide d'une su-
perbe voix de basse dont il se sert avec beaucoup d'habileté.
— Le 28 octobre, au théâtre royal de Madrid, première et triomphale
représentation d'Hamlet, de M. Ambroise Thomas. Succès éclatant pour
M. Battistini et pour Mmc Marcella Sembrich dans les rôles d'Hamlet et
d'Ophélie, où ils ont été l'objet d'applaudissements, d'ovations et de rappels
sans fin. M"0 Slahl jouait la reine et M. Borucchia le roi. Orchestre su-
perbe sous la direction de M. Luigi Mancinelli. Mise en scène splendide.
— M- Luigi Mancinelli, chef d'orchestre au théâtre royal de Madrid,
vient d'être élu, à l'unanimité, directeur de la Société des concerts de cette
ville.
— Le journal le Globe, de Madrid, consacre un bel article des plus élo-
gieux au célèbre kapellmeister Philippe Fahrbach : « Le séjour de M. Fahr-
bach à Madrid a été un véritable régal artistique pour tous les amateurs
de musique. Bien des compositeurs de musique légère seront tombés dans
l'oubli, que le nom de Philippe Fahrbach restera encore comme celui
d'un auteur de compositions non seulement originales et charmantes, mais
encore, nous n'hésitons pas à le dire, réellement classiques en leur genre.
Il suffit, pour s'en convaincre, d'entendre n'importe laquelle de ses œuvres
si nombreuses. On y trouvera, à côté des ravissantes mélodies qui donnent
le mouvement à ses valses, marches ou mazurkas, une profonde connais-
sance de la science musicale, de l'harmonie, de l'orchestration, et une
absolue maestria de chaque instrument et de tous les éléments orchestraux
qui, sous sa baguette, vibrent et se fondent en un tout admirable. Ses
introductions sont vraiment des œuvres de maître; ses codas originales e
inédites; on peut dire que chacune de ses œuvres forme un délicieux
poème musical, et il a cette intéressante particularité que parmi ses (roi*
cents poèmes, il n'y en a pas deux qui se ressemblent! Aussi le succès
obtenu ici par M. Fahrbach a-t-il été immense, et la direction des Jardins
du Buen Retiro peut se féliciter d'avoir donné au public des fêtes musi-
cales que Madrid n'oubliera jamais et que nous espérons bien retrouver
l'année prochaine ».
— A Lisbonne, l'Académie royale des amateurs de musique, qui vient
de reprendre ses études en vue de la saison d'hiver, se propose de faire
entendre à ses habitués, au cours de la saison, l'admirable Symphonie
avec chœurs, de Beethoven, qui n'a jamais été exécutée à Lisbonne.
— Les Australiens veulent faire parler d'eux. A Brisbane on vient de
faire traduire et chanter en volapuk (!) le Prophète, de Meyerbeer, et cela
avec un tel succès que le théâtre n'a pas désempli pendant dix soirées.
Encouragée par le résultat, la direction prépare une prochaine apparition
de la Traviala, toujours en volapuk. Quel charme cette langue doit prêter
à l'exécution musicale, surtout quand personne ne la comprend !...
— Le journal Ihe Herald, de New- York, ouvre un concours, avec un prix
de cent dollars, pour la composition d'une valse originale, écrite par un
artiste résidant aux États-Unis. L'œuvre qui remportera le prix 'sera pu-
bliée dans un numéro du Herald dont la date est dès aujourd'hui indiquée.
— On vient d'inaugurer coup sur coup deux grands théâtres d'opéra aux
États-Unis. Le 28 septembre, à Fresno, une salle très élégante et très
confortable, pouvant contenir 1,550 spectateurs, et qui a coûté 200,000 dol-
lards, soit un million. Et à Pueblo, dans le Colorado, le 9 octobre, un
théâtre très vaste et richement décoré, dont les frais de construction ont
atteint juste le double, soit 400,000 dollars.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Dans sa dernière séance, l'Académie des beaux-arts a procédé à la
distribution des prix dont elle est la dispensatrice. Le prix Trémont a
été partagé par elle entre deux peintres et un musicien, lequel est
M. Ferdinand Poise. Cela parait un peu mince pour l'auteur d'œuvres si
exquises, pour le compositeur si fin et si élégant à qui l'on doit Bonsoir
voisin, les Charmeurs, la Surprise de l'amour, les Deux Billets, Joli Gilles, l'Amour
médecin, et cette charmante Carmosine, qui finira peut-être par voir le jour,
quand il se trouvera à l'Opéra-Comique un directeur assez avisé pour en
parer son théâtre. Le prix Chartier, destiné à l'encouragement de la
musique de chambre, a été attribué à Mme la comtesse de Grandval. Enfin,
le prix biennal fondé par Monbinne en faveur de l'opéra-comique, a été
décerné à M. Benjamin Godard pour sa partition de Jocelijn.
— Cette semaine, à l'Opéra-Comique, très bonne reprise de Dimilri avec
le ténor Gibert succédant à M. Dupuy. Il est bien l'homme du rôle et a
su en mettre en valeur les passages énergiques aussi bien que ceux de
tendresse. On lui a fait un succès très mérité, ainsi qu'à M"'" Deschamps,
qui reprenait possession du rôle de Marpha, à la gracieuse Mma Landouzy,
et à MM. Soulacroix et Fournets, tous les deux en fort bonne condition.
Nouvelles du Conservatoire. — M. Jules Garcin, chef d'orchestre de
la Société des Concerts, est nommé professeur de violon au Conservatoire,
en remplacement de M. Massart, admis, sur sa demande, à faire valoir
ses droits à la retraite. M. Desjardins, ancien premier prix de violon, élève
de M. Massart, est nommé professeur agrégé d"une classe préparatoire
de violon.
— Notre collaborateur Arthur Pougin est appelé à faire, dans le cou-
rant de cet hiver, une série de conférences musicales au Théâtre d'appli-
cation. Parallèlement à M. Camille Bellaigue, qui tracera à grands traits
l'histoire de notre opéra-comique, il rappellera les grandes phases histo-
riques de l'opéra français à partir de Lully (1671) , en passant par la bril-
lante période de Rameau, pour aboutir à la grande évolution opérée par
Gluck et à l'étude si curieuse de la guerre des gluckistes et des piccin-
nistes. C'est l'histoire d'un siècle de musique sérieuse qui sera ainsi ra-
contée aux auditeurs attentifs du Théâtre d'application, avec exécution de
pages intéressantes choisies dans le répertoire des maîtres les plus illus-
tres de la scène lyrique française à cette époque.
— Jeudi dernier, à deux heures, chez le comte de Chambrun, matinée
musicale qui ouvrait la série de ses beaux concerts classiques. M, le
comte de Chambrun, on le sait, habite l'ancien hôtel de Mlle de Condé. Les
auditions de musique sacrée ont lieu dans une chapelle de construction
gothique, réduction de la Sainte-Chapelle. Le comte de Chambrun a fait
rechercher à grands frais des parties inédites de la musique de Bach, qui
ont été interprétées par des artistes de la plus haute valeur. La traduction
française en avait été faite par M. Victor Wilder. L'orchestre était dirigé
par M. Colonne, M. Guilmant tenait l'orgue, et on a entendu chanter
Mmc Krauss, MM. Vergnet et Auguez, qui ont obtenu le plus grand
succès.
— L'orchestre Lamoureux a reçu un tel accueil dans sa tournée belge et
hollandaise qu'il compte recommencer bientôt. Voici quel serait l'itiné-
360
LE MÉNESTREL
raire de cette tournée nouvelle, dont la date n'est pas encore arrêtée :
Amiens, Reims, Liège, Bruxelles, Gand, Anvers, Amsterdam (trois con-
certs), Rotterdam (deux concerts), Harlem, pourfinir par cinquante concerts
en Angleterre, dont seize à Londres.
— Les journaux italiens nous apprennent que le grand violoniste Sivori,
qui depuis bien longtemps n'a guère quitté la France, se propose d'aller
faire prochainement une grande tournée artistique en Italie et de se faire
applaudir par ses compatriotes. Il 8e ferait entendre en Lombardie, en
Vénétie et jusqu'à Trieste. A ce propos, il nous semble curieux de repro-
duire les éloges qu'un journal français adressait à Sivori il y a soixante-
deux ans, c'est-à-dire en 1828, alors qu'il commençait sa carrière. Voici
ce qu'on trouve dans le Journal des Arts du 17 février 1828 : « Le concert
donné par le très jeune virtuose Gamillo Sivori dans la salle de l'École
royale (le Conservatoire), le 10 de ce mois, a eu le plus grand succès.
Il offrait plus d'un charme capable d'attirer les amateurs; non seulement
on y devait juger ce talent précoce que nos voisins d'outre-mer avaient
déjà admiré, mais aussi on devait entendre plusieurs artistes italiens
nouvellement arrivés dans la capitale Mais, ce qui a ravi l'assemblée,
c'est l'admirable talent du jeune Sivori. L'exagération est tellement à la
mode que nous n'osons dire l'impression qu'il a produite; ceux qui ne
l'ont pas entendu ne nous croiraient pas. Il serait facile de comparer son
jeu à celui de Baillot, de Lafont, de Bériot, mais cela ne conduit à rien.
Ce qui est très positif, c'est que, pour la qualité de son et l'habileté de
l'exécution, cet enfant de dix ans a tout le talent qu'un artiste consommé
peut ambitionner, et que, pour l'expression, chose bien plus étonnante,
il la possède à un degré que la plupart des musiciens ambitionneront
toujours en vain. » Et dans son numéro du 6 avril suivant, le même
journal s'exprimait ainsi : « Le concert donné récemment, dans la salle
de la rue Chantereine, par le jeune Camillo Sivori, a été des plus inté-
ressants. On a remarqué de nouveau combien son jeu est pur, son
expression bien nuancée, ses traits hardis et faciles. Sa taille est si petite
et ses doigts si courts, que son trois quarts de violon excéderait encore
sa proportion et ne lui permettrait pas de démancher, s'il ne le faisait
passer derrière la joue gauche au lieu de le tenir sur l'épaule (!). En se
réunissant au jeune Liszt pour exécuter un duo de Mayseder pour piano
et violon, le jeune virtuose a trouvé le moyen d'exciter des transports
unanimes. Le petit Liszt est maintenant bien grand; c'est pourtant encore
un enfant; et c'est un spectacle peu commun de voir réunir et transporter
d'enthousiasme deux ou trois cents personnes qui se connaissent en
talents. » Ce qui n'est pas plus commun, c'est de voir un artiste comme
Sivori, âgé de soixante-douze ans, ayant conservé tout son talent et toute
son énergie après une longue et brillante carrière de soixante-deuz années.
— Concerts du Châtelet. — Une excellente exécution de la symphonie
en ut mineur a montré combien était grande, chez Beethoven, cette sûreté
de main qui lui permettait de multiplier les effets d'harmonie et de rythme
sans engendrer jamais ni obscurité ni confusion. — Le ballet d'Ascanio
renferme des morceaux d'une grâce exquise mêlés à d'autres dans lesquels
a pris le dessus l'exubérante fantaisie du maître. Dans ces derniers, la
phrase mélodique semble constamment battue en brèche par quelques
instruments à percussion aux sonorités peu musicales. Une perle de la
plus pure limpidité, c'est l'andantino qui correspond à l'apparition des
muses. La variatioh pour flûte a été très bien enlevée par M. Cantié, Le
finale, en mouvement de valse, emprunte une forme originale aux accents
qui sont jetés tantôt sur les temps forts, tantôt sur les temps faibles. —
Le poème symphonique : Irlande, de M™ Augusta Holmes, a obtenu un
véritable succès; c'est une œuvre largement conçue et dans laquelle ne
manquent ni les idées mélodiques ni l'intensité du coloris. L'œuvre a
évidemment une tendance descriptive que l'on saisit même en l'absence
d'un programme explicatif et, en ce sens, on peut dire que cette musique
est un langage dont l'effet sera d'autant plus certain qu'il s'affranchira
davantage de toute violence non préparée, de toute boursouflure, de toute
incohérence. — L'entr'acte de la Basoche, de M. André Messager, est assez
finement écrit et a été bien accueilli. L'auteur a débuté dans la musique
instrumentale par une symphonie qui, après avoir été couronnée dans un
concours, fut jouée aux concerts Colonne en 1877. La Société nationale a
exécuté de lui un poème symphonique : Lorelei. — La sicilienne de Béa-
trice et Bénédict est une jolie petite pièce sans grande importance, mais
d'une charmante sonorité. La Chevauchée des Walkyries et les fragments
célèbres du Songe d'une nuit d'été complétaient le programme.
Amédée Boutarel.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Châtelet, concert Colonne, donné au prurit de la souscription du monument de
G. Bizet: Patrie! (G. Bizet) ; Borna (G. Bizet): Jeux d'enfanls(G. Bizet); la Jolie
Fille de Penh (G. Bizet) ; A la mémoire de Georges Bizet, poésie de M. Louis Gallet, dite
par M"" Renée Du Minil, delà Comédie-Française; fragments de Carmen (G. Bizel);
airs des Pêcheurs de perles (G. Bizet), chantés par MM. Auguez et Warmbrodt;
l'Artésienne (G. Bizet).
Cirque des Champs-Elysées, premier concert Lamoureux : ouverture de Bcnve-
nulo Cellini (Berlioz); Waltenstein (V. d'Indy); concerto en fa mineur pour piano
(E. Lalo), exécuté par M. Louis Diémer; ouverture de Gwendoline (Emm. Cha-
brier); Ballade (Chevillard); Hyménéed'£sctarm<mde(Massenet); Cortège de Bacchus
de Sylvia (Léo Délibes).
— Mue Clotilde Kleeberg, après ses derniers grands succès en Angle-
terre, a été, pour la troisième fois rappelée en Allemagne, où toutes les
villes, grandes et petites, vont avoir à l'applaudir à nouveau ; chacune
de ses apparitions est en même temps un succès pour elle et pour l'école
française, dont tous les maîtres figurent sur ses programmes. Relevons,
parmi les morceaux qui lui sont partout redemandés : le Retour, de Bizet;
la Chaconne.de Th. Dubois; les Ailés, de Benjamin Godard, la belle étude
artistique qui lui est dédiée.
— Mardi dernier, brillante reprise au Grand Véfour des soirées musi -
cales mensuelles de l'Association amicale des Enfants du Nord et du Pas-de-
Calais. Grand succès pour Gustave Nadaud. Puis, on a fort applaudi
Mllc Maria Genoud et M. Gogny, qui a délicieusement chanté la romance de
Mignon. M. Thery a produit grand effet de son côté avec Mystère, mélodie
nouvelle de Faure.
— Les Mathurins continuent avec un succès persistant la série de leurs
réunions artistiques. A celle du 24 octobre, nous avons applaudi le jeune
baryton Jean Périer dans une ravissante mélodie de son père, Emile
Périer, le spirituel chansonnier Jules Oudot, MM. Maurice Davanne,
Alexis Noël, Jules Berny et Pollux, membres du Cercle. Le clou de la
soirée a été la représentation d'une ancienne folie-vaudeville, extraite
d'une pièce jouée aux Folies-Dramatiques pendant l'exposition de 185S,
et intitulée les Influences de la fatalité sur une famille divisée par le malheur;
jjne Francine d'Yeu, dans l'unique rôle féminin, a fait preuve de qualités
très sérieuses.
— L'organiste Mac-Master a donné lundi un fort intéressant concert-
audition à l'Institut Rudy, produisant plusieurs de ses compositions qui
ont été très goûtées. Le jeune ténor Edmont Clément, de l'Opéra-Comique,
et M. Georges Clément ont uni leurs voix dans le duo du Crucifix, de
Faure, qui leur a été bissé. Mmc Cécile Bernier a dit d'une façon
exquise la Garonne, de Nadaud, et Mme Mac Master tenait avec une réelle
autorité le piano d'accompagnement.
— L'École de musique de M. Thurner donnera sa séance annuelle
le jeudi 6 novembre courant, salle Kriegelstein, rue Charras, sous la
présidence de notre vénéré et toujours vaillant maître MarmonteL
Mmes Boidin-Puisais, Ludwig, de la Comédie-Française, MM. Mazalbert
et de Féraudy figurent sur le programme.
— La librairie Fischbacher (Paris, 33, rue de Seine) met en vente une
Notice sur Ascanio, où l'auteur, M. Charles Malherbe, analyse avec soin
l'opéra de M. C. Saint-Saèns. Outre les commentaires critiques et l'étude
du système adopté par le compositeur, on trouvera dans ce volume, élé-
gamment édité, de nombreuses citations musicales, et notamment une
curieuse table des motifs (conducteurs ou rappelés) dont on ne saurait
méconnaître l'intérêt pratique. Grâce à son exactitude, cette notice devient
une sorte de guide musical, aussi utile pour la lecture de la partition au
piano que pour l'audition de l'œuvre au théâtre.
— MUe Wetterwald, une jeune chanteuse alsacienne de talent, qui avait
suivi à Paris les cours de M. Bax et ceux de M. Giraudet au Conserva-
toire, où elle faisait également, partie de la Société des concerts, vient
d'être appelée à Athènes pour y professer le chant. Nul doute que les
bonnes leçons puisées au Conservatoire par la jeune maîtresse de chant
ne produisent d'excellents élèves à Athènes.
— On nous signale un concert très brillant donné à Clermont (Oise)
par la Société chorale municipale, avec le concours d'artistes de talent en
tête desquels il faut citer Mlle Burt, de l'Opéra, M. Fontbonne, l'excellent
flûtiste de la garde républicaine, Mm0 J. Thénard, de la Comédie-Fran-
çaise, et Mmc Jeanne Duc, qui a finement détaillé les spirituelles chan-
sonnettes de Mmc Perronnet : J'aurai compris et les Souvenirs de Grand'Mère.
La partie comique était confiée à M. Dassy, auquel le public a rede-
mandé le Pendu, de Mac-Nab, et Dans le Hangleterre, de Mmo Perronnet.
— Cours et Leçons. Les cours de piano de Mm" Dignat sont rouverts, 16, rue
d'Auteuil; réminent maître Marmontel y passe des examens mensuels, et un
cours d'accompagnement est fait par M. Diaz-Albertini. — Dè3 les premiers jours
de novembre, M™0 Emile Ratisbonne a repris, 13, rue du Mail, (maison Erard),
ses cours, leçons et matinées musicales. — M"» Pauline Boutin a repris chez
elle, 24, rue Richer, ses leçons de chant, ainsi que sa fille, M"" Lenglé-Boutin,
ses leçons de violon et d'accompagnement.
Henri Heugel, directeur-gérant.
— L'administration des Concerts Lamoureux demande des violons et
des contrebasses. S'adresser pour les inscriptions, 62, rue Saint-Lazare.
En vente au MÉNESTREL, 2 bis, rue Vivienne
MÉTHODE DE DANSE
PAR
PRIX NET: 7 FR. (3J-, DESRAT PRIX NET: 7 FR.
TEXTE - DESSINS - MUSIQUE
Nouvelle édition augmentée des nouvelles danses à la mode.
— nil-IMMIIllF ,
, 20,
3111 — 56™ ANNEE — if W. PARAIT TOUS LES DIMANCHES Dimanche 46 Novembre 1890.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement,
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Cbant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
1. Notes d'un librettiste: Louis Lacombe (27° article), Louis Gallet. — II. Semaine
théâtrale: premières représentations de l'Égyptienne, aux Folies-Dramatiques, de
Miss Helyelt, aux Bouffes-Parisiens, et de la Parisienne, à la Comédie-Française,
Jaul-Éuile Chevalier. — III. César Franck, Julien Tiersot. — IV. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour:
LA MORT DU ROI RENAUD
version de la Normandie, n° 11 des Mélodies populaires de France, recueil-
lies et harmonisées par Julien Tiersot. — Suivra immédiatement : La
Mort du Mari, version normande, n° 19 de la même collection.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano : Mazurke Eolienne, de Théodore Lack. — Suivra immédiatement :
'Noël breton, de Henry Ghys.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
LOUIS LACOMBE
Louis Lacombe est mort à Saint-Waast-la-Hougue, le 30 sep-
tembre 1884.
Il avait acheté là, en 1877, deux bicoques en très mauvais
état, qui, peu à peu, s'étaient transformées et avaient fini
,par devenir un ravissant nid, une maison à l'aspect ancien
et rustique, entourée d'un tout petit jardin, où sous les
souffles tièdes du Gulf-stream les fuchsias et les rosiers fleu-
rissent en plein hiver, tapissant les murailles jusqu'au pre-
mier étage. En ce coin béni, la campagne verte descend dou-
cement vers la mer, égayée de pommiers, animée par le
mouvement lent des animaux au pâturage. Les environs de
Saint-Waast sont très accidentés. Du haut de la maison du
musicien, la vue s'étendait sur des hauteurs qu'il aimait à
comparer à celles où se cache, à Naples, le tombeau de Virgile.
L'été de cette année 1884 avait été presque entièrement
rempli par un gros souci et un gros travail. Il s'agissait pour
Lacombe d'obtenir de Lyon ce que Genève n'avait finalement
pu lui donner : la représentation de son Winkelried, resté, à
défaut de cette Révolution française qu'il ne devait pas écrire,
l'œuvre qu'il plaçait en première ligne dans sa propre estime.
En tète de cette belle partition, si nettement tracée, avec
de si scrupuleux détails, je lis, en effet, celte noble et ten-
dre dédicace :
« A Andrée, ma femme bien-aimée. :
» Winkelried est peut-être la plus individuelle de mes œu-
» vres. Je te l'offre. Puisses-tu l'entendre un jour et, en
» l'écoutant, sentir se' poser sur ton beau front un rayon de
» cette vraie gloire à laquelle j'aspirai toute ma vie.
» Louis Lacombe.
» 1er janvier 1882. j>
Venu à Lyon dès le 1er juillet, il y était reçu par de bons
amis qui devaient l'assister dans ses nouvelles épreuves, et
il écrivait aussitôt à sa femme une lettre où je trouve cette
scène d'une si jolie naïveté d'impression :
« Fournier compte sur moi pour dîner. Mon refus lui eût
causé un véritable chagrin. Je me suis donc hâté de me
laver, de mettre du linge blanc et de me rendre rue Jarente.
Là, pendant que ce brave artiste était allé se procurer le
reste du repas, sa petite femme, rondelette, faisait cuire
un poulet. Elle m'entendit arriver, quitta son poulet pour
moi, me nomma et sur mon affirmation que j'étais M. La-
combe, me tendit ses joues. Enfin, ces deux braves êtres
m'entourèrent de soins, de prévenances, et me prouvèrent
une fois de plus qu'il est dans ma destinée d'être gâté. »
Cela, c'était l'agréable préparation au dur labeur qui allait
suivre.
Le compositeur avait des juges, juges officiels d'abord,
car la municipalité lyonnaise devait faire les frais de l'ou-
vrage, s'il était jugé digne d'un tel honneur, juges artis-
tiques ensuite, chargés de l'élaboration de la sentence, et
qu'il fallait tour à tour contenter.
Louis Lacombe eut à faire précéder la lecture de son
ouvrage d'une conférence, dont le texte original, retrouvé
dans ses notes, contient, outre des indications très précises
sur l'ordonnance et le caractère de la partition, la brève ana-
lyse que voici, du drame qui l'avait inspirée.
Winkelried, par un acte de dévouement qui doit in-
failliblement amener sa mort, arrache ses compatriotes à la
domination autrichienne. Les Autrichiens, vous vous en
souvenez, avaient de longues lances, les Suisses de simples
piques. Winkelried, suivi de ses guerriers, s'approche des
rangs ennemis ; doué d'une force extraordinaire, il ouvre les
bras, saisit un certain nombre de lances qu'il rassemble sur
sa poitrine et ouvre ainsi passage aux siens. Légende ou his-
toire, telle est la version admise. Le duc d'Autriche fut
vaincu, tué. Les soldats furent dispersés, et les Suisses vain-
queurs redevinrent libres. Mais un acte héroïque ne consti-
tue pas une pièce. Lionel Bonnemère fit un scénario.
Il suppose Winkelried marié depuis huit jours à une jeune fille
appelée Baëteli. Une certaine comtesse, Anna de Valengin,
362
LE MENESTREL
dame de Willisau, éprise de Winkelried, voulait l'épouser.
En apprenant son mariage, la jalousie s'empare d'elle. Cette
jalousie arrive à un tel degré d'intensité qu'Anna prend la
résolution de perdre Winkelried et sa compagne. Enfermée
avec les époux amants dans son propre château, assiégé par
les Autrichiens, elle se décide à trahir son pays dans l'es-
poir de voir mourir la femme qu'elle abhorre. Les Autri-
chiens ayant pénétré dans la forteresse par un souterrain
dont la comtesse leur ouvre la porte se jettent sur les
Suisses, se rendent maître de la place et célèbrent leur pré-
tendue victoire par une orgie qui a pour dénouement l'in-
cendie du château. Au dernier acte, la comtesse accuse
Winkelried du crime commis par elle ; les Suisses ajoutent
foi à cette accusation et considèrent leur plus grand héros
comme' un traître. Cependant Winkelried les désabuse, leur
confie sa femme, car il sait qu'il va mourir, et les entraîne
au combat.
Vous devinez le reste. La trahison de la comtesse se dé-
couvre. Winkelried, justifié, meurt victorieux. On apporte
ses restes à l'endroit où, plus tard, on érigea une chapelle
en son honneur. Baëteli se précipite, désespérée, sur le corps
du martyr. Quant à la comtesse, elle passe, emmenée par des
soldats. Elle voudrait s'échapper de leurs mains, apercevoir
une dernière fois celui qu'elle a aimé. — A mort ! l'infâme,
s'écrient les Suisses. — Va-t-en, misérable, dit Baëteli indi-
gnée. Va! je te condamne à vivre! La comtesse se débat
vainement et s'éloigne enfin. Alors, un vieux maître chan-
teur, dont je n'ai pu parler dans ce court exposé, Hans
Beding, avise un chêne, y cueille une branche et en forme
une couronne qu'il pose pieusement sur la tête du cher
mort pendant que les drapeaux suisses flottent sur son front
inanimé, que les tambours battent aux champs et que Baëteli,
agenouillée, demeure comme ensevelie dans sa douleur.
La pièce se termine par un chant et un ensemble en
l'honneur dé Winkelried et de la Suisse.
L'audition de Winkelried obtint auprès du jury lyonnais un
succès que constate une dépêche du compositeur, suivie
d'une lettre en date du 8 juillet; pleine de promesses en ce
qui touche la facture de l'œuvre, cette lettre est assez in-
quiétante sur l'état des forces de Lacombe :
« L'audition s'est terminée hier, à six heures. L'effet a été
considérable. Il y avait là, outre MM. Dufour, Luigini, Aimé
Gros, des amateurs et des artistes sérieux. Tout le monde
était enlevé après le premier .acte. La chanson d'Hemmau,
la scène mimée, le chœur de l'Esplanade, celui des Bour-
geois et, en un mot, tous les morceaux ont produit sensa-
tion. Mais, ma chère femme, je suis exténué. Tous mes
habits étaient mouillés, comme au sortir d'une rivière ; je
n'en puis plus »
Il revint en effet, de Lyon, la poitrine très fatiguée. Peu
après, il désira aller à Saint-Waast, comptant qu'il y recou-
vrerait la santé.
Là, il se sentit bientôt assez fort pour se remettre au tra-
vail, sur un poème de Charles Nuitter, qui figure dans ses
recueils sous ce titre : le Comte Nann, opéra-comique en trois
actes, mais qu'il intitulait de préférence la Reine des Eaux.
Il s'acharnait à sa lâche, qu'il redoutait de ne pouvoir
achever, se sentant très fatigué, très triste
Le soir du 20 septembre, il prit froid dans une promenade
au bord de la mer, à Réville ; il revint à grand'peine, et,
en quatre jours, c'en fut fait de lui. Une congestion pul-
monaire l'emporta, ou plutôt peut-être, a-t-on dit, une crise
d'angine de poitrine.
Ses dernières pensées n'eurent point la douceur mêlée
d'amertume de celles qu'on prête à Berlioz mourant :
— EnQn, on va jouer ma musique !
Elles furent telles que la mélancolique modestie de Louis
Lacombe les lui pouvait inspirer.
Très peu avant la date fatale, comme il était accoudé à sa
table de travail devant sa dernière partition, la tête dans
ses mains, en un morne silence, sa femme le regardant, in-
quiète, vit qu'il pleurait :
— Qu'as-tu ?
Il resta un instant sans répondre, puis, montrant son ma-
nuscrit, alors presque complètement achevé :
— Je me demandais chez quel épicier ceci irait enve-
lopper de la chandelle.
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THÉÂTRALE
Folies-Dramatiques : L'Egyptienne, opéra-comique en 3 actes et 11 tableaux,
de MM. Chivot, Nuitter et Beaumont, musique de M. Charles Lecocq. —
Bouffes-Parisiens : Mis» Eelyett, opérette en 3 actes, de M. Maxime
Boucheron, musique de M. Edmond Audran. — Comédie-Française : La
Parisienne, comédie en 3 actes, de M. Henri Becque.
Nous sommes en 1798, à Toulon. Le capitaine Hector, qui, pour
arracher le consentement à une mère sans entrailles, se fait sur-
prendre seul en ballon avec MUe Delphine de Montalban et qui vient
de se marier le matin même, reçoit l'ordre de rejoindre sur-le-
champ le corps expéditionnaire désigné par le général Bonaparte
pour partir en Egypte. Bien que fort dépité, notre officier fait ses
adieux à sa virginale épousée et s'embarque en lui jurant constante
fidélité. Campé au Caire avec un détachement de troupes, Hector
est blessé par des révoltés et recueilli, mourant, par la belle Djémileh,
fille du cheik Aboul-Abbas, àme de la conspiration.
L'Égyptienne, qui doit avoir quelques liens de parenté avec Lakmé,
dès que son malade est rétabli, l'assaille d'incandescentes décla-
rations, si bien que le beau Français oublierait tous ses devoirs et
ses serments s'il n'était arrêté à temps par l'arrivée inopportune
d'Aboul-Abbas, qui crie à la violation de domicile et fait enfermer
son ennemi dans un cachot. Pendant ce temps, Delphine, demeurée
à Toulon, s'étonne, ainsi que la divine Cléopàtre sur la terrasse du
palais de Memphis, de ne plus recevoir de messager du bieu-aimé,
et, comme Joséphine a appris à toutes ses sœurs en opérette le
chemin de l'Egypte, la voilà qui s'habille de sa plus belle robe de
bal, monte en bateau et débarque à l'improviste. Mise au courant
de la petite intrigue entamée par son volage époux, elle attrape
d'importance la séduisante indigène. La descendante des Pharaons,
douée d'une bonne nature, s'aperçoit quelle zizanie elle va semer
dans ce petit ménage qui ne demande qu'à être heureux ; elle im-
mole son amour, ne pensant qu'au bonheur de celui qu'elle a re-
marqué, et, sans hésiter, elle s'introduit dans la citadelle où gémit-
Hector, le délivre et le replace à la tête de son régiment, qui prend
superbement le fort d'Aboukir.
Voilà l'histoire dans ses grandes lignes; c'est simplement pour
aboukir à la victoire de ce nom qu'elle nous a été contée une fois
de plus. Je pourrais ajouter que Gassegrain, le brosseur inévitable,
est de la partie, bamboche avec une femme chaudron plus naïve
encore que les calembours dont il émaille le dialogue, que l'Égyp-
tienne est aimée d'un vilain barbu très ennuyeux qui est le chef
des insurgés, et qu'enfin Delphine est suivie par l'indispensable
amoureux, complaisant et idiot, et par une fille de chambre qui
n'est autre que la propre femme de Gassegrain et n'entrera jamais
en scène sans saluer son légitime d'un vigoureux soufflet. Mais ce
sont là hors-d'œuvre que nous sommes habitués de longue date
à voir servir et auxquels nous préférons ne pas toucher.
Je suis bien convaincu que MM. Chivot, Nuitter et Beaumont ne
sauraient me contredire quand j'avance que leur Egyptienne n'a été
faite absolument qu'en vue du dernier tableau. La chose ayant déjà
plus ou moins réussi, était tentante. Mais, cette fois, les trois libret-
tistes, vétérans du théâtre qui comptent plusieurs aimables succès à
leur actif, se sont étrangement fourvoyés et, circonstance aggravante,
ils ont entraîné dans cette mauvaise aventure un musicien habitué le
plus souvent à réussir. M. Charles Lecocq, en effet, n'a pas composé
là une de ses meilleures partitions, et sa musique parait peu faite pour
relever la pièce de ses collaborateurs. On dirait que les coups de
fusil et les cauounades lui ont monté la tête à ce point que, délais-
sant la grâce et la légèreté, il a voulu lutter de force avec la poudre
et emboucher des trompettes, plus tounitruanles encore que celles de
Jéricho, pour chanter l'équipée amoureuse d'un capitaine de chevau-
légers pendant la campagne d'Egypte. Romances, airs, duetti,
LE MENESTREL
363
finales, tout cela sent désespérément le grand opéra et, pour comble
de malheur, les rares couplets bouffes, accordés par les librettistes
au compositeur, semblent se ressentir de l'emphase prodiguée
ailleurs et manquent de la finesse qu'on était en droit d'attendre.
Je me rappelle un motif de valse assez entraînant servant de cadre
au rondeau de la bataille des Pyramides, un duo trop dramatique,
dans lequel Mllc Nesville a su mettre en lumière une phrase
bien venue, et la chanson circassienne que M. Gobin à fait
bisser d'acclamation, tant il a su y déployer d'invention comique et
de fantaisie étourdissante; mais tout le reste bourdonne confusé-
ment et bruyamment à mes oreilles.
Je viens de vous nommer M. Gobin-Cassegrain et Mlla Nesville-
Djemileh. J'ai aussi à vous parler de Mlle Pierny-Delphine, fort
agréable à regarder, et dont la voix semble prendre quelque déve-
loppement; du baryton agréable appelée prendre la succession de
M. Euguet, M. Hérault, qui, s'il est celui de la pièce, n'a su être
celui de la soirée, sa vois manquant de portée et son articulation
étant assez défectueuse; de M. Montaubry, un autre baryton, sombre
à faire rire ; de M. Guyon. qui a composé très curieusement la figure
du vieux cheick; de MUe Aciana, une personne bien en point; de
Mlle Vialda, qui a bravement dissimulé son feint, qui doit être de
lis et de roses, sous une épaisse couche de safran, et de MUe Génat,
la duègne bien connue. Je m'en voudrais de ne point complimenter
la direction des Folies-Dramatiques pour la manière dont elle a monté
l'Egyptienne; deux des onze tableaux sont particulièrement réussis :
celui de l'embarquement de l'armée de l'Egypte, d'une très adroite
plantation, et celui de la prise du fort d'Aboukir, réglé de façon
tout à fait supérieure.
Au théâtre des Bouffes, le sujet à la Paul de Kock, inventé par
M. Boucheron, est de nature plus scabreuse. Il s'agit d'une jeune
miss américaine qui, au cours d'une excursion dans les Pyrénées,
tombe d'un pic escarpé et ne doit son salut qu'à un arbrisseau au-
quel elle se trouve accrochée. D'après les lois de la pesanteur, miss
Hélyett Smithson, emportée par la tète, tombe dans une position
critique peu conforme aux lois de la décence. Vient à passer un
peintre qui délivre la pauvre enfant évanouie et, par un scrupule
de gentilhomme correct, ne cherche même pas à voir le visage de
celle dont il a cependant eu soin de prendre un croquis savoureux
avant de la replacer dans une posilion convenable. La blonde et
pudique américaine, élevée dans des préceptes moraux et inlran-
sigeants par M. Smithson, grand faiseur de dogmes saints et pasteur
en activité de service, la blonde et pudique américaine donc, d'ac-'
cord avec son rigoriste père, jure qu'elle n'aura jamais d'autre époux
que son sauveur, non parce qu'elle lui doit la vie, mais bien parce
qu'il a vu ce qu'il ne devait pas voir. Et voilà les deux pauvres
êtres épiant tout le monde pour surprendre un mot qui les mette
sur la piste, Hélyett dissimulée dans un fauteuil-guérite qu'elle roule
de place en place, le bonhomme Smithson se faisant rembarrer
par tous pour son insupportable indiscrétion. Le papa, le premier,
se lasse de cette chasse à l'affût, et, pour couper court à une
situation qu'il voit sans issue, il appelle à son secours le flegma-
tique James, soupirant malheureux. « Vous voulez épouser Hélyett?
lui dit-il, « Oh ! oui », répond le gentleman yankee. « Eh! bien,
allez la trouver et dites-lui simplement ces mots : Je suis l'homme
de la montagne! » Bien entendu, James ne s'attarde pas à vouloir
comprendre : il court après la jeune fille et lui lance la fameuse
phrase. « C'est bien, James, je serai votre femme » dit simplement
Hélyett, et James, au comble du bonheur, bavarde tant et si bien
que le truc du pasteur se trouve dévoilé. Tout est à recommencer!
La vantardise d'un écarteur landais les met en défaut; mais le
peintre est là, qui, devenu amoureux, lui aussi, de la gentille amé-
ricaine survient à propos pour laisser voir, par hasard, dans son
album, le croquis volé à l'inconnue qui, — miracle de l'art! — se
reconnaît tout aussitôt. Plus de doute possible, c'est bien lui
«'l'homme de la montagne », et tout heureuse, car c'est précisé-
ment l'artiste qu'elle aimait en secret, elle se jette dans des bras
qui se referment amoureusement sur elle.
Vous voyez, par cette rapide analyse, que la chose n'était pas
absolument facile à présenter déeemment au public. M. Boucheron,
cependant, en a presque fait, laissant de côté des épisodes plus
lestes, un conte pudique. Avec de l'esprit on peut tout sauver, sur-
tout les apparences. Cette fois encore, c'est à un musicien aimé et
souvent applaudi qu'a été confié le soin de faire comprendre à l'aide
de doubles croches ce que la bienséance interdisait de dire, et de
noyer dans des flonflons joyeux les propos trop osés. M. Audran,
pour cette agréable tâche, s'est armé de ses pipeaux les plus légers,
dans lesquels il a gentiment et modestement soufflé. La musique
coule douce, simple, mais aussi sans bien grande originalité. Ce
qui appartient en propre à M. Audran et ce dont il faut le féliciter,
c'est, au premier acte, un psaume dit, en contrechant sur un air
de gavotte très joliment arrangé qui est, certainement, la meilleure
page de la partition, bien que le public l'ait laissé passer presque
inaperçue. Au deuxième acte, on a bissé le duetto du Point de vue
avec ses amusantes exclamations monosyllabiques. Au troisième
acte, je remarque un duetto bouffe qui contient une amusante parodie
du « Pleurez mes yeux » de M. Massenet et un long duo d'amour,
redemandé, d'où se détache un agréable motif de valse avec accom-
pagnement des instruments à cordes, mais dontl'ensemble m'a paru
plutôt prétentieux et maniéré et dont la prosodie m'a semblé tout à
fait audacieuse.
MlleBianca Duhamel, qui a joué le drame et la comédie a l'Odéon,
la pantomime à ce même théâtre des Bouffes, et qui fut l'exquis
Petit-Poucet qu'on se rappelle bien, faisait ses premiers pas dans
l'opérette. Elle n'a qu'un tout petit filet de voix, légèrement aigu,
dont elle se sert pourtant adroitement; mais le succès de la soirée
revient de droit à la comédienne, qui a été charmante. M. Montrouge,
qui s'est fait la tête de Wagner, est un Smithson parfait, et sa
digne épouse, Mme Montrouge, nous a révélé une voix de contralto
qui ferait le bonheur de l'Opéra. M. Piccaluga reste l'exquis chan-
teur de romances et M. Jannin s'est taillé un triomphe avec la fa-
meuse phrase : « Je suis l'homme de la montagne, » qui va être
le cri du jour.
Fini de rire !
Voici paraître le moraliste sanglant et le philosophe plein d'acuité
et de brutale franchise, — j'ai nommé M. Becque, — et c'est la
cotreete Comédie qui tient la scène.
Comme je vous ai déjà raconté deux jolies petites histoires, vous
me ferez grâce de la troisième, d'autant que vous la connaissez, je
gage. Si vous n'avez pas eu la chance de voir la Parisienne à la
Renaissance, le mouvement qui s'est produit dernièrement autour
du nom et de la personne de l'auteur, vous a mis très certainement le
volume entre les mains, et vous vous rappelez Clotilde, la perversité
et l'inconscience maladives faites femme, Lafont, l'amant aussi
jaloux que maladroit, du Mesnil, le mari plus mari que nature, et
Simpson, le sceptique froid et compassé.
Je ne sais si c'est M. Becque qui a eu, lui seul, l'idée de confier
sa pièce aux artistes de la maison de Molière, ou s'il n'y a pas été
maladroitement poussé par des amis peu clairvoyants. Ce qu'il y a
de certain, c'est que ces trois petits actes, qui paraissaient charmants
au théâtre de M. Samuel et qui auraient un très gros succès aux
Variétés, par exemple, avec M. Baron et MUe Réjane, ont semblé,
non seulement déplacés à la Comédie-Française, mais aussi incom-
pl ets et, lâchons le mot, très froids. Je veux bien que l'interpré-
tation soit pour une très grande part dans cette mauvaise impres-
sion. Et de fait, M. Prudhon n'a pas su tirer parti du rôle qui lui
était confié; il fallait là un art des nuances et une pointe de fantaisie,
qu'il n'a pas, et qui auraient enlevé au personnage le côté mono-
tone et rabâcheur que seul M. Prudhon s'est attaché à rendre. M. de
Féraudy a fait de du MesDil un mari de Scribe, et Mlle Reichenberg,
malgré toute sa grâce, tout son charme et tout son merveilleux
talent, est restée de dehors trop honnêtes. M. Le Bargy, seul, a donné
à Simpson son allure de gandin sec et infatué, mais le rôle n'est
qu'épisodique et tient fort peu à la pièce.
Mon sentiment, que bien entendu je donne pour ce qu'il vaut,
est que la Parisienne, malgré des qualités indéniables d'observation
sincère, malgré des mots justes et profonds, et malgré une langue
claire, nette et précise, tient plus du vaudeville que de la comédie.
Lafont est un fantoche, et du Mesnil en est un autre; si vrais qu'ils
puissent être au fond, l'auteur nous les montre tellement grossis
qu'ils deviennent des charges. Si M. Becque a cru écrire une comé-
die sérieuse, ce dont je me permets de douter, il s'est trompé :
la Parisienne est de la même famille que la Navette, et demande à
être joyeusement enlevée par ses interprètes; malgré toute la phi-
losophie qu'elle contient, elle ne saurait être jouée et comprise
comme les Corbeaux ou Michel Pauper.
Paul-Emile Chevalier.
P.-S. — Le théâtre des Bouffes a donné hier soir samedi, la première repré-
sentation d'Un Modèle, opéra-comique en un acte de MM. André Degrave
et Manuel Lerouge, musique de M. Léon Schlesinger. Les exigences de
notre mise en pages nous obligent à remettre à dimanche prochain le compte
rendu de ce petit ouvrage dont on dit le plus grand bien.
364
LE MÉNESTREL
CÉSAR FRANCK
Lorsque, dans la journée du samedi 8 novembre dernier, le bruit
se répandit que César Franck était mort, il n'y eut pas, à dire vrai,
dans le public, une émotion très apparente: le boulevard n'en sembla
pas occupé; ce ne fut pas un événement parisien. Mais dans l'élite
de ceux en qui vit résolument le culte du grand art, la douleur fut
profonde, car tous pensèrent qu'en ce jour avait disparu l'un de ses
plus glorieux représentants, l'un des plus dignes continuateurs des
sublimes traditions des maîtres, un de ceux qui, dans l'avenir, pren-
dront place parmi les premiers et les plus grands.
Quiconque avait connu l'homme, quiconque était familier avec son
œuvre, savait quelle âme droite et forte, quel fier génie il avait.
Ceux-là mêmes qui désapprouvaient sa tendance ou qu'effrayait son
coup d'aile audacieux ne pouvaient lui refuser estime et respect. Le
langage tenu par eux, en cette funèbre occasion, n'est pas l'hom-
mage le moins significatif parmi tous ceux qui lui ont été rendus.
Son œuvre musicale était considérable et s'accroissait chaque jour
par un travail incessant et acharné. Ce ne sont guère pourtant que
les vingt dernières années qui comptent réellement pour sa carrière
de compositeur. Dans sa jeunesse (il était né en 1822), isolé dans un
milieu si étranger à sa nature, il n'a guère produit que des essais
dans lesquels on aurait eu peine à prévoir à quoi il devait atteindre
plus tard. Pourtant, en ces derniers temps encore, on a exécuté des
œuvres de musique de chambre écrites à cette époque, dans lesquelles,
malgré une influence évidente de Schumann et des dernières œuvres
de Beethoven — que d'ailleurs il y avait quelque mérite à avoir si
bien étudiés en ce temps-là — on trouve déjà quelque chose de
l'inspiration qui devait produire plus tard le quintette avec piano, le
quatuor pour instruments à cordes, les plus admirables compositions
instrumentales qui aient été écrites à notre époque, non seulement
en France, mais partout ailleurs. La sonate pour piano et violon, les
grandes pièces de piano : Prélude, choral et fugue et Prélude, aria et
finale, d'innombrables compositions pour orgue, produits de la science
et de l'inspiration d'un Sébastien Bach moderne, ne leur cèdent en
rien. Dans la forme purement orchestrale il a produit les poèmes syrn-
phoniques: les Bolides, le Chasseur maudit, une symphonie, et deux
pièces où le piano concerte avec l'orchestre: les Djinns, et les Varia-
tions symphoniques. Enfin, ses œuvres vocales sont considérables : une
Messe, et de nombreux morceaux religieux; Ruth, une églogue d'une
poésie délicieuse, par laquelle sa haute personnalité fut pour la pre-
mière fois révélée au public ; Rébecca à la fontaine; Psyché ; Rédemp-
tion, un oratorio où Ton entrevoit déjà les beautés sereines des Réati-
tudes ; et, par-dessus tout, cette dernière œuvre, une des plus puis-
santes conceptions qu'en notre temps un cerveau d'artiste ait formées.
Avec une œuvre aussi considérable, l'on aurait peine à concevoir
que Franck ne fût pas arrivé à une célébrité plus étendue si l'on ne
considérait qu'il n'a jamais abordé le théâtre, qui seul, en France,
consacre le succès et la réputation. 'Il laisse encore, d'ailleurs, deux
œuvres théâtrales en manuscrit : Hu/da, entièrement terminée, et
Ghiselle, dont il avait achevé la composition, mais non l'orchestra-
tion complète, au moment où la mort est venue le prendre. — Que
dire de tout cela ? Ce n'est pas, hélas! le temps d'en parler aujour-
d'hui. Mais ce ne seront pas les occasions qui nous manqueront, et
sans doute ces occasions ne tarderont guère. Il était de ceux pour
lesquels la gloire ne vient qu'après la mort. Mais elle vient sûre-
ment.
Ce qu'il emporte au tombeau, ce qui a disparu pour jamais, c'est
l'inspiration parfois prodigieuse qui l'animait à son orgue et faisait
de lui un des plus puissants improvisateurs qui aient jamais été. A
Sainte-Clotilde, depuis trente aus et plus qu'il en était organiste, on
admirait chaque jour davantage sa richesse d'imagination, sa variété
d'effets, l'incomparable science de ses combinaisons, sans cesse re-
nouvelées. Qui nous rendra cela?... On l'entendit, un jour, pendant une
cérémonie durant laquelle il avait à faire une très longue improvisation
attaquer soudain le chant du finale de la Neuvième Symphonie de Bee-
thoven (téméraire ambition !), et, avec ce thème qui a déjà fourni
à un des géants de la musique ses plus magnifiques développements,
s'élever à son tour, peu à peu, par une progression lente et continue,
à ces hauteurs auxquelles n'atteignent que les rares élus, et par
lesquelles il se révélait un digne frère do celui dont il n'avait pas
craint d'emprunter l'idée première.
Ce qui lui survivra, au moins pour une génération, ce sont ses
élèves. Ils sont légion. Certains ont môme parfois trouvé qu'ils étaient
trop nombreux. Et la plupart, même ayant depuis longtemps quitté
son enseignement, lui témoignaient toujours îme déférence et un-
respect peu communs. Quelques-uns sont déjà célèbres ; plusieurs
même, bien que n'ayant pas étudié sous sa direction, sont venus à
lui, se faisant honneur d'appartenir à son école : tels sont, parmi
les plus connus, MM. Chabrier, Fauré, Messager, Bruneau, Vi-
dal, etc. Parmi ceux de ses élèves directs qui se sont fait connaître
à divers titres, bien qu'aucun, assurément, n'ait eu encore le temps-
de donner toute sa mesure, je citerai particulièrement : d'abord le
regretté A. de Castillon, qui a précédé le maître de plusieurs années-
dans la tombe ; puis MM. Vincent d'Indy, Henri Duparc, A. Coquard,
Albert Cahen, Camille Benoît, Mlle Augusta Holmes, Broutin, H. Dal--
lier, Ernest Chausson, Ch. Bordes, P. de Bréville, L. Husson, F. Tho-
mé, Samuel Bousseau, Tolbeeque, Verschneider, Chapuis, G. Marty,
Lucien Hillemacher, Georges Hue, Pierné, Saint-René Taillandier,
Guy Roparlz, Raymond Bonheur, H. Kerval,. de Wailly, Quitard,
Ganne, Kaiser, Grand-Jany, Marcel Rouher, Jemain, de Serres,
Bachelet, Galeotli, Mmes Renaud-Maury, Leblanc-Gaillard, MUe Pa-
pot, Mlle Boutet de Monvel, etc., etc. Tous, dans cette nombreuse-
famille artistique, nous professions un véritable respect filial pour
notre maître, le « Père Franck », comme nous aimions à l'appeler. -
Nous serons fidèles à sa mémoire', et nous saurons la garder non
seulement pour nous-mêmes, mais encore la faire revivre dans-
l'avenir.
Il était un travailleur infatigable, acharné. Je ne pense pas que-
beaucoup de vies humaines aient pu fournir une somme de labeur
comparable à celle à laquelle il a suffi. A vrai dire, le travail était
pour lui une fouction naturelle, un besoiri, sa seule distraction, et
il ne connut jamais la fatigue. Que de fois nous l'avons vu, après
une journée entière consacrée aux leçons, la soirée passée à faire
répéter quelqu'une de ses œuvres, rentrer chez lui en nous disant
qu'il allait se mettre à composer, la nuit étant le seul moment où
il fût sûr de travailler en paix. Et si, par un heureux hasard, il se
trouvait avoir une demi-heure de libre entre deux leçons, vite il
reprenait la plume et continuait le chef-d'œuvre commencé, quitte
à l'interrompre encore à l'arrivée d'un nouvel élève. Aux vacances,
lorsqu'il allait à la campagne, ce que d'ailleurs il ne faisait pas tou-
jours, il n'attendait même pas que tout fût installé dans la maison :
il fallait qu'il se mît au travail dès l'arrivée, sur l'heure. Cette
année, au mois de juillet , il fut victime d'un accident de voiture,
peu grave en soi, mais qui peut-être, vu son âge, ne contribua pas
peu à déterminer la catastrophe finale : il n'en continua pas moins
sa vie régulière et animée. Je le vis alors au Conservatoire — pour
la dernière fois — à l'époque du concours annuel de sa classe
d'orgue, marchant avec peine, pourtant aussi actif que jamais, et
ne manifestant aucune appréhension. Sa famille le décida à passer
quelque temps aux environs de Paris, à Nemours: il fut heureux,
car il put consacrer toutes ses journées à la composition; le soir, il'
y avait un piano et un harmonium, l'on faisait do là musique: et
la musique c'était sa seule pensée, sa vie entière. Il rapporta de là,
dit-on, d'abord un acte de son opéra entièrement orchestré, puis des
morceaux d'orgue, parmi lesquels on signale trois grandes pièces,
dont ceux auxquels il les a fait connaître disent que jamais il n'a
rien composé d'aussi admirable: le chant du cygne! A la rentrée.
il était à son poste, fit sa classe le premier jour et parut à tous
être dans la meilleure santé. Pourtant, vers le milieu d'octobre, il
fut, sur l'ordre des médecins, contraint de garder la chambre. Ce
ne fut qu'à grand'peine qu'au moment où le mal s'aggrava on put
le décider à s'aliter :il voulait rester debout, donner ses leçons, tra-
vailler toujours. Une pleurésie se déclara. Bientôt le mal s'étendit
et se compliqua d'une péricardite. Il ne sembla pas souffrir, et s'il
se rendit compte lui-même de la gravité de son état, du moins il
n'en laissa rien paraître. Dans la dernière semaine d'octobre, une
amélioration sensible se manifesta; les journaux en parlèrent à ce
moment: les nouvelles plus rassurantes qu'ils donnèrent étaient
exactes alors; mais cet état ne fut que momentané: à partir des
premiers jours de novembre, il devint de dIus en plus alarmant,
sans que d'ailleurs le malade se départit uu instant de sa sérénité
coutumière. Vendredi 7, de nouveau il se sentit mieux. Le soir,
entouré de tous les siens, il leur souriait, cherchait à les rassurer :.
« C'est bien, c'est bien, » murmurait-il avec cette confiance naïve -
de l'homme qui vécut dans une continuelle illusion, ne vit jamais
le mal et considéra toujours la vie par son beau côté, bien qu'il n'en
eût guère été payé de retour. Puis il entra en agonie : elle dura
toute la nuit, et fut pénible. Le lendsmain samedi, à S heures du
matin, il expira.
Ses obsèques ont eu lieu le surlendemain lundi, 10 novembre, à
l'église Sainte-Clotilde. Tous ceux qui l'avaient aimé, admiré et
LE MElNESTREL
365
respecté élait là : c'est dire que l'affluence était considérable. Les
cordons du drap mortuaire étaient tenus par MM. Léo Delibcs, Saint-
Saèns, Bussine, ancien président et fondateur de la Société natio-
nale, H. Dallier, organiste de Saint-Eustache, Arthur Goquard, tous
deux ses élèves, etc. A l'église, M. Gigout était à l'orgue: il a fait
entendre, sur cet instrument qui, hier encore, résonnait sous les
doigts du maître regretté, son Cantàbile en si majeur, une de ses plus
belles pièces d'orgue, et deux fragments de Rédemption; la maîtrise,
accompagnée par l'orchestre de M. Colonne, a exécuté le Panis ange-
licus de sa messe à troix voix. Quant au reste de la musique, on
nous permettra de n'en point parler: s'il était impossible de composer
un programme entièrement formé avec son œuvre, il n'y avait que
la musique des maîtres classsiques et incontestés, Bach, Beethoven,
qui eût pu être admise : toute autre intervention ne pouvait man-
quer d'être considérée comme indiscrète. M. le curé de Sainte-CIo-
tilde. en quelques nobles paroles, et dignes de celui qu'elles vou-
laient honorer, a prononcé l'éloge du défunt. Un long cortège a
accompagné le corps jusqu'au cimetière du Grand-Montrouge, au
loin, hors Paris. Deux seuls discours y ont été prononcés : l'un par
M. Emra. Chabrier, au nom de la Société nationale, dont César
Franck était président, l'autre (quelques mots seulement, en l'absence
de M. Vincent d'Indy, très loin de Paris et absolument empêché
d'assister aux funérailles de son maître), au nom des élèves de
César Franck, par M. Camille Benoit. Je ne puis résister au désir
de citer la plus grande partie de l'allocution de M. Chabrier :
« Il était le cher maître regretté, le plus modeste, le plus doux
et le plus sage. Il était le modèle, il était l'exemple.
« Sa famille, ses élèves, l'art immortel, voilà toute sa vie. Vers
la fin de l'automne, dès qu'il rentrait à Paris, nous lui demandions :
« Eh bien, maître, qu'avez-vous fait, que nous rapportez-vous ? »
— « Vous verrez, répondait-il, en prenant un air mystérieux, vous
verrez, je crois que vous serez contents... J'ai beaucoup travaillé, et
bien travaillé. » Et il nous disait cela si simplement, avec une foi
si naïvement sincère, de sa large voix expressive et grave, en nous
pressant les mains, les gardant longtemps, presque sérieux, son-'
géant à la fois aux chères joies qu'il avait éprouvées, lui, en
composant, et au plaisir qu'il lui semblait bien que nous prendrions
aussi à écouter l'œuvre nouvelle!..
« Adieu, maître, et merci, car vous avez bien fait. C'est l'un des
plus grands artistes de ce siècle que nous saluons en vous ; c'est
aussi le professeur incomparable dont l'enseignement merveilleux a
fait éclore toute une génération de musiciens robustes, croyants et
réfléchis, armés de toutes pièces pour les combats sévères, souvent
longuement disputés. C'est aussi l'homme juste et droit, si humain
et si désintéressé, qui ne donna jamais que le sur conseil et la
bonne parole. Adieu. »
Mais il est de ceux qui ne disparaissent pas tout entiers, et pour
lesquels on peut dire que la mort ouvre une nouvelle période de vie,
plus glorieuse, et sans limites. Déjà nous savons qu'il est question
de donner prochainement à Dresde une audition intégrale des Béa-
titudes, son chef-d'œuvre, qui n'a jamais pu encore être exécuté en
entier. Un de ses élèves en a été informé récemment, et se réjouis-
sait d'en donner la nouvelle au maître, pour qui c'eût été un grand
bonheur, car il eût vu là la réalisation du plus ardent désir de
toute sa vie : mais c'était trop tard, il était mort sans avoir eu cette
joie. Et ce n'est là qu'un commencement. Nous ne pouvons pas,
chez nous, rester en arrière : nous avons reçu déjà d'assez nom-
breuses leçons de'ce genre pour que l'on puisse espérer qu'on en pro-
fitera enfin. Au lendemain de la mort de Berlioz, M. Reyer écrivait:
« On mettra peut-être plus de temps pour le glorifier qu'on n'en a
mis à glorifier Beethoven ; mais on le glorifiera pourtant. » Ce qui
s'est si bien réalisé pour Berlioz peut s'appliquer avec non moins
de certitude à César Franck : il n'y a pas besoin d'être bien grand
prophète pour l'annoncer.
Julien Tiehsot.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (13 novembre). — Deux reprises,
cette semaine: Coppelia et Manon. Le délicieux ballet de M. Léo Delibes
est toujours sur de retrouver son habituel succès; chaque fois qu'on l'a
joué ici, sa carrière a été longue ; et cependant que d'interprétations bâclées
il a dû souflrir! Malgré tout, son charme est si grand qu'on l'applaudit
quand même; rien ne peut prévaloir contre les chefs-d'œuvre. Cette fois,
on l'avait bien soigné. L'orchestre surtout, conduit par M. Léon Dubois,
en a détaillé avec soin les pages exquises et lui a donné sa couleur et son
mouvement. L'interprétation chorégraphique est bonne, sans avoir rien
de très remarquable. MUc Riccio danse spirituellement le rôle principal.
La reprise de Manon a été, pour Mllc Sybil Sanderson, un vrai succès.
On pouvait craindre qu'elle ne donnât pas au rôle la variété d'accent qu'il
exige, et qu'elle n'y fut pas assez comédienne. Certes, en certaines pages
de l'œuvre, elle n'est pas tout à fait la Manon dégourdie presque cynique,
qu'on pourrait désirer; elle est distinguée, réservée presque, d'un bout à
l'autre de la pièce, même là où on lui pardonnerait de ne pas l'être trop.
Mais elle réalise, par contre, dans les premiers actes, d'une façon si
exacte, la physionomie rêvée de l'héroïne, c'est un si joli Greuze, et elle
es t si charmante à voir et à entendre, avec sa petite voix tendre, qui s'échauffe
çà et là d'inflexions amoureuses et caressantes si bien d'accord avec la
musique de M. Massenet, qu'on lui pardonne ce qu'elle n'est pas en
faveur de ce qu'elle est. On l'a beaucoup applaudie et même beaucoup
rappelée. On a associé à son succès M. Delmas, qui a chanté le rôle de
Desgrieux, lui aussi, avec charme et conviction. M. Badiali a composé
un Lescaut hardiment conforme au personnage peu sympathique qu'il
représente, et a donné, une fois de plus, la preuve de son intelligence
artistique et de ses précieuses qualités de chanteur. Le petit trio de
femmes est parfait. Et l'ensemble, malgré un ou deux rôles secondaires
insuffisamment tenus, portait la trace heureuse du soin méticuleux pro-
digué par l'auteur à l'exécution de son œuvre. En somme, c'a été une
très bonne soirée.
MM. Stoumon et Calabresi n'ont qu'à se féliciter, jusqu'à présent, de
la saison actuelle. Autant la précédente avait été triste et désastreuse,
autant celle-ci est fructueuse. Si les résultats des mois qui vont venir
sont pareils à ceux des deux mois écoulés — et tout porte à le croire,
puisque l'ère des nouveautés n'est pas encore ouverte — ils auront rat-
trapé, et au delà, leurs pertes de l'an dernier. Cela les encouragera, sans
aucun doute, à corser l'intérêt du répertoire. Espérons-le. La première de la
Basoche estprochaine ; celle de Siegfried, retardée par suite des difficultés dont
je vous ai parlé et qui sont toutes levées maintenant, suivra de quelques
semaines. Nous aurons aussi, décidément, Don Juan et la Flûte enchantée;
et plus tard, Lohengrin, — sans compter Werther, qui serait arrêté défini-
tivement si le choix du ténor était fait; mais on hésite: sera-ce M. Lafarge,
M. Delmas, ou un autre?
En province, les choses ne vont pas aussi brillamment qu'à Bruxelles.
Dans nos deux principales villes belges, à Anvers et à Gand, les théâtres
royaux sont en proie au plus noir des marasmes; la plupart des artistes
engagés mordent la poussière, et les remplaçants ne réussissent guère
mieux; c'est affreux ! Quant à Liège, mieux vaut n'en point parler. Voilà
où en est la musique lyrique en Belgique, cette année-ci ! Je comprends
que la province se sauve de chez elle et accoure à Bruxelles.
La période des grands concerts va bientôt s'ouvrir. Nous avons eu
déjà, samedi dernier, le célèbre violoniste Joachim, qui a inauguré la
série annnelb des Concerts classiques organisés par la maison Schott; aux
prochains concerts, nous entendrons Mmo Carreno et M. Diémer, qu'on ne
connaît pas encore à Bruxelles, et M. Thomson, le violoniste. Les con-
certs de l'Association de sartistes-musiciens, qui se donnaient depuis fort
longtemps à la Grande Harmonie, se donneront désormais dans la salle
de la Monnaie; le premier de la saison aura lieu le 6 décembre, avec
Mllc Sanderson et — greal attraction I — M. Massenet, qui accompagnera
lui-même au piano des mélodies de sa composition. Les concerts du Con-
servatoire vont, eux aussi, reprendre leurs intéressantes séances. On avait
annoncé qu'elles seraient consacrées exclusivement à Beethoven et à ses
symphonies ; c'est une errreur : les programmes seront variés ; il y aura,
notamment, la neuvième avec chœurs, le Manfred de Schumann avec
M. Mounel-Sully, et VEgmont avec Mlle Dudlay. — En ce qui concerne les
Concerts populaires, leur existence est malheureusement très compro-
mise. La Ville, après avoir retiré le subside dont ils avaient joui pendant
de longues années, leur refuse, cette fois, la salle de la Monnaie. A notre
avis, à l'Albambra, ils seraient aussi commodément, puisqu'ils y ont vécu
longtemps. Mais le parti pris de nos magistrats communaux de découra-
ger l'art musical et particulièrement des entreprises comme celle-là, ayant
rendu de si grands services au mouvement artistique en Belgique, est
trop évident, et ne saurait être assez blâmé. Alors que ces messieurs
jettent leurs subsides à la tète des moindres sociétés de pigeons ou de
tireurs à l'arc, s'acharner à couper ainsi les vivres à l'institution des Con-
certs populaires, qui, plus qu'aucune autre, a fait connaître au public la
plupart des maîtres français, allemands, russes, etc., a attiré sur la ville de
Bruxelles l'attention de quiconque, à l'étranger, s'occupe de musique, et
a valu à notre petit pays le renom flatteur d'un pays où l'on aime l'art, —
avouez-le, c'est roide ! Et lenom de l'échevin des beaux-arts, M. André,
qui dirige tout cela, mériterait vraiment de passer à la postérité.
Lucien Solvay.
— Peu de succès à Anvers pour la première représentation d'un opéra
posthume d'Henry Waelput, intitulé Stella. Waelput était un artiste d'une
valeur et d'une fécondité exceptionnelles, mort en 1885 dans toute la force
de l'âge, ayant à peine quarante ans, en laissant un grand nombre de
compositions importantes et encore inconnues. H est probable que la fai-
blesse de l'interprétation aura porté tort à l'œuvre que nous signalons ici.
366
LE MÉNESTREL
— Un compositeur belge fort distingué, M. Erasmo Baway, dont on
a justement remarqué, entre autres oeuvres, une composition symphonique
d'une belle couleur et d'une rare envergure, Scènes hindoues, vient de ter-
miner la partition d'un drame lyrique intitulé Freya, écrit par lui sur un
livret de M. Bonvaux.
— Liste des ouvrages du répertoire français représentés pendant la
dernière quinzaine sur les scènes lyriques d'Allemagne : Berlin : Carmen,
Mignon (2 fois), le Corsaire (ballet). — Cassel: Les Dragons de Villars, la
Juive. — Cologne : Les Huguenots, Carmen. — Dessau : Faust, les Huguenots
(2 fois), Carmen (2 fois). — Dresde : Joseph (3 fois), la Poupée de Nuremberg
(2 fois). — Francfort : Le Pardon de Ploêrmel, Mignon, Faust, le Domino noir,
Guillaume Tell, l'Africaine, les Dragons de Villars, Carmen, Lakmé, la Fille du
régiment, Robert le Diable. — Hambourg : Mignon (3 fois), Carmen, Guillaume Tell,
le Postillon de Lonjumean, Roméo et Juliette. — Mannheim : Mignon, Carmen, les
Contes d'Hoffmann (2 fois). — Munich : La Juive (2 fois), la Part du Diable, les
Huguenots, le Postillon de Lonjumeau, Guillaume Tell, Fra Diavolo (2 fois), Bon-
soir, Monsieur Pantalon. — Pesth : Hamlet, les Huguenots, Coppélia, la Juive,
Faust, la Fille du régiment, Mignon. — Stuttgart : La Fille du régiment, la
Juive. — Vienne : Robert le Diable, l'Africaine, Fra Diavolo, Guillaume Tell,
Coppélia. 4
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Berlin: L'éclairage électrique
obligatoire vient d'être imposé à tous les établissements contenant plus
de huit cents places. — Asra'èl, l'opéra de M. Franchetti, a été accepté à
l'Opéra royal. — Breslau : les Templiers, de M. Litolff, ont été favorable-
ment accueillis à leur première apparition au théâtre municipal. —
Brunn : Le théâtre municipal a donné le 2 novembre la première repré-
sentation d'une opérette, le Page Fritz, qui a pour auteur MM. A. Straffer et
von Weinzierl pour la. musique, et MM. A. Landsberg et B. Gênée poul-
ies paroles. Franc succès. — Carlsruhe : A l'occasion de la fête de la
grande-duchesse, le théâtre de la Cour représentera pour la première fois
en Allemagne les Troyens de Berlioz. L'ouvrage sera joué dans toute son
intégrité, c'est-à-dire que l'on consacrera une soirée entière, celle du
2 décembre, à la première partie, La Prise de Troie, et une autre, la sui-
vante, à la seconde partie, Les Troyens à Cartilage. Les rôles de Cassandre .
et de Didon sont échus à MmcB Beuss et Meilhac, celui d'Enée à M. Ober-
lânder. — Darjistadt : On prépare la résurrection, on pourrait presque
dire la réhabilitation d'un ouvrage de L. A. Mangold, rentré dans le néant
à l'apparition d'un redoutable homonyme, le Tannhauser de Wagner. Le
Tannhauser de Mangold date de plus de 45 ans et a été représenté pour la
première fois à Darmstadt en 1846. M. Pasqué, actuellement un des pre-
miers librettistes allemands, en était alors un des interprètes. C'est lui qui
a pris l'initiative de cetle reprise, qu'il considère comme un acte de justice
et en vue de laquelle il a remanié le livret. — Francfort : La Princesse
d'Athènes, tel est le titre d'un opéra-comique en un acte dont le théâtre
municipal vient d'avoir la primeur, et qui est sa première nouveauté de
la saison. Tout le succès a été pour l'étincelante partition de M. F. Lux;
le livret, tiré par M. Jacoby des Harangueuses d'Aristophane, a été trouvé
faible. Bon ensemble d'interprétation. — Gr/etz : Succès de musique éga-
lement pour une nouvelle opérette du compositeur E. von Taund, le Gouver-
neur, au théâtre municipal. Le livret de MM. Karpa et Legwarth a produit
peu d'impression. — Halle : Mignon vient d'effectuer triomphalement sa
première représentation au théâtre municipal. — Pesth: Les théâtres de
cette ville ont fêté du 24 au 26 octobre le centenaire de l'introduction de
l'art dramatique en Hongrie. — Vienne: A l'Opéra, on vient de représen-
ter pour la 100e fois Roméo et Juliette de Gounod, et on annonce pour le 19
de ce mois la première représentation allemande de la Manon de M. Mas-
senet, traduction de M. Gumbert. — Weimar: Mlle Marguerite Petersen,
une jeune cantatrice danoise, vient d'effectuer d'une façon très heureuse
son premier début au théâtre dans Mignon.
— Le comte Geza Zichy, amateur très militant et célèbre pianiste de la
main gauche (il a perdu le bras droit dans un duel,), vient d'être nommé
intendant général des théâtres royaux de Budapest. Des deux cotés de la
Leitha, nous voyons donc un musicien à la tète des théâtres de la Cour,
car le baron Bésecny, intendant général des théâtres impériaux de Vienne,
est non seulement une des premières capacités financières et adminis-
tratives de l'Empire, mais en même temps, lui aussi, un pianiste de pre-
mière force.
— A la Singacadémie de Vienne, les programmes des trois prochains
concerts comprennent, entre autres œuvres, un psaume d'Hermann Gœtz,
un fragment de la Médêe de Chérubini, une cantate de Friedmann Bach,
et diverses compositions chorales de Palestrina, Perti, Vittoria,, Jean-
Sébastien Bach, Ilacndel, Morley,Schumann, Schubert, Antoine Bruckner,
Peter Cornélius et Johannès Brahms.
— A Vienne, l'académie chorale de la Société' Ambrosius doit exécuter,
au cours de la saison qui s'ouvre, plusieurs œuvres de musique religieuse
ancienne d'une grande importance. On cite particulièrement le fameux
Miserere de Gregorio Allegri, la Messa a cappella en la, d'Antonio Lotti, le
Slabat Mater de Traetta, la Missa ad regias agni dapes de Bernabei, et les
chœurs du David pénitent de Mozart.
— A Breslau, la société chorale Bohn se propose de donner, dans le
courant de l'hiver, quatre grands concerts historiques dont] deux seront
spécialement consacrés à l'opéra allemand de 1783 à 1830.
— L'événement de cette huitaine, à Saint-Pétersbourg, est la première
représentation de l'opéra le Prince Igor, de feu Borodine, arrangé et terminé
par MM. Bimsky-Korsakow et Glazounow. Il y a deux musiques dans cette
œuvre, la musique russe du type de Glinka, Seroff, Mousorgsky, etc., et
une musique orientale délicieuse. Une partie de cette action historique
se passe dans la ville de Poutivl, l'autre dans le Stane du Khan de Polo-
wesk, Kontchak. Les chœurs et ballets russes et tartares sont charmants.
Mmes Olguina et Slavina, ainsi que MM. Melnikoff, Vassilieff, Ougrinowitch,
Stawrinsky, etc., ont admirablement chanté. Ces deux derniers avaient
des rôles d'ivrognes gais. On a remarqué que dans cet opéra le peuple et les
princes boivent énormément. Le premier, le troisième et le quatrième
acte finissent par des scènes d'ivrognerie, ce qui achève de donner un
caractère national à cet opéra, dont les décors et les costumes sont d'une
splendeur russo-byzantine faisant honneur au goût artistique du directeur
des théâtres impériaux, M. Wsewolodsky. — Les Pétersbourgeois ont passé
des nuits glaciales, depuis quatre heures du matin jusqu'au soir, à faire
queue pour avoir des billets pour les concerts de la Patti. On espère
l'arrivée de Mmc Melba pour le mois de janvier. Elle débuterait dans le
même moment que les frères de Beszké. Voilà le grand Opéra de Paris
chez nous ; il serait curieux de faire un chassé-croisé.
— Nous avons dit qu'on se préparait à célébrer, à Saint-Pétersbourg, le
vingt-cinquième anniversaire de l'entrée dans la carrière du compositeur
Tschaïkowski. A cette occasion on donnera un grand concert symphonique
uniquement composé d'œuvres de cet artiste et qui sera dirigé par son
illustre confrère Antoine Buhinstein.
— Le succès étonnant de Cavalleria rusticana sur les scènes italiennes,
que quelques-uns jugent excessif, suscite dans certains esprits quelque
défiance qu'un journal de Milan, la Lanterna, nous fait connaître avec une
franchise assez rare: — « Nous comprenons facilement, dit ce journal,
qu'à une époque où une myriade d'œuvres musicales s'offrent à la scène
sans que jamais un éclair de génie vienne rompre la monotone obscurité
des insuccès, l'apparition d'un ouvrage qui a su exciter le fanatisme du
public devait être accueillie avec défiance. Nous comprenons de même
que les exagérations qui ont accompagné les débuts du jeune Mascagni
n'ont fait qu'accroitre les doutes sur la valeur musicale de la Cavalleria
rusticana. Mais de l'attente mêlée de défiance à l'ostracisme projeté (pro-
jeté par la critique milanaise), il y a un abîme. Et si la première pouvait
être justifiée par l'apparition surprenante d'un génie fécond dans le monde
théâtral moderne, le second révèle seulement l'idée préconçue de critique,
pour le seul plaisir de s'ériger en censeurs infaillibles. — Si la Cavalleria
rusticana nous était venue de l'étranger, surtout avec un passeport ludesque,
on peut tenir pour certain que les dénigreurs actuels de ce travail musi-
cal auraient crié hosanna à plein gosier, affirmant avec une emphase de
circonstance, qu'on ne devait pas s'occuper des murmures des porte-per-
ruques (parruccani), mais bien s'en rapporter au verdict du public, seul et
vrai juge ! — Mais l'opéra de Mascagni était né sous le beau ciel d'Italie;
on ne pouvait donc le tenir pour bon, par la seule raison qu'il ne por-
tait point l'étiquette allemande, ni le timbre de la maison Wagner et Cie !!!
Alors on nie le succès de l'opéra, on nie sa valeur musicale, on cherche
avec art à détruire le piédestal sur lequel l'opinion publique a placé le
jeune maestro. Et, semblables aux grenouilles qui croassent après lalune,
quelques prétendus critiques montent en chaire et griffonnent de petits
articles pleins de phrases retentissantes, espérant ainsi convaincre le bon
public. Mais ils ont beau crier, la Cavalleria, bien que rusticana, a poursuivi
et poursuit sa brillante carrière, marchant de succès en succès sur nos
principaux théâtres. Du reste, l'ouvrage de Mascagni se donnera sous peu
à la Scala, et nous verrons alors si le public milanais se laissera persua-
der par les balivernes des petits savants de la critique, ou si, jugeant
avec son propre bon sens, il confirmera le verdict de tant d'autres villes,
laissant les incrédules avec un pied de nez, pied de nez qui ne fera pas
grand mal aux critiques milanais. »
— Petites nouvelles d'Italie. — Le ministre de l'instruction publique
vient d'ouvrir un concours pour la composition de chants destinés à être
exécutés dans les écoles normales, dans les écoles pTimaires et dans les
asiles infantiles. — Le nouvel opéra de M. Carlos Gomes destiné à la Scala
de Milan et qui devait s'appeler Condor, a changé de titre et sera joué
sous celui de Gabriella. — Celui de M. Giannelti, Manoli/lo, qui devait être
représenté au théâtre Bellini de Naples, passe avec armes et bagages au
grand théâtre San-Carlo. — A Borne, apparition de deux opérettes nou-
velles : l'une, Faccennone e Cordalcnta, de M. Pippo Tamburi., au théâtre
Hossini; l'autre, en dialecte romanesque, l'Arrabiate pe'marito, dont on ne
nous fait pas connaître l'auteur, au théâtre Métastase. — A Florence, le
vieux maestro Sborgi a fait entendre à quelques privilégiés, dans une
réunion intime, la musique d'un opéra en quatre actes intitulé Monaldesca.
Un groupe d'amis et de journalistes s'est formé pour effectuer les démar-
ches destinées à obtenir la représentation de l'œuvre du vieil artiste. —
Le Pungolo de Naples croit pouvoir affirmer que M. Edouard Sonzogno a
chargé deux élèves du Conservatoire de cette ville, MM. Cilea et Giordano,
d'écrire chacun un opéra, l'un sur des paroles de M. Daspuro, l'autre sur
un poème de M. Zanardini. — L'Académie philharmonique de Bologne
vient de clore le concours qu'elle avait ouvert pour la composition d'une
messe à quatre voix et chœur, avec accompagnement d'orchestre ; vingt-
deux manuscrits lui ont été présentés. — A Bologne aussi, on vient de
publier une grande Messe de Reijuiem à quatre voix, avec orchestre, de
LE MENESTREL
367
M. Alessandro Busi, professeur au Lycée musical. Les critiques font de
cette œuvre le plus grand éloge, et assurent que c'est la plus belle messe
de Requiem qui, depuis celle de Verdi, ait été écrite par une plume italienne.
— La correspondance romaine du Figaro nous annonce que l'opéra de
M. Jules Cottrau, Griselda, qui vient d'être représenté à Florence avec un
si grand succès, sera joué prochainement sur l'un des théâtres de Rome,
où une cantatrice française, Mme Dorsay, en a fait connaître récemment,
dans un salon artistique, plusieurs morceaux qui ont été accueillis avec
la plus grande faveur.
— Un incident s'est produit récemment au théâtre de Trévise pendant
une représentation d'Hamlet, où notre compatriote M"0 Galvé remplissait
le rôle d'Ophélie. M110 Calvé venait à peine d'achever le grand air qui
suit la scène de l'éloignement d'Hamlet, lorsqu'elle fut tout à coup prise
de faiblesse et tomba évanouie dans les bras de l'actrice qui jouait la reine.
Il fallut baisser la toile et transporter la cantatrice dans sa loge. Après
une assez longue interruption, le spectacle fut repris à la scène des co-
médiens, et Mlle Calvé, remise de son indisposition, put reparaître ensuite, •
aux grands applaudissements du public. :
— Nous avons dit qu'un petit cycle d'opéras bouffes de Donizetti allait
succéder, au Théâtre National de Rome, à la série d'opéras bouffes de
Rossini qui venait d'obtenir tant de succès. Les trois ouvrages choisis
étaient VEUsire d'amore, la Recjina di Golconda et la Figlia del reggimento. La
représentation de VEUsire a eu lieu devant une foule énorme et visible-
ment désireuse du succès; mais l'exécution générale était si faible de la
part des chœurs et de l'orchestre, si fâcheuse en ce qui concerne le bary-
ton chargé du rôle de Belcore, que la soirée a été navrante. On signale
seulement les bonnes qualités dont ont fait preuve MUe Elena Teriane dans
le rôle d'Adina et M. Lombardi dans celui de Nemorino.
— Nouvelles de Londres. — La semaine a été meilleure à Covent-Gar-
den. La reprise d'Orphée constitue le principal événement artistique de
cette courte saison d'opéra, et l'impression produite est tout à l'actif de
M. Lago, quand on tient compte des éléments dont il pouvait disposer.
La belle partition de Gluck, depuis longtemps délaissée en Angleterre et
complètement inconnue à toute une génération d'amateurs, est sortie
triomphante de cette épreuve, et la merveilleuse scène des Champs-Elysées,
surtout, a produit un enchantement général. Le rôle d'Orphée a trouvé en
Mlle Giulia Ravogli une interprète de grande valeur. Sans partager l'en-
thousiasme de la presse locale, qui a épuisé son répertoire de louanges et
affronté toutes les comparaisons, il faut néanmoins constater le succès
très franc et très mérité de la jeune artiste. Certes, la voix est insuffisante
dans le grave, et la vocalisation de l'air de Bertoni n'a pas été d'une
grande correction. Mais ces réserves une fois faites, on doit reconnaître
que MUg Ravogli possède à fond ce rôle redoutable, qu'elle l'a tenu d'un
bout à l'autre avec une conscience tout artistique, et que, comédienne
intelligente, elle a été très adroite dans la fameuse scène muette. A côté
d'elle, les rôles d'Eurydice et de l'Amour sont tenus d'une façon insuffi-
sante. Faibles aussi les chœurs, qui ont manqué de sonorité dans la ter-
rible scène de l'Enfer. Inutile d'insister sur les incongruités de la mise
en scène : le Paradis d'Indra a été chargé de représenter les Champs-
Elysées, et c'est ce qu'il y avait de plus approchant comme couleur locale.
Un bon point à l'orchestre, dirigé par M. Bevignani. La reprise de Lohen-
grin a fourni à Mme Albani l'occasion de se faire entendre dans un de ses
meilleurs rôles. Elle aurait dû laisser le public sous cette bonne impres-
sion et ne pas aborder celui de Valentine, des Huguenots, dont la mu-
sique est au-dessus de ses moyens. Une indisposition de M. Maurel a
enlevé à la reprise de Rigoletlo son principal intérêt. On espère que
l'éminent baryton français pourra faire sa rentrée dans ce même rôle, ce
soir jeudi, et Tannhàuser, avec Mmc Albani et Maurel, est annoncé pour-
mardi prochain. A. G. N.
PARIS ET DEPARTEMENTS
Le ministre des beaux-arts a été entendu, cette semaine, à la com-
mission du budget, relativement à la question de l'Opéra et aux difficultés
qui s'élèvent au sujet de la réfection des décors. Il a indiqué quels sont
les droits que l'État croit avoir. Le conseil judiciaire du ministère croit
que ces droits dérivent de l'article 34 du cahier des charges. Aux termes
de cet article, la direction de l'Opéra est tenue de rendre les décors égaux
en nombre à ceux qu'il a reçus et de les rendre en bon état de réparation. Le
ministre expose qu'il a pu croire un instant que l'accord allait s'établir
entre la direction et lui. Le 31 juillet, en effet, M. Ritt consentait en prin-
cipe à la réfection des décors. Mais l'accord n'a pu s'établir quand on est
arrivé aux questions de chiffres. Le ministre demandait à la direction de
l'Opéra un sacrifice de 250,000 francs. A savoir, 130,000 francs immédia-
tement et 100,000 francs à répartir sur la subvention des deux années
restant à courir. Finalement, M. Ritt a répondu que le cahier des charges
ne l'obligeait pas à ce sacrifice ; qu'il avait fait une offre gracieuse, mais
que l'interprétation du traité ne faisait aucun doute à ses yeux. Dans cette
situation, le ministre déclare qu'il se voit dans la nécessité de faire un
procès. Le procès ne peut être engagé aujourd'hui, mais seulement à
l'expiration de la concession. Du reste, pour se couvrir du risque, le
gouvernement a le cautionnement de 400,000 francs. Le ministre croit
donc que la subvention peut être votée sans qu'il soit porté atteinte aux
droits de l'État. Sous le bénéfice de ces observations, la commission a voté
la subvention pour 1891, comme le demandait le ministre.
— Ainsi donc la commission s'est quelque, peu déjugée, puisque, dans
les précédentes séances, elle avait décidé de supprimer mille francs de
la subvention pour marquer son mécontement de la triste gestion de
MM. Ritt et Gailhard. Elle aurait dû s'en tenir là; il eût été excellent
que les éminents directeurs reçussent cet avertissement. Il n'est pas dit
d'ailleurs que la Chambre des députés n'y revienne pas.
— Voici l'opinion de M. Francis Magnard, du Figaro, sur la question;
elle portera d'autant plus qu'elle émane d'un esprit absolument modéré et
marqué au coin du bon sens : « On discute sur l'interprétation du contrat
que M. Fallières, méridional comme M. Gailhard, paraît avoir assez légère-
ment signé autrefois. C'est, d'ailleurs, un simple épisode dans le gros débat
artistique soulevé par la direction de l'Opéra et le mécontentement légi-
time qu'elle inspire à tous les artistes. Le privilège de M. Ritt n'est pas
encore en discussion, et nous supposons que son associé et lui feront
l'impossible pour qu'il soit renouvelé. On peut croire qu'en jouant l'autre
soir un acte entier de Lohengrin, M. Gailhard avait voulu montrer que lui
aussi s'intéresse à l'art moderne, aux idées novatrices. Nous croyons
cependant qu'il faudrait dès à présent leur faire comprendre que leur
règne va finir. Je ne dis pas qu'ils n'aient pas fait de leur mieux, mais
c'est précisément pourquoi il faut les remplacer. Leur mieux ayant été,
comme dit le proverbe, l'ennemi du bien, il y aurait lieu d'essayer une
autre direction, ne fût-ce que pour voir comment elle s'en tirerait. M. Ritt
est très vieux, très cassé et très peu artiste. M. Gailhard n'a marqué son
passage dans le casino qu'a bâti M. Garnier ni par le luxe des décors, ni
par l'élégance des costumes, ni par l'élan artistique imprimé à un orchestre
endormi, à des chœurs machinaux, à des premiers sujets tout à fait infé-
rieurs à leur fonction. En supposant que leur successeur, quel qu'il soit,
ne fasse pas mieux qu'eux, il ne fera certainement pas pis; c'est impos-
sible. Une fois l'expérience tentée, et si l'introduction d'un esprit nouveau
dans la vieille maison de musique n'a pas réussi, on en sera quitte pour
en revenir aux errements du passé et pour rappeler au besoin l'excellent
M. Gailhard, qui a encore, je l'espère pour lui, une longue carrière à
parcourir et qui, dans l'intervalle, aura pu diriger supérieurement l'opéra
d'Avignon ou de Toulouse. »
— Le capitaine Fracasse, de l'Echo de Paris, est encore plus catégorique:
« La commission du budget, dit-il, a décidé de proposer au Parlement le
vote de la subvention de l'Opéra, en se réservant d'intenter un procès
aux deux directeurs, à l'expiration de leur privilège, pour la réfection des
décors. Accorder huit cent mille francs de subvention à des gaillards qui
refusent de payer 250,000 francs dus à l'État, ce serait véritablement un
comble. Nous pensons, nous, qu'il se trouvera un député assez intelligent
pour se lever et dire : « Simplifions la question et supprimons le procès,
en diminuant la subvention de 250,000 francs. »
— M. Louis Besson, de l'Evénement, conclut ainsi: — « Si un accord n'in-
tervient pas à brève échéance, il faut considérer que la succession de
MM. Ritt et Gailhard sera virtuellement ouverte à l'expiration du privilège
actuel, c'est-à-dire au 1er décembre 1891 ». Ainsi soit-il; mais ce serait une
grosse faute d'attendre jusque-là. Il se passe bien des événements en une
année: M. Bourgeois, dontil faut reconnaître lesbonnes dispositions, peut
n'être plus ministre. Le camarade de ces messieurs, le complaisant
M. Fallières, celui qui leur a consenti l'étonnant cahier des charges que
l'on sait, peut revenir aux affaires. Et alors ? Le dénouement est prévu.
Si les Chambres étaient sages, si elles avaient quelque souci des inté-
rêts de Fart musical, elles devraient nous débarrasser de suite du gars de
Toulouse et de son vieux complice. Ce serait une satisfaction donnée à
l'opinion publique.
— Pour des raisons toutes personnelles, et d'un commun accord,
MM. Ritt et Gailhard se sont, à leur grand regret, séparés de leur colla-
borateur M. Emile Blavet, qui, depuis six ans, occupait les fonctions de
secrétaire général de l'Opéra. Tous nos compliments à M. Blavet.
— Vendredi dernier, Mm0 Melba a chanté, pour la première fois à Paris,
le rôle de Gilda de Rigoletlo. La brillante cantatrice y a obtenu un très vif
succès, à côté de M. Lassalle dans le rôle du bouffon. L'air du 2e acte et
le fameux quatuor lui ont valu de véritables ovations. — On dit que
MUc Bréval sera prête à débuter, au commencement de décembre, dans le
rôle de l'Africaine. On annonce pour le même mois les reprises d'Henri VI11
et de Patrie. — Cette semaine, on a eu les débuts de MUe Lovventz dans
la reine des Huguenots. Pas de service à la presse. On sait que la direction
n'ose plus soumettre au jugement des critiques les sujets souvent extra-
ordinaires qu'elle racole ici ou là dans les prix doux. Les notes officielles
envoyées par l'administration elle-même aux journaux constatent que la
voix de la débutante a de l'éclat dans les notes élevées, mais qu'elle
manque un peu d'ampleur et parfois de sûreté. Tenons le jugement pour
bon, puisqu'il ne nous a pas été possible de le contrôler.
— La commission théâtrale pour l'érection du monument Bizet s'est
réunie cette semaine, et s'est occupée spécialement de la grande repré-
sentation extraordinaire qui doit être donnée à l'Opéra-Comique.
M. Porel a annoncé que la représentation de V Artésienne, au bénéfice de
l'œuvre, était fixée à l'Odéon au 29 novembre prochain. M. Verdhurt,
directeur du Théâtre-Lyrique, a écrit au président de la commission que
la représentation de la Jolie Fille de Perth, organisée dans le même but,
368
LE MÉNESTREL
aurait lieu la semaine prochaine, et que cette représentation serait com-
plétée par des intermèdes attrayants. La commission a voté des remer-
ciements à MM. Porel et Verdhurt, ainsi qu'à M. Colonne, qui a versé
à la souscription la somme de 2,030 fr. 30 c, bénéfice produit par le
concert du Chàtelet de dimanche dernier. — A ajouter aux souscriptions
faites au Ménestrel : M. Paladilhe, 20 francs.
— L'Association des artistes musiciens, fondée par le haron Taylor, cé-
lébrera cette année, selon sa coutume, la Sainte-Cécile, en faisant exécu-
ter en l'église Saint-Eustache, le. samedi 22 novembre, la messe solennelle
de M. René de Boisdeffre pour soli, choeurs, orgue et orchestre. Les soti
seront chantés par MM. Gibert et Renaud et l'exécution sera dirigée par
M. Danbé. A l'offertoire, MM. Charles et Léopold Dancla feront entendre
une Hymne à Sainte Cécile pour deux violons, harpe et orgue, de M. Charles
Dancla, et après l'élévation, M. Georges Gillet exécutera sur le hautbois
une Prière de Mme C. de Grandval.
— L'Odéon continue ses incursions dans le domaine musical. On an-
nonce la prochaine apparition à ce théâtre d'une adaptation de VAlceste
d'Euripide, faite par M. Alfred Gassier, et dont le rôle principal serait
tenu par Mme Segond-Weber. La représentation de cet ouvrage serait ac-
compagnée de divers fragments de VAlceste de Gluck, dont l'exécution serait
confiée, comme à l'ordinaire, à M. Lamoureux et à son orchestre.
' — D'autre part, on annonce aussi que le drame de M. Joseph Fabre,
Jeanne d'Arc, dont il a été beaucoup parlé en ces derniers temps, serait
joué prochainement au théâtre du Chàtelet, et que pour la représentation
de ce drame M. Benjamin Godard se chargerait d'écrire un certain nom-
bre de morceaux. D'autres disent que ce sera M. Léon Vasseur.
— Le quatrième concert du Chàtelet était donné au profit de la souscrip-
tion du monument de Bizet, et ne comprenait que des œuvres de ce com-
positeur. Des auditions de cette nature ne manquent pas d'engendrer la
monotonie quand le musicien n'a qu'un style et varie peu l'expression de
sa pensée. Ce n'est pas le cas pour Bizet. Les morceaux qu'on nous a
donnés, choisis parmi les meilleurs, montrent combien étaient grandes
les ressources de cet homme de génie, mort avant d'avoir donné tout ce
qu'il promettait, et combien il excellait à peindre des situations diverses
avec les couleurs appropriées au sujet; le pinceau qu'il emploie pour
peindre Carmen n'est pas le même qu'il emploie pour peindre V Artésienne :
Carmen, c'est l'Espagne; l'Arlésienne, c'est la Provence. En même temps
qu'il a une entente admirable de la couleur locale, Bizet est profondé-
ment nourri des traditions des maîtres. Il les a tous étudiés, aussi bien
les classiques que les modernes ; ce n'est pas le diminuer que de dire que
si, dans sa belle ouverture de Patrie, on sent passer le souffle de Meyer-
beer et de Berlioz, on sent dans Roma l'influence de Mendelssohn, et dans
les Pécheurs de Perles celle de Gluck. Ce n'est que dans Carmen et dans
l'Arlésienne qu'on sent une originalité propre, une âme d'artiste qui a pris
possession d'elle-même. A ce contact perpétuel avec les maîtres, Bizet a
gagné deux qualités exquises : la pureté de la forme et la grâce mélo-
lodique; il a de plus la clarté; tout est net, limpide chez lui, rien de
cette obscurité qui vise à la profondeur, rien de ces procédés enfantins
qui font l'admiration des badauds; on comprend tout ce qu'il veut dire
parce qu'il le dit honnêtement, sincèrement et clairement ; il connaît en-
fin toutes les ressources de l'instrumentration moderne , et il en use
avec sobriété, ce qui est un charme de plus; il n'étouffe pas les instru-
ments à cordes sous les herbes parasites, il réserve les autres intruments
pour leur véritable usage, pour leur véritable destination, qui est de
donner la couleur au discours musical. Bizet, s'il eut vécu, aurait indu-
bitablement produit des chefs-d'œuvre ; une partie de ses compositions
ne sont que des essais où le maître cherche sa voie, dans l'Arlésienne, il
est sûr de lui ; dans Carmen aussi ; et c'est alors qu'il meurt ! La mort de
Bizet a été réellement une grande perte pour l'art français, il eût certai-
nement réagi contre les tendances fâcheuses auxquelles cèdent trop faci-
lement un grand nombre de nos artistes contemporains; il eût démontré,
par l'exemple, qu'on peut faire beau et grand en restant correct dans la
forme, clair et mélodique dans l'expression. — La poésie de M. Louis
Gallet, si bien dite par M"0 du Minil, avait sa raison d'être, et chacun l'a
applaudie. L'orchestre de M. Colonne a fait merveille. Cet orchestre, qui
n'est pas refroidi par la recherche impeccable de l'exactitude mathéma-
tique a ce qu'il faut pour interpréter Bizet, c'est-à-dire, de la chaleur et
de la jeunesse. H. Barbedette.
— Concerts Lamoureux. — La trilogie de M. V. d'Indy, W allenslein, si
elle fait violence parfois à notre désir bien naturel d'envisager d'un coup
d'œil le plan général d'une œuvre de façon à pouvoir nous rendre compte,
à tout instant, du point précis où en est le discours musical, dénote
néanmoins une entente réelle des combinaisons thématiques, une grande
dextérité dans le maniement des sonorités, et la préoccupation constante
de n'acccepter que des motifs bien caractéristiques. L'ouvrage, qui se sou-
tient depuis près de quatre ans, est toujours accueilli avec succès. Le
concerto en fa mineur de M. Lalo a été rendu par M. Louis Diémeravec une
virtuosité qui exclut l'idée même d'un effort et avec une grande noblesse
de style. La salle entière a fait à l'exécutant une ovation aussi chaleu-
reuse que légitime. L'ouverture de Gicendoline de M. Emm. Chabrier im-
pressionne vivement par l'allure entraînante de mélodies qui semblent
s'immerger dans un océan de frémissantes harmonies; c'est là de la
musique bien écrite pour le théâtre, large et sans raffinement. Le troi-
siè me morceau de la suite d'orchestre à'Esclarmonde, Hyménée, a été très
goûté, car il présente sous une face quelque peu nouvelle le talent fin et
délicat de M. Massenet. La ballade pour orchestre de M.Chevillard, œuvre
distinguée et bien équilibrée, a été favorablement accueillie. Le Cortège de
Bacchus, extrait du ballet de Sylvia de M. Léo Delibes, a terminé, sur une
note étincelante et spirituelle, cette séance qui avait commencé par une
excellente exécution de l'ouverture de Benvenuto Cellini, de Berlioz.
Amédée Boutarel.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Chàtelet, concert Colonne. — Symphonie fantastique (H. Berlioz); Fantaisie,
op. 15 (F. Schubert), par M. Bieitner; ballet i'Ascanio (Saint-Saëns) ; Scènes alsa-
ciennes i Massenet); airs des Pêcheurs de perles (G. Bizet), chantés par MM. Auguez
et Waimbrodt; la Chevauchée des Walkyries (R. Wagner).
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamtiureux. — Symphonie en si bémol,
n° 4 (Beethoven); le Rouet dOmphale (Saint-Saëns); allegro de concerto pour vio-
lon (Paganini), par M. Kosman ; marche des Pèlerins, i'Barold (Berlioz); ouver-
ture de Gicendoline (Chabrier) ; les Murmures de la Forêt, de Siegfried (Wagner);
fragments symphoniques des Maîtres Chanteurs (Wagner). '. "itj
— On écrit de Toulouse : « Ou se rappelle que M. Tapiau, directeur du
Capitale, adressa le mois dernier, au conseil municipal, une demande en
avance de la somme prévue au cahier des charges pour l'achat des décors
né cessaires à monter le grand ouvrage lyrique annuellement imposé par
ce même cahier des charges. Il s'agissait en l'espèce, on le sait, du
Lohengrin de Richard Wagner. M. Tapiau annonçait qu'il avait traité
avec M. Lamoureux pour l'achat du matériel ayant servi à l'unique repré-
sentation donnée de l'œuvre à l'Eden, de Paris. Coût: 10,000 francs, qu'il
fallait payer de suite. D'où, la demande d'avances. Le conseil municipal
émit un vote favorable. Mais voici que M. Lamoureux se refuse mainte-
nant à tenir ses engagements, sous prétexte que la conclusion du marché
s'est trop longtemps fait attendre. Des hommes de loi ont été consultés.
Ils sont unanimes à déclarer que les droits de M. Tapiau sont contes-
tables. Donc, sommation a été signifiée à M. Lamoureux d'avoir à livrer
immédiatement les décors de Lohengrin. S'il s'y refuse encore, on plai-
dera. » — Voici les explications données par M. Charles Lamoureux :
« Après cinq mois de pourparlers sans résultat, malgré son grand désir
de donner la préférence à un directeur français sur d'autres offres plus
avantageuses, venant de l'étranger, devant des hésitations indéfinies et des
restrictions nouvelles apportées par chaque lettre, M. Charles Lamoureux
se décida à demander au maire de Toulouse, avec lequel il avait été mis
en rapport par M. Tapiau, une réponse définitive dans un délai donné.
C e délai ayant été dépassé, M. Lamoureux a repris sa liberté. Donc, il n'y
a pas eu de traité, mais simplement des pourparlers, dans lesquels M. La-
moureux a mis toute la bonne volonté possible. »
NÉCROLOGIE
Un grand malheur vient de frapper Mm° Marchesi, l'émment professeur
de chant, et son digne mari, le marquis de Castrone. Après avoir reçu le
matin même une lettre charmante et tout enjouée de sa fille Thérèse, qui
était mariée à Rome, elle recevait, le soir, un télégramme lui annonçant la
mort subite de cette fille chérie. La désolation de la grande artiste fait
mal à voir. Une messe a été célébrée jeudi, pour le repos de l'âme de la
pauvre regrettée, en l'église des Passionnistes. Tous les amis du marquis
et de la marquise de Castrone étaient reunis là, très tristes et très affligés
de ce douloureux événement.
— Une dépêche de Saint-Pétersbourg a annoncé, cette semaine, la
mort de la comtesse Louisa de Mercy-Argenteau, dont la réputation
d'esprit et de beauté fut grande sous l'empire, et qui depuis la mort de
son mari, en 1888, avait quitté la Belgique 'pour aller se fixer en Russie.
On sait que la comtesse de Mercy-Argenteau a fait, pendant plusieurs
années, de longs et fructueux efforts pour la propagatioa de la musique
russe, et qu'elle a publié sur l'un jdes artistes russes les plus en vue,
M. César Cui, un livre intéressant. Agée de cinquante-trois ans, la com-
tesse était fille du prince Alphonse de Chimay et de la princesse Marie
de Caraman ; son mari était le petit-fils du fameux ambassadeur d'Au-
triche en France qui fut l'ami et le conseiller de la reine Marie-Antoi-
nette, le protecteur de Gluck à Paris, et dont la liaison avec Rosalie
Levasseur, cantatrice de l'Opéra et l'interprète préférée do ce grand com-
positeur, est restée célèbre.
— Cette semaine est morte à Paris, à l'âge de quarante-quatre ans,
Mmc la baronne de Vandeul-Escudier, qui s'était fait connaître avanta-
geusement comme pianiste. Elle était la fille de M. Léon Escudier, l'édi-
teur de musique, qui sur la fin de sa carrière prit la direction du Théâtre-
Italien, qu'il essaya vainement ensuite de transformer en théâtre
lyrique français.
Henri Heugel, directeur-gérant.
L'EMPLOI de chef de la musique municipale de la Rochelle est ac-
tuellement vacant. Appointements, 800 francs. Les demandes, accompa-
gnées des références, doivent être adressées au maire.
: FEB. — mi'MMEHIF CIIAIX. — RUE BERGERE, 20, PARIS,
3m — 56me année — \° m.
Dimanche 23 Novembre 1890.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivierme)
(Les mnmiscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un on, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
I. Notes d'un librettiste: Alexis de Castillon (28' article), Louis Gallet. —
II. Semaine théâtrale: Quelques indiscrétions sur la prochaine Jeanne d'Arc
du Châtelet, Henri Eymieu; première représentation de Dernier Amour, au
Gymnase, Paul-Emile Chevalier. — III. La Sonate à Kreutzer (1" article), Arthur
Pougin. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour:
MAZURKE EOLIENNE
de Théodore Lack. — Suivra immédiatement : Noël breton, de Henry Ghys.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant : La Mort du Mari, version normande, n° 19 des Mélodies popu-
laires de France, recueillies et harmonisées par Julien Tiersot. — Suivra
immédiatement : Les Sabots et les Toupies, n° 6 de la Chanson des Joujoux,
poésies de Jdles Joiy, musique de Clai'dius Blanc et Léopold Dauphin.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
ALEXIS DE CASTILLON
« S'il eût vécu, il eût été une sorte de Beethoven moderne»,
m'a écrit un jour G. Hartmann, à qui j'ai dû de connaître
Alexis de Castillon.
Camille Saint-Saëns a gardé de cette intéressante person-
nalité musicale, qui traverse ma pensée comme une lointaine
et fugitive image, un souvenir attendri, et il en parle avec
une estime non moins haute.
Il se plaît à raconter son enfance, toute tournée d'instinct
vers la musique, dans un milieu où l'on n'estimait que très
médiocrement les arts.
Le vicomte Alexis de Castillon Saint-Victor était, de par sa
naissance et son éducation, destiné à la carrière des armes.
Mais aux qualités militaires de sa race, qui devaient faire de
lui un brillant officier, s'ajoutaient des dons plus rares. Cette
vocation musicale, qui, chez Camille Saint-Saëns enfant,
s'était librement développée, favorisée par les soins d'une
admirable mère, devait, assez vivement contrariée chez Alexis
de Castillon, aboutir tardivement à la production d'une série
d'œuvres encore pour la plupart inconnues du grand public,
mais tenant une très large place dans l'estime de ses émules.
* #
Il a passé à travers le monde musical pour ainsi dire
inaperçu tout d'abord ; la mort lui a fait un instant une
auréole, puis son nom et sa personne sont retombés dans
l'ombre.
Dans l'ombre, mais non dans l'oubli pour quelques fidèles
qui deviendront foule si la fortune veut que l'on s'avise un
jour de faire entendre, par exemple, cette belle paraphrase
du Psaume 84, à qui je dus l'honneur de sa collaboration.
Cette œuvre importante est encore inédite; on n'en a jamais
exécuté qu'un fragment en 1874. La partition originale porte
cette date : Les Forges, 9 septembre 1872,
C'était en cette même année que Saint-Saëns, J. Massenet,
G. Bizet, L. Delibes, E. Guiraud et Paladilhe entraient avec
tant d'ardeur dans la vie militante et commençaient à voir
les grands théâtres s'ouvrir sérieusement devant eux.
Alexis de Castillon, né en 1829, leur aîné à tous, avait fait
plus lentement sa route. Bien que d'esprit très éclectique, il
ne s'était jamais d'ailleurs tourné vers la musique dramatique.
La place qu'il doit occuper dans ces notes est toute petite ;
celle qu'il tient dans la mémoire de ceux qui l'ont aimé est
considérable. Je n'aurais que quelques lignes à lui consacrer
si je n'évoquais que mes propres souvenirs, mais il suffit de
son nom pronor.ce, quand se retrouvent ensemble ceux qui
l'ont intimement connu, pour faire aussitôt revivre maint
trait de son existence laborieuse, mainte histoire racontée au
lendemain de sa mert si brusque.
Je n'ai de lui que deux lettres, écrites à propos de ce
Psaume 84, auquel il travaillait avec une conscience si minu-
tieuse et un enthousiasme si vif.
« Mon psaume est fait, disait-il dans la dernière, sauf re-
» vision et il ne reste plus qu'à l'orchestrer. Dès qu'il sera
» tout à fait présentable, je vous demanderai de vouloir bien
» l'entendre. Je pars tranquille pour la campagne. »
Quelque temps après, tout à coup, on me dit : « Vous
savez, Castillon est mort ! »
Je l'avais connu trop peu pour me dire son ami; je ne
pouvais avoir conçu pour lui cette affection vive qui, à cette
époque, commençait à me lier à Georges Bizet et devait me
faire sentir si vivement le coup de la nouvelle de sa mort,
aussi inattendue que celle de Castillon.
Saint-Saëns, qui lui avait voué une amitié profonde, fut à
peine averti plus vite; sur l'annonce de la gravité soudaine
de son état, il accourut! Si promptement qu'il vint, il vint
trop tard; la mort avait fait son œuvre; il n'eut pas la dou-
loureuse satisfaction d'embrasser vivant celui qu'il avait tant
de fois soutenu, encouragé et défendu de toute la force de
son double talent de compositeur et de virtuose.
370
LE MENESTREL
Et voilà maintenant les souvenirs qui se multiplient autour
de cette mémoire d'une homme auquel il ne manqua que
quelques années pour affirmer sa valeur; bribes de causeries
anciennes revenant soudainement à l'esprit dans lequel passe
la vision de ce cavalier de haute mine, aux cheveux fauves,
à la moustache frisée, aux grands yeux intelligents, à l'allure
militaire tempérée par une grâce toute courtoise, qui fut
Alexis de Castillon ; fragments de lettres d'amis parlant de
lui et qu'on relit, sous le charme de cette évocation d'un ins-
tant!
Il avait eu pour maîtres Charles Delioux, et Victor Massé
et encore César Franck. Mais, élève, il était déjà un indépen-
dant; il se sentait fort de son propre sang, il allait dévorant
la route, respectueux des sources où il avait puisé les
principes de son art, affranchi toutefois dès les premières
heures, pourrait-on dire, de toute servitude pédagogique.
Son œuvre n° 1, une symphonie, porte sur le manuscrit
original cette dédicace : A mon maître, Victor Masse.
C'était un premier essai, que, nonobstant cet hommage
rendu au charmant poète musical des Saisons, Alexis de Cas-
tillon devait plus tard renier. Entre ce numéro 1 et le nu-
méro 17 de son œuvre complet, qui est le Psaume 84, son
écriture musicale devait se modifier profondément.
A l'influence de Victor Massé, avait succédé celle de César
Franck, mais surtout s'était faite dans l'esprit du compositeur
cette évolution naturelle d'où devait se dégager son originalité.
Les soins donnés à la musique, sa passion souveraine, ne
l'avaient fait ni mentir à ses origines, ni manquer à son
devoir.
D'abord, officier dans un régiment de cuirassiers, puis,
zouave pontifical, redevenu libre ensuite pendant un certain
temps et tout entier à son art, il reprit du service pendant
la guerre de 1870.
Il était de l'état-major du général Chanzy, à la prise et a
la reprise d'Orléans. Ce fut là, campant et couchant dans la
neige, pendant cet hiver terrible, qu'il contracta la maladie
de poitrine à laquelle il devait bientôt succomber.
Cette mort qui nous frappa tous d'un douloureux étonne-
ment, avait, suivi de très peu le retour de Castillon à Paris.
Il arrivait de Pau où il avait passé l'hiver. Il allait mieux;
il se sentait plein de foi et d'ardeur; le psaume sur lequel
il fondait à bon droit tant d'espérances de succès était achevé.
Le soleil printanier semblait lui promettre la vie; il en
jouissait délicieusement sans en redouter les perfides caresses.
Un refroidissement subit, une transition brusque, devait en
quelques heures tout anéantir, en vertu peut-être d'une de
ces mystérieuses destinées qui frappent l'artiste en pleine
jeunesse pour lui assurer, dans l'avenir, une plus abondante
moisson de gloire.
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
QUELQUES INDISCRÉTIONS SUR LA PROCHAINE JEANNE DARC
DU CHATELET
On sait que le Chàtelet prépare pour la fin de décembre une pièce
à grand spectacle, Jeanne d'Arc, dont le scénario est de M. J. Fabre,
et qui comportera une importante partie musicale due à M.BeDJamin
Godard.
M. J. Fabre, ancien député, littérateur érudit, a tenu à conserver
à son drame le caractère archaïque qui lui convient. Aussi s'est-il
entouré de tous les documents authentiques possibles, il a fait de
minutieuses recherches sur l'héroïne, son caractère, sa vie à Dom-
rémy et dans les camps, recherches qui lui permettront de nous
présenter Jeanne d'Are sous un jour nouveau. Eu effet, elle n'était
pas en réalité ce qu'on se figure, et ce qu'on se plaît à nous la
montrer, la femme guerrière au tempérament viril. Au contraire,
c'était une illuminée, une extatique, qui entraînait au combat les
solda's français par le caractère de sainteté et d'infaillibilité dont
elle était revêtue à leurs yeux, mais qui ne combattait pas elle-même.
Jamais elle n'a blessé- un ennemi ; sur le champ de bataille, elle
marchait dans un rêve comme à Domrémy, et lorsqu'elle fut prise
à Compiègne, elle ne chercha pas à se défendre. On sait la résigna-
tion qu'elle a montrée jusque dans la mort.
On voit donc par laque c'est une figure nouvelle, que nous allons
apprendre à connaître.
Mais s: M. Tabre a révélé une Jeanne d'Arc, M. Benjamin Godard,
qui écrit peur le Chàtelet une partition, soli, chœurs et orchestre,
n'ayant pas moins de quinze numéros, tient aussi à rester personnel.
Il ne voudra pas rappeler la musique de M. Gounod, ni celle si
remarquable deM.Widor; je ne parle pas de l'opéra de M. Mermet,
qui eut un sort malheureux.
Ce n'est plus l'héroïne, mais plutôt la visionnaire, la femme douce
pt résignée, que va nous rendre la musique de M. Godard. On sait
s'il a excellé dans cette noie tendre en écrivant le rôle de Laurence
dans Jocehjn. Mais ici, ce ne sera plus l'amour sensuel, mais le sen-
timent mystique, allié à l'amour de la patrie.
Nous avons eu la chance d'entendre déjà une partie de la partition,
notamment un Angélus, qui sera chanté par les paysans de Dom-
rémy, et accompagné par une note de cloche qui fait partie de
toutes les harmonies de cette page musicale. Entre les strophes du
chœur s'en placeront d'autres, déclamées par M"10 Segond Weber,
qui créera le rôle de Jeanne. Elle s'adressera aux cloches, dont on
entendra la note persistante, tandis qu'une musique de scène l'ac-
compagnera en sourdine, extrêmement délicate, retraçant l'état d'âme
calme et tranquille de la vierge de Domrémy et la sereine paix
du crépuscule.
D'autres fragments musicaux seront non moins intéressants. A la
cour du roi de France, nous entendrons des ménestrels chanter les
vieilles chansons du temps : la Ballade de Jean Renaud, et d'autres,
dont M. Godard a recherché le texte primitif (1), en respectant les
harmonies de l'époque, ou en en ajoutant, qui sont dans le même
caractère. On doit, en effet, rendre avec toutes les ressources et les
innovations de la musique moderne, le caractère qu'on peut attribuer
à la musique d'une certaine époque, même des plus reculées.
Comme nous le disait M. Godard, un maître, Berlioz, en a donné
l'exemple dans maintes œuvres. L'Enfance du Christ, si moderne au
point de vue de l'orchestration, n'est-elle pas empreinte d'un ca-
chet naïf, d'une couleur primitive, qui nous donne la sensation de
ce que devait être la musique de l'époque? A l'appui de notre Ihèse
ne citons dans cette partition que cet admirable duo de deux flû-
tes et harpes. Et les airs de ballet dans la prise de Troie? et la Mar-
che troyenne?. . .
Pour revenir à Jeanne d'Arc, M. Godard a cherché dans sa
musique à rendre la couleur de l'époque avant tout, en conservant
toute la rigidité du sujet historico-rsligieux qu'il a à traiter, mais
en employant cependant, à côté des formes du moyen-âge, le lan-
gage musical de nos jours. Car il faut se faire comprendre de ses
contemporains.
Un ouvrage de ce genre, écrit d'un bout à l'autre dans les for-
mules de plain-chant (car à l'époque de Jeanne d'Arc la musique,
même profane, suivait les règles harmoniques des chants d'église),
aurait été pour nous l'équivalent d'un poème écrit dans le vieux
français du XVe siècle.
Le plus important morceau de la partition est une Marche du
Sacre dans la cathédrale de Beims. La figuration du Chàtelet devant
être considérablement augmentée pour la circonstance, le défilé des
prêtres, des chevaliers, de toute la suite du roi et de Jeanne, durera
dix minutes. On apercevra la grande nef de la cathédrale vue de
face dans toute sa longueur, qui aura vingt-cinq mètres, distance
réelle. Le défilé passera sur la scène, remontera l'un des bas-côtés,
tournera derrière l'autel, redescendra par l'autre côté et entrera
définitivement dans la grande nef, ce qui explique la longueur de
la page écrite par le musicien. C'est un maestoso très large, coupé
à la fin de chaque phrase par des sonneries de trompettes accom-
pagnées par les tambours. Les sonneries, d'abord dans le lointain,
comme un écho venant du fond de la cathédrale, augmenteront de
sonorité à mesure que les instrumentistes se rapprocheront d'abord
(1) Nous devons faire observer qu'il n'y a pas bien loin à aller pour
retrouver ce texte primitif. Il est tout au long dans lus Mélodies populaires
des provinces de France recueillies et harmonisées par M. Julien Tiersot.
Nous avons eu le plaisir d'offrir cette superbe Ballade de Jean Renaud à
nos abonnés du chant, dimanche dernier.
Note ni; u Direction.
LE MENESTREL
371
de la scène, puis diminueront de nouveau quand les trompettes et.
les tambours atteindront l'extrémité de la nef. L'effet sera, croyons-
nous, très saisissant.
L'histoire rapporte qu'il fut chanté un Atteste fidelei pendant la
cérémonie du sacre, aussi entendrons-nous au Chûtelet ce chant, un
des plus beaux de l'Eglise. Il a été impossible d'installer un orgue
dans les coulisses du théâtre; mais M. Godard a diminué dans son
orchestre les cordes pour donner une plus grande importance aux
bois, et espère obtenir ainsi toute la rondeur des sons d'orgue.
Parlerons-nous du Supplice, qui sera une véritable reconstitution
de la scène de l'époque, avec les mêmes chants religieux, les mêmes
costumes, recherchés par MM. Fabre et Godard dans les manus-
crits de la Bibliothèque Nationale? — Je crois que nous en avons
déjà trop dit pour la réputation de notre discrétion, et nous laisserons
à nos lecteurs le plaisir des surprises, qui leur sont réservées par
l'œuvre nouvelle.
Henby Eïmieu.
Gymnase. — Dernier Amour, pièce en quatre actes de M. Georges
Ohnel.
Dernier Amour n'a pas réussi au Gymnase et ce qui est arrivé,
mardi dernier, devait fatalement arriver un jour ou l'au're, malgré
les soins d'un directeur comme M. Koning, s'attachant à rechercher
toujours des iuterprétations intéressantes et s'ingéniant à composer
des mises en scène attrayantes. Le public s'est cabré et a refusé
de suivre, une fois de plus, l'auteur là où, jusqu'à présent, il s'était
si docilement laissé conduire. Très étonné, il se demande, aujour-
d'hui, si c'est vraiment là ce qu'il a tant applaudi naguère. Hélas!
oui, cela et rien d'autre; car si, dans de précédentes circonstances,
votre auteur favori s'est trouvé soutenu par des situations que vous
avez pu admettre plus facilement, il n'en est pas moins réel que la
formule de M. Georges Ohnet était alors tout aussi vieille, son inex-
périence du théâtre tout aussi indéniable, son ignorance de la vie
tout aussi complète, sa langue tout aussi vulgaire et incorrecte. Mais
vous vous êtes laissé ensorceler le plus naïvement du monde par
le conteur qui, adroitement, a su vous prendre par votre côlé
bourgeois et badaud ; à l'euvi, vous avez porté aux nues celui qui,
maintenant, fier des bravos que vous lui avez prodigués, et si bien
encouragé par vous, a le droit de ne pas comprendre pourquoi
vous l'abandonnez tout à coup et si complètement. Car vraiment ce
n'est point M. Ohnet qui est l'unique coupable en tout ceci. Il tra-
vaille pour vous seuls; jamais, en effet, il n'a songé, je ne parle
bien entendu que de son théâtre, l'oeuvre du romancier ne me regar-
dant pas, jamais il n'a songé à faire acte d'artiste ou d'écrivain ; il
il n'a eu en vue que voire amusement et peu lui importaient, les
moyens employés, puisque le but semblait atteint. Ah ! bonnes gens,
c'est bien vous qui êtes la cause de tout le mal et vous le faites, à
l'heure actuelle, chèrement payer à celui qui n'a été qu'un instru-
ment inconscient entre vos mains inhabiles.
Ayant pour habitude de ne point lire les romans de M. Georges
Ohnel, puisqu'ils, sont destinés au théâtre où je dois les retrouver,
j'avoue franchement que je n'ai pas compris grand'chose à celte nou-
velle pièce. Le comte et la comtesse de Fontenay et Lucy Audri-
moot sont d'un dessin si mou, si hésitant, si indécis que je ne sais
quelle espèce de gens ils sont el à quels mobiles ils obéissent.
Paul de Gravant reste l'amoureux de pure convention d'uDe bana-
lité désespéraute et Précigny, Firmout, Berneville, Mm" de Jessae
sont d'encombrantes inutilités qui n'ont pas même l'excuse d'être
spirituels ou amusants. Dans ces circonstances, il étail difficile aux
artistes chargés d'interpréter Dernier Amour de faire montre de leur
talent. M. Koning doit une compensation à Mllcs Sisos et Tessan-
dier et à MM. Duflos et Burguet et il la leur donnera, très certai-
nement, en leur faisant jouer une vraie comédie.
Paul-Émile Chevalier.
P. S. — C'est une piécette pleine de joyeuse humeur que l'opé-
rette en un acte, un Modèle, que la direction des Bouffes vient d'ajou-
ter à son spectacle. L'intrigue imaginée par MM. André Degrave et
Lerouge est des plus simples : deux amoureux juvéniles et un bon
type de vieux pipelet, leur conlideiit. Mais l'action est conduite avec
une gaieté si franche que le public n'a pas eu de peine à se laisser
séduire. La partition, écrite dans l'esprit du livret, se dislingue par
son entrain, son charme et son élégance. Le compositeur, M. Léon
Schlesinger, est le petit-fils du regretté Strauss, l'ancien chef d'or-
chestre des bals de la Cour et de l'Opéra et l'auteur de la célèbre
valse du Couronnement. Un Modèle est son œuvre de début au théâtre,
début d'heureux augure pour l'avenir du jeune musicien. La toute
gracieuse M110 Mary Slelly chante et joue fort bien le. rôle d'Aimée;
elle s'est fait applaudir dans les couplets : « Sans doute, il me trouve
jolie... » et dans le duo: « Il nous faut, à la mairie... », dans
lequel le jeune ténor WollT lui donnait très fièrement la réplique.
M. Wolfl' a encore été fort goûté dans ses couplets : « Se troubler et
balbutier... ». M. Perrier enfin est un comique plein de bonhomie
et de rondeur. P.-E. C.
LA SONATE A KREUTZER
Dans le roman étrange et maladivement psychologique qu'il a ré-
cemment publié sous ce titre: la Sonate à Kreutzer (et qui n'a pas été
sans doute écrit en vue des lycées de garçons ou de jeunes filles),
M. le comte Léon Tolstoï a hasardé sur la musique en général, et
en particulier sur l'admirable chef-d'œuvre qu'il avait choisi pour en-
seigne à son livre, — car ce n'est autre chose qu'une enseigne, —
certaines réflexions singulières, certaines appréciations d'un senti-
ment discutable et d'un pessimisme dont on a vraiment lieu de
s'étonner lorsqu'on songe à la source qui l'a fait naître. En vérité,
la musique n'est pour M. Tolstoï qu'un prétexte au développement
de ses imaginations obscures, et Beethoven serait assurément stu-
péfait s'il lui était donné de voir ce qu'un cerveau malade a su dé-
couvrir de néfaste et de terrible dans une de ses productions non
seulement les plus gigantesques et les plus sublimes, mais encore
les plus pures et les plus noblement passionnées.
Mais aussi, n'esl-ce point pour discuter les hantises de M. Tolstoï
que j'ai pris cette fois la plume. Les idées bizarres, pour ne pas
dire plus, qu'il prête à son héros au sujet de la Sonate l Kreutzer,
m'ont simplement donné le désir de tracer un rapide historique de
ce chef-d'œuvre, dont ceux-là mêmes qui sont le plus intimes avec
Beethoven connaissent peu la genèse et la naissance. Sa valeur et
sa beauté valent qu'on s'y arrête quelque peu.
La Sonate à Kreutzer, qui porte pour chiffre d'œuvre le n° 47,
vient précisément entre deux compositions vocales : Adélaïde et la
belle scène Ah! perfido, bien après la Sonate pathétique etle Septuor,
aussi après les trois premiers concertos de piano et les deux sympho-
nies en ut majeur et eu ré, mais avant la Sonate appas sionnata. Elle
fut publiée en 180o, peu de temps après avoir été composée, et sous
ce litre: Sonata péril piano forte ad unviolino, scritta in un stilo molto
concertante quasi corne d'un concerto, dedicata al suo amico Rodolfo
Kreutzer. Ou voit que Beethoven ne négligeait pas d'indiquer la gran-
deur de son style: « d'un style très concertant, presque comme d'un
concerto; » mais ce qu'on sait peu, et ce qu'on verra plus loin, c'est
que cette sonate, dédiée à notre grand violoniste Rodolphe Kreutzer,
n'avait pas été écrite pour lui, mais pour un autre arlisto, alors fort
jeune et qui parait avoir été distingué, bien qu'aujourd'hui oublié.
Avant toute chose, il faut faire connaître les origines de la liaison
qui s'établit entre Beethoven et Kreuzer.
Kreutzer, le camarade et le digne émule de Rode et de Baillot,
Kreutzer, qui était avec eux à la tète de notre admirable école de
violon, si bnllaute à celte époque, avait développé sou talent sous
les leçons directes de Stamitz et sous l'influence de Viotti, dont le
séjour en France avait exercé une action si considérable sur le jeu
de nos violonistes. Non seulement virluose hors ligne, mais com-
positeur remarquable, quoique de plus d'instincl el de seutimenl que
de savoir el d'étude, il ne s'était pas borné à produire de nombreuses
œuvres pour son instrument, mais avait écrit déjà plusieurs opéras,
parmi lesquels il faut distinguer, outre diverses partitions moins
importantes, celles de Jeanne d'Arc, de Paul et Virginie, de Lodoïska
et de Charlotte et Werther.
Après la campagne d'Italie et le traité de Campo-Formio, qui eu
fut pour nos armes l'heureux dénouement, Kreutzsr entreprit un
grand voyage artistique, au cours duquel il visita d'abord l'Italie
septentrionale, puis l'Allemagne el la Hollande. Après s'être fait
entendre avec le plus graud succès à Milan, à Florence et à Venise,
il partit pour Vienne, où il arriva, précédé d'une immense réputation,
au commencement de 1798 et au moment même où le général Ber-
nadette, nommé ambassadeur de. France près la cour d'Autriche,
débarquait lui-même en cette ville. C'est là qu'il connut Beethoven,
alors âgé de vingt-sept ans quand 1'j.i-inème en avait trente et un, et
une circonstance particulière les fit se lier peut-être plus rapide-
ment et plus étroitement qu'ils n'eussent fait eu d'autres conditions.
Kreutzer, en sa double qualité de compatriote et d'artiste déjà
fameux, s'était vu tout naturellement introduit à l'ambassade de
France. Or, par suite de la grossesse de l'Impératrice, Sernadotlc
372
LE MENESTREL
dut attendre deux grands mois sa présentation officielle à la cour.
Son inaction pendant ce temps étant complète, Kreutzer, qui con-
naissait son goût pour la musique, ne se fît pas prier pour le satis-
faire ; et pour la lui faire meilleure, il lui présenta Beethoven, qui
consentait volontiers à lui servir de partenaire. C'est ainsi que les
deux grands artistes charmèrent durant plusieurs semaines les
loisirs de l'ambassadeur de France, et que se cimenta entre eux une
cordiale et solide amitié, amitié dont Kreutzer devait, quelques
années plus tard, recevoir un témoignage éclatant par la dédicace
de la-sonate qui porte son nom.
Mais j'ai dit que cette sonate, quoique à lui dédiée, avait été
écrite pour un autre artiste.
Cet artiste était un jeune violoniste mulâtre, dont les origines,
d'ailleurs quelque peu obscures, ne laissent pas que d'être bizarres.
Fils d'un Africain et d'une Européenne, on croit qu'il naquit à
Bisla, en Pologne, vers 1779 ou 1780, et il portait un nom anglais,
celui de Bridgetower (Georges-Auguste-Polyscen). Il fit sans doute sa
première éducation musicale en Angleterre et il était doué de dis-
positions précoces, car on le voit paraître pour la première fois en
public, en février 1790, au théâtre Drury-Lane, où il joue un solo de
violon pendant un entr'acte d'une exécution du Messie de Haendel.
Son succès fut tel dès ce début qu'il fut remarqué du prince de
Galles et qu'au mois de juin suivant il donnait, sous le patronage
de ce prince, une série de concerts en compagnie d'un autre artiste
de son âge, le jeune violoniste viennois Franz Clément. Le jeune
Bridgetower devint bientôt le lion artistique de Londres, où on
l'entendit tour à tour aux Professional concerts, aux fameux concerts
de Haydn et Salomon, aux concerts de Barthelemon, où il se fit
surtout applaudir en exécutant un concerto de Viotti, et aussi à
l'une des grandes exécutions d'oratorio qui avaient lieu chaque
année à Westminster, sous la direction de 1 organiste Joal Bâtes,
pour l'anniversaire de Haendel ; on le vit cette fois auprès de ce der-
nier, à l'orgue, en compaguie de Hummel, l'un et l'autre vêtus d'habits
écarlates. On l'appelait « le jeune prince abyssinien », et, grâce sans
doute à la protection du priuce de Galles, qui l'avait admis dans sa
musique, il obtint des leçons de Jarnowick, leçons qui développè-
rent encore son talent déjà remarquable.
En 1802, Bridgetower s'éloigna de Londres pour aller voir à
Dresde sa mère, qui vivait en cette ville avec un autre fils, artiste
aussi, mais celui-ci violoncelliste. Là, il donna avec succès plu-
sieurs concerts, dont le dernier eut lieu le 18 mars 1803, et c'est
presque aussitôt qu'il partit pour Vienne, où l'avait précédé une
renommée déjà considérable. Arrivé en cette ville, où il avait décidé
de se faire entendre, il se trouva immédiaiement en relations avec
Beethoven, qui fut sans doute charmé de son talent, puisqu'il con-
sentit non seulement à écrire pour lui-même une sonate, mais à
l'exécuter avec lui dans le concert qu'il organisait. Ferdinand Ries,
l'ami du maître, nous donne à ce sujet quelques détails dans ses
Notices sur Beethoven :
La célèbre sonate en la mineur (œuvre 47), avec violon concertant, dédiée
à Rodolphe Kreutzer, de Paris, avait d'abord été écrite pour Bridgetower,
artiste anglais. Bien qu'une grande partie du premier allegro fût prête à
l'avance, cela n'en alla pas beaucoup plus vite; Bridgetower le pressait
beaucoup, parce que le jour de son concert était déjà fixé et qu'il voulait
étudier sa partie.
Un matin, Beethoven rue fit appeler à quatre heures et demie et me
dit : « Copiez-moi vite cette partie de violon du premier allegro » (son
copiste ordinaire était occupé ailleurs). La partie de piano n'était notée
que çà et là. Bridgetower dut jouer sur le manuscrit même de Beethoven,
dans le concert à l'Augarten, le magnifique thème avec variations en fa
majeur; on n'eut pas le temps de le recopier.
En revanche, le dernier allegro en ta majeur, à 6/8, était déjà très pro-
prement écrit en parties de violon et de piano, parce qu'il appartenait
originairement. à la sonate en la majeur, la première de celles dédiées à
l'empereur Alexandre (œuvre 30). Beethoven mit à la place de ce mor-
ceau, qui était trop brillant pour cette sonate, les variations qui s'y trouvent
maintenant.
Mon excellent confrère "Wilder, en étudianl le cahier d'esquisses
de Beethoven, a pu confirmer l'exactitude du renseignement donné
ici par Ries : — « A la suite, dit-il, du trio -œuvre 116 (le trio vocal:
Tremate, empl, tremate), nous trouvons le début du thème du piemier
morceau de la sonate pour piano et violon en la majeur (œuvre 30,
n° 1), puis un canon et un ensemble assez considérable de motifs
inédits. Ce n'est qu'une vingtaine de pages plus loin que Beethoven
reprend l'ébauche à peine indiquée du piemier morceau de sa
sonate en la, pour y mêler immédiaiement des motifs du deuxième
morceau et le thème du troisième morceau de la souate dédiée à
Kreutzer. Il semble résulter de ce mélange que ce dernier thème
était primitivement destiné à la sonate œuvre 30. Cette conjecture
est confirmée par Ries, qui nous assure que Beethoven en détacha
cet allegro, parce qu'il étaiitrop brillant pour le caractère de l'œuvre.»
Toujours est-il que Beethoven exécuta deux fois cette sonate avec
Bridgetower, dans les deux concerts que ce jeune violoniste donna
à l'Augarten, le 17 et le 24 mai 1803. Ce qui est singulier, c'est que
précisément à partir de ce moment on n'entendit plus jamais parler
de cet artiste, dont les commencements avaient été si brillants, et
qu'il disparut complètement de la circulation (1).
(A suivre.) Arthur Pougin.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Serait-il vrai que le jeune compositeur Mascagni, incomplètement
satisfait du triomphe inattendu de son petit opéra, songerait à se lancer
dans 1' a arène politique? » Une dépêche de Cerignola, adressée au jour-
nal la Riforma, annonce que « le maestro Mascagni, auteur de la Caval-
leria rusticana, présidant (!!) un comité électoral, » a prononcé un discours
très applaudi dans le sens ministériel. — Si jeune, grand artiste, brillant
orateur, et déjà si ministériel?
— A Rome, apparition de deux nouvelles opérettes en dialecte roma-
nesque: l'une, una Gita di piacere, ovvero il Treno lumaca, musique de
M. Mascetti, au théâtre Métastase; l'autre, Treno Tropea, musique du
maestro Pascucci, au théâtre Rossini.
— La grande exposition internationale, qui doit avoir lieu à Païenne
en 1892, préoccupe considérablement la municipalité et les habitants de
cette ville. On voudrait avoir comme primeur, à cette occasion, la pre-
mière représentation de l'opéra que le jeune Mascagni, l'auteur de Caval-
leria rusticana, est en train d'écrire sur un livret tiré des Rantzau, le drame
d'Erckmann-Chatrian. On s'occupe aussi de l'hymne d'inauguration qui
doit être exécuté à l'ouverture de l'exposition. Le concours ouvert pour
les paroles de cet hymne a été très laborieux pour les membres du jury,
qui n'ont pas eu à examiner moins de trois cents pièces de vers. Il est
vrai que sur ces trois cents poésies la plupart étaient d'une faiblesse
extrême, et que cinq ou six seulement présentaient quelque talent et un
peu de sens commun. La pièce couronnés est due à un jeune poète mes-
sinois, M. Giuseppe Zapponi-Strani, à qui il faut encore demander quel-
ques corrections. Après quoi l'on s'occupera de la musique.
— Pas fier et sans gêne, le municipe de Pesaro, ! Ayant à combler un
déficit communal, qui n'atteint guère que le chiffre de 1,643,167 francs, il
a simplement résolu de le couvrir à l'aide des fonds résultant de l'héri-
tage Rossini. Et le Conservatoire de Pesaro, fondé, selon la volonté du
maître, avei les biens de cet héritage, que deviendra-t-il ?
— Le Théâtre-National de Prague, qui prépare en ce moment une re-
prise de l'Enfant des Landes, de Rubinstein, doit offrir cet hiver à son
public toute une série d'ouvrages nouveaux en trois actes : l'Enfant du
Tabor, de M. C. Bendel ; Amaranthe, de M. Truecek; Perditta, de M. C.
Kavarossie, enfin Viola, de M. W. 'Weiss.
■ — Il vient de paraître en Allemagne un petit dictionnaire humoristique
des musiciens, d'où nous extrayons les articles suivants — Bach (Jean-Sébas-
tien) : Doit sa renommée principalement à ce fortuné hasard qui lui
permit d'écrire l'accompagnement d'une célèbre mélodie de Gounod. Par
un sentiment de vanité inexplicable, il a fait publier cet accompagnement
sans la mélodie sous le titre de Prélude, dans un recueil de pièces di-
verses intitulé Clavecin bien tempéré ; mais à cause de ce titre baroque, il
trouva peu d'amateurs parmi les admirateurs de l'Ave Maria. Ses Passions
sont réputées nobles, bien que de nos jours on ne sache plus les appré-
cier. Ses nombreux fils s'appelaient également Bach, au grand désespoir
des historiens, — Czerny, Charles : Homme au caractère hargneux, qui ne
pouvait pas souffrir les enfants et composait continuellement des études
à leur intention. Depuis 1S57, année de sa mort, on travaille à la classi-
(1) On croit pourtant qu'il ne mourut qu'entre les années 1840 et 1850,
en Angleterre, laissant une fille qui, dit-on, vivait encore il y a quel-
ques années en Italie. Bridgetower a publié, en anglais, une sorte de
petit traité de « l'exécution de la sonate. » (Performance of the sonata), qui,
parait-il, ne manque pas d'intérêt, et que M. Tbayer, le biographe amé-
ricain de Beethoven, mentionne au deuxième volume de son livre, en en
reproduisant certains passages (pages 227-231 et 385-391). Le grand pu-
bliciste Czerny disait de Bridgetower que, lorsqu'il jouait du violon, son
attitude et ses mouvements étaient si ridicules et si extravagants qu'il
était impossible de le regarder sans éclater de rire. On assure que Beetho-
ven n'a jamais écrit son nom que d'une façon fautive et incorrecte, ainsi:
Brischdower. Il est aussi question de cet artiste dans un des écrits de
MmE Elise Polko, l'historien musical allemand : Haydn en Angleterre
(pages 18, 28, 38, etc.)
LE MÉNESTREL
373
Bcation de ces éludes sans parvenir à la terminer. Cette fécondité surna-
turelle ne s'explique que par son agilité dans l'art de composer... —
Wagner, Richard : A laissé en plus de ses œuvres une foule d'héritiers
nommés wagnériens ; ce n'est pas ce qu'il a produit de mieux. Ces gens-
là connaissent exactement la pensée qui se cache sous chacune de ses
notes, sous chaque pause de ses compositions. Dans son instrumentation
"Wagner s'est donné la mission philanthropique de rendre la musique
accessible aux sourds... »
— Le compositeur Pierre Tchaïkovsky vient d'être l'objet d'une belle
ovation à Tiflis. Le Caucase nous apprend que pour fêter son jubilé de
vingt-cinq ans, la Société musicale russe a organisé le 20 octobre der-
nier, au théâtre de la ville, un concert symphonique composé de ses
oeuvres et qui a été dirigé par le maître en personne. Inutile de dire que
celui-ci a été l'objet d'un accueil enthousiaste. Il y a eu des adresses et
des poésies; on lui a offert un bâton précieux de chef d'orchestre. Trois
jours après le maître a quitté Tiflis, se rendant directement à Saint-
Pétersbourg, où il vient présider aux études de son nouvel opéra : la Dame
de pique. Avec le concert symphonique Tchaïkowsky, dirigé par M. Ru-
binstein, et l'audition d'un nouveau septuor de sa composition au Quar-
tettverein, la première représentation de cet opéra formera le point culmi-
nant de la célébration russe, dans la capitale, de ce même anniversaire
des vingt-cinq ans de la carrière de compositeur de l'auteur d'Eugène
Onéguine.
— La presse hollandaise est unanime à constater l'immense succès que
vient de remporter, dans Rosine du Barbier, MUe Louise Heymann, la
charmante élève de Mme Marchesi, qu'on appelait en Italie le rossignol
hollandais. Sa voix est délicieusement timbrée, d'une grande agilité, et
la gentille artiste s'en sert avec une habileté remarquable. Elle semble
appelée au plus brillant avenir.
— Les représentations de MUe Prevosti au théâtre municipal de Bâle
ont été extraordinairement brillantes au dire des journeaux suisses. Pour
sa soirée d'adieu, Mlle Prevosti a chanté le premier acte de Lucie, le dernier de
la Traviata et le second du Barbier où son triomphe a été complet, surtout
après les couplets du Mysoli de la Perle du Brésil qu'elle avait intercalés
dans la scène de la leçon de chant.
— A propos de la célébration du huitième centenaire de la première
ligue helvétique que la Suisse prépare pour le mois d'août 1891, M. Ma-
this Lussy, l'auteur du beau Traité de l'expression musicale, émet une idée
grandiose. Après avoir constaté, dans une lettre qu'il adresse au journal
la Croix fédérale, que les poètes et les musiciens ne manqueront pas de
répondre à l'appel qui leur est fait à cette occasion, il ouvre à la splen-
deur de cette grande fête nationale un vaste horizon musical :
A côté de ces œuvres nouvelles il en est une ancienne, consacrée par le temps,
qui, ce me semble, pourrait trouver légitimement place. Je veux parler de ces
admirables pages.de Rossini, qui s'appellent le Trio et la Conjuration du Griitli,
au deuxième acte de Guillaume Tell.
Ne pensez-vous pas que, sur le Grùtli même, dans toute la pompe de ce mer-
veilleux décor, sur cette terre où se fécondèrent les premiers germes de la
liberté des peuples, dans cette prairie d'où jaillirent, au milieu des ténèbres du
moyen-âge, les clartés qui illuminent les temps modernes, l'exécution grandiose
de l'hymne rossinien présenterait le spectacle le plus sublime qui ait jamais eu
lieu sur le sol de notre chère Suisse 1 Notre pays possède assurément tous les
éléments artistiques pour réaliser une interprétation idéale de ce chef-d'œuvre,
pour évoquer et faire revivre sous les yeux de la génération actuelle et dans spn
cadre naturel, la grande scène de 1307. Nous avons Warmbroat, Burgmeyer, etc.,
nous avons d'excellentes sociétés chorales, des orchestres parfaits.
Rossini, d'ailleurs ne mérite-l-il pas ce suprême hommage de la Suisse recon-
naissante? Il a popularisé par la musique, plus que Schiller par la poésie, notre
héros dans le monde entier. Si Tell doit rester la personnification la plus haute
du patriotisme, l'incarnation de la révolte légitime des opprimés contre les op-
presseurs, le nom de Rossini restera toujours joint au sien. Ii n'y a pas d'opéra
où l'œuvre du maître n'ait été applaudie, où son épopée musicale du Griitli n'ait
éveillé dans tous les cœurs l'amour de notre chère patrie. Que la Suisse inscrive
donc le nom de Rossini à côté de celui de Schiller sur la pyramide insulaire du
lac des Quatre-Cantons I
Ce n'est pas tout. Il faudrait organiser dans tout le pays des représentations
gratuites de Guillaume Tell. Il faudrait publier et distribuer dans toutes les écoles
et aux frais de la Confédération le Guillaume Tell, de Schiller, précède de la
scène du Serment, si magistralement retracée par Jean de Mùller. Semons à
pleines mains les grands exemples de notre histoire et le patriotisme germera
plus que jamais sur notre vieux territoire helvétique.
Pour qui connaît le Griitli et ce merveilleux décor dont parle si bien
M. Mathis Lussy, il y a, dans l'idée émise par lui, les éléments d'un
spectacle d'une grandeur incomparable et dont tous ceux qui seraient
assez heureux pour y assister conserveraient un éternel souvenir.
— Le premier des concerts populaires dont nous avons annoncé la créa-
tion à Anvers a obtenu un plein succès. On y a entendu une Petite Suite
d'orchestre en quatre parties, de M. E. Agniez, un air de danse de
M. Léon Dubois : Pas des Courtisanes, une Marche nuptiale pour piano exé-
cutée par l'auteur, M. Xavier Carlier, et divers morceaux de chant.
— Au dernier concert de la Société de musique de Tournai on a exécuté
deux œuvres très intéressantes de M. Ch. Lefebvre, Au bord du NU et
Espoir, paroles de M. Guinand. Ces compositions, admirablement inter-
prétées par les chœurs de la Société, ont obtenu un vrai succès. L'au-
teur, présent à ce concert, a reçu un accueil enthousiaste. M. Mailly,
l'excellent professeur d'orgue au Conservatoire de Bruxelles, et M""' Mailly
prêtaient leur concours à cette belle fête artistique.
— MUo Jenny Broch, de l'Opéra de Vienne, est en route pour New-
York où l'appelle un engagement au Metropolitan Opéra Housc. Elle débutera
dans YHamlet d'Ambroise Thomas.
— La vente du théâtre de Covent-Garden de Londres, décidée en prin-
cipe par le propriétaire, et annoncée par nous, a été ajournée jusqu'à une
époque indéterminée. Un contrat vient d'être passé avec M. Augustus
Harris, qui laisse à ce dernier la disposition du théâtre pendant quinze
mois, à partir du 1er décembre. De son côté, le théâtre de Sa Majesté,
qu'on ne peut se décider à démolir, en dépit de tous les bruits qui ont
circulé à cet effet, abritera, dit-on, également l'an prochain, une entre-
prise lyrique italienne, sous la direction de M. Lago, à qui l'on prête
l'intention d'y monter VOtello de Verdi.
— A la dernière réunion de l'Association musicale de Londres, une
véritable sensation à été causée sur les auditeurs par des flûtes rappor-
tées de Fayoum, en Egypte, et trouvées dans un sarcophage datant de
plus de trois mille années. Le conférencier, M. Southgate, a lu un rapport
extrêmement curieux et instructif relativement à ces instruments. Les
autorités musicales présentes à la séance ont reconnu que les flûtes égyp-
tiennes donnaient tous les sons employés dans le système moderne et
que les intervalles naturels se rapprochaient de notre gamme tempérée
bien plus que dans la cornemuse. Après une longue controverse, on s'est
mis d'accord sur le fait que les flûtes égyptiennes renfermaient le tétra-
corde dit de Pythagore, en même temps que les notes de notre gamme
diatonique, de telle sorte qu'on peut affirmer à présent que le système
actuel nous vient d'Egypte et non pas de la Grèce. Une seconde confé-
rence-audition sur ce sujet plein d'intérêt aura lieu le S décembre devant
les élèves de l'Académie royale de musique.
— On signale à Edimbourg la présence d'un violon ayant appartenu au
czar Pierre le Grand pendant son séjour dans les chantiers de la Clyde.
L'instrument possède un son remarquable, ainsi qu'on a pu en juger
lors d'une récente audition publique. Le nom du luthier est devenu in-
déchiffrable, mais il s'y trouve une inscription portant que le violon a été
remis à neuf en 16U1 par "Wilric Balthasar Dankwart, à Stuga.
Où il est question d'un enlèvement, d'une chanteuse d'opérette et
d'un officier de dragons. La scène se passe à Buenos-Ayres, dans la Ré-
publique argentine, qui décidément fait beaucoup parler d'elle aujourd'hui.
L'héroïne de l'aventure a nom Dolorès Cortès, et elle obtenait, chaque
jour un grand succès en jouant et en chantant, au théâtre Onrubia, la
Giroflé-Girojla de M. Charles Lecocq. Mais voici qu'un soir, à l'issue de la
représentation, l'enlèvement supposé de la mignonne Girofla passa du
pays des rêves dans celui de la réalité. En sortant du théâtre, la jeune
Dolorès se sentit tout à coup soulevée de terre par quatre bras robustes,
instantanément transportée et enfermée dans une voiture ad hoc, ,et
emmenée par cette voiture, qui partit au galop. Cris, appels désespérés,
protestations de la belle, tout fut vain. La voiture et son précieux charge-
ment arrivèrent dans la cour d'une belle habitation qui servait de refuge
à un élégant officier de dragons, lequel faisait depuis longtemps un doigt,
ou plutôt cinq doigts de cour à la divette, sans que celle-ci daignât ré-
pondre à sa flamme autrement que par le silence. Mis en présence de
son ravisseur, qui se jeta aussitôt à ses genoux en lui avouant son crime,
Girofla fit mine de prendre les choses du bon côté ; elle consentit à rire,
à plaisanter quelque peu, et le dragon entreprenant était au septième ciel.
Tout à coup la captive déclara qu'elle avait soif, et qu'elle boirait volon-
tiers un verre de malaga. « J'en ai d'excellent! » dit l'officier, et il s'éloi-
gna aussitôt pour donner des ordres. Mais à peine était-il sorti de la
chambre que, prompte comme l'éclair, Dolorès courait pousser le verrou
et s'enfermait sérieusement. Après quoi elle allait à la fenêtre, et de
toute la force de sa jolie voix criait au meurtre! au secours! de façon à
ameuter les populations en un clin d'œil. La police accourut, la maison
fut investie, Girofla fut délivrée, et le dragon, bientôt mis aux arrêts, eut
à réfléchir sur les inconvénients résultant d'un enlèvement clandestin.
— A Mittenwald, près de Munich, on vient d'inaugurer un monument
à la mémoire du luthier Mathias Klotz, qui fut, au dix-septième siècle,
l'introducteur en Bavière de l'art de la lutherie. Ce monument, dû au
ciseau du sculpteur Lallinger, a été érigé sur la place de l'église parois-
siale. L'hommage estpeut-êtreexcessif.s'adressantàun artisan dontle talent,
dénué de toute personnalité, se borna à une contrefaçon presque grossière
des instruments et des procédés de son maître, le fameux luthier Jacques
■ Steiner, véritable artiste, celui-là, et qui, beaucoup plus légitimement que
son médiocre élève, mériterait un souvenir de ce genre.
PARIS ET DEPARTEMENTS
S'il faut en croire M. Aderer, le courriériste théâtral du Temps, la di-
rection de l'Opéra songerait à représenter prochainement le Fidelio, de
Beethoven, avec Mmc Rose Caron. On adopterait la belle version de cet
ouvrage qui a été donnée au théâtre de la Monnaie de Bruxelles, avec
les intéressants récitatifs composés par M. Gevaert, qui font si bien corps
avec la partition du grand maître. L'œuvre originale de Beethoven com-
prend, on le sait, une partie dialoguée qui ne permet pas de la transporter
•374
LE MÉNESTREL
telle quelle sur la scène de l'Opéra. Ce serait assurément là une mani-
festation artistique, dont nous croyons MM. Ritt et Gailhard peu capables,
malgré la vraisemblance que peut avoir la nouvelle, puisqu'elle nous
vient du Temps, qui est comme l'organe attitré et officieux de la direction
de" ces messieurs.
— La direction du Théâtre-Lyrique (Eden), va donner une suite d'audi-
tions d'oeuvres symphoniques et lyriques qui permettra aux dilettantes de
connaître les ouvrages de nos principaux maîtres non exécutés encore à
la scène. La semaine prochaine, comme lendemain au grand succès de
Samson et Dalila, aura lieu la première de ces auditions dont la partie
principale sera Rédemption, poème symphonie de M. Edouard Blau, une
des œuvres les plus magistrales de César Franck.
— De plus, on prête à M. Verdhurt l'intention de représenter très
promptement le Lohengrin, de Richard Wagner, dont il a une belle
distribution dans son théâtre avec MM. Engel et Dufriche, M"ie Fursch-
Madi et... une Eisa qui reste à découvrir. On parle aussi, mais plus vague-
ment, de la Vie pour le Czar, de Glinka. Ceci serait beaucoup moins inté-
ressant. Si l'on veut faire une amabilité à l'Ecole russe qui le mérite à
tous égards, il vaudrait mieux choisir parmi ses nouveaux compositeurs,
qui ont fort dépassé le vieux maître Glinka. Qu'on prenne le Néron, de
Rubinslein, ou le Flibustier, de César Cui, voilà qui aurait un bien autre
intérêt.
— Le théâtre des Nouveautés annonce pour mardi prochain, la première
représentation de Samsonnel, la nouvelle opérette de MM. Paul Feirier et
Victor Roger. Voici les six tableaux de cette fantaisie ultra-moderne: l°Au
Lyrique, en 1895; — 2° La Présentation de Samsonnel; — 3° Au Loyer
des artistes ; — 4° A l'Ambassade ; — 5° Au Château des Catalpas. — Un
duel sélect. — Les Patineurs; — 0° L'Avant-Scène 23 et 23. — Il n'y aura
pas d'entracte entre les deux tableaux de chaque acte. Les décors sont
équipés de telle façon que les changements puissent être faits aussi rapi-
dement que des changements à vue.
— On a beaucoup parlé, ces temps derniers, de tombes négligées ou
abandonnées, et on a cité surtout celle de MUc Clairon, la grande tragé-
dienne, que la Comédie-Française s'est aussitôt engagée à faire remettre
en état. Mais s'il est des tombes oubliées, il en est d'ignorées. En voici
une entre plusieurs : Derrière le n° 1 de la rue Lekain, un petit enclos
renferme une tombe, celle du banquier Etienne Delessert, mort à Passy
en 1816, et inhumé dans un cimetière dépendant de la communauté des
Barnabites Ses descendants achetèrent le terrain pour posséder la sépulture.
Depuis 1860, après l'annexion des communes suburbaines comprises dans
l'enceinte fortifiée de Paris, Passy a pris l'extension que l'on sait. On bâtit
sur l'emplacement de l'ancien cimetière, et la famille Delessert obtint la
permission de conserver la sépulture de son ancêtre. Or, dans ce même
enclos, il existe également une plaque de marbre noir sur laquelle on lit
l'inscription suivante :
Ici repose
Nicolas Piccini, maître de chapelle napolitain,
Génie fécond, varié, créateur
Célèbre en Italie, en France, en Europe
Cher aux arts et à l'amitié
Né à Bari, dans l'Etat de Naples, en 1728
Mort à Paris le 17 floréal an VIII de la République française.
Malgré les recherches faites par la ville, à la requête de l'ambassade
d'Italie, les restes de l'auteur de Cecchina, de Roland, de Didon et de cin-
quante autres opéras, de l'émule, sinon du rival de Gluck, n'ont pu être
retrouvés. Et le pauvrj Piccini, cher grand artiste méconnu, mort de
misère à Paris, n'a même plus une tombe pour recouvrir ses restes !
— Décidément, les avis sont singulièrement partagés au sujet du piano.
Tandis que Reyer lui fait une guerre acharnée dans le feuilleton du
Journal des Débats, à Londres, le Schoolboard prescrit son enseignement dans
les écoles primaires; et tandis que M. Bourgeois, notre ministre de l'ins-
truction publique, publie une circulaire destinée à faciliter aux élèves
des institutions féminines, qui veulent s'y livrer, l'étude de cet instrument,
à la Chambre, M. Vion, au nom de la huitième commission d'initiative,
dépose un rapport favorable sur le projet de loi de M. Maxime Lecomte, qui
établit un impôt sur cet objet prétendu de luxe, assimilé ainsi aux sim-
ples toutous. Mais ce n'est pas tout, et voici qu'en Belgique la question
prend des allures politiques. La preuve en est dans ce programme d'un
candidat aux récentes élections communales de Saint-Gilles (Bruxelles),
lequel était ainsi conçu :
Électeur»!
Je suis candidat anli-pianiste ! Le piano fait le désespoir de ceux qui ont en
horreur lea gammes, les doubles croches et les demi-mesures.
Electeurs, il faut, dan, l'intérêt de l'humanité, prohiber l'usage du piano.
électeurs, votez puur moi en signe de proteslalion auti-pianistel
El 79 électeurs cmt voté courageusement, avec ensemble, pour l'élo-
quent candidat anti-pianiste. Il est donc aujourd'hui certain qu'il existe
à Saint-Gilles 79 ennemis avérés du piano. Voilà un instrument bien
malade. Mais qui sait si la persécution ne lui rendra pas les forces qu'il
semble perdre en ce moment?
— Mercredi prochain sera mise on vente à l'hôtel Drouot, une impor-
tante collection d'autographes. Nous empruntons à l'intéressant catalogue
de celte collection l'extrait suivant d'une très belle lettre que Méhul
adressait, le 14 août 1815, à l'abbé Faucheux, et dans laquelle il lui ap-
prenait que l'invasion lui avait été funeste : « Notre chère France, disait
l'auteur de Joseph, a beaucoup souffert sur tous les points, et moi j'ai été
particulièrement bien maltraité. Ma petite maison de campagne (celle
qu'il possédait à Pantin et où il cultivait ses tulipes), a été envahie par
des soldats de toutes les nations qui se sont liguées contre la nôtre.
L'année dernière j'ai éprouvé pareil désastre et en réparant mes pertes,
j'étais loin de m'attendre que je travaillais vainement... J'ai encore deux
Russes à loger et à nourrir; tous les jours il m'en coûte de vingt à vingt,
cinq francs Il ajoute qu'il a cependant réussi à sauver une partie de
ses tulipes la veille de la prise de Paris, en allant chercher, au bruit du
canon, ses oignons et en les entassant dans des paniers. — On sait que
Méhul était un horticulteur amateur de premier ordre, et que, dans les
dernières années de sa vie, ses chères fleurs étaient sa seule consolation.
— Concerts du Chàtelet. — La Symphonie fantastique de Berlioz est un de
ces ouvrages de jeunesse dont on oublie volontiers les défauts tant est
puissante et vigoureuse la sève qui les vivifie. Faiblesse dans la structure
musicale, absence d'unité, incohérences, mélange de la musique drama-
tique à la musique symphonique,... les défauts ne manquent pas dans
cette composition, mais les qualités y sont de premier ordres et l'intérêt
ne faiblit pas si l'on se pénètre des idées qu'a voulu rendre le musicien.
Le troisième morceau renferme des, pages d'une telle perfection que
Schumann a pu les louer en disant: « Beethoven n'aurait pas mieux
l'ait. » — M. Breitner a exécuté la Fantaisie, op. 15, de Schubert, orches-
trée par Liszt. Cette œuvre, bâtie tout d'une pièce, et dont tous les
thèmes se ramifient à un motif fondamental exposé au début, produit
une impression d'autant plus vive que l'attention s'éparpille moins.
M. Breitner a présenté sous le jour le plus favorable les grandes beautés
de l'œuvre, autant du moins que le permet l'insuffisance de la vibration
des pianos dans les grandes salles. — Le succès des Scènes alsaciennes de
M. Massenet a pris d'énormes proportions après le duo pour violoncelle
et clarinette qui a été bissé avec une insistance presque tumultueuse ;
cette page est pleine de charme et de poésie. — Autre succès pour des
fragments des Pécheurs de perles. L'air de Zurga, dit par M. Auguez, l'air
de Nadir, dit par M. Warmbrodt, et surtout le beau duo du premier acte,
ont mis en relief les qualités mélodiques de Bizet et son entente réelle de
l'effet scènique. — Le ballet d'Ascanio a été bien accueilli comme aux pré-
cédentes auditionset le concert s'est terminé par la Chevauchée des W 'alkyries~.
Amiîdée Boutabel.
— M. Lamoureux avait mis en tète de son dernier concert, la symphonie
en si bémol de Beethoven. Le premier morceau, le Scherzo et le finale
ont été joués d'une façon irréprochable. Il nous a semblé que l'adagio
avait été dit plus froidement et qu'il manquait à l'exécution de cette œuvre
incomparable, le cachet de poésie qu'elle exige de ses interprètes. — La
Symphonie était suivie du Rouet d'Omphale, le poème symphonique si connu
de M. Saint-Saëns. M. Saint-Saéns est définitivement classé au rang des
grands maîtres. Celui qui a fait Samson et DalUa, le Déluge, la Symphonie
en ut mineur, les Poèmes symphoniques, le Concerto en sol mineur etc., ne
le cède à nul autre, et c'est plaisir que de goûter ce style sobre, cette noble
mélodie, cette maestria sans égale que l'on remarque dans toutes ses
œuvres. — M. Chabrier, dont on a fait entendre l'ouverture de Gwendoline,
sera peut-être classé un jour parmi les maîtres; mais il devra se défaire
de cette intempérance de style qui dépare nombre de ses compositions :
l'ouverture de Gwendoline débute avec une telle furia qu'il est impossible
au compositeur de se maintenir à un tel diapason, malgré tous les efforts
qu'il y met. Une telle débauche de sonorité finit par engendrer une véri-
table souffrance. — Quel contraste avec la Marche des Pèlerins d'Uarold. de
Berlioz ! On ne sait ce qu'on doit le plus admirer dans cette œuvre, qui
fut un des premiers succès incontestés du maître français, — la sobriété
du style et l'élévation de la pensée, ou bien l'ingéniosité extraordinaire
dont Berlioz a fait preuve ; il y a là des effets étonnants, et dont lui seul
était capable. — Nous n'avons rien de plus à dire des Murmures delà forêt,
de Wagner, que ce que nous en avons dit précédemment. C'est un enfan-
tillage énorme et prétentieux que certains admirent et que M. Lamoureux
fait bien d'offrir à son public, puisque le public y prend plaisir. — La
Suite des Maîtres Chanteurs serait agréable à entendre si on l'allégeait de
cette lourde et massive ouverture qui ressemble à une étude de contrepoint
mal digérée. — Un jeune violoniste d'avenir, M. Kosman, a dit avec bien
du talent le premier allegro d'un assez médiocre concerto de Paganini,
qui était, dit-on, le dernier morceau de concours du Conservatoire, et qui
n'a eu d'autre mérite que de mettre en relief la façon remarquable dont
M. Kosman exécute les doubles notes et les notes harmoniques, dont le
Concerto de Paganini est émaillé. M. Kosman a été très applaudi et il
méritait de l'être. IL Barbedette.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Chltelct, concert Colonne : Symphonie écossaise (Meadelssohu) ; Andanle du troi-
sième Quatuor [Beethoven); Scènes alsaciennes (Massenet); prélude de Tristan et
Iseull (R. Wagner) ; CaUirhoo (Cécile Chaminade) ; Intermezzo (Tschaïkowsky) ;
baccha"alc de Samson cl Dalila (Saint-Saëns).
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux : Ouverture d'Arteield (E. Gui-
raud); symphonie pastorale (Beethoven); Tass'j, poème symphonique (Liszt);
Danse macabre (Saint-Saëns) ; les Murmures de la Forôl de Siegfried (WagLer)
ouverture de Tannhauser (Wagner).
LE MENESTREL
378
— On assure qu'aux termes d'un nouveau règlement relatif au Conser-
vatoire, — règlement que vient de rédiger M. Larroumet et que M. Bour-
geois, ministre des beaux-arts a du signer hier — aucun élève du Conser-
vatoire ne pourra, désonnais, entrer directement à la Comédie-Française,
pendant les doux années qui suivront son dernier concours. Un stage a
l'Odéon sera obligatoire, à moins bien entendu, que l'élève n'aille faire
sa réputation en province ou à l'étranger, et soit admis, au retour, à la
Comédie-Française.
— C'est M. Gabriel Pierné, grand prix de Rome, premier prix d'orgue
du Conservatoire, qui vient d'être nommé organiste de Sainte-Clotilde,
en remplacement du regretté César Franck dont il était l'élève. M. Pierné
l'a emporté sur une véritable armée de concurrents, dont le nombre ne
s'élevait pas à moins de quarante-neuf. Annonçons en même temps que
M. Auguste Bazille, l'excellent chef de chant à l'Opéra-Comique, le pro-
fesseur de la classe d'accompagnement au Conservatoire, vient, de son
côté, d'être nommé organiste de Saint-François-Xavier.
— Nous signalerons aux curieux des choses de l'art, un très intéressant
article de M. Oscar Comettant, publié dans le dernier numéro delaiVou-
velle revue internationale, à propos d'une conférence faite par M. Raymond
Pilet au congrès des américanistes sur les airs originaires du Guatemala,
lesquels, jusqu'ici, n'avaient été notés par aucun voyageur. M. Pilet les a
notés sur place, et leur collection sera un nouveau sujet d'étude pour les
musiciens philosophes, qui voient dans les airs populaires d'un peuple
ses penchants et l'état de son esprit, mieux que dans toutes les. autres
manifestations de ses sentiments et de son imagination. Ajoutons que ces
airs indiens du Guatemala sont tous écrits en mode majeur, que ce sont
des airs joués le plus souvent sur la marimba, qu'ils sont très francs de
mélodie et de rythme et d'un caractère original des plus séduisants.
— Extrait de l'album d'un musicien. — « Les femmes sont comme les
signes de musiques: il y en a de rondes, de blanches, de noires; on
trouve aussi parmi elles des croches et même des doubles croches ; beau-
coup la font ou la prennent à la pose, presque toutes poussent des soupirs,
mais on n'en trouve pas qui observent le silence. »
— On annonce la très prochaine publication, à la librairie Cïlmann
Lévy, d'un livre de critique et d'esthétique musicales : la Musique, le bon
sens et les deux opéras, signé du nom du prince de Valori et précédé d'une
préface posthume d'Armand de Pontmartin. Le livre est, paraît-il, une
protestation contre les théories actuelles des novateurs excessifs, et une
revendication en faveur des vieux maîtres injustement méconnus par eux.
Quant à la préface, dont un de nos grands confrères a publié le texte ces
jours derniers, assez piquante d'ailleurs, elle ne prouve pas en faveur de
la fidélité des souvenirs de son auteur. Pontmartin s'y étend avec com-
plaisance, en rappelant les faits dont il fut le témoin dans sa jeunesse,
sur un certain Macbeth représenté à l'Opéra en 1827 et dont il attribue la
complète paternité à Rouget de Lisle : « Protégé, dit-il, par le vicomte de
La Rochefoucauld, il parvint à faire jouer, mais non pas à faire réussir,
Macbeth, paroles et musique de Rouget de Lisle; et, quand Macbeth fut
tombé à plat, il écrivait dans son premier accès de colère d'auteur sifflé :
« Pour que Macbeth fournit une très honorable carrière, il eût fallu que
» ce malheureux vicomte ne fût pas un pleutre, et que Rossini et les rossi-
» nistes ne fussent pas des intrigants ! ! » Or, c'est ici que les souvenirs de
Pontmartin le trahissent visiblement. Macbeth, opéra en trois actes (et non
en quatre comme il le dit), avait pour auteurs des paroles Rouget de Lisle
et Auguste Hix, qui d'ailleurs ne signèrent ni l'un ni l'autre, car le livret
est anonyme; quant à la musique, elle n'était point de Rouget de Lisle,
mais de Chelard, artiste malchanceux mais fort distingué, qui avait obtenu
le grand prix de Rome en 1811, un an avant Hérold. Macbeth, qui était,
parait-il, une œuvre remarquable, n'obtint pourtant aucun succès et ne fut
joué que cinq fois, bien qu'il eût pour interprètes Mmes Cinti-Damoreau et
Dabadie, Adolphe Nourrit, Dabadie et Dérivis. En tout cas, on voit que
Rouget de Lisle était complètement étranger à la musique de cet ouvrage,
et qu'il n'était même que pour moitié dans les paroles.
— Lundi dernier a eu lieu la réouverture des séances de la Société
chorale dirigée par le baryton Ciampi. Le programme de cette première
réunion était des plus intéressants. De nombreuses et jolies voix ont
exécuté et admirablement enlevé le ravissant chœur des pages de Françoise
de Rimini, la délicieuse valse de M. Lscome, Goutte de rosée et d'autres
chœurs non moins heureusement choisis de Reyer, Delibes, Martini, etc.
Il est tout naturel que cette jeune société, fondée depuis l'année dernière
à peine, par M. et M™10 Ciampi, sur des bases artistiques aussi sérieuses,
soit déjà couronnée d'un si plein succès.
— La jeune cantatrice Mllc Burt vient de se produire avec succès à la
salle Hcrz dans un concert dont elle a été le principal attrait. Un de
ses morceaux les plus applaudis a été la mélodie nouvelle de M. Verdalle,
Vous ne m'avez jamais souri, qui a partout un si grand succès.
— La matinée musicale, donnée par l'École Normale de musique, jeudi G no-
vembre, salleKriegelestein, sous la direction de M. Thurner, a tenu toutes
ses promesses. Les élèves primées ont fait montre d'un réel talent; des
maîtres tels que Marmontel, Ravina, M"0 Chaminade, ont pu applaudir la
netteté, l'acquis, le style déjeunes élèves, qui élèvent haut l'enseignement
de leur maître. Grand succès pour un air à danser de M. Th. Dubois, pour
l'Oiseau-Mouche, de M. Lack et pour le merveilleux ensemble dans les
pièces à deux pianos sur Sylvia, M. Brian s'est surpassé avec Lakmé et
la S» Polonaise de Chopin, M"0 Ilanna nansen, une enfant étonnante avec
lu.';' Impromptu du Chopin et une Rapsoâie de Liszt. Mentionnons le précieux
appoint de Mmc Boidin-Puisais, Mllc Maynien, une brillante élève de M. Ch.
Dancla ; M. Mazalbert ainsi que de M. de Feraudy et M»° Ludwig de la
Comédie-Françiise.
— Le dernier grand concert de la Société Sainte-Cécile, du Havre, a
été particulièrement remarquable. Les journaux du Havre sont remplis
de chaleureux éloges pour Mmcs Bœwilwald et Taconet, qui ont chanté les
soli dans le deuxième acte d'Orphée, de Gluck, pour les chœurs, pour l'or-
chestre, si habilement dirigé par M. Cifolelli, et pour Mme L. 0. Comet-
tant, qui a enlevé littéralement le public avec la tarentelle de Gottschalk,
l'une des pièces de prédilection de M. Francis Planté.
— Nous apprenons de Rouen, que Mnw Tarquini D'Or, vient d'obtenir
au théâtre des Arts, un très grand succès dans le rôle de Mignon, auquel
elle donne une interprétation toute personnelle. — La veille, elle avait
joué Carmen avec non moins de succès.
— La Société de musique de Perpignan va reprendre ses intéressantes
séances sous l'habile direction de son fondateur, M. Gabriel Baille. Parmi
les œuvres qui doivent être exécutées pendant la saison figurent plusieurs
compositions de la nouvelle école, entre autres, la Rapsodie cambodgienne
de M. Bourgault-Ducoudray.
lime Andrée Lacombe, le professeur de chant si émérite. à qui l'on
doit de beaux ouvrages sur l'enseignement, est de retour à Paris où elle
va reprendre ses excellentes leçons toujours si recherchées.
— M. Léon Achard, professeur au Conservatoire, reprend ses leçons de
chant particulières, chez lui, 164, faubourg Saint-Honoré, à partir du
16 novembre. Il rouvre, en même temps, à la salle Beethoven (aujourd'hui
salle Dicksonn), passage de l'Opéra, les lundis et vendredis, d'une heure
à trois heures, ses cours d'opéra-comique et d'opéra.
— Cours et leçons. — M. Auguste Mercadier, lauréat de l'Exposition de 1889, a
repris ses cours du lundi (solfège, harmonie, transposition, accompagnement), à
l'Institut Evelart-Jammès, 54, Faubourg-Saint-Honoré. — Le violoniste 1. Men-
dels reprendra, le 8 décembre, au Théâtre d'Application, 18, rue Saint-Lazare, la
série de ses matinées de musique de chambre, avec le concours des principaux
artistes instrumentistes et chanteurs. — M"" Rouxel et de Tailhardat ont repris
leurs cours et leçons chez elles, 3, rue Nicolo, et à la maison Erard, leurs cours
d'accompagnement sous la direction de XI. Turban. — Les conférences-cours
traitant de l'art du chant, que W Lafaix-Gontié avait commencées la saison der-
nière à l'Institut Rudy, seront reprises par elle, le vendredi 28 novembre pour se
continuer les deuxième et quatrième vendredi de chaque mois à 4 heures 1/4
précises du soir. — M. Rondeau, le ténor bien connu, a repris ses leçons de
chant à son domicile, 13, rue Mansart.
NÉCROLOGIE
D'ItaKe on nous annonce la mort à Pallanza, d'un compositeur vrai-
ment distingué, Emanuele Biletta, qui s'était fait connaître à Paris par
un ouvrage en deux actes, la Rose de Florence, donnée à l'Opéra le 10 no-
vembre 1856. Il avait donné précéiemment à Londres un opéra intitulé
Whitc-Magie et deux grands ballets : les Cinq Sens et la Lutine: puis, à
Parme, un autre opéra, t'Abbazia di Kelso. Biletta, qui était né à Casal-
Montferrat le 20 décembre 1S25, avait publié un grand nombre de romances,
canzonnettes et mélodies vocales, pour la plupart d'un tour élégant et
d'une aimable inspiration, ainsi qu'une méthode de chant fort estimée.
_ On annonce encore la mort, à La Haye, du baron de Zuylen de
Nyvelt, ancien ministre des Pays-Bas à Paris, où il passa vingt et un ans
et où, 'resté à son poste pendant le siège, et, secondé par l'admirable dé-
vouement de sa femme, il rendit des services qu'on n'a pas oubliés. A
son retour en Hollande, il était entré à la première Chambre comme
représentant de la Gueldre. Le baron de Zuylen de Nivelt était un ama-
teur de musique fort distingué, compositeur pratiquant dont nous nous
rappelons avoir entendu au Conservatoire plusieurs morceaux sympho-
niques écrits avec élégance et facilité. Il était membre correspondant de
la Société des compositeurs de musique.
Hex'iu Heugel. directeur-gérant.
_ Vient de paraître Au Ménestrel : la partition piano et chant (avec dia-
logue intercalé) de l'opéra-comique Un Modèle, livret de MM. André De-
grave et Manuel Lerouge, musique de M. Léon Schlesinger, représenté
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— 5. Bobott'se marie, ronde 5 »
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SOMMAIRE-TEXTE
I. Notes d'un librettiste: Alexis de Castillon (29" article), Louis Gallet. — II. Se-
maine théâtiale : le vote des subventions; première représentation de Sàmsonnet.
aux Nouveautés, H. Moreno. — III. La sonate à Kreutzer (2« article), Arthur
Pougin. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
LA MORT DU MARI
version normande, n° 19 des Mélodies populaires de France, recueillies
et harmonisées par Julien Tiersot. — Suivra immédiatement : Les Sabots
et les Toupies, n° 6 de la Chanson des Joujoux, poésies de Jules Joiy, musique
de Claudius Blanc et Léopold Dauphin.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano une Chaconne de Victor Roger, excutée dans l'opérette Sam-
sonnet. — Suivra immédiatement: Noël breton, de Henry Ghys.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
ALEXIS DE CASTILLON
« Je crois bien, me racontait récemment G. Hartmann,
avoir été la dernière personne de noire monde qui ait vu
Castillon debout. Il était venu cbez moi ; j'étais sorti avec
lui; je l'avais accompagné jusque chez un pharmacien de la
place Vendôme, où il achetait certaines pastilles pectorales
au lactucarium dont il usait fréquemment. Lalo devait aller
le voir le lendemain, chez lui, rue Bayard, pour entendre
une de ses œuvres. Mais Lalo fut contremandé par lettre.
Puis, peu après, Lalo lui-même, ou l'un des frères de Castillon
vint, une après-midi, m'annoncer la mort du compositeur.
» Nous partîmes aussitôt; nous trouvâmes sa vieille mère,
assise dans un fauteuil près du feu et gardant le pauvre
garçon.
» Elle avait compté sur Lalo et sur moi pour certains ren-
seignements ; elle nous dit textuellement :
» Je vous ai prié de venir pour nous donner les noms et
les adresses des personnes auxquelles il faut envoyer des
lettres de faire part, car nous ne connaissons pas les gens
de la musique. »
Ce mot ne suffit-il pas à faire mesurer la distance considé-
rable à laquelle Alexis de Castillon s'était placé vis-à-vis des
siens Y Pour eux, il vivait dans un monde extérieur et lointain,
où ceux de leur caste ne frayaient point. Il y avait un éton-
nement autour de lui à le voir s'engager et se complaire
dans cette voie; l'orgueilleuse et naïve pitié des hautains
seigneurs découvrant tout à coup un ménestrel parmi leurs
pairs.
Au convoi, cet étonnement eut de quoi grandir ! Tout le
Paris musical était là, dans l'église Saint-Pierre de Chaillot,
insuffisante à coateuir cette foule ; toute la pléiade : Saint-
Saëns, Massenet, Bizet, Lalo, César Franck, Paladilhe, tous
ceux enfin qui avaient aimé l'artiste et l'homme. Et autour
du catafalque pompeux, constellé de cierges, flanqué de
torchères aux larges flammes V6rtes, couvert de fleurs, bien
des larmes coulaient !
Et devant cette foule attristée, recueillie, devant ces témoi-
gnages de douleur sincère, l'un des proches parents du cher
disparu avait ce mot :
« Alors, il avait donc réellement du talent! »
Castillon s'amusait beaucoup de certains traits qui, dans
son milieu mondain, décelaient la médiocre estime en la-
quelle on tenait la musique et la singulière esthétique qu'on
y professait; il se plaisait à les raconter.
S'étant mis assez tard à apprendre ce métier de musicien
vers lequel, enfant, il n'avait pu tendre librement, ayant le
travail assez pénible, piochant ferme pour regagner le temps
forcément perdu, il s'entendait, par exemple, interroger par
les siens sur ses progrès, sur ses travaux. Pressé de ques-
tions, il répondait toujours tranquillement : J'étudie ! Je
travaille !
Un ami lui dit un jour :
— Enfin, depuis le temps que tu nous dis que tu travailles,
quand seras-tu capable de faire seulemenl une petite opérette
dans le genre de celles d'Offenbach I
— Oh! répondit Castillon, avec une grosse importance ma-
licieuse, il me faudrait bien du temps !
Et il fallait voir, narrait-il, la mine déconfite du question-
neur, se disant que décidément il avait devant lui un bien
pauvre musicien.
Très éclectique dans ses goûts, comme je l'ai dit, et bien
que manifestant sa prédilection pour la musique la plus
élevée, il s'intéressait aux genres les plus différents et en
écoutait les productions avec intérêt. Parmi les anciens,
Bach, Beethoven et Schumann étaient la trinité musicale à
laquelle allaient les plus grandes ardeurs de son culte. Parmi
les modernes il plaçait au premier rang Saint-Saëns. Il l'af-
378
LE MENESTREL
fectionnai t particulièrement comme musicien, comme homme ;
il lui était profondément reconnaissant de la crâne attitude
qu'il avait prise, un jour, chez Pasdeloup, alors que, chargé
d'interpréter au piano une de ses compositions, il avait dû
hraverune tempête de cris et de sifflets et, accoudé au clavier,
de l'air très froid qu'il sait prendre à l'occasion, s'était mis
à regarder la foule hurlante comme pour dire : Quand vous
aurez fini, messieurs, je continuerai !
Castillon racontait cette bagarre avec enthousiasme :
— Camille a été superbe, disait-il I
En ce qui le concernait en cette aventure, il affectait d'en
rire; en réalité il en avait senti très vivement l'amertume.
Les autres musiciens modernes préférés de Castillon étaient
Bizet, Massenet, Lalo et César Franck.
Quant à lui, Pasdeloup l'aimait beaucoup; il essayait toutes
ses œuvres, qui toutes n'allaient pas sans encombre, comme
le prouve l'incident que je viens de rapporter. Quelques
critiques lui reprochaient de faire un peu diffus, de pousser
jusqu'à l'excès le développement musical.
Alors, comme son éditeur Hartmann lui communiquait ces
critiques, il entreprenait de lui expliquer sa manière de
composer, théories que les musiciens seuls seront en état de
comprendre bien nettement, car elles ne vont pas sans être
quelque peu compliquées et ténébreuses.
Selon ces explications, les développements de l'idée lui
venaient toujours avant l'idée même; en d'autres termes, il
s'appliquait à simplifier les traits spontanément éclos clans
son cerveau pour en arrivera l'essence pure de cette première
inspiration; cette inspiration devenait véritablement alors le
sujet lui-même ; il reprenait enfin ses idées premières, pour
en faire les développements de ce thème musical issu ainsi
plutôt d'un martelage opiniâtre que d'un véritable premier
jet.
Alexis de Castillon eut le premier l'idée de cette Société
Nationale de musique qui a rendu aux compositeurs de cette
génération de si grands services. La première réunion des
fondateurs de cette Société, à la tête de laquelle se mit Saint-
Saëns, eut lieu, chez Hartmannn, dans cette petite arrière-bou-
tique du n° 19 du boulevard de la Madeleine, qui fut le ber-
ceau de la renommée de J. Massenet et le témoin de bien
des projets, dont plusieurs se sont heureusement réalisés.
Ces fondateurs furent, avec Saint-Saëns, Bussine, Guiraud et
G. Hartmann.
Ce dernier, auprès de qui j'étais allé rafraîchir mes souve-
nirs sur Alexis de Castillon, me rappelait récemment, non
sans une juste fierté, que dans ce petit réduit est née aussi
Marie-Magdeleine, ce drame sacré qui fit d'un coup Massenet
célèbre et aiguillonna l'émulation de G. Bizet. Hartmann en avait
eu l'idée, et sur son projet, petit cahier de papier azur, ex-
posant cette idée associée à celle du compositeur, j'avais
écrit ce poème que, tout tremblant et bredouillant, je leur
lus, là, un soir, à tous les deux et qui devait me donner,
comme au compositeur, cette joie franche d'une première
rencontre heureuse avec le public.
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
LE VOTE DES SUBVENTIONS
Elles ont été votées, mais, on peut le dire, sans enthousiasme.
Après deux discours peut-être bien intentionnés, mais à coup sur
fort désordonnés de MM. Michou et Cousset, l'un demandant comme
tous les ans la suppression totale des subventions aux théâtres,
l'autre se contentant d'une réduction de quatre cent mille francs
sur celle de l'Opéra seulement, on est arrivé par les votes à cette
constatation qu'il y avait dans la Chambre des députés, sur 518 votants
deux cent deux membres favorables à la suppression totale et deux
cent trente (sur 499 votants) favorables à la réduction proposée par
M. Cousset, — en sorte qu'il eût suffi du déplacement d'une vingtaine.
de voix pour amener une diminution de plus de moitié dans la
subvention de l'Opéra. Et encore a-fc-il fallu, pour obtenir cttte petite
majorité, que le ministre et le commissaire du Gouvernement donnent
de leur personne avec énergie.
Le ministre, M. Bourgeois, a dû promettre des réformes :
... Je dirai simplement, en ce qui touche nos scènes de musique, que
c'est dans le sens de l'enseignement le plus développé que doit être cher-
chée, à mon avis, la réforme de l'organisation de nos établissements na-
tionaux; que c'est en multipliant les œuvres présentées au public, — et
non seulement en multipliant leur nombre, mais en variant autant
que possible leur caractère... (Très bien! très bien!) qu'il est nécessaire de
procéder; qu'il s'agit non pas d'enfermer sans cesse dans la contemplation
des mêmes œuvres consacrées tous les auditeurs et les spectateurs, mais
plutôt de chercher incessamment toutes les œuvres originales, anciennes
ou modernes, françaises ou venues du dehors, qui pourraient apporter
quelque chose de nouveau à l'esprit artistique ; qu'il faut ainsi permettre
à nos répertoires de s'agrandir, de s'élargir sans cesse, afin que l'esprit
de ceux qui en viennent jouir s'élargisse sans cesse lui-même. (Très bien !'
très bien I)
Le commissaire du Gouvernement, M. Larroumet, a dû surenchérir
encore sur ces promesses :
M. le ministre, a-t-il dit, déclarait tout à l'heure qu'il s'était préoccupé
de faire produire à l'Opéra, dans l'avenir, tout le bénéfice artistique que
l'Etat a le droit de lui demander, en retour de la subvention qu'il lui
donne, et, pour cela, dès son entrée aux affaires, il a prescrit un rema-
niement du cahier des charges qui deviendra exécutoire à partir du mois
de novembre 1891. M. le ministre en a indiqué tout à l'heure les grandes
lignes, et je suis prêt à les préciser devant la Chambre si elle le juge
nécessaire. (Non! non! — Si'.' si! — Parlez !)
En résumé, le but du ministre, c'est d'ouvrir l'Opéra le plus large-
ment possible à toutes les manifestations musicales de notre temps (Très
bien! Très bien!); c'est de mettre le directeur dons l'obligation de continuer
cette éducation musicale du public français, qui a fait tant de progrès
depuis trente ans, de ne pas s'en tenir toujours aux mêmes œuvres (Tris
bien!) et de suivre cette révolution de la musique, qui n'est plus repré-
sentée seulement par des étrangers, mais par des maîtres français, émi-
nents aujourd'hui, illustres demain... (Très bien!); c'est de faire en sorte
que l'Opéra soit largement ouvert aux classes qui ne sont pas fortunées. ..
(C'est cdal à gauche), et pour lesquelles, surtout à Paris, la musique est un
noble besoin. (Très bien! Très bien!)...
Messieurs, je borne ici les considérations que j'ai l'honneur de soumettre
à la Chambre. Je fais simplement cette remarque, en terminant, que
l'administration ne songe pas à dissimuler devant vous la gravité du litige
qui existe entre elle et la direction de l'Opéra. Les tribunaux décideront,
puisque une transaction n'a pu ahoutir. L'Etat veut simplement faire
rétablir en bon état le matériel qu'il a prêté; il veut obtenir le remplace-
ment des décors que la direction actuelle a utilisés et usés. Mais ceci est
en dehors du débat actuel. Il s'agit uniquement, à cette heure, d'assurer
l'existence de l'Opéra. Je prie donc la Chambre de considérer que, si les
directeurs passent, l'Opéra reste et doit rester, pour l'honneur de Paris et*
de la France! (Très bien! Très bien!)
Oui, il a fallu toute cette intervention d'un ministre doublé d'un
commissaire du Gouvernement, il a fallu cette quasi-promesse que
justice serait faite de deux directeurs indignes pour sauvegarder le
principe des subventions aux théâtres., On a pu voir par là le dan-
ger qu'il y avait eu de conserver si longtemps à la tète de l'Opéra,
contre le gré de l'opinion publique, des personnages jouissant
d'une aussi juste impopularité.
Si l'on voulait persister à maintenir en place les deux Iristes sires
qui inquiètent tant les artistes, on peut dire dès à présent que c'en
serait fait des subventions, lors de la discussion du prochain budget;
l'écart de vingt voix qui les protège encore serait bien vile franchi
aux accents d'une voix plus autorisée que celle de M. Michou ; il finira
bien par s'élever un jour, même dans les assemblées politiques, un
défenseur éloquent qui prendra en mains les intérêts de l'art si
cruellement outragé. Le principe des subventions est juste en soi,
à condition qu'on surveille rigoureusement l'emploi des deniers
publics qui les alimentent. De tels subsides doivent satisfaire un
idéal artistique toujours plus élevé et sans cesse renouvelé. Si, au
contraire, on continue à les considérer comme de la monnaie de
complaisance destinée simplement à emplir les poches d'industriels
peu scrupuleux, le choeur des contribuables si vilainement exploilés
aura raison de gronder et de tout renverser s'il le peut : les directeurs
avec les ministres qui les couvrent, les créatures avec ceux qui
les maintiennent en faveur. Ce serait l'affaire de quelques représenta-
tions tumultueuses à l'Opéra, de quelques sifflets bien dressé?, d'un
scandale trop justifié qui éclatera tout naturellement, un soir ou
l'autre.
LE MENESTREL
379
Certes, nous reconnaissons que le ministre actuel des Beaux-Arts,
TVI. Bourgeois, qui vaut mieux: que son nom, est animé des meilleures
intentions et parait décidé à faire strictement son devoir. Puisse-
l-il durer longtemps! Mais n'y a-t-il pas un peu de naïveté dans la
menace du procès qu'il lient suspendu au-dessus de la tête de
MM. Bitl et Gailhard, au sujet de la réfection des décors? Les
textes si vagues du cahier des charges méridional imaginé par le
complaisant M. Fallières, l'ami et le compatriote de ces messieurs,
peuvent prêter à toutes les interprétations, et les avocats auront
'beau jeu à se chamailler sur le sens qu'on doit leur donner. Nous
entendons déjà d'ici le solennel M. Caraby, avec sa voix de basse
■creuse qui ferait encore mieux sur les planches de ses clients qu'au
barreau de Paris, disserter pesamment sur la prose ministérielle et
épiloguer sur les points et les virgules : « Lisez les textes, messieurs
les juges, nous devons le nombre, et non la valeur. Nous avons reçu
tant d'aunes de toiles, nous en rendons autant à la fin de notre
exploitation. Que peut-on exiger de plus? Qu'il reste de la peinture
sur cette toile! Une telle prétention n'est jamais entrée dans la
.pensée de notre ami et camarade Fallières. Nous nous en tenons
au texte qu'il nous fournit. Le nombrre! Lenombrrre!! >>
A quoi bon s'exposer à une aussi insupportable rhétorique, quand
il eût été si simple à un ministre un peu avisé de tenir à la Chambre
•ce clair langage : « Messieurs, je ne suis pas d'accord avec la
direction de l'Opéra au sujet de la réfection des décors de cet éta-
blissement national. Je lui demande pour remettre en étal un ma-
tériel qu'elle a laissé se détériorer une somme de deux cent cin-
quante mille francs ; elle me la refuse énergiquement, malgré les
bénéfices énormes qu'a donnés son entreprise. Je pourrais engager
un procès, mais les termes un peu indécis du cahier des charges
consenti bénévolement par un de mes prédécesseurs ne m'assurent
pas gain de cause. Je viens donc tout simplement vous demander
de réduire pour cette année la subvention de l'Opéra à cinq cent
cinquante mille francs, et de me voter par surcroît un crédit spé-
cial de deux cent cinquante mille francs que j'appliquerai à la ré-
fection des décors de l'Opéra. C'est en tout une allocation de huit
•cent mille francs que je vous demande comme d'habitude pour le
•chapitre spécial de l'Académie nationale de musique. Nous évite-
rons ainsi de grosses difficultés pour l'avenir ».
Je n'ai pas une grande idée de la Chambre actuelle, mais je crois
cependant qu'elle se serait rendue à une argumentation aussi saga.
« Oui, me répondra M. Bourgeois, mais c'était une crise ouverte.
Les directeurs de l'Opéra m'envoyaient le lendemain leur démission
•et je me trouvais pris à l'improviste pour leur découvrir un suc-
cesseur.— El M. "Wilder, monsieur le ministre? M. Wilder, qui est là
fout prêt, avec sa commandite de douze cent mille francs dont il
peut justifier dans les vingt-quatre heures ? Est-ce que vous pensez
trouver beaucoup mieux, même en prenant une année pour ré-
fléchir ? »
En tout ceci, le ministre et la Chambre ont manqué de clair-
voyance et de décision. En sommes-nous surpris? Que non pas !
Nous sommes depuis longtemps habitués à ces façons sinueuses de
procéder, aussi bien dans les beaux-arts que dans la politique. Ce
sont là jeux de parlementaires.
H. Mobeno.
SAMSONNET AUX NOUVEAUTÉS
Opérette en 5 tableaux de M. Paul Ferrier.
Musique de Mj Victor Roger.
Il y avait plus qu'une idée d'opérette dans le sujet traité par
M. Paul Ferrier. On y pouvait trouver le thème d'une comédie à
succès. L'engouement qu'on a aujourd'hui dans un certain « monde »
pour le cabotin, surtout pour le cabotin chantant, l'adoration du
•ténor, pour l'appeler par son nom, est devenu une véritable plaie
sociale, et on en pouvait certainement tirer un drame poignant.
M. Paul Ferrier a préféré prendre la chose en plaisantant, mais il
n'en reste pas moins un fond de satire dans sa petite œuvre pour
rire; seulement, il a eu soin d'enrubanner son fouet de satin rose.
Les amours de la comtesse Esperanza avec le ténor Samsonnet
restent donc dans la nuance aimable, et nous donnent l'occasion
d'applaudir une fois de plus le talent souple et ingénieux de M. Paul
Ferrier. Soit qu'il nous mène au fond de l'avant-scène 23, au Lyrique
de 1895, soit qu'il nous conduise chez Paillard au milieu d'un sou-
per à la mode, c'est toujours la même verve et la même grâce. Sa
représentation de « femmes du monde » au bénéfice d'une œuvre de
charité, son « duel sélect » au château des Catalpas devant une
assemblée de choix et sous la protection des gendarmes, sont des
inventions qui ne sont pas moins plaisantes. Tout cela est vif et
rapide et s'entend de neuf heures à minuit sans aucun ennui, agré-
menté d'une musique également charmante de M. Viclor Roger, le
compositeur déjà applaudi du Fétiche et de Joséphine vendue par ses
sœurs.
La pièce est interprétée par M"" Mily-Meyer, toujours bien fine et
amusante; par Albert Brasseur, qui donne de la tenue, peut-être
même un peu trop, au rôle de Samsonnet; par Germain, un grima-
cier étonnant; par Maugé, plein de distinction dans le rûle de l'am-
bassadeur, et par Guy, un « docteur fin de siècle » des plus sédui-
sants.
La première représentation s'est ressentie de la précipitation que,
pour des circonstances diverses, on avait apportée à la mise en scène
de cette pièce. Mais aujourd'hui qu'elle esl complètement sue et
bien tassée, elle marche, comme on dit, sur des roulettes, qui
pourraient bien la conduire plus loin qu'on ne pensait.
H. M.
p.S. — Le théâtre des Folies-Dramatiques, à qui l'Egypte n'a
pas porté bonheur, vient de faire une reprise de la Fauvette du
Temple, la pièce militaire de MM. Burani et Humbert, sur laquelle
M. André Messager a écrit une partition souvent aimable et tou-
jours de forme distinguée. Lors de son apparition, en 1885, cet
opéra-comique fournit une assez belle carrière avec M"ies Simon-
Girard, Vialda, MM. Gobin, Jourdan, Simon-Max, Chauvreau, Riga
et Duhamel; la nouvelle distribution, bien que totalement différente,
ne semble point faite pour nuire au succès. M. Gobin a gardé son
rôle de ténor et y est toujours aussi amusant; c'est M°'e J. Thibault,
que des raisons domestiques avait tenu éloignée de la scène quelque
temps, qui chante la partie de Thérèse avec son charme habituel.
MM. Guyon fils, Huguet, Hérault, Moret, Blanchet, ne font nulle-
ment regretter leurs devanciers. La mise en scène reste la même,
c'est-à-dire aussi auimée, et l'assaut des zouaves au défilé de
Chareb produit toujours son effet sur le public très chauvin du
théâtre des Folies-Dramatiques.
P.-E. C.
LA SONATE A KREUTZER
(Suite.)
Oa a vu plus haut que cette sonate célèbre fut publiée en 1805,
c'est-à-dire deux ans après sa première exécution publique par
Beethoven lui-même, avec sa dédicace à Rodolphe Kreutzer (1). Je
ne sais sur la foi de quel renseignement l'écrivain excentrique qui
avait nom "W. de Lenz a pu imprimer ceci dans son livre sur Beetho-
ven et ses trois styles : « Kreutzer ne comprit rien à cette œuvre
colossale, qui perpétue encore son nom quand l'auteur de Lodoïska
est oublié depuis longtemps. » Le critique russe semble ici consi-
dérer Kreutzer comme un artiste quelconque, incapable d'apprécier
la valeur d'une telle œuvre. Or, non seulement Kreutzer était un
virtuose de premier ordre; mais il est bien certain que pendant son
séjour à Vienne et lors de la liaison qui s'était établie entre lui et
Beethoven, il avait pu et dû, en faisant de la musique avec lui, se
familiariser avec les compositions du grand homme, et conséquem-
ment se trouver à même de juger comme elle le méritait celle dont
il recevait l'hommage affectueux.
Mais il y a quelque chose de plus étrange encore que cette asser-
tion du glossateur de Beethoven : c'est le jugement véritablement
étonnant porté sur la sonate à Kreutzer par un journal qui jouissait
alors en Allemagne d'un énorme crédit, la Gazette musicale univer-
selle. Quand les Allemands d'aujourd'hui veulent nous faire croire
à leur infaillibilité de tout temps en matière de critique musicale,
ils feraient bien de retremper leur modestie dans la lecture atten-
tive de certaines pages comme celle que voici :
Il faut être saisi d'une sorte de terrorisme (!!) musical ou entiché de
Beethoven jusqu'à l'aveuglement pour ne pas voir ici la preuve que de-
puis quelque temps le caprice, de Beethoven est avant toutes choses d'être
autre que les autres gens. Cette sonate est écrite pour deux virtuoses qui
ne rencontrent plus de difficultés, et qui en même temps possèdent assez
d'esprit et de savoir musical pour, en y joignant l'exercice, pouvoir au
besoin composer les mêmes œuvres (!). Un presto plein d'effet; un andante ori-
ginal et beau avec des variations on ne peut plus bizarres, puis encore un
(1) Elle parut chez l'éditeur Simrok, à Berlin.
380
LE MENESTREL
presto, la composition la plus étrange, qui doit être exécutée dans un moment
où l'on veut goûter de tout ce qu'il y a de plus grotesque (I).
Voilà comment, dans un journal allemand, en l'an de grâce 1805,
on jugeait Beethoven et l'une de ses plus admirables conceptions!
Il n'y a pas d'autre mol, en effet, que le mot : admirable, pour
qualifier un tel chef-d'œuvre, et celte sonate à Kreutzer est une
véritable merveille, devant laquelle toute expression humaine semble
destinée à rester impuissante. Son début seul est une surprise, et
l'adagio de quelques mesures qui précède le premier presto et lui
sert d'introduction est d'un caractère superbe. On est étonné que
dans un si court espace, en l'abseDce de tout développement, le
sentiment mélodique puisse non seulement se faire jour, mais se
déployer avec une telle intensité. Quant au presto, à qualre temps,
il a tout à la fois la franchise, le mouvement, l'éclat, la puissance,
et dans l'ensemble une grandeur que ne semblerait jamais comporter
l'emploi de deux seuls instruments.
L'andante con variazoni est d'une suavité exquise, et la phrase
principale, établie tout d'abord par le piano, puis reprise par le
violon, est d'une adorable eontexture mélodique, qui porte l'em-
preinte d'une mélancolie pénétrante et douce. La première variation
est pleine de grâce ; la seconde est sans doute celle qui a paru le
plus bizarre au bizarre rédacteur de la Gazette musicale universelle,
parce qu'elle est particulièrement difficile pour le violon et que
celui-ci y monte jusqu'au fa de la quatrième octave, note assez peu
usitée en effet sur cet instrument (2); la troisième emprunte à la
tonalité mineure une couleur toute particulière; mais que dire de
la quatrième, qui forme à' elle seule un morceau complet, et dont
la terminaison est si adorable? Il n'y a qu'un Beethoven pour écrire
dételles pages; tant pis pour ceux qui sont incapables de les com-
prendre!
Pour ce qui est du presto final, il est simplement prodigieux;
non par l'abondance des idées, mais par le talent avec lequel elles
sont mises eu oeuvre, par la verve étonnante qui le caractérise, par-
la merveilleuse unité qui le distingue en dépit — ou peut-être à
cause — des incises qui viennent à deux reprises rompre, par l'in-
troduction de quelques mesures paisibles à 2/4, le tournoiement
vertigineux du rythme à 6/8 par lequel les exécutants semblent
entraînés comme dans une sorte de tourbillon destiné à les englou-
tir. En réalité, le morceau est entièrement construit sur une simple
phrase de huit mesures qui n'est même pas la phrase initiale,
puisqu'elle ne commence qu'à la soixante-deuxième mesure et
qu'elle n'est pas dans la tonalité maîtresse; mais cette phrase est
en quelque sorte préparée, précédemment annoncée, par quelques
échappées fugitives soit mélodiques, soit rythmiques, l'auditeur
l'attend, la pressent, la voit venir si l'on peut dire, l'auteut a le
talent de la lui faire prévoir et désirer, et lorsqu'enfîn il a consenti
à la présenter complète, il faut voir avec quelle adresse, quelle
habileté, quel génie il sait l'employer, lu tournant et la retournant
de cent façons, la modifiant toujours à sa guise, la reproduisant
tantôt entière, tantôt par fragments, la faisant passer sans cesse
de l'un à l'autre instrument, et surtout la modulant avec un art,
une science, un goût, une ingéniosité de moyens qui semblent
inépuisables et qui tiennent vraiment du prodige.
Telle est cette vaste et noble composition, pour laquelle le docte
écrivain de la Gazette musicale universelle ne trouvait d'autres épi—
thètes que celles d'étrange, bizarre, grotesque, et qui lui semblait le
produit d' « une sorte de terrorisme musical. » M. Eugène Sauzay
était mieux inspiré lorsqu'il (lisait dans son Ecole de l'accompagne-
ment, à propos de la sonate à Kreutzer : — « La grandeur est aussi
bien ici dans la pensée que dans la forme, et l'exécutant n'a, pour
l'exprimer, qu'a se laisser entraîner par la beauté intérieure. Le
titre du reste porte avec lui, comme on le voit, l'explication du
grand développement donné à l'instrument; c'est un grand duo, une
sonate-concerto. » Et c'est en étudiant et en entendaut de telles
œuvres que l'on comprend de quel juste sentiment de sa valeur
Beethoven était pénétré lorsqu'il disait à son amie Bettina d'Ar-
nim : — « ... Je n'ai point d'amis; ma vie doit s'écouler solitaire;
mais je sais que Dieu est plus près de moi dans mon art que des autres
hommes. Je marche sans crainte avec lui, car. je l'ai toujours reconnu
et compris. Quant à ma musique, je suis aussi sans inquiétude de
ce côté, le destin ne saurait lui être contraire; quiconque la sen-
(1) Gazelle musicale universelle, 1805, page 709.
(2) Dans son livre intéressant : Beethoven, ses critiques et ses glossateurs,
Oulibicheff dit : « Il y a là des variations admirables, mais assez mal
disposées pour le violon. » Cette remarque, assez juste, peut s'appliquer
surtout à la seconde variation, qui, tout en montant moins haut, est plus
gauche à jouer que la quatrième, et parfois plus embarrassante.
tira pleinement sera délivré à tout jamais de toutes les misères que
les autres hommes tiennent à leur suite. »
Mais qui sera capable de la sentir pleinement? S'il fallait s'en
rapporter à Berlioz, toujours excessif dans ses sensations comme
dans sa façon de les exprimer, le nombre de ces élus serait bien
restreint. Parlant précisément des sonates de Beethoven, il affirme
qu'il ne connaît pas six pianistes « capables de les exécuter fidèle-
ment, correctement, puissamment, poétiquement, de ne pas para-
lyser la verve, de ne pas éteindre l'ardeur, la flamme, la vie, qui
bouillonnent dans ces compositions extraordinaires, de suh're le
vol capricieux de la pensée de l'auteur, de rêver, de méditer, et de
se passionner avec lui, de s'identifier enfin avec son inspiration et
de la reproduire intacte. » Et, partant de cette idée que les compo-
sitions intimes de Beethoven ne sauraient être comprises d'un grand
nombre, il ajoute : « L'espèce d'impopularité de ces merveilleuses
inspirations est un malheur inévitable. Encore, est-ce même un
malheur?... J'en doute. Il faut peut-être que de telles œuvres restent
inaccessibles à la foule. Il y a des talents pleins de charme, d'écla'
et de puissance, destinés, sinon au bas peuple, au moins au tiers-
état des intelligences : les génies de luxe, tels que celui de Beetho-
ven, furent créés par Dieu pour les cœurs et les esprits souve-
rains (1). »
On sait que cette doctrine pessimiste et décourageante était chère
à Berlioz; elle flattait son orgueil et constituait pour lui une sorte
de dada. C'est encore lui qui a écrit quelque part: « Il serait déplo-
rable que certaines œuvres fussent comprises par certaines gens. »
Et pourquoi donc? Quand vous élèveriez jusqu'à la vôtre certaines
intelligences ou rétives, ou bornées, seriez-vous donc déshonoré, et
cela ne serait-il pas au contraire à votre gloire? Je gagerais volon-
tiers que Beethoven n'était pas si difficile, et qu'il n'aurait pas tant
fait le dédaigneux devant des applaudissements sincères, de quelques
mains qu'ils pussent lui venir. Tous tant que nous sommes, artistes
et écrivains, petits ou grands, nous travaillons après tout, nous
devons travailler pour être compris du plus grand nombre, et peut-
être est-ce notre faute lorsque nous n'y réussissons pas. Quant à ce qui
est de F « impopularité » de3 sonates de Beethoven, on peut faire
remarquer tout d'abord que ce ne sunt pas là des conceptions d'art
à produire devant ce qu'on appelle la foule; et d'autre part je suis
porté à croire que Beethoven n'a pas à se plaindre même chez nous,
même en France, de l'impression produite par ses œuvres sur la
généralité de ceux qui sont à même de les entendre.
Pour en revenir à la sonate à Kreutzer, dont, particulièrement, je
dois déclarer que l'effet m'a toujours paru infaillible, je constaterai,
en terminant, qu'elle a été à diverses reprises l'objet d'interpréta-
tions de divers genres, de ce qu'on appelle des « arrangements, »
complets ou partiels. On l'a transcrite pour grand orchestre, et un
certain Hartmann l'a publiée en quintette pour piano, deux violons,
alto et violoncelle ; je me rappelle l'avoir jouée moi-même sous cette
forme, et quelque peu de sympathie que j'éprouve pour ces sortes
d'arrangements, je dois convenir que celui-ci est aussi bien fait que
possible ; on en a fait aussi une transcription pour piano seul, une
autre pour piano à quatre mains, et Czerny a réduit séparément les
variations pour piano seul, doigtées par lui. Enfin, Charles de Bériot
a pris l'andante pour thème d'une de ses fantaisies de violon (le Tré-
molo, caprice sur un thème de Beethoven, op, 30), en le transposant
en ré, tandis qu Emile Prudent l'employait aussi dans l'une de ses
fantaisies de piano (Souvenir de Beethoven, op. 9).
J'ai à peine besoin dédire que l'œuvre originale plane, dans toute
sa noblesse et toute sa pureté, au-dessus de ces traductions diverses,
plus ou moins habilement faites, et que toutes pâlissent devant les
beautés rayonnantes du chef-d'œuvre en tête duquel Beethoven a
associé à son nom celui de Rodolphe Kreutzer.
Arthur Pougin.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Nouvelles de Londres : La saison de M. Lago se termine cette se-
maine. Grâce au succès à'Orpliée et aux recettes produites par Lohengrin
et Taimhàuser, cette courte exploitation se soldera sans perte. Il est inu-
tile d'insister sur la faiblesse d'ensemble des deux dernières reprises ;
TannhausiT et l'Étoile du Nord. Dans l'opéra de Meyerbeer surtout, l'entou-
rage de M. Maurel a été au-dessous de toute critique. L'enseignement
artistique de la saison est une dernière preuve, bien suporflue d'ailleurs,
(1) Les Soirées de l'orchestre.
LE MÉlNESTREL
381
de la décadence du genre italien. L'entreprise purement italienne de
M. Lago devait être une protestation contre les saisons franco-italiennes
de M. Harris, avec leur répertoire franco-allemand et leur troupe franco-
belge (c'est le cliché en cours). Le résultat n'a pas fait doute un seul
instant. Toutes les tentatives de résurrection de l'ancien répertoire ita-
lien ont échoué devant l'abstention du public. Quant à la nouvelle troupe
de M. Lago, elle n'a révélé que deux artistes de valeur : M"0 Ravogli,
dont le succès a été naturellement exagéré au milieu d'un pareil entou-
rage, et M. Perotti, un ténor allemand de mérite, surtout dans les opéras
wagnériens.
Au moment où on annonce comme certaine la tournée de l'orchestre
Lamoureux en Angleterre au printemps prochain, il est intéressant de
constater les préventions étranges du public de Londres en matière de
musique symphonique. On sait que M. Charles Halle dirige depuis une
trentaine d'années, à Manchester, un orchestre de tout premier ordre : le
seul en Angleterre, à l'exception peut-être de celui du Crystal Palace,
qui, grâce à un travail incessant de répétitions, soit arrivé à des exécutions
d'une correction et d'un coloris remarquables. Or, déjà l'hiver dernier,
M. Charles Halle a eu l'audace de transporter à quatre reprises sa vail
lante phalange de cent musiciens à Londres, et malgré des programmes
fort bien composés, la foule n'est accourue qu'à la dernière audition.
Sans se décourager devant la tiédeur de cet accueil (au point de vue
financier bien entendu, parce que le succès artistique avait été éclatant),
M. Charles Halle a voulu renouveler l'expérience cet hiver, et son premier
concert a été de nouveau donné devant une demi-salle. Les pièces de ré-
sistance du programme étaient la grande symphonie en ut, de Schubert,
et un concerto pour violon, de Viotti, exécuté par Mme Neruda. Succès
très grand et très mérité. L'entreprise de M. Halle est d'autant plus inté-
ressante, que son éclectisme fait appel aux belles œuvres de toutes les
écoles et de toutes les originalités. Camarade de jeunesse de Berlioz à
Paris, il a été l'initiateur de la musique du grand maître français en
Angleterre. Tous les vrais amateurs lui sauront gré d'avoir fait figurer
sur ses prochains programmes de Londres la Symphonie fantastique et
Harold en Italie.
Le Daily News se croit à même de pouvoir annoncer positivement,
sur la foi de l'éditeur Ricordi, que le maestro Verdi travaille depuis
quelque temps déjà à un opéra-comique intitulé Falstaff, dont le livret est
écrit par Arrigo Boito et basé probablement sur les Joyeuses Commères de
Windsor. L'ouvrage est déjà à moitié achevé et il y a tout lieu d'espérer
qu'il pourra être prêt pour la saison de carnaval à Milan. La nouvelle
officielle paraîtra dans le prochain numéro de la Gazetia musicale.
A. G. N.
— C'en est fait. MmB Pauline Luca a fait, dimanche dernier, ses adieux
au public de Munich. Elle chantera encore à Erfurth, à Magdebourg, à
Posen et à Varsovie, puis elle terminera définitivement sa carrière artisti-
que dans deux concerts qui seront donnés à Vienne, au bénéfice de la
Concordia (Association de la presse) et de l'OEuvre des chaufl'oirs publics.
— La première de Gwendoline, donnée l'autre jeudi à Munich, a obtenu
un succès considérable. Après le premier acte les interprètes ont été
rappelés quatre fois, et après le second une ovation enthousiaste a été faite
à M. Cuabrier, qui a été apprié et rappelé un grand nombre de fois sur la
scène. La veille avait eu lieu, à l'Opérai impérial de Vienne, la première
représentation de Manon, de M. Massenet, avec le ténor Van Dyck dans le
rôle de Des Grieux et MUe Renard dans celui de la cousine de Lescaut. Le
succès a été considérable. Après le troisième acte, on a rappelé les inter-
prètes principaux et demandé l'auteur, qui se trouvait dans les coulisses.
Mmo Cosima Wagner assistait à la représentation.
— Une des cantatrices les plus remarquables et les plus renommées de
de l'Opéra impérial de Vienne, M'M Wilt, qui se retire définitivement de
la scène, a signalé sa retraite par un acte rare de générosité intelligente.
Elle a consacré une somme de 100,000 florins, soit plus de 200,000 francs,
à la création d'une œuvre destinée à faciliter leur carrière à de jeunes
étudiants peu fortunés. Les intérêts de cette somme serviront à la créa-
tion de cinq bourses en faveur de jeunes candidats au doctorat des uni-
vesités de Vienne et Graz.
— Cerlains journaux étrangers annoncent qu'on doit mettre en scène
prochainement, à Saint-Pétersbourg, un opéra nouveau intitulé le Héros
maure ou le Mameluek de Napoléon 7e''. La musique de cet ouvrage serait
écrite par un jeune compositeur autrichien, M. A. Rose, sur un livret de
M. Jokai, le fameux écrivain hongrois, traduit en russe.
— Voici le programme définitif des spectacles qui seront donnés au
théâtre San Carlo, de Naples, pendant l'hiver. Les opéras promis sont :
Gioconda, Amleto, Cavalleria ruslicana, Spartaco, Cimbelina. Ces deux derniers
sont nouveaux; il y aura en plus un opéra du répertoire. On commencera
avec Gioconda. Les artistes principaux seront : Mmcs Cattaneo, Calvé, Del
Torre, Navelli et Guarnieri, soprani et mezzi-soprani ; les ténors: De
Lucia, Galli et Bernardi-Zeni ; les barytons: Maurel, Dufriche et Vinci;
les basses: Rossi, De Grazia et Butta Calice. Directeurs d'orchestre:
MM. Lombardi et Bimboni ; directeur des chœurs: M. Nicoli. Il y aura
deux ballets, un vieux et un nouveau, l'iclro Micca, de Manzolti, et Egle,
scènes fantastiques, de Cappini, avec musique de MM. Venanzi et Stefani.
Premières danseuses : la Cornalba et la Robino.
— Le petit cycle d'opéras bouffes donizettiens n'est décidément pas
heureux au Nazionale de Rome, et cela par le fait du peu de soin ap-
porté à l'exécution. Après l'Elisire d'Amore est venue la Figlia del Rcggi-
mento, dont le succès a été médiocre par cette raison, en dépit de l'in-
dulgence d'un public pourtant on ne peut mieux disposé. Faibles, très
faibles, et même peu sûrs de leurs rôles Mrac Goré (Marie), MM. Lombardi
(Tonio) et Merly (Sulpice). « Dans l'ensemble, dit l'Italie, belle musique,
exécution médiocre, spectacle bon tout juste pour un théâtre populaire,
mais rien de plus. »
— On donne comme certaine la prochaine représentation à Rome, pen-
dant la saison du carnaval, d'un nouvel opéra de M. Adelelmo Barto-
lucci, la Zingara di Granata.
— Au théâtre de la F'enice. de Naples, on a représenté tout récemment
une nouvelle opérette, la Fille mal gardée, dont le sujet est pris du fameux
ballet de Dauberval qui pendant plus de soixante ans a fait les délices
du public français. L'auteur de la musique, peu connu jusqu'à ce jour,
est M. Bertaggia.
— Une pluie de premières représentations en Italie. Au théâtre Cari-
gnan, de Turin, succès brillant, .dit l'Italie, pour un opéra nouveau de
M. Baravalle, Andréa del Sarto. « Tous les morceaux, écrit-on à ce journal,
ont été applaudis, depuis l'ouverture, d'un genre délicat, jusqu'à la fin
de l'opéra. Les plus importants sont un grand duo, un terzetto et un air
pour baryton. La musique est d'un style dramatique moderne, d'une fac-
ture excellente, écrite avec art et goût; elle ne manque pas de mélodies
belles et originales. Les interprètes principaux étaient Mlles Busi et Novelli,
le baryton Sparapani, le ténor Cuttica, MM. Russitano et Cromberg. Le
compositeur, M. Baravalle, est piémontais. Depuis plusieurs années il
habite Rome, où l'on apprécie beaucoup sa musique de salon et d'or-
chestre. Il y a quelques années il a gagné un concours pour une messe
de Requiem exécutée d'abord à Turiu, puis au Panthéon de Rome. C'est
un compositeur sérieux, un artiste de goût; il n'a que 35 ans. » — Le même
jour (20 novembre), au théâtre Paganini, de Gênes, apparition d'un nou-
vel opéra en trois actes du maestro Edoardo Trucco, gli Arimanni. Succès
complet, disent les journaux : deux morceaux bissés, dix-sept rappels au
compositeur. Interprétation remarquable de la part de Mmc Paltrinieri, de
MM. Da Caprile, Benfratelli et Cerratelli. — Enfin, au Théâtre Commu-
nal de Bologne, première représentation triomphale de la Pellegrina,
opéra en quatre actes, paroles et musique de M. Filippo Clementi. Les
destinées de cet ouvrage avaient pourtant été quelque peu troublées
avant son arrivée devant le public, car il avait été déjà mis en scène
deux fois, à Bologne même d'abord, et ensuite à Rome, sans pouvoir
parvenir à la lumière de la rampe. Bien que les critiques fassent à son
sujet de sérieuses réserves, le succès a été complet, et l'auteur a été
l'objet de vingt-cinq rappels, ce qui dénote une certaine chaleur de la part
du public. L'exécution a d'ailleurs été superbe, confiée au ténor Marconi,
au baryton Cotogni, à MUc Sthele et à M. Lanzoni. Une singularité har-
monique est ainsi signalée dans le compte rendu que la Gazzetla musicale
fait de cet ouvrage, et vaut la peine d'être notée : » Quand le drame prend
fin avec la mort d'Amelia, l'orchestre clôt l'opéra avec la mélodie aimable
et douce des pèlerins, et la musique poétique finit sans que l'accord
final conclue sur la fondamentale, mais bien sur le premier renversement
de la dominante, laissant un sens indéfini et nouveau qui émeut. Il
semble que l'impression de la dernière scène se poursuive et vous accom-
pagne en sortant du théâtre. »
— Deux opéras nouveaux sont sur le point d'être représentés à Lis-
bonne, l'un au grand théâtre San Carlos, l'autre au théâtre de la Trinité.
Au San-Carlos, il s'agit d'un drame lyrique en quatre actes et sept tableaux,
d'un caractère fantastique, avec un immense déploiement de mise en
scène, intitulé Irène. Le sujet de cet ouvrage est tiré de la légende de
sainte Iria, la vierge de Numance, qui, dit-on, a donné son nom à Santa-
rem. Il s'y trouve un grand ballet qui représentera, assure-t-on, la lutte
des anges du Paradisperiu de Milton. L'auteur de la musique est M. Alfred
ÎCeil, dont un autre opéra, Donna Branca, a obtenu récemment un très
grand succès. — Quant à l'ouvrage qu'on répète en ce moment au théâtre
de la Trinité, c'est un opéra-comique en trois actes, qui a pour titre
A moira de Silvcs, et dont les auteurs sont, pour les paroles M. Lorjo
Tavares. et pour la musique M. Joao Guerreirj da Costa. Les interprètes
seront Mm™ Amelia Barros, Blanche, Queirez, Portugal, et MM. Joaquim
Silva, Augusto, Diniz et Cardoso.
— M. Paul von Janko, l'inventeur du nouveau clavier de piano qui
porte son nom, entreprend en ce moment une grande tournée en Amé-
rique pour y propager son système. La première audition publique, qui
a eu lieu le 24 octobre à Chickering Hall, de New- York, a causé une pro-
fonde sensation. L'opinion générale est que le clavier Janko détrônera à
bref délai les anciens claviers ; déjà la plupart des conservatoires des
États-Unis ont décidé de l'adopter.
— Le nouveau Code pénal des États-Unis du Brésil (promulgué par le
décret n° 847 du 11 octobre dernier) contient cinq articles assurant une
protection efficace aux auteurs étrangers. Jusqu'ici, les auteurs français,
qui alimentent presque exclusivement les feuilletons des journaux et les
théâtres du Brésil, étaient mis à contribution sans avoir aucun moyen de
faire valoir leurs droits. Désormais, les auteurs français et tous les au-
teurs étrangers y jouiront de la même protection que les nationaux.
382
LE MENESTREL
PARIS ET DEPARTEMENTS
Cest décidé. Nous allons avoir Fidelio a l'Opéra. Les directeurs ont
pris leur courage à deux mains et ont profité du passage à Paris de
M. Gevaert, l'éminent directeur du Conservatoire de Bruxelles, pour ar-
ranger toutes choses avec lui. On sait que M. Gevaert a fait pour Fidelio
ce que Berlioz fit pour le Freischiitz. Les récitatifs qui remplacent le dia-
logue parlé ont été écrits par lui. avec tout le respect d'un maître mo-
derne pour «n maître ancien. M. Gevaert a promis de venir diriger lui-
même les études. Fidelio passerait en janvier, avec la distribution suivante :
Léonore Mmes Bose Caron.
Marceline Lowents.
Florestan MM. Duc.
Pizarre Bérardi.
Bocco Plançon.
Jaquino Alï're.
— Une autre distribution qui ne manquera pas d'attraction sera celle
qu'on destine à Carmen, pour la prochaine représentation qui en sera
donnée à l'Opéra Comique, pour le monument de Georges Bizet.
José MM. Jean de Beszké.
Escamillo Lassalle.
Carmen MmcB Galli-Marié.
Micaela Melba
(Les autres rôles par leurs titulaires habituels à l'Opéra-Comique.)
Ballet nouveau avec Mllc Bosita Mauri.
L'interprétation ordinaire de M. Paravey aura peine à tenir après calle-
hL II est vrai qu'elle ne coûte pas au public 30 francs la place!
— M. Verdhurt, directeur du Théâtre-Lyrique, installé à l'ancien Éden-
Théàtre, avait organisé pour hier samedi une audition des principales
œuvres de César Franck, qui vient de mourir. On devait entendre, d'après
le programme de cette réunion artistique, des « variations symphoniques »
pour piano, exécutées par M. Diémer, des fragments du Chasseur maudit,
de Ruth et de l'oratorio intitulé Rédemption, le principal ouvrage du com-
pos'iteur, qui devait être chanté par Mme Fursch Madier. Mais Mmc veuve
César Franck, propriétaire des œuvres musicales de son mari, et ses fils,
ont estimé que cette audition était trop chargée, qu'elle avait été trop
précipitée et qu'elle ne convenait nullement à l'œuvre du compositeur.
En conséquence, et se prévalant du droit qu'elle prétend avoir d'empêcher
l'exécution d'œuvres qui sont sa propriété, elle a introduit un référé pour
faire cesser toute publicité soit par voie d'affiches, soit par la voie des
journaux, el interdire la représentation annoncée. Me Jules Auffray, avocat,
assisté de Me Charles Martin, avoué, s'est présenté pour la veuve et les
héritiers de César Franck et a soutenu le droit des demandeurs de s'op-
poser à une interprétation d'œuvres leur appartenant: dans des conditions
qui ne leur paraissaient point convenir à la mémoire du maître. En
l'absence de M. Verdhurt, qui ne s'était pas fait représenter, M. le pré-
sident avait remis à hier pour entendre ses observations et rendre sa dé-
cision. Hier, le président a rendu son jugement interdisant à M. Verdhurt
de faire exécuter dis œuvres de M. Franck, ce soir ou tout autre jour.
— M. Verdhurt n'en avait pas moins l'intention de passer outre, ainsi
que le prouve cette lettre adressée au secrétaire général de la Société des
auteurs :
Monsieur le secrétaire gëûéral,
En vertu des droits incontestables que je tiens de la Société des auteurs, com-
positeurs et éditeurs de musique, — droits que M» Doumerc, avocat de ladite
Société, fera valoir demain samedi, devant le juge des référés — je maintiens
l'exécution annoncée des œuvres de César Franck, et je vous prie de vouloir
bien insérer le programme ci-joint.
Veuillez agréer, avec tous mes remerciements, l'assurance de mes sentiments
distingués.
Vendredi 28 novembre 1890. Henry ViiriDHunT.
Que sera-t-il advenu de tout cela? Nous ne pourrons en instruire nos
lecteurs que dimanche prochain.
— La première représentation du Benvenulo, de MM. Hirsch et Diaz,
qui devait avoir lieu cette semaine à l'Opéra-Comique, est irrévocable-
ment fixée au mercredi 3 décembre.
— Par arrêté du ministre de l'instruction publique et des beaux-arts,
en date du 23 novembre, M. Ch.-M. Widor a été nommé professeur
d'orgue et d'improvisation au Conservatoire de musique, en remplace-
ment de M. César Franck, décédé.
— Il est fortement question que la Porte-Saint-Martin doive représen-
ter, cet hiver, une pièce à grand spectacle de M. Henri Meilhac, mu-
sique de M. Jules Massenel. M. Duquesnel vient, dit-on, d'entamer des
pourparlers avec M"« Jeanne Granier, qui créerait dans cette pièce le prin-
cipal rôle.
— On sait qu'un procès avait été intenté à M. Gounod par un entre-
preneur, M. Coulon, qui prétendait avoir traité avec l'illustre compositeur
pour des tournées en Amérique et lui réclamait 100,000 francs de dom-
mages-intérêts pour non-exécution de cet engagement. M. Gounod répon-
dait que ces pourparlers n'avaient jamais reçu de sanction définitive et
qu'il avait toujours entendu réserver son consentement. La correspondance,
disait-il, en faisait foi. Ces jours derniers, à la suite du paiement d'une
indemnité de 10,000 francs, spontanément et de tout temps offerte par
M. Gounod pour remboursement de frais de voyage en Amérique, MM. Coulon
et consorts se sont désistés de leur demande, et l'affaire a été rayée du
rôle.
— Nous avons annoncé, d'après un de nos confrères, qu'aux termes d'un
nouveau règlement relatif au Conservatoire, — règlement qu'aurait rédigé
M. Larroumet et que M. Bourgeois, ministre des beaux-arts, devait signer
ces jours derniers, — aucun élève du Conservatoire ne pourrait, désormais
entrer à la Comédie-Française pendant les deux années qui suivraient
son dernier concours. Un stage à l'Odéonw disait-on, sera obligatoire, à
moins, bien entendu, que l'élève aille faire sa réputation en province ou
à l'étranger, et soit admis, au retour, à la Comédie-Française. On assure
aujourd'hui que le nouveau règlement n'a pas été signé par M. Bourgeois.
Il est exact qu'on l'a mis de nouveau à l'étude en ces derniers temps,
mais il semble que ce projet va de nouveau être abandonné, comme toutes
les fois précédentes où il est venu sur le tapis. Pour notre part, nous
regretterons vivement qu'il n'aboutisse pas, car il eût été fort utile et à
la Comédie-Française, et à l'Odéon, et aux artistes.
— L'Association des artistes musiciens a célébré pour la quarante-qua-
trième fois, samedi 2"2 novembre, la fête de Sainte-Cécile, en faisant exé-
cuter dans l'église Saint-Eustache une Messe solennelle de M. Bené de
Boisdeffre pour soli, chœurs, orchestre et orgue. Cette œuvre intéressante,
simple d'allure, élégante de forme, d'un heureux caractère et souvent
d'un beau sentiment mélodique, a produit sur la très nombreuse assistance
qui se pressait dans l'église une excellente impression. L'exécution, fort
remarquable sous tous les rapports, était dirigée par M. Jules Danbé, le
très habile chef d'orchestre de l'Opéra-Comique, et les soli étaient chantés
par deux des meilleurs artistes de ce théâtre, MM. Gibert et Benaud, qui
ont su faire ressortir toutes les qualités de l'œuvre de M. de Boisdeffre.
MM. Charles et Léopold Dancla ont exécuté magistralement, à l'Offertoire,
une bôlle Hymne à Sainte Cécile pour deux violons, harpe et orgue, de la
composition de M. Charles Dancla, et après l'Élévation M. Georges Gillet
a dit, avec le son et le style superbes qu'on lui connaît, une Prière pour
hautbois de Mmc de Grandval. En résumé, cette séance a été aussi remar-
quable au point de vue artistique que fructueuse, au point de vue maté-
riel, pour la caisse de secours de l'Association des artistes musiciens.
— Les Matinées-Causeries du Théâtre d'application recommenceront le
mercredi 10 décembre. M. Sarcey inaugurera d'intéressants three oclock's.
Les auditions musicales ayant été un grand attrait de la saison dernière, la
campagne 90-91 comprendra six conférences musicales par M. Camille
Bellaigue et par M. Arthur Pougin. Puis viendront des poètes, des litté-
rateurs, des comédiens et quelques députés. Les conditions d'abonnement
sont sensiblement diminuées: la série de douze causeries, 60 francs; la
série de vingt-quatre causeries, 100 francs.
— Concerts du Châtelet. La Symphonie écossaise de Mendelssohn a été
dite par l'orchestre de M. Colonne avec une perfection remarquable.
Ij'adagio cantabile a été surtout rendu avec une intensité d'expression digne
d'éloges. Pourquoi M. Colonne ne nous donnerait-il pas un jour sa sym-
phonie avec, chœurs, ou soit au moins la partie purement orchestrale. C'est
là une œuvre de premier ordre, qu'il ne faudrait pas laisser ignorer du
public de l'Association artistique. Une tentative heureuse a été l'exécution,
par tous les instruments à cordes, de l'andante du 3e quatuor de Beetho-
ven. C'était parfait comme exécution. Ce n'est que de cette façon que l'on
peut, dans un local immense comme la salle du Châtelet, présenter au
grand public les quatuors dos grands maîtres. Il y aurait bien des tenta-
tives de ce genre à faire en ce qui touche un répertoire si riche, d'autant
plus que ces tentatives sont toujours bien accueillies et très applaudies.
Les Scènes alsaciennes de M. Massenet ont eu leur succès ordinaire. Cette
œuvre très colorée provoque toujours une émotion sincère, d'autant plus
qu'il s'y mêle un sentiment vrai de patriotisme. Une exécution irrépro-
chable du prélude de Tristan et Yseult de Wagner, n'a pas réussi à défendre
cette œuvre centre la froideur du public. En revanche, nous avons à si-
gnaler un très franc et très légitime succès, celui de Mllc Chaminade, dont
on a exécuté une suite d'orchestre tirée de son ballet de Callirhoc. Les trois
premiers morceaux sont charmants, très mélodiques, et orchestrés avec
une finesse et une délicatesse de touche qu'on ne saurait trop louer. Après
l'exécution de l'intermezzo de M. Tschaïkowsky, extrait de sa première suite
d'orchestre et qui n'est qu'une œuvre estimable, le concert s'est terminé
par la bacchanale de Sarnson et Dalila de M. Saint-Saéns, qui a été excel-
lemment rendue et couverte d'applaudissements. II. Bàrbedette.
Concerts Lamoureux. — La partition d'orchestre du poème sympho-
nique de Liszt : Tasso, lamenta e trionfo, est précédée -d'une préface dans
laquelle est indiquée très nettement la pensée du compositeur. «Le Tasse
a aimé et souffert à Ferrare; il a été vengé à Borne; sa gloire est encore
vivante dans les chants populaires de Venise. Ces trois moments sont
inséparables de son immortel souvenir. Pour les rendre en musique, nous
avons d'abord fait surgir la grande ombre du héros... et pour cela, nous
avons pris comme thème le motif sur lequel nous avons entendu les gon-
doliers de Venise chanter sur les lagunes les strophes du Tasse :
Canlo l'armi pietose el capitano
Che'l gran sepulcro libero di Cristo I
LE MENESTREL
383
... Nous avons ensuite entrevu sa figure hautaine et attristée glisser à
travers les fêtes de Ferrare; et nous l'avons suivi à Rome, la ville éter-
nelle, qui, en lui tendant la couronne, glorifia en lui le martyr et le poète. »
La musique de Liszt répond bien à cette triple subdivision; c'est une
amplification musicale du thème vénitien qui, par lui-même, produit l'im-
pression d'une tristesse pénétrante, d'un deuil monotone, mais qui se
prête facilement à toutes sortes de transformations, d'abord en se mêlant
aux harmonies étincelantes d'un menuet féerique, ensuite pour acquérir
la puissance de sonorité, l'éclat et l'ampleur de lignes qui en font le chant
triomphal de la péroraison. La musique de Liszt n'a pas la grandeur calme
et imposante de celle de Beethoven, c'est la lave ardente du volcan plutôt
que les ondes majestueuses du fleuve, mais l'impression qu'elle produit sur
l'auditeur suffisamment préparé n'en reste pas moins très intense. L'or-
chestre, souvent en révolte avec les formes classiques, est toujours saisis-
sant d'expression, souvent entraînant et quelquefois tumultueux. —
L'ouverture à'Arteveld de M. Guiraud, exécutée naguère aux Concerts
Pasdeloup est d'une allure noble et distinguée; les idées mélodiques y
sont nombreuses et traitées d'une main sûre; en résumé, œuvre brillante
et succès légitime. La Danse macabre de M. Saint-Saëns a été acclamée.
Ce poème symphonique si intéressant comme facture, et dans lequel on suit
avec tant d'intérêt l'antagonisme des deux thèmes qui se développent côte
à côte, est depuis longtemps classé parmi les œuvres les plus appréciées du
répertoire symphonique. — On a entendu encore une excellente exécution
de l'admirable Symphonie pastorale, que rien ne peut atteindre ni déflorer,
car elle a le don d'éternelle jeunesse, les Murmures de la forêt de Siegfried
et l'ouverture de Tannhàuser. Amédée Boutarel.
— ■ M™e Krauss et Mme Conneau ont obtenu jeudi un très grand succès à
la séance de chapelle du comte de Chambrun : à côté de ces deux grandes
artistes, dont l'éloge n'est plus à faire, on a beaucoup applaudi aussi une
jeune élève de Mmc Colonne, M"0 Leclercq, qui a chanté un Magnificat de
Bach.
— Programme des concefts d'aujourd'hui dimanche :
Chàtelet, concert Colonne : Symphonie inachevée (F. Schubert) ; Variations
(Schumann) et scherzo (Saint-Saëns), exécutés par M. Louis Diémer et M. Risler;
Callirhoe (Cécile Chaminade); Psyché, poème symphonique (César Franck); marche
de Tannhàuser (Wagner).
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux : ouverture du Freischiitz
(Weberi ; Tasso. poème symphonique ( Liszt) ; concerto en ut mineur, pour piano
(Beethoven), exécuté par M"" Roger-Miclos ; fragments de Roméo et Juliette (H.Ber-
lioz) ; prélude de Tristan et IseuU (R. Wagner); ouverture de Rienzi (Wagner).
— Sous ce titre original : Histoire de 100,000 pianos et d'une salle de concerts
M. Oscar Comettant vient de publier à la librairie Fischbacher un joli
volume, orné de 5 gravures hors texte, que voudront lire tous ceux qui
s'intéressent aux choses de l'art. Dans la première partie du volume,
l'auteur nous initie à la fabrication si compliquée et si délicate du piano :
il remonte aux instruments anciens hors d'usage aujourd'hui, d'où est
sorti le piano « grand souverain », pour lequel ont été écrits plus de la
moitié des chefs-d'œuvre qui existent en musique; il nous dit le rôle
bienfaisant et véritablement moralisateur qu'il joue dans la famille, dans
le Home, sweet home. La dernière partie retrace l'histoire de l'évolution du
goût musical en France par les concerts qui se sont donnés à Paris depuis
soixante ans. Ce livre d'un style rapide se lit comme une longue et tou-
jours intéressante causerie instructive et souvent fort gaie par les anec-
dotes qu'il renferme.
— Acteurs et actrices de Paris, par Adrien Laroque (librairie nouvelle).
La dernière édition de ce petit Vapereau des artistes dramatiques date
d'un peu plus d'une année à peine, et déjà un gros remaniement s'im-
posait. C'est un travail bien minutieux qu'a entrepris M. Emile Abra-
ham... pardon! M. Adrien Laroque, et qui demanderait une revision très
fréquente. Il a fallu décrocher de cette galerie les portraits de ceux qui
abandonnent irrévocablement la carrière : Thiron, Dumaine, Léonce,
entre autres, et de ceux, bien nombreux, qui ne sont plus : Mmo Samary,
Mme Grivot, Damala, Brasseur, Laray, Christian, etc. Les nouveaux com-
blent les vides; c'est la loi naturelle. Parmi eux, les lauréats du Conser-
vatoire, qui ont débuté, et d'autres aussi, parmi lesquels Jean Coquelin...
et Coquelin lui-même, Coquelin, dont le petit livre ne contenait pas la
biographie, puisque le célèbre comédien nous avait quittés sans que nous
eussions l'espérance de le revoir. Enfin, un chapitre spécial réunit un
certain nombre d'artistes en évidence et de célébrités qui n'appartiennent
à aucun théâtre au moment où parait cette nouvelle édition, mais qui
peuvent nous revenir d'un instant à l'autre, tels que les deux Reszké,
Lafontaine, M"'cs Renée Richard, Judie, Jeanne Granier... et bien d'autres.
— Très belle réunion, samedi dernier, chez M. A. de Bertha, le com-
positeur hongrois. Le si remarquable pianiste Léon Delafosse s'y faisait
entendre et a été acclamé en interprétant d'une façon délicieuse, outre
plusieurs œuvres classiques, différentes pièces de MM.Lavignac, A. de Ber-
tha, dont une superbe sonate pour piano et violoncelle, et Th. Lack,
parmi lesquelles nous avons remarqué la Valse rapide. Grand succès éga-
lement pour M",; Renée du Minil, la charmante artiste de la Comédie-
Française, pour M"0 A. Detrois et M. Ronchini, violoncelliste des concerts
Colonne.
— Les concerts du quatuor vocal (deuxième année), fondés par M™ Hui-
ler de la Source, 18, rue de Berlin, auront lieu les vendredi 19 décembre
(soirée), dimanche 18 janvier (matinée), jeudi 19 février (soirée) et dimanche
8 mars (matinée), à la salle d'horticulture, 84, rue de Grenelle. Dans le
premier concert on entendra des fragments de la Vie pour le Tsar, deGlinka,
de la Heine de Saba, de M. Ch. Gounod, du Bravo, de M. Salvayre, et de la
Clochette, de F. Ilérold.
— Il vient de se fonder à Strasbourg une Union des Chanteurs d'Alsace-
Lorraine, dont M. Bruno Hilpert est le directeur artistique. Cette nouvelle
association prépare, pour les fêtes de la Pentecôte, de 1891, un festival
solennel. De nombreuses sociétés seront convoquées à un concours.
— La réouverture des cours de musique de M"18 Poulaine, i, rue de
l'Odéon, a eu lieu récemment. Depuis neuf ans ces cours sont sous la haute
direction de M. Antonin Marmontel, qui fait lui-même le cours supérieur.
NÉCROLOGIE
Nous avons le vif regret d'annoncer la mort d'un excellent homme qui
fut un artiste fort distingué, quoique d'une rare modestie. Emanuele Muzio,
qui se fît remarquer à la fois comme compositeur, comme chef d'orchestre
et comme professeur de chant, est mort jeudi dernier à Paris, qu'il habi-
tait et où il s'était fixé depuis plus de quinze ans. Muzio, qui était né en
182-5 dans un petit village situé dans l'ancien duché de Parme, près de
Busseto, était presque le compatriote de Verdi et devint l'unique élève
que le maître ait jamais consenti à former. Il reçut même ses premières
leçons de piano de Marguerite Barezzi. la première femme de l'auteur de
Rigolelto, et c'est lui qui, plus tard, fut chargé par celui-ci de la réduction
pour piano et chant de la plupart de ses partitions. Muzio mena de front,
pendant plusieurs années, la carrière de compositeur avec celle de chef-
d'orchestre. Il remplit ces dernières fonctions à la Monnaie de Bruxelles
(pour une saison italienne), au Her Majesty's de Londres, à l'Académie de
musique de New-York, à la Fenice de Venise, à Barcelone, au Caire et au
Théâtre-Italien de Paris (1876). Ses opéras sont: Giovanna la pazza (Bru-
xelles, 1852), Claudia (Milan 18-55), le Due Régine (Milan, Canobbiana, 1856),
la Sorrentina (Bologne, théâtre communal, 1857). Il abandonna pourtant
la composition pour se livrer exclusivement à l'enseignement du chant,
et il s'était formé sous ce rapport, à Paris, une clientèle aussi nombreuse
que choisie. Il fut le professeur de miss Clara Kellogg, la célèbre canta-
trice anglaise, et l'on assure qu'il fut aussi le premier maitre de
MmcB Carlotta et Adelina Patti. C'est Muzio qui devait diriger au Caire,
en 1871, l'exécution à' Aida lors de l'apparition de cet ouvrage; il en fut
empêché par les circonstances, au grand déplaisir de Verdi, qui le tenait
en haute estime et en grande affection. Tous ceux qui ont connu étroi-
tement Muzio, et en particulier le signataire de ces lignes, conserveront
un excellent souvenir de ce galant homme qui fut un véritable artiste.
Arthur Pougin.
— L'Angleterre musicale vient de perdre un de ses théoriciens les plus
estimés en la personne du docteur Alexandre John Ellis, connu également
sous le pseudonyme de Sharp. Il naquit à Londres en 181-4 et reçut son
éducation musicale aux collèges de Shrewsbury, Eton et Cambridge, où
il conuuit fort jeune ses grades universitaires. Il fît de l'étude des lois
phonétiques son occupation favorite ; les mémoires, les rapports qu'il a
rédigés sur le « tempérament », la tonalité, le diapason, etc., sont innom-
brables. Mais l'ouvrage le plus considérable qu'il ait laissé est le volume
intitulé : De la sensation du son, considéré comme la base physiologique de la
théorie musicale, d'après Helmholtz.
Henri Heugel, directeur-gérant.
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e, HENRI HEUGEL, édi
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Mignonne, que déarez-vous? (Pierre Vert.)
Une fleur, un oiseau (F. Marth.)
Ave, Stella! (Armand Silvestre.)
Soleil de Printemps (L. Berlot.)
Priez! Chantez! (Jules Bertrand.)
Que les prés étaient beaux! (A. -S. de Beauregard.)
Notre père, prière du malin (à 2 voix.)
Fleur jetée (Armand Silvestre.)
Le Grillon (Georges Boyer.)
Croyance (Eugène' Manuel.)
Le Livre de la vie (A. de Lamartine.)
Nature (F. Mariii.)
La Paix (Jules Bertrand.)
Printemps (Rosemonde Gérard.)
L'Oiseleur (Pierre Barbier.)
Ne jamais la voir (Sui.ly I'rudhojime.)
Les yeux (Frédéric Bataille.)
Mystère! (Frédéric Bataille.)
Hymne aux Astres (Frédéric Bataille.)
384
LE MENESTREL
En vente au MÉNESTREL, 2bis, rue Vivien ne, HENRI HEUGEL, Éditeur-Propriétaire.
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LE PREMIER VOLUME ORNÉ D'UN PORTRAIT DE L'AUTEUR ET PRÉCÉDÉ D'UNE PRÉFACE
Chaque volume, Prix net : 8 francs.
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VOLUME
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Vos 1. Valse du Couronnement.
Nos13. La Source, valse.
Nos 1 . Le Délire, valse.
N°H3.
Cherbourg, valse.
2. Jockey-Club, polka.
14. Ana Maria, schottisch.
2. Soupirs des Fleurs, polka.
14.
Schottisch des Guides.
3. Chants du Ciel, valse.
15. La Cascade, valse.
3. Saint-Pétersbourg, valse.
15.
Fleur de noblesse, valse.
4. Orphée aux Enfers, quadrille
16. Sans nom, polka.
4. Le Petit Faust, quadrille.
16.
La Jeunesse, polka.
ri. Lille, valse.
17. L'Écho trompeur, valse.
5. Les Armes historiques, valse.
17.
Un Bal à la Cour, valse.
ij. Bric à Brac, polka.
18. Barbe-Bleue, quadrille.
6. Minuit, polka.
18.
Freischûtz, quadrille.
7. Les Murmures du Bal, valse.
19. Échos de France, valse.
7. Suez, valse.
19.
Les Jours heureux, valse.
8. Vision, polka-mazurka.
20. Les Merveilles du XVIe siècle, polka
8. L'Adieu, polka-mazurka.
20.
Mascarade, polka.
9. Stuttgard, valse.
21. Venise, valse.
9. Valse des Valses.
21,
Danser c'est vivre, valse.
10. Casse-cou, polka.
22. Souvenirs d'Auvergne, polk.-maz.
10. La Sontag, polka.
22.
La Bosati, polka-mazurka.
11. Le Nuage, valse.
23. Valse de Venzano.
11 . L'Idéal, valse.
23.
Ne m'oubliez pas ! valse.
12. La Belle Hélène, quadrille.
24. Hébé, polka.
12. Geneviève de Brabant, quadrille.
2i.
Joyeuse, polka.
25. La Chansoa de Fortunio, quadrille.
25. Quadrille sur des Airs napolitains.
LA CHANSON DES JOUJOUX
Poésies de Jules JOUY.
Musique de Cl. BLANC et L. DAUPHIN.
MSCSCXSÎ-^ ■-
Petit Noël, cantique.
Le Premier Joujou, berceuse.
Les Petits Ménages, ronde.
Les Poupées, berceuse.
Les Ballons rouges, ronde.
Les Sabots et les Toupies, menuet-valse.
Le Petit Chemin de fer, ronde.
Les Soldats de plomb, marche.
Les Petits Jardiniers, idylle-valse.
Le Cerf-Volant, ronde à 2 voix.
11. La Tour Eiffel, légende.
12. Les Pantins, ronde,
13. Les Chevaux de bois, galop.
14. La Bergerie, pastorale.
15. Les Volants, triolets.
16. Les Petite Cuisines, rondo.
17 Les Poupards, chanson.
18. Les Petits Lapins, chansonnette.
19. Les Polichinelles, chansonnette.
20. Les Balles, romance.
21.
22.
23.
24.
25.
26.
Le Jeu de Patience, chansonnette.
Les Soldats de bois, ronde.
Les Petits Navires, barcarolle.
La Boutique à treize, boniment.
Les Petits Chasseurs, chasse.
La Lanterne magique, ronde.
Les Fusils de bois, romance.
Les Crécelles, farandole.
Le Petit Orchestre, menuet.
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(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
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MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser ftunco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Notes d'un librettiste : Victor Massé (30" article), Louis Gallet. — II. Semaine
théâtrale: Malvenuto Cellini, à l'Opéra-Comique, H. Moreno ; première repré-
sentation de Un Prix Montyon, au Palais-Royal, Paul-Emile Chevalier.— III. Une
famille d'artistes: Les Saint-Aubin (1" article), Arthur Pougin. — IV. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour la
CHACONNE
de Victor Roger, excutée dans l'opérette Samsonnet. — Suivra immé-
diatement : Noël breton, de Henry Ghys.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant: Les Sabots et les Toupies, n° 6 de la Chanson des Joujoux, poésies
de Jules Joly, musique de Claudius Blanc et Léopold Dauphin. — Suivra
immédiatement : Les Petits Chasseurs, n° 25 de la même collection.
BJOS PRIMES
POUE L'A- IT IST É E 1SS1
Nos abonnés trouveront à la 8e page de ce numéro la liste de nos FRIMES
pour l'année 1891, b"e année de publication du MÉNESTREL, et nous espérons
qu'elle sera de nature à les satisfaire; car nous avons mis tous nos soins à la
rendre aussi intéressante et aussi variée que possible.
Dans les primes spéciales réservées à nos abonnés au texte et à la musique de
piano, on trouvera d'abord la Tempête, le charmant ballet d'Ambroise Thomas,
dont la reprise est prochaine à l'Opéra, puis de ravissantes compositions pour
piano (Album Polonais et Pièces diverses) de Ph. Scharwenka, dont la vogue est
si grande en ce moment en Allemagne et qui est encore peu connu en France.
C'est un artiste essentiellement original, dont nos lecteurs se trouveront bien de
faire la connaissance. Vient ensuite, pocn les petites mains, un ravissant album
de danses faciles intitulées: les Petits danseurs, dont la couverture en couleurs
de Firmin Bouisset est un véritable petit chef-d'œuvre. Si on l'ouvre, on y trou-
vera du Johann Strauss, du Fahrbach, du Gung'l, de l'Oflénbach, de l'Hervé,
réduit très facilement à l'usage des commencanls par les maîtres du genre en-
fantin, les Streabbog, les Trojelli, les Faugier, etc. Pour les grandes personnes,
nous donnons les danses du Strauss de Paris, l'ancien chef d'orchestre des Bals
de l'Opéra, dont la verve, on pourra le voir, ne le cédait en rien à celle du grand
Strauss de Vienne
Dans les primes de chant: le quatrième et nouveau volume des Mélodies de
Faure, qui reste justement un de nos auteurs les plus recherchés de tous ceux
qui s'adonnent à l'art du chant; puis les Mélodies populaires des jjrovinces de
France, recueillies et harmonisées par Julien Tiersot, charmant petit volume où
l'on trouve toute la poésie naïve et toute la gaité malicieuse de nos campagnes;
le Fétiche, de Victor Roger, l'une des plus pimpantes partitions que l'opérette ait
données en ces derniers temps; enfin les étonnantes Chansons du Chat noir, où
l'originalité de Mac Nab se révèle si exubérante, rehaussée encore par les spiri-
tuels dessins de H. Gerbault — véritable recueil d'amateur un peu monté en cou-
leur; point pour les demoiselles.
Dans nos GRANDES PRIMES, destinées à ceux de nos abonnés qui sous-
crivent à la lois à la musique de piano et à la musique de chant : d'abord la superbe
< able
édition du Vklelio île Beethoven, avec le
lion au piano de F. -A. Gevaert, la seule
lions qu'on, va dnnniT prochainement à
(l'œuvre de Beethoven, deux autres pari
Thomas, celle du Songe d'une Nuit d'été a
vienl de composer en vue des serins italien
nale pour ténor. C'esl ainsi que le maître avait
(liuvrc, i'l il esl curieux de rapprocher les deux levles, celui du baryton el celui
du ténor; on trouve là des variantes importantes.
récitatifs et la réduc-
informe aux représenla-
Paris. A côté du chef-
intéressantes d'Ambroise
3 nouveaux récitatifs qu'il
d'Ilaiulet, version origi-
d'abnrd conçu cette dernière
NOTES D'UN LIBRETTISTE
VICTOR MASSE
C'est à la suite de ce concours de 1867, qui revieut de
loin en loin dans mes souvenirs, et d'où sortit la Coupe du Rot °
de Thuîé, que j'ai connu Victor Massé.
Il m'apparait entouré d'autres figures, dont les principales
sont encore très en relief dans ma mémoire: celles d'Emile
Augier, de Théophile Gautier, de Félicien David et d'Emile
Perrin, avec lui juges de ce concours; les autres étaient Paul
de Saint-Victor, qui, je crois, ne s'en occupa guère et a
disparu, lui aussi, Charles Gounod, Ambroise Thomas et
Francisque Sarcey, tous vivants encore.
Il me semble qu'on ne revoit jamais si bien les pays et
les hommes que lorsqu'on les a quittés. L'éloignement et
le temps les mettent, dans notre esprit, sous un jour où on
les peut mieux et plus agréablement considérer dans leur
ensemble : les aspérités s'adoucissent, les points lumineux
gardent tout leur éclat. La beauté du paysage, la douceur de
l'atmosphère prennent une valeur spéciale ; on se souvient
de mille détails pittoresques qui, au moment même, n'avaient
pas frappé ; de même, les traits de l'homme, ses paroles, les
manifestations de son esprit et de son caractère s'accentuent
en ce qu'ils ont eu de meilleur.
Voilà pourquoi, en ces impressions rapidement esquissées,
il ne faut pas parler des vivants.
Sur la roule conduisant vers le logis de Victor Massé, j'ai
donc rencontré Emile Augier, Théophile Gautier, Félicien
David et Emile Perrin. Avant de l'aborder, il faut que je
les salue au passage.
Emile Augier d'abord, qui n'a joué en tous ces petits
événements qu'un rôle très épisodique, mais à qui me liait
bien longtemps avant mon entrée « dans la musique » un
affectueux sentiment de reconnaissance
Je l'avais connu deux ans environ après mon arrivée à
Paris. Longtemps j'avais hésité à aller le voir. Enfin, une
lettre de son père, trouvée dans des papiers de famille et
témoignant d'un réel attachement pour les miens, me fut
auprès de lui la meilleure des recommandations. Il me fit
venir et m'accueillit, la main tendue, avec une grande
bonté.
Il habitait alors place de Rivoli. Un domestique discret et
prudent, bien dressé à le défendre contre les fâcheux, m'a-
vait introduit dans son cabinet, dont le balcon donnait sur
les Tuileries, logis lumineux et gai, ouvert sur un vaste
horizon parisien: monuments riants sous le soleil, jardins en
386
LE MENESTREL
fleurs peuplés d'enfants et de promeneurs, observatoire per-
mettant de voir la vie de haut, tel qu'il le fallait pour rete-
nir un hôte de cet esprit large et net, curieux des choses
de la foule et jaloux de sa personnelle indépendance.
Sur une table, devant la fenêtre, une grande coupe de
cuivre contenait toute une collection de pipes ; il puisait
là tour à tour, terre, écume ou bruyère, car il était alors
grand fumeur. Çà et là, des livres, des divans dans les coins,
peu ou point de bibelots, une table de travail en bon ordre ;
l'habitacle d'un homme d'esprit, simple et aimant ses aises.
En veste de chambre, coiffé d'une toque de soie noire, je
crois bien même d'une bourgeoise casquette de voyage, les
mains dans ses poches, le teint animé, la lèvre souriante, il
me parla doucement, paternellement, entremêlant ses con-
seils de quelques traits généraux, d'un aimable scepticisme.
C'était bien là le Dauphinois « fin et courtois », tel que je
me l'étais figuré, d'après un dicton peu modeste de notre
commun pays d'origine, mais que lui, du moins, réalisait
complètement.
Tout de suite, touché sans doute de la naïveté confiante
avec laquelle, très jeune débutant, je m'exprimais, visible-
ment ému par le souvenir de son père, qu'il avait aimé ten-
drement, il lui plut de me parler à cœur ouvert.
— Vous voulez faire du théâtre ! — D'abord, ètes-vous
riche? Pour faire du théâtre, voyez-vous, il faut commencer
. par assurer son indépendance. Montrez-moi ce que vous
avez fait; je vous dirai franchement ce que j'en pense. Et
je vous donnerai là une preuve de ma vraie sympathie,
car communément, lorsqu'on est arrivé, — retenez bien cela
— et qu'on vous apporte quelque chose à lire, il faut tou-
jours répondre que c'est très bien. C'est le moyen d'être
agréable à l'auteur ei utile à soi-même.
Et, quelques jours après, ayant lu ce que je lui avais remis,
un petit acte en vers, et tenant sa promesse de franchise :
— Il y a une ou deux bonnes scènes, me dit-il ; mais, au
résumé, mettez-le tout dans votre tiroir, et faites autre chose.
Je lui parlai alors d'un drame, — un drame en vers, bien
entendu. — J'étais à cette époque de la vie où on mentirait
à sa vocation et à la règle éternelle si on ne faisait pas son
drame en vers, comme nos aines faisaient autrefois leur
tragédie.
Il en approuva le sujet et m'encouragea à me mettre à
l'œuvre.
Le drame terminé, — il en avait suivi et analysé l'exé-
cution acte par acte, — il me dit simplement : Je suis
content ! et me donna une belle lettre pour le directeur de
l'Odéon, un directeur que je ne nommerai pas et que, du
reste, mon récit ne saurait toucher, car il est mort.
Avec ce battement de cœur que connaissent bien tous
ceux qui ont fait une œuvre de bonne foi et redoutent la
terrible désillusion si commune en semblable occurrence, je
portai lettre et manuscrit au tout-puissant personnage. Il
m'accueillit avec la bienveillance que commandait le nom
do mon parrain littéraire, et mettant le manuscrit, devant
moi, dans un tiroir de son secrétaire : « Vous voyez, me
dit-il, je le mets là ».
Je n'en pouvais douter : il le mettait là. Et très probable-
ment il ne l'en devait tirer que pour me le rendre.
Usant d'un procédé dont j'avais trouvé, je ne sais où, la
formule d'ailleurs fort naïve, je m'étais en effet avisé, avant
de déposer entre ces mains redoutables le précieux manus-
crit, d'en coller ensemble, çà et là, quelques pages, au
moyen d'une imperceptible goutte d'eau gommée.
Quelque temps après, m'arriva du secrétaire du théâtre
une lettre qui devait m'apprendre, en style tempéré, que
mon ouvrage avait de grandes qualités dramatiques et litté-
raires, « qu'il était même bien écrit, » mais qu'il ne saurait
convenir à l'Odéon.
Si mon amour-propre d'auteur avait pu souffrir de ce juge-
ment, j'aurais eu de quoi me consoler en constatant la par-
faite virginité des feuilles que j'avais discrètement collées
l'une à l'autre et dont le temps avait rendu l'adhérence
impossible à rompre sans déchirure.
L'autocrate n'avait pas lu ; mais il avait tout de même une
opinion I Que l'on s'étonne après cela que, de tout temps,
certains directeurs se soient plaints de manquer d'auteurs !
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
MALVEXUTO CËLLIN1 A L'OPË RA-COMIQUE
Pourquoi ne pas l'appeler Malvenuto, ce dernier ouvrage de
M. Eugène Diaz, ne serait-ce que pour le distinguer des opéras déjà
écrits sur le même sujet par MM. Hector Berlioz et Camille Saint-
Saëns? Il ne semble pas en effet d'une constitution assez solide
pour pouvoir espérer de bien longues destinées.
Et cela est triste et malheureux pour M. Eugène Diaz, qui pos-
sédait à ses débuis un véritable tempérament d'artiste, digne de tous
les encouragements, et qu'on a eu le tort de se laisser morfondre à
la porte de toutes nos scènes depuis la fameuse Coupe du roi de Thulé,
qui lui valut autrefois le prix dans un concours demeuré célèbre
où il l'emporta sur des concurrents comme MM. Jules Massenet et
Théodore Dubois. Ce n'était pas un chef-d'œuvre, cette Coupe, pas
plus que le Malvenuto de l'autre soir, oh ! non, mais il y avait là cer-
tainement de la vitalité et un sentiment du théâtre qui permettaient
de beaucoup espérer du jeune compositeur. Si on. l'eût laissé se
mêler au mouvement musical de son temps, nul doute qu'il se fût
aperçu tôt ou tard de l'évolution lente, mais sûre, qui se produisait
peu à peu dans l'art musical, et qu'il n'eût voulu à son tour y con-
tribuer pour sa part. Au lieu de cela, on l'a laissé boire pendant
vingt ans à la même coupe qui lui avait valu son premier succès,
et il a prétendu nous verser derechef de ce vin qu'on trouvait géné-
reux en 1870 et qu'il pensait s'être bonifié encore en prenant de la
bouteille. Eh bien! pas du tout; on en a trouvé le fumet légèrement
éventé.
Nous n'en sommes plus aux formules italiennes, qui ont eu sans
doute leur raison d'être, mais qui paraissent aujourd'hui de la trop
vieille marchandise. C'est comme si on voulait ramener nos élégantes
aux modes de 1830. On ne veut pas plus aujourd'hui des finals
surannés où les voix se superposent les unes au-dessus des autres
dans un échafaudage sonore, qu'on ne désire en revenir aux robes à'
crinolines. La cavatine qui ravissait nos pères nous fait le même
effet que les manches à gigot qui embellissaient nos grand'mères.
Ce sont des manières de faire qui ne peuvent plus avoir qu'un agré-
ment rétrospectif. Autre temps, autres mœurs, autres modes, autre
idéal artistique.
Ah ! ce qu'on eût donné, au cours de cette fastidieuse soirée, pour
entendre une idée vraiment neuve et originale !... Mais il nous est
pénible d'insister plus longtemps sur un sujet qui ne peut être que
désagréable à un excellent garçon dont la vive imagination a, par
bonheur, d'autres débouchés que celui de la musique. Comme son
père le célèbre peintre, Eugène Diaz manie le pinceau avec talent,
et il fera peut-être bien de s'en tenir là. Je ne parle pas de ses au-
tres facultés créatrices, qui lui ont t'ait découvrir un mors destiné à
arrêter net les chevaux emportés. Il y a, dans celte seule invention,
de quoi racheter bien des partitions médiocres.
Le poème qui a servi de thème au musicien est de M. Gaston
Hirsch, un littérateur distingué auquel on doit déjà quelques bous
drames ambiguesques et même des livrets d'opérette. Au premier
abord, sa nouvelle histoire de Benvenuto semble un peu obscure, et
on a peine à en démêler les fils. Mais cela tient à la difficulté de
suivre une action embroussaillée de musique, quand les interprètes
mâchent d'une façon inintelligible bien des détails nécessaires à la
clarté des situations. Quand on tient le livret en main, on saisit
fort bien que le pauvre Benvenuto est entraîné dans un guet-apens
par une ancienne maîtresse qu'il a abandonnée, que pour défendre
sa vie il est obligé de tuer deux des spadassins, apostés dans
l'ombre par la jalouse Pasilea, que pour ce crime on le fourre au
LE MENESTREL
387
cachot où il a les plus jolis rêves qu'on puisse imaginer, qu'il
n'en va pas moins être conduit à l'écliafaud quand une sorte de
sédition populaire le sauve, ce qui lui permet de se réfugier en
France avec sa douce fiancée Delphe de Montsolm. Ce livret n'est
pas inférieur à beaucoup d'autres ; il contient môme une idée auda-
cieuse, celle de donner le ballet dans une prison, ce qu'on n'avait
pas encore osé au théâtre. Voilà du piquant, vraiment. Oh! ces
prisons d'Italie! C'est là que je voudrais vivre...
L'interprétation a mis en pleine lumière le talent de M. Renaud,
que nous ne sommes pas éloigné de considérer comme le meilleur
baryton que nous ayons actuellement à Paris. La voix est pleine et
onctueuse, montant facilement, ayant beaucoup des inflexions de
celle de Faure, ce grand modèle qu'on n'entend plus que trop
rarement. Ajoutons que M. Renaud est beau cavalier et tient bien
la scène. Son succès personnel a donc été. des plus vifs et des
mieux mérités. Mm8 Jehin-Deschamps est pour lui une superbe par-
tenaire. C'est plaisir d'entendre ces deux 'belles voix chanter
naturellement, sans avoir recours à aucun de ces subterfuges en
usage chez beaucoup de nos artistes et qui sont destinés à mas-
quer leurs défaillances. Les directeurs de l'Opéra ont bien fait de
s'assurer de Mme Deschamps, qui seule peut prétendre à la succes-
sion de Mm0 Richard. M. Renaud pourrait suivre également sa ca-
marade sur notre première scène lyrique. Il n'y ferait pas plu?
mauvaise figure.
Il faut donner aussi des éloges au ténor Carbonne, qui tient
bien le personnage de Pompeo Guasconli et dont la voix sonne à
souhait. M. Carbonne est fort en progrès. Une jeune débutante,
Mllc Clarisse Yvel, a paru très sympathiquement dans le rôle de
Delphe. Elle était fort émue, ce qui n'a pas empêché de démêler,
au milieu de son trouble, de très charmantes qualités de chanteuse
et une réelle distinction de talent et de tenue. M. Lorrain, un ar-
tiste de mérite, n'a pas eu, pour cette fois, l'occasion de se mon-
trer sous son véritable jour. Il sera mieux partagé une autre fois.
H. Moreno.
Palais-Royal. — Un Prix Montyon, comédie-vaudeville en trois
actes, de MM. Albin Valabrègue et Maurice Hennequin.
L'Académie Française a décerné, par erreur, un prix de vertu à
un sieur Pontbichot qui se croit, dès lors, obligé de donner des
leçons de morale à une clientèle qu'il a su composer exclusive-
ment de femmes, mariées ou non. Bien que primé par la docte
assemblée, Pontbichot n'en est pas moins homme; il se laisse séduire
par les charmes attractifs d'une de ses plus évaporées et faciles
disciples, et se fait dresser procès-verbal, en plein bois de Clamart,
par un garde-champêtre défenseur austère des bonnes mœurs. La
pensée qu'on va pouvoir bafouer, en sa personne, la noble institution
de M. de Montyon, lui est si insupportable que, sans hésiter, il donne
au représentant de la loi les noms et prénoms de son propriétaire,
Veauvardin. Il n'est pas besoin d'être Mathieu de la Drôme pour
deviner que c'est ce pauvre Veauvardin qui sera cité devant le
juge d'instruction. Le malheureux accusé fera tout au monde pour
prouver son innocence ; mais la dialectique implacable d'un gref-
fier, qui se prend pour le juge d'instruction, ne permet aucun moyen
de défense et, qui pis est, embrouille l'affaire à ce point qu'elle de-
viendrait inextricable si' la justice, qui ne veut pas se laisser devan-
cer par l'Académie, ne commettait aussi sa petite erreur et ne faisait
retomber la faute du coupable sur la tête d'un sénateur que les
convenances ne permettent pas de poursuivre.
Tel est le fond de ia nouvelle pièce de MM. Valabrègue et Hen-
nequin, que le Palais-Royal a représentée jeudi dernier avec un
très grand succès. Les deux auteurs se sont lancés, à corps perdu,
dans la plus abracadabrante folie que l'on puisse imaginer. Se
souciant fort peu et de dame Vérité et de dame Raison, ils n'ont
cherché qu'à faire rire et ils y ont réussi le plus joyeusement du
monde, principalement au second acte, qui se passe chez le juge
d'instruction et qui est d'une fantaisie et d'une vivacité tout à fait
supérieures.
Pontbichot, c'est M. Saint-Germain, qui a très finement composé
le rôle du moraliste cueilleur de fraises. M. Dailly est un Veauvardin
étourdissant de jovialité communicative et M. Milher un épique
greffier. M. Calvin a drôlement campé la silhouette d'un vieux viveur
gâteux et Mm0 Lavigne, qui ne fait que paraître, est tout à fait dro-
latique en cuisinière qui a été et est toujours rosière. Le sexe faible,
mais aimable, est encore représenté par Mmes Dunoyer, Pierval, Lise
Fleurie et Renaud.
Paul-Éjiile Chevalier,
UNK FAMILLE D'ARTISTES
LES SAINT-AUBIN
Le samedi 2!) juin 1839, à sept heures du matin, la gentille et
coquette commune de Nogent-sur-Marne, rendez-vous favori de
promenade de tant de Parisiens, était mise en émoi par la décou-
verte d'un double crime, commis avec nne audace rare et une véri-
table férocité. Un jeune et précoce malfaiteur, à peine âgé de dix-
huit ans, s'était introduit par escalade dans le jardin d'une jolie
propriété située au n° 33 actuel de la Grande-Rue et appartenant
alors à une vieille dame de soixante-quatorze ans, qui l'habitait avec
quelques serviteurs. Ayant, alors qu'il croyait pouvoir s'avancer sans
défiance et sans danger, été aperçu par l'un de ceux-ci, le misé-
rable, saisissant un hoyau qui se trouvait à portée de sa main, lui
en porta un coup terrible et si bien assuré qu'il lui fendait le crâne
et retendait à terre, inanimé, baignant dans son sang; surpris au
même instant par un autre domestique, il n'hésitait pas à renou-
veler son exploit, et avec une égale assurance, un égal sang-froid,
abattait celui-ci comme il avait fait du premier, sans que ni l'un
ni l'autre eût pu même pousser un cri. Puis, se dirigeant alors du
côté de l'habitation, qui lui était familière, il montait lestement
jusqu'au premier é'age, où se trouvait l'appartement de la maîtresse
du lieu, avec l'intention bien évidente de l'assassiner et de la voler;
mais il essaya inutilement de pénétrer chez elle, la porte étant,
ce qu'il ignorait, fermée à l'intérieur. La vieille dame, qui était
éveillée déjà, entendant marcher dans son antichambre et toucher à
sa serrure, pensa que c'était quelqu'un des siens qui voulait lui
parler, et, en adressant quelques paroles à un petit chien qui lui
servait de compagnon, elle se leva pour aller ouvrir sa porte et
savoir ce qui se passait. Alors, l'homme eut peur, redescendit pré-
cipitamment et s'enfuit, en abandonnant ses chaussures pour aller
plus vite. Mais durant ce peu d'instants, une grande agitation s'était
produite, et déjà toute la maison était en rumeur : la femme du
jardinier ayant découvert le corps ensanglanté de son mari et affolée
à celte vue, avait appelé au secours ; on était accouru du dehors,
et bientôt, tandis que les uns s'empressaient autour de la première
victime, d'autres se heurtaient, épouvantés, au corps de la seconde,
l'une et l'autre toujours inanimées mais respirant encore, malgré la
gravité de leurs blessures, affreusement béantes. On conçoit facile-
ment l'émotion qui s'emparait de tous à la vue d'un tel spectacle !
Qui avait commis ce double crime? qu'était devenu l'assassin? où
s etait-il réfugié? avait-il réussi à s'échapper? On le cherchait inu-
tilement partout, on fouillait en vaiu tous les coins, on explorait
sans succès tous les réduits, et l'on commençait à désespérer de le
découvrir, lorsqu'un enfant ayant eu l'idée d'ouvrir la porte de
communs isolés de la maison, on le vit là, caché, pâle, tremblant
de peur, et l'on put s'emparer de lui sans qu'il songeât même à
essayer une résistance d'ailleurs inutile.
La vieille dame qui avait échappé comme par miracle à une mort
certaine et qui avait dû, à la précaution qu'elle avait de s'enfermer
chaque soir, de ne pas tomber sous les coups d'un assassin, portait
un nom que le public parisien avait acclamé pendant plus de vingt
années et qui était resté célèbre dans les fastes du théâtre, un nom
que la première elle avait rendu fameux, et qu'après elle, deux de
ses filles, dignes héritières de son talent, avaient fait briller à leur
tour d'un éclat incontesté. C'était Mme Saint-Aubin, l'une des gloires
de l'ancienne Comédie-Italienne et de l'Opéra-Comique, l'actrice ini-
mitable et charmante qui avait su remplacer Mmo Dugazon sans la
faire regretter, et qui pendant vingt-deux ans avait fait la joie des
spectateurs de ce théâtre, où sa carrière brillante n'avait été qu'une
suite ininterrompue de triomphes retentissants et mérités. C'est elle
qui fait le principal sujet du présent travail, intéressant surtout en
ce sens qu'il fera connaître à la fois et d'une façon intime quatre
artistes qui ont brillé, à des titres divers, sur cette scène toujours
aimable de l'Opéra-Comique : c'est-à-dire, avec Mme Saint-Aubin en
personne, sou mari, dont le talent en son genre était aussi très réel,
sa fille aînée, Cécile, qui devint l'épouse du violoniste Duret et qui
fut surtout l'interprète brillante et fidèle de Nicolo, et enfin sa
seconde fille, Alexandrine, dont la carrière fut plus courte, mais dont
le jeu piquant et plein de grâce rappelait tellement, dit-on, celui
de sa mère, qu'en l'entendant, ceux qui avaient connu celle-ci
croyaient l'entendre encore (1).
(l)Le crime dont on vient de voir retracés, d'une façon très sommaire, les prin-
cipaux incidents, donna lieu, devant la cour d'assises de la Seine, a un procès
dont le retentissement fut immense, tant à cause de Ténormité de l'attentat et du
388
LE MÉNESTREL
Vers 1760, un honnête homme nommé Frédéric Schrœder, Hol-
landais de naissance, mais qui avait fait du service sous les maré-
chaux de Saxe et de Lowendal et qui, en quittant l'armée, s'était
consacré au théâtre, parcourait la province à la tète d'une petite
troupe de comédiens dont quelques-uns de ses nombreux enfants
faisaient le principal ornement. Frédéric Schrœder, qui sans doute
était lui-même comédien ou musicien, ce qu'il serait difficile de
^savoir aujourd'hui, fit souche d'acteurs et d'actrices, et un beau
jour sa petite famille vint s'abattre sur Paris, où bientôt elle peupla
nos théâtres, surtout celui de la Comédie-Italienne, de plusieurs
sujets distingués, auxquels le public fit un accueil empressé.
C'est sous le nom de Frédéric, qui était le prénom paternel, que
les deux filles aînées de Schrœder vinrent, les premières, se présenter
sur la scène de la Comédie-Italienne, en la double qualité de chan-
teuses et de danseuses. Voici la mention qu'on trouve à leur sujet,
à l'article débuts, dont le petit almanach les Spectacles de Paris pour
1763 : — « Le 18 octobre (1764), Mlles Frédéric sœurs ont débuté
dans la danse. Le 20, M"" Frédéric l'aînée a débuté dans le chant
par la Servante maîtresse, et a joué la Gouvernante du Maître en
droit, Fatiuie dans le Cadi dupé. Le 21, M"e Frédéric cadette a débuté
dans les amoureuses de la Fille mal gardée et du Maître en droit. »
Ni l'une ni l'autre pourtant ne réussit d'abord dans le jeu scénique
proprement dil, et, sous ce rapport, leur premier essai paraît avoir
été complètement infructueux. Pendant quatre ans, en effet, on les
trouve comprises dans le personnel de la danse, et ce n'est qu'à
partir de 1768 que, après un nouvel effort, on les voit prendre place,
cette fois sérieusement, dans la troupe chantante, où l'aînée, Louise-
Frédérique, se fait bientôt une situation brillante. Comprise au rang
des sociétaires, celle-ci devient, dans l'emploi des amoureuses
d'abord, des caractères ensuite, et sous le nom de Mme Moulinghen,
reûdu fameux par elle, un des soutiens les plus fermes du théâtre
et l'une des actrices favorites du public alors si connaisseur, si
délicat et si difficile à contenter de la Comédie-Italienne. Grimm.
dans sa Correspondance, fait d'elle un éloge assez vif, et voici, com-
ment, à propos de sa mort, d'Origny, dans ses Annales du Théâtre-
Italien, apprécie le talent de Mme Moulingheu : — « .... Elle eut à
vaincre la difficulté de bien phraser les vers et l'habitude qu'ont
les chanteuses d'élever trop la voix dans le dialogue ; mais le tra-
vail fit évanouir tout obstacle à ses progrès. Bientôt on vit en elle
une grande intelligence, un jeu fini dans les scènes muettes, et
dans les autres un débit agréable. Elle mettoit partout de l'enjoue-
ment, de la chaleur, de la vérité, et joignoit à l'exacte observation
du costume l'activité la plus surprenante et le zèle le plus infati-
gable. Elle mourut le 28 novembre 1780, regrettée du public qui
lui accordoit son estime, de ses camarades dont elle s'étoit concilié
l'amitié, et de celui à qui elle étoit unie par le lien conjugal, et
qu'elle rendoit heureux (1). »
jeune âge de l'accusé, que de la personnalité de M"" Saint-Aubin, alors retirée
du théâtre depuis plus de trente ans, mais dont le public n'avait ni oublié le nom
ni perdu le souvenir, et qui, naturellement, fut appelée en témoignage devant le
tribunal. Ce procès, dont on peut lire le long compte-rendu dans la Gazette des
Tribunaux, occupa les deux audiences des 20 et 21 septembre 1839 (présidence de
M. Poultier ; M. Partarieu-Lafosse, avocat général, M" Pouget, défenseur). Les
deux victimes, qui avaient survécu à leurs horribles blessures, n'étaient pourtant
pas complètement rétablies encore, et ne purent venir témoigner que la tête
enveloppée de linges et de bandeaux. Le meurtrier, François Filleul, âgé de dix-
huit ans, comme on l'a vu, et qui avait été employé comme domestique chez un
fils de M™' Saint-Aubin, fut convaincu, outre sa double tentative d'assassinat, dj
plusieurs vols antérieurs. Le jury, après cinq heures de délibération, ayant déclaré
l'accusé coupable de vols commis chez diverses personnes, de deux tentatives
de meurtre avec guet-apens et préméditation, de tentative de vol avec escalade
et effraction dans la maison de MIU0 Saint-Aubin, mais ayant mitigé ce verdict par
l'admission de circonstances atténuantes, François Filleul fut condamné aux tra-
vaux forcés à perpétuité et à l'exposition. — C'est à l'obligeance de M. le Maire
actuel de Nogent-sur-Marne, à qui j'ai eu recours à ce sujet, que je dois de
savoir que la maison habitée alors par M"" Saint-Aubin est celle qui, comme je
l'ai dit, porte aujourd'hui le n°33 de la Grande-Rue.
(1) Louise-Frédérique Schrœder avait épousé en 1770 un compatriote de son
père, Jean-Bapliste-Micnel Moulinghen, artiste modeste et distingué qui occupait
depuis 1764 l'emploi de chef d'attaque des premiers violons à l'orchestre de la
Comédie-Italienne. Né à Harlem en 1751, Moulinghen avait appris le violon à
Amsterdam, et était venu fort jeune à Paris. 11 se fit connaître quelque peu comme
compositeur, en écrivant la musique d'un petit opéra, les Nymphes de Diane, joué
je crois, en société, une symphonie à grand orchestre qui fut exécutée au Con-
cert des Amateurs, vers 1784, et un recueil de six quatuors pour instruments à
cordes. Il quitta la Comédie-Italienne en 1800, après quarante-cinq ans de services,
et mourut en 1812. Il avait un frère cadet, Louis-Charles Moulinghen, né comme
lui à Harlem, en 1753, et qui, comme lui, fit son éducation de violoniste à
Amsterdam. Celui-ci se fixa d'abord à Bruxelles, puis parcourut comme chef
d'orcheslro les provinces de France, en faisant jouer divers opéras dont il écrivait
Mmc Moulinghen n'était pas seulement une actrice fort distinguée;
son talent comme danseuse était encore remarquable. Ce qui le
prouve, c'est que dès 1767 elle était comprise au rang des « pre-
mières danseuses » de la Comédie-Italienne, et qu'elle conserva
cette situation non seulement après avoir obtenu ses premiers succès
dans le genre de l'opéra-comique, mais même lorsqu'elle eut été
reçue sociétaire en 1769. Ce n'est qu'à partir de 1772 qu'on la voit
abandonner définitivement la danse pour se consacrer exclusivement
à son emploi scénique. Mais c'est qu'alors, après avoir remplacé
d'abord MUe Deschamps, elle se trouvait appelée à recueillir l'héri-
tage fort lourd et tout le répertoire de Mme Favart, qui venait de
mourir, et que cette situation nouvelle devait assurément suffire à
son activité de comédienne et de chanteuse. Elle ne parait pas, d'ail-
leurs, avoir été trop au-dessous de la tâche difficile qu'elle avait
alors à remplir pour -faire regretter le moins possible l'actrice ex-
quise dont on lui confiait la succession. C'est au plus fort de ses
succès qu'elle mourut elle-même, presque subitement, victime d'une
erreur funeste et d'une insigne maladresse, ainsi que le rapporte
Métra dans sa Correspondance secrète : « La Comédie- Italienne vient
de perdre un de ses principaux sujets en Mme Moulinghen, qui est
morte samedi dernier, victime de l'affreuse ignorance d'un Esculape
qui l'a mal à propos saignée pour une indigestion. » Et, de leur
côté, les Mémoires secrets nous font connaître les regrets qu'elle lais-
sait derrière elle : « Mme Moulinghen, actrice des Italiens, vient de
mourir. C'est une vraie perte pour eux : ses camarades ayant appris
cette nouvelle au moment de jouer les Vendangeurs, en ont été si
affectés qu'ils n'ont pu y mettre leur gaieté ordinaire et que le pu-
blic s'en est aperçu. »
Quant à la sœur de Mme Moulinghen, qui ne fut jamais connue
que sous le nom de Mllc Frédéric cadette, sa carrière à la Comédie-
Italienne fut courte. Reçue en 1768 parmi les « actrices à pension »
pour le chant, tout en demeurant comprise au nombre des
« danseuses seules », elle disparaît deux ans après, et si bien que plus
jamais on n'entendit parler d'elle.
Mais la famille tenait pour ce théâtre plusieurs sujets en réserve.
Ce fut d'abord un frère des deux artistes dont il vient d'être ques-
tion, Frédéric-Pierre Schrœder, qui, toujours sous le nom de Frédé-
ric, vint, en 1773, débuter comme danseur. Il se fit aussitôt remar-
quer, devint « premier danseur » en 1779, et donna assez de
preuves de talent pour que l'Opéra songeât à se l'attacher. Il débuta
à ce théâtre en 1781 ou 1782, et y fut admis aussitôt comme dan-
seur en double. Une note émanée de l'administration, et datée de
1784, s'exprimait ainsi sur son compte : « Il peut acquérir du talent;
il est jeune et a de la légèreté. » Il en acquit en effet, et se fai-
sait remarquer, parmi les doubles, auprès de Beaupré et de Milon,
qui, on le sait, étaient d'excellents danseurs. Il créa d'ailleurs plu-
sieurs rôles dans divers ballets représentés à cette époque, entre
autres tes Sauvages, la Rosière et le Coq du village, et dansa d'original
dans les divertissements de nombreux opéras : Renaud, la Caravane,
Phèdre, Aspasie, etc. Il était dans toute la force de l'âge et du talent,
lorsqu'un accident douloureux vint briser à jamais sa carrière : il
fit, vers 1793, une chute tellement fâcheuse qu'il se blessa au point
de ne pouvoir jamais reparaître à la scène.
Nous ne sommes pas au bout. Le 29 avril 1781, quatre mois
après la mort de sa sœur, Mnie Moulinghen, une jeune artiste, dési-
reuse sans doute de recueillir son héritage, vient débuter à la
Comédie-Italienne, dans l'emploi des duègues, sous le nom de
Mllc Lambert. Elle ne manquait pas de qualités au dire de d'Origny,
qui en parle en ces termes : « Cette actrice retraça une partie des
qualités que Mmc Moulinghen, sa sœur, possédait au degré le plus
éminent, quand elle joua le rôle de Mopsa dans le Jugement de
Midas, et ensuite ceux d'Alix dans les Trois Fermiers, de la duègne
dans le Magnifique et de Claudine dans le Maréchal. Il n'est presque
aucun de ces personnages qu'elle n'ait faits avec succès : on re-
marqua seulement que dans les endroits où la diction doit être ra-
pide, son organe était un peu fatigué. » Est-ce ce défaut de voix
qui porta tort à la débutante, et rendit son essai inutile? Toujours
est-il que le début de M"0 Lambert n'eut point de résultat, et que
la jeune artiste ne fut pas engagée.
Nous en arrivons enfin au sujet le plus précieux, le plus accompli
de cette intéressante famille d'artistes, à l'adorable actrice qui pen-
dant plus de vingt ans tint le public parisien sous le charme de
sou talent si fin, si souple, si varié, si enchanteur, à cette créature
la musique : te Deux Contrats, le Mari sylphe, Horiptième, le Vieillard amoureux, les
Ruses de l'amour, les Amants rivaux, les Talents à la mode, le Mariage malheureux,
Sylvain. Moulinghen cadet se fixa ;\ Paris, comme professeur, vers 17S5.
LE MENESTREL
389
séduisante qui devait être l'une des gloires de la scène française et
qui fut l'une des interprètes les plus exquises du genre de l'opéra-
comique, — à Mma Saint-Aubin.
(A suivre.) Arthur Pougin.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (4 décembre). — C'est aujourd'hui
même que la Monnaie joue la Basoche, avec MllGSNardi et Carrière, MM. Ba-
diali, Isouard et Chappuis. Les auteurs ont suivi les dernières répétitions
avec soin. Je vous dirai la semaine prochaine l'accueil que le public
bruxellois aura fait à leur œuvre. Le caractère de plus en plus accentué
vers le genre de drame lyrique ou de grand opéra auquel s'est aionnée la
scène de la Monnaie depuis quelques années rend indécis l'effet que pro-
duira, sur cette même scène, un ouvrage d'allures relativement très légères
comme celui de MM. Messager et Carré..En général, l'opéra-comique ancien,
l'opéra à dialogue, devient d'acclimatation de plus en plus difficile à la
Monnaie. Mais les qualités très en dehors de la Basoche lui feront probable-
ment une situation spéciale. Et puis, M. Messager a de nombreuses sympa-
thies à Bruxelles, personnellement et artistiquement. On y connaît ses ten-
dances musicales très avancées, et l'on n'a pas oublié que c'est à Bruxelles
qu'il a fait en quelque sorte ses premiers pas dans la carrière. Je me rappelle
encore sa présence au pupitre de chef d'orchestre, le soir de l'inauguration
de l'Eden, dans l'été de 1880, et le succès que remporta, ce soir-là, auprès
des délicats plus encore qu'auprès de la foule, un charmant petit ballet de
sa composition, Fleur d'oranger, d'une grâce exquise et d'une facture très
ciselée, rappelant beaucoup la manière et le style du maître Léo Delibes.
M. Messager resta chef d'orchestre de l'Eden pendant plusieurs mois, puis
s'en retourna à Paris; mais, ici, on s'est toujours souvenu de lui, et l'on
est heureux de le voir revenir parmi nous aujourd'hui, dans les conditions
où il nous ievient. — En attendant, un autre événement s'est accompli,
d'un autre genre, mais d'une importance capitale. Je vous ai dit que les
Concerts populaires s'étaient vu successivement retirer par la Ville de
Bruxelles le subside dont ils avaient joui pendant longtemps, et, cette
année enfin, la salle de la Monnaie où, l'an dernier encore, ils donnaient
leurs si artistiques et si intéressantes séances. La "Ville avait obéi, sur ce
dernier point, à un sentiment de déférence, pour ne pas dire plus, envers
MM. Stoumon et Calabresi, qui, ennemis personnels de M. Joseph Dupont,
le directeur et l'àme des Concerts populaires, avaient menacé le collège
échevinal de donner leur démission s'il accordait encore à ces concerts la
jouissance de la salle de la Monnaie. La presse et le public furent vive-
ment émus de voir une rancune personnelle — dont nous n'avons pas à
discuter le plus ou moins de raison — entraîner de si fàcheus96 consé-
quences pour une institution musicale qui a rendu au pays de si nom-
breux services; car, privés de la salle de la Monnaie et privés de subside,
les Concerts populaires n'avaient plus qu'à mourir, après une existence
glorieuse de vingt-cinq ans!... L'émotion fut si vive que l'affaire fut sou-
mise au Conseil communal, et là, les Concerts populaires interjetèrent
appel de la condamnation prononcée contre eux par le Collège. L'arrêt de
celui-ci a été cassé : le Conseil, réformant la décision des échevins, vient
d'accorder définitivement aux Concerts populaires, malgré la menace de
démission de MM. Stoumon et Calabresi, la salle de la Monnaie. Espé-
rons maintenant que toute cette affaire, qui a fait beaucoup de bruit, va
s'apaiser enfin. Les directeurs de la Monnaie comprendront que l'intérêt
de tout le monde, et le leur, veulent que chacun oublie ce qui l'a divisé pour
ne se souvenir que de l'art, trop oublié en tout ceci ; et ils se garderont
bien de donner leur démission, que personne ne demande, ni ne souhaite.
L. S.
— Il faut croire que les Anversois, en matière de spectacle, font preuve
de quelque gourmandise. L'autre dimanche, l'affiche du Théâtre-Royal
portait seulement les titres de deux ouvrages, mais qui formaient à eux
seuls un menu musical qu'on peut, sans être difficile, tenir pour satisfai-
sant : Guillaume Tell et Carmen!
— Voici comment et sous quel titre : Un opéra nouveau de Verdi, la Gazette
musicale de Milan, organe de l'éditeur du maître, confirme la nouvelle que
nous avons donnée avec tous nos confrères: — « Le Corriere délia Sera du
26 courant annonce un opéra nouveau de Verdi. La nouvelle est parfaite-
ment exacte. Depuis plusieurs années le maître avait manifesté en diverses
circonstances, à quelques intimes amis, le désir d'écrire un opéra-comique:
mais il considérait comme presque insurmontable la difficulté de trouver
un sujet d'un véritable élément comique. En fait, nous savons que Verdi avait
lu tous les théâtres comiques italiens et français saos rencontrer un sujet qui
lui donnât pleine satisfaction. Verdi se trouvant à Milan dans l'été de la der-
nière année 18.89, etcausantprécisémentavecArrigo Boitodel'opéra-comique,
celui-ci prit la balle au bond et lui proposa un sujet; et non seulement
il le lui proposa, mais avec une rapidité merveilleuse, on peut dire que
dans l'espace de quelques heures il ébaucha et présenta au maître un
Croquis : Falsla/f, empruntant ce personnage lyrique aux divers drames et
comédies dans lesquels Shakespeare l'a représenté. La proposition plut à
Verdi, mais il déclara franchement à Boito qu'il n'accepterait son nouveau
livret que dans le cas seulement où cela ne lui ferait négliger aucun autre
travail, parce que, lui dit-il, « je ne veux pas avoir le remords de retarder
d'une heure l'achèvement de Votre Néron. » Sur l'assurance que lui donna
Boito, Verdi accepta son offre, et l'hiver dernier, durant un séjour à
Nervi Ligure, Arrigo Boito écrivit une grande partie du livret. Celui-ci est
complètement terminé depuis plusieurs mois, et Verdi lui-mème"a composé
environ la moitié de l'opéra. Falsta/f est une comédie lyrique en trois actes
et cinq tableaux: les personnages sont importants et nombreux. Nous ne
savons quand Giuseppe Verdi se décidera à faire représenter son nouvel
opéra, le maître ayant déclaré à diverses reprises qu'il avait entamé ce
travail pour son simple divertissement, ne sachant pas quand il le finira.
Inexacte est donc la nouvelle donnée par quelques journaux relativement
au théâtre et à l'époque où Falsla/f pourra être mis en scène. Pour notre
part, nous faisons des vœux pour que cela arrive promptement, parce que
cela sera certainement un jour de gloire pour notre Italie, qui saluera de
nouveau avec joie et orgueil le plus illustre et le plus fécond de ses fils.»
De son côté, le Corriere délia Sera du 27 novembre caractérise ainsi le
nouvel ouvrage : « L'opéra sera un opéra bouffe dans la plus grande ac-
ception du mot. Comme nous l'avons déjà dit, Verdi avait depuis long-
temps envie de rire, et il s'en est payé une bosse! (en français). »
— Verdi, venant de son domaine de Sant' Agata avec sa femme, a passé
récemment quelques jours à Milan, d'où il est reparti pour Gênes, qu'il
habitera tout l'hiver, selon son habitude.
— Le baryton Sparapani a fait représenter, il y a deux ans, un opéra
de sa composition. Aujourd'hui c'est une prima donna, la signora Adèle
Marra, qui vient à son tour d'écrire un opéra. Celui-ci a pour titre Sara,
et son... autrice, en ce moment attachée au théâtre Reynach, de Parme,
en a chanté dernièrement, avec succès, une romance dans sa représenta-
tion à bénéfice,
— Le Trovatore se plaint de ce fait que, pendant la prochaine saison de
carnaval, la plus brillante en Italie au point de vue musical, quarante-
neuf théâtres, habitués au genre lyrique, resteront sans spectacle d'opéra.
— A la dernière représentation de la Cavalleria ruslicana qui a été
donnée à Livourne, on a exécuté deux compositions orchestrales nou-
velles : une Danza esotica de M. Pietro Mascagni, que le public a voulu
entendre deux fois, et une symphonie, Etruria, de M. Carlini, composi-
teur livournais comme son confrère.
— Du Daily News: Aux bruits persistants qui ont couru sur la retraite
prochaine de M. Rubinstein en tant que virtuose, nous avons souvent
opposé les propres dénégations du maître. Mais aujourd'hui M. Rubins-
tein semble avoir définitivement tranché la question dans un sens con-
traire. Au commencement de la semaine, M. Vert a offert au grand pianiste
une somme supérieure de beaucoup à tout ce qu'on avait payé jusqu'à
présent, en Angleterre, à un instrumentiste, s'il voulait consentir à entre-
prendre une tournée de concerts l'été prochain, dans le Royaume-Uni.
Hier, la réponse laconique mais catégorique que voici fut reçue de Saint-
Pétersbourg par dépêche: i A Vert, Cork street, Londres. Je nejoue plus
en public. Pas pour aucune somme d'argent. Rubinstein ». — M. Rubinstein
a déjà annoncé son intention de résigner, l'an prochain, ses fonctions de
directeur du Conservatoire impérial de musique. Il compte se fixer dans
la villa qu'il s'est fait construire à Peterhof, au bord du golfe de Finlande,
où il s'occupera exclusivement de ce qu'il appelle plaisamment « gâcher
du papier à musique ». M. Rubinstein a trouvé un moyen très efficace
pour ne pas être dérangé pendant qu'il est aux prises avec l'inspiration.
Une aile de sa villa est occupée par une tourelle. Tout en haut de cette
tourelle se trouve le cabinet de travail de Rubinstein, et lorsque le maître
est là, l'escalier tournant qui y conduit est défendu à tous, même aux
membres de sa famille.
— Un de nos confrères reçoit de Saint-Pétersbourg cette dépèche semi-
éni^matique : « On commente vivement dans les cercles musicaux péters-
bourgeois le bruit qui circule du divorce éventuel d'un très célèbre pia-
niste russe, qui songerait, dit-on, à épouser en secondes noces une brillante
jeune pianiste, son élève, et qui abandonnerait la direction de la haute
institution d'enseignement musical à la tète de laquelle il se trouve actuel-
lement. » Nous croyons savoir, ajoute notre confrère, qu'il s'agit de
M. Antoine Rubinstein, directeur du Conservatoire de Saint-Pétersbourg.
— La vente du théâtre Covent Garden de Londres, annoncée à diverses
reprises, paraît décidément ne pas devoir s'effectuer. On assure que la
valeur de ce théâtre, y compris son matériel, c'est-à-dire les décors, les
accessoires, le mobilier, les costumes et la bibliothèque musicale, est
estimée au chiffre de 3,200,000 francs, ce qui ne présente assurément
rien d'excessif.
— La tournée de Mmo Patti dans les provinces anglaises vient à peine
de prendre fin que déjà un nouvel engagement est conclu entre elle et
son imprésario pour une nouvelle tournée d'automne l'an prochain. — La
diva n'a pas accepté les offres qui lui ont été proposées par M. Ch. Ma-
pleson pour une série de concerts en Amérique en 1891, désirant se
ménager en vue de son engagement à l'Exposition universelle de Chicago,
en 1892.
390
LE MÉNESTREL
— Chaque jour nous apporte la nouvelle des découvertes les plus im-
prévues, nous n'osons dire les plus authentiques. Voici qu'on vient de
retrouver à Edimbourg, parait-il, un violon qui a appartenu au czar
Pierre le Grand, à l'époque où il travaillait sur les chantiers de la Clyde.
Ne désespérons pas de voir reparaître un de ces jours l'Erard qui servait
aux distractions de Clodion le Chevelu.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Breslau : Le ténor Nachbaur,
qui avait quitté dernièrement l'Opéra de Munich avec l'intention de se
retirer du théâtre, ne s'est pas souvenu longtemps de sa résolution. Il a
paru ces jours derniers sur la scène du Théâtre Municipal et y a échoué
lamentablement dans Faust. — Dresde : L'Opéra royal vient de terminer, avec
la reprise A'Armide, la tâche qu'il s'était proposée, de remonter à neuf les
principaux ouvrages de Gluck et qui avait été commencée en 1887, à
l'occasion du centenaire de la mort de ce maître. — Leipzig : La dernière
représentation de Fidelio a servi de début à deux cantatrices : M11» Mohor,
qu'un état maladif a empêchée de donner toute sa mesure dans le rôle
d'Eléonore, et Mlle Kayser, très applaudie dans celui de Marcelline. —
Munich : Le ténor Vogl a renoncé à la représentation d'adieu que l'inten-
dance lui avait offerte à l'occasion de ses noces d'argent artistiques.
— La Société philharmonique de Berlin a fait entendre à son dernier
concert une nouvelle ouverture de Rubinstein intitulée Antoine et Cléopâlre,
qui se distingue, par l'originalité des thèmes et la richesse de l'instru-
mentation. Le public a fait à cette œuvre un accueil enthousiaste: il a
également couvert de bravos l'air de ténor de Lakmé, chanté par M. Zur
Mûhler, et le concerto pour violoncelle de M. Saint-Saëns, que M. Hugo
Becker a exécuté dans la perfection.
— Le nombre déjà très grand des établissements d'enseignement musi-
cal vient de s'augmenter d'une nouvelle école d'un genre tout spécial :
l'Ecole des aspirants-chefs d'orchestre. Voilà une institution où, évidem-
ment, tout doit marcher à la baguette !
— On lit dans la correspondance berlinoise du Figaro : « La première
audition à Berlin de la Damnation de Faust, de Berlioz, vient d'avoir lieu.
Les Berlinois jusqu'ici ont toujours été rebelles à la musique de Ber-
lioz. C'est qu'on aurait tort de s'imaginer en France que tous les Allemands
aiment et même comprennent la musique de l'école wagnéro-berliozienne.
Wagner a des adeptes très nombreux, parce qu'on le joue tellement qu'il
faut bien finir par l'admirer. Mais, en définitive, si on le joue partout en
Allemagne et nulle part en France, son influence a été tout à l'inverse.
Le public berlinois, à qui l'on avait fait entendre jusqu'ici du Berlioz,
avait paru plus dérouté qu'enthousiasmé par ce compositeur français con-
temporain de Wagner et même un peu antérieur, qui s'était déjà avisé
de prendre congé d'Auber, Adam et consorts. Mais cette fois enfin, je
crois que les Berlinois ont compris cette merveille qui a nom la Dam-
nation de Faust. C'est la société wagnérienne qui a monté ce chef-d'œuvre
avec le dévouement artistique qu'elle eût consacré à une œuvre de Wa-
gner lui-même. M. Richard Sternfeld, qui est l'âme de cette importante
société, n'a ménagé aucun effort pour initier le public aux beautés inap-
préciables de Berlioz. M. Klindworth, l'éminent chef d'orchestre, avait
admirablement mis l'œuvre au point. Le rôle de Méphistophélès était
chanté par Blauwaert, l'artiste bien connu des concerts Lamoureux, dont
la voix n'a jamais été plus belle et le style plus parfait. Une belle soirée,
en somme, pour l'art français. » Ajoutons que dans le courant de cette
saison on exécutera la Damnation de Faust à Darmstadt, à Dusseldorf, à
Louvain, à Zurich, et que l'Enfance du Christ fera sa première apparition
à Moscou. Voilà Berlioz en bon chemin de tous côtés.
— De l'Éventail, de Bruxelles : « Un professeur d'une école militaire des
environs de Berlin a commis une comédie renouvelée de Minna de Barnhelm
de Lessing, et du Verre d'eau de Scribe, tout ce qu'il y a de plus fin de
siècle, comme on voit. Il l'a intitulée le Marquis de Robillard, l'a agré-
mentée d'une forte dose de « scie patriotique » prussienne et d'une série
de méchancetés à l'adresse de la France (l'action se passe à l'époque de la
bataille de Rossbach, ce qui fait que le maréchal de Soubise reçoit son
paquet) et il l'a présentée au Schauspielhaus, qui l'a acceptée et jouée, et
qui vient de remporter avec ce chef-d'œuvre une veste qui vaut un ulster
pour la longueur. »
— Un éclatant succès est signalé au Théâtre-Populaire de Buda-Pesth,
celui d'un opéra-comique nouveau du fameux compositeur Alexis Erkel,
l'Étudiant de Hassan (Kassai diah), dont le principal rôle féminin est tenu
par une artiste charmante, MmoBlaha (baronne Splényi), celle qu'on appelle
« le rossignol de la Hongrie ». L'œuvre est de premier ordre, parait-il,
d'une rare élégance de forme, d'un sentiment mélodique plein d'originalité',
et elle a été accueillie avec un véritable enthousiasme.
— Le petit opéra déjà célèbre du jeune Pietro Mascagni, Cavalleria rus-
ticano, va faire son apparition en Allemagne. On en annonce la très pro-
chaine représentation au théâtre de la Cour-, à Dresde, sous le titre de
Sicilianische Iiauernehre (l'Honneur des paysans siciliens).
— La Musikalisches Wochcnblatt, à Leipzig, a publié dans un de ses der-
niers numéros une composition vocale de Schumann qui n'est mention-
née dans ancune biographie de ce compositeur, le manuscrit ayant été
perdu. Il n'est resté de cette œuvre qu'une reproduction publiée deux fois
dans ÏAlmanach (allemand) des Muses (éditeur : Schad, à Nuremberg), en
1850 et en 1837. Mmc Schumann, qui avait encore le manuscrit entre les
mains à cette dernière époque pour les corrections à faire dans la seconde
édition, se rappelle vaguement l'avoir retourné à M. Schad, qui est au-
jourd'hui décédé, mais elle ne peut rien affirmer. En tous cas, l'authen-
ticité de cette composition — c'est un duo intitulé Sominerruh (Repos esti-
val) — ne peut être mise en doute, car elle est affirmée par toute une
série de lettres inédites de Schumann que la Musikalisches Wochenblatt vient
également de livrer à la publicité.
PARIS ET DEPARTEMENTS
Sous les coups de la mauvaise chance, le Théâtre-Lyrique a dû
fermer ses portes. C'était malheureusement un dénouement prévu, puisque
son directeur, M. Verdhurt, avait eu le tort de s'embarquer dans une en-
treprise aussi lourde sans avoir, pour la mener à bonne fin, les subsides
qu'elle nécessitait. On peut dire qu'on vivait là au jour le jour, dans l'es-
poir de recettes problématiques qui ne venaient pas suffisantes, sans
rien dans la caisse pour parer aux mauvais jours. La décision des héri-
tiers Franck, interdisant l'exécution des œuvres de leur père, a été le
coup de grâce donné au malheureux Théâtre-Lyrique. Nous ne voulons
pas chercher à qui incombe réellement la responsabilité de cette dernière
manœuvre; mais, ce que nous savons bien, c'est que de son vivant le
bon « père Franck », comme 'on l'appelait, n'eût jamais voulu s'associer
à une mesure qui pouvait avoir des conséquences si funestes pour l'art
qu'il chérissait. Nous sommes appelés d'ailleurs à en voir bien d'autres.
Nous avons subi déjà les « disciples de Wagner » qui, avec leurs exagé-
rations et leur intolérance, ont fait chez nous tant de mal à sa cause ;
nous allons avoir maintenant les « élèves de Franck », qui vont beau-
coup se démener pour le rendre insupportable. Puissent au moins les
uns nous débarrasser des autres !
— La représentation de Carmen qu'on doit donner pour le monument
de Georges Bizet, avec la distribution de gala que nous avons annoncée
dans notre dernier numéro, est fixée au jeudi soir, 11 décembre.
— Sur une proposition signée de trente-neuf de ses membres, le Conseil
municipal de Paris a voté à l'unanimité, dans sa dernière séance, une
somme de 500 francs en faveur de la souscription ouverte pour l'érection
du monument à la mémoire de Georges Bizet.
— M. Ambroise Thomas est parti pour Hyères, où il compte, non pas
demeurer une partie de l'hiver, comme on l'a dit par erreur, mais passer
une simple quinzaine. C'est tout ce que peuvent lui permettre ses tra-
vaux du Conservatoire. M. Jules Barbier lui a remis, avant son départ, le
livret du Tasse complètement terminé.
— M. Gounod a été assez gravement malade dans ces derniers temps;
il a d'abord été atteint d'une bronchite, qui a pris tout d'un coup des pro-
portions inquiétantes; aujourd'hui, tout danger est heureusement écarté.
Le compositeur passe sa convalescence dans un château des environs de
Pont-1'Évèque; afin d'obtenir un prompt rétablissement, il s'abstient de
tout travail.
— M. Saint-Saëns va recommencer à voyager. Il a quitté Paris la se-
maine dernière, se dirigeant vers l'Espagne; il compte visiter l'île de Ceylan,
où il passera une partie de l'hiver. Le compositeur annonce qu'il ne sera
pas absent plus de quatre mois et qu'il sera de retour pour assister à
Londres, au printemps, à la première d'Ascanio. M. Saint-Saëns a l'inten-.
tion de travailler beaucoup pendant son voyage; il va refaire le troisième
acte de Proserpine et écrire la musique d'Eviradnus, deux actes d'après le
poème de Victor Hugo.
— Par une coïncidence assez singulière, c'est au moment même où
commence dans ce journal une étude importante de notre collaborateur
Arthur Pougin sur la famille Saint-Aubin, et particulièrement sur la
grande artiste qui a rendu ce nom si célèbre, qu'un de nos confrères
publie la nouvelle suivante: «M. dePlanard, ancien secrétaire de la section
des finances au conseil d'Etat, a légué : à la Société des auteurs et com-
positeurs dramatiques une somme de 5,000 francs; à la Société des lettres,
sciences et arts de l'Aveyron, une somme de 5,000 francs; et à l'Etat, le
portrait de sa grand'mère maternelle, Mme d'Herbez, dite Saint-Aubin. Ce
portrait, peint par Henri Mulard, représente l'artiste dans le rôle de
Lisbeth, de l'ouvrage du même nom de Favières et Grêtry (1797). » M. de
Planard, fils de l'écrivain dramatique de ce nom, Eugène de Planard,
à qui l'on doit nombre de comédies et d'opéras-comiques, entre autres
le joli livret du Pré aux Clercs, était en effet le petit-fils de Mme Saint-
Aubin. Son père avait épousé l'une des trois filles de cette artiste, celle
des trois qui n'aborda jamais la scène. Les deux autres, qui, comme leur
mère, mais à un moindre degré, firent les beaux jours de l'Opéra-Comique,
étaient Cécile, qui fut M"'0 Durel, et Alexandrine, qui fut Mm0 Joly.
— On annonce la prochaine arrivée à Paris de M. Robert Fischhof, un
des compositeurs les plus distingués de l'Allemagne contemporaine. Il
écrit surtout pour le piano, dont il est en môme temps l'un des virtuoses
renommés. Nous pouvons annoncer dès à présent que M. Fischhof pro-
fitera de son passage à Paris pour se faire entendre aux concerts de
l'Association artistique de M. Colonne. Il compte y exécuter, entre autres
morceaux, avec M"10 Montigny de Serres, ses belles Variations pour deux
pianos.
LE MENESTREL
391
— Un de nos confrères publie les chiffres suivants des subventions
allouées soit par les gouvernements, soit par les souverains, soit par les
municipalités, à quelques-unes des grandes scènes lyriques européennes :
Opéra de Paris, 800,000 francs ; — Théâtre royal de Berlin, 700,000 francs;
— Stuttgard, 623,000 francs ; —Théâtre royal de Dresde, 400,000 francs;
— Théâtre impérial de Vienne, 300,000 francs ; — San Carlo, de Naples,
300,000 francs ; — Apollo, de Rome, 290,000 francs ; — Théâtre royal de
Copenhague, 250,000 francs : — Théâtres de Carlsruhe et Weimar,
280,000 francs ; — Théâtre de Munich, 193,000 francs; — Scala, de Milan,
173,000 francs ; — Théâtre royal de Stockholm, 130,000 francs ; — Bellini,
de Palerme. 120,000 francs ; — Monnaie, de Bruxelles, 100,000 francs ; —
Théâtre Regio, de Turin, 60,000 francs ; — Pergola, de Florence, 40,000
francs; — Grand théâtre de Genève (régie de la ville), 100,000 francs.
— Le petit-fils de Georges Kastner, M. Frédéric Kastner, vient de faire
un nouveau don très précieux â la bibliothèque du Conservatoire. Il s'agit
cette fois d'un autographe important, celui de la partition de Roméo et Ju-
liette, de Berlioz. Cette symphonie, l'une des œuvres les plus intéressantes
du maître, fut commencée par lui le 24 janvier 1833. terminée le 8 sep-
tembre de la même année, et exécutée sous sa direction, dans la salle du
Conservatoire, le 24 novembre suivant. Berlioz en offrit le manuscrit à son
ami Kastner par les lignes suivantes, inscrites à la première page :
Roméo et Juliette, symphonie dramatique avec chœurs, solos de chant et pro-
logue en récitatif choral, dédiée à Nicolo Paganini et composée d'après la tragédie
de Shakespeare par Hector Berlioz, paroles de M. Emile Deschamps. Partition
autographe offerte à mon excellent ami Georges Kastner.
Vous me pardonnerez, mon cher Kastner, de vous donner un manuscrit pareil :
ce sont ses campagnes d'Allemagne et de Russie qui l'ont ainsi couvert de bles-
sures. Il est comme « ces drapeaux qui reviennent des guerres plus beaux — dit
Hugo — quand ils sont déchirés. » H. Berlioz.
Paris, 17 septembre 1858.
— Concerts du Chatelet. — La symphonie inachevée de Schubert ne
comprend que deux morceaux, mais tous les deux sont d'une grande sin-
cérité d'expression et d'une admirable noblesse d'inspiration. — Les va-
riations pour deux pianos, op 46, de Schumann, font partie de cette
catégorie d'oeuvres de piano dans lesquelles tout caractère passionné
semble banni à dessein, mais dont la facture, absolument trouvée, donne
à l'audition le plus vif attrait. M. Diémer a montré, dans une infinité de
petites arabesques et dans la variation où l'accumulation des notes est
poussée à l'extrême, la limpidité extraordinaire de son jeu, l'aisance absolue
et l'égalité parfaite de son mécanisme. M. Ed. Risler, bien que très jeune,
a soutenu la Intte en excellent virtuose et a fait preuve d'éminentes qua-
lités pianistiques. Les deux artistes ont affronté avec un entrain superbe
les difficultés du scherzo, op. 87, de M. Saint-Saêns, œuvre très mélo-
dique, pleine de verve brillante et d'une contexture superbe. — JLa troi-
sième audition d\i poème symphonique de César Franck, Psyché, a reçu
un accueil favorable, bien que n'excluant pas une certaine réserve. La
partie orchestrale est d'une sonorité supérieurement équilibrée dans les
teintes douces. Quand cet orchestre veut devenir énergique, les cuivres
dominent, sans être suffisamment étayés ou enveloppés par d'autres sono-
rités plus fondues. La deuxième partie renferme, à notre avis, les deux
plus jolis thèmes de l'ouvrage; ce sont le n° 3, et le motif non classé qui
sert à exprimer la «réponse timide de Psyché». — La suite d'orchestre de
MUc Chaminade, Callirhoé, a pour caractéristique une recherche bien fémi-
nine des subtilités d'orchestration; elle renferme d'ailleurs de jolies
mélodies, d'un tour délicat et charmant. — Le concert s'est terminé par
une excellente exécution de la marche de Tannliiiuser. Amédée Boutarel.
— Concerts Lamoirelx. — Après une très belle exécution de l'ouverture
de Freischiitz, M. Lamoureux a donné une seconde audition du poème
symphonique de Liszt, le Tasse. En dépit de la préface explicative, il nous
a été impossible d'y découvrir toutes les belles choses dont elle parle.
C'est incohérent comme style, mal fondu comme orchestration, et cette
mélodie à tout faire, qui devient aussi bien un chant de désolation qu'une
marche triomphale, sans rien dire à l'esprit et au cœur, ne marque qu'un
grand effort pour arriver à un maigre résultat.— Le concerto en ut mineur
de Beethoven, dit par M""1 Roger-Miclos avec sa maestria habituelle et
son style excellent, nous a reposé un peu de ces aridités; Beethoven n'en
cherchait pas si long pour émouvoir. — Les fragments de Roméo et Juliette
de Berlioz produisent toujours un grand effet sur le public. Quel dommage
que le motif de la fête chezCapulet soit si dépourvu de distinction et de
grâce ! En revanche, la Tristesse de Roméo, la Scène d'amour sont d'une in-
comparable élévation; quant au scherzo de la Reine Mab, il n'y a pas de
paroles pour peindre cette ténuité extrême de style, cette vapeur musicale,
ces bruissements d'ailes, ces tintements de clochettes, tous ces bruits de la
nature, presque imperceptibles, reproduits avec une finesse de touche qui
laisse bien loin derrière elle le brutal orchestre d'un Wagner dans les
Murmures delà Forêt.— Après le prélude de Tristan et Yseult, M. Lamoureux
a donné l'ouverture de Rienzi, On sait que les wagnériens purs répudient
cette, œuvre dans laquelle(M. Lamoureux abiensoin de nous en prévenir;
« le maitre n'avait pas encore mûri les idées qn'il devait appliquer plus
tard ». Quoi qu'eu dise l'éminent chef d'orchestre, le début de cette ouver-
ture rappelle terriblement, par ses procédés, celui de l'ouverture du
Tannhauser. La coda est d'un style très italien (le sujet le comportait),
mais c'est peut-être parce que le maitre n'avait pas encore mûri les idées
qu'il devait appliquer plus tard que cette ouverture de Rienzi nous plait
beaucoup et qu'elle constituait, â notre avis, une admirable conclusion
du concert de M. Lamoureux. il. Barbedette.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Chatelet, concert Colonne : symphonie en sol majeur (Haydn) ; adagio du Septuor
(Beethoven) ; première suite pour orchestre (G. Pieroé) ; variations (R. Schumann) ,
et scherzo (Saint-Saëns), exécutés par MM. Loui9 Diémer et Ed. Risler; Psyché,
poème symphonique (César Franck) ; fragments d'Hérodiade (Massenet).
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux : Introduction du troisième
acte de Lohengrin (R. Wagner) ; symphonie en si bémol (Schumann); Rêverie (Saint-
Saëns) et Si tu veux, mignonne (Massenet), mélodies chantées par M"" Landi ; frag-
ments de Roméo et Juliette (H. Berlioz); prélude de Tristan et Jseult (R. Wagner);
ouverture du Freischutz (Weber).
— Le petit théâtre des Marionnettes de la galerie Vivienne vient de
donner un nouveau spectacle, d'actualité dans le mois où nous sommes :
Noël ou le Mystère de la Nativité, quatre tableaux en vers de M. Maurice
Bouchor, avec une partie musicale très développée de M. Paul Vidal.
Aujourd'hui où le succès est définitivement acquis à ce genre de repré-
sentations si éminemment curieux et artistique, il n'est plus nécessaire
d'insister sur ce qu'il a de spécialement original; qu'il nous suffise de dire
que le poète a retrouvé une fois encore cette note lyrique et savamment
naïve qui lui est personnelle, avec une inspiration et des formes toujours
exquises et douces, et que le musicien, soit en employant les vieux airs
de nos noëls populaires ou même des chants de la liturgie, soit en s'ins-
pirant simplement de leur forme et de leur accent (comme dans une ra-
vissante berceuse de la Sainte Vierge, qu'on entend pendant tout un acte
sans jamais s'en lasser), n'a pas été moins heureux. J. T.
— Les directeurs des succursales du Conservatoire et des Ecoles natio-
nales de musique ont été appelés à Paris, comme cela a lieu tous les deux
ans, pour exposer leurs vœux, échanger leurs idées et s'entendre au sujet
de l'enseignement et de la discipline avec la direction des beaux-arts. La
première réunion a eu lieu cette semaine, à l'administration des beaux-
arts, sous la présidence de M. Larroumet, assisté de MM. Deschapelles et
Régnier, chef et sous-chef du bureau des théâtres; de M. Ernest Reyer,
inspecteur général; de MM. Guiraud, Victorin .Foncières, Lenepveu,
Maréchal et Canohy, inspecteurs de l'enseignement musical, et de M. Réty
secrétaire général du Conservatoire, représentant M. Ambroise Thomas.
Après une courte allocution, M. Larroumet s'est retiré, cédant la prési-
dence à M. Ernest Reyer. Plusieurs questions intéressantes pour l'avenir
de nos écoles de musique ont été traitées dans cette scéance.
— Mm° Héritte-Viardot, la fille de l'éminente cantatrice, aprèsavoir été
professeur de chant pendant plusieurs années aux Conservatoires de
Saint-Pétersbourg et de Francfort, revient se fixer à Paris définitivement,
10, rue des Saints-Pères, pour y continuer le professorat. Elle suit les
grandes traditions de sa famille. Aussi n'avons-nons pas besoin d'insister
sur l'excellence de la méthode de son enseignement.
— Mercredi dernier a eu lieu en l'église Saint-Séverin, sous la prési-
dence de MGr Soulé, l'inauguration solennelle du grand orgue, construit
par MM. E. et ,T. Abbey de Versailles. Cette séance a donné lieu à un
fort beau concert dirigé par M. E. Le Maitre, organiste et maître de cha-
pelle de l'église, dans lequel on a entendu MM. Vergnet,Caron, de l'Opéra,
qui a chanté superbement l'Hymne aux Astres de M. Faure; Rolland,
Ponchaud, Brun, Loeb, Jules Franck et Garrigue. C'est M. Dallier qui a
fait entendre le nouvel instrument, dont on s'est plu àreconnaitre les
grandes qualités.
— M. Léon Delafosse, le jeune et brillant virtuose que Paris a déjà
applaudi, vient d'aller donner un concert à Nancy où il a été l'objet de
chaleureuses ovations. Les journaux de la localité ne tarissent pas d'éloges
sur son merveilleux et sympathique talent. Des vingt-deux morceaux qu'il
a exécutés, trois lui ont été redemandés d'acclamation : L'Oiseau-Mouche,
cette ravissante fantaisie de M. Théodore Lack, la Gavotte de Bach et une
Valse de Chopin. L'auditoire a beaucoup goûté aussi la nouvelle Mazurke
Éolienne et la Valse Arabesque de M. Lack, une Esquisse de M. Théodore
Dubois et des compositions de MM. Grieg, Moszkowski et Benjamin
Godard.
— On nous écrit de Besançon que l'Union artistique de cette ville s'est
fait entendre aux obsèques ùe Mme Dupuis, femme d'un violoniste bisontin
renommé. Pendant la cérémonie M. l'abbé Daguet, professeur à la maîtrise,
a dit le beau Pie Jesu, de M. Faure, avec un sentiment remarquable qui
a profondément touché l'assistance.
Henri Héugel, directeur-gérant.
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de musique.— S'ad. n M. Chatot, êdit. de musique, 19, rue des P.-Champs, Paris.
392
LE MÉNESTREL
Cinquante-septième année de publication
PRIMES 1891 du MÉNESTREL
JOURNAL DE MUSIQUE FONDÉ LE 1er DÉCEMBRE 1833
Paraissant tous les dimanches en huit pages de texte, donnant les comptes rendus et nouvelles des Théâtres et Concerts, des Notices biographiques et Etudes sur
les grands compositeurs et leurs œuvres, des séries d'articles spéciaux sur l'enseignement du Chant et du Piano par nos premiers professeurs,
des correspondances étrangères, des chroniques et articles de fantaisie, etc.,
publiant en dehors du texte, chaque dimanche, un morceau de choix (inédit) pour le CHANT ou pour le PIANO, de moyenne difficulté, et offrant
à ses abonnés, chaque année, de beaux recueils-primes CHANT et PIANO.
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Dimanche H DftembrÉ 18110.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.",
MÉNESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henïii HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement
Un on, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonneirirnt complet d'un an. Texte. Musique de Chant et de Piano. 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Etranger, les Irais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
1. Notes d'un librettiste: Victor Massé (31e article), Louis Gàllet. — II. Bulletin
théâtral: La représentation de gala de Carmen, H. M.; reprise de (a Fiam-
mina, au Gymnase, Paul-Émile Chevalier. — III. Étranges théories d'un éditeur
russe sur la propriété artistique, Henri Heugel. — IV. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
LES SABOTS ET LES TOUPIES
n° 6 de la Chanson des Joujoux, poésies de Jules Jouy, musique de Claudius
Blanc et Léopold Dauphin. — Suivra immédiatement : Les Petits Chasseurs,
n° 25 de la même collection.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de putio : Noël breton, de Henry Ghys. — Suivra immédiatement : Clair de
Lune, de Théodore Dubois.
NOS PRIMES
POUR L'ANNÉE 13 91
NOTES D'UN LIBRETTISTE
Nos abonnés trouveront à la 8e page de ce numéro la liste de nos PRIMES
pour l'année 1891, 57e année de publication du MÉNESTREL, et nous espérons
qu'elle sera de nature à les satisfaire; car nous avons mis tous nos soins à la
rendre aussi intéressante et aussi variée que possible.
Dans les primes spéciales réservées à nos abonnés au texte et à la musique de
piano, on trouvera d'abord la Tempête, le charmant ballet d'Ambroise Thomas,
dont la reprise est prochaine à l'Opéra, puis de ravissantes compositions pour
piano (Album Polonais et Pièces diverses) de Ph. Scharwenka, dont la vogue est
si grande en ce moment en Allemagne et qui est encore peu connu en France.
C'est un artiste essentiellement original, dont nos lecteurs se trouveront bien de
faire la connaissance. Vient ensuite, pour, les petites mains, un ravissant album
de danses faciles intitulées : les Petits danseurs, dont la couverture en couleurs
de Firmin Bouisset est un véritable petit chef-d'œuvre. Si on l'ouvre, on y trou-
vera du Johann Strauss, du Fahrbach, du Gung'l, de l'Offenbach, de l'Hervé,
réduit très facilement à l'usage des commençants par les maîtres du genre en-
fantin, les Streabbog, les Trojelli, les Faugier, etc. Pour les-grandes personnes,
nous donnons les danses du Strauss de Paris, l'ancien chef d'orchestre des Bals
de l'Opéra, dont la verve, on pourra le voir, ne le cédait en rien à celle du grand
Strauss de Vienne.
Dans les primes de chant: le quatrième et nouveau volume des Mélodies de
Faure, qui reste justement un de nos auteurs les plus recherchés de tous ceux
qui s'adonnent à l'art du chant; puis les Mélodies populaires des provinces de
France, recueillies et harmonisées par Julien Tiersot, charmant petit volume où
l'on trouve toute la poésie naïve et toute la gaité malicieuse de nos campagnes;
le Fétiche, de Victor Roger, l'une des plus pimpantes partitions que l'opérette ait
données en ces derniers temps; enfin les étonnantes Clmnsons du Chat noir, où
l'originalité de Mac Nab se révèle si exubérante, rehaussée encore par les spiri-
tuels dessins de H. Gerbault — véritable recueil d'amateur un peu monté en cou-
leur; point pour les demoiselles.
Dans nos GRANDES PRIMES, destinées à ceux de nos abonnés qui sous-
crivent à la fois à la musique de piano et à la musique de chant : d'abord la superbe
édition du Fidelio de Beethoven, avec les remarquables récitatifs et la réduc-
tion au piano de F. -A. Gevaerl, la seule version conforme aux représenta-
tions qu'on va donner prochainement à l'Opéra de Paris. A coté du chef-
d'œuvre de Beethoven, deux autres partitions très intéressantes d'Ambroise
Thomas, celle du Sonr/e d'une Nuit d'été avec tous les nouveaux récitatifs qu'il
vient de composer en vue des scènes italiennes, et celle à'Bamlet, version origi-
nale pour ténor. C'est ainsi que le maître avait d'abord conçu cette dernière
Oeuvre, et il esl curieux de rapprocher les deux textes, celui du baryton et celui
du ténor; on trouve là des variantes importantes.
VICTOtt MASSE
Quand, après ce concours du ministère des beaux-arts, je
retrouvai l'excellent homme, l'aimable et bienveillant patron
de mes premiers essais, il se montra tout ravi de cette aven-
ture beureuse qui nous ouvrait, à mon collaborateur Edouard
Blau et à moi, les portes du théâtre.
Il me- gronda un peu d'avoir été si discret :
— Pourquoi ne m'avez-vous pas dit que vous concouriez?
— Parce que la règle du concours m'interdisait de vous
le dire, et aussi parce que je savais que vous vous intéres-
siez à l'un des concurrents.
— Enfin, c'est très bien. Maintenant, prenez garde. Ne
vous laissez pas trop prendre par la musique.
Cette préoccupation, je ne dirai pas cette prévention au
sujet de la musique, je l'ai retrouvée toujours en éveil chez
lui dans les années qui suivirent.
Dans nos rencontres trop rares, notamment aux réunions
annuelles de la Société des auteurs, comme il me suivait
dans cette carrière que ses encouragements avaient contribué
à m'ouvrir, il ne manquait pas d'ajouter à la poignée de
main amicale son « prenez garde » de la première heure.
— Prenez garde ! La musique vous envahit.
Ce n'était pas toutefois qu'il détestât la musique, comme
on le pourrait croire; mais l'art dramatique pur l'emportait
chez lui hautement sur toutes les autres formes. Il avait
pourtant donné à cette forme secondaire, sinon par vocation,
du moins par amitié pour un compositeur plus tard illustre,
d'effectives marques de son intérêt. Il avait écrit pour Char-
les Gounod le livret de Sapho.
Je les ai revus tous deux, le poète et le musicien, sur la
scène de l'Opéra, à la dernière et encore récente reprise de
ce premier ouvrage de l'auteur de Faust, tout heureux de se
retrouver après une carrière si laborieuse et si brillante de
part et d'autre, de sentir revivre autour d'eux ainsi leur
florissante jeunesse.
Ce soir-là, comme j'exprimais à Emile Augier mon plaisir
de le rencontrer une fois sur le terrain de la musique dra-
matique, il me dit avec son bon et fin sourire :
— Soyez tranquille; j'y suis, mais je n'y serai pas im-
portun !
*
* *
Oa m'avait dit qu'il ne fallait pas aller voir Théophile
Gautier; il n'avait point pris part aux travaux du jury, les
394
LE MENESTREL
choses de la musique lui étant indifférentes, suivant une
très courante légende, que me semblait pourtant démentir
son œuvre même, car je ne pouvais oublier que son nom
avait figuré sur les affiches de l'Opéra, sous le titre de l'un
des plus délicieux ballets du répertoire.
J'avais le plus grand désir de lui parler, de le connaître;
je le rencontrais souvent dans la rue ou au théâtre; je le
regardais avec la respectueuse admiration d'un humble néo-
phyte devant « le maître impeccable ».
Dans une unique circonstance, je devais l'approcher et
pour un instant trouver l'occasion de lui adresser la parole.
Je me trouvais dans le cabinet du secrétaire de l'Opéra,
lorsqu'il entra, s'assit, causa durant quelques minutes,
puis s'éloigna de son allure olympienne.
Et tout à coup, immédiatement après sa sortie, je m'aperçus
qu'il s'en allait coiffé de mon chapeau, machinalement pris
sur la table au lieu du sien.
Je m'empressai de courir après lui; déjà il allait franchir
le seuil de la porte de la cour sur la rue Drouot, lorsque,
le temps pris toutefois de constater que mon chapeau lui
allait fort bien, je l'abordai, son propre couvre-chef à la
main.
— Pardon, monsieur, je crois que j'ai gardé votre cha-
peau.
« Gardé » était un euphémisme destiné à apprivoiser le
lion.
Il constata l'échange, reprit son bien, me rendit le mien
et s'éloigna sans mot dire dans sa souveraine majesté.
Là devaient se borner à tout jamais mes relations avec le
merveilleux ciseleur de phrases. Ce jour-là, du moins, j'eus
l'orgueil de me dire que j'avais quelque chose de commun
avec un glorieux poète : le même numéro chez le chape-
lier.
* *
Dans une cour de la rue de Larochefoucauld, au rez-de-
chaussée d'une maison aujourd'hui disparue, logeait le sym-
phoniste du Désert, l'ami des roses, Félicien David. Il me reçut
dans un salon à demi obscur et me fit asseoir à ses côtés,
répondant par monosyllabes à mes remerciements.
Il avait l'air de n'être point présent; ses grands yeux, lar-
gement ouverts, extatiques, fixaient quelque vision de rêve,
ses lèvres disaient : oui, avec des intonations différentes à
chacune de mes paroles. — J'ai su depuis qu'il avait fait de
cette affirmation une réplique prenant, en son unité, toutes
les valeurs les plus diverses.
« La parole est d'argent et le silence est d'or », dit un
proverbe de cet Orient qu'il avait tant aimé et d'où lui est
venu son plus pur rayon de gloire. Son « oui » constituait
un moyen terme très éloquent entre la parole et le silence.
Un jour qu'on répétait une pièce de lui à l'Opéra-Comique
et que tout n'allait pas très bien, quelqu'un se risqua à lui
dire :
— Ne trouvoz-vous pas cet air un peu long?
— Euh ! oui.
— Et puis, il est chanté peut-être trop lentement.
— Ouais !
— L'artiste ne vous a pas bien compris!
— Oh! oui!...
— Enfin, il faudrait le retoucher.
— Ouà!...
— Ou, mieux encore peut-être, le couper!
— Oué!... Ouél!!
Et alors, prenant sa partition sur le pupitre, le musicien
s'en allait avec un regard et un geste rageurs, qui en disaient
long sur le sens de ce dernier « oué ». Et comme on lui
criait :
— A demain, n'est-ce pas? Vous reviendrez?
— Ouin!
Et il s'enfuyait pour ne plus reparaître, ayant dit en un
mot tout ce qu'il voulait dire.
Mais cela n'est rien froidement écrit. Il y faudrait le ton et
la physionomie d'Eugène Gautier, le premier narrateur de
cette petite scène.
Ces variations sur un monosyllabe, cette impassibilité ap-
parente de fakir cadraient pourtant mal avec le vrai fond
de l'homme. On le sentait délicat et tendre.
Et on ne saurait se rappeler sans émotion cet enfant de
Provence, ce doux poète du soleil, cet amoureux de solitude
et de rêverie, s'en allant, dans les derniers mois de sa vie,
à travers la forêt de Saint-Germain et, au hasard de sa prome-
nade, greffant çà et là les églantiers, afin qu'à la saison sui-
vante, dans les taillis sauvages, pussent s'épanouir en pleine
liberté quelques-unes de ces belles roses qu'il adorait.
(A suivre.) Louis Gallet.
BULLETIN THEATRAL
Nous n'avons pu assister à la représentation de gala de Ja Carmen
de Georges Bizel, donnée au profit de son « monument ». Il paraît
que cette représentation a été merveilleuse, ce qui ne nous étonne
pas, puisque l'œuvre était interprétée par des artistes tel= que
Mmes Galli-Marié et Melba, MM. Jean de Reszké et Lassalle. Nous
extrayons du Figaro le petit compte rendu succinct qui donne bien
la physionomie de cette rare soirée. Après avoir donné la composi-
tion de la salle, où se trouvait réuni tout le high-life parisien, le
« monsieur de l'orchestre » parle ainsi du côté artistique de la repré-
sentation :
Galli-Marié, c'est encore la Carmen des anciens jours, aux yeux de
flamme, aux lèvres de pourpre, aux attitudes provocantes. Elle s'était si
bien incarnée dans le personnage que, après sept ans, il n'a rien perdu
de son relief. Je parle au point de vue de la plastique. Car il a fallu
beaucoup de courage à la vaillante artiste pour soutenir le rôle d'un bout
à l'autre, en dépit du rhume dont elle souffrait visiblement. Les palmes
académiques que M. Larroumet est venu lui porter, dans un entr'acte,
au nom du ministre des beaux-arts, équivalent pour elle à la décoration
reçue sur le champ de bataille.
Jean de Reszké est un incomparable don José. II a marqué ce rôle tra-
gique à son effigie comme il l'avait fait pour tous les autres rôles du
répertoire. On ne sait ce qu'il faut le plus admirer en lui du comédien
ou du chanteur. Il a dit la cantilène : Lu fleur que tu m'avais donnée, avec
un charme qu'aucune expression ne peut rendre. On l'a bissée frénéti-
quement.
Le superbe toréador que Lassalle, et comme sa belle voix sonne super-
bement dans l'air de bravoure : Toréador, en garde! et délicieusement dans
le madrigal : Si tu m'aimes, Carmen...
On ne peut rêver une Micaela plus exquise que M"c Melba. Mais comme
elle doit grelotter à courir les montagnes avec les épaules nues et en
jupe courte! Elle a dû bisser également l'air délicieux : On dit que rien
ne m'épouvante...
Auprès de ce brillant quatuor, les artistes de l'Opéra-Comique,
MM. Lorrain, Grivot et Barnolt et Mmes Chevalier et Auguez ont fait très
belle figure.
Grand succès pour le ballet dansé par une gentille escouade de pre-
miers sujets de l'Opéra, Mllc Mauri en tète. Il est charmant, ce ballet, et
d'une adorable couleur espagnole, bien qu'il soit fait avec des motifs de
l'Artésienne et de la Jolie Fille de Perth. Dirai-je que Mauri la charmeuse
est allée aux étoiles? Ce serait répéter ce que tout le monde disait après
ce finale vertigineux, qu'elle a du bisser, et où elle évolue avec la légè-
reté d'un sylphe et la grâce d'un papillon.
Et j'ai quitté le théâtre au milieu de l'enthousiasme provoqué par la
tragique scène finale, où Galli-Marié et Jean de Reszké nous ont donné le
frisson.
La recette s'est élevée à 4o,000 francs, ce qui, joint aux produits
de la souscription, permettra d'élever à Georges Bizel un mouument
tout en or.
H. M.
Gymnase. — La Fiammina, pièce en qualre actes de M. Mario
Uchard.
C'est simplement en attendant la pièce nouvelle de M. Daudet
que M. Koning vient de reprendre cette Fiammina qui, il y a plus
de trente ans, lit couler tant de larmes, lors de son apparition à la
Comédie-Française. Le succès fut, alors, considérable, et M. Mario
LE MÉNESTREL
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TJchard put, un moment, se croire uu auteur dramatique de haute
volée. J'ai bien peur que celte dernière reprise n'assombrisse quel-
que peu les rêves dorés de l'excellent auleur et que l'accueil, sinon
froid, du moins assez réservé, fait à son œuvre par le public du
Gymnase ne lui donne douloureusement à réfléchir sur les vicissi-
tudes do la gloire théâtrale. Et pourtant, la pièce est loin d'être quel-
conque ; le drame intime qui s'y déroule est attachant et d'une
sincérité qu'on ne saurait mettre en doute, la fatalité ayant voulu
que M. Mario Uchard souffrit lui-même de douleurs pareilles. Mais
le temps inexorable a passé par là ; et s'il n'a pas laissé quelque
terrible empreinte de son passage sur l'histoire elle-même, il a, du
moins, fortement entaché de vétusté la mise en œuvre de la comé-
die, les moyens dramatiques employés par l'écrivain et jusqu'à des
sentiments qui pouvaient paraître humains alors, et que notre positi-
visme et notre scepticisme nous forcent aujourd'hui à trouver « vieux
jeu ». Je ne sais trop où l'on pourrait rencontrer, de nos jours, un
chevaleresque Henry Lambert qui s'y prendrait aussi gauchement
pour sauvegarder l'honneur de son père, — qu'il n'aurait d'ailleurs
pas à défendre, la loi Naquet se trouvant là pour simplifier toutes
choses. Je ne vois pas bien non plus la Fiammina de 1890, aban-
donnant mari et fils, menant joyeuse vie au milieu des succès eni-
vrants de la scène et, un beau jour, sans raison autre que la voix du
sang, se prenant d'une passion si forte pour cet enfant, dont vingt
ans durant elle ne s'est, pas une minute, souciée, qu'elle brise sa
vie sans hésitation aucune. Je ne serais pas étonné, d'ailleurs, si
cette mère, même en 1857, n'avait paru quelque peu bizarre et in-
compréhensible.
L'interprétation du Gymnase est bonne dans son ensemble.
Mme Teissandier a pu déployer ses qualités dramatiques dans le
dernier acte; M. Paul Devaux joue douloureusement le rôle de
Lambert père ; je reprocherais à M. Burguet, qui est charmant, de
prendre souvent trop de temps et de n'avoir pas su escamoter sa
scène avec lord Dudley, qui ne gagne pas à être jouée ; M. Xoblet
est fin à son habitude, M. Plan très correct et M. Nertann bon en-
fant. M,Ie Depoix est toujours aussi jolie et Mlle Varly babille à en
faire perdre haleine aux spectateurs.
Paul-Émile Chevalier.
ETRANGES THÉORIES
D'UN ÉDITEUR RUSSE SUR LA PROPRIÉTÉ ARTISTIQUE
C'est là, sans doute, un sujet qui ne divertira que médiocrement
une grande partie de nos lecteurs. Il en est pourtant, dans le nombre,
que ces questions de propriété artistique intéressent, et c'est pour
ceux-là que nous écrivons spécialement cet article, en priant les
autres de vouloir bien nous excuser pour cette fois.
11 paraîtra curieux qu'il soit encore besoin de défendre, à la fin
de notre XIXe siècle, ce grand piincipe de la propriété littéraire et
artistique. Il y a des gens et même des peuples qui se feraient un
scrupule de nous enlever nos pendules (ceci soit dit sans allusion
blessante pour nos amis d'Allemagne), mais qui trouvent tout
naturel de s'approprier notre art et nos idées. On laisse en paix
les horlogers, mais on dépouille sans vergogne Victor Hugo ou
Charles Gounod. Ce sont là vraiment manières de malandrins, contre
lesquelles la police de tous les pays devrait sévir avec énergie.
Loin de nous la pensée de nier le progrès qu'a fait en ces der-
niers temps celte question de la défense des droits artistiques. Les
conventions protectrices surgissent de toutes parts, et la dernière
en date, le fameux contrat de Berne, bien qu'encore un peu
confus, apparaît pourtant comme un nouveau pas en avant. Que
dis-je ? Le câble transatlantique nous apporte la nouvelle que
l'Amérique elle-même, qui fut si longtemps le principal repaire des
pirateries littéraires et artistiques, vient de reconnaître que les poètes
et les musiciens, de toutes provenances, avaient le droit d'être pro-
tégés dans leurs propriétés intellectuelles au même titre que le
boulanger pour son pain ou le paysan pour son champ. Si bien
qu'on peut presque dire aujourd'hui qu'il n'y a plus guère que les
Hottentots, avec quelques peuplades reculées des déserts de l'Afrique,
qui ignorent les beautés de la protection artistique.
Et cependant, à côté de ces Hottentots, nous avons le regret de
devoir mettre un grand peuple, un grand pays, ami de la France,
ce qui nous est doublement douloureux. Oui, depuis trois ans,
depuis la dénonciation de la convention de 1861, la Russie, qui
compte cependant parmi les nations civilisée?, se refuse à recon-
naître qu'il puisse exister une propriété littéraire ou artistique;
chacun des sujets du czar peut puiser à pleines mains dans le
répertoire de nos auteurs et s'en faire des rentes, sans leur payer
pour cela la moindre redevance. Ces pick-pockets d'art sont désormais
protégés par les lois russes elles-mêmes, et peuvent détrousser
tout à leur aise, sur la grand'route des arts, les passants étrangers
qui s'y aventurent, pourvu qu'il soit bien avéré que les victimes
sont de simples musiciens. Cela ne tire pas à conséquence :
Vous leur fîtes, seigneurs,
En les volant beaucoup d'honneurs.
Un tel état de choses ne pouvait manquer de préoccuper un
esprit aussi juste et aussi éclairé que celui du czar Alexandre. Il
a bien voulu s'émouvoir des plaintes que lui faisaient parvenir ses
amis des bords de la Seine et prendre en considération les intérêts
injustement lésés d'une nation sympathique. Aux propositions d'un
nouvel arrangement qui lui étaient soumises il n'a pas fait la sourde
oreille. Des deux côtés des enquêtes sont prescrites pour mener au
mieux les négociations.
Aussitôt toute la bande des aigrefins de s'émouvoir, et l'un d'eux,
Je nommé Bessel, éditeur de musique et grand contrefacteur devant
l'Éternel, ne craint pas d'exposer dans un journal qui passait pour
sérieux, le Nouveau Temps, les étranges théories qu'on va lire.
Il convient tout d'abord de présenter en quelques mots le citoyen
Bessel. Nous ne savons s'il jouit dans son pays d'une grande consi-
dération, mais on le tient chez nous en assez médiocre estime. En
1872, il sollicita des éditeurs français le mandat de les représenter
en Russie et d'y défendre leurs intérêts. Il reçut à cet effet des
appointements annuels du commerce de musique français, et on
approvisionna son magasin d'éditions françaises dans des conditioons
de bon marché exceptionnelles. On voit, par ce début, que M. Bessel
n'a pas toujours été l'ennemi des publications françaises. Il est vrai
qu'il nous répondra qu'il ne les aime pas moins aujourd'hui, tout
au contraire, puisqu'après en avoir poursuivi pour notre compte
toutes les contrefaçons, il s'est mis tranquillement à en faire lui-
même. Toujours l'histoire du chien de gai de chargé de veiller sur le
déjeuner de son maître et qui finit par s'en régaler lui-même. Qu'était^
il donc arrivé? Tout simplement que le sieur Bessel consentait bien
à recevoir des appointements, à accepter la musique française qu'on
lui envoyait, à la vendre à ses concitoyens, mais qu'il n'aimait pas
beaucoup qu'on lui en réclamât le prix. Les traites qu'on tirait sur
lui revenaient régulièrement impayées, et il fallut bien songer à
rompre un engagement dont il ne voulait que les profits sans en
supporter les charges. Les appointements furent supprimés, les envois
de musique suspendus et la plupart des maisons parisiennes se
fermèrent devant lui.
Dès lors, Bessel passa dans le camp ennemi. Il n'eut plus qu'une
idée: la dénonciation de la convention franco-russe, afin de pouvoir
piller tout à son aise les éditeurs français coupables d'avoir voulu
être payés de la livraison de leurs marchandises. Il y parvint en
188", et c'est lui naturellement qui s'élève encore contre la reprise
des négociations et cherche de nouveau à agiter l'opinion pour les
faire échouer.
Voilà le monsieur.
Voyons maintenant son article du Nouveau Temps et les arguments
qu'il emploie pour combattre le renouvellement d'une convention
littéraire et artistique entre la Russie et la France. L'esprit de
M. Bessel a toujours été naturellement confus, et ce, n'est pas la
défense d'une mauvaise cause qui a pu beaucoup l'éclaircir. Il est
donc tout d'abord assez difficile de se reconnaître dans son plai-
doyer, présenté sans ordre aucun et tout embroussaillé de faits con-
trouvés (nous les signalerons au cours de cet article) et de détails
oiseux.
Nous avons toutefois fini par démêler, au milieu de tout ce ver-
biage inutile, que les arguments principaux de M. Bessel étaient
au nombre de trois.
PREMIER ARGUMENT
Tout plein de son intérêt direct et de sa propre personnalité,
M. Bessel ne veut voir d'abord dans les revendications f.ançaises
qu'une simple manœuvre du Syndicat des éditeurs de musique. Ce
sont eux les pelés, les galeux, les auteurs de tout le mal. II oublie ou
il gnore qu'il s'est formé à Paris un Syndicat de la propriété littérairèet
artistique, chargé de poursuivre en tous pays le respect desdroilsdes
littérateurs et artistes français. Ce syndical est naturellement corn-
396
LE MÉNESTREL
posé, pour la majeure partie, d'auteurs, de membres de laSociétédes
gens de lettres, de représentants de la Société des auteurs et composi-
teurs dramatiques, de jurisconsultes, de peintres, de quelques mu-
siciens illustres, etc., etc. ; les éditeurs y sont à peine au nombre
de trois ou quatre, et l'assemblée a pour vice-président un membre de
l'institut, il. Thomas, sculpteur. C'est ce syndicat, auquel la mu-
sique participe comme les autres arls, qui a chargé M. le comte de
- Kératry de faire une humble démarche près du czar pour lui exposer
la triste situation faite en Russie aux auteurs français, par suite de
la dénonciation du traité, de 1861. Que le syndicat spécial des
éditeurs de musique s'intéresse à celte démarche, c'est tout naturel,
mais ce n'est pas lui, chétif, qui a pu prendre l'initiative d'une si
importante mesure.
Ce sont donc bel et bien les auteurs qui réclament personnelle-
ment, et ce point était important à établir. Car toute la thèse de
M. Bessel repose sur ce point. Les auteurs ne réclament rien, car
ils n'ont rien à gagner au renouvellement de la convention, puis-
qu'ils ont abandonné tous leurs droits à leurs éditeurs. Toute l'af-
faire se réduirait donc, d'après lui, à une simple querelle entre
commerçants russes et français. Le czar voudra-t-il s'occuper d'intérêts
aussi mesquins et, s'il s'en occupe, tranchera-t-il la question en
faveur des étrangers?
Nous répondrons d'abord que tout commerce, quand il est praliqué
honnêtement, comme c'est le cas on France, est digne de sollicitude.
Mais en l'espèce, si on prétend même marcher sur les intérêts très
légitimes des éditeurs français, nous ajouterons qu'on ira directe-
ment aussi contre les intérêts de nos auteurs, qui réclamentà bon droit.
Pour nous en tenir aux seules choses de la musique, suivant
M. Bpssel sur le terrain restreint où il désire se cantonner, nous
allons lui faire comprendre comme quoi les intérêls des compositeurs
sont intimement liés a ceux de leurs éditeurs.
Les compositeurs français ne font pas , comme se l'imagine
M. Bessel, abandon complet de tous leurs droits entre les mains
de leurs éditeurs. En supposant même qu'ils le fassent, il est clair
que si on restreint pour l'éditeur le nombre des marchés où il peut
légitimement espérer écouler ses publications, on restreint par cela
même le prix qu'il peut en donner à leurs auteurs. Première atteinte
directe aux compositeurs. Mais ce n'est pas tout; beaucoup d'auteurs
se réservent des primes sur la vente de leurs œuvres. Pour ne citer
qu'un cas qui nous est connu, à titre de preuve, voici, par exemple.
M. Faure, dont les mélodies ont une très grande vogue en Russie,
qui a signé avec son éditeur un contrat qui lui assure 0 fr. 25 c. par
exemplaire vendu. Du jour où la convention avec la Russie a été
dénoncée, toutes ses mélodies à succès ont élé contrefaites par les
éditeurs russes. Que touche-t-il désormais sur ces exemplaires de
contrebande? Ab uno disce omnes.
Autre cas. M. Bessel .croit, toujours à tort, que les compositeurs
français cèdent à leurs éditeurs, en même temps que le droit d'é-
dition, le droit d'exécution et de représentation sur leurs oeuvres.
C'est encore uns grosse erreur. Les auteurs se réservent les droits
d'exécution et chargent seulement leurs éditeurs, moyennant un par-
tage équitable, d'en assurer la perception dans les pays étrangers.
Ce partage se fait habituellement par tiers : un tiers au composi-
teur, un tiers au librettiste et un tiers à l'éditeur. Ainsi donc, —tou-
jours pour nous en tenir aux seuls faits dont nous pouvons répondre —
avant la dénonciation du traité avec la Russie, supposons qu'un di-
recteur de Russie voulût, par exemple, représenter l'opéra Mignon
d'Ambroise Thomas. Il devait s'entendre de la location des parties
d'orchestre avec l'éditeur. Ce prix était d'ordinaire fixé pour une
saison à trois- mille francs, tant pour les droits d'auteurs que pour
le matériel, dont le partage se faisait comme suit:
A M. Ambroise Thomas. 1,000 francs.
A MM. Jules Barbier et Michel Carré. 1,000 —
A l'éditeur. 1,000
Depuis la dénonciation du traité, il n'est plus rien touché du
tout; les directeurs so procurent des orchestrations de contrebande
ou font orchestrer à nouveau par des manœuvres indignes (i). On
(1) Signalons particulièrement, comme se livrant volontiers à ce genre
d'exercice, l'honnête M. Gunzbourg, actuellement directeur du théâtre
municipal de Nice, mais qui s'en va, tous les étés, diriger un théâtre d'o-
péra à Saint-Pétersbourg. La presse parisienne chante volontiers les
éloges de ce jeune directeur, qu'elle pose même quelquefois comme un
candidat sérieux à la succession de MM. Ritt et Gailhard à l'Opéra. Il est
bon qu'elle soit avertie que ce candidat pille effrontément les auteurs fran-
çais à Saint-Pétersbourg, même au mépris des engagements qu'il a signés
avec les éditeurs. Nous en avons toute les preuves en mains.
voit, par cet exemple, si les auteurs sont touchés directement par
le manque de protection en Russie.
Bien entendu, le cas n'est pas particulier à M. Ambroise Thomas;
il s'applique à tous les compositeurs français.
Nous pensons en avoir assez dit pour démontrer que ce premier
argument de M. Bessel ne repose sur rien de sérieux.
DEUXIÈME ARGUMENT
Pourquoi respecterait-on en Russie les droits des auteurs français,
puisque les droits des auteurs russes ne sont pas respectés en
France?
M. Bessel n'ignore pas qu'il existe en France un décret, le décret
de 1852, qui interdit à tout sujet français de s'emparer du bien
d'autrui. même s'il se trouve lui-même dépouillé par cet autrui. C'est
de la chevalerie poussée très loin, mais nous pouvons peut-être
nous en enorgueillir. Cela repose, en somme, sur un principe juste :
le voisin t'a pris ta montre, ce n'est pas une raison pour lui prendre
la sienne.
M. Bessel prétend que ce décret de 1852 n'est plus observé.
Il se trompe. Sans doute il a pu craindre, après la dénonciation faite
par la Russie du traité de 1861, que la France ne répliquât en rap-
portant ce décret de 1852, qui continuait à couvrir les éditions
russes. Il en a eu une fière peur. Comme il voulait bien s'approprier
les publications françaises, mais non que, par un juste retour, on
lui prit ici les siennes, il s'empressa de céder la propriété de toutes
les œuvres russes qu'il avait éditées; dans sa précipitation, il alla
même jusqu'à vendre deux fois la même œuvre à des maisons diffé-
rentes. Il en fut ainsi pour la Tarentelle de César Uui, cédée par
lui d'abord à la maison Durand et Schcenewerk de Paris pour tous
les pays sauf la Russie, ce qui ne l'empêcha pas de la recéder, un
an après, à la maison Breitkopf et Haertel, de Leipzig. Il va sans dire
que ces deux maisons n'ont pu obtenir de M. Bessel aucune espèce
de satisfaction. Il s'est borné à encaisser ses deux parts.
M. Bessel prétend donc que le décret de 1852 n'est plus observé
en France. Où prend-il cela? Toutes les œuvres russes publiées en
France ont été régulièrement acquises par les éditeurs, soit direc-
tement des auteurs, soit de leurs ayants droit. Nous mettons au
défi M. Bessel de prouver le contraire. Il invoque le cas de « La vie
pour le Czar », partition de Glinka qui, dit-il, aurait été publiée
d'autorité par la maison Durdilly. M. Bessel a été mal renseigné ; on
a pu voir déjà que cela lui arrivait quelquefois. L'éditeur Durdilly
tient régulièrement ses droits de la princesse Gortschakoff, seule
concessionnaire des héritiers Glinka. De plus, quand cette œuvre a
élé représentée à Nice en 1890, les ayants droit ont touché, par
l'entremise de la société des auteurs et compositeurs dramatiques
de Paris, tous les droits d'auteurs qui leur revenaient. Qu'en pense
M. Bessel?
M. Bessel se plaint encore que « des éditeurs parisiens ayant ac-
quis le droit d'éditer des œuvres de Borodine, de Korsakoff, de-
Cui, de Tschaïkowsky, et cela depuis plusieurs années, ne profitent
même pas de leurs droits en les publiant », ce qu'il a l'air de trou-
ver offensant pour l'art russe. Ceci vise le cas particulier de l'édi-
teur Alphonse Leduc, qui ayant acheté ces œuvres de M. Bessel
lui-même, n'a pu en obtenir ensuite les orchestrations qu'à des prix
tellement ridicules qu'il a dû s'abstenir de toutes publications.
Le second argument est encore plus faible que le premier. 11
n'existe même pas, puisqu'il ne repose sur rien.
TROISIÈME ARGUMENT
Celui-ci est du dernier cynisme. Il n'y a pas d'égalité, dit M. Bes-
sel, entre le commerce musical des deux pays. Les éditeurs français
sont très riches, et les éditeurs russes très pauvres. Donc, ceux-ci
ont raison de prendre à ceux-là tout ce qu'ils peuvent leur prendre.
Voilà qui est vraiment d'une moralité charmante.
C'est comme si les voisins du czar lui disaient : « Votre empire
est trop grand, nous allons vous en prendre un morceau; car le
nôtre est trop petit ». Que dirait le czar? Il ferait avancer ses bons
soldats et ses gros canons, et répondrait aux intrus : « Venez le
prendre . »
Malheureusement, les éditeurs français n'ont pas de bons soldats
ni de gros canons, et ils seront obligés de se laisser tondre, si le
czar n'intervient pas et ne morigène pas sévèrement ses sujets
sur les théories singulières qu'ils ont en matière de propriété.
El d'abord, M. Bessel est-il bien sûr que les éditeurs français
sont si riches que cela! C'est un métier qui n'est ni plus commode
ni plus rémunérateur que les autres, C'est comme partout : Quelques-
uns y réussissent, beaucoup y végètent, d'autres y sombrent complè-
LE -MENESTREL
397
tement. Nous pensons que c'est comme en Russie. On ne fera croire
à personne que la maison Jurgenson de Moscou, par exemple, dont
on admirait à Paris la belle exposition en 1889, ne soit pas aussi
importante que nos plus importantes maisons, non plus que la maison
Bulnner (Rather successeur), qui ne se contente pas de son instal-
lation de Pétevsbourg et possède encore un comptoir à Hambourg.
Quant à la maison Mellier, que M. Bessel cite avec complaisance
comme ayant dû supprimer tout commerce de musique par suite
du manque d'affaires, nous ne pouvons voir ici qu'une aimable ironie
de la part de notre spirituel contradicteur. La maison Mellier était
une maison française, et si elle a dû supprimer son rayon de mu-
sique, c'est précisément une des conséquences de la dénonciation
du traité de 1861. Puisqu'il n'y avait plus de propriétés musicales
françaises en Russie et qu'on vendait partout des contrefaçons de
nos auteurs an rabais, la maison Mellier n'avait plus de raison
d'exister en tant que maison musicale. Pourquoi M. Bessel nous
oblige-t-il à dire des choses qu'il sait aussi bien que nous?
Mais voilà quelque chose de bien plus extraordinaire : M. Bessel
avoue naïvement que depuis 1887, c'est-à-dire depuis la dénoncia-
tion du traité avec la France, le commerce de musique de Russie
périclite et subit une véritable crise. Ce n'est donc pas le moment
dit-il, de renouveler une convention qui l'achèvera. Tout au con-
traire, cher monsieur, renouvelez-la au plus vite. Elle vous sauvera.
Et nous allons vous en donner les raisons, qui frapperont tous les
esprits moins prévenus que le vôtre.
Il est clair tout d'abord que la production musicale russe, bien
que des plus intéressantes en ce moment, n'est pourtant pas assez
abondante pour alimenter seule le commerce des éditeurs de Péters-
bourp. Le marché russe doit avoir recours à la production étran-
gère ; c'est même le meilleur de ses affaires. Or, qu'arrivait-il avant
la dénonciation du traité? Si quelque boyard désirait chanter une
mélodie de Gounod, il allait chez M. Bessel ou chez un autre, qui
la lui vendait très carrément deux ou trois francs, bien qu'elle ne
lui coûtât à lui que 75 centimes. On voit d'ici l'écart de bénéfices
que cette petite opération donnait à l'intermédiaire russe. Aujour-
d'hui ce n'est plus cela ; tous les éditeurs russes ont fait leur édi-
tion spéciale des mélodies de Gounod et chacun a essayé de la faire
meilleur marché que son voisin, pour lui couper l'acheteur sous le
nez. La mélodie de Gounod ne vaut plus que quelques kopecks, et
par suite, le bénéfice du producteur est presque nul. De même,
M. Bessel vendait autrefois une partition d'Ambroise Thomas ou de
Delibes 23 ou 30 francs! A quel prix réduit doit-il la céder aujour-
d'hui, en face de la concurrence de ses collègues ?
Si encore on pouvait dire: « C'est vrai, nous vendons à vil prix;
mais aussi nous vendons bien davantage en nous adressant à tout
le monde, et nous nous rattrapons sur la quantité. » Mais ce n'est pas
le cas en Russie, où la clientèle musicale est très restreinte (M. Bes-
sel l'avoue lui-même). La musique y est un art que les classes éle-
vées et riches cultivent seules ; et celles-là sont habituées à payer
sans sourciller.
Voilà donc tout le mystère. La dénonciation du traiLé avec la
France est certainement l'une des principales causes de l'état de
marasme où se trouve actuellement le commerce de musique russe
et que nous signale M. Bessel avec tant de complaisance.
Et cela devient tellement une évidence, que M. Fenoult, le syndic
des éditeurs-libraires russes, qui, en 1887, réclamait comme
M. Bessel la dénonciation de la convention, demande énergiquement
aujourd'hui qu'on la rétablisse.
Et d'ailleurs, quand nous voyons M. Bessel crier misère, cela ne
laisse pas que de nous laisser légèrement incrédule. Comment
pourrait-on faire de mauvaises affaires avec l'ingénieux système qu'il
a imaginé? Payer le moins possible ses dettes et s'emparer des
meilleures publicatious d'autrui, sans qu'il vous en coûte un kopeck ;
rien que des bénéfices de toutes parts, sans aucune espèce de ris-
ques à courir. Avec cela, on peut aller flâner et faire son jeune
homme trois mois par année sur les plages les plus huppées, à
Dieppe ou à Trouville, à Ostende ou à Scheveningue. Combien
parmi les « richissimes éditeurs parisiens », comme les appelle
M. Bessel, ne pourraient se payer pareilles fêtes ! Mon Dieu,
peut-être la réussite de ces « richissimes éditeurs » eonsiste-t-elle
uniquement dans le soin qu'ils donnent à leurs affaires et dans le
labeur acharné qu'ils s'imposent, pensant plus au souci de leur
honneur et de leurs échéances qu'aux brises parfumées de l'Océan
et aux distractions qu'on peut rencontrer sur les plages à la mode.
M. Bessel y a-t-il réfléchi ?
Nous croyons avoir suivi de point en point le joli discours de
notre confrère de la Neva et avoir répondu à ses principales ob-
jections.
Il ne nous reste plus qu'à nous en rapporter à l'équité du czar.
Henri Heugel.
Nous reprendrons dimanche prochain l'intéressante étude de
notre collaborateur Arthur Pougin sur LES SAINT- AUBIN, qu'il
nous a fallu interrompre cette fois, par suite de trop grande
abondance des matières.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (11 décembre). — La Basoche a,
jeudi dernier, beaucoup réussi à la Monnaie. Ce n'a pas été un succès
d'enthousiasme ; mais le succès a été très franc. Comme je vous le disais
l'autre semaine, il faut toujours compter un peu avec les habitudes du
public de la Monnaie, qui ne sont plus au genre d'opéra proprement dit
et réellement « comique ». Bon gré mal gré, ce public doit, ne fût-ce que
pour la forme, ne point paraître accepter sans réserves une œuvre qui
sort ainsi de ses habitudes. La Basoche l'a tant amusé qu'il n'a pas osé
formuler trop haut ses réserves; mais il les a faites tout de même. A
part cela, tout a bien marché. La musique de M. Messager, avec sa dis-
tinction d'idées un peu courtes et sa forme un peu tourmentée, parfois en
désaccord avec la franchise d'allures du livret, a été goûtée et appréciée
comme elle le mérite, et plus encore des artistes que du gros public.
Quant à l'interprétation, elle est bonne. M118 Carrère a montré des qualités
peu ordinaires de comédienne et s'est tirée, avec une rare habileté de
chanteuse, des difficultés du rôle de Marie, assez mal écrit vocalement;
Mlle Nardi est une charmante Colette, sous tous les rapports, et M. Badiali
a chanté à ravir le rôle de Clément, où sa jolie voix de ténor-Martin s'est
trouvée remarquablement à l'aise. Une mention aussi à M. Chappuis,
un amusant duc de Longueville, et à M. Isouard, excellent dans le bout
de rôle de Léveillé. Les chœurs, l'orchestre et la mise en scène sont très
satisfaisants. — Et maintenant, nous allons voir Siegfried, dont les répé-
titions vont grand train et qui sera prêt pour la fin du mois. En atten-
dant, nous aurons la semaine prochaine deux représentations de MUg Ri-
chard dans la Favorite etla reprise de Rigoletto avec Mlles Sanderson etNardi,
MM. Bouvet et Lafarge.
En fait de concerts, l'événement de la semaine a été le concert de
l'Association des artistes musiciens. Au point de vue purement artistique,
il n'offrait qu'un médiocre intérêt, malgré l'admirable exécution des Erinnyes,
qui étaient depuis longtemps connues^ La vraie attraction, c'était la pré-
sence de M. Massenet, au pupitre de chef d'orchestre d'abord, et au piano
ensuite. M. Massenet a débuté, ce soir-là, devant le grand public, comme
simple pianiste -exécutant, en accompagnant lui-même des mélodies de
lui, chantées par Mllc Sybil Sanderson. Le succès, comme vous pensez
bien, a pris facilement les proportions d'un triomphe, partagé également
entre la cantatrice, plus jolie que jamais, et le compositeur-accompagna-
teur. Le lendemain, tous deux ont vu renouveler leur triomphe dans une
soirée organisée par le Cercle des Arts et de la Presse, et dans laquelle,
outre Mlle Sanderson et M. Massenet, on a pu applaudir tour à tour
Mlle Nardi, Mlle Carrère, M. Badiali, dans de bien jolies mélodies inédites
de M. Archainbaud, le fils du professeur au Conservatoire de Paris, notre
excellent pianiste M. Arthur De Greef, et bien d'autres artistes de nos théâ-
tres et du Conservatoire. Rarement concert fut plus brillant et obtint plus
de succès. "■ °*
— Le théâtre national d'Anvers vient de représenter pour la première
fois un opéra posthume de Waelput, intitulé Stella, qui a laissé le public
assez indifférent.
— Un théâtre où l'on ne flâne pas, c'est le Théâtre Royal de Liège.
Du 28 octobre au 28 novembre, on y a représenté 8 grands opéras, 7 opé-
ras-comiques, 4 opérettes et 2 comédies, soit 21 ouvrages en 24 représen-
tations. C'est joli comme quantité, dit avec raison le Foyer de Liège.
— Nouvelles de Londres. — M. Maurel faisait lundi dernier sur la scène
du Lyceum et devant deux cents invités une conférence sur le développe-
ment de l'art lyrique moderne. Cette conférence par elle-même ne méri-
terait pas qu'on s'y arrêtât, parce que elle ne contient rien de bien neuf
et manque même de suite. Mais il serait intéressant de rechercher le
pourquoi de ses lacunes les plus flagrantes. M. Maurel qui a bien voulu faire
remonter jusqu'à la Renaissance les origines de l'ancien opéra, qui a parlé
des savants byzantins et des bibliothèques de Constantinople, de Torquato
Tasso et d'Erasme, ne fait aucune allusion aux diverses écoles de musique
qui ont dirigé les destinées de l'opéra, ne cite aucun nom de compositeur!
Il feint d'ignorer l'évolution tentée par le génie de Gluck dans le sens de
la vérité dramatique, comme il évite de parler du retour offensif du genre
du clinquant et des résultats funestes du donizettisme sur toute la musi-
que moderne. Enfin, il ne tient nul compte de Wagner et de la vaillante
école contemporaine qui travaille à la transformation définitive de drame
lyrique. De même, plus loin, lorsqu'il a traité la question des attributs
398
LE MÉNESTREL
nécessaires à l'interprète lyrique, le conférencier a parlé de mezza-gola, de
scénographie et de danse académique, négligeant complètement l'articu-
lation, la déclamation, le style, qualités autrement indispensables à l'ar-
tiste moderne. Cette attitude de M. Maurel ne saurait s'expliquer que par
son anxiété bien évidente de ne rien dire de désobligeant pour ses clients
ordinaires, le public italien. Cette prédilection, ce parti pris de M. Maurel
pour le genre italien ne saurait faire doute. Il l'a proclamé lui-même dès
son arrivée à Londres il y a quelques semaines, dans une allocution im-
primée depuis et dont j'ai le texte sous les yeux. Voilà ce qu'y disait
M. Maurel : « En premier lieu, pour ce qui est de l'opéra italien, j'ai le
regret de constater qu'un groupe de chanteurs, mus par des sentiments
personnels sans doute peu raisonnes, s'efforce de lui substituer l'opéra
français, non seulement en Angleterre, mais encore sur les autres scènes
de l'Europe En disant que l'Italie est la patrie de la musique et que
la langue italienne en est la compagne préférée, je dis une vérité telle-
ment indiscutable, tellement reconnue, qu'elle en paraît banale. Cependant,
cette vérité semble avoir été oubliée par ceux qui, ne comprenant pas
qu'il est impossible de modifier artificiellement l'ordre des choses, rêve-
raient de détrôner, en musique chantée, la langue italienne au profit de
la langue française. » Et d'abord, rien n'est moins prouvé que la langue
italienne avec ses consonnes grasses, la monotonie de ses voyelles ou-
vertes, la brusquerie de son accent sur la pénultième syllabe, se prête
mieux à la déclamation lyrique moderne que la langue française, si claire,
si souple, si pittoresque, avec la chute si harmonieuse de ses voyelles
muettes. Pour ma part, je maintiens la supériorité de la langue française.
Mais la question n'est pas là. L'Italie ne fournit plus ni opéras nouveaux,
ni chanteurs distingués, et toute l'éloquence de M. Maurel n'empêchera pas
qu'il soit devenu absolument ridicule, dans les capitales étrangères ou l'ita-
lien est beaucoup moins parlé que le français, qu'on continue à faire
baragouiner en italien, par des troupes aussi peu italiennes que possible,
des opéras qu'on aurait tout intérêt à entendre dans leur idiome original.
Et, loin de railler le groupe de chanteurs qui ont mis le service de leur
talent à l'appui de cette évolution artistique, il convient de leur savoir
gré de leurs efforts consciencieux pour assurer à chaque oeuvre une
exécution aussi conforme que possible aux conditions de son origine.
A. G. N.
— Comme on le pense bien, nous aurons pendant quelque temps l'ac-
casion d'entendre parler du Falstaff de Verdi. Il va sans dire que les jour-
naux italiens sont déjà remplis journellement de réflexions et de détails
à ce sujet. Tout d'abord, ils commencent par rappeler les quelques Falstaff
qu'a déjà produits la scène lyrique en divers pays ; 1° Falstaff, opéra en
deux actes, de Sulieri, donné à Vienne en 1798 ; 2° Falsia/f, opéra de Ritter,
représenté vers la même époque à Manheim ; 3° Falstaff, opéra de Balfe,
joué à Londres en 1838 ; 1° les Joyeuses Commères de Windsor, opéra bouffe
d'Otto Kicolaï, donné à Berlin en 1849, traduit en anglais et joué à Londres
en 1864 sous le titre de Falstaff, puis traduit en français et représenté
sans aucun succès à notre Théâtre-Lyrique en 1866 ; 5° Falstaff, opéra-
comique en un acte d'Adolphe Adam, qui servit, en 1856, aux débuts
d'Hermann-Léon sur ce même Théâtre-Lyrique. Ajoutons que Falstaff est
l'un des principaux personnages d'un des meilleurs et des plus heureux
ouvrages de M. Ambroise Thomas, le Songe d'une nuit d'été. — Un de nos
confrères italiens, sans doute particulièrement informé, assure que le livret
du Falstaff àe M. Boito contient 1,360 vers. Sur quoi le Troratore, toujours
railleur, s'écrie : « Mais s'il n'y en avait que 1,299, ou s'il s'en trouvait
1,301, quel malheur! quel horrible malheur! » — Un autre croit pouvoir
affirmer déjà que l'opéra de Verdi sera représenté à la Scala de Milan,
qu'il fera son apparition dans la saison de 1891-92, que le personnage de
Falstaff sera un baryton, et que l'artiste déjà choisi pour remplir ce
rôle sera notre compatriote Victor Maurel. — Voici qui est plus sérieux
que tous ces racontars. C'est une lettre que Verdi lui-même a adressée au
marquis Monaldi, en réponse à une demande de celui-ci concernant le
genre de son nouvelouvrage:
Gênes, 3 décembre 1890.
Cher monsieur Monaldi,
Que puis-je vous dire ? Il y a quarante ans que j'ai le désir d'ecrire un opéra-
comique, et il y a cinquante ans que je connais (es Joyeuses Commères de Windsor.
Pourtant... les habituels mais, que l'on rencontre partout, s'opposaient toujours
à ce que je pusse accomplir mon désir. Boito a maintenant vaincu tous les mais,
il a fait une comédie lyrique qui ne ressemble à aucune autre. Je m'amuse à en
faire la musique, sans projets d'aucune sorte, et je ne sais même pas si je la
finirai... Je le répète, je m'amuse... Falstaff est un triste, qui admet toutes sortes
de mauvaises actions, mais sous une forme divertissante. C'est un type. Les lypes
sont si divers!
L'opéra est complètement comique. Amen !
Croyez-moi toujours,
Votre bien dévoué,
G. Vehdi.
On remarquera que Verdi ne se sert point de l'expression « opéra bouffe, »
qui est si manifestement italienne, mais qu'il dit expressément « opéra-
comique, » et même « comédie lyrique, » ce qui rentre dans le genre
essentiellement français. Or, c'est dans un temps où certains esprits exclu-
sifs font ouvertement chez nous, par amour des doctrines wagnériennes,
tous leurs efforts pour tuer l'opéra-comique, que le plus grand des mu-
siciens italiens se prend précisément à cette forme très française de l'art
lyrique et prétend lui donner droit de cité dans son pays. Ce n'est pas
nous qui le regretterons.
— Voici une autre lettre de Verdi. Celle-ci est adressée à l'éditeur d'un
livre récemment publié sous ce titre : les Hommes illustres, qui lui avait
envoyé un exemplaire de cet ouviage :
Sant'Agata, 12 novembre 1890.
Distingué Monsieur Alipraudi,
Je reçois le beau livre que vous avez bien voulu gracieusement m'envoyer.
Je me sens un peu embarrassé et confus pour répondre à une telle courtoisie,
car en voyant de quelle façon mon nom est cité dans ces pages, il y aurait sans
doute quelque affectation à dire que je ne mérite pas ces louanges, et en agis-
sant ainsi j'accuserais l'auteur et l'éditeur de n'avoir pas dit et imprimé la vé-
rité.
Mais si pourtant ces phrases sont justes en quelque partie, j'en remercie vive-
ment l'auteur, qui les a écrites, et l'éditeur, qui les a imprimées en une aussi
splendide édition.
Je me dis, avec respect et estime,
Voire bien dévoué,
G. Verdi.
— Petites nouvelles d'Italie. — Au théâtre Rossini de Rome, on a fait
un très grand succès à une nouvelle opérette, doot le titre au moins ne
laisse pas que d'avoir son importance : un Carnoeale romano ai tempi del
marehese del Grillo. L'auteur du livret, M. Berardi, a été, chose rare, rap-
pelé plusieurs fois ; la musique, qui est *< neuve, sympathique, piquante »,
est l'œuvre du maestro ZuccaniJ et plusieurs morceaux ont été bissés. —
Au théâtre Ristori de Turin, on a applaudi un croquis (bozzetto) musical,
Sjbina, paroles de M. Alfredo Armo, musique de M. Lace. — On a décidé,
à Rome, la construction d'un nouveau politeama, qui sera situé dans le
quartier Villa Ludovisi et dont on espère faire l'ouverture pour la pro-
chaine saison de printemps. — Le Comité de la grande Exposition nationale
de Palerme a chargé le jeune maestro Mascagni, le triomphateur du jour
de par sa Cavallaria rusticana, d'écrire la musique de l'Hymne inaugural de
cette exposition.
— Les 7, 8 et 9 décembre, ont eu lieu à Turin, dans l'église de San
Filippo, l'exécution de trois œuvres extrêmement importantes : la Messe
du pape Marcel, de Palestrina, la Messe du Sacre, de Cherubini, et la Messe
en sol de Mozart.
— A l'Opéra royal de Berlin, on a commencé les répétitions d'un grand
opéra nouveau en quatre actes, Hiarne, paroles de MM. Hans de Bronsart
et Frédéric Bodenstedt, musique de Mme Ingeburge de Bronsart, femme
de l'intendant du théâtre grand-ducal de Weimar. Mm0 de Bronsart s'est
fait connaître déjà par un opéra intitulé die Gôltin ton Sais, exécuté en
1867 au palais du prince Frédéric-Guillaume, père de l'empereur d'Alle-
magne actuel, et par la musique qu'elle a écrite pour la célèbre petite
pièce de Goethe : Jery und Bœtely, qui fut représentée sous cette forme, à
Weimar, en .1873.
— Mmo Pauline Lucca, nous l'avons dit, est sur le point de se retirer de
la scène, après une série de succès à Francfort et à Munich. Mmc Lucca
n'est cependant pas encore tout à fait la doyenne des chanteuses. On la
croit née en avril 1841, et elle était certainement une des plus jeunes
choristes de la Karls-Kirche, en 1836. Elle tint ensuite un emploi modeste
dans les chœurs de l'Opéra de Vienne avant ses débuts réguliers dans
Hernani, en 1839, et à Londres, en 1863. Comme Mm0 Patti, Mmc Lucca a
construit un charmant théâtre particulier à sa maison de campagne du
lac deTraun. Mais la prima donna autrichienne utilise cette scène exclu-
sivement à l'instruction de ses élèves, à qui elle se propose de consacrer
toute son énergie après sa retraite.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. — Breslau : Le théâtre municipal
vient d'offrir à son public Philémon et Baucis, de M. Gounod, qui a reçu un
accueil très favorable. — Brunswick : En remplacement de M. von Rudolli,
décédé, le comte de Wangenheim vient d'être nommé intendant général
de la scène ducale. La Loreley du compositeur Sommer va être représentée
sur ce théâtre à la fin de la présente saison. — Dresde : L'opéra-comique
de M. Ritter, Jean le paresseux, devait être représenté pour la première
fois le 23 novembre au théâtre de la Cour, mais au dernier moment le
compositeur a retiré son autorisation, sous prétexte qu'il n'a pu assister
aux répétitions. L'ouvrage a été définitivement écarté. — Hanovre: M.Max
Gabriel, chef d'orchestre au Residenz-theater, vient de faire représenter
une opérette de sa composition intitulée le Courtier en mariages. Succès
assez vif. — Leipzig : On prépare les reprises suivantes au théâtre muni-
cipal : Hans Sachs, de Lortzing, la Chasse, de Hiller, la Serva padrona, de
Pergolése, l'Étoile du Nord, le Vampire, de Maronner, et le Chasseur de rats de
liameln, de Nessler. — Vienne: La Manon de M. Massonetvientd'ètre produite
à l'Opéra avec une excellente interprétation, à la tète de laquelle étaient
Mllc Renard et M. Van Dyck. Le succès de la partition parait avoir été
assez indécis. — Au théâtre An der Wien, succès complet pour une
opérette fantaisiste en trois actes et un prologue, intitulée la Femme du
Diable (d'après Meilhac et Mortier), musique d'A. Millier.
— Rubinstein aurait, dit-on, l'intention de quitter dans quelque temps
Saint-Pétersbourg, et de remettre en d'autres mains la direction du Con-
servatoire. L'illustre compositeur se serait plaint des obstacles qu'il
rencontre à chaque pas dans la réalisation des réformes qu'il propose, et
de l'animosité qne lui témoignent certaines coteries musicales et une
partie de la presse. Cette décision est très vivement commentée en Russie;
on ne doule point que Rubinstein, s'il prenait cette grave résolution, ne
vienne habiter Paris.
LE MENESTREL
399
PARIS ET DEPARTEMENTS
À l'Opéra, aujourd'hui dimanche, Ascanio en représentation à prix réduits.
— A l'Opéra-Comique, on va s'occuper activement des études A'Enguer-
rande, l'Opéra de MM. Emile Bergerat et Victor Wilder, musique de M. Cha-
puis. C'est pour le rôle d'Enguerrande, écrit dans la tessiture de mezzo-
soprano, que la direction a songé à Mlln Richard. — Au même théâtre, on
annonce la réception d'un drame lyrique en quatre actes, le Prétendant,
de MM. A. Silvestre et Gandrey, musique de M. J. Urich.
— De l'Événement : On annonce que le Théâtre-Lyrique va prochaine-
ment rouvrir ses portes sous la direction d'un de nos grands éditeurs.
Samson et Dalila serait donné comme spectacle de réouverture avec M",c Elena
Sanz dans le rôle de Dalila. Bien, mais après?
— Concert du Châtelet. — M. Colonne, dont l'orchestre réalise tous les
jours d'étonnants progrès, nous a donné une interprétation remarquable
de deux œuvres classiques, justement célèbres, la symphonie en sol ma-
jeur d'Haydn et l'adagio du Septuor de Beethoven. Qu'il me permette deux
observations discrètes à propos de ces deux œuvres : il ne faudrait pas
qu'une partie du public qui assiste depuis longues années aux concerts
de l'Association artistique, se figurât qu'il n'y a qu'une symphonie d'Haydn,
celle en sol, et qu'il ne sût pas qu'il y en avait vingt autres aussi belles,
ne fût-ce que la symphonie en ré mineur (une merveille); il y a aussi,
(je l'ai dit plus d'une fois) un certain octuor de Schubert, qui serait d'un
effet bien grand avec le doublement des instruments à cordes. — On a ac-
cueilli avec une certaine froideur la première Suite de M. Pierné, suite
qui abonde en recherches ingénieuses. M. Pierné oublie parfois que la
trame même du thème orchestral doit se trouver dans les instruments à
cordes ; il imagine sans cesse des couleurs de timbre empruntées presque
toujours aux autres familles d'instruments. A force de mettre des effets
partout, on risque parfois de n'en mettre nulle part, et quand on se pré-
occupe des couleurs à mettre sans avoir une toile de fond pour les
appliquer, il est difficile de faire un tableau, ce qui ne nous empêche
pas de reconnaître les incontestables qualités artistiques de M. Pierné. —
MM. Diémer et Risler ont dit avec une précision et une sûreté de style
incomparables les Variations à deux pianos de Schumann et l'étonnant
Sclierzo de M. Saint-Saëns, ils ont été, à très juste titre, très applaudis.
— Si le regretté César Franck eût vécu, il eût été ravi de l'admirable
exécution de sa dernière œuvre, Psyché. César Franck était un musicien
absolument sincère ; il ne doutait pas que sa conception de la musique
ne fût la vraie. Il y a, dans Psyclié, une entente prodigieuse de l'orchestre,
il y a des chœurs dans la coulisse traités avec un art extraordinaire, mais
il existe et il existera longtemps des esprits fermés à la conception de la
mélodie continue ; il parait qu'il y a en elle des mystères profonds, des ar-
canes merveilleux, qu'il faut une intelligence tout à fait supérieure pour
approfondir et comprendre. Je suis au nombre des esprits médiocres que
la grâce n'a pas encore absolument touchés, et je me suis beaucoup plu
à l'audition du ballet à'Hérodiade, qui m'a semblé très mélodieux, très
chantant, et qui est fait pour complaire aux esprits de second ordre.
H. Barredette.
— Concerts Lamoureux. — La symphonie en si bémol de Schumann peut
être considérée comme le type le plus exquis de grâce et d'élégance que
l'on ait créé depuis Haydn et Mozart. Les phrases mélodiques s'y succèdent
sans discontinuer, se transforment, s'effacent et renaissent avec une admi-
rable aisance. Le style ne vise ni à l'ampleur, ni à la passion; il a suffi
au compositeur d'égrener sa guirlande mélodique comme une pluie de
fleurs, sans autre ambition que de charmer délicieusement. Tous les dé-
tails de l'œuvre, qui ne dédaigne pas quelques excursions dans le domaine
de la pure virtuosité, ont été rendus avec une netteté parfaite, — Les frag-
ments de Roméo et Juliette de Berlioz, comprenant le bal chez Capulet, la
scène d'amour et le scherzo ont été exécutés avec une correction qui n'eût
pas été peut-être l'idéal de Berlioz, mais qui a l'avantage de révéler des
beautés de détails qu'une exécution plus fougueuse et plus passionnée
laisserait nécessairement dans l'ombre. Le scherzo, rendu avec une net-
teté presque mécanique, présente chacune de ses parties avec un relief si
frappant que l'on serait disposé à en comparer l'ossature orchestrale aux
ressorts d'une machine compliquée se rapprochant et s'éloignant tour à
tour sans qu'il en résulte jamais la moindre confusion. — M"e Landi a
chanté la Rêverie de M. Saint-Saëns : Puisqu'ici-bas toute âme... et la méljdie
de M. Massenet: Si tu veux, mignonne,... en artiste qui sait tirer parti
d'un organe dont les notes ont, surtout dans le grave, une certaine am-
pleur et un timbre séduisant qui fait naître immédiatement un courant
sympathique. M"0 Landi a eu dans la Rêverie des oppositions de nuances
d"un effet ravissant; elle a su d'ailleurs conserver à ce morceau le carac-
tère de passion tempérée qui domine dans les vers de Victor Hugo, et que
M. Saint-Saëns a voulu respecter; dans la mélodie, elle a mis dans sa
manière de dire plus de coquetterie, même quelque chose de mièvre, d'af-
fecté, qui convient bien à la musique superlativement féminine de M. Mas-
senet. — Le concert, qui avait commencé par l'introduction du 3° acte de
Lohengrin, s'est terminé par le prélude de Tristan et Iseult et par l'ouverture
du FreUcliiilz . Amédée Boutarel.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Société des concerts du Conservatoire, réouverture de la saison : symphonie en
si bémol (Beethoven); scène du Faust de Gœthe (R. Schumann), chantée par
M"" Eames, Michart, MM. de la Tour, Soulacroix et Auguez; andante et scherzo
de la première symphonie (G. Bizet) ; air de la Création (Haydn), chanlé par
M'1" Eames ; ouverture i'Obéron (Weber). Le concert sera dirigé par M. J. Garcin.
Châtelet, concert Colonne : Symphonie héroïque (Beethoven); air de lal'.réalion
(Haydn), chanté par M"0 Jeanne Leclercq ; première audition de Scène au camp
(Paul Lacombe); fragmenta SBérodiade (Massenet); Suite algérienne (Saint-Saëns);
air de la Flûte enchantée (Mozart), chanté par M"" Jeanne Leclercq; introduction
du troisième acte de Lohengrin (R. Wagner).
Cirque des Champs-Elysée», concert Lamoureux : ouverture de Sakountala
(Goldmark); symphonie en si bémol (Schumann); Siegfried-Idyll (R. Wagner);
Symphonie fantastique (H. Berlioz); chevauchée de la Yalkijrie (R. Wagner).
— Dans l'Obstacle, la nouvelle pièce de M. Alphonse Daudet, il y a une
partie musicale que M. Victor Koning vient de confier â un tout jeune
musicien, M. Reynaldo Hahn. M. Hahn est un des élèves de la classe de
M. Massenet au Conservatoire ; il a à peine seize ans, et il a déjà com-
posé des mélodies remarquées.
— Georges Bizet, sa vie et ses œuvres, tel est le titre d'une élégante et
substantielle brochure que M. Camille Bellaigue vient de publier à la
librairie Delagrave, et qui ne tire pas seulement son intérêt des circons-
tances qui remettent vivement en lumière en ce moment le nom de l'au-
teur si regretté de l'Artésienne et de Carmen. La notice de M. Bellaigue est
un hommage éclatant, et vraiment digne de lui, rendu au grand artiste
que la mort a ravi si prématurément et si douloureusement à l'art et à
son pays, que son génie était appelé à illustrer. Elle sera lue non seu-
lement avec plaisir, mais avec un vif intérêt, sa forme pleine d'élégance
s'alliant à un fonds solide. Elle sera un régal à la fois pour les lettrés et
pour les musiciens. A. P.
— Dans une de ses récentes chroniques du National, notre collaborateur
et ami Arthur Pougin mettait en avant l'idée de la célébration du cente-
. naire de la Marseillaise. Depuis lors, un de nos confrères, dans une chro-
nique de l'Événement, s'emparant de cette idée, croyait devoir préciser et
annonçait que cette fête devait avoir lieu le 24 avril prochain. Il y a là
certainement une erreur. M. Arthur Pougin rappelait fort justement, dans
son article, que c'est à Strasbourg, pendant la nuit du 23 au 24 avril 1792,
que Rouget de Lisle, en un élan de fièvre et d'enthousiasme, avait enfanté
le chant héroïque qui depuis lors a fait le tour de l'Europe à la tète de
nos armées victorieuses. Ce n'est donc qu'en 1892, et non en 1891, qu'on
pourra fêter comme il convient le centenaire du plus bel hymne national
que le monde ait jamais connu.
— Mercredi dernier a eu lieu l'inauguration solennelle des nouvelles
grandes orgues de Saint-Séverin. L'exécution musicale, sous la direction
de M. E. Le Maître, a été tout à fait excellente. MM. Dallier, Vergnet,
Caron, Brun, Loeb, Franck, Garrigue, etc., prêtaient le concours de leur
talent à cette belle cérémonie. Le succès de lajournée a été pour M. Caron,
qui a dit en remarquable chanteur l'Hymne aux astres, de M. Faure.
— Il y aura cette année, comme les précédentes, les quatre bals régle-
mentaires de l'Opéra. En voici les dates : Le premier aura lieu le 10 jan-
vier, le deuxième le 24, le troisième le 7 février et le dernier le S mars.
De nombreuses attractions rendront ces fêtes dansantes plus brillantes que
jamais.
— La séance publique de la Société philotechnique (fondée en 1796) aura
lieu aujourd'hui dimanche dans la salle d'horticulture, avec le gracieux-
concours de Mmo Roger-Miclos, de Mllc Hélène Rizzio, de MM. Hasselmans,
de Vroye, Engel etCasella.
— Encore une tentative de décentralisation. Mardi prochain, 16 décem-
bre, aura lieu au Théâtre des Arts, de Rouen, la première représentation
d'un ouvrage inédit, Gyptis, légende lyrique en deux actes, paroles de
MM. Maurice Boniface et Edouard Bodin, musique de M. Noël Desjoyeaux.
— Le cercle des Beaux-Arts, de Nantes, dont les concerts sont si cé-
lèbres dans cette ville depuis cinquante ans, a commencé la série de ses
fêtes par une soirée dans laquelle on a entendu M. Soulacroix, l'excellent
baryton de l'Opéra-Comique, Mnlc Molé-Truffier, sa , digne partenaire de
la Basoche, et Mlk Juliette Dantin, la jeune violoniste que tout Paris con-
naît. Le clou de la soirée a été la représentation, dans un charmant
décor, d'un petit opéra, Pierrot puni, de M. Henri Cieutat, dont la musique
est finement spirituelle et qui a été l'occasion d'un très grand succès pour
les interprètes et pour l'auteur.
— Très joli succès à Moulins pour MUe Lucie d'Alvar, de l'Opéra, et le
violoniste Emile Lévêque, dans un concert donné par la Loge moulinoise,
Henri Heugel, directeur-gérant.
— M. Wittmann, chef d'orchestre de l'Hippodrome, a l'honneur de prévenir
MM. les artistes musiciens et choristes qui désireraient faire partie de l'orches-
tre symphonique et des chœurs de l'Hippodrome pour la saison 1891, de se faire
inscrire, soit par lettre, soit en se présentant au siège de l'administration, 5, ave-
nue de l'Aima, de 2 à 4 heures.
Les auditions commenceront à partir du 18 courant.
— Un concours pour une place de flûtiste et une place decontrebassiste,
vacantes à l'orchestre de l'Opéra, aura lieu prochainement. S'adresser, pour
l'inscription, de 4 à b heures, à M. Colleuillo.
400
LE MÉNESTREL
Cinquante-septième année de publication
PRIMES 1891 du MÉNESTREL
JOURNAL DE MUSIQUE FONDÉ LE 1er DÉCEMBRE 1833
Paraissant tous les dimanches en huit pages de texte, donnant les comptes rendus et nouvelles des Théâtres et Concerts, des Notices biographiques et Études sur
les grands compositeurs et leurs œuvres, des séries d'articles spéciaux sur l'enseignement du Chant et du Piano par nos premiers professeurs,
des correspondances étrangères, des chroniques et articles de fantaisie, etc.,
publiant en dehors du texte, chaque dimanche, un morceau de choix (inédit) pour le cn.ivr ou pour le l»ll\o, de moyenne difficulté, et offrant
à ses abonnés, chaque année, de beaux recueils-primes CHAMT et PIANO.
PIANO
Tout abonné à la musique de Piano a droit gratuitement à l'un des volumes in-8° suivants :
A, THOMAS
LA TEMPÊTE
BALLET EN 3 ACTES
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ET PIECES DIVERSES (ii »•'
MMICil ï 111 11(1 foi-l
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LES PETITS DANSEURS
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premier volume (25 n°s)
ou à l'un des volumes in-8° des CLASSIQTJES-MARMONTEL : MOZART, HATDN, BEETHOVEN, HUMMEL, CLEMENTI, CHOPIN , ou à l'un des
recueils du PIANISTE-LECTEUR, reproduction des manuscrits autographes des principaux pianistes-compositeurs, ou à l'un des volumes précédents du répertoire
de STRAUSS, GTJNG'L, FAHRBACH, STROBL, et KAULICH, de Vienne.
CHANT
Tout abonné à la musique de Chant a droit à l'une des primes suivantes :
J. FAURE
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et nouveau recueil in-8°.
J TIERSOT
MÉLODIES POPULAIRES
DES PROVINCES DE FRANCE
Un recueil in-8" (20 n°
VICTOR ROGER
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CHANSONS DU CHAT NOIR
VOLUME ILLUSTRÉ
par H. GERBAULT
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REPRÉSENTANT, CHACUNE, LES PRIMES DE PIANO ET DE CHANT RÉUNIES, POUR LES SEULS ABONNÉS A L'ABOIEMENT COMPLET :
TRADUCTION FRANÇAISE —H_ ma IHMBw satann HB t>M ^M^ RÉCITATIFS à RÉDUCTION PIANO
DE
G. ANTHBUNIS
Partition chant et piano.
F. A. GEVABRT
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Opéra en 3 actes de
BEETHOVEN
Seule édition conforme auac prochaines représentation» de l'Opéra de Paris
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Grand Opéra en trois actes
Édition avec double texte français et italien
NOUVEAUX RÉCITATIFS
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Grand Opéra en cinq actes
Nouvelle édition avec double texte français et italien
VERSION POUR TÉNOR
NOTA IMPORTANT. — Ces primes sont délivrées gratuitement ilans nos bureaux, ii bis, rue Vlvieune, à partir «In 1" Janvier 1891, a tout ancien
on nouvel abonne, sur la présentation de la quittance d'abonnement au MKAKSTRËL pour l'année 1891. «Joindre au prix d'abonnement un
supplément il'l:\ ou de DEUX francs pour l'envoi franco de In prime simple ou double dnns les départements. (Pour l'Etranger, l'envoi franco
des primes se règle selon les frais de Poste.)
LesabomiesauChanlpeuvcntprendre la prime Piano et vice versa. - Ceux au Piano et au Chanl réunis onl seuls droit à la grande Prime. - Les abonnés au texte seul n'ont droit à aucune prime.
CHANT CONDITIONS D'ABONNEAE.U AU « MÉNESTREL » PIANO
1" Mode d'abonnement : Journal-Texte, tous les dimanches ; 26 morceaux de ck\nt :
Scènes, Mélodies, Romances, paraissant de quinzaine en quinzaine; 1 Recueil-
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs ; Étranger, Frais de poste en sus.
2° Moded'abonnement : Journal-Texte, tous les dimanches ; 26 morceaux de piano :
Fantaisies, Transcriptions, Danses, de quinzaine en quinzaine; 1 Recueil-
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs; Étranger : Frais de poste en sus.
CHANT ET PIANO REUNIS
3* Mode d'abonnement contenant le Texte complet, 52 morceaux de chant et de piano, les 2 Recueils-Primes ou une Grande Prime. — Un an : 30 francs, Paris
et Province; Étranger: Poste en sus. — On souscrit le 10r de chaque mois. — Les 52 numéros de chaque année forment collection.
h°..Mode. Texte seul, sans droit aux primes,, un an : 10 francs.
Adresser franco un non sur la poste à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, '2 bis, rue Vivienne.
-MI-IUMLIUK < l M
; FEB. — MrHlBIEalE I
3H6 - 56me ANNEE - «° 51. PARAIT TOUS LES DIMANCHES Dimanehe 21 Décembre im
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
/dresser fhanco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, -20 fr., Paris et Province,
nt complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sua.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Notes d'un librettiste: Victor Massé (32" article), Louis Gallet. — II. Semaine
théâtrale: premières représentations des Douze Femmes de Japhet, à la Renaissance
et de la Fée aux Chèvres, à la Gaîté, H. Mokeno. — III. Une famille d'artistes:
Les Saint-Aubin (2" article), Arthur Pougin. — IV. Revue des Grands Concerts.
— V. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
NOËL BRETON
de Henry Ghïs. — Suivra immédiatement : Clair de Lune, de Théodore
Dubois.
CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de chant: Les Petits Chasseurs, n° 25 de la Chanson des Joujoux, poésies de
Jules Jouy, musique de Claudius Blanc et Léopol» Dauphin. — Suivra im-
médiatement : les Volants, n° 15 de la même collection.
NOS PRIMES POUR L'ANNÉE 1891
VOIR a la huitième page
NOTES D'UN LIBRETTISTE
VIGTOtt MASSE
Pour les Parisieos d'avant 1870, aimant et fréquentant le
monde musical, la cour, ou plutôt le petit jardin de la direc-
tion de l'Opéra, a été un coin particulièrement charmant et
vivant.
A gauche, l'escalier obscur, mais égayé de rires, montant
aux loges des artistes, le couloir d'hypogée où les anciennes
et les nouvelles de l'école de la danse passaient et repas-
saient dans un continuel va-et-vient; à droite, l'administra-
tion, façade sévère de vieil hôtel, et, entre les deux bâti-
ments, la vaste cour ombragée de grands arbres, avec son
bassin entouré de gazon et de massifs, autour desquels, chaque
après-midi, auteurs, musiciens, journalistes, danseuses, artistes
du chant, se rencontraient, caquetaient, commentant la nou-
velle, redisant le mot, l'anecdote du jour.
Par les tièdes journées, c'était un agréable lieu d'attente
et de flânerie; on s'attardait volontiers dans ce coin familier
tout aimable et gai, exquisement parisien.
A l'entrée de l'administration, on trouvait Louis, au profil
césarion, à la tenue correcte, gardien plein de fermeté et de
tact de ce sanctuaire, l'immuable Louis, encore aujourd'hui
ferme à son poste, regardant passer avec une sérénité philo-
sophique les directeurs que la destinée amène et remporte.
On se nommait, on prononçait le nom de M. Emile Perrin
et, si on était attendu, avec un sourire discret Louis ouvrait
la porte du grand cabinet directorial. Vaste pièce, longue,
ajourée aux deux bouts, avec une table dans l'embrasure de
la fenêtre sur la cour et, au fond, sous la lumière de l'autre
fenêtre, le grand bureau encombré de papiers, de dessins, et
flanqué d'autres tables également chargées de documents de
toute espèce; — vieux meubles d'acajou aux cuivres cise-
lés, belle pendule avec une fine peinture; çà et là, sur les
lambris, des tableaux, des dessins, notamment une toile
signée de l'occupant lui-même, qui avait été peintre au
début de sa carrière.
Physionomie froide, un peu déconcertante d'abord, que celle
de ce Parisien de fine race, œil à demi voilé, regardant de
haut, lèvre railleuse et pourtant, dans le sourire, l'expression
furtive d'une indulgente bonté, faite pour rassurer bien vite
le visiteur, et même l'enhardir jusqu'à une certaine fami-
liarité.
Car l'homme enfin parlait, et après quelques phrases lentes,
oubliant peut-être une attitude décommande, peut-être aussi
s'abandonnaut à la pente naturelle de son esprit, il abondait
en saillies humoristiques, et parfois un rire sonore éclatait
sur ce masque de glace.
*
* *
On a conté bien des fables, à propos de ce concours qui
me mettait en présence de ce haut personnage, devenu sou-
dainement pour nous une sorte de demi-dieu.
La vérité toute simple est que lorsque le ministère eut
l'idée, en 1867, d'exposer de la poésie et de la musique,
comme on exposait de la peinture et des produits manufac-
turés, nous n'avions, Edouard Blau et moi, aucunement l'idée
de prendre part à ce concours, sur lequel couraient d'ailleurs
les bruits les plus décourageants.
On affirmait que le prix était donné d'avance à un poète
ami de la direction de l'Opéra; nonobstant ce racontar mal-
veillant, que l'événement devait démentir, nous avions, pris
au dernier moment d'une soudaine ardeur, passé toute une
nuit à convertir en grand opéra cette Coupe du roi de Thulé qui
n'avait existé jusqu'alors qu'à l'état de simple opéra-comique.
Le manuscrit original, tout raturé, avait été envoyé au minis-
tère, et nous avions attendu, sans jmpatience, un jugement
dont nous n'espérions rien de bon.
Nous avions emprunté à Musset l'épigraphe de cette œuvre
légère:
402
LE MENESTREL
Que l'on fasse après tout un enfant blond ou brun,
Pulmonique ou bossu, borgne ou paralytique,
C'est déjà très joli que d'en avoir fait un
Et le mien a pour lui qu'il n'est pas historique.
Le rapport officiel se dispensa de citer ce quatrain, tandis
qu'il donnait au contraire tout au long les épigraphes géné-
ralement latines des poèmes mentionnés. L'Empire, comme
on sait, était très pudibond.
C'avait été pour nous une délicieuse surprise, lorsque le
directeur général des théâtres, M. Camille Doucet, nous avait
fait appeler pour nous annoncer notre victoire. Ohl dans
quelle atmosphère lumineuse nous marchâmes pendant une
semaine ! Ayant eu la naïveté, l'originalité de ne nous faire
recommander par personne, tandis que le nom des autres
concurrents était connu de tous, nous étions célébrés comme
des phénomènes. On nous trouvait plus vrais que nature.
— J'ai lu vos vers avec un soia ! disait l'un — Perrin a
lu votre poème comme un ange, affirmait l'autre.
Qui est-ce qui avait lu, en réalité? — Nous n'en savions
rien; mais cela nous était bien égal ; nous étions ravis,
nous sortions de l'ombre!
— Voulez-vous que je vous donne un sujet? me proposait
un de nos juges : je vous le donne; je ne fais plus que de
la critique, moi: C'est Carmen; il y a là un opéra dans le
genre de Fra Diavolo, avec un-rôle d'Anglais. Songez-y!
Et dire que nous aurions pu faire cette Carmen, sans pré-
voir l'autre' Et que peut-être, malgré nos tendances, il y
aurait eu, par déférence pour notre conseiller, un rôle
d'Anglais comme àa.ns Fra Diavolo ! Et que peut-être enfla
Bizet en aurait composé la musique ! Ah ! comme tout le
monde y aurait perdu, et lui le premier!
C'est en sortant du cabinet de M. Camille Doucet, tout
saturé de paroles aimables, que j'entrai dans celui d'Emile
Perrin.
Après les premiers compliments échangés, il me dit pres-
que brusquement:
— Pourquoi ne m'avez-vous pas apporté votre poème au
lieu de le présenter au concours? J'en aurais fait composer
la musique par Gounod.
— Ah! monsieur, osai-je répondre à cette communication
flatteuse, mais qui, un instant, m'avait rempli d'une vague
inquiétude, car, suivant la morale du fabuliste, « Un bon tiens
vaut mieux que deux tu l'auras », Ah! monsieur, il est si dif-
ficile à des nouveaux comme nous de forcer même les portes
d'un petit théâtre! Comment voulez-vous qu'ils aient songé à
aborder l'Opéra? Nous ne vous avons pas apporté notre poème,
parce qu§ vous ne l'auriez pas lu.
Perrin demeura un instant silencieux, puis, regardant va-
guement quelque part, il ébauchaun sourire et dit doucement :
— C'est bien possible !
L'aveu était de bonne foi. Il m'en rappelle un autre qui.
plus tard, me frappa et contribua à développer mon instruc-
tion au sujet des mœurs théâtrales.
J'entretenais un jour Larochelle, directeur de la Gaité, d'un
drame dont, étant directeur de la Porte-Saint-Martin, il n'avait
pas voulu même entendre parler et qu'alors, l'ayant lu, il se
montrait disposé à représenter.
El comme je m'étonnais de ces dispositions si contradictoires:
— A la Porte-Saint-Marlin, m'expliqua t-il tranquillement,
nous ne voulions pas faire de nouveaux auteurs!
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
La semaine était aux folichonneries.
C'en est une tout à fait extraordinaire que ces Douze Femmes de
Japhet qu'on vient de nous présenter au théâtre de la Renaissance.
Cela nous rappelle ces bonnes folies de carnaval qu'on donnait au-
trefois au Palais-Royal, comme la Mariée du mardi-gras. On en
croyait le genre perdu -et les gens de belle humeur, qui aiment ces
petites débauches de gaîté, ces orgies de rire au moins une fois par
année, seront satisfaits de MM. Antony Mars et Maurice Desvallières,
deux jeunes auteurs qui n'engendrent pas la mélancolie.
Qu'est-ce que ce Japhet, si amateur des joies matrimoniales qu'il
va jusqu'à prendre douze femmes parfaitement légitimes ? Un mor-
mon naturellement, mais un mormon de circonstance. Il était venu,
sans penser à mal, se fixer en Amérique pour y chercher fortune.
Sur les bords du Lac salé, il rencontre une honorable veuve, déjà
mûre, mais tenant de son premier mari un commerce de conserves
excessivement prospère. Paf ! il épouse le fonds et la veuve, puis,
pour son agrément, il prend une femme plus jeune, les usages du
pays l'y autorisant ; il en prend une, puis deux, puis trois, et va
ainsi jusqu'à la douzaine, sans trop s'en rendre compte.
Que dirait son oncle Baliveau, de Paris, s'il apprenait tout cela,
Baliveau, qui ne compte plus les infortunes conjugales, et qui a
juré de déshériter son neveu si jamais il lui prenait la fantaisie de
se marier, attendu qu'il trouve que c'est assez d' « un » dans la fa-
mille? Mais le Lac salé est loin de Paris, et l'oncle Baliveau ignore
tout, ce qui permet à Japhet de couler des jours heureux entre ses
douze femmes, toutes plus charmantes les unes que les autres, à
l'exception de la veuve, qui regrette ses jeunes années.
Tous les ans, Japhet s'accorde des vacances de deux mois, qu'il va
passer célibatairement à Paris près de l'oncle Baliveau. En 1890, il
trouve cet oncle commissaire de police ; c'est une fantaisie de cet
original millionnaire, qui trouve ce métier adorable parce qu'il lui
procure l'occasion de constater souvent des « flagrants délits », et que
c'est toujours une satisfaction de savoir qu'on n'est pas « le seul ».
Mais quel commissariat que celui de l'oncle Baliveau ! Tout capi-
tonné du haut en bas, et meublé par le premier tapissier de Paris.
Tous les arrêtés de police y sont richement encadrés et posés sur des
chevalets, ni plus ni moins que des tableaux de Meissonier. Dans
les cellules, très confortables, on a mis des pianos pour la distraction
des prisonniers. C'est ce que l'oncle Baliveau appelle un commis-
sariat fin de siècle.
Et il va s'en passer de belles, dans ce commissariat ! Imaginez-
vous que les douze femmes de Japhet débarquent à Paris pour le
surprendre, qu'elles descendent à l'aventure dans un hôtel mal famé,
que la police les y cueille comme de vulgaires rôdeuses et les
conduit... où? naturellement chez le commissaire, oncle de leur
mari. Je renonce à vous raconter la suite d'imbroglios insensés qui
découlent de cette situation. Baliveau finit par comprendre que sou
neveu s'est marié jusqu'à douze fois, et qu'au nombre de ces douze
femmes se trouve précisément la sienne à lui, celle contre qui il a
obtenu le divorce. Horreur et malédiction ! Il chasse Japhet avec
toute sa smala.
Que fera le neveu pour reconquérir la sympathie d'un oncle aussi
irascible que millionnaire ? Il mariera à d'autres ses douze femmes. Et
c'est pourquoi le troisième acte de la pièce de MM. Mars et Desval-
lières se passe chez un agent matrimonial, l'illustre Cassoulet de
Casablanca, autrefois premier ténor à Toulouse. Après une série de
scènes fort amusantes, le pkn de Japhet réussit et le voilà céliba-
taire comme devant.
C'est fou, comme vous voyez, mais il y a bien longtemps qu'on
n'avait autant ri. Joignez à cela de la charmante musique de Victor
Roger, fine sans prétention et toujours gaie, refrains de bonne hu-
meur qui seront demain dans toutes les oreilles. Il y a surtout r.ne
série de petits chœurs pour les douze femmes de Japhet qui sont
particulièrement bien venus : le bénédicité, le finale du premier acte,
un quadrille chanté, et surtout le joli ensemble :
Nous venons de l'Amérique,
Sur un bateau transatlantique.
C'est donc tout un succès de galté, et l'interprétation, qui est con-
venable dans son ensemble, n'y a pas nui. Les douze femmes de
Japhet sont fort avenantes on leurs ravissants costumes ; le bataillon
en est mené très rondement par, M"e Alice Berlhier, à laquelle oiii
a très justement bissé les couplets du « petit douzième provisoire ».
Du côté des hommes, M. Regnard, qui a du mouvement, M. Vie-
LE iMENESTREL
403
torin, tout à fait plaisant dans le rôle de Cassoulet, M. Bellot, un
commissaire fort joyeux, Edouard Georges avec ses airs ahuris, et
enfin M. Gildès, qui a de la tenue.
Nous serions fort surpris si cette aimable folie n'avait une longue
suite de représentations.
* '*
Avec la Fée aux chèvres, que le théâtre de la Galté a représentée
jeudi dernier, nous sommes toujours dans l'opérette, mais d'un
genre plus relevé, dans l'opérette à grand spectacle avec des pré-
tentions de-ci de-là au genre de l'opéra-comique. Le compositeur,
M. Varney, y a naturellement été poussé par le choix qu'il avait fait
de sa principale interprète, Mlle Samé, cette gentille artiste qui
passa un moment sur la scène de l'opéra-comique du Châtelet, y
rît un brillant début dans le Caïd et dut ensuite aller jouer le
répertoire au théâtre de la Monnaie de Bruxelles, sans qu'on ait
jamais su pourquoi M. Paravey se privait de la mieux douée
assurément, au point de vue du théâtre, de toutes ses pension-
naires. Cela restera une des étrangetés, entre beaucoup d'autres,
de cette très bizarre direction de M. Paravey. Comme il était dans
la salle, jeudi dernier, il a pu voir quel accueil on a fait à Mllc Samé, qui,
toute jeune encore, devra assurément se corriger d'une petite exu-
bérance bien naturelle, mais qui possède un ensemble de qualités
vivantes et un tempérament d'artiste très rare à rencontrer en ce
moment. M1Ie Samé a devant elle un superbe avenir.
M. Varney, dont ce n'est pas trop l'affaire, s'est cru obligé de lui
composer quelques morceaux d'exécution, avec des traits et vocalises
coulés dans un bien vieux moule; mais elle en a tiré tout le parti
qu'il était possible et, quand son compositeur a bien voulu s'en tenir
au genre qu'il a plus l'habitude de traiter, elle s'est montrée alors
tout à fait charmante. Il y a là surtout une série de petits trios, —
les trios ont porté bonheur à M. Varney — excellemment écrits
dans la note bouffe et très joliment interprétés par Mlle Samé,
MM. Vauthier et Fugère : le trio du déjeuner, le trio militaire et
le trio des auvergnats. Tous les trois, je crois, ont été bissés. Puis
encore, une très jolie chanson à deux voix pour Mll6s Samé et Géla-
bert. En somme, la soirée a été bonne pour le musicien.
La pièce est de MM. Paul Ferrier et Albert Vanloo. La donnée
n'en est pas très fraîche, puisqu'il s'agit simplement de retrouver
un testament égaré afin de rendre toute une fortune à son posses-
seur légitime. Cela s'est vu déjà et souvent. Il y a donc en présence,
dans la Fée aux chèvres, ceux qui veulent retrouver le testament et
ceux qui veulent qu'on ne le retrouve pas. Heureusement, ce n'est là
qu'un cadre pour une série de scènes assez souvent amusantes et
qui donnent l'occasion de voir MUc Samé sous plusieurs travestisse-
ments. Car c'est elle la fée aux chèvres, qui conduit toute l'action,
comme Rose, sa proche parente, dans les Dragons de Villars.
Cette donnée, très simple d'apparence, offre aussi un pré-
texte à des décorations splendides et à une mise en scène d'infini-
ment de luxe et d'infiniment de goût tout à la fois (oneques ne vis
de ballets aussi merveilleux), qui suffira à elle seule à assurer
une longue destinée à la nouvelle féerie de la Galté, très bien
défendue par tous ses interprètes, WUs Samé et Gélabert, MM. Vau-
thier, Mesmacker, Fugère, Alexandre et Bartel.
Nous aurions voulu terminer ce bulletin de victoire en annonçant
que la grande revue du Casino de Paris a également réussi. Ce n'est
malheureusement pas le cas, malgré les charmantes femmes qu'on
compte parmi les interprètes, Mmes Grisier-Montbazon, Lardinois,
Stella et Lantelme, et malgré l'agréable musique du maestro Hervé.
Malheureusement, cette revue se traîne sans aucun esprit, pendant
trois longs actes, dans la vieille ornière de toutes les revues passées.
Pour soutenir encore de nos jours un genre aussi démodé il faut
toute la verve d'un Blum et d'un Toché, toute la fantaisie originale
d'un Monréal et d'un Blondeau. Nous n'avons malheureusement
trouvé ni l'une ni l'autre dans la revue du Casino. Pénible soirée.
H. Moreno.
P. -S. — Les Mathurins viennent de représenter avec un très grand
succès leur revue de fin d'année. Les auteurs, MM. Froyez, Oudot, Duret
et de Gorse, ont donné libre cours à leur esprit et à leur fantaisie et,
merveilleusement secondés par le crayon tour à tour humoristique et
gracieux de M. Gerbault, qui a composé des déshabillés d'un goût exquis,
ils ont gagné une bataille de plus sur cette petite scène de la rue Pigalle
qui est en train de prendre rang. La commère, c'est la jolie M110 Deval,
et il est impossible d'être plus fine et plus mignonne ; voici encore la
radieuse MUo Bonnet, du Palais-Royal, la captivante M"c Derville, la sug-
gestive M110 Savely, la belle M"° Pitter, et aussi M"08 Renaud, Préville,
Cambrai, Morlet, toutes plus séduisantes les unes que les autres. Les
membres du cercle qui leur donnaient la réplique n'étaient certes pas
gaillards à plaindre, et beaucoup auraient donné leur place dans la salle
pour, prendre, dans les Coulisses de Paris, l'une quelconque de celles occupées
par MM. Pujol, Septime, Niche, Froyez, Pollux, Oudot, Collin, Seralva,
Philinte et James.
P.-E. C.
UNE FAMILLE D'ARTISTES
LES SAINT-AUBIN
(Suite.)
II
Sœur des quatre artistes dont les états de service viennent d'être
rappelés, Jeanne-Charlotte Schrceder, qui fut plus tard Mmc Saint-
Aubin, naquit à Paris le 9 décembre 1764, l'année même où ses deux
aînées effectuaient leur début sur la scène qu'elle devait illustrer un
jour. Née d'une famille où tous étaient comédiens, il eût été bien sur-
prenant qu'elle ne devînt pas comédienne elle-même. D'ailleurs, son
père n'avait pas renoncé sans doute à sa profession, et il esta croire que
les premiers pas de la fillette se firent sur les planches d'un théâtre.
Ce qui est certain, c'est que dès son plus jeune âge elle monta sur la
scène, car un de ses biographes nous apprend qu'elle avait à peine
huit ou neuf ans lorsque, sous le nom de Frédéric (comme ses frères
et soeurs, « cette actrice inimitable parut au petit spectacle de la cour,
dirigé alors par le père de M116 Desbrosses (1) ; elle y joua, devant
Louis XV, le rôle de la fée Ninette dans l'opéra d'Acajou, de Favart,
et ce monarque applaudit les grâces enfantines de la jolie débu-
tante (2). » On raconte même que ce prince toujours ennuyé se montra
si charmé de la mignonne fillette, qu'on imagina de la lui présenter
un jour de façon différente. Pour lui faire une surprise, on eut l'idée,
lors d'un grand souper, de placer l'enfant sur la table, au milieu d'une
immense corbeille de fleurs qui la cachaient entièrement; à un signal
donné, elle devait se lever et réciter un compliment au roi; malheu
reusement, l'attente fut si longue, que la pauvrette, mollement cou-
chée, finit par s'endormir profondément; quand vint le signal, elle
était incapable de l'entendre ; il fallut la réveiller, et au lieu de dire
ses vers, elle se mit à pleurer. On dut la consoler à l'aide de nom-
breux bunbons.
A onze ans, la jeune Charlotte, placée à bonne école poury apprendre
son métier, faisait déjà partie de la troupe que la Montansier, cette
intrigante fieffée qui avait le génie du théâtre, conduisait tantôt à
Versailles, tantôt à Caen, à Tours ou à Angers. De là, et toujours sous
le nom de Mllc Frédéric, elle alla en 1778 à Bordeaux, où elle com-
mença à obtenir de grands succès, tant dans l'emploi des amoureu-
ses de la comédie que dans les paysannes ingénues d'opéra-comique
qu'on appelait alors a rôles à corset, » et dans les travestis, ce qui
prouve toute la souplesse de son talent naissant. Engagée à Lyon
après trois années de séjour à Bordeaux, elle y retrouve les mêmes
applaudissements, et c'est là qu'au mois de novembre 1782, avant
d'avoir accompli sa dix-huitième année, elle épouse l'un de ses
camarades du théâtre, l'excellent chanteur et comédien Saint-Aubin,
dont elle allait bientôt rendre le nom célèbre.
Celui-ci s'appelait réellement Augustin-Alexandre d'Herbez; mais,
selon une coutume ancienne et fréquente, il avait, en s'adonnant au
théâtre, quitté son nom véritable pour prendre un nom d'emprunt, et il
avait adopté celui de Saint-Aubin. Né à Paris en 1754, il ne s'était pas,
tout d'abord, destiné à cette carrière, et c'est vers un autre art qu'il avait
commencé par diriger ses efforts: élève de Noël Lemire, graveur fort
distingué, dont il devint plus tard le collaborateur, il avait appris sous
sa direction l'état de graveur entaille-douce, dans lequel il acquit une
réelle habileté et qu'il ne cessa jamais complètement d'exercer, même
au plus fort de son activité scénique (3). Par l'entremise de Lemire il
(1) M"" Marie Desbrosses, l'excellente artiste qui devint plus tard la camarade de
M ■* Saint- Aubin à l'Opéra-Comique, où elle fournit une carrière de cinquante-trois
ans. C'est elle qui, quatre ans avant de prendre sa retraite, créa d'une façon si déli-
cieuse le joli rôle de dame Marguerite dans fa Dame blanche.
12) Biographie universelle et portative des Contemporains.
(3) Ce qui le prouve, c'est cette mention d'une lettre de lui au libraire Duchesne,
qu'on tro uve dans un catalogue d'autographes ; cette lettre est datéede Paris, 5 ger-
minal an X: — « Il a autrefois exercé la gravure avec quelque succès; d'autres
occupations l'en ont distrait pendant nombre d'années, mais il s'y livre de nou-
veau... « J'ai coopéré aux gravures du Temple de Gnide de Montesquieu par M. Le
« mire, l'un de nos maîtres, à celle des vues de la Suisse et de l'Italie par M. Née...»
(Catalogue de lettres autographes, etc., 2" série, n° 9, novembre-décembre 1863, Paris,
Aug. Lavardet, in-8".) — Parent du géographe Meclelle, Saint-Aubin grava plu-
sie urs cartes pour l'atlas publié par ce savant, ainsi qu'un certain nombre de por-
404
LE MÉNESTREL
fut, dit-on, engagé par Lebas pour l'aider dans divers travaux que celui-
ci avait été appelé à diriger à Malines. C'est dans cette ville et pendant
ce temps qu'il aurait appris la musique pour lirer parti d'une 1res belle
voix de haute-contre qu'on l'engageait vivement à cultiver, après quoi
il se serait lancé au théâtre. Ce qu'on sait de certain, c'est qu'il
aborda très heureusement la scène à Lyon, dans le rôle d'Azor de
Zémire et Azor, et que de là il passa à Bruxelles, pour revenir
ensuite à Lyon, où il obtenait des succès très flatteurs lorsqu'en 1*781
vint y débuter Mlle Charlotte Schrceder. Les deux jeunes gens se plu-
rent, s'épousèrent, et continuèrent leur carrière en cette ville, aussi
estimés de tous pour leur conduite que pour leur talent.
Ils y étaient encore lorsqu'en 1784 M016 Saint-Huberty, profitant
d'un congé qui lui avait été accordé à l'Opéra, alla donner une série
de représentations au Grand-Théâtre de Lyon. Frappée de la belle
voix et du talent de Saint-Aubin en même temps que des disposi-
tions et de l'intelligence de sa jeune femme, elle prodigua les en-
couragements et les conseils à celle-ci, et, de retour à Paris, s'em-
pressa de faire expédier à son mari un ordre de début pour l'Opéra.
Saint-Aubin vint en effet débuter à ce théâtre, le 9 décembre 1784,
dans Atys, de Piccinni, où il se vit très favorablement accueilli, ainsi
que nous le prouve cette note du Journal de Paris : — « Le sieur Saint-
Aubin, principal acteur du théâtre de Lyon, a débuté avant-hier par
le rôle d'Atys dans l'opéra de ce nom. Sa voix franche et flexible
paroît susceptible des inflexions qu'exigent les différens rôles dont
il pourra être chargé. Son jeu, sans être consommé, a paru sage
et le résultat d'une expérience réfléchie. Le public l'a beaucoup
applaudi ; cet encouragement lui donnera sans doute la facilité de
donner à ses talens tout leur développement aux représentations
qui suivront ce premier début ».
Cependant, après cette première et heureuse épreuve, Saint-Aubin
dut retourner à Lyon pour y terminer son engagement. 11 revint
ensuite à Paris, et le 11 septembre 1783 il paraissait de nouveau à
l'Opéra, cette fois dans l'Iphigénie en Tauride de Gluck, où il jouait
le rôle de Pylade. Ce second essai ne lui fut pas moins favorable
que le premier, et le 30 de ce même mois de septembre il signait
l'engagement qui l'attachait au personnel de l'Académie royale de
musique (1). Pendant les trois années qu'il passa à ce théâtre, il
reprit un certain nombre de rôles du répertoire courant, et fit au
moins uoe création, dans un opéra de Dezèdes, Alcindor, dont le
succès d'ailleurs fut médiocre, et qui n'obtint qu'un petit nombre
de représentations (2).
Une fois en possession du mari, l'administration de l'Opéra parut
vouloir s'attacher la femme, dont la réputation grandissait chaque
jour en province. Toujours est-il que Mme Saint-Aubin ne quitta
Lyon que pour venir à son tour débuter sur notre première scène
lyrique, où elle fut engagée après s'être montrée, le 26 janvier 1786,
dans le rôle de Colinette de la Double Epreuve ou Colinette à la Cour,
opéra de Grélry. Elle joua ce rôle trois fois au milieu des plus vifs
applaudissements, ce qui ne l'empêcha pas de comprendre que la
nature de son physique, de sa voix et de son talent conviendrait
mieux à une scène moins vaste, plus intime et de proportions plus
modestes, où ses qualités trouveraient leur meilleur emploi et acquer-
raient leur complet épanouissement. Ce qui est certain, c'est qu'elle
se montrait fort désireuse de quitter l'Opéra pour la Comédie-Ita-
lienne, et que la Comédie-Italienne ne demandait pas mieux que
de l'enlever à l'Opéra. La question fut agitée de part et d'autre, et
Saint-Aubin lui-même eût volontiers suivi sa femme sur les plan-
ches plus familières de ce théâtre, où, finalement, elle devait con-
quérir son immense renommée. Ceci nous est démontré 'par deux
traits pour les éditions classiques de Renouard. Toutefois, on ne doit pas, ce qui
serait facile, étant donnée la singulière similitude des nom et prénom, confondre
notre artiste avec l'adorable graveur Augustin de Saint-Aubin, si justement célèbre
à la fin du xvm" siècle.
(1) Dans le registre manuscrit de Francœ jr, alors sous-directeur de l'Opéra,
registre qui est conservé aux Archives de ce théâtre, on trouve celte note, à la
date du 30 septembre 1785 : — L'engagement de M. Saint-Aubin fut fait de ce
jour aux appointements de 2,500 et 1,500 livres ».
(2) Au sujet de l'engagement de Saint-Aubin à l'Opéra, Castil-BIaze a bâti un
sot roman dont on peut lire les détails, comme à son ordinaire très précis et
très circonstanciés, dans son livre: L'Académie impériale de mttsique (T. I,
pp. 474-476). Selon le narrateur, M"' Saint-Huberty se serait follement éprise de
Saint-Aubin lors de son voyage à Lyon, et c'est pour assouvir sa passion qu'elle
aurait attiré le jeune époux à Pari*, à l'aide d'un ordre de début à l'Opéra; puis,
Saint-Aubin se rappelant qu'il était marié, aurait exprimé le désir de voir sa femme
auprès de lui, et c'est pour le satisfaire que, toujours par l'influence de M"" Saint-
Huberty, celle-ci aurait été appelée à son tour à Paris, comme on va le voir. 11
est à peine besoin de faire ressortir le ridicule, plus encore que l'odieux, de
cette fable absurde, que Caslil-Blaze, qui ne reculait devant aucun mensonge pour
paraître bien informé, disait tenir... de M™" Saint-Aubin en personne.
notes que, en sa qualité de secrétaire du comité de l'Opéra, le sous-
directeur Francœur inscrivait sur son registre, à une semaine de
distance. Voici le texte de la première : — « 26* avril 1786. Lettre
de Mr S'-Aubin qui demande son congé pr entrer aux Italiens.
Refusé. » La seconde est ainsi conçue : — « 3 May 47S6. Lettre de
M. S'-Aubin qui demande la retraite de sa femme. Délibéraiion du
Comité qui demande au ministre à se quelle (sic) lui soit accordée. »
(A suivre.) Arthur Pougin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Dimanche dernier, ouverture de la session à la Société des concerts
du Conservatoire, pour la soixante-quatrième année de l'existence de l'illustre
compagnie. La séance s'ouvrait par la symphonie en si bémol de Beetho-
ven, où nous avons retrouvé toutes les qualités habituelles de ce merveil-
leux orchestre, une sonorité nerveuse et vibrante, un ensemble superbe,
des nuances d'un fondu remarquable, et avec cela le feu, l'élan, la préci-
sion, on pourrait dire l'inspiration, qui font de cet orchestre le premier
de la France et du monde. Après Beethoven, Schumann. Il s'agissait cette
fois de la troisième partie de Faust, avec la traduction de M. Bussine,
dont les soii étaient confiés à MUe Eames, à Mme Michart, à MM. de Latour
et Auguez. Je ne cacherai pas mon peu d'admiration pour ce qu on peut
appeler le Schumann des grandes œuvres; autant je sympathise avec le
poète exquis des lieder et des pièces de piano, autant je l'apprécie médio-
crement lorsqu'il se met aux prises avec les grandes forces vocales et
instrumentales, et qu'il veut, comme les maîtres immortels, planer au
plus haut du ciel. Je m'explique peu l'enthousiasme de quelques-uns,
qui voient en Schumann un prétendu successeur de Beethoven et des
grands symphonistes. Peut-être ai-je tort en pensant ainsi; mais si ce
n'est une opinion, c'est au moins une impression, et je ne saurais la dis-
simuler. Toujours est-il que ces scènes de Faust m'ont laissé froid, à part
l'air du docteur Marianus, qui est d'un caractère plein d'ampleur et tout
empreint d'une mélancolie profonde, et que M. Auguez a d'ailleurs chanté,
à son habitude, de la façon la plus remarquable. Je citerai encore, pour
être en règle avec moi-même, le « quatuor des enfants bienheureux qui
accueillent l'âme de Faust, » pour quatre voix féminines, qui est d'un
joli effet et d'une heureuse couleur. — Venait ensuite l'andante et le scherzo
de la lre symphonie de Bizet. La phrase initiale de l'andante est jolie
et bien établie, mais le morceau, dans son ensemble, ne présente pas un
caractère bien déterminé; quant au scherzo, charmant, léger, coquet, élé-
gant et traité de main de maître, c'est une page adorable, qui semble à la
fois tenir d'Haydn pour la grâce mélodique et de Beethoven pour la puis-
sance des développements et la couleur instrumentale. Son succès a été
très grand. Mais pourquoi le programme (les programmes de la Société,
c'est un reproche que je ne cesserai de lui faire, sont toujours sommaires
et insuffisants), pourquoi le programme n'inscrivait-il pas cette symphonie
sous son nom, puisqu'elle en a un : Borna, sous lequel elle est connue?
Quand on joue la Symphonie de la Reine d'Haydn, ou Jupiter de Mozart, ou
la Symphonie pastorale de Beethoven, on ne s'avise pas de les indiquer par
un simple numéro d'ordre. Quoi qu'il en soit, constatons, pour terminer,
que l'air de la Création, d'Haydn, ne convient que médiocrement à la voix .
si pure et si charmante de M"0 Eames, et que la séance se fermait par
l'étincelante ouverture i'Obéron, l'un des triomphes de l'orchestre du Con-
servatoire. A. P.
— Concerts du Chàtelet. — La Symphonie héroïque est, de toutes les œuvres
de Beethoven, celle où domine le plus la note, austère et sombre. Le
scherzo, très original de rythme, parait presque lugubre malgré la vivacité
de son mouvement. Le finale seul laisse une place à l'élégance et ne
dédaigne pas quelques incursions dans le domaine de la virtuosité. Ce
finale semble se rattacher par des liens assez intimes aux œuvres de la
première manière de Beethoven. — La Scène du Camp, de M. Paul Lacombe,
n'a obtenu qu'un succès d'estime. L'œuvre a paru d'une orchestration un
peu creuse, laible au point de vue mélodique, et manquant tout à fait
d'envergure. — Trois fragments très délicats et très fins à'Hérodiade ont
été justement applaudis. — La Suite algérienne de M. Saint-Saêns, divisée
en quatre parties, renferme, sous le titre de « Bêverie du soir à Blidah »,.
une pièce d'un charme pénétrant et d'une orchestration très soignée
et très poétique. La Marche militaire française, qui forme le finale de l'ou-
vrage, est très spirituellement écrite et d'un tour humoristique assez amu-
sant. — M"c Jeanne Leclercq a chanté d'une voix juste, pure et d'un
timbre très agréable un air de la Création, d'Haydn. L'auditoir6 lui a été
immédiatement sympathique, car on a vu, dés les premières notes, qu'elle
chantait avec beaucoup de goût et de style. L'air de la Reine de la nuit de
la Flûte enchantée lui a fourni l'occasion d'aborder des difficultés d'un
caractère particulièrement délicat et dans lesquelles la virtuosité joue un
rôle prépondérant. On l'a beaucoup et très légitimement applaudie. —
L'introduction du troisième acte de Lohengrin a terminé la séance.
Amédée Boutarel.
— Concert Lamoureux. — Le poème indien de Sakountila a tenté plu-
sieurs musiciens; Schubert a laissé des fragments inédits d'une œuvre
dramatique de longue haleine sur ce sujet; l'ouverture de M. Goldmark.
LE MEiNESTREL
405
est charmante, pleine de souffle poétique, et a été fort bien exécutée.
Grand succès aussi pour la symphonie en si bémol de Schumann :
Schumann continue la lignée des grands maîtres symphonistes : Haydn,
Mozart, Beethoven, Schubert, Mendelssohn. Classique comme eux, il a
son caractère propre. On reconnaît bien dans ses symphonies quelques
traces de Mendelssohn, certaines imitations de Schubert dans l'élabora-
tion de ses allégros. Mais il est, par-dessus tout, lui-même. Chacune des
symphonies de Schumann a ses beautés individuelles. Mais, a dit un
excellent critique d'art, « en vie, en fraîcheur et en sentiment de bonheur
interne, celle en si bémol tient la tète. » Schumann avait eu la pensée de
l'intituler Symphonie du printemps ; le premier morceau devait s'appeler
« le Réveil du Printemps », et le finale « l'Adieu du Printemps. » Cette
oeuvre est intéressante si l'on considère qu'elle fut écrite au moment où,
après de longues épreuves, l'artiste obtenait la main de celle qu'il aimait.
Il n'y a pas de musicien plus personnel que Schumann, il mettait quel-
que chose de lui-même dans tout ce qu'il écrivait. — Mentionnons une
exécution de la Sirgfried-Idyll de Wagner, qui ferait un joli morceau si on
en supprimait les deux tiers. — On a donné ensuite une audition de la
Symphonie fantastique de Berlioz, moins bonne que la précédente, qui avait
été parfaite. La cloche était fausse; on l'entendait peu du reste; en re-
vanche, les trombones jouaient trop fort. Dans la Chevauchée des Wal-
kyries, l'orchestre de M. Lamoureux a fait autant de bruit qu'on pouvait
le désirer. H. Barbedette.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : symphonie en si bémol (Beethoven) ; scènes de Faust de Gœthc
(Schumann), chantées par M"c' Eames, Michart, MM. de Latour et Auguez ; an-
dante et scherzo de la première symphonie (G. Bizet); air de ta Création (Haydn),
chanté par Mllù Eames; ouverture d'Obéron (Weber). Le concert sera dirigé par
M. J. Garcin.
Chàtelet, concert Colonne : ouverture de Tannhâuser (Wagner) ; Symphonie pas-
torale (Beethoven) ; air de la Création (Haydn), chanté par M11* Jeanne Leclercq ;
Peer Gynt (Ed. Grieg) ; Caligula, musique pour le drame d'Alexandre Dumas (G.
Fauré) ; air de Chérubin des Noces de Figaro (Mozart), par M"" Jeanne Leclercq;
Suite algérienne (Saint-Saëns).
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux : ouverture d'Eslher (Coquard);
symphonie en si bémol, n° 4 (Beethoven); Marche élégiaque (Paul Lacombe) ; air
de Fidelio (Beethoven), par M. Engel; ouverture A'Rermann et Dorothée (Schumann);
Siegfried-Idyll (Wagner) ; les Adieux de Lohengrin (Wagner), par M. Engel; Marche
hongroise de la Damnation de Faust (Berlioz).
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Les habitués des séances musicales du quatuor Rosé, à Vienne, ont
eu dernièrement la primeur d'un nouveau quatuor de Brahms, que la
presse considère comme l'œuvre la plus claire, la plus lucide qu'ait écrite
le célèbre compositeur. Certain critique constate même que, dans cette
œuvre, M. Brahms a victorieusement combattu les tendances qui jus-
qu'à ce jour l'avaient porté vers les conceptions obscures et diffuses.
« C'est le calme après l'orage, ajoute-t-il, l'éclat du jour après les ténè-
bres nocturnes. » Ce quatuor a été composé pour les instruments à cordes
suivants : un violon, deux altos et un violoncelle. C'est la seule dérogation
à l'usage que M. Brahms se soit permise.
— M. Julius Bayer, le compositeur viennois connu par ses nombreux
ballets, livrera cet hiver au public deux nouveaux et importants ouvrages
chorégraphiques. Le premier, intitulé la Danse, est destiné à l'Opéra de
Vienne et présentera l'histoire de l'art chorégraphique de chaque pays,
depuis son origine jusqu'à nos jours. Le second, qui a pour titre : Rêve
de Noël d'un enfant, sera représenté au théâtre de la Cour, à Dresde.
C'est le maître de ballet du théâtre, M. Kôller, qui a écrit le scénario.
— On écrit de Budapesth à la Nette Musikzeilung : « Le jour de son qua-
tre-vingtième anniversaire, Franz Erkel a exécuté en public le concerto
en ré mineur pour piano, de Mozart, avec les cadences composées par lui
dans le style de Mozart. Des ovations enthousiastes ont salué le vénérable
musicien, le fondateur du drame musical hongrois et des concerts phil-
harmoniques, le compositeur de l'opéra Hunyadi Laszlo, qui en est, ici, à
sa trois-centième représentation ».
— Il y a peu de villes au monde où le chant soit autant en honneur
qu'à Leipzig. On y signale actuellement l'existence d'environ cent cin-
quante sociétés choraies, dont la plupart sont dans une situation pros-
père et donnent régulièrement des concerts.
— Une jeune violoniste qui porte un nom célèbre dans les fastes du
violon féminin, M110 Adélaïde Milanollo, a donné dernièrement, à Dresde,
un concert dans lequel, dit-on, elle a excité l'enthousiasme du public.
Nous ne croyons cependant pas que cette jeune artiste soit parente de
M1"" Maria Milanollo, aujourd'hui Mme la générale Parmentier, qui naguère
obtenait do si éclatants succès en compagnie de sa sœur Teresa, morte à
la fleur de l'âge.
— Les Allemands voudraient-ils enlever aux Anglais la palme de
l'excentricité '.' Voici le texte, assez original, d'un avis affiché récemment
dans les couloirs et foyer du Théâtre-Royal de Slultgard : a Par suite de
quelques incidents contrariants (??), la direction du Théâtre-Royal fait
savoir au public qu'il est défendu de siffler ou de donner n'importe quel
signe de mécontentement pendant les représentations. Les personnes
manquant à cette défense seront poursuivies. » A la bonne heure si l'on
défendait en même temps aux artistes de chanter faux, ou aux chœurs
d'aller à contre-mesure. Mais dans ce cas, ceux-ci seront-ils aussi pour-
suivis? — Ce n'est pas tout, et voici qui n'est pas moins bizarre, quoi-
que plus intime. La direction du théâtre royal de Munich vient de pro-
mulguer un arrêté en cinq articles sur la manière de jeter des bouquets
aux artistes en scène. Les contrevenants auront à payer une amende va-
riant de cinq à vingt-cinq francs. Le sifflet défendu, l'enthousiasme régle-
menté, c'est superbe, et l'un complète l'autre. Connais-tu le pays où fleurit
la musique?...
— De l'Éventail, de Bruxelles : « Un compositeur allemand, du nom
de Humperdinck, s'est donné la tâche de moderniser le Cheval de Bronze
d'Auber en « revisant à fond le texte (!), en le traduisant, en complé-
tant l'instrumentation et en améliorant la partition au point de vue du
contrepoint, » c'est-à dire en la tripatouillant. Ainsi « modernisé, » l'ou-
vrage de l'auteur du Séjour militaire a été donné sur diverses scènes
allemandes et, le 11 de ce mois, à Francfort-sur-Mein. Il a beaucoup
plu, bien que joué avec une lourdeur toute germanique. On avait, par
exemple, confié le rôle comique du mandarin au baryton de grand-opéra
Hine ! Un détail de la mise en scène a fait sourire les spectateurs
attentifs. Le quatrième tableau s'est déroulé dans un décor représentant
le Kremlin ! »
— Les fêtes projetées pour les noces d'argent artistiques du composi-
teur Tschaïkowsky n'auront pas lieu, le maître russe ayant fait savoir
par la voie des journaux qu'il déclinait les honneurs publics que ses
compatriotes ont l'intention de lui rendre.
— L'école russe, on le sait, a déjà fourni un grand nombre d'excellents
artistes ; aussi le gouvernement impérial s'occupe-t-il de les encourager
et de leur fournir des moyens d'études. Le tsar aurait, assure-t-on, l'in-
tention d'établir à Paris, à l'usage des artistes russes, une académie ana-
logue à notre villa Médicis de Rome. Il a fait demander à M. le ministre
de l'instruction publique de lui donner les renseignements nécessaires
pour mener à bien cette installation.
— Bruxelles. — La troisième séance Schott a eu beaucoup plus d'éclat
que la seconde. On est toujours heureux d'entendre M. Jacobs ; on a été
bien aise d'applaudir à nouveau M. Thomson, et l'on a été enchanté de
lier connaissance avec M. Louis Diémer, le brillant pianiste français.
L'exécution des Papillons, de Couperin, et du Coucou, de Daquin, a été de
tous points merveilleuse, évoquant en bien des choses le souvenir du jeu
étincelant et délicat de Francis Planté. Très chaleureusement rappelé
après les pièces qu'il avait jouées seul, M. Diémer a ajouté au programme
un morceau de sa composition, le Chant du Nautonier, où le chant, exposé de
la main gauche, est accompagné de fantastiques arpèges.
— On vient d'inaugurer à Rome, dans la via dei Saponari (rue des Sa-
vonniers), un nouveau théâtre populaire, auquel on a donné le nom de
Théâtre Marcello et qui est occupé en ce moment par une compagnie d'opé-
rette.
— La reprise, au Théâtre-National de Rome, d'un vieil opéra de
Donizetti, la' Regina di Golconda, dont la naissance remonte à l'an de grâce
1828, a obtenu le plus vif succès. « La musique, dit l'Italie, très mélo-
dieuse et riche d'inspirations, est moins vieille qu'on ne pourraitle croire.
Quelques morceaux peuvent, encore aujourd'hui, susciter un véritable
enthousiasme; citons parmi les meilleurs, Vouverture, un quarletto (bissé) ;
l'air du ténor, le finale (bissé) et deux duos (aussi bissés). Il y en a beau-
coup d'autres encore que l'on entend avec un véritable plaisir. » Il n'est
peut-être pas superflu de rappeler que cette Regina di Golconda est la sœur
puinée d'Aline, reine de Golconde, opéra-comique en trois actes de Vial et
Favières pour les paroles, de Berton pour la musique, qui obtint, en 1803,
un succès éclatant au théâtre Favart, et qui fut repris d'une façon très
heureuse, en 1847, à l'Opéra-National d'Adolphe Adam.
— Des trois opéras de la petite saison donizellienne qu'on vient de don-
ner au Théâtre-National de Rome, deux au moins, la Fille du Régiment et
la Regina di Golconda, ont obtenu un succès éclatant, ce qui, après la petite
saison rossinienne qui avait précédé, a mis les amateurs en goût. Il est
question maintenant de donner, toujours dans le genre bouffe, un petit
cycle d'opéras de Cimarosa et un autre d'opéras de Paisiello. Ceci est fort
bien fait. L'opéra bouffe a toujours été le triompha des Italiens, le genre
dans lequel leurs compositeurs ont déployé une incontestable supériorité
et conquis une gloire aussi éclatante que légitime. Cimarosa, Guglielmo,
Paisiello, Piccinni et bien d'autres ont laissé dans ce genre de véritables
chefs-d'œuvre bien à tort oubliés, et dont la connaissance remettrait peut-
être dans le droit chemin nombre déjeunes compositeurs qui s'évertuent
inutilement et essoufflent leur inspiration à la recherche des grands effets
dramatiques. Qui sait s'il n'y aurait pas là les éléments d'une renaissance
pour la musique italienne?
— Plusieurs opéras nouveaux seront offerts au public italien pendant
la prochaine saison de carnaval-carême. On cite entre autres la Corligiana,
paroles de M. Cimino, musique de M. Scontrino, qui sera donnée au
406
LE MÉNESTREL
théâtre Manzoni, de Milan, avec M. et Mme Garulli dans les deux rôles
principaux ; etgli Adoratori del fuoco, livret de M. Weil, musique de M. De
Lorenzi Faims, qui est annoncé au théâtre Rossini, de Venise. Ce dernier
avait obtenu une mention honorable au récent concours Sonzogno.
— Au moment où va s'ouvrir, pour les grandes scènes lyriques ita-
liennes, la grande saison de carnaval-carême, la plus importante de
l'année, il n'est pas sans intérêt de voir quelle part considérable les
œuvres françaises prennent dans le répertoire de ces théâtres. Voici
la liste des ouvrages de compositeurs français qui seront joués au
cours de cette saison : Mignon (Modène, Lodi, Savone) ; Faust (Rome,
théâtre Argentina, Empoli, Vérone, Arezzo) ; Carmen (Livourne, théâtre
Goldini, Ferrare, théâtre Communal, Modène, Brescia, Crème) ; Hamlet
(Naples, théâtre San Carlo, Gênes, théâtre Carlo Felice, Messine) ; Roméo
et Juliette (Bologne, théâtre du Corso, Mantoue, théâtre Social) ; Fra Dia-
volo (Pavie, Rimini, Empoli, Prato, Catanzaro, Città di Castello, Goritz) ;
la Juive (Carrare, Vérone) ; la Jolie Fille de Perlh (Rome, théâtre Argen-
tina, Verceil) ; les Pêcheurs de Perles (Parme, théâtre Regio, Gênes, théâtre
Carlo Felice) ; le Roi de Lahore (Rome, théâtre Argentina) ; le Cid (Flo-
rence, théâtre de la Pergola) ; Mireille (Rome, théâtre Argentina,!. Voici
maintenant la liste des ouvrages français, dus à des compositeurs étran-
gers, qui trouvent place sur les programmes de la saison : les Huguenots
(Ferrare, théâtre Communal, Cagliari, San Remo) ; la Favorite (Carrare,
Florence, théâtre Nuovo, Legnago, Terni, Crémone, théâtre Social);
l'Africaine (Gênes, théâtre Carlo Felice, Rome, théâtre Argentina) ; Guil-
laume Tell (Trieste, théâtre Communal, Centon); Don Sébastien (Cuneo,
Ravenne) ; Dvnorah (Savone). — Avions-nous tort de faire valoir la place
que, en Ralie même, les ouvrages français prennent dans le répertoire
italien ? Gageons que nos excellents confrères d'outre-monts, de ceux du
moins qui chaque matin voudraient manger un morceau de la France,
vont encore tâcher de nous chercher chicane à ce propos. Ce sont eux
pourtant qui se sont chargés de nous fournir les renseignements que
nous venons de grouper sur ce sujet.
— Au petit théâtre de la Fenice, à Naples, on a donné récemment une
nouvelle opérette, la Gemma del sole, musique de M. Italo De Vita. — Et au
théâtre Quirino, de Rome, première représentation, avec un succès très
brillant, d'un nouveau ballet du genre fantastique, i Thca zi, scénario de
M. Razzetto, musique de M. Galleani. — Enfin on a donné le 24 no-
vembre,, à l'Arène Nationale de Florence, la première représentation d'un
opéra'comique en trois actes, le Damigelle di Saint-Cyr, dont la musique a
été écrite par M. Cesare Facchini sur un livret qui doit sans doute quelque
chose à notre Alexandre Dumas. L'ouvrage parait d'ailleurs avoir obtenu
un brillant succès. L'exécution était excellente, plusieurs morceaux ont
été bissés et l'auteur a été rappelé une quinzaine de fois.
— A Pirano, dans l'Istrie, on a conçu le projet d'élever un monument à
la mémoire de l'illustre violoniste Giuseppe Tartini, l'auteur de l'Art de
l'archet, du Trille du Diable et de tant d'autres œuvres, l'un des plus glo-
rieux représentants de l'admirable école italienne de violon du xvme siècle.
On doit donner prochainement, dans ce but, un concert en cette ville,
ainsi qu'à Trieste, et on annonce que M. César Thomson, l'éminent violo-
niste belge, doit se rendre précisément à Trieste, vers la fin du mois de
janvier prochain, pour prendre part à ce concert.
— On écrit de Madrid au Figaro : « Tout d'un coup, et sans dire pour-
quoi, Mmc Marcella Sembrich a résilié son engagement avec la direction
du théâtre royal de l'Opéra. De là, désolation de l'abonnement, prières de
la direction et de la presse ; rien n-'a fait. Mmc Sembrich quitte Madrid
en plein succès et en pleine saison théâtrale. On dit, pour expliquer ce
départ, et je donne la nouvelle sous toutes réserves, que la célèbre diva a
été prévenue de cabales montées contre elle, et qu'elle n'a pas voulu les
affronter. Ce sont peut-être des « potins » de coulisses, mais ce bruit
commence à se répandre, et il est évident que sans une cause aussi grave
la célèbre cantatrice n'aurait pas pris une résolution si violente. On a
voulu lui faire une manifestation de sympathie et l'ambassadeur d'Alle-
magne, baron de Stuum, a pris le devant. Il a donné en l'honneur de
Mmc Sembrich un grand diner suivi de réception. A ce diner, où Mme Sem-
brich occupait la place d'honneur, assistaient, outre le personnel de
l'ambassade, la duchesse de Bailen et la marquise de Bolafios, les princes
de Hohenlohe, le ministre de Turquie, le docteur Riedel. Tous ces per-
sonnages sont connus à Madrid pour de véritables dilettantes. Après le
diner, les salons se sont remplis de monde. Le corps diplomatique, la
haute société madrilène, sont venus entendre chanter pour la dernière fois
à Madrid la grande artiste. Le concert. a été des plus réussis et la réception
s'est prolongée fort tard. »
— C'est un ex-violoniste français, ancien élève du Conservatoire, pressé
de s'établir en Allemagne, après la guerre, et depuis lors, dit-on, naturalisé
prussien, qui prendrait à Londres, parait-il, la succession du regretté
Sainton, un bon Français, celui-là, comme professeur à l'Académie de
musique. Ce sujet de l'empereur Guillaume II répond au nom d'Emile
Sauret.
— On lit dans la correspondance anglaise du Figaro : « L'illustre violon-
niste Sarasate achève en ce moment une tournée en Angleterre et en
Ecosse ; du 18 octobre au 18 décembre il aura donné 31 concerts, qui ont
produit la somme ronde de 125,000 francs. Au mois de juin prochain, il
annonce à Londres une autre série de six concerts qui ne seront certaine-
ment pas moins suivis que les précédents ; aucun instrumentiste n'a dans
le Royaume-Uni autant de succès que M. Sarasate, succès que partage
toujours Mme Berthe Marx, la gracieuse et habile pianiste. »
— On vient de représenter à l'Alhambra de Londres un nouveau ballet
de Noël, la Belle au Bois dormant, dont M. Georges Jacoby a écrit la musi-
que sur un scénario de M. Espinosa.
— Au nouveau Royal English Opéra House, de Londres, on espère pouvoir
donner dès le mois de janvier prochain la première représentation d'Ivan-
hoé, le nouvel opéra sérieux de M. Arthur Sullivan, dont les grands suc-
cès se sont restreints jusqu'ici au genre de l'opérette.
— D'après le Daily News, M. A. Harris aurait déjà conclu plusieurs en-
gagements importants en vue de sa saison italienne de 1891 au théâtre
Covent-Garden de Londres. Le ténor Perotti, la basse Fiegno, le baryton
Devoyod, les sœurs Ravogli, M"e Risley, élève de M»10 Marchesi, sont
parmi les artistes de la nouvelle troupe de M. Harris. L'engagement de
M. Maurel, bien que conclu en principe, n'est pas encore signé. Il est
également question de M"e Eames pour créer à Covent-Garden l'Ascatùo de
M. Saint-Saëns, sous la direction de l'auteur.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Voici qu'on s'occupe officiellement du nouveau cahier des charges de
l'Opéra. La direction des beaux-arts a préparé un avant-piojet qui vient
d'être soumis à M. Bourgeois. Ce projet préparatoire contient quelques
innovations intéressantes. Il consacre le principe de liberté pleine et
entière dans la gestion artistique. Le concessionnaire ne serait plus tenu,
comme dans le cahier des charges existant, par des dispositions limita-
tives quant au nombre, à la nature des ouvrages représentés et à la na-
tionalité des compositeurs. Chaque année, il dresserait et rendrait public
le programme qu'il se proposerait de réaliser au cours de l'exercice, et
aurait la plus large faculté quant à la composition de ce programme ar-
tistique. — Le nombre des représentations ne serait pas augmenté par
prescription spéciale, mais le concessionnaire aurait la faculté de jouer
autant de fois qu'il le voudrait, en dehors du minimum actuel de. repré-
sentations hebdomadaires. — Au lieu d'établir des représentations à prix
réduits, ce qui a l'inconvénient de classer le public en deux catégories, le
cahier des charges imposerait l'augmentation du prix des premières places :
amphithéâtre, premières loges et orchestre, et imposerait, par contre,
l'abaissement du prix de toutes les autres places, des deuxièmes loges
inclusivement jusqu'au dernier amphithéâtre. Ce régime serait permanent.
— Ajoutons que le cahier des charges stipule le partage des bénéfices
entre le concessionnaire et l'État, au delà d'un chiffre déterminé. C'est le
retour au régime ancien. En outre, par une série de dispositions précises,
il réglemente la question du matériel, afin d'éviter le retour de litiges
comme celai pendant à l'heure actuelle, au sujet de la réfection des décors.
La subvention serait maintenue au chiffre d'aujourd'hui et la durée de la
concession fixée à sept années. — Le nouveau cahier des charges sera
terminé vers la fin de ce mois. Il sera communiqué aussitôt aux diverses
personnes qui posent leur candidature à la succession de MM. Ritt et
Gailhard et à ceux-ci également, s'il demandent le renouvellement de leur
privilège. M. Bourgeois désire, en effet, que la question soit définitive-
ment tranchée avant la fin du mois de janvier.
— On se souvient des notes intéressantes publiées ici même par M. Louis
Gallet sur Louis Lacombe et son œuvre. Il y parlait surtout du grand opéra
Winkelried, laissé par ce musicien trop méconnu. Or, voici que M. Dauphin,
directeur artistique'du théâtre de Genève, mis en éveil par l'étude de M. Louis
Gallet, vient d'obtenir de Mme Andrée Lacombe l'autorisation de représen-
ter cette partition écrite sur un poème de MM. Moreau-Sainti et Lionel
Bonnemère. L'ouvrage est à l'étude, et sera représenté vers la fin de février.
La ville de Genève prend à sa charge la copie des parties de chant, de
chœurs et d'orchestre, et l'on compte sur un vif succès. Nous ne saurions
trop féliciter de cette initiative artistique ceux qui en ont été les inspira-
teurs : M. Dauphin, l'excellent musicien et chanteur bien connu à Paris,
et M. F. Dupont, le conseiller administratif, délégué au théâtre de Genève
si dévoué à tout ce qui peut contribuer au bon renom artistique de son
pays. C'est là un véritable acte de justice en faveur d'un remarquable
musicien, trop dédaigné de la génération présente, mais auquel l'avenir
appartient.
— Charmante, la dernière représentation du Cercle funambulesque aux
Bouffes-Parisiens. Au programme, un petit acte déjà connu, qui a été
l'un des grands succès du Cercle, la Révérence, de M. Le Corbeiller, avec
une jolie musique de M. Paul Vidal, fort bien joué par M"° Duhamel et
M. Tarride; Cœur brisé, pantomime de Mllc Arbel, musique de M. Georges
Hue, et la Doctoresse, pantomime très gaie, construite sur une idée très
originale, de M. Hugounet, musique de M. Missa. Fort bien jouée par
M"c Leriche, très curieusement costumée, et M. Tarride, déjà nommé, la
Doctoresse a été le clou de la soirée. Le succès de cette soirée s'est tellement
accentué à la matinée du lendemain, qu'on prête à M. Larcher le projet
de donner tous les jeudis une matinée funambulesque.
— Gyptis,« légende lyrique » en deux actes de MM- Maurice Boniface
et Edouard Bodin, musique de M. Noël Desjoyeaux, dont nous avions
annoncé la prochaine apparition au théâtre des Arts de Rouen, vient d'y
LE MÉNESTREL
40:
obtenir, selon les journaux de cette ville, un éclatant succès. Plusieurs
morceaux ont été bissés, et l'auteur rappelé à la chute du rideau, aux
acclamations de la salle entière. C'est une révélation que cette œuvre, dit-on,
qui dénote un talent jeune, sincère et déjà maître de soi. La partition est
fortement orchestrée et contient des mélodies exquises. Quelques rémi-
niscences dans le premier acte et dans le ballet et un peu de monotonie
dans l'accompagnement d'un récit; mais des motis variés et élégants et
une instrumentation sonore et puissante. L'interprétation est excellente,
M,m Jane Guy en tète: cette jeune artiste, élève de Mme Marie Sasse, a
fait preuve d'un réel talent. Beaucoup de sentiment, de charme et de force
dramatique. Citons aussi M. Mondaud, M. Leprestre et M"c de Béridez.
— Tous ceux qui ne partagent pas l'admiration, proche du fétichisme,
qu'inspirent à ses anciens disciples le seul nom de César Franck (et
j'avoue très humblement que je suis du nombre) ne sauraient cependant
ne pas être touchés de l'affection toute filiale que ce maitre avait su ins-
pirer aux élèves qui venaient puiser auprès de lui les leçons, les ensei-
gnements et les conseils. Le moment n'est pas venu de faire entendre
une note discordante au milieu des apologies enflammées qui surgissent
de tous côtés, et d'indiquer les réserves que la saine raison doit com-
mander en ce qui concerne le génie de celui que quelques-uns appellent
un grand méconnu. Ce qu'il est, pour le moment, intéressant de constater,
c'est, répétons-le, la profonde affection, le sentiment respectueux qu'é-
prouvaient pour Franck tous les jeunes artistes qui avaient été à même
de l'approcher et dont ils donnent en ce moment un éclatant témoignage.
A ce titre , on lira avec intérêt la courte notice qu'un de ceux-là,
M. Arthur Coquard, vient de publier sous ce simple intitulé : César
Franck. IS22-1S90 (in-8° de 20 pages, sans nom d'éditeur). C'est un résumé
très lucide et très complet de l'existence laborieuse de l'artiste, avec un
catalogue de ses œuvres principales. On peut ne pas partager l'enthou-
siasme excessif qui déborde en ces quelques pages, mais on sera instruit,
parleur lecture, des efforts et des travaux du vieux maitre, et l'on saura
du moins de quelle somme de labeur s'est composée cette existence' tout
entière consacrée à l'art. A. P.
— C'est un régal pour les lettrés de lire tous les lundis, dans le Journal
des Débats, les articles si personnels de M. Jules Lemaitre. Ce sera pour
eux un régal plus grand et plus durable de les relire en volume. L'émi-
nent critique publie aujourd'hui à la librairie Lecène-Oudin la cinquième
série de ses Impressions de théâtre, qui présente la même variété que les
précédentes. Une des qualités de M. Jules Lemaitre, c'est de ne pas tri-
cher, de ne dissimuler aucun aspect des choses, d'exposer loyalement le
pour et le contre. Cela ne l'empêche pas d'avoir son opinion, mais il la
propose plus qu'il ne l'impose. Et quelle netteté de style, et quel relief
il donne à la pensée ! Cette cinquième série continue dignement les quatre
premières; elle prendra place à côté d'elles dans toutes les bibliothèques.
— Mllc Clotilde Kleeberg, après s'être fait entendre dans toutes les grandes
villes d'Allemagne, a joué dans deux concerts à Copenhague et a remporté
un très grand succès. Le roi et la reine de Danemark, qui assistaient
au concert, ont félicité très chaudement la jeune artiste. Samedi dernier,
nouveau triomphe à Saint-Pétersbourg, à la Société impériale russe de
musique symphonique, qui avait invité l'excellent; artiste à se faire
entendre.
— A l'un des derniers concerts Lamoureux du jeudi nous avons
entendu un virtuose de grand avenir, M. César Géloso, jeune artiste
lauréat de la classe Marmontel, le maitre qui a formé la presque généra-
lité des pianistes de l'école moderne, y compris les professeurs éminents
qui , à l'heure présente, enseignent au Conservatoire. M. Géloso a
obtenu un grand et légitime succès. Il a été rappelé trois fois par un
public enthousiaste, que son exécution chaleureuse, colorée, sympathique,
avait vivement intéressé.
— Très vif succès et très légitime, au dernier concert Lamoureux du
jeudi pour une toute charmante pianiste, M"c Panthès, qui a exécuté
avec une rare virtuosité et un style remarquable le beau concerto en sol
mineur de M. Saint-Saëns, dans lequel, en outre, elle a fait preuve de
superbes qualités de mécanisme. C'est là une jeune artiste qui fait prévoir
pour elle un bel avenir.
— Un de nos confrères italiens a déterré, sans doute dans les Archives
de la cour des Gonzague, à Mantoue, un document assez curieux et qui
remonte à tantôt trois cents ans. C'est une lettre de notre grand roi
Henri IV, celui pour qui Paris valait bien une messe, adressée à un
Arlequin célèbre alors par toute l'Italie. Cet Arlequin, qui de son vrai
nom s'appelait Tristano Marinelli, était alors directeur d'une troupe de
comédiens au service du duc de Mantoue, et faisait littéralement fureur
en cette ville. Henri IV, qui, comme tous nos rois, aimait beaucoup le
théâtre, eut le désir, sur sa renommée, de l'attirer à Paris, et lui écrivit
de sa main, en italien, la lettre curieuse dont voici la traduction :
De Paris, le 21 décembre 1599.
Arlequin,
Votre renommée étant venue jusqu'à moi, et aussi celle de la bonne compa-
gnie de comédiens que vous avez en Italie, j'ai désiré vous faire fianchir les
monts et vous attirer dans mon royaume. Vous ne manquerez pas tans dojle
pour l'amour de moi, de faire aussitôt et bien volontiers ce voyage avec votr;
compagnie, car j'aurai beaucoup de plaisir à vous voir, comme à me servir de
vous, et je vous promcU que vous serez les bienvenus it si bien traités, avec
un si utile et si bon profit, que vous n'aurez pas à regretter, et vous le rocon
naîtrez, le temps que vous aurez employé à mon service.
Priant Dieu, Arlequin, qu'il vous ait en sa sainte garde.
Henri.
— L'Académie de musique de Toulouse met au concours, pour l'année
1891 : 1° une élégie pouf harpe, violon, violoncelle ; 2° un concerto de
piano avec orchestre ; 3° un chœur pour trois voix d'hommes ; 4° une
sérénade pour flûte, clarinette, cor, basson et piano ; b° un duo pour deux
voix de femmes ; 6° une polonaise pour musique militaire ; 7° un livret
d'opéra en un acte. Les manuscrits doivent être envoyés (jusqu'au 31 mars)
au secrétaire général de l'Académie.
— L'Académie champenoise met au concours : 1° une marche funèbra
pour piano ayant pour titre Marclw de Jeanne d'Arc au bûclter ; 2° un chant
de bravoure intitulé Chant de guerre de Jeanne d'Arc, sur des paroles de
M. A. Dubrac. Les prix consistent en médailles en vermeil, argent et
bronze à l'effigie de Jeanne d'Arc. S'adresser, pour le règlement du con-
cours, à M. Octave Rigot, 14, rue de Chàlons, à Epernay (Marne).
— L'orchestre et les chœurs des Jeunes-Aveugles, que l'on a rarement
l'occasion d'entendre, doivent donner des auditions publiques lundi et
mardi prochains, 22 et 23 décembre, à quatre heures de l'après-midi. Ces
auditions auront lieu dans l'élégante salle de concerts de l'Institution
des Jeunes-Aveugles, S6, boulevard des Invalides (angle de la rue de
Sèvres). C'est à l'occasion d'une vente de charité, organisés au profit des
anciens élèves de l'Institution, que cet établissement ouvre, pendant deux
jours, de une heure à six heures, ses portes au public. On sera admis
à visiter en détail cette école si attachante et encore si peu connue.
— S'il fallait en croire le Trovatore, le fameux ténor Tamagno se ] endrait
prochainement de Trieste à Nice, pour donner au Casino municipal de
cette ville quelques représentations de VOtello de Verdi, en compagnie de
M. Maurel et de la Pantaleoni. Tamagno recevrait la bagatelle de 6,000 francs
par soirée, et Maurel 4,000. Pour peu qu'on en donnât seulement 2,000 à
la Pantaleoni, cela ferait 12,000 francs de frais pour trois artistes, sans
compter les frais courants de chaque représentation, ce qui nous semble
excessif pour le Casino de Nice, si riche qu'il puisse être.
— Un grand concert de charité a été donné à Tours, dimanche
dernier, avec le concours des plus jeunes virtuoses du Conservatoire.
Cette soirée musicale, organisée par M. l'abbé Lange, directeur de mu-
sique au collège de la rue de Madrid, à Paris, avait l'attrait tout
particulier de mettre en évidence des artistes de douze ans, tous élèves
des plus distingués de MM. Hasselmans, Diémer, Delsart et Garein. Cette
petite troupe a trouvé auprès du public l'accueil le plus sympathique.
— Nombreux public convié au concert donné à l'Institution Sainte-
Croix (de Neuilly), le 13 décembre. Excellente exécution des morceaux
d'ensemble, sous l'habile direction du pianiste-compositeur A. Trojelli,
et véritable succès pour sa cantate (chœur et orchestre) : Exaltez sa Gran-
deur! Remarquable interprétation du Crucifix, de Faure, par MM. Auguez
et Warmbrodt. Enfin, succès de gaieté avec les chansonnettes dites par
M. Leserre, surtout pour le Pendu, la célèbre chanson comico-philosophique
de Mac-Nab.
— Brillant succès, jeudi dernier, à la salle de géographie, où MUe Célanie
Carissan donnait la première de ses trois séances musicales. La seconde
aura lieu le 6 janvier, salle Pleyel.
— Signalons un très joli volume de mélodies variées de MM. Diet,
Théodore Dubois, Fauré, Augusta Holmes, Charles Lecocq, Lenepveu,
Maréchal, Massenet, Palaiilhe, Saint-Saëns, Pauline Viardot et Widor
qui vient de paraître chez MM. Durand et Schœnewerk. Toutes les poésies,
sous le titre collectif de Contes mystiques, sont de M. Stephan Bordese,
et elles sont charmantes, ainsi que la musique des éminents collaborateurs
qu'il a su s'assurer. L'édition est faite avec beaucoup de goût. Remarqua-
ble dessin — frontispice de Rochegrosse.
NECROLOGIE
Le Conservatoire de Bruxelles vient de faire une perte bien sensible
en la personne d'un de ses meilleurs et de ses plus distingués professeurs,
l'excellent pianiste Pierre-Auguste Dupont, frère aine de M. Joseph
Dupont, l'éminent chef d'orchestre. Fils d'un musicien instruit, Auguste
Dupont, qui était né à Ensival le 9 février 1827, avait fait d'excellentes
études au Conservatoire de Liège. Il n'avait encore que vingt-deux ans
lorsque, ayant publié déjà quelques compositions, il entreprit un grand
voyage artistique. Après s'être fait entendre .avec succès à Bruxelles, il
alla donner une série de concerts à Londres et dans les provinces anglai-
ses, puis partit pour l'Allemagne et se produisit à Berlin, à Dresde et
dans plusieurs autres villes importantes. De retour en Belgique après
une absence de deux années, il se vit nommer professeur d'une classe de
piano au Conservatoire de Bruxelles, où depuis lors il a formé toute une
pléiade d'élèves qui lui ont fait beaucoup d'honneur. Auguste Dupont a
écrit et publié de nombreuses compositions, entre autres deux concertos
de piano, un grand trio pour piano, violon et violoncelle, plusieurs so-
nates, des études et un grand nombre de morceaux de genre. Atteint
depuis longtemps déjà d'une maladie douloureuse, cet excellent artiste
est mort à Bruxelles le 17 décembre.
Henri Heugel, directeur-gérant.
408
LE MENESTREL
Cinquante-septième année de publication.
PRIMES 1891 du MÉNESTREL
JOURNAL DE MUSIQUE FONDÉ LE 1er DÉCEMBRE 1833
Paraissant tous les dimanches en huit pages de texte, donnant les comptes rendus et nouvelles des Théâtres et Concerts, des Notices biographiques et Etudes sur
les grands compositeurs et leurs œuvres, des séries d'articles spéciaux sur l'enseignement du Chant et du Piano par nos premiers professeurs,
des correspondances étrangères, des chroniques et articles de fantaisie, etc.,
publiant en dehors du texte, chaque dimanche, un morceau de choix (inédit) pour le CHANT ou pour le PIANO, de moyenne difflcullé, et offrant
à ses abonnés, chaque année, de beaux recueils-primes CHANT et PIANO.
PIANO
Tout abonné à la musique de Piano a droit gratuitement à l'un des volumes in-8° suivants :
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de STRAUSS, GUNG'L, FAHRBACH, STROBL et KAULICH, de Vienne.
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Tout abonné à la musique de Chant a droit à l'une des primes suivantes :
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Nouvelle édition avec double texte français et italien
VERSION POUR TÉNOR
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'UPRlVfcRfK (
3H7 — 56me AME — if î>'2.
Dimanche 28 Décembre 1890.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
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LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, ï bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
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SOMMAIRE -TEXTE
I. Notes d'un librettiste: Victor Massé (33° article), Louis Gallet. — II. Semaine
théâtrale : Pour le jour de l'An de M. Gailhard, H. Moreno. — III. Une famille
d'artistes: Les Saint-Aubin (3" article), Arthur Pougin. — IV. Revue des
Grands Concerts. — V. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour:
LES PETITS CHASSEURS
n° 25 de la Chanson des Joujoux, poésies de Jules Jouy, musique de Clau-
dius Blanc et Léopold Dauphin. — Suivra immédiatement : les Volants,
n° 1S de la même collection.
PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique
de piano: Clair de Lune, de Théodore Dubois. — Suivra immédiatement :
Au matin, d'AiVi'ONix Marmontel.
NOTES D'UN LIBRETTISTE
VICTOR MASSE
Le directeur de l'Opéra me parla tout de suite de l'avenir
de l'œuvre — de ses intentions au sujet de la mise en scène.
Mais qui ferait la musique ? Voilà ce qui le préoccupait
fort.
La guerre devait venir bientôt couper court à ces préoc-
cupations, réservant à M. Halanzier le soin de monter l'ou-
vrage et conduisant Emile Perrin à l'administration générale
de la Comédie-Française.
J'ai pris le chemin des écoliers pour arriver chez Victor
Massé, mais, cette fois, m'y voici. Il m'a été agréable de
m'arrêter en route à revoir les visages de ceux qui, comme
lui, sont maintenant entrés à jamais dans le domaine du sou-
venir.
Au coin de l'étroite place, sur le trajet de la rue de Laval,
qui porte maintenant son nom, Victor Massé habitait, en
entrant à droite dans la cité Frochot, cette petite maison
séparée de la voie publique par un jardinet, qu'après vingt
ans je retrouve, en passant devant la grille, tello que je
la vis alors.
Quand je m'y présentai, le compositeur était absent ou
occupé. Reçu par Mma Massé, ayant à ses côtés deux belles
jeunes filles, — ses filles,— je dis quel motif m'amenait et
tout de suite je sus quelle part importante l'auteur des Noces
de Jeannette et de Galatée avait prise à notre succès et quel
plaisir il lui avait causé.
Et à quelques mots que me dictait ma confusion d'un
aimable accueil, accompagné de paroles élogieuses :
— Vous êtes modeste, c'est fort bien, me dit Mme Massé
avec un sourire. Mais, attendez ; goûtez sans scrupule les
belles choses qu'on vous dit ; vous voilà entrés dans un
monde où vous connaîtrez bientôt le prix de tous ces éloges
et où on vous trouvera autant de défauts qu'on vous accorde
aujourd'hui de qualités.
« Montez maintenant chez mon mari. — Il vous attend ».
Tout en haut de la maison, sous le comble, un étroit es-
calier franchi, je trouvai ouvert le cabinet de travail de
Victor Massé. Une pièce simple, inondée de lumière, en
plein ciel. Le musicien, très souriant, très aimable, d'une
étonnante jeunesse d'aspect, m'épargna tous les prélimi-
naires.
Il se mit à parler immédiatement de ce concours dont il
n'avait pas tout d'abord accepté volontiers d'être le juge.
— Encore, ajoutait-il, s'il ne s'agissait que des poèmes 1
mais la musique! Ah! par exemple, s'il faut aussi prononcer
sur la musique, je me récuse! Je serais un très mauvais
juge, attendu, voyez-vous, que dans la musique des autres je
n'aime que ce qui ressemblée la mienne!
Ah ! l'aimable homme, et combien peu personnel, malgré
cet aveu de personnalisme ! Comme il aimait les maîtres,
comme il était sensible à tout ce qu'il y a de bon, d'honnête,
de charmant dans l'art, dans la nature et dans la vie !
Que de fois depuis cette première rencontre, durant la-
quelle il m'avait longuement interrogé sur nos travaux, nous
avons causé de cet art si difficile du théâtre musical, qui lui
était cher et dont il n'avait pas alors recueilli toutes les vé-
ritables et équitables satisfactions.
Il rêvait d'un poème idéal; il le cherchait; il ne devait le
trouver que plus tard, selon son vœu, en cette idylle dra-
matique, « Paul et Virginie », dont la destinée première fut si
brillante.
En ces souvenirs qui se pressent dans mon esprit, passe
toujours, devant la figure évoquée, l'ombre terrible de l'an-
née 1870. Je ne revis réellement Victor Massé qu'après la
guerre et la Commune.
Sa première lettre fut pour me dire :
« Avez-vous dans votre bissac un beau sujet d'opéra et
un beau rôle pour Faure ? »
410
LE MENESTREL
Le « rôle pour Faure », alors dans toute la plénitude de
son talent, était la préoccupation de tous les compositeurs
de cette époque. Yictor Massé devait l'avoir, comme Georges
Bizet, qui, plus heureux, au moins pour un temps, put réali-
ser son projet, en écrivant la partition de Don Rodrigue.
Demander à un librettiste tout neuf s'il a un sujet, c'est
lui poser une question superflue! Certes, les sujets ne nous
manquaient pas, mais bien les théâtres, comme toujours. Pour
ma part, j'en offris trois à Massé, dont nous causâmes; mais
où il ne trouva pas sans doute ce véritable duo de pur
amour, dont la pensée le tourmentait depuis le commence-
ment de sa carrière, car ces entretiens restèrent sans résultat.
Je le revis surtout alors à l'Opéra, où il dirigeait les
études des chœurs, toujours très souriant et aimable, mais
d'une grâce toute mélancolique.
Parfois aussi je le rencontrais allant à l'Institut.
Alors, il prenait mon bras :
— Accompagnez-moi!...
Et tout en marchant lentement, péniblement, manifeste-
ment touché par le mal qui devait le prendre après des
années de tortures, il parlait des événements et des hommes
avec une philosophie résignée.
L'aurore de sa carrière avait été rayonnante, pleine de
promesses, la fin en devait être consolante ; la période
moyenne qu'il achevait alors, abondante en laborieux efforts,
lui avait fait connaître aussi plus d'un cruel désenchante-
ment.
Les Saisons, qui paraissent avoir été l'objet de sa spéciale
prédilection et seront un jour peut-être classées au premier
rang de ses œuvres, avaient été représentées en 1855-56 sans
obtenir le succès qu'elles méritaient.
Aux dernières années de sa vie, alors qu'il avait déjà
donné Paul et Virginie et qu'il s'occupait d'une Nuit de Cko-
pdtre, il fut question très sérieusement d'une reprise à
l'Opéra-Comique de ce bel ouvrage, dont l'éditeur Grus pré-
parait une nouvelle édition, à laquelle le compositeur con-
sacrait tous ses soins.
Yictor Massé comptait bien sur cette reprise, et dans cette
conviction il hâtait la correction et le tirage de la parti-
tion.
« Je vous prie d'accélérer tout cela, écrivait-il à Grus, et
j'ai de bonnes raisons pour vous prier de vous hâter. Ma fille,
madame Gille, sort de chez moi et m'annonce que Garvalho
montera les Saisons cet hiver!! On attend que la partition
paraisse pour prendre un rendez-vous où l'on décidera la
distribution et où les changements seront étudiés. On me
parle de Mlle Isaac, ïaskin, Talazac ou Stéphane, Bel-
homme, etc., etc. Je le répète : donnez un vigoureux coup
de pouce pour l'impression de l'ouvrage. »
Les retouches de Massé en vue de cette réédition avaient
une réelle importance; il les avait faites surtout, de son
propre aveu, par amour pour son œuvre. Jules Barbier avait
modifié tout le deuxième acte, lui avait donné plus de force
dramatique; on avait rétabli dans le troisième acte la Chanson
du Loup, primitivement coupée, et le compositeur avait voulu
que la célèbre Chanson du Blé fût désormais dite par le
ténor au lieu de l'être par la basse. Selon lui le blé évo-
quait une idée de soleil et de clarté, et la basse profonde ne
répondait pas à cette impression.
Tout cela fut en pure perte. La reprise des Saisons n'eut
pas lieu.
(A suivre.) Louis Gallet.
SEMAINE THEATRALE
Pour le jour de l'an de monsieur Gailhard
Un brait étrange court par la ville; M. Gailhard, Pedro de son petit
nom, songerait à jeter par dessus bord son vieux complice, M. Ritt,
et à briguer pour lui seul les honneurs de la direction de l'Opéra,
qui, comme chacun sait, va être vacante vers la fin de l'an 1891.11
y a longtemps que nous sommes au courant de cette petite ma-
nœuvre déloyale et nous y avons fait déjà quelques légères allusions.
Aujourd'hui, le Figaro sonne vigoureusement la cloche d'alarme
et met des noms derrière les masques. C'est tout un petit plan
machiavélique auquel de hauts personnages républicains, — hauts par
la place qu'ils se sont attribuée dans ce régime de hasard et d'aventure,
— MM. Constans et Fallières. prêteraient, parait-il, une main complai-
sante. Ces deux ministres sont les artisans de la fortune inespérée
de M. Gailhard et ils entendraient, continuer à le soutenir envers et
contre tous, dût la musique française en mourir, ce qui leur importe
très peu, pourvu qu'il reste un foyer de la danse et de jolies femmes
pour en faire l'ornement. Et alors, voici ce qui aurait été décidé.
Tout ce qui s'est fait de mal à l'Opéra, tout ce qui a justement
ameuté la presse et l'opinion publique, ce serait la faute à M. Ritt,
seul directeur de l'Opéra nommé et reconnu par le ministre des
Beaux-Arts. Lui. Gailhard, il n'a jamais été chargé que du service delà
scène ; il n'avait aucune voix au chapitre dans la direction de l'entre-
prise en elle-même ; il est innocent comme un petit saint Jean de
tous les actes répréhensibles qu'on reproche justement à l'administra-
tion de M. Ritt. Il les désapprouvait et il les désapprouve encore.
Le coup est dur pour le pauvre papa Ritt, qui se voit lâché avec
une admirable désinvolture par ce petit croquant de chanteur qu'il
était aller ramasser sur les planches de l'Opéra pour l'associer à de
fastueux bénéfices en l'élevant jusqu'à lui, ce qui, à vrai dire, n'était
pas encore très haut. Nous plaindrions sincèrement M. Ritt de cette
mésaventure, s'il nous paraissait digne du moindre intérêt.
Mais alors, cher Gailhard de mon cœur, si vous désapprouvez les
actes de votre associé, vous allez sans nul doute répudier aussi la
part de gain que ces mêmes actes vous ont procurée. Il s'agit au moins
de sept à huit cent mille francs que vous serez heureux d'offrir à
une caisse de bienfaisance, à moins que vous ne les portiez au ministre
sur un plateau d'or pour mieux assurer la réfection des décors , que
vous avez laissé si bien tomber en poussière.
Autrement, nous continuerons à vous considérer comme un simple
farceur et, vous aurez beau vous débattre, votre nom de Gailhard res-
tera accroché avec celui de Ritt, tous les deux côte à côte, au même
pilori, — funeste raison sociale dont la musique gardera longtemps
le douloureux souvenir.
Si l'on nous débarrasse de l'un, il faut aussi nous débarrasser de
l'autre; sans quoi, que leurs patrons aient la honte de les renom-
mer tous les deux, et nous verrons alors ce qu'on en pensera. De-
vant l'opinion ils sont irrévocablement condamnés ; devant les
Chambres élues du pays ils n'ont pas été moins sévèrement jugés.
Les députés n'ont cessé de manifester la répugnance qu'ils avaient
pour cette direction néfaste et ne lui ont maintenu à contre-cœur
une subvention que sous l'espèce de promesse qu'on leur a faite
de ne pas renouveler son privilège. « Les directeurs passent, et
l'Opéra reste », c'est la phrase finale du discours de M. Larrou-
met, directeur des Beaux-Arts, lors de la dernière discussion du
budget devant la Chambre des députés. Eh bien, nous verrons si,
par un bel exemple de favoritisme, MM. Constans et Fallières en-
tendent passer outre et forcer la main au ministre des Beaux-Arts,
M. Bourgeois.
Que M. Constans trouve ds l'agrément à entendre chanter M. Gail-
hard et le convoque volontiers à ses réunions intimes du dimanche,
« où Muie Constans porte de très jolies robes de velours noir », c'est
une affaire de goût à laquelle nous n'avons rien à voir; mais lui
reconnaître pour cela toutes les aptitudes à bien diriger un théâtre
comme celui de l'Opéra, c'est aller beaucoup trop loin et nous
nous regimbons comme nos confrères. Non, M. Gailhard n'a rien
de ce qu'il faut pour être à la tête de notre première scène lyrique.
C'est un simple bouleur d'art, sans aucun goût ni idée relevée. On
peut l'entrevoir comme régisseur, à cause de sa pratique du métier,
mais le poser en maître des destinées de la musique en France,
c'est une simple plaisanterie, un rêve comme les Tartarius de son pays
ont coutume d'en faire, mais qui ne devrait pas se réaliser, si nous
avons un ministre des Beaux-Arls ayant conscience de ses devoirs.
H. Moreno.
LE MENESTREL
44 I
UNE FAMILLE D'ARTISTES
LES SAINT-AUBIN
II
(Suite.)
Ainsi donc, Saint-Aubin se voyait tenu de rester à l'Opéra, mais
on accordait à sa femme sa liberté, et aussitôt elle était appelée à
la Comédie-Italienne par l'ordre de début que voici :
Nous maréchal de Richelieu, pair de France, premier gentilhomme de
la chambre du Roi,
Ordonnons aux comédiens italiens de laisser débuter sur leur théâtre
la demoiselle (sic) S'-Aubin pour que nous puissions juger de ses talens.
Fait à Paris, le 20 mai 1786.
Le Maréchal duc de Richelieu.
Les choses allaient rondement. Le 3 mai, Saint-Aubin demandait
la rupture de l'engagement de sa femme, qui lui était aussitôt ac-
cordée; le 20 du même mois celle-ci recevait son ordre de début, et
le 29 juin elle faisait sa première apparition à la Comédie-Italienne,
où son entrée était presque triomphale. Elle se présentait au public
■de ce théâtre dans deux rôles charmants, celui de Marine dans la
Colonie, de Sacchini, et celui de Denise dans l'Epreuve villageoise, le
joli petit chef-d'œuvre de Grétry, et le Journal de Pans rendait
ainsi compte de son début: — « Une physionomie douce et fine,
une voix brillante, une belle prononciation, de la grâce dans le
maintien : tels sont les avantages naturels de Mme S'-Aubin, qui
a débuté à ce théâtre. Ceux qu'elle doit au travail et à l'étude ne
sont pas moins précieux; une bonne manière dans le chant, de
l'intelligence de la scène, de l'aplomb et une diction assez pure que
l'habitude doit perfectionner encore, telle est la réuuion des qualités
qui ont valu à cette jeune actrice le succès le plus brillant, sur-
tout dans le rôle do Marine de la Colonie : elle a laissé désirer un
peu plus de légèreté et de gaîté dans celui de Denise de l'Épreuve
villageoise. Mme S'-Aubin a débuté le 26 janvier dernier à l'Opéra
dans le rôle de Colinelte à la Cour, et a été accueillie par le public
1res favorablement; mais nous croyons qu'elle peut se prometlre
encore plus de succès au Théâtre-Italien. »
De leur côté les Mémoires secrets de Bachaumont, qui, on le sait,
ne brillaient pas d'ordinaire par une excessive indulgence à l'égard
des comédiens, et surtout des comédiennes, s'exprimaient ainsi
qu'on va le voir, et avec une sorte d'enthousiasme, au sujet du
début de Mmc Saint-Aubin, en transformant en éloge la réserve
légère Au Journal deParis: — « Jeudi dernier il y a eu à la Comédie-
Italienne un début très brillant et qui mérite d'être annoncé. Il
s'agit d'une madame de Saint-Aubin, sœur de feue madame Mou-
linghen. Le 26 janvier dernier, elle avoit paru à l'Opéra dans le
rôle de Colinette à la Cour. On lui avoit déjà trouvé une figure inté-
ressante, une voix légère, des grâces dans le chant, de l'esprit, de
la finesse dans le jeu, et une habitude du théâtre fort rare en pareil
cas. Ce succès ne s'étoit pas soutenu, on ne parloit plus d'elle ; elle
a cru qu'elle réussiroit mieux sur autre théâtre, et en effet elle a
produit la plus vive sensation. Le premier rôle qu'elle a joué a été
celui de Marine dans la Colonie, où elle n'a rien laissé à désirer
généralement. Quant au second rôle de Denise dans l'Épreuve villa-
geoise, comme le public est gâté par la légèreté et la gaieté, tenant
beaucoup de l'étourderie et de l'indécence, qu'y met M"c Adeline,
la comparaison ne lui a pas été favorable aux yeux de tous les
libertins du parterre ; quant aux vrais connoisseurs, ils n'en ont pas
pensé de même, et regardent cette acquisition comme également
précieuse dans les deux genres pour ce spectacle ».
Dans l'espace de quelques semaines, M"10 Saint-Aubin, qui déjà
déployait l'étonnante activité dont par la suite elle devait donner
tant do preuves, joua coup sur coup toute une série d'autres rôles :
Babet de Biaise et Babel, Colombine du Tableau parlant, Isabelle
d'Isabelle et Gertrude, Cbloé du Jugement de Midas, Lindor de l'Amou-
reux de quinze ans, Babet du Droit du Seigneur, Agathe de l'Ami de
la Maison, Annelte d'Annelleet Lubin, Jacinthe de l'Amant jaloux, etc.,
et le public, enchanté, sous le charme de ce talent tour à tour plein
de grâce, de finesse, d'émotion, de douceur, de gaieté, et toujours
de la décence et de la convenance les plus parfaites, lui faisait
fète chaque soir et la couvrait d'applaudissements enthousiastes.
Depuis les commencements de M""- Dugazon on n'avait pas vu se
produire une artiste de cette valeur, on n'avait pas assisté à un
début aussi brillant, aussi remarquable et aussi justement re-
marqué.
Aussi va-t-il sans dire que Mrac Saint-Aubin fut immédiatement
engagée comme pensionnaire, avec promesse de la première vacance
de sociétaire. Le maréchal de Richelieu fixait ainsi sa situation, un
mois après son premier début :
Nous maréchal duc de Richelieu, premier gentilhomme de la chambre
du Roi,
Avons accordé à la demoiselle S'-Aubin la somme de trois mille
livres d'appointemens qui lui seront payés à raison de 250 livres par
mois, à la charge par olle de jouer l'emploi d'amoureuse au Théâtre-
Italien ainsi que celui de madame Dugazon après les comédiennes qui
sont déjà reçues (1). Cette distinction sur les actrices à l'essai est due aux
talens de la demoiselle S'-Aubin et à la connoissance qu'elle a de son
emploi et de son état d'après le travail qu'elle a fait en province. Nous lui
promettons en outre sa réception lorsqu'il y aura des places vacantes.
Fait à Paris, le 28 juillet 1786.
Le Maréchal duc de Richelieu.
La réceplion promise ne se fit pas attendre, et les succès de la
jeune artiste la rendirent aussi prompte que facile. Dès 1788,
Mme Saint-Aubin était admise au nombre des sociétaires, d'abord à
quart de part seulement, et il ne lui fallut pas plus de quatre an-
nées pour arriver au premier rang et se voir attribuer la part
entière, qu'elle obtint en 1792 (2).
Son succès était justifié d'ailleurs, de toutes façons, autant par
les dons naturels qu'elle apportait à la scène que par les qualités
qu'elle devait au travail et à l'étude. Physiquement, Mm<! Saint-Aubin
réunissait toutes les séductions. Petite et mignonne, suffisamment
potelée, avec des attaches fines et une taille merveilleusement prise,
elle eût pu se dispenser d'être jolie, tellement tout on elle était
charme, et grâce, et sourire. L'ovale du visage n'en était pas moins
parfait, les yeux brillants, la bouche petite, et la délicatesse des
traits, jointe à un regard plein d'éclat et à une physionomie d'une
expression et d'une mobilité rares, prévenaient aussitôt en sa faveur,
et la faisaient voir tout d'abord avec autant de plaisir qu'on en éprou-
vait ensuite à l'entendre. La grâce et le naturel de ses mouvements,
la souplesse de sa démarche, son maintien à la fois décent et enjoué,
une sorte de candeur virginale répandue sur toute sa personne,
achevaient de tenir les spectateurs sous le charme et lui conquéraient
toutes leurs sympathies. Et les qualités de l'artiste ne le cédaient
en rien à celles de la femme, qu'elles venaient compléter à souhait.
Un organe flatteur, clair et sonore, une voix qui, pour n'offrir pas
une grande étendue, était du timbre le plus agréable et qu'elle
savait manier avec un goût parfait, une diction nette et dont la
justesse d'accent était remarquable, une souplesse d'interprétation
qui la montrait tour à tour ingénue ou piquante, tendre ou coquette,
naïve ou pathétique, gaie jusqu'à la folie ou sensible jusqu'aux
larmes, et qui lui permettait d'aborder avec la même supériorité
tous les genres et tous les emplois: amoureuses (Adolphe et Clara,
le Prisonnier), soubrettes (Ma Tante Aurore, l'Amant jaloux), grandes
coquettes (la Fausse Duègne), premiers rôles (Mélidore et Phrosine,
Lodoïska), et jusqu'aux travestis (les Deux Petits Savoyards, Jean et
Geneviève), — tout cela faisait de M'°e Saint-Aubin une personnalité
accomplie, comme le type vraiment achevé de l'actrice d'opéra-
comique, et légitime amplement les triomphes qui n'ont cessé de
l'accueillir au cours d'une carrière dont la durée ne fut pas moindre
de vingt-deux ans (3).
Je ne crois pas que M""5 Saint-Aubin ait fait de nombreuses
créations pendant les premières années de son séjour à l'Opéra-Comiqe,
et je pense que durant cette première période de ses succès elle fut
surtout chargée de reprendre les jeunes rôles de M",e Dugazon, qui
abandonnait son premier emploi pour prendre celui des mères. En
(1) C'est-à-dire que M™° Saint-Aubin, simple pensionnaire, était appelée à partager
les rôles du répertoire avec les actrices déjà reçues sociétaires, ce qui, ainsi le
faisait remarquer le maréchal de Richelieu, constituait une distinction d'un carac-
tère exceptionnel.
(2) Fétis s'est trompé lorsqu'il a écrit ceci : — « Reçue sociétaire à quart de part
en 1788, elle n'eut la part enlière que dix ans après, lorsque le prodigieux succès
qu'elle avait obtenu dans le Prisonnier ne permit plus de lui refuser cet acte de
justice. » Il y a là une erreur que je puis relever d"une façon certaine d'après les
registres d'administration et de comptabilité du théâtre Favart, qui ne laissent aucun
doute à ce sujet. J'y vois, en efiet, que dès 1789 M1™ Saint-Aubin était à trois
huitièmes de part, en 1790 à trois quarts de part, et enfin, en 1792, à part entière-
(3i Elle possédait encore cet avantage, inestimable pour une femme, et surtout
au théâtre, de voir s'écouler le temps sans paraître en ressentir les atteintes. Voici
ce que disait d'elle un critique, quinze ans après ses débuts à l'Opéra-Comique : —
« M"' Saint-Aubin, véritablement comédienne, est à l'Opéra-Comique ce que
M"° Contât est à la Comédie-Française. Elle a essayé tous les genres, et s'est trouvéo
bien placée dans tous.. . M"" Saint-Aubin a cet avantage bien rare, que, chez elle,
les progrès de l'âge ne sontpas aperçus, tandis que ceux du talent deviennent tous
les jours plus sensible». Elle paraît en tout une femme privilégiée. » [Année théâ-
trale pour l'an IX.)
412
LE MÉNESTREL
tout cas je ne puis signaler, comme ouvrages créés par elle à celte
époque, que les suivants : pour 1787, la Suite du comte d'Albert, Toi-
nette et Louis et le Poète supposé (ouvrage refait par ses auteurs) ; pour
1788, le Rival confident ; pour 1789, la Vieillesse d'Annelte et Lubin, la
Fausse Paysanne, les Deux Petits Savoyards et Raoul sire de Créqui ;
pour 1790, la Soirée orageuse, les Rigueurs du cloître, Pierre le Grand et
Euphrosine et Coradin, où son succès fut aussi éclatant que celui de
Méhul, débutant à la scène par un chef-d'œuvre. A ces opéras-comi-
ques, il faut joindre, dans le genre du vaudeville et de la comédie,
que l'on jouait encore à cette époque au théâtre Favart : les Solitaires
de Nor'inandie, Césarine et Victor (1788). et Encore des Savoyards (1789).
Parmi les rôles repris alors par elle, je signalerai surtout Nina ou la
Folle par amour et Richard Cœur de Lion, qui lui firenl le plus grand
honneur (I).
(A suivre.) Arthur Pougin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concert Colonne. — Après avoir brillamment exécuté l'ouverture du Tann-
hduser, l'orchestre de l'Association artistique a fait entendre la Symphonie
pastorale de Beethoven, dont l'interprétation a été des plus remarquables.
Une jeune cantatrice de talent, M110 Jeanne Leclerq, a été très applaudie
dans l'air de la Création d'Haydn. La voix, sans être très corsée, est très
pure, très limpide, d'une justesse irréprochable, et la méthode est excel-
lente; elle a dit, avec non moins de succès, l'air de Chérubin des Noces de
Figaro. Le public a bissé; un wagnérien a cru devoir protester, non pas
contre M110 Leclerq, mais contre cette vieille perruque de Mozart; la pro-
testation n'a pas eu d'écho et a été même, pour la cantatrice, l'occasion
d'une fort belle -ovation. Per gynt, suite d'orchestre de Grieg, a été aussi
applaudie qu'à la première audition. La musique de Grieg a une saveur
toute particulière. Son orchestration est très sobre, très fine, très légère, et
sa pensée toujours poétique et gracieuse. Après l'oeuvre nouvelle de
M. Fauré, la musique pour le drame de Caligula, musique qui se signale
par un grand désir de ne pas suivre les sentiers battus, M. Colonne nous
adonné laSuile algérienne deM.Saint-Saêns. C'est une fantaisie très agréable
à entendre, pleine de recherches exquises et d'effets brillants. L'orchestre
de M. Saint-Saëns est toujours merveilleux à écouter ; il est clair, même à
travers les complexités les plus grandes. Le compositeur a une telle
entente des ressources de chaque instrument que chez lui rien n'est heurté.
Tout se fond dans un ensemble parfait, et comme la trame de son orchestre
est forte, solidement établie sur la partition des instruments à cordes les
combinaisons les plus fines, les plus imprévues se jouent sur cette trame
solide, sans jamais l'annihiler, ni même l'altérer. C'est ce qui t'ait que
M. Saint-Saëns est le premier de nos symphonistes français.
H. Barbedette.
— Concerts Lamoureux. — La quatrième symphonie de Beethoven, que
l'on entend fort rarement, n'accuse pas avec une grande énergie le tem-
pérament original du maître et reste un peu au-dessous de ses deux
puissantes rivales, l'Héroïque et la symphonie en ut mineur, toutes deux
écrites antérieurement. Le premier morceau semble assez ordinaire si on
le juge par comparaison avec les chefs-d'œuvre de Beethoven; c'est plus
énergique, mais moins gracieux que Mozart. La mélodie ne cherche pas à
s'insinuer, elle veut s'imposer. Dans ce morceau se trouve un admirable
crescendo qui ne produit pas un effet très saisissant, parce qu'au moment
du tutti, rien d'imprévu ni de très caractéristique ne se présente, de sorte
que l'on se demande quel est le but de ce superbe coup de génie.
L'adagio reste un chef-d'œuvre d'une inaltérable limpidité. Le scherzo
parait bizarre, avec ses rythmes binaires qui bondissent dans une mesure
à trois temps. Le finale est fin, alerte, plein de gaieté et d'entrain. —L'ou-
verture A'Hermann et Dorothée, de Schumann, est un petit tableau sym-
phonique sans grande importance, dans lequel se trouve intercalée à plu-
sieurs reprises une longue réminiscence de la Marseillaise. Pareille
réminiscence se retrouve dans le Carnaval à Vienne, de Schumann, et dans
deux mélodies, l'une de Schumann et l'antre de Wagner, toutes deux
écrites surun poème de H.Heine. —L'ouverture d'Esther, de M. A. Coquard,
est bien écrite, sur des thèmes ayant une valeur musicale réelle, mais
non sans quelque tendance à l'emphase. Ce défaut se remarque aussi
dans la Marche élégkque de M. Paul Lacombe, dont le thème principal est
satisfaisant. Il semble que les compositeurs qui n'ont pas l'occasion d'en-
tendre leurs œuvres aussi souvent que nous le souhaiterions, cherchent
à entasser trop d'effets violents dans le même ouvrage et dépassent ainsi
les limites que devrait leur imposer la nature" du sujet traité. En mu-
sique, l'idée doit posséder une puissance propre, et les sonorités excen-
triques trouvent leur justification dans cette idée même. — M. Engel a
(1) Parmi les ouvrages créés par M-« Saint-Aubin dans le genre de la comédie
pure, il faut citer Constance, de Demoustier, Tom Jones et Féllamar, de D esforges,
le Convalescent de qualité, de Fabre d'Eglantine, l'Ecole de [adolescence, de d'Antillyj
les Arts et l'Amitié, de Bouchard, Louise et Volsan, de Dejaure, etc. Elle reprit ensuite
la Femme jalouse, de Desforges, et l'Epreuve, de Marivaux, deux ouvrages qui prirent
place, plus tard, au répertoire de la Gomêdie-Fraaçaise.
chanté en véritable artiste l'air si difficile de Fidelio, auquel la partie d'or-
chestre forme un commentaire d'une poignante enpression. Il a dit ensuite
la scène des adieux de Lohengrin avec un art exquis de nuances les plus
délicates et une entente parfaite du style de l'œuvre. La salle entière lui
a prodigué de légitimes applaudissements. — Siegfried-Idyll et la Marche
hongroise de la Damnation de Faust ont terminé la séance.
Amédée Boutarel.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire: symphonie en soi mineur (Lalo) ; chœur de Paulus (Mendels-
sohn) ; concerto en sol pour piano (Beethoven), par M. Delaborde ; symphonie en
ré, 43e (Haydn); marche de Tannhâuser (R, Wagner). Le concert sera dirigé par
M. J. Garcin.
Chàtelet, concert Colonne ; Roma (Bizet) ; duo de Béatrice et Bénédicl (Berlioz),
chanté par M"" de Montalant et Lavigne; Aria de la suite en ré (Bach); Caligula
(G. Fauré); Contas mystiques : 1. Prélude (A. Holmes), 2. Premier miracle de
Jésus (Paladilhe), 3. Non credo (Widor) , 4. En prière (G. Fauré), chantés par
MIIe Montaland ; fragments du Songe d'une nuit d'été (Mendelssohn).
Cirque dps Champs-Elysées, concert Lamoureu^: ouverture à'Esther (Coquard);
symphouie eu la majeur, n° 7 (Beethoven); prélude du troisième acte de Tristan
et Iseutt (Wagner) ; Scherzo du Songe d'une nuit d'été (Mendelssohn) ; ouverture
d'Hennann et Dorothée (Schumann) ; le Venusberg de Tannhâuser (Wagner),
Grande Marche de fête (Wagner) .
— Musique de chambre. — M. A. Lefort vient de donner sa première séance
de musique de chambre. On y a entendu avec plaisir le beau trio pour
piano, violon et violoncelle de M. C. Saint-Saëns et la sonate en sol de
Rubinstein, remarquablement interprétés par M" Poitevin-Hainl, MM. Le-
fort et Casella, deux fort agréables mélodies chantées avec grand talent
par M. "Warmbrodt, et un quatuor à cordes (lre audition) de M. Ch. Lefebvre.
La nouvelle œuvre de ce compositeur comprend deux morceaux, divisés
chacun en deux parties. J'aime particulièrement la mélancolie pensive de
l'Andanle, où l'on sent comme un reflet de Schumann, et la distinction gra-
cieuse de l'intermezzo. II y a un peu de vague dans le finale. — A signaler
aussi la première matinée de M. I. Mendels. Le quintette de Schumann
et la sempiternelle sonate en la de Rubinstein, avec la charmante virtuose
Mmc Hermann au piano, formaient les pièces de résistance du programme.
On a admiré une fois de plus les belles qualités de sonorité et de style
de M. C. Casella dans un impromptu de sa façon, et l'on a vivement applaudi
l'aimable promoteur de ces séances après la brillante exécution de deux
soli de Svendsen et de "Wieniawski. I. Philipp.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (23 décembre). — Après avoir fait re-
mettre plusieurs fois, pour cause d'indisposition, son apparition devant le
public bruxellois, Mme Renée Richard s'est enfin montrée hier, dans la
Favorite. C'est la première fois qu'elle chantait à Bruxelles, et elle a remporté
un très grand succès, par son autorité d'artiste de grand style et la beauté
de sa voix, dont les restes opulents sont encore superbes. — La veille,
reprise assez médiocre de Rigoletto, dont on augurait mieux cependant,
avec Mll0B Sanderson et Nardi, MM. Bouvet, Lafarge et Vérin. L'action de
la pièce se passant presque tout entière dans l'obscurité, Mlle Sanderson
y devait perdre nécessairement un de ses plus précieux avantages, qui est
d'être jolie; sa voix a paru un peu mince dans le rôle de Gilda, où elle a
mis néanmoins beaucoup d'excellentes intentions, une aimable chaleur et
un sentiment dramatique très juste. M. Lafarge a roucoulé le rôle du duc
de Mantoue avec plus de charme que de passion, et M. Bouvet a mis
dans celui du bouffon une expression parfois très touchante. Il n'a man-
qué à tout cela qu'un peu de mouvement et de passion pour être vrai-
ment bien. — Quelques jours auparavant, autre soirée intéressante, mais
bien inattendue, celle-là: on jouait Faust; M0" de Nuovina s'étant trouvée
malade au moment du spectacle, Mlle Carré re l'a remplacée au pied levé,
sans le moindre raccord, avec cette circonstance curieuse, que, sachant le
rôle, elle ne l'avait jamais joué nulle part, et ne l'avait même jamais
répété en scène! Or, il s'est trouvé que Mllc Carrère était une Marguerite
absolument remarquable, bien supérieure à la plupart des Marguerites
que nous avions entendues à la Monnaie, sous le double rapport du sen-
timent et de la voix. Son succès a été considérable. Depuis Mmo Caron,
on n'avait plus vu à la Monnaie de pareilles ovations dans le séduisant
chef-d'œuvre de Gounod. Cela a fait tout un événement dans le public et
plus encore dans les coulisses. Et le fait est que l'on ne s'attendait peut-
être pas à découvrir en cette artiste, qui remplit avec beaucoup de dis-
tinction l'emploi de chanteuse légère de grand opéra, un tempérament
dramatique si intense. La direction sera sans doute assez intelligente pour
profiter de cette bonne aubaine. La première de Siegfried, qu'on espérait
pour ces jours-ci, est de jour en jo ur éloignée ; on nous la promet main-
tenant pour la fin du mois ; nous verrons. On nous promet aussi Lakmé,
avec M"0 Sanderson, et Obéron, avec M™ de Nuovina; ces deux ouvrages
viennent d'être mis à l'étude. Et l'on ne parle plus de Werther. Après tout,
ce sera peut-être pour l'an prochain, puisque Mllc Sanderson nous restera,
dit-on, et que MM. Stoumon et Calabresi ont décidé de ne pas donner
suite à leurs velléités de démission, exprimées si inopportunément, comme
LE MElNESTREL
413
vous savez, à propos de l'affaire, aujourd'hui apaisée, des Concerts popu-
laires. Ceux-ci viendront bientôt. Le premier aura lieu sans douto le
18 janvier. Les concerts du Conservatoire ont recommencé, eux, dimanche
dernier. M. Gevaert, reprenant une idée qu'il avait d'abord abandonnée,
va nous faire entendre cet hiver la série complète des symphonies de
Beethoven. La première a été entendue au concert de la distribution des
prix; dimanche, nous avons eu la deuxième et la troisième (Symphonie
héroïque), toutes deux admirablement exécutées. Entre les deux parties, un
ténor allemand, M. Hans Giessen, a chanté une demi-douzaine de lieder
de Beethoven, accompagnés au piano par M. Edouard Lassen. Cette audi-
tion n'a pas manqué d'intérêt, et l'on a fait un succès à l'interprète,
malgré la déplorable façon dont ce M. Giessen, fidèle à l'habituelle mé-
thode des chanteurs allemands, conduit une voix agréable mais constam-
ment gutturale. — Vous connaissez déjà le grand succès obtenu d'autre
part, huit jours avant, par M. Diémer, l'excellent pianiste français, au
troisième concert classique; il ne me reste plus qu'à vous en confirmer la
nouvelle. — De la province m'arrive aussi l'écho d'autres succès, obte-
nus au Conservatoire de Gand par une œuvre inédite de M. Wùllmer, un
compositeur allemand de sérieux mérite, et au Conservatoire de Liège
par diverses auditions, dont une a été consacrée entièrement aux œuvres
de César Franck. Heureusement que les héritiers du maitre français n'en
ont rien su! L. S.
— ANamur, première représentation d'un opéra-comique inédit, leReitre,
livret détestable de MM. André Thomas et Marcel Lerouge, musique vive
et pimpante de M. Charles Mêlant.
— Nouvelles théâtrales d'Allemagne. Berlin: L'opéra royal offrira à son
public pour la Saint-Sylvestre l'opéra-comique de Dittersdorf, Docteur et
Apothicaire. — Brunswick: La première représentation d'Bamlet au théâtre de
la Cour vient d'avoir lieu au milieu d'ovations et d'applaudissements sans
fin. — Carlsruhe : Le public du théâtre municipal a fait un accueil enthou-
siaste à la production des Troyens de Berlioz. L'ouvrage avait été monté
avec uii soin minutieux sous l'excellente direction du kapellemeister Mottl.
Mme Beuss-Belce (Cassandre) et MUe Mailhac(Didon) ont été très fêtées. —
Darmstadt : Par ordre du grand-duc de Hesse, les études du Tannhàuser de
Mangold ont été suspendues. Celui de Wagner l'a échappé belle ! — Ham-
bourg : Au théâtre Cari Schultze, on signale la réussite d'une opérette
anglaise en trois actes composée sur un livret français et intitulé la Nu.it
de la Saint-André. La musique est de M. Ivan Caryls, le livret de M. F. Remo ;
les traducteurs se nomment Wulf et Behre. — Prague : A l'Opéra natio-
nal, YAsraël de M. Franchetti n'a pas obtenu le succès sur lequel on comp-
tait. Par contre Fidelio, avec M"e Lilli Lehmann, a été un véritable
triomphe pour l'ouvrage et sa principale interprète. — Vienne : A l'Opéra,
on annonce la retraite de Mme Rosa Papier, après quinze années de
service.
— L'Académie de chant (Singakademie) de Berlin se prépare à célébrer
le centième anniversaire de son existence. Le 2i mai 1891 sera solennelle-
ment inauguré un magnifique buste de son fondateur, Charles-Frédéric-
Chrétien Fasch, artiste médiocre d'ailleurs, qui naquit le 18 novembre 173b'
et mourut le 3 août 1800. Le soir du même jour on exécutera diverses
compositions des directeurs successifs de l'Académie, savoir : Fasch,
Zelter, Rungenhagen, Grell et M. Blummer, le directeur actuel. Celui-ci
a écrit pour la circonstance une Cantate solennelle (tout est solennel dans
ce pays!) pour voix seules, chœur et orchestre.
— On a célébré récemment à Prague le quarantième anniversaire de la
fondation de l'École des élèves de musique militaire. C'est le dernier éta-
blissement de ce genre qui existe en Europe, et c'est là que viennent se
recruter les excellentes bandes militaires de l'Autriche. Nous avions aussi
jadis, en France, une remarquable institution de ce genre, le Gymnase
musical militaire, qui fut dirigé successivement par Frédéric Berr et par
Carafa, et que l'on jugea à propos de supprimer, il y a précisément une
quarantaine d'années. C'est là l'une des causes, jointes à tant d'autres
aussi fâcheuses, de la décadence de nos musiques militaires, décadence
déplorable dont nos gouvernants paraissent si peu se soucier depuis
tantôt un demi-siècle. N'est-ce pas pourtant une branche de l'art digne
d'encouragement et de sollicitude, que cet art superbe de la musique
militaire?
— Les admirateurs de Mme Patti à Saint-Pétesbourg sont dans la désola-
tion : la diva ne remplira pas l'engagement qu'elle avait contracté pour
la série de concerts dant nous avons parlé. C'est une question d'ordre
public qui a motivé cette brusque détermination. H parait, en effet, que la
police russe, désireuse de protéger le public contre les défections qui se
produisent si fréquemment dans les concerts, a rendu un arrêté qui l'au-
torise à mettre sous séquestre, quand bon lui semblera, à titre de caution-
nement, les sommes encaissées pour tout concert annoncé dans la capitale.
Par suite de cet arrêté, qui a été appliqué aux souscriptions des concerts
Patti, l'imprésario Zet s'est trouvé dans l'impossibilité de verser à Mmo Patti
l'acompte stipulé dans l'engagement, et la cantatrice a préféré renoncer à
son voyage et aux succès qui l'attendaient sur les bords de la Neva.
— A l'un des derniers concerts de Saint-Pétersbourg, on a chanté pour
la première fois une grande ballade pour baryton de César Cui : les Deux
Ménétriers, sur une superbe poésie de Jean Richepin. Cette audition a fait
une réelle sensation, tant l'allure du morceau est noble et belle. On a
voulu l'entendre deux fois.
— On écrit de Saint-Pétersbourg au Figaro : « La direction des théâtres
impériaux, malgré la saison à peine commencée, a donné déjà plusieurs
spectacles nouveaux, en fait de ballets et d'opéras, au Théâtre-Marie.
Après le superbe Prince Igor de Borodine, il y a eu la première du nouvel
opéra de Tschaïkowsky : la Dame de Pique , tirée de la nouvelle de
Pouchkine. Le succès a été immense pour le compositeur et les artistes.
M. FigneretMmc Medea-Figner ont été fort applaudis. Le tsar, la tsarine et
la famille impériale assistaient à cette magnifique représentation. La di-
rection impériale tient à ce qu'on sache bien que les artistes étrangers
qui désirent chanter au Théâtre-Impérial doivent apprendre les paroles
russes, et si on fait une exception pour les quelques représentations des
frères de Reszké, c'est uniquement parce qu'on a exprimé en haut lieu le
désir d'entendre Jean de Reszké dans Roméo et Edouard de Reszké dans
Mefistofele, de Boito. Comme il n'y a que deux mois de carnaval, c'est avec
peine qu'on a pu placer les représentations Reszké-Melba. En résumé,
M. Wsewolodsky a définitivement créé l'Opéra russe, autrement dit:
r Académie de musique nationale russe. »
— On écrit encore de Saint-Pétersbourg : « La question du remplacement
de M. Antoine Rubinstein au poste de directeur du Conservatoire de Saint-
Pétersbourg, est encore pendante et paraît assez difficile à résoudre, car
déjà MM. Tchaïkowski et Napravnik, le chef d'orchestre de l'Opéra russe,
ont décliné cette succession pour laquelle il ne reste plus que trois can-
didats sérieux : M. Safonof, directeur du Conservatoire de Moscou, et les
professeurs du Conservatoire de notre ville, MM. Auer et Solovief. Mais,
comme eux non plus ne semblent guère disposés à assumer une charge
aussi lourde, il se pourrait bien qu'en fin de compte on s'adressât à
M. Balakiref, dont le nom circule ici dans notre monde musical comme
ayant certaines chances pour hériter des fonctions que M. Rubinstein doit
résigner à la fin de la présente année scolaire, c'est-à-dire au mois de juin
prochain.
— De Saint-Pétersbourg, on nous télégraphie le très grand succès rem-
porté dans Lakmé par Mlle Van Zandt au théâtre Panaieff. Ovations sans
nombre et vingt rappels devant toute la haute noblesse de Russie réunie
pour cette circonstance. — A La Haye, même succès pour M"5 Louise
Heymann, la charmante élève de Mm" Marchesi, toujours dans l'ouvrage
de Léo Delibes. Il n'y a qu'à Paris qu'on n'entend plus cette charmante
partition. Le curieux directeur que nous avons à la tête de notre Opéra-
Comique ne semble pas se douter qu'il laisse dormir là une des richesses
de son répertoire.
— Une institution de concerts populaires du soir vient d'être fondée à
Saint-Pétersbourg, sous la direction de M. Hlavateh, ex-chef d'orchestre
au Vauxhall de Pavlovsk, avec l'orchestre de la Société musicale impériale
russe. Ces concerts ont lieu tous les mercredis, et le prix des places, extrê-
mement médiocre, est de 30 kopeks à un rouble. Sur les programmes de
la série des douze concerts, que nous avons sous les yeux, nous voyons
briller, à côté des noms des compositeurs russes: Glinka, Dargomijski,
Moniuszko, Serow, Soloviev, Moussorgski, Rubinstein, Balakiref, Mosz-
kowski, Iwanow, César Cui, Hlavateh, Tschaïkowski, ceux de nos compo -
siteurs anciens ou modernes : Rameau, Monsigny, Grétry, Berlioz, Bizet,
Ambroise Thomas, Charles Gounod, Léo Delibes, Saint-Saêns, Massenet,
Ernest Guiraud, Weckerlin, Benjamin Godard, etc. On voit qu'une large
place est faite sur ces programmes à l'art français, surtout à l'art contem -
porain. On n'en saurait dire autant en ce qui concerne l'Allemagne, car, à
part quelques classiques, on n'y rencontre que les noms de MM. Brahms,
Cari Reinecke et Scharwenka. Les premières séances de ces concerts popu-
laires ont obtenu un plein succès.
— Un chef-d'œuvre! Un journal italien, la Frusta teatrale, ayant reçu —
et inséré — une correspondance de Saint-Pétersbourg qui ne convenait
pas au baryton Kaschmann, celui-ci a saisi sa meilleure plume, et adressé
audit journal un télégramme dont voici la teneur exacte :
Votre correspondance de Saint-Pétersbourg fausse. Aucun bis, sinon à Kas-
chmann, qui dans le Credo a obtenu un succès bien supérieur à tous. Suspendez
journal. kaschmann.
A la bonne heure! Voilà un chanteur qui ne s'endort pas, qui a la
conscience de sa valeur, l'amour de la vérité et qui ne se laissera jamais
étouffer par la modestie. La fin de sa dépêche surtout est héroïque, et
Napoléon Ier n'eût su trouver mieux que ce cri plein d'une mâle énergie:
Suspendez journal !
— Rectifions et complétons les renseignements que nous avons donnés
sur les ouvrages français qui doivent être donnés en Italie pendant la sai-
son de carnaval-carême. Ces renseignements étaient exacts en ce qui
concerne Fra Diavolo, Hamlel, la Juive, Mireille et le Roi do Lahore; ils étaient
au-dessous de la vérité pour ce qui est des ouvrages suivants : ainsi, Car-
men sera donnée daDS 9 théâtres au lieu de S; Faust, dans 7 théâtres au
lieu de 4; Mignon, dans 6 théâtres au lieu de 3; Rvnéo et Juliette et les
Pécheurs de Perles, dans i au lieu de 2; la Jolie Fille de Perlh dans 3 au lieu
de 2; le Cid, dans 2 au lieu d'1. En résumé, les ouvrages de compositeurs
français sont au nombre de 12, pour cette saison, sur les cartelloni des
théâtres italiens. Nous n'avons plus à parler des opéras français de com-
positeurs étrangers.
— Voici, d'autre part, la liste exacte et complète des opéras nouveaux
qui doivent être représentés en Italie au cours de cette saison : à la Scala
414
LE MÉNESTREL
de Milan, Lionella, de M. Spiro Saraara, et Condor, de M. Carlos Gomes;
au San Carlo de Naples, Cimbelino, de M. Van Westerhout ; et Spartaco,
de M. Platania; au Théâtre-Municipal de Modène, Roncisval, de M. Enrico
Bertini; au théâtre Rossini de Venise, gli Adoratori del fvoco, de M. De
Lorenzi-Fabris; enfin, au théâtre Bellini de Naples, Dilara, de M. Oronzo
Scarano.
— Au Politeama de Naples, on a donné avec un succès très vif une
opérette nouvelle, Anfitrione (est-ce un arrangement de l'Amphitryon, de
Molière?), livret de M. Alfonso Fiordelisi, musique de M. Mattia Forte.
Celle-ci, dit-on, est charmante et fort originale.
— On demande à Mantoue, et l'on ouvre un concours à cet effet, un
directeur de l'École communale de musique qui serait en même temps
« professeur pour les instruments à archet » (violon, alto, violoncelle et
contrebasse?). Le traitement annuel attribué à ce fonctionnaire est de
douze cents francs. Ce n'est pas cher, pour la besogne. On exigera sans
doute un virtuose accompli dans tous les genres et un administrateur
expérimenté?
— Le public italien n'est pas encore près d'être appelé à juger le Néron
de M. Arrigo Boito, qu'on disait achevé depuis longtemps. Celui-ci aurait
déclaré qu'il laissait momentanément cet ouvrage de côté pour ne pas
manquer la bonne occasion d'écrire un livret pour Verdi, celui de Falstaff.
Ce Néron est décidément insaisissable.
— La Lega Lombarda croit pouvoir affirmer, bien que la nouvelle ne soit
pas encore officielle, que les promoteurs d'une réforme de la musique
sacrée en Italie s'occupent en ce moment d'organiser la réunion d'un
congrès d'art religieux qui se tiendrait l'année prochaine à Milan.
— La Société du quatuor Beethoven de New-York virent de donner son
premier concert de la saison à Ghickering Hall, avec le concours de la
pianiste M,1,e Dannreuther et de M"e Gertrude Griswold, acclamée après
les strophes de Lakmé. Grand succès aussi pour le nouveau quintette,
op. 81, de Dvorak.
— Le pianiste Paul de Janko, l'inventeur du nouveau clavier, est véri-
tablement l'homme du jour à New-York, où ses concerts sont suivis avec
un intérêt toujours croissant. Tous les genres sont représentés sur ses
programmes, depuis la fugue de Bach jusqu'au morceau de salon mo-
derne. Trois numéros font particulièrement sensation : la fugue de Bach
en ut, où chaque partie superposée se détache avec le même relief; le
Chœur des Fileuses, de Wagner-Liszt, dont l'effet descriptif ressort avec plus
de netteté que sur un clavier ordinaire ; enfin, la pimpante valse de la
Source, de Delibes, que M. Janko a transcrite spécialement pour son
clavier.
— L' American Musician croit savoir que M. Alfred Fischof, de Vienne, est
occupé à la formation d'une troupe lyrique italienne à la tête de laquelle
brillerait Mme Sigrid Arnoldson, en vue d'une tournée dans les États-Unis
pendant la saison 1891-92. Le répertoire comprendrait : Roméo et Juliette,
Mignon, le Barbier, Manon, Lakmé et Mireille.
PARIS ET DEPARTEMENTS
Par arrêté du ministre de l'instruction publique et des beaux -arts
et sur la présentation de M. Larroumet, directeur des beaux-arts,
M. Henri de Lapommeraye, professeur du cours d'histoire et de littérature
dramatique au conservatoire, est nommé membre du jury d'admission et
du comité d'examen des classes pour la déclamation dramatique, en rem-
placement de M. Edouard Thierry, démissionnaire. L'ancien administra-
teur de la Comédie-Française s'est vu en effet, à son grand regret, obligé
de renoncer à ces fonctions, qu'il occupait depuis qu'il avait remplacé
M. Empis à la tête du Théâtre-Français, c'est-à-dire depuis 1859. Depuis
quelque temps, il est atteint de la cataracte, sa vue s'est considérablement
affaiblie, et, s'il peut encore écrire, toute lecture lui est devenue impos-
sible. C'est lors du dernier examen du Conservatoire qu'il s'en aperçut:
il ne put lire les notes qu'il avait prises sur les concurrents et qui" de-
vaient déterminer son vote. Quelque pénible que lui fût ce sacrifice,
M. Edouard Thierry s'est alors décidé à se retirer, le mal étant, parait-il,
sans remède. Ajoutons que M. Thierry est âgé de soixante-dix-sept ans.
— Le cercle de la critique dramatique a procédé, ces jours derniers
au renouvellement annuel de son bureau. M. Auguste Vitu, par acclama-
tion, a été nommé président pour l'exercice 1891, en remplacement de
M. Hector Pessard, président sortant. MM. nector Pessard et Henry Céard,
ont été nommés vice-présidents en remplacement de MM. Blavet et Kerst
vice-présidents sortants. MM. Nocl et Stoullig ont été réélus archivistes^
et M. Maxime Vitu a conservé ses fonctions de. secrétaire.
— Tandis qu'avait lieu à l'Opéra-Comique la représentation de Carmen,
en l'honneur de Bizet et au profit de son monument, le Journal de
Bruxelles, par la plume de M. Rodenbach (conservons le nom de ce <*rand
homme aux générations futures), disait crânement son fait à l'auteur de
l'Arlésiennc, : « Pour les artistes, Bizet restera seulement un homme de joli
-talent qui a fait des accompagnements délicats pour l'Artésienne, deux
■œuvres médiocres qui sont la Jolie Fille de Pcrlh et les Pécheurs de perles, et
une partition colorée, pittoresque, vivante, qui s'appelle Carmen, coupée
suivant les vieilles formules, sans grande science harmonique et avec
des motifs d'un goût douteux, comme cet air du toréador si populaire
qui n'en est pas moins un simple pas redoublé.., » — A la bonne heure,
voilà qui s'appelle du courage !
— La direction de l'Opéra vient d'accorder à Mme Melba un congé d'un
mois, du 15 janvier au 15 février, que l'excellente artiste ira passer à
Saint-Pétersbourg. En revanche, nouvelle qui sera agréable aux nombreux
admirateurs de la grande cantatrice, son engagement à l'Opéra, qui finis-
sait au mois de mai prochain, a été prolongé jusqu'à l'expiration du pri-
vilège de MM. Ritt et Gailhard, c'est-à-dire jusqu'au 31 décembre 1891.
— M. Fischoff, le renommé virtuose-compositeur viennois, est arrivé à
Paris. Avant de se faire entendre chez M. Colonne, il donnera, à la salle
Érard, le 7 janvier, unepetite séance pour l'audition de quelques-unes de
ses compositions. Le concours de MmeE Krauss et Montigny-de Serres, ainsi
que celui de M. Marsick, lui est déjà assuré.
— L'adjudication du théâtre des Nouveautés a eu lieu cette semaine, en
l'étude de Mc Olagnier, notaire. Divers acquéreurs s'étaient présentés.
C'est M. Henri Micheau, directeur des Folies-Dramatiques, qui s'est rendu
adjudicataire, au prix de 201,000 francs, plus les frais.
— A l'assemblée générale des actionnaires du théâtre des Variétés qui
a eu lieu lundi, les actionnaires ont examiné la proposition de M. Ber-
trand touchant la cession de sa gérance à M. Vizentini et ont exprimé le
regret de ne pouvoir y donner suite. M. Bertrand reste donc seul direc-
teur-gérant du théâtre des Variétés. Mais, d'accord avec l'unanimité des
actionnaires, il a offert à M. Vizentini de conserver ses fonctions d'admi-
nistrateurgénéral. M. Vizentini a accepté, très touché de la sympathie dont
il a été l'objet.
— On écrit d'Alger : « M. Saint-Saëns est attendu ici, venant d'Alexan-
drie. Il a fait retenir dans la banlieue, à Mustapha, la villa d'Isly.
M. Bernard, premier prix de violon au Conservatoire, l'accompagne en
cette villégiature. »
— Vendredi prochain, 2 janvier, au Théâtre d'application, première con-
férence de notre collaborateur Arthur Pougin. Sujet: Les origines de l'opéra
français au dix-septième siècle, Cambert et Lully. M*e Vidaud-Lacombe et
M. Auguez feront entendre, sous la direction du conférencier, plusieurs
morceaux tirés des ouvrages de ces deux compositeurs, entre autres
Pomone, de Cambert, Cadmus, Amadis et Armide, de Lully.
— La quatorzième année de V Annuaire du Conservatoire royal de musique de
Bruxelles vient de paraître. Il contient, comme d'ordinaire, tout ce qui a
rapport à l'administration et à l'enseignement de l'école, la liste des lau-
réats des concours, les programmes des auditions et des exercices publics,
ceux des belles séances des concerts du Conservatoire avec le personnel
de l'orchestre et des chœurs, etc. Comme « variétés, » l'Annuaire donne la
suite du catalogue (illustré et fort intéressant) du Musée instrumental du
Conservatoire. Ce catalogue, qui, croyons-nous, est l'œuvre du conservateur
du Musée, M. Mahillon, fait le plus grand honneur à ses connaissances
vastes et variées, ainsi qu'à la clarté de ses descriptions.
— La troisième série du Théâtre à Paris, de notre confrère Camille Le
Senne, vient de paraître à la liqrairie H. Le Soudier, 175, boulevard Saint-
Germain. Avec ce volume du plus vif intérêt, qui comprend, entre autres
grandes premières : Renée, Francil/on, Chamillac, Renée Mauperin, Numa
Roumestan, le Ventre de Paris, le Crocodile, Lohengrin, etc., et dont la publi-
cation avait été retardée par un accident typographique, paraît une nou-
velle édition des lre, 2e, 4e et 5e séries composant un tableau complet de
l'histoire du Théâtre de 1883 à 1890, premières, reprises et débuts.
— Charmante matinée musicale, lundi dernier, chez M. et M"1" de Serres.
Au programme, plusieurs pièces à deux pianos exécutées parla renommée
pianiste et M. Louis Diémer, entre autres les Variations sur un thème origi-
nal de Fischof, qui ont produit un merveilleux effet. On a beaucoup applaudi
aussi une romance pour violoncelle de M. Jacques Durand, délicieusement
interprétée par M. Delsart.
— Très intéressante audition des œuvres pour piano de M. Théodore
Dubois, chez Mlle Hortense Parent, l'excellent professeur. Tout son petit
monde d'élèves a fait des prodiges en cette circonstance. Citons surtout
M"0 Lizzie P., très applaudie dans la Chaconne, et Mllc Suzanne R., qui a
interprété tout à fait en artiste le scherzo et choral, sans oublier M"'" Lydie
B., très appréciée dans Chœur et danse des lutins. La séance se terminait
par un petit bouquet de pièces choisies dans le charmant ballet la Faran-
dole : la Provençale, la Valse des Olivettes, Sylvine, les Tambourinaires, les Ames
infidèles, sont des pages exquises de sentiment et de délicatesse.
— Le succès des séances de piano de M. Léon Delafossc va toujours
croissant. La 3IM séance, qui avait attiré un nombreux auditoire, avait lieu
samedi dernier dans les salons de M. de Bertha, avec le concours de
M"0 Detrois et de MM. Lefort, Touchini et Roller; ces derniers ont exé-
cuté avec M. Delafosse un quatuor d'une belle facture de M. de Bertha, qui
a été fort applaudi. M. Delafosse nous a ensuite 'tenu sous le charme en
interprétant avec une suprême élégance de style et un mécanisme impec-
cable diverses pièces de Beethoven, Schubert, Schumann, Chopin, Saint-
Saëns, Théodore Dubois, etc., et puis enfin de toutes nouvelles œuvres
exquises de Théodore Lack: Cloches lointaines, Chant d'avril, Myosotis, Mazurkc
Eolienne, etc. Ces nouveaux morceaux, d'un genre très différent, d'une fraî-
LE MENESTREL
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cheur d'idées et d'une originalité incontestable, ont produit grand effet,
et ont valu au brillant virtuose, qui les a interprétés en véritable char-
meur, des bravos et des bis enthousiastes.
— A la dernière soirée musicale de M. et Mm0 Rougnon, on a chaleu-
reusement applaudi l'excellent violoniste Léon Toussaint, puis le ténor
Duchesne dans l'air de Suzanne, de Paladilhe, et Rayons de Printemps, de
Paul Rougnon, qui a, lui-même, brillamment enlevé un morceau classique
et sa charmante Ballerine, une des meilleures pièces de son répertoire.
— Samedi dernier, dans les nouveaux et élégants salons de. M. Gaveau,
charmante fête donnée par M. Warot, l'excellent professeur du Conserva-
toire, et Mmc Warot, pour célébrer leurs noces d'argent. Le bal était pré-
cédé d'un brillant concert dont les élèves de M. Warot faisaient exclusi-
vement les frais. On a applaudi particulièrement M. Clément, de l'Opéra-
Comique, dans l'air de Lakmé, Mlle Darcy et M. Grimaud, dans le duo
à'Hamlel, Mlle Mante dans l'arioso du Prophète, MUe Selma, etc.
— A une réunion musicale organisée par Mmo Ambre, très brillant succès
pour la Chanson béarnaise de Maréchal, chantée avec beaucoup d'entrain
par Melchissédec.
— Au dernier concert donné par le Cercle du Chàteau-d'Eau, on a bissé
à Fexcellent chanteur Cobalet la belle Marche vers l'avenir de Faure. Grand
succès aussi pour une des dernières mélodies et des plus charmantes de
Paladilhe : les Yeux. Au même concert on a redemandé à MUo Tachel le
« Pourquoi » de Lakmé.
— A la dernière séance d'orgue de M. J. Stoltz, on a beaucoup applaudi
une jeune élève de M. N. Lopez, Mllc Félicienne Jarry, qui a chanté avec
un goût parfait plusieurs compositions de son professeur et le Rêve du
Prisonnier, de Rubinstein, qui a produit un grand effet.
— A Courbevoie, samedi dernier, dans un concert, grand succès pour
l'Hymne aux astres de Faure, remarquablement interprète par M. Caron.
— La petite ville de Louviers vient de former un orchestre sympho-
nique qui a fait ses premières armes en organisant une messe de Sainte-
Cécile, qui a eu le plus grand succès. Cela a été toute une révolution
dans cette paisible population, qui n'avait jamais entendu, nous 'écrit-
on, d'orchestre symphonique. Sans compter que trois artistes de Paris,
trois artistes de grand talent, M"c de Montalant, MM. Auguez et Ver-
gnet , étaient venus prêter le concours de leur talent à cette petite
solennité. La fête a donc été complète.
— Le Cercle Philharmonique de Bordeaux vient de donner son premier
concert de la saison. M. Risler, un des brillants premiers prix de piano de
la classe de' M. Louis Diémer, a transporté le public en jouant, en véri-
table artiste, des pièces classiques, la grande Valse de concert, de son maître,
et la Chaconne, de M. Théodore Dubois. M110 de Montalant, la cantatrice
souvent applaudie à Paris, et M. Houfflack, le brillant violoniste, ont été
également l'objet de flatteuses ovations.
— Un nouveau bruit de décentralisation artistique. Le Grand-Théâtre
de Montpellier va donner prochainement la première représentation d'un
ballet inédit, Rose et Papillon, scénario de M. Roux, maître de ballet à ce
théâtre, musique de M. Laurent Luigini.
— Au dernier concert populaire d'Orléans, le programme était presque
exclusivement composé des œuvres instrumentales de M. Charles Dancla.
Grand succès pour l'exécutant, le compositeur, et pour sa remarquable
élève Mllc Magnien. Les journaux de la localité ne tarissent pas d'éloges
sur le talent de cette jeune violoniste, formée d'ailleurs à bonne école.
— Concours de Dôle, 17 et 18 mai 1891. — Le Comité donne avis que le
règlement du concours est à l'impression. Il sera adressé le mois pro-
chain aux nombreuses sociétés qui se sont déjà fait inscrire et à celles
qui le demanderont. Le Comité rappelle que les adhésions seront reçues
jusqu'au 1S février. A ce règlement sera jointe la liste des récompenses,
qui consisteront en primes d'argent, couronnes, médailles, etc.
— Mmc Elisa Delacour-Bonnamour, rue Sainte-Geneviève, 22, à Vernon
(Eure), compositeur et professeur de piano, de solfège et d'harmonie,
vient de reprendre ses cours et leçons particulières.
NÉCROLOGIE
Le Danemark vient de perdre son artiste le plus glorieux. Le célèbre
compositeur Niels Gade, dont les habitués de nos concerts symphoniques
ont appris à connaître le talent, est mort dimanche dernier, 21 décembre,
à Copenhague, où il était né le 22 octobre 1817. Il était donc âgé de
soixante-treize ans. La renommée de Niels Gade s'était étendue bien loin
des frontières de son noble petit pays, et elle était devenue européenne.
Nous ne saurions retracer ici tous les incidents de cette longue, labo-
rieuse et glorieuse carrière, soit comme organiste, soit comme chef d'or-
chestre (entre autres au Gewandhaus de Leipzig), soit comme compositeur,
et nous devons nous borner à rappeler quelques-unes de ses principales
œuvres. Voici quelles sont les plus importantes : huit symphonies à grand
orchestre ; plusieurs ouvertures, parmi lesquelles Michel-Ange, Hamlet, Sion,
Message du printemps, Printemps du Nord, Oman, Dans la haut pays ; Kalanus,
poème dramatique en trois parties; Comala, poème dramatique; la Fille
durai, ballade pour solo, chœur et orchestre; Cantate de fête, exécutée à
Leipzig ; the Crusaders, cantate anglaise exécutée à Londres ; la Nuit sainte,
cantate; deux cantates, sur des poèmes d'Andersen; octuor pour 4 vio-
lons, 2 altos et 2 violoncelles ; Quintette pour 2 violons, 2 altos et vio on-
celle ; Trio pour piano, violon et violoncelle ; 2 Sonates pour piano et
violon (en la majeur et ré bémol) ; Sonate pour piano seul : 9 Lieder pour
deux voix de femmes ; Chants pour 4 voix d'hommes ; 5 Chants pour
soprano, contralto, ténor et basse; 2 Suites de Chants danois; Chants
populaires Scandinaves ; Novelletten, 4 pièces pour orchestre ; 2 grandes
Fantaisies de piano; nombreuses pièces légères pour piano. Niels Gade
n'a abordé que timidement le théâtre ; il a seulement écrit un opéra,
Moriotta, dont le succès a été i peu près négatif, et un acte d'un ballet qui
en avait trois, Napoli, dont les deux autres étaient dus, le premier à Ilells-
ted et le troisième à Pauli.
— M110 Louise Marquet, maîtresse de ballet à l'Opéra-Comique et naguère
l'un des plus brillants sujets de la danse à l'Opéra, est morte lundi der-
nier, des suites d'un cancer à l'estomac. On se rappelle les succès de
beauté de cette excellente artiste, la grâce pleine d'élégance avec laquelle
elle dansait le menuet de Don Juan, l'intelligence qu'elle apportait dans
la grande scène de pantomime à'Hamlel. Elle fut d'ailleurs l'une des meil-
leures mimes de l'Opéra, où pendant trente ans, de 1850 à 1880, elle prit
part à l'exécution de la plus grande partie des ballets représentés à ce
théâtre. Sa dernière création fut le rôle de la princesse dans Yedda, le
ballet d'Olivier Métra. Elle prit sa retraite ensuite, et se consacra entière-
ment à ses fonctions de l'Opéra-Comique, ainsi qu'à la classe de maintien
dont elle était chargée au Conservatoire.
— On annonce la mort auprès de Parme, dans sa villa d'Ozzano,
d'une cantatrice qui parcourut en Italie une carrière courte, mais extrême-
ment brillante, Mmc Emilie Hallez-Torrigiani. Française d'origine, de
naissance et d'éducation, elle avait étudié le chant à Paris, mais elle
embrassa la carrière italienne, et obtint d'éclatants succès, de 1839 à 1844,
sur les théâtres de Païenne, Livourne, Pérouse, Naples (San Carlo et
Fondo), Padoue, Bologne, Parme. On lui fit des vers, on lui offrit des
couronnes, on frappa des médailles en son honneur, et elle fut nommée
membre de l'Académie philharmonique de Rome. En 1844 elle épousa le
compositeur Torrigiani, et elle abandonna alors le théâtre pour se consa-
crer entièrement aux soins de sa famille.
— De Polistena (Calabre) on annonce la mort du compositeur Michèle
Valensise, qui était né le 1er août 1822. Il avait fait son éducation musi-
cale à Naples, et commença par écrire plusieurs opéras, dont un, Eleonora
da Toledo, fut représenté avec succès au grand théâtre de Messine. Il se
tourna ensuite du côté de la musique religieuse, composa quelques orato-
rios, entre autres une Agonia del Cristo, et, poète distingué en même
temps que musicien, écrivit les paroles et la musique de diverses com-
positions d'un genre particulier pouvant être exécutées soit à l'église,
soit au concert. On lui doit aussi les vers d'une belle Ode à Donizetli. Il
était membre de l'Académie de SainJe-CéCile Se Rome.
— A Bergame est mort le doyen des organistes de cette ville, Camillo
Parienti, qui était né en 1812.11 avait été l'élève de Mayr et de Donizetti,
et depuis 1838 exerçait les fonctions d'organiste de la cathédrale, où,
quoique âgé de soixante-dix-huit ans, il faisait encoi'6 exactement et ré-
gulièrement son service.
— D'Italie on annonce la mort des artistes suivants. A Crer:a, l'aveugle
Giovanni Vailati, fameux mandoliniste, surnommé le Paganini dè\la man-
doline. Né en 1817 à Santa-Maria, près de Crema, il avait acquis ufl talent
exceptionnel et parcouru triomphalement toute l'Europe. Mais, victime
d'un misérable qui l'accompagnait en lui servant de secrétaire et qui lui
avait volé le fruit de son travail, le pauvre aveugle était tombé dans une
extrême misère et avait dû se faire admettre dans la Pia Casa dei poveri — ■
A Castelnuovo Bormida, un excentrique, Giovanbattista Bergatta, succes-
sivement ou tout à la fois mécanicien, sculpteur et musicien, dont l'exis-
tence fut très agitée et fertile en inventions de tout genre, dont il ne put
tirer aucun profit. Entre autres, il imagina une harpe d'un nouveau
système, que, ne pouvant faire réussir dans son pays, il eut l'idée de faire
connaître en France. Et comme il était à la fois pauvre et courageux, il fit
le voyage d'Italie à Paris, à pied, avec sa harpe! Voyage inutile d'ailleurs,
car il ne réussit pas plus ici que là-bas. — A Naples, Francesco Pontillo,
professeur de clarinette au Conservatoire de cette ville depuis 1859, et
artiste extrêmement distingué, dont, depuis dix ans, une singulière exal-
tation religieuse avait violemment altéré les facultés mentales, sans qu'il
fût absolument fou. Il fallait, depuis lors, placer auprès de lui un sur-
veillant pendant qu'il faisait sa classe au Conservatoire, ce qui ne l'empê-
chait pas, dans ses moments lucideS, de faire admirer un mécanisme
incomparable. — Enfin, à Rome, où il était employé au ministère des
finances, un critique distingué, Michèle Castellini, qui avait fondé en 1859
le journal il Teatro ilaliano, et qui ensuite avait succédé à M. De Guber-
natis comme feuilletoniste théâtral du Dirillo.
Henri Heugel, directeur-gérant.
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