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Full text of "Le Ménestrel"

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THE  PUBLIC  LIBRARY  0F  THE  61TY  0F  BOSTON. 
TBSE  AILEM   A.  BDWWB3  6@LO,E6ïOÔf3, 


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in  2010  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/lemnestrel56pari 


LE 


MENESTREL 


JOURNAL 


MONDE    MUSICAL 


MUSIQUE     ET     THEATKES 


56e    ANNEE     —    1890 


BUREAUX    DU    MÉNESTREL  :    S!  bis,   RUE    VIVffiNNE,    PARIS 
HENRI  HEUGEL,  Éditeur 


TABLE 


JOTJENAL    LE    MÉNESTREL 


VVb. 


56e  ANNEE  —  1É 


TEXTE     ET     MUSIQUE 


14,  \(r°^ 


IV  I.  —  5  janvier  1830.  —  Pages  3  à  8. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (43°  article), 
Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  II.  Semaine 
théâtrale  :  Les  amendes  infligées  aux  directeurs  de 
l'Opéra  ;  première  représentation  de  la  Grande  Vie, 
au  théâtre  des  Nouveautés,  H.  Moreno;  première 
représentation  du  ballet  Armida,  à  l'Eden-Théâtre, 
Paul-Émile  Chevalier.  —  III.  Le  théâtre  à  l'Exposi- 
tion (11°  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Revue  des 
Grands  Concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses.  —  VI.  Né- 
crologie. 

Piano.  —  Antonin  Marmontel. 
Le  long  du  chemin,  petite  pièce. 
Hf°  2.  —  12  janvier  1890.  —  Pages  9  a  16. 
I.  Histoire    de  la  seconde  salle  Favart  (44e   article}, 
Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  II.  Semaine 
théâtrale  :    La  question  de  f Opéra,  H.  Moreno:  re- 
prise des  Danicheff,   au  Gymnase,   Paul-Emile  Che- 
valier.  —  Le  théâtre    à    l'Exposition  (  VI"    article], 
Arthur  Pougin.  —  IV,  Nouvelles  diverses.  —  V.  Né- 
crologie. 

Chant.  —  Francis    Tliumé. 


HI"  3.  —19  janvier  1890.  —  Pages  17  à  2i. 
I.  Histoire   de  la   seconde  salle    Favart  (45°  article) 


Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  II.  Semaine 
théâtrale:  Une  soirée  â  l'Opéra-Comique  et  des  con- 
séquences qu'on  en  peut  tirer,  H.  Moreno  ;  première 
représentation  des  Moulinard,  au  Palais-Royal,  Paul 
Emile  Chevalier.  —  III.  Le  théâtre  à  l'Exposition 
(13e  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  La  reconstruction 
del'Opéra-Comique.  —  V.  Revue  des  Grands  Concerts. 

—  VI.  Nouvelles  diverses.  —  VII.  Nécrologie. 

Piano.  —  Philippe  Fahrbach. 
Echecs-quadriUe. 
Hï°  4.  —  2G  janvier  1890.  —  Pages  25  à  32. 
I.   Histoire  de  la  seconde  salle   Favart  (46°    article), 
Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  II.  Semaine 
théâtrale:  Les  débuts  du  ténor  Atlre.  à  l'Opéra;  le 
Voyage   de   Suzette,  à    la    Gaîté,  Cendrillonnette,    aux 
Bouffes-Parisiens,  IL  Moreno;   première   représenta- 
tion de  Margot,  à  la  Comédie-Française,  Paul-Emile 
Chevalier.   —    III.  Le  courrier  de  "  M.  Gailhard.  — 
IV.  Le  théâtre   à  l'Exposition   (14e  article),  Arthur 
Pougin.  —  V.  Revue  des   Grands   Concerts.   —  VI. 
Nouvelles  diverses.  —  VII.  Nécrologie. 
Chant.  — I.  Phïlipp. 
La  Chanson  des  Bois  (d'après  Chopin). 
."V  5.-2  février  1890.  —  Pages  33  à  40. 
I.  Histoire    de    la    seconde  salle  Favart  (47°  article), 
Albert  Soubies  et  Cahrles  Malherbe.  —  IL  Bulletin 
théâtral  :    Prolégomènes  de   la  reprise  de  Dimitri  à 
l'Opéra-Comique  ;  M.  Paravey    se    multiplie,  H.  M. 

—  III.  Le  théâtre  à  l'Exposition  (15B  article),  Arthur 
Pougln.  —  IV.  Les  études  classiques  au  Conservatoire. 

—  V.  Revue  des  grands  concerts.  —  VI.  Nouvelles 
diverses.  —  VIL  Nécrologie. 

Piano.  —  Philippe  Fahrbach. 
Causerie  d'oiseaux,  polka. 
W°  6.  -  9  février  1890.  —  Pages  41  à  48. 
I.  Histoire    de    la    seconde  salle  Favart  (48°  article), 
Albert   Soubies  et  Charles  Malherbe.—  il.  Semaine 
théâtrale:  Dimitri,  â  rOpéra-Comique;  Ma  mie  Rosette, 
aux  Folies-Dramatiques,   IL  Mobeno;  le  Comte  d'Eg- 
mont,   à  l'Odéon;  les  Vieux  Maris,  h.  la  Renaissance, 
Paul-Emile  Chevalier.  —  111.  Le  théâtre  â  l'Exposi- 
tion (16e  article),  Arthur   Pougin.  —  IV.    Revue  des 
Grands  Concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses.  —    VI. 
Nécrologie. 

Chant.  —  Francis  Thomc. 
fiitournelle. 
X"  7.  —  10  février  189Û.  —  Pages  49  à  56. 
I.  Théâtre    Royal  de  la    Monnaie:    Salammbô,    opéra 
en  5  actes  et  7  tableaux  de  M.  Ernest  Reyer,  paroles 
de  M.  Camille  du   Locle,  d'après  Flaubert,  Lucien 
Solvay.  —   II.  Bulletin  tbéàlral  :  A  l'Opéra,  H.  M.; 
première  représentation  de  Nos  Jolies  Fraudeuses,  aux 
Nouveautés,  Paul-Émile  Chevalieh.—  III.  Le  théâlre 
à  l'Exposition    (17°    article),  Arthuii  Pougin.  —   IV. 
Revue  des  Grands  Concerts,  —  V.  Nouvelles  diver- 
ses. —  VI.  Nécrologie. 

Piano.  —  André  Wormser. 
Gigue. 


%'  S.  —  23  février  1890.  —  Pages  57  à  G\. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (49°  article), 
Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  IL  Semaine 
théâtrale:  Rentrée  de  M.  Lhèrie,  à  l'Opéra-Comique; 
les  boniments  de  M.  Gailhard,  H.  Moreno;  remise 
des  Pilules  du  Diable,  au  Cbâtelet,  Paul-Emile  Che- 
valier. —  III.  Le  théâtre  à  l'Exposition  (18°  article). 
Arthur  Pougin.  —  IV.  Revue  des  Grands  Concerts. 

—  V.  Nouvelles  diverses. 

Chant.  —  *I.  Faure. 
Espoir  en  Dieu. 

]V  9.-2  mars  1890.  —  Pages  65  à  72. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (50°  article), 
Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  II.  Bulletin 
théâtral:  Opéra  et  O aéra-Comique,  H.  M.;  premières 
représentations  de  Fin  de  siècle,  au  Gymnase,  et  de 
Grand'mère,  à  l'Odéon,  Paul-Émile  Chevalier.  — 
III.  Le  théâtre  à  l'Exposition  (19L1  article),  Arthur 
Pougin.  —  IV.  Histoire  vraie  d«s  h3'ros  d'opéra  et 
d'opéra-co .nique  (32e  article):  Struensée,  Edmond 
Neukomm.  —  V.  Revue  des  Grands  Concerts.  —  VI. 
Nouvelles  diverses. 

Piano.  —  Denricti  Strobl. 
Chants  du  Tyrol,  polka-mazurka. 

iV°  IO.  —  9  mars  1890.  —  Pages  73  à  80. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (55°  article), 
Albert  Souries  et  Charles  Malherbe.  —  IL  Semaine 
théâtrale:  Samson  et  Dalila,  au  Théâtre  des  Arts,  à 
Rouen,  Intérim;  première  représentation  de  Monsieur 
Belsy,  aux  Variétés,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Le 
théâlre  à  l'Exposition   (20°    article),   Arthur  Pougin. 

—  IV.  Revue  des  Grands  Concerts.  —  V.  Nouvelles 
diverses. 

Chant.  —  Ambroise  Thomas. 
Fleur  de  neige. 

X°  11.  — 16  mars  1890.  —  Pages  81  à  88. 
I.  Histoire  de  la  seconde  s^Ue  Favart  (53e  article), 
Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  II.  Semaine 
théâtrale:  premières  représentations  du  Fétiche,  aux 
Menus-Plaisirs,  et  de  l'Œuf  Rouge,  ans.  Folies-Drama- 
tiques, H.  Moreno;  reprise  des  Originaux  et  première 
représentation  de  Camille,  à  la  Comédie -Fiauçaise, 
premières  représentations  d'Amour, à  l'Odéon,  et  du 
Mariage  de  Barillon,  à  la  Renaissance,  Paul-Emile 
Chevalier.  —  III.  La  musique  de  Lully,  dans  le  Bour- 
geois Gentilhomme,  J.-B.  Weckerlïn.  —  IV.  Histoire 
vraie  des  héros  d'opéra  et  d'opéra-comique  (33°  arti- 
cle): Rienzi,Ei>MONi>  Neukomm.—  V.  Revue  des  Grands 
Concerts.  —  VI.  Nouvelles  diverse". 

Plvno.  —  Paul  Rougnon. 
Le  Menuet  de  l'Infante. 

iV  12.  —  23  mars  189).  —  Pages  89  à  96. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (-54°  article), 
Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe.—  IL  Semaine 
théâtrale:  première  représentation  d'Ascu/i/o,  à  l'Opéra, 
Arthur  Pougin.  —  111.  Histoire  vraie  des  héros  d'o- 
péra et  d'opéra -comique  (3'i°  article):  Masaniello, 
Edmond  Neukomm. —  IV.  Revue  des  Grands  Concerts. 

—  V.  Nouvelles  diverses.  —  VI.  Nécrologie. 

Chant.  —  Francis  Thomc. 

Les  Hussards. 

rV  13.  —  30  mars  1890.  —  Pages  97  à  lOi. 

I.    Histoire  de    la  seconde  salle   Favart  (55°    article), 

Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  IL  Semaine 

théâtral»  :  La  partition  d'Ascanîo,  H.  Moreno;  première 

représentation    des  Miettes   de  l'année  et  reprise   du 

Roi  Candaule,  au  Palai>-Royal,  Paul-Emiie  Chevalier. 

—  III.  Du  leitmotive:  de  son  usage  ;  de  son  abu<, 
A.  Darston.  —  IV.  Correspondance  de  Belgique  :  le 
Vaisseau  Fantôme,  Lucien  Solvay.  —  V.  Nouvelles 
diverses,  concerts. 

Piano.  —  Ijcoii  Roques. 
Le  Fétiche,  quadrille  (Vi  'tor  Rorgcr). 
i\°  11.  —  6  avril  1890.  —  Pages  105  à  112 
I.  Histoire    de    la    seconde    salle  Favart  (56u   arlicle), 
Albert   Soubies  et  Charles  Maliikrbe.  —  II.  Semaine 
théâtrale:  Concert   spirituel  à  l'Opera-Comique,  Ju- 
lien ïiersot;  première   représentation   de  la  Clé  du 
Pdradfej  à  la  Renaissance,  Paul-Emile  Chevalier.  — 
III.  Du  leitmotive:  de  sou  usage;  de  son  abus  12e  et 
dernier  article),  A.  Darston.  —  IV.  Nouvelles  diver- 
ses et  concerts. 

Chant.  —  Victor  Roger. 
Assise  un  soir  dans  la  fougère  (te  Fétiche). 


iV  15.  —  13  avril  1890.  —  Pages  113  à  120. 
I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (57°  article), 
Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  II.  Semaine 
théâtrale:  la  Société  des  Grandes  Auditions  musica- 
les de  France,  H.  Moreno;  première  représentation 
des  Grandes  Manœuvres,  aux  Variétés,  Paul- Emile 
Chevalier.  —  III.  Le  théâtre  à  l'Exposition  (21e  ar- 
ticle), Arthur  Poegin.  —  IV.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Raoul  Pugno. 
Entr' acte-ballet  (la  Vocation  de  Marins). 
\°  1«.  —  20  avril  1890.  —  Pages  121  à  128. 
I.   Hislohe  de  la  seconde    salle   Favart   (58e   arlicle), 
Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  IL  Semaine 
théâtrale:  La  Régie  à  l'Opéra,  H.  Moreno;  le  Vénitien, 
au  Théâtre  des   Arts  de  Roueu,  Intérim;   premières 
représentations  de  la  Vie  à  deux,   h  l'Odéon,  et  de 
Ménages  parisiens,  aux  Nouveautés,  Paul-Émile  Cheva- 
lier.   —    III.  Le   théâtre  à  l'Exposition  (22u  article), 
Arthur  Pougin.  —  IV.  Nouvelles    diverses  et  cou- 
Chant.  —  M.  B.  Colomer. 
Elle  a  mis  sa  toilette  claire. 
JV  17.  —  27  avril  1890.  —  Pages  129  â  136. 
I.  Histoire    de  la    seconde    salle    Favart  (59*  article), 
Albert  Soubies  et  Charles  Malherbe.  —  IL  Semaine 
théâtrale:  La  question  des  «  Petits  droits  »  en  Angle- 
terre, H.  Moreno.  —  III.  Les  Œuvres  musicales  de 
Frédéric  le  Grand,  Michel  Brenet.  —  IV.  Nouvelles 
diverses  et  concerts. 

Piano.  —  Philippe  Fahrbach. 
Capitaine -Pollca  (Le  Fétiche). 
j%°  1S.  —  4  'mai  1890.  —  Pages  137  à  144. 
I.  Histoire    de    la    seconde  salle  Favart    (60e  article), 
Albert  Sourie    et  Charles  Malherbe.  —  II.  Bulletin 
théâtral:  Faut-il  souscrire?  H.  Moreno;  Paris  après 
l'Exposition,  à  l'Édeu,  Paul-Émile   Chevalier.  —  III. 
Le  théâtre  â  l'Exposition    (23°  article),  Arthur  Pou- 
gin.—  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 
Chant.  —  M.  R.  Colomer. 
Nous  cheminions  dans  le  sentier. 
HT*  19.  —  11  mai  1890.  —  Pages  145  à  152. 
I.  Liszt  et  Thalberg.  Une   lettre  de  Liszt.  Ernest  Le- 
gouvé.  —IL  Bulletin  théâtral:  De  l'utilité  des  répé- 
titions  générales  en   public,    H.   Moreno;  première 
représentation  du   Béjaune,  aux   Variétés,  et  reprise 
d'un  Lycée  de  jeunes  filles,   à  la  Renaissance,  Paul- 
Emile  Chevalier.  —  III.  Le  théâtre  à  l'Exposition  (24e 
anicle),  Arthur   Pougin.  —  IV.  Nouvelles   diverses, 
concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Ch.  rVeustcdt. 
Le  Rêve  du  prisonnier,  transcription. 
X°  20.  —  18  mai  189:1.  —  Pages  153  à  160. 
I.  Notes   d'un   librettiste:   Georges  Bizet  (1er  article), 
Louis  Gallet.  —  IL  Semaine  théâtrale:  première  re- 
présentation   de  Dante,  à    l'Opéra-Comique.   Arthur 
Pougin;  reprises  de  la  Grande -Duchesse  de  Gèrolstein, 
aux  Variétés,  et  de  Jeanne,  Jeannette  et  Jcannelon,  aux 
Bouflés,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  La  musique  et 
le  théâtre  au  Salon  des  Champs-Elysées  (1"  article), 
Camille   Le  Senne.  —  IV.  Nouvelles  diverses,   con- 
certs et  nécrologie. 

Chant.  —  SI.  U.  Colomer. 
C'e-U  ma  mignonne  amie. 
X°  2Ï.  —  25  mai  1890.  —  Pages  161  à   108. 
I.   Notes  d'un    librettiste:    Georges    Bizet   (2-    arlicle), 
Louis  Gallet.  —  IL  Semaine  théâtrale  :  Sur  les  mo- 
tifs d'Ascanio,  Julien  Tiersot;  première  représentation 
d'une    Famille,    a   la   Comédie-l'ranraisc,    Paul-Émile 
Chevalier.  —  III.  La  musique  et  le"  théâtre  au  Salon 
dfs  Champs-Elysées  (2"  article),  Camille   Le  Senne. 
—  IV.  Nouvelles  diverses,  conecris  et  u"Crulogie. 
Piano.  —  Théodore  Liack. 
/_,' 'Oiseau- Mouche,  caprice. 
rVa  22.  —  lDrjuin  1890.  —  Pages  16 i  à  176. 
I.  Notes   d'un    librettiste:   Georges    Bizet  (3e    article), 
Louis   Gallet.  —  II.  Semaine   théâtrale  :    premières 
représentations   de   Zaïre   à   l'Opéra  et  de  lu  Basoche 
à  l'Opéra-Comique,  Arthur  Pougin;  première  repié- 
seuUtion  du  Hanneton  d'Hèlo'ise  et  reprise  des  Pro- 
vincialos  à   Paris,   Paul-Emile   Chevalier.    —  III.  La 
musique  et  le  théâtre  au  Salon  des  Champs-Elysées 
(3e  article),  Camille   Le  Senne.  —    IV.  Nouvelles  di- 
verses, concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  Inouïs  flftiémcr. 
Le  Sentier. 


X°  33.  —  8  juin  1890.  —  Pages  177  à  184. 

I.  Notes  d'un  librettiste:  Georges  Bizet  (4°  article), 
Louis  Gallet.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  Béatrice  et 
Bénedict,  de  Berlioz,  au  théâtre  de  l'Odéon,  Am  Bou- 
takel  ;  te  Voijar/e  à  Chaudfontaine,  aux  Nouveautés  ; 
début  de  M—  Fierens  à  l'Opéra,  Arthur  Pougin.  — 
III.  La  musique  et  le  théâtre  au  Salon  du  Champ- 
de-Mars  (4=  article),  Camille  Le  Senne.  —  IV.  Fleurs 
d'hiver,  fruits  d'hiver,  Ernest  Legouvé.  —  V.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Antouin  Marmoutel. 

Valse-sérénade. 

IV  24.  —  15  juin  1891).  —  Pages  185  à  192. 

I.  Notes  d'un  librettiste  :  Georges  Bizet  (5°  article), 
Louis  Gallet.  — IL  Semaine  théâtrale:  Ballet  à  l'Opé- 
ra; te  Rêve,  de  M.  Gastinel,  H.  Moreno.  —  III.  La 
musique  et  le  théâtre  an  Salon  du  Champ-de-Mars 
(5«  article),  Camille  Le  Senne.  —  IV.  Le  théâtre  à 
l'Exposition  (25°  article),  Arthur  Pougin.  —  V. 
Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  Joaunî  l*erronnet. 

Suzon,  chanson. 

rV°  25.  —  22  juin  1890.  —  Pages  193  à  200. 
I.  Notes    d'un   librettiste  :  Georges    Bizet    (6'  article), 
Louis  Gallet.  —  IL  Semaine  théâtrale  :  le  Cercla  fu- 
nambulesque, Arthur  Pougin  ;  reprises  de  la  Fille  de 
Roland,  à  la  Coniedie-Franca.se  et  de  la  Fille  de  l'air, 
aux  Folies-Dramatiques,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III. 
Le  théâtre  à  l'Exposition  (26»  article),  Arthur  Pou- 
gui. —IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 
Piano.  —  A.  Trojclli. 
Dansons  la  tarentelle. 


W  26. 


29  ju 


.  1890.  —  Pages  2IU  à  208. 


I.  Notes   d'un    librettiste  :    Georges    Bizet  ('■'  article), 

Louis  Gallet.  —  IL  Semaine  théâtrale:   La  direction 

de  l'Opéra  devant,  la  Commission  du  budget  ;  Jeanne 

d'Arc  à  l'Hippodrome,  H.  Moreno.  —  III.  Le   théâtre 

à  l'Exposition  (26   article),   Arthur   Pougin.    —  IV. 

Histoire  vraie  des  héros  d'opéra  et  d'opéra-comique 

(35e  article)  ;  Puccio  d'Aniello,  Edmond  Neukomm.  —  V. 

Nouvelles  diverses,  concerts   et  nécrologie. 

Chant.  —  Darston. 

Crépuscule. 

X'  29.  —  6  juillet  1890.  —  Pages  209  à  216. 

I.  Notes  d'un  librettiste:  Georges  Bizet  (8"  article), 
Louis  Gallet.  —  II.  Bullelin  théâtral,  H.  M.  —  III. 
Le  théâtre  à  l'Exposition  (26e  et  dernier  article),  Ar- 
thur Pougin.  —  IV.  Histoire  vraie  des  héros  d'opéra 
et  d'opéra-comique  (36°  article)  :  Tabarin,  Edmond 
Neukomm.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  né- 
crologie. 

Piano.  —  Ed.  Cliava^nat. 

Un  Sourire. 
X"  88.  —  13  juillet  1890.  —  Pages  217  à  22i. 

I.  Notes  d'un  librettiste  :  Georges  Bizet  (9°-  article), 
Louis  Gallet.  —  IL  Semaine  théâtrale:  Reprise  du 
Don  Juan  de  Mozart  par  Charles  Gounod.  Arthur 
Pougin.  —  III.  Les  origines  du  chant  liturgique, 
d'après  une  récente  publication  de  M.  Gevaert,  Ju- 
lien Tiersot.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 

Chant.  —  Emile  Bourgeois. 

Les  Pommiers. 


X"  29.  —  20  juillet  1890.  —  Pages  2: 


232. 


I.  Notes  d'un  librettiste  :  Georges  Bizet  (10e  article), 
Louis  Gallet.  —  II.  Semaine  théâtrale:  Les  specta- 
cles   gratuits    du    14   juillet;  nouvelles,  H.  Moreno. 

—  III.  Une  représentation  de  Henri  Vil l  au  théâtre 
du  Globe,  à  Londres,  en  juin  1613,  E.  de  Lïden.  — 
IV.  Histoire  vraie  des  héros  dopera  et  d'opéra- 
comique  (37°   article)  :  Turlupin,    Edmond   Neukomm. 

—  V.  Nouvelles  diverses. 

Piano.  —  Théodore  Eack. 

2°  Valse  hongroise. 
X'  30.  —  27  juillet  1890.  —  Pages  233  à  210. 

I.  Notes  d'un  librettiste:  Georges  Bizet  (11e  article), 
Louis  Gallet.  —  IL  Semaine  théâtrale  :  les  concours 
du  Conservatoire;  nouvelles,  H.  Moreno.  —  III.  Ber- 
lioz, son  génie,  sa  technique,  son  caractère,  à  propos 
d'un  manuscrit  autographe  d'Harold  en  Italie,  A. 
Montaux.  —  IV.  Histoire  vraie  des  héros  d'opéra  et 
d'opéra-comique  (38e  article)  :  Triboulet,  Edmond 
Neukomm.  —  V.  Nouvelles  diverses. 


Chant.  —  A.  B.ini 
L'Etoile. 


rider. 


IV-  31.  —  3  août  1890.  —  Pages  241  à  248. 

I.  Notes  d'un  librettiste  :  Georges  Bizet  (12e  article), 
Louis  Gallet.  —  IL  Bulletin  théâtral.  H.  M.  —  III. 
Berlioz,  son  génie,  sa  technique,  son  caractère,  à 
propos  d'un  manuscrit  autographe  d'Harold  en  Italie 
12"  article),  A.  Montaux.  —IV.  Histoire  vraie  des 
héros  d'opéra  et  d'opéra  comique  (39e  article)  :  Blon- 
dcl,  Edmond  Neukomm.  —  V.  Nouvelles  diverses. 

Piano.  —  Ch.  Aeustedt. 


Romance  dejocondc,  transcription. 
Hf«  32.  —  10  août  1890.  —  Pages  249  à 


56. 


L  Notes  d'un  librettiste  :  Eugèue  Gautier  (13e  article), 
Louis  Gallet.  —  II.  La  Distribution  des  prix  au 
Conservatoire,  Arthur  Pougin.—  111.  Bulletin  tnèàlral; 
La  question  du  l'Opéra,  A.  P.  —  IV.  Nouvelles  di- 
verses et  nécrologie. 

Chant.  —  U.  Ver  dalle. 

Vous  ne  m'avez  jamais  souri. 


X'  33.  —  17  août  1890.  —  Pages  257  à  26'i. 

I.  Notes  d'un  librettiste.  Eugène  Gautier  114"  article). 
Louis  Gallet.  —  II  Semaine  théâtrale  :  Les  théâtres 
et  le  droit  des  pauvres,  Arthur  Pougin.  —  III.  Berlioz, 
son  génie,  sa  technique,  sod  caractère,  à  propos  d'un 
manuscrit  autographe  d'Harold  en  Italie  (3e  article), 
A.  Montaux.  —  III.  Histoire  vraie  des  héros  d'opéra 
et  d'opéra-comiquH  (40°  article)  :  Ange  Pitou,  Edmond 
Neukomm.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 
Piano.  —  Edouard  Broustet. 
Joyeux  Rigaudon. 

X'  34.  —  24  août  1890.  —  Pages  265  à  272. 

I.  Notes  d'un  librettiste  :  Eugène  Gautier  (15e  article), 
Louis  Gallet.  — II.  Semaine  théâtrale:  W agiterions, 
wagnérisme  ot  littérature  wagnérisante,  Arthur  Pou- 
gin. —  III.  Berlioz,  son  génie,  sa  technique,  son  ca- 
ractère, àpropos  d'un  manuscrit  autographe d'itoroZeZ 
en  Italie  (4°  article),  A.  Montaux.  —  IV.  Nouvelles 
diverses  et  nécrologie. 

Chant.  —  Vietor  Staub. 
Si  tu  veux  ! 

X'  35.  —  31  août  1890.  —  Pages  273  à  2S0. 

L  Notes  d'un  librettiste  :  Eugène  Gautier  (16°  article), 
Louis  Gallet.  —  IL  Semaine  théâtrale  :  Le  centenaire 
d'Herold,  Arthur  Pougin.  —  III.  Berlioz,  son  génie, 
sa  technique,  son   caractère,  à  propos  d'un  manus- 
crit autographe  d'Harold  en  Italie  (5°  article),  A.  Mon 
taux.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 
Piano.  —  André  Wormser. 
Dolce  fat  nienle. 
X'  36.  —  7  septembre  1890.  —  Pages  281  à  288. 

I.  Notes  d'un  librettiste  :  Eugène  Gautier  (17e  arlicle), 
Louis  Gallet.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  La  saison  qui 
s'ouvre,  Arthur  Pougin;  première  représentation  du 
Pompier  de  Justine,  aux  Folies-Dramatiques,  Paul-Emile 
Chevalier.  —  III.  Berlioz,  son  génie,  sa  technique, 
son  caractère,  à  propos  d'un  manuscrit  autographe 
d'Harold  en  Italie  (6°  et  dernier  article),  A.  Montaux. 
—  IV.  Nouvelles  diverses. 

Chant.  —  «J.  Faure. 
Hymne  aux  astres, 

X'  3Ï.  —  14  septembre  1890.  —  Pages  289  à  296. 

I.  Notes  d'un  librettiste  :  Eugène  Gautier  (18e  arlicle), 
Louis  Gallet.  —  IL  Semaine  théâtrale:  Variations  sur 
le  Mage  et  Salammbô,  H.  Moreno;  première  représen- 
tation du  Secret  de  Gilberte.  à  l'Odéon,  Paul-Emile 
Chevalier.  —  III.  Les  deouts  et  le  sifflet  au  théâtre, 
Em.  de  Lyden.  —  IV.  Histoire  vraie  des  héros  d  opéra 
et  d'opéra-comique  (41e  article)  :  Le  roi  d'Yvetot, 
Edmond  Neukomm. —  V.  Nouvelles  diverses. 
Piano.  —  Franz-IIitz/ 
Verglas-galop. 


X"  38. 


21  septembre  1890.  —  Pages  297  à  304. 


I.  Notes  d'un  librettiste:  Eugène  Gautier  (19e  article), 
Louis  Gallet.  —  II.  Semaine  théâtrale:  Du  Mage  et 
de  Salammbô,  IL  Moreno;  reprises  du  Duc  Job.  à  la 
Comédie-Française,  et  de  la  Belle  Hélène,  aux  Va- 
riétés, Paul-Emile  Chevalier  —  III.  Un  virtuose 
couronné  (1er  article).  Edmond  Neukomm  et  Paul 
d'Estrée.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 
Chant.  —  J.  Faure. 
Les  Yeux. 

X'  30.  —  28  septembre  1890.  —  Pages  305  à  312. 

I.  Notes  d'un  librettiste  :  Jean  Conte  (20°  article), 
Louis  Gallet.  —  II.  Semaine  théâlrale:  On  demande 
un  chef  d'orchestre,  11.  Moreno;  reprise  rie  la  Mai- 
tresse  légitime,  à  l'Odéon,  Paul-Émile  Chevalier.  — 
lit.  Un  virtuose  couronné  (2°  article),  Edmond  Neu- 
komm et  Paul  d'Estrée.  —  IV.  Nouvelles  diverses. 
Piano.  —  Paul  Barbot. 
Roses  et  Papillons. 

IV  10.  —  5  octobre  1890.  —  Pages  313  à  320. 

I.  Notes  d'un  librettiste  :  Jean  Conte  (21e  article), 
Louis  Gallet.  —  IL  Semaine  théâtrale  :  inauguration 
de  la  statue  de  Berlioz  à  la  Côte-Saiot-Audré,  Ju- 
lien Tiersot;  reprise  de  Gillette  de  Narbonne,  a'ix 
Folies-Dramatiques,  Pal l-Émii.e  Chevalier.  —  111.  Un 
virtuose  couronné  (3e  article),  Edmond  Neukomm  et 
Paul  d'Estrée.  —  IV.  Nouvelles  diverses. 
Chant.  —  J.  Faure. 
Mystère! 

X'  41.  —  12  octobre  1890.  —  Pages  321  à  328. 

F  Notes  d'un  librettiste:  Louis  Lacombe  (22e  article), 
Louis  Gallet.  —  II.  Semaine  théâtrale  ;  Rentrée  de 
Mma  Melba,  à  l'Obéra;  première  représentation  de 
Colombine,  à  1  Opéra-Comique,  H.  Moreno;  premières 
représentations  de  l'Art  de  tromper  les  Femmes,  au 
Gymnase,  et  de  En  scène,  Mesdemoiselles,  à  la  lleuais- 
sauce,  Paul  Emile  Chevalier.  —  III.  Uu  virtuose 
couronné  (4e  article),  Edmond  Neukomm  et  Paul 
d'Estrée.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 
Piano.  —  l'ranz  Bebr. 
Petit  chéri,  gavotte. 

V'  42.  —  19  octobre  1893.  —  Pages  329  à  336. 

I.  Notes  d'un  librettiste  :  Louis  Lacombe  (23e  arlicle), 
Louis  Gallet.  —  11.  Semaine  théâlrale  :  Reprise  de 
Sigurd,  à  l'Opéra, Arthur  Pougin;  première  représen- 
tation de  tes  Femmes  des  amis,  au  Palais-Royal, 
Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Un  virtuose  couroùnë 
f.v  article),  Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée.  — 
IV.  Nouvelles  diverses. 

Chant.  —  Julien  Tiersot. 
Le  Unis  de  mai,  chant  de  quête  de  U  Champagne. 


Y  13.  —  26  octobre  1890  —  Pages  337  i,  344. 
I.  Noies  d'un  librettiste  :  Louis  Lacombe  (24«  article), 
Louis  Gallet.—  II.  Semaine  théâtrale:  Une  lettre  de 
M.  Ernest  Reyer,  IL  Moreno  ;  première  représentation 
du  Maître,  aux  Nouveautés,  et  reprise  de  Peau  d'Ane 
au  Châtelet,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Lin  vir- 
tuose couronné  (6e  a  r  L  i  ■  ■  1  ■  -  ,  Edmond  Neukomm  et  Paul 
d'Estrée.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  né- 
crologie. 

Piano.  —  Théodore  L,acl<. 
Allegretto  •pastoral. 
X-   II.  —  2  novembre  1890.  —  Pages  345  à  352. 
I.  Notes  d'un   librettiste:  Louis  Lacombe  (25e  article;, 
Louis  Gallet.  —  II.  Semaine  théâtrale:  La  candida- 
ture de  M.  Wilder  à  la  direction  de  l'Opéra,  H.  Mo- 
reno;   première   représentation  de  Ma    Cousine,   aux 
Variétés,   Paul-Émile  Chevalier.  —  III.  La  statue  de 
Georges  Bizet.  —  IV.  Un   virtuosa    couronné   (7e    et 
dernier  article),    Edmond   Neukomm  et  Paul  d'Estrée. 
—  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 
Chant.  —  Julien  Tiersot. 
Celui  que  mon  cœur  aime  tant,  chanson  de  l'Angoumois. 

A°  45.-9  novembre  1890.  —  Pages  353  à  360. 

L  —  Notes  d'un  librettiste  :  Louis  Lacombe  t26e article), 
Louis  Galles.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  premières 
représentations  de  Samson  et  Dalila  et  de  la  Jolie  Fille 
de  Penh,  au  Théâtre-Lyrique.  Arthur  Pougin  ;  premiè- 
res représentations  de  Roméo  et  Juliette,  à  l'Odéon,  et 
de  la  Pie  au  nid,  aux  Nouveautés,  Paul-Émile  Che- 
valier. —  III.  Le  monument  de  Georges  Bizet,  le 
tombeau  de  Félicien  David  et  la  statue  de  Méhul, 
H.  M.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 
Piano.  —  L..-A.  Bourgault-Ducoudray. 
Légende  slave. 


X-  46. 


16  novembre  1890.  —  Pages  361  a 


I.  Notes  d'un  librettiste:  Louis  Lacombe  (27°  article), 
Louis  Gallet.  —  IL,  Semaine  théâtrale:  premières  re- 
présentations de  l'Egyptienne,  aux  Folies-Dramatiques, 
de  Miss  Helyelt,  aux  Bouffes-Parisiens,  et  de  la  Pari- 
sienne, â  la  Comédie-Française,  Paul-Emile  Chevalier. 
—  III.  César  Franck,  Julien  Tiersot.  —  IV.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 


Chant.  —  Julien  Tiersot. 

La  Mort  du  roi  Renaud. 

-V«.  —  23  novembre  1S90.  —  Pages  369  à  376. 
I.  Notes  d'un  librettiste  :  Alexis  de  Castillon  (28° 
article),  Louis  Gallet  —  IL  Semaine  théâtrale  : 
Quelques  indiscrétions  sur  la  prochaine  Jeanne  d'Are 
du  Châtel-t,  Henry  Eïmieu;  première  reorésentation 
de  Dernier  Amour ,  au  Gymnase,  Paul-Émile  Cheva- 
lier. —  III.  La  Sonate  à  Kreutzer  (1er  article),  Arthur 
Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  né- 
crologie . 

Piano.  —  Théodore  Lack. 
Mazurka  Éolienne. 

X"  48.  —  30  novembre  1890.  —  Pages  377  à  384. 
I.  Notes  d'un  librettiste  :  Alexis  de  Castillon  (29e  arti- 
cle), Louis  Gallet.  —  IL  Semaine  théâtrale:  le  vote 
des  subventions;  première  représentation  de  Samson- 
net.  aux  Nouveautés,  H.   Moreno.  —  III.   La  sonate 
à  Kreutzer  (2e  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 
Chant.  —  .lui Un  Tiersot. 
La  Mort  du  Mari,  version  normande. 

rV°  40.  —  7  décembre  1890.  —  Pages  3S5  à  392. 

I.  Notes  d'un  librettiste  :   Victor   Massé   (30e  article). 

Louis  Gallet.  —  IL  Semaine   théâtrale  :    Malvenuto 

Cellini,    à    l'Opéra-Comique,    H.    Moreno;    première 

représentation  d'Un  Prix  Montijon,  au   Palais-Royal, 

Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Une  famille  d'artistes  : 

Les    Saint-Aubin    (1er    article),    Arthur  Pougin.    — 

IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Vietor  Roger. 

Chaconne  (Sansonnet}. 

X'  50.  —  14  décembre  1890.  —  Pages  393  à  400. 
1.  Notes  d'un  librettiste  :  Victor  Massé  (31e  article), 
Louis  Gallet.  —  II.  Bulletin  théâtral  :  La  repré- 
sentation de  gala  de  Carmen,  H.  M.  ;  reprise  de  la 
Fiammina,  au  Gymnase.  Paul-Émile  Chevalier.  — 
III.  Etranges  théories  d'un  éditeur  russe  sur  la  pro- 
priété artistique,  Henri  Heugel.  —  IV.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  Blanc  et  Dauphin.  » 

Les  Sabots  et  les  Toupies  (la  chanson  das  Joujoux). 

A°  51.  —  21  décembre  1890.  —  Pages  401  à  408. 
I.  Notes  d'un  librettiste  :  Victor  Massé  (32e  article), 
Louis  Gallet.  —  IL  Semaine  ihéâtrale  :  premières 
représentations  des  Douze  Femmes  de  Japhel,  à  la 
Renaissance  et  de  la  Fée  aux  Chèvres,  à  la  Gaîté, 
IL  Moreno.  —  III.  Une  famille  d'artistes:  Les  Saint- 
Aubin  (2e  arlicle),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Revue  des 
Grands  Concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses  et  nécro- 
logie. 

Piano.  —  Henry  Ghys. 
Noël  breton. 

X'  52.  —  28  décembre  1890.  —  Pages  409  à  416. 

I.  Notes  d'un  librettiste  :  Victor-Masse  (33e  article), 
Louis  Gallet.  —IL  Semaine  théâtrale:  Pour  le  jour 
de  l'An  de  M.  Gailhard,  IL  Moreno.  —  III.  Une 
famille  d'artistes:  Les  Saint-Aubin  (3e  article),  Arthur 
Pougin.  —  IV.  Revue  des  Grands  Coucerts.  —  V.  Nou- 
velles diverses  et  nécrologie. 

Chant.  —  Blanc  et  Dauphin. 
Les  Petits  Chasseurs   la  chanson  des  Joujoux  i. 


Cinquante-septième    année     de    publication 


PRIMES  1891  du  MÉNESTREL 

JOURNAL   DE   MUSIQUE    FONDÉ   LE    1er   DÉCEMBRE    1833 

Paraissant  tous  les  dimanches  en  huit  pages  de  texte,  donnant  les  comptes  rendus  et  nouvelles  des  Théâtres  et  Concerts,  des  Notices  biographiques  et  Études  sur 

les  grands  compositeurs  et  leurs  œuvres,  des  séries  d'articles  spéciaux  sur  l'enseignement  du  Chant  et  du  Piano  par  nos  premiers  professeurs, 

des  correspondances  étrangères,  des  chroniques  et  articles  de  fantaisie,  etc., 

publiant  en  dehors  du  texte,  chaque  dimanche,  un  morceau  de  choix  (inédit)  pour  le  CBAXT  ou  pour  le  PIANO,  de  moyenne  difficulté,  et  offrant  . 

à  ses  abonnés,  chaque  année,  de  beaux  recueils-primes  CHANT  et  PIANO. 


PIANO 

Tout    abonné    à    la    musique    de    Piano    a    droit  gratuitement   à    l'un    des    volumes    in-8°    suivants 


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recueils  du  PIANISTE-LECTEUR,  reproduction  des  manuscrits  autographes  des  principaux  pianistes-compositeurs,  ou  à  l'un  des  volumes  précédents  du  répertoire 
de  STRAUSS,  GUNG-'L,  FAHRBACH,  STROBL  et  KAULICH,  de  Vienne. 


CHANT 


Tout    abonné    à    la    musique    de    Chant    a    droit    à    l'uce    des    primes    suivantes  : 


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STAST,  CHACUNE,  LES  PRIMES  DE  PIANO  ET  DE  CHANT 

TRADUCTION  FRANÇAISE 

DE 

G.      ANTHE0NIS 


A  L'an 

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Opéra  en  3  actes  de 

BEETHOVEN 

Seule  édition  conforme  aux  procfiaines  représentations  tle  t'Opéra  tle  Paris 


Partition    chant    et    piano 


RECITATIFS  &  REDUCTION  PIANO 

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AMBROISE     THOMAS 


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LE  SONGE  D'UNE  NUIT  D'ÉTÉ 

Grand    Opéra    en    trois    actes 

Édition   avec   double   texte  français   et  italien 
NOUVEAUX   RÉCITATIFS 

NOTA  IMPORTANT  —  Ce»  primes  sont  délivrées  srratuiteraent  dans  no»  bureaux,  3  bis,  rue  Vivicnne,  il  partir  du  1"  Janvier  1891,  à  tout 
ou  nouvel  abonne,  sur  la  présentation  de  la  quittance  d'abonnement  an  lIEiYESTRELi  pour  l'année  1891.  Joindre  an  prix  d'abonnement  un 
supplément  d'UiV  ou  de  IHJUXfranoi  pour  l'envoi  franco  de  la  prime  simple  ou  double  dans  les  départements.  (Pour  l'Etranger,  l'envoi  franco 
des  primes  se  règle  selon  lis  frais  de  Poste.) 

Lesabonnesa«Cbantpvenlprendrclu|iriiuePiaiio,elvicc  versa.— Ceux  au  Piano  el  au  Chant  renais  onl  seuls  droit  à  la  grande  Prime.  -  Les  abonnés  au  texte  seul  n'ont  droit  à  aucune  prime. 


HAMLET  -  AMLETO 

Grand    Opéra    en    cinçt    actes 

Nouvelle  édition  avec  double  texte  français  et  italien 
VERSION  POUR  TÉNOR 


CONDITIONS  D'ABONNEMENT  AU  «  MENESTREL 
ches^  26  morce 


I"  Murle'l'almnnemenl  :  Journal -Texte,  tous  1( 
Scènes,  Mélodies.   Koiiiihh;<,    p.ir.iissnut    du   quinzaine  en  quinzaine;  1   Recueil 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  lianes  ;  Étranger,  frais  de  poste  en  sus.  Prime     Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs;  Mranger  :   (rais  de  poste  en  sus. 


tei'abontw-mtit:  Journal-Texte,  tous  les  dimanches;  26  morceaux  de  piano: 
Kintaisies.      transcriptions,    Danses,   de    quinzaine    en    quinzaine;     1    Recueil- 


GHANT  ET  PIANO  REUNIS 

3"  Mode  àlabormemenl  contenant  le  Texte  complet,  52  morceaux  de  chant  et  de  piano,  les  2  Recueils-Primes  ou  une  Grande  Prime.  -  On  an  :  30  francs,  Paria 

et  Province;  Étranger:  Poste  en  P.U9.  —  On  souscrit  le  1"  de  chaque  mois.  —  Les  52  numéros  de  chaque  année  forment  collection. 
4°  Mode.  Texte  seul,  sans  droit  aux  primes,  un  an:  10  francs. 

Adresser  franco  un  hon  sur  la  poste  a  M.  Henri  HEUGEL,    directeur  du  Ménestrel,  X  bis,  rue  Vivienne. 


Dimanche  5  Janvier  1890. 


3066  —  56me  ANNEE  -RM.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

adresser  franco  à  M.  Henri  HEDGEL,  directeur  du  Ménestbel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement 

Un  an,  T«ite  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  ('i.3°  article),  Albert  Soubies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale:  Les  amendes  infligées  aux  directeurs  de 
l'Opéra  ;  première  représentation  de  la  Grande  Vie.  au  théâtre  des  Nouveautés, 
H.  Moreno;  première  représentation  du  ballet  Armida,  à  l'Eden-Thëâtre,  Paul- 
Emile  Chevalier.  —  III.  Le  théâtre  à  l'Exposilion  (11°  article),  Arthur  Pougin. 
—  IV.  Revue  des  Grands  Concerts. —  V.  Nouvelles  diverses.  —VI.  Nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  lamusique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 
LE    LONG    DU    CHEMIN 
petite  pièce  cVAntomn  Maiuiontel.  —  Suivra  immédiatement:  Échecs-qua- 
drille, de  Philippe  Fahrhach. 

CHANT 
Nous  publierons   dimanche   prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant:    Madrigal,    nouvelle    mélodie  de  Francis   Tbomé,  poésie  de  Ed. 
Guinand.  —  Suivra  immédiatement:  La  Chanson  des  bois,  mélodie    d'après 
Chopin  par  I.  Philipp,  paroles  de  Jules  Ruelle. 


IX 


Dans  l'impossibilité  de  répondre  à  l'obligeant  envoi  de  toutes  les  caries 
de  nouvelle  année  qui  nous  parviennent  au  Ménestrel,  de  France  et  de 
l'Étranger,  nous  venons  prier  nos  lecteurs,  amis  et  correspondants,  de 
vouloir  bien  considérer  cet  avis  comme  la  carte  du  Directeur  et  des  Colla- 
borateurs semainiers  du  Ménestrel. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 

PAR 

Albert  SOUBIES   et  Charles   MALHERBE 

(Suite.) 


CHAPITRE  XIII 

MEYERBEER   A    l'opÉRA-COMIQUE 

l'étoile  DU  NORD 

18S3-1855 

C'est  à  dessein  qu'en  un  seul  chapitre  se  trouvent  groupées 
ici  trois  années  de  l'histoire  de  la  salle  Favart.  Une  œuvre 
capitale  s'impose  en  effet,  et  demeure  le  point  lumineux  de 
cette  époque  :  l'Etoile  du  Nord.  En  outre,  une  même  physio- 
nomie parait  commune  à  ces  trois  années  et  permettrait 
presque  d'ajouter,  en  manière  de  sous-titre  :  ou  le  grand  suc- 
cès des  petits  ouvrages.  Il  suffit,  pour  s'en  convaincre,  de 
jeter  les  yeux  sur  le  tableau  suivant  : 


Ouvrages  nouveaux 

en  : 

Un  acte 

Deux  actes 

Trois  actes 


Or,  de  ces  douze  pièces  en  un  acte,  cinq  ont  obtenu  un  grand 
succès,  savoir  :  les  Noces  de  Jeannette,  les  Papillotes  de  M.  Benoist, 
les  Trovatelles,  les  Sabots  de  la  Marquise,  le  Chien  du  Jardinier. 

Les  pièces  en  deux  actes  ont,  au  contraire,  échoué  toutes 
les  quatre.  Pour  les  sept  pièces  en  trois  actes,  deux  seulement 
ont  réussi;  encore  l'une  d'elles,  le  Sourd,  est-elle  si  courte, 
qu'elle  n'a  jamais  seule  rempli  tout  un  programme,  et  ne 
saurait  passer  que  pour  un  appoint  sur  l'affiche. 

En  réalité,  tout  rayonne  autour  de  l'Etoile  du  Nord,  et  l'im- 
portance de  ce  fait  artistique  justifie  l'étude  qui  lui  sera  con- 
sacrée à  sa  date  de  représentation  :  car  ce  n'est  plus  une 
simple  victoire,  c'est  un  pas  décisif  dans  la  voie  nouvelle  où 
s'engage  le  vieux  genre  de  l'opéra-comique.  Quant  aux  re- 
prises, elles  devenaient  moins  fréquentes  ;  en  ces  trois  années 
on  ne  remettra  guère  à  la  scène  que  des  ouvrages  en  quel- 
que sorte  appartenant  au  répertoire  courant  :  les  Mousquetaires 
de  la  Reine,  Uaydée,  le  Maçon,  le  Déserteur,  les  Diamants  de  la 
Couronne.  Un  seul  n'avait  pas  été  joué  depuis  cinq  ans,  le  Pré 
aux  Clercs;  un  seul  n'avait  jamais  été  donné  à  la  salle  Favart, 
l'Epreuve  villageoise. 

La  plus  grosse  part  des  efforts  de  la  direction  se  porta  sur 
les  nouveautés.  A  la  différence  de  nombreux  directeurs,  dont 
les  noms  importent  peu,  M.  Perrin  aimait  les  jeunes;  il  ne 
craignait  pas  d'accueillir  les  débutants,  et  il  le  prouva,  par 
exemple,  en  montant  le  Miroir  (19  janvier  185'3).  Ce  petit  acte 
de  Bayard  et  d'Avrigny  offrait  au  musicien  une  suite  de 
scènes  plus  favorables  aux  couplets  qu'aux  scènes  dramati- 
ques ;  c'était  de  la  magie,  si  l'on  veut,  mais  de  la  magie  à 
l'eau  de  rose,  où  les  sorciers  n'ont  rien  d'effrayant,  où  le  miroir 
n'est  pour  ainsi  dire  qu'un  piège  à  alouettes,  destiné  à  prendre 
les  amoureux.  Parmi  ces  morceaux,  plusieurs  étaient  agréa- 
blement tournés,  quoiqu'un  critique  du  temps  y  eût  relevé 
«  un  orchestre  trop  bruyant  et  une  facture  un  peu  préten- 
tieuse. »  Mais  quel  débutant  n'a  jamais  encouru  de  tels  re- 
proches I  Le  plus  grave  est  que  son  auteur  n'eut  jamais  la 
■  chance  à  son  service.  Prix  de  Rome  en  1846,  M.  Gastinel  venait 
d'attendre  huit  ans  pour  se  produire,  et  sans  succès  ;  de 
l'Opéra-Comique  il  descend  aux  Bouffes-Parisiens,  où  naissent, 
en  1857  l'Opéra  aux  Fenêtres,  en  1860,  Titus  et  Bérénice;  puis, 
il  remonte  au  Théâtre-Lyrique,  en  1861,  avec  le  Buisson  vert,  et 
de  là  se  dirige  vers  l'Opéra,  renonçant  aux  piécettes  en  un 
acte  pour  aborder  «  les  grandes  machines  »  et  offrant  tour  à 
tour  un  peu  partout,  fiianca  Capello,  la  Kermesse  et  les  Bardes, 
ces  fameux  Bardes   dont   l'annonce    apparait   toutes   les   fois 


LE  MENESTREL 


qu'une  entreprise  théâtrale  prend  possession  du  Château- 
d'Eau  !  En  ce  moment  on  répète,  parait-il,  à  l'Opéra  un  ballet 
de  M.  Gastinel.  Gessera-t-il  enfin  d'être  un  de  ces  malheureux 
qui  attendent  toujours  une  heure  qui  ne  vient  jamais  ? 

Malheureux,  Adolphe  Adam  l'était  quelquefois  ;  mais  sou- 
vent aussi  il  comptait  de  bonnes  fortunes  :  le  Sourd  en  fut 
une.  Peu  de  pièces  ont  subi  depuis  leur  origine  plus  de 
changements  et  même  plus  de  déménagements.  Avec  ou  sans 
musique,  le  Sourd,  a  été  entendu  un  peu  partout;  partout  il 
s'est  fait  bien  accueillir,  parce  que  le  point  de  départ  en 
était  amusant,  et  que  sur  cette  donnée  carnavalesque  chacun, 
arrangeur  ou  interprète,  pouvait  donner  libre  cours  à  sa  fan- 
taisie. Tout  d'abord  en  trois  actes,  la  comédie  de  Desforges  est 
représentée  au  théâtre  Montausier  en  1790;  le  Gymnase  se 
l'approprie  en  1824  et  la  réduit  en  un  acte  ;  le  Palais-Royal 
lui  rend  un  second  acte  et  la  joue  en  1852.  Arrivent  les 
librettistes  de  Leuven  et  Lenglé,  qui  reconstituent  les  trois 
actes  primitifs,  et  la  musique  d'Adam,  fort  appropriée  au 
sujet,  est  applaudie  à  l'Opéra-Comique  le  2  janvier  1853.  Une 
nouvelle  odyssée  commence,  et  l'on  retrouve  le  Sourd  au 
Théâtre-Lyrique  en  1856,  aux  Fantaisies-Parisiennes  du  bou- 
levard des  Italiens  en  1869,  à  la  Gaité,  sous  la  direction 
Vizentini  en  1876,  jusqu'à  ce  qu'il  revienne  à  son  point  de 
départ,  l'Opéra-Comique,  en  1885. 

Deux  jours  après  la  première  représentation  du  Sourd  avait 
lieu  celle  des  Noces  de  Jeannette.  MM.  Michel  Carré  et  Jules 
Barbier  avaient  retrouvé  la  tradition  de  J. -Jacques  Rousseau, 
de  Sedaine,  et  transporté  à  la  scène,  comme  on  l'écrivait, 
«  une  de  ces  idées  qui  sont  dans  la  tète  et  le  cœur  de  tous 
et  qui,  par  conséquent,  plaisent  à  tous.  »  Victor  Massé  avait 
su  joindre  en  un  heureux  mélange  la  gaieté  et  la  sensibilité. 
Enfin,  Couderc  et  M11"  Miolan  avaient,  comme  interprètes, 
atteint  la  perfection,  et  l'on  s'explique  que  le  soir  de  la  pre- 
mière on  ait  dérogé  pour  eux  à  certain  vieil  usage. D'ordinaire 
en  effet,  c'est  l'artiste  (homme)  qui  a  joué  le  principal  rôle  d'une 
pièce,  auquel  revient  après  le  spectacle  l'honneur  d'annoncer 
au  public  le  nom  des  auteurs.  Cette  fois,  Jean  et  Jeannette 
se  présentèrent  ensemble,  et  ensemble  ils  furent  acclamés. 
«  Ils  vont  se  marier  tous  les  soirs  une  cinquantaine  de  fois 
au  moins  !  »  écrivait  Henri  Blanchard,  qui  se  croyait  géné- 
reux sans  doute  en  sa  prophétie.  C'est  par  centaines  de  fois 
qu'ils  se  sont  mariés  et  qu'ils  se  marient  encore,  à  Paris 
comme  en  province,  au  théâtre  comme  dans  les  salons,  et 
dans  leurs  mains  se  conserve  peut-être  la  meilleure  part  de 
la  renommée  de  Victor  Massé. 

La  Tonelli,  représentée  le  30 -mars  1853,  n'eut  pas  et  ne 
pouvait  avoir  semblable  fortune;  non  point  que  le  composi- 
teur, Ambroise  Thomas,  n'y  eût  apporté  quelques-unes  de 
ses  qualités  ;  il  s'était  souvenu  du  Caïd,  voire  même  de  la 
Double  Echelle,  et  la  souplesse  de  sa  principale  interprète, 
Mme  Ugalde,  lui  avait  permis  de  broder  ses  plus  fines  voca- 
lises pour  une  série  de  morceaux  dont  l'un  même  a  survécu, 
sauvant  ainsi  de  l'oubli  sinon  l'œuvre,  du  moins  son  nom. 
Mais  le  libretto  que  Sauvage  signa  seul,  bien  qu'il  eût  un 
collaborateur,  de  Forges  probablement,  offrait  un  intérêt  des  plus 
médiocres.  On  y  voyait  une  prima-donna  que  sa  ressemblance 
avec  une  paysanne  napolitaine  exposait  aux  plus  fâcheuses 
méprises,  et  la  distribution  des  deux  rôles  à  la  même  chan- 
teuse n'était  pas  pour  rendre  vraisemblable  cette  histoire  de 
ménechmes  du  genre  féminin.  C'est  ainsi  qu'à  treize  ans  de 
distance,  Ambroise  Thomas  se  trouva  mettre  à  la  scène  l'his- 
toire de  deux  artistes  dont  le  nom  est  inscrit  dans  les  fastes 
de  la  Comédie-Italienne,  Garline  et  la  Tonelli  !  Cette  dernière' 
eut  même  au  xviii0  siècle  son  heure  de  grande  célébrité. 
Anna  Tonelli  était  en  effet  l'héroïne  du  parti  italien  dans 
cette  querelle  musicale  qui  agita  la  cour  et  la  ville,  en  met- 
tant aux  prises  le  coin  du  roi  et  le  coin  de  la  reine;  c'est  elle 
qui  interprétait  la  Serva  Padrona,  lorsque  la  troupe  des  Bouf- 
fons vint  à  Paris  en  1752,  et  par  son  succès  même  poussa  dans 
une  voie  nouvelle  l'opéra-comique  encore  à  ses  débuts.  Voilà 


pourquoi,  au  lendemain  de  la  représentation,  le  critique 
de  la  France  musicale  pouvait  dire  :  «  la  glorification  de  la 
Tonelli  à.  la  salle  Favart  est  donc  avant  tout  une  œuvre  de 
reconnaissance,  »  Le  malheur  voulut  que  cette  reconnais- 
sance fût  de  courte  durée,  comme  la  pièce  elle-même. 

(A  suivre.) 


SEMAINE   THEATRALE 


Ceci  passe  vraiment  la  mesure. 

If  y  a  longtemps,  on  le  sait,  que  MM.  Ritt  et  Gailhard  en  pren- 
nent terriblement  à  leur  aise  tant  avec  les  obligations  qu'ils  ont 
contractées  du  côté  de  l'État  (voir  le  cahier  des  charges),  qu'avec 
celles  qu'ils  ont  souscrites  du  côté  de  la  Société  des  auteurs. 
Comme  l'État  en  ce  moment,  c'est  M.  Constans  et  nul  autre,  et 
comme  la  faveur  de  Constans  s'étend  sur  ce  bon  Gailhard,  l'État 
ferme  volontairement  les  yeux  pour  ne  pas  voir  et  se  bouche  les 
oreilles  pour  ne  pas  entendre.  Mais  la  Société  des  auteurs  s'est  ré- 
veillée tout  à  coup  et  vient  d'infliger  aux  puissants  directeurs  deux 
amendes  de  deux  mille  francs  chacune,  pour  n'avoir  représenté  ni 
en  1888  ni  en  1889  le  nombre  d'actes  auquel  ils  s'étaient  obligés. 
La  gravité  de  ces  amendes  consiste  surtout  dans  le  blâme  qu'elles 
comportent  et  dans  le  rappel  au  respect  des  engagements  qu'elles 
impliquent  ;  quant  à  la  peine  pécuniaire,  elle  est  dérisoire  en  elle- 
même  pour  des  gens  qui  gagnent  tout  près  de  deux  millions  de- 
puis leur  entrée  à  l'Opéra.  Cependant,  c'est  la  seule  chose  qui  pa- 
raisse avoir  frappé  l'excellent  M.  Ritt,  puisqu'il  a  proposé  sans 
rougir  à  un  pauvre  diable  de  compositeur,  M.  Véronge  de  la  Nux, 
l'auteur  àeZaïre  qu'on  répète  ou  plutôt  qu'où  répétait  à  l'Opéra,  de 
partager  l'amende  avec  lui,  sous  prétexte  qu'il  n'a  pas  apporté  sa 
partition  en  temps  voulu.  M.  Véronge  de  la  Nux,  parait-il,  s'effor- 
cerait de  prouver  le  contraire  par  une  série  de  documents  sérieux. 

Voilà  la  version  donnée  par  tous  nos  confrères  de  la  presse.  Us 
auraient  pu  ajouter  ceci,  qui  nous  est  affirmé  par  une  personne 
digne  de  toute  foi  et  bien  placée  pour  être  au  courant  de  ces  événements. 
Nous  ne  la  nommerons  pas,  et  il  nous  suffira  d'en  appeler  à  la  con- 
science de  M.  Ritt  et  à  celle  de  M.  "VéroDge  de  la  Nux  (nous  comp- 
tons davantage  sur  celle  du  second)  pour  n'être  pas  démenti.  Nous 
disons  donc  que  M.  Ritt  a  demandé  positivement  à  M.  Véronge  de 
la  Nux  de  lui  écrire  une  lettre  dans  laquelle  il  expliquerait  que  le 
retard  apporté  à  la  représentation  de  Zaïre  ne  vient  nullement  des 
directeurs  de  l'Opéra,  mais  de  lui  seul,  qui  n'a  pas  livré  son  manus- 
crit dans  les  délais  fixés.  On  pressent  quel  excellent  usage  M.  Ritt 
pourrait  faire  d'une  pareille  lettre  et  comme  il  saurait  s'en  servir, 
le  pauvre  agneau  sans  tache,  aussi  bien  au  ministère  des  Beaux-Arts 
que  devant  la  Commission  des  auteurs.  Mais  le  malheur  a  voulu  que 
M.  Véronge  de  la  Nux  ait  été  s'en  expliquer  tout  naïvement  devant 
cette  Commission  pour  lui  demander  s'il  devait  écrire  cette  lettre. 
La  Commission  lui  a  répondu  qu'elle  tenait  à  ignorer  ces  petits  tri- 
potages et  qu'il  fit  ce  qu'il  croyait  devoir  faire. 

M.  Véronge  de  la  Nux  écrira-l-il  la  lettre  ou  ne  l'écrira-t-il  pas? 
Qui  le  sait?  Toujours  est-il  qu'en  attendant  on  a  suspendu  les  répéti- 
tions de  Zaïre,  et  peut-être  pourrait-on  voir  là  un  moyen  de  pres- 
sion pour  décider  l'auteur  à  prendre  sa  bonne  plume. 

Eh  bien!  je  crois  que  le  qualificatif  «  odieux  »  n'est  pas  trop  fort 
pour  stigmatiser  toutes  ces  petites  manœuvres  vraiment  indignes  et 
qu'on  souffrirait  à  peine  chez  les  directeurs  d'un  boui-boui  de  qua- 
trième ordre. 

Et  de  plus,  je  ne  sais  si  je  m'abuse,  mais  il  me  semble  que  le 
plan  des  directeurs  de  l'Opéra  se  dégage  de  plus  en  plus  nettement. 
Ne  sachant  trop,  malgré  les  liens  qui  les  unissent  à  Constans,  si 
leur  privilège  sera  renouvelé,  tant  la  presse  se  met  à  crier  contre  eux 
de  tous  les  côtés  et  tant  l'opinion  publique  commence  à  s'émouvoir,  ils 
paraissent  vouloir  se  garder  à  carreau  et  avoir  mis  dans  leur  tête  de 
ne  plus  représenter  rien  de  nouveau  jusqu'à  nouvel  ordre.  De  là,  ce 
prétexte  pour  ajourner  Zaïre,  et  toutes  les  misérables  raisons  qu'ils 
mettent  en  avant  pour  écarter  Ascanio.  Les  amendes,  ils  les  suppor- 
teront sans  mot  dire.  Cela  leur  coûtera  toujours  moins  cher  que  de 
mettre  en  scène  des  œuvres  nouvelles,  et,  s'ils  doivent  se  retirer 
sous  le  mépris  général,  ils  se  retireront  du  moins  avec  armes  et 
bagages,  c'est-à-dire  avec  tous  les  gros  bénéfices  amassés  sans  en 
rien  distraire  au  profit  d'un  art  qui  est  le  moindre  de  leurs  soucis. 

Et  tenez,  voici  Gailhard  qui  est  revenu  de  ses  nombreux  voyages 
à  travers  l'Europe,  qu'il  est  censé  avoir  battue  en  tous  sens  pour  y 


LE  MÉNESTREL 


découvrir  un  contralto,  capable  d'interpréter  le  rôle  de  Scozzone  dans 
YAscanio  de  M.  Saint-Saëns.  Le  voilà  —  car  l'homme  est  verbeux  — 
qui  dépose  tous  ses  bavardages  dans  les  journaux  à  sa  dévotion. 
Qu'est-ce  qu'il  nous  dit?  Qu'il  n'a  trouvé  qu'une  artiste  à  peu  près 
digne  de  succéder  à  MUo  Richard  :  c'est  MIle  Chavanne,  artiste  du 
théâtre  royal  de  Dresde.  Mais  elle  ne  sera  libre  que  dans  quatorze 
mois  !  Dans  quatorze  mois,  MM.  Ritt  et  Gailhard  ne  seront  plus  là 
et  alors  l'affaire  ne  les  regardera  plus;  ou,  s'ils  y  sont  encore,  ils 
se  décideront  peut-être  à  représenter  enfin  l'œuvre  du  compositeur 
français,  puisqu'on  leur  aura  donné  en  compensation  sept  années 
de  grâce  pendant  lesquelles  ils  pourront  encore  tondre  la  musique  à 
leur  guise,  sous  l'œil  calme  et  paterne  de  M.  Constans. 

Je  leur  répéterai  donc  encore  une  fois  qu'il  n'est  pas  besoin  de 
courir  l'Europe  pour  découvrir  un  contralto  et  que,  s'ils  ont  réelle- 
ment l'envie  d'en  engager  un,  il  y  en  a  un  là  tout  près  qui  frappe 
à  leur  porte  et  qu'ils  n'ont  qu'à  lui  ouvrir  :  M"c  Risley,  élève  de 
Mme  Marchesi,  voix  superbe  et  talent  des  plus  distingués.  Mlle  Risley, 
entendez-vous  bien!  MUe  Risley!!  Je  vous  le  crierai  pendant  cent 
chroniques,  comme  j'ai  dû  le  faire  déjà  pour  Mme  Melba,  à  l'époque 
où  vous  déclariez  qu'il  n'y  avait  plus  de  chanteuses  légères. 


Au  théâtre  des  Nouveautés,  on  nous  a  donné  jeudi  dernier  la  pre- 
mière représentation  de  la  Grande  Vie,  vaudeville  en  trois  actes  et 
quatre  tableaux  de  MM.  Henri  Bocage  et  Pierre  Decourcelle. 

Desbureltes,  un  honnête  rentier  de  Gondé-sur-Noireau,  vient  de 
refuser  la  main  de  sa  fille  Bmmeline  à  son  neveu  Sigismond  qui  ha- 
bite Paris  et,  de  plus,  il  a  joint  à  ce  refus  sa  malédiction  avunculaire 
à  la  suite  de  fredaines  un  peu  fortes  que  s'était  permises,  le  jeune 
homme  fort  lancé  dans  la  haute  vie.  Sigismond,  qui  est  réellement 
amoureux  de  sa  jeune  cousine,  feint  un  désespoir  profond  de  cette 
malédiction,  qui  le  conduit  à  un  suicide  simulé  dans  le  lac  de  Genève. 
Mais  il  laisse  un  testament  par  lequel  il  lègue  toute  sa  fortune,  qui 
se  monte  à  deux  millions,  à  son  oncle  lui-même,  mais  sous  la  con- 
dition expresse  que  :  1°  il  enlèvera  la  célèbre  danseuse  Cornetta,  de 
l'Eden-Théâlre  ;  2°  qu'il  dansera  avec  elle  sur  ledit  théâtre  le  nou- 
veau ballet  à  la  mode,  où  il  tiendra  le  rôle  de  Bec-d'Azur  ;  3°  qu'il 
entrera  dans  la  cage  de  «Gulistan  »,  le  lion  qu'on  exhibe  au  Moulin- 
Rouge.  Ce  sont  précisément  les  trois  forfaits  dont  s'était  rendu  cou- 
pable le  jeune  Sigismond  et  qui  lui  avaient  valu  la  malédiction  de 
son  oncle.  Si  celui-ci  refuse  d'exécuter  ces  conditions  expresses  du 
testament,  toute  la  fortune  reviendra  alors  à  M.  de  Vertavoine,  le 
voisin  et  le  rival  abhoré  de  Desburettes. 

Desburetles  en  prend  bien  vite  son  parti  et  il  exécute  toutes  les 
clauses  du  testament.  Voilà  la  pièce.  On  voit  qu'elle  n'est  qu'un 
prétexte  à  nous  faire  admirer  le  boudoir  d'une  danseuse,  puis  la 
scène,  les  coulisses  et  même  les  dessous  de  l'Eden-ïhéâtre,  et 
enfin  tous  les  mystères  du  Moulin-Rouge.  Il  y  a  souvent  de  la 
gaîté  dans  toutes  ces  farces,  à  défaut  d'un  esprit  très  fin  ;  mais  sous 
ce  rapport,  la  jeune  génération  d'auteurs  qui  se  lève  ne  nous  a 
pas  souvent  gâtés.  Il  n'y  a  donc  pas  à  en  vouloir  à  MM.  Henri 
Bocage  et  Pierre  Decourcelle  plus  qu'aux  autres.  J'ai  lu  des  critiques 
sévères  sur  leur  pièce,  et  sans  doute  elle  n'est  pas  d'un  bien  vif 
attrait  pour  nous  autres  du  métier,  qui  naturellement  connaissons 
aussi  bien  que  les  auteurs  les  coulisses  d'un  théâtre  ou  les  ébats 
joyeux  d'un  bal  public.  Mais  elle  ne  sera  peut-être  pas  sans  sel 
pour  les  gens  moins  gâtés,  pour  les  profanes  et  les  paisibles  bour- 
geois exclus  de  ces  joies  paradisiaques  et  qui  ne  seront  pas  fâchés 
au  demeurant  d'en  faire  la  connaissance  approximative.  C'est  pour- 
quoi je  vois  l'avenir  de  la  Grande  Vie  un  peu  plus  en  rose  que 
beaucoup  de  nos  grands  confrères. 

Il  y  a  là,  d'ailleurs,  des  acteurs  amusants  qui  ne  laissent  pas 
refroidir  l'action,  comme  MM.  Albert  Brassseur,  dans  ses  transfor- 
mations si  curieuses,  Maugé,  Guy  et  Petit,  et  des  dames  bien  belles 
et  fort  peu  habillées  comme  M""'s  Darcourt,  qui  chante  très  agréa- 
blement, Stella,  toujours  un  peu  la  même,  Debriège,  un  superbe 
morceau  de  sculpture,  et  d'autres  qui  ne  sont  pas  non  plus  à  dédai- 
gner. N'oublions  pas  M"'c  Bonnaire,  l'étoile  de  nos  cafés-concerts, 
qui  débutait  ce  soir-là  sur  une  vraie  scène  de  théâtre.  Si  l'Eldorado 
la  regrGtte  trop,  on  pourrait  la    lui  rendre  sans  inconvénient. 

H.  Moreno. 

Eden-Théatre  —  Armida,  ballet  en  trois  actes  et  sept  tableaux, 
de  F.  Pratesi,  musique  de  Romualdo  Marenco. 

Le  pauvre  Ali-Baba  ayant  succombé  à  la  fleur  de  l'âge,  M.  Re- 
nard vient  de  rendre  la  vaste  scène  de  la  rue  Boudreau  au  grand 
ballet  italien,  le  seul  genre  capable  de  produire  quelque  effet  dans 


ce  hall  immense.  Armida  est  des  auteurs  mêmes  qui  signèrent 
Excehior  et  je  ne  saurais  vraiment  dire  si  cette  dernière  œuvre 
est  meilleure  ou  pire  que  la  première.  L'aînée  de  ces  deux 
grandes  machines  avait  l'immense  avantage  de  la  nouveauté 
et  profitait  de  l'appoint  d'un  corps  de  ballet  manœuvrant  de  façon 
merveilleuse  au  point  de'  vue  de  l'ensemble;  l'art  chorégraphique 
n'avait  pas  grand'chose  à  y  voir,  mais  c'était  le  triomphe  des  ligures 
géométriques  tirées  au  tire-ligne  et  à  l'équerre  par  les  jambes  plus 
ou  moins  gracieuses  de  ces  demoiselles  du  corps  de  ballet.  Bralima, 
Messalina,  Sieba  ont  usé  ce  genre  forcément  monotone  et  banal,  et 
jamais  on  n'a  pu  retrouver  la  rectitude  et  la  précision  du  premier 
jour.  Armida,  la  petite  fée  bienfaisante  qui  aide  la  belle  Ébe  à  épou- 
ser le  fiancé  de  son  cœur  malgré  le  rigorisme  entêté  d'un  vieux  grin- 
cheux de  père,  Armida,  sans  déparer  en  rien  la  collection  que  nous 
avons  vu  défiler  déjà  à  l'Éden-Théâtre,  ne  donnera  pas  non  plus  un 
nouveau  titre  de  gloire  à  l'école  chorégraphico-militaire  de  nos  voi- 
sins transalpins.  La  musique,  malgré  tout  le  bruit  qu'elle  fait,  reste 
terne,  fade,  incolore  et  insignifiante  tout  le  temps,  se  traînant  lour- 
dement de  valses  en  valses,  avec,  de  loin  en  loin,  quelques  mesures 
de  polka  ou  de  marche,  et  aussi  avec  des  réminiscences  assez  nom- 
breuses de  Faust  et  de  Roméo,  qu'on  s'étonne  à  bon  droit  de  trouver 
ici.  La  mise  en  scène  est  bien,  sans  rien  de  transcendant  :  des  dé- 
cors .aux  couleurs  éclatantes  qui  nous  promènent,  on  ne  saura  jamais 
pourquoi,  de  l'Italie  en  Sicile,  de  la  Sicile  dans  les  Indes,  des  Indes 
à  Byzance,  de  Byzance  en  Grèce,  pour  aboutir  à  un  grand  escalier 
lumineux  d'un  effet  curieux  et  nouveau.  Les  théories  de  danseuses 
dévalent,  suivant  la  règle,  qui  de  droite,  qui  de  gauche,  qui  du 
milieu,  les  unes  assez  jolies  filles,  les  autres  assez  bien  habillées'. 
C'est  M11''  Flindt,  nouvelle  venue  à  Paris,  qui  fait  les  honneurs  du 
ballet;  pas  précisément  jolie,  Mlle  Flindt  sait  évidemment  danser  et  fait 
supérieurement  les  pointes;  mais  il  lui  manque  la  grâce,  le  parcours 
et  l'élévation.  MUe  Galinetti  est  une  très  belle  Ebe  et  MM.  Camarano 
Marchelti,  Pastorini  et  Franchi  gesticulent  beaucoup  pour  se  faire 
peu  comprendre.  Paul-Émile  Chevalier. 

Dernière  heure.  —  Toute  la  chronique  qu'on  vient  de  lire  sur 
l'Opéra  était  écrite,  quand,  au  moment  de  mettre  sous  presse,  les  jour- 
naux du  malin  nous  apportent  des  nouvelles  qui  changent  la  face  des 
choses.  Sous  la  pression  de  l'opinion  publique  et  de  la  presse  qui 
commençait  à  se  fâcher  et  voyant  leurs  affaires  prendre  décidément 
une  mauvaise  tournure,  nos  excellents  directeurs  se  décident  enfin  à 
commencer  de  suite  les  études  i'Ascanio,  en  adaptant  simplement  le 
rôle  du  contralto  aux  moyens  de  Mme  Bosman,  —  ceci  à  l'aide  de 
quelques  doubles  notes  et  transpositions.  L'ouvrage  reste  donc  ainsi 
distribué  :  Benvenuto,  Lassalle  ;  Ascanio,  Cossira  (qu'Engel  se  prépare  !); 
la  duchesse  d'Etampes,  Mme  Adini;  Scozzone,  Mrne  Bosman;  Colombe, 
MUe  Eames.  Impossible  d'avouer  plus  ingénument  l'impuissance  où  se 
trouve  actuellement  notre  Opéra,  —  une  Académie  !  —  de  monter  un 
opéra  selon  les  intentions  de  son  auteur.  Il  n'y  a  pas  de  contralto  à 
l'Opéra  !  Ils  sont  hors  de  prix  en  ce  moment  et  les  directeurs  sont 
résolus  à  s'en  passer.  Que  les  compositeurs  se  tiennent  pour  avertis 
et  fassent  en  sorte  désormais  de  ne  plus  écrire  pour  cet  odieux 
registre  de  la  voix  humaine.  L'an  prochain,  ce  sera  probablement 
le  tour  des  barytons. 

Enfin!  ne  voyons  en  tout  ceci  que  le  martyre  de  M.  Saint-Saëns 
qui  va  cesser  et  félicitons-nous  de  ce  résultat. 

Pour  Zaïre,  les  directeurs  semblent  aussi  résolus  à  aplanir  les  dif- 
ficultés qu'ils  avaient  créées  comme  à  plaisir.  Ils  paieront  l'amende 
et  l'ouvrage  de  M.  Véronge  de  la  Nux  sera  représenté  à  son  heure. 

Si  ces  bonnes  nouvelles  sont  dues  au  retour  de  M.  Gailhard  qui  a 
remis  tout  en  ordre,  conseillons-lui  à  l'avenir  de  ne  plus  abandonner 
ainsi  à  ses  seules  forces  le  pauvre  papa  Ritt.  Il  arrive  à  un  âge  où 
la  clairvoyance  fait  défaut.  Son  entêtement  sénile  et  l'amour  exagéré 
qu'il  a  pour  ses  écus  ont  failli  compromettre  pour  de  bon  la  posi- 
tion des  deux  compères.  Attention,  Pedro,  et  surveillons   le   bon- 

H.  M. 


homme. 


LE  THÉÂTRE  A  L'EXPOSITION  UNIVERSELLE  DE  1889 

(Suite.) 


VII 

INDUSTRIES  THÉÂTRALES 

ACCESSOIRES   SCÉNIQUES  :    CARTONNAGE,   BIJOUTERIE   ET   JOAILLERIE,    FLEURS   ET 

PLUMES,    ARMURERIE,    CHAUSSURES,  ETC. 

Voici,  pour  le  public,  un  des  côtés  les  plus  mystérieux,  les  plus 
inconnus,  de  la  civilisation  et    de  la  vie  théâtrales.  On  ne  saurait 


LE  MENESTREL 


guère   se   rendre  compte,  en  dehors  de  ce  milieu  spécial,  de  l'im- 
portance qu'acquièrent  certaines  industries  particulières  dont  quel- 
ques-unes vivent  presque  exclusivement  de  la  scène,  dont  d'autres 
lui  doivent  une  bonne  part   de  leur  activité,  de  leur  succès  et  de 
leur  prospérité.  Telle  maison  de  cartonnages,  par  exemple,  qui  aura 
tourné  ses  efforts    du    côté   du    théâtre,    y    aura  trouvé  un  élément 
d'action  considérable  et  qui  suffit  presque  seul  à  l'emploi  et  à  l'en- 
tretien de  son  nombreux  personnel.  Voyez,  pour  n'en  citer  qu'une, 
la  maison  Halle,  dont  nous  aurons  à  parler  plus  loin,  qui  se  vante 
d'exister  depuis  1780,  et  qui  est  en  France  la  première  de  ce  genre  ! 
C'est  qu'on  ne  se  figure  pas  ce  que  c'est,  pour  une  entreprise  sem- 
blable, que  la  mise  à  la  scène  d'un   grand   ouvrage   pour   l'Opéra, 
d'une  riche  féerie  pour  le  Châtelet  ou  d'un  drame  à  spectacle  pour 
la  Porte-Saint-Martin,   et  de  quelle  importance  sont  alors  ses  tra- 
vaux et  ses  fournitures  ;  outre  qu'il  entre  souvent  beaucoup  de  car- 
tonnage dans    certains  costumes,    surtout  quand   la    fantaisie  s'en 
mêle  et  lorsqu'il   s'agit   de   la   figuration,    le    nombre   d'accessoires 
scéniques  indispensables  dans  des  ouvrages  de  ce  genre  et  se  rat- 
tachant à  une  telle  industrie  est  incalculable.  Les   costumiers,  eux 
aussi,  on  le  comprend,  sont  de  gros  seigneurs  en  ce  qui  touche  le 
théâtre;  la   maison  Babin,  qui  était  déjà  florissante    et   en  quelque 
sorte  célèbre    aux    environs  de  1820,  et    qui    aujourd'hui    est   aux 
mains  de  M.  Chalain,  pourrait  nous  en  donner  des  nouvelles.  Celle- 
là  ne  travaille  pas  uniquement  pour  Paris  ;  la  province  lui  paie  un 
large  tribut,  et  elle  a   un  matériel  immense   de  location  qui   roule 
incessamment  sur  les  chemins  de  fer.  Quant   aux  cordonniers    qui 
travaillent  spécialement    pour   nos    théâtres,   ceux-là   non  plus,  on 
peut  le  croire,  ne  restent  pas  dans  l'inaction.  En  veut-on  un  exem- 
ple? Il  est  facile  à  trouver,  si  l'on  s'adresse  à  l'Opéra  el  en  ce  qui 
se  rapporte  seulement  à  la   danse.    Pour    se   faire    une  idée    de  la 
gloutonnerie  de  ce  théâtre  en  matière   de   chaussons   de   danse,    il 
suffira  de  savoir  que  les  étoiles  du  ballet  reçoivent  de  l'administra- 
tion une  paire  de  chaussons  par  acte,  les  premiers  sujets  une  paire 
par. soirée,  les  seconds  sujets  une  paire  par  trois  soirées,  les   cory- 
phées une  paire  par  six  soirées,  enfin  les   danseuses  des  quadrilles 
une  paire  par  douze  soirées!  Voit-on  d'ici  à  quel  besoin  de  consomma- 
tion doit  répondre  l'activité  de  la  maison  Crais,  fournisseur  de  l'Opéra? 
Dès  sa  naissance,  d'ailleurs,  l'Opéra   donna  un  essor  immense  à 
toutes  les  industries   qui   pouvaient   relever  de  lui,   et  celles-ci  ac- 
quirent aussitôt  une  importance   exceptionnelle.    On   en   trouve  la 
preuve  dans  ce  fait  qu'elles  sont  mentionnées  avec  détails,  dès  1692 
dans   un    petit  livre  très  curieux  d'Abraham   du    Pradel,    le  Livre 
commode  des  adresses  de  Paris,  qui  est    le  premier  ancêtre  de  notre 
Bottin  actuel.  Dans  ce  livret,    au  chapitre,  ou  plutôt  à  la  rubrique 
Menus-Plaisirs,  on  peut  relever  les  adresses   suivantes,  touchant  les 
diverses  industries  théâtrales  : 

Messieurs  Baraillon  père,  fameux  tailleur  pour  les  habits  de  théâtre, 
et  M.  son  fils  pour  les  masques  et  autres  choses  nécessaires  pour  les 
ballets  et  comédies,  demeurent  rué  saint  Nicaise. 

Les  sieurs  du  Creux,  au  bout  du  pontNotre  Dame,  etBoille,  rue  du  Colom- 
bier saint  Germain,  vendent  aussi  dés  masques  de  théâtre  et  de  carnaval. 

Mademoiselle  Poitiers,  vis  à  vis  les  Quinze-Vingts,  rue  saint  Honoré, 
fait  des  coëffures  en  cheveux  pour  les  ballets  et  opéra. 

Les  sieurs  Frangeon  et  la  Croix,  brodeurs  des  habits  pour  les  balets  du 
Roy,  demeurent  le  premier  rue  saint  Estienne,  à  la  Ville  neuve,  et  l'autre 
rue  neuve  saint  Denis,  proche  la  porte. 

Le  sieur  Houssard,  plumassier  du  Roy,  tient  un  grand  magasin  de 
plumes  pour  les  balets  et  tragédies,  rue  saint  Honoré. 

Messieurs  Cossard  et  Guerinois  vendent  toutes  sortes  d'étoffes  or  et 
argent  pour  les  balets,  opéra  et  mascarades,  ils  demeurent  rue  saint  De- 
nis, près  le  grand  Châtelet. 

Autant  en  fait  M.  Harlier,  rue  de  la  Coutellerie,  qui  fait  et  vend  des 
étoffes  brodées  or  et  argent. 

Le  sieur  Carême,  qui  fait  les  feux  d'artifices  de  l'Hôtel  de  Ville  et  de 
l'Opéra,  demeure  rue  Frementeau. 

Le  sieur  Morel,  même  talent,  demeure  rue  de  Tournon. 

On  était  pourtant  encore  à  cette  époque  dans  l'enfance  de  l'art, 
et,  de  plus,  il  faut  remarquer  que  trois  théâtres  seulement  existaient 
alors  à  Paris  :  l'Opéra,  la  Comédie-Française  et  la  Comédie-Ita-- 
tienne.  Un  siècle  plus  tard,  les  choses  avaient  déjà  bien  marché,  et 
en  1787  le  petit  almanach  les  Spectacles  de  Paris  publiait  une  liste 
aujourd'hui  devenue  bien  curieuse,  celle  de  tous  les  fournisseurs  de 
l'Opéra,  liste  qui  comprenait,  il  est  vrai,  non  seulement  les  fabri- 
cants, les  industriels,  mais  aussi  les  commerçants,  les  marchands 
de  toutes  sortes,  dont  les  produits  ne  s'appliquaient  pas  seulement 
à  la  scène,  mais  à  la  salle  et  à  toutes  les  dépendances  du  théâtre. 
Ce  petit  document  est  vraiment  typique,  et  me  semble  mériter  d'être 
reproduit  à  cent  ans  de  dislance.  Lo  voici  : 


FOURNISSEURS  DE  L'ACADÉMIE 

Dhoudan   de  Villeneuve,   poëlier-fumiste  et  clincailler,  grande  rue  du 
F.-S.-M.  (faubourg  Saint-Martin). 

M"cs  Faugé,  marchandes  mercières,  rue  Montmartre,  vis  à  vis  S.  Joseph. 

Perreau  de  Villeneuve,  marchand  d'étoffes  de  soie,  rue  des  Mauvaises- 
Paroles,  n°  19. 

Halle,  successeur  du  sieur  Bignon,  fabricant  de  masques  et  cabochons, 
rue  de  l'Arbre-Sec  (1). 

Renault,  ferblantier,  et  entrepreneur  du  luminaire,  rue  de  la  Monnoie. 

Noquet,  imprimeur  sur  étoffes,  rue  de  la  Tisseranderie. 

Collard,  graveur,  quai  de  la  Mégisserie. 

Liger,  fourbisseur,  rue  Coquillère,  près  celle  des  vieux  Augustins. 

Dumas,  serrurier,  rue  et  porte  S. -Honoré. 

Bleterie,  aréquier  (fabricant  d'arcs),  Porte  saint  Michel. 

Lauriau  fils,  cordier,  rue  saint  Denis. 

Laubry  (veuve),  cbapelière,  rue  S.  Nicaise. 

Guerrier,  vitrier,  rue  de  l'Arbre-Sec. 

Lucas,  plombier-fontainier,  rue  S.  H.  (Saint-Honoré). 

Chevreau,  marchand  papetier,  rue  S.  Denis,  au  coin  de  l'ancien  grand  Cerf. 

Renaudin,  luthier,  rue  saint  Honoré,  près  l'Opéra. 

Tessier,  fourreur,  rue  de  la  vieille  Draperie. 

Renard,  artificier  du  Roi,  rue  S.  Maure. 

Farin,  nattier,  près  l'Egout-Montmartre. 

Leguay,  vannier,  place  de  la  Bastille. 

Lenoble,  tourneur,  rue  saint  Benoît,  à  côté  de  celle  des  deux  Anges. 

Nattier  (V™),  fleuriste,  rue  du  grand  Hurleur. 

Bruno,  dit  Notrelle,  perruquier,  rue   des  Remparts. 

Borne,  cordonnier,  rue  des  Boucheries  S.  H. 

Sauvât,  tapissier,   au  magasin,  F.  du  T.  (faubourg  du  Temple),  au  coin 
de  la  rue  Fontaine-au-Roi. 

Leurain,  brodeur,  rue  Bourg  l'Abbé,  vis-à-vis  celle  du  grand  Hurleur. 

Bellanger  (V"),  boisselière,  rue  des   Petits-Carreaux,  au  coin   de  celle 
de  S.  Sauveur. 

Bignon,  marchand  de  musique,  place  du  Palais,  vieux  Louvre. 

Racasiol,  marchand  de    bois   de   menuiserie,   grande  rue  du  F.   S.   A. 
(faubourg  Saint-Antoine). 
Thieri  fils,  fabriquant  de  gaze,  rue  S.  Denis,  vis  à  vis  celle  du  Ponceau. 
Leprince  père  et  fils,  fabriquant  de  bougies  du  Mans,  rue  de  Grenelle, 
au  coin  de  celle  des  deux  Ecus. 
Rollet,  marchand  fabriquant  de  lacets,  rue  aux  Fers. 
Verdier,  fournisseur  de  gants,  hôtel  Soissons,  rue  Mercière. 
Maillot,  bonnetier,  rue  saint  Honoré,  près  saint  Roch. 
Briard,  parfumeur,  rue  Saint-Victor. 
Renard,  marchand  de  couleurs,  rue  des  Arcis. 
Potier,  marchand  de  bois  à  brûler. 
Donnebecq,  plumassier,  rue  de  Grenelle-Saint-Honoré. 
Vatinelle,  marchand  de  fer,  carrefour  de  la  Croix-Rouge. 
Pautonnier,  marchand  de  bois  de  bateaux,  Isle-des-Cygnes. 

Tout  ce  qui  concerne  les  accessoires  scéniques,  je  l'ai  dit,  acquiert 
une  grande  importance.  L'industrie  du  costume,  qui  ne  saurait  se 
borner  au  vêtement  proprement  dit,  à  elle  seule  entraine  à  sa  suite 
les  perruquiers  (dont  le  métier  devient  presque  un  art,  si  on  le  con-- 
sidère  d'une  part  au  point  de  vue  de  l'élégance  et  de  la  précision 
du  travail,  de  l'autre  au  point  de  vue  de  la  recherche  et  de  l'exac- 
titude historiques),  les  bonnetiers  (surtout  pour  les  maillots),  les 
fleuristes,  les  plumassiers.  les  joailliers  et  bijoutiers.  Viennent  en- 
suite les  armuriers,  puis  les  tapissiers,  puis  les  cartonniers,  puis 
les  parfumeurs  spéciaux,  fabricants  de  blanc  et  de  rouge  pour  la 
peau,  etc..  etc.  Et  je  n'aurais  garde  d'oublier  encore  les  artificiers, 
nécessaires  dans  les  pièces  où,  comme  le  Prophète,  Mignon,  la  Madone 
des  roses,  on  simule  un  incendie  sur  la  scène,  non  plus  que  les  fai- 
seurs de  trucs,  dont  le  rôle  est  si  important  dans  tous  les  ouvrages 
où  l'élément  fantastique  est  mis  enjeu  (2). 

(A  suivre.)  Arthur  Poiigin. 

(1)  En  1791,  Halle,  dont  la  maison  n'a  cessé  jusqu'à  ce  jour  d'être  au 
service  de  l'Opéra,  était  ainsi  mentionné,  d'une  façon  plus  complète,  au 
nombre  des  fournisseurs  de  la  Comédie-Française:  «  fabriquant  de  masques, 
casques,  cabochons  et  tout  ce  qui  concerne  le  carton.  » 

(2)  Il  fut  un  temps  où  cette  industrie  toute  spéciale  était  très  florissante. 
Certains  artisans  s'ingéniaient  à  trouver  des  trucs  nouveaux,  curieux,  in- 
connus, parfois  d'une  complication  extrême,  ils  en  construisaient  les  ma- 
quettes, et  s'en  allaient  chez  un  auteur  en  renom  pour  lui  soumettre  leurs 
petits  chefs-d'œuvre  et  les  faire  fonctionner  devant  lui.  (Feu  Clairville  et 
M.  d'Ennery  ont  eu  plus  d'une  fois  affaire  à  ces  ouvriers,  dont  l'habileté 
était  prodigieuse.)  L'auteur  sollicité  faisait  son  choix  dans  ce  qu'on  lui 
proposait,  achetait  la  propriété  de  ces  petites  machines  vraiment  curieuses, 
et  fabriquait  ensuite  une  féerie  dans  laquelle  il  introduisait  les  trucs  sus- 
dits, que  le  machiniste  du  théâtre  n'avait  plus  qu'à  construire  en  grand 
d'après  les  modèles. 


LE  MÉNESTREL 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Au  dernier  programme  du  Conservatoire  étaient  inscrites  trois  œuvres 
seulement,  mais  trois  chefs-d'œuvre  :  l'adorable  symphonie  en  fa,  de 
Beethoven  (la  huitième),  les  chœurs  d'Athalie,  de  Mendelssohn,  et  la  32° 
symphonie  d'Haydn,  en  ml  bémol,  l'une  des  plus  exquises  du  vieux  maître. 
Je  ne  voudrais  pas  chagriner  nos  excellents  voisins  d'Allemagne,  dont 
un  journal  disait  dernièrement  qu'il  n'y  avait  qu'un  endroit  au  monde  où 
l'on  sait  jouer  la  musique  de  Beethoven,  et  que  cet  endroit,  c'est  le 
Gewandhaus  de  Leipzig.  Or,  sans  jamais  avoir  assisté  à  une  séance  du 
Gewandhaus,  je  tiens  cette  société  justement  célèbre  pour  l'une  des-  pre- 
mières de  l'Europe  ;  mais  chacun  connaît  la  renommée  que  s'est  faite 
particulièrement  le  Conservatoire  en  ce  qui  concerne  l'interprétation  de 
Beethoven,  et  si  l'on  peut  l'égaler  sous  ce  rapport,  il  est  assurément  im- 
possible de  le  surpasser.  Il  l'a  prouvé  cette  fois  encore  par  une  exécution 
vraiment  prestigieuse  de  la  symphonie  en  fa,  et  surtout  de  son  merveilleux 
andante  scherzando,  cet  andante  dont  Berlioz  a  dit:  «  C'est  une  de  ces  pro- 
ductions auxquelles  on  ne  peut  trouver  ni  modèle  ni  pendant;  cela  tombe 
du  ciel  tout  entier  dans  la  pensée  de  l'artiste;  il  l'écrit  tout  d'un  trait, 
et  nous  nous  ébahissons  à  l'entendre...  C'est  doux,  ingénu  et  d'une  indo- 
lence toute  gracieuse,  comme  la  chanson  de  deux  enfants  cueillant  des 
fleurs  dans  une  prairie  par  une  belle  matinée  de  printemps.  »  Le  public, 
émerveillé  par  cette  perle  rare,  enchanté  par  son  exécution,  l'a  redeman- 
dée à  grands  cris.  —  Les  chœurs  d'Athalie  ont  obtenu,  eux  aussi,  tout  le 
succès  que  mérite  cette  œuvre  si  intéressante,  si  pure  de  lignes,  d'une 
inspiration  si  élégante,  si  noble  et  si  chaste  à  la  fois.  C'est  une  chose 
vraiment  singulière  que  ce  cantique  catholique  écrit  par  un  protestant  de 
race  Israélite!  Quoi  qu'il  en  soit,  l'œuvre  est  de  toute  beauté,  et  si  son 
histoire  est  singulière,  si  elle  a  été  en  quelque  sorte  écrite  sur  commande, 
elle  n'en  est  ni  moins  bien  venue  ni  moins  heureuse  dans  l'ensemble 
comme  dans  les  détails  (1).  Je  regrette  seulement  qu'au  Conservatoire  on 
en  ait  supprimé  la  Marche,  qui  n'en  est  certainement  pas  le  moins  bon 
morceau.  Ce  que  je  regrette  aussi;  c'est  que  la  Société  des  concerts  ne 
nous  ait  jamais  donné  l'occasion  d'établir  un  parallèle  entre  la  musique 
de  Mendelssohn  et  celle  que  Boieldieu  a  écrite  sur  le  même  sujet.  Boiel- 
dieu,  en  effet,  a  composé,  lui  aussi,  lors  de  son  séjour  en  Bussie,  des 
chœurs  pour  Athalie  qu'il  tenait  pour  une  de  ses  œuvres  les  plus  ache- 
vées. Ces  chœurs  ne  furent  connus  à  Paris  que  quatre  ans  après  sa  mort. 
La  Comédie-Française  les  fit  exécuter  le  29  mai  1838,  à  la  représentation 
de  retraite  de  Mm6  Paradol,  qui  prenait  congé  du  public  dans  le  rôle 
d'Athalie.  L'orchestre  était  conduit  par  Habeneck,  et  le  personnel  chan- 
tant était  celui  du  Théâtre-Italien,  renforcé  par  douze  voix  d'enfants  qui 
produisaient,  parait-il,  une  impression  délicieuse.  Le  succès  fut  si  grand 
que  plusieurs  représentations  d'Athalie  furent  encore  données  dans  les 
mêmes  conditions,  et  que,  la  Comédie-Française  se  voyant  dans  la  néces- 
sité de  cesser  ces  représentations  pour  faire  place  à  celle  d'une  comédie 
nouvelle,  ses  tragédiens  se  transportèrent  à  l'Odéon  pour  continuer  d'y 
jouer  Athalie  accompagnée  de  ses  chœurs,  Mlle  Gaussin  prenant  alors  la 
succession  de  Mme  Paradol.  N'y-aurait  il  pas  un  véritable  intérêt  à  nous 
faire  connaître  cette  œuvre  de  Boieldieu,  dont  le  talent  si  plein  de  charme, 
de  grâce  et  d'élégance  ne  trouve  jamais  place  sur  les  programmes  de  la 
Société  des  concerts?  C'est  une  idée,  et  non  une  idée  en  l'air,  que  je  sou- 
mets au  Comité.  Pour  en  revenir  à  Mendelssohn,  l'exécution  instrumen- 
tale et  chorale  a  été  au-dessus  de  tout  éloge  ;  les  soli  ont  été  chantés  avec 
goût  par  Mme!  Leroux-Bibeyre,  E.  Blanc  et  E.  Leroux  ;  malheureusement 
les  deux  voix  de  sopranos  manquaient  un  peu  de  corps  et  de  solidité 
pour  cette  musique  d'un  si  grand  style  et  d'un  si  bel  accent;  toutes  bien 
conduites  qu'elles  étaient,  elles  paraissait  un  peu  plus  minces  et  plus 
ténues  qu'il  n'eût  fallu.  Quant  à  M.  Mounet-Sully,  qui  s'était  chargé  de  la 
déclamation,  et  dont  personne  plus  que  moi  ne  respecte  et  n'apprécie  le 
talent,  je  trouve  qu'il  chante  trop  les  vers  récités  de  Bacine.  Son  accent 
plaintif  semble  se  ressentir  un  peu  trop  du  voisinage  de  la  musique;  il 
prend  des  inflexions  de  voix  qui  sont  de  véritables  intonations,  et  il  a 
sur  une  même  syllable  des  traînées  de  son,  ascendantes  ou  descendantes, 
qui  font  presque  l'effet  d'une  gamme  mal  venue.  En  un  mot,  cela  manque 
de  virilité,  et  cela  ne  tranche  pas  assez  avec  l'accent  musical  des  chœurs. 
—  La  délicieuse  symphonie  d'Haydn,  avec  son  andante  charmant  et  son 
menuet  enchanteur,  dont  le  trio  surtout  est  exquis,  terminait  à  souhait 
cette  belle  séance  et  ce  beau  programme.  Elle  a  été  dite  avec  une  grâce, 
une  finesse,  une  élégance  et  un  sentiment  délicat  qui  font  le  plus  grand 
honneur  à  l'orchestre  et  à  son  excellent  chef,  M.  Garcin.  — Arthuk  Poucin. 

—  Concert  du  Chatelet.  —  Un  des  mérites  de  M.  Colonne  est  de  rendre 
ses  concerts  attrayants.  Pour  atteindre  ce  résultat,  la  diversité  des  mor- 
ceaux ne  suffit  pas  ;  il  faut  encore  la  variété  des  styles,  sans  cela  les  grands 
concerts  d'orchestre  sont  voués  à  la  monotonie.  La  première  partie  se 
composait  de  l'ouverture  de  Coriolan,  de  Beethoven,  cette  page  si  colorée, 
si  mouvementée,  d'un  caractère  si  dramatique  ;  —  de  la  Symphonie  ina- 
chevée de  Schubert,  puisée  aux  sources  de  la  sensibilité  la  plus  délicate, 
la  plus  exquise;  —  enfin  de  la  Danse  macabre  de  M.  Saint-Saéns,  œuvre  pittn- 

(1)  Je  renvoie  ceux  qu'intéresserait  cette  histoire  curieuse  et  peu  connue 
à  l'article  que  j'ai  publié  sur  ce  sujet  dans  la  Nouvelle  Revue  du  1CT  no- 
vembre 1888. 


resque,  une  des  rares  œuvres  modernes  qui  réponde  aux  programmes  à 
l'aide  desquels  on  a  maintenant  l'habitude  de  les  expliquer.  Ces  trois  belles 
pages  ont  été  écoutées  sans  fatigue,  admirablement  comprises  et  sincè- 
rement applaudies.  —  La  seconde  partie  du  concert  appartenait  à  M.  Grieg, 
le  célèbre  compositeur  norvégien,  qui  a  conduit  ses  œuvres  avec  une 
grande  maestria,  surtout  son  concerto.  La  première  composition  entendue 
a  été  Bergliot,  poème  traduit  de  Bjornson  et  déclamé  par  M"10  Marie  Lau- 
rent. M.  Grieg  a  créé  là  une  œuvre  particulière  ;  ce  n'est  pas,  à  propre- 
ment parler,  le  mélodrame  venu  des  Allemands,  imité  quelquefois  chez 
nous,  dans  lequel  la  déclamation  parle  sans  chanter  pendant  que  l'or- 
chestre joue,  ce  qui  produit  presque  toujours  une  impression  de  fausseté: 
ici,  l'orchestre  intervient  seulement  après  que  la  déclamation  a  parlé  ;  il 
souligne  ses  phrases,  il  les  coupe,  toujours  dans  l'impression  vraie.  C'est 
un  récitatif  à  deux,  le  morceau  se  termine  par  une  marche  funèbre  de 
toute  beauté  et  vraiment  émouvante.  Le  concerto  op.  16,  précédemment  en- 
tendu à  Paris  et  supérieurement  exécuté  par  M.  De  Greef,  est  un  morceau 
de  premier  ordre,  bien  rythmé,  bien  conduit,  où  déborde  une  mélodie  d'une 
saveur  étrange  et  pénétrante.  La  suite  d'orchestre,  Peer  Gtjnl,  révèle  moins 
d'originalité  :  le  Matin  est  une  suave  rêverie;  on  a  bissé  la  danse,  qui  est 
une  très  gracieuse  composition.  Le  moins  réussi  des  quatre  morceaux  est 
la  Poursuite  des  Kobolds,  qui  est  trop  court  et  trop  bruyant.  Grand  succès 
néanmoins  pour  le  compositeur,  qui  a  été  acclamé  à  diverses  reprises  par 
le  public  du  Chatelet.  H.  Barbedette. 

—  La  Société  nationale  a  recommencé  la  série  de  ses  séances 
musicales,  le  samedi  28  décembre,  par  un  concert  dont  la  première 
partie  était  consacrée  à  M.  Edv.  Grieg.  Des  circonstances  regrettables 
ont  empêché  le  compositeur  norvégien  de  prêter  son  concours  à 
cette  soirée,  bien  qu'il  l'eût  promis  d'abord  et  en  eût  manifesté  clai- 
rement le  désir  :  par  malheur,  il  s'est  trouvé  que  des  engagements 
dont  il  n'avait  pas  prévu  toutes  les  rigueurs  ne  lui  ont  même  pas 
permis  d'assister  à  cette  séance,  donnée  en  son  honneur  par  une 
société  de  musiciens  français  dont  la  seule  préoccupation  est  le  culte 
de  l'art,  et  qui,  dès  longtemps,  avaient  fait  connaître  ses  œuvres  à 
leur  auditoire  habituel.  On  en  a  été  généralement,  sinon  très  surpris,  du 
moins  sincèrement  peiné  :  on  l'a  regretté  d'autant  plus  que  cela  a  privé 
M.  Grieg  de  se  trouver,  pour  la  première  fois  depuis  sa  venue  à  Paris, 
dans  une  salle  complètement  et  brillamment  garnie  en  son  honneur,  de- 
vant un  public  enthousiaste  et  apte  à  le  comprendre.  L'on  sait  d'ailleurs 
que  M.  Grieg  n'est  véritablement  lui-même  que  dans  la  musique  de 
chambre  et  la  musique  intime;  aussi  le  programme  de  la  Société  natio- 
nale donnait-il  une  idée  beaucoup  plus  complète  et  plus  heureuse  de  son 
talent  que  les  deux  séances  d'orchestre  données  d'autre  part.  Mme  Gabrielle 
Krauss  a  chanté  cinq  lieder  qui  sont  cinq  petits  chefs-d'œuvre  :  la  grande 
cantatrice  les  a  interprétés  avec  son  talent  incomparable,  son  accert 
puissant  et  expressif,  et  a  été  l'objet  d'ovations  enthousiastes  et  prolon- 
gées. Même  chose  pour  M.  Diémer,  qui  a  joué  plusieurs  pièces  pour  piano 
seul,  et,  assisté  d'un  de  ses  élèves,  deux  des  ravissantes  Danses  norvé- 
giennes à  quatre  mains;  enfin,  MM.  Heymann,  Gibier.  Balbreck  et  Lié- 
geois ont  exécuté  le  quatuor  à  cordes,  fantaisiste,  brillant  et  coloré,  qui 
reste,  ce  me  semble,  l'œuvre  la  plus  caractéristique  et  la  plus  considérable 
de  M.  Grieg.  —  Le  reste  du  concert  comprenait  un  Adagio  et  Scherzo  pour 
quatuor  à  cordes  de  M.  A.  Vinée,  bien  écrit,  mais  où  l'invention  et  l'in- 
térêt ne  se  renouvellent  que  médiocrement;  deux  nouvelles  mélodies  de 
M.  Paul  Vidal,  jolies  de  forme,  avec  des  dessous  un  peu  lourds;  l'admi- 
rable Élégie  pour  violoncelle  de  M.  G.  Fauré,  une  page  digne  des  grands 
classiques  (très  bien  jouée  par  M.  Liégeois);  enfin,  une  série  de  pièces 
extraites  d'une  nouvelle  œuvre  de  piano  de  M.  Vincent  d'Indy  :  Tableaux 
de  voyage,  suite  de  petits  morceaux  de  dimensions  analogues  à  celles  de 
certaines  œuvres  de  piano  de  Schumann,  où  l'on  retrouve  la  richesse 
d'harmonies,  l'originalité,  le  sentiment  tour  à  tour  intime  et  pittoresque 
que  les  œuvres  antérieures   du  compositeur  nous  avaient   déjà   révélés. 

Julien  Tiersot. 

Belàche.  aujourd'hui  dimanche,  à  tous  les  concerts   symphoniques. 

Conservatoire,  Chatelet  et  Cirque  d'Hiver. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

Le  Journal  de  Saint-Pétersbourg  fait  connaître  l'ouverture  et  publie  le 
programme  du  double  concours  musical  international  fondé  par  Antoine 
Rubinstein.  Ce  premier  concours  aura  lieu  à  Saint-Pétersbourg  le  1B  (27) 
août  1890,  au  Conservatoire  (rue  du  Théâtre,  n°  3),  à  une  heure  de  l'après- 
midi.  Deux  prix,  chacun  de  cinq  mille  francs,  seront  décernés  —  un  prix  à 
un  compositeur,  un  autre  à  un  pianiste.  Les  deux  prix  pourront  être  adju- 
gés à  une  seule  personne,  qui  sera  reconnue  digne  d'obtenir  tant  le  prix 
de  composition  que  le  prix  de  piano.  Au  cas  où  l'un  des  deux  premiers 
prix  ou  les  deux  ne  seraient  pas  adjugés,  on  pourra  les  remplacer  par  des 
seconds  prix  de  deux  mille  francs  chacun.  Les  concurrents  —  des  jeunes 
gens  de  20  à  2G  ans  —  pourront  être  de  toute  nationalité,  de  toute  reli- 
gion, de  toutes  les  classes  de  la  société,  et  sans  distinction  du  lieu  où 
ils  ont  fait  leur  éducation  musicale.  Voici  le  programme  du  concours  : 


LE  MENESTREL 


a  Programme  pour  les  compositeurs. 

Présenter  les  compositions  suivantes  : 

1'  Un  concerlstiick  pour  piano  et  orchestre  (deux  exemplaires  de  la  partition], 
transcription  de  la  partie  d'orchestre  pour  un  second  piano,  parties  d'orchestre 
(trois  parties  du  1er  violon,  trois  du  2°  violon,  deux  d'alto,  deux  de  violoncelle, 
deux  de  contrebasse). 

2°  Sonute  pour  piano  seul  ou  pour  piano  et  un  instrument  a  cordes  quelconque 
{deux  exemplaires  et  la  partie  de  riostrument  à  cordes). 

3°  Plusieurs  petits  morceaux  pour  le  piano  (pas  moins  de  deux  exemplaires 
chacun). 

Les  compositeurs  doivent  exécuter  eux-mêmes  leurs  œuvres  (1). 

Les  œuvres  présentées  au  concours  doivent  être  inédites, 
b  Programme  pour  les  exécutants. 

Exécution  des  morceaux  que  voici  ; 

1°  J.  S.  Bach.  Prélude  et  fugue  à  quatre  voix. 

2°  Haydn  ou  Mozart  —  un  andante  ou  un  adagio. 

3°  Beethoven  —  l'une  des  sonates:  op.  78,  81,  90,  101,  106,  109,  110,  111. 

4°  Chopin  —  mazurka,  nocturne  et  ballade. 

5°  Schumann  —  un  ou  deux  morceaux  des  Phantasieslucke  on  de  la  Kreisleriana. 

6°  Liszt  —  une  étude. 

Les  personnes  qui  désirent  concourir  doivent  le  notifier  par  écrit  au  comptoir 
du  Conservatoire  de  Saint-Pétersbourg,  rue  du  Théâtre,  3,  pas  plus  tard  que 
le  14  (26)  août  1890,  en  y  ajoutant  les  documents  originaux  ou  des  copies  certi- 
fiées constatant  leur  identité  et  leur  âge. 

—  Voici  la  liste  des  opéras  nouveaux  qui  ont  été  représentés  en  Italie 
au  cours  de  l'année  1889  :  1.  Agnese  Visconti,  de  M.  Antonio  Nani  (Malte, 
Théâtre-Royal)  ;  —  2.  Il  Cas  ïno  di  Campagna,  de  M.  Quercetti  (Osimo,  th. 
des  Muses);  —  3.  Gina,  de  M.  Francesco  Gelea  (Naples,  Conservatoire);  — 
4.  La  Mandragola,  du  prince  de  Teano  (Naples,  th.  des  Fiorentini)  ;  —  5. 
Occhi  azzurri,  de  M.  Gavalieri  (Fossano,  th.  Social)  ;  —  6.  —  Un  Dono  fatale, 
opérette,  de  M.  Zamhelli  (Gènes,  Société  Cristophe  Colomb)  ;  —  7.  Le  Gelosie 
de  padron  Grisogono,  opérette,  de  M...  (?)  ;  —  8.  Semplicioni  e  Gabolotti, 
o  Amori  di  Cinchetto,  opérette  en  dialecte  romanesque,  de  M.  Cesare  Pas- 
cucci  (Rome,  th.  Rossini)  ;  —  9.  Jolanda,  idylle,  de  M.  Gellio  Coronaro 
(Milan  th.  Philodramatique);  —  10.  La Penna  d'amorc  (ou  la  Morte  d'amore), 
Opérette,  de  M.  Palmieri  (Naples,  th.  des  Fiorentini)  ;  —  11.  Cleopatra,  de 
M.  Giuseppe  Bensa  (Milan,  th.  Dal  Verme)  ;  — 12.  Un  Telegramma,  opérette, 
de  M.  Martini  (Milan,  th.  Pezzana)  ;  —  13.  —  Beida,  de  M.  Angelo  Botta- 
gisio  (Milan,  th.  Dal  Verme);  —  14.  Abulcadabuz,  opérette,  de  M.  Buon- 
giorno  (Naples,  th.  delà  Fenice);  —  15.  Clara,  de  M.  Panizza-Pugnalini 
(Milan,  th.  Manzoni)  ;  —  16.  Pippetlo  avvocato,  ovvero  un  Granchio  a  secco, 
opérette  en  dialecte  romanesque,  de  M.  Cesare  Pascucci  (Rome,  th.  Ros- 
sini) ;  —  17.  Il  Viaggio  di  Stentorcllo  nella  luna,  opérette,  de  M.  Giulio 
Cocialli  (Monlelupo)  ;  —  18.  Et  Giro  italo-ispano-franco-chinese,  opérette  en 
dialecte  romanesque,  de  M.  Cesare  Pascucci  (Rome,  th.  Rossini),  —  19.  I 
Granatieri,  opérette,  de  M.  Valente  (Turin,  th.  Gerbino)  ;  —  20.  William 
Ratclifj,  de  M.  Emilio  Pizzi  (Bologne,  th.  Communal)  ;  —  21.  Botton  di  rasa, 
opérette,  de  M.  Forte  (Naples,  th.  de  la  Fenice)  ;  —  22.  Djalma,  de 
M.  Buongiorno  (  N'.ples,  th.  de  la  Fenice)  ;  —  23.  Bianca  di  Nevers,  de 
M.  Adolphp  Bacci  (Rovigo,  th.  Social)  ;  —  24.  La  Freccia  dorala,  opérette, 
de  M.  Domenico  Bertaggia  (Naples,  th.  de  la  Fenice)  ;  —  2b.  Adriana 
Lecouvreur,  de  M.  Perosio  (Gènes,  th.  Paganini)  ;  —  26.  Nerina,  de  M.  Carlo 
Chiappani  (Trente,  th.  Social)  ;  —  27.  Mariska,  de  M.  Giovanni  Orerice 
(Turin,  th.  Carignan);  —  28.  Il  Piccolo  Haydn,  paroles  et  musique  de  M.  Al- 
fredo  Soffredini  (Faenza,  th.  Communal)  ;  —  29.  Pippctto  imperatore  del  Gran 
Turco,  opérette  en  dialecte  romanesque,  de  M.  Cesare  Pascucci  (Rome, 
th.  Rossini)  ;  —  30.  Er  Marchese  der  Grilla,  opérette  en  dialecte  romanesque, 
de  M.  de  Mascetti  (Rome,  th.  Métastase)  ;  —  31.  Batlaglia  di  donne,  de 
M.  Giovanni  Ferma  (Turin,  Cercle  des  Artistes);  —  32.  Na  bizzoghella  opé- 
rette en  dialecte  romanesque,  de  M.  Cesare  Pascucci  (Rome,  th.  Rossini)  ; 
—  33.  Iridc,  de  M.  Vigoni  (Cortone).  —  A  ces  ouvrages,  les  journaux  ita- 
liens ajoutent  :  lo  Schiavo,  de  M.  Carlos  Gomes,  donné  au  théâtre  Dom 
Pedro,  de  Rio- Janeiro;  the  Gran  Duke,  opéra  anglais,  de  M.  Tito  Mattei, 
compositeur  italien,  représenté  à  l'Avenue-Théâtre,  de  Londres;  Delta, 
opéra  anglais  de  M.  Bucalossi,  compositeur  italien,  joué  au  Princess's 
Théâtre  de  Bristol  ;  enfin,  il  Vassallo  di  Szigelh,  opéra  traduit  en  alle- 
mand, de  M.  Antoion  Smareglia,  compositeur  italien,  donné  au  théâtre 
impérial  de  Vienne. 

.  —  11  est  assez  difficile  de  savoir  au  juste  à  quoi  s'en  tenir  en  ce  qui 
concerne  l'effet  produit  sur  le  public  de  laScala,  de  Milan,  par  la  repré- 
sentation des  Maîtres  chanteurs,  de  Richard  Wagner.  L'impression  générale 
parait  surtout  avoir  été  troublante  et  indécise,  ce  qui  se  comprend,  étant 
donnée  la  dose  d'étonnement  qu'une  musique  de  ce  genre  a  dû  provoquer 
chez  des  auditeurs  habitués  â  un  tout  autre  régime,  et  singulièrement 
différent.  L'ouverture  a  produit  de  l'effet,  mais  le  premier  acte  (bien  que 
réduil  de  sept  quarts  d'heure  â  cinq  par  les  coupures)a  paru  terriblement 
long  ;  le  second  a  été  mieux  accueilli,  et  le  finale,  en  a  été  redemandé  ;  le 
quintette  du  troisième  a  été  applaudi,  mais  dans  cet  acte  encore  de  terri- 
bles développements  ont  fatigué  le  public,  dont  l'impression  finale  ne 
parait  pas  avoir  été  excellente. En  résumé,  applaudissements  très  vifs  pour 

(1)  En  reproduisant  cet  alinéa,  dit  lo  Journal  de  Sl-1'èlershmirg,  nous  nous  de- 
mandons si  les  organisateurs  du  concours  se  sont  bien  rendu  compte  de  l'exi- 
gence qu'ils  imposent  aux  concurrents.  Faudra-t-il  que  tous  les  compositeurs  qui 
voudront  concourir,  arrivent  à  date  fixe  à  St-PctersDourg  pour  être  en  mesure 
d'  .r  exécuter   eux-mêmes  leurs  œuvres  »?  Un  mot  d'explication  serait  désirable. 


certaines  pages  splendides  de  la  partition,  sifflets  en  d'autres  endroits,  et 
sentiment  de  lassitude  générale  à  la  fin  de  l'œuvre.  Succès  personnel  con- 
sidérable pour  le  chef  d'orchestre  Franco  Faccio,  pour  l'orchestre  et  les 
chœurs,  puis  pour  M.  Seguin  et  Mme  Gabbl.  Voici  comment  le  journal 
l'Italie  résume  les  nouvelles  :  n  Les  journaux  de  Milan  diminuent  de  beau- 
coup le  succès  des  Maestri  cantori  â  la  Scala.  Les  morceaux  qui  vraiment 
ont  ému  le  public  ont  été  l'ouverture,  la  finale  du  second  acte  et  le  quin- 
tette du  troisième.  Ce  que  disaient  les  dépèches  à  l'égard  de  l'exécution 
se  rapportait  principalement  à  l'orchestre  et  aux  chœurs,  qui  se  sont  fait 
beaucoup  d'honneur.  Les  artistes  principaux,  M.  Seguin  et  M""5  Gabbi,  sont 
très  loués,  le  premier  spécialement  ;  par  contre,  on  reproche  à  M.  Nouvelli 
d'avoir  peu  étudié  son  rôle  et  de  n'avoir  pas  donné  de  relief  à  la  très  belle 
chanson  du  défi.  On  prévoit  que  les  Maestri  cantori  auront  un  nombre  li- 
mité de  représentations.   » 

—  Dépèche  de  Rome  :  «  Hier,  à  f'Argentina,  grand  succès  pour  Mignon 
avec  M110  Frandin,  Mm0  Brambilla,  Bayo  et  Cotogni.  Orchestre  admira- 
ble. » 

—  Les  journaux  italiens  nous  apprennent  que  le  compositeur  Giuseppe 
Apollini,  l'auteur  d'un  opéra  célèbre  en  son  pays,  l'Ebreo,  et  de  plusieurs 
autres  ouvrages,  est  en  ce  moment  gravement  malade  à  Vicence. 

—  Il  est  beaucoup  question,  à  Bruxelles,  du  projet  du  gouvernement 
d'élever  au  rang  de  Conservatoire  royal  belge,  l'École  de  musique  d'An- 
vers, dirigée  par  M.  Peter  Benoit.  L'École  d'Anvers  a  été  jusqu'ici  une 
institution  communale  et  provinciale,  c'est-à-dire  dans  l'entretien  de 
laquelle  le  gouvernement  n'intervenait  pas  directement.  Arrivant  au  rang 
de  Conservatoire  royal,  l'École  d'Anvers  passerait  dans  la  dépendance 
du  ministère  de  l'instruction  publique.  Il  y  a  actuellement  trois  Conser- 
vatoires royaux  en  Belgique  :  A  Bruxelles  (directeur,  M.  Gevaert),  à  Gand 
(directeur  M.  Adolphe  Samuel)  et  à  Liège  (directeur,  M.    Radoux). 

—  A  l'occasion  de  la  Noël,  l'Opéra  impérial  de  Vienne  a  donné,  au  bé- 
néfice d'une  œuvre  charitable,  une  représentation  de  la  Sainte  Elisabeth  de 
Liszt,  exécutée  en  costumes  et  avec  mise  en  scène.  Du  vivant  de  Liszt  on 
avait  donné  à  Weimar  cet  oratorio  avec  tableaux  vivants  ;  à  Vienne,  c'est 
avec  une  véritable  mise  en  scène,  savamment  adaptée  à  la  musique.  C'est 
Hans  Richter  qui  a  dirigé  cette  intéressante  exécution, 

—  Quatre  théâtres  incendiés  en  l'espace  d'une  semaine  !  Le  théâtre 
allemand  de  Buda-Pesth,  le  théâtre  Re  Umberto,  de  Florence,  le  théâtre 
municipal  de  Zurich,  et  le'théâtre  de  Parth-Rhondda-Vallay,  dans  le 
pays  de  Galles  (Angleterre),  ont  été  tous  quatre,  en  ces  derniers  jours, 
complètement  détruits  par  le  feu,  de  telle  sorte  qu'il  n'en  reste  que  les 
murs  calcinés.  Par  un  bonheur  providentiel  on  n'a,  dans  ce  quadruple 
désastre,  aucun  accident  de  personnes  à  déplorer, 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Les  distinctions  honorifiques  du  1er  janvier.  Dans  la  Légion  d'hon- 
neur, est  promu  au  grade  d'officier  :  M.  Edouard  Pailleron,  auteur  dra- 
matique, membre  de  l'Académie  française;  sont  nommés  chevaliers: 
MM.  Worms,  sociétaire  de  la  Comédie-Française  ;  Paravey,  directeur  de 
l'Opéra-Comique  ;  Louis  Ganderax,  critique  dramatique  à  la  Revue  des 
Deux  Mondes;  Maurice  Bouchor,  homme  de  lettres,  -r-  Sont  nommés  offi- 
ciers de  l'Instruction  publique  :  MUe  Augusta  Holmes,  compositeur; 
MUo  Delaporte,  professeur  de  déclamation  ;  MM.  Henri  Meilhac,  auteur 
dramatique,  membre  de  l'Académie  française  ;  Paul  Henrion,  Félix  Le- 
roux, Georges  Lamothe,  compositeurs;  Danhauser,  inspecteur  de  l'ensei- 
gnement du  chant;  Wettge,  chef  de  musique  de  la  garde  républicaine; 
Henri  Carré,  chef  des  chœurs  à  l'Opéra-Comique;  Garrigue,  premier  cor, 
solo  à  l'Opéra-Comique  :  Paul  Viardot,  artiste  musicien  ;  Ad.  Brisson, 
Doumic  (dit  René  d'Orsel),  critiques  dramatiques  ;  Paul  Collin,  homme 
de  lettres,  librettiste;  Charles  Constantin,  ancien  prix  de  Rome;  Duluc, 
professeur  de  musique  à  Nancy;  Hercouët,  membre  de  la  commission 
de  liquidation  de  la  caisse  des  retraites  de  l'Opéra.  —  Sont  nommés 
officiers  d'académie  :  MM.  Gresse  (Opéra),  Dupuy  (Opéra-Comique), 
Lematte,  Senoutzen,  artistes  lyriques  ;  Charles  Malo,  Pister,  chefs  d'or- 
chestre et  compositeurs  ;  Mme  Edme  Rousseau,  M.  Léon  Vasseur,  compo- 
siteurs; M.  de  Try,  pianiste-compositeur;  Mms  Giraud-Laturse,  Maire, 
née  Nancy-Libert,  veuve  Didier,  dite  Berthe  Marietti,  Mlles  Lhéritier, 
Gayrard-Pacini,  Lenoble,  Parent,  Lefebvre-Eyre,  MM.  Gros-Saint-Ange, 
d'Hack,  Migeon,  Martin,  Renard,  dit  Lemaitre,  Salmon,  Humblot,  profes- 
seurs de  musique  ;  Cabro,  directeur  de  la  fanfare  de  Montmartre  ;  Léauté, 
président-fondateur  du  Cercle  symphonique  de  la  rive  gauche  ;  Lucien 
Gressonnois,  Georges  Feydeau,  André  Lenéka,  Deleuze,  dit  Paul  d'Ivoi, 
Raymond,  Rieunier,  dit  Monréal,  auteurs  dramatiques;  Amable,  peintre- 
décorateur;  Guilloire,  secrétaire  delà  Comédie-Française;  Serrand,  mé- 
decin-adjoint de  l'Opéra-Comique;  Magnier,  professeur  de  musique  à 
Toulouse  ;  Casimir  Baille,  directeur-de  l'École  de  musique  de  Perpignan  ; 
Mailly,  chef  de  musique  au  2e  régiment  étranger;  Simonneau,  professeur 
de  musique  à  Chartres;  Mm0  Prus-Seyna re,  professeur  de  piano  à  Rou- 
baix;  d'Encausse  de  Gautier,  critique  dramatique;  Bernard,  professeur  de 
violoncelle  à  l'École  nationale  de  musique  de  Nantes  ;  Brunet,  professeur 
de  piano  à  l'École  de  musique  de  Boulogne-sur-Mer;  Colin,  chef  de  la 
musique  du  bataillon  des  canonniers  sédentaires  de  Lille;  Combes,  pro- 
fesseur de  musique  à  Gahors. 


LE  MENESTREL 


—  L'année  1889,  on  le  sait  de  reste,  n'aura  pas  été  florissante  à  Paris 
au  point  de  vue  de  la  production  théâtrale,  nos  directeurs  se  souciant 
peu  de  se  mettre  en  frais  pour  le  public  cosmopolite  que  devait  forcément 
leur  amener  l'Exposition.  Le  répertoire  des  nouveautés  musicales  de 
l'année  est  donc  fort  restreint,  et  se  borne  aux  ouvrages  dont  voici  la 
]iste  :  —  Opéra  :  la  Tempête,  ballot  en  trois  actes  et  six  tableaux,  de 
MM.  Jules  Barbier  et  Hansen,  musique  de  M.  Ambroise  Thomas.  — 
Opéra-Comique  :  la  Cigale  madrilène,  opéra-comique  en  deux  actes,  de 
M.  Léon  Bernoux,  musique  de  M.  Joanni  Perronnet  ;  Esclarmonde,  opéra 
romanesque  en  quatre  actes,  de  MM.  Gramont  et  Alfred  Blau,  musique  de 
M.  Massenet.  —  Variétés  :  la  Fille  à  Cacolet,  vaudeville-opérette  en  trois 
actes,  de  MM.  Chivot  et  Duru,  musique  de  M.  Audran.  —  Polies-Drama- 
tiques :  Riquet  à  la  Houppe,  opérette-féerie  en  trois  actes,  de  MM.  Paul 
Ferrier  et  Glairville,  musique  de  M.  Louis  Varney.  —  Bouffes-Parisiens  : 
le  Retour  d'Ulysse,  opérette  en  trois  actes,  de  M.  Fabrice  Carré,  musique  de 
M.  Raoul  Pugno  ;  Figarella,  opérette  en  un  acte,  de  MM.  Grandmougin  et 
Jules  Méry,  musique  de  M.  Justin  Clérice  ;  Monsieur  Hucliot,  opérette  en 
un  acte,  de  M.  Jacques  Teresand,  musique  de  M.  J.  Clérice  ;  la  Revanclie 
de  Cornarino,  opérette  en  un  acte,  de  M.  Félix  Cohen,  musique  de  M.  Léon 
Rosellen  ;  le  Mari  de  la  Reine,  opérette  en  trois  actes,  de  MM.  Grenet- 
Dancourt  et  Octave  Pradels,  musique  de  M.  André  Messager.  —  Nouveau- 
tés :  la  Vénus  d'Arles,  opérette  en  trois  actes,  de  MM.  Paul  Ferrier  et  Ar- 
mand Liorat,  musique  de  M.  Louis  Varney.  —  Menus-Plaisirs  :  l'Etudiant 
pauvre,  opérette  en  trois  actes,  imitée  de  l'allemand,  de  MM.  Milher  et 
Numès,  musique  de  M.  Millœcker.  —  Eden-Théatre  :  Ali-Baba,  opérette  en 

■trois  actes,  de  MM.  W.  Busnach  et  Vanloo,  musique  de  M.  Charles  Le- 
cocq.  —  Mentionnons,  pour  terminer,  l'Ode  triomphale  de  MUe  Augusta 
Holmes,  (paroles  et  musique),  exécutée  sur  le  théâtre  expressément  con- 
truit  à  cet  effet  dans  le  Palais  de  l'Industrie. 

—  L'Académie  des  Beaux-Arts  a  procédé,  dans  sa  séance  du  28  décembre, 
au  renouvellement  annuel  de  son  bureau.  M.  Ambroise  Thomas  a  été  élu 
président  et  M.  Meissonnier  vice-président,  le  bureau  étant  complété  par 
le  comte  Delaborde,  secrétaire  perpétuel.  Dans  cette  même  séance,  l'Aca- 
démie a  entendu  la  lecture  du  rapport  sur  les  envois  de  Rome  des  jeunes 
musiciens  pensionnaires  de  l'Académie  de  France. 

—  Opinion  de  M.  Albert  Delpit,  du  Figaro,  sur  les  directeurs  de  l'Opéra: 
Ah!    ces   malheureux   directeurs  de  l'Opéra!    Ils   peuvent   se  vanter  d'avoir 

ameuté  tout  le  monde  contre  eux.  Qu'est-ce  qu'ils  nous  ont  donné  de  nouveau 
depuis  dix-huit  mois,  en  dehors  de  la  Tempête?  Énumérons:  Roméo  et  Juliette  et... 
Lucie  de  Lammermoor!  Il  est  impossible  de  se  moquer  des  artistes  et  du  public 
de  plus  allègre  façon.  L'opéra  de  GouDod  est  un  chef-d'œuvre:  soit.  Mais  Lucie  ! 
C'est  absolument  comme  si  la  Comédie  s'avisait  de  reprendre  lea  Templiers  de  feu 
Rajnouard.  Encore  aimerais-je  mieux  les  vers  insipides  du  barde  impérial  que  les 
trou  la  la  d'orchestre  de  Donizetti.  Notez  que  MM.  Rut  et  Gailhard  ont  sous  la 
main  la  Zaïre  de  M.  Véronge  de  la  Nux  etl'Ascanio  de  Saint-Saéas;  sans  compter, 
dans  l'avenir,  le  Mage  de  Massenet.  Messieurs  les  directeurs  de  l'Opéra  ne  se 
doutent  pas  des  effroyables  rancunes  qu'ils  ont  soulevées.  Leur  bilan  est  bien 
simple.  Cette  administration  peut  se  résumer  en  quelques  mois:  pas  de  réper- 
toire, pas  de  troupe.  Le  premier  se  compose  d'opéras  tellement  usés  qu'on  n'en 
veut  plus,  même  à  Landerneau.  Quant  à  la  seconde,  la  reprise  de  Lucie  a  permis 
de  la  juger.  Les  malheureux  en  sont  à  recruter  un  ténor  dans  la  salle  !  Notre 
Exposition  a  été  admirable.  Cependant  je  ne  crains  pas  de  dire  qu'elle  a  été  dés- 
honorée par  les  représentations  de  l'Opéra  et  par  les  fiacres  !  Les  nombreux 
étrangers  qui  sont  venus  nous  rendre  visite  ont  dû  concevoir  de  jolies  idées  sur 
notre  compétence  artistique.  Comment!  Voilà  un  théâtre  qui  s'appelle  l'Académie 
nationale  de  musique;  ses  administrateurs  ont  non  seulement  une  salle  gratuite  - 
ment  concédée,  mais  encore  huit  cent  mille  francs  de  subvention.  Et  avec  tous 
ces  avantages,  nous  n'obtenons  pas  même  une  troupe  médiocre!  Si  bien  que  les 
Parisiens  voyageurs,  tels  que  moi,  sont  pris  de  honte  quand  ils  assistent  à  une 
représentation  de  la  Scala,  du  San  Carlo  ou  de  la  Monnaie.  Je  n'insiste  pas.  Je 
me  réserve  de  revenir  sur  cette  question  de  l'Opéra,  quand  la  Chambre  discutera 
le  budget  des  Beaux-Arts.  Le  privilège  de  MM.  Ritt  et  Gailhard  ne  doit  pas  être 
renouvelé.  Autrement,  la  presse  et  les  abonnés  pousseraient  de  telles  clameurs 
que  le  conseil  des  ministres  en  serait  assourdi  pendant  six  mois  ! . . . 

Et  pourtant  cela  sera,  parce  que  c'est  le  désir  de  M.  Constans.  Le  pri- 
vilège de  MM.  Ritt  et  Gailhard  sera  renouvelé,  et  nous  aurons  encore  sept 
années  à  subir  cette  scandaleuse  direction.  Les  abonnés  ne  diront  rien, 
la  presse  restera  muette,  et  le  ministère  des  Beaux-arts  trouvera  que  tout 
va  au  mieux  dans  le  meilleur  des  mondes  artistiques. 

—  De  son  coté  M.  Henri  Bauer  termine  ainsi  un  long  article  qu'il 
consacre  dans  l'Echo  de  Paris  a  la  merveilleuse  direction  de  l'Académie 
nationale  de  musique  (!)  : 

A  quoi  bon  répéter  encore  ce  que  vingt  fois  j'ai  dit  sur  cette  direction  de  l'O  - 
péra;  elle  a  discrédité  l'Académie  nationale,  décourage  les  artistes,  lassé  les  com- 
positeurs; elle  a  ruiné  le  fonds  de  la  maison,  usé  les  décors  jusqu'à  la  corde, 
troué  les  costumes  à  tel  point  qu'il  faudra  deux  millions,  vous  entendez  bien, 
messieurs  les  députés,  deux  millions  pour  la  réfection  du  matériel,  et  ce  n'est 
pas  fini.  Pour  tous  ces  mérites,  on  a  accroché  la  croix  delà  Légion  d'honneur  à  la 
boutonnière  decepaillasse  ignare anti-arliste,  on  a  permis  que  les  deux  compères 
fussent  gavés  d'honneurs  et  d'argent  au  détriment  des  intérêts  et  des  sentiments 
de  tous.  C'est  peine  perdue  que  d'y  revenir,  il  faut  prendre  le  parti  d'en  rire,  et 
ce  n'est  pas  l'incident  le  moins  burlesque  d'une  époque  fertile  en  drôferics. 

Le  Trovalore  croit  devoir  faire  remarquer  que  le  répertoire  de  notre 
Opéra  comprend,  à  l'heure  présente,  cinq  opéras  italiens,  savoir  :  Lucie  de 
Lammermoor,  Axda,  Don  Carlos,  Rigoletlo  et  Guillaume  Tell.  Notre  confrère   se 


trompe.  Guillaume  Tell,  quoique  écrit  par  un  musicien  italien,  est  un  opéra 
français  ;  quant  à  Don  Carlos,  qui  est  aussi  un  opéra  français  écrit  par  un 
italien,  il  y  a  plus  de  vingt  ans  qu'il  n'a  paru  sur  l'affiche  de  notre  grande 
scène  lyrique.  Nous  constatons  le  fait,  sans  le  commenter  en  aucune  façon. 

—  M.  Lancien,  troisième  chef  d'orchestre  à  l'Opéra,  ayant  demandé  à 
faire  valoir  ses  droits  à  la  retraite,  c'est  M.  Paul  Taffanel,  l'excellent  flû- 
tiste, qui  a  été  choisi  pour  lui  succéder.  C'est  la  première  fois  qu'un  pareil 
fait  se  présente  dans  un  de  nos  grands  théâtres,  et  qu'un  chef  d'orchestre 
est  pris  ailleurs  que  dans  les  rangs  du  qualuor  des  instruments  à  cordes. 

—  Un  concours  de  violon  a  eu  lieu  il  y  a  quelques  jours  à  l'Opéra,  à  l'effet 
de  remplacer  quelques  artistes  de  l'orchestre  admis  à  la  retraite.  Trente 
et  un  concurrents  se  sontfait  entendre,  etl'audition,  qui  comportait  l'exé- 
cution d'un  morceau  au  choix  de  chacun  et  l'andante  du  concerto  de 
Mendelssohn,  a  duré  environ  six  heures.  M.  Brun  a  été  choisi  pour  suc  • 
céder  à  M.  Lancien  comme  deuxième  violon  solo;  MM.  Carembat  et  Gibier 
sont  passés  premiers  violons  ;  et  MM.  Mauhin  et  Canus  ont  été  admis 
comme  seconds  violons. 


NÉCROLOGIE 


Le  monde  des  théâtres  a  été  tout  particulièrement  frappé  cette  se- 
maine, et  de  toutes  les  façons.  Parmi  les  morts  de  la  semaine,  il  nous 
faut  signaler:  Henri  Justamant,  le  maître  de  ballets  bien  connu,  qui,  après 
avoir  brillé  dans  les  grandes  villes  de  province  et  de  l'étranger:  Marseille, 
Lyon,  Bruxelles,  après  avoir  rempli  ces  fonctions  à  la  Porte-Saint-Martin, 
à  la  Gaîté,  et  r.iême  accidentellement  à  l'Opéra,  était  en  ces  derniers 
temps  aux  Folies-Bergère.  Né  à  Bordeaux  en  1815,  Justamant  avait  été  l'élève 
de  deux  chorégraphes  fameux,  Henry  et  Blache.  —  Jules  Javelot,  compo- 
siteur de  cafés-concerts,  auteur  de  nombreuses  chansons  et  opérettes,  qui 
avait  été  un  instant  directeur  de  Ba-ta-clan.  —  F.  Fournier,  ancien  chef 
de  claque  à  l'Opéra,  qui  avait  centralisé  jusqu'à  un  certain  point  entre 
ses  mains  la  vente  des  billets  de  théâtre,  ce  qui  lui  avait  permis  de  réa- 
liser une  fortune  qu'on  n'évalue  pas  à  moins  de  deux  millions.  —  Enfin,  le 
docteur  Blondeau,  médecin  de  la  Comédie-Française,  l'ami  et  le  médecin 
d'Emile  Augier,  qu'il  avait  soigné  pendant  sa  dernière  maladie,  et  qui 
vient  de  mourir  subitement  à  57  ans. 

Nous  avons  le  regret  d'annoncer  la  mort  d'un  des  auteurs  drama- 
tiques les  plus  aimables  et  les  plus  féconds  de  ce  temps,  M.  Alfred  Duru, 
qui  a  succombé  en  peu  de  jours  aux  atteintes  d'une  pneumonie,  M.  Duru, 
qui  était  né  en  1829,  avait  surtout  collaboré  assidûment  avec  son  ami 
M.  Henri  Chivot,  auquel  le  liait  une  amitié  de  collège.  Tous  deux  avaient 
écrit  ensemble  un  grand  nombre  de  vaudevilles,  ainsi  que  les  livrets  de 
beaucoup  d'opérettes  parmi  lesquelles  nous  citerons  surtout  l'Ile  de  Tuli- 
patan,  les  Chevaliers  de  la  Table  Ronde,  les.  Cent  Vierges,  Fleur  de  Thé,  Madame  Fa- 
vart  la  Mascotte,  la  Fille  du  Tambour-Major,  Gillette  de  Narbonne,  le  Grand 
Mogol,  Surcouf,  la  Fille  à  Cacolet,  etc.,  etc. 

Le  fameux  ténor  Gayarre,  dont  la   renommée   était   si   colossale,  a 

succombé  rapidement  à  la  maladie  dont  une  dépèche  nous  a  fait  connaître 
il  y  a  quelques  jours  qu'il  était  atteint.  Voici  la  notice  que  lui  consacre 
dans  le  Figaro  notre  confrère  Georges  Boyer  : 

Le  célèbre  ténor  Gayarre  est  mort  hier  à  Madrid.  C'est  comme  un  deuil  national 
pour  l'Espagne.  A  l'étianger,  où  il  était  si  connu,  la  nouvelle  de  sa  mort  a  pro- 
duit une  très  triste  impression.  Fils  d'un  modeste  forgeron  du  Roncal  (Navarre), 
Gayarre  travailla,  dans  sa  jeunesse,  dans  une  usine.  Son  patron,  un  ingénieur 
français,  frappé,  comme  ses  camarades,  de  la  voix  du  jeune  ouvrier,  lui  conseilla 
d'aller  se  faire  entendre  à  Pampelune.  Le  conseil  municipal  de  cette  ville  lui 
donna  une  bourse  pour  qu'il  pût  étudier  à  Madrid.  Après  deux  ans  d'études  il 
entra  comme  choriste  au  théâtre  de  la  Zarzuela  (Opéra-Comique),  sous  la  direction 
Gastambide;  mais  il  n'y  resta  pas  longtemps,  car  il  se  sentait  bien  au-dessus  de 
sa  situation.  Encouragé  par  le  conseil  municipal  de  Pampelune,  et  grâce  à  une 
pension  qui  lui  fut  faite,  dit-on,  par  Eslava,  le  grand  musicien  espagnol,  il  partit 
pour  l'Italie,  s'y  perfectionna  et  débuta  à  Milan  avec  un  succès  colossal.  Puis,  à 
la  recherche  de  la  fortune,  il  partit  pour  l'Amérique  du  Sud  et  y  resta  trois  ans. 
De  retour  en  Europe,  presque  inconnu  dans  son  pays,  il  se  présenta  au  théâtre 
royal  de  l'Opéra  de  Madrid  avec  Elena  Sanz,  en  1873,  et  le  succès  fut  sans  précé- 
dent. Ensuite  il  parcourut  toute  l'Europe,  et  chanta  dans  les  théâtres  de  Saint- 
Pélersbouig  Londres,  Rome,  Vienne,  où  il  créa  les  derniers  opéras  de  Verdi  et 
de  Wagner.  En  même  temps  que  la  gloire,  l'artiste  recueillait  beaucoup  d'argent, 
qu'il  était  heureux  de  partager  avec  son  père,  un  vieillard  qui  ne  quitta  jamais  son 
veston  et  son  béret  d'ouvrier  et  qui,  dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  accom- 
pagna toujours  le  grand  artiste  dont  il  était  si  fier.  Le  rêve  de  la  vie  do  Gayarre 
était  de  chanter  a  Paris,  et  on  sait  le  succès  qu'il  obtint  au  Figaro  d'abord,  au 
Théâtre-Italien  et  au  Grand-Opéra  ensuite.  On  se  souvient  qu'il  y  chanta  pour 
la  première  fois  de  sa  vie  l'Africaine  en  français.  Très  bon  enfant,  très  généreux, 
fidèle  aux  affections  de  la  famille  et  à  ses  deux  ou  trois  amis  de  jeunesse,  il  em- 
ploya toutes  ses  économies  à  acheter  des  maisons  et  des  terrains  dans  son  vil- 
lage du  Roncal,  où  il  a  fondé  une  école  et  une  église.  11  comptait  se  i  étirer  dans 
son  beau  pays  basque  à  la  fin  de  sa  carrière.  C'est  Gayarre  qui  a  touché  les  plus 
fortes  sommes  comme  ténor,  car  il  se  faisait  donner  dernièrement  jusqu'à  sept 
mille  francs  par  soirée.  On  évalue  sa  fortune  à  quatre  millions  de  francs.  Gayarre 
avait  quarante  ans.  Le  registre  mis  à  sa  porte  avait  reçu  avant-hier  six  mille  signa- 
tures. La  reine,    qui  avait  récemment  nommé  Gayarre    commandeur  d'Isabelle, 

se  fera  représenler  à  l'enterrement. . 

Henri  Heugel,  direeteur-getant. 


LE  MENESTREL 


Cinquante-sixième    année     de    publication 


PRIMES  1890  du  MÉNESTREL 

JOURNAL   DE   MUSIQUE    FONDÉ   LE    1er   DÉCEMBRE   1833 

Paraissant  tous  les  dimanches  en  huit  pages  de  texte,  donnant  les  comptes  rendus  et  nouvelles  des  Théâtres  et  Concerts,  des  Notices  biographiques  et  Études  sur 

les  grands  compositeurs  et  leurs  œuvres,  des  séries  d'articles  spéciaux  sur  l'enseignement  du  Chant  et  du  Piano  par  nos  premiers  professeurs, 

des  correspondances  étrangères,  des  chroniques  et  articles  de  fantaisie,  etc., 

publiant  en  dehors  du  texte,  chaque  dimanche,  un  morceau  de  choix  (inédit)  pour  le  CHANT  ou  pour  le  PIANO,  de  moyenne  difficullé,  et  offrant. 

à  ses  abonnés,  chaque  année,  de  beaux  recueils-primes  CHANT  et  PIANO. 


PIANO 

Tout    abonné    à    la    musique    de    Piano    a    droit  gratuitement    à    l'un    des    volumes    in-8°    suivants  ; 


A,  THOMAS 
LA  TEMPÊTE 


GEORGES  BIZET 
LES  CHANTS  DU  RHIN 


EDOUARD  LASSEN 
12  CÉLÈBRES  MÉLODIES 


TRANSCRITES   ET  VARIEES   POUR  PIANO 
Par    GUSTAVE    LANGE 


H.  STROBL 
HEURES  DE  LOISIR 


20  DANSES  CHOISIES 
2e  et  nouveau  volume* 


BALLET  EN   3  ACTES  LIEDER   POUR   PIANO 

Partition  piano  solo.  Recueil  grand 

ou  à  l'un  des  volumes  in-8°  des  CLASSIQTJES-MARMONTEL  :  MOZART,  HAYDN,  BEETHOVEN,  HU1YIMEL,  CLEMENTI,  CHOPIN  ,  ou  à  l'un  des 
recueils  du  PIANISTE-LECTEUR,  reproduction  des  manuscrits  autographes  des  principaux  pianistes-compositeurs,  ou  à  l'un  des  volumes  précédents  du  répertoire 
de  STRAUSS,  GUNG'L,  FAHRBACH,  STROBL  et  KAULICH,  de  Vienne. 

CHANT 

Tout    abonné    à    la    musique    de    Chant    a    droit    à   l'une    des    primes    suivantes  : 


LOUIS  DIÉMER 
VINGT  MÉLODIES 


RECUEIL    IN-8 


E.  PA1SIELL0 
LE  BARBIER  DE  SÉVILLE 

Opéra  en  A  actes.  —  Partition. 
TRADUCTION    DE    VICTOR   WILDER 


F.  GODEFROID 
MESSE  DES  RÀMEÀDX 

à  4  voix,  soli  et  chœurs. 
AVEC    ACCOMPAGNEMENT   D'ORGUE 


R.  PUGiXO 
LE  RETOUR  D'ULYSSE 

Opéra  bouffe  en  3  actes. 
PARTITION   PIANO  ET   CHANT 


GRANDE  PRIME   REPRÉSENTANT  LES  PRIMES  DE  PIANO  ET   DE  CHANT  REUNIES,  PODR   LES  SEULS  ABONNÉS  A  L'ABONNEMENT  COMPLET  : 

TRADUCTION  FRANÇAISE  ■■■■■■■m       an       m i  «■^■H       bbb  m  «rm  RÉCITATIFS  &  RÉDUCTION  PIANO 


G.      ANTHEUNIS 

Partition  chant  et   piano. 


Opéra  en  3  actes  de 

BEETHOVEN 


F.    A.     GEVAER.T 

Édition   modèle. 


NOTA  IMPORTANT.  —  Ces  primes  sont  délivrées  gratuitement  dans  nos  bnreaui,  2  bis,  rue  Vivieune,  à  partirdu  lBr  Janvier  1890,  à  tout  ancien 
ou  nouvel  abonné,  sur  la  présentation  de  la  quittance  d'abonnement  au  MÉNESTREL  pour  l'année  1890.  Joindre  au  prix  d'abonnement  un 
supplément  d'UrV  ou  de  DEUX  francs  pour  l'envoi  franco  de  la  prime  simple  nu  double  dans  les  départements.  (Pour  l'Etranger,  l'envoi  franco 
des  primes  se  règle  selon  les  frais  de  Poste.) 

Les  abonnésau  Chanlpeuvenlpreadre  la  prime  Piano  et  vice  versa.— Ceux  au  Piano  el  au  Chant  réunis  ont  seuls  droit  à  la  grande  Prime.  -  Les  abonnés  au  leste  seul  n'ont  droit  à  aucune  prime. 

CHANT  CONDITIONS  D'ABONNEMENT  AU  MÉNESTREL  PIANO 

1" Mode d 'abonnement  :  Journal-Texte,  tous  les  dimanches;  26  morceaux  de  cbant  :  i  2"  n oded'abonnement  :  Journal-Texte,  tous  les  dimanches;  26  morceaux  de  piano  : 
Scènes,  Mélodies,   Komances,    paraissant    de   quinzaine  en  quinzaine;  1   Recueil-  Fantaisies.     Transcriptions,    Danses,   de    quinzaine    en    quinzaine;     1    Recueil- 

Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs  ;  Étranger,  Frais  de  poste  en  sus.  Prime.   Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs;  Étranger  :   Frais  de  poste  en  sus. 

CHANT  ET  PIANO  RÉUNIS 

3'  Mode  d'abonnement  contenant  le  Texte  complet,  52  morceaux  de  chaut  et  de  piano,  les  2  Recueils-Primes  ou  la  Grande  Prime.   —  Un  au  :  30  francs,  Paris 

et  Province;  Étrauger  :  Poste  en  sus.  —  On  souscrit  le  l"r  de  chaque  mois.  —  Les  52  numéros  de  chaque  année  forment  collection. 
h'  Mode.  Texte  seul,  sins  droit  aux  primes,  un  an  :  10  francs.  Adresser  franco  un  bon  sur  la  poste  à  M.  Henri  HETJGEL,    directeur  du  Ménestrel,    2  bis,  rue  Vivienne. 


En  vente,  AU  MENESTREL,  2hU  rue  Vivienne,  HENRI   HEU  GEL,  Editeur. 


NOTES  ET  ETUDES  D'HARMONIE 


UN  FORT  VOL.  IN-8» 
Prix  net  :  1  5  fr. 


POUR    SERVIR    DE    SUPPLEMENT    AU    TRAITE    DE 

H.    REBER 

PAR 


UN  FORT  VOL.  IN-8» 
Prix  net:  15  fr. 


THÉODORE    DUBOIS 

Professeur  d'Harmonie  au  Conservatoire  de  Paris 
Inspecteur    de    l'Enseignement    musical 


3067  —  5(ime  AME  —  N°  2. 


DïmancTie  12  Janvier  1890. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  nie  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement, 

Un  an,  Tsite  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sua. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (44'  article),  Albert  Solbies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  La  question  de  l'Opéra,  H.  Moreno  : 
reprise  des  Danicheff,  au  Gymnase,  Paul-Émile  Chevalier.  —  Le  théâtre  à 
l'Exposition  (12"  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses.  —  V.  Né- 
crologie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

MADRIGAL 

nouvelle   mélodie  de  Francis  Thomé,   poésie  de  Ed.    Guinand.   —   Suivra 

immédiatement:  La  Chanson  des  bois,  mélodie   d'après  Chopin  par  I.  Phi- 

lipp,  paroles  de  Jules  Ruelle. 

PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano:  Échecs-quadrille,  de  Philippe  Fahrbach.  — Suivra  immédiatement: 
'Causerie  d'oiseaux,  nouvelle  polka  du  même  auteur. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Albert  SOUBIES   et  Charles   MA.LHERBE 


CHAPITRE  XIII 

MEYERBEER  A    l'OPÉRA-COMIQUE 

l'étoile  DU  NORD 

1853-1855 

(Suite.) 

Un  mois  plus  tard,  le  28  avril,  l'Opéra-Comique  donnait  une 
•représentation  extraordinaire  au  bénéfice  de  l'œuvre  des  sa- 
cours  à  domicile,  et  profitait  de  la  circonstance  pour  lancer 
deux  nouveautés  :  la  Lettre  au  bon  Dieu,  deux  actes  de  Scribe 
•  et  de  Courcy,  musique  de  M.  Duprez,  et  l'Ombre  d'Argentine, 
un  acte  de  Bavard  et  de  Biéville,  musique  de  Montfort.  L'é- 
.preuve  resta  douteuse  pour  un  ouvrage  et  trop  certaine  pour 
l'autre.  Non  que  la  partition  du  chanteur-compositeur  fût 
mauvaise,  au  sens  absolu  du  mot  ;  elle  se  ressentait  de  l'in- 
fluence italienne,  et  les  vocalises  dont  l'excellent  Duprez  avait 
émaillé  le  rôle  principal,  confié  à  sa  fille,  ne  pouvaient  dé- 
plaire en  un  temps  où  l'école  rossinienne  était  encore  dans 
toute  sa  vogue.  Mais  le  public  n'était  plus  assez  naïf  pour 
écouter  de  saDg-froid  l'histoire  d'une  paysanne  qui,  menacée 
de  coiffer  sainte  Catherine,  écrit  au  bon  Dieu  afin  de  lui 
demander  un  mari,  dépose  la  lettre  dans  le  tronc  des  pauvres 
et  finit  par  épouser  le  seigneur  du  pays,  entre  les  mains  du- 
quel est  tombée  cette  singulière  missive.  On  prit  la  chose 
gaiement;  mais  Duprez  ne  l'entendait  pas  ainsi,  lui  qui  avait 


eu  l'honneur  de  faire  jouer  son  premier  opéra  à  Bruxelles  en 
1851  sous  le  titre  de  l'Abîme  de  la  Maladetta,  et  au  Grand-Opéra 
de  Paris,  en  1852,  sous  le  titre  de  Joanita.  Mécontent  de  voir 
que  sa  Lettre  au  Bon  Dieu  n'allait  pas  même  à  l'adresse  du 
public,  il  envoya  une  note  aux  journaux  après  la  quatrième 
représentation,  pour  prévenir  qu'il  retirait  sa  pièce  :  et  l'on 
fit  aussitôt  comme  il  le  désirait. 

L'Ombre  d'Argentine  eut  un  sort  moins  désastreux.  Cette 
bouffonnerie  appartenant  au  genre  de  l'Irato,  ou  de  l'Eau  mer- 
veilleuse, ressemblait  fort  à  une  contrefaçon  de  la  célèbre 
comédie  de  Montfleury,  la  Femme  juge  et  partie.  On  y  voyait  un 
marquis  de  Pierrot,  plaisamment  représenté  par  Sainte-Foy, 
retrouvant  sa  femme  qu'il  croyait  morte,  et  agréablement 
berné  par  elle.  Pour  exciter  ses  remords  et  le  mieux  tor- 
turer, la  malicieuse  Argentine  lui  apparaissait  en  effet  sous 
cinq  figures  et  costumes  différents,  revêtant  tour  à  tour,  «  la 
défroque  d'une  vieille,  l'habit  noir  d'un  clerc  de  tabellion, 
la  jupe  écourtée  d'une  soubrette,  le  voile  blanc  d'une  ombre 
échappée  au  tombeau,  et  enfin  la  robe  d'une  mariée.  »  La 
variété  de  ces  travestissements,  gaiement  portés  par  M"e  Le- 
mercier,  et  l'entrain  d'une  musique  aimable,  avaient  produit 
d'abord  une  impression  favorable.  La  presse  crut  à  un  long 
succès  :  tout  se  borna  pourtant   à  vingt-sept  représentations. 

Jusqu'alors,  depuis  le  commencement  de  l'année,  chaque 
mois  avait  apporté  ses  primeurs  :  janvier,  le  Miroir;  février, 
le  Sourd  et  les  Noces  de  Jeannette;  mars,  la  Tonelli  ;  avril,  la 
Lettre  au  bon  Dieu  et  l'Ombre  d 'Argentine  ;  la  série  des  reprises 
pouvait  s'ouvrir  et  l'on  vit  se  suivre  en  effet,  le  26  mai, 
l'Epreuve  villageoise,  le  4  juin,  les  Mousquetaires  de  la  Reine,  le 
5  juillet,  Hagdie  et  le  23  juillet,  le  Déserteur.  De  ces  ouvrages, 
un  seul,  celui  de  Grétry,  présente  ici  quelque  intérêt  histo- 
rique. Il  n'avait  pas  été  donné  depuis  1828,  et,  pour  la  cir- 
constance, Auber  avait  revu  et  corrigé  l'édition  ancienne.  Il 
affectionnait  particulièrement  l'Epreuve  villageoise,  et,  un  jour 
qu'il  assistait  à  une  répétition,  il  avait  constaté  lui-même  la 
pauvreté  de  certains  accompagnements  et  proposé  au  direc- 
teur un  «  rentoilage  »  ;  nul  ne  pouvait  l'exécuter  avec  plus 
de  finesse  et  d'esprit  ;  aussi  M.  Perrin  s'empressa-t-il  d'ac- 
cepter l'aubaine.  Grâce  à  cette  version  nouvelle,  comme 
'  aussi  à  la  qualité  des  interprètes,  Bussine  et  Ch.  Ponchard, 
Mllc  Lefebvre  et  Mllc  Revilly,  qui  pour  la  première  fois  abor- 
dait un  rôle  de  mère,  l'Epreuve  soutint  avec  succès  celle  du 
public,  et  fut  vite  acclimatée  da<ns  cette  salle  Favart  où 
jamais  encore  elle  n'avait  paru. 

Les  autres  reprises  n'offraient  qu'un  intérêt  de  distribution, 
car  ces  ouvrages  ne  quittaient  jamais  longtemps  le  réper- 
toire. Les  Mousquetaires  de  lu  Reine  et  Haijdée  servirent  aux  dé- 
buts d'un  nouveau  ténor,  Puget,  qui  arrivait  précédé  d'une 
certaine  réputation  conquise  en   province,  et   qu'on  espérait 


40 


LE  MENESTREL 


voir  recueillir  la  succession  de  Roger,  toujours  vacante. 
A  côté  de  lui  nous  trouvons  dans  l'ouvrage  d'Halévy,  Mocker, 
l'Olivier  de  la  première  heure,  Mlle  Caroline  Duprez,  qui  chan- 
tait pour  la  première  fois  la  partie  d'Athénaïs,  et  Mllc  Lemer- 
cier,  celle  de  Berthe,  remplaçant  ainsi  l'une  M"e  Lavoye, 
l'autre  MllcDarcier.  Quant  au  personnage  de  Roland,  il  avait  été 
confié  à  M.  Carvalho  au  lieu  et  place  d'Hermann-Léon.  qui. 
peu  après  d'ailleurs,  reprit  le  rôle  et  y  retrouva  son  succès 
d'autrefois.  Pour  l'œuvre  d'Auber,  l'excellent  Ricquier  res- 
tait seul  à  son  poste  sous  les  traits  de  Domenico  ;  tous  les 
autres  interprètes  étaient  rouveaux  :  Mues  Lefebvre  et  Belia, 
M.  Jourdan  et  M.  Faure,  qui  ne  pouvait  manquer  de  réaliser 
un  remarquable  Malipieri.  Quant  au  Déserteur,  il  suffit  de  rap- 
peler que  le  rôle  principal  était  tenu  par  Delnunay-Riquier, 
et  qu'au  bout  de  quelques  représentations  le  rôle  de  Louise, 
donné  d'abord  à  M"0  Révilly,  fut  confié  à  M110  Favel,  qui 
brillait  pour  le  moins  autant  par  son  opulence  capillaire  que 
par  le  charme  de  sa  voix,  puisque  la  grave  Revue  et  Gazette 
musicale  elle-même  constatait  qu'au  dénouement,  elle  avait 
«  déployé  dans  toute  sa  richesse  une  admirable  chevelure, 
dont  la  propriété  ne  saurait  lui  être  contestée.  »  (sic). 

Entre  toutes  ces  reprises,  un  fait  important  pour  l'histoire 
du  théâtre  s'était  produit  ;  l'Opéi  a-Comique  avait  émigré 
pour  quelque  temps,  et  la  salle  Favart  fermé  ses  portes  le 
20  juin,  pour  cause  de  réparations,  modifications  et  décora- 
tion nouvelle  :  interrègne  musical  assez  court  d'ailleurs,  mais 
que  faillit  prolonger  un  accident,  une  explosion  de  gaz  sur- 
venue au  cours  des  travaux  de  réfection,  Je  30  juin.  Après 
cinq  jours  de  clôture-,  pendant  lesquels  on  répétait  sur 
la  petite  scène  du  Conservatoire,  on  joua  du  26  juin  au 
4  juillet  à  la  salle  Ventadour,  et  le  5  juillet  on  reprenait, 
avec  Haydée,  possession  de  la  salle  Favart  remisa  à  neuf  et 
embellie. 

On  sait  que  M.  Perrin  se  plaisait  à  ces  questions  d'aména- 
gement, et  il  est  curieux  de  rappeler  que  sous  son  adminis- 
tration ont  été  restaurées  les  salles  des  trois  théâtres  qu'il  a 
successivement  dirigés.  l'Opéra-Comique,  l'Opéra  et  la  Comé- 
die-Française. C'était  la  première  métamorphose  que  subis- 
sait la  salle  Favart  depuis  treize  ans  qu'elle  avait  été  inaugu- 
rée. L'aspect  général  différait  un  peu  :  au  lieu  de  la  teinte 
bleutée  qui  dominait,  on  avait  maintenant,  pour  les  pein- 
tures, un  mélange  de  blanc  mat,  rehaussé  d'ornements  dorés 
sur  fond  vert  tendre,  et  pour  les  tentures,  des  rideaux  de  ve- 
lours rouge  se  détachant  sur  le  papier  des  loges  d'un  vert  un 
peu  plus  foncé.  Les  fresques  du  plafond  avait  été  nettoyées, 
et  le  rideau  repeint  se  trouvait  bordé  d'un  immense  cadre 
doré,  entraînant  la  suppression 'des  avant-scènes  du  dernier 
étage,  et  donnant  à  la  scène  l'apparence  d'un  tableau  de  co- 
lossale dimension  ;  au  sommet,  un  écusson  aux  armes  impé- 
riales, supporté  par  deux  Renommées;  à  terre,  une  toile  cirée 
garnissant  le  parquet  de  l'orchestre  ;  pour  les  sièges,  la  cou- 
leur rouge  exclusivement,  adoptée;  entin  un  peu  partout  rap- 
pelés les  insignes  du  nouveau  souverain,  qui  vint  d'ailleurs 
avec  l'impératrice  consacrer  solennellement,  par  sa  présence, 
la  nouvelle  inauguration  et  féliciter  le  directeur,  l'architecte, 
M.  Charpentier,  et  le  tapissier,  M.  Winter,  celui-là  même  qui 
avait  déjà  procédé  aux  arrangements  de  1840. 

(A  suivre.) 

SEMAINE   THÉÂTRALE 


LA  QUESTION  DE  L'OPÉRA 
Ou  s'est  beaucoup  agité,  cette  seuiaiue,  autour  de  cotte  laineuse 
(i  question  »  qui  commence  à  passionner  tout  Paris,  et  nous  n'avons 
cette  l'ois  qu'à  laisser  parler  nos  confrères.  Ceci  aura  un  double 
avantage:  ce  sera  d'abord  de  détourner  de  notre  tête  les  colères  de 
MM.  Kitt  et  Gailhard,  qui  auront  fort  à  faire  s'ils  veulcnl,  cette 
fois,  poursuivre  tous  les  journaux  qui  ne  trouvent  pas  Jeur  adminis- 
tration admirable;  et  ensuite  nous  prouverons  ù  nos  lectouis,  par 
k-s  citations  qui  vont  suivre,  qu'il  n'y  a  aucune  espèce  de  rancune 


personnelle  dans  la  campagne  que  nous  menons  depuis  si  longtemps 
contre  la  néfaste  direction  de  ces  messieurs  et  que  là-dessus  tous 
les  esprils  libres  et  indépendants  sont  d'accord  avec  nous. 

Ce  qui  a  paru  toucher  le  plus  les  éminents  directeurs,  ce  sont 
naturellement  les  attaques  du  Figaro,  parce  que  ce  seront  celles 
qui  auront  le  plus  de  retentissement.  Aux  déclarations  très  nettes 
de  M.  Albert  Delpil,  au  sujet  de  «  l'incident  Vérongo  de  laNux  »  (1), 
ils  opposent  une  succession  de  dates  où  ils  croient  trouver  leur 
justification.  La  pièce  est  trop  longue  pour  pouvoir  être  reproduite 
ici  en  son  entier,  mais  le  Gil  Blas  en  donne  le  résumé  impartial  que 
voici  : 

MM.  Ritt  et  Gailhard  déclarent  avoir  reçu  Zaïre,  opéra  en  deux  actes,  le  14  sep- 
tembre 1886.  (L'opéra  de  Emile  Pessard,  prix  de  Rome,  Tabarin,  ayant  été  re- 
présenté le  12  janvier  1885,  l'opéra  de  M.  Véronge  de  la  Nux  devait  être  joué  en 
1887,  daprès  le  cahier  des  charges.)  Le  4  juin  1887,  plainte  au  ministre.  On  n'a 
pas  de  nouvelles  de  M.  Véronge  de  la  Nux.  Le  9  février  1888  nouvelle  plainte  au 
ministre,  le  compositeur  n'ayant  fait  entendre  que  le  premier  acte  de  son  ou- 
vrage. Enfin  le  27  novembre  1889,  livraison  par  l'auteur  de  la  partition  piano  et 
chant,  et  le  21  décembre,  sur  sommation  par  huissier,  de  la  partition  d'orchestre, 
«  c'est-à-dire  deux  ans  après  que  cette  livraison  aurait  dû  avoir  lieu.  » 

Voici,  d'autre  part,  le  résumé  de  la  déclaration,  très  honnête  et 
très  courageuse.de  M.  Véronge  de  la  Nux.  donné  par  le  même  journal: 

Le  28  juin  1887,  le  livret  de  Zaïre  est  accepté  par  l'Opéra,  et  livraison,  dans  la 
première  semaine  de  juillet  1887,  du  livret  au  musicien. 

En  février  1888,  sur  la  demande  de  MM.  Ritt  et  Gailhard,  l'auteur  joue  le  pre- 
mier acte  et  le-i  trois  premières  scènes  du  second.  Et  il  y  a  plus  d'un  an,  avis 
doDné  à  MM.  Ritt  et  Gailhard  que  tout  était  prêt.  Sur  quoi  on  répond:  «  Attendez 
votre  tour.  »  Enfin,  le  21  décembre,  remise  à  l'Opéra  de  la  partition  d'orchestre 
complète,  trois  heures  avant  la  réception  du  papier  timbré. 

Et  après  avoir  reproduit  in  extenso  ces  deux  pièces,  M.  Delpit 
conclut  ainsi  dans  le  Figaro: 

On  vient  de  lire  la  lettre  de  MM.  Ritt  et  Gailhard.  Je  laisse  à  nos  lecteurs  le 
soin  de  juger,  après  avoir  lu  la  déclaration  de  M.  Véronge  de  la  Nux.  Je  n'ajou- 
terai qu'un  mot.  M.  V.  de  la  Nux  nous  a  dit,  à  la  séance  de  la  Commission  des 
auteurs  et  compositeurs  dramatiques,  que  M.  Ritt  lui  avait  fait  le  brouillon 
d'une  lettre  où  lui,  M.  de  la  Nux,  s'avouait  coupable  de  retards. 

M.  Sardou,  président,  a  demandé  au  compositeur  : 

—  Alors,  M.  Ritt  a  exigé  de  vous  une  déclaration  fausse  ? 

—  Oui,  une  déclaration  fau-se,  a  répliqué  M.  de  la  Nux. 
Qui  trompe,  ou  qui  trompe-t-on  ?  dirai-je  avec  le  public  (2). 

Voici  maintenant  un  «  interview  »  assez  curieux  que  nous  trou- 
vons dans  le  journal  l'Estafette  : 

—  Que  pensez-vous  de  la  question  de  l'Opéra  ?  disions-nous  hier  à  une  per- 
sonne que  sa  situation  officielle  nous  interdit  de  nommer,  mais  qui,  par  cette 
position  même,  est  mieux  que  toute  autre  placée  pour  connaître  et  juger  les 
derniers  incidents. 

—  Ce  n'est  pasd'aujourd'hui,  nous  répond  notre  interlocuteur,  qu'il  y  a  une  question 
de  l'Opéra.  En  ce  moment,  dans  le  monde  politique  et  dans  la  presse,  un  toile 
général  s'est  élevé  contre  les  directeurs,  mais  les  reproches  qu'on  leur  adresse, 
on  était  tout  aussi  bien  en  droit  de  les  leur  faire  il  y  a  un  an  ou  deux,  car,  pas 
plus  qu'aujourd'hui,  ces  messieurs  ne  tenaient  les  engagements  résultant  du  cahier 
des  charges.  En  ce  qui  concerne  les  ouvrages  à  monter  chaque  année,  par  exemple, 
MM.  Ritt  et  Gailhard  sont  en  retard  en  ce  moment  d'un  grand  opéra  et  de  deux 
petits.  La  Société  des  auteurs  compte  la  Tempête,  de  M.  Ambroise  Thomas, 
comme  un  grand  ouvrage.  Tel  n'est  pas  mon  avis  ni,  je  crois,  celui  de  l'admi- 
nistration. Quant  à  la  prétention  de  MM.  Ritt  et  Gailhard  de  compter  Jtoméu  et 
Juliette  comme  un  ouvrage  nouveau,  elle  ne  se  discute  même  pas.  Dans  ces  con- 
ditions, ces  messieurs  sont  bien  loin  des  six  actes  que,  d'après  le  cahier  des 
charges,  ils  doivent  monter  tous  les  ans. 

—  Au  point  de  vue  du  matériel,  que  reproche-t-on  à  la  direction? 

—  Sur  ce  point,  MM.  Kitt  et  Gailhard  émettent  une  théorie  bien  étrange  ;  ils 
prétendent  que  le  matériel  étant  à  l'Etat,  ils  ne  doivent  pas  le  renouveler.  Cette 
prétention  est  évidemment  inadmissible,  car  ils  ont  la  jouissance  complète  de 
ce  matériel,  ils  s'en  servent  pour  gagner  de  l'argent  ;  il  est  donc  tout  naturel, 
non  seulement  qu'ils  l'entretiennent,  mais  encore  qu'ils  en  renouvellent  les 
parties  qui  sont  hors  de  service.  11  parait  que  l'entretien  lui-même  laisse  beau- 
coup à  désirer,  et  pourtant,  après  une  campagne  aussi  laborieuse  que  celle  de 
l'Exposition,  où  l'on  a  joué  à  l'Opéra  tous  les  jours  peudant  six  mois,  il  doit  y 
avoir  bien  des  choses  à  réparer  et  pas  mal  aussi  à  remplacer.  Pendant  ces  six 
mois,  les  directeurs  de  l'Opéra  ont  encaisse  des  sommes  énormes,  ce  qui  ne  les 
empêche  pas  de  laisser  certains  décors  dans  un  état  lamentable  et  de  se  servir 
de  toiles  dont  presque  toute  la  couleur  est  effacée. 

—  Que  pensez-vous  des  reproches  qu'on  adresse  aux  directeurs  au  sujet  du 
personnel  ? 

Eu  ce  qui  touche  le  personnel  de  l'Opéra,  les  avis  sont  partagés  ;  les    un-* 

prétendent  que  nous  sommes  au  niveau  et  même  au-dessus  des  autres  grandes 
scènes  de  l'Europe,  taudis  que  d'autres  estiment  que  nous  leur  sommes  très  in- 
férieurs. C'est  là  une  affaire  toute  d'appréciation,  sur  laquelle  il  est  difficile  de 
se  prononcer.  Il  y  a  une  chose  certaine,  pourtant,  c'est  que  depuis  le  départ  de 
M"'  Renée  Richard  notre  première  scène  lyrique  est  restée  sans  contralto,  ce 
qui  rendait  i  ..possible  la  représentation  du  Prophète,  à'IIamlel,  de  la  Favorite  et 
de  Henri  VIII.  Il  est  inouï  qu'à  notre  Académie  nalionale,  avec  la  subvention 
donnée  par  l'État,  une  lacune  de  cette  importance  puisse  subsister  pendant  de 
longs  mois  sans  être  comblée. 

(1)  Voir  te  Ménestrel  du  5  janvier. 

(21  Ceci  vient  confirmer  notre  assertion  de  dimanche  dernier  au  sujet  de  la 
lettre  qu'on  voulait  imposer  a  M.  Véronge  de  la  Nux. 


LI-:  MENESTREL 


II 


Ce  n'est  pas  sans  raison  non  plus  qu'on  reproche  à  MM.  RUt  et  Gailhard  de 
faire  débuter  des  jeunes  gens  à  leur  sortie  du  Conservatoire,  dans  les  grands 
rôles  du  répertoire,  qui  les  écrasent.  C'est  pour  beaucoup  d'entre  eux  une  cause 
d'insuccès,  tandis  que  si,  comme  on  le  devrait,  on  les  produisait  d'abord  dans  les 
rôles  secondaires,  ils  se  formeraient,  acquerraient  la  pratique  qui  leur  manque  et 
pourraient  réussir.  Oui.  Mais  voilà.  Ces  débutants  ne  coûtent  pas  cher;  un  té- 
nor pour  5,000  francs,  c'est  pour  rien,  et  l'excessive  parcimonie  de  la  direction 
s'en  trouve  fort  bien. 

En  résumé,  nous  dit  notre  interlocuteur,  je  ne  m'explique  pas  pourquoi  on 
mène  aujourd'hui  une  campagne  furibonde  contre  MM.  Ritt  et  Gailhard,  quand 
on  avait  tant  de  raison  de  l'entreprendre  beaucoup  plus  tôt  (1).  Une  solution  ne 
peut  intervenir  que  quand  M.  Fallières  sera  revenu  de  Ncrac.  Mais  pour  ma  part 
je  ne  serais  pas  fâché  qu'on  laissât  ces  messieurs  continuer  leur  traité  jusqu'au 
bout.  Ils  ont  encore  deux  ans  à  faire,  qu'ils  les  fassent  ;  ils  mangeront  peut- 
être  un  peu  de  l'argent  qu'ils  ont  si  facilement  gagné  pendant  l'Exposition,  il  n'y 
a  pas  grand  mal  à  cela. 

—  Oui.  Mais  c'est  le  public  qui  en  souffrira. 

—  Nullement.  Le  cahier  des  charges  est  là,  il  suffit  de  vouloir,  mais  de  vou- 
loir fermement,  en  faire  respecter  les  clauses. 

Le  journal  la  Justice,  qui  reproduit  comme  nous  cet  excellent 
article,  l'approuve  en  tous  ses  termes.  Il  en  critique  seulement  la 
conclusion,  et  cela  avec  juste  raison  selon  nous: 

Seule,  dans  cet  excellent  article,  la  conclusion  ne  me  paraît  pas  exacte.  Quel- 
que sentiment  que  puissent  inspirer  à  l'égard  de  MM.  Ritt  et  Gailhaid  leurs  pro- 
cédés de  gestion,  le  moyen  de  venger  l'art,  en  faisant  dessécher  à  petit  feu  les 
directeurs,  ne  semble  pas  devoir  être  employé.  Il  est  plus  dangereux  pour  l'Opéra 
que  pour  ces  messieurs.  Si  longtemps  qu'ils  y  gouvernent,  je  ne  pense  pas  qu'ils 
s'y  ruinent  jamais,  tandis  qu'en  y  gouvernant  fort  peu  de  temps  encore,  ils  rui- 
neront la  maison.  On  sait,  ou  plutôt  on  ne  sait  pas,  pour  ne  citer  qu'un  exemple, 
ce  qu'ont  fait  MM.  Ritt  et  Gailhard  des  décors  commis  à  leurs  soins:  que  res- 
tera -t-il  du  matériel,  si  les  directeurs  restent  en  fonctions? 

Le  même  journal  qui  semble  un  des  plus  ardents  à  tenir  la  cam- 
pagne contre  la  direction  de  l'Opéra,  s'élève  contre  la  note  officieuse 
que  M.  Gailhard  a  fait  insérer  dans  le  Temps  à  l'occasion  de  l'inci- 
dent Zaïre  et  qui  laisse  entendre  que  l'Opéra  va  bientôt  donner 
«  des  spectacles  nouveaux  et  intéressants.  » 

L'optimisme  du  Temps  sera  déçu.  Les  Parisiens  n'ont  à  attendre  de  la  direc- 
tion de  l'Opéra  comme  spectacles  nouveaux  et  intéressants,  que  des  incidents 
scandaleux  dans  le  genre  de  l'étrange  histoire  racontée  ci-dessus  avec  une  dis- 
crétion trop  grande.  Le  Temps  ne  dit  pas  que  MM.  les  directeurs  de  l'Opéra, 
affolés  par  l'idée  de  payer  sur  les  deux  millions  de  gain  réalisés  pendant  l'Expo- 
sition aux  dépens  de  notre  réputation  artistique,  une  amende  de  deux  mille 
francs,  ont  proposé  à  M.  Véronge  de  la  Nux  de  prendre  tous  les  torts  à  son 
compte  et  de  signer  un  papier  dont  le  brouillon  avait  été  rédigé  par  la  direction. 
Dans  ce  papier  le  compositeur  reconnaissait  que  tout  le  mal  venait  de  lui,  et 
qu'il  devait  payer  l'amende,  et  que  son  manque  de  ressources  seul  pouvait  l'em- 
pêcher de  restituer  à  MM.  Ritt  et  Gailhard  le  montant  de  l'amende  à  eux 
infligée. 

M.  Véronge  de  la  Nux  rejeta  avec  indignation  ces  propositions  invraisemblables, 
et  la  direction  de  l'Opéra,  mettant  à  exécution  la  menace  sous  laquelle  étaient 
faites  ses  propositions,  interrompit  les  études  de  Zaïre.  On  a  peine  à  croire  que  de 
pareilles  combinaisons  puissent  être  machinées  dans  un  théâtre  subventionné 
par  l'Etat,  et  soumis  à  la  surveillance  de  l'administration.  La  situation  devient 
grotesque,  il  serait  peut-être  temps  d'aviser! 

Encore  du  même  journal  : 

On  connaît  le  moyen  bouffon  trouvé  par  les  directeurs  de  l'Opéra  pour  rendre 
possible  aux  débris  de  leur  troupe  l'interprétation  cVAscanio  :  changer  le  rôle 
écrit  pour  le  contralto  que  l'Opéra  n'a  plus,  en  rôle  accessible  au  soprano  que 
l'Opéra  possède  encore.  Ainsi,  supposez  un  peintre  qui  n'a  pas  de  bleu  sur  sa 
palette  pour  faire  son  ciel,  il  le  peint  en  jaune;  rien  n'est  plus  aisé. 

Le  compositeur  à'Ascanio  est  en  voyage,  il  a  confié  ses  intérêts  à  M.  Gallet,  le 
librettiste,  et  à  M.  Guiraud.  Or,  voici  un  charmant  petit  tableau  de  famille,  scène 
d'intérieur  artistique,  où  Ton  voit  fonctionner  le  moyen  susdit. 

M.  Durand,  l'éditeur,  est  assis  au  piano.  Derrière  lui  se  tiennent  MM.  Gallet 
■et  Guiraud.  M.  Gailhard  est  à  côté  de  M.  Durand,  tournant  les  pages  de  la  parti- 
tion A'Ascanio.  A  chaque  fois  que  l'on  rencontre  une  note  que  ne  peut  donner  le 
soprano  de  M""  Bosman,  on  fait  une  variante,  façon  Gailhard,  et  gràee  à  un  arran- 
gement hardi,  tout  ce  que  le  compositeur  avait  écrit  sans  penser  à  M™°  Bosman, 
devient  tout  justement  fait  pour  elle. 

—  Croyez-vous  que  M™*  Bosman  puisse  fournir  cette  note? 

—  Non  !  nous  n'avons  plus  cette  note  à  l'Opéra. 

—  Alors  biffons,  transposons  ! 

Jamais  les  intérêts  de  l'art  n'ont  été  mieux  défendus,  et  jamais  cuisine  plus 
extraordinaire  n'a  été  faite.  On  peut  vraiment  s'étonner  de  ce  que  M.  Saint- 
Saens  accepte  ces  malfaçons  dans  sa  musique  et  laisse  de  la  sorte  tripatouiller 
son  œuvre. 

Pour  en  finir  avec  la  Justice,  où  il  y  aurait  encore  beaucoup  à 
glaner,  laissons-lui  la  responsabilité  de  cette  assez  grosse  nouvelle 
qu'elle  annonce  en  fin  d'article  : 

La  Société  des  auteurs  et  compositeurs  dramatiques  est,  nous  afHrmc-t-on, 
décidée  à  porter  plainte  contre  MM.  Ritt  et  Gailhard  au  sujet  de  diverses  opéra- 
tions pratiquées  à  son  préjudice. 

De  son  côté,  notre  confrère  Tisserand  donne  dans  la  Bataille 
cette  autre  nouvelle  que  nous  reproduisons  toujours  sous  toutes 
réserves  : 

Il  pourrait  bien  se  faire  que  cette  fois  le  ministre  prête  une  oreille  plus  atten- 

(I)  Pour  notre  part  nous  n'y  avons  pas  manqué. 


tive  aux  plaintes  soulevées  par  les  deux  traitants  do  l'Opéra.  Nous  apprenons,  en 
effet,  qu'un  certain  nombre  de  critiques,  de  compositeurs  et  de  musiciens,  ont 
formé  le  projet  d'unir  leurs  efforts  et  d'adresser  une  pétition  à  la  Chambre  des 
députés,  pour  demander  ou  qu'on  oblige  MM.  Ritt  et  Gailhard  à  se  conformer  â 
leur  cahier  des  charges  ou  à  passer  la  main. 

L'Écho  de  Paris  ayant  eoi  l'idée  d'aller  interwiever  M.  Ernest 
Reyer  jusqu'à  Bruxelles  et  lui  ayant  demandé  quand  il  pensait  que 
Salammbô  serait  représentée  à  Paris,  en  a  reçu  la  réponse  suivante  : 

«Quand  l'Opéra  n'aura  plus  à  sa  tête  les...  (Ici  une  expression  tellement  énergique, 
que  nous  ne  pouvons  la  reproduire),  qui  le  dirigent  actuellement.  C'est  une  honte 
pour  la  France  de  voir  notre  première  scène  lyrique  entre  de  telles  mains  (sic). 
MM.  Ritt  et  Gailhard  savent  pourtant  bien  le  peu  de  sympathie  qu'ils  inspirent, 
car  ils  ne  manquent  pas  de  lire  tous  les  journaux,  y  compris  le  Moniteur  de  la 
Cordonnerie,  qui  est  particulièrement  envoyé  à  M.  Gailhard.  Et  il  n'y  a  pas  que 
la  presse  qui  sache  apprécier  ces...  (Ici  se  place  une  autre  expression  non  moins  vio- 
lente que  la  première,  et  que  nous  ne  reproduisons  pas  pour  les  mêmes  raisons)  à  leur 
juste  valeur.  Les  artistes  aussi,  pour  peu  qu'ils  se  respectent,  sont  écœurés  des 
procédés  de  ces  messieurs.  M'"  Caron,  notamment,  ne  rentrera  à  l'Opéra  que  lors- 
que Ritt  et  Gailhard  en  auront  été  chassés.  » 

Tels  sont  les  renseignements  que  M.  Reyer  a  bien  voulu  nous  donner,  ajoute 
le  journal.  J'ai  cité  textuellement,  lui  laissant  la  responsabilité  de  ses  apprécia- 
tions. 11  est,  en  tout  cas,  déplorable  de  voir  un  de  nos  plus  éminents  composi- 
teurs obligé  d'aller  faire  représenter  son  œuvre  à  Bruxelles,  alors  que  notre 
Académie  de  musique  en  est  réduite  à  nous  donner,  comme  nouveauté,  la  reprise 
de  Lucie  de  Lammermoor,  et  à  vouloir  compter  la  Tempête  comme  le  grand  ouvrage 
inédit  en  quatre  actes,  qu'aux  termes  du  cahier  des  charges  la  direction  est  tenue 
de  donner  chaque  année  (1). 

Il  faut  lire  aussi  le  joli  conte  que  notre  spirituel  Armand  Silvestre 
consacre,  dans  le  même  journal,  à  la  direction  de  l'Opéra.  Un  Début, 
c'est  l'histoire  de  ce  pauvre  Cadet-Bitard  qui  avait  pris,  sans  songer 
à  mal,  un  fauteuil  d'orchestre  à  l'Opéra  et  qu'on  force,  pour  ainsi 
dire,  à  remplacer  sur  la  scène  un  ténor  indisposé.  On  sait  que  ces 
choses-là  ne  se  voient  pas  que  dans  les  contes  : 

....  A  ce  moment,  Cadet-Bitard,  qui  s'était  retourné  pour  jouir  de  l'appétissante 
vue  d'Herminie,  se  sentit  l'épaule  touchée  par  une  main  gantée  de  blanc.  Un 
monsieur  tout  en  noir,  cravaté  de  blanc,  n'ayant  que  la  moustache  et  portant 
avec  une  aisance  pleine  de  dignité 

Le  dynastique  honneur  du  grand  nom  des  Colleuilles 

lui  demandait,  sur  un  ton  infiniment  poli  : 

—  N'avez-vous  pas  chanté  quelque  chose,  monsieur,  il  y  a  une  quinzaine,  dans 
un  concert  de  bienfaisance  privé,  à  Montmartre,  en  faveur  des  inondés  du  Mont- 
Valérien  ? 

—  Si  fait,  monsieur,  entre  amis,  fit  Cadet-Bitard  interloqué. 

—  Une  chanson  comique:  Ça  m'gratl'  sous  l'pied,  n'est-ce  pas? 

—  C'est  exact. 

—  M.  Ritt,  qui  était  là,  ayant  obtenu  un  billet  de  faveur,  vous  a  entendu  et  a 
trouvé  votre  voix  charmante. 

—  Vous  me  flattez. 

—  Non  !  non  !  pas  du  tout.  Vous  voyez  ce  qui  vient  de  nous  arriver.  Plus  pos- 
sible de  compter  sur  rien  avec  les  artistes  1  II  n'y  a  plus  que  les  amateurs  de 
sérieux.  Ne  sauriez-vous  pas  le  rôle  d'Edgar  dans  Lucie'! 

—  Quelques  airs  seulement,  et  à  peu  près. 

—  Ça  suffit.  Ça  n'est  pas  d'ailleurs  plus  difficile  que  votre  Ça  m' gratt' sous  l"  pied 
que  vous  avez  enlevé,  avec  tant  de  brio  !  Ah  I  monsieur,  sauvez-nous  !  C'est  M.  Ritt 
plein  d'angoisses  qui  m'envoie  vers  vous.  Vous  ne  voudriez  pas  faire  mourir  un 
vieillard  si  entamé  déjà  par  le  temps  1  à  peu  près  aveugle  !  tout  à  fait  sourd!  Ayez 
un  peu  de  pitié,  mon  bon  monsieur  ! 

Et  l'excellent  Coleuille  pleurait  à  fendre  le  plastron  de  sa  chemise,  constellé 
de  trois  boutons  d'or. 

—  Pardon,  monsieur,  fit  cet  excellent  Cadet-Bitard,  ému  malgré  lui,  mais  j'ai 
une  situation  dans  le  monde,  et  je  ne  tire  pas  parti  d'une  voix  d'ailleurs  agréable... 

Rassurez-vous,  monsieur,  on  ne  vous  paiera  pas. 

Le  pauvre  Cadet-Bitard  sort  de  son  mieux  de  cette  terrible  aven- 
ture et,  comme  il  est  un  peu  poète,  il  s'empresse,  dès  qu'il  a  quitté 
les  chausses  de  l'infortuné  Edgar,  de  consacrer  ce  sonnet  à  1' 

ACADÉMIE    NATIONALE  DE   MUSIQUE 
Ah  !  quel  théâtre  charmant, 
Cet  Opéra  que  l'on  fronde  ! 
Il  fait  chanter  tout  le  monde, 

—  Même  le  gouvernement. 
Pas  de  lënor?  quoi!  vraiment? 

—  Ritt,  sans  perdre  une  seconde. 
Cherche  qui  veut,  à  la  ronde, 

En  servir  gratuitement. 
D'Edgar  j'achevais  le  rôle, 
Quand  Mauri,  —  chose  moins  drôle,  — 
Manqua...  Gailhard,  survenant, 

Me  dit,  le  Gascon  obèse: 

—  Vous  chantiez?  J'ensuis  fort  aise. 

Eh  bien,  dansez  maintenant  I 


(1)  Art.  38  du  cahier  des  charges:  Le  directeur  sera  tenu  de  faire  jouer,  chaque 
année  pendant  toute  la  durée  de  son  exploitation,  deux  ouvrages  nouveaux  re- 
présentant un  minimum  de  six  actes,  dont  quatre  actes  au  moins  dopera:  1°  un 
grand  opéra  avec  ou  sans  ballet;  2°  un  opéra  ou  un  ballet,  en  un  ou  deux  actes. 


12 


LE  MENESTREL 


244.000 
2(3.800 


Mais  il  faut  savoir  se  borner.  Arrêtons  ici  ces  citations.  On  en 
trouvera  d'ailleurs  quelques  autres  aux  «  nouvelles  diverses  ». 

Il  est  bien  vrai  que  le  Gaulois  a  tenté  de  tendre  la  perche  à  nos 
honorables  directeurs,  en  demandant  leur  opinion  sur  la  «  question  » 
à  diverses  personnes  qui  leur  sont  notoirement  favorables.  C'est 
d'abord  M.  Gounod,  qui  naturellement  ne  peut  trouver  rien  à  re- 
prendre dans  un  théâtre  qui  joue  régulièrement  Faust  et  Roméo  toutes 
les  semaines.  C'est  ensuite  M.  Henri  Maret,  ex-rapporteur  du  budget 
des  Beaux-Arts,  un  politicien  égaré  dans  la  musique,  dont  on  con- 
naît les  anciennes  tendresses  pour  la  direction  et  qui  ne  saurait  se 
récuser  après  les  étonnants  rapports  qui  ont  fait  la  joie  du  tout 
Paris  artistique.  Puis  voici  M.  Halanzier,  qui  ne  peut  naturellement 
dire  du  mal  de  ceux  qui  l'ont  remplacé  à  l'Opéra  et  a  le  bon  goût  de 
se  récuser.  Un  «  vieil  abonné  s  déclare  qu'il  y  a  de  jolies  danseuses 
dans  le  corps  de  ballet,  et  cela  paraît  lui  suffire.  M.  Auguste  Vitu, 
notre  éminent  ami,  déclare  sans  rire  que  MM.  Rilt  et  Gailhard  per- 
daient 400,000  francs  avant  l'ouverture  de  l'Exposition,  quand  le 
rapport  de  M.  Denormandie  au  Sénat  conclut,  d'après  la  compta- 
bilité même  de  l'Opéra,  à  386,827  fr.  56  c.  de  bénéfice  au  31  octobre 
1888,  auxquels  il  convenait  d'ajouter,  comme  nous  l'avons  dit  dans 
le  Ménestrel  du  30  décembre  de  la  même  année  : 

1°  Quatre   années  d'appointements  aux  directeurs. 

2°  Le  produit  delà  location  d'une  loge  sur  la  scène. 

3°  Certain  intérêt  extraordinaire  de  2  0/0  (en  plus 

de  l'intérêt  normal  de  4  0/0),  sur  800,000  francs 

déposés  (1),  soit 64.000     » 

Cela  faisait  au  total  :  721,627  fr.  5'6  c.  de  bénéfice  au  31  octo- 
bre 1888. 

Pendant  l'Exposition  les  pauvres  gens  auraient  encore  réalisé, 
d'après  leurs  livres,  un  bénéfice  de  927,000  francs,  auxquels  il  faut 
encore  ajouter  les  mêmes  petits  profits  que  nous  venons  de  signaler. 
Voyons,  voyons,  monsieur  Vitu,  nos  amis  ne  sont  pas  trop  à  plaindre. 
Faut-il  le  dire,  j'avais  été  convié  aussi  fort  aimablement  par  la 
direction  du  Gaulois  à  formuler  mon  avis  sur  la  «  question  »,  mais 
je  me  suis  gardé  d'ajouter  la  moindre  goutte  de  vinaigre  à  ce  con- 
cert d'éloges.  Mon  opinion,  je  la  crois  suffisamment  connue.  Je 
peux  la  résumer  ici  en  une  seule  phrase  :  MM.  Ritt  et  Gailhard 
feront  bien  de  se  retirer  de  bonne  volonté,  avant  de  tomber  sous 
les  pommes  cuites. 

H.  Moreno. 
P.  S.  —  Gymnase.  Les  Danicheff,  comédie  en  4  actes,  de  M.  P.  Newsky. 
Il  faut  croire  que  M.  Koning  avait  l'idée  bien  arrêtée* de  nous  donner, 
cette  saison,  une  pièce  russe,  puisque,  la  censure  lui  ayant  interdit  de 
représenter  l'Officier  bleu,  il  s'est  hâté  de  reprendre  les  Danicheff.  Cette  re- 
prise semble  avoir  fait  grand  plaisir  au  public,  et  c'est  là,  évidemment, 
le  point  principal.  Malgré  des  défauts  très  apparents,  la  comédie  de  m! 
Newsky  n'en  reste  pas  moins  attachante  et  curieuse  en  plus  d'un  endroit; 
le  succès  lui  a  toujours  souri  et  je  ne  pense  pas  qu'il  se  sépare  d'elle" 
cette  fois  encore,  grâce  surtout  à  une  interprétation  de  tout  premier  ordre 
delapartdeMmoPascaet  de  la  part  des* artistes  chargés  des  rôles  d'hommes. 
Mmc  Pasca  reste,  en  effet,  cette  hautaine  comtesse  Danicheff  que  nous 
avions  applaudie  déjà;  nulle  n'est  plus  grande  dame  et  ne  joue  avec  plus 
de  naturel  et  de  distinction  native.  Le  rôle  de  Wladimir  Danicheff  est 
sans  contredit  le  meilleur,  pour  lui,  que  M.  Marais  ait  jamais  rencontré 
dans  sa  carrière  ;  il  y  est  absolument  supérieur  et  joue  la  fameuse  scène 
du  second  acte,  dans  laquelle  le  fils  s'insurge  contre  sa  mère,  avec  une 
colère  contenue  qui  produit  un  grand  effet.  M.  Valhel  est  assez  plaisantdans" 
le  rôle  de  Taldé,  M.  Ch.  Masset  fort  émouvant  en  Osip,  M.  Lagrange  amu- 
sant en  vieux  prince  Walanoff  et  M.  Paul  Devaux  original  en  Zàkaroff. 
.T'aime  moins  M'1»  Brindeau,  chargée  du  personnage  de  Lylia  Walanoff; 
sa  diction  hésitante  et  son  maintien  manquant  parfois  de  grâce,  la  desser- 
vent malheureusement.  Mllc  Daulaud  est  une  touchante  Anna,  mais  M.  Ko- 
ning n'a-t-il  pas  peur  d'abîmer  d'aussi  jolis  yeux,  en  les  forçant  à  pleurer 


si  souvent  ; 


P.-E.  C. 


LE  THEATRE  A  L'EXPOSITION  UNIVERSELLE  DE  1889 

VII 

INDUSTRIES  THÉÂTRALES 

ACCESSOIRES  SCÉMQUES  :    CARTONNAGE,    BIJOUTERIE   ET  JOAILLERIE,    FLEURS    ET 

PLUMES,    ARMURERIE,    CHAUSSURES,  ETC. 

(Suite.) 

Si  nous  faisons,  à  l'extérieur,  le  tour  de  la  rotonde  de  l'exposition 
théâtrale,  nous  la  voyons  garnie  de  toutes  parts  d'objets  curieux  ei 
intéressants.  Sous  le  nom  de  la  maison  Babiu  (Chalain,  successeur), 

|1)  Voir  la  Ménestrel  du  10  décembre  1888. 


toujours  si  renommée,  ce  sont  d'abord  trois  mannequins  de  gran- 
deur naturelle,  vêtus  de  costumes  riches  et  pleins  d'élégance.  Deux 
sont  de  l'époque  de  la  Renaissance  et  représentent  deux  gentilshom- 
mes du  temps  de  Henri  II.  L'un  a  le  pourpoint  et  les  canons  de 
satin  blanc,  le  maillot  blanc,  toque  et  manteau  de  velours  ;  le  cos- 
tume de  l'autre  est  entièrement  violet,  pourpoint,  canons  et  mail- 
lot de  soie,  toque  et  manteau  de  velours.  Le  troisième  mannequin 
nous  montre  un  seigneurLouis  XV  en  costume  de  cour  :  habit  de 
velours  bleu  brodé  or,  à  parements  blancs,  culotte  velours  bleu,  veste 
blanche.  Ces  trois   figures  sont   d'un  très  heureux  effet. 

La  maison  Leblanc-Granger  (Richard  Gutperle,  successeur)  a  ob- 
tenu très  justement  une  médaille  d'or  pour  sa  belle  exposition  d'ar- 
mures de  théâtre.  11  y  a  là  deux  armures  sévères  de  fer  du  quinzième 
siècle,  deux  armures  brillantes  de  cuivre  du  seizième,  qui  sont  vrai- 
ment d'un  beau  caractère.  Il  est  impossible  d'obtenir  un  meilleur 
résultat  et  de  pousser  plus  loin  la  perfection.  Avec  cela  des  bou- 
cliers et  des  casques  de  style,  des  trophées  d'armes  superbement 
disposés  et  d'un  aspect  tout  à  fait  remarquable. 

La  maison  Gaston  Thomas  expose  aussi  deux  belles  armures,  qui 
nécessitent  des  éloges.  Je  rappelle  à  ce  propos  que  cette  maison 
s'est  signalée,  dans  la  rotonde  même,  par  une  exhibition  d'un  autre 
genre,  toute  une  grande  vitrine  remplie  de  très  jolis  objets  de  bi- 
jouterie et  de  joaillerie  théâtrales  :  bagues,  bracelets,  rivières,  col- 
liers, couronnes,  diadèmes,  chaînes  de  col,  boucles  de  jarretières  et 
de  chaussures,  ordres  de  chevalerie,  éperons,  stylets,  poignards,  etc. 
Tout  cela  est  plein  de  goût  et  d'élégance,  d'un  effet  charmant  et 
d'un  goût  parfait. 

Une  exposition  très  curieuse,  très  intéressante  et  vraiment  ori- 
ginale est  celle  de  la  maison  Bor,  qui,  en  deux  groupes,  sur  deux 
fûts  de  colonnes,  a  disposé  toute  une  abondante  série  de  chaussures 
historiques  d'un  véritable  caractère  et  d'une  scrupuleuse  exactitude- 
Sandales,  brodequins  antiques  et  modernes,  souliers  à  la  poulaine, 
bottes  à  entonnoir,  mules,  chaussons  de  danse,  bottes  à  revers, 
bottes  à  l'éeuyère,  bottines  diverses,  galoches,  sabots,  escarpins,, 
il  y  en  a  là  de  tous  les  temps,  de  toutes  les  formes  et  pour  tous 
goûts,  sans  compter  les  chaussures  de  fantaisie,  le  tout  en  modèles 
exécutés  avec  un  soin  et  une  conscience  rares  et  qu'on  ne  saurait 
trop  louer.  Il  est  à  regretter  seulement  que,  l'espace  ayant  sans 
doute  manqué,  on  n'ait  pas  pu,  au  lieu  de  les  grouper  ainsi,  de 
les  masser  en  quelque  sorte,  disposer  toute  cette  série  de  chaus- 
sures de  façon  qu'elles  se  présentent  dans  un  ordre  chronologique 
et  qu'elles  offrent  comme  un  raccourci  de  l'histoire  de  la  chaus- 
sure. 

L'exposition  de  la  maison  Crais,  uniquement  et  uniformément 
composée  de  chaussons  de  danse,  n'appelle  aucune  remarque  parti- 
culière. On  ne  peut,  en  la  signalant,  que  louer  la  légèreté,  la  grâce 
et  la  parfaite  élégance  qui  distinguent  ces  produits  de  ses  ateliers. 
Je  ne  saurais  guère  faire  davantage  en  ce  qui  concerne  la  maison 
Marlineau,  qui  a  exposé  de  nombreuses  et  fort  jolies  guirlandes 
de  Heurs  et  de  feuillages  fantastiques  (1  ). 

J'arrive  aux  cartonnages  de  la  maison  Hollé,  qui  lui  ont  fort  jus- 
tement valu  une  médaille  d'argent,  et  qui  montrent  à  quel  point  on 
peut  en  ce  sens  pousser  l'illusion  scénique.  Les  deux  vases  égyp- 
tiens, les  quatre  vases  pompéiens  et  les  deux  vases  grecs  qui  figu- 
rent là,  remarquables  par  le  fini  et  la  perfection  du  travail,  sont 
d'une  exécution  irréprochable.  J'en  dirai  autant  de  divers  trophées 
et  faisceaux  romains,  d'un  élégant  trophée  d'instruments  de  musique, 
de  deux  belles  corbeilles  de  fruits  et  d'un  trophée  égyptien  qui 
complètent  cette  exposition,  avec  deux  vases  gigantesques  qui  sont 
placés  de  chaque  côté,  au  sommet  de  la  rampe  de  l'escalier  qui 
conduit  au  premier  étage.  Mais  ce  n'est  pas  tout  pourtant,  et  j'ai 
découvert  par  hasard  dans  une  autre  section,  celle  du  mobilier,  où 
je  ne  l'eusse  certes' pas  cherchée,  uue  autre  exposition,  très  origi- 
nale et  très  curieuse,  faite  par  la  même  maison.  Il  s'agit,  cette 
fois,  de  la  représentation  exacte  et  complète  d'une  cuisine,  —  avec 
sa  cuisinière,  qui  penchée  sur  sa  marmite,  semble  en  surveiller  et 
en  vouloir  presser  l'ébullitiou.  A  part  ce  mannequin,  fort  bien  ar- 
rangé d'ailleurs,  tous  les  objets  reproduits  ici  sont  des  fruits  de 
cette  industrie  du  cartonnage,  devenue  si  prodigieusement  habile 
à  Paris  ;  la  grande  cheminée  de  campagne,  aux  angles  de  laquelle 
deux  personnes  pourraient  aisément  s'asseoir,  la  marmite  suspen- 
due à  la  crémaillère  et  sous   laquelle  il  semble  qu'on  entende  cré- 

(1)  Tous  les  objets  fabriqués  exposés  dans  la  rotonde  ou  ses  dépendan- 
ces portaient  cette  mention  spéciale  :  «  Exposition  théâtrale.  Fournisseurs 
des  théâtres  subventionnés.  Maison...  » 


LE  MENESTREL 


43 


piter  le  bois  qui  brûle,  le  dressoir  avec  sa  vaisselle  bien  rangée  et 
soigneusement  alignée,  les  tables  chargées  de  poissons,  de  volailles, 
de  fruils,  de  légumes,  de  fromages,  les  plats,  les  assiettes,  les  pots, 
les  couteaux,  enfin  les  ustensiles  de  tout  genre  et  de  tout  usage 
qu'on  a  coutume  de  trouver  en  pareil  lieu.  Comme  forme,  comme 
ton,  comme  couleur,  tout  cela  est  d'une  imitation  parfaite,  mer- 
veilleusement arrangé,  exécuté  avec  un  rare  talent,  et  tromperait 
l'œil  le  plus  exercé.  Juste  au-dessus  et  comme  pour  faire  contraste, 
dans  un  espace  resté  vide,  la  même  maison,  toujours,  a  imaginé 
de  produire  un  tableau  d'un  tout  autre  genre  et  de  représenter 
comme  une  sorte  de  scène  de  féerie,  vivante  et  animée.  Sous  un 
ciel  bleu,  éclairé  d'une  lueur  vive,  on  voit  une  nymphe  des  eaux, 
une  naïade  quelconque,  entourée  de  deux  tritons  qui  lui  font  es- 
corte, glisser  lentement  et  gracieusement  sur  l'onde  où.  elle  semble 
se  jouer  avec  ses  compagnons.  Ceci  est  tout  à  fait  charmant,  et 
l'on  ne  saurait,  sans  l'avoir  vu,  se  faire  une  idée  des  résultats 
vraiment  surprenants  obtenus  par  une  telle  industrie. 

J'en  ai  dit  assez,  je  pense,  en  ces  quelques  pages,  pour  faire 
ressortir  toute  l'importance  de  cette  partie  de  l'exposition  théâtrale. 
Sans  qu'il  soit  besoin  d'insister  plus  longuement  sur  ce  sujet,  le 
lecteur  comprendra  facilement  tout  l'intérêt  qui  s'attache,  en  de- 
hors ou  à  côlé  du  décor  et  du  costume  proprement  dits,  à  tous  les 
objets  de  second  ordre  mais  si  nécessaires,  qui,  complétant  avec 
eux  le  matériel  scénique,  concourent  pour  leur  part,  d'une  façon 
puissante,  à  procurer  au  spectateur  la  plus  grande  somme  d'illusion 
possible  et  à  présenter  à  ses  yeux  la  fiction  théâtrale  avec  toute 
l'apparence  de  la  réalité  (1). 

(A  suiiTe.)  Arthur  Poiigm. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (9  janvier).  —  Nos  théâtres  n'ont 
décidément  pas  de  chance,  cette  année.  Le  théâtre  de  la  Bourse  vient  de 
brûler,  de  fond  en  comble.  C'était  un  des  seuls  qui  fissent  un  peu  d'argent, 
avec  des  reprises  de  vieilles  féeries  encore  séduisantes  pour  le  gros  pu- 
blic. La  salle,  construite  il  y  a  quatre  ans,  sur  le  modèle  des  Édens-thèà- 
tres  de  Paris,  de  Bruxelles  et  d'ailleurs,  était  charmante.  Il  paraît  que  tout 
cela  va  être  reconstruit,  et  que  le  théâtre  de  la  Bourse,  renaissant  de  ses 
eendres,  fera  sa  réouverture  dès  le  mois  de  septembre.  —  Autre  catastro- 
phe, d'un  autre  genre,  il  est  vrai  :  la  fermeture  de  l'Alhambra.  Le  Mikado 
n'aura  pas  eu  la  vie  longue,  et  la  direction  de  M.  Silvestre,  aussi  mal- 
heureuse ici  qu'à  Paris,  non  plus.  L'un  entraine  l'autre  dans  sa  chute. 
Celui-ci  se  relèvera-t-il  ?  On  dit  que  oui.  Attendons.  —  La  Monnaie,  pen- 
dant ce  temps,  travaille,  et,  un  peu  éprouvée,  elle  aussi,  par  les  événements, 
se  prépare  à  de  grandes  batailles  qui,  bien  certainement,  rétabliront  ses 
forces.  Les  répétitions  de  Salammbô  marchent;  celles  du  Vàisseau-Fanlùme 
ne  vont  pas  moins  bien  ;  on  prépare  aussi  Bon  Juan,  avec  M.  Bouvet, 
MUes  Sarné  et  Merguillier  ;  et  nous  aurons  prochainement  une  reprise  d'un 
des  plus  charmants  ouvrages  de  M.  Ambroise  Thomas,  le  Songe  d'une  Nuil 
d'été,  qui  n'a  plus  été  joué  à  Bruxelles  depuis  vingt-cinq  ans  ;  on  nous  le 
donnera  conforme  à  la  nouvelle  version  de  1886,  avec  M.  Badiali,  baryton, 
dans  le  rôle  de  Shakespeare;  MUe  Merguillier  chantera  celui  d'Elisabeth, 
M"1-"  Rachel  Neyt  celui  d'Olivia  et  M.  Sentein  celui  de  Falstaff.  —  En  atten- 
dant, nous  avons  eu  hier /a  Favorite;  pour  n'être  pas  une  nouveauté,  elle  a 
remporté  cependant  un  vif  succès,  grâce  surtout  â  MM.  Bouvet  et  Ibos,  qui 
ont  été  tous  les  deux  très  remarquables.  —  Laissez-moi  enfin  vous  signa- 
ler une  curieuse  et  bien  intéressante  séance,  qui  a  eu  lieu,  la  semaine 
dernière  à  Gand,  au  Grand-Théâtre,  à  l'occasion  de  la  distribution  des 
prix  aux  élèves  du  Conservatoire  de  cette  ville.  Les  élèves  lauréats  du  cours 
d'n  art  de  la  scène  »,  que  donne,  avec  l'autorité  que  l'on  sait,  l'excellent 

(1)  En  Italie,  les  industries  spéciales  au  théâtre  sont  aussi  très  vivaces 
et  très  florissantes,  et  dans  toutes  les  grandes  villes  d'importantes  mai- 
sons s'y  attachent  particulièrement.  J'ai  pu  relever  à  ce  sujet,  entre  au- 
tres, les  noms  suivants  :  à  Milan,  Brunetti-Chiappa,  costumes;  Biraghi 
et  fils,  bijouterie  et  joaillerie  théâtrales  ;  Napoleone  Corbella,  «  costumes, 
diadèmes,  décorations,  armures,  quincaillerie,  etc.  ;  »  Bertoletti,  Cazzola, 
cordonnerie  théâtrale  ;  Ercole  Sermani,  «  fournisseur  de  décors  »  ;  Ernesto 
Pozzolo,  maillots,  bonneterie  théâtrale,  cottes  de  maille,  etc.  ;  Edoardo 
Hancati,  accessoires,  armures,  joaillerie  de  théâtre  ;  à  Naples  :  Carlo 
Guillaume,  costumes;  à  Turin:  Barbagelato,  costumes;  à  Florence  : 
Luigi  Taui,  accessoires  et  fournitures  diverses  de  théâtre  ;  puis,  Robba 
pour  les  ileurs  et  plumes,  Panni  et  Fratalocchi  pour  la  bonneterie  théâ- 
trale et  les  maillots,  Nobili  pour  les  coill'ures  et  perruques,  etc.,  ete.  — 
A  Paris,  il  faudrait  encore  citer,  parmi  les  fournisseurs  et  fabricants 
d'accessoires  de  théâtre,  les  maisons  Lerat,  Rouget,  Armand,  la  parfu- 
merie Mnthiron,  spéciale  pour  le  théâtre,  et  d'autres  dont  les  noms  m'é- 
chappent. 


professeur  M.  Rey,  s'y  sont  fait  entendre  dans  les  scènes  principales  de 
Robert  le  Diable,  d'A'ida,  du  Pardon,  des  Noces  de  Jeannette  et  de  la  Favorite, 
C'était  une  vraie  représentation,  donnée  par  de  jeunes  élèves,  dont  M.  Itey 
a  su  faire  des  comédiens  intelligents  et  déjà  très  habiles'.  Cette  audition  a 
obtenu  un  très  grand  succès.  Le  Conservatoire  de  Gand  est  le  seul  qui  ait 
inauguré  en  Belgique  ce  genre  d'exercices,  si  utile  pourtant  à  la  pratique 
de  l'art  lyrique  et  qui  complètent  si  elficacement  les  études  techniques. 

L.  S. 

—  La  critique  musicale  devient,  en  Belgique,  un  bien  difficile  métier! 
Notre  collaborateur  M.  Lucien  Solvayen  fait,  en  ce  moment,  l'expérience. 
Ayant  osé  écrire  dans  le  Soir,  de  Bruxelles,  en  termes  sévères,  mais  par- 
faitement convenables,  que  M.  Bourgeois,  artiste  du  théâtre  de  la  Mon- 
naie, avait  mal  chanté  dernièrement  le  rôle  de  Méphistophélès  de  Faust, 
celui-ci  lui  a,  purement  et  simplement,  envoyé  des  témoins!...  Notre  con- 
frère a,  naturellement,  fait  à  cette  étonnante  provocation  l'accueil  qu'elle 
méritait.  D'où,  colère  de  l'artiste,  menaces,  injures,  le  tout  par  exploit 
d'huissier.  M.  Solvay  n'a  trouvé  d'autre  moyen  de  mettre  un  terme  à  celte 
irritation,  qui  prenait  des  proportions  exagérées,  que  de  traduire  M.  Bour- 
geois devant  les  tribunaux.  L'affaire  sera  plaidée  par  M.  Eugène  Robert, 
un  des  plus  spirituels  et  des  plus  brillants  avocats  du  barreau  bruxellois; 
elle  sera  intéressante,  car  elle  remettra  en  discussion  la  question  de  la 
dignité  et  des  droits  de  la  critique,  que  certains  artistes  traitent  vrai- 
ment trop  légèrement.  —  A  ce  propos,  relevons  la  façon  tout  à  fait 
inexacte  dont  le  correspondant  bruxellois  du  Guide  musical  il  cru  devoir 
raconter  la  chose.  Contrairement  à  ce  qu'il  dit,  il  n'y  a  pas  eu,  de  la  part 
de  M.  Bourgeois,  la  moindre  «  voie  de  fait  »,  et  l'incident  n'a  nullement 
pour  cause  ni  pour  point  de  départ  une  question  personnelle.  Le  Guide 
musical  doit  le  savoir.  Est-ce  donc  pour  satisfaire  ses  petites  rancunes 
contre  notre  rédacteur  qu'il  insinue  le  contraire  ? 

—  Une  correspondance  adressée  de  Vienne  à  la  Gazzetta  Piemontese 
donne  quelques  détails  sur  l'opéra  de  M.  Smareglia,  Vassal  von  Szygeth, 
représenté  dernièrement  en  cette  ville  et  dont  certains  journaux  italiens 
avaient,  comme  de  coutume,  annoncé  le  succès  comme  une  sorte  de 
triomphe.  Il  en  faut  rabattre.  «  Je  vous  ai  annoncé,  dit  le  correspondant, 
comment  cet  opéra,  qui  ne  se  distinguait  que  par  une  facture  très  soi- 
gnée, n'était  guère  fait  pour  se  maintenir  au  répertoire  d'un  théâtre  tel 
que  le  nôtre.  Il  n'y  parait  plus  déjàque  très  rarement;  l'intérêt  du  public 
en  ce  qui  le  concerne,  a  toujours  été  en  diminuant,  et  il  aurait  sans 
doute  disparu  complètement  déjà,  sans  la  splendide  mise  en  scène  et  les 
danses  nationales  hongroises  du  second  acte.  Cependant  M.  Smareglia, 
qui  joui*,  à  ce  qu'on  dit,  de  très  hautes  protections,  s'est  vu  commander1 
un  nouvel  opéra  pour  l'année  prochaine,  et  s'est  fait  faire  une  avance  de 
6,000  florins  sur  cette  partition  !  En  calculant  que  ce  n'est  là  que  la  moitié 
de  ce  qui  lui  sera  payé  pour  le  total,  voilà  une  somme  de  24,000  francs, 
sans  compter  le  produit  du  Vassal  von  Szygetli.  M.  Smareglia  a  donc  bien 
fait  de  se  consacrer  à  la  scène  allemande,  car,  avec  le  système  de  saisons 
des  théâtres  d'Italie,  jamais  ses  opéras  n'auraient  pu  certainement  lui 
rapporter  de  semblables  bénéfices.  » 

—  Le  même  correspondant,  parlant  des  représentations  wagnériennes 
qui  se  donnent  à  l'Opéra  impérial  de  Vienne,  s'exprime  ainsi:  «Le  public 
qui  assiste  aux  cycles  wagnériens  de  l'Opéra  est,  en  grande  partie,  un 
public  tout  à  fait  spécial.  Les  wagnériens  constituent  ici  une  colonie 
à' intransigeants,  pour  lesquels  l'art  italien  est  un  sacrilège...  »  Eh  bien,  et 
la  fameuse  triple  alliance,  dont  nos  bons  amis  italiens  se  montrent  si 
fiers  !  A  quoi  sert-elle  donc,  et  quel  bénéfice  en  retirent-ils  :' 

—  On  a  vendu  récemment  à  la  librairie  J.  A.  Stargardt,  à  Berlin,  une 
série  nombreuse  et  importante  de  manuscrits  autographes  de  musiciens. 
L'ouverture  Polonia,  de  Richard  Wagner,  réduite  pour  piano,  avec,  sur  la 
dernière  page,  les  paroles  et  la  musique  d'une  romance  française  :  Adieu, 
charmant  pays  de  France,  écrite  de  la  main  de  Wagner,  a  été  payée 
320  marks  (400  francs)  ;  l'ouverture  de  Fierabras,  opéra  de  Franz  Schubert 
(24  pages  in-4°),  a  trouvé  acquéreur  à  290  marks  ;  un  autre  manuscrit  de 
Schubert  :  A'  Variations  pour  le  fartepiano  composées  par  François  Schubert, 
écolier  de  Salieri,  premier  maître  de  la  chapelle  impériale  et  royale  de  Vienne, 
4845,  est  monté' à  170  marks;  des  esquisses  de  Beethoven  ont  été  ven- 
dues 75  marks  et  l'autographe  de  l'op.  70  n°  1,  de  Schumann,  pourpiano, 
74  marks. 

—  Une  des  feuilles  spéciales  les  plus  connues  de  l'Allemagne,  la  Berli- 
ner  Musik  Zeitung,  a  cessé  sa  publication  depuis  le  lor  janvier  1890,  après 
43  ans  d'existence. 

—  On  annonce  que  la  société  Beethoven,  de  Bonn,  a  fait  l'acquisition 
du  dernier  piano  dont  s'est  servi  l'illustre  auteur  de  Fidelio,  delà  Messe 
en  ri  et  de  la  Symphonie  pastorale.  Cet  instrument. a  été  construit,  dit-on, 
expressément  pour  le  maitre  et  sur  sa  demande,  par  le  facteur  Conrad 
Graff,  fournisseur  des  pianosde  la  cour  impériale  d'Autriche,  à  Vienne. 

—  Johann  Strauss,  ayant  remarqué  que  l'on  valse  aujourd'hui  beaucoup 
moins  qu'autrefois,  veut  transformer  cette  danse  :  «  Je  partagerai,  a-t-it 
dit,  ma  prochaine  valse  en  deux  parties  distinctes.  La  première  sera  tou- 
jours de  trois-quatre,  mais  avec  ie  mouvement  de  Vandanlino;  à  ce  moment, 
on  pourra  flirter  à  son  aise.  La  seconde  aura  le  mouvement  ordinaire  de 
la  valse.  Cette  composition  n'est  pas  encore  sur  le  papier.  J'en  ferai  l'essai 


u 


LE  MENESTREL 


sans  bruit;  je  ne  veux  pas  me  poser  en  réformateur.  Si  mon  essai  tourne 
mal,  nous  reviendrons  aux  valses  essoufflées  d'antan.  Je  collabore  avec 
un  maître  de  danse  pour  ma  nouvelle  valse,  laquelle  sera  intercalée  dans 
un  grand  opéra,  auquel  je  travaille  depuis  deux  ans,  et  qui  sera  intitulé 
le  Chevalier  Pasmann.  » 

—  Le  prix  fondé  à  Berlin  par  Michel  Béer  avait  été  cette  année  attribué 
à  la  musique  par  l'Académie  des  beaux-arts  de  cette  ville.  Un  concours 
avait  été  ouvert  à  cet  effet  pour  une  grande  composition,  celle  du 
Psaume  9lj,  pour  soli,  chœurs  et  orchestre,  le  prix  consistant  en  une 
somme  de  2,25'0  marks  (2,812  fr.  50),  destinée  à  faciliter  au  vainqueur  un 
voyage  d'une  année  en  Italie.  Cinq  concurrents  ont  envoyé  des  manus- 
crits, mais  aucune  des  partitions  présentées  par  eux  n'a  paru  digne  de  la 
récompense.  Il  en  résulte  que  la  somme  attribuée  au  prix,  restant  libre 
cette  année,  ira  augmenter  d'autant  le  capital  de  la  fondation  Michel  Béer. 

—  Le  répertoire  lyrique  français  continue  de  s'implanter  à  l'étranger, 
jusque  dans  les  pays  du  Nord.  C'est  dans  le  rôle  de  Masaniello  de  ta  Muette 
de  Porlici,  d'Auber,  que  le  nouveau  ténor  de  l'Opéra  royal  de  Stockholm, 
M.  Charles  Hagman,  a  fait  son  premier  début  sur  la  scène  suédoise.  Ce 
début  a  été  des  plus  heureux,  et  le  public  a  fait  fête  au  jeune  chanteur. 

—  On  écrit  de  Saint-Pétersbourg  qu'il  pourrait  bien  y  avoir  un  spec- 
tacle d'opéra  italien  en  cette  ville  pendant  le  carême,  et  que  les  promoteurs 
et  directeurs  de  cette  entreprise  seraient  d'une  part  l'éditeur  de  musique 
Bernard,  de  l'autre,  le  propriétaire  du  théâtre  Panajeff.  On  cite  même 
déjà  le  nom  de  certains  artistes  tels  que  Masini,  Cardinale,  la  Leonardi, 
etc.  Toutefois  on  se  presse  sans  doute  un  peu,  car  rien  n'est  réellement 
arrêté  et  la  chose  n'est  encore  qu'à  l'état  de  projet. 

—  Signalons  un  intéressant  concert  de  musique  ancienne  donné  l'autre 
semaine  à  Saint-Pétersbourg  par  l'Archangelsky.  Cette  phalange  célèbre  a 
fait  entendre  un  Requiem  de  François  Anerio  (xvie  siècle),  maître  de  cha- 
pelle du  roi  de  Pologne,  récemment  imprimé  par  Pustet  à  Ratisbonne. 
Le  Requiem  a  été  suivi  des  litanies  tirées  de  la  Musica  divina  de  Proske  ; 
enfin,  le  programme  était  complété  par  d'importants  fragments  de  VOrfeo 
de  Monteverde  (1608).  Ces  fragments  ont  vivement  intéressé  le  public,  car 
c'est  de  cet  Orfeo  qu'est  sortie  toute  notre  musique  dramatique.  Les  réci- 
tatifs ont  paru  monotones  et  peu  expressifs  ;  mais  les  beaux  chœurs  de 
cette  œuvre  ont  beaucoup  porté. 

—  Le  maestro  Spetrino,  chef  d'orchestre  du  Théâtre-National  de  Bucha- 
rest,  a  fait  exécuter,  le  soir  de  sa  représentation  à  bénéfice,  un  Hymne 
national  roumain  composé  par  lui  et  chanté  par  Mme  Cataneo,  M.  Luci- 
gnani  et  Silvestri. 

—  La  musique  Scandinave  en  Turquie.  On  raconte  que  lorsque,  au 
commencement  de  décembre,  la  corvette  suédoise  Frcja  était  à  l'ancre  à 
Constantinople,  les  officiers  de  ce  navire  furent  invités  par  le  sultan  à  un 
superbe  banquet  pendant  lequel  la  musique  de  la  Freja  exécuta  de  nom- 
breux hymnes  et  chants  nationaux  de  la  Suède.  Ces  chants  plurent  telle- 
ment au  sultan,  qu'après  avoir  distribué  des  médailles  et  de  l'argent  aux 
musiciens,  il  voulut  qu'on  fit  venir  à  Constantinople  toute  une  collection 
de  cette  musique  pour  qu'elle  pût  être  exécutée  par  ses  bandes  militaires. 

—  A  l'occasion  de  la  fête  patronale  de  Casal-Monferrat,  le  compositeur 
Polibio  Fumagalii  a  fait  exécuter  dans  le  temple  de  San  Domenico,  de 
cette  ville,  une  nouvelle  messe  à  quatre  voix,  chœur  et  orchestre,  dontle 
succès  a  été  complet.  On  signale  surtout  parmi  les  chanteurs  les  ténors 
Cinquanta  et  Ambrosoli  et  la  basse  Moretti  ;  les  voix  fraîches,  dans  les 
chœurs,  de  vingt-cinq  jeunes  élèves  du  collège  de  Borgo  San  Martino, 
produisaient  un  excellent  effet,  et  un  orchestre  de  cinquante  artistes  com- 
plétait une  excellente  exécution,  que  dirigeait  le  maestro  Navaretti,  tandis 
que  l'orgue  était  tenu  par  M.  Fumagalii  en  personne. 

—  L'insuccès,  à  la  Scala  de  Milan,  des  Maîtres  Chanteurs  de  Richard 
Wagner,  est  décidément  éclatant  et  complet.  On  n'en  saurait  douter  en 
lisant  ces  lignes  d'un  critique  très  sympathique  à  l'œuvre,  celui  de  la 
Gazzetta  teatrale  italiana,  qui  s'exprime  ainsi  :  —  «  Vous  savez  que  je  suis 
tombé  tout  à  fait  à  faux  dans  mon  pronostic  sur  l'intérêt  que  devait  pren- 
dre le  public  aux  Maîtres  Clianteurs.  Je  regrette  d'avoir  à  constater  le  fait, 
mais  la  vérité  avant  tout.  De  l'opéra  de  Wagner  on  a  donné  cinq  repré- 
sentations, et  le  concours  du  public  est  allé  chaque  fois  en  diminuant, 
tandis  qu'au  contraire  l'interprétation  de  chaque  personnage  et  celle  des 
masses  me  faisaient  toujours  découvrir  de  nouvelles  beautés.  C'est  une 
question  de  goût,  avec  laquelle  il  n'y  a  pas  à  discuter...  J'aurais  juré  que 
les  Maîtres  Chanteurs  seraient  un  succès  pour  la  direction  ;  je  m'en  croyais 
sûr,  et  pour  la  valeur  de  la  musique  et  pour  l'originalité  du  sujet.  Je  me 
suis  trompé.  »  Pauvres  Maîtres  Chanteurs  !  On  «st  obligé  de  les  retirer  de 
l'affiche,  et  de  leur  substituer  un  Ratio  in  maschera.  Rnjniescant  inpace  ! 

—  En  Italie,  comme  ici,  on  a  commencé  par  plaisanter  avec  Vinfluenza  ; 
il  est  probable  qu'on  en  rit  moins  à  cette  heure,  où  ses  effets  deviennent 
meurtriers.  Toujours  est-il  que  le  célèbre  bouffe  Bottero,  le  Papa  Martin 
et  le  Don  Bueefalo  si  fameux  là-bas,  a  adressé  à  tous  ses  amis,  le  1°''  jan- 
vier, une  carte  de  visite  ainsi  conçue  :  —  «  Alessandro  Bottero,  maître  de 
chant  et  de  piano,  et,  depuis  quatre  jours,  professeur  à'influensa.  » 


—  Pendant  la  présente  saison  de  carnaval,  huit  théâtres  sont  ouverts  à 
Milan  :  deux  pour  l'opéra,  la  Scala  et  le  Dal  Verme;  quatre  avec  des  com- 
pagnies dramatiques,  le  Manzoni,  le  Philodramatique,  le  Fossati  et  le 
Politeama  ;  le  Milanese  avec  une  troupe  de  dialecte  milanais,  et  le  Gero- 
lamo  avec  des  marionnettes.  —  A  Rome  aussi,  huit  théâtres  en  exercice, 
dont  un  seul  pour  l'opéra,  l'Argentina,  et  un  avec  opérettes,  le  Quirino  ; 
trois  compagnies  dramatiques  desservent  le  Manzoni,  le  Valle  et  le  Nazio- 
nale,  deux  troupes  d'opérette  en  dialecte  romanesque  sont  au  Metastasio 
et  au  Rossini,  et  le  Politeama  romano  est  occupé  par  une  compagnie 
équestre.  —  Huit  théâtres  à  Turin  :  le  Regio  avec  opéra  ;  le  Carignan, 
l'Alfieri  et  le  Gerbino  avec  compagnies  dramatiques,  le  Balbo  avec  opé- 
rette ;  le  Rossini  avec  une  troupe  de  dialecte  piémontais  ;  le  Victor- 
Emmanuel  avec  une  troupe  équestre  et  le  théêtre  d'Angennes  avec  des 
marionnettes.  —  Naples  n'a  pas  moins  de  onze  théâtres  appelés  à  varier 
ses  plaisirs  :  au  San  Carlo  et  au  Bellini,  opéra  ;  au  Sannazzaro,  aux  Fio- 
rentini,  au  San  Ferdinando  et  au  Rossini,  troupes  dramatiques  ;  au  Poli- 
teama, une  compagnie  équestre;  au  Nuovo,  à  laFenice,  au  Mercadante  et  à 
la  Parthènope,  compagnies  en  dialecte  napolitain. —  Enfin,  à  Venise,  cinq 
théâtres  :  opéra  à  la  Fenice,  opérette  au  Malibran,  comédie  au  Goldoni. 
dialecte  milanais  et  ballet  au  Rossini,  et  marionnettes  au  Minerve. 

—  Le  théâtre  de  Cortona  a  inauguré  sa  saison  de  carnaval  par  la  pre- 
mière représentation  d'un  opéra  nouveau,  Irlde.  du  compositeur  Vignoni. 
Le  Trovatore  assure  que  «  le  succès  a  été  splendide  »,  et  que  le  quatrième 
acte  surtout  «  a  été  un  triomphe  complet  pour  l'auteur  ».  Les  principaux 
interprètes  étaient  le  ténor  Duvicler,  le  baryton  Fonlanaet  la  signora  Fianb; 
—  Pendant  cette  saison  de  carnaval,  les  divers  théâtres  ouverts  en  Italie 
ne  représenteront  pas  moins  de  neuf  opéras  nouveaux.  Le  fait  mérite 
d'être  signalé  pour  sa  rareté. 

—  On  écrit  de  Madrid  :  Ce  matin,  il  a  été  procédé  à  l'embaumement  du 
cadavre  du  pauvre  Gayarre.  Puis  on  l'a  revêtu  d'un  habit  noir  et  placé 
d'ans  la  bière,  une  bière  magnifique  avec  double  ou  triple  enveloppe, 
métal  et  bois  précieux.  La  bière  est  exposée  sur  un  catafalque  somptueux, 
dans  un  cabinet  contigu  à  la  chambre  mortuaire.  Vous  savez  déjà  qu'il  a 
été  procédé  à  l'extirpation  du  larynx  du  célèbre  chanteur  par  les  docteurs 
Cortejo,  Salazar  et  San  Martin,  qui  doivent  le  soumettre  à  une  étude 
approfondie.  Je  n'insisterai  pas  sur  les  détails  de  cette  opération,  que  je 
vous  ai  déjà  transmis  par  le  télégraphe.  Si  je  les  rappelle,  c'est  pour  vous 
dire  que  c'est  là,  au  larynx,  qu'était  le  siège  de  la  maladie  qui  a  tant 
fait  souffrir  l'artiste  et  qui,  finalement,  l'a  emporté.  Comment  M.  Gayarre 
a-t-il  pris  son  mal?  Cela  remonte  déjà  loin,  à  cinq  ou  six  ans.  Un  refroi- 
dissement, un  simple  refroidissement  qu'il  ne  soigna  pas,  dont  il  riait, 
qu'il  n'avait  pas  cru  grave  dans  le  principe,  mais  qui  avait  laissé  dans  sa 
gorge  des  lésions  dont  souvent  il  souffrait.  Il  n'y  a  pas  plus  de  trois  se- 
maines, le  brillant  ariiste  chantait  encore  i  Pescalori  di  perle,  de  Bizet,  au 
théâtre  royal  de  l'Opéra.  Vous  savez  qu'il  y  a,  au  premier  acte,  une  jolie 
romance  pour  ténor  ;  Gayarre  attaqua  la  romance  avec  sa  vaillance  accou- 
tumée, mais,  quand  il  fut  arrivé  aux  notes  élevées  du  morceau,  on  le  vit 
tout  à  coup  s'arrêter,  passer  la  main  à  la  gorge,  s'adosser  contre  un  décor, 
puis  il  s'écria  par  deux  fois,  et  avec  un  sentiment  de  désespoir:  «  Je  ne 
puis  pas,  no  puedol  »  Le  public,  dont  Gayarre  était  l'enfant  gâté,  lui  répondit 
par  une  chaleureuse  salve  de  bravos.  Mais  l'artiste  quitta  la  scène  et  il 
n'y  est  jamais  plus  remonté. 

—  On  va  mettre  incessament  à  l'étude,  au  théâtre  San  Carlos  de  Lis-_ 
bonne,  un  opéra  nouveau,  Frei  Luis  de  Suuza,  dû  à  un  compositeur  port  u 
gais  ,  M.  Freitas  Gazul.  Le  fait  est  assez  rare  pour  être  remarqué. 

—  La  belle  Messe  des  Rameaux  de  M.  Félix  Godefroid,  exécutée  plusieurs 
fois  déjà  en  notre  église  Saint-Eustache,  vient  d'obtenir  un  énorme  succès 
à  Cheltenham,  en  Angleterre,  le  jour  de  Noël.  L'abbé  Wilson,  musicien 
remarquable  lui-même,  curé  du  St-Gregory's  Priory,  avait  apporté  tous 
ses  soins  à  l'organisation  de  cette  belle  fête  et,  comme  il  l'écrit  à  l'auteur, 
«  le  résultat  en  a  été  vraiment  magnifique  ».  La  Messe  des  Rameaux  sera 
de  nouveau  exécutée  à  Cheltenham  le  jour  de  Pâques. 

—  Une  exposition  uniquement  consacrée  à  l'art  musical  militaire  se  pré- 
pare à  Londres,  dans  le  courant  de  cette  année,  dit  l'Écho  musical  de  Bru- 
xelles. Elle  comprendra  une  exposition  des  instruments  de  musique  de 
toutes  les  époques  disposés  de  façon  à  présenter  historiquement  le  dévelop- 
pement graduel  de  la  musique  militaire.  L'idée  est  neuve  et  mérite  d'être 
encouragée.  Une  exposition  de  ce  genre  offrira  un  très  grand  intérêt  et  ne 
peut  manquer  de  mettre  en  lumière  bien  des  points  oubliés  de  cette  par- 
tie intéressante  de  l'histoire  de  la  musique.  Un  comité  vient  de  se  former 
sous  le  haut  patronage  de  S.  M.  la  Reine  d'Angleterre.  Il  est  décidé,  dès 
à  présent,  que  cette  exposition  musicale  sera  internationale,  qu'elle  sera 
tout  à  fait  indépendante  de  celle  qui  touchera  un  but  mercantile  ;  elle 
aura  son  catalogue  spécial,  tous  les  objets  prêtés  au  Comité  seront  assurés 
contre  tous  risques  et  les  plus  grands  soins  seront  pris  pour  rendre  toute 
dégradation  impossible.  Le  Comité  croit  pouvoir  compter  sur  la  coopéra- 
tion des  conservatoires,  des  musées,  des  amateurs,  de  tous  ceux  enfin  qui 
possèdent  quelque  objet  dont  l'exposition  conviendrait  au  but  proposé. 
Nous  formons  des  vœux  pour  qu'il  en  soitainsi.  Le  Comité  musical  a  pour 
secrétaire,  à  qui  on  est  prié  d'adresser  toutes  les  communications,  M.  la 
capitaine  C.-R.  Day;  du  ist  Oxfordshire  Light  Infantry  Régiment,  Albany 
Bnrracks,  Porkhurst  (Islo  of  Wight). 


LÉ  MÉNESTREL 


PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 
Aujourd'hui  à  l'Opéra,  représentation  populaire  à  prix  réduits.  On 
donnera  Hamlet  avec  M"1C  Melba,  MM.  Lasalle  et  Plançon.  Serait-ce  une 
indiscrétion  de  demander  où  on  en  est  des  représentations  populaires  à 
prix  réduits?  On  sait  qu'aux  termes  du  cahier  des  charges,  nos  excellents 
directeurs  doivent  en  donner  une  par  mois.  Ils  sont  bien  loin  de  compte  : 
on  pourrait,  sans  crainte  de  se  tromper,  constater  un  retard  d'au  moins 
vingt-cinq  représentations.  Qui  donc  est  chargé  au  ministère  des  beaux- 
arts   de  veiller  au  respect  du  cahier  des  charges  ? 

—  Dans  un  interview  de  complaisance  qu'il  a  obtenu  au  Voltaire,  M.  Gail- 
hard  n'avait  pas  craint  d'avancer  ceci,  pour  justifier  les  retards  apportés 
à  la  représentation  d'Ascanio  :  «  Pour  créer  le  principal  rôle,  nous  avions 
M"c  Richard.  Elle  tombe  malade.  Nous  attendons  six  mois.  Elle  nous  dé- 
clare alors  qu'elle  se  marie  et  renonce  au  théâtre.  »  Mllc  Richard  riposte 
par  la  lettre  suivante  : 

Il  est  vrai  que  j'ai  été  soutirante  au  commencement  de  l'année  1883,  mais  ma 
voix  n'a  jamais  été  menacée,  ma  rentrée  au  mois  de  mai  1889  en  a  été  la  preuve, 
ainsi  que  les  succès  que  j'ai  obtenus  devant  le  public  de  l'Opéra  —  jusqu'à  la  fin 
de  mon  engagement. 

Je  suis  toujours  en  pleine  possession  de  tous  mes  moyens  vocaux,  et  si  je  n'ai 
pas  renouvelé  mon  engagement,  c'est  par  suite  de  désaccord  entre  MM.  Ritt  et 
Gailhard,  qui  n'ont  pas  voulu  accepter  mes  conditions. 

Renée  d'Ozanville-Richard 

—  On  a  l'air  enfin  de  répéter  sérieusement  Ascanio  à  l'Opéra,  mais  nous 
n'avons  pas  grande  confiance  tout  de  même  dans  les  résolutions  subites 
des  directeurs  de  ce  théâtre,  bien  qu'elles  aient  été  forcées  par  l'altitude  de 
la  presse  et  de  l'opinion  publique.  Nous  nous  attendons  très  bien  à  ce 
que,  dans  les  environs  du  mois  d'avril,  quand  l'ouvrage  paraîtra  mûr, 
on  nous  tienne  à  peu  près  ce  langage  :  «  Sapristi  !  nous  n'avions  pas 
réfléchi  que  M.  Lassalle  allait  prendre  son  congé  pour  remplir  ses  enga- 
gements à  Covent  Garden.  Il  nous  faut  remettre  au  mois  d'octobre.  » 
N'est-ce  pas  que  cela  peut  très  bien  arriver,  chers  directeurs  ? 

—  Du  journal  la  Justice  :  «  Le  Gaulois  d'hier  nous  dit  que  MM.  Ritt  et 
Gailhard  ont  eu  la  pensée  de  monter  pendant  l'Exposition  YOlello  de  Verdi 
et  publie  deux  lettres,  l'une  de  la  direction  de  l'Opéra,  l'autre  de  l'édi- 
teur Ricordi,  montrant  qu'en  effet  MM.  Ritt  et  Gailhard  ont  tenté  de  re- 
prendre les  négociations  interrompues.  Voilà  qui  va  des  mieux,  mais 
l'intéressant  serait  de  savoir  pourquoi  ces  négociations  avaient  été  inter- 
rompues. Le  Gaulois,  pour  être  complet,  ferait  bien  de  nous  donner  les 
raisons  qui  ont  empêché  Otello  d'être  représenté  à  Paris,  et  d'expliquer  à 
quelles  considérations  Verdi  a  cédé  en  rompant  avec  l'Opéra  et  ses  direc- 
teurs. »  Et  en  effet,  nous  croyons  nous  rappeler  que  Verdi  avait  refusé  sa 
partition  à  MM.  Ritt  et  Gailhard,  parce  qu'il  ne  trouvait  pas  à  l'Opéra 
une  interprétation  suffisante.  Il  aurait  désiré  notamment  qu'on  pût  lui 
donner  Mme  Caron. 

—  Du  journal  Y  Événement,  sous  toutes  réserves:  «  Il  est  fort  possible 
que,  d'ici  à  quelques  jours,  M.  Renard  résilie  le  contrat  qui  le  lie  à 
l'Éden,  et  que  M.  Bertrand  reprenne  ce  théâtre,  dont  il  se  débarrasserait 
également  en  signifiant  congé  trois  mois  à  l'avance  à  la  Société  des  action- 
naires. Dans  ce  cas,  il  est  à  présumer  qu'un  théâtre  lyrique  sera  créé  là, 
avec  M.  Carvalho  comme  administrateur  général  et  une  subvention  muni- 
cipale. Mmcs  Caron,  Krauss,  Richard,  MM.  Talazac  et  Bouvet  seraient 
aussitôt  engagés,  et  l'on  débuterait  avec  Salammbô  et  les  Troyens.  ■•  Trop 
beau  pour  être  vrai. 

—  Suite  des  distinctions  honorifiques  accordées  à  l'occasion  du  1er  jan- 
vier. Sont  nommés  officiers  d'Académie  :  MM.  Darthu,  rédacteur  au 
ministère  de  la  guerre,  compositeur  (?);  Desrousseaux,  publiciste  et  chan- 
sonnier, à  Lille;  Gaubert,  professeur  à  l'École  de  musique  de  Valen- 
ciennes;  Gauthier,  directeur  de  la  société  chorale  la  Sexlia,  à  Aix;  Karren, 
chef  de  musique  à  la  division  des  équipages,  à  Brest.— Un  erratum  inséré 
au  Journal  o/jiciel  fait  connaître  que  M.  Serrand,  médecin  de  l'Opéra-Comi- 
que,  a  été  nommé  officier  de  l'Instruction  publique,  et  non  officier  d'Aca- 
démie, comme  il  avait  été  dit  par  erreur. 

—  Nous  annoncions  récemment  la  déconfiture  et  la  fermeture  du  beu- 
glant dont,  sous  le  nom  de  Concert  Favart,  on  avait  indécemment  autorisé 
L'odieuse  construction  sur  l'emplacement  de  notre  pauvre  Opéra-Comique. 
Nous  nous  étions  trop  pressés  de  nous  réjouir.  Peu  de  jours  après,  cel 
aimable  établissement  rouvrait  presque  honteusement  ses  portes,  et  cette 
réouverture  provoquait  de  la  part  des  habitants  du  quartier,  justement 
indignés,  l'énergique  protestation  que  voici,  adressée  par  eux  à  M.  le  mi- 
nistre de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts  : 

Monsieur  le  ministre, 

Pour  faire  suite  à  notre  pétition  du  4  courant,  réclamant  la  démolition  du  concert 
Favart  et  la  reconstruction,  aussi  rapide  que  possible,  de  l'Opéra-Comique,  dont 
la  disparition  est  la  ruine  de  notre  quartier,  nous  nous  permettons  de  vous  pré- 
senter les  considérations  suivantes  : 

Le  concert  Favart,  contrairement  a  toutes  les  prévisions,   a  rouvert  ses  portes. 

Une  nouvelle  troupe  a  pu  être  recrutée  par  les  soins  d'une  nouvelle  adminis- 
tration. 

Le  public  seul  a  fait  défaut.  Une  centaine  de  spectateurs  tout  au  plus  ont  été 
aperçus  le  jour  de  la  réouverture  et  les  jours  suivants,  errant  dans  la  salle  où 
pour  la  plupart,  ils  étaient  entrés  à  l'aide  de  billets  de  faveur  distribués  à  profu- 
-i'.n,  mémo  aux  commerçants  de  la  place  Boicldicu,  qui  se  sont  empressés  de 
n'en  pas  faire  usage. 


Cette  réouverture  d'un  établissement  voué  à  la  ruine  s'est  faite  à  votre  insu  et 
dans  les  conditions  suivantes  : 

Quelques  jours  après  la  publication  de  notre  précédente  pétition,  M.  Poujade, 
lequel  n'a  pas  cessé  d'être  le  concessionnaire  du  terrain,  a  été  mandé  à  l'Admi- 
nistration des  bâtiments  civils.  Sommation  lui  a  été  faite  d'avoir  à  faire  rouvrir 
immédiatement  le  Concert,  sous  peine  de  recevoir,  dans  un  délai  de  deux  jours, 
l'ordre  de  le  démolir  d'office. 

En  présence  de  celte  menace,  M.  Poujade  a  rouvert  l'établissement  avec  le 
secret  espoir  de  le  remettre  sur  pied,  grâce  à  l'appui  du  gouvernement. 

La  situation  de  l'administration  actuelle  est  des  plus  critiques;  elle  se  sait 
condamnée  à  vivre  misérablement  au  jour  le  jour,  attendant  comme  le  Messie 
l'arrivée  du  capitaliste  de  ses  rêves ,  dont  l'apparition  paraît  bien  improbable 
après  l'insuccès  édifiant  de  la  précédente  administration. 

Et  telle  est  la  vérité  de  cette  assertion  que  les  affiches  du  Concert  portent 
continuellement  cette  mention  :  <>  Représentation  extraordinaire  »,  afin  de  se 
réserver  moralement  aujourd'hui  le  droit  de  fermer  demain. 

Cette  réouverture  nous  laisserait  par  elle-même  indifférents  si  elle  ne  pouvait 
servir  de  prétexte  au  statu  quo,  c'est-à-dire  à  retarder  la  reconstruction  de  l'Opéra- 
Comique. 

Il  n'est  pas  douteux  que  l'administration  nouvelle  ne  s'évanouisse  d'elle-même, 
comme  la  précédente. 

Néanmoins,  nous  croyons  de  notre  devoir  d'y  aider  de  toutes  nos  forces. 

Aussi,  sommes-nous  décidés  à  prendre  la  mesure  suivante  : 

Si  promesse  formelle  ne  nous  est  pas  faite  que  le  concert  sera  démoli  dans  un 
délai  d'un  mois,  nous  ferons  de  la  place  Boieldieu  un  trou  sordide  et  obscur,  en 
fermant  tous  les  soirs,  à  la  nuit  tombante,  les  devantures  de  nos  établissements, 
dont  la  lumière  est  à  peu  près  la  seule  jetant  un  peu  d'éclat  sur  les  rues  Favart, 
Marivaux  et  sur  la  place  Boieldieu. 

Nous  nous  permettons  d'ailleurs,  de  vous  rappeler  à  ce  sujet  que  M.  Poujade, 
auquel  la  concession  avait  été  accordée  par  le  gouvernement  jusqu'au  31  octobre, 
avait  pris  par  écrit,  vis-à-vis  de  nous,  l'engagement  formel  de  faire  démolir  son 
établissement  au  plus  tard  le  31  décembre  1889. 

Le  concert  ne  continue  donc  à  exister  qu'en  dépit  de  toutes  les  promesses  et 
de  tous  les  engagements. 

Il  est  temps  qu'une  question  depuis  trop  longtemps  à  l'ordre  du  jour  ait  défi- 
nitivement sa  solution  et  nous  comptons,  monsieur  le  ministre,  sur  votre  concours 
à  cet  effet. 

Recevez,  etc.  (Suivent  les  signatures.) 

Cette  protestation  a  produit  son  effet,  parait-il,  puisque,  «  par  ordre  de 
l'autorité  supérieure  »  dit  le  Figaro,  le  concert  Favart  est  de  nouveau 
fermé.  Cela  va-t-il  enfin  amener  la  reconstruction  de  l'Opéra-Comique  sur 
l'emplacement  où  depuis  longtemps  déjà  nous  aurions  dû  le  voir  repa- 
raître?  

—  Il  nous  faut  bien  dénoncer  quelques-uns  des  hauts  faits  àeVin/luenza, 
puisque  aussi  bien  la  maudite  maladie  fait  parler  d'elle  plus  qu'on  ne  le  vou- 
drait. On  sait  qu'à  Paris  la  marche  du  répertoire  est  singulièrement 
entravée  dans  nos  théâtres  du  fait  de  l'épidémie;  mais  on  conçoit  que  c'est 
bien  pis  en  province,  où  les  troupes  sont  moins  nombreuses  et  où  l'on  n'a 
pas,  comme  ici,  la  possibilité  de  doubler  les  rôles.  Dans  certaines  villes,  d'ail- 
leurs, le  public,  véritablement  effrayé,  a  complètement  renoncé  au  plaisir  du 
spectacle:  de  sorte  que,  soit  par  suite  de  maladies  des  artistes,  soit  par  dé- 
faut de  spectateurs,  les  directeurs  se  sont  vus  obligés  de  suspendre  les  re- 
présentations. Fermé  le  Grand-Théâtre  de  Bordeaux,  comme  celui  de  Lille  : 
fermé  le  Capitule,  à  Toulouse;  fermés  les  théâtres  à  Angers,  au  Havre,  à 
Nimes,  à  Montpellier,  à  Dijon  et  ailleurs.  —  A  l'étranger,  la  situation 
n'est  pas  meilleure.  A  Madrid,  plusieurs  théâtres  sont  fermés  ;  à  Gènes, 
le  théâtre  Carlo-Felice  a  suspendu  ses  représentations  ;  à  Pesth,  soixante- 
dix  personnes  du  Théâtre  National  hongrois  sont  atteintes  de  la  maladie. 
A  Parme,  on  a  dû  licencier  le  Conservatoire.  Tous  les  théâtres  d'Italie 
sont  dans  un  état  de  désarroi  complet  :  à  Milan,  M.  Franco  Faccio,  chef 
d'orchestre  de  la  Scala,  et  à  Turin  son  confrère  M.  Mascheroni,  ont  dû 
cesser  leur  service  ;  la  prima  donna  Tecla  Ivner  s'est  vue  obligée,  pour  cause 
de  maladie,  de  résilier  son  contrat  avec  le  Dal  Verme,  de  Milan,  de  même 
que  Mme  Fortuzzi,  actrice  du  Manzoni,  de  la  même  ville  ;  à  ce  même 
Dal  Verme.  deux  ténors,  MM.  Callioni  et  Tomei,  ont  été  atteints  à  la 
fois  ;  le  baryton  Tezzi,  du  théâtre  San  Carlo,  est  malade  à  Naples,  ainsi 
que  le  chanteur  Barilati  à  Rome;  à  Cagliari,  trois  ténors  sont  hors  de 
service,  MM.  Manfrin,  Laudi  et  Mazzolani  ;  il  en  est  de  même  au  théâtre 
Regio,  de  Turin,  et  enfin,  au  San  Carlos  de  Lisbonne,  trois  des  principaux 
artistes  de  la  compagnie  italienne  ont  été  frappés  coup  sur  coup,  la 
Tetrazzini,  son  camarade  Ercolani,  et  le  chef  d'orchestre,  M.  Campanini. 

—  C'est  des  théâtres  maintenant  qu'on  peut  dire  que  les  morts  vont 
vite.  Il  semble  que  plus  on  prend  de  précautions  en  ce  qui  les  concerne, 
plus  les  malheureux  brûlent  avec  facilité.  Nous  annoncions,  il  y  a  huit 
jours,  l'incendie  de  quatre  d'entre  eux;  nous  avons  cette  fois  deux  sinis- 
tres du  même  genre  à  signaler  :  de  l'AIcazar,  du  Havre,  et  du  théâtre 
de  la  Bourse,  de  Bruxelles,  il  ne  reste  plus  rien  à  l'heuie  présente. 
Fort  heureusement,  cette  fois  encore,  on  n'a  aucun  accident  do  personnes 
à  déplorer. 

—  Plusieurs  de  nos  confrères  parlent  d'un  projet  qui  serait,  disent-ils, 
sur  le  point  de  se  réaliser.  On  donnerait,  dans  le  courant  du  mois  de  jan- 
vier, à  Paris,  une  série  de  représentations  de  la  Tétralogie  des  Niebelungen, 
de  Wagner.  L'imprésario  Angelo  Neumann  qui  de  Vienne  doit  aller  en 
Espagne  avec  sa  troupe  pour  les  fêtes  du  carnaval,  serait  dispos.',  au  lieu 
de  passer  par  l'Italie  et  la  voie  de  mer,  à  prendre  la  voie  de  terre  et  à 
s'arrêter  à  Paris  pour  donner  une  représentation  de  toute  la.  série.  Ces 
représentations  ne  seraient  pas  publiques,  elles  se  feraient  par  souscrip- 
tion, ce  qui  enlèverail  toul  prétexte  à  manifestation. 


16 


LE  MÉNESTREL 


—  Une  dépèche  de  Lyon  adressée  au  Soleil  annonce  q  ue  la  statue  de 
Berlioz  qui  doit  être  érigée  sur  une  des  places  de  la  Côte-Saint-André, 
sa  ville  natale,  vient  d'arriver  de  Paris  dans  cette  ville.  La  statue,  en 
bronze,  mesure  2  mètres  2o  de  hauteur.  Berlioz  est  dans  l'attitude  contem- 
plative; il  a  le  coude  appuyé  sur  un  pupitre,  pendant  que  l'autre  main  se 
perd  nonchalemment  dans  une  poche  de  son  pantalon.  A  ses  pieds  gisent 
pèle-mèle  les  diverses  partitions  de  ses  œuvres.'  On  lit  sur  l'une  d'elles, 
placée  en  évidence  :  la  Damnation  de  Faust.  La  cérémonie  d'inauguration 
de  la  statue  aura  lieu  au  mois  d'août  prochain.  La  ville  de  la  Côte-Saint- 
André  prépare,  à  cette  occasion,  une  grande  solennité  artistique  à  laquelle 
sont  conviées  toutes  les  notabilités  du  département  et  de  Paris. 

—  Le  13  janvier  prochain  aura  lieu  à  l'église  Saint-Germain-l'Auxerrois 
le  mariage  d'un  violoniste  de  grand  talent,  M.  Armand  Parent,  qui  épouse 
Mlle  Gabrielle  Bourges.  Pendant  la  cérémonie  religieuse,  MM.  Widor, 
Delsart,  Rémy,  etc.,  se  feront  entendre  et  apporteront  un  précieux  con- 
cours à  leur  jeune  confrère,  qui  compte  tant  de  sympathies  dans  le 
monde  musical  parisien. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Conservatoire  :  symphonie  en  mi  mineur  (J.  Brahms)  ;  scène  des  Enfers 

d'Alceste  (Lully),  air  de  Caron  par  M.  Delmas  ;  suite  symphonique  (J.  Gar- 
cin);  récit  et  chœurs  des  Pèlerins  de  Tannhuuser  (R.  Wagner),  par  M.  Del- 
mas ;  thème  varié,  scherzo  et  finale  du  septuor  (Beethoven).  —  Le  concert 
sera  dirigé  par  M.  J.  Garcin. 

Châtelet,  concert  Colonne  :  symphonie  en  xil  mineur  (Beethoven);  pré- 
lude à'Eloa  (Ch.  Lefebvre;  ;  sérénade  de  Namouna  (Lalo)  ;  concertstûck  pour 
piano  ("Weber),  par  M.  Léon  Delafosse  ;  Symphonie  romantique  (  V.  Jon- 
cières)  ;  l'Or  du  llhin  (Wagner),  première  scène  du  premier  acte,  soli  par 
M.  Auguez  (Alberich),  Mlle  de  Montalant  (Woglinde),  Mlle  Delorn  (Wel- 
gunde),  Mme  de  Clercq  (Flosshilde)  ;  fragments  de  Sigurd  (E.  Reyer). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  :  ouverture  de  Ruy  Blas 
(Mendelssohn);  Symphonie  fantastique  (Berlioz);  ouverture  du  Vaisseau- 
Fantôme  (Wagner)  ;  l'Enchantement  du  vendredi  saint  de  Parsifal  (Wagner): 
prélude  de  Tristan  et  Yseult  (Wagner)  ;  Chevauchée  de  la  Vallcyrie  (Wagner). 

—  La  première  réunion  de  Mmc  la  vicomtesse  de  Tredern  a  été  très 
brillante.  On  a  entendu  et  applaudi  différentes  œuvres  d'Ambroise 
Thomas,  de  Mme  deGrandval,  de  MM.  le  prince  de  Polignac,  de  Boisdeffre, 
de  Dépret,  interprétées  par  la  maîtresse  de  la  maison,  Mme  Benardacki, 
M.  Lelubez,  M"'  Deménil,  M.  ***.  On  a  fait  un  accueil  enthousiaste  à  une 
nouvelle  mélodie  de  M.  Francis  Thomé,  la  Nuit,  que  l'auteur  avait  orches- 
trée pour  la  circonstance  et  qui  a  été  dite  par  Mm0  de  Trédern  avec  un 
sentiment  exquis.  Cette  mélodie,  fort  bien  accompagnée  par  un  excellent 
orchestre,  conduit  par  Maton,  a  été  redemandée. 

NÉCROLOGIE 


Un  violoncelliste  de  beaucoup  de  talent,  M.  Philippe  Lamoury,  vient 
de  succomber  aux  suites  d'une  longue  maladie  de  poitrine.  C'était  un 
honnête  homme,  d'une  rare  bonté,  toujours  prêt  à»prèter  son  concours 
aux  œuvres  de  charité,  toujours  prêt  aussi  à  rendre  service  à  ses  cama- 
rades. Sa  perte  sera  vivement  regrettée  par  tous  ceux  qui  l'ont  approché. 
Il  laisse  une  femme  et  deux  enfants  dans  une  situation  difficile.  Philippe 
Lamoury  était  âgé  de  quarante  ans  environ. 

—  Un  grand  artiste,  depuis  longtemps  disparu — et  oublié,  le  célèbre 
baryton  Giorgio  Ronconi,  est  mort  ces  jours  derniers  à  Madrid,  où  il  s'était 
retiré.  Fils  d'un  ténor  de  grande  renommée,  à  qui  il  dut  son  excellente 
éducation  musicale,  Giorgio  Ronconi  était  né,  dit-on,  à  Milan  en  1810,  et 
débuta  avec  éclat  à  Pavie  en  1831,  d'où  il  fut  aussitôt  engagé  à  Rome,  où 
son  succès  ne  fut  pas  moins  grand.  Bientôt  il  parcourut  toute  l'Italie  en 
triomphateur,  et  se  fit  entendre  tour  à  tour  à  Naples,  Florence,  Parme, 
Milan,  Venise,  Turin,  Trieste,  Livourne,  Lucques,  Modène,  Vérone,  Padoue. 
Recherché  alors  à  l'étranger,  il  ne  fut  pas  moins  heureux  en  se  produisant 
à  Vienne,  à  Francfort,  à  Londres,  à  Madrid,  et  enfin  à  notre  Théâtre-Italien, 
où  il  débuta  le  3  octobre  1843  dans  Lucia  di  Lammermoor.  Doué  d'une  jolie 
voix,  mais  qui  manquait  de  puissance,  il  rachetait  ce  défaut  naturel  par 
de  superbes  qualités  de  chanteur  et  de  comédien,  et  se  faisait  aussi  bien 
applaudir  dans;  le  genre  comique  que  dans  le  genre  dramatique,  dans  le 
Barbier  et  dans  l'Elisir  d'amore  en  même  temps  que  dans  Nabucco,  Maria  di 
Rohan,  et  Rigoletto.  Il  brillait  sur  notre  scène  italienne  en  compagnie  de 
Taglialico,  de  Malvezzi,  de  Salvi,  de  M™  Viardot,  de  la  Brambilla  et  de 
cette  admirable  Marietta  Alboni,  dont  le  souvenir  n'est  pas  éteint  chez 
ceux  qui  ont  eu  le  bonheur  de  l'entendre.  Par  malheur,  Ronconi  eut  la 
fâcheuse  idée  de  prendre  la  direction  de  ce  théâtre  en  1849,  dans  un  mo- 
ment peu  favorable,  il  y  dissipa  vite  ses  économies,  et  en  1830  était  rem- 
placé par  Lumley.  Il  partit  alors  pour  l'étranger,  et  dix  ans  plus  tard  venait 
faire  une  nouvelle  et  courte  apparition  à  la  salle  Ventadour;  il  n'était  plus 
que  l'ombre  de  lui-même.  Il  se  rendit  bientôt  en  Espagne,  qu'il  ne  quitta 
plus.  Il  fonda  et  dirigea  d'abord  un  conservatoire  à  Cordoue,  puis  se  fixa 
à  Madrid,  où  il  vient  de  mourir,  âgé  de  soixante-dix-neuf  ans. 

—  De  Londres  on  annonce  la  mort  de  M.  W.-S.  Gilbert,  écrivain  dra- 
matique bien  connu  surtout  par  sa  constante  collaboration   avec  le   com- 


positeur sir  Arthur  Sullivan,  dont  il  fut  le  librettiste  fidèle  et  avec  lequel 
il  écrivit  nombre  d'opérettes  qui  obtinrent  de  bruyants  succès,  entre 
autres  Pinafore,  Ruddigore,  the  Mikado,  et  tout  récemment  encore,  the 
Yeamen  of  the  guard. 

—  D'Anvers  nous  arrive  la  nouvelle  de  la  mort,  à  Fàge  de  77  ans,  de 
M.  le  chevalier  Léon  de  Burbure  de  Wesembeck,  un  amateur  de  musique 
pratiquant  et  éclairé  qui  a  rendu  à  l'art  de  signalés  services.  M.  de  Burbure, 
à  qui  une  grande  fortune  eut  pu  créer  de  vastes  loisirs,  ne  cessa  jamais  de 
travailler  pour  le  plus  grand  bien  de  cet  art  qu'il  aimait  avec  passion.  Compo- 
siteur fécond  et  fort  distingué,  écrivain  patient  et  ingénieux,  fondateur  de 
plusieurs  sociétés  musicales,  il  a  donné  une  vive  impulsion  à  la  propagation 
et  à  l'étude  du  chant  choral  en  Belgique,  qu'il  ne  cessait  d'encourager  de 
tous  ses  efforts.  Appelé,  depuis  longtemps  déjà,  à  faire  partie  de  l'Académie 
de  Belgique,  dont  il  était  l'un  des  membres  les  plus  assidus  et  les  plus 
laborieux,  il  a  publié  dans  les  Mémoires  de  cette  compagnie  de  nombreux 
travaux,  parmi  lesquels  il  faut  signaler  deux  intéressantes  notices  sur 
Ch.-L.  Hanssens,  le  célèbre  chef  d'orchestre  de  la  Monnaie,  et  sur  C.-F.-M.- 
Bosselet.  On  doit  à  M.  de  Burbure  plusieurs  autres  publications  utiles  et 
sérieuses  :  1°  Aperçu  sur  l'ancienne  corporation  des  musiciens  instrumentistes 
d'Anvers;  2°  Recherches  sur  les  facteurs  de  clavecins  et  les  luthiers  d'Anvers  depuis 
le  XVIe  siècle  jusqu'au  XIXe  siècle  ;  3°  la  Sainte-Cécile  en  Belgique  ;  4°  Notice 
sur  Jean  van  Ockeghem  (en  flamand),  etc.  Nous  ne  saurions  énumérer  ici 
les  très  nombreuses  compositions  de  musique  d'église,  de  musique  de 
chambre  et  de  musique  instrumentale  de  M.  de  Burbure,  qui  se  distin- 
guaient par  des  qualités  sérieuses  et  solides.  Nous  dirons  seulement  que 
ce  galant  homme,  qji  était  un  artiste  remarquable,  se  signalait  aussi  par 
les  plus  hautes  qualités  morales,  et  que  ceux  qui  ont  été  à  même  de  le 
connaître  et  d'être  reçus  par  lui  dans  son  élégant  hôtel  de  la  rue  de  Vénus, 
avec  la  courtoisie  charmante  qui  le  caractérisait,  conserveront  de  lui  le 
meilleur  et  le  plus  affectueux  sou-enir.  A.  P. 

—  Les  journaux  américains  annoncent  la  mort  de  Cari  Formes,  le  célè- 
bre basse,  décédé  à  New- York  le  16  novembre.  Il  était  né  le  7  août  1810 
à  Muhlheim-sur-Rïihr  et  avait  débuté  avec  succès  en  1842  au  théâtre  de 
Cologne,  pour  acquérir  bientôt  une  grande  notoriété,  puis  la  célébrité. 
C'est  pour  lui  qu'ont  été  écrits  les  rôles  de  Falstaff  dans  les  Joyeuses  Com- 
mères de  Windsor  de  Nicolaï  et  de  Plunkett  dans  la  Marlha  de  Flotow. 

—  Le  31  décembre  18S9  est  mort  à  Vicence,  où  il  était  né  le  8  avril  1822, 
le  compositeur  Giuseppe  Apolloni,  auteur  d'un  opéra,  l'Ebreo,  qui  depuis 
plus  de  trente  ans  n'a  cessé  de  paraître  avec  le  plus  grand  succès  sur 
toutes  les  scènes  de  la  Péninsule.  En  1832  il  faisait  son  début  au  théâtre 
avec  un  ouvrage  intitulé  Adelchi,  représenté  à  Vicence  ;  le  23  janvier  1855 
il  donnait  son  Ebreo  à  la  Fenice,  de  Venise,  et  l'année  suivante,  aussi 
à  Venise,  il  faisait  jouer  Pielro  d'Albano.  Dix  ans  après,  en  1866,  paraissait 
à  la  Pergola,  de  Florence,  son  quatrième  opéra,  il  Conte  di  Kœnigsmark, 
et  enfin,  en  1872,  il  donnait  à  Trieste  son  dernier  ouvrage,  Gustavo  Wasa. 
Aucun  de  ceux-ci  ne  put  retrouver  le  succès  éclatant  de  l'Ebreo,  qui  avait 
fait  triomphalement  le  tour  de  l'Italie  ;  c'est  que  l'auteur,  de  son  côté,  ne 
retrouvait  plus  le  flot  mélodique,  la  vigueur  et  l'abondance  d'inspiration 
qui  avaient  fait  la  fortune  de  cette  partition  en  charmant  et  en  étonnant  le 
public.  Et  comme  Apolloni  était  surtout  un  musicien  d'instinct,  comme 
son  savoir  et  son  instruction  étaient  absolument  insuffisants,  il  ne  pouvait 
renouveler  son  talent  et  se  vit  dans  l'impossibilité  d'écrire,  au  point  de  vue 
de  la  forme   et  de  la  facture,    une    œuvre    d'un  mérite   solide  et  durable. 

—  A  Florence  est  mort  un  autre  compositeur,  Giorgio  Valensin,  qui  fit 
représenter  au  théâtre  des  Loges,  de  cette  ville,  le  28  février  1874,  un 
opéra  intitulé  la  Capricciosa. 

—  A  Florence  encore  vient  de  mourir  un  musicien  modeste  et  distin- 
gué, Cesare  Androet,  qui  était  né  en  cette  ville,  où  il  fut  l'élève  de  Fal- 
coni,  de  Romani,  de  Casamorata  et  de  M.  Mabellini.  On  lui  doit  plusieurs 
compositions,  entre  autres  plusieurs  messes,  un  oratorio,  Salomone,  exé- 
cuté en  l'église  San  Giovannino,  et  un  opéra  représenté  en  1852. 

—  A  Borgosesia,  où  il  vivait  retiré  depuis  plusieurs  années,  vient  de 
mourir  un  ténor  renommé  en  son  temps,  Andréa  Castellan,  né  à  Vicence, 
qui  partagea  les  triomphes  de  la  Frezzolini,  de  la  Cruvelli,  de  laTadolini, 
de  Rubini,  de  Donzelli,  de  Coletti,  etc.  «  Il  fit  une  splendide  carrière,  dit 
le  Trovatore.  Il  chanta  sur  les  premières  scènes  de  l'Europe  et  à  la  Scala 
en  1840-41  avec  la  Frezzolini  dans  Béatrice  di  Tenda,  avec  la  Tadolini  et 
Donzelli  dans  il  Bravo  de  Mercadante,  et  avec  la  Frezzolini  et  Donzelli 
dans  il  Proscritto  de  Nicolaï.  Après  avoir  gagné  beaucoup  d'argent,  il  fut 
réduit  à  la  ruine  par  son  cœur  bon  et  généreux.  Il  suffit  de  dire  que  ce 
célèbre  artiste  a  fini,  à  soixante-dix-sept  ans,  comme  revendeur  de  sel  et 
de  tabac  !  » 

—  De  Turin  on  annonce  la  mort  subite  d'un  artiste  estimable,  Lorenzo 
Bellardi,  chef  d'attaque  des  seconds  violons  à  l'orchestre  du  théâtre  Regio 
et  professeur  d'harmonie  au  Lycée  musical  de  cette  ville.  C'est  précisément 
pendant  qu'il  faisait  sa  classe  au  lycée  qu'il  fut  pris  subitement  d'une 
syncope  et  tomba  sans  connaissance.  Il  expira  au  bout  de  deux  heures, 
au  Lycée  même,  sans  qu'on  ait  pu  le  transporter  chez  lui. 

Henri  Heugel.  directeur-getanl 

EN  VENTE  chez  A.  Leduc,  3,  rue  de  Grammont,  Laudate  dominum, 
à  4  voix  avec  accompagnement  d'orgue,  par  LÉON  BOELLMANN. 


IMI-RIMEBIE   CENTRALE    1 


—    Illl'ltnil-IIIE  t 


3068  —  56" 


N°  3-  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 


Dimanche  19  Janvier  1890. 


(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et   Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  lr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  3U  lr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  Irais  de  poste  eu  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (45°  article),  Albert  Soubies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale:  Une  soirée  à  l'Opéra-Comique  et  des  consé- 
quences qu'on  en  peut  tirer,  H.  Moreno  ;  première  représentation  des  Moulinard, 
au  Palais-Royal,  Paul-Émile  Chevalier.  —  III.  Le  théâtre  à  l'Exposition  (13"  ar- 
ticle), Arthur  Pougin.  —  IV.  La  reconstruction  de  l'Opéra-Comique.  —  V.  Revue 
des  Grands  Concerts.  —  VI.  Nouvelles  diverses.  —  VII.  Nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
ÉCHECS -QUADRILLE 

de  Philippe  Fahrbach.  —  Suivra  immédiatement  :  Causerie  d'oiseaux,  nou- 
velle polka  du  même  auteur. 

CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant:.  La  Chanson  des  bois,  mélodie  d'après  Chopin  par  I.  Phii.ipp, 
paroles  de  Jules  Ruelle.  —  Suivra  immédiatement  :  Ritournelle,  nouvelle 
mélodie  de  Francis  Thomé,  poésie  de  François  Coppée. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Albert  SOUBIES   et  Charles   MALHERBE 


CHAPITRE  XIII 

MEYERBEKR    A    L'OPÉRA-COMIQUE 
L'ÉTOILE    DU  NORD 

1853-1855 

(Suite.) 

Dans  cette  salle  remise  à  neuf,  les  deux  premiers  ouvrages 
montés  n'eurent  pas  un  heureux  sort:  le  Nabab  (lel  septembre 
1853),  trois  actes  de  Scribe  et  de  Saint-Georges,  musique 
d'Hiilévy,  et  Colette  (20  octobre),  trois  actes  de  Planard,  mu- 
sique de  Cadaux.  Si  morale  qu'elle  fut,  l'histoire  de  ce  prince 
indien  (le  Nabab),  laissant  son  palais  de  Calcutta  pour  deve- 
nir ouvrier  en  Angleterre,  se  guérissant  par  le  travail  des 
soucis  de  la  fortune  et  troquant  l'aventurière  à  laquelle  il 
est  indûment  allié  contre  la  jeune  fille  qu'il  épouse  en  justes 
noces,  toute  cette  série  d'aventures  laissa  le  public  indiffé- 
rent; il  y  retrouva,  mais  sans  plaisir,  un  écho  de  ces  pièces 
à  héros  britanniques,  fort  en  honneur  à  la  fin  du  siècle 
dernier  et  au  commencement  de  celui-ci:  l'Anglais  de  Patrat, 
les  Deux  Anglais  de  Merv'lle,  et  tant  d'autres  dont  la  fortune 
a  été  moins  biillante.  Un  incident  puéril  que  nous  a  conté 
M.  Schœnerverk  contribua  à  détourner  son  attention  de  l'in- 
trigue imaginée  par  les  librettistes.  Au  milieu  d'une  scène 
d'amour,     le    chapeau     de    Couderc ,    malencontreusement 


tombé  d'un  guéridon,  décrivit  sur  la  scène  une  série  de  zig- 
zags capricieux  dont  s'amusèrent  fort  les  spectateurs  (il  n'eu 
faut  pas  plus  quand  on  s'ennuie)  jusqu'au  moment  où  il  dis- 
parut ou  faillit  disparaître  dans  le  trou  du  souffleur.  Bref,  si 
honorable  que  fût  la  musique,  si  remarquable  que  fût  l'in- 
terprétation, confiée  à  des  artistes  comme  Couderc,  Mocker, 
Ponchard  et  Bussine,  M"c  Favel,  enfin  M"e  Félix  Miolan,  qui 
depuis  quelques  semaines  s'était  mariée  et  s'appelait  désor- 
mais Mme  Miolan-Carvalho,  le  Nabab  courait  à  sa  perte.  Vaine- 
ment la  presse  in  •  ressée  publiait  des  entrefilets  où  l'on 
apprenait  que  la  «  Joule  continuait  à  être  attirée  et  charmée,  » 
et  que  «  la  salle  Favart  était  devenue  trop  étroite  pour  le 
monde  qui  s'y  pressait  »:  au  bout  de  38  représentalions,  le 
Nabab  tomba  pour  ne  plus  se  relever. 

Il  en  fut  de  même,  et  pis  encore,  pour  Colette,  qui  n'était 
point  fille  d'auteurs  si  réputés,  et  dut,  en  conséquence,  se 
contenter  de  13  représentations.  Cadaux  n'avait  point  relrouvé 
la  \eine  des  Deux  Gentilshommes  et  des  Deux  Jaket,  Planard, 
celle  de  Marie  et  du  Pré  aux  Clercs.  En  cherchant  bien,  on 
pourrait  dénicher  l'idée  première  du  livret  dans  l'ouvragé 
bien  connu  d'Alfred  de  Vigny,  Servitude  et  Grandeur  militaires.  Il  y 
a  là,  en  effet,  certain  épisode  intitulé  Histoire  de  l'adjudant,  où 
Ton  reconnaît  Colette  sous  le  nom  de  Pierrette,  Pierrot  sous  celui 
de  Mathurin,  la  reine  Marie-Antoinette  à  la  place  de  la  marquise, 
et  ce  même  Michel  Sedaine,  le  tailleur  de  pierres  «  qui  taille 
en  même  temps  des  pièces,  du  papier  et  des  plumes  »,  héros 
d'opéra-comique  ressuscité  récemment  à  la  Gaîté  dans  le 
Dragon  de  la  Heine.  «  L'auteur  et  le  compositeur,  écrivait  un 
critique,  semblaient  s'être  dit:  Payons  un  large  tribut  aux 
idées  connues,  et  nous  réussirons.  »  Ils  échouèrent,  et  le 
librettiste,  qui  n'avait  pu  assister  aux  répétitions,  survécut  peu 
à  cet  échec  :  Planard  mourut,  en  effet,  le  13  novembre,  moins 
d'un  mois  après  la  première. 

Cependant  l'année  musicale  1853  finit  avec  un  succès,  sinon 
très  grand,  du  moins  plus  qu'honorable,  les  Papillotes  de 
M.  Benoist  (28  décembre).  Sous  ce  titre  bizarre,  MM.  Jules 
Barbier  et  Michel  Carré  avaient  mis  en  scène  les  suites  ro- 
manesques d'une  déclaration  d'amour  adressée  par  écrit  à 
une  ingrate  qui  s'en  était  fait  piosaïquement  des  papilloies. 
Ce  petit  acte  servait  de  cadre  à  une  action  dramatique  peu 
compliquée,  mais  fournissant  au  compositeur  quelques  situa- 
tions où  la  sensibilité,  la  tendresse,  la  grâce  se  mélangeaient 
heureusement:  on  y  retrouvait  comme  un  souvenir  de  Rodolphe 
et  du  Bonhomme  Jadis.  De  même,  la  partition  gardait  une  sa- 
veur archaïque,  marque  distinctive  de  Reber,  ce  composi- 
teur fin,  délicat,  savant  sous  l'apparence  voulue  de  la  sim- 
plicité, ennemi  du  bruit  dans  la  musique,  comme  il  le  fut 
de  toule  réclame  dans  sa  carrière.  Curieuse  coïncidence  :  le 
même  sujet,  ou  du  moins  un  sujet  très  analogue  devait  être 


18 


LE  MENESTREL 


traité  l'hiver  suivant  par  un  musicn  d'un  tout  autre  tempé- 
rament, M.  Ernest  Reyer.  Ici,  comme  là,  on  voyait  l'amour 
jeune  triompher  de  l'amour  plus  âgé.  Or,  Maître  Wolfram  est 
revenu  quelque  vingt  ans  plus  tard  à  la  salle  Favart.  Pour- 
quoi .  n'en  est-il  pas  de  même  des  Papillotes  de  M.  Benoist, 
qui  ont  obtenu  en  somme  60  représentations  réparties  en 
quatre  années?  Peut-être  parce  qu'on  n'a  pas  trouvé  de  vrais 
successeurs  à  Mme  Carvalho,  à  Gouderc  et  à  Sainte-Foy  surtout, 
comédien  à  qui  tous  les  genres  sont  accessibles,  écrivait  un 
critique,  car  dans  ce  rôle  «  il  se  tient  sur  la  limite  du  sen- 
timent et  du  ridicule  avec  infiniment  de  tact;  aussi  s'y  fait- 
il  aimer,  autant  qu'il  s'y  fait  applaudir.   » 

La  troupe  de  l'Opéra-Gomique  était  d'ailleurs,  à  cette 
époque,  admirablement  composée.  Sans  doute  elle  avait  subi 
en  1853  quelques  pertes;  Meillet  et  sa  femme,  Mme  Meyer, 
engagés  au  Théâtre-Lyrique;  Boulo,  engagé  à  l'Opéra;  de 
même  Coulon,  qui  avait  été  prêté  quelque  temps  par  M.  Per- 
rin  à  M.  Seveste,  et  faisait  ainsi  double  service  à  l'Opéra- 
National  et  à  la  salle  Favart;  Mme  Ugalde,  qui,  par  un  caprice 
inexplicable,  quitta  le  19  juin  la  salle  Favart,  pour  aller  jouer 
les  Trois  Sultanes  aux  Variétés,  mais  qui  revint  d'ailleurs 
l'année  suivante  au  bercail,  et  fit  dans  Galathée,  le  23  décem- 
bre 1854,  une  rentrée  triomphale;  Mlle  Wertheimber  enfin, 
qui,  par  la  nature  de  son  talent,  semblait  plus  propre  à  in- 
terpréter en  musique  le  drame  que  la  comédie,  mais  dont 
M.  Perrin  eut  quelque  peine  à  se  séparer.  En  effet,  il  l'avait 
engagée  pour  trois  ans,  à  raison  de  25,000  francs  pour  les 
deux  premières  années,  et  30,000  pour  la  troisième  ;  comme 
elle  rendait  des  services  moindres  que  ses  appointements,  le 
directeur  de  l'Opéra-Gomique  crut  faire  une  excellente  opé- 
ration en  la  repassant  à  son  collègue  de  l'Opéra,  lequel, 
moins  généreux,  ne  lui  allouait  que  12,000  francs.  Mais,  sin- 
gulièrement experte  en  affaires,  M»e  Wertheimber  ne  consen- 
tit à  résilier  qu'à  la  condition  que  la  différence  entre  les 
deux  chiffres  lui  serait  payée  jusqu'à  l'époque  où  expirait  son 
premier  contrat,  c'est-à-dire  en  mai  1855.  Donc,  quinze  mois 
de  traitement  sans  services,  voilà  ce  qu'il  en  coûta  à  la  caisse 
du  théâtre  pour  se  priver  d'une  bouche  inutile  ! 

En  revanche,  on  avait  conquis  un  ténor,  Puget,  et  une 
dugazon,  Mue  Zoé  Belliat  (dont  le  nom  s'orthographia  peu 
après  Bélia),  qui  débuta  le  3  janvier  dans  Madelon,  et  au  suc- 
ées de  laquelle  sa  beauté  fut  loin  de  nuire.  De  plus,  on 
pourrait  signaler  l'utile  rentrée  de  serviteurs  fort  appréciés, 
M1*  Lemercier,  le  2  février,  dans  Pétronille  dn  Sourd,  et  Mocker 
dans  la  Tonelli,  Bataille  et  MUe  Caroline  Duprez,  le  18  août, 
dans  Marco  Spada,  Hermann-Léon,  le  16  octobre,  dans  Roland 
des  Mousquetaires  de  la  Rêne;  sans  parler  de  Mme  Charton- 
Demeur,  qui,  de  passage  à  Paris,  vint  donner  quelquesr  epré- 
sentations,  reparut  dans  le  rôle  d'Angèle  du  Domino  noir  le 
1er  août,  puis  dans  celui  de  Virginie  du  Caïd,  et  ne  tarda  pas  à 
reprendre  sa  course  à  travers  le  monde,  car,  en  dépit  de  son 
nom,  Mme  Charton-Demeur  ne  demeurait  jamais  nulle  part. 

L'année  1854  devait  grossir  encore  ce  bataillon  de  quel- 
ques recrues  :  par  exemple,  Mue  Boulard  ou  Boulart,  élève 
de  Mme  Damoreau  pour  le  chant,  de  Moreau-Sainti  pour  l'ô- 
péra-comique,  et  qui,  dans  les  deux  classes,  avait  remporté  le 
premier  prix  aux  concours  de  l'année  précédente.  Le  6  janvier, 
elle  débuta  dans  les  Noces  de  Jeannette,  et  aveo  un  succès  qui 
lui  permit  de  conquérir  bientôt  une  place  fort  honorable. 
Plus  tard,  ayant  quitté  la  scène,  elle  tenait  encore  aux  choses 
du  théâtre  par  son  mari,  régisseur  général  de  l'Opéra,  et  par 
son  flls,  notre  spirituel  confrère  Ad.  Mayer  ;  elle  est  morte 
récemment,  emportant  l'estime  et  le  regret  de  tous  ceux  qui 
l'ont  connue.  Citons  encore  M"e  Larcéna,  qui  avait  passé  par 
le  Théâtre-Lyrique  et  les  Variétés,  et  qui  débuta  le  26  mars 
dans  le  rôle  de  Berthe  de  Simiane  des  Mousquetaires  de  la 
Reine;  enfin,  M1"  Amélie  Rey,  qui  avait  obtenu  en  1853  le  se- 
cond prix  d'opéra-comique  dans  la  classe  de  Morin,  au  Con- 
servatoire et  qui  débuta  le  19  août  dans  le  rôle  d'Anna  de  la 
Dame  blanche. 
En  somme,    la  troupe    était  au    grand  complet,    belle   et 


nombreuse,  le  jour  où  Meyerbeer  livra  sa  première  bataille  à 
l'Opéra-Comique,  le  16  février  1854,  date  célèbre  dans  les  fastes 
de  la  salle  Favart. 

(A  suivre.) 

SEMAINE   THEATRALE 


UNE  SOIRÉE  A  L'OPÉRA-COMIQOE 
—  Des  conséquences  qu'on  en  peut  tirer  — 
Quand  le  doux  M.  Paravey  veut  bien  s'y  mettre,  il  n'y  va  pas  par 
quatre  chemins.  Il  a  fort  bien  senti  qu'au  milieu  du  désarroi  où  se 
traîne  à  présent  1'  «  Académie  nationale  de  musique  »  et  qu'à  côté  du 
spectacle  lamentable  qu'elle  nous  donne,  il  avait  un  grand  coup  à 
frapper  pour  relever  du  moins  le  prestige  de  notre  seconde  scène 
lyrique  subventionnée  et  prouver  qu'on  faisait  encore  de  la  musique 
quelque  part  en  France.  Et  voilà  pourquoi  il  nous  a  convoqués  mer- 
credi dernier  à  l'audition  d'un  petit  acte,  pas  trop  méchant,  de 
MM.  Charles  Narrey  et  Michel  Carré  fils  pour  les  paroles,  et  de 
M.  Millet  pour  la  musique. 

Cela  s'appelle  Hilda,  et  je  ne  sais  pourquoi  ce  litre  me  remet  en 
mémoire  une  anecdote  qu'on  m'a  contée,  il  y  a  beaux  jours.  C'était  à 
l'époque  où  Ernest  Reyer  donnait  connaissance  de  sa  nouvelle  parti- 
lion  Sigurd  à  M.  Halanzier,  alors  directeur  de  l'Opéra.  Lecture  en 
était  faite  dans  ce  fameux  cabinet  que  devaient  si  fort  illustrer  plus 
tard  MM.  Ritt  et  G-ailhard.  M.  Halanzier,  qui  ne  se  piquait  pas  de 
belles-lettres  comme  M.  Ritt  ou  de  grand  savoir  artistique  comme 
M.  Gailhard,  parut  surtout  frappé  d'une  chose  dans  cette  lecture,  qu'il 
écouta  d'ailleurs  avec  résignation.  C'était  du  nom  d'une  des  héroïnes 
de  l'œuvre.  Hilda  !  Cela  lui  semblait  peu  euphonique.  Cet,  h  très 
aspiré  ne  lui  revenait  pas.  Il  le  fit  observer  timidement,  en  conseil- 
lant plutôt  le  nom  de  Bilda,  qui  avait,  selon  lui,  de  la  grâce  et  de 
l'harmonie.  Ernest  Reyer  en  prit-il  de  l'ombrage?  Toujours  est-il 
qu'il  regarda  un  peu  de  travers  le  directeur  en  remportant  son  ma- 
nuscrit; puis,  se  retournant  sur  le  pas  de  la  porte  :  «  Ah  !  ç.à,  est-ce 
que  je  vous  appelle  Balanzier,  moi!  » 

Il  faut  croire  que  M.  Paravey  n'a  pas  trouvé  la  même  objection 
à  faire  aux  auteurs  de  Y  Hilda  qu'il  vient  de  nous  servir.  Car  c'est 
bien  le  nom  qui  flamboie  sur  l'affiche. 

Hilda,  c'est  le  nom  d'une  cabaretière  de  Bergen,  en  Norwège,  qui 
attend  son  fiancé,  lequel,  étant  pêcheur  de  son  état,  court  les  mers 
au  loin  à  la  recherche  d'une  morue  complaisante.  Que  fera-t-elle  à 
son  arrivée,  pour  bien  éprouver  son  amour  ?  Elle  simulera  la  mort, 
—  vous  voyez  qu'on  est  gai  en  Norwège.  Mais  lui,  qui  est  un  malin, 
ne  s'y  laisse  pas  prendre  et,  pour  compléter  la  farce,  il  simule  la 
folie.  Elle,  voyant  bien  qu'il  simule,  simule  à  son  tour  d'en  aimer 
un  autre.  Alors,  lui,  simulant  d'en  être  au  désespoir,  simule  d'aller  - 
se  pendre,  et  de  simulation  en  simulation,  on  arrive  tout  doucement 
au  dénouement  qui  paraît  être,  pour  de  bon  cette  fois,  une  réconci- 
liation générale. 

C'est  là  ce  que  nos  pères  appelaient  une  bluette,  un  petit  prétexte 
à  chansons,  qui  n'a  qu'un  tort,  celui  de  ne  pouvoir  inspirer  à  un  mu- 
sicien qu'un  simulant  de  musique.  M.  Millet  n'y  a  pas  manqué.  Mais 
il  n'y  a  lien  qui  doive  le  décourager  dans  cet  essai  infructueux.  Il 
fera  mieux  sans  doute  quand  on  lui  donnera  uDe  meilleure  occasion 
de  déployer  ses  talents.  Ce  jeune  homme  nous  paraît  avoir  de  la 
facilité  et,  déjà  un  certain  faire,  et  quand  son  professeur,  qui  n'est 
autre  que  M.  Massenet,  aura  su  lui  communiquer  un  peu  de  la 
sincérité  de  son  talent,  il  n'est  pas  dit  qu'il  ne  puisse  un  jour  com- 
poser des  Esctarmonde  tout  comme  un  autre. 

Il  faut  être  juste,  il  n'y  avait  pas  que  cela  dans  la  soirée  de  mer- 
credi à  l'Opéra-Gomique.  Oh!  non.  M.  Paravey  lui-même  ne  se  fût 
pas  contenté  de  la  frugalité  d'un  pareil  programme.  Non  ;  nous  avons 
eu  encore  une  représentation  des  Dragons  de  Villars,  l'œuvre  popu- 
laire d'Aimé  Maillart,  qui  conserve  encore  les  grâces  aimables  de 
ces  anciennes  douairières  qu'on  trouvait  au  siècle  dernier.  Ml,  de  plus, 
elle  servait  de  début  à  un  jeune  ténor,  qui  fut  l'un  des  derniers  lau- 
réats du  Conservatoire.  Commb  tous  les  élèves  de  M.  Bax,  M.  Car- 
bonne.  —  c'est  le  nom  du  débutant  --  a  du  slyle  et  de  la  ligne 
musicale.  Malheureusement,  ses  moyens  ne  sont  pas  puissants.  On 
pourra  l'employer  utilement  dans  les  rôles  amoureux  d'une  chaleur 
contenue,  ce  que  l'ex-ténor  Michot  appelait  les  rôles  d'  «  amoureux 
flegmatique  »  (1). 

(1)  Aux  premières  répétitions  de  llomt'o  et  Juliette,  lors  de  la  création  de  cet  ou- 
vrage à  l'ancien  Théâtre-Lyrique  de  M.  Carvalho  le  ténor  Michot  se  désolait  de  ne 


LE  MENESTREL 


19 


Dans  son  ensemble,  la  représentation  des  Dragons  de  Villars  a 
d'ailleurs  été  des  pins  convenables.  Fugère  et  Barnolt  y  sont  d'un 
comique  excellent,  et  il"''  Nardi  y  fait  montre  de  grandes  qualités. 
Sa  voix  est  charmante,  bien  pleine  et  bien  pâteuse  ;  il  ne  lui  manque 
qu'un  peu  de  souplesse.  C'est  l'affaire  d'un  travail  intelligent  pour 
l'artiste  si  elle  veut  s'en  rendre  complètement  maîtresse. 

....  Et  ce  spectacle  enchanteur  nous  conduisit  jusqu'à  près  d'une 
heure  du  matin  !  Saturé  de  jouissances  artistiques  aussi  vives,  nous 
reprenions  le  chemin  du  logis,  tout  entier  livré  à  no3  réflexions. 
Et  je  ne  sais  pourquoi  il  nous  vint  à  l'idée  que  décidément  le  principe 
des  subventions  fixes  ne  pouvait  nullement  favoriser  l'épanouisse- 
ment de  l'art  musical.  Il  est  évident  que  des  soirées  comme  celle 
que  nous  venions  de  supporter  D'ont  aucune  espèce  de  droit  à  un 
encouragement  de  la  part  de  l'Etat.  Il  est  clair  aussi  que  les 
1,600,000  francs  de  secours  donnés  à  MM.  Ritt  et  G-ailhard  pour  les 
années  1888  et  1889,  pendant  lesquelles  ils  n'ont  produit  de  nou- 
veau qu'un  ballet  en  trois  actes,  n'ont  pas  davantage  de  raison,  si 
ce  n'est  celle  d'enrichir  bénévolement  des  directeurs  peu  scrupuleux, 
et  cela  à  un  moment  d'Exposition  où  toutes  les  recettes  grossissent 
comme  par  enchantement  et  sont  une  subvention  toute  naturelle. 
Non.  décidément,  ce  n'est  pas  là  le  bon  système. 

Quand  les  députés  ont  voté  un  budget  spécial  de  douze  cent  mille 
francs  pour  la  musique,  ils  croient  avoir  rempli  tout  leur  devoir 
envers  elle,  et  la  laissent  se  débrouiller  comme  elle  peut.  Eh  !  bien,  ce 
n'est  pas  suffisant.  Il  faudrait  encore  s'inquiéter  de  l'usage  qu'on  fait 
de  tout  cet  argent,  qui  est  le  nôtre,  et  savoir  si  ces  douze  cent  mille  francs 
servent  un  progrès  artistique  quelconque.  Il  n'y  a  pas  de  cahier  des 
charges  qui  ne  prête  à  mille  interprétations  diverses.  Quand  vous 
énoncez  gravement,  dans  celui  de  l'Opéra,  «  qu'il  devra  être  dirigé 
avec  la  dignité  et  l'éclat  qui  conviennent  au  premier  théâtre  lyrique 
national  »,  pouvez-vous  dire  où  devra  s'arrêter  au  juste  la  dignité  de 
M.  Ritt  et  l'éclat  de  M.  Gailhard  ?  Tout  cela,  ce  sont  des  mots  qui 
n'ont  pas  de  sanction,  et  chaque  fois  que  vous  mettrez  des  spécu- 
lateurs en  face  d'une  forte  somme,  ils  chercheront  seulement  le 
moyen  de  s'en  approprier  la  plus  grosse  part.  Ils  discuteront  l'af- 
faire par  doit  et  avoir,  sans  s'occuper  le  moins  du  monde  de  son 
importance  artistique;  rognant  par-ci,  rognant  par-là  sur  la  dignité 
et  l'éclat  de  l'institution,  ils  n'auront  qu'un  but,  celui  de  tout  bon 
commerçant,  d'équilibrer  les  dépenses  avec  les  recettes  en  s'assu- 
rant  un  bénéfice  suffisamment  lémunérateur  pour  eux-mêmes  :  «  La 
subvention  produit  tant,  l'abonnement  donne  tant,  les  recettes  quo- 
tidiennes doivent  donner  tant  au  dernier  minimum,  c'est  à  nous  à 
nous  arranger  pour  que  nos  dépenses  restent  toujours  au-dessous 
de  ce  produit  assuré.  »  Croyez-vous  que  l'art  puisse  trouver  son 
compte  à  ces  calculs?  Ce  serait  une  illusion  de  le  croire. 

Tout  en  réservant  avec  soin  au  budget  des  Beaux-Arts  la  somme 
spécialement  affectée  à  la  musique,  ne  serait-il  pas  plus  profitable 
de  supprimer  purement  et  simplement  toutes  les  subventions  fixes 
et  de  dire  aux  directeurs:  «  En  principe,  vous  êtes  seuls  et  nous  ne 
vous  soutenons  plus.  A  vous  de  vivre  comme  vous  pourrez  et  de 
trouver  des  spectacles  de  nature  à  attirer  le  public.  Pour  nous,  nous 
nous  réservons  de  récompenser  et  d'encourager  chacun  selon  ses  mé- 
rites et  ses  efforts.  Nous  avons  là  douze  cent  mille  francs  que  nous 
répartirons  entre  les  diverses  entreprises  musicales,  aussi  bien  au 
théâtre  qu'ailleurs,  qui  auront  réellement  servi  l'art  et  lui  auront 
fait  faire  un  progrès.  »  Quand  M.  Paravey  aura  monté  le  Roi  d'Ys. 
il  aura  droit  à  la  forle  somme;  il  l'aura  encore  pour  Esclarmonde, 
bien  que  l'œuvre  soit  discutable.  On  ne  mesurera  pas  les  efforts  à 
leur  réussite,  mais  seulement  à  leur  grandeur  et  à  leur  sincérité. 

A  ce  compte-là,  me  direz-vous,  les  directeurs  seront  peu  faciles  à 
trouver.  Sans  doute,  on  ne  verrait  plus  les  Ritt  et  les  Gailhard  se 
mettre  sur  les  rangs  pour  diriger  nos  grandes  scènes  lyriques.  Je  l'es- 
père bien.  11  y  faudrait  des  gens  de  grande  foi  et  de  grand  courage. 
Soyez  persuadé  que  là  seulement  est  le  salut  pour  la  musique. 
Croyez-vous  que  nous  aurions  eu  jamais  les  belles  soirées  artistiques 
de  l'ancien  Théàtre-Lyique  Carvalho,  si  son  directeur  n'avait  pas  dû 
pour  vivre  eue  constamment  sur  la  brèche  et  en  quèle  de  sensations 
nouvelles  pour  le  public? 

Voilà  à  quoi  nous  songions  l'autre  nuit,  en  quillant  l'aimable  do- 
micile oii  le  doux  M.  Paravey  venait  do  nous  abreuver  de  musique 
suave  et  lénitive. 

H.  Moreno. 


pas  découvrir  le  véritable  caractère  du  héros  de  Shakespeare.  Enfin  il  s'approcha 
un  jour  de  M.  Gounod  et  lui  dit  tout  rayonnant  :  «  Enfin,  je  sais  à  présent  ce 
cm'CBt  au  juste  Roméo;  c'est  un  amoureux  tlegmatique.  » 


Palais-Royal.  —  Les  Moulinard,  comédie-vaudeville  en  trois  actes, 
de  MM.  Ordonneau.  Valabrègue  et  Kéroul. 

Un  théâtre  à  qui  le  succès  remporté  par  les  Moulinard  au  Palais- 
Royal  doit  être  tout  particulièrement  désagréable,  c'est  assurément 
le  Vaudeville,  qui  se  vit.  de  par  le.  caprice  d'un  de  ses  comédiens, 
M.  Jolly,  obligé  de  rendre  à  leurs  auteurs  ces  trois  actes  qu'il  ré- 
pétait sous  le  titre  de  la  Coquille.  De  son  côté,  M.  Jolly  lui-même 
ne  doit  pas  être  beaucoup  moins  penaud  eu  voyant  quel  parti  excel- 
lent M.  Dailly  a  su  tirer  d'un  rôle  qu'il  jugeait  mauvais  et  indigne 
de  son  talent.  Et  voilà  comment  l'erreur  des  uns  profite  au  bonheur 
des  autres  :  et  voilà  pourquoi  le  théâtre  de  la  rue  Montpensier  est 
certain  de  n'avoir  point  à  renouveler  son  affiche  d'ici  quelque  temps, 
tandis  que  le  théâtre  de  la  Chaussée-d'Antin  en  est  réduit  à  faire 
des  reprises  successives  d'un  intérêt  douteux. 

Moulinard,  qui  s'est  enrichi  dans  la  moutarde,  ce  dont  il  est  con- 
fus, est  le  type  du  bourgeois  infatué  de  sa  supériorité,  naïf  et  pré- 
tentieux, mais  bon  garçon;  un  des  types  qu'affectionnait  Labiche. 
Il  a  une  fille  à  marier  et  il  l'a  promise  à  Bodard,  à  la  condition  que 
ce  dernier  soit  nommé  sous-préfet.  Une  coquille  du  journal  le  Temps 
attribue  au  jeune  Bodard  la  sous-préfecture  des  Réglisottes  au 
lieu  et  place  de  Godard,  le  vrai  titulaire.  Comme  Bodard  est  amou- 
reux de  la  jeune  fille,  il  se  garde  de  dissuader  son  futur  beau-père 
et  voilà  toute  la  famille  partie.  Arrivés  à  destination,  ils  descendent 
à  I'  «  Hôtel  de  la  Sous-préfecture  »,  etMoulinard,  se  croyant  à  la  sous- 
préfecture  même,  relègue  son  gendre  au  second  plan,  met  tout  sens 
dessus  dessous,  se  laisse  nommer  M.  le  sous-préfet,  reçoit  la  fanfare 
et  flanque  à  la  porte  les  habitués  de  l'hôtel  qui  viennent  le  déran- 
ger. Mais  l'erreur  de  lien  finit  par  se  découvrir,  et  tonte  la  famille 
prend  le  chemin,  cette  fois,  de  la  vraie  sous-préfecture,  où,  fata- 
lement encore,  on  tombe  sur  le  vrai  fonctionnaire.  Bien  entendu,  tout 
s'arrange  :  Godard,  écœuré  du  trou  où  on  l'a  envoyé,  demande  son 
changement,  et  c'est  Bodard  qui  le  remplace. 

Tout  cela  est  absolument  énorme  d'illogisme  et  d'irréalité  ;  mais 
les  auteurs  y  ont  dépensé  tant  de  verve  endiablée  et  de  belle  humeur, 
qu'on  s'y  amuse  1res  réellement  et  aussi  1res  agréablement.  M.  Dailly 
a  rendu  le  personnage  de  l'encombrant  Moulinard  avec  un  entrain 
jovial  et  une  bonne  bêtise  exubérante  qui  le  mettent  hors  de  pair. 
Les  autres  rôles'  demeurent  un  peu  effacés,  mais  il  n'en  faut  pas 
moins  complimenter  M"es  Mathilde  et  Berny,  MM.  Galipaux,  Calvin, 
Pellerin  et  Luguet,  qui  traversent  gaiment  ces  trois  actes  très  amu- 
sants et  aussi  essentiellement  honnêtes. 

Paul-Emile  Chevalier. 


LE  THÉÂTRE  A  L'EXPOSITION  UNIVERSELLE  DE  1889 

(Suite) 


VIII 


ESTAMPES.    DESSINS    ET   PORTRAITS 


lin  assez  grand  nombre  d'estampes  et  de  gravures  diverses  ont 
figuré  dans  l'exposition  théâtrale  du  Champ  de  Mars,  les  unes  pré- 
sentant un  intérêt  assez  vif,  les  autres  —  le  plus  grand  nombre  — 
n'offrant  qu'une  mince  valeur,  et  placées  là  tout  simplement  parce 
qu'au  dernier  moment  on  s'est  prouvé  avoir,  dans  la  galerie  supé- 
rieure du  palais,  auprès  de  l'histoire  de  l'aérostation,  un  assez  grand 
espace  vide  qu'il  a  fallu  remplir  tellement  quellement.  De  là,  toute 
celte  série  de  portraits  et  d'estampes  un  peu  banales,  que  le  public 
superficiel  et  peu  instruit  regardait  néanmoins,  mais  qui  n'avaient 
rien  à  apprendre  à  ceux  qui  sont  peu  ou  prou  au  fait  de  l'histoire 
du  théâtre. 

Atout  seigneur,  tout  honneur!  Commençons  par  une  pièce  rare, 
unique,  extrêmement  curieuse,  celle-là,  et  telle  qu'on  en  aurait 
bien  voulu  contempler  quelques  antres  de  son  espèce.  Il  s'agit  ici, 
non  d'uue  estampe,  mais  d'un  dessin,  d'une  gouache,  dont  la  valeur 
en  tant  qu'oeuvre  d'art  proprement  dite  est  modeste  sans  doute,  mais 
qui,  restée  absolument  inconnue  jusqu'à  ce  jour,  constitue  un  do- 
cument de  la  plus  haute  importance  pour  l'histoire  de  notre  ancien 
théâtre.  Cette  gouache,  dont  l'heureux  propriétaire  est  M.  Gillet  de 
Grammonl,  nous  représente  l'ancien  théâtre  de  l'Hôtel  de  Bourgogne, 
fondé  par  les  confrères  de  la  Passion  et  qui  fut  le  berceau  de  nos 
premiers  acteurs,  et  l'expulsion,  on  1697,  des  Comédiens-Italiens, 
qui  occupaient  ce  théâtre.  Ceci  demande  une  courte  explication. 

On  sait  que  les  Comédiens-Italiens,  qui  depuis  1570  avaient  pé- 
nétré chez  nous  et  s'y  étaient  établis  d'une  façon  plus  ou  moins 
permanente,  avaient,  à  partir  de  l'installation   de   Molière  et  de  sa 


20 


LE  MENESTREL 


troupe  au  Palais-Royal,  dans  la  salle  élevée  par  les  soins  de  Riche- 
lieu, partagé  cette  salle  avec  lui  jusqu'à  sa  mort  (eus  jouant  trois 
fois  par  semaine,  lui  quatre),  et,  en  1680,  s'élaient  définitivement 
fixés  dans  celle  de  l'Hôtel  de  Bourgogne,  qui  avait  été  l'asile  de  nos 
premiers  véritables  comédiens  français  et  qui  avait  retenti  des  beaux 
vers  de  Corneille  et  de  Racine.  Abandonnant  alors  peu  à  peu  leur 
répertoire  original,  c'est-à-dire  les  pièces  italiennes,  et  se  transfor- 
mant eux-mêmes  pour  plaire  davantage  au  public,  ils  en  étaient 
venus,  non  sans  de  fréquentes  et  1res  vives  contestations  avec  les 
successeurs  de  Molière,  à  ne  plus  jouer  guère  que  des  pièces  fran- 
çaises, dont  la  plupart  étaient  écrites  par  quelques-uns  d'entre  eux. 
Confiants  dans  la  bienveillance  du  roi,  qui  ne  leur  avait  jamais  fait 
défaut,  et  qui  leur  valait  une  pension  annuelle  de  15,000  livres,  ils 
prenaient  de  grandes  privautés  et  se  croyaient  tout  permis,  jusqu'au 
jour,  où,  au  dire  de  Saint-Simon,  une  insigne  effronterie  de  leur 
part  provoqua  un  ordre  souverain  qui  venait  tout  à  coup,  en  1697, 
les  expulser  non  seulement  de  Paris,  mais  de  toute  la  France.  S'il 
faut  en  croire,  en  effet,  le  noble  chroniqueur,  ces  comédiens  auda- 
cieux s'étaient  avisés  «  de  jouer  une  pièce  qui  s'appelait  la  Fausse 
Prude,  où  Mrae  de  Maintenon  fut  aisément  reconnue.  Tout  le  monde 
y  courut  ;  mais  après  trois  ou  quatre  représentations  qu'ils  donnè- 
rent de  suite  parce  que  le  gain  les  y  engagea,  ils  eurent  ordre  de 
fermer  leur  théâtre  et  de  vider  le  royaume  en  un  mois.  Cela  fit 
grand  bruit,  et  si  ces  comédiens  y  perdirent  leur  établissement  par 
leur  hardiesse  et  leur  folie,  celle  qui  les  fit  chasser  n'y  gagoa  pas 
par  la  licence  avec  laquelle  ce  ridicule  événement  douna  lieu  d'en 
parler.  »  Ce  qui  est  vrai,  et  ce  qu'on  sait  de  certain,  c'est  que  le 
malin  du  4  mai  1697,  M.  d'Argenson,  en  sa  qualité  de  lieutenant  de 
police  et  en  vertu  d'une  lettre  de  cachet  du  roi,  procéda  à  l'expul- 
sion des  Comédiens-Italiens  de  l'Hôtel  de  Bourgogne,  où  ils  ne 
revinrent  que  dix-neuf  ans  plus  tard,  en  1716,  par  suite  d'une  per- 
mission du  Régent. 

C'est  cette  scène  même  de  l'expulsion  des  fameux  comédiens,  qui 
fil  tant  de  bruit  et  dont  le  retentissement  fut  si  grand  dans  Paris  il 
y  a  près  de  deux  siècles,  qu'offre  à  nos  yeux  le  dessin  si  curieux 
et,  je  le  répète,  inconnu  jusqu'à  ce  jour,  exposé  au  Champ  de  Mars 
par  M.  Gilletde  Grammonl.  Aimable  et  naïf  au  point  de  vue  de 
l'exécution,  avec  un  sentiment  franchement  comique  et  un  caractère 
évident  de  vérité,  il  est  d'autant  plus  précieux  que  c'est  presque  le 
seul  document  de  ee  genre  que  nous  possédions  en  ce  qui  touche 
l'événement  qu'il  reproduit.  Il  offre  d'ailleurs,  je  le  répète,  sous  le 
rapport  des  détails  de  toute  sorte,  un  rare  caractère  d'exactitude, 
d'après  ce  qu'on  sait,  en  se  référant  aux  anciens  plans  de  Paris,  de 
la  situation  de  l'ancienne  halle  aux  cuirs,  où  ss  trouvait  la  salle 
de  l'Hôtel  de  Bourgogne.  A  ces  divers  titres,  tous  ceux  —  et 
ils  sont  nombreux  —  qu'intéresse  vivement  l'histoire  du  théâtre  en 
France,  seraient  heureux  de  le  voir  reproduire,  afin  qu'un  tel  docu- 
ment ne  restât  pas  à  jamais  ignoré  dans  l'ombre  d'une  collection 
particulière.  En  tous  cas,  il  n'est  pas  inutile  de  le  décrire  au  moins 
d'une  façon  sommaire,  et  c'est  à  quoi  je  vais  m'essayer. 

En  bas  et  au  milieu  du  dessin,  lin  cartouche  porte,  en  lettres  d'or 
sur  fond  bleu,  l'inscription  suivante,  qui  en  fait  connaître  le  sujet  : 
•  La  déroute  burlesque  des 
Comédiens  Italiens  chassé  de  Parit 
en  4697. 

tandis  qu'au  fond,  sur  la  façade  du  théâtre,  ou  lit  cette  autre  ins- 
cription en  forme  d'enseigne  : 

La  seule  troupe  des  Comédiens  Italiens 
entretenu  par  Sa  Majesté  en  leur  Hôtel  de 
Bourgogne  (1). 
Des  sentinelles  placées  près  de  l'Hôtel,  et  avec  elles  des  officiers 
de  police  venus  dans  leur  carrosse,  qui  les  attend  à  quelques 
pas,  gardent  les  portes,  pour  en  interdire  l'entrée.  Les  comédiens, 
revêtus  de  leurs  costumes  traditionnels  (Pantalon,  Mezzetin,  Gilles, 
Colombine,  Isabelle,  Polichinelle),  parcourent  la  place  en  se  lamen- 
tant, suivis  de  comparses  et  d'employés  qui  emportent  divers 
objets,  dont  l'un,  un  grand  écrileau  fixé  au  bout  d'une  perche  avec 
la  fameuse  devise  latine  :  Castigat  ridendo  mores,  que  le  poète  San- 
teul  avait  imaginée  jadis  pour  les  Comédiens-Italiens  à  la  requête 
du  plus  fameux  d'entre  eux,  le  célèbre  Arlequin  Dominique  (Bianco- 
lelli).  Pendant  ce  temps  de  nombreux  ouvriers  procèdent  au  démé- 
nagement, et  l'on  voit,  sur  le  côté,  une  voiture  qui  s'éloigne, 
chargée  surtout  d'instruments  de  musique.  Aux   premiers   plans,  à 

(1)  On  remarquera,  dans  ces  inscriptions,  deux  incorrections  que  j'ai 
respectées  scrupuleusement. 


droite,  sur  le  mur  d'une  maison  dont  on  voit  les  trois  quarts,  une 
affiche  est  placardée  qui  porte  ces  mots  : 

Vente  des  meubles 

et  dé,orat>'ons 

et  habits  de  la 

Comédie. 

Et  enfin,  auprès  de  cette  maison  et  de  cette  affiche,  sur  le  bas  de 
la  place,  un  huissier  en  robe,  debout  devant  une  table  sur  laquelle, 
à  côté  de  plusieurs  sacs  d'écus,  sont  jetés  différents  costumes  de 
théâtre,  procède  à  la  vente,  aidé  d'un  greffier  qui  se  trouve  à  ses 
côtés.  Plusieuis  personnes  sont  là,  paraissant  s'intéresser  plus  ou 
moins  à  cette  vente,  et  l'on  voit  s'éloigner  une  femme,  les  bras 
chargés  d'un  certain  nombre  d'habits  que  sans  doute  elle  vient 
d'acheter. 

Telle  est  celte  pièce  unique,  véritablement  curieuse  à  tous  les 
titres,  qui  est  à  la  fois  une  date  et  un  inappréciable  document,  et 
dont  il  est  regrettable  que  l'on  ne  puisse  connaître  l'auteur.  Ce  qui 
est  plus  regrettable  et  plus  fâcheux  encore,  c'est  que  son  heureux 
possesseur  n'ait  pas  la  bonne  pensée  de  la  faire  reproduire  par  un 
des  nombreux  procédés  dont  l'usage  est  aujourd'hui  si  prompt  et  si 
facile,  ce  qui  n'enlèverait  rien  à  la  valeur  de  l'original,  mais  ren- 
drait un  signalé  service  à  notre  histoire  artistique  en  donnant  à  ce 
petit  monument  une  expansion  très  désiiable  (1). 

(A  suivre.)  Arthur  Poi;gin. 


LA  RECONSTRUCTION  DE  L'OPÉRA-COMIQDE 


La  question  de  la  reconstruction  de  l'Opéra-Contique  serait-elle  enfin 
sur  le  point  de  recevoir  une  solution  ?  Sans  se  bercer  de  trop  d'illusions, 
à  voir  ce  qui  se  passe  on  serait  tenté  de  le  croire.  Constatons  d'abord  que 
grâce  aux  énergiques  réclamations  des  habitants  du  quartier,  l'horrible 
baraque  qu'on  avait  eu  la  cruauté  de  laisser  s'installer  sur  les  décombres 
de  la  6alle  Favart  va  disparaître  rapidement.  Voici,  en  effet,  la  lettre  que 
M.  Poujade,  concessionnaire  des  «  Grands  Concerts  Favart,  »a  reçue  du 
ministre  à  ce  sujet: 

Monsieur, 
Pour  faire  suite  à  ma  lettre  du  8  janvier  dernier,  j'ai  l'honneur  de  vous'faire 
savoir  qu'après  un  nouvel  examen  de  l'affaire  je  maintiens  définitivement  ma  dé- 
cision relative  à  la  fermeture  de  la  salle  des  Concerts  Favart  :  la  concession 
qui  vous  a  été  consentie  par  le  traité  du  25  mai  1889  vous  est,  en  conséquence, 
retirée. 

En  vous  accordant,  le  7  novembre  dernier,  une  prolongation  de  concession, 
j'avais  expressément  stipulé  qu'à  première  réquisition  vous  devriez  «remettre  les 
lieux  en  leur  état  primitif,  »  conformément  à  l'article  de  votre  traité  qui  vous  donne 
un  délai  d'un  mois  à  cet  effet. 

Je  vous  invite,  monsieur,  à  prendre   immédiatement  les   mesures  nécessaires 
pour  vous  conformer  à  cette  prescription. 
Recevez,  etc. 

Le  ministre  de  l'instruction  publique 

et  des  beaux-arts, 

Fallièbes. 

Voici  donc  un  premier  point  acquis,  et  non  le  moins  important.  Le 
ministre,  en  effet,  voulait  une  situation  nette,  au  moment  où  il  se  pré- 
parait à  saisir  les  Chambres  du  projet,  depuis  si  longtemps  attendu,  re- 
latif à  la  reconstruction  de  l'Opéra-Comique.  Ce  projet  est  tout  prêt, 
paraît-il,  au  double  point  de  vue  artistique  et  financier.  Il  renonce  mal- 
heureusement, en  raison  de  la  dépense,  à  transporter  sur  le  boulevard 
la  façade  de  la  nouvelle  salle,  et  laisse,  comme  jadis,  l'entrée  publique 
sur  la  place  Boieldieu.  C'est  une  erreur  et  une  maladresse  ;  car,  avec  la 

(1)  Certains  amateurs  pensent  que  cette  gouache  peut  être  attribuée  à 
un  artiste  nommé  Baron,  dont  la  ville  de  Paris  possède  plusieurs  autres 
dessins,  et  qui  avait  eu  l'heureuse  idée  de  peindre  sur  vélin,  pour  des 
éventails,  différentes  vues  du  Paris  de  son  temps.  Watteau.  lui  aussi,  avait 
représenté,  sur  une  estampe  aussi  rarissime,  cette  scène  si  piquante  de 
l'expulsion  des  Comédiens-Italiens,  qui  fit  si  grand  bruit  en  son  temps. 
Mais  si,  il  est  à  peine  besoin  de  le  dire,  son  dessin  est  incomparablement 
supérieur  à  celui  que  je  viens  de  décrire,  il  est  moins  intéressant  sous 
un  autre  rapport,  en  ce  sens  que  "Watteau,  cherchant  surtout  à  produire 
une  scène  animée,  n'a  donné  à  l'architecture  qu'une  importance  à  pou 
près  nulle  et  ne  nous  fait  pour  ainsi  dire  rien  connaître  du  bâtiment  de 
l'Hôtel  de  Bourgogne.  D'ailleurs,  Watteau,  né  en  1681  et  âgé  seulement 
de  treize  ans  lors  du  départ  des  Comédiens-Italiens,  n'a  certainement  l'ait 
cela  que  plus  tard  et  a  traité  son  sujet  de  chic,  comme  nous  dirions  au- 
jourd'hui. Son  estampe  étant  devenue  pourtant  en  quelque  sorte  introu- 
vable et  constituant,  elle  aussi,  un  document  précieux,  je  l'ai  reproduite 
dans  mon  Dictionnaire  du  Théâtre  d'après  le  superbe  exemplaire  qu'en  pos- 
sède la  Bibliothèque  de  la  ville  de  Paris,  où  elle  m'avait  été  obligeam- 
ment signalée  et  communiquée  par  M.  Jules  Cousin.  C'est  le  seul  ouvrage 
dans  lequel  on  la  puisse  rencontrer. 


LE  MENESTREL 


2d 


vue  du  théâtre  sur  le  boulevard,  son  activité,  son  mouvement,  ses  lu- 
mières, on  eût  pu  l'aire  de  ce  point  de  Paris  une  chose  originale  et  char- 
mante. Passons. 

Le  projet  porte  donc  façade  sur  la  place,  avec  trois  escaliers  de  chaque 
côté  et  un  grand  escalier  d'honneur  donnant  sur  l'entrée.  Le  mur  qui  sé- 
parait l'ancien  Opéra-Comique  des  maisons  voisines  et  qui  a  fait  ses 
preuves  de  solidité,  sera  maintenu;  cependant  un  second  mur  sera  cons- 
truit et  de  longs  couloirs,  établis  à  chaque  étage,  circuleront  entr_-  ces 
deux  murs.  On  perdra  de  ce  fait,  pour  assurer  la  sécurité  de  la  scène,  un 
mètre  et  demi  environ,  que  l'on  regagnera  amplement  sur  la  place  Boiel- 
dieu. 

La  façade,  en  effet,  gagne  sept  mètres  sur  la  place,  de  la  façon  suivante  : 
la  marquise  de  l'ancien  Opéra-Comique  est  supprimée  dans  le  projet  ac- 
tuel. On  sait  que  cette  marquise,  qui  avançait  juste  de  sept  mètres,  ne 
couvrait  qu'une  partie  de  la  façade  et  montait  jusqu'au  premier  étage.  Elle 
sera  remplacée  par  un  auvent  qui  sera  construit  au  faite  du  monument, 
sur  toute  la  longueur  occupée  par  le  fronton.  De  cette  façon,  il  ne  sera 
nullement  nécessaire  d'empiéter  sur  la  place  pour  obtenir  un  léger  agran- 
dissement. Enfin,  on  n'a  pas  suivi  les  errements  de  l'ancienne  construc- 
tion, et  les  escaliers  continueront  jusqu'en  haut.  Seule,  la  salle,  qui  était 
un  véritable  bijou,  sera  identiquement  reconstruite. 

Le  nouveau  projet  se  termine  par  l'assurance  qu'on  apportera  à  l'édifi- 
cation du  monument  et  à  son  installation  intérieure  toute  la  sécurité  qu'on 
est  en  droit  d'attendre  de  la  prudence  humaine. 

Si  ce  projet  est  voté  par  la  Chambre  avant  la  fin  de  janvier,  et  accepté 
par  le  Sénat,  les  travaux  pourront  commencer  dès  le  lor  avril.  Il  faut  tenir 
compte  dans  ce  délai  du  temps  nécessaire  à  la  préparation  et  à  l'exécution 
des  adjudications.  Le  théâtre  sera  monté  et  couveit  pour  le  commence- 
ment de  l'hiver,  et  l'on  pourrait  s'occuper,  l'été  suivant,  des  travaux  inté- 
rieurs. L'architecte,  M.  Crépinet,  demande  vingt  mois  pour  mener  à  bien 
son  entreprise  et  promet  de  livrer  le  théâtre  pour  le  mois  de  décembre  1891. 

Quant  à  la  dépense,  le  projet  l'évalue  à  trois  millions  800,000  francs, 
soit  quatre  millions  en  chiffres  ronds,  et  quant  aux  voies  et  moyens, 
voici  comment  le  ministre  procéderait:  une  première  annuité  de400,000fr., 
destinée  à  commencer  les  travaux,  serait  demandée  par  lui  pour  1890.  Il 
fait  observer  que  les  compagnies  d'assurances  ont  déjà  payé  un  million, 
qui  viendra  en  défalcation  de  la  dépense,  et,  d'autre  part,  que  l'État  n'aurait 
plus  à  payer  une  somme  de  80,000  francs  pour  le  loyer  de  la  salle  du  Chà- 
telet.  Cette  annuité  de  80,000  francs  permettrait,  si  on  le  voulait,  de  gager 
un  emprunt  de  deux  millions  fournissant,  avec  la  somme  payée  par  les 
compagnies  d'assurances,  la  presque  totalité  du  capital  nécessaire  à  la 
reconstruction. 

On  voit  que  tout  est  prêt,  et  il  est  certain  que  M.  Fallières  va  présenter 
i  mmédiatement  son  projet  à  la  Chambre.  L'espoir  nous  est  donc  permis, 
et  peut-être  pouvons-nous  croire  que  l'Etat  offrira  aux  Parisiens,  pour 
leurs  étrennes  de  1892,  un  Opéra-Comique  tout  battant  neuf  et  digne  de 
retrouver  leur  ancienne  affection, 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


La  Société  des  concerts  nous  offrait,  à  sa  dernière  séance,  la  pre- 
mière audition  d'une  symphonie  de  M.  Johanne^  Brahms,  la  quatrième, 
en  mi  mineur,  qui  n'a  pas  produit,  il  faut  le  dire,  tout  l'effet  que  peut- 
■être  on  en  attendait.  M.  Brahms  est  assurément  l'un  des  premiers  artistes 
de  l'Allemagne  contemporaine,  je  serais  tenté  de  dire  :  le  premier,  et 
l'on  sait  ce  que  Schumann  écrivait  de  lui,  dès  185.3,  à  son  ami  Maurice 
.Strakergan  :  «  ...  Nous  avons  en  ce  moment,  à  Dusseldorf,  un  jeune 
homme  de  Hambourg,  nommé  Johannes  Brahms,  d'un  talent  si  puissant 
et  si  original,  qu'il  me  semble  dépasser  de  beaucoup  tous  les  jeunes 
artistes  de  ce  temps-ci.  Ses  œuvres  si  remarquables,  particulièrement  ses 
mélodies,  ne  tarderont  pas  sans  doute  à  parvenir  jusqu'à  vous...  » 
Schumann  complétait  plus  tard  sa  pensée  en  qualifiant  de  «  garçon  de 
génie  »  le  jeune  artiste  dont  il  avait  fait  son  élève.  Génie  est  peut-être 
heaucoup  dire.  Je  n'ignore  pas  qu'en  Allemagne,  où  on  exalte  volontiers 
le  talent  des  nationaux,  ne  fut-ce  que  pour  essayer  de  rabaisser  celui  des 
étrangers.  M.  Brahms  est  devenu,  pour  quelques-uns,  comme  une  sorte 
de  chef  d'école  et  de  porte-drapeau  ;  mais,  malgré  la  profonde  estime 
que  je  professe  pour  sa  personnalité,  je  ne  saurais  trouver  en  lui  l'étoffe 
d'un  de  ces  grands  créateurs  qui  laissent  après  eux  une  trace  brillante  et 
lumineuse.  Et  ce  n'est  pas  la  symphonie  qu'on  nous  a  fait  entendre 
dimanche  qui  me  fera  revenir  sur  cette  opinion.  Cette  œuvre  importante 
se  distingne  sans  doute  par  de  solides  et  fortes  qualités,  par  un  talent  de 
forme  et  de  facture  extrêmement  remarquable,  mais  l'inspiration,  la  per- 
sonnalité -  lui  manquent  malheureusement  un  peu  trop,  et  l'élégance, 
parfois  la  grâce  du  vêtement,  ne  sauraient  faire  passer  condamnation  sur 
la  sécheresse  et  la  pauvreté  du  corps  qu'il  enveloppe.  Je  cherche  vaine- 
ment la  trace  d'une  idée  quelconque  dans  le  premier  morceau,  allegro 
non  troppo;  l'allure  de  ce  morceau  est  ferme  et  vigoureuse,  mais  sans 
charme,  l'orchestre  en  est  solide  et  corsé,  mais  sans  particularité  et  sans 
nouveauté;  c'est  là  un  excellent  devoir  de  bon  écolier.  L'amiante  moderato 
à  0/8  qui  vient  ensuite,  commence  presque  comme  une  chasse;  le  motif 
initial  est  présenté   par  le  cor,  non    sans  une   certaine  vigueur;  malheu- 


reusement, ce  motif  n'est  qu6  de  quatre  mesures,  et  n'offre  aucune  origi- 
nalité; rendons-lui  justice  toutefois:  il  sert  de  pivot  à  tout  le  morceau, 
où  le  compositeur  le  présente  tour  à  tour  sous  les  formes  les  plus  diver- 
ses, et  ses  développements  exquis,  toujours  pleins  d'intérêt,  véritablement 
curieux,  feraient  honneur  même  au  plus  grand  des  symphonistes, 
à  Beethoven.  L'allégro  giocoso  à  3/4,  qui  sert  en  quelque  sorte  de  scheizo, 
est  d'une  allure  vive  et  élégante,  mais  toujours  sans  originalité,  d'une 
inspiration  maigre  pour  ne  pas  dire  nulle,  et  n'acquiert  quelque  brillant 
que  par  le  nerf  et  la  solidité  de  l'orchestre.  Le  finale  est  peut-être  la 
meilleure  page  de  l'œuvre  ;  divisé  en  plusieurs  épisodes  dont  les  carac- 
tères divers  ne  rompent  pas  l'unité  générale,  instrumenté  d'une  façon 
brillante,  avec  un  rôle  très  important  donné  aux  violons,  d'une  marche 
rapide  et  sûre,  d'une  allure  énergique,  ce  morceau  termine  d'une  façon 
heureuse  une  composition  dans  son  ensemble  froide,  un  peu  compassée, 
très  honorable  assurément,  mais  à  laquelle,  je  ne  saurais  trop  le  répéter, 
l'originalité  et  la  chaleur  de  l'inspiration  font  absolument  défaut. —  Après 
la  scène  des  Enfers  d'Alceste,  de  Lully,  bien  connue  au  Conservatoire  et 
dans  laquelle  l'air  superbe  de  Caron  a  été  fort  bien  dit  par  M.  Delmas, 
nous  avons  eu  une  autre  première  audition,  celle  d'une  Suite  symphoni- 
que  (prélude,  adagio,  canzonetta,  kermesse),  de  M.  Garcin,  qui  je  le  crois, 
bien,  dirigeait  pour  la  première  fois  une  de  ses  compositions,  ce  qui 
devait  effaroucher  quelque  peu  sa  trop  grande  modestie.  Celle-ci  est  tout 
à  fait  charmante,  et  lui  fait  le  plus  grand  honneur.  Le  prélude,  qui 
commence  vigoureusement,  se  déroule  avec  beaucoup  de  grâce  et  d'élé- 
gance, en  un  dessin  tout  aimable,  où  brillent  surtout  les  violons;  l'adagio 
présente  un  chant  large  et  soutenu,  fort  heureusement  développé  et  d'un 
sentiment  excellent;  la  canzonetta  forme  un  joli  petit  intermezzo,  d'une 
allure  coquette,  fine  et  délicate,  avec  un  orchestre  rempli  de  détails 
exquis  ;  cela  est  léger,  fluide  et  charmant;  enfin  le  finale,  très  vif,  très 
coloré,  avec  une  grande  ampleur  instrumentale,  est  entraînant  et  plein 
de  chaleur,  sans  cesser  un  instant  d'être  élégant  de  forme  et  d'une  heu- 
reuse inspiration.  Le  succès,  un  succès  très  franc  et  tout  spontané,  a 
accueilli  cette  composition  charmante,  qui  a  montré  sous  un  jour  favorable 
le  talent  du  chef  d'orchestre  de  la  Société  des  concerts.  Le  programme  se 
terminait  par  le  récit  et  le  chœur  des  Pèlerins  du  Tannliaûser,  et  par  le 
thème  varié,  le  scherzo  et  le  finale  du  Septuor  de  Beethoven,  qui,  grâce 
à  leur  merveilleuse  exécution,  ont  produit  leur  effet  accoutumé. 

Arthur  Pougin. 

—  Association  artistique,  douzième  concert.  —  M.  Colonne,  comme 
toujours,  par  l'heureux  choix  des  morceaux  qu'il  a  fait  exécuter,  avait 
rendu  son  concert  très  attrayant.  Il  avait  fait  une  large  place  aux  compo- 
siteurs vivants.  Nous  avons  entendu  avec  le  plus  vif  plaisir  deux  beaux 
fragments  du  Sigurd  de  M.  Beyer  :  le  Sommeil  de  Brunehild  et  le  Pas 
guerrier;  l'andante  de  la  Symphonie  romantique  de  M.  Joncières,  très 
beau  fragment,  d'un  excellent  style  et  d'une  mélodie  pénétrante  ;  la  séré- 
nade du  ballet  de  Namouna,  de  M.  Lalo,  où  il  y  a  de  jolis  effets  de  harpes 
combinés  avec  les  pizzicati  des  violons,  mais  dont  l'harmonie  est  un  peu 
tourmentée  ;  enfin,  un  délicieux  prélude  de  l'Eloa  de  M.  Ch.  Lefebvre, 
d'un  caractère  très  pur,  très  séraphique,  qui  a  été  bissé.  M.  Colonne  a  fait 
entendre  la  première  scène  du  Rheingold,  de  Wagner.  Sujet  bizarre  s'il  en 
fût  jamais  !  on  entend  couler  le  Bhin  longtemps,  longtemps,  sous  un 
accord  parfait  de  mi  majeur.  Pendant  que  le  bon  vieillard  se  livre  à  cette 
douce  occupation,  il  confie  son  portefeuille  bondé  d'excellentes  valeurs  à 
trois  jeunes  personnes,  MUes  de  Montalant,  Uelorn  et  Mme  de  Clerck,  qui, 
tout  en  nageant,  ne  perdent  pas  de  vue  le  précieux  dépôt.  Un  nain  hor- 
rible, chercheur  de  trésors,  M.  Auguez,  vient  leur  faire  un  doigt  de  cour, 
mais  il  n'a  aucun  succès  ;  les  dames  lui  rient  au  nez  et  le  renvoient  très 
confus.  Ce  n'est  pas  là  du  Wagner  ennuyeux.  C'est  même  assez  mouve- 
menté, presque  scénique.  C'est  de  la  gaîté  à  la  Wagner,  la  gaîté  d'un 
éléphant  en  délire.  Je  ne  serais  pas  fâché  de  réentendre  ce  morceau,  qui 
a  été  supérieurement  rendu  par  les  quatre  vaillants  artistes.  La  partie 
classique  du  concert  était  représentée  par  la  symphonie  en  ut  mineur  de 
Beethoven,  dite  avec  un  peu  plus  de  mollesse  que  d'habitude,  mais  dont 
une  partie  a  été  supérieurement  rendue  et  frénétiquement  applaudie  ;  nous 
voulons  parler  du  passage  étonnant  qui  clôt  le  scherzo  et  amène  par  des 
artifices  de  rythme  extraordinaires  l'explosion  foudroyante  de  la  marche 
triomphale.  Un  jeune  pianiste,  M.  Delafosse,  âgé  de  seize  ans,  qui  à  treize  ans 
a  remporté  un  premier  prix  de  piano  au  Conservatoire  (classe  Marmontel) 
et  travaille  actuellement  avec  M.  Lack,  a  fait  ses  débuts  devant  le  grand 
public  dans  le  amcerlstûck,  de  Weber.  Le  succès  de  M.  Delafosse  a  été  très 
grand;  il  a  dit  l'œuvre  de  Weber  avec  une  correction  parfaite  et  un  ex- 
cellent style.  Nous  l'engageons  à  se  défier  de  la  tendance  qu'ont  beau- 
coup de  jeunes  pianistes  à  réaliser  les  effets  de  pianissimo  moins  par 
l'assouplissement  des  doigts  que  par  l'emploi  de  la  pédale  sourde;  cette 
méthode  ôte  au  jeu  son  énergie  et  sa  puissance,  et  dénature  la  sonorité 
de  l'instrument.  A  part  cette  légère  critique,  nous  n'avons  que  des  éloges 
à  donner  à  M.  Delafosse,  et  nous  applaudissons  de  tout  cœur  à  son  grand 
et  légitime  succès,  II.  Bahbedette. 

Concerts  Lamouroux.  —  La  Symphonie  fantastique  de  Berlioz  a  paru,  dans 
chacune  de  ses  parties,  d'une  transparence  extrême,  grâce  à  une  exécu- 
tion merveilleusement  soignée.  La  richesse  mélodique  de  l'œuvre  est  in- 
contestable et,  autour  des  thèmes  principaux,  s'épanouissent,  en  véritable 
essaim,  une   quantité  de  motifs  secondaires  qui  les  l'ont  valoir  et  en   ren- 


LE  MENESTREL 


dent  le  retour  plus  piquant.  Il  faut  aussi  constater  que  chacune  des 
phrases  musicales  est  douée  d'une  force  expressive  intense  et  d'un  coloris 
très  spécial.  Berlioz  présente  ses  mélodies  presque  toujours  à  découvert, 
sans  parure  harmonique,  et  leur  caractère  se  prête  fort  bien  à  cette  sorte 
d'exhibition.  Il  rencontre  des  effets  dans  la  succession  des  intervalles  mé- 
lodiques, plutôt  que  dans  l'enchaînement  harmonique  des  accords.  Ses 
accompagnements,  souvent  très  primitifs,  laissent  planer  librement  la 
phrase  mélodique  sans  faire  corps  avec  elle.  Il  y  a  dans  le  premier  mor- 
ceau un  crescendo  chromatique  suivi  d'un  silence  de  trois  mesures  dont 
on  ne  peut  expliquer  la  présence  qu'en  se  reportant  aux  intentions  des- 
criptives de  l'auteur;  pourtant,  le  thème  repris  ensuite  presque  sans 
préparation  impressionne  vivement.  La  Scène  aux  champs,  dont  le  décor  est 
posé  par  le  chant  alpin  du  début  et  de  la  fin,  exprime  des  sentiments 
toujours  douloureux,  mais  empreints  de  calme,  de  résignation,  une  sorte 
d'accalmie  dans  la  fièvre.  Cette  partie  est  d'une  beauté  achevée.  A  la  fin 
de  cette  scène,  les  timbales  ont  joué  sans  exagérer  le  forte,  ce  qui  parait 
d'accord  avec  le  sens  du  morceau.  De  même  dans  la  Ronde  du  Sabbat,  le 
son  des  cloches  s'est  mêlé  aux  harmonies  de  l'orchestre  sans  violences. 
Ainsi  rendue  avec  goût  et  précision,  la  Symphonie  fantastique  a  été  acclamée 
avec  plus  de  chaleur  que  jamais,  et  toutes  les  parties  en  ont  semblé  aussi 
claires  que  le  Bal  et  la  Marche  au  supplice.  L'ouverture  du  Vaisseau  fan- 
tôme, le  prélude  de  Tristan  et  Yseult  et  la  Chevaucliée  des  Walkyries  ont  été 
interprétés  dans  un  style  peut-être  un  peu  uniforme.  Ne  semhle-t-il  pas 
que  des  morceaux  si  différents  devraient  prendre  à  l'orchestre  une  phy- 
sionomie pour  ainsi  dire  personnelle.  Le  tumulte  d'un  orage  en  mer  ou 
d'une  chevauchée  d'amazones  ne  pourraient-ils  comporter  d'autres  procédés 
d'exécution  que  des,  élans  d'amour  ou  le  calme  mystique  d'un  cantique 
d'actions  de  grâce  ?  Ces  derniers  mots  se  rapportent  à  l'Enchantement  du 
Vendredi  Saint  de  Parafai,  qui  a  été  délicieusement  rendu  et  peut  passer 
pour  une  des  pages  les  plus  suaves,  les  plus  pures  et  les  plus  sainement 
mélodiques  de  Wagner.  Le  concert  avait  débuté  par  la  brillante  ouverture 
de  Ruy  Blas,  de  Mendelssohn.  Amédée  Boutarel. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche: 
Conservatoire  :  même  programme  que  dimanche  dernier. 
Chàtelet,  concert  Colonne  :  symphonie  en  ut  mineur  (Beethoven)  ;  air 
de  Lucifer  de  la  Résurrection  (IPendel),  par  M.  Auguez  ;  Sarabande  (J .-S. 
Bach),  orchestrée  par  M.  Saint-Saëns,  et  gavotte  pour  violon  seul  (Bach  ), 
exécutées  par  M.  Remy;  Absence  et  Villanelle  (H.  Berlioz),  chantées  par 
MUe  de  Montalant  ;  l'Or  du  Rhin  (Wagner),  première  scène  du  premier  acte, 
soli  par  M.  Auguez  (Alberich),  M11"  de  Montalant  (Woglinde),  MllG  Delorn 
(Welgunde),  M'™  de  Clercq  (Flosshilde)  ;  le  Songe  d'une  nuit  d'été  (Mendels- 
sohn). 

Cirque' des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux;  ouverture  d'Egmont 
(Beethoven)  ;  Rapsodie  cambodgienne  (Bourgault-Ducoudray)  ;Symphonie  fan- 
tastique (Berlioz)  ;  le  Dernier  Sommeil  de  la  Vierge  (Massenet)  ;  Marche  funè- 
bre du  Crépuscule  des  Dieux  (Wagner)  ;  ouverture  A'Euryanthe  (Weber.) 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

La  chute  des  Maîtres  Chanteurs  à  la  Scala,  de  Milan,  a  été  plus  com- 
plète encore  et  plus  lamentable  qu'on  n'eût  pu  le  croire.  On  s'en  rendra 
compte  par  ces  fragments  d'un  article  de  la  Lanterna,  de  cette  ville.  Après 
avoir  constaté  que  depuis  deux  ans  quelques-uns  n'ont  cessé  de  parler 
de  cet  ouvrage  et  de  son  apparition  prochaine,  l'entourant  d'une  réclame 
anticipée  et  furibonde,  ce  journal  dit  : 

Pourtant  si  ceux  qui  se  sont  tant  efforcés,  qui  en  ont  tant  dit  el  écrit,  si  ceux-là 
sont  honnêtes  et  loyaux,  ils  ont  dû  éprouver  un  sentiment  d'amère  tristesse  et 
ensuite  un  peu  de  honte  pour  le  succès  peu...  moins...  pour  le  succès  absolu- 
ment négatif  des  Maîtres  Chanteurs.  Car  il  faut  surtout  avoir  le  courage  et  la 
loyauté  de  dire  que  quand,  à  la  seconde  et  à  la  troisième  représentation  d'un 
opéra  nouveau  d'un  génie  comme  Wagner,  le  public,  dans  un  théâtre  comme  la 
Scala,  ne  dépasse  pas  une  centaine  de  personnes  ou  un  peu  plus,  cet  opéra  n'a 
obtenu  qu'un  insuccès  qu'il  est  inutile  de  discuter,  qu'il  est  vain  de  justifier. 
J'ai  lu  ces  jours  derniers  les  longues  colonnes  de  critique  qui  ont  été  écrites,  j'ai 
remarqué  le  soir  de  la  première  représentation  certaines  bouches  ouvertes  — 
éternellement  ouvertes  —  aux  exclamations  étudiées  ou  apprises  par  cœur;  mais 
je  n'ai  pas  su  me  rendre  raison  ni  des  unes  ni  des  autres.  Ou  je  me  suis  créti- 
nisé,  me  disais-je,  ou  ces  gens  qui  jouissent  béatement,  placidement,  surnalurelle- 
ment,  sont  faits  d'une  autre  pâte  que  moi  ;  ou  c'est  là  une  musique  qui  fera  for- 
tune dans  un  avenir  très  lointain,  ou  je  ne  suis  plus  capable  d'entendre  ni  d'é- 
prouver les  émotions  que  peut,  que  sait  et  que  doit  donner  la  vraie  musique. 

On  répond  :  Mais,  pour  comprendre  Wagner  il  faut  .avoir  dix  années  d'études 
musicales  ;  Wagner  n'est  pas  du  pain  pour  toutes  les  dents,  ni  de  la  musique 
pour  toutes  les  oreilles.  —  Et  alors,  que  Dieu  vous  bénisse!  laissez-le  aller  aux 
seules  oreilles  qui  le  peuvent  entendre.  Et  alors,  ne  venez  pas  nous  l'imposer 
avec  une  orgie  de  réclame.  La  musique  est  cosmopolite,  elle  doit  être  comprise 
de  tous,  comme  la  peinture,  comme  la  sculpture... 

Trois  morceaux  seulement  ont  plu,  dans  les  Maîtres  Clianteurs:  l'ouverture,  le 
finale  du  second  acte  et  le  quintette  du  troisième.  Or,  quand  dans  un  opéra  du 
moule  des  Maîtres  Chanteurs  de  Nuremberg  trois  morceaux  seulement  sont  applau- 
dis, il  n'est  pas  possible,  sans  exagérer,  de  dire  qu'il  réussit.  Et  donc,  comment 
écrire  alors  et  comment  soutenir  que  la  bataille  wagnérienne  a  été  gagnée  ? 
Gagnée,  quand?  gagnée,  comment?  gagnée,  par  qui  ?  J'admets  l'évolution  comme 


base  du  progrès,  mais  l'évolution  logique,  non  celle  qui  conduit  à  l'incompréhen- 
sible, à  l'obscur,  à  l'inintelligible.  Et  quand  la  musique  me  devient  pesante  comme 
une  table  de  logarithmes,  ou  incompréhensible  comme  la  langue  chaldéenDe,  je 
préfère  ne  pas  l'entendre.  Et  il  me  paraît  que  le  public  milanais  a  voulu  donner 
un  démenti  solennel  à  tous  ces  wagnériens  enragés,  poseurs  (en  français!.  Wagner 
vous  plaît?  a  dit  le  public  aux  wagnëriens,  eh  bien,  goûtez-le.  —  Et  il  a  laissé 
le  théâtre  vide. 

—  Cruels,  les  abonnés  du  théâtre  San  Carlo,  de  Naples!  On  assure  que 
quelques-uns  d'entre  eux  seraient  décidés  à  protester  et  à  refuser  de 
payer  leur  abonnement  par  suite  de  la  mort  de  Gayarre,  qui  avait  été 
engagé  par  la  direction  et  qu'ils  ne  pourront  plus  entendre.  L' imprésario 
ne  peut  cependant  pas  ressusciter  l'infortuné  ténor  pour  la  satisfaction 
des  oreilles  de  ces  messieurs,  qui  nous  semblent  un  peu  longues.  On 
croit,  du  reste,  que  ledit  imprésario  songerait  à  offrir  à  son  public  le  ténor 
Masini  en  remplacement  du  chanteur  défunt.  —  A  propos  de  la  mort  de 
Gayarre,  la  Correspondencia  de  Espana  annonce  qu'en  apprenant  cette  nou- 
velle son  camarade  Stagno  a  adressé  à  notre  confrère  Pena  y  Guni  la 
dépêche  suivante  :  «  La  mort  de  Gayarre  est  un  deuil  pour  l'art.  Je  vous 
prie  de  vous  faire,  auprès  de  la  famille,  l'interprète  de  ma  profonde  dou- 
leur devait  un  si  grand  malheur.  »  En  même  temps,  Stagno  télégraphiait 
à  un  autre  de  ses  amis  pour  le  charger  de  déposer  sur  la  tombe  de  Gayarre 
une  couronne  avec  cette  inscription  :  Au  plus  éminent  de  mes  compagnons, 
offre  affectueuse  et  dernier  hommage  de  Roberto  Stagno. 

—  Les  conseils  municipaux  d'Italie  se  livrent  parfois  à  des  comptes 
fantastiques.  Celui  de  Campobasso  a  voté  récemment  une  somme  de 
5,297  fr.  quatre-vingt  quinze  centimes  pour  réparations  à  effectuer  au  théâ- 
tre de  la  ville.  Ces  95  centimes  rendent  rêveur  !  Il  prouvent  toutefois  que 
le  conseil  communal  de  Campobasso  est  économe  des  deniers  publics. 
Tant  d'autres  auraient  carrément  volé  5,298  francs! 

—  Le  compositeur  Carlos  Gomes,  qui  était  allé  faire  représenter  à  Rio- 
Janeiro  un  opéra  nouveau,  lo  Schiavo,  dont  nous  avons  enregistré  le  vif 
succès,  est  de  retour  du  Brésil  et  vient  de  rentrer  à  Milan.  Il  a  écrit  là- 
bas,  parait-il,  un  autre  ouvrage  :  il  Cavaliero  bizzaro,  et  il  s'occupe,  en  ce 
moment,  d'en  terminer  un  troisième,  la  Sirena.  On  ne  dira  pas  de  celui- 
là  qu'il  perd  son  temps. 

—  L'Opéra  royal  de  Berlin  remonte  entièrement  à  neuf  le  Tannhâuser 
de  Richard  Wagner,  dont  la  reprise  aura  lieu  le  27  janvier,  à  l'occasion 
de  l'anniversaire  de  la  naissance  de  l'empereur  d'Allemagne.  Ce  n'est  pas 
là  ce  qui  nous  intéresse  ;  mais  ce  qui  est  assez  singulier,  c'est  que  pour 
cette  reprise...  solennelle,  on  règle  la  mise  en  scène  d'après  celle  qui 
fut  établie  à  notre  Opéra,  lors  des  représentations  de  l'ouvrage  à  Paris. 
C'est  M.  Sylva  qui  est  chargé  du  rôle  principal. 

—  Un  procès  assez  singulier  vient  d'être  jugé  à  Vienne.  Il  s'agissait 
d'une  danseuse  de  l'Opéra  de  cette  ville,  Mlle  Doré,  congédiée  récemment 
pour  défaut...  de  jeunesse  et  de  beauté,  et  qui  pour  ce  fait  intentait  une 
action  contre  la  caisse  des  retraites  de  ce  théâtre,  lui  réclamant  une  pen- 
sion pour  incapacité  de  travail.  La  Caisse  répondait  que  la  demanderesse 
n'élait  pas  incapable  de  travailler,  mais  ne  se  trouvait  plus  dans  les  con- 
ditions requises  pour  danser  à  l'Opéra.  Les  experts  désignés  ont  déclaré 
que  la  femme  qui  s'est  présentée  devant  eux  était,  par  suite  de  son  défaut 
de  jeunesse  et  de  grâce,  absolument  incapable  de  reprendre  son  service 
non  seulement  comme  sujet,  mais  encore  comme  simple  danseuse  et  môme 
comme  figurante.  Il  lui  manque,  d'après  eux,  tout  ce  qui  est  nécessaire 
dans  sa  profession  :  la  jeunesse,  la  grâce,  la  beauté.  Cette  appréciation, 
cruelle  pour  la  vanité  de  l'artiste,  lui  a  fait  tout  au  moins  gagner  son 
procès. 

—  De  l'Éventail,  de  Bruxelles  :  «  Le  théâtre  municipal  de  Hambourg 
vient  de  représenter,  avec  un  réel  succès,  Patrie,  de  Paladilhe.  Les  cri- 
tiques s'accordent  à  dire  beaucoup  de  bien  de  cet  ouvrage  lyrique,  qui. 
«  sans  être  l'œuvre  d'un  maître,  ni  briller  par  l'originalité,  est  une  parti- 
tion pleine  de  mérites,  d'un  épigone  rempli  de  talent  et  possédant  un 
grand  sens  artistique.  »  Le  rôle  de  Dolorès  a  valu  un  énorme  succès  à  la 
forte  chanteuse  Klafsky.  Une  des  particularités  de  l'interprétation,  c'est 
qu'on  a  complètement  supprimé  le  personnage  de  la  Trémoille,  ce  qui  n'a 
pas  précisément  rendu  l'action  de  Patrie  très  claire,  bien  au  contraire.  Ce 
n'est  pas  tout;  on  a  amputé  la  partition  du  cinquième  acte  tout  entier  et 
c'est  au  quatrième  que  Karloo  poignarde  Dolorès,  sans  que  l'on  apprenne 
comment  il  a  su  qu'elle  avait  été  la  dénonciatrice  des  conjurés.  On  Yoit 
que  les  théâtres  allemands  ne  se  gênent  pas  plus  que  les  autres  pour  pra- 
tiquer des  coupures,  et  quelles  coupures  !  et  qu'on  est  bien  mal  venu  de 
vanter  la  «  piété  »  avec  laquelle  ils  suivent  toutes  les  intentions  des  com- 
positeurs. » 

—  M.  Angelo  Neumann,  directeur  du  théâtre  de  Prague,  vient  de  don- 
ner pour  la  première  fois,  en  Allemagne  et  en  Autriche,  le  Ruy  filas  de 
Victor  Hugo,  avec  la  musique  de  Mendelssohn.  Ray  Blas  a  été  traduit 
plusieurs  fois  en  allemand,  mais  la  censure  n'en  avait  pas  autorisé  la 
représentation  jusqu'ici.  Le  succès  a  été  considérable.  Mendelssohn  a 
écrit  pour  ce  drame  une  ouverture  qui  est  bien  connue,  et  la  mélodie 
d'une  chanson. 

—  On  vient  de  donner  au  théâtre  Josephstadt,  de  Vienne,  une  nouvelle 
opérette  en  quatre  actes  :  le  Cocher  viennois,  paroles  de  M.  J.  Wimnrer.  mu- 
sique de  M.  Julius  Stem,  qui  n'a  obtenu  aucun  succès. 


LE  MENESTREL 


23 


—  Une  des  plus  anciennes  associations  musicales  de  l'Europe,  la  So- 
ciété philharmonique  de  Budapest,  a  célébré  le  8  janvier,  avec  son  cen- 
tième concert,  la  cinquantième  année  de  son  existence. 

—  On  ne  plaisante  pas,  en  Allemagne,  avec  les  droits  de  la  critique. 
Le  directeur  du  théâtre  de  Hambourg,  M.  Pollini,  rendu  furieux  par  un 
article  d'un  journaliste  de  cette  ville,  avait  trouvé  bon  de  lui  refuser  tout 
net  l'entrée  de  son  théâtre;  mais  ce  dernier  ne  l'entendait  pas  ainsi,  et 
trouva  bon,  de  son  coté,  d'intenter  un  procès  au  trop  irascible  entrepre- 
neur. Or,  le  tribunal  a  décidé  que  l'exclusion  d'une  personne  d'un  théâtre 
public  est  un  fait  arbitraire  et  illégal;  en  conséquence,  le  directeur  a  été 
condamné  non  seulement  à  des  dommages-intérêts  pour  son  refus  d'ad- 
mission, mais  éventuellement  à  payer  une  somme  de  300  marks  au  jour- 
naliste pour  chaque  refus  subséquent. 

—  Antoine  Rubinstein  vient  de  faire  connaître  son  intention  d'aban- 
donner au  profit  du  Conservatoire  de  Saint-Pétersbourg,  et  de  la  succur- 
sale à  Saint-Pétersbourg  de  la  Société  impériale  russe  de  musique,  toutes  les 
sommes  d'argent  qui  lui  ont  été  offertes  à  l'occasion  de  son  jubilé. 

—  Une  dépèche  de  Saint-Pétersbourg  annonce  que  le  nouveau  ballet  de 
Tschaikovski,  la  Belle  au  Bois  dormant,  a  obtenu  un  magnifique  succès  à 
l'Opéra.  La  musique  du  troisième  et  du  cinquième  acte  est  spécialement 
remarquable.  L'empereur  et  l'impératrice  avaient  assisté  à  la  répétition 
générale.  Les  grands-ducs  Serge  et  George  et  l'élite  de  la  société  péters- 
bourgeoise  étaient  présents  à  la  première  représentation.  La  première 
danseuse,  Mme  Brianza,  et  le  maître  de  ballet  Petitpas  ont  été  acclamés. 
On  s'accorde  à  dire  que  ce  ballet  est  le  grand  événement  musical  de  la 
saison. 

—  A  propos  de  la  reprise  du  r aisseau-Fantôme,  de  Wagner,  qui  va  avoir 
lieu  à  la  Monnaie  de  Bruxelles,  l'Éventail,  de  cette  ville,  en  rappelant  le 
four  obtenu  par  cet  ouvrage,  il  y  a  quelque  dix  ans,  rapporte  à  son  sujet 
certains  détails  amusants  :  —  «  La  direction  Vachot,  dit-il,  avait  fait  exé- 
cuter par  M.  Daran  le  décor  de  la  mer,  et  c'est  le  chef  machiniste  Hack 
qui  construisit  les  deux  navires  qui  évoluaient  en  scène  au  premier  acte. 
Ces  deux  navires  furent  montés  complètement  à  l'atelier.  Quand  il  s'agit 
de  les  transporter  au  théâtre,  on  les  divisa  chacun  en  deux  parties,  mais 
l'on  constata,  quand  ils  arrivèrent  à  la  Monnaie,  que  la  porte  d'entrée  des 
décors  était  trop  étroite  pour  permettre  le  passage  de  cette  flottille.  Elle 
resta  en  détresse  rue  des  Princes,  jusqu'à  ce  qu'on  eût  résolu  de  démolir 
le  plafond  du  foyer  des  musiciens,  situé  au  rez-de-chaussée  du  théâtre, 
sous  la  scène.  On  introduisit  les  parties  de  navires  par  les  fenêtres  du 
foyer,  d'où  elles  furent  hissées  jusque  dans  les  coulisses.  Pendant  toute 
la  durée  des  représentations  du  Vaisseau-Fantôme,  il  fut  impossible  de  jouer 
à  la  Monnaie  des  pièces  à  spectacle,  le  fond  et  le  côté  jardin  du  théâtre 
servant  de  garage  aux  navires  tout  gréés.  Comme  l'oeuvre  était  mal  ac- 
cueillie, on  s'empressa  de  faire  rentrer  au  magasin  ces  encombrants  vais- 
seaux, qui  n'ont  plus  repris  la  mer  depuis  lors.  » 

—  Les  journaux  néerlandais  nous  apportent  la  nouvelle  d'un  fait  assez 
rare,  la  première  représentation,  au  théâtre  de  Rotterdam,  d'un  opéra 
inédit  écrit  sur  le  sujet  et  sous  le  titre  de  Norma.  Le  compositeur  de  cet 
ouvrage  est  M.  J.  Rijken.  La  critique  s'étonne  un  peu  de  la  témérité  d'un 
artiste  qui  ne  craint  pas  de  s'attaquer  à  un  tel  sujet,  rendu  fameux  par 
le  génie  tendre  et  sympathique  de  Bellini,  niais  elle  constate  le  succès 
et  la  valeur  de  l'œuvre,  à  laquelle,  parait-il,  le  public  a  fait  un  excellent 
accueil. 

—  Ce  n'est  point  M.  W.-J.  Gilbert,  le  collaborateur  de  M.  Arthnr  Sul- 
livan, l'auteur  de  l'inafore  et  du  Miliado,  qui  est  mort  la  semaine  dernière 
à  Londres,  mais  bien  son  père.  M.  W.-J.  Gilbert  fait  en  ce  moment  un 
grand  voyage  dans  les  Indes. 

—  On  assure  que  les  vingt  et  une  représentations  données  à  l'audito- 
rium de  Chicago  par  la  compagnie  Abbey  et  Grau,  dont  l'étoile  est 
M1"0  Adelina  Patti,  ont  produit  une  recette  totale  de  232.933  dollars,  soit 
1,164,773  francs,  ou  33,463  fr.  47  en  moyenne  par  soirée.  C'est  assurément 
un  joli  résultat.  Reste  à  savoir  quelles  seront  les  suites  de  la  campagne 
dans  des  théâtres  qui  n'offriront  pas,  comme  l'auditorium  de  Chicago,  un 
ensemble  de  8,000  places   aux  entrepreneurs. 

PARIS   ET    DÉPARTEMENTS 

Il  est  peut-être  intéressant  de  connaitre  les  recettes  réalisées  dans 
nos  deux  théâtres  lyriques,  du  16  décembre  au  10  janvier.  Puisqu'un 
hasard  heureux  met  ce  renseignement  entre  nos  mains,  reproduisons-le 
ici  sans  commentaire.  Voici  les  recettes  de  l'Opéra  : 

Itl  Décembre.  —  Faust Fr.        11.894  'il 

18         —  Les  Huguenots 11.755  20 

20         —  Hamlet 13.175  91 

23         —  liigoletto,  ta  Tempête 11.786  91 

25         —  Faust 12.898  26 

27  La  Tempête,  Lucie 15.831  91 

30         —  Roméo  et  Juliette 14.019  91 

1"  Janvier.  —   La  Tempête,  Lucie H. 759  76 

2  —  Les  Huguenots 7.102    s 

3  —  La  Tempête,  Lucie 13.431  41 

4  —  isamedit  Romeo 4.695      » 

H         —,  L'Africaine 12.829  41 

8         —  Coppélia,  Lucie 12  808  70 

lo         —  A'iaa 14.778  'il 


Voici  à  présent  les  recettes  de  l'Opérn-Comique  : 

16  Décembre.—  Mireille 4.101  50 

17  —               Fra  Diavolo 1.603    » 

18  —               Mireille 4.833    » 

19  —              Le  Barbier  de  Séuille 2.148    » 

20  —               Le    Pré  aux  Clercs •.   .   .  1.570  50 

21  —               La  Dame  blanche 3.442  50 

22  —  (matinée)   Les  Dragons  de  Villars.  2.837  50 

22  —  (soir)  La  Traviala 2.834  » 

23  —  Mireille 4.389  » 

24  —  Esclarmonde 3.057  » 

25  —  (matinée)  Le  Paslillon.de  Lonju>ncau.  3.844  » 

25  —  (soir)  Carmen 4.292  50 

26  —  Mireille 4.607    » 

27  —  Esclarmonde 2.579    » 

28  —  Mireille 6.673  50 

29  —  (matinée) Le  Barbier  de  Séville  .   .  Z.llb    » 

29  —  (soir)  Esclarmonde 3.680    » 

30  —  Les  Dragons  de  Villars 2.443    a 

31  —  Mireille 5.6J7  50 

.  1"  Janvier.    —  Le  Barbier  de  Séville 3.945    » 

2  —  (matinée)  Carmen 3.296  50 

2  —  (soir)  Esclarmonde 3.^29    » 

3  —  Mireille 6.884    » 

4  —  (matinée)  Le  Barbier  de  Séville.   .  2.779    » 

4  —  (soir)  Esclarmonde 5.029  50 

5  —  (matinée)  Mignon 7.575  50 

5  —               (soir)  Carmen 4.187  50 

6  —               La  Traviala 1.827  50 

7  —                Mireille 5.012  50 

8  —               Le  Barbier  de  Séville 2.923    » 

9  —               Mireille 5.835  50 

10  —               Esclarmonde 2.460  50 

A  chacun  de  tirer  de  ces  petits  tableaux  les  déductions  qu'il  lui  con- 
viendra, en  remarquant  que  les  recettes  de  la  première  semaine  de  jan- 
vier sont  d'ordinaire  les  plus  fortes  de  l'année,  à  cause  des  congés  du 
jour  de  l'an.  Notons  encore  que  ces  recettes  sont  celles  données  à  l'As- 
sistance publique  et  qu'elles  diffèrent  toujours  un  peu  de  celles  données 
à  la  Société  des  auteurs,  par  suite  sans  doute  des  «  billets  d'auteurs  ». 

—  La  «  dernière  »  de  MM.  Ritt  et  Gailhard.  Troisième  avatar.  Nous 
avons  vu  d'abord  les  éminents  directeurs  appeler  dans  la  rue  des  passants 
inoffensifs  pour  remplacer  leurs  ténors  indisposés  (cas  du  ténor  Devilliers); 
e  nsuile  ils  s'en  sont  pris  aux  spectateurs  eux-mêmes  (cas  du  ténor  Engel). 
Les  voici  maintenant  qui  violent  le  domicile  des  simples  particuliers 
pour  y  trouver  des  artistes  à  leur  convenance.  Voici  à  ce  propos  ce 
que  raconte  le  Gil  Bios  : 

Figurez-vous  de  braves  gens  à  table.  La  chère  est  bonne,  les  vins  exquis.  La 
maîtresse  de  la  maison  est  une  personne  charmante,  et  son  mari  n'est  pas  moins 
aimable.  Ils  traitent  ce  soir-là  douze  invités.  On  est  entre  soi,  causant,  mangeant, 
souriant,  buvant.  On  en  est  au  rôti. 

Drelin!  drelin  !  !  drelinll!  Qui  diable  arrive  à  cette  heure?  Le  bruit  des  four- 
chettes s'arrête.  Une  porte  s'ouvre.  Colleuille  !  Il  a  son  air  de  chien  battu  des 
grands  jours,  son  sourire  mystérieux  et  ses  pauvres  yeux  vagues,  un  peu  affolés. 
II  vient,  au  nom  de  MM.  Ritt  et  Gailhard,  supplier  M""  Raunay-Dumény  de  sau- 
ver l'Académie  nationale  de  musique.  Le  bon  Colleuille  attendait.  Tout  était 
perdu,  M"°  Vidal  était  malade.  On  ne  pouvait  jouer,  Aida  était  affichée.  Seule, 
M"'  Raunay-Dumény  tenait  le  sort  de  l'Opéra  dans  ses  mains. 

Les  douze  convives  ne  pipaient  mot.  Madame  regardait  monsieur,  qui  regardait 
madame,  et  Colleuille  s'hypnotisait  à  l'éclat  de  la  suspension  avec  dans  tout  le 
corps  de  petits  frétillements  d'inquiétude.  Enfin,  la  discussion  s'engagea,  on  finit 
par  rire,  et  l'on  s'en  fut  eu  bande  à  l'Opéra,  comme  on  va  à  la  foire  au  pain  d'épice. 
Cela  ressemblait  à  un  mariage,  car  les  douze  invités  suivaient;  ils  pénétrèrent 
dans  les  coulisses,  ils  s'en  furent  sur  la  scène,  dans  les  loges,  au  foyer  des  dan- 
seuses; on  se  heurtait  à  eux  darjs  l'ombre;  on  ne  voyait  partout  que  les  douze 
invités  de  M""Dumcny.  Celle-ci  cependant  se  taillait  un  gros,  gros  succès  dans 
un  rôle  qu'elle  venait  chanter  là  sins  une  répétition,  sans  même  un  raccord. 

Drôle  de  soirée,  tout  de  même,  pour  des  bons  bourgeois  en  train  de  dîner  bien 
tranquillement. 

Le  journal  la  Justice,  qui  raconte  la  même  histoire,  conclut  ainsi,  après 
avoir  constaté  que  les  rôles  n'étaient  pas  sus  «  en  triple  »  à  l'Opéra, 
ainsi  que  l'exige  le  cahier  des  charges  :  «  Ceci  ne  se  passait  pas  au  Grand- 
Théâtre  de  Pontarlier,  mais  à  l'Académie  nationale  de  musique.  » 

—  Notre  confrère  l'Art  musical  commence  son  dernier  numéro  par  cette 
virulente  apostrophe  :  «L'année  1890  a  commencé  par  une  œuvre  de  jus- 
tice, par  un  effort  de  toute  la  presse  pour  appeler  la  sévérité  du  ministre 
des  Beaux-Arts  sur  les  procédés  au  moins  étranges  des  directeurs  de 
l'Opéra.  La  suspension  des  répétitions  de  Zaïre,  de  M.  Véronge  de  la  Nux, 
a  suffi  pour  soulever  contre  MM.  Ritt  et  Gailhard  un  toile  général,  au  point 
que  tous  les  matins,  sur  quarante  journaux  paraissant  à  Paris,  trente-cinq 
au  moins  demandent,  soit  clairement,  soit  implicitement,  la  révocation 
de  ces  fonctionnaires.  Il  y  a  une  question  de  l'Opéra,  grâce  à  la  presse. 
Toute  question  appelle  une  solution,  et  M.  le  ministre  des  Beaux-Arts  ne 
peut  tarder  à  nous  accorJer  celle  dictée  par  la  justice  et  la  raison.  »  Sui- 
ventdiïs  détails  intéressants  et  inédits  sur  les  agissements  de  MM.  Ritt  et' 
Gailhard  envers  M.  Véronge  de  la  Nux.  Puis,  l'auteur  conclut  ainsi  son 
article...  «  D'après  le  rapprochement  de  ces  faits  relatés  en  partie  par 
toute  la  presse;  il  évident  que  MM.  Ritt  et  Gailhard,  après  avoir  mis  /.aire 


M 


LE  MENESTREL 


en  répétitions,  n'ont  arrêté  ces  répétitions  que  sur  le  refus  de  M.  de  la 
Nux  d'accepter  par  signature  une  responsabilité  les  dégageant  devant  le 
ministre,  la  Société  des  auteurs  et  l'opinion  publique.  La  situation  est 
extrêmement  grave,  se  compliquant  d'une  question  de  droit  et  d'une  ques- 
tion de  moralité.  Des  intérêts  sont  enjeu,  des  personnalités  compromises. 
Le  ministre  est  appelé  à  se  prononcer.  Qu'il  prescrive  une  enquête,  s'il 
est  nécessaire,  et  donne  enfin  satisfaction  aux  légitimes  désirs  exprimés 
si  unanimement  par  tous  les  gens  de  cœur  et  d'honneur.  » 

—  L'Académie  des  beaux-arts  a  choisi  le  poème  de  la  cantate  du  pro- 
chain concours  Rossini;  elle  a  pour  titre  Isis  et  pour  auteurs  MM.  Adenis 
frères.  Les  compositeurs  de  musique  trouveront  ce  poème  au  secrétariat 
de  l'Institut  à  partir  de  fin  janvier.  Les  concurrents  auront  jusqu'au 
31  décembre  1890  pour  déposer  leur  partition.  On  sait  que  le  prix  est  de 
3,000  francs. 

—  Le  Journal  officiel  a  publié  une  nouvelle  liste  de  distinctions  honori- 
fiques accordées  à  l'occasion  du  1er  Janvier,  parmi  lesquels  nous  relevons 
les  suivantes.  Sont  nommés  officiers  de  l'Instruction  publique  :  M"e  Pa- 
rent, directrice  de  l'école  préparatoire  au  professorat  du  piano  ;  MM.  Ad. 
Rivet,  professeur  au  Conservatoire  de  Toulouse  ;  Edmond  Lemaigre,  com- 
positeur; Francis  Bettes,  fondateur  et  directeur  de  la  Société  chorale 
d'Oloron.  —  Sont  nommés  officiers  d'Académie  :  Mmes  Archainbaud,  Co- 
lonne, Mitelet-Pouilley,  professeurs  de  chant  ;  Ïhénard-Masson  de  Puits- 
Neuf,  professeur  de  diction  ;  MM.  de  Bernardi,  Lucien  Durand,  Pierre 
Germain,  Alfred  Josset,  compositeurs  ;  Broche,  professeur  de  musique  ; 
Goberl,  directeur  du  Conservatoire  Sainte-Cécile,  de  Bordeaux  ;  Mazingue, 
professeur  de  musique  au  Lycée  de  Lille  ;  Puisais,  id.  à  l'École  normale 
de  Poitiers;  Servel,  id.  aux  écoles  normales  de  Montpellier  ;  Dieudonné, 
id.  à  Orléans;  Dumas, premier  violon  à  l'Opéra;  Suzanne,  chef  de  musique 
au  89e  de  ligne;  Blémant,  sous-chef  de  musique  au  4e  régiment  du  génie  ; 
Pégot,  directeur  de  la  Société  musicale  du  XIX0  arrondissement;  Rosoor, 
chef  de  la  société  chorale  orphéoniqueCricks-Sicks,  de  Tourcoing  ;  Sinoquet, 
chef  de  la  Fanfare  d'Allery  (Somme)  ;  Chastanet,  administrateur  du  Théâ- 
tre-Libre ;  H.  d'Albert,  directeur  du  Théâtre  municipal  d'Amiens;  Izouard, 
critique  dramatique  ;  Mme  Olympie  Granier,  ancienne  artiste  lyrique.  — 
Sont  nommés  officiers  d'Académie  les  artistes  étrangers  dont  les  noms 
suivent  et  qui  ont  pris  part  à  l'Exposition  universelle  de  1889  :  MM.  Otto 
Andersen,  président  des  sociétés  chorales  de  Christiania  (Norvège)  ;  Grœn- 
dahl,  directeur  du  Choral  des  étudiants  de  Christiania  ;  Slaviansky  d'A- 
gi eneff,  directeur  de  la  Chapelle  nationale  russe  ;  Pascual  Veiga,  directeur 
de  l'Orphéon  Corunes  (Espagne);  Cleto  Zabala,  directeur  de  l'Orphéon  de 
Bilbao  (idem);  Mariano  Armeo,  président  de  la  Société  chorale  de  Saint- 
Sébastien  (idem). 

—  Demain  lundi,  au  théâtre  de  la  Gaîté,  premièro  représentation  du 
Voyage  île  Suzelte,  et  prochainement  aux  Bouffes-Parisiens  celle  de  Cen- 
drillonnette,  pièce  nouvelle  de  M.  Paul  Ferrier,  avec  musique  de  MM.  Gas- 
ton Serpette  et  Victor  Roger. 

—  Nous  rendons  compte  plus  haut  de  la  première  représentation  d'Hilda, 
-qui  a  eu  lieu  cette  semaine  à  l'Opéra-Comique.   Deux  jours   auparavant, 

le  même  compositeur  donnait  aux  Bouffes-Parisiens  un  autre  petit  acte, 
dont  le  livret  lui  avait  été  confié  par  MM.  Charles  Narrey  et  Michel  Carré 
fils,  et  qui  a  pour  titre  Friquette  et  Blaisot.  Un  accapareur,  ce  M.  Albert 
Millet  ! 

—  D'après  nos  grands  confrères,  nous  avions  compris  le  Grand-Théâtre 
de  Bordeaux  au  nombre  de  ceux  qui  avaient  dû  fermer  provisoirement 
leurs  portes,  sous  les  atteintes  de  la  fâcheuse  in/luenza.  Nous  apprenons 
qu'il  n'en  est  rien:  trente  représentations  ont  été  données  à  ce  théâtre 
pendant  le  mois  de  décembre,  et  depuis  le  1er  janvier  les  spectacles  n'ont 
pas  cessé  de  suivre  leur  cours  régulier. 

—  Une  très  intéressante  audition  des  élèves  du  cours  supérieur,  que 
fait,  à  l'Institut  musical  de  M.  et  Mmo  Comettant,  notre  maître  éminent 
Marmontel,  a  eu  lieu  jeudi  dernier,  salle  Pleyel.  Dans  le  joli  bataillon  de 
jeunes  filles  qui  se  sont  fait  entendre,  il  en  est  bien  une  quinzaine  que 
nous  pourrions  citer,  qui  sont  déjà  de  véritables  artistes.  Et  comment  ne 
pas  nommer  MUcB  Sicard,  Paraf,  Tanguy,  Heimann,  Gabrielle  et  Lucie 
Frantz,  Meyer,  Mathias,  Marguerite  Le  Sidaner,  de  Bilcesco,  Popovitz, 
Marguerite  Lucien,  Duquesnoy,  Gafé,  Tencey.  J'en  passe,  qui  mériteraient 
les  honneurs  de  la  citation.  Nous  avons,  avec  tout  l'auditoire,  applaudi  à 
cette  séance  le  violoncelliste  Casella,  dans  de  fort  jolies  compositions  de 
M.Thomé.  La  partie  vocale  étai t représentée  par  M"0  Jeanne  Lyon, professeur 
à  l'Institut  musical,  qui  a  chanté  d'une  voix  pénétrante,  conduite  avec  un 
ail  parfait,  Dam  la  Font,  de  Schumann,  et  la  délicieuse  mélodie  de  M.  Théo- 
dore Dubois,  Matin  d'avril.  Belle  soirée  en   somme  pour  VInstitut   musical. 

—  Au  programme  de  la  troisième  séance  de  musique  de  chambre  don- 
née par  M.  Lefort,  se  trouvait  le  3°  quatuor  de  Schumann,  le  trio  en  sol 
de  M.  Godard,  brillamment  interprété  par  MM.  I.  Philipp,  Lefort  et  C. 
Casella,  et  la  belle  sonate  en  ut  mineur  de  M.  Saint-Saëns,  jouée  avec 
une  fineose,  un  sentiment  et  une  précision  extrêmement  remarquables 
par  MM.  Philipp  et  Casella.  M"«  Lépine  a  dit  d'une  façon  charmante  l'air 
du    printemps   de   Rodelinda   et   une  jolie  mélodie   de   M.  Ch.  Lefebvre, 


—  M.  Ed.  Nadaud,  le  violoniste  bien  connu,  annonce  la  réouverture  de 
ses  intéressantes  séances  de  musique  de  chambre.  Depuis  la  fondation  de 
cette  société,  un  nombre  considérable  d'ceuvres  inédites  de  compositeurs 
français  ont  été  interprétées.  Au  programme  de  la  première  séance,  qui  a 
lieu  mardi  prochain,  salle  Pleyel,  .  première  audition  d'un  quatuor  de 
M.  Pfeiffer  et  d'un  sextuor  de  M.  Alary. 

—  M.  Joseph  "Wieniawski  donnera  salle  Érard,  le  25  février  et  le  S 
mars,  deux  séances  de  piano.  La  première,  par  invitations,  sera  consacrée 
à  l'audition  de  ses  œuvres,  notamment  à  ses  vingt-quatre  études; le  pro- 
gramme de  la  deuxième  —  un  concert  public  —  contiendra  des  composi- 
tions de  Bach,  Hœndel,  Beethoven,  Mendelssohn,  Schubert,  Schumann, 
Field,  Graun,  Raff,  Saint-Saëns,  Chopin,  Liszt,  etc. 

—  M.  A.  Decq,  organiste  de  Saint-Honoré,  donnera  le  mardi  21  janvier, 
salle  Erard,  un  grand  concert  dans  lequel  il  fera  entendre  quelques-unes 
de  ses  nouvelles  compositions. 


NÉCROLOGIE 


Baltasar  Saldoni. 

Le  patriarche  de  la  musique  espagnole,  le  vénérable  Baltasar  Saldoni, 
qui  était  à  la  fois  un  compositeur  remarquable,  un  organiste  habile,  un 
excellent  professeur  et  un  écrivain  musical  fort  distingué,  est  mort  ré- 
cemment à  Barcelone,  où  il  était  né  le  4  janvier  1807.  Cet  artiste  vérita- 
blement exceptionnel,  dont  l'éducation  avait  été  aussi  solide  qu'étendue, 
se  distingua,  on  peut  le  dire,  dans  toutes  les  branches  de  l'art,  et  fit  preuve 
dans  toutes  d'un  talent  élevé,  d'une  rare  initiative  et  d'une  singulière 
fécondité.  Comme  compositeur,  il  se  fit  vivement  et  souvent  applaudir  ; 
comme  professeur,  il  forma  de  nombreux  et  excellents  élèves;  comme 
historien  de  l'art  de  son  pays,  il  rendit  de  signalés  services,  que  ses  com- 
patriotes, toujours  indolents  sous  ce  rapport,  n'ont  pas  su  apprécier  à  leur 
juste  valeur.  Il  n'en  était  pas  moins  admiré  et  estimé  dans  son  pays 
comme  il  méritait  de  l'être;  et  sa  qualité  de  président  de  la  section  de 
musique  de  l'Académie  des  Beaux-Arts,  prouve  tout  le  cas  qu'on  faisait 
de  sa  personnalité  artistique.  On  ne  saurait,  dans  une  simple  notice  né- 
crologique, donner  même  un  aperçu  de  l'existence  exti'aordinairement 
laborieuse  d'un  homme  aussi  bien  doué  ;  il  faut  se  borner  à  une  sèche 
énumération  de  quelques-uns  de  ses  ouvrages  et  de  ses  travaux  les  plus 
importants  ;  comme  auteur  dramatique,  Saldoni  a  écrit  :  Saladino  e  Clo- 
Ulde,  [permettra,  Clconice  regina  di  Siria,  Guzman  il  buono,  opéras  italiens; 
Boabdil,  ullimo  Rey  moro  de  Grenada,  opéra  espagnol;  el  Trionfo  del  amor, 
el  Rey  e  la  Coslurera,  la  Carte  de  Monaco,  las  Maridos  en  las  Mascaras, 
zarzuelas.  Comme  compositeur  religieux,  on  lui  doit  :  deux  Messes 
de  Gloria,  avec  orchestre,  deux  Stabat  Mater,  un  Miserere,  un  Salve  Regina, 
un  grand  nombre  d'hymnes,  motets,  cantiques  à  une,  deux,  trois,  quatre, 
six  voix  et  plus,  avec  orchestre,  ou  orgue,  ou  piano  ;  quatorze  fugues 
et  plus  de  deux  cents  versets  pour  orgue.  Il  a  écrit  aussi  deux  grandes 
cantates,  quatorze  morceaux  de  genre  pour  orchestre,  d~es  marches,  des 
chœurs,  des  morceaux  à  une  ou  plusieurs  voix  avec  orchestre,  quarante 
morceaux  de  chant  avec  piano,  enfin  des  pièces  pour  musique  militaire, 
une  trentaine  de  morceaux  de  piano,  des  chansons  andalouses,  un  Recueil 
de  vingt-quatre  vocalises  et  une  Méthode  de  solfège  el  de  chant,  adoptée  dans 
les  classes  du  Conservatoire  de  Madrid.  Comme  écrivain  musical,  Saldoni 
a  donné  un  très  intéressant  et  très  excellent  résumé  historique  de  la  célè- 
bre école  de  musique  du  monastère  de  Montserrat,  dont  il  fut  l'élève,  et  il 
est  le  premier  qui  se  soit  occupé  de  l'histoire  des  musiciens  espagnols, 
en  publiant  un  ouvrage  en  quatre  volumes  intitulé:  Diccionario  biogra/ico- 
bibliogra/ico  de  efemcrides  de  musicos  espaholes,  le  seul  où  l'on  puisse  trouver 
des  renseignements  exacts  et  précis  sur  les  artistes  de  son  pays.  Il  a  laissé, 
parait-il,  en  manuscrit,  un  cinquième  volume  formant  le  complément  his- 
torique et  rectificatif  de  cet  ouvrage,  dont  on  annonce  la  publication  pro- 
chaine. Baltasar  Saldoni  a  véritablement  fait  honneur  à  l'an  et  à  son  pays, 
et  l'hommage  éclatant  qui  lui  a  été  rendu  par  ses  compatriotes  à  l'occasion 
de  ses  funérailles  n'avait  rien  de  surprenant  ni  d'excessif. 

Arthur  Pouoin. 

—  Le  13  décembre  est  morte,  à  Detmold,  M1™ Charlotte  Moschelès,  veuve 
du  fameux  pianiste  Ignace  Moschelès,  mort  lui-même  en  1870,  à  l'âge  de 
soixante-seize  ans.  Elle  était  la  mère  du  peintre  Félix  Moschelès.  Elle 
avait  publié,  en  1872  el  1873,  chez  les  éditeurs  Dancker  et  Humblot,  un 
ouvrage  en  deux  volumes,  donné  sous  ce  titre  :  Vie  de  Moschelès,  d'après  ses 
lettres  et  son  journal,  publié  par  sa  veuve. 

—  A  Sinigaglia  est  mort  le  chantear  Pietro  Mattioli-Alessandrini, 
pour  qui  le  compositeur  Carlo  Pedrotti  écrivit  naguère  le  rôle  de  basse 
de  son  joli  opéra  Guerra  in  quatlro.  Il  se  produisit  lui-même  comme  com- 
positeur de  musique  bouffe  et  écrivit  deux  ouvrages  de  ce  genre  :  la 
Morte  di  Sofonisba  et  il  Sognaccio. 

Henri  Heucel.  directeur-getant 


Dimanche  26  Janvier  1890. 


3067  -  56™  ANNEE  -  N°  l  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (46°  article),  Albert  Soubies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  Les  débuts  du  ténor  Affre,  à  l'Opéra  ;  le 
Voyage  de  Sujette,  à  la  Gaîté,  Cendrillonnette,  aux  Bouffes-Parisiens,  H.  Moreno; 
première  représentation  de  Margot,  à  la  Comédie-Française,  Paul-Emile  Chevalier. 

—  III.  Le  courrier  de  M.  Gailnard.  —  IV.  Le  théâtre  à  l'Exposition  (14"  article), 
Arthur  Poogin.  —  V.  Revue  des  Grands  Conceits.  —  VI.  Nouvelles  diverses. 

—  VII.  Nécrologie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

LA    CHANSON    DES    BOIS 

mélodie  d'après  Chopin  par  I.  Philipp,  paroles  de  Jules  Ruelle.  —  Suivra 
immédiatement  :  Ritournelle,  nouvelle  mélodie  de  Francis  Tiio.mé,  poésie 
de  François  Coppée. 

PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de    piano:   Causerie  d'oiseaux,    nouvelle   polka   de  Philippe   Fahrbach.   — 
Suivra  immédiatement  :  Gigue,  par  André  Wor.mser. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Allbert  SOUBIES   et  Charles   MALHERBE 


CHAPITRE  XIII 

meyerbeer  a  l'opéra-comique 

l'étoile  du  nord 

1853-1855 

(Suite.) 

Si  l'on  voulait  écrire  une  histoire  complète  de  l'Étoile  du 
Nord,  il  faudrait  remonter  au  7  décembre  1844.  Ce  jour-là 
on  inaugurait  à  Berlin  le  nouveau  Théâtre  Royal,  construit 
pour  remplacer  l'ancien  qu'un  incendie  avait  détruit,  comme 
celui  même  dont  nous  racontons  ici  l'histoire.  A  cette  occa- 
sion, Meyerbeer  avait  composé  un  opéra  en  trois  actes  inti- 
tulé le  Camp  deSilésie;  puisse  une  œuvre  semblable  venir  au 
monde  à  l'heure,  hélas,  indéfiniment  retardée,  où  la  troisième 
salle  Favart  renaîtra  de  ses  cendres!  Le  succès  fut  tel  qu'on 
joua  bientôt  l'ouvrage  à  Vienne  sous  le  titre  de  Vielka,  et 
qu'il  fut  question  de  le  monter  à  Paris.  Nous  avons  raconté 
comment,  en  1845,  la  commission  des  auteurs  avait  protesté, 
déniant  à  l'Opéra-Comique  le  droit  de  représenter  les  tra- 
ductions. Scribe  et  Meyerbeer  n'étaient  pas  gens  à  s'embar- 
rasser pour  si  peu  ;  ils  devaient  trouver  le  moyen  de  tourner 
la  difficulté.  Scribe  écrivit  sur  la  musique,  ou  à  peu  près, 
un  poème  nouveau  ;   et  Meyerbeer    refit    un  nombre  de  mor- 


ceaux assez  grand  pour  donner  à  l'ensemble  le  caractère  de 
la  nouveauté  :  ainsi  les  apparences  étaient  sauvées. 

Mais  ce  tour  de  passe-passe  agitait  encore  l'opinion  en  1853 
comme  en  1845,  et  c'est  sans  doute  pour  répondre  à  ces  con- 
troverses de  presse  que  la  Revue  et  Gazette  musicale  publiait  les 
lignes  suivantes  :  «  L'ouvrage  dont  il  est  question  n'est  nul- 
lement le  Camp  de  Silésie  :  c'est  une  oeuvre  complètement 
neuve,  poème  et  musique.  Seulement,  dans  le  premier  tableau 
du  second  acte,  on  a  intercalé  quelques  morceaux  inédits  du 
Camp  de  Silésie.  Mais  le  premier  et  le  troisième  acte,  ainsi  que 
le  deuxième  tableau  du  second  acte  ne  contiennent  que  de 
la  musique  entièrement  nouvelle.  »  Et  c'est  le  journal  de 
Brandus,  éditeur  de  Meyerbeer,  qui  avait  parlé  ainsi  !  Certes, 
le  livret  n'avait  de  vieux  que  son  intrigue,  s'il  est  vrai  que 
Scribe  l'ait  empruntée  à  une  certaine  Henriette  de  M"e  Rau- 
court,  jouée  à  la  Comédie-Française,  le  1er  mars  1782;  n'a-  i  _i 
vait-il  pas  déjà  pris  le  sujet  de  la  Favorite  dans  le  Comte  deCom- 
minges,  dont  l'auteur  était  contemporain  de  MUe  Raucourt  ! 
mais  pour  Meyerbeer,  point  de  doute  possible.  L'Etoile  du 
Nord  renfermait  un  certain  nombre  de  morceaux  du  Camp  de 
Silésie,  par  exemple,  au  premier  acte,  la  ronde  bohémienne  : 
«  Il  sonne  et  résonne  »  ;  au  second  acte,  l'introduction  et  la 
plus  grande  partie  du  célèbre  finale  ;  au  troisième  acte,  le 
trio  de  la  voix  et  des  flûtes.  A  défaut  de  ces  indications  pré- 
cises, un  fait  suffirait  seul  à  démontrer  la  situation  délicate 
dans  laquelle  se  trouvait  l'éditeur  et  l'inanité  de  ses  appré- 
ciations :  c'est  que  du  jour  où  se  leva  l'Étoile  du  Nord,  on 
n'entendit  plus  parler  du  Camp  de  Silésie;  nous  ne  savons  s'il 
en  fit  détruire  les  planches  pour  rendre  toute  comparaison 
impossible,  mais  jamais  plus  un  exemplaire  ne  s'en  est  tiré  ; 
nos  bibliothèques  ne  le  possèdent  pas,  et  vainement  aujour- 
d'hui les  curieux  tenteraient  de  se  le  procurer. 

Quant  à  l'Étoile  du  Nord,  qui,  détail  amusant,  avait  failli 
s'appeler  l'Étoile  polaire  et  avait  même  été  annoncée  un  instant 
sous  ce  titre  plus  froid  que  brillant,  elle  obtint  un  succès 
immédiat,  complet  et  retentissant.  Tous  les  interprètes  étaient 
de  premier  ordre,  et  les  plus  petits  rôles  avaient  trouvé  en 
de  grands  artistes  des  interprètes  remarquables  et  dévoués  ; 
il  suffit  de  rappeler  Battaille,  Mocker,  Jourdan,  He.rmacn- 
Léon  ;  Mlles  Caroline  Duprez,  Lefebvre,  Lemercier  etDecroix; 
l'orchestre  et  les  chœurs  avaient  remarquablement  fonctionné 
sous  la  direction  énergique  de  Tilmant  ;  enfin,  la  mise  en 
scène  et  la  décoration  faisaient  vraiment  honneur  à  l'intelli- 
gence artistique  du  directeur.  Aussi,  l'empressement  du 
public  fut-il  extraordinaire  .^«Une  indisposition  de  M1,e  Duprez 
mit  huit  jours  d'intervalle  entre  la  deuxième  et  la  troisième 
représentation  ;  mais  depuis  ce  moment  jusqu'au  28  juillet, 
où  la  pièce  atteignit  sa  soixante-quatrième  représentation, 
l'Étoile  du  Nord  fut  jouée  régulièrement  trois  fois  par  semaine, 


26 


LE  MENESTREL 


et  même  quatre  par  exception.  Le  16  octobre,  après  une  in- 
terruption causée  par  le  congé  annuel  de  Battaille,  une  se- 
conde série  recommença,  non  moins  brillante  que  l'autre, 
de  sorte  que  la  centième  fut  atteinte  le  14  février  1S55,  un  an 
moins  deux  jours  après  la  première.  Les  vingt-cinq  premières 
représentations  avaient  produit  153,000  francs,  soit  une 
moyenne  de  6,200  francs  par  soirée  ;  sur  cette  somme,  les 
auteurs  avaient  perçu  21,700  francs  et  les  pauvres  14,090  fr. 
90  c.  Dans  la  première  année  et  la  suivante,  c'est  à  peine  si 
les  interprètes  de  la  création  se  firent  remplacer  ;  ils  tenaient 
à  leurs  rôles,  et  si  quelque  indisposition  les  forçait  à  y  re- 
noncer quelques  jours,  ils  se  bâtaient  de  les  reprendre.  Ainsi 
entrevit-on,  dans  le  rôle  de  Catberine,  après  Mlle  C.  Duprez, 
Mme  Ugalde,  dans  celui  de  Prascovia,  après  Mlle  Lefebvre, 
M"es  Rey  et  Boulart;  dans  celui  d'une  des  deux  vivandières, 
après  Mlle  Lemercier,  Mlle  Revilly  ;  dans  celui  de  Pierre  le 
Grand,  après  Battaille,  Faure,  qui  s'y  montra  de  tous  points 
remarquable  ;  dans  celui  de  Danilowitz,  après  Mocker,  Pon- 
chard  ;  dans  celui  de  Gritzenko,  après  Hermann-Léon,  Nathan 
et  Carvalho. 

De  Paris,  l'ouvrage  ne  tarda  pas  à  prendre  son  essor  en 
Europe.  Les  premières  villes  qui  le  montèrent  furent,  à  l'é- 
tranger :  Stuttgart  (28  novembre)  avec  Mm0  Marlow  dans  le 
principal  rôle,  Copenhague  et  Bruxelles,  avec  Barielle  et 
Mue  Anna  Lemaire;  en  province,  Toulouse  avec  Balanqué  et 
Mme  Hébert-Massy,  Lyon,  avec  Belval  et  Mme  Barbot,  Marseille, 
avec  Melchissédec  et  Mme  Laborde.  Dès  la  première  année 
théâtrale,  1854-85,  on  signalait  l'Étoile  du  Nord  un  peu  par- 
tout :  Lyon,  -Strasbourg,  Lille,  Nantes,  Metz,  Rennes,  Gre- 
noble, Marseille,  Bordeaux,  Nimes,  Nancy,  Valenciennes,  Li- 
moges, Avignon,  Amsterdam,  Utrecht,  Gand,  Londres,  Dresde, 
Bruxelles,  Nouvelle-Orléans,  Cologne,  Darmstaclt,  Munich, 
Hambourg,  Cassel,  Leipzig,  Brunswick,  Hanovre,  Brème, 
Wiesbaden,  Erfurt,  Mayence,  Vienne  et  plus  de  trente-cinq 
villes!  et  partout  le  public  s'y  portait  en  foule  et  témoignait 
d'un  indéniable  engouement.  De  bonne  heure  aussi  la  popu- 
larité s'en  était  emparée  ;  moins  d'un  mois  après  la  première 
représentation,  on  signalait  déjà  l'Étoile  du  Nord  comme 
enseigne  à  un  hôtel  meublé  situé  sur  l'un  des  quais  de 
Paris,  et  à  un  grand  magasin  de  nouveautés  du  Faubourg- 
Montmartre.  Il  lui  fallait  aussi  la  consécration  d'une  parodie, 
et  elle  l'eut,  en  effet,  le  31  mars,  aux  Délassements-Comiques, 
avec  une  plaisante  bouffonnerie  ainsi  dénommée.  :  les  Toiles 
du  Nord,  par  MM.  Guénée,  A.  Monnier,  et  A.  Flan,  musique 
de  Meyerbeer,  Auber,  Donizetti,  etc.,  mise  en  désordre  (sic), 
par  M.  Kriesel.  La  pièce,  où  le- noble  czar  était  devenu  un 
vulgaire  industriel  débitant  les  produits  de  sa  manufacture, 
était  précédée  d'un  prologue,  bon  à  rappeler,  car  il  témoigne 
du  respect  des  auteurs  et  combien  ils  s'inclinaient  devant  le 
génie  du  musicien,  s'excusant  : 

Pauvres  pygmées 
De  menacer  le  trône  du  géant. 

O  Meyerbeer,  ajoutaient-ils, 

En  contemplant  ton  étoile  argentée, 
Pour  composer  ce  chef-d'œuvre  immortel, 
Tout  Paris  croit  que,  nouveau  Prométhée, 
Ta  main  osa  ravir  le  feu  du  ciel. 

Somme  toute,  ils  n'en  voulaient  qu'au  poème  : 

....  Est-ce  donc  un  grand  crime 
D'en  rire  un  peu?  car  tel  est  notre  but. 
C'est  le  serpent  qui  veut  mordre  la  lime, 
C'est  l'écolier  corrigeant  l'Institut. 

Et  finement  ils  terminaient  ainsi  : 

Enfin,  messieurs,  malgré  toute  manœuvre, 
Rappelez-vous,  qu'en  aiguisant  ses  traits, 
La  parodie  est  fille  du  chef-d'œuvre  : 
Faites-en  donc  la  fille  du  succès! 

Ils  avaient  raison,  ces  spirituels   auteurs,  de  prononcer  le 
mot  de  chef-d'œuvre  et  de  s'incliner  devant  le  génie.  Certes, 


il  est  de  mode  aujourd'hui  de  décrier  dans  certains  cercles 
musicaux,  un  peu  en  France  et  beaucoup  en  Allemagne, 
celui  dont  le  nom  était  synonyme  de  succès,  l'auteur  de  tant 
d'ouvrages  restés  debout  malgré  les  caprices  de  la  mode, 
l'innovation  des  théories  et  le  dédain  du  passé.  Déjà  même 
autrefois  cette  opposition  trouvait  des  avocats,  et  l'on  ne 
saurait  oublier  l'étrange  oraison  funèbre  prononcée  par  Beulè 
en  1865,  sous  la  coupole  de  l'Institut:  «  Il  n'a  eu  ni  la  majesté 
antique  de  Gluck,  ni  la  grâce  divine  de  Mozart,  ni  l'éclat  émi- 
nentde  Rossini,ni  même  le  parfum  étrange  de  Weber.»  A  dé- 
faut de  tant  de  mérites,  si  tant  est  qu'il  n'eût  aucun  de  ceux- 
là,  Meyerbeer  possédait  du  moins  cette  étincelle  sacrée  qui 
tire  la  vie  du  néant.  Il  se  peut  que  sa  force  fût  faite  de 
volonté;  mais  par  le  sens  raisonné  de  sa  critique,  jointe  à 
l'excellence  de  ses  dons  naturels,  par  ce  mélange  incompa- 
rable d'inspiration  spontanée  et  de  lente  réflexion,  il  arrivait 
à  l'intensité  de  l'effet,  et  savait  créer,  lorsque  tant  d'autres 
imitent.  Que  de  formules  on  lui  reproche  maintenant,  dont 
la  faute  retombe  sur  ses  plagiaires!  Que  de  merveilles  en  son 
œuvre  qui  nous  paraissent  toutes  simples,  parce  qu'elles  sont 
tombées  depuis  dans  le  domaine  universel  !  Sévère  et  dur 
pour  lui-même,  indulgent  pour  les  autres,  il  songeait  encore 
à  s'instruire,  lui  qui  savait  tout  ce  que  l'on  peut  apprendre. 
Par  exemple,  il  assistait  à  la  première  représentation  des 
Porcherons,  et  comme  Grisar  venait  le  remercier  de  l'honneur 
qu'il  lui  faisait  en  daignant  écouter  son  œuvre  :  «  Monsieur, 
répondit  Meyerbeer,  je  viens  prendre  des  leçons  d'opéra- 
comique  !  »  Le  mot  est  piquant  ;  l'auteur  de  l'Etoile  du  Nord, 
à  laquelle  il  travaillait  alors,  était  assez  fin  diplomate  pour  le 
dire  sans  y  croire  ;  il  était  aussi  assez  bon  connaisseur  pour 
y  croire  en  le  disant.  De  fait,  il  avait  profité  de  l'enseigne- 
ment et  réduit,  pour  ce  cadre  nouveau,  la  dimension  ordinaire 
de  ses  toiles.  Mais  si  humble  qu'il  eût  tâché  de  se  faire,  il 
était  demeuré  grand.  Aussi  ne  pouvons-nous,  sans  quelque 
émotion,  feuilleter  les  premières  épreuves  de  cette  partition 
d'orchestre  que  le  hasard  a  fait  tomber  en  notre  possession. 
Toutes  ces  pages  sont  là,  revues  et  corrigées  par  cette  main 
qui  trahit  en  son  écriture  la  vivacité  delà  pensée  et  l'énergie 
de  la  décision.  En  traçant  ces  lignes,  Meyerbeer  ne  se  doutait 
pas  qu'il  allait,  plus  que  personne,  modifier  le  caractère  de 
ce  théâtre  où  il  donnait  sa  pièce  ;  il  apportait  la  force  et  la 
puissance  sur  une  scène  où  l'on  s'était  presque  toujours  con- 
tenté jusque-là  de  grâce  et  d'esprit;  il  élargissait  ce  cadre 
un  peu  étroit;  il  poussait  l'opéra-comique  dans  la  voie  de 
l'opéra  :  le  temps  lui  a  donné  raison. 

(A  suivre.) 


SEMAINE   THEATRALE 


LES  DÉBUTS  DU  TÉNOR  AFFRE 


A    L  OPERA 


MM.  Ritt  et  Gailhard  viennent  de  prendre  une  terrible  revanche  de 
la  presse  parisienne,  qui  les  malmenait  si  fort  depuis  quelque  temps. 
Qu'ont-ils  fait?  Ils  l'ont  traduite  en  bloc,  pensez-vous,  devant  les 
tribunaux  de  leur  pays.  Ah!  que  non  pas!  ces  faveurs  exceptionnelles 
sont  réservées  au  Ménestrel.  Ils  ont  trouvé  mieux  pour  les  autres; 
c'est  de  les  convoquer  simplement  à  une  seconde  audition  de  Lucie 
de  Lammermoor,  sous  prétexte  de  les  faire  assister  au  début  d'un 
nouveau  ténor,  qui  chantait  le  rôle  de  l'infortuné  Edgar. 

Toujours  stoïque  et  d'une  abnégation  sans  seconde,  la  presse  a 
fait  bonne  contenance  devant  l'horrible  supplice  que  l'académique 
direction  lui  infligeait  à  nouveau,  d'autant  que  les  bourreaux  ont  été 
trompés  en  partie  dans  leur  criminelle  attente.  Ils  pensaient,  comme 
surcroît  de  peine,  nous  faire  subir  les  abominations  du  début  d'un 
des  derniers  fruits  du  Conservatoire,  cet  odieux  potager  qui  n'en 
produit  que  d'exécrables,  au  dire  de  M.  Gailhard.  On  le  croirait  vo- 
lontiers si  l'on  songe  qu'il  en  est  sorti  lui-même;  mais  on  doit  être 
d'un  autre  avis  si  l'on  considère  que  plusieurs  des  plus  précieux 
sujets  de  l'Opéra  sortent  précisément  de  cet  établissement  d'instruc- 
tion, qui  vient  encore  d'offrir  aux  honorables  directeurs,  en  la  per- 
sonne de  M.  AfTre,  à  raison  de  cinq  mille  francs  par  an,  un  nouveau 


LE  MENESTREL 


27 


-ténor  qui  eu  vaudrait  bien  trente  ou  quarante  mille  s'il  avait  fallu 
l'aller  chercher  ailleurs.  Pareille  aubaine  leur  était  déjà  advenue 
avec  M.  Duc.  On  ne  peut  donc  voir  dans  les  récriminations  cons- 
tantes de  l'important  Gailhard  contre  le  Conservatoire  que  les  mau- 
vaises dispositions  d'un  esprit  chagrin  et  jamais  satisfait,  si  ce  n'est 
de  lui-même. 

Donc,  M.  Affre  a  réussi.  Je  ne  vous  dirai  pas  qu'il  soit  détaille  à 
•effacer  déjà  la  gloire  de  Duprez,  qui  fut  le  premier  Edgar  connu  en 
notre  pays;  mais  il  a  de  l'allure  en  scène,  et  une  vois  qui,  sans  être 
puissante,  possède  cependant  suffisamment  de  timbre  pour  se  faire 
■  écouter  avec  plaisir;  voix  pure,  onctueuse  et  de  bonne  pâte,  une 
vraie  voix  d'archevêque,  comme  le  nom  de  l'artiste  semblait  d'ailleurs 
le  faire  pressentir.  Il  fera  donc  bonne  figure  à  l'Opéra,  si  ses  direc- 
teurs ne  forcent  pas  ses  moyens  en  les  appliquant  à  des  rôles  trop 
tendus. 

Est-il  besoin  de  dire  encore  les  ovations  qu'on  a  décernées,  ce 
.soir-là,  à  la  triomphante  Melba,  dont  le  grand  talent  est  assurément 
digne  d'une  musique  moins  défraîchie? 

LE  VOYAGE  DE  SUZETTE 

AU   THÉÂTRE    DE   LA    GAITÉ 

Ce  voyage  n'a  rien  à  voir  avec  ceux  qu'entreprend  M.  Gailhard  à 
travers  l'Europe,  quand  il  est  censé  y  chercher  un  contralto  introu- 
vable. Les  voyages  de  M.  Gailhard  sont  burlesques;  ceux  de  Suzette, 
imaginés  par  MM.  Chivot  et  Duru,  ne  sont  que  plaisants  et  gracieux. 
En  voici  l'odyssée  en  quelques  mots  : 

Blanchard  le  riche,  qui  meneaux  Indes  une  véritable  vie  de  pacha, 
n'a  qu'un  regret,  c'est  de  ne  pas  retrouver  la  trace  de  son  ami  Ver- 
duron,  qu'il  a  quitté,  il  y  a  bien  longtemps,  pour  courir  après  les 
richesses.  Il  avait  été  convenu  entre  les  deux  amis  qu'ils  partage- 
raient toujours  la  bonne  comme  la  mauvaise  fortune,  et  que  plus 
tard  ils  uniraient  leurs  enfants.  Blanchard,  qui  est  homme  d'honneur, 
se  désole  de  ne  pouvoir  tenir  ses  engagements:  c'est  à-dire  donner 
cent  millions  à  Verduron  puisqu'il  en  possède  deux  cents,  et  lui 
demander  en  même  temps  la  main  de  sa  fille  Suzette  pour  son  fils 
André. 

Enfin  un  des  émissaires  dont  il  inonde  l'Europe  lui  annonce  qu'il 
a  découvert  Verduron.  pauvre  maître  d'école  à  Barcelone.  Fréter  un 
navire  et  envoyer  André  quérir  sa  fiancée  n'est  pour  Blanchard  que 
l'affaire  d'un  coup  de  baguette.  Mais  Suzette  se  trouve  avoir  à  Barce- 
lone un  vieil  amoureux  ridicule,  qui  convoite  sa  main  et  fera  tout 
pour  empêcher  l'heureuse  issue  du  voyage.  Voilà  le  cadre  de  la 
pièce,  dont  nous  ne  suivrons  pas  toutes  les  péripéties.  C'est  une 
succession  de  tableaux  très  variés  et  toujours  amusants,  un  véritable 
kaléidoscope  qui  nous  montre  tour  à  tour  le  port  de  Barcelone,  puis 
Athènes  avec  des  aventures  de  brigands.  Smyrne  et  l'intimité  de 
ses  harems,  enfin  un  véritable  cirque  avec  pantomime  anglaise  et  dé- 
filé éblouissant,  le  tout  pour  aboutir  à  la  réunion  de  Blanchard  et  de 
Verduron  et  au  bonheur  de  leurs  enfants. 

Ce  panorama  animé  a  remporté,  fort  justement,  un  gros  succès. 
11  ne  s'y  glisse  pas  une  minute  pour  l'ennui,  et  la  mise  en  scène 
en  est  toujours  curieuse  et  intéressante.  La  pantomime  anglaise 
et  son  monvement  perpétuel  sont  d'une  drôlerie  irrésistible,  et  le 
défilé  du  cirque  Blackson  à  travers  les  rues  de  Smyrne  est  d'un 
luxe  éblouissant  en  même  temps  que  d'une  originalité  qui  n'a  pas 
encore  été  dépassée. 

On  a  pris  la  musique  à  droite  et  à  gauche,  puisant  çà  et  là  dans 
des  partitions  d'Offenbach,  Lecoeq,  Hervé,  Johann  Strauss,  Fahrbach, 
Lacome,  Suppé  et  autres  maîtres  de  l'opérette,  le  tout  panaché  d'un 
peu  de  musique  inédite  de  M.  Léon  Vasseur. 

Et  par-dessus  tout  cela  le  rôle  de  Suzette  a  trouvé  pour  interprète 
une  petite  divette  endiablée  tout  à  fait  charmante.  Jamais  Mme  Si- 
mon-Girard n'a  été  plus  en  verve  ni  plus  en  grâce.  Elle  est  extra- 
ordinaire de  vivacité  dans  la  pantomime  anglaise.  Avec  cela,  chanteuse 
spirituelle  et  intelligente.  Elle  a  dû  redire  presque  tous  ses  couplets 
et  même  trisser  la  jolie  valse  de  la  Reine  Indigo  (Johann  Strauss), 
qu'elle  chante  avec  un  brio  et  une  adresse  extraordinaires. 

M1"0  Simon-Girard  est  d'ailleurs  bien  entourée.  M.  Mesmacker  a 
donné  une  excellente  physionomie  au  personnage  de  Verduron,  le 
vieux  maître  d'école  ;  M.  Simon-Max  est  très  amusant  dans  un  rôle 
de  domestique  qui  vient  des  Balignolles.  Enfin,  il.  Alexandre  soupire 
agréablement  la  romance,  un  peu  trop  du  bout  des  lèvres  cependant. 
Ce  n'est  plus  du  chant,  cela,  mais  plutôt  le  petit  susurrement  du  ruis- 
seau qui  court  h  travers  la  campagne. 

Donc,  très  grand  succès.  Tout  Paris  voudra  faire  avec  Mmc  Simon- 
'Jirard  le  voyage  de  Suzetle. 


CENDRILLONNETTE 


AUX    BOUFIF..S-1'AKISII'.NS 


Encore  une  primeur!  M.  Paul  Ferrier  a  eu  l'idée  nullement  déplai- 
sante d'adapter  au  genre  de  l'opérette  l'histoire  de  la  pauvre  Cendrillon, 
et,  comme  il  a  du  talent  et  de  l'esprit,  il  en  a  fait  un  gentil  conte 
très  parisien  auquel  M"0  Mily-Meyer  prèle  les  grâces  de  sa  mignonne 
personne.  Zizi,  qui  n'est  qu'une  pauvre  petite  blanchisseuse,  est  dé- 
daignée par  sa  tante,  qui  n'a  d'yeux  et  d'oreilles  que  pour  ses  deux 
autres  nièces,  artistes  quelque  part  dans  un  théâtre  du  boulevard. 
Or,  il  arrive  que  Zizi,  qui  a  de  la  chance,  fait  fortune,  tandis  que 
ses  deux  sœurs  ne  font  que  folies  sur  folies,  si  bien  qu'à  la  fin  toute 
la  famille  est  bien  heureuse  de  trouver  Zizi  pour  pouvoir  subsister; 
il  en  est  de  même  d'un  garçon  coiffeur  dont  elle  raffolait  et  qui 
avait  le  tort  de  ne  pas  s'en  douter.  Vous  voyez,  c'est  simple  comme 
un  conte  d'enfant.  Mais  il  y  a  des  diversions  charmantes,  telles  que 
l'interprétation  d'une  revue  au  Garden-club  et  les  allées  et  venues 
d'une  boutique  de  coiffeur  à  la  mode. 

MM.  Gaston  Serpette  et  Victor  Roger  ont  uni  leurs  efforts  pour 
écrire  sur  ce  canevas  une  petite  partitionnetle,  sans  aucune  préten- 
tion, mais  vive  et  légère,  qui  va  son  chemin  sans  laisser  d'ennui. 
Tout  est  donc  pour  le  mieux,  et  nous  souhaitons  longue  vie  el  pros- 
périté à  cette  aimable  Cendrillonnette,  qui  compte  parmi  ses  inter- 
prètes, indépendamment  de  MUe  Mily-Meyer,  M.  Dieudonné  du  Vau- 
deville —  excusez  du  peu  —  M.  Piccaluga ,  un  chanteur  exquis, 
et  la  belle  M"e  Gilberte. 

H.    MORENO. 

MARGOT 

A  LA   COMÉDIE-FRANÇAISE 

Dix-huit  ou  dix-neuf  ans,  gracile,  délieate,blonde,  avec  de  grands 
yeux  étonnés  et  gentiment  malicieux,  de  la  grâce,  de  l'élégance, 
et  un  aimable  sans-façon,  telle  nous  apparaît,  au  physique,  Margot, 
née  on  ne  sait  où  ni  comment,  élevée  à  la  campagne  dans  une 
cour  de  ferme  et  jetée  tout  à  coup  par  une  femme  à  la  mode,  qui 
veut  la  lancer,  dans  le  tourbillon  de  la  vie  galante.  Presque  naïve, 
bien  que  n'ayant  plus  rien  à  apprendre  de  la  vie  réelle  qu'elle 
connaît  parfaitement,  intelligente  naturellement,  ayant  appris  le 
peu  qu'elle  sait  parmi  les  poules  et  les  canards,  et  ayant  deviné  le 
monde  à  la  vue  seule  des  paysans  qui  la  soignaient  et  de  l'élégante 
qui  la  venait  voir  de  loin  en  loin,  ainsi  la  devinons-nous  au  moral. 
Ecœurée  dès  les  premiers  pas,  elle  a  tout  autant,  comme  elle  le 
dit  elle-même,  de  dispositions  pour  se  jeter  à  l'eau  que  pour  mener 
l'existence  à  laquelle  on  la  destine.  C'est  à  Boisvillette  qu'elle  fait 
cette  confidence,  Boisvillette,  un  vieux  garçon,  joyeux  viveur  et 
bon  vivant,  qui  lance  aux  quatre  vents  de  sa  folie  des  écus  large- 
ment et  facilement  amassés,  et  qui,  surpris  du  caractère  de  cette 
enfant,  et,  inconsciemment,  attiré  aussi  par  son  charme  magique, 
lui  propose  de  l'arracher  au  monde  où  elle  se  meut,  et  d'en  faire 
une  honnête  femme  qu'il  mariera  un  jour  ou  l'autre.  Elle  accepte, 
et  la  voilà  installée  aux  environs  de  Paris,  écartée  du  monde  et 
éloignée  du  bruit,  piochant  l'histoire,  s'escrimant  à  l'orthographe, 
martyrisant  son  piano  et  épelant  Musset  : 

Ninon,  Ninon,  que  fais-tu  de  la  vie  ? 
L'heure  s'enfuit,  le  jour  succède  au  jour, 

Rose  ce  soir,  demain  flétrie, 
Comment  vis-tu,  toi  qui  n'as  pas  d'amour? 

Et  la  petite  Margot,  que  la  vie  calme  el  paisible  des  champs 
avait,  jusqu'alors,  laissée  paisible  et  calme,  la  petite  Margot  n'a 
pas  besoin  de  fouiller  bien  profondément  son  petit  cœur,  qui  s'ou- 
vre, pour  y  trouver  l'image  du  jeune  Georges,  le  neveu  de  Bois- 
villette, à  peine  entrevu  par  hasard.  Mais  Georges  est  fiancé,  il  va 
se  marier;  Margot,  désespérée,  reproche  à  Boisvillette  ses  bienfaits, 
l'accusant  du  mal  dont  elle  souffre,  puisque,  sans  lui,  elle  n'aurait 
jamais  pu  connaître  l'amour  véritable,  et  elle  veut  fuir  l'ami  qui 
l'a  recueillie.  L'ami  s'aperçoit  alors  que,  malgré  ses  nombreuses 
années  de  vie  à  grandes  guides,  il  est  des  sensations  qu'il  n'a  pas 
encore  ressenties,  et,  pris  bénévolement  au  piège  qu'il  s'est  tendu  lui- 
même,  il  offre  à  la  jeune  fille  de  l'épouser.  Margot  refuse  brave- 
ment, se  révoltant  à  l'idée  qu'on  pourrait  l'accuser  d'avoir  machiné 
une  petite  intrigue  pour  devenir  Mmo  de  Boisvillette  et,  déclinant  les 
offres  sa taniques  d'un  autre  viveur  fort  déjeté,  Leridan,  qui  promet  le 
petit  hôtel  entre  cour  et  jardin  et  le  coupé,  elle  donne  sa  main  à 
un  brave  homme  de  garde  qui,  peu  avant,  lui  avait  très  naïvement 
déclaré  son  amour. 

Je  vous  ai  dit  ainsi  le  fond  de  la  pièce,  et  vous  y  avez  retrouvé 
une   question    déjà    traitée   au  théâtre,   à   savoir  :    que   devient  la 


28 


LE  MENESTREL 


femme  arrachée  à  la  boue  et  placée  dans  un  milieu  d'hoDueur?  Si 
M.  Meilhae  a  traité  son  sujet  d'une  façon  charmante  et  surtout 
toute  parisienne,  principalement  au  premier  acte,  qui  est  délicieux, 
je  ne  vois  pas  bien  qu'il  ait  nettement  tranché  la  question  posée. 
Margot  épouse  un  homme  qu'elle  n'aime  pas  et.  de  maîtresse  qu'elle 
était,  la  voilà  devenue  presque  servante.  Ne  regrettera-l-elle  pas 
un  jour  le  luxe  entrevu,  ne  relira-t-elle  pas  Musset  en  pensant  à 
un  Georges  nouveau,  ou  bien  même  résistera-t-elle  aux  tentations 
adroitement,  offertes  par  les  nombreux  Leridan  qui  l'ont  convoitée 
lors  de  sa  courte  apparition  dans  le  monde?  De  gros  points  d'in- 
terrogation, d'autant  plus  gros  que  Margot  n'a  pas  entièrement 
goûté  à  l'existence  si  vite  traversée  et.  qu'étant    femme,    elle    doit 

être  curieuse 

L'interprétation  est  entièrement  parfaite  de  la  part  de  Mlle  Rei- 
cbenberg  (Margot),  de  M.  Febvre  (Boisvillette),  et  de  M.  Worms  (le 
garde)  ;  elle  est  très  spirituelle  de  la  part  de  M.  Coquelin  cadet 
(Leridan),  et  fort  élégante  de  la  part  de  M.  Le  Bargy  (Georges). 
Elle  reste  aimable  du  côté  de  Mmcs  Bertiny,  Moulaland,  Fayolle, 
Rachel  Boyer  et  Nancy  Martel. 

Paul-Émle  Chevalier. 


LE  COURRIER  DE  M.  GAILHARD  (1) 


M.  Gailhard  est  dans  son  cabinet  de  travail.  11  est  neuf  heures  du  matin.  Il 
se  dirige  vers  son  bureau.  Avec  une  certaine  terreur,  il  voit  un  monceau  de 
lettres.  Il  se  met  à  en  chercher  une,  il  cherche,  il  cherche,  enfin  il  la  trouve  : 
elle  porte  comme  en-tête  :  Caisse  de  l'Académie  nationale  de  musique.  Il  ouvre  et 
il  lit  ceci  : 

Bulletin  des  recettes  du  15  janvier  1890 

Recettes  du  15  janvier 8,710  francs. 

Recettes  du  15  juillet  1889  ....     23,530      — 

La  lecture  de  ce  simple  billet  du  matin  ne  remplit  pas  précisément  de  joie 
M.  Gailhard,  qui  s'écrie  : 

—  Le  goût  artistique  est  bien  plus  développé  chez  les  provinciaux 
que  chez  les  Parisiens.  Je  finirai  par  être  directeur  d'un  théâtre 
de  province. 

—  Oh  !  oh  !  continue  M.  Gailhard,  mais  voilà  une  lettre  de  ce  bon 
Constans.  Voyons  ! 

«  Mon  cher  copain, 
»  Plus  moyen  de  te  soutenir  :  tu  fais  trop  de  bêtises.  Et  il  y  a 
cette  satanée  histoire  de  la  caisse  des  retraites  qui  me  paraît  bien 
difficile  à  arranger.  Quand  on  fait  des  coups  de  ce  genre,  il  faut 
être  plus  adroit.  Enfin,  mon  vieux,  tire-toi  de  là  comme  tu  pourras, 
tu  comprends  bien  que  cela  me  fait  de  la  peine  de  lâcher  un  Tou- 
lousain, mais  il  n'y  a  plus  moyen. 

»  Constans.  » 

—  J'avais  bien  raison  de  dire  toujours  qu'il  fallait  se  méfier  des 
gens  du  Midlss.  Ce  lâcheur.  Tant  pis  pour  lui  !  je  vais  lui  faire  de 
l'opposition.  Voilà  justement  une  lettre  de  mon  ami  Clemenceau  : 

«  Monsieur, 
»  J'ai  trop  longtemps,  par  une  coupable  bienveillance,  empêché 
la  Justice  de  suivre  son  cours.  Rien  ne  l'arrêtera  plus  maintenant. 
Vous  comprenez  que,  lorsqu'on  a  trouvé  son  chemin  de  Damas  sur 
le  chemin  de  Bayreuth,  on  ne  peut  plus,  par  des  connivences  cou- 
pables, protéger  une  entreprise  beaucoup  plus  commerciale  qu'ar- 
tistique. Vous  n'aurez  plus  ni  ma  confiance,  ni  mon  soutien,  ni  mon 
journal. 

»  Clemenceau.  » 

—  Sont-ils  bêtes,  tous  ces  gens-là,  avec  leur  sens  artistique  !  J'ai 
fait  des  affaires...  Tiens,  voilà  une  lettre  du  commissaire  du  gou- 
vernement; qu'est-ce  qu'il  me  veut,  celui-là? 

«  Monsieur. 
»  Chargé  par  l'Etat  d'inspecter  les  magasins  de  décors  et  de  cos- 
tumes de  votre  exploitation,  j'ai  l'honneur  de  vous  faire  savoir  que 
j'ai  trouvé  les  costumes  dans  le  plus  piteux  état.  Contrairement  aux 
cahiers  des  charges,  vous  avez  employé  les  mêmes  costumes  pour 
des  œuvres  différentes,  et  vous  vous  êtes  servi  des  mêmes  décors 
pour  des  opéras  auxquels  ils  n'étaient  pas  destinés.  Je  ne  cite  que 
les  décors  de  la  Dame  de  Monsoreau,  du  Tribut  de  Zamora,  de  Roméo 
et  Juliette,  qui  ont  été  employés  pour  les  représentations  d'autres 
œuvres. 


(1)  Nous  signalons  à  l'indignation   de  MM.  Ritt  et  Gailhard  et  à  leurs 
foudres  judiciaires  cette   fantaisie  que  nous   reproduisons  de  la    Vie  par  i- 


»  Les  costumes  sont  dans  un  état  déplorable.  J'ai  eu  communica- 
tion de  lettres  par  lesquelles  les  choristes  (hommes  et  femmes)  se 
plaignent  des  loques  qu'on  les  oblige  à  porter.  Il  y  a  là  un  état  de 
choses  absolument  inadmissible.  Et,  au  moment  où  votre  privilège 
va  prendre  fin,  je  dois  vous  avertir  qu'à  dire  d'experts,  il  faudra  au 
moins  deux  millions  pour  remettre  le  matériel  en  état. 

»  Agréez  mes  salutations.  » 

(Illisible.) 

—  A-t-on  jamais  rien  vu  de  plus  bête  que  l'administration  fran- 
çaise !.  Enfin  !  il  me  reste  la  littérature.  "Voilà  une  lettre  de  Sardou, 
qu'est-ce  qu'il  me  dit  ? 

«  Monsieur, 
»  Je  vous  prie  de  bien  vouloir  vous  rendre  au  siège  de  la  com- 
mission des  auteurs,  dont  je  suis  président,  pour  répondre  à  certai- 
nes questions  qui  vous  seront  posées  au  sujet  des  retards  mis  par 
vous  à  l'exécution  du  cahier  des  charges.  Voilà  deux  ans  que  vous 
n'avez  pas  donné  d'opéras  nouveaux  —  vous  n'avez  jamais  donné  le 
nombre  réglementaire  d'actes  de  ballet  ■ —  vous  devez  des  amendes 
à  la  Société  des  auteurs.  Vous  avez  essayé  d'obtenir  d'un  malheu- 
reux compositeur  une  fausse  déclaration... 

»  Sardou  » 

—  Ah!  mais  ils  m'ennuient  tous  à  la  fin;  qu'est-ce  qu'ils  ont 
donc?...  Tiens!  voilà  des  lettres  de  femme:' 

«  Monsieur, 
»  Vous  savez  à  la  suite  de  quoi  j'ai  quitté  l'Opéra...  » 

Qu'est-ce  encore?  signé:  Caron.  Oui...  je  sais,  elle  voudrait  rentrer. 
Jamais!...  Encore  une  lettre  de  femme...  «  Désolée..,  pleine  du 
désir...  »  qui?  Richard.  Nous  n'en  avons  pas  besoin. 

Et  celle-là  : 

«  Monsieur, 

»  Je  désirerais  savoir  pourquoi,  après  avoir  été  averti  par  moi  de 
l'impossibilité  dans  laquelle  j'étais  de  chanter,  vous  n'en  avez  pas 
moins  laissé  mon  nom  sur  l'affiche  pour  une  représentation  â'Aïda. 
Vous  n'avez  pas  fait  d'annonce,  vous  m'avez  fait  remplacer  par  une 
chanteuse  de  province  (à  laquelle  vous  avez  donné  cent  francs  et 
deux  loges  de  seconde  pour  tout  cachet),  et,  comme  cette  artiste  n'a 
pas  eu  de  succès,  il  y  a  des  gens  qui  croient  à  l'heure  qu'il  est  que 
je  n'ai  pas  de  voix.  C'est  dur! 

»  Je  vous  salue. 

»  Vidal.   » 
«  Monsieur  le  Directeur, 

»  Le  métier  n'est  pas  tenable  :  ces  messieurs  et  ces  dames  sont 
tous  à  plaindre,  et,  comme  ils  disent  que  ce  n'est  pas  la  peine  de 
s'adresser  à  la  direction,  ils  tombent  sur  moi.  Eu  bas.  les  messieurs 
de  l'orchestre  sont  moins  regardants  parce  qu'ils  regardent  tout  le 
temps  la  scène,  mais  quand  une  dame  déchire  sa  robe  à  un  clou, 
comme  c'est  arrivé  au  n°  141,  ou  quand  elle  s'écorche  le  bras  à  un 
fauteuil,  comme  la  belle  mère  du  133,  ce  sont  des  cris  à  n'en  plus 
finir.  Et  puis  on  se  plaint  que  les  portes  ne  ferment  plus,  que  les 
tables  des  salons  ne  tiennent  plus  :  l'autre  jour,  après  un  bal,  on  a 
trouvé  un  os  de  poulet  au  139.  Et  c'est  toujours  sur  moi  que  ça  re- 
tombe. Et  comme,  à  cause  de  cela,  les  étrennes  ont  été  maigres  et 
que  les  pourboires  ne  sont  pas  gras,  alors,  monsieur  le  directeur, 
je  vous  écris  pour  vous  faire  savoir  que  ce  n'est  plus  possible  et 
que  je  vous  salue  bien.  » 

»  EuLODIE    MATHIVET, 

Ouvreuse  des  Premières  loges.  » 

—  Ce  que  je  vais  la  flanquer  à  la  porte,  celte  vieille  bête!  Enfin 
plus  qu'une  lettre,  et  elle  est  de  mon  vieux  Ritt. 
«  Mon  cher  ami, 
»  Il  me  vient  une  idée  :  les  répétitions  d'Aseanio  vont  être  très 
difficiles  :  lâche  donc  avec  ton  sens  artistique  de  les  faire  durer 
jusqu'en  mai.  A  ce  moment  expire  l'engagement  de  Lassalle,  nous 
ne  le  renouvellerons  pas,  et  nous  n'aurons  pas  besoin  de  jouer 
Ascanio ;  qu'en  dis-tu?  Et  puis,  j'ai  aussi  trouvé  la  raison  pour 
laquelle  Delpit  nous  travaille.  Je  lui  ai  refusé  Dica  Petit  en  1872, 
quand  j'étais  directeur  de  la  Porte-Sainl-Martin.  Il  ne  me  l'a 
jamais  pardonné.  » 

»  Ton  ami  et  associé, 

»  Ritt.  » 

En  voilà  un  qui  me  comprend!  et  qui  comprend  le  métier!  quel 
génie!  Avec  un  homme  comme  lui  je  ne  crains  rien,  ni  personne.  Et 
en  1900,  nous  serons  encore  directeurs  de  l'Opéra  ! 


LE  MENESTREL 


29 


LE  THEATRE  A  L'EXPOSITION  UNIVERSELLE  DE  1889 


VIII 

ESTAMPES,    DESSINS   ET   PORTRAITS 

(Suite) 

Celte  gouache  se  trouvait,  non  dans  la  rotonde  de  l'exposition 
théâtrale,  mais  dans  la  petite  salle  voisine  dont  les  vitrines  conte- 
naient de  nombreux  objets  que  j'ai  décrits  et  quelques  autographes 
de  musiciens  que  j'ai  reproduits  dans  un  chapitre  précédent.  Non 
loin  d'elle  se  voyait  un  autre  dessin,  plus  moderne  et  tout  à  fait 
charmant,  mais  malheureusement  inachevé,  un  projet  d'éventail  re- 
présentant une  vue  intérieure  de  la  salle  de  l'Opéra  sous  la  Restau- 
ration, pendant  le  spectacle,  sans  nom  d'auteur.  Puis  venaient  plu- 
sieurs estampes  intéressantes  à  des  litres  divers.  D'abord,  une  série 
de  «  vues  et  plans  des  principaux  tbéàlrcs  parisiens  au  dis-huitième 
siècle,  »  comprenant  le  théâtre  de  Monsieur  aux  Tuileries,  la  salle 
Favart,  la  Comédie-Française  (élevée  en  1779  sur  l'emplacement  de 
l'Odéon  actuel)  et  l'Ambigu-Comique.  On  voit  que,  même  à  part 
l'Opéra,  il  manque  là  les  Grands  Danseurs  du  Roi  ou  théâtre  de 
Nicolet,  aujourd'hui  la  Gaité,  déjà  pourtant  célèbre  à  cette  époque  ; 
c'est  que,  chose  assez  singulière,  on  ne  connaît  aucune  estampe, 
aucune  gravure  faisant  connaître  la  première  salle  construite  sur  le 
boulevard  du  Temple  pour  ce  théâtre  où  le  public  courait  en  foule. 
Dans  le  même  cadre  on  avait  placé, sans  autre  indication  de  détail, 
divers  «  dessins  de  décors  représentant  des  scènes  d'opéra  au  dix- 
huitième  siècle.  »  Un  peu  plus  loin  se  trouvait  un  «  plan  cavalier  du 
Théâtre-Français,  sous  l'empire.  »  Puis  enfin,  à  côté,  dans  un  autre 
et  vaste  cadre,  on  avait  réuni  une  suite  fort  curieuse  et  assurément 
très  rare  de  «  dessins  de  décors  et  machines  ayant  servi  aux  opéras 
Adonis  et  Germanicus  sur  le  Rhin,  représentés  au  théâtre  San  Salva- 
tor,  de  Veuise,  en  1675  (1)».  Nous  ne  trouvons  plus  ensuite,  dans 
cette  salle,  qu'une  ccuroone  de  lauriers  offerte  jadis  à  Talma,  et 
quelques  jolis  spécimens  de  billets  de  faveur  pour  divers  théâtres, 
dont  un  entre  autres,  de  la  Comédie-Française,  est  tout  à  fait  exquis. 
Il  nous  faut  maintenant  monter  à  la  galerie  supérieure  pour  pour- 
suivre notre  revue. 

Là,  je  l'ai  dit,  on  s'était  trouvé,  au  dernier  moment,  en  présence 
d'un  assez  grand  espace  resté  vide  et  qu'il  fallait  s'occuper  de  garnir 
à  la  hâte  et  à  tout  prix.  C'est  ce  qui  explique  le  manque  relatif  d'inté- 
rêt de  quelques-uns  des  objets  groupés  en  cet  endroit,  dont  on  fit 
comme  une  sorte  d'annexé  et  de  complément  de  l'exposition  théâtrale. 
Outre  les  maquettes  et  plans  de  théâtres  anciens  (très  curieux,  ceux- 
là),  dont  j'aurai  bientôt  à  parler,  on  eut  l'idée  de  réunir  là  un  peu 
au  hasard  diverses  séries  d'estampes  relatives  au  théâtre  et  à  la 
musique  ;  et  comme  on  était  pressé  par  le  temps,  on  prit  à  peu  près 
les  premières  choses  venues,  pourvu  qu'elles  se  rapportassent  à  ce 
double  sujet.  Il  va  sans  dire  que  rien  de  tout  cela  ne  trouva  place 
ni  mention  sur  le  catalogue,  établi  vraiment  un  peu  trop  à  la 
diable,  comme  je  l'ai  déjà  fait  remarquer. 

Il  semblait  que  tout  ceci  fût  divisé  en  deux  sections,  dont  l'une 
était  comprise  sous  cette  rubrique  :  «  Estampes  et  gravures  relatives 
aux  instruments  de  musique  et  à  leur  emploi.  »  Cette  collection, 
peu  nombreuse,  se  composait  uniquement  de  planches  extraites  de 
divers  ouvrages,  et  particulièrement  du  célèbre  livre  de  Laborde  : 
Essai  sur  la  musique,  qui  date  de  la  seconde  moitié  du  dix-huitième 
siècle.  Encore  eùt-on  pu  au  moins  en  indiquer  la  provenance,  ce 
qu'on  avait  négligé  de  faire. 

(1)  Ici,  la  pancarte  officielle  commettait  une  légère  erreur;  les  deux 
opéras  en  question  furent  représentés  non  en  1673,  mais  en  1670.  Le 
théâtre  San  Salvatore,  où  ils  virent  le  jour,  avait  été  construit  par  les 
soins  de  la  célèbre  famille  Vendramin  au  commencement  du  dix-septième 
siècle,  et  consacré  d'abord  à  la  comédie.  Détruit  par  le  feu  vers  16S0  et 
réédifié  aussitôt  dans  de  meilleures  conditions,  il  fut,  à  partir  de  1661,  ré- 
servé aux  représentations  d'opéra,  pour  revenir  a  la  comédie  en  1700.  II 
porte  aujourd'hui  le  nom  du  grand  poète  Carlo  Goldoni,  et  il  est  le  plus 
ancien  de  ceux  de  Venise;  il  n'a  pas  cessé  d'ailleurs  d'être  aux  mains  de 

li   I ille  Vendramin,  et  à  cette   heure  encore  il  appartient  à  la  signora 

Itegina  De  Marchi,  veuve  du  «  noble  homme  »  Domenico  Vendramin. 
C'est  en  effet  là  que  furent  représentés,  en  1676,  les  deux  opéras  ci-des- 
sus mentionnés  ;  Adone  in  Cipro,  paroles  du  docteur  Giannini  et  de  Tebaldo 
Fatorini,  musique  de  Giovanni  Legrenzi,  dédié  «  aux  illustres  seigneurs 
Cesare  Calimero  et  Alessandro  Cigola,  »  et  Germanico  sul  Ileno,  paroles  de 
(jiuliu  Ce.san;  Corradi,  musique  du  môme  Legrenzi,  dédié  c  à  Son  Altesse 
Sérénissime  le  prince  de  Monaco,  duc  de  Valentinois,pair  de  France, etc.  » 
(Vmj.  :  I  Tealri  musical!  di  Venesia  ncl  seeolo  AT//,'  per  Livio  Niso  Galvani, 
Milan,.  Hicordi,  1879,  in-4°.) 


La  seconde  section  était  ainsi  annoncée  :  «  Estampes  et  gravures 
relatives  au  théâtre:  décors,  costumes  et  portraits.  «Quelques-unes 
des  estampes  exposées  ici  auraient  dû  trouver  place  dans  l'autre 
section,  par  exemple  celles-ci  :  le  Concert  agréable,  de  Lavrince  ; 
Sainte  Cécile  (gravée  par  UTmer,  d'après  le  tableau  de  Mignard)  ;  les 
Musiciens  ambulants  (gravé  par  "Wille,  d'après  le  tableau  de  Diétricy); 
le  Passe-temps  (gravé  par  Audran,  d'après  Watteau);  salle  de  con- 
certs de  la  société  Félix  Mentis,  à  Amsterdam.  Pour  les  autres, 
je  signalerai  :  le  Parnasse  de  Raphaël,  assez  singulièrement  placé  en 
cet  endroit;  le  Bal  paré,  de  Saint-Aubin;  le  tableau  magique  de 
Zémire  et  Az-or,  de  Touzé  ;  une  Scène  de  comédie  à  l'hôtel  de  Bourgogne; 
deux  Décors  italiens  du  dix-septième  siècle,  de  Bibiena  ;  un  Décor  du 
dix-huitième  siècle;  une  Harlequine  dansante;  et  enfin  l'eau-forte  cé- 
lèbre de  Duplessis-Bertaut  représentant  Grétry  traversant  l'Achéron, 
avec  ce  quatrain  signé  :  P.  Villiers  : 

Pour  charmer  t'ennui  de  la  route, 

Grétry,  sa  lyre  en  mai:},  traversait.  l'Achéron. 

Ramez-donc,  dit-il  à  Caron, 

Que  faites -vous?...  J'écoute...! 

Venaient  ensuite  un  certain  nombre  de  portraits  d'artistes  de 
théàlre,  dont  quelques-uns  vraiment,  par  leur  peu  de  valeur  et  leur 
peu  de  rareté,  ne  méritaient  guère  d'être  ainsi  placés  sous  les  yeux 
du  public,  qui  peut  en  rassasier  sa  vue  chaque  jour  aux  vitrines 
des  plus  modestes  marchands  d'estampes.  C'était,  pour  la  comédie 
et  la  tragédie:  Baron,  Talma,  Baptiste  cadet,  AdrieDne  Lecouvreur, 
MUe  Dumesnil,  Mlle  Duclos,  M1"'  Raucourt,  Mmc  Joly,  M"«  Favart, 
Miss  Smithson,  Rachel,  Mme  Allan,  Mlle  Plessis;  pour  le  chant: 
MUe  Pélissier,  Sophie  Arnould,  Mme  Belmont,  la  Malibran,  Giulia 
Grisi;  pour  la  danse:  MUe  Salle,  M1Ie  Dulhé,  Mlle  Chameroy, 
Mlle  Hillisberg,  danseuse  anglaise,  Fanny  Elssler.  Enfin,  pour  le 
reste,  on  ne  trouvait  que  quelques  scènes  et  types  de  théâtre,  et 
une  série  de  costumes  d'acteurs  français  ou  étrangers  portés  par  eux 
dans  divers  ouvrages.  On  voit  que  tout  cela  n'était  que  d'un  in- 
térêt médiocre.  Cette  partie  de  l'exposition  théâtrale  se  complétait 
par  les  très  curieuses  maquettes  d'anciens  théâtres  que  j'ai  signalées, 
et  par  une  nombreuse  suite  d'estampes  et  de  vignettes  originales 
relatives  à  l'art  théâtral  dans  l'Extrême-Orient  et  surtout  au  Japon. 
Ceci  mérite  qu'on  s'y  arrête,  et  nous  allons  nous  en  occuper  (1). 
(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts  du  Cuatelet.  —  L'exécution  de  la  symphonie  en  ut  mineur 
a  été,  dans  le  premier  morceau,  remarquable  de  finesse  et  de  précision, 
très  expressive  dans  le  deuxième,  tour  à  tour  chaleureuse  ou  empreinte 
d'une  extrême  ténuité  dans  le  scherzo  et  entraînante  autant  que  tumul- 
tueuse à  partir  des  fanfares  du  finale.  Interprétée  avec  cette  variété  de 
nuances,  l'œuvre  passe  rapide  comme  un  rêve,  et  l'on  sa  prend  à  en  trouver 
les  dimensions  trop  restreintes.  Dans  ces  conditions,  le  rétablissement  de 
la  grande  reprise  du  finale  serait  une  témérité  que  l'on  pourrait  se  per- 
mettre et  contre  laquelle  personne  assurément  ne  protesterait.  L'air  de 
Lucifer,  extrait  de  la  Résurrection  de  Haëndel,  nous  a  paru  emphatique  et 
d'une  expression  toute  superficielle.  M.  Auguez  l'avait  choisi  sans  doute 
parce  que  ses  périodes  musicales  permettent  à  la  voix  de  se  draper  pour 
ainsi  dire  comme  sur  un  piédestal  et  de  se    répandre  en  vibrations  d'une 


(1)  Bien  que  ceci  ne  puisse  être  compris  dans  l'exposition  théâtrale, 
j'ai  relevé,  dans  l'exposition  des  beaux-arts,  un  certain  nombre  d'œuvres 
ayant  pour  objet  le  théâtre  ou  la  musique,  et  qu'il  ne  me  semble  pas  sans 
quelque  intérêt  de  mentionner  ici,  au  moins  en  note  et  à  titre  de  ren- 
seignement, comme  complément  indirect  à  ce  chapitre.  Dans  l'exposition 
centennale  de  l'art  français  :  portrait  de  Baptiste  (acteur  de  la  Comédie- 
Française),  par  Drolling;  Hamlet  lue  Polonius,  par  Eugène  Delacroix;  por- 
trait de  Berlioz,  par  Courbet;  Joueuse  de  mandoline,  par  Corot;  la  Guimard, 
buste  marbre,  de  Cambos;  Beaumarchais,  idem,  d'Henri  Allouard;  Duprez, 
idem,  de  Lormier;  la  Danse,  statue  marbre,  de  Delaplanche.  En  ce  qui 
concerne  les  sections  étrangères,  pour  l'Autriche-Hongrie:  Projet  de  rideau 
pour  le  Ihèâlre  tchèque  de  Prague,  par  Hynaïs;  les  quatre  voussures  du  plafond 
pour  le  Hofburg  théâtre  de  Vienne  (les  poètes  dramatiques  de  l'antiquité  et 
des  XVI",  XVIIe,  XVIID  et  XIXe  siècles),  par  le  même;  une  Valkure  et  le 
Héros  mourant,  par  Hans  Mackart;  le  Quatuor,  par  Bruck  Lajos;  —  pour 
la  Russie:  Sivori,  buste  bronze,  par  Léopold  Bernstamm;  —  pour  la 
Finlande:  Au  piano,  tableau,  par  Edelfelt;  —  pour  l'Italie:  Verdi,  grand 
pastel,  par  Boldini;  le  Joueur  dorgue,  tableau,  par  Innocenti;  le  Petit 
Flûtiste,  statuette  marbre,  par  Caroni;  Sivori,  buste  marbre,  par  Beltrami; 
—  enfin,  pour  l'Angleterre:  le  Musicien,  tableau,  de  John  Pettie.  —Je 
dois  déclarer  que  cette  courte  liste  n'a  point  la  prétention  d'être  complète. 


30 


LE  MENESTREL 


excellente  sonorité.  La  première  scène  du  Rlieingold,  de  Wagner,  est  ravis- 
sante de  fraîcheur  et  d'une  facture  curieuse,  étant  établie  sur  un  accord 
en  mi  bémol  qui  exprime,  autant  que  cela  peut  se  faire  musicalement,  les 
ondulations  des  flots.  Une  délicieuse  phrase  émerge,  par  intervalles,  jus- 
qu'au moment  où  les  ondines  commencent  à  interpeller  le  Nibelung  Albe- 
rich,  représenté  par  M.  Auguez.  La  scène  s'achève  sur  une  explosion  d'un 
coloris  éblouissant;  c'est  là  du  vrai  théâtre  et  du  Wagner  des  meilleurs 
jours.  Les  filles  du  Rhin,  M"«  de  Montalant,  Delorn  et  d'Ajac  ont  chanté 
avec  beaucoup  de  verve  et  d'entrain.  Mllc  de  Montalant,  qui  a  fait  ses 
premières  études  avec  M.  Chevé,  joint  à  ces  qualités  une  grâce  toute  par- 
ticulière. Elle  a  interprété  les  deux  mélodies  de  Berlioz:  Absence  etVillanelle, 
avec  un  charme  incontestable  et  un  goût  parfait.  M.  Rémy  s'est  montré 
virtuose  de  premier  cdre  dans  son  interprétation  de  deux  fragments  de 
Bach  :  Sarabande  orchestrée  par  M.  Saint-Saëns  et  Gavotte  de  la 6e  sonate 
pour  violon  seul.  Une  belle  sonorité,  une  grande  exactitude  dans  1».  rendu 
des  nuances,  un  jeu  plein  d'aisance  ont  valu  à  l'excellent  artiste  de  cha- 
leureux bravos.  Des  fragments  du  Songe  d'une  nuit  d'été  avec  adjonction  des 
deux  romances  sans  paroles  orchestrées  par  M.  Guiraud  ont  été  supérieu- 
rement rendus  par  l'orchestre.  Amédée  Boutarel. 

—  Le  douzième  concert  de  M.  Lamoureux  a  été  très  intéressant.  Il  nous 
a  fait  entendre  une  Rapsodie  cambodgienne  de  M.  Bourgault-Ducoudray. 
M.  Bourgault-Ducoudray,  qui  est  un  excellent  musicien  doublé  d'un  érudit 
de  premier  ordre,  a  été  séduit  par  quelques-uns  de  ces  rythmes  étranges, 
de  ces  mélopées  vagues,  qui  ont  retenti  à  notre  oreille  pendant  l'Expo- 
sition. Il  a  pu  les  utiliser  ;  mais  son  harmonie  et  sa  manière  de  traiter  les 
divers  sujets  qu'il  emploie  n'ont  rien  de  cambodgien. La  rapsodie  de 
M.  Ducoudray  est  une  œuvre  originale,  parfois  étrange,  mais  qui  séduit; 
elle  a  eu  un  très  grand  succès,  et  elle  le  méritait.  Déjà  nous  avions  en- 
tendu un  Carnaval  d'Athènes  du  même  auteur,  qui  avait  particulièrement 
attiré  l'attention  des  musiciens.  —  L'exécution  de  la  Symphonie  fantastique 
de  Berlioz  a  été  admirable  :  ce  n'est  qu'avec  une  exécution  pareille  qu'on 
peut  juger  cette  œuvre  extraordinaire  d'un  musicien  sincère  même  dans 
ses  écarts.  Cette  symphonie,  qui  s'adresse,  nous  l'avons  dit  plus  d'une  fois, 
plutôt  aux  sensations  qu'aux  sentiments,  qui  impressionne  la  fibre  ner- 
veuse jusqu'à  produire  parfois  la  souffrance,  restera  comme  une  des  ma- 
nifestations musicales  les  plus  étonnantes  de  ce  siècle.  C'est,  avec  Faust, 
ce  que  Berlioz  a  fait  de  plus  condensé,  de  plus  complet,  de  plus  réellement 
musical.  Berlioz  était  un  musicien  autrement  sincère  que  Wagner,  qui 
pose  toujours  et  semble  plus  préoccupé  d'étonner  son  auditoire  que  de  le 
convaincre  et  de  le  séduire.  Certes  il  est  un  Wagner  intéressant,  celui  du 
Vaisseau  fantôme,  celui  de  Lohengrin,  celui  qui  a  écrit  les  belles  ouvertures 
du  Tannhauser,  de  Rienzi,  celui  qui  était  resté  fidèle  à  la  tradition  de 
Weber,  son  premier  inspirateur;  mais  l'homme  de  Bayreuth,  l'homme  aux 
robes  de  chambre  multicolores,  à  la  couronne  de  papier  doré,  l'homme  de 
la  Tétralogie,  que  nous  serions  disposé  à  appeler  la  tératologie,  plus  nous 
le  connaissons,  plus  nous  trouvons  qu'il  a  perdu  le  sens  esthétique;  il  ne 
se  révèle  plus  que  par  quelques  fragments  épars,  cette  admirable  marche 
.funèbre  du  Crépuscule  des  Dieux,  par  exemple,  que  l'on  entend  toujours 
avec  plaisir.  M.  Lamoureux  donne  souvent  l'ouverture  d ' Eyryantlie,  de 
Weber  ;  on  dirait  qu'il  tient  à  ne  pas  laisser  oublier  ce  morceau,  qui  a 
servi  de  modèle  à  Wagner  dans  la  plupart  de  ses  premières  ouvertures  et 
de  ses  marches,  notamment  celle  du  Tannhauser.  Quand  nous  aurons  men- 
tionné une  excellente  exécution  du  Sommeil  de  la  Vierge  de  M.  Massenet, 
nous  aurons  épuisé  le  compte  rendu  du  concert  de  M.  Lamoureux.  qui  a 
été  fort  beau.  .  H.  Barbedette. 

—  Musique  de  chambre.  —  MM.  Berthelier,  Carembat,  Laforge  et  Loeb 
ont  donné,  salle  Pleyel,  une  première  séance  de  musique  de  chambre, 
ayee  le  concours  de  M.  Taffanel  et  de  Mlle  Monvel.  Le  quatuor  en  mi  de 
Mendelssohn,  qui  inaugurait  la  séance,  avait  été  très  heureusement,  choisi. 
D'une  inspiration  claire  et  élevée,  il  a  produit  un  très  grand  effet.  Le 
scherzo  a  été  détaillé  avec  infiniment  de  goût,  et  l'andanle  a  été  dit  avec 

.une  émouvante  expression.  M.  Taffanel  a  joué  avec  sa  merveilleuse  vir- 
tuosité, avec  son  style  si  pur,  la  délicieuse  suite  pour  flûte  de  M.  Widor 
dont  les  deux  morceaux  intermédiaires  sont  des  bijoux  de  linessr  et 
de  grâce.  Le  quintette  de  Schumann  clôturait  le  concert.  Cette  œuvre 
admirable  a  été  bien  exécutée,  quoique  le  scherzo  ait  été  joué  dans  une 
alluretrop  vive  :  la  netteté  n'y  gagne  pas  et  l'effet  est  très  amoindri.  — 
Une  séance  donnée  par  M.  I.  Mendels,  le  réputé  violoniste,  a  été  assez 
mil  i-  iante.  Le  succès  est  allé  à  M.  Casella,  qui  a  interprété  avec  les  belles 
qualités  de  puissance  et  de  mécanisme  qui  distinguent  son  grand  talent, 
un  adagio  exquis  et  une  charmante  valse  pour  violoncelle,  de  M.  Widor' 
dont  -m  ,'i,  encore  entendu  de  séduisants  petits  trios  pour  piano,  violon  et 
violoncelle  fort  bien  dits  par  l'auteurj  MM.  Mendels  et  Casella.—  Le  concert 
de  M.  -I.  Salmon  a  été  réussi.  L'excellent  artiste  ivioloncelle-solo  des  con- 
certs Lamoureux)  a  joué  avec  une  belle  sonorité  et  avec  un  sentiment 
charmant,  une  série  d'oeuvres  de  Saint-Saëns,  Widor,  Jacquard  et  Lindner. 
M.  Coenmen,  le  très  habile  virtuose,  a  fait,  entendre  les  variations  en  ut  de' 
Beethoven  et  des  pièces  de  Chopin,  et  M"0  Pouget,  une  cantatrice  du 
plus  grand  talent,  s'est  fait  vivement  applaudir  en  chantant  avec  un  art 
consommé  l'air  :   Ah!  perfide,  de  Fidelio,  cl  un  fragment  de  Samson  et  Dalila. 

I.  l'u. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche: 
Conservatoire:    Symphonie  en  la  mineur  (Mendelssohn);   Ode  à  sainte 


Cécile,    cantate   (Hœndel),    soli   par  Mm?  Melba   et   M.  Engel;   ouverture 
à'Euryanthe. 

Chàtelet,  concert  Colonne-.  Symphonie  écossaise  (Mendelssohn);  pièces 
orchestrales,  première  audition  (Alph.  Duvernoy);  Prière  deRienzi  Wagner), 
par  M.  Vergnet;  concerto  en  ré  mineur  (Mozart),  exécuté  par  Mme  Roger- 
Miclos;  Siegfried-Idyll(R.  Wagner);  fragments  de  l'Enfance  du  Christ  (Berlioz), 
par  M.  Vergnet;  le  Sotige  d'une  nuit  d'été  (Mendelssohn). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  :  Symphonie  en  ut  mi- 
neur (Beethoven);  Ra;:sodie  cambodgienne  (Bourgault-Ducoudray);  trio  des 
Jeunes  Ismaélites  de  l'Enfance  du  Christ  (Berlioz);  ouverture  de  Uanfred 
(Schumann);  prélude  de  Lohengrin  (Wagner)  ;  Siegfried-] dyll  (Wagner); 
Marche  funèbre  du  Crépuscule  des  Dieux  (Wagner)  ;  ouverture  de  Rienzi 
(Wagner). 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


La  Gazzetta  musicale  de  Milan  n'est  point  satisfaite  que  nous  ayons 
constaté  la  chute  irrémédiable,  à  la  Scala,  des  Maîtres  chanteurs  de  Richard 
Wagner,  et  elle  s'inscrit  en  faux  contre  nos  assertions,  auxquelles  elle 
répond  par  la  petite  note  que  voici  :  «  La  vérité  est  que  le  fiasco  de  l'opéra 
les  Maîtres  chanteurs  n'existe  en  aucune  façon;  le  succès  a  été  chaud  pour 
les  morceaux  principaux,  bon  pour  le  reste.  La  direction  n'a  jamais  pensé 
à  retirer  la  susdite  partition,  comme  personne  n'a  jamais  songé  à  lui 
substituer  il  Ballo  in  maschera.  Du  reste,  on  sait  où  le  Ménestrel  pèche  ses 
nouvelles.  »  Le  Ménestrel,  qui  cite  ses  sources,  a  «  péché  »  les  nouvelles 
relatives  aux  Maîtres  chanteurs  dans  deux  journaux  de  Milan,  la  Gazzetta 
teatrale  italiana  et  la  Lanterna,  qui  savent  sans  doute  à  quoi  s'en  tenir  sur  le 
«  succès  »  de  cet  ouvrage  et  qui  constataient  que  la  seconde  représenta- 
tion avait  réuni  une  centaine  de  spectateurs  dans  la  vaste  salle  de  la  Scala. 
Si  ces  journaux  ont  altéré  la  vérité,  c'est  à  eux,  et  non  à  nous,  que  la 
Gazzetta  doit  s'en  prendre.  Pour  le  reste  de  notre  information,  la  Gazzetta 
joue  ingénuement  sur  les  mots  et  profite  d'un  lapsus  calanii  qui  nous  a  fait 
écrire  il  Ballo  in  maschera  au  lieu  de  Simon  Boccancgra.  Or,  la  vérité  est  qu'à 
l'heure  où  la  Gazzetta  imprimait  sa  petite  prétendue  rectification,  les 
Maîtres  chanteurs  avaient  cédé  la  place,  sur  l'affiche  de  la  Scala,  à  Simon 
Boecanegra.  Et  voilà  comment  «  la  direction  n'avait  jamais  pensé  à  retirer 
la  susdite  partition.  » 

—  Uinfluenza,  qui  semble  enfin  vouloir  nous  laisser  un  peu  de  repos, 
poursuit  son  tour  d'Europe  et  continue  de  faire  des  siennes  à  l'étranger 
A  Bari,  on  a  dû  fermer  le  théâtre  Piccinni,  tandis  qu'on  suspendait  les 
représentations  au  Théâtre  municipal  de  Reggio  d'Emilie,  où  l'on  comptait. 
62  malades  parmi  les  danseuses,  les  musiciens  de  l'orchestre  et  les  cho- 
ristes, ainsi  qu'au  théâtre  des  Nuovi  Avvalorati  de  Livourne.  A  Naples, 
deux  d'entre  eux  ont  été  fermés,  les  Fiorentini  '  et  le  Politeama,  et  les 
deux  seuls  théâtres  de  Pavie  sont  dans  le  même  cas.  A  Prague  et  dans 
toute  la  Bohème,  la  clôture  des  théâtres  est  générale.  Vienne  n'est  pas  à 
l'abri  de  la  calamité.  Enfin,  si  le  théâtre  San  Carlos  de  Lisbonne  n'est  pas 
fermé  à  l'heure  présente,  la  direction  doit  se  trouver  dans  un  singulier 
embarras,  car  on  annonce  comme  frappés  d'influenza  Mm0>Corsi,Teti'azzini, 
Matliuzzi,  Cisterna,  MM.  Brogi,  Menotti,  Borucchia,  Paroli  et  jusqu'au 
chef  d'orchestre  Campanini. 

—  Les  journaux  espagnols  ne  cessent  de  rappeler  des  souvenirs  de  leur 
compatriote,  le  fameux  ténor  Gayarre,  et  de  parler  des  hommages  rendus 
ou  à  rendre  au  célèbre  chanteur.  La  Iberia  nous  apprend  qu'un  graveur 
distingué,  M.  Manuel  Gonzales  de  Losatla,  a  frappé  une  médaille  com- 
mémorative  de  la  mort  de  Gayarre,  dont  le  premier  exemplaire  a  été 
déposé  dans  sa  bière,  auprès  de  son  corps.  Sur  l'avers  de  cette  médaille, 
on  voit  l'ange  de  la  mort  qui  voile  une  urne  funéraire,  auprès  de  laquelle 
brûle  une  torche.  A  l'entour  on  lit  :  Miserere  met  Domine.  Sur  le  revers  est 
gravée  l'inscription  suivante  :  A  la  mort  de  Giuliano  Gayarre  —  Illustration 
du.  théâtre,  gloire  de  l'art  —  L'Espagne  se  souvient  de  toi  —  Repose  en  paix  — 
Madrid,  i  janvier  1890.  —  Un  autre  journal  propose  de  rendre  un  grand 
honneur  à  Gayarre,  c'est-à-dire  de  créer  par  souscription  nationale  à 
Roncal,  sa  ville  natale,  un  musée  Gayarre.  On  y  réunirait  les  costumes 
que  revêtait  l'artiste  dans  les  opéras  où  il  chantait;  les  partitions  sur 
lesquelles  il  étudiait;  les  autographes  de  personnages  notables  qu'il  reçut 
durant  sa  carrière  artistique  ;  les  joyaux  qui  lui  ont  été  offerts  par  des 
souverains  ;  les  couronnes  et  les  objets  d'art  qui  lui  ont  été  présentés  lors 
de  ses  bénéfices  :  les  armes  précieuses  qu'il  possédait  :  enfin,  tout  ce  qui 
était  intimement  lié  à  la  vie  artistique  et  publique  de  Gayarre.  La  pitto- 
resque vallée  d'Ariz  se  transformerait  ainsi  en  un  lieu  de  pèlerinage 
pour  les  artistes  et  les  touristes  qui  passent  de  ce  côté.  D'aucuns  trou- 
veront peut-être  tout  cela  un  peu  excessif.  —  Enfin,  on  rapports  un  joli 
mot  de  Gayarre.  Se  promenant  un  jour,  à  Rome,  avec  quelques  amis,  un 
de  ceux-ci  se  mit  à  raconter  les  exploits  de  Garibaldi  et  certains  incidents 
des  luttes  soutenues  pour  l'affranchissement  de  l'Italie.  Gayarre,  de' son 
côté,  se  mit  à  rappeler,  non  sans  humour,  certaines  démonstrations  aux- 
quelles, dans  sa  jeunesse',  il  s'était  trouvé  mêlé  en  Espagne,  et  qui  l'avaient 
conduit,  un  jour,  à  coucher  au  corps  de  garde.  «  A  partir  de  ce  moment, 


LE  MENESTREL 


31 


dit-il,  je  ne  m'occupai  plus  de  politique.  —  Vous  vous  en  êtes  prompte- 
ment  fatigué,  lui  répondit  l'autre,  —  Non,  je  ne  m'en  suis  pas  fatigué, 
répliqua  Gayarre  avec  un  sourire.  Seulement,  j'ai  compris  qu'en  politique, 
je  ne  serais  jamais  devenu  qu'un  choriste.  » 

—  De  notre  correspondant  de  Belgique  (16  janvier)  :  — Je  vous  parlais, 
dans  ma  dernière  correspondance,  de  l'intéressante  audition  donnée  au 
théâtre  de  Gand  par  les  élèves  du  cours  d'art  de  la  scène  du  Conserva- 
toire de  cette  ville;  et  je  vous  disais  que  ce  Conservatoire  était  «  le  seul  » 
en  Belgique  qui  ait  inauguré  ce  genre  d'exercices.  J'avais  oublié  le  Con- 
servatoire de  Liège,  où,  dès  1874,  les  élèves  de  la  classe  de  déclamation 
lyrique  (la  seule  classe  de  ce  genre,  on  peut  le  dire,  existant  dans  les 
Conservatoires  belges)  jouaient,  au  Théâtre  royal,  avec  décors  et  costumes, 
deux  actes  des  Noces  de  Figaro  de  Mozart.  Depuis  lors,  tous  les  ans,  à 
Liège,  un  concours  de  déclamation  lyrique  a  lieu  au  même  théâtre  et 
dans  les  mêmes  conditions.  Il  serait  injuste  de  ne  pas  le  constater  et  de 
ne  pas  rendre  à  M.  Théodore  Radoux  le  même  hommage  que  nous  avons 
rendu  à  M.  Adolphe  Samuel.  C'est  sans  aucun  doute  à  l'excellence  d'un 
pareil  enseignement  que  l'on  doit  le  grand  nombre  d'artistes  sortis  de 
ces  établissements  et  qui  se  sont  fait  une  réputation  sur  les  principales 
scènes  de  l'Europe.  On  sait  les  succès  remportés  par  plusieurs  élèves  de 
M.  Georges  Bonheur,  qui  esi  professeur  aux  deux  Conservatoires  de  Liège 
etdeGand,  notamment  par  Mlls  Jeanne  De  Vigne  elM.  Noté,l'un  et  l'autre 
sortis  du  Conservatoire  de  Gand.  D'autres,  élèves  du  Conservatoire  de 
Liège,  MM.  Dechesne,  Boussa,  Delvoye  et  Franklin,  tiennent  en  ce  moment 
les  premiers  emplois  à  Genève,  Nancy,  Nantes  et  Anvers.  Tout  cela, 
d'ailleurs,  sans  rien  enlever  aux  succès  du  Conservatoire  de  Bruxelles  qui, 
de  son  côté,  serait  en  droit  de  réclamer  si  je  ne  rappelais  pas  ici  que  Paris 
même  a  applaudi  plusieurs  de  ses  anciens  élèves,  MUes  Dufrane  et  Bosman, 
M.  Claeys,  et  bien  d'autres,  sans  compter  ceux  qui  sont  répandus  un  peu  par- 
tout en  France,  en  Belgique  e  tailleurs;  de  tous  ceux-là,  M.HenryWarnots  a, 
particulièrement,  le  droit  d'être  fier.  Pour  en  revenir  au  Conservatoire  de 
Liège,  je  profite  de  l'occasion  pour  signaler  une  autre  innovation,  dont  la 
récente  distribution  des  prix  a  fourni  un  nouvel  exemple  :  deux  élèves 
de  la  classe  de  composition  de  M.  Th.  Radoux,  M.  Smulders  et  M.  Paque, 
ont  fait  entendre,  l'un  une  symphonie,  l'autre  un  concerto  pour  piano  et 
orchestre  de  leur  composition  ;  et  ces  deux  œuvres,  remarquables  à  plus 
d'un  titre,  ont  été  fort  applaudies.  L'idée  de  montrer  ainsi  en  public  les 
résultats  d'un  cours  qui,  généralement,  ne  se  produit  pas  auxgrand  jour, 
est  assurément  très  bonne,  très  curieuse  et  très  stimulante  pour  les  élèves; 
et  il  faut  féliciter  M.  Théodore  Radoux  de  la  voir  si  féconde.        L.  S. 

—  Le  Cercle  artistique  et  littéraire  de  Bruxelles  vient  de  donner  en 
l'honneur  de  M.  Francis  Thomé  une  grande  soirée  musicale,  qui  a  été  un 
éclatant  succès  pour  le  virtuose  et  le  compositeur. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Berlin  :  Les  études  d'Otello,  de 
Verdi,  sont  activement  poussées,  et  on  pense  en  donner  la  première  repré- 
sentation le  13  février.  Le  choix  de  cette  date  n'est  pas  sans  soulever 
quelques  protestations  dans  la  presse  musicale,  qui  préférerait  la  voir  con- 
sacrer au  souvenir  de  Richard  Wagner,  mort,  comme  on  sait,  le  13  fé- 
vrier 1883.  Carlsrujie  :  Le  nouvel  intendant  du  Théâtre  de  la  Cour-,  le 
Dr  Bïirklin,  a  été  installé  le  1er  janvier.  Dresde  :  Une  nouvelle  opérette 
que  vient  de  produire  le  Residenz  theater,  l'Aventurier,  livret  de  MM.  Phi- 
lipp  et  E.  Sondermann,  musique  de  M.  C.  Stix,  a  reçu  du  public  le  meilleur 
accueil.  Leipzig:  L'accueil  a  été  très  froid  pour  un  opéra  «  patriotique  »  du 
compositeur  Otto  Neitzel,  intitulé  der  Aile  Dessauer,  représenté  le  7  janvier 
au  théâtre  municipal.  L'ancien  théâtre  municipal  a  eu  la  main  plus  heu- 
reuse avec  une  opérette  nouvelle  en  trois  actes,  le  Roi  Luslik,  livret  et  mu- 
sique de  deux  auteurs  de  Leipzig,  MM.  C.  Crome-Schwiening  et  H.  A. 
Platzbecker.  Vienne  :  Le  théâtre  An  der  Wien  tient  un  grand  succès  avec 
la  dernière  opérette  de  Millôcker,  le  Pauvre  Jonathan,  livret  de  MM.  Witt- 
mann  et  Bauer;  on  croit  cette  opérette  appelée  à  une  vogue  retentissante. 
"Weimar  :  Gunlbd,  l'opéra  posthume  de  Peter  Cornélius,  instrumenté  par 
M.  Hoffbauer,  également  décédé,  ne  passera  pas  au  Théâtre  de  la  Cour 
aussitôt  qu'on  l'avait  dit.  L'examen  de  la  partition  d'orchestre  a  révélé  de 
nombreuses  défectuosités  dans  le  travail  de  Hoffbauer,  et  M.  Ed.  Lassen  se 
voit  obligé  de  réorchestrer  l'ouvrage  d'un  bout  à  l'autre.  A  signaler  au 
même  théâtre  une  belle  reprise  de  Benvenulo  Cellini,  de  Berlioz,  sous  la 
direction  de  M.  Ed.  Lassen.  Hambourg:  Au  théâtre  Cari  Schultze,  première 
représentation  d'une  opérette  nouvelle,  der  Amerikaner,  livret  de  M.  Gustave 
von  Moser,  musique  de  M.  G.  Grûneke. 

—  <  in  sait  que  l'illustre  Joseph  Haydn,  l'un  des  pères  de  la  symphonie, 
avait  un  frère,  Michel  Haydn,  compositeur  ainsi  que  lui  et  non  sans 
talent,  mais  qui  fut  complètement  éclipsé  par  l'adorable  génie  de  l'auteur 
des  Saisons  et  de  tant  d'autres  chefs-d'œuvre.  Or,  clans  un  concert  donné 
récemment  à  Dresde,  on  a  exhumé  une  symphonie  du  vieux  Michel 
Haydn,  oubliée  depuis  un  siècle,  et  dont  l'exécution  a  été  très  favorable- 
ment accueillie. 

—  M.  Max  Bruch,  l'auteur  du  «  Chant  de  la  Cloche  »  (d'après  les  paroles 
de  Schiller)  et  de  maintes  autres  compositions  de  valeur,  renonce  à  partir 
du  1°  juin  à  sa  place  de  chef  d'orchestre  à  l'Orchesterverein  de  Breslau. 
Il  l'occupait  depuis  1883  et  sa  direction  était  très  prisée.  On  dit  que  les 
difficultés  financières  de  la  société  ne  sont  pas  étrangères  à  cette  déter- 
mination. 


PARIS   ET    DEPARTEMENTS 

MM.  Ritt  et  Gailhard  auraient-ils  enfin  trouvé  un  contralto?  c'est  à 
croire,  puisqu'ils  annoncent  l'engagement  qu'ils  viennent  de  faire  de  Mmo 
ConsueloDomenech,  élève  de  M.  Giraudet,  laquelle  débutera  prochainement 
dans  le  rôle  d'Amnéris,  d'Aïda.  Mais  alors,  les  clefs  d'ut  4e  ligne  vont  re- 
prendre droit  de  cité  à  l'Opéra,  et  il  n'y  a  plus  de  raison  pour  faire  chan- 
ter, dans  VAscanio  de  M.  Saint-Saëns,  un  rôle  de  contralto  par  le  soprano 
de  M"10  Bosman.  Attendons-nous  donc  au  rétablissement  prochain  du  texte 
primitif  voulu  par  le  compositeur. 

—  Il  est  fort  question  de  monter  à  l'Opéra  i Etoile  du  Nord  pourM"lc  Melba, 
qui  y  retrouverait,  après  l'Ophélie  d'Ambroise  Thomas  et  la,  Lucie  de  Doni- 
zetti,  l'occasion  de  s'y  montrer  à  son  avantage  dans  une  troisième  scène 
de  folie  !  Nous  savons  bien  que  M.  Paravey  proteste  contre  le  projet  qu'on 
aurait  ainsi  de  lui  enlever  une  œuvre  de  Meyerbeer  qu'il  croit  appartenir 
à  son  théâtre.  Mais  ce  projet  n'en  existe  pas  moins.  Cela  ferait,  avec  Roméo 
et  Juliette,  deux  œuvres  importantes  que  l'intelligent  directeur  se  laisserait 
souffler  avec  une  dextérité  charmante  par  MM.  Ritt  et  Gailhard.  Rebilfez- 
vous,  bon  Paravey.  Il  n'est  que  temps. 

—  Continuation  des  réceptions  de  M.  Paravey  à  l'Opéra-Comique  : 
l'aimable  directeur  vient  de  recevoir  un  opéra  en  cinq  actes  et  dix 
tableaux,  intitulé  les  Normands,  dont  le  poème  et  la  musique  sont  du 
même  auteur,  M.  Castegnier.  M.  Castegnier  est  surtout  connu  da  public 
anglais  ;  il  dirige  en  effet,  chaque  année,  des  tournées  en  Ecosse  et  en 
Irlande.  L'action,  des  Normands  se  passe  sous  le  règne  de  Richard  Cœur 
de  Lion,  au  moment  du  départ  pour  la  troisième  croisade.  —  On  a  lu  de 
plus  cette  semaine,  au  même  théâtre,  un  opéra-comique  en  un  acte,  de 
MM.  Sarlin  et  Michiels,  Colombine,  qui  sera  joué  par  MmK  Mole  et  Auguez, 
MM.  Fugère  et  Grivot.  Le  stock  déjà  important  d'ouvrages  reçus  par 
M.  Paravey  s'augmente  donc  de  deux  partitions  encore.  Il  est  vrai  qu'il 
y  a  loin  de  la  parole  d'un  directeur  à  son  exécution. 

—  M.  Paravey  a  eu  le  regret  de  perdre  devant  la  septième  chambre 
du  tribunal  civil  un  petit  procès  que  lui  intentait  Mmc  Salla.  Oh  !  il  s'a- 
gissait de  peu  de  chose  :  de  l'interprétation  seulement  d'un  traité  qui 
accordait  ou  retirait  dix  jours  d'appointements  à  l'ex-pensionnaire  de 
l'Opéra-Comique,  selon  le  sens  qu'on  lui  donnait.  Le  tribunal  a  donné 
gain  de  cause  à  l'artiste,  mais  le  directeur  a  fait  appel  du  jugement. 

—  Au  cours  d'une  des  dernière  séances,  M.  Fallières,  ministre  de 
l'instruction  publique  et  des  beaux-arts,  a  déposé  sur  le  bureau  de  la 
Chambre  le  projet  relatif  à  la  reconstruction  de  l'Opéra-Comique,  qui  en- 
traîne une  dépense  totale  de  3,400,000  francs. 

—  Les  entrepreneurs  qui  ont  pris  part  à  la  construction  des  grands 
concerts  Favart  et  qui,  de  ce  fait,  par  suite  d'un  concours  de  circonstances 
bizarres,  se  sont  trouvés  en  être  également  les  administrateurs,  ont  tenu, 
cette  semaine,  une  réunion  fort  orageuse.  Ils  ont  décidé,  paraît-il,  d'aller 
protester  à  la  Chambre  des  dé_putés  contre  la  fermeture  de  leur  établisse- 
ment. En  second  lieu,  ils  ont  catégoriquement  refusé  à  M.  Poujade, 
concessionnaire,  de  se  charger  des  travaux  de  démolition  qui,  suivant  un 
ultimatum  de  M.  Fallières,  doivent  être  terminés  avant  un  mois.  En 
conséquence,  M.  Poujade  a  écrit  à  M.  Comte,  directeur  des  bâtiments 
civils  au  ministère  des  beaux-arts,  pour  le  prier  d'obtenir  du  ministre 
que  les  baraquements  de  la  place  Boieldieu  soient  démolis  d'office  par 
les  soins  du  gouvernement.  Si  la  direction  des  bâtiments  civils  accepte 
cette  proposition,  l'administration  des  domaines  reprendra  possession  du 
terrain  de  la  place  Boieldieu. 

—  La  Société  des  compositeurs  a  tenu,  ces  jours  derniers,  son  Assemblée 
générale  annuelle.  En  l'absence  de  M.  Camille  Saint-Saëns,  en  ce  moment 
en  voyage,  la  séance  était  présidée  par  M.  Georges  Pfeiffer.  Après  la  lec- 
ture du  rapport  annuel  sur  les  travaux  de  la  Société,  et  quelques  paroles 
sous  forme  d'appel  à  la  confraternité  artistique  prononcées  par  M.  Pfeiffer, 
il  a  été  procédé  à  l'élection  de  dix  membres  du  comité  pour  remplacer 
les  dix  membres  sortants.  Ont  été  élus  :  MM.  Saint-Saëns,  Canoby,  Gigout, 
de  la  Tombelle,  Limagne,  Lavello,  de  Boisdeffre,  Guiraud,  Dautresme, 
Michelot.  Rappelons  que  M.  Dautresme  est  le  député  de  la  Seine-Inférieure, 
ancien  ministre  du  commerce,  connu  pour  un  compositeur  fort  distingué, 
qui  a  donné  naguère  au  Théâtre-Lyrique  un  ouvrage  remarquable  intitulé 
Cardillac. 

—  Parmi  les  spectacles  qui  doivent  être  offerts  aux  abonnés  de  l'Odéon 
pour  les  soirées  du  lundi  et  du  vendredi,  ligure  le  beau  drame  de  Gœthe, 
le  Comta  d'Egmont,  traduit  nouvellement  par  M'.  Adolphe  Aderer.  Ce  drame 
sera  accompagné  de  l'admirable  partition  qu'il  a  inspirée  à  Beethoven, 
dont  la  musique  sera  exécutée  par  l'orchestre  de  M.  Lamoureux.  Douze 
représentations  seulement  seront  données  du  Comte  d'Egmont. 

—  Le  violoncelliste  Adolphe  Fischer,  n'est  point  mort,  comme  plusieurs 
journaux  l'ont  annoncé.  Le  pauvre  artiste  est  toujours  à  Sainte-Anne,  où 
un  de  ses  amis  a  pu  obtenir  l'autorisation  de  lui  apporter  son  violoncelle, 
ce  qui  est.  parait-il,  tout  à  fait  en  dehors  des  habitudes  de  l'hospice. 
Fischer  s'est  de  suite  remis  à  l'étude,  et  c'était,  dit-on,  un  spectacle  cu- 
rieux de  voir  les  malheureux  aliénés  et  tout  le  personnel  de  Sainte- Anne 
écouter  religieusement  cet  'excellent  musicien,  qui,  l'archet  à  la  main, 
retrouvait  immédiatement  toutes  ses  facultés.  Le  docteur  Rouillant,  mé- 
decin de  Sainte-Anne,  ne  désespère  pas  de  le  guérir,  grâce  à  ce  moyen. 


32 


LE  MENESTREL 


—  Petite  fable  extraite  du  journal  fa  Silhouette  et  signée  de  notre  confrère 
Mercurey: 

LE  SAVETIER  ET  LE...   MARCHAND  DE   BEURRE 

Un  savetier  chantait  à  l'Opéra,  le  soir  ; 

C'était  merveille  de  le  voir, 
De  l'ouïr.  Il  chantait  très  fort,  la  chose  est  sûre, 

Mais...  manquait  parfois  la  mesure. 
Un  vieillard,  son  ami,  Grésus  tout  cousu  d'or, 
Chantait  peu...  mais  plus  mal  encor! 
Ce  n'était  qu'un  marchand  de  beurre. 
Cependant  une  envie  au  cœur  le  tenaillait  ; 
Il  jalousait  tout  bas  le  chanteur  qui  braillait, 
Et  ce  vieux  beurrier  se  plaignait 
De  ne  pouvoir  point,  même  une  heure, 
Remplir  à  l'Opéra  les  fonctions  d'acteur, 
De  directeur  ou  bien  de  machiniste. 
Il  fit  donc  mander  le  chanteur 
Dans  son  home  et  lui  dit:  »  Or  çà,  monsieur  l'artiste, 
Que  gagnez-vous  par  an  »  —  «  Par  an  ?  Ma  foi,  mon  vieux, 

Répondit,  d'un  air  glorieux, 
Le  gaillard  savetier,  je  ne  suis  pas  un  cuistre, 
Et  je  suis  appointé  mieux  qu'un  simple  ministre  ; 

Mais  je  ne  puis  fixer  un  chiffre,  car 
Du  casuel  mon  gain  s'augmente  d'un  bon  quart. 

Ma  belle  voix,  tant  admirée 
Des  salons  du  Faubourg,  à  ceux  du  Boulevard 
Fait  florès  !  » —  «  Combien  donc  gagnez-vous  par  soirée?  » 
—  a  Tantôt  plus,  tantôt  moins.  Le  mal  est  que  toujours 
(Sans  cela  mes  cachets  seraient  bien  plus  chouettes) 
D'autres  que  moi,  moins  forts,  apportent  leur  concours 
Gracieux,  mais  non  pas  gratuit  à  ces  fêtes. 
Au  lyrisme  de  la  haute  société 
Je  suffirais  pourtant  tout  seul.  Que  vous  en  semble?  » 

Le  vieux  beurrier,  riant  de  sa  fatuité, 
Lui  dit  :  «  Si  vous  voulez,  faisons  accord  ensemble  ? 
Dirigeons  l'Opéra  [  »  Point  ne  leur  fut  besoin 

De  pousser  l'entretien  plus  loiu. 
Les  voilà  dirigeant  tous  deux  l'Académie 
De  musique,  où,  jusqu'à  présent, 
Ils  empochaient  beaucoup  d'argent, 
N'en  dépensant  d'ailleurs  qu'avec  économie. 
Lorsque  soudain  Yinfluensa 
A  leur  fortune  s'opposa. 
Finir  Quatre-vingt-neuf  si  mal!  Quelle  déveine  ! 
Plus  d'insulaires  en  vestons, 
Plus  de  Chinois,  plus  de  Teutons. 
Toute  résistance  était  vaine. 
Le  chanteur  dans  Lucie  avait  mis  son  espoir. 
Il  fut,  hélas  !  déçu.  Lors,  voyant,  chaque  soir, 
S'enfuir  leur  bel  argenl,  à  la  fin,  le  pauvre  homme 
Courut  chez  le  beurrier,  lequel  n'en  dormait  plus  : 
«  Retirons-nous,  dit-il,  avec  la  forte  somme. 
AvoL-  des  millions,  c'est  notre  rôle  en  somme, 
Puisque  presse,  abonnés,  public,  sont  convaincus 
Qu'on  doit  parler  de  nous  quand  on  parle  d'écus  !  » 

—  Le  premier  bal  de  l'Opéra  a  été  absolument  navrant.  Nul  entrain, 
nulle  gaité  ;  sous  tous  les  masques  moroses  qui  se  promenaient  clans  les 
couloirs  lugubres,  on  croyait  découvrir  le  nez  allongé  de  M.  Gailhard,  pro- 
menant sa  mélancolie  de  directeur.  Pour  M.  Ritt,  il  a  pu  constater  le 
lendemain  une  perte  sèche  de  plus  de  6,000  francs,  dit-on,  et  cela  n'était 
pas  fait  pour  le  rendre    radieux. 

—  A  ajouter  à  la  liste  des  nouveaux  officiers  d'académie  les  noms  de 
MM.  Ernest  Aider  et  Georges  Mac-Master,  compositeurs  de  musique. 

—  Dimanche  dernier,  très  belle  exécution,  à  Saint-Sulpice,  de  la  Messe 
Pontificale  à  deux  chœurs  avec  accompagnement  de  deux  orgues,  de 
M.  Widor.  Le  beau  Kyrie  a  été  superbement  enlevé,  et  le  Gloria,  le  mor- 
ceau de  la  partition  le  plus  difficile,  a  été  dit  avec  ensemble;  la  fin  parti- 
culièrement, d'une  majesté  et  d'une  grandeur  admirables,  a  produit  son 
effet  habituel.  A  l'Offertoire,  le  maître  organiste  a  joué  le  premier  morceau 
de  sa  5e  symphonie  pour  orgue,  que  nous  avons  entendu  dans  la  salle  du 
Trocadéro,  où  il  sonnait  moins  bien  qu'à  l'église.  La  Messe  s'est  terminée 
par  le  Sanctus,  dont  le  motif  simple  revient  avec  un  grand  charme  après 
l'élévation  sur  les  paroles  du  Benedictus,  puis  par  VAgnus  Dei,  cette  page 
exquise,  une  des  plus  délicates  et  inspirées  de  l'œuvre  de  M.  Widor.  Une 
trouvaille  comme  celle-là  suffit  pour  faire  d'un  compositeur  un  maître. 
Tous  les  honneurs  de  l'exécution  reviennent  de  droit  à  M.  Ph.  Bellenot, 
l'éminent  maitre  de  chapelle  autant  qu'excellent  organiste,  qui  dirige 
avec  tant  de  talent  la  maîtrise  de  Saint-Sulpice.  —  Henry  Eymieu. 

—  Mardi  18  janvier,  salle  Erard,  audition  de  musique  moderne  avec 
chœurs,  donnée  par  le  ténor  Rondeau,  avec  le  concours  de  MmK  Chami- 
nade,  Deleage,  Pregi,  Mélodia,  de  MM.  Georgetti,  Braud,  etc.,  des  œuvres  de 
MM.  J.  Faure,  Puget,  Gahen,  de  Saint-Quentin,  Pessard,  Alexandre 
Georges,  Bergson,  etc.,  exécutées  sous  la  direction  des  auteurs. 

—  Dimanche  2  février,  à  deux  heures,  à  l'Académie  de  musique,  24, 
bouievard  des  Capucines,  concert  donné  par  M.  Ferdinand  Munier,  pia- 
niste, pour  l'audition  générale  de  ses  élèves. 

—  La  société  d'amateurs  Euterpe  donnera  le  3  février  une  audition  du 
Requiem  de  Schumann  (œuvre  posthume)  à  la  salle  Érard. 

—  Mm0  Marie  Jaêll  donnera  le  10  février,  à  la  salle  Érard,  avec  le  con- 
cours de  l'orchestre  Colonne,  un  concert  particulièrement  intéressant,  dans 
lequel  elle  exécutera  les  quatre  concertos  de  piano  de  M.  Saint-Saëns, 
dans  leur  ordre  naturel  ;  1er,  en  ré  majeui',  op.  17  ;  2°,  en  sol  mineur, 
op.  22;  3e,  en  mi  bémol,  op.  2'J;  4e,  en  «(  mineur,  op.  44. 


NÉCROLOGIE 


Le  compositeur  Franz  Lachner,  le  second  et  le  plus  fameux  des  quatre 
frères  de  ce  nom,  est  mort  ces  jours  derniers  à  Munich.  Fils  d'un  organiste 
qui  fut  son  premier  maitre,  il  acquit  lui-même  un  très  grand  talent  non 
seulement  sur  l'orgue,  mais  sur  le  piano  et  le  violon,  en  même  temps  qu'il 
devenait  un  compositeur  extrêmement  distingué  et  un  chef  d'orchestre 
d'une  rare  habileté.  Organiste  de  l'église  évangélique  de  Vienne  à  la  suite 
d'un  concours,  chef  d'orchestre  ensuite  au  théâtre  de  Kaertnerthor.  puis 
maitre  de  chapelle  de  la  cour  ducale  de  Manheim,  il  se  fixa  enfin  à  Munich, 
où  il  devint  chef  d'orchestre  du  théâtre  royal  et  directeur  général  de  la 
chapelle  et  de  la  musique  de  chambre  du  roi  de  Bavière.  Il  a  conservé  ces 
fonctions  pendant  plus  d'un  demi-siècle.  Comme  compositeur,  Franz  Lach- 
ner, dont  le  talent  était  basé  sur  de  solides  études  classiques,  a  pro- 
duit considérablement  et  dans  les  genres  les  plus  divers.  Au  théâtre,  il 
a  donné  plusieurs  grands  opéras,  représentés  à  Munich  :  Alidia,  die  Burg- 
scluift  (la  Caution),  Catherine  Cornaro  et  Benvenuto  Cellini,  plus  une  musique 
pour  un  drame  intitulé  Lanassa,  et  une  cantate,  les  Quatre  Ages  de  l'homme. 
On  lui  doit  aussi  un  oratorio  :  Mo'ise.  Pour  l'orchestre  il  a  écrit  huit 
symphonies,  plusieurs  ouvertures  de  concert,  huit  suites  d'orohestre. 
Pour  l'église,  trois  messes  solennelles,  une  messe  de  Requiem  en  fa, 
des  offertoires,  hymnes,  psaumes  et  graduels  avec  orchestre.  Il  s'est 
aussi  distingué  dans  la  musique  de  chambre,  avec  des  quintettes  et  qua- 
tuors pour  instruments  à  cordes,  des  quintettes  pour  instruments  à  vent,  . 
des  trios  pour  piano,  violon  et  violoncelle,  des'  sonates  pour  piano,  piano 
à  quatre  mains,  piano  et  violon  ;  puis  enfin  deux  concertos  de  harpe,  un 
concertino  de  basson,  une  élégie  pour  cinq  violoncelles,  des  sonates, 
fugues  et  canons  pour  l'orgue,  des  chants  à  quatre  voix  d'hommes,  des 
trios  pour  voix  de  femmes,  de  nombreux  morceaux  de  genre  pour  piano 
et  pour  divers  instruments,  sans  compter  des  récitatifs  pour  la  traduction 
allemande  de  la  Médée  de  Cherubini.  La  plupart  de  ces  compositions  sont 
remarquables,  et  toutes  décèlent  un  talent  clair,  sobre,  ingénieux  et 
distingué.  Né  à  Rein-sur-Leich.  en  Bavière,  le  2  avril  1804,  Franz  Lachner 
était  conséquemment  dans  sa  quatre-vingt-sixième  année. 

—  De  Wiesbaden  on  annonce  la  mort  d'une  des  cantatrices  les  plus 
distinguées  de  l'Allemagne,  M"16  Peschka-Leutner.  Née  à  Vienne  le  2b 
octobre  1839,  Mlle  Mina  von  Leutner,  qui  épousa  plus  tard  un  médecin,  le 
docteur  Peschka,  fit  ses  études  musicales  sous  la  direction  de  Proch  et 
débuta  en  1850.  au  théâtre  de  Breslau,  dans  le  rôle  d'Agathe  du  Freischûtz. 
Son  succès  fut  très  grand,  grâce  à  sa  voix  de  soprano  léger,  à  son  goût 
naturel  et  à  son  intelligence  de  la  scène.  De  Breslau  elle  passa  à  Dessau, 
puis  se  rendit  à  Vienne,  où  elle  se  maria  et  où  elle  affermit  son  talent 
en  travaillant  pendant  deux  années  avec  la  célèbre  Mlue  Bockholtz-Falconi. 
Elle  débuta  alors  à  l'Opéra  impérial  de  Vienne,  où  le  public  lui  fit  fêle 
dans  le  rôle  de  Marguerite  des  Huguenok;  et  où  elle  chanta  successivement 
Robert  le  Diable,  Bon  Juan,  la  Flûte  enchantée,  l'Africaine  et  divers  autres 
ouvrages.  En  1867,  après  plusieurs  années  passées  à  Vienne,  elle  alla  à 
Darmstadt,  y  resta  jusqu'en  1876,  puis  fut  engagée  à  Leipzig  et  y  conti- 
nua le  cours  de  ses  succès,  non  seulement  au  théâtre,  mais  aussi  aux 
fameux  concerts  du  Gewandhaus,  comme  chanteuse  de  lieder  et  d'oratorios. 
Elle  se  fit  entendre  encore  dans  d'autres  villes,  notamment  à  Cologne,  à 
Dusseldorf  et  à  Hambourg. 

—  Une  dépèche  nous  annonce  la  mort,  à  Vienne,  de  M.  Salomon  Sul- 
zer, le  créateur  de  la  liturgie  israélite  moderne.  Sulzer  avait  rempli,  pen- 
dant cinquante-cinq  ans,  les  fonctions  de  premier  ministre  officiant  du 
temple  central  de  la  capitale  autrichienne.  Ses  brillantes  capacités  lui 
auraient  assuré  une  carrière  facile  et  fructueuse  au  théâtre,  comme  pro- 
fesseur de  musique  ;  il  préféra  rester  attaché  à  la  carrière  sacrée  dans 
laquelle  il  était  entré  dès  l'enfance.  Il  employa  son  temps  à  réformer  le 
chant  en  recueillant  les  airs  légués  par  la  tradition,  en  les  codifiant  pour 
ainsi  dire  au  point  de  vue  musical,  en  les  arrangeant  pour  la  voix  et 
pour  l'orgue.  Il  les  réunit  en  aeux  volumes,  connus  sous  le  nom  de  Schir 
Zion  (les  Chants  de  Zion),  et  qui  lui  coûtèrent  trente  années  de  travail.  Il 
avait  composé  en  outre  des  hymnes,  dont  plusieurs  datent  du  mouvement 
de  1848  auquel  il  avait  pris  une  part  active.  Sulzer  a  été  le  compagnon 
et  l'interprète  de  Liszt,  de  Schubert,  de  Beethoven  et  des  principaux 
représentants  de  la  génération  artistique  de  1S30.  Voici  comment  Liszt  a 
apprécié  sa  personne  et  son  talent  : 

J'ai  eu  une  seule  fois  la  vision  de  ce  que  pourrait  être  un  nouvel  art  musical 
juif  si  les  israélites  pouvaient  manifester,  avec  toute  la  chaleur  qu'il  comporte, 
leur  génie  oriental.  Cette  vision,  je  l'ai  eue  en  écoutant,  à  Vienne,  le  célèbre 
Sulzer,  qui,  en  sa  qualité  de  marlre  ebantre  de  la  synagogue,  a  acquis  une  répu- 
tation d'autant  plus  grande  qu'elle  est  limitée  à  un  cercle  restreint  de  connais- 
seurs. Chez  cette  nature  d'artiste,  le  masque  destiné  à  dissimuler  l'intérieur  était 
moins  épais  :  il  y  avait  des  moments  où  l'on  pouvait  lire  dans  l'Ame  du  chanteur 
et  y  retrouver  le  cachet  imprimé  par  les  leçons  paternelles.  On  eût  dit  que  Sulzer 
avait  mesuré  les  quartiers  de  roches  destinés  à  construire  les  pyramides,  qu'il 
avait  traversé  l'obscurité  d'Egypte  et  vu,  de  ses  yeux  vu,  l'orgueilleux  Pharaon. 
Il  me  semblait  qu'il  avait  dû  assister  à  l'engloutissement  du  roi  et  des  siens  dans 
la  mer  Rouge,  tandis  qu'il  apercevait  ou  ciel  la  colonne  de  feu  destinée  à  montrer 
le  chemin  au  peuple  élu.  On  aurait  pensé  que  l'esprit  du  psalmiste  voltigeait  au- 
dessus  de  nous  dans  le  temple  et  que  des  chérubins  planaient  dans  les  airs, 
s'agenouillant  aux  pieds  du  Créateur. 

Sulzer  s'est  éteint  à  l'âge  de  quatre-vingt-six  ans. 

Heniu  Heugel.  directeur-gérant 


IMI-HPILItlE    UMIUU,    I 


•3068  -  Sftme  ANNEE  -  N°  5.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES  Dimanche  2  Février  1890. 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M   Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  Us,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement, 

Un  an  Teste  seul  ■  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  10  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  lr..  Pans  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  -  Pour  l'Etranger,   les  Irais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (47"  article),  Albert  Soubies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Bulletin  théâtral  :  Prolégomènes  de  la  reprise  de  Dimitri  à 
l'Opéra-Comique  ;  M.  Paravey  se  multiplie,  H.  M.  —  III.  Le  théâtre  à  l'Espo- 
sitkra  (15"  article),  Arthur  Pougix.—  IV.  Les  études  classiques  au  Conservatoire. 
V.  Revue  des  grands  concerts.  —  VI.  Nouvelles  diverses.  —  VIL  Nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 
CAUSERIE    D'OISEAUX 
.nouvelle   polka  de  Philippe   Fahrbach.  —  Suivra  immédiatement  :  Gigue, 
par  André  "Wormser. 

CHANT 

Nous  publierons   dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 

de  chant  :  Ritournelle,  nouvelle  mélodie  de  Francis  Thojié,  poésie  de  François 

Coppée.   —  Suivra  immédiatement  :  Espoir  en    Dieu,  nouvelle   mélodie  de 

J.  Faore,  poésie  de  Victor  Hugo. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Albert   SOUBIES    et   Charles    MALHERBE 


CHAPITRE  XIII 

MEYERBEEK   A    l'opÉRA-COMJQL'E 

l'étoile  DU  NORD 

1853-1855 

(Suite.) 

Après  l'Etoile  du  Nord,  il  était  à  craindre  que  le  premier 
ouvrage  en  trois  actes,  coulé  dans  le  vieux  moule,  ne  parût 
bien  petit.  Victor  Massé  risqua  la  partie  et  en  vingt  représenta- 
tions la  perdit.  La  Fiancée  du  Diable,  jouée  en  1834,  avait  pour 
auteurs  Scribe  et  Romand,  qui  s'étaient  inspirés  pour  leur  livret 
•d'une  légende  ayant  cours  au  pays  d'Avignon  et  déjà  mise 
en  vers  par  Jasmin  sous  le  titre  de  Francounetta.  Ce  diable 
n'était  autre  qu'un  marquis,  joyeux  farceur  auquel  l'amour 
suggérait  la  pensée  assez...  infernale  de  pénétrer,  déguisé 
comme  un  démon,  dans  la  chambre  nuptiale  de  deux  jeunes 
époux  ;  mais  il  avait  compté  sans  une  amie  qui  découvrait 
la  fraude  et  l'arrêtait  au  milieu  de  sa  folle  équipée  par  la 
menace  d'un  coup  de  pistolet.  Pour  expier  son  badinage,  il 
épousait  finalement  celle  qui  avait  failli  le  faire  passer  de 
vie  à  trépas  et  qui  se  trouvait  ainsi  mystifier  son  mystifica- 
teur. L'histoire  supposait  chez  les  personnages  une  forte  dose 
de  naïveté;  le  public  se  montrait  trop  sceptique  pour  l'accepter 
■sans  discussion  et  Victor  Massé,  dont  c'était  le  premier  grand 


ouvrage,  n'avait  pas  rencontré    la    veine    mélodique  de    ses 
charmants  levers  de  rideau. 

Une  revanche  fut  prise  le  28  juin  avec  un  acte  de  Michel 
Carré  et  feu  Lorin,  les  Tromtelles.  Sous  ce  nom,  l'on  désigne  à 
Naples  les  orphelines  ou  enfants  trouvées  qui  sont  élevées 
dans  un  couvent  jusqu'au  moment  de  leur  mariage.  A  certain 
jour  fixé,  les  pauvres  recluses  sortent  de  leur  retraite  et  les 
garçons  des  environs  accourent  pour  choisir  parmi  elles 
celles  dont  ils  feront  leurs  femmes;  c'est  un  peu  ce  que  l'on 
retrouve  dans  Martha,  et  dans  une  pièce  du  siècle  dernier 
appelée  le  Marché  aux  filles.  Remarquons  d'ailleurs  que  dans 
l'antiquité,  les  mariages  ne  se  faisaient  pas  autrement  chez 
les  Assyriens.  Les  Trovatelles,  qui  d'abord  avaient  pour  titre 
l'Anier,  puis  l'Anier  amoureux,  parce  que  telle  était  la  condition 
de  celui  qui  s'éprenait  de  la  trovatelle,  servirent  de  début  à 
un  jeune  compositeur,  élève  de  Leborne  et  lauréat  de  l'Ins- 
titut, M.  Duprato.  Début  heureux,  il  faut  le  dire,  puisque, 
jouée  pendant  huit  années,  la  pièce  obtint  107  représenta- 
tions. Ces  bonnes  fortunes  se  rencontraient  alors,  et  nous 
eu  avons  signalé  plus  d'une  à  cette  époque,  où  le  nom  d'un 
inconnu  n'était  pas  un  épouvantail  pour  le  directeur.  Aujour- 
d'hui les  portes  du  théâtre  s'ouvrent  plus  difficilement,  et 
l'on  ne  trouverait  guère  à  citer  en  vingt-cinq  ans  que  Sylvie, 
la  Grand'Tante  et  les  Amoureux  de  Catherine  qui  aient  valu 
comme  levers  de  rideau  un  succès  à  leur  auteur  débutant. 
Il  est  vrai  qu'un  début  favorable  n'est  pas  un  sur  garant  de 
réussite  en  l'avenir,  et  l'exemple  de  M.  Duprato  suffirait  à 
le  prouver.  Bien  doué,  plein  de  savoir,  ce  compositeur  n'a 
pas  en  naissant  fait  pacte  avec  la  fortune,  et  toute  sa  carrière 
artistique  se  poursuit  dans  une  pénombre  indigne  de  son 
talent.  Il  a  certes  écrit  plus  de  musique  qu'il  n'en  a  signé; 
grâce  à  lui,  plus  d'un  a  remporté  de  vrais  triomphes.  Mais 
qui  le  sait? 

Il  nous  faut  glisser  rapidement  sur  l'Opéra  au  Camp  (18  août 
1854),  primitivement  intitulé  l'Opéra  à  Fontenoy,  un  acte  de 
Paul  Foucher,  qui  mettait  en  scène  le  maréchal  de  Saxe  et 
Mme  Favart,  une  troupe  de  soldats  et  une  troupe  de  comé- 
diens. De  tels  héros  sont  communs  au  théâtre;  ils  ont  tenté 
plus  d'une  fois  la  verve  des  auteurs;  qui  ne  se  rappelle  en 
effet  Adrienne  Lecouvreur  et  aussi  Maurice  de  Saxe,  une  pièce  de 
Jules  Amigues  qui  contenait  des  parties  excellentes,  et  dans 
le  domaine  de  l'opérette,  Madame  Favart  d'Offenbach,  successi- 
vement personnifiée  par  Mmes  Simon-Girard  et  Judic.  Pour 
l'Opéra  au  Camp,  le  maréchal  de  Saxe  s'appelait  Duvernoy,  et 
Mm  Favart,  M"e  Andréa  Favel.  Leur  talent  ne  suffit  pas  à  plaider 
avec  succès  la  cause  du  compositeur,  Varney,  qui  vivait 
toujours  sur  la  réputation  de  son  Chant  des  Girondins,  et  la 
13e  représentation  fut  la  dernière. 

Un  mois  plus  tard,  le  16  septembre  1854,  avait  lieu   une 


34 


LE  MENESTREL 


des  reprises  les  plus  importantes  de  celte  période,  importante 
et  par  la  valeur  de  l'œuvre  et  par  la  qualité  des  interprètes. 
Croirait-on  que  le  Pré  aux  Clercs,  cette  pièce  classique,  n'avait 
pas  reparu  sur  l'affiche  depuis  1849?  Il  faut  ajouter  qu'une 
telle  interruption  rentrait  assez  dans  le  système  de  M.  Perrin  : 
produire  de  l'effet  et  par  conséquent  amener  la  recette,  même 
avec  un  vieil  ouvrage.  Volontiers  il  le  laissait,  pour  ainsi 
dire,  reposer  quelque  temps,  semblait  l'oublier,  puis  tout  à 
coup  le  rappelait  à  la  vie  et  au  succès  par  une  distribution 
brillante  et  une  mise  en  scène  soignée.  Ainsi  fit-il  pour  le 
Pré  aux  Clercs,  où  furent  applaudis  Mme  Miolan-Carvalho  (Isa- 
belle), Mme  Golson,  venue  du  Théâtre-Lyrique  et  débutant  à 
la  salle  Favartdans  le  rôle  delà  Reine,  Mne  Lefebvre  (Nicette), 
MM.  Puget  (Mergy),  Couderc  (Comminges)  Sainte-Foy,  (Can- 
tarelli),  Bussine  (Girot).  L'événement  répondit  aux  calculs 
du  directeur;  cette  reprise  fournit  46  représentations  en 
1854,  et  44  l'année  suivante.  C'est,  par  parenthèse,  à  la  suite 
de  la  représentation  gratuite  donnée,  en  cette  année  1855,  à 
l'occasion  de  la  prise  de  Sébastopol,  que  fut  modifié  certain 
détail  de  mise  en  scène  relatif  à  l'œuvre  d'Herold.  Jusqu'alors, 
les  acteurs  chargés  du  rôle  de  Mergy  tiraient  de  leur  poche 
le  message  qu'ils  apportaient,  à  Marguerite  de  Valois  de  la 
part  de  son  mari  le  roi  de  Navarre.  Ce  soir-là,  un  soldat 
placé  à  l'orchestre  fit  à  haute  voix  une  réflexion  assez  juste: 
«Oh!  ce  gaillard-là  prend  dans  sa  culotte  la  lettre  à  la  Reine!  » 
Le  mot  franchit  la  rampe,  et  depuis  lors  Mergy  dut  placer  le 
message  dans  sa  ceinture.  Fermons  notre  parenthèse  pour 
constater  que  depuis  la  reprise  de  1854,  le  Pré  aux  Clercs  s'est 
maintenu  fermement  au  répertoire  et,  sur  un  espace  de  plus 
de  trente  ans,  on  ne  signale  à  son  passif  qu'une  éclipse  de 
deux  années,  en  1863  et  1864. 

Une  telle  reprise  laissait  dans  l'ombre  toutes  les  autres,  et 
c'est  pour  mémoire  seulement  que  nous  citons  en  cette  même 
année  :  le  24  avril,  le]Songe  d'une  Nuit  d'été  avec  MIles  Lefebvre 
(Elisabeth),  Belia,  MM.  Couderc,  Jourdan  et  Faure,  excellent 
sous  les  traits  de  Falstaff;  le  17  juillet,  Gille  Ravisseur,  avec 
Mlle  Lemercier  (Isabelle),  Mme  Blanchard,  MM.  Hermann-Léon 
(Crispin),  Ponchard  (Léandre),  Sainte-Foy  (Valentin),  Duver- 
noy  et  Lemaire  ;  le  11  août,  les  Porcherons,  avec  Mllc  Lefebvre 
(Mmede  Bryane)  Mme  Félix,  MueDecroix,  MM.  Mocker(Danceny), 
Hermann-Léon,  Sainte-Foy,  Bussine,  Lemaire;  le  25  août,  les 
Mousquetaires  de  la  Reine  avec  une  distribution  toute  nouvelle, 
puisque  Hermann-Léon  restait  seul  de  la  création,  soit  avec 
MM.  Puget  (Olivier),  Delaunay-Riquier,  Mlle  Boulart  (Athénaïs), 
M1Ie  Larcéna  (Berthe)  ;  enfin,  le  26  août,  Marco  Spada  avec  Mlle  Du- 
prez  (Angelo),M1IeFavel,  MM.  Jourdan,  Couderc,  Bussine,  Car- 
valho  et  Faure;  ce  dernier  remplissait,  pour  la  première  fois, 
le  rôle  du  baron  de  Torrida,  créé  par  Battaille. 

A  toutes  ces  reprises  devait  succéder,  avant  que  l'année 
musicale  eût  pris  fin,  une  nouveauté  ;  et  cette  nouveauté  fut 
un  succès.  Une  fois  de  plus,  Michel  Carré  et  Jules  Barbier 
avaient  été  bien  inspirés  en  traçant  ce  petit  tableau  du 
XVIIIe  siècle,  où  certaine  marquise  jouait  la  paysanne  pour 
mieux  ensorceler  son  amoureux;  avec  les  Sabots  de  la  Marquise 
ils  avaient  retrouvé  l'heureux  filon  des  Noces  de  Jeannette,  et  le 
compositeur,  Ernest  Boulanger,  donnait  un  pendant  à  son 
premier  succès,  le  Diable  à  l'école.  Cet  acte  fut  joué  le  29  sep- 
tembre 1854,  se  maintint  au  répertoire  pendant  dix  années 
consécutives,  et  fut  repris  en  1867.  Il  n'obtint  pas  en  tout 
moins  de  110  représentations,  et  de  nos  jours,  il  est  plus 
d'une  ville  en  province  où  résonne  encore  l'aimable  couplet 
que  disait  si  finement  M"e  Lemercier  : 

Aimons  qui  nous  aime! 
C'est  le  bon  système 
A  suivre  ici-bas  ; 
Si  Nicolas  m'aime. 
Va  pour  Nicolas  ! 

Cependant,  à  la  salle  Favart  un  événement  s'était  produit, 
qui  pouvait  influer  sur  ses  destinées  et  changer  en  bien  ou 
en  mal  le  cours  de  sa  fortune.    Le  directeur  du  Théâtre-Ly- 


rique, M.  Jules  Seveste,  était  mort  subitement,  et  la  nécessité 
de  ne  pas  laisser  péricliter  son  entreprise  à  l'heure  où  elle 
commençait  à  prospérer,  avait  fait  naître  l'idée  de  recourir 
aux  talents  de  M.  Emile  Perrin.  Par  décision  du  16  juillet,  il 
arriva  donc  que  les  privilèges  des  deux  théâtres,  quoique 
demeurant  distincts,  furent  réunis  entre  les  mêmes  mains. 
C'était  la  réalisation  d'un  rêve  assurément  cher  au  directeur 
privilégié,  puisque  plus  tard,  lorsqu'il  administra  l'Opéra,  puis- 
la  Comédie-Française,  il  eut  l'idée  d'adjoindre  à  l'Opéra 
l'Opéra-Comique,  à  la  Comédie  l'Odéon,  se  plaisant  ainsi 
à  la  concentration  des  pouvoirs  et  à  l'unité  de  la  direc- 
tion. Mais  en  1854,  l'opinion  s'émut  de  cette  combinaison, 
et  la  presse  en  général  la  désapprouva.  On  voyait  dans 
le  Théâtre-Lyrique  une  sorte  d'  «  éperon  mis  au  flanc 
de  l'Opéra-Comique,  »  autrement  dit  une  cause  perpétuelle 
d'émulation.  On  craignait  que  cette  rivalité,  profitable  à 
l'art,  ne  disparût,  et  d'aucuns  soupçonnaient  déjà  M.  Perrin  de 
ne  vouloir  diriger  cette  entreprise  que  pour  n'avoir  pas  à 
souffrir  de  dommage  s'il  la  laissait  diriger  par  un  autre.  On 
disait  même  que  «  cette  double  administration  risquait  d'ar- 
mer, d'une  dangereuse  omnipotence,  les  prédilections  et  les 
sympathies  de  celui  à  qui  elle  était  confiée,  et  que  la  disgrâce 
encourue  fermerait  ainsi  toutes  les  portes  à  la  fois.  »  Devant 
cette  opposition,  jointe  aux  exigences  très  exagérées  de  la 
Société  des  auteurs,  M.  Perrin  donna  sa  démission,  puis,  sur 
des  instances  venues  de  haut,  il  la  reprit  et  consacra  dès 
lors  autant  de  zèle  et  d'activité  au  second  théâtre  qu'au 
premier.  Il  avait  constitué  une  troupe  solide,  en  tète  de  la- 
quelle marchait  une  nouvelle  recrue,  qui  devait  un  jour  ser- 
vir sous  ses  ordres  à  la  salle  Favart,  Mme  Marie  Cabel  ;  il  avait 
choisi  un  certain  nombre  d'ouvrages,  et  trouvé  ceux  qui  de- 
vaient produire  de  fortes  recettes  :  parmi  les  nouveaux,  Jagua- 
rita  l'Indienne,  parmi  les  anciens  la  Sirène,  la  seule  pièce 
d'Auber  qui  ait  jamais  été  jouée  au  Théâtre-Lyrique;  en  un 
mot,  du  jour  de  l'ouverture  (30  septembre  1854),  à  celui  de  la 
clôture  (30  juin  1855),  car,  en  dépit  de  l'Exposition  universelle, 
on  s'avisa  de  fermer  l'été,  —  son  ardeur  ne  se  ralentit  pas; 
malheureusement,  si  intéressante  que  fût  sa  tentative,  il  re- 
nonça bientôt  à  la  poursuivre.  A  la  rentrée,  le  sceptre  direc- 
torial était  passé,  par  un  décret  en  date  du  29  septembre 
1855,  aux  mains  de  Pellegrin,  prédécesseur  immédiat  de 
M.  Carvalho;  l'expérience  n'avait  donc  pas  assez  duré  pour 
être  concluante,  et  l'en  ne  peut  savoir  le  bien  ou  le  mal  qui 
serait  résulté  pour  les  théâtres,  pour  les  auteurs  et  pour  les 
artistes  de  cette  gestion  en  partie  double,  confiée  à  un  homme 
dont  le  talent  et  l'honorabilité  ne  faisaient  doute  pour  per- 
sonne. (A  suivre.) 


BULLETIN    THEATRAL 

PROLÉGOMÈNES  DE  LA.  REPRISE  DE  DIMITRI 

C'est  très  probablement  mercredi  prochain  qu'aura  lieu  à  l'Opéra- 
Comique  la  première  représentation  de  la  reprise  de  Dimitri.  Il  est 
donc  tout  naturel  qu'on  se  répande  en  renseignements  préliminaires 
et  en  souvenirs  rétrospectifs  au  sujet  de  cette  intéressante  partition 
de  M.  Victorin  Joucières.  C'est  ce  que  nous  allons  faire  comme  nos 
confrères. 

C'est  le  compositeur  lui-même  qui  eut  l'idée  de  tirer  un  sujet 
d'opéra  d'un  drame  que  Schiller  avait  laissé  inachevé  et  qui  déjà 
avait  inspiré  un  roman  à  Prosper  Mérimée,  le  Faux  DémHrius,  et  une 
pièce  en  vers  à  M.  Léon  Halévy,  le  Csar  Démétrius,  représentée  non 
sans  succès  ;i  la  Comédie-Française  vers  1835.  A  ces  diverses  sources 
puisèrent  les  deux  collaborateurs  :  MM.  Henri  de  Bornier  et 
Armand  Silvestre  que  le  musicien  s'adjoignit  pour  la  confection 
du  livret  de  Dimitri. 

M.  Joncières  était  alors,  —  et  il  l'est  même  encore,  croyons-nous,  — 
professeur  au  lycée  Henri  IV,  et  c'est  dans  une  des  vastes  salles 
de  cet  établissement,  mise  gracieusement  à  sa  disposition  par  le 
proviseur  pour  l'isoler  du  reste  des  humains  et  favoriser  son  travail, 
que  le  compositeur  écrivit  la  partition  que  nous  allons  bientôt 
réentendre. 

Ouand  l'oeuvre  fut  achevée,  on  pensa  tout  de  suite  à  l'Académie 


LE  MENESTREL 


35 


nationale  de  musique  pour  sa  représentation.  Ce  n'était  pas  alors 
MM.  Ritt  et  Gailhard  qui  en  conduisaient  les  destinées  de  la  façon 
brillante  qu'on  sait,  mais  simplement  l'honnête  M.  Halanzier,  qui 
n'était  peut-être  pas  aussi  brillant,  mais  qui  faisait  tout  de  même 
de  meilleure  besogne.  Malheureusement,  les  circonstances  n'étaient 
pas  favorables  alors  pour  l'apparition  d'une  oeuvre  nouvelle  à  l'Aca- 
démie de  musique,  —  elles  ne  le  sont  jamais  au  dire  des  directeurs. 
M.  Halanzier  était  uniquement  absorbé,  à  cette  époque,  par  la  recon- 
stitution du  répertoire.  Car  on  était  au  beau  temps  de  l'inauguration 
de  la  nouvelle  salle  de  M.  Charles  G-arnier,  où  tout  était  à  faire  et 
à  refaire  au  point  de  vue  des  représentations. 

Notre  compositeur,  empêché  de  ce  côté,  eut  bien  vile  fait  de  se 
retourner  d'un  autre. 

Le  Théâtre-Italien,  venait  brusquement  de  disparaître,  laissant 
sans  emploi,  sur  les  fonds  votés  Tannée  précédente  pour  sa  subven- 
tion, une  somme  liquide  de  200,000  francs.  Cette  somme  devait  faire 
retour  au  Trésor  si  elle  ne  trouvait  pas  de  destination  avant  le 
1er  juin  1876. 

M.  Joncières  eut  connaissance  de  cet  état  de  choses,  il  en  fit 
part  à  M.  Vizentini,  qui  venait  de  prendre  la  direction  de  la  G-aité 
et  qu'il  savait  être  écrasé,  comme  l'avait  été  son  prédécesseur  Of- 
fenbach,  par  les  frais  énormes  des  féeries  et  des  pièces  à  spectacle. 
Il  lui  insinua  qu'un  changement  de  genre  dans  ce  quartier  pourrait 
être  pour  lui  un  coup  de  fortune,  et  que  de  la  Galté  il  devait  faire 
un  théâtre  de  musique.  Sur  quoi  tous  deux  s'en  allèrent  solliciter 
privilège  et  subvention  ;  ils  obtinrent  l'un  et  l'autre.  Les  ministres 
d'alors  prenaient  quelque  souci  des  choses  de  la  musique. 

On  était  au  mois  de  mars  ;  il  n'était  pas  facile  à  cette  époque  de 
l'année  de  constituer  une  troupe  d'opéra  ;  les  difficultés  furent 
-grandes  ;  on  les  surmonta  pourtant,  et,  le  6  mai,  le  Théâtre-Lyrique 
ouvrait  ses  portes  avec  Dimilri,  établissant  ainsi  ses  droits  à  la 
subvention. 

Pour  remettre  l'oeuvre  à  la  scène,  M.  Paravey,  toujours  fastueux 
—  ses  moyens  le  lui  permettent  —  n'a  rien  négligé.  Tous  les  décors 
sont  neufs  et  vous  m'en  direz  des  nouvelles.  Il  n'y  a  pas  moins  de 
480  costumes,  également  nouveaux,  dus  au  crayon  élégant  de 
M.  Bianchini,  d'après  des  dessins  originaux  de  l'époque. 

Dimitri  ne  comporte  pas  moins  de  cinq  actes  et  six  tableaux,  dont 
voici  l'énumération. 

1er  tableau.  —  Les  abords  du  monastère  de  Wiadka.  Site  sauvage. 
Effet  de  neige'. 

2e  tableau.  —  Le  palais  de  Wanda,  à   Cracovie.   Grande   fête  en 
l'honneur  de  Sigismond,  roi  de  Pologne. 
3e  tableau.  —  Une  salle  basse  de  la  forteresse  de  Wilska. 
4°  tableau.  —  Le  Camp  devant  Moscou,  avec  la  ville  en  perspective. 
La  lente  de  Dimitri  à  droite.  Grand  déploiement  militaire. 
Se  tableau.  —  Intérieur  de  la  tente  de  Dimitri. 
6e  tableau.  —  La   place  Rouge   à  Moscou,  avec  un  aperçu  de  l'é- 
glise Wasili;  à  gauche  et  dans  le  fond,  la  porte  rouge  du  Kremlin. 
A  droite,  au  premier  plan,  la  fenêtre  avancée  d'où  le  comte  Lusace 
tire  le  coup  d'arquebuse  qui  tue  Dimitri.  C'tst  ce  tableau   qui   en- 
cadre le  défilé  du  couronnement  :  grand  cortège,  officiers  moscovites, 
grand'gardes,  boyards,   dames  d'honneur,   Cosaques   Zaporogues,  le 
Tsar  et  les  deux  Impératrices. 

Voici  la  distribution  actuelle  de  Dimitri,  en  regard  de  celle  de  la 
création  : 


Dimilri 

Comte  Lusace 

Job 

Le  Prieur 

Un  Hetmann 

Marpha 

Narina 

Wanda 


THEATRE-LYRIQUE 

5  mai  1876 

MM.  Duchesne 
Lassalle 
Gresse 
Comte 
Watson 

MmcB  Engally 
Zina  Dalti 
Belgirard 


OPERA-COMIQUE 

février  1890 

MM.  Dupuy 

Soulaeroix 
Fournets 
Cobalet 
Galand 

Mmcs  Deschamps 
Landouzy 
Gavioli 


Il  y  aura  au  4e  tableau  un  grand  ballet  réglé    par  M110  Marquet. 
Et  maintenant  au  rideau  ! 


Ce  n'est  d'ailleurs  pas  la  dernière  fois  de  la  saison  que  nous  le 
verrons  se  lever,  ce  fameux  rideau  de  M.  Paravey,  s'il  faut  en  croire 
toutes  les  annonces  mirifiques  qui  courent  les  journaux.  On  ne  sait 
plus  auquel  entendre. 

L'un  nous  dit  avec  le  plus  grand  sérieux  que  le  premier  ouvrage 
qui  passera  après  Dimitri  sera  Joël,  le  drame   lyrique  de  M"1"  la  ba- 


ronne Legoux,  attendu  qu'elle  a  un  traité  en  poche  qui  lui  assure  la 
représentation  de  son  ouvrage  pour  le  mois  de  février.  Et  de  fait 
cela  nous  paraît  certain,  car,  ce  traité,  nous  l'avons  pu  lire  de  nos 
yeux,  et  M.  Paravey  n'est  pas  homme  à  manquer  à  un  engagement. 

Mais  voici  l'autre  qui  réclame,  et  prétend  qu'avant  tout  c'est  le 
tour  du  Marchand  de  Venise  de  M.  Défies,  lequel  n'a  pas  un  moindre 
traité  que  la  baronne,  toujours  pour  le  mois  de  février.  Il  y  aurait 
même  un  dédit  stipulé  et  l'agent  des  auteurs,  M.  Debry,  serait  déjà 
intervenu  auprès  du  directeur  pour  lui  demander  l'exécution  de  sa 
promesse, 

Un  dédit!  s'écrie  un  troisième,  mais  il  y  en  a  un  aussi  de  fixé 
(15,000  francs)  dans  l'engagement  conclu  entre  M.  Paravey  et 
M.Casteignier,  l'auteur  des  Normands,  drame  lyrique  en  cinq  actes  et 
six  tableaux  qui  doit  être  représenté  sans  faute  dans  le  courant  du 
mois  de  mai. 

Et  Dante  et  Béatrix,  deM.  Godard?  Et  Benvenuto  Cellini,  de  M.  Diaz? 
Et  l'Ondine,  de  M.  Rosenlecker?  Et  tout  le  reste,  clament  encore 
nos  autres  confrères?  Tous  ont  des  traités,  tous  ont  des  dédits, 
tous  des  époques  fixes.  Et  devant  ce  flot  d'opéras  qui  menacent  de  le 
submerger,  M.  Paravey  demeure  calme  et  imperturbable.  Vous  verrez 
que  ce  diable  d'homme  dont  l'activité  est  déjà  légendaire,  tiendra 
parole  à  tous,  et  qu'il  saura  s'y  prendre  de  telle  façon  que  cha- 
cun arrivera  à  l'heure  dite,  quand  il  devrait  pour  cela  se  multiplier. 
Au  lieu  d'un  seul  Paravey,  nous  en  aurons  deux,  trois,  quatre,  cinq. 
Il  n'y  en  aura  jamais  de  trop.  H.  M. 


LE  THÉÂTRE  A  L'EXPOSITION  UNIVERSELLE  DE  1889 
IX 

ARCHITECTURE  ET  MACHINERIE   THÉÂTRALES 

Nous  n'en  avons  pas  fini  avec  la  galerie  supérieure  du  palais  des 
Arts  libéraux,  et  nous  allons  cette  fois  nous  trouver  en  présence 
d'une  des  manifestations  les  plus  neuves  et  les  plus  curieuses  aux 
quelles  ait  donné  lieu  l'exposition  relative  au  théâtre.  Je  veuxparler 
de  la  reconstitution  exacte,  à  l'aide  de  documents  d'une  authenticité 
incontestable,  et  sous  la  forme  de  maquettes  établies  avec  une  fidélité 
scrupuleuse,  de  quelques-unes  des  plus  anciennes  salles  de  spectacle 
qu'ait  possédées  Paris:  celle  de  l'Hôtel  de  Bourgogne  lors  de  sa 
seconde  occupation  par  la  Comédie-Italienne;  celle  qui,  édifiée  au 
Palais-Royal  par  les  soins  du  cardinal  de  Richelieu  pour  les  repré- 
sentations de  sa  tragédie  de  Mirame,  servit  ensuite  à  Molière  et  à  sa 
troupe,  puis  devint  celle  de  l'Opéra  de  Lully;  la  fameuse  salle  dite 
des  Machines,  construite  en  1661  aux  Tuileries  par  Vigarani  pour 
les  grands  spectacles  de  la  cour,  et  qui,  longtemps  abandonnée, 
abrita  plus  tard  le  Spectacle  en  décoration  de  Servandoni,  servit  un 
instant  de  refuge  à  l'Opéra  (après  l'incendie  de  1763),  puis  à  la 
Comédie-Française  (c'est  là  qu'eut  lieu  le  couronnement  de  Voltaire), 
et  enfin  fut  occupée  en  1789  par  le  Théâtre  de  Monsieur,  jusqu'au 
jour  où  la  Convention  y  tint  ses  mémorables  séances;  enfin,  la  salle 
que  la  Comédie-Française  se  fit  construire  en  1689  au  jeu  de  paume 
de  l'Étoile,  rue  Neuve-des-Fossés  (aujourd'hui  rue  de  l'Ancienne- 
Comédie),  et  où  elle  demeura  jusqu'en  1770. 

Procédons  par  ordre,  et  commençons  par  l'Hôtel  de  Bourgogne,  le 
plus  ancien  théâtre  régulier  qu'ait  connu  Paris.  Il  va  sans  dire  que 
nous  ne  le  verrons  pas  ici  tel  qu'il  était  au  temps  où  les  Confrères 
de  la  Passion  l'avaient  fait  aménager  à  leur  usage,  ni  même  à  l'épo- 
que où  nos  premiers  grands  comédiens  français  s'y  faisaient  les  in- 
terprètes des  comédies  de  Boisrobert  et  de  Quinault,  des  tragédies 
de  Corneille  et  de  Rotrou.  J'ai  dit  qu'il  s'agissait  de  la  seconde 
période  de  la  Comédie-Italienne,  celle  qui  s'étend  de  1716  à  1783,  et 
nous  touchons  même  à  la  fin  de  cette  période,  eelle  où,  malgré  son 
ancien  titre,  ce  théâtre  est  devenu  presque  exclusivement  frança1S. 
et  où  il  s'adonne  surtout  au  genre  de  la  «  comédie  à  ariettes,  » 
c'est-à-dire  de  l'opéra-comique.  En  effet,  la  maquette  qui  nous 
représente  l'ancienne  salle  de  la  rue  Mauconseil  a  été  établie  d'après 
un  dessin  de  Wille  fils,  conservé  au  cabinet  des  estampes  de  la 
Bibliothèque  nationale,  et  qui  est  daté  de  1767.  Ce  dessin,  qui  donne 
l'ensemble  de  la  salle  et  de  la  scène,  a  été  pris  pendant  une  repré- 
sentation de  Rose  et  Colas,  le  gentil  petit  chef-d'œuvre  de  Sedaine 
et  Monsigny,  dont  il  nous  montre  un  épisode  :  Malhurm  est  assis, 
à  droite,  auprès   du  rouet,  écoutant  Rose  et  Colas,  qui  sont  debout 

devant  lui. 

Il  est  évident  que  les  anciens  Comédiens-Italiens,  en  prenant  pos- 
session de  la  salle  de  l'Hôtel  de  Bourgogne,  avaient  dû  la  modifier 
selon  les  coutumes  de  leur  pays,   et  que  ceux  qui  prirent  en  1710 


36 


LE  MENESTREL 


leur  succession  avaient  laissé  les  choses  en  l'état.  Aussi  voit-on  ici 
que,  selon  ces  coutumes,  l'avant-scène  pénètre  profondément  dans 
la  salle,  presque  jusqu'aux  deux  tiers,  et  que  les  acteurs,  laissant 
bien  loin  derrière  eux  le  manteau  d'Arlequin,  sont  littéralement 
entourés,  on  pourrait  dire  enveloppés  par  le  public;  c'est  ce  que 
nous  voyons  encore  aujourd'hui  en  Italie,  surtout  dans  les  grands 
théâtres  lyriques,  comme  la  Scala  de  Milan,  qui  peut  être  considérée 
comme  le  type  de  ceux-ci.  La  scène  est  éclairée,  par  en  haut,  à 
l'aide  de  deux  lustres  à  bougies,  placés  l'un  à  droite,  l'autre  à  gauche. 
Quant  à  la  salle,  elle  comporte  trois  rangs  de  loges,  dont  les  balcons 
sont  décorés  avec  goût,  le  second  rang  étant  orué  d'une  série  de  lyres 
peintes  sans  doute  lors  d'une  réparation  récente,  et  depuis  que  le 
théâtre  s'était  surtout  consacré  à  la  représentation  de  pièces  musi- 
cales. La  maquette,  très  aimable  et  très  vivaute,  nous  montre  ces 
loges  garnies  d'un  nombreux  public.  L'effet  d'ensemble  est  tout  à 
fait  charmant. 

Avec  la  gouache  très  curieuse  dont  j'ai  parlé  précédemment  et  qui, 
en  reproduisant  l'épisode  de  l'expulsion  des  premiers  Comédiens- 
Italiens  en  1697,  nous  donnait  une  vue  extérieure  di  leur  théâtre, 
avec  le  dessin  de  Wille  fils  et  cette  maquette  qu'il  a  servi  à  établir, 
nous  pouvons  aujourd'hui  nous  faire  une  idée  exacte,  précise,  non 
seulement  de  l'aspect  architectural  de  l'ancien  Hôtel  de  Bourgogne, 
vu  du  dehors,  mais  de  ce  qu'était,  intérieurement  et  extérieurement, 
cet  aimable  théâtre  de  la  Comédie-Italienne  dans  la  seconde  moitié 
du  dix-huitième  siècle,  c'est-à-dire  au  temps  de  sa  plus  grande 
vogue  et  de  sa  plus  complète  splendeur. 

La  seconde  maquette  est  ainsi  désignée:  «  Salle  du  Palais-Royal, 
construite  pour  le  cardinal  de  Richelieu,  transformée  et  occupée  par 
Molière,I660-1673,  puis  par  l'Opéra,  1673-1763.  »  Cette  salle  en  effet 
fut  celle  que  le  cardinal,  qui,  on  le  sait,  aimait  beaucoup  le  théâtre 
et  prétendait  en  faire  lui-même,  fit  élever  dans  son  palais  par  les 
soins  de  Le  Mercier,  pour  sa  fameuse  tragédie  de  Mirame,  écrite 
avec  Boisrobert,  et  dont  la  représentation  date  de  1639.  Le  succès 
assez  fâcheux  de  cette  pièce  le  découragea  au  point  de  laisser  sans 
destination  un  théâtre  qui  était  eonsidéré  comme  le  plus  beau  qu'il 
y  eut  alors  en  France.  La  maquette  nous  offre  la  coupe  longitudi- 
nale de  la  scène  et  de  la  salle  après  les  modifications  que  Molière 
leur  eut  fait  subir  non  seulement  lorsqu'il  vint  s'y  établir  le  20  jan- 
vier 1661,  mais  après  le  remaniement  auquel  il  les  soumit  dix  ans 
après.  Ce  modèle  nous  présente  la  scène  complètemente  nue,  sans 
aucun  décor,  et  meublée  seulement  des  portants  destinés  à  recevoir 
et  à  supporter  les  faux-châssis  des  coulisses,  de  sorte  qu'on  voit  lf  s 
quatre  fenêtres  qui  percent  les  murs  en  haut,  sur  le  côté  situé  à 
droite  de  l'acteur,  et  les  deux  qui  donnent  sur  le  corridor  du  cintre. 
On  a  seulement  fait  figurer  sur  la  scène  deux  personnages,  deux 
danseurs,  pour  donner  une  idée  exacte  des  proportions.  En  décri- 
vant ce  théâtre,  Sauvai  dit,  dans  ses  Antiquités  de  Paris:  «  La  ma- 
nière de  ce  théâtre  est  moderne,  et  occupe,  ainsi  que  je  l'ai  dit, 
une  longue  salle  couverte,  et  quarrée  longue.  La  scène  est  élevée  à 
un  des  bouts,  et  le  reste  occupé  par  vingt-sept  degrés  de  pierre, 
qui  montent  mollement  et  insensiblement,  et  qui  sont  terminés  par 
une  espèce  de  portique,  ou  trois  grande  arcades  :  mais  cette  salle 
est  un  peu  défigurée  par  deux  balcons  dorés,  po=és  l'un  sur  l'autre 
de  chaque  côté,  et  qui,  commençant  au  portique,  viennent  finir 
assez  près  du  théâtre.  »  La  Bibliothèque  uationale  possède  un  des- 
sin qui  représente  la  salle  du  Palais-Royal  à  la  suite  des  transfor- 
mations dont  elle  fat  l'objet  d'abord  de  la  part  de  Molière  pour  sa 
troupe,  ensuite  de  la  part  de  Lully  pour  l'Opéra.  C'est  d'après  ce 
dessin,  document  absolument  authentique,  qu'a  été  établie  la 
maquette  dont  il  est  ici  question.  On  y  voit,  en  premier  lieu,  que  les 
deux  balcons  dorés  qui  la  défiguraient,  au  dire  de  Sauvai,  ont  été 
remplacés  par  trois  rangs  de  loges  qui  contournent  la  salle,  et,  en 
second  lieu,  que  le  plancher  de  celle-ci  a  été  considérablement 
exhaussé,  puisque,  sous  les  bancs  de  l'amphithéâtre,  on  peut  aper- 
cevoir les  degrés  de  pierre  dont  parle  l'écrivain  et  sur  lesquels  on 
plaçait  des  sièges  destinée  aux  nobles  invités  que  le  cardinal  en- 
gageait à  venir  voir  chez  lui  la  comédie.    ■ 

La  salle  du  Palais-Royal,  rendue  publique  en  1661,  fut  détruite, 
le  6  avril  1763,  par  un  incendie  qui  coûta  la  vie  à  deux  capucins. 
Elle  avait  donc  eu  une  existence  active  d'un  peu  plus  d'un  siècle, 
et  l'Opéra  y  avait  séjourné  pendant  quatre-vingt-dix  ans.  Durant  les 
premières  années  de  son  occupation  par  ce  théâtre,  elle  avait  retenti 
des  nobles  accents  de  Lully,  et  les  dernières  lui  firent  connaître  tous 
les  chefs-d'œuvre  de  Rameau  (1).  Elle  vit  donc  deux  des  périodes 
les  plus  brillantes  et  les  plus   mémorables  de  l'histoire  de  la  musi- 

(1)  Hameau  mourut  le  12  septembre  1764. 


que  dramatique  française.  Et  si  l'on  songe  qu'elle  vit  représenter 
auparavant  la  plupart  des  œuvres  maîtresses  de  Molière  et  quelques- 
unes  de  Corneille  et  de  Racine,  on  peut  dire  qu'elle  tient  une  place 
à  part,  et  singulièrement  importante,  dans  les  annales  de  notre' 
théâtre. 

(A  suivre.)  Arthur  Poiigin. 


LES  ÉTUDES  CLASSIQUES  Aïï  (MSERYATOIRE 

Nous  avons  annoncé  que  le  conseil  supérieur  d'enseignement  du  Conser- 
vatoire avait  été  convoqué,  sous  la  présidence  de  M.  Larroumet,  directeur 
des  beaux-arts,  pour  étudier  les  modifications  à  apporter  dans  le  régime 
des  examens  et  concours  de  cet  établissement.  A  la  suite  de  cette  étude 
et  sur  le  rapport  de  M.  Larroumet,  M.  Faîtières,  ministre  de  l'instruction 
publique  et  des  beaux-arts,  vient'd'adresser  la  lettre  suivante  à  M.  Ambroise 
Thomas,  directeur  du  Conservatoire  : 

Palais-Roval,  27  janvier. 
Monsieur  le  directeur, 
Le  Conservatoire  national  de  musique  et  de  déclamation  n'a  pas  reçu  jusqu'à 
présent  de  programmes  détaillés.  Dans  un  ordre  d'études  où  les  mêmes  règles 
ne  sauraient  s'appliquer  à  des  enseignements  très  divers,  l'administration  supé- 
rieure a  voulu  laisser  à  chaque  maître  la  liberté  d'appliquer  sa  méthode  d'après 
son  expérience  personnelle  et  la  nature  de  son  talent  ;  l'autorité  et  la  compétence 
des  artistes  éminents  qui  se  sont  succédé  dans  la  direction  ont  toujours  suffi 
pour  maintenir  l'unité  générale  de  tendances  et  de  résultats. 

Je  ne  songe  pas  à  rompre  avec  une  tradition  qui  a  donné  beaucoup  de  sou- 
plesse à  l'enseignement  du  Conservatoire,  mais  selon  votre  désir,  je  tiens  à  fixer 
par  des  prescriptions  formelles  le  régime  des  concours'  de  fin  d'année  qui,  en- 
constatant  les  résultats  des  études,  exercent  sur  elles  tant  d'influence. 

L'enseignement  du  Conservatoire  doit  être  fondé  sur  l'étude  de  notre  répertoire 
classique  musical  et  dramatique.  Consacrées  par  le  temps,  les  œuvres  qui  le  com- 
posent ont  fait  leurs  preuves  d'excellence  et  restent  au-dessus  des  variations  du 
goût  ;  elles  offrent  un  caractère  commun  de  simplicité,  de  justesse  et  de  mesure 
qui  constituent  les  qualités  essentielles  de  notre  génie  national  ;  elles  sont  les 
meilleurs  guides  pour  la  formation  et  la  direction  premières  des  talents  ;  elles  ne 
risquent  jamais  d'égarer  et  peuvent  suffire  à  toutes  les  variétés  d'aptitudes. 

Nos  compositeurs  et  nos  auteurs  contemporains  ajoutent  incessamment  à  ce 
répertoire  nombre  d'eeuvres  dont  beaucoup  sont  destinées  à  devenir  classiques-. 
Mais,  avant  de  leur  accorder  une  place  prédominante,  il  importe  que  le  temps 
leur  ait  donné  sa  consécration. 

Les  élèves  du  Conservatoire  sont  trop  portés  à  méconnaître  cette  nécessité. 
Ils  croient  trouver  des  succès  plus  faciles  en  s'essavant  dans  des  œuvres  que  le 
public  vient  d'applaudir.  Us  négligent  de  plus  en  plus  le  répertoire  classique  et, 
dans  les  programmes  des  derniers  concours,  le  nombre  des  morceaux  modernes 
l'emportait  de  beaucoup  sur  celui  des  morceaux  anciens.  C'est  le  contraire  qui 
devrait  être. 

J'ai  donc  chargé  le  conseil  supérieur  d'enseignement  institué  près  le  Conser- 
vatoire d'étudier  la  question  et  de  me  proposer  les  mesures  qu'il  croirait  les  plus 
capables  de  ramener  les  élèves  à  la  vraie  notion  de  leurs  études.  Après  avoir  pris 
connaissance  des  procès-verbaux  de  ses  séances,  j'ai  arrêté  un  certain  nombre 
de  dispositions  qui  s'appliquent  également  à  l'enseignement  musical  et  à  l'ensei'- 
gnement  dramatique. 

Elles  ne  visent  pas  à  exclure  le  répertoire  moderne  de  l'enseignement  et  des 
concours.  Il  doit  y  conserver  sa  place  légitime  ;  mais  il  sera  désormais   néces- 
saire que  tous  les  élèves  aient  étudié  le  répertoire  classique  et,  s'ils  le  négligent, 
vous  aurez  le  moyen  de  les  y  ramener. 
Ces  dispositions  sont  les  suivantes  : 

1°  Les  scènes  ou  morceaux  d'examens  et  de  concours  doivent  être  soumis  au 
directeur  du  Conservatoire.  Ils  sont  proposés  par  les  professeurs  de  chaque  classe 
un  mois  avant  l'épreuve  ;  la  liste  générale  est  arrêtée  par  le  directeur. 

2°  Pour  les  examens  semestriels,  chaque  élève  doit  présenter  une  liste  compre- 
nant quatre  scènes  ou  morceaux  dont  deux  peuvent  être  modernes.  Le  comité 
d'examen  des  classes  choisit  la  scène  ou  morceau  sur  lequel  l'élève  sera  examiné.. 
3°  Pour  les  concours  publics,  la  liste  doit  comprendre  deux  scènes  ou  mor- 
ceaux :  l'un  ancien,  l'autre  moderne.  L'élève  peut  indiquer  ses  préférences  et, 
après  avis  du  professeur,  le  comité  d'examen  des  classes  décide  dans  lequel  de- 
ces  scènes  ou  morceaux  l'élève  doit  concourir. 

4°  Les  élèves  qui  concourent  pour  la  première  fois  ne  peuvent  passer  que  dans- 
une  scène  ou  morceau  ancien. 

5°  Les  scènes  de  déclamation  lyrique  et  dramatique  ne  peuvent  être  choisies 
que  dans  les  ouvrages  joués  sur  l'un  des  théâtres  nationaux,  et  dont  la  première 
représentation  remonte  au  moins  à  dix  ans. 

Ces  dispositions,  monsieur  le  directeur,  seront  exécutoires  pour  les  examens  et 
concours  de  1890  ;  je  vous  invite  donc  à  les  porter  immédiatement  à  la  connais- 
sance de  MM.  les  professeurs  et  à  tenir  la  main  à  leur  application.  J'apprécierai, 
sur  votre  rapport,  à  la  fin  de  la  présente  année,  les  résultats  obtenus,  et  je  verrai 
quelles  modifications  peuvent  être  apportées  à  ce  règlement  provisoire  avant  de 
lui  donner  la  forme  d'un  arrêté  définitif. 

Pour  la  déclamation  dramatique,  il  convient  d'entendre  par  morceaux  anciens 
ceux  qui  sont  empruntés  aux  auteurs  des  XVII0  et  XVIII"  siècles  et  de  la  pre- 
mière moitié  du  XIX",  en  s'attachant  de  préférence  aux  œuvres  de  premier  rang. 
Quant  aux  morceaux  de  musique  et  de  déclamation  lyrique,  il  serait  à  sou- 
haiter, afin  de  guider  le  choix  des  professeurs  et  des  élèves,  qu'un  catalogue  de 
scènes  et  de  morceaux  fut  dressé  par  le  conseil  d'enseignement.  La  variété  de 
connaissances  et  de  talent  des  maîtres  qui  composent  le  conseil  donnerait  à  ce 
catalogue  toute  la  largeur  désirable  et  écarterait  certains  morceaux  trop  faciles 
ou  trop  difficiles,  surannés  ou  conventionnels,  qui  offrent  des  inconvénients  de 
diverses  natures  et  ne  prouvent  pas  assez. 
Je  charge  le  directeur  des  beaux-arts  de  s'entendre  avec  vous  pour  que  ce  cata- 


LE  MENESTREL 


37 


logue  soit  dressé  le  plus  tût  possible;  dès  qu'il  aura  été  revêtu  de  mon  approbation, 
les  morceaux  de  concours  ne  pourront  plus  être  choisis  en  dehors  de  lui. 
Veuillez,  etc. 

Le  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts. 

A.   FAI.LIÈRES. 

Pour  amplialion, 
Le  directeur  des  beaux-arts, 

GUSTAVE  I.ARROUMET. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


La  Société  des  concerts  du  Conservatoire  nous  a  fait  connaître,  à  sa 
dernière  séance,  une  œuvre  importante  et  d'un  grand  caractère,  depuis 
longtemps  célèbre  en  Angleterre,  mais  qui,  je  crois,  n'avait  jamais  été 
exécutée  en  France,  ou  tout  au  moins  à  Paris.  Je  veux  parler  de  la 
fameuse  Ode  à  sainte  Cécile,  de  Hïcndel,  Ode  sanla  Cecilia'sday,  que  ce  grand 
maitre  écrivit  à  Londres  en  1739,  sur  un  poème  de  Dryden,  et  qu'il  pro- 
duisit avec  un  très  grand  succès  sur  le  théâtre  de  Covent-Garden,  dont 
il  était  alors  directeur.  Cette  noble  et  puissante  composition  date  de 
l'époque  où  il  commença  à  se  consacrer  tout  particulièrement  à  la  pro- 
duction des  oratorios,  et  où  il  écrivit  successivement  Israël  en  Egypte,  le 
Messie,  Samson,  Saùl,  Sémélé,  Hercule,  Balthazar,  Judas  Machabée,  Josué,  etc. 
Son  talent  était  dans  toute  sa  splendeur,  dans  toute  sa  force,  dans  tout 
son  éclat,  son  expérience  était  complète,  et  l'on  s'en  aperçoit  à  la  façon 
dont  est  traitée  l'Ode  à  sainte  Cécile,  qui,  pour  un  peu  monotone  qu'elle 
paraisse  à  certains  esprits  superficiels  et  inhabiles  à  se  rendre  compte 
de  la  différence  des  temps,  n'en  est  pas  moins  très  curieuse,  en  dehors 
de  sa  grande  valeur  intrinsèque,  pour  l'ingéniosité  avec  laquelle  l'auteur 
a  su  varier  ses  effets  aussi  bien  que  ses  moyens  d'action,  accompagnant 
chaque  morceau  d'une  façon  différente,  mettant  en  relief  dans  chacun  de 
ces  morceaux  tantôt  un  instrument,  tantôt  un  autre,  changeant  ainsi 
chaque  fois  de  couleur  et  d'allure  et  produisant  les  impressions  les  plus 
diverses.  Et  puis,  quel  style,  quelle  belle  ordonnance  générale,  et  quelle 
admirable  langue  musicale  !  Dès  l'ouverture,  en  style  fugué,  on  peut 
remarquer  l'attaque  originale  de  l'allégro  par  les  premiers  violons,  aux- 
quels les  seconds  répondent  bientôt  avec  précision.  Le  premier  récit  du 
ténor  paraît  un  peu  froid,  mais  il  est  suivi  d'un  chœur  d'une  sonorité 
superbe,  annoncé  par  une  jolie  ritournelle  de  violons,  dont  le  contrepoint 
ingénieux  contraste  ensuite  heureusement  avec  l'ampleur  du  dessin 
choral.  Un  air  de  soprano,  admirablement  chanté  par  Mm0  Melba,  et 
précédé  d'un  solo  de  violoncelle  au  rythme  plein  de  grâce  et  d'élé- 
gance, forme  comme  une  sorte  de  duo  concertant  entre  la  voix  et  le 
violoncelle,  que  soutiennent  seulement  les  altos  et  les  violoncelles  du 
ripieno.  L'air  de  ténor  avec  chœur,  qui  suit,  et  qu'annonce  une  attaque 
vigoureuse  des  trompettes  dans  leur  diapason  le  plus  élevé,  forme  avec 
ce  morceau  plein  de  charme  et  de  douceur  le  contraste  le  plus  frappant; 
celui-ci  est  énergique,  vivement  coloré,  plein  de  carrure  et  de  majesté. 
La  marche  qui  lui  succède,  courte  et  d'un  beau  style,  est  elle-même  suivie 
d'un  second  air  de  soprano,  d'une  grâce  et  d'une  délicatesse  exquises,  dans 
lequel  la  flûte  dialogue  délicieusement  avec  la  voix  ;  c'est  là  une  inspira- 
tion vraiment  enchanteresse.  Vient  ensuite  un  air  de  ténor,  qu'accompagne 
le  seul  quatuor  des  instruments  à  cordes,  et,  pour  terminer,  un  finale 
grandiose,  dans  lequel  l'orgue,  par  une  entrée  majestueuse,  prépare  un 
récit  de  soprano  d'un  style  merveilleux  et  d'un  phrasé  magistral,  lequel 
fait  place  à  un  chœur  d'un  éclat,  d'une  grandeur  et  d'une  sonorité  su- 
perbes. Finis  coronat  opus:  c'est  là  le  digne  couronnement  d'une  œuvre 
tantôt  hardie  et  vigoureuse,  tantôt  pleine  de  séduction,  toujours  pure  de 
lignes,  d'un  caractère  plein  de  noblesse  et  d'élévation. —  L'exécution  était 
à  la  hauteur  de  l'œuvre.  M"10  Melba,  chargée  de  la  partie  de  soprano,  y  a 
fait  briller  non  seulement  sa  voix  si  pure,  si  caressante,  si  énergique 
lorsqu'il  en  est  besoin,  mais  les  qualités  d'un  style  d'une  largeur  et  d'une 
sévérité  qu'on  n'attendait  peut-être  pas  d'elle  parce  qu'elle  n'avait  pas  eu 
l'occasion  de  les  déployer  encore;  aussi  son  succès  a-t-il  été  bruyant  et 
complet.  Ce  succès  a  été  partagé  par  son  partenaire,  M.  Engel,  dont  le 
rôle  était  moins  important,  mais  qui  a  su,  lui  aussi,  y  déployer  de  re- 
marquables qualités.  A  côté  des  deux  chanteurs,  il  faut  signaler  les  solistes 
de  l'orchestre,  qui  se  sont  distingués  d'une  façon  toute  particulière: 
M.  Taffanel,  dont  la  flûte  a  fait  merveille  dans  le  second  air  de  M"10 Melba; 
M.  Teste,  dont  on  ne  trouverait  sans  doute  pas  l'égal  à  Paris  pour  la  justesse, 
la  vigueur,  l'éclat,  la  sûreté  qu'il  a  su  donner  aux  attaques  et  aux  rentrées 
de  trompette  de  l'air  de  ténor;  enfin,  M.  Rabaud,  qui,  s'est  surpassé  dans 
la  ritournelle  et  l'accompagnement  du  premier  air  de  soprano.  Quant  à 
l'ensemble,  qui  fait  le  plus  grand  honneur  à  la  direction  de  M.  Garcin, 
il  a,  été  parfait  de  tout  point,  aussi  bien  de  la  part  des  chœurs  que  de  l'or- 
chestre. —  Je  ne  saurais  plus  m'étendre  longuement  sur  l'exécution  de  la 
symphonie  en  la  mineur  de  Mendelssohn,  qui  ouvrait  le  programme,  non 
plus  que  sur  celle  de  l'ouverture  i'Euryanthe,  de  Weber,  qui  le  terminait.  Il 
me  suffira  de  dire  que  l'une  et  l'autre  étaient  dignes  des  traditions  et  des 
coutumes  de  la  Société.  —  Arthur  Pougin. 

—  Quatorzième  concert  du  Chàtelet.  Très  bonne  exécution  de  la  Sym- 
phonie écossaise  de  Mendelssohn.  Il  y  a  eu  un  peu  d'hésitation  dans  le 
début  lu  scherzo;  mais  le  reste  de  l'œuvre  a  marché  à  ravir.  M.  Vergnet 
a  dii  avec  infiniment  d'ampleur  et  de  goût  la  prière  de  llieuzi,  île  Wagner. 


Cette  belle  page,  dont  le  motif  figure  comme  introduclion  dans  l'ouver- 
ture, fait  moins  d'effet  dans  un  concert  qu'à  la  scène,  où  elle  esl  vérita- 
blement émouvante.  Combien  ce  morceau  est  supérieur  à  la  Siegfried-ldyll, 
composée  par  Wagner  en  l'honneur  de  son  premier-né,  sur  divers  motifs 
de  son  opéra.  Cette  pièce,  destinée  à  endormir  un  enfant,  produit  égale- 
ment bien  cet  effet  sur  les  adultes.  Il  y  a  cependant  quelques  jolies  phrases 
dans  cette  berceuse.  Le  public  l'a  généralement  trouvée  un  peu  longue, 
malgré  sa  bonne  exécution.  Les  pièces  d'orchestre  de  M.  Duvernoy  : 
Moment  musical,  Marche  funibre,  Scherzo  symphonique,  ont  été  bien  accueillies, 
surtout  le  scharzo,  qui  a  été  fort  applaudi.  M""*  Roger-Miclos  a  dit  avec 
beaucoup  de  sentiment  et  de  délicatesse  le  concerto  en  ré  mineur  de 
Mozart.  Son  succès  eût  été  plus  vif  si  elle  avait  accentué  les  passages 
énergiques  de  ce  concerto.  Certes,  le  côté  tendre  domine  dans  la  musique 
de  Mozart,  mais,  qui  dit  tendre  ne  dit  pas  efféminé.  La  tendresse  de 
Mozart  est  quelquefois  aussi  de  la  passion,  et  elle  se  manifeste  alors  par 
des  accents  pleins  de  vigueur  et  d'éclat.  Il  y  en  a  dans  le  concerto  en  ré 
mineur,  et  nous  aurions  voulu  les  percevoir  sous  le  jeu  si  élégant  et  si 
pur  de  Mme  Roger-Miclos.  Après  l'air  du  Repos  de  la  Sainte  Famille  (Ber- 
lioz), remarquablement  dit  par  M.  Vergnet,  et  le  petit  enfantillage  musicat 
qui  le  suit,  le  concert  a  ('.té  magnifiquement  clos  par  les  fragments  du 
Songe  d'une  Nuit  d'été,  de  Mendelssohn,  que  l'orchestre  de  M.  Colonne  rend- 
avec  une  grande  perfection  et  parmi  lesquels  figurent  avantageusement  les 
deux  jolis  arrangements  de  M.  Guiraud  sur  le  Rêve  du  printemps  et  la  Fileuse. 

II.  Bahiiedette. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  L'interprétation  de  la  symphonie  en  «(mi- 
neur, telle  qu'elle  est  comprise  aux  concerts  du  Cirque,  semble  un  travail 
de  précision  si  bien  coordonné  qu'aucun  détail  de  l'œuvre  n'échappe  à 
l'attention.  C'est  là  un  point  capital,  mais  cette  rigoureuse  exactitude 
ne  laisse  peut-être  pas  suffisamment  apercevoir  ce  qu'il  y  a  de  fougue 
entraînante  dans  le  finale,  dont  le  début  présente  une  suite  de  motifs 
amoncelés  dans  un  désordre  apparent.  A  cet  endroit  il  faudrait  que  l'on 
sentît  quelque  chose  de  chaleureux,  de  spontané,  se  dégager  de  l'ensem- 
ble orchestral.  —  La  Rapsodie  cambodgienne  est  quelque  chose  de  mieux  qu'un 
ouvrage  de  circonstance.  M.  Bourgault-Ducoudray,  en  réunissant  une 
gerbe  de  chants  exotiques,  a  évité  avec  beaucoup  de  tact  l'exagération  de 
couleur  locale  qui  aboutit  à  la  négation  du  progrès  de  l'art.  Son  œuvre 
ne  présente  aucune  excentricité  de  mauvais  goût,  elle  est  de  forme  très 
moderne,  bien  équilibrée  et  d'une  instrumentation  toujours  intéressante. 
—  Le  trio  des  Jeunes  Israélites  de  l'Enfance  du  Christ,  pour  deux  flûtes  et 
harpe,  constitue  une  tentative  curieuse  et  très  réussie  au  point  .de  vue 
de  l'accouplement  des  timbres  d'instruments  de  caractère  différent;  la 
mélodie  en  est  délicieuse.  — Siegfried-ldyll  a  été  écrit  par  Wagner  pour  sa 
propre  satisfaction  et  celle  de  quelques  intimes,  plutôt  que  pour  le  public. 
Pour  bien  apprécier  ce  petit  poème  symphonique,  il  faudrait  connaître 
dans  tous  ses  détails  la  partition  de  Siegfried,  à  laquelle  en  sont  empruntés 
les  thèmes;  pourtant  Wagner  n'en  jugeait  pas  ainsi,  puisqu'il  fit  exécuter 
Sieyfried-Idijll  en  1871.  Cette  pièce  un  peu  longue,  dans  laquelle  est  en- 
châssée une  berceuse  populaire,  fatigue  par  ses  modulations  que  n'éclai- 
rent pas  suffisamment  les  motifs  dominants.  Les  initiés  peuvent  évoquer 
en  l'écoutant  la  «  Mystérieuse  fraîcheur  des  Sous-bois  d'Allemagne  », 
mais  il  nous  semble  que  les  tableaux  de  ce  genre  que  l'on  retrouve  dans 
les  autres  ouvrages  de  Wagner,  notamment  dans  Siegfried,  sont  tout  au- 
trement lumineux  et  poétiques.  Le  prélude  de  Lohengrin,  la  marche  fu- 
nèbre du  Crépuscule  des  Dieux,  l'ouverture  de  Rienzi  et  la  superbe  préface 
symphonique  de  Manfred  de  Schumann  ont  terminé  la  séance. 

Amédéê  Bouta  rel. 

—  Musique  de  chambre.  —  M.  Nadaud  vient  de  donner  une  première 
séance,  intéressante  surtout  par  deux  œuvres  nouvelles  qui  se  trouvaient 
au  programme  :  un  quatuor  pour  piano  et  cordes,  de  M.  G.  Pfeiffer,  et  un. 
sextuor  pour  cordes,  de  M.  Alary.  M.  Alary  n'est  point  un  inconnu  :  il  a 
produit  plusieurs  quatuors,  qui  de  temps  en  temps  apparaissent  sur  les 
programmes  de  nos  concerts.  Son  sextuor  est  une  composition  remarquable 
au  double  point  de  vue  de  la  facture  et  des  idées,  et  il  méritait  les  applau- 
dissement* qui  l'ont  salué.  Le  quatuor  de  M.  Pfeiffer  peut  être  considéré 
comme  une  de  ses  meilleures  productions.  Les  deux  morceaux  intermé- 
diaires, un  adagio  du  plus  joli  sentiment  et  un  scherzo  très  délicat,  on-t 
surtout  semblé  charmants.  Le  succès  de  l'œuvre  de  M.  Pfeiffer  a  été  très- 
grand.  —  A  la  quatrième  séance  de  M.  Lefort,  nous  avons  réentendu  avec 
plaisir  le  joli  quatuor  de  M.  Boellmann,  fort  bien  joué  par  l'auteur, 
MM.  Lefort,  Casella  et  Giannini.  M.  Warmhrodt  a  chanté  avec  talent  un 
air  du  Messie,  et  MM.  Coenen,  Casella  et  Lefort  ont  interprété  d'une  façon 
remarquable  le  trio  en  mi  bémol  de  Beethoven.  —  Le  concert  donné  par 
M110.  Taine  doit  encore  être  mentionné.  On  y  a  entendu  la  sérénade  pour 
harmonium,  piano,  flûte,  violon  et  violoncelle  de  M.  Widor,  et  deux 
ravissantes  pièces  de  violoncelle  du  même  auteur,  admirablement  dites- 
par  M.  Casella.  M"0  du  Minil,  de  la  Comédie-Française,  a  détaillé,  avec 
le  goût  qui  caractérise  son  charmant  talent,  plusieurs  poésies  d'auteurs- 
modernes.  '•  ""■ 

—  Mercredi  dernier,  MM.  Marsick  et  Loys  ont  donné  un  premier  con- 
cert avec  le  concours  de  MM.  Diémer,  Brun  et  Laforge.  On  a  exécuté  un 
trio  en  sol  mineur  de  Rubinstein,  très  intéressant  dans  toutes  ses  parties 
et  assez  original  malgré  certaines  réminiscences  des  maîtres  anciens  ;  lie- 
quinzième  quatuor  de  Beethoven,  œuvre  imposante  entre  toutes,  très- mélo- 


38 


LE  MENESTREL 


dique  et  d'une  merveilleuse  sonorité;  enfin,  la  Fantasieslucke  de  Schumann, 
Ce  dernier  ouvrage  n'est  pas  un  trio,  mais,  comme  le  titre  l'indique,  une 
suite  de  morceaux  détachés  qui  sont  d'une  couleur  charmante,  avec  une 
pointe  de  rêverie,  mais  d'un  caractère  plus  élégant  que  profond.  Grand 
succès  pour  les  exécutants,  surtout  pour  MM.  Marsick  et  Diémer,  qui  ont 
joué  avec  une  grande  variété  de  nuances,  beaucoup  de  finesse  et  de 
charme.  —  Am.  B. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire,  même  programme  que  dimanche  dernier. 

Chàtelet,  concert  Colonne  :  Symphonie  écossaise  (Mendelssohn)  ;  scène  et 
air  A'Armide  (Gluck),  par  Mme  Krauss;  choral  pour  orchestre  (WidorJ  ; 
concerto  romantique  pour  violon  (B.  Godard),  par  M.  Johannès  Wolff; 
Irlande  (A.  Holmes);  Marguerite  au  rouet  (Schubert),  orchestrée  par  M.  Am- 
broise  Thomas,  chantée  par  Mme  Krauss  ;  le  Paradis  et  la  Péri  (Schumann), 
par  Mme  Krauss;  fragments  de  Carmen  (G.  Bizet). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  :  Symphonie  en  ut  mi- 
neur (Beethoven,);  trio  des  jeunes  Ismaélites  de  l'Enfance  du  Christ  (Ber- 
lioz); fragments  i'Esclarmonde  (Massenet);  concerto  en  mi  bémol  pour 
piano  (Liszt),  par  M.  F.  Blumer;  prélude  de  Lohengrin  (Wagner);  ouverture 
de  Rienzi  (Wagner). 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 
Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Beulin  :  Les  Huguenots  viennent  de 
reparaître  sur  la  scène  de  l'Opéra  royal  avec  une  mise  en  scène  toute  nou- 
velle. On  a  profité  de  l'occasion  pour  rétablir  plusieurs  passages  coupés 
par  Meyerbeer  lui-même;  d'autre  part,  on  a  supprimé  la  scène  des  bai- 
gneuses, au  deuxième  acte.  L'interprétation  actuelle  est  considérée  comme 
médiocre.  —  Kissingen  :  Les  baraquements  en  bois  qui  servaient  de  théâtre 
à  cette  station  balnéaire  vont  disparaître  pour  faire  place  bientôt  à  une 
élégante  construction  en  pierre  dans  le  style  Renaissance.  Kissingen  pos- 
sédera alors  un  vrai  théâtre,  bâti  sur  le  modèle  de  celui  d'Augsbourg.  — 
Olmutz  :  A  la  suite  de  plaintes  adressées  par  les  abonnés  du  théâtre  au  con- 
seil municipal,  celui-ci  a  infligé  deux  blâmes  successifs  au  directeur,  M.  C. 
Stick,  au  sujet  de  sa  gestion.  Ces  mesures  n'ayant  produit  aucun  effet, 
M.  Stick  a  été  purement  et  simplement  révoqué  de  ses  fonctions.  Appelons 
sur  ce  fait  les  méditations  de  MM.  Ritt  et  Gailhard.  —Vienne  :  Les  dispo- 
sitions de  lois  concernant  l'observance  du  repos  dominical  en  Autriche 
sont  d'une  sévérité  exagérée.  Ainsi,  un  changement  de  spectacle  ayant 
eu  lieu  dimanche  dernier  au  Burg  Theater,  on  ne  pouvait,  sans  contre- 
venir aux  lois,  faire  imprimer  de  nouveaux  programmes,  et  les  spectateurs 
durent  se  contenter  de  programmes  au  crayon,  griffonnés  à  la  hâte  par  les 
employés  du  théâtre. 

—  Si,  malgré  tous  les  efforts  des  intéressés,  l'opéra  de  jeunesse  de 
Richard  Wagner,  les  Fées,  n'est  parvenu  à  s'implanter  dans  aucune  ville 
d'Allemagne,  le  titre  de  cet  ouvrage,  du  moins,  sera  sauvé  de  l'oubli. 
En  effet,  on  vient  de  décider  l'apposition  d'une  plaque  commémorative  à 
Wûr/.bourg,  sur  la  maison  où  Wagner  a  composé  les  Fées.  Les  fonds 
nécessaires  à  l'accomplissement  de  cet  acte  de  touchante  sollicitude  en- 
vers la  postérité  ont  été  réunis  au  moyen  d'un  concert  organisé  par  la 
Liederlafel  de  Wùrzbourg. 

—  On  s'est  enfin  mis  d'accord  —  définitivement,  paraît-il  —  au  sujet 
de  l'emplacement  à  donner  au  monument  de  Weber,  à  Eutin.  Ce  sera  au 
milieu  d'une  prairie  connue  sous  le  nom  d'Eichenheim,  située  non  loin  de 
la  ville.  Les  fêtes  pour  l'inauguration  du  monument  auront  lieu  le  30juin 
et  le  1er  juillet  prochains. 

—  A  la  suite  dn  singulier  procès  intenté  récemment  par  une  danseuse 
retraitée  de  l'Opéra  de  Vienne  à  l'administration  de  la  Caisse  des  re- 
traites, M.  le  baron  Bezecny,'  intendant  du  théâtre  de  la  Cour,  vient  de 
rendre  un  arrêté  qui  détermine  exactement  la  limite  d'âge  pour  une  dan- 
seuse «  active.  ».  Partant  de  ce  principe  que  les  dames  du  corps  de  ballet 
débutent  généralement  à  l'âge  de  15  ans,  M.  Bezecny  estime  qu'elles 
doivent  cesser  leur  service  au  plus  tard  à  43  ans.  Ces  dispositions  ne 
sont  pas  applicables  aux  premières  danseuses,  dites  «  étoiles  ». 

—  Hans  de  Bulow,  après  avoir  dirigé  à  Berlin  les  six  premiers  con- 
certs philharmoniques  de  la  saison,  est  en  ce  moment  à  Hambourg,  où  il 
a  célébré  le  8  janvier  son  soixantième  anniversaire  de  naissance,  en 
dirigeant,  au  sixième  concert  d'abonnement,  la-  Symphonie  héroïque  de 
Beethoven  et  l'Ouverture  tragique  de  Brahms.  Le  public  a  fait  au  célèbre 
chef  d'orchestre  une  chaleureuse  ovation. 

—  h'Almanach  wagnérien  de  Bayreuth  publie,  et  les  journaux  wagnériens 
français  s'empressent  de  reproduire  le  chiffre  des  représentations  pour 
l'Allemagne  et  l'Autriche  (soit  90  millions  d'habitants)  des  «  chefs-d'œuvre 
du  Maître  •  —  car  il  est  bien  convenu  que  Wagner,  qui  ne  s'est  jamais 
trompé,  n'a  pu  écrire  que  des  chefs-d'œuvre.  Nous  ne  ferons  nulle  diffi- 
culté de  reproduire  aussi  ce  petit  document,  qui  suscite  quelques  réflexions  ; 
le  voicî  : 


1887-1888 

25-1 
16b 
71 


69 


Lohengrin  251 

Tannhauser  ■      186 

Walkyrie      •  117 

Le  Vaisseau  fantôme  110 

Maitres-Chanteurs  86 

Rheingold  50  24 

Tristan  40  23 

Crépuscule  38  34 

Rienzi  35  28 

Siegfried  26  28 

Nous  ferons  remarquer  que  si  l'on  voulait  établir,  pour  la  France, 
moitié  moins  peuplée  que  l'Allemagne  et  l'Autriche  réunies,  une  liste  du 
mêmegenre  relative  à  certains  ouvrages,  tels  que  la  Juive, Faust,  Mignon,Car- 
men,etc.,on  arriverait  peut-être  à  un  chiffre  supérieur  à  celui  obtenu  dans 
les  pays  allemands  par  les  «  chefs-d'œuvre  du  Maître.»  Nous  ajouterons,  ce 
qui  ne  sera  pas  pour  flatter  les  ultra-wagnériens,  que  les  derniers  de  ces 
«  chefs-d'œuvre  »,  ceux  qui  sont  précisément  préconisés  et  admirés  par 
ceux-ci,  font  dans  leur  liste  une  assez  piteuse  figure.  Tandis  que  Lohengrin 
et  Tannhauser,  parfaitement  acceptables  en  tout  pays  au  point  de  vue  des 
doctrines  musicales,  comptent,  l'un  251,  l'autre  186  représentations,  nous 
voyons  que  les  ouvrages  dans  lesquels  «  le  Maître  »  a  poussé  ses  théories 
jusqu'à  l'absurde,  n'obtiennent,  même  sur  leur  terre  d'élection,  qu'un 
succès  singulièrement  relatif.  Rheingold  doit  se  contenter  de  50  représen- 
tations, soit  cinq  fois  moins  que  Lohengrin;  Tristan  n'en  a  que  40,  le  Crépus- 
cule des  Dieux  38,  et  quant  à  Siegfried,  il  tombe  à  26,  neuf  fois  moins  que 
Lohengrin  et  huit  fois  moins  que  Tannhauser.  Nous  le  répétons,  c'est  un 
succès  maigre  pour  les  anarchistes  en  musique,  et  le  Wagner  exaspéré, — 
et  exaspérant  —  est  condamné  sur  son  propre  terrain. 

—  La  Société  des  amis  de  la  musique  de  Vienne  vient  de  faire  connaître  le 
résultat  du  concours  de  composition  institué  par  elle  sous  le  nom  de 
concours  Beethoven  et  dont  le  prix  est  de  1,000  florins.  Les  lauréats  sont 
M.  Jules  Zellner,  de  Vienne,  pour  un  quintette  pour  instruments  à  cordes 
et  piano,  et  M.  Emmanuel  Tjuka,  qui  obtient  un  second  prix  de  500  flo- 
rins pour  une  suite  d'orchestre.  Vingt-deux  compositeurs  avaient  pris  part 
au  concours,  dont  douze  anciens  élèves  du  Conservatoire  de  Vienne.  Le 
jury  a  eu  fort  à  faire,  car  il  a  dû  examiner  cinq  symphonies,  deux  ouver- 
tures, quatre  pièces  d'orchestre,  six  pièces  de  musique  de  chambre,  un 
concerto  pour  clarinette,  un  opéra  et  trois  compositions  chorales.  Ce  jury 
était  composé  de  MM.  Hellmesberger,  Hans  Richter,  Johahnes  Brahms, 
Kremser,  Krenn  et  Weinwurm. 

—  La  Neue  Rerliner  Musik-Zeitung,  jusqu'ici  publiée  par  la  maison  d'édi- 
tion Bote  et  Bock,  de  Berlin,  devient  la  propriété  du  D1'  Richard  Stern, 
qui  en  continuera  la  publication  avec  sa  propre  rédaction. 

—  Nouvelles  musicales  de  la  Scandinavie.  Un  de  nos  correspondants 
nous  écrit  le  19  janvier:  L'Opéra  de  Stockholm  a,  le  16  janvier,  donné  la 
première  de  Lakmé  avec  un  succès  considérable.  Le  rôle  de  l'héroïne  était 
chanté  par  une  débutante,  Mlle  Marthe  Petrini,  dont  la  voix  possède  toutes 
les  qualités  nécessaires.  M.  Oedmann  a  été  un  Gerald  remarquable,  et 
l'exubérance  suédoise  qui  n'est  pas  moindre  que  celle  d'Italie  et  de  Saint- 
Pétersbourg,  lui  a  prodigué  vingt  rappels  et  lui  a  fait  don  d'une  bague  en 
diamants.  L'Opéra  royal  avait  déjà  représenté  le  Roi  l'a  dit  en  (1877)  et  Jean 
de  Nivelle  en  (1880).  —  Dans  une  récente  notice  sur  le  début  du  ténor  Hag- 
mann  à  Stockholm  comme  Masaniello,  le  Ménestrel  écrit:  Le  répertoire 
lyrique  français  continue  de  s'implanter  à  l'étranger,  jusque  dans  les  pays 
du  Nord.  Pardon!  Depuis  cent  cinq  ans,  la  salle  de  Gustave  III  joue  de 
l'opéra  six  fois  par  semaine,  et  la  Muette  de  Portici  est  en  route  pour  sa 
troisième  centaine  de  représentations;  l'œuvre  est  également  fort  populaire 
dans  les  autres  capitales  Scandinaves.  Quant  à  M.  Hagmann,  notons  qu'il 
était  déjà  célèbre  dans  tout  le  Nord  avec  les  opérettes  d'Offenbach.  A  pré- 
sent qu'il  s'attaque  au  répertoire  d'opéra,  il  n'a  débuté  que  pour  partir 
immédiatement  en  Italie  achever  ses  études  de  chant.  Mmc  Oselio  vient  de 
partir  de  Stockholm,  pour  revenir  au  printemps;  elle  créera  alors  la  Des- 
demona  de  Verdi.  La  presse  a  demandé  à  grands  cris  l'engagement  fixe 
du  rossignol  norvégien,  mais  avant  que  quelque  chose  fût  décidé.  l'Opéra 
de  Copenhague  l'emportait.  — Au  ciel  musical  de  Copenhague  vient  de  mon- 
ter une  nouvelle  étoile,  Mllc  Frida  Schytte,  virtuose  du  violon  et  élève  de 
M.  Massart.  Mlte  Schytte  joue  fort  bien  et  elle  est  extrêmement  belle.  Elle 
a  donné  plusieurs  concerts  presque  triomphaux  à  Copenhague  et  puis  à 
Stockholm,  mais  elle  retournera  à  Paris  pour  terminer  ses  études.  Notons 
enfin  qu'une  nouvelle  cantatrice  suédoise,  M1",  Morris,  élève  de  M.  Bax  de 
Paris,  et  qui  vient  de  débuter  à  Copenhague  avec  beaucoup  d6  succès, 
épouse  le  ténor  norvégien,  M.  Bratbost  —  et  que  M"0  Nordgrén,  autre 
cantatrice  suédoise  qui  accompagnait  M.  Grieg  à  Bruxelles,  épouse  un  offi- 
cier de  l'armée  norvégienne. 

—  Autre  correspondance  de  Stockholm  :  A  l'Opéra  Royal  de  Stockholm, 
Lakmé,  l'opéra  de  L.  Delibes,  vient  d'obtenir  un  grand  succès;  elle  est 
donnée  presque  chaque  jour  et  tous  les  billets  sont  enlevés  à  l'avance.  La 
mise  en  scène  est  splendide,  les  premiers  rôles  sont  tenus  par  Ml,e  Martha 
Petrini  (début),  qui  a  étudié  celui  de  Lakmé  sous  la  direction  même  de 
M.  Delibes,  et  par  M.  Arvid  Oedmann  qui,  dans  le  personnage  de  Gérald,  a 
trouvé  l'occasion  de  montrer  un  grand  talent  de  chanteur,  une  grande 
pureté  de  style  et  l'expérience  d'un  acteur  consommé.   Le  public,  enthou- 


LE  MENESTREL 


39 


siasnié,  transporté,  n  a  pas  marchanda  ses  bravos  et  ses  rappels  à  ces 
deux  vaillants  et  superbes  artistes,  qu'il  a  littéralement  ensevelis  sous  un 
monceau  de  fleurs.  Ann.  L. 

—  Le  directeur  du  tbéàtre  de  Ratisbonne,  qui  est  en  même  temps  le 
chef  d'orchestre  dudit  théâtre,  vient  de  monter  un  opéra,  dont  il  a  composé 
le  texte  et  la  musique,  et  dont  il  a  dirigé  l'exécution.  Marina  Faliero,  c'est 
le  titre  de  l'ouvrage,   a  eu  un  succès  retentissant.  Ajoutons  que  le  nom 

du  triomphateur  est  W.  Freudenberg. 

—  M .  Emile  Vaupel,  baryton  suisse  et  Guillaume  Tell  remarquable, 
a,  le  20  janvier,  célébré  son  25e  anniversaire  comme  chanteur  dramatique. 
M.  Vaupel  a,  pendant  plusieurs  années,  été  directeur  du  Stadtstheater 
de  Berne. 

—  Il  vient  de  se  former,  à  Pozzuoli,  un  comité  qui  s'est  donné  pour 
mission  d'élever  un  monument  à  l'un  des  plus  célèbres  musiciens  napoli- 
tains, Giannattista  Pergolèse,  l'auteur  du  Stabat  Mater,  de  la  Serva  Padrona 
et  de  vingt  autres  ouvrages. 

—  Bon  succès  à  Naples,  au  petit  théâtre  de  la  Fenice,  pour  une  opé- 
rette nouvelle  du  maestro  Buongiorno,  Occhi  di  lince,  qui  a  été  représentée 
récemment. 

—  Le  maestro  Achille  Lucidi,  compositeur  distingué,  est  appelé  à  suc- 
céder au  maestro  Odoardo  Vera,  en  qualité  de  professeur  de  musique  de 
la  reine  Marguerite  d'Italie. 

—  Deux  compositeurs  italiens  font  encore  annoncer  qu'ils  viennent  de 
terminer  chacun  la  partition  d'un  nouvel  opéra.  L'ouvrage  de  M,  Salvatore 
Catalanotti  a  pour  titre  Margherita;  quant  à  celui  de  M.  Luigi  Venturi- 
Vagnuzzi,  qu'il  a  écrit  sur  un  livret  de  M.  Alfredo  Baccelli,  on  ne  sait 
encore  comment  il  sera  intitulé. 

—  Encore  un  enfant  prodige!  Les  journaux  italiens  nous  apprennent 
qu'à  Catane  une  jeune  pianiste  de  sept  ans,  Angelina  Spedalieri,  a  donné 
récemment  un  concert,  dans  lequel  elle  a  été  fort  applaudie. 

—  Une  singulière  nouvelle  nous  arrive  d'Espagne,  et  nous  ne  la  repro- 
duisons, comme  disent  nos  grands  confrères,  que  sous  d'expresses  réser- 
ves. On  assure  que  le  ténor  Marconi,  qui  se  trouve  en  ce  moment  malade 
à  Madrid  dans  la  maison  d'un  ami,  aurait  été  déclaré  en  état  d'arrestation 
et  que  son  lit  serait  «  gardé  par  deux  agents  de  police  ».  On  ignore,  dit 
un  de  nos  confrères  étrangers,  le  pourquoi  d'une  telle  mesure. 

—  Politique  et  dilettantisme  mêlés.  Le  grave  différend  anglo-portugais 
a  été  récemment,  au  théâtre  San  Carlos  de  Lisbonne,  l'occasion  d'une 
petite  manifestation  dont  la  musique  s'est  trouvée  la  cause  involontaire. 
On  devait  jouer  Lakmé,  mais  on  avait  oublié  que  cette  pièce  mettait  en 
scène  un  épisode  de  la  domination  anglaise  dans  les  Indes.  Sur  les  récla- 
mations du  public  on -fut  obligé  de  changer  le  spectacle,  et  Lakmé  dut 
céder  la  place  à  Mignon. 

—  On  annonce  de  Londres  la  fermeture  subite  de  Her  Majesty's  Theater. 
Depuis  huit  jours,  la  direction  de  ce  théâtre  ne  payait  à  son  personnel 
que  la  moitié  des  appointements  et,  avant  hier,  elle  a  suspendu  tous  ses 
paiements.  Cette  faillite  est  vivement  commentée  à  Londres,  car,  pendant 
ces  derniers  temps,  le  théâtre  en  question  faisait  beaucoup  d'argent  avec 
une  pantomime  à  grand  spectacle,  intitulée  Cinderella. 

—  La  Société  philharmonique  de  Londres  vient  d'inviter  M.  Ch.-M. 
Widor  à  venir  diriger  l'exécution  de  sa  fantaisie  pour  piano  et  orchestre 
au  concert  du  13  mars.  C'est  M.  I.  Philipp  qui  interprétera  l'œuvre  du 
maître  français  en  Angleterre. 

—  Tout  va  de  mal  en  pis  à  l'Opéra  allemand  de  New-York.  On  ne  pou- 
vait pas  toujours  jouer  des  pièces  françaises  et  italiennes,  bien  que  quel- 
ques-unes d'entre  elles  fissent  recette,  et  il  a  bien  fallu,  un  beau  jour, 
attaquer  le  répertoire  allemand.  Ce  fut  le  signal  d'une  débâcle  qui  a  atteint 
son  point  culminantlors  de  la  récente  reprise  de  Lohengrin.  La  presse  amé- 
ricaine est  unanime  à  reconnaître  que  cette  représentation  a  été  une  honte 
et  un  scandale.  Le  public,  indigné,  a  commencé  à  se  retirer  dès  la  fin  du 
premier  acte.  Sur  soixante  loges  occupées  au  début  de  la  soirée,  vingt- 
huit  étaient  vides  au  deuxième  acte.  Désormais  abandonnée  par  ceux  qui 
la  soutenaient  naguère,  l'entreprise  de  M.  Stanton  est  vouée  à  une  mort 
prochaine. 

—  A  propos  de  l'inauguration  de  la  splendide  salle  de  concert  de  l'Au- 
ditorium de  Chicago  dont  nous  avons  déjà  parlé,  nous  lisons  dans  les  jour- 
naux américains    les    appréciations   les   plus    élogieuses  sur  le  morceau 

,  pour  orgue  et  orchestre  composé  spécialement  par  M.  Th.  Dubois  et 
exécuté  pour  la  première  fois,  à  cette  occasion,  lo  mois  dernier  :  «  La  Fan- 
taisie triomphale  de  Th.  Dubois,  dit  le  Chicago-Herald,  est  une  œuvre  ma- 
gnifique pour  grand  orgue  et  grand  orchestre  :  elle  est  écrite  dans  un 
style  large  et  élevé;  la  pensée  en  est  majestueuse  et  les  idées  sont  clai- 
rement exprimées,  avec  des  harmonies  riches  et  des  mélodies  expres- 
sives, etc.  » 

—  Les  journaux  de  Mexico  sont  pleins  d'éloges  enthousiastes  pour  une 
messe  à  quatre  voix,  chœur  et  orchestre  du  maestro  Melesio  Morales,  dont 
L'exécution  a  eu  lieu  en  cette  ville  avec  un  succès  retentissant.  Le  fils  du 
SOmpositeur,  M.  .Iules  Morales,  s'est  trouvé  associé  au  succès  paternel, 
car  lui-même  a  fait  entendre,  à  l'Offertoire,  un  prélude  symphonique  qui 
a  produil  Bur  l'auditoire  uns  excellente  impression. 


PARIS   ET    DÉPARTEMENTS 

L'Académie  des  beaux-arts  a  procédé,  dans  sa  dernière  séance,  à  la 
nomination  des  jurés  adjoints  pour  les  concours  des  grands  prix  de  Rome 
de  1890.  Ont  été  nommés  pour  le  concours  de  composition  musicale:  jurés 
adjoints,  MM.  Widor,  Ernest  Guiraud,  Benjamin  Godard;  jurés  supplé- 
mentaires, MM.  Edouard  Lalo,  Gabriel  Fauré. 

—  Plusieurs  de  nos  confrères  annoncent  gravement  que  «  M.  Ambroise 
Thomas  songerait  à  mettre  à  exécution  le  projet  qu'il  caresse  depuis  long- 
temps et  qui  consiste  à  transposer  le  rôle  d'Hamlet  pour  ténor.  »  M.  Am- 
broise Thomas  n'a  pas  eu  à  caresser  longtemps  ce  projet,  puisque  dès 
l'origine  sa  partition  était  écrite  pour  ténor,  et  qu'il  l'a  transposée  tout 
au  contraire  pour  baryton,  quand  il  s'est  décidé  à  confier  le  rôle  d'Hamlet 
à  notre  grand  chanteur  Faure,  qui  en  a  tiré  le  beau  parti  que  l'on  sait. 
La  version  originale  de  ténor  reposait  donc  tranquillement  dans  les  cartons 
du  compositeur,  quand  M.  Dereims,  qui  en  a  eu  vent,  on  ne  sait  comment, 
s'est  imaginé  de  l'en  sortir  et  d'en  faire  l'essai  au  théâtre  de  Monte-Carlo. 
D'après  le  résultat  de  cette  tentative,  les  ténors  présents  et  à  venir  juge- 
ront s'ils  peuvent  prétendre  désormais  à  disputer  le  rôle  aux  barytons  qui 
jusqu'ici  le  tenaient  sans  partage. 

—  A  la  suite  des  examens  qui  viennent  d'avoir  lieu  au  Conservatoire 
pour  les  classes  de  déclamation  dramatiqne,  des  bourses  d'études  ont  été 
accordées  aux  élèves  dont  les  noms  suivent  :  M"e  Duluc  (classe  de  M.  Got), 
M.  Dehelly,  Mllcs  Partmann  et  Carlix  (classe  de  M.  Delaunay),  M.  Lugné- 
Poë,  MUes  Moreno,  Syma  et  Thomsen  (classe  de  M.  Worms),  MUc  Laurenl- 
Ruault  (classe  de  M.  Maubant).  En  outre,  des  encouragements  sont 
accordés  à  MM.  Godeau,  David,  Esquier  et  à  MUes  Cosme,  Lebardy,  Tré- 
ville  et  Bouffé. 

—  La  Société  des  concerts  du  Conservatoire  entre  décidément  dans  le  mou- 
vement, et  l'on  ne  dira  plus  d'elle  qu'elle  s'acoquine  et  s'ankylose  dans 
une  sénile  contemplation  du  passé.  Elle  fera  entendre  à  ses  habitués,  à  son 
prochain  concert,  plusieurs  fragments  des  Maîtres  Chanteurs  de  Richard 
Wagner,  entre  autres  toute  la  superbe  scène  du  concours  et  le  quintette 
du  troisième  acte.  Ces  deux  pages  admirables  de  l'œuvre  trop  longue  et 
trop  touffue  du  maître  saxon  produiront  certainement  sur  le  public  du 
Conservatoire,  en  dépit  des  préjugés  qu'on  lui  peut  reprocher  parfois, 
tout  l'effet  qu'on  en  peut  attendre.  Une  autre  composition,  d'un  tout 
autre  genre,  est  aussi  à  l'étude  en  ce  moment  au  Conservatoire;  nous 
voulons  parler  de  la  puissante  Messe  en  ré  de  Jean-Sébastien  Bach,  qui 
paraîtra  sur  les  programmes  avant  la  fin   de  la  saison. 

—  Qui  donc  prétendait  que  notre  cher  Pedro  Gailhard  n'était  plus  vu 
d'un  aussi  bon  œil  dans  les  sphères  officielles,  et  que  sa  situation  était 
menacée  à  l'Opéra?  On  disait  que  M.  Constans  tournait  le  dos  à  son 
copain  de  Toulouse,  qu'il  trouvait  décidément  trop  compromis.  Quelle 
erreur!  Voici  que  dans  la  dernière  séance  de  l'Association  des  artistes 
dramatiques,  «  une  médaille  d'honneur  décernée  par  le  ministre  de 
l'intérieur  »  a  été  remise  en  grand'pompe  à  l'éminent  directeur.  Aujour- 
d'hui les  médailles  d'or;  demain  on  lui  tressera  sans  doute  des  couronnes 
en  renouvelant  son  privilège  pour  sept  nouvelles  années  à  la  direction 
de  l'Opéra.  Voilà  le  cas  que  l'on  fait  de  l'opinion  publique,  en  ces  temps 
de  mauvaise  toulousainerie  où  nous  vivons. 

—  M.  Emmanuel  Chabrier  est  parti  pour  Carlsrube,  où  il  va  diriger  les 
dernières  répétitions  du  Roi  malgré  lui.  Ce.  joli  ouvrage,  qui  sera  donné 
le  23  février,  est  monté  aussi  en  ce  moment  au  théâtre  de  la  Cour.,  à 
Dresde.  Gwendoline,  du  même  auteur,  continue  son  tour  d'Allemagne. 
Après  Carlsruhe,  les  théâtres  de  Leipzig  et  de  Munich  montent  cet 
opéra,  que  nous  serons  probablement  les  derniers  à  connaître. 

—  Le  violoniste  Joseph  White  doit  se  faire  entendre  au  concert  Lamou- 
reux  le  9  février.  Il  jouera  le  2e  concerto  de  Wieniawski. 

—  Mardi  28  janvier,  a  été  célébré,  à  l'église  Saint-Denis  du  Saint-Sacre- 
ment, le  mariage  de  M.  Jean  Rouart  avec  la  fille  de  M.  Gabriel  Morris,  le 
sympathique  imprimeur  des  théâtres.  Pendant  la  messe,  M.  Danbé  a  exé- 
cuté sur  le  violon,  avec  un  grand  talent,  la  Rêverie  de  Schumann.  Le  Paler 
noster  et  un  0  Salutaris  ont  été  remarquablement  chantés  par  M.  Fugère,  de 
l'Opéra-Comique.  Grande  aflluence  de  monde  dans  cette  belle  église,  trans- 
formée en  véritable  jardin  d'hiver.  Parmi  les  invités  nous  avons  remarqué 
de  grandes  personnalités  appartenant  à  l'armée,  à  l'Institut,  au  monde 
des  sciences,  des  arts,  des  théâtres  et  de  la  grande  industrie  française. 

—  Mlle  Thérèse  Castellan,  violoniste,  arrivée  à  Paris  pour  y  passer  la 
saison  d'hiver,  a  repris  ses  leçons  de  violon  et  d'accompagnement. 

—  Enregistrons  la  naissance  d'une  petite  publication  périodique  fort 
intéressante,  qui  paraît  sous  ce  titre  :  «  Archives  historiques,  artistiques  et 
littéraires,  recueil  mensuel  de  documents  curieux  et  inédits,  chronique 
des  archives  et  des  bibliothèques.  »  C'est  notre  collaborateur  Michel 
Brenet  qui  est  chargé,  dans  ce  nouveau  recueil,  de  tout  ce  qui  concerne 
la  musique. 

—  Au  dernier  din  er  amical  des  membres  de  la  Société  artistique  et 
littéraire  de  l'Ouest,  on  a  beaucoup  applaudi  MM.  Landély-Hettich  et 
Stéphane  Lafarge,  qui  ont  chanté  remarquablement  les  mélodies  bretonnes 
de  M.  Bourgault-Ducoudray.  Grand  succès  aussi  pour  le  jeune  pianiste 
A.  Lachaume,  dans  son  interprétation  des  pièces  pour  piano  du  méma 
auteur. 


10 


LE  MÉNESTREL 


—  L'Académie  de  musique  de  Toulouse,  dont  M.  Edouard  Broustet  est 
président,  met  au  concours  pour  l'année  1890  :  1.  Une  Ouverture  sijmpho- 
nique  à  grand  orchestre  ;  —  2.  Un  Quatuor  à  cordes  en  quatre  parties,  dans 
la  forme  et  le  style  classiques;  —  3.  Une  Mélodie  pour  voix  seule,  avec 
accompagnement  de  piano  (texte  libre);  —  i.  Un  Pater  Noster,  trio  pour  so- 
prano, ténor  et  basse  (accompagnement  d'orgue);  —  o.  Un  Chœur  à  quatre 
voix  d'hommes,  sans  accompagnement  (texte  libre);  —  6.  Un  Librelto 
d'opéra-comique  en  un  acte,  à  deux  ou  trois  personnages;  —  7.  Une  Marche 
solennelle  pour  musique  d'harmonie.  Les  manuscrits  devront  être  envoyés 
franco  jusqu'au  31  avril,  au  siège  social,  72,  rue  de  la  Pomme,  à  M.  le  pré- 
sident de  l'Académie,  qui  fournira  aux  concurrents  tous  les  renseigne- 
ments nécessaires  et  le  règlement  du  concours. 

—  Le  successeur  de  M.  Paravey  à  Nantes,  M.  Poitevin,  qui  avait  pris 
la  direction  des  théâtres  municipaux  de  cette  ville,  a  dû  cesser  son  exploi- 
tation ces  jours  derniers,  par  suite  du  fâcheux  état  de  ses  affaires.  Les 
artistes  se  sont  constitués  en  société  pour  terminer  la  saison. 

—  La  société  de  musique  d'ensemble  dirigée  par  M.  Bené  Lenormand 
donnait  samedi  dernier  sa  troisième  séance.  Dans  chacune  de  ses  séances 
une  large  place  est  réservée  aux  compositeurs  qui  viennent  faire  exécuter 
leurs  œuvres.  C'est  ainsi  que  nous  avons  entendu  les  Eolides.  de  M.  César 
Franck,  les  Chansons  de  Miarka,  de  M.  Alexandre  Georges,  différentes  œu- 
vres de  M.  Bené  Lenormand,  des  pièces  pour  alto  de  M.  Chevillard,  etc. 
Parmi  les  interprètes,  citons  le  ténor  Mauguière,  dont  la  diction  parfaite 
a  obtenu  un  grand  succès  dans  la  mélodie  de  ï'aure,  Mignonne,  que  désirez- 
vous,  l'excellent  violoniste  Géloso,  Mme  Deléage,  le  violoncelliste  Dres- 
sen,   etc. 

—  Le  concert  annuel  donné  par  M.  A.  Decq,  pour  l'audition  de  ses  nou- 
velles œuvres,  a  complètement  réussi.  Un  public  nombreux  et  choisi  a 
fait  fête  à  tous  les  artistes  :  M"!  Magdeleine  Godard,  M.  François,  de  l'O- 
péra, M.  Duchesne,  de  l'Opéra-Comique,  MUc  Verne,  MUc  Walter  et 
M.  Falconnier,  de  la  Comédie-Française.  Mais  ce  qui  a  surtout  ravi  l'au- 
ditoire, c'est  la  façon  remarquable  dont  M.  Decq  a  détaillé  le  Concert-Stûck 
de  Weber,  lequel  était  accompagné  d'un  excellent  orchestre.  M.  Decq 
s'est  fait  applaudir  tout  à  la  fois  comme  compositeur,  organiste  et  pia- 
niste. 

—  Le  concert  donné  mardi  salle  Érard  par  M.  Bondeau  a  été  très  réussi. 
Le  jeune  ténor  s'est  fait  applaudir  dans  plusieurs  mélodies  de  MM.  Paul 
Puget,  Albert  Cahen,  de  Saint-Quentin,  et  le  Notre-Père  de  Faure,  qu'il  a 
fort  bien  détaillé  avec  le  baryton  Georgetti.  Signalons  encore  le  concerto 
de  Mlle  Chaminade,  exécuté  par  l'auteur  et  M.  Paul  Braud,  et  les  origi- 
nales Chansons  de  Miarka  de  M.  Alexandre  Georges  (poésies  de  M.  Bichepin), 
interprétées  par  Mlucs  Deleage,  Mélodia,  MM.  Bondeau.  Georgetti,  et  des 
chœurs  d'amateurs. 

—  La  très  intéressante  scène  lyrique  de  M.  Jules  Bordier,  le  Rêve  d'Os- 
sian,  qui  fut  exécutée  pour  la  première  fois  à  Paris  il  y  a  quatre  ans, 
vient  d'obtenir  un  brillant  succès  au  deuxième  concert  de  la  Société 
philharmonique  de  Beims,  où  les  solos  en  étaient  chantés  par  M.  Auguez 
avec  le  beau  style  qu'on  lui  connaît.  De  nouvelles  exécutions  du  Rêve 
d'Ossian  se  préparent  en  ce  moment  à  Bouen,  au  Havre  et  à  Marseille. 

—  A  Nantes,  où  nous  l'avons  dit,  le  directeur,  M.  Poitevin,  a  dû  cesser 
son  exploitation,  les  artistes  se  sont  constitués  en  société  pour  terminer 
la  saison.  On  annonce  qu'ils  viennent  de  mettre  en  répétitions  un  opéra- 
comique  inédit,  la  Revanche  de  Srjanarelle,  dont  la  musique  a  pour  auteur 
M.  Léon  Dubois,  grand  prix  de  Borne  du  Conservatoire  de  Bruxelles,  en 
■ce  moment  second  chef  d'orchestre  à  Nantes. 

—  Un  jeune  compositeur  qui  est  aussi  un  poète  distingué,  M.  J.-G. 
Bopartz,  vient  de  faire  exécuter  à  Bennes,  en  l'église  Notre-Dame,  une 
messe  à  trois  voix  égales,  qui  a  reçu  du  public  un  accueil  favorable. 

—  Les  concerts  du  quatuor  Marsick-Loys  ont  repris  mercredi  29  jan- 
vier, à  9  heures  du  soir,  salle  Pleyel.  Comme  les  années  précédentes,  il  y 
aura  six  concerts.  Interprètes  :  M."K  Marie  Poitevin,  MM.  Marsick,  Loys, 
Brun  et  Laforge. 

—  M"c  Caroline  Chaucherau  annonce  pour  le  -i  février,  salle  Pleyel,  un 
concert  dans  lequel  elle  se  produira  comme  cantatrice  et  pour  lequel  elle 
s'est  assuré  le  concours  de  M.  Lauwers,  de  M"c  C.  Chaminade,  de 
MM.  Mendels  et  Bonchini. 

—  M.  Ernest  Moret,  le  jeune  et  brillant  violoniste,  donnera  le  S  février, 
à  la  salle  Erard,  un  concert  dont  il  défraiera  seul  le  programme,  composé 
d'oeuvres  de  Bach,  Brahms,  Joachim,  "Wieniawski,  Sarasate,  Saint-Saëns, 
et,  en  outre,  d'une  étude  de  Chopin  transcrite  "par  lui. 

—  Vendredi  14  février,  salle  Érard,  concert  de  M.  Arnold  Heitlinger, 
avec  le  concours  de  M"K  llabey-Declat,  de  MM.  H.   Berlhelier  et  J.  Loeb. 

—  M»10  Marie  Minaldi,  qui  a  obtenu  de  grands  succès  sur  tous  les  théâ- 
tres de  Portugal,  où  elle  a  chanté  longtemps,  et  qui,  prématurément, 
•  avait  renoncé  aux  succès  de  la  scène,  va  rentrer  au  théâtre  après  le 
concert  qu'elle  annonce  pour  le  6  février  prochain,  salle  Kriegelstein, 
J±,  rue  Charras. 


—  Mlle  Marie  Garnier  a  repris  ses  cours  de  musique  chez  elle,  33,  rue 
Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie,  avec  le  concours  de  MM.  Carré  et  Jouet, 
et  de  Mmes  Guéroult  et  des  Lonchamps. 


NÉCROLOGIE 


Un  des  quatre  grands  prix  de  la  section  musicale  à  l'Exposition  uni- 
verselle de  1889,  M.  Victor  Mustel,  le  facteur  d'harmoniums  bien  connu, 
vient  de  mourir  à  l'âge  de  74  ans,  après  une  longue  carrière  de  lutte  opi- 
niâtre, semée  trop  souvent  de  nombreux  déboires.  Scrupuleusement  hon- 
nête et  d'une  modestie  poussée  à  l'extrême,  cet  homme  intelligent  et  bon 
s'était  fait  des  amis  de  tous  ceux  qui  l'ont  approché.  La  façon  toute  artis- 
tique dont  il  traita  la  facture  des  harmoniums  et  le  degré  extrême  de  per- 
fectionnement auquel  il  était  arrivé,  sans  jamais  faire  la  moindre  conces- 
sion au  mauvais  goût,  lui  valurent  à  la  dernière  Exposition  ce  grand  prix, 
que  suivit  peu  de  temps  après  la  décoration  de  la  Légion  d'honneur...  Et 
c'est  au  milieu  de  toute  cette  gloire,  au  moment  où  l'humble  et  infatigable 
travailleur  allait  enfin  pouvoir  se  reposer  de  toute  une  vie  de  labeur  et  de 
peine,  que  la  mort  vient  l'arracher  brusquement  à  l'affection  des  siens. 
Puissent  ses  fils  restés  sur  la  brèche  persévérer  longtemps  encore  dans  la 
glorieuse  voie  que  leur  a  tracée  leur  père  !  Charles  Loret. 

—  On  nous  écrit  de  Moulins  pour  nous  annoncer  la  mort  de  Mmc  Du- 
vois, femme  de  M.  Charles  Duvois,  l'excellenl  professeur  et  l'organiste 
fort  distingué  de  la  cathédrale  de  cette  ville,  à  qui  elle  était  unie  depuis 
près  de  quarante-huit  ans.  M.  Duvois  a  été,  en  cette  circonstance  dou- 
loureuse, l'objet  de  nombreuses  sympathies,  et  tous  les  Alsaciens  que 
compte  la  ville  de  Moulins  ont  tenu  surtout  à  donner  un  témoignage 
d'affection  à  leur  vénérable  compatriote. 

—  De  Dresde  on  annonce  la  mort  d'un  artiste  estimable,  Karl  Banck. 
compositeur  de  lieder,  qui  fut  aussi  un  critique  distingué  et  qui  depuis 
quarante  ans  était  en  cette  qualité  le  collaborateur  actif  du  Dresdner  Jour- 
nal. Né  à  Magdebourg  le  27  mai  1811,  Karl  Banck  avait  été  l'élève  de 
Bernard  Klein  et  de  L.  Berger,  à  Berlin,  puis  de  Friedrich  Schneider  à 
Dessau,  après  quoi  il  fit  un  voyage  artistique  en  Italie.  De  retour  en 
Allemagne,  il  se  fixa  à  Dresde,  où  il  devint  conseiller  de  cour  du  roi  de 
Saxe  et  se  consacra  surtout  à  la  critique,  aussi  éloigné,  dans  l'expression 
de  ses  jugements,  des  traditions  maladroitement  immuables  que  des  ten- 
dances ultra-révolutionnaires  de  quelques-uns.  Ses  chansons  et  ses  lieder 
n'ont  pas  été  sans  obtenir  quelque  succès.  Il  a  succombé,  dans  les  pre- 
miers jours  de  janvier,  aux  suites  d'une  atteinte  A'influenza  compliquée 
par  son  grand  âge. 

—  Le  ténor  Wilhelm  Sedlmayer  est  mort  le  8  janvier,  à  New-York, 
des  suites  de  l'influenza.  Il  remplissait  les  premiers  rôles  à  l'Opéra  alle- 
mand du  Metropolitan  House.  C'est  à  Vienne  qu'il  avait  reçu  son  ins- 
truction musicale  et  qu'il  effectua  ses  premiers  débuts.  Il  passa  ensuite 
au  théâtre  de  la  Cour,  à  Munich,  où  sa  réputation  s'établit  solidement. 
Sedlmayer  a  fait  partie,  depuis,  des  principales  troupes  lyriques  de 
l'Allemagne.  Tout  dernièrement,  il  obtenait  â  Hambourg  des  succès  reten- 
tissants dans  le  répertoire  wagnérien. 

—  Un  peintre  décorateur  de  grand  talent,  Angelo  Quaglio,  qui  était 
peintre  des  théâtres  royaux  de  Munich,  vient  de  mourir  en  cette  ville.  Il 
avait  exécuté  de  nombreux  décors  pour  les  théâtres  de  Munich,  de  Ber- 
lin, de  Vienne,  de  Stuttgard,  de  Meiningen  et  de  Prague.  Le  talent  de  la 
peinture  était  héréditaire  dans  la  famille  Quagiio  depuis  deux  siècles  et 
demi,  et  l'artiste  dont  nous  parlons,  qui  était  d'origine  italienne,  descen- 
dait d'un  peintre  renommé,  Giulio  Quaglio,  né  à  Luino,  sur  le  lac  de 
Côme,  en  1601. 

—  Un  jeune  ténor  italien.  Lodovico  Fagotti,  que  nous  avons  entendu 
l'an  dernier  à  la  Gaité  pendant  la  cimpagne  d'opéra  italien  entreprise  à 
ce  théâtre  par  M.  Sonzogno,  vient  de  mourir  subitement  à  Caracas,  âgé 
seulement  de  vingt-huit  ans.  Ce  jeune  artiste  était  le  fils  d'un  baryton, 
Enrico  Fagotti,  qui  jouit  naguère  de  quelque  réputation. 

—  Do  Madrid  on  nous  annonce  la  mort  du  compositeur  Antonio 
Aguado,  ancien  élève  du  Conservatoire  de  cette  ville,  où  il  fut  admis 
en  1833  dans  les  classes  de  Ballhasar  Saldoni  et  de  Pedro  Albeniz,  et 
où  plus  tard  il  devint  lui-même  professeur  de  piano  et  d'accompagne- 
ment. On  lui  doit  un  assez  grand  nombre  d'oeuvres  de  musique  reli- 
gieuse :  deux  messes,  un  Salve  Heijina,  des  motets,  lamentations,  etc.  Il 
prit  part  à  la  rédaction  d'une  méthode  de  piano  publiée  sous  le  titre  de 
la  Union  artistica  musical,  et  fut  un  des  sociétaires  fondateurs  de  la  Lyra- 
sacro-hispana,  association  créée  en  1852  pour  la  publication  des  grandes 
œuvres  de  musique  religieuse  espagnole,  publication  que  dirigeait  avec 
un  grand  goût  et  une  rare  érudition  le  célèbre  compositeur  Eslava. 

Henri  Heugel.  directeur-gérant 

EN  VENTE  chez  Bornot,  Dijon  :  Pileuse,  par  YVacken  tiialeh,  net  :  2  fr.  50. 
Du  même  auteur:  Marche  héroïque,  Marche  triomphale,  chaque,  net:  3  fr. 


300  —  SI} 


—  1\°  6. 


Dimanche  «J  Février  1890. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pus  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  dn  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


S0MMÀIEE-  TESTE 


I.  Hisloire  de  la  seconde  salle  Favart  (48°  article),  Albert  Soubies  et  Charles 
Malherbe.—  II.  Semaine  théâtrale:  Dimilri,k  l'Opéra-Comique;  Ma  mie  Rosette, 
aux  Folies-Dramatiques,  H.  Moreno;  le  Comte  d'Egmont,  à  l'Odéon;  les  Vieuœ 
Maris,  à  la  Renaissance,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Le  théâtre  à  l'Exposition 
116'  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Revue  des  Grands  Concerts.  —  V.  Nouvelles 
diverses.  —  VI.  Nécrologie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

RITOURNELLE 

nouvelle  mélodie  de  Francis  Thojié,  poésie  de  François  Coppée.  —  Suivra 

immédiatement  :   Espoir   en    Dieu,   nouvelle   mélodie   de   J.   Faure,  poésie 

de  Victor  Hugo. 

PIANO 
Nous   publierons   dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano  :  Gigue,  par  André  Wor.user.  —   Suivra  immédiatement  :   Chants 
dit  Tyrol,  nouvelle  polka-mazurka  de  Heinrich  Strobl. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Albert   SOUBIES    et   Charles    MA.LUEHBI3 


CHAPITRE  XIII 

MEYERBEER    A    l'OPÉRA-COMIQUE 

l'étoile  DU  NORD 
1853-1855 

(Suite.) 

Se  consacrant  désormais  à  l'unique  salle  Favart,  M.  Perrin 
n'eut  guère  à  recueillir,  en  1855,  que  la  récolte  semée  par 
lui  en  1854.  C'était  l'année  de  la  première  Exposition  uni- 
verselle, les  étrangers  vinrent  en  nombre,  et  ses  deux  grands 
succès  de  l'année  précédente,  l'Étoile  du  Nord  et  la  reprise 
du  Pré  aux  Clercs,  fournissaient  aux  spectacles  un  élément 
assuré.  Autour  de  ces  deux  chefs-d'œuvre  devaient  rayonner 
un  certain  nombre  de  pièces,  dont  la  première  surtout  avait 
une  réelle  valeur  et  méritait  son  franc  succès  :  le  Chien  du 
Jardinier,  paroles  de  MM.  Lockroy  et  Cormon,  musique  de  Grisar, 
représenté  le  16  janvier  1855.  C'est  d'Espagne  que  vient,  dit- 
on,  cette  vieille  légende  du  chien  qui  ne  maDge  passa  pâtée, 
mais  ne  veut  pas  que  les  autres  y  touchent.  En  somme,  la 
morale  de  cette  histoire  convient  à  tous  pays,  et  transportée 
dans  le  domaine  des  sentiments,  appliquée,  par  exemple,  à 
la  coquetterie  féminine,  elle  fournit  les  éléments  d'uno 
action  piquante,  alerte  et  vraie.  C'est  ainsi  que  l'entendirent 
les  auteurs  de  ce  petit  acte  lorsqu'ils  tracèrent  le  portrait  de 


leur  jolie  paysanne  qui  hésite  à  choisir  un  prétendu  et  qui 
le  veut  quand  une  rivale  l'a  choisi.  Le  dialogue  était  amu- 
sant, la  musique  spirituelle  et  l'interprétation  remarquable 
avec  Mlles  Lefebvre  et  Lemercier,  MM.  Faure  et  Ponchard  ; 
aussi  l'œuvre  fut-elle  accueillie  chaleureusement.  Elle  se 
maintint  sur  l'affiche  jusqu'en  1869,  époque  où  elle  atteignit 
sa  98e  représentation.  Depuis  on  ne  l'a  plus  revue,  si  ce  n'est 
au  Chàteau-d'Eau;  autant  dire  qu'elle  n'a  pas  été  reprise. 
Elle  mériterait  cependant  de  l'être. 

Le  13  février  on  donnait  un  acte  encore,  mais  moins  bien 
accueilli  que  le  précédent,  puisqu'il  ne  compta  que  38  repré- 
sentations. Il  avait  pour  auteurs  d'une  part  Jules  Barbier  et 
Michel  Carré,  de  l'autre  Victor  Massé  ;  seulement,  Miss  Fauvette 
nevalaitpas  lesNoces  de  Jeannette.  On  y  voyait  un  Anglais,  ini- 
mitable d'ailleurs  en  la  personne  de  Sainte-Foy,  cherchant  à 
faire  taire  une  jeune  voisine  qui  gazouillait  tout  le  jour 
comme  un  oiseau,  et  usant  de  mille  subterfuges,  violence, 
douceur,  argent,  pour  éteindre  l'ardeur  de  son  gosier;  ce 
qui  peut  passer  pour  une  version  dramatique  de  la  fable 
bien  connue,  le  Savetier  et  le  Financier.  A  cette  pièce  se  rat- 
tache un  simple  détail,  prouvant  que  Mue  Lefebvre  était  alors 
le  véritable  terre-neuve  de  la  salle  Favart.  Princesse  ou 
paysanne,  elle  abordait  tous  les  rôles  avec  une  abnégation 
que  pouvaient  seuls  égaler  son  intelligence  et  son  talent. 
En  1851,  le  Songe  d'une.  Nuit  d'été  avait  été  écrit  pour  Mme  Dgalde  ; 
au  dernier  moment  une  indisposition  survint  ;  M1U  Lefebvre 
prit  le  rôle  d'Elisabeth  et  le  garda.  De  même,  en  1855,  Miss 
Fauvette  avait  été  écrite  pour  Mme  Miolan-Carvalho;  sur  ces 
entrefaites,  il  fut  question  de  son  départ  de  l'Opéra-Comique 
et  de  son  engagement  à  l'Opéra,  lequel  n'eut  pas  lieu  d'ail- 
leurs ;  M"0  Lefebvre  se  dévoua  et  fut  payée  de  sa  peine  par 
des  bravos  unanimes. 

Par  une  série  de  malchances,  le  reste  de  l'année  1855  ne 
devait  plus  amener  que  des  chutes,  tout  au  plus  des  demi- 
succès  ;  qu'on  en  juge  par  le  chiffre  des  représentations  : 
12  pour  Yvonne;  19  pour  la  Cour  de  Célimène;  39  pour  Jenny  Bell 
(malgré  la  signature  d'Auber);  2  pour  Jacqueline;  4  pour  l'An- 
neau d'argent;  17  pour  Deucalion  et  Pyrrha;  Id  pour  le  Housard 
de  Berchiny  ;  38  enfin  pour  les  Saisons. 

Il  ne  faut  pas  être  grand  clerc  pour  deviner  qu'avec  un  nom 
comme  Yvonne,  l'action  se  passait  en  Bretagne.  Quatre  ans 
plus  tard,  dans  cette  salle  Favart,  le  même  titre  reparaissait 
au  service  d'un  «  drame  lyrique  »,  ce  qui  tendrait  à  prouver 
que  la  pénurie  de  noms  est  grande  sur  cette  terre  armori- 
caine. On  y  trouvait  un  personnage  appelé  Janic,  tout  comme 
dans  la  belle  œuvre  de  Richepin,  le  Flibustier,  homme  dans 
la  première,  femme  dans  la  seconde,  ce  qui  témoigne  par 
conséquent  un  certain  désordre  dans  les  habitudes  onomo- 
plastiques  des    auteurs.    Enfin  et   surtout  on  y  voyait  deux 


42 


LE  MENESTREL 


paysans  naïfs  dont  l'amour  était  exploité  par  un  vieux  berger 
qui  se  faisait  passer  pour  sorcier  :  cette  invention  n'avait 
pas  dû  coûter  beaucoup  d'efforts  aux  librettistes,  de  Leuven 
et  Deforges.  Une  musique  princière  ne  sauva  pas  la  pièce, 
représentée  le  16  mars.  M.  le  prince  de  la  Moskowa,  nous 
l'avons  vu,  avait  réussi  avec  son  premier  ouvrage,  le  Cent- 
Suisse  ;  avec  le  second,  Yvonne,  il  échoua. 

La  Cour  de  Célimène,  donnée  le  11  avril,  se  heurta  de  même 
non  pas  à  la  résistance,  mais  à  l'indifférence  du  public.  Le 
librettiste  Rosier  avait  pris  texte  de  la  coquetterie  de  Céli- 
mène pour  grouper  autour  d'elle  toute  une  armée  de  sou- 
pirants et  les  mettre  aux  prises  pour  les  yeux  de  la  belle. 
On  y  comptait  quatre  vieillards,  quatre  jeunes  gens  et  quatre 
adolescents  (sic),  représentés  par  des  femmes,  Mlles  Révilly, 
Decroix,  Talmon,  Bélia.  Aussi  la  pièce  s'appelait-elle  primi- 
tivement les  Douze.  Elle  aurait  dû,  en  ce  cas,  s'appeler  plutôt 
les  Quatorze,  car  on  avait  oublié  dans  ce  nombre  le  comman- 
deur (Battaille)  et  le  chevalier  (Jourdan),  les  deux  seuls 
amoureux  sérieux,  justement.  Par  une  disposition  originale, 
ces  douze  voix,  réparties  en  trois  groupes,  tenaient  lieu  de 
chœurs  et  donnaient  plus  de  légèreté  à  cette  comédie,  que 
l'on  s'était  efforcé  de  maintenir  dans  le  ton  du  XVIIIe  siècle. 
Le  compositeur,  Ambroise  Thomas,  avait  écrit  son  principal 
rôle  pour  Mme  Miolan-Carvalho,  dont  ce  fut  la  dernière  créa- 
tion à  la  salle  Favart.  Le  mari  avait  déjà  résilié,  préparant 
en  sous-main  son  entrée  dans  la  carncie  directoriale:  la 
femme  allait  le  suivre  et  remporter  bientôt  ces  triomphes 
qui  l'ont  associée  aux  succès  do  tant  de  compositeurs. 

Malgré  l'excellence  de  cette"  marque  de  fabrique  :  Scribe  et 
Auber,  Jenny  Bell,  le  2  jir.n  1855,  ne  dépassa  guère  le  niveau 
d'un  succès  d'estime.  On  aurait  pu  trouver  quelque  intérêt 
dans  l'histoire  de  nÇtte  enfant  abandonnée,  protégée  mysté- 
rieusement par,"ii  noble  lord  anglais,  devenue  cantatrice  et 
finissant  par  Cpouser  le  fils  de  ce  bienfaiteur,  qui  pour  l'ap- 
procher et  se  faire  aimer  d'elle  avait  pris  l'apparence  et  le 
nom  d'un  jeune  musicien.  C'était,  comme  on  le  voit,  une 
nouvelle  édition  de  l'Ambassadrice,  additionnée  de  la  Traviata  ; 
peut-être  s'y  joignait-il  aussi  quelques  souvenirs  d'un  Sullivan 
de  Mélesville  et  d'un  Tiridate  de.  Maxime  Fournier.  Jenmj  Bell, 
en  tout  cas,  n'avait  rien  de  commun  avec  Jenny  Lind, 
comme  on  se  plaisait  à  le  dire  avant  la  représentation.  L'a- 
mour d'une  actrice  et  d'un  grand  seigneur  aurait  plutôt 
éveillé  le  souvenir  d'Adrienne  Lecouvreur  et  de  l'admirable 
lettre  qu'elle  écrivit  à  la  mère  du  jeune  d'Argental,  pour 
expliquer  sa  conduite  et  dévoiler  son  cœur  «  comme  une 
femme,  disait  Sainte-Beuve,  qui  veut  concilier  tous  les  de- 
voirs naturels  avec  les  convenances  de  la  société.  »  Pour  le 
guérir  de  sa  passion,  la  mère  voulait  éloigner  son  fils,  et  la 
comédienne  lui  écrivait  :  «  ...  Ne  lui  témoignez  ni  mépris 
ni  aigreur  ;  j'aime  mieux  me  charger  de  toute  sa  haine, 
malgré  l'amitié  tendre  et  la  vénération  que  j'ai  pour  lui  que 
de  l'exposer  à  la  moindre  tentation  de  vous  manquer... 
Faites  tomber  sur  moi  tout  son  ressentiment,  mais  que  vos 
bontés  lui  servent  de  dédommagement.  Je  lui  écrirai  ce  qui 
vous  plaira;  je  ne  le  verrai  de  ma  vie,  si  vous  le  voulez, 
j'irai  moi-même  à  la  campagne,  si  vous  le  jugez  nécessaire.... 
Enfin,  madame,  vous  me  verrez  plutôt  me  retirer  du  monde 
que  de  souffrir  qu'il  soit  à  l'avenir  tourmenté  pour  moi  et 
par  moi.  »  Mais  ces  subtilités  psychologiques  conviennent 
plus  à  la  prose  qu'à  la  musique  et  ressortissent  moins  de 
l'opéra  que  du  roman;  à  la  salle  Favart  on  les  comprit  peu, 
et  les  trois  actes  d'Auber  furent  vite  oubliés. 

(A  suivre.) 


SEMAINE   THÉÂTRALE 


Dimilri  à  l'Opéim-Comique. 
Pour  le  moment,  il  fait  bon  d'être  russe  en  notre   chère   France. 
Tout  ce  qui  nous  vient  du  Nord  est  admirable  ;  tout  ce  qui  touche 


à  l'histoire  des  czars  émeut  notre  fibre  patriotique  au  même  degré 
que  l'histoire  même  de  nos  rois  ou  de  nos  empereurs.  Quand  on 
n'en  a  plus  chez  soi,  on  les  prend  où  on  les  trouve.  Nos  sympathies 
sont  slaves  désormais,  en  attendant  qu'elles  suivent  un  autre  cou- 
rant. Voyez  :  un  imprésario  aventureux  —  je  n'ai  pas  dit  aventurier 
—  a  l'idée  de  représenter  au  théâtre  municipal  de  Nice  l'opéra  de 
GliDka  :  la  Vie  pour  le  Tzar,  pour  lequel,  en  d'autres  temps,  on 
n'eût  eu  que  des  compliments  de  condoléance,  non  qu'il  soit  dé- 
pourvu de  tout  mérite,  mais  parce  qu'il  n'est  plus  guère  dans  notre 
mouvement  musical,  ayant  été  conçu  en  1830,  sous  l'influence  évi- 
dente de  l'art  italien  qui  dominait  alors.  Mais  quoi  !  Il  s'agit  d'un 
compositeur  russe, d'une  partition  qui  proclame  lagloire  d'un  tzar  !... 
Et  voilà  l'opéra  passé  chef-d'œuvre  !  Voilà  le  directeur,  qui  vient 
d'enjamber  la  balustrade  de  son  avant-scène  pour  sauter  sur  le 
théâtre  et  y  entonner  l'hymne  russe,  proclamé  grand  homme.  Que 
dis-je!  Des  journaux  mettent  en  avant  sa  candidature  à  la  direc- 
tion de  notre  Académie  nationale  de  musique  au  cas  où  nous 
aurions  la  douleur  de  perdre  MM.  Ritt  et  Gailhard.  Gunzbourg  — 
c'est  le  nom  de  cet  heureux  imprésario  —  se  dresse  déjà  comme 
une  catapulte  dirigée  contre  eux.  Tout  cela  est  très  beau  vraiment, 
mais  passe  un  peu  la  mesure,  si  l'on  songe  que,  par  suite  de  la 
dénonciaiion  de  la  convention  de  1861,  la  musique  française  ne 
jouit  plus  d'aucune  espèce  de  protection  en  Russie,  où  chacun 
peut  en  faire  des  choux  ou  des  raves  à  son  gré,  sans  avoir  de 
compte  à  rendre  à  nos  compositeurs,  et  je  vous  assure  que  M.  Gunz- 
bourg ne  s'est  pas  gêné,  quand  il  était  directeur  à  Saint-Pétersbourg, 
pour  prendre  avec  leurs  intérêts  toutes  les  libertés  possibles,  au  mépris 
même  des  engagements  particuliers  qu'il  avait  conclus.  Nous  pour- 
rons le  démontrer  quand  le  moment  sera  venu. 

Donc,  Dimilri  nous  revient  aussi  à  une  bonne  époque,  puisque 
ses  librettistes  nous  entretiennent  précisément  d'un  point  de  l'his- 
toire de  Russie  toujours  resté  obscur,  et  que  d'ailleurs  ils  ne  se  sont 
pas  chargés  d'éclaircir  plus  que  l'histoire  elle-même.  Dimitri  était-il 
réellement  le  fils  du  tzar  Ivan  le  Terrible,  ou  n'élait-il  qu'un  im- 
posteur ?  Avant  comme  après  le  livret  de  MM.  Henri  de  Bornier  et 
Armand  Silvestre,  la  question  reste  sans  réponse. 

Quand  Ivan  le  Terrible,  qui  régnait  au  xvic  siècle,  vint  à  mourir,  il 
laissa  un  fils  en  bas  âge,  Dimitri,  sous  la  régence  de  Boris  Goudou- 
now.  Pour  s'assurer  la  couronne,  celui-ci  n'eut  rien  de  plus  pressé  que 
de  charger,  moyennant  honnête  récompense,  un  certain  comte  Lusace 
de  supprimer  l'héritier  d'Ivan.  Le  comte  exécuta-t-il  l'ordre,  ou  se 
contenta-t-il,  comme  il  le  prétendit  plus  tard  quand  il  eut  à  se 
venger  de  Boris,  d'enfouir  le  jeune  Dimitri  au  fond  d'un  couvent 
pour  l'en  tirer  quand  l'heure  serait  venue?  C'est  là  ce  qu'on  n'a 
jamais  pu  savoir  au  juste.  Toujours  est-il  que,  d'après  MM.  Henri 
de  Bornier  et  Armand  Silvestre,  Lusace  se  présenta  un  beau  jour 
au  couvent  de  Viatka  pour  révéler  à  l'enfant  du  mystère  les 
hautes  destinées  qui  l'attendaient.  Douce  surprise  pour  le  jeune 
homme,  mélangée  pourtant  d'un  peu  d'amertume.  Car  Lusace  lui 
ménage  en  même  temps  une  riche  alliance  destinée  à  servir  sa 
propre  ambition.  Il  ne  s'agit  de  rien  moins  que  d'épouser  la  nièce 
du  roi  de  Pologne.  D'autres  se  laisseraient  faire,  mais  notre  ami 
Dimitri  a  un  autre  amour  au  cœur  ;  il  aime  Marina,  fille  du 
voïvode  de  Sandomir  (sic),  pour  les  beaux  yeux  de  laquelle  il  a 
même  tué  le  comte  de  Lysberg,  qui  avait  des  prétentions  sur  sa  main. 
Mais  voyez  l'astuce  qui  s'empare  de  suite  de  cette  jeune  âme,  avec 
la  perspective  d'une  couronne.  Il  no  se  déclare  pas  franchement  au 
comte  de  Lusace,  et  feint  d'entrer  dans  ses  vues.  Le  roi  de  Pologne, 
il  faut  le  dire,  se  momre  plein  de  courtoisie  à  son  égaid,  encore 
qu'un  peu  bien  emprunté  dans  sa  collerette  à  longs  tuyaux,  et  sa 
nièce  Vanda  se  montre  particulièrement  bien  disposée  pour  l'héri- 
tier du  trône  de  toutes  les  Russies.On  part  donc  en  guerre  elle  siège  est 
bientôt  mis  devant  Moscou,  où  tremble  l'usurpateur  Boris.  Si  Boris 
pouvait  obtenir  de  la  veuve  d'Ivan  le  Terrible,  toujours  vivante,  la 
déclaration  que  Dimitri  n'est  pas  son  fils,  tout  serait  sauvé  ;  car  im- 
médiatement le  prétendant  perdrait  le  prestige  qui  lui  a  fait  trouver 
tant  de  partisans.  Il  tente  en  vain  d'obtenir  cet  aveu.  Marpha  —  c'est 
le  nom  de  l'ancienne  czarine  —  très  désireuse  de  tirer  vengeance 
des  procédés  de  l'iofâme  Boris,  se  garde  de  tomber  dans  le  piège, 
bien  qu'elle  ne  soit  pas  assurée  autrement  de  la  légitimité  des 
prétentions  de  Dimitri.  Elle  proclame  au  contraire  bien  haut  que 
Dimitri  est  son  fils.  Et  il  arrive  que  Boris  est  bientôt  assassiné  par 
ses  propres  soldats.  Dimitri  entre  triomphalement  dans  Moscou,  où 
on  va  le  couronner  czar,  avec  Marina  qui  devient  czarine  du  même 
coup.  C'est  alors  que  Lusace,  trompé  dans  ses  espérances  et  excité 
par  la  vindicative  Vanda,  l'abat  d'un  coup  de  mousquet  sur  le  seuil 
même  de  l'église  où  on  va  le  sacrer  roi  et  empereur.  Dimitri  expire 


LE  MENESTREL 


43 


sans  trop  savoir  s'il  était  réellement  le  fils  d'Ivan  :  «  La  vérité,  mon 
Dieu  !  toi  seul  me  la  diras.  »  Voilà  pourquoi  il  la  sait  sans  doute  à 
cette  heure,  sans  que  nous  en  soyons  plus  avancés  pour  cela. 

Tel  est  ce  livret  qui  assurément  ne  manque  ni  de  mouvement,  ni 
de  variété.  Peut-être  même  est-il  un  peu  touffu  et  compliqué.  Il 
n'en  a  pas  moins  inspiré  à  M.  Victorin  Joncières  sa  meilleure  parti- 
lion.  Elle  est  solidement  construite  dans  la  manière  de  Meyerbeer, 
avec  çà  et  là  des  bouffées  d'italianisme.  Wagner  aussi,  dont,  à  l'époque 
de  la  composition  de  Dimitri,  M.  Joncières  était  un  des  plus  fervents 
adeptes,  semble  l'avoir  inspiré  en  quelques  pages,  qui  ne  sont  pas 
les  moins  bien  venues.  Telle  qu'elle  est,  avec  ce  mélange  de  courants 
divers  qui  tiraient  le  compositeur  à  hue  et  à  dia,  cette  production  n'en 
restepas  moins  une  des  œuvres  les  plus  intéressantes  qu'ail  produites 
l'école  française  depuis  une  vingtaine  d'années.  Elle  a  la  première 
des  qualités,  qui  est  la  sincérité,  et,  au  lendemain  A'Esclarmonde,  on 
l'a  réentendue  avec  un  vif  plaisir. 

Noire  collaborateur  Victor  Wilder,  a  apprécié  ici  même,  lors  de 
l'apparition  de  l'œuvre  au  théâtre  National-Lyrique,  le  5  mai  1876, 
la  partition  de  M.  Joncières,  et  il  l'a  fait  avec  une  autorité  et  un 
savoir  que  nous  ne  saurions  avoir  la  prétention  d'égaler  :  «  Il  y  a 
chez  M.  Victorin  Joncières,  disait-il,  deux  hommes  tout  à  fait  dis- 
tincts :  l'homme  à  système  d'abord,  qui  vante  volontiers  les  prin- 
cipes de  Wagner  en  condamnant  un  peu  trop  légèrement  peut-être 
tout  ce  qui  s'en  écarte;  l'homme  pratique  ensuite,  qui,  dans  la  cha- 
leur du  travail,  s'abandonne  à  son  inspiration  sans  la  faire  passer 
sous  le  niveau  de  ses  théories.  »  Puis  il  signalait  avec  une  sorte  de 
malin  plaisir,  ainsi  que  nous  venons  de  le  faire,  l'inffuenza  italienne 
qui  sévissait,  malgré  tout,  dans  plusieurs  morceaux,  mais  il  était 
loin  d'en  faire  un  reproche  au  compositeur  :  «  Les  Italiens,  quoi 
qu'on  en  dise,  écrivait-il  alors,  ont  inventé  pour  la  musique  drama- 
tique une  série  de  formes  typiques,  dont  les  esprits  les  plus  affa- 
més de  nouveauté  ne  parviendront  à  s'affranchir  qu'en  cessant  de 
faire  de  la  musique  dramatique.  Ce  n'est  point  le  cas  de  M.  Jo-ncières, 
qui  comprend  la  scène  et  sait  ce  qu'elle  exige  du  compositeur. 
Aussi,  loin  de  le  blâmer  de  son  heureuse  inconséquence,  ne  veux-je 
que  l'en  féliciter.  »  Oh  !  oh  !  Notre  ami  Wilder  ne  tiendrait  plus  au- 
jourd'hui le  même  langage.  C'est  lui,  à  cette  heure,  qui  s'est  en- 
foncé jusqu'au  cou,  et  à  en  perdre  pied,  dans  les  idées  wagnériennes 
les  plus  avancées,  tandis  que  le  compositeur,  qui  en  était  alors  tout 
rempli,  parait  au  contraire  avoir  opéré  une  sage  retraite  et  vouloir  se 
tenir  dans  les  limites  du  raisonnable.  Que  les  temps  sont  changés! 
Presque  tout  le  second  acte  est  italien  de  forme  et  d'idées,  à  l'excep- 
tion du  chœur  d'entrée  et  de  la  belle  polonaise  qui  le  termine.  Ce 
n'est  pas  le  meilleur  à  cotre  goût,  et  nous  faisons  assez  bon  marché 
des  couplets  et  du  grand  air  de  Lusace,  ainsi  que  du  finale  solennel 
établi  sur  une  phrase  mélodique  que  les  voix  étagées  reprennent 
tour  à  tour.  Combien  nous  préférons  à  ce  travail  habile  d'architecture 
musicale  la  jolie  rêverie  de  Marina  au  premier  acte  :  Pâles  étoiles,  ou 
encore  l'invocation  inspirée  de  Dimitri  :  Moscou,  voici  la  ville  sainte! 
Ces  deux  pages  de  petite  dimension  en  valent  beaucoup  de  grandes 
qui  font  plus  d'embarras.  Il  faut  mettre  aussi  hors  de  pair  toute  la 
charmante  musique  du  ballet,  d'une  couleur  ravissante  et  d'une  or- 
chestration étincelante.  Il  y  a  de  la  grandeur  dans  les  scènes  du  troi- 
sième tableau,  où  Marpba  et  l'archevêque  Job  se  trouvent  en  pré- 
sence. C'est  là  de  la  belle  déclamation  lyrique,  qui  se  termine  par  un 
superbe  arioso  :  Il  est  mon  fils!  que  Meyerbeer  n'aurait  certes  pas 
renié. 

C'est  là,  en  résumé,  une  œuvre  de  valeur  que  quatorze  ans  d'exis- 
tence n'ont  pas  vieillie,  aune  époque  où  tout  marche  si  vite?  N'est- 
pas  la  meilleure  preuve  qu'on  puisse  donner  de  sa  réelle  solidité? 

Elle  a  rencontré  à  l'Opéra-Comique  une  interprétation  excellente 
en  plusieurs  parties,  tout  à  fait  inférieure  en  d'autres. 

Il  est  bien  certain  que  le  ténor  Dupuy  devrait  se  garder  avec 
soin  de  ces  rôles  de  force,  où  il  ne  peut  que  compromettre  la  fragilité 
d'un  organe  qui  semble  devoir  se  vouer  uniquement  aux  Dame  blanche 
et  aux  Fra  Diavolo.  Si  la  représentation  a  péché,  c'est  surtout  de 
son  côté.  Pour  M.  Soulacroix,  il  a  certainement  la  voix  qui  con- 
vient au  personnage  de  Lusace  ;  mais  en  a-t-il  bien  l'allure  et  la 
taille?  De  plus,  on  l'avait  habillé  comme  le  chat  botté,  avec  une 
belle  barbe  d'or  qui  lui  donnait  l'aspect  le  plus  singulier,  et  des 
"bottes  enluminées  de  toutes  les  couleurs  de  l'arc-en-ciel.  On  aurait 
envie  d'en  faire  une  affiche-réclame  pour  nos  marchands  de  chaussures 
à  la  mode:  «Tu  as  donc  fait  un  héritage  quetu  portes  d'aussi  belles 
bottes  ?  —  Mais  non,  elles  ne  me  coûtent  que  3  fr.  15  c.  Je  les 
prends  chez  Gailhard,  le  grand  cordonnier  de  l'Opéra.  —  Vite!  son 
adresse,  que  j'y  coure  !  » 

Le    rôle    de    Marpha    convient    tout    à   fait    à    la    belle    voix  de 


Mme  Desehamps,  comme  aussi  celui  de  Marina  aux  délicatesses  du 
talent  de  M"10  Landouzy.  Il  est  regrettable  que  celte  charmante  ar- 
tiste n'ait  réellement  à  chanter  que  pendant  le  premier  acte.  Mais 
avec  quelle  poésie  elle  a  dit  la  rêverie  :  «  Pâles  étoiles  »,  et  son 
canlabile  et  le  duo  avec  Dimitri  !  Si  on  savait  se  servir  de  Mm°  Lan- 
douzy et  la  mettre  en  lumière  comme  il  conviendrait,  elle  devien- 
drait vite  l'étoile  de  l'Opéra-Comique. 

A  signaler  encore  une  débutante,  MUo  Gavioli,  un  peu  grimacière, 
mais  non  sans  mérite  ;  M.  Fournets,  dont  la  magnifique  voix  sonne 
toujours  merveilleusement;  M.  Cobalet,  dans  le  rôle  du  prieur;  et 
enfin  M.  Collin,  un  roi  de  Pologne  d'une  raideur  voulue  mais  in- 
vraisemblable. Ce  roi-là  a  été  fabriqué  à  Nuremberg,  sans  aucun 
doute. 

Orchestre  et  chœurs  à  l'abri  de  tous  reproches  et  mise  en,  scène 
splendide. 

Ma  Mie  Rosette  aux  Folies-Dramatiques. 

C'était  un  rêve,  rien  qu'un  rêve.  Ma  foi  !  ma  mie  Rosette  l'a  échappé 
belle.  On  moissonnait  ferme  sous  l'ardeur  du  soleil,  et  cette  gentille 
fillette,  à  bout  de  forces,  s'était  laissée  choir  sur  une  botte  de  foin 
où  elle  n'avait  pas  tardé  à  s'endormir.  Et  voilà  qu'elle  vit  passer  le 
roi  dans  les  champs  et  s'arrêter  devant  elle.  C'était  le  Vert-Galant  en 
personne,  Henri  de  Navarre,  qui  l'emmena  au  château.  Elle  devint 
grande  dame,  elle  connut  les  splendeurs,  et  puis  les  misères,  si  bien 
qu'elle  est  tout  heureuse  de  se  réveiller  enfin  et  de  voir  que  rien  de 
tout  cela  n'était  arrivé.  Et  quand  le  roi  vient  à  passer  pour  de  bon, 
elle  le  renvoie  sans  plus  de  façon  à  sa  belle  Corisande.  Pour  elle,  elle 
épouse  Vincent,  l'excellent  villageois  qui  soupire  pour  sa  mignonne 
personne. 

C'est  un  petit  conte  tout  à  fait  charmaut,  dont  M.  Armand  Liorat 
et  le  regretté  Jules  Prével  ont  tiré  le  meilleur  parti.  Il  a,  de  plus, 
inspiré  à  M.  Lacome  une  partition  des  plus  réussies.  M.  Lacome 
est  à  nos  yeux  un  maître  en  ces  sortes  de  petites  œuvres,  qu'il 
touche  toujours  d'une  manière  délicate,  sans  tomber  dans  la  tri- 
vialité. Nous  voudrions  nous  étendre  davantage  sur  le  nouveau 
succès  des  Folies-Dramatiques  ;  malheureusement,  cette  semaine  a 
été  si  chargée  en  nouveautés  de  tous  genres,  qu'il  ne  nous  est  permis 
de  nous  appesantir  sur  aucune.  Disons  bien  vite  que  l'interprétation 
de  Ma  Mie  Rosette  a  contribué  au  succès,  qu'on  n'est  pas  plus  joyeux 
que  M.  Gobin,  qu'on  n'a  pas  plus  de  grâce  que  Mlle  Nesville,  ni  de 
voix  de  baryton  plus  franche  que  celle  de  M.  Huguet. 

H.  Moreno. 
Le  Comte  d'Egmont,  a  l'Odéon 
Traduit  de  Goethe,  par  M.  A.  Aderer. 

Le  directeur  de  l'Odéon  continuant  avec  ténacité  son  incursion 
parmi  les  chefs-d'œuvre  du  théâtre  étranger,  je  pourrais  continuer, 
moi  aussi,  à  faire  des  variations  innombrables  sur  ce  que  j'ai  dit, 
plusieurs  fois  déjà,  à  cette  même  place.  Et  de  fait,  le  Comte  d'Egmont, 
à  part  les  trois  derniers  tableaux  et  deux  ou  trois  scènes,  éparses  çà 
et  là  dans  le  reste  de  l'ouvrage,  me  paraît  un  drame  assez  fade  et 
démesurément  long.  Je  sais  bien  qu'il  y  a  là  deux  figures  admira- 
blement campées,  d'une  netteté  de  traits  merveilleuse  et  d'un  des- 
sin impeccable,  celle  d'Egmont  et  celle  de  Claire;  mais  il  me  semble 
qu'un  peu  plus  d'action  dramatique,  demouvement  scénique,  ne  nuirait 
en  rien  au  relief  presque  exclusif  que  Gœthe  a  voulu  donner  à  ces 
deux  caractères  principaux.  M.  Aderer  a,  sur  ce  dernier  point,  scru- 
puleusement respecté  l'intention  de  l'auteur,  et  ce  n'est  certes  pas  à 
lui  qu'il  faut  s'en  prendre  si  la  pièce  reste  terne  trop  souvent.  Son 
adaptation  est  fort  adroitement  et  fort  savamment  faite;  le  texte  en 
est  des  plus  littéraires  et  le  sens  de  notre  théâtre  s'y  révèle  autant 
que  faire  se  peut;  de  tout  ce  qu'il  a  cru  devoir  couper  dans  l'œuvre 
originale,  rien  à  regretter,  si  ce  n'est  le  côté  poétique  de  la  jolie 
scène  entre  Egmont  et  Claire,  dont  M.  Aderer  ne  me  semble  pas 
s'être  suffisamment  servi;  en  revanche,  il  aurait  pu  supprimer,  sans 
regret,  le  personnage,  fort  peu  sympathique,  de  la  mère  trop  bien- 
veillante, et  donner  une  allure  moins  gauche  au  personnage  du  jeune 
Ferdinand.  Si  je  fais  ces  quelques  réserves,  ce  n'est  point  pour 
diminuer  le  très  grand  mérite  du  travail  de  M.  Aderer,  mais  c'est 
pour  montrer  combien  la  tâche  est  toujours  difficile  et  combien  elle 
demeure  trop  souvent  ingrate.  Le  génie  de  Shakspeare,  pas  plus  que 
celui  de  Gœthe,  ne  sont  celui  de  notre  race;  peut-être  l'esthétique 
dramatique  de  Schiller  est-elle  encore  celle  qui  se  rapproche  le  plus 
de  la  nôtre. 

C'est  M.  Dumény  qui  est  chargé  du  rôle  assez  lourd  d'Egmont, 
et  si  l'artiste  donne  le  relief  désirable  au   côté   léger  et  insoucieux 

du  personnage,  il  me  semble  manquer  de  l'ampleur  nécessaire  pour 

bien   représenter  ce  prince,   un  peu   volage,    sans  doute,  mais   qui 


44 


LE  MENESTREL 


n'en  a  pas  moins  montré  des  qualités  viriles  indéniables;  M.  Dumény 
reste  toujours  un  1res  aimable  comédien,  et  les  passages  de  force 
ou  de  sentimenls  tragiques  le  trouvent,  selon  nous,  toujours  un  peu 
trop  aimable.  Mlle  Sanlavillo  joue  Claire  en  artiste  de  grand  mérite 
et  obtient,  malgré  son  manque  de  vigueur,  de  très  heureux  effets 
dans  les  scènes  dramatiques.  Il  faut  aussi  nommer  Mme  Antonia 
Laurent,  MM.  Lambert,  Candé,  Calmetles,  Cornaglia  et  Marquet 
dans  des  rôles  de  second  plan. 

M.  Porel  a  confié  le  soin  d'exécuter  la  musique  syrnphonique 
créée  par  Beethoven  pour  ce  drame,  à  M.  Lamoureux  el  à  son  or- 
chestre. Il  est  inutile  de  dire  que  de  ce  côté,  tout  a  merveilleusement 
marché,  depuis  l'ouverture,  si  belle,  jusqu'à  la  délicieuse  musique 
de  scène  de  la  mort  de  Claire,  qui  a  été  saluée  de  bravos  unanimes, 
si  ce  n'est  Mlle  Sanlaville  qui  essaie  en  vain  de  chanter  l'air  de  bra- 
voure. Pourquoi  ne  pas  faire  dire  cette  chanson  dans  la  coulisse 
par  une  vraie  chanteuse  ? 

Les  Vieux  Maris,  a  la  Renaissance 

Après  avoir  passé  de  mains  inexpertes  en  mains  inhabiles,  voici 
le  théâtre  de  la  Renaissance  rentré  sous  la  direction  intelligente  de 
M.  Fernand  Samuel,  et  ce  petit  événement  a  causé  tant  de  plaisir 
dans  le  monde  qui  s'intéresse  aux  choses  du  théâtre,  que  personne 
n'a  songé,  un  moment,  à  être  sévère  pour  la  pièce  qui  a  servi  de 
réouverture.  C'est  que  si  M.  Samuel  compte  parmi  les  sympathi- 
ques, M.  Antony  Mars  ne  doit  pas  non  plus  avoir  beaucoup  d'ennemis, 
malgré  son  grand  succès  des  Surprises  du  Divorce.  Les  Vieux  Maris 
sont  simplement  une  pochade  inoffensive,  qui  a  le  tort  de  com- 
mencer avec  des  allures  de  comédie.  Plus  d'une  scène  y  est  amu- 
sante et  le  public  y  rit.  Le  sujet  en  est  assez  scabreux,  ce  qui  me 
permettra  de  ne  point  vous  le  raconter.  La  troupe,  recrutée  à  la  hâte, 
compte  déjà  de  très  bons  éléments:  MM.  Vois,  Montcavrel,  Kéraval, 
Calvin  fils,  Mmœ  Irma  Aubrys  et  Defoder.  Mlle  Chassaing  a  fait  d'ai- 
mables débuts  qui  nous  promettant  une  coquette  élégante. 

Paul-Émile  Chevalier. 


LE  THÉÂTRE  A  L'EXPOSITION  UNIVERSELLE  DE  1889 


ARCHITECTURE    ET    MACHINERIE    THEATRALES 

(Suite) 

Après  celle-ci  nous  trouvons  une  reproduction  très  remarquable 
de  la  fameuse  Saile  des  Machines,  construite  aux  Tuileries  en  1661, 
pour  les  grandes  fêtes  de  la  cour.  Celte  maquette,  comme  la  précé- 
dente, nous  donne,  non  l'ensemble  complet,  mais  la  coupe  longitu- 
dinale de  ce  théâtre  immense  et  somptueux,  qui  émerveilla  si  foit 
les  contemporains  el  qui  ne  fut  rendu  public  qu'après  quatre-vingts 
ans  écoulés.  C'est  le  célèbre  architecte-peintre-mécanicien  italien 
Vigarani,  qui,  sur  l'ordre  de  Louis  XIV,  l'édifia  pour  les  représen- 
tations des  riches  ballets  dont  ce  prince  était  si  friand  et  dans  les- 
quels on  sait  qu'il  ne  dédaignait  pas  de  danser  en  personne.  On  lui 
donna  le  nom  de  «  Salle  des  Machines,  »  parce  qu'il  avait  été 
aménagé  de  façon  à  produire  les  effets  matériels  les  plus  compliqués 
et  les  plus  surprenants,  et  à  déployer  au  point  de  vue  scénique  une 
magificence  inconnue  jusqu'alors.  Il  fut  inauguré  le  7  février  1662 
par  la  représentation  d'un  opéra  italien  de  Cavalli,  Ercole  amante 
(Hercule  amoureux),  dont  la  splendeur  stupéfia  littéralement  les 
nobles  assistants.  L'abbé  de  Pure  dans  son  livre  :  Idée  des  spectacles 
anciens  et  nouveaux,  publié  en  1668,  a  donné  de  ce  théâtre  une  des- 
cription qu'on  chercherait  vainement  ailleurs;  il  nous  fait  connaître 
ses  vastes  proportions,  et  nous  met  au  courant  des  prodiges  opérés 
par  le  jeu  des  machines: 

Le  corps  de  ta  sale  est  partagé  on  deux  parties  inégales.  La  première 
comprend  le  théâtre  et  ses  accompagnemens.  La  seconde  contient  le  par- 
terre, les  coridors  et  loges,  qui  font  face  au  théâtre,  et  qui  occupent  le 
reste  du  salon  de  trois  cotez,  l'un  qui  regarde  la  cour,  l'autre  le  jardin, 
et  le  troisième  le  corps  du  palais  des  Thuileries. 

La  première  partie,  ou  le  théâtre,  qui  s'ouvre  par  une  façade  égale- 
ment riche  el  artiste,  depuis  son  ouverture  jusqu'à  la  muraille  qui  est  du 
costé  du  pavillon,  vers  les  vieilles  écuries,  a  de  profondeur  vingt-deux 
toises.  Son  ouverture  est  de  trente -deux  pieds  sur  la  largeur,  ou 
entre  les  coridors  et  châssis  qui  régnent  des  deux  coslez.  La  hauteur,  ou 
celle  des  châssis,  est  de  24  pieds  jusques  aux  nuages.  Par  dessus  les 
nuages,  jusqu'au  tiran  du  comble,  pour  la  retraite  ou  pour  le  mouvement 
des  machines,  il  y  a  37  pieds.  Sous  le  plancher  ou  parquet  du  théâtre, 
pour  les  enfers  ou  pour  les  changemens  des  mers,  il  y  a  quinze  pieds  de 
profond. 


C'est  sur  ces  espaces  que  le  sieur  Charles  Vigarany,  outre  plusieurs 
autres  surprenantes  machines,  en  a  fait  marcher  une  de  60  pieds  de  pro- 
fondeur sur  4b  de  largeur,  et  a  eu  la  hardiesse  d'y  porter  toute  la  maison 
royalle,  et  pour  le  moins  S0  autres  personnes  tout  à  la  fois,  avec  autant 
d'estonnement  de  la  facilité  de  ceux  qui  le  permirent  que  d'admiration 
de  l'assurance  de  l'entrepreneur  et  de  la  beauté  de  l'ouvrage  (1.) 

La  seconde  partie,  ou  celle  du  parterre,  qui  est  du  costé  de  l'aparte- 
ment  des  Tuilleries,  a  de  largeur  entre  les  deux  murs  63  pieds,  entre  les 
coridors  49.  Sa  profondeur  depuis  le  théâtre  jusqu'au  susdit  apartement 
est  de  93  pieds  :  chaque  coridor  est  de  six  pieds,  et  la  hauteur  du  par- 
terre jusqu'au  platfonds  est  de  49  pieds.  Ce  platfonds  a  deux  beautez 
aussi  riches  que  surprenantes,  par  sa  dorure  et  sa  dureté.  Celle-cy  est 
toutefois  la  plus  considérable,  quoy  que  la  matière  en  soit  commune  et 
de  peu  de  prix,  car  ce  n'est  que  du  carton,  mais  composé  et  pétry  d'une 
manière  si  particulière,  qu'il  est  rendu  aussi  dur  que  la  pierre  et  que  les 
plus  solides  matières.  Le  reste  de  la  hauteur  jusqu'au  comble,  où  sont 
les  rouages  et  les  mouvemens,  est  de  62  pieds. 

Voilà  pour  les  proportions  et  l'ensemble  de  l'édifice,  et  l'on  voit 
que  la  salle  proprement  dite  était  immense.  La  vue  que  nous  en 
offre  la  superbe  maquette  exposée  au  Champ  de  Mars  nous;  la 
présente  en  effet  comme  grandiose.  La  scène,  de  son  côté,  n'était 
pas  moins  vaste,  ainsi  qu'on  peut  s'en  rendre  compte  par  les  me- 
sures qui  précèdent.  Six  plans  seulement  s'en  trouvent  indiqués 
sur  cette  maquette  ;  mais  on  sait,  à  n'en  pas  douter,  qu'elle  en 
comportait  bien  davantage.  Il  suffira  d'ailleurs,  pour  donner  une 
idée  de  son  étendue,  de  faire  connaître  la  transformation  dont  elle 
fut  l'objet  plus  tard,  c'est-à-dire  lorsqu'après  l'incendie  qui  détrui- 
sit l'Opéra  en  1763,  ce  théâtre  vint  provisoirement,  la  cour  habi- 
tant alors  Versailles,  s'installer  aux  Tuileries  en  attendant  la  re- 
construction de  sa  salle  du  Palais-Royal.  Sur  le  seul  emplacement 
de  la  scène,  Soufflot  et  Gabriel  furent  alors  chargés  d'élever  un 
nouveau  théâtre  qui  comprendrait  la  salle  et  la  scène,  et  celui-ci 
était  encore  assez  vaste  pour  que  les  deux  architectes,  se  confor- 
mant aux  ordres  qui  leur  étaient  donnés,  pussent  reproduire  la 
forme  et  la  distribution  du  théâtre  incendié,  «  afin,  disait  le  Mer- 
cure de  France,  que  les  locataires  des  loges  s'y  retrouvassent  dans 
les  mêmes  positions  sans  qu'il  fût  besoin  de  passer  de  nouveaux 
baux  (2).  »  De  la  salle  spécialement  on  fit  alors  un  vaste  magasin 
qui  servait  à  serrer  et  à  remiser  les  décors  et  ie  matériel.  C'est  ce 
théâtre,  ainsi  refait,  qui,  dès  que  l'Opéra  l'eut  quitté  pour  aller 
s'établir  de  nouveau  au  Palais-Royal  (1770),  fut  occupé  pendant 
dix  ans  par  la  Comédie-Française,  dont  la  salle  commençait  à  me- 
nacer ruine;  c'est  lui  qui.  en  1789,  servit  durant  quelque  temps  à 
l'exploitation  du  nouveau  Théâtre  de  Monsieur;  c'est  lui  enfin  qui, 
de  nouveau  transformé  pour  un  nouvel  usage,  devint  le  siège  de  la 
Convention  lorsque  cette  assemblée  quitta  la  salle  du  Manège,  où 
venaient  de  se  dérouler  les  épisodes  émouvants  du  procès  de 
Louis  XVI. 

Mais  nous  n'en  avons  pas  fini  avec  la  description  de  l'abbé  de 
Pure,  qui  va  nous  donner  quelques  derniers  renseignements  sur  les 
dégagements  et  les  dépendances  de  l'immense  salle  des  Machines  : 

Les  portes  grandes  et  commodes  pour  les  entrées  et  pour  les  issues, 
des  escaliers  pour  aller  aux  coridors.  des  galeries  secrètes  par  où  le  Roy, 
après  avoir  dancé,  peut  se  retirer  dans  sa  loge  pratiquée  au  fonds  de  la 
sale  et  au  point  de  veuë  du  théâtre,  toutes  ces;sortes  de  commoditez, 
dis-je,  n'y  ont  pas  esté  oubliées.  Mais  la  plus  mignonne  et  la  plus  apa- 
rante  est  une  porte  pratiquée  du  costé  de  l'apartement  des  Tuilleries,  et 
qui  rend  dans  une  petite  gallerie  el  ensuite  dans  une  espèce  de  loge  pour 
la  Reine,  où  est  son  haut  dais. 

La  commodité  ne  s'en  peut  exprimer.  Car  outre  que  l'entrée  en  est  par- 
ticulière, la  disposition  en  est  telle  qu'une  princesse  est,  toujours  et  sans 
besoin  de  ses  gardes,  séparée  de  la  foule  par  la  construction  des  grilles 
de  fer  bien  dorées  et  appropriées  avec  tous  les  soins,  toute  l'intelligence 
et  toute  la  magnificence  possible. 

Les  ornemens  n'en  peuvent  point  estre  fidellement  descrits,  car  ceux 
du  théâtre  sont  ebangeans  et  ne  durent  qu'autant  que  les  représentations 
qui  s'y  font.  Les  autres  y  sont  épars  avec  tant  d'art  et  tant  d'agrément, 
qu'il  n'y  a  que  les  yeux  qui  puissent  satisfaire  sur  cette  curiosité.  Je  ne 
puis  toutefois  passer  sous  silence  les  accompagnements  extérieurs  pra- 
tiqués dans  le  pavillon  qui  joint  la  salle,  tant  pour  la  commodité  du 
prince,  quand  il  fait  quelque  balet,  que  pour  celle  de  ses  danceurs.  Car 
il  y  a  de  grandes  salles,  de  belles  chambres,  avec  les  escaliers  dégagez, 
où  le  Roy,  les  princes,  les  dames  peuvent  s'habiller,  et  se  coéffer  séparé- 
ment. Les  danceurs  communs  ont  diverses  chambres  où  ils  peuvent  pla- 

(1)  On  assure  en  effet  que  dans  une  superbe  apothéose,  Louis  XIV  ne 
craignit  pas  de  se  faire  enlever  ainsi  sur  une  «  gloire  »  entourée  de 
nuages. 

(2)  Huit  mois  lurent  employés  à  cette  transformation.  Les  dépenses  s'éle- 
vèrent à  la  somme  de  409,535  livres. 


LE  MENESTREL 


cer  seurement  leurs  mannes  et  leurs  habits,  où  ils  peuvent  changer  selon 
les  diverses  entrées  qu'ils  peuvent  dancer,  sans  crainte  et  sans  embarras, 
et  sans  souffrir  de  froid.  Les  ouvriers  ont  de  grands  et  spacieux  celiers, 
où  ils  peuvent  tout  le  long  de  l'année  travailler  ou  à  des  machines  nou- 
velles, ou  à  la  conservation  des  vieilles.  Les  brodeurs,  tailleurs,  pluma- 
ciers,  peintres,  faiseurs  de  masques  et  autres  ouvriers  nécessaires  ont 
des  galtas  et  tout  l'air,  le  jour  etl'espace  qu'ils  peuvent  désirer  pour  dorer, 
peindre  et  sécher  tous  les  ouvrages  de  leur  façon. 

La  maquette  du  Champ  de  Mars  nous  montre  précisément  la  porte 
dont  l'abbé  de  Pure  fait  un  si  grand  éloge,  et  qui  servait  d'entrée 
particulière  à  la  reine.  Cette  porte  était  surmontée  de  l'écusson 
royal.  Elle  s'ouvrait  sur  un  très  large  espace  vide  qui  s'étendait 
entre  la  salle  et  la  scène,  et  que  la  reine  parcourait  évidemment 
«  séparée  de  la  foule,  »  comme  le  dit  l'écrivain,  pour  aller  joindre 
sa  loge.  Deux  grandes  galeries  entouraient  la  salle  dans  toute  son 
étendue,  supportées  par  une  rangée  de  colonnes  et  situées  à  une 
assez  grande  hauteur  pour  que,  au-dessous  de  ia  première  de  ces 
galeries,  et  en  retrait,  pour  ainsi  dire,  on  vit  sur  chacun  des  côtés 
ainsi  qu'au  fond,  une  sorte  de  petit  balcon  divisé  en  trois  parties, 
qui  semblait  fiché  dans  la  muraille  et  qui  formait  comme  trois 
espèces  de  petites  loges.  Tout  le  reste  de  la  salle  était  occupé  par 
des  banquettes  et  des  gradins  qui,  au  fond,  s'étageaient  en  amphi- 
théâtre et  s'élevaient  jusqu'à  celui  de  ces  balcons  qui  faisait  face 
à  la  sceDe. 

Cette  salle,  d'un  caractère  vraiment  grandiose,  ne  servit  pourtant 
que  pendant  peu  d'années,  et  fut  assez  promplement  abandonnée. 
Il  y  avait  fort  longtemps  déjà  qu'elle  restait  inutile,  lorsqu'en  1738 
le  fameux  architecte  et  peintre  Servandoni,  dont  le  taleut  tout  par- 
ticulier révolutionna  l'art  de  la  décoration  scénique,  obtint  l'auto- 
risation d'y  ouvrir  son  «  Spectacle  eu  décoration,  »  qui  attira  tout 
Paris  et  qui  a  laissé  une  trace  dans  les  annales  du  théâtre  en 
France.  Il  représentait  là  des  pantomimes  accompagnées  de  mu- 
sique, dont  l'action  n'était  guère  qu'un  prétexte,  et  dans  lesquelles 
on  venait  surtout  admirer  la  splendeur  des  décors  et  les  merveilles 
de  la  machinerie.  Vers  1742,  Servandoni  renonça  à  cette  entre- 
prise, puis  la  reprit,  toujours  aux  Tuileries,  depuis  1754  jusqu'en 
1757.  A  partir  de  cette  dernière  date,  il  ne  fut  plus  question  de  la 
salle  des  Machines  jusqu'au  jour  où  elle  fut  transformée,  comme 
je  l'ai  dit  plus  haut,  pour  donner  asile  à  la  Comédie-Française.  On 
a  vu  ce_qu'elle  devint  par  la  suite,  et  que  la  Convention  finit  par 
y  tenir  ses  séances.  Ce  n'est  pas  tout.  Abandonnée  de  nouveau 
après  sa  courte  existence-  politique,  elle  fut  l'objet  d'une  dernière 
transformation."  Sur  son  emplacement,  Napoléon  1er  fit  construire  la 
chapelle  et  le  théâtre  particulier  des  Tuileries,  théâtre  ou,  sous 
son  règne  et  sous  celui  de  Louis-Philippe,  comme  sous  le  second 
empire,  les  artistes  des  scènes  subventionnées  étaient  appelés  assez 
fréquemment  à  donner  des  représentations  devant  le  souverain  et 
ses  invités.  Ce  théâtre  subit  le  sort  du  palais  lui-même  et  disparut 
dans  l'incendie  de  1871.  Les  gros  murs,  que  le  feu  avait  épargnés, 
ne  furent  abattus  qu'en  1873. 

(A  suivre.)  Arthur  Poijgin. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Châtelet,  15°  concert.  —  Comme  partie  purement  orchestrale,  M.  Co- 
lonne a,  de  nouveau,  fait  entendre  la  Symphonie  écossaise  de  Mendels- 
sohn,  dont  l'exécution  a  été  de  tout  point  irréprochable.  Grand  succès 
pour  le  poème  symphonique  de  Mme  Holmes,  Irlande,  qui  est  bien  certai- 
nement l'œuvre  la  plus  remarquable  de  ce  compositeur  distingué.  Il  y 
règne  un  grand  souffle  ;  l'inspiration  est  toujours  élevée  et  les  préoccu- 
pations orchestrales  ne  font  pas  négliger  par  l'auteur  la  pensée  mélodique 
qui  est  l'essence  même  de  la  vie  dans  toute  conception  musicale.  Nous 
n'en  dirons  pas  autant  du  Choral  de  M.  Widor,  qui  est  traité  d'une  façon 
très  sévère,  qui  est  une  œuvre  assurément  de  valeur,  mais  dont  le  motif 
peu  mélodique  ne  comporte  pas  les  eiïets  peut-être  trop  wagnériens  dont 
l'auteur  a  cru  devoir  l'agrémenter.  Le  dernier  numéro  du  programme 
était  rempli  par  la.  délicieuse  suite  de  Bizet,  tirée  de  Carmen.  Bizet  est  là 
ce  qu'il  est  partout  :  un  musicien  consommé,  un  mélodiste  de  premier 
ordre  et  un  coloriste  exquis.  Comme  solistes,  nous  avons  entendu 
Mm"  Krauss  et  le  violoniste  Johannès  Wolff.  M.  Wollf  a  dit,  avec  des 
qualités  de  style  très  réelles  et  d'un  archet  un  peu  lourd,  le  beau  Concerto 
romantique  de  M.  Godard;  M.  Wolff  a  été  surtout  remarquable  dans 
l'adagio  et  le  finale;  la  canzonetta  a  été  accompagnée  d'un  tel  pianissimo, 
qu'à  part  le  contre-sujet  du  hautbois  et  de  la  flûte,  on  n'entendait  pres- 
que rien  de  l'orchestre,  et  que  les  modulations  fines  et  inattendues  qui 
font  le  charme  de  ce  joli  épisode,  l'harmonie  manquant,  perdaient  abso- 
lument de  leur  effet.  M™  Krauss  a  interprété  en  incomparable  artiste, 
comme  toujours,  trois  morceaux  de  styles  absolument  différents,  le  récitatif 


et  l'air  de  la  haine  il'Armide  (Gluck);  le  Rouet  (Schubert),  orchestré  par 
M.  Ambroise  Thomas,  et  un  air  du  Paradis  et  la  Péri  (Schumann).  A  chaque 
morceau  Mmo  Krauss  a  donné  le  style  qui  lui  est  propre,  et  toujours  avec 
la  même  supériorité.  Elle  a  été  l'objet  d'une  longue  et  chaleureuse  ovation. 

II.  Barbedette. 


—  Concerts  Lamoui 
avec  une  précision    r 


■  1 1 x .   —  La  symphonie  en  ut  mineur  a  été   rendue 
goureuse    qui,    en   satisfaisant ,  pleinement  l'esprit, 


laisse  parfois  un  regret,  car  cette  interprétation  matériellement  impecca- 
ble enlève  toute  sensation  d'imprévu  et  a  l'inconvénient,  par  la  recherche 
trop  évidente  des  effets,  de  retenir  l'attention  sur  les  détails  d'exécution 
au  lieu  de  la  laisser  s'arrêter  sur  l'œuvre  dans  son  ensemble. —  La  suite 
pour  orchestre  tirée  i' Esclarmonde  comprend  quatre  morceaux  :  Evocation, 
l'Ile  magique,  Hyménée  et  Dans  la  Forêt.  Ici,  M.  Massenet  semhle  avoir  re- 
noncé au  style  simple  et  aux  harmonies  limpides  et  transparentes  qui 
distinguent  plusieurs  de  ses  compositions  antérieures.  Son  orchestre  est 
plus  chargé  de  dessins  et  devient  parfois  tumultueux,  mais  la  grâce  et  le 
charme  s'y  retrouvent  malgré  tout,  et  certaines  parties  apparaissent  lumi- 
neuses et  clairement  mélodiques.  Le  2e  et  le  3°  morceaux  sont  à  peu  près 
conformes  à  la  partition  que  l'on  joue  au  théâtre;  les  deux  autres  sont 
écrits  sur  des  motifs  dominants  traités  symphoniquement.  Cette  suite  a 
obtenu  un  grand  et  légitime  succès.  M.  Blumer  a  exécuté  le  concerto  en 
mi  bémol  de  Liszt.  Cette  oeuvre  est  une  de  celles  que  le  talent  de  l'inter- 
prète transforme  le  plus.  Tantôt  elle  parait  sèche  et  froide,  tantôt  pleine 
de  chaleur  et  de  vie.  M.  Blumer  possède  un  jeu  d'une  irréprochable  net- 
teté, un  style  clair  et  sobre,  un  nuancé  délicat,  mais  il  ne  tire  pas  du 
concerto  de  Liszt  tout  l'effet  dont  cette  composition  brillante  et  mouve- 
mentée serait  susceptible.  Néanmoins,  il  a  recueilli  de  chaleureux  applau- 
dissements, justifiés  d'ailleurs  par  ses  qualités  de  premier  ordre.  Le 
programme  comprenait  encore  le  trio  des  jeunes  Ismaëliles  de  Berlioz,  le 
prélude  de  Lohengrin  et  l'ouverture  de  Rienzi.  Amédée  Boutarel. 

—  Le  dernier  concert  de  la  Société  nationale  comprenait,  comme  œu- 
vres de  musique  de  chambre,  un  sextuor  pour  instruments  à  cordes  (dédié 
à  J.  Brahms),  de  M.  G.  Alary,  œuvre  estimable,  non  d'une  grande  origi- 
nalité, mais  d'une  facture  souvent  intéressante,  et  le  deuxième  quatuor  de 
M.  Glazounow,  le  jeune  compositeur  russe  dont  les  concerts  de  l'Exposi- 
tion nous  avaient  déjà  fait  connaître  de  si  remarquables  œuvres  orches- 
trales. Ce  quatuor,  dont  toutes  les  parties  ne  sont  évidemment  pas 
également  recommandables,  et  dont  quelques-unes  dénotent  encore 
quelque  inexpérience  (l'œuvre  d'ailleurs  remonte  à  plusieurs  années),  est 
néanmoins  d'une  originalité  rare.  Les  thèmes,  parfois  très  courts,  mais 
toujours  nets  et  précis,  ont  le  plus  généralement  le  caractère  de  la  mé- 
lodie populaire  russe  :  le  scherzo,  composé  de  deux  motifs,  l'un  d'allure 
classique  formant  opposition  avec  le  suivant,  une  mélodie  ravissante  et 
savoureuse  empruntée  sans  doute  à  quelque  chanson  nationale,  est  un 
morceau  excellent;  dans  l'adagio  niolto,  où  sont  parsemées  des  bribes  de 
phrases  mélodiques  que  souvent  l'auteur  ne  prend  pas  la  peine  de  déve- 
lopper, un  Russe  de  mes  amis  disait  reconnaître  des  thèmes  de  chansons 
de  travail  de  son  pays,  chants  de  labour  ou  de  moisson,  et  retrouver  dans 
ce  morceau  comme  une  peinture  musicale  du  mouvement  et  de  la  vie 
des  «  champs  paternels  ».  On  a  chaleureusement  accueilli  l'œuvre  de 
M.  Glazounow,  et  cela  sans  penser  aucunement  à  l'alliance  russe,  ce  qui 
valait  peut-être  mieux.  Les  Djinns,  poème  symphonique  de  M.  César  Franck, 
transcrit  pour  deux  pianos,  et  deux  élégantes  pièces  pour  flûte  de  M.  Ch. 
Lefebvre,  exécutées  par  le  toujours  incomparable  Taffanel,  complétaient 
la  partie  instrumentale  du  concert,  à  la  hauteur  de  laquelle  la  partie 
vocale  ne  fut  pas.  —  Du  concert  précédent,  dont  nous  n'avons  pas  rendu 
compte,  nous  nous  repiocherions  de  ne  pas  signaler  un  quatuor  pour 
piano  et  instruments  à  cordes  de  M.  Vincent  d'Indy,  où  l'on  retrouve  la 
fermeté,  la  sûreté  de  main,  les  tendresses  transcendantes  qui  caractérisent 
jusqu'aux  moindres  productions  du  compositeur.  Il  y  a  notataiment,  dans 
cette  œuvre,  une  ballade  d'un  grand  caractère,  et  dont  le  développement 
est  d'une  magnifique  élévation.  —  Samedi  prochain,  15  février,  aura  lieu 
le  200e  concert  de  la  Société,  à  la  salle  Pleyel,  comme  toujours  depuis 
vingt  ans.  Julien  Tiersot. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  :   Relâche. 

Châtelet,  concert  Colonne  :  symphonie  i'n«(  majeur    n°  1    (Beethoven) 
air  à'Euryanthe  (Weber),  par  Mme   Krauss;    Siegfried-Idyll  (Wagner);  fan- 
taisie pour  piano  et  orchestre  (E.  Bernard),  par  M.    Philipp  ;    suite,    d'or- 
chestre (J.  Garcin)  ;  Prière  d'Elisabeth   de    Tannhâuser    (Wagner)   et    Ode 
de  Sapho  (Gounod),  par  Mmc  Krauss  ;  fragments  de  Carmen  (Bizet). 

Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  :  Ouverture  de  Freischiitz  (Weber) ; 
Lever  du  soleil  (Chaumet)  ;  Suite  d'orchestre  d' Esclarmonde  (Massenet);  con- 
certo pour  violon  (Wieniavvski),  exécuté  par  M.White;  scherzo  du  Songe 
d'une  nuit  d'été  (Mendelssohn)  ;  une  ouverture  pour  Faust  (Wagner);  Pré- 
lude do  Parsifal  (Wagner);  Marche  de  Tannhâuser  (Wagner). 

NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

De   notre    correspondant  de  Belgique,  G  février.  —  La  a  première  »  do 
Salammbii  est  décidément  lixéc  à  lundi  prochain.  C'est,  vous  vous  en  dou- 


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LE  MENESTREL 


tez  bien,  tout  un  événement,  —  un  événement  qui  n'est  pas  unique  à 
Bruxelles  depuis  que  la  Monnaie  est  devenue  le  vrai  Théâtre-Lyrique 
parisien  et  que  la  critique  française  a  pris  l'habitude  de  venir  chez  nous, 
comme  elle  va  à  l'Opéra  et  à  l'Opéra- Comique,  aussi  facilement  et  pres- 
que aussi  souvent.  Je  n'ai  rien,  pour  le  moment,  à  vous  dire  de  l'œuvre 
nouvelle  de  M.  Ernest  Reyer,  dont  je  vous  parlerai  comme  il  convient  la 
semaine  prochaine;  ou  plutôt  il  ne  m'est  pas  permis  de  vous  en  dire 
quelque  chose;  M.  Reyer  n'aime  ni  les  indiscrets  ni  les  indiscrétions. 
Pourquoi  cependant  vous  cacherai-je  que,  non  seulement,  on  s'attend  à  un 
grand  succès,  mais  que  —  je  puis  vous  l'assurer  de  science  personnelle  — 
ce  succès  ne  fait  pas  l'ombre  d'un  doute.  Salammbô  est  une  œuvre  tout  à 
fait  supérieure  et  qui  produira  une  profonde  impression.  Il  n'y  a  donc 
aucune  crainte  à  avoir  à  ce  sujet.  La  direction  de  la  Monnaie  en  a  si 
peu,  du  reste,  elle-même,  que  comptant,  non  sans  raison,  sur  cette  œuvre 
pour  réparer  les  pertes  qu'elle  a  subies  jusqu'à  présent,  elle  a  augmenté 
le  prix  des  places  pour  les  représentations  de  Salammbô.  Cela  fait  crier  un 
peu  le  public,  mais  le  public  viendra...  et  paiera.  C'est  le  principal.  Les 
frais  sont  d'ailleurs  énormes.  Outre  l'engagement  de  Mmo  Caron,  il  a  fallu 
engager  M.  Vergnet  pour  jouer  le  rôle  du  grand  prêtre;  la  mise  en  scène 
sera  superbe,  et  tout  cela  grève  naturellement  le  budget  du  théâtre  de 
dépenses  considérables  que  l'on  espère  couvrir  par  la  susdite  mesure.  — 
Voici,  en  tout  cas,  la  distribution  complète  des  rôles  de  Salammbô  : 
Mathô,  M.  Sellier;  Hamilcar,  M.  Renaud;  Narr'Havar,  M.  Sentein;  Sha- 
haharim,  M.  Vergnet;  Giscon,  M.  Peeters;  Spendius,  M.  Bouvet;  Antha- 
rite,  M.  Challet;  Salammbô,  M"">Garon;  Taanach,  sa  nourrice,  MUe  A.  Wolff. 
Je  n'ai  pas  besoin  de  vous  dire  que  tout  l'intérêt  de  la  semaine  s'est  con- 
centré sur  cette  grande  «  première  »  en  préparation.  I.es  journaux  ne 
parlent  que  de  cela;  on  fait  des  prodiges  pour  obtenir  une  place,  et  il  y 
a  même  des  conférences  sur  Flaubert  et  sur  son  voman  célèbre,  mis  en 
opéra  par  MM.  du  Locle  et  Reyer  :  témoin  celle  qu'a  donnée  l'autre  jour, 
au  Cercle  artistique,  notre  autorisé  confrère,  M.  Gustave  Frédérix,  et  à 
laquelle  assistaient  M.  Ernest  Reyer  et  Mme  Caron,  qui  sont  les  héros  du 
jour.  A  la  Monnaie,  toute  autre  besogne  a  été  délaissée,  même  les  répé- 
titions du  Vaisseau  Fantôme  et  du  Songe  d'une  nuit  d'été,  dont  on  va  pouvoir 
enfin  s'occuper.  —  En  dehors  du  théâtre,  j'ai  à  vous  signaler  deux  inté- 
ressantes séances  musicales  données  par  les  Vingt-un,  cercle  de  peintres 
qui  fait,  à  certains  j  :urs,  de  la  musique  dans  ses  salons  d'exposition.  La 
première  a  été  consacrée  à  la  musique  belge;  on  y  a  applaudi  des  œuvres 
de  MM.  Léon  Jouret,  Kefer,  Aug.  Dupont,  Gilson,  Soubre,  etc.,  et  un  joli 
poème  lyrique  nouveau  de  M.  Emile  Mathieu,  le  Sorbier,  pour  soli  et 
chœurs.  Dans  la  seconde,  on  a  entendu  des  œuvres  très  remarquables  de 
la  jeune  école  française,  notamment  de  M.  Vincent  d'Indy,  qui  dirigeait  la 
séance  et  y  figurait  lui-même  en  qualité  d'exécutant.  Outre  la  Mort  de 
Wallenstein,  les  Tableaux  de  voyage,  un  lied  pour  violoncelle  de  M.  Vincent 
d'Indy,  nous  avons  eu  un  trio  d'A.  de  Castillon,  des  mélodies  de  César 
Franck  et  de  Fauré,  etc.  Tout  cela  a  été  très  goûté,  et  la  jeune  musique 
française  a  remporté  là  une  vraie  victoire.  L.  S. 

—  On  nous  écrit  de  Lisbonne  que  MllB  Marie  Van  Zandt,  après  avoir 
chanté  avec  un  énorme  succès,  au  théâtre  San  Carlos,  Lakmé  et  Mignon, 
vient  d'obtenir  un  triomphe  éclatant  dans  Hamlet,  où  les  acclamations, 
les  ovations  et  les  rappels  lui  ont  été  prodigués.  La  représentation  du 
chef-d'œuvre  d'Ambroise  Thomas  a  été  superbe  d'ailleurs  et  a  produit 
l'impression  la  plus  profonde,  avec  l'aide  surtout  du  talent  de  la  protago- 
niste et  de  l'excellence  de  l'interprétation  générale,  confiée  à  Mm0  Pasqua 
(la  reine),  à  MM.  Menotti  (Hamlet),  Borruchia  et  Paroli. 

—  Nous  avons  annoncé,  d'après  les  journaux  espagnols,  et  sans  pouvoir 
expliquer  le  motif  de  cette  mesure  singulière,  que  le  ténor  Marconi,  ma- 
lade à  Madrid,  était  gardé  à  vue  par  deux  agents  de  la  force  publique. 
Un  de  nos  confrères  italiens  nous  apporte  le  mot  de  cette  énigme.  «  Une 
lettre  de  Madrid,  dit-il,  nous  explique  cette  mystérieuse  arrestation  de 
Marconi  dans  sa  propre  maison.  Il  aurait  voulu,  par  crainte  de  Yinjluenza, 
rompre  le  traité  qui  le  liait  à  la  direction  du  théâtre  ;  mais  celle-ci  qui, 
surtout  après  la  mort  de  Gayarre,  n'aurait  su  où  donner  de  la  tête,  eut 
recours  aux  moyens  extrêmes,  et  obtint  de  la  police  que  la  maison  de 
Marconi,  indisposé  depuis  quelques  jours,  serait  gardée  par  deux  algua- 
zils,  vulgo  gendarmes,  afin  d'éviter  une  fugue.  Une  fois  guéri,  tout  s'ar- 
rangea entre  la  direction  et  Marconi,  qui,  le  fait  ayant  été  divulgué  comme 
on  l'a  vu,  a  joui  sans  le  chercher  du  bénéfice  assez  appréciable  d'une 
forte  réclame.  « 

—  Décidément,  les  Espagnols  n'en  ont  pas  fini  encore  avec  leur  compa- 
triote Gayarre.  Leurs  journaux  nous  apprennent  que  la  municipalité  de 
Pampelune  a  décidé  de  donner  son  nom  à  une  rue  de  cette  ville.  A  quand 
sa  statue? 

—  Le  compositeur  portugais  Augusto  Machado,  auquel  on  doit  déjà 
deux  opéras,  Lauriana  et  les  Doria,  représentés  non  sans  succès  au  théâtre 
San  Carlos  de  Lisbonne,  termine  en  ce  moment  la  partition  d'un  nouvel 
ouvrage  :  Paola  e  Vicenzo,  dont  le  livret  est  tiré  d'un  drame  de  son  com- 
patriote Almeido  Garrett  :  um  Auto  de  Gil  Vicenle. 

—  Changement  de  front.  Après  avoir  obtenu  pendant  plusieurs  années, 
comme  ténor,  de  grands  succès  en  Italie,  M.  Victor  Delilliers,  qui  s'était 
fait  ensuite  imprésario,  puis  professeur  de  chant,  devient  aujourd'hui  notre 


confrère.  La  Rioista  teatrale  melodrammatica,  dont  le  directeur  est  mort  il  y 
a  peu  de  jours,  annonce  en  effet,  en  tète  de  son  dernier  numéro,  qu'elle 
passe  sous  la  direction  de  M.  Victor  Delilliers.  , 

—  Les  Milanais  s'amusent.  Dans  la  soirée  du  Vendredi  gras,  le  compo- 
siteur Rossi  doit  faire  exécuter  par  un  ensemble  de  huit  bandes  musi- 
cales un  «  hymne  »  intitulé  :  il  Risorgimento  del  Camevalone.  Les  auditeurs 
trouveront  peut-être  cela  plus  gai  que  les  Maîtres  Chanteurs,  ou  l'on  trouve 
pourtant  de  véritables  scènes  de  carnaval. 

—  A  Rome,  comme  on  jouait  le  Cid  au  théâtre  Argentina,  Mme  Teodo- 
rini,  l'excellente  cantatrice,  se  trouva  subitement  indisposée  au  commen- 
cement du  troisième  acte,  et  tomba  à  la  renverse  de  toute  sa  hauteur,  en 
présence  du  public.  On  s'empressa  de  la  secourir  et  de  la  porter  dans  sa 
loge,  où  bientôt  elle  reprit  ses  sens.  Elle  put  ensuite  terminer  la  repré- 
sentation   et  reparut  sur  la  scène,  où  le  public  lui  fit  une  véritable  ovation. 

—  On  lit  dans  l'Italie  :  «  On  se  rappelle  que  M.  Sonzogno  a  ouvert  un 
concours  lyrique  pour  trois  opéras  en  un  acte  qui  seraient  représentés  au 
Costanzi.  73  partitions  ont  été  présentées;  le  jury  devait  faire  son  choix 
à  la  fin  de  décembre;  mais,  avec  un  aussi  grand  nombre  d'œuvres  à  exa- 
miner, il  n'a  pu  terminer  encore  son  travail.  En  attendant  nous  apprenons 
une  nouvelle  qui  fait  honneur  à  nos  jeunes  compositeurs  ;  les  examina- 
teurs (MM.  Marchetti,  Platania,  Sgambati,  d'Arcais  et  Galli)  ont  déjà 
déclaré  que  les  partitions  présentées  au  concours  qui  peuvent  être  écar- 
tées à  la  première  lecture  sont  peu  nombreuses  ;  beaucoup,  par  contre, 
méritent  toute  l'attention  du  jury.  Ce  dernier,  après  avoir  choisi  les  huit 
ou  dix  meilleures,  fera  venir  à  Rome  les  compositeurs  et  les  invitera  à 
faire  entendre  eux-mêmes  (pour  mieux  faire  comprendre  leurs  intentions) 
leurs  ouvrages  sur  le  piano.  Ce  n'est  qu'après  cette  expérience  que  l'on 
décernera  les  prix.  Tout  fait  donc  espérer  que  ce  concours  donnera  au 
théâtre  lyrique  italien  quelque  bonne  partition.  » 

—  A  Pesaro,  ville  natale  de  Rossini,  on  a  formé  le  projet  de  restaurer' 
de  fond  en  comble  le  théâtre  qui  porte  le  nom  du  glorieux  maitre,  de 
façon  que  l'inauguration  puisse  s'en  faire  en  1892,  pour  le  centième  an- 
niversaire de  la  naissance  de  l'auteur  du  Barbier  et  de  Guillaume  Tell. 

—  Au  théâtre  du  Corso,  de  Bologne,  on  doit  donner  très  prochainement 
la  première  représentation  d'un  opéra  nouveau  en  quatre  actes,  Pellegrina, 
œuvre  d'un  jeune  compositeur  romain,  M.  Filippo  Clementi,  élève  du 
maestro  Terziani,  qui  en  a  écrit  les  paroles  et  la  musique. 

—  A  Vicence,  la  présidence  du  théâtre  Eretenio  a  songé  à  rendre  un 
hommage  solennel  à  son  compatriote  le  compositeur  Apolloni,  l'auteur  de 
l'Ebreo,  mort  récemment.  A  cet  effet,  et  à  une  date  qui  n'est  pas  encore 
fixée,  il  a  été  décidé  qu'on  exécuterait,  avec  le  concours  gracieux  des 
chanteurs  et  des  artistes  de  l'orchestre,  la  dernière  œuvre  du  compositeur, 
un  Stabat  Mater  qu'il  n'a  pu  achever  complètement,  et  qui  a  été  terminé 
par  deux  de  ses  confrères,  MM.  Lésine  et  Orefice.  On  fera  entendre,  dans 
la  même  séance,  plusieurs  fragments  tirés  de  diverses  autres  œuvres 
d'Apolloni. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —Berlin:  M.  H.  Ernst,  un  des 
chanteurs  les  plus  estimés  de  l'Opéra  royal,  a  demandé  et  obtenu  sa 
retraite,  à  la  suite  de  mauvais  procédés  dont  il  a  été  l'objet  de  la  part 
de  la  direction.  Le  public  et  la  presse  déplorent  vivement  le  départ  de 
M.  Ernst.—  L'opérette  de  M.  Sullivan,  le  Garde  du  roi,  a  dû  quitter  l'affiche 
du  théâtre  Kroll  après  un  très  petit  nombre  de  représentations.  —  Brème: 
Benoenuto  Cellini  de  Berlioz,  a  réussi  de  la  façon  la  plus  brillante  au  théâtre 
municipal.  —  Francfort  :  Une  très  heureuse  reprise  de  l'Étoile  du  Nord  a  eu 
lieu  au  théâtre  municipal,  le  17  janvier.  Mmc  Schrôder-Hanfstângl  a  été 
très  remarquée  dans  le  rôle  de  Gatarina.  Au  même  théâtre  excellente  réus- 
site d'une  opérette  nouvelle,  Monsieur  l'Abbé,  musique  de  M.  Zamara,  livret 
de  MM.  Léon  et  Brackl.  —  Leipzig  :  Après  un  très  long  repos,  Zampa  a 
reparu  au  théâtre  municipal  le  21  janvier  et  conquis  tous  les  suffrages. 
Le  succès  de  M.  A.  Schott,  dans  le  rôle  du  héros,  a  été  particulièrement 
vif.  —  Pesth  :  M^Laura  Hilgermann,  engagée  en  représentation  à  l'Opéra 
hongrois,  a  remporté  dans  Mignon  un  succès  prononcé. — Presbodrg:  L'o- 
pérette Gôdôllo,  musique  de  M.  A.  H.  Mayer,  livret  de  M.  Groos,  déjà 
jouée  au  château  du  comte  Esterhazy,  vient  d'être  transportée  au  théâtre 
municipal  et  a  reçu  du  public  le  meilleur  accueil.  —  Salzbourg  :  Le  théâ- 
tre royal-impérial  vient  d'être  fermé  à  la  suite  de  désastres  financiers.  — 
Vienne  :  A  l'Opéra  on  a  fêté,  le  26  janvier,  le  100°  anniversaire  de  la  pre- 
mière représentation  de  Cosi  fan  lutte,  le  ravissant  opéra  de  Mozart.  Malgré 
son  grand  âge,  cet  ouvrage  n'a  été  donné  en  tout  que  95  fins  à  l'Opéra 
de  Vienne. 

—  Les  artistes  suivants  sont  engagés  au  théâtre  Privé,  de  Moscou,  qui 
doit  donner  pendant  le  carême  une  série  de  représentations  italiennes  : 
soprani,  Mmos  Mei,  Solîritti  et  Pattini  ;  mezzo-soprano,  M""-'  Lubatovich  ; 
ténors,  MM.  Masini,  Figner  et  Masin  ;  barytons,  MM.  Blanchard  et 
Pignalosa;  basse  :  M.   Fabro. 

—  La  Pall  Mail  Gazette  nous  apprend  que  le  compositeur  Edward  Salo- 
mon  s'est  engagé  à  écrire,  pour  le  Lyric  Théâtre  de  Londres,  un  opéra 
nouveau  dont  il  a  dès  à  présent  le  livret  entre  les  mains.  D'autre  part, 
un  autre  artiste,  connu  déjà  par  de  nombreux  succès,  M.  Frédéric  Cowen, 
écrit  en  ce  moment  un  autre  opéra  pour  le  théâtre  Drury  Lane. 


MENESTKEL 


PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Comme  nous  l'avons  dit,  le  13  janvier  dernier,  M.  Poujade,  conces- 
sionnaire des  Grands  Concerts  Favart,  recevait,  en  vue  de  la  reconstruction 
de  l'Opéra-Comique,  un  ordre  ministériel  l'invitant  à  démolir  son  établis- 
sement et  a  à  remettre  les  lieux  en  leur  état  primitif  »  dans  un  délai  d'un 
mois.  Les  travaux  de  démolition  pourtant  ne  sont  pas  encore  commencés, 
l'affreuse  baraque  est  toujours  là,  et  l'on  se  demande  si  tout  cela  Unira 
par  unir.  Voici  quelle  serait  la  situation  à  l'heure  présente  :  à  la  suite 
de  la  faillite  déclarée  des  Concerts  Favart,  les  administrateurs,  après  avoir 
fait  des  démarches  auprès  de  l'Etat  pour  obtenir  une  nouvelle  concession 
qui  leur  a  été  refusée,  ont  complètement  cessé  de  s'occuper  de  l'entre- 
prise, laissanttoute  la  responsabilité  à  M.  Poujade.  De  son  côté,  M.  Poujade 
ayant  négligé  de  faire  quoi  que  ce  soit  en  vue  de  la  démolition,  les  lieux 
se  trouvent  encore  aujourd'hui  dans  l'état  où  ils  étaient  au  moment  de  la 
fermeture.  Il  y  a  quelques  jours  seulement  que  la  direction  des  bâtiments 
civils  s'est  émue  de  cet  état  de  choses  et,  sur  sa  demande,  le  tribunal 
de  commerce  vient  de  rendre  une  ordonnance  de  référé,  invitant  la  direc- 
tion des  domaines  à  procéder  d'office  à  la  mise  en  adjudication.  Les  affi- 
ches vont  être  apposées  d'ici  quelques  jours.  La  mise  à  prix  sera  de  cinq 
à  six  mille  francs,  et  l'acquéreur  devra  prendre  à  sa  charge  la  démolition 
de  l'établissement.  Le  montant  de  la  vente,  déposé  à  la  caisse  des  dépôts 
et  consignations,  sera  tenu  à  la  disposition  du  syndic  de  la  faillite.  Quoi 
qu'il  en  soit,  il  est  bien  certain  que  le  15  février,  malgré  l'ordre  formel 
du  ministre  des  beaux-arts,  les  Concerts  Favart  ne  seront  pas  encore 
démolis. 

—  M.  Ambroise  Thomas  est  parti  jeudi  dernier  pour  sa  villa  Saint- 
Bernard,  à  Hyères,  où  il  va  se  remettre  tout  à  fait  de  l'influenza  bénigne 
qui  ne  l'en  avait  pas  moins  forcé  de  garder  la  chambre  depuis  plus  d'un 
mois.  Quelques  jours  de  soleil  suffiront  pour  nous  le  rendre  aussi  vaillant 
qu'auparavant. 

—  Comme  on  demandait  à  M.  Gailhard  s'il  n'allait  pas  se  rendre  à 
Bruxelles  pour  la  première  de  Salammbô,  il  a  répondu  :  «  Certes  non  ; 
si  c'est  un  succès,  quelle  tête  pourrais-je  bien  y  faire?  Si,  au  contraire, 
c'est  un  insuccès,  j'aurais  l'air  d'y  être  allé  chercher  un  triomphe  per- 
sonnel ;  dans  l'un  et  l'autre  cas,  je  serais  ridicule.  »  M.  Gailhard  est-il 
hien  sûr  de  ne  l'être  pas  quand  même  en  restant  à  Paris  ? 

—  Sait-on  à  combien  revient,  dans  ce  moment,  à  l'Opéra,  l'emploi  des 
contralti?  Tout  juste  à  9,000  francs  l'an,  avec  Mlles  Vidal  et  Domenech. 
Sous  les  directions  Halanzier  et  Vaucorbeil,  les  contralti  revenaient 
à  120,000  francs  environ  par  année.  C'est  peut-être  par  suite  de  cette 
différence  d'appointements  vraiment  exagérée  que  MM.  Ritt  et  Gailhard 
ne  peuvent  pas  trouver  une  artiste  digne  de  leur  Académie  ? 

—  Puisque  nous  avons  donné,  dans  l'un  de  nos  derniers  numéros,  les 
recettes  de  l'Opéra  jusqu'au  10  janvier,  il  peut  être  intéressant  de  com- 
pléter tout  le  mois.  Voici  donc  ces  recettes  en  chiffres  ronds  : 

Lundi  13  Les  Huguenots  12,300  francs. 

Mercredi  15  Roméo  13,300  — 

Vendredi  17  La  Tempête.   —  Lucie  15,300 

Lundi  20  Le  Cid  13,300  — 

Mercredi  22  Coppélia.  —  Lucie  14,100  — 

Vendredi  24  Le  Prophète  15,900  — 

Samedi  25  Faust  8,900  — 

Lundi  27  La  Tempête.  —  Lucie  13,000  — 

Mercredi  29  Le  Cid  12,300  — 

Vendredi  31  Roméo  18,200  — 

—  M.  Lhérie  fera,  dit-on,  cette  semaine,  sa  rentrée  à  l'Opéra-Comique 
dans  Zampa.  D'autre  part,  M.  Paravey,  dans  une  note  officielle  adressée 
à  la  presse,  dresse  ainsi  son  ordre  de  bataille  pour  les  prochains  ou- 
vrages qu'il  va  représenter.  Nous  aurions  d'abord  la  Basoche,  de  M.  Mes- 
sager, avec  MM.  Fugère,  Carbonne,  Grivot,  Mmes  Landouzy  et  Auguez 
pour  interprètes.  Viendraient  ensuite  l'Ondine,  de  M.  Rosenlecker,  chantée 
par  MlleB  Nardi  et  Auguez,  MM.  Taskin  et  Fournets  ;  enfin  le  Dante,  de 
M.  Benjamin  Godard.  Que  vont  dire  les  bons  auteurs  qui  avaient  des 
traités  en  poche,  avec  dédits  stipulés,  pour  les  mois  de  février  et  mars? 

—  Le  17  janvier  dernier,  notre  ami  Marmontel  a  reçu,  par  les  soins 
affectueux  de  M.E.  Guiraud,  un  des  anciens  premiers  prix  de  sa  classe, 
du  temps  de  G.  Bizet,  Cohen,  Thurner,  Wiéniawski,  Planté,  etc.,  etc.,  une 
superbe  lyre  en  bronze,  œuvre  du  sculpteur  nantais  Le  Bourg.  L'éminent 
artiste  s'était  gracieusement  offert  à  traduire  la  délicate  pensée  des  disci- 
ples et  amis  de  Marmontel  en  symbolisant,  par  une  lyre  laur  ée  portant 
gravés  les  noms  desdonateurs,  la  vive  affection  qui  unit  le  vieux  maître  à 
ses  élèves,  aujourd'hui  devenus  des  artistes  célèbres.  Grâce  à  l'initiative  de 
MM.  Weingaertner,  Planté,  Guiraud,  ce  témoignage  d'affection,  ce  souvenir 
artistique  a  été  résolu,  et  l'empressement  des  souscripteurs  a  prouvé 
combien  l'attachement  au  vieux  maître  était  resté  fidèle,  invariable. 
Marmontel  adresse  à  ses  chers  disciples  et  amis  l'expression  de  sa  vive 
reconnaissance  pour  ce  généreux  témoignage  d'affection.  Ce  beau  sou- 
venir est  la  glorification  de  sa  longue  carrière  et  la  plus  belle  récompense 
de  son  dévouement  à  l'art. 

—  M.  Bourgault-Ducoudray,dont  on  vient  d'applaudir  deux  fois  au  Cirque 
d'Eté  l'originale  Itapsodie  cambodgienne,  si  remarquablement  interprétée  par 
l'orchestre    Lamoureux,  a    été  invité  à  se   rendre   à  Orléans  pour  diriger 


ses  compositions  au  concert  populaire  du  H  février.  Toute  la  seconde 
partie  du  concert  sera  consacrée  aux  œuvres  du  compositeur.  On  entendra 
de  lui  :  1"  et  2f  Gavotte,  Menuet,  l'Enterrement  d'0/>fté/<e(piècespourorcheslre), 
les  Goélands,  l'Hippopotame,  mélodies  chantées  avec  accompagnement  d'or- 
chestre par  le  baryton  Auguez,  et  trois  chansons  bretonnes,  dont  l'une, 
V Angélus, procure  toujours  un  éclatant  succès  à  cet  excellent  chanteur.  L'au- 
teur s'est  déjà  rendu  une  fois  à  Orléans  pour  une  répétition  préparatoire: 
il  n'a  eu  qu'à  se  louer  du  talent  et  du  zèle  apporté  à  l'interprétation  de 
ses  œuvres  par  la  Société  des  Concerts  populaires,  fondée  et  dirigée  avec 
tant  de  dévouement  par   M.  J.  Gack. 

—  Avant  que  Salammbô  ait  fait  son  apparition  à  Bruxelles,  annonçona  ls 
publication  d'un  livre  fort  intéressant  relatif  à  son  auteur  et  à  l'œuvre  la  plus 
récente  de  celui-ci  :  la  Légende  de  Sigurd  dans  l'Edda,  l'opéra  d'E.  Reyer  (Paris* 
Fisehbacher,  in-12).  M.  Henri  de  Curzon,  le  jeune  écrivain  très  élégant  et 
très  consciencieux  à  qui  nous  devons  ce  nouveau  livre,  nous  est  déjà 
connu  par  une  excellente  et  très  complète  traduction  annotée  des  Lettres 
de  Mozart,  dont  j'ai  rendu  compte  ici-même  en  en  disant  tout  le  biea 
qu'elle  mérite.  Dans  le  volume  dont  il  est  question  ici,  M.  de  Curzon  s'est 
appliqué  d'abord  à  nous  faire  connaître,  d'après  les  poèmes  Scandinaves 
dont  la  réunion  a  pris  le  nom  à'Edda,  l'origine  septentrionale  de  la 
légende  historique  de  Sigurd,  dont  le  germanisme  s'est  si  bien  emparé 
que  pour  beaucoup  aujourd'hui  elle  semble  lui  appartenir.  Ce  travail  de 
restitution,  fort  habile  et  mené  avec  beaucoup  de  conscience,  fait  le  plus 
grand  honneur  à  l'auteur  et  nous  met  au  courant  de  tous  les  détails  du 
mythe  original,  empreint  tout  à  la  fois  d'une  grandeur  farouche^  et  d'une 
poésie  pénétrante.  Après  cette  étude  si  pleine  d'intérêt  du  sujet  qui  a 
inspiré  la  superbe  partition  de  M.  Reyer,  l'écrivain  se  livre  à  une  analyse 
critique  très  substantielle  et  très  sentie  de  cette  partition  de  Sigurd,  œuvre 
mâle,  savoureuse  et  colorée  à  qui  l'on  ne  reprochera  certainement  pas  de 
ne  pas  être  de  son  temps,  mais  qui  a,  sur  les  drames  lyriques  dont  le 
maitre  de  Bayreuth  a  puisé  l'idée  aux  mêmes  sources,  l'avantage  de  la 
clarté,  de  la  sobriété  et  de  la  concision.  Dans  cette  analyse  très  serrée, 
facilitée  par  la  reproduction  de  nombreux  fragments  du  texte  musical, 
l'auteur  s'efforce  de  mettre  en  relief  le  caractère  mélodique  et  harmonique 
de  l'œuvre,  ses  tendances  esthétiques,  la  saveur  et  la  couleur  de  l'instru- 
mentation, la  façon  dont  les  situations  dramatiques  y  sont  interprétées 
et  comprises,  enfin  les  motifs  typiques  qui  soulignent  ces  situations  et 
personnifient  en  quelque  sorte  les  héros  de  l'action  mise  en  scène.  C'est 
la  une  étude  vraiment  curieuse,  faite  avec  un  grand  sentiment  de  l'art, 
très  «  poussée,  »  comme  on  dit  en  peinture,  et  qui  caractérise  très  exac- 
tement et  de  la  façon  la  plus  heureuse  l'œuvre  si  noble  et  si  fière  de 
M.  Reyer,  ce  bel  opéra  de  Sigurd,  qu'une  direction  infidèle  à  son  mandat 
a  prématurément  et  traîtreusement  enlevée  aux  sympathies  et  aux  jouis- 
sances du  public.  A.  P. 

—  On  annonce,  à  l'Eden-Théàtre,  la  reprise  immédiate  a'Orphée  aux 
Enfers,  avec  M"e  Jeanne  Granier. 

—  Nous  aurons  prochainement,  à  Paris,  une  audition  de  la  Jeanne  d'Arc 
d'Alfred  Holmes.  En  attendant,  la  ville  de  Nancy,  dans  sa  fête  patriotique 
pour  l'inauguration  de  la  statue  de  Jeanne  d'Arc  qui  lui  est  offerte  par 
M.  Osiris,  doit  faire  entendre  cette  œuvre,  dont  l'orchestre  et  les  chœurs 
seraient  dirigés  par  M.  Gluck,  directeur  du  Conservatoire  de  Nancy  ;  le 
rôle  de  Jeanne  d'Arc  sera  chanté  par  Mm0  Krauss,  qui  est  la  seule  canta- 
trice en  France  l'ayant  interprété  jusqu'ici. 

—  L'Association  philanthropique  des  artistes  de  l'Opéra,  fondée  en  183b, 
fera  exécuter  le  jeudi  13  février,  à  onze  heures,  en  l'église  Sainte-Clotilde. 
la  Messe  solennelle  de  M.  Samuel  Rousseau.  Les  soli  seront  chantés  par 
MM.  Faure,  Escalaïs,  Auguez  et  Lambert  des  Cilleuls.  L'orchestre  et  les 
chœurs  seront  dirigés  par  M.  Vianesi. 

—  Le  Cercle  funambulesque  a  repris  cette  semaine  le  cours  de  ses  soi- 
rées si  intéressantes,  si  recherchées,  et  d'un  goût  artistique  si  original  et 
si  fin.  Son  nouveau  spectacle  comprenait  quatre  petites  pièces  :  1°  Arlequin 
opère  lui-même,  comédie  en  un  acte  et  en  vers,  de  MM.  Michel  Carré  et 
P.  Faunay,  malheureusement  un  peu  longue,  et  où  le  vers  libre  aurait  dû 
prendre  la  place  de  l'alexandrin,  trop  lourd  pour  le  genre;  M.  Goneau  a 
montré  beaucoup  d'intelligence  dans  le  rôle  de  Pierrot,  et  M"c  Aumont, 
très  en  beauté,  nous  adonné  une  Colombine  pleine  de  grâce  et  de  finesse  ; 
2°  Colombine  pour  deux,  pantomime  en  un  acte,  de  M.  Henri  Amie,  musique 
de  M.  Pierre  Joret;  ceci  est  une  véritable  et  amusante  arlequinade  à 
l'italienne,  jouée  à  merveille  par  M"c  Félicia  Mallet,  absolument  excellente 
sous  le  pourpoint  bariolé  d'Arlequin,  M,uc  Dathènes,  d'un  comique  plein 
de  grâce  et  d'esprit  dans  le  rôle  de  Colombine,  et  M.  Schutze,  un  Pierrot 
idéal,  qui  semble  avoir  retrouvé  la  tradition  des  maîtres  du  genre; 
3°  En  bonne  fortune,  pantomime  en  deux  tableaux,  de  M.  Théodore  Massiac, 
musique  fort  agréable  de  M.  Laurent  Grillet;  ici,  nous  sommes  en  pré- 
sence d'une  adaptation  moderne  et  mondaine  de  la  pantomime  :  Pierrot 
est'un  homme  du  monde,  qui  rencontre  au  bal  une  jeune  femme  à  la 
fois  charmante  et  légère,  qui  l'invite  à  souper,  qui  l'emmène  dans  un 
cabinet  particulier  et  qui...  Mais  il  suffit  de  savoir  que  l'idée  de  la  pièce 
est  ingénieuse,  qu'elle  est  traitée  avec  goût  et  discrétion,  ot  surtout  jouée 
à  ravir  et  avec  beaucoup  d'esprit,  pour  les  deux  rôles  principaux,  par 
M.  Eugène  Larcher  et  Mllc  Ellen  Andrée,  dont  la  beauté  élégante  a  fait 
sensation;  4"  la  Révérence,  pantomime  en  un  acte,  de  M.  Le  Corbeiller, 
musique  spirituelle,  fine  et  charmante  de  M.   Paul  Vidal.  Très  amusante 


48 


LE  MÉNESTREL 


aussi,  cette  aimable  Révérence,  et  d'un  très  bon  sentiment  comique;  elle 
nous  a  surtout  donné  l'occasion  d'admirer  le  jeu  intelligent,  très  expert 
et  plein  d'esprit  de  Mlle  Jane  May  dans  le  rôle  de  Golombine,  qui  lui  a 
valu  un  très  grand  succès  ;  Pierrot,  cette  fois,  c'était  M.  Tarride,  et 
Arlequin  M.  Eugène  Larcher,  tandis  que  Cassandre  était  joué  par 
M.  Chautard;  l'ensemble  de  l'interprétation  était  excellent.  En  somme, 
soirée  exquise  et  spectacle  charmant.  A.  P. 

—  Les  acteurs  du  Grand-Théâtre  de  Nantes,  réunis  en  société,  comme 
nous  l'avons  dit,  à  la  suite  de  la  déconfiture  de  M.  Poitevin,  viennent  de 
recevoir  et  répètent  activement,  dit-on,  un  ballet-pantomime  inédit  en 
deux  tableaux,  de  M.  Thomas  Maisonneuve,  musique  de  M.  Adolphe 
David.  Pour  ce  ballet  qui  a  pour  titre  Pierrot  surpris,  on  se  met  en  frais 
d'un  nombre  considérable  de  costumes  nouveaux. 

—  On  nous  écrit  de  Lille  que  dimanche  dernier  a  eu  lieu  à  l'Hippo- 
drome le  troisième  grand  concert  populaire,  sous  la  direction  de  M.  Paul 
Martin.  Au  programme  figuraient  les  noms  d'une  Lilloise,  M"0  Marthe 
Baude,  et  d'une  jeune  et  charmante  Américaine,  Mllc  Nina  Burt.  Le  public 
leur  a  fait  fête  à  toute  deux. 

—  Mme  Ed.  Colonne  a  donné  le  Ie1'  février  une  matinée  charmante,  dans 
laquelle  on  a  entendu  les  élèves  de  son  cours.  Le  programme  comprenait 
un  heureux  mélange  d'oeuvres  classiques  et  de  compositions  modernes, 
avec  deux  intermèdes,  l'un  par  M.  Remy,  qui  a  joué  deux  pièces  de  Bach 
et  de  Leclair  pour  violon,  l'autre  par  M.  Jean  Rameau,  qui  a  dit  des 
poésies  dont  il  est  l'auteur.  Les  élèves  de  Mme  Colonne  ont  chanté  avec 
beaucoup  de  charme  et  ont  su  interpréter  avec  une  grande  délicatesse  de 
nuances  les  morceaux  qu'elles  avaient  choisi.  La  plupart  disent  fort  bien 
et  articulent  purement.  Nous  avons  particulièrement  remarqué  M"e  de 
Montalant,  Mlle  Delorne,  Mme  de  Berny,  Mlle  Leclerq,  Mme  Martinez. 

Am.  B. 

—  La  société  chorale  d'amateurs  Eulerpe  a  donné  lundi  dernier,  avec 
le  concours  de  MM.  Warmbrodt  et  Auguez  et  de  Mmes  Colombel  et 
Devisme,  la  première  audition  à  Paris  du  Requiem,  de  Schumann. 
L'œuvre  a  produit  sur  l'assistance  une  impression  très  vive  par  le  senti-, 
ment  concentré,  sombre  et  profondément  triste  qui  s'en  dégage,  par  l'in- 
tensité de  l'expression  musicale  et  par  l'étrange  fascination  de  certains 
rythmes.  L'exécution  a  été  excellente.  h'Euterpe  a  fait  entendre  dans  la 
même  soirée  le  finale  de  Loreley,  de  Mendelssohn,  et  la  marche  de  Tann- 
hduser.  M.  Auguez  a  chanté  un  air  de  la  Lyre  et  la  Harpe,  de  M.  Saint- 
Saëns.  Am.  B. 

—  Très  intéressante  audition  d'élèves  donnée  au  cours  de  MUIC  Fabre. 
Citons,  parmi  les  jeunes  filles  les  plus  applaudies,  M,les  Marthe  et  Marie- 
Thérèse  Bertrand,  Jeanne  Boas,  Marguerite  Boussac,  Gabrielle  de  Séve- 
lingës,  Gabrielle  Fallek  et  surtout  MUe  Alice  Petitnicolas,  excellente 
musicienne,  très  remarquée  et  très  applaudie.  M.  Léon  Delafosse  a  ter- 
miné la  séance  de  la  façon  la  plus  brillante  avec  la  Valse  hongroise  et 
l'Allégretto  pastoral,  de  M.  Théodore  Lack^  On  a  beaucoup  apprécié  également, 
du  même  auteur,  le  Chant  du  ruisseau  et  la  Sicilienne-Caprice,  ainsi  que  sa 
belle  transcription  pour  deux  pianos  du  ballet  Sijloia,  de  Léo  Delibes.  Au 
programme  encore  divers  morceaux  de  M.  Francis  Thomé  et  de  MUj  Cha- 
minade. 

—  Mardi  dernier,  salle  Erard,  intéressante  soirée  musicale  donnée  par 
M"*  Jeanne  Meyer,  violoniste,  et  M"e  Wassermann,  pianiste.  Mmc  Meyer, 
qui  est  à  la  fois  une  artiste  de  mérite  et  un  excellent  professeur,  s'est 
fait  entendre  dans  deux  morceaux  très  périlleux,  la  sonate  en  la  mineur 
de  Schumann  et  le  rondo  de  Schubert.  Le  premier  morceau,  qui  est  d'une 
grande  élévation  de  pensée  et  renferme  une  adorable  canzonelta,  est  écrit 
dans  une  tonalité  sourde  qui  n'est  pas  favorable  au  violon;  le  second 
renferme,  à  côté  de  beautés  de  premier  ordre,  des  modulations  brusques, 
des  passages  heurtés  qui  constituent  une  grande  difficulté  pour  l'exécu- 
tant. Mmc  Meyer,  parfaitement  secondée  par  son  partenaire,  a  exécuté  les 
deux  oeuvres  avec  une  maestria  irréprochable.  Elle  a  non  moins  bien 
rendu  la  Polonaise  de  "Wicniawski.  Mllc  Wassermann  a  été  particulière- 
mont  remarquée  dans  une  Gigue  de  Hiendel  et  dans  la  Valse  Caprice  de 
Liszt.  M.  Warmbrodt  nous  a  fait  connaître  une  belle  œuvre  que 
nous  croyons  inédite,  le  Cantique  des  cantiques  de  M.  René  de  Boisdell're. 
En  somme,  charmant  concert  et  joli  succès.  —  H.  B. 

—  Nous  sommes  un  peu  en  retard  avec  l'intéressante  matinée  de 
Mmj  Gallet,  un  vrai  concert  de  musique  historique,  commençant  par  un 
chant  latin  populaire  du  XII1'  sicle  etja  jolie  cantilène  du  jeu  de  Robin 
et  Marion  d'Adam  de  la  Halle:  Robin  m'aime,  Robin  m'a,  etc.,  pour  finir 
à  Lully.  Un  chœur  d'Orlando  de  Lassus  :  Vigne,  vignolet,  a  été  chanté 
d'une  façon  remarquable,  et  la  Pavane  (auteur  inconnu),  du  milieu  du 
XVIe  siècle,  a  été  bissée  avec  acclamation.  Deux  anciennes  chansons  tirées 
des  Voix  de  ville,  volume  rarissime  publié  parChardavoine  en  1575,  ont  été 
fort  goûtées,  autant  pour  leur  caractère  original  que  par  la  façon  charmante 
ilonl  elles  ont  été  interprétées  par  Mme  la  comtesse  Mniszech  et  le  chœur. 
Une  autre  chanson,  du  temps  de  Louis  XV,  celle-là:  Aime-moi  bergère,  a 
été  soupirée  avec  beaucoup  de  sentiment  par  M.  Félix  Lôvy,  un  ténor  ama- 
teur bien  connu;  M.  Damât,  autre  amateur  doué  d'une  belle  voix  de  basse, 
nous  a  fait  entendre  l'air  deCaron  dans  l'A  Iceste  de  Lully ,  applaudi  comme 
aux  concerts  du  Conservatoire.  Enfin  la  maîtresse  de  la  maison,  M1""  Galle t] 


a  chanté  un  air  ravissant  de  la  partition  d'Amadis,  également  de  Lully; 
un  goût  délicat,  une  diction  pure  et  un  charmant  sentiment  musical,  ont 
fait  redemander  ce  morceau.  La  soirée  s'est  terminée  avec  Chantons  victoire  I 
du  Judas  Macchabée  de  Hœndel.  Ce  programme  curieux  avait  été  dresse 
par  M.  Weckerlin,  qui  en  a  dirigé  l'exécution  à  la  grande  satisfaction  de 
la  nombreuse  assemblée. 

—  La  matinée  donnée  dimanche  par  M.  Ferd.  Maunier  a  été  très  bril- 
lante. Une  vingtaine  de  ses  élèves  ont  montré  les  résultats  produits  par 
la  lecture  à  vue  pendant  la  moitié  de  la  leçon  de  musique  nouvelle  choisie 
et  graduée  par  le  professeur.  Un  charmant  concert,  dans  lequel  se  sont 
fait  entendre  plusieurs  artistes  de  nos  principaux  théâtres,  a  terminé  celle 
intéressante  séance. 

—  Vendredi  prochain,  14  février,  M.  Bisler,  le  brillant  premier  prix  de 
piano  de  cette  année  au  Conservatoire,  donnera  un  concert  à  la  salle 
Pleyel,  avec  le  concours  de  MUe  Hollebeke  et  de  MM.  Louis  Diémer, 
Dumoulin  et  Staub. 


NÉCROLOGrIE 


Nous  avons  le  regret  d'apprendre  la  mort,  dans  toute  la  force  de  la 
jeunesse,  d'un  de  nos  meilleurs  confrères  de  province  et  des  plus  juste- 
ment appréciés,  M.  Pradelle,  critique  musical'  et  littéraire  du  Sémaphore 
de  Marseille. 

—  Un  artiste  dont  il  a  été  parlé  dans  ces  derniers  temps  et  qui,  quoique 
étranger,  avait  eu  à  Paris  son  moment  de  quasi  célébrité  —  il  y  a  qua- 
rante ans!  —  Giuseppe  Daniele,  est'mort  mercredi  dernier  à  l'hospice 
Saint-Joseph.  Giuseppe  Daniele,  Italien,  comme  son  nom  l'indique,  était 
venu  fort  jeune  à  Paris,  et  s'y  était  fait  aussitôt  une  sorte  de  situation. 
C'était  au  lendemain  de  la  révolution  de  février,  à  l'époque  de  la  grande 
vogue  du  Chàteau-des-Fleurs  et  du  Jardin  d'Hiver,  deux  superbes  établis- 
sements de  concerts  et  de  bals,  situés,  l'un  et  l'autre,  dans  le  haut  des 
Champs-Elysées.  C'est  dans  l'un  de  ces  établissements  que  Daniele  de- 
vint chef  d'orchestre,  s'y  faisant  une  réputation,  y  faisant  exécuter  sa 
musique  et  publiant  nombre  de  quadrilles,  polkas  et  autres  morceaux 
de  danse.  Par  quel  mystère  déchut-il  si  rapidement  et  si  complètement 
de  cette  situation?  Toujours  est-il  qu'au  bout  de  quelques  années  il  en 
fut  réduit  au  rôle  de  simple  musicien  d'orchestre,  et  qu'en  ces  derniers 
temps,  le  pauvre  artiste,  vieilli,  usé,  souffrant,  n'avait  d'autre  ressouce, 
pour  lui  et  sa  femme,  qu'un  modeste  emploi  de  contrebasse  dans  un  de 
nos  plus  modestes  théâtres.  Puis,  il  y  a  quelques  mois,  vint  la  maladie 
qui  devait  se  terminer  d'une  façon  funeste. 

—  Un  ancien  chanteur  dramatique,  Arthur  Byron,  qui  s'était  fait  en- 
tendre avec  quelque  succès  en  Italie,  notamment  au  théâtre  dal  Verme 
de  Milan,  dans  Gioconda  et  l'Africaine,  et  .  qui  s'était  ensuite  établi  à 
Londres,  comme  professeur  de  chant,  n'avait  pas  fait  fortune  en  cette 
ville,  paraît-il,  car  il  vient  d'y  mourir  à  l'hospice. 

—  C'est  encore  à  l'hospice  qu'est  mort,  à  New-York,  des  suites  d'une 
atteinte  à'-in/luenza,  un  musicien  italien,  Alessandro  Fontana,  qui  était 
contrebasse  dans  un  des  théâtres  de  cette  uille. 

Henri  Heijgel.  directuur-gei ant 

—  Le  Maire  de  la  ville  de  Rouen  a  l'honneur  de  porter  à  la  connais- 
sance des  intéressés  que  la  direction  du  Théâtre  des  Arts  sera  vacante  à 
partir  du  5  mai  189U.  Les  demandes  relatives  à  l'exploitation  de  ce  théâtre 
sont  reçues  dès  à  présent  à  la  mairie. 

—  Vient  de  paraître  chez  Mathieu  fils,  éditeur,  ru 3  Labruyère,  20,  deux 
morceaux  pour  piano,  de  Mmc  Delacour-Bonnamour  :  Gavotte-Blanche  et 
Variations  sur  l'air  de  la  Mère  Michel.  Ces  deux  intéressantes  compositions 
sont  appelées  à  un  véritable  succès. 

—  Cours  parisiens  de  musique  et  de  déclamation.  —  Sous  ce  titre  :  Cours 
parisiens,  il  vient  de  se  former  une  Association  de  professeurs  ayant  pour 
objet  l'enseignement  du  piano,  du  violon,  de  l'accompagnement,  du  solfège, 
de  l'harmonie,  du  chant,  de  l'opéra,  de  l'opéra-comique  et  de  la  décla- 
mation. Ces  cours  ontlieu  dans  les  salons  Flaxland,  48,  rue  deChâteaudun, 
où  les  inscriptions  sont  reçues  dès  à  présent.  Les  Cours  parisiens  se  ter- 
mineront chaque  année  par  un  concours  jugé  par  des  notabilités  artisti- 
ques. —  Noms  des  professeurs:  Piano:  M"cs  Marguerite  Balutet,  Hélène 
Collin,  Jeanne  de  Gentile,  M.  Edouard  Chavagnat;  —  Violon:  M"»  Laure 
Le  Tourneux;  —  Cours  d'ensemble  et  Harmonie  :  M.  Le  Tournera;  — 
Soli'ègç,  Transposition:  M"e  Aline  Papillaud;  —  Chant,  Opéra,  Opéra- 
Comique:  M.  Genevois;  —  Déclamation:  M.  Sadi-Pety. 

—  UN  PIANISTE  fort  exécutant  et  compositeur,  est  demandé  pour, 
en  dehors  des  autres  avantages,  exploiter  un  brevet,  sans  aucun  risque 
pour  lui,  tout  en  partageant  avec  l'inventeur  les  bénéfices,  qui  peuvent 
être  incalculables. 

S'adresser,  l'i,. rue  Saint-Lazare.  Paris,  à  M.  RaSSAERTS. 


—  IHPIUHEIUE  C.HAIX.  —  I 


,  20, 


3070  —  S6me  ANNEE  —  N°  7. 


Dimanche  16  Février  1890. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs. 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement, 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Théâtre  Royal  de  la  Monnaie:  Salammbô,  opéra  en  5  actes  et  7  tableaux  de 
M.  Ernest  Reyer,  paroles  de  M.  Camille  du  Locle,  d'après  Flaubert,  Lucien 
Solvay.  —  II.  Bulletin  théâtral  :  A  l'Opéra,  H.  M.  ;  première  représentation  de 
Nos  Jolies  Fraudeuses,  aux  Nouveautés,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Le  théâtre 
à  l'Exposition  (17°  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Revue  des  Grands  Concerts. 
—  V.  Nouvelles  diverses.  —  VI.  Nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

GIGUE 

par  André  Wormser.  —  Suivra  immédiatement:  Chants  du  Tyrol,  nouvelle 
polka-mazurka  de  Heinrich  Strobl. 

CHANT 
Nous  publierons   dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant  :  Espoir  en  Dieu,  nouvelle  mélodie  de  J.  Faure,  poésie  de  Victor 
Hugo.    —   Suivra  immédiatement  :   Fleur   de   neige,   nouvelle    mélodie  de 
Amrroise  Thomas,  poésie  de  Jules  Barbier. 


THEATRE   ROYAL    DE    LA    MONNAIE 


SALAMMBO 

éra  en  5  actes  et  7  tableaux  ;  paroles  de  M.  Camille  du  Locle. 
musique  de  M.  ERNEST  REYER 


Bruxelles,  13  février. 

MM.  Ritt  et  Gailhard  ont  eu  le  nez  fin  en  restant  à  Paris, 
lundi  dernier.  Ils  se  sont  épargné  une  cruelle  amertume, 
celle  de  voir,  une  fois  encore,  le  public  enthousiaste  accla- 
mer une  œuvre  par  eux  dédaignée.  Ces  amertumes-là,  il  est 
vrai,  commencent  à  ne  plus  compter  dans  leur  existence; 
ils  doivent  y  être  habitués.  N'importe  ;  ils  ont  bien  fait  de 
se  cacher:  ils  auraient  trop  souffert.  On  me  dit  que 
M.  Gailhard  viendra  celte  semaine,  à  Bruxelles,  incognito, 
quand  il  n'y  aura  presque  plus  de  Parisiens  dans  la  salle. 
Peut-être  se  fera-t-il  raser,  ou  mettra-t-il  une  perruque.  Nous 
le  lui  conseillons.  Sa  souffrance  sera  tout  aussi  vive,  mais  du 
moins  elle  sera  peu  remarquée. 

Mes  prévisions  ne  m'avaient  pas  trompé.  Salammbô  a 
remporté  un  succès  considérable,  et  elle  est  digne  en  tous 
points  de  l'auteur  de  Siyurd.  Très  différente  de  cette  dernière 
œuvre  comme  sentiment  et  même,  çà  et  là,  comme  facture, 
elle  en  constitue  cependant  la  suite  logique;  elle  la  continue 
et  la  complète.  On  peut  préférer  Siyurd  au  point  de  vue  du 
pittoresque  ou  de  l'éclat;  on  ne  peut  méconnaître  la  supé- 
riorité de  Salammbô  au  point  de  vue  de  l'unité  de  concep- 
tion, de  l'affirmation  des  tendances  encore  indécises  dans  la 


première,  et  de  la  personnalité  artistique  de  l'auteur.  Loin 
d'abandonner  la  voie  où  il  s'était  engagé,  celui-ci,  au  con- 
traire, y  pénètre  entièrement  et  décidément.  Sa  volonté  de 
tenter  un  compromis  entre  l'art  français  ancien  et  l'art  alle- 
mand nouveau,  de  réaliser  un  art  de  transition,  où  les 
vieilles  qualités  de  la  race  gauloise,  maintenues  intactes, 
pussent  se  retremper  dans  une  forme  plus  jeune  et  plus 
moderne,  trouve,  dans  Salammbô,  son  expression  bien  nette 
et  bien  arrêtée.  Que  cette  expression  soit,  pour  parler  comme 
les  philosophes,  le  suprême  desideratum  de  l'art  lyrique  con- 
temporain, certes  non.  Mais  le  pas  est  énorme  et  le  résultat 
obtenu  incontestable. 

Le  choix  du  sujet  n'était  pas  indifférent  à  la  tentative.  Le 
radieux  roman  de  Gustave  Flaubert  avait  déjà  séduit  plus 
d'un  musicien.  Berlioz  s'en  était  épris,  et,  quoi  qu'on  en  ait 
dit,  Flaubert  ne  se  refusait  nullement  à  livrer  son  œuvre  aux 
mains  tripatouilleuses  des  librettistes.  Mais  ce  qui  avait  sé- 
duit l'auteur  de  la  Damnation  de  Faust,  l'admirable  richesse 
descriptive  du  livre,  sa  couleur  intense  et  son  mouvement 
superbe,  n'ont  pas  été,  j'imagine,  ce  qui  a  surtout  captivé 
M.  Ernest  Reyer  quand,  plus  heureux  que  son  devancier, 
Salammbô  est  devenue  son  bien.  Le  caractère  hiératique  et 
légendaire  du  sujet,  ces  héros  pareils  aux  Dieux,  ce  voile  sa- 
cré, le  Zaïmph,  frère  du  Saint-Graal,  toute  cette  terreur  mys- 
térieuse et  le  charme  presque  symbolique  qui  planent  sur  le 
drame  et  l'enveloppent  d'une  atmosphère  surhumaine,  de- 
vaient, bien  plus  encore  que  ces  attraits  extérieurs  et  maté- 
riels, servir  la  pensée  du  maître,  comme  l'avait  déjà  servi 
précédemment  la  légende  eddique  de  Sigurd.  Et  il  est  un 
fait  curieux  à  constater,  c'est  que  les  pages  les  plus  réussies 
de  sa  partition  sont  précisément  celles  où  ce  caractère  se 
développe  à  l'aise,  où  il  a  pu  s'élever  et  donner  à  son  ins- 
piration son  plus  libre  accent.  Quand  le  sujet  le  force  à  re- 
prendre terre,  par  suite  des  nécessités  du  livret,  il  faiblit; 
et  ce  sont  les  situations  les  plus  banales  qui  le  trahissent  le 
plus. 

Salammbô  est  donc,  me  direz-vous,  un  drame  wagnénen? 
Oui  et  non.  Et  c'est  là  sa  véritable  portée.  C'est  du  drame 
lyrique,  dans  toute  l'acception  du  mot,  —  du  drame  lyrique 
dans  la  forme  générale  telle  que  l'a  voulue  Wagner ,  mais 
telle  aussi  que,  bien  avant  lui,  la  comprenaient  Gluck  et  Spon- 
tini, —  cherchant  toute  sa  puissance  d'expression  dans  la  jus- 
tesse de  la  parole  déclamée,  revêtue  des  grâces  d'un  dessin 
mélodique  continu  et  logique,  et  ne  la  cherchant  que  là  seu- 
lement. Plus  d'airs,  ni  de  duos,  ni  d'ensembles  proprement 
dits;  les  anciennes  formes  sont  abolies,  mais  non  le  rythme, 
la  construction  de  la  phrase,  le  chant,  quand  les  circons- 
tances l'exigent;  tout  est  laissé  au  sentiment  exact  des  situa- 
tions, sans    qu'aucun  élément  parasite  vienne   les    retarder 


50 


LE  MENESTREL 


ou  les  contrarier.  Certes,  bien  d'autres  que  M.  Reyer  avaient 
essayé  ce  système  avant  lui,  et  non  pas  seulement  les  derniers 
venus,  mais  aussi  plusieurs  parmi  les  plus  anciens  ;  mais  aucun 
ne  l'avait  appliqué  aussi  résolument,  en  faisant  le  sacrifice 
volontaire  de  tous  les  gros  effets,  de  toutes  les  fins  de  pé- 
.  riodes,  de  toutes  les  scènes  où  s'indique  l'appel  des  applau- 
dissements. 

Le  rôle  de  l'orchestre  dans  le  drame  lyrique  de  Gluck  est 
un  rôle,  en  général,  purement  passif;  l'orchestre  y  est 
l'humble  serviteur  de  la  voix.  Chez  Wagner  il  devient,  sinon 
le  maître,  du  moins  l'égal  de  la  parole  humaine.  Il  exprime, 
comme  elle  et  autant  qu'elle  ;  et  la  voix  s'abaisse  parfois  à  n'être 
qu'un  simple  instrument.  Dans  Salammbô,  M.  Reyer  donne  à 
l'orchestre  un  rôle  en  quelque  sorte  intermédiaire  entre  celui 
que  lui  donne  Gluck  etcelui  que  lui  assigneWagner.lt  n'est  pas 
esclave,  et  il  n'est  pas  souverain.  Peut-être  même  abdique-t-il 
plus  qu'il  ne  devrait;  peut-être,  par  crainte  de  trop  emprunter 
au  système  wagnérien,  M.  Reyer  lui  emprunte-t-il  trop  peu. 
L'emploi  discret  de  leitmolive,  répétés  plutôt  que  transformés, 
comme  un  fil  conducteur  qui  relie  toutes  les  parties  de 
l'œuvre  et  aide  à  son  unité,  est  à  peu  près  tout  ce  qu'il 
consent,  pour  son  orchestration,  à  accepter  de  ce  système.  La 
polyphonie,  dirait-on,  lui  fait  peur.  Ses  harmonies  sont  presque 
continuellement  d'une  simplicité  qui  frise  la  nudité  ;  elles 
savent  être  élégantes,  mais  elles  perdent  à  vouloir  atteindre 
l'éclat;  alors,  elles  deviennent  bruyantes  ;  on  les  souhaiterait 
plus  nourries  et  plus  curieuses  ;  et,  avec  plus  d'intérêt,  elles 
n'en  auraient  pas  moins  de  sobriété.  Sous  ce  rapport,  l'œu- 
vre, malgré  ses  tendances  si  avancées,  retarde  évidemment. 
Est-ce  parti  pris  ou  impuissance  ?  Je  ne  sais.  Il  y  a  peut-être 
de  l'un  et  de  l'autre.  Et  cela  ne  laisse  pas  que  de  faire  re- 
gretter dans  cette  partition,  si  forte  et  si  éloquente  d'ailleurs, 
l'absence  d'une  saveur  d'art,  d'un  ragoût  de  facture  jeune  et 
vivace,  qui  l'auraient  faite  plus  séduisante,  sans  la  faire  pour 
cela  moins  personnelle. 

Mais,  je  me  hâte  de  le  dire,  ce  regret  est  le  seul  qu'inspire 
sérieusement  Salammbô.  Le  souffle  de  Gluck  a  réellement 
passé  dans  certaines  pages,  tour  à  tour  puissantes,  magnifi- 
ques et  charmantes  ;  ce  sont  les  plus  nombreuses  ;  et  s'il  en 
est,  à  côté  de  celles-là,  d'inégale  valeur,  il  n'en  est  guère 
qui  ne  se  distinguent  par  la  même  sincérité  d'accent  et  la 
même  probité  artistique  dont  l'ouvrage  est  empreint,  tout 
entier,  profondément. 

Il  n'a  peut-être  pas  tenu  à  M.  Reyer  seul  que  cet  ouvrage 
ne  fût  encore  meilleur.  Si  quelqu'un  doit  porter  la  peine  de 
quelques  relatives  défaillances/  c'est  le  librettiste,  M.  Camille 
du  Locle.  Son  châtiment,  du  reste,  il  l'a  cherché.  Le  jour  où 
il  a  assumé  la  lourde  tâche  de  mettre  en  pièce  le  roman  de 
Flaubert,  il  savait  d'avance,  je  suppose,  les  malédictions 
dont  il  allait  être  l'objet.  Toucher  à  un  chef-d'œuvre  litté- 
raire, le  réduire  en  rimes  françaises,  couper,  trancher,  tra- 
vestir quelquefois,  mettre  tout  cela  au  goût  du  parterre,  cela 
entraine  à  de  rudes  responsabilités.  Il  faut  être  bien  habile 
pour  y  échapper.  M.  du  Locle  l'a  été  autant  qu'il  lui  était 
possible,  et  il  n'y  a  tout  de  même  pas  échappé.  Transporter 
sur  la  scène  ce  rêve  formidable  de  Salammbô,  sans  faiblir, 
il  n'y  fallait  pas  songer.  Tout  au  plus  pouvait-on  essayer  d'y 
transporter  quelque  chose,  l'affabulation,  l'amour  du  merce- 
naire Mathô  pour  l'héroïne,  traversé  d'un  peu  du  mouvement 
qui  grouille  dans  l'œuvre  originale  et  éclairé  d'un  pâle  reflet 
de  la  lumière  qui  l'inonde.  C'est  ce  qu'a  fait  M.  du  Locle, 
consciencieusement,  avec  un  respect  .  timide,  modifiant  à 
peine  deux  ou  trois  épisodes,  faisant  de  la  fille  d'Hamilcar 
une  amoureuse  suffisamment  théâtrale  et  du  sauvage  Mathô 
un  amant  suffisamment  passionné,  laissant  dans  l'ombre  la 
jalousie  de  Narr'Havas,  et  rapetissant  le  cadre  du  drame  aux 
nécessités  de  la  scène  et  à  la  division  traditionnelle  des  cinq 
actes  d'opéra. 

Indiquons  rapidement  la  marche  de  ces  cinq  actes. 

Le   premier   se  passe  dans  les  jardins  d'Hamilcar,  où  les 


Mercenaires,  conduits  par  leur  chef  Mathô,  fêtent,  par  une- 
immense  orgie,  l'anniversaire  de  la  victoire  d'Erys.  Le  Numide 
Narr'Havas  et  Mathô  boivent  en  compagnons  d'armes.  Tout 
à  coup,  excités  par  l'esclave  Spendius,  dont  Mathô  vient  de 
briser  les  fers,  les  Mercenaires  se  révoltent  et,  malgré  les 
supplications  du  suffète  Giscon,  commencent  le  pillage  du 
palais.  Cette  scène,  si  merveilleusement  décrite  par  Flaubert, 
et  qui  était  très  difficile  à  traiter,  a  du  mouvement,  du  pitto- 
resque et  un  «  beau  désordre  ».  L'apparition  de  Salammbô, 
sortant  du  palais,  environnée  des  prêtres  de  Tanit,  arrête  le 
pillage.  Le  musicien  a  trouvé  là  un  contraste  délicieux;  la 
couleur  du  personnage,  de  cette  héroïne  moitié  femme  et 
moitié  déesse,  est,  dès  le  premier  moment,  exquise,  et  elle 
reste  telle  d'un  bout  à  l'autre  de  l'œuvre,  où  elle  laisse,  avec 
une  teinte  légère  d'orientalisme,  comme  une  longue  traînée 
lumineuse.  Et  le  contraste  se  poursuivra  ainsi  jusqu'à  la  fin 
et  amènera  les  plus  belles  pages,  celles  où  l'inspiration  du 
maître  a  tout  ensemble  le  plus  de  fraîcheur,  de  grâce  et 
d'élévation. 

Devant  les  imprécations  de  Salammbô,  entrecoupées  de- 
plaintes  et  de  prières,  les  Mercenaires  interrompent  leurs 
dévastations.  Salammbô  tend  à  Mathô  une  coupe  pleine,  en 
signe  d'apaisement  et  de  réconciliation.  Narr'Havas,  emporté 
par  la  jalousie,  se  précipite  sur  le  Lybien  et  le  blesse.  Cepen- 
dant la  révolte  est  décidée  ;  le  commandement  est  offert  à 
Mathô,  qui  l'accepte,  tandis  que  Salammbô  rentre  daDs  le 
palais.  Spendius  offre  de  servir  sa  vengeance  et  son  amour, 
en  l'aidant  à  conquérir  Carthage,  qu'il  convoite,  et  Salammbô, 
qu'il  aime.  —  Toute  cette  fin  d'acte  a  le  mouvement  du  début,, 
sans  rien  offrir  pourtant  de  particulièrement  digne  d'être 
signalé. 

Au  deuxième  acte,  nous  sommes  dans  le  temple  de  Tanit. 
Mathô,  conduit  par  Spendius,  y  pénètre  avec  l'intention  de 
ravir  le  voile  de  la  déesse,  le  Zaïmph  saint,  à  la  possession 
duquel  est  attachée  la  victoire  constante.  Salammbô,  avertie 
par  de  mystérieuses  révélations,  s'aperçoit  du  sacrilège, 
qu'elle  prend  tout  d'abord  pour  une  manifestation  de  la  puis- 
sance céleste.  Mathô,  couvert  du  voile  dont  il  vient  de  s'em- 
parer, prend  à  ses  yeux  l'aspect  d'un  dieu.  Elle  reconnaît 
bien  vite  son  erreur  ;  le  prétendu  dieu  n'est  qu'un  amoureux 
audacieux;  elle  le  repousse  avec  horreur  en  appelant  à  l'aide. 
Mais  Mathô,  rendu  inviolable  par  le  Zaïmph,  disparaît  en 
emportant  avec  lui  «  la  fortune  de  Carthage  ».  —  Cet  acte,, 
tout  entier,  est  un  pur  chef-d'œuvre  ;  jamais  M.  Reyer,  servi 
par  une  situation  forte,  attachante  et  d'un  coloris  superbe, 
n'a  trouvé,  même  dans  Sigurd,  de  pareils  accents,  d'une  pureté 
et  d'une  séduction  aussi  pénétrantes,  et,  avec  cela,  d'un  sen- 
timent religieux  aussi  intense. 

Le  troisième  acte,  partagé  en  deux  tableaux,  conçus  chacun 
dans  une  note  absolument  différente,  ne  lui  est  pourtant  pas 
inférieur.  La  scène  se  passe  au  Conseil  des  Anciens.  Hamil- 
car,  suffète  de  la  mer,  accable  les  Carthaginois  de  reproches, 
condamne  leur  lâcheté  et,  finalement,  accepte  le  comman- 
dement de  l'armée  qui  doit  aller  combattre  les  Mercenaires, 
favorisés  maintenant  par  la  possession  du  Zaïmph.  —  Dans 
le  roman,  cette  scène  est  d'une  rare  éloquence.  Elle  est 
magnifique  aussi  dans  l'opéra,  bien  présentée  par  le  libret- 
tiste et  admirablement  traitée  par  le  compositeur  en  une 
déclamation  pleine  d'allure  et  de  majesté. —  Puis,  le  théâtre 
change  et  nous  conduit  sur  la  terrasse  du  palais  d'Hamilcar, 
au  moment  où  le  grand  prêtre  Schahabarim  décide  Salammbô 
à  se  présenter  au  camp  des  Mercenaires  pour  reprendre  à 
Mathô  le  palladium  de  Carthage.  Ce  tableau  est  adorable,  avec 
sa  mélancolie  douce  qui  tranche  encore  une  fois  sur  tout  ce 
qui  précède  et  sur  tout  ce  qui  suit.  Il  y  a  là  des  détails  ravis- 
sants, —  la  toilette  de  Salammbô,  l'invocation  à  la  lune, 
l'appel  aux  colombes:  «  Que  n'ai-je,  colombes,  vos  ailes!  »  — 
qui  sont  d'une  grâce  poétique  absolument  émue  et  touchante. 

Le  quatrième  acte,  dans  la  tente  de  Mathô,  amène,  après  un 
court  divertissement,  la  rencontre  de  Salammbô  et  de  Mathô, 


LE  MENESTREL 


:;i 


la  grande  scène  d'amour  qui  semblait  devoir  être  le  point 
culminant  du  drame  dans  la  partition,  comme  il  est  le  point 
culminant  du  drame  dans  le  livre.  Supplications  de  Salammbô 
réclamant  le  Zaimph  ;  déclarations  passionnées  de  Mathô  ; 
menaces;  résistance;  puis,  abandon.  Mais  dans  l'opéra,  par 
discrétion  sans  doute,  le  héros  ne  va  pas  jusqu'à  couper  les 
chaînes  d'or  gênantes  qui  relient  l'un  à  l'autre  les  pieds  de 
l'héroïne...  Le  sacrifice  d'amour  est  interrompu  au  moment 
psychologique  par  l'attaque  des  Carthaginois,  qui  mettent  le 
feu  au  camp  et  forcent  Mathô  à  quitter  la  partie,  laissant 
Salammbô  seule;  celle-ci  en  profite  pour  s'emparer  du 
2aïmph  et  s'enfuit  avec  le  précieux  voile.  —  M.  Reyer  n'a  pas 
été  inspiré,  dans  cette  scène  capitale,  comme  il  l'a  été  dans 
la  plupart  des  autres.  Soit  crainte  de  recommencer  le  tradi- 
tionnel et  banal  duo  de  tous  les  quatrièmes  actes  d'opéra, 
soit  manque  de  souffle,  il  ne  nous  a  pas  donné  là  tout  ce 
que  nous  attendions.  Quelques  très  jolies  phrases,  certes; 
■mais  c'est  tout.  La  situation  est  d'ailleurs  bien  conduite,  et 
elle  a  de  la  vie,  sinon  de  l'élan  et  de  la  puissance. 

A  partir  de  cette  scène,  l'intérêt  faiblit,  et  il  ne  pouvait  que 
faiblir;  plus  rien  de  saillant  dans  le  drame  ne  retenant  très 
vivement  l'attention,  si  ce  n'est,  à  la  fin,  la  mort  du  héros. 
M.  du  Locle  n'a  pas  osé  nous  conserver  la  version  du  roman  : 
Mathô  traîné  expirant  sur  la  scène,  déchiré  par  la  populace, 
et  Salammbô  mourant  sans  un  geste,  sans  un  soupir,  «  pour 
avoir  touché  au  manteau  de  Tanit  ».  Il  les  a  fait  succomber 
tous  les  deux  au  conventionnel  échange  de  coups  de  poignard 
qui  termine  tant  de  tragédies.  L'acte  dure  à  peiue  quelques 
minutes  ;  les  chants  du  peuple  et  les  musiques  guerrières 
forment  remplissage  —  rien  que  remplissage;  —  mais  la  scène 
finale  du  sacrifice,  très  concise,  est  d'un  beau  caractère  et 
d'un  accent  poignant,  qui  font  à  l'œuvre  une  digne  péroraison. 

Comme  on  le  voit,  le  compte  est  facile  à  faire  :  un  acte 
remarquable,  deux  actes  tout  à  fait  supérieurs,  et,  dans  les 
deux  autres,  quelques  belles  parties  qui,  si  elles  n'ajoutent 
guère  à  la  valeur  de  l'ouvrage,  la  soutiennent  néanmoins,  ou 
n'en  retranchent  pas  grand'chose.  Dans  son  ensemble,  une 
•œuvre  d'une  admirable  «  tenue  »,  d'un  style  élevé  et  d'une 
expression  artistique  profonde  ;  —  œuvre  de  poète,  non 
moins  et  plus  encore  que  de  musicien;  œuvre  forte  et  char- 
mante, honorable  pour  le  compositeur  et  glorieuse  pour  l'art 
français. 

Quant  aux  «  paroliers  »,  on  sait  trop  peu  combien  est  ingrate 
et  rude  tache,  surtout  en  des  occasions  semblables,  où 
ils  doivent  lutter  avec  non  seulement  les  difficultés  du  mé- 
tier, mais  aussi  avec  les- souvenirs  du  public.  Si  le  roman  de 
Flaubert,  découpé  en  tranches,  s'est  trouvé  rapetissé,  «  na- 
turalisé »  nécessairement  et  inévitablement,  s'il  a  perdu  de 
sa  grandeur,  tout  ce  qu'on  pouvait  souhaiter,  c'est  que  le  dé- 
coupage fut  ingénieux  et  respectueux  ;  et  il  l'est.  M.  Du 
Locle  n'a  fait,  du  reste,  que  suivre  les  indications  mêmes  de 
Flaubert,  qui  avait,  —  chose  ignorée,  je  pense,  —  tracé  à 
l'avance,  lui-même,  le  canevas  du  libretto. 

Salammbô  a  trouvé  à  la  Monnaie  l'interprétation  rêvée,  à 
peu  de  chose  près,  par  M.  Reyer.  Pour  le  rôle  principal,  le 
rêve  est  devenu  complètement  réalité,  grâce  à  Mme  Caron,  qui 
s'y  est  incarnée  avec  un  art  incomparable.  Comme  femme, 
comme  voix,  comme  talent,  il  semble  qu'elle  fût  destinée 
naturellement  à  représenter,  que  dis-je?  à  créer  cette  Sa- 
lammbô suggestive  et  troublante,  qu'on  ne  s'imagine  pas  au- 
trement que  sous  ses  traits.  Tous  les  éloges  ne  suffiraient  pas 
à  rendre  l'impression  profonde  qu'elle  a  produite  lundi  ;  et 
M.  Reyer,  seul  peut-être,  doit  savoir  combien  est  grande  la 
part  qu'elle  a  prise  dans   son  propre  triomphe. 

M.  Renaud  est  un  Hamilcar  superbe;  M.  Bouvet  donne  un 
relief  inattendu  au  rôle  secondaire  de  Spendius;  M.  Sentein 
est  un  Narr'Havas  très  satisfaisant.  Et  si  M.  Sellier  avait  la 
voix  plus  fraîche,  il  y  aurait  peu  de  chose  à  lui  reprocher;  il 
donne  au  personnage  de  Mathô  un  aspect  décoratif  imposant; 
il  en  a    la    prestance  et  toute    la  plastique  ;    et  il  est   aussi 


chanteur  habile,  sachant  phraser  et  ne  manquant  ni  de  cha- 
leur ni  de  sentiment.  Les  chœurs  et  l'orchestre,  dirigés  par 
M.  Barwolf,  ont  été  excellents.  Quant  à  la  mise  en  scène, 
qui  avait  ici  une  importance  particulière,  elle  est  d'une 
somptuosité  brillante,  quoique  pas  toujours  conforme  aux 
indications  de  Flaubert.  La  fantaisie  de  l'écrivain  permettait  un 
peu  de  fantaisie  aussi  de  la  part  des  costumiers  et  des  décora- 
teurs. Ils  ont  reconstitué  une  Carthage  qui  n'est  peut-être 
pas  très  authentique,  mais  qui  est  très  vraisemblable  ;  et  il 
ne  nous  déplairait  pas  du  tout  de  l'habiter. 

Salammbô  est  donc  un  succès  pour  tout  le  monde,  sans  ou- 
blier les  directeurs  de  la  Monnaie,  MM.  Stoumon  et  Calabresi, 
que  ce  succès  va  récompenser  certainement  de  leurs  peines 
par  de  fructueuses  recettes,  attendues  avec  impatience.  Entre 
temps,  M.  Calabresi  a  reçu  le  soir  même  de  la  «  première»  son 
brevet  de  chevalier  de  la  Légion  d'honneur,  presque  à  la  même 
he«re  où  M.  Reyer  recevait  du  roi  celui  d'officier  de  l'ordre 
de  Léopold.  MM.  Ritt  et  Gailhard  en  crèveront  de  jalousie... 
Un  bonheur  n'arrive  jamais  seul. 

Lucien  Solvay. 


BULLETIN   THÉÂTRAL 

On  vient  de  lire  le  bel  article  sur  Salammbô  que  nous  a  envoyé 
de  Bruxelles  notre  correspondant  Lucien  Solvay,  et  on  a  pu  voir, 
par  quelques-uns  de  ses  paragraphes,  que  la  réputation  de  MM.  Ritt 
et  Gailhard  paraissait  aussi  solidement  assise  chez  nos  voisins  que 
chez  nous-mêmes.  Nos  pauvres  directeurs  ont,  en  effet,  beaucoup 
«  écoppé  »  dans  la  presse  de  tous  les  pays  au  sujet  de  cette  malen- 
contreuse représentation.  Il  n'est  personne  qui  puisse  comprendre 
comment  des  directeurs,  se  disant  éclairés,  ont  pu  bénévolement  se 
priver  d'une  œuvre  aussi  forte  et  aussi  marquante.  C'est  encore 
notre  distingué  confrère,  M.  Victor  "Wilder,  qui  a,  le  plus  énergi- 
quement,  formulé  dans  le  Gil  Blas  les  griefs  de  l'opinion  publique  à 
ce  propos  : 

«  ...  Eh  bien  I  je  le  demande,  dit-il,  n'est-ce  pas  scandaleux  que  le  plus  réservé 
et  le  moins  encombrant  de  no9  compositeurs  soit  précisément  celui  que  l'on 
consigne  obstinément  à  la  porte  de  nos  théâtres  subventionnés? 

Eh  quoi!  Ton  a  monté,  sans  se  faire  tirer  l'oreille,  de  plats  mélodrames, comme 
le  Tribut  de  Zamora,  ou  de  lamentables  inepties,  comme  la  Dame  de  Monsoreau, 
faisant  accueil,  d'une  part,  aux  ambitions  prématurées,  de  l'autre,  aux  vanités 
séniles,et  lorsqu'un  maître  robuste  —  dans  toute  la  force  du  talent —  se  présente, 
avec  Sigwd  ou  Salammbô  sous  le  bras,  on  lui  ferme,  sans  façon,  la  porte  au  nez  et 
on  l'envoie  se  faire...  jouer  à  Bruxelles.  Jugé  capable  de  siéger  à  l'Institut, 
M.  Reyer  n'est  pas  trouvé  digne  d'entrer  à  l'Académie...  de  musique.  C'est  tout 
simplement  boufton  I 

Ah!  si  la  justice  était  de  ce  monde  et  si  nos  hommes  politiques  avaient  quel- 
que souci  de  l'art,  le  jour  où  MM.  Ritt  et  Gailhard  ont  troqué  Salammbô  contre 
Lucie,  le  ministre  les  aurait  pris  au  collet  et  jetés  sur  la  place  de  l'Opéra,  avec 
un  coup   de  pied  <i  occulte  »,  suivant   la  délicate  expression  du  poète  des  Odes 


Ce  coup  de  pied  occulte,  personne  n'a  manqué  de  l'allonger  aux 
tristes  directeurs  à  l'endroit  où  il  convient,  et  ils  ne  trouvent  natu- 
rellement pas  de  meilleur  moyen  de  s'en  relever  que  de  nous  parler 
le  plus  possible  de  l'œuvre  nouvelle  qu'ils  vont  bientôt  nous  présen- 
ter à  leur  tour,  après  deux  ans  d'attente.  Tous  les  journaux  sont 
pleins  de  notes  administratives  autant  qu'académiques,  célébrant  à 
l'avance  les  louanges  d' Ascanio,  cet  opéra  de  M.  Saint-Saëns  pour 
lequel  MM.  Ritt  et  Gailhard  n'avaient  pas  assez  de  mépris  et  qu'ils 
décriaient  partout,  alors  qu'ils  pensaient  pouvoir  s'en  passer.  La 
campagne  entreprise  par  la  presse  n'aurait-elle  eu  que  ce  bon  ré- 
sultat, de  mettre  l'épée  dans  les  reins  de  ces  directeurs  trop  indolents 
et  de  les  forcer  à  tenir  leurs  engagements,  qu'il  faudrait  encore  s'en 
féliciter.  Ce  n'est  pas  nous  qui  entreprendrions  de  tuer  Saint-Saëas  par 
Reyer  ;  ce  sont  deux  musiciens  que  nous  tenons  dans  une  égale 
estime,  et  nous  applaudirons  de  grand  cœur  aux  succès  de  l'un  et 
de  l'autre.  Reproduisons  donc  la  note  envoyée  par  la  direction  à  la 
plupart  de  nos  confrères,  puisqu'elle  nous  donne  un  petit  avant-goùt 
de  l'œuvre  que  nous  entendrons  prochainement  : 

o  Mercredi,  à  l'Opéra,  première  lecture  à  l'orchestre  de  la  partition 
à! Ascanio.  Cette  répétition  a  marché  presque  sans  arrêt,  grâce  à  un 
procédé  d'étude  appliqué  pour  la  première  fois  et  qui  consiste  à 
faire  répéter,  préalablement  à  l'ensemble,  les  artistes  par  groupes  : 
cordes,  bois,  cuivres.  Ce  procédé,  indispensable  pour  la  parfaite 
exécution  de  la  musique  moderne,  permet  aux  exécutants  de  s'assi- 


52 


LE  MENESTREL 


miler  bien  exactement  le  rôle  qu'ils  ont  à  jouer  dans  l'ensemble 
symphonique. 

»  D'après  cette  épreuve,  l'ouvrage  paraît  se  rapprocher,  comme 
tempérament,  d'une  œuvre  célèbre,  les  Maîtres  Chanteurs,  avec  la- 
quelle le  compositeur  d'Ascanio  s'est  bien  certainement  avoisiné 
sans  aucun  parti  pris.  Dans  trois  actes,  il  y  donne  une  note  légère 
dans  les  scènes  de  l'atelier  et  de  la  rue,  élégante  à  la  cour,  pour 
retourner,  dans  les  deux  derniers  actes,  aux  traditions  du  grand 
drame. 

»  L'œuvre,  composée  de  sept  tableaux,  dont  le  plus  long  n'excède 
pas  trente  minutes,  commence  par  une  très  brève  introduction  et 
se  termine,  en  revanche,  par  un  très  large  ensemble.  On  n'a  pas 
répété  encore  la  musique  du  ballet.  Lue  au  piano  seulement,  elle 
s'est  révélée  abondante  en  motifs  archaïques. 

»  Les  répétitions  de  scène  d'Ascanio  sont  entièrement  terminées.  On 
a  réglé  hier  la  plantation  du  décor  du  «  Jardin  des  Buis  »,  qui 
donnera  une  très  vaste  place  au  ballet.  L'ouvrage  sera  absolument 
prêt  pour  la  première  quinzaine  de  mars.»  m 

Voici,  d'autre  part,  la  distribution  en  double  de  cet  opéra  : 

Créateurs  Doubles 

Benvenuto MM.  I.assalle.  Bérardi 

Ascanio Gossira..  Affre 

François  1" PlaDçon.  Delmas 

Duchesse  d'Étampes M™"    Adiny. ..  D'Ervilty 

Scozzone Bosman.  Pack 

Colomba Eames...  Agussot 

Tout  va  donc  au  mieux  jusqu'à  présent.  Pourvu  qu'il  n'y  ait  pas 
de  nouvelles  anguilles  sous  roche  !  Avec  MM.  Ritt  et  Gailhard,  une 
expérience,  trop  de  fois  renouvelée,  a  montré  qu'on  pouvait  s'at- 
tendre à  tout. 

H.  M. 

Nouveautés.  —  Nos  Jolies  Fraudeuses,  comédie-vaudeville  en  trois 
actes,  de  M.  Alexandre  Bisson. 

Prenons,  si  vous  le  voulez  bien,  la  nouvelle  pièce  de  M.  Bisson 
pour  ce  qu'elle  est,  une  aimable  ébauche  sans  grande  prétention  et 
faite  assez  vite  entre  deux  études  plus  sérieuses,  sans  doute  ;  laissons 
de  côté  le  nom  de  comédie  que  l'auteur  lui  a  donné  en  partie,  et 
ne  nous  souvenons  que  de  celui  de  vaudeville  qu'il  a  mis  là  comme 
palliatif;  rions  quand  les  mots  sont  drôles,  ou  les  situations  comiques; 
ne  cherchons  pas  la  petite  bête,  et  vous  verrez  que  nous  ne  nous 
ennuierons  pas  trop.  Il  eût  évidemment  mieux  valu  que  M.  Bisson 
mît  son  laleDt  et  sa  verve  au  service  d'une  œuvre  moins  inconsis- 
tante et  moins  quelconque;  mais,  encore  une  fois,  sachons  nous 
contenter,  pour  le  moment,  de  ce  que  l'on  nous  donne  ;  nous  au- 
rions pu  être  beaucoup  plus  mal  partagés. 

Je  ne  vous  raconterai  pas  nos  Jolies  Fraudeuses  ;  d'abord  parce  que 
la  place  restreinte  dont  je  dispose  ne  me  permettrait  pas  de  vous 
dire  clairement  la  chose,  ensuite  parce  que  tout  cela  est  d'un  leste, 
devant  lequel  vous  me  saurez  certainement  gré  de  reculer.  Qu'il 
vous  suffise  de  savoir  que  M.  Bisson,  devançant  nos  législateurs, 
fait  que  l'impôt  sur  le  revenu  est  .dûment  établi,  et  qu'il  nous  pré- 
sente un  jeune  employé  de  l'administration  chargé  de  relever  des 
chiffres  chez  les  dames  seules,  jouissant  de  «  professions  libérales  ». 
Imaginez  sur  ce  thème  tout  ce  que  vous  voudrez,  ou  mieux,  allez-y 
voir. 

Nos  Jolies  Fraudeuses  n'étaient  point  destinées  aux  Nouveautés, 
mais  bien  à  un  théâtre  de  comédie.  Pensez  donc,  pas  une  note  de 
musique  en  trois  actes  ;  aussi  la  petite  troupe  avait-elle  l'air  un  peu 
désorientée.  Il  n'en  faut  pas  moins  féliciter  MM.  Brasseur  père  et  fils, 
très  amusants  tous  deux,  et  aussi  MM.  Guy,  Maugé  et  MUes  Darcourt 
et  Davray. 

Paul-Émile  Chevalier. 


LE  THÉÂTRE  A  L'EXPOSITION  UNIVERSELLE  DE  1889 


architecture  et  machinerie  théâtrales 
(Suite) 
L'une  des  plus  intéressantes  parmi  ces  maquettes,  et  l'on  va  voir 
pourquoi,  est  celle  qui  reproduit  la  «  salle  de  la  Comédie-Française, 
rue  Neuve-des-Fossés,  aujourd'hui  de  l'Ancienne-Comédie,  1689- 
1770.  »  Grâce  à  un  dessin  très  exact  de  Y  Architecture  de  Blondel, 
on  a  pu  reconstituer  ce  théâtre  avec  une  précision  rigoureuse,  non 
seulement  en  ce  qui  concerne  l'ensemble  et  la  forme  générale  ainsi 


que  les  plus  petits  détails,  mais  aussi  relativement  aux  proportions, 
qui,  pour  cette  maquette  comme  pour  les  précédentes,  ont  été  éta- 
blies à  l'échelle  de  trois  centimètres  par  mètre.  Il  y  a  plus:  ce  des- 
sin de  Blondel  —  et  c'est  ce  qui  est  particulièrement  intéressant  — 
ce  dessin,  auquel  il  semble  que  personne  jusqu'ici  n'eût  fait  attention 
sous  ce  rapport,  a  permis,  ce  qu'on  n'avait  encore  jamais  essayé,  ■ 
de  reproduire  avec  une  précision  absolue  l'aménagement  des  ban- 
quettes où  l'on  sait  que,  sur  la  scène  même,  certains  spectateurs 
venaient  prendre  place,  au  grand  ennui  du  public  de  la  salle  et  au 
grand  détriment  encore  du  jeu  des  acteurs,  interrompus  à  chaque 
instant  par  l'entrée  bruyante  d'un  gentilhomme  désireux  de  se  faire 
remarquer,  et  gênés  dans  leurs  mouvements  par  l'excessive  exiguïté 
de  l'espace  qu'un  usage  absurde,  laissait  à  leur  disposition. 

On  sait  en  effet  qu'au  dix-septième  siècle  et  pendant  une  bonne 
partie  du  dix-huitième,  le  public  était  admis  sur  la  scène  de  la 
Comédie-Française,  embarrassée  ainsi  par  une  foule  de  gens  de 
condition  :  courtisans,  petits-maîtres,  grands  seigneurs,  financiers, 
qui  venaient  là  non  pour  jouir  personnellement  du  spectacle,  mais 
pour  se  donner  en  spectacle  eux-mêmes  et  se  montrer  à  cette  place, 
d'autant  plus  recherchée  par  eux  qu'elle  coûtait  plus  cher  que  les 
autres.  Molière,  qui  ne  laissait  échapper  sans  le  fouailler  aucun  ridi- 
cule, a  daubé  celui-ci  dans  les  Fâcheux,  avec  sa  verve  ordinaire,  en 
présence  de  ceux-mêmes  qui  s'en  rendaient  coupables;  on  se  rappelle 
ces  plaintes  ironiques  d'Ergaste  : 

J'étois  sur  le  théâtre  en  humeur  d'écouter 
La  pièce,  qu'à  plusieurs  j'avais  ouï  vanter  ; 
Les  acteurs  commençoient,  chacun  prètoit  silence, 
Lorsque  d'un  air  bruyant  et  plein  d'extravagance. 
Un  homme  à  grands  canons  est  entré  brusquement 
En  criant:  Holà!  ho!  un  siège  promptement! 
Et,  de  son  grand  fracas  surprenant  l'assemblée, 
Dans  le  plus  bel  endroit  a  la  pièce  troublée. 


Tandis  que  là-dessus  je  haussois  les  épaules, 
Les  acteurs  ont  voulu  continuer  leurs  rôles: 
Mais  l'homme  pour  s'asseoir  a  fait  nouveau  fracas, 
Et,  traversant  encor  le  théâtre  à  grands  pas, 
Bien  que  dans  les  côtés  il  put  être  à  son  aise, 
Au  milieu  du  devant  il  a  planté  sa  chaise, 
Et,  de  son  large  dos  narguant  les  spectateurs, 
Aux  trois  quarts  du  parterre  a  caché  les  acteurs. 

Cela  se  passait  ainsi  du  temps  de  Molière.  Plus  tard  sans  doute 
ies  chaises  furent  interdites,  et  les  poseurs  d'alors  durent  se  con- 
tenter des  banquettes  qui  leur  étaient  réservées.  Mais  si  notre  his- 
toire théâtrale  a  enregistré  cet  étrange  et  ridicule  usage  des  ban- 
quettes sur  le  théâtre,  on  ne  savait  pas  au  juste,  jusqu'ici,  comment 
elles  étaient  disposées  et  quel  aspect  elles  offraient  sur  la  scène.  C'est 
justement  là  ce  que  le  dessin  de  Blondel  a  permis  d'établir  et  de  repro- 
duire avec  précision,  et  ce  qui  nous  vaut  une  vue  exacte  de  la  scène 
de  la  Comédie-Française  telle  qu'elle  était  occupée  à  la  fois  par  les 
acteurs  et  les  spectateurs.  L'avant-scènë  se  prolongeait  dans  la  salle 
fort  en  avant  du  mauteau  d'arlequin,  et  les  banquettes,  dont  on  trouvait 
cinq  rangs  de  chaque  côté,  disposés  en  longueur,  commençaient  à  la 
rampe,  très  serrées  les  unes  contre  les  autres,  pour  s'enfoncer  jus- 
qu'au second  plan  de  la  scène,  mais  en  s'espaçant  alors  considéra- 
blement, de  façon  que  l'espace  laissé  libre  aux  acteurs  prenait  la 
forme  d'une  sorte  de  grand  entonnoir  dont  l'orifice  était  précisé- 
ment devant  la  rampe.  L'effet  produit  était  exactement  celui-ci  : 


Avants-scène  et  rampe. 

Sans  parler  du  bruit  qui  les  importunait,  de  la  distraction  qui 
leur  était  causée,  on  devine,  malgré  la  balustrade  qui  s'étendait  de- 
vant cette  double  rangée  de  banquettes,  combien  une  telle  disposition 


LE  MÉNESTREL 


53 


devait  être  gênante  pour  les  acteurs,  doût  toutes  les  entrées  et  sor- 
ties devaient  se  faire  forcément  par  le  fond,  et  dont  les  mouvements 
étaient  singulièrement  entravés  par  le  rétrécissement  de  la  scène.  Il 
faut  remarquer  aussi  qu'on  ne  pouvait  point  baisser  le  rideau,  la 
présence  de  ces  sottes  banquettes  en  rendant  la  descente  impos- 
sible. D'autre  part,  et  dans  ces  conditions,  comment  s'opéraient  les 
changements  de  décor?  c'est  ce  que  je  ne  saurais  dire.  Il  est  pro- 
bable qu'alors  on  faisait  momentanément  évacuer  la  scène  par  ces 
spectateurs  importants  autant  qu'importuns  (1). 

La  salle  avait  trois  rangs  de  loges.  Au  premier  rang,  les  deux  loges 
du  roi  et  de  la  reine,  faisant  saillie  et  formant  baleoD,  ornées  des 
armes  de  France,  se  faisaient  vis-à-vis  (2).  Elles  touchaient  la 
rampe  de  chaque  côté  de  la  salle,  précédées  de  deux  loges  qui  ter- 
minaient la  rangée  en  s'avançant  jusqu'au  manteau  d'arlequin. 
Deux  lustres,  placés  précisément  en  dehors  de  ce  manteau  d'arle- 
quin, éclairaient  le  devant  de  la  scène,  comme  à  la  Comédie-Ita- 
lienne. L'aspect  général  était  du  reste  flatteur  à  l'œil,  à  la  fois 
noble,  gracieux  et  élégant,  et  le  tout  était  couronné  par  un  beau 
plafond,  œuvre  du  peintre  Bon  Boulogne,  que  les  connaisseurs 
tenaient  en  très  haute  estime. 

Comme  il  arrivait  alors  pour  tous  les  théâtres,  celui-ci  avait  été 
élevé  sur  un  ancien  jeu  de  paume,  dit  jeu  de  paume  de  l'Étoile, 
dont  le  terrain  avait  été  donné  par  Henri  IV  à  Louis  Audrac,  fa- 
meux maître  paumier  avec  qui  ce  prince  jouait  souvent.  C'est  l'ar- 
chitecte François  Dorbay  qui  avait  été  chargé  de  sa  construction, 
et  le  total  des  dépenses  s'était  élevé  à  198,233  livres,  16  sols,  6  deniers, 
dont  60,000  livres  pour  le  seul  achat  du  terrain.  La  salle  avait  été 
inaugurée  le  18  avril  1689  par  un  spectacle  composé  de  Phèdre  et  du 
Médecin  malgré  lui,  et  la  recette  avait  été  de  1,870  livres.  Elle  tom- 
bait presque  en  ruines  lorsque  l'Opéra  quitta  les  Tuileries  pour 
retourner  au  Palais-Royal,  dans  le  nouveau  théâtre  que  Moreau  lui 
avait  construit  presque  sur  l'emplacement  de  celui  récemment  détruit 
par  le  feu.  En  attendant  qu'on  lui  construisit  à  son  tour  une  nou- 
velle demeure,  la  Comédie-Française  vint  alors  remplacer  l'Opéra  aux 
Tuileries,  où  elle  donna  son  premier  spectacle  le  23  avril  1770.  Peu 
de  jours  auparavant,  elle  avait  clôturé  ses  représentations  à  la  rue 
Neuve-des-Fossés  en  jouant  Beverley  et  le  Sicilien,  avec  une  recette 
de  2,350  livres.  Cette  salle  de  la  rue  Neuve-des-Fossés  avait  donc 
vécu  quatre-vingt-un  ans,  presque  jour  pour  jour  (3). 

(A  suivre.)  Arthur  Poiigin. 

(1)  Voici  ce  que  Blondel  lui-même  dit  à  ce  sujet,  en  reproduisant  les 
plans  et  les  dessins  de  cette  salle  de  la  Comédie  Française  :  —  «  ....  Ces 
places  tiennent  le  premier  rang  dans  ce  spectacle,  et  dans  celui  de  la 
Comédie-Italienne  ;  il  n'y  en  a  point  à  l'Opéra  à  cause  des  changements 
continuels  et  des  machines,  qui  font  un  des  principaux  mérites  de  ce 
spectacle.  Sans  doute  que  le  goût  que  la  nation  française  a  pris  pour  le 
théâtre  dont  nous  faisons  la  description,  tant  pour  l'excellence  de  nos 
pièces  dramatiques  que  pour  la  supériorité  des  acteurs,  est  la  cause  que 
les  comédiens  français  ont  supprimé  leurs  machines,  cette  salle  étant  de- 
venue beaucoup  trop  petite  pour  le  nombre  des  spectateurs,  ce  qui  les 
aura  déterminés  dans  la  suite  à  multiplier  les  places  par  ces  bancs  placés 
sur  le  théâtre  ;  de  manière  que  ce  théâtre  est  réduit  à  15  pieds  sur  le 
devant  et  à  11  dans  son  extrémité  opposée.  »  —  (Architecture  française, 
1732,  t.  II.) 

(2)  La  loge  du  roi  était  à  droite  du  spectateur,  celle  de  la  reine  à 
gauche. 

(3)  Le  jour  de  la  clôture,  et  suivant  un  usage  qui  subsista  jusqu'à  la 
Révolution,  l'un  des  comédiens,  d'Allainval,  adressa  au  public  un  compli- 
ment dont  voici  le  texte  : 

«  Messieurs,  le  Théâtre  François  touche  enfin  à  l'époque  la  plus  flatteuse 
qu'il  pouvoit  espérer.  Le  gouvernement  daigne  fixer  un  moment  son 
attention  sur  lui,  et  s'occuper  des  moyens  de  faire  élever  un  monument 
digne  des  chefs-d'œuvre  des  hommes  de  génie  qui  vous  ont  fait  l'hommage 
de  leurs  veilles.  La  scène  lyrique  vient  d'offrir  à  vos  yeux  les  ressources 
de  l'architecture.  Vous  avez  rendu  justice  au  travail  de  l'artiste  célèbre 
(M.  Moreau)  qui  a  eu  le  courage  de  s'écarter  des  routes  d'une  imitation 
servile,  et  qui  a  été  assez  heureux  pour  vous  plaire  en  osant  innover.  Il 
est  temps  que  le  théâtre  national  jouisse  des  mêmes  avantages  ;  il  est 
temps  que  les  mânes  de  Corneille,  de  Racine  et  de  Molière  viennent 
contempler  les  changemens  dont  ce  théâtre  est  susceptible  et  nous  dire  : 
«  Voilà  le  temple  où  nous  aimons  à  être  honorés;  »  il  est  temps  enfin  de 
faire  cesser  les  reproches  très  fondés  des  autres  nations,  jalouses  de  la 
gloire  de  la  nôtre.  Accoutumés  depuis  longtemps  à  votre  bienveillance, 
nous  ne  cesserons  jamais  de  vous  donner  des  preuves  de  notre  empresse- 
ment à  vous  offrir  des  productions  dignes  de  vos  suffrages.  C'est  dans  ces 
sentimens  que  nous  quittons  un  théâtre  où  vous  avez  tant  de  fois  secondé 
nos  efforts.  Pénétrés  de  la  plus  vive  reconnaissance  pour  la  bonté  dont 
vous  daignez  nous  honorer,  nous  osons  vous  en  demander  la  continuation 
sur  la  nouvelle  scène  que  nous  allons  occuper.  » 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts  du  Chatelet.  —  La  symphonie  en  ut  majeur  de  Beethoven, 
reléguée  au  second  rang  par  la  splendeur  de  celles  qui  lui  ont  succédé, 
n'en  reste  pas  moins  admirable  par  la  fraîcheur  des  idées  et  par  l'ingé- 
niosité des  développements.  Elle  a  été  rendue  avec  la  simplicité  de  style 
et  la  discrétion  qui  conviennent  à  une  œuvre  aussi  achevée  dans  ses 
détails  qu'exempte  de  toute  prétention  à  la  grandeur  des  formes  ou  à 
l'éclat  des  sonorités.  —  Grâce  à  une  interprétation  parfaitement  pondérée 
et  très  expressive,  Siegfried-hhjll  semble  avoir  acquis  plus  de  cohésion  et 
d'homogénéité.  L'ensemble  porte  merveilleusement,  et  les  soli  d'instru- 
ments se  fondent  dans  la  masse  orchestrale  sans  la  déséquilibrer  ou  la 
démembrer  pour  ainsi  dire,  comme  cela  se  produit  quand  on  les  laisse 
prédominer  tour  à  tour  avec  trop  de  vigueur.  La  Fantaisie  de  M.  E.  Ber- 
nard, pour  piano  et  orchestre,  déjà  exécutée  en  1883,  se  compose  de  deux 
morceaux  de  forme  très  libre.  Le  premier  renferme  une  sorte  de  Scher- 
zando  très  finement  écrit  ;  le  second  ne  manque  pas  de  véhémence  et  a 
produit  beaucoup  d'effet.  M.  I.  Philipp  a  bien  rendu  cette  composition 
intéressante  et  très  mélodique.  Dans  la  Suite  d'orchestre  de  M.  J.  Garcin, 
une  délicieuse  canzonetta  a  été  bissée.  Cette  suite,  qui  a  obtenu  un  brillant 
accueil,  renferme  de  très  jolis  détails  d'instrumentation,  et  les  thèmes  en 
sont  toujours  fort  distingués  et  d'un  tour  élégant,  bien  que  l'auteur  semble 
avoir  été  constamment  sous  l'empire  de  ses  réminiscences  classiques.  — 
Mme  Krauss  a  chanté  la  prière  de  Tannhduser  avec  une  ampleur  de  style 
superbe,  et  l'ode  de  Sapho,  de  M.  Ch.  Gounod.  avec  un  sentiment  poétique 
intense.  La  cantatrice,  qui  avait  interprété  d'abord  un  air  d'Euryanthe,  a  été 
l'objet  de  chaleureuses  ovations.  Le  concert  s'est  terminé  triomphalement 
par  les  fragments  symphoniques  de  Carmen,  parmi  lesquels  la  Séguedille, 
la  Chanson  des  dragons  d'Alcala  et  l'Entr'acte  ont  été  particulièrement 
applaudis.  Amédée  Boutarel. 

—  Concert  Lamoureux.  —  Dimanche  9  février,  nous  avons  eu  le  plaisir 
d'entendre  un  violoniste  de  grand  talent,  M.  White.  M.  White,  Français 
natif  de  Cuba,  est  un  élève  très  distingué  d'Alard;  il  jouissait  à  Paris  d'une 
grande  réputation.  En  1870  il  fit  bravement  son  devoir  comme  soldat  fran- 
çais; en  1874,  à  la  suite  de  grands  malheurs  de  famille,  il  partit  pour  le 
Brésil,  ou  il  se  fit  une  grande  situation  musicale;  il  était  attaché  à  la 
maison  de  l'Empereur  et  il  est  revenu  à  la  suite  des  malheurs  qui  ont 
affligé  ce  souverain  ami  des  sciences  et  des  arts.  M.  White  a  eu  un  très 
grand  succès  dans  le  2e  concerto  de  Wienawski;  un  peu  intimidé  au  débu', 
il  a  bien  vite  repris  la  plénitude  de  ses  moyens  et  dit,  avec  un  style  excel- 
lent et  une  virtuosité  remarquable,  bandante  et  le  finale  de  ce  charmant 
concerto.  J'ai  quelquefois  entendu  dire  que  les  compositions  de  Wieniawski 
étaient  démodées,  que  c'était  le  vieux  jeu;  si  l'on  appelle  vieux  jeu  une 
conception  qui  donne  le  rôle  principal  à  la  mélodie,  un  enchaînement  clair 
et  lumineux  des  idées,  une  orchestration  fine  et  discrète  qui  fait  valoir 
l'instrument  sans  l'écraser,  nous  ne  faisons  nulle  difficulté  d'avouer  que 
ce  vieux  jeu  nous  plaît  assez  et  que  le  concerto  de  Wienawski,  interprété 
par  M.White,  nous  a  fait  passer  un  moment  des  plus  agréables. —  L&Suite 
d'Esclarmonde,  de  M.  Massenet,  n'est  pas  vieux  jeu  du  tout;  on  y  sent  la 
recherche  des  effets  nouveaux  et  bizarres;  quant  à  la  mélodie,  elle  se 
cache  si  modestement  qu'on  a  beaucoup  de  peine  à  la  trouver.  D  y  a  loin 
du  Massenet  d'Esclarmonde  au  Massenet  de  Marie-Magdeleine  et  des  Scènes 
pittoresques  ;  celui-là  était  peut-être  vieux  jeu  ;  nous  avions  la  faiblesse  de 
le  préférer.  Ce  Massenet-là  disait  clairement  ce  qu'il  voulait  dire,  et  ce 
qu'il  disait  était  parfois  charmant.  C'est  aujourd'hui  un  sous-wagnérien, 
qui  peut  se  comprendre  lui-même,  mais  que  les  autres  ne  comprennent 
pas  toujours.  Une  réflexion  nous  venait  en  entendant  un  crescendo  wa- 
gnérien  du  fragment  Hyménée  et  aussi  un  crescendo  non  moins  wagnérien 
du  Lever  de  soleil  de  M.  W.  Chaumet  :  il  n'y  a  pas  formule  au  monde  qui 
ait  été  plus  dépréciée,  plus  vilipendée  que  le  crescendo  italien  qui  a  fait, 
dans  son  temps  pâmer  tant  de  générations  !  Nous  le  trouvions  nous-même 
un  peu  démodé  ;  nous  l'avons  échangé  pour  le  crescendo  wagnérien,  qui 
fait  plus  de  bruit  et  qui  est  moins  musical:  faire  dire  le  chant  à  un  mo- 
ment donné  par  tous  les  instruments  à  vent  déchaînés,  accompagnés  par 
les  violons  jouant  à  tour  de  bras,  cela'  peut  constituer  du  bruit,  mais  pas 
de  la  musique  ;  on  se  lassera  bien  plus  vite  encore  de  ce  procédé,  que  les 
imitateurs  de  Wagner  ont  rendu  intolérable.  Pour  en  revenir  à  Esclarmonde, 
nous  dirons  que  cette  musique  sans  inspiration  sent  l'effort,  l'artifice,  et 
ne  dit  rien  au  cœur  ni  à  l'esprit.  Il  y  a  mille  fois  plus  d'inspiration  et 
plus  de  musique,  dans  le  sens  esthétique  du  mot,  dans  une  courte  page 
comme  l'ouverture  du  Freischûlz  de  Weber  ou  le  scherzo  du  Songe  d'une 
nuit  d'été  de  Mendelssohn.  Voilà  des  modèles  que  M.  Lamoureux  fait  bien 
de  nous  produire  de  temps  en  temps,  et  qui  nous  montrent  la  différence 
entre  la  musique  et  ce  qui  n'en  est  pas.  H.  Barbedette. 

—  Musique  de  chambre.  —  M.  W.  l'en  Hâve  et  14""  ïen  Hâve  viennent 
de  donner  une  séance  de  musique  de  chambre  fort  intéressante.  Le  quatuor 
en  si  b  de  M.  Saint-Saëns,  une  des  œuvres  les  plus  complètes  du  maître, 
a  trouvé  en  M.  et  M"°  Ten  Hâve,  assistés  de  MM.  Delsart  et  Van  Waef- 
felghem,  des  interprètes  de  premier  ordre.  Mllc  Madeleine  Ten  Hâve,  qui 
est  une  remarquable  pianiste,  possédant  d'excellents  doigts  et  un  excellent 
style,  a  dit  seule  les  Variations  sérieuses  de  Mendelssohn.  La  sonate  op.  13 
deGrieg  et  un  quatuor  de  Beethoven  complétaient  le  programme.  —Nous- 


LE  MENESTREL 


avons  entendu  à  la  dernière  séance  de  M.  Mendels  le  quatuor  pour  piano  et 
cordes  de  M.  G.  Fauré.  L'auteur  et  MM.  Mendels,  Van  Waeffelghem  et 
Casella  en  ont  donné  une  belle  exécution.  C'est  là  une  œuvre  très  remar- 
quable, l'une  des  plus  réussies  de  son  auteur:  les  idées,  toujours  choisies 
et  se  tenant  loin  de  tout  ce  qui  pourrait  paraître  convenu  ou  vulgaire,  sont 
développées  avec  l'art  le  plus  exquis,  les  rythmes  sont  variés  et  riches,  et 
l'instrumentation  est  colorée  et  brillante.  Le  succès  a  été  très  chaleureux. 
M.  Mendels  a  joué,  seul,  à  cette  même  séance,  deux  pièces  de  MM.  Lalo  et 
Svendsen  avec  une  be'.le  sonorité  et  un  mécanisme  élégant.  M.  Warm- 
brodt,  un  ténor  à  la  voix  charmante,  a  dit  avec  style  le  Noël  païen  de  Mas- 
senet  et  Yaubade  du  Rois  d'Ys,  et  M.  Staub,  un  jeune  pianiste  élève  de 
M.  Diémer,  s'est  fait  vivement  applaudir  après  une  exécution  fort  bril- 
lante de  la  spirituelle  Valse  en  octaves  de  son  maître.  I.  Ph. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  :  symphonie  en  ut  mineur  (Beethoven)  ;  3e  concerto  pour 
piano  (Pfeiffer),  par  MmG  Roger-Miclos  ;  les  Maîtres  Chanteurs,  scène  finale 
du  troisième  acte  (R.  Wagner)  :  M.  Engel(Walther)  ;  M.  Soulacroix  (Beck- 
messer);  M.  Auguez  (Hans  Sachs);  ouverture  de  Ruy  Blas  (Mendelssohn). 
—  Le  concert  sera  dirigé  par  M.  Garcin. 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  :  ouverture  du  Vaisseau 
Fantôme  (Wagner)  ;  Lever  de  soleil  (W.  Chaumet)  ;  fragments  de  Roméo  et 
Juliette  (Berlioz);  prélude  de  Parsifal  (Wagner)  ;  scherzo  du  Songe  d'une  nuit 
d'été  (Mendelssohn)  ;  Joyeuse  Marche  (E.  Chabrier)  ;  ouverture  du  Carnaval 
romain  (Berlioz). 

Chàtelet,  concert  Colonne:  Relâche. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Berlin  :  La  première  représen- 
tation i'Otello,  de  Verdi,  à  l'Opéra  royal,  n'a  abouti  qu'à  un  succès  de 
déférence.  Seul,  le  deuxième  acte  paraît  avoir  produit  quelque  effet.  Les 
journaux  berlinois  ne  sont  pas  d'accord  au  sujet  du  mérite  de  l'interpré- 
tation; celle-ci  est  qualifiée  de  satisfaisante  par  les  uns,  de  médiocre  par 
les  autres,  mais  nulle  part  il  n'est  question  d'un  succès  sérieux.  Les  prin- 
cipaux rôles  étaient  tenus  par  MM.  Sylva  (Otello),  Dulss  (fago),  et  MUe  Lei- 
singer  (Desdéinone).  La  prochaine  nouveauté  sera  l'opéra  de  Reinthaler, 
lidlhchen  von  Heilbronn,  qu'on  compte  représenter  vers  la  fin  du  mois  de 
mars.  —  Brunn  :  Mmc  Hermine  Braga  a  effectué  un  très  heureux  début  au 
Théâtre  municipal  dans  Mignon.  —  Hambourg  :  Le  Théâtre  municipal  don- 
nera, dans  le  courant  du  présent  mois,  la  première  représentation  de  la 
traduction  allemande  de  l'opéra  Asraél,  du  baron  Franchetti.  —  Leipzig  : 
Le  Théâtre  municipal  tient  un  gros  succès  avec  un  nouveau  ballet  scien- 
tifico-patriotique  intitulé  Porcelaine  de  Misnie,  scénario  du  directeur 
Stâgemann  et  du  maître  de  ballet  Golinelli,  musique  de  M.  Hellmesberger, 
devienne.  Les  décors  et  les  costumes, -dus  au  peintre  Lucas  von  Cranach, 
ne  seiaient  pas  moins  réussis  que  la  chorégraphie  et  la  partition.  — 
Munich  :  Le  théâtre  de  la  Cour  a  fêté  l'anniversaire  de  la  naissance 
de  Beethoven  par  une  belle  représentation  de  Fidelio,  suivie  des  Ruines 
d'Athènes. 

—  Nous  avons  dit  que  le  26  janvier  dernier,  il  y  a  eu  cent  ans  que  fut 
donné  pour  la  première  fois,  à  Vienne,  le  Cosi  fan  tulle,  de  Mozart, 
arrivé  aujourd'hui  au  chiffre  de  93  représentations  seulement,  ce  qui  ne 
fait  pas  en  moyenne  une  représentation  par  an  depuis  la  date  de  la  pre- 
mière. Les  autres  ouvrages  dramatiques  de  Mozart  ont  eu  une  vogue 
plus  constante  à  l'Opéra  de  Vienne.  Ainsi,  l'Enlèvement  au  Sérail,  donné 
pour  la  première  fois  le  16  janvier  1782,  a  atteint  en  1890  le  chiffre  de 
162  représentations;  les  Noces  de  Figaro,  qui  sont  du  1er  mai  1786,  ont  eu 
423  représentations;  Don  Juan,  qui  est  du  7  mai  1788,  a  été  joué  -475  fois, 
cH  la  Flûte  enchantée  (24  février  1501),  389  fois.  Idoménée  et  Titus  n'ont  eu 
qu'un  nombre  très  restreint  de  représentations  en  l'espace  d'un  siècle  : 
Idoménée,  19,  Titus,  84,  et  enfin  la  petite  opérette,  le  Directeur  de 
Théâtre,  39. 

—  Plus  heureux  que  les  spectateurs  de  l'Opéra  de  Paris,  le  public  de 
l'Opéra  impérial  de  Vienne  vient  d'avoir  la  joie  d'entendre  VArmide  de 
Gluck,  dont  la. reprise  a  eu  lieu  récemment,  avec  Mme  Materna  et  M.  Van 
Dyck.  L'ouvrage,  qui  avait  disparu  du  répertoire  depuis  quelques  années, 
a  produit  une  impression  profonde,  et  l'on  se  demande  là-bas  comment  il 
se  fait  que  nous  restions  si  complètement  privés  d'un  tel  chef-d'œuvre. 
Ce  ne  seraient  pourtant  pas  les  interprètes  qui  nous  manqueraient  ici, 
si  on  le  voulait  bien  ;  se  Bgure-t-on  ce  que  serait,  par  exemple,  l'exécution 

,|'1" lm'    aussi  .'mouvante  avec   deux   artistes    comme   M""0   Caron    et 

M.  Jean  de  Reszké,  et  quelle  jouissance  il  en  résulterait  pour  les  audi- 
teurs? Mais  il  faudrait  pour  cola  ou  un  artiste,  ou  un  homme  intelligent 
a  la  tète  de  notre  Opéra,  et  nous  n'avons  par  disgrâce  ni  l'un  ni  l'autre.. 
guni  qu'il  en  soit,  à  Vienne,  les  journaux  ne  dissimulent  pas  que 
M™  Materna  n'a  pas  répondu  à  l'idée  qu'on  s'était  faite  d'elle  dans  ce 
rôle.  Elle  a  eu  des  moments  superbes,  mais  la  voix  commence  à  se  fati- 
guer et,  il  n'y  a  plus  à  dire,  la  grande  artiste  est  à  son  déclin.  M.  Van 
Dyck  a  été,  en  somme,  le  héros  do  la  soirée.  Orchestre  et  chœurs  excel- 
lents, sous  la  direction  de  M.  Hans  Richler. 


—  Le  ministre  des  cultes  de  Prusse  vient,  par  arrêté,  d'ordonner  l'em- 
ploi dans  toutes  les  écoles  de  l'Etat  d'un  diapason  en  acier  sortant  des 
ateliers  de  physique  de  l'État  à  Charlottenbourg.  Ce  diapason,  conformé- 
ment à  la  convention  internationale  du  diapason,  donne  le  la  de  870  vi- 
brations simples.  On  sait  que  le  diapason  de  870  vibrations  estle  diapa- 
son «  normal  s  adopté,  sur  un  rapport  d'Halévy,  par  la  commission 
nommée  à  cet  effet,  et  dont  l'usage  a  été  prescrit  en  France  par  un  arrêté 
en  date  du  31  mai  1859,  signé  par  M.  Achille  Fould,  ministre  d'État. 

—  Un  curieux  procès  de  propriété  littéraire  va  se  plaider  à  Berlin.  Un 
compositeur,  M.  Sommer,  avait  demandé  à  M.  Wolff,  auteur  d'un  poème 
épique  intitulé  Lurley,  de  tirer  de  ce  dernier  un  livret  d'opéra.  M.  Wolff 
n'ayant  pas  cru  devoir  donner  l'autorisation  demandée,  M.  Sommer  a  passé 
outre  et  s'est  fait  confectionner  un  livret  par  un  autre  poète,  M.  Gurski, 
qu'il  a  mis  en  musique  et  fait  publier.  Delà  le  procès.  M.  Sommer  prétend 
qu'un  auteur  n'a  pas  le  droit  d'empêcher,  par  un  refus  arbitraire,  comme 
celui  de  M.  Wolff,  qu'on  tire  parti  d'une  œuvre  publiée  pour  en  créer  un 
nouvel  ouvrage  d'un  genre  différent.  Ainsi,  le  Lurley  de  M.  Wolff  étant 
un  poème  épique,  il  serait  permis  à  chacun  d'en  faire  un  drame,  un 
opéra,  sans  autre  obligation  que  de  citer  sa  source.  M.  Jules  Wolff  pro- 
teste énergiquement,  on  le  comprend.  Les  tribunaux  décideront. 

—  Un  artiste  italien,  M.  Ferruccio  Busoni,  s'est  produit  à  la  fois  comme 
virtuose  et  comme  compositeur  à  l'un  des  derniers  concerts  du  Gewandhaus, 
de  Leipzig.  Il  a  exécuté  avec  succès  le  concerto  de  piano  en  mi  bémol,  de 
Beethoven,  et  a  fait  entendre  avec  moins  de  succès  une  Suite  symplionique 
de  sa  composition  pour  piano  et  orchestre. 

—  Dans  l'une  des  dernières  séances  de  la  ■Société  de  musique  de 
chambre  de  Pesth,  MM.  Jeno  Hubay  et  Popper  ont  fait  entendre  uû 
nouveau  trio  de  Brahms.  Ce  trio  n'est  autre  que  le  trio  en  sol  majeur  pour 
piano,  violon  et  violoncelle,  que  le  maître  a  complètement  refondu  et 
remanié.  Il  n'a  conservé  de  l'œuvre  ancienne  que  les  thèmes.  Le  scherzo 
seul  n'a  pas  été  sensiblement  modifié.  Joué  par  MM.  Brahms,  Hubay  et 
Popper,  le  nouveau  trio  a  obtenu  un  très  vif  succès. 

—  Petites  nouvelles  du  Nord.  —  A  l'Opéra  de  Stockholm  on  a  repris 
le  8  février,  pour  sa  191°  représentation,  le  Robert  de  Normandie  (Robert 
le  Diable)  de  Meyerbeer.  Des  six  ouvrages  de  l'illustre  compositeur  repré- 
sentés à  Stockholm,  c'est  celui  qui  est  devenu  le  plus  populaire.  Lors  de 
sa  première  apparition  en  cette  ville  en  1839,  le  rôle  d'Alice  fut  créé  par 
la  célèbre  Jenny  Lind.  —  A  Copenhague,  la  Société  Cecilia  a  donné  une 
représentation  de  VArmide  de  Gluck.  —  A  Christiania,  grand  concert...  de 
sifflets,  au  théâtre,  à  l'occasion  d'une  pièce  norvégienne,  le  Roi  Midas,  jouée 
actuellement  avec  un  immense  succès  au  Théâtre  Royal  de  Copenhague  et 
acceptée  au  Théâtre  Royal  de  Stockholm.  Le  motif  du  rejet  est  qu'il  existe 
une  trop  grande  ressemblance  entre  le  héros  du  drame  et  le  poète  Bjœrson, 
le  Victor  Hugo  du  Nord. 

—  Le  célèbre  quatuor  Eugène  Isaïe  et  la  Société  de  musique  de  Tournai, 
organisent  pour  le  27  avril  prochain,  un  concert  exclusivement  consacré 
à  l'œuvre  de  M.  César  Franck.  La  Société  de  musique  exécutera  son  églo- 
gue  biblique  :  Ruth  ;  M.  Isaïe  et  ses  collègues  interpréteront  le  superbe 
quintette  du  maître  français.  On  connaît  le  succès  remporté  par  cette  ex- 
cellente Société  lors  du  concert  du  26  janvier  dernier,  où  l'on  exécuta  en 
présence  de  M.  Massenet,  sa  légende  sacrée:  la  Vierge. 

—  Deux  des  plus  grandes  scènes  lyriques  italiennes,  le  San  Carlo,  de 
Naples,  et  la  Scala,  de  Milan,  traversent  en  ce  moment,  chacune  de  leur 
côté,  une  crise  qui  pourrait  bien  se  terminer  fatalement.  A  Naples,  par 
suite  d'une  série  de  sottises  de  la  municipalité  qui  ont  mis  l'impresa  dans 
une  situation  impossible,  celle-ci  est  aux  abois,  et  le  Trovatore  termine 
ainsi  un  article  qu'il  consacre  à  cette  question  :  «  Au  moment  de  mettre 
sous  presse,  on  nous  dit  que  MM.  Molina  et  Buono  (les  directeurs),  épou- 
vantés de  l'énorme  déficit  et  des  obstacles  si  graves  et  si  nombreux  qui 
s'opposent  à  la  bonne  marche  de  l'entreprise,  ont  déclaré  qu'ils  aimaient 
mieux  perdre  les  sommes  déboursées  par  eux  et  se  retirer,  abandonnant 
une  situation  difficile  jusqu'à  être  désespérée.  Si  la  nouvelle  est  exacte, 
et  s'il  ne  surgit  point  d'autre  combinaison,  les  portes  de  notre  grand 
théâtre  seront  fermées.  »  A  la  Scala  de  Milan,  les  choses  ne  sont  guère 
en  meilleur  état,  grâce  au  fiasco  colossal  des  Maîtres  Clianteurs,  dont  la  re- 
prise peu  heureuse  de  Simon  Boccanegra  n'a  pu  conjurer  l'effet  désastreux. 
Le  même  Trovatore,  qui  est  un  enfant  terrible,  et  qui  ne  sait  pas  farder  la 
vérité,  nous  apprend  que  tandis  que  les  rédacteurs  des  journaux  de  Milan 
cherchent,  dans  ces  journaux,  à  sauvegarder  la  situation,  ils  l'annoncent 
comme  très  grave,  sinon  désespérée,  dans  les  correspondances  qu'ils 
adressent  aux  feuilles  étrangères,  ce  qui  est  au  moins  singulier.  Ce  qui 
est  vrai,  c'est  que  le  théâtre  est  désert  pendant  que  les  frais  courent  tou- 
jours, et  le  dernier  incident  qui  vient  de  se  produire  n'est  pas  pour 
rétablir  ses  affaires.  Cet  incident  est  celui-ci  ;  «  Le  mardi  4  février, 
l'affiche  de  la  Scala  annonçait  :  «  Ce  soir,  répétition  générale  du  Roi  d'Ys, 
et  jeudi,  première  représentation.  »  Or,  le  soir  même,  le  Secolo,  journal 
de  M.  Sonzogno,  éditeur-propriétaire  pour  l'Italie  de  la  partition  du 
Roi  d'Ys,  publiait  la  petite  note  que  voici  :  a  —  L'impresa  de  la  Scala  a 
publié  sur  les  affiches  d'aujourd'hui  que  jeudi  prochain  on  donnerait 
la  première  représentation  du  Roi  d'Ys.  Cette  annonce  est  prématurée,  par 
la  raison  qu'il  n'a  pas  encore  été  décidé,  par  qui  de  droit,  si  et  quand  aura 
lieu  cette  première   représentation.  »  En  reproduisant  cette   note,  le  Tro- 


LE  MENESTREL 


vatore  ajoute:  «  En  fait,  et  d'après  les  dernières  nouvelles  qui  nous  par- 
viennent, il  y  a  beaucoup  à  craindre  que  le  Boi  d'Ys  devienne  pour  la 
Scala  le  Roi  d'X.  Il'  ne  manquerait  plus  que  cela!  »  On  voit  où  en  sont 
les  choses. 

—  Deux  premières  représentations  en  Italie.  Au  théâtre  Parthénope,  de 
Naples,  la  Rivista  del  1889,  avec  musique  nouvelle  de  MM.  Valente,  Forti, 
Pannain,  Fanti,  Buonanno  et...  plusieurs  autres  ;  grand  succès.  A  Osimo, 
il  Sor  Yenanzo,  opérette  de  M.  Tappa,  pour  les  paroles,  de  M.  Domenico 
Querceti,  pour  la  musique  ;  réussite  complète. 

—  Légende  plaisante  d'un  dessin  de  la  Scena  illustrata,  de  Florence  : 
On  répète,  tout  le  monde  est  en  place,  et  le  chef  d'orchestre,  assis  à  son 
pupitre,  s'adresse  à  une  chanteuse  en  scène  :  «  Vous  attaquez  pianissimo, 
pian,  pian,  pian,  lui  dit-il,  et  si  vous  oubliez  le  ton  dans  lequel  vous 
chantez,  faites  un  nœud  à  votre  mouchoir  pour  vous  le  rappeler.  » 

—  Nous  avons  enregistré  l'apparition  d'un  opéra  nouveau,  Iride,  repré- 
senté récemment  à  Cortone  avec  un  succès  qui  paraît  de  bon  aloi.  L'au- 
teur de  cet  ouvrage,  le  jeune  compositeur  Giuseppe  Vigoni,  qui  fut  élève 
de  Ponchielli,  vient  de  terminer  la  partition  d'un  second  opéra,  fort  im- 
portant, qui  ne  compte  pas  moins  de  (rois  actes  et  neuf  tableaux.  Celui-ci, 
dont  l'action  se  développe  à  Florence  vers  l'an  1440,  a  pour  titre  Bal- 
daccio  d'Anghiari.  L'auteur  du  poème  est  M.  Nicola  Gabiani. 

—  Un  artiste  fort  distingué,  M.  Enrico  Bossi,  abandonne  les  doubles 
fonctions  d'organiste  et  de  maître  de  chapelle  qu'il  occupait  à  la  cathé- 
drale de  Come,pour  aller  prendre  possession,  à  Naples,  de  la  classe  d'orgue 
au  Conservatoire  de  San  Pietro,  àMajella.  Il  a  fait  à  ce  sujet  ses  conditions 
conditions  purementartistiques  et  fort  honorables,  qui  ont  été  aussitôt  accep- 
tées. C'est  ainsi  que  la  direction  du  Conservatoire  s'est  engagée  à  pourvoir 
cet  établissement  d'un  grand  orgue  construit  selon  toutes  les  exigences 
de  l'art  moderne,  en  même  temps  que  d'autres  petites  orgues  destinées  à 
l'instruction  et  au  travail  des  élèves.  D'autre  part,  M.  Bossi  veut  com- 
pléter son  cours  d'orgue  en  enseignant  à  ses  élèves  l 'harmonie  complé- 
mentaire, le  plain-chant  et  l'histoire  de  l'orgue. 

—  Au  théâtre  Royal  de  Madrid  on  vient  de  commencer  les  études  d'un 
opéra  italien  nouveau  de  M.  Emilio  Serrano,  Giovanna  la  pazza  (Jeanne  la 
folle),  qui  aura  pour  principaux  interprètes  MmK  Arkel  et  Amelia  Stahl, 
MM.  Moretti,  Dufriche  et  Tabuyo. 

—  La  saison  italienne  de  Y  Auditorium  de  Chicago  a  pris  fin  le  4  janvier, 
avec  le  Barbier  et  Mm0  Patti  dans  le  rôle  de  Rosine.  L'entreprise  a  donné 
des  résultats  financiers  absolument  fantastiques.  Une  moyenne  de  quatre 
mille  sept  cent  soixante  spectateurs  assistait  à  chacune  des  vingt  et  une 
représentations  que  comprenait  la  saison  et  qui  ont  produit,  au  total, 
■1,167,099  fr.  55  !  Soit,  en  moyenne,  57,610  francs  par  soirée. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

M.  le  juge  des  référés  a  fait  faire  un  pas  important  à  la  question  de 
l'Opéra-Comique.  Sur  les  observations  de  M0  Denormandie,  avoué  des 
Domaines,  et  de  M.  Châle,  syndic,  il  a  ordonné  l'expulsion  de  M.  Poujade 
et  la  démolition  des  Concerts  Favart,  ainsi  que  la  vente  des  matériaux  à 
en  provenir.  Une  affiche  apposée  dès  les  premiers  jours  de  la  semaine  sur 
l'horrible  grange  qui  avait  pris  l'appellation  ambitieuse  de  «  Grands 
Concerts  Favart  »,  annonçait  en  effet  pour  jeudi  dernier  l'adjudication  des 
travaux  de  démolition,  adjudication  qui  devait  avoir  lieu  par  les  soins  et  le 
ministère  de  MeThouroude,  commissaire-priseur.  Ajoutons  que  le  cahier 
des  charges  portait,  entre  autres,  les  conditions  que  voici  : 

Le  terrain  devra  être  livré  à  l'Etat  libre  de  toute  construction,  et  entouré  d'une 
palissade  semblable  à  celle  qui  existait  au  moment  de  la  prise  de  possession  par 
M.  Poujade. 

Disons,  en  passant,  que  cette  palissade,  qui  avait  trois  mètres  de  haut 
et  une  étendue  de  deux  cent  quarante-neuf  mètres  vingt-cinq  centimètres, 
peut  être  évaluée  à  plusieurs  milliers  de  francs.  Elle  a  été  employée  à  la 
construction  des  Concerts  Favart. 

Les  anciens  murs,  conservés  pour  la  solidité  de  l'immeuble  voisin,  ne  feront 
pas  partie  de  l'adjudication. 

L'adjudicataire  sera  tenu  de  prendre,  au  besoin,  toutes  les  mesures  d'étayement 
commandées  par  la  situation. 

S'il  était  commis  des  dégradations,  au  cours  des  travaux  de  démolition  laissés 
à  sa  charge,  un  état  en  serait  dressé  par  M.  Arcbambault,  inspecteur  des  bâti- 
ments civils,  et  elles  seraient  également  à  sa  charge. 

Les  travaux  de  démolition  ne  seront  commencés  que  le  lendemain  de  la  mise 
en  adjudication.  Ils  devront  être  terminés  dans  un  délai  de  trente  jours,  c'est-à- 
dire  qu'au  bout  de  ce  temps-là  la  palissade  elle-même  devra  être  rétablie. 

Ce  délai  est  de  rigueur,  il  n'est  pas  comminatoire. 

Des  dommages  et  intérêts  de  cent  francs  par  jour,  prélevés  sur  un  cautionne- 
ment de  'i,000  francs  déposés  à  la  Caisse  des  dépôts  et  consignations,  seraient 
infligés  à  l'adjudicataire  si  les  travaux  n'étaient  pas  terminés  à  la  date  indiquée. 

Le  minimum  des  surenchères  est  de  cinquante  francs. 

L'adjudication  a  eu  lieu  en  effet  jeudi,  précédée  de  quelques  explica- 
tions données  préalablement  par  le  commissaire-priseur,  M0  Thouroude. 
Une  première  enchère  de  mille  francs  a  rapidement  monté  jusqu'à  cinq 
mille,  et,  après  un  temps  d'arrêt  au  cours  duquel  les  Concerts  Favart  ont 
été  à  deux  doigts  d'être  adjugés  pour  cette  somme  minime,  les  surenchères 


ont  repris  jusqu'à  onze  mille  francs,  grâce  à  l'arrivée  de  M.  Leboucher, 
entrepreneur  des  travaux  publics,  qui  en  est  demeuré  acquéreur  pour 
cette  somme.  Ces  onze  mille  francs,  qui  ont  été  payés  comptant,  vont  être 
déposés  à  la  Caisse  des  dépôts  et  consignations,  et  les  créanciers  de  la 
société  Poujade,  dont  la  dette  s'élève  à  270,000  francs,  se  les  partageront 
au  prorata.  —  Enfin,  nous  allons  être  débarrassés  de  ce  qui  fut,  ou  pré- 
tendit être,  les  «  Grands  Concerts  Favart!  »  A  quand  maintenant  la  recon- 
struction de  l'Opéra-Comique? 

—  L'archevêque  de  Paris  a  décidé,  d'accord  avec  le  conseil  de  fabrique 
de  la  métropole,  de  faire  restaurer  l'orgue  du  chœur  de  Notre-Dame  et  d'y 
appliquer  le  système  électro-pneumatique  employé  déjà,  avec  succès,  pour 
plusieurs  de  ces  instruments  de  grandes  dimensions.  L'orgue  de  Notre- 
Dame  a  été  construit  en  1803. 

—  On  annonce  qu'à  la  suite  de  la  représentation  de  Salammbô  au  théâtre 
royal  de  la  Monnaie,  le  roi  des  Belges  a  conféré  à  M.  Ernest  Reyer  le 
grade  d'officier  de  l'ordre  de  Léopold. 

—  Du  Gil  Blas:  «  Le  Marcliand  de  Venise,  de  MM.  Jules  Adenis  et  Louis 
Deffès,  qui  devait  par  traité  passer  ce  mois-ci  à  l'Opéra-Comique,  est 
ajourné  en  décembre  ou  janvier  prochain.  M.  Paravey,  comme  tout  Fran- 
çais, né  malin,  s'est  délicatement  tiré  cette  épine  du  pied.  Mais  il  va  sans 
dire  que  cette  fois  la  date  est  tout  à  fait  sérieuse...  il  y  a  un  nouveau 
traité  de  signé!  »  Et  d'un!  c'est  au  tour  à  présent  de  Gilbert  Desroches, 
de  Casteignier,  de  Rosenlecker,  de  Diaz  et  tutti  quanti.  Tous  seront  «  roulés  » 
à  leur  heure  avec  la  même  désinvolture.  M.  Paravey  ne  s'embarrasse  pas 
pour  si  peu. 

—  On  a  donné  cette  semaine,  aux  Menus-Plaisirs,  la  première  repré- 
sentation d'une  opérette  en  un  acte,  TEntr'acle,  paroles  de  M.  Maxime 
Boucheron,  musique  de  M.  André  Martinet,  jouée  par  MM.  Bartel,  Vavas- 
seur,  Schey,  Berthier,  etMllœ  Ellen  Andrée  et  Mary  Gillet. 

—  Le  Guide  musical  nous  donne  les  intéressants  détails  que  voici  sur  un 
nouveau  portrait  de  Beethoven  :  —  Un  éminent  aquaforiste  néerlandais, 
M.  Carel  L.  Dake,  bien  connu  de  tous  les  amateurs  de  gravure  par  ses 
planches  d'après  Rembrandt,  Franz  Hais  et  surtout  par  sa  magistrale  eau- 
forte  de  «  Guillaume  d'Orange  et  Henriette-Marie  Stuart  »  de  Van  Dyck, 
vient  de  terminer  un  admirable  portrait  de  Beethoven  à  l'eau-forte.  De 
tous  les  portraits  du  grand  symphoniste  publiés  jusqu'à  ce  jour,  celui-ci 
est  assurément  le  portrait  qui  donne  le  mieux  la  sensation  de  vérité  et  de 
fidélité.  Il  représente  Beethoven  dans  la  force  de  l'âge,  le  front  puissant, 
la  bouche  volontaire,  le  menton  tourmenté,  le  regard  profond  mais  humain. 
Rien  dans  cette  gravure  ne  rappelle  le  Beethoven  épileptique  que  nous  ont 
fait  les  graveurs  allemands  delà  période  romantique.  C'est  une  restitution 
artistique  très  impressionnante.  Il  existe,  on  le  sait,  un  grand  nombre  de 
portraits  de  Beethoven,  dont  un  portrait  à  l'huile  qui  le  montre  de  face, 
déjà  grisonnant,  et  qui  est  conservé  au  conservatoire  de  Leipzig,  croyons- 
nous;  puis  un  grand  nombre  de  portraits  gravés,  dont  les  plus  curieux 
et  les  plus  frappants  de  ressemblance,  au  dire  de  tous  ceux  qui  ont  connu 
Beethoven,  sont  les  deux  bois  qui  le  représentent  le  chapeau  sur  la  tête,  mar- 
chant les  mains  croisées  sur  le  dos.  M.  Dake  a  consulté  à  Vienne  tous  les 
documents  qui  existent:  mais  il  s'est  particulièrement  inspiré  du  buste 
de  F.  Klein,  fait  du  vivant  de  Beethoven,  et  des  deux  masques  en  plâtre, 
pris  l'un  du  vivant,  l'autre  après  la  mort.  Avec  ses  moyens  restreints,  une 
intelligence  supérieure  et  une  main  d'artiste,  M.  Dake  vient  de  créer  un 
nouveau  portrait  de  Beethoven,  qui,  pour  sa  valeur  artistique  et  sa  res- 
semblance, peut  être  considéré  comme  un  chef-d'œuvre.  L'eau-forte  de 
M.  Dake  mesure,  sans  les  marges,  47  1/2  centimètres  sur  371/2.  Elle  fait 
ainsi  pendant  à  l'eau-forte  de  Richard  Wagner,  par  Nerkomer.  C'est  la 
maison  Dietrich  et  Cic,  de  Bruxelles,  qui  vient  de  faire  paraître  cette  re- 
marquable gravure.  » 

—  Je  reçois  d'Italie  un  petit  volume  publié  à  Naples  sous  ce  titre  :  Inter- 
meszi  musicali.  Sur  la  couverture,  un  portrait  de  Richard  "Wagner,  très 
réussi,  ma  foi  ;  sur  le  dos  de  la  même  couverture,  une  liste  des  autres 
écrits  de  l'auteur,  parmi  lesquels  je  découvre  un  «  Hymne  pour  la  venue 
de  Guillaume  II  à  Rome.  »  Très  bien  !  Cette  fois  je  sais  à  quoi  m'en  tenir, 
et  je  vois  qu'ici  encore  la  triple  alliance  fait  des  siennes.  L'auteur  n'est 
certainement  pas  un  ami  de  la  France,  et  il  le  prouve.  Il  le  prouve,  non 
par  l'enthousiasme  véritablement  furibond  qu'il  déploie  en  faveur  du  génie 
de  Wagner,  mais  par  la  peine  qu'il  prend  pour  rabaissercelui  de  nos  mu- 
siciens et  pour  railler  ceux  d'entre  nous  qui  ne  partagent  pas  complète- 
ment son  admiration  et  qui  ne  s'écrient  pas  comme  lui,  sur  un  ton  sybillin  : 
Lohengrin  !  Lohengrin  !  Lohengrin  .'...  Il  constate  «  la  petitesse  du  génie 
d'Auber  ;  »  il  nous  parle  de  la  jalousie  de  Berlioz  envers  le  «  divin  maître  » 
de  Bayreuth;  il  raille  M.  Gounod,  «  qui  a  pris  à  Wagner  sa  couleur  d'or- 
chestre, et  son  caractère  dramatique  musical  (!!!)  ;  »  il  bafoue  «  la  foule 
des  ignorants  français  qui  combattent  la  musique  de  Wagner  sans  peut- 
être  en  connaître  une  note;  »  mais,  comme  compensation,  il  cite  complai- 
samment  M.  Dujardin  et  sa  défunte  Revue  wagnérienne.  Il  n'y  a  qu'à  Naples 
qu'on  puisse  parler  sans  rire  de  cette  ex-fleuue.  Tout  cela,  il  faut  le  dire, 
dans  une  langue  très  alerte,  très  vivante,  très  expressive,  et  dans  le  Ion 
de  la  vraie  polémique.  J'oubliais  de  dire  que  l'auteur  est  M.  Pagliara,  le 
successeur  du  vénérable  Florimo  dans  les  fonctions  d'archiviste  du  Conser- 
vatoire de  Naples.  M.  Pagliara  a  dû  bien  souffrir  du  fiasco  colossal  que 
viennent  de  subir  à  Rome  les  Maîtres  Chanteurs,  sur  lesquels  il  a  écrit  un 


56 


LE  MENESTREL 


dithyrambe  enflammé.  Aux  chapitres  sur  Wagner  qui  émaillent  son  livre 
(lequel  d'ailleurs,  je  le  répète,  est  plein  de  vivacité  et  fort  intéressant),  je 
préfère  beaucoup  ceux  qu'il  a  consacrés  à  Francesco  Florimo,  son  prédé- 
cesseur, ainsi  qu'à  Rossini,  à  Donizetti,  à  Bellini,  d'autant  plus  que  ceux- 
ci  renferment  non  seulement  des  anecdotes  curieuses,  mais  des  lettres 
pleines  d'intérêt,  lettres  que  nous  ne  connaissions  pas  en  France  et  qui 
sont  dignes  d'attention.  Quant  au  reste,  ceux  de  nos  wagnériens  qui  aiment  à 
voiries  étrangers  dire  du  mal  de  notre  pays  et  de  nos  artistes  pourront  lire 
avec  fruit  le  volume  de  M.  Pagliara  ;  ils  seront  servis  à  souhait.  Et  l'au- 
teur se  pique  d'être  «  un  wagnér'ien  tolérant  !  ».  Saperlotte,  que  serait-ce 
donc  s'il  était  intolérant!  A.  P. 

—  Nous  sommes  heureux  d'enregistrer  les  nouveaux  succès  que  vient 
de  remporter  notre  jeune  compatriote  M110  Clotilde  Kleeberg  à  Hambourg, 
Brème,  Kiel,  Rostock,  Breslau  et  dans  toute  la  Hollande,  où  elle  a  donné 
des  séances  de  piano  très  intéressantes.  La  Chaconne  de  M.  Th.  Dubois 
figure  sur  tous  ses  programmes  et  lui  est  invariablement  hissée. 

—  On  nous  demande  le  nom  du  morceau  que  M.  Faure  a  chanté  à  la 
cérémonie  du  mariage  de  M.  Georges  Desvallières,  le  petit-fils  de  M.  Ernest 
Legouvé.  Ce  morceau  n'est  autre  que  VO  Salutaris  (Pie  Jesu)  du  grand  chan- 
teur, qu'accompagnait  merveilleusement  le  cor  de  M.  Brémond,  premier 
cor  solo  de  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire. 

—  Tous  les  amateurs  savaient-ils  que  Ingres  avait  fait  un  portrait  de 
Paganini?  Nous  en  doutons  un  peu,  car,  pour  notre  part,  nous  l'ignorions 
complètement.  Toujours  est-il  que  ce  portrait  faisait  partie  de  la  galerie 
de  M.  le  comte  Osborne,  le  riche  collectionneur  dont  les  admirables  col- 
lections de  livres  rares,  manuscrits,  tableaux,  objets  d'art,  etc.,  évaluées 
à  deux  millions,  ont  péri  dans  l'incendie  qui  a  éclaté  cette  semaine  chez 
lui,  au  numéro  6  de  la  rue  de  Seine.  Ajoutons  cependant  que,  parmi  les 
trop  rares  objets  échappés  à  ce  désastre  artistique,  le  portrait  de  Paganini 
par  Ingres  a  pu  être  sauvé  sans  avoir  éprouvé  trop  de  dommage. 

—  Nous  lisons  dans  le  Réoeil  du  Loiret  :  «  Le  superbe  concert  donné  hier  à 
Orléans,  par  l'orchestre  de  M.  J.  Gack,  a  eu  un  très  grand  succès.  M.  Bour- 
gault-Ducoudray,  qui  avait  présidé  le  jury  de  notre  concours  d'orphéons 
en  1883,  est  venu  diriger  quelques-unes  de  s.es  plus  belles  compositions. 
L'auditoire  lui  a  fait  l'accueil  le  plus  sympathique  ;  plusieurs  de  ses  mor- 
ceaux ont  été  bissés,  entre  autres  l'Angélus  et  une  délicieuse  symphonie 
intitulée  l'Enterrement  d'Ophélie.  Saluons  dans  M.  Auguez  un  chanteur  ac- 
compli. Quant  à  l'orchestre,  il  a  su  donner  aux  différentes  œuvres  de 
M.  Bourgault-Ducoudray  l'expression  la  plus  juste  et  la  mieux  sentie.  » 

— Concerts.  —  C'étaitfète  mardi  dernier,  salle  Érard,  au  concert  donné  par 
M"°  Spencer-Owen,  une  harpiste  de  très  grand  talent.  Notre  grand  chanteur 
Faure  avait  gracieusement  prêté  son  concours  à  la  charmante  artiste,  et  le 
public  très  nombreux  l'a  salué  avec  enthousiasme.  On  lui  a  bissé  son 
Crucifix,  qu'il  a  merveilleusement  dit  avec  M.  Bosquin,  et  on  lui  aurait 
<le  même  redemandé  tous  les  morceaux  du  programme  si  on  avait  osé. 
M.  PaulViardota  aussi  recueilli  de  nombreux  applaudissements,  en  jouant  à 
ravir.  —  Dernièrement,  très  brillante  matinée  à  Neuilly,  chez  Mme  Au- 
dousset. La  première  partie  de  la  séance  était  occupée  par  les  élèves  de 
Mme  Audousset  ;  elle  se  terminait  par  un  charmant  concert  dans  lequel 
on  a  applaudi  Mmes  Casquard  et  S.  Delaunay,  MM.  Binon  et  Belville. 
Mme  Audousset  s'est  fait  entendre  plusieurs  fois  avec  beaucoup  de  succès. 

—  La  dernière  matinée  donnée  par  M""c  Lafaix-Gontié  a  été  fort  inté- 
ressante. On  y  a  entendu  divers  morceaux  de  Grieg,  un  air  d'Â Iceste  bien 
interprété  par  une  des  élèves  de  M"10  Lafaix-Gontié,  qui,  en  compagnie  de 
la  même  élève,  a  dit  un  duetto  de  M.  Mathias  Miquel,  le  pianiste  espa- 
gnol. Cet  excellent  artiste  s'est  fait  entendre  aussi  avec  un  vif  succès;  à 
signaler  encore  le  joli  air  de  Jean  de  Nivelle:  «  On  croit  à  tout  lorsque  l'on 
aime.  »  —  Belle  soirée,  salle  Erard,  pour  le  récital  de  piano  de  M™  de  Van- 
deul-Escudier,  qui  a  joué  avec  une  grande  autorité  la  sonate  op.  31,  n°  2, 
•de  Beethoven,  un  andante  et  un  scherzo  de  Hummel,  d'une  allure  charmante, 
puis  différentes  pièces  de  Rameau,  Mendelssohn,  Chopin,  etc.  L'excellente 
pianiste  a  du  recommencer  une  ravissante  berceuse  de  M.  A.  de  Bertha. 

—  Dernièrement  à  la  salle  Philippe  Herz ,  a  eu  lieu  la  première  des 
trois  matinées  que  MUc  C.  Carissan  a  annoncées,  pour  faire  entendre  ses 
nouvelles  compositions  de  chant  et  de  piano,  en  y  ajoutant  chaque  fois 
deux  ou  trois  morceaux  de  musique  instrumentale  de  premier  choix.  Avec 
le  concours  de  MM.  Lefort  et  Casella,  on  a  eu  cette  fois  l'excellent  trio  en 
si  bémol  de  Rubinstein  et  la  merveilleuse  sonate,  en  si  bémol  également, 
de  Haendel,  admirablement  exécutés.  Diverses  compositions  de  Mlle  Ca- 
xissan  pour  le  chant  et  pour  le  piano  ont  été  ensuite  très  bien  accueillies. 

—  Le  mardi,  4  février,  M"°  Chaucherau  a  donné,  à  la  salle  Pleyel,  un 
brillant  concert  où  elle  s'est  fait  applaudir  très  chaleureusement,  princi- 
palement en  chantant  les  Ailes,  de  M.  Louis  Diémer.  Beau  succès 
aussi    pour    M"1'    Chaminade    et    MM.    Lauwers,    Mendels    et   Ronchini. 

—  L'abondance  des  concerts  ne  nous  a  pas  permis  jusqu'à  ce  jour 
de  rendre  compte  de  celui  donné  par  la  jeune  Norvégienne  Hanna  Hansen 
à  la  salle  Kriegelstein.  Cette  jeune  enfant,  élève  de  M.  Thurner,  a  obtenu 
un  vif  succès;  c'est  un  vrai  tempérament  d'artiste.  Très  applaudie  dans  le 
trio  en  sol  mineur  de  Rubinstein,  dans  des  pièces  deSchumannainsi  que  de 
son  maître,  elle  a  déployé  de  rares  qualités  d'expression  et  de  couleur  dans 


Chopin  et  Beethoven.  Quand,  avec  l'âge,  le  mécanisme  aura  atteint  plus 
de  fermeté  et  d'éclat,  Mlle  Hansen  sera  certainement  au  nombre  de  nos 
plus  brillantes  étoiles  du  piano.  MM.  Truffier  et  Laugier,  de  la  Comédie- 
Française,  ont  prêté  leur  précieux  concours  à  ce  concert  en  tous  points 
réussi,  ainsi  que  l'aimable  couple  Ciampi  ;  en  somme  soirée  réussie  pour 
la  bénéficiaire  et  tous  ses  excellents  coopérateurs.  —  Salle  comble  à  la 
séance  donnée  par  M.  Georges  Falkemberg  pour  faire  entendre  quelques 
élèves;  tous  ont  été  vivement  applaudis,  ainsi  que  leur  professeur  lorsqu'il 
a  exécuté  à  son  tour  divers  morceaux,  dont  un  brillant  Scherzando  de  sa 
composition.  MM.  Montardon  et  Mazalbert  ont  grandement  contribué  à 
l'intérêt  de  cette  séance,  et  recueilli  leur  part  de  bravos;  la  belle  mélodie 
de  Paladilhe,  Purgatoire,  a  produit  son  effet  accoutumé.  —  Mentionnons 
le  concert  donné  avec  un  très  grand  succès  par  M.  Ernest  Moret,  et  dont 
ce  jeune  violoniste  faisait  à  lui  seul  tous  les  frais.  Il  s'est  fait  très 
vivement  et  très  justement  applaudir  en  jouant,  avec  un  très  grand  style 
et  de  rares  qualités  d'exécution  et  d'expression,  diverses  œuvres  de  Bach, 
de  Wieniawski,  de  MM.  Saint-Saëns  et  Sarasate,  ainsi  qu'une  Etude  de 
Chopin,  transcrite  par  lui-même. 

—  Concerts  annoncés.  —  M.  André  Bloch,  premier  prix  de  piano  de  cette  année 
dans  la  classe  de  M.  Diémer,  donne  demain  lundi  un  concert  à  la  salle  Érard, 
avec  le  concours  de  M11"  Renée  du  Minil,  Marcella  Pregi  et  Renée  Langlois,  et 
de  MM.  Diémer,  Widor  et  Casella.  —  M.  Léon  Delafosse,  qui  a  obtenu  un  si 
beau  succès  dernièrement  aux  Concerts  du  GMtelet,  donne  un  concert,  salle 
Érard,  le  jeudi  20  février,  avec  le  concours  de  M.  Colonne  et  de  son  orchestre. 
—  Le  22  février,  salle  Pleyel,  concert  avec  orchestre  donné  par  Mmo  Roger-Miclos, 
qui  y  fera  entendre  le  concerto  en  ré  mineur  de  Mozart,  le  concerto  en  sol  mineur 
de  Saint-Saëns,  et  des  œuvres  de  Haendel,  Beethoven,  Chopin,  Ch.  Lefebvre,  Grieg 
et  Liszt.  L'orchestre  sera  dirigé  par  M.  Ed.  Colonne. 


NÉCROLOGIE 


Nous  avons  le  regret  d'annoncer  la  mort,  à  l'âge  de  86  ans,  d'Edmond 
Lhuillier,  le  chansonnier  bien  connu,  qui  a  écrit  et  composé  pendant 
près  de  soixante-dix  ans,  puisqu'il  n'en  avait  que  dix-sept  lorsqu'il  pro- 
duisit sa  première  chanson,  la  Lettre  de  faire  part,  et  qu'il  donnait  encore, 
il  y  a  quelques  semaines  à  peine,  son  concert  annuel  pour  faire  entendre 
ses  dernières  compositions.  On  évalue  à  plus  de  mille  le  nombre  de  ses 
chansons  et  chansonnettes  comiques,  dont,  la  plupart  du  temps,  il  écrivait 
à  la  fois  les  paroles  et  la  musique.  Ces  petits  poèmes  formaient  jadis 
une  bonne  partie  du  répertoire  de  Déjazet,  d'Achard  père,  de  Levassor 
et  de  Sainte-Foy  ;  plus  tard,  il  eut  pour  interprètes  Berthelier,  MM.  Bras- 
seur, Fusier,  Tervil,  puis  Mm»s  Scriwaneck,  Thérésa,  Judic,  Théo,  Mily- 
Meyer.  On  cite,  au  nombre  des  plus  grands  succès  obtenus  en  ce  genre 
par  Edmond  Lhuillier  :  Jean  Nicaise,  Ce  que  femme  veut,  Comment  on  mène 
son  mari,  Monsieur  fait  ses  visites,  C'est  ma  fille,  les  Cerises,  Nos  amateurs, 
le  Quadrille  d'honneur,  Sur  l'impériale...  Il  a  écrit  aussi  les  paroles  et  la 
musique  de  deux  opérettes  de  salon  :  M.  et  Mme  Jean  et  le  Bal  de  il/11»  .Rose. 
Fils  du  général  Lhuillier,  qui,  en  qualité  d'aide  de  camp  du  prince 
Eugène  de  Beauharnais,  vice-roi  d'Italie,  résidait  alors  en  Italie,  Edmond 
Lhuillier  était  né.  à  Milan  en  novembre  1803  ;  il  est  mort  le  9  février, 
dans  la  petite  chambre  meublée  qu'il  habitait  depuis  plus  de  trente  ans 
dans  le  passage  de  l'Opéra. 

—  De  Christiania  on  annonce  la  mort,  à  l'âge  de  soixante-dix  ans,  de 
M.  Johann-Didric  Behrens,  le  créateur  et  le  propagateur  du  chant  choral 
en  Norvège.  C'est  lui  qui  était  venu,  lors  de  l'Exposition  universelle  de 
1878,  diriger  au  Trocadéro  les  concerts  norvégiens.  Les  funérailles  de 
Behrens,  qui  était  extraordinairement  populaire,  ont  pris  le  caractère  d'un 
deuil  national.  Une  souscription  est  ouverte  dans  le  but  d'élever  un 
monument  à  sa  mémoire. 

—  Un  chanteur  qui  connut  naguère  de  nombreux  succès,  le  baryton 
Davide  Squarcia,  fameux  en  Italie  il  y  a  vingt-cinq  ans  surtout  pour  la 
façon  dont  il  chantait  Guillaume  Tell,  vient  de  mourir  à  Fano,  sa  ville 
natale. 

—  Une  violoniste,  nommée  Glementina  Tuhertini,  qui,  chose  assez 
singulière  et  chez  nous  inusitée,  faisait  partio  de  l'orchestre  du  théâtre 
de  Bologne,  est  morte  en  cette  ville,  à  l'âge  de  trente-six  ans. 

-- -  Un  vétéran  du  théâtre  et  de  l'art  lyrique,  Henri  de  Marchion,  s'est 
éteint  le  17  janvier,  à  Dresde,  à  l'âge  de  74  ans.  C'était  un  ténor  plein 
de  talent,  de  verve  et  d'intelligence,  et  dont  les  états  [de  service  ont  été 
particulièrement  brillants.  Né  à  Berlin  en  1816,  il  commença  sa  carrière 
théâtrale  en  1848  à  Lubeck  ;  mais  ses  véritables  débuts  datent  do  1836 
alors  qu'il  entreprit  une  tournée  de  concerts  avec  Henriette  Sontag,  à 
Hambourg,  à  Prague  et  à  Vienne.  Il  a  fait  partie  du  théâtre  de  la  Cour  de 
Dresde  depuis  1854. 

Henri  Heugel.  directeur-geiant 

VIENT  DE  PARAITRE,  chez  MM.  Maquiït  et  C1»,  la  partition  piano 
et  chant  de  Ma  Mie  Hosetle,  le  nouvel  opéra-comique  de  MM.  Lacome 
Prével  et  Liorat. 


-    nil'IUMlilUE  CI1AIX.    —    I 


3071  —  5l)me  ANNEE  —  IV0  8. 


Dimanche  23  Février  1890. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  H.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.",   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  Irais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (50°  article),  Albert  Solbies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale:  Rentrée  de  M.  Lhérie,  à  l'Opéra-Comique; 
les  boniments  de  M.  Gailhard,  H.  Moreno;  reprise  des  Pilules  du  Diable,  au 
Châtelet,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Le  théâtre  à  l'Exposition  (18"  article), 
Arthur  Pougin.  —  IV.  Revue  des  Grands  Concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 
ESPOIR   EN    DIEU 
nouvelle  mélodie  de  J.  Faure,  poésie  de  Victor  Hugo.    —   Suivra  immé- 
diatement :   Fleur  de  neige,  nouvelle    mélodie  de  Ambroise  Thomas,  poésie 
de  Jules  Barbier. 

PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano:  Chants  du  Tyrol,  nouvelle  polka-mazurka  de  Heinrich  Strobl. — 
Suivra  immédiatement:  Le  Menuet  de  l'Infante,  de  Paul  Rougnon. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Albert  SOOBIBS   et  Charles   MALHERBE 


CHAPITRE  XIII 

meyerbeer  a  l'opéra-comique 

l'étoile  du  nord 

1853-1855 

(Suite.) 

Il  n'y  a  pas  de  profits  sans  quelques  charges,  et  l'honneur 
d'être  un  théâtre  impérial  obligeait  parfois  l'Opéra-Comique 
à  subir  les  caprices  qui  venaient  de  haut.  Ainsi  vit-on  re- 
présenter par  ordre,  le  6  juin,  Jacqueline,  pièce  en  un  acte, 
paroles  de  Léon  Battu,  musique  de  MM.  d'Osmont  et  Costé, 
jouée  déjà  une  première  et  unique  fois  à  la  salle  Ventadour 
le  15  mai  précédent,  au  bénéfice  de  l'œuvre  des  secours  à 
domicile.  Cette  bluette,  plus  ou  moins  dérivée  de  deux  pièces 
connues  alors,  le  Capitaine  Rolland  et  le  Méridien,  ressemblait 
fort  à  une  comédie  de  salon.  Par  ordre  signifiait  que  l'auteur 
était  bien  en  cour.  L'empereur  en  effet  vint  à  la  première; 
mais  le  public  ne  vint  pas  à  la  seconde,  de  sorte  que  la 
troisième  n'eut  jamais  lieu 

Ce  fâcheux  début  fut  suivi  d'un  autre  à  peine  plus  heu- 
reux, l'Anneau  d'argent,  «  bergerie  »  en  un  acte,  paroles  de  Jules 
Barbier  et  Léon  Battu,  musique  de  M.  Deffès  (5  juillet  1855). 
Le  livret,  que  ses  auteurs  avaient  d'abord  baptisé  la  Ferme, 
suivant  les  uns,  la  Ferme  et  la  Fabrique,  suivant  les  autres,  ne 


brillait  pas  par  son  intérêt.  Prix  de  Rome  en  1847,  le  com- 
positeur devait  s'estimer  heureux  qu'on  eût  enfin  songé  à 
lui;  mais  le  futur  directeur  du  Conservatoire  de  Toulouse  ne 
put  en  ce  premier  essai  donner  sa  mesure;  il  avait  une  re- 
vanche à  prendre,  et,  quelques  années  plus  tard,  il  la  prit  en 
effet  avec  les  Bourguignonnes  et  le  Café  du  Roi. 

Il  était  écrit  qu'en  1855  nulle  autre  nouveauté  que  le  Chien 
du  Jardinier  ne  se  maintiendrait  debout  ;  la  malchance  souf- 
flait sur  les  compositeurs  et  renversait  leurs  ouvrages  tour  à 
tour;  tous  étaient  frappés,  même  les  habitués  du  succès, 
Victor  Massé,  Ambroise  Thomas,  Auber,  et  maintenant  Mont- 
fort  avec  DeucalionetPyrrha,  et  Adolphe  Adam,  avec  le  Housard 
de  Berching  ;  de  ces  deux  pièces,  la  première,  jouée  le  8  oc- 
tobre, n'avait  d'antique  que  l'étiquette  ;  c'est  Arlequin  dont 
Michel  Carré  et  Jules  Barbier  avaient  fait  le  héros  dans  ce 
petit  acte,  et  ils  lui  avaient  prêté  une  certaine  dose  de  naïveté, 
puisqu'à  la  suite  d'une  inondation,  il  croyait  déjà  au  déluge 
universel,  et,  rencontrant,  la  jeune  Coraline,  il  commentait 
avec  elle  la  légende  mythologique  racontée  par  Ovide  en  ses 
Métamorphoses  et  songeait  aux  moyens  de  repeupler  le  monde. 
Un  mariage  était  le  moyen  tout  indiqué,  et  Arlequin  se  ma- 
riait en  effet.  Ce  fut  la  dernière  partition  de  Montfort,  qui 
avait  commencé  par  un  succès,  Polichinelle,  et  qui  finit  ainsi 
par  une  chute. 

Adolphe  Adam  échoua  de  même,  le  17  octobre,  1855  avec  la 
berquinade  en  deux  actes  que  lui  avait  fournie  son  collabo- 
rateur Rosier.  Ce  sergent  mystifiant  deux  vieux  avares  au 
point  de  les  faire,  par  un  escamotage  de  signatures,  s'enrôler 
l'un  comme  soldat,  l'autre  comme  vivandière,  et  les  amenant 
à  se  racheter  d'un  tel  engagement  au  prix  d'une  somme 
d'argent  qui  devient  la  dot  de  Martin  et  Rosette,  deux  amou- 
reux pauvres,  ce  personnage  d'opérette,  même  interprété  par 
Battaille,  ne  causa  ni  gaieté  ni  émotion.  La  musique  ne  put 
sauver  la  pièce,  et  pourtant  Adolphe  Adam  écrivait,  en  par- 
lant de  cette  partition,  qu'il  croyait  n'avoir  jamais  mieux 
réussi  !  L'auteur  est  souvent  le  pire  juge  de  son  œuvre I 

Victor  Massé  avait,  lui  aussi,  un  faible  pour  les  Saisons,  dont 
la  première  représentation  fut  donnée  le  22  décembre  1855. 
Il  rêvait  toujours  d'une  reprise  possible,  et  c'est  avec  cet 
espoir  qu'il  avait  remanié  plus  tard  les  trois  actes  de  Michel 
Carré  et  Jules  Barbier,  répétés  d'abord  sous  le  nom  de  Simone. 
Cependant  le  premier  accueil  n'avait  pas  été  favorable;  pour- 
quoi? c'est  ce  qu'à  distance  on  ne  saurait  démêler;  car  le 
livret,  qui  nous  montre  une  sorte  de  Mireille  avant  la  lettre,  ne 
semble  pas  dénué  d'intérêt,  et  la  musique,  à  coup  sur,  contient 
des  pages  charmantes.  Il  y  a  peut-être  là,  qui  sait  1  un  procès 
perdu  en  instance  et  qui  sera  quelque  jour  gagné  en  appel. 

A  côté  de  ces  pièces  nouvelles  et  oubliées,  il  en  est  d'autres 
anciennes  qui  dans  le  même  temps  avaient  subi  le  même  sort. 


58 


LE  MENESTREL 


Au  commencement  de  ce  chapitre,  nous  établissions,  pour 
les  trois  années  qu'il  embrasse,  l'actif  de  l'Opéra-Comique;  il 
est  juste  d'établir  ici  son  passif,  c'est-à-dire  ce  qui  a  définitive- 
ment disparu,  soit  :  un  seul  parmi  les  ouvrages  donnés  de- 
puis l'ouverture  de  la  seconde  salle  Favart,  Gille  ravisseur  ; 
quatre  parmi  les  œuvres  antérieures  à  cette  date,  Adolphe  et 
Clara,  l'Irato,  Maison  à  vendre  et  Action. 

L'anDée  1855  vit,  en  outre,  le  départ  de  quelques  artistes 
justement  réputés,  Hermann-Léon,  Mmo  Miolan-Garvalho , 
Mme  Golson.  De  tels  vides  devaient  être  difficilement  comblés; 
les  nouveaux  pensionnaires  de  l'Opéra-Comique  étaient  : 
Mlle  Mira,  petite-fille  du  célèbre  acteur  Brunet,  qui  débuta  le 
2  juillet  dans  Diane  des  Diamants  de  la  Couronne  ;  Beckers,  qui 
débuta  le  9  septembre  dans  Gritzenko  de  l'Etoile  du  Nord,  et 
M"e  Henrion-Berthier  (2e  prix  d'opéra,  1er  accessit  de  chant  et 
d'opéra-comique  au  concours  de  1855),  qui  débuta  le  24  no- 
vembre dans  Angèle  du  Domino  noir. 

Enfin,  on  ne  saurait  quitter  alors  la  salle  Favart  sans 
mentionner  quelques-unes  des  soirées  qui  doivent  compter 
dans  son  histoire:  le  concert  spirituel  du  7  avril,  où  fut  exé- 
cuté, sous  la  direction  de  Berlioz,  son  oratorio  l'Enfance  du 
Christ,  précédemment  entendu  trois  fois  de  suite  à  la  salle 
Herz  ;  la  représentation  de  gala  donnée  en  l'honneur  de  la 
reine  d'Angleterre,  où  Haydée  vit  pour  la  circonstance  les 
chœurs  de  l'Opéra-Comique  doublés  par  l'adjonction  de  ceux 
du  Théâtre-Lyrique  ;  surtout  la  représentation  gratuite  du 
•13  septembre,  où,  pour  fêter  la  prise  de  Sébastopol,  retentit  la 
célèbre  cantate  d'Adolphe  Adam,  Victoire.'  C'était  une  véritable 
improvisation.  La  veille,  à  trois  heures,  il  n'y  avait  rien  de 
prêt;  vite  on  s'adresse  à  Michel  Carré,  qui  écrit  des  vers  sur- 
le-champ;  on  les  porte  à  Adolphe  Adam  qui  se  met  au  travail 
sans  plus  tarder  :  avant  dix  heures  du  soir  la  musique  était 
faite  et  l'on  copiait  les  parties.  Pendant  ce  temps  on  brossait 
un  décor  ;  on  improvisait  des  costumes  ;  Faure,  Jourdan, 
Delaunay-Riquier,  Bussine  répétaient,  et,  le  soir,  la  cantate 
était  si  chaleureusement  accueillie,  que,  pendant  treize  jours, 
elle  accompagna  le  spectacle. 

Et  comment  en  eùt-il  été  autrement  !  Pour  notre  patrie, 
1855  marquait  en  effet  une  année  de  gloire  et  de  prospérité, 
où,  au  prestige  de  la  première  Exposition  universelle,  s'ajou- 
tait celui  de  nos  armes  en  Crimée.  Au  moment  où  nous 
écrivons  cette  histoire,  de  nouveau  une  Exposition  a  brillé. 
Mais  dans  l'intervalle,  la  fortune  a  montré  hélas!  combien  le 
poète  de  Victoire  s'illusionnait  quand  il  écrivait  ces  vers,  qui, 
chantés  par  les  chœurs,  étaient  applaudis  chaque  soir  ; 

0  grande  journée,  à  jamais  féconde. 

Tu  fais  notre  orgueil!  Fais  la  paix  du  monde  ! 

(A  suivre.) 


SEMAINE   THEATRALE 


Petite  semaine,  semaine  de  carême  ou  les  événements  maigres 
l'emportent  sur  les  événements  gras.  Est-ce  au  maigre  ou  au  gras 
qu'il  faut  classer  la  rentiée  du  baryton  Lhérie  au  bercail  de  M.  Pa- 
ravey?  Il  est  certain  en  tous  les  cas  que  le  talent  de  cet  excellent 
artiste  n'est  pas  ordinaire.  Et  d'abord,  chacun  sait  cela  aujourd'hui, 
M.  Lhérie,  dans  les  ardeurs  de  sa  prime  jeunesse,  ne  connaissait 
pas  d'obstacles;  les  altitudes  du  registre  élevé  des  ténors  n'eurent 
pas  de  mystère  pour  lui,  jusqu'au  jour  où  monté  sur  le  faîte,  pris 
de  vertige  sans  doute,  il  aspira  à  descendre  pour  se  tenir  plus 
volontiers  dans  les  régions  tempérées  de  l'empire  des  barytons;  mais 
sa  voix  n'en  reste  pas  moins  encore  comme  dorée  du  soleil  dont 
elle  s'était  illuminée  sur  les  sommets  d'antan.  El  c'est  là  la  sin- 
gularité de  l'artiste:  baryton  sans  doute,  puisqu'il  l'a  voulu,  mais 
avec  des  relans  vers  les  hauteurs  où  il  se  plaisait  jadis. 

Et  il  faut  avouer  qu'aucun  autre  rôle  mieux  que  celui  de  Zampa 
ne  convient  à  cette  sorte  de  dualité  chez  un  chanteur.  Bien  qu'é- 
crit pour  un  ténor,  sa  tessiture  pourtant  ne  s'élève  jamais  au  point 
de  devenir  inabordable  pour  un  baryton  quelque  peu  ambitieux  et  ne 
craignant  pas  les  escalades  à  l'occasion.  C'est  pourquoi  on  a  pu  y 


applaudir  tour  à  tour  M.  Victor  MaureL.  puis  M.  Soulacroix  et  en- 
fin M.  Lhérie,  chevaliers  de  la  clé  de  fa  qu'Herold  n'avait  certai- 
nement pas  en  vue  quand  il  écrivit  son  chef-d'œuvre. 

M.  Lhérie  n'y  a  pas  moins  réussi  que  ses  devanciers,  car  il  ne 
leur  est  pas  inférieur  en  talent.  Il  a  composé  le  personnage  de 
façon  originale,  lui  conservant  bien  son  caractère  mystérieux  et 
fantastique.  D'autre  part  le  chanteur  est  habile  et  ne  se  laisse  ja- 
mais prendre  sans  vert;  si  une  difficulté  se  présente,  il  sait  la 
tourner  avec  une  aisance  admirable,  et  bien  malin  serait  celui  qui 
découvrirait  l'endroit  où  le  blesse  la  cuirasse  d'un  rôle  qui  n'a  pas 
été  tout  à  fait  façonné  sur  sa  mesure.  C'est  là,  en  somme,  le  fin  du 
métier,  et  nous  étions  avec  ceux  qui  ont  fait,  l'antre  soir,  à> 
M.  Lhérie  un  succès  bruyant.  Il  le  méritait.  Celui-là  est  un  artiste 
assurément,  et  on  les  compte  aujourd'hui  que  M.  Gailhard  s'est 
retiré  de  la  partie  pour  se  consacrer  uniquement  au  bonheur  et  à: 
la  gloire  de  notre  Académie  nationale  de  musique. 

Vite  un  mot  sur  les  autres  interprètes  de  Zampa,  qui  faisaient 
comme  une  garde  d'honneur  à  M.  Lhérie.  Il  y  avait  là  Mllc  Mèzeray, 
une  artiste  précieuse,  puis  M110  Chevalier,  toujours  intelligente,  et 
l'amusant  Grivot,  et  Barnoll  non  moins  plaisant,  et  enfin  le  ténor 
Galand,  qui  soupire  fort  agréablement  la  romance.  On  voit  que 
M.  Paravey  ne  se  fait  pas  tirer  l'oreille  quand  il  s'agit  d'entourer 
d'une  manière  brillante  le  chef-d'œuvre  d'un  de  nos  compositeurs 
«  les  plus  nationaux  ». 


MM.  Ritt  et  Gailhard  continuent  à  battre  la  grosse  caisse  sur  le 
dos  d'Ascanio,  pour  essayer  d'étouffer  les  chants  de  victoire  qui  leur 
arrivent  par  bouffées  du  théâtre  de  la  Monnaie  de  Bruxelles,  où  les 
représentations  de  Salammbô  se  poursuivent  triomphales.  Les  nuits 
de  ces  deux  gentilshommes  ne  doivent  pas  être  tranquilles,  quand 
ils  réfléchissent  dans  l'ombre  et  dans  le  silence  à  toutes  les  vilenies 
dont  ils  se  sont  rendus  coupables  depuis  leur  court  et  déjà  trop 
long  règne  à  l'Opéra.  Mais,  le  jour,  ils  tentent  de  s'étourdir  et  d'étour- 
dir les  autres.  Voici  donc  le  petit  boniment  qu'a  débité  cette  semaine 
notre  ami  Gailhard,  émule  des  bobèches,  sur  les  tréteaux  du  journal  le 
Temps,  qui  se  prête  d'ailleurs  avec  beaucoup  de  complaisance  à  ces 
petites  plaisanteries  : 

Ascanio,  offre,  au  point  de  vue  de  la  composition  musicale,  de  nota- 
bles différences  avec  les  opéras  représentés  ordinairement  (Boum, boum1 
allez,  la  grosse  caisse).  On  n'y  voit  pas  l'élément  dramatique  dominer  l'œuvre 
d'un  bout  à  l'autre.  C'est  la  vie  de  Benvenuto  Cellini  qui  est  représentée, 
avec  les  milieux  qu'elle  traverse,  les  jeunes  sculpteurs  et  les  jeunes  ar- 
tistes, leurs  plaisanteries,  leurs  frasques  (très  bien  trouvé  pour  un  simple 
Gailhard).  Il  y  a  des  scènes  populaires  fort  vives  :  altercations  dans  la  rue, 
échange  de  propos  vifs  (comme  dans  le  cabinet  des  directeurs  de  l'Opéra,  quand 
ils  sont  en  tête  à  tête  et  se  reprochent  mutuellement  leurs  méfaits).  En  même- 
temps  apparaît  la  figure  de  la  duchesse  d'Etampes,  qui  amène,  avec  elle,, 
la  cour  si  brillante  de  François  Ier  (la  mise  en  scène  de  MM.  Kilt  et  Gailhard 
en  donnera  une  vague  idée). 

Une  intrigue  amoureuse  parcourt  naturellement  la  pièce  et  noue  le  drame 
nécessaire  (sans  amour,  saurait-on  vivre,  S  Pedro  !)  La  musique  de  M.  Saint- 
Saêns  suit  exactement  les  phases  si  variées  du  livret,  et  le  tout  forme 
une  sorte  de  grande  comédie  lyrique,  qui  sera  d'un  effet  nouveau  à 
l'Opéra. 

Boum  !  Boum  !  Entrez,  bonnes  d'enfants  et  soldats.  P  uis  M.  Aderer, 
toujours  du  Temps,  intervient,  et  demande  insidieusement  au  Barnum 
quelles  merveilles  succéderont  à  Ascanio,  dans  un  avenir  lointain  : 

—  Zaïre,  a-t-il  répondu,  Zaïre  de  MM,  Blau,  Besson  et  de  la  Nux, 
puis  le  Mage,  de  MM.  Bichepin  et  Massenet,  et  le  ballet  de  il.  Gastinel.... 

—  Et  Salammbô*! 

—  Salammbô,  certainement,  sera  monté  à  l'Opéra;  mais,  malgré  notre 
désir  et  vu  nos  engagements,  la  belle  œuvre  de  M.  Rayer  ne  pourrait  être 
représentée  que  l'année  prochaine  à  Paris. 

Ainsi  donc,  c'est  promis;  nous  aurons  Zaïre  et  Salammbô.  Nous 
tenons  à  l'une  et  à  l'autre,  à  la  première,  parce  qu'il  serait  d'une  in- 
justice criante  de  voir  écarter  l'œuvre  d'un  jeune  compositeur  pour 
le  punir  de  sa  trop  rude  franchise  dans  le  récent  incident  que  l'on 
sait,  à  la  seconde  parce  que  c'est  assez  d'avoir  exilé  do  parti  pris  une 
partition  do  cette  haute  valeur  et  qu'il  est  temps  de  la  rapatrier  au 
plus  vite  pour  ne  pas  ajouter  encore  à  la  honte  des  directeurs  actuels 
de  l'Opéra. 

Nous  avons  donc  la  promesse  de  Gailhard,  à  laquelle  le  pauvre 
M.  Ritt  donnera  son  adhésion  sans  aucun  doute.  Zaïre  et  Salammbô  ! 
Nous  ne  nous  contenterons  pas  à  moins  ;  œuvre  de  justice,  d'une 
part,  œuvre  d'honneur  de  l'autre.  Celle  promesse,  nous  la  rappelle- 
rons à  l'occasion. 


LE  MENESTREL 


39 


Et  Salammbô  entraîne  naturellement  le  retour  à  l'Opéra  de  H"1'-'  Rose 
Caron,  cette  remarquable  artiste  que  M.  G-ailhard  ne  peut  pas  sen- 
tir, quoi  qu'il  dise  aujourd'hui  ii  ses  protecteurs  du  gouvernement 
qui  la  lui  imposent.  Il  a  fallu  que  M.  Gailhard  mette  les  pouces  par- 
tout et  se  fasse  plus  plat  que  punaise,  sous  la  poussée  formidable  de 
la  presse.  Elle  est  donc  bonne  à  quelque  chose  ! 

Mais  n'est-ce  pas  pitoyable  de  voir  ces  deux  puissants  directeurs 
ne  faire  de  besogne  vraiment  honnête  et  artistique  qu'à  leur  corps 
défendant  et  parce  qu'ils  se  sentent  menacés  de  toutes  parts  ? 

Quoi  qu'il  en  soit,  s'ils  veulent,  bon  gré,  mal  gré,  suivre  le  droit 
chemin  et  se  décider  enfin  à  faire  œuvre  d'art,  il  en  est  temps  en- 
core et  nous  ne  leur  marchanderons  pas  notre  concours.  C'est  là  toute 
la  rancune  que  nous  leur  gardons. 

H.  Moreno. 

Chatelet.  —  Les  Pilules  du  Diable,  féerie  en  trois  actes  et  trente  ta- 
bleaux, de  MM.  F.  Laloue,  Anicet-Bourgeois  et  Laurent. 

«  Allons,  bon  !  Voilà  les  bêtises  qui  vont  recommencer  !  »  s'écrie 
quelque  part  le  joyeux  Babilas,  et  de  fait  les  bêtises  ont  recommencé, 
et  cela  pour  la  plus  grande  joie  des  babies  bien  sages  dont  la 
conduite  exemplaire  aura  mérité  la  faveur  d'un  spectacle.  Je  ne  sais 
à  quel  nombre  de  représentations  ont  dû  atteindre  déjà,  à  Paris 
seulement,  les  Pilules  du  Diable;  mais  je  suis  bien  certain  que  ce  nom- 
bre doit  être  au  moins  aussi  respectable  que  le  grand  âge  de  Sarab 
la  Sorcière.  MM.  Floury  et  Clèves,  qui  viennent  de  se  très  longue- 
ment reposer,  ont  remonté  avec  luxe  cette  féerie  classique  et,  avec 
l'aide  de  leurs  décorateurs  et  costumiers,  ont  composé  un  ballet,  le 
Réveil  des  Fleurs,  qui  est  de  tous  points  réussi.  A  signaler  aussi  de 
nombreux  couplets  nouveaux,  dont  la  facture  élégante  révèle  la  main 
experte  d'un  poète  qui  a  voulu  rester  masqué  dans  la  coulisse.  Il  a 
travaillé,  là  eûcore,  pour  le  bonheur  des  Enfants,  mais  cette  fois 
sans  la  musique  de  M.  Massenet.  C'est  M.  Scipion  qui  est  chargé 
du  i ôle  de  Seringuinos,  et  il  s'en  acquitte  le  plus  joyeusement  du 
monde,  bien  secondé  par  MM.  Chameroy,  A.  Lévy,  Lérand  et  Boéjat. 
—  Mlle  Lantelme  personnifie  la  Folie  et  lait  superbement  valoir  ses 
nombreux  costumes.  MUos  Wittmann  et  Germaine  forment  un  agréable 
petit  couple  d'amoureux  et  M110  Miroir  se  brise  consciencieusement 
la  voix  et  la  taille  pour  représenter  la  vieille  fée.  La  Mouche  d'or 
ne  s'appelle  plus  Mlle  Jïnea,  mais  bien  MUe  Precioza;  si  le  nom  a 
changé,  les  exercices  restent  les  mêmes  et  demeurent  toujours  aussi 
gracieux. 

Paul-Émile  Chevalier. 


LE  THÉÂTRE  A  L'EXPOSITION  UNIVERSELLE  DE  1889 


ARCHITECTURE    ET    MACHINERIE    THEATRALES 

(Suite) 

De  l'architecture  théâtrale  nous  allons,  avec  une  cinquième  ma- 
quette, passer  à  la  machinerie.  Dans  un  autre  ordre  d'idées,  celle-ci 
n'offre  pas  un  moindre  intérêt ,  et  cet  intérêt  se  double  du 
•caractère  en  quelque  sorte  mystérieux  qu'elle  revêt  à  l'égard  de 
ceux  —  et  le  nombre  en  est  grand  —  qui  n'ont  pas  eu  l'occasion  de 
se  familiariser  avec  le  plancher  scénique  et  qui  du  théâtre  ne  con- 
naissent que  la  partie  située  en  dehors  de  la  rampe,  autrement  dit 
la  salle.  Cette  nouvelle  maquette  nous  présente  donc,  non  plus  la 
reproduction  réduite  d'un  de  nos  anciens  théâtres,  mais  un  modèle, 
extrêmement  curieux  et  d'une  fidélité  scrupuleuse,  de  machinerie 
théâtrale  telle  qu'on  la  comprenait  jadis.  Il  portait  l'indication  que 
voici  :  «  Machinerie  théâtrale  (xvne-xvme  siècle).  Modèle  construit 
par  M.  C.  Philippon,  sous-chef  machiniste  à  l'Opéra.  »  Ce  petit 
chef-d'oeuvre  (le  mot  n'a  rien  d'excessif)  a  été  établi  d'après  un 
dessin  inspiré  lui-même  par  les  gravures  de  l'Encyclopédie,  dont  on 
connaît  la  précision  et  l'exactitude.  Il  n'est  plus  ici  question  de 
salle  ni  de  public  :  en  nous  plaçant  devant  cette  maquette,  nous 
formons  en  réalité  nous-même  le  public,  nous  sommes  eomme  le 
spectateur  assis  dans  sa  stalle,  et  nous  avons  devant  les  yeux,  le 
rideau  étant  levé  et  le  décor  équipé  (ce  qui  veut  dire  en  place),  la 
scène  d'un  grand  théâtre  machiné,  dont  on  a  découvert  à  notre 
intention,  pour  nous  les  montrer  en  même  temps,  les  dessus  et  les 
dessous.  C'est-à-dire  qu'avec  le  théâtre  proprement  dit,  nous  voyons 
en  haut,  le  cintre,  et  en  bas,  le  premier  et  le  second  dessous,  soit 
les  deux  étages  qui  s'enfoncent  sous  la  scène,  avec  tous  les  engins 
qu'ils  renferment  et  qui  servent  à  la  manœuvre  des  décors  :  treuils, 


chariots,  faux-châssis,  cordages  et  le  reste,  chacun  à    sa   place    et 
prêt  à  remplir  son  office. 

Beaucoup  moins  compliqué  que  celui  qui  est  en  usage  aujourd'hui, 
le  système  de  décoration  employé  aux  deux  derniers  siècles  était  non 
seulement  simple,  mais  uniforme.  Les  procédés  ne  variaient  guère, 
par  conséquent,  en  ce  qui  concernait  la  machinerie,  et  le  change- 
ment des  décors  s'opérait  toujours  de  la  même  façon.  M.  Ch.  Nuitter. 
l'excellent  archiviste  de  l'Opéra,  qui  a  été  l'un  des  agents  d'organi- 
sation les  plus  actifs  de  l'exposition  théâtrale  du  Champ  de  Mars, 
l'a  rappelé  brièvement  en  un  article  publié  à  ce  sujet  dans  le  Journal 
officiel  et  auquel  j'emprunte  ces  quelques  renseignements  : 

...  Les  décors  en  eux-mêmes  étaient  peu  compliqués  et  d'une  plantation 
toujours  uniforme.  La  perspective  en  était  régulièrement  établie  d'après 
un  point  central  placé  au  fond  du  théâtre.  Les  châssis  (de  coulisses)  di- 
minuaient progressivement  de  grandeur,  au  point  d'avoir  à  peine  deux 
mètres  de  haut  aux  derniers  plans.  Que  l'on  représentât  un  paysage  ou 
un  palais,  c'était  la  même  symétrie,  et  au  fond,  rétréci  et  abaissé,  ce 
n'était  même  pas  un  rideau,  c'est  un  simple  châssis  qui  fermait  la  déco- 
ration. 

Avec  ces  décors  dont  le  poids  était  peu  considérable,  le  système  de  ma- 
chinerie pour  opérer  les  changements  à  vue  était  ingénieux  et  d'une 
extrême  simplicité.  Il  a  été  reproduit  très  exactement  par  M.  Philippon, 
■sous-chef  machiniste  de  l'Opéra,  d'après  un  dessin  conservé  aux  Archi- 
ves nationales.  Ce  modèle  en  menuiserie,  muni  de  ses  cordages  et  de  ses 
machines,  nous  montre,  à  une  échelle  de  quatre  centimètres  pour  mèlre, 
ce  qu'était  au  dix-huitième  siècle  la  machinerie  de  l'Académie  royale  de 
musique.  A  chaque  plan  et  de  chaque  côté  sont  installés  deux  faux-châs- 
sis destinés  à  porter  les  décorations  ;  un  treuil  placé  dans  le  dessous  fait 
avancer  l'un  de  ces  faux-chàssis  en  même  temps  qu'il  fait  reculer  l'autre. 

Celui  qui  a  reculé  est  revêtu  dans  la  coulisse  d'une  nouvelle  décoration 
et  tout  prêt  à  reparaître  au  signal,  par  un  mouvement  contraire,  quand 
un  nouveau  tour  de  treuil  fera  reculer  à  son  tour  celui  qui  a  avancé.  Ce 
mouvement  de  va-et-vient,  se  reproduisant  dans  les  dessus,  faisait  alter- 
nativement descendre  et  monter  les  plafonds  et  suffisait  pour  produire  des 
changements  à  vue  complets.  C'est  ainsi  qu'à  l'Académie  de  musique  les 
opéras  ont  pu  se  jouer,  depuis  l'origine  jusqu'à  la  Restauration,  sans  que 
l'on  baissât  le  rideau.  Il  n'y  avait  de  véritable  entr'acte  qu'entre  l'opéra 
et  le  ballet.  La  Muette  de  Porlici,  représentée  en  1828,  fut  le  dernier  ou- 
vrage auquel  on  appliqua  ce  système. 

Il  y  a  loin  de  là  aux  «  plantations  »  irrégulières  et  étonnamment 
compliquées  que  l'on  voit  aujourd'hui ,  doublées  de  praticables  de 
toutes  sortes,  comme  celles,  par  exemple,  que  nous  offrent  le  qua- 
trième acte  de  Faust,  le  premier  acte  de  Patrie,  et  particulièrement 
le  troisième  acte  du  Tribut  de  Zamora.  Ce  n'est  pas,  cependant,  que 
certains  essais  n'aient  été  tentés  en  ce  sens,  et  avec  un  grand  succès. 
Il  y  a  plus  de  cent  cinquante  ans,  Servandoni,  dans  son  Spectacle 
en  décoration  si  justement  célèbre  et  que  je  signalais  tout  à  l'heure, 
voire  même  à  l'Opéra,  avait  fait  preuve  sous  ce  rapport  d'une 
o-rande  initiative,  et,  pour  varier  les  effets,  s'était  efforcé  de  com- 
battre la  régularité  dont  on  ne  se  départait  guère  alors.  Pour  cela, 
il  imagina  de  présenter  des  perspectives  obliques,  en  même  temps 
qu'il  donnait  plus  d'élévation  aux  seconds  plans,  de  façon  à  faire 
deviner  au  spectateur  les  parties  de  la  construction  qu'il  ne  voyait 
pas,  et  à  produire,  sur  un  espace  restreint,  une  impression  de  gran- 
deur impossible  à  obtenir  avec  les  décors  tels  qu'on  les  comprenait 
en  France  à  cette  époque.  Mais  l'exemple  de  Servandoni  ne  fut  pas 
suivi,  du  moins  chez  nous,  et  les  mêmes  errements  se  perpétuèrent. 
Pour  le  décor,  comme  pour  le  costume,  il  faut  arriver  à  la  période 
du  romantisme  pour  voir  l'effort  de  tous  briser  les  anciennes  cou- 
tumes et  rechercher  le  naturel  et  la  vérité  par  tous  les  moyens  pos- 
sibles. 

Revenons-en  à  la  maquette  charmante  de  M.  Philippon,  qui  nous 
montre  la  scène  de  l'Opéra  dans  l'état  où  elle  était  il  y  a  cent  cin- 
quante ou  deux  cents  ans,  avec  ses  sept  plans  réguliers,  et  tout  son 
matériel  de  machinerie,  fonctionnant  là  comme  sur  un  vrai  théâtre. 
Ce  modèle  est  exécuté  avec  tant  de  soin,  de  délicatesse  et  de  préci- 
sion, qu'en  le  visitant  de  nouveau  aux  Archives  de  l'Opéra,  où  il  est 
aujourd'hui  déposé,  j'ai  pu,  en  faisant  avec  un  doigt  tourner  le  treuil 
placé  dans  le  premier  dessous,  faire  manœuvrer  le  système  et  opé- 
rer le  changement  de  décor  (1).  On  ne  saurait  adresser  trop  d'éloges 

(1)  Les  cinq  maquettes  dont  je  viens  de  donner  la  description  ont  pris 
place  aujourd'hui  aux  archives  de  l'Opéra,  ainsi  que  les  trente-six  maquettes 
de  décors  qui  entouraient  la  rotonde  de  l'exposition  théâtrale  et  qui  à 
cette  heure  ont  fait  retour  dans  leurs  tiroirs.  En  effet,  les  maquettes,  au 
nombre  de  près  de  deux  cents,  qui  représentent  en  ce  moment  la  collec- 
tion complète  des  décors  faits  à  l'Opéra  depuis  l'inauguration  de  la  nou- 
velle salle  du  boulevard  des  Capucines,  peuvent  se  replier  sur  elles-mêmes 
et,  sans  crainte  de  détérioration,  être  emmagasinées  dans  des  tiroirs  ;  on 


60 


LE  MENESTREL 


à  l'auteur  de  ce  petit  travail,  qui  y  a  fait  preuve  d'autant  de  goùl  et 
de  savoir  que  de  patience  et  d'exactitude. 

Pour  terminer  ce  qui  concerne  cette  partie  si  neuve  et  si  intéres- 
sante de  l'exposition  théâtrale,  je  n'ai  plus  à  signaler  qu'une  der- 
nière maquette,  et  celle-ci  n'est  que  celle  d'un  décor,  semblable  à 
toutes  celles  dont  j'ai  eu  l'occasion  de  parler  précédemment.  Mais 
ce  décor  est  absolument  adorable,  ei  il  nous  reporte  à  plus  de  deux 
cents  ans,  car  celte  maquetle  était  ainsi  signalée  :  «  Décor  de 
Psyché,  tragi-comédie  de  Molière,  Corneille  et  Quinault  ('1671),  exé- 
cuté pour  la  reprise  de  1684  à  l'hôtel  de  Guénégaud,  par  Joachim 
Pizzochi.  »  Ce  Pizzochi,  qui  était  assurément  un  artiste  de  talent, 
avait  construit  ce  décor  d'après  les  données  précédemment  établies 
par  son  célèbre  compatriote  Vigarani  ;  au  point  de  vue  de  l'agence- 
ment et  de  l'effet,  c'est  un  vrai  chef-d'œuvre,  plein  de  grâce  et  de 
poésie,  et  d'une  couleur  charmante.  La  maquette  qui  le  reproduit 
appartient  à  la  Comédie-Française,  et  a  pris  place  aujourd'hui  dans 
ses  archives. 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


«  La  symphonie  en  ut  mineur,  la  plus  célèbre  de  toutes,  sans  con- 
tredit, est  aussi  la  première,  selon  nous,  dans  laquelle  Beethoven  ait 
donné  carrière  à  sa  vaste  imagination  sans  piendre  pour  guide  ou  pour 
appui  une  pensée  étrangère...  Elle  nous  parait  émaner  directement  et 
uniquement  du  génie  de  Beethoven;  c'est  sa  pensée  intime  qu'il  y  va 
développer;  ses  douleurs  secrètes,  ses  colères  concentrées,  ses  rêveries 
pleines  d'un  accablement  si  triste,  ses  visions  nocturnes,  ses  élans  d'en- 
thousiasme en  fourniront  le  sujet;  et  les  formes  de  la  mélodie,  de  l'har- 
monie, du  rythme  et  de  l'instrumentation  s'y  montreront  aussi  essentielle- 
ment individuelles  et  neuves  que  douées  de  puissance  et  de  noblesse.  » 
C'est  ainsi  que  Berlioz,  dans  son  analyse  si  intéressante  et  si  substantielle 
des  symphonies  de  Beethoven,  résume  son  impresssion  au  sujet  de  la 
symphonie  en  ut  mineur,  qui  ouvrait  le  dernier  programme  de  la  Société 
des  concerts  du  Conservatoire.  La  glose  est  si  abondante  aujourd'hui,  en 
tous  pays,  sur  ces  poèmes  admirables,  qu'il  est  bien  difficile  de  trouver 
quelque  chose  de  nouveau  à  dire  sur  l'un  ou  sur  l'autre.  Je  ne  l'essaiera: 
pas  en  ce  qui  concerne  la  symphonie  en  ut  mineur,  dont  on  nous  a 
donné,  cette  fois  encore,  une  exécution  viaiment  incomparable.  11  n'y  a 
qu'un  mot  au  sujet  d'un  tel  chef-d'œuvre  et  d'une  telle  interprétation,  le 
mot  :  admirable,  et  j'emploie  celui-là  parce  que  je  n'en  connais  pas  de 
plus  expressif  et  de  plus  complet.  — Nous  avons  eu,  après  la  symphonie, 
le  troisième  concerto  de  piano  (en  ut)  de  M.  Georges  Pfeiffer,  exécuté  par 
Mme  Roger-Miclos,  composition  fort  intéressante,  digne  du  renom  de  son' 
auteur,  et  dont  le  troisième  morceau  est  d'un  rythme  plein  de  grâce  et 
d'élégance.  Si  j'ai  bonne  souvenance,  ce  concerto  a  été  exécuté  pour  la 
première  fois  par  Mme  Roger-Miclos,  il  y  a  une  dizaine  d'années,  aux 
Concerts  populaires  du  regretté  Pasdeloup.  On  connait  le  jeu  élégant  et 
fin  de  l'aimable  virtuose,  et  sa  grâce  délicate  ;  ce  qui  lui  manque,  c'est  la 
sonorité  brillante,  c'est  l'éclat  et  la  grandeur,  c'est  surtout  la  solidité  du 
style.  Elle  n'en  a  pas  moins  obtenu,  par  ses  qualités  réelles,  un  succès 
flatteur.  —  La  grande  nouveauté  du  programme,  c'était  la  belle  scène 
finale  du  troisième  acte  des  Maîtres  Chanteurs,  de  Richard  Wagner,  que 
la  Société  nous  a  fait  entendre  dans  son  intégralité  et  qui  comprenait 
par  conséquent  la  valse,  la  marche  des  corporations,  le  choral,  tout 
l'épisode  du  tournoi  et  le  superbe  chœur  qui  suit.  Je  n'ai  pas  à  faire  ici 
l'éloge  de  ce  fragment  magistral  et  noblement  inspiré  d'une1  œuvre  dont 
je  réprouve  d'une  façon  absolue  les  tendances  générales,  mais  qui, 
comme  toutes  celles  de  Wagner,  renferme  des  pages  d'une  incomparable 
beauté.  Le  public  du  Conservatoire  l'a  accueilli  avec  sympathie,  mais  sans 
les  aboiements  d'enthousiasme  auxquels  se  livrent  dans  d'autres  milieux 

en  distrait  seulement  quelques-unes,  une  douzaine  environ,  qui  sont 
journellement  exposées  au  musée  attenant  à  la  bibliothèque  publique. 
Quant  aux  maquettes  de  théâtres,  qui  sont  de  véritables  petites  construc- 
tions en  miniature,  elles  doivent  forcément  rester  dans  leur  état  naturel. 
Mais  pourquoi  ne  les  introduirait-on  pas  au  musée,  au  lieu  de  les  laisser 
dans  les  combles  du  monument,  où  la  poussière  et  le  manque  de  soins 
les  mettront  vite  en  un  piteux  état?  Leur  transport  du  Champ  de  Mars  à 
l'Opéra,  fait  sans  doute  dans  des  conditions  peu  favorables  de  trop  grande 
rapidité,  n'a  pas  été  sans  causer  à  une  ou  deux  d'entre  elles  quelques 
avaries;  le  mal  n'est  pas  grand  toutefois,  et  serait  facilement  réparable. 
Mais  puisqu'on  s'est  donné  tant  de  peine  pour  faire  une  besogne  si  inté- 
ressante, puisqu'on  a  dépensé  tant  d'intelligence  pour  reconstituer  avec 
un  rare  bonheur  des  documents  matériels  dignes  d'un  si  vif  intérêt  et 
dont  l'utilité  historique  n'a  pas  besoin  d'être  démontrée,  je  demande 
encore  qu'on  leur  donne  place  au  musée,  qui  ne  saurait  rien  contenir  de 
plus  précieux  et  de  plus  véritablement  curieux.  11  est  certain  qu'en  aucun 
autre  pays  on  ne  saurait  trouver  quelque  chose  d'analogue.  C'est  une  rai- 
son pour  en  faire  montre  et  ne  le  point  cacher. 


certains  énergumènes.  L'exécution  générale,  cette  première  fois,  manquait 
encore  un  peu  de  fondu  et  de  fini,  ce  qui  n'a  certes  rien  d'extraordinaire,  et. 
peut-être  certains  mouvements  manquaient-ils  un  peu  d'élan  et  de  cha- 
leur ;  l'ensemble,  néanmoins,  était  très  satisfaisant.  Les  soli  étaient  chantés 
par  M.  Engel  (Walther),  qui  a  été  fort  remarquable,  M.  Soulacroix 
(Beckmesser),  dont  le  rôle  était  ici  bien  effacé  et  qui  avait  fait,  à 
Bruxelles,  une  si  belle  création  de  ce  personnage  curieux,  enlin  M.  Auguez 
(Haps  Sachs),  qui,  malgré  tout  son  talent,  n'a  pas  pu  donner  a  sa  voix  le 
mordant  et  le  métal  nécessaires.  En  résumé,  c'est  une  tentative  fort 
intéressante  qn'a  faite  là  la  Société  des  concerts.  —  La  séance  s'est  digne- 
ment terminée  par  la  noble  ouverture  de  Rmj  Blas,  de  Mendelssohn. 

Arthur  Pougin. 

—  Concerts  Lamourbux.  —  Le  seizième  concert  de  M.  Lamoureux  débu- 
tait par  la  belle  ouverture  du  Yaisscau-Faniôme,  une  des  premières  et  des 
plus  franches  inspirations  de  Wagner.  L'exécution  a  été  fort  belle;  il 
nous  a  semblé,  cependant,  que  les  instruments  à  cordes  étaient  trop 
souvent  couverts  par  les  instruments  à  vent  ;  cela  tient  peut-être  à 
l'acoutisque  de  la  salle  et  à  la  disposition  de  l'orchestre.  Dans  la  par- 
tition de  Roméo  et  Juliette,  de  Berlioz,  que  M.  Colonne  nous  avait  fait  en- 
tendre, il  y  a  quelques  années,  dans  toute  son  intégrité,  M.  Lamoureux  a 
choisi  trois  fragments  pour  orchestre  seul  :  le  premier  morceau  n'est  pas 
le  meilleur  de  la  partition;  il  est  gâté  par  la  coda  (Concert  et  Bal),  dont  le 
sujet  est  trivial  et  traité  d'une  façon  quelque  peu  banale.  La  Scène  d'amour 
est,  au  contraire,  admirable  d'un  bout  à  l'autre  ;  on  ne  peut  rien  conce- 
voir de  plus  pénétrant  et  de  plus  grandiose.  Le  scherzo  de  la  Reine  Mab  a 
eu  un  prodigieux  succès.  Il  prêtait  à  un  rapprochement  curieux  avec  le 
scherzo  du  Songe  d'une  Nuit  d'Eté,  de  Mendelssohn.  Ces  deux  morceaux 
appartiennent  au  même  ordre  d'idées  et  sont  traités  l'un  et  l'autre  avec 
une  inconcevable  sûreté  de  main.  Seulement,  on  y  voit  la  différence  des 
deux  tempéraments.  Berlioz  n'avait  pas  la  mélodie  facile;  sauf  quelques 
échappées  où  il  se  montre  le  rival  de  Gluck  (comme,  par  exemple,  dans 
l'Invocation  à  la  nature,  le  duo  de  Faust),  il  ne  trouve  trop  souvent  que 
des  idées  qui,  dans  leur  nudité,  sembleraient  banales,  mais  qu'il  relève 
en  les  traitant  avec  toutes  les  ressources  de  son  merveilleux  savoir-faire. 
Le  scherzo  de  la  Reine  Mab  excite  une  curiosité  indicible  :  on  y  entend 
les  murmures  les  plus  étranges  et  les  plus  doux,  c'est  un  fourmillement 
d'ailes,  ce  sont  des  harmonies  exquises  ;  mais  la  mélodie  n'y  coule  pas 
de  source,  tandis  que,  dans  le  scherzo  de  Mendelssohn,  elle  coule  à  pleins 
bords,  ce  n'est  même  qu'une  mélodie  d'un  bout  à  l'autre,  et  voilà  pour- 
quoi le  scherzo  de  Mendelssohn  est  supérieur  à  celui  de  Berlioz,  qui 
n'en  est  pas  moins  un  chef-d'œuvre.  Berlioz  a  su  décrire  les  «  murmures 
de  la  forêt  »  bien  autrement  que  Wagner  et,  du  scherzo  de  la  Reine  Mib 
au  fragment  célèbre  de  Siegfried,  il  y  a  la  différence  d'un  fil  de  la  Vierge 
au  câble  le  plus  grossier.  Le  reste  du  concert  était  des  plus  variés. 
M.  Lamoureux  a  été  gracieux  pour  tout  le  monde  :  à  ceux  qui  aiment  à 
voir  naître  le  jour,  il  a  offert  le  Lever  de  Soleil  de  M.  Chaumet,  œuvre  très 
colorée,  dans  laquelle  nous  avons  pu  critiquer  légèrement  le  procédé, 
mais  qui  est  l'œuvre  d'un  artiste  de  grand  talent;  à  ceux  qui  ne  détestent 
pas  le  petit  mot  pour  rire  dans  les  arts,  la  Marche  joyeuse  de  M.  Emmanuel 
Chabrier,  un  musicien  de  valeur,  mais  à  surprises;  aux  âmes  affamées 
d'idéal  et  désenchantées  des  mélodies  de  ce  monde,  le  prélude  de  Parsifal; 
enfin,  à  ceux  qui  se  préparaient  aux  délices  du  mardi-gras,  l'ouverture 
du  Carnaval  romain,  de  Berlioz,  une  des  pages  les  plus  mouvementées  et 
des  mieux  réussies  de  ce  maître  français.  Nous  le  répétons,  on  ne  saurait 
être  plus  aimable.  Le  public  a,  du  reste,  manifesté  son  entière  satisfac- 
tion par  les  bravos  les  plus  enthousiastes.  H.  Barbedette. 

—  Société  nationale.  —  Le  200e  concert  a  eu  lieu  samedi  1b  février. 
La  maison  Pleyel  l'a  fêté  galamment  par  une  abondance  de  fleurs  dis- 
tribuées à  toutes  les  sociétaires  présentes.  A  part  cela,  la  séance  ne  se 
se  distinguait  pas  des  autres,  et  lé  programme  était  composé  dans  le 
même  esprit  que  ceux  des  séances  ordinaires.  On  a  commencé  par  le 
trio  en  ré  mineur  de  Schumann  et  terminé  par  le  trio  en  sol  mineur  de 
M.  Ernest  Chausson.  Cette  dernière  œuvre  est  déjà  ancienne,  et  je  crois 
bien  ne  pas  me  tromper  en  assurant  l'avoir  entendue  il  y  a  près  de  dix 
ans  :  elle  date  donc  de  la  toute  première  jeunesse  du  compositeur;  et,  à 
en  juger  par  certains  développements  exagérés  ou  malhabiles,  par  une 
tension  constante  et  l'emploi  de  certaines  formules  dérivant  directement 
de  Wagner  ou  de  M.  César  Franck,  il  apparaît  qu'en  effet  l'auteur,  lors- 
qu'il l'a  écrite,  n'était  pas  encore  en  la  pleine  possession  de  sa  person- 
nalité. Cette  personnalité  s'accuse  néanmoins,  et  d'une  façon  très  vive, 
par  le  caractère  et  l'expression  intense  des  éléments  mis  en  œuvre,  révé- 
lant un  tempérament  plus  porté  à  l'expression  des  sentiments  intimes  et 
profonds  qu'aux  petits  détails  de  forme  extérieure,  et  des  tendances  d'une 
rare  élévation.  Les  variations  pour  piano  de  M.  Chevillard,  exécutées  par 
l'auteur,  sont  d'une  facture  fort  intéressante,  avec  des  développements 
symphoniques  qui  dénotent  une  connaissance  approfondie  des  ressources 
de  l'instrument  et  dans  lesquels,  malgré  les  difficultés  et  la  monotonie 
inhérentes  au  genre,  l'intérêt  se  soutient  et  se  renouvelle  constamment. 
L'on  a  exécuté  encore  deux  pièces  en  trio  de  Mmo  de  Grandval,  Andante 
et  Intermezzo,  puis  des  morceaux  de  piano  de  MM.  Saint-Saéns,  Fauré  et 
P.  Lacombc,  et  deux  mélodies,  d'une  idéale  poésie,  de  M.  Fauré,  qu'a 
interprétées  avec  un  graud  sentiment  et  une  voix  très  bien  posée  une 
jeune  cantatrice  dont  le  programme  ne  donnait  que  les  initiales,  M"0  Th.  R. 
Quant  aux  deux  mélodies  de  M.  Julien   Tiersot  :  A  Fanmj,  sur  des  vers 


LE  MENESTREL 


(il 


d'André  Ghënier,  et  une  Aubade  provençale,  chantées  l'une  et  l'autre  par 
l'auteur  (ténorisant,  encore  qu'enrhumé),  je  suis  le  dernier,  on  vérité, 
qui  puisse  exprimer  une  opinion  sur  ces  choses.  Au  reste,  je  n'en  ai 
aucune.  —  J.  T. 

Concerts  et  musique  de  chambre.  —  MM.  Pugno,  Viardot  et  Casella 
viennent  de  donner  une  troisième  séance  de  musique  de  chambre.  Les 
noms  seuls  de  ces  artistes  prouvent  que  l'interprétation  du  trio  en  ut 
de  Raff,  la  première  œuvre  inscrite  au  programme,  a  été  de  tous  points 
excellente.  M.  X.  Leroux,  qui  se  sert  en  habile  virtuose  du  clavecin,  a 
joué  avec  M.  Paul  Yiardot  une  sonate  de  Mozart  dont  l'effet  a  été  tout  à 
fait  agréable.  Mais  le  succès  de  la  soirée  a  été  pour  Mmu  Leroux-Ribeyre, 
qui  a  chanté  avec  le  charme  le  plus  exquis  une  fort  belle  mélodie  de  son 
mari,  la  Nuit,  deux  lieder  de  Grieg,  et  qui  a  déployé  des  qualités  surpre- 
nantes de  virtuosité  dans  une  valse  d'après  Chopin  de  I.  Philipp,  laquelle  a 
été  bissée.  Le  beau  quintette  de  M.  César  Franck  terminait  le  concert.  — 
A  la  cinquième  séance  de  M.  Lefort  on  a  entendu  le  quatuor  avec  piano 
de  Beethoven,  fort  bien  exécuté  par  Mme  Roger-Miclos,  MM.  Lefort, 
Casella  et  Giannini,  et  le  sextuor  à  cordes  de  M.  Alary,  mentionné  dans 
nos  précédentes  notes.  M110  Fanny  Lépine,  très  en  voix,  a  dit  de  Ja  façon 
la  plus  délicieuse  Brises  du  soir  et  Pourquoi  ?  (bissé),  mélodies  extraites 
des  Soirs  d'été,  un  court  poème,  petit  chef-d'œuvre  plein  de  fraîcheur,  de 
finesse. et  de  distinction,  de  M.  Ch.-M.  Widor.  —  Le  même  soir,  M.  A. 
Reitlinger  donnait,  chez  Érard,  un  concert  dont  nous  avons  pu  entendre 
la  seconde  partie.  M.  Reitlinger  possédé  un  jeu  sympathique,  un  style 
souple  et  une  remarquable  technique  :  il  l'a  démontré  en  jouant  supérieu- 
rement plusieurs  œuvres  de  Schumann,  Liszt  et  Saint-Saëns.  —  Deux 
jennes  pianistes,  MM.  Risler  et  Bloch,  élèves  de  M.  Diémer,  ont  donné 
cette  semaine  un  premier  concert.  M.  Risler  a  un  jeu  coloré,  chaud,  net, 
qui  n'exclut  pas  les  finesses  de  style.  Il  s'est  fait  vivement  applaudir  dans 
diverses  compositions  de  Lisz',  de  MM.  Diémer  et  Dubois,  et  dans  le 
gracieux  scherzo  à  deux  pianos,  la  dernière  œuvre  de  M.  Saint-Saëns, 
joué  avec  son  maître.  —  M.  Bloch,  qui  a,  lui  aussi,  des  qualités  incontes- 
tables de  pianiste,  a  joué  avec  talent  le  Concertstiick  de  M.L.  Diémer,  un 
allegro  de  M.  Guiraud  et  une  polonaise  de  M.  Godard.  M.  Casella  lui  prê- 
tait son  précieux  concours  et  a  interprété  deux  pièces  de  M.  Thomé, 
avec  ce  jeu  si  élégant,  si  senti,  qui  en  font  un  des  maîtres  du  violoncelle. 

I.  PllIUPP. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  ;  Symphonie  en  ut  mineur  (Beethoven)  ;  troisième  concerto 
pour  piano  (Pfeiffer),  par  Mme  Roger-Miclos  ;  les  Maîtres  Chanteurs,  scène 
finale  du  troisième  acte  (R.  "Wagner),  par  M.  Engel  (Walther),  M.  Soula- 
croix  (Beckmesser),  M.  Auguez  (Hans  Sachs);  ouverture  de  Ruy  Blas 
(Mendelssohn).  Le  concert  sera  dirigé  par  M.  J.  Garcin. 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  :  Symphonie  en  /«(Bee- 
thoven) ;  ballade  symphonique  (Chevillard)  ;  concerto  en  la  pour  piano 
(Liszt),  par  M"10  Sophie  Menter  ;  fragments  de  Roméo  et  Juliette  (Berlioz)  ; 
prélude  du  troisième  acte  de  Tristan  et  Iseult  (Wagner)  ;  Joyeuse  Marche 
(Charmer). 

Chàtelet,  concert  Colonne  :  Ouverture  du  Roi  d'Ys  (Lalo)  ;  symphonie 
en  sol  (Haydn)  ;  Marche  héroïque  (Saint-Saëns)  ;  Psyché,  première  audition 
(César  Franck)  ;  fragment  du  septuor  (Beethoven). 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 


Le  projet  relatif  au  Mozart-Feslpielhaus  de  Salzbourg,  dont  nous  avons 
parlé,  n'est  pas  sans  inquiéter  quelque  peu  les  journaux  wagnériens.  Rs 
Tedoutent  pour  l'avenir  de  Beyreuth  cette  concurrence  inattendue  et  ont 
commencé  contre  elle  une  campagne  active.  De  son  côté,  le  comité  inter- 
national nommé  pour  administrer  le  Mozarteum  se  met  à  l'œuvre  avec 
ardeur.  On  s'est  déjà  mis  d'accord  sur  les  points  suivants  :  Le  nouveau 
temple  musical  s'élèvera  sur  la  colline  du  Moine  (Mônchsberg).  La  salle 
de  spectacle  sera  aménagée  pour  recevoir  de  quinze  à  dix-huit  cents  au- 
diteurs et  pourvue,  ainsi  que  la  scène,  de  tous  les  perfectionnements 
récents.  Les  frais  de  construction  sont  évalués  à  environ  un  million  de 
francs  ;  chaque  cycle  de  vingt  représentations  entraînera  37b, 000  francs 
de  frais  généraux,  mais  pourra  rapporter  780,000  francs.  L'entreprise  sera 
ultérieurement  transformée  en  une  société  par  actions.  En  ce  qui  touche 
la  partie  artistique,  il  a  été  décidé  qu'indépendamment  des  opéras  de 
Mozart  on  montera  d'autres  chefs-d'œuvre  de  différentes  écoles,  ainsi  que 
certains  ouvrages  de  Wagner.  On  compte  inaugurer  le  nouveau  Festpielhaus 
dans  le  courant  de  l'année  prochaine,  avec  la  Flûte  enchantée. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Lembeho  :  le  théâtre  national 
polonais  vient  de  représenter  avec  succès  une  nouvelle  opérette,  les  Petits 
Chats,  de  M.  Hugo  Félix,  pseudonyme  sous  lequel  se  cache  un  amateur 
de  Vienne.  Mayence  :  Roméo  et  Juliette,  de  M.  Gounod,  a  effectué,  le  30 
janvier,  sa  première  représentation  au  théâtre  municipal  et  y  a  remporté 
un  brillant  succès.  Munich  :  le  théâtre  de  la  Cour  a  donné,  le  31  janvier 
le  Vaisseau-Fantôme,  de  Wagner,   pour  la   centième  fois.   La  première  re- 


présentation de  cet  opéra  avait  eu  lieu  le  4  décembre  1864,  sous  la  direc- 
tion do  l'auteur.  Pesth  :  au  Théâtre  national  hongrois,  heureuse  réussite 
d'une  opérette  nouvelle  en  3  actes,  Pépita,  du  compositeur  Bêla  Ilegyi. 
On  dit  le  livret  amusant  et  la  musique  entraînante. 

—  Le  tribunal  civil  de  Dresde  vient  d'être  appelé  à  se  prononcer  sur 
un  cas  assez  original.  Il  s'agissait  de  décider  si  le  plaignant,  un  chanteur 
du  nom  de  Kiefer,  est  une  basse  ou  un  baryton  !  Voici  les  faits  :  Il  y  a 
quelques  années,  M.  Kiefer,  —  qui  depuis  s'est  produit  avec  succès  dans 
les  concerts  de  Dresde,  —  se  présenta  chez  les  professeurs  Wullner  et 
Stolzenberg  pour  connaître  leur  avis  sur  ses  facultés  vocales.  Des  deux 
côtés,  on  lui  assura  qu'il  disposait  de  moyens  suffisants  pour  tenir  l'em- 
ploi des  basses.  M.  Kiefer  ne  se  tint  pas  pour  suffisamment  édifié  et 
s'adressa  à  un  professeur  de  Dresde,  M.  Armin  von  Bôhme,  qui  lui  dé- 
clara que  sa  voix  n'était  pas  celle  d'une  basse,  mais  bien  celle  d'un 
baryton.  Ce  témoignage  parut  à  M.  Kiefer  plus  digne  de  foi  et  il  suivit 
les  "  leçons  de  M.  von  Bôhme,  s'engageant  à  les  lui  payer  à  raison  de 
dix  marks.  Cinq  cent  quatre-vingts  leçons  furent  prises  par  M.  Kiefer, 
qui.  de  ce  chef,  devint  débiteur  envers  M.  von  Bôhme  de  la  somme  de 
5,800  marks.  Il  y  eut  désaccord  au  sujet  du  règlement.  Un  procès  s'en- 
suivit, et  M.  Kiefer  fut  condamné  à  payer  à  M.  von  Bôhme  800  marks  en 
tout,  pour  prix  do  son  enseignement.  Pourtant  M.  Kiefer  déclara  qu'il 
était  prêt  à  ajouter  3,000  marks  à  cette  somme,  s'il  réussissait,  avec  l'ins- 
truction que  lui  avait  donnée  M.  von  Bôhme,  à  obtenir  un  engagement 
de  chanteur  dramatique.  Ce  vœu  ne  se  réalisa  pas,  malgré  tous  les  efforts 
de  M.  Kiefer.  Partout  il  reçut  la  même  réponse  :  «  Vous  n'êtes  pas  un 
baryton,  mais  une  basse.  »  Au  comble  de  la  perplexité,  notre  chanteur 
s'en  fut  auprès  du  directeur  général  de  musique,  le  conseiller  royal  Schuch, 
qui,  sans  hésiter,  lui  certifia  qu'il  avait  une  voix  de  basse,  nettement 
caractérisée.  Cette  appréciation  reçut  la  confirmation  d'une  autre  autorité 
musicale,  le  professeur  G.  Scharfe.  M.  Kiefer  se  décida  alors  à  poursuivre 
son  ex-professeur.  Il  fit  valoir  que  par  suite  de  la  fausse  direction  donnée 
à  ses  études  vocales',  sa  voix  avait  été  forcée  hors  de  son  registre  naturel, 
et  développée  à  l'aigu  alors  qu'elle  devrait  l'être  au  grave.  Il  estime  qu'il 
lui  faudra,  pour  désapprendre,  le  même  temps  qu'il  a  passé  à  apprendre, 
et  qu'en  outre  un  nouvel  enseignement,  plus  en  rapport  avec  ses  moyens 
vocaux,  lui  coûtera  une  somme  égale  à  celle  qui  lui  a  été  réclamée.  En 
conséquence,  il  demande  :  1°  l'annulation  de  son  contrat  envers  M.  von 
Bôhme,  2°  le  payement  par  celui-ci  de  4,500  marks  de  dommages-intérêts 
et  d'une  autre  somme  de  2,000  marks  comme  compensation  pour  le  temps 
perdu  pendant  vingt  mois,  qu'il  va  lui  falloir  consacrer  à  de  nouvelles 
études,  sans  pouvoir  rien  gagner.  Avant  de  rendre  son  jugement,  le  tri- 
bunal a  décidé  d'entendre  des  avis  compétents  et  il  a  fait  appeler  les 
professeurs  Dr  Wullner,  Stolzenberg  et  Werman.  L'affaire  en  est  là. 

—  Toujours  des  jubilés.  La  Société  philharmonique  de  Pesth  acélébré, 
le  15  janvier  dernier,  le  jubilé  de  son  centième  concert.  Le  premier  de 
ces  concerts  avait  eu  lieu  le  11  novembre  1875,  et  il  était  dirigé,  comme 
celui-ci,  parle  chef  d'orchestre  Alexandre  Erkel.  Dans  l'ensemble  de  ces 
cent  séances  musicales,  la  Société  a  exécuté  78  ouvertures,  190  sympho- 
nies, poèmes  symphoniques,  suites,  rapsodies  et  divers  autres  morceaux 
pour  orchestre,  51  morceaux  de  chant,  28  compositions  pour  le  piano, 
17  pour  le  violon  et  4  pour  le  violoncelle  ;  enfin,  elle  a  fait  entendre  7  fois 
le  Requiem  de  Verdi,  3  fois  le  Requiem  de  Berlioz  et  une  fois  la  Messe  en 
si  mineur  de  Jean-Sébastien  Bach. 

—  On  nous  écrit  de  Leipzig  :  «  Au  17°  concert  du  Gewandhaus,  M.  Paul 
Taffanel,  de  Paris,  a  obtenu  un  succès  extraordinaire.  Le  public  de  ces 
concerts  célèbres,  très  sévère  et  presque  toujours  un  peu  froid  et  rigide, 
a  été  électrisé  par  le  jeu  admirable  de  cet  éminent  artiste.  L'auditoire  a 
été  ravi  par  son  exquise  exécution  du  concerto  de  Mozart  et  par  la  gen- 
tillesse de  trois  charmants  morceaux  de  M.  Godard.  Les  applaudissements 
semblaient  ne  vouloir  pas  cesser,  et  la  salle  entière  était  enthousiasmée 
par  le  jeu  de  M.  Taffanel,  qui  est  certainement,  et  sous  tous  les  rapports, 
supérieur  à  tous  les  flûtistes  que  nous  avons  entendus  ici  depuis  quarante 
années.  » 

—  A  Saint-Pétersbourg  on  a  vendu  récemment  aux  enchères  le  théâtre 
Panaieff,  qui  jusqu'ici  n'a  pas  été  très  heureux.  Sur  une  mise  à  prix  de 
100  000  roubles,  les  enchères  sont  montées  jusqu'à  300,000.  Le  théâtre  a 
été 'adjugé  pour  cette  somme  à  une  dame  Hunter.  —  La  troupe  d'opéra 
italien  qui  devait  se  rendre  prochainement  à  Saint-Pétersbourg  avec  le 
ténor  Masini,  n'ira  décidément  pas;  elle  sera  remplacée  par  la  compagnie 
dramatique  du  célèbre  tragédien  Ernesto  Rossi.  —  Pendant  le  carême,  on 
entendra  à  Saint  Pétersbourg  la  Damnation  de  Faust,  de  Berlioz,  et  le  Re- 
quiem de  Verdi,  exécutés  par  les  chanteurs  et  l'orchestre  de  l'Opéra 
impérial. 

—  A.  Saint-Pétersbourg,  dit  le  Mondo  artistico,  la  cassette  de  l'empereur 
subventionnait,  outre  le  théâtre  de  l'Opéra  russe,  le  théâtre  de  l'Opéra  ita- 
lien, celui  de  la  comédie  allemande  et  celui  de  la  comédie  française.  On 
a  d'abord  supprimé  l'Opéra  italien,  sous  le  prétexte  qu'on  n'avait  plus  de 
théâtre  pour  l'abriter,  et  voici  que  maintenant  on  supprime  aussi  la  comé- 
die allemande  à  partir  du  mois  de  mai  prochain.  —  D'où  il  résulte  qu'il 
n'y  a  plus  là-bas,  en  fait  de  grands  théâtres,  que  l'opéra  russe  etla  comédio 
française. 


62 


LE  MENESTREL 


—  Nous  recevons  d'Amsterdam  la  dépèche  suivante  :  —  «  Mllc  Sigrid 
Arnoldson,  le  rossignol  suédois,  donnait  hier,  au  grand  Théâtre-Royal, 
une.  seule  grande  représentation  extraordinaire.  Depuis  Adelina  Patti, 
jamais  succès  pareil  ne  s'était  vu  à  Amsterdam.  La  jeune  diva  chantait 
Lakmé.  Ovations  sans  fin,  air  des  clochettes  hissé,  2o  rappels,  flot  de 
couronnes  et  de  bouquets.  Malgré  l'augmentation  considérable  du  prix  des 
places,  on  avait  refusé  plus  de  500  personnes.  MUe  Arnoldson  chantera 
encore  cette  saison  à  Vienne,  Florence,  Milan  et  Rome,  et  au  printemps 
ira  à  Londres.  »  Nous  apprenons  d'autre  part  que  le  chiffre  de  la  recette 
s'est  élevé  à  11,840  francs. 

—  Autre  dépêche  d'Amsterdam,  d'un  caractère  plus  fâcheux:  —  «Ce 
matin,  à  cinq  heures,  un  incendie  a  éclaté  au  théâtre  communal  d'Am- 
sterdam. A  huit  heures,  le  théâtre  ne  formait  plus  qu'un  brasier.  La  bi- 
bliothèque, les  décors,  tout  a  été  détruit.  Jusqu'à  présent  on  ne  signale 
aucun  accident  de  personne.  » 

—  A  la  Scala  de  Milan,  où  les  Maîtres  Chanteurs  ont  si  bien  fait  le  vide 
dans  la  salle  et  où  Simon  Boccanegra  n'a  pas  réussi  à  ramener  le  public, 
Vimpresa  a  du,  M.  Sonzogno  se  refusant  toujours  à  laisser  jouer  le  Roi  d'Ys, 
se  rejeter  sur  le  Barbier,  flanqué  du  ballet  Pietro  Micca.  Les  spectateurs 
trouvent  ce  régime  maigre.  A  San  Carlo  de  Naples,  la  situation  n'est  pas 
meilleure;  le  baryton  Fumagalli  a  rompu  son  engagement,  et  la  prima 
donna  Elena  Teriane  menaçait  d'en  faire  autant,  la  direction  ayant  voulu 
l'obliger  à  accepter  une  réduction  d'appointements;  celle-ci  a  dû  mettre 
les  pouces  pour  conserver  l'artiste.  Dans  d'autres  villes  les  choses  vont 
plus  mal  encore.  A  Bari,  la  direction  est  en  faillite,  et  les  artistes  se 
sont  constitués  en  société  pour  terminer  la  saison.  Enfin,  à  Trieste,  un 
fort  noyau  d'abonnés  a  déclaré  ne  pas  vouloir  payer  la  seconde  moitié  de 
l'abonnement  si  Vimpresario  Piontelli  ne  se  décidait  pas  à  améliorer  sa 
troupe,  considérée  comme  absolument  insuffisante.  Décidément,  la  crise 
théâtrale  est  intense  chez  nos  voisins. 

—  A  mettre  en  regard  de  l'éclatant  fiasco  des  Maîtres  Chanteurs  à  Milan, 
l'insuccès  complet  que  vient  d'obtenir  à  Rome  Lohengrin,  insuccès  cons- 
taté par  toute  la  presse  romaine  et  qui  a  arrêté  net  les  représentations  de 
l'opéra  de  Wagner.  Celui-ci  était  pourtant  chanté  cette  fois,  à  l'Argentina, 
par  une  réunion  d'artistes  qui  ont  fait  leurs  preuves  et  qui  comptent  parmi 
les  meilleurs  que  l'on  connaisse  en  Italie,  à  savoir  MmK  Bellincioni  et 
Fursh-Madi,  le  ténor  Stagno,  MM.  Pini-Corsi,  Wulmann  et  Berardi.  On 
dit,  il  est  vrai,  que  les  chœurs  et  l'orchestre  ont  été  déplorables,  et  les 
■wagnériens  gallophobes  de  là-bas  s'empressent  de  les  rendre  responsables 
de  tout  le  mal. 

—  Première  représentation  à  Turin  de  Loreley,  opéra  nouveau  de  M.  Ca- 
talani,  chanté,  pour  les  rôles  principaux,  par  Mme  Ferni-Germano,  le  té- 
nor Durot  et  un  débutant  du  nom  de  Dexter.  L'accueil  a  été  très  froid  de 
la  part  du  public,  bien  que  selon  la  critique  l'œuvre  du  compositeur  soit 
tout  à  fait  remarquable. 

—  AVérone  est  mort,  à  l'âge  de  74  ans,  le  compositenr  Alessandro  Sala. 
Né  à  Valeggio  et  venu  fort  jeune  à  Vérone,  il  avait  été,  pour  le  piano  et 
l'harmonie,  l'élève  de  Domenico  l'oroni,  et  devint  un  excellent  organiste 
en  même  temps  qu'un  pianiste  remarquable.  Il  se  produisit  à  la  scène 
avec  deux  opéras  :  l'un,  Gineora  di  Monnaie,  donné  au  Théâtre  Philhar- 
monique de  Vérone  en  1857,  l'autre,  Bice  Alighieri,  représenté  au  Théâtre 
Ristori,  de  la  même  ville,  en  1865,  et  qui  obtint  quatorze  représentations. 
Il  ne  put  jamais  réussir  pourtant  à 'faire  jouer  un  troisième  ouvrage  : 
VVsurio  in  trappola.  On  connaît  encore  de  cet  artiste  une  Trilogie  sympho- 
nigue  couronnée  en  1881  à  l'Exposition  musicale  de  Milan,  une  Messe 
funèbre  écrite  pour  le  25e  anniversaire  de  la  mort  du  roi  Charles-Albert 
une  Messe  solennelle,  un  Miserere  exécuté  à  Vérone  en  1878,  une  Élégie 
pour  la  mort  de  Victor-Emmanuel,  et  enfin  beaucoup  d'autres  composi- 
tions pour  le  chant,  pour  le  piano  et  pour  l'orchestre.  Sala  s'est  fait 
connaître  aussi  comme  écrivain  spécial,  et  on  lui  doit  deux  publications 
intéressantes,  l'une  :  Sui  musicisti  veronesi,  et  l'autre  :  Sulla  influenza  benefica 
délia  musica. 

—  M.  Aristide  Franceschetti  vient  de  donner  à  Rome  un  concert  histo- 
rique fort  intéressant,  dont  voici  le  très  curieux  programme:  1.  Sonate 
en  sol  pour  5  violons  et  violoncelle,  d'Arcangelo  Corelli  (1653);  2.  Sonate 
en  si  bémol  pour  2  violons  et  violoncelle,  de  Francesco  Zanetti  (1740); 
3.  Inno  a  Calliope,  texte  grec  attribué  à  Mesomède  de  Crète  (date  incer- 
taine entre  les  n°  et  iv°  siècles  de  l'ère  vulgaire),  harmonisé  a  la  manière 
hypolydienne  par  C.-A.  Macfarren  ;  4.  Caazonnelta  à  la  napolitaine,  avec 
accompagnement  de  luth  (M.  Branzoli),  de  Gabriel  Fallamero,  réduction 
de  M.  Oscar  Chilesotti  ;  5.  Air  i'Eurldice,   opéra   de  Jacopo  Péri   (1500)  • 

6.  Villanelle  d'Andréa    Falconieri   (1616),  réduction   de   M.   A.    Parisotti  ■ 

7.  Cappriccio  en  fa,  pour  quatuor  à  cordes,  de  G.  B.Vitali  (1614);  8.  Scherzo 
du  quatuor  en  sol  pour  instruments  à  cordes,  de  Cherubini  (1760)  ;  9.  Can- 
tate d'Arcangelo  del  Louto  (1645),  réduction  de  M.  A.  Parisotti  ;  10.  Danse 
enfantine,  de  Francesco  Durante  (1684),  réduction  du  même;  11.  Potess'io 
air  d'Alessandro  Stradella  (1045),  réduction  du  même;  12.  M'ha  preso  alla 
sua  ragna,  air  de  l'ier  Domenico  Paradius  (1710),  réduction  du  même.  Ces 
derniers  morceaux  font  partie  d'un  recueil  de  mélodies  anciennes  publiées 
avec  un  accompagnement  réduit  au  piano  par  M.  Parisotti,  secrétaire  de 
'Académie  de  Saint-Cécile.  Le  succès  du  concert  a  été  complet. 


—  A  Reggio  d'Emilie,  dans  la  soirée  d'adieu  d'une  cantatrice  du  théâ- 
tre, la  Gargano,  l'orchestre  a  exécuté  un  poème  symphonique  inédit  du 
maestro  Giordani,  qui  a  produit  un  grand  effet  et  que  le  public  a  rede- 
mandé. 

—  Un  des  écrivains  italiens  les  plus  brillants  et  les  plus  justement 
estimés,  qui  est  en  même  temps  un  véritable  ami  de  la  France,  M.  Angelo 
De  Gubernatis,  vient  de  le  prouver  d'une  façon  charmante.  M.  De  Guber- 
natis,  qui  prépare  en  ce  moment  à  Florence,  pour  le  mois  de  mai  pro- 
chain, à  l'occasion  du  centenaire  de  Béatrice  Portinari,  une  exposition  de 
travaux  féminins  italiens  qui  sera  la  première  de  ce  genre  qu'on  aura  vue 
en  ce  pays,  veut  compléter  cette  solennité  en  provoquant,  pour  la  même 
époque  et  dans  la  même  ville,  la  réunion  d'un  congrès  de  la  paix.  C'est 
à  ce  sujet  qn'il  a  eu  la  pensée  ingénieuse  d'inviter  un  de  nos  compositeurs 
féminins  français  à  écrire  une  œuvre  de  circonstance,  et  qu'il  a  demandé  à 
M1Ie  Augusta  Holmes,  l'auteur  de  l'Ode  triomphale  exécutée  au  Palais  de 
l'Industrie  pendant  notre  Exposition  universelle,  de  vouloir  bien  com- 
poser pour  celle  de  Florence  un  Hymne  à  la  Paix,  qui  serait  chanté  au 
Politeama  par  trois  cents  voix.  «  Les  sentiments  humanitaires  et  poéti- 
ques exprimés  par  M.  De  Gubernatis,  dans  sa  lettre  à  M"e  Holmes,  dit  un 
de  nos  confrères  italiens,  ont  excité  un  aimable  enthousiasme  chez  la 
vaillante  artiste,  qui  a  répondu  en  acceptant.   » 

—  L'odyssée  d'une  compagnie  lyrique  italienne.  La  compagnie  Raspan- 
tini  occupait  le  théâtre  d'Acireale  lorsque  la  mort  du  prince  Amédée,  frère 
du  roi,  est  venue  l'obliger  à  suspendre  ses  représentations.  Les  artistes 
sont  partis  alors  pour  Palerme,  où  ils  étaient  appelés  à  occuper  le  théâtre 
Bellini;  mais  là,  après  une  première  représentation,  Vinfluenza  se  mettant 
de  la  partie,  on  dut  fermer  le  théâtre.  Les  infortunés  se  réfugièrent  à 
Trapani,  où,  Vinfluenza  les  poursuivant,  leurs  engagements  furent  enfin 
résiliés.  De  retour  à  Palerme,  ils  s'y  promenaient  depuis  douze  jours,  aux 
dernières  nouvelles,  sans  savoir  que  faire! 

—  Le  baryton  Squarcia,  dont  nous  avons  annoncé  la  mort,  tout  en  as- 
surant par  testament  le  sort  de  sa  famille  a  légué  une  somme  de  100,000 
francs  à  l'Institut  Hermès  de  Loreto,  sa  ville  natale.  Cet  institut  est  une 
maison  de  refuge  pour  les  vieillards  pauvres. 

—  Grand  succès,  parait-il,  au  Théâtre  Philharmonique  de  Vérone,  pour 
un  opéra  nouveau  en  cinq  actes,  Catilina,  paroles  de  M.  P.-E.  Frances- 
coni,  musique  de  M.  Federico  Cappellini,  chanté  par  Mmes  Emma  Zilli  et 
Carolini,  le  ténor  Beduschi,  le  baryton  Fari  et  la  basse  Broglio.  Les  trois 
premiers  actes  surtout  ont  été  bien  accueillis.  M.  Cappellini  n'était  guère 
connu  jusqu'ici  que  pour  un  Agnus  Dei   qu'il  avait  fait  exécuter  à  Venise. 

—  La  maison  Giudici  et  Strada,  de  Turin,  vient  de  publier  Six  petites 
fugues  amusantes,  à  gualre  parties,  sur  des  sujets  méthodiques,  rythmés  pour  orgue 
ou  harmonium  ou  piano,  par  G.  Perky.  Des  fugues  amusantes,  le  fait  est 
trop  rare  pour  n'être  pas  signalé,  et  celles-ci  ne  mentent  pas  à  leur  titre. 
Elles  sont,  déplus,  d'un  excellent  musicien.  N'en  voilà-t-il  pas  plus  qu'il 
n'en  faut  pour  justifier  le  succès  qui  a  accueilli  dès  l'abord  ces  petites 
pièces,  et  les  éloges  qu'elles  ont  valus  à  l'auteur? 

—  Gayarre  !  toujours  Gayarre  !  le  Figaro  de  Madrid  publie  un  numéro, 
dont  chaque  page  est  encadrée  de  noir  et  qui  est  entièrement  consacré 
à  la  mémoire  du  célèbre  chanteur;  ce  numéro  contient  des  esquisses  bio- 
graphiques, articles  divers,  poésies,  pensées,  etc.,  inspirés  par  son  sou- 
venir. D'autre  part,  on  va  inaugurer  à  Barcelone  un  théâtre  nouveau  qui 
portera  le  nom  de  Théâtre  Gayarre,  et  l'on  se  prépare  à  faire  de  même,  le 
mois  prochain,  à  Las  Palmas  (iles  Canaries). 

—  Le  gouvernement  espagnol  fonde  en  ce  moment  à  Manille  une  École 
musicale,  pour  laquelle  il  a  établi  un  budget  de  115,000  francs.  Les  pro- 
fesseurs sero'nt  au  nombre  de  onze,  avec  un  traitement  annuel  uniforme 
de  7,500  francs,  le  directeur  ayant  2,000  francs,  et  le  secrétaire  1,000  francs 
en  plus  de  traitement.  On  ne  connaît  encore  le  nom  ni  des  uns,  ni  des 
autres,  et  l'on  sait  seulement  que  la  date  de  l'ouverture  de  l'École  est  i\\6e 
au  mois  de  juillet  prochain. 

—  Le  programme  du  festival  de  Norwich,  qui  aura  lieu  au  mois  d'oc- 
tobre prochain,  vient  d'être  définitivement  arrêté  ainsi  qu'il  suit  :  le  14. 
Judas  Machabée,  de  Hiendel  ;  le  15,  la  nouelle  cantate  du  D1'  Parry,  dont 
le  titre  n'est  pas  encore  arrêté,  et  le  Slabat  mater  de  Rossini  ;  le  16,  le  Martyr 
a'Antioche,  de  M.  Sullivan,  le  Jugement  dernier,  de  Spohr.  et  une  nouvelle 
cantate  de  M.  H.  Me  Cunn,  intitulée,  Hynde,  reine  de  Calédonie  ;  le  17,  Elle 
de  Mendelssohn,  et,  pour  la  clôture  du  festival,  une  séance  mixte  qui 
comprendra,  entre  autres,  le  deuxième  acte  du  Vaisseau-Fantôme  de  Wag- 
ner. M™  Albani,  dont  le  concours  avait  été  annoncé,  n'a  pas  été  engagée 
par  des  raisons  d'économie.  Elle  sera  remplacée  par  M™'  Nordica.  Les 
autres  solistes  seront  M",cs  Mac  Intyre,  Lchmann,  Mackcnzie,  Damian  et 
MM.  Lloyd,  Marsh,  Novara  et  Honschel. 

—  M"10  Adelina  Patti  a  donné,  l'autre  mardi,  sa  première  représentation 
au  théâtre  de  l'Opéra  de  San  Francisco.  C'était  le  troisième  anniversaire 
du  jour  où,  sur  ce  même  théâtre,  un  nommé  John  Hodgo  avait  jeté  à  l'ar- 
tiste un  bouquet  dans  lequel  était  renfermée  une  bombe  chargée  do  dyna- 
mite. John  Ilodge  avait  été  condamné  pour  cet  attentat  à  deux  ans  de 
prison.  Relâché  il  y  a  quelque  temps,  après  l'expiration  de  sa  peine,  il 
disait  ouvertement  qu'il  renouvellerait  son  attentat  le  jour  où  Mm°  Patti 
reparaîtrait  sur  la  scène  de  l'Opéra.  Mais  il  n'a  pu  exécuter  son  criminel 


LE  MÉNESTREL 


03 


dessein  :  trois  jours  avant  la  représentation,  il  fut  atteint  de  folie  et  se 
trouve  actuellement  enfermé  dans  une  maison  d'aliénés. 

—  On  a  exécuté  le  mois  dernier  à  San  Francisco,  en  l'église  Sainte-Ma- 
rie, une  Messe  militaire  de  Cimarosa,  dont  on  pourrait  jurer  sans  crainte 
qu'aucun  musicien  européen  ne  connaît  une  note.  Cette  Messe  est  écrite 
pour  voix  seules,  orgue,  quatuor  d'instruments  à  cordes  et  cors. 

—  La  Nasione  italiana  de  Buenos-Ayres  paris  avec  de  grands- éloges 
d'une  messe  solennelle  d'un  compositeur  italien,  M.  Pasquale  Romano, 
dont  l'exécution  a  produit  sur  l'auditoire  une  impression  profonde.  Selon 
ce  journal,  cette  œuvre  serait  tout  simplement  un  chef-d'œuvre,  «  et  l'in- 
comparable maestro  est  une  vraie  gloire  pour  la  colonie.  » 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Le  jury  du  concours  pour  la  composition  d'un  poème  destiné  au  con- 
cours musical  de  la  Ville  de  Paris,  réuni  au  pavillon  de  Flore,  a  rendu, 
le  jeudi  13  février,  son  jugement  définitif.  Il  a  décidé  qu'il  n'y  avait  pas 
lieu  de  décerner  de  prix,  aucun  poème  n'ayant  paru  réunir  l'ensemble 
des  conditions  nécessaires  pour  être  mis  à  la  disposition  des  compositeurs 
appelés  à  prendre  part  au  concours  musical.  Le  jury  a,  en  outre,  émis  le 
vœu  que  le  concours  musical  soit  ouvert,  le  plus  tôt  possible,  dans  la  forme 
des  concours  précédents. 

—  Notre  confrère  Georges  Boyer,  du  Figaro,  donne  la  date  du  14  mars 
pour  la  première  représentation  à'Ascanio  à  l'Opéra,  et  il  ajoute  que, 
fidèle  à  ses  résolutions  d'exil  volontaire,  M.  Saint-Saëns  ne  reviendra  pas 
avant  cette  représentation:  «Ce  sera  la  première  fois,  dit-il,  qu'un  com- 
positeur aura  eu  le  courage  de  ne  point  suivre  les  études  d'un  ouvrage 
sur  lequel  il  peut  à  bon  droit  compter.  On  prête  à  M.  Saint-Saëns  bien 
des  idées  bizarres,  entre  autres  celle  d'être  venu  s'installer  à  Saint-Ger- 
main et  de  s'y  tenir  coi,  attendant  l'heure  de  paraître.  Pour  qui  connaît 
la  vivacité  de  l'homme,  cette  patience  est  invraisemblablement  angélique  ! 
Des  gens  convaincus  prétendent  pourtant  l'avoir  vu.  Aucun  n'affirme  lui 
avoir  parlé.  Ces  victimes  d'une  ressemblance  ou  d'une  illusion  n'ont  qu'à 
aller  consulter  le  livre  des  voyageurs  de  l'hôtel  de  France  à  Cadix,  ils  y 
apprendront  que  le  compositeur  français  s'est  embarqué  pour  Ténériffe 
en  décembre  dernier.  «.  Cadix,  disent-ils,  est  bien  loin,  pour  y  aller  voir.  » 
Ténériffe  est  encore  plus  loin  pour  en  revenir,  quand  on  craint  l'in- 
iluenza,  quand  on  a  les  bronches  malades,  quand  on  a  déclaré  à  ses  amis 
depuis  plus  d'un  an,  comme  l'a  fait  M.  Saint-Saëns,  qu'on  ne  passerait 
plus  l'hiver  en  France  sans  péril.  Voilà  de  quoi,  je  pense,  mettre  un 
terme  à  la  légende  qui  fait  passer  inconnu  à  travers  la  foule,  tout  comme 
le  calife  des  Mille  et  une  Nuits,  le  compositeur  à'Ascanio.  » 

—  Ile  notre  confrère  Nicolet,  du  Gaulois,  sous  toutes  réserves  :  «  La 
question  du  Théâtre-Lyrique  revient  sur  le  tapis.  Une  société  serait  con- 
tituée,  et  les  capitaux  seraient  prêts.  Une  nouvelle  salle  serait  élevée  sur 
le  boulevard  Poissonnière,  à  l'angle  de  la  rue  d'Hauteville  et  destinée  à 
la  résurrection  du  Théâtre-Lyrique.  M.  Derenbourg,  actuellement  direc- 
teur du  théâtre  des  Menus-Plaisirs,  serait  à  la  tête  de  cette  nouvelle 
combinaison.  Les  deux  premiers  spectacles  seraient  déjà  arrêtés  :  Lohen- 
grin,  de  Richard  "Wagner,  et  les  Noces  de  Figaro,  de  Mozart.  »  Quand  nous 
verrons  la  nouvelle  salle  sortir  de  terre,  nous  commencerons  seulement 
à  y  croire. 

—  Si  nos  renseignements  sont  exacts,  M.  Paravey,  directeur  de  l'Opéra- 
Comique,  a  dû  recevoir  cette  semaine  du  papier  timbré  de  M.  J.-B. 
Wekerlin,  qui  lui  demande  dix  mille  francs  de  dommages-intérêts  pour 
n'avoir  pas  fait  représenter  dans  les  délais  fixés  par  la  Société  des  auteurs 
son  opéra  le  Sicilien,  déjà  répété  sous  la  précédente  direction  de 
M.  Carvalho.  M.  "Wekerlin  demande  non  seulement  l'amende  que  la  Société 
réclame  des  directeurs  pour  les  auteurs  dont  les  pièces  ont  été  reçues  et 
non  jouées,  mais  encore  la  somme  qu'il  devait  recevoir  de  son  éditeur 
pour  cet  opéra,  lors  de  la  première  représentation.  Il  est  malheureuse- 
ment à  craindre  pour  M.  Paravey  que  d'autres  compositeurs,  également 
bernés,  ne  suivent  l'exemple  donné  par  M.  "Wekerlin.  Et  alors,  où  cela 
s'arrètera-t-il?  11  ne  faut  pas  oublier  que,  d'après  le  Monde  Artiste,  M.  Pa- 
ravey a  près  de  quarante  actes  dans  les  mêmes  conditions! 

—  Quelques  renseignements  sur  le  nouveau  tableau  dont  va  s'enrichir 
le  musée  du  Théâtre-Français.  Le  portrait  de  Molière,  légué  à  la  Comédie- 
Française  par  le  docteur  Gendrin,  est,  comme  on  l'a  dit,  celui  de  Charles 
Coypel,  rendu  populaire  par  la  gravure  de  Lépicié,  exécutée  pour  la 
grande  édition  Boucher  de  1734.  Molière  est  représenté  la  plume  à  la 
main  et  songeant,  accoudé  du  bras  gauche  sur  deux  in-octavo.  Il  n'a  donc 
pas  été  fait  d'après  nature.  Mais  ce  portrait  de  Coypel  reproduit  le  type 
Mignard,  accommodé  au  goût  du  temps.  C'est  le  même  portrait  qui  a  été 
gravé  par  Friquel,  sans  indication  d'origine.  Il  serait  très  important  de 
connaitre  la  provenance  du  portrait  du  docteur  Gendrin,  car  il  offre  de 
grandes  ressemblances  avec  celui  de  la  vente  Denon,  que  le  catalogue 
attribuait  à  Sébastien  Bourdon.  Avis  aux  moliéristes. 

—  Au  Théàtre-Franeais,  les  répétitions  de  Camille,  la  nouvelle  comédie 
de  M .  Philippe  Gille,  ont  commencé  cette  semaine.  Tous  les  interprètes 
Boni  ravis  de  leurs  rôles. 

—  M.  Rocheforl  fait  parler  de  lui  à  Londres,  où  il  a  eu  l'imprudence 
de  s'attaquer  à  M«  Weldon,  dont  on  connaît  les  démêlés  homériques 
avec  M.  Gounod.  M.  Rocheforl  s'est  fait  intenter  un  procès  par  M™  Geor- 


gina  'Weldon,  assez  coutumière  du  fait,  procès  qui  vienl  de  se  terminer 
par  un  arrangement  entre  les  deux  parties.  M.  Rocheforl,  payera  à 
Mm"  Weldon  250  livres  sterling,  les  frais  du  procès  et  lui  fera  des  excuses 
devant  la  Cour.  M.  Rochefort  avait  attaqué  avec  violence  Mmc  "Weldon  à 
l'occasion  du  procès  intenté  par  celle-ci  à  M.  Charles  Gounod,  procès 
qui  s'était,  on  se  le  rappelle,  terminé  par  l'obtention  pour  la  plaignante 
d'une  somme  de  10,000  livres  sterling, 

—  Mm0  Emma  Nevada,  qui,  engagée  à  Madrid  et  atteinte  en  cette  ville 
de  l'influenza  avant  d'avoir  pu  s'y  présenter  au  public,  était  venue  à  Paris 
pour  s'y  faire  soigner,  est  allée  remplir  l'engagement  contracté  par  elle 
au  Théâtre-Royal.  Elle  a  donné  le  11  février  sa  première  représentation 
avec  la  Sonnambula,  qui  lui  a  valu  un  succès  éclatant.  Mal  rétablie  encore 
pourtant,  elle  avait  trop  présumé  de  ses  forces,  et  s'est  évanouie  en  scène 
en  chantant  le  rondo. 

—  Un  violoncelliste  russe,  M.  Arved  Poorten,  membre  de  la  chapelle  de 
l'empereur  de  Russie  et  ancien  professeur  au  Conservatoire  de  Saint-Pé- 
tersbourg, aujourd'hui,  je  crois,  fixé  en  Belgique,  vient  de  publier  sous 
ce  titre  :  Testament  d'un  musicien,  que  je  ne  m'explique  pas  beaucoup,  un 
livre  qu'il  dédie  à  M.  Antoine  Rubinstein  et  qui  n'est  qu'une  charge  à 
fond  contre  tout  ce  qui  touche  à  la  musique.  Pessimiste  renforcé,  M.  Arved 
Poorten  est  d'avis  que  notre  époque  est  une  époque  de  décadence  absolue 
pour  tous  les  arts,  que  tous  les  artistes  ne  pensent  qu'à  l'argent,  que  la 
plupart  sont  des  imbéciles  ou  de  simples  vaniteux,  et  qu'en  ce  qui  con- 
cerne la  musique  particulièrement,  jamais  on  n'a  vu  sa  culture  pratiquée 
par  tant  d'adeptes  en  même  temps  qu'on  ne  l'a  vue  plus  abaissée  par  la 
stérilité  des  résultats  obtenus.  Plus  de  créateurs  convaincus,  plus  de  com- 
positeurs, plus  de  virtuoses,  plus  de  professeurs;  tous  ménétriers,  racleurs 
de  boyau,  tapoteurs  de  piano  et  simples  souffleurs  d'instruments  quelcon- 
ques. Il  n'y  a  plus  qu'à  arrêter  cette  valse  infernale  et  à  fermer  les  con- 
servatoires, ce  que  Fauteur  recommande  expressément.  Ce  petit  volume 
n'est  qu'un  petit  recueil  de  petits  potins  artistiques,  présentés  dans  un 
style  de  petit  journal  qui  n'est  pas  toujours  un  modèle  de  pureté  et  de 
correction.  Il  n'y  a  là-dedans  que  du  découragement,  ou  pour  mieux  dire 
du  dénigrement,  sans  l'ombre  d'une  idée  saine,  d'une  réflexion  heureuse 
ou  d'une  observation  juste.  Il  ne  vaut  vraiment  pas  la  peine  de  prendre 
une  plume  quand  on  n'a  rien  à  apprendre  au  public  et  qu'on  n'a  à  lui  offrir 
que  des  négations.  Ce  Testame?U  d'un  musicien  n'a  même  pas  la  valeur  d'un 
pamphlet;  c'est,  pour  me  servir  d'une  expression  à  la  mode,  une  simple 

«  fumisterie».  Encore,  certaines  sont-elles  amusantes  ;  celle-ci  est  fu  - 
nèbre.  A--  P- 

—  Mmc  Marie  Jaëll,  qui,  au  commencement  de  l'hiver,  avait  donné 
chez  elle  six  séances  privées  dans  lesquelles  elle  avait  fait  entendre  l'en- 
semble des  compositions  si  nombreuses  et  si  diverses  de  Schumann  pour 
piano  seul,  renouvelle  ce  curieux  et  extraordinaire  tour  de  force,  cette 
fois  en  vue  du  grand  public.  Elle  donnera  donc,  dans  la  petite  salle  Erard, 
six  concerts  exclusivement  consacrés  à  l'audition  des  œuvres  de  Schumann, 
concerts  dont  les  dates  sont  fixées  aux  lundi  3,  jeudi  0,  lundi  10,  ven- 
dredi 14,  lundi  17  et  samedi  22  mars,  à  trois  heures  de  l'après  midi. 

—  L'excellent  violoniste  "White,  dont  le  retour  en  France  a  été  si  bien 
accueili  et  qui  a  remporté  l'autre  semaine  un  si  grand  succès  au  concert 
Lamoureux,  va  se  faire  entendre  très  prochainement  à  Monte-Carlo. 

Concerts.  —  Samedi  dernier,  à  la  salle  Érard,  le  concert  donné  par  le 
violoniste  Derso  Lederer,  avait  réuni  un  public  nombreux,  qui  a  beaucoup 
applaudi  le  bénéficiaire  dans  plusieurs  morceaux  de  styles  très  variés  et 
très  propres  à  faire  briller  les  qualités  du  virtuose  accompli.  M.  Lederer 
s'est  fait  connaître  en  outre  comme  compositeur,  dans  le  premier  allegro 
de  son  concerto  en  la  mineur  et  des  airs  hongrois  de  sa  façon.  Il  était 
secondé  par  MM.  Binon,  Stern,  Franck,  de  l'Opéra,  Bergon,  Staub, 
Mariotti  et  Mm0Terrier-Vicini.  —  Au  concert  du  16  février,  à  l'Institution 
Sainte-Croix  de  Neuilly,  grand  succès  pour  le  joli  petit  morceau  de 
piano:  Pendant  la  Fête,  de  M.  A.  Trojelli,  orchestré  et  dirigé  par  l'auteur. 
—  Une  brillante  soirée  musicale  a  eu  lieu  chez  Mme  Gignoux.  Quelques 
œuvres  de  M.  Théodore  Dubois  :  le  Canlabile,  Ducllino  d'amore  et  une  mélodie 
ont  été  admirablement  interprétées  par  M110  M.-E.  Gignoux,  pianiste- 
compositeur.  M"0  M.-E.  Gignoux  a  fait  entendre  sa  «  Vision  de  Jeanne  d'Arc  », 
scène  lyrique  d'un  beau  caractère,  remarquablement  chantée  par  MUc  Juliette 
d'Alfa.  Deux  romances  du  même  compositeur,  l'Exilé  et  Madrigal,  ont  valu 
à  Mlle  Selma  de  vifs  applaudissements. 

—  Concerts  annoncés.  —  Mardi  2S  février,  salle  Pleyel,  deuxième  séance 
de  la  Société  de  Musique  française,  fondée  par  M.  Ed.  Nadaud,  avec  le 
concours  de  MM.  Diémer,  Risler,  Mas,  Cros  Saint-Ange  et  Laforge.  — 
Mardi  2o  février,  salle  Érard,  séance  donnée  par  M.  Joseph  Wieniawski 
pour  l'audition  de  sa  sonate  pour  piano  et  violoncelle  (exécutée  avec 
M.  Jules  Delsart)  et  de  ses  vingt-quatre  études  pour  piano.  —  Mercredi  2G, 
salle  Érard,  concert,  avec  l'orchestre  Colonne,  donné  par  M.  Breitner, 
qui  fera  entendre  le  nouveau  concertstuck  de  Rubinstein,  le  concerto  de 
M.  Lalo,  et  diverses  œuvres  de  Schumann,  Chopin  et  Tschaïkowsky.  — 
Jeudi  27,  salle  Pleyel,  grande  séance  de  piano,  donnée  avec  le  con- 
cours de  l'orchestre  Colonne,  par  Mmc  Marie  Jaëll,  qui  exécutera  les  qua- 
tre concertos  de  M.  Saint-Saëns,  op.  17,  22,  29  et  4i.  —  Vendredi  2s  fé- 
vrier, salle  Érard,  concert  donné  par  M.  Victor  Staub  avec  le  concours 
de  M""-'  Leroux-Ribeyre,  de  M.  Diémer  et  de  M.  Golonno  et  de  son  orchestre. 

Henri.  Heugel.  directeur -géiant 


64 


LE  MÉNESTREL 


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Nos  1.  —  L'Expulsion. 

2.  —  Le  Banquet  des  Maires. 

3.  —  Un  Bal  à  l'Hôtel  de  Ville. 

4.  —  Coquin  d'Populo  ! 

5.  —  Les  Souvenirs  du  Populo. 

6.  —  Le  Grand  Métingue. 


9. 
10. 
11. 
12. 


L'Électeur  Embarrassé. 
Marche  des  Scolaires. 
Le  Pendu. 

Le  Bon  Saint  Labre. 
Une  pleine  Eau. 
Vas  Soli! 


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PETITE  MÉTHODE  ÉLÉMENTAIRE 

PIANO 

Composée  pour  les  petites  mains  el  suivie  d'un  recueil  d'exercices,  d'éludés  et  de  petites  fantaisies  1res  faciles  suc  des  mélodies  d'auteurs  célèbres 

Emile  decombes 

Professeur  au  Conservatoire  de  Musique 

TABLE    DES    PETITES    FANTAISIES 

Contenues  dans  cette  Méthode 
(Accentuées,  soigneusement  doigtées  el  classées  par  ordre  de  difficulté  progressive) 


N°B  1.  —  Andante. 

2.  —  Air  suisse. 

3.  —  Musette. 

4.  —  Triste  raison. 

5.  —  Air  du  ballet  de  Psyché  (A.  Thomas). 

6.  —  Dernière  rose  d'été. 

7.  —  Petite  valse. 


IJS    8.  —  Petite  marche. 

9.  —  Valse  des  adieux  (G.  Nadaud). 

10.  —  Mélodie  (Schumann). 

11.  —  Obéron,  barcarolle  (Weiier). 

12.  —  Chanson  de  Fortunio  (Offenbach). 

13.  —  Fleur  des  Alpes  (Wekebxin). 

14.  —  La  Flûte  enchantée  (Mozart). 

N°  22.  —  Mignon,  entr'acte-gavotte  (A.  Thomas) 


Nos  15.  —  Romance  de  Joseph  (Mêhul). 

16.  —  Romance  (Martini). 

17.  —  Le  Roi  s'amuse,  passepied  (Li 

18.  —  Mignon,  o  Connais-tu  le  pays  > 

19.  —  Les  Noces  de  Figaro  (Mozart] 

20.  —  Mignon,  «  Elle  ne  croyait  pas  i 

21.  —  Le  Roi  l'a  dit,  sérénade  (Léo 


o  Delides). 
(A.  Thomas). 


(A.  Thomas) 
Delibes), 


MORCEAUX    D'ENSEMBLE 

N™  23.  —  Adieu,  à  trois  mains  (Schubert).  Nos  25.  —  L'Éloge  des  larmes,  à  4  maius  (Schubert). 

24.  —  Sérénade,  à  trois  mains  (Schubert).  26.  —  Les  Plaintes  de  la  'jeune  fille,  à  6  mains  (Schubert). 


Prix   net,    brochée  :    S   fr.    30.    —   Cartonnée  :    3   fr.    50. 


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(Les  J3ureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  ^'Étranger,   les  Irais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (51"  article),  Albert  Soucies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Bulletin  théâtral  :  Opéra  et  Opéra-Comique,  H.  M.  ;  premières 
représentations  de  Fin  de  siècle,  au  Gymnase,  et  de  Grand'mcre,  à  l'Odëon, 
Paul-Émile  Chevalier.  —  III.  Le  théâtre  à  l'Exposition  (19"  article),  Arthur 
Pougin.  —  IV.  Histoire  vraie  des  héros  d'opéra  et  d'opëra-comique  (32'  article): 
Struensëe,  Edmond  Neukomm.  —  V.  Revue  des  Grands  Concerts.  —  VI.  Nouvelles 
diverses. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  lamusique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

CHANTS    DU    TYROL 

nouvelle  polka-mazurka  de  Heinrich  Sirobl.  —  Suivra  immédiatement  : 
Le  Menuet  de  l'Infante,  de  Paul  Rougxon. 

CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant  :  Fleur  de  neige,  nouvelle  mélodie  de  Ambroise  Thomas,  poésie  de 
Jules  Barbier.  —  Suivra  immédiatement  :  Les  Hussards,  nouvelle  mélodie 
de  Francis  Thomé,  poésie  de  Ch.  Popelix. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Albert  SOUBIES   et  Charles   A1A.LHERBE 

(Suite.) 

CHAPITRE  XIV 

MEYERBEER     A    L'OPÉRA-COMIQUE 
LE  PARDON  DE  PLOERMEL 

(1856-1859) 

Si  le  nom  de  Meyerbeer  se  retrouve  en  tète  de  ce  chapitre, 
c'est  que  pendant  les  trois  années,  ou  plutôt  les  quarante 
mois,  dont  nous  allons  raconter  l'histoire,  aucun  maître  ne 
surgit  dont  l'œuvre  s'impose  par  une  valeur  semblable  ou 
rencontre  une  fortune  égale.  A  la  salle  Favart  comme  à  la 
salle  Le  Peletier,  Meyerbeer  est  alors  et  demeure  le  premier; 
nul  échec  ne  vient  compromettre  l'éclat  de  la  victoire  une 
fois  remportée  ;  sa  gloire  est  intacte  et  son  succès  persiste. 

Certes  les  pièces  nouvelles  ne  font  pas  défaut.  Parmi  les 
grandes,  il  s'en  rencontre  d'intéressantes,  comme  Manon 
Lescaut,  Psyché,  Quentin  ùurward,  les  Trois  Nicolas  ;  mais,  hormis 
l'ouvrage  d'Ambroise  Thomas,  objet  d'une  reprise  assez  éphé- 
mère en  1887,  toutes  ont  disparu  du  répertoire,  aussi  bien  à- 
Paris,  qu'en  province  ou  à  l'étranger.  Parmi  les  petites,  on 
en.  rencontre  ,  d'agréables,  comme  Maître  Pathelin,  le  Mariage 
extravagant,  les  Désespérés;  mais  leur  mérite  ne  saurait  se.  com- 
parer a   celui   de  leurs  ainées,  et  leur  sort  s'est   aussi  réglé 


plus  vite.  Quant  aux  reprises,  elles  ont  le  plus  souvent  pour 
objet  des  opéras-comiques  fréquemment  joués  et  applaudis, 
Richard  Cœur  de  Lion,  Joconde,  Zampa,  etc.  Deux  seulement  cor- 
respondent à  des  nouveautés  pour  la  salle  Favart:  le  Valet  de 
chambre  et  les  Méprises  par  ressemblance;  encore  ne  comptent- 
elles  pas  parmi  les  plus  productives. 

Pour  trouver  le  pendant  de  l'Étoile  du  Nord,  il  faut  donc  ar- 
river au  Pardon  de  Ploërmel,  sans  que  d'ailleurs  l'équivalence 
soit  absolue.  La  seconde  de  ces  œuvres  fut  moins  spontané- 
ment acclamée  que  la  première;  le  succès  moins  fruc- 
tueux tout  d'abord,  a  peut-être  été,  en  revanche,,  plus 
durable,  ou  plutôt  plus  général.  En  effet,  tandis  que  l'Étoile 
du  Nord  n'apparait  plus  sur  les  scènes  lyriques  qu'à  des  inter- 
valles de  moins  en  moins  rapprochés,  le  Pardon  de  Ploërmel, 
sous  le  titre  de  Dinorah,  se  maintient  constamment,  sinon  à 
Paris,  du  moins  en  Allemagne  et  en  Italie.  De  toute  façon, 
ce  deuxième  triomphe  eut  une  importance  décisive,  à  l'époque 
où  il  se  produisit.  Le  Théâtre-Lyrique,  sous  la  direction  Car- 
valho,  commençait  à  prospérer,  et  déjà  se  posait  en  rival 
redoutable  ;  on  allait  y  donner  Faust  et  y  remonter  Orphée.  Il 
fallait  un  géant  comme  Meyerbeer  pour  soutenir  la  concur- 
rence; l'honneur  et  la  fortune  de  la  maison  étaient  entre  ses 
mains  ;  s'il  ne  sauva  pas  la  fortune,  il  sauva  du  moins  l'hon- 
neur. 

Mais  avant  d'atteindre  ce  point  de  notre  récit,  il  nous  faut 
évoquer  le  souvenir  de  bien  des  pièces,  ou  tombées  lourde- 
ment ou  disparues  après  une  carrière  simplement  honorable. 
Ce  dernier  cas  est  celui  de  la  première  œuvre  que  nous  ren- 
controns, Manon  Lescaut,  puisqu'elle  obtint  cinquante-huit  re- 
présentations la  première  année,  et  seulement  cinq  la  seconde. 

Ce  n'était  pas  la  première  fois,  et  ce  ne  devait  pas  être  la 
dernière,  qu'on  transportait  à  la  scène  le  roman  célèbre  de 
l'abbé  Prévost.  On  en  pourrait  citer  en  ce  siècle  plusieurs 
adaptations,  sérieuses  ou  gaies,  par  exemple  :  1°  à  la  Gaîté 
(16  novembre  1820),  Manon  Lescaut  et  le  chevalier  Desgrieux,  mé- 
lodrame en  trois  actes,  de  Gosse;  2°  à  l'Opéra  (3  mai  1830), 
Manon  Lescaut,  ballet-pantomime  en  trois  actes,  scénario  de 
Scribe  et  Aumer,  musique  d'Halévy  ;  3°  à  l'Odéon  (26  juin 
1830),  Manon  Lescaut,  drame  en  trois  actes  et  six  tableaux,  de 
Carmouche  et  de  Gourcy;  4°  aux  Variétés  (24  juillet  1830),  la 
Lingère  du  Marais  ou  la  Nouvelle  Manon  Lescaut,  vaudeville  en  trois 
actes,  de  H.  Dupin  et  Achille  Dartois;  5°  aux  Nouveautés 
(13  novembre  1830),  Manette  ouïes  dangers  d'être  jolie,  vaudeville 
en  trois  tableaux  de  M.  Emile  R.  (Rougemont);  6°  au 'Gymnase 
(12  mars:  1851)  Manon  Lescaut,  drame  en  cinq  actes  de  Th.  Bar- 
rière et  Marc  Fournier  ;  7°  à  l'Opéra-Comique  (23  février  1856), 
■Manon  Lescaut,  opéra-comique  en  trois  actes,  paroles  de  Scribe, 
musique  d'Auber,  c'est  l'ouvrage  dont  il  est  question  ici; 
■S'  aux  Variétés  (13  mars  1.836),  Madelôn  Lescaut,  cri  du  cœur  en 


66 


LE  MENESTREL 


un  acte  et  trois  tableaux  sans  entr'actes  (sic),  par  Lambert 
Thiboust;  9°  à  l'Opéra-Comique  (19  janvier  1£S4),  Manon, 
opéra-comique  en  cinq  actes  et  six  tableaux,  paroles  de 
Meilhac  et  Philippe  Gille,  musique  de  J.  Massenet. 

Entre  tant  de  versions  différentes,  la  dernière  est,  soit  dit 
sans  flatterie,  la  plus  rapprochée  de  l'original,  la  plus  artis- 
tique et  la  plus  réussie.  En  passant  par  les  mains  habiles  de 
MM.  Henri  Meilhac  et  Philippe  Gille,  le  type  de  l'héroïne  ne 
s'est  pas  trop  altéré,  et  dans  sa  délicieuse  partition  M.  Mas- 
senet a  su  peindre,  mieux  que  personne,  ces  amours  deve- 
nues presque  légendaires.  Tout  au  plus,  pourrait-on  reprocher 
aux  auteurs  d'avoir  modifié  le  dénouement,  puisqu'ils  fout 
mourir  leur  Manon  sur  la  route  du  Havre  :  petite  tache  qui 
pourrait  disparaître  à  peu  de  frais,  si  l'on  suivait  à  la  pro- 
chaine reprise,  un  conseil  donné  par  nous  jadis  et  alors 
agréé.  En  effet,  certains  personnages  fictifs  sont  aussi  vivants 
que  les  héros  de  l'histoire  ;  il  n'est  pas  permis  d'y  toucher 
sans  contrarier  et  choquer  les  habitudes  du  public,  sans  s'ex- 
poser par  cela  même  à  des  objections  assez  légitimes. 

Sur  ce  point,  Scribe  n'entendait  pas  se  gêner;  pour  les 
besoins  de  la  cause,  il  changeait,  sans  hésiter,  le  Crime  en 
bienfait  et  le  vice  en  vertu.  Ainsi  par  l'espèce  de  purification 
qu'il  lui  faisait  subir,  sa  Manon  perdait,  en  intérêt  dramatique 
et  en  sympathie,  ce  qu'elle  gagnait  en  prétendue  innocence. 
Comme  l'écrivait  un  critique:  «  Ce  n'est  plus  une  Dame  aux 
Camélias,  mais  ce  n'est  pas  non  plus  une  Lucrèce,  et  ce  ca- 
ractère, tracé  d'une  main  indécise,  est  inférieur  à  celui  de 
la  Manon  de  Prévost.  »  En  revanche,  Scribe  avait  maintenu 
le  dénouement  classique,  et  ce  tableau  de  la  Louisiane  avait 
justement  fourni  à  Auber  l'occasion  d'écrire  une  scène  des 
plus  émouvantes  et  des  plus  passionnées.  On  en  put  juger  il 
y  quelques  années,  le  30  janvier  1882,  dans  une  représenta- 
tion extraordinaire  donnée  à  la  salle  Favart  à  l'occasion  du 
centenaire  d'Auber.  Cette  fin  du  troisième  acte  fut  chantée 
par  M.  Furst  et  MUe  Isaac  dont  le  talent  contribua  à  faire 
valoir  une  page  curieuse  en  somme,  car  elle  montre  la  pas- 
sion vraie  chez  un  compositeur  auquel  on  ne  prêtait  guère 
que  le  badinage  élégant  de  l'amour;  par  endroits  même  on 
y  sent  passer  le  souffle  dramatique  et  chaud  d'un  Verdi.  A 
l'origine,  les  deux  héros  se  nommaient  Puget,  dont  ce  fut  à 
ce  théâtre  la  dernière  création,  puisque  le  25  juillet  suivant 
il  débutait  brillamment  à  l'Opéra  dans  Lucie  de  Lammermor,  .et 
M"10  Gabel  qui  débutait,  ou,  pour  mieux  dire,  redébutait,  car 
elle  avait,  en  1849-50,  fait  un  stage,  d'une  année  environ,  à 
l'Opéra-Comique.  Désormais,  elle  allait  briller  au  premier 
rang,  et  soutenir  en  partie  le  poids  du  répertoire. 

Manon  Lescaut  ne  fut  qu'un  demi-succès  pour  un  maître  comme 
Auber,  le  Chercheur  d'esprit  fut  presque  un  succès  pour  un  com- 
positeur débutant  comme  Besanzoni.  Ce  petit  acte,  joué  pour 
lapremière  fois  le  26  mars  1856,  avait  pour  librettiste  Edouard 
Foussier,  le  futur  collaborateur  d'Emile  Augierpour  les  Lionnes 
Pauvres;  il  mettait  en  scène  une  célèbre  nouvelle  de  Boccace, 
les  Oies  du  frère  Philippe,  qui  plus  d'une  fois  déjà  avait  servi 
au  théâtre,  depuis  la  Coupe  enchantée  de  La  Fontaine  jusqu'à 
certain  opéra-comique  en  un  acte  de  Duport  pour  les  paroles 
et  de  Dourlen  pour  la  musique,  te  Frère  Philippe,  représenté 
à  Feydeau  la  20  janvier  1818.  Fétis  a  négligé  de  mentionner 
le  Chercheur  d'esprit  dans  l'article  de  son  dictionnaire  relatif  à 
Besanzoni.  Il  ne  cite  qu'un  liuy  Bios,  représenté  en  1843; 
M.  Pougin,  dans  son  supplément,  a  justement  comblé  cette 
lacune.  Ajoutons  que  le  Cliercheur  d'esprit  se  maintint  cinq 
années  au  répertoire  et  fut  joué  cinquante-huit  fois. 

L'œuvre  en  trois  actes  d'Halévy,  venue  au  monde  juste  un 
mois  plus  tard,  le  26  avril,  fut  moins  heureuse,  puisqu'elle 
n'obtint  que  vingt-trois  représentations.  Les  librettistes,  Jules 
Barbier  et  Michel  Carré,  avaient  imaginé  un  sujet  bizarre 
dont  l'originalité  n'était  acquise  qu'aujprix  d'une  forte  invrai- 
semblance. A  certain  baron,  venant  de  sa  province  et  ju«é 
naïf,  un  coquin  de  chevalier  présentait  comme  fiancée  une 
actrice    de    la    Comédie  -  Italienne    et    prétendait     pousser 


l'aventure  jusqu'au  mariage  inclusivement.  La  découverte 
finale  de  cette  machination  valait  au  mystificateur  un  bon 
coup  d'épée;mais  le  public,  n'étant  point  sur  de  ne  pas  y  être 
mystifié  à  son  tour,  prit  peu  de  goût  à  la  plaisanterie.  La 
musique  elle-même  ne  lui  plut  guère;  des  enthousiastes  et 
intéressés  sans  doute,  eurent  beau  écrire  qu'ils  y  trouvaient 
«  l'inspiration  mélodique  unie  à  la  science  la  plus  accom- 
plie, le  lyrisme  de  la  pensée  à  l'élégance  de  la  forme,  les 
grâces  de  l'esprit  à  l'expression  des  sentiments  les  plus  tendres 
et  les  plus  passionnés  »,  la  foule  ne  vit  rien  de  tout  cela 
dans  Valeiitine  d'Aubigny,  et,  restant  insensible  au  bruit  vain 
de  ces  réclames,  infligea  au  compositeur  un  des  plus  rudes 
échecs  de  sa  glorieuse  carrière. 

(A  suivre.) 


BULLETIN    THEATRAL 


Toujours  bien  peu  do  chose  dans  nos  théâtres  de  musique. 

A  I'Opéra  on  est  tout  à  Ascanio  qu'on  répèle  sans  trêve  ni  merci, 
presque  du  matin  au  soir.  Pensez-donc,  on  a  deux  ans  de  relard  à 
rattraper!  C'est  bien  le  moins  à  présent  que,  forcée  et  contrainte 
par  l'opinion  et  la  presse  à  représenter  enfin  l'œuvre  de  M.  Saint- 
Saëns,  la  direction  de  l'Opéra  mette  les  morceaux  doubles.  On  est 
à  peu  près  certain  de  passer  vers  le  milieu  de  mars  ;  et  cette  par- 
tition que  Mil.  Rilt  el  Gailhard  déclaraient  à  tout  venant  insipide 
e.t  sans  idées  vient  au  contraire  admirablement  aux  répétitions  et 
parait  tout  à  fait  digne  de  son  auteur.  Il  est  vrai  que  par  contre 
M.  Gaiihard  déclarait,  dans  le  temps,  avant  qu'elle  ait  vu  le  feu  de 
la  rampe,  la  Dame  de  Monsoreau  le  «  chef-d'œuvre  des  chefs-d'œuvre.  » 
,  Ah  !  nous  avons  de  fameux  connaisseurs  à  la  tète  de  noire  Académie 
nationale  de  musique  ! 

On  comprend  sans  peine  que  M.  Saiut-Saëns  ait  de  la  répulsion  à 
les  voir  et  qu'il,  se  cache  obstinément.  Mais  où?  C'est  ce  que  chacun 
ignore.  Est-il  à  Ténériffe,  comme  quelques-uns  l'assurent,  ou  sim- 
plement à  Bois-Colombes,  comme  d'autres  l'affirment,  tout  prêt  à 
sortir  de  sa  cachette  au  moment  opportun?  Celte  dernière  hypo- 
thèse me  semble  la  plus  vraisemblable.  Nous  De  croyons  pas 
beaucoup  aux  compositeurs  qui  abandonnent  leur  œuvre  et  déserlent 
en  quelque  sorte  le  champ  de  bataille.  Ce  serait  ne  pas  connaître 
les  entrailles  de  père  qu'ont  tous  les  musiciens  pour  les  enfanls 
qu'ils  ont  portés  si  longtemps  dans  leur  cerveau.  Non,  M.  Sainl- 
Saëns  est  là  tout  près  de  nous.  Je  le  sens,  je  le  vois  presque. 

Voici  d'ailleurs  ce  qu'en  dit  Nicolet  du  Gaulais  : 

Tandis  que  les  études  à' Ascanio  se  poursuivent  sans  relâche  à  l'Opéra, 
les  bruits  les  plus  étranges  continuent  à  circuler  au  sujet  de  la  mystérieuse 
présence  de  M.  Saint-Saëns  à  Paris. 

Selon  ces  bruits,  auxquels  M.  Louis  Gallet,  son  collaborateur,  et  M.  Du- 
rand, son  éditeur,  persistent  à  opposer  les  plus  formelles  dénégations,  le 
compositeur  serait  à  Colombes  ou  à  Bois-Colombes,  rue  des  Carbonnets, 
chez  un  -.mi,  M.  Bellenot,  le  jeune  maître  de  chapelle  de  Saint-Sulpice  ; 
et  ce  serait  M.  Colleuille,  régisseur  de  la  scène  de  l'Opéra,  qui  serait  le 
ténébreux  confident  de  l'auteur  A'Ascanio  et  se  chargerait  de  la  correspon- 
dance secrète  nécessitée  par  les  répétitions  entre 'lui  et  M.  Gailhard. 

Voilà  de  quoi  faire  affluer  les  nouvellistes  chez  M.  Bellenot  et  chez 
M.  Colleuille,  lequel  est  de  sa  nature  silencieux  comme  un  sphinx.  Mal- 
heureusement, les  gens  qui  en  savent  si  long  sur  M.  Saint-Saëns  ajoutent 
que  leijour  où  on  connaîtra  le  secret  de  sa  retraite  —  le  voilà  dévoilé  !  — 
il  en  disparaîtra  soudainement. 

Envolez-vous  donc,  Saint-Saiins,  mais  pas ^trop  loin,  toujours  dans 
le  rayon  du  chemin  de  fer  de  ceinture,  n'est-ce  pas?  C'est  plus  sur 
et  moins  trompeur  que  les  Ilots  qui  clapotent  aulour  des  lies  Cana- 
ries. 

A  l'Oi'éha-Comiqce,  nous  avons  eu  cette  semaine  les  débuts  assez 
doux,  mais  cependant  non  malheureux,  de  M"1' de  Berridez,  une  Espa- 
gnole de  marque  que  mon  excellent  confrère  Louis  Besson  de  l'Evé- 
nement croit  tout  uniment  de  Paris.  Elle  a  débuté  dans  le  rôle  de  Mar- 
pha  de  Dimitri,  laissé  vacant  par  le  départ  de  M"c  'Deschamp  pour 
Monte-Carlo.  Toujours  les  émigrations  en  usage  à  l'Opéra-Comique 
à  cette  époque  de  l'année.  J..a  voix  de  MUo  de  Berridez  n'est  pas  d'un 
fort  calibre,  mais  elle  a  du  timbre  et  quelque  charme.  La  comé- 
dienne a  beaucoup  à  apprendre  sans  doute,  mais  elle  parait  'intelli- 
gente. Attendons  donc  tout  du  temps  pour 'voir  M"1'' de  Berridez  en 
sa  véritable  l'orme. 


LE  MENESTREL 


m 


Les  représentations  de  l'intéressant  ouvrage  de  M.  .foncières  vont 
d'ailleurs  être  interrompues  pour  quelque  temps,  par  suite  d'un  nou- 
veau départ,  celui  de  M.  Soulacroix,  toujours  pour  Monte-Carlo.  Il 
faut  bien  subvenir  aux  besoins  artistiques  de  la  capitale  du  trente- 
et-quarante.  C'est  une  des  raisons  évidemment  qui  font,  allouer 
240,000  francs  de  subvention  annuelle  à  M.  Paravey. 

Cette  semaine,  les  auteurs  du  Dante  ont  lu  leur  œuvre  aux  artistes 
réunis.  Laissons  encore  la  parole  à  Nicolet,  qui  a  toutes  sortes  de 
bonnes  raisons  pour  être  mieux  renseigné  que  nous  à  ce  sujet  : 

M'.  Edouard  Blau  a  d'abord  lu  son  livret,  après  quoi  M.  Benjamin  Godard 
a  exécuté,  au  piano,  —  donnant  lui-même,  par  moments,  la  réplique 
à  ses  interprètes  —  les  sept  tableaux  de  sa  parlition.  Les  rôles  sont  distri- 
bués de  la  façon  suivante  : 

Béatrice  M1Ies  Simonnet 

Gemma  Xardi 

Un  écolier  Lyven 

Dante  Alighieri  MM.  Gibert 

Simeone  Bardi  Ltaérie 

L'Ombre  de  Virgile  Taskin 

Plus  quelques  petits  rôles  qui  ne  sont  pas  encore  distribués.  L'ouvrage 
comporte  en  outre  une  masse  cborale  assez  considérable:  seigneurs,  sol- 
dats, gens  du  peuple,  ombres,  damnés,  maudits,  anges  et  séraphins. 

Les  costumes  sont  dessinés  par  M.  Biancbini.  Les  décors  sont  brossés 
par  MM.  Lavastre  et  Carpezat.  En  voici  la  description  analytique  : 

Premier  acte.  —  Une  place  publique  à  Florence.  Lutte  entre  les  Guelfes 
et  les  Gibelins.  Election  du  Gonfalonier.  Dante  est  choisi. 

Deuxième  acte.  — Une  salle  du  palais  des  Seigneurs.  Rivalité  d'amour 
entre  Dante  et  Bardi,  qui  aiment  tous  deux  Béatrice.  Cette  dernière,  pour 
sauver  la  vie  à  Dante,  que  ses  partisans  ont  trahi,  consent  à  entrer  au  cou- 
vent. Dante  est  exilé  par  ordre  de  Charles  de  Valois,  frère  du  roi  de  France, 
à  qui  les  deux  partis  ont  fait  appel. 

Troisième  acte.  —  Le  troisième  acte  débute  par  un  divertissement,  réglé 
d'après  le  tableau  des  Moissonneurs,  de  Lëopold  Robert,  dans  la  campagne 
de  Naples,  au  pied  du  Pausilippe.  Un  tombeau  ombragé  par  des  lauriers- 
roses.  Dante  apparaît,  revêtu  du  costume  légendaire.  Il  invoque  Virgile, 
qui  sort  du  tombeau,  couronné  de  lauriers,  vêtu  d'une  longue  robe  blanche, 
éclairé  par  un  rayon  de  lune.  Dante,  endormi,  voit  successivement  dans 
un  songe  les  différents  tableaux  suivants  :  La  nuit  se  fait  d'abord  intense 
sur  le  théâtre  ;  un  rideau  de  nuages  se  lève  lentement,  puis,  continuant 
son  ascension,  disparaît.  On  aperçoit  l'Enfer.  Cavernes  sombres,  dont  les 
voûtes  ont  des  reflets  sanglants.  Des  ombres  confuses  grouillent  et  se  tor- 
dent derrière  des  blocs  de  roches  noires.  Chœur  de  damnés.  Apparition 
d'LTgolin.  Tourbillon  infernal.  Apparition  de  Paolo  et  Francesca.  Puis  des 
clartés  divines  succèdent  à  ce  sombre  tableau.  Le  ciel  se  dégage  des  té- 
nèbres. Béatrice  apparaît  au  milieu  d'un  choeur  céleste. 

Quatrième  acte  :  premier  tableau.  —  Un  site  agreste.  Dante  toujours 
endormi  près  du  tombeau.  Il  se  réveille.  Bardi  se  présente  soudain  devant 
lui,  promettant,  pour  obtenir  son  pardon,  de  lui  faire  retrouver  Béatrice, 
qui  est  retirée  dans  un  couvent  de  Naples. 

Deuxième  tableau.  —  A  Naples.  Le  jardin  d'un  couvent.  A  gauche,  la 
chapelle.  Béatrice  se  sent  mourir  et  voudrait  revoir  Dante.  Celui-ci  arrive 
et  Béatrice  rend  le  dernier  soupir  entre  ses  bras. 

Première  représentation  dans  le  courant  d'avril,  si  rien  n'arrive  à 
la  traverse. 

H.  M. 

Gymnase.  —  Paris  fin  de  siècle,  pièce  en  4  actes  et  .">  tableaux,  de 
MM.  Ernest  Blum  et  Raoul  Toehé. 

Roger  de  Kerjoël,  qui  vit  retiré  en  Bretagne,  arrive  subitement  à 
Taris  pour  épouser  une  sienne  cousine,  Mrac  Claire  de  Chanceoay, 
jeune  veuve  qui  vient  de  quitter  le  deuil.  Fort  jolie,  très  élégante  et 
jouissant  d'une  belle  fortune,  Claire  mène  la  vie  joyeusement  et  dis- 
pendieusement,  mais  aussi  très  honnêtement;  elle  accepte  les  pro- 
positions de  son  cousin  à  la  condition  que  celui-ci  la  laissera  jouir 
six  mois  encore  de  sa  chère  liberté.  Roger  consent,  et  le  voilà,  à  la 
suite  de  sa  fiancée,  lancé  dans  le  monde  où  les  fêtes  succèdent 
aux  fêtes,  ou  toutes  les  femmes  sont  frivoles  et  insouciantes,,  où 
tous  les  hommes  sont  fats  ou  insolents.  Dès  sa  première  soirée,  des 
mots  ambigus,  chuchotes  à  droite  et  à  gauche,  lui  apprennent  que 
Claire,  manquant  d'argent,  a  accepté  du  duc  de  Linarès  le  paiement 
d'une  note  chez  l'a  couturière.  Provocation,  duel  et  explieatien  finale  : 
Claire  croyait  s'adresser  à  un  usurier  quelcouque.  Bref,  la  leçon  lui 
sert:  elle  épousera  son  cousin  de  suite  et  ira  vivre  doucement  avec 
lui  au  fond  de  la  Bretagne.  Si  vous  y  ajoutez  l'historiette  d'un 
jeune  homme  et  d'une  jeune  fille,  également  fiancés  mais  ne  se  con- 
naissant absolument  pas,  qui  se  rencontrent  au  bal  et  se  font  des 
confidences  sur  l'idéal  qu'ils  rêvent  dans  la  vie  du  méuage,  et  re- 
grettenl  qu'ils  ne  soient  pas  destinés  l'un  à  l'autre,  vous  saurez  la 
pièce  entière.  Et  si,  après  cela,  vous  étisz  indiscrets  et  me  deman- 
diez comment  les  auteurs  ont  pu  bâti  i-  quatre  actes  avec  une  inlrigue 


aussi  futile,  je  vous  répondrais  simplement  que  MM.  Blum  et  Toché 
sont  gens  fort  habiles  puisqu'avec  rien,  ou  presque  rien,  ils  nous  ont 
donné  une  pièce  qui,  si  elle  manque  de  consistance,  n'est  point 
une  minute  ennuyeuse.  Ce  sont  de  petits  tableaux  amusants  et  spi- 
rituels que  la  troupe  du  Gymnase  joue  on  ne  peut  plus  agréablement. 
MM.  Noblel,  Lagrange,  Burguet,  Plan,  Numès,  Achard,  Hirsch  et 
Berny,  Mrats  Sisos,  Desclauzas,  Grivot,  Depoix,  Darlaud  et  Demarsy 
ont  la  note  très  fin  de  siècle  qu'il  fallait  pour  interpréter  cette  chro- 
nique vivante.  Très  fin  de  siècle  aussi  M.  Koning  qui  a  fait  des 
trouvailles  de  mise  en  scène  avec  le  décor  du  premier  acte  et  celui 
où  se  déroule  la  gracieuse  farandole  des  arlequines,  et  qui  a  su 
grouper  sur  son  théâtre  une  petite  collection  de  femmes  excessi- 
vement jolies  et  habillées  à  ravir.  Enfin,  superlativement  fin  de 
siècle,  M.  Jules  Massenet,  le  membre  de  l'Institut,  compromettant 
à  plaisir  la  muse  d'Esclarmonde  dans  une  vulgaire  ronde  de  café- 
concert,  qui  n'a  même  pas  le  mérite  d'être  réussie  ! 

Odéon.  —  Grand'mère,  comédie  en  3  actes  de  M.  Georges  An cey. 

Le  Théâlre-Libre  déborde!  Aujourd'hui,  M.  Georges  Aneey.  De- 
main MM.  Métenier,  Heonique  et  Lavedan.  Le  premier  pas,  hors  de 
la  maison  paternelle,  des  enfants  sevrés  par  M.  Antoine,  n'a  été 
qu'un  faux  pas  ;  Grand'mère  n'a  pas  plu  au  publie  et  la  formule, 
nettement  appliquée,  :ie  semble  pas  devoir  être  celle  dont  notre 
théâtre  se  trouvera  revivifié. 

La  pièce  de  M.  Ancey  sérail,  en  effet,  bien  près  d'être  l'absolue 
négation  du  théâtre,  s'il  n'y  avait  encore  là  quelque  souci  de  la  manière 
dont  les  personnages  doivent  entrer  ou  sortir  de  scène,  une  recherche 
évidente  de.  l'effet  sur  lequel  doit  tomber  le  rideau  après  chaque 
tableau  et  la  façon  dont  sont  coupés  ces  tableaux.  La  formule  !  D'une 
simplicité  navrante  !  Il  suffit  pour  s'en  servir  d'avoir  des  yeux,  des 
oreilles,  de  la  mémoire, une  plume  et  du  papier.  Exemple  :  Intro- 
duisez-vous chez  une  jeune  femme  sur  le  point  d'avoir  un  bébé; 
installez-vous  dans  le  salon,  entre  le  mari,  sa  mère,  le  docteur,  une 
bonne  et  unegarde religieuse.  Si  vous  avez  le  bonheur  de  savoirsténogra- 
phier,  tirez  votre  calepin  et  ne  perdez  pas  un  mot  ni  des  uns  ni  des 
autres  ;  que  pas  un  détail  dans  la  manière  dont  cette  famille  bouge, 
mange,  gesticule,  ne  vous  échappe.  La  séance  terminée,  rentrez 
bien  vite  chez  vous  ;  transcrivez  toutes  vos  notes,  et  rien  que  vos 
notes,  sur  du  papier  écolier,  séparant  chaque  réplique  par  les  noms 
des  personnages  suivis  des  attitudes  observées;  sur  une  page  spé  = 
ciale  décrivez  scrupuleusement  la  pièce  avec  ses  meubles  et  acces- 
soires, et  sur  un  dernier  feuillet  inscrivez  un  titre  court  et  facile  à 
retenir  qui,  si  le  hasard  vous  favorise,  hypnotisera  les  passants  lors- 
qu'il sera  collé  sur  les  colonnes  Morris.  Si  une  séance  ne  vous  a 
pas  suffi;  retournez  dans  celte  même  maison,  deux,  trois,  quatre, 
cinq  fois  même,  suivant  que  vous  aurez  besoin  de  deux,  trois,  quatre 
ou  cinq  actes.  Maintenant  laissez-moi  vous  dire  que  si  vous  obtenez 
quelque  succès  en  vous  servant  de  ce  système,  c'est  que  très  certai- 
nement vous  n'aurez  pas  été  strictement  consciencieux.  MM.  Dumény, 
Montbars  et  Jahan,  Mmes  Crosnier,  Raucourt  et  Dheurs  font  de  leur 
mieux  pour  masquer  l'ennui  qui  remplit,  à  lui  seul,  ces  trois  actes. 

Paul-Emile  Chevalier. 


LE  THEATRE  A  L'EXPOSITION  UNIVERSELLE  DE  1889 
(Suite) 


L'EXPOSITION    DU    TIIÉATllE   JAPONAIS 

Lorsque  je  passerai  en  revue  les  théâtres  de  tout  genre  qui  ont 
été  au  point  de  vue  pittoresque,  l'un  des  éléments  particuliers  de 
succès  de  l'Exposition  universelle,  j'aurai  à  m'occuper  du  Théâtre 
Annamite,  qui  a  si  bien  attiré  la  foule  et  qui  nous  a  donné  une 
idée,  au  moins  approximative,  des  moeurs  artistiques  de  l'Extrême- 
Orient.  Là,  nous  avons  eu  sous  les  yeux  le  spectacle  même  qui 
émeut  et  enchante  les  peuples  de  ces  contrées  lointaines,  si  long- 
temps fermées  aux  Européens  et  qui  commencent  seulement  à  nous 
révéler  leurs  secrets.  Ce  spectacle,  toutefois,  n'était  pas  —  et  ne 
pouvait  pas  être  complet.  Pour  qu'il  le  lut,  il  eût  fallu  que  celui  de 
la  salle  fût  joint  à  celui  de  la  scène,  et  que  nous  pussions  jouir  de 
la  vue  du  public  et  de  ses  coutumes  particulières  comme  il  nous  était 
donné  de  contempler  le  jeu  des  acteurs  et  de  pénétrer  la  façon  dont 
ils  comprennent  l'art  dramatique.  Ce  qui  revient  à  dire  que  c'est 
chez  eux-mêmes,  que  c'est  dans  leur  propre  milieu  qu'il  les  fau- 
drait voir  pour  recevoir  d'eux,  de   leur  talent,  de  l'art  dont  ils  sont 


68 


LE  MENESTREL 


les  interprètes,  une  impression  aussi  exacte  et  aussi  fidèle  qu'on 
peut  l'espérer,  au  moins  en  ce  qui  concerne  le  côté  extérieur,  lors- 
qu'on igDore  la  langue  qui  traduit  les  sentiments  exprimés. 

Ici ,  dans  cette  galerie  supérieure  du  palais  des  arls  libéraux 
qui  contenait  tant  de  trésors  de  tout  genre,  non  loin  de  la  petite 
collection  d'estampes  théâtrales  que  j'ai  fait  connaître,  des  très  cu- 
rieuses maquettes  d'anciens  théâtres  que  je  viens  de  rappeler,  on 
avait  exposé  toute  une  série  de  petits  documents  relatifs  à  l'art 
théâtral  tel  qu'il  est  pratiqué  dans  les  divers  pays  d'Extrême-Orient: 
Inde,  Chine,  Japon,  Siam,  Cambodge,  Java,  etc.  Nous  avions  là, 
sans  prétention  impossible  au  complet,  mais  dans  toute  leur  origi- 
nalité documentaire,  la  reproduction  de  quelques-uns  des  éléments 
extérieurs  de  cet  art  si  complètement  inconnu  de  nous  jusqu'ici  : 
costumes,  masques,  accessoires,  portraits  d'«  artistes  »,  estampes 
diverses,  et  cela  était  vraiment  intéressant  et  digne  d'attention, 
tant  pour  sa  nouveauté  que  pour  son  étrangeté.  Deux  amateurs 
surtout  avaient  fait  les  frais  de  cette  petite  exhibition  d'un  genre 
si  particulier  :  d'une  part,  M.  K.  Krafft,  de  l'autre,  M.  Louis  Gonse, 
rédacteur  en  chef  de  la  Gazette  des  Beaux-Arts,  dont  la  collection 
japonaise  est  peut-être  la  plus  belle  de  Paris  et  qui  a  publié  sur 
l'art  et  les  artistes  japonais  plusieurs  ouvrages  si  substantiels  et  si 
caractéristiques. 

Mais  avant  de  détailler  et  de  passer  en  revue  cette  exhibition  où 
le  Japon  tenait  la  place  la  plus  importante,  il  ne  serait  pas  superflu, 
je  pense,  d'avoir  quelques  détails  pratiques  et  précis,  exacts  sur- 
tout, sur  le  théâtre  tel  qu'il  existe  et  qu'on  le  comprend  en  ce 
pays.  Je  vais  les  emprunter  à  un  écrivain  élégant  et  disert  qui  a 
fait,  sur  place,  une  étude  de  ces  contrées  lointaines,  et  qui  avait, 
pour  ce  qui  concerne  ce  chapitre  spécial,  le  grand  avantage  d'être 
en  même  temps  un  artiste,  musicien  et  compositeur  instruit,  grand 
amateur  de  théâtre,  très  épris  et  très  au  fait  de  tout  ce  qui  le 
touche  et  s'y  rattache.  Je  veux  parler  de  M.  Emile  Guimet,  dont  les 
très  vivantes  et  très  aimables  Promenades  japonaises  contiennent,  sur 
le  sujet  qui  nous  occupe,  quelques  pages  fort  bien  venues,  tracées 
par  un  voyageur  qui  sait  voir,  comprendre  et  décrire. 

C'est  à  Yokohama  que  M.  Guimet  s'est  pour  la  première  fois,  au 
cours  de  son  voyage,  enquis  d'un  théâtre,  c'est  là  qu'il  a  pu  assis- 
ter à  un  spectacle  japonais,  et,  en  rendant  compte  de  la  représenta- 
tion qu'il  lui  a  été  donné  de  voir,  il  nous  fait  faire,  tout  d'abord, 
connaissance  avec  la  salle  et  son  public  : 

...Je  finis,  dit-il,  par  savoir  qu'il  y  a  dans  la  ville  le  théâtre  de  Mina- 
Toza,  où  nous  pourrons  voir  des  pièces  japonaises.  Et,  le  soir  même, 
malgré  une  pluie  battante,  je  me  fourre  dans  un  djinrikecha  fermé  et, 
accompagné  de  Régamey,  je  vole  à  la  représentation. 

L'entrée  est  grillée  de  grosses  barres  de  bois  qui  forment  des  cages  dans 
lesquelles  sont  installés  les  caissiers,  les  contrôleurs,  les  placeurs  et 
même  le  bureau  des  cannes  ;  pardon,  je  veux  dire  le  vestiaire,  où  l'on 
dépose  ses  chaussures... 

Des  faisceaux  d'immenses  parapluies  en  papier  jaune  garnissent  les  an- 
gles et  forment  de  petits  ruisseaux  sur  le  plancher. 

La  salle  se  compose  d'un  vaste  parterre  et  d'un  rang  de  première  ga- 
lerie où  sont  des  loges.  Ce  n'est  ni  un  parterre  assis,  ni  un  parterre  de- 
bout, mais  c'est  un  parterre  accroupi.  Les  spectateurs  s'assoient  sur  leurs 
talons  et  restent  dans  cette  position,  familière  aux  Japonais,  pendant 
tout  le  temps  de  la  représentation,  qui  dure  souvent  la  journée  entière  et 
une  partie  de  la  nuit  (1). 

Des  séparations  carrées,  de  trente  centimètres  de  haut,  divisent  le  par- 
terre en  compartiments,  figurant  des  espèces  de  loges  découvertes.  Ces 
séparations  sont  assez  larges  pour  qu'on  puisse  marcher  facilement  dessus: 
elles  forment  des  sentiers  que  l'on  suit  pour  gagner  sa  place  ou  pour 
se  retirer.  C'est  aussi  sur  ces  chemins  surélevés  que,  pendant  les  entr'actes, 
les  marchands  de  programmes,  les  marchands  de  gâteaux  ou  de  thé  pas- 
sent au  milieu  des  spectateurs,  qui  généralement,  étant  venus  là  pour 
s'amuser  complètement,  consomment  tout  le  temps. 

Dans  chaque  compartiment  il  y  a  un  petit  brasero,  non  pas  comme 
moyen  de  chauffage  —  il  fait  certes  assez  chaud  —  mais  pour  que  hom- 
mes, femmes,  enfants  puissent  fumer  de  temps  à  autre  la  petite  pipe  dont 
on  vide  les  cendres  dans  un  tube  de  bambou,  au  moyen  d'un  coup  sec  et 
violent,  dont  le  bruit  incessamment  répété  est  la  première  chose  que  je 
remarque  en  entrant. 

Outre  lus  séparations  praticables  dont  j'ai  parlé,  il  y  a  deux  chemins 
plus  larges,  à  droite  et  à  gauche,  et  qui,  placés  à  la  hauteur  de  la  scène, 
permettent  aux  acteurs  de  faire  leur  entrée  autrement  que  par  le  fond  du 
théâtre,  et  donnent  parfois  l'occasion  de  représenter  des  scènes  différentes 
et  simultanées.  Un  de  ces  chemins  est  assez  large  pour  que  des  voitures 


(1)  Parfois  le  spectacle  commence  vers  midi,  pour  finir  seulement  au 
lever  du  soleil.  Les  Japonais  ont,  sous  ce  rapport,  l'estomac  plus  solide 
que  nous. 


des  bateaux  à  roulettes,  puissent  y  circuler.  Mais  c'est  toujours  sur  le 
théâtre  que  l'action  se  passe  ;  on  ne  représente  dans  la  salle  que  les 
scènes  d'introduction  et  de  sortie. 

Nous  nous  installons  dans  une  loge  de  galerie,  assez  près  d'une  loge 
d'avant-scène  où  siège  un  policeman  tout  seul,  chargé  sans  doute  de 
maintenir  l'ordre,  que  personne,  du  reste,  ne  songe  à  troubler. 

Le  public  est  très  nombreux  et  fort  animé.  Il  y  a  beaucoup  de  femmes 
et  des  enfants  de  tout  âge.  On  voit  que  l'on  est  venu  là  en  famille.  C'est 
toujours,  à  mon  avis,  une  bonne  note  pour  la  moralité  d'un  pays  lorsque 
la  famille  entière  est  admise  aux  divertissements. 

La  salle  est  éclairée  au  gaz  et,  malgré  la  pluie  qui  a  rafraîchi  l'air,  la 
chaleur  est  intense.  Aussi  les  spectateurs  se  sont  mis  à  leur  aise  en  se 
dépouillant  le  plus  possible  de  leurs  vêtements,  que  quelques  jeunes  gens 
ont  supprimés  tout  à  fait. 

Je  me  figure  que  cette  assemblée  élégante,  lettrée  et  à  demi  nue,  doit 
donner  une  idée  du  public  athénien  assistant  aux  représentations  du 
théâtre  de  Bacchus. 

J'ajouterai  que  la  rampe,  un  peu  clairsemée,  qui  éclaire  la  scène 
du  théâtre  japonais,  se  compose  seulement  de  quatre  becs  de  gaz 
à  nu,  disposés  de  façon  que  la  lumière  arrive  à  peu  près  à  la  hau- 
teur de  la  ceinture  des  acteurs.  Cet  éclairage  parcimonieux  ne  per- 
met guère  de  voir  le  jeu  des  physionomies  ;  aussi  est-on  obligé 
pour  cela  d'employer  un  procédé  qu'on  trouvera  décrit  plus  loin  et 
qui  est  quelque  peu  destructeur  de  l'illusion.  Quant  aux  loges  de 
la  salle,  elles  sont  éclairées  par  des  lanternes  lumiueuses. 

Il  n'y  a  point  là  d'orchestre,  comme  chez  nous,  les  musiciens,  peu 
nombreux,  se  tenant  sur  un  des  côtés  de  la  scène  ;  parlant,  point 
de  vide,  point  d'espace  libre  entre  l'acteur  et  le  public.  Les  specta- 
teurs les  plus  proches  de  la  scène  la  touchent  absolument,  et,  pour 
mieux  voir,  se  haussent  volontiers  quelque  peu,  de  sorte  que  leur 
tête  surgit  en  quelque  façon  au-dessus  de  l'avant-scène,  qui  pénètre 
assez  profondément  dans  la  salle.  Au  rez-de-chaussée,  contournant 
le  pourtour,  il  y  a  une  rangée  de  loges  assez  semblables  à  nos 
baignoires.  La  familiarité  est  grande,  comme  nous  l'avons  vu,  et 
les  mères  nourrices  ne  se  gênent  nullement  pour  amener  leurs 
petits  enfants  au  théâtre  et  leur  donner  le  sein  devant  la  foule. 

Mais  laissons  M.  Guimet,  après  avoir  décrit  la  salle,  nous  met're 
au  courant  de  ce  qui  se  passe  sur  la  scène  : 

Voilà  bien  une  autre  réminiscence  de  l'antiquité. 

L'acte  commence. 

Dans  une. loge  grillée  de  l'avant-scène  un  homme  joue  de  la  guitare 
(sammissen)  et  parle  d'un  ton  larmoyant  et  cadencé.  Il  raconte  au  public 
la  situation,  et  de  temps  en  temps  décrit  les  sentiments  des  acteurs,  pen- 
dant que  ceux-ci  expriment  par  leurs  gestes  et  leurs  physionomies  les 
mouvements  de  leur  âme. 

Or,  cet  homme,  qui  sert  d'intermédiaire  entre  l'acteur  et  le  spectateur 
qui  s'adresse  parfois  aux  héros  de  la  pièce  pour  leur  donner  du  courage 
ou  de  la  prudence,  qui  conseille  les  uns,  qui  invective  les  autres,  qui 
annonce,  explique  et  conclut,  qui  pleure,  s'indigne,  s'émotionne,  palpite 
avec  le  drame...  cet  homme  est  le  chœur  antique  dans  toute  sa  pureté. 

Au-dessous  du  chœur  se  tient  un  régisseur  de  la  scène,  armé  de  deux 
rectangles  de  bois  massif  avec  lesquels  il  fait  des  roulements  sur  une 
petite  tablette  excessivement  sonore.  C'est  dans  les  moments  pathétiques 
qu'il  frappe  à  tour  de  bras  et  souligne  les  paroles  de  l'acteur  par  un 
étourdissant  trémolo.  Il  est  également  chargé  d'annoncer,  à  coups  redou- 
blés, l'entrée  des  acteurs  principaux.  C'est,  à  la  fois,  un  appel  à  l'attention 
du  public,  une  réplique  pour  l'artiste  et  une  réclame  pour  les  chefs 
d'emploi.  De  l'autre  côté  de  la  scène,  dans  les  coulisses,  se  tient  l'orchestre 
et  un  souffleur  chargé  des  cantonades. 

Les  comédiens  parlent  en  faisant  beaucoup  chanter  la  voix,  qui  monte 
et  descend  sur  chaque  phrase.  Mais  cela  n'a  rien  de  la  mélopée  criarde 
et  conventionnelle  des  acteurs  chinois.  Les  Japonais  sont  vraiment  acteurs, 
et,  à  part  certaines  habitudes  théâtrales,  comme  celle  d'exagérer  les  gri- 
maces aux  endroits  dramatiques,  ils  jouent  avec  beaucoup  de  naturel  et 
non  sans  talent.  Les  rôles  de  femmes  sont  remplis  par  dos  hommes. 

Indépendamment  des  acteurs,  il  y  a  sur  la  scène  d'autres  personnages 
vêtus  de  brun  et  que  l'on  est  censé  ne  jamais  voir.  Les  uns  vont  cl 
viennent  pour  donner  les  accessoires  ou  faire  fonctionner  les  becs  de  gaz. 
Les  autres  portent  au  bout  d'un  bâton  (horizontal)  une  bougie  qu'ils  tien- 
nent constamment  devant  la  figure  des  acteurs  principaux,  pour  mettre 
en  lumière  les  jeux  do  physionomie.  D'autres  enfin  se  tiennent  derrière 
les  personnages  pour  glisser  sous  leurs  vêtements  un  tabouret,  quand  ils 
veulent  s'asseoir,  leur  passer  un  mouchoir,  une  tasse  de  thé,  ou  les  rafraî- 
chir à  grands  coups  d'éventail.  C'est  justement  dans  les  scènes  émotion- 
nantes  que  ces  gnomes  dramatiques  interviennent,  s'agitent,  secondent 
les  acteurs,  comme  pour  les  soulager  dans  la  douleur  et  l'émotion  qu'ils 
simulent. 


(A  suivre.) 


AUTIIUR  Pougin. 


LE  MENESTREL 


60 


HISTOIRE    VRAIE 

DES    HÉROS   D'OPÉRA    ET    D'OPÉRA- COMIQUE 


XLI 

STRUENSÉE 
Tout  jeune,  imbu  des  doctrines  matérialistes,  l'étudiant  en  méde- 
cine danois  Struensée  avait  pris  pour  ligne  de  conduite  que,  nos 
organes  développant  seuls  la  pensée,  on  pouvait,  avec  l'unique  ré- 
serve de  ne  nuire  à  personne,  mépriser  tous  les  préceptes  et  ne 
tenir  aucunement  compte  de  l'opinion  des  autres  hommes. 

Avec  un  pareil  programme,  Struensée  devait  aller  loin,  et,  en 
efïét,  il  s'éleva  haut.  Sorti  du  peuple,  il  visa  les  cimes  jusque-là  ju- 
gées inaccessibles  à  sa  classe.  La  noblesse  était  alors  toule-puis- 
sante,  il  lui  déclara  la  guerre.  Il  avait  pris  Richelieu  pour  modèle, 
et  se  promet' ait  bien  de  l'imiter  en  toute  occasion,  afin  de  devenir, 
comme  ce  grand  homme,  un  ministre  souverain. 

Il  y  parvint.  Attaché  tout  d'abord  comme  médecin  au  roi  Chris- 
tian VII,  Struensée  ne  tarda  pas  à  devenir  son  lecteur,  ce  qui 
l'obligeait  à  une  présence  conlinuelle  auprès  de  lui.  Mais  loin  de  se 
plaindre  de  cette  servitude,  il  l'utilisa  pour  atteindre  son  but  plus 
sûrement.  Les  circonstances  le  favorisèrent,  mais  il  dut  surtout  à 
lui-même,  à  son  caractère,  à  ses  défauts,  et  à  ses  qualités,  la 
promplitude  et  le  degré  de  son  élévation. 

«  Il  était,  rapporle  Reverdil,  d'une  ligure  agréable,  d'un  commerce 
doux  ;  il  aimait  à  rendre  service.  Joyeux  convive,  beau  joueur, 
empressé  auprès  des  femmes,  chasseur  et  voyageur  infatigable,  il 
eut  la  vogue  comme  médecin  :  on  en  fit  même  un  ami  ?  » 

Un  ami,  c'est  ce  qu'il  fut  pour  le  roi,  mais  un  ami  de  vues  assez 
larges,  son  scepticisme  le  portant  à  faire  bon  marché  des  principes 
les  plus  élémentaires  du  code  de  l'amitié.  Pour  s'ancrer  plus  avant 
dans  les  bennes  grâces  de  Christian  VII,  il  lui  fit  tout  d'abord  con- 
naître une  personne  dont  il  avait,  pour  lui-même,  pu  apprécier  tout 
le  dévouement,  et  qui  lui  rapporlait  fidèlement  toutes  les  pensées 
du  roi.  Mais  il  ne  tarda  point  à  remarquer  le  danger  de  cette  con- 
duite. 

La  reine  Mathilde  prit  en  haine  le  favori  de  son  royal  époux  : 
Elle  devint  la  tète  de  la  faction  qui  s'élevait  contre  lui.  Struensée 
pensa  dès  lors  qu'il  aurait  tout  à  gagner  à  connaître  les  pensées  de 
son  maître,  directement,  par  celle  qui  partageait  son  trône. 

La  reine  avait  évité  tout  rapprochement  avec  Struensée.  Ce  fut 
son  mari  qui  la  supplia  de  le  recevoir,  à  l'occasion  d'une  maladie 
qui  la  tenait.  La  reine  ne  tarda  point  à  guérir.  Aussitôt,  à  la  cons- 
ternation générale,  on  vit  Struensée  nommé  premier  ministre. 

Alors  commença,  pour  l'ambitieux,  une  existence  de  seigneur 
tout -puissant.  Autoritaire  ,  inflexible  et  rigide  ,  il  bouleversa 
tout  le  système  gouvernemental  du  Danemark.  Il  décréta  la  liberté 
de  la  presse  et  supprima  la  censure  pour  les  livres,  ce  qui  parut 
monstrueux  à  une  époque  où  la  pensée,  par  toute  l'Europe,  était 
tenue  sous  le  boisseau  (la  chose  se  passait  au  milieu  du  siècle  der- 
nier). Il  est  vrai  que  celte  liberté  s'étant  promptement  tournée  contre 
lui-même,  il  s'était  hâté  de  la  restreindre  jusqu'à  la  rendre  illusoire. 
Mais  ce  ne  fut  là  que  le  commencement  des  réformes  qui  boulever- 
sèrent de  fond  en  comble  la  constitution  de  ce  petit  pays,  jusque- 
là  si  tranquille.  Avec  une  dévorante  activité,  le  ministre  travailla 
sans  relâche  au  renversement  de  tout  ce  qui  existait.  Chaque  jour 
fut  marqué  par  une  exécution  sommaire  ;  aucun  rouage  de  la  ma- 
chine politique  ne  demeura  intact  :  l'armée,  la  marine,  l'adminis- 
tration furent  désagrégées.  Chacun  en  souffrait  et  tous  en  criaient. 
Mais  où  le  mécontentement  fut  à  son  comble,  c'est  lorsqu'on  apprit 
subitement  que  Struensée,  d'un  trait  de  plume,  et  sans  qu'aucune 
indication  eût  fait  pressentir  cette  éventualité,  venait  de  décréter 
la  suppression  du  Conseil  d'Etat...  «  attendu,  lisait-on  dans  le  dé- 
cret, que  dans  une  monarchie  absolue  le  nombre  des  personnes 
d'un  haut  rang  qui  participent  aux  affaires  du  gouvernement  et  la 
considération  qu'elles  acquièrent  à  la  longue  par  ce  moyen  ne  font 
qu'embrouiller  et  retarder  l'exécution,  et  que  nous  n'avons  rien  de 
plus  à  cœur  que  d'avancer  avec  zèle  le  bien  public...  ».  Suivait  le 
rescrit  ordonnant  la  dissolution.  Puis  vint  le  tour  du  Conseil  privé, 
afin,  déclarait  le  roi,  «  d'établir  dans  sa  pureté  le  principe  monar- 
chique tel  qu'il  a  été  confié  à  nos  ancêtres  par  la  nation  dans  le  sens 
oii  la  nation  le  leur  a  doDné  ». 

Pour  le  coup,  tout  le  monde  se  fâcha.  La  reine  douairière,  mère 
de  Chris1  ian  VII,  se  mita  la  tète  du  complot,  et  l'on  décida,  dans 
ses  appartements,  la  perte  de  Struensée. 


La  nuit  du  16  au  1"  janvier  1772  fut  choisie  pour  l'exécution  de 
la  sentence.  Il  y  avait,  ce  soir-là,  bal  masqué  au  château.  Pendant  la 
fête  à  laquelle  Christian  n'avait  point  pris  part,  suivant  son  habitude, 
les  conjurés  se  rendirent  auprès  de  lui  pour  lui  extorquer,  en  évo- 
quant le  spectre  d'une  conspiration  imaginaire  dirigée  contre  lui, 
l'ordre  de  faire  arrêter  dix-sept  personnes,  parmi  lesquelles  le  pre- 
mier ministre,  et...  la  reine. 

Christian  prit  peur  ;  il  signa  tout  ce  qu'on  voulut.  Struensée  et 
Mathilde,  —  la  reine  Mathilde,  sœur  du  roi  George  III  d'Angleterre 
—  furent  arrêtés  et  jetés  en  prison,  au  secret,  la  nuit  même. 

Le  procès  s'instruisit.  Il  comprenait  six  chefs  d'accusation  : 

1°  Dessein  abominable  contre  la  personne  du  roi  ; 

2°  Projet  de  forcer  le  roi  à  renoncer  au  gouvernement  ; 

3°  Commerce  avec  la  reine  : 

4°  La  manière  dont  le  premier  ministre  avait  élevé  le  prince  royal  ; 

5°  Le  pouvoir  et  l'autorité  sans  bornes  qu'il  avait  acquis  dans  les 
affaires  de  l'Etat  ; 

6°  L'administration  de  ces  mêmes  affaires  ; 

Cinq  semaines  durant,  Struensée  demeura  aux  fers,  ainsi  que  sou 
collègue  Brandt,  directeur  des  spectacles  de  la  cour,  compromis, 
sans  raison,  dans  sa  disgrâce.  Reconnus  coupables  de  lèse-majeste, 
ils  furent  condamnés  à  avoir  la  main  droite  et  la  tète  coupés,  le 
corps  mis  en  quartiers  et  exposé  sur  la  roue.  Quant  à  la  reine,  elle 
fut  exilée.  Quelques  voix  s'élevèrent  pour  la  grâce  dans  le  conseil. 
Mais  Rantzau,  l'une  des  créatures  du  ministre,  et  qui  lui  devait 
tout,  s'y  opposa. 

Le  28  avril  1772,  on  tira  Struensée  et  Brandt  du  cachot  infect  où 
ils  étaient  enfermés  depuis  plusieurs  mois,  pour  les  conduire  au 
supplice.  Brandt  fut  exécuté  le  premier,  et  Struensée  dut  mettre  sa 
main  sur  le  billot  encore  ruisselant  du  sang  de  son  ami,  dont  les 
restes  étaient  dispersés  autour  de  lui. 

Par  un  retour  coutumier  des  choses  d'ici-bas,  la  population,  qui 
pourtant  n'avait  pas  à  se  plaindre  du  favori  disgracié,  souligna 
cette  exécution  de  ses  vivats  et  de  ses  extravagances.  On  décréta 
un  jour  de  jeûne  et  d'actions  de  grâces  «  pour  remercier  Dieu 
d'avoir  sauvé  le  roi,  le  royaume  et  la  famille  royale  du  danger  le 
plus  imminent  ». 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts  du  Chàlelet.  —  M.  Lalo  que  ses  récentes  compositions  ont 
placé  dans  les  premiers  rangs  de  nos  compositeurs  français,  est  un  de 
ceux  qui,  avec  M.  Reyer,  sans  répudier  les  vieilles  traditions  du  passé, 
acceptent,  des  tendances  modernes,  ce  qui  leur  parait  un  progrès  néces- 
saire. C'est  à  ce  compromis  heureux  que  nous  devons  le  Roid'Ys  et  la  belle 
ouverture  que  nous  applaudissions  le  dimanche  23  février.  —  M.  Camille 
Saint-Saëns  est  celui  de  nos  contemporains  qui  s'est  le  plus  nourri  des 
fortes  études  classiques  :  ses  vrais  maîtres  sont  Hœndel,  Beethoven  et 
Mendelssohn.  Dans  tout  ce  qu'il  fait,  il  y  a  une  facture  puissante  dont 
ceux-là  seuls  ont  le  secret  qui  connaissent  les  ressources  du  contrepoint 
et  de  la  fugue.  Aussi,  ses  compositions  se  tiennent-elles  ;  elles  ont  une 
base  solide.  Elles  peuvent  plus  ou  moins  réussir  devant  le  public,  mais 
pour  les  musiciens  qui  méritent  ce  nom,  elles  ont  toujours  une  incontes- 
table valeur.  C'est  à  quoi  nous  songions  en  écoutant  la  belle  Marche  hé- 
roïque, dédiée  à  la  mémoire  d'Henri  Regnault.  —  Avec  M.  César  Franck 
(poème  symphonique  de  Psyché),  nous  sommes  en  plein  dans  le  mouve- 
ment :  c'est  le  règne  de  la  mélodie  continue  dans  toute  son  exagération. 
A  travers  une  série  non  interrompue  d'abracadabrantes  harmonies  serpen- 
tent des  formules  indécises  qui,  n'ayant  aucune  raison  de  commencer, 
n'en  ont  aucune  de  finir.  L'orchestre  gémit  et  murmure;  les  chœurs, 
derrière  les  coulisses,  imitent  le  bruit  vague  des  harpes  éoliennes  sus- 
pendues aux  branches  des  pins.  M.  Franck  est  le  plus  mystique  de  nos 
compositeurs  :  il  excelle  à  peindre  les.  divines  bypostases,  les  béatitudes 
célestes,  les  formes  impalpables,  les  abimes  sans  fond  et  les  immensités 
sans  limites.  Il  y  a,  en  lui,  du  Pater  extaticus  et  du  Pater  seraphicus  de 
l'épilogue,  dans  le  ciel,  du  second  Faust.  Comme  M.  d'Indy,  il  aime 
à  initier  ses  auditeurs  à  la  profondeur  de  ses  conceptions  :  il  fait  distri- 
buer des  brochures  qui  expliquent  les  arcanes  de  sa  pensée,  comme  Scho- 
penhauer  expliquait  les  arcanes  de  la  métaphysique  en  publiant  la 
Quadruple  racine  de  la  raison  suffisante.  L'orchestre  du  Chàtelet  s'est  surpassé 
dans  l'exécution  d'une  œuvre  aussi  difficile  à  interpréter  que  la  Psyché  de 
M.  César  Franck.  Par  un  effet,  que  nous  croyons  être  de  pur  hasard, 
cette  composition  se  trouvait  encadrée  entre  deux  vieilles  choses  :  la 
symphonie  en  sol.  d'Haydn,  et  le  Septuor,  de  Beethoven.  Or,  il  s'est  trouvé 
qu3  ce  sont  ers  deux  vieilles  choses  que  le  public  a  applaudies  avec  le  plus 
de  frénésie.  L'orchestre  de  M.  Colonne  a   été  excellent,  comme  toujours. 


TU 


LE  MENESTREL 


Mais  pourquoi  M.  Colonne  oublie-t-il  qu'il  y  a,  dans  l'œuvre  immense 
d'Haydn  des  symphonies  qu'il  serait  bon  de  faire  quelquefois  entendre, 
ne  serait-ce  que  l'admirable  symphonie  en  ré  mineur,  et  qu'il  y  aurait 
un  essai  à  tenter  avec  VOctuor  de  Schubert,  qui  est  une  des  plus  admira- 
bles compositions  de  ce  maître  et  dont  certains  fragments  seraient  suscep- 
tibles d'une  exécution  analogue  à  celle  du  Septuor  de  Beethoven? 

H.  Barbedette. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  L'interprétation  de  la  symphonie  en  fa  n'a 
pas  été  exempte  de  quelque  raideur  ;  aussi  les  thèmes  charmants  de 
Beethoven  ont-ils  paru  manquer  de  souplesse  et  d'élégance.  —  La  Ballade 
symplwnique  de  M.  Ghevillard  est  une  composition  distinguée  qui,  sans 
exciter  d'enthousiasme,  ne  donne  que  faiblement  prise  à  la  critique.  Il 
n'y  a  là  aucune  excentricité  de  mauvais  goût,  mais  par  contre  aucune 
mélodie  originale  ;  le  sentiment  poétique  est  bon,  la  facture  dépasse 
peut-être  la  moyenne  des  œuvres  de  second  ordre,  mais  l'ensemble 
manque  de  vie  et  d'originalité.  —  Mme  Sophie  Menter  a  montré,  dans  l'exé- 
cution du  concerto  en  la,  de  Liszt,  qu'elle  possède  une  technique  admi- 
rablement consistante  qui  se  traduit  extérieurement  par  une  qualité  de 
son  superbe,  un  mécanisme  d'une  aisance  parfaite  et  une  merveilleuse 
pondération  de  tous  les  éléments  qui  constituent  la  ligne  et  donnent  à 
l'œuvre  toute  sa  cohésion.  Son  jeu  est  empreint  d'une  qualité  précieuse 
et  rare  que  l'on  pourrait  appeler  la  droiture  artistique.  L'on  n'y  remarque 
jamais  aucun  artifice,  aucun  subterfuge  destiné  à  forcer  l'attention  par  le 
grossissement  du  détail  ou  l'exagération  du  sentiment.  En  écoutant 
jjme  Menter,  ce  n'est  pas  tel  ou  tel  trait,  tel  ou  tel  motif  que  l'on 
applaudit  au  passage,  c'est  un  ensemble  d'éminentes  qualités,  supérieu- 
rement équilibrées  et  qui  ont  fait  que  l'œuvre  de  Liszt  s'est  présentée 
en  pleine  lumière,  brillante  et  colorée.  —  Les  fragments  de  Roméo  et  Juliette, 
de  Berlioz,  la  scène  du  bal,  l'adagio  et  le  scherzo  ont  produit  beaucoup 
d'effet,  bien  que  l'exécution  n'ait  eu  ni  le  caractère  tour  à  tour  intime 
et  emporté  que  semble  comporter  le  premier  morceau,  ni  la  souplesse 
amoureuse  qu'exige  le  second,  ni  même  l'étincelante  vivacité  qu'il  fau- 
drait dans  le  troisième.  Néanmoins,  la  perfection  du  rendu  dans  les  détails 
suppose  une  étude  opiniâtre  et  consciencieuse  et  le  résultat  obtenu  au 
Cirque  démontre  que  l'exécution  a  été  l'objet  des  soins  les  plus  minu- 
lieux.  —  La  séance  s'est  terminée  par  l'audition  du  prélude  du  troisième 
acte  de  Tristan  et  Yseult  qui  est  superbe  au  théâtre  mais  qui,  au  concert, 
devient  une  simple  étude  de  son  à  l'usage  du  cor  anglais,  et  par  une 
brillante  interprétation  de  Joyeuse  Marche  de  M.  Emmanuel  Chabrier, 
œuvre  qui  ne  peut  être  considérée  que  comme  une  excentricité  amusante 
et  spirituelle  destinée  à  distraire  et  à  détendre  l'esprit. 

Amédée  Boutarel. 

—  Programmes  d'aujourd'hui  dimanche: 

Au  Conservatoire  :  Symphonie  avec  chœurs  (Beethoven),  par  Mmcs  Leroux- 
Ribeyre  et  Nardi,  MM.  de  Latour  et  Auguez;  airs  de  ballet  Iphigénie  en 
Âulide  (Gluck);  duo  nocturne  de  Béatrice,  et  Bénédict  (H.  Berlioz),  par  Mmes  Le- 
roux-Ribeyre  et  Nardi;  polonaise  de  Struensée.  Le  concert  sera  dirigé  par 
M.  J.  Garcin. 

Chàtelet,  Concert  Colonne  :  Ouverture  de  Benvenuio  Cellini  (H.  Berlioz); 
Symphonie  en  ut  (Jupiter)  (Mozart)  ;  premier  Concerto  pour  piano  (Tschaï- 
kowsky)  par  M.  Sapelnikoff;  Psyché  (César  Franck);  Ballet  d'Henry  VIII 
(Saint-Saëns). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  Concert  Lamoureux  :  Symphonie  en  la  (Bee- 
thoven); Ballade  symplwnique  (C.  Chevillard):  la  Toute-Puissance  (F.  Schubert), 
par  M""3  Materna;  Siegfried-Idyll  (Wagner);  Danse  macabre  (Saint-Saëns)  ; 
scène  finale  du  Crépuscule  des  Dieux  (Wagner)  ;  ouverture  du  Frcischûtz 
("Weber, . 

—  Concerts  et  musique  de  chambre.  —  La  Société  de  musique  de 
chambre  pour  instruments  à  vent,  vient  de  reprendre  ses  très  intéres- 
santes séances.  On  a  commencé  par  le  quintette  (op.  55)  de  Rubinstein, 
joué  par  MM.  Diémer,  Talïanel,  Turban,  Garrigue  et  Espaignet,  avec  un 
ensemble  merveilleux.  L'œuvre  en  elle-même  est  grise,  trop  longue, 
agréable  seulement  dans  ses  morceaux  intermédiaires.  M.  Gillet  a  inter- 
prété avec  la  virtuosité  si  brillante  et  la  sonorité  si  pure,  si  distinguée, 
qu'il  sait  tirer  do  son  instrument,  quatre  pièces  de  M.  Bartbe.  J'ai  hâte 
d'arriver  a  la  pièce  de  résistance  du  programme,  le  divertissement  pour 
deux  flûtes,  deux  hautbois,  deux  clarinettes,  deux  cors  et  deux  bassons  de 
M.  E.  Bernard.  Une  partition  dont  chaque  mesure  s'enchaine  avec  une 
admirable  logique  ne  s'analyse  pas  en  quelques  lignes.  Ce  que  je  puis 
dire,  c'est  que  cette  œuvre  porte  également  l'empreinte  du  goût  fin  et 
châtié  et  du  savoir  technique  si  complet  de  son  auteur.  D'un  bout  à  l'au- 
hv  elle  se  tient,  et  la  grande  variété  qui  résulte  de  la  multiplicité  des 
détails  n'affaiblit  nulle  part  le  principe  d'unité  sur  lequel  elle  repose.  Le 
divertissement  est  composé  de  quatre  parties  :  un  allegro  au  développe- 
ment  très  intéressant,  un  scherzo,  badinage  musical,  tout  plein  de  grâceet 
de  délicatesse,  de  charme  et  d'élégance,  un  andante  d'un  beau  et  profond 
sentiment  et  un  finale  entraînant,  coloré,  qui  clôt  dignement  l'œuvre, 
supérieurement  interprétée,  point  n'est  besoin  de  l'affirmer,  et  chaleureu- 
semeni  reçue.  —  M.  Coenen,  le  très  habile  pianiste,  vient  de  donner  un 
concert  où  il  a  luit  entendre,  avec  grand  succès,  la  première  sonate  de 
Schumann  et  plusieurs  courtes  compositions  de  Chopin,  Tausig  et  Saint- 
Saëns.  M"'-  Antonia  Pouget,  une  artiste  de  grand  talent  douée  d'une  fort 
belle  voix  lui  prêtait  son  concours  et  a  dit  avec  style  l'air  Ah!  perfide  !  de 


Fidelio,  un  air  de  Samson  et  Dalila,  de  Saint-Saëns,  et  une  mélodie  de 
Schumann.  —  Mentionnons  encore  le  succès  obtenu  à  son  concert  par 
MUc  Depecker,  une  remarquable  élève  de  M.  A.  Duvernoy,  qui  a  déployé 
de  grandes  qualités  de  virtuosité  et  de  style  dans  un  programme  artiste- 
ment  composé  et  où  se  trouvaient  réunis  les  noms  de  Beethoven,  Bach, 
Schubert,  Schumann,  Liszt,  Chopin  et  de  MM.  Godard,  Alph.  Duvernoy 
et  Lenepveu.  I.  Ph. 

—  Le  beau  concert  donné  par  M.  Léon  Delafosse  avec  l'orchestre  Colonne, 
le  place  définitivement  et  malgré  son  jeune  âge  (il  n'a  que  seize  ans)  au 
premier  rang  des  virtuoses  français.  Dans  le  concerto  en  si  b  de  Mozart, 
il  s'est  montré  un  interprète  d'une  simplicité  exquise,  d'une  tendresse  et 
d'une  grâce  incomparables,  comme  il  convient  pour  cette  musique  d'un 
charme  si  pénétrant.  Dans  le  brillant  coneerto  en  soi  mineur  de  Men- 
deissohn.  au  contraire,  son  jeu  chaud  et  coloré,  plein  de  fougue,  de  jeu- 
nesse et  d'élan,  a  littéralement  enthousiasmé  la  salle  entière.  Il  y  avait 
en  outre  au  programme  une  douzaine  de  morceaux  classiques  et  modernes 
pour  piano  seul,  parmi  lesquels  nous  avons  particulièrement  remarqué 
une  nouvelle  composition  de  M.  Théodore  Lack,  l'Oiseau-Mouche,  véritable 
bijou  mnsical,  d'une  couleur  imitative  charmante,  interprétée  de  façon 
exquise  et  que  le  public  a  redemandée  par  acclamation,  une  très  belle 
étude  du  même  compositeur  et  deux  fort  jolies  pièces  de  M.  Th.  Dubois. 
M.  Delafosse  n'était  hier  qu'un  enfant  gâté  du  public,  il  est  aujourd'hui 
un  virtuose  accompli. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


Courrier  musical  de  Monaco.  La  représentation  d'Hamlet  a  été  tout 
un  triomphe  ;  à  la  fin  de  chaque  acte,  il  y  a  eu  des  applaudissements  et 
des  rappels  sans  nombre,  de  la  part  d'une  salle  comble  où  l'on  remarquait 
l'élite  de  la  haute  société  cosmopolite,  en  déplacement  sur  le  littoral,  venue 
pour  juger  la  nouvelle  version  du  rôle  d'Hamlet  écrit  par  l'auteur  pour 
voix  de  ténor.  Beaucoup  de  connaisseurs  ont  trouvé  que  l'ouvrage  gagnait 
à  cette  transformation.  Le  rôle  d'Hamlet  a  d'ailleurs  été  joué  et  chanté 
d'une  façon  remarquable  par  M.  Dereims,  qui  y  a  remporté  un  vif  succès 
personnel  comm'e  chanteur  et  comme  comédien.  Mme  Melha  s'est  montrée 
grande  cantatrice  dans  le  rôle  d'Ophélie  et,  après  l'air  de  la  «  Folie  »  elle 
a  été  rappelée  et  couverte  de  fleurs.  Mmî  Deschamps-Jehin  a  été  superbe 
dans  le  rôle  de  la  reine,  où  l'ampleur  de  sa  voix  a  fait  merveille.  MM.  Is- 
nardon,  excellent  dans  le  rôle  du  roi  ;  Waimps  (Laërte),  Cordier  (le  spectre) 
Dethurens  (Horatio),  Jouanne  (Marcellus),  ont  été  aussi  fort  applaudis  ; 
ballet  fort  bien  réglé  et  orchestre  magistralement  conduit  par    M.  Jehin. 

Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Brème  :  Un  opéra  comique  nou- 
veau en  un  acte,  de  MM.  J.  Kulenkampff  pour  les  paroles  et  G.  Kulen- 
kampff  pour  la  musique,  le  Paye,  a  réussi  de  la  plus  brillante  façon  au 
théâtre  municipal.  L'opinion  de  la  presse',  en  général,  est  que  l'ouvrage 
fera  son  chemin.  —  Cologne  :  Une  excellente  reprise  de  Geneviève,  de  Schu- 
mann, vient  d'avoir  lieu  au  théâtre  municipal.  L'interprétation,  à  la  léle 
de  laquelle  sont  M.  Gotze  et  M"10  Saak,  a  largement  contribué  au  succès. 

—  Dresde  :  La  prochaine  nouveauté  du  théâtre  de  la  cour  sera  le  Roi  mal- 
gré lui,  de  M.  Chabrier,  interprété  par  Mlucs  Friedmann,  Scbuch  ;  MM.  Schie- 
demantel  et  Nebuschka.  —  Gôttingen  :  Le  nouveau  théâtre,  entièrement 
achevé,  vient  d'être  livré  à  la  commission  des  bâtiments  municipaux. 
L'inauguration  aura  lieu  au  printemps.  —  Innsbruck  :  La  direction  du 
théâtre  municipal  est  passée  aux  mains  de  M.  Paul  Blasel,  du  Cari  Tlwater 
de  Vienne.  —  Leipzig  :  Girendoline,  l'opéra  de  M.  Chabrier,  vient  d'être 
représenté  pour  la  première  fois  au  nouveau  théâtre  municipal.  L'inter- 
prétation et  l'exécution  orchestrale  ne  paraissent  pas  avoir  été  satisfai- 
santes. La  presse  locale  malmène  assez  rudement  l'ouvrage  de  notre  com- 
patriote, à  l'exception  du  Leipziger  Tugeblatl  qui  est  plein  d'enthousiasme. 

—  Munich  :  L'opérette  de  Sullivan,  le  Garde  du  Roi,  a  été  bien  accueillie 
au  théâtre  Gaertnerplatz.  —  Prague  :  Le  théâtre  allemand  est  activement 
occupé  à  monter  le  Roi  d'Ys,  de  M.  Lalo,  avec  la  traduction  allemande  du 
Dr  Berggruen,  de  Vienne.  La  date  de  la  première  représentation  n'est  pas 
encore  fixée.  —  Reichenberg  :  M.  Paul  Hiller,  le  fils  du  compositeur 
Ferdinand  Hiller,  a  été  renommé  pour  trois  ans  directeur  du  théâtre  muni- 
cipal. 

—  L'Allgemeine  Musikzeitung  de  Berlin  annonce  que,  dès  à  présent,  l'on 
songe  à  Bayreutb  aux  représentations  de  l'année  prochaine.  M.  Kniese 
parcourt  en  ce  moment  l'Allemagne  â  la  recherche  des  artistes  qui  pour- 
raient convenir  pour  le  Tannliduser,  qui  s'ajoutera  cette  fois  aux  ii'uvres 
jouées  sur  la  scène  du  théâtre  Wagner.  On  a  également  commencé  les 
décors  qui  seront  la  reproduction  aussi  exacte  que  possible  de  sites  de  la 
Thuringe  où  se  passe  l'action.  D'après  YAUgemeine  Mnsikzeitung,  on  don- 
nera en  1891  quatre  ouvrages,  Parsifal,  Tristan,  les  Maîtres  chanteurs  et 
Tannliduser:  L'année  suivante,  Lohengrin  s'ajoutera  à  la  série  et  en  1893  on 
reprendrait  probablement  le  Ring  des  Nibelungen. 

—  La  ville  de  Vienne  prépare  pour  le  mois  d'août  prochain  une  série 
d'importantes  fèlos  musicales,  à  l'occasion  du  quatrième  festival  de  L'Union 
des  chanteurs  allemands.  Une  commission  de  trois  cents  citoyens  apparte- 
nant à  toutes  les  classes  de  la  société,  et  divisé.3  en  dix  sous-commissions, 


LE  MEMESTREL 


s'occupe  de  l'élaboration  du  programme  et  de  l'organisation  générale  du 
festival.  Les  frais  sont  d'ores  et  déjà  couverts  par  un  fonds  de  garantie  de 
175,000  francs.  De  vastes  constructions  spéciales  vont  être  élevées  au 
Prater,  entre  autres  un  hall  gigantesque  destiné  à  abriter  vingt  mille  per- 
sonnes. Des  invitations  seront  adressées  aux  principales  sociétés  de  l'Al- 
lemagne et  de  l'étranger.  Les  sociétés  participantes  formeront  un  défilé 
monstre  qui  parcourra  les  principales  rues  de  Vienne  avant  de  se  rendre 
au  Prater  pour  l'inauguration  solennelle  du  festival. 

—  Le  théâtre  de  la  cour  de  Stultgard  a  fêté  avec  un  éclat  inusité,  un 
jubilé  peu  ordinaire,  celui  d'une  de  ses  plus  modestes  pensionnaires  qui 
peut  bien  être  considérée  comme  la  doyenne  de  la  profesUon,  étant  âgée 
de  84  ans,  et  ayant  à  l'heure  actuelle  7b  ans  de  service  sur  les  planches. 
Mmc  Louise  Schmidt  —  c'est  son  nom  —  a  pris  part  elle-même  à  la 
représentation  donnée  en  son  honneur,  remplissant  son  rùle  favori  de 
Barbel  dans  la  comédie  Village  et  Ville.  Après  le  troisième  acte,  le  roi 
Charles  est  venu  en  personne  féliciter  la  vieille  duègne,  que,  de  son  côté, 
le  public  ne  se  lassait  pas  d'acclamer. 

—  Les  trois  séances  de  piano  données  par  Mme  Teresa  Carreno  à  la 
Singakademie  de  Berlin  ont  éveillé  le  plus  vif  intérêt  dans  le  monde  mu- 
sical de  la  capitale  allemande.  Les  feuilles  locales  apprécient  avec  force 
éloges  le  talent  de  la  brillante  virtuose.  A  sa  dernière  séance,  Mme  Car- 
reno ('tait  assistée  de  Mmc  Anny  Scherwin  qui  a  fait  applaudir  une  ravis- 
sante voix  de  soprano  dans  l'air  de  la  Perle  du  Brésil  et  celui  de  la  Reine 
de  la  nuit  de  la  Flûte  enchantée. 

—  Nous  avons  annoncé  l'incendie  du  théâtre  communal  d'Amster- 
dam. Le  Grand-Théâtre  de  la  ville  (Stadsclwuœburg)  avait  déjà  été  détruit  par 
un  incendie  au  siècle  dernier.  On  fit  à  cette  époque  pour  le  théâtre  hol- 
landais ce  qu'on  avait  fait  à  Paris  pour  l'Opéra  de  la  rue  Le  Peletier, 
c'est-à-dire  qu'on  construisit  hâtivement  une  salle  de  spectacle  en  bois. 
Or,  il  se  fit  que  ce  théâtre  provisoire  devint  une  merveille  d'acoustique 
qui  acquit  bientôt  une  renommée  européenne.  Ces  qualités  merveilleuses 
furent  cause  qu'on  ne  démolit  pas  la  salle  de  bois,  et  que  le  provisoire 
subsista.  Seulement,  on  entoura  ce  théâtre  extraordinaire  d'un  bâtiment 
en  maçonnerie  dont  la  façade  avait  fort  grand  air.  Le  Stadschomvburg  était 
de  dimensions  absolument  inusitées  en  Hollande.  Les  troupes  d'opéra  de 
la  Haye  et  de  Rotterdam  desservaient  cette  scène  le  mardi  de  chaque 
semaine.  Les  autres  soirées  étaient  consacrées  à  la  représentation  de 
comédies,  de  drames,  de  vaudevilles,  en  langue  néerlandaise.  On  y  don- 
nait parfois  des  divertissements-ballets. 

—  Spa  (Belgique).  —  Le  grand  festival  international  de  Spa  s'annonce 
sous  les  meilleurs  auspices.  Tout  est  maintenant  décidé,  arrêté.  Les  har- 
monies, fanfares  et  orphéons  y  sont  invités  les  10  et  11  août  1890.  Nous 
rappelons  que  le  président  de  ces  belles  fêtes  est  M.  Lousberg,  bourg- 
mestre de  Spa.  Il  y  aura  quatre  primes  en  espèces  tirées  au  sort  entre  les 
Sociétés.  La  première,  1.S00  francs  ;  deuxième,  800.;  troisième,  300;  qua- 
trième, 300.  Et  quatre  tirées  entre  les  chefs  de  musique  :  de  SOO,  300, 
200  et  100  francs.  En  outre,  des  médailles  en  vermeil  et  en  argent  seront 
offertes  à  chaque  Société  et  à  chaque  directeur.  —  Prière  en  cas  d'omis- 
sion et  pour  toutes  demandes  d'invitations  et  du  règlement,  d'écrire  à 
M.  Parent,  secrétaire  général  du. festival. 

—  Correspondance  de  Barcelone.  —  Oncques  ne  se  vit  plus  pauvre  sai- 
son théâtrale  de  carnaval!  Généralement,  jadis,  dans  notre  bonne  capi- 
tale de  la  Catalogne,  cette  folle  saison  de  carnaval,  toute  consacrée  à 
la  joie,  était,  en  l'absence  de  tous  autres  divertissements,  très  profi- 
table aux  entrepreneurs  de  spectacles  —  même  lyriques.  Mais  voilà-t-il 
pas  que  la  société  argentée  de  Barcelone  s'avise  de  devenir  mondaine! 
Voilâ-t-il  pas  qu'elle  se  met  à  recevoir,  cette  société  autrefois  «  en- 
tasseuse  »  de  gros  sous  !  Voilà-t-il  pas  qu'elle  donne  des  bals 
masqués,  tout  dorés,  tout  parfumés,  avec  éclairage  électrique,  giran- 
doles de  fleurs  naturelles  et...  buffets!!!  Oui,  monsieur,  avec  buffets, 
et  buffets  bien  garnis  encore  !  —  N'est-ce  pas  le  bouleversement  des  bou- 
leversements? Aussi,  tout  ee  que  notre  ville  compte  de  femmes  élégantes 
et  de  jeunes  gens  copurchics  s'est-il  empressé  de  planter  là  la  musique 
qui  s'écoute  pour  celle  qui  se  «  gigote  ».  —  Voilà  pourquoi  nos  salles  de 
spectacle  ont  été,  pendant  les  trois  quarts  de  cette  mémorable  saison 
de  carnaval,  de  véritables  petits  Saharas.  Mais  nos  directeurs  qui 
sans  doute,  prévoyaient  le  coup,  se  sont  préoccupés  de  rester  sur  la 
plus  défensive  réserve,  et  tùusdeurs  efforts  ont  été  de  s'efforcer  à  ne  rien 
faire  d'intéressant.  Ils  y  sont  parvenus  presque  aussi  complètement  que 
lorsqu'ils  font  tout  leur  possible  pour  atteindre  le  but  contraire.  Au  grand 
Teatho  del  Liceo,  après  les  triomphales  représentations  de  Marie  Van 
Zandt,  on  prétexta  de  l'épidémie  d'inlluenza  pour  fermer  la  salle,  avec  un 
soldo  débiteur  do  treize  représentations  d'opéra  aux  abonnés,  et  des 
queues  de  compte  de  tous  les  côtés.  —  Au  bout  d'une  quinzaine,  on  rou- 
vrit les  sublimes  portes  (rien  de  Turquie)  avec  un  grand  ballet  italien 
intitulé  Messalina.  Comme  argument,  ce  n'est  rien,  comme  musique,  c'est 
pis;  mais  la  chose  est  très  luxueusement  mise  en  scène...  et  voilà  qua- 
rante jours  qu'elle  dure!  Un  bon  opéra  nouveau,  bien  interprété,  eût 
peut-être  bien,  en  cas  de  grand  succès,  fourni  une  carrière  de  dix  soirées! 
Mais  une  insanité,  ça  a  la  vie  dure!  Vous  parlerai-je  du  Teatho  Principal, 
OÙ  l'on   joue  très    convenablement   des  traductions  de   Dumas,  Sardou  et 


consorts,  et  du  Romea,  où  se  vient  d'étrenner  (nie)  une  lamentable  tragédie 
intitulée  Rey  y  Monjo  (Roi  et  Religieux  (jésuite),  écrite  en  patois  du  cru 
par  une  célébrité  idem?  —  Non,  n'est-ce  pas?  Vous  m'en  dispenser. 
Alors,  passons.  Et  arrivons  à  l'annonce  do  l'inauguration  du  Teatho 
Gayaroe.  Vous  aimez  le  Gayarre,  on  en  a  mis  partout  :  rue  Gayarre,  place 
Gayarre,  yacht  Gayarre,  pilules  Gayarre,  cravates  Gayarre,  le  pauvre 
défunt  est  plus  que  jamais  de  haute  mode.  Mais  revenons  au  Teatro 
Gayarre.  Son  inauguration  —  les  affiches  disaient  :  solennelle  —  a  eu 
lieu  avec  Lucie  de  Lammermoor.  La  soirée  n'a  pas  été  trop  mauvaise,  et  le 
Liceo  voit  souvent,  dans  son  auguste  enceinte,  des  représentations  infini- 
ment plus  médiocres.  L'interprétation  de  l'œuvre  de  Donizetti  a  été 
presque  excellente  dans  son  ensemble  :  les  chœurs  et  l'orchestre  se  sont 
fort  bien  comportés,  et  les  artistes  ont  fait  tout  ce  qu'ils  ont  pu.  M"1'  Fer- 
retti  chante  agréablement,  et,  si  son  style  et  son  jeu  avaient  un  peu  plus 
d'expression,  de  sentiment  dramatique,,  elle  eût  été  une  Lucie  irrépro- 
chable. Le  ténor  Tromben  est  doué  d'une  voix  assez  puissante,  mais 
dure  et  peu  agréable;  en  revanche,  il  est  comédien  intelligent.  Le  bary- 
ton Villani  fait  son  affaire.  En  somme,  pour  la  somme  de  fr.  1,50  que 
coûtent  les  premières  places  (fauteuils  d'orchestre),  on  doit  être  satisfait. 
On  l'a  été.  Comme  cette  soirée  d'inauguration  était  dédiée  (sic)  à  la  mé- 
moire de  Gayarre,  le  parrain  de  l'établissement,  on  fit  suivre  la  représen- 
tation de  Lucie  d'une  petite  manifestation  allégorique,  qui  eut  l'heur  de 
transporter  la  nombreuse  assistance.  Cette  manifestation  consista  en  l'exé- 
cution, par  les  chœurs  et  l'orchestre,  de  fragments  de  la  Favorite,  et,  au 
moment  où  la  ritournelle  de  la  cavatine  Spirto  gentil  se  fit  entendre,  un 
voile  de  gaze  noire  qui  cachait  le  fond  de  la  scène  se  leva  et  découvrit 
le  buste  du  célèbre  ténor,  éclairé  à  la  lumière  Drumont,  et  autour  duquel 
les  choristes  déposèrent  de  grandes  couronnes  de  laurier.  Pour  simple 
qu'elle  fût,  cette  cérémonie  ne  laissa  pas  d'être  touchante.  Elle  produisit 
la  meilleure  impression.  Et  maintenant  on  nous  promet,  à  ce  même  théâ- 
tre, l'opéra  bouffe  de  Usiglio,  le  Donne  curiose,  qui  fut  créé  à  Madrid,  il  y 
a  onze  ans,  par  Gayarre,  Verger,  Nannetti,  Fiorini,  MmM  Borghi-Mamo. 
Vitali  et  Eléna  Sanz,  avec  un  grand  succès.  Privée  de  ce  splendide 
septuor  d'interprètes,  l'œuvre  recevra-t-elle  ici  le  même  accueil?  C'est  ce 
que  nous  verrons  et  vous  dirons  alors,  cher  lecteur,  avec  le  plus  grand 
plaisir.  A.-G.  Bertal. 

PARIS   ET    DÉPARTEMENTS 

Les  auteurs  dramatiques  et  les  compositeurs  de  musique  se  préoccu- 
pent vivement  d'une  proposition  de  loi  sur  la  propriété  littéraire  et  artis- 
tique déposée  sur  le  bureau  de  la  Chambre  des  députés  par  M.  Philipon. 
En  effet,  la  propriété  dramatique  et  musicale  est  actuellement  régie  par 
la  loi  du  13  janvier  1791,  qui  assure  aux  auteurs  et  compositeurs  le  respect 
absolu  de  leurs  droits,  en  vertu  de  l'article  3,  ainsi  conçu  : 

Les  ouvrages  des  auteurs  vivants  ne  pourront  être  représentés  sur  aucun 
théâtre  public,  dans  toute  l'étendue  de  la  France,  sans  le  consentement  formel 
et  par  écrit  de  l'auteur,  sous  peine  de  confiscation  du  produit  total  des  repré- 
sentations au  profit  de  l'auteur. 

Il  est  certain  que  ceci  est  absolument  clair  et  depuis  que  Beaumarchais 
a  fait  voter  cet  article  de  loi  dont  il  était  l'auteur,  par  la  Convention,  les 
intéressés  l'ont  toujours  déclaré  satisfaisant.  Or,  il  paraîtrait  que  la  propo- 
sition de  M.  Philipon  supprime  la  loi  de  1791  et  ne  la  remplace  qu'im- 
parfaitement ;  en  un  mot,  ce  projet  de  loi,  qui  a  pour  but  de  fortifier  la 
propriété  littéraire,  n'aurait  pour  résultat  que  de  l'affaiblir.  —  Les  repré- 
sentants des  auteurs  et  compositeurs  se  sont  émus  de  cette  situation,  et, 
M.  Victorien  Sardou,  comme  président  de  la  Société  des  auteurs  et  com- 
positeurs dramatiques,  et  M.  Laurent  de  Rillé,  comme  président  de  la 
Société  des  compositeurs  et  éditeurs  de  musique,  ont  proteste  contre  la 
nouvelle  loi,  comme  étant  absolument  contraire  aux  intérêts  des  auteurs 
et  compositeurs  français.  M0  Pouillet,  l'éminent  jurisconsulte,  a  été  prié 
de  transmettre  à  M.  Philipon  les  observations  des  délégués  des  deux  So- 
ciétés, observations  que  ces  messieurs  se  proposent  de  renouveler,  s'il  y 
a  lieu,  devant  la  commission  nommée  par  la  Chambre  pour  examiner  la 
proposition  deloi  en  question.  Nous  ne  doutons  pas  que  ces  observations, 
basées  sur  une  longue  expérience  et  sur  la  pratique,  ne  soient  prises  ,en 
sérieuse  considération,  et  que  s'il  est  donné  suite  à  la  proposition  de  loi 
de  M.  Philipon,  les  auteurs  et  compositeurs  français  n'y  trouvent  des 
garanties  au  moins  égales  à  celles  qui  leur  sont  assurées  par  la  loi 
de  1791. 

—  Les  bureaux  de  la  Chambre  des  députés  ont  élu,  cette  semaine,  la 
commission  chargée  d'examiner  le  projet  de  reconstruction  de  l'Opéra- 
Comique.  Elle  se  compose  de  MM.  de  Douville-Maillefeu,  Philipon,  Baile, 
Michou,Lechevalier,  tous  les  cinq  opposésau  projet  ;et  de  MM.  Emile  Ferry, 
Georges  Berger,  Pichon,  Louis  Jourdan,  Gaillard  (Vaucluse)  et  Delaunay, 
tous  les  six  favorables.  M.  Emile  Ferry  a  été  nommé  président  et  M.  Louis 
Jourdan  secrétaire.  Le  ministre  de  l'Instruction  publique  a  été  entendu. 
Il  a  développé  les  motifs  de  son  projet,  que  nous  avons  déjà  fait  connaître. 
Il  a  notamment  fait  observer  que  la  dépense,  évaluée  à  trois  millions  et 
demi  serait  couverte  jusqu'à  concurrence  de  onze  cent  mille  francs  par 
l'indemnité  versée  parles  compagnies  d'assurances  et  que,  pour  le  surplus, 
le  crédit  de  80,000  francs  voté  annuellement  pour  le  loyer  du  théâtre  des 
Nations  suffirait  à  gager  un  emprunt  de  deux  millions  fournissant  le 
complément  des  ressources  nécessaires.  La  commission  s'est  ajournée 
pour  entendre  l'architecte  qui  a  dressé  les  plans  de  reconstruction. 


1-2 


LE  MENESTREL 


—  La  question  de  la  reconstruction  de  l'Opéra-Comique  sur  son  ancien 
emplacement  parait  d'ailleurs  devoir  se  compliquer  singulièrement  par 
suite  du  vote  récent  émis  par  le  Conseil  municipal,  celui-ci.  désireux 
sans  doute  de  conserver  son  bail  du  théâtre  des  Nations,  refusant 
à  l'État  le  droit  d'avancer  ses  constructions  sur  la  place  Boieldieu. 
Alors,  que  faire?  Se  renfermer  dans  les  anciennes  limites  trop  étroites  ! 
Nous  ne  sommes  pas  près  encore  de  sortir  de  cette  sempiternelle 
question. 

—  On  parle  beaucoup  en  ce  moment,  de  l'engagement  de  M11-' Sanderson 
à  l'Opéra,  pour  la  création  du  Mage  de  M.  Massenet.  Et  pourquoi  pas? 

—  Effet  du  papier  timbré.  M.  Paravey  a  promis  de  mettre  très  prochai- 
nement au  tableau  des  répétitions  le  Sicilien  de  M.  "Wekerlin.  Une  note  un 
peu  ambiguë  de  la  direction  de  l'Opéra-Comique  envoyée  aux  journaux 
voudrait  laisser  croire  qu'il  n'y  a  pas  eu  expédition  de  papier  timbré  ; 
mais  nous  maintenons  quand  même  notre  information.  Car  nous  tenons  le 
fait  de  l'auteur  lui-même,  et  il  est  homme  d'honneur. 

—  Que  nous  apprend  le  Monde  artiste?  M.  Paravey  aurait  renoncé  à 
représenter  le  Joël  de  Gilbert  Desroches  et  les  Normands  da  M.  Casteignier. 
Ce  serait  vraiment  dommage. 

—  M.  Renaud,  le  bayton  qui  s'est  fait  remarquer  dans  le  rôle  d'Hamilcar 
de  Salammbô,  à  Bruxelles,  vient  d'être  engagé  à  l'Opéra-Comique.  Cet 
artiste  va  faire  son  service  militaire  à  Paris  et  pourra  bénéficier  des 
heures  de  liberté  que  lui  laisseront  les  exercices  militaires  pour  aller  à 
l'Opéra-Comique. 

—  Les  personnes  qui,  ces  jours  derniers,  contournaient  l'Opéra,  en  pas- 
sant par  la  rue  Halévy  éprouvaient  un  sentiment  de  stupeur,  en  aperce- 
vant, derrière  les  immenses  fenêtres,  des  perchoirs  gigantesques  sur 
lesquels  folâtraient  des  pigeons.  On  se  demandait  si  MM.  Ritt  et  Gailhard 
avaient  bien  le  droit  d'accroitre  leurs  faibles  ressources  par  le  commerce 
de  ces  volatiles  et,  comme  on  exagère  toujours,  il  en  était  qui,  l'imagi- 
nation aidant,  avaient  cru  voir  des  lapins  sortir  des  sous-sol  du  palais  de 
M.  Garnier  et  étaient  absolument  hostiles  à  la  transformation  de  ce  mo- 
nument en  palais  d'acclimatation  :  «  Des  lapins  dans  le  sous-sol,  mais  ce 
serait  un  comble  !  »  disaient-ils. 

—  Du  Petit  Journal:  «  Grand  scandale  vendredi  soir,  à  l'Opéra.  C'est- 
à-dire  que  de  mémoire  d'abonné,  on  n'avait  jamais  vu  pareille  chose. 
On  donnait  l'Africaine,  et  il  parait  qu'au  troisième  acte  (le  Vaisseau)  les 
chœurs  ont  été  si  mous  et  si  faux,  que  des  chut  et  des  sifflets  nombreux 
ont  couvert  la  voix  des  choristes.  L'orchestre  a  été  obligé  de  s'arrêter 
devant  le  mécontentement  du  public,  très  énergiquement  exprimé,  et  la 
représentation  a  été  interrompue.  » 

—  M™  veuve  Buchère,  en  léguant,  sa  fortune  à  l'Institut  pour  que  le 
produit  en  soit  appliqué  au  perfectionnement  de  l'éducation  musicale 
d'une  ou  plusieurs  jeunes  filles,  élèves  du  Conservatoire  de  musiqua  et  se 
destinant  à  l'art  dramatique,  n'a  fait  qu'accomplir  la  dernière  volonté  de 
sa  fille,  Marie  Demerson,  morte  à  Cannes,  il  y  a  quelques  années. 
M"0  Marie  Demerson  avait  été  au  théâtre  de  Bouffes-Parisiens  sous  la 
direction  Offenbach.  Elle  fut  danseuse  à  l'Opéra  sous  la  direction  Emile 
Perrin.  Sa  santé  l'avait  éloignée  du  théâtre. 

—  Demain  lundi,  au  théâtre  des  Arts  de  Rome,  première  représentation 
de  Samson  et  Bailla,  opéra  de  M.  Saint-Saëns. 

—  M.  Gelée-Bertal,  notre  excellent  correspondant  de  Barcelone,  vient 
de  terminer,  sur  commande,  un  livret  d'opéra  en  quatre  actes,  Galilée 
(rien  de  Ponsard)  que  M.  Viladevall-Garcia  mettra  en  musique  et  qui  sera 
joué  à  Madrid,  au  Théâtre-Royal,  l'an  prochain.  M.  Pedro  Viladevall- 
Garcia  est,  déjà  l'auteur  d'un  autre  opéra  en  quatre  actes,  Aida. 

—  Sous  le  titre  :  Au  pays  des  Kangourous,  notre  excellent'  confrère  Oscar 
Comettant  vient  de  publier,  à  la  librairie  Fisbacher,  un  très  intéressant 
volume,  où  il  résume  ses  impressions  de  voyage  en  Australie.  C'est  une 
étude  curieuse  des  mœurs  et  coutumes  du  pays,  avec  force  documents 
et  pièces  authentiques.  Nous  aurons  occasion  d'y  revenir  prochainement. 

—  Chansons  de  Village,  par  Charles  Grandmougin.  Lemerre,  éditeur, 
1  volume.  Ces  poésies,  tout  à  fait  originales,  écrites  dans  le  style  popu- 
laire, rendent  avec  une  vérité  et  une  saveur  nouvelles  les  types  campa- 
gnards. Le  Bûcheron,  le  Braconnier,  le  Vigneron,  les  Petits  Maraudeux,  etc., 
nous  apparaissent  tour  à  tour,  avec  un  charme  profond  et  un  relief  sai- 
sissant. C'est  là  du  bon  réalisme  qui  marque  un  retour  particulier  vers 
la  verve  gauloise  et  la  couleur  locale.  Le  poète  franc-comtois  a  écrit  là  une 
œuvre  de  choix  qui  comptera  dans  le  mouvement  littéraire  contempo- 
raine. 

—  M.  Eugène  Verconsin  publie,  chez  Hachette,  un  second  volume  de 
ses  ravissantes  saynètes  et  comédies. 

—  Mercredi  dernier,  première  et  très  brillante  soirée  de  la  saison  chez 
M.  et  M""-  Louis  Diémer,  qui  faisaient  les  honneurs  de  leurs  salons  avec 
leur  amabilité  et  leur  courtoisie  -habituelles.  On  a  fait,  comme  toujours. 
de  fort  excellente' musique.  Au  programme,  M""»  Krauss  et  Conneau  qui 
ont  chanté  des  mélodies  du  maître  de  la  maison  et  de  M.  Gounod   accom 


pagnées  par  les  auteurs;  MM.  Marsick,  Loys  et  Wormser  qui  ont  été  abso- 
lument parfaits.  M.  Diémer  a  été  le  héros  de  la  fête  en  jouant  d'une 
façon  exquise,  sur  un  clavecin  que  vient  de  construire  la  maison  Pleyel, 
Wolf  et  Cie,  trois- ravissants  morceaux  de  Couperin,  Rameau  et  Bach. 

P.-E.  C. 

—  L'un  des  plus  anciens  cercles  artistiques  de  province,  la  Société  des 
Beaux-Arts  de  Nantes,  a  donné,  il  y  a  quelques  jours,  une  magnifique 
soirée  musicale.  Figuraient  au  programme,  M.  Talazac,  le  célèbre  ténor, 
Mlle  de  Montaland,  dont  le  public  parisien  a  apprécié  le  style  et  la  jolie 
voix  aux  concerts  Lamoureux  et  Colonne,  et  enfin  Gillet,  le  merveilleux 
hautboïste  de  la. Société  des  concerts  du  Conservatoire.  Le  succès  de  ces 
artistes  a  été  des  plus  complets,  et  l'excellent  orchestre  de  la  Société  des 
Beaux-Arts,  sous  la  direction  entraînante  de  son  nouveau  chef,  M.  Lévy, 
a  eu  sa  grande  part  d'applaudissements  dans  les  ouvertures  de  Zampa  et 
des  Joyeuses  Commères  et  dans  les  difficiles  accompagnements  du  R.i  d'Ys. 

—  Du  journal  l'Union  républicaine  de  Béziers  :  «  Dimanche,  notre 
théâtre  n'a  pas  chômé,  et  la  foule  qui  s'y  était  portée  n'a  pas 
regretté  son  empressement.  Nous  avons  assisté  à  une  représentation  du 
Désert,  ode  symphonique  en  trois  parties,  de  Félicien  David.  C'est  une 
œuvre  musicale  dont  nous  n'avons  plus  à  faire  l'éloge.  M.  Castelbon  de 
Beauxostes  a  vaillamment  conduit  son  orchestre  à  travers  les  multiples 
difficultés  dont  est  émaillée  la  partition  de  Félicien  David.  Nous  avons  . 
surtout  écouté  avec  délices  un  ravissant  duo  de  hautbois.  Quand  aux 
chœurs,  ils  ont  été  parfaits.  Les  voix  sont  superbes.  Pour  beaucoup,  la 
surprise  n'était  pas  petite,  lorsque  nous  avons  vu  cette  masse  compacte 
d'hommes  chanter  avec  sûreté  et  résolution  le  poème  lyrique  du  Désert. 
M.  Rustan  a  délicieusement  chanté  les  soli.  Succès  très  grand  et  des  plus 
mérités.  » 

Concerts  et  soirées.  —  Samedi  iï  février,  le  salon  littéraire  de 
MmeDardoize  s'était  transformé  en  un  vrai  sanctuaire  musical.  Entre  autres 
friandises  artistiques,  on  y  a  beaucoup  apprécié  et  applaudi  les  nouvelles 
œuvres  de  M.  Bourgault-Ducoudray,  remarquablement  interprétées  par  deux 
charmantes  cantatrices,  MmG  Montégut-Montibert  et  Mllc  Bréjean.  —  Très 
beau  concert  donné  samedi  soir,  salons  Pleyel,  par  Mmc  Roger-Miclos, 
qui  a  joué  avec  beaucoup  de  style  deux  concertos,  l'un  de  Mozart,  l'autre 
de  M.  Saint-Saëns,  avec  accompagnement  d'orchestre,  et  seule  le  largo  d'une 
sonate  de  Beethoven  ;  puis  elle  a  dit,  avec  un  charme  infini,  la  Valse 
posthume,  VImpromptu  et  la  Ballade  de  Chopin,  et  exécuté,  avec  une  grande 
maestria,  la  diabolique  11e  rapsodie  de  Liszt.  L'orchestre,  sous  l'habile 
direction  de  M.  Colonne,  a  interprété  dans  la  perfection  le  délicieux  prélude 
A'Eloa,  de  M.  Cb.  Lefebvre,  qui  a  été  bissé.—  Très  belle  soirée  musicale 
dimanche  dernier  chez  M""5  la  comtesse  de  Beaumont-Gastries.  Mme  Ga- 
brielle  Krauss  a  chanté  plusieurs  lieder  de  M.  Grieg,  le  Roi  des  Aulnes 
de  Schubert  et  le  duo  de  Lohengrin  avec  M.  Labat.  L'impression  pro- 
duite a  été  profonde  et  la  grande  artiste  a  été  l'objet  des  manifestations 
les  plus  sincères  et  les  plus  flatteuses.  M.  Delsart  a  chanté  délicieuse- 
ment sur  le  violoncelle  des  fragments  de  .la  sonate,  op.  63,  de  Chopin,  et 
deux  pièces  de  M.  Widor  arrangées  par  lui  avec  infiniment  de  talent. 
Enfin  Mm0  Jaëll  a  fait  preuve  d'une  virtuosité  pleine  de  charme  dans  les 
Souvenirs  d'Italie  de  M.  Saint-Saëns.  —  A  la  dernière  soirée  dramatique 
du  Cercle  des  Malhurins.  le  programme  était  composé  de  trois  pièces  de 
caractère  différent  qui  toutes  ont  également  diverti  les  nombreux  assis-, 
tants.  L'Histoire  d'une  Carte,  comédie  en  un  acte  de  M.  Maurice  Bouchard, 
est  pleine  de  mots  drôles  et  de  situations  imprévues.  Une  comédie  du 
XVe  siècle,  arrangée  en  vers  modernes  par  M.  Gassier  des  Brulies,  la 
Farce  du  Pâté  et  de  la  Tarte,  a  provoqué  des  explosions  d'hilarité  et  de 
chaleureux  bravos  dont  les  excellents  interprètes,  tous  membres  du  Cercle, 
à  l'exception  de  Mme  Regina  Ferney,  peuvent  revendiquer  une  bonne 
part.  Enfin,  il  me  reste  à  constater  le  succès  d'une  pantomime  moder- 
niste de  M.  Jules  Oudot,  le  Coq  et  la  Perle,  sur  laquelle  M.  Alexis  Noël  a 
composé  une  partitionnette  fine,  spirituelle  et  pleine  d'entrain,  tout  à 
fait  en  rapport  avec  le  scénario.  Mm's  Milly  Datbènes,  Henriette  Des- 
courty,  MM.  Léofort  et  Pollux  étaient  les  joyeux  interprètes  de  cette 
élégante  fantaisie.  L.  Scii. 

Concerts  annoncés.  —  Mercredi  prochain,  'j  mars,  salle  Érard,  deuxième 
concert  de  Joseph  Wieniawski.  Le  programme  des  plus  intéressants  con- 
tiendra des  œuvres  de  Bach,  Haëndel,  Beethoven,  Graun,  Field,  RalT, 
Saint-Saëns,  Chopin  et  Liszt.  —  Jeudi  0  mars,  concert  de  .M"°  Sl.eiger  avec 
le  concours  de  M.  Auguez  et  de  l'orchestre  Colonne.  —  Jeudi.  G  mars, 
salle  Érard,  concert  de  M.  J.-J.  Paderewski.  Outre  quelques-unes  de 
ses  compositions,  il  interprétera  des  œuvres  de  Bach.  Beethoven,  Schu- 
mann,  Chopin  et  Liszt. 

Henri  Heijgel.  directeur-géi  ant 

—  La  7°  livraison  du  Costume  au  Théâtre  vient  de  paraître  chez  A.  Lévy, 
éditeur,  13,  rue  Lafayetle.  Elle  est  consacrée  au  Voyage  de  Suzelle  et  con- 
tient les  intéressants  costumes  de  M"10  Simon-Girard  (Suzelle),  et  de 
MM.  Mesmacker  et  Castelli.  Aquarelles  par  M.  Lebèguo.  Texte  par 
MM.    Muliisson   et  René-lieuoisl. 


EnCÈKE,  20, 


3075  —  S6me  ANNEE  —  N°  10.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES  Dimanche  »  Mais  1890. 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  Er.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMEE-  TEXTE 


.1.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (53"  article),  Albert  Soubies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  Samson  et  Dalila,  au  Théâtre  des  Arts,  4 
Rouen,  Intérim,-  première  représentation  de  Monsieur  Betsy,  aux  Variétés,  Paul- 
Émile  Chevalier.  —  III.  Le  théâtre  à  l'Exposition  (20°  article),  Arthur  Pougin. 
—  IV.  Revue  des  Grands  Concerta.  —  V.  Nouvelles  diverses. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

FLEUR    DE    NEIGE 

nouvelle  mélodie  de  Ambroise  Thomas,  poésie  de  Jules  Barbier.  —  Suivra 

immédiatement  :  Les  Hussards,  nouvelle  mélodie  de  Francis  Thomé,  poésie 

de  Ch.  Popelin. 

PIANO 
Nous  publierons   dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano  :  Le  Menuet  de  l'Infante,  de  Paul  Rougnon.  —   Suivra   immédiate- 
ment: Le  Diable  au  corps,  nouvelle  polka  de  Heinrich  Strobl. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Albert  SOUBIES   et  Charles   MA.LHER.BE 

(Suite.) 

CHAPITRE  XIV 

MEYERBEER    A    l'OPÉRA-COMIQUE 
LE  PARDON  DE  PLOEBMEL 

(1836-1859) 

Peu  de  temps  après,  le  3  mai  1856,  POpéra-Gomique  éprou- 
vait une  perte  sérieuse  en  la  personne  d'un  de  ses  auteurs 
favoris,  d'un  maître  souvent  applaudi,  Adolphe  Adam.  «  La 
■veille  de  sa  mort,  lisons-nous  dans  le  journal  d'un  de  ses 
amis,  il  élait  allé  à  l'Opéra  entendre  M1Ie  Elvire  dans  la  Reine 
de  Chypre;  ensuite,  il  s'était  rendu  au  Théâtre-Lyrique  où  l'on 
jouait  le  Bijou  perdu  et  il  avait  longtemps  causé  avec  M.  Car- 
valho  au  sujet  d'une  contestation  qui  s'était  élevée  entre  ce 
dernier  et  M.  Perrin,  relativement  à  Richard  Cœur  de  Lion  qu'on 
reprenait  simultanément  dans  les  deux  théâtres.  En  rentrant, 
il  montra  à  sa  femme  le  brouillon  d'une  lettre  qu'il  avait 
•écrite  à  M.  Carvalho  pour  que  celui-ci  put  le  présenter  au 
ministre.  Après  avoir  ainsi  causé  quelque  temps,  il  s'en  alla 
•dans  son  cabinet  où  il  écrivit  trois  lettres...  »  Il  se  coucha 
et  le  lendemain,  quand  on  pénétra  dans  sa  chambre,  il  avait 
cessé  de  vivre.  Ses  obsèques  furent  célébrées  en  grande 
.pompe,  au  milieu  d'une  aflluence  énorme  de  gens  qui  n'é- 
taient pas  des  indifférents  ou  de  simples  curieux;  car  Adolphe 


Adam  était  bon;  il  avait  rendu  bien  des  services  et  ne  comp- 
tait que  des  amis.  On  peut,  du  reste,  retrouver  l'écho  de  ces 
sympathies  dans  les  sept  discours  prononcés  sur  sa  tombe  ; 
le  premier  par  Halévy,  au  nom  de  l'Institut;  le  second  par 
Auguste  Maquet  au  nom  de  la  Société  des  auteurs;  le  troi- 
sième par  de  Saint-Georges,  au  nom  des  collaborateurs 
d'Adam  ;  le  quatrième  par  le  baron  Taylor,  au  nom  de  l'Asso- 
ciation des  artistes  musiciens;  le  cinquième  par  Battaille,  au 
nom  du  Conservatoire  et  des  chanteurs;  le  sixième  par  Sau- 
vage, au  nom  delà  Société  des  compositeurs  et  éditeurs;  le 
septième,  enfin,  par  Delaporte,  au  nom  des  sociétés  chorales. 
Aujourd'hui  ces  harangues  sont  curieuses  à  relire;  elles  dé- 
peignent moralement  celui  qui  les  a  prononcées  autant  et 
plus  que  celui  en  l'honneur  de  qui  elles  furent  faites.  Par 
exemple,  sous  l'éloquence  un  peu  apprêtée  d'Halévy,  on 
devine  la  rivalité  d'un  confrère.  Peut-être  l'auteur  connaissait- 
il  une  lettre  datée  d'octobre  1834  et  passée  récemment  en 
vente  publique.  Adolphe  Adam  écrivait  à  l'ami  d'un  ministre 
afin  d'obtenir  la  croix;  il  invoquait  comme  titre  à  cette  ré- 
compense le  Chalet  dédié  d'ailleurs  à  une  des  princesses 
royales,  Marie  d'Orléans,  duchesse  de  Wurtemberg  et  il 
ajoutait  :  «  Halévy  va  faire  jouer  la  Juive  dont  on  dit  grand 
bien.  C'est  un  garçon  de  beaucoup  de  talent  qui  peut  avoir 
fait  très  bien  et  on  ne  pourra  s'empêcher  de  lui  donner  la 
croix.  Je  serais  désolé  qu'il  l'eût  avant  moi.  »  Quoi  qu'il  en  soit, 
Halévy  semble  affecter  de  s'occuper  de  l'homme  et  de  né- 
gliger l'artiste;  il  fait  allusion  à  de  «  petits  airs  »,  à  des 
«  mélodies  ingénieuses  »,  mais  il  ne  cite  aucun  ouvrage  et 
ne  prononce  pas  une  fois  le  mot  de  succès.  Quelle  différence 
avec  la  simple  et  touchante  allocution  de  Battaille  !  Comme 
son  langage  vibrait  d'émotion!  On  devine  aisément  quelle  af- 
fection unissait  le  maître  et  son  interprète. 

Bien  qu'il  occupât  la  scène  depuis  vingt-sept  ans,  puisque 
son  premier  opéra-comique  Pierre  et  Catherine  remontait  à  1829, 
Adolphe  Adam  était  jeune  encore;  il  n'avait  que  cinquante- 
trois  ans;  sa  carrière  était  loin  d'être  achevée;  il  tombait  en 
pleine  maturité  d'âge  et  de  talent.  Jusqu'à  la  dernière  heure 
son  activité  ne  s'était  pas  démentie  puisque,  quatre  jours 
avant  sa  mort,  il  donnait  aux  Bouffes  les  Pantins  de  Violette,, 
charmante  partitionnette  où  l'on  avait  bien  vite  reconnu  sa  main, 
quoique  son  nom  ne  figurât  pas  sur  l'affiche.  C'est  à  propos 
de  cette  pièce  qu'un  critique  de  l'époque,  Victor  Moulin,  pu- 
blia un  compte  rendu  où  se  trouvait  cette  appréciation  bien 
étrange,  dont  le  sens,  par  suite  d'une  coquille  d'imprimeur, 
sans  doute,  est  et  demeure  à  jamais  caché  :  «  l'ouverture 
renferme  une  phrase  confiée  aux  cordes  des  instruments  à  vent, 
dont  l'effet  original  est  une  vraie  trouvaille.  »  Avis  au  lec- 
teur, qui  le  croira  sans  peine! 

L'auteur  du  Chalet  disparaissait  à  l'heure  même  où  il  allait 


74 


LE  MENESTREL 


voir  représenter  sur  deux  théâtres  ensemble,  à  l'Opéra- 
Comique  le  19  mai  et  au  Théâtre-Lyrique  le  23  mai,  ce  Richard 
Cœur  de  Lion  dont  il  avait  en  1841,  on  se  le  rappelle,  retouché 
si  heureusement  l'instrumentation.  Cet  exemple  de  simul- 
tanéité n'est  pas  unique  dans  les  fastes  du  théâtre,  et  quelques 
années  plus  tard  on  trouverait  à  rappeler  notamment  l'Ecole 
des  Femmes,  jouée  en  même  temps  à  la  Comédie-Française,  à 
l'Odéon  et  au  Gymnase.  Il  nous  souvient  même  que  le  fait 
fut  relevé  dans  une  revue  de  fin  d'année  où  trois  ingénues 
se  présentaient  ensemble  sur  la  scène  et  provoquaient  l'hi- 
larité du  public  en  récitant  à  l'unisson  le  fameux  récit 
d'Agnès.  Pour  Richard  Cœur  de  Lion,  l'intérêt  historique  de  ces 
deux  reprises  est  surtout  la  distribution  des  rôles,  et  nous 
la  donnons  d'autant  plus  volontiers  qu'elle  montre,  vu  le 
nombre  des  personnages,  la  composition  d'une  grande  partie 
de  la  troupe  à  cette  époque  dans  les  deux  théâtres. 

Opéra-Comique  Théâtre-Lyrique 

Richard  .    .     MM.  Jourdan  MM.  Michot  (début) 

Blondel  .    .  Barbot  Meillet 

Florestan.  .  Delaunay-Riquier  Legrand 

Williams.   .  Beckers  Cabel 

Le  Sénéchal  Duvernoy  Quinchez 

Mathurin.   .  Lemaire  ) 

Un  paysan  .  Sainte-Foy  j         °^ 

Guillot.  .    .  Chapron  Girardot 

Urbain.   .   ..  Beaupré  Adam 

Marguerite  .     Mmes  Rey  Mmes  Brunet 

Laurette  .    .  Boulart  Pouilley 

Antonio  .    .  Bélia  Girard 

Mathurine  .  Félix  Vadé 

Colette.  .   .  Talmon  C.  Vadé 

Beatrix.  .    .  Lasserre  Caye 

Parmi  tous  ces  noms  deux  sont  à  noter  particulièrement  : 
Barbot,  qui  venait  de  province  après  avoir  passé  par  l'Opéra, 
avait  débuté  récemment,  le  11  mars,  dans  le  rôle  de  Georges 
de  la  Dame  blanche;  Michot,  débutait  au  Théâtre-Lyrique  dans 
le  rôle  de  Richard.  Or,  ces  deux  débutants  devaient  plus 
tard  trouver  dans  le  Faust  de  Gounod  un  des  plus  grands 
succès  de  leur  carrière;  en  effet,  Barbot  fut  le  créateur  du 
rôle  principal,  et  Michot  l'un  de  ses  meilleurs  interprètes. 
Ajoutons  que  sous  les  traits  de  Blondel,  le  premier  se  tailla  un 
double  succès  de  chanteur  et  d'instrumentiste,  car  il  jouait 
lui-même  sur  le  violon  les  variations  du  sultan  Saladin. 

A  cette  reprise  succéda,  lo  2  juin,  un  acte  de  Duprato  pour 
la  musique,  de  E.  Grange  et  La  Rounat  pour  les  paroles,  Pâ- 
querette. C'était  une  bluette  sans  importance  où  un  certain 
gentilhomme,  ayant  accepté  de  déniaiser  une  jeune  paysanne 
trop  innocente,  pour  le  compte  d'un  jeune  paysan  trop  inno- 
cent, se  prenait  dans  ses  propres  filets  et  finissait  par  donner 
raison  à  la  vieille  et  populaire  croyance  des  rois  qui  épousent 
les  bergères.  En  Bretagne,  où  se  passait  l'action,  peut-être 
l'aventure  pouvait-elle  plaire;  à  Paris,  elle  fit  sourire;  le 
compositeur  n'avait  pas  eu  la  main  aussi  légère  que  pour  les 
Trovatelles,  et  sa  Pâquerette,  après  dix-sept  représentations  la 
première  année,  une  la  seconde  et  une  la  troisième,  se  trouva 
fanée,  morte  et  oubliée. 

Pour  ramener  la  chance,  M.  Perrin  se  hâta  de  recourir  à 
de  nouvelles  reprises,  et  l'on  vit  ainsi  reparaître  le  1er  sep- 
tembre Zampa,  et  le  7  novembre  Jean  de  Paris,  ouvrages  né- 
gligés tous  les  deux  depuis  dix  ans.  Jean  de  Paris  servait  au 
début  d'un  baryton,  Stockhausen,  qui,  dans  le  rôle  du  séné- 
chal, n'avait  pas  le  physique  de  l'emploi,  mais  rachetait  cette 
imperfection  par  la  qualité  de  sa  voix;  le  succès  de  Jean  de 
Paris  fut  assez  vil,  mais  non  tel  cependant  que  celui  de  Zampa. 
L'œuvre  d'Herold  fut  acclamée  en  effet,  et  le  buste  de  l'au- 
teur couronné,  à  la  fin  du  spectacle,  au  milieu  de  l'enthou- 
siasme général.  Les  critiques  relevèrent  bien  quelques  erreurs 
dans  la  distribution  des  rôles;  celui  de  Zampa  était,  disaient- 
ils,  trop  bas  pour  Barbot,  celui  de  Camille  trop  sérieux  pour 
MM  Ugalde  ;  Jourdan  était  un  Alphonse  trop  remuant,  Mocker 


un  Daniel  trop  distingué.  M"1' Lemercier  une  Rita  trop  jeune; 
seul,  Sainte-Foy  personnifiait  à  merveille  Dandolo  ;  mais  la 
musique  d'Herold  fit  tout  accepter,  si  bien  que  l'œuvre  obtint 
quarante-une  représentations  en  1856,  quinze  en  1857  et 
douze  en  1858,  époque  où  de  nouveau  elle  s'éclipsa  jusqu'en 
1863. 

Pendant  ce  temps,  le  Théâtre-Lyrique  remportait  une  grosse 
victoire  avec  une  pièce  originairement  destinée  à  la  salle 
Favart  où,  du  reste,  elle  devait  revenir,  mais  repoussée  d'ail- 
leurs avec  une  persistance  qui  n'est  point  pour  donner  tort 
aux  auteurs,  lorsqu'ils  se  plaignent  de  l'impéritie  ou  des. 
dédains  des  directeurs  :  les  Dragons  de  Villars.  Lockroy  et  Cor- 
mon  étaient  des  librettistes  de  talent;  Maillart  comptait  à 
son  actif  le  succès  de  Gastibeha.  Et  pourtant  leur  œuvre  fut 
présentée  successivement  à  trois  directeurs  qui  tous  les  trois 
la  refusèrent  :  Perrin,  parce  qu'il  la  jugeait  «  trop  dramati- 
que »  (c'est  d'un  des  auteurs  lui-même  que  nous  tenons  le 
fait)  ;  Séveste,  au  Théâtre-Lyrique,  parce  qu'il  la  croyait 
mieux  à  sa  place  à  l'Opéra-Comique  ;  Pellegrin,  parce  que 
son  prédécesseur  l'avait  condamnée.  M.  Carvalho,  plus  avisé,, 
s'en  empara. 

(A  suivre.) 


SEMAINE   THEATRALE 


Théâtre   de   Arts   de   Rouen  :    SAMSON   ET   DALILA 

Opéra  en  3  actes  et  5  tableaux  de  M.  Ferdinand  Lemaire 

Musique  de  M.  CAMILLE  SAINT-SAENS 

On  sait  qu'un  comité  de  musiciens  et  de  critiques  s'est  formé,  il 
y  a  dix-huit  mois,  à  l'effet  de  créer  sur  la  scène  principale  de  Rouen,, 
dont  la  réputation  artistique  est  depuis  longtemps  consacrée,  une 
sorte  de  théâtre  lyrique  —  un  peu  lointain  il  est  vrai  —  à  défaut 
de  celui  dont  nous  sommes  si  regrettablement  privés  à  Paris.  Le 
nouveau  et  fort  intelligent  directeur,  1U.  Verdhurt,  s'était  engagé  à 
monter  un  certain  nombre  de  pièces  françaises  inédites  ou  incon- 
nues parmi  nous.  Son  attention  s'est  portée  tout  d'abord  sur  Sam- 
son  et  Dalila.  Il  ne  pouvait  mieux  choisir.  Si  quelque  chose  doit 
surprendre,  c'est  même  que  ce  très  bel  opéra  écrit  en  1871,  joué  pour 
la  première  fois  à  Weimar  le  3  décembie  1877,  n'ait  pas  été  repré- 
senté en  France  depuis  longtemps  déjà.  Mais  il  ne  faut  pas  plus 
approfjndir  ce  mystère  que  celui  de  la  représentation,  en  Belgique,. 
d'Uérodiade,  de  Sigurd,  de  Gwendoline  et  de  Salammbô.  «  Il  y  a  un  che- 
min à  prendre  pour  être  apprécié  en  Allemagne,  écrivait  Mendels- 
sohn  en  1831,  c'est  celui  qui  passe  par  Paris.  »  Il  en  est  tout  au- 
trement aujourd'hui.  Pour  être  apprécié  à  Paris,  il  semble  qu'il  soit 
nécessaire  de  revenir  de  l'étranger,  sauf  même  à  faire  une  halte  en 
province. 

L'écueil  d'un  sujet  tel  que  celui  de  Samson  et  Dalila  est  évidemment 
le  rôle  odieux  de  l'héroïne,  Dalila,  qui,  dans  le  récit  biblique,  livre 
Samson,  simplement  pour  obtenir  en  récompense  quelques  milliers 
de  pièces  d'argent.  Je  ne  sais  comment  avait  procédé  certain  au- 
teur anonyme  d'une  tragédie  intitulée  le  Fort  Samson  et  qui,  par 
une  coïncidence  assez  singulière,  fut  précisément  jouée  à  Rouen  vers 
la  fin  du  seizième  siècle.  Dans  son  opéra  de  Samson  (opéra  mis  en 
musique  par  Rameau,  interdit  par  la  censure  et  non  représenté) 
Voltaire  imagina,  pour  rendre  Dalila  moins  antipathique,  de  la  faire 
obéir,  non  aux  sollicitations  des  Satrapes,  mais  à  la  voix  de  l'oracle. 
Elle  se  laissait  d'ailleurs  prendre  au  piège  amoureux  tendu  par  elle 
à  Samson  et,  lorsque  les  Philistins  entraînaient  sa  victime,  elle 
s'écriait,  subitement  déchirée  par  le  remords  : 
Allons  partager  son  supplice  ! 

C'était  aller  peut-être  un  peu  loin. 

M.  Lemaire  a  essayé  de  tourner  autrement  la  difficulté.  La  Dalila 
qu'il  nous  présente  est  une  sorte  de  Judith,  de  Salammbô  —  pour 
chercher  un  terme  de  comparaison  plus  récent  —  qui,  en  séduisant 
Samson,  venge  ses  frères  opprimés  et  ses  dieux  méconnus.  Sauf 
cette  transformation  capitale  et  diversement  appréciée  du  principal 
personnage,  le  livret  de  Samson  et  Dalila  est  assez  exactement  inspiré 
de  la  Bible. 

Au  premier  acte  nous  assistons  à  l'insurrection  victorieuse  des 
Hébreux  captifs  contre  les  Philistins.   Le  décor  représente  la  place 


LE  MENESTREL 


11) 


publique  de  Gaza  dominée,  à  gauche,  par  le  temple  de  Dagon.  Il 
fait  nuit.  A  une  introduction  symphonique  très  mouvementée,  coupée 
par  un  chœur  chanté  derrière  la  toile,  succède  un  ensemble  d'un 
beau  caractère.  Les  Hébreux  implorent  la  miséricorde  de  Dieu  et  se 
plaignent  de  son  abandon.  Dans  une  apostrophe  énergique  Samson 
leur  reproche  leur  découragement.  Justement  Abiméleeh,  satrape  de 
Gaza,  se  présente,  réveillé  par  les  clameurs  des  Israélites.  A  ses 
objurgations  insultantes,  Samson  répond  par  un  appel  aux  armes, 
d'une  noble  et  fière  allure.  Abiméleeh  se  précipite  sur  Samson, 
l'épée  à  la  main.  Samson  la  lui  arrache,  et  le  frappe.  Il  tombe  mort. 
Une  lulte  s'engage  entre  les  captifs  et  les  Philistins  et  se  poursuit 
dans  la  coulisse  tandis  que  le  grand  prêtre  de  Dagon  sorti  du  temple 
fait  emporter  le  cadavre  d'Abimélech.  Le  soleil  s'est  levé  peu  ù  peu. 
Les  Hébreux  vainqueurs  rentrent  en  scène,  et  les  vieillards  célèbrent 
leur  triomphe  dans  un  cantique  d'actions  de  grâce  d'une  majestueuse 
sérénité. 

Ici  se  place  un  épisode  d'une  grâce  et  d'une  poésie  exquises.  Les 
portes  du  temple  de  Dagon  se  sont  ouvertes.  Dalila  entre  suivie  des 
femmes  philistines  qui  portent  des  guirlandes  de  Heurs  et  chantent 
un  chœur  délicieux  «  voici  le  printemps  »  autour  duquel  s'enroulent 
les  délicates  arabesques  de  l'orchestre.  «  Printemps  qui  commence, 
ton  souffle  qui  passe,  de  la  terre  efface  les  jours  malheureux  »  dit 
à  son  tour  Dalila  dans  un  air  d'une  irrésistible  séduction.  Est-il  besoin 
•de  rappeler  la  danse  originale  et  justement  célèbre  des  «  prêtresses 
de  Dagon  »  ?  Il  semble  qu'il  y  ait  dans  cette  danse  sacrée,  comme 
•du  reste  dans  la  bacchanale  du  dernier  acte,  une  ingénieuse  intui- 
tion de  ces  cultes  sensuels  que  célébra  si  longtemps,  et  même 
:sous  la  domination  romaine,  cette  Asie  Mineure  où  ne  cessa  de 
fomenter  un  étrange  levain  exotique  et  mystique. 

Un  grand  air  de  Dalila,  d'allure  classique,  ouvre  le  second  acte. 
A  cet  air,  souvent  chanté  dans  les  concerls,  je  préfère  beaucoup 
celui,  d'un  sentiment  si  pénétrant,  qui  reliera  tout  à  l'heure  les  deux 
parties  du  duo  île  la  séduction.  Ce  long  duo  que  précède  une  scène 
Un  peu  faible  entre  Dalila  et  le  grand  prêtre,  présente  une  certaine 
•analogie  de  situation  avec  le  troisième  acte  de  Lohengrin.  M.  Saint- 
Saëns  y  a  déployé  une  intensité  d'accent,  une  largeur  d'inspiration, 
un  art  des  gradations,  qui  eu  font,  non  seulement,  la  page  capitale 
de  l'œuvre,  mais  l'un  des  plus  beaux  morceaux  du  répertoire  lyrique 
•contemporain. 

Le  troisième  acte,  partagé  eu  trois  tableaux,  nous  montre  d'abord 
Samson  tournant  la  meule  et  répondant  par  une  sorte  de  lamento 
d'une  tristesse  poignante  aux  plaintes  de  ses  compagnons  de  capti- 
vité: «  Samson,  qu'as-tu  fait  de  tes  frères?  »  Le  décor  change.  Dans 
le  temple  de  Dagon  les  Philistins  préparent  un  sacrifice  solennel. 
Les  chants  d'allégresse  et  les  danses  se  succèdent.  Cette  scène 
d'orgie,  d'une  riche  couleur  musicale,  se  termine  par  la  catastrophe 
légendaire  de  l'écroulement  du  temple.  Seulement,  au  tableau  de 
l'écroulement  même,  succède  à  Rouen,  par  une  innovation  due  à 
M.  Verdhurt,  celui  des  décombres  que  dominent,  se  découpant  sur 
l'azur  du  ciel,  de  rares  fragments  de  colonnes. 

Avec  sa  belle  prestance,  M.  Lafarge  incarne  à  merveille  le  per- 
sonnage de  Samson  où  il  s'est  montré  chanteur  exercé  et  s'est  fait 
constamment  applaudir.  Mlle  Bossy  (Dalila)  interprète  avec  une  vive 
intelligence  un  rôle  qui  ne  convient  pas  à  sa  voix.  MM.  Mondaud, 
Feran  et  Vérin  méritent  une  mention  honorable,  non  moins  que  les 
musiciens  de  l'orchestre.  Les  chœurs  sont  plus  faibles.  Quelques 
défectuosités  de  détail  n'ont  pas,  du  reste,  compromis  un  seul  ins- 
tant le  succès  de  l'œuvre. 

A  l'issue  de  cette  brillante  soirée  je  songeais  à  un  mol  prêté  à 
Mozart  :  «  J'ai  écrit  Don  Juan  pour  moi  et  deux  de  mes  amis  ». 
M.  Saint-Saëns  pourrait  presque  en  dire  autant  de  Samson  et  Dalila. 
Il  en  a  demandé  le  livret,  non  à  un  librettiste  de  profession,  mais  à 
un  simple  amateur.  Il  s'est  affranchi,  en  le  mettant  en  musique,  de 
la  plupart  des  règles  qui  présidaient  —  surtout  il  y  a  vingt  ans  —  à 
la  confection  d'un  opéra.  Avec  cette  liberté  d'esprit,  il  a  écrit  incon- 
testablement sod  plus  remarquable  ouvrage  dramatique,  celui  qui, 
bien  qu'exiléde  Paris,  contientle  plus  de  fragments  connus,  appréciés 
de  tous,  populaires  même.  En  faut-il  conclure,  une  fois  de  plus,  que 
pour  plaire  au  public  il  n'est  pas  besoin  de  lui  faire  trop  d'avances? 

Intérim. 

Variétés.  —  Monsieur  Betsy,  comédie  en  quatre  actes  de  MM.  Paul 
Alexis  et  Oscar  Méténier. 

Avec  Monsieur  Balsa  nous  retrouvons  la  fameuse  et  déjà  si  vieille 
formule  de  la  jeune  école  réaliste;  mais  appliquée  moins  rigoureu- 
sement que  dans  Grand'mère  et  encore  plus  dissimulée  sous  les 
oripeaux  fripés  d'une  convention  surannée,  dont  on  aura,  au  théâtre, 


bien  de  la  peine  à  se  défaire.  Toute  la  nouveauté,  puisque  nou- 
veauté il  y  a,  consiste,  cette  fois,  à  nous  étaler  crûment  sous  les 
yeux  des  situations  que,  jusqu'à  présent,  nos  auteurs  dramatiques 
n'avaient  osé  esquisser  à  la  scène  qu'accidentellement  et  sur  les- 
quelles ils  glissaient  toujours  le  plus  légèrement  qu'il  leur  était 
possible.  Les  maîtres  du  théâtre  contemporain  pensaient,  peut-être 
non  sans  raison,  qu'il  est  malpropre  et  malsain  de  se  vautrer  à 
plaisir  dans  l'ordure  et  de  disséquer  amoureusement  les  plaies  mo- 
rales et  physiques  d'une  société  qui,  quoi  qu'on  en  dise,  n'est  point 
encore  totalement  gangrenée.  Ils  s'imaginaient,  ces  auteurs  bonasses 
et  sans  foi,  qu'il  était  de  très  mauvais  goût  et  absolument  malhon- 
nête de  convier  le  public  à  ces  orgies  nauséabondes.  Nos  étonnants 
analystes  d'aujourd'hui  ont  changé  tout  cela.  La  comédie,  fatiguée 
de  ses  trop  longs  succès,  semblait  se  traîner  péniblement  et  se  mou- 
voir toujours  dans  les  mêmes  limites  bornées;  vite,  on  a  voulu 
agrandir  le  cercle  et  il  arrive  que,  ce  faisant,  on  l'a  singulière- 
ment diminué,  car,  s'il  se  trouve  circonscrit  à  la  seule  pourriture,  il 
n'en  est,  je  pense,  que  plus  restreint.  Ces  messieurs  ont  donc  com- 
mencé par  s'emparer  du  livre  où  ils  ont,  je  m'empresse  de  le  recon- 
naître, rencontré  souvent  des  succès  bruyants  et  légitimes  ;  puis, 
fascinés  par  les  feux  de  la  rampe,  ils  se  sont  groupés  sous  les  ordres 
de  M.  Antoine  et  ont  débité,  chez  eux,  en  famille,  leurs  petites  sa- 
letés. Enfin,  non  contents,  les  voilà  qui  s'essayent  à  envahir  nos 
théâtres  et  à  nous  imposer  leurs  turpitudes.  Mais  le  public  qui,  là, 
se  trouve  chez  lui,  se  rebiffe  et,  sans  façon,  rejette  les  novateurs  dans 
leur  antre  fermée.  Grand'mère  a  déjà  succombé,  je  ne  sais  si  Mon- 
sieur Betsy  lui  survivra  beaucoup. 

Et  pourtant,  le  sujet  honteux  de  la  pièce  étant  mis  à  part,  bien 
entendu,  il  y  a  des  qualités  dans  la  comédie  de  MM.  Alexis  et  Mété- 
nier, et  les  deux  derniers  aetes,  tout  au  moins,  décèlent  un  sens 
assez  juste  du  théâtre.  Il  faut  croire  que  ces  deux  auteurs  daigne- 
ront, une  autre  fois,  employer  leur  talent  de  façon  plus  saine. 
Monsieur  Betsy  est  merveilleusement  défendu  :  si  merveilleusement 
que  le  public,  malgré  la  grande  envie  qu'il  en  avait,  n'a  pas  osé 
siffler.  M.  Dupuis  est  absolument  parfait  et  cette  création  le  met 
tout  à  fait  hors  de  pair.  Mlle  Réjane  est  charmante  et  cynique,  et 
MM.  Baron,  Cooper,  Barrai  et  Deltombe  sont  fort  amusants. 

Maintenant,  espérons  que  nous  en  avons  fini  avec  les  adeptes  du 
répugnant;  l'épreuve  a  été  tentée,  elle  a  fait  long  feu  ;  il  faut  trou- 
ver autre  chose. 

Paul-Emile  Chevalier. 


LE  THÉÂTRE  A  L'EXPOSITION  UNIVERSELLE  DE  1889 


l'exposition  du  théâtre  japonais 
(Suite) 

Notre  observateur  a  voulu  tout  voir,  tout  visiter,  tout  comprendre. 
Après  avoir  examiné  la  salle  et  le  public,  s'être  rendu  compte  du 
jeu  des  acteurs  et  des  coutumes  seéniques,  avoir  établi  les  diffé- 
rences qui,  sous  divers  rapports,  existent  entre  ce  théâtre  et  le  nôtre 
tant  en  ce  qui  louche  les  comédiens  qu'en  ce  qui  concerne  les  spec- 
tateurs, il  a  voulu  connaître  ce  qu'on  peut  appeler  l'envers  du  rideau, 
et  de  la  salle  est  passé  sur  la  scène.  Il  va  donc,  après  nous  avoir 
décrit  l'une  et  l'autre,  nous  mettre  au  fait  et  au  courant  de  ce  qui 
se  passe  dans  les  coulisses;  ainsi,  il  ne  nous  laissera  rien  ignorer 
sur  le  sujet  qui  nous  intéresse  : 

Pendant  un  ent.r'acte  nous  allons  dans  les  coulisses,  où  règne  une  grande 
animation.  En  effet,  on  prépare  la  plaque  tournante. 

Lorsqu'une  pièce  nécessite  de  nombreux  et  de  rapides  changements  de 
décoration,  on  dispose  deux  décors  accolés  dos  à  dos.  Le  plancher  de  la 
scène  peut  tourner  sur  lui-même,  et,  au  changement,  un  groupe  d'acteurs 
s'en  va  par  la  rotation,  tandis  qu'un  autre  apparaît  dans  un  appartement 
tout  différent.  Cela  permet  même  de  représenter  deux  scènes  simultanées 
en  faisant  voir  au  public  tantôt  ce  qui  se  passe  d'un  côté,  tantôt  ce  qui 
se  passe  de  l'autre. 

Les  machinistes  se  sont  mis  à  leur  aise  et  n'ont  gardé  que  leur  koshi- 
maki  blanc  ella  blague  qui  ne  les  quitte  jamais.  La  jeune  maîtresse  de  la 
belle  Signenoï  (1)  parait  étouffer  sous  sa  lourde  robe  de  mariée.  Quant  à 
l'héroïne,  elle  n'y  met  pas  tant  de  façons  et,  relevant  jusqu'à  la  ceinture 
ses  robes  de  grande  dame,  elle  rafraîchit  ses  jambes  masculines. 

Les  enfants,  des  spectateurs  ont  envahi  les  coulisses,  soit  en  passant  à 
côté  de  la  toile,  soit  en  passant  dessous.  Les  acteurs  paraissent  trouver 
tout  naturel  de  voir  leur  scène  transformée  en  école  pendant  la  récréation. 


(1)  La  pièce  représentée  avait  pour  titre  :  les  Aventures  de  lu  belle  Signenoi. 


76 


LE  MENESTREL 


Dans  un  coin,  les  musiciens  accordent  gravement,  et  avec  un  grand 
sérieux,  des  instruments  qui  n'arriveront  jamais  à  être  dans  le  même  ton- 
C'est  en  vain  qu'on  essaie  de  mettre  à  l'unisson  les  timbales  avec  le 
gong  et  le  tambour  avec  la  guitare;  car,  en  supposant  qu'on  y  arrive,  les 
instrumentistes  auront  toujours  soin  par  amour  delà  recherche  et  de  l'étrange, 
de  fausser  la  note  le  plus  possible,  ce  qui  est  le  suprême  de  l'art  musical. 

Je-remarque  combien  les  types  des  acteurs  sont  beaux,  délicats  et  dis- 
tingués :  soit  par  leurs  traits  naturels,  soit  par  les  lignes  qu'ils  ajoutent 
en  se  grimant,  ils  reproduisent  avec  exactitude  les  nobles  figures  des 
peintures  historiques. 

Le  régisseur  de  la  scène  se  met  à  frapper  l'un  contre  l'autre,  à  coups 
pressés,  ses  deux  rectangles  de  bois;  l'entr'acte  est  fini  et  le  rideau  tombe. 
Car  le  rideau  ne  se  lève  pas.  A  la  fin  des  actes,  il  se  déploie  horizonta- 
lement et  avec  lenteur  pour  laisser  plus  longtemps  le  spectateur  sous 
l'impression  de  la  scène  qui  se  continue;  mais  à  la  fin  des  entr'actes  il 
tombe  brusquement,  afin  d'éblouir  tout  d'un  coup  le  public  par  les  splen- 
deurs de  la  mise  en  scène.  Puis  des  valets  retirent  l'étoffe  par  la  coulisse. 

On  change  plusieurs  fois  de  rideaux  dans  une  même  soirée.  Ces  toiles 
couvertes  de  caractères  cursifs  des  plus  fantastiques,  noir  sur  orange, 
blanc  sur  bleu,  violet  sur  rouge,  avec  des  lisérés  qui  font  relief,  sont  des 
cadeaux  qu'on  fait  aux  principaux  acteurs,  qui  voyagent  avec  leurs 
rideaux  et  leurs  costumes.  Il  va  sans  dire  que  plus  un  acteur  a  de  rideaux, 
plus  il  est  célèbre,  et  que,  lorsqu'on  veut  parler  d'un  comédien  de  grand 
talent,  on  dit:  «  C'est  un  homme  qui  a  six  rideaux.  » 

Par  tout  ce  qui  précède,  on  voit  que  les  Japonais  jouent  aujour- 
d'hui la  comédie  à  visage  découvert.  Il  n'en  a  pas  toujours  été 
ainsi,  et  leurs  acteurs  étaient  jadis  masqués  à  la  scène  — ainsi  que 
les  nôtres,  d'ailleurs.  Eu  ce  qui  nous  concerne,  on  sait,  en  effet 
que  non  seulement  dos  anciens  comédiens  italiens,  conservant  l'u- 
sage de  leur  pays,  ne  paraissaient  au  théâtre  que  masqués,  de 
même  que  les  premiers  farceurs  de  notre  Hôtel  de  Bourgogne,  mais 
que  les  premières  pièces  de  Corneille,  entre  autres  le  Menteur,  furent 
jouées  ainsi.  Le  masque  ne  disparut  même  chez  nous  que  peu  à 
peu,  non  tout  d'un  coup,  et,  pour  certaines  pièces  au  moins,  il  fut 
conservé  plus  longtemps  qu'on  ne  serait  porté  à  le  croire  ;  on  peut 
s'en  convaincre  en  lisant  ces  lignes  du  Mercure  de  France,  rendant 
compte,  en  1736,  d'une  remise  à  la  scène  des  Fourberies  de  Scapin  : 
—  «  Reprise  des  Fourberies  de  Scapin.  Il  y  avait,  dit  ce  journal,  dix 
ou  douze  ans  qu'on  n'avait  joué  cette  pièce.  Dangeville  et  Dubreuil 
y  jouent  les  deux  vieillards  sous  le  masque.  C'est  la  seule  pièce 
restée  au  théâtre  où  l'usage  du  masque  se  soit  conservé.  » 

Toutefois,  tandis  que  les  anciens  avaient  le  masque  tragique  et  le 
masque  grotesque,  il  semble  bien  que  chez  nous  l'emploi  du  masque 
se  soit  exclusivement  borné  aux  pièces  du  genre  comique,  peut-être 
même  aux  seuls  rôles  ridicules.  Je  ne  saurais  dire  si  les  acteurs  de 
Kiolo  ou  de  Yokohama  ont  renoncé  au  masque  depuis  aussi  longtemps 
que  les  nôtres,  mais  je  croirais  volontiers  que,  pour  eux  aussi,  son 
usage  s'est  borné  aux  pièces  ou  tout  au  moins  aux  caractères  comi- 
ques. Dans  la  petite  exposition  théâtrale  japonaise  dont  je  m'occupe 
ici,  on  a  pu  voir,  dans  une  vitrine,  une  série  de.  «  masques  japonais 
anciens  ayant  servi  au  théâtre  et  aux-danses  de  Nô.  »  Cette  petite  col- 
lection, fort  curieuse,  comprenait  seize  masques  d'homme,  tous  du 
genre  grotesque,  remarquables  par  leurs  grimaces  et  plus  encore  par 
celles  des  yeux  que  par  celles  delà  bouche;  car  ces  yeux  étaient  tantôt 
démesurément  ouverts,  tantôt  clignants  d'une  certaine  façon,  tantôt 
louchant,  tantôt  surmontés  de  sourcils  absolument  extraordinaires, 
prenant  enfin  toutes  sortes  d'expressions  ridicules  et  burlesques. 

On  peut  supposer,  d'ailleurs,  que  les  acteurs  japonais  actuels  ne 
prennent  pas  moins  de  soin  que  les  nôtres  on  ce  qui  concerne  le 
costume  et  ses  accessoires,  sinon  sous  le  rapport  de  l'exactitude 
historique  telle  que  nous  la  comprenons  et  l'observons  aujourd'hui, 
du  moins  pour  ce  qui  est  de  l'ensemble  et  du  détail  de  l'habille- 
ment considéré  au  point  de  vue  scéoique.  La  coiffure,  entre  autres, 
semble  être  de  leur  part  l'objet  d'une  attention  toute  particulière,' 
et  l'on  voit,  par  certaines  estampes  exposées,  qu'ils  prennent  une 
peine  infinie  pour  la  disposer  d'une  façon  conforme  à  l'âge,  au 
caractère  ou  à  la  condition  du  personnage  représenté.  Plusieurs  de 
ces  estampes  nous  montraient  en  effet  toute  une  série  de  «  perruques 
de  théâtre  »  et  de  coiffures  diverses  qui  témoignent  de  leur  solli- 
citude à  cet  égard,  du  soin  qu'ils  apportent  à  cette  partie  impor- 
tante du  costume.  Il  y  avait  là  des  modè'es  de  coiffures  de  toutes 
sortes,  coiffures  de  princesse,  de  couiti=aue,  de  son  aine,  de  jeunes 
garçons,  de  jeunes  filles,  qui  présentaient  de  très  nombreuses  va- 
riétés et  suffisent  à  nous  donner  une  idée  de  la  conscience  qui  pré- 
side chez  eux  à  la  pratique  matérielle  de  l'art  théâtral. 

Une  autre  estampe,  placée  auprès  de  celle-ci,  nous  offrait  préci- 
sément la  vue  de  divers  costumes  de  théâtre,  pris  celte  fois  dans 
leur  ensemble  et  avec  leurs  détails  les  plus  compliqués  ;  mais  une 


autre,  encore,  attirait  surtout  les  regards  et  excitait  l'intérêt  d'une 
façon  toute  particulière,  d'abord  par  le  fait  de  la  scène  qu'elle  re- 
présentait avec  un  mouvement  endiablé,  ensuite  en  raison  de  son- 
caractère  éminemment  populaire  et  du  rare  accent  de  vérité  qui 
l'animait.  Cette  dernière  nous  montrait  la  «  façade  d'un  théâtre  au 
Japon,  »  à  "heure  évidemment  où,  près  de  commencer,  le  spectacle- 
appelle  à  lui  les  amateurs  d'impressions  vives  et  de  puissantes- 
émotions.  La  place  sur  laquelle  s'élève  le  théâtre  est  en  ce  moment 
remplie  d'une  foule  aussi  baiiolée  qu'affairée,  composée  de  gens  de 
tout  âge,  de  tout  sexe  et  de  toute  condition,  riches  ou  pauvres,. 
arlisans  ou  bourgeois,  qui  accourent  tous  également  au  plaisir  et1 
dont  la  physionomie  épanouie  indique  le  contentement  en  quelque 
sorte  préventif.  Hommes,  femmes,  enfants,  les  uns  en  famille,  en 
bande,  pourrait-on  dire,  les  autres  seuls,  ceux-ci  à  pied,  ceux-là" 
en  chaise  ou  eu  voiture,  débouchent  de  tous  côtés,  se  pressent 
d'arriver  non  sans  se  bousculer  quelque  peu.  se  croisent,  se  heur- 
lent,  s'enlre-choquent,  et  finalement  assiègent  les  portes  du  théâtre, 
où  tous  vont  chercher,  avec  la  joie  attendue,  avec  l'émotion  que 
doit  leur  procurer  la  fiction  dramatique,  l'oubli  de  la  fatigue  du 
jour,  la  consolation  des  soucis  et  des  tracas  de  la  vie  quotidienne.. 
Il  y  a  là  un  fouillis  humain  que  l'artiste  populaire  a  su  rendre 
d'une  façon  très  heureuse,  avec  une  verve  humoristique  et  une  vi- 
vacité de  crayon  très  intenses;  tout  ce  monde  vit,  marche,  court,, 
s'agite,  grouille  dans  un  ensemble  plein  de  couleur  et  de  mouvement,, 
dans  un  tohu-bohu  ti  es  amusant,  tiès  naturel  à  la  fois  et  très  carac- 
téristique, et  qui  donne  à  cette  gravure  destinée  au  vulgaire  toute  la 
valeur  d'un  document  original.  On  sent  que  cela  est  vrai,  et  pris  sur. 
le  vif.  Cela  sert,  en  tout  cas,  à  nous  prouver  tout  l'attrait  qu'exerce, 
sur  le  peuple  japonais  comme  sur  nous-mêmes,  le  plaisir  du  théâtre^ 
Pour  en  finir  avec  le  Japon,  je  n'ai  plus  qu'à  signaler  toute  une 
collection  de  «  brochures  japonaises  anciennes  relatives  au  théâtre  »,. 
brochures  d'apparence  très  curieuse,  ornées  de  nombreuses  images 
et  qui,  parleur  âge,  tendent  à  prouver  que  l'art  du  théâtre  est  depuis 
fort  longtemps  en  honneur  en  ce  pays,  et  une  petite  série  de  por- 
traits d'acteurs  célèbres  représentés  dans  leurs  principaux  rôles;  ces 
portraits  sont  de  simples  cartes  photographiées,  et  ces  acteurs  sont 
des  artistes  contemporains  dont  voici  les  noms  :  Sadanji,  Kikougoro,. 
Kikisik',  Danjiure.  Je  ne  sais  rien  autre  chose  en  ce  qui  concerne 
ces  Febvre  et  ces  Delaunay  d'un  pays  si  éloigné  et  d'un  art  si  dif- 
férent du  nôtre,  pas  même  s'ils  sont  décorés,  pas  même  s'ils  sont 
professeurs  au  Conservatoire. 

En  dehors  du  Japon ,  cette  petite  exposition  d'un  caractère  si  étrange 
et  si  savoureux  perdait  un  peu  de  son  unité  et  ne  nous  offrait  plus, 
que  quelques  documents  épars,  curieux  encore  sans  doute,  mais* 
d'un  intérêt  secondaire  et  que  ne  rattachait  pas  entre  eux  une- 
communauté  d'origine.  Nous  nous  trouvions  en  présence  d'une  série 
d'estampes  ou  de  photographies  représentant  des  scènes  ou  des  per- 
sonnages que  je  ne  saurais  décrire,  et  que  je  ne  puis  faire  connaîtr.e- 
très  sommairement  qu'on  reproduisant  les  courtes  inscriptions  dont 
chaque  cadre  était  accompagné.  L'un  d'eux  portait  cette  mention  :. 
a  Acteurs  siamois  ;  acteurs  cambodgiens  ;  acteur  annamite.  »  Un  au- 
tre :  «  Chine  :  chanteurs  et  acteurs.  »  Un  troisième  :  «  Java  :  Baya- 
dère  et  orchestre;  Bayadères;  Orchestre,  dit  G.amelong ;  Théâtre  de 
marionnettes,  dit  Wayang- Koelis.  »  Plusieurs  autres  enfin  repré- 
sentaieut  des  danseurs  et  danseuses,  des  chanteurs  ambulants,  des 
acteurs,  lutteurs,  prestidigitateurs,  orchestres,  charmeurs  do  ser- 
pents, etc.,  de  l'Inde  et  du  Japon. 

En  somme,  et  quelque  incomplète  qu'ait  été  —  et  que  ne  pouvait 
manquer  d'être  —  celle  modeste  exhibition  relative  à  la  pratique 
de  l'art  théâtral  dans  les  contrées  de  l'Extrême  Orient,  elle  ne  lais- 
sait pas,  au  moins  en  ce  qui  touche  le  Japon,  d'offrir  un  intérêt 
très  appréciable.  C'est  la  première  fois  qu'il  nous  était  donné  de 
trouver  ainsi  groupés,  réunis  dans  une  sorte  d'ensemble,  un  certain 
nombre  d'objets  et  de  documents  concernant  l'art  et  les  artistes  de 
ce  pays,  et  le  peu  que  nous  en  savons  aujourd'hui  ne  peut  que  nous 
inspirer  le  désir  de  les  connaître  davantage  et  de  trouver  les  moyens 
de  les  étudier  d'une  façon  moins  superficielle.  Les  relations  établies- 
à  cette  heure,  l'échange  fréquent  des  idées,  la  facilité  relative  des, 
communications  peuvent  nous  laisser  espérer  que  ces  moyens  ne 
nous  feront  pas  longtemps  défaut,  et  que  ce  côté  particulier  de  la 
civilisation  d'un  peuple  si  bien  doué  à  divers  points  de  vue  ne  de- 
meurera pas  toujours  mystérieux  et  caché  pour  nous.  Et  qui  sait  si, 
malgré  la  perfection  do  notre  théâtre,  nous  ne  pourrions  pas  faire 
de  ce  côté  quelques  utiles  emprunts,  qui  nous  dit  que  nous  ne  trou- 
verions pas  là  pour  lui  les  éléments  d'une  sorte  do  renouvellement,, 
qui  nous  permettraient  de  le  varier,  de  le  fortifier  et  de  le  rajeunir? 
(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


LE  MENESTREL 


77 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts  du  ChàteleL  —  La  forme  musicale  adoptée  dans 
poème  symphonique  avec  chœurs  de  M.  César  Franck,  a  permis  au  com- 
positeur de  donner  libre  carrière  à  sa  fantaisie  et  de  traiter  chaque  épi- 
sode poétique  avec  une  entière  liberté.  Dans  les  compositions  de  ce 
genre,  la  tendance  générale  est  d'exagérer  le  rôle  de  l'orchestre  et  de  lui 
confier  la  tâche  de  traduire  des  sentiments  et  des  pensées  dont  le  lan- 
gage musical  est  impuissant  à  se  rendre  maître.  De  là  une  fatigue,  pro- 
venant de  ce  que  certaines  parties  ne  sont  pas  mises  suffisamment  en 
relief  et  manquent  de  netteté.  M.  César  Franck  a  fait  distribuer  une 
notice  dont  la  rédaction  confuse  a  contribué  du  reste  à  égarer  parfois 
l'auditeur.  La  mélodie  abonde  dans  Psyché,  mais  c'est  une  mélodie  qui  ne 
comporte  pas  d'éclaircies  radieuses  ;  c'est  mieux  que  cela,  diront  les 
fanatiques,  c'est  l'uniformité  dans  la  beauté.  Nous  croyons  que  la  beauté 
est  faite  d'ombres  et  de  lumière  et  qu'il  y  a  danger  à  ne  pas  placer  dans 
une  œuvre  musicale  des  points  lumineux,  ne  fût-ce  que  pour  conduire 
et  diriger  l'attention.  Psyché  n'en  reste  pas  moins  un  ouvrage  plein  de 
force  et  de  consistance,  inattaquable  au  point  de  vue  de  la  structure 
mélodique  et  harmonique  et  d'une  inspiration  noble  et  distinguée.  — 
M.  Sapellnikoff  a  obtenu  un  joli  succès  dans  le  premier  concerto  pour 
piano  de  M.  Tschaikowsky.  Son  jeu  a  de  l'énergie,  beaucoup  de  brillant, 
de  rythme  et  de  solidité.  La  souplesse  parait  manquer  un  peu,  bien  que 
le  pianiste  ait  rendu  avec  un  certain  charme  l'andante  du  concerto.  — 
L'orchestre  a  interprété  de  la  façon  la  plus  exquise  et  la  plus  délicate, 
la  symphonie  en  ut  (Jupiter),  de  Mozart;  il  a  été  superbe  d'entrain  et  de 
fougue  bien  réglée  dans  l'ouverture  de  Benvenuto  Cellini,  de  Berlioz,  et  il 
a  rendu  dans  la  perfection  les  airs  de  ballet  d'Henry  VIII,  de  M.  Saint- 
Saëns,  qui  ont  obtenu  le  plus  brillant  accueil.  Amédée  Boutarel. 

—  Concert  Lamoureux.  — La  part  faite  aux  compositeurs  français  mo- 
dernes par  M. Lamoureux,  consistait  dans  la  Danse  macabre  de  M.Saint-Saëns. 
cette  page  si  pittoresque,  si  bien  écrite  et  dont  le  succès  est  toujours  aussi 
vif  qu'aux  premiers  jours  ,  et  dans  la  Ballade  symphonique  de  M.  Chevil- 
lard:  Ballade  ou  non,  nous  constatons  avec  une  vive  satisfaction  que  c'est 
là  une  œuvre  qui  tranche  sur  ce  que  nous  entendons  depuis  quelque 
temps;  il  n'y  règne  nulle  préoccupation  de  style  wagnérien  :  c'est  bien 
pensé,  bien  conduil,  mélodieux  d'un  bout  à  l'autre.  On  sent  que  le  mu- 
sicien a  été  à  la  bonne  école,  à  celle  des  maîtres.  Nous  engageons  M.  La- 
moureux à  nous  donner  souvent  des  œuvres  de  cette  valeur.  —  Les  grands 
maîtres  allemands  étaient  représentés  par  Beethoven,  dont  la  Symphonie 
en  fa  a  été  assez  mollement  exécutée  au  début,  mais  dont  le  finale  a  été 
rendu  avec  une  grande  finesse  d'expression  par  l'orchestre  de  M.  Lamou- 
reux; —  par  Weber  dont  l'immortelle  ouverture  de  Freischutz  a  été  dite 
d'une  façon  qui  ne  laisse  rien  à  désirer,  enfin  par  Schubert  dont  la  can- 
tate, la  Toute-Puissance,  orchestrée  par  Liszt,  a  été  dite  par  Mme  Materna. 
Mme  Materna  chante  la  musique  allemande  à  l'italienne.  Elle  a  émaillé 
l'œuvre  de  Schubert  de  nombreux  ports  de  voix  qui  feraient  peut-être 
très  bien  dans  un  air  de  Bellini,  mais  qui  n'ajoutent  rien  à  la  beauté  de 
la  mélodie  de  Schubert.  B  en  résulte  même  une  certaine  incertitude  dans 
la  tonalité,  et,  dans  l'esprit  de  quelques-uns,  cette  appréhension  que  la 
voix  de  l'artiste  ne  soit  pas  toujours  d'une  justesse  irréprochable.  Cette 
remarque  n'implique  en  rien  une  négation  du  talent  de  Mme Materna  qui, 
dans  le  finale  du  Crépuscule  des  Dieux  de  Wagner,  a  déployé  une  énergie 
peu  commune  et  lutté  avec  un  courage  surhumain  contre  les  déchaîne- 
ments de  sonorité  de  l'orchestre  de  Wagner  ;  il  y  avait  des  moments  où 
ses  cris  désespérés  dominaient  toute  cette  tempête.  On  sait  que  le  Crépuscule 
des  Dieux  se  termine  par  une  catastrophe  absolument  extraordinaire.  Non 
seulement  la  plupart  des  acteurs  du  drame  périssent  par  le  feu  et  l'eau 
mais  les  dieux  eux-mêmes  expirent  et  il  ne  survit  au  désastre  que  l'émi- 
nent  chef  d'orchestre  M.  Lamoureux,  etl'éminente  cantatrice  M"10  Materna 
que  le  public  enthousiasmé  a  confondus  dans  une  même  ovation.  Quand 
les  wagnériens  en  délire  eurent  quitté  la  salle,  en  proie  à  une  émotion 
bien  compréhensible  après  de  tels  événements,  un  nombre  assez  considé- 
rable de  gens  paisibles  et  un  peu  arriérés  ont  écouté  avec  recueillement 
l'ouverture  du  Fre'schûl:  qui  leur  a  procuré  un  notable  plaisir. 

H.  Barbedette. 

—  Programmes  d'aujourd'hui  dimanche. 

Conservatoire  (2  h.)  —  Société  des  concerts,  direction  J.  Garcin  (12e  con- 
cert) :  même  programme  que  dimanche  dernier. 

Théâtre  du  Chàtelet  (2  h.  1/4),  19e  concert  Colonne  ;  1°  Ouverture  de 
Tannhàuser  (K.  Wagner)  ;  2"  Le  Rouet  d'Omphale  (C.  Saint-Saëns)  ;  3° Slruensée, 
tragédie  de  Michel  Béer  (Meyerbeer)  ;  4"  Dernier  Printemps  (Ed.  Grieg); 
5°  Le  Rheingold  (l'Or  du  Rhin)  (R.  Wagner),  (traduction  française  de  V. 
Wilder).  première  scène  du  premier  acte:  Albérich,  M.  Auguez;  Woglinde, 
fille  du  Rhin,  M11"  de  Montalant;  Welgunde,  Mu»Delorn  ;  Flosshilde,  Mlncde 
Clercq;  6°  Invitation  à  la  valse  (Weber),  orchestrée  par  H.  Berlioz. 

Cirque  d'été  (2  h.  1/2),  19e  concert  Lamoureux:  1°  Wallenstein,  trilogie 
d'après  le  poème  dramatique  de  Schiller  (V.  d'Indy)  ;  2°  Concerto  en  la 
mineur,  pour  piano,  (Paderewski),  exécuté  par  l'auteur  ;  3°  a.  Air  de  Judas 
Macchabée  (ILcndcl).  —  b.  Air  d'entrée  d'Elisabeth  (Tannhàuser)  (Wagner), 
chantés  par  M""'  Materna;  4°  Ouverture  de  Fidelio  (Beethoven),  première 
audition  au\  concerts  Lamoureux  ;  S0  a.  Romance  (Saint-Saëns).  —  b.  La 


Campanella  (Liszt),  exécutées  par  M.  Paderewski  ;  G0  Scène  finale  du  Cré- 
puscule des  Dieux  (Wagner)  :Brunehilde  :  M'""  Materna  ;  7°  Ouverture  d'Oberon 
(Weber). 

'  —  Mme  Jaëll  a  fait  entendre,  l'autre  jeudi,  salle  Pleyel,  les  quatre 
concertos  pour  piano  de  M.  Saint-Saëns,  dans  l'ordre  de  leur  composition. 
Le  concert,  commencé  à  9  heures  devant  une  salle  superbe,  s'est  terminé 
un  peu  avant  11  heures,  sans  que  l'assistance  ait  subi  un  seul  instant 
de  lassitude.  Dès  le  commencement  de  la  soirée,  l'on  sentait  à  je  ne  sais 
quels  courants  qui  se  dégagent  des  assemblées  nombreuses  quand  elles 
se  trouvent  en  communion  de  foi  artistique,  que  le  tour  de  force 
musical  qui  paraissait  impossible  la  veille  allait  être  réalisé  avec  un 
succès  dépassant  toute  attente.  En  effet  les  applaudissements  n'ont  pas 
manqué  et  les  marques  d'approbation  les  plus  flatteuses  ont  été  prodi- 
guées. —  Les  quatre  concertos,  écrits  avec  la  connaissance  parfaite  des 
ressources  du  piano,  sont  de  caractères  variés  et  l'ordre  de  composition 
(Ré,  Sol  mineur,  Mi  bémol,  Do  mineur),  s'est  trouvé  excellent  pour  l'exé- 
cution en  une  seule  séance.  Mme  Jaëll  a  captivé  son  auditoire  tantôt  par 
le  charme,  tantôt  par  la  puissance  d'une  interprétation  qui  n'a  jamais 
rien  de  vulgaire  et  qui,  sans  cesser  d'être  personnelle  et  d'éveiller  à 
chaque  instant  dos  sensations  nouvelles  et  imprévues,  sait  respecter 
l'œuvre  et  nous  la  présente  toujours  attrayante  et  merveilleusement  équi- 
librée. M.  Colonne  a  obtenu  à  plusieurs  reprises  un  succès  d'orchestre  en 
accompagnant  avec  tant  de  souplesse  que  le  piano  se  trouvait  doucement 
soutenu,  mais  nullement  gêné  par  l'expansion  des  sonorités  instrumentales. 

Améoée  Boutarel. 

—  La  saison  commence  abattre  son  plein,  comme  on  dit,  et  les  pianistes 
semblent  sortir  de  dessous  les  pavés:  mais  on  leur  pardonne  beaucoup 
parce  que  tous  et  toutes  ont  beaucoup...  de  talent.  M.  Breitner,  le  re- 
nommé virtuose,  a  donné  la  semaine  dernière  un  concert  avec  orchestre 
salle  Erard.  B  y  a  fait  entendre  le  Concerto  de  Lalo,  l'Introduction  et  allegro 
de  Schumann  et  un  Concerstiick,  la  dernière  composition  de  Rubinstein. 
On  a  ici  même  parlé  do  l'œuvre  de  M.  Lalo,  et  l'allégro  de  Schumann  est 
classique.  Le  Concerstuck,  m'a  paru  interminable:  les  idées,  en  elles-mêmes 
peu  originales,  sont  terriblement  délayées  ;  la  partie  de  piano,  pour  diffi- 
cile qu'elle  soit,  n'est  pas  brillante,  l'orchestration  est  souvent  lourde. 
La  seule  partie  qui  échappe  à  cette  impression  —  car  on  ne  peut  juger  un 
morceau  de  cette  importance  à  une  première  audition  —  est  peut-être 
l'adagio  du  commencement  dont  les  sonorités  sont  agréables.  M.  Breitner 
a  interprété  l'œuvre  de  son  maître  avec  la  correction  et  l'autorité  qui 
distinguent  son  grand  talent.  —  Un  élève  de  M.  Diémer,  M.  Staub,  qui 
a  eu  un  brillant  premier  prix  au  Conservatoire,  il  y  a  deux  ou  trois  ans, 
a,  lui  aussi,  voulu  se  faire  entendre  dans  un  concert  avec  orchestre.  Au 
programme  se  trouvaient  le  concerto  en  sol  de  M.  Saint-Saëns,  un  Concertstiick 
de  M.  L.  Diémer  et  la  Fantaisie  hongroise  de  Liszt.  Le  jeune  artiste  possède 
une  remarquable  technique,  un  style  coloré  et  de  la  chaleur.  M"0  Leroux 
lui  prêtait  le  concours  de  son  talent  et  a  chanté  avec  charme  et  virtuosité 
diverses  mélodies,  dont  le  Sentier  de  M.  L.  Diémer  et  Chanson  des  bois  d'après 
Chopin  de  M.  I.  Philipp.  M.  Colonne  a  dirigé  avec  son  habileté  consommée 
les  trois  concerts  précédents.  —  Mardi  dernier  M.  Wieniawski  nous  avait 
conviés  à  une  séance  intéressante  où  il  a  fait  entendre  vingt-quatre  éludes 
de  slyle  et  de  mécanisme  et  une  Sonate  de  violoncelle.  Les  études  sont  pour  la 
plupart  très  réussies;  ce  sont  aussi  bien  des  études  de  concert  que  des 
études  d'école.  M.  Wieniawski  en  a  donné  la  plus  fine  exécution  etl'effet 
a  été  tout  à  fait  agréable.  La  sonate  jouée  avec  M.  Delsart,  le  maître  vio- 
loncelliste, a  produit  une  non  moins  bonne  impression.  —  Mme  de  Pach- 
mann,  une  très  séduisante  pianiste,  s'est  fait  entendre  samedi,  toujours 
chez  Erard,  et  a  soutenu  avec  vaillance  un  long  et  difficile  programme. 
Son  jeu  se  distingue  surtout  par  la  grâce,  la  légèreté,  la  finesse,  qualités 
plus  rares  qu'on  ne  pense,  aujourd'hui  surtout,  où,  bien  à  tort,  l'on  ne 
recherche  au  piano  que  les  effets  de  force  et  de  puissance.  —  Mentionnons 
encore  l'audition  donnée  par  MUc  Jaeger,  une  élève  de  M.  Duvernoy,  qui 
s'est  fait  vivement  applaudir  en  jouant  avec  d'excellentes  moyens,  une 
série  d'œuvres  classiques  et  modernes.  I.  Ph. 

—  Mardi  dernier,  à  la  suite  du  dîner  annuel  des  Philosophes  du  XVIIIe  siècle, 
fondé  par  M.  Grand-Carteret,  a  eu  lieu  un  concert  organisé  par  nos  colla- 
borateurs, MM.  Arthur  Pougin  et  Julien  Tiersot,  et  composé  exclusivement 
de  musique  de  Jean-Jacques  Rousseau,  avec  un  intermède  formé  de  frag- 
ments d'œuvres  des  plus  célèbres  contemporains  du  philosophe  :  Rameau, 
qui  eut  à  se  prononcer  sur  son  premier  ouvrage,  le  Projet  concernant  de  nou- 
veaux signes  pour  la  musique  ;  Pergolèse,  dont  la  Serva  padrona  fut  jouée  en 
France  moins  de  trois  mois  avant  le  Devin  du  village  et  détermina  la  célè- 
bre Guerre  des  Bouffons  dans  laquelle  Rousseau  joua  un  rôle  important; 
Grétry,  l'ami  des  philosophes  ;  Gluck,  sur  l'œuvre  de  qui  Rousseau  écrivit 
ses  meilleures  pages  de  critique  musicale,  les  Observations  sur  l'Alceste  de 
M.  Gluck,  etc.  D'importants  fragments  du  Devin  du  village,  près  de  la  moitié 
do  la  partition,  chantés  délicieusement  par  Mme  Bilbaut- Vauchclot, 
MM.  David  et  Ilcttich,  ont  vivement  intéressé  et  charmé  l'auditoire,  ainsi 
que  plusieurs  romances  tirées  des  Consolations  des  misères  de  ma  vie,  recueil 
général  des  œuvres  de  chant  do  J.-J.  Bousseau.  En  outre  M110  Borthe  de 
Monlalant  a  chanté  d'une  voix  magnifique  et  avec  un  excellent  style  l'air 
Tristes  apprêts  de  Rameau  ;  M"'°  Montégu-Montibcrt,  avec  les  grandes  tradi- 
tions de.  M1"»  Viardot,  a  interprété  l'air  de  Gluck:  Divinités  du  Slyx,  et 
Mmc  Vidaud-Lacombo  a  dit  avec  beaucoup  do  grâce  et  un  sontimenl  char- 


78 


LE  MÉNESTREL 


mant  les  deux  Romances  du  Saule  de  Grétry  et  de  J.-J.  Rousseau,  dont  l'une 
au  moins,  la  première,  constituait  une  véritable  rareté,  n'ayant  pas  été 
publiée  séparément  et  figurant  seulement,  à  notre  connaissance,  dans  un 
volume  rarissime  intitulé  Voyage  à  Ermenonville,  ainsi,  croyons  nous,  que 
dans  la  première  édition  de  l'Otello  de  Denis  pour  lequel  elle  a  été  com- 
posée. Le  choral  Galin7Chevé  a  fait  entendre  encore  le  chœur  final  du 
Devin  du  village  et  un  chant  arrangé  sur  différents  motifs  de  Rameau. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (6  mars)  :  La  Monnaie  nous  a 
donné  enfin,  lundi,  la  première  du  Songe  d'une  nuit  d'été.  C'était,  pour 
Bruxelles,  une  vraie  «première  ».  Le  joli  opéra-comique  de  M.  Ambroise 
Thomas  n'avait  plus  été  joué  à  la  Monnaie  depuis  un  temps  si  éloigné 
que  personne,  sauf  les  très  vieux,  habitués,  ne  s'en  souvenait  plus.  La 
cause  de  cet  oubli?  Je  ne  saurais  la  dire,  et  rien  ne  pourrait  la  justifier, 
si  ce  n'est  la  difficulté  d'interprétation.  Dans  la  forme  conventionnelle  du 
vieil  opéra-comique,  l'œuvre  est,  tout  ensemble,  d'un  éclat  et  d'une  fraî- 
cheur d'inspiration  qui  la  mettent  bien  au-dessus  de  la  plupart  des  pro- 
ductions du  genre.  Le  livret  est,  avec  la  fantaisie  et  l'invraisemblance 
admises  en  des  sujets  de  cette  sorte,  un  des  plus  ingénieux  et  des  plus 
attachants  du  répertoire;  et  la  musique,  franche,  alerte,  mouvementée, 
a  une  variété  d'expression,  dans  la  tendresse  et  dans  la  grâce,  traduite 
musicalement  avec  une  habileté  rare,  qui,  à  part  quelques  pages,  les 
moins  réussies  de  la  partition,  l'ont  conservée  jeune  et  charmante  jusqu'à 
ce  jour.  On  l'a  bien  vu,  lundi.  Malgré  les  grincheries  nécessaires  d'un 
petit  clan  pour  lequel  il  n'est  rien  de  bon  hors  le  genre  ennuyeux,  le 
Songe  d'une  nuit d'été  a  fait  un  plaisir  extrême,  et  il  a  obtenu  un  succès  des 
plus  accentués.  Ce  succès,  l'interprétation  y  a  pris  une  large  part. 
Mlle  Merguiller  a  vocalisé  comme  un  rossignol  le  rôle  d'Elisabeth,  où  il 
suffit  d'avoir  de  la  virtuosité  pour  être  parfaite;  Mllc  Rachel  Neyt  a  fait, 
à  côté  d'elle,  une  Olivia  émue  et  distinguée;  M.  Badiali  a  chanté  le  rôle 
de  Shakaspeare  avec  sa  voix  de  baryton  riche  et  souple  et  un  très  bon 
style,  sans  le  transposer,  comme  l'avait  fait  M.  Maurel,  lors  de  la  dernière 
reprise  de  l'œuvre  à  Paris;  M.  Sentein  a  été  un  excellent  Falstaff  et 
M.  Isouard  un  très  agréable  Latimer.  Voilà  qui  va  faire  d'aimables  len- 
demains à  Salammbô,  qui  continue  le  cours  de  sa  carrière  triomphante  et 

fructueuse,  en  attendant   la  reprise    du  Vaisseau-fantôme  et  de   Carmen  

utile  dulci.  —  En  dehors  du  théâtre,  la  musique  ne  chôme  pas.  Nous 
avons  eu  deux  admirables  concerts  au  Conservatoire  :  le  dernier  consacré 
aux  Ruines  d'Athènes,  avec  M110  Dudlay,  notre  jolie  compatriote;  et  l'on- 
nous  promet,  au  prochain,  l'Orphée  de  Gluck  avec  M"lc  Caron.  —  En  pro- 
vince, j'ai  à  vous  signaler  le  succès  remporté  au  Conservatoire  de  Gand 
par  les  œuvres  de  M.  Bordier,  et  à  Liège  celui  de  M.  Widor  qui,  avec 
M.  Mailly,  y  sont  allés  inaugurer  le  nouvel  orgue  du  Conservatoire.  Le 
concert  auquel  a  donné  lieu  cette  inauguration  a  été  superbe;  exécution 
remarquable  de  la  Symphonie  pour  orgue  de  M.  "Widor,  et  de  diverses 
œuvres  anciennes  et  modernes,  sous  la  direction  de  M.  Théodore  Radoux 
qui,  décidément,  marche  un  des  premiers  à  la  tète  du  mouvement  musi- 
cal dans  notre  cher  et  ingrat  pays.  C'est  aussi  à  M.  Radoux,  permettez- 
moi  de  vous  le  rappeler,  qu'est  due  l'organisation  du  musée  Grétry.  Ce 
musée  commence  à  devenir  des  plus  curieux,  grâce  aux  dons  qui  affluent 
de  toutes  parts.  Il  doit  se  trouver  bien  certainement  à  Paris  des  collec- 
tionneurs dont  la  générosité  lui  serait  d'un  très  utile  secours.  Allons,  un 
bon  mouvement!  j_1_  g_ 

—  Quelques  dépêches  : 

De  Liège  :  «  Grand  succès  pour  M.  Widor  au  concert  du  Conservatoire, 
donné  à  l'occasion  de  l'inauguration  des  nouvelles  orgues,  de  M,  Schvven. 
M.  "Widor  a  exécuté  avec  l'orchestre  sa  sixième  symphonie,  et"  seul 
plusieurs  pièces  qui  lui  ont  valu  d'enthousiastes  rappels.  » 

De  Gand  :  «  Grand  succès  au  Conservatoire,  pour  les  œuvres  de  M.  Jules 
Bordier.  Tous  les  morceaux  ont  été  applaudis,  le  chœur  de  Nadia  a  été 
bissé  et  l'auteur  rappelé  après  le  dernier  morceau.  » 

De  Carlsruhe  :  «  Première  représentation  du  Roi  malgré  lui,  d'Emmanuel 
Chabrier.  L'œuvre,  l'auteur  et  les  interprètes  ont  été  acclamés.  » 

—  A  l'école  Royale  de  musique  de  La  Haye,  on  a  célébré  le  21  février 
le  jubilé  de  M.  "W.  F.  G.  Nicolai,  directeur  de  cette  institution  depuis 
25  ans.  Un  grand  concert  avait  été  organisé,  auquel  n'étaient  admis  à 
prendre  part  que  les  élèves  de  l'École  anciens  ou  nouveaux.  L'orchestre 
de  70  exécutants  était  recruté  parmi  les  plus  habiles  musiciens  dos  Pays- 
Bas.  Le  concert  a  donné  lieu,  bien  entendu,  à  de  nombreuses  dé- 
monstrations sympathiques  à  l'adresse  de  M.  Nicolai:  cadeaux,  couronnes 
de  lauriers,  discours  et  députations,  rien  n'a  été  oublié  de  ce  qui  consti- 
tue, de  nos  jours,  le  jubilé  artistique. 

—  Décidément  la  musique  tient  une  grande  place  dans  les  préoccupa- 
tions du  jeune  empereur  d'Allemagne.  On  sait  toutes  les  réformes  qu'il  a 
introduites  dans  le  répertoire  et  l'organisation  des  musiques  militaires  de 
l'Empire.  Ce  n'était  pas  assez;  il  veut  à  présent  que  la  musique  vocale  soit 
cultivée  dans  ses  armées  de  terre  et  de  mer  aussi  bien  que  la  musique 
instrumentale.  Le  ministre  de  la  guerre  vient  donc  d'envoyer  des  instruc- 


tions en  ce  sens  à  tous  les  régiments,  en  même  temps  que  des  cargaisons 
de  recueils  de  chansons. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Berlin  :  Une  nouvelle  saison 
italienne  sera  inaugurée,  le  6  avril,  au  théâtre  Kroll,  sous  la  direction 
de  l'imprésario  Gardini.  Ont  été  engagés  :  MM.  Lucignani,  du  théâtre 
royal  de  Madrid  ;  S.  Terzi,  de  la  Scala  de  Milan,  et  Mm°  Prevosti,  comme 
prima  donna.  L'orchestre  sera  dirigé  par  M.  G.  Pomè.  —  Olmdtz  :  Le 
théâtre  municipal,  dont  le  nouveau  directeur  est  M.  Berghoff,  vient  de 
donner,  avec  succès,  la  première  représentation  d'une  opérette  en  3  actes, 
le  Major  Lumpus,  dont  M.  0.  Stoklasla  a  écrit  le  livret  et  M.  Max  von 
"Wildfeld  la  musique.  —  Pragde  :  On  nous  signale  l'insuccès,  dû  surtout 
à  l'insuffisance  du  livret,  d'un  opéra-comique  nouveau  de  M.  F.  von 
"Woyrsch,  intitulé  le  Curé  de  Mcuion.  —  Après  le  cycle  xvagnérien  projeté 
par  M.  Angelo  Neumann  pour  sa  prochaine  saison  d'opéra  allemand,  on 
montera  les  Templiers,  de  Litolff,  et  une  nouveauté  du  compositeur  Ri- 
chard Mandl,  intitulée  Inespérée  ! 

—  Le  flûtiste  Charles  Krûger,  dont  on  se  rappelle  les  succès  à  Paris, 
vient  d'être  gratifié,  par  la  chapelle  royale  de  Stuttgart  d'un  «  jubilé  »,  à 
l'occasion  de  ses  40  années  de  service  comme  musicien  de  la  cour.  Au 
cours  de  la  cérémonie,  l'intendant  général  Dr  von  "Werther  remit  au  vir- 
tuose une  épingle  en  brillants  de  la  part  du  roi  de  Wurtemberg  et  le 
hofkapcllmeister  D1'  Klengel  une  superbe  couronne  au  nom  de  l'orchestre, 
Le  nom  de  Krûger  est  d'ailleurs  intimement  lié  au  mouvement  musical  de 
Stuttgart.  Le  père  du  «  jubilant  »  actuel  a  fait  partie  pendant  51  ans  de 
la  chapelle  royale  en  qualité  de  première  flûte;  son  frère  Gotlieb  est  de- 
puis 48  ans  dans  la  même  chapelle;  enfin  un  autre  frère,  Guillaume,  décédé 
depuis  quelques  années,  était  un  pianiste  remarquable  et  le  fondateur  de 
la  nouvelle  Société  chorale  de  Stuttgart. 

—  Edouard  Strauss  et  son  orchestre  vont  bientôt  se  mettre  en  route  pour 
les  Etats-Unis  où  les  appellent  un  engagement.  Les  laissera-t-on  débar- 
quer? Telle  est  la  question  que  l'on  se  pose  de  l'autre  côté  de  l'Atlantique 
et  que  la  commission  des  finances  sera  chargée  de  résoudre.  En  effet,  le 
receveur  général  à  New-York  vient  de  porter  au  ministre  des  finances  les 
revendications  des  associations  musicales  ;  celles-ci  s'opposent  au  débar- 
quement des  musiciens  viennois,  lequel  à  leurs  yeux,  constituerait  une 
contravention  à  la  loi  sur  la  protection  des  travailleurs.  Les  musiciens 
d'orchestre  doivent-ils  être  assimilés  à  des  artistes  ou  non? Toute  la  question 
est  là.  Le  ministre  pense  que  les  membres  de  l'orchestre  Edouard  Strauss 
ne  sont  pas  des  travailleurs  dans  le  sens  du  texte  de  la  loi  et  qu'il  n'y  a  pas 
lieu  à  s'opposer  à  leur  débarquement.  Le  conseiller  du  ministre,  M.  Hip- 
burn,  est  d'un  avis  contraire. 

—  On  sait  que  M.  Edouard  Sonzogno,  directeur  du  Tcatro-Illustrato,  a 
ouvert  un  nouveau  concours  pour  la  composition  de  (rois  opéras  en  un 
acte.  Soixante-treize  partitions  ont  été  soumises  au  jury,  qui,  après  un 
premier  jugement  sommaire,  en  a  réservé  onze  pour  un  examen  plus 
attentif.  Les  auteurs  de  ces  onze  partitions  sont  invités  à  se  rendre  à 
Rome  pour  les  faire  entendre  eux-mêmes  au  jury.  Quelques  indiscrétions 
se  font  jour,  et  l'on  cite  déjà,  parmi  les  œuvres  réservées,  une  Rosalia, 
de  M.  Riccio,  et  une  Marina,  d'unjeune  élève  du  Conservatoire  de  Naples, 
M.  Giordano. 

—  Les  journaux  italiens  rapportent  un  petit  faitassez  fantaisiste.  On  re-  ' 
présentait  récemment  à  Reuil  Guillaume  Tell  de  Rossini,  et  la  représenta- 
tion avait  jusqu'alors  marché    sans  encombre,  lorsqu'après  le  quatrième 
acte  on  voit  paraître  sur  la  scène  l'imprésario,  qui,  s'avançant  jusque  sur 
la    rampe,    salue    respectueusement  le  public,  et  prononce   ces  paroles  : 

«  Mesdames  et  Messieurs,  nous  n'achèverons  pas  la  représentation,  le 
cinquième  acte  étant  indigne  de  Rôssini.  »  Voilà  certainement  un  direc- 
teur à  encadrer. 

—  Awlanche  de  premières  représentations  en  Italie.  Au  théâtre  Regio 
de  Turin  (16  février),  Loreley,  opéra  en  trois  actes  de  M.  Alfredo  Catalani, 
qui  paraît  avoir  obtenu  un  succès  retentissant  et  que  la  critique  accueille 
comme  une  œuvre  mémorable  ;  les  deux  principaux  rôles  de  cet  ouvrage 
sont  tenus  par  le  ténor  Durot  et  la  Ferni-Germano  ;  les  autres,  par 
M"*  Dexter,  et  MM.  Stinco-Palermini  et  Pozzi.  A  San-Remo,  la  Modella, 
opéra  en  quatre  actes  de  M.  Oreste  Bimboni  ;  celui-ci  n'est  nouveau  que 
pour  l'Italie,  car  il  a  été  précédemment  représenté  à  Bukharest;  il  a  été 
fort  bien  accueilli,  ainsi  que  ses  interprètes,  Mmpa  Stecchi,  Sommelins- 
Bottero  et  Maineri,  le  ténor  Quiroli,  le  baryton  Talamanca  et  le  bouffe 
Rosa.  A  la  Fenice  de  Venise,  (21  février),  Béatrice  di  Svevia,  opéra  en 
quatre  actes  de  M.  Tomaso  Benvenuti.  Ce  dernier  est  le  plus  malheureux. 
L'œuvre  du  compositeur  paraît  avoir  été  massacrée  par  ses  interprètes, 
et  l'allure  ridicule  du  livret,  jointe  à  cette  exécution  déplorable,  a  amené 
une  chute  si  éclatante  que  le  compositeur  a  cru  devoir  retirer  sa  parti- 
tion dès  le  lendemain  de  la  première  représentation.  Enfin,  à  la  Fenice 
de  Naples,  enregistrons  le  succès  d'une  nouvelle  opérette  l'Isola  incantanta, 
paroles  de  M.  Malfei,  musique  de  M.  Rossi. 

—  On  annonce  pour  l'automne  prochain,  au  théâtre  Dal  Verme  de  Milan, 
un  spectacle  d'un  genre  particulier.  C'est  un  poème  lyrique,  paroles  de 
M.  Marco  Praga,  musique  du  jeune  maestro  Samara,  et  figurines  du  pein- 
tre Sala  (sic).  Le  principal  rôle  sera  rempli  par  la  fameuse  ballerine  Zuc- 
chi.  Titre  de  l'œuvre  :  Danae. 


LE  MENESTREL 


79 


—  Le  14  février,  au  théâtre  Eretenio  de  Vicence,  a  eu  lieu  la  grande 
soirée  commémorative  en  l'honneur  du  compositeur  Giuseppe  Apolloni, 
mort  il  y  peu  de  mois.  La  salle  était  comble,  comme  dans  les  occasions 
les  plus  solennelles.  La  scène  était  transformée  en  une  sorte  de  vaste  jar- 
din, et  devant  un  groupe  de  magnifiques  plantes  exotiques  surgissait  le 
buste  du  maestro,  œuvre  d'un  sculpteur  vicentin,  M.  Giuzzon.  La  soirée 
s'ouvrit  avec  une  c  rapsodie  »,  /  Canti  dell'  Apennine,  œuvre  symphonique 
d'Apolloni,  après  quoi,  vinrent  des  fragments  de  deux  de  ses  opéras  :  la 
romance  pour  ténor  de  VEbreo,  la  romance  du  page  du  Conte  di  Kœnigs- 
mark,  et  la  scène  pour  baryton  avec  chœur  de  VEbreo.  La  soirée  finit 
par  un  Stabat  mater,  œuvre  posthume  d'Apolloni,  laissée  par  lui  inachevée, 
et  qui  fut  terminée  par  deux  de  ses  confrères,  MM.  Oufice  et  Lésine. 

—  Nous  avons  annoncé  qu'une  commission  s'était  constituée  à  Tarente, 
patrie  de  Paisiello,  pour  provoquer  le  transfert  en  cette  ville  des  cendres 
du  compositeur,  mort  à  Naples  comme  on  sait.  Cette  commission  est  ac- 
tuellement à  Naples,  où  elle  fait  les  démarchas  nécessaires  au  but  qu'elle 
s'est  fixé. 

—  Au  Théâtre-Royal  de  Madrid  on  répète,  en  ce  moment,  avec  beau- 
coup d'activité  un  nouvel  opéra  du  maestro  Serrano,  Giovanna  la  Pazza. 
Cet  ouvrage  aura  pour  interprètes  M"105  Arkel,  Stahl  ;  MM.  Moretti,  Du- 
friche  et  Tabuyo. 

—  Un  journal  anglais  nous  apprend  qu'à  Londres,  il  n'y  a  pas  moins 
de  quatre  mille  professeurs  de  chant  et  d'instruments,  tant  mâles  que 
femelles  ;  et  qu'on  en  compte  sept  mille  dans  les  provinces.  A  Londres, 
on  trouve  1,600  musiciens  d'orchestre,  parmi  lesquals  700  violonistes. 

—  De  l'Eco  d'Italia,  de  New-York  :  «  Ceux  de  los  Angelos,  en  Californie, 
n'auront  pas  l'inénarrable  jouissance  d'entendre  la  Patti,  parce  que 
l'imprésario  Abbey  leur  a  fait  comprendre  qu'il  voulait  une  somme  de 
18,000  dollars  (90,000  francs)  pour  y  donner  trois  représentations,  dans 
une  seule  desquelles  la  diva  aurait  chanté.  Le  prix  fut  trouvé  trop  raide, 
et  c'est  pourquoi  l'on  s'est  privé  d'un  divertissement  vraiment  un  peu 
salé.  » 

—  Le  banjo  règne  en  tyran  aux  États-Unis.  Un  orchestre  de  150  ban- 
jos, guitares  et  mandolines  vient  de  se  faire  entendre  à  Boston,  et  le 
Chickering  Hall  de  New-York  résonne  encore  du  son  de  la  marche  de 
Tannhâuser  exécutée  par  une  autre  armée  de  cent  banjos  !  Les  Américains 
ne  respectent  plus  rien. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Le  journal  la  Justice  insiste  en  ces  termes  sur  la  soirée  tapageuse  de 
l'Opéra,  dont  nous  n'avons  dit  que  quelques  mots  dimanche  dernier  :  «  La 
dernière  représentation  de  l'Africaine  a  été  marquée  par  des  incidents 
scandaleux  inconnus  à  l'Opéra  avant  la  direction  Ritt  et  Gailhard.  Au  troi- 
sième acte  pendant  le  chœur  qui  précède  la  prière  O  grand  saint  Domini- 
que! un  différend  bruyant  s'est  produit  entre  l'orchestre  et  les  chanteurs. 
Les  choristes  se  sont  refusés  à  accepter  l'accord  donné  par  les  musiciens 
et  ont  baissé  le  ton  avec  une  admirable  indépendance.  M.  Vianesi,  vexé 
de  n'être  pas  suivi  par  les  chanteurs,  a  fait  taire  son  orchestre.  Or  le  mor- 
ceau est  symphonique,  les  instruments  y  ont  leur  rôle  comme  les  voix  ; 
les  malheureux  choristes  abandonnés  à  eux-mêmes  ont  produit  la  plus 
étrange  cacophonie  qui  ait  jamais  écorché  les  oreilles  des  abonnés,  faites 
pourtant  aux  tortures.  Le  public  s'est  révolté.  Et  c'a  été  pendant  quelques 
minutes  une  tempête  de  sifflets,  et  des  huées  à  faire  sombrer  le  vaisseau 
de  l'Africaine.  La  représentation  a  été  interrompue.  Pour  la  première  fois, 
à  l'Académie  nationale  de  musique,  on  assistait  à  ces  manifestations  tu- 
multueuses qui  accueillent,  à  Toulouse  ou  à  Nimes,  les  mauvais  chanteurs. 
Puisqu'on  donne  au  public  des  représentations  de  province,  c'est  bien  le 
moins  qu'il  en  prenne  les  mœurs.  Il  ne  faut  pourtant  point  blâmer  trop 
sévèrement  les  malheureux  choristes.  Ces  infortunés  sont  tués  de  travail. 
Leurs  directeurs  qui  tiennent  beaucoup  à  ce  qu'Ascanio  soit  représenté 
avant  que  la  Chambre  ait  à  statuer  sur  leur  cas,  surmènent  impitoyable- 
ment leur  personnel.  Les  artistes  sont  si  fatigués  par  les  répétitions  qu'ils 
arrivent  brisés,  exténués,  sans  forces  à  la  représentation.  Leurs  défail- 
lances sont  donc  excusables;  seuls  les  extraordinaires  directeurs  sont  sans 
excuses  de  donner  à  Paris  des  spectacles  aussi  ridicules  que  celui  que 
nous  venons  de  raconter.  » 

—  A  l'Opéra  l'on  compte  donner  la  première  représentation  d'Ascanio 
vendredi  prochain.  Mais  il  se  pourrait  qu'il  y  eut  un  retard  de  quelques 
jours,  si  les  costumes  n'étaient  pas  prêts  à  temps.  Dame!  Il  ne  faut  pas 
oublier  qu'il  y  a  seulement  deux  années  que  MM.  Ritt  et  Gailhard  songent 
à  représenter  l'opéra  de  M.  Saint-Saëns.  Ce  n'est  pas  trop  assurément  pour 
la  conception  et  la  confection  de  costumes  aussi  beaux  que  ceux  qu'ils 
nous  préparent. 

—  Mm0  Melba  a  fait,  lundi  dernier,  une  très  brillante  rentrée  à  l'Opéra 
dans  la  fastidieuse  Lucie  de  Lammermoor.  Le  public  ne  lui  en  a  pas  moins 
fait  un  accueil  enthousiaste.  Le  charmant  ballet  d'Ambroise  Thomas, 
la  Tempête,  a  complété  le  spectacle,  avec  Mllc  Mauri,  toujours  très  applaudie. 

—  La  charmante  étoile  de  l'Opéra-Comique,  Mmc  Landouzy,  chantera 
eette  semaine  pour  la  première  fois  à  Paris  le  rôle  de  Virginie  dans  le 
Ca'id  de  M.  Ambroise  Thomas.  C'était  avec  le  Roi  l'a  dit  de  Léo  Delibes,  où 


elle  était  si    remarquable,  l'un  de  ses   meilleurs    rôles    au   théâtre  de  la 
Monnaie  de  Bruxelles. 

—  Nous  ne  nous  étions  pas  trompés  sur  le  cas  du  Sicilien  à  l'Opéra- 
Comique.  Voici  en  effet  la  lettre  que  l'auteur,  M.  Weckerlin,  adresse  à 
M.  Georges  Boyer,  notre  excellent  confrère  du  Figaro  : 

Mon  cher  ami, 

La  patience  humaine  a  des  bornes,  ce  qui  prouve  une  fois  de  plus  que  nous  ne 
sommes  point  parfaits.  Je  le  suis  sans  doute  moins  que  beaucoup  de  mes  confrè- 
res, tant  il  est  vrai  qu'après  avoir  attendu  pendant  quatre  ans  la  représentation  de 
mon  Sicilien,  pièce  de  Molière,  j'ai  fini  par  envoyer  du  papier  timbré  à  M.  le  direc- 
teur de  l'Opéra-Comique. 

Le  Sicilien  a  été  répété  pour  la  première  fois  le  21  juin  1886  ;  la  pièce  était  prête 
ou  à  peu  près  lors  du  terrible  incendie  de  l'Opéra-Comique.  Quelques  jours  aupa- 
ravant, M.  Carvalho  m'avait  envoyé  au  Conservatoire  les  parties  d'orchestre  qui 
venaient  d'être  copiées,  afin  que  je  pusse  les  revoir.  Cette  circonstance  les 
empêcha  d'être  brûlées,  les  chœurs  seuls  furent  détruits  ;  mais  comme  la  parti- 
tion était  déjà  gravée,  ce  n'était  qu'un  petit  malheur. 

A  l'avènement  de  M.  Paravey  à  la  direction  de  l'Opéra-Comique,  la  Commission 
de  la  Société  des  auteurs  dramatiques  lui  accorda  deux  ans  pour  jouer  les  quel- 
ques pièces  reçues  alors  ;  cette  convention  arrivait  à  son  terme  le  31  décembre 
dernier,  et,  n'étant  point  joué,  je  veux  au  moins  être  indemnisé.  Voilà  au  vrai  ma 
situation.  Je  vous  serre  les  deux  mains.  J.-B.  Weckerlin. 

—  Le  gros  œuvre  de  la  démolition  des  concerts  Favart  est  déjà  presque 
entièrement  achevé.  La  scène,  les  bureaux  de  l'administration,  les  loges 
des  artistes  ont  disparu  sous  la  pioche  des  démolisseurs.  Il  ne  subsiste 
plus  que  la  carcasse  et  les  murs  extérieurs.  M.  Archambault,  inspecteur 
des  bâtiments  civils,  et  M.  Rolly  de  Balnègre,  commissaire  de  police, 
viennent  tous  les  jours  s'assurer  de  l'exécution  du  cahier  des  charges. 
D'après  des  ordres  formels  de  la  préfecture  de  police,  la  construction  de 
la  palissade  qui  doit  entourer  le  terrain  de  la  place  Boieldieu,  y  compris 
les  trottoirs,  sera  commencée  dès  aujourd'hui.  On  peut  désormais  dire 
qu'avant  quinze  jours  tout  sera  terminé,  et  que  les  habitants  du  quartier 
vont  de  nouveau  se  trouver  en  présence  du  «  trou  Favart  ».  Il  ne  restera 
plus  alors...  qu'à  reconstruire  l'Opéra-Comique. 

—  L'Académie  des  Beaux-Arts  a  été  autorisée  à  accepter,  jusqu'à  con- 
currence des  trois  quarts  seulement,  le  legs  universel  fait  à  son  profit 
par  la  dame  veuve  Buchère,  née  Marie-Elise  Demerson.  Le  produit  de 
cette  libéralité  devra  être  appliqué  au  perfectionnement  de  l'éducation 
musicale  vocale  d'une  ou  plusieurs  jeunes  filles,  élèves  du  Conservatoire 
national  de  musique,  et  d'une  ou  plusieurs  jeunes  filles  qui  se  destinent 
à  la  comédie  ou  à  l'art  dramatique. 

—  M.  Ernest  Reyer  a  passé  cette  semaine  par  Paris,  mais  pour  gagner 
bien  vite  le  Midi  où  il  va  se  remettre  d'une  sorte  de  bronchite  qu'il  a 
trouvée  à  Bruxelles  au  milieu  des  lauriers  de  Salammbô.  Toujours  le 
serpent  sous  les  fleurs  !  on  soupçonne  MM.  Ritt  et  Gailhard  de  l'y  avoir 
glissé. 

—  Notre  excellent  collaborateur,  Arthur  Pougin,  est  assez  gravement 
malade  en  ce  moment  d'une  attaque  de  petite  vérole.  Toutefois  on  a  pu 
se  rendre  maître  du  mal  à  temps,  et  toute  crainte  de  danger  est  aujour- 
d'hui écartée.  Notre  confrère  pourra  reprendre  bientôt  le  cours  de  ses 
travaux. 

—  Notre  excellent  confrère,  M  .Georges  Boyer,  a  commencé  vendredi  der- 
nier avec  beaucoup  de  succès,  une  série  de  conférences  intitulées  «  Quin- 
zaine théâtrale  »  qu'il  donne  à  la  salle  des  Capucines,  et  qu'il  continuera 
deux  fois  par  mois  le  vendredi. 

—  Au  théâtre  des  Menus-Plaisirs,  on  donnera  dans  le  courant  de  la 
semaine,  la  nouvelle  opérette  de  MM.  Paul  Ferrier,  Charles  Clairville 
et  Victor  Roger.  D'après  les  répétitions,  le  Fétiche  s'annonce  sous  les 
meilleurs  auspices. 

—  Avant  de  partir  pour  l'Amérique,  où,  comme  on  le  sait,  il  est  engagé 
pour  trois  ans  moyennant  une  somme  ronde  de  500,000  francs,  départ  qui 
aura  lieu  vers  le  10  avril,  M.  Victor  Maurel  est  allé  donner  une  série  de 
dix  représentations  au  Théâtre  Communal  de  Trieste,  où  il  obtient  des 
succès  enthousiastes. 

—  Les  Rouennais  voient  d'un  mauvais  œil,  paraît-il,  la  tentative  de 
théâtre  lyrique  imaginé  chez  eux  par  M.  Verdhurt.  Il  paraît  qu'ils  sont 
jaloux  des  Parisiens  !  Lorsqu'ils  ont  su  que,  pour  la  première  représen- 
tation de  Samson  et  Dalila,  il  serait  fait  un  service  à  la  presse  de  Paris, 
ils  se  sont  mis  en  grande  fureur  et,  par  le  canal  de  leur  Conseil  muni- 
cipal, ont  fait  rappeler  au  directeur  qu'il  ne  lui,  était  permis  de  délivrer 
des  entrées  gratuites  que  sous  le  contrôle  et  avec  l'autorisation  dudit 
Conseil  municipal.  M.  Verdhurt  a  alors  épelé  son  cahier  des  charges  et  a 
montré  à  ces  messieurs  que  les  mots  entrées  gratuites  étaient  suivis  du  mot 
permanentes  ;  il  se  trouvait  donc  avoir  toute  latitude  pour  inviter  à  sa  pre- 
mière tous  les  Parisiens  qu'il  lui  plairait.  Très  nature,  ces  chers  provin- 
ciaux qui  ne  vont  jamais  à  leur  théâtre  et  ne  veulent  pas  que  les  autres 
y  aillent  !  Mais  ils  auraient  bien  dû  réfléchir  que,  si  l'essai  de  M.  Ver- 
dhurt avait  réussi,  c'est  avant  tout  à  leur  ville  de  Rouen  que  cela  aurait 
profité,  et  que  soixante-douze  Parisiens  (c'est  le  nombre  des  abonnés  du 
Théâtre-Lyrique  départemental)  venant  à  une  représentation,  auraient 
certes  plus  rapporté  aux  hôtels,  aux  restaurants,  aux  fiacres,  que  trois 
cents  Normands  de  Rouen  vivant  chez  eux. 


80 


LE  MENESTREL 


—  La  ravissante  opérette  de  Johann  Strauss,  la  Tzigane,  qu'on  ne  con- 
naît pas  assez  en  France  vient  de  remporter  un  succès  signalé  au  théâtre 
du  Casino  de  Nice.  Il  en  a  été  ainsi  partout  où  on  a  pris  la  peine  de 
l'essayer,  caria  partition  du  maître  viennois  est  une  véritable  petite  mer- 
veille de  goût  et  de  couleur.  Peut-être  finira-t-on  par  s'apercevoir  chez 
nous  combien  ce  compositeur  charmant  et  presque  génial  en  son  genre 
est  supérieur  à  tous  nos  petits  faiseurs  d'opérettes  à  la  mode?  Toute  la 
presse  niçoise  enregistre  le  nouveau  succès  de  la  Tsigane.  Voici,  entre 
autres  journaux,  ce  qu'en  pense  le  Phare  du  littoral  :  «  La  Tsigane,  à  pre- 
mière vue,  brillait  par  l'éclat  des  affiches:  elle  ajoute  aujourd'hui,  à  cette 
gloire  murale,  tout  le  resplendissant  prestige  d'un  triomphe  artistique 
des  mieux  caractérisés.  C'est  un  rêve  d'harmonie  savante,  délicieuse,  L'ins- 
piration se  joue  à  travers  les  gammes,  jaillit  en  trilles  d'orchestre,  entraine 
les  violons  à  une  douce  mélodie.  C'est  le  susurrement  nuancé  des  cordes 
entremêlé  aux  vibrations  des  cuivres.  Musicien,  magicien.  Je  pose  en  fait 
que,  pour  Strauss,  ces  deux  vocables  sont  synonymes.  » 

—  Très  belle  soirée,  jeudi  dernier,  chez  Mmc  Gabrielle  Krauss.  MM.Mar- 
sick  et  I.  Philipp  ont  été  fort  applaudis  dans  des  œuvres  de  M.Wormser 
et  de  Chopin.  Mmc  Krauss  a  chanté  avec  un  art  empreint  de  la  plus  noble 
simplicité  et  avec  une  émotion  communicative  plusieurs  mélodies  parmi 
lesquelles  deux  lieder  de  M.  Grieg,  Marguerite  de  Schubert  et  le  Rêve  du 
Prisonnier,  une  des  compositions  vocales  les  plus  saisissantes  de  Bubins- 
tein.  Am.  B. 

—  Dimanche  dernier,  à  l'Hôtel  Continental,  l'Association  de  la  presse 
a  donné  une  grande  fête  de  bienfaisance  destinée  à  former  une  caisse  de 
secours  dite  VQEuvre  des  veuves  et  des  orphelins  de  la  Presse  française.  On  avait 
fait  appel  à  tous  les  concours,  et  tous  ont  généreusement  répondu.  Dans 
les  salons  du  rez-de-chaussée  superbement  décorés  de  fleurs  et  de  tapis- 
series, on  a  dansé  toute  la  nuit  aux  sons  de  l'orchestre  entraînant  de 
M.  Desgranges.  A  une  heure  du  matin,  au  premier,  a  eu  lieu  la  première 
et  unique  représentation  de  la  Revue  libre,  deux  actes  signés  de  nos  plus 
spirituels  confrères.  Comme  Dame  censure  n'avait  rien  à  voir  dans  cette 
fête  de  famille,  les  auteurs  s'en  sont  payé  à  cœur  joie  et  ont  tapé  ferme  à 
droite  et  à  gauche.  La  volée  de  bois  vert  administrée  aux  deux  compères 
de  l'Opéra  n'était  point  pour  nous  déplaire  et  nous  y  avons  applaudi  des 
deux  mains,  de  même  que  la  salle  entière.  Parmi  les  artistes  qui  se  sont 
prodigués,  gros  succès  pour  MM.  Cooper,  Dumény,  Béer,  Milher,  Galipaux, 
Begnard,  Numès,  Daubray,  Colombey,  Germain,  Coquelin  cadet,  Bomain, 
Chalmin,  Mmes  Lavigne,  Larive,  Mallet,  Ellen  Audrée,  Silviac,  etc.,  etc.  Tout 
était  admirablement  réglé,  grâce  aux  dévouements  et  la  bonne  volonté  de 
tous,  enrégimentés  sous  les  ordres  de  l'organisateur  modèle,  M.  A.  Vizentini. 

P.-E.  C. 

—  On  entendra  de  nouveau  la  belle  Messe  des  Rameaux,  de  M.  Félix 
Godefroid,  le  jour  de  Pâques,  à  l'église  Sainte-Eustache.  Pendant  l'offer- 
toire, l'auteur  exécutera  un  solo  de  harpe,  également  de  sa  composition. 

—  Béunion  des  plus  brillantes,  jeudi  dernier,  chez  M™  Ziéger-Alboni, 
où  l'on  fêtait  l'anniversaire  de  naissance  de  la  grande  artiste.  Tous  ses 
amis  avaient  tenu  à  lui  apporter  leurs  témoignages  de  vive  sympathie  et 
de  grande  admiration  et  l'hôtel  du  Cours-la-Reine  se  trouvait,  ce  soir-là, 
beaucoup  trop  petit.  On  a  fait  d'excellente  musique,  et  la  maîtresse  de  la 
maison  a  été,  comme  c'était  justice,  la  reine  de  la  fête  en  chantant  de  sa 
voix  merveilleuse  et  puissante  toujours.  On  a  beaucoup  applaudi  aussi 
MllM  Eames  et  Durand,  Mmcs  Conneau,  Kynen  et  Gutzwiller,  MM.  Widor, 
Plançon,  Diérner,  Delsart,  Baillet  et  Diaz  de  Soria  qui  ont  été  absolument 
parfaits.  Dans  l'assistance,  nous  avons  remarqué  la  princesse  Mathilde,  le 
prince    Louis  Napoléon,  MM.    Alexandre  Dumas,    de    Giers,    Ressmann, 


Dietz-Monin,   I>  Blanche,  Georges  Boyer,Weckerlin,  etc.,  tout  un  public 
d'élite  acclamant  la  reine  de  l'art  du  bel  canto.  P.-E.  C. 

—  A  la  dernière  réunion  des  Enfants  du  Nord  et  du  Pas-de-Calais  (La 
Betterave),  grand  succès  pour  MM.  Gluck,  Eycken,  Pieret  —  et  Claeys  de 
l'Opéra.  Ce  dernier  a  chanté  magistralement  l'air  d'Aben-Hamet,  de  M.Théo- 
dore Dubois. 

Concerts  annoncés.  —  Demain  lundi,  à  la  salle  Érard,  concert  de  MUe 
Kara  Chatteleyn,  avec  le  concours  de  M.  Bouhy  et  de  l'orchestre  Colonne. 
—  Vendredi  14  mars,  même  salle,  concert  de  M.  Adolphe  Lavello,  avec  le 
concours  de  MUes  Nina  Burt,  Elisabeth  Bémer,  A.  Magnien  et  de  M.  Du- 
moulin. —  Jeudi  13  mars,  même  salle,  concert  de  M.  L.  Boussagol  (de 
l'Opéra),  avec  le  concours  de  M"0  Janvier  et  de  MM.  Escalaïs,  Coquelin 
cadet,  Brun,  Marthe,  Chaussier,  Hennebains,  Franck  et  Pickaert.  — 
Samedi  prochain  15  mars,  à  la  salle  Pleyel,  séance  de  piano  donnée  par 
M.  Pierre-Bené  Hirsch. 

Henri  Heugel.  directeur-géi  ant 

Vient  de  paraître  : 

Gabriel  Pierné.  —  Becueil  de  Vingt  Mélodies.  Prix  net  :  10  francs. 

N°  1,  pour  baryton  ou  mezzo-soprano.  —  N°  2,  ténor  ou  soprano. 
Ch.  Gounod.   —  Suite  concertante,  transcrite  pour   le   piano  à  quatre  mains 

par  Ch.  de  Bériot.  Prix  net  :    7  francs. 
Bem.  Godard.  —  20  Pièces  (op.  58)  pour   le   piano,   avec    accompagnement 

d'un  second  piano  (ad  lib.j  par  M.  Jaell.  Prix  net  :  12  francs. 
Paris,  Alph.  LEDUC,  éditeur,  3,  rue  de  Grammont. 

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CHANSONS  DU  CHAT  NOIR 

Musique  nouvelle  ou  harmonisée  par  Camille  BARON 


N0=  1.  —  L'Expu'.sion. 

2.  —  Le  Banquet  des  Maires. 

3.  —  Un  Bal  à  l'Hôtel  de  Ville. 

4.  —  Coquin  d'Populo  ! 

5.  —  Les  Souvenirs  du  Populo. 

6.  —  Le  Grand  Métingue. 


Nos    7.  —  L'Électeur  Embarrassé. 

8.  —  Marche  des  Scolaires. 

9.  —  Le  Pendu. 

10.  —  Le  Bon  Saint  Labre. 

11.  —  Une  pleine  Eau. 

12.  —  Vas  Soli! 


Chaque  chanson  avec  accompagnemeut  de  piano,  prix  :  3  fr. 
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Opéra  bouffe  en  3  actes 

DE    MM. 

PAUL     FERRIER    et     CHARLES     CLAIRVILLE 

MUSIQUE    DE 

VICTOR   ROGER 


Partition  piano  et  chant.  —  Morceaux  détachés.  —  Fantaisies,  danses  et  arrangements  divers. 


Dimanche  lli  Murs  1890. 


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(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


S0MMAIEE- TEXTE 


T.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (54°  article),  Albert  Soubies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  premières  représentations  du  Fétiche,  aux 
Menus-Plaisirs,  et  de  l'Œuf  Rouge,  aux  Folies-Dramatiques,  H.  Moreno;  reprise 
des  Originaux  et  première  représentation  de  Camille,  à  la  Comédie -Fiançaise; 
premières  représentations  d'Amour,  à  l'Odéon,  et  du  Mariage  de  Barillon,  à  la 
Renaissance,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  La  musique  de  Lully,  dans  le  Bour- 
geois Gentilhomme,  J.-B.  Weckerlin.  —  IV.  Histoire  vraie  des  héros  d'opéra  et 
d'opéra- comique  (33°  article):  Rienzi,  Edmond  Neukomm.  —  V.  Revue  des  Grands 
Concerts.  —  VI.  Nouvelles  diverses. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

LE    MENUET   DE    L'INFANTE 

de  Paul  Rougnon.  —   Suivra  immédiatement:  Le  Diable  au  corps,  nouvelle 

polka  de  Heinrich  Strobl. 

CHANT 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant  :  Les  Hussards,  nouvelle  mélodie  de  Francis  Thomé,  poésie  de  Ch. 
Popelin.  —  Suivra  immédiatement  la  vieille  romance,  Assise  un  soir  dans 
la  fougère,  extraite  de  l'opéra  bouffe  le  Fétiche,  le  nouveau  grand  succès  du 
théâtre  des  Menus-Plaisirs,  paroles  de  Paul  Ferrier  et  Charles  Clairville, 
musique  de  Victor  Roger. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 

PAR 

A.lt>ert  SOUBIES   ©t  Charles   MALHERBE 

(Suite.) 


CHAPITRE  XIY 

MEYERBEER    A    l'opÉRA-COMIQIIE 
LE  PARDON  DE  PLOERMEL 

(1856-1859) 
M.  Perrin  n'eut  pour  se  consoler  d'avoir  perdu  les  Dragons  de 
Yillars  que  les  vingt-trois  représentations  d'un  opéra-comique  en 
deux  actes  le  Sylphe,  paroles  de  Saint-Georges,  musique  de  Cla- 
pisson.  Ce  sylphe  est  naturellement  un  beau  jeune  homme  qui 
•chantait  à  minuit  sous  la  fenêtre  de  la  rêveuse  Angèle  et,  caché 
dans  l'ombre  du  feuillage,  lui  avait  conseillé  d'épouser  le 
marquis  de  Valbreuse  ;  le  mariage  célébré,  la  voix  du  sylphe 
ne  s'était  plus  fait  entendre.  Or,  certain  cousin  amoureux 
vient  tenter  de  rôder  autour  de  la  marquise  ;  on  le  berne 
d'abord,  puis  on  l'écoute,  et  quand  le  danger  devient  immi- 
nent, le  sylphe  se  retrouve.  C'est  le  marquis  lui-même  qui, 
sylphe  en  chair  et  en  os,  se  jette  aux  pieds  de  sa  femme 
pour  se  faire  pardonner  son  mauvais  caractère  qui  avait  un 
instant  failli  troubler  la  paix   du    ménage.    Cette    baliverne. 


ornée  musicalement  d'oripeaux  médiocres,  avait  été  repré- 
sentée à  Bade  le  7  août  précédent  avec  Mlles  Duprez,  Mira, 
MM.  Montjauze,  Prilleux  et  Legrand.  Elle  convenait  peut-être 
à  un  public  cosmopolite  et  peu  sévère  en  ses  jugements  ;  le 
public  parisien  fut  plus  difficile,  et,  le  premier  soir  (27  no- 
vembre 1856),  il  réserva  tous  ses  applaudissements  pour  les 
deux  principaux  interprètes:  d'une  part,  Mlle  Duprez  qui  avait 
épousé  le  13  septembre  un  accompagnateur  de  l'Opéra  et 
s'appelait  désormais  Mme  Yandenheuvel  ;  de  l'autre,  Faure  qui 
dans  cette  pièce  accomplissait  un  vrai  tour  de  force,  car  il 
chantait  sur  la  scène  en  voix  de  baryton  et  dans  la  coulisse 
en  voix  de  ténor,  délicieusement  d'ailleurs,  et  avec  une 
égale  facilité  dans  les  deux  registres.  Un  mois  après,  il  était 
nommé  professeur  de  chant  au  Conservatoire  en  remplace- 
ment de  Ponchard,  démissionnaire  :  nul  plus  que  lui  ne  le 
mentait. 

Avant  de  quitter  l'ouvrage  de  Clapisson,  rappelons  que  la 
première  représentation  donna  lieu  à  une  innovation  pratiquée 
pendant  quelque  temps  et  diversement  commentée  alors  par 
la  presse.  Le  nom  des  auteurs  fut  proclamé  non  plus  par 
l'un  des  artistes,  mais  par  le  régisseur,  M.  Palianti.  Cette 
dérogation  à  l'usage  établi  semblait  indiquer  une  volonté 
arrêtée  de  remédier  à  certains  inconvénients  qu'un  journaliste 
de  l'époque,  M.  Pommereux,  rappelait  non  sans  raison  : 
«  D'abord,  écrivait-il,  l'apparition  du  comédien  lorsque  le  rideau  ' 
se  relève,  après  la  pièce,  provoque  généralement  des  manifes- 
tations qui  ont  le  tort  de  se  confondre  avec  l'expression  du 
jugement  attendu.  Il  arrive  que  les  spectateurs,  contents  de 
l'artiste,  se  croient  en  droit  de  lui  témoigner  leur  satisfaction 
par  des  applaudissements,  tandis  qu'une  certaine  partie  du 
public,  comprenant  autrement  la  situation,  prétend  donner 
immédiatement  et  exclusivement  son  avis  sur  la  pièce,  avis 
qui  peut  n'être  pas  d'accord  avec  les  bravos.  Ensuite  le 
droit  de  nommer  les  auteurs,  droit  qui  appartient  le  plus 
souvent  au  plus  important  des  acteurs  qui  ont  joué  dans 
l'ouvrage  qui  vient  de  finir,  donne  lieu  souvent  à  des  con- 
testations regrettables.  Tantôt,  quand  la  pièce  a  réussi,  tout 
le  monde  prétend  à  cet  honneur  agréable  ;  tantôt,  quand  elle 
est  tombée,  tout  le  monde  décline  cette  fonction  périlleuse. 

«  Il  arrive  encore  qu'une  partie  dés  spectateurs  n'approuve 
pas  complètement  le  choix  qui  a  été  fait  et  que  la  manie 
du  redemandage,  trop  pressée  de  s'exercer,  réclame  en  faveur 
d'un  autre  contre  celui  qui  s'apprête  à  faire  l'annonce.  Nous 
avons  vu  souvent  des  exemples  de  cette  inconvenance  qui 
a  eu  rrême  parfois  des  suites  fâcheuses.  Il  y  a  eu  jadis,  au 
théâtre  de  la  Renaissance,  des  insultes  verbales  et  même 
des  voies  de  fait  échangées  entre  deux  artistes  recomman- 
dables  et  qui  n'avaient  pas  eu  d'autre  cause. 

»  L'usage  de  confier  toujours  au  régisseur  le  soin  de  nom- 


82 


LE  MENESTREL 


mer  les  auteurs  met  fin  à  tous  ces  inconvénients.  Aussi  le 
voyons-nous  avec  plaisir  établi  à  l'Opéra-Comique  et  voudrions- 
nous  être  sur  qu'il  deviendra  général, et  que  les  autres  théâ- 
tres suivront  en  ceci  l'exemple  de  l'Opéra-Comique  comme 
celui-ci  a  suivi  en  l'adoptant,  l'exemple  de  l'Obéra.  » 

Ces  réflexions  étaient  sensées  ;  elles  auraient  dû  prévaloir 
mais  il  n'en  fut  rien,  car  nous  savons  tous  que  la  vieille 
coutume  a  reparu  plus  tard  et  se  maintient  encore. 

L'année  1856  devait  finir  par  le  grand  succès  d'une  petite 
pièce,  Maître  Pathelin ,  paroles  de  Leuven  et  Ferdinand 
Langlé,  musique  de  Bazin  (12  décembre).  Tout  le  monde 
connaît  la  farce  de  maître  Pathelin,  ce  chef-d'œuvre  de  la 
scène  française  au  moyen  âge,  et  la  liste  même  est  longue 
de  ceux  qui  ont  étudié  ce  monument  littéraire  du  langage  et 
de  la  gaieté  de  nos  pères.  Il  faudrait  presque  un  volume  pour 
résumer  les  commentaires  de  toute  espèce  épars  dans  les  tra- 
vaux de  Rabelais,  Coquillart,  Pierre  Borel,  Duverdier,  Gabriel 
Naudé,  etc.  Ce  qu'on  sait  du  moins,  c'est  que  l'aventure  avait 
fourni  déjà  la  matière  d'un  opéra-comique  en  deux  actes,  joué 
le  21  janvier'1892  au  théâtre  Montausier,  l'Avocat  Pathelin,  paroles 
de  Patrat,  musique  de  Chartrain.  L'ouvrage  eut  du  succès  et 
pourtant  ne  fut  pas  imprimé  ;  peut-être  les  préoccupations  poli- 
tiques du  moment  contribuèrent-elles  à  cet  oubli  ;  ce  qu'il  y  a 
de  certain,  c'est  que  le  souvenir  en  disparut  à  ce  point  que  Fétis, 
dans  sa  Biographie,  ne  l'a  pas  mentionné  parmi  les  œuvres  dra- 
matiques de  Chartrain,  lequel  cependant  fut  loin  d'en  écrire 
un  grand  nombre.  Plus  heureuse,  la  partition  de  Bazin  fut 
jouée  et  gravée;  nul  biographe  ne  l'oubliera,  car  elle  compte 
parmi  les  plus  gaies  de  son  auteur,  et  elle  se  maintint  pendant 
quatorze  ans  au  répertoire  de  la  salle  Favart,  fournissant  un 
total  de  235  représentations.  En  1887,  Maître  Pathelin  a  même 
reparu  au  théâtre  du  Chàleau-d'Eau,  mais  hélas  !  sans  la 
distribution  primitive  ;  on  n'avait  rencontré  ni  Couderc,  qui 
dans  le  rôle  de  Pathelin  atteignait  la  perfection,  ni  Berthe- 
lier,  qui  devait  devenir  un  des  plus  célèbres  comédiens  de 
notre  temps,  et  qui  débutait  alors  sous  les  traits  d'Aignelet, 
déjà  plein  de  gaieté  communicative,  de  verve  malicieuse  et 
de  fantaisie  originale. 

Ce  début  venait  grossir  la  troupe  des  recrues  dont  nous 
avons  déjà  parlé,  Mme  Cabel,  MM.  Barbot  et  Stockhausen  ;  il 
y  faut  joindre  les  noms  de  Prilleux  qui  venait  du  Théâtre- 
Lyrique  et  débuta  le  20  juin  dans  le  Maçon  ;  d'Azéma,  baryton 
qui  arrivait  de  province  après  avoir  appartenu  jadis  aux 
chœurs  de  l'Opéra-Comique  et  qui  débuta  le  1er  août  dans 
Frontin  du  Nouveau  Seigneur;  d'Edmond  Cabel,  beau-frère  de 
la  cantatrice,  jeune  lauréat  du  Conservatoire,  qui  débuta 
dans  l'Ambassadrice  ;  enfin,  de  Mue  Lhéritier,  qui  débuta  dans 
la  même  pièce  le  26  novembre,  après  avoir  obtenu  aux  pré- 
cédents concours  du  Conservatoire,  les  premiers  prix  de  chant 
et  d'opéra-comique,  plus  un  second  d'opéra  et  un  second 
d'harmonie.  Ainsi  se  trouvait  comblé  le  vide  laissé  par  les 
quatre  partants  de  cette  année  1856,  Bussine,  le  vieux  Ric- 
quier,  MmG  Blanchard  et  le  ténor  Puget. 

Dans  ce  bilan  sommaire,  quelques  soirées  méritent  d'être 
rappelées  :  par  exemple,  celle  du  17  mars,  représentation 
gratuite  où  fut,  après  les  Porcherons,  exécutée  et  bissée  une 
cantate  composée  par  Halévy  sur  des  vers  de  Michel  Carré 
et  Jules  Barbier,  à  l'occasion  de  la  naissance  du  prince 
impérial.  Citons  encore,  le  8  juin,  une  représentation  com- 
posée de  Richard  et  du  Pré  aux  Clercs,  au  profit  des  inondés  du 
Midi;  le  15  juin,  une  nouvelle  représentation  gratuite,  en 
l'honneur  du  baptême  du  prince  impérial,  où  fut  redonnée, 
après  Richard  et  les  Noces  de  Jeannette,  la  cantate  d'Halévy  déjà 
mentionnée;  le  3  juillet,  une  représentation  extraordinaire 
au  bénéfice  de  Mme  Casimir,  dont  on  se  rappelle  les  succès 
passés;  elle  joua  encore  une  fois  Colombine  dans  le  Tableau 
parlant,  et,  pour  un  soir,  Roger  reparut  dans  Haydèe,  dans 
ce  rôle  de  Lorédan  qu'il  avait  si  brillamment  créé  huit 
années  auparavant.  Une  autre  représentation  extraordinaire 
eut  lieu    le   4   septembre,    en    faveur    de   l'Association    des 


artistes  dramatiques,  avec  Mme  Ristori  qui  interpréta  la  Médée 
de  Legouvé,  traduite  en  italien,  avec  Mme  Déjazet  qui  dit  la 
Lisette  de  Béranger,  avec  la  troupe  du  Gymnase  qui  joua  le 
Chapeau  d'un  Horloger;  le  Chien  du  Jardinier  complétait  ce 
spectacle. 

Surtout  n'oublions  pas  deux  soirées  curieuses  :  celle  du 
16  mai  qui  n'eut  pas  lieu  faute  de  gaz  au  moment  de  la  repré- 
sentation; et  celle  du  10  août  qui  n'eut  pas  lieu  davantage 
pour  cause  de  refus  de  service  de  M.  Faure,  disait  brutalement 
l'affiche.  L'éminent  artiste  s'expliqua  dans  une  lettre  adressée 
au  Figaro,  et  menaça  de  «  déférer  l'appréciation  de  ce  fait  au 
tribunal  de  commerce  ».  Fort  heureusement  le  directeur  et 
son  pensionnaire  n'en  vinrent  pas  à  cette  extrémité  ;  ils  s'en- 
tendirent pacifiquement  et  les  avocats  n'eurent  pas  plus  à 
plaider  cette  affaire  que  les  magistrats  à  la  juger. 

(A  suivre.) 


SEMAINE   THEATRALE 


Naturellement  Ascanio,  le  nouvel  opéra  de  M.  Saint-Saëns,  n'a  pu 
passer  cette  semaine  sur  notre  première  scène  lyrique  (est-ce  bien 
la  première?).  Les  costumes  n'étaient  pas  prêts,  ce  qui  n'a  rien  de 
surprenant  puisque  les  éminents  et  perpétuels  directeurs  de  notre 
Académie  de  musique  n'avaient  rien  préparé  ni  commandé  depuis 
deux  ans  qu'ils  avaient  reçu  l'ouvrage,  espérant  toujours  pouvoir 
s'en  débarrasser  au  moment  opportun  et  l'abandonner  au  coin  d'une 
borne  de  leur  Opéra.  Heureusement  l'opinion  publique  et  la  presse, 
qui  s'est  enfin  montrée,  sont  venues  s'opposer  à  ces  noirs  projets, 
et  il  a  fallu  s'exécuter  bon  gré  mal  gré.  Ce  n'est  pas  encore  pour 
cette  semaine,  mais  ce  sera  pour  la  prochaine. 

En  attendant  cette  manifestation  de  haute  musique,  les  opérettes 
s'en  donnent  à  cœur-joie  et  nous  eu  avons  encore  eu  deux  dans  nos 
huit  jours,  ce  qui  est  assurément  une  bonne  moyenne. 

La  première  a  été  représentée  au  théâtre  des  Menus-Plaisirs,  sous 
ce  titre  : 

LE  FÉTICHE 

Elle  est  de  MM.  Paul  Fcrrier  et  Charles  Clairville,  pour  les  pa- 
roles, et  de  M.  Victor  Roger,  pour  la  musique.  La  réussite  en  a  été 
brillante,  selon  le  terme  consacré,  et  il  y  avait  un  bon  bout  de  temps 
qu'on  n'avait  autant  ri . 

L'histoire  est  difficile  à  raconter  dans  toutes  ses  complications, 
mais  à  la  scène  elle  se  déroule  claire  et  vive. 

C'est  une  croyance,  au  pays  de  Ploukérouan  (Bretagne)  que,  le 
jour  de  son  mariage,  si  c'est  en  pleine  lune,  un  marié  doit  accom- 
plir quelque  bonne  action  pour  que  le  Korrigan  le  protège  et  lui 
assure  jusqu'à  la  fin  de  ses  jours  fortune  et  félicité.  Et  voilà  pour- 
quoi le  beau  Canuche,  qui  précisément  va  convoler  en  justes  noces 
avec  Yvette  la  fermière,  cherche  quelque  infortuné  qu'il  puisse 
secourir  eD  ce  jour  de  bonheur.  L'infortuné  se  présente  en  la  per- 
sonne du  chevalier  Valentin  des  Hauts-Créneaux,  capitaine  de  dra- 
gons, qui,  après  un  duel  malheureux  pour  son  adversaire,  fuit  devant 
la  justice  de  son  pays  fort  sévère  pour  ces  sortes  de  fredaines  san- 
glantes. Il  va  être  arrêté,  quand  le  beau  Canuche  prend  le  parti  de  le 
dissimuler  sous  les  habits  de  mariage  de  sa  propre  fiancée.  Mal- 
heureusement il  n'a  pas  le  temps  d'exécuter  ce  hardi  stratagème  ; 
un  garde  champêtre  a  saisi  le  complot  au  vol  et  vient  saisir  au 
collet...  qui?  La  jolie  Yvette  en  personne,  sous  le  voile  nuptial 
de  laquelle  il  pense  que  le  délinquant  cache  son  épaulette  et  sa 
moustache. 

Canuche  et  Yvette  qui  sont  d'accord  laissent  aller  les  choses  pro- 
fitant de  la  bêtise  du  garde  champêtre.  Quand  l'erreur  sera  reconnue,, 
le  chevalier  sera  loin  déjà  et  hors  d'atteinte. 

Pendant  ce  temps  la  triste  Irène  de  Kerganigoukaradec,  noble  de- 
moiselle des  environs,  se  morfond  avec  son  père  le  marquis  dans  l'at- 
tente d'un  fiancé  qui  ne  vient  pas.  Or  il  se  trouve  —  bizarre  coïn- 
cidence —  que  ce  fiancé  et  le  chevalier  Valentin  ne  font  qu'un,  si 
bien  que  le  garde  champêtre  triomphant  est  accueilli  à  bras  ouverts 
quand  il  amène  Yvette  sous  les  jupons  de  laquelle  il  assure  que  se 
dissimule  le  chevalier.  —  hypothèse  d'autant  plus  acceptable  que 
jamais  Irène  et  son  noble  père  n'ont  vu  le  chevalier.  De  là  une  suite 
de  quiproquos  plaisants  dont  vous  devinez  tout  le  parti  que  des 
gens  d'esprit  comme  SIM.  Paul  Ferrier  et  Charles  Clairville  ont  su 
tirer.  Tout    s'explique  à  la    fin    naturellement,  quand   le  chevalier 


LE  MENESTREL 


83 


a  reçu  sa  grâce  du  roi  et  peut  venir  prendre  la  place  d'Yvette  dont 
le  dévouement  commence  à  être  aux  abois. 

C'est  fort  drôle,  je  vous  assure,  et  plein  de  scènes  amusantes.  On 
y  a  ri  beaucoup  et  c'est  là  le  principal,  puisque  rire  est  le  propre  de 
l'homme. 

Sur  ce  plaisant  canevas,  M.  Victor  Roger  a  brodé  sa  plus  jolie 
partition.  Il  n'y  a  pas  là  de  ces  prétentions  et  de  ces  alambiquages 
à  la  mode  chez  nos  ennuyeux  petits  faiseurs  d'aujourd'hui.  C'est  franc 
et  c'est  net,  à  la  manière  d'Offenbach  et  d'Hervé.  Voilà  pourquoi 
on  a  beaucoup  applaudi  ce  petit  discours  musical  bon  enfant  et 
d'une  verve  saine.  Trois  morceaux  bissés  et  deux  trissés,  c'est  le 
bilan  de  la  soirée.  Bon  nombre  de  ces  petits  airs  lestes  et  pimpants 
vont  devenir  bientôt  populaires.  Citons  pêle-mêle  le  Rondeau  de  Ca- 
nuche,  le  Duetto  de  la  Basse-cour,  la  Vieille  Romance,  le  terzetlo  déjà 
fameux  Imperturbablement,  les  Couplets  du  Dragon  et  par-dessus  tout 
la  valse  délirante  :  0  légère  hannetonne,  qu'on  a  voulu  entendre 
trois  fois. 

Interprétation  d'ensemble  bonne,  et  même  supérieure  pour  ce  qui 
est  de  Germain,  qui  a  fait  de  son  garde  champêtre  un  type  inou- 
bliable. La  gracieuse  MUe  Decroza  (Yvette)  a  été  des  mieux  accueil- 
lies, comme  aussi  Mlle  Peyral,  toute  charmante  dans  le  rôle  d'Irène. 
M.  Dekernel  (Ganuehe)  a  de  l'entrain  et  M.  Bartel  (le  marquis)  de  la 
finesse.  N'oublions  pas  le  couple  Vavasseur  et  Mary  Gillet,  le  juge 
■de  paix  et  madame  son  épouse,  deux  caricatures  réussies. 

La  mise  en  scène  de  M.  Derenbourg  est  fort  chatoyante  et  les  cos- 
tumes sortis  de  la  meilleure  plume  de  M.  Job.  C'est  donc  toute  une  vic- 
toire que  nous  avons  à  signaler. 

La  seconde  des  opérettes  de  la  semaine  a  été  représentée  aux 
Folies-Dramatiques,  sous  ce  titre  : 

L'ŒUF  ROUGE 

paroles  de  MM.  Busnach  et  Van  Loo,  musique  de  M.  Edmond  Audran. 
Cette  fois  nous  avons  affaire  à  un  opéra-comique.  C'est  le  pro- 
gramme qui  le  dit  et  M.  Edmond  Audran  ne  pouvait  se  contenter  à 
moins. 

Je  ne  sais  pourquoi  sa  nouvelle  partition,  comme  quelques  autres 
de  sa  façon  d'ailleurs,  me  donne  l'impression  d'un  jardin  anglais 
parfaitement  tenu,  froid  et  correct  dans  sa  rigidité.  Toutes  les  allées 
s'y  allongent  admirablement  ra lissées  et  les  plates-bandes  en  sont  tirées 
au  cordeau.  Pas  une  fleur  qui  dépasse.  Il  ne  faut  pas  chercher  là  de 
la  fantaisie  ou  de  l'imprévu.  Mais  c'est  de  la  musique  joliment  peignée. 
M.  Edmond  Audran  est  le  Le  Nôtre  de  l'opérette.  Je  ne  vous  citerai 
pas  un  morceau  plutôt  qu'un  autre,  car  ils  sont  tous  d'une  égale 
venue,  tirés  à  quatre  épingles  et  d'une  désespérante  perfection.  Cette 
petite  œuvre,  un  peu  compassée,  a  trouvé  un  public  qui  lui  a  rendu 
toutes  ses  froideurs,  peut-être  même  avec  usure. 

Chose  curieuse,  la  pièce  de  MM.  Busnach  et  Vanloo  suit  les 
mêmes  errements.  C'est  une  pièce  bien  menée  et  logiquement  dé- 
duite, où  l'on  peut  suivre  à  la  fois  plusieurs  intrigues,  marchant  de 
front  sans  se  gêner.  Et  pourtant,  l'étincelle  lui  manque  comme  à  la 
musique  de  M.  Audran.  Sans  qu'on  sache  pourquoi,  elle  vous  enve- 
loppe peu  à  peu  d'une  atmosphère  somnolente  et  ce  n'est  guère  que 
dans  les  dernières  scènes  de  l'ouvrage  qu'elle  consent  à  faire  quel- 
ques risettes  au  spectateur. 

Gobin,  l'immortel  Bobèche,  s'en  trouvait  lui-même  décontenancé  ;  il 
n'a  pas  eu  ses  expansions  ordinaires,  et  a  voulu  se  rattraper  sur  des 
effets  de  larmes  qui  ne  lui  ont  pas  beaucoup  réussi.  M.  Huguet  abuse 
de  sa  belle  voix,  comme  à  son  habitude.  M.  Guyon  fils  fait  de  son 
mieux,  M,le  Leriche  exagère,  mais  en  revanche  MUe  Thibault  est 
«harmanle  de  grâce  et  de  jeunesse. 

Mise  en  scène  très  soignée  dans  tous  ses  détails. 

H.  Moreno. 
Comédie-Française.  —  Les  Originaux,  comédie  en  un  acte  en  prose 
de  Fagan.  —  Camille,   comédie   en   un  acte  en  prose  de  M.  Philippe 
Gille. 

Ces  Originaux,  qui  comptent  aujourd'hui  leur  siècle  ample- 
ment dépassé  et  portent  péniblement  un  aussi  grand  âge,  ne 
sont  rien  moins  qu'une  parade  insignifiante,  d'un  intérêt  nul  et 
d'une  composition  navrante  ;  spectacle  tout  à  fait  indigne  de  la 
Comédie-Française,  même  la  veille  de  la  mi-carême.  Aussi,  j'en 
veux  tiès  fortement  à  M.  Coquclin,  instigateur  de  cette  exhumation 
ridicule.  Je  sais  qu'il  déploie,  dans  les  cinq  rôles  de  la  pièce  de 
Fagan,  une  verve  merveilleuse,  une  souplesse  étonnante  et  une 
dextérité  prestigieuse,  et  qu'il  y  récolte  un  succès  personnel  très 
mérité  ;  je  sais  aussi  que  ce  rôle  à  transformations  plaira  beaucoup 
en  Amérique  ;  mais,  franchement,  ce  ne  sont  point  là  raisons  suffi- 


santes pour  engager  notre  premier  théâtre  français  dans  une  aven- 
ture qui  ne  peut  que  le  discréditer.  Je  plains  de  tout  mon  cœur 
Mmes  Bartét  et  Samary  et  M.  Le  Bargy  de  la  figuration  qu'on  leur  a 
imposée,  et  je  suis  heureux  de  la  revanche  qu'ils  ont  pu  prendre, 
dans  la  même  soirée,  en  jouant  à  ravir  l'Etincelle. 

Le  numéro  à  sensation  de  ce  spectacle  coupé  était  la  première 
représentation  de  Camille,  un  acte  de  M.  Philippe  Gille.  Le  spirituel 
auteur  des  Charbonniers  et  des  Trente  millions  de  Gladiator,  invité 
par  M.  Claretie  à  lui  donner  une  pièce,  ne  s'est  pas  laissé  intimider 
par  la  solenoité  de  la  maison  et  a  donné  libre  carrière  à  sa  verve 
de  bon  aloi  et  à  son  esprit  parisien  et  mordant.  L'intrigue  repose 
sur  une  erreur  commise  dans  un  bureau  de  mairie  à  la  déclaration 
de  naissance  de  Camille  Prélard,  enregistré  comme  étant  du  sexe 
féminin.  Le  pauvre  garçon  promène  timidement  dans  le  monde,  et 
sans  en  rien  dire,  son  faux  état  civil,  jusqu'au  jour  où,  amoureux 
d'une  ravissante  Américaine,  il  se  décide  à  dévoiler  le  secret  de  sa 
vie.  Le  mariage  ne  pourrait  se  célébrer  si  la  jeune  fille  ne  faisait 
partie  de  la  viDgt-septième  section  de  la  religion  mormonne  qui  or- 
donne à  ses  adeptes  de  faire  seulement  ce  qui  leur  plaît  et,  par 
conséquent,  de  se  marier  comme  ils  l'entendent,  et  sans  formalités 
aucunes.  M.  Coquelin  cadet  est  parfait  en  victime  de  la  fatalité  et 
Mlle  Muller  charmante  en  miss  rieuse.  M.  de  Feraudy  a  dessiné  un 
type  amusant  d'Américain  toujours  armé  d'un  revolver  ;  M.  Truffier 
est  un  fin  et  élégant  Parisien  et  M.  Leloir  un  pasteur  mormon  bien 
original. 

Odéon.  —  Amour!  Drame  en  trois  parties  et  quatre  tableaux,  de 
M.  Léon  Hennique. 

M.  Léon  Hennique,  encore  un  de  Médan,  qui  a  passé  aussi  par 
le  Théâtre  libre,  où  il  a  rencontré  des  succès.  Esthétique  assez 
vieillotte,  bien  qu'il  se  réclame  très  haut  de  son  titre  de  novateur. 
Amour  est  un  mélodrame  quelconque,  assez  adroitement  présenté 
et  suffisamment  intéressant.  Le  but  auquel  l'auteur-  a  tendu,  pen- 
dant les  trois  actes,  est  la  reconstitution  de  la  langue  du 
XVIe  siècle  ;  c'est  en  cela  que  consiste  son  réalisme ,  car  je  ne 
sache  pas  que  les  personnages  soient  absolument  pris  sur  le  vif,  ni 
la  fable  qu'il  nous  présente  complètement  vécue.  Le  système  de 
M.  Hennique  a  des  défauts  capitaux,  si  capitaux  qu'il  n'a  pu  l'ap- 
pliquer complètement.  Si  son  premier  acte,  le  meilleur,  garde  bien 
l'allure  et  l'expression  de  l'époque,  dans  les  deux  autres,  il  s'est 
laissé  entraîner  par  son  sujet  et  semble  avoir  oublié  souvent  la 
tâche  qu'il  s'était  proposée.  La  tentative  n'en  reste  pas  moins  inté- 
ressante, sinon  nouvelle.  MM.  Candé,  Calmettes,  Numa,  Cabel,  et 
Mmes  Antonia  Laurent,  Duhamel  et  Samary  se  sont  fait  applaudir  à 
plusieurs  reprises. 

Renaissance.  —  Le  Mariage  de  Barillon,  vaudeville  en  trois  actes  de 
MM.  Georges  Feydeau  et  Maurice  Desvallières. 

C'est  l'histoire  d'un  gendre  marié  par  erreur  avec  sa  belle-mère 
(ce  que  les  employés  de  mairie  ont  bon  dos!).  On  comprendra  faci- 
lement que  le  malheureux  épousé  fasse  tout  au  monde  pour  faire 
réparer  cette  cruelle  bévue  et  je  ne  vous  étonnerai  certainement  pas 
en  vous  disant,  qu'après  mille  péripéties,  il  y  arrive.  Le  vaudeville 
nouveau  de  MM.  Feydeau  et  Desvallières  est  absolument  fou,  c'est 
de  la  quintescenee  d'insenséisme,  mais  si  adroitement  débitée  que 
le  public  rit  quoi  qu'il  en  ait.  On  aimerait  pourtant  mieux  voir  ces  deux 
jeunes  auteurs,  qui  ne  manquent  de  talent  ni  l'un  ni  l'autre,  s'atteler 
à  une  besogne  un  peu  plus  sérieuse.  La  troupe  de  la  Renaissance 
donne  avec  entrain  et  gaieté,  et  il  n'y  a  que  des  éloges  à  adresser 
à  MM.  Raimond,  Francès,  Montcavrel,  et  à  MmM  Aubrys  et  Boulanger. 

Paul-Émile  Chevalier. 


LA    MUSIQUE    DE    LULLY 

DANS  LE  BOURGEOIS  GENTILHOMME 


M.  Claretie,  administrateur  du  Théâtre-Français,  a  envoyé  à 
M.  Francisque  Sarcey,  pour  son  instruction,  une  sorte  de  factum 
sur  la  «  musique  de  scène  à  la  Comédie-Française  »,  dû  à  la  plume 
de  son  chaf  d'orchestre.  Je  me  sers  de  l'hospitalité  du  Ménestrel  pour 
y  répondre  en  quelques  mots. 

Dès  le  début,  M.  Léon,  l'auteur  du  factum,  mets  les  pieds  dans 
le  plat  en  parlant  des  airs  à  cinq  parties,  qui  étaient  d'usage  en  ce 
temps-là,  de  Cambert  à  Lully.  Eh  bien  !  je  ne  serais  pas  fâché  de  voir 
une  pièce  à  cinq  parties  de  Cambert,  qui  n'écrivait  ses  instruments 
à  cordes  qu'à  quatre    parties.    Pour  s'en  convaincre,  il  suffit  d'aller 


84 


LE  MÉNESTREL 


consulter  les  deux    seuls    actes   qui   nous  restent  de  Cambert,  l'un 
de  Pomone  et  l'aulre  de  Peines  et  Plaisirs  d'amour. 

J'ai  été  toute  nia  vie  fort  désireux  de  m'instruire;  ce  petit  faclum 
m'a  appris  entre  autres  choses  merveilleuses  qu'il  est  de  tradition  à 
la  Comédie-Française  d'accompagner  discrètement  la  littérature  avec  de 
la  musique  (heureuse  littérature  !)  et  que  dans  les  trois  partitions  du 
Bourgeois  gentilhomme,  de  Lully,  il  n'y  a  aucune  désignation  d'instru- 
ments !  !  1 

Voilà  du  nouveau.  Il  n'y  a  pourtant,  pour  se  convaincre  du  con- 
traire, qu'à  examiner  les  partitions  de  Lully,  tant  gravées  et  im- 
primées, que  celles  qui  sont  restées  manuscrites  ! 

Pour  l'exécution  du  Ballet  de  la  Reine,  en  1381,  il  y  avait  déjà  des 
flûtes,  des  hautbois,  des  trompettes,  etc. 

Au  ballet  de  la  Délivrance  de  Renaud,  en  1617  (Louis  XIII),  il  y 
eut  64  chanteurs,  28  violes  et  des  luths. 

Pour  la  Pastorale  de  Cambert,  jouée  en  1659,  le  musicien  eut  soin 
de  se  servir  des  instruments  déjà  acquis,  et  Saint-Evreniond  parle 
avec  enthousiasme  des  concerts  de  flûte  qu'on  entendit  dans  cette 
Pastorale. 

Enfin,  quoique  M.  Claretie  paraisse  convaincu,  d'après  le  factum 
de  son  chef  d'orchestre,  qu'il  donne  le  Bourgeois  gentilhomme  abso- 
lument comme  au  temps  de  Louis  XIV,  en  se  servant  de  huit  voix 
d'hommes  et  de  cinq  violons,  nous  sommes  obligé  d'affirmer  que  le 
roi  Soleil  avait  mieux  que  cela  et  que,  outre  ses  douze  instruments 
à  cordes,  Lully  avait  encore  comme  flûtistes  Piesche,  Laine,  Hotte- 
terre  et  Duclos  ;  comme  hautboïstes  Plumet  et  Lacroix  ;  comme  bas- 
sonistes Bluchet  et  ***,  enfin,  comme  timbalier,  Philidor. 

Ce  qui  a  dérouté  complètement  mon  savant  confrère,  le  chef  d'or- 
chestre de  la  musique  de  scène  à  la  Comédie-Française,  c'est  qu'il  ignore 
sans  doute  que  chez  Lully  les  mêmes  parties  servaient  aux  pre- 
miers violons  et  aux  flûtes,  aux  seconds  violons  et  aux  hautbois, 
aux  basses  et  aux  bassons,  du  moins  dans  les  ensembles,  et  ce 
n'est  que  quand  les  instruments  à  vent  jouent  seuls,  qu'on  les  dé- 
signe dans  les  partitions  ;  on  peut  le  voir  daDs  toutes  les  œuvres  de 
Lully.  Il  en  est  de  même  pour  le  Bourgeois  gentilhomme,  où  dans  le 
ballet  final  il  y  a  un  menuet  pour  les  hautbois,  indiqués  en  toutes 
lettres. 

Le  manuscrit  de  Philidor,  dont  M.  Léon  a  la  bouche  pleine,  re- 
présente, selon  lui,  la  loi  et  les  prophètes;  mais  alors,  pourquoi  le 
chef  d'orchestre  de  la  musique  de  scène  à  la  Comédie-Française  ne  fait-il 
pas  jouer  l'ouverture  dudit  Bourgeois  gentilhomme  ? 

Et  cette  grande  scène  du  commencement,  où  l'élève  du  maitre 
de  musique  compose  une  sérénade,  cette  scène  à  grand  effet  que 
chantait  le  sieur  Gaye  devant  Louis  XI"V,  que  devient-elle? 

Et  la  scène  des  musiciens  et  musiciennes  :  Un  cœur  dans  l'amoureux 
empire,  —  Il  n'est  rien  de  si  doux,  —  Aimable  ardeur  (trio),  avec  les 
ritournelles  d'orchestre  qui  séparent  ces  pièces  de  chant,  qu'en 
a-t-on  fait? 

Et  les  airs  de  danse  qui  suivent  ? 

Et  tout  le  finale  en  musique  (quarante  pages  in-folio),  finale  qui 
termine  le  Bourgeois  gentilhomme? 

Tout  cela  n'est  donc  pas  dans  le  manuscrit  du  Théâtre-Français? 
Mais,  en  ce  cas,  il  fallait  se  fournir  ailleurs  et  ne  pas  fourvoyer  son 
directeur,  homme  charmant  s'il  en  fut,  en  lui  persuadant  que  c'est 
ainsi  que  les  choses  se  passaient  sous  Louis  XIV  !  Je  dois  faire 
remarquer  encore  qu'actuellement  on  introduit  dans  la  partition  de 
Lully,  né  en  1633,  un  tambourin  de  Rameau,  né  en  1683.  Lully 
n'avait  pu  prévoir  cette  facétie  ! 

J.-B.  Weckerux. 


HISTOIRE    VRAIE 

DES    HÉROS   D'OPÉRA   ET    D'OPÉRA- COMIQUE 

XLI 

RIENZI 

Rienzi  présente  de  grandes  affinités  avec  Struensée.  L'un  et  l'autre 
partis  de  bas,  s'élèvent  au  rang  suprême,  et  tous  deux,  victimes  des 
haines  accumulées  autour  de  leur  personne,  meurent  tragiquement. 

Rienzi  était  fils  d'un  cabaretier  et  d'une  lavandière.  Il  ne  portait 
point  de  nom  de  famille,  les  gens  du  peuple  n'en  avaient  pas  alors. 
L'étude  le  charme,  il  s'instruit,  et  comme  un  talent  d'élocutiou  natu- 
rel seconde  ses  facultés  improvisatrices,  il  choisit  le  métier  d'ora- 
teur, qui  est  le  métier  de  ceux  qui  n'en  ont  pas. 

C'était  le  temps  où  Rome,  abandonnée  parles  papes,  était  livrée  à 


l'anarchie  la  plus  absolue.  Les  patriciens,  retranchés  dans  leurs  pa- 
lais, transformée  en  places  fortes,  y  vivaient  en  routiers,  toujours 
prêts  à  s'entre-dévorer,  quand  ils  ne  s'alliaient  pas  pour  fondre  sur 
la  plèbe  et  la  pressurer  à  main  armée.  La  rue,  transformée  en 
arène,  était  devenue  le  théâtre  de  brigandages  quotidiens.  Les  ci- 
toyens, affolé?,  n'osaient  plus  sortir  de  chez  eux.  Ce  n'était  qu'un 
cri  de  rage  et  d'angoisse  par  toute  la  ville.  Le  vicaire  du  pape,  de- 
meuré dans  la  cité  sainte,  voyait  son  autorité  méconnue.  Il  était 
impuissant  à  combattre  le  mal.  Son  seul  espoir  était  dans  le  peuples- 
mais  le  peuple,  bien  qu'irrité,  souffrait  son  mal  en  patience. 

Entre  temps,  Rienzi  commençait  sa  propagande  révolutionnaire. 
Il  avait  pris  le  titre  de  Consul  des  orpihelins,  des  veuves  et  des  pauvresr 
et  prêchait  l'évangile  de  la  révolte.  Mais  ceux  qui  l'écoutaient,  avi- 
dement suspendus  à  ses  lèvres,  se  bornaient  à  recueillir,  comme  une-- 
manne  humaine,  la  bonne  parole,  sans  se  décidera  l'action.  Le 
temps  n'est  pas  venu,  pensait  Rienzi,  et  il  attendait. 

Un  incident  propice,  d'aucuns  disent  une  disette  provoquée  par 
les  riches,  d'autres  un  assassinat  commis  sur  un  frère  du  Consul  et 
dont  celui-ci  ne  put  oblenir  justice,  lui  indiqua  que  le  moment  d'a- 
gir était  venu. 

Le  dimanche  20  mai  1347,  jour  de  'a  Pentecôte,  Rienzi,  après 
avoir  entendu  trente  messes  pendant  la  nuit,  convoque  le  peuple 
devant  l'église  de  Saint-Jean  de  la  Piscine.  L'évêque  d'Orvieto,  vi- 
caire du  pape,  est  à  ses  côtés.  Le  Consul  harangue  la  foule.  Sa  pa- 
role enflammée  porte  le  feu  dans  tous  les  esprits.  On  l'acclame,  les 
mains  se  tendent  vers  lui  en  manière  de  serment  et  quand  il  lève- 
l'épée  et  la  brandit  dans  l'air,  un  seul  cri  retentit  :  Au  Capitole! 

Là,  le  prêtre  le  bénit  et  lui  décerne  le  titre  de  Tribun  et  de  Li- 
bérateur. 

Alors  commence  une  de  ces  épopées  qui  ressemblent  à  un  rêve, 
à  un  conte  des  Mille  et  Une  Nuits.  Le  fils  du  cabaretier  écrit,  en  les 
appelant  «mon  cousin  »,  à  tous  les  princes  de  l'Europe  pour  leur. 
annoncer  le  rétablissement  du  «  Bon  état  »  à  Rome.  Et  chacun  de- 
s'incliner  devant  le  souverain  improvisé.  Bien  plus,  on  le  choie,  on 
l'exalte.  L'empereur  Louis  IV  le  prie  de  le  réconcilier  avec  le  pape;.. 
Jeanne  de  Naples  demande  son  amitié;  et  Louis  de  Hongrie  le  prend 
pour  juge  dans  la  poursuite  de  l'assasinat  d'un  de  ses  fières.  Ces., 
bouffées  d'encens  montent  à  la  tête  du  parvenu.  Ils  s'enivre  d'or- 
gueil, s'entoure  de  pompe  et  de  magnificence  et  ne  paraît  en  public 
que  la  tète  ceinte  d'une  tiare,  composée  de  sept  couronnes  de  diverses- 
significations,  dont  la  dernière,  d'argent,  était  surmontée  de  la. 
pomme  impériale.  Bientôt,  son  exaltation  tyrannique  ne  connait- 
plus  de  bornes.  Il  arme  son  fils  Chevalier  de  la  Victoire,  se  compare 
au  Christ  envoyé  sur  la  terre  pour  régénérer  l'humanité,  et,  procla- 
mant que  le  choix  de  l'empereur  appartiendrait  dorénavant,  comme  - 
dans  les  anciens  temps,  au  peuple  romain  ,  il  cite  les  électeurs  à 
comparaître  devant  son  tribnnal. 

Pour  le  coup,  la  mesure  était  comble.  Les  souverains  s'émeuvent- 
les  patriciens  romains  réussissent  à  intéresser  à  eux  le  pape  Clé- 
ment VI.  Celui-ci  envoie  à  Rome  un  légat  muni  de  pleins  pouvoirs. 
Or,  par  un  revirement  propre  aux  masses  et  dont  l'Histoire  donne  do 
nombreux  exemples,  ce  prélat  est  acclamé  comme  l'avait  été  Rienzi 
six  mois  auparavant.  Il  profite  de  ces  bonnes  dispositions  pour  por- 
ter le  dernier  coup  au  tribun,  à  l'idole  delà  veille,  en  l'exeomniunianU- 
Dès  lors,  Rienzi  est  perdu  sans  retour.  Il  se  retire  au  château  Saint- 
Ange  ;  mais  ceux  qui  l'entourent,  en  petit  nombre,  abandonnent 
leur  maître  déclaré  hérétique  et  séditieux,  et  à  qui  l'usage  du  feu 
et  de  l'eau  est  interdit.  Il  se  cache,  il  s'éloigne,  il  se  réfugie  en  Bo- 
hême; mais  l'empereur,  son  grand  ami  des  jours  glorieux,  le  fait 
arrêter  et  le  livre  au  pape,  dont  la  résidence  était  alors  à  Avignon. 
La  mort  de  Clément  "VI  le  sauve  du  supplice. 

Alors,  par  une  éclaircie  soudaine  autant  qu'iuattendue,  de  la  fortune, 
son  étoile  recommence  à  briller.  Iunocent  IV  ne  partageait  par  les 
idées  de  son  prédécesseur;  il  donne  mission  à  Rienzi  de  soumettre 
les  Etats  de  l'église.  Le  Tribun  assiège  victorieusement  Orvièle  et 
Vilerbe;  il  revient  à  Rome  en  triomphateur...  Mais  cette  apothéose 
fut  de  courte  durée. 

Excité  contre  le  peuple,  qui  l'avait  si  lâchement  abandonné,  il 
veut  user  de  représailles.  L'écbafaud  se  dresse  en  permanence  sur  la 
place  publique,  et  la  plèbe  est  écrasée  d'impôts.  Ou  murmure;  bien- 
tôt l'orage  gronde;  les  nobles  font  cause  commune  avec  les  humbles; 
on  crie  aux  armes,  et  la  foule  se  précipite  au*  Capitole,  où  elle 
s'empare  de  Rienzi. 

Alors  commence  une  scène  de  carnage,  dont  on  ne  trouverait  le 
pondant  qu'en  remontant  au  massacre  de  Vitellius.  Conduit  au  piedi 
du  grand  escalier,  près   du  lion  de   porphyre,  Rienzi  voulut  parler, 
haranguer  la  foule,  essayer  une  dernière  fois  de  l'empire  que  sa  paroler- 


LE  MENESTREL 


8o 


avait  eu  sur  elle  ;  mais,  comme  il  ouvrait  la  bouche,  un  artisan  lui 
enfonça  son  estoc  dans  le  ventre  et  l'étendit  mort  à  ses  pieds.  Aus- 
sitôt, on  se  précipita  sur  lui;  son  cadavre  exposé  aux  dernières  igno- 
minies, lacéré,  mutilé,  fut  traîné  dans  la  boue,  puis,  ce  qui  était  le 
comble  de  l'ignominie,  brûlé  par  des  juifs  avec  un  feu  d'orties 
sèches. 

t  Telle  fut  la  fin  dû  Tribun  »  dit  l'historien  Papencordt,  qui  ra- 
conte ces  détails.  Et  il  ajoute  : 

«  Par  un  noble  essor  de  son  esprit,  il  s'éleva  à  la  plus  haute  posi- 
tion ;  mais  elle  dépassait  tellement  ses  forces  morales  et  intellectuelles 
qu'il  ne  nous  présente  pas  une  seule  fois  le  spectacle  d'une  lutte 
grandiose  pour  la  réalisation  de  son  idée.  Bien  plus,  cette  idée  elle- 
même,  il  l'abandoûna  presque  entièrement  à  la  fin;  et  comme  les 
conditions  et  les  bases  matérielles  de  la  puissance  lui  manquaient, 
sa  chute  était  inévitable.  Toute  sa  vie  ne  nous  offre  que  de  l'extra- 
ordinaire et  point  de  véritable  grandeur.  Mais  dans  l'histoire  et  dans 
l'opinion  des  hommes  le  souvenir  de  sou  noble  commencement  a 
prédominé,  et  il  a  entouré  son  nom  d'une  auréole  romantique  comme 
peu  de  figures  du  moyen  âge  en  ont  obtenu.  Ses  crimes,  confondus 
avec  ceux  de  ses  contemporains,  ont  disparu  dans  l'ombre  pour  ne 
laisser  briller  que  la  beauté  de  son  entreprise.  » 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomu. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts  du  Chàtelet.  —  M.  Colonne  a  fait  entendre,  dimanche  der- 
nier, la  partie  musicale  complète  du  Struensée  deMeyerbeer.  L'orchestration 
de  Meyerbeer,  qui  passait  autrefois  pour  bruyante,  parait  modeste  aujour- 
d'hui si  on  la  compare  aux  déchaînements  wagnériens.  Pour  nous,  cette 
sobriété  est  un  mérite,  car  la  musique  n'est  pas  une  question  de  bruit  : 
un  compositeur  pourra  toujours  faire  plus  de  bruit  qu'un  autre  ;  Berlioz, 
dans  une  de  ses  marches,  a  bien  employé  le  canon.  C'est  une  question 
d'oppositions  bien  ménagées.  Sous  ce  rapport,  Meyerbeer  est  parfait,  de 
plus,  il  est  profondément  humain.  Il  excelle  à  peindre  les  passions  indi- 
viduelles, et,  encore  mieux,  les  passions  des  foules;  il  les  peint  dans  un 
langage  précis,  vivant.  La  musique  est  une  langue,  et,  comme  tout  lan- 
gage, elle  doit  avoir  et  elle  a  sa  prosodie,  sa  syntaxe.  Voilà  précisément 
ce  qu'oublient  nos  prétendus  novateurs  qui,  en  croyant  se  rapprocher  de 
la  vérité,  s'en  éloignent.  Pour  eux  il  n'y  a  plus  de  symétrie,  plus  de  tona- 
lité, les  foules  ne  chantent  plus,  elles  font  entendre  des  hurlements;  la 
voix  humaine  est  perdue  dans  les  sonorités  orchestrales,  elle  ne  se  prête 
plus  à  ces  harmonieux  ensembles  qui  étaient  un  charme  et  un  repos  pour 
l'esprit.  On  a  perdu  le  secret  des  belles  mélodies  bien  ordonnées,  on  a  vu 
cette  innovation  barbare,  la  mélodie  continue,  qui  est  la  négation  de  toute 
mélodie  et  nous  fait  retourner  aux  vagissements  indéterminés  de  l'enfance; 
l'orchestration  est  confuse,  elle  n'a  plus  la  clarté  des  œuvres  du  passé.  Ces 
observations,  toutefois,  ne  s'appliquent  pas  à  l'ouverture  du  Tannhàuser, 
qui  est  conçue  sur  les  anciennes  données  et  que  les  vrais  wagnériens  désa- 
vouent. Le  Rouet  d'Omphale,  de  M.  Saint-Saëns,  est  une  composition  charmante 
qu'on  ne  lasse  pas  d'en  tendre.  Le  Dernier  Printemps,  de  M.Grieg,  est  une  œuvre 
poétique  mais  un  peu  vague,  et  qui  ne  laisse  pas  dans  l'esprit  une  im- 
pression bien  profonde.  M.  Colonne  a  donné  une  troisième  audition  de 
l'Or  du  Rhin,  de  Wagner.  La  première  fois  que  nous  entendîmes  ce  frag- 
ment, notre  curiosité  lut  vivement  éveillée;  il  y  a  là  des  ingéniosités 
d'orcheslre  tout  à  fait  inusitées,  un  certain  mouvement,  quelque  chose  de 
scénique.  Une  fois  le  procédé  reconnu,  le  sentiment  de  curiosité  dispa- 
rait, et  il  ne  reste  pas  grand'chose  à  la  place.  Décidément,  pour  bien 
juger  ce  morceau,  il  faudrait  l'entendre,  comme  cela  est  indiqué,  dans  un 
aquarium  où  les  filles  du  Brun  chanteraient  en  nageant,  où  M.  Auguez 
nagerait  en  chantant,  où  le  public  lui-même  nagerait.  Attendons  l'été  pour 
cela.  Ce  qui  prouve  une  fois  de  plus  que  le  sentiment  mélodique  est  seul 
apte  à  vivifier  les  œuvres  d'art,  c'est  le  succès  qu'a  eu  cette'  vieille  ren- 
gaine de  l'Invitation  à  la  valse,  de  "Weber,  orchestrée  par  Berlioz.  Tout  le 
monde  sait  ce  morceau  par  cœur  depuis  deux  ou  trois  générations,  il  n'y 
a  pas  de  surprises  à  en  attendre,  c'est  connu  comme  l'alphabet,  etpourtant 
on  n'en  a  pas  perdu  une  note,  on  écoutait  avec  recueillement  et  à  la  fin 
les  applaudissements  sont  partis.  C'était  le  bon  sens,  c'était  la  vérité  qui 
prenaient  leur  revanche.  H.  Barbedette. 

Concerts  Lamoureux.  —  La  symphonie  de  Walknstein,  de  M.  V.  d'Indy, 
est  d'une  structure  solide  et  ferme,  la  veine  mélodique  en  est  féconde  et 
certaines  phrases  sont  d'une  saveur  délicieuse.  Le  vice  de  l'œuvre  et  de 
toutes  celles  de  la  même  écolo,  consiste  en  ceci  :  l'auteur  choisit  au 
hasard  de  ses  goûts  une  œuvre  littéraire  et  en  décrit  musicalement  les  scè- 
nes. Or,  le  plus  souvent  le  développement  littéraire  est  une  entrave  per- 
manente à  l'expansion  du  développement  de  la  musique  pure.  L'idée 
seule  doit  dominer,  disent  les  convaincus,  et  ils  citent  "Wagner.  "Wagner 
faisait  dire  à  ses  personnages  ce  qu'exprime  son  orchestre,  mais  vous, 
vous  remplacez  les  dialogues,  la  mise  en  scène,  les  costumes,  la  mimique 


par...  une  notice  explicative.  —  L'ouverture  de  Fidelio  n'a  produit  aucun 
effet.  Elle  a  été  disséquée  par  l'orchestre  avec  une  froideur  qui  s'est  com- 
muniquée au  public.  —  Quand  un  virtuose  prend  la  plume  de  composi- 
teur, nous  avons  le  droit  d'attendre  de  lui,  sinon  des  pensées  musicales 
vraiment  belles,  du  moins  des  effets  de  nature  à  intéresser  au  point  de 
vue  du  mécanisme  de  son  instrument.  M.  Paderewski  a  joué  son  con- 
certo en  la  majeur  qui  ne  nous  satisfait  pas  entièrement  à  ce  point  de 
vue.  Gomme  pianiste,  M.  Paderewski  a  des  délicatesse  de  style  et  de 
toucher  qui  charment  délicieusement,  mais  il  n'est  réellement  lui-même 
que  quand  il  joue  seul,  sauf  peut-être  quand  il  interprète  avec  une 
glande  effervescence  les  œuvres  de  Liszt,  car  alors  il  se  livre  et  le  rythme 
lui  impose  sa  loi.  Dans  les  autres  cas,  c'est  le  contraire  qui  a  lieu.  En 
exécutant  une  romance  de  M.  Saint-Saëns  et  surtout  la  Campanella  de 
Liszt,  il  s'est  montré  avec  ses  qualités  supérieures,  dégageant  les  thèmes 
dans  leur  limpidité  parfaite,  les  faisant  briller  sous  toutes  leurs  faces  et 
dédaignant  de  recourir  aux  effets  maladivement  tendres  dont  il  émaille 
certaines  compositions.  —  MI11C  Materna,  par  la  nécessité  qui  s'impose  à 
elle  de  chanter  dans  une  langue  étrangère,  se  trouve  placée  hors  des 
conditions  ordinaires  de  la  critique.  Pour  ceux  qui  ne  peuvent  la  suivre 
mot  pour  mot  sur  un  texte  allemand,  il  reste  à  admirer  sa  voix  encore 
superbe  et  son  imposant  maintien  quand  elle  ne  se  trouve  pas  gênée  par 
de  longs  intervalles  remplis  par  les  mouvements  d'orchestre.. Elle  a  chanté 
un  air  de  Haendel  et  un  air  de  Tannhàuser,  mais  c'est  dans  le  finale  du 
Crépuscule  des  Dieux  qu'on  peut  la  trouver  magnifique,  quand  on  possède 
une  connaissance  suffisante  du  texte  qu'elle  déclame-  avec  une  intensité 
d'accent  vraiment  prodigieuse.  Elle  a  été  couverte  d'applaudissements 
après  cette  scène  superbe  qui  se  termine  par  un  formidable  déchaînement 
d'orchestre  où  le  thème  de  la  chute  des  dieux  de  l'Or  du  Rhin  et  le 
tbème  d'amour  de  Siegfried  s'enlacent  et  forment  un  contraste  d'une 
expression  poignante.  Amédée  Boutarel. 

—  Programmes  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Au  Conservatoire  :  relâche. 

Au  Chàtelet  (2  h.  1/4)  concert  Colonne  :  Roméo  et  Juliette,  drame  lyrique 
d'après  la  tragédie  de  Shakespeare,  paroles  de  Emile  Deschamps,  musique 
de  Hector  Berlioz.  —  Soli  M"e  de  Montalant,  M.  Mauguière,  M.  Auguez 
(de  l'Opéra). 

Au  Cirque  d'Eté  (2  h.  1/2),  20°  et  dernier  concert  Lamoureux  :  1°  Sym- 
phonie en  la  (Beethoven)  ;  2°  Air  de  Rienzi  (Wagner),  chanté  par  M."™  Ma- 
terna ;  3°  Attila,  ouverture  (Salvayre)  ;  4e  a.  Prélude  du  lor  acte  ;  b.  Mort 
d'Yseult  (3e  acte)  de  Tristan  et  Yseult  (Wagner)  ;  Yseult,  Mme  Materna  ; 
5°  Une  ouverture  pour  Faust  (Wagner)  ;  6°  Scène  finale  du  Crépuscule  des 
Dieux  (Wagner)  ;  Brunehilde  :  Mm8  Materna  ;  7°  Marche  hongroise,  de  la 
Damnation  de  Faust  (Berlioz). 

—  Concerts  et  musique  de  chambre.  —  On  ne  peut  rien  imaginer  déplus 
gracieux,  déplus  fin,  de  plus  aimable  que  la  petite  symphonie  de  M.  Ch.  Gou- 
nod,  que  vient  de  nous  faire  entendre  la  Société  des  instruments  à  vent. 
On  y  retrouve  à  un  égal  degré  les  qualités  de  pureté  harmonique,  d'élé- 
gance instrumentale  et  le  style  séduisant,  le  charme  tout  personnel  de 
l'auteur  de  Faust.  Le  succès  a  été  très  grand  et  on  a  accueilli  avec  la  même 
faveur  les  quatre  parties  de  l'œuvre.  MM.  Diémer  et  Turban  ont  dit  d'une 
admirable  façon  le  beau  duo  (op.  47)  pour  piano  et  clarinette  de  Weber. 
M.  Turban  est  un  virtuose  extrêmement  remarquable  et  joue  aussi  musi- 
calement que  possible.  De  M.  Diémer  il  est  inutile  de  parler  :  c'est  la  per- 
fection même.  Si  je  trouvais  un  superlatif  au  mot  «  perfection  »,  c'est  à 
M.  Taffanel  qu'il  faudrait  l'appliquer.  Il  a  interprété  trois  gracieuses  pièces 
de  M.  Godard,  comme  lui  seul  pouvait  les  interpréter,  c'est  tout  dire.  La 
séance  s'est  terminée  par  l'adorable  sérénade  de  Mozart.  —  M.  J.  Pade- 
rewski, de  retour  à  Paris,  vient  de  donner  un  premier  concert.  On  peut  lui 
reprocher  quelques  exagérations  de  style,  une  recherche  trop  constante 
de  l'effet;  mais  ces  défauts  sont  compensés  par  des  qualités  remarquables 
de  virtuosité,  un  son  d'une  grande  variété,  une  exquise  délicatesse,  de 
la  chaleur  et  du  charme  et,  —  ceci  est  incontestable,  —  par  un  jeu  em- 
preint d'une  véritable  individualité.  Sur  son  premier  programme  se  trou- 
vaient réunis  les  noms  de  Bach,  Beethoven,  Schumann,  Chopin  et  Liszt; 
deux  morceaux  de  sa  composition,  d'une  grâce  tour  à  tour  coquette  et 
langoureuse,  ont  été  écoutés  avec  plaisir.  —Je  ne  puis  terminer  ces  notes 
sans  mentionner  le  très  grand  succès  obtenu  à  la  dernière  séance  de 
M.  Mendels,  par  M.  Van  Waeffelghem  qui  a  joué  sur  la  viole  d'amour 
deux  pièces  de  Martini  avec  un  sentiment,  un  charme  infinis.  Il  a  un 
instrument  de  premier  ordre  et  s'en  sert  en  virtuose  accompli.        I.  Ph. 

—  La  deuxième  séance  donnée  par  le  quatuor  Ed.  Nadaud,  avait  attiré 
dans  les  salons  Pleyel  un  auditoire  des  plus  choisis.  Cette  séance  était 
consacrée  aux  maîtres  classiques  et  à  l'audition  de  plusieurs  pages  écrites 
pour  le  clavecin.  M.  L.  Diémer  avait  bien  voulu  se  charger  d'interpréter 
ces  œuvres  sur  un  instrument  construit,  d'après  un  nouveau  système,  par 
la  maison  Pleyel.  Les  registres  sont  remplacés  par  des  pédales  et  l'artiste 
peut  ainsi  obtenir  les  nuances  les  plus  délicates,  ce  qui  n'était  pas  possible 
sur  les  anciens  clavecins.  Nous  regretterions  de  ne  pas  mentionner  d'une 
façon  toute  spéciale  le  quatuor  en  mi  mineur  de  Mondelssohn,  exécuté 
avec  un  rare  talent  par  MM.  Nadaud,  Laforgo,  Mas    et  Cros  Saint-Ange. 


86 


LE  MENESTREL 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

Une  singulière  nouvelle  nous  arrive  d'Allemagne,  où  l'on  annonce 
que  M.  Emile  Naumann,  directeur  du  Conservatoire  de  Berlin,  a  été 
arrêté  sous  l'accusation  d'avoir  étranglé  le  fils  d'une  de  ses  nièces,  à 
cause  des  relations  que  celui-ci  entretenait  avec  une  élève  de  l'établisse- 
ment (!).  M.  Naumann  est  un  compositeur  estimé,  à  qui  l'on  doit  plu- 
sieurs œuvres  importantes  ;  entre  autres,  plusieurs  symphonies,  un  grand 
oratorio,  le  Christ  messager  de  paix,  une  pièce  à  ariettes,  intitulée  la  Sorcière 
du  Moulin,  et  une  grande  cantate  dédiée  au  roi  de  Prusse,  en  l'honneur 
des  succès  des  armes  prussiennes  pendant  la  campagne  de  1866  contre 
l'Autriche.  Il  s'est  fait  connaître  aussi  comme  écrivain  musical,  a  publié 
entre  autres,  un  mémoire  sur  la  musique  italienne,  depuis  Palestrina  jus- 
qu'à nos  jours,  et  a  été  l'un  des  collaborateurs  de  la  Nouvelle  Gazette  musi- 
cale de  Berlin. 

—  Une  exposition  musicale  à  Vienne.  —  Il  vient  d'être  décidé  qu'une 
exposition  internationale  d'instruments  de  musique  de  toutes  sortes,  depuis 
le  violon  et  le  piano  jusqu'au  tambour  —  (nous  allions  dire  jusqu'à  la 
guimbarbe)  —  de  partitions  originales,  d'autographe,  lettres,  portraits, 
photographies,  de  tous  les  musiciens  célèbres,  aura  lieu  dans  le  courant 
du  mois  d'août.  La  princesse  Pauline  de  Metternich  prend  le  plus  vif 
intérêt  à  cette  entreprise  qui  coïncidera  avec  l'époque  du  festival  du 
Sangerbund.  On  parle  de  douze  mille  choristes. 

—  Une  exposition  d'un  nouveau  genre  va  s'ouvrir  à  Bonn  au  mois  de 
mai,  organisée  par  les  soins  des  administrateurs  du  musée  Beethoven  à 
Bonn.  Cette  exposition,  qui  prendra  le  nom  de  Beethoven- Ausstellung,  sera 
exclusivement  consacrée  à  l'examen  rétrospectif  de  la  vie  et  des  œuvres 
du  grand  maître.  Toutes  les  personnes  connues  pour  être  possesseurs 
d'objets,  de  manuscrits,  de  tableaux  ou  de  documents  quelconques  ayant 
trait  à  Beethoven  ont  été  invitées  à  exposer  leurs,  précieuses  reliques  à 
Bonn.  Différents  concerts  de  musique  de  chambre  seront  donnés  pendant 
l'exposition,  avec  le  concours  des  premiers  artistes  de  l'Allemagne, 
entre  autres  M.  Joachim  et  Mme  Clara  Schumann. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Hall  :  Le  théâtre  municipal  a 
exhumé  un  vieil  opéra  de  Flotow,  intitulé  Indra,  totalement  inconnu  de 
la  présente  génération.  Parfaitement  interprété,  cet  ouvrage  a  trouvé  bon 
accueil  auprès  du  public.  —  Hambourg  :  La  première  représentation  alle- 
mande de  l'opéra  Asraël,  du  baron  Franchetti,  que  vient  de  donner  le 
théâtre  municipal,  a  remporté  un  succès  extraordinaire  qui  s'est  dessiné 
dès  le  début.  Pas  moins  de  huit  rappels  à  la  fin  du  premier  acte.  — 
Mannheim  :  Le  comte  von  Stengel,  ancien  directeur  artistique  du  théâtre 
municipal  de  Brunn  vient  d'être  nommé,  pour  cinq  années,  intendant  du 
théâtre  grand-ducal  national  de  la  Cour.  —  Salzbourg  :  Le  théâtre  impérial- 
royal,  dont  nous  avons  annoncé  la  faillite,  va  rouvrir  sous  la  direction 
de  M.  A.  Lechner,  ancien  directeur  du  théâtre  municipal  de  Teplitz.  — 
Troppau  :  Angelor,  opéra  burlesque  en  un  acte  de  M.  J.  Horst,  musique 
de  M.  C.  Weinberger,  vient  d'être  représenté  avec  succès  au  théâtre 
municipal. 

—  Franz  Lachner,  dont  nous  avons  annoncé  la  mort  à  Munich,  était  un 
des  derniers  musiciens  de  ce  temps  .qui  eussent  connu  personnellement 
Beethoven.  Il  y  a  encore  à  Vienne  deux  contemporains  du  grand  maître 
c'est  le  poète  Bauernfeld,  et  un  cabaretier  de  Nussdorf,  près  de  Vienne' 
appelé  Greiner.  Il  y  a  quelques  mois  Bauernfeld  a  célébré  gaiement,  lé 
verre  en  main,  son  89»  anniversaire  de  naissance.  Le  jour  de  l'enterre- 
ment de  Beethoven,  Bauernfeld  marchait,  avec  Franz  Schubert,  le  peintre 
Moritz  Schwind,  le  musicien  Franz  Lachner,  derrière  le  corbillard,  pour 
rendre  un  suprême  hommage  au  grand  homme  qui,  à  Vienne  même'  avait 
été  respecté  à  l'égal  d'un  souverain.  Tout  récemment,  un  journaliste  de 
Vienne  s'est  rendu  à  Nussdorf  pour  interviewer  le  vieux  Greiner.  C'est 
chez  ce  dernier  que  Beethoven  avait  pris  parfois  un  verre  de  vin.  Assis 
dans  le  jardinet,  plongé  dans  ses  idées,  il  ne  causait  avec  personne  et 
n'avait  qu'un  grognement  rébarbatif  pour  ceux  qui  essayaient  de  lui 
adresser  la  parole.  La  symphonie  pastorale  et  d'autres  œuvres  sont  nées 
sous  la  tonnelle  de  ce  petit  enclos.  Au  journaliste  qui  venait  l'interwie- 
ver,  le  vieux  cabaretier,  aujourd'hui  âgé  de  93  ans,  ne  donna  que  ce  ren- 
seignement :  «  Que  voulez-vous  que  je  vous  dise?  Ce  Beethoven  c'était 
un  de  ces  fous  musicastres,  voilà  tout.  » 

—  Au  Gewandhaus,  de  Leipzig,  on  a  exécuté  récemment  deux  compo- 
sitions nouvelles  :  une  Suite  d'orchestre  en  fa,  de  M.  Mozkowsky  dont  le 
succès  parait  avoir  été  médiocre,  et  une  œuvre  très  importante  de 
M.  Edouard  Grieg.  Cette  dernière  est  une  sorte  de  drame  lyrique,  intitulé 
Olaf  Trygvason  que  le  compositeur  a  écrit  sur  un  poème  de  M.  Bjo'rnsterne 
Bjornson.  Olaf  Trygvason  parait  avoir  obtenu  un  succès  considérable. 

-  La  date  de  la  fermeture  définitive  du  Théâtre  allemand  de  la  Cour 
à  Saint-Pétersbourg,  a  été  officiellement  fixée  au  1er  mai  prochain. 

—  Nous  avons  dit  qu'un  concours  avait  été  ouvert  par  le  Teatro  Itlustrato 
journal  de  M.  Edouard  Sonzagno,  le  grand  éditeur  de  musique  de  Milan' 
pour  trois  opéras  en  un  acte  destinés  à  être  représentés.  Le  jury  de  ce 
concours,  composé  de  MM.  Platania,  Marchetli,  Sgambati,  Am'inlo    Galli 


et  D'Arcais,  a  rendu  son  jugement,  et  a  choisi  à  l'unanimité  les  trois 
ouvrages  suivants  :  1°  Cavalleria  rusticana,  de  M.  Mascagni  ;  2°  Labilia,  de 
M.  Nicolo  Spinelli  ;  et  3°  Rudello,  de  M.  Ferroni,  professeur  de  haute  com- 
position au  Conservatoire  de  Milan.  M.  Pietro  Mascagni,  qui,  on  le  voit, 
a  obtenu  le  premier  prix,  n'est  pas  tout  à  fait  inconnu  ;  élève  pendant 
six  ans  à  Livourne,  de  M.  Alfredo  Joffredini,  aujourd'hui  rédacteur  en 
chef  de  la  Gazzetta  musicale  de  Milan,  et  ensuite  d'une  classe  de  composi- 
tion du  Conservatoire  de  Milan,  il  a  déjà  produit  plusieurs  œuvres  impor- 
tantes, entre  autres  deux  cantates  :  In  Filanda  et  l'Ode  à  la  joie  de  Schiller, 
ainsi  que  deux  compositions  religieuses  avec  lesquelles  il  obtint,  en  188-1, 
une  mention  honorable  à  l'Exposition  de  Milan.  Outre  les  trois  ouvrages 
couronnés,  le  jury  a  pris  en  sérieuse  considération  les  partitions  suivantes: 
la  Leggenda  Vmana,  de  M.  Bossi,  travail  qui,  malheureusement,  par  la 
nature  de  son  sujet,  ne  se  prête  pas  à  la  représentation  ;  Andréa  di  Francia, 
de  M.  Armando  Seppilli  ;  Marina,  de  M.  Giordano  ;  Il  Bacio  délia  Péri,  de 
M.  Majani  ;  Gli  adoralori  del  Fuoco,  de  M.  de  Lorenzi  Fabris  ;  Il  Profeta  Ve- 
lalo,  de  M.  Napolitano;  Viviano,  de  M.  Pizzi  ;  et  la  Bella  del  Bosco  dormente, 
de  M.  Vitale. 

—  Les  ténors  me  font  toujours  rire.  Voici  ce  qu'on  dit  dans  un  journal 
italien:  «  On  sait  quel  soin  et  quelle  élégance  apporte  le  célèbre  ténor 
Stagno  dans  les  costumes  qu'il  revêt  pour  les  différents  rôles  de  son 
répertoire.  Il  a  maintenant  l'intention  d'exposer  dans  une  grande  salle 
de  sa  villa,  à  Naples,  l'armure  tant  admirée  de  Loliengrin,  en  même 
temps  que  les  costumes  d'Eléazar,  Almaviva,  Bobert,  Baoul,  etc.;  tout  un 
petit  musée  artistique.  Le  comité  pour  les  fêtes  de  mai  à  Rome  s'est 
adressé  au  commendatore  Stagno  pour  qu'il  consente  à  faire  cette  exposition 
de  ses. costumes  à  Rome,  précisément  à  l'occasion  de  ces  fêtes.  Si  le  célè- 
bre ténor  répond  favorablement,  lesdits  costumes  seront  exposés  dans 
une  salle  du  palais  des  Beaux-Arts,  et  on  en  revêtira  des  mannequins 
qui  représenteront  les  divers  personnages  du  répertoire  du  chanteur.  » 

—  C'est  toute  une  avalanche  de  nouveaux  opéras  dont  les  journaux 
italiens  nous  annoncent  la  naissance...  dans  les  cartons  de  leurs  auteurs. 
En  voici  une  liste  que  nous  ne  donnons  pas  pour  absolument  complète  : 
Galileo,  de  M.  Pietro  Viladerale-Garcia  ;  Pergolese,  du  baron  Pierantonio 
Tasca,  paroles  de  M.  Eugenio  Checchi  ;  Ermengarda,  du  même  compositeur; 
Mala  Pasqua,  de  M.  Gastaldan,  que  l'on  croit  devoir  être  représenté  au 
Costanzi  de  Borne,  avec  la  Teodorini  et  le  fameux  baryton  Cotogni; 
Ginevra  di  Monreale,  de  M.  Bonavia;  enfin,  le  maestro  Giovanni  Pelozo  n'a 
pas  terminé  d'un  coup  moins  de  trois  ouvrages,  Idae  Kalebe,  opéra  sérieux 
en  trois  actes  ;  «7  Grilto  del  Folcolare,  opérette  en  deux  actes  ;  et  il  Morto 
vivo  autre  opérette  en  deux  actes. 

—  Un  journal  italien,  il  resto  del  Carlino,  imprime  ceci  :  «  Dans  les 
cercles  artistiques,  on  assure  que  Boito  donnera  l'année  prochaine  son 
Nerone  à  la  Scala  de  Milan,  et  qu'il  a  déjà  choisi  pour  protagoniste  le 
ténor  Van  Dyck,  qui  chante,  en  ce  moment,  les  opéras  de  Wagner  en 
Allemagne.  Boito  aurait  même  terminé  un  nouveau  livret,  Maometto, 
qu'il  mettra  lui-même  en  musique.  Ce  livret  lui  a  été  demandé  par  plu- 
sieurs compositeurs  auxquels  il  l'a  naturellement  refusé.  »  Le  Trovatore, 
naturellement  est  justement  incrédule  et  fait  remarquer  tout  d'abord  que 
M.  Van  Dyck  est  engagé,  pour  l'hiver  prochain,  à  l'Opéra  de  Vienne. 
Il  ajoute  :  «  Si  Boito  fait  pour  Maometto  comme  pour  son  Nerone,  qui 
n'est  pas  encore  en  vue,  alors  que  son  Mefistofele  date  de  vingt-deux  ans, 
ce  seront  nos  héritiers  qui  pourront  voir  ledit  Maometto.  » 

—  Dans  un  concert  qui  vient  d'avoir  lieu  à  Gand  s'est  révélé,  parait- 
il,  un  compositeur  qui  s'est  fait  connaître  sous  le  pseudonyme  de  Paul 
d'Acosta.  C'est  un  dilettante,  et  non  un  artiste  de  profession,  qui  a  fait 
entendre  deux  compositions  importantes  :  une  symphonie  dramatique 
pour  grand  orchestre,  Mazeppa,  et  un  opéra  en  un  acte,  la  Reine  des  Fies, 
dont  les  paroles  sont  dues  à  M.  Constant  Frédéricx.  Les  deux  composi- 
tions de  M.  d'Acosta  ont  été  accueillies  par  le  public  avec  une  véritable 
chaleur. 

—  11  existe  au  théâtre  San-Carlos,  de  Lisbonne,  une  coutume  assez  sin- 
gulière. Chaque  année,  aux  derniers  jours  du  carnaval,  on  a  l'habitude  de 
représenter  un  opéra  travesti.  C'est  ainsi  que,  cette  année,  on  a  donné 
le  Barbier  de  Rossini  avec  tous  les  rôles  d'hommes  tenus  par  des 
femmes,  ainsi  que  le  prouve  la  distribution  que  voici  :  Almaviva,  la 
signora  Eva  Tetrazzini  ;  Bazilio,  la  signora  Baliciolï;  Rosina,  la  signorina 
Corsi  ;  Bartholo,  la  signora  Mattiuzzi  ;  Fiorello,  la  signorina  Cisterna;  la 
Vieille,  la  signora  Gazul  ;  l'officier,  la  signorina  Judice.  Seul,  le  rôle  de 
Figaro  était  tenu  par  un  chanteur  mâle,  M.  Magini-Coletti,  et  cela  au 
refus  de  M"'c  Pasqua,  qui  n'avait  pas  voulu  prendre  part  à  cette  mas- 
carade. 

—  Encore  un  ténor  exigeant.  M.  de  Lucia,  sollicité  par  l'administration 
du  Théâtre-Royal  de  Madrid  qui  lui  demandait  ses  conditions,  a  répondu 
en  demandant  cent  mille  francs  pour  une  série  de  trente  représentations  ! 
On  croit  que  les  pourparlers  sont  rompus. 

—  La  Philharmonie  Society  de  Londres  a  demandé  pour  la  saison  prochaine 
à  M.  Peter  Benoit,  le  célèbre  directeur  de  l'Ecole  Royale  de  musique 
d'Anvers,  une  composition  symphonique  nouvelle.  On  sait  que  l'année 
dernière,  l'oratorio  Lucifer,  de  M.  Péter  Benoit,  a  été  donné  avec  succès 
à  l'Albert  Hall.  A  la  fin  du  mois,  la  Philharmonie  Society  doit  donner,  en  son 
honneur,  un  concert  dans  lequel  le  compositeur  dirigera  l'exécution  de 
fragments  importants  de  sa  partition  de  Charlotte  Corday. 


LE  MENESTREL 


87 


—  La  ville  de  Birmingham  prépare  pour  l'année  1801  un  festival  de 
musique  dont  le  programme,  bien  qu'encore  incomplet,  est  pourtant  déjà 
plein  d'alléchantes  promesses.  Il  annonce  un  Requiem  nouveau  de  Dvorak 
(composé  spécialement),  un  nouvel  oratorio  du  docteur  Mackenzie,  inti- 
tulé the  Lord  of  life,  et  d'autres  œuvres  inédites  de  MM.  II.  Macbunn, 
Villiers  Stanford  et  Goring  Thomas.  Pourtant  nous  tenons  de  source  au- 
torisée que  ce  dernier  a  décliné  les  propositions  du  comité,  occupé  qu'il 
est  à  la  composition  d'un  grand  ouvrage  lyrique  qui  verra  le  jour  à 
Londres.  Elie  et  le  Messie  auront,  bien  entendu,  leur  places  traditionnelles 
au  programme  du  festival  de  Birmingham. 

—  Une  dépêche  de  New-York  annonce  que  la  compagnie  Abbey  et 
Grau,  qui  comprend  la  Patti,  l'Albani,  Tamagno,  etc..  se  rendant  de 
Mexico  à  San-Francisco,  est  restée,  pendant  quinze  heures  bloquée  par 
les  neiges,  le  train  spécial  qui  apportait  les  artistes  étant  dans  l'impos- 
sibilité absolue  d'avancer.  La  dépêche  ajoute  que  ceux-ci  se  plaignaient 
vivement  du  froid  rigoureux  qui  les  enveloppait,  ce  que  l'on  comprendra 
sans  peine. 

—  Le  National  de  Mexico  ne  consacre  pas  moins  de  deux  grandes 
colonnes  aux  détails  de  l'arrivée  de  la  «  reine  des  divas  »  —  on  a  deviné 
qu'il  s'agit  de  la  Patti  —  dans  la  capitale  du  Mexique,  le  11  janvier  der- 
nier. Les  abords  de  la  gare  du  chemin  de  fer  étaient  gardés,  absolument 
comme  il  est  fait  en  Europe  pour  les  réceptions  princières,  et  on  ne 
permettait  l'entrée  qu'aux  personnages  de  marque  (personas  décentes),  gé- 
néraux, hauts  fonctionnaires,  députés,  journalistes,  etc.  Au  moment  où 
la  diva  descendit  de  son  wagon-salon,  un  orchestre,  placé  sur  le  perron, 
attaqua  une  marche  triomphale,  tandis  que  la  foule  des  personas  décentes 
fit  retentir  un  énergique  Evviva  !  Le  reporter  du  National  assure  que  la 
chevelure  blonde  que  Mm0  Patti  porte  à  présent  la  rajeunit  de  trente  ans  (!) 
et  que  son  physique  est  plus  séduisant  que  jamais.  On  ne  se  lassait  pas 
d'admirer  aussi  le  wagon-salon  de  la  Patti,  le  plus  luxueux  qui  ait  été 
construit  par  la  compagnie  Pullmann.  Le  salon  proprement  dit  qui  occupe 
le  milieu  du  wagon,  est  orné  de  panneaux  en  bois  de  santal  et  de  bas- 
reliefs  artistiques  en  bronze  et  la  décoration  générale  présente  des  tons 
chatoyants  où  dominent  le  blanc  et  l'or.  Le  plafond,  où  sont  peintes 
des  figures  allégoriques,  est  l'œuvre  de  célèbres  artistes  parisiens 
(textuel).  Mais  le  principal  ornement  du  salon  est  un  piano  Steinway  qui 
a  coûté  5,200  francs.  Faisant  suite  au  salon,  se  trouve  une  salle  à  manger 
somptueusement  aménagée,  qui  aboutit  à  l'office  et  à  la  cuisine.  Du 
côté  opposé  sont  deux  chambres  à  coucher,  un  cabinet  de  toilette  et  une 
salle  de  bain  avec  la  baignoire  en  argent  massif.  La  clé  de  cette  salle  de 
bain  a  été  confectionnée  avec  de  l'or  pur  pesant  18  carats.  Ajoutons 
comme  dernier  détail,  que  62,000  francs  ont  été  dépensés  en  tout  pour  la 
construction  du  wagon-salon  de  la  Patti. 

—  A  l'Opéra  Tivoli,  de  San-Francisco,  on  a  donné  avec  grand  succès 
une  opérette  nouvelle  en  quatre  actes,  intitulée  :  Furiosa,  la  Fille  de  l'Enfer, 
paroles  de  Fritz  Lafontaine,  musique  de  M.  Théodore  Vogt.  Le  composi- 
teur est  allemand,  et  il  exerce  à  San-Francisco  la  profession  d'organiste, 
en  même  temps  qu'il  est  directeur  d'une  société  chorale. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

On  a  distribué  cette  semaine,  aux  membres  de  la  Chambre  des  dé- 
putés, un  certain  nombre  de  fascicules  du  budget,  entre  autres  celui 
relatif  aux  Beaux-Arts.  D'après  le  tableau  comparatif,  par  chapitre  des 
crédits  demandés  pour  1891,  avec  les  crédits  alloués  pour  1890,  nous 
constatons  que  les  chiffres  proposés  pour  l'an  prochain  sont  identiquement 
les  mêmes  que  ceux  de  l'année  présente.  Voici  ces  chiffres  : 

Conservatoire  de  musique Fr.        258.700 

Succursales  du  Conservatoire  et  écoles  de  musique  dans 

les  départements 220.500 

Théâtre!!  nationaux 1.476.000 

Concerts  populaires  et  Sociétés  musicales  dans  les  dépar- 
tements   55.000 

Palais  du  Trocadéro 13.000 

Indemnités  et  secours  (théâtres) 100.000 

En  résumé,  le  budget  de  la  France,  pour  la  musique  et  les  théâtres,  se 
réduit  donc  à  une  somme  de  2,123,200  francs  :  avouons  que  pour  l'impor- 
tance que  les  théâtres  et  la  musique  française  ont  prise  dans  le  monde 
entier,  ce  n'est  pas  exagéré.  Il  n'y  aurait  qu'à  mieux  surveiller  l'emploi 
qui  est  fait  de  tout  cet  argent  par  ceux  qui  en  ont  la  trop  libre  dispo- 
sition. 

—  La  troisième  Commission  parlementaire,  présidée  par  M.  Noël  Par- 
fait et  chargée  d'examiner  le  projet  de  loi  de  M.  Philippon,  sur  la  propriété 
littéraire  et  artistique,  a  reçu  mercredi  MM.  Georges  Ohnet,  vice-prési- 
dent de  la  Commission  des  auteurs  dramatiques;  Gustave  Roger,  agent 
général;  Victor  Souchon,  agent  de  la  Société  des  compositeurs  et  édi- 
teurs de  musique,  et  Jules  Lermina,  secrétaire  de  l'Association  littéraire 
internationale.  Ces  messieurs,  après  avoir  vivement  protesté  contre  la 
nécessité  d'une  loi  nouvelle  et  déclaré  au  nom  des  sociétés  qu'ils  repré- 
sentaient que  la  législation  actuelle  donnait  toute  satisfaction  aux  auteurs 
et  compositeurs,  qui  sont  les  véritables  intéressés,  ont  demandé  le  main- 
tien du  statu  quo  absolu.  Ils  ont  ensuite  présenté  sur  la  plupart  des  arti- 
cles de  la  nouvelle  loi  des  observations  qui  ont  paru  frapper  vivement  la 
Commission  et  devoir  être  prises  par  elle  en  sérieuse  considération.  Nous 


ne  doutons  pas  qu'une  entente  ne  survienne  entre  les  intéressés  et 
M.  Philippon,  dont  les  excellentes  intentions  no  sauraient  d'ailleurs  être 
mises  en  doute. 

—  Allons  bon,  voilà  les  bêtises  qui  recommencent:  Un  député  deParis 
M.  Chassaing,  a  saisi  la  Chambre  d'une  proposition  qui  a  pour  objet  de 
laisser  le  théâtre  de  l'Opéra-Comiquc  sur  la  place  du  Chàtelet.  M.  Chas- 
saing estime  qu'il  répond  au  vœu  de  la  population  parisienne  en  faisant 
sa  proposition,  et  il  ajoute  que  pour  les  étrangers  ou  les  provinciaux  il 
est  aussi   facile  de  se  transporter  place  du  Chàtelet  que  place  Boiejdieu 

Quant  aux  quelques  boulevardiers,  dit  M.  Chassaing,  amateurs  de  ce  «  genre 
éminemment  français  »,  ils  sauront  bien  risquer  une  course  de  voiture  ou  dix 
minutes  d'omnibus,  eux  qui  n'hésitent  pas  à  faire  le  voyage  de  Bruxelles  pour 
applaudir  Reyer  ou  Massenet  et  celui  de  Bayreulh  pour  admirer  Wagner.  La 
salle  est  excellente;  la  Ville  y  a  réalisé  les  derniers  perfectionnements  en  vue  de 
la  commodité  et  de  la  sécurité  des  spectateurs  ou  des  artistes.  On  n'en  pourrait 
dire  autant  de  l'État  pour  ses  deux  autres  théâtres  subventionnés  et  c'est  peut- 
être  là  qu'il  conviendrait  de  dépenser  une  partie  du  crédit  qui  vous  est  demandé. 
Il  faut  aussi  songer  aux  petits  et  aux  faibles.  La  translation  de  l'Opéra-Comique 
à  la  placo  du  Chàtelet  a  déplacé  le  personnel  inférieur.  Les  machinistes,  les  cho- 
ristes, les  ouvreuses,  qui  habitaient  autrefois  Montmartre  ou  les  Batignolles,  se 
sont  approchés  du  théâtre  où  ils  viennent  depuis  près  de  trois  ans,  et  la  recons- 
truction sur  place  de  l'Opéra-Comique,  bien  loin  de  les  satisfaire  aujourd'hui,  les 
obligerait  à  un  nouveau  déplacement,  allées  et  venues  funestes  à  de  petites 
bourses.  Il  y  a  là  aussi  des  intérêts  fort  respectables. 

Notre  confrère  Louis  Besson  de  l'Evénement,  fait  suivre  ce  petit  bonie- 
ment  des  réflexions  très  judicieuses  que  voici:  «  Rien  ne  manque  àcette 
petite  conférence  de  M.  Chassaing  sur  la  musique  française,  pas  même  le 
coup  de  patte  traditionnel  à  la  presse  qui  va  à  Bruxelles  et  à  Bayreuth 
pour  applaudir  Reyer  ou  admirer  Wagner.  Par  malheur,  le  rapport  de 
M.  Chassaing  ne  contient  aucun  argument  nouveau.  Tout  ce  qu'il  dit  a 
été  dit  cent  fois  pour  une,  et  l'on  n'a  pas  eu  de  peine  à  prouver  que  de 
tels  arguments  ne  tiennent  pas  debout.  M.  Chassaing,  qui  a  longtemps  ha- 
bité à  l'Hôtel  de  Ville,  est  enchanté  que  l'Opéra-Comique  soit  placé  près 
de  la  maison  municipale.  Mais  il  y  a  une  majorité  énorme  de  gens  qui 
ne  logent  pas  dans  le  même  quartier,  et  qui  sont  très  embarrassés  quand 
ils  veulent  entendre  un  chef-d'œuvre  classique.  C'est  pour  cette,  raison 
qu'on  préfère  le  quartier  central  du  boulevard  des  Italiens,  où  tout  Paris 
vient  se  promener  chaque  jour.  Sans  qu'il  soit  utile  de  rappeler  les  autres 
raisons  qui  nous  font  réclamer  la  reconstruction  de  l'Opéra-Comique,  je 
crois  bon  d'ajouter  que  le  Théâtre-Lyrique  —  siège  actuel  de  l'Opéra-Co- 
mique —  n'a  jamais  donné  des  résultats  pécuniaires,  et  que,  même  en 
faisant  le  minimum  des  frais,  en  restreignant  ses  dépenses  de  façon  à  mé- 
contenter bien  des  spectateurs,  M.  Paravey  n'arrive  que  très  péniblement 
à  joindre  les  deux  bouts,  malgré  les  recettes  de  l'Exposition.  Quand 
M.  Paravey,  découragé,  se  sera  retiré,  et  quand  cinq  ou  six  directeurs 
auront  fait  faillite,  peut-être  faudra-t-il  penser  à  ce  théâtre  si  gai  et  si 
parisien  de  la  place  Favart.  Mais  alors  il  sera  trop  tard.  Et  nous  conti- 
nuerons à  aller  plus  que  jamais  à  Bruxelles,  à  Rouen  ou  à  Nice  pour  en- 
tendre'des  œuvres  nouvelles.  Et  je  ne  vois  pas  ce  que  la  ville  de  Paris  y 
gagnera.  » 

— La  commission  de  l'Opéra-Comique  s'est  d'ailleurs  prononcée  contre  cette 
singulière  proposition  de  M.  Chassaing  et  elle  a  maintenu  simplement  et 
purement  sa  précédente  décision,  concluant  à  l'adoption  du  projet  du 
gouvernement. 

—  La  première  représentation  d'Ascanio  à  l'Opéra  n'aura  lieu  que  ven- 
dredi prochain.  Question  de  costumes  qui  ne  sont  pas  prêts,  comme 
nous  l'avions  fait  pressentir  dimanche  dernier. 

—  Une  douce  surprise  était  encore  ménagée  par  les  directeurs  de 
l'Opéra  à  M.  de  la  Nux,  le  compositeur  de  Zaïre.  On  lui  a  annoncé  gra- 
vement que  le  rôle  qu'il  avait  destiné  à  M.  Lassalle  allait  être  distribué 
à  M.  Delmas  :  «  Mais,  s'est  écrié  le  malheureux  auteur,  le  rôle  est  pour 
baryton,  et  vous  le  donnez  à  une  basse  chantante  !  »  Ce  qui  peut  surprendre, 
en  tout  ceci,  c'est  l'étonnement  de  M.  de  la  Nux.  On  voit  bien  qu'il  est  nou- 
veau dans  la  carrière.  Ah!  çà,  est-ce  que  MmcBosman,  qu'on  avait  toujours 
prise  pour  un  soprano,  ne  va  pas  chanter  un  rôle  de  contralto,  primiti- 
vement destiné  à  M110  Richard,  dans  la  nouvelle  partition  de  M.  Saint- 
Saëns,  Ascaniol  Eh!  bien  alors,  comment  admettre  la  réclamation  de  ce 
petit  présomptueux  de  musicien?  L'opéra  actuel,  c'est  la  confusion  de 
tous  les  registres,  comme  la  tour  de  Babel  était  la  confusion  de  toutes  les 
langues. 

—  MUe  Litwinne  vient  de  résilier  son  engagement  avec  la  direction  de 
l'Opéra.  Il  reste  en  tout  comme  falcons  à  cette  académie  nationale  de 
musique,  MUo  Adiny  et  Mme  Pack.  Avouons  que  c'est  maigre.  Nous  avons 
donné  naguère  le  chiffre  des  appointements  annuels  des  contralti  enga- 
gés en  ce  moment  par  l'Opéra  (à  eux  tous  neuf  mille  francs),  il  serait 
curieux  de  connaître  aussi  celui  des  falcons,  qui  ne  doit  pas  être 
beaucoup  plus  élevé. 

—  L'Opéra-Comique  fait  comme  son  grand  frère  l'Opéra.  Il  a  dû  faire 
relâche  mercredi,  par  suite  d'une  indisposition  de  M. Taskin.ce  qui  prouve 
que  M.  Paravey,  pas  plus  que  MM.  Ritt  et  Gailhard,  ne  se  préoccupe  de 
faire  doubler  les  rôles  des  ouvrages  qu'il  représente.  Il  ne  faut  pas  oublier 
d'ailleurs  qu'une  partie  de  sa  troupe  est  toujours  à  Monte-Carlo,  ce 
qui  ne  lui  laisse  à  Paris  qu'un  personnel  insuffisant  pour  défrayer  le 
répertoire. 


LE  MENESTREL 


—  Abondance  de  théâtres  lyriques,  rien  qu'en  projet  malheureusement. 
Nous  avons  dit  celui  qu'on  se  proposait  d'établir,  sous  la  direction  de 
M.  Derenbourg,  au  coin  du  boulevard  Montmartre  et  du  faubourg  Pois- 
sonnière. Le  terrain  serait  déjà  acheté  et  les  fonds  souscrits  en  partie. 
Déjà  le  nouvel  imprésario  voit  dans  ses  rêves  le  théâtre  sorti  de  terre, 
complètement  paré  et  équipé  pour  le  mois  de  janvier  prochain.  Voici,  à 
présent,  qu'un  autre  théâtre  lyrique  encore  s'élèverait  dans  les  environs 
de  la  rue  Basse-du-Eempart,  à  l'angle  de  la  Caumartin.  Une  société 
d'actionnaires  se    formerait  dans    ce  but,  au  capital  de  six  millions.  Il 

serait  bâti  sur  les  plans  de  la  Scala  de  Milan,  avec  quatre  étages  de 
loges  dont  les  titulaires  seraient  non  pas  locataires,  mais  propriétaires, 
ainsi  que  cela  existe  en  Italie.  Tout  cela  est  véritablement  très  beau, 
mais  nous  croyons  davantage  à  une  troisième  combinaison  qui  se  pré- 
pare dans  l'ombre  et  qui  éclatera  tout  d'un  coup,  un  beau  matin,  sans 
crier  gare.  Celle-là  est  plus  sérieuse,  parce  qu'il  n'y  a  rien  à  construire 
et  que  tout  est  prêt  et  agencé,  sans  le  secours  d'aucun  actionnaire  à 
chercher  de  droite  ou  de  gauche. 

—  On  s'étonne,  dit  notre  confrère  Besson  de  l'Événement,  que  les  direc- 
teurs de  l'Éden-Théàtre  se  succèdent  et  tombent  comme  des  capucins  de 
cartes.  Or,  voulez-vous  savoir  quel  est  le  loyer  de  cette  salle?  Il  s'élève 
à  325,000  francs;  c'est-à-dire  que  tout'le  bénéfice  de  l'exploitation  est 
absorbé  par  ce  loyer  énorme  qui  se  décompose,  de  la  manière  suivante  : 

Intérêts  des  cinq  millions  formant  la  part  do  propriété  du 

Crédit  foncier Fr.       185.000     » 

Plus-value  exigée  par  la  société  propriétaire 40.000     •• 

2  0/0  sur  les  recettes  annuelles  évaluées  à   deux  millions 
pour  parfaire  l'intérêt  des  capitaux  engagés  dans  l'affaire.    .       100.000    » 
Total  :  325,000  francs,  ci .   .     .  Fr.      325.000    » 


Et  dans  ce  chiffre,  nous  ne  comprenons  pas  D.s  intérêts  et  l'amortisse- 
ment de  la  réfection  de  la  salle,  —  réfection  estimée  à  300,000  francs 
pour  la  construction  de  deux  nouvelles  galeries.  Il  n'y  a  rien  d'étonnant 
à  ce  que,  après  six  mois  ou  un  an  d'exercice,  les  directeurs  se  voient 
obligés  de  déposer  leur  bilan.  C'est  bien  de  payer  son  terme,  encore  faut-il 
payer  son  personnel. 

—  M.  Gounod,  d'après  un  journal  américain,  serait  sur  le  point  d'ac- 
cepter la  proposition  qui  lui  aurait  été  faite  de  composer  un  grand  opéra 
en  quatre  actes,  qui  serait  représente  dans  le  Nouveau-Monde  en  1892. 
Le  maître  surveillerait  lui-même  les  répétitions  et  conduirait  l'orchestre 
à  la  première.  Les  premiers,  deuxième  et  quatrième  actes  se  passent  au 
Mexique,  à  l'époque  des  Montezumas,  le  troisième  a  pour  théâtre  les  ter- 
ritoires de  l'Ouest.  Jusqu'à  plus  ample  informé,  nous  nous  refusons  à 
croire  que  l'illustre  maître  veuille  ainsi  se  livrer,  sur  la  fin  de  sa  car- 
rière, à  des  travaux  d'exportation  qui  ne  pourraient  rien  ajouter  à  sa  gloire 

—  Mlle  Samé  quittera  décidément  Bruxelles  à  la  fin  de  la  saison.  La 
charmante  artiste  n'a  pu  s'entendre  avec  les  directeurs  au  sujet  des  ap- 
pointements. Le  départ  de  Mlle  Samé,  dont  le  talent  était  fort  apprécié, 
sera  regretté  par  tous  les  habitués  du  théâtre  de  la  Monnaie.  M11"  Samé 
retourne  à  Paris  où  elle  créera  l'hiver  prochain  un  rôle  très  important 
dans  un  opéra-comique  nouveau  de  M.  Varney.  Cette  pièce  à  grand  spec- 
tacle, sera  représentée  à  la  Gaité. 

—  M.  Cavaillé-Coll,  notre  grand  organier,  a  reconstruit  récemment  le 
grand  orgue  de  l'insigne  basilique  Saint-Cernin  de  Toulouse.  Le  rapport 
de  la  commission  chargée  de  la  réception  et  de  la  vérification  des  travaux 
vient  de  paraître  en  une  brochure -de  28  pages  (Toulouse,  imprimerie 
Douladoure  Privât)  accompagnée  d'une  superbe  vue  du  nouvel  instrument. 
Il  est  inutile  d'ajouter  que  ce  rapport  est  complètement  à  l'éloge  du  grand 
facteur  à  qui  l'on  doit  ce  nouveau  chef-d'œuvre. 

—  Le  théâtre  des  Bouffes  a  donné  lundi  dernier  la  première  représen- 
tation d'un  opéra-comique  en  un  acte  intitulé  Un  pas  de  clerc,  qui  a  ren- 
contré l'accueil  le  plus  flatteur.  C'est  une  amusante  paysannerie  de 
M.  Riondel,  pour  laquelle  M.  Camys  a  écrit  une  dizaine  de  numéros  de 
musique  pour  la  plupart  réussis.  Nous  citerons  la  ronde  de  la  meunière 
chantée  d'une  façon  charmante  par  M"c  Revil,  un  ravissant  mouvement 
de  valse  en  duo  qui  a  valu  de  chaleureux  applaudissements  à  M"e  Lafon- 
taine  et  M.  Pbilippon,  l'air  d'entrée  du  marquis,  enfin  un  autre  duo  sen- 
timental où  le  musicien  se  révèle  de  la  plus  heureuse  façon.       L.  Sch. 

—  M.  Gigout  est  en  ce  moment  en  Angleterre.  Ses  récitals  d'orgue  obtien- 
nent beaucoup  de  succès  non  seulement  à  Londres,  mais  à  Manchester  et 
ù  Bradford.  Il  a  inauguré  brillamment  sur  le  nouvel  orgue  du  Conserva- 
toire d'Hampstead,  à  Londres,  la  série  des  récitals  français.  MM.  "Wïdor 
et  Guilmant  doivent  s'y  faire  entendre  prochainement. 

—  Nous  avons  reçu  les  premiers  numéros  d'un  recueil,  la  Voix  parlée 
et.  chantée  (anatomie,  physiologie,  pathologie,  hygiène  et  éducation),  revue 
mensuelle,  publiée  parle  Dr  Chervin,  directeui\de  l'Institution  des  Bègues 
de  Paris,  avec  le  concours  des  médecins,  professeurs,  critiques  et  artistes 
les  plus  compétents.  C'est  un  recueil  fort  utile  et  fort  intéressant,  recom- 
mandable  sous  tous  les  rapports. 

Soirées  f.t  Concerts.  —  Mardi  dernier,  M.  et  M—  Louis  Diémer  ont  donné  leur 
seconde  soirée  de  la  saison,  et,  comme  toujours,  le  maître  de  la  maison  a  tenu  ses 


nombreux  invités  sous  le  charme  de  son  parfait  talent  ;  il  a  joué  en  perfection  le 
concerto  de  M.  Ed.  Lalo,  l'orchestre  étant  remplacé  par  un  piano  d'accompagne- 
ment très  bien  tenu  par  M.  Victor  Staub,  et  avec  M.  Risler,  un  scherzo  pour  deux 
pianos  de  M.  Saint-Saëns.  M""  Marie  Bataille  a  obtenu  un  très  gros  succès  avec 
une  nouvelle  mélodie  de  M.  Diémer,   Chanson  de  Printemps,  et,  magistralement 
secondée  par  M.  Bouhy,  dans  les  duos  de  Mignon.  M.  Bouby  a  dit  seul  et  en  per- 
fection le  Cavalier,  un  air  d'iphigénie  en  Aulide  et  Chanson  napolitaine,  de  M.  "Yvidor. 
Beau  succès  aussi  pour  M.  Delsart  qui  a  superbement  joué  et  pour  le  poète  Jean 
Rameau  qui  a  dit  plusieurs  ravissantes  pièces  de  lui.  P.-E.  C. —  La  semaine  der- 
nière, a  eu  lieu,  salle  Érard,  une  très  brillante  audition,  donnée  par  M.  Diémer, 
des  élèves  de  sa  classe  du  Conservatoire.  Parmi  les  élèves  nouveaux,  nous  avous 
particulièrement  remarqué  MM.   Desespringallo,  Niederbofeim   et  A.   Bonnel,  et 
parmi  ceux  qui  se  disputeront  très  certainement  la  première  récompense,   aux 
prochains  concours,  nous  avons  applaudi  MM.  Pierret,  Baume,  Quévremond   et 
Galand.  Les  œuvres  inscrites  au  programme  étaient  toutes  de  MM.  Delioux,   An- 
tonin  Marmontel,  Emile  Bernard  et  G.  Pierné.  La  séance  s'est  terminée  par  la 
belle  Marche  de  Jeanne  d'Arc,  de  M.  Théodore  Dubois,  très  bien  exécutée,  sur  deux 
pianos,  par  MM.  Bloch  et  Risler,  premiers  prix  de  l'année  1889.  —  Soirée  lundi 
dernier  chez  51°"  Dubois.  Au  programme  M""  Thuillier-Leloir,  Janvier,  Galitzin, 
Jeanne  Meyer,  les  frères  Cottin,  etc.  Grand  succès  pour  diverses  mélodies  de 
M.  Francis  Thomë,  accompagnées  par  l'auteur  :  «  Sonnet  d'Arverj»,  «Si  tu  veux  fai- 
sons un  rêve  »  chantées  par  M"c  Janvier  avec  le  talent  qu'on  lui  connaît,  et  «  Bon- 
jour, Suzon!»  ravissante  mélodie  délicieusement  dite  par  M""  Thuillier-Leloir.  On 
a  également  beaucoup  applaudi  plusieurs  morceaux  à  deux  pianos  de  M.  Thomé, 
joués  par  M110  Marie  Dubois  et  l'auteur.  —  Une  innovation  heureuse  est  celle  qui 
vient  d'inspirer  à   M"'p  Lafaix-Gontié,  femme  du  monde   et  professeur  de   chant 
renommée,  l'idée  intelligente  et  ingénieuse  de  faire  des  conférences-cours,  sur 
l'état  du  chant.  Dans  ses  séances,  M"°  Lafaix-Gontié  analyse  et  explique  plusieurs 
airs  et  mélodies  au  point  de  vue  de  l'interprétation,  s'étendant  sur  leurs  beautés 
diverses.  Chose  qui  est  excellente  à  tous  les  points  de  vue,  car,  combien  de  fois, 
certaines  de  ces  beautés,  moins  saillantes,  mais  néanmoins  précieuses,  passent 
inanerçues,  ou  à  peu  près,  à  l'oreille  de  l'auditeur  distrait  ;  tandis  qu'en  les  faUant 
toucher  du  doigt,  pour  ainsi  dire,  elles  jaillissent,  lumineuses,  à  l'esprit  charmé. 
Mrae  Lafaix-Gontié,  par  sa   parole  claire  et  ficile,  rend  fort  intéressante  et  fort 
agréable  l'heure  passée  à  ses  conférences-cours  lesquelles  sont  destinées  spécia- 
lement aux  jeunes  femmes  et  aux  jeunes  filles.  Elle  rend  ainsi  un  réel  service  à 
l'art  et  il  serait  à  désirer  qu'elle  eût  des  imitateurs.  —  M""  L.  Steiger  a  donné  jeudi 
dernier  son  concert  habituel  avec  l'orchestre  de  Colonne.  Tout  y  a  été  excellent, 
particulièrement  le  concerto  de  Pfeiffer  entendu   récemment  au  Conservatoire; 
œuvre  et  interprète  ont  été  également  applaudis.  Grand  succès  aussi  pour  l'excel- 
lent baryton  Auguez.  —  Dimanche  dernier  les  salons  de   l'habile  facteur  Gaveau 
avaient  été  réservés  à  un  groupe  nombreux  d'élèves  particulières   de  Marmontel 
père.  Suivant  ses  habitudes  traditionnelles,  le  maître  a  fait  interpréter  des  compo- 
sitions modernes,  alternant  avec  les  grands  classiques  ;  ainsi  les  noms  de  MM.  de 
Boisdeffre,   Pfeiffer,  Salomon,  Thomé,  Rosen,   A.  Marmontel,  etc.,  etc.,  se  trou- 
vaient tout  à  côté  de  ceux  de  J.-S.  Bach,  Beethoven,  Weber,  Schumann,  Brahms, 
Chopin,  Liszt,  programme  d'un  électisme  parfait.  Pour  être  juste,  il  nous  faudrait 
citer  les  noms  de  toutes  les  jeunes  filles  qui  ont  pris  part  à  cette   intéressante 
audition,  mais  forcés  de  nous  limiter,  nous  avons  noté  au  passage  les  plus  vail- 
lantes, celles  dont  la  brillante  virtuosité,  le  style  plein  de  charme  a  su  captiver, 
émouvoir  l'auditoire.  Nommons  doue  avec  éloges  la  mignonne  îlelbronner,  M,lcsSpal- 
ding,  Baudelier,  Salaynad,  de  Beautot,  Palazzi,  Guelle,  Bourron,  les  jeunes  demoi- 
selles Arger,  Bon,  Lopez;  enfin,  parmi  les  virtuoses  qui  sont  déjà  des  artistes: 
M1'01  Desbordes,  Levy,  Marchand,  Arnold  Bonheur,  Lucien  Daquesnoy,  Bilcesco, 
Popovitz  et  M1'01  Sinay  et  Gafe,  dont  le  talent  éprouvé  s'est  affirmé  dans  les  con- 
certs. Belle  audition,  qui  prouve  l'excellence   de  l'enseignement  du   doyen  des 
maîtres  du  piano.  Nous  avons  été  vivement  touché  de  la  déférence  respectueuse 
et  des  sentiments  affectueux  exprimés  par  les  disciples  à  leur  maître  vénéré.  — 
Réunion  des  plus  brillantes,  au  concert  donné  samedi,  à  l'Académie  de  musique, 
par  M"°  Geoffroy-Bidault,  qu'on  a  fort  applaudie.  M""  Marie  Dubois,  une  pianiste 
des  plus  distinguées,  le  violoncelliste  Gurt,  M""  Thérèse  Walter  de  la  Comédie- 
Française,  M.  Sadi-Pety  de  l'Odéon,  qui  prêtaient  leur  concours  à  cette  soirée 
artistique,  ont  conquis  leur  bonne  part  de  bravos.  M.  Gluck,  un  ténor  c  di  primo 
cartello  »  a  été   acclamé.  Nos  félicitations  à  l'accompagnateur  M.  Burgat.  —  Très 
brillante  soirée,  lundi  dernier,  salle  Pleyel,  (2""  audition  des  élèves  pianistes  de 
M-'Guéroult).  Mm°  Guéroulta  exécuté  les  variations  de  M.  Saint-Saëns  sur  un  Thème 
de  Beethoven,  uvec  M.  Emile  Bourgeois;  elle  a  fait  preuve  de  virtuosité  dans  cette 
œuvre  intéressante.  Parmi  les  élèves  distinguées  qu'elle   a  fait  entendre,    on  a 
beaucoup  remarqué  Mllu  Grosrichard  qui  se  destine  au  professorat,  MUo  Peignot, 
et  une  toute  petite  fille  de  9  ans,  Mllc  Numa,  douée  d'une  intelligence  musicale 
extraordinaire.  M.  de  Vroye  l'éminent  flûtiste,   MM.  Franck  et  Loëb   de  l'Opéra 
prêtaient  leur  concours  à  M™0  Guéroult,  ainsi  que  M.  Lemaitre,  excellent  profes- 
seur de  violon,  artiste  de  grand  mérite,  dont  la  réputation  n'est  plus  à  faire  et  qui 
a  été  récemment  décoré  des  palmes  académiques  par  M.  le  Ministre  de  l'instruc- 
tion publique.  H.  B. 

Concerts  annoncés.  —  Vendredi  21  mars,  salle  Kriegelstein,  concert  donné  par 
l'organiste  compositeur  Edmond  Ilocmelle,  qui  fera  entendre  ses  compositions 
vocales  et  instrumentales  et  valoir  l'orgue  Alexandre  ;  des  artistes  d'élite  prêteront 
leur  concours  à  cette  soirée. 

—  L'excellent  professeur  de  piano,  Mlle  Marie  Boisteaux,  a  transporté  le 
siège  de  ses  cours  et  leçons,  83,  Faubourg-St-Honoré. 

Henri.  Heugel.  directmr-géianl 

—  La  partition  A'Ascanio  de  M.  C.  Saint-Saëns,  édition  conforme  au  ma- 
nuscrit de  l'auteur,  avec  illustration  de  G.  Clairin  et  fac-similé  d'une 
médaille  de  Benvenuto  Cellini  tirée  de  la  Bibliothèque  nationale,  est  en 
vente  chez  les  éditeurs  Durand  et  Schoenewerk. 

—  OCCASION.  Beau  piano  Pleyel  demi-queue,  à  vendre  (1,200  francs.) 
—  S'adresser  chez  M.  Pichot,  48,  rue  Caumartin. 


Dimanche  23  Mars  1890. 


3077  -  36-  ANNEE  -  N°  12.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  liistoire  de  la  seconde  salle  Favart  (55e  article),  Albert  Soubies  et  Charles 
Malherbe. —  II.  Semaine  théâtrale:  première  représentation  d'Ascanio,  a  l'Opéra, 
Arthur  Pougin.  —  III.  Histoire  vraie  des  héros  d'opéra  et  d'opéra  -  comique 
(34"  article):  Masaniello,  Edmond  Neukomm.  —  IV.  Revue  des  Grands  Concerts. 
—  Y.  Nouvelles  diverses.  —  VI.-  Nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  lamusique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

LES    HUSSARDS 

nouvelle  mélodie  de  Francis  Thomé,  poésie  de  Ch.  Popelin.  —  Suivra  im- 
médiatement la  «  vieille  romance,  »  Assise  un  soir  dans  la  fougère,  extraite  de 
l'opérette  le  Fétiche,  le  nouveau  grand  succès  du  théâtre  des  Menus-Plai- 
sirs, paroles  de  Paul  Ferrier  et  Charles  Clairville,  musique  de  Victor 
Roger. 

PIANO 
Nous  publierons   dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano  :  Le  Diable  au  corps,  nouvelle  polka  de  Heinrich  Strobl.  —  Suivra 
immédiatement:  le  quadrille  brillant  composé  sur  le  Félicite,   la  nouvelle 
opérette  à  succès  de  M.  Victor  Roger,  aux  Menus-Plaisirs. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 

PAR 

Albert  SOUBIES  et  Charles   MALHERBE 

(Suite.) 

CHAPITRE  XIV 

MEYERBEER    A    L'OPÉRA-COMIQUE 
LE  PARDON  DE  PLOERMEL 

(1836-1859) 

Par  une  coïncidence  assez  curieuse,  le  bilan  de  1857  res- 
semble fort  à  celui  de  1856  :  le  nombre  des  nouveautés  est 
sensiblement  le  même  :  six  ouvrages,  un  en  deux  actes,  plus 
trois  en  trois  actes  et  deux  en  un  acte,  contre  deux  en  trois 
actes  et  trois  en  un  acte  ;  un  seul  grand  succès  avec  une 
petite  pièce  ;  enfin  de  nombreuses  reprises  qu'il  convient  de 
mentionner  ici,  parce  qu'elles'  donnèrent  lieu  à  d'importants 
changements  de  distribution,  et  plusieurs  fois  servirent  à  des 
débuts  remarqués. 

Ainsi  : 

Le  9  janvier,  la  Fille  du  Régiment  avec  Jourdan,  Lemaire, 
Nathan,  Mmc  Félix  et  Mme  Cabel  tenant  pour  la  première  fois 
le  rôle  de  Marie. 

Le  23  février,  l'Éclair,  avec  Barbot  (Lionel),  Jourdan  (Georges), 
M°"J  Vandenheuvel-Duprez,  qui  devait  céder,  peu  de  temps 
après,  son  rôle  à  M110  Lhéritier,  et  M1"'  Boulart  qui  eut  alors 


l'honneur  de  voir  ajouter  à  son  rôle  de  Mme  Darbel  deux 
couplets  intercalés  au  commencement  du  deuxième  acte,  et 
composés  par  Halévy  exprès  pour  faire  briller  son  talent  de 
vocalisation.  Cette  reprise  fournit  dans  l'année  30  représen- 
tations ;  et  puis  ce  charmant  ouvrage,  dont  la  carrière  semble 
intermittente,  ne  reparut  qu'en  1865. 

Le  2  avril,  les  Diamants  de  la  couronne,  oubliés  depuis  1849, 
et  brillamment  remontés  avec  Couderc,  Mue  Boulart  et  Mme  Van- 
denheuvel-Duprez. 

Le  25  avril,  Joconde,  qui  n'avait  pas  été  repris  depuis  1846 
et  qui  fournit,  dans  cette  seule  année  1857,  63  représenta- 
tions, grâce  à  ses  interprètes  hors  ligne  :  Mocker  (Robert), 
Mmes  Boulart  (Edile),  Bélia  (Mathilde),  surtout  M"e  Lefebvre, 
une  adorable  Jeannette,  et  Faure  dont  le  rôle  de  Joconde  fut 
un  des  plus  grands  succès  de  l'artiste  à  la  salle  Favart,  on 
peut  ajouter  un  de  ses  plus  prolongés  ;  car  il  le  chanta  une 
centaine  de  fois.  La  partition  avait  été  revue  par  une  personne 
qui  connaissait  au  moins  les  traditions  de  l'ouvrage,  par  la 
fille  même  du  compositeur,  MueNicolo.  Cette  aimable  femme, 
bonne  musicienne  et  distinguée  professeur  de  chant,  s'occu- 
pait aussi  de  composition  et  elle  tint  à  donner,  pour  la  cir- 
constance,preuve  de  ses  talents  en  ajoutant  au  troisième  acte 
une  petite  introduction  symphonique. 

Le  29  juin,  la  Fête  du  Village  voisin,  négligée  depuis  1852,  et 
menée  gaiement  par  Stockhausen  (Henri),  Prilleux  (Rémi), 
Ponchard  (Renneville),  M"s  Lemercier  (Rose),  Bélia  (Mme  de 
Ligneul),  Decroix  (Geneviève.) 

Le  10  juillet,  tes  Mousquetaires  de  la  Reine,  à  peine  négligés 
depuis  dix-huit  mois,  et  cette  fois  marqués  par  trois  intéres- 
sants débuts:  MM.  Nicolas,  Barrielle  et  Mlle  Dupuy.  De  plus 
les  rôles  d'Hector  et  de  Berthe  de  Simiane  étaient  pour  la 
première  fois  tenus  par  Delaunay-Riquier  et  Mlle  Henrion. 
Nicolas  sortait  à  peine  du  Conservatoire,  où  il  n'avait  obtenu 
en  1856,  qu'un  second  prix  d'opéra-comique  (classe  Moreau- 
Sainti).  Sous  les  traits  d'Olivier  d'Entragues,  il  fit  presque 
sensation  ;  la  presse  fut  unanime  à  vanter  sa  voix  «  si  jeune, 
si  pure  et  surtout  guidée  par  une  si  exquise  méthode  ».  On 
ajoutait  que  «  ce  jeune  ténor  ne  l.arderaitpas  à  devenir  une  des 
meilleures  recrues  que  l'Opéra-Comique  eût  faites  depuis 
longtemps  dans  un  emploi  où  il  y  a  généralement  plus  d'ap- 
pelés que  d'élus.  »  On  sait  que  l'événement  a  justifié  ces 
prévisions  favorables,  mais  ailleurs  qu'à  la  salle  Favart, 
puisque  ce  Nicolas  a  acquis  la  célébrité  sous  le  nom  de  Ni- 
colini.  Barrielle,  qui  mit  au  service  du  capitaine  Roland  sa 
bonne  diction,  sa  rondeur  et  son  expérience  de  la  scène, 
venait  de  Belgique  et  même,  à  cette  occasion,  il  dut,  après 
procès,  payer  1,000  francs  d'indemnité  à  son  ancien  direc- 
teur pour  avoir  rompu  trop  tôt  l'engagement  qui  le  liait  avec 
le  théâtre   de  la  Monnaie  à   Bruxelles.   Quant  à  M110  Dupuy, 


90 


LE  MENESTREL 


deuxième  prix  de  chant  et  d'opéra-comique,  1er  accessit  d'opéra 
au. concours  de  1856,  elle  fut  le  premier  soir  une  Athénaïs 
fort  émue,  et  c'est  aux  représentations  suivantes  que  l'on  put 
mieux  juger  son  intelligence  et  la  souplesse  de  son  talent. 
Le  23  juillet,  Baydée,  avec  Jourdan  (Lorédan),  Ponchard 
(Andréa),  Prilleux  (Domenico),  Mmes  Lefebvre  (Haydée),  Bélia 
(Raphaëla).  A  cette  reprise,  Faure  chantait  encore  le  rôle  de 
Malipieri,  et  quelques  jours  plus  tard,  le  7  août,  il  cédait  ce 
rôle  à  son  élève  Troy,  lequel  débutait  à  l'Opéra-Comique, 
après  avoir  remporté  au  Conservatoire,  en  cette  même  année 
1857,  les  premiers  prix  de  chant  et  d'opéra-comique,  mais  ne 
devait  être  apprécié  à  sa  juste  valeur  que  plus  tard  au  Théâ- 
tre-Lyrique, où  son  nom  est  resté  attaché  à  un  certain  nombre 
de  créations  importantes. 

Le  12  octobre,  Jeannol  et  Colin,  avec  Stockausen  (Jeannot), 
Couderc  (Colin),  Berthelier  (Biaise),  Ponchard  (le  chevalier), 
Mmes  Lhéritier  (Thérèse),  Henrion  (Colette),  Révilly  (la  comtesse. 
A  ces  noms  d'artistes,  dont  quelques-uns  étaient  nouveaux 
à  la  salle  Favart,  il  faut  joindre  ceux  de  deux  débutants 
dont  la  fortune  différa  sensiblement.  D'une  part,  Mlle  Duprat 
qu'on  vit  le  21  juillet  dans  Brigitte  du  Domino  noir,  mais  qu'on 
n'entendit  guère  ;  à  peine  pouvait-elle  parler,  à  plus  forte 
raison  chanter  ;  son  trouble  était  tel  que,  suivant  le  mot  d'un 
témoin,  elle  paraissait  «  asphyxiée  par  l'émotion  ».  Aussi, 
pour  la  malheureuse  ancienne  élève  du  Conservatoire,  cette 
épreuve,  réellement  douloureuse,  n'eut-elle  pas  de  lendemain. 
D'autre  part,  Crosti,  qui  avait  obtenu  en  1857  le  premier 
prix  de  chant  (classe  de  Battaille)  et  le  second  d'opéra-comique 
(classe  de  Moreau-Sainti);  il  parut  dans  le  rôle  de  Joconde, 
le  28  octobre  avec  succès  et  l'on  sait  qu'il  a  compté  depuis 
parmi  les  serviteurs  les  plus  sympathiques,  les  plus  utiles  et 
les  plus  dévoués  de  la  salle  Favart. 

C'est  à  cette  place  qu'on  peut  rappeler  aussi  la  rentrée  de 
Mme  Cabel  dans  l'Etoile  du  Nord,  où  elle  succédait  à  Mmes  Du- 
prez  et  Ugalde.  La  presse  alors  s'était  occupée  d'elle  à  pro- 
pos d'un  incident  qui  fit  quelque  bruit.  Dans  le  Courrier  de 
Paris,  où  il  tenait  la  plume  de  critique,  Ernest  Reyer,  le 
célèbre  compositeur,  qui  n'a  jamais  plus  aimé  les  chanteuses 
à  vocalises  que  les  pianos,  ne  s'était-il  pas  avisé  d'écrire 
qu'à  Bordeaux  où  elle  donnait  dés  représentations,  elle  avait 
intercalé  dans  l'Etoile  du  Nord  un  de  ses  morceaux  à  succès, 
l'air  des  Fraises  du  Bijou  perdu.  La  cantatrice  répondit  par  la 
voie  de  la  presse,  disant  :  «  Je  saisirai  toujours  l'occasion 
d'offrir  mon  tribut  de  reconnaissance  à  l'auteur  de  mon  pre- 
mier succès  (Adolphe  Adam)  mais  ce  ne  sera  jamais  au  mé- 
pris du  respect  que  je  dois  à  l'illustre  maître  dont  je  révère 
le  génie  (Meyerbeer).  »  La  vérité  est  qu'à  la  demande  de  quelques 
personnes  et  malgré  de  nombreux  témoignages  de  désapprobation,  elle 
était  venue  en  manteau  impérial,  escortée  du  fzar  Pierre,  chanter 
sa  ronde,  non  pas  au  milieu  de  la  pièce,  mais  à  la  fin  du 
spectacle.  Ce  fait,  attesté  par  le  directeur  d'un  journal  bor- 
delais, donnait  beau  jeu  à  Reyer,  et,  dans  une  lettre  parue 
au  Courrier  de  Paris,  il  riposta  avec  l'esprit  qu'on  lui  connaît 
couvrant  l'artiste  de  fleurs,  mais  jouant  de  l'ironie  avec 
désinvolture  :  «  Par  bonheur,  s'écriait-il  en  terminant,  Félix 
Mornand  (alors  directeur  du  Courrier  de  Paris)  est  un  doux 
maître  ;  il  a  compris  mon  repentir;  il  s'est  laissé  toucher  pal- 
mes larmes  et  la  seule  punition  qu'il  m'a  infligée  c'est  de 
me  donner  vingt  fois  à  copier  le  verbe  :  Je  me  garderai  à 
l'avenir  d'exciter,  à  quelque  degré  que  ce  soit,  le  courroux  d'une  can- 
tatrice.» En  guise  de  post-scriptum,il  ajoutait:  «  J'ai  demandé 
la  permission  de  faire  paraître  ce  pensum  en  feuilleton  ;  elle 
m'a  été  refusée.  »  C'était  mettre  les  rieurs  de  son  côté,  et 
Mm0  Cabel  ne  répliqua  pas;  au  lieu  d'écrire,  elle  préféra 
chanter,  et  lutter  par  son  seul  talent,  non  plus  contre  un 
critique,  mais  contre  les  rivales  qui  lui  disputaient  alors  la 
première  place  au  théâtre,  notamment  Mmes  Ugalde  et  Lefebvre 
dont  toute  la  presse  avait  constaté  le  succès  à  propos  de 
Psyché,  la  première  nouveauté  de  l'année  1857,  représentée 
le  26  janvier. 


C'est  là  une  de  ces  œuvres  sur  laquelle  on  fondait  de  gran- 
des espérances  et  qui  ne  les  a  jamais  complètement  justifiées, 
sans  que  d'ailleurs  on  puisse  trop  s'expliquer  pourquoi.  Les 
trois  actes  de  Jules  Barbier  et  Michel  Carré  ne  manquent 
pas  d'intérêt  ;  en  tout  cas,  le  sujet  choisi  par  eux  est  ou 
doit  être  musical,  si  l'on  songe  au  nombre  de  musiciens  qui 
l'ont  traité  avant  Ambroise  Thomas.  Sait-on,  en  effet,  qu'il 
existait  déjà  onze  opéras  de  ce  nom,  et  cinq  ballets  dont  un, 
celui  de  Gardel,  musique  de  Millet,  fut  joué  à  l'Opéra,  de- 
1790  à  1829,  onze  cent  soixante  et  une  fois'? 

Quant  à  la  partition,  elle  compte  assurément  parmi  les  plus 
distinguées  de  l'auteur  de  Mignon.  Certains  morceaux  sont  jus- 
tement réputés  et  goûtés  par  tous  les  connaisseurs  comme  la 
romance:  «  0  toi,  qu'on  dit  plus  belle,  »  et  le  chœur  délicieux: 
«  Quoi!  c'est  Eros  lui-même  »  et  les  spirituels  couplets  de 
Mercure  «  Simple  mortelle  ou  déesse.  »  On  ne  peut  pas  non' 
plus  s'en  prendre  aux  interprètes,  à  l'origine,  comme  à  la 
reprise  du  19  mai  1878,  où  l'œuvre  reparut  après  avoir  subi 
de  notables  remaniements  dont  quelques-uns  furent  d'ailleurs 
critiqués.  Ces  interprètes  furent  excellents  ;  les  deux  distri- 
butions suivantes  le  prouvent  : 

1857  1878 

Mercure  MM.  Battaille,  MM.  Morlet 
Antinous                Sainte-Foy,  Collin, 

Gorgias  Prilleux,  Prax, 

Le  Roi  Beaupré,  Bacquié, 

Eros  MmCS  Ugalde,  Mmes  Engalli, 
Psyché                    Lefebvre,  Heilbron, 

Daphné  Boulart,  Donadio-Fodor, 

Bérénice  Révilly.  Irma  Marié. 

Et  pourtant  cet  ouvrage  de  valeur  n'a  pu  atteindre  que- 
soixante-dix  représenlations;  quarante  et  une  d'abord  et  vingt- 
neuf  ensuite.  Le  théâtre  a  ses  surprises  ! 

(A  suivre.) 


SEMAINE   THEATRALE 


Opéra.  —  Ascanio,  opéra  en  4  actes  et  7  tableaux,  d'après  le 
drame  Benvenuto  Cellini  de  M.  Paul  Meurice,  poème  de  M.  Louis 
Gallet,  musique  de  M.  Camille  Saint-Saëns. 

(Première  représentation  le  21  mars  1890.) 

Le  souvenir  de  Benvenuto  Cellini  évoque  aussitôt  le  souvenir  de 
cette  merveilleuse  ville  de  Florence,  qui  lui  a  donné  le  jour,  et  où 
il  semble  qu'à  chaque  pas  on  va  voir  surgir  l'apparition  lumineuse 
de  l'immortel  artiste.  L'émotion  gagne  surtout  le  visiteur  étranger 
lorsque,  débouchant  pour  la  première  ibis  sur  la  Piazza  délia  Signo- 
ria,  il  se  trouve,  après  avoir  d'abord  contemplé  le  Palazzo  veeehio, 
austère  et  farouche  monument  qui  rappelle  les  jours  sombres  et 
tragiques  du  moyen-âge,  en  face  de  celte  adorable  Loggia  dei  Lanzi, 
où  il  peut  admirer  à  loisir  l'un  des  plus  incomparables  chefs-d'œuvre 
du  vieux  maître,  ce  Persée  en  bronze,  qui  est  biea  l'une  des  créations 
les  plus  enchanteresses  de  ce  génie  si  élégant,  si  souple,  si  mer- 
veilleux et  si  divers. 

On  sait  quelle  fut  l'existence  glorieuse  de  l'illustre  artiste  floren- 
tin, et  quelle  place  elle  tient  dans  l'histoire  de  cet  art  prodigieux 
de  la  Renaissance  italienne.  Un  écrivain  de  race  et  de  tempérament, 
M.  Paul  Meurice,  frappé  de  la  puissance  de  ce  noble  génie  et  du 
rôle  glorieux  qu'il  avait  joué,  conçut  un  jour  la  pensée  de  faire  de 
Benvenuto  le  héros  d'une  puissante  action  dramatique.  Il  y  a  de  cela 
quelque  trente-cinq  ans.  Il  avait  sous  la  main,  pour  interpréter  sou 
personnage,  l'un  des  derniers  et  des  plus  puissants  représentants  du 
romantisme  théâtral,  celui  qu'on  appelait  le  beau  Mélingue,  qui 
était,  lui  aussi,  un  artiste  de  race,  un  peu  superficiel  peut-être, 
mais  d'une  valeur  très  réelle,  et  qui,  ne  se  contentant  pas  de  son 
talent  de  comédien,  était  aussi  un  peintre  et  un  sculpteur  habile.  Ce 
fut  même  là,  en  dehors  des  nobles  et  hautes  qualités  du  drame,  l'une 
des  causes  extrinsèques  de  l'éclatant  succès  qui  accueillit  à  la  Porte- 
Saint-Martin  le  Benvenuto  Cellini  de  M.  Paul  Meurice.  En  effet,  cha- 
que soir,  sous  les  yeux  du  public,  Mélingue  modelait  en  scène  une 


LE  MENESTREL 


!»l 


statuette  d'Hébé  qui  jouait  un  rôle  important  clans  l'un  des  épisodes 
■de  l'ouvrage,  et  les  spectateurs  ébahis  n'avaient  pas  assez  d'admi- 
ration pour  l'artiste  qui  leur  procurait  une  sensation  si  neuve  et  si 
inattendue. 

Il  peut  sembler  étonnant  que  jusqu'ici  aucun  de  nos  théâtres  de 
drame  n'ait  eu  l'idée  de  reprendre  celui  de  M.  Paul  Meurice,  qui 
renouvellerait  peut-être  au  moins  une  partie  du  succès  que  lui  fit 
naguère  le  public  parisien.  Toujours  est-il  qu'un  jour  M.  Saint-Saëns 
s'éprit  de  ce  drame,  et  qu'il  conçut  le  désir  de  le  voir  transformer 
en  opéra  et  de  le  mettre  en  musique.  Ce  n'était  pas  la  première  fois 
que  la  brillante  et  mâle  figure  de  Benvenuto  excitait  la  sympathie  des 
musiciens.  On  sait  que  Berlioz,  au  plus  fort  de  sa  lutte  contre  ceux 
qui  niaient  son  génie,  fit  représenter  à  l'Opéra  en  1838,  sur  un  poème 
de  Léon  de  Vailly  et  Auguste  Barbier,  un  Benvenuto  Cellini  qui  tomba 
misérablement  sous  le  poids  des  sifflets  et  des  brocards  de  ses 
ennemis.  En  Allemagne.  Franz  Lachner  écrivit  un  Benvenuto  Cellini 
qu'il  produisit,  vers  1840,  sur  le  théâtre  royal  de  Munich.  Enfin,  un 
compositeur  italien  qui  a  joui  en  son  pays  d'une  véritable  renommée, 
Lauro  Rossi,  fit  représenter  à  Turin,  en  1845,  un  opéra  intitulé 
Cellini  a  Pariç/i,  dont  le  principal  rôle  féminin  était  tenu  par  une  grande 
artiste,  notre  compatriote,  Mme  Anna  de  Lagrange,  qui  a  laissé  sa 
trace  dans  l'histoire  du  chant  dramatique  au  dix-neuvième  siècle. 

M.  Saint-Saëns  méditait  donc  de  transformer  à  son  profit  le  drame 
émouvant  de  M.  Paul  Meurice.  Il  s'adressa  pour  cela  à  l'un  de  ses 
collaborateurs  ordinaires,  M.  Louis  Gallet,  qui,  une  fois  obtenu 
l'agrément  de  l'auteur,  se  mit  au  travail  et  eut  bientôt  accompli  son 
office.  Ce  n'est  pas  chose  facile  que  l'espèce  de  réduction  Collas  qu'il 
faut  effectuer  pour  tirer  d'un  drame  développé  et  fertile  en  incidents, 
les  simples  éléments  nécessaires  à  un  livret  d'opéra,  tout  en  con- 
servant les  situations  essentielles  et  en  laissant  à  l'œuvre  sa  couleur 
personnelle  et  sa  puissance  première.  M.  Gallet  s'est  tiré  à  son  hon- 
neur de  cette  tâche  difficile,  et  si  le  livret  à'Âscanio  (car  c'est  le  titre 
choisi  pour  cette  adaptation)  ne  contient  pas  un  de  ces  épisodes 
grandioses  qui  suffisent  parfois  à  faire  la  fortune  d'une  œuvre  lyri- 
que, c'est  qu'il  ne  l'a  pas  rencontré  dans  l'œuvre  originale. 

Dans  ses  lignes  essentielles,  le  sujet  peut  se  résumer  ainsi.  Ben- 
venuto est  à  Paris,  à  la  cour  de  François  Ier,  dont  il  est,  on  le  sait, 
l'artiste  favori.  Parmi  les  nombreux  élèves  qui  fréquentent  son  atelier 
il  en  est  un,  le  jeune  Ascanio,  son  compatriote,  pour  lequel  il  ressent 
une  affection  vive  et  profonde,  affection  qui  lui  est  rendue  par  celui- 
•ci.  Ascanio  est  l'objet  des  poursuites  amoureuses  de  la  duchesse 
d'Etampes,  la  maîtresse  du  roi  ;  Benvenuto  voit  le  danger  terrible 
que  court  son  élève,  et  tous  ses  efforts  tendent  à  détourner  de  lui  ce 
danger.  Ascanio,  d'ailleurs,  aime  autre  part,  et  cet  amour,  s'il  le 
défend  contre  les  enjôlements  de  la  duchesse,  ne  lui  est  pas  moins 
fatal  en  ce  qu'il  lui  attire  la  haine  de  celle-ci.  Mais  Benvenuto,  lui 
aussi,  est  épris,  et  sa  fureur  ne  connaît  pas  de  bornes  lorsqu'il 
s'aperçoit  que  celle  qu'il  aime,  la  jeune  Colombe  d'Estourville,  est 
précisément  celle  qui  est  chérie  d'Ascanio,  à  qui  elle  rend  affection 
pour  affection.  Pourtant,  après  un  long  combat  intérieur,  il  finit  par 
se  sacrifier  à  l'enfant  à  qui  il  a  voué  une  tendresse  presque  pater- 
nelle, et,  tout  en  sauvant  Ascanio  des  griffes  puissantes  delà  duchesse 
d'Etampes,  il  finit  par  lui  faire  épouser  celle  qu'il  aime. 

On  voit  que  dans  cette  fiction  dramatique,  Benvenuto  est  devenu 
un  être  bon,  dévoué,  tendre  et  généreux  jusqu'au  sacrifice,  ce  qui 
s'accorde  médiocrement  avec  la  tradition  historique.  Mais  ici  le 
poète  a  usé  de  son  droit  incontestable,  en  transformant  à  sa  conve- 
nance et  selon  ses  besoins  le  caractère  du  héros  choisi  par  lui.  Quant 
au  librettiste  je  l'ai  dit,  son  œuvre  est  adroite,  habile,  intelligente, 
et  le  compositeur  n'eût  su  rien  lui  demander  de  plus. 

Artuur  Pougin 

Une  indisposition  subite  de  notre  collaborateur  Arthur  Pougin, 
encore  mal  remis  de  la  maladie  qui  l'a  tenu  si  longtemps  éloigné 
de  nous,  nous  oblige  à  suspendre  ici  tout  ù  coup  l'article  qu'il  nous 
préparait  et  le  temps  qui  nous  presse  ne  nous  permet  même  pas 
de  reprendre  la  plume  qui  tombe  de  ses  mains  pour  le  suppléer  tant 
bien  que  mal.  Force  nous  est  donc  de  remettre  à  huitaine  notre 
jugement  motivé  sur  la  nouvelle  partition  de  M.  Camille  Saint- 
Saëns.  Nous  pouvons  dès  à  présent  constater  que,  bien  qu'un  peu 
grise  dans  son  ensemble,  elle  n'en  est  pas  moins  une  des  plus  inté- 
ressantes que  l'éminent  compositeur  ait  signées  et  qu'il  s'y  trouve 
nombre  de  pages  délicates  et  curieuses. 

De  l'interprétation,  sur  laquelle  nous  nous  appesantirons  davan- 
tage la  semaine  prochaine,  nous  pouvons  dire  qu'elle  est  loin  d'être 
satisfaisante  et  peu  faite  pour  mettre  l'œuvre  en  sa  valeur  réelle. 
Il  conviont  toutefois  de  donner  des  éloges  ù  M.  Lassalle,  toujours  un 


peu  le  même  dans  tous  ses  rôles,  mais  qui  a  de  l'autorité  et  du 
prestige,  ù  M""-'  Bosman,  artiste  intelligente,  ù  Mllc  Eames,  toute 
fraîche  et  toute  gracieuse  dans  le  rôle  de  Colombe,  et  à  M.  Plançon, 
qui  donne  une  certaine  allure  au  personnage  de  François  Ie',.  Mais 
que  dire  de  M"10  Adiny  !  Que  dire  même  de  M.  Cossira!!!  Que  dire 
des  rôles  de  second  plan  !!!  C'est  là  que  se  montre  dans  toute  sa 
splendeur  le  désarroi  actuel  de  notre  Académie  nationale  de  mu- 
sique et  l'insuffisance  d'une  troupe  que  MM.  Ritt  et  Gailhard  vou- 
draient nous  faire  passer  pour  la  première  du  monde.  Nous  sommes 
un  peu  loin  de  compte. 

Quant  ù  la  mise  en  scène,  réglée  «  spécialement  »  par  M.  Pedro 
Gailhard,  comme  dit  la  partition,  elle  n'a  rien  de  spécialement 
brillant.  Ce  qu'il  y  a  encore  de  plus  spécial  en  elle,  c'est  l'écono- 
mie rigide  qui  semble  y  avoir  présidé.  A  dimanche  pour  plus 
amples  détails.  H.  M. 


HISTOIRE    VRAIE 

DES    HÉROS    D'OPÉRA    ET    D'OPÉRA- COMIQUE 


XLIII 

MASANIELLO 


La  Révolution  était  victorieuse.  Le  due  d'Areos,  vice-roi  du 
royaume  de  Naples  pour  l'Espagne,  parlementait  d'égal  à  égal,  avec 
le  lazzarone  transformé  en  chef  souverain.  Au  dehors,  le  peuple 
faisait  entendre  de  longues  acclamations  de  joie  et  de  triomphe. 
Soudain,  une  bande  armée  se  précipita  sur  Masaniello.  A  sa  tête 
marche  un  patricien.  Dix,  vingt  coups  d'arquebuse  éclatent.  Par 
miracle,  le  tribun  n'est  pas  atteint.  Alors,  la  foule  mise  au  courant 
de  ce  qui  se  passe,  fait  irruption  dans  le  palais,  et  massacre  sans 
merci  les  agresseurs  qui  s'y  trouvent. 

Masaniello  se  fit  apporter  la  tête  de  leur  chef.  Il  passa  la  main 
sur  ses  moustaches  en  le  raillant,  et  lui  fit,  comme  s'il  le  compre- 
nait encore,  des  reproches  sur  sa  cruauté  et  sur  sa  fourberie.  Puis 
il  fit  mettre  cette  tête  dans  une  cage  de  fer,  qu'on  suspendit  au 
fronton  de  la  demeure  du  défunt,  avec  celte  inscription  : 

C'est  ici  Don  Carafa 

ennemi    de    la    patrie 

et  traître  au  peuple    fidèle  de  Naples 

Carafa  ! 

Avouons  que  le  descendant  du  supplicié  napolitain  s'est  montré 
généreux  envers  le  bourreau  de  son  aïeul,  en  exaltant,  en  excel- 
lente musique,  les  péripéties  de  son  étonnante  aventure. 

Il  a  dû.  même  pour  comble  de  désintéressement,  apitoyer  Scribe 
et  Auber  sur  son  client.  L'élément  féminin  manquait  dans  le  drame 
historique.  Ils  le  fournirent  en  produisant  Fenella,  muette  de  nais- 
sance. 

La  sœur  de  Masaniello  était-elle  vraiment  privée  de  la  parole  ? 
Rien  ne  le  dit.  En  attendant,  son  mari  n'avait  pas,  comme  on  dit 
vulgairement,  sa  langue  dans  sa  poche. 

C'est  lui  qui  mit  le  feu  aux  poudres. 

Dès  longtemps  la  tempête  menaçait.  L'Espagnol  pressurait  le  Na- 
politain. En  moins  de  quinze  ans  il  lui  avait  arraché  plus  de  cent 
millions  d'écus.  Mais  où  le  peuple  perdit  patience,  c'est  quand  on 
le  pressura  d'un  droit  supplémentaire  de  70,000  ducats  sur  les  fruits. 
Dans  un  climat  chaud,  les  fruits  de  la  campagne  sont,  en  été,  la 
nourriture  la  plus  ordinaire  à  la  multitude.  Déjà,  la  farine  était 
imposée.  Le  macaroni  et  les  melons  d'eau,  c'était  trop  à  la  fois. 

Aussitôt  le  marché  devint  le  Forum.  On  se  révolte,  on  s'insurge 
contre  les  péagers.  Mais  l'effervescence  manque  d'une  âme  pour  la 
conduire.  Elle  est  là,  pourtant,  tout  près,  sous  la  forme,  non  d'un 
pêcheur,  comme  nous  le  présente  la  tradition,  mais  d'un  pauvre 
hère,  qui  à  proximité  des  poissonniers,  vendait  des  cornets  de 
papier  à  ceux  qui  achetaient  des  petits  poissons. 

Cet  homme  allait  d'un  groupe  à  l'autre,  chuchotant  à  l'oreille 
des  fruitiers  :  point  de  péage.  Il  avait  rassemblé  des  enfants  pour 
leur  apprendre  à  chanter  quelques  formules  où  il  demandait  de  di- 
minuer le  prix  des  vivres.  On  se  moqua  de  lui  tout  d'abord,  sur- 
tout quand  il  demanda  h  se  mettre  à  la  tête  des  Lazares,  composés 
de  la  lie  du  peuple,  qui  à  la  fête  do  Maria  del  Garmina,  avait  cou- 
tume de  livrer  bataille  aux  Alabarbes  costumés  en  soldats  turcs. 
Celai1,  à  eux  à  attaquer,  et  ordinairement  ils  remportaient  la  vie 
toire.  Masaniello  avait  son  plan  en  s'assurant  de  ces  gens  qui  lui 
composaient  une  armée  toute  faite,  armée  de  bâtons,  et  quels  bâtons! 

Le  jour  de  la  fête,  le  hasard  servit  merveilleusement  ses  desseins. 


92 


LE  MENESTREL 


Le  beau-frère  de  Masaniello  avait  apporté  des  figues  au  marché. 
Les  péagers  se  présentèrent  pour  percevoir  les  droits.  Alors,  le 
paysan  : 

Puisque  je  dois  avoir   apporté    mes    fruits    pour    rien,    j'aime 

mieux  que  le  peuple  de  Naples  en  profite  que  ces  chiens  de  péa- 
gers, qui  sucent  le  royaume  jusqu'au  sang. 

Aussitôt  Masaniello,  qui  se  tenait  à  ses' côtés,  s'écrie: 

—  Plus  d'impôts  !  Plus  d'impôts  ! 

On  l'acclame;  on  renverse  tous  les  paniers,  les  péagers  sont  cri- 
blée de  fruits,  puis  de  pierres.  Ils  fuient  devant  cette  grêle  impro- 
visée. Bientôt  la  foule  est  maîtresse  de  la  place. 

Alors  Masaniello  saute  sur  une  des  tables,  et  s'écrie  : 

—  Prenez  courage  et  rendez  grâce  à  l'être  suprême,  l'heure  de  la 
liberté  est  enfin  arrivée;  malgré  ces  haillons,  preuve  de  mon  indi- 
gence, j'espère,  comme  un  second  Moïse,  délivrer  mon  peuple  de 
la  servitude.  Saint  Pierre,  un  simple  pêcheur,  a  sauvé  Rome  et  le 
monde  entier  de  l'esclavage  du  démon;  un  autre  pêcheur  affranchira 
Naples  de  l'insupportable  fardeau  d'impôts  exorbitants,  et  ramènera 
des  temps  plus  heureux.  En  vain  la  mort  me  menace.  Que  je  sois 
traîné  dans  les  rues,  ma  tète  empalée,  mon  corps  exposé  sur  la 
la  roue,  je  mourrai  content,  pourvu  que  je  parvienne  à  la  gloire 
ineffable  de  m'étre  sacrifié  pour  le  bonheur  et  la  prospérité  de  la  patrie. 

On  sait  que  Masaniello  tint  parole.  Le  soir  même  de  la  fête, 
la  ville  était  au  pouvoir  de  l'insurrection.  Le  lendemain, 
le  chef  acclamé  montait  à  l'assaut  du  château,  à  la  tête  de  cent 
cinquante  mille  hommes,  avec  des  fusils  et  du  canon.  Tout  le 
monde  était  accouru  à  son  appel;  on  vit- dans  les  colonnes  d'atta- 
que un  régiment  d'amazones  .-une  des  plus  belles  et  des  plus  consi- 
dérables dames  de  la  ville  le  commandait,  portant  les  armes  d'Es- 
pagne avec:  Vive  à  jamais  le  roi  et  le  peuple  fidèle  de  Naples.  Le 
siège  de  la  tour  Saint-Laurent  dura  trois  heures.  Quand  elle  fut 
prise,  on  chercha  vainement  le  vice-roi  :  il  s'était  enfui  ;  mais 
bientôt  il  reparut,  sur  la  foi  d'une  proclamation  déclarant  que  le 
peuple  ne  faisait  point  ia  guerre  à  l'Espagne,  mais  seulement  aux 
impôts.  Le  duc  d'Arcos  demanda  à  Masaniello  quel  titre  il  désirait 
pour  lui. 

—  Aucun,  répondit  le  vainqueur;  aussitôt  que  j'aurai  repêché  la 
liberté  publique  qui  semblait  être  noyée  depuis  si  longtemps,  je 
reprendrai,  avec  mes  premiers  baillons,  ma  première  condition,  dé- 
sirant vivre  à  l'avenir  comme  je  l'ai  fait  par  le  passé  et  ne  souhai- 
tant pour  toute  reconnaissance  qu'un  Ave  Maria  de  chacun  à 
l'heure  de  mon  trépas. 

Deux  jours  après,  un  cortège  magnifique  se  dirigeait  vers  le  châ- 
teau. Le  vice-roi  avait  envoyé  à  Masaniello  une  grande  partie  de 
ses  officiers  et  deux  superbes  chevaux  pour  lui  et  son  frère.  11  avait 
sur  l'ordre  du  cardinal  Filomarino,  sous  menace  d'excommunication, 
revêtu  de  riches  habits  sur  lesquels  flottait  le  manteau  d'or  doublé 
d'hermine.  Il  s'avançait  à  cheval,  au  son  des  cloches  et  du  canon, 
suivi  du  cardinal-archevêque,  et  de  tous  les  princes  et  de  tous  les 
nobles,  au  milieu  d'une  foule  idolâtre  qui  jonchait  la  route  de 
fleurs  et  de  branches  de  laurier. 

Avant  d'entrer  au  palais,  il  fit  debout  sur  son  cheval,  une  nou- 
velle harangue.  C'est  pendant  l'entretien  qui  suivit  qu'eut  lieu  la 
tentative  dont  nous  avons  parlé. 

Justice  faite,  rien  ne  resta  de  cet  incident.  Le  duc  se  rendit  à 
l'église  del  Carminé,  où  il  approuva  solennellement  les  capitulations 
et  jura  de  les  observer.  Ici,  les  historiens  racontent  que  Masaniello, 
son  but  atteint,  remercia  le  peuple  et  le  vice-roi,  déchira  ses  habits 
et  regagna  à  pied  sa  demeure.  La  chose  est  peu  probable,  car 
dans  la  courte  durée  de  son  commandement,  sa  femme  rendit  visite 
à  la  duchesse  d'Arcos  en  un  appareil  dont  un  contemporain  nous  a 
laissé  la  description:  revêtue  d'étoffes  d'argent,  sa  parure  était  re- 
levée par  de  riches  joyaux;  et  un  superbe  carrosse,  autrefoisau  duc 
Carafa  (!)  lui  servait  d'équipage.  Ses  plus  proches  parentes,  d'hon- 
nêtes poissonnières,  maintenant  couvertes  d'or,  l'accompagnaient. 
La  duchesse  les  reçut  avec  un  air  de  satisfaction  ;  sa  noble  bouche 
ne  dédaigna  pas  d'embrasser  le  jeune  fils  de  Masaniello,  et  elle  les 
renvoya  chargées  de  présents. 

Comment  ce  rêve  finit-il  plus  promptcment  encore  qu'il  était  né. 
Un  historien  peu  connu,  auquel  nous  avons  emprunté  la  plupart  des 
détails  qui  précédent,  l'a  dit: 

c  Après  avoir  brillé  comme  un  météore  éclatant  pendant  dix  jours 
entiers,  rempli  toutes  ses  promesses,  à  l'égard  de  ses  pa'rtisans, 
arraché  à  ses  adversaires  même  l'aveu  de  son  mérite  et  la  confirma- 
tion de  ses  hautes  dignités,  il  ne  déchut  de  sa  gloire  que  parce  que 
sun  esprit  l'abandonna.  » 

Comment  son    esprit  l'abandonna-l-il  ?  On  a  parlé   de  la  folie  des 


grandeurs,  et  il  y  avait,  en  vérité,  de  quoi  tourner  la  tète  au  plus 
robuste,  en  cette  aventure  inouïe.  Mais  le  cas  est  plus  simple  :  Ma- 
saniello gênait  et  Masaniello  fut  supprimé. 

C'est  au  sortir  d'un  festiu  de  chez  le  vice-roi  que  sa  raison  se 
perdit.  Le  soir  même,  sans  chapeau,  sans  épée,  il  courut  chez  le 
duc  d'Arcos  et  se  plaignit  d'avoir  soif.  La  gorge  lui  brûlait.  Dans 
la  journée,  en  sortant  du  palais,  il  avait  jeté  des  poignées  de  se- 
quins  à  la  mer,  puis  avait  parcouru  les  rues  de  la  ville  en  criant  : 
«  Je  suis  le  roi  du  monde  !  »  Le  lendemain,  maître  absolu  de  Na- 
ples, il  avait,  sans  raison,  fait  décapiter,  à  tort  et  à  travers,  des 
gens  pris  au  hasard:  «  Le  soleil,  disait-il,  n'éclaire  aucune  tète. 
que  je  n'aie  le  droit  et  le  pouvoir  de  faire  abattre.  »  Le  vice-roi  ne 
soufflait  mot,  c'était  pour  lui  la  revanche  prochaine.  L'ne  fois  assuré 
de  l'impunité  populaire,  il  donna  signe  de  vie. 

Un  soir,  comme  Masaniello  venait  de  rentrer  dans  sa  demeure,  on 
l'appela  du  dehors. 

Il  sortit  aussitôt  : 

—  Est-ce  moi  que  tu  cherches,  mon  peuple?  Me  voici! 

Quatre  coups  d'arquebuses  lui  répondirent.  Il  tomba  mort  sur  le  coup. 

Sa  tête  fut  portée  au  palais,  où  il  y  eut  fête  ce  soir-là.  Et  l'on 
jeta  son  corps  dans  un  fossé . 

Un  auteur  italien  a  comparé  le  peuple  de  Naples  à  un  chien  de 
chasse  qui  toujours  attentif  aux  regards  de  son  maître,  au  premier 
signal  donné,  tombe  avec  fureur  sur  le  gibier  indiqué. 

Le  peuple  de  Naples  traîna  aux  gémonies  le  corps  de  celui  qui 
l'avait  émancipé.  Puis,  pris  d'un  remords,  il  alla  réclamer  sa  tête,  la 
joignit  aux  restes  mutilés  par  lui,  et  fit  au  tout  des  funérailles 
splendides. 

Mais  ce  fut  le  dernier,  éclair  de  sa  liberté,  tuée  dans  l'œuf. 

Bientôt,  on  rétablit  la  gabelle,  et  les  melons  d'eau  et  le  macaroni 
payèrent  leur  tribut  comme  devant. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 

Concerts  du  Chàtelet.  —  Le  Roméo  et  Juliette,  de  Berlioz,  qui  a  été 
exécuté  en  entier  (moins  la  scène  des  tombeaux),  est  cité  assez  souvent 
comme  une  œuvre  hardiment  descriptive.  Les  différents  morceaux  de  cet 
ouvrage  peuvent  se  classer  dans  trois  catégories  :  1°  ceux  qui,  étant  ac- 
compagnés de  paroles,  ne  doivent  pas  être  considérés  comme  purement 
descriptifs;  ils  forment,  à  eux  seuls,  plus  de  la  moitié  de  la  partition: 
2°  ceux  qui  sont  destinés  â  exprimer  symphoniquement  des  sentiments 
simples  que  certaines  formes  musicales  éveillentnaturellement  dans  l'âme. 
De  ce  nombre  sont  la  scène  du  bal,  la  scène  d'amour,  le  scherzo  de  la 
fée  Mab  ;  3°  ceux  dans  lesquels  Berlioz  a  prétendu  décrire  non  plus  des 
sentiments,  mais  des  faits  précis  ayant  pu  se  passer  de  cent  façons  dif- 
férentes et  qu'aucune  formule  musicale  ne  représente  à  l'auditeur.  Par 
exemple,  la  musique  peut  bien,  à  la  rigueur,  donner  l'idée  d'une  bataille, 
mais  elle  ne  saurait  nous  faire  songer  à  l'intervention  d'un  prince  venu 
pour  y  mettre  fin,  comme  cela  se  passe  dans  l'œuvre  de  Shakespeare.  La 
musique  pourra  bien  encore  exprimer  un  désespoir  violent,  mais  elle  ne 
nous  dira  pas  que  c'est  celui  de  Roméo  dans  le  tombeau  où  repose  Ju- 
liette. En  résumé,  si  Berlioz  a  commis  l'erreur,  commune  à  toute  une 
école  de  musiciens  modernes,  ce  n'a  été  que  très  exceptionnellement  dans 
deux  morceaux  de  Roméo  et  Juliette  et  encore  faut  il  dire  que  le  second  de 
ces  morceaux  est  parfaitement  justifié  par  le  chœur  qui  le  précède  et  qui 
a  pour  titre  :  Convoi  funèbre  de  Juliette.  L'œuvre  de  Berlioz  peut  donc  être  • 
considérée  comme  reposant  sur  des  bases  logiques.  D'ailleurs,  ce  que  Berlioz 
a  pu  tenter  sur  un  drame  aussi  populaire  que  Roméo  et  Juliette,  il  serait 
téméraire  de  l'essayer  en  choisissant  un  sujet  moins  connu;  car,  dans  les  œu- 
vres descriptives,  la  mémoire  de  l'auditeur  estle  commentaire  naturel  de 
l'œuvre.  Quant  à  la  valeur  de  Roméo  et  Juliette,  au  point  do  vue  de  l'origi- 
nalité, de  la  facture  musicale,  de  la  richesse  mélodique,  du  sentiment 
poétique,  elle  est  incontestable.  Le  prologue  tout  entier  avec  les  strophes 
de  soprano  que  Mllc  de  Montalant  a  dites  avec  beaucoup  de  charme  et 
de  poésie  et  le  scberzetto  qui  a  été  bien  détaillé  par  M.  Mauguière  est 
une  pure  merveille.  Le  finale,  renfermant  l'air  du  père  Laurence,  chanté 
avec  beaucoup  de  sentiment  et  de  chaleur  par  M.  Auguez,  est  une  pa"e 
superbe  de  musique  dramatique.  L'exécution  a  été  excellente  dans  l'en- 
semble. Le  grand  succès  de  la  séance  a  été  pour  les  strophes  du  prolo- 
logue,  le  scherzetto  qui  a  été  bissé,  la  scène  d'amour  et  le  grand  finale. 

Amédée  Boutarel. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  Le  vingtième  et  dernier  concert  du  Cirque 
débutait  par  une  exécution  mathématiquement  exacte,  mais  absolument 
dénuée  de  couleur,  de  la  Symphonie  en  la  de  Beethoven  :  nous  sommes 
loin  du  temps  où  M.  Lamoureux,  installé  au  théâtre  du  Chàteau-d'Eau, 
donnait,  des  Symphonies  de  Beethoven,  des  exécutions  que  l'on  pouvait 
qualifier  de  modèles.  —  L'air  de  Rienzi,  de  Wagner,  tiré  d'une  partition 
où  les  traditions  de  la  musique  italienne  jouent  un  grand  rôle,  où  l'on 
trouve,  à  chaque  instant,  des  terminaisons  de  phrases  à  la  Donizetti  et  à 


LE  MENESTREL 


93 


la  Bellini,  a  été  très  bien  dit  par  M"le  Materna  et  applaudi  de  confiance 
par  un  public  qui,  généralement,  juge  sur  l'étiquette.  —  L'Ouverture 
(d'Attila?)  de  M.  Salvayre  est  une  œuvre  bien  faite,  mais  sans  trop'grande 
originalité;  on  y  retrouve  certaines  réminiscences  puisées,  il  est  vrai, 
aux  bons  endroits.  —  L'Ouverture  pour  Faust,  de  Wagner,  composée  dans 
les  environs  de  1830,  est  de  la  période  où,  selon  nous,  le  maitre  écrivait 
bien.  Elle  est  fort  remarquable  comme,  élévation  de  pensée  et  netteté 
mélodique.  Nous  n'en  dirons  pas  autant  du  prélude  de  Tristan  et  Yseult, 
dont  les  hautes  prétentions  descriptives  sont  énumérées  dans  la  notice 
obligée  qui  accompagne  chacune  des  auditions  de  M.  Lamoureux.  Que  ce 
prélude  peigne  les  péripéties  d'un  amour  coupable,  je  n'y  fais  aucune 
opposition;  mais,  à  mon  avis,  il  peindrait  encore  mieux  les  troubles 
inévitables  d'une  digestion  difficile;  on  l'avait  maladroitement  soudé  à  un 
air  du  troisième  acte,  que  Mme  Materna  a  dit  avec  une  très  grande  tris- 
tesse partagée  du  reste  par  le  public.  —  La  scène  finale  du  Crépuscule  des 
Dieux  a  été  mieux  dite  qu'aux  deux  premières  auditions.  Nous  y  avons 
même  remarqué  certains  effets  de  douceur  qui  nous  ont  tout  à  fait  plu 
et  qui  ont  fait  ressortir  encore  davantage  l'explosion  de  sonorité  qui  ter- 
mine cette  scène  étonnante.  Mmû  Materna  a  été  applaudie  à  outrance. 
Jamais  le  délire  wagnérien  n'avait  sévi  avec  autant  d'intensité.  Quelle 
belle  occasion,  en  effet,  de  s'incliner  devant  la  supériorité  de  nos  voisins 
d'outre-Rhin  !  Musique  allemande,  chanteuse  allemande,  c'était  complet. 
Les  Wagnériens  étaient  debout,  brandissant  en  signe  d'admiration  leurs 
chapeaux  et  leurs  parapluies,  tandis  que  l'éminent  chef  d'orchestre  et 
l'éminente  cantatrice  viennoise,  émus  de  l'ovation  collective  qui  leur  était 
faite,  s'efforçaient  de  manifester  leur  reconnaissance  en  formant  un 
groupe  extrêmement  gracieux.  Puis  les  enthousiastes  sont  partis  comme 
d'habitude,  laissant  un  nombre,  assez  considérable  cependant,  d'encroûtés 
écouter  avec  plaisir  la  Marche  de  la  Damnation  de  Faust,  orchestrée  par 
Berlioz,    un    compositeur    qui    n'avait  qu'un   tort,  celui   d'être  Français. 

H.  BARDEDETTIi. 

—  Programmes  d'aujourd'hui  dimanche  : 

A  la  Société  des  concerts,  treizième  concert  sous  la  direction  de  M.  J. 
Garcin  :  1°  Symphonie  en  ré,  de  Beethoven;  2°  Psyché  (fragments),  de 
M.  A.  Thomas  :  Introduction,  chœur  des  Nymphes,  récit  et  romance 
du  Sommeil,  invocation  à  la  Nuit,  scène  de  l'extase,  bacchanale: 
Psyché,  Mmc  Krauss  ;  Eros,  Mlle  Landy  ;  Mercure,  M.  Delmas.  3°  Hymne 
de  Haydn  ;  4°  ouverture  de  Coriolan  de  Beethoven;  S0  la  Vestale  (finale  du 
deuxième  acte),  de  Spontini  ;  6°  ouverture  du  Freischùtz  de  Weber. 

—  Au  Châtelet,  sous  la  direction  de  M.  Colonne  :  deuxième  audition  de 
Roméo  et  Juliette,  drame  lyrique  d'après  la  tragédie  de  Shakespeare,  paroles 
de  M.  Emile  Deschamps,  musique  de  Hertor  Berlioz;  soli  par  M11-  de  Mon- 
talant,  MM.  Mauguière  et  Auguez. 

—  Mercredi  dernier  a  eu  lieu,  salle  Pleyel,  la  quatrième  séance  de  mu- 
sique classique  donnée  par  Mme  George  Hainl  et  MM.  Marsick  et  Loys, 
avec  le  concours  de  MM.  Brun  et  Laforge.  Le  quatuor  n°  2,  pour  piano 
et  cordes,  de  M.  Gabriel  Fauré,  a  laissé  le  public  un  peu  froid,  mais  on 
a  chaleureusement  applaudi  le  quatuor  en  ré  majeur  de  Mendelssohn  qui 
renferme  un  délicieux  andante,  et  le  trio  en  sol  de  Raff.  M.  Marsick,  très 
bien  disposé,  a  été  acclamé  après  chaque  morceau,  ainsi  que  ses  excel- 
lents partenaires.  Am.  B. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ETRANGER 

La  belle  partition  de  M.  Lalo,  le  Roi  d'Ys.  n'a  pas  été  comprise  par 
le  public  romain.  Les  journaux  italiens  sont  unanimes  à  constater  sa 
chute  lamentable  au  théâtre  Costanzi,  quoique,  selon  eux,  l'exécution  en 
ait  été  excellente.  Les  interprètes  étaient  Mmcs  Teodorini  et  Calvé, 
MM.  Garulli  et  Seguin.  te  Don  Chiscwtte,  se  livrant  à  un  jeu  de  mots,- dit 
que  c'est  un  Re  d'Ys...  grazialo  (un  Roi  d'Ys-grucié)'. 

—  On  croirait  qu'au  San-Carlo  de  Naples,  dit  le  Trovatore,  ï'injluenza 
règne  toujours.  Pendant  tout  le  cours  de  la  dernière  semaine,  le  théâtre  a 
fait  relâche  allègrement.  On  a  donné  une  seule  représentation  des  Hu- 
guenots. 

—  On  avait  espéré  que  le  nouveau  Grand-Théâtre  de  Palerme  pourrait 
être  ouvert  à  l'occasion  de  la  prochaine  exposition  qui  aura  lieu  dans 
cette  ville,  mais  il  parait  qu'on  est  loin  de  compte.  Il  manque  seulement 
quatre  millions  pour  l'achèvement  des  travaux,  et  l'on  ne  sait  où  trouver 
celte  misère. 

—  De  notre  correspondant  de  Belgique  ("20  mars). —  Les  auteurs  belges 
ont  fait  beaucoup  parler  d'eux,  en  ces  dernières  semaine,  au  théâtre  et 
dans  les  concerts.  Au  théâtre,  il  s'est  produit  tout  à  coup  une  véritable 
lièvre  de  composition,  une  épidémie  de  drames  et  de  comédies  qui,  pen- 
dant un  mois,  a  exercé  sur  la  population  bruxelloise  de  terribles  ravages. 
On  en  a  vu  surgir  jusque  sur  trois  scènes  â  la  fois,  presque  le  même 
soir.  Mais  je  dois  â  la  vérité  de  dire  que  presque  rien  de  tout  cela  n'a 
réussi.  C'a  été,  sur  toute  la  ligne,  une  hécatombe  d'auteurs  belges  abso- 
lument épouvantable,  un  carnage  affreux  et  sans  précédent.  Inutile  donc 
d'insister.  Ces  malheureux  sont  morts,  et  bien  morts.  Paix  à  leurs  cen- 
dres !  Mais  la  comédie  et  le  drame  ne  sont  pas  les  seuls  genres  qui  aient 


tenté  nos  compatriotes.  La  Salammbô  de  M.  Ernest  Rayer  a  exercé  aussi 
leur  verve  humoristique  sous  la  forme  de  parodies  aussi  nombreuses  que 
variées.  Nous  avons  eu  successivement  une  Salam-Booth  à  l'Alcazar,  un 
Sarlahot  aux  Galeries  et  une  Salle  en  beau  à  la  Scala.  La  première  est  spi- 
rituelle et  a  obtenu  grand  succès;  la  seconde  est  tombée  à  plat.  Comme 
vous  voyez,  rien  n'aura  manqué  à  la  gloire  do  M.  Reyer,  ni  à  la  renommée 
de  son  œuvre,  —  qui,  entre  parenthèses,  continue,  à  la  Monnaie,  le  cours 
de  son  succès  avec  Mm0  Caron,  toujours  admirable  et  toujours  admirée. — 
Les  compositeurs  ont  eu  plus  de  chances  que  les  dramaturges.  Le  der- 
nier concert  populaire,  consacré  tout  entier  à  M.  EdgarTinel  et  à  M.  Emile 
Mathieu,  a  fait  applaudir  sincèrement  diverses  œuvres  lyriques  et  sym- 
phoniques  de  ces  deux  musiciens  de  très  réel  talent.  M.  Tinel,  l'auteur  du 
bel  oratorio  Saint  François,  dont  je  vous  ai  dit,  il  y  a  deux  ans,  le  très 
grand  succès  à  Malines,  puis  à  Bruxelles,  a  fait  entendre  de  remarquables 
Fragments  symphoniques  pour  le  Polyeucte  de  Corneille;  et  l'on  a  retrouvé 
dans  le  Sorbier,  une  œuvrette  nouvelle  de  M.  Mathieu,  les  qualités  de 
grâce  et  de  pittoresque  un  peu  minces,  qui  distinguent  l'auteur  de  Ri- 
childe.  Quelques  jours  après,  le  Cercle  artistique  nous  faisait  faire  la  con- 
naissance de  M"e  Folville,  une  jeune  Liégeoise  plus  connue  à  Paris  qu'en 
Belgique,  et  qui  non  seulement  joue  très  bien  du  piano  et  du  violon, 
mais  compose  aussi  très  agréablement.  Je  vous  ai  parlé  naguère  de  cette 
charmante  artiste,  élève  de  M.  Théodore  Radoux,  à  propos  du  dernier 
concours  de  Piome  auquel  elle  faillit  prendre  part  et  auquel  elle  renonça, 
vous  vous  rappelez  peut-être  dans  quelles  circonstances,  qui  émurent 
vivement  l'Académie  et  les  apôtres  de  l'émancipation  des  femmes.  — Enfin, 
nous  avons  assisté  aux  débuts  d'une  nouvelle  phalange  instrumentale,  le 
Club  symphonique,  créé  et  dirigé  par  un  de  nos  jeunes  cap^llmeister  les 
plus  distingués,  M.  Emile  Agniez;  et,  à  cette  occasion,  plusieurs  œuvres 
inédites  se  sont  aussi  produites,  de  M.  Agniez  et  de  M.  De  Greef,  toutes 
fort  distinguées  et  très  applaudies,  jouées  par  ledit  Club  symphonique  et 
chantées  par  Mlle  Rachel  Neyt,  de  la  Monnaie.  —  Pour  en  revenir  à  la 
Monnaie,  c'est  ce  soir  qu'a  lieu  enfin  la  reprise  du  Vaisseau-Fantôme  et  les 
débuts  de  M.  Frantz  Servais  comme  chef  d'orchestre  au  théâtre.  Ce  sera 
une  curieuse  soirée  et  l'une  des  dernières  batailles  de  l'année  théâtrale, 
qui  touche  à  sa  fin.  On  parie  déjà  des  réengagements  pour  la  saison 
prochaine  :  nous  gardons  MM.  Bouvet,  Badiali,  Isouard,  Delmas,  MllcCar- 
rère  et  Mmc  Durand-Ulbach.  Plusieurs,  par  contre,  nous  quittent,  MnleFie- 
rens-Pecten,  engagée  à  l'Opéra,  MUe  Samé,  dont  le  départ  sera  vivement 
regretté,  M.  Renaud,  qui  entre  à  l'Opéra-Comique,  MUe  Merguiller  et  d'au- 
tres encore.  Pour  le  reste,  rien  n'est  encore  décidé.  Lucien  Solvay. 

—  Du  Patriote  de  Bruxelles:  «  Lundi  soir,  intéressant  concert  donné  dans 
la  salle  de  la  Grande-Harmonie  par  les  Artisans  réunis,  sous  la  direction 
de  M.  Adolphe  Goossens,  avec  le  concours  de  MUc  Clotilde  Balthazar, 
violoniste,  et  de  M11"  Mathilde  Cardon,  cantatrice.  Nous  y  avons  entendu 
un  chœur  de  F.  Riga  :  les  Esprits  de  la  Nuit  (poésie  de  Lucien  Solvay). 
MUc  Balthazar,  que  nous  avions  déjà  eu  l'occasion  d'applaudir  l'an  passé 
au  Cercle  artistique,  a  moissonné  hier  tous  les  applaudissements  de  la 
salle.  Cette  gracieuse  jeune  fille  a  un  tempérament  artistique  des  plus 
prononcés;  elle  possède  un  vigoureux  archet;  en  outre,  il  y  a  du  style, 
de  la  délicatesse  et  de  l'expression  dans  son  jeu.  Le  son  qu'elle  tire  de 
son  violon  est  généralement  pur  et  homogène,  deux  qualités  précieuses 
qui  font  souvent  défaut  à  nos  artistes  violonistes.  Mlle  Balthazar  nous  a 
fait  entendre  la  deuxième  polonaise  de  Wieniawski,  puis  une  berceuse 
(du  ballet  la  Vision  d'Harry  de  Balthazar-Fiorence),  un  vrai  bijou  de  déli- 
catesse et  de  suave  et  caressante  mélodie;  enfin,  Habanera,  de  Sarasate, 
dont  elle  a  su  vaincre  les  capricieuses  difficultés  avec  une  animation  et 
un  brio  remarquables.  Le  public  a  vivement  applaudi  la  sympathique 
artiste,  qui  était  légèrement  émue.  » 

—  De  Namur  :  Le  Cercle  musical  a  donné  son  grand  concert,  composé 
exclusivement  d'oeuvres  d'artistes  belges.  Nous  y  avons  entendu  :  Les 
Noces  féodales,  marche  caractéristique,  œuvre  d'un  style  large  et  d'une 
belle  venue;  le  monologue  et  le  finale  des  Houilleurs,  de  H.  Balthasar- 
Florence.  A  remarquer  la  phrase  du  violoncelle  très  artistement  rendue 
par  le  soliste  (les  chœurs,  trop  peu  nombreux,  étaient  malheureusement 
écrasés  par  les  cuivres);  le  Houyoux,  d'E.  Mathieu,  poème  lyrique  et  sym- 
phonique dont  nous  n'avons  plus  à  faire  l'éloge.  L'interprétation  en  a 
été  assez  faible.  La  marche  triomphale  de  la  cantate  De  Ktokkc  Roeland, 
d'Edgar  Tinel,  musique  chaude,  d'un  souffle  puissant  où  éclatent  les  vi- 
goureuses qualités  du  maitre,  a  été  bien  enlevée  par  la  symphonie. 
M'k'  Clotilde  Balthazar  a  de  nouveau  recueilli  tous  les  suffrages  des  con- 
naisseurs par  son  jeu  ferme  et  distingué.  Elle  s'est  montrée  artiste  dans 
loute  l'acception  du  terme  en  interprétant  l'œuvre  de  son  père,  notre 
maitre  namurois,  un  remarquable  concerto,  des  fragments  du  ballet  la 
Vision  d'Harry  :  la  berceuse,  une  suave  mélodie,  et  l'intermezzo  que  la 
gracieuse  virtuose  a  très  finement  détaillé!  M.  Albert  Moussoux  a  inter- 
prété la  prière  d'Osbern  de  l'opéra  Richilde  et  une  ravissante  mélodie 
inédite  de  H.  Balthasar  :  Aimer.  A  noter  en  terminant,  une  ballade 
d'Emile  Mathieu  :  le  Barde,  très  bien  dite  par  un  baryton  amateur;  en- 
suite le  monologue  des  Houilleurs,  récité  avec  beaucoup  de  sentiment  et 
de  vérité  par  l'auteur,  M.  Louis  Delisse  ;  enfin,  parmi  les  instrumentistes, 
une  mention  toute  spéciale  au  cor  solo.  M.  Hock,  président  du  Cercle 
musical,  a  remercié,  aux  applaudissements  enthousiastes  de  l'auditoire, 
nos  deux  maîtres  belges^  H.  Balthasar  et  E.  Mathieu,  et  leur  a  remis  une 

1      palme  et  une  médaille  en  souvenir  de  cette  solennité  musicale. 


u 


LE  MENESTREL 


—  De  l'Opinion  libérale  de  Namur  :  «  Dimanche  au  Théâtre-Royal  a  eu 
Heu  la  première  représentation  à  Namur  d'un  Modèle.  C'est  une  des  plus 
charmantes  opérettes  en  un  acte  que  nous  ayons  entendues.  Le  livret  dû 
à  MM.  Manuel  Lerouge  et  André  Thomas  est  frais,  coquet,  gentil,  essen- 
tiellement parisien.  La  musique  est  d'un  tout  jeune  compositeur  parisien, 
M.  Léon.  Schlesinger,  gui  promet  beaucoup.  Elle  est  très  mélodique, 
bien  inspirée,  originale,  coulant  de  source  et  ne  trahissant  nul  effort. 
Cette  petite  pièce,  bien  jouée,  a  obtenu  le  plus  franc  et  le  plus  légitime 
succès.  » 

—  Dépèche  de  La  Haye  :  Hier,  on  a  donné  une  grande  sérénade  en 
l'honneur  de  MLo  Sigrid  Arnoldson.  Après  sa  représentation  d'adieu  dans 
Lakmé,  l'orchestre  du  régiment  des  grenadiers  a  joué  l'hymne  national  sué- 
dois. Plus  de  6,000  personnes  ont  fait  des  ovations  enthousiastes  à  l'artiste 
jusqu'à  une  heure  du  matin.  La  grande  place  était  illuminée  de  feux  de 
Bengale  devant  l'hôtel  Doelen.  Une  députation  des  abonnés  a  offert  une 
adresse  superbe  à  MllB  Arnoldson,  qui  est  partie  pour  Paris. 

—  Genève,  18  mars  :  Le  charmant  opéra  de  Léo  Delibes,  le  Roi  l'a  dit, 
a  été  donné  hier  soir  avec  un  brillant  succès  pour  le  bénéfice  du  chef 
d'orchestre  Bergalonne.  On  a  applaudi  chaque  numéro  de  la  délicieuse 
partition,  chaque  scène  du  spirituel  poème  d'Edmond  Gondinet.  La  direc- 
tion, qui  a  monté  l'ouvrage  avec  autant  de  soin  que  de  luxe,  peut 
compter  sur  une  belle  série  de  représentations.  Extrait  de  la  distribution, 
qui  met  sur  pied  toutes  nos  jolies  femmes  :  Javotte,  Mme  Jouanne-Vachot; 
Benoît,  M.  Bonijoly;  Montcontour,  M.  Dauphin;  Miton,  l'exquis  Miton, 
M.  Lespinasse.  M.me*  Legault  et  Luce  jouaient  les  deux  travestis  et 
M,M  Urbain,  la  marquise  de  Montcontour.  Une  jeune  artiste  déjà  très 
remarquée  dans  la  reine  du  Pré  aux  Clercs,  M110  Jane  Ediat,  a  fort  bien 
dit  et  chanté  le  rôle  de  Philomèle.  E.  Delphes. 

—  On  presse  activement  les  travaux  de  reconstruction  du  nouveau  théâtre 
de  Zurich  afin  d'être  prêt  à  inaugurer  le  monument  au  mois  de  novembre. 
M.  Schrcetter  conservera  ses  fonctions  de  directeur  de  cette  scène  munici- 
pale. La  souscription  pour  les  victimes  de  l'ancien  théâtre  a  produit, 
à  l'heure  actuelle,  plus  de  30,000  francs. 

—  L'opéra  royal  de  Berlin  prépare  pour  le  mois  de  septembre  la  pre- 
mière représentation  de  Salammbô  en  langue  allemande.  C'est  notre  ancien 
correspondant  viennois,  M.  le  docteur  Berggruen,  actuellement  fixé  à 
Paris,  qui  s'est  chargé  de  la  traduction  allemande.  Le  directeur  Tetzlaff, 
de  l'Opéra  de  Berlin,  prépare  une  mise  en  scène  des  plus  raffinées  et  la 
distribution  réunira  les  meilleurs  sujets  de  l'Opéra  royal. 

—  Il  vient  de  se  former  à  Berlin  une  association  de  musiciens  qui  se 
propose  d'exécuter  les  œuvres  nouvelles  éditées  ou  inédites  de  jeunes  com- 
positeurs. Elle  a  pris  pour  titre  :  «  Union  musicale  libre  ». 

—  M.  Hans  de  Bûlow,  le  célèbre  pianiste  et  chef  d'orchestre  allemand, 
vient  de  s'embarquer  pour  l'Amérique.  Il  va  entreprendre  une  grande 
tournée  de  concerts  à  travers  les  BtatsrUnis. 

—  Le  musée  Richard  "Wagner,  fondé  à  Vienne  par  M.  Nicolas  Oester- 
lein,  a  acquis,  dans  le  cours  de  la  dernière  année,  plusieurs  centaines 
d'objets  :  manuscrits  originaux,  dessins,  parmi  lesquels  beaucoup  de 
portraits,  opéras,  livres,  et  aussi  plusieurs  milliers  de  journaux  relatifs  à 
Wagner.  On  signale,  parmi  ces  objets,  comme  méritant  une  mention 
particulière,  un  album  d'autographes  provenant  d'un  petit  village  bava- 
rois, et  dans  lequel,  au  cours  des  années  1864  à  1882,  sont  inscrits,  sou- 
ventes  fois,  les  noms  du  roi  Louis  II,'  du  prince  Othon,  le  roi  actuel,  et 
de  la  reine-mère,  Marie  de  Bavière. 

—  Le  Requiem  de  Berlioz  figurait  seul  au  programme  du  quatrième 
concert  de  la  Société  des  Amis  de  la  musique,  à  Vienne.  Cette  œuvre  si 
importante  de  Berlioz  avait  été  exécutée  pour  la  première  fois  à  Vienne, 
il  y  a  trois  ans,  avec  un  succès  éclatant;  il  n'a  pas  été  moindre  cette  fois. 

—  Mme  Cosima  Wagner,  dit  le  Guide  musical,  a  arrêté  dès  à  présent  la 
distribution  du  Tannhauser  qui  figurera  parmi  les  œuvres  qui  seront  exé- 
cutées en  1891  au  théâtre  de  Bayreuth.  Le  rôle  de  Tannhauser  sera  tenu 
alternativement  par  MM.  Van  Dyck,  Alvary  et  Winckelmann.  Pour  le 
rôle  du  landgrave,  M.  Blauwaert  est  dès  à  présent  engagé.  Wolfram,  ce 
sera  M.  Reichmann,  de  Vienne;  Elisabeth,  la  belle  Mme  Sucher,  de 
Berlin,  et  M™  Mika  Termina,  une  nouvelle  étoile,  paraît-il,  actuellement 
à  Brème.  M"18  Wagner  se  propose  de  suivre  exactement  la  mise  en  scène 
des  représentations  de  1861  à  l'Opéra  de  Paris,  auxquelles  Wagner 
avait  présidé.  Il  va  sans  dire  que  l'œuvre  sera  exécutée  en  entier,  sans 
une  suppression. 

—  L'opérette  viennoise  en  voyage  !  La  troupe  complète  du  théâtre  An 
der  Wien  est  en  ce  moment  en  tournée  dans  le  midi  de  l'Autriche.  La 
tournée  a  débuté  le  8  mars  au  Politeama  Rosetti  de  Trieste  avec  le  Baron 
des  tziganes,  de  Strauss. 

—  M"10  Teresa  Carreno  a  obtenu  un  tel  succès  à  Dresde,  qu'elle  s'est 
vue  obligée  de  donner  un  concert  supplémentaire,  à  la  demande  générale. 
La  brillante  pianiste  a  surtout  captivé  le  public  avec  les  douze  études 
symphoniques  de  Schumann,  l'étude  en  sot  bémol,  la  polonaise  en  la 
mineur  de  Chopin  et  la  célèbre  valse-caprice  de  Rubinstein. 

—  Deux  inventions  intéressant  la  facture  instrumentale  sont  signalées 
d'Allemagne.  L'une,  duo  au   pianiste  E.  Olbrich,  de  Berlin,  consiste  en 


un  nouveau  clavier  où  les  touches  blanches  sont  surélevées  de  façon  à  se 
trouver  presqu'au  niveau  des  noires.  L'essai  public  de  cette  invention  n'a 
pas  encore  eu  lieu.  L'autre  invention,  qui  a  pour  auteur  M.  R.  Lange, 
concerne  le  basson.  Il  s'agit  d'un  nouveau  système  de  trous  destiné  à 
rendre  l'exécution  plus  facile  et  le  son  plus  agréable. 

—  La  Roumanie  présente,  depuis  plusieurs  années,  un  assez  riche 
contingent  de  chanteurs.  Dans  la  seule  carrière  italienne,  en  en  compte 
sept  en  ce  moment,  dont  quelques-uns  célèbres.  Ces  sept  artistes  sont  la 
Teodorini,  la  Kitzu,  la  Messe,  la  Stefanesco  ;  et  les  ténors  Gabrielesco, 
Dimitresco  et  Poppesco. 

—  Le  marquis  Sant'Anna,  propriétaire  et  fondateur  de  la  Correspon- 
dericia  de  Madrid,  se  propose  de  fonder  en  cette  ville  un  hospice-refuge 
pour  les  artistes  musiciens  pauvres  ou  malades. 

—  On  doit  commencer  prochainement  à  Barcelone,  les  travaux  de  recons- 
truction du  Théâtre-Espagnol,  récemment  détruit  par  un  incendie.  Le 
nouveau  théâtre  sera  construit  en  fer  et  en  cristal,  et  pourra  servir  tant 
pour  les  représentations  d'été  que  pour  les  spectacles  d'hiver. 

—  La  saison  d'opéra  anglais  de  la  Compagnie  Cari  Rosa,  au  théâtre 
Drury-Lane  de  Londres,  commencera  le  S  avril.  L'événement  principal 
de  cette  saison  sera  la  première  représentation  d'un  opéra  nouveau  de 
M.  Frédéric  Cowen,  qui  a  pour  titre:  Scandinavie.  On  y  représentera  aussi 
l'Hamlel  d'Ambroise  Thomas,  traduit  en  anglais. 

—  Les  journaux  anglais  publient  un  appel  à  la  charité  en  faveur  de 
M.  Michel  W.  Balfe,  le  fils  unique  de  l'auteur  de  Bohemian  Girl.  Il  parait 
qu'il  est  dans  une  misère  noire. 

—  De  Londres  nous  recevons  la  nouvelle  de  la  réussite  très  brillante  du 
premier  concert  de  la  «  Philarmonic  Society  »  qui  inaugurait  sa  78e  sai- 
son. A  la  place  d'honneur  du  programme  se  trouvait  inscrite  la  belle 
fantaisie    pour    piano    et    orchestre    de    Ch.-M.    Widor,    interprétée   par 

M.  I.  Philipp  et  dirigée  par  l'auteur. Voici  ce  qu'en  dit  le  Times «Une 

autre  œuvre  d'origine  plus  récente  était  la  fantaisie  de  M.  Widor,  con- 
duite avec  une  grande  autorité  par  l'auteur,  la  partie  de  piano  jouée  d'une 
façon  exquise  par  M.  Philipp,  un  pianiste  français,  donton  a  été  unanime 
à  admirer  la  sonorité  singulièrement  belle  et  la  virtuosité  parfaite. 
L'œuvre  de  M.  Widor  est  plus  qu'une  pièce  de  virtuose  :  comme  dans 
toutes  ses  compositions  il  faut  louer  la  pureté  de  la  forme,  l'originalité 
de  l'idée,  le  charme  de  l'harmonie.  Les  détails  délicieux  de  l'instrumen- 
tation montrent  avec  quelle  habileté  et  quel  soin  M.  Widor  écrit.  Elle  a 
valu  un  triple  rappel  à  l'auteur  et  à  son  interprète.  » 

—  De  Chicago,  par  dépèche  :  «  A  l'Auditorium,  hier,  première  repré- 
sentation de  Lakmé,  grand  succès,  la  Patti  acclamée,  a  dû  bisser  trois 
morceaux.  » 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

A  l'Opéra-Comique,  réapparition  mystérieuse  du  Domino  noir,  avec 
deux  débutants,  MM.  Carbonne  et  Gilibert,  pour  lesquels  M.  Paravey  n'avait 
pas  cru  nécessaire  de  convoquer  la  presse.  Il  en  paraît  cependant  en- 
chanté, s'il  faut  en  croire  les  notes  olficieuses  qu'il  envoie  à  ce  propos 
aux  journaux,  innovation  hardie,  mais  non  dépourvue  d'intelligence. 
Il  est  clair  que  les  directeurs  feraient  mieux  de  faire  toujours  eux- 
mêmes  la  critique  de  leurs  opérations.  On  n'est  jamais  si  bien  servi  que 
par  soi-même. 

—  Encore  un  coup  d'éclat  à  l'actif  des  directeurs  de  l'Opéra  ! 
M"  Adiny  et  M1Ie  Pack  ne  leur  suffisaient  pas  ;  ils  viennent  d'engager  une 
nouvelle  falcon  pour  compléter  ce  trio  d'artistes  distinguées  :  M"16  Fierens- 
Peters,  qui  chante  actuellement  au  théâtre  de  la  Monnaie  de  Bruxelles. 
MM.  Ritt  et  Gailhard  sont-ils  myopes  à  ce  point  de  n'avoir  pas  distingué, 
au  même  théâtre,  à  côté  de  M1"0  Fierons,  une  autre  chanteuse  dramati- 
que, MmeRose  Caron,  qui  a  bien  aussi  son  petit  mérite?  Nous  verrons  s'ils 
ont  eu  cette  fois  la  main  heureuse  en  lui  préférant    Mmc    Peters-Fierens. 

—  M.  Duquesnel,  le  directeur  du  théâtre  de  la  Porte-Saint-Martin, 
voyant  la  grande  Sarah  lui  échapper,  aurait,  paraît-il,  quelques  velléités 
musicales.  On  parle  notamment  de  l'opéra  de  Saint-Saëns,  Samson  et  Dalila 
que  M.  Verdhurt  lui  porterait  de  Bouen  tout  monté  avec  son  personnel 
d'artistes  et  de  chœurs.  On  dit  aussi  que  Mllc  Van  Zandt  pourrait  bien  lui 
prêter  son  concours  pour  quelques  représentations.  Cela,  nous  avons  de 
bonnes  raisons  pour  ne  pas  y  croire,  la  charmante  artiste  n'ayant  aucune 
envie  de  se  refrotter  aux  Parisiens  qui  ont  été  si  pou  gracieux  pour  elle. 
Enfin,  on  cite  encore  le  Werther  de  M.  Massenet,  avec  Mllc  Sanderson  na- 
turellement, comme  pouvant  faire  partie  du  nouveau  programme  de 
M.  Duquesnel.  A  cela  encore  un  obstacle.  C'est  que  M.  Massenet,  qui  est 
sur  le  point  de  donner  le  Mage  à  l'Opéra,  ne  voudra  pas  se  faire  concur- 
rence à  lui-même  et  que  de  plus  il  est  en  train  de  négocier  l'engagement 
de  M"c  Sibyl,  la  créatrice  ordinaire  de  ses  opéras,  avec  MM.  Ritt  et 
Gailhard.  Il  ne  peut  pourtant,  nouveau  Salomon,  la  partager  en  deux  pour 
lui  faire  chanter  à  la  fois  Werther  et  le  Mage.  Ce  serait  vraiment  dommage. 
Il  va  sans  dire  que  les  projets  lyriques  de  M.  Duquesnel  n'en  ont  pas 
moins  tout  notre  assentiment. 

—  De  notre  confrère  Georges  Boyer  du  Figaro  :  Une  combinaison  pour 
l'Eden-Théâtre.  M.  II.  Milliaud  veut  y  transporter  l'Opéra-Populaire,  qu'il 
avait  fondé  au  Château-d'Eau.  Les  pourparlers  sont  très  avancés;   au   cas 


LE  MÉNESTREL 


où  l'affaire  se  conclurait,  on  ouvrirait  soil  avec  Patria  de  Verdi,  soit  avec 
Méphisto  de  Bôïto,  soit  avec  Gioconda  de  Ponchielli.  Il  est  probable  que 
M.  Talazac  se  ferait  entendre  dans  l'un  de  ces  ouvrages. 

—  M.  Mayer,  régisseur  général  de  l'Opéra,  a  remis  sa  démission  entre 
les  mains  do  MM.  Ritt  et  Gailhard.  Ce  départ  était  décidé  depuis  quelque 

temps  déjà,  et  les  directeurs  ont  essayé  à  plusieurs  reprises  de  faire  re- 
venir leur  régisseur  sur  sa  décision,  mais  M.  Mayer  n'a  pas  jugé  que  son 
état  de  santé  lui  permit  de  conserver  plus  longtemps  ses  fatigantes 
fonctions.  M.  Mayer  était  entré  à  l'Opéra  en  septembre  1872,  où  il  avait 
succédé  à  M.  Cormon,  sous  la  direction  de  M.  Halanzier.  Après  le  départ 
de  celui-ci,  M.  Vaucorbeil  n'eut  garde  de  se  séparer  d'un  auxilliaire  pré- 
cieux, et,  plus  tard,  MM.  Ritt  et  Gailhard  tinrent  également  à  le  conserver. 
M.  Mayer  serait  certainement  resté  à  son  poste  jusqu'à  la  fin  du  privi- 
lège actuel,  sans  une  chute  grave  qu'il  a  faite  cet  hiver  et  dont  il  ne  s'est 
jamais  complètement  rétabli.  Il  sera  très  regretté  à  l'Opéra  où  tout  le 
monde  l'aimait  beaucoup  et  reconnaissait  sa  haute  compétence. 

—  Une  bonne  nouvelle  :  La  rentrée  de  M.  Delaunay  à  la  Comédie-Fran- 
çaise, en  qualité  de  directeur  de  la  scène,  est  décidée.  M.  Jules  Claretie 
était  très  favorable  à  ce  projet,  et  nous  croyons  savoir  que  les  sociétaires 
eux-mêmes  avaient  tout  récemment  manifesté  à  M.  l'administrateur  leur 
désir  de  revoir  au  milieu  d'eux  l'éminent  artiste.  On  sait  que  le  soin  de 
«  mettre  en  scène  »  les  ouvrages  à  l'étude  incombe  aux  semainiers  qui 
remplissent  ce  devoir  à  tour  de  rôle.  Les  semainiers  en  seront  désormais 
délivrés,  et  leur  fonctions  ne  consisteront  plus  qu'en  une  besogne  de  sur- 
veillance disciplinaire  et  administrative  peu  absorbante.  M.  Delaunay  sera 
seul  maître  des  études  delà  Comédie.  Ses  fonctions  seront  celles  que  rem- 
plissait jadis  Régnier. 

—  Sigrid  Arnoldson,  la  célèbre  diva  suédoise,  que  nous  n'avons  fait 
qu'entrevoir  à  Paris,  M.  Paravey  n'ayant  pas  su  la  gafder  à  son  théâtre, 
est  de  nouveau  parmi  nous,  après  la  tournée  triomphale  qu'elle  vient  de 
faire  en  Europe  avec  Mignon  et  Lakmé.  Un  imprésario  intelligent  saura- 
t-il  cette  fois  la  retenir  ?  Peut-être  ! 

—  Le  violoniste  Sarasate  fournit,  aux  Américains,  des  renseignements 
bien  curieux  sur  les  compositeurs  français.  Oyez  plutôt  ce  qu'il  confie  au 
Musical  Courier  de  New- York  :  «  Les  compositeurs  allemands  ne  sont  pas 
wagnériens,  mais  les  français  le  sont  à  outrance.  Brahms,  Reinecke, 
Goldmark  et  je  puis  ajouter  Gade  et  Rubinstein  sont  antiwagnériens, 
tandis  que  Saint-Saëns,  Lalo,  Delibes  et  Reyer  sont  des  wagnériens 
féroces,  enragés.  Je  dois  vous  dire,  cependant,  que  Lecocq  est  le  plus  en- 
ragé de  tous  :  lorsqu'il  apprend  que  la  Tétralogie  va  être  donnée  à  Bruxelles, 
-vite  le  voilà  parti  pour  Bruxelles.  Quand  elle  est  annoncée  à  Munich,  il 
se  met  en  route  pour  Munich,  quand  c'est  à  Vienne,  il  court  prendre  le 
train  pour  Vienne.  C'est  de  la  folie  chez  lui.  Massenet  conserve  une  atti- 
tude neutre  dans  la  question.  »  Que  faut-il  croire  de  tout  cela? 

—  Le  ténor  Duc  vient  d'obtenir  un  mois  de  congé.  Il  doit  partir  cette 
semaine  pour  donner  une  série  de  représentations  à  Bordeaux  et  à  Mont- 
pellier. Il  se  rendra  ensuite  à  La  Haye,  où  il  terminera  son  congé. 

—  L'Opéra-Comique  donnera  cette  année,  comme  tous  les  ans,  pondant 
la  semaine  sainte,  les  jeudi  3  et  samedi  5  avril,  deux  concerts  spirituels, 
composés  de  l'ouverture  d'Euryanlhe,  de  fragments  du  Stabat  Mater,  de  Per- 
golèse  avec  MmK  Landouzy  et  Nardi,  de  fragments  à'Élie,  deMendelssobn 
avec  MUes  Simonnet,  Deschamps,  MM.  Delaquerrière  et  Soulacroix,  du 
Requiem,  de  Mozart,  avec  Mmcs  Landouzy  et  Nardi,  MM.  Dupuy  et  Fournets 
et  de  la  Création  d'Haydn.  Le  bureau  de  location  pour  ces  deux  concerts  est 
dès  aujourd'hui  ouvert,  place  du  Châtelet. 

—  Décidément  la  version  i'Bamlel  pour  ténor  commence  son  tour  de, 
France.  Après  Monte-Carlo,  voici  M.  Dereims  qui  vient  encore  d'obtenir 
à  Nîmes  un  éclatant  succès  dans  ce  rôle.  M.  Tournié  n'y  a  pas  moins  réussi 
à  Toulouse.  Attendons-nous  à  une  lutte  curieuse  entre  les  barytons  et  les 
ténors,  laquelle  ne  pourra  que  favoriser  la  fortune  de  la  belle  œuvre  d'Am- 
broise  Thomas. 

—  Un  Nouveau  Musiciana,  de  M.  Weckerlin,  vient  de  paraître  à  la  librai- 
rie Garnier  frères.  Ce  petit  volume,  illustré  de  neuf  photogravures  et  de 
nombreuses  pièces  de  musique  est,  comme  son  aîné  de  1877,  un  recueil 
d'anecdotes  intéressantes  et  amusantes  sur  la  musique  et  les  musiciens. 
Les  chapitres  humoristiques  ne  font  pas  défaut  ;  citons  la  représentation 
de  la  Dame  blanche,  dans  une  petite  ville  d'Alsace,  par  une  troupe  alle- 
mande ;  une  farce  de  Rossini  ;  la  Marseillaise,  transformée  en  messe  par 
le  musicien  allemand  Holtzmann;  la  quasi-préface  de  Hippolyte  Monpou, 
la  Berceuse  de  notre  mère  Eve  remise  au  jour  par  Craton  Butner,  etc.,  etc. 
Mais  à  côté  de  ces  pages  amusantes  et  de  bonne  plaisanterie,  il  y  a  aussi 
des  documents  qui  intéressent  l'histoire  de  la  musique,  comme  la  repro- 
duction de  la  minute  nommant  Lully  secrétaire  du  roi  Louis  XIV,  les 
instruments  de  musique  enlevés  en  1795  dans  les  palais  royaux  et  dans 
les  hôtels  des  émigrés  (404  numéros),  huit  pages  inédites  d'Halévy  sur  la 
naissance  de  la  musique,  les  fragments  de  la  Gazette  de  Loret,  relatifs  à  la 
musique,  et  tant  et  tant  de  choses  qui  s'adressent  aussi  bien  aux  gens 
du  monde  qu'aux  musiciens. 

—  M.  et  M"1"  Lefebvre  Niedcrmeyer  célébreront,  jeudi  prochain,  en 
l'église  Saint-Louis  d'Antin,par  une  messe  d'actions  de  grâces,  l'anniver- 
saire de  leur  vingt-cinquième  année  'de  mariage.  Tous  les  amis  du  sym- 
pathique directeur  de  l'école  de  musique  classique  seront  là  pour  h-  féli- 
citer de  cet  heureux  événement. 


. —  On  nous  écrit  de  Lille  :  Nous  avons  à  enregistrer  la  très  brillante 
réussite  du  sixième  concert  populaire  donné  avec  le  concours  de  MM.  Ch. 
M.  Widor  et  I.  Philipp.  Nous  avions  déjà  apprécié  plusieurs  oeuvres  de 
M.  "Widor,  mais  non  encore  des  compositions  d'une  aussi  haute  valeur 
que  celles  qui  se  trouvaient  au  dernier  programme  :  une  Fantaisie  pour 
piano  et  orchestre,  une  Symphonie  (en  la)  et  des  fragments  de  Maître. 
Ambros.  La  musique  du  maître  est  de  celles  qu'il  faut  entendre  plusieurs 
fois  pour  en  apprécier  toutes  les  beautés  comme  elles  le  méritent.  L'ins- 
piration toujours  originale  ne  faiblit  pas,  les  recherches  harmoniques 
abondent;  toujours  intéressante  l'orchestration,  est  travaillée,  fouillée,  la 
forme  très  pure  dans  sa  modernité.  La  Fantaisie,  une  œuvre  adorable  d'un 
bout  à  l'autre,  a  été  jouée  par  M.  Philipp  d'une  façon  absolument  supé- 
rieure. Très  applaudi  dans  l'œuvre  de  Widor,  le  brillant  virtuose  a  rem- 
porté un  véritable  triomphe,  avec  cette  fantaisie  de  Liszt,  si  chatoyante, 
si  étincelante,  que  jouait  souvent  le  pauvre  Ritter.  M.  Philipp  possède 
un  mécanisme  impeccable,  un  son  puissant  et  de  toute  beauté,  des  qua- 
lités de  délicatesse  et  d'expression  rares  :  les  applaudissements  du  public 
ont  été  si  chaleureux  et  si  persistants,  qu'il  a  joué  en  surcroit  un  charmant 
morceau  de  Chopin,  qui  a  fait  grand  plaisir.  Le  programme  était  dirigé 
avec  la  plus  grande  autorité  par  M.  Widor.  En  résumé,  bonne  journée 
pour  l'art  et  pour  les  concerts  populaires.  —  C.  D. 

—  Les  journaux  de  Nantes  constatent  le  succès  de  Pierrot  surpris,  ballet- 
pantomime  inédit  en  deux  tableaux,  scénario  de  M.  Th.  Maisonneuve, 
musique  de  M.  Adolphe  David,  dont  la  première  représentation  a  eu  lieu 
récemment  au  Grand-Théâtre.  Les  interprètes  étaient  MM.  Roux  (Pierrot) 
et  Delafolie  (Cassandre),  Mmes  Roux  (Arlequin)  et  Rozier  (Colombine). 

—  Le  Cercle  des  Beaux-Arts  de  Nantes  fait  quelquefois  à  la  musique  des 
infidélités  qui  paraissent  enchanter  les  auditeurs  car,  vendredi  dernier, 
une  salle  comble  a  applaudi  une  représentation  donnée  par  une  troupe 
d'artistes  parisiens,  en  tète  desquels  il  faut  citer  MUes  Kalb  et  du  Minil. 
MM.  Alb.  Lambert  fils  et  G.  Berr  de  la  Comédie-Française.  Le  spectacle 
se  composait  :  du  Luthier  de  Crémone,  le  Baiser,  la  Nuit  d'Octobre  et  le  Petit 
Hôtel.  Le  succès  a  pris  pour  tousies  artistes  les  proportions  d'un  triomphe. 
La  musique  n'était  pas  heureusement  d'ailleurs  mise  complètement  de 
côté  et,  dans  le  Luthier  de  Crémone,  le  solo  de  violon,  qui  est  comme  on 
le  sait,  l'un  des  gros  effets  de  cette  pièce  si  touchante,  était  joué  dans  la 
coulisse  par  l'éminent  violoniste,  M.  Alphonse  "Weingaertner,  Directeur 
du  Conservatoire. 

Concekts  et  soirées.  —  La  dernière  séance  du  pianiste  Léon  Delafosse,  consa- 
crée à  l'audition  des  nouvelles  œuvres  de  M.  Théodore  Lack,  pleinement  réussi. 
Vingt-quatre  morceaux  de  piano  au  programme!...  et  malgré  cela  le  public  ne 
s'est  pas  un  seul  instant  lassé  d'écouter  et  d'applaudir  le  jeune  et  merveilleux 
virtuose  qui  n'a  jamais  mieux  joué.  Parmi  toutes  ces  œuvres  si  élégantes  et  si 
variées  du  plus  fécond  et  du  plus  populaire  des  compositeurs  modernes  de  piano, 
nous  avons  particulièrement  remarqué  la  délicieuse  bluette  V Oiseau-mouche.  Ballet- 
tino,  Valse-rapide,  Polkettina,  le  Chant  du  ruisseau  et  la  célèbre  Valse- Arabesque 
encore  et  toujours  acclamée  I  La  très  gracieuse  cantatrice  M""  Marie  Veyssier  a 
bien  mis  en  lumière  deux  ravissantes  mélodies  du  même  compositeur,  et  la 
jolie  violoniste  danoise  11"°  Schytte  a  profondément  charmé  l'auditoire  dans 
Tsiganyi,  par  son  interprétation  pleine  de  saveur  et  d'originalité.  —  Une  soirée 
charmante  a  eu  lieu,  lundi  dernier,  chez  M"1  Joséphine  Martin.  On  a  entendu 
des  mélodies  de  Schumann,  de  M.  Léo  Delibes,  de  M-'  Augusta  Holmes  et  G. 
Ferrari,  des  œuvres  pour  piano  et  instruments  à  cordes  de  Mozart,  de  MM.  Godard, 
Raoul  Pugno-  et  H.  Barbedette.  M""  Ferrari  a  joué  avec  verve  sa  rapsodie  espa- 
gnole et  M"0  J.  Martin  a  été  très  applaudie  dans  deux  de  ses  compositions  : 
Tarentelle  et  Fanlarella.  —  Au  dernier  et  brillant  samedi  de  notre  excellent  colla- 
borateur H.  Barbedette,  M.  Paul  Lemaître  et  uDe  jeune  violoniste  de  très  bel 
avenir,  Mlk  Alice  Robert,  élève  de  M-°  Jeanne  Meyer,  ont  eu  un  grand  succès 
dans  la  Sonate  à  deux  violons  de  H.  Barbedette.  M.  Lemaître  a  dit  aussi  avec 
l'auteur  la  troisième  sonate  pour  piano  et  violon.  M""  Joséphine  Martin 
a  été  fort  applaudie  dans  plusieurs  pièces  de  Chopin.  M™0  Simouneau,  avec 
la  magnifique  voix  de  mezzo  et  le  grand  talent  qu'on  lui  connaît,  a  interprété 
nombre  de  mélodies  de  Schumann,  Bizet,  Gounod,  A.  Thomas  et  H.  Barbedette. 
—  Nous  avons  entendu  cette  semaine,  dans  une  soirée  présidée  par  M.  Antonin 
Marmontel,  les  élèves  de  M""  Angot-Moutier,  directrice  des  cours  de  la  rue  de 
Rennes.  Nous  avons  constaté  que  le  jeu  de  ces  élèves  dénotait  un  excellent 
enseignement.  Quelques  morceaux  de  genre  ont  été  très  bien  rendus  par  M""  Ma- 
rie Fabre  et  Thérèse  Chabot.  Une  enfant  de  neuf  ans,  M""  Andrée  Camaret,  a 
joué  d'une  manière  remarquable  les  variations  de  «■  Ah!  vous  dfrai-je  maman!  « 
de  Mozart.  La  Belle  Capricieuse  de  Hummel  a  été  brillamment  exécutée  par 
M"''  Claude  Blanchet.  M—  Duménil  de  l'Opéra,  s'est  fait  entendre  dans  l'air  de 
Samson  et  Dalila  de  Saint-Saëns  et  dans  deux  mélodies  de  A.  Marmontel.  Tout 
dans  cette  réunion  nous  a  intéressé  et  nous  félicitons  le  professeur  du  succès 
obtenu  par  ses  élèves.  —  M.  Marcel  Hervegh  a  donné  le  vendredi  U  son  concert 
annuel  à  la  salle  de  la  rue  de  Grenelle  avec  le  concours  de  M""*  Chaminade  et 
Prégi.  La  belle  sonate  de  Grieg  a  vivement  impressionné  l'auditoire,  jamais  le 
violon  de  M.  Hervegh  n'avait  vibré  avec  plus  de  majesté  et  de  charme.  L'andante 
de  Bach,  Bohémienne,  scherzo  (de  M"°  Chaminade)  et  le  concerto  de  Wieniawski 
ont  montré  tour  à  tour  ce  talent  multiple  sous  toutes  ses  formes  ;  la  danse  espa- 
gnole qui  terminait  ce  brillant  concert  a  valu  une  véritable  ovation  au  jeune 
virtuose.  La  belle  voix  et  le  talent  de  M"«  Prégi  ont  été  appréciés.  M"»  Cha- 
minade s'est  montrée,  comme  toujours,  compositeur  et  exécutante  des  plus 
distinguées.  —  M"0  Bréjean  donnait,  vendredi  dernier,  un  concert  à  la  salle 
Kriegelstein.  Elle  y  a  été  applaudie  dans  plusieurs  morceaux  très  intelligemment 
interprétés  avec  une  voix  fraîche  et  jeune.  Elle  a  du  son  vrai  succès  à  la  Vieille 
Chanson  de  Bourgault-Ducoudray,  œuvre  infiniment  délicate  et  d'une  tendresse 
toute  caressante,  qui  nous  révèle,  plus  varié,  plus  souple  encore,  le  talent  du 
maître.  La  faveur  du  public  place  désormais  l'auteur  de  la  Rapsodie  cambodgienne 
I      au  premier  rang  de  notre   école  moderne.  —  La  matinée  de  M""  Millet-Fabre- 


96 


LE  MÉNESTREL 


(mettes,  dimanche,  salle  Pleyel,  était  des  plus  réussies.  De  nombreux  artistes 
prêtaient  leur  concours:  M.  Jobert  Brun,  M—  Hammer,  vivement  applaudies 
dans  Fin  de  bail  (comédie),  puis  M-  Conneau.  Citons  le  coloris  tout  particulier 
de  deux  pastorales  pour  piano,  flûte  et  hautbois,  jouées  par  MM.  Gennaro,  Boul- 
lard  et  l'auteur  M"-  Filliaux-Tiger.  Ils  ont  eu  un  vrai  succès.  —  Angers-Artiste, 
relate  le  grand  succès  remporté  par  M»'  Geoffroy-Bidault,  au  concert  de  l'Asso- 
ciation artistique.  On  a  surtout  fort  applaudi  l'air  de  la  Flûte  enchantée,  que 
M"*  Geoffroy,  comme  la  Patti  et  la  Nïlsson,  a  exécuté  dans  le  ton  d'une  façon 
remarquable;  ceci  nous  dispense  de  tout  autre  éloge.  —  Le  4"  concert  de  l'Asso- 
ciation artistique  de  Nantes  a  brillamment  réussi.  M.  Paderewski  s'est  fait  entendre 
dans  différents  morceaux  classiques  et  une  cracovienne  de  sa  composition  qui 
lui  fait  grand  honneur.  M"'  Martini  que  nous  avons  déjà  remarquée  dans  les 
grands  concerts  parisiens,  a  été  très  appréciée.  —  Les  journaux  de  Cambrai  nous 
apprennent  le  grand  succès  obtenu  par  M1"  Magnien,  la  brillante  élève  de 
M.  Charles  Dancla,  au  dernier  concert  de  la  Société  philharmonique.  Elle  a 
interprété  les  œuvres  de  Sarasate,  de  Godard  et  de  son  maître  avec  un 
véritable  talent...  —  Le  concert  donné  par  M1"  Thérèse  Duroziez  le  8  mars  à 
la  salle  Érard  a  été  très  brillant.  M11"  Duroziez  a  exécuté  avec  une  rare  sûreté,  un 
mécanisme  remarquable  et  un  excellent  sentiment,  des  œuvres  de  piano  de  Liszt, 
Schumann,  Chopin,  Bizet,  Godard,  et,  avec  MM.  Gillet,  Turban,  Brémont  et  Es- 
paignet,  le  quintetto  pour  piano  et  instruments  à  vent  de  Beethoven,  op.  16.  — 
Tristan  et  l"seu/f  entrant  au  répertoire  des  théâtres  de  société,  voilà  certes  une  chose 
que  l'on  n'avait  pas  prévue  :  elle  vient  de  se  réaliser  pourtant,  car  le  premier  acte 
de  l'œuvre  wagnérienne  vient  d'être  représen'é  dans  un  salon,  d'ailleurs  coutumier 
d'auditions  de  ce  genre,  mais  où  l'on  n'avait  jamais  poussé  les  choses  aussi  loin. 
Dans  l'auditoire,  nombre  de  musiciens  et  d'amateurs  qui,  pour  la  plupart,  s'étaient 
déjà  trouvés  réunis  à  Bayreuth;  la  salle  dans  l'obscurité,  les  pianos  (remplaçant 
l'orchestre)  placés  sous  la  scène  et  invisibles,  la  langue  allemande,  les  décors,  les 
costumes,  tout  contribuait  à  donner  l'illusion  de  Bayreuth  à  des  Parisiens  assis 
à  trois  cents  mètres  de  l'Arc  de  Triomphe  de  l'Étoile.  Nous  ne  parlerions  pas  de 
cette  représentation  s'il  s'agissait  d'une  vulgaire  exhibition  d'amateurs  comme  il  y 
a  des  chances  pour  que  cela  eût  été  partout  ailleurs;  mais,  bien  loin  de  là,  l'exé- 
cution, préparée  et  dirigée  par  un  jeune  maître  qui  n'en  est  pas  à  son  coup  d'essai 
en  ces  matières,  confiée  à  des  interprètes  ayant  profondément  le  sentiment  et  les 
traditions  du  drame  musical  de  Wagner,  a  été  absolument  remarquable,  et  telle 
que  nous  ne  pouvions  pas  supposer  qu'on  pût  en  obtenir  une  pareille  en  ce  mo- 
ment à  Paris.  Et,  sans  vouloir  ôter  à  cette  réunion  toute  privée  son  caractère 
anonyme,  nous  ne  tairons  pas  que  l'interprète  du  rûle  d'Yseult  s'est  révélée  une 
tragédienne  lyrique  d'ordre  supérieur.  Chroniqueurs  wagnériens,  prenez  des  notes: 
voici  une  date  pour  vous,  le  10  mars  1890,  jour  de  la  première  représentation  d'un 
acte  de  Tristan  et  Yseult  à  Paris.  Et,  vu  la  réussite,  pourquoi  1891  ne  nous  donne- 
rait-il pas  les  trois  actes  entiers?  J.  T. 

Concerts  annoncés.  —  Mardi  25  mars,  salle  Pleyel,  troisième  séance  de  la 
Soeié'.é  de  Musique  Française,  fondée  par  M.  Ed.  Nadaud,  avec  le  concours  de 
M""-  Conneau,  de  Monvel  et  de  MM.  Cros  Saint-Ange,   Mas,  Gibier  et  de  Bailly. 

Mardi  25    mars,  le  violoniste    Stanislas   Taubé    donnera,   dans  Ja  petite  salle 

Érard,  une  matinée  musicale,  avec  le  concours  de  Mllc'  Caroline  Chaucherau  et 
Marie  Dubois.  —  Le  28  mars,  salle  Érard,  2°  concert  de  M""  la  baronne  de 
Yandeul-Eicudier.  —  Le  ténor  Rondeau  donnera  le  31  mars,  salle  Pleyel,  sa  troi- 
sième audition  de  musique  moderne.  On  y  entendra  les  œuvres  de  MM.  Th.  Dubois, 
Pfeiffer,  Alexandre  Georges,  Albert  Cahen,  Marty,  de  Keveguen,  Franck,  exécu- 
tées sous  la  direction  des  auteurs  par  M""  Lavigne,  Mélodia,  Maréchal,  MM.  Juil- 
lard,  Paul  Braud,  Pierret,  et  des  chœurs  de  dames  du  monde  et  de  l'école  Nie- 
dermeycr.  —  Mardi  soir,  25  mars,  salle  Erard,  la  première  des  deux  séances  de 
piano  que  donne  M"1  Jenny  Maria,  de  Beethoven  à  Chopin  et  à  Wagner-Liszl, 
programme  des  plus  appétissants,  comme  chaque  printemps.  —  Samedi  29  mars, 
au  soir,  salle  Ph.  Ilerz,  3°  et  dernière  séance  de  M"'  C.  Carissan,  la  compositeur- 
pianiste,  dout  deux  mélodies  inédites  remarquables  ont  eu  l'honneur  d'être  chantées 
par  M""  Gabrielle  Krauss  à  son  dernier  jeudi.  —  Aujourd'hui  dimanche,  à  1  h.  1/2, 
salle  Kriegelstein,  «mcert  donné  par  M.  Lucien  Lefort,  violoniste,  avec  le  con- 
cours de  M""'  Seguin-Loyer,  Blanche  Dufrêne,  Lucy  Blind,  MM.  Karren,  Everard, 
Launay  et  Salomon. 


NÉCROLOGIE 


Un  chanteur  qui  a  eu  son  heure  de  notoriété  dans  les  concerts 
parisiens,  Marc  Bérod,  s'est  suicidé  cette  semaine  dans  un  petit  logement 
qu'il  occupait,  10,  galerie  "Vivienne.  Le  malheureux  avait  adressé  une  lettre 
rédigée  avec  une  simplicité  touchante  au  commissaire  de  police  de  son 
quartier  pour  le  prévenir  de  sa  résolution  et  lui  en  expliquer  les  motifs. 
a  Je  meurs  sans  le  sou,  y  disait-il,  mais  grâce  à  Dieu,  honnête  homme, 
ne  laissant  pas   de  dettes.  »  Ancien   soldat  à  la  légion  étrangère,  Bérod, 


après  avoir  eu  divers  engagements  dans  les  cafés-concerts  de  province, 
était  entré  aux  Ambassadeurs  en  1869  et  y  avait  eu  un  vif  succès.  Il  avait 
signé  ensuite  un  brillant  engagement  avec  un  théâtre  de  Saint-Péters- 
bourg, où  il  était  resté  sept  ans  et  demi.'  De  retour  à  Paris  en  1870,  il 
était  rentré  à  la  Scala.  Puis  avec  l'âge,  la  malchance  et  la  gène  étaient 
venues.  Le  commissaire  de  police  l'a  trouvé  étendu  sur  son  lit,  les  pieds 
liés  avec  une  corde,  à  côté  d'un  réchaud  de  charbon  allumé,  dont  les 
émanations  l'avaient  asphyxié.  L'ancien  chanteur  avait  voulu  sortir  de  la 
vie  avec  autant  de  correction  que  d'honnêteté  :  soigneusement  rasé,  en 
habit  noir,  en  cravate  blanche,  il  s'était  mis  en  grande  tenue  pour  attendre 
la  mort. 

—  L'Angleterre  vient  de  perdre  un  de  ses  artistes  les  plus  estimables. 
Le  chef  d'orchestre  et  compositeur  Henry  Wylde  est  mort  ces  jours  der- 
niers à  Londres,  à  l'âge  de  soixante-huit  ans.  Né  en  1822  et  destiné  par 
sa  famille  à  entrer  dans  les  ordres,  il  se  tourna  pourtant  du  côté  de  la 
musique,  devint  à  seize  ans  l'élève  de  Moschelès,  et,  en  1843,  étudia  la 
composition  sous  la  direction  de  Cipriani  Potter,  à  l'Académie  royale  de 
musique,  où  il  devait  être  plus  tard  professeur  d'harmonie;  Docteur  en 
musique  de  l'Université  de  Cambridge  en  1850,  l'un  des  jurés  de  la  sec- 
tion de  musique  aux  Expositions  universelles  de  1851  et  de  1862,  il  fut 
élu  professeur  de  musique  au  Gresham-Gollège  de  Londres,  en  1863.  C'est 
sur  son  initiative  que  fut  fondée,  en  1852,  la  New  Philharmonie  Society. 
En  1858,  il  entreprit  et  organisa  une  série  annuelle  de  concerts,  qu'il  ne 
cessa  de  diriger  jusqu'en  1879.  C'est  lui  qui  fonda  l'Académie  de  Londres, 
qui  a  ouvert  des  succursales  à  South  Kensington  et  à  Brighton.  Comme 
compositeur,  on  doit  à  Henry  "Wylde  une  cantate  pour  soli,  chœurs  et 
orchestre,  sur  le  Paradis  perdu  de  Milton,  une  autre  cantate  :  frayer  and 
Fraise,  un  concerto  en  fa  mineur,  et  plusieurs  sonates  pour  piano,  des 
fantaisies  pour  le  mêjne  instrument,  des  Clumts  anglais  sur  des  paroles 
imitées  de  Goethe  et  de  Schiller,  un  duo  vocal  intitulé  les  Nymphes  de  la 
mer,  etc.  Il  a  publié  aussi  divers  ouvrages  d'enseignement  :  la  Science  de 
la  Musique,  le  Contrepoint  moderne,  la  Musique  et  les  mystères  de  l'art.  Henry 
"Wylde  a  été  le  maître  d'un  artiste  fort  distingué,  M.  John  Francis 
Barnett,  compositeur,  professeur  de  piano  au  Collège  royal  de  musique 
de  Londres,  et  qui  ,s'est  fait  connaître  par  plusieurs  écrits  fort  inté- 
ressants. 

—  Quand  les  Norvégiens  s'y  mettent,  c'est  absolument  comme  en  Espa- 
gne. Le  plus  grand  acteur  contemporain  de  la  Norvège  et  du  Nord, 
.lohannes  Brun,  vient  de  mourir  après  quarante  ans  de  service.  Les  jour- 
naux de  Christiania  ont  paru  encadrés  de  noir  et  les  théâtres  de  Norvège 
ont  fait  relâche  le  soir  de  sa  mort.  Des  autres  pays  du  Nord  des  couron- 
nés  avaient  été  envoyées  pour  les  funérailles.  La  ville  était  pavoisée  de 
drapeaux  avec  crêpe  de  deuil,  et  le  théâtre  de  Christiania  donnait  une 
représentation  à  la  mémoire  de  l'illustre  défunt,  à  laquelle  assistait  le  roi. 
Comme  acteur,  M.  Brun  n'appartient  pas  directement  aux  colonnes  du 
Ménestrel.  Il  a  cependant,  au  commencement  de  sa  longue  carrière,  rendu 
des  services  signalés  au  répertoire  musical  grâce  à  sa  bonne  voix  et  à 
son  excellente  oreille.  Parmi  les  innombrables  anecdotes  dont  fourmillent 
à  présent  nos  journaux,  je  trouve  la  suivante  qui  n'est  pas  étrangère  à  la 
musique.  C'était  pendant  la  foire  annuelle  de  Christiania  1867.  M.  Brun, 
accompagné  d'un  ami,  se  promenait  à  travers  la  foule,  rendant  conscien- 
cieusement visite  à  toutes  les  baraques  et  faisant  par  sa  seule  présence 
une  immense  réclame  aux  établissements.  Dans  un  coin  du  marché,  il 
avise  une  vieille  femme  tournant  un  orgue  de  Barbarie  et  chantant  des 
chansons  tristes  sans  qu'un  chat  en  prenne  le  moindre  souci.  M.  Brun 
ému  par  la  triste  mine  de  cette  femme,  prit  à  la  main  une  des  romances 
qu'elle  vendait  —  c'était  Napoléon  à  Moscou,  —  el  s'improvisa  sur-le-champ 
ménestrel  de  foire,  accompagné  par  l'orgue.  Immédiatement  un  audi- 
toire nombreux  se  groupait  autour  de  lui  et  le  succès  fut  foudroyant,  — 
M.  Brun  dut  s'interrompre  devant  les  masses  en  délire.  Rapidement  il  lit 
la  quête  qui  fut  abondante,  et  la  vieille  femme  s'écriait  en  sanglotant: 
«  Quel  homme  que  M.  Brun  ;  il  n'a  pas  son  pareil  dans  le  monde 
»  entier  !  »  —  M.  Brun  était  le  premier  et  encore  le  seul  acteur-c/ieua/ier  de 
Norvège. 

Henri  Heugel.  directeur-géi ant 

ON    DEMANDE  ténor   soliste,    bon  lecteur,  à  l'Annonciation  de  Passy. 


Paris,  A  U  MENESTREL.  2  >",  rue  Vivienne,  HENRI  HEUGEL,  Editeur-propriétaire. 


Opéra  bouffe  en  3  actes 

DE    MM. 

PAUL     FERRIER    et     CHARLES     GLAIRVILLE 

MUSIOUE    DE 


CTOR   ROGER 

Partition  piano  et  chant.  —  Morceaux  détachés.  —  Fantaisies,  danses  et  arrangements  divers. 


3078  —  56me  ANNEE  —  N°  13. 


Dimanche  30  Mars  1890. 


PARAIT  TOUS  LES  DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,    Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HECGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Pjano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus» 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (56°  article),  Albert  Soubies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  La  partition  d'Ascanio,  H.  Morexo;  première 
représentation  des  Miettes  de  Vannée  et  reprise  du  Roi  Candaule,  au  Palais- 
Royal,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Du  leitmotive:  de  son  usage  ;  de  son  abus, 
A.  Darston.  —  IV.  Correspondance  de  Belgique  :  le  Vaisseau  Fantôme,  Lucien 
Solïay.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
LE  FÉTICHE 
quadrille  brillant  sur  la  nouvelle  opérette  à  succès  de  M.  Victor  Roger, 
par  Léon  Roques.  —  Suivra  immédiatement:  L'Enlr' acte-Ballet,  de  la  Voca- 
tion de  Marius,  la  nouvelle  opérette  du  théâtre  des  Nouveautés,  musique 
de  Raoul  Pugno. 

CHANT 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant  :  la  «  vieille  romance,  »  Assise  un  soir  dans  la  fougère,  extraite  de 
l'opérette  le  Fétiche,  le  nouveau  grand  succès  du  théâtre  des  Menus-Plai- 
sirs, paroles  de  Paul  Ferrier  et  Charles  Clairville,  musique  de  Victor 
Roger.  —  Suivra  immédiatement:  Elle  a  mis  sa  toilette  claire,  n°  3  des 
Rondels  de  Mai,  de  M.  B.  Colomer,  poésie  de  Lucien  Dhuguet. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 

PAR 

Allbert  SOUBIES  et  Charles  MALHERBE 

(Suite.) 


CHAPITRE  XIV 

MEYERBEER    A    l'OPÉRA-COMIQUE 
LE  PARDON  DE  PLOERMEL 

(1856-1859) 

Pour  la  Clef  des  champs,  opéra-comique  en  un  acte,  paroles 
de  H.  Boisseaux,  musique  de  Deffès,  donné  le  20  mai  1857,  on 
fut  surpris,  mais  on  ne  se  trompa  pas  ;  on  traita  la  partition 
à  sa  juste  valeur  en  lui  accordant  quarante-quatre  représen- 
tations en  cinq  années  ;  seulement  on  critiqua  le  livret  qui 
montrait  Mme  Du  Barry  faisant,  par  caprice  et  bouderie,  une 
fugue  au  pays  natal  où  son  ingénuité  apparente  allait  lui 
faire  décerner,  par  un  naïf  bailli,  la  couronne  de  rosière, 
lorsqu'un  seigneur  dont  on  ne  disait  pas  le  nom,  mais  qu'on 
devinait,  survenait  à  temps  pour  sauver  la  rose  et  reprendre 
la  belle. 

A  la  couronne  près,  l'anecdote  a  passé  pour  vraie  dans 
certains  mémoires  du  XVIIIe  siècle,  et  déjà  Bayard  s'en 
était  emparé  pour  un  vaudeville,  joué  au  Gymnase  et  intitulé 


Un  soufflet  n'est  jamais  perdu.  Mais  ces  précédents  n'étaient  pas 
pour  satisfaire  Clément,  qui,  parlant  de  la  Clef  des  champs 
dans  son  Dictionnaire  lyrique,  déclare  simplement  la  donnée 
«  extravagante  ».  Or.  rapprochement  bien  curieux,  cet  hon- 
nête critique  ne  se  doutait  pas  que  vers  la  même  époque,  la 
favorite  d'un  souverain  devait  jouer  pour  de  bon  le  rôle  prêté 
à  Mme  Du  Barry.  Elle  partit  un  jour  pour  son  village  et  c'est 
là  qu'elle  fut  retrouvée  en  sabots,  jouant  à  la  paysanne,  par 
certain  magistrat  célèbre  qu'on  avait  dépêché  à  sa  poursuite 
et  qui  nous  a  laissé  de  cette  entrevue  le  plus  charmant  récit. 
Tant  il  arrive  que  l'invraisemblable  est  souvent  près  de  la 
vérité  ! 

On  pourrait  encore  tirer  une  morale,  mais  celle-là  diffé- 
rente, de  l'ouvrage  en  trois  actes,  représenté  le  3  juin  1857, 
sous  le  titre  des  Dames  Capitaines  et  répété  d'abord  sous  celui 
de  Gaston.  L'action  se  déroulait  au  temps  de  la  Fronde,  à 
cette  époqne  troublée  où  les  femmes  s'occupaient  avec  au- 
tant d'activité  que  de  caprice  des  affaires  de  l'Etat,  où  l'amour 
nouait  et  dénouait  au  gré  de  sa  fantaisie  les  intrigues  poli- 
tiques, où  Gaston,  duc  d'Orléans,  adressait  ainsi  une  de  ses 
lettres  :  «  A  Mesdames  les  Comtesses,  Maréchales  de  Camp 
dans  l'armée  de  ma  fille  contre  le  Mazarin!  »  On  y  voyait 
une  duchesse  s'introduire  dans  un  camp,  y  remarquer  un 
bel  officier,  puis  pénétrer  dans  la  ville  assiégée,  et  finale- 
ment la  livrer  au  chef  des  assiégeants  qui  se  trouvait  être  le 
dit  officier,  ce  qui  permettait  aux  adversaires  de  s'unir  en 
politique,  comme  en  amour.  Toute  cette  intrigue  ne  tenait 
guère  debout  et  faisait  médiocrement  honneur  au  librettiste 
Mélesville.  Vainement  le  compositeur  Reber  s'était  mis  en  frais 
d'imagination  et  d'habileté;  il  vit  disparaître  son  œuvre  après 
onze  représentations,  et  le  chagrin  qu'il  en  ressentit  l'éloigna 
définitivement  de  la  scène.  L'opéra  qu'il  écrivit  depuis  n'a  pas 
vu  le  jour,  et  l'on  ne  sait  trop  si  c'est  parce  que  l'auteur 
ne  l'a  pas  voulu  ou  parce  que  les  directeurs  n'en  ont  pas 
voulu.  Mais  voici  le  point  curieux  de  cette  affaire.  On  avait 
jugé  le  livret  absurde,  détestable,  et  ce  même  livret  détestable, 
absurde,  a  fait  la  fortune  d'une  opérette  de  Strauss,  intitulée 
la  Guerre  joyeuse,  comme  plus  tard  la  Circassienne  d'Auber  celle 
de  Fatinitza  de  Suppé.  D'où  l'on  doit  évidemment  conclure 
que  l'opérette  et  l'opéra-comique  diffèrent,  que  ce  qui  répu- 
gne à  l'un  peut  convenir  à  l'autre,  et  qu'erjfin  le  succès 
d'une  œuvre  dépend  souvent  du  cadre  dans  lequel  elle  s'est 
produite. 

Au  moment  où  Reber  quittait  l'Opéra-Comique,  un  jeune 
compositeur  y  entrait,  de  qui  l'on  n'avait  encore  joué  qu'au 
Théâtre-Lyrique  quelques  petits  actes  d'ailleurs  favorablement 
accueillis,  Eugène  Gautier.  L'affiche  était  ainsi  conçue,  ae 
lendemain  de  la  première  représentation  qui  eut  lieu  le 
20  juin:  «  Le  Mariage  extravagant,  pièce  en  un  acte  d'après  Dé- 


LE  MENESTREL 


saugiers,  mêlée  de  musique  par  E.  Gautier.  »  Ces  indications 
demeuraient  fort  incomplètes.  D'abord  on  oubliait  de  Valory 
qui  fut  collaborateur  de  Désaugiers  pour  le  vaudeville  de  ce 
nom,  représenté  en  1812  ;  ensuite  on  négligeait  de  faire  con- 
naître l'adaptateur  et  habile  transformateur  de  ce  vaudeville 
en  opéra-comique,  Eugène  Cormon,  l'un  des  auteurs  du  Chien 
du  Jardinier  et  des  Dragons  de  Villars.  On  a  fait  observer  que, 
dans  ce  Mariage  extravagant,  tout  était  extravagant,  sauf  le  mariage 
de  raison  qui  s'y  conclut  finalement  entre  Edouard  et  son  amie 
d'enfance,  Betzy,  la  fille  du  docteur  Verner,  directeur  d'une 
maison  d'aliénés.  Ce  mot  seul  indique  combien  le  cadre  prê- 
tait aux  folies  ;  aussi  voyait-on  le  père  prendre  pour  un  fou 
son  futur  gendre,  tandis  qu'un  vrai  fou  était  pris  par  le  fiancé 
pour  son  futur  beau-père.  La  gaieté  des  quiproquos,  l'entrain 
de  la  musique  assura  la  vie  de  ce  lever  de  rideau  qui,  joué 
111  fois  de  1857  à  1862,  et  64  de  1871  à  1874,  a  atteint  le 
chiffre  de  175  représentations. 

Le  même  librettiste,  aidé  cette  fois  d'Eugène  Grange,  repa- 
rut le  30  septembre  à  la  salle  Favart  avec  un  opéra-comique 
en  deux  actes  et  trois  tableaux,  le  Roi  Don  Pèdre,  appelé  suc- 
cessivement aux  répétitions  Don  Pèdre  le  Cruel  et  Don  Pèdre  le 
Justicier.  Tels  étaient  en  effet  les  deux  surnoms  donnés  par 
l'histoire  à  ce  roi  d'Espagne  qui  n'a  certainement  jamais  fait  en 
réalité  ce  qu'on  lui  faisait  faire  au  théâtre,  savoir  :  rendre  un 
arrêt  contre  le  duel,  puis  courir  les  rues  de  Tolède  comme  un 
simple  bachelier,  se  heurter  la  nuit  à  un  amoureux  qui  rou- 
coule sous  le  balcon  d'une  belle,  et  lui  administrer  un  coup 
d'épée,  solution  fâcheuse  qui  embarrasse  un  moment  les 
deux  adversaires  épris  de  la  même  jeune  fille,  tandis  que 
dans  l'ombre  se  profile  la  figure  d'un  juif  équivoque,  surpre- 
nant les  secrets  pour  en  battre  monnaie. 

Comme  Eugène  Gautier,  le  compositeur,  Ferdinand  Poise 
n'avait  pas  encore  été  joué  à  l'Opéra-Comique  ;  il  avait  passé 
par  les  Bouffes  et  le  Théâtre-Lyrique  ;  son  coup  d'essai  sur 
une  nouvelle  scène  réussit  assez  pour  qu'il  ait  survécu  de 
cette  partition  une  charmante  sérénade.  On  goûta  et  l'on 
peut  dire  que  l'on  goûte  encore,  si  l'on  songe  à  ses  récents 
succès,  les  Surprises  de  l'amour  et  l'Amour  médecin,  par  exemple, 
cette  manière  spirituelle  et  fine,  cette  orchestration  minus- 
cule, cette  délicatesse  de  touche  qui  réveillait  le  souvenir 
des  petits-maîtres  du  dix-huitième  siècle. 

Plus  vigoureux  était  le  talent  de  celui  dont  l'œuvre  vint  au 
monde  le  9  décembre  1857,  le  Carnaval  de  Venise,  opéra-comique 
en  trois  actes,  paroles  de  Sauvage,  musique  d'Ambroise 
Thomas.  L'année  finissait  donc  comme  elle  avait  commencé; 
en  moins  de  douze  mois,  le  même  théâtre  avait  représenté 
deux  grands  ouvrages  d'un  même  auteur,  générosité  qui  de  nos 
jours  passerait  pour  un  abus  !  Le  Carnaval  de  Venise,  s'écriait 
un  critique,  Henry  Boisseaux,  «  c'est  tout  un  monde  d'in- 
trigue, d'amour,  de  folie  ;  c'est  le  quiproquo  en  action,  c'est 
le  bruit,  c'est  l'éclat,  c'est  le  rire  !  »  Par  malheur  l'intrigue 
fut  embrouillée,  le  quiproquo  banal,  l'éclat  assez  terne,  et  le 
rire  absent.  Aussi  le  public  réserva-t-il  toute  son  admiration 
pour  la  principale  interprète,  Mme  Gabel.  Au  bout  de  33  re- 
présentations l'œuvre  avait  vécu  ;  il  n'en  est  resté  que  l'ou- 
verture où  sont  intercalées  de  charmantes  variations  sur  l'air 
qui  donne  son  nom  à  la  pièce.  Bemarquons  combien  était 
alors  à  la  mode  cet  air  délicieusement  vocalisé  par  Mrae  Gar- 
valho  dans  la  Peine  Topaze  de  Victor  Massé,  gaiement  mirli- 
tonné  dans  les  Petits  Prodigues  de  Jonas,  et  joué  partout  sur 
le  violon  par  l'aimable  Saint-Léon.  Ajoutons  que  cet  ouvrage 
préparé  par  un  directeur,  fut  monté  par  un  autre.  L'Opéra- 
Comique,  en  effet,  avait  changé  de  maître.  Depuis  le  19  novem- 
bre Nestor  Boqueplan  avait  succédé  à  Perrin,  et  cette  trans- 
mission de  pouvoir  ne  manquait  pas  de  réveiller  dans  la 
presse  les  vieilles  et  stériles  querelles  relatives  à  la  cession 
des  privilèges,  dont  nous  avons  parlé  assez  longuement  pour 
n'avoir  plus  à  y  revenir  ici.  En  somme,  Emile  Perrin  faisait 
une  affaire  avantageuse,  et  se  retirait  au  bon  moment.  Pour 
513,000  francs  payables  en  argent   comptant,  le  jour  de  son 


départ,  il  abandonnait  l'exploitation,  et  se  voyait  libéré  de 
tout  engagement,  de  toute  responsabilité.  Certainement  il 
pressentait  que  le  vent  de  la  fortune  allait  tourner,  et  que  la 
salle  Favart  allait  traverser  une  période  difficile.  L'arrivée  de 
M.  Carvalho  avait  donné  la  vie  au  Théâtre-Lyrique.  En  moins 
de  trois  ans  s'étaient  produits  la  Fanchonnetle,  les  Dragons  de 
Villars,  la  Reine  Topaze;  on  avait  monté  Obéron,  et  pour  1858,  on 
préparait  le  Médecin  malgré  lui.  Cette  concurrence,  au  reste, 
avait  influé  sur  les  recettes  de  l'Opéra-Comique,  qui,  belles 
encore,  suivaient  une  marche  nettement  descendante. 

1855.  —  1,389,999  fr.  03  c. 

1856.  —  1,117,353  fr.  17  c. 

1857.  —  1,066.414  fr.  70  c. 

(A  suivre.) 


SEMAINE   THEATRALE 


LA  PARTITION  D'ASCANIO 

On  prête  à  M.  Saint-Saëns  ce  propos  singulier,  qui  étonnera  les 
âmes  sensibles,  que  la  musique,  la  bonne  musique  se  fait  avec  le 
cerveau  et  non  avec  le  cœur.  Ce  n'était  peut-être  au  surplus  qu'une 
boutade  de  l'auteur  d'Ascanio;  mais  cette  déclaration  de  principes 
paraît  s'appliquer  merveilleusement  à  sa  manière  de  composer.  Le 
cerveau,  certes,  est  l'agent  principal  dans  toutes  les  œuvres  de  l'esprit, 
cependant  il  n'est  pas  mauvais  que  le  cœur  se  mette  aussi  de  la 
partie  et  vienne  à  propos  pour  colorer  et  animer  les  productions  du 
cerveau,  qui  sans  lui  courraient  le  risque  de  demeurer  froides  et 
inertes.  De  cerveau  d'artiste,  il  n'y  en  a  guère  de  mieux  organisé 
que  celui  de  M.  Saint-Saëns  ;  il  n'y  a  pas  de  musicien  qui  soit  plus 
maître  de  son  art.  L'auteur  de  la  superbe  symphonie  qu'on  a  exé- 
cutée au  Conservatoire  n'est  plus  à  discuter  ;  cette  symphonie  res- 
tera certainement  comme  l'un  des  monuments  de  la  musique  fran- 
çaise au  XIXe  siècle.  Elle  est  d'une  main  d'ouvrier  vraiment 
merveilleuse. 

Et  cette  main  nous  la  retrouvons  encore,  avec  moins  de  puis- 
sance cependant,  dans  la  partition  d'Ascanio,  qui  reste  si  intéressante 
dans  ses  détails,  bien  qu'on  l'aperçoive  mal  ail  travers  d'une 
exécution  défectueuse.  11  y  a  d'ailleurs,  dans  cette  partition,  beau- 
coup d'intimités  charmantes  auxquelles  le  grand  cadre  de  l'Opéra  ne 
convient  nullement.  Et  puis  il  a  manqué  à  l'œuvre  les  dernières 
caresses  de  son  auteur.  Nous  ne  disons  pas  que  l'absence  ou  la  dis- 
parition de  M.  Saint-Saëns,  de  laquelle  on  fait  tant  de  bruit  en  ce 
moment,  ait  nui  au  succès  de  l'œuvre.  Nous  pensons  au  contraire 
qu'elle  constitue  une  incessante  réclame  et  un  tremplin  excellent 
sur  lequel  rebondit  à  souhait  la  nouvelle  partition,  comme  une  balle 
élastique  bien  lancée;  mais  il  n'en  est  pas  de  même  pour  son  exé- 
cution. Le  compositeur  présent  eût  su  autrement  animer  son  orches- 
tre, lui  indiquer  les  nuances,  les  mouvements,  tous  ces  mille  riens 
que  l'auteur  a  vécus  lui-même  et  qu'il  transmet  à  ses  interprètes 
comme  aucun  autre  suppléant  ne  saurait  le  faire,  si  dévoué  et  si 
avisé  soit-il. 

On  peut  bien  le  dire  aujourd'hui  que  la  première  représentation 
est  venue  casser,  comme  il  arrive  souvent,  le  jugement  trop  hâtif 
qu'on  avait  porté  sur  l'œuvre,  la  répétition  générale,  donnée  devant 
une  salle  pleine  et  en  présence  de  toute  la  critique  assemblée,  fut  un 
véritable  désastre.  Tout  ce  qu'il  y  a  d'intéressant  dans  la  partition 
avait  passé  à  peu  près  inaperçu  et  les  plus  malins  n'y  avaient  pas 
distingué  grand'ehose.  A  ce  moment-là  on  n'aurait  pas  donné  deux 
sols  de  la  partie  que  MM.  Ritt  et  Gailhard  allaient  engager.  C'est 
qu'il  n'y  a  pas  dans  Ascanio  de  ces  grandes  envolées  qui  vous  sai- 
sissent tout  d'abord  et  que  ce  n'est  pas  trop  d'y  revenir  à  deux  fois 
pour  y  découvrir  les  intimités  charmantes  dont  nous  avons  parlé. 

Prenons  pour  exemple  le  premier  tableau,  qui  est  l'un  des  plus 
fins  et  des  plus  achevés  de  la  partition.  La  mélodie  n'y  déborde 
pas,  encore  qu'elle  soit  fort  distinguée  quand  elle  veut  bien  montrer 
le  bout  de  son  nez,  mais  suivez  le  petit,  discours  musical  de  l'or- 
chestre et  vous  en  serez  ravi  toujours.  Voyez  ce  qu'il  y  a  de  ten- 
dresse dans  l'accompagnement  qui  double  le  chant  d'Ascanio  : 

Si  loin  et  si  haut  dans  l'espace 
Ma  céleste  vision  passe! 

Puis  ce  sont  les  impatiences  de  Scozzone.  la  maîtresse  jalouse,  qui 
commencent  à  se  manifester  et  qui  auront  plus  tard  uno  action  im- 
portante sur  la  marche  du  drame.  Là,  ce  ne  sont  encore  dans  Torches- 


LE  MÉNESTREL 


99 


tre  que  des  tressautements  anodins,  mais  qui  en  font  prévoir  de 
plus  sérieux.  Benvenuto  y  répond  dans  la  sérénité  de  son  génie  par 
quelques  nobles  phrases  bien  coupées.  A  noter  le  mouvement  appas- 
sionato  de  Scozzone  : 

Vers  cette  divine  conquête 

Maître,  marchez  sans  hésiter. 

Et  voici  la  cour,  le  roi  François  Ior  et  sa  mie,  la  noble  duchesse 
d'Etampes,  qui  va  tenter  de  prendre  le  bel  Ascanio  dans  ses  filets. 
Remarquez  toute  la  séduction  qui  perce  ici  dans  les  dessins  d'orches- 
tre; les  tons  les  plus  chatoyants  se  succèdent  les  uns  aux  autres  et 
la  phrase  revient  toujours  avec  son  charme  persistant  : 
Ascanio,  je  suppose 
Que  ce  bijou  n'a  point  de  maître  encor. 
Voyez  s'il  va  bien  à  mon  bras. 

Puis  ce  cri  de  fierté  de  la  même  duchesse,  quand  on  l'avertit 
de  se  garder  de  nouvelles  amours  que  le  roi  pourrait  prendre  tra- 
giquement : 

Laisse!  me  défier,  Jeanne,  c'est  m'enhardir! 
Je  l'aime  ! 

Ici  une  vocalise  intempestive,  qui  détonne  d'une  façon  singulière. 
On  en  trouvera  d'autres  dans  ce  même  rôle  qui  ne  sont  pas  davantage 
justifiées.  Si  encore  Mme  Adiny,  qui  personnifie  le  personnage  de 
la  duchesse,  pouvait  leur  donner  un  peu  de  tournure  et  de  style  ! 

Pendant  ce  temps,  le  roi  admire  tous  les  trésors  de  l'atelier  de 
Benvenuto,  il  s'arrête  en  extase  devant  un  Jupiter  lançant  la 
foudre. 

Voilà  le  pur  chef-d'œuvre! 
Voilà  le  roi  des  Dieux,  voilà  le  Dieu  des  rois/ 

Il  y  a  beaucoup  de  majesté  dans  cette  sorte  d'invocation.  Mais 
François  attend  son  frère  Charles-Quint,  il  en  fait  part  à  Benvenuto 
et  de  suite  l'orchestre,  comme  c'était  son  devoir,  esquisse  une  fan- 
fare discrète  qui  nous  annonce  de  belles  fêtes. 

C'est  tout  et  c'est  délicieux.  Rien  de  bruyant  sur  la  scène,  mais 
des  grâces  cachées  dans  l'orchestre,  et  des  fleurs  au  parfum  délicat 
qui  embaument  sous  le  chant  des  violons.  Et  il  en  sera  ainsi  tout 
le  long  de  cet  ouvrage  parsemé  de  violettes,  mais  il  faut  savoir  les 
découvrir.  Elles  n'éborgnent  pas  les  passants  d'un  éclat  tapageur. 

Au  deuxième  tableau  on  trouvera,  encore  dans  la  même  teinte 
pâle,  la  rencontre  des  deux  amoureux,  Ascanio  et  Colombe,  avec 
son  dessin  d'orchestre  serpentin,  puis  toute  la  scène  de  ce  mendiant 
bizarre  qui  marie  les  gens  dans  la  rue.  Elle  n'en  est  pas  moins  tou- 
chante. Plus  jolie  encore  la  jolie  phrase  qui  échappe  aux  violons, 
quand  Benvenuto  aperçoit  Colombe  : 

Hébé!  céleste  Hébé! 
Que  l'Olympe  aujourd'hui  ne  te  reprenne  pas! 

A  côté  une  scène  plus  violente  entre  la  duchesse  d'Etampes  et 
Benvenuto,  qui  prétend  préserver  Ascanio  du  danger  qui  le 
menace. 

Des  gens,  qui  n'ont  peut  être  pas  tort,  estimeront  sans  doute  que 
le  théâtre  ne  peut  trouver  son  compte  à  toutes  ces  bagatelles,  et 
qu'il  y  faut  d'autres  passions  et  d'autres  emportements,  surtout  sur 
la  scène  qui  a  vu  naître  les  Huguenots  et  le  Prophète.  Je  n'en  discon- 
viens pas,  mais  n'en  ai  pas  moins  de  penchant,  comme  le  sage,  à 
prendre  mon  plaisir  où  je  le  trouve.  Ce  n'est  peut-être  pas  du 
théâtre,  soit,  je  le  veux  bien.  Mais  qu'importe,  s'il  y  a  au  bout  une 
sensation  musicale  qui  me  prenne  et  qui  m'émeuve.  Cela  reste,  en 
tous  les  cas,  une  œuvre  d'artiste  sincère  et  ciselée  à  la  façon  de 
Benvenuto  lui-même,  et,  ma  foi  par  ces  temps  lï'Esclarmonde  et  autres 
blocs  enfarinés,  je  serais  bien  fol  de  ne  pas  m'en  contenter. 

Nous  allons  d'ailleurs  trouver  des  pages  plus  mâles  en  pénétrant 
plus  avant  dans  l'action. 

Au  commencement  du  deuxième  acte,  une  chanson  un  peu  tour- 
mentée de  Scozzone,  mais  qui  a  de  l'originalité.  La  partition  publiée 
par  les  éditeurs  Durand  et  Schœnewerk  nous  en  donne  deux  ver- 
sions, celle  de  l'auteur  et  celle  de  l'Opéra.  N'esWl  pas  plaisant 
de  voir  la  première  scène  lyrique  du  monde,  pour  parler  comme 
MM.  Ritt  et  Gailhard,  ne  pouvoir  nous  donner  la  version  exacte 
de  l'auteur,  faute  d'une  artiste  pour  l'interpréter?  On  n'ignore 
pas  en  effet  que,  depuis  le  départ  de  M"0  Richard,  l'Opéra  se  trou- 
vant dépourvu  d'un  contralto  présentable,  il  a  fallu  confier  au  so- 
prano de  Mme  Bosman  un  rôle  écrit  dans  la  clef  de  fa.  Il  en  est 
résulté  nombre  de  transpositions  obligées  qui  sont  loin  d'être  favo- 
rables à  la  partition  de  M.  Saint-Saëns.  Enfin,  il  faut  prendre 
l'Opéra  pour  ce  qu'il  est  aujourd'hui,  c'est-à-dire  pour  peu  de  chose. 

La  chanson  de  Scozzone  est  suivie  d'un  air  langoureux  d'Ascanio, 


dans  la  manière  archaïque,  qui  ne  manque  pas  de  saveur  pour  les 
amateurs  d'antiquité.  Archaïque  encore,  et  d'une  couleur  charmante  la 
plainte  de  Colombe  : 

Mon  cœur  est  sous  la  tombe 

Où  nous  l'avons  scellé, 

Quand  tu  t'en  es  allé. 

Ce  n'est  pas  ici  l'orchestre  qui  domine,  puisque  le  chant  est  sans 
accompagnement.  A  cette  plainte,  Benvenuto  répond  par  un  empor- 
tement d'amour.  Eh!  oui,  le  voilà  enfin  l'emportement  : 

Un  divin  et  fol  amour 

Est  dans  cette  âme. 

Je  fais  assez  bon  marché  de  cet  allegretto  à  l'italienne,  mais  je 
trouve  fort  belle  la  phrase 

0  beauté,  j'ai  compris  ta  puissance, 

qui  a  de  l'ampleur  mélodique  et  qui  s'épanouit  tout  à  fait  dans  la 
reprise  en  duo  avec  Ascanio.  C'est  avec  le  quatuor  que  nous  trouve- 
rons plus  loin  l'une  des  pages  capitales  de  la  partition. 

On  a-  coupé  la  plus  grande  partie  du  deuxième  tableau  du  second 
acte,  qui  faisait  en  effet  longueur,  et  on  a  fondu  ce  qui  en  restait 
dans  l'acte  du  ballet.  On  en  a  conservé  notamment  le  joli  madrigal 
de  François  Ier  : 

Adieu,  beauté,  ma  mie. 

Puis,  c'est  le  ballet,  dans  la  couleur  du  temps,  avec  des  nymphes 
et  des  déesses.  Le  symphoniste  s'en  est  donné  à  cœur-joie  et  en  a 
réussi  tous  les  morceaux  qui  sont  au  nombre  de  douze,  ni  plus  ni 
moins.  Nous  les  retrouverons  dans  nos  salles  de  concert. 

Au  quatrième  acte,  on  ourdit  une  vilaine  conspiration  contre  la 
pauvre  Colombe  et  l'orchestration  de  M.  Saint-Saëns  se  colore  des 
teintes  les  plus  sombres  ;  mais  nous  avons  hâte  d'arriver  au  superbe 
quatuor,  qui  peut  marcher  de  pair  avec  celui  que  l'auteur  nous  avait 
servi  déjà  dans  Henry  VIII.  Seulement  la  situation  est  retournée.  Ce 
n'est  plus,  celte  fois  la  pauvre  Anne  de  Boleyn  qui  souffre  de 
toutes  les  affres  de  la  jalousie,  c'est  M.  Lassalle  à  son  tour,  ex- 
Henry VIII  et  maintenant  Benvenuto,  qui  assiste,  poussé  par  Scozzone, 
à  une  scène  d'amour  délicieuse  entre  Ascanio  et  Colombe.  La  page 
est  de  premier  ordre.  On  y  Irouve  enclavé  l'arioso  obbligato  que 
M.  Lassalle  a  coutume  de  chanter  dans  tous  les  opéras  à  H  heures 
pour  le  quart  : 

Enfants,  je  ne  vous  en  veux  pas. 

Celui-là  n'est  pas  inférieur  aux  autres  et  l'artiste  ne  le  chante  pas 
moins  bien.  Posé  de  trois  quarts  et  solidement  planté  sur  des 
jambes  un  peu  arquées,  le  bras  droit  légèrement  étendu  devant  lui, 
tandis  que  le  gauche  balance  doucement,  M.  Lassalle  ouvre  la  bou- 
che modérément;  la  voix  en  sort  comme  une  pâte  onctueuse  : 

Enfants,  je  ne  vous  en  veux  pas  ! 

Ce  n'est  pas  votre  faute,  hélas  ! 

Si  vous  aimez,  si  l'on  vous  aime  ! 

Vous  entendez  cela  d'ici.  On  crie,  on  trépigne,  on  bisse.  C'était 
déjà  comme  cela  dans  Patrie,  quand  Rysoor  pleurait  sur  le  corps 
du  pauvre  sonneur  frappé  par  les  Espagnols.  Que  dis-je?  La  tradi- 
tion de  l'arioso  remonte  au  Roi  de  Lahore,  et  M.  Lassalle  s'y  taille 
chaque  fois  un  nouveau  succès.  Ni  l'artiste,  ni  le  public  ne  paraissent 
s'en  lasser. 

Et  après  ?  Il  y  a  le  sacrifice  de  Scozzone,  qui  se  dévoue  et  prend 
la  place  de  Colombe,  victime  désignée  des  colères  de  la  duchesse 
d'Etampes.  Là  encore  des  accents  très  sobres,  mais  très  émus. 

Au  cinquième  acte,  presque  rien,  un  dénouement,  précédé  d'une 
scène  dramatique  où  Mme  Adiny  tente  de  chausser,  mais  sans  succès, 
les  cothurnes  laissés  vacants  par  M™  Krauss. 

L'interprétation  générale  n'est  pas  ce  qu'elle  devrait  être,  nous 
l'avous  déjà  laissé  pressentir  dimanche  dernier.  En  dehors  de  la 
qualité  des  artistes,  l'absence  du  maître  qui  eût  pu  les  améliorer, 
s'est  fait  sentir  un  peu  partout.  Il  n'y  a  guère  que  M.  Lasalle  qui 
soit  à  la  hauteur  de  son  rôle.  Nous  n'aurons  pas  la  cruauté  d'insis- 
ter sur  les  mérites  restreints  de  Mme  Adiny.  M.  Cossira  a  une  jolie 
voix,  mais  il  manque  complètement  d'autorité;  c'est  un  Ascanio 
insignifiant.  Le  rôle  de  Scozzone  n'est  pas  du  tout  dans  la  nature 
de  Mme  Bosman;  il  convient  néanmoins  de  rendre  justice  à  ses 
efforts  et  à  son  intelligence.  MUc  Eames  n'a  guère  qu'à  montrer  son 
gracieux  visage  dans  le  petit  rôle  de  Colombe,  mais  elle  le  fait  avec 
beaucoup  d'agrément  et  de  suavité.  M.  Plançon,  artiste  des  plus 
consciencieux,  est  en  train  de  prendre  à  l'Opéra  une  des  premières 
places;  il  chante  remarquablement  le  madrigal  de  François  Ier. 
Tous  les  autres  rôles  sont  faiblement  tenus.  L'orchestre  lui-même 
n'a  eu  ni  la  netteté  ni  le  relief  nécessaires. 


100 


LE  MENESTREL 


Voilà  ce  que  l'Opéra  peut  mettre  aujourd'hui  à  la  disposition  d'un 
compositeur  éminent  pour  la  défense  d'une  œuvre  importante.  Pas 
de  contralto  et  si  peu  de  falcon,  que  ce  n'est  pas  la  peine  d'en 
parler!  Il  faul  que  la  partition  à'Ascanio  ait  les  reins  solides  pour 
résister  à  un  pareil  traitement. 

Triste  mise  en  scène,  pauvres  décors  et  costumes  à  l'avenant. 
M.  Ritt  s'est  bien  vanté  quand,  répondant  aux  instances  de 
M.  Saint-Saëns,  il  trouvait  ce  compositeur  bien  pressé  de  lui  voir 
dépenser  250,000  francs!  Il  en  faut  rabattre  de  plus  des  trois  cin- 
quièmes. 

H.  Moreno. 

P.-S.  —  Hier,  samedi,  au  théâtre  des  Nouveautés,  on  a  dû  donner 
la  première  représentation  de  la  Vocation  de  Marins,  vaudeville-opé- 
rette de  MM.  Fabrice  Carré  et  Debelly,  musique  de  M.  Raoul  Pugno. 
D'après  la  répétition  générale,  à  laquelle  nous  avons  assisté,  tout 
fesait  présager  un  vif  succès.  La  pièce,  gaie  et  spirituelle,  mène  son 
action,  au  premier  acte,  dans  une  brasserie  du  quartier  Latin,  au 
deuxième,  dans  un  bureau  d'agence  théâtrale,  et  au  troisième,  dans 
les  coulisses  du  théâtre  de  Castres.  Celte  succession  de  milieux 
différents  a  fort  servi  la  verve  des  deux  auteurs  et  a  donné  matière 
à  nombre  de  scènes  amusantes.  La  musique  de  M.  Pugno,  très  sim- 
ple et  très  claire,  les  souligne  à  merveille  et  vient  encore  leur  don- 
ner un  nouveau  relief.  La  soirée  n'a  été  qu'un  long  éclat  de  rire. 
Brasseur  père  et  fils,  tous  les  deux  surprenants,  Maugé,  le  fin  co- 
médien, Mmc  Montrouge,  une  commère  qui  n'engendre  pas  la  mé- 
lancolie, et  la  gracieuse  M"le  Théo  sont  les  principaux  interprètes 
de  cette  heureuse  folio. 

H.  M. 

Palais-Royal.  —  Les  Miettes  de  l'année,  revue  de  printemps  en 
3  actes,  de  MM.  E.  Blum  et  R.-Toché.  —  Le  Roi  Candaule,  comédie 
en  1  acte  de  MM.  H.  Meilhac  et  L.  Halévy. 

Voici  un  succès  de  plus  à  l'actif  du  théâtre  du  Palais-Royal  et  à 
l'actif  aussi  de  MM.  Blum  et  Toehé.  Leurs  Miettes  d;  Vannée,  bien 
que  tardives,  sont  excellentes  et  forment  un  petit  régal  d'un  fumet 
fin  et  alléchant  auquel  tous  les  Parisiens  voudront  goûter  et  même 
regoùter.  M.  Dailly  en  compère  et  Mlle  Bonnet,  en  commère,  sont, 
l'un  toujours  plein  de  bonne  humeur,  l'autre  toujours  des  plus 
agréables  à  contempler.  Parmi  les  numéros  à  sensation  ,  il  faut 
citer  l'excellent  Saint-Germain,  distribuant  un  prix  de  beauté  parmi 
les  spectatrices;  M.  Milher,  en  abonné  de  l'Opéra-Comique,  qui 
pleure  son  pauvre  théâtre  disparu ,  sur  tous  les  airs  du  répertoire, 
depuis  les  Dragons  jusqu'au  Caïd;  Mme  Malhilde,  en  mouquette,  qui 
fait  les  visites  académiques  pour  son  patron,  et  Mme  Lavigne,  abso- 
lument impayable  sous  l'armure  de  Jeanne  d'Arc.  —  Mais  les  deux 
clous  de  la  soirée  sont  assurément  le  pas  ultra-moderne  que  danse 
étonnamment,  sur  un  air  espagnol,  M"e  Larive,  une  toute  petite 
brunetle  à  la  grâce  débraillée  et  spirituelle,  et  la  parodie  de  Margot 
jouée  par  MM.  Calvin,  Galipaux,  Mmes  Mathilde  et  Lavigne,  grimés 
en  marionnettes  et  suspendus  par  des  fils  comme  les  poupées  de 
Thomas  Holden. 

Les  Miettes  de  l'année  étaient  précédée»  de  la  reprise  du  Roi  Candaule, 
cette  très  spirituelle  comédie  de  MM.  Meilhac  et  Halévy  qui 
contient  une  scène,  —  entre  Bouscarin  et  Adèle,  —  qui  est  un 
véritable  petit  chef-d'œuvre.  M.  Daubray  s'est  montré  comédien 
absolument  parfait  dans  le  rôle  de  Bouscarin  ;  M.  Milher  est  un 
amusant  Duparquet,  M.  Luguet  un  parfait  Capuron,  M"e  Lavigne 
une  désopilante  ouvreuse  et  M1'6  Berny  une  fine  Adèle.  MM.  Pelle- 
rin,  Maudru,  et  Mlles  Pierval,  Clem  et  Renaud  complètent  un  ai- 
mable ensemble. 

Paul-Émile  Chevalier. 


DU  LEITMOTIVE 

DE     SON     USAGE;     DE     SON     ABUS 


Cm  a  beaucoup  écrit,  et  encore  plus  parlé,  pour  et  contre  le  leit- 
molive.  De  quel  côté  est  la  vérité,  ou  plutôt  de  quel  côté  est  la  plus 
grande  part  de  vérité  ?  Car  c'est  surtout  en  de  telles  questions 
qu'il  n'est  rien  d'absolu.  Le  procédé,  propagé  par  un  homme  de 
génie  qui  l'a  mis  en  valeur  avec  une  rare  puissance,  avec  une 
grande  variété,  peut-il  être  définitivement  adopté  dans  la  musique 
dramatique,  et  s'il  peut  l'être,  en  quelles  occasions,  dans  quelle 
mesure? 

C'est  ce  qu'on  va  s'efforcer  de  rechercher,  de  préciser. 


I 

Et  d'abord,  le  leitmotive  ne  saurait  constituer  simplement  un  signe 
distinctif  entre  les  divers  personnages  du  drame.  Pour  discerner  ai- 
sément Eisa  d'Ortrude,  Walther  de  Hans  Sachs,  Raoul  de  Marcel, 
le  costume,  le  timbre  de  la  voix  suint.  Pas  n'est  besoin  de  recourir 
à  un  moyen  qui,  —  on  l'a  dit,  —  serait,  en  quelque  sorte,  pour 
l'oreille  ce  que  serait  pour  l'œil  un  écriteau  placé  sur  le  chapeau 
de  chaque  acteur  et  indiquant  son  nom  au  spectateur. 

Le  leitmotive  n'est  pas  non  plus  indispensable  pour  caractériser 
une  figure.  Ce  n'est  certes  pas  avec  un  artifice  de  métier  qu'un 
compositeur  peut  faire  vivre  la  physionomie  propre  à  chaque  indi- 
vidualité, lui  prêter  le  langage  particulier  à  ses  passions,  à  son 
âge,  à  sa  race,  à  son  état,  à  son  temps,  au  milieu  même  dans  le- 
quel il  se  meut.  Il  faut,  pour  y  réussir,  une  faculté  d'évocation, 
qui  n'a  rien  de  commun  avec  la  mise  en  pratique  d'un  système 
préconçu,  et  qui  est  un  des  dons  supérieurs  du  génie.  Weber  n'eût 
pas  besoin  de  leitmotives  pour  tracer  le  rôle  de  la  rieuse  Annette, 
de  telle  sorte  qu'il  fit  un  vivant  contraste  avec  celui  de  la  rêveuse 
Agathe;  —  non  plus  que  Mozart,  pour  imprimer  au  profil  de  Dona 
Anna  l'énergique  relief  que  l'on  sait.  On  n'imaginerait  même  pas, 
—  je  dirai  tout  à  l'heure  pourquoi,  —  ces  adorables  et  admirables 
héroïnes  suivies  pas  à  pas  et,  alourdies,  dans  leur  action  théâtrale, 
par  un  motif  typique. 

II 

Il  n'est  pas  contestable  pourtant  que  la  réapparition  de  certains 
thèmes  significatifs  puisse  produire  dans  le  drame  lyrique  un  grand 
effet. 

On  ne  parle  pas  ici,  bien  entendu,  du  retour  d'une  ou  plusieurs 
phrases  provoqué  par  une  situation  déterminée  comme,  par  exem- 
ple, dans  la  scène  finale  du  Faust  de  Gounod,  les  fragments  de  la 
valse,  di  la  première  rencontre  et  du  duo  d'amour.  —  Il  n'est 
question  que  du  leitmotive  proprement  dit,  qui  est  reproduit,  par 
intervalles,  au  cours  d'un  ouvrage,  en  dehors  des  situations  excep- 
tionnelles, pour  appeler  l'attention  sur  un  sujet  ou  sur  une  idée. 
Dans  ce  procédé,  objet  de  tant  de  controverses,  le  compositeur 
peut  trouver,  quoi  qu'on  en  dise,  de  précieuses  ressources,  car,  en 
art,  aucun  moyen  n'est  à  proscrire  ni  à  adopter  a  priori  ;  tout  dé- 
pend de  l'usage  qu'on  en  fait.  Un  parti  pris,  quel  qu'il  soit,  est 
un  détestable  critérium,  de  jugement,  "Voilà  beau  temps  que  Weber 
a  jeté,  de  ci  de  là,  dans  la  trame  musicale  de  son  noble  Freischiitz, 
l'éclair  d'une  phrase  brève,  aux  trilles  féroces,  aux  petites  notes 
lancinantes  avivées  par  deux  ottavini  accouplés,  qui  évoque  à  notre 
oreille  la  vision  grimaçante  de  Samiel. 

On  doit  admettre  encore,  comme  dans  la  doctrine  wagnérienne, 
que  l'auteur  ait  le  droit  de  parer  ce  leitmotive,  à  chaque  réappari- 
tion, des  richesses  nouvelles  que  lui  fournissent  le  contrepoint  et 
le  coloris  instrumental,  puisque  ces  transformations  peuvent  très 
heureusement  concourir  à  la  réalisation  d'un  objectif  à  la  fois  esthé- 
tique et  technique. 

Mais  encore  y  a-t-il  certaines  lois  de  logique  théâtrale,  je  dis 
mieux,  de  bon  sens,  à  observer. 

Ce  sont  précisément  ces  lois  qu'il  convient  d'établir. 

III 

Dans  le  train  ordinaire,  et  même  dans  les  circonstances  ^exception- 
nelles de  la  vie,  dont  le  drame  parlé  ou  chanté  doit  être  la  repro- 
duction aussi  exacte  que  possible,  quoiquanoblie  par  l'art,  l'âme 
humaine  n'est  pas  une.  Si  remplie  qu'elle  soit  par  une  préoccupation, 
cette  préoccupation  ne  la  possède  que  par  instants.  Walther,  le  beau 
chevalier  franconien,  a  beau  être  profondément  épris  d'Eva,  ses 
ambitions  de  poète,  la  vie  bruyante  des  étudiants  qui  l'entourent, 
que  sais-je  encore,  mille  suggestions  occasionnelles  mettent  de  l'in- 
tervalle entre  celles  de  ses  pensées  qui  vont  au  même  but.  Sa 
passion  même  affecte  des  formes  diverses,  comme  l'amour  tantôt 
idéal,  tantôt  charnel,  hier  joyeux,  aujourd'hui  assombri  par  le  plus 
ou  moins  d'espérances  qu'un  rien  lui  aura  données  et  qu'un  rien 
lui  aura  ôtées.  S'il  en  est  ainsi  pour  ceux  des  héros  du  drame 
qu'accapare  une  aspiration  maîtresse,  que  sera-ce  pour  ceux  qui  ne 
sont  pas  dominés  par  une  passion?  Ceux-là  ont  encore  bien  plus 
de  variété  dans  les  sentiments,  dans  le  langage. 

C'est  dire  que  la  répétition  constante  d'un  même  motif  attaché  à 
un  même  personnage,  communique  à  ce  personnage  quelque  chose 
d'artificiel,  qui  est  précisément  le  contraire  de  la  vérité  qu'on  a 
recherchée.  Dans  le  drame  parlé,  si  un  acteur  exprimait  toujours 
la  même  pensée,  fût-ce  en  des  termes  différents,  il  serait  bien  près 
de    ressembler  à  un  maniaque.  —  Pourquoi  dans  le  drame  chanté 


LE  MENESTREL 


101 


■en  serait-il  autrement?  — Une  œuvre  lyrique  dans  laquelle  tous  les 
rôles  seraient  ainsi  connus,  ne  nous  présenterait  plus  de  créations 
vivantes,  animées  de  cette  complexité  d'idées  et  de  sentiments  qui 
■est  la  vie  même,  mais  une  réunion,  impossible  à  rencontrer  dans 
la  réalité,  d'êtres  maladifs,  à  l'esprit  hanté  d'une  vision  unique. 

rv 

On  peut  concevoir  cependant  que  certaines  individualités  aient  cet 
aspect,  puisque  la  nature  produit  aussi  de  temps  en  temps  des  or- 
ganisations anormales.  Et  c'est  là  que  je  voulais  en  venir,  car  c'est 
à  ces  exceptions  que  s'applique  merveilleusement  le  leitmotive, 

Si,  par  exemple,  dans  un  drame  religieux,  l'artiste  avait  à  évo- 
quer l'image  supraterrestre  de  sainte  Thérèse,  séparée  du  reste  du 
monde,  l'esprit  et  le  cœur  sans  cesse  enfiévrés  de  la  divine  vision 
du  Christ,  sans  nul  doute  devrait-il  la  nimber  d'un  leitmotive. 

D'une  façon  générale,  on  peut  affirmer  que  le  motif  typique  peut 
très  opportunément  caractériser  des  personnages  mus  par  un  sentiment  ex- 
traordinaire qui  prime  et  absorbe  tous  les  autres.  Tel  un  amour  poussé 
jusqu'à  la  folie,  c'est-à  dire  si  violent  qu'il  est  dû  à  une  cause  sur- 
naturelle,  à  l'influence  magique  d'un  philtre  (Tristan);  tel  un 
fanatisme  religieux  surexcité  par  uneterrible  succession  d'événements 
tragiques  (Marcel);  telle  la  jalousie,  tel  un  désir  ardent  de  ven- 
geance, si  ces  passions  font  naître  l'obsession  d'une  idée  fixe  con- 
finant à  un  délire  maniaque  (Othello,  Hamlet). 

Par  extension,  notre  imagination  peut  admettre  encore  le  leitmotive 
pour  des  sujets  appartenant  à  des  époques  très  éloignées  de  nous: 
dieux,  demi-dieux,  héros  des  temps  fabuleux,  figures  enveloppées 
de  légendes  (Wotan,  Siegfried,  la  Walkyrie,  Sigurd,  Samiel, 
Méphisto)  . 

On  comprend,  en  effet,  que  dans  ce  cas,  l'artiste  puisse  nous  re- 
présenter ces  personnalités  comme  il  lui  plaît.  Nous  ne  serons  pas 
•autrement  choqués  de  telle  ou  telle  attitude  qu'il  leur  fera  prendre, 
parce  que  nous  n'avons  aucun  point  de  comparaison  à  opposer  à  sa 
conception,  parce  que,  pour  ces  mythes,  il  n'y  a  pas  de  vérité, 
•même  relative  comme  celle  qui  existe  dans  le  drame  chanté,  et  que 
leur  évocation  est  toute  conventionnelle. 

Il  en  va  tout  autrement  lorsqu'il  s'agit  de  personnages  placés 
dans  les  conditions  humaines  de  la  vie  et  animés  des  mêmes 
passions  que  nous.  Or,  ce  sont  ceux-là  qui  nous  émeuvent  le  plus, 
qui  remplissent  le  plus  grand  nombre  de  drames. 

Avec  la  prescience  du  génie,  Weber  a  bien  senti  cette  différence 
lorsqu'ayant  marqué  le  front  de  Samiel  d'une  manière  de  leitmotive, 
11  s'est  gardé  d'user  du  même  procédé  pour  Max,  pour  Agathe,  pour 
Annette.  C'est  que  Samiel  est  un  être  d'une  essence  telle  que  nous 
n'en  avons  jamais  vu,  et  que  nous  sommes  forcés  de  le  supposer 
par  une  sorte  d'hallucination  de  notre  esprit,  tandis  que  Max, 
Agathe,  Annette  sont  simplement  des  êtres  comme  nous,  que  font 
agir  les  mêmes  mobiles,  que  nous  vîmes  hier,  que  nous  voyons 
aujourd'hui,  que  nous  verrons  demain;  —  que  dis-je,  ne  sont-ils 
pas,  en  quelque  façon,  nous-mêmes  ? 

Nos  déductions  théoriques  concordent  donc  avec  les  renseignements 
fournis  par  les  chefs-d'œuvre.  On  ne  saurait  appliquer  indifférem- 
ment le  leitmotive  à  toutes  les  personnalités,  et  il  convient  d'en 
restreindre  l'usage  aux  exceptions  qu'on  s'est  efforcé  de  déter- 
miner. 

En  ces  exceptions  mêmes,  n'y  a-t-il  pas  une  mesure  à  apporter? 
(A  suivre.)  A.  Darston. 


CORRESPONDANCE  DE  BELGIQUE 


Bruxelles,  le  27  mars. 
LE  VAISSEAU  FANTOME 
La  reprise  du  Vaisseau  fantôme,  jeudi  dernier,  à  la  Monnaie,  a  été 
bien  accueillie.  C'était  mieux  qu'une  reprise,  presqu'une  vraie  «  première  ». 
Pour  la  première  fois,  en  effet,  l'œuvre  de  Wagner,  était  jouée,  en  fran- 
çais, dans  sa  complète  intégralité.  En  1872,  quand  la  Monnaie  la  joua, 
sous  la  direction  de  M.  Vachot,  on  y  avait  fait  de  larges  coupures.  Et  puis, 
l'interprétation  laissait  beaucoup  à  désirer,  non  seulement  du  côté  des 
chanteurs,  mais  surtout  du  côté  de  l'orchestre,  guidé  par  un  chef  n'ayant 
aucune  expérience  de  la  musique  wagnérienne  et  qui,  faute  d'une  parti- 
tion d'orchestre,  en  avait  été  réduit  à  conduire  ses  musiciens  d'après  une 
«impie  réduction  au  piano!...  Je  me  rappelle,  en  tout  cas,  l'impression 
produite  sur  presque  tout  le  monde:  celui  d'un  très  profond  ennui. 
L'impression,  cette  fois,  a  été  toute  différente.  Est-ce  grâce  à  l'interpré- 
tation, meilleure,  quoique  loin  d'être  parfaite  cependant?  Ou  bien  grâce 
à  l'initiation,  lentement  opérée,  du  public  bruxellois,   qui,    depuis  vingt 


ans,  en  a  vu  bien  d'autres?  Je  ne  sais.  Toujours  est-il  que  l'œuvre,  même 
avec  son  livret  naïf  et  écourté,  n'a  paru  nullement  fatigante;  bien  au 
contraire.  La  musique  a  gardé,  dans  son  ensemble,  une  puissance  et  une 
couleur  étonnantes  ;  et  si  elle  a  vieilli,  çà  et  là,  c'est  à  coup  sûr  et  uni- 
quement dans  quelques-unes  de  ses  pages  écrites  d'après  les  anciennes 
formules  de  l'opéra  italien.  L'effet  que  font  ces  pages-là  est  assurément 
curieux  et  elles  détonnent  singulièrement  dans  cette  partition  de  Wagner, 
entourées  qu'elles  sont  d'autres  pages,  où  la  véritable  forme  du  drame 
wagnérien  se  dessine  déjà  avec  une  volonté  superbe  et  triomphante. 

Cette  reprise  a  donc  eu  un  réel  intérêt.  Et  je  crois  qu'il  faut  bénir  le 
ciel  —  et  la  direction  —  de  nous  l'avoir  donnée,  un  peu  malgré  elle,  après 
avoir  beaucoup  tàté,  et  à  défaut  d'autres  ouvrages  de  Wagner  présentables 
dans  les  conditions  de  la  troupe  actuelle.  Descendre  insensiblement  du 
Siegfried,  tant  souhaité  et  tant  réclamé  des  wagnéristes  féroces,  jusqu'au 
Vaisseau  fantôme,  en  passant  par  Lohengrin,  un  moment  entrepris  et  aban- 
donné enfin,  la  chute  pouvait  paraître  dangereuse,  et  il  y  avait  à  craindre 
que  les  «  purs  »,  les  fervents,  les  disciples,  trouvassent  bien  maigre  la 
pitance.  Heureusement,  les  craintes  ont  été  vaines.  Les  disciples  ont 
fait  bonne  mine  à  mauvais  jeu,  ont  accepté  ce  qu'on  leur  offrait,  et  en 
ont  tiré,  en  somme,  un  sujet  de  gloire  inattendu  : 

—  «  Voyez,  se  sont-ils  écriés,  comme  le  Wagner  même  des  primes 
années,  le  Wagner  timide  d'autrefois,  est  resté  frais  et  jeune  au  milieu 
de  l'écroulement  général,  et  combien  il  était  plus  solide,  alors,  que  ne  le 
sont  les  autres,  aujourd'hui  !  ». 

Ça  ne  prouve  pas  grand'chose  ;  mais  ça  a  fait  plaisir  aux  intéressés  ;  on 
aurait  mauvaise  grâce  de  leur  disputer  le  bénéfice  de  ce  facile  triomphe. 

L'orchestre,  dirigé  par  M.  Frantz  Servais,  a  fort  bien  marché,  selon  les 
idées  de  M.  Servais,  qui  a  ses  idées  a  lui,  mais  en  tout  cas  avec  une 
belle  vaillance.  En  ce  qui  concerne  les  chanteurs,  M.  Renaud,  dans  le 
rôle  du  Hollandais,  a  remporté  un  très  vif  succès  pour  la  façon  très  ar- 
tistique dont  il  a  interprété  ce  rôle,  écrit  pourtant  trop  bas  pour  lui. 
Mme  Fierens-Peeters  a  donné  à  celui  de  Seuta  ce  qu'elle  pouvait:  sa  voix 
riche  et  généreuse,  à  défaut  du  sentiment  et  de  l'expression  poétique, 
qui  ne  sont  du  reste  pas  son  affaire.  Les  autres  sont  convenables,  rien 
de  plus. 

A  part  cela,  rien  de  nouveau  dans  les  théâtres  de  musique.  Les  concerts, 
à  Bruxelles,  ont  été  peu  nombreux;  nous  n'avons  eu  guère  que  le  troi- 
sième concert  de  l'Association  des  artistes  musiciens,  où  Mlle  Elly 
Warnots  a  chanté  avec  un  style  et  une  virtuosité  tout  à  fait  remarquables, 
à  côté  de  M.  Bouvet,  très  applaudi  aussi,  et  de  M110  Hoffmann,  une  jeune 
pianiste,  prodige  vraiment   extraordinaire,  élève   de  M.  Auguste  Dupont. 

La  province,  cette  semaine  encore,  s'est  particulièrement  distinguée, 
A  Liège,  au  Conservatoire,  très  belle  exécution  complète  de  la  Damnation 
de  Faust,  avec  MM.  Bouhy  et  Vergnet,  et  M1Ie  Lépine.  —  A  Gand,  au 
Conservatoire  aussi,  je  suis  allé  entendre  la  6e  symphonie  de  M.  Adolphe 
Samuel,  une  œuvre  absolument  étonnante  et  superbe,  avec  des  idées 
jeunes,  une  vigueur  et  un  éclat  merveilleux. 

Lucien  Solvay. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ETRANGER 

Une  singulière  nouvelle  nous  arrive  de  Hollande,  où  l'on  annonce 
que  l'évêque  de  Harlem  vient  d'interdire  l'exécution  de  ta  Damnation  de 
Faust,  de  Berlioz.  La  juridiction  ecclésiastique  n'ayant  jusqu'ici,  que  nous 
sachions,  aucun  pouvoir  en  matière  d'art,  nous  supposons  que  l'évêque  a 
dû  se  contenter  simplement  d'interdire  l'exécution  de  ce  chef-d'œuvre 
dans  la  cathédrale  ou  dans  toute  autre  église  de  la  ville,  ainsi  que  cela 
se  fait  d'ordinaire  en  Hollande,  où  ont  lieu  couramment  dans  les  temples 
les  grands  concerts  d'oratorios.  La  détermination  du  prélat  n'en  paraît  pas 
moins  quelque  peu  bizarre.  Quoi  qu'il  en  soit,  si  les  admirateurs  de  Ber- 
lioz ne  peuvent  entendre  son  œuvre  à  Harlem,  ils  pourront,  à  l'aide  de 
vingt  minutes  de  chemin  de  fer,  aller  l'applaudir  à  Amsterdam,  où  elle 
sera  exécutée  sous  la  direction  de  l'excellent  chef  d'orchestre  Henri  Viotta. 

—  Le  compositeur  Frédéric  Gernsheim,  bien  connu  à  Paris,  et  chef 
d'orchestre  de  l'Opéra  allemand  de  Rotterdam,  vient  d'être  élu  directeur 
des  chœurs  du  Conservatoire  Stern  à  Berlin.  Il  a  réuni  111  voix  sur  147 
votants.  Cette  direction  fut  confiée,  il  y  a  quelques  années,  au  célèbre 
chanteur  Stockhausen,  aujourd'hui  professeur  à  Francfort. 

—  La  «  Maison  de  Beethoven  »  à  Bonn  sera  inaugurée  l'été  prochain 
par  deux  glands  concerts  auxquels  ont  promis  de  prendre  part,  entre 
autres,  Antoine  Rubinstein,  J.  Brahms,  Eugène  d'Albert  et  Joachim.  On 
annonce,  d'autre  part,  qu'à  Londres  a  eu  lieu  récemment  à  l'Athénée 
allemand,  sous  la  présidence  de  sir  George  Grove,  une  séance  dans  le  but 
d'instituer  une  section  anglaise  de  la  «  Société  de  la  maison  de  Beethoven  » 
de  Bonn.  On  y  a  décidé  de  donner  à  Londres  au  cours  de  la  saison  pro- 
chaine, sous  la  direction  de  Joachim,  un  concert  dont  le  produit  serait 
destiné  à  l'acquisition  de  la  maison  de  Bonn  où  est  né  l'immortel  auteur 
de  Fidelio  et  de  la  symphonie  en  ut  mineur. 

—  Les  Hamburger  Signale  viennent  de  publier  une  série  de  curieuses 
lettres  humoristiques  absolument  inédites  adressées  par  Beethoven  à  ses 
éditeurs  Steiner  et  Haslinger,  au  cours  des  années  1811  et  1815. 


102 


LE  MENESTREL 


—  M.  Paul  Simon,  directeur  de  la  maison  d'édition  musicale  G.  F. 
Kahnt,  à  Leipzig,  vient  de  découvrir  par  le  plus  grand  des  hasards,  mêlées 
et  comme  enfouies  sous  un  tas  de  vieux  papiers,  toute  une  série  de  lettres 
inédites  de  Liszt,  Richard  "Wagner,  Peter  Cornélius  et  autres  musiciens 
de  ce  temps.  Rappelons  à  ce  sujet  que  c'est  M.  Simon  qui  déjà  a  retrouvé 
le  manuscrit  de  l'article  fameux  de  Richard  "Wagner  sur  VArt  de  diriger. 

—  Les  journaux  d'Agram  parlent  beaucoup  d'un  incident  qui  interrompt 
la  tournée  du  célèbre  chœur  russe  de  Slavianski  d'Agreneff,  bien  connu 
à  Paris  depuis  quelques  années.  La  jeune  Nadine,  fille  de  M.  Slavianski, 
a  été  arrêtée  au  moment  où  elle  prenait  la  fuite  avec  un  jeune  chanteur 
de  la  troupe.  Elle  a  été  rendue  à  sa  famille.  Mais  le  chanteur  est  sous  les 
verrous  à  Agram,  Cet  emprisonnement  a  provoqué  une  révolte  delà  troupe 
russe,  composée  d'une  cinquantaine  d'individus,  qui  se  sont  portés  devant 
la  prison,  réclamant  à  grands  cris  la  mise  en  liberté  de  leur  camarade. 
Ils  menacent  M.  Slavianski  de  le  quitter,  si  celui-ci  ne  demande  pas  lui- 
même  la  mise  en  liberté  du  coupable.  La  jeune  Nadine  a  déclaré  qu'elle 
voulait,  en  s'enfuyant,  échapper  à  la  tyrannie  de  sa  mère. 

—  Nous  avons  déjà  dit  que  la  Roumanie  fournissait  une  part  impor- 
tante au  personnel  des  chanteurs  dramatiques  contemporains.  Aux  noms 
des  artistes  de  ce  pays  que  nous  avons  cités  précédemment,  un  journal 
italien  ajoute  ceux  de  MmeB  Charlotte  Leria  et  Charlotte  Feliciani,  sopranos 
légers,  Nori  Crisenghi  et  Aman,  sopranos  dramatiques,  et  celui  de  M.Teo- 
doresco,  une  basse  dont  on  dit  grand  bien. 

—  De  Saint-Pétersbourg  on  annonce  que  le  général  Annenkoff  vient 
de  former  une  troupe  de  70  chanteurs  tirés  du  Turkestan,  de  l'Afganistan 
septentrional  et  du  kanat  de  Boukhara,  qu'il  enverra  donner  des  concerts 
à  Saint-Pétersbourg,  à  Moscou,  et  dans  diverses  autres  grandes  capitales 
de  l'Europe.  L'artiste  chargé  de  diriger  ces  concerts  s'appelle  Ak-Jou- 
chlai-Ogli,  et  le  produit  sera  employé  à  la  construction  d'écoles  et  d'hôpi- 
taux dans  l'Asie  centrale. 

—  Le  public  italien  fait  preuve  parfois,  envers  les  théâtres  et  les  chan- 
teurs, d'une  sévérité  ou  d'une  justice  que  nous  souhaiterions  voir  imiter, 
à  l'occasion,  par  le  public  parisien.  Voici  ce  qu'on  écrit  de  Milan  à 
l'Italie  :  «  Nous  avons  eu  hier,  à  la  Scala,  une  soirée  orageuse  comme  on 
ne  se  souvient  pas  d'en  avoir  eue.  Pour  faire  prendre  patience  aux  abon- 
nés, désormais  fatigués  des  répliques  du  Simon  Boccanegra,  jusqu'à  la  repré- 
sentation à'Ernani,  qui  sera  chanté  par  Mme  Cattaneo,  le  ténor  Cardinali 
et  M.  Battistini,  on  a  monté  à  la  hâte  i  Pescalori  di  perle,  de  Bizet.  Dès 
les  premiers  morceaux,  le  public  a  commencé  à  siffler  le  ténor  et  le  baryton, 
en  criant,  assez  !  assez  !  Mmc  Brambilla  a  réussi  à  calmer  la  tempête  et  à 
se  faire  entendre  et  applaudir  ;  mais,  au  second  acte,  les  désapprobations 
contre  le  ténor  ont  recommencé  avec  plus  de  violence,  et  au  commence- 
ment du  troisième  acte  on  a  dû  baisser  le  rideau.  » 

—  Un  cas  assez  singulier  vient  de  se  produire  à  Trieste,  dit  le  Trovatore, 
celui  de  la  réunion,  dans  une  même  troupe  et  dans  un  même  ouvrage,  de 
représentants  des  quatre  grandes  familles  latines.  «  UOtello  de  Verdi,  qu'on 
donnait  au  Théâtre  Communal  de  cette  ville,  était  interprété  par  la  Bor- 
linetto,  Italienne,  la  Mendioroz,  Espagnole,  par  Maurel,  Français,  et  par 
Gabrielesco,  Roumain.  »  Il  ne  manquait  qu'un  artiste  portugais  pour  que 
l'ensemble  fût  complet. 

—  On  devait  donner  cette  saison,  au  théâtre  San-Carlos  de  Lisbonne, 
un  opéra  nouveau,  Fret  Luiz  de  Souza,  d'un  compositeur  portugais, 
M.  F.  de  Freitas  Gazul.  Des  difficultés  de  distribution  et  une  grande  éco- 
nomie apportée  par  la  direction  dans  les  projets  de  mise  en  scène  ont 
engagé  le  compositeur  à  retarder  l'apparition  de  son  œuvre.  On  ne  sait 
aujourd'hui  quand  elle  sera  représentée,  et  les  journaux  regrettent  vive- 
ment cet  incident. 

—  La  Gazeta  musical  de  Lisbonne  nous  apprend  qu'un  chanteur  qui  s'est 
fait  une  belle  réputation  en  Italie  depuis  quelques  années,  la  basse  Uetam, 
s'appelle  en  réalité  Francisco  Mateu,  et  est  né  le  12  mars  1849  à  Palma 
de  Majorque.  Le  pseudonyme  de  Uetam,  qu'il  a  adopté,  forme  l'anagramme 
de  son  nom  véritable. 

—  L'ouverture  de  la  prochaine  saison  d'opéra  italien  au  théâtre  Covent- 
Garden,  de  Londres,  aura  lieu  le  19  mai,  au  lieu  du  12,  date  annoncée 
précédemment.  Parmi  les  artistes  engagés  on  cite  Mnll:s  Tetrazzini,  Renée 
Richard  et  Colombati,  MM.  Jean  de  Reszké,  Valero,  Lassalle,  Rawner, 
Edouard  de  Reszké  et  Darval.  Les  chefs  d'orchestre  seront  MM.  Luigi 
Mancinelli,  Bevignani  et  Randegger.  On  donnera  Hamlet  d'Ambroise  Thomas 
en  français. 

—  Le  «  Hamptead  Conservatoire  »  de  Londres  a  invité  les  principaux 
organistes  de  l'Europe  à  venir  donner  des  organ-récitals  dans  sa  belle 
salle.  Celui  donné  par  M.  Ch.  M.  "Widor,  avec  le  concours  de  M.  I.  Phi- 
lipp,  a  été  extrêmement  brillant.  L'éminent  maître  y  a  fait  entendre  ses 
cinquième  et  septième  symphonies  et  (avec  M.  Philipp)  ses  duos  pour 
orgue  et  piano,  et  l'andante  si  fin  et  charmant  de  son  concerto.  Le  succès 
des  deux  artistes  a  été  très  grand.  Quelques  jours  auparavant  M.  "Widor 
avait  été  prié  de  se  faire  entendre  à  la  «  Royal  Academy  »,  et  il  a  joué 
devant  un  public  enthousiaste  composé  des  directeurs,  des  professeurs  et 
des  élèves  de  cette  institution,  des  œuvres  de  Bach  et  deux  de  ses  sym- 
phonies. A  propos  des  symphonies  de  M.  "Widor,  nous  apprenons  que 
M.  "Warren,  le  plus  célèbre  des  organistes  américains  vient  de  consacrer 
huit  séances  à  l'audition  des  huit  symphonies  d'orgue  du  maître  français. 


—  Une  nouvelle  et  splendide  salle  de  concerts,  due  à  la  libéralité  d'un 
mécène  américain,  M.  J.-D.  Crimmins,  vient  d'être  inaugurée  à  New- 
York,  sous  le  nom  de  Lenox  Lyceum.  Indépendamment  de  la  salle  princi- 
pale qui  a  la  forme  d'une  vaste  rotonde  et  peut  contenir  plus  de  cinq 
mille  personnes,  le  Lenox  Lyceum,  renferme  plusieurs  salons  pour  des 
concerts  intimes  et  autres  réunions,  ainsi  qu'un  café-restaurant.  Les 
concerts  symphoniques  ont  lieu  sous  la  direction  de  M.  Théodore  Thomas 
qui,  le  premier,  a  conçu  l'idée  de  cette  nouvelle  salle  et  a  été  l'inspirateur 
de  M.  Crimmins  dans  son  acte  de  générosité  artistique. 

—  L'opéra  allemand  de  New-York  a  ouvert  un  "Wagner-cyclus  avec  une 
représentation  de  Rienzi  qui  a  été  un  vrai  désastre.  Ni  -les  interprètes,  ni 
les  choristes,  ni  l'orchestre  dont  le  chef  s'est  presque  endormi  pendant  la 
première  moitié  de  l'ouverture,  dit  le  Musical  Courier,  personne  enfin  ne 
trouve  grâce  auprès  des  feuilles  musicales  même  les  plus  dévouées  au 
wagnérisme.  Cela  promet  pour  les  représentations  qui  continueront  la 
série  ! 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

On  s'est  beaucoup  occupé,  cette  semaine,  de  la  disparition  de  M.  Saint- 
Saëns,  dont  les  meilleurs  amis  sont  restés  sans  nouvelles  depuis  plusieurs- 
mois.  —  Qu'est-il  devenu  ?  Personne  ne  le  sait  au  juste.  Et  les  journaux 
mettent  leurs  plus  fins  reporters  en  campagne  pour  trouver  sa  trace.  Nous- 
croyons,  pour  nous,  qu'il  est  temps  que  Stanley,  le  grand  explorateur, 
organise  une  caravane  et  sonde  les  déserts  si  on  veut  arriver  à  un  résul- 
tat pratique.  Voici  déjà  un  indice  qui  pourra  l'aider  dans  ses  recherches  : 
«  Une  note  communiquée  par  un  des  amis  de  M.  Saint-Saëns,  dit  le  Figaro, 
annonce  que  l'auteur  d'Ascanio  aurait  été  rencontré  à  Ponte  Delgada,  île 
San  Miguel,  dans  les  Açores.  Saint-Saëns  allait  à  Terceira  et  de  là  à 
Santa-Maria,  îlot  du  même  groupe.  Mais  nous  ne  pouvons  contrôler  ces 
nouvelles  puisque  les  îles  Açores  ne  sont  pas  reliées  à  l'Europe  par  fil 
télégraphique.  Un  détail  nous  est  donné  de  source  indiscutable  qui  jette 
un  jour  nouveau  sur  cette  disparition.  Avant  de  s'embarquer,  au  mois 
d'octobre  dernier,  M.  Saint-Saëns  a  donné  à  la  ville  de  Dieppe,  sa  ville 
natale,  son  mobilier  artistique  et  les  objets  auxquels  il  attachait  le  plus 
de  prix.  Ce  mobilier  a  été  légué  par  lui  à  la  bibliothèque  de  Dieppe  et  la 
bibliothèque  en  a  déjà  pris  possession.  »  —  D'autre  part,  l'Echo  de  Paris 
s'exprime  ainsi  sur  le  même  sujet  :  «  M.  Saint  Saëns  est  retrouvé. 
D'après  une  lettre  reçue  hier  par  un  de  ses  amis,  le  compositeur  d'Ascanio 
est  à  Madère,  où  il  continue  à  se  reposer  de  ses  fatigues.  Beaucoup  de 
bruit  pour  rien.  » 

—  Nouvelles  de  l'Opéra  :  Hier  samedi,  Mmo  Melba  a  dû  y  chanter  pour 
la  première  fois  le  rôle  de  Marguerite  dans  Faust  ;  soirée  d'attraction.  — 
MUe  Domenech,  le  nouveau  contralto  engagé  par  MM.  Ritt  et  Gailhard, 
débutera  cette  semaine  dans  le  rôle  d'Amneris  d'A'ida.  —  Les  études  de 
Zaïre  sont  reprises  avec  M.  Delmas  et  Mlle  Eames,  remplaçant  dans  cet 
ouvrage  M.  Lassalle  et  Mme  Bosmann,  retenus  par  les  représentations 
d'Ascanio.  —  On  s'occupera  ensuite  du  nouveau  ballet  de  M.Gastinel,  le  Rêve 
(ex-Daïla),  sur  un  livret  japonais  de  M.  Edouard  Blau.  —  M.  Gailhard 
part  pour  Bruxelles  afin  d'y  étudier  de  ses  propres  yeux,  de  ses  yeux 
spéciaux,  la  mise  en  scène  de  Salammbô,  qu'il  projette,  contraint  et  forcé, 
de  représenter  à  Paris.  A  l'époque  du  budget,  les  directeurs  de  l'Opéra 
deviennent  doux  comme  de  petits  agneaux  et  font  tout  ce  que  veulent  ces 
messieurs  de  la  presse.  Us  se  sentent  menacés  et  se  hâtent  de  mettre  de 
côté  toute  morgue  méridionale,  pour  conserver  leur  place.  Il  est  bien 
possible  que  cette  attitude  résignée  leur  réussisse. 

—  On  sait  que  le  directeur  de  l'Opéra  est  tenu,  aux  termes  de  son  cahier 
des  charges,  de  donner  tous  les  deux  ans,  un  opéra  ou  un  ballet  en  un  ou 
deux  actes,  dont  la  partition  doit  être  écrite  par  un  des  grands  prix  de 
composition  musicale  choisi  par  le  ministre  de  l'instruction  publique  et 
des  beaux-arts,  sur  une  liste  de  cinq  noms  qui  lui  est  présentée  par 
l'Académie  des  beaux-arts.  L'Académie  des  beaux-arts,  invitée-  par  le 
ministre  à  lui  présenter  une  liste  de  cinq  candidats  pour  l'ouvrage  en 
deux  actes  qui  doit  être  représenté  en  1891,  a  dressé  dans  sa  séance  du 
22  mars,  la  liste  suivante  :  1°  M.  Bourgault-Ducoudray;  2°  M.Ch.Lefebvre; 
3°  M.  Maréchal  ;  A"  M.  Vidal  ;  S0  M.  "Wormser. 

—  Nouvelle  de  l'Opéra-Comique  :  réception  par  M.  Paravey  d'un  acte 
nouveau  intitulé  Jour  de  fête,  livret  tiré  de  Florian  par  M.  Stéphane  Bor- 
dère,  musique  de  M.  Ed.  Diet  ;  continuation  des  études  simultanées  du 
Dante  de  M.  Benjamin  Godard,  et  de  la  Basoche  de  M.  Messager  ;  rentrée 
prochaine  dans  Dimitri  de  Mm0  Deschamp  et  du  baryton  Soulacroix,  de 
retour  de  leurs  petites  pérégrinations  dans  les  provinces  françaises. 

—  M.  Edouard  Colonne  est  parti  cette  semaine  pour  Moscou,  où  il  va 
diriger  un  grand  concert  de  musique  symphonique.  Il  ne  sera  de  retour 
qu'après  Pâques.  En  son  absence  le  concert  spirituel  du  Vendredi  Saint 
au  Châtelet,  exclusivement  composé  d'œuvres  de  M.  Charles  Gounod,  sera 
dirigé  par  le  compositeur  lui-même. 

—  M"°ClotildeKleeberg,  de  retour  d'une  tournée  triomphale  à  l'étranger, 
s'est  fait  entendre  dimanche  dernier  à  la  Société  philharmonique  de 
Reims,  où  elle  a  été  l'objet  de  plusieurs  ovations  après  le  concerto  de 
Schumann  et  la  Chaconne  de  M.  Th.  Dubois.  La  brillante  étude  des  Ailes,  que 
lui  a  dédiée  M.  B.Godard,  a  été  bissée  par  un  public  enthousiaste. 


LE  MENESTREL 


103 


—  M.  Alexandre  Guilmant  est  en  ce  moment  à  Londres,  où  il  a  été 
appelé  à  faire  partie  du  jury  des  examens  du  Royal  Collège  de  musique, 
institué  sous  le  patronage  du  prince  de  Galles.  M.  Guilmant  donnera  ensuite 
en  Angleterre  une  série  de  récitals  d'orgue. 

—  Nous  parlerons  dimanche  prochain  plus  amplement  du  dernier  pro- 
gramme des  concerts  du  Conservatoire,  programme  qui  se  répète  encore 
aujourd'hui.  Disons  dès  aujourd'hui  cependant  le  grand  succès  qui  a 
accueilli  les  fragments  de  la  Psyché,  d'Amhroise  Thomas,  chantés  par 
M1™  Krauss,  Mllc  Landi  et  M.  Delmas.  Belle  musique  française  superbement 
interprétée. 

—  Concerts  du  Chatelet.  —  Si  M.  Lamoureux  a  beaucoup  fait  pour 
acclimater  en  France  les  œuvres  d'un  compositeur  allemand,  ennemi 
acharné  de  la  France,  M.  Colonne  n'a  pas  fait  moins  pour  mettre  en  lu- 
mière un  compositeur  français  qui  est  une  de  nos  gloires,  Hector  Berlioz. 
Le  moment  serait  peut-être  venu  de  mettre  en  parallèle  deux  novateurs 
dont  la  fortune  a  été  bien  différente  :  l'un  a  assisté,  dans  son  pays,  à  sa 
propre  apothéose;  l'autre,  dans  le  sien,  a  été  méconnu  de  son  vivant. 
Nous  écoutions  samedi,  avec  ravissement,  cette  belle  partition  de  Roméo 
et  Juliette.  Certes,  le  plan  est  défectueux,  il  y  a,  par-ci  par-là  des  taches. 
Pourquoi  Berlioz  n'a-t-il  pas  remplacé  par  un  récitatif  vocal  cette  malen- 
contreuse intervention  du  prince  qui  se  traduit,  dans  l'introduction,  par  un 
effet,  tout  à  fait  manqué,  d'instruments  de  cuivre?  Pourquoi  le  motif 
d'une  Fête  chez  Capulet  a-t-il  un  caractère  si  commun?  Mais  que  sont  ces 
taches  légères  auprès  de  l'immense  poésie  et  de  l'élévation  de  pensée  qui 
régnent  d'un  bout  à  l'autre  de  cette  œuvre  incomparable?  —  Dans  la 
plan  qu'il  s'est  tracé,  Berlioz  a  fait  pour  Roméo  ce  qu'il  avait  fait  pour 
Faust  :  il  s'est  mis  en  présence  du  drame  de  Shakespeare  comme  il  s'était 
mis  en  présence  du  drame  de  Gœthe,  et,  sans  autre  règle  que  le  caprice 
de  sa  pensée,  il  a  traduit  les  impressions  que  produisait  en  lui  le  chef- 
d'œuvre  du  poète.  Dans  le  drame  de  Gœthe,  il  y  a  plus  de  variété  que 
dans  celui  de  Shakespeare.  Faust  est  une  sorte  de  cosmos  où  se  concrètent 
tous  les  éléments  humains  et  surhumains,  aussi  le  Faust  de  Berlioz  a-t-il, 
par  la  diversité  des  situations  et  des  sentiments  qu'il  dépeint,  plus  d'ac- 
tion sur  les  masses  que  Roméo,  qui  a  pour  ressort,  presque  unique,  la 
pitié.  Seuls,  les  deux  ravissants  épisodes  du  scherzetto  et  du  scherzo  de 
la  Reine  Mab  jettent  quelque  lueur  moins  sombre  sur  la  trame  sévère  de 
l'œuvre.  Nous  n'entrerons  pas  dans  le  détail  de  ce  drame  lyrique  qui  a 
été  si  bien  analysé  par  notre  excellent  confrère,  M.  Boutarel.  Disons  seu- 
lement, avec  lui,  combien  Mlle  de  Montalant,  dans  les  strophes,  M.  Mau- 
guière,  dans  le  scherzetto,  et  M.  Auguez  dans  le  finale  monumental  de  la 
seconde  partie,  se  sont  imprégnés  de  la  pensée  du  musicien,  et  avec  quel 
art  ils  rendent  cette  pensée.  —  Comme  dans  Faust,  Berlioz,  dans  Roméo  et 
Juliette,  s'est  trouvé  en  présence  du  même  sujet  qu'un  autre  grand  compo- 
siteur français,  Gounod.il  y  aurait  là  matière  à  un  parallèle  bien  curieux 
à  établir.  Chacun  a  senti  son  sujet  avec  son  tempérament  particulier 
d'homme  et  d'artiste.  Gounod  raconte  Gounod  dans  Faust  et  Roméo,  comme 
Berlioz,  dans  Roméo  et  Faust,  raconte  Berlioz.  Tous  deux  sont  sincères, 
et  c'est  là  ce  qui  fait  le  charme  infini  de  leurs  œuvres.  Combien,  dans 
ce  qu'ils  écrivent,  posent  devant  le  public  et  ne  racontent  autre  chose 
que  leur  incommensurable  vanité!  H.  Bariiedette. 

—  Société  nationale.  —  Le  dernier  concert  tombait  le  même  soir  que 
la  première  d'Ascanio,  une  première  au  Théâtre-Libre,  une  reprise  à 
l'Odéon,  et  diverses  autres  fêtes  de  l'esprit.  Cela  était  regrettable,  privant 
évidemment  plusieurs  personnes  d'assister  à  un  concert  qui  a  été  fort  beau, 
mais  n'a  pas  empêché  la  salle  Érard,  où  se  donnait  cette  séance  avec  chœurs 
et  petit  orchestre,  d'être  absolument  remplie.  L'on  a  entendu  d'abord  une 
cantate  de  Bach  connue  sous  le  nom  d'Actus  tragicus  :  un  hymne  à  la  mort 
d'une  puissance  et  d'une  intensité  d'expression  au  delà  desquelles  le 
maître  d'Eisenach  n'a  pas  été.  Comme  dans  VUthal  de  Méhul,  les  seuls 
instruments  à  cordes  sont  les  altos  et  les  basses,  sans  violons,  mais  les 
parties  supérieures  sont  suffisamment  marquées  par  quatre  flûtes  qui  don- 
nent à  l'ensemble  de  la  sonorité  quelque  chose  de  doux  et  triste,  un  peu 
terne,  merveilleusement  approprié  à  la  nature  du  sujet.  Les  chœurs,  diri- 
gés par  M.  Vincent  d'Indy,  ont  dignement  interprété  cette  œuvre  admirable, 
avec  une  grande  sûreté,  de  jolies  voix  (surtout  dans  les  parties  féminines) 
et  un  sentiment  artistique  parfait;  ils  ont  chanté  de  même  le  Chant  clé- 
giaque  de  Beethoven  (op.  118),  composé  sur  la  mort  d'une  jeune  fille,  et 
un  morceau  religieux  d'un  joli  sentiment  mystique,  de  M.  Pierre  de  Bré- 
ville.  Les  soli  étaient  chantés  par  Mme  Hellmann,  la  remarquable  Yseult 
de  la  représentation  wagnérienne  dont  nous  rendions  compte  récemment, 
Mm0  Storm,  MM.  Mauguière  et  Auguez.  M"le  Hellmann  a  dit  encore  l'air  de 
l'Archange  de  Rédemption,  de  M.  César  Franck,  et,  avec  les  chœurs  et  l'or- 
chestre, les  deux  premières  scènes  de  Gwendoline,  de  M.  Chabrier,  deux 
pages  exubérantes  et  colorées,  dans  des  tons  d'ailleurs  très  différents  : 
la  première  d'une  poésie  extérieure  charmante,  d'un  éclat  très  vif,  la  se- 
conde énergique  et  sauvage,  toutes  deux  pleines  de  jvie,  comme  l'est 
l'œuvre  tout  entière  qui,  partie  de  l'étranger,  passera  par  la'  province  et 
nous  reviendra  triomphante,  comme  les  autres,  —  et  cela  le  plus  vite 
possible,  il   fautl'espérer.  Julien  Tiersot. 

—  Deux  représentations  de  Lakmé,  à  Lille,  ont  valu  à  M110  Ernma  Ne- 
vada un  grand  et  légitime  succès,  ainsi  qu'à  l'œuvre  charmante  de  Léo 
Delibes.  La  critique  loue   le   grand  talent  de  l'artiste,  ainsi  que  son  jeu 


très  fin,  très  gracieux  et  très  intelligent.  A  l'exception  des  strophes  du 
premier  acte,  tout  le  rôle  a  été  chanté  en  italien  par  la  cantatrice,  à  qui 
l'on  a  fait  fête. 

—  Le  lundi  de  Pâques,  à  l'église  Saint-Eustache,  on  exécutera  de  nou- 
veau la  belle  Messe  des  Rameaux  de  Félix  Godefroid,  avec  le  concours 
d'Hermann  Léon.  Pendant  l'offertoire  première  audition  d'un  Exaudi  nos 
du  même  auteur,  pour  dix  violoncelles  et  dix  harpes. 

Soirées  et  Concerts.  —  A  la  salle  Érard,  grand  succès  pour  M"°  Kara  Chatte 
leyn.  Elle  a  joué  notamment  le  concerto  en  ré  mineur  de  Mozart,  le  Retour  de 
Bîzet  et  le  Chant  du  nautonier  de  L.  Diémer.  M.  Bouhy,  ,1e  célèbre  baryton,  a  été 
vivement  applaudi  dans  le  bel  air  de  Françoise  de  Rimini  et  dans  une  délicieuse 
mélodie  de  L.  Diémer,  accompagnée  par  l'auteur.  L'orchestre  était  dirigé  par 
M.  Ed.  Colonne.  —  Au  dernier  mardi  de  M.  et  M"'  Louis  Diémer,  on  a  entendu 
et  applaudi  chaleureusement  M""  Lalo,  Leroux-Ribeyre,  M"0  Pregi,  MM.  Taffanel, 
Casella  et  le  maître  de  la  maison.  Très  gros  succès  pour  la  charmante  M""  Le- 
roux-Ribeyre dans  une  mélodie  nouvelle  de  M.  Louis  Diémer,  le  Sentier  ;  pour 
M.  Casella,  qui  a  fait  preuve  d'une  virtuosité  extraordinaire  ;  pour  M.  Taffanel 
qui  a  joué  en  perfection  selon  son  habitude  et  pour  M.  Diémer  lui-même,  qui  a 
été  acclamé  comme  virtuose  et  comme  compositeur. —  Lundi,  24  mars,  brillante 
audition,  salle  Érard,  donnée  par  les  élèves  de  M""  Emile  Ratisbonne,  qui  se 
sont  tait  particulièrement  applaudir  par  le  brio  de  leur  mécanisme  joint  à  une 
grande  pureté  de  style.  Le  10  avril,  Mm°  Ratisbonne  se  fera  entendre  dans  diffé- 
rentes œuvres  de  Schumann,  Chopin,  Litolff,  avec  le  concours  d'artistes  distin- 
gués, Mm°  Gramaccini,  MM.  Laforge,  Mariotti,  F.  Halphen,  etc.  —  Au  concert 
de  l'organiste  Ed.  Hocmelle,  on  a  remarque  une  charmante  cantatrice, 
M»' Duval-Érard,  applaudie  dans  une  scène  de  M.  Ed.  Hocmelle  ;  le  brillant  pianiste 
Risler,  premier  prix  de  cette  année,  a  obtenu  le  plus  grand  succès  à  côté  du 
violoniste  Berquet  et  du  bénéficiaire  lui-même,  qui  a-  joué  en  perfection  l'orgue 
Alexandre.  —  A  Nice,  très  intéressant  concert  donné  par  M""  Perny,  une  pia- 
niste très  distinguée,  qu'on  entend  toujours  avec  un  nouveau  plaisir.  Une  chan- 
teuse de  talent,  M""  Tarquini,  lui  prêtait  son  concours  et  a  eu  sa  part  de 
succès.  —  Remarquable  audition  d'élèves  donnée  par  l'excellent  professeur  de 
piano,  Philippe  Courras,  un  des  brillants  premiers  prix  de  Marmontel.  Au  pro- 
gramme, MM.  Guiraud  Antonin  Mamiontel  et  Paul  Véronge  de  la  Nux.  Parmi  les 
élèves,  dont  quelques-unes  sont  déjà  des  artistes,  on  a  remarqué  M1Ui  Moreau, 
Sichel,  Feuillebois,  Krehmer,  Sarrut,  Bischoff  et  une  fillette  de  douze  ans,  Marthe 
Rennesson.  Prêtaient  leur  concours  :  M'"  Dumenil,  de  l'Opéra,  qui  a  admirable- 
ment chanté  des  mélodies  de  MM.  Guiraud  et  Antonin  Marmontel,  et  M.  Gaston 
Courras,  un  jeune  élève  de  M.  Rabaud.  qui  a  joué  avec  un  joli  son  et  un  très  bon 
style  deux  pièces  de  Guiraud  et  Rabaud.  —  La  soirée  de  piano,  donné  mardi  25, 
salle  Érard,  par  M""  Jenny  Maria,  a  été  des  plus  brillantes.  Les  quinze  numéros 
du  programme  ont  montré;  toutes  les  qualités  remarquables  de  cette  artiste^ 
Elle  a  excellé  dans  le  Beethoven,  comme  dans  le  Mozart,  dans  le  Schubert 
comme  dans  le  Chopin  et  le  Liszt.  Mlle  Jenny  Maria  a  été  comblée  de  bravos  et 
écrasée  sous  les  fleurs!  Espérons  qu'elle  ne  s'en  porte  pas  plus  mal.  —  Ma,e  Chéné, 
professeur  au  Conservatoire,  a  donné  jeudi  dernier  une  intéressante  audition 
des  œuvres  de  M.  A.  Rabuteau.  On  a  vivement  applaudi  divers  morceaux  sympho- 
niques  et  plusieurs  airs  ou  duos  tirés  des  opéras  d'Isabelle  et  du  Vendéen,  dont 
les  livrets  sont  dus  à  la  plume  de  M.  Ed.  Guinand.  —  Brillante  réunion, 
dimanche  dernier,  salle  Kriegelstein,  à  la  matinée  donné  par  M.  Lucien  Lefort, 
violoniste.  La  première  partie,  entièrement  consacrée  aux  élèves,  a  fait  valoir 
l'excellente  méthode  du  jeune  et  sympathique  professeur.  On  a  vivement 
applaudi  M"01  Marie  Karren  et  Jeanne  Mare,  MM.  Menjot,  de  Dammartin, 
Jlauduit,  Haas,  Deguergue,  Piquée,  Chapuis  et  André  Simon.  La  partie  de  con- 
cert, très  bien  composée,  n'a  été  qu'un  long  succès  pour  les  artistes  :  Mmca  Se- 
guin-Loyer, M""  Blanche  Dufrêne,  Lucy  Blind,  Gabrielle  Chapuis,  MM.  Eve_ 
rard,  Karren,  Salomon,  Launay,  comique  de  salon,  et  M""  Bleickard,  qui  a  tenu 
avec  talent  le  piano  d'accompagnement. 

Concerts  annoncés.  —  Après-demain,  mardi  soir,  à  la  salle  Érard,  neuvième 
concert  annuel,  au  profit  de  l'Association  des  artistes  musiciens,  donné  par 
M™°  Marchesi,  l'ëminent  professeur,  avec  le  concours  de  M""  Krauss,  de 
M""'  Risley  et  Komaromi  et  de  MM.  Diémer,  Taffanel  et  Casella.  —  Mardi  pro- 
chain, M.  Eugène  Gigout  fera  entendre  chez  lui,  dans  sa  salle  de  musique  ornée 
d'un  bel  orgue  de  Cavaillé-Coll,  les  élèves  de  son  cours  d'orgue.  Le  programme 
comprend  des  œuvres  de  J.-S.  Bach,  Hœndel,  Mendelssohn,  Lemmens,  Saint- 
Saëns,  Gigout  et  Boellmann,  M™»  Gramaccini-Soubre,  MM.  Warmbrodt  et 
A.  Lefort  prêtent  leur  concours  à  cette  très  intéressante  audition.  —  Lundi, 
31  mars,  troisième  concert  de  musique  moderne  donné  par  M.  Rondeau,  avec  le 
concours  de  M"'"  Mélodia,  Lavigne,  Maréchal  et  de  MM.  Depère,  Juillard,  Hirsch, 
Braud  et  Pierret.  On  entendra  des  œuvres  nouvelles  de  MM.  Théodore  Dubois, 
Georges  Pfeiffer,  Georges  Marty,  Albert  Cahen,  etc.,  diiigés  par  les  auteurs. 

—  Les  examens  d'admission  au  Conservatoire  sont  de  véritables  concours 
qu'on  ne  doit  affronter  avec  quelque  chance  de  succès  qu'après  de  solides 
études.  Mmc  Schaller  a  songé  à  fonder  comme  une  succursale  de  notre 
grand  établissement  national,  où  les  élèves  trouvent  sous  la  direction  des 
mêmes  professeurs  la  préparation  indispensable  à  ces  examens  et  où  ils 
rencontrent,  une  fois  admis  au  Conservatoire,  les  répétitions  nécessaires 
au  complément  de  leur  éducation  artistique.  Mme  Schaller  est  arrivée  à 
grouper  pour  le  chant,  l'opéra,  l'opéra-comique,  la  déclamation,  le  piano, 
le  violon,  le  solfège,  l'harmonie,  la  danse,  le  maintien,  etc.,  des  profes- 
seurs du  Conservatoire  tels  que  MM.  Crosti,  Warot,  Barbot,  Melchissédec, 
Maubant,  Laroche,  Dupont-Vernon,  Marck,  de  Bériot,  Decombes,  Riéra, 
Bérou,  Rougnon,  Chevalier,  l'Adam,  etc.,  et  grâce  au  dévouement  de  tous 
ces  mailres  de  l'art,  elle  est  parvenue  à  offrir  cet  enseignement  exception- 
nel à  des  prix  variant  de  8  à  30  francs  par  mois.  Le  cours  de  Mmo  Schaller 
est  situé  5,  rue  Geoffroy-Marie. 

Henri  Heugel.  directeur-géiant. 


104  LE  MÉNESTREL 


Paris,  AU  MÉNESTREL,  2Ws,  rue  Vivienne,  HENRI  HETTGEL,  éditeur-propriétaire  pour  tous  pays. 
POUR    PARAITRE  TRÈS    PROCHAINEMENT 

LA  VOCATION  DE  MARIUS 

Vaudeville-opérette  en  3  uctes 

THÉÂTRE  m  MM.  THÉÂTRE 

FABRICE  CARRÉ  et  ALBERT  DEBELLY 

«wr&AOTÉs  MUSI0UE  DE  htootsaotés 

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BARYTON  ou  BASSE  Chaque  volume  in-8°.  Prix  net:  8  francs  VOIX  DE  FEMMES  ou  TÉNOU 

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RESPIRATION,  GRDPETTO,  MORDANT 

Trille,    Gamme    chromatique,    Notes    piquées,    Agilité,    etc. 

Un  volume  in-8°,  net:  5  fr. 


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MENUS-PLAISIRS  PAUL  FERMER  &  CHARLES  GLAIRVILLE  MENus-PLAISIRS 

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(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Adresser  fkanco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  dn  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,   Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  l'r.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  ^0  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  l'r.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  trais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (57°  article),  Albert  Soubies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale:  Concert  spirituel  à  l'Opêra-Comique, Julien 
Tiersot;  première  représentation  de  la  Clé  du  Paradis,  à  la  Renaissance,  Paul- 
Émile  Chevalier.  —  III.  Du  lcitoiotive  :  de  son  usage;  de  son  abus  (2°  et  der- 
nier article),  A.  Darston.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour 

ASSISE    UN    SOIR    DANS    LA    FOUGÈRE 

vieille  romance  extraite  de  l'opérette  le  Fétiche,  musique  de  Victor  Roger 
paroles  de  Paul  Ferrier  et  Charles  Clairville, 
Elle  a  mis  sa  toilette  claire, 
poésie  de  Lucien  Dhuguet. 


Suivra  immédiatement: 
3   des   Rondels  de  Mai,  de  M.  B.  Colomer, 


PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano  V Enlr' acte-Ballet,  de  la  Vocation  de  Marias,  la  nouvelle  opérette 
des  Nouveautés,  musique  de  Raoul  Pugxo.  —  Suivra  immédiatement: 
Capitaine -polka,  sur  les  motifs  de  l'opérette  le  Fétiche,  par  Philippe 
Fahrdach. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Albert  SOUBIES   et  Charles   MALHERBE 


CHAPITRE  XIV 

MEÏERBEER    A    L'OPÉRA-COMIQUE 
LE  PARDON  DE  PLOERMEL 

(1856-1839) 

(Suite.) 

Enjoueur  habile,  Perrin  préféra  passer  la  main  et  laisser 
le  souvenir  d'une  gestion  brillante  et  fructueuse,  puisque 
pendant  les  neuf  ans  qu'elle  avait  duré,  de  mai  1848  à  no- 
vembre 1857,  les  receltes  avaient  atteint,  en  chiffres  ronds, 
plus  de  onze  millions.  On  sait  d'ailleurs  quelle  intelligence 
il  apportait  aux  moindres  détails  de  son  administration.  Sans 
doute  il  ne  parvenait  pas  à  réaliser  tous  ses  projets.  On  cite- 
rait, par  exemple,  quelques  ouvrages  annoncés  par  lui  et 
ajournés,  comme  Lady  Melvil,  de  Grisar,  joué  en  1838  à  la 
Renaissance,  et  répété  vainement  en  1856  sous  le  titre  de 
le  Joaillier  de  Saint-James  ;  comme  les  Deux  Avares,  qu'il  préten- 
dait faire  remanier  par  Eugène  Gautier  pour  servir  aux 
débuts  de  Berthelier;  comme,  pensée  plus  extraordinaire,  les 
mdes  gâtantes  de  Rameau,  dont  il  avait  confié  le  rajeunissement 
à  Michel  Carré  pour  le  poème  et  à  Gounod  pour  la  musique, 
voyant  là  prétexte  à  beaux   décors   et  riche  mise  en   scène; 


comme  enfin  cette  Josépha  ou  le  Dernier  Bal,  dont  parle  ainsi 
M.  Arthur  Pougin  dans  son  livre  si  intéressant  sur  la  vie  et  la 
carrière  d'Adolphe  Adam.  «  Le  Dernier  Bal  avait  été  reçu  à 
l'Opéra-Comique  peu  de  temps  avant,  la  mort  de  son  auteur, 
et,  si  j'ai  bonne  mémoire,  avait  donné  lieu  à  un  procès  dont 
je  ne  me  rappelle  ni  la  cause  ni  les  détails.  »  Complétons 
cette  lacune.  La  pièce  avait  été  non  seulement  reçue,  mais 
répétée  en  1854;  un  beau  jour  de  juillet,  les  répétitions  ces- 
sèrent, et  il  n'en  fut  plus  question  qu'en  1857,  lorsque 
Mme  Adam,  devenue  veuve,  demanda  aux  tribunaux  une  solu- 
tion à  cette  affaire.  Perrin  fat  condamné  à  représenter/os^/ia 
dans  les  six  mois  ou  à  payer  une  indemnité  de  6,000  francs 
à  chacun  des  auteurs,  Scribe  et  Adam.  Ce  jugement  fut  ré- 
formé en  appel,  et  un  arrêt  de  1858  réduisit  l'indemnité  au 
chiffre  de  750  francs  par  tête.  C'était  pour  rien,  et  la  pièce 
fut  d'autant  moins  exécutée  que  l'auteur  lui-même  n'était 
plus  là  pour  défendre  ses  droits.  Nul  directeur  n'y  a  songé 
depuis.  On  néglige  tant  les  vivants,  qu'à  plus  forte  raison  on 
oublie  les  morts  !  Et  cependant  M.  Perrin  ne  pouvait  être 
compté  parmi  ces  négligents.  Il  avait  surtout  le  mérite  de 
monter  avec  le  plus  grand  soin  les  ouvrages,  même  insigni- 
fiants; comme  on  l'a  écrit,  «il  avait  le  respect  des  choses  de 
l'intelligence  et,  l'opéra  une  fois  reçu,  il  ne  se  reconnaissait 
plus  le  droit  de  le  sacrifier  et  d'enlever  ainsi  à  l'auteur  une 
chance  de  succès.  » 

Son  successeur  ne  possédait  ni  les  mêmes  scrupules  ni  la 
même  habileté.  Il  avait  administré  l'Opéra  de  1847  à  1854, 
laissant  d'ailleurs  un  passif  de  900,000  francs  que  la  liste 
civile  s'était  chargée  de  solder;  c'était  un  fâcheux  précédent. 
Mais  il  était  bien  en  cour;  il  avait  d'ailleurs  beaucoup  d'esprit, 
et,  en  dépit  de  son  scepticisme  de  commande  et  de  son  dédain 
affecté  pour  certaines  œuvres,  il  était  loin  d'être  dépourvu 
de  sens  artistique. 

Tout  d'abord,  il  fallait  combler  les  vides  qui  s'étaient  pro- 
duits en  1857.  Mue  Rey  avait  accepté  un  engagement  au 
Théâtre-Lyrique  ;  Battaille  s'éloignait,  lui  qui  appartenait 
depuis  1848  à  l'Opéra-Comique,  où  il  ne  devait  plus  rentrer 
que  momentanément  en  1861,  et  où  il  avait  marqué  sa  place 
par  des  rôles  joués  et  même  créés,  savoir:  Jacques  Sincère 
du  Val  d'Andore  (1848),  Don  Belflor  du  Toréador  (1849),  Atal- 
muck  de  la  Fée  aux  Iioses  (1849),  Falstaff  du  Songe  d'une  nuit 
d'été  (1850),  Mathéus  Claës  du  Carillonneur  de  Bruges  (1852),  le 
Père  Gaillard  (1852),  Marco  Spada  (1852),  Peters  de  l'Étoile  du 
Nord  (1854),  le  Commandeur  de  la  Cour  de  Célimène  (1855),  Gédéon 
du  Uousard de  Berchiny  (1855),  Gilbert  de  Valentine  d'Aubigmj  (1856), 
Mercure  de  Psyché  (1857)  :  douze  créations  importantes  en  neuf 
années!  Enfin  M"18  Ugalde,  la  volage  et  capricieuse  Mme  Ugalde, 
se  retirait  aussi,  paraissant  pour  la  dernière  fois  le  23  février 
1858  dans  une  représentation  à  son  bénéfice  où  elle  chanta 


106 


LE  MÉNESTREL 


des  fragments  de  Galalhée  et  le  deuxième  acte  du  Caid.  Elle 
avait  accepté  un  engagement  au  Théâtre-Lyrique  et  n'allait  pas 
craindre,  quelques  mois  plus  tard,  de  s'essayer  sur  la  scène 
même  de  l'Opéra  dans  le  rôle  d'Éléonore  du  Trouvère,  le 
28  août,  lors  d'une  représentation  au  bénéfice  de*  Roger, 
tant  l'audace  chez  elle  égalait  le  talent!  Ces  départs  devaient 
être  suivis  la  même  année  de  ceux  d'autres  artistes,  Mlles  Lhé- 
ritier  et  Dupuy,  MM.  Barbot  et  Nicolas,  ce  dernier  envoyé  à 
la  Scala  de  Milan  et  décidé  désormais  à  suivre  la  carrière 
italienne. 

Pour  remplacer  ces  artistes  on  vit  tour  à  tour  :  M.  Hilaire 
dans  Lorédan  d'Haydée  (29  juin)  et  M.  Ganet  dans  Daniel  du 
Chalet  (8  août),  deux  ténorinos  fort  inexpérimentés  encore  ; 
M.  Barré  dans  Germain  du  Valet  de  chambre  (14aoùt),un  jeune 
baryton  qui  débuta  sans  tambour  ni  trompette,  et  n'eut  pas 
même  l'honneur  d'une  mention  dans  la  presse  musicale,  lui 
qui  devait  un  jour  tenir  dans  ce  même  théâtre  les  premiers 
rôles;  Mue  Pannetrat  dans  Béatrix  des  Monténégrins  (14  août), 
agréable  chanteuse  et  transfuge  du  Théâtre-Lyrique;  Mlle Ver- 
non  dans  Betty  du  Chalet  (10  octobre)  et  le  même  soir  M.Warot, 
dans  Sergis  des  Monténégrins,  un  ténor  qui  s'était  senti  la  voca- 
tion et  qui,  sans  passer  par  une  école,  avait  brusquement 
quitté  les  bureaux  et  les  livres  de  caisse  pour  le  théâtre,  ce 
qui  lui  réussit;  Mue  Prost  dans  Stellina  du  Chercheur  d'esprit 
(21  octobre),  une  élève  de  Massé  et  de  Moreau-Sainti  qui,  au 
Conservatoire,  venait  d'obtenir  simplement  un  3e  accessit  de 
chant  et  un  2e  accessit  d'opé^a-comique;  M.  Davoust,  dans 
Girot  du  Pré  aux  Clercs  (22  octobre),  un  baryton  qui  se  con- 
fina vite  dans  les  rôles  d'utilités  et  dont  les  services  à  l'Opéra- 
Comique  ont  été  aussi  longs  que  dévoués;  M.  Carré  dans 
Lorédan  d'Haydée,  un  ténor  léger  qui  arrivait  d'Algérie  après 
avoir  passé  par  le  Théâtre-Lyrique.  Il  n'y  avait  pas  d'étoile  en 
perspective;  tous  ces  nouveaux  venus,  sauf  Warot  et  Barré 
ont  brillé  d'un  assez  faible  éclat  ;  la  récolte  de  l'année  de- 
meurait donc  des  plus  modestes. 

Comme  les  débuts,  les  reprises  furent  nombreuses  et  le 
plus  souvent  médiocres,  sauf  la  première,  celle  de  Fra  Diavolo , 
négligé  depuis  1852,  remis  à  la  scène  le  4  janvier  et  gratifié 
de  52  représentations  en  cette  seule  année  1858;  les  inter- 
prètes se  nommaient  Barbot  (Fra  Diavolo),  Ponchard  (Lorenzo), 
Sainte-Foy  (Mylord),  Beckers  (Beppo),  Berthelier  (Giacomo), 
Nathan  (l'hôtelier),  Mlles  Lefebvre  (Zerline),  Lemercier  (Paméla). 
Un  journal  reprocha  à  Sainte-Foy,  d'ailleurs  parfait  dans 
son  rôle,  d'avoir  péché  par  modestie  en  s'abstenant  de  chan-  ' 
ter  l'air  bouffe  ajouté  à  Londres  par  Ronconi.  On  sait  ce  qu'il 
faut  penser  de  ces  hors-d'œuvre  imposés  par  le  caprice  d'un 
interprète,  arrachés  à  la  faiblesse  du  compositeur  et  le  plus 
souvent  manques.  En  revanche,  on  avait  intercalé  au  pre- 
mier acte  un  trio,  tiré  des  Chaperons  blancs.  Cette  addition 
compensait  la  soustraction! 

Et  puis,  les  reprises  se  succèdent  avec  une  continuité  re- 
marquable: la  Fiancée  (10  février),  le  Muletier  (7  mai),  le  Valet 
de  chambre  (2  juillet),  les  Méprises  par  ressemblance  (29  juillet), 
les  Monténégrins  (14  août),  la  Part  du  Diable  (4  septembre).  Parmi 
ces  ouvrages,  deux,  celui  de  Carafa  et  celui  de  Grétry,  n'avaient 
jamais  été  donnés  à  la  salle  Favart;  aucun,  sauf  le  dernier, 
n'y  devait  plus  jamais  reparaître. 

La  Fiancée,  oubliée  depuis  1849,  avait  pour  interprètes 
Jourdan  (Fritz),  Riquier-Delaunay  (Frédéric),  Crosti  (Saldorf), 
M"es  Boulart  (Henriette),  Révilly  (Charlotte),  dont  les  talents  réu- 
nis ne  parvinrent  pas  à  faire  revivre  l'œuvre  plus  de  17  soirées. 
Ln  souvenir  se  rattache  à  cette  reprise,  à  laquelle  assistaient 
l'Empereur  et  l'Impératrice  :  ce  soir-là  en  effet,  on  inaugura 
un  escalier  desservant  leur  loge  et  construit  spécialement 
pour  leur  usage.  Trouver  un  escalier  large  et  spacieux,  pré- 
cédé d'un  grand  salon  d'attente  et  aboutissant  à  un  vaste 
palier  avec  devant,  tout  cela  sans  gêner  les  services  et  dans 
un  local  aussi  étroit  que  la  salle  Favart,  c'était  un  tour  de 
force,  mais  la  flatterie  rend  ingénieux.  Roqueplan  avait  eu 
cette  idée,  et  l'architecte  Charpentier  l'avait  réalisée. 


Le  Muletier,  oublié,  lui  aussi,  juste  depuis  la  même  époque 
que  la  Fiancée,  fut  joué  par  Lemaire  .(Rodrigue),  Riquier- 
Delaunay  (Henriquez),  Sainte-Foy  (Flandrinos),  le  seul  qui 
restât  de  la  reprise  de  1849,  Mlles  Lefebvre  (Inesia),  Henrion 
(Zerbine),  et  obtint  à  peu  près  le  même  résultat  que  la  Fiancée, 
21  représentations  au  lieu  de  17. 

Le  Valet  de  chambre  remontait  au  16  septembre  1823.  Le 
poème  de  Scribe  et  Mélesville  n'était  en  réalité  qu'une  deuxième 
édition,  à  peine  modifiée,  d'un  vaudeville  des  mêmes  auteurs 
joué  au  Vaudeville  le  18  janvier  1821  sous  le  titre  de  Frontin 
mari-garçon.  La  partition  avait  pour  auteur  Carafa,  un  musi- 
cien de  talent,  en  dépit  de  son  rossinisme  déclaré,  en  tout  cas 
un  galant  homme  et  si  désintéressé  qu'il  finit  par  tomber 
dans  un  état  voisin  de  la  détresse.  Dans  son  histoire  du 
théâtre,  Alphonse  Royer  a  donc  dit  à  tort  que  Carafa  mourut 
«  sans  avoir  jamais  pu  faire  remettre  un  seul  de  ses  ouvrages 
au  répertoire.  »  De  plus,  on  avait  remonté  en  1855  au  Théâtre- 
Lyrique  son  fameux  Solitaire, 

Qui  voit  tout, 
Qui  sait  tout, 
Entend  tout, 
Est  partout. 

Enfin  même  on  faillit  revoir  Masaniello  en  1860;  les  rôles 
étaient  déjà  distribués  à  Jourdan,  Barrielle  et  Mne  Pannetrat, 
lorsque  le  départ  de  Jourdan,  et  surtout  le  changement  de 
direction,  mit  sans  doute  à  néant  ces  bonnes  dispositions, 
ce  qui  fut  une  cruelle  désillusion  pour  le  pauvre  Carafa  et 
une  perte  regrettable  pour  le  public  ;  car,  même  après  la 
Muette  de  Porlici,  Masaniello  se  défend  contre  l'oubli  et  mérite 
l'attention  des  curieux.  Quant  au  Valet  de  chambre,  il  avait  été 
joué  à  l'origine  par  Huet  (le  comte),  Darboville  (Germain), 
Mmes  Prévost  (la  comtesse)  et  Boulanger  (Denise)  ;  il  le  fut 
cette  fois  par  Ponchard,  Stockhausen,  Mu,s  Dupuy  et  Lké- 
ritier,  et  n'obtint  que  29  représentations  réparties  en  deux 
années. 

(A  suivre.) 
e2=«SïSSfc^j=s>- 

SEMAINE   THEATRALE 


LE   CONCERT   SPIRITUEL   DE  L'OPÉRA-COIIIQUE 

Ce  n'est  jamais  sans  quelque  malin  plaisir  gue  nous  voyons  des 
noms  tels  que  ceux  de  Bach,  Hœndel,  Haydn.  Mozart,  Pergolèse, 
Hendelssohn,  Weber,  prendre  place  sur  l'affiche  de  l'Opéra-Comique, 
habituée  à  en  porter  d'autres  évoquant  l'idée  d'un  art  assurément 
plus  aimable,  mais  moins  relevé.  Cela  est  un  signe  des  temps  et-, 
sans  doute,  un  bon  signe  :  qui  aurait  pu  prévoir,  à  l'époque  de 
l'histoire  de  l'Opéra-Comique  dont  nos  confrères  Soubies  et  Mal- 
herbe nous  racontent  hebdoniaireinent  les  détails,  qu'un  jour  vien- 
drait où,  sur  la  scène  alors  vouée  aux  imbroglios  des  Dames  capi- 
taines et  du  Mariage  extravagant,  l'on  exécuterait  des  Requiem  et  des. 
Stabat  ?  Dans  le  théâtre  de  Grétry,  voilà  que,  non  content  de  lais- 
ser «  la  statue  s'introduire  dans  l'orchestre  »,  grave  grief  de  l'au- 
teur de  l'Epreuve  villageoise  contre  Mozart,  mais  qui  ne  scandalise 
plus  personne  aujourd'hui,  l'orchestre  prend  résolument  la  place  de 
la  statue  et  s'élève,  s'étageant  par  gradins,  en  masses  imposantes, 
au-dessus  des  voix  qui,  n'en  déplaise  encore  à  Grétry,  semblent  se 
résigner  décidément  à  servir  de  piédestal. 

Donc,  nous  avons  entendu  cette  semaine  à  l'Opéra-Comique  un 
concert  spirituel  à  l'absolue  sévérité  duquel  il  faut  rendre  hom- 
mage. Le  programme  ne  comprenait  que  des  œuvres  consacrées  des 
grands  maîtres  classiques,  œuvres  que  Pasdeloup  faisait  exécuter 
régulièrement  autrefois,  mais  que,  depuis  sa  disparition,  l'on  n'a 
presque  plus  jamais  l'occasion  d'eutendre  ;  et.  bien  que  je  sois 
fort  loin  de  trouver  mauvais  le  mouvement  en  avant  qui  s'est  pro- 
duit depuis  lors,  je  suis  le  premier  à  reconnaître  qu'il  est  bon  que 
le  public,  que  les  musiciens  eux-mêmes  puissent  se  retremper  par- 
fois au  contact  de  ces  œuvres.  L'Opéra-Comique  ne  peut  donc 
qu'être  loué  de  l'avoir  permis.  D'ailleurs,  il  ne  fait  ainsi  que  repren- 
dre et  faire  revivre  la  tradition  du  Concert  spirituel,  institution 
déjà  près  de  deux  fois  centenaire,  trop  peu  connue  dans  ses  pre- 
mières manifestations  et  grâce  à  laquelle,  pendant  tout  le  XVIII1' 
siècle,  le  public  français  put  soupçonner  que  la  musique  existait  eu 


LE  MENESTREL 


107 


dehors  de  l'Opéra  et  des  bouffonneries  des  théâtres  de  la  Foire,  ce 
dont  il  n'aurait  pas  eu  sans  cela  le  moindre  concept.  Aussi  bien 
n'avons-nous  plus,  aujourd'hui,  de  véritables  concerts  spirituels  : 
il  suffit,  pour  s'en  convaincre,  de  jeter  les  yeux  sur  les  programmes 
des  grands  concerts  syrnphoniques  de  cetle  semaine,  ceux  du  Con- 
servatoire, du  Cirque  et  du  Chàtelet  ;  même  en  ce  dernier  établisse- 
ment, le  mot  «  spirituel  »  a  dû,  depuis  quelques  années,  être  rayé 
du  litre  du  concert  du  «  vendredi  dit  saint  »,  nos  remarquables 
conseillers  municipaux,  émanations  irrésistibles  et  suaves  d'un 
suffrage  aussi  incorruptible  qu'universel,  ayant  frémi  à  l'idée  que, 
dans  un  immeuble  appartenant  à  la  Ville,  il  put  être  chanté  une 
musique  susceptible  d'évoquer  les  affreux  souvenirs  de  l'obscuran- 
tisme et  de  la  superstition  !  On  a  des  principes.  Si  même  le  conseil 
municipal  savait  que  Mors  et  Vita  de  M.  Gounod,  dont  on  a  exécuté 
des  fragments  vendredi,  est  composé  sur  un  texte  liturgique  latin, 
ce  pauvre  M.  Colonne  n'aurait  qu'à  se  bien  tenir  pour  l'année  pro- 
chaine !  Heureusement  qu'il  ne  le  saura  pas.  —  Mais,  j'y  songe  : 
l'Opéra-Comique  actuel  est,  lui  aussi,  un  immeuble  municipal. 
Ouvrez  l'oeil,  messieurs  de  l'Hôtel  de  Ville,  et  mettez  bien  vite  or- 
dre à  ce  scandale  inqualifiable  :  un  immeuble  municipal,  et  de  la 
musique  religieuse  dedans  !...  Aussi,  pour  les  punir,  n'hésitez  pas 
à  mettre  à  la  porte  directeur,  chef  d'orchestre,  chanteurs  et  musi- 
ciens, et  à  les  inviter  à  aller  se  livrer,  le  plus  vite  possible,  à 
leurs  manoeuvres  réactionnaires  sur  la  place  Boieldieu. 

Je  m'écarte:  j'ai  le  prélude  toujours  trop  prolixe.  Revenons  donc 
à  nos  violons.  Ils  ont  brillamment  exécuté,  sous  l'impulsion  de  la 
baguette  de  M.  Danbé,  la  chevaleresque  ouverture  i'Euryanthe,  puis 
discrètement  accompagné  aux  voix  de  femmes,  choeurs  et  soli,  les 
fragments  du  Stabal  mater  de  Pergolèse.  Cette  œuvre  musicale,  tout 
intéressante  qu'elle  soit,  n'est  pas  la  meilleure  qu'aient  inspirée  les 
strophes  attribuées  (d'ailleurs  sans  raisons  suffisamment  probantes) 
à  Fra  Jacopone,  et  dont  d'autres  désignent  le  pape  Innocent  III 
pour  l'auteur.  Fra  Jacopone,  moine  italien  du  XIIIe  siècle,  a  laissé, 
en  dehors  de  ses  écrits  satiriques,  des  poésies  religieuses,  les  unes 
en  langue  vulgaire,  les  autres  en  latin,  composées  sur  des  rythmes 
populaires,  et  qu'on  chantait  dans  les  églises  et  les  processions  pour 
distraire  quelques  instants  les  fidèles  des  austérités  de  la  liturgie. 
Mais  le  Stabat  mater  (les  auteurs  les  plus  récents  et  les  mieux  infor- 
més l'ont  démontré)  ne  figure  pas  parmi  les  œuvres  authentiques  de 
Fra  Jacopone,  pas  plus  qu'une  autre  forme  de  la  même  prose,  celle- 
ci  d'une  grâce  exquise,  dont  on  retrouve  l'idée,  mais  traitée  diffé- 
remment, dans  les  poésies  du  moine  :  c'est  le  Stabat  de  la  Vierge, 
non  plus  au  pied  de  la  croix,  mais  à  la  crèche,  devant  le  berceau 
•de  l'enfant  Jésus  : 

Stabat  mater  speciosa 
Juxta  fœnum  gaudiosa, 
Dum  jacebat  parvulus. 

«  La  mère  gracieuse  se  tenait  auprès  du  foin,  joyeuse,  pendant 
que  le  petit  enfant  était  couché.  » 

La  musique  de  Pergolèse,  écrite  pour  des  voix  exclusivement 
féminines,  a,  elle  aussi,  des  grâces  et  du  charme,  mais  sans  relief 
ni  expression  vraiment  profonde.  Nous  sommes  bien  loin  de  la  beauté 
plastique  et  de  la  puissance  incomparable  du  Stabat  mater  à  double 
chœur  de  Palestrina  :  celui  de  Pergolèse,  tout  aimable,  est  super- 
ficiel et  épidermique  ;  la  douleur  qu'il  exprime  parait  être  aisément 
consolable  :  elle  rappelle  celle  de  ces  Madeleines  des  tableaux  re- 
ligieux, îi  l'air  navré,  demi-pâmées  au  pied  de  la  croix,  mais  dont 
la  toilette  savamment  dérangée,  la  chevelure  habilement  éparse, 
prouvent  que  leurs  yeux  pleins  de  larmes  ont  commencé  par  donner 
un  coup  d'œil  à  ces  détails.  La  gloire  de  Pergolèse,  due  à  des  cir- 
constances historiques  indépendantes  de  sa  valeur  personnelle,  est 
absolument  exagérée.  Il  ne  faut  pas  oublier  que  l'auteur  de  la 
Serva  padrona  et  de  ce  Stabat  à  l'eau  sucrée  est  venu  après  les 
géants  Bach,  Haendel  et  Rameau  :  à  côté,  non  seulement  de  ces 
maîtres,  mais  aussi  de  ses  prédécesseurs  italiens,  Palestrina,  Cavalli, 
Carissimi,  Scarlatti,  il  est  ce  que  sont  les  Jules  Romain,  les  Domi- 
niquin,  les  Albane  auprès  de  Michel-Ange  et  de  Raphaël,  c'est-à- 
dire  de  second  ordre. 

Le  concerto  pour  hautbois  d'Haendel,  avec  ses  formes  mélodiques 
précises,  ses  chants  lents  et  purs,  ses  broderies  d'un  rococo  si  ca- 
ractérisé, nous  ramène  aux  souvenirs  et  impressions  de  l'ancien 
Concert  spirituel,  où  ces  sortes  de  compositions  instrumentales 
étaient  très  goûtées.  Il  est  vrai  que  les  auditeurs  du  X\III°  siècle 
n'avaient  rien  qui  pût  leur  donner  l'idée  d'une  interprétation  telle 
que  celle  de  M.  Gillet,  le  prince  du  hautbois,  comme  M.  Taffanel 
est  le  roi  de  la  ilûle. 

Élie  est  évidemment  une  des  meilleures  œuvres  de  Mendelssohn. 


L'andante  de  l'air  de  soprano  :  Écoute  Israël,  avec  son  prélude  de 
flûtes  et  de  hautbois  en  tierces,  faisait  pressentir  déjà  ce  style  néo- 
grec que  MM.  Gounod  et  Massenet  ont  inauguré  plus  tard  ;  l'air  : 
Ali.'  c'en  est  fait,  où  la  voix  de  baryton  dialogue  avec  les  violon- 
celles eu  un  beau  chant  dans  lequel  on  retrouve  certaines  inflexions 
favorites  de  Mendelssohn,  enfin  le  joli  trio  des  Anges,  sont  des 
morceaux  très  distingués  et  agréables,  écrits  avec  une  habileté 
consommés.  Si  j'en  juge  par  mes  souvenirs  de  Pasdeloup,  l'œuvre 
entière  n'est  pas  dénuée  de  quelque  monotonie,  mais  la  sélection 
de  l'Opéra-Comique  n'a  pas  donné  un  seul  instant  cette  impression. 
Dussé-je  être  une  fois  de  plus  taxé  d'indiscipline  et  d'irrespect,  je 
ne  cacherai  pas  que  je  professe  à  l'égard  du  Requiem  de  Mozart  une 
opinion  assez  semblable  à  celle  que  j'exprimais  tout  à  l'heure  sur 
le  Stabat  de  Pergolèse,  à  savoir,  sinon  que  cette  œuvre  célèbre  est 
de  second  ordre,  du  moins  qu'elle  n'occupe  que  le  second  rang  dans 
l'œuvre  de  l'auteur  de  Don  Giovanni.  En  cela,  je  le  sais,  je  suis  en 
désaccord  à  peu  près  avec  tout  le  monde  :  d'une  part  avec  les  admi- 
rateurs exclusifs  de  Mozart  (et  l'on  sait  s'il  en  est  de  fanatiques!), 
aux  yeux  desquels,  la  musique  religieuse  occupant  une  place  très 
élevée  dans  la  hiérarchie  des  genres,  le  Requiem  se  trouve  tout  na- 
turellement, et  sans  autre  examen,  porté  à  cette  place;  d'autre  part 
avec  les  avancés,  qui,  considérant  les  formes  polyphoniques  employées 
dans  l'œuvre,  y  voient  une  concession  faite  à  leurs  tendances,  et 
approuvent.  Il  faut  que  je  sois  insuffisamment  avancé,  car  ce  point 
de  vue  m'échappe.  Mozart  est  sans  rival,  il  est  incomparable,  il  est 
unique  dans  l'emploi  des  formes  mélodiques  :  il  est  Mozart.  Mais 
dans  le  style  polyphonique,  Bach,  Beethoven,  Wagner,  etc.,  le  dé- 
passent de  cent  coudées.  Où  était  la  nécessité  qu'il  se  prêtât  ainsi  à 
une  comparaison  peu  à  son  avantage?  Et  quel  est  donc  ce  progrès 
qui  consiste  à  faire  sortir  un  Mozart  du  domaine  où  il  est  maître 
incontesté  pour  se  mesurer  avec  ceux  contre  lesquels  il  ne  saurait 
lutter?  En  réalité,  le  Requiem  de  Mozart  doit  le  plus  clair  de  sa 
réputation  aux  circonstances  dans  lesquelles  il  a  été  composé,  à  la 
légende  qui  en  a  entouré  l'éclosion,  nous  dirions  volontiers,  de  nos 
jours,  à  la  réclame.  Il  est  vrai  que  cette  réclame  a  consisté,  pour 
Mozart,  à  mourir.  Ses  parties  les  plus  belles  sont  les  moins  poly- 
phoniques :  c'est  le  Lacrymosa,  chant  de  deuil  admirable,  dont  Mozart, 
mourant,  n'a  pu  écrire  que  les  premières  mesures,  mais  dont  il  a 
très  certainement  dicté  toute  la  suite,  car  je  tiens  Sùssmayer  pour 
très  incapable  de  l'avoir  tirée  de  son  propre  fonds  ;  c'est  le  Confutatis, 
avec  ses  entrées  bien  accentuées  des  ténors  et  des  basses,  auxquelles 
répondent  par  deux  fois  les  voix  suppliantes  des  femmes  ;  puis  le 
Rex  tremendœ,  concis  et  énergique.  Le  Recordare,  tout  de  facture,  est 
déjà  d'une  portée  moindre.  Quant  au  Tuba  mirum,  j'avoue  qu'un 
accord  de  .si  bémol,  arpégé  d'une  façon  quelconque  par  un  trom- 
bone solo,  me  parait  véritablement  trop  peu  suggestif,  qu'il  n'évoque 
aucunement  l'idée  des  trompettes  du  dernier  jugement,  surtout 
lorsqu'aussitôt  après  un  basson  vient  nous  chanter  un  doux  cantabile, 
replacé  par  Meyerbeer  dans  un  morceau  de  Robert  le  Diable  (le  duo  : 
Mais  Alice,  qu'as-tu  donc?),  lequel  cantabile,  pas  plus  dans  l'une  que 
dans  l'autre  œuvre,  ne  donne  l'impression  d'événements  bien  terribles. 
Il  n'est  pas  indispensable,  tant  s'en  faut,  que  le  musicien  nous  trace 
par  avance  un  tableau  descriptif  des  horreurs  du  Jugement  dernier; 
mais,  s'il  en  a  pris  le  parti,  il  faut  qu'il  lui  donne  toute  l'ampleur  et 
l'étendue  nécessaires  à  un  sujet  aussi  colossal.  A  cet  égard,  Berlioz 
a  ouvert  une  voie  que  plusieurs  ont  suivie  depuis  lui,  mais  dans 
laquelle  il  n'a  pas  été  dépassé. 

L'audition  de  l'Opéra-Comique  a  eu  ceci  de  particulièrement 
intéressant  qu'elle  nous  a  permis  d'entendre  la  dernière  partie 
du  Requiem,  que  l'on  n'exécute  jamais.  On  sait  que  Mozart  mou- 
rut sans  avoir  pu  achever  son  œuvre,  et  qu'elle  fut  terminée, 
d'après  ses  indications,  par  le  compositeur  Sùssmayer,  sou  élève  et 
son  ami,  élève  aussi  (détail  piquant  et  peu  connu)  de  son  ennemi 
intime  Salieri.  La  part  de  Sùssmayer  dans  la  composilion  du  Re- 
quiem est  considérable  :  sauf  le  premier  morceau,  il  a  orchestré  toute 
l'œuvre,  dont  Mozart,  dans  la  partie  qu'il  fit  exécuter,  n'avait  laissé 
que  les  parties  vocales  et  la  basse,  avec  quelques  indications  som- 
maires pour  l'instrumentation  ;  il  a  terminé  le  Lacrymosa,  dont  huit 
mesures  seulement  (sur  trente)  sont  de  la  main  du  maitre,  et  com- 
posé le  Sanclus,  le  Benediclus  et  YAgnus  Dei  avec  le  Libéra  (cette  der- 
nière partie  reproduit  purement  et  simplement  le  développement 
fugué  du  Kyrie  eleison).  Quels  sont  les  éléments  que  Mozart,  dans  ses 
dernières  confidences,  lui  a  fournis  pour  ces  morceaux?  C'est  ce  que 
l'on  ne  saura  jamais.  Toujours  est-il  que  ces  dernières  pages,  si  elles 
manquent  en  général  de  relief  et  d'originalité,  sont  parfaitement 
écrites,  d'une  main  sûre  et  très  habile,  et  de  façon  à  faire  illusion  : 
inférieures,  sans  doute,  au  Lacrymosa  et  au  Confutatis,  elles  sont  cor- 


108 


LE  MENESTREL 


lainenient  aussi  bonnes  que  les  deux  morceaux  de  l'Offertoire,  qui, 
bien  que  du  maître,  ne  sont  pas  de  bon  Mozart. 

Après  le  Requiem,  le  programme  annonçait  le  Magnificat  de  J.-S.  Bach. 
Si  les  lauriers  de  certains  critiques  grincheux  m'empêchaient  de 
dormir,  je  n'aurais  pas  manqué  de  signaler  déjà  plus  d'une  faute 
de  rédaction  émaillant  le  programme.  J'aurais  dit,  par  exemple, 
que  c'était  à  tort  qu'on  y  lisait  ces  mots  :  Cujus  anima,  alors  qu'il 
faut  l'accusatif  animam:  qu'au  lieu  de  quando  corpus  morialur,  il  aurait 
fallu  imprimer  morietur,  le  subjonctif  étant  un  solécisme.  Je  ne  l'ai 
pas  fait  ;  mais,  par  contre,  je  ne  puis  m'empêcher  de  protester 
contre  l'annonce  d'un  Magnificat  de  Bach,  alors  qu'on  ne  nous  en 
donne  qu'une  seule  strophe.  En  outre,  cette  strophe,  dans  laquelle  le 
contralto  dialogue  avec  deux  flûte--,  est  accompagnée  par  une  basse 
continue,  qui  doit  être  exécutée  non  seulement  par  les  basses  de 
l'orchestre,  mais  encore  par  l'orgue,  celui-ci  remplissant  les  vides 
de  l'harmonie  par  des  tenues  absolument  indispensables  pour  la 
compléter.  On  ne  l'a  pas  fait,  et  c'était  affreux.  Enfin,  M™  Des- 
champs-JehiD,  de  qui  j'eslime  infiniment  le  talent,  a  cru  devoir 
terminer  son  air  par  une  transposition  de  notes  suivie  d'un  grupelto 
abominable.  Je  regrette  profondément  d'avoir  de  telles  critiques  à 
adresser  :  je  n'en  connais  pas  de  plus  graves.  Si  l'on  ne  sait  pas 
à  l'Opéra-Gomique  que  l'on  ne  doit  pas  toucher  à  la  musique  de 
Bach,  que  c'est  chose  respectable,  je  me  fais  un  devoir  de  le  faire 
savoir.  —  D'ailleur-%  malgré  tout,  l'air  do  Bach  venant  après  le 
Requiem  de  Mozart  et  Sussmayer,  paraissait  avoir  singulièrement 
de  relief,  de  vie  et  d'accent  ! 

Et  savez-vous  quel  a  été  le  vrai  héros  de  la  journée  ?  C'est  le 
bon  Haydn,  avec  les  fragments  de  ta  Création.  Quelle  musique  char- 
mante, aimable,  éternellement  jeune  !  Et  comme,  au  travers,  on 
devine  aisément  une.  àme  pure,  un  esprit  sain,  d'un  optimisme 
tranquille,  sans  crainte  i'e  l'au-delà  !  On  peut  considérer  la  nature 
sous  un  tout  autre  point  de  vue,  en  traduire  les  impressions  d'une  façon 
très  différeate  —  certes  oui;  —mais  le  point  de  départ  étant  admis,  il 
était  impossible  que  l'exécution  musicale  en  fût  traitée  avec  plus  de 
bonheur.  Haydn  a  su  réaliser  pleinement  l'idéal  qu'il  s'était  formé. 
H  est  excellent  que  le  personnel  musical  de  l'Opéra-Gomique  ait 
pu  se  consacrer  aux  études  d'un  concert  aussi  long  et  aussi  sérieux, 
ne  fût-ce  qu'au  point  de  vue  des  progrès  généraux  qui  en  pour- 
ront résulter,  et  dont  les  œuvres  futures  bénéficieront  certainement. 
L'effort  principal,  cela  était  visible,  a  poité  sur  le  Requiem,  qui 
a  été  exécuté  avec  cohésion  et  ensemble.  Parmi  les  solistes  il 
faut  mettre  hors  de  pair  Mn,e  Landouzy,  bien  que  les  rôles  les  plus 
avantageux  ne  lui  soient  pas  échus  :  la  voix  est  excellente,  solide 
homogène,  d'une  justesse  absolue,  sans  chevrotement,  le  style 
simple,  la  diction  sûre  :  en  un  mot.  toutes  les  qualités  requises 
pour  l'exécution  de  la  bonne  musique.  De  même,  MM.  Soulacroix 
et  Fournets  ont  fort  bien  interprété,  dans  un  excellent  style,  l'un 
l'air  à'Èlie,  l'autre  celui  de  la  Création.  M1Ie  Simonnet.  toujours  si 
charmante  à  entendre  et  à  voir,  Mmo  Deschamps  avec  sa  voix  su- 
perbe, Mlle  Nardi,  l'aimable  Parseis  d'Esclarmonde,  eufin  les  ténors 
Dupuy  et  Delaquerrière  dans  leur  parties  de  la  Création.  Élie  et  le 
Requiem,  ont  concouru,  chacun  pour  sa  part,  à  l'excellence  del'exé- 


CUU0D-  Julien  Tiersot. 

l'.-S.  —  Renaissance.  —  La  Clé  du  Paradis,   vaudeville    eu    trois 
actes,  de  MM.  Chivol  et  Duru. 

On  sait  la  courtoise  réclamation  que  firent  MM.  Chiv.rt  et  Duru 
lors  de  la  récente  représentation,  au  Palais-Royal,  du  Cadenas,  de 
MM.  Blum  et  Toché  ;  ou  sait  aussi  que  ces  deux  derniers  auteurs 
n'eurent  pas  même  besoin  de  se  disculper  d'un  plagiat  dont  pe-- 
sonne,  pas  même  les  intéressés,  ne  les  accusèrent.  L'affaire  en  resta 
donc  là,  à  ce  moment.  Mais  voilà  qu'aujourd'hui  M.  Samuel  nous 
donne  la  pièce  de  MM.  Chivot  et  Duru  el,  sans  nous  l'expliquer 
sans  même  chercher  à  deviner,  attribuant  au  seul  hasard  cette 
coïncidence  bizarre,  nous  sommes  forcés  d'avouer  que  le  Cadsnas  et 
la  Clé  du  Paradis,  sauf  eu  certains  détails,  ne  font  qu'une  «eule 
et  même  pièce.  Ici  et  là,  jeune  fille  jurant  a  son  professeur  de 
piano  de  n'épouser  que  lui,  famille  trompant  la  perspicacité  de 
l'amoureuse  et  la  mariant  à  la  hâte,  retour  intempestif  du  profes- 
seur de  piano  le  soir  même  du  mariage,  demande  de  divorce  et 
finalement  réconciliation  des  mariés  qui  mettent  dehors  le  pianiste 
Si  MM.  Blum  et  Toché  avaient  traité  leur  sujet  en  comédie' 
MM.  Chivot  et  Duru,  à  l'encontre,  en  ont  fait  un  vaudeville  abso- 
lument sans  prétention.  Quelques  scènes  drolatiques  ont  semblé 
satisfaire  le  public  qui  a  paru  enchanté  de  l'interprétation  confiée 
à  MM.  Raimond,  Vois,  Francès  et  à  M"lcs  Irma  Aubrys,  Dezoder  et 
Berthier.  Paul-Emile  Chevalier. 


DU  LEITMOTIVE 


DE     SON     USAGE;     DE     SON     ABUS 


Les  maîtres  se  sont  servis  du  leitmotive  pour  caractériser  non  seu- 
lement des  sujets  animés,  mais  encore  des  sujets  inanimés,  c'est-à- 
dire  des  personnes  ou  des  choses.  Qu'il  soit  Dieu,  table  ou  cuvette, 
encore  faut-il  que  l'objet  ait  dans  le  drame  une  importance  capitale, 
car  autrement  pourquoi  y  appeler  l'attention  ? 

Si,  par  exemple,  on  me  dépeint  Roland  brandissant  sa  Durandal, 
je  consens  à  ce  que  le  compositeur  fasse  entendr»  une  phrase 
guerrière  soulignée  par  une  sonorité  éclatante,  incisive,  qui  donnera 
à  mon  oreille  une  sensation  analogue  à  celle  que  donnerait  à  mes 
yeux  la  lame  effilée  et  brillante.  Et  si  j'y  consens,,  c'est  parce  que 
cette  épée,  compagne  des  hauts  faits  de  Roland,.' semble  avoir  eu 
une  telle  part  de  sa  vie  que  le  souvenir  et  jusqu'au  nom  en  ont 
traversé  les  âges.  Ayant  eu  une  personnification  historique,  elle 
peut  avoir  une  personnification  musicale.  Mais  il  va  de  soi  que  ce 
procédé  ne  saurait  s'appliquer  à  toutes  les  épées. 

Il  y  a  plus;  —  même  lorsqu'il  s'agit  de  Durandal,  on  ne  doit 
m'y  faire  songer  qua  si,  au  moment  précis  ou  l'on  m'en  parle,  elle 
joue  un  rôle  décisif.  —  Si  Roland,  cerné  par  les  Sarrazins,  s'écrie: 
A  moi,  ma  Durandal  !  et  tire  sa  vaillante  épée,  mon  imagination 
sera  vivement  impressionnée  par  la  réapparition  triomphante  du 
thème  qui  la  rappelle  à  mon  souvenir.  Mais  si,  dans  la  suite  des 
faits  les  plus  ordinaires  du  drame,  Roland,  fatigué,  quitte  son 
glaive,  son  heaume  et  son  bouclier,  je  n'ai  que  faire  du  leitmotive 
particulier  à  Durandal.  Il  n'y  aurait  pas  de  raison  alors  pour  qu'on 
ne  fit  défiler  successivement  devant  moi  trois  motifs,  dont  l'un  ca- 
ractériserait l'épée,  le  second  le  heaume  et  le  troisième  le  bouclier, 
ce  qui  serait  absolument  puéril  et  aboutirait  à  une  sorte  de  vola- 
piick  musical,  dernier  mot  de  l'alexandrinisme,  —  dans  lequel  cha- 
que expression  aurait  sa  traduction  artificielle  dans  la  laugue  des 
sons. 

Une  observation  attentive  nous  amène  donc  à  deux  autres  con- 
clusions :  non  seulement  le  leitmotive  ne  peut  opportunément  s'appliquer 
qu'à  des  objets  ayant  dans  le  drame  une  importance  capitale,  mais  encore 
on  n'en  peut  faire  cette  application  que  lorsque  ces  objets  doivent  logi- 
quement accaparer  l'attention  à  l'instant  même  ou  il  en  est  question. 

Un  second  exemple  achèvera  la  démonstration. 

VI 

Je  suppose  que  le  poète  ait  eu  à  décrire  les  magnificences  du 
Walhalla  et  que  le  musicien  ait  symbolisé  cette  description  par 
un  leitmotive.  Si,  plus  tard,  au  cours  du  drame,  Odin  s'écrie  que 
pour  le  héros  qui  saura  surmonter  certaines  épreuves,  le  Walhalla  s'ou- 
vrira radieux,  j'admets  que  le  compositeur  fasse  reparaître  le  motif 
du  Walhalla,  surtout  si  ce  motif  est  noble  et  beau,  car,  étant  donné 
la  rapidité  des  sensations  au  théâtre,  c'est  seulement  la  splendeur 
de  la  récompense  qui  vous  frappe  dans  cette  promesse.  —  C'est 
aussi  vers  un  tableau  paradisiaque  que  l'artiste  veut  avec  raison 
hausser  mes  sens  et,  par  une  sorte  d'action  réflexe,  mon  oreille, 
frappée  des  mêmes  sonorités,  appellera  dans  mon  imagination  les 
mêmes  impressions  qu'y  a  éveillées  l'évocation  précédente  ;  —  mais 
il  ne  s'enauit  nullement  que  ce  motif  doive  reparaître  toutes  les 
fois  que  le  nom  du  Walhalla  sera  prononcé,  même  incidemment. 
Si,  par  exemple,  on  me  dit  qu'Orfm  a  quille  le  séjour  des  Dieux  pour 
descendre  pendant  un  jour  sur  terre,  l'idée  du  Walhalla  est  devenue 
très  accessoire  et  il  se  pro  luit  une  regrettable  distraction  de  mon 
esprit,  par  cela  seul  qu'on  le  fixe  sur  un  objet  subsidiaire.  J'en 
éprouve  une  fatigue  qui  fera  promptement  place  à  de  l'ennui  ;  car. 
au  théâtre,  tout  ce  qui  est  inutile  est  ennuyeux. 

VII 

Quel  est,  en  effet,  le  but  du  compositeur  dramatique  ?  C'est  de 
provoquer  l'émotion  par  une  impression  musicale  concordant  exacte- 
ment avec  la  situation;  —  j'entends,  d'abord  avec  la  situation  générale, 
soit  la  situation  d'ensemble  de  la  scène  qui  se  déroule  devant  nos 
yeux,  ensuite,  avec  le  fragment  de  celle  même  situation  que  fournit 
nou  plus  seulement  Vidée  dominante  de  la  scène,  mais  encoie  (car,  à 
la  rigueur  et  avec  précaution,  on  peut  souvent  aller  jusque-là), 
avec  l'idée  dominante  de  la  phrase  sensationnelle,  dite  par  tel  ou  tel  J 
personnage.  Si,  au  lieu  d'attirer  mon  imagination  d'abord  vers 
cette  impression  générale,  puis,  par  occasions,  vers  celte  impression 
plus  particulière  —  (qui  doit   être  d'accord  avec  l'impression   gêné- 


LE  MENESTREL 


409 


raie),  —  l'auteur  m'attarde  sur  tel  ou  tel  passage  sans  intéièt  par- 
ticulier dans  le  moment  où  l'on  parle,  s'il  souligne  par  un  leitmotivs 
un  mot  pour  l'instant  sans  portée,  l'encastrement  de  ce  leitmotive 
dans  le  discours  musical  me  fait  l'effet  seulement  d'un  ingénieux 
travail  de  marqueterie  ;  mon  attenlion  s'éparpille,  et  adieu  l'émo- 
tion ! 

VIII 

Les  règles  qu'on  s'est  efforcé  d'établir  restreignent  donc  l'emploi 
du  leitmotive,  —  pojr  les  personnages —  à  certains  types  exceptionnels, 
et  même  pour  ces  exceptions  comme,  d'ailleurs,  daus  Lous  les  cas, 
le  subordonnent,  d'abord  aux  convenances  générales  du  drame, 
ensuite  aux  convenances    particulières    du    dialogue  déclamé  ou  chanté. 

La  conséquence  de  ces  déductions  est  que  le  compositeur  qui,  les 
ayant  reconnues  justes,  les  l'ait  passer  dans  la  pratique,  n'usera  par 
ce  seul  fait  du  procédé  qu'avec  une  grande  sobriété,  et  à  des 
intervalles  éloignés. 

La  logique  théàtiale  se  trouvera  ainsi  d'accord,  —  comme  elle  doit 
l'être  toujours,  —  ave?  les  exigences  légitimes  du  public  à  qui  on 
s'adresse. 

Dans  le  cas  contraire,  le  pla'sir  que  ce  public  vient  chercher  au 
théâtre  serait  compromis;  car  si  c'est  une  disposition  naturelle  de 
notre  goût  de  retrouver  volontiers  un  motif  heureux  déjà  entendu, 
c'est  une  disposition  plus  naturelle  enroie  d'éprouver  une  insur- 
montable lassitude  en  le  retrouvant  trop  souvent.  Quel  que  soit  l'art 
du  musicien  à  varier  l'effel  en  parant  son  motif  d'ornements  toujours 
nouveaux,  il  semble  qu'il  ne  nous  produise  plus  rien  d'assez  inédit, 
d'assez  intéressant  pour  nous  captiver,  si  bien  que  nous  serions  ten- 
tés de  le  supplier  qu'il  ne  parle  plus  de  ce  que  n'.us  connaissons  tant 
et  qu'il  nous  parle  enfin  d'autre  chose.  Encoie  n'est-il  question  ici 
que  de  l'auditeur  éclairé,  ayant  l'oreille  exercée  par  la  culture  de  la 
musique,  car  pour  l'autre,  qui  ne  reconnaît  pas  le  motif  inilial  sous 
ses  t'ansformations  successives,  et  qui  n'y  peut  goûter  un  plaisir 
d'ouvrier,  il  se  débat  péniblement  contre  une  impression  grise,  toute 
brouillée. 

C'esL  qu'au  théâtre  il  faut  de  grandes  fresques.  Ces  retours  de 
motifs,  ces  développements,  ces  enluminures  n'y  doivent  trouver 
place  qu'à  ùlre  de  rapides  épisodes.  Si  on  les  prodigue,  ce  n'est  plus 
de  l'opéra,  c'est  de  la  symphonie  ;  —  ou  plutôt  ce  n'est  plus  ni  l'un 
ni  I'autie.  rar  quoi  qu'on  en  ait,  avec  l'action  qui  nous  presse,  avec 
le  décor,  avec  la  mise  en  scène,  on  ne  peut  retrouver  la'  liberté  d'al- 
lure de  la  symphonie,  sorte  de  morceau  oratoire  où  il  s'agit  de  tirer 
éloquemment  toutes  les  conséquences  de  quelques  idées  fécondes 
proposées.  Il  y  a  confusion  de  genres,  —  ou,  ce  qui  est  pire,  un 
genre  faux,  bâtard,  d'une  action  amoindrie,  en  dépit  du  talent  ou 
même  du  génie  qu'on  peut  mettre  à  son  service,  car  il  n'est  telle 
beauté  qui  ne  perde  une  partie  de  son  effet  si  elle  n'est  à  sa  vraie 
place. 

Et  qu'on  ne  dise  pas  que  la  faute  en  est  au  genre  de  l'opéra,  ou  à 
son  public,  avec  lequel,  à  tout  prendre,  il  faut  compter  : 

A  propos  d'une  pièce  naturaliste  tombée  avec  fracas,  un  anonyme 
qui  pourrait  bien  -être  M.  Brunetière,  écrivait  naguère  dans  la  Revue 
des  Deux  Mondes  : 

Ils  eussent  mieux  fait  d'examiner  si  ces  préjugés  de  théâtre, 

comme  ils  les  appellent,  n'avaient  pas  quelques  raisons  d'être,  au  lieu  de 
croire  ou  d'affecter  de  croire  qu'établis  par  le  hasard,  c'est  la  routine  qui 
les  perpétue.  Car  peut-être  se  fussent-ils  aperçus  que  si  le  roman  était 
le  théâtre,  et  si  le  théâtre  était  le  roman,  il  n'y  aurait  plus,  à  proprement 
parler,  ni  roman  ni  théâtre,  mais  une  forme  indécise  de  l'art.  Et  en 
creusant  un  peu  davantage,  ils  eussent  aussi  pu  voir  qu'au  sein  de- cette 
forme  unique  la  distinction  des  deux  genres  ne  se  fût  pas  opérée,  si  ce 
n'était  que  nous  allons  demander  au  théâtre,  —  et  eux  aussi,  —  un  genre 
de  plaisir  assez  différent  que  celui  que  le  roman  nous  procure. 

Lisez  symphonie  au  lieu  de  roman,  et  vous  aurez  la  meilleure 
réponse  à  faire  à  certaines  théories  qui  courent  le  monde  depuis 
quelque  temps. 

On  veut  apporter  dans  le  drame  musical  de  prétendues  réfoimes, 
qui,  à  force  de  transformer  le  genre,  ne  tendraient  à  rien  moins  qu'à 
le  supprimer.  Qu'il  y  ait  quelque  chose  à  prendre  dans  ce  mouvement 
d'esprit  pour  vivifier  l'art  toujours  le  même  et  pourtant  toujours 
rajeuni,  c'est  indubitable.  Il  n'y  a  courant  si  trouble  qui  ne  puisse 
contenir  quelques  parcelles  d'or.  Kéjouissous-nous  donc  de  tout  ce 
qui  peut  aviver  l'intelligence  humaine.  Mais  prenons  garde,  pour 
courir  après  un  progrès,  de  ne  point  retourner  en  arrière.  Car  ce 
serait  faire  reculer  le  drame  lyrique  que  confondre  des  genres  abso- 
lument distincts,  dont  aucun  n'est  inférieur  à  I'autie,  dont  l'heu- 
reuse séparation  est  l'œuvre  des  générations  successives,  et  qu'ont 
illustrés  des  génies  différents  mais  d'égale  grandeur. 


L'art  nouveau,  écrit  encore  l'auteur  que  je  citais  tout  â  l'heure,  tel 
qu'il  s'annonce  dans  Germinie  Lacer/eux,  c'est  l'enfance  même  de  l'art,  et 
ses  procédés  n'ont  rien'de  plus  original  que  de  nous  reporter  aux  origi- 
nes mêmes  du  théâtre.  Je  pourrais  aisément  philosopher  là-dessus  et 
montrer  que  sortis  autrefois  des  mêmes  commencements,  si  le  théâtre  et 
le  roman  se  sont  perfectionnés  en  se  séparant,  et  en  passant,  comme,  l'on 
dit,  de  l'homogène  à  l'hétérogène,  ce  serait  sans  doute  un  singulier  pro- 
grès que  de  prétendre  aujourd'hui  les  ramener  à  leur  état  d'indivision  ou 
de  confusion  primitive. 

A.  Dabston. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (4  avril).  —  Malgré  la  présence  de 
MmcCaron,  qui,  en  décembre  dernier,  avait  fait  sa  rentrée  dans  Faust,  la 
Monnaie  a  repris  cette  semaine  l'opéra  de  Gounod  avec  une  autre  titu- 
laire, Mme  de  Nuovina.  Ce  droit  strict  qu'avait  la  direction  de  confier  à 
qui  bon  lui  semblait  un  rôle  que  M01"  Caron  ne  s'était  pas  exclusivement 
réservé  a  du  néanmoins,  j'imagine,  affecter  d'une  manière  sensible  la 
grande  artiste,  et  elle  a  dû  éprouver  quelque  peine  de  ce  qu'elle  a  sans 
aucun  doute  considéré  comme  un  certain  manque  d'égards  envers  elle. 
Certains  petits  trottins  du  corps  de  ballet,  qui  lui  en  voulaient,  paraît-il, 
pour  je  ne  sais  quelles  vétilles,  n'ont  d'ailleurs  rien  eu  de  plus  pressé 
que  de  l'accabler  insolemment,  vendredi  dernier,  en  pleine  représentation 
de  Salammbô,  dans  des  conversations  tenues  à  haute  voix,  sous  le  poids 
de  cette  concurrence,  d'ailleurs  peu  redoutable;  cela  a  été  à  un  tel  point, 
et  les  nerfs  de  l'artiste  en  ont  été  affectés  d'une  façon  telle  que  s'étant 
contenue,  à  force  de  volonté,  jusqu'au  dernier  acte,  elle  a  fini  par  tomber 
en  scène,  dans  un  évanouissement  prolongé  dont  le  public  s'est  justement 
ému.  Personne,  comme  on  voit,  même  la  plus  invulnérable,  n'est  à 
l'abri  de  ces  petites  misères  de  la  vie  de  coulisses.  Quanta  Mme  Nuovina, 
on  lui  a  fait  un  succès  dans  la  vivacité  duquel  il  y  avait  certes  plus  d'en- 
gouement et  d'encouragement  que  de  réel  enthousiasme,  mais  dont  une 
bonne  part  était  vraiment  méritée.  Il  serait  injuste  de  faire  retomber  sur 
elle  le  poids  du  zèle  exagéré  de  ses  trop  empressés  amis.  M"113  de  Nuovina 
est  intelligente  ;  elle  a  de  jolies  notes  dans  la  voix,  du  tempérament,  et 
elle  a  chanté  plus  d'une  page  de  son  rôle  avec  charme,  gentillesse  et 
d'excellentes  intentions.  —  Au  Conservatoire,  nous  avons  eu  dimanche 
une  superbe  exécution  de  l'Orphée  de  Gluck,  en  entier.  La  séance  a  été 
remarquablement  intéressante.  On  a  beaucoup  applaudi,  dans  le  rôle 
d'Orphée,  une  cantatrice  peu  connue  encore,  Mu<!  Carlolta  Desvignes,  douée 
d'une  magnifique  voix  de  contralto,  avec  du  style,  de  la  correction,  de 
l'expression,  —  en  un  mot  un  talent  d'artiste  tout  à  fait  sérieux.       L.  S. 

Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Berlix  :  L'opéra  de  M.  C.  Rein- 
thaler,  Kmihehen  von  Heilbronn,  n'a  rencontré  qu'un  accueil  assez  froid  à 
l'Opéra  Royal.  On  s'attendait  à  un  meilleur  résultat  après  l'épreuve  satis- 
faisante de  Francfort-sur-le-Mein  en  1881.  La  critique  berlinoise  s'est 
montrée  d'une  sévérité  excessive  pour  cet  ouvrage,  auquel  le  souffle  dra- 
matique fait,  parait-il,  totalement  défaut.  L'action  est  terne,  les  person- 
nages n'ont  aucun  relief,  et  dans  toute  la  partition  on  ne  trouve  à  louer  que 
l'air  de  Gottschalk,  au  troisième  acte.  M1Ie  Hiedler,  MM.  Lieban  et  Betz  se 
sont  acquittés  de  leurs  rôles  avec  talent;  le  reste  de  l'interprétation  était  au- 
dessous  du  médiocre.  —  Francfort  :  On  signale  la  réussite  de  Patrie, 
l'opéra  deM.Paladilhe.au  Théâtre  Municipal.  —  Riga  :  Un  nouvel  opéra 
de  M.  Otto  Lohse,  le  Prince  maigri  lui,  a  trouvé  un  excellent  accueil  au 
Théâtre  Municipal.  —  Weimar  :  Deux  opéras-comiques  de  M.  A.  Ritter 
sont  en  répétition  au  théâtre  de  la  Cour  et  passeront  très  probablement 
dans  le  courant  du  mois  de  mai  ;  ce  sont  Jean  le  paresseux  et  A  qui  la  Cou- 
ronne? On  s'occupe  également  de  la  reprise  prochaine  du  Cheval  de  brome, 
d'Auber,  avec  un  nouveau  texte  de  Humperdinck. 

—  Valseurs,  rassurez-vous  !  La  révolution  dont  on  accusait  Johann 
Strauss  d'être  l'auteur,  et  qui  devait  avoir  pour  effet  de  changer  complète- 
ment le  caractère  de  votre  danse  favorite,  n'est  pas  sur  le  point  d'éclater, 
ainsi  qu'en  font  foi  les  lignes  suivantes  adressées  par  l'auteur  du  Beau 
Danube  bleu  à  la  Neue  Freie  Presse,  de  Vienne  :  «  Il  n'est  jamais  entré  et  il 
n'entrera  jamais  dans  mes  intentions  de  réduire  le  mouvement  delà  valse, 
de  façon  à  en  faire  un  Andante  commodo,  ni  de  le  modérer  d'une  manière 
quelconque.  Mes  deux  dernières  compositions:  Kaiserwàlzer  et  Ratlihausball- 
tânzc,  sont  la  meilleure  réfutationà  de  telles  assertions.  Le  mouvementetle 
caractère  de  la  valse  y  subsistent  tels  qu'ils  existent  depuis  quarante  ans. 
J'ai  seulement  développé  quelque  peu  l'introduction  et  la  coda.  En  maintes 
occasions  j'ai  exprimé  à  mes  amis  l'avis  que  ces  parties  comportaient  des 
développements  plus  importants.  » 

—  Un  nouveau  concours  pour  l'érection  d'une  statue  de  Mozart  à  Vienne 
va  s'ouvrir  incessamment.  Il  comportera  trois  prix,  le  premier  de  3,000, 
le  deuxième  de  1,000  et  le  troisième  de  500  florins.  Le  proja  nécessitera 
une  dépense  de  1)0,000  florins,  sur  lesquels  77,600  florins  sont  déjà   sous- 


MO 


LE  MENESTREL 


crits.  Le  monument   s'élèvera   au   milieu    de  la  place   d'Albrecht,   à  peu 
près  sur  l'emplacement  de  l'ancien  théâtre  de  la  Porte  de  Carinthie. 

—  L'Exposition  musicale  qui  devait  s'ouvrir  à  Vienne  l'été  prochain,  en 
même  temps  que  le  grand  festival  des  chanteurs  allemands,  sera  remise 
au  printemps  de  l'année  1891,  pour  cause  d'agrandissement  du  projet  pri- 
mitif. Au  lieu  d'être  circonscrite  à  l'élément  austro-hongrois,  l'Exposition 
sera  internationale,  et  toutes  les  nations  du  monde  civilisé  seront  invitées 
à  y  participer.  La  princesse  Pauline  de  Metternich  qui,  la  première,  a  eu 
l'idée  de  cette  Exposition  internationale  de  musique  à  Vienne,  a  fait 
adopter  à  la  commission  d'organisation,  présidée  par  le  bourgmestre,  les 
résolutions  suivantes.  Les  bénéfices  nets  de  l'entreprise  seront  affectés  à 
des  établissements  philanthropiques.  L'Exposition  sera  divisée  en  quatre 
grandes  sections  ainsi  dénommées  :  1°  Manuscrits,  partitions  des  plus 
illustres  compositeurs,  lettres  et  documents  ;  2°  Histoire  de  la  facture 
instrumentale  ;  3°  Portraits  et  souvenirs  de  compositeurs  et  d'artistes  mu- 
siciens célèbres  ;  4°  Documents  divers  se  rattachant  aux  premières  audi- 
tions d'opéras  et  d'œuvres  musicales  en  général.  Les  invitations  aux  nations 
seront  faites  par.  la  voie  diplomatique.  L'Exposition  se  tiendra  dans  les 
somptueux  locaux  de  l'Hôtel  de  Ville  et  durera  deux  mois,  du  mois  de 
mars  au  mois  de  mai  1891.  Le  projet  comporte  encore  un  festival  à  la 
mémoire  de  Mozart,  mort  à  la  fin  de  l'année  1791.  On  choisira  pour  date 
de  cette  solennité  celle  qui  se  rapporte  au  centenaire  de  la  Flûte  enchantée, 
lequel  tombe  pendant  la  période  de  l'Exposition. 

—  On  vient  de  faire  en  Autriche,  pour  l'Hymne  national,  quelque  chose 
d'analogue  à  ce  qui  s'est  fait  en  France,  il  y  a  deux  ans,  pour  la  Mar- 
seillaise. On  sait  que  la  musique  de  cet  hymne  est  due  à  Haydn.  Or,  le 
texte  exécuté  par  les  musiques  militaires  s'écartait  assez  sensiblement 
du  texte  original,  et  des  modifications,  des  changements  fâcheux  avaient 
fini  par  s'y  introduire.  Il  vient  d'être  reconstitué,  conformément  au  ma- 
nuscrit authentique,  par  le  chef  de  musique  du  48e  régiment  d'infanterie, 
M.  Komzak,  et  a  été  exécuté,  à  Vienne,  en  présence  du  ministre  de  la 
guerre,  de  plusieurs  généraux  divisionnaires  et  de  plusieurs  compositeurs 
éminents.  Le  ministre  va  faire  imprimer  et  transmettre  à  tous  les  corps 
de  musique  militaire  l'œuvre  reconstituée  de  Haydn. 

—  A  l'Opéra  impérial  de  Vienne  on  vient  de  donner,  avec  succès,  le 
joli  opéra-comique  de  Berlioz,  Béatrice  et  Bénedict,  dont  les  deux  rôles 
principaux  sont  tenus  par  M1,c  Renard  et  M.  Schrœder.  Le  nocturne  du 
premier  acte  surtout  a  fait  fureur,  comme  jadis  à  Bade,  lors  de  la  créa- 
tion de  cet  ouvrage.  C'est  le  directeur  de  l'Opéra  en  personne,  M.  Jahn, 
qui  dirigeait  l'orchestre.  Le  dialogue  parlé  a  été  remplacé  par  des  récita- 
tifs dont  l'auteur  est  M.  Félix  Mottl,  le  chef  d'orchestre  wagnérien  bien 
connu. 

—  On  écrit  de  Munich  à  la  Perseveranza,  de  Milan,  que  l'intendance  de 
l'Opéra-Royal  a  obtenu  de  Mmc  Gosima  "Wagner  l'autorisation  de  donner 
cette  année  quelques  représentations  de  Parsifal.  On  sait  que,  jusqu'ici,  le 
théâtre  de  Bayreuth  avait  conservé  le  monopole  de  la  dernière  œuvre  de 
Wagner. 

—  On  écrit  de  Bade  au  Journal  de  Carlsruhe  :  «  Hier  soir,  dans  la  Mai- 
son de  Conversation,  a  eu  lieu  la  Soirée  Rosenhain  organisée  par  le  Cur- 
Comité,  dans  laquelle  on  n'a  exécuté  que  des  œuvres  de  J.  Rosenhain. 
Cette  soirée  s'est  transformée  pour  le  compositeur  en  un  véritable  triomphe. 
Après  le' troisième  morceau  (concerto -de  piano,  œuvre  73,  en  ré  mineur), 
joué  par  Mllc  Lilly  Oswald  d'une  manière  si  remarquable  qu'on  l'a  rappelée 
unanimement,  l'auteur,  malgré  sa  résistance  et  aux  acclamations  de 
toute  la  salle,  a  été  entraîné  sur  l'estrade,  comblé  d'applaudissements  et 
couvert  de  cinq  couronnes  de  lauriers,  dont  une  offerte  par  le  comité 
de  la  ville  et  ornée  de  rubans  magnifiques.  » 

—  Un  véritable  événement  musical  se  prépare  à  Milan,  où  le  maestro 
Gallignani,  maître  de  chapelle  du  dôme  de  cette  ville,  s'apprête  à  faire 
exécuter  solennement,  pour  la  fête  de  Pâques,  la  Messe  du  pape  Marcel,  l'un 
des  plus  beaux  chefs-d'œuvre  du  grand  Palestrina.  On  sait  que  cette  messe 
est  la  dernière  des  trois  messes  à  six  voix  qui  ont  surtout  contribué  à  la 
gloire  de  l'immortel  artiste. 

—  Continuation  de  la  série  des  opéras  italiens  éclos...  dans  les  cartons 
des  compositeurs:  il  Trionfo  d'amore,  opéra  en  quatre  actes,  de  GiulioTa- 
nara,  qu'il  est  question  de  représenter  au  Théâtre  Philharmonique  de 
Vérone  ;  F rine  (Phryné),  du  maestro  Alitti  ;  Roma,  grand  drame  lyrique  de 
M.  Lionello  Ventura,  qui  travaille  depuis  seize  ans  à  sa  partition;  Dilara 
et  Non  loccare  la  regina,  de  M.  Oronzo  Scarano,  qui  nous  semble  bien  avoir 
cherché  le  sujet  du  premier  de  ses  ouvrages  dans  le  Gulistan  de  Dalayrac 
et  celui  du  second  dans  l'opéra  de  M.  X.  Boisselot:  Ne  louchez  pas  à  la  reine. 
Enfin  on  annonce  que  le  maestro  Carlos  Gomes,  fameux  par  son  Guarany. 
s'occupe  en  ce  moment  de  la  partition  d'un  opéra  intitulé  Wanda,  dont 
le  livret  lui  a  été  fourni  par  M.  Vincenzo  Valle. 

—  Du  20  avril  au  1er  mai,  on  donnera  à  la  Scala  de  Milan  quatre 
grands  concerts,  pour  lesquels  on  a  fait  appel  au  jeune  maestro  Giuseppe 
Martucci,  l'ardent  et  savant  directeur  du  Lycée  musical  de  Bologne.  C'est 
M.  Martucci  qui  organisera  et  qui  dirigera  ces  concerts,  dont  on  peut 
■  1';^ \ once  escompter  le  succès. 


—  Tandis  que,  à  part  le  Conservatoire,  nos  vieux  maîtres  français,  et 
les  plus  glorieux,  sont  vraiment  un  peu  trop  délaissés  par  nos  grandes 
entreprises  de  concerte,  on  les  dédaigne  un  peu  moins  à  l'étranger,  où 
l'on  trouve  qu'ils  ont  encore  du  bon.  C'est  ainsi  qu'au  troisième  concert 
de  la  Société  orchestrale  de  Rome  on  a  exécuté,  avec  beaucoup  de  succès, 
toute  une  série  de  fragments  de  Castor  et  Pollux,  l'un  des  plus  beaux 
opéras  de  Rameau  :  ouverture  —  gavotte  —  tambourin  —  air  gai  —  menuet- 
chassé-croisé  —  et  chaconne.  Au  même  concert  on  a  entendu  une  ouverture 
de  M.  Vessella,  qui  a  été  très  bien  accueillie  du  public. 

—  C'est  à  Pâques  que  commencent,  pour  les  théâtres  italiens,  la  saison 
dite  de  printemps.  Au  Costanzi,  de  Rome,  cette  saison  s'ouvrira  le  10  avril 
pour  se  poursuivre  jusqu'à  la  fin  du  mois  de  mai.  Elle  commencera  avec 
un  opéra  nouveau  de  M.  Gastaldon,  qui  sera  suivi  de  la  Statue,  de  M.  Reyer, 
jouée  pour  la  première  fois  en  Italie,  après  quoi  viendront  les  trois  petits 
opéras  inédits  récemment  couronnés  au  concours  Sonzogno.  Les  études 
de  la  Statue  sont  déjà  commencées,  et  l'orchestre  a  fait  une  première  lec- 
ture de  la  partition. 

—  On  a  célébré  à  Tolentino,  le  16  mars,  le  centième  anniversaire  de  la 
naissance  de  Giuseppe  Vaccai,  un  compositeur  fort  distingué,  mais  dont 
les  œuvres  sont  aujourd'hui  bien  oubliées.  Sur  l'initiative  de  la  Société 
philharmonique  de  la  ville,  avec  le  concours  du  municipe  et  l'intervention 
des  autorités,  des  associations,  des  bandes  musicales  de  Tolentino,  de 
Macerata,  de  Sanseverino  et  d'une  nombreuse  et  cordiale  population,  on  a 
exécuté  un  hymne  de  circonstance,  mis  en  musique  par  le  maestro 
Bodessi.  Des  couronnes  ont  été  déposées  sur  la  pierre  commémorative  de 
la  maison  où  naquit  Vaccai,  le  professeur  Vitali  a  fait  au  théâtre  une 
conférence  sur  le  compositeur,  et  le  soir  avait  lieu  un  grand  concert 
donné  à  sa  mémoire,  tandis  que  la  ville  était  magnifiquement  illuminée. 

—  A  Florence,  la  Société  philharmonique  dite  de  San  Gallo  a  résolu  de 
se  débaptiser.  Elle  a  pris  une  nouvelle  dénomination  et  s'appellera  désor- 
mais  Cercle  musical  Giuseppe  Verdi. 

—  On  vient  de  donner  à  Monte-Carlo  la  «  première  »  d'un  opéra  nou  - 
veau  en  trois  actes  et  quatre  tableaux,  le  Pilote,  paroles  de  M.  Armand 
Silvestre,  musique  de  M.  John  Urich,  un  élève  de  M.  Charles  Lenepveu, 
connu  déjà  comme  auteur  d'un  ballet  :  Nourmabal  et  d'un  opéra-comique: 
la  Dot  de  Suzette.  Constatons  toutefois  que  le  Pilote  n'est  qu'une  amplifica- 
tion d'un  petit  ouvrage  en  un  acte,  l'Orage,  donné  à  la  Monnaie  de 
Bruxelles,  sous  la  première  direction  Stoumon  et  Calabresi,  le  2  mai  1879. 
Les  auteurs  ont  agrandi  et  développé  cet  ouvrage,  qui,  sous  sa  nouvelle 
forme  vient  d'obtenir  un  vrai  succès  à  Monte-Carlo,  où  il  est  joué  par 
Mlles  Levasseur  et  Paulin,  MM.  Soulacroix  et  Isnardon.  Et  puisque  nous 
sommes  à  Monte-Carlo,  enregistrons  une  heureuse  reprise  qui  vient  d'y  être- 
faite  de  la  Fête  du  Village  voisin,  l'adorable  opéra  de  BoieJdieu,  et  consta- 
tons qu'on  a  intercalé  au  second  acte  de  cet  ouvrage  un  ballet  dont  la 
musique,  fort  agréable,  dit-on,  a  été  écrite  par  le  chef  d'orchestre, 
M.  Léon  Jehin. 

—  La  mort  du  D1'  Henry  Wylde,  dont  nous  avons  rendu  compte,  laisse 
vacante  la  plus  ancienne  chaire  de  musique  de  l'Université  britannique, 
celle  connue  sous  le  nom  de  Gresham  Professorship.  Les  candidats  à  cette 
honorable- succession  seront  assurément  nombreux,  mais  il  n'est  pas  pro- 
bable qu'on  assiste  à  la  répétition  des  scandales  des  anciens  jours,  alors 
que  pendant  plus  d'un  siècle  le  Gresham  Professorship  constituait  une 
sinécure  abandonnée  à  des  médecins,  des  prêtres  et  des  avocats.  Cet  état 
de  choses  dura  jusqu'en  1702,  lors  de  la  nomination  d'un  barbier-chirur- 
gien et  constructeur  d'orgues  du  nom  de  Thomas  Griffin.  Les  étudiants  se 
révoltèrent  et  huèrent  le  nouveau  professeur  jusqu'à  ce  qu'il  eût  quitté  la 
salle  du  cours. 

—  Hier  soir  a  dû  avoir  lieu  au  Théâtre  royal  Drury  Lane,  de  Londres, 
la  réouverture  de  la  saison  d'opéra  anglais  Cari  Rosa.  Les  nouveautés 
projetées  pour  la  saison  sont  la  production  d'un  opéra  nouveau  en  quatre 
actes  de  M.  F.  H.  Cowen,  Thorgrim  (livret  de  M.  Joseph  Bennett)  et  les  pre= 
miéres  représentations,  en  anglais,  des  opéras  Roméo  et  Juliette,  de  Gounod, 
le  Talisman,  de  Balfe,  et  les  Pêcheurs  de  Perles,  de  Bizet.  Au  mois  d'août 
viendra  l'Hamlet  d'Ambroise  Thomas. 

—  La  Pall  Mail  Gazette  annonce  que  plusieurs  dames  de  l'aristocratie 
anglaise  recueillent  des  souscriptions  en  vue  d'élever  une  statue  à  la  prin- 
cesse de  Galles.  La  princesse  sera  représentée  en  costume  et  avec  les 
insignes  de  «  doctor  of  music  ».  Cette  statue  sera  placée  à  côté  de  celle 
du  prince  de  Galles,  dans  le  hall  du  Collège  royal  de  musique  à  Londres. 

—  Selon  quelques  journaux,  la  tournée  de  la  troupe  Abbey-Grau,  dont 
font  partie  Tamagno  et  la  Patti,  aurait  été  extrêmement  fructueuse.  A  Chi- 
cago, les  représentations  à  VAudilorium,  inauguré  par  ces  artistes,  auraient 
produit  333,000  dollars,  et  à  Mexico  le  chiffre  des  places  retenues  à  l'avance 
monterait  à  150,000  dollars.  Pourtant,  le  résultat  ne  serait  pas  partout 
aussi  brillant;  c'est  ainsi  qu'on  écrit  de  San  Francisco  au  Dramatic  News: 
«  Les  représentations  de  la  compagnie  Patti-Tamagno,  qui  se  sont  ter- 
minées avec  Olello,  n'ont  pas  été  un  succès  financier,  et  les  recettes  en- 
caissées sont  restées  de  beaucoup  inférieures  aux  prévisions  établies. 
MM.  Abbey  et  Grau,  d'après  leurs  dires  officiels,  y  ont  perdu  20,000  dol- 


LE  MÉNESTREL 


111 


lars.  »  D'autre  part,  voici  ce  qu'on  écrit  de  Londres  :  «  Le  télégraphe 
nous  fait  connaître  les  prix  exorbitants  fixés  au  Métropolitain  de  New- 
York  pour  les  concerts  qu'y  doivent  donner  les  artistes  de  la  compagnie 
Abbey-Grau  :  une  place  dans  une  loge,  300 francs;  une  stalle  de  parterre, 
33  francs;  parterre  debout,  2S  francs;  place  de  galerie,  1b  francs;  paradis, 
7  fr.  50  c.  Même  à  nous  autres  Anglais,  ces  prix  semblent  singulièrement 
exagérés.  » 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 
Le  ministre  des  Beaux-Arts  a  ratifié  le  choix  de  l'Institut  et  désigné 
M.  Bourgault-Ducoudray  pour  écrire  la  partition  de  l'ouvrage  en  un  ou 
deux  actes  qui,  aux  termes  du  cahier  des  charges,  doit  être  représenté 
en  1891  sur  la  scène  de  l'Académie  nationale  de  musique.  Le  choix  est 
excellent.  M.  Bourgault-Ducoudray  est  un  artiste  sincère  et  convaincu, 
qui  a  ses  idées  à  lui  en  matière  d'art.  Il  est  clair  que  la  plupart  de  ses 
oeuvres  déjà  connues  dénotent  une  personnalité  vigoureuse  et  originale. 
La  dernière  venue,  la  Rapsodie  cambodgienne,  récemment  exécutée  aux  con- 
certs de  M.  Lamoureux,  n'est  assurément  pas  banale,  et  elle  a  vivement 
frappé  l'esprit  de  tous  les  musiciens.  Le  public  lui-même,  tout  surpris 
de  procédés  aussi  nouveaux,  ne  lui  a  pas  marchandé  ses  suffrages.  Que 
donnera  M.  Bourgault-Ducoudray  au  théâtre?  Nous  l'ignorons.  Mais  il 
était  bon  en  tous  les  cas  de  l'y  essayer,  et  comme  MM.  Ritt  et  Gailhard 
ne  seraient  certainement  pas  venus  à  lai  de  bonne  grâce,  on  ne  peut 
qu'applaudir  au  choix  du  ministre  qui  va  le  leur  imposer. 

—  A  l'Opéra,  Mme  Melba  vient  de  remporter,  dans  le  rôle  de  Marguerite 
de  Faust,  un  succès  qui  rappelle  celui  qu'elle  obtint  à  ses  .débuts  dans  le 
rôle  d'Ophélie  A'Hamlet.  Et  comme,  le  même  soir,  M.  Jean  de  Reszké 
prenait  pour  la  première  fois  possession  du  rôle  de  Faust,  il  en  est  résulté 
une  soirée  comme  on  n'en  voit  plus  souvent  à  l'Académie  nationale  de 
musique.  M.  Gounod  déclarait  même  sur  la  scène  qu'il  n'avait  jamais  vu 
un  pareil  Faust.  On  sait  de  reste  qu'avec  l'illustre  compositeur  ce  sont 
toujours  ses  derniers  interprètes  qui  sont  les  meilleurs.  Aussitôt  MM.  Bitt 
et  Gailhard  de  chanter  victoire  et  d'inonder  les  journaux  de  petites  notes 
dans  ce  genre  :  «  Cette  représentation  permet  d'établir  qu'aucun  théâtre 
en  Europe  ne  peut  présenter  une  troupe  aussi  remarquable.  »  Et  le  len- 
demain, que  voit-on  avec  Ascanio  ?  Un  ténor  quelconque,  une  chanteuse 
dramatico-comique,  et  cette  pauvre  Mme  Bosman  obligée  de  tenir  l'emploi 
d'un  contralto  qu'on  ne  trouve  pas  dans  cette  troupe  remarquable  !  Quels 
banquistes  que  ces  deux  éminents  directeurs  ! 

—  Ils  viennent  pourtant  de  faire  acte  de  sagesse  en  s'assurànt  le  con- 
cours de  M.  Lapissida.  l'ancien  directeur  du  théâtre  de  la  Monnaie,  qui 
vient  prendre  la  place  à  l'Opéra  de  M.  Mayer,  le  régisseur  général  démis- 
sionnaire. Personne  n'était  plus  apte  que  M.  Lapissida  à  remplir  ces  im- 
portantes fonctions.  Si  on  veut  le  laisser  agir,  il  fera  certainement  d'ex- 
cellente besogne.  Donc,  nous  le  répétons,  acte  de  sagesse  de  la  part  des 
directeurs  et  aussi  bien  entendu,  acte  d'économie.  Ce  serait  bien  maj 
connaître  MM.  Ritt  et  Gailhard  que  de  ne  p  as  penser  qu'ils  ont  su  tirer 
bon  parti  de  la  situation. 

—  De  l'Echo  de  Paris:  «  Nous  avons  annoncé  que  M.  Gailhard  était  parti 
pour  Bruxelles  afin  de  voir  Sulammbô.  On  fait  maintenant  courir  le  bruit 
que  M.  Gailhard  se  serait  décidé  à  engager  MmeCaron  et  à  jouer  Salammbô 
la  saison  prochaine.  Origine  de  tous  ces  bruits  :  la  prochaine  discussion 
du  budget  des  beaux-arts.  Une  fois  la  discussion  passée,  on  n'en  parlera 
plus.  » 

—  Du  même  journal  :  «  Les  petits  voyages  forment  les  chanteurs.  Pen- 
dant la  semaine  sainte,  trois  artistes  de  l'Opéra,  MM.  Duc  et  Gresse  et 
Mme  Adiny  sont  allés  interpréter  les  Huguenots  au  nouveau  théâtre  de  Mont. 
pellier.  Pourquoi  les  artistes  du  théâtre  de  Montpellier  ne  viendraient-ils 
pas  à  leur  tour  nous  jouer  quelque  chose  à  Paris?  » 

—  A  l'Opéra-Comique,  M.  Paravey  complète  sa  troupe.  On  donne  comme 
certain  l'engagement  à  ce  théâtre  de  Mlle  Jane  Harding,  une  de  nos  plus 
aimables  Parisiennes,  qui  fit  'déjà  sur  plusieurs  scènes  de  genre  quelques 
apparitions  d'une  plastique  irréprochable.  Elle  fera  assurément  très  bonne 
figure  dans  le  prochain  opéra  de  M.  Massenet.  —  On  pense  donner,  aussitôt 
après  les  congés  de  Pâques,  le  petit, ouvrage  de  M.  Michiels,  Colombine,  au- 
quel succéderait,  dans  les  derniers  jours  d'avril,  le  Dante,  de  M.  Benjamin 
Godard.  La  Basoche,  de  M.  Messager,  suivrait  de  près,  au  commencement  de 
mai.  Voilà  de  la  belle  activité.  Attendons  toutefois  l'événement  avant  d'y 
croire. 

—  Salammbô  a  vu  le  jour  à  peine,  et  voici  que  l'on  commence  à  parler 
d'un  nouvel  ouvrage  dont  s'occuperait  déjà  M.  Reyer.  Ce  serait  une 
Omphale  dont  le  livret  aurait  pour  auteurs  MM.  Alfred  Blau  et  Louis  de 
Gr  amont. 

—  M.  Edouard  Lalo,  l'heureux  compositeur  du  Roi  dYs,  met  en  ce  mo- 
ment la  dernière  main  à  une  nouvelle  partition,  sur  un  livret  de  M.  Edouard 
Blau.  Le  sujet  de  ce  nouveau  drame  met  en  scène  un  épisode  de  la  Jac- 
querie, au  moyen-âge.  Il  a  été  inspiré  au  librettiste  par  le  roman  dialogué 
de  Mérimée  et  le  livre  de  Michelct  intitulé  la  Sorcière. 

—  M""  Van  Zandt  est  de  retour  à  Paris,  venant  de  Lisbonne,  où  elle 
vient  d'interpréter  avec  grand  succès  Mignon,  Hamlel  et  Lakmé. 

—  De  l'Evénement  :  «  C'est  fait...  ou  à  peu  près.  M.  Albert  Vizentini 
va  devenir  directeur  du  théâtre  des  Variétés  au  lieu  et  place  de  MM.  Ber- 


trand et  Baron.  Les  paroles  sont  échangées.  Si  M.  Vizentini  —  ce  dont 
nous  ne  doutons  pas  —  doit  donner  à  ce  théâtre  parisien  une  allure 
moderne  et  jeune,  nous  saluons  son  retour  avec  une  grande  satisfaction.» 

—  Un  concours  pour  les  emplois  de  chef  et  de  sous-chef  dans  les  régi- 
ments d'infanterie,  auquel  sont  appelés  à  prendre  part  les  candidats  des 
différentes  armes  proposés  pour  cet  emploi  à  l'inspection  générale  de  1889, 
sera  ouvert  à  Paris  le  lundi  14  avril,  à  une  heure  de  l'après-midi,  au 
Conservatoire  national  de  musique.  Le  concours  comprendra  deux  épreuves  : 
1°  harmonie  ;  2°  orchestration.  —  Le  14  mai  prochain,  un  autre  concours 
spécial  sera  ouvert  pour  les  emplois  de  chefs  de  musique  dans  les  Écoles 
d'artillerie  et  les  régiments  de  génie.  Ce  concours  comportera  trois  épreuves  : 
1°  harmonie  ;  2°  composition;  3°  orchestration.  La  durée  de  chacune  de  ces 
épreuves  sera  de  14  heures,  de  7  heures  du  matin  à  9  heures  du  soir. 

— Bésultat  des  concours  ouverts,  pour  l'année  1890,  par  la  Société  des 
compositeurs.  1°  Un  morceau  de  concert  pour  piano  et  orchestre,  prix 
de  S0O  fr.  Fondation  Pleyel-Wolff.  Le  prix  n'est  pas  décerné.  2°  Une 
Scène  à  deux  voix  sur  des  paroles  françaises,  avec  accompagnement  de 
piano,  prix  de  200  francs  offert  par  la  Société.  Pas  de  prix.  Une  mention 
honorable  est  décernée  au  manuscrit  portant  pour  épigraphe  :  «  C'était 
l'heure  où  l'oiseau  sous  les  vertes  feuillées  repose,  et  où  tout  s'endort, 
les  hommes  et  les  dieux.  »  Le  pli  cacheté  ne  sera  ouvert  qu'avec  l'auto- 
risation de  l'auteur.  3°  Une  Messe  brève  à  trois  voix,  prix  de  200  francs 
offert  par  la  Société.  Aucun  prix  n'a  été  décerné.  4°  Andante  et  Allegro 
pour  flûte,  cor  anglais  et  harpe,  prix  de  200  francs  offert  par  la  Société. 
Le  prix  a  été  décerné  à  M.  Anselme  Vinée.  S0  Une  Fantaisie  pour  grand 
orgue,  prix  de  200  francs  offert  par  la  Société.  Le  prix  ex  œquo  est  attribué 
à  MM.  Samuel  Rousseau  et  Boelmann.  La  somme  affectée  au  concours 
de  la  messe  n'étant  pas  décernée  est  attribuée  à  l'un  des  lauréats. 

—  Avec  un  portrait  de  M.  Saint-Saëns  tel  que  nous  le  connaissons  au- 
jourd'hui, l'Illustration  reproduit,  dans  son  dernier  numéro,  un  portrait  de 
l'auteur  d'Ascanio  publié  par  elle  dans  son  numéro  du  23  mai  1846,  et  qui 
est  tout  à  fait  curieux  et  original.  C'était  à  l'occasion  d'un  concert  que  le 
jeune  Saint-Saëns  venait  de  donner  à  la  salle  Pleyel  ;  on  le  représentait 
devant  un  piano,  sur  lequel  couraient  ses  mains  ;  pour  costume,  pantalon 
foncé,  petite  veste  noire,  gilet  blanc  et  cravate  flottante.  Ce  portrait  était 
accompagné  d'un  article  dont  nous  extrayons  ces  lignes  :  «  Nous  venons 
d'assister  aux  débuts  d'un  enfant  de  dix  ans  qui,  dans  un  concert  donné 
chez  M.  Pleyel,  s'est  fait  entendre  sur  le  piano.  Camille  Saint-Saëns  nous 
a  fait  connaître  une  de  ces  hautes  intelligences  qui  font  époque.  Sa  pro- 
digieuse mémoire  lui  a  permis  de  jouer  dans  la  même  soirée,  sans  en 
avoir  la  musique  écrite  sous  les  yeux  :  un  concerto  de  Mozart,  un  air  de 
Hœndel,  une  fugue  du  même  auteur,  une  toccata  de  Kalbbrenner,  un 
prélude  et  une  fugue  de  Bach,  et  enfin  un  concerto  de  Beethoven.  »  Ce 
n'était  pas  mal  en  effet,  en  dehors  même  du  talent  déployé,  cet  effort  de 
mémoire  de  la  part  d'un  bambin  de  dix  ans,  et  le  public  en  fut  justement 
émerveillé. 

—  Un  incident  du  concert  que  vient  de  donner  M.  A.  Maton.  Mlle  Sybil 
Sanderson,  subitement  enrouée,  prévint,  au  dernier  moment,  qu'elle  était 
dans  l'impossibilité  de  chanter.  A  cette  nouvelle,  l'Alboni,  qui  se  trouvait 
dans  la  salle,  fit  annoncer  qu'elle  allait  la  remplacer.  On  lui  installa  sur 
la  scène  un  fauteuil  et,  assise,  la  grande  artiste  chanta,  avec  son  style  et 
sa  voix  incomparables,  l'air  de  la  Favorite.  Inutile  de  parler  de  l'enthou- 
siasme du  public. 

—  Le  jeudi  24  avril,  M.  Weckerlin  donnera  une  soirée  musicale  dans 
la  salle  du  Conservatoire  pour  faire  entendre  à  ses  amis  diverses  com- 
positions ,  dont  l'exécution  sera  confiée  à  l'orchestre  et  aux  chœurs  de 
la  Société  des  concerts,  dirigés  par  M.  Garcin.  Il  y  aura,  entre  autres 
œuvres,  le  Samson  de  Voltaire,  mis  en  musique  par  M.  Weckerlin. 

—  Un  roman  musical. \  Le  Figaro  a  commencé,  mercredi  dernier,  la 
publication  d'un  feuilleton  de  M.  le  comte  Léon  Tolstoï,  qui  a  pour  titre 
la  Sonate  de  Kreutzer. 

CONCERTS  ET  SOIRÉES 
La  dernière  séance  de  la  Société  des  concerts,  au  Conservatoire, 
s'ouvrait  par  la  symphonie  en  ré  de  Beethoven,  dont  l'exécution  nous  a 
paru  laisser  un  peu  à  désirer  du  côté  de  l'ensemble  et  .de  la  netteté.  On 
est  habitué,  de  la  part  de  cet  admirable  orchestre,  à  une  telle  per- 
fection, qu'on  en  devient  d'autant  plus  difficile  à  son  égard,  et  qu'on 
reste  étonné  lorsqu'il  n'est  pas  absolument  irréprochable.  La  vérité  est, 
croyons-nous,  que  la  symphonie  en  ré,  jouée  plus  rarement  que  la  Pasto- 
rale, ou  l'Héroïque,  ou  Vut  mineur,  est  peut-être  moins  dans  les  doigts  et 
la  mémoire  de  tous  ;  d'où  une  faiblesse  relative  dans  l'interprétation.  L'un 
des  grands  attraits  du  programme  était  la  sélection  de  Psyché,  de  M.  Am- 
broise  Thomas,  dont  M"lc  Krauss  et  MUe  Landi  faisaient  les  frais  au  point 
de  vue  vocal,  et  qui  comprenait  les  morceaux  suivants  :  Introduction  — 
Chœur  des  Nymphes  —  Récit  et  romance  du  Sommeil  —  Invocation  à  la 
Nuit  —  Scène  de  l'extase  —  Bacchanale.  Ces  fragments,  dont  le  choix  ne 
saurait. être  plus  parfait,  ont  produit  un  grand  effet,  justifié  tout  à  la  fois 
par  la  valeur  exquise  des  divers  morceaux  et  par  leur  admirable  inter- 
prétation. M1110  Krauss,  avec  son  articulation  superbe,  son  style  incompa- 
rable et  son  merveilleux  sentiment  artistique,  a  mis  en  leur  plein  relief 
ces  deux  pages  délicieuses  du  rôle  de  Psyché,  l'Invocatiou  à  la  Nuit  et 
l'air  :  O  l'extase  divine.  A  côté  d'elle,  MUa  Landi,  qui  représentait   Eros,  a 


I J2 


LE  MENESTREL 


fait  briller  sa  belle  voix  et  son  beau  phrasé,  si  vraiment  musical,  dans  la 
romance  du  Sommeil,  qui  n'aurait  su  être  chantée  avec  un  goût  plus 
parfait.  Chacun  a  eu  sa  part  dans  le  succès  qui  a  accueilli  ces  fragments: 
l'orchestre,  pour  la  grâce  et  la  délicatesse  qu'il  a  apportées  à  l'exécution 
de  l'introduction,  et  les  chœurs,  pour  le  charme  et  l'ensemble  avec  lesquels 
ils  ont  détaillé  ce  bijou  qui  a  nom  le  Chœur  des  Nymphes  et  qui  depuis 
longtemps  est  justement  célèbre.  Après  l'Hymne  d'Haydn,  après  l'étonnante, 
la  foudroyante,  la  prodigieuse  ouverture  de  Coriolan,  de  Beethoven,  venait 
le  finale  si  puissant  et  si  dramatique  du  second  acte  de  la  Vestale  de  Spon- 
tini,  dont  Rossini  s'est  si  bien  souvenu  en  écrivant  celui  du  Barbier.  Les 
soli  do  cette  page  si  poignante,  si  pathétique  et  d'une  intensité  d'expres- 
sion qu'on  ne  saurait  dépasser,  étaient  confiés  à  Mme  Krauss,  qui  s'y  est 
montrée  d'un  bout  à  l'autre  admirable,  pleine  tour  à  tour  d'une  énergie 
sombre  ou  d'un  désespoir  déchirant,  et  à  M.  Delmas,  dont  c'est  faire  suf- 
fisamment l'éloge  que  de  dire  qu  il  était  digne  en  tous  points  d'une  telle 
partenaire.  Tous  deux  ont  montré  une  incomparable  vaillance,  et,  puis- 
samment secondés  parles  chœurs  et  l'orchestre,  ont  littéralement  soulevé 
l'enthousiasme  du  public,  qui  leur  a  fait  une  longue  et  chaleureuse  ova- 
tion. Il  ne  fallait  rien  de  moins,  pour  terminer  dignement  une  si  belle 
séance,  que  l'étincelante  ouverture  du  Freischûtz,  qui  complétait  un  des 
plus  beaux  programmes  de  la  saison.  A.  P. 

—  Au  concert  du  vendredi  saint  nous  avons  entendu  de  nouveau  la 
symphonie  en  ut  mineur  de  M.  Saint-Saéns,  qui  est  bien  décidément  une 
œuvre  superbe,  d'une  facture  merveilleuse  et  d'une  solidité  de  construc- 
tion à  défier  toutes  les  critiques.  On  n'y  voudrait  qu'un  peu  plus  de  spon- 
tanéité et  d'originalité  dans  les  idées;  mais,  telles  qu'elles  sont,  ces  idées 
sont  développées  avant  tant  d'art  et  d'habileté,  les  harmonies  sont  si  riches 
et  si  ingénieuses,  la  pâte  instrumentale  est  si  puissante,  si  colorée,  par- 
fois si  neuve,  que  l'œuvre  reste  certainement  une  des  plus  belles  et  des 
plus  nobles  en  son  genre  qui  se  soient  produites  depuis  bien  longtemps. 
Le  public  du  Conservatoire  ne  se  lasse  pas  de  l'entendre,  et  son  effet  a  été 
aussi  complet  cette  fois  que  les  précédentes.  Après  la  Marche  religieuse  de 
Lohengrin,  qui  venait  ensuite,  M.  Paderewski  est  venu  jouer  le  concerto 
de  Schumann,  qui  lui  a  valu  un  succès  éclatant.  M.  Paderewski,  que 
nous  avons  eu  l'occasion  d'entendre  cet  hiver  un  peu  partout,  est  devenu 
l'un  des  favoris  du  public  parisien,  et  il  mérite  l'accueil  qu'on  lui  fait  en 
tous  lieux  par  un  ensemble  de  qualités  qui  en  font  un  artiste  accompli. 
Il  joint  la  grâce  à  la  vigueur,  la  délicatesse  à  la  force,  son  style  est  irré- 
prochable à  part  une  légère  nuance  de  maniérisme,  enfin  sa  précision  ryth- 
mique, la  correction  et  la  netteté  parfaites  de  son  jeu,  la  belle  sonorité 
qu'il  tire  de  l'instrument  grâce  à  une  attaque  superbe  de  la  note,  un  art 
infini  des  nuances,  en  font  un  des  plus  remarquables  pianistes  de  ce  temps. 
Des  applaudissements  unanimes  et  un  double  rappel  lui  ont  prouvé  tout 
le  plaisir  qu'il  avait  causé.  Je  n'en  saurais  dire  autant  de  M"cSibyl  San- 
derson,  à  qui  l'on  avait  eu  la  singulière  et  malencontreuse  idée  de  confier 
le  solo  de  la  Gallia  de  M.  Gounod.  Ici,  nous  ne  sommes  plus  à  l'Opéra- 
Comique,  et  il  ne  s'agit  plus  à'Esclarmonde ;  i!  faudrait  un  peu  de  voix  et 
un  tantinet  de  style  pour  chanter  cette  musique  ;  or,  Mlle  Sanderson  est 
aussi  dépourvue  de  l'une  que  de  l'autre,  et  sa  merveilleuse  beauté,  aidée 
d'une  toilette  exquise,  n'est  qu'une  qualité  extra-musicale  qui  ne  rachète 
pas  l'insuffisance  absolue  de  la  cantatrice.  L'auditoire  le  lui  a  fait  com- 
prendre par  la  politesse  froide  dont  il  a  fait  preuve  envers  elle.  Les  frag- 
ments du  Songe  d'une  nuit  d'été  de  Jlendelssohn  sont  venus  heureusement 
effacer  cette  fâcheuse  impression  et,  grâce  à  eux  et  à  leur  brillante  exécu- 
tion, la  séance  s'est  terminée  d'une  façon  plus  satisfaisante.         A.  P. 

—  Musique  de  chambre.  —  MM.  Le'fort,  Guidé,  Giannini  et  C.  Casella 
viennent  de  donner  deux  dernières  séances  de  musique  de  chambre.  Au 
programme,  le  quatuor  à  cordes  de  Mendelssohn,  le  quatuor  avec  piano 
de  Schumann  et  la  Sonate  à  Kreutzer  de  Beethoven.  La  pianiste  était 
Mmo  Godchaux-Hullmann,  qui  possède  une  très  remarquable  virtuosité. 
M.  Taffanel  a  merveilleusement  joué  la  délicieuse  suite  pour  flûte  et 
piano  de  M.  "Widor,  et  M.  Casella  a  dit  avec  le  brio,  la  verve  et  la  chaleur 
qui  caractérisent  son  grand  talent,  un  adagio  et  une  valse  exquise,  vive- 
ment redemandée,  du  même  maître.  —  Nous  sommes  en  retard  pour 
parler  de  la  troisième  séance  de  musique  de  chambre  pour  instruments  à 
vent.  L'intérêt  du  concert,  du  reste,  était  moins  grand  que  d'habitude. 
XJnsextuor  de  M.  Thuille,  dont  c'était  la  première  audition,  est  une  œuvre 
agréable;  on  en  a  bissé  le  troisième  morceau,  le  moins  bon,  assurément, 
des  quatre  qui  composent  l'œuvre  ;  la  Méditation  de  M.  Lefebvre  est  d'une 
inspiration  charmante  ;  il  n'y  a  rien  à  dire  de  Voltetto  de  M.  Gouvy,  que 
nous  entendons  chaque  année  et  que  MM.  Taffanel  et  consorts  exécutent 
parfaitement.  I.  Ph. 

—  On  abuse  tellement  aujourd'hui  de  la  puissance  et  même  de  la  vio- 
lence, que  c'est  une  véritable  béatitude  pour  l'oreille  d'entendre  une  pianiste 
qui  cherche  et  rencontre  l'effet  dans  la  délicatesse,  dans  la  couleur  et 
dans  le  charme.  Aussi,  le  public  qui  était  accouru  samedi  dernier  au 
concert  donné  par  M1™  Herman  à  la  salle  Pleyel,  l'a-t-il  applaudie  avec 
chaleur.  Tous  étaient  conquis,  subjugués  par  ces  doigts  mis  au  service 
d'une  «  âme  »,  Trois  morceaux  de  Chopin  :  Berceuse,  Tarentelle,  Polonaise, 
ont  été  traduits  par  MIM  Herman  avec  un  style  très  personnel  et  un  sen- 
timent exquis.  Elle  a  su  donner  au  Menuet  de  Schubert  son  charme  mé- 
lancolique et   pénétrant,   enlever   avec    un   brio    féerique   la   Novellette  de 


Schumann  et  prouver,  dans  la  Rapsodie  Hongroise  de  Liszt  que  le  charme 
n'exclut  point  la  vigueur.  Enfin  la  L'gend  slave  de  M.  Bourgault-Ducoudray, 
jouée  pour  la  première  fois  en  public,  a  procuré  à  M™  Herman  une  véri- 
table ovation.  Elle  est  très  belle,  cette  «  légende  ».  Mme  Herman  l'a  admi- 
rablement interprétée,  les  nuances  étaient  exquises.  Aussi  le  public  a- 
t-il  manifesté  son  plaisir  d'une  manière  bruyante.  Compositeuret interprète 
devaient  être  satisfaits,  puisqu'il  a  fallu  «  bisser  »,  chose  extrêmement 
rare  dans  ce  genre  ds  concert.  Nous  ne  savons  dans  quel  «  mode  » 
M.  Bourgault-Ducoudray  a  écrit  sa  «  légende  »  ;  mais'le  dernier  accord  est 
une  trouvaille.- 

—  A  la  matinée  d'Alexandre,  donnée  jeudi  dernier  à  l'Opéra-Comique, 
le  charmant  duo  d'Emile  Bourgeois  —  la  Tourterelle  et  le  Papillon,  —  chanté 
par  M1'"  Nardi  et  Mme  Bernaêrt  et  accompagné  par  l'auteur,  a  obtenu  beau- 
coup de  succès.  Il  en  avait  été  de  même  deux  jours  avant,  au  concert  de 
la  Société  Philharmonique  d'Elbeuf. 

—  Mercredi  dernier  a  eu  lieu,  salle  Pleyel,  avec  le  concours  de 
MM.  Brun,  Laforge,  Taffanel,  Dressen  et  Guidé,  le  cinquième  concert 
donné  par  MM.  Marsick,  R.  Loys  et  Mme  George  Hainl.  Le  programme 
comprenait  le  trio  en  sol  mineur  de  Schumann,  la  sérénade  pour  flûte, 
violon  et  alto  de  Beethoven,  qui  a  ravi  l'assistance  par  son  charme  déli- 
cieux et  sa  ravissante  désinvolture,  et  le  sextuor  pour  cordes  de  Brahms, 
œuvre  d'un  caractère  élevé  et  d'une  inspiration  noble  et  soutenue.  Ces 
morceaux  ont  été  rendus  avec  un  goût  très  pur,  beaucoup  de  sentiment 
et  une  virtuosité  pleine  d'aisance  et  de  distinction.  Am.  B. 

Soirées  et  Concerts.  —  Gomme  d'ordinaire,  la  matinée  des  élèves  de  M.  Louis 
Diëmcr  donnée  à  la  salle  Érard  a  été  des  plus  intéressantes.  Tous  ces  élèves 
sortaient  de  sa  classe  du  Conservatoire,  cla-se  superbe,  on  peut  le  dire,  puisqu'aux 
derniers  concours  elle  remportait  toutes  les  lécompenses.  A  entendre  MM.  Galand, 
Quévremont,  Biume,  Pierret,  Bonnel,  BlO'  dîn,  Niederhofheim  et  Descspingalle,  il 
n'est  peut-être  pas  présomptueux  de  prévoir  le  même  succès  pour  cette  année. 
Ce  sont  tous  de  jeunes  virtuoses  bien  stylés,  qui  donnent  les  plus  grandes  espé- 
rances. Au  programme,  des  composition1*  de  Théodore  Lack  et  de  Francis 
Thomë.  De  celui-ci,  2't  préludes  exécutés  les  un«  après  les  autres  par  toute  la  petite 
phalange  de  M.  Diémer;  de  celui-là,  une  série  de  morceaux  à  deux  pianos,  parmi 
lesquels  les  suites  concertantes  sur  Sylvia  et  Coppélia  ODt  été  surtout  chaleureu- 
sement accueillies.  Ce  sont  des  arrangements  vraiment  merveilleux  et  d'une  ingé- 
niosité exquise.  M.  Léo  Delibes,  qui  assistait  à  la  séance,  en  ae  xprmé  tout  son 
contentement  à  M.  Théodore  Lack.  —  Dimauche  dernier,  salle  Érard,  M""  Hor- 
tense  Parent  faisait  entendre  sa  classe  supérieuie  de  piano.  Quinze  élèves  se  sont 
fait  chaleureusement  et  justement  applaudir.  Citons  le  concerto  de  M.  Lalo,  le  con- 
certo de  Rubinstein,  la  Vélocité  de  Mathias,  jouée  en  perfection  par  M"°  Lizzie  P.; 
le  Scherzo  et  Choral  de  Dubois,  etc.  Parmi  les  morceaux  d'ensemble,  toujours  très 
remarqués  aux  séances  de  M"'  Parent,  se  trouvaient  le  Cortège  de  Racclius  (8  mains) 
et  les  Pizzicati  (18  mains)  de  Léo  Delibes.  Ces  deux  morceaux,  exécutés  de  mé- 
moire et  avec  un  ensemble  surprenant,  ont  été  bissés.  —  Brillante  matinée 
d'élèves  chez  M010  Ducatez-Lévy,  consacrée  aux  œuvres  de  piano  et  de  chant  de 
M.  Georges  Pfeiffer:  citons  parmi  les  plus  applaudies  la  Mélodie  en  ut  et  Sérénade 
tunisienne,  ainsi  que  Hondel  et  Pour  mon  bien-aime  mélodies  chantées  par  Mme  Pouillet. 
Lcsjcunes  pianistes  font  grand  honneur  à  l'eicellent  enseignementdeMm'Ducattz- 
Lévy.  —  La  semaine  passée  avait  lieu  au  théâtre  de  la  Galerie.  Vivienne  le  con- 
cert annuel  de  M.  Victor  Géo.  Le  sympathique  chanteur  comique  s'est  fait  applaudir 
dans  une  opérette  de  sa  façon,  le  Nouveau  Genre,  dont  c'était  la  première  repré- 
sentation, et  pour  laquelle  M.  Léon  Regnisel  a  composé  une  partition  très  réussie. 
M.  Géo  avait  pour  partenaire  Mm0  Cécile  Bernier,  des  Variétés,  couverte  de  bravos 
après  ses  couplets  turcs,  qu'elle  interprète  avec  beaucoup  de  finesse  et  d'esprit. 
Parmi  lés  meilleurs  intermèdes  de  la  soiiée  citons  la  romance  de  Jean  de  Nivelle, 
qu'on  a  bissée  à  M""  Georgette  Bréjean,  une  jeune  cantatrice  douée  d'une  voix 
souple  et  pleine  de  charme,  le  duo  du  Crucifix,  de  Faure,  rendu  avec  chaleur  par 
MM.  Georges  et  Edmond  Clément  (de  l'Opéra-Comique),  enfin  les  tavissantes 
pièces  pour  cor  anglais  de  M™0  de  Grandval,  Prélude  et  Valse  lente,  parfaitement 
exécutées  par  M.  Jules  Bertain.  M"0  Jeanne  Petit  s'est  acquittée  de  s- s  fonctions 
d'accompagnatrice  à  la  satisfaction  générale.  (A  suivre.) 

Concerts  annoncés.  —  Mardi  prochain,  8  avril,  salle  Kriegtlstein,  concert  de 
M""  Marie  Minaldi,  avec  le  concours  de  M"'  Cornélie  Gouay  et  de  MM.  Paul 
Berquet,  Gaston  Courras,  Dumesson,  Talandet,  Brissier,  Dodement  et  Emile  Bour- 
geois. —  Le  violoniste  Ladislas  Gorski  donnera,  le  mercredi  9  avril,  un  concert  à. 
la  salle  Érard.  MM.  Paderewski,  Alonzo,  Parent  et  Salmon  prêteront  leur  concours 
à  l'excellent  artiste.  —  Samedi  12  avril,  concert  de  la  violoniste  M"*  Albeitine 
Magnien,  avec  le  concours  de  M'""  Vandeul-Escudier  et  de  MM.  Charles  Dancla, 
Ernest  Mousset,  Ronchini,  Victor  Gèo,  Wittwer  et  Buonsollazzi.  —  L'association 
artistique  du  Quatuor  vnca  ,  fondée  par  Mm0  Muller  de  la  Source,  donnera  ses  deux 
concerts  les  dimanche  21)  avril  (en  matinée)  et  vendredi  16  mai  (soirée)  à  la  salle 
d'Hoiticulture,  84,  rue  de  Grenelle.  —  A  la  salle  Duprez,  rue  Condorcet,  le  21  avril 
au  soir,  concert  de  M™"  Men dès-France,  avec  le  concours  de  M1,u  L.  Steiger,  de 
MM.  Geloso,  Dressen,  Maton  et  Maurice  Schutz,  du  Conservatoire.  —  Le 
mardi,  15  avril,  à  l'Institut  Rudy  (Académie  internationale  de  musique),  7,  rue 
Royale,  sera  donnée,  a  8  heures  et  demie  du  soir,  une  audition  de  piano  par 
M.  Victor  Benham,  de  New- York.  Ce  jeune  virtuose,  élève  de  M.  Mathis  Lussy, 
professeur  a  l'Institut  Rudy,  vient  demander  a  Paris  la  consécration  d'une  répu- 
tation acquise  en  Amérique.  —  Demain  lundi,  a  la  salle  Pleyel,  concert  donné 
par  M"*  Adélaïde  Barbé. 

Henri  Heuoel.  directeur-qét anl . 

WWW  en  l'Aude  de  Me  CIIERRIER,  notaire  à  Paris,  44,  rue  du 
V1j±\1I1i  Louvre,  le  23  avril  1890  à  midi,  en  cinquante-sept  lots  avec 
faculté  de  réunion  :  1"  D'un  FONDS  d'éditeur  de  musique  et  lirrairië 
â  Paris,  rue  des  Bons-Enfants,  n°  22.  —  2°  La  propriété  LITTÉRAIRE 
et  artistique  de  divers  ouvrages.  —  S'adressser  au  notaire  pour  le 
Catalogue. 


Dimanche  l'i  Avril  1890. 


3080  -  56™  ANNEE  -  l\°  15.  PARAIT    T0US    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vi vienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement, 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  l'r.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  l'r.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  eu  sus. 


SOMMAIRE -TESTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (53°  article),  Albert  Soubies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale:  la  Société  des  Grandes  Auditions  musicales 
de  France,  H.  Moreno;  première  représentation  des  Grandes  Manœuvres,  aux 
Variétés,  Paul- Emile  Chevalier.  —  III  Le  théâtre  à  l'Exposition  (21*  article), 
Arthur  Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  1' 

ENTRACTE- BALLET 

extrait  de  la  Vocation  de  Marius,  la  nouvelle  opérette  des  Nouveautés, 
musique  de  Raool  Pugno.  —  Suivra  immédiatement:  Capitaine-polka,  sur 
les  motifs  de  l'opérette  le  Fétiche,  de  Victor  Roger,  par  Philippe  Fahrbach. 

CHANT 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant  :  Elle  a  mis  sa  toilette  claire,  n°  3  des  Rondels  de  Mai,  de  M.  B. 
Colomer,  poésie  de  Lucien  Dhuguet.  —  Suivra  immédiatement  :  Nous  che- 
minions dans  le  sentier,  n°  i  des  Rondels  de  Mai,  de  M.  B.  Colomer,  poésie 
de  Lucien  Dhiiguet. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


A.lt>ex>t  SOUBIES   et  Charles   MALHERBE 


CHAPITRE  XIV 

MEYERBEER    A    l'OPÉRA-COMIQUE 
LE  PARDON  DE  PLOERMEL 

(1856-1859) 
(Suite.) 

Dans  l'œuvre  de  Grétry,  comme  dans  celui  de  tout  maître 
en  son  art,  il  faut  distinguer  trois  sortes  d'ouvrages  :  les 
bons,  qui  passent  à  la  postérité  ;  les  médiocres,  qui  résistent 
plus  ou  moins  longtemps;  les  mauvais,  qui  meurent  en  nais- 
sant. Les  Méprises  par  ressemblance,  données  pour  la  première 
fois  à  Fontainebleau  devant  la  Cour  le  7  novembre  1786  et 
aux  Italiens  à  Paris  le  16  du  même  mois,  appartiennent  à  la 
seconde  de  ces  catégories.  La  dernière  reprise  dalait  de  1822  ; 
c'étnit  donc  une  nouveauté  pour  le  public  de  1858,  qui 
voyait  une  vieille  pièce,  cetLe  fois,  par  extraordinaire,  non 
retouchée  par  un  arrangeur,  et  qui  vint  trente  fois  en  deux 
ans  applaudir  Beckers  (Robert),  Nathan  (le  Bailli),  Delaunay- 
Ricquier  (Sans -Quartier),  Crosti  (La  Tulipe),  Troy  (Sans-Re- 
gret), Saiote-Foy  Llacquinoi.),  Mlle  Lhéritier  (Thérèse),  M""  De- 
croix  (Louison),  MM  Casimir  (Margot),  dans  les  rôles  créés 
par  Narbonne,  Rosières,  Philippe,  Meunier,  Chenard,  Trial, 
Mm<!S  Adeline,  Carline  et  Gonihier. 


On  connaît  l'histoire  du  directeurqui  remplacé  la  musique  de 
la  Dame  blanche  par  «  un  dialogue  vif  et  animé!  »  C'est  pour  les 
Méprises  par  ressemblance  qu'une  telle  légende  est  entrée  dans  le 
domaine  de  la  réalité!  Le  librettiste  Patrat,  l'auteur  de  l'Anglais 
ou  le  Fou  raisonnable,  estimant  que  s-on  collaborateur,  si  célèbre 
qu'il  fût,  ne  lui  avait  fait  obtenir  que  dix  représentations  en 
deux  ans,  et  rêvant  de  succès  plus  durables  et  plus  fructueux, 
supprima  d'un  trait  de  plume  toute  la  musique;  il  fit  de  la 
comédie  «  à  ariettes  »,  une  comédie  «  sans  ariettes,  » 
changea  le  titre,  et,  sous  cette  nouvelle  forme,  les  Deux  Gre- 
nadiers ou  les  Quiproquos  furent  représentés  en  1792  au  théâtre 
de  la  Cité,  puis  au  théâtre  Montansier,  où  ils  se  maintinrent 
plusieurs  années.  Tous  ces  détails,  et  d'autres  encore,  se  re- 
trouvent dans  la  magnifique  édition  des  Œuvres  complètes  de 
Grétry  dont  le  gouvernement  belge  a  pris  l'initiative,  et  qui 
se  publie  à  l'heure  actuelle  chez  les  célèbres  éditeurs  de 
Leipzig,  Breitkopf  et  Hârtel.  Disons  en  passant  que  par  la 
beauté  de  l'impression,  par  la  correction  du  texte,  par  l'exac- 
titude et  l'intérêt  des  notices  qui  accompagnent  chaque  vo- 
lume et  que  rédigent  M.  Edouard  Fétis  et  M.  Victor  Wilder, 
cette  édition  critique  est  le  plus  beau  monument  que  l'on 
pût  élever  à  la  gloire  de  Grétry  :  un  pays  s'honore  en  hono- 
rant ainsi  l'un  de  ses  plus  illustres  enfants. 

C'était  un  Belge  encore  ce  Limnander,  dont  on  reprenait, 
peu  après  les  Méprises,  l'opéra  réduit  en  deux  actes  les  Mon- 
ténégrins, avec  Barbot  (Sergis),  Troy  (Ziska),  Nathan  (Andréas), 
Mlle  Pannetrat  (Beatrix),  une  débutante  estimable,  et  les  deux 
seuls  artistes  ayant  appartenu  à  la  distribution  primitive 
de  1849,  Sainte-Foy  (Foliquet)  et  Mue  Lemercier  (Regina). 
Cette  tentative  fut  un  succès  pour  le  chanteur  Troy,  mais 
non  pour  l'œuvre,  à  laquelle  onze  représentations  portèrent 
le  dernier  coup. 

Plus  heureuse  au  contraire  fut  la  Part  du  Diable,  le  troisième 
ouvrage  d'Àuber  qu'on  reprenait  depuis  huit  mois  !  Hono- 
rablement représentée  par  des  interprètes  comme  Jourdan 
(Raphaël),  Prilleux  (Gil  Vargas),  Beckers  (le  Roi),  Mme  Cabel 
(Carlo),  Mue  Henrion  (Casilda),  M"«  Révilly  (la  Reine),  l'œuvre 
d'Auber  se  maintint  quatre  années  de  suite  au  théâtre  avec 
un  total  de  63  représentations. 

Mais  cette  abondance  de  reprises  laissait  deviner  une 
grande  disette  de  nouveautés.  C'était  la  qualité  qui  faisait 
défaut,  plus  que  la  quantité  :  sur  sept  pièces,  une  seule 
réussit,  les  Désespérés  ;  deux  autres  obtinrent  un  succès  d'es- 
time, Quentin  Durward  et  les  Trois  Nicolas;  le  reste  n'a  pas 
laissé  de  trace. 

Un  mylord  millionnaire,  et  un  paysan  pauvre  qui  vont  se 
pendre  par  désespoir,  et  entre  lesquels  se  glisse  une  joyeuse 
fillette  qui  les  raccommode  avec  la  vie,  en  faisant  de  l'un 
son  ami    et  de  l'autre  son  mari,   voilà   toute    l'intrigue  des 


414 


LE  MENESTREL 


Désespérés;  mais  de  Leuven  et  Jules  Moinaux  l'avaient  con- 
duite avec  esprit,  et  Bazin  avait  montré  de  la  verve  dans  sa 
partition  ;  bref,  l'acte  fut  accueilli  le"  25  janvier  1858  de  telle 
sorte  qu'il  atteignit  en  six  années  86  représentations. 

La  veine  souriait  à  ce  compositeur  plus  qu'à  M.  Gevaerl,  dont 
le  Quentin  Durward  (25  mars)  ne  put  dépasser  le  chiffre  de  59. 
Et  pourtant,  le  poème  de  Michel  Carré  et  Gormon  était  inté- 
ressant! Et  pourtant,  la  musique  était  à  quelques  égards  re- 
marquable !  '  Explique  qui  pourra  ces  inconséquences  du 
public  !  En  Belgique  on  a  repris  l'ouvrage,  il  y  a  quelques 
années  ;  à  Paris  plus  d'une  fois  il  en  fut  question,  et  si  l'au- 
teur consentait  à  effacer  quelques  taches,  à  supprimer  no- 
tamment quelques  italianismes  aujourd'hui  démodés,  Quentin 
Durward  ferait  sans  doute  encore  honorable  figure  :  l'épreuve 
au  moins  vaudrait  qu'on  la  tentât. 

Il  n'était  pas  non  plus  sans  mérite,  ce  petit  acte  que  les 
curieux  seuls  connaissent  dans  l'œuvre  de  Victor  Massé,  les 
Chaises  à  porteur,  joué  le  28  avril  ;  la  musique  avait  de  la 
grâce  et  de  l'entrain  ;  le  poème,  signé  par  deux  hommes 
d'esprit,  Clairville  et  Dumanoir,  présentait  un  amusant  im- 
broglio, dont  le  titre  indiquait  le  principal  élément,  car  chacun 
des  personnages  se  servait  du  véhicule  qui  ne  lui  apparte- 
nait pas,  d'où  résultait  un  vrai  «  pêle-mêle  de  mari  et  d'a- 
mants, de  femme  et  de  maîtresse,  de  chaises  et  de  porteurs  », 
le  tout  .d'ailleurs  assez  leste  et  lestement  conduit.  Mais 
l'Opéra-Gomique  tenait  d'autant  plus  à  ces  pièces,  franche- 
ment gaies,  qu'il  possédait  une  troupe  incomparable  pour 
les  interpréter.  Dans  ce  petit  acte,  par  exemple,  paraissaient 
Couderc,  Ponchard,  Prilleux,  Muc  Lemercier;  et  le  théâtre 
tenait  encore  en  réserve  Sainte-Foy,  Berthelier,  Mlle  Lefebvre, 
tous  artistes  dont  on  n'a  plus  guère  aujourd'hui  que  la 
monnaie. 

Leur  valeur  toutefois  ne  put  sauver  les  malheureux  ou- 
vrages qui  marquèrent  la  suite  et  fin  de  l'année  1858.  Les 
Fourberies  de,  Marinette  (2  juin),  ne  trompèrent  personne.  Ce 
petit  acte  en  vers  avait  pour  librettistes  un  journaliste,  M.  de 
Chazot,  et  Michel  Carré,  lequel  ne  se  fit  pas  nommer  le  pre- 
mier soir;  il  semblait  donc  se  rendre  compte  de  la  médio- 
crité de  son  œuvre.  Quant  au  compositeur,  M.  Jules  Creste,  il 
avait  précédemment  combiné,  à  l'usage  de  Mme  Ugalde,  une 
adaptation  musicale  des  Trois  Stdtanes,  de  Favart,  transportées, 
nous  l'avons  dit,  aux  Variétés.  C'était  un  nouveau  venu  à 
l'Opéra-Comique;  il  n'y  revint  plus. 

Mêmes  circonstances  et  même  résultat  pour  les  auteurs  de 
l'ouvrage  en  un  acte  représenté  le  18  juin,  Chapelle  et  Bachau- 
mont.  En  nous  montrant  les  deux  célèbres  amis  pris  de  vin  et 
se  faisant  berner  l'un  par  une  actrice,  l'autre  par  une  grisette, 
Armand  Barthet  avait  imaginé  une  fable  qui  ne  rappelait 
guère  le  Moineau  de  Lesbie,  auquel  il  devait  sa  réfutation.  Le 
compositeur,  lui,  n'avait  d'autre  titre  musical  que  ses  fonc- 
tions, et  lorsque,  su  ivant  l'usage  qui  tendait  à  se  maintenir, 
le  régisseur  Palianti  vint  en  habit  noir  et  gants  paille 
nommer  les  auteurs,  il  annonça  tout  au  long  que  c'était 
«  le  premier  ouvrage  de  M.  Jules  Cressonnois,  chef  de  mu- 
sique du  2e  régiment  des  cuirassiers  de  la  garde  impériale.  » 
Il  devait  plus  tard  passer  des  cuirassiers  aux  guides  et  des 
guides  à  la  Garde  de  Paris.  Rapprochement  assez  curieux  :' 
deux  ans  plus  tard,  un  autre  futur  chef  de  musique  de  la 
Garde  Républicaine,  M.  Sellenick,  débutait  au  Théâtre-Lyrique 
avec  une  pièce  en  un  acte,  et,  comme  la  précédente,  clas- 
sique au  moins  par  le  sujet,  Cris-pin  rival  de  son  maître.  : 

Les  Chaises  à  porteur  furent  jouées  51  fois  en  cinq  ans;  les 
Fourberies  de  Marinette  n'eurent  que  17  représentations;  Chapelle 
et  Bachaumont,  11  ;  la  Bacchante,  3  seulement.  C'est  tout  ce  que 
méritait  cet  ouvrage  en  deux  actes  donné  le  4  novembre,  et 
dans  lequel  les  auteurs,  gens  d'esprit  cependant,  de  Leuven 
et  de  Beauplan,  s'étaient  plu  à  jeter  au  bon  sens  une  sorte 
de  défi.  N'avaient-ils  pas  imaginé  une  jeune  fille,  soi-disant 
honnête,  qui  prenait  le  masque  et  le  nom  d'une  courtisane 
pour  ramener  à' elle  un  sien  cousin  qu'elle  aime,  se   faisant 


d'ailleurs  aider,  en  cette  triste  besogne,  par  un  chevalier 
d'industrie  qui  pousse  le  jeune  homme  au  mariage  en  l'exci- 
tant à  perdre  sa  fortune  au  jeu?  Pour"~saiïvêr "une  "pareille" 
donnée,  il  eût  fallu  un  musicien  de  génie  ;  Eugène  Gautier, 
le  compositeur,  n'avait  tout  juste  que  du  talent. 

(A  suivre.) 


SEMAINE  THEATRALE 


LA  SOCIÉTÉ  DES  GRANDES  AUDITIONS  MUSICALES  DE  FRANCE 

Allons-nous  entrer  enfin  dans  une  période  d'activité,  et  la  musique 
aura-t-elle  droit  à  une  existence  honorée  comme  d'autres  arts  plus 
heureux,  ou  plus  protégés?  Il  est  clair  qu'entre  MM.  Rilt  et  Gail- 
hard  d'une  part,  et  M.  Paravey  de  l'autre,  qui  d'ailleurs  ne  peuvent 
suffire  à  tout,  elle  se  traîne  misérablement  réduite  à  la  portion 
congrue,  sans  pouvoir  donner  l'essor  à  toutes  ses  conceptions,  à  tous 
ses  rêves.  La  musique  étant  avant  tout  un  art  d'imagination,  il  con- 
vient de  lui  laisser  la  bride  sur  le  col  et  de  se  prêter  à  toutes  ses- 
fantaisies,  d'où  peuvent  sortir  des  nouveautés  inattendues  et  d'auda- 
cieuses envolées  qui  la  renouvelleront.  Ce  n'est  pas  avec  notre 
concentration  parisienne  et  les  deux  scènes  que  nous" mettons  géné- 
reusement à  sa  disposition,  qu'on  peut  avoir  l'espoir  de  suffire  à  ses 
besoins,  et  c'est  pour  cela  que  depuis  des  années  elle  se  replie  sur 
elle-même,  rongeant  son  frein  en  attendant  l'heure  de  la  délivrance.  - 
On  la  berne  depuis  longtemps  d'un  tas  de  projets  qui  ne  se  réalisent 
jamais,  el  il  faut  vraiment  qu'elle  soit  de  robuste  santé,  pour  n'avoir 
pas  encore  succombé  tout  à  fait.  Eh!  bien,  voici  un  petit  coin  de 
ciel  bleu  qui  se  découvre  pour  elle.  Qu'y  a-t-il  de  sérieux  dans  ce 
projet  et  qu'en  adviendra-t-il  "?  On  a  le  droit  d'être  méfiant  après  tant 
de  déboires.  N'importe  !  Voici  une  branche  qu'on  nous  tend,  accro- 
chons-nous-y avec  l'énergie  du  désespoir  et  souhaitons  qu'elle  ne 
soit  pas  pourrie  comme  tant  d'autres. 

Nous  ne  pouvons  faire  mieux  que  de  reproduire  ici  m  extenso  le 
programme  de  la  nouvelle  Société,  tel  qu'il  a  été  publié  dans  le 
Figaro  : 

Une  œuvre  est  en  train  de  se  fonder  qui  rendra  les  plus  grands  services 
aux  compositeurs  français,  et  qui  est  assurée  d'un  légitime  succès  parce 
qu'elle  répond  à  un  besoin  public.  C'est  la  «  Société  des  grandes  Auditions 
musicales  de  France  ». 

On  sait  les  difficultés  qu'éprouvent  nos  compositeurs  à  se  faire  jouer 
dans  Paris,  et  la  contrainte  où  ils  se  trouvent  d'exporter  leurs  partitions- 
les  plus  remarquables. 

Las  d'attendre  aux  portes  de  nos  théâtres  lyriques,  Reyer,  Gounod,  Sal- 
vayre,  Saint-Saëns,  Ghabrier,    Litolff,    Benjamin    Godard,    Lenepveu,    les" 
frères  Hillemacher,  Théodore  Dubois,  Massenet,  et  le  Maître,  jadis,  Ber- 
lioz, se  virent  forcés  d'expatrier  leurs  plus  belles  œuvres. 

C'est  ainsi  que  Londres  eut  la  primeur  de  la  Rédemption  et   de   Velléda,  - 
que  Darmstadt  donna  la  première   de  Samson  et  Dalila,  que  Saint-Péters- 
bourg monta  Richard  III,  et  que  la  Monnaie  de  Bruxelles  offrit  à  un  publié- 
d'élite,  accouru  de  tous  les  points  de  l'Europe,  une  série  de  premières  inou- 
bliées :  Sigurd,  Jocehjn,  Ilérodiadc,  les  Templiers,  Saint-Mégrin,  Salammbô,  etc. 

Quant  aux  opéras  de  Berlioz,  représentés  pour  la  plupart  en  Allemagne, 
ils  restent,  dans  leur  ensemble,  inconnus  de  la  grande  majorité  des  Fran- 
çais et  n'ont  jamais  été  joués  que  par  fragments  dans  les  concerts. 

Cet  exil  doit  avoir  un  terme.  Aussi  un  groupe  de  Français,  composé  de 
personnes  du  monde  et  d'artistes,  a-t-il  décidé  de  faire  appel  au  patrio- 
tisme de  tous,  pour  fonder  une  Société  qui  assurerait  enfin  à  notre  pays 
la  primeur  des  œuvres  françaises,  et  qui,  dans  de  grandes  auditions» 
donnerait  les  partitions  complètes  de  compositeurs  anciens  ou  contem- 
porains. La  Société  s'appliquerait  d'abord  à  mettre  en  pleine  lumière  les  > 
maîtres  d'autrefois  et  à  monter  les  chefs-d'œuvre  qui;  toujours  expatriés,' 
sont  restés  fermés  pour  des  milliers  de  Français, 

Cinq  ou  six  représentations  de  chaque  œuvre  seraient  données  consécu-' 
tivement,  puis  un  autre  opéra  serait  étudié,  préparé'  et  joué,  le  nombre 
des  œuvres  dépendant,  bien  entendu,  des  ressources  de  la  Société. 

Quant  à  la  salle,  elle  est  déjà  trouvée,  et  de  puissants  protecteurs  veu-: 
lent  bien  la  prêter  gracieusement,  évitant,  par  conséquent,  les  lourdes  dé- 
penses de  la  construction. 

Paris  n'aura  donc  bientôt  rien  à  envier  aux  grandes  capitales  de  l'Eu- 
rope, et  pourra  suivre  l'exemple  de  Londres,  en  particulier,  où  le  Messie 
do  Haendel,  laPassion  de  S.  Bach,  le  Christ  au  Jardin  des  Oliviers  de  Beetho-' 
ven,  Alceste,  Armide  de  Gluck,  les  Troyens  et  Benvenuto  de  Berlioz,  etc., 
ont  été  révélés,  magnifiquement  interprétés,  devant  un  auditoire  enthou- 
siaste! 

Un  des  maîtres  les  plus  applaudis,  M.  Gounod,,  est  le  président  d'iion-' 
neur  de  cette  Société  éminemment  française,  qui  a  été  formée  par 'les  soins' 
dévoués  de  Mm<!  la  comtesse  Greffulhe,  avec  le  patronnage  de  la   pluparti 


LE  MENESTREL 


m 


■des  membres  de  l'Académie  des  Beaux-Arts  et  de  Mm0B  Carvalho  et 
Krauss. 

Le  comité  se  compose,  en  outre,  d'administrateurs  et  de  membres  con- 
sultatifs. Les  administrateurs  sont:  le  prince  A.  d'Arenberg,  le  prince 
Pierre  de  Caraman-Cbimay,  le  comte  E.  de  Ganay,  M.  A.  O'Connor  et  le 
prince  de  Polignac,  avec  M.  François  Hottinguer,  comme  trésorier  de 
l'œuvre. 

Le  comité  consultatif  comprend  MM.  César  Franck,  Camille  Benoit, 
■Onfroy  de  Bréville,  Chausson,  Chevillard,  Chabrier,  Fauré,  Vincent  d'Indi, 
André  Messager,  X.  Perreau,  Pillaut,  Vidal,  etc.. 

Un  tel  patronage  est  le  plus  bel  éloge  que  l'on  puisse  faire  de  l'œuvre. 

Aussi,  le  premier  appel  adressé  par  M"10  la  comtesse  Greffùlhe  à  quel- 
ques personnalités  dont  le  concours  lui  était  acquis,  a-t-il  produit  de  tels 
résultats  que  le  succès  semble  dès  maintenant  certain,  et  qu'un  premier 
opéra  pourra  être  représenté  dans  peu  de  semaines? 

Tout  le  monde  voudra  d'ailleurs  concourir  à  cette  fondation  artistique 
et  patriotique  ;  et  une  vaste  propagande  va  s'organiser  pour  couvrir  les 
frais  de  ces  vaillants. 

Mais,  demandera-t-on,  sous  quelle  forme  doit  se  manifester  le  concours 
du  public? 

Sous  forme  de  cotisation. 

Par  les  soins  de  M.  Ehret,  un  livre  de  souscription  va  circuler  dans 
Paris.  On  y  inscrira,  non  point  l'argent  versé,  mais  une  simple  promesse 
de  souscription,  personne,  en  ce  moment,  n'étant  chargé  de  percevoir  une 
somme  quelconque  pour  cette  œuvre  projetée. 

Les  personnes  qui  s'inscriront  pour  un  versement  de  cent  francs  au- 
ront droit  à  deux  places  pour  la  répétition  générale  et  à  deux  autres  places 
pour  la  seconde  représentation  de  chacune  des  œuvres  jouées  pendant 
l'année.  Celles  qui  donneront  la  somme  de  vingt-cinq  francs  assisteront 
à  la  répétition  générale,  etc.  ;  le  détail  en  est  d'ailleurs  mentionné  sur  le 
livre;  et  on  publiera  à  la  fin  de  l'année  les  noms  de  tous  les  sous- 
cripteurs. 

Quant  à  la  première  représentation  de  chaque  œuvre,  elle  sera  réservée 
au  public  payant  et  à  la  critique;  et  cette  recette,  venant  s'ajouter  aux 
souscriptions  déjà  recueillies,  contribuera  ainsi  à  subventionner  de  jeunes 
■compositeurs,  et  à  solder  les  frais  de  mise  en  scène  des  œuvres  qui  se- 
ront montées  l'année  suivante. 

Par  conséquent,  rien  de  plus  simple  que  cette  organisation,  dans  la- 
quelle tout  est  consacré  à  l'art. 

Le  public  des  concerts  classiques  et  populaires  forme  maintenant  une 
armée  assez  considérable  dans  Paris,  et  le  mouvement  musical  y  tient 
assez  de  place  pour  qu'une  entreprise  aussi  intéressante  puisse  se  déve- 
lopper avec  toute  facilité.  On  va  donc  nous  faire  entendre  non  plus  des 
fragments  d'œuvres  inédites,  mais  les  œuvres  elles-mêmes,  entières,  dans 
leur  primeur,  qu'elles  soient  anciennes  ou  modernes  :  le  succès  les  fera 
peut-être  entrer  ensuite  à  l'Opéra.  Peut-être  aussi  leur  apothéose  tardive 
effacera-t-elle  bien  des  injustices,  et  des  noms  méconnus  sortiront-ils  de 
leur  tombe,  ressuscites  de  l'oubli  ! 

La  Société  des  grandes  Auditions  musicales  de  France  veut,  pour  son  début, 
donner  dans  son  intégrité  l'une  des  plus  belles  œuvres  de  Berlioz.  Elle 
montera,  dans  les  premiers  jours  de  juin,  sous  la  direction  de  M.  Ch. 
Lamoureux  et  avec  l'aide  de  son  merveilleux  orchestre,  Béatrice  et  Béné- 
dict.  Cet  opéra  en  deux  actes  du  grand  compositeur  français  n'a  jamais 
été  joué  qu'en  Allemagne  ! 

Ce  détail  en  dit  plus  que  tous  les  commentaires.  Il  faut  que  tout  Paris 
contribue  au  succès  de  cette  fondation  éminemment  française  ;  ce  n'est 
pas  une.  question  de  personnes  en  effet;  ce  n'est  pas  une  question  d'école; 
c'est  une  question  d'utilité  publique  (1). 

Mon  Dieu  !  il  n'y  a  pas  de  constitution  parfaite,  et  nous  voyons 
bien  par  où  celle-ei  peut  pécher. 

Sans  doute,  le  patronage  d'une  grande  dame  est  infiniment  gra- 
cieux ;  il  est  même  précieux  au  point  de  vue  des  souscriptions 
princières  qu'il  ne  peut  manquer  d'entraîner.  Mais  il  donne  à  l'en- 
treprise une  sorte  de  vernis  mondain  qui  ne  concorde  pas  tout  à 
fait  avec  l'austérité  dubut  qu'on  poursuit.  Et,  comme  on  est  accou- 
tumé de  voir  à  la  tète  de  toutes  nos  œuvres  de  bienfaisance  le  nom 
de  nos  plus  belles  comtesses,  ce  qui  est  à  leur  grand  honneur,  on 
sera  peut-être  tenté  d'assimiler  l'oeuvre  de  régénération  de  la  mu- 
sique française,  qu'on  rêve,  à  un  acte  de  simple  charité,  ce  qui  serait 
fâcheux  et  peu  digne  de  la  noble  cause  qu'on  prétend  défendre.  Il 
ne  faut  pas  qu'on  puisse  appeler,  avec  quelque  apparence  de  rai- 
son, l'appel  de  fonds  qu'on  va  faire  :  Souscription  pour  les  œuvres 
abandonnées  des  petits  musiciens  français  en  détresse. 

Voilà  un  premier  danger.  En  voici  un  autre  ;  il  consiste  dans  la 
composition  du  comité  d'honneur,  où  nous  voyons  figurer  beaucoup 
de  gentilshommes  distingués,  qui  ne  sont  pas  sans  nous  faire  frémir. 
On  a  vu  des  princes  composer  de  la  musique  et  des  financiers  oc- 
cuper leurs  loisirs  à  aligner  sur  leurs  livres  de  redoutables  partitions. 

(1)  Les  promesses  de  souscription  pour  l'œuvre  des  Grandes  Auditions  de  France 
peuvent  être  adressées  dès  maintenant  à  la  présidente,  W"  la  comtesse  Greffùlhe, 
en  son  hOtel,  8,  rue  d'Astorg. 


Et,  comme  tout  dégénère  en  ce  monde,  il  faut  craindre  qu'une 
entreprise  noblement  commencée  avec  le  Benvenuto  de  Berlioz  ne 
finisse  eu  une  simple  succursale  du  cercle  des  Mirlitons. 

Le  «  comité  consultatif  »  ne  saurait  non  plus  nous  convenir  plei- 
nement. Sous  le  couvert  du  nom  très  décorai  if  de  M.  Gounod  et  à 
l'abri  de  «  plusieurs  membres  de  l'Académie  des  Beaux-Arts  »  dont 
on  parle  vaguement  et  qu'on  ne  nomme  même  pas,  j'y  vois  nombre 
de  jeunes  compositeurs  de  l'avenir,  nommés  au  contraire  avec 
complaisance,  parfaitement  honorables  d'ailleurs  et  même  intéres- 
sants, mais  chez  lesquels  je  crains  de  ne  pas  rencontrer  un  esprit 
d'éclectisme  suffisant  pour  une  œuvre  nationale  comme  celle  qu'on 
vise  et  où  il  faut  des  vues  singulièrement  larges.  Il  serait  profon- 
dément regrettable  qu'un  esprit  de  coterie  vînt  se  mêler  à  cette 
affaire.  Or,  tous  les  membres  effectifs  de  ce  «  comité  consultatif  », 
tous  ou  à  peu  près,  font  partie  de  cette  Société  nationale,  qui  n'est 
guère  autre  chose  qu'une  société  d'admiration  mutuelle,  dont  notre 
collaborateur,  Julien  Tiersot,  nous  conte  régulièrement  les  hauts 
faits,  avec  beaucoup  de  courtoisie,  dans  les  colonnes  du  Ménestrel. 
Une  «  Société  nationale  »,  en  petite  édition  comme  celle-ci,  pa- 
raîtra sans  doute  suffisante  ;  si  elle  devait  prendre  la  proportion 
d'une  grande  institution,  cela  deviendrait  peut-être  dangereux  et 
déplorable  pour  le  repos  des  citoyens  français. 

Il  n'est  pas  jusqu'au  chef  d'orchestre  «  éminent  »  qu'on  a  choisi, 
qui  n'indique  des  tendances  fort  accusées  vers  un  but  unique  et 
contestable.  Si  on  ne  doit  nous  servir  dans  les  «  grandes  auditions  » 
projetées  que  la  menue  monnaie  de  Wagner,  ou  mieux,  les  miettes 
qu'il  a  laissé  tomber  de  sa  table  et  que  de  jeunes  disciples  ont 
pieusement  ramassées,  l'institution  nouvelle  devient  tout  à  fait 
inutile.  Il  est  mieux  de  nous  donner  tout  de  suite  le  grand  maître 
de.  Bayreuth,  au  lieu  de  prendre  des  chemins  détournés  pour  le 
produire  sous  de  fausses  espèces. 

Au  résumé,  tout  ceci  est  assez  semblable  à  l'ancien  projet  de 
M.Charles  Lamoureux,  lors  des  mémorables  représentations  de  Lohen- 
grin  à  l'Eden-Théâtre,  avec  cette  différence  toutefois  qu'on  agit  avec 
plus  de  prudence  et  qu'au  lieu  de  se  mettre  sous  la  protection  d'un 
maître  allemand,  si  grand  soit-il,  on  a  pensé  qu'il  était  plus  adroit 
de  se  mettre  à  l'ombre  du  nom  de  Berlioz.  Cela  est  bien,  et  c'est  ce 
que  nous-même  avions  indiqué  à  M.  Lamoureux,  quand  il  s'est  lancé 
dans  la  terrible  aventure  de  l'Eden. 

Voilà  les  objections  principales  que  nous  avions  à  faire  au  pro- 
gramme de  la  nouvelle  Société.  Enregistrons  encore  pour  mémoire 
la  singulière  idée  qu'on  a  d'écarter  des  premières  représentations  les 
souscripteurs  de  l'œuvre.  Ce  n'est  pas  un  bon  moyen  de  les  attirer, 
étant  donné  l'amour-propre  qu'on  met  à  assister  aux  fêtes  artistiques 
dans  leur  primeur.  Qu'on  donne  au  moins  aux  souscripteurs  un  droit 
de  préférence  pour  la  location  des  places  aux  premières  représen- 
tations. 

Il  n'y  a  pas  moins  là  un  effort  artistique  qu'il  convient  d'en- 
courager de  toutes  les  manières  pour  voir  ce  qui  pourra  bien  en 
sortir,  et  on  peut  inscrire  le  Ménestrel  au  premier  rang  des  souscrip- 
teurs. 

H.  Moreno. 

P. -S.  —  Variétés.  —  Les  Grandes  Manœuvres,  comédie  en  deux 
actes  de  MM.  H.  Baymond  et  A.  de  Saint-Albin. 

Décidément  le  théâtre-chronique  fait  école,  et  si  cela  continue, 
nous  serons  bientôt  condamnés  à  ne  plus  assister,  comme  spectacle, 
qu'à  de  plus  ou  moins  longs  articles  ou  faits  divers  dialogues,  cou- 
pés dans  le  journal  et  transportés  simplement  sur  la  scène.  Le  sys- 
tème peut  paraître  aimable  et  chatoyant;  mais  je  crois  qu'à  la 
longue  il  finira  justement  par  lasser  le  public.  Paris  fin  de  siècle  a 
réussi,  les  Grandes  Manœuvres  n'ont  pas  encore  trop  mal  tourné  ;  qui 
nous  dira  quel  accueil  serait  fait  à  la  pièce  de  demain  coulée  dans 
le  même  moule?  Donc,  l'intrigue  de  MM.  Baymond  et  Saint-Albin 
est  réduite  à  sa  plus  simple  expression  et,  si  'leurs  deux  actes  ne 
sont  pas  ennuyeux,  c'est  grâce  à  la  légèreté  du  dialogue  et  à  l'esprit 
facile  dont  ils  ont  fait  montre.  Une  jeune  veuve,  friande  d'émotions 
variées,  se  déguise  en  femme  de  chambre  pour  se  laisser  mieux 
lutiner  par  les  soldats  qui  font  les  grandes  manœuvres  dans  les 
environs  du  château  où  elle  habite,  et  elle  se  trouve  tout  justement 
être  fiancée  à  un  colonel  qui,  sans  la  connaître,  lui  fait  des  propo- 
sitions assez  cavalières.  Bien  entendu,  l'identité  do  la  fausse  sou- 
brette se  découvre  ;  le  mariage  avec  le  colonel  est  rompu  et  c'est 
un  jeune  vicomte  réserviste  qui  épousera.  Marivaux  s'était  déjà  servi. 
de  ce  thème,  ce  qui  rendait  la  tâche  plus  difficile,  ou  plus  facile, 
comme  vous  le  préférerez,  à  MM.  Baymond  et  Saint-Albin.  M.  Du- 
puis  est    parfait  dans  le   rôle    épisodique   d'un    cuisinier  épique  ; 


416 


LE  MENESTREL 


M.  Baron  semble  gêné  par  la  tenue  trop  correcte  que  lui  impose  son 
uniforme  de  colonel  ;  M.  Cooper  reste  un  élégant  réserviste  gen- 
tilhomme, même  sous  sa  capote  de  fantassin,  et  M.  Germain  se  taille 
un  succès,  dès  son  entrée  en  scène,  en  fredonnant  la  valse  fameuse: 
«  0  légère  hannetonne  »  qu'on  ne  se  lassait  pas  de  lui  faire  répéter 
dans  le  Fétiche.  —  Mllc  Jeanne  May  est  une  petite  poupée  très  délu- 
rée et  Mllcs  Crouzet  et  Durand  sont  toujours  fort  aimables  à  voir. 

Le  spectacle  était  complété  par  les  Sonnettes,  cet  acte  exquis  de 
MM.  Meilhac  et  Halévy,  enlevé  à  ravir  par  M.  Dupuis  et  MUe  Jeanne 
May,  et  par  Deux  contre  un,  une  amusante  petite  pièce  de  M.  De- 
belly,  l'un  des  joyeux  auteurs  de  la  Vocation  de  Marins. 

Paul-Émile  Chevalier. 


LE  THÉÂTRE  A  L'EXPOSITION  UNIVERSELLE  DE  1889 
(Suite) 


XI 

Ce  travail  reslerait  incomplet  si,  pour  le  terminer,  je  ne  réunissais 
ici  quelques  notes  sur  les  divers  théâtres  qui  ont  été  l'une  des  joies  et  des 
distractions  favorites  des  visiteurs  de  l'Exposition  universelle.  On 
sait  que  les  organisateurs  de  cette  entreprise  merveilleuse,  voulant 
faire  une  large  part  à  la  curiosité  amusante,  s'étaient  proposé  de 
placer  toujours  l'agréable  à  côté  de  l'utile,  et  nul  n'ignore  de  quelle 
façon  singulièrement  heureuse  ils  avaient  réalisé  leur  dessein.  Au 
nombre  des  divertissements  de  tout  genre  imaginés  par  eux  se  trou- 
vaient donc  plusieurs  théâtres  disséminés  dans  diverses  parties  de 
l'immense  espace  consacré  à  l'Exposition  :  à  l'Esplanade  des  Inva- 
lides, dans  le  groupement  formé  par  les  exhibitions  si  pittoresques 
et  si  savoureuses  des  colonies  françaises,  le  théâtre  Annamite;  au 
Champ  de  Mars  même  le  Grand  Théâtre  de  l'Exposition,  qu'ont  rendu 
fameux  les  représentations  des  Gitanas  espagnoles,  le  Grand  Théâtre 
International,  où  la  troupe  égyptienne  du  khédive  oblint  aussi  un 
grand  succès;  et  les  Folies-Parisiennes,  qui,  elles,  n'étaient  guère 
autre  chose  qu'un  café-concert  saDS  originalité  particulière. 

En  dehors  de  ces  théâtres,  il  faut  au  moins  consacrer  un  souvenir 
rapide  à  quelques  spectacles  dont  l'étrangeté  était  faite  pour  piquer 
la  curiosité  du  publie  avide  de  nouveautés.  En  prtmier  lieu,  le  pa- 
villon des  gentilles  et  si  gracieuses  danseuses  du  Kampong  javanais  ; 
puis,  les  exercices  plus  effrayants  que  réjouissants  des  Aïssaouas; 
la  tente  marocaine  de  la  rue  du  Caire,  où  les  amateurs  allaient  con- 
templer la  danse  du  ventre  et,  les  exploits  du  derviche  tourneur;  en- 
fin, les  séances  du  Concert  tunisien,  où,  entourée  de  ses  compagnes 
trônait  la  belle  Fatma,  de  son  vrai  nom  Eachel  Bent-Eny.  Quand 
nous  aurons  rapidement  passé  tout  cela  en  revue,  rien  ne  nous  sera 
plus  étranger  de  tout  ce  qui  concernait  le  théâtre  à  l'Exposition  uni- 
verselle. 

LE   THÉÂTRE   ANNAMITE 

Au  point  de  vue  spécial  qui  nous  occupe,  le  clou  de  l'Exposition 
était  certainement  le  Théâtre  Annamite  de  l'Esplanade  des  Invalides, 
qui  pendant  cinq  mois,  jour  et  soir,  n'a  cessé  d'attirer  la  foule. 
C'est  qu'il  y  avait  là,  pour  nous  autres  Français,  soit  délicats  et 
raffinés,  soit  simplement  curieux,  la  révélation  d'un  art  inconnu, 
étrange,  très  brillant,  dont,  ignorants  de  la  langue  employée,  nous 
ne  pouvions  assurément  saisir  les  détails,  mais  qui  nous  frappait  à 
la  fois  non  seulement  par  son  caractère  de  nouveauté,  mais,  d'une 
part,  par  son  accent  de  sineérit ■'-,  de  l'autre  par  sa  bizarrerie  naïve  et 
par  un  mélange  de  luxe  et  de  simplicilé  tout  à  fait  particulier.  Ce 
spectacle  curieux  nous  prenait  d'abord  par  les  yeux,  et,  quoique  for- 
cément étrangers  à  l'action  qui  se  déroulait  devant  nous,  notre  in- 
térêt finissait  par  être  excité  et  par  devenir  très  réel.  Nous  éprouvions 
là,  presque  instinctiventent,  le  sentiment  d'une  forme  d'art  très  inté- 
ressante, très  intelligente,  très  compliquée,  qui  nous  frappait  sur- 
tout par  son  côté  extérieur  et  plastique,  mais  qui  certainement  avait 
une  valeur  indéniable. 

Dans  les  premiers  jours  de  juin,  a  dit  un  chroniqueur,  les  visiteurs  de 
l'Exposition  qui  se  trouvaient,  vers  midi  et  demi,  à  l'Esplanade  des  In- 
valides, dans  les  environs  du  palais  de  l'Annam,  ont  assisté  à  un  spec- 
tacle surprenant.  Ils  ont  vu  défiler  une  procession  d'Annamites  en  grand 
costume  d'apparat,  le  visage  peint  de  bigarrures  étranges,  marchant  aux 
sons  discordants  d'un  orchestre  bruyant  de  tam-tam  et  de  trompettes 
criardes,  et  précédés  d'un  mandarin  à  l'air  farouche,  qui  se  livrait  à  une 
mimique  assez  animée  pour  faire  écarter  la  foule  des  curieux.  Deux  de 
ces  Annamites  portaient  un  Bouddha  doré  et  les  autres  tenaient  deux 
riches  parasols  à.  longs  manches,  des  drapeaux  multicolores  de  formes 
carrée  et  triangulaire,  ou  bien  des  hallebardes  munies  d'une  large  lame 
d'acier. 


C'étaient  les  acteurs  du  Théâtre  Annamite  qui,  avant  d'inaugurer  la 
scène  sur  laquelle  ils  allaient  donner  des  représentations  au  public  de 
l'Exposition,  venaient  placer  solennellement  dans  les  coulisses,  selon 
l'usage  de  l'Extrême-Orient,  l'image  de  leur  idole,  qu'ils  avaient  apportée 
de  Saigon.  Bouddha  protège,  en  effet,  l'industrie,  les  arts  et  la  guerre, 
et  sa  présence  est  nécessaire  à  la  réussite  de  toute  entreprise.  Aussi  un 
bon  Annamite  ne  saurait  se  soustraire  à  cette  pieuse  coutume,  même  sur 
l'Esplanade  des  Invalides,  et  le  directeur  de  la  troupe  théâtrale  de  l'Ex- 
position coloniale  n'aurait  pas  voulu  ouvrir  sa  salle  aux  Parisiens  sans 
s'être  préalablement  placé  sous  la  haute  protection  de  son  dieu,  dont  la 
sérénité  lui  enseigne  sans  doute  la  résignation  dont  il  a  besoin  pour  faire 
jouer  les  pièces  de  son  répertoire  devant  un  public  profane,  qui  paraît 
tout  déconcerté  par  le  bruit  assourdissant  et  discordant  des  instruments 
et  par  les  cris  aigus  des  acteurs.  L'installation  du  Bouddha  s'est  donc 
faite  avec  tout  le  cérémonial  accoutumé,  avec  les  prosternations  et  les 
invocations  de  rigueur,  exactement  comme  elles  se  seraient  faites  sur  le 
territoire  de  la  Cochinchine  pendant  les  pérégrinations  de  la  troupe  (I). 
Nous  verrons  tout  à  l'heure  ce  que  sont  les  pratiques  artistico- 
religieuses  des  comédiens  annamites. 

Le  Théâtre  Annamite  est  une  sorte  de  grand  pavillon  rectangulaire 
en  bois,  d'un  aspect  exlérieur  assez  simple.  Lorsqu'on  a  franchi  le 
eonlrôle,  où  setiem,  impassible  dans  sa  robe  soyeuse  d'un  mauve 
clair  et  caressant,  une  jeune  Annamite  charmante,  femme  de  l'in- 
terjîrète  de  la  troupe,  lorsqu'on  a  traversé  un  vestibule  peint  en  bleu 
avec  une  bordure  rouge,  on  pénètre,  par  une  petite  porte  de  forme 
orientale  et  tendue  d'étoffes,  dans  la  salle  propement  dite.  Celle-ci, 
à  peu  pies  carrée-,  peut  contenir  de  quatre  à  cinq  cents  spectateurs. 
Sur  trois  côtés  sont  disposés,  comme  dans  un  cirque,  des  gradins 
s'étageant  jusqu'à  un  promenoir  qui  s'étend  tout  au-dessus  d'eux; 
le  quatrième  côté  est  occupé  par  la  scène,  qui  rnerd  profondément 
sur  l'orchestre  —  ou  le  parterre,  comme  on  voudra  l'appeler.  Cette 
disposition  est  exactement  celle  d'un  de  nos  cirques,  un  jour  de 
concert.  Les  places  d'orchestre  se  paient  5  francs  ;  les  premières, 
2  fraDcs;  les  secondes,  1  franc;  enfin,  le  promenoir,  SO  centimes. 
On  assure  qu'avec  ces  prix  le  Théâtre  Annamite  n'a  pas  encaissé 
moins  de  230,000  francs  au  cours  de  sa  saison.  11  est  vrai  qu'il  ne 
donnait  pas  moins  de  huit  représentations  quotidiennes  :  cinq  d'heure 
en  heure  dans  la  journée,  à  partir  d'une  heure  et  demie,  et  trois  le 
soir,  à  partir  de  huit  heures!  C'est  à  se  demander  comment  les  mal- 
heureux acteurs  pouvaient  y  tenir.  Ceux-là  n'ont  pas  dû  connaître 
beaucoup  Paris  ! 

Ces  acteurs  faisaient  partie  d'une  troupe  nomade  comme  celles 
qui,  chez  nous,  parcoureul  les  départements  et  s'en  vont  de  ville  en 
ville.  C'est  la  mode  aussi  là-bas,  où  il  existe  très  peu  de  théâtres 
fixes  et  où  les  comédiens  de  la  Cochinchine,  de  l'Annam  et  du  Ton- 
kin  parcourent  ainsi  le  pays  incessamment.  La  troupe  de  l'Exposi-. 
tion,  qui  vraisemblablement  n'avait  jamais  entrepris  une  aussi  am 
pie  excursion,  est,  dit-on,  l'une  des  meilleures  qu'on  ait  connues  à 
Saigon,  et  elle  étend  d'ordinaire  ses  voyages  jusqu'aux  provinces 
méridionales  de  la  Chine,  où  ses  grands  drames  si  mouvementés 
obtiennent  le  plus  vif  succès.  Elle  était  réunie  ici  au  nombre  d'une- 
quarantaine  de  personnes,  en  y  comprenant  les  musiciens  (!)  et  les 
employés. 

Le  directeur,  Nguyen  Dông  Tru,  qui  est  aussi  l'auteur  des  pièces 
qu'il  fait  représenter  et  pour  qui  le  théâtre  est  une  véritable  passion, 
est  un  jeune  Annamite  de  vingt-cinq  ans  environ,  le  seul  de  son 
personnel  qui  sût  dire  quelques  mots  de  français  d'une  façon  à  peu 
près  intelligible.  L'un  de  ses  premiers  artistes  était  Nguyet,  un  co- 
mique fort  intéressant;  il  y  avait  Thô,  qui  faisait  le  roi  avec  beau- 
coup de  dignité  et  dont  le  visage  était  fort  expressif,  puis  Chô  et 
Thinh,  qui  jouaient  les  mandarins;  puis  encore  Qui,  remarquable 
dans  les  sorciers,  Thao,  Dang,  Rit,  Phung...  Enfin,  contrairement 
à  la  coutume  annamite,  où,  comme  dans  le  théâtre  antique,  les  rôles 
féminins  sont  tenus  par  de  jeunes  hommes  imberbes,  Nguyen  avait 
amené  ici  deux  jeunes  femmes  charmantes,  Tani  et  Guong,  qui  te- 
naient leur  emploi  de  la  façon  la  plus  gracieuse  (2). 

Les  acteurs  annamites  prennent  leur  art  très  au  sérieux.  Quelques- 
uns  ont  exagéré  sans  doute  en  assurant  qu'ils  n'abordaient  la  scène 
qu'après  dix  années  d'études  préparatoires  ;  mais  il  est  certain  que 
ces  éludes  sont  d'autant  plus  importantes  qu'il  leur  faut  avant  tout 
se  familiariser,  d'une  manière  absolue,  avec  la  langue  des  lettrés, 
langue  toute  spéciale  et  dans  laquelle  les  pièces  sont  écrites,  qu'ils 
doivent  apprendre  les  rôles  de  tous  les  ouvrages  du  répertoire, 
qu'ils  sont  tenus  à  certains  exercices  physiques  relatifs  aux  marches 
et  aux  danses  à  exécuter  sur  la  scène,  enfin  qu'ils  sont  obligés  à  un 

(1)  Louis  Roussclet  :  L 'Exposition  universelle  de  1889  (Paris,  Hachette,  in-8°). 

(2)  On  n'est  pas  d'accord  sur  leurs  noms,  car  certains  chroniqueurs  les 
ont  présentées  au  public  sous  ceux  do  Tau  et  Tu. 


LE  MENESTREL 


117 


exercice  d'un  autre  genre  pour  amener  leur  voix  au  diapason  ef- 
froyablement aigu  qui  leur  permet  par  instants  non  de  parler,  mais 
de  crier,  de  hurler,  si  l'on  peut  dire,  de  façon  à  couvrir  jusqu'au 
bruit  de  leur  orchestre  pourtant  si  bruyant. 

En  dehors  do  leur  talent,  ils  poussent  fort  loin  la  science  du  cos- 
tume, et  surtout  de  ce  qu'on  peut  appeler  le  grimage.  L'art  de  «  faire 
sa  figure,  »  comme  disent  nos  comédiens,  est  en  effet  pour  eux 
fort  important  et  autrement  compliqué.  C'est  que  l'acteur  annamite 
ne  doit  pas  seulement  indiquer,  par  l'aspect  de  sa  physionomie,  son 
âge  et  son  rang  social:  grâce  à  certaines  conventions,  il  faut  aussi 
qu'il  fasse  connaître  exactement,  dès  son  entrée  en  scène,  la  posi- 
tion qu'il  occupe  dans  la  vie,  de  telle  sorte  que  le  spectateur  ne  s'y 
puisse  tromper.  Ainsi,  un  roi  ou  un  prince  du  sang  royal  doit  avoir 
le  visage  recouvert  d'ocre  rouge,  sans  autre  tatouage,  tandis  qu'un 
mandarin  chef  d'armée,  un  pirate  chef  de  bande  se  zèbre  la  figure 
de  blanc  et  de  noir  de  façon  à  présenter  la  face  d'un  tigre,  dont  il 
porte  d'ailleurs  le  nom  comme  un  titre  ;  avec  cela,  des  moustaches 
effarouchantes,  rouges  ou  noires,  et  des  barbes  invraisemblables. 
Quant  au  mandarin  civil,  il  est  presque  toujours  marqué  d'une  teinte 
grisâtre,  avec  une  longue  barbe  tombante,  attribut  de  l'âge,  de  la 
sagesse  et  de  l'expérience.  Pour  ce  qui  est  des  serviteurs,  ils  ont 
simplement  une  ligne  blanche  ou  noire  sur  les  joues,  parfois  des 
espèces  de  limettes  dessinées  autour  des  yeux,  et  c'est  tout.  Ajoutons 
que  les  femmes  ne  se  griment  jamais. 

Les  grands  personnages  sont  revêtus  du  costume  d'apparat  en 
usage  dans  les  circonstances  solennelles  :  grande  robe  à  larges  man- 
ches en  soie  richement  brodée,  dont  les  dessins,  de  couleurs  très 
diverses  et  très  voyantes,  '  figurent  des  animaux  fantastiques  ;  un 
cerceau  qu'ils  ont  autour  de  la  taille,  à  une  certaine  distance  des 
hanches,  permst  de  relever,  en  arrière  et  à  sa  hauteur,  deux  pans 
de  la  robe,  de  telle  façon  qu'ils  ressemblent  aux  ailes  de  certains 
canard'  chinois.  Pour  coiffure,  un  casque  doré  en  forme  de  tiare, 
souvent  orné  de  plumes,  qui  se  porte  un  peu  en  arrière  et  qui  re- 
couvre les  cheveux,  noués  sur  le  sommet  de  la  tête  et  enveloppés 
d'une  sorte  de  serre-tète  noir.  On  comprend,  en  les  voyant  ainsi 
vêtus,  les  scènes  que  leurs  peintres  reproduisent  sur  le  ventre  des 
potiches.  Le  costume  des  femmes  est  d'une  richesse  extrême  et 
plein  de  grâce;  leur  coiffure  est  charmante,  et  elles  portent  leurs 
robes  de  soie  et  de  brocart  avec  une  rare  élégance.  Elles  sont  chaus- 
sées. Si  je  fais  cette  remarque,  c'est  qu'elles  sont  à  peu  près  les 
seules  qui  se  permettent  ce  luxe.  Dans  une  de  leurs  pièces,  j'ai  vu 
tous  les  acteurs  pieds  nus,  à  l'exception  d'un  seul  mandarin. 
(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 


h'ilamlet  d'Ambroise  Thomas  vient  de  remporter  un  succès  décisif 
à  la  Scala  de  Milan.  Toutes  les  dépèches  qui  nous  parviennent  sont  d'ac- 
cord sur  ce  point  et  aussi  toute  la  presse  italienne.  Même  les  quelques 
feuilles  wagnériennes  qui  ilorissent  à  Milan  sont  obligées  de  le  constater, 
bien  qu'en  maugréant  :  «  De  toute  manière,  conclut-  la  Perseveranza,  c'est 
une  œuvre  digne  d'un  maître  comme  Thomas  et  digne  d'un  grand  théâtre 
comme  la  Scala  ».  —  «  Résumons-nous,  dit  le  Pungolo,  succès  imprévu 
et  d'autant  plus  agréable  pour  tous,  pour  le  public  comme  pour  la  direc- 
tion ».  —  «  Nous  augurons  que  le  triomphe  de  cet  Hamlet,  dit  Yltalia,  va 
réparer  en  partie  sinon  en  totalité,  tous  les  maux  soufferts  par  la  direc- 
tion depuis  le  commencement  de  la- saison.  »  —  «  Le  public  était  accouru 
en  foule,  ditleSeco/o,  et  s'est  enthousiasmé  au  contact  de  cette  création 
d'un  esprit  supérieur.  »  L'interprétation  remporte  également  tous  les  suf- 
frages. La  Calvé  est  «  idéale  »  dans  Ophélie,  Batistini  «  incomparable  » 
dans  Hamlet,  M"0  Litvinne  «  tragédienne  sculpturale  »  dans  la  reine, 
Navarini  «  consciencieux  »  dans  le  roi,  et  le  chef  d'orchestre  Mugnone 
«  digne  de  succéder  à  Faccio  »  à  ce  pupitre  redoutable  de  la  Scala. 
Bonne  soirée  pour  la  musique  française. 

—  Une  grave  et  triste  nouvelle  nous  est  apportée  de  Milan  par  le  télégra- 
pne.  L'éminent  chef  d'orchestre  Franco  Faccio,  qui  depuis  près  de  vingt 
ans  s'est  fait  à  la  Scala  une  si  grande  et  si  légitime  renommée,  vient  d'être 
frappé  d'aliénation  mentale  et  conduit  dans  une  maison  de  santé.  On  se 
rappelle  que  M.  Faccio,  qui  avait  été  sur  le  point,  il  y  a  deux  ans,  d'abandon- 
ner son  pupitre  à  la  Scala  pour  aller  prendre  à  Rome  une  situation  sem- 
blable, s'était  décidé  il  y  a  quelques  mois,  sur  les  instances  de  Verdi  et  du 
ministre  de  l'instruction  publique,  à  s'éloigner  définitivement  de  Milan  et 
à  accepter  les  fonctions  de  directeur  du  Conservatoire  de  Parme,  dont  il 
devait  prendre  possession  prochainement.  M.  Faccio  est  à  peine  âgé  de 
49  ans,  étant  né  à  Vérone  le  H  mars  1841. 


—  Un  journaliste  italien  rend  compte  d'une  entrevue  qu'il  a  eue  ré- 
cemment à  Gènes,  avec  Verdi.  Après  avoir  causé  de  différentes  choses  et, 
naturellement,  de  musique,  l'interlocuteur  de  Verdi  mit  quelque  insistance 
à  lui  demander  si  décidément  Otello  resterait  son  chant  du  cygne  :  — 
«  Je  ne  sais,  je  ne  sais,  répondit  le  maître.  Pour  le  moment  je  suis  fati- 
gué, et  je  voudrais  me  reposer.  Pourtant,  ajouta-l-il  après  un  moment  de 
silence,  qui  sait  si  je  ne  me  déciderais  pas...  au  cas  où  me  viendrait 
l'inspiration.  »  Et  de  ces  paroles  le  journal  conclut,  peut-être  un  peu  in- 
considérément, que  Verdi  a  déjà  mis  la  main  à  une  nouvelle  partition. 

—  Avis  aux  amateurs.  Les  journaux  italiens  annoncent  qu'à  Venise  sont 
en  vente,  pour  la  somme  de  12,000  francs,  deux  superbes  violons  d'Amati, 
contenus  dans  une  boite  ancienne  avec  deux  archets.  L'un  de  ces  ins- 
truments porte  la  signature  de  Nicolas  Amati  et  la  date  de  1618;  l'autre 
est  de  Jérôme  Amati  et  daté  de  1695.  Tous  deux  sont  sans  défauts  et 
«  avec  leur  vernis  original.  » 

—  La  disparition  d'un  directeur  de  théâtre.  Le  journal  il  Sislro,  de  Flo- 
rence, annonce  que  l'imprésario  du  théâtre  Niccolini,  de  cette  ville,  M.  Aldo 
Maria  Colonnelli,  n'a  plus  reparu  ni  à  ce  théâtre  ni  chez  lui  depuis  le 
27  mars  dernier.  Sa  famille  fait  d'activés  recherches  pour  savoir  ce  qu'il 
est  devenu.  Les  représentations  du  théâtre  continuent. 

—  Aucun  prix  n'a  été  décerné  au  concours  ouvert  par  l'Académie  de 
l'Institut  royal  de  musique  de  Florence  pour  la  composition  d'un  Offer- 
toire destiné  à  la  Messe  des  Morts,  mais  trois  mentions  honorables  ont 
été  attribuées  à  MM.  Girolamo  Gaudino,  chef  de  musique  au  64°  régiment 
d'infanterie,  Giuseppe  Sestini,  de  Plaisance,  et  Guglielmo  Mattioli,  de 
Reggio  d'Emilie. 

—  Avec  le  produit  du  concert  donné  au  bénéfice  du  personnel  du  théâtre 
Umberto,  de  Florence,  incendié  il  y  a  quelques  mois,  on  a  pu  racheter 
et  distribuer,  aux  87  artistes  de  l'orchestre  de  ce  théâtre,  des  instruments 
en  remplacement  de  ceux  qu'ils  avaient  perdus  dans  ce  sinistre. 

—  Un  fait  artistique  vraiment  curieux  vient  de  se  produire  à  Lodi,  où 
le  conseil  directif  d'une  œuvre  de  bienfaisance  «  les  Cuisines  économi- 
ques »,  a  décidé  de  donner  au  profit  de  cette  œuvre  un  grand  concert 
dont  les  élèves  de  l'Institut  des  aveugles  de  Milan,  fameux  dans  toute 
l'Italie,  étaient  appelés  à  faire  tous  les  frais.  En  effet,  le  programme,  où 
se  trouvaient  les  noms  de  Haendel,  Boccherini,  Schubert,  Richard  Wag- 
ner, Mariani,  Rubinstein,  Bazzini,  Adolphe  Adam,  Popper,  Scuderi,  Sof- 
fredini,  et  qui  comprenait  des  ouvertures,  des  chœurs,  et  divers  morceaux 
pour  quatuors,  solos  d'instruments  et  de  voix,  a  été  entièrement  défrayé 
par  les  élèves  des  deux  sexes  de  l'Institut.  L'un  des  jeunes  aveugles  diri- 
geait l'orchestre,  un  autre  les  chœurs,  et  un  troisième  faisait  exécuter 
une  symphonie  originale  pour  orchestre  de  sa  composition.  Pour  cette 
manifestation  musicale  d'un  caractère  particulier  et  véritablement  inté- 
ressant, qui  avait  lieu  au  théâtre  Gafîorio,  des  trains  spéciaux  avaient  été 
organisés  à  Milan,  à  Crema  et  à  Pavie,  qui  ont  amené  à  Lodi  un  grand 
nombre  d'amateurs  et  de  curieux. 

—  Une  caricature  du  Trovatore,  de  Milan,  qui  ne  donne  pas  une  haute 
idée  de  la  situation  artistique  du  théâtre  de  la  Scala.  Un  pécheur  endurci 
entre  dans  un  confessional,  où  le  prêtre  lui  dit  :  Vous  avez  sûrement 
passé  le  carnaval  dans  des  divertissements  fous...  —  Oh  !  mon  révé- 
rend! Je  me  suis  seulement  abonné  à  la  Scala.  —  En  ce  cas,  mon  fils, 
allez  en  paix  !  Ego  te  absolvo...  parce  qu'en  carnaval  et  en  carême  vous  n'avez 
vécu  que  de  privations  en  pénitence  des  fautes  commises.  » 

—  Un  journal  spécial  d'Oporto,  le  Correio  dos  Theatros,  annonce  qu'il 
commencera  sous  peu  la  publication  d'une  Histoire  du  théâtre  royal  Saint 
Jean,  de  cette  ville,  l'un  des  plus  importants  du  Portugal. 

—  Voici  la  composition  de  la  troupe  du  grand  théâtre  du  Lycée,  de 
Barcelone,  pour  la  saison  prochaine  :  Mmes  Borghi-Mamo,  Borelli,  Kupfer- 
Berger,  Garagnani,  Pia  Roluti,  prime  donne;  MM.  Aramburo,  Moretti, 
Salto,  ténors  ;  Laban,  Seguin,  barytons  ;  Vidal  et  Rossi,  basses. 

—  Aux  renseignements  que  nous  avons  publiés  concernant  le  4°  festival 
de  l'Union  des  chaiiteurs  allemands,  qui  se  tiendra  à  Vienne  dans  le  courant 
du  mois  d'août,  nous  pouvons  ajouter  les  détails  complémentaires  suivants: 
cinq  cents  sociétés  musicales  (représentant  neuf  mille  chanteurs)  ont  déjà 
envoyé  leur  adhésion.  On  compte  toujours  sur  un  effectif  total  de  douze 
mille  exécutants.  A  l'heure  actuelle,  des  logements  gratuits  ont  déjà  été 
réservés  pour  six  mille  hommes.  Le  1er  mai  paraîtra  une  feuille  spéciale, 
véritable  publication  artistique,  qui  sera  l'organe  officiel  du  festival.  La 
grande  cavalcade  qui  partira  de  l'Hôtel  de  Ville  pour  se  rendre  au  Prater, 
sera  divisée  en  trois  groupes  principaux,  comportant  chacun  de  nombreuses 
subdivisions.  Un  de  ces  groupes  figurera  le  développement  historique  de 
l'art  du  chanteur.  H  y  aura  des  chars  allégoriques  en  quantité. 

—  Une  nouvelle  à  la  main  de  la  Neue-Muzik-Zeilung  de  Stuttgart  :  Un 
Viennois  rencontre  un  de  ses  amis  tenant  un  enfant  par  la  main.  «  Quel 
est  ce  marmot?  »  lui  demande-t-il.  «  C'est  un  petit  prodige.  L'enfant  a 
deux  ans...,  et  il  ne  joue  pas  encore  de  piano.  » 

—  Les  Signale,  de  Leipzig,  publient  de  curieux  renseignements  sur  les 
compositions  musicales  de  l'eu  l'impératrice  Augusta.  Elle  eut  pour  pro- 
fesseur l'ancien  directeur  de  ballets  et  compositeur  de  la  Cour,  Hermann 
Schmidt.  C'est  ce  qui  explique  le  goût  dominant  de  la  souveraine  pour  la 


118 


LE  MÉNESTREL 


musique  de  ballet  et  de  danse  en  général.  Ainsi,  l'ouverture  du  ballet  la 
Mascarade,  qu'on  représentait,  fréquemment,  avec  Fenny  Essler,  sous  le 
règne  de  Frédéric-Guillaume  III,  est  de  sa  composition.  Un  grand  nombre 
de  ses  œuvres  ont  été  intercalées  dans  des  opéras  et  des  ballets.  Lors- 
qu'elle monta  sur  le  trône,  la  reine  Augusta  fit  retirer  de  la  circulation 
artistique  toutes  ses  compositions.  Elle  mettait  une  sorte  de  coquetterie  à 
se  soustraire  aux  éloges  des  musiciens  de  marque.  «  C'est  déjà  bien  assez 
mal  de  ma  part,  leur  répétait-elle,  de  gâter  le  métier  des  véritables  com- 
positeurs. »  Un  pas  redoublé  de  l'impératrice  porte  le  n°  103  au  répertoire 
des  marches  de  l'armée  prussienne. 

—  L'anecdote  suivante,  qui  concerne  Franz  Liszt,  nous  est  encore  racontée 
par  le  Neue  Musikzeitung  de  Stuttgard.  Emmitoufilé  dans  sa  robe  de  cham- 
bre, les  pantoufles  aux  pieds,  le  maître  était,  un  soir,  commodément  assis 
dans  son  fauteuil,  prêta  travailler  et  laissant  venir  l'inspiration.  A  l'étage 
supérieur,  chez  un  banquier,  bruyante  soirée  musicale.  Les  touches  du 
piano,  brutalement  traitées,  semblaient  voler  en  éclats  et  souffrir...  autant 
que  le  maître  lui-même.  Les  polonaises  avaient  succédé  aux  valses  et  les 
nocturnes  aux  polonaises,  quand  tout  à  coup  la  porte  du  salon  s'ouvrit 
brusquement,  et  que  vit-on  apparaître?  Liszt  en  personne,  toujours  enve- 
loppé dans  sa  robe  de  chambre.  On  se  figure  l'étonnement  qui  s'empara 
de  la  brillante  assemblée  devant  cette  apparition  aussi  étrange  qu'inatten- 
due, mais  au  maître  vénéré  on  pardonnait  tout,  même  une  tenue  excen- 
trique, et  tous  épiaient  ses  mouvements  avec  la  plus  vive  curiosité.  A  pas 
lents,  Liszt  se  dirigea  vers  le  piano,  d'où  s'éloigna  prestement  un  jeune 
tapoteur;  il  s'assit  devant  l'instrument,  promena  négligemment  ses  doigts 
sur  les  touches  comme  pour  préluder,  puis,  brusquement  fermant  le  cou- 
vercle, mit  la  clef  dans  sa  poche.  Et  tout  aussitôt,  du  même  air  tranquille 
qu'il  avait  pris  pour  entrer,  il  sortit  et  regagna  son  appartement,  où  il  put 
travailler  à  l'aise. 

—  Le  Conservatoire  de  Bucharest  a  célébré  le  8  mars  dernier,  par  une 
fête  musicale,  le  vingt-cinquième  anniversaire  de  sa  fondation. 

—  Un  ancien  artiste  delà  Renaissance,  M.  Félix  Puget,  vient  de  prendre 
la  direction  du  théâtre  Livadia,  à  Saint-Pétersbourg.  Ce  sera  une  bonne 
concurrence  à  l'Arcadia,  dirigée  par  M.  Gunzbourg.  Tous  nos  vœux  sont 
naturellement  pour  M.  Puget,  qui  a  le  souci  de  se  mettre  en  règle  avec 
les  auteurs  ou  leurs  ayants  droit,  tandis  que  M.  Gunzbourg  se  moque 
absolument  de  leurs  intérêts  et  manque  même  à  ses  engagements  avec 
une  désinvolture  charmante. 

—  Le  vieux  ténor  Sims  Reeves,  dont  la  renommée  est  si  grande  depuis 
près  d'un  demi-siècle  en  Angleterre,  surtout  comme  chanteur  d'oratorio, 
se  prépare  à  la  retraite  et  organise  un  grand  concert  d'adieu  par  lequel  il 
clôturera  sa  carrière  musicale.  Ce  sera  pour  l'artiste  et  pour  le  public  qui 
l'applaudit  depuis  si  longtemps  une  véritable  fête,  à  laquelle,  dit-on, 
Mmc  Christine  Nilsson  a  promis  son  concours. 

—  M.  Seidl,  chef  d'orchestre  de  la  compagnie  Neumann,  à  New-York, 
doit  donner  prochainement  en  cette  ville  une  grande  exécution  de  Parsifal. 
de  Richard  Wagner...  avec  l'orchestre  seul.  L'idée  peut  paraître  origi- 
nale, mais  pour  ceux  qui  savent  se  rendre  compte  de  l'inutilité  des 
chanteurs  dans  les  opéras  du  «  maître  »... 

—  Les  journaux  américains  annoncent  qu'à  l'issue  de  la  tournée  Abbey- 
Grau,  dont  elle  fait  partie,  Mmo  Emma  Albani  ira  donner  quelques  repré- 
sentations au  Canada,  sa  patrie,  et  l'on  peut  escompter  d'avance  l'accueil 
triomphal  qui  lui  sera  fait  en  cette  circonstance.  M'ne  Albani  sera  accom- 
pagnée du  ténor  Ravelli  et  du  baryton  Zardo. 

—  Un  directeur  faussaire.  On  écrit  de  Buenos-Ayres  au  Cosmorama,  de 
Milan  :  «  On  a  arrêté,  le  22  février  dernier,  dix-sept  individus,  dont  le 
chef  est  le  nommé  Conde,  bien  connu,  l'imprésario  de  la  compagnie  d'opéra 
partie  d'Italie  il  y  a  cinq  mois  pour  le  théâtre  Onrubia  et  là  abandonnée 
par  lui  après  un  mois  de  saison.  Tous  ces  individus  sont  inculpés  de 
faux,  de  rapines  et  pire  encore,  et  ils  semblaient  sur  le  point,  d'accomplir 
un  coup  de  maître,  d'accord  avec  un  employé  d'une  banque  de  Buenos- 
Ayres,  pour  une  somme  de  plus  d'un  million  qu'ils  auraient  récoltée  au 
moyen  de  fausses  traites  et  lettres  de  change  sur  Paris,  Madrid  et  Barce- 
lone. »  Les  chanteurs  coûtent  si  cher,  aujourd'hui!  Il  faut  bien  que  les 
directeurs  trouvent  le  moyen  de  vivre. 

PARIS   ET    DÉPARTEMENTS 

Aujourd'hui  dimanche,  à  l'Opéra,  représentation  populaire  à  prix  réduits. 
On  donnera  Guillaume  Tell.  Il  faut  bien  avoir  l'air  de  remplir  ses  enga- 
gements, au  moment  où  l'on  va  discuter  la  subvention  devant  le  Parlement. 
Les  directeurs  n'en  restent  pas  moins  en  retard  d'un  nombre  considérable 
de  représentations  à  prix  réduits,  puisqu'aux  termes  du  cahier  des 
charges  ils  doivent  en  donner  une  chaque  mois. 

—  Comme  compensation  à  l'engagement  de  M11'  Jane  Harding  sans  doute, 
M.  Paravey  vient  d'engager  Mllc  Vuillaume,  une  jeune  chanteuse  légère 
qui  fut  remarquée  au  Grand-Théâtre  de  Lyon  et  à  la  Monnaie,  où  elle  a 
chanté  Lalimè  avec  talent.  —  La  reprise  de  Dimitri  a  eu  lieu  cette  semaine, 
et  on  a  des  mieux  accueilli  l'œuvre  do  M.  Victorin  Joncières  et  ses  ex- 
cellents interprètes,  MM.  Soulacroix,  Dupuy,  Cobalet,  M"les  Landouzy  et 
Deschamps. 

—  A  ['Opéra-Comique,  on  doit  commencer,  la  semaine  prochaine,  les 
répétitions  d'orchestre  de  Dante  el  Béatrice,  le  drame  lyrique  de  M.  Benja- 


min Godard,  dont  la  première  représentation  serait  donnée  vers  la  fin  du 
mois. 

—  On  mande  de  Madrid  (12  avril)  :  «  Une  dépêche  de  Las  Palmas 
(Canaries)  annonce  que  M.  Saint-Saëns  est  de  nouveau  arrivé  dans  cette 
ville.  »  Pour  Dieu,  qu'on  laisse  donc  en  repos  l'éminent  compositeur 
d'Henry  VIII  et  de  Samson  et  Dalila.  N'est-il  pas  libre  de  voyager  à  sa 
guise  sans  que  tout  l'univers  en  prenne  ombrage  et  le  poursuive  de  ses 
inquiétudes! 

—  Nous  trouvons  dans  l'Économiste  français  de  curieux  renseignements 
sur  les  recettes  des  théâtres  de  Paris  de  1848  à  1889.  Voici  les  chiffres  : 

18-18 Fr.  5,553.411 

18111 6.431.231 

18ô;i 8.206.818 

1831 8.661.916 

1832 9. 837. 993 

1851. 11.332.222 

1831 10.738.078 

1833  (Exposition) 13.828.123 

1836 ,   .   .   .   .  12.186.123 

1837 12.722.301 

1858 12.737.498 

1839  12.432.314 

1860 14.332.944 

1861 • 13.704.301 

1862 , 14.306.683 

1863 13.800.317 

1864 13.033.665 

1865 15.907.006 

1866 16.962.502 

1867  (Exposition).  .   .' 21.983.867 

1868 13.361.020 

1869 15.198.000 

1870  (guerre ■ • 8.107.285 

1871  (guerre) 5.715.113 

1872 16.114.597 

1873 ,    .   .  16.303.379 

1874 18.368.279 

1875 20.907.391 

1816 21.663.662 

1877 20.978.180 

1878  (Exposition).  . 30.637.499 

1879 20.619.310 

1880 22.614.018 

1881 27.434.418 

1882 29.068.592 

1883 29.144.600 

1884 29.984.054 

1885 25.590.077 

1886 25.074.458 

1887 22.062.440 

1818 23.007.975 

1889  (Exposition) ■  32.138.998 

~Le  cercle  de  la  critique  a  renouvelé  cette  semaine  son  bureau.  Ont  été  • 
nommés  :  Président,  M.Hector  Pessard;  vice-présidents,  MM.  Emile  Blavet 
et  Léon  Kerst;  archivistes,  MM.  Stoullig  et  Edouard  Noël;  secrétaire, 
M.  Maxime  Vitu.  Le  cercle  a  ensuite  nommé  une  commission  pour  étu- 
dier le  remaniement  des  règlements  afin  d'exercer  une  action  plus  déci- 
sive sur  les  directeurs  de  théâtre  dans  l'intérêt  de  la  corporation  des 
critiques.  Font  partie  de  cette  commission  :  MM.  Henry  Fouquier,  Emile 
Blavet,  Henri  Bauër,  Maurice  Lefèvre  et  Oswald.  M.  Georges  Daudet  a  été 
adjoint  à  cette  commission  comme  secrétaire,  sans  voix  délibérative. 

—  On  vient  d'apposer,  en  exécution  d'une  délibération  du  conseil  mu- 
nicipal de  Paris,  sur  la  façade  de  la  maison  sise  rue  de  la  Chaussée- 
d'Antin,  2,  à  l'angle  du  boulevard,  une  plaque  portant  une  inscription 
commémorative  conçue  et  disposée  comme  il  suit  : 

GIOACCHINO   ROSSINI 

COMPOSITEUR    DE    MUSIQUE 

NÉ  A   PESARO 

LE  29   FÉVRIER  1792 

MORT  A  PASSY 

LE   13  NOVEMBRE  1868 

HABITA    CETTE    MAISON 

DEPUIS  1857 

—  M.  Colonne,  dit  le  Gaulois,  est  de  retour  de  Moscou,  où  il  a  dirigé  les 
orchestres  du  Conservatoire  et  de  l'Opéra  de  cette  ville.  L'éminent  chef 
d'orchestre  n'a  donné  qu'un  seul  concert,  qui  comprenait  deux  parties.  La 
première  réservée  aux  œuvres  classiques  :  Beethoven,  Mozart,  Schumann, 
Mendelssohn,  etc.,  et  la  seconde  partie,  composée  exclusivement  d'ouvrages 
des  maîtres  français  :  Berlioz,  Bizet,  Gounod,  Saint-Saëns,  Delibes,  etc. 
Le  public  moscovite  a  fait  une  véritable  ovation  à  M.  Colonne,  qui  a 
dirigé  les  deux  orchestres  russes  avec  une  maestria  toute  française,  et 
n'a  pas  ménagé  ses  applaudissements   à  Mme  Colonne,  qui  s'est  fait  en- 


LE  MENESTREL 


m 


tendre  dans  plusieurs  romances  de  MM.  César  Franck,  Widor,  Lalo  et 
M11"  Augusta  Holmes.  Le  sympathique  directeur  des  concerts  du  Châtelet 
a  dû  promettre  de  retourner  à  Moscou  l'année  prochaine. 

—  L'excellent  violoniste  Joseph  White  est  de  retour  à  Paris  de  sa 
tournée  dans  le  Midi.  Il  se  fera  entendre,  le  Ier  mai,  au  concert  de  l'œuvre 
des  Saints-Anges,  qui  doit  avoir  lieu  au  Conservatoire. 

—  M.  Diaz  Alhertini  vient  aussi  de  rentrer  à  Paris,  après  avoir  remporté  ' 
de  nombreux  succès  dans  la  grande  tournée  qu'il  vient  de  faire  en  Alle- 
magne. 

—  M.  Julien  Tiersot  fera  le  lundi  21  avril,  à  la  salle  des  Capucines,  une 
conférence  sur  les  chansons  populaires  des  provinces  de  France,  avec 
audition  de  chansons  normandes,  bretonnes,  poitevines,  bourguignonnes, 
morvandelles,  etc. 

—  Nous  apprenons  qu'une  collection  très  importante  de  lettres  auto-  , 
graphes  et  de  documents  originaux  de  musique  sera  mise  en  vente  à 
Paris  les  5,  6  et  7  mai  1890.  Nous  relevons  dans  le  catalogue,  les  noms 
snivants  :  J.-S.  Bach,  Beethoven,  Bellini,  Chopin,  Cimarosa,  Flotow, 
Glinka,  Gluck,  Gossec,  Grétry,  Jomelli,  Liszt,  Litolff,  Lvolff,  Martini, 
Méhul,  Mendelssobn-Bartholdy,  Meyerbeer,  Mozart,  Paganini,  Paisiello, 
Pergolèse,  Philidor,  Piccinni,  Sacchini,  Salieri,  Scarlatti,  Schubert,  Schu- 
mann,  Vieuxtemps,  Viotti,  Wagner,  Weber,  Zingarelli,  etc.,  etc.  Le  cata^ 
logue  sera  envoyé  franco  à  toutes  les  personnes  qui  en  feront  la  demande 
à,  M.  Eugène  Gharavay,  expert  en  autographes,  chargé  de  la  vente,  8,  quai  , 
du  Louvre  à  Paris-. 

—  La  collection  internationale  de  la  Tradition  vient  de  publier  deux  petits 
volumes  relatifs  à  la  musique:  la  Musique  et  la  danse  dans  les  traditions  des  Li-  • 
thuaniens,  des  Allemands  et  des  Grecs,  par  M.  E.  Veckenstedt,  et  les  Traditions 
japonaises  sur  la  chanson,  la  musique  et  la  danse,  par  M.  D.  Brauns.  Le  sujet 
traité  dans  ces  deux  ouvrages  n'est  pas,  comme  on  pourrait  le  croire  sur  la  foi 

'des  titres,  l'étude  proprement  dite  de  la  musique  et  des  danses  populaires 
des  peuples  énoncés  (seul,  M.  Brauns  a  consacré  quelques  pages  à  la  musique 
japonaise,  mais  il  est  aisé  d'apercevoir  que  cette  partie  n'est  pas  traitée 
par  un  homme  du  métier).  Le  but  des  auteurs  a  été  de  considérer  le  rôle  ■ 
joué  par  la  musique  dans  les  traditions  populaires,  contes,  mythes,  super- 
stitions, etc.  T'eûtes  ces  traditions  s'accordent  à  reconnaître  à  la  musique 
une  origine  divine.  Il  y  a  des   contes  lithuaniens  et  japonais,  colorés  et' 
savoureux,  par  lesquels  on  voit  quel  pouvoir  magique  l'imagination  primi-  ,' 
tive  des  peuples    a  constamment  attri'bué  à  l'art    des  sons.   A  propos  de 
l'Allemagne,  M.  Veckenstedt  se  livre  à  des  considérations  très  savantes  et 
très  ardues  sur  les  légendes  de  Tannhâuser  et  de  Dame  Venus.  On  y  verra 
comment  le  chevalier  Tannhâuser  est  identifié   avec  Odin  (ou  Wotan);  et 
comme,  d'après  les  anciens  mythes,  ce  dieu    est  une  personnification    du 
soleil,  Tannhâuser  ne  serait  autre  qu'une  nouvelle  incarnation   du   soleil 
lui-même,  —  et  toute  sorte  d'autre  belles  choses.  J.  T. 

—  La  première  représentation  du  Vénitien,  opéra  en  trois  actes  et  quatre 
tableaux,  de  M.  Albert  Cahen,  est  annoncée  pour  demain  lundi,  au  théâ- 
tre des  Arts  de  Rouen.' 

—  Pour  la  troisième  fois'  en  une  année,  la  maîtrise  de  Saint-Eustache, 
sous  l'habile  direction  de  M:  Steenman,  a  fait  entendre  la  belle  «  messe 
des  Rameaux  »  de  Félix  Godefroid  et  toujours  avec  le  même  succès.  Cette 
fois,  c'étaient  MM.  Hermann-Léon  et  Girod  qui  en  faisaient  entendre  les 
soli.  Ils  ont  été  fort  appréciés  tous  les  deux.' 

—  Le  théâtre  Valette,  à  Marseille,  a  été  fortement  éprouvé  par  l'ef- 
froyable ouragan  qui  s'est  abattu  ces  jours  derniers  sur  cette  ville,  et  a 
Vu  sa  toiture  entièrement  défoncée,  en  même  temps  que  les  caisses  à 
eau,  d'une  contenance  de  30,000  litres,  cédant  sous  le  poids  d'un  mur 
voisin,  étaient  entraînées  avec  le  plafond  de  la  scène.  Tous  les  instruments 
de  la  Société  des  concerts  classiques  qui  se  trouvaient  là  ont  été  brisés. 
On  juge  de  ce  qui  serait  arrivé  si  l'accident  s'était  produit  au  cours  d'une 
des  représentations  qui  ont  lieu  chaque  dimanche,  ou  pendant  le  concert 
qui  devait  être  donné  le  même  jour. 

—  A  Marseille,  première  représentation,  au  Grand-Théâtre,  d'un  ballet 
intitulé  Massilia,  scénario  de  M.  Poigny,  musique  de  M.  Armand  Tedesco,  ' 
dansé  par  M11"»  Rigauti,  Boine  et  Montcamp.  Succès. 

—  Le  Conservatoire  de  Nancy,  succursale  du  Conservatoire  de  Paris, 
ouvre  un  concours  pour  une  place  de  professeur  de  contrebasse,  concours 
qui  aura  lieu  le  3  mai  à  Nancy.  Les  demandes  des  candidats  seront  reçues 
au  secrétariat  de  la  mairie  jusqu'au  22  avril  inclus,  et  les  conditions  du 
concours  leur  seront  communiquées  à  partir  du  25  du  même  mois.  Le 
traitement  annuel  du  professeur  de  contrebasse  est  de  1,200  francs,  auquel' 
sont  joints  un  autre  traitement  de  1,200  francs  comme  chef  de  pupitre  à 
l'orchestre  du  Théâtre  municipal  et  environ  200  francs  pour  les  concerts 
populaires. 

—  On  a  donné  ces  jours  derniers  à  Nantes  la  première  représentation 
d'un  petit  opéra-comique  inédit,  la  Revanche  de  Scjanarelle,  qui  paraît  n'a- 
voir 'obtenu  qu'un  médiocre  succès.  L'auteur  de  la  musique,  M.  Léon: 
Dubois,  ancien  prix  de  Home  de  TAcâdémie  do  Belgique,  aujourd'hui' 
second  chef  d'orchestre  à  Nantes,  est,  parait-il,  très  épris  des  doctrines 
wagnériennes,  et  cet  idéal  n'était  assurément  pas  de  nature  à  le  faire- 
réussir  dans  la  composition  d'un  opéra-comique  léger  et  coquet.  On  reproche 
donc  à  sa  partition,  malgré  le  talent  qu'il  y  a  déployé,  une  lourdeur  exces- 
sive et  une  ambition  qui  s'accorde  peu  avec  la  nature  du  sujet  traité • 


CONCERTS   ET   SOIRÉES 

Le  concert  du  Vendredi  Saint,  au  Châtelet,  magistralement  conduit 
par  M.  Gounod,  n'a  été  qu'une  série  d'ovations.  Dans  la  symphonie  en 
mi  bémol,  qui  date  de  quelque  quarante  ans,  Gounod  ne  fait  pas  encore 
preuve  d'une  grande  indépendance  de  style  :  le  premier  morceau  offre 
nombre  de  réminiscences  de  Beethoven  ;  le  larghetto,  plus  original  au 
début,  est  quelque  peu  gâté  par  une  formule  sautillante  qui  en  amoin- 
drit le  caractère;  le  finale,  traité  dans  le  style  d'Haydn,  est  charmant  et  a 
été  vivement  applaudi.  Grand  succès  pour  le  Cantique  d'Alhalie,  merveil- 
leusement dit  par  Mm0  Krauss  et  M110  de  Montalant.  L'Hymne  à  sainte 
Cécile  est  très  connu  :  en  composant  cette  œuvre,  dont  l'effet  sur  le  public 
tient  surtout  à  un  crescendo  de  violons  à  l'unisson,  l'auteur  avait  voulu 
renouveler  et  avait  renouvelé  son  grand  succès  du  prélude  de  Bach.  La 
mélodie,  du  reste,  en  est  fort  belle.  Le  concerto  pour  piano-pédalier, 
remarquablement  dit  par  Mme  Lucie  Palicot,  est  une  œuvre  tout  à  fait 
intéressante  ;  :1e  premier  morceau  est  traité  dans  le  style  de  Hsendel, 
aussi  bien  que  le  dernier,  où  interviennent  de  beaux  effets  de  trompette. 
Mais  les  deux  morceaux  qui  ont  emporté  tous  les  suffrages  sont  la  Marche 
funèbre  et  une  sorte  de  scherzo  intitulé  Escarmouche,  qui  sont  traités  avec 
une  élévation  et  un  art  incomparables.  La  Vision  de  Jeanne  d'Arc,  tirée  de 
la  messe  exécutée  à  Reims  en  1887,  est  un  solo  de  violon  d'un  caractère 
pénétrant,  qui  a  été  dit  avec  un  grand  charme  par  M.  Paul  Viardot,  et 
redemandé.  Nous  n'avons  pas  à  nous  étendre  longuement  sur  Gallia,  la 
Lamentation  si  connue  et  si  belle,  dans  laquelle  Mme  Krauss  a  été, 
comme  toujours,  admirable.  Pour  nous,  le  point  culminant  du  concert 
était  dans  les  quatre,  morceaux  de  Mors  et  Vita:  Y 'Introït,  VAgnus,  le  Judex 
et  le  Judicium  eleclorum,  que  l'orchestre,  les  chœurs  et  le  remarquable 
quatuor  vocal  composé  de  MmesKrauss  et  Montalant,  de  MM.  Auguez  et 
Mauguière,  ont  dit  avec  une  perfection  qui  a  soulevé  des  transports 
d'admiration  Ce  festival,  composé  uniquement  d'oeuvres  de  M.  Gounod, 
a  été  un  grand  enseignement  :  jamais  le  maître  français  n'avait  brillé 
d'un  plus  grand  éclat.  A  quoi  cela  tient-il,  sinon  à' l'élévation  de  sa 
pensée,  à  la  clarté  de  ses  idées,  à  l'ampleur  avec  laquelle  il  les  développe. 
La  mélodie  coule  à  pleins  bords  dans  la  musique  de  M.  Gounod  ;,il  n'est 
pas  besoin  d'un  esprit  transcendant  pour  la,  découvrir  ;  elle  n'a  pas  besoin  , 
de  programmes  détaillés  pour  en  exposer  le  sens  caché  ;  elle  a  une  forme, 
elle  a  une  symétrie,  elle  a  une  tonalité.  Choses  usées,  ohoses  banales 
que  tout  cela  !  nous  crie-t-on,  mais  ces  cris  n'émeuvent  guère  ceux  qui- 
restent  persuadés  que  les  vraies  règles  sont  celles  auxquelles  ont  obéi  les 
grands  maîtres  de  l'art,  qui  leur  ont  suffi  pour  créer  d'immortels  chefs- 
d'œuvre.  Quand  on  a  chez  soi  des  maîtres  comme  Gounod  et  quelques 
autres,  je  me  demande  d'où  vient  le  besoin  de  se  prosterner  devant  des 
idoles  exotiques  et  de  nous  déprécier  nous-mêmes  en  exaltant  ceux  qui 
ne  nous  valent  pas.  IL  Barredette. 

Concerts  Lamoureux.  —  M.  Lamoureux  a  donné  le  vendrédi-saint,  au- 
Cirque  d'hiver,  une  soirée  musicale  et  littéraire  avec  le  concours  de  M™ 
Sarah  Bernhardt,  de  MM.  Philippe  Garnier  et  Brémont  pour  la  partie 
littéraire,  et  de  M.  Talazac  pour  la  partie  musicale.  Le  programme  annon-  ' 
çait  la  première  et  unique  audition  (lecture)  de  la  Passion,  mystère  en. 
six  parties  de  M.  Haraucourt.  Cette  lecture  a  dû  être,  écourtée  de  moitié, 
après  quelques  incidents  causés  par  la  fatigue  du  public  .et  l'intervention 
peu  opportune  du  poète.  On  a  pu  s'apercevoir  à,  cette  occasion,que  la  parole, 
déclamée  semble  froide  à  côté  d'inspirations  musicales  comme  celles  de 
Beethoven,  de  Méhul,  de  Berlioz  et  de  Wagner;  aussi,  lorsqu'une  voix 
partie  des  gradins  supérieurs  a  prononcé  le  mot  :  musique,  il  est  devenu 
évident  que  cette  voix  exprimait  le  sentiment  de  la  majorité.  Il  est  regret- 
table d'ailleurs  que  l'œuvre  annoncée  n'ait  pu  être  entendue  intégralement, 
car  l'auditoire,  ayant  été  prévenu  d'avance,  pouvait  exercer  le  droit  d'appro- 
bation ou  d'improbation,  mais  le  droit  de  suppression  peut  paraître  beau- 
coup, plus  discutable.,  La. partie  musicale  du  concert,  a.' été  applaudie  à 
outrance.  La  symphonie  en  ut  mineur  a  produit  un  effet  considérable  qui , 
a.  été  encore  dépassé  par  celui  de  l'ouverture  de  Tannhâuser,  ce  qui  prouve 
que  les  idées  d'une  valeur  moyenne,  si  elles  ont  un  caractère  entraînant,- 
agissent  plus  sûrement  sur  un  nombreux  auditoire  que  les  conceptions 
d'une  grande  élévation  et  d'une  irréprochable  noblesse.  Le  prélude,  de 
Parsifal  et  l'Enchantement  du  Vendredi-Saint  ont  été  supérieurement  rendus 
par  l'orchestre.  M.  Talazac  a. chanté  avec  beaucoup  de  charpje  .un  air  de, 
Joseph  et  le  Repos  de  la  Sainte  Famille  de  l'Enfance  du  Christ,  précédé  du, 
petit  morceau,  d'orchestre .,  exprimant  la, réunion  ,des  bergers,  pour  le,s- 
adieux.  La  marche  nuptiale  de  Lohengrin  a,  terminé  le,  concert.,. 

.    AméoéeBoutarel. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche. 
Conservatoire  :. symphonie  en  la  (Beethoven)  ;  Hymne  (Écoute,  ma  prière,!) 

(Mendelssohn),  solo  par  M"°  FannyLépine;  le  Roi  s'amuse{,  airs,  dp,  danse  . 
(Léo  Delibes)  ;  chœur  de  Cosi  fan  lutte  (Mozart)  ;  Andante,  m,enuel  et  finale 
de  la  symphonie  en  ut  inédite,  (Haydn).  Le  concert  sera  dirigé  par  M.  J; 
Garcin.  .      . 

Châtelet,  concert  Colonne  :  Si"  audition  '  de  la  Damnation  de  Faust,  de 
Berlioz,  chantée  par  M"10 Gahrielle  Krauss,  MM.  Talazac,  Auguez  etAugier.'' 

—  Toujours  infatigable,  Mmo  Marie,  Jaëll.  inaugure,  chez  elle,  tous  les  „ 
lundis,. une  série,  de  douze  auditions,  les, six  premières  consacrées  aux. 
trente-deux  sonates  ,de  Beethoven,  les  six  dernières  à  toutes  les  œuvres, 
pour  piano  do  Chopin.   


120 


LE  MENESTREL 


—  Demain  lundi,  14  avril,  MUe  Clotildé  Kleeberg  donne  salle  Érard,  un 
concert  avec  l'orchestre  Lamoureux.  — .   .. 

—  Le  mercredi  16  avril,  à  quatre  heures,  aura  lieu  à  Saint-Augustin  la 
première  audition  d'une  œuvre  inédite  de  M  .Gounod  (Consécration),  que  le 
maître  veut  bien  conduire  lui-même.  Sa  présence  donnera  un  attrait  de 
plus  à  la  solennité  de  ce  Salut  donné  au  profit  d'une  bonne  œuvre.  Les 
artistes  qui  prêtent  leur  concours  sont  Mnles  Brun,  Moégelin,  Prioré, 
B.  Martha,  Héhlot,  Boussagol,  Villet,  MM.  Auguez  et  Gigout. 

—  Soirées  et  concerts.  —  Le  9°  concert  annuel  donné  à  la  salle  Érard  au  profit 
de  l'Association  des  artistes  musiciens,  par  M""  Mathilde  Marchesi,  a  été  très  brillant. 
Mme  Krauss  a  été  applaudie  par  un  public  extrêmement  nombreux  dans  le  Roi  des 
Aulnes,  magistralement  accompagnée  par  M.  Diémcr,  dans  le  Soir,  d'Ambroise  Tho- 
mas, et  dans  le  duo  de  Psyché  du  même  maître.  Deux  autres  élèves  de  Mlnc  Marchesi, 
II""  Risley  et  Komaromi,  ont  fait  applaudir  leur  voix  superbe  et  leur  style  excel- 
lent. Grand  succès  aussi  pour  MM.  Taffanel,  Gasella,  et  pour  une  jeune  et  char- 
mante violoniste  viennoise,  M'"L'  Gabrielle  d'Amann-Neusser.  —  La  dernière  séance 
de  la  Société  des  concerts  d'Orléans  était  en  grande  partie  consacrée  à  l'audition 
des  œuvres  de  Mmt  de  Grandval.  Parmi  les  plus  applaudis  citons  deux  morceaux 
d'orchestre  :  Fête  hongroise,  Ronde  de  nuit,  et  une  scène  fantastique  avec  chœurs, 
sur  des  paroles  de  M.  Paul  Gollin,  la  Ronde  des  songes,  dont  Mm8  A.  Castillon  a 
chanté  les  soli  avec  beaucoup  de  talent.  —  La  4"  séance  de  la  Société  des 
concerts  populaires  de  Valenciennes  a  été  fort  brillante.  Sous  la  direction 
de  M.  Henri  Dupont,  l'orchestre  a  exécuté  l'ouverture  de  Ruy  Bios  et  la  Fan- 
taisie-ballet de  M.  Pierné  (la  partie  de  piano  tenue  par  M"°  Chandelier).  Les  chœurs, 
hommes  et  dames,  ont  été  fort  applaudis,  mais  la  grande  part  du  succès  a  élé  pour 
M.  Schelbaum,  violoniste.  Il  a  d'abord  fait  entendre  le  7g  concerto  de  Bériot,  puis 
la  charmante  transcription  de  M.  Marsick  sur  la  Barcarolle  et  le  Pizzicati  de  Sylvia, 
qui  a  été  bissée  à  la  demande  générale.  —  La  3U  soirée  donnée,  mardi,  salle  Herz, 
par  M"°C.  Carissan,  a  été  tout  à  fait  charmante.  Plusieurs  de  ses  nouvelles  mélodies 
ont  été  chantées  avec  grand  succès  par  M"°  Wohrnitz  et  par  le  jeune  ténor  Depère. 
—  Au  concert  de  la  Société  des  compositeurs  de  musique,  le  jeudi  27  mars,  M.  Benjamin 
Godard  avait  les  honneurs  de  la  soirée.  Il  accompagnait  lui-même  son  con- 
certo romantique  à  M110  Bourgaud,  qui  l'a  interprété  d'une  façon  vraiment 
supérieure.  Cette  jeune  violoniste,  à  peine  sortie  des  rangs  du  Conservatoire,  où 
elle  vient  d'obtenir  un  premier  prix  dans  la  classe  de  M.  Massart,  possède  un 
talent  déjà  mûr  et  merveilleusement  souple,  auquel  ni  le  charme,  ni  l'éclat  ne 
font  défaut.  A  mentionner  encore  un  sextuor  de  M.  G.  Alary,  parfaitement  exécuté 
par  MM.  Lefort,  Guidé,  Giannini,  Berquet,  Casella  et  l'auteur,  deux  pièces  pour 
hautbois  de  M.  Pénavaire,  que  le  talent  de  M.  Georges  Gillet  a  su  faire  valoir, 
et  le  grand  duo  de  Samson  et  Dalila,  dont  M.  Piroia  s'est  seul  tiré  d'une  façon 
honorable.  —  Pour  son  second  concert,  qui  avait  lieu  lundi  dernier  à  la 
salle  Pleyel,  M.  Rondeau  avait  groupé  des  éléments  nombreux  autant  qu'in- 
téressants, ce  qui  donnait  une  fort  belle  mine  au  programme.  Les  œuvres  mo- 
dernes de  compositeurs  français  l'absorbaient  tout  entier.  Au  premier  rang 
brillaient  les  compositions  de  M.  Théodore  Dubois  :  le  Paradis  perdu,  diame- 
oratorio  dont  quelques  importants  fragments  pleins  d'élévation  et  de  vigueur 
étaient  interprétés  par  M11*"  Mélodia,  Lavigne,  MM.  Rondeau.  Juillard  et  les 
chœurs  sous  la  direction  de  l'auteur;  les  mélodies  le  Baiser  et  Par  le  sentier,  si 
gracieuses,  d'un  charme  si  pénétrant,  et  que  M"*  Mélodia  a  rendues  de  façon  à 
soulever  des  bravos  persistants  et  un  bis  unanime  pour  le  dernier  de  ces  mor- 
ceaux. Les  transcriptions  pour  deux  pianos  des  Eolides  de  M.  C.  Franck  et  de  la 
Danse  tckerlcesse  de  M.  Ritler,  superbement  exécutées  par  MM.  Paul  Braud  et 
P.-R.  Hirsch,  ont  également  reçu  bon  accueil,  ainsi  que  la  Fille  de  Jaire,  scène 
de  M.  Pfeiffer,  où  M"'  Maréchal  a  fait  apprécier  une  voix  charmante.  M.  Ron- 
deau s'est  lui-même  fait  applaudir  dans  les  fragments  d'Endymion,  de  M.  Albert 
Cahen,  et  la  scène  biblique  de  M.  de  Kervéguen,  Jérusalem.  N'oublions  pas 
M.  A.  Pierret,  qui  a  tenu  avec  autorité  le  piano  d'accompagnement.  —  C'a 
été  une  petite  séance  triomphale  que  la  charmante  matinée  donnée  dimanche 
dernier,  salle  Pleyel,  par  M""  Donne,  pour  l'audition  de  leurs  élèves.  On 
a  entendu  là  une  trentaine  de  jeunes  filles  et  de  mignonnes  fillettes  qui  pro- 
mettent pour  l'avenir,  et  dont  quelques-unes  font  déjà  parler  le  piano  non  seule- 
ment avec  habileté  mais  avec  un  véritable  charme.  Nous  ne  saurions  citer  tous  les 
noms  de  ces  futures  artistes;  nous  mentionnerons  pourtant  d'une  façon  toute 
spéciale  M""  Ogc'e,  Fernet,  Desplats,  Deldicq,  Lavello,  Jozin,  Degouy,  Gérard, 
Véras  de  la  Bassetiète,  Eytmin,  sans  oublier  M""  Got  et  Juliette  Barat,  les  deux 
chefs  incontestés  de  ce  gentil  petit  bataillon  féminin,  qui  ont  terminé  la  séance 
en  exécutant  d'une  façon  superbe,  à  quatre  mains  et  à  deux  pianosi  la  Danse  macabre 
de  M.  Saint-Saëns. —  L'Association  artistique  d'Angers  a  donné  son  dernier  concert 
extraordinaire  en  l'honneur  de  M.Francis  Thomé,  qui  était  venu  diriger  plusieurs 
nouvelles  œuvres  symphoniques.  Salle  comble  et  grand  succès  pour  l'auteur  et 
pour  les  interprètes  :  la  charmante  M""  Ly  ven,  de  l'Opéra-Comique,  qui  a  chanté 
d'une  façon  remarquable  la  mélodie  la  Nuit,  très  délicatement  orchestrée,  et 
M"e  Renée  du  Minil,  de  la  Comédie-Française,  qui  s'est  fait  applaudir  chaleureu- 
sement en  récitant  les  poésies  sur  lesquelles  M.  Francis  Thomé  aécrit  cesadapta- 
tions  symphoniques  dont  nous  avons  plus  d'une  fois  constaté  la  haute  valeur 
artistique.  Ces  adaptations  ont  produit  à  Angers  un  grand  effet  et  M.  Francis  Thomé 
a  été  rappelé  plusieurs  fois  avec  sa  gracieuse  interprète.  —  M"°  Laure  Taconet, 
professeur  à  Versailles,  a  donné,  salle  Pleyel,  une  matinée  qui  mérite  une  men- 
tion spéciale.  D'abord  on  a  eu,  ce  qui  n'est  pas  banal,  la  première  audition 
d'une  œuvre  importante  avec  chœurs,  le  Bêve  de  l'Enfant  prodigue.  Sur  un  joli 
poème  de  M.  Paul  Collin,  M.  Paul  Deschamps,  organiste  à  Versailles,  a  écrit  une 
musique  un  peu  touffue  et  compliquée  peut-être,  mais  où,  dans  maintes  pages,  se 
distinguent  des  qualités  d'ordre  supérieur.  Puis  l'Enlèvement  de  Proserpine,  la 
charmante  scène  de  M.  Th.  Dubois,  a  retrouvé,  sous  la  direction  de  l'auteur,  le 
succès  qu'elle  rencontre  partout.  M1"  Taconet  et  M.  Derivis  ont  chanté  les  soli  de 
ces  ouvrages,  plus  diverses  mélodies  de  M—  Viardot,  Par  le  Sentier,  de  Th. 
Dubois,  bissé  d'acclamation.  Citons  encore  le  ravissant  chœur  de  Jean  de  Nivelle 
et  les  bravos  légitimement  prodigués  à  MM.  Loys,  Lopez,  L.  Dclafosso,  Levadé. 

—  Voilà  que   les  dames  du  monde  se  mettent  aussi  à  donner  des  soirées  spiri- 
tuelles: c'était  la  suite  naturelle  et  obligée  do  l'accroi<sement  des  concerts  spiri- 


tuels, qui  tous  trouvent  un  public.  M"'  Gallet  a  donné  l'élan  samedi-saint,  et  cela 
avec  un  programme  des  plus  intéressants,  dirigé  par  M.  'Weckerlin.  Le  chœur 
des  élus,  la  Prière  de  Beethoven,  le  Lacrymosa  et  le  Rex  tremendo  du  Requiem  de 
Mozart,  l'Offertoire  à  quatre  voix  du  Requiem  de  Verdi,  des  fragments  A'Elie  de 
Mendelssohn  et  un  Psaume  de  Marcello,  voilà  certes  des  pièces  qui  valaient  la 
peine  qu'on  se  dérange  pour  les  écouter.  Mais  il  y  avait  aussi  la  part  des  com- 
positeurs vivants,  qui  ont  dirigé  eux-mêmes  leurs  œuvres:  un  cantique  à  quatre 
voix  de  M.  Fauré,  un  Ave  Maria  de  M.  Weckerlin,  remarquablement  chanté  par 
Mma  Gallet  et  le  chœur  (bissé),  un  Veni  Creator  de  M.  Lalo,  dit  avec  son  talent 
connu  par  MD,C  Lalo,  et  une  Résurrection  de  M.  Hue.  L'élément  instrumental  était 
représenté  par  un  quadruple  quatuor,  deux  contrebasses,  une  harpe  et  un  oigue, 
ce  qui  était  très  suffisant  pour  un  chœur  d'environ  cinquante  personnes,  la  plupart 
amateurs  de  talent.  —  La  séance  que  M.  Gigout,  l'éminent  organiste  de  Saint- 
Augustin,  vient  de  donner  pour  faire  entendre  les  élèves  de  son  cours  d'orgue  et 
d'improvisation,  a  vivement  intéressé  les  nombreux  artistes  qui  se  pressaient  dans  son 
charmant  hall  delà  rue  Jouffroy.  Les  jeunes  Vivet,  Pickaèrt,  Dussault  et  Guiot  sont 
particulièrement  à  signaler.  Ils  ont  exécuté  avec  beaucoup  de  brio  et  d'intelligence 
des  œuvres  classiques  et  modernes  fort  difficiles  d'interprétation.  —  Le  conceit 
donné  la  semaine  dernière  par  Mmc  Lafaix-Gontié  était  des  plus  réussis.  On  y  a 
entendu  Mllc  Marie  Dubois,  MM.  Guidé,  Van-Goens  et  Emile  Bourgeois,  ainsi 
qu'une  élève  de  Mra0  Lafaix-Gontié,  MilB  Dionis  du  Séjour,  dont  la  parfaite  mé- 
thode et  la  charmante  voix  ont  été  vivement  appréciées  et  fort  applaudies. 
Mmc  Lafaix-Gontié  a  interprété,  entre  autres  morceaux,  la  brillante  polonaise  de 
Mignon,  et  avec  M"1  Dionis  de  Séjour  un  très  gracieux  et  très  spirituel  duo  de 
M.  Emile  Bourgeois,  la  Tourterelle  et  le  Papillon.  —  Mercredi  dernier,  avant- 
dernière  soirée  de  la  saison  chez  M.  et  M""  Louis  Diémer.  Le  maître  de  la 
maison,  comme  toujours,  a  été  couvert  d'applaudissements  après  l'exécution 
magistrale  de  la  Rapsodie  d'Auvergne,  de  M.  Camille  Saint-Saëns.  On  a  fêté  aussi 
plusieurs  de  ses  élèves,  parmi  lesquels  M.Victor  Staub,  qui  a  joué  en  perfection 
le  Chant  du  Nautonnier  de  son  maître  et  une  valse  nouvelle  de  M.  Elis  Borde,  et 
MM.  Bloch,  Risler  et  Stojowski,  qui  ont  très  bien  rendu  plusieurs  pièces  à  deux 
pianos.  M""  Landi,  dans  l'air  du  Sommeil  de  Psyché,  de  M.  Ambroise  Thomas, 
et  dans  A  une  étoile,  de  M.  Louis  Diémer,  et  M.  Lelubez  dans  la  Sérénade  espa- 
gnole, de  M.  Diémer  également,  ont  fait  applaudir  leur  voix  pleine  de  charme  ; 
M.  Diaz  Albertini  a  joué  avec  énormément  de  brio  et  de  goût  plusieurs  pièces 
pour  violon.  —  Le  jeudi-saint,  l'Hippodrome  de  Lille  a  donné,  sous  la  direction 
de  M.  Paul  Lelong,  un  grand  concert  spirituel  avec,  au  programme,  les  noms 
de  M"°  Caron  et  de  MM.  Diémer  et  Vergnet.  La  soirée  n'a  été  qu'une  longue 
suite  d'ovations  pour  ces  merveilleux  artistes.  On  a  acclamé  M.  Diémer  dans 
le  concerto  pour  piano  et  orchestre  de  M.  Ed.  Lalo,  et  dans  sa  grande  Valse  de 
concert,  et  M-"  Caron  et  M.  Vergnet  dans  le  duo  du  troisième  acte  de  Salammbô. 
Les  journaux  de  la  localité  ne  tarissent  pas  d'éloges  et,  de  fait,  nous  avouons  que 
les  Lillois  ne  sont  pas  gens  à  plaindre. 

NÉCROLOGIE 
Nous  apprenons  la  mort  de  M.  Emile  Louis,  officier  d'Académie,  an- 
cien chef  des  chœurs  au  Théâtre-Italien,  compositeur  et  professeur  de 
chant  depuis  seize  ans,  à  Liverpool.  Il  s'est  beaucoup  employé  à  la  pro- 
pagation de  la  musique  française  en  Angleterre  et  a  lui-même  laissé  des 
œuvres  d'un  grand  mérite. 

—  Mme  Thérèse  Stroppock,  née  Schubert,  propre  nièce  du  grand  compo- 
siteur, est  morte  à  Steyr,  à  l'âge  de  soixante-quatorze  ans.  Franz  Schubert 
l'affectionnait  tout  particulièrement  à  cause  de  ses  remarquables  dispo- 
sitions pour  la  musique  et  de  sa  jolie  voix.  Il  chargeait  toujours  sa  nièce 
Thérèse  d'essayer  ses  nouvelles  compositions  pour  soprano,  et  rien  ne  lui 
faisait  plus  de  plaisir  que  lorsqu'elle  les  interprétait  suivant  ses  intentions. 

—  De  Vienne,  on  annonce  la  mort  de  deux  artistes  qui  ont  eu  leur  heure 
de  célébrité.  L'une  est  Mm0  Henriette  Cari,  qui,  de  1830  à  1850,  a  été  l'une  - 
des  cantatrices  les  plus  applaudies  du  répertoire  italien  en  cette  ville  et  le 
professeur  de  chant  de  la  reine  actuelle  des  Belges,  quand  celle-ci  était 
simple  archiduchesse  d'Autriche;  elle  était  âgée  de  quatre-vingts  ans. 
L'autre,  Augusta  Crombé,  qui  dirigeait  encore  en  cette  ville  une  école  de 
danse,  avait  été  l'une  des  premières  danseuses  de  l'Opéra  impérial  de 
Vienne,  après  avoir  obtenu,  en  1836  et  1837,  de  vifs  succès  à  la  Scala 
de  Milan. 

—  A  Trieste  vient  de  mourir,  à  l'âge  de  soixante-quinze  ans,  un  excel- 
lent artiste,  Giuseppe  Buzzelli,  qui  remplissait  les  fonctions  de  première 
contrebasse  au  Théâtre-Communal  de  cette  ville  depuis  1832,  c'est-à-dire 
depuis  cinquante-huit  ans  !  et  qui  tenait  le  même  emploi  aux  Concerts 
classiques.  On  peut  dire  de  lui  qu'il  est  mort  sur  la  brèche,  car  c'est  au 
théâtre  même,  et  en  faisant  sa  partie,  qu'il  a  été  saisi  du  mal  qui  devait 
l'emporter. 

—  A  Ca'.uso  est  mort  un  peintre  décorateur  fort  distingué,  Giuseppe 
Camino,  qui  peignit  de  nombreux  décors  pour  le  théâtre  Regio,  de  Turin, 
l'un  des  premiers  de  l'Italie. 

Henri  Heugel.  directeur-gé)  ant . 

—  La  Nouvelle  Bastille  est  plus  vibrante  et  plus  solide  que  jamais. 
Ses  portes  sont  ouvertes  toutes  grandes  au  public,  avec  des  attractions 
variées  et  des  nouvelles  fêtes  charmantes. 

VPWri?  en  lé,ll^e  de  M°  CHERRIER,  notaire  à  Paris,  44,  rue  du 
VEjjMIu  Louvre,  le  23  avril  1890  à  midi,  en  cinquante-sept  lots  avec 
faculté  de  réunion  :  1°  D'un  FONDS  d'éditeur  de  musique  et  librairie 
à  Paris,  rue  des  Bons-Enfants,  n°  22.  —  -2°  La  propriété  littéraire 
et  artistique  de  divers  ouvrages.  —  S'adressser  au  notaire  pour  le 
Catalogue. 


ruiMLitiK  aviiiAu.  i 


:  FiiR.    —  IMPIIIHEIIIE  CIIA1X.  —  1 


e,  20, 


Dimanche  20  Avril  I8!)0. 


3081  -  50-  ANNEE  -  N°  10.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  UEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement, 

Unan,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  2u  |'r.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  ilii  l"r.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  t'r.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  trais  de  poste  en.  sus. 


S0MAIEE-  TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (59°  article),  Albert  Soubies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale:  La  Régie  à  l'Opéra,  II.  Morexo;  le  Vénitien, 
au  Théâtre  des  Arts  de  Rouen,  Intérim;  premières  représentations  de  la  Vie  à 
■Deux,  h  l'Odëon,  et  de  Ménages  Parisiens,  aux  Nouveautés,  Paul-Émile  Chevalier. 
—  III.  Le  théâtre  à  l'Exposition  (-22'  article),  Arthur  Podgin.  —  IV.  Nouvelles 
diverses  et  concerts. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

ELLE    A    MIS    SA    TOILETTE    CLAIRE 

ti0  3  des  Rondels  de  Mai,  de  M.  B.  Colomer,  poésie  de  Lucien  Dhuguet.  — 
Suivra  immédiatement  :  Nous  cheminions  dans  le  sentier,  n°  i  des  Rondels  de 
Mai,  des  mêmes  auteurs. 

PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano  :  Capitaine-polka,  sur  les  motifs  de  l'opérette  le  Fétiche,  de  Victor 
Hoger,  par  Philippe  Fahrbach.  —  Suivra  immédiatement  :  le  Rêve  du  pri- 
sonnier, célèbre  mélodie  de  Rlbinsteix  ,  transcrite  et  variée  pour  piano 
par  Gh.  Neustedt. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Albert  SOUBIES  et  Charles   MALHERBE 


CHAPITRE  XIV 

MEYERBEER    A    l'OPÉRA-COMIQUE 


LE  PARDON  DE  PLOERMEL 


(1856-1859) 

(Suite.) 

La  série  tournait  à  la  noire,  et  le  nouveau  directeur  com- 
mençait à  perdre  courage.  Une  carte  lui  restait  cependant, 
les  Trois  Nicolas;  elle  fut  assez  bonne  pour  soutenir  le  théâtre 
pendant  quelques  mois.  Ce  n'est  pas  que  le  libretto  en  trois 
actes  de  Bernard  Lopez  et  ***  (lisez  Scribe),  brillât  par  un 
vif  intérêt,  ni  que  la  partition  de  Clapisson  eût  une  grande 
valeur  artistique;  mais  cette  pièce,  jouée  le  16  décembre, 
servait  au  début  d'un  ténor  qui,  par  avance,  piquait  toutes 
les  curiosités  et  faisait  tourner  toutes  les  têtes,  Montaubry. 
Avec  ses  45  représentations  en  trois  années,  la  pièce  n'eut 
qu'un  succès  honorable;  le  ténor  eut  un  triomphe  retentis- 
sant. «  Il  faut  remonter  jusqu'aux  débuts  de  Roger,  écrivait 
un  critique,  pour  lui  trouver  un  terme  de  comparaison.  Sa 
voix  est  souple,  étendue  et  parfaitement  timbrée;  tour  à  tour 
énergique  et  suave,  elle  se  prête  également  aux  effets  de 
force    et  de    sentiment.    On    s'aperçoit   que  les    conseils   de 


Chollet,  dont  il  a  épousé  la  fille,  n'ont  pas  été  sans  influence 
sur  lui...  » 

Qui  se  souvenait  alors  qu'en  1847  il  avait  déjà  paru  sur 
cette  même  scène,  et  qu'il  avait  dû  se  retirer  devant  le  succès 
d'un  rival  plus  heureux,  comme  cette  fois  le  futur  Nicolini  se 
retirait  devant  le  sien!  D'un  bond  il  s'était  élancé  à  la  pre- 
mière place  ;  enlevé  à  Bruxelles,  il  allait  régner  à  Paris,  et 
rappeler  pendant  bien  des  années  de  service,  à  la  salle  Fa- 
vart, le  joli  portrait  qu'a  tracé  de  lui  Albert  Vizentini  dans 
son  amusant  volume  intitulé  Derrière  la  toile.  «  Vous  faut-il 
la  jeunesse  incarnée,  la  plus  agréable  gaminerie  ,  l'aplomb 
imperturbable,  la  tyrolienne  faite  homme,  le  chanteur  plein 
d'adresse  et  de  ficelles  aimables,  la  voix  de  tête  la  plus  ado- 
rable, le  style  le  plus  sucré  du  monde,  le  bon  musicien 
personnifiant  l'opéra-comique,  bref  le  comédien  léger  infatué 
de  sa  jolie  personne?  Prenez  Chapelou-Saint-Phar,  le  dernier 
descendant  d'Elleviou,  Montaubry,  qui  redresse  si  vivement 
ses  petites  moustaches  et  semble  toujours  avoir  une  colombe 
dans  le  gosier.  » 

A  côté  de  tels  débuts  devaient  pâlir  ceux  de  Mlle  Bousquet 
dans  Anna  de  la  Dame  blanche,  le  21  décembre  1858,  et  de 
Mlle  Breuillé  dans  Catherine  des  Diamants  de  la  Couronne,  le 
3  janvier  1859,  deux  jeunes  filles  qui  avaient  quitté  le  Con- 
servatoire en  1858,  la  première  avec  le  premier  accessit  de 
chant,  la  seconde  avec  le  deuxième  prix  de  chant  et  le  pre- 
mier prix  d'opéra-comique.  MUo  Breuillé  devait  mourir  peu  de 
temps  après,  le  2  juin  1859,  à  l'âge  de  dix-huit  ans,  après 
avoir  simplement  marqué  son  court  passage  à  l'Opéra-Comiqe 
par  la  création  du  rôle  d'un  des  pâtres  dans  le  Pardon  de 
Ploérmd.  Egalement  inaperçue  passait,  le  23  février,  M11-'  En- 
jalbert,  qui  venait  du  Vaudeville  après  avoir  appartenu  quel- 
que temps  au  Conservatoire. 

Du  reste,  dès  les  premiers  jours  de  l'année,  toute  l'attention 
du  public,  toutes  les  espérances  du  directeur,  toute  l'activité 
du  personnel  étaient  tournées  vers  le  fameux  ouvrage  dit  à 
la  collaboration  nouvelle  de  Jules  Barbier,  Michel  Carré  et 
Meyerbeer.  La  pièce  avait  été  lue  aux  artistes  le  10  décembre 
1858.  On  s'était  mis  à  l'œuvre  aussitôt,  on  avait  commandé 
à  MM.  Muhldorfer  père  et  fils,  de  Mannheim,  toute  la  ma- 
chinerie du  deuxième  acte,  savoir  :  la  mécanique  du  pont,  de 
la  rupture  des  écluses  et  de  l'irruption  des  eaux,  et  l'on  dé- 
fonçait le  théâtre  pour  y  établir  la  fameuse  cascade  naturelle; 
on  s'occupait  de  l'achat  et  du  dressage  non  d'une  chèvre, 
mais  de  trois,  qui  répétaient  à  tour  de  rôle  et  faisaient  la  joie 
du  personnel  des  coulisses  ;  on  brossait  de  magnifiques 
décors;  on  disposait  d'une  troupe  d'élite  commandée  par 
Mme  Cabel,  MM.  Faure  et  Sainte-Foy;  enfin  on  travaillait  sans 
cesse  afin  d'arriver  à  une  perfection  qui  coûtait  quelque 
peine  non  seulement  aux  artistes,  mais  au  maître  lui-même, 


122 


LE  MENESTREL 


Ou  sait  que  Meyerbeer,  en  effet,  arrivait  au  théâtre  avec  trois 
instrumentations  différentes  pour  les  principaux  morceaux, 
la  première  écrite  à  l'encre  noire,  la  seconde  à  l'encre  bleue, 
la  troisième  à  l'encre  rouge;  il  se  faisait  exécuter  les  trois 
versions,  et  se  prononçait  de  auditu  pour  l'une  ou  pour  l'autre. 
Les  chœurs  et  l'orchestre  avaient  été  renforcés  d'ailleurs,  pour 
donner  plus  d'éclat  à  la  représentation;  et  cependant,  quel- 
jours  avant  la  première,  Meyerbeer  disait  à  un  critique  qui 
l'interrogeait  :  «  Je  fais  un  acte  digne  d'un  sous-lieutenant 
en  livrant  un  ouvrage  où  je  me  suis  privé  volontairement  de 
toutes  les  ruses  de  guerre  qui  ont  fait  ma  réputation.  Contrai- 
rement au  grand  poète  latin,  je  veux  moduler  sur  les  pipeaux 
rustiques,  cjracili  avenu,  après  avoir  embouché  la  trompette 
héroïque  et  chanté  les  grandes  passions  des  cœurs  humains  ; 
que  la  critique  me  soit  légère!»  En  raison  de  ces  craintes, 
les  répétitions  furent  exceptionnellement  nombreuses;  nom- 
breux aussi  les  relâches  (on  en  compte  huit  :  18,  22,  23,  24, 
25,  26,  28,  30  mars),  alors  qu'une  seule  répétition  générale 
suffisait  d'ordinaire  aux  grands  ouvrages.  Heureusement  les 
recettes,  grâce  à  Montaubry,  se  maintenaient  à  un  taux  hono- 
rable ;  on  comptait  108,419  francs  en  janvier;  97,973  fr.  30 
en  février;  80,411  fr.  43  c.  en  mars.  Entre  temps  on  cherchait 
un  titre  à  l'ouvrage,  et  l'on  annonçait  tour  à  tour  :  les  Cher- 
cheurs d'or,  Binorah,  le  Pardon  de  Notre-Bame-d Auray.  Le  pre- 
mier convenait  à  une  action  qui  se  serait  passée  en  Californie 
plutôt  qu'en  Bretagne;  le  second  ne  signifiait  rien,  c'est  pour 
cette  raison  peut-être  qu'on  l'a  depuis  adopté  à  l'étranger  ; 
le  troisième  fut  écarté  par  la  censure,  disent  les  journaux  du 
temps;  on  peut  ajouter  sans  doute  :  et  par  le  directeur,  qui  dut 
trouver  ce  titre  bien  long  sur  l'affiche.  Enfin  l'on  adopta  le 
Pardon  de  Ploërmel  presque  à  la  veille  de  la  représentation.  Le 
4  avril  1859  eut  lieu  cette  bataille  décisive  et  le  lendemain, 
célébrant  le  nouveau  triomphe  de  son  ami,Fétis  traduisait  en 
somme  l'impression  du  moment  en  écrivant  :  «  Celui  qui,  par  la 
grandeur  de  ses  conceptions,  par  la  force  de  son  sentiment 
dramatique,  par  sa  profonde  connaissance  des  ressources  de 
l'art  et  par  l'originalité  de  son  style,  a  remué  le  monde 
comme  il  l'a  fait,  comme  il  le  fait  encore,  celui-là  est  un 
grand  artiste,  il  le  sera  toujours.  » 

Le  Pardon  de  Ploërmel  n'eut  pas  cependant  tout  le  succès 
qu'on  en  pouvait  attendre.  Si,  comme  le  souhaitait  le  com- 
positeur, «  la  critique  lui  fut  légère  »,  le  public  parut  surpris, 
incertain,  et  cette  incertitude  se  traduisit  par  un  ensemble 
de  représentations  moins  soutenu  que  pour  l'Étoile  du  Nord. 
Ou  en  peut  juger  par  le  décompte  suivant  : 

Pour  18S9:  avril,  11;  mai, -15;  juin,  6;  oetobre,  8;  no- 
vembre, 12;  décembre,  3;  soit  55  représentations  la  première 
année,  avec  une  moyenne  d'environ  6,100  francs  par  soirée 
(195,000  francs  pour  32  représentations). 

Pour  1860:  janvier,  8;  février,  6;  mars,  4:  avril,  2;  sep- 
tembre, 1;  octobre,  4;  novembre,  7;  soit  32  représentations 
la  seconde  année. 

Total,  87  en  deux  ans  ;  et  une  interruption  se  produisit 
alors,  telle  qu'on  aurait  pu  croire  l'ouvrage  à  jamais  oublié. 
Vainement  on  parla  de  le  reprendre  en  1863,  à  propos  d'une 
rentrée  de  Mrae  Cabel  ;  ce  fut  à  l'Étoile  du  Nord  qu'on  revint 
quatre  années  plus  tard,  en  1867.  Il  faut  aller  jusqu'à  1874 
pour  retrouver  le  Pardon  de  Ploërmel,  qui  se  joua  alors  35  fois, 
puis  59  fois  de  1881  à  1884,  et  enfin  11  fois  en  1886.  A  cette 
date,  le  total  général  des  représentations  s'élevait  donc  au 
chiffre,  relativement  modeste  pour  une  telle  œuvre,  de  192. 
Sa  réussite  fut  beaucoup  plus  grande  à  l'étranger,  à  Londres 
en  particulier,  où,  dès  la  première  année,  M""'  Carvalho  chanta 
le  rôle  principal  à  côté  de  Graziani  (Hoël)  et  de  Gardoni 
(Corentin),  avec  une  incomparable  virtuosité.  Qui  sait  même 
si,  désignée  par  l'auteur  au  lieu  de  Mmo  Cabel,  elle  n'eût  pas 
à  Paris  assuré  à  l'ouvrage  de  plus  brillantes  destinées.  Au 
surplus,  la  distribution  primitive  ne  devait  pas  tarder  à  se 
modifier;  une  indisposition  prolongée  de  Faure  obligeait  la 
direction   de    confier  le    personnage  d'Hoël    à  Troy  d'abord, 


puis  en  1860  à  M"°  Wertheimber,  revenue  à  l'Opéra-Comique- 
et,  par  un, singulier  chassé-croisé,  remplaçant  ainsi  Faure, 
comme  celui-ci  l'avait  jadis  remplacée  dans  Galalhée.  Avant 
ce  moment  Mlle  Monrose  avait  succédé  à  Mme  Cabel,  et  l'on 
ne  retrouvait  plus  guère,  fidèles  à  leur  poste,  que  Sainte-Foyr 
l'inimitable  Corentin,  Warot,  le  faucheur,  et  Barielle  sous 
les  traits  de  celui  qu'on  appelle  aujourd'hui  un  chasseur,, 
et  que  les  affiches  d'alors  désignaient  ainsi  :  un  braconnier. 

(A  suivre.) 

SEMAINE  THÉÂTRALE 


LA  RÉGIE  A  L'OPÉRA 
Voici  du  nouveau.  IL  paraîtrait  que  la  Commission  du  budget  et 
le  gouvernement  seraient  assez  disposés  à  rendre  à  l'État  la  gestion 
de  j'Opéra,  c'est-à-dire,  à  rétablir  le  système  de  la  régie,  qui  fut 
longtemps  en  honneur  à  ce  théâtre  national.  C'était  déjà  l'idée  de 
M.  Antonin  Proust  en  1878,  quand  il  était,  comme  aujourd'hui,  rap- 
porteur du  budget  des  Bcaux-Aris,  idée  qui  fut  même  adoptée  à  cette 
époque  et  par  la  commission  consultative  des  théâtres  et  par  le  mi- 
nistre d'alors.  M.  Bardoux.  L'administrateur  qui  devait  régir  au 
nom  de  l'État  était  même  choisi,  et  la  nomination  de  M.  Emile  Per- 
rin  n'était  plus  qu'une  question  de  jours,  quand  une  brusque  crise 
ministérielle  -vint  tout  remettre  en  question.  M.  Jules  Ferry,  qui  prit 
le  portefeuille  de  M.  Bardoux,  tint  à  confier  la  direction  de  l'Opéra 
à  son  ami  personnel  M.  Vaucorbeil,  et  tout  fat  dit. 

Aujourd'hui,  M.  Proust  reprend  la  question  et  arrive  aux  mêmes 
conclusions  qu'autrefois,  encore  qu'il  reconnaisse  que  la  situation 
n'est  pas  aussi  bonrie  pour  cette  petite  révolution  qu'elle  l'était  lors 
du  départ  de  M.  Halanzier.  Comme  alors  l'État  partageait  avec  le- 
viirecteur  les  bénéfices  de  l'entreprise  et  qu'il  se  trouvait,  de  ce  chef, 
à  la  tête  de  600,000  francs,  il  avait  pu,  avec  ces  nouvelles  ressources 
jointes  aux  foDds  votés  par  la  Chambre,  reconstituer  en  partie  le- 
matériel  décoratif  du  théâtre  brûlé  dans  l'incendie  de  la  rue  Le 
Peletier.  Si  donc  il  avait  pris  résolument  en  ce  moment  la  direction 
du  théâtre,  il  l'avait  dans  les  meilleures  conditions,  avec  des  décors 
tout  battant  neufs.  Il  n'en  est  plus  de  même  aujourd'hui  pour  ce 
matériel  dont  MM.  Ritt  et  Gailhard  ont  usé  et  abusé;  il  y  a  beaucoup 
à  faire  et  à  reconstituer,  d'où,  en  perspective,  une  grosse  dépense 
pour  l'Ëlat.  Il  est  vrai  qu'on  pourrait  demander  aux  directeurs  sor- 
tants d'y  participer  généreusement  ;  il  y  a  dans  le  «  cahier  des 
charges  »  un  article,  dont  nous  avons  souvent  parlé,  qui  autorise- 
rait parfaitement  le  ministre  à  avoir  des  exigences  de  ce  côté.  On 
dit  même  que  M.  Ritt  ne  fait  aucune  difficulté  de  le  reconnaître  et 
offrirait  volontiers  une  petite  somme  qu'on  obtiendrait  aisément 
plus  grande  avec  un  peu  d'insistance. 

L'erreur  est  de  n'avoir  pas  songé  à  la  régie,  à  la  veille  même  de 
l'Exposition,  comme  nous  l'avions  si  vivement  conseillé.  On  n'avait 
pas  moins  de  raisons  légitimes  de  se  priver  des  services  de  MM.  Ritt 
et  Gailhard  qu'aujourd'hui  même ,  et  l'État  eût  bénéficié  des 
fortes  recettes  encaissées  pendant  l'Exposition,  ce  qui  le  mettait  bien 
à  son  aise  pour  réparer  les  désastres  artistiques  et  autres  causés  par 
la  triste  direction  des  tenants  actuels  de  l'État. 

Quoi  qu'il  en  soit  et  même  à  présent,  M.  Antonin  Proust  estime  que- 
la  régie  de  l'État  s'impose  malgré  tout,  et  il  n'a  pas  tort  si  on  sait 
l'entourer  d'une  infinité  de  précautions. 

Elle  est,  en  effet,  bien  préférable  au  système  du  privilège  pour 
l'impulsion  qu'elle  peut  donner  à  l'œuvre  musicale  de  notre  pays  de 
France.  Il  est  évident  qu'une  eutreprise  particulière,  comptant  avec 
ses  propres  deniers,  lésinera  toujours  davantage  sur  les  moyens  que 
ne  le  fera  un  État  qui  doit  écarter  toute  pensée  de  lucre  de  visées 
purement  artistiques. 

Il  serait  donc  question  de  nommer  à  l'Opéra  une  sorte  d'adminis- 
trateur général,  comme  il  est  fait  à  la  Comédie-Française,  et  même 
on  voudrait  trouver  un  moyen  de  mettre  les  artistes  en  association  et 
de  leur  partager  les  bénéfices  de  l'entreprise.  Ceci  sera  plus  difficile, 
car  il  n'est  guère  possible  d'assimiler  des  chanteurs  aux  sociétaires 
de  la  Comédie,  dont  les  emplois  peuvent  se  modifier  avec  l'âge  :  le- 
jeuno  premier,  quand  il  prend  des  cheveux  blancs,  peut  laisser  les 
amoureux  pour  prendre  les  financiers  ou  les  pères  nobles  et  par  suite 
rendre  toujours  des  services  à  la  maison;  mais  le  ténor  prend  rare- 
ment sur  ses  vieux  jours  une  voix  do  basse  profonde.  Espérons  pour- 
tant que  les  esprits  ingénieux  de  la  Commission  du  budget  trouveront 
le  moyeu  d'accommoder  toutes  choses. 


LE  MÉNESTREL 


123 


On  parle  encore  de  mettre  en  adjudication  les  loges  d'abonnement 
■au  lieu  de  les  concéder  à  prix  fixe,  et  on  espère  trouver  là  une  nou- 
velle source  de  profits.  On  voudrait  en  quelque  sorte  démocratiser 
l'Opéra.  Nous  n'y  verrions  pas  d'inconvénient  pour  notre  part.  Car 
il  n'est  pas  de  public  plus  nul,  ni  plus  indifférent  aux  choses  de  la 
musique  que  celui  qu'on  voit  s'étaler  présentement  aux  premières 
places  de  l'Opéra.  Peu  lui  importe  ce  qui  se  passe  sur  la  scène  ;  il 
ne  s'occupe  guère  que  de  ce  qui  se  passe  dans  la  salle,  et  pourvu 
qu'il  voie  sa  propre  image  reflétée  dans  les  mille  glaces  de  l'intérieur, 
il  se  déclare  satisfait.  Ce  n'est  pas  avec  un  public  comme  celui-là 
qu'on  peut  prétendre  à  de  grandes  choses.  Il  n'y  a  donc  nul  incon- 
vénient à  le  remplacer  si  l'on  peut.  11  ne  faudra  pourtant  pas  laisser 
■envahir  le  prétoire  par  l'élément  demi-mondain,  qui  pourrait  ainsi 
se  faufiler  à  coup  de  banknotes  là  où  il  n'a  que  faire. 

Toutes  ces  réformes  vont  d'ailleurs  être  examinées  à  bref  délai, 
dès  la  rentrée  des  Chambres  ;  car  le  budget  des  Beaux-Arts  est  en 
tète  de  l'ordre  du  jour  de  la  prochaine  séance  de  la  commission  du 
budget.  Toute  combinaison  qui  nous  débarrassera  de  la  triste  coali- 
tion Ritt  et  Gailhard  sera  déjà  un  bienfait. 

H.  Moreno. 

Théâtre  des  Arts  de  Rouen  (Nouveau  théâtre  lyrique  français).  — 
Le  Vénitien,  opéra  en  trois  actes  et  quatre  tableaux,  poème  de 
M.  Louis  Gallet,  musique  de  M.  Albert  Cahen. 

M.  Verdhurt,  le  directeur  du  théâtre  des  Arts  de  Rouen,  poursuit, 
avec  une  persévérance  à  laquelle  il  convient  de  rendre  hommage, 
l'essai  de  décentralisation  artistique  qu'il  a  entrepris  cet  hiver.  Après 
nous  avoir  fait  connaître  Samson  et  Dalila,  qui  n'avait  jamais  été 
joué  en  France,  il  vient  de  monter  un  opéra  absolument  inédit,  le 
Vénitien.  Il  nous  promet,  avant  la  fin  de  la  saison,  la  première  re- 
présentation d'un  autre  opéra  nouveau,  la  Coupe  et  les  Lèvres,  de 
M.  Canoby.  On  ne  peut  nier  que  cette  activité  et  cette  initiative 
contrastent  singulièrement  avec  l'indolence  et  l'esprit  de  routine  de 
la  plupart  des  directeurs  de  province. 

Le  sujet  du  Vénitien  est  tiré  d'un  poème  de  lord  Byron,  le  Siège 
de  Corinthe,  publié  au  mois  de  janvier  1815.  L'auteur  donna  même, 
au  sujet  de  cette  publication,  un  exemple  de  désintéressement  et  de 
■conscience  littéraire  qui,  par  le  temps  qui  court,  trouverait  évidem- 
ment peu  d'imitateurs.  Un  éditeur,  M.  Murray,  avait  offert  mille 
-guinées  pour  le  manuscrit  du  Siège  de  Corinthe  et  celui  du  Parisina. 
«  Votre  offre  est  extrêmement  généreuse  et  bien  au-dessus  de  la 
valeur  de  ces  deux  poèmes,  répondit  lord  Byron,  mais  je  ne  dois 
ni  ne  veux  les  accepter,  car  je  ne  puis  consentir  à  les  publier  sé- 
parément. Je  ne  dois  pas  hasarder  la  faveur,  méritée  ou  non,  que 
m'ont  value  mes  premiers  poèmes,  sur  des  compositions  qui,  je  le 
sens,  ne  sont  pas  ce  qu'elles  devraient  être  ,  quoiqu'elles  puissent 
très  bien  passer  comme  des  ouvrages  sans  prétentions,  et  paraître 
avec  quelques  poésies  légères,  à  la  suite  des  publications  précé- 
dentes.   » 

L'action  se  passe  en  1715.  A  cette  époque  l'armée  ottomane,  voulant 
s'ouvrir  un  passage  au  cœur  de  la  Morée,  cédée  depuis  vingt  ans  aux 
Vénitiens,  entreprit  le  siège  de  Corinthe.  La  garnison  songeait  à 
capituler,  lorsque  l'explosion  accidentelle  d'un  magasin  à  poudre  fit 
périr  cinq  ou  six  cents  soldats  turcs;  cet  événement  causa  parmi  les 
assiégeants  une  exaspération  telle  qu'ils  refusèrent  toute  espèce 
d'accommodement,  donnèrent  l'assaut  avec  impétuosité  ,  empor- 
tèrent la  ville  et  massacrèrent  le  gouverneur  Minotti  et  toute  la 
garnison. 

Tel  est  le  fait  historique  relaté  en  tète  du  poème  de  lord  Byron 
•et  qui  sert  de  cadre  à  l'action  romanesque,  très  simple  et  suffisam- 
ment attachante,  imaginée  par  le  poète  et  développée  par  M.  Louis 
Gallet.  Supposez  que  le  gouverneur  de  Corinthe,  Minotti,  a  une  fille, 
Régina,  éprise  du  jeune  Vénitien  Marco  contre  qui  Minotti  professe, 
on  ne  sait  trop  pourquoi,  une  haine  farouche:  que  Marco,  furieux 
de  n'avoir  pas  obtenu  un  commandement  dans  l'armée  de  la  Répu- 
blique, passe  du  côté  des  Turcs  et  se  fait  nommer  leur  chef.  Étant 
données  ces  prémisses  il  n'y  a  que  deux  conclusions  possibles  :  ou 
bien,  à  l'exemple  de  Coriolan,  Marco  cédera  aux  supplications  de 
Régina  et  lèvera  le  siège  de  la  ville;  ou  bien  il  se  montrera  inflexible 
et  livrera  l'assaut  quand  même.  C'est  à  ce  dernier  parti  que  s'arrête 
Marco.  Mal  lui  en  prend.  Eutré  en  triomphateur  dans  Corinthe.  il 
trouve  Régina  devenue  folle  et  expirante.  Fou  de  douleur,  il  se  fait 
tuer  par  quelques  soldats  vénitiens  revenus  en  force  et  victorieux 
à  leur  tour. 

Sur  ce  livret,  très  clair  et  bien  découpé  pour  la  musique,  M.  Albert 
Cahen  a  écrit  une  partition  que  distinguent,  à  défaut  d'une  origi- 
nalité bien  accentuée,  la  franchise  du  sentiment  mélodique  et  le  soin 


apporté  à  la  mise  en  œuvre.  Poème  et  musique  ont  été  accueillis 
avec  faveur  par  le  public  rouennais  et  les  critiques  et  amateurs 
parisiens  venus  tout  exprès  pour  assister  à  cette  première. 

Parmi  les  pages  qui  ont  produit  la  meilleure  impression  je  signa- 
lerai tout  d'abord,  au  premier  acte,  qui  se  passe  à  Venise,  la  phrase 
rêveuse:  «  Plein  des  blancheurs  de  l'aurore  »,  le  chœur  des  jeunes 
Vénitiens,  un  duo  d'amour  d'où  se  détache  une  très  jolie  phrase  : 
«  Non,  viens,  oublions  le  monde  »,  et  le  tableau  assez  animé  de  la 
séance  du  Conseil  des  quarante.  Au  second  acte,  qui  nous  transporte 
dans  le  camp  des  Turcs,  se  placent  de  gracieux  motifs  d'orchestre, 
la  pittoresque  chanson  du  berger  Dracos,  un  air  inégal  de  Marco  et 
un  vigoureux  chant  de  guerre.  Citons  encore,  au  dernier  acte  (la 
salle  du  palais  de  Minotti  dans  Corinthe),  la.  phrase  expressive  de 
Régina  :  «  je  la  bénis,  l'heure  attendue  ». 

M.  Lafarge  a  retrouvé,  dans  le  rôle  de  Marco,  le  succès  que  lui 
avait  valu  celui  de  Samson.  A  côté  de  lui  il  convient  de  citer 
Mmes  Bossy  et  Fouquet,  MM.  Mondaud,  "Vérin  et  Schmidt,  sans  ou- 
blier Mlle  Piron,  l'ex-premier  sujet  de  la  danse  à  l'Opéra  :  bref,  un 
ensemble  d'interprétation  honorable,  sinon  très  brillant.  La  mise 
en  scène  est  soignée.  L'orchestre  est  bien  dirigé  par  M.  Gabriel 
Marie.  Puisse,  en  récompense  de  ses  effort?,  M.  Verdhurt  trouver 
les  fonds  et  le  local  suffisants  pour  transporter  à  Paris,  comme  il 
le  désire,  son  i  nouveau  théâtre  lyrique  français  ». 

Intérim. 

Odéon.  —  La  Vie  à  deux,  comédie  en  trois  actes  de  MM.  Charles 
de  Courcy  et  Henri  Bocage. 

Décidément  M.  Porel  est  d'un  éclectisme  merveilleux.  La  facilité 
surprenante  avec  laquelle  il  passe  du  grave  au  doux,  du  triste  au 
gai,  du  sérieux  à  la  gaudriole,  ne  laisse  pas  que  de  nous  étonner 
un  peu,  sans  que,  cependant,  nous  pensions  le  moins  du  monde  à 
l'en  blâmer,  loin  de  là.  Et  de  fait,  voilà  l'Odéon  devenu  le  théâtre 
le  moins  classé  comme  genre  de  tout  Paris.  Si  nous  n'y  avons  pas 
eu  encore  d'opérette,  il  ne  faut  pas  se  hâter  d'en  conclure  qu'on 
ne  nous  en  donnera  jamais;  je  me  rappelle  certain  Marquis  Papillon 
qui  était  si  près,  si  près  du  genre,  que  beaucoup  de  gens  sortaient 
du  spectacle  en  fredonnant  des  couplets  qu'ils  étaient  convaincus 
avoir  entendus  pendant  la  soirée.  Pour  ce  qui  est  du  grand  opéra, 
tout  le  monde  sait  que  si  les  honorables  MM.  Ritt  et  Gailhard  n'y 
avaient  mis  le  holà,  il  y  a  longtemps  déjà  que  le  Second  Théâtre 
français  ferait,  au  palais  Garnier,  une  concurrence  redoutable. 

Pour  le  moment,  et  avec  la  Vie  à  deux,  la  concurrence  n'est 
braquée  que  sur  le  pauvre  petit  théâtre  Cluny,  chétif  qui  n'en  peut 
mais  et  qui,  bien  innocent,  ne  méritait  certes  pas  cet  excès  d'hon- 
neur de  la  part  de  son  gros  confrère  subventionné.  La  pièce  de 
MM.  de  Courcy  et  Bocage  n'est  donc  qu'un  simple  vaudeville,  une 
sorte  de  Divorçons  pour  quartiers  exotiques.  Ce  n'est  pas  ennuyeux, 
qualité  essentielle,  et  si  les  situations  sont  des  plus  convention- 
nelles, elles  ne  choquent  pourtant  pas  outre  mesure.  Mais  le  gros 
atout,  c'est  Mllc  Réjane  qui  joue  à  ravir  le  rôle  d'une  jeune  mariée 
qui,  décidée  à  divorcer  pour  incompatibilité  d'humeur,  veut  au 
moins,  avant  de  quitter  son  mari,  lui  choisir  une  femme  avec  la- 
quelle il  sera  sûrement  heureux.  La  chose  est  si  peu  facile  qu'elle 
s'aperçoit  qu'elle  seule  est  capable  de  faire  le  bonheur  de  M.  La- 
bronchère,  et  que  le  petit  ménage  se  raccommode  pour  vivre  en  une 
félicité  parfaite.  M.  Dumény  joue,  comme  toujours,  en  amateur  de 
mérite,  le  rôle  du  mari.  MM.  Cornaglia,  Duard,  Gauthier,  Calmettes 
et  Mmes  Dheurs,  Raucourt,  Déa-Dieudonné  et  Duhamel  se  trouvent 
fort  à  l'aise  dans  des  rôles  fort  simples. 

Nouveautés.  —  Ménages  parisiens,  comédie  en  trois  actes  de 
M.  Albin  Valabrègue. 

Si  M.  Porel  varie  les  plaisirs  de  son  public  par  pure  coquetterie 
directoriale,  je  ne  crois  pas  qu'il  en  soit  précisément  de  même  de 
M.  Brasseur,  qui,  tout  en  s'essayant  aussi  à  des  exercices  divers, 
me  semble  surtout  rechercher  le  genre  à  succès  qui  remettra  à  flot 
le  joli  théâtre  des  Nouveautés,  légèrement  ballotté  par  des  vents 
contraires  depuis  quelque  temps.  Je  souhaite  que  l'expérience  tentée 
jeudi  soir  soit  décisive,  ce  qui  ne  o'étonnerait  nullement,  étant 
donné  l'accueil  chaleureux  qui  a  été  fait  aux  Ménages  parisiens. 

La  comédie  de  M.  Valabrègue  roule  encore  sur  le  divorce  ;  toute- 
fois, ici,  il  ne  s'agit  plus  d'un  seul  couple,  mais  bien  de  deux  qui 
ont  divorcé.  C'est  là  un  petit  procédé  de  multiplication  dramatique 
avec  lequel  nos  jeunes  auteurs  semblent  vouloir  nous  familiariser. 
Donc,  Paul  et  Jeanne  de  Faverolles  ont  divorcé  ;  Jeanne  s'est  re- 
mariée avec  Gatinard  et  Paul  vit  maritalement  avec  Maria  Pont- 
Gaudin,  l'emmo  divorcée  de  Pont-Gaudin,  et  ancienne  maîtresse  de 
Gatinard.  Nous  sommes  ainsi  en  présence  de  deux  ménages  :  l'un 


iU 


LE  MENESTREL 


régulier,  M.  et  AI"16  Gatinard,  l'autre  irrégulier,  Paul  et  Maria,  et 
d'un  célibataire,  Pont-Gaudin,  —  et  par  un  de  ces  hasards  comme 
on  n'en  saurait  rencontrer  que  par-delà  la  rampe,  tout  ce  petit, 
monde  se  trouve  réuni  dans  un  hôtel  de  Nice.  Ce  qui  se  passe  alors 
est  assez  difficile  à  dire  clairement,  car,  si  les  personnages  sont  peu 
nombreux,  l'intrigue  est  grandement  compliquée.  Jeanne  n'aime 
pas  son  nouveau  mari  et  garde  le  culte  du  premier  toujours  regretté. 
Paul  est  fatigué  de  Maria  et  resonge  à  Jeanne;  Gatinard  est  lassé 
d'être  berné  par  Jeanne  qui  le  consigne  à  sa  porte,  et  Pont-Gaudin 
trouve  Maria  beaucoup  plus  avenante  que  jadis.  Vous  devinez  ce 
qui  arrive.  Au  baisser  du  rideau,  nous  n'avons  plus  devant  nous  que 
deux  ménages  réguliers  :  M.  et  Mme  de  Faverolles,  M.  et  Mme  Pont- 
Gaudin,  et  un  célibataire,  Gatinard.  M.  Valabrègue  a  assez  adroite- 
ment exécuté  ce  petit  tour  de  passe-passe,  lepublicena  été  enchanté. 
Et  pourtant  la  pièce,  faite  presque  exclusivement  de  mots  d'esprit, 
m'a  semblé  assez  déconcertante  par  son  ton  indécis  et  ses  scènes  de 
comédie  à  l'allure  trop  sérieuse.  —  M.  Romain,  engagé  spéciale- 
ment, a  joué  eu  homme  du  inonde  le  rôle  de  Paul,  M.  Maugé  est  un 
fort  amusant  Pont-Gaudin.  Le  personnage  de  Gatinard  convient  peu 
à  M.  Albert  Brasseur,  qui  pourtant  s'y  est  fait  applaudir.  MUc  Dhar- 
court  joue  en  fine  artiste  le  rôle  de  Maria  et  M"e  Davray  est  une 
Jeanne  décorative. 

Paul-Émtle  Chevalier. 

P.-S.  —  Mardi  dernier  on  a  très  joyeusement  fêté,  au  théâtre  de 
la  Gaîté,  la  centième  représentation  du  Voyage  de  Sujette.  Dès  après 
la  représentation,  les  heureux  invités  ont  été  reçus  par  MM.  De- 
bruyère,  Chivot  et  Delilia  au  foyer  fort  artistement  décoré  de 
plantes  et  de  fleurs,  au  milieu  desquelles  apparurent  tout  à  coup, 
dans  leurs  costumes  chatoyants  et  variés,  les  principaux  interprètes 
de  la  pièce,  chant  et  danse.  Gaîté  et  cordialité  sur  toute  la  ligne. 
Aussi  a-t-on  follement  dansé  aux  sons  d'un  orchestre  conduit  avec 
entrain  par  Prosper  Artus,  et  a-t-on  grandement  sablé  le  Champagne 
à  un  excellent  buffet.  On  n'a  pu  se  séparer  qu'au  grand  jour,  faisant 
bien  promettre  aux  très  aimables  amphitryons  de  recommencer  une 
fête  aussi  réussie  lors  de  la  deux-centième. 

P.-E.  C. 
«=-©^ss&^e>^s>— ■ 

LE  THÉÂTRE  A  L'EXPOSITION  UNIVERSELLE  DE  1889 


XI 

(Suite) 


J'ai  parlé  de  la  ferveur  religieuse  des  acteurs  annamites,  pour  qui 
le  culte  de  Bouddha  s'enchevêtre  avec  le  culte  de  l'art.  Nous  les 
avons  vus  placer  l'image  de  leur  dieu  dans  l'intérieur  de  leur  théâtre 
pour  implorer  sa  protection.  11  faut  ajouter  qu'ils  n'entreraient  pas 
une  fois  en  scène  sans  faire  leurs  dévotions  devant  cette  image.  Un 
écrivain  qui  pendant  leur  séjour  ici  les  a  pratiqués  d'une  façon  toute 
spéciale,  qui  les  a  bien  et  de  près  étudiés,  M.  Ernest  Laumann,  en 
parle  ainsi  à  ce  sujet,  en  décrivant  les  coulisses  et  l'autel  devant 
lequel  ils  font  leurs  invocations  (1)  : 

Nous  sommes  dans  un  endroit  qui  tient  du  foyer  et  du  temple.  C'est 
une  sorte  de  long  couloir  percé  de  trois  baies  ouvrant  de  plain-pied  sur 
la  scène  et  masquées  de  draperies  en  portières.  Au  centre,  accotée  au 
mur  du  fond  et  face  à  la  baie  centrale,  une  petite  table  tendue  de  rou°-e. 
sorte  d'autel  formant  un  carré  dont  la  face,  qui  rentre  d'une  dizaine  de 
centimètres  au  centre,  permet  aux  deux  coins  de  se  développer  en  avant. 
Ce  carré  de  bois  rouge  est  enjolivé  de  lignes  d'or  qui  exécutent  leurs 
méandres  en  fines  nervures  capricieuses  ;  les  coins  seuls,  plus  lourds, 
présentent  un  enchevêtrement  de  caractères  mystiques,  légendes  attestant 
le  mérite  et  la  valeur  des  Dieux. 

Cet  autel  est  recouvert,  à  son  centre  seulement,  d'une  sorte  de  toit 
plat  simulant  la  tuile,  en  bois  de  teck.  A  son  ombre  trois  fauteuils 
où  sont  affalés,  en  de  ridicules  positions  de  marionnettes,  trois  bons- 
hommes habillés  d'un  pantalon  blanc  et  d'une  veste  verte  à  boutons  d'or. 
Flanquant  ce  premier  groupe,  deux  bonshommes  sont  également  assis  à 
gauche  et  à  droite,  sorte  de  gardiens  du  temple  et  qui  semblent  chargés 
de  la  garde  perpétuelle  des  idoles.  Devant,  et-dans  un  buisson  d'odoran- 
tes baguettes  éteintes,  une  baguette  allumée  laisse  flotter  son  parfum 
mystérieux  dans  l'air  alourdi  (2),  et  à  ses  côtés  des  fruits  et  des   gâteaux 


(1)  Il  n'y  a  pas  à  proprement  parler  de  coulisses,  puisque  la  scène, 
complètement  nue  et  sans  décors,  n'est  qu'une  estrade  élevée  sur  l'un  des 
côtés  de  la  salle.  C'est  l'espace  situé  derrière  cette  estrade,  c'est-à-dire  ce 
qu'est  chez  nous  le  fond  du  théâtre,  qui  tient  lieu  tout  à  la  fois  de  loges, 
de  coulisses  et  de  foyer. 

(2)  On  se  rappelle  ces  petits  paquets  de  baguettes  rouges  odorantes  que, 
pour  dix  centimes,  déjeunes  Annamites  offraient  et  vendaient  au  public 
sur  l'Esplanade  des  Invalides. 


d'offrande  attestent  aux  dieux  du  dévotisme  des  acteurs.  Avant  d'entrer 
en  scène,  l'artiste  s'arrête  devant  cet  autel,  joint  les  mains  et,  d'un  geste 
lent,  les  lève  et  les  abaisse  trois  fois,  demandant  au  dieu  la  faveur  d'un 
public  indulgent  et  la  force  de  remplir  son  pénible  rôle  (1). 

Voyons  enfin  ce  qu'est  la  scène  du  Théâtre  Annamite.  Pas  autre 
chose  qu'une  estrade,  je  l'ai  dit.  sur  laquelle,  comme  au  Japon, 
les  acteurs  sont  entourés  de  trois  côtés  par  le  public.  Cette  estrade 
peut  avoir  environ  dix  mètres  de  large  sur  quatre  de  profondeur. 
Pas  de  rideaux,  pas  de  décors,  à  peine  quelques  accessoires  indis- 
pensables. Les  entrées  et  les  sorties  se  font  toutes  forcément  par  le 
fond,  lequel  présente,  on  l'a  vu.  trois  baies,  fermées  par  des  tapis- 
series éclatantes.  Entre  ces  baies  et  au-dessus  d'elles  la  cloison, 
qui  forme  le  fond  du  théâtre  et  qui  sépare  la  scène  du  foyer  (ou' 
des  coulisses,  comme  on  voudra),  est  partagée  dans  sa  partie  supé- 
rieure en  trois  panneaux  sur  lesquels  sont  peints,  en  couleurs 
voyantes,  les  épisodes  les  plus  animés  des  drames  les  plus  émou- 
vants du  théâtre  annamite. 

Là,  comme  chez  nous,  de  nombreuses  conventions,  qui,  après 
tout,  ne  sont  pas  plus  grossières  que  les  nôtres,  bien  qu'elles  nous 
paraissent  étranges  parce  que  ce  ne  sont  pas  celles  auxquelles  nous 
sommes  accoutumés.  D'abord,  comme  il  n'y  a  point  de  décors,  il 
faut  bien,  d'une  façon  quelconque,  donner  au  spectateur  la  pensée, 
l'illusion  du  lieu  où  le  transporte  l'action.  Le  procédé,  comme  on 
va  le  voir,  est  d'une  simplicité  élémentaire,  et  c'est  M.  Ernest  Lau- 
mann, déjà  cité,  qui  va  nous  le  faire  connaître  : 

Une  scène  se  passe-t-elle  dans  un  palais,  une  table,  des  sièges,  font  la 
décoration.  Au  contraire,  si  elle  a  lieu  dans  la  campagne,  au  bord  de 
l'eau,  une  natte  fait  la  rivière.  Dans  un  pays  montagneux,  un  tabouret 
représente  la  montagne,  et  enfin,  si,  comme  cela  arrive  souvent  dans  les 
pièces  annamites,  une  scène  se  passe  dans  le  ciel,  le  même  tabouret  va 
figurer  un  nuage.  Nous  pourrions  multiplier  encore  ces  exemples,  mais 
ceux-ci  suffisent  pour  démontrer  à  quel  naïf  point  de  départ  en  est  encore 
le  côté  scénique  de  l'art  dramatique  en  Extrême-Orient. 

Voici  pour  les  décors  ;  passons  aux  personnages.  Un  mandarin  conduit 
une  armée  à  la  guerre  ;  ce  mandarin  est  à  cheval  ;  une  simple  cravache 
qu'il  tient  attachée  au  poignet  et  dont  il  se  sert  quelquefois  pour  frapper 
sa  botte  de  feutre,  indique  le  fait  aux  spectateurs.  Si,  comme  nous  le  disions 
plus  haut,  le  ciel  devient  le  lieu  de  l'action  et  que  l'Un  des  personnages 
soit  doué  d'un  pouvoir  magique  qui  lui  permet  de  voler,  deux  petits  dra- 
peaux attachés  sous  les  aisselles  figurent  les  ailes.  Le  public  n'en  de- 
mande jamais  plus,  tant  l'hyperacuité  de  leur  sens  inventif  sait  suppléer 
à  l'insuffisance  des  moyens  employés.  Et  il  est  à  noter  qu'en  Annam  le 
théâtre  est  très  en  faveur,  aussi  bien  pour  le  public  lettré  que  pour  celui 
de'  la  caste  inférieure  (2). 

Comme  dans  tout  l'Extrême-Orient,  les  pièces  du  théâtre  anna- 
mile  sont  des  espèces  de  longues  épopées  dont  la  représentation 
exige  plusieurs  jours,  et  qui  sont  divisées  en  épisodes  importants 
dont  chacun  forme  un  spectacle  complet.  Ces  divers  fragments  por- 
tent tous  le  même  titre  général,  mais  avec  un  sous-titre  particulier 
à  chacun  d'eux.  Ce  soDt  pour  la  plupart  de  grands  drames  à  l'ac- 
tion très  compliquée,  où  l'élément  militaire  joue  un  grand  rôle,  et 
où  cette  action  se  déroule  à  travers  des  duels,  des  meurtres,  des 
vengeances,  des  combats,  des  poursuites,  des  trahisons,  le  tout  en- 
tremêlé de  danses,  de  cortèges  .et  de  défilés  de  toutes  sortes.  L'élé- 
ment passionnel  n'en  est  pourtant  pas  exclu,  et  l'on  y  trouve  par- 
fois des  scènes  d'amour  touchantes  et  expressives.  De  même,  la 
faniaisie  s'y  mêle  parfois  au  drame  et  y  insère  une  note  toute  pai» 
ticnlière.  Voici  d'ailleurs  une  analyse  aussi  exacte  que  possible  de 
la  première  pièce  que  les  acteurs  annamites  ont  offerte  au  public 
de  l'Exposilion,  le  lioi  de  Dwmij  : 

Un  jour,  Chieu-Où  invite  son  beau- frère,  le  roi  de  Duong.  Ly-Tieng- 
Vuong,  à  venir  assister  à  un  festin  qu'il  donne,  en  vassal  respectueux,  à 
son  maître  et  à  son  parent. 

Mais  voici  que  quatre  mandarins  pervers  conseillent  à  Chieu-Où  de  se 
débarrasser  du  roi  et  de  monter  sur  le  trône.  La  convoitise  chuchote  aussi 
ses  conseils  dans  l'esprit  de  Chieu-Où,  qui  consent  à  tramer  dans  l'ombre 
un  attentat  horrible  contre  la  personne  sacrée  du  roi. 

Au  loin,  les  fanfares  éclatent  en  notes  joyeuses  et  triomphales,  annon- 
çant l'arrivée  de  Ly-Tieug-Vuong,  qui  descend  devant  le  palais  au  milieu 
de  l'allégresse  et  des  honneurs. 

Mais  Ly-Tieng-Vuong  a  trois  mandarins  lidéles  et  fervents  qui  veillent 
sur  leur  maître.  Ils  ont  surpris  les  allures  suspectes  des  mandarins  Tbiet- 
Hoai,  Thiet-Hû,  Ïliiet-Long  et  Thiel-I'buong,  et  ils  conseillent  au  roi  de 
fuir  une  hospitalité  qui  cache  des  traîtrises  et  peut-être  des  meurtres  si-     ; 
lencieux. 

Le  roi,  pris  de  crainte,  s'enfuit  avec  ses  mandarins,  el  les  voilà  errants 

(1)  Art  ci  Critique,   ISSO,  n"  II). 
(Vf  Arl  el  Critique,   1889,  n"  15. 


LE  MENESTREL 


125 


dans  les  rizières  bleutées  ;  en  passant  sur  le  fleuve  Âuh  Trung,  le  hasard 
meurtrier  fait  que  l'un  des  mandarins  se  noie  et  Ly-Tieng-Vuong  reste 
avec  ses  deux  seuls  amis. 

Chieu-Où,  voyant  ses  projets  dévoilés  et  son  ambition  mourir  à  l'aube 
de  la  réussite,  envoie  les  quatre  mandarins,  accompagnés  d'innombrables 
guerriers,  à  la  poursuite  du  roi. 

Il  ne  faut  pas  que  Ly-Tieng-Vuong  regagne  son  royaume  et  la  demeure 
paisible  où  ses  épouses  désolées  attendent  son  retour. 

Thiet-Hoai,  Thiet-IIô,  Tbiet-Long  et  Thiet-Phuong  arrivent  avec  leur 
troupe,  le  roi  est  cerné  et  les  régicides  mettent  le  feu  aux  plaines  in- 
finies pour  faire  mourir  le  roi. 

Dans  l'incendie,  Thiet-Phuong  perd  la  vie. 

Mais  ne  voyant  pas  revenir  le  roi,  le  fils  adoptif  de  Ly-Tieng-Vuong 
rassemble  aussi  des  troupes  et  accourt  au-devant  de  son  maître. 

Il  rencontre  les  armées  du  traître,  la  bataille  s'engage,  terrible,  les 
hommes  tombent.  Enfin,  le  roi  est  sauvé  et  revient  au  milieu  de  l'allé- 
gresse générale,  précédé  et  suivi  des  armes  étincelantes  des  guerriers,  sous 
le  chaud  soleil  qui  fait  miroiter  les  co  aux  plis  ondoyants  et  dans  le  con- 
cert des  lay  de  joie  de  tout  un  peuple  prosterné. 

Les  acteurs  annamites  nous  ont  représenté  ici  quatre  des  pièces 
de  leur  répertoire  ;  mais  de  ces  quatre  pièces,  trois  n'étaient,  selon 
co  que  j'ai  dit  plus  haut,  que  des  épisodes  d'un  grand  ouvrage  inti- 
tulé le  Roi  de  Duong.  La  première,  qui  portait  ce  litre,  est  celle  dont 
on  vitnt  de  lire  l'analyse;  la  seconde,  qui  en  était  la  suite,  avait  pour 
sous-tilre  Nuy-Ho  (Cinq  tigres  mandarins),  et  la  troisième,  suite  de 
celle-ci,  était  intitulée  Yo-Haû.  La  quatrième,  indépendante  des  pré- 
cédentes, était  une  féerie  qui  avait  nom  Lé  Hué  (La  Rose),  une  féerie 
sans  trucs  et  sans  changements  à  vue,  où  l'imagination  du  specta- 
teur doit  faire  beaucoup  de  frais  pour  se  représenter  ce  qu'on  ne 
peut  offrir  à  ses  yeux. 

Mais  on  pense  bien  que  pour  les  spectacles  donnés  à  l'Esplanade 
des  Invalides,  et  dont  la  durée  n'atteignait  même  pas  une  heure,  il 
avait  fallu  pratiquer  de  larges  coupures  dans  le  dialogue  et  dans 
l'action  de  chacune  de  ces  pièces.  Restaient-elles  suffisamment  intel- 
ligibles ?  c'est  ce  qu'aucun  spectateur  parisien  sans  doute  ne  saurait 
dire.  La  curiosité  du  publie  cosmopolite  de  l'Exposition  était  uni- 
quement excitée  par  le  spectacle  des  yeux,  si  nouveau,  si  curieux, 
si  étrange,  parfois  si  saisissant,  si  différent  surtout  de  tout  ce  qu'on 
avait  vu  jusqu'à  ce  jour  en  Europe. 

Décrire  ce  spectacle  n'est  pas  chose  facile.  Nulle  surprise  d'abord 
pour  commencer,  puisque  la  scène,  que  ne  cache  aucun  rideau,  est 
immédiatement  visible  au  spectateur  dès  qu'il  pénètre  dans  la  salle. 
Avant  la  première  entrée  des  acteurs,  quatre  musiciens,  aux  instru- 
ments ctiards  et  discordants,  viennent  y  prendre  place,  deux  à 
droite,  deux  à  gauche  ;  un  cinquième,  placé  dans  un  des  angles  du 
fond,  est  chargé  d'une  sorte  de  grosse  caisse  dont  il  se  sert  en  cons- 
cience. Ces  cinq  «  artistes,  »  du  reste,  n'interrompent  pas  un  seul 
instant,  tout  le  long  de  l'action,  leur  musique  enragée.  Enfin  la 
pièce  commence,  et  dès  l'abord  on  est  étonné  des  cris  farouches,  des 
hurlements  forcenés  auxquels,  dans  certaines  situations,  se  livrent 
les  acteurs  ;  ces  cris  effroyablement  stridents,  mais  plus  prolongés 
que  les  sifflets  de  nos  locomotives,  sont  véritablement  déchirants 
pour  nos  oreilles  lorsqu'ils,  sont  poussés  à  la  fois  par  plusieurs  d'entre 
eux.  comme  il  arrive  fréquemment.  Ils  y  joignent  parfois  une  mimi- 
que enragée,  mais  qui  ne  laisse  pas  d'êtie  par  instants  très  expres- 
sive, et  l'on  se  demande  comment,  avec  les  peintures  de  leur  visage, 
avec  leurs  moustaches  hérissées,  leurs  barbes  épaisses,  ils  peuvent 
donner  à  leur  physionomie  tant  de  mobilité  et  des  aspects  si  divers. 
Leurs  jeux  de  scène,  dans  les  épisodes  dramatiques,  sont  véritable- 
ment excessifs,  et  à  leurs  cris  aigus  se  joignent  des  gestes  en  quel- 
que sorte  épileptiques  et  les  mouvements  les  plus  étranges. 

Puis,  à  des  scènes  très  animées  succèdent  de  temps  à  autre  des 
dialogues  tranquilles,  dans  lesquels  ils  parlent  avec  beaucoup  de 
calme  et  de  naturel.  Mais,  ce  qui  est  curieux,  ce  sont  les  combats, 
les  poursuites,  les  cortèges,  qu'accompagnent  les  hurlements  ordi- 
naires. Dans  ces  poursuites,  dans  ces  cortèges,  on  voit  se  produire 
ce  qu'on  a  tant  raillé  naguère  dans  ceux  de  nos  théâtres  où  l'on 
jouait  des  pièces  militaires;  c'est-à-dire  que  pour  faire  illusion  sur 
le  nombre,  les  figurants  qui  sont  entrés  par  l'une  des  portes  du 
fond  et  qui,  après  avoir  traversé  la  scène,  sont  sortis  par  l'autre, 
rentrent  en  courant  par  la  première  pour  ressortir  par  la  seconde 
et  recommencent  cinq  ou  six  fois  ce  manège.  Dans  ces  parties  de 
l'action,  tous  les  personnages  se  livrent  ù  un  mouvement  endiablé, 
à  un  bruit  infernal,  et  (ceci  est  une  de  leurs  nombreuses  conven- 
tion.^ ils  sont  excités  et  surexcités  par  le  légisseur,  qui  ne  se  gêne 
pas  pour  pénétrer  sur  la  scène,  où  sa  présence  et  ses  exhortations 
maintiennent  chacun  dans  le  droit  chemin. 

Parfois  le  chant   ou  la  danse  vient  se   mêler    au    dialogue,    mais 


seulement  pour  les  personnages  prenant  part,  à  l'action,  car  les 
figurants  ne  chantent  ni  ne  dansent  jamais.  Dans  une  de  leurs 
pièces  j'ai  vu  une  des  deux  femmes  (je  ne  saurais  dire  si  c'est 
Tani  ou  Guong)  faire  preuve  dans  une  sorte  de  mélopée  langoureuse 
d'une  voix,  ma  foi  !  fort  agréable.  Quant  à  la  danse,  elle  n'offre 
guère  autre  chose  que  des  attitudes.  Pour  les  hommes,  elle  consiste 
surlout  à  se  tenir  en  équilibre  tantôt  sur  une  jambe,  tantôt  sur 
l'autre,  à  tourner  sur  soi-même  les  bras  en  avant,  soit  la  main  fer- 
mée avec  deux  doigts  levés  à  la  façon  sacerdotale,  soit  la  main 
tout  ouverte  et  la  paume  projetée  en  avant  ;  pour  les  guerriers,  elle 
se  termine  par  une  sorte  de  saut  périlleux  accompagné  d'un  grand 
cri.  En  ce  qui  concerne  la  femme,  c'est  plutôt  une  série  de  gestes 
lents  et  harmonieux,  empreints  d'une  rare  souplesse,  par  lesquels 
elle  décrit  autour  de  son  corps,  divers  signes  d'un  caractère  par- 
ticulier. 

Certaines  scènes  sont  tout  à  fait  singulières;  ainsi  dans  Vo-Hau. 
celle  où  l'on  voit  Ky-Loan-Auh,  épouse  du  pirate  Tiet-Cuong,  prise 
en  scène  des  douleurs  de  la  maternité.  Elle  s'éloigne  alors  vers  le 
fond,  tourne  le  dos  au  publie  et  s'accroupit  par  terre,  pendant  que 
ses  serviteurs,  se  groupant  autour  d'elle  et  tormant  un  demi-cercle, 
la  cachent  complètement  aux  yeux  des  spectateurs.  Pais,  lorsque 
l'événement  s'est  produit,  elle  se  retourne,  tenant  dans  ses  bras  une 
poupée  qui  figure  le  jeune  citoyen  auquel  elle  vient  de  donner  le 
jour.  Cela  est  d'une  étonnante  naïveté. 

En  résumé,  le  Théâtre  Annamite  a  été,  à  son  point  de  vue  spécial, 
l'un  des  attraits  les  plus  curieux  de  l'Exposition  universelle.  Si,  par 
le  fait  de  notre  ignorance  de  la  laogue,  il  ne  pouvait,  nous  donner 
une  idée  même  approximative  de  la  valeur  littéraire  des  œuvres 
qu'il  faisait  passer  sous  nos  yeux,  il  nous  a  du  moins  familiarisés 
avec  le  côté  extérieur  et  plastique  d'un  art  sous  ce  rapport  très 
particulier,  très  riche,  très  brillant,  il  nous  a  mis  au  fait  de  coutumes 
scéniques  absolument  différentes  des  nôtres,  dont  nous  n'avions 
aucune  notion,  et  si  malheureusement  nous  étions  dans  l'impossibilité 
d'apprécier  le  talent  des  acteurs,  aussi  bien  que  la  nature  des  pièces 
jouées  par  eux,  le  spectacle  qu'ils  nous  offraient  n'en  élait  pas 
moins  digne  de  nous  inspirer  un  intérêt  très  réel  et  très  vif  (I). 
(A  suivre.)  Arthur  Pougiiv. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (17  avril).  —  L'année  théâtrale 
est  sur  le  point  d'expirer.  La  dernière  reprise  intéressante  a  été  celle  de 
Carmen,  avec  Mllc  Samé.  C'a  été  aussi  une  des  plus  discutées.  Les  uns 
i  ont  beaucoup  loué  l'interprétation  que  la  spirituelle  artiste  nous  a  donnée 
de  l'héroïne  de  Mérimée,  traduite  par  Bizet;  les  autres  l'ont  beaucoup 
critiquée.  Et  cela  a  été  même  le  sujet  de  débats  ardents  entre  familiers 
du  théâtre.  La  vérité  est,  à  mon  sens,  que  MUs  Samé  a  apporté,  dans 
cette  création  nouvelle,  toutes  ses  qualités,  toute  son  intelligence,  avec 
son  tempérament  très  personnel.  Vous  devinez  le  résultat  :  une  Carmen 
vivante,  piquante,  très  parisienne,  plus  encore  que  très  bohémienne,  et, 
par  cela  même  aussi,  extrêmement  séduisante  et  extrêmement  jotie.  Ce 
n'est  ni  la  version  de  Mlne  Galli-Marié,  qui  donnait  au  personnage  un 
caractère  âpre  et  pénétrant,  ni  la  version  de  M"lc  Deschamps,  dont  la  voix 
et  la  plastique  sont  (faut-il  l'en  plaindre  ou  l'en  féliciter?)  l'antipode  de 
la  voix  et  de  la  plastique  de  M1"  Samé.  C'est  autre  chose,  un  peu  menu, 
un  peu  «  étagère  »,  mais  très  habile,  et  fout  à  fait  charmant,  avec  des 
intentions  d'impitoyable  réalisme  que  le  sourire  et  les  doux  yeux  de  l'ar- 
tiste ne  parviennent  pas  toujours  à  réaliser.  Quant  aux  autres  rôles,  ils 
sont  médiocrement  tenus;  si  la  victoire  a  été  indécise  pour  MIle  Samé,  la 
défaite  ne  l'a  été  aucunement  pour  ses  partenaires.  C'est  une  revanche  à 
prendre...  l'année  prochaine.  Mais  l'année  prochaine  verra  la  troupe 
d'opéra-comique  et  la  troupe  de  grand  opéra  sensiblement  modifiées. 
M"os  Samé  et  Merguiller,  Mmes  Caron  et  Fierens,  MM.  Renaud,  Sellier, 
Bourgeois,  —  Ibos  aussi,  je  pense,  —  et  plusieurs  artistes  remplissant 
les  seconds  emplois  nous  quittent.  Il  ne  nous  restera  guère  que  M11,  Car 
rère,  MM.  Bouvet,  Delmas,  Badiali  et  Isouard.  Vous  voyez  que  le  renou- 
vellement ne  sera  pas  mince.  En  attendant,  résumons  rapidement  le  tra- 
vail de  la  saison  :  deux  nouveautés  :  Esclarmonde  et  Salammbô,  et  vingt 
reprises,  en  comptant  les  œuvres  qui  n'avaient  pas  quitté  le  répertoire 
courant  :  le  Pardon,  la  Julie,  le  Barbier  de  Séville,  le  Ca'id,  Mignon,  le  Muilre  de 
Chapelle,  Si  fêlais  Roi,  A'idu,  Hamlel,  l'Africaine,  le  lloi  d'Ys,  Faust,  Robert  le 
Diable,  Manon,  la    Favorite,   le  Songe  d'une   Nuit  d'été,    le  Vaisseau   fantôme, 

(1)  Après  cinq  mois  environ  passés  parmi  nous,  tout  le  personnel  du 
Théâtre  Annamite  a  quitté  Paris  h'  9  novembre,  et  s'est  embarqué  peu 
île  jours  après  .1  Marseille,  fori  désireux  sans  doute  de  revoir  le  pays 
natal. 


426 


LE  MENESTREL 


Carmen  et  le  ballet  des  Fumeurs  de  Kief.  On  remarquera  que  Meyerbeer, 
qui,  les  années  précédentes,  avait  été  pour  ainsi  dire  abandonné,  s'est 
nn  peu  rattrapé,  et  que  M.  Ambroise  Thomas  n'a  pas  cessé  d'être  en 
faveur,  puisqu'il  figure  dans  ce  tableau  avec  quatre  ouvrages,  à  lui  tout 
seul  !  —  Dans  les  autres  théâtres,  l'opérette  semble  reprendre  un  regain 
du  succès  qu'elle  avait  perdu  un  peu  injustement.  L'Albambra  continue  à 
passer  en  revue  les  opérettes  allemandes,  Boccace  après  l'Étudiant  pauvre, 
et  ainsi  de  suite,  prétextes  ingénieux  à  mise  en  scène,  à  défaut  d'autres 
mérites  particuliers  :  et  les  Galeries  viennent  de  monter  Cendri lionne tte, 
qui  a  beaucoup  réussi.  —  Nous  avons  eu  dimanche  le  troisième  concert 
populaire  de  la  saison.  Fidèle  à  sa  résolution,  M.  Joseph  Dupont  avait, 
cette  fois  encore,  après  avoir  préparé  activement,  comme  d'habitude,  les 
répétitions,  modestement  cédé  son  bâton  de  chef  d'orchestre  à  un  autre. 
Cet  autre,  c'était  M.  Rimsky-Korsakow,  qui  a  conduit  seul  ce  concert, 
eonsacré  tout  entier  à  la  musique  russe.  Vous  connaissez  suffisamment 
les  couvres  de  cette  jeune  école,  dont  une  audition  eut  lieu  l'été  dernier 
au  Trocadéro,  dirigée  par  le  même  Rimsky-Korsakow,  pour  que  je  me 
permette  de  vous  en  parler  ici  en  détails.  Qu'il  me  suffise  de  vous  dire 
que  l'impression  produite  par  elles,  à  Bruxelles,  a  été  très  diverse.  On 
l'es  a  exaltées  et  décriéeà,  non  sans  violence.  Ces  compositions,  hautes  en 
couleur,  visant  surtout  à  l'effet,  de  sonorités  si  opulentes  et  de  mouve- 
ment si  curieux,  ont  généralement  peu  satisfait  ceux  qui  demandent  à  la 
musique  des  sensations  moins  superficielles,  une  inspiration  plus  pro- 
fonde et  plus  sincère.  Mais  il  n'est  personne  qui  n'ait  admiré  l'extraordi- 
naire habileté,  le  «  métier  étonnant  »,  le  savoir-faire  de  ces  musiciens 
vaillants  qui,  à  ce  point  de  vue-là  du  moins,  tiennent  une  place  brillante 
parmi  les  novateurs.  Et  tout  le  monde  a  été  d'accord  aussi  pour  applaudir 
l'admirable'  exécution  que  l'orchestre  des  Concerts  populaires  nous  a 
donnée  de  leurs  œuvres,  parmi  lesquelles  il  y  avait  des  choses  complè- 
tement inédites  :  une  Grande  Pdque  russe,  de  M.  Rimsky-Korsakow,  et  de 
bien  jolis  fragments  symphoniques  de  l'opéra  que  M.  César  Cui  a  tirés 
de  la  comédie  de  M.  Jean  Richepin,  le  Flibustier.  Luciex  Solvay. 

—  Nous  avons,  dans  notre  dernier  numéro,  fait  connaître  l'affligeante 
nouvelle  qui  nous  annonçait  la  maladie  mentale  de  M.  Franco  Faccio,  le 
célèbre  chef  d'orchestre  de  la  Scala.  Nous  trouvons  à  ce  sujet  des  détails 
intéressants  dans  le  Piccolo.  de  Trieste  :  —  «  La  nouvelle,  dit  ce  journal, 
que  le  maestro  Franco  Faccio  était  depuis  quelque  temps  affligé  d'une 
maladie  cérébrale,  s'était  répandue  dans  tous  les  cercles  musicaux,  où 
elle  avait  causé  généralement  une  pénible  impression.  Faccio  avait  été, 
on  le  sait,  envoyé  à  Gratz  à  la  suite  d'une  consultation  médicale  ;  il  avait 
passé  par  notre  ville,  où  il  a  des  parents  et  des  amis,  et  il  y  était  revenu 
ces  jours  derniers,  après  qu'à  Gratz  on  avait  fait  cette  triste  déclaration 
qu'il  était  frappé  d'une  folie  désormais  incurable.  Hier,  à  quatre  heures 
et  demie,  un  infirmier  accompagnait  le  maestro  Faccio  à  la  gare,  d'où  il 
devait  le  conduire  de  nouveau  à  Milan,  et  à  la  gare  s'étaient  réunis, 
pour  le  voir  encore,  quelques  parents  et  amis  de  l'infortuné.  Alors  que 
le  train  qui  emportait  le  pauvre  maestro  s'était  déjà  mis  en  mouvement, 
une  sœur  de  Faccio,  qui  était  venue  là,  se  prit  à  pleurer  et  à  s'agiter 
convulsivement,  s'arrachant  les  cheveux  et  s'écriant  :  Mon  pauvre  frère  ! 
Il  est  fou!  Il  est  foui  Le  chef  de  gare  la  fit  entrer  dans  son  bureau,  où  il 
chercha  à  la  calmer  ;  mais  ses  efforts  furent  infructueux,  et  la  malheu- 
reuse, toujours  plus  agitée,  continuait  de  crier,  en  proie  à  des  spasmes 
nerveux  et  à  une  crise  fébrile.  Le  docteur  Fabris,  aussitôt  appelé,  se 
rendit  immédiatement  à  la  gare  pour  lui  prodiguer  les  soins  nécessaires 
et,  finalement,  elle  fut  reconduite  chez  elle  en  voiture.  »  Un  journal  de 
Milan,  la  Lombardia,  en  reproduisant  ces  lignes,  ajoute  :  —  «  La  doulou- 
reuse nouvelle  n'est  que  trop  vraie  :  Franco  Faccio,  dans  la  guérison  du- 
quel on  espérait  tant,  surtout  après  son  séjour  à  Gratz,  est  arrivé  avant- 
hier  à  Milan,  accompagné  de  sa  soeur  Clara,  et  a  été  hier  transporté  dans 
un  maison  do  santé.  Le  malheureux  est  complètement  transformé,  par 
suite  de  la  paralysie  progressive  qui  l'a  envahi  et  qui  a  été  constatée 
par  les  docteurs  Todeschini  etDe  Vincenti.  Il  ade  longs  assoupissements, 
puis  des  explosions  émouvantes,  durant  lesquelles  il  appelle  et  ne  recon- 
naît qu'Arrigo  Boito,  qui  l'assiste  avec  une  affection  vraiment  fraternelle. 
Ces  nouvelles  ont  produit  la  plus  douloureuse  impression  dans  nos  cer- 
cles artistiques  et,  partout  où  Faccio  était  connu,  une  impression  de  cha- 
grin sincère  et  profond  pour  le  malheur  qui  frappe  un  artiste  véritable, 
une  illustration  de  la  musique  italienne.  »  Un  de  nos  amis  nous  écrit  de 
Milan  :  «  Les  études  et  les  répétitions  des  Maîtres  Chanteurs  ont  achevé 
notre  pauvre  Faccio.  Deux  mois  de  répétitions  et  deux  par  jour  lui  ont 
fa.it  perdre  tout  à  fait  la  raison.  Il  est  perdu  pour  toujours  !  » 

—  A  la  Scala  de  Milan,  pour  la  clôture,  on  a  donné  cinq  représenta- 
tions à'Hamlel  en  sept  jours  !  Voici  ce  que  dit  ta  Perseveranza  de  la  der- 
nière représentation  :  a  Public  nombreux,  applaudissant  avec  chaleur  et 
dpn.nani  aux  artistes  des  marques  spéciales  de  sa  sympathie.  A  Battistini, 
après  la  scène  de  l'esplanade,  on  a  présenté  une  couronne  d'or  et  d'argent. 
Navarrini  a  été  gratifié  d'une  semblable  couronne  après  son  air  du  troi- 
sième acte.  A  M""  Lilvinno,  une  corbeille  do  fleurs  après  le  trio  du 
même  acte.  Pour  M"=  Calvé,  après  la  scène  do  la  folio,  c'a  été  une  véri- 
table pluie  de  bouquets,  au  milieu  d'applaudissements  et  d'ovations  qui 
l'ont  obligée  à  revenir  cinq  fois  en  scène.  -  La  Scala  a  donc  lerminé 
pur  un  beau  succès  une  saison  qui  avait  été  bien  malheureusejusque-là. 

—  A  propos  du  récenl  ef  1res  fâcheux  insuccès  du  Roi  d'Ys  à  l< la 

Sazdetta  musicale  do  Milan,  i|ui.  do  svagnérophobe  enragée  qu'elle  était  il 


y  a  deux  ans  à  peine,  est  devenue  wagnéromane  ardente  pour  des  raisons 
que  chacun  connaît,  exprimait  l'espoir  que  1"  «  invasion  »  des  opéras 
français  en  Italie  allait  être  enfin  arrêtée  par  cet  événement  et  que 
bientôt  on  n'en  entendrait  plus  parler.  C'était  une  nouvelle  édition  du 
mot  du  grand  Cavour  :  l'Ilalia  fara  da  se.  Tous  les  confrères  de  la  Gazzetta 
ne  sont  point  de  son  avis,  car  voici  ce  qu'écrit  son  voisin  le  Trovatore  au 
sujet  de  la  brillante  apparition  à  la  Scala  de  YHamlet  de  M.  Ambroise 
Thomas  :  —  «  Une  des  choses  que  l'avocat  Barbetla  aurait  pu  dire  dans 
son  interpellation  au  conseil  communal  de  Milan  sur  les  cose  délia  Scala. 
c'est  qu'un  théâtre  comme  la  Scala  n'a  aucun  droit  à  se  croire  et  à  vou- 
loir être  appelé  le  premier  du  monde  lorsqu'on  y  laisse  ignorés  les  neuf 
dixièmes  des  opéras  qui  depuis  des  années  et  avec  honneur  parcourent 
toutes  les  scènes  de  premier  ordre.  Parmi  ceux-ci  était  YHamlet  de  Tho- 
mas, et  quel  que  puisse  être  son  succès  financier  et  di  casselta,  on  a  bien 
fait  de  le  jouer,  parce  que  le  public,  pour  pouvoir  affiner  son  goût,  doit 
pouvoir  entendre  les  œuvres  les  plus  estimées  des  diverses  écoles  et  des 
divers  pays,  et  ne  pas  être  contraint  aux  chefs-d'œuvre...  forcés  et  à  vie 
tels  qu'Ernani  et  la  Gioconda.  »  C'est  parler  d'or,  quoi  qu'en  puisse  penser 
la  Gazzetta. 

—  Opéras  de  compositeurs  français  joués  en  Italie  dans  les  deux  der- 
nières semaines  :  Bologne  (théâtre  du  Corso),  Carmen  ;  Venise  (Fenice).  Faust,; 
Milan  (Scala),  Hamlet;  Ravenne,  Fra  Diarolo  ;  Rovigo,  FraDiavolo;  Brescia 
(théâtre  Guillaume),  Fra  Diavolo;  Turin  (Carignan),  Mignon  ;Casalmonferrat, 
Mignon  ;  Udine,  Mignon  ;  Gènes  (Politeama),  Carmen,  Mignon  ;  Padoue 
(théâtre  Verdi),  les  Pêclxeurs  de  Perles,  Mignon  ;  Malte,  les  Diamants  de  la 
Couronne  ;  enfin,  Naples  (théâtre  Bellini),  Carmen,  dont  c'était  la  quaran- 
tième représentation.  A  cela  nous  pouvons  ajouter  les  ouvrages  français 
écrits  par  des  compositeurs  étrangers  :  Venise  (théâtre  Goldoni),  la  Fa- 
vorite ;  Terni,  l'Africaine;  Lodi,  la  Favorite;  Naples  (San-Carlo),  les  Huguenots; 
Modène  (théâtre  Communal),  Dinorah  (le  Pardon  de  Ploërmelj;  Salerne,  la 
Favorite. 

—  «  Nous  avons  ici,  à  Rome,  dit  V Italie,  un  jeune  homme  de  talent, 
M.  Gastaldon  ;  il  cherchait  depuis  longtemps,  ainsi  qu'une  vingtaine  d'au- 
tres, le  moyen  de  se  frayer  un  chemin  au  théâtre.  Il  avait  déjà  terminé 
deux  opéras;  seuls,  les  amis  intimes  en  connaissaient  quelques  morceaux. 
Les  imprésarios  de  tous  les  théâtres  d'Italie  restent  sourds  aux  demandes 
des  jeunes;  ils  ont  une  horreur  profonde  pour  toute  nouveauté,  et  quand 
un  compositeur  se  présente  à  eux  ils  ne  demandent  pas  quel  est  le  sujet 
de  l'opéra  qu'on  leur  offre,  mais  bien  la  somme  d'argent  que  l'auteur  peut 
dépenser  pour  se  faire  représenter.  Les  municipalités  continuent  à  donner 
aux  théâtres  de  forts  subsides,  mais  elles  se  désintéressent  toujours  plus 
du  répertoire.  Les  grands  éditeurs  encouragent  les  jeunes  gens...  en  im- 
primant des  romances.  M.  Gastaldon  avait  déjà  eu  le  succès  des  salons  ; 
il  aspirait  inutilement  à  celui  du  théâtre.  Heureusement  que  son  bon 
génie  l'a  conseillé  de  se  présenter  à  Mme  Theodorini;  la  célèbre  artiste  a 
lu  la  partition  de  Mala  Pasqua  !  et  a  dit  : —  «  Le  rôle  me  plaît;  je  chanterai 
votre  opéra!  »  Et  grâce  aux  efforts,  à  l'énergie,  à  la  volonté  développés 
par  Mme  Theodorini  en  faveur  du  jeune  compositeur  et  de  son  œuvre, 
celle-ci  a  été  représentée  au  théâtre  Costanzi,  où,  grâce  aussi  au  talent  de 
la  cantatrice,  elle  a  obtenu  le  premier  soir  un  bruyant  succès.  La  poème 
de  Mala  Pasqua  est  tiré  d'un  drame  très  populaire  de  M.  Verga,  Cavalleria 
rusticana,  par  M.  Bartocci-Fontana.  L'ouvrage  est  en  trois  actes  et,  avec 
Mu°  Theodorini,  les  principaux  interprètes  sont  M™  Mariani-De  Angelis, 
le  ténor  Russitano  et  le  baryton  Franceschetti.  Il  résulte  d'ailleurs  des 
comptes  rendus  que  le  grand  succès  de  la  première  soirée  est  dû  beau- 
coup plus  au  talent  superbe  déployé  par  Mms  Theodorini  qu'à  la  valeur 
de  la  partition,  qui  semble  n'être  que  l'œuvre  estimable  et  un  peu  inco- 
lore d'un  débutant.  » 

—  On  doit  donner  prochainement,  au  théâtre  Sannazaro,  de  Naples,  la 
première  représentation  d'un  nouvel  opéra-comique,  la  Itegina  Seinon,  dont 
le  compositeur,  M.  AnacharsisPrestreau,  a  écrit  la  musique,  sur  un  livret 
français  de  M.  Jack  Ferni,  traduit  en  italien  par  M,  Golisciani. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Barmen  :  Au  théâtre  municipal 
Mmc  Amélie  Joacbim,  la  femme  du  célèbre  violoniste,  vient  de  se  faire 
entendre,  pour  une  représentation  à  bénéfice,  dans  le  rôle  de  Fidès  du 
Prophète.  Son  magnifique  organe  et  ses  qualités  dramatiques  ont  soulevé 
un  enthousiasme  indescriptible. —  Berlin:  A  l'Opéra  royal  on  prépare  une 
reprise  du  ballet  Promélhée,  de  Beethoven,  avec  une  chorégraphie  nouvelle 
du  maître  de  ballet  Graeb.  La  scénario  a  également  subi  un  remaniement 
complet,  travail  qui  a  été  confié  au  professeur  E.  Taubert.  —  Bueslau  : 
L'opéra-comique  do  M.  E.  Lindner,  le  Maître  voleur  a  été  froidement 
accueilli  au  théâtre  municipal.  —  Leipzig  :  Le  rôle  de  Mignon  dans  l'opéra 
d'Ambroise  Thomas  a  trouvé  une  nouvelle  titulaire  en  la  personne  de 
M"0  Barlay.  La  débutante  a  fait  bonne  impression  sur  le  public.  —  La 
nouvelle  opérette  de  M.  Sullivan,  Je  Garde  du  roi,  vient  d'être  représentée 
au  vieux  théâtre  municipal,  sans  rencontrer  le  succès  auquel  on  s'atten- 
dait. —  Mavence  :  M,nc  Angelina  Luger,  de  Francfort,  a  donne  au  théâtre 
municipal  une  représentation  do  Mignon  qui  lui  a  valu  un  véritable 
triomphe.  —  Munich:  Le  grand  événement  théâtral  de  la  saison  a  île  la 
reprise  de  Joseph,  avec  M.  Max  Alvary  dans  le  rôle  principal.  Le  célèbre 
ténor  y  a  remporté  un  des  plus  brillants  succès  de  sa  carrière.  Les  autres 
interprètes  ont  également  été  1res  remarqués.  La  représentation  du  chef- 
d'œuvre  de  Méhul,  dirigé  par  le  gênerai  direktor  Lovi  a  produit  sur  lo  pu- 


LE  MENESTREL 


427 


blic  une  impression  de.  poignante  émotion.  —  Phagiie:  Victoire  complète 
pour  les  Templiers,  de  LitollV,  au  Théâtre  Allemand,  malgré  une  interpré- 
tation défectueuse.  Celle-ci  est  qualifiée  par  un  journal  local  de  perpetito 
trémolo.  On  prépare  la  reproduction  des  Enfants  des  landes,  le  premier 
opéra  deRubinstein,  créé  à  Vienne  en  1861. — Stuttgart  :  Le  ténor  Son  theim, 
qui  a  fêté  l'année  dernière  son  jubilé  de  cinquantenaire  artistique,  vient 
de  donner,  au  théâtre  de  la  Cour,  sa  représentation  d'adieux,  dans  le 
rôle  de  Vasco  de  l'Africaine.  Des  ovations  nombreuses  ont  été  prodiguées 
au  vieux  chanteur,  qui  a  adressé  au  public  quelques  paroles  de  remer- 
ciements. 

—  A  Moscou.  Mi  Mamontoff,  directeur  du  théâtre  Privé,  a  dû  restituer 
aux  abonnés  une  partie  des  sommes  versées  par  eux,  par  suite  de  l'im- 
possibilité dans  laquelle  il  s'est  trouvé  de  leur  donner  toutes  les  repré- 
sentations promises  par  le  ténor  Masini,  une  maladie  de  celui-ci  ne  lui 
ayant  permis  de  chanter  que  quatre  fois. 

—  C'est  décidé.  Le  Her  Majesty's  Théâtre  de  Londres  va  disparaître,  et 
sera  vendu  en  septembre.  Tous  les  beaux  souvenirs  que  lui  a  laissés 
l'ancienne  splendeur,  aujourd'hui  évanouie,  de  l'opéra  italien,  ne  sauraient 
le  sauver  d'une  destruction  prochaine  et  complète.  Le  théâtre  sera  démoli 
de  fond  en  comble,  et,  sur  son  emplacement,  on  élèvera  un  vaste  hôtel 
avec  de  nombreuses  boutiques. 

—  L'évèque  de  Ripon  vient  de  rendre  une  ordonnance  assez  originale. 
Convaincu  que  le  pouvoir  de  la  musique  n'était  pas  assez  fort  pour 
attirer  les  fidèles  aux  messes  du  vendredi-saint,  il  a  décidé  que  certaines 
églises  de  son  diocèse  seraient  autorisées  à  égayer  les  services  du  soir  au 
moyen  de  lanternes  magiques  ! 

—  La  saison  d'opéra  italien  qui  a  été  inaugurée  le  24  mars  au  Metro- 
politan Opéra  House  de  New-York,  sera  exceptionnellement  brillante.  La 
direction  espère  sortir  victorieuse  de  la  lutte  acharnée  qu'elle  soutient 
contre  les  wagnériens.  Le  tableau  de  troupe  comprend  les  noms  suivants  : 
M'"cs  Adelina  Patti,  Albani,  Nordica,  Valda,  Bauermeister,  MM.  Tamagno, 
Ravelli,  del  Puente,  Carbone,  Novaro,  Castelmary,  etc.  Au  nombre  des 
ouvrages  annoncés  figurent  Roméo  et  Juliette,  Lakmé,  Mejistofele,  Lohengrin, 
Otello  (de  Verdi).  L'orchestre  et  les  chœurs  sont  placés  sous  la  direction  de 
MM.  Arditi  et  Sapio. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Aujourd'hui,  à  l'Opéra,  nouvelle  représentation  populaire  à  prix 
réduits  ;  cela  fait  deux  dimanches  de  suite  consacrés  à  ce  genre  d'exer- 
cices. Jamais  MM.  Ritt  et  Gailhard  ne  se  sont  montrés  aussi  empressés 
pour  l'exécution  de  leur  cahierdes  charges.  Comme  on  voitbien  qu'ils  vont 
se  trouver  prochainement  sur  la  sellette  devant  la  commission  du  budget! 

—  Il  est  retrouvé.  Voici  en  effet  la  dépèche  qu'il  adresse  à  M.  Francis 
Magnard,  du  Figaro  : 

Merci  pour  vos  inquiétudes.  Rassurez  les  amis.  Reviendrai  dans  un  mois. 

Saint-Saens. 
:    La  France  peut  enfin  respirer  à  l'aise. 

—  C'est  à  l'Odéon  que  la  Société  des  grandes  auditions  musicales  de  France, 
dont  nous  avons  publié  le  manifeste  dimanche  dernier,  donnera  son  pre- 
mier spectacle,  qui  sera  composé,  comme  nous  l'avons  dit,  de  l'opéra  de 
Berlioz  Béatrice  et  Benedict.  Le  quartier  est  un  peu  excentrique  ;  il  le  sera 
moins  cependant  que  l'endroit  choisi  pour  le  deuxième  spectacle, i'Armide 
de  Gluck,  puisqu'il  est  question  de  le  donner  à...  Versailles!  Où?  Dans 
le  parc  probablement.  Jamais  Armide  n'aurait  eu  en  effet  à  sa  disposition 
d'aussi  beaux  jardins.  Ce  sera  l'école  du  plein  air  appliquée  à  la  musique. 

—  Nous  recevons  la  curieuse  lettre  que  voici  : 

Monsieur, 

J'ai  trois  pianos  dans  ma  maison  et  trois  filles  pour  s'y  exercer.  C'est  assez  vous 
dire  que  M.  Ernest  Reyer,  l'illustre  auteur  de  Salammbô,  a  coutume  de  descendre 
chez  moi  quand  il  nous  fait  l'honneur  de  visiter  Perpignan.  On  sait  de  plus  que 
je  dirige  avec  quelque  éclat  la  fanfare  municipale  de  mon  pays  et  que  je  ne  dé- 
daigne pas  de  collaborer  au  Hanneton  mélomane,  qui  fait  les  délices  de  tout  le 
département  des  Pyrénées-Orientales.  Ce  n'est  donc  pas  sans  étonnement  que 
j'ai  lu  dimanche  dernier,  dans  te  Ménestrel,  la  formation  d'une  Société  d'auditions 
musicale!*,  laquelle  est  pourvue  d'un  «  comité  consultatif  »  dont  je  ne  fais  pas  partie. 
Pourquoi  cette  exclusion  que  rien  ne  justifie  ?  Veuillez  bien  soumettre  ma  récla- 
matioa  à  qui  de  droit  et  agréer,  avec  mes  remerciements,  l'expression  de  mes 
meilleurs  sentiments. 

Cadet  Roussel,  de  Perpignan. 
Auteur  d'un  quatuor  en  ré  pour  trois  trombones  et  un  ophicléide. 

Cette  lettre  nous  embarrasse  fort,  nous  l'avouons,  et  nous  prions  notre 
correspondant  de  bien  vouloir  l'adresser  lui-même  aux  bureaux  de  l'asso- 
ciation. La  popularité  du  nom  de  Cadet  Roussel  nous  parait,  en  effet, 
devoir  s'imposer  aux  organisateurs  de  la  nouvelle  Société. 

—  Nous  recevons  communication  de  la  note  suivante  :  «  Un  concours 
est  ouvert  par  la  Ville  de  Paris,  entre  tous  les  musiciens  français,  pour 
la  composition  d'une  œuvre  musicale  avec  soli,  chœurs  et  orchestre.  Les 
concurrents  seront  libres  de  faire  composer  eux-mêmes  leur  poème, 
dont  Ir  sujet  devra  être  pris  dans  l'histoire,  les  légendes  ou  les  grandes 
œuvres  littéraires  de  la  France,  et  se  prêter  aux  développements  les 
plus  complots  de  l'art  musical  en  même  temps  qu'il  s'adressera  aux  sen- 
timents do  l'ordre  le  plus  élevé.  Les  manuscrits  devront  être  déposés 
m.  la   Préfecture  do  la  Seino  (Bureau  des   Beaux-Arts),   du  1™  février  au 


15'  mars  1890,  à  quatre  heures  du  soir.  Les  artisles  musiciens  qui 
désirent  prendre  part  à  ce  concours,  sont  prévenus  que  le  programme 
leur  sera  délivré  à  la  Préfecture  de  la  Seine,  Bureau  des  Beaux-Arts,  a 
l'Hôtel  de  Ville  (escalier  D,  2e  étage),  de  midi  à  quatre  heures.  »  Dans 
cette  note,  officielle  pourtant,  et  dont  feu  Joseph  Prudhomme  n'aurait 
pas  renié  le  style  emphatique  et  boursouflé,  une  grosse  erreur  s'est  glissée. 
On  y  lit,  en  effet,  que  les  manuscrits  devront  être  déposés  «  du  l1'1  février 
au  13  mars  1890  »,  et  nous  sommes  déjà  à  la  lin  d'avril.  Tout  porte  donc 
à  croire  que  c'est  1891  qu'il  faut  lire.  Mais  un  peu  de  soin  ne  messiérait 
pas  aux  rédacteurs  de  noies  officielles. 

—  La  date  de  l'assemblée  générale  de  la  Société  des  auteurs  et  composi- 
teurs dramatiques  a  été  fixée  au  S  mai.  Le  rapport  sera  lu  par  M.  Paul  Ker- 
rier.  Il  sera  procédé  à  l'élection  de  cinq  nouveaux  commissaires,  en  rem- 
placement de  MM.  Victorien  Sardou,  Georges  Ohnet,  Jean  Rlchepiu, 
Charles  de  Courcy  et  Jonas,  membres  sortants  et  non  rééligibles. 

—  C'est  demain  lundi  qu'aura  lieu  à  la  salle  des  Capucines  la  confé- 
rence-audition de  M.  Julien  Tiersot  sur  les  chansons  populaires  des  pro- 
vinces de  France. 

—  La  soirée  de  gala  de  M.  Weckerlin  promet  d'être  fort  brillante,  en 
voici  le  programme:  première  partie:  1°  Ouverture  de  concert;  2°  Psaume 
au  roi  ;  3°  Suite  vénitienne  pour  orchestre:  i°  Chœur  de  bacchantes;  5°  Pas- 
torale pour  flûte  et  hautbois  (MM.  Taffanel  et  Gillet)  ;  6°  Marche  magyare. 
Deuxième  partie  :  Samson,  drame  biblique  en  deux  parties,  poème  de 
Voltaire  (Dalila,  Mmc  Bilbaut-Vauchelet  ;  Samson,  M.  Baudouin-Bugnet). 
Cette  fête  aura  lieu  jeudi  soir  24  avril,  dans  la  grande  salle  du  Conser- 
vatoire, avec  le  concours  de  la  Société  des  Concerts,  dirigée  parM.Garcin. 

—  On  a  dû  donner  hier  samedi,  au  Grand-Théâtre  de  Nantes,  la  pre- 
mière représentation  de  Ma  mie  la  Lune,  «  pantomime  musicale  »  en  un 
acte,  scénario  de  M.  Paolo  de  Lerne,  musique  de  M.  Jean  Silvany,  jouée 
par  Mme  Roux,  MM.  Roux  et  Delafolie,  et  dans  laquelle  une  sérénade  était 
chantée  par  M.  Jean  Delvoye. 

CONCERTS   ET  SOIRÉES 

La  dernière  séance  de  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire  s'ouvrait 
par  la  symphonie  en  la  de  Beethoven,  qu'il  me  semble  avoir  entendu 
exécuter  parfois  avec  une  perfection  plus  absolue.  J'y  ai  îemarqué  une 
tendance  qui  me'  paraît  regrettable  à  accélérer  tous  les  mouvements;  dans 
l'allégretto,  particulièrement,  cela  se  faisait  sentir  un  peu  plus  qu'il 
n'eût  fallu,  et  le  rythme,  aussi  bien  que  le  caractère  de  ce  morceau 
admirable,  en  recevait  une  atteinte  vraiment  sensible  aux  oreilles  déli- 
cates. Après  la  symphonie  venait  l'hymne  de  Mendelssohn  :  Écoule  ma 
prière,  dont  le  solo  était  confié  à  M110  Fanny  Lépine  ;  quelle  que  soit  ma 
sympathie  pour  le  talent  de  cette  jeune  et  tout  aimable  cantatrice,  il  me 
faut  bien  constater  qu'elle  ne  possède  ni  la  voix  corsée,  ni  le  style  ample 
et  ferme  qui  conviennent  à  une  composition  de  ce  genre.  Mais  quel 
charme  et  quel  contraste,  après  ce  morceau  un  peu  froid  et  compassé, 
venaient  nous  offrir  les  «  airs  de  danse  dans  le  style  ancien  »  écrits  par 
•M.  Léo  Delibes  pour  le  Roi  s'amuse  de  Victor  Hugo!  La  Gaillarde  se  dis- 
tingue par  sa  franchise  et  son  accent  de  belle  humeur  qui  conviennent 
si  bien  à  son  nom;  la  scène  du  bouquet,  avec  son  chant  de  violoncelles 
et  d'altos  si  bien  accompagné  par  les  pizzicati  des  violons,  forme  un  petit 
tableau  d'un  aspect  chatoyant  et  séduisant:  le  Madrigal,  où  la  coupe  de 
la  phrase  mélodique  est  si  originale,  où  les  harmonies  sont  si  fines  et 
si  recherchées  sans  être  jamais  bizarres,  est  une  pièce  d'un  tour  plein 
d'élégance  et  de  charme;  enfin,  le  Passspied,  avec  sa  tonalité  indécise, 
qui  chatouille  l'oreille  d'une  façon  singulière,  avec  sa  grâce  légère,  son 
rythme  piquant  et  son  allure  aimable,  est  l'un  des  morceaux  les  plus 
charmants,  les  plus  exquis  que  l'on  puisse  imaginer.  Tout  cela,  exécuté 
par  l'orchestre  avec  une  délicatesse  et  une  légèreté  parfaites,  a  été  accueilli 
par  le  public  avec  un  plaisir  dont  l'expression  s'est  traduite  en  de  longs 
et  vifs  applaudissements.  M.  Deldevez,  ordinairement  plus  scrupuleux, 
eut,  il  y  a  quelque  dix  années,  l'idée  au  moins  singulière  de  transformer 
en  chœur  l'adorable  quintette  de  Cosi  fan  lutte,  de  Mozart,  l'une  des  ins- 
pirations les  plus  enchanteresses  du  maître,  et  de  faire  chanter  cela  par 
les  masses  chorales.  Je  n'aime  pas,  malgré  l'effet  qu'ils  produisent  sur 
un  auditoire  généralement  peu  éclairé,  les  arrangements  de  ce  genre, 
qui  trahissent  et  dénaturent  complètement  la  pensée  du  compositeur.  Il 
me  semble  qu'il  y  a  dans  le  répertoire  international,  dans  Gluck,  dans 
Mozart  lui-même,  dans  Méhul,  dans  Cherubini,  dansLesueur,  dans  Cima- 
rosa,  assez  de  beaux  chœurs  écrits  expressément,  pour  qu'on  ne  soit  pas 
obligé  de  travestir  des  morceaux  qui  ne  sont  nullement  écrits  pour  être 
chantés  par  soixante  ou  quatre-vingts  voix.  Ce  n'est  pas  le  bis  dont  a  été 
l'objet,  dimanche  dernier,  celui  dont  je  parle  ici,  qui  me  fera  revenir  sur 
cette  opinion.  La  séance  se  terminait  par  Validante,  menuet  et  finale  de 
la  symphonie  inédite  d'Haydn,  en  ut,  qui  a  obtenu  son  succès  ordinaire 
et  qui  a  été  dite  par  l'orchestre  d'une  façon  adorable.  —  C'est  aujourd'hui 
qu'a  lieu  la  dernière  séance  de  la  Société  des  concerts,  sans  que  nous 
ayons  eu,  cette  année  encore,  la  célèbre  messe  de  Jean-Sébastien  Bach, 
dont  on  parle  depuis  deux  ans.  Ce  n'est,  qu'on  le  croie  bien,  ni  paresse 
ni  mauvaise  volonté  ;  c'est,  tout  simplement,  scrupule  excessif.  La  Société, 
qui  tient  à  son  honneur  artistique  et  à*  a  bonne  renommée,  a  trouvé  que 
deux  années  d'études  de  cette  œuvre  colossale  ne  lui  avaient  pas  suffi, 
jointes  à  ses  autres  travaux,  pour  la  présenter  au  public  dans  des  condi- 


-128 


LE  MÉNESTREL 


tions  d'exécution  suffisamment  satisfaisantes.  Elle  a  la  coquetterie  bien 
naturelle  et  le  souci  fort  légitime  de  sa  gloire,  ce  dont  on  ne  peut  que 
lui  savoir  gré.  Ce  n'est  donc  que  l'année  prochaine  que  nous  entendrons 
la  messe  du  grand  Bach,  et  nous  savons  d'avance  à  quel  point  son  exé- 
cution aura  été  étudiée  dans  toutes  ses  parties  et  soignée  jusque  dans 
ses  moindres  détails.  A.  P. 

Concerts  du  Chatelet.  —  La  54e  audition  de  la  Damnation  de  Faust  a  eu 
lieu  avec  une  interprétation  en  partie  renouvelée.  M.  Talazac,  qui  chanta 
le  rôle  de  Faust  dès  1877  aux  concerts  Pasdeloup  et  au  Chatelet,  s'y  re- 
trouve, avec  moins  d'exubérance  et  moins  de  vigueur  peut-être,  mais 
avec  une  voix  plus  assouplie,  un  style  plus  pur  et  un  goût  plus  épuré.  Il 
chante  d'une  façon  charmante  les  trois  premières  parties  de  l'œuvre, 
jjmo  Krauss,  dans  le  rôle  de  Marguerite,  nous  laisse,  pour  ainsi  dire,  l'im- 
pression d'une  création  nouvelle,  achevée  et  définitive.  Pas  un  détail  ne 
passe  inaperçu,  pas  une  note  n'échappe,  toutes  les  nuances  de  sentiment 
sont  mises  en  relief  et  graduées  avec  un  art  si  pur  que  chacun  croit  en- 
tendre l'œuvre  telle  qu'il  l'avait  rêvée  et  comprise.  C'est  l'accent  vrai,  ou 
plutôt  l'accent  artistique  dans  sa  plénitude  calme  et  superbe.  M.  Auguez 
n'a  pas  la  voix  suffisamment  déliée  et  fine  pour  exprimer  l'ironie  incisive 
du  rôle  de  Méphistophélès,  mais  il  chante  en  bon  musicien.  M.  Augier  a 
été  justement  applaudi  dans  l'amusante  chanson  du  Rat.  Les  chœurs  ont 
été  suffisants,  sauf  dans  l'apothéose,  dont  l'interprétation  idéale  est  encore 
à  trouver.  L'orchestre  a  été  acclamé  à  plusieurs  reprises,  et  plusieurs 
morceaux  de  caractères  différents  ont  été  bissés  après  une  exécution  tan- 
tôt tumultueuse  comme  celle  de  la  Marche  hongroise,  tantôt  délicieusement 
aérienne  comme  celle  de  la  Valse  des  Sylphes.  Amédée  Boutarel. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche. 
Conservatoire  :  Symphonie  en  la  (Beethoven):  Hymne  (Écoute  ma  prière!) 

Mendelssohn),  solo  par  MUo  Fanny  Lépine;  le  Roi  s'amuse,  airs  de  danse 
(Léo  Delibes);  chœur  de  Cosi  fan  tulle  (Mozart);  Andante,  menuet  et  finale  de 
la  symphonie  en  ut  inédite  (Haydn).  Le  concert  sera  dirigé  par  M.  J.  Garcin. 

Chatelet,  concert  Colonne  :  bo°  audition  de  la  Damnation  de  Faust,  de 
Berlioz,  chantée  par  Mme.  Gabrielle  Krauss,  MM.  Talazac,  Auguez  et  Augier. 

—  Concerts  et  musique  de  chambre.  —  Mme  Sophie  Menter  vient  de  don- 
ner un  récital  de  piano  extrêmement  intéressant.  Mme  Menter  possède  une 
bravoure  d'exécution  incomparable,  un  son  d'une  puissance  superbe,  un 
style  toujours  intéressant:  c'est  incontestablement  une  des  virtuoses  les 
plus  admirables  de  ce  temps.  Elle  a  commencé  par  une  fugue  de  Liszt  sur 
le  nom  de  Bach,  élucuhration  diffuse,  lourde  et  ennuyeuse,  qu'elle  a  fait 
suivre  de  la  sonate  op.  81  de  Beethoven,  jouée  avec  une  délicieuse  simpli- 
cité. Son  interprétation  exquise  de  la  Prédication  aux  Oiseaux  (Saint  Fran- 
çois d'Assise),  de  Liszt,  et  de  trois  transcriptions  du  même  auteur,  d'après 
Schubert,  a  soulevé  des  applaudissements  enthousiastes,  qui  ont  redoublé 
après  une  exécution  absolument  merveilleuse  de  l'ouverture  de  Tannhâuser 
(Liszt-Wagner).  On  pourrait  reprocher  à  M'"°  Menter  le  choix  d'un  trop 
grand  nombre  de  transcriptions  de  virtuoses  ,  lorsque  la  littérature  ori- 
ginale du  piano  est  si  riche  en  chefs-d'œuvre,  mais  le  plaisir  est  si  grand» 
d'entendre  vaincre  avec  une  telle  aisance  les  plus  grandes  difficultés, 
qu'on  ne  peut  qu'admirer  et  applaudir.  Le  concert  se  terminait  par  quel- 
ques courts  morceaux  de  M.  Tschaïkowski  et  une  Valse-Caprice  d'après 
Strauss  par  Tausig,  dans  laquelle  nous  n'avons  reconnu  ni  le  style  ni  les 
procédés  de  ce  grand  virtuose.  —  M";  Clotilde  Kleeberg  est  une  de  nos 
plus  renommées  pianistes  :  ses  qualités  de  virtuosité,  de  finesse  et  de 
charme,  la  simplicité  et  la  grâce  de  son  style  lui  ont  valu  de  grands  suc- 
cès à  l'étranger  comme  chez  nous,  et  le  concert  qu'elle  vient  de  donner' 
ne  peu1  qu'augmenter  sa  réputation  acquise.  Deux  concertos  de  Schumann 
et  i  mdelssohn  (en  ré  mineur),  la  sonate,  op.  31  n°  2  de  Beethoven,  et 
'I'"  ■  <  s  île  Heller,  Chopin  et  Raff  formaient  son  programme.  L'or- 
ch.BStri  aous  la  direction  de  M.  Lamoureux,  a  accompagné  avec  beaucoup 
de  souplesse  et  d'habileté.  —  La  Société  des  instruments  à  vent  continue 
la  série  de  ses  intéressantes  séances.  Au  programme  de  la  dernière  se 
trouvaient  un  otetto  de  Lachner,  œuvre  pâle  et  bien  vieillie,  des  mor- 
ceaux de  fantaisie  de  A.  Klugbardt,  où  nous  avons  remarqué  le  très  habile 
emploi  de  l'alto  combiné  avec  le  hautbois  et  le  piano,  et  le  septuor  de 
Beethoven,  dont  MM.  Marsick,  Turban.  Brémond,  Espaignet,  Laforge. 
Loys  et  de  Bailly  ont  donné  une  fort  remarquable  interprétation. 

I.   PllILIPP. 

—  L'Institut  musical  fondé  et  dirigé  depuis  dix-neuf  ans  par  M.  et  M"10 
Oscar  Comettant,  avec  la  précieuse  collaboration  effective  de  l'éminent  pro- 
fesseur M.  Marmontel  père,  l'Institut  musical  a  donné,  salle  Pleyel,  une 
audition  d'élèves  qui  a  mis  en  ligne  une  vingtaine  de  jeunes  personnes 
du  cours  supérieur  fait  par  M.  Marmontel,  et  qui  toutes  ont  témoigné  de 
l'admirable  enseignement  qu'elles  reçoivent.  Nous  citerons  un  peu  au  ha- 
sard Mllos  Pennington-Mellor,  de  Vilade,  Nelissen,  Tanguy,  Marguerite 
Sicard,  Paraf,  Pitsch,  etc.  Plusieurs  de  ces  jeunes  filles  sont  arrivées  à 
une  virtuosité  appuyée  sur  des  qualités  de  style  absolument  remarquables. 
Nous  citerons  notamment  M"M  Tencey,  Marguerite  Lucien,  Pignat,  Mar- 
guerite Le  Sidaner,  Popovitz,  de  Bilcesco  et  Mathiais.  Une  diversion  char- 
m: 3  à  ce  long  défilé  de  pianistes  a  été  faite  par  une  toute  jeune  violo- 
niste. Mllc  Bourgaud,  qui  a  exécuté  un  morceau  avec  sourdine  d'une  ex- 


pression pénétrante,  avec  des  qualités  qui  promettent  une  véritable  artiste, 
et  des  fragments  du  Concerto  romantique  de  M.  Godard,  que  l'auteur  a  voulu 
accompagner  lui-même  au  piano.  Succès  et  rappels.  Bref,  audition  des 
plus  intéressantes. 

Soirées  et  Concerts.  —  Une  brillante  audition  d'élèves  a  eu  lieu  samedi  der- 
nier chez  M"0  Marchesi.  On  a  beaucoup  applaudi  M""  Risley,  Komaromi,  Malas- 
tine,  Brass,  Bensburg  et  Hyprecht,  toutes  douées  de  fort  belles  voix.  M""  Hada- 
mard,  Roger-Miclos,  Arnau-Neusser,  MM.  Place  et  Casella  ont  rehaussé  l'intéiêt  de 
la  matinée  par  leur  précieux  concours.  Des  chœurs  de  MU.  A.  Thomas,  Gounod  et 
Joncières,  exécutés  à  la  perfection  par  les  élèves,  ont  ravi  l'auditoire.  M.  Taffanel 
étant  indisposé,  c'est  la  fille  de  la  maison,  la  baronne  Blanche  de  Popper,  qui,  en 
chantant  Deuil  d'avril,  de  M.  Lenepveu,  Dormez-vous,  de  M.  Weckerliu  et  Jalouse,  de 
M.  Bonnadier,  a  soulevé  l'enthousiasme  du  nombreux  auditoire.  —  Lt  concert  donné 
par  M"°  Magnien  a  été  pour  la  brillante  violoniste  l'occasion  d'obtenir  un  légi- 
time succès.  La  difficile  et  intéressante  sonate  de  M.  Godard  pour  violon  seul,  la 
fantaisie  sur  Faust,  de  M.  Dancla,  la  Rêverie,  de  Noris,  et  les  Airs  bohémiens,  de  M.  Sa- 
rasate,  ont  été  dits  avec  une  grande  sûreté  d'exécution  et  une  justesse  rare.  — 
Grand  succès  pour  M™0  Ratisbonne  jeudi  dernier  (salle  Erard).  Après  le  quatuor  de 
Schumann,  admirablement  secoodée  par  MM.  Halphen,  Laforge  et  Mariotti, 
M™0  Ratisbonne  a  interprété  avec  charme  différents  auteurs,  Chopin,  Raff, 
Thalberg  et  Litolfl.  —  Samedi  12,  concert  de  MM.  Lundberg,  pianiste  suédois, 
et  Sôdermann,  de  l'opéra  de  Stockholm.  Nous  y  avons  entendu  interpréter  avec 
un  style  très  pur  et  un  mécanisme  remarquable  des  œuvres  de  Beethoven, 
Chopin,  Lizst,  Paderevvski.  Deux  mélodies  de  Schumann  nous  ont  également  char- 
més.— La  société  chorale  l'Abeille  a  donné  le  lt  avril,  à  la  salle  Pleyel,  un  fort 
intéressant  concert  où  se  sont  fait  applaudir  M.  Jamet,  dans  l'air  du  Cdid,  M""0  Cé- 
cile Bernier  avec  une  chansonnette  de  M.  Léon  Schlesing'r,  C'estle  vent  !  (paroles 
de  M.  Georges  Boyer),  M.  Géo,  dans  ses  chansonnettes  comiques,  et  le  violoniste 
Nobels.  Les  chœurs  d'Esther,  de  M.  Coquard,  bien  exécutés  par  la  Société,  ont 
produit  une  heureuse  impression.  —  Le  concert  donné  dimanche  à  la  mairie  de 
Passy,  par  l'Union  musicale  de  la  Muette,  a  parfaitement  réussi.  Parmi  les  artistes 
nous  avons  remarqué  M.  Léon  Dumont,  dont  la  jolie  voix  de  baryton  a  prêté  un 
charme  particulier  à  la  mélodie  de  M.Schlesinger  :  Si  tu  voulais,  qui  lui  a  valu  des 
bravos  persistants.  M"0  Fernande  de  Bret  a  exécuté  avec  beaucoup  de  verve  Tzi- 
ganyi,  pour  violon,  de  M.  Lack,  et  sa  sœur,  M""  Jeanne  de  Bret,  s'est  fait  applaudir 
daos  différents  morceaux  de  piano.  Citons  encore  les  chansonnettes  comiques  de 
M.  William  de  Bret,  les  mélodies  de  M""  Dihau,  chantées  par  l'auteur,  et  les 
numéros  d'orchestre  parfaitement  rendus  par  l'harmonie.  —  Le  concert  du  vio- 
loniste Magnus  avait  attiré  beaucoup  de  monde,  mardi,  à  la  salle  Pleyel.  Le 
bénéficiaire,  dont  le  succès  a  été  très  vif,  s'était  entouré  d'artistes  de  talent  : 
M1'0  Janvier,  de  l'Opéra,  qui  a  interprété  d'une  voix  chaude  et  pleine  d'éclat  deux 
nouvelles  mélodies  de  M.  F.  Thomé  :  Sonne!  d'Arvers  et  Si  tu  veux,  faisons  un 
rêve,  toutes  deux  très  applaudies  ;  M.  Martapoura,  de  l'Opéra  ;  la  jeune  pianiste 
M"'' Petit-Gérard  (premier prix  du  Conservatoire),  qui  a  fait  preuve  d'un  talent  sé- 
rieux: M""  Sanlaville,  de  l'Odéon,  et  l'excellent  accompagnateur  M.  F.  Rivière. 
—  M°c  Watto  a  donné,  avec  son  succès  accoutumé,  une  très  intéressante  ma- 
tinée, où  s'est  fait  entendre  un  excellent  choral  de  dames  du  monde,  ses  élèves, 
sans  doute.  A  citer  spécialement  dans  le  programme,  composé  très  habilement, 
l'Étoile  de  M.  Maréchal  (soli  par  M.  Baudoin  et  un  soprano  malheureusement 
anonyme).  Cette  délicieuse  petite  scène  arrive,  ce  nous  semble,  bien  près  de  sa 
100e  audition,  ce  qui  n'est  pas  banal.  Puis,  Jean  de  Nivelle  et  les  Norwégiennes  de 
M.L.  Delibes  et  divers  morceaux  de  MM  .Gounod,  Saint-Saëns,  Ch.  Lefebvre,  Faure, 
etc.  Le  succès  personnel  de  M"'  Watto  comme  chanteuse  n'a  pas  été  moindre  que 
celui  qu'elle  a  obtenu  comme  professeur.  —  La  dernière  matinée  de  M.  Thurner 
a  réuni  un  nombreux  auditoire  et  a  révélé  quelque  jeunes  artistes  d'avenir;  on  a 
été  émerveillé  du  talent  de  la  jeune  Hanna  Hansen,  qui  a  joué  avec  une  maestria 
et  un  style  remarquables.  Parmi  les  maîtres  modernes,  figuraient  au  programme 
les  noms  de  Godard,  Heller,  Moskowski,  Lacombe,  Lack. 

—  L'œuvre  si  connue  et  si  justement  populaire  des  orphelinats  agri- 
coles et  des  orphelins  d'Alsace-Lorraine  donnera  le  22  avril,  à  8  h.  1/2 
'du  soir,  dans  les  salons  de  l'Hôtel  Continental,  son  concert  annuel.  Ce 
concert  aura  un  caractère  spécial.  On  y  reproduira  l'Histoire  de  la  musique 
au  théâtre,  de  1682  jusqu'à  nos  jours.  Les  œuvres  de  Beaujoyeux,  Lulli, 
Rameau,  Mozart,  Donizetti,  Ambroise  Thomas,  Victor  Massé,  Bizet,  etc., 
etc.,  seront  exécutées  sous  la  direction  de  M.  Frémaux,  du  Conservatoire, 
par  MmCB  de  Tredern,  de  Wolf-Taylor,  MM.  "Warmbrodt,  Lorrain,  des 
chœurs  et  un  orchestre. 

—  Concerts  annoncés  :  Mardi  22  avril,  salle  Érard,  grand  concert  donné  par 
M.  Charles  René,  avec  le  concours  de  M""  Marcella  Prégi,  de  MM.  Berthelier  et 
Brémond.  On  y  entendra  une  Fantaisie  de  concert  pour  violon,  une  Suite  pour 
piano,  des  strophes  pour  cor  et  deux  mélodies  de  M.  Charles  René.  —  Lundi,  à  la 
salle  Érard,  205*  concert  (avec  orchestre  et  chœurs)  de  la  Société  nationale  de 
musique,  avec  le  concours  deM"""  Brunet-LalleuretFanny  Lépine,  deMM.  Gilibert, 
de  l'Opôra-Comique,  Warmbrost  et  René  Chansarel.. —  Vendredi,  même  salle, 
concert  avec  orchestre,  donné  par  M.  L.  Breitner.  —  Mardi  22  avril,  salle  Pleyel, 
quatrième  et  dernière  séance  de  la  Société  de  musique  française  fondée  par 
M.  Ed.  Nadaud,  avec  le  concours  de  M"1  Kleeberg,  de  MM.  Taflanel,  Mas  et 
Cros  Saint-Ange.  —  Demain  lundi,  salle  Pleyel,  concert  de  M""  Maria  Panthès, 
avec  le  concours  de  l'orchestre  Lamoureux.  M""  Panthès  jouera  le  concerto  en 
mi  bémol  de  Beethoven,  celui  en  sol  mineur  de  M.  Saint-Saëns,  et  divers  mor- 
ceaux de  Chopin,  de  Schumann,  de  MM.  Benjamin  Godard,  Chabrier  et  Georges 
Pfeiffer. 

Henri  Heugel,  directeur-géiant. 

LAZARD,  10,  r.  de  la  Tour-d'Auvergne,  suer.  dep.  10  ans  d'un  compositeur 
connu,  inf.  personnes  du  monde  etartistes,  qu'il  se  charge  do  copie,  transposi- 
tion musicale  et  tons  travaux  calligraphie  et  corresp.  Exécu  tion  irrép.  Prix  modérés. 


—  mnUMLlllE  CUAI\. 


GÈRE,   : 


Dimanche  27  Avril  1890. 


3082  -  56-  ANNEE  -  1\M7.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE  -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (60e  article),  Albert  Soubies  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Semaine  théâtrale:  La  question  des  «  Petits  droits  »  en  Angle- 
terre, H.  Moreno.  —  III.  Les  Œuvres  musicales  de  Frédéric  le  Grand,  Michel 
Brenet.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

CAPITAINE -POLKA 

sur  les  motifs  du  Fétiche,  opérette  de  Victor  Roger,  par  Philippe  Fahrbach.  — 
Suivra  immédiatement  :  le  Rêve  du  prisonnier,  célèbre  mélodie  de  Rudins- 
tein,  transcrite  et  variée  pour  piano  par  Ch.  Neustedt. 

CHANT 
Nous  publierons   dimanche   prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant:  Nous  clieminions  dans  le  sentier,  n°  i  des  Rondels  de  Mai,  de  M.  B. 
■CoLOMEii,   poésie   de   Lucien   Diiuguet.  —  Suivra  immédiatement  :  C'est  ma 
mignonne  amie,  n°  6  des  Rondels  de  Mai,  des  mêmes  auteurs. 


HISTOIRE  DE  LÀ  SECONDE  SALLE  FAVART 


Albert  SOUBIES   et  Charles   MALHERBE 


CHAPITRE  XIV 

MEYERBEER    A    L'OPÉRA-COMIQUE 
LE  PARDON  DE  PLOERMEL 

(1856-1859) 

(Suite.) 

Mais  avant  d'atteindre  cette  époque,  il  nous  faut  dresser 
l'acte  de  naissance,  ou,  pour  parler  plus  justement,  l'acte  de 
décès  des  œuvres  nées  au  cours  de  cette  année  1859,  car  la 
plupart  ne  sont  venues  au  monde  que  pour  disparaître 
■aussitôt.  Il  en  faut  excepter,  toutefois,  le  Diable  au  moulin,  un 
acte  représenté  le  43  avril,  dont  Cormon  et  Carré  avaient 
écrit  le  livret  et  M.  Gevaert  la  musique.  C'était  l'histoire  de  la 
Méchante  femme  mise  à  la  raison  ou  la  Sauvage  apprivoisée  de 
"Shakespeare,  avec  interversion  des  rôles.  Ici,  la  douce  Marthe 
•épousait  par  dévouement  !e  brutal  Antoine  et,  pour  corriger 
son  mari,  imitait  son  défaut,  l'exagérait  même  et,  se  faisant 
-plus  irascible  que  lui,  opérait  enfin  le  miracle  d'une  con- 
version; la  paix  rentrait  dans  le  ménage  et  les  coups  ne 
pleuvaient  plus.  Signée  par  un  véritable  musicien,  la  parti- 
tion fut  lestement  enlevée  par  Mllc  Lefebvre,  dont  ce  fut  la 
dernière  création  avant  son  mariage  avec  Faure,  grande  céré- 
monie qui  eut  lieu  à  Sèvres,  dans  l'église  Saint-Romain,  le 
4  juin  suivant;  par  Mocker,  Poachard,  et  M"e  Lemercier,  ces 


trois  artistes  remplacés  l'année  suivante  par  Ambroise,  Ber- 
thelier  et  M"e  Belia.  Avec  ses  divers  interprètes  le  Diable  ait 
moulin,  qu'on  avait  un  instant  répété  sous  le  nom  bizarre 
de  VAne  rouge,  se  maintint  cinq  ans  au  répertoire  et  atteignit 
le  chiffre  honorable  de  69  représentations. 

Il  n'en  fut  pas  de  même  d'un  autre  acte,  joué  le  10  août, 
sous  ce  titre:  le  Rosier,  qui  d'ailleurs  expliquait  peu  la  pièce, 
car  on  n'y  voyait  point  de  roses,  mais  un  jeune  docteur  pris 
entre  deux  amours,  celui  d'une  veuve  qui  lui  veut  du  bien, 
et  celui  d'une  jeune  fille  qui  par  ses  soins  lui  avait  sauvé 
la  vie  en  un  temps  où  elle  portait  la  cornette  de  religieuse. 
A.  Challemel  avait  tracé  ce  livret  assez  gracieux,  et,  contrai- 
rement aux  usages  de  la  maison,  très  «  moderne  »  ;  H.  Potier 
en  avait  écrit  la  musique  assez  agréable;  on  accorda  même 
une  certaine  popularité  à  la  romance  du  Rosier,  madrigal 
dont  la  botanique  faisait  naturellement  les  frais,  et  servait  à 
éclairer  le  principal  personnage  sur  la  nature  de  ses  senti- 
ments. Les  deux  couplets  étaient  bien  «  dits  »  plutôt  que 
chantés  par  un  débutant,  Ambroise,  lequel  avait  l'habitude 
des  plauches,  car  il  venait  des  Variétés;  ce  qui  fit  dire  plai- 
samment et  non  sans  raison  qu'il  chantait  au  boulevard  Mont- 
martre et  qu'il  jouait  au  boulevard  des  Italiens.  A  ses  côtés 
figurait  aussi  une  débutante,  mais  celle-ci  bien  novice,  et 
qui  ne  fit  que  passer,  MHe  Marietta  Guerra,  soeur  d'une  can- 
tatrice que  l'on  avait  entendue  aux  Italiens  en  1858.  Dans  ce 
même  rôle  de  Berthe,  une  autre  débutante  lui  succéda  le 
2  octobre,  M"c  Emma  Belia,  sœur  de  Zoé  Bélia,  et  comme 
elle  agréable  chanteuse. 

Le  12  août,  deux  jours  après  le  Rosier,  l'Opéra-Comique  don- 
nait encore  un  acte,  Voyage  autour  de  ma  chambre,  qui  n'avait 
de  commun  que  le  titre  avec  la  célèbre  fantaisie  de  Xavier  de 
Maislre.  C'était  un  vaudeville  gai,  presque  trop  gai,  écrit  par 
Duvert  et  Lausanne  en  vue  d'Arnal,  et  accommodé  avec  une 
petite  sauce  musicale  par  Grisar  en  vue  de  Couderc.  Cet 
excellent  artiste  y  tenait  le  rôle  d'un  voyageur  qui,  parti 
pour  l'Amérique  sous  couleur  d'héritage  à  recueillir,  revient 
en  hâte,  car  il  a  oublié  certains  papiers  nécessaires  ;  mais  il 
trouve  sa  chambre  occupée  par  une  petite  dauie  et  un  pe- 
tit jeune  homme  qui  ont  profité  de  son  absence  pour  s'ins- 
taller dans  ses  meubles,  et  dès  lors  il  a  maille  à  partir  avec 
un  mari  jaloux  et  terrible,  avec  un  concierge  fantaisiste, 
avec  un  sergent  du  guet,  avec  des  voleurs  même,  jusqu'au 
moment  où  tout  se  dénoue  par  un  mariage.  La  première 
impression  de  ce  spectacle  fut  favorable,  si  l'on  en  juge  d'a- 
près le  mot  d'un  compte  rendu  de  l'époque:  «  Le  public  ne 
rit  qu'une  fois  pendant  le  cours  de  cette  pièce  ;  seulement  ce 
rire  commence  au  lever  du  rideau  et  finit  à  sa  chute.  »  Ce 
témoignage  flatteur  ne  put  cependant  conduire  l'ouvrage  au 
delà  de  23  représentations. 


130 


LE  MENESTREL 


Moins  solide  encore  fut  la  Pagode.  On  pouvait  s'y  attendre, 
si  Pottlôngë 'à  la  bizàTrerie  du  sujet,  au  mérite  contestable 
de  la  partition  et  aux  circonstances  particulières  dans  les- 
quelles l'œuvre  avait  vu  le  jour.  Le  livret  de  Saint-Georges 
présentait,  dans  un  cadre  indien,  les  ruses  d'un  prêtre  bat- 
tant monnaie  avec  une  enfant  trouvée  qu'il  a  recueillie  et 
qu'il  fait  passer  pour  fille  du  ciel  aux  naïfs  indigènes.  Du 
compositeur,  nommé  Fauconier,  on  sait  peu  de  chose,  sinon 
qu'il, était  belge,  car  il  n'a  point  jeté  grand  éclat  dans  le  ciel 
musical.  Félix  Clément,  daDs  son  Dictionnaire,  lui  attribue  un 
opéra-comique  en  un  acte,  Roman  d'avenir,  représenté  à 
Bruxelles  «  vers  1850  »,  dit-il.  Or,  dans  son  Répertoire  drama- 
tique belge,  ouvrage  si  complet  cependant,  M.  Alexandre  Du- 
pont, n'en  fait  pas  même  mention.  Ce  dont  on  ne  saurait 
douter,  c'est  que  le  compositeur,  «  estimable  »,  disent  les  uns, 
«  insipide  »,  disent  les  autres,  et  Scudo  en  particulier,  avait 
un  protecteur  influent,  mais  resté  mystérieux,  qui  prétendait 
lui  ouvrir  les  portes  de  l'Opéra.  C'est  ainsi  que  la  Pagode  avait 
d'abord  été  présentée  à  M.  Crosnier,  qui  la  passa  à  son  suc- 
cesseur, Alphonse  Royer,  lequel  feignit  de  l'oublier.  Alors  on 
recommença  les  mêmes  démarches  à  l'Opéra-Comique,  et  la 
pièce  fut  reçue  par  Emile  Perrin,  qui  la  passa  à  son  succes- 
seur,. Nestor  Roqueplan,  lequel  eut  la  conscience  de  l'exécu- 
ter enfin.  Le  public  se  méfie  de  ces  sortes  d'ouvrages,  im- 
posés en  quelque  sorte  aux  directeurs  ;  il  y  répond  par  l'in- 
différence. Tel  fut  le  sort  de  cet  opéra-comique  en  deux  actes, 
né  le  26  septembre,  et  mort  à  l'âge  de  sept  soirées. 

Plus  heureux  que  Fauconier,  M.  Limnander,  un  autre  Belge, 
s'était  fait  depuis  longtemps  une  place  honorable  à  la  salle 
Favart;  il  y  avait  même  changé  pour  son  usage  personnel  le 
vocabulaire  usité  dans  la  maison,  car  il  y  apportait  toujours, 
non  pas  un  opéra-comique,  mais  un  drame  lyrique.  Ce  mot, 
qui  depuis  a  connu  d'autres  destinées,  nous  surprend  au- 
jourd'hui appliqué  à  des  œuvres  comme  celles  de  Limnander, 
où  les  couplets  abondent,  et  où  les  principes  wagnériens  ne 
reçoivent  encore  aucune  application.  Le  compositeur  dénom- 
mait ainsi  ses  pièces,  parce  qu'il  affectionnait  les  sujets  un 
peu  sombres  et  les  situations  plus  dramatiques  que  comiques. 
C'était  le  cas  de  l'ouvrage  en  trois  actes  représenté  le  29  no- 
vembre, et  baptisé  successivement  les  Rlancs  et  les  Bleus,  puis 
Yvonne  la  Fermière,  et  finalement  Yvonne  tout  court,  comme 
l'opuscule  du  prince  de  la  Moskowa  joué  sur  la  même  scène 
quatre  années  auparavant.  Ici  l'on  assistait  aux  luttes  san- 
glantes des  Vendéens  et  des  républicains.  Scribe  avait  puisé 
l'idée  première  de  son  livret  dans  une  nouvelle  de  M.  d'Her- 
bauges  et  n'avait  pas  craint  .de  traduire  en  scène  les  pas- 
sions politiques  les  plus  vives.  Son  collaborateur  l'avait  suivi 
dans  cette  voie,  et  mêlait  dans  le  prélude  du  troisième  acte 
l'air  de  Vive  Henri  IV  avec  le  Chant  du  Départ,  ce  qui,  en  plein 
empire,  pouvait  passer  pour  un  coup  de  hardiesse.  Le  prin- 
cipal rôle  était  confié  à,  une  actrice  qui  quittait  l'Opéra  pour 
l'Opéra-Comique,  après  avoir  quitté  l'Opéra-Comique  pour 
l'Opéra;  Mlle  Wertheimber  en  effet  venait  de  jouer  Fidès,  et 
dans  Yvonne  elle  figurait  encore  une  mère  aux  prises  avec  le 
devoir  et  l'affection.  A  certain  moment  la  pauvre  femme  de- 
vait se  contraindre  et  épargner  le  meurtrier  de  son  fils,  que 
le  hasard  lui  livrait,  pour  ne  pas  désobéir  aux  derniers  vœux 
de  cet  enfant  et  assurer  le  bonheur  de  sa  fille. 

(A  suivre.) 


SEMAINE   THEATRALE 


Là  QUESTION  DES  «  PETITS  DROITS  »  EN  ANGLETERRE 

Comme  je  n'ai  rien  de  théâtral  à  vous  dire  cotte  semaine  et  qu'il 
me  faut  attendre  huit  jours  encore  pour  vous  parler  du  Dante  de 
M.  Benjamin  Godard,  qu'on  répète  avec  acharnement  à  l'Opéra- 
Comique,  je  reviens  de  nouveau  sur  celte  question  qui  me  tient  au 
cœur.  Je  sais  bien  que  les  musiciens  français,  avec  leur  coupable 
indolence,  s'en  désintéressent  complètement,   quitte  à  crier  comme     I 


'  de  beaux  diables  quand  le    mal  sera  fait  et  irrémédiable.  Nous  m- 
leur  aurons  pas  du  moins  ménagé  les  avertissements.  ^ 

Nous  répétons  donc  que  la  nouvelle  mesure  imaginée  par  la  So- 
'  :JMté  des  auteurs,  compositeurs  et  éditeurs  de  musique,  et  qui  consiste 
à  vouloir  prélever  des  droits  sur  l'exécution  des  «  petites  œuvres  » 
françaises  dans  les  bals  et  concerts  anglais,  nous  disons  que  cette- 
mesure  est  en  train  de  ruiner  peu  à  peu  l'importation  de  notre 
musique  chez  nos  voisins,  qu'elle  soulève  un  toile  presque  général 
contre  nous  et  qu'il  n'est  que  temps  d'aviser  si  on  veut  voir  figurer 
encore  avec  honneur  sur  les  programmes  anglais  les  compositions 
de  nos  musiciens.  Et  qu'il  ne  s'établisse  pas  de  confusion  dans  l'es- 
prit du  lecteur.  Il  ne  s'agit  nullement  ici  des  droits  sur  les  repré- 
sentations théâtrales,  qui  sont  réglés  depuis  longtemps  par  les  soins 
des  éditeurs  et  qui  produisent,  chaque  année,  des  sommes  impor- 
tantes. Il  n'y  a  aucun  inconvénient  à  prélever  ceux-ci,  puisqu'il 
en  est  de  même  pour  les  œuvres  italiennes  ou  allemandes  que  les 
théâtres  anglais  représentent.  Sur  ce  terrain,  nous  luttons  à  armes 
égales.  Nous  voulons  parler  seulement  des  droits  d'exécution  dans 
les  concerts  et  dans  les  bals,  droits  que  nous  sommes  seuls  à  vou- 
loir exiger,  ce  qui  nous  met  dans  une  posture  tout  à  fait  inférieure 
vis-à-vis  des  autres  nations  qui  laissent  exécuter  librement  leurs 
œuvres. 

Mais,  je  n'ai  pas  l'intention  de  refaire  à  nouveau  les  articles  que 
j'ai  déjà  publiés  à  ce  sujet.  Ce  que  je  veux  aujourd'hui,  c'est  sim- 
plement produire  quelques  documents  à  l'appui  de  ma  thèse.  Je 
les  ai  depuis  longtemps  dans  mon  dossier,  sans  avoir  jusqu'ici 
trouvé  la  place  de  les  exposer. 

Voici  d'abord  une  lettre  qui  nous  a  été  adressée  par  une  des  plus- 
importantes  maisons  de  musique  de   Londres.    Nous   la  traduisons 
le  plus  exactement  possible,  sans  aucune  prétention  à  l'élégance  : 
A  Monsieur  Heugel,  directeur  du  Ménestrel. 
Monsieur, 
Nous  avons  lu  avec  beaucoup  d'intérêt  vos  articles  au  sujet  de  l'intro- 
duction en  Angleterre  du  système   français  de  prélèvements    sur  les  au- 
ditions musicales  et  de  l'effet  déplorable  que  produit,  au  point  de  vue  de  . 
la  popularisation  de  la  musique   française  dans  notre   pays,    cette  taxe  à. 
laquelle    sont   soumises    les   auditions  publiques  des    œuvres   de  petites 
dimensions  (minor  works).  Instruits  par  l'expérience  des  faits,  nous  n'hé- 
sitons pas  à  déclarer  que    nous   sommes  entièrement  d'accord  avec  vous 
et  qu'on  ne  saurait  trop  chèrement  évaluer'le  dommage  qui  vous  est  causé 
par  les   efforts  de  M.  Souchon,  efforts  mal    dirigés,    quoique  sans   doute 
bien  intentionnés. 

Nous  n'irons  pas,  cependant,  jusqu'à  croire  avec  vous  que  le  système 
des  «  petits  droits  »  finira  par  être  accepté  ici,  et  cela  pour  beaucoup  de 
raisons  dont  voici  les  principales  : 

1°  La  grande  majorité  des  concerts  donnés  en  Angleterre  sont  des  spé- 
culations individuelles  ;  beaucoup,  parmi  ceux  de  la  province,  ont  même 
un  caractère  des  plus  vulgaires.  Tous  sont  publics,  sans  doute,  mais  sou- 
vent, et  particulièrement  dans  les  petits  villages  et  hameaux,  ils  sont 
organisés  à  l'improviste  et  dans  un  but  charitable.  Le  gros  de  la  subven- 
tion qui  fait  vivre  le  système  en  France  est,  croyons-nous,  fourni  par  les 
établissements  reconnus,  grands  ou  petits,  sur  toute  l'étendue  du  terri- 
toire, par  ceux  enfin  où  se  donne  chaque  soir  de  l'année  une  représen- 
tation quelconque.  Cette  subvention  principale  ne  pourrait  jamais  être 
obtenue  de  ce  côté-ci  du  détroit. 

2°  Il  existe  dans  notre  public  un  sentiment  extrêmement  violent  contre 
ces  petits  droits,  par  suite  des  agissements  de  certains  individus  qui,  il  y 
a  plusieurs  années,  ont  accaparé  à  leur  profit  ces  droits  d'auditions  sur 
les  chants  et  ballades,  et  usé  de  ces  droits  d'une  façon  vexatoire  et  tyran- 
nique.  Ce  sentiment  s'est  si  bien  affermi,  qu'une  législation  spéciale  a  été 
réclamée  dernièrement,  tendant  à  une  protection  plus  efficace  des  entre- 
preneurs de  concerts  et  du  public  contre  les  personnes  revendiquant  de& 
droits  sur  les  auditions  publiques  des  œuvres  de  petites  dimensions. 
(minor  works). 

3°  Il  n'est  pas  douteux  que  la  vente  des  morceaux  de  musique  est  bien 
plus  considérable  en  Angleterre  qu'en  France.  De  plus,  le  compositeur 
anglais  participe  aux  bénéfices  provenant  de  son  œuvre,  par  le  fait  du 
système  de  royalty,  lequel  système  lui  assure  une  somme  de  tant  sur 
chaque  exemplaire  vendu.  En  conséquence,  il  a  tout  intérêt  à  ce  que  son 
œuvre  soit  exécutée  le  plus  souvent  possible  ;  d'un  autre  coté,  il  se  trouve 
suffisamment  rétribué,  sans  désirer  soutirer  du  public  une  somme  sup- 
plémentaire tout  à  fait  insignifiante,  au  risque  de  le  vexer  et  de  l'indis- 
poser. Si,  par  conséquent,  les  compositeurs  anglais  ne  se  montrent  pas 
disposés  à  prélever  ces  droits  d'un  auditoire  anglais,  il  est  à  supposer 
que  les  prétentions  des  compositeurs  français  ne  seront  pas  davantage 
acceptables. 

Vous  remarquez  très  justement  que  toute  tentative  des  compositeurs 
allemands  en  vue  de  prélever  une  taxe  sur  l'audition  de  leurs  œuvres  en 
France  rencontrerait  une  opposition  absolue.  Sommes-nous  donc  plus 
déraisonnables  que  vous?  D'ailleurs,  notre  opposition  ne  date  pas  de 
l'invasion  actuelle  de  M.  Souchon   parmi  nous.  Lors   des  premières  pro- 


LE  MENESTREL 


131 


positions  de  M.  Moul  (1)  tendant  à  l'adoption  du  projet,  nous  avons  net- 
tement déclaré  que  nous  y  résisterions  de  tous  nos  efforts.  M.  Moul 
répliqua  en  insinuant  que  si  nous  consentions  à  l'assister  pour  l'obten- 
tion de  ces  droits  français,  il  nous  assisterait  à  son  tour  en  vue  de  nous 
assurer  des  droits  similaires  en  Angleterre.  Nous  avons  décliné  cette 
proposition,  comme  incompatible  avec  nos  traditions  de  liberté  des  au- 
ditions. Jamais  on  n'obtiendrait  l'unanimité  chez  nous.  Et  tous  les  édi- 
teurs et  compositeurs  qui  tiendront  bon  contre  le  nouveau  système  seront 
sûrs  de  trouver  l'appui  sans  réserve  de  notre  public,  chez  lequel,  à  tort 
ou  à  raison,  une  prévention  a  déjà  pris  naissance. 

En  conséquence,  nous  avons  refusé  de  risquer,  pour  une  somme  mi- 
nime, des  intérêts  incomparablement  supérieurs,  qui,  nous  en  sommes 
persuadés,  auraient  été  lésés  pour  les  raisons  que  nous  avons  données 
plus  haut.  II  va  sans  dire  que  notre  protestation  ne  vise  que  les  petits 
droits.  Autres  pays,  autres  mœurs;  ils  sont  impossibles  ici.  Personne  ne 
bénéficiera  de  leur  introduction  parmi  nous,  si  ce  n'est  peut-être  M.  Moul, 
dans  son  désir  très  légitime  de  faire  prospérer  ses  affaires.  Même  chez 
vous,  les  avis  sont  partagés  quanta  leur  utilité.  Au  cours  d'une  conver- 
sation récente  avec  un  ou  deux  des  plus  populaires  parmi  vos  composi- 
'tëurs  parisiens,  nous  avons  appris  que  les  résultats  pécuniaires  des  efforts 
;de  la  petite  société  étaient  pour  eux,  individuellement,  tout  à  fait  insi- 
gnifiants, tandis  que  son  fonctionnement,  sous  d'autres  rapports,  donnait 
ilieu  à  beaucoup  de  mécontentement.  A  vrai  dire,  nous  sommes  portés  à 
croire  que,  sans  l'influence  d'une  ou  deux  de  vos  grandes  maisons  d'é- 
dition, le  système  des  petits  droits,  même  parmi  vous,  compterait  bien 
peu  de  partisans. 

En  matière  de  conclusion  nous  vous  citerons  le  fait  suivant,  qui  est 
de  nature  à  vous  intéresser.  Nous  avons  reçu  dernièrement,  et  dans  l'es- 
pace d'une  seule  semaine,  pas  moins  de  quatre  lettres  venant  de  chefs 
d'orchestre  de  province,  au  sujet  de  la  Mireille  de  Gounod.  «  L'ouverture 
■de  cet  ouvrage,  nous  demandait-on,  peut-elle  être  exécutée  sans  le  paye- 
ment d'un  droit?  Si  non,  nous  nous  verrons  obligés,  à  notre  grand  regret, 
de  la  rayer  de  notre  programme.  »  Les  mélodies  de  Bizet  et  d'autres  com- 
positeurs distingués  de  France  sont  fréquemment  exclues  des  programmes 
pour  la  même  raison.  Si  tel  est  l'effet  que  produisent  les  revendications 
au  sujet  des  morceaux  consacrés,  on  peut  se  demander  par  quel  moyen 
la  nouvelle  musique  française  arrivera  à  se  frayer  un  chemin  en  Angle- 
terre pour  briller  au  premier  rang  !  A  moins  que  la  question  ne  soit  de 
nouveau  étudiée  par  les  compositeurs  et  éditeurs  français,  et  cela  à  une 
date  prochaine,  nous  ne  serons  pas  surpris  de  voir  se  former  une  asso- 
ciation composée  de  nos  entrepreneurs  de  concerts  et  directeurs,  ayant 
pour  but  d'exclure  totalement  de  leurs  programmes  toutes  les  petites 
œuvres  étrangères  pour  lesquelles  on  réclame  de  petits  droits. 

Agréez,  etc. 

Signé  :  Boosey  et  G0 

Celte  lettre  est  suggestive.  On  fera  bien  de  la  méditer  sous  toutes 
■ses  faces  et  d'en  tirer  des  enseignements. 

Elle  n'est  pas  la  seule  que  nous  ayons  reçue.  En  voici  une  autre 
■de  la  maison  Schott,  celle  de  toutes  les  maisons  d'Angleterre  qui 
s'intéresse  le  plus  aux  publications  françaises  et  leur  assure  le  plus 
large  débouché  : 

Cher  monsieur  Heugel, 
J'ai  lu  dans  votre  journal  un  article  de  grande  importance  et  extrêmement 
judicieux  sur  la  perception  des  droits  d'auteurs  en  Angleterre,  qui  a  pour 
résultat  certain  de  réduire  la  vente  de  la  musique  française  à  la  moindre 
quantité  possible.  C'est  donner  toutes  les  chances  à  la  musique  anglaise  et 
à  la  musique  allemande,  dont  l'exploitation  est  libre.  Nous  avons  déjà  bien 
assez  de  mal  à  lutter  contre  la  concurrence  des  éditeurs  anglais,  qui  non 
seulement  laissent  libre  toute  exécution  des  œuvres  qu'ils  publient,  mais 
encore  paient  de  fortes  primes  aux  artistes  en  vogue  pour  qu'ils  interprè- 
tent leurs  nouveautés.  Je  veux  bien  espérer  que  les  compositeurs  français 
toucheront  de  forts  bénéfices  de  l'application  du  nouveau  système,  mais  il 
est  de  notre  devoir  de  nous  sauvegarder  contre  un  excès  de  zèle  de  la  part 
de  M.  Souchon,  qui  a  mis  entre  les  mains  de  son  représentant  ici  une 
liste  des  membres  de  la  Société  de  Paris,  sans  assez  se  soucier  de  savoir 
si  ses  mandants  n'avaient  pas  cédé  nombre  de  leurs  œuvres  à  des  éditeurs 
anglais,  y  compris  les  droits  d'audition.  De  là,  peuvent  surgir  bien  des 
difficultés  et  bien  des  procès. 
Agréez,  cher  monsieur,   etc., 

Schott  et  C°. 

Un  des  critiques  musicaux  les  plus  accrédités  de  Londres,  un 
Français  fixé  chez  nos  voisins  depuis  de  longues  années,  M.  L.  Engel, 
du  Musical  World,  nous  écrit  de  son  côté  : 

Cher  monsieur  Heugel, 
Seriez-vous  assez  bon  pour  m'envoyer  encore  une  fois  votre  excellent 
article  sur  celte  sotte  affaire  des  droits  perçus  par  la  Société  des  auteurs, 
compositeurs  et  éditeurs  de  musique.  Vous  ne  savez  peut-être  pas  vous-même 
combien  vous  avez  raison.  Gela  va  tout  simplement  tuer  la  musique  fran- 
çaise ici.  Tout  le  monde  est  do  votre  avis. 

Votre  dévoué, 

L.  Engel. 

(1)  M.  Moul  est  le  représentant  et  l'agent  en  Angleterre  do  M.  Victor  Souchon. 


Pour  moi,  j'en  suis  toujours  à  me  demander  comment  M.  Victor 
Souchon,  que  je  tiens  pour  un  homme  fort,  intelligent,  a  pu  s'em- 
barquer si  légèrement  dans  une  pareille  aventure.  Je  veux  croire 
qu'il  a  été  abusé  par  les  rapports  de  certains  agents  anglais,  en  quête 
d'un  os  à  dévorer.  Mais  n'est-il  pas  temps  encore  de  revenir  sur  ses 
pas?  Il  vaut  mieux  convenir  tout  franchement  qu'on  s'est  trompé 
que  de  s'entêter  dans  une  entreprise  fâcheuse,  dont  la  musique 
française  et  la  Société  elle-même  auraient  a  se  repentir  tôt  ou  tard. 
Comment!  voilà  M.  Souchon  dans  une  position  très  enviable,  à  la 
tête  d'une  agence  prospère,  où  l'a  placé  la  confiance  de  ses  commet- 
tants, et  il  va  risquer  son  portefeuille  sur  une  pareille  question! 

Si  j'avais  besoin  d'un  dernier  appui  pour  la  défense  de  ma  thèse, 
je  voudrais  le  trouver  dans  la  personne  même  du  président  de  la 
Société  des  Auteurs,  Compositeurs  et  Éditeurs  de  musique,  l'honorable 
M.  Laurent  de  Rillé.  N'a-t-il  pas  prononcé  récemment,  dans  un  récent 
interwiew  avec  un  rédacteur  de  l'Écho  de  Paru,  à  propos  du  projet  de 
loi  inconsidéré  de  M.  Philippon  sur  la  propriété  littéraire  et  artisti- 
que, ces  judicieuses  paroles: 

«...  Pour  ce  qui  est  du  droit  des  étrangers,  je  crois  qu'avec  le  principe 
de  la  réciprocité  nous  ferons  fausse  route.  On  crie  bien  haut  que  la  France 
est  beaucoup  trop  large,  trop  généreuse,  que  dans  ses  rapports  et  ses 
contrats  avec  l'étranger  elle  est  souvent  lésée. . .  Je  ne  crois  pas  qu'elle 
le  soit  tant  que  cela,  et  lorsqu'elle  se  laisse  faire,  elle  a  ses  raisons  pour 
agir  ainsi.  Si  nous  ne  protégions  pas  chez  nous  par  exemple,  les  droits 
d'auteur  de  "Wagner,  eh  bien  !  on  jouerait  du  "Wagnerpoitr  rien,  et  on  lais- 
serait de  côté  nos  Gounod,  nos  Massenet,  nos  Saint-Saëns,  etc.,  qu'il  fau- 
drait payer.  Nous  avons  donc  avantage  à  protéger  les  œuvres  des  étrangers 
aussi  bien  que  celles  de  nos  nationaux,  même  si  les  droits  de  ces  derniers 
ne  sont  pas  respectés  chez  nos  voisins.  Là  où  nos  auteurs  ne  reçoivent 
pas  d'argent,  ils  gagnent  tout  au  moins  de  la  gloire  ou  de  la  célébrité,  ce 
qu'ils  ne  dédaignent  généralement  pas.  Et  ils  ont  raison.  Non,  nous  ne 
devons  point  perdre  nos  qualités  proverbiales  de  désintéressement  et  de 
générosité.  On  nous  reproche  assez  nos  défauts  pour  que  nous  tenions 
jalousement  à  conserver  des  qualités  qui  leur  font  équilibre,  et  qui,  après 
tout,  ne  sont  pas  si  nuisibles  qu'on  le  pense.  Le  Français,  né  malin,  a 
des  remèdes  pour  tous  les  maux.  Il  trouve  bien  vite  une  compensation  à 
ses  moindres  ennuis  et,  lorsqu'il  a  l'air  de  céder  d'un  pas,  vous  pouvez 
être  sûr  qu'il  en  gagne  deux  de  l'autre  côté.  » 

Ne  peut-on  pas  conclure  de  ce  petit  discours,  et  par  analogie,  que 

M.  Laurent  de  Rillé  est  d'accord   avec  nous  sur  la  question   des 

«  petits  droits  »  en  Angleterre? 
1  H.  Moreno. 


LES  ŒUVRES  MUSICALES  DE  ERÉLÉRIC  LE  &RAUD  (,) 

Voici  déjà  plus  d'un  siècle  que  le  talent  musical  de  Frédéric  le 
Grand  fait  l'objet  de  commentaires  très  variés  ;  beaucoup  de  gens, 
imbus  d'un  préjugé  assez  généralement  justifié  contre  les  ouvrages 
d'amateurs  et  surtout  les  talents  de  princes,  n'en  parlent  qu'avec 
raillerie,  le  doute  et  le  sourire  aux  lèvres  ;  d'autres,  inféodés  d'a- 
vaDce  à'l'admiration  pleine  et  entière  d'un  homme  supérieur,  que 
leur  imagination  transfigure,  n'y  veulent  penser  qu'avec  un  religieux 
et  docile  enthousiasme  (2).  Aux  uns  comme  aux  autres,  la  publica- 
tion d'un  choix  des  œuvres  musicales  de  Frédéric  II,  préparée  depuis 
plusieurs  années,  demandée  depuis  bien  plus  longtemps  (3),  apporle, 
soit  un  moyen  d'en  avoir  le  cœur  net  sur  une  question  si  souvent 
débattue,  soit  un  aliment  pour  le  zèle  des  fidèles  serviteurs  et  sujets 
de  la  maison  de  Brandebourg.  Sous  ce  rapport,  l'entreprise  arrive 
à  son  heure  pendant  le  règne  de  Guillaume  II,  et  les  éditeurs  se 
trouvent  avoir  fait  tout  ensemble  œuvre  d'historiens,  d'artistes  et 
de  courtisans. 

Pourtant,  il  manque  un  frontispice  à  ces  magnifiques  volumes; 
tout  en  les'feuilletant,  en  lisant  cette  longue  et   instructive  préface 

(1)  Musikalische  Werke  Friedrich's  des  Grossen.  Leipzig,  Breitkopf  et  Hœrtel, 
1889,  4  vol.  in-folio.  —  La  présente  étude  a  été  faite  sur  l'exemplaire 
acqu'is  fin  1889  par  la  Bibliothèque  nationale. 

(2)  A  ceux-ci  appartenait  M.  Wilhelm  Kothe,  auteur  d  une  brochure  de 
soixante  pages,  intitulée  :  Friedrich  dur  Grosse  als  Musiker,  sowie  als  Freund 
und  Forderer  der  musikalischen  Kunst,  Braunsberg,  1869,  in-8».  Ainsi  que  la 
couverture  l'annonce,  le  fruit  de  la  vente  de  cet  écrit  était  patriolique- 
ment  destiné  par  l'auteur  à  constituer  un  fonds  dont  les  revenus  seraient 
distribués  tous  les  ans,  le  jour  anniversaire  de  la  naissance  de  brédéric 
le  Grand,  aux  meilleurs  élèves  de  l'école  normale  dont  M.  Kothe  était  le 
professeur  de  musique.  . 

(3)  Entre  autres  par  M.  Edouard  Fétis,  à  la  fin  de  sa  séné  d  articles 
sur  Frédéric  II  musicien,  dans  la  Revue  et  Gazette  musicale  do  Pans,  an- 
nées 1854-55. 


1.32 


LE  MENESTREL 


signée  d'un  des  maîtres  de  la  littérature  musicale  allemande  (1),  en 
parcourant  ces  pages  de  musique  royale,  admirablement  imprimées, 
nous  nous  représentons  sans  cesse  un  petit  tableau  de  Gérôme, 
exposé  naguère  au  Salon  de  1874  sous  le  titre  de  Rex  tibicen  :  Fré- 
déric, à  peine  descendu  de  cheval,  botlé,  éperonné,  encore  couvert 
de  poussière,  jetant  là  chapeau  et  fouet,  pour  saisir  fiévreusement 
sa  flûte  et  répéter  un  trait  difficile,  devant  un  cahier  de  musique 
ouvert  sur  des  papiers  d'Etat  :  autour  de  lui,  ses  grands  lévriers 
fatigués,  subissant  d'une  oreille  blasée  ses  roulades  et  ses  trilles  : 
et  cette  petite  peinture  minutieuse,  anecdotique,  sèche  et  froide, 
s'harmonise  au  mieux  avec  le  profil  anguleux,  froid  et  sec,  avec  la 
musique  même  qui  nous  est  révélée  aujourd'hui,  et  dont  les  sons 
aigus,  les  formules  froides  et  sèches  aussi,  nous  semblent  revivre 
et  sortir  de  la  toile. 

Peinture  et  musique  réunies  dous  offrent  la  singulière  évocation 
d'un  côté  spécial  de  la  vie  de  ce  roi,  grand  militaire  et  grand  des- 
pote, plein  de  génie  et  entièrement  dénué  de  scrupules,  en  un  mot 
tel  qu'il  faut  l'être  pour  devenir  le  fondateur  d'un  État,  occupé  des 
plus  vastes  desseins,  des  plus  épineuses  affaires,  et  en  même  temps 
de  petits  vers,  de  petits  jeux  philosophiques  ou  littéraires,  attei- 
gnant dans  un  sens  le  sommet  des  facultés  humaines  et  ne  sachant 
pas  s'élever  ailleurs  au-dessus  d'un  idéal  bourgeois,  ayant  enfin 
l'esprit  très  inégal  et  très  «  divers  »,  mais  nullement  «  ondoyant  »  : 
car  la  persévérance  et  la  ténacité  qu'il  mit  dans  ses  entreprises  de 
souverain  se  montrent  aussi  fortement  marquées  dans  ses  occupa- 
tions d'homme  privé. 

Certes,  il  fallut  que  son  goût  musical  fût  bien  vif  pour  résister 
aux  entraves  de  sa  jeunesse,  aux  obstacles  de  son  âge  mûr;  alors  que, 
prince  royal,  tenu  à  l'écart  et  traité  par  son  père  avec  nne  rigueur 
toute  prussienne,  Frédéric,  relégué  sur  les  bords  du  Rhin,  cher- 
chait dans  l'étude  et  la  pratique  de  la  littérature  et  de  la  musique 
un  aliment  pour  son  activité,  le  roi  ne  perdait  pas  une  occasion  de 
le  contrecarrer  ;  tous  les  moyens  lui  paraissaient  louables  pour  ar- 
racher son  fils  au  culte  énervant  des  arts  ;  apprenant  que,  dans 
une  honnête  tamille  bourgeoise,  le  prince  avait  joué  de  la  flûte, 
accompagné  au  clavecin  par  la  fille  de  la  maison,  lé  terrible  monar- 
que envoya,  dit-on,  un  bourreau  saisir  et  fouetter  par  les  rues  la 
malheureuse  musicienne  (2).  Chez  lui,  Frédéric  ne  pouvait  avoir 
de  virtuoses  qu'en  qualité  de  domestiques,  et  l'éminent  violoniste 
Benda  se  trouvait  obligé  de  vêtir  la  livrée  d'un  laquais.  Malgré 
tout,  l'opiniâtre  héritier  du  trône  sut  trouver  le  moyen  de  satisfaire 
ses  goûts  et  continua  de  cultiver  la  musique,  tantôt  presque  en 
secret,  tantôt  ouvertement,  jusqu'au  jour  où  la  tyrannie  paternelle 
céda,  de  guerre  lasse. 

Le  prince  n'avait  pas  borné  son  ambition  à  acquérir  un  talent 
d'exécutant.  ;  le  clavecin,  puis  la  flûte,  à  laquelle  il  avait  bientôt 
donné  une  entière  préférence,  ne  lui  suffisant  point,  il  avait  entre- 
pris des  études  théoriques  destinées  à  le  mettre  en  état  d'aborder 
la  composition  ;  c'était  le  but  ordinaire  des  amateurs  distingués 
do  son  temps  :  on  commençait  par  le  clavecin,  et  l'accompagnement 
sur  la  basse  chiffrée,  qui  venait  ensuite,  était  un  acheminement 
tout  naturel  vers  la  production  d'oeuvres  personnelles  ;  les  maîtres 
étaient  nombreux  qui  flattaient  habilement  ces  tendances,  et  plus 
d'un  trouvait  son  intérêt  à  publier  des  méthodes  spéciales  à  cet 
usage.  D'autres,  plus  rares,  savaient  imprimer  à  leur  enseignement 
une  direction  toute  différente  :  le  savant  M.  Chrysander  fait  re- 
marquer, à  la  louange  de  Hsendel,  que  l'illustre  auteur  du  Messie, 
étant  professeur  de  la  princesse  Anne  d'Angleterre  (3),  sut  éviter 
l'écueil  et  donner  à  sa  royale  élève  une  instruction  musicale  d'une 
rare  étendue,  en  se  bornant  à  faire  d'elle  une  claveciniste  habile, 
une  lectrice  éprouvée,  une  accompagnatrice  remarquable,  sans  ja- 
mais la  pousser  vers  les  résultats  problématiques  d'une  pratique 
de  la  composition  (4). 

Les  maîtres  de  Frédéric,  l'organiste  Heyne,  le  flûtiste  Quantz,  le 
compositeur  Henri  Grauo.  n'eurent  pas  des  principes  aussi  fermes, 
ou  bien  il  faut  supposer  que  leur  élève  se  montra  plus  ambitieux. 
Heyne,  en  bon  organiste,  lui  avait  fait  écrire  des  chorals  et  s'était 
efforcé  de  lui  enseigner  la  théorie  du  contrepoint  rigoureux  dans 
les  anciens  modes  :  à  cela  le  prince  ne  mordit  guère,  et,  bien  plus 
tard,  il  racontait  encore  à  Quantz,  en  jouant  sur  les  mots,  que  les 

(1)  M.  Spitta.  —  Celte  préface  a  été  reproduite  dans  la  livraison  d'avril 
1889  de  la  Vierteljahmchrift  /»>■  Musikwissehsckafl. 

(2)  Tihkii.ui.t,  Mes  Souvenirs  de  vingt  ans  de  séjour  à  Berlin.  —  Emile  Mi- 
chel, Frédéric  II  el  le.s  arts  n  la  Cour  de  Prune  (Revue  des  Deux  Mondes  du 
15  avril  1883). 

(3)  Mariée  an   prince  d'Orange  en  I7:ii. 

Cd  Ciibïsandbb,  G.-F.  Ilrendel,  l.  it.  p.  :![;;;. 


tons  plagaux  n'avaient  été  pour  lui  qu'une  plaie.  Point  n'était  be- 
soin de  tant  de  science  pour  pouvoir  écrire  quelques  airs  d'opéras, 
des  sonates,  voire  même  des  concertos  et  une  ouverture;  c'est  par 
cette  dernière  forme  musicale  que  Frédéric  semble  avoir  débuté, 
car,  étant  encore  prince  royal,  en  1735,  il  écrivait  à  sa  sœur  la  mar- 
grave de  Bayreuth,  qu'il  était  occupé  de  la  composition  d'une 
sinfonia  (ouverture)  ;  une  autre,  qu'il  produisit  vers  1743,  et  qui 
servit,  en  1747,  d'introduction  à  une  sérénade  de  "Villati,  exécutée 
à  Charlottenbourg,  fut,  de  toutes  les  œuvres  de  Frédéric,  la  première 
à  qui  furent  faits,  peut-être,  assure-t-on,  à  l'insu  même  de  l'auteur, 
les  honneurs  de  la  gravure.  Dès  1737,  le  prince  de  Prusse  avait 
déjà  envoyé  à  sa  sœur  deux  concertos  pour  flûte  avec  petit  or- 
chestre, mentionnés  dans  sa  correspondance,  et  qui  sont  peut-être 
parmi  les  quatre  aujourd'hui  connus  et  publiés.  Ses  premières 
sonates  remontent  à  la  même  époque  ;  le  nombre  total  de  celles 
dont  les  manuscrits  ont  été  retrouvés  est  de  cent  vingt  et  un,  soigneu- 
sement copiées  en  double  exemplaire,  l'un  pour  Postdam  (Sans-Souci), 
l'iulre  pour  Charlottenbourg,  et  numérotées,  de  la  main  de  Frédéric, 
dans  un  ordre  selon  toute  apparence  chronologique,  qui  a  permis 
à  M.  Spitta  d'en  fixer  à  peu  près  les  dates  extrêmes  :  1737  ou  en- 
viron, jusqu'à  1756.  11  est  probable  qu'à  cette  date  et  à  ce  chiffre  de 
121  sonates  s'arrête  la  période  de  productivité  du  roi,  désormais 
occupé  d'autres  besognes.  En  1759,  Frédéric,  tenant  ses  quartiers 
d'hiver  à  Breslau,  disait  à  Henri  de  Catt  qu'il  avait  composé  cent 
vingt  solos  pour  la  flûte,  et  ce  nombre  correspond,  à  une  unité 
près,  à  celui  des  manuscrits.  Si  l'on  en  croyait  d'Alembert,  il  s'agi- 
rait de  bien  davantage  :  «  Hier,  écrit-il  de  Postdam  à  M"0  de  L<;s- 
pinasse,  le  22  juin  1763,  le  roi  me  fit  voir  sa  bibliothèque  de  Sans- 
Souci...  Il  me  mena  à  son  concert,  qu'il  donna  hier  pour  la  première 
fois,  et  où  il  joua  admirablement  de  la  flûte;  il  eut  même  la  bonté 
de  jouer  à  ma  prière  un  solo  qu'il  a  composé  et  dont  je  fus  très 
content,  pour  la  musique  et  l'exécution  ;  il  en  a  fait  deux  cents  que 
j'ai  vus  hier  dans  son  cabinet.  Quel  homme  !  et  où  trouve-t-il  du 
temps  pour  tout  cela!...  (1)  »  Evidemment  il  ne  faut  pas  prendre  à 
la  lettre  cette  assertion  de  d'Alembert,  relative  aux  soi-disant  deux 
cents  solos  de  flûte  du  roi.  Mais  cette  correspondance,  que  M.  Spitta 
n'a  pas  connue,  est  assez  intéressante  à  consulter  pour  le  côté  privé 
de  l'existence  de  Frédéric.  Pendant  environ  trois  mois  qu'il  retint 
le  philosophe  français  auprès  de  lui,  ce  furent,  de  la  part  du  roi, 
toute  une  série  d'attentions  et  de  cajoleries  dont  d'Alembert  fut 
immédiatement  charmé  ;  aussi  son  enthousiasme  est-il  sans  bornes 
pour  la  personne  de  Frédéric,  pour  le  génie,  l'esprit,  le  talent  du 
monarque  prussien.  De  Clèves,  le  13  juin  1763,  il  écrit:  «  Je  suis 
logé  ici  dans  la  maison  du  roi  et  à  côté  de  lui  ;  je  l'entends  tous 
les  soirs  et  tous  les  matins  jouer  de  la  flûte,  dont  il  joue  aussi  bien 
que  s'il  n'avait  pas  gagné  douze  batailles  ».  Et  le  26  juillet:  «  Dites 
à  M.  d'Ussé  que  le  roi  de  Prusse  ne  fait  pas  grand  cas  de  la  mu- 
sique française  et  de  la  méJecino  de  tous  les  pays,  et  n'en  est  pas 
moins  un  grand  homme.  Si  M.  d'Ussé  l'entendait  jouer  de  la  flùte,- 
il  ne  voudrait  plus  des  vêpres  de  Lulli...  (2)  »  Aussi  ne  fallut-il 
rien  moins  que  la  cuisine  allemande  et  les  déménagements  inces- 
sants de  Berlin  à  Postdam  et  de  Postdam  à  Berlin,  pour  décider 
d'Alembert  à  refuser  les  offres  du  roi,  d'un  établissement  en  Prusse; 
hâtons-nous  d'ajouter,  pourtant,  qu'à  ces  raisons  se  joignait  à  son 
insu  un  peu  de  mal  du  pays. 

Quelques  années  plus  tard,  en  1767,  le  diplomate  anglais  Harris 
se  montrait  beaucoup  moins  chaleureux  que  le  célèbre  Français 
dans  son  admiration  :  «  Le  principal  amusement  du  roi  de  Prusse, 
dit-il,  consiste  à  jouer  de  la  flùle,  ce  qu'il  fait  en  maître.  J'eus 
l'occasion  de  l'entendre  longtemps,  le  jour  où  j'attendais  ma  présen- 
tation. Quoique  nul  ne  soit  admis  à  ses  concerts,  si  ce  n'est,  outre 
les  exécutants,  un  très  petit  nombre  de  personnes,  cependant  il  a 
si  peur  de  jouer  faux  que,  quand  il  essaie  un  nouveau  morceau,  il 
s'enferme  dans  son  cabinet  plusieurs  heures  avant  pour  l'étudier. 
Malgré  cette  précaution,  il  tremble  toujours  quand  il  s'agit  de  com- 
mencer avec  les  accompagnements.  Il  a  une  belle  collection  de  flûtes 
et  en  prend  le  plus  grand  soin.  Un  homme  qui  n'a  rien  autre  chose 
à  faire  est  chargé  de  leur  entrelien  afin  de  les  préserver,  selon  la 
saison,  de  la  sécheresse  ou  de  l'humidité.  Toutes  sont  du  même 
faiseur  (3)  et  il  les  paie  jusqu'à  cent  ducal.s.  Dans  la  dernière  guerre, 
alors  qu'il  donnait  à  tout  le  monde  do  la  fausse  monnaie,  il  veillait 
à  ce  que  son  facteur  de  flûtes   fût  payé  en  pièces  de   bon  aloi,    de 

il)  Trois  mois  à  la  cour  de  Frédéric,  lettres  inédites  de  d'Alembert,  publiées  i 
illimitées  par  Gaston  Maugras  ;  Paris.   Lévy,  1880,  iu-8",  p.  30. 
(2)  Iliid.,  p.  22,  05. 
(3;  C'est-à-dire  de  Quantz. 


LE  MÉNESTREL 


133 


peur  que  celui-ci,  de  son  côté,  ne  cherchât  à  le  tromper  sur  la  qua- 
lité de  ses  instruments...  (1)  » 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  lettres  de  d'Alembert,  pour  exagérées 
qu'elles  puissent  être,  sont  un  témoignage  de  plus  en  faveur  du 
royal  flùlis'e:  des  écrivains  très  compétents,  Burney,Fasch,  Reichardt, 
Nicolaï.  la  célèbre  cantatrice  Mara,  en  avaient  déjà  jugé  très  favo- 
rablement, vantant  surtout  la  beauté  de  son  jeu  dans  l'adagio,  et 
insistant  sur  ce  que  Frédéric  jouait  non  pas  eu  roi,  mais  aussi  bien 
et  mieux  que  beaucoup  d'amateurs  et  même  que  certains  flûtistes 
de  profession  ;  à  la  longue,  l'haleine  devenant  plus  courte,  les, 
morceaux  rapides  eurent  moins  de  sûreté  ;  de  même,  «  à  mesure 
qu'il  perdait  quelque  dent,  son  souffle  produisait  un  bruit  plus 
sensible,  qui  gâtait  un  peu  les  sons  de  la  flûte  (2)  ».  Mais  le  zèle 
et  la  persévérance  du  roi  ne  se  ralentirent  qu'avec  la  vieillesse; 
tous  les  soirs  il  y  avait  séance  de  musique,  à  heure  fixe,  comme 
une  manœuvre,  et  la  musique  s'y  faisait  à  la  prussienne;  on  jouait, 
ou  plutôt  le  roi  jouait  les  trois  cents  concertos  de  Quaulz  dans 
l'ordre  où  ils  avaient  été  écrits  (3),  et  quand  la  série  était  finie,  on 
la  recommençait;  de  peur  de  se  tromper,  on  consultait  le  catalogue 
de  ces  morceaux,  placé  sur  un  meuble  spécial  dans  la  salle  de 
concerts  ;  Philippe-Emmanuel  Bach  accompagnait  au  clavecin,  Quanlz 
indiquait  les  mouvements,  et  les  auditeurs  admis  par  une  faveur 
insigne  à  s'asseoir  dans  un  coin,  ne  soufflaient  mot,  le  professeur 
du  souverain  ayant  seul  le  devoir,  la  charge  et  la  permission  de 
crier  bravo  dans  les  endroits  où  Frédéric  reprenait  haleine  après  un 
trait  bien  enlevé  ;  les  malins  assuraient  que  le  roi  manquait  assez 
souvent  à  la  mesure,  mais  qu'en  ce  cas  «  c'était  à  ceux  qui  l'ac- 
compagnaient à  couvrir  sa  faute,  ou  à  en  essuyer  le.  reproche  (4)  ». 
Si  Frédéric  se  souciait  peu  des  applaudissements  de  ses  hôtes,  si, 
parlant  à  Henri  de  Gatt  avec  une  apparente  modestie,  il  se  qualifiait 
lui-même  de  «  roi  pauvre  musicieu  »,  il  mettait 'pourtant  assez 
d'amour-propre  à  étaler  sa  virtuosité.  Sa  flûte  faisait  tous  les  frais 
de  ces  concerts  quotidiens  et  tenat  le  premier,  l'unique  rôle  ;  en 
véritable  amateur,  Frédéric  estimait  avant  tout  la  musique  qu'il 
faisait  lui-même;  en  véritable  amateur,  il  n'aimait  jouer  que  les 
morceaux  qu'il  savait,  et  dont  il  se  sentait  sur;  ces  concerts,  dont 
jamais  la  monotonie  n'était  rompue  par  la  moindre  nouveauté,  par 
le  moindre  imprévu,  étaient  pour  le  roi  une  habilude.  une  nécessité, 
bien  plus  qu'un  plaisir  esthétique;  il  jouait  de  la  flûte  à  heure 
fixe,  comme  d'autres  marchent  ou  font  de  la  gymnastique,  pendant 
un  temps  fixé  à  l'avance,  et  selon  des  principes  adoptés.  A  défaut 
des  témoignages  contemporains,  les  œuvres  musicales  de  Frédéric 
en  apporteraient  aujourd'hui  la  preuve. 

Dans  cette  série  de  vingt  sonates  choisies  soigneusement  par 
l'éditeur  dans  un  nombre  six  fois  plus  considérable,  que  trouvons- 
nous  pour  caractériser  le  talent  de  compositeur  du  roi  de  Prusse  ? 
La  forme  générale,  d'abord,  mérite  l'attention;  elle  est  ferme  et 
bien  proportionnée,  quoique  sans  hardiesse  ni  personnalité;  Fré- 
déric, nourri  des  modèles  de  Quantz,  son  maître,  ne  sent  ni  ne 
cherche  au-delà  ;  ce  prince,  qu'on  voit  ailleurs  n'écouter  que  son 
.propre  génie,  se  montre  ici  docile  aux  plu«  ordinaires  influences, 
sagement  renfermé  dans  son  petit  cercle;  on  aimerait  trouver  dans 
sa  musique,  au  prix  de  quelques  gaucheries,  un  élan  qui  trahisse 
un  peu  d'indépendance  :  il  faut  bientôt  y  renoncer.  M.  Spitta  nous 
dit  bien  que  la  visite  à  Postdam  du  grand  Bach,  en  1147,  avait  agi 
sur  l'inspiration  du  roi,  et  lui  avait  dicté  le  finale  d'une  sonate,  la 
deuxième  de  l'édition  actuelle  ;  et  M,  Spitta  est  un  trop  fin  con- 
naisseur en  Bach  pour  que  personne  le  contredise  :  toujours  est-il 
que  cette  iulluence  fut  fort  passergère  et  que  nulle  autre  tentative 
d'écrire  daus  la  forme  fuguée,  habituelle  à  l'illustre  maître,  ne 
semble  avoir  été  faite  par  Frédéric.  D'ailleurs,  à  quoi  bon  chercher 
dans  l'œuvre  écrite  du  roi  l'indice  d'efforts  et  de  tendances  qui 
restaient  à  cent  lieues  de  sa  peusée  ?  Si  le  compositeur,  chez  Fré- 
déric, eût  été  mieux  doué,  le  flûtiste  l'aurait  arrêté  dans  sou  vol  ; 
ces  sonates  sont  des  études,  des  exercices  mélodiques  avec  accom- 
pagnement; nous  y  voyons  des  allégros,  des  adagios  ornés,  des 
siciliennes,  des  finales  en  forme  de  presto  et  de  gigue,  voire  des 
récilatifs  ù  prétentions,  le  tout  coupé  sur  le  bon  patron,  proprement 
écrit,  avec  une  partie  supérieure  ni   plus    ni    moins    mélodique,    ni 

(1)  Journal  de  James  Barris,  p.  X'->~.  Voy.  Revue  des  Deux  Mondes  du 
IS  août  1863. 

(2)  Thiéimi  i.t.  i.  i.  p.  323. 

f.'lj  M.  Spitta  fait  remarquer  que  ces  trois  cents  concertos  deQuantzsé 
iéduisefll  à  296,  les  quatre  concertos  de  Frédéric  étant  compris  dans  la 
série. 

f'u  Thiébault,  ouvrage  cité. 


plus  ni  moins  commune  ou  distinguée  qu'il  n'est  exigible,  mais  avec 
une  série  régulière,  régulièrement  ramenée,  de  formules  de  pur 
mécanisme,  de  trilles,  d'agréments,  et  surtout  de  traits  et  de  bat- 
teries liées,  placés  au  bon  endroit,  mis  en  relief  d'une  façon  par- 
fois assez  naïve,  sur  des  accompagnements  suffisants,  convenable- 
ment réduits  à  la  portion  congrue  d'humbles  mais  utiles  serviteurs 
de  la  flûte;  on  reconnaît  les  eudroils  où  Quantz  plaçait  son  imman- 
quable bravo,  et  ceux  où  lo  roi,  après  une  roulade  heureuse,  laissait 
le  clavecin  frjpper  quelques  accords,  satisfait  comme  l'écolier  qui 
vient  de  réciter  une  leçou  bien  suc,  ou  comme  le  sergeut  arrêtant 
net  ses  hommes  après  un  exercice  impeccable. 

Les  quat'res  concertos,  avec  plus  de  prétentions,  nous  offrent  les 
mêmes  caractères;  dans  l'édition  actuelle,  on  nous  les  donne  en 
double  exemplaire,  l'un  en  partition  avec  petit  orchestre,  c'est-à- 
dire  dans  leur  version  originale,  et  l'autre  avec  l'accompagnement 
instrumental  réduit  pour  piano  par  M.  Cari  Reinecke.  11  n'est  pas 
à  douter  que  ce  double  arrangement  ne  soit  utilisé,  au  delà  du  Rhin, 
par  tout  bon  flûtiste  prussien,  ou  tout  bon  Prussien  flûtiste,  de  ceux 
qui  disent  dévotement  que  «  cette  édition  se  dérobe  à  la  critique, 
étant  un  acte  de  vénération  envers  le  grand  Frédéric  ».  Pourquoi, 
cependant,  la  qualité  de  Prussien  serait-elle  indispensable  pour  jouer 
et  entendre  l'un  ou  l'autre  de  ces  morceaux  ?  A  coup  sûr,  à  défaut 
de  ce  sentiment  de  «  vénération  ».  une  assez  vive  curiosité  pourrait 
en  garantir  le  succès:  la  rondeur  de  la  forme  —  qui  est  celle  toute 
classique  des  concertos  de  Vivaldi  —  la  clarté  limpide  des  idées, 
l'allure  suffisamment  animée  des  mouvements,  le  charme  vieillot 
des  formules  elles-mêmes,  tout  cela,  aisément  ravivé  par  un  vir- 
tuose moderne,  plairait,  pour  une  fois,  chez  nous,  non  seulement  au 
petit  nombre  des  curieux,  mais  à  beaucoup  d'amateurs:  il  y  a  dans 
notre  bon  public  tant  de  gens  toujours  prêts  à  prendre  des  copies 
pour  des  originaux  ! 

En  dehors  de  sa  flûte,  le  roi  aimait  pourtant  encore  un  peu 
d'autre  musique,  mais  ses  goûts  étaient  fort  exclusifs.  Ni  la  mu- 
sique italienne,  ni  la  musique  française  de  son  temps  ne  lui  plai- 
saient; à  Berlin,  il  avait  «  rouvert  le  temple  des  Muses  »  et  bâti 
un  théâtre  d'opéra;  volontiers  il  se  mêlait  du  répertoire  et  des 
chanteurs,  imposant  ses  préférences,  que  personne  ne  songeait  à 
contredire;  une  sorte  d'opéra  de  transition,  plus  tout  à  fait  italien, 
mais  p.is  encore  complètement  allemand,  lui  suffisait,  et  Henri  Graun 
était  en  ce  genre  son  producteur  favori  ;  parfois  il  s'amusait  même 
à  faire  à  ce  maître  ou  à  d'autres  l'honneur  d'introduire  dans  leur 
œuvre  un  air  ou  deux  de  s»  façon...  Mais  il  se  donnait  peu  de 
peine  pour  encourager  d'autres  manifestations,  pourtant  jdus  éle- 
vées, de  l'art  :  un  écrivain  allemand  (1)  a  remarqué  combien  il  fut 
indifférent  à  l'apparition  du  célèbre  oratorio  la  Mort  de  Jésus,  que 
Graun  fit  jouer  à  Berlin,  à  côté  du  roi,  sans  que  celui-ci  parût  y 
prendre  garde  ;  le  même  auteur  remarque  aussi,  chose  frappante, 
comment  daus  le  graud  Bach,  qu'il  reçut  avec  un  empressement  si 
rare,  avec  des  égards  si  marqués,  Frédéric  ne  sembla  rechercher  que 
l'exécutant  merveilleux,  le  fuguiste  émérite,  en  un  mot  le  technicien, 
et  nou  point  l'immortel  créateur  de  tant  de  cantates  à  jamais  admi- 
rables, de  la  Passion  selon  saint  Mathieu,  de  la  messe  eD  si  mineur. 
La  musique,  pour  Frédéric,  fut  un  délassement  d'abord  et  presque 
une  passion,  puis  bientôt  une  habitude,  et  plus  tard  un  besoin,  une 
affaire  de  régime,  un  exercice  quotidien,  régulier,  obligé,  trauchons 
le  mot,  une  manie:  le  roi  de  Prusse  fut  un  amateur  convaincu  et 
persévérant,  un  flûtiste  vraiment  habile,  un  compositeur  tout  au 
moins  fort  présentable;  ful-il  jamais  un  artiste?  Nous  ne  le  croyons 
pas. 

Michel  Breset. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


Gomme  son  confrère  le  Trovatore,  le  Mondo  artistico  exprime  l'avis 
que  depuis  longtemps  déjà  Vllamlel  de  M.  Ambroise  Thomas  devrait  être 
entré  dans  le  répertoire  italien.  En  examinant  la  partition,  il  exprime 
quelques  réserves  de  détail  lmi  conotatant  sa  haute  valeur,  et  il  ajoute  : 
«  De  tout  cela  il  reste  un  travail  lyrique  sérieux,  élevé,  extrêmement  in- 
téressant et  émouvant.  Il  reste  une  facture  presque  toujours  exquise,  une 
musique  presque  toujours  noble,  toujours  absolument  bien  faite  et  riche 
d'effets  spéciaux,  d'épisodes  qui  sont  des  chefs-d'oeuvre.  Ilamlet  a  été  jugé, 
et  quelle  que  soit  sa  valeur,  sa  place  dans  le  grand   monde  de  la  produc- 

(1)  R.  von  LiLiiïNcnoN,  Berlin  uni  die  deulsche  Musik,  dans  la  Deutsche 
Rundschau  du  "2  novembre  1888. 


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LE  MENESTREL 


tion  lyrique  aurait  dû  dès  l'abord  le  faire  acclimater  sur  notre  scène.  La 
nécessité  de  reprises  annuelles  d'opéras  entendus  et  réentendus  rend  le 
retard  plus  inexplicable  encore.  »  Les  cinq  représentations  du  chef- 
d'œuvre  d'Ambroise  Thomas  qui  ont  clôturé  la  saison  de  carnaval  de  la 
Scala  ont  été,  en  somme,  un  véritable  triomphe  pour  le  compositeur  et 
"pour  ses  interprètes.  A  ce  propos,  le  Monda  arlistico  dit  encore  :  «  Emma 
Calvé,  l'Ophélie  si  applaudie  de  la  Scala,  est  une  élève  reconnaissante. 
Elle  désire  que  l'on  sache  qu'elle  s'est  perfectionnée  dans  ces  trois  der- 
nières années  sous  l'habile  direction  de  Mme  Laborde,  la  grande  artiste 
qui  dans  un  temps  fut  applaudie  aussi  à  Milan.  » 

—  Toujours  à  propos  de  YHamlct  d'Ambroise  Thomas,  les  journaux 
italiens  publient  la  liste  suivante  des  opéras  connus  sous  ce  titre  et  sur 
ce  sujet  :  Hamlet,  de  Gasparini  (paroles  de  Zen  et  Pariani),  Venise,  th. 
San  Cassiano,  26  décembre  1705;  —  Hamlet,  de  Scarlatti,  Rome,  th.  Ca- 
prinica,  1715  ;  —  Hamlet,  de  Carcano  (paroles  de  Zen  et  Pariani),  Venise, 
th.  Sant'Angclo,  carnaval,  1842:  —  Hamlet,  de  Stadtfeld,  Darmstadt,  1757; 
—  Hamlet,  de  Garuso,  Florence,  th.  de  la  Pergola,  1790  ;  —  Hamlt,  ouver- 
ture et  intermèdes,  de  l'abbé  Vogler,  publiés  à  Spire  en  1791  ;  —  Hamlet, 
de  Mercadante  (paroles  de  Felice  Romani),  Milan,  th.  de  la  Scala,  26  dé- 
cembre 1822;  —  Hamlet,  de  Buzzola  (paroles  de  Peruzzini),  Venise,  th.  de 
la  Fenice,  24  février  1848  ;  —  Hamlet,  de  Zanardini  (paroles  et  musique), 
Venise,  th.  San  Benedelto,  30  mai  1854:  Hamlet,  de  Moroni  (paroles 
de  Peruzzini),  Rome,  th.  Apollo,  2  juin  1860;  —  Hamlet,  de  Franco  Faccio 
(paroles  d'Arrigo  Boito),  Gènes,  th.  Carlo  Felice,  30  mai  1865.  —  A  tous 
ces  ouvrages  il  convient  d'ajouter  VHamlet  de  M.  Aristide  Hignard,  depuis 
longtemps  publié  mais  non  représenté,  et  Hamlet  (ouverture,  entr'actes  et 
mélodrames),  de  M.  Victorin  Joncières,  exécuté  à  Paris  d'abord,  puis  à 
Nantes,  en  1867,  pour  la  traduction  d'Alexandre  Dumas. 

—  C'est  une  chose  triste  et  fâcheuse,  dit  le  Trovatore,  de  voir  avec 
quelle  légèreté  les  journaux  donnent,  sans  aucun  contrôle,  les  nouvelles 
les  plus  graves  et  les  plus  douloureuses.  On  a  dit  de  Faccio  qu'il  avait 
été  enfermé  dans  une  maison  de  santé  (tandis  qu'il  est  soigné  chez  lui)  et 
que  son  état  était  désormais  désespéré.  On  va  jusqu'à  publier  de  lui  un 
testament  fantastique.  Pour  couper  court  à  tant  de  sornettes  et  de  com- 
mérages, nous  pouvons  assurer  que  Faccio  est  toujours  à  Milan,  et,  en  ce 
qui  touche  la  gravité  de  sa  maladie,  on  peut  dire  qu'elle  n'a  point  empiré, 
ainsi  que  le  savent  les  amis  qui  sont  admis  chez  lui.  Du  reste,  la  domes- 
tique ne  laisse  pénétrer  dans  la  chambre  du  malade  personne  qui  ne  soit 
de  ses  plus  intimes.  —  Nous  avons  tenu  à  rapporter  ces  lignes  après  les 
renseignements  très  précis  et  très  circonstanciés  que  nous  avons  reproduits 
il  y  a  huit  jours  d'après  divers  journaux  italiens. 

—  La  cour  d'appel  de  Naples  a  rendu  son  jugement,  tout  en  faveur  de 
la  ville  de  Pavie,  dans  l'affaire  de  la  succession  du  grand  chanteur  Fras- 
chini.  Nous  avons  dit  en  son  temps,  c'est-à-dire  il  y  a  trois  ans,  que 
Fraschini,  en  mourant  à  Naples,  avait  laissé,  par  testament,  presque 
toute  sa  fortune  au  municipe  et  à  la  congrégation  de  charité  de  Pavie, 
sa  ville  natale.  La  veuve  du  chanteur  avait  attaqué  la  validité  du  testa- 
ment; vaincue  en  première  instance,  elle  avait  été  en  appel,  où  elle  vient 
de  perdre  définitivement  son  procès.  Il  ne  s'agissait  de  rien  moins  que 
de  600,000  francs  environ. 

Le  cardinal  Capecelatro,    archevêque    de   Capoue,    avait   chargé   le 

maestro  Sassaroli  d'écrire,  pour  être  exécutée  dans  la  cathédrale,  une 
composition  nouvelle  sur  le  Tre  are  d'agonia  di  Gesit.  Cette  composition  a 
été  exécutée  en  effet  avec  succès  à  Capoue,  le  &  avril,  puis  à  Gênes,  dans 
l'église  Saint-Ambroise,  ici  sous  la  direction  de  l'auteur  en  personne. 

Une  opérette  nouvelle,  la  Zingara,  paroles  de  M.  Mattei,  musique  de 

M.  Crescenzo  Buongiorno,  a  été  représentée  avec  un  très  grand  succès, 
applaudissements,  rappels  et  bis,  sur  le  théâtre  de  la  Fenice,  de  Naples. 

On  vient  de  publier  le  cartellone  de  la  saison  de  printemps  du  théâtre 

Costanzi,  à  Rome.  On  représentera  au  cours  de  cette  saison  les  trois  petits 
opéras  couronnés  au  concours  Sonzogno  :  Rudella,  paroles  de  M.  Modesto 
Zucchetti,  musique  de  M.  Vincenzo  Ferroni  ;  Labilia,  paroles  de  M.  Vin- 
cenzo  Valle,  musique  de  M.  Nicola  Spinelli;  et  Cavalleria  rusticana,  paroles 
de  MM.  Targioni-Tozzetti  et  G.  Mangasci,  musique  de  M.  Pietro  Mas- 
cagni.  On  donnera  aussi,  outre  les  Pécheurs  de  perles,  la  Djamileh  de  Bizet, 
qui  n'a  jamais  été  jouée  en  Italie.  Parmi  les  artistes  figurent  la  Bellin- 
cioni  et  la  Gargano,MM.SIagno  et  Cotogni,  ce  qui  veut  dire  que  les  jeunes 
compositeurs  qui  vont  entrer  en  ligne  auront  pour  interprètes  de  vrais 
giands  artistes.  On  s-ait  que  des  trois  petits  opéras  couronnés,  deux  seu- 
lement ont  droit  à  une  prime,  le  premier  de  3,000  francs,  le  second  de 
2,000.  Une  prime  de  1,000  francs  sera  attribuée  aussi  au  meilleur  des 
soixante-treize  livrets  présentés.  Autours  et  compositeurs  récompensés  con- 
servent d'ailleurs  l'entière  propriété  de  leurs  œuvres. 

—  Les  journaux  de  Naples  enregistrent  un  véritable  tour  de  force  ac- 
compli par  une  cantatrice,  Mlle  Adèle  Agresti,  prima  donna  au  théâtre  San 
Carlo,  qui,  ces  jours  derniers,  pour  mettre  la  direction  à  même  de  tenir 
ses  engagements,  a  chanté  en  matinée  il  Trovatore  et  le  soir  Aida. 

Gucrra  in  tempo  di  pace,  tel  est  le  titre  d'une  nouvelle  opérette  qu'on 

vient  de  représenter  à  Catane,  au  théâtre  du  Prince  de  Naples,  et  dont 
l'auteur  est  le  maestro  Urgi.  Elle  a  été  favorablement  accueillie. 


—  L'intendance  des  théâtres  royaux  de  Berlin  vient  de  publier  son 
rapport  statistique  pour  l'année  1880.  En  ce  qui  concerne  la  musique,  il 
a  été  donné,  tant  à  l'Opéra  qu'au  théâtre  de  drame  265  représentations 
d'opéras  et  12  de  ballets.  Le  répertoire  comprenait  47  opéras  et  9  ballets 
ou  divertissements  chorégraphiques.  En  fait  de  nouveautés  il  y  a  eu 
3  opéras  (en  tout  H  actes)  et  un  ballet  en  deux  actes  ;  les  reprises  étaient 
au  nombre  de  six. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  Berlin  :  La  saison  italienne  de 
M.  Gardini  a  été  inaugurée  au  théâtre  Kroll,  avec  le  Trovatore.  La  deuxième 
soirée,  consacrée  à  la  Traviata,  a  été  marquée  par  le  début  de  Mme  Prevosti, 
qui,  dans  le  rôle  de  l'héroïne,  a  acquis  d'emblée  la  faveur  du  public. 
Cassel  :  Vif  succès  au  théâtre  municipal  pour  une  nouvelle  opérette  en 
trois  actes,  le  Roi  des  escrocs,  livret  de  MM.  Edwald  et  W.  Bennecke,  mu- 
sique du  Dr  F.  Beier.  — Darmstadt  :  L'opérette  règne  également  au  théâtre 
de  la  Cour  de  cette  ville,  lequel  vient  de  représenter  pour  la  première  fois 
et  avec  d'excellents  résultats  le  Cliâteau  enchanté,  de  Millôcker.  Francfort: 
M"1"  Sembrich  vient  d'être  fêtée  au  théâtre  municipal  dans  les  Noces  de 
Figaro  et  la  Fille  du  Régiment.  —  Gotha  :  On  annonce  la  très  prochaine  pro- 
duction d'un  nouvel  opéra-comique  en  quatre  actes,  la  Chanteuse  des  rues, 
livret  de  M.  J.  Bachmann,  musique  du  jeune  compositeur  et  pianiste  ber- 
linois J.  Dœbler.  —  Lemrehg  :  Une  grève  vient  d'éclater  parmi  les  artistes 
du  théâtre  national  polonais,  à  la  suite  d'une  décision  du  directeur  rédui- 
sant les  traitements  de  33  0/0. 

—  A  l'occasion  de  la  reprise,  à  Vienne,  de  VArmide  de  Gluck,  un  cri- 
tique de  cette  ville,  M.  Hirschfeld,  a  eu  l'idée  de  donner  une  soirée  dans 
laquelle  il  a  fait  exécuter  des  fragments  de  toutes  les  Ârmides  célèbres, 
savoir  :  celles  de  Lully  (1686),  de  Htendel  (1711),  de  Sacchini  (1738,  le 
chœur  des  Démons),  et  de  Sarti  (1785,  le  chœur  des  Furies). 

—  On  vient  de  jouer  au  théâtre  allemand  de  Prague,  avec  un  vif  succès, 
un  opéra-comique  en  un  acte,  la  Rencontre  imprévue,  de  M.  Richard  Mandl, 
dans  la  version  allemande  de  M.  O.  Berggruen,  On  va  monter  cette  œuvre 
à  l'Opéra  impérial  de  Vienne  et  à  l'Opéra  royal  de  Budapest. 

—  Petites  nouvelles  de  la  Scandinavie.  —  Copenhague  :  On  vient  d'exécuter 
pour  la  première  fois  et  avec  beaucoup  de  succès  la  Damnation  de  Faust. 
A  l'Opéra,  belle  reprise  de  Fra  Diavolo.  Aux  Concerts  philharmoniques 
de  M.  Johann  Svendsen,  débuts  triomphaux  de  M.  Ernest  Van  Dyck  et 
de  M,ne  Thérèse  Carreno,  la  pianiste  sud-américaine.  —  Stockholm  :  La 
Damnation  de  Faust  vient  d'avoir  sa  huitième  exécution  depuis  trois  années; 
le  public  est  tout  épris  du  chef-d'œuvre  de  Berlioz.  A  l'Opéra,  Mignon  a 
vu,  le  14  avril,  sa  150e  représentation.  Lakmé  fait  toujours  des  salles  archi- 
combles,  et  les  Huguenots  ont  été  repris  avec  Mlle  Orelio  comme  Valentine; 
les  Stockholmois  n'ont  pas  eu  une  pareille  Valentine  depuis  MmeNilsson, 
en  1876.  —  Christiania  :  M.  Edouard  Grieg  est  rentré  après  son  séjour  à 
Paris  et  à  Leipzig.  A  la  Société  musicale,  dirigée  par  M.  Holter,  pre- 
mière audition  d'une  nouvelle  symphonie  en  fa  mineur,  de  M.  Christian 
Sinding,  nom  norvégien,  consacré  à  Leipzig  depuis  deux  ans.  La  critique 
a  été  assez  réservée  cette  fois,  tout  en  reconnaissant  l'importance  de 
l'œuvre;  on  avait  seulement  espéré  trop  de  cet  artiste  de  grand  talent. 
On  aura  une  bonne  idée  de  la  symphonie  de  M.  Sinding,  si  l'on  se  souvient 
des  grands  tableaux  du  haut  Nord  de  son  frère.  M.  Othon  Sinding,  mé- 
daillés au  Salon  de  1885.  Toute  l'immensité  de  la  nature  norvégienne  se 
peint  dans  la  symphonie  ;  elle  est  sauvage  et  violente,  et  parfois,  mais 
rarement,  douce  et  caressante.  Le  scherzo  rappelle  trop  la  neuvième 
symphonie  de  Beethoven. 

—  Un  concert  officiel  à  Saint-Pétersbourg,  d'après  la  correspondance 
russe  du  Figaro.  «  Le  concert  annuel  au  profit  des  invalides  a  eu  lieu  au 
théâtre  Marie,  avec  l'incomparable  éclat  habituel.  Mille  hommes  y  ont  pris 
part.  Ils  étaient  placés,  en  décor  vivant,  sur  des  gradins  montant  jusqu'au 
cintre  de  la  scène.  La  rampe  était  formée  par  les  casques  des  cuirassiers. 
Les  chantres  de  la  cour,  en  costume  grenat  à  longues  manches  brodées  d'or, 
formaient  un  triangle  au  milieu.  Parmi  les  soldats  il  y  a  de  grands  talents; 
entre  autres  le  sous-officier  IvanoiT  et  le  cosaque  Lutovinoff.  On  a  com- 
mencé par  l'hymne  national;  ensuite  on  a  joué  et  chanté  les  œuvres  des 
maîtres  russes  et  étrangers  avec  un  ensemble  parfait.  » 

—  On  vient  de  jouer  avec  beaucoup  de  succès,  au  théâtre  de  la  Haye, 
un  acte  do  MM.  Jules  Barbier  et  de  Hartog,  le  Mariage  de  Don  Lope,  un 
petit  ouvrage  qui  eut  une  centaine  de  représentations  au  Théâtre-Lyrique 
à  Paris,  il  y  a  eu  une  vingtaine  d'années.  M"10  Dorian  a  été  charmante; 
son  boléro  a  été  bissé,  et  il  y  a  eu  deux  rappels  pour  tous  les  artistes  à  la 
chute  du  rideau. 

—  Le  célèbre  pianiste  et  chef  d'orchestre  sir  Charles  Halle  va  quitter 
prochainement  l'Angleterre  pour  se  rendre  on  Australie,  où  l'appelle  un 
engagement.  Un  banquet  d'adieu  vient  de  lui  être  offert  à  Manchester, 
sa  ville  d'adoption,  banquet  présidé  par  le  Mayor,  assisté  de  toutes  les 
notabilités  locales.  Sir  Ilallé  a  prononcé  une  causerie  brillante,  pleine 
d'anecdotes  piquantes,  où  il  a  rappelé,  en  ternies  spirituels,  l'histoire  de 
la  société  musicale  parisienne  sous  la  monarchie  de  Juillet,  à  l'époque  de 
ses  premiers  débuts.  L'extrait  suivant  n'est  pas  sans  intérêt  :  «  Environ 
une  semaine  avant  la  révolution,  j'avais  tant  d'élèves  que  je  ne  savais 
qu'en  faire  ;  j'en  comptais  jusqu'à  cent.  A  certains  d'entre  eux  je  ne 
pouvais  donner  qu'une  leçon  par  quinzaine,  à  d'autres,  une  toutes  les 
trois  semaines.  Deux  années   auparavant,  j'avais  institué,  avec   l'aide  de 


LE  MÉNESTREL 


m 


deux  artistes  français  très  distingués,  les  premiers  concerts  de  musique 
de  chambre  donnes  à  Paris,  lesquels  réussirent  d'une  fanon  très  brillante. 
De  telle  sorte  que  je  passais  dans  les  cercles  musicaux  pour  un  homme 
très  prospère.  Mais  il  ne  faut  pas  croire  que  ma  prospérité  était  telle  que 
la  comprennent  les  commerçants.  C'était  tout  différent.  La  veille  de  la 
journée  mémorable  du  24 février  1848.  j'avais  environ  quatre-vingts  élèves 
et  j'avais  placé  tous  les  billets  pour  les  deux  derniers  concerts  qu'il  me 
restait  à  donner.  Une  semaine  après  la  révolution,  je  n'avais  plus  qu'un 
élève  —  et  c'était  un  Anglais  !  Quant  à  mon  concert,  —  bien  que  la  salle 
fut  louée  d'avance,  je  le  donnais  devant  trente-sept  personnes  ;  les  autres 
s'étaient  abstenues.  Elles  avaient  payé  leurs  places,  mais  n'avaient  pas  jugé 
bon  de  venir.  »  Ajoutons  que  M.  Charles  Halle  se  découragea  à  son  tour 
et  que,  peu  de  temps  après  ces  événements,  il  quitta  la  France,  après 
douze  années  de  séjour,  pour  aller  se  fixer  en  Angleterre. 

—  Une  solennité  aristocratique  doit  avoir  lieu  prochainement  à  Londres. 
Dans  la  salle  "Westminster  Town,  on  jouera  VAntigone  de  Sophocle  avec 
la  musique  de  Mendelssohn,  et  tous  les  exécutants,  solistes  et  chœurs, 
seront  des  amateurs  appartenant  aux  plus  hautes  classes  de  la  société. 

—  Une  jeune  violoniste,  âgée  de  seize  ans  seulement,  miss  Mary 
Brammer,  élève  et  lauréate  du  Conservatoire  de  Leipzig,  s'est  produite 
récemment  à  Edimbourg,  dans  un  grand  concert  donné  à  la  Freemason's 
Hall,  et  a  reçu  du  public  un  accueil  enthousiaste.  C'est,  parait-il,  une 
virtuose  extrêmement  remarquable. 

—  Les  musiciens  américains  se  préparent  à  opposer  à  l'invasion  des 
musiciens  viennois,  conduits  par  Edouard  Strauss,  une  résistance  achar- 
née. Huit  cents  délégués  de  la  Ligue  musicale  américaine  se  sont  réunis 
dernièrement  à  Cincinnati  et  ont  pris  en  ce  sens  des  résolutions  énergiques, 
qui  ont  été  immédiatement  télégraphiées  aux  délégués  des  autres  villes 
où  l'orchestre  Strauss  doit  se  faire  entendre.  Des  instructions  spéciales 
ont  même  été  adressées  à  la  délégation  de  New-York,  à  l'effet  de  s'opposer 
au  débarquement  des  «  envahisseurs  »  en  vertu  de  la  loi  sur  la  protection 
du  travail.  La  ligue  motive  sa  protestation  en  faisant  ressortir  le  tort 
considérable  que  l'orchestre  viennois  va  porter  aux  nationaux,  notamment 
aux  célèbres  «  bands  »  Gilmore  et  Cappa,  dont  les  tournées  habituelles 
vont  être  sacrifiées  au  profit  de  la  tournée  de  Ed.  Strauss,  qui  a  accepté 
des  engagements  au  rabais.  On  estime  que  les  bénéfices  hebdomadaires 
de  la  tournée  Strauss  s'élèveront  à  trois  mille  dollars,  alors  que  Gilmore 
et  Cappa  reçoivent  en  moyenne  cinq  mille  dollars  par  semaine  pour  le 
même  service.  Sur  la  demande  de  quelques  délégués  conciliants,  une 
nouvelle  convention  va  être  tenue  à  Cincinnati.  On  agitera  la  question 
de  savoir  s'il  n'y  aurait  pas  lieu  de  tolérer  les  musiciens  viennois  sous 
certaines  conditions.  On  leur  ferait,  par  exemple,  subir  un  examen,  au 
cours  duquel  ils  auraient  à  déchiffrer  une  des  sept  cents  ouvertures  de 
M.  Cappa!  Quand  ils  s'y  mettent,  ces  Américains  deviennent  machiavé- 
liques dans  leurs  projets. 

PARIS  ET   DÉPARTEMENTS 

Le  programme  du  septième  concours  triennal  de  la  fondation  Cressent 
vient  d'être  publié.  Le  poème  mis  à  la  disposition  des  compositeurs  qui 
désireraient  prendre  part  au  concours  est  une  œuvre  lyrique  en  un  acte  de 
M.  Louis  Gallet  :  Stratonice.  Ce  livret  et  le  programme  détaillé  de  toutes  les 
conditions  à  remplir  sont  remis  gratuitement  à  tous  ceux  qui  en  font  la 
demande,  à  la  direction  des  Beaux-Arts,  bureau  des  Théâtres,  3,  rue  de 
Valois.  Les  partitions  seront  reçues  jusqu'au  30  novembre  prochain.  Nous 
rappelons  qu'une  prime  de  2,300  francs  est  accordée  à  l'auteur  de  l'œuvre 
couronnée  et  qu'une  somme  de  10,000  francs  est  attribuée  au  théâtre  qui 
montera  l'ouvrage. 

—  Au  cours  de  ses  dernières  séances,  le  conseil  municipal  de  Paris, 
que  l'Europe  sans  doute  ne  nous  envie  pas,  a  décidé  l'ouverture  d'un  con- 
cours entre  artistes  français  pour  le  modèle  d'une  statue  à  ériger  à  Beau- 
marchais sur  l'une  des  places  publiques  de  Paris.  Beaumarchais  n'appar- 
tient pas  seulement  au  théâtre  par  sa  fameuse  trilogie  :  le  Barbier  de  Séville, 
le  Mariage  de  Figaro  et  la  Mère  coupable;  il  appartient  aussi  à  la  musique, 
non  pas  seulement  d'une  façon  indirecte,  parce  qu'il  a  inspiré  à  Mozart 
et  à  Rossini  deux  de  leurs  plus  beaux  chefs-d'œuvre:  les  Noces  de  Figaro 
et  le  Barbier  de  Séville,  mais  encore  parce  qu'il  était  musicien  lui-même, 
qu'en  un  temps  il  donna  des  leçons  de  harpe,  et  qu'il  écrivit  lui-même  et 
publia  la  musique  des  couplets  de ,  son  Barbier  de  Séville  lorsqu'il  le  fit 
représenter  à  la  Comédie-Française. 

—  On  a  apporté  cette  semaine  à  la  Comédie- Française  le  buste  de 
M.  Emile  Perrin,  par  M.  Guillaume,  directeur  de  l'École  des  beaux-arts 
et  membre  de  l'Institut.  C'est  M.  Guillaume  lui-même  qui  est  venu  offrir 
au  comité  son  œuvre,  d'une  très  belle  venue  et  d'une  ressemblance  parfaite. 
Le  buste  de  M.  Perrin  a  été  placé  provisoirement  au  comité,  en  attendant 
qu'il  reçoive  une  destination  définitive. 

—  M.  Porel  continue  de  vouloir  faire  de  l'Odéon  une  sorte  de  théâtre 
semi-lyrique.  Parmi  les  ouvrages  qu'il  compte  donner  au  cours  delà  saison 
prochaine,  il  annonce  une  traduction  de  VAlceste  d'Euripide  faite  par 
M.  Gassier,  dans  laquelle  trouveront  place  des  chœurs  et  des  morceaux 
aymphoniques  tirés  de  VAlceste  de  Gluck,  qui  seront,  comme  d'ordinaire, 
exécutés  par  le  personnel  et  sous  la  direction  de  M,  Lamoureux.  Puis 
viendra  Conte  d'Avril,  comédie  en  vers  de  M.  Auguste  Dorchain,  pour  la- 


quelle M.  Widor  vient  de  terminer  une  partition  qui  comprend  une  ou- 
verture, des  entractes  et  plusieurs  morceaux  de  musique  de  scène. 

—  Il  n'est  plus  question  i'Aida  à  l'Opéra  pour  les  débuts  de  M"0  Dommech, 
mais  bien  du  rôle  de  la  bohémienne  dans  Bigoletto,  ce  qui  est  moins  ambi- 
tieux pour  une  débutante.  Et  alors,  pour  reprendre  Aida,  il  est  question  de 
renouer  les  négociations  avec  M"c  Richard,  d'autant  que  M.  Massenet  la 
réclame  aussi  pour  créer  le  principal  rôle  dans  son  prochain  opéra  le 
Mage. 

—  Voici  à  présent  que  M.  Duquesnel,  le  directeur  de  la  Porle-Saint- 
Martin,  songerait  à  faire  une  saison  lyrique  pour  remplacer  le  drame  de 
M.  Sardou,  Cléopâlre,  qui  lui  échapperait.  Il  voudrait  représenter  Paul  et  Vir- 
ginie, de  Victor  Massé,  avecM"c  Arnoldson,  et  le  lendemain  Werther  avec... 
mais  nous  avons  promis  le  secret  sur  ce  dernier  point.  Toutefois,  rien  de 
définitif  encore  dans  tous  ces  projets,  soumis  à  beaucoup  d'éventualités. 

—  Le  fils  aîné  de  Georges  Kastner  (le  seeond,  Frédéric,  l'auteur  du 
pyrophone  et  des  Flammes  chantantes,  est  mort  depuis  plusieurs  années  déjà) 
vient  de  mourir  il  y  a  dix  jours  à  peine.  C'est  ce  dernier  qui  était  en  pos- 
session de  la  nombreuse  bibliothèque  de  son  père,  l'auteur  de  la  Parémio- 
logie  musicale,  des  Sirènes,  des  Chants  de  l'armée  française  et  de  bien  d'autres 
ouvrages  importants  qui  lui  avaient  valu  l'honneur  d'être  nommé  membre 
associé  de  l'Académie  des  beaux-arts.  Or,  nous  apprenons  que  Kastner  fils 
a  légué  toute  la  bibliothèque  de  son  père  à  notre  Conservatoire,  qui  doit 
entrer  rapidement  en  possession  de  ce  legs  magnifique. 

A  l'occasion  du  voyage  dans  le  Midi  de  M.  le  Président  de  la  Répu- 
blique, M.  Lapierre,  directeur  du  Conservatoire  d'Aix,  et  M.  Millont,  doyen 
des  professeurs  du  Conservatoire  de  Marseille,  ont  été  nommé  officiers 
de  l'instruction  publique. 

On  nous  écrit  de  Rouen  :  «  Le  magnifique  orgue  construit  par  la  mai- 
son Cavaillé-Coll  pour  l'église  Saint-Ouen  a  été  inauguré  hier,  en  grande 
pompe,  en  présence  de  M"  l'archevêque  et  d'une  assistance  des  plus  nom- 
breuses et  des  plus  choisies.  M.  Widor  était  venu  tout  exprès  de  Paris 
pour  celte  cérémonie.  Il  a  magistralement  exécuté  plusieurs  morceaux 
classiques  et  improvisé  avec  une  merveilleuse  audace,  en  s'inspirant  de 
ses  souvenirs  et  de  son  érudition.  On  ne  peut  rien  imaginer  de  plus  beau 
qu'un  tel  orgue  vibrant  sous  de  tels  doigts.  » 

On  vient  d'inaugurer  à  l'église  Sainte-Anne  de  Montpellier  un  orgue  . 

électrique,  construit  par  MM.  Merklin  et  Cie;  ce  bel  instrument  comprend 
une  partie  installée  sur  la  tribune,  l'autre  dans  le  chœur,  et  l'organiste 
peut  à  volonté  réunir  les  deux  instruments,  qu'il  fait  entendre  simultané- 
ment ou  alternativement  sur  les  mêmes  claviers.  .     . 

L'oratorio  de  M.  Charles  Poisot,  Cœcilia,  vient  d'obtenir  un  nouveau 

succès  à  Bourges,  où  l'exécution  était  fort  bien  dirigée  par  M.  l'abbé 
Protat,  et  où  les  soli  étaient  chantés  par  Mme  Marquet  et  MM.  Bosquin 
et  Marquet. 

—  Le  dimanche  de  Pâques  on  a  exécuté  à  Lille,  dans  l'église  Sainl- 
Étienne,  une  messe  à  quatre  voix,  orchestre  et  chœurs,  de  la  composi- 
tion de  M.  Ernest  Mazingue,  organiste  de  la  paroisse.  Les  soli  étaient 
chantés  par  MM.  Morel  et  Bonaventure,  ténors,  Verbèke,  baryton,  et  • 
Canon,  basse,  et  l'œuvre  a  été  fort  bien  accueillie.  A  l'offertoire,  M.  Ga- 
briel Sinsoilliez  a  exécuté  avec  talent  un  solo  de  violon  de  sa  compo- 
sition. 

CONCERTS   ET  SOIRÉES 

Concerts  du  Châtelet  :  C'est  M.  Colonne  qui  a  eu  l'honneur  de  clore,  ■ 
pour  la  saison  de  1890,  la  série  des  grands  concerts  de    musique  instru-  ; 
mentale;  il  l'a  close  par  une  55°  audition  de  la  Damnation  de  Faust,  qui  a 
été  non  moins  brillante  que  les  précédentes.  Nous  n'avons  à  revenir  ni  , 
sur  le  mérite  intrinsèque,  ni  sur  l'exécution  de    cette  œuvre  magistrale. 
C'est  de  M.  Colonne  que  nous  voudrions   parler  aujourd'hui,   et  des  ser- 
vices qu'il  a  rendus   à  l'art   en   dirigeant  pendant  seize    ans  les  concerts 
de  l'Association  artistique.  Nous  avons  la  bonne  fortune  d'avoir  en  mains 
la  collection  complète  ou  à  peu  près  complète  des  programmes  de  M.  Co- 
lonne. L'étude  de  ces  programmes  est  intéressante  :  elle  permet  d'étudier, 
le  mouvement  musical  en  France  depuis  1874,  l'accueil  fait  par  le  public 
aux  œuvres  françaises  aussi  bien  qu'aux  œuvres  d'importation  étrangère, 
les  divers  courants    d'opinion,  les  diverses   écoles  qui   se  sont  fait  jour. 
Les  limites  nécessairement  restreintes  de  cet  article   ne  nous  permettent 
pas  de  traiter  ici  un  pareil  sujet,  il  comporte  une  certaine  étendue,  et  il 
faudra  un  certain  temps  pour  le  mener  à  bonne  fin.       H.  Barbedette. 

—  Concerts  et  musique  de  chambre.  —  On  ne  saurait  contestera  M.  Wec- 
kerlin  le  profond  amour  de  son  art,  avec  le  désintéressement  qui  en  ré- 
sulte et  qui  est  une  des  qualités  morales  les  plus  remarquables  du  vérita- 
ble artiste.  Parmi  ceux-ci,  on  n'en  trouverait  pas  beaucoup  sans  doute 
qui  fussent  capables  de  se  donner  le  luxe  d'un  concert  avec  orchestre  et 
chœurs  (avec  le  personnel  de  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire,  s'il 
vousplait!),  pour  avoir  la  jouissance  d'entendre  sa  musique  merveilleu- 
sement exécutée  et  de  la  faire  entendre  à  ses  seuls  amis  et  confrères.  Car, 
à  propos  de  l'intéressante  séance  qu'il  nous  a  donnée  jeudi  soir  dans  la. 
grande  salle  du  Conservatoire,  aucune  pensée  de  lucre  n'était  entrée  dans 


136 


LE  MENESTREL 


l'esprit  de  M.  Weckerlin  ;  cette  brillante  soirée  avait  lieu  uniquement  par 
invitations,  et  l'assistance  était  exclusivement  composée  d'artistes,  parmi 
lesquels  un  grand  nombre  des  plus  célèbres,  qui  avaient  tenu  à  répondre 
par  leur  présence  à  l'appel  courtois  du  compositeur.  Le  programme  com- 
prenait, dans  sa  première  partie,  six  morceaux:  Ouverture  de  concert; 
Psaume  au  roi,  sur  une  poésie  du  cardinal  Du  Perron;  Baghas  de  l'Inde, 
pour  orchestre;  Chœur  de  Bacchantes,  sur  des  vers  de  Pontus  de  Thyard  ; 
Marche  magyare,  pour  orchestre;  Pastorale  pour  flûte  et  haubois,  exé- 
cutée par  MM.  TafUnel  et  Gillet.  La  seconde  partie  était  composée  de  la 
musique  de  Samson,  drame  biblique  en  deux  actes  écrit  sur  le  poème 
bien  connu  de  Voltaire.  L'ouverture  de  concert,  conçue  un  peu  dans  la 
forme  de  celle  d'Oberon,  de  Weber,  a  de  la  couleur,  de  la  chaleur  et  de 
l'éclat,  et  le  rôle  des  violons  y  est  très  important.  La  première  partie 
surtout  du  Psaume  au  roi  a  de  la  largeur  et  développe  une  belle  et  impo- 
sante sonorité.  Le  Chœur  des  Bacchantes,  beaucoup  plus  bref,  et  d'un 
très  heureux  effet,  et  la  Marche  magyare,  dont  l'orchestre  est  curieux, 
ont  été  fort  justement  applaudis.  Mais  ce  qui  a  mis  le  public  en  joie 
et  en  belle  humeur,  c'est  la  Pastorale  pour  flûte  et  hautbois,  que 
MM.  Taffanel  et  Gillet  ont  exécutée  avec  un  ensemble  étonnant, 
avec  leur  talent  si  fin  et  si  délicat  et  d'une  façon  vraiment  merveil- 
leuse. Ici,  le  succès  a  été  colossal,  les  excellents  interprètes  du  compo- 
siteur ont  été  l'objet  d'un  triple  rappel,  et  lorsque,  la  troisième  fois, 
ils  sont  revenus  amenant  en  scène  M.  Weckerlin,  que  chacun  d'eux  tenait 
par  une  main,  on  a  fait  à  celui-ci  une  ovation  dont  il  se  souviendra  long- 
temps. Dans  Samson,  les  deux  rôles  principaux  étaient  tenus  par  la  tout 
aimable  M™  Bilbaut-Vauchelet  et  par  M.  Baudoin-Bugnet,  ingénieur  de 
son  métier  et  excellent  amateur,  à  qui  l'on  peut  seulement  reprocher  un 
tremblement  fâcheux  de  la  voix.  Il  n'en  a  pas  moins  fort  bien  chanté,  au 
premier  acte,  un  air  vigoureux  de  ténor,  en  si  bémol,  finissant  en  chœur, 
et  qui  a  fait  une  fort  bonne  impression.  M'"e  Bilbaut-Vauchelet  s'est  fait 
vivement  applaudir  dans  l'invocation  à  Vénus,  qu'accompagne  très  heu- 
reusement la  harpe  et  qui  est  l'une  des  pages  les  plus  importantes  de  la 
partition,  dans  laquelle  iï  faut  signaler  encore  le  grand  duo  final,  écrit 
avec  une  véritable  puissance.  En  résumé,  M.  Weckerlin  peut  se  montrer 
fier  du  succès  qu'il  a  obtenu  devant  un  auditoire  aussi  naturellement  dif- 
ficile et  connaisseur  que  celui  qu'il  avait  su  réunir.  —  M.  Paderevvski, 
que  nous  avions  l'occasion  d'entendre  et  d'applaudir  à  l'une  des  dernières 
séances  de  la  Société  des  concerts,  dans  le  concerto  de  Schumann,  a 
donné  cette  semaine,  salle  Erard,  un  quatrième  concert,  entièrement  con- 
sacré par  lai  à  l'exécution  d'œuvres  de  Chopin.  Élève  de  M.  Leschetitzky, 
successivement  professeur  au  Conservatoire  de  Varsovie  et  au  Conserva- 
toire municipal  de  Strasbourg,  M.  Paderewskt,  depuis  deux  saisons,  fait 
littéralement  tourner  les  tètes  de  toutes  nos  jeunes  pianistes  et  exerce 
sur  la  partie  féminine  du  public  un  véritable  charme.  On  l'a  pu  constater 
une  fois  de  plus  l'autre  soir,  où  des  ovations  sans  fin  l'ont  accueilli  et 
où  nombre  de  petites  mains  élégantes  se  fatiguaient  à  l'applaudir.  Malgré 
l'estime  que  j'éprouve  pour  l'incontestable  talent  de  M.  Paderewski,  je 
ne  saurais,  je  l'avoue,  partager  en  cette  circonstance  un  enthousiasme 
aussi  excessif.  Le  jeu  et  le  style  du  virtuose  m'ont  paru  en  cette  soirée  d'une 
inégalité  un  peu  trop  flagrante,  et  si  quelques  morceaux,  l'une  des  études, 
notamment,  et  le  scherzo,  ont  été  dits  par  lui  d'une  façon  charmante,  je  ne 
saurais  lui  adresser  le  même  éloge  en  ce  qui  concerne  la  sonate  en  si  et 
surtout  la  huitième  polonaise,  où  non  seulement  le  style,  mais  le  mécanisme 
même  était  loin  d'être  impeccable.  Mais  il  n'y  a  pas  à  réagir  contre  l'engoue- 
ment du  public,  surtout  du  public  féminin,  et  l'on  ne  peut  que  protester  un 
peu  contre  ces  manifestations  excessives.  —C'est  avec  le  concours  de  M.  La- 
moureux  et  de  son  orchestre  que  M110  Marie  Panthès,  l'un  des  plus  récents 
premiers  prix  de  notre  Conservatoire,  donnait  ces  jours  derniers  un  brillant 
concert  dont  elle  faisait  d'ailleurs  tous  les  frais.  Mlle  Panthès  est  une  jeune 
artiste  qui  mérite  les  plus  sincères  encouragements:  avec  l'orchestre,  elle  a 
exécuté. d'une  façon  très  distinguée  le  concerto  en  mi  bémol  de  Beethoven 
et  le  concerto  en  sol  mineur  de  M.  Saint-Saëns,  ne  craignant  pas  de  s'atta- 
quer à  deux  œuvres  aussi  redoutables  et  s'en  tirant  tout  à  son  honneur. 
Pour  le  reste,  elle  a  dit,  avec  de  très  bonnes  qualités  de  style,  diverses 
pièces  de  Mendelssohn,  Chopin  et  Schumann,  de  MM.  Fissot,  Chabrier, 
G.  Pfeiffer  et  Godard.  Je  n'aurais  peut-être  qu'une  légère  réserve  à  faire 
au  sujet  du  scherzo  de  Mendelssohn,  ce  qui  ne  m'empêche  pas  d'applaudir 


M"0  Panthès  comme  elle  le  mérite  et  de  voir  en  elle  une  artiste  de  véri- 
table avenir.  A.  P. 

—  Le  second  concert  du  pianiste  Léon  Delafosse,  qui  avait  attiré  de  nouveau 
une  foule  énorme  à  la  salle  Erard,  samedi  dernier,  a  été  cette  fois  encore 
pour  ce  jeune  et  incomparable  virtuose  une  longue  suite  d'ovations  cha- 
leureuses et  justifiées.  M.  Delafosse  avait  consacré  la  première  partie  de 
son  programme  à  des  œuvres  classiques,  dans  lesquelles  le  charme  irrésis- 
tible et  la  parfaite  correction  de  son  jeu,  la  simplicité  artistique  et  parfois 
élevée  de  son  style  ont  fait  merveille  comme  toujours.  Parmi  les  œuvres 
modernes  dont  a  été  formée  la  deuxième  partie  du  concert,  signalons  celles 
qui  ont  reçu  le  meilleur  accueil  :  Esquisse,  de  M.  Th.  Dubois,  d'un  très 
joli  sentiment:  l'original  Cavalier  fantastique,  de  M.  Benjamin  Godard; 
l'Oiscau-mouche,  de  M.  Théodore  Lack,  véritable  petit  bijou  de  finesse  et 
d'esprit,  déjà  bissé  au  premier  concert  de  M.  Delafosse,  que  le  public  lui 
a  redemandé  et  bissé  de  nouveau,  cette  fois  encore;  la  très  élégante  Valse- 
râpide,  du  même  compositeur,  interprétée  avec  un  éclat  merveilleux  et  une 
rapidité  vertigineuse  !  MM..  Jules  Delsart  et  PaulViardot  prêtaient  à  M.  De- 
lafosse le  précieux  concours  de  leur  remarquable  talent. 

Soirées  et  concerts,  -r-  M.  Marmontel  réunissait  chez  lui,  dimanche  dernier,  un 
second  groupe  de  ses  élèves  particulières,  qui  toutes  ont  interprété  avec  maestria 
et  autorité  les  œuvres  des  grands  classiques  et  des  romantiques  modernes.  Ci- 
tons parmi  les  plus  vaillantes  de  ces  jeunes  pianistes  :  M""  Ortys,  Lezaud, 
Momondi,  Bouron,  et  de  véritables  artistes  :  MllLB  Pallazzi,  Lucien,  Bonheur,  Lévy, 
Arnold,  Marchand.  Nos  compliments  sincères  au  maître  qui  se  dévoue  avec  une 
infatigable  ardeur  à  la  propagation  des  saines  traditions  de  l'art.  Grâce  à  son  don  de 
transmission  de  la  pensée  des  maîtres,  Marmontel  a  fondé  une  école  qui  restera 
appréciée  entre  toutes,  comme  l'expression  du  vrai  et  le  culte  du  beau.  —  Très  inté- 
ressante audition,  cette  semaine,  des  élèves  de  M.  et  M"1  Ciampi-Ritter.  Plus  de 
trente  numéros  au  programme,  interprétés  par  de  fraîches  et  jeunes  voix  qui  ont 
fait  grand  plaisir.  Plusieurs  chœurs  ont  été  chantés  d'une  façon  cnarmanle, 
notamment  celui  des  nymphes  de  Psyché,  d'Ambroise  Thomas,  qu'on  a  dû  bisser. 
M""  Renée  du  Minil,  de  la  Comédie-Fiançaise,  prêtait  son  concours  à  cette  char- 
mante matinée.  —  Le  second  concert  de  M"'  Steiger  n'a  pas  été  mains  brillant 
que  celui  de  mars.  Séance  toute  moderne  cette  fois,  avec  le  concours  des  auteurs, 
M"'  Chaminade,  MM.  Thomé,  Pfeiffer,  Godard,  de  M"0  Lyon,  la  remarquable 
cantatrice,  et  de  M.  Mariotti.  Grand  succès  pour  tous.  —  Grand  succès  lundi 
dernier  pour  les  élèves  de  Mm6  Marie  Rueff,  l'excellent  professeur  de  chant,  à 
l'Institut  Rudy.  M"'  Maria  Genoud  y  a  surtout  obtenu  une  véritable  ovation.  — 
Lundi  soir,  salle  Duprez,  Mn,e  Anita  France  a  donné  un  concert  très  réussi  avec 
le  concours  de  Mlle  Steiger,  de  MM.  Geloso,  Dressen  et  Maton.  Tous  les  artistes 
ont  été  fort  applaudis.  Mentionnons  aussi  les  monologues  de  M.  Schulz,  qui  ont 
excité  comme  toujours  des  rires  inextinguibles.  —Dimanche,  très  brillante  matinée 
chez  Mn,!  Laborde.  Parmi  les  nouvelles  élèves  de  l'éminent  professeur,  nous  avons 
remarque  MlkB  Meignant,  Levant,  Hanners,  Marcus,  etc.  On  a  donné  une  audition 
des  œuvres  de  M.  Th.  Dubois,  exécutées  sous  la  direction  de  l'auteur.  On  a  particu- 
lièrement applaudi  le  duo  i'Aben  Hamet  (M11"  de  la  Blanchetais  et  Levy),  Par  le 
Sentier  [M""  de  Marcilly),  A  Douarnenez  en  Bretagne  (Ml,°  Passama  Domenech)  et 
bissé  le  Baiser  au  ténor  Rondeau,  qui  s'était  déjà  fait  applaudie-  dans  udo  mélodie 
de  Faure,  le  Joli  Rcce.  Grand  succès  également  pour  M""  Joséphine  Martin  et 
Mmu  Victor  Roger.  —  Lundi  soir,  à  la  salle  Kriegelstein,  M,n0  Deleàge  donnait  son 
concert  annuel.  On  a  vivement  applaudi  Mracs  Herman,  Bernaërt  de  l'Opéra-Comi- 
que,  MM.  Martapoura,  Gluck  et  Coquelin  cadet.  Grand  succès  pour  M™"  De- 
leàge et  Bernaërt  dans  un  duo,  Tourterelle  et  Papillon,  de  M.  Emile  Bourgeois, 
accompagDé  par  l'auteur.  —  L'audition  des  élèves  de  M™  Cécile  Laflolay  a  été 
des  plus  intéressantes.  Tout  ce  petit  monde  a  joué  avec  un  style  et  un  sentiment 
du  rythme  qui  font  le  plus  grand  honneur  à  l'excellent  professeur.  Parmi  les 
morceaux  les  plus  applaudis,  citons  les  charmantes  compositions  de  M.  Antonin 
Marmontel,  Le  long  du  chemin  et  la  Valse-Sérénade;  les  ïricotets,  de  Ketten;  la 
Danse  des  Sylphes,  de  Godefroid,  etc.,  etc. 

—  Concerts  annoncés  :  Lundi,  28  âvrili  dernière  matinée  Mendels,  avec  le  con- 
cours de  M.  et  M""  Alph.  Duvernoy,  de  MM.  1.  Philipp,  Casella  et  Van  Waeffel- 
ghem.  —  Lundi  28,  Concert  de  M.  L.  Magdanel,  avec  le  concours  de  Mlk  Antonia 
Pouget  et  de  M.  I.  Philipp. 

Henri  Heugel.  directeur-gciant. 

En  vente  chez  Mack.vu  et  Noël,  22,  passage  des  Panoramas,  Paris,  édi- 
teurs des  œuvres  de  Tschaïkowsky,  Gottschalk,  Alard  et  de  la  Méthode 
de  A.  Le  Carpentier,  etc.  : 

TSCHAÏKOWSKY,  op.  66.  La  Belle  au  Bois  dormant,  ballet  en  trois  actes. 
Grand  succès  à  l'opéra  de  Saint-Pétersbourg. —  Partition,  danses  diverses, 
morceaux  détaillés. 


AU   MÉNESTREL,    2  bls,   rue   Vivienne,   HENRI    HEUGEL,   Éditeur. 


POUR  PARAITRE  PROCHAINEMENT 


LES  PETITS  DANSEURS 


L.    STREABBOG,    A.    TROJELLI,    RUMMEL,    FAUGIER,    H.  VALIQUET,    ETC. 


3083  —  56me  ANNEE  —  N°  18.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES  Dimanche  4  Mai  1890. 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  l'r.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  l'r.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  irais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Histoire  de  la  seconde  salle  Favart  (61'  article),  Albert  Sourie;  et  Charles 
Malherbe.  —  II.  Bulletin  théâtral:  Faut-il  souscrire?  H.  Moreno  ;  Paris  après 
/'Exposition,  à  l'Éden,  Paul -Emile  Chevalier.  —  III.  Le  théâtre  à  l'Exposition 
(23"  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

NOUS  CHEMINIONS  DANS  LE  SENTIER 

n°  &  des  Rondels  de  Mai,  de  M.  B.  Colomer,  poésie  de  Lucien  Dhuguet.  — 
Suivra  immédiatement  :  C'est  ma  mignonne  amie,  n°  6  des  Rondels  de  Mai, 
des  mêmes  auteurs. 

PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano  :  le  Rêve  du  prisonnier,  célèbre  mélodie  de  Rubinstein,  transcrite 
et  variée  pour  piano  par  Ch.  Neustedt.  —  Suivra  immédiatement  :  L'Oiseau 
mouche,  caprice  pour  piano,  de  Théodore  Lack. 


Nous  terminons  aujourd'hui  la  première  partie  de 
l'intéressant  travail  de  MM.  Albert  Soubies  et  Charles 
Malherbe  pour  n'en  reprendre  crue  plus  tard  la  deuxième 
et  dernière  partie.  Nous  publierons  dimanche  prochain 
un  article  charmant  de  M.  Ernest  Legouvé,  sur  Isisst 
et  Tfttifftfi-f/.  puis  nous  commencerons  la  publication 
des  Notes  fl'nn  librettiste,  de  M.  Louis  Gallet,  où  les 
figures  les  plus  curieuses  et  les  documents  les  plus 
inédits  défileront  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs. 


HISTOIRE  DE  LA  SECONDE  SALLE  FAVART 


Allbert  SOUBIES   et  Charles   MALHERBE 


CHAPITRE  XIV 

MEYERBEER    A    l'OPÉRA-COMIQUE 
LE  PARDON  DE  PLOERMEL 

(1836-1859) 
(Suite.) 
Au  bout  de  18  représentations,  les  trois  actes  de  Limnan- 
der  cédèrent  la  place  aux  trois  actes  du  comte  Gabrielli, 
Don  Gregorio,  joué  le  17  décembre.  Le  sujet  n'en  était  pas 
nouveau,  car  depuis  longtemps  on  connaissait  le  Précepteur 
dans  l'embarras,  cette  jolie  comédie  en  trois  actes,  écrite  en 
italien  par  un  Français  d'origine,  le  comte  Giraud,  et  donnée 
avec  un  succès  retentissant  à  Rome,  en  1807,  au  théâtre 
"Valle.  Le  jour  où  une  traduction  française  lui  fit  passer  les 


monts,  tous  les  adaptateurs  s'en  emparèrent,  et  juillet  1828 
ne  vit  pas  éclore  à  Paris  moins  de  quatre  versions,  toutes 
en  un  acte,  de  cette  amusante  bouffonnerie.  L'année  suivante 
Donizetti  en  donnait  à  Rome  une  adaptation  musicale,  sous 
son  titre  primitif,  l'Ajo  nell  imbarazzo.  Il  appartenait  à  Sau- 
vage et  de  Leuven  d'en  tirer,  trente-cinq  ans  plus  tard,  une 
dernière  mouture  à  l'usage  de  la  salle  Favart,  et  de  conter  à 
nouveau,  comme  écrivait  Paul  de  Saint-Victor,  «  l'histoire  de 
ce  précepteur,  organiste  comrre  don  Basile  et  naïf  comme 
Michel  Perrin,  qui  se  démène  au  milieu  d'une  tentation  gri- 
voise d'écoliers,  de  soubrettes,  de  dragons  et  de  comé- 
diennes. »  Appelé  d'abord  Péché  de  Jeunesse,  ce  Don  Gregorio  ne 
manquait  pas  de  gaieté,  et  Couderc  personnifiait  à  ravir  le 
personnage  principal.  Mais  pour  dessiner  musicalement  ce 
type  original,  il  fallait  une  autre  plume  que  celle  du  comte 
Gabrielli,  dont  le  plus  grand  mérite  était  d'être  bien  en  cour. 

Cette  faveur  d'un  Italien  comme  le  comte  Gabrielli  est 
très  symptomatique;  elle  correspond  manifestement  à  un  état 
de  choses  qui  n'existe  plus  ;  elle  montre,  par  un  nouvel 
exemple  qui  s'ajoute  à  tant  d'autres,  combien  alors  les  mu- 
siciens étrangers  étaient  tenus  en  amitié,  et  quelle  hospita- 
lité généreuse  leur  accordaient  les  théâtres  parisiens. 

En  1859,  par  exemple,  dans  cette  salle  Favart  avaient  paru 
sept  nouveautés  ;  une  seule  était  d'un  Français,  le  Rosier  ;  un 
Allemand,  Meyerbeer,  avait  écrit  le  Pardon  de  Ploërmel  ;  un 
Italien,  Gabrielli,  avait  écrit  Don  Gregorio  et  quatre  Belges 
avaient  écrit  le  Diable  au  moulin,  le  Voyage  autour  de  ma  chambre, 
la  Pagode  et  Yvonne,  soit  Gevaert,  Grisar,  Fauconier  et  Lim- 
nander.  On  le  voit,  l'hospitalité  que  Bruxelles  donne  aujour- 
d'hui à  nos  compositeurs,  est  comme  le  paiement  d'une  dette 
autrefois  contractée.  Depuis  le  commencement  du  siècle,  la 
France  passait  aux  yeux  de  ses  voisins  pour  une  terre  pro- 
mise. Sans  remonter  jusqu'à  Gluck  et  Lulli,  que  de  noms 
étrangers  parmi  les  compositeurs  qui  ont  trouvé  la  gloire  à 
Paris!  Paisiello,  Cherubini,  Paër,  Grétry,  Viotti,  Rossini, 
Bellini,  Donizetti,  Meyerbeer,  Verdi  I  etc.  Car  on  accueillait 
tout  le  monde,  grands  et  petits,  maîtres  et  débutants,  un 
Flolow  et  un  Giulio  Alary,  un  duc  de  Saxe-Cobourg-Gotha 
et  un  Ricci.  Que  les  temps  sont  changés!  Aujourd'hui,  à 
l'Opéra  comme  à  l'Opéra-Comique,  on  n'admettrait  plus  qu'un 
maître,  Verdi,  et  encore  ! 

Un  fait  explique,  il  est  vrai,  la  faveur  dont  jouissaient  no- 
tamment alors,  les  œuvres  venues  de  la  Péninsule  :  la  France 
et  l'Italie  marchaient  au  combat,  la  main  dans  la  main.  Le 
7  juin,  par  exemple,  on  fêtait  la  victoire  de  Solferino  par 
l'exécution  d'une  cantate  avec  chœurs  intitulée  Italie,  et  dont 
Saint-Georges  avait  composé  les  paroles  et  Halévy  la  mu- 
sique. Les  interprètes  s'appelaient  Montaubry,  Troy,  Jour- 
dan,  Crosli,  Mm0  Faure-Lefebvre,    et   le  succès  fut   tel  qu'on 


138 


LE  MENESTREL 


donna  quatre  autres. auditions  dans  le  même  mois,  le  8,  le  10, 
le  27  et  le  29  ;  pour  les  deux  dernières,  Warot  avait  rem- 
placé Montaubry.  Le  1S  août  devait  être  exécutée  une  nou- 
velle cantate,  écrite  par  M.  Duprato  sur  des  paroles  de 
M.  Trianon  et  confiée  à  Mue  Wertheimber,  qui  la  servit  au 
public  deux  jours  de  suite. 

A  côté  de  ces  solennités  en  quelque  sorte  officielles,  on 
pourrait  en  rappeler  d'autres  d'ordre  plus  exclusivement  ar- 
tistique,' celle,  par  exemple,  du  23  avril  1859,  concert  spiri- 
tuel où  figurait,  parmi  les  numéros  du  programme,  l'Enfance 
du  Christ,  de  Berlioz.  L'exécution  de  l'œuvre  avait  lieu  sous 
la  direction  de  Berlioz  lui-même,  cet  incompris  qui,  dans 
la  précédente  élection  à  l'Institut,  se  présentant  contre 
Ambroise  Thomas,  n'avait  même  pas  obtenu  une  voix,  cet  en- 
fiévré qui  voyait  le  ridicule  s'attacher  à  ses  œuvres  comme 
à  sa  personne,  ce  compositeur  de  musique  à  programme  que 
visait  assurément  Emile  Augier,  lorsqu'il  poussait  jusqu'à 
la  charge  le  portrait  de  Landara  dans  une  œuvre  aujourd'hui 
peu  connue,  Ceinture  dorée.  Simple  souvenir:  deux  artistes 
participaient  à  ce  concert  en  qualité  d'accompagnateurs, 
dont  les  noms  sont  connus  de  tous,  mais  dont  les  destinées 
devraient  être  bien  différentes  :  Théodore  Ritter,  qui  finit  si 
misérablement,  et  Auguste  Durand,  le  sympathique  éditeur 
et  compositeur  parisien. 

Rappelons  aussi  d'autres  soirées  plus  directement  liées  à 
l'histoire  ordinaire  de  la  salle  Favart  puisqu'elles  marquent 
quelques  reprises  importantes,  par  exemple,  le  19  avril,  Fra 
Biavolo,  avec  Montaubry  qui,  dans  ce  rôle  où  il  devait  exceller 
plus  tard,  donna  d'abord  prise  à  certaines  critiques.  On  don- 
nait précisément  cet  ouvrage  le  22  mai,  lorsque  se  produisit 
un  incident  bizarre  et  effrayant  à  la  fois,  dont  le  récit  fit  le 
tour  de  la  presse  à  cette  époque .  Vers  la  fin  du  premier 
acte,  on  vit  tout  à  coup  une  jeune  femme  enjamber  le  rebord 
de  la  deuxième  galerie  pour  se  précipiter  dans  la  salle  ; 
l'instinct  de  la  conservation  la  retint  un  instant,  et,  se 
cramponnant  au  velours,  elle  demeurait  suspendue  dans  le 
vide.  On  put  la  ressaisir  enfin,  et  elle  se  trouva  mal,  ainsi 
d'ailleurs  que  bon  nombre  de  spectatrices,  témoins  de  cette 
scène.  Revenue  à  elle,  la  malheureuse  déclara  se  nommer 
Estelle  D.  âgée  de  vingt-huit  ans  et  demeurant  faubourg 
Saint-Honoré  ;  et,  ce  disant,  elle  retira  vite  de  son  corsage 
une  lettre  qu'elle  déchira.  On  sut  alors  qu'un  désespoir  d'a- 
mour l'avait  déterminée  à  se  suicider,  et  l'on  constata  en 
effet  que  dans  son  domicile  elle  avait  tout  préparé  pour 
recevoir  sa  dépouille  mortelle,  jusqu'au  linge  où  elle  devait 
être  ensevelie. 

Moins  troublée,  heureusement,  fut  la  représentation  du 
25  juin  pour  une  reprise  des  Mousquetaires  de  la  Heine  avec 
interprètes  nouveaux  :  Montaubry  (d'Entragues),  Mocker 
(Biron),  Barrielle  (Roland),  Leprince  (Gréqui),  Davoust  (Gon- 
taut),  Duvernoy  (le  grand  prévôt),  Goutan  (Narbonne),  Ed. 
Gabel  (Rohan),  Mmes  Faure-Lefebvre  (Berthe  de  Simiane), 
Henrion  (Athénaïs),  Casimir  (la  grande  maîtresse).  Une  autre 
reprise,  celle  de  l'Ambassadrice,  servit  le  18  juillet  pour  le 
début,  dans  le  rôle  d'Henriette,  d'une  ancienne  élève  du 
Conservatoire,  Mlle  Cordier,  qui  revenait  des  États-Unis  et  se 
voyait  honorablement  accueillie  à  côté  de  Jourdan,  Nathan, 
Ponchard,  de  Mm<,s  Lemercier,  Révilly,  et  Casimir.  Enfin,  le 
22  septembre  reparut  un  ouvrage  qu'on  semblait  négliger 
depuis  quelque  temps,  le  Songe  d'une  Nuit  d'été,  avec  Montaubry 
(Shakespeare),  Crosti  (Falstaff),  Warot  (Latimer),  Nathan 
(Jérémy),  M110  Bélia  (Olivia),  Mllc  Monrose  (Elisabeth),  une 
débutante,  élève  de  Duprez  et  de  Mocker,  une  Américaine, 
puisqu'elle  était  née  à  la  Nouvelle-Orléans,  une  comédienne, 
puisqu'elle  était  la  petite-fille  du  célèbre  acteur  de  ce  nom, 
enfin  et  par-dessus  tout,  une  femme  élégaate  dont  la  beauté 
fit  sensation,  si  l'on  s'en  rapporte  au  portrait  tracé  par  Henry 
Boisseaux  :  «  Son  noble  profil  a  les  arêtes  finement  décou- 
pées que  les  anciens  donnaient  à  leurs  déesses.  Il  y  règne 
en  même  temps  cette    passion  tempérée    par   de  charmants 


sourires,  dont  le  regard  et  la  bouche  de  Marie  Stuart  savaient 
si  bien  le  secret.  »  (?  !) 

Au  cours  du  récit  qui  précède,  presque  tous  les  débutants 
de  l'année  18S9  ont  été  mentionnés,  savoir,  par  ordre  de 
date  :  Mllc  Breuillé,  M1,e  Enjalbert,  Mue  Cordier,  M.  Ambroise, 
Mlle  Marietta  Guerra,  Mlle  Monrose,  M1,e  Emma  Bélia;  à  ces 
noms  il  convient  d'ajouter  MUe  Faigle,  qui,  le  27  juin,  débuta 
modestement  dans  le  Chalet  (rôle  de  Betly)  ;  M.  Caussade, 
sorti  en  1859  du  Conservatoire,  où  il  avait  obtenu  le 
deuxième  prix  d'opéra-comique  et  le  deuxième  accessit  de 
chant,  et  qui  débuta  le  22  août  dans  les  Chaises  à  porteur 
(rôle  du  chevalier)  ;  Mlle  Geoffroy,  venue  des  Bouffes- 
Parisiens,  où  elle  jouait  sous  le  nom  de  Coralie  Guffroy, 
jeune  et  belle  personne  qui  débuta  le  26  septembre  dans  la 
Pagode  (rôle  de  Nadidja);  enfin  M.  Holtzem,  qui  débuta  le 
3  octobre  dans  la  Fille  du  Régiment  (rôle  de  Tonio).  Ainsi  se 
trouvait  compensée  la  perte  de  quelques  artistes  comme 
Mlle  Dupuy,  qui,  engagée  à  la  Monnaie  de  Bruxelles,  revint, 
il  est  vrai,  l'année  suivante  à  la  salle  Favart;  comme  Mlle  De- 
croix,  également  engagée  à  Bruxelles  ;  comme  Delaunay- 
Riquier,  enlevé  par  le  Théâtre-Lyrique  auquel  il  apparte- 
nait, quand  il  épousa  le  27  octobre  sa  camarade  Mue  Lhéritier. 
Vers  le  même  temps,  d'autres  mariages  d'artistes  étaient 
signalés  (outre  celui  de  Faure  avec  MllB  Lefebvre):  celui 
de  Berthelier  avec  Mlle  Boin  et  celui  de  Mrae  Ugalde,  née 
Beaucé,  avec  M.  Varcollier. 

Mais,  de  tous  ces  déplacements,  allées  et  venues,  le  plus 
fâcheux  pour  la  prospérité  du  théâtre  devait  être  celui  qui, 
décidé  alors,  s'effectua  au  début  de  l'année  suivante,  le  dé- 
part de  Faure.  Ce  départ,  suivi  de  près  par  la  retraite  du 
directeur  Roqueplan,  contribua  à  déterminer  une  crise  pres- 
sentie depuis  quelque  temps  déjà,  et  qu'un  succès  plus  fruc- 
tueux du  Pa-don  de  Ploërmel  eût  peut-être  seul  conjurée. 

Aussi  pouvons-nous  arrêter,  non  sans  raison,  au  Pardon  de 
Ploërmel,  la  première  partie  du  travail  que  nous  avons  entre- 
pris.. Quelque  succès  qu'il  ait  obtenu,  l'ouvrage  deMeyerbser 
n'en  fixe  pas  moins  une  date  dans  l'histoire  de  la  salle 
Favart.  Nombre  de  compositeurs  avaient  essayé  d'élargir  le 
cadre  de  l'Opéra-Comique;  avec  l'Etoile  du  Nord  et  le  Pardon, 
Meyerbeer  le  fit  presque  éclater.  Au  lendemain  de  cette 
rude  poussée,  les  nouvelles  œuvres  coulées  dans  le  moule 
ancien  devaient  sembler  grêles  et  médiocres  ;  de  là  un  temps 
d'incertitude  et  d'insuccès.  Mais  il  nous  reste  aussi  à  mon- 
trer la  victoire  définitive  remportée  par  ceux  dont  le  génie 
souple  et  mesuré  a  su  mettre  à  profit  les  conquêtes  du  pré- 
sent pour  les  renouer  adroitement  à  la  saine  tradition  du 
passé.  La  fusion  des  deux  styles  est  le  principe  qui  dominera 
la  nouvelle  période  où  nous  entrerons  bientôt.  L'opéra 
mixte  s'imposera  au  goût  des  musiciens  et  à  la  faveur  du 
public,  et  c'est  de  ce  genre  tempéré  que  relèveront  les  œuvres 
nouvelles  dont  le  succès  sera  le  plus  brillant  et  le  plus 
durable,  Lalla  Roukh  et  Mignon,  Carmen  et  Lakmé. 

FIN    DE    LA    PREMIÈRE    PARTIE 


BULLETIN    THEATRAL 


FAUT-IL  SOUSCRIRE  ? 
Je  suis  eu  vérité  fort  perplexe.  Dans  une  récente  chrouiquc  que 
j'ai  consacrée  à  la  nouvelle  Société  des  «  Grandes  auditions  musi- 
cales de  France  »,  après  en  avoir  reproduit  le  programme  et  fait  à 
son  sujet  les  justes  observations  qu'il  m'inspirait  j'avais  demandé 
néanmoins  qu'on  voulût  bien  inscrire  le  Ménestrel  au  nombre  des 
souscripteurs.  Nous  n'avons  pas  coutume,  en  effet,  de  bouder  en 
ces  sortes  de  circonstances  et  nous  encourageons  volontiers  toutes 
les  tentatives  artistiques,  même  quand  elles  nous  paraissent  devoir 
faire  fausse  route.  Mais  je  ne  m'attendais  pas  à  la  forme  qu'on 
allait  donner,  cette  fois,  aux  souscriptions.  Voici,  en  effet,  le 
bulletin  qu'on  m'adresse  et  qu'il  me  faudrait  signer  pour  donner 
suite  à  mes  projets  généreux  : 


LE  MENESTREL 


139 


,j7o  désire^  fairu  partit^  àtj  la  Société  des 

Grandes  Auditions  Musicales  de  France 


A  TITRE  DE 


FONDATEUR  : 

Cent  francs  annuellement 
ou  mille  francs  une  fois  donnés 

3v>m  


^Adresse 


LES  FONDATEURS  ONT  DROIT  : 

à  deux  places  pour-  les  Répétition} 
générales  et  deux  places  pour-  la 
2me  Représentation. 


SOUSCRIPTEUR 


Vingt-cinq  francs  annuellement 


tfttfim 


^Adresse 


LES  SOUSCRIPTEURS  ONT  DROIT  : 

une  ^lace^  pour-  les  Répétitions 
générales. 


Nota.  —  Le  titre  de  Fondateur  ou  de  Souscripteur  équivaut  à  celui  d'Abonné. 

Eh  bien  !  la  teneur  de  ce  petit  billet  doux,  qui  semble  inoffensif 
tout  d'abord,  ne  laisse  pas  que  de  m'inquiéter  un  peu  quand  j'y 
réfléchis.  Si  je  suis  volontiers  l'homme  des  souscriplioDs  artistiques 
qui  n'entraînent,  pour  l'avenir,  aucune  responsabilité  ni  aucune  in- 
quiétude, en  revanche  j'y  regarde  à  deux  fois  avant  de  m'engager  à 
*  faire  partie  d'une  Société  »  qui  n'a  pas  de  statuts  définis,  ce  qui 
est  le  cas  pour  celle  des  «  Grandes  auditions  musicales  ». 

C'est  alors  que  mes  souvenirs  juridiques  reviennent  m'assaillir 
en  foule.  Je  crois  me  rappeler  que  les  entreprises  de  spectacles 
publies  sont  expressément  classées  par  la  loi  dans  la  catégorie  des 
actes  de  commerce  (art.  632).  La  société  dont  il  s'agit  ayant  pour 
objet  l'organisation  d'auditions  musicales,  où  serait  admis  le  public 
payant,  est  donc  une  société  commerciale  (1),  soumise  à  peine  de 
nullité  à  l'accomplissement  des  formalités  prescrites  par  la  loi  de 
1867. 

Il  résulte  de  là  que  les  organisateurs,  c'est-à-dire  les  membres  du 
Conseil  d'administration  (2)  seraient  tenus  in  infinilum  du  passif  et 
responsables,  en  outre,  de  la  nullité  de  la  Société,  si  elle  venait  à 
être  prononcée  par  les  tribunaux.  Ceci  est  leur  affaire  et  ne  nous 
regarde  pas. 

Mais,  en  l'absence  de  statuts,  la  situation  des  souscripteurs  et 
des  fondateurs  est  plus  difficile  à  déterminer.  Les  termes  du  pros- 
pectus sont  en  effet  assez  contradictoires.  Tantôt  ce  sont  de  simples 
abonnés,  comme  il  est  dit  au  nota  bene,  tantôt  ils  «  font  partie  de 
la  Société  »  comme  il  est  dit  au  début  du  bulletin  de  souscription. 
Comme  abonnés,  leurs  droits  et  leurs  obligations  sont  des  plus 
simples:  ils  ne  peuvent  être  tenus  au-delà  du  montant  de  leur 
mise  ;  mais  comme  membres  fondateurs  d'une  société,  c'est  tout 
autre  chose.  N'auraient-ils  pas  alors  la  qualité  d'associés?  Et  où  cela 
les  eDtralnerait-il  ?  A  ce  titre,  ils  ne  seraient  plus  tenus  seulement 
jusqu'à  concurrence  de  leur  souscriptioa.  Cette  limitation  des  obli- 
gations des  associés  n'existe  que  dans  les  sociétés  anonymes  ou  en 
commandite  pour  les  commanditaires,  et  il  n'y  a  de  sociétés  ano- 
nymes ou  en  commandite  que  si  les  formalités  légales  ont  été  ob- 
servées. La  Société  ne  serait  pas  davantage  en  nom  collectif  pour 
le  même  motif.  Nous  nous  trouvons  donc  simplement  en  face  d'une 
«  Société  de  fait  »,  nulle  à  l'égard  de  tous  les  intéressés;  ceux-ci, 
néanmoins,  ne  sauraient  opposer  la  nullité  aux  tiers,  c'est-à-dire 
aux  créanciers,  et  seraient  tenus  à  l'égard  de  ceux-ci  solidairement 
et  in  infinitum. 

Il)  Ceci  n'r-st  pas  douteux  après  l'arrêt  que  vient  de  rendre  le  Conseil  d'État 
au  sujet  de  l'Association  des  Concerts  Colonne.  Celle-ci  devait-elle  être  consi- 
dérée comme  une  entreprise  commerciale  et,  à  ce  titre,  soumise  à  l'impôt  de  la 
patente  ? 

M.  Colonne  disait  non,  mais  le  Conseil  d'État  vient  de  dire  oui,  «  attendu  que 
la  Société  dite  a  Association  artistique  »  donne  chaque  semaine,  pendant  une 
partie  de  l'année,  dans  la  salle  du  théâtre  du  Chùtelet,  des  concerts  pour  lesquels 
elle  fait  appel  au  public,  qui  y  est  admis  en  payant. 

»  Que  la  salle  du  Châtelet  est  mise  à  cet  effet  à  sa  disposition  moyennant  le 
paiement  d'une  redevance  à  l'adjudicataire  du  bail  de  ce  théâtre  ;  que,  dans  ces 
circonstances,  c'est  à  bon  droit  que  l'Association  artistique  a  été  réputée  entre- 
preneur de  concerts  publics,  conformément  au  tableau  annexé  à  la  loi  du  15  juil- 
let 1880,  et  que  l'imposition  a  raison  de  cette  entreprise  a  été  établie  en  son 
nom.  » 

(2)  On  nous  a  dit  au  secrétariat  de  la  Société  qu'il  n'existait  point  de  statuts, 
mais  que  l'entreprise  était  dirigée  par  M™"  la  comtesse  Greffulhe,  assistée  d'un 
Conseil  d'administration  composé  de  MM.  de  Polignac,  de  Canay,  etc.,  etc. 


Voilà  les  réflexions,  un  peu  arides —  nous  en  demandons  pardon 
aux  lecteurs,  —  que  nous  a  suggérées  la  lecture  du  petit  bulletin 
que  nous  avons  reçu.  Il  en  est  résulté,  pour  nous,  la  conviction 
que  la  situation  des  souscripteurs  et  des  fondateurs  de  la  nouvelle 
entreprise  serait  des  plus  ambiguës.  Car  enfin  on  a  vu  des  Sociétés, 
même  artistiques,  mal  tourner  et  tomber  dans  ce  qu'on  appelle  la 
déconfiture. 

Nous  demandons  donc,  en  grâce,  à  l'Administration  des  «  grandes 
auditions  musicales  »  de  changer  la  forme  de  ses  demandes  d'adhé- 
sions, en  les  convertissant  en  simples  bulletins  d'abonnement. 
Comme  cela  tous  les  esprits  seront  rassurés  et  les  souscriptions  vien- 
dront plus  abondantes. 

H.  Moreno. 

P.  S.  —  Éden-Théatre.  —  Paris  après  l'Exposition,  revue  en  trois  actes  et 
dix  tableaux,  de  MM.  Blondeau  et  Monréal. 

De  même  que  le  titre  de  l'amusante  revue  de  MM.  Blondeau  et  Monréal 
n'a  été  que  fort  peu  modifié  en  passant  de  l'affiche  des  Variétés  à  celle 
de  l'Ëden,  de  même  la  pièce  elle-même  n'a  subi  que  de  très  légers  rema- 
niements. Au  tableau  de  la  rue  du  Caire,  un  nouvel  intermède  espagnol 
dansé  par  la  petite  Soledad,  cette  brune  Andalouse  qui  fit  courir  tout  Paris 
pendant  plusieurs  mois  et  qui,  lors  de  son  intempestive  disparition, 
occupa  l'attention  presque  autant  que  M.  Saint-Saëns.  Le  public  de 
l'Éden  a  paru  moins  enthousiaste  et  moins  emballé  que  celui  du  Grand- 
Théâtre  de  l'Exposition  ;  question  de  milieu  sans  doute  ;  et  puis,  n'avons- 
nous  pas  eu,  depuis,  Jeanne  Granier  etLarive?  Comme  il  fallait  utiliser 
les  jambes  des  dames  de  la  maison,  on  a  ajouté  un  ballet  dansé  sous 
la  tour  Eiffel  pendant  que  jouent  les  fontaines  lumineuses,  et  un  dernier 
divertissement  protégé  par  les  ailes  irradiantes  du  Moulin-Bouge.  MUc  Jane 
Evans  et  M.  Baiter  remplacent  M110  Lender  et  M.  Baimond  et  s'appliquent 
de  leur  mieux  à  chausser  des  escarpins  vernis,  alors  qu'une  bonne  paire 
de  souliers  ordinaires  ferait  peut-être  beaucoup  mieux  leur  affaire. 
MM.  Baron,  Lassouche  et  Germain  restent  la  joie  de  la  soirée,  et  MUo  M. 
Durand  s'est  taillé  un  fort  joli  succès  dans  une  très  intelligente  imitation 
de  Mm0  Sarah  Bernhardt. 

Paul-Emile  Chevalier. 


LE  THEATRE  A  L'EXPOSITION  UNIVERSELLE  DE  1889 


XI 
(Suite) 

LE   THÉÂTRE   INTERNATIONAL 

L'Exposition  était,  je  crois,  déjà  ouverte,  lorsque  la  concession 
de  ce  théâtre  fut  accordée  à  un  Anglais,  M.  Seymour  Wade,  qui, 
par  conséquent,  n'avait  pas  de  temps  à  perdre  pour  se  mettre  en 
mesure  d'en  tirer  profit.  Il  se  mit  à  l'œuvre  aussitôt,  et  en  trente- 
cinq  jours  le  théâtre  fut  construit,  un  théâtre  pouvant  contenir  en- 
viron 2,500  spectateurs.  Il  était  situé  en  bordure  de  l'avenue 
de  Suffren,  parallèlement  et  à  côté  du  Grand  Théâtre  de  l'Expo- 
sition, dont  j'aurai  à  parler  tout  à  l'heure ,  tout  près  du  Globe 
terrestre  et  de  ce  superbe  palais  Mexicain,  si  curieux  et  si  caracté- 
ristique. La  salle,  malheureusement  assez  mal  éclairée  d'ordinaire, 
comprenait  un  vaste  parquet,  qu'une  balustrade  séparait  d'un  large 
pourtour-promenoir,  au-dessus  duquel  s'élevait  un  spacieux  amphi- 
théâtre. Point  de  richesse  d'ailleurs,  point  d'apparence  de  décora- 
tion. On  se  serait  cru  volontiers  dans  un  de  ces  grands  cafés-concerts 
qu'on  élève  pour  la  circonstance  dans  les  grandes  foires  de  province. 
La  scène  ne  manquait  pas  d'étendue,  mais ,  dépourvue  de  rampe, 
elle  était,  elle  aussi,  fort  mal  éclairée,  et  restait  constamment  clans 
une  sorte  de  pénombre  qui  nuisait  considérablement  à  l'effet  et  qui, 
lors  des  représentations  pourtant  fort  intéressantes  de  la  troupe 
égyptienne,  ne  permettait  que  de  voir  fort  mal  des  décors  qui  ne 
laissaient  cependant  pas  que  de  présenter  un  certain  caractère  d'o- 
riginalité. Partout  dans  ce  théâtre  on  fumait  et  l'on  buvait.  Le  prix 
des  places  était  de  5  francs  à  l'amphithéâtre,  2  francs  au  parquet 
et  1  franc  au  pourtour.  Quatre  représentations  avaient  lieu  chaque 
jour,  deux  dans  la  journée,  à  trois  heures  et  quatre  heures  et  demie, 
deux  le  soir,  à  huit  heures  et  neuf  heures  et  demie. 

Le  Théâtre  International  fit  son  inauguration  le  samedi  6  juillet. 
Il  n'offrit  d'abord  au  publie  rien  de  particulièrement  original,  et  ses 
spectacles  n'étaient  guère  autre  chose  que  ceux  qu'on  voit  dans  nos 
cafés-concerts  bien  achalandés.  Entre  autres  attraits,  on  y  eut  les 
expériences  d'un  prestidigitateur  fort  habile  et  bien  connu  du  pu- 
blic parisien,  M.  Bualier  de  Kolta,  et  les  imitations  très  amusantes 
d'un  aitiste  aussi  très  habile  en  son  genre,  M.  Pichat.  A  cela  se 
joignaient  des  tableaux  vivants,  l'exécution  de  chants  nationaux  de 
divers  pays  par  un  chœur  de  trente  voix  d'hommes,  etc. 


440 


LE  MENESTREL 


Mais  ceci  n'était  que  peloter  en  attendant  partie,  et  M.  Seymour 
Wade  préparait  un  coup  de  maître.  Il  avait  entamé  des  négociations 
avec  M.  Soliman  Cardahi,  directeur,  non  point,  comme  on  l'a  dit, 
de  l'Opéra  khédivial  du  Caire,  mais  d'une  troupe  de  danseuses, 
chanteuses,  lutteurs,  etc.,  dépendant  peut-être  de  ce  théâtre  et  du 
Khédive,  mais  n'ayant  assurément,  malgré  son  spectacle  très  sa- 
voureux, très  original,  aucun  rapport  avec  l'importante  scène 
lyrique  égyptienne  où  l'on  représente,  tout  comme  sur  nos  grands 
théâtres  d'Europe,  les  œuvres  du  grand  répertoire  musical  interna- 
tional. Ces  négociations  avaient  abouti,  et  M.  Cardahi  avait  obtenu 
du  Khédive  l'autorisation  d'amener  à  Paris  une  troupe  d'une  tren- 
taine d'artistes,  choisis  parmi  les  meilleurs  de  son  personnel.  Cette 
troupe,  conduite  par  lui,  s'embarquait  à  Alexandrie  le  samedi 
17  août,  à  destination  de  France,  arrivait  à  Paris  huit  jours  après, 
le  24,  et  donnait,  le  31,  sa  première  représentation  au  Théâtre  In- 
ternational. Je  ne  crois  pouvoir  mieux  la  faire  connaître  qu'en  re- 
produisant ici  le  programme,  à  la  saveur  exotique  assez  prononcée, 
qui  se  vendait  à  l'intérieur  du  théâtre  et  qui  donnait  tous  les  détails 
du  spectacle. 
Voici  d'abord  pour  le  personnel  et  les  principaux  artistes  : 

La  troupe  a  été  soigneusement  choisie  par  M.  Soliman  Cardahi,  direc- 
teur du  Théâtre  Arabe  à  l'Opéra  Khédivial  du  Caire,  qu'il  a  accompagnée 
en  France  et  qui  est  le  seul  qui  a  eu  de  grands  succès  auprès  du  gouver- 
nement égyptien. 

La  troupe  se  compose  de  trente  des  meilleurs  artistes  et  se  divise  en 
chanteuses,  danseuses,  musiciens,  lutteurs,  escrimeurs,  joueurs  de  bâton 
et  de  naboute. 

Les  chanteuses  sont  les  célèbres  Zénahe  Effendi,  Labiba  Effendi  et  La 
Haneme  Effendi.  Les  danseuses,  les  charmantes  Choke  Effendi,  Amina  Effendi 
Latifa,  Salime  et  Farida  Effendi. 

Les  musiciens  renommés  sont:  Ckeik  Ali  Osman,  Cheik  Mohamed  et  Selim 
Mahmovde.  Il  y  a  en  outre  trois  musiciens  pour  la  musique  de  danse. 

Les  grands  lutteurs  de  l'Orient  Hassan  Moustapha,  ancien  lutteur  de  Abd- 
el-Kader,  et  Ali  Abou-Housman. 

Les  escrimeurs  de  première  force,  Joseph  Sâbe,  qui  a  reçu  de  grandes 
récompenses  de  Rodolphe,  kronprinz  d'Autriche,  de  l'empereur  Nicolas 
de  la  Russie  et  de  l'empereur  du  Brésil  ;  Habib  Effendi  Fadoube,  le  célèbre 
Syrien,  et  Kali  Effendi.  Il  y  a  aussi  chez  eux  des  joueurs  de  canne,  etc. 

Tous  ceux-ci  étaient  ce  que  nous  appelons  chez  nous  «  les  vedettes.  » 
Si  les  femmes  étaient  «  célèbres  »  ou  «  charmantes,  »  on  voit  que 
les  hommes  ne  leur  cédaient  en  rien,  puisqu'ils  étaient  «  renommés,  » 
ou  a  grands,  »  ou  «  de  première  force  ».  Les  cadres  de  la  troupe 
étaient  remplis  par  les  emplois  secondaires  et  par  les  chœurs  de 
chant  ou  de  danse.  Après  les  renseignements  sur  le  personnel,  le 
programme  nous  offrait  des  détails  sur  le  spectacle  : 

La  scène  représente  la  forêt  du  Mont-Liban,  en  Syrie. 
Tableau  I.  —  Les  Arabes  se  vengent  du  grand  héros  Antare.  —  Tableau 
II.  —  La  chanson  d'amour,  par  Zenabe  et   sa  compagnie,  et  des  danses 
par  Latifa  avec  le  sabre. 

Décor  fantastique. 
Tableau  III.  —  Jeux  d'escrime  donnés  par  Joseph  Sàbe  etHabibe  Effendi 
Fadoube.  —  Tableau  IV.  —  Les  lutteurs  Hassan  Moustapha  et  Ali  Abou 
Housman. 

Décor  rue  de  la  Mosquée,  au  Caire. 

Tableau  V.  —  Les  jeux  de  canne  par  Mohamed  Mabou  et  le  nègre  Has- 
san. Jeux  de  naboute,  par  Eliasse  Ab-Dou  et  Joseph  Sàbe. 
Pour  le  jour,  Décor  Salle  Egyptienne. 
Décor  pour  la  nuit,  Fontaines  lumineuses. 

Tableau  "VI.  —  La  danse,  par  Choke  Effendi.  —  Tableau  VII.  —  La 
danse,  par  Amina  Effendi.  —  Tableau  VIII.  —  La  danse,  par  Farida 
Effendi.  —  Tableau  IX.  — ■  La  danse,  par  Ahaneme  Effendi.  —  Tableau  X. 
—  La  danse,  par  la  négresse  Hadame.  —  Tableau  XL  —  Les  chants,  par 
Ali  Housman  et  compagnie.  —  Tableau  XII.  —  Les  chants,  par  Zenabe 
et  deux  nègres.  —  Tableau  XIII.  —  Danse  par  toute  la  troupe. 

Le  programme  nous  faisait  connaître  en  outre  que  les  décors 
étaient  «  peints  par  le  célèbre  Mancini,  d'après  l'Opéra  khédivial  du 
Caire.  »  C'était,  comme  l'indique  le  nom  du  peintre,  des  décors  à 
l'italienne,  mais  qui  ne  manquaient  ni  de  caractère,  ni  de  chic,  ni 
de  pittoresque.  Entre  autres,  celui  qui  représentait  la  rue  de  la  Mos- 
quée, au  Caire,  était  curieux  comme  plantation  et  comme  effet.  Enfin, 
une  dernière  mention,  tranchant  avec  le  reste  et  n'ayant  plus  rien 
d'égyptien,  nous  annonçait  «  Gauthier  et  son  orchestre.  »  En  effet, 
un  orchestre  parfaitement  européen,  placé  au  fond  de  l'amphithéâtre 
et  face  à  la  scène,  invisible  par  conséquent  pour  les  spectateurs  du 
fond  du  parquet  ou  du  pourtour,  occupait  les  eutr'acles,  pendant 
lesquels  il  se  faisait  entendre.  Et  c'était  un  singulier  effet  pour  les 
oreilles  musicales  que  les  sons  de   cet   orchestre,  faisant  succéder 


les  tonalités  de  notre  système  européen  à  la  musique,  étrange  pour 
nous  quoique  non  toujours  sans  charme,  qui  accompagnait  toujours 
sur  la  scène  les  chants,  les  danses  et  les  combats.  L'alternance  de 
ces  deux  modes  de  musique  proiuisait  un  contraste  saisissant. 

On  a  vu,  par  les  détails  mêmes  du  programme,  qu'il  ne  s'agit  pas 
ici,  comme  au  Théâtre  Annamite,  d'une  manifestation  littéraire  et 
véritablement  scénique,  d'un  spectacle  suivi,  logique,  régulier,  nous 
offrant  une  action  dramatique  empreinte  d'un  intérêt  passionnel  plus 
ou  moins  vif  et  se  présenlant  à  nous  comme  un  reflet  des  mœurs, 
de  la  civilisation,  des  coutumes  et  des  tendances  intellecturlles  d'un 
peuple.  Ceci  n'est  qu'un  spectacle  de  curiosité  pure,  formant  une 
succession  de  tableaux  pittoresques  et  nous  mettant  simplement  au 
fait  des  distractions  plus  ou  moins  délicates  d'un  pays  où  l'art  dra- 
matique n'existe  en  aucune  façon,  et  où  l'on  ne  se  propose  ainsi 
d'autre  but  que  d'amuser,  de  caresser,  de  bercer  en  quelque  sorte 
les  yeux  et  les  oreilles.  Ce  ne  sont  que  chants,  danses,  exercices  de 
corps  et  d'adresse  d'un  genre  particulier,  qui  tiennent  à  l'art  d'une 
façon  presque  indirecte  et  par  un  fil  assez  ténu,  mais  qui  n'en  sont 
pas  moins  intéressants  pour  nous  autres  Européens  (je  parle  de 
ceux  qui  n'ont  jamais  mis  le  pied  sur  la  terre  d'Afrique),  parfaite- 
ment ignorants  des  plaisirs  de  ce  genre  qu'on  goûte  en  Orient  et  qui 
n'exigent  du  spectateur  qu'une  contemplation  passive  et  silencieuse. 
Ici  point  de  passion,  point  d'émotion,  aucun  trouble  possible  pour 
l'esprit,  nulle  part  laite  au  cœur  ou  à  l'intelligence,  mais  une  jouis- 
sance calme,  paisible,  sans  surprise  et  sans  secousse,  qui  s'accorde 
on  ne  peut  mieux  avec  le  flegme  habituel,  imperturbable,  de  la  race 
à  laquelle  elle  est  destinée. 

C'est  au  Théâtre  International,  et  par  les  sujets  féminins  de  la 
troupe  égyptienne  de  M.  Soliman  Cardahi,  que  j'ai  eu  pour  la  pre- 
mière fois  le  plaisir  (?)  de  contempler  celle  chose  étrange  qui 
s'appelle  «  la  danse  du  ventre  »,  que  je  devais  retrouver  partout 
ensuite,  dans  les  cafés  de  la  rue  du  Caire,  au  Souk  tunisien,  à 
l'esplanade  des  Invalides,  et  qui  pendant  plusieurs  mois  semble 
avoir  affolé  les  Parisiens  et  hypnotisé  les  visiteurs  de  l'Exposition. 
Dieu  sait  cependant  si  c'était  là  un  spectacle  aimable  et  ragoûtant! 
«  Le  ventre  tient  à  l'Exposition,  disait  à  ce  sujet  un  de  mes  con- 
frères, une  place  considérable,  non  seulement  en  tant  que  victuailles, 
mais  en  tant  que  plaisir.  Les  restaurants  font  des  affaires  d'or  et 
les  concerts  orientaux  ne  désemplissent  pas.  Or,  ces  concerts  sont 
l'apothéose  du  ventre.  On  n'y  ehanle  point,  on  y  fait  peu  de  mu- 
sique, on  y  danse,  mais,  au  rebours  des  danses  ordinaires,  les 
pieds  n'ont  qu'un  rôle  secondaire;  c'est  l'abdomen  qui  a  toute  la 
besogne.  La  foule  a  pris  plaisir  à  ce  divertissement  qui  tient  le 
milieu  entre  l'enfantement  et  le  mal  de  cœur.  Chaque  mois  un 
nouvel  établissement  s'est  monté,  et  les  anciens,  devant  le  succès, 
ont  augmenté  leurs  prix.  Avec  la  troupe  royale  égyptienne,  qui 
vient  de  débuter,  cela  fait,  sans  exagération,  une  cinquantaine  de 
ventres  qui  se  trémoussent  tous  les  jours.  Trémousser  n'est  pas 
trop  dire.  Cet  exercice  dont  la  grâce  est  exclue  est  un  simple  tour 
de  force  anatomique  ;  il  consiste,  le  reste  du  corps  demeurant  im- 
passible, à  imprimer  au  ventre  un  mouvement  giratoire,  élévatoire, 
ou  de  lacet  ou  de  galet.  Cela  fait  un  va-et-vient  assez  surprenant, 
mais  qui  ne  tarde  pas  à  devenir  monotone.  Une  aigre  musique 
accompagne  ces  contorsions  qui  sont  dénuées  d'un  sens  quelconque.  » 
Dans  la  même  séance  j'ai  pu  trois  fois  admirer  cet  aimable  exer- 
cice au  théâtre  de  l'avenue  de  Suffren.  La  première  fois  par  une 
jeune  femme  assez  jolie  dont  les  mains  étaient  armées  d'espèces  de 
crotales  ou  castagnettes  métalliques,  qu'elle  agitait  tandis  que  sa 
danse  était  accompagnée  d'un  semblant  d'orchestre  composé  de 
deux  musettes,  d'un  tambour  lâche  et  d'une  petite  caisse  claire  ; 
autour  d'elle  étaient  groupés  une  douzaine  de  ses  compagnes  et 
compagnons,  qui,  sur  le  rythme  de  ce  singulier  orchestre,  psal- 
modiaient par  instants  une  sorte  de  chant  traînant  et  dolent,  et  par 
instants  aussi  l'excitaient  en  frappant  des  mains.  La  seconde  fois, 
c'était  par  deux  négresses,  dont  la  vue  en  cette  occurrence  manquait 
absolument  de  grâce.  La  troisième  fois  eulin,  c'était  par  cinq  dan- 
seuses à  la  fois,  toujours  armées  des  fameuses  crolales,  qui  faisaient 
un  bruit  terrible  sans  rendre  ce  spectacle  plus  affriolant. 

Combien  était  plus  curieux  le  combat  au  sabre  de  Joseph  Sàbe  et 
de  Kali  Effendi  !  Toat  habillés  de  blanc,  ces  deux  hommes,  munis 
de  leur  long  sabro  et  de  leur  tout  petit  bouclier,  résonnant  sous 
les  coups  répétés  de  l'arme  tranchante,  faisaient  preuve  d'une 
adresse  vraiment  merveilleuse.  Mais  le  plus  intéressant,  sans  contre- 
dit, c'était  la  reproduction  de  certains  tableaux,  de  certaines  scènes 
de  la  vie  égyptienne,  tout  pleins  de  couleur,  do  caractère  et  d'ori- 
ginalité; entre  autres  la  grande  cérémonio  nuptiale, ,  avec  ses  épi- 
sodes divers  et  son  cortège  si  pittoresque  et  si  bien  réglé,  le  tout 


LE  MÉNESTREL 


141 


si  nouveau  pour  nous.  Il  y  avait  aussi  l'exécution  de  certains  hymnes 
au  Khédive,  qui,  eux  non  plus,  n'étaient  pas  sans  un  véritable 
intérêt. 

En  fait,  les  représentations  de  la  troupe  égytienne  au  Théâtre 
International  étaient  dignes  d'attention,  et  par  son  afïluence  cons- 
tante le  public  a  prouvé  qu'il  y  prenait  un  réel  plaisir. 

(A  suivre.)  Arthur  Poitgin. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (1er  mai).  —  La  Monnaie  est  tout 
entière  aux  soirées  d'adieux  ;  on  passe  en  revue  le  répertoire,  et  l'on  donne 
aux  artistes  qui  s'en  vont  définitivement  l'occasion  de  reparaître  dans 
leurs  meilleurs  rôles.  Et  comme,  ainsi  que  je  vous  l'ai  dit  déjà,  les  dé- 
parts définitifs  sont  nombreux,  ces  dernières  soirées  sont  bien  remplies. 
D'autre  part,  on  songe  déjà  aux  nouveaux  engagements.  La  nouvelle  de 
celui  de  MUo  Sybil  Sanderson,  conclu  ces  jours-ci  assez  à  l'improviste,  a  fait 
quelque  bruit  ici.  Il  sera  curieux  de  voir  la  créatrice  à'Esclarmonde  da  ns 
des  rôles  nouveaux,  qui  n'auront  pas  été  écrits  pour  elle,  et  dans  quelques 
œuvres  du  répertoire  qu'elle  jouera  certainement.  En  tout  cas,  cette  acqui- 
sition met  fin  aux  bruits  qui  avaient  couru  de  l'entrée  de  la  jolie  Améri- 
caine à  l'Opéra  de  Paris,  dans  le  Mage  de  M.  Massenet.  M.  Gailhard  se 
repentira-t-il  de  l'avoir  laissé  échapper  ?  Peut-être  bien.  Ce  n'est  pas 
d'aujourd'hui  qu'il  n'a  pas  de  chance,  et  que  ce  qu'il  a  dédaigné  devient 
bientôt  pour  lui  un  objet  de  regret.  Il  vient  de  lui  arriver,  cette  semaine 
même,  un  nouveau  malheur.  M.  Gailhard  a  débarqué  à  Bruxelles,  dans 
l'espoir  de  voir  Salammbô...  Hélas  !  justement  ce  jour-là,  M.  Renaud  étant 
tombé  malade,  on  dut  remettre  la  représentation,  et  M.  Gailhard,  —  très 
pressé,  parait-il, —  a  quitté  Bruxelles  sans  avoir  vu  l'œuvre  de  M.  Reyer! 
H  sera  le  seul,  décidément,  en  France,  à  ne  pas  la  connaître.  —  Pour  le 
reste,  rien  de  bien  important  à  vous  signaler  pour  le  moment.  Concerts 
variés,  et  en  attendant  le  dernier  Concert  populaire,  qui  sera  donné  jeudi 
prochain  sous  la  direction  de  M.  Hans  Richter.  Ce  sera  la  grande  clôture  ' 
musicale  de  l'année.  —  Au  moment  de  fermer  ma  lettre,  je  reçois  le 
nouvel  ouvrage  que  M.  Gevaert  vient  de  publier  chez  Lemoine,  la  première 
partie  du  Cours  méthodique  d'orchestration,  œuvre  considérable,  à  la  fois 
savante  et  pratique,  faite  d'érudition,  d'expérience  personnelle  et  de  tact, 
et  dans  laquelle  le  maître  expose,  avec  une  admirable  lucidité  et  en  ap- 
puyant ses  leçons  d'innombrables  exemples  puisés  dans  les  chefs-d'œuvre 
de  Haydn,  de  GlucK,  de  Weber  et  de  Beethoven,  cette  science  de  l'ins- 
trumentation qu'il  connaît  si  profondément.  C'est  un  beau  livre,  et  un  livre 
précieux.  —  L.  S.- 

—  Composera!...  Composera  pas!...  Cette  question  Verdi  passe  à  l'état 
de  scie.  Voici  ce  qu'on  ht  dans  le  Trovatore:  «  Verdi  écrit  !  !  C'est  une  grande 
nouvelle  que  nous  vous  donnons!  Contrairement  à  ce  que  M.  Etienne  Des- 
tranges  a  raconté,  relativement  à  un  interview  qu'il  aurait  eu  avec  le 
grand  maître,  et  dans  laquelle  l'auteur  de  Kigoletto  lui  aurait  dit  qu'Olello 
a  été  son  dernier  mot,  nous  pouvons  assurer,  l'ayant  appris  de  source  cer- 
taine, qu'Otello  ne  sera  point  la  dernière  œuvre  du  cygne  de  Busseto.  Son 
dernier  opéra,  auquel  il  travaille  en  ce  moment,  sera  Giuiiella  e  Romeo, 
sur  un  livret  d'Arrigo  Boito.  Cette  nouvelle  est  positive.  »  Après  le  Roi  Lear, 
après  le  Barbier,  après  un  troisième  dont  nous  oublions  le  nom,  nous  voici 
à  Roméo  et  Juliette.  Quand  cela  finira-t-il? 

—  La  santé  du  maestro  Franco  Faccio,  d'après  le  Mondo  arlistico,  de 
Milan.  «  Les  nouvelles  que  nous  avons  ne  sont  pas  meilleures,  mais  ne 
font  pourtant  pas  désespérer  de  la  possibilité  d'un  rétablissement  de  la 
santé  de  l'illustre  artiste.  Il  s'est  maintenant  rendu  dans  une  villa  prise 
en  location  dans  les  environs  de  Monza,  où  l'ont  accompagné  sa  sœur, 
M™  Clara  Fabrizi,  et  le  mari  de  celle-ci,  Arrigo  Boito  et  quelques  autres 
intimes.  Sa  sœur  et  son  beau-frère  resteront  avec  lui  pour  le  soigner,  ainsi 
que  la  gouvernante,  qui  n'a  cessé  de  lui  donner  des  preuves  d'une  affection, 
d'un  attachement  et  d'un  zèle  extraordinaires.   A  la  nouvelle   de   sa   situa- 

,  tion,  le  gouverneur  et  toutes  les  personnes  qui  appartiennent  au  Conser- 
vatoire royal  de  musique  de  Parme,  dont  il  était  nommé  directeur,  ont 
adressé  à  notre  cher  ami  une  lettre  affectueuse,  à  laquelle  Arrigo  Boito 
a  répondu  au  nom  de  la  famille.  » 

I  —  Comme  c'était  à  prévoir,  dit  le  Trovatore,  les  représentations  de  la 
Mala  Pasqua  de  M.  Gastaldonau  Costanzi  de  Rome,  qui  avaient  été  donnée  s 
dans  le  but  avoué  de  recueillir  quelques  fonds  pour  le  Comité  des  dames 
en  faveur  du  concours  de  tir,  se  sont  terminées  avec  un  très  notable  dé- 
ficit. C'est  presque  toujours  ainsi  qu'on  encourage  en  Italie  les  jeunes 
compositeurs. 

—  Deux  concours  de  composition  sont  ouverts  en  Italie  :  à  Florence, 
pour  la  mise  en  musique  du  Psaume  de  David  80,  Exultate  Deo,  etc.;  les 
musiciens  italiens,  ou  qui  ont  fait  leurs  études  musicales  en  Italie,  sont 
seuls  admis  à  concourir;  le  prix  est  do  300  francs,  offert  par  l'Académie 
de  l'Institut  royal  do  musique  de  Florence;  le  second  concours  est  ouvert 
par  l'Académie  Philharmonique  do  Bologne,   pour   la    composition  d'une 


messe  chorale  à  quatre  voix  (deux  ténors  et  deux  basses),  avec  accompa- 
gnement d'orgue,  à  exécuter  pour  la  cérémonie  annuelle  de  Saint-Antoine 
de  Padoue;  cette  messe  renfermera  les  morceaux  suivants:  Kyrie,  Gloria, 
Graduale,  Credo,  O/j'vrlorio,  Sanctus,  Bimediclus  et  Agnus  Dei;  pourront  concourir 
seulement  les  membres  de  l'Académie  Philharmonique,  italiens  ou  étran- 
gers, inscrits  dans  la  classe  des  compositeurs. 

—  On  signale  l'exécution  à  Florence,  dans  l'église  des  Chevaliers,  d'une 
grande  composition  religieuse,  les  Sept  Paroles  du  Christ,  dont  l'auteur  est 
M.  Emilio  Cianchi,  secrétaire  de  l'Académie  de  l'Institut  royal  de  musique 
de  cette  ville.  L'œuvre  est,  dit-on,  d'une  véritable  valeur. 

—  Au  théâtre  Alûeri,  de  Turin,  on  a  donné  avec  un  médiocre  succès 
une  opérette  nouvelle,  Cin-ko-ka,  dont  la  musique  est  due  à  un  composi- 
teur viennois,  M.  Sommer. 

—  M.  Alexandre  Guilmant  obtient  en  ce  moment  de  grands  succès  en 
Italie,  où  il  a  été  appelé  à  donner  quatre  séances  sur  l'orgue  de  l'Immaculée 
Conception  à  Gènes,  patrie  de  Sivori.  Le  grand  violoniste  s'est  fait  enten- 
dre aussi  dans  ces  séances  et  a  été  très  fêté.  Un  banquet  a  été  offert  aux 
deux  artistes  par  les  notabilités  de  la  ville. 

—  Dépêche  de  Séville  :  «  Lakmé  immense  succès.  Véritable  triomphe 
pour  Nevada.  » 

—  Le  théâtre  de  la  Cour  de  Stuttgart  vient  de  représenter  avec,  un 
succès  signalé  le  Roi  l'a  dit  de  M.  Léo  Delibes.  Ce  charmant  ouvrage  ins- 
pire les  lignes  suivantes  à  la  New  Musikzeitung  :  «  Cet  opéra- 
comique  est  riche  en  idées  musicales  dont  il  faut  admirer  la  fraîcheur. 
Delibes  fait  preuve  d'jn  goût  parfait  en  restreignant  les  développements 
de  ses  motifs  si  gais  et  si  piquants,  et  en  s'abstenant  de  fréquentes  ré- 
pétitions qui  ne  pourraient  que  détruire  l'effet  visé.  Lorsque  les  pensées 
musicales  jaillissent,  gracieuses  et  généreuses,  de  la  fantaisie  créatrice 
d'un  compositeur,  comme  c'est  le  cas  avec  Delibes,  il  doit  lui  être  facile 
de  les  présenter  aux  auditeurs  sous  mille  faces  diverses  et  chatoyantes. 
L'instrumentation  habille  avec  élégance  les  piquantes  mélodies  et  dénote 
une  habileté  consommée  ;  jamais  elle  n'affecte  de  ces  airs  mélodramati- 
ques qu'on  est  surpris  de  rencontrer  si  fréquemment  dans  les  œuvres 
prétendues  gaies  de  la  nouvelle  école.  L'opéra-comique  de  Delibes  est  une 
œuvre  qu'on  prend  plaisir  à  entendre  et  à  réentendre.  Parmi  les  inter- 
prètes, il  faut  placer  au  premier  rang  M.  Hromada,  qui  chante  et  joue 
d'une  façon  irréprochable;  puis  vient  M"e  Dietrich,  une  sémillante 
Javotte.  Mmcs  Kugelmann  et  Hiefer  se  sont  également  bien  tirées 
d'affaire.  La  mise  en  scène  était  très  soignée.  » 

—  Au  théâtre  de  Carlsruhe,  M.  Félix  Mottl,  l'un  des  chefs  d'orchestre 
svagnériens  les  plus  renommés,  vient  de  monter  et  de  remettre  à  la  scène, 
avec  succès,  l'un  des  opéras  les  plus  oubliés  de  Grétry,  Raoul  Barbe-Bleue. 
Pourquoi  n'essaierait-on  pas  en  France  une  reprise  de  ce  genre?  Il  est 
vrai  qu'il  faudrait  que  nos  directeurs  connussent  même  les  titres  des  opéras 
de  Grétry,  ce  qui  n'est  pas  absolument  certain. 

—  Les  inventeurs  ne  savent  à  quoi  s'ingénier.  Voici  qu'un  ingénieur 
saxon  vient  d'imaginer  un  appareil  automatique  pour  lequel  il  s'est  em- 
pressé de  prendre  un  brevet,  et  qui  est  destiné  dans  sa  pensée  à  épargner 
aux  chefs  d'orchestre  âgés  une  trop  grande  fatigue  dans  l'exercice  de  leurs 
fonctions.  Grâce  à  cet  appareil,  et  par  le  moyen  d'un  simple  bouton 
qu'il  suffit  de  presser,  lesdits  chefs  d'orchestre  pourront  faire  mouvoir, 
avec  la  régularité  précise  d'un  métronome,  un  bras  mécanique  muni  d'une 
baguette,  qui  marquera  les  temps  de  la  façon  la  plus  scrupuleuse  ! 

—  A  Copenhague,  la  Société  de  Sainte-Cécile  a  clos  sa  saison  musicale 
par  un  concert  dont  l'intérêt  particulier  était  fort  vif,  en  ce  sens  que  le 
programme  comprenait  uniquement  des  compositions  du  dix-septième 
siècle  soit  de  compositeurs  danois,  soit  de  membres  de  la  chapelle  du  roi 
Christian  IV. 

—  On  ne  s'ennuie  pas  à  Odessa!  Un  journal  raconte  que  les  abonnés 
du  théâtre  de  cette  ville  ont  offert  au  directeur,  M.  Setoff,  une  chemise 
de  soie,  accompagnée  d'une  poésie  dans  laquelle  on  l'engage  à  conserver 
précieusement  ce...  vêtement  pour  le  jour  où  il  n'en  aurait  plus  d'autre 
du  même  usage,  en  raison  des  dépenses  folles  auxquelles  il  se  livre  pour 
satisfaire  le  public. 

—  Mme  de  Nori,  une  charmante  cantatrice  qu'on  a  remarquée  aux  soirées 
espagnoles  données  dernièrement  au  théâtre  du  Vaudeville,  vient  d'être 
engagée  en  représentations  extraordinaires  au  théâtre  de  Bucharest,  où  le 
public  roumain  se  fait  une  fête  de  l'applaudir,  M"10  de  Nori  étant  elle- 
même  de  Roumanie. 

—  La  saison  des  concerts,  à  Bâle,  s'est  terminée  par  une  séance  supplé- 
mentaire, avec  le  concours  de  Mmc  Sembrich.  Les  feuilles  locales  disent 
que  la  célèbre  cantatrice  était  merveilleusement  en  voix  et  que  son  succès 
a  pris  les  proportions  d'un  triomphe,  principalement  après  la  valse  d'Ar- 
diti,  Parle  I  et  l'air  de  la  Somnambule. 

—  La  Compagnie  Cari  Rosa  vient  de  donner  au  théâtre  Drury-Lane,  à 
Londres,  plusieurs  représentations  de  Carmen  et  de  Roméo  et  Juliette,  ainsi 
que  la  reprise  d'un  opéra  de  Vincent  Wallace,  Lurline,  qui  obtint  il  y  a 
quelque  quarante  ans  un  très  grand  succès.  Un  journal  anglais  fait  remar- 
quer à  ce  propos  quo  Wallace,  dont  la  renommée  pourtant  était  grande, 


142 


LE  MENESTREL 


et  d'ailleurs  fort  légitime,  car  c'était  un  artiste  extrêmement  remarquable, 
ne  reçut  des  directeurs  Pyne  et  Harrison  que  la  ridicule  somme  de  dix 
sliellings  (12  fr.  30  c.)  pour  le  droit  de  représentation  de  son  ouvrage  en 
Angleterre.  Or,  Lurline,  dont  le  succès  fut  éclatant,  rapporta  à  ces  mes- 
sieurs la  bagatelle  de  70,000  livres  sterling,  soit  1,730,000  francs  !  Le  reçu 
des  dix  shellings  attribués  par  eux  à  Wallace  est  exposé  aujourd'hui  au 
British  Muséum. 

—  A  l'Opéra  Cari  Rosa  de  Londres,  Miss  Fanny  Moody  a  débuté  dans 
Mignon  avec  un  succès  retentissant.  Les  journaux  disent  que  l'héroïne  de 
l'opéra  d'Ambroise  Thomas  n'a  pas  eu  de  titulaire  plus  parfaite  en  Angle- 
terre depuis  Mlle  Van  Zandt,  c'est-à-dire  depuis  six  ans.  Dans  son  ensemble, 
la  représentation  a  été  très  remarquable,  sous  la  direction  du  chef  d'or- 
chestre Goossens. 

—  Voici,  s'il  faut  en  croire  les  bruits  qui  circulent,  qu'on  viendrait  de 
découvrir  à  Manchester  toute  une  série  de  manuscrits  de  Mozart,  compre- 
nant plusieurs  compositions  concertantes  datant  de  sa  première  jeunesse 
et  des  fragments  de  Mithridate,  l'opéra  que  le  maître  a  laissé  inachevé. 
Toutefois,  on  ne  dit  pas  s'il  s'agit  de  manuscrits  autographes  d'œuvres 
connues,  ou  de  compositions  inédites  ou  prétendues  telles. 

—  S'il  faut  en  croire  la  Pall  Mail  Gazette,  de  Londres,  la  recette  totale 
faite  en  Amérique  par  la  tournée  Abbey  et  Grau,  avec  le  concours  de  la 
Patti,  de  MM.  Tamagno,  etc.,  ne  s'élèverait  pas  à  moins  d'un  million  de 
dollars,  représentant  cinq  millions  de  francs.  Quel  coup  de  filet  dans  la 
poche  des  Yankees  ! 

—  -La  nouvelle  d'une  catastrophe  terrible  vient  d'arriver  des  Etats-Unis. 
La  troupe  d'opérette  de  M.  Edward  E.  Rice  (Pearl  of  Pékin  Company)  voya- 
geait dans  l'Etat  de  Virginie  quand  le  wagon-lit  dans  lequel  elle  se  trou- 
vait s'est  détraqué  près  la  ville  de  Staunton  et  a  roulé  du  haut  en  bas 
d'un  endiguement  escarpé.  M.  Louis  Harrisson,  un  des  meilleurs  comé- 
diens d'Amérique,  a  eu  les  deux  bras  brisés;  l'on  craint  pour  sa  vie. 
MUe  Myrtle  Knox,  la  prima  donna  de  la  troupe,  une  jeune  et  jolie  artiste, 
a  été  tuée  instantanément.  Plusieurs  autres  artistes  sont  dans  un  état  très 
grave. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

C'est  hier,  à  dix  heures,  qu'a  eu  lieu  le  concours  d'essai  pour  la 
composition  musicale,  au  Conservatoire.  Le  concours  comprend  une 
fugue  et  un  chœur.  Les  candidats  entrent  immédiatement  en  loge,  où 
ils  resteront  jusqu'à  vendredi  soir  9  mai.  Le  jugement  de  cette  épreuve 
préparatoire  au  grand  prix  de  Rome  sera  prononcé  le  samedi  10,  à  dix 
heures  du  matin.  Et  c'est  six  jours  plus  tard  que  sera  prononcé  le 
jugement  des  cantates,  dont  les  paroles  serviront  de  thème  aux  jeunes 
compositeurs  qui  seront  admis  à  prendre  part  au  concours   définitif. 

—  Quel  beau  feu,  et  comme  on  voit  bien  que  la  Commission  du 
budget  des  Beaux-Arts  va  se  réunir  prochainement  pour  prononcer  sur 
les  destinées  de  MM.  Ritt  et  Gailhard!  L'Opéra  donne  encore  aujourd'hui 
dimanche  une  représentation  populaire  à  prix  réduits.  On  représentera 
l'Africaine,  avec  MUo  Pack  dans  le  rôle  de  Sélika.  Les  deux  directeurs 
auront  beau  se  démener,  ils  n'arriveront  jamais  en  temps  voulu  au  nom- 
bre de  représentations  populaires  qui  leur  était  imposé  par  le  cahier  des 
charges.  Ils  ont  pour  cela  trop  de  retard.  Rien  ne  sert  de  courir,  il  faut 
partir  à  temps. 

—  Au  même  Opéra,  les  répétitions  générales  de  Zaïre  vont  commencer 
cette  semaine.  Le  compositeur,  qu'on  n'avait  pas  beaucoup  vu  jusqu'ici, 
tant  il  se  dérobait  devant  les  mauvais  procédés  de  MM.  Ritt  et  Gailhard, 
commence  à  montrer  le  bout  de  son  nez  de  temps  à  autre.  Il  a  compris 
qu'il  ne  pouvait  ainsi  abandonner  son  œuvre  au  hasard  ;  il  surmontera, 
pour  cette  raison,  tous  les  mépris  et  tous  les  dégoûts  qu'il  peut  avoir  au 
fond  du  cœur. 

Le  Bulletin  des  lois  enregistre  l'ouverture  de  la  pension  de  retraite  d'un 

certain  nombre  d'artistes  de  l'Opéra.  Le  violoniste  Lancien,  chef  de  pu- 
pitre à  l'orchestre,  après  trente-quatre  ans  de  services  reçoit  une  pen- 
sion de  1,511  francs  ;  M.  Lalliet,  également  chef  de  pupitre  à  l'orchestre, 
reçoit  une  pension  de  1,310  francs  après  vingt  et  un  ans  de  service;  deux 
autres  artistes  de  l'orchestre,  MM.  Dihau  et  Dumas,  reçoivent  respecti- 
vement des  pensions  de  1,105  et  947  francs,  après  vingt-six  et  vingt-deux 
ans  de  services;  Mm0  Victorine  Jousset,  artiste  de  la  danse,  reçoit  une 
pension  de  821  francs,  après  vingt  et  un  ans  de  services;  Mme  Marie  de 
Uonde,  artiste  des  chœurs,  reçoit  une  pension  de  1,020  francs,  après  vingt- 
cinq  ans  de  services;  M.  Emile  Perrot,  artiste  du  corps  de  ballet,  reçoit 
une  pension  de  649  francs,  après  trente  ans  de  services.  —  Rappelons  à 
ce  propos  que  M.  Lancien,  premier  prix  de  la  classo  d'Alard  en  1852,  et 
qui  depuis  longues  années  était  à  l'Opéra  'chef  d'attaque  des  premiers 
violons,  a  rempli  le  même  poste  aux  Concerts  populaires  de  Pasdeloup 
psndanl  toute  leur  existence,  c'est-à-dire  pendant  environ  vingt-cinq  ans, 
sans  en  jamais  manquer  un  seul.  Son  camarade  Dumas,  qui  lit  partie  de 
la  Société  des  concerts,  était  aussi  élève  de  la  classe  d'Alard  au  Conser- 
vatoire, où  il  obtint  le  premier  prix  en  18-47. 

—  Il  est  question,  à  l'Opéra,  de  la  retraite  prochaine  de  M""'  Zina  Mê- 
lante, l'excellente  directrice  de  la  classe  de  danse,  à  qui  l'état  actuel  de  sa 
santé,  ne  permettrait  pas  de  continuer  ses  leçons.  On  met  en  avant,  comme 
pouvant  recueillir  sa  succession,  les  noms  de  M"'8  Théodore,  Laure  Fonta, 


Sanlaville  et  Berthe   Bernay.  On  pourrait  y   ajouter  sans    doute  celui  de 
Mlle  Léontine  Beaugrand,  qui  semblerait  également  indiqué. 

—  A  l'Opéra-Comique,  la  première  représentation  de  Dante,  le  nouvel 
opéra  de  MM.  Benjamin  Godard  et  Edouard  Blau,  tient  toujours  pour 
mercredi  prochain,  7  mai.  Il  parait  que  c'est  l'anniversaire  de  la  pre- 
mière apparition  du  Roi  d'Ys,  et  M.  Paravey  parait  attacher  une  certaine 
importance  à  cette  coïncidence  des  deux  dates.  Heureux  les  directeurs 
qui  n'ont  pas  d'autres  préoccupations! 

—  Comme  nous  l'annonce  notre  collaborateur  Solvay  dans  sa  petite 
correspondance  de  Belgique,  Mlle  Sybil  Sanderson  a  signé  un  engagement 
pour  la  saison  prochaine  avec  MM.  Stoumon  et  Calabresi,  directeurs  du 
théâtre  de  la  Monnaie  de  Bruxelles.  C'est  un  acte  de  sagesse  ;  cette  char- 
mante personne  pourra  compléter  là  tout  à  son  aise  son  éducation  artis- 
tique et  nous  revenir  plus  forte  et  plus  sûre  d'elle-même  quand  il  en  sera 
temps  :  «  Faut-il  conclure  de  là,  dit  M.  Besson  de  l'Événement,  que 
Wle  Sanderson  créera  à  Bruxelles  la  Kassia  de  Léo  Delibes  ?  »  Pas  du  tout, 
cher  confrère  ;  M.  Delibes  n'a  nullement  l'intention  de  faire  passer  la 
frontière  à  sa  dernière  œuvre,  qui,  d'ailleurs,  n'est  pas  encore  achevée.  Il 
attendra  une  occasion  favorable  de  la  présenter  aux  Parisiens.  De  plus, 
le  rôle  de  Kassia  n'est  pas  du  tout  écrit  dans  la  voix  de  Mlle  Sanderson.  Il 
y  faudrait  un  mezzo-soprano  quelque  peu  élevé,  et  plus  de  sentiment 
dramatique  que  de  tours  de  force  de  vocalisation  :  quelque  chose  comme 
une  Galli-Marié  bien  en  voix  ferait  parfaitement  l'affaire.  Mais  où  trouver 
cet  oiseau  rare? 

—  Le  déblaiement  complet  du  terrain  de  l'ancien  Opéra-Comique,  où 
avait  été  édifiée,  pendant  l'Exposition,  la  salle  du  concert  Favart,  a  été 
terminé  mercredi  dernier. 

—  L'assemblée  générale  annuelle  de  l'Association  des  artistes  musiciens 
aura  lieu  le  mercredi  13  mai,  à  une  heure  précise,  dans  la  grande  salle  du 
Conservatoire.  Ordre  du  jour:  1°  compte  rendu  des  travaux  du  comité 
pendant  l'année  1889,  par  M.  Paul  Rougnon,  secrétaire-rapporteur; 
2"  élection  de  quinze  membres  du  comité.  Les  sociétaires  qui  se  présentent 
comme  candidats  au  comité  sont  invités  à  se  faire  inscrire,  avant  le  13 
mai,  au  siège  de  l'Association,  rue  Bergère,  11. 

—  Un  de  nos  grands  confrères  quotidiens  publie  la  petite  note  que 
voici  :  «  M.  Brasseur  ayant  traité  depuis  un  mois  avec  M.  Alhaiza,  direc- 
teur du  Théâtre-Molière  de  Bruxelles,  pour  la  location  du  théâtre  des 
Nouveautés,  se  verra  obligé  d'interrompre  bientôt  les  Ménages  parisiens. 
M.  Alhaiza  a  l'intention  de  transporter  à  Paris,  non  seulement  sa  troupe 
d'artistes,  mais  le  personnel  de  son  orchestre  et  son  matériel  de  costumes 
et  de  décors.  Il  débutera  par  le  Voyage  de  Chaufontaine,  un  opéra-bouffe 
composé  en  1757  par  Hammal,  qui  fut  le  maître  de  Grétry,  et  dont  la 
partition  vient  d'être  retrouvée  aux  archives  du  Conservatoire  de  Liège.  » 
Jean-Noël  Hamal  ne  fut  pas,  comme  le  dit  cette  note,  le  maître  de  Grétry, 
bien  que  tous  deux  fussent  Liégeois  de  famille,  de  naissance  et  d'éduca- 
tion: avant  de  partir  pour  l'Italie,  où  il  se  forma  surtout,  Grétry  n'eut 
d'autres  maîtres  en  son  pays  que  trois  artistes  nommés  Leclerc,  Renekin 
et  Moreau.  Mais  Hamal,  qui,  lui  aussi,  visita  l'Italie,  où  il  se  lia  avec 
Amadori,  Durante  et  Jomelli,  n'en  était  pas  moins  un  artiste  de  grande 
valeur. Entre  autres  compositions,  il  écrivit  deux  grands  oratorios,  Jonathan 
et  Judith,  et  plusieurs  opéras  bouffes  sur  des  livrets  non  français,  mais 
conçus  dans  ce  patois  de  Liège  si  curieux  et  si  amusant.  De  ce  nombre 
est  le  Voyage  de  Chaufontaine,  dont  le  titre  véritable  est  H  Voegge  di  Clio- 
fontaine,  et  que  M.  Alhaiza  aurait  l'intention  de  nous  faire  connaître.  La 
tentative  pourra  ne  manquer  ni  de  piquant  ni  d'intérêt.  En  tout  cas.  elle 
sera  vraiment  musicale. 

—  Mercredi  dernier,  les  Bouffes-Parisiens  ont  donné  la  première  repré- 
sentation d'un  petit  opéra-comique  en  un  acte,  les  Trois  Souhaits,  dont  le 
livret,  tiré,  bien  entendu,  du  conte  de  Perrault,  a  été  écrit  par  l'auteur  de 
la  musique,  M.  Georges  Villain. 

—  M-  Cobalet,  l'excellent  artiste  de  l'Opéra-Comique,  est  sur  le  point  de 
partir  pour  Londres,  où  il  va  remplir  l'engagement  contracté  par  lui  pour 
la  saison  italienne  du  théâtre  Covent-Garden  comme  première  basse- 
baryton. 

—  Le  «  Nouveau-Théàtre-Lyrique-Français»  de  Rouen,  ou  tout  bonnement 
le  théâtre  des  Arts,  continue  de  faire  parler  de  lui.  Il  a  dû  donner  ven- 
dredi dernier  la  première  représentation  d'un  opéra-comique  inédit  en  un 
acte  de  M.  Alexandre  Georges,  le  Printemps,  et  hier  samedi  celle  d'un  ou- 
vrage beaucoup  plus  important,  la  Coupe  et  les  Lèvres,  opéra  en  cinq  actes, 
imité  d'Alfred  de  Musset  par  M.  Ernest  d'Hervilly,  musique  de  M.  Gus- 
tave Canoby.  Après  quoi...  il  doit  fermer  ses  portes,  sa  saison  étant  ter- 
minée. 

—  Mu°  "Wita  Carritte,  une  jeune  et  jolie  Américaine,  douée  d'une  belle 
voix  de  soprano,  vient  d'être  engagée  par  M.  Harris  pour  la  saison  d'opéra 
au  Covent-Garden,  de  Londres.  M"c  Carritte  est  une  élève  de  M"10  Aima  de 
Lagrango. 

—  Nous  empruntons  à  la  Gazette  de  Francfort  du  23  avril  le  compte-rendu 
suivant  :  «  Il  est  parmi  beaucoup  d'Allemands  comme  un  axiome,  que  les  j 
Français   ne    possèdent  pas  de  véritables  chansons  populaires.  C'est  une  j 
grave    erreur,  qui  tire  son  origine  de  ce  fait  que   les  Français  n'ont  re-  ] 
cueilli  le  trésor  do    leurs    chants  populaires  qu'après    les  Anglais    et  les 


LE  MENESTREL 


443 


Allemands.  Mais  ils  uni,  depuis  lors,  regagné  le  temps  perdu  par  un 
redoublement  de  zèle...  En  ces  dernières  années,  un  concours  de  l'Aca- 
démie des  beaux-arts  a  produit  une  œuvre  étendue  d'un  jeune  savant  et 
musicien,  M.  Julien  Tiersot,  où  se  trouvent  résumés,  dans  une  histoire 
de  la  chanson  populaire  française,  les  résultats  les  plus  récents  de  ces 
études.  Hier  soir,,  enfin,  l'auteur  de  ce  livre  a  risqué  l'entreprise  hardie 
de  présenter  le  résumé  de  ses  recherches  au  public  de  la  salle  des  Confé- 
rences du  boulevard  des  Capucines,  et,  joignant  la  pratique  à  la  théorie, 
il  a  fait  entendre  lui-même,  avec  une  très  agréable  voix  de  ténor,  quel- 
ques-unes des  plus  jolies  chansons  populaires.  Le  public  n'était  pas  aussi 
nombreux  qu'aux  conférences  boulangistes,  antisémites  ou  anarchistes 
de  Naquet,  Laur  ou  Louise  Michel,  mais,  en  fin  de  compte,  il  était  mani- 
festement plus  d'accord  dans  l'approbation  que  pour  ces  discours  incen- 
diaires. Comme  la  perle  de  la  chanson  populaire  française,  M.  Tiersot  a 
donné  la  chanson  de  Jean  Renaud,  qui,  si  je  ne  me  trompe,  doit  se  trouver 
aussi  dans  les  recueils  de  chansons  populaires  en  Allemagne...  Son  carac- 
tère sombre  n'est  pas  une  exception,  mais  presque  la  règle.  Même  des 
chansons  gaies  et  spirituelles  seront  souvent  chantées  par  le  peuple  sur 
un  ton  traînant  et  une  mélodie  mélancolique,  tandis  que  le  contraire,  des 
mélodies  gaies  sur  un  texte  sérieux,  à  la  manière  des  opéras  italiens,  est 
beaucoup  plus  rare.  M.  Tiersot  a  pu  aussi  retrouver  le  chant  d6s  labou- 
reurs du  Berry  décrit  par  George  Sand  dans  la  Mare  au  Diable...  Cette 
autre  chanson  du  Pauvre  Laboureur  est  extrêmement  mélancolique.  M.  Tier- 
sot regrette,  comme  tous  les  folk-loristes,  que  les  refrains  de  cafés  -  chan- 
tants et  même  des  opérettes  supplantent  de  plus  en  plus  dans  le  pays  le 
vieux  chant  populaire,  même  dans  les  provinces  les  plus  riches  en  chan- 
sons, comme  la  Bretagne,  où  cependant  l'ancienne  langue  celtique  tient 
encore  la  place  du  français,  et,  par  là,  la  chanson  populaire  y  est  mieux 
protégée  qu'ailleurs.  » 

—  Le  Conservatoire  de  Nancy,  succursale  du  Conservatore  de  Paris, 
vient  de  s'enrichir  d'une  importante  collection  de  musique  française  et 
étrangère  d'auteurs  peu  connus  pour  la  plupart,  collection  qui  lui  a  été 
offerte  par  M.  le  docteur  Parisot,  frère  de  l'artiste  distingué  et  si  regretté 
qui  en  était  possesseur.  Cette  bibliothèque  musicale,  connue  sous  le  nom 
de  collection  Henry  Parisot,  va  permettre  au  Conservatoire  de  Nancy  de 
créer  un  cours  d'accompagnement  pour  les  jeunes  artistes,  et  sera  pré- 
cieuse aussi  pour  les  professeurs,  qui  trouveront  là  un  recueil  de  musique 
savante. 

—  M.  Gounod  est  arrivé  dimanche  soir  à  Douai,  à  cinq  heures,  venant 
de  Paris.  Le  maître  venait  diriger  les  dernières  repétitions  de  Sapho,  dont 
l'exécution  a  eu  lieu  au  cours  d'un  concert  de  bienfaisance  donné  le  len- 
demain. La  foule,  qui  attendait  l'auteur  de  Faust  sur  la  place  de  la  Gare, 
lui  a  fait  une  véritable  ovation.  Par  une  attention  à  laquelle  le  maître  a 
paru  fort  sensible,  la  musique  d'artillerie  a  joué  le  chœur  des  Soldats  de 
Faust  au  moment  où  il  entrait  en   ville. 

CONCERTS   ET  SOIRÉES 

Où  est  le  Paris  qui  eût  pu,  l'autre  jeudi,  au  Cercle  de  l'Union  artistique 
décerner  sans  hésitation  le  prix  à  la  toilette  la  plus  élégante?  Il  n'est 
guère  moins  embarrassant  de  donner  la  pomme  au  vainqueur  de  tournoi 
musical  qu'on  nous  conviait  à  juger.  Prudemment,  et  équitablement  d'ail- 
leurs, je  la  diviserai  en  beaucoup  de  tranches  et  chacune  en  aura  sa  part. 
Voici  le  prince  de  Polignac  (fragments  du  Roi  de  Thulé)  et  M.  Ch.  Grisart 
(fragments  inédits  du  Bossu,  qu'on  acclame  et  qui  viendront  l'un  et  l'autre 
partager  leur  gloire  avec  leurs  vaillantes  interpiètes,  Mmcs  Krauss  et 
J.Thibault.  Voici  M.  Saint-Quentin,  dont  la  Sérénade  est  chantée,  à  ravir 
par  M.  Engel,  et  dont  lapoétique  Prière  du  matin  prend  sur  les  lèvres  en- 
fantines et  déjà  inspirées  de  Marguerite  Naudin  un  accent  enchanteur 
(bissé).  Voici  M.  de  Boisdeffre,  dont  la  muse  rêveuse  fait  résonner  dans 
la  Forêt  les  plus  suaves  mélodies.  Voici  M.  J.  Cohen,  dont  M"c  Renée 
Langlois  rend  d'un  archet  pieusement  magistral  un  doux  andante 
relùjioso,  auquel  succède  un  éclatant  Sanctus  (hissé).  Distinction,  finesse, 
joli  contour  mélodique  dans  les  délicates  et  trop  courtes  pièces  d'orchestre 
de  M.  A.  Duveruoy,  de  M.  Chaumet  etdeM.Ch.  Malherbe.  Quand  j'aurai 
encore  cité  à  l'ordre  du  jour  MM.  de  Wailly  et  d'Harcourt.  qui  ouvraient 
et  fermaient  brillamment  la  séance,  je  n'aurai,  je  crois,  oublié  personne 
et  ce  sera  justice.  —  Paul  Collin. 

—  On  ne  saurait  trop  louer  M.  Ed.  Nadaud  de  la  composition  des  pro- 
grammes de  ses  concerts.  Le  dernier  comprenait  un  quatuor  inédit  pour 
instruments  à  cordes,  de  M.  Gounod,  véritable  merveille  de  style  et 
de  facture,  qui  a  été  exécuté  dans  la  perfection.  Après  la  sonate 
pour  piano  et  violoncelle  de  M.  Saint-Saëns,  remarquablement  rendue 
par  M110  de  Monvel  et  M.  Cros-Saint-Ange,  nous  avons  entendu  l'Esclave, 
de  M.  Lalo,  et  Chanson  ancienne  de  M.  Sauzay,  avec  violon  obligé.  Ces 
deux  mélodies  ont  été  chantées  dans  un  grand  style  par  Mmo  Conneau  ; 
M.  Nadaud  a  eu  sa  large  part  de  succès  dans  la  Chanson  ancienne.  Dans 
Kàuditoire  on  remarquait,  outre  M.  Gounod,  la  présence  de  M.  Ambroise 
Thomas,  à  qui  M.  do  Boisdeffre  a  dédié  son  nouveau  sextuor.  Cette  com- 
position fort  distinguée  a  obtenu  un  succès  très  mérité. 

—  La  Société  nationale,  plus  que  jamais  pleine  d'activité,  a  donné  cette 
Bfimaine  deux  concerts  en  trois  jours,  et,  dans  l'un  (samedi  19  avril,  salle 
Pleyel),  elle  a  fait  entendre  pour  la  première  l'ois  une  œuvre  capitale,  un 
nouveau    quatuor   à  cordes  do  M.  César  Franck.  C'est  une    œuvre   d'une 


beauté  sereine  et  d'une  incomparable  élévation.  Le  premier  morceau, 
d'une  coupe  très  neuve,  commence  par  un  mouvement  lent  assez  déve- 
loppé, qui  sert  d'introduction  à  un  allegro  coupé  en  deux  parties  inégales 
par  un  épisode  fugué,  sur  le  thème  lent  du  prélude,  lequel,  par  sa  forme 
et  son  inspiration,  évoque  l'idée  des  plus  grandes  pages  de  Bach,  sans 
trahir  d'ailleurs  nulle  réminiscence.  Son  thème  principal  revient  dans 
tous  les  morceaux  du  quatuor  :  d'abord  un  scherzo  en  sourdines,  de  carac- 
tère fantastique,  avec  le  mouvement  duquel  il  forme  une  opposition  très 
accusée;  puis  un  larghetto  qui  débute  par  une  longue  phrase,  magnifique- 
ment développée,  où  la  mélodie  déborde,  et  d'une  inspiration  toute  bee- 
thovénienne;  enfin  un  finale  très  animé  où  reparaissent  tour  à  tour,  traités 
avec  la  science  que  personne  ne  conteste  à  l'auteur  dos  Béatitudes,  tous 
les  thèmes  précédents  :  à  signaler  notamment  le  retour  du  chant  du  lar- 
ghetto, surgissant  après  un  développement  vif  et  passionné,  le  continuant 
et  le  prolongeant  avec  une  puissance  d'expression  d'une  intensité  extraor- 
dinaire. Il  est  inutile  d'ajouter  que  le  public  de  la  Société,  que  l'on  sait 
n'être  pas  hostile  à  ces  tendances,  a  fait  à  M.  César  Franck  une  ovation 
prolongée;  mais  il  serait  injuste  de  ne  pas  signaler  la  très  remarquable 
exécution  donnée  de  cette  œuvre,  nouvelle  pour  les  interprètes  comme 
pour  le  public,  par  le  quatuor  de  la  Société,  MM.  Heymann,  Gibier, 
Balbreck  et  Liégeois.  Les  autres  morceaux  du  programme  se  sont  un  peu 
ressentis,  pour  la  plupart,  de  ce  voisinage  absorbant  :  c'étaient  deux  mélo- 
dies de  M.  S.  Lazzari,  chantées  par  une  gracieuse  cantatrice,  M"e  Bertha 
Herman;  des  pièces  de  piano  de  MM.  Diémer,  Pfeiffer  et  Stojovski  (un 
lauréat  des  derniers  concours  du  Conservatoire,  où  il  étudiait  la  compo- 
sition et  le  piano  sous  MM.  Léo  Delibes  et  Diémer)  exécutées  par  M.  Diémer 
avec  le  talent  qu'il  est  superflu  de  constater  une  fois  de  plus  ;  deux  mélo- 
dies de  M.  E.  Chausson,  d'un  sentiment  très  contemplatif  ;  deux  autres 
aimables  mélodies  de  M.  Diémer,  Fleur  éphémère  et  Chanson  de  printemps, 
chantées  avec  talent  par  MUo  Marcella  Pregi,  enfin  le  Poème  des  montagnes 
de  M.  V.  d'Indy  et  la  transcription  à  deux  pianos  de  Lénore,  le  remarquable 
poème  symphonique  de  M.  H.  Duparc.  —  Le  lundi  21  a  eu  lieu,  à  la  salle 
Erard,  un  concert  d'orchestre  et  chœurs.  Celui-ci  a  été  contrarié,  ou  du 
moins  écourté,  par  le  retrait  au  dernier  moment  de  deux  œuvres  portées 
au  programme,  et  même  répétées  :  mesure  fâcheuse  qui,  bien  que  prévue 
et  défendue  par  les  statuts  de  la  Société,  a,  par  une  tolérance  peut-être 
excessive,  été  néanmoins  autorisée.  Parmi  les  sept  morceaux  restant  au 
programme,  il  faut  signaler  surtout  :  le  prologue  à'Azaël,  drame  lyrique 
de  M.  Léon  Husson,  dont  la  musique  a  d'excellentes  qualités  dramatiques 
et  expressives;  une  mélodie  de  M.  Ch.  Bordes,  sur  des  vers  de  M.  Ver- 
laine :  Dansons  la  gigue,  pu  un  thème  de  danse  populaire  forme  une  oppo- 
sition très  caractérisée  avec  une  partie  triste,  dont  l'expression  est  intense; 
le  prologue  de  la  Passion,  mystère  de  M.  Haraucourt,  musique  de  M.  G.  Fauré, 
d'un  très  beau  sentiment  religieux,  avec  ses  formes  sévères,  sa  tonalité 
archaïque,  ses  basses  nobles  et  solidement  marquées,  dans  la  manière  de 
Bach;  enfin  une  ouverture  de  M.  Lucien  Lambert,  des  mélodies  de 
M.  G.  Huê  et  de  Mmc  de  Grandval,  et  un  prélude  de  M.  Jacques  Durand. 
Quelques  personnes,  trompées  par  les  changements  apportés  au  dernier 
moment,  suivaient  pendant  le  morceau  de  M.  Durand  sur  le  programme 
destiné  au  prélude  des  Noces  corinthiennes  de  M.  Camille  Benoit,  qui  n'a 
pas  été  exécuté;  elles  n'ont  pas  manqué  d'y  découvrir  une  concordance 
étroite  entre  la  musique  et  les  vers  de  M.  Anatole  France,  dont  le  senti- 
ment religieux  leur  a  paru  très  bien  exprimé  par  un  choral  franc  et 
sonore,  lancé  par  tous  les  cuivres.  L'exécution,  à  laquelle  ont  pris  part 
Mmea  Brunet-Lafleur  et  Fanny  Lépine,  MM.  Warmbroodt  et  Gilibert,  a 
été  dirigée  tout  entière  par  M.  Vincent  d'Indy,  qui,  par  la  sûreté,  la  fer- 
meté de  main  et  la  justesse  d'interprétation  dont  il  a  fait  preuve,  a  pro- 
duit là  un  nouvel  argument  vivant  en  faveur  de  la  cause  du  compositeur 
chef  d'orchestre.  —  La  Société  donnera  encore  un  dernier  concert,  avec 
orchestre  et  chœurs,  le  17  mai;  on  y  entendra  des  œuvres  nouvelles  de 
MM.  Bourgault-Ducoudray,  Paul  Lacombe,  G.  Fauré,  C.  Franck,  Marty, 
de  la  Tombelle,  etc.  Puis,  l'hiver  prochain,  elle  commencera  sa  vingtième 
année  d'existence.  Durant  ces  dix-neuf  ans,  elle  n'a  jamais  cessé  d'être 
au  service  des  jeunes  compositeurs  français,  entre  les  mains  desquels  elle 
a  toujours  été  :  tour  à  tour  c'a  été  Bizet,  de  Castillon^  MM.  Saint-Saëns, 
Massenet,  Guiraud,  Lalo,  César  Franck,  etc.  A  mesure  que  de  plus  vastes 
théâtres  s'ouvraient  à  chacun  de  ces  maîtres,  ils  laissaient  la  place  à  de 
nouveaux  venus  ;  l'on  sait  à  quelles  mains  sont  aujourd'hui  confiés  les 
intérêts  de  la  Société  :  les  noms  cités  dans  ce  seul  article  sont  assez  nom- 
breux et  significatifs  pour  témoigner  du  large  esprit  d'éclectisme  dont  elle 
est  plus  que  jamais  animée.  Je  ne  parle  pas  du  désintéressement  plus 
que  complet  de  ceux  de  ses  membres  qui  en  ont  le  plus  particulièment  la 
direction,  et  qui  lui  consacrent  la  plus  grande  partie  de  leur  temps  sans 
autre  préoccupation  que  celle  d'être  utiles  à  l'art.  Je  pense  que  de 
pareils  services  et  des  travaux  si  intéressants  méritent  bien  d'être  appré 
ciés  avec  des  paroles  courtoises.  Julien  Tiersot. 

Soirées  ei  concerts.  —  Le  septième  conceit  annuel,  organisé  par  M1""  Marchesi 
au  profit  des  œuvres  de  Montmartre,  a  eu  Heu  mardi  dans  les  salons  de  l'Hôtel 
continental.  M"'"  Melba  s'y  est  surpassée  dans  le  duo  à'Hamlel  avec  M.  Delmas,  et 
dans  l'air  de  Lucie,  accompagné  par  la  flite  magique  de  M.Taffanel.  Le  •■  pianiste 
du  jour  »,  M.  Padcrewski,  a  trouvé  à  ce  même  concert  le  succès  enthousiaste 
auquel  le  public  parisien  l'a  habitué,  et  MM.  Ilassehnans  et  Talïanel,  nos  deux 
grands  virtuoses,  ont  été  couverts  d'applaudissements  bien  mérités.  M"0'  Risley 
et  Komaromi,  deux  élèves  de  M""  Marchesi,  douées  de  superbes  voix  et  d'une 
excellente  méthode,  ont  contribue  au  succès  de  la  soirée  avec  le  beau  duo  d'Atoi- 


144 


LE  MENESTREL 


Hamet,  de  M.  Th.  Dubois.  N'oublions  pas  la  violoniste  viennoise  M"°  Neusser,  qui 
a  su  se  faire  beaucoup  apprécier  en  exécutant  des  morceaux  de  Monasterio  et 
de  Sarasate,  ainsi  que  le  quatuor  des  dames  Vormese,  Huon,  Riwinach  et  Maleyx, 
qui  a  ouvert  la  séance  par  un  fragment  du  77°  quatuor  d'Haydn.  La  recette  a  dépassé 
10,000  fr.  et  la  qu3te  a  rapporté  près  de  900  fr.  —  Chez  M"0  Gabrielle  Krauss  a  eu  lieu, 
le  26  avril  dernier,  une  très  brillante  soirée  musicale.  La  plupart  des  morceaux  exé- 
cutés étaient  de  M.  Francis  Thomé.  Le  violoncelliste  M.  Casella  s'y  est  fait  aussi  ap- 
plaudir, de  même  que  M.  Hasselmans,  le  harpiste  si  remarquable.  M"'  du  Minil  a 
déclamé  la  Fiancée  du  Timbalier,  de  Victor  Hugo,  avec  la  musique  de  M.  Thomé, 
arrangée  pour  petit  orchestre.  Enfin,  Mra0  Krauss  a  été  acclamée,  selon  son  habitude. 

—  Lundi  a  eu  lieu  la  dernière  séance  de  M.  Mendels.  Au  programme  un  trio  de 
M.  Lazzari,  pour  piano,  violon  et  violoncelle,  dont  les  deux  morceaux  intermé- 
diaires, un andante  d'un  beau  sentiment  et  un  joli  scherzo,  sont  les  plus  réussis.  Il 
y  a  quelques  longueurs  et  des  développements  inutiles,  dans  le  reste  de  l'œuvre, 
qui,  malgré  ce  reproche,  reste  fort  intéressante.  MM.  Philipp,  Mendels  et  Casella 
l'ont  brillamment  interprétée.  MM.  Philipp  et  Casella  ont  dit  aussi  d'une  façon  re- 
marquable la  belle  sonate  en  ut  mineur  de  M.  Saint-Saëns.  M",e  Duvernoy  a  chanté 
avec  un  beau  style  l'air  d'Hérodiade,  de  M.  Massenet,  et  une  mélodie  de  M.  Guiraud. 
M.  Philipp  a  fait  entendre  quelques  courts  morceaux,  dont  une  Arabesque  de  sa 
composition.  —  M.  Magdanel  a  donné  un  concert  avec  le  concours  de  M"°  Pou- 
get  et  de  M.  I.  Philipp.  Il  s'y  est  montré  virtuose  de  grand  talent  dans  un  con- 
certo de  Servais,  dans  divers  morceaux  de  MM.  Widor  et  Popper,  et  musicien 
parfait  dans  une  sonate  de  M.  Saint-Saëns,  jouée  avec  M.  Philipp.  M"°  Pouget, 
très  en  voix,  a  admirablement  chanté  une  mélodie  de  M.  Saint-Saëns  et  un  air 
d'Ariodant,  et  M.  Philipp  a  joué  avec  un  style  charmant  plusieurs  pièces  de 
Chopin.  —  Samedi  dernier,  le  programme  de  la  Société  de  musique  d'ensemble 
dirigée  par  M.  René  Lenormand,  renfermait  un  certain  nombre  d'ouvrages  de 
M.  Widor.  Le  grand  succès  a  été,  comme  toujours,  pour  la  ballade  de  Maître 
Ambros,  chantée  par  M"0  Lépine  et  accompagnée  par  l'auteur.  Citons  encore  parmi 
les  œuvres  les  plus  applaudies,  VOiseau  léger,  mélodie  pour  chant ,  violon  et 
violoncelle  de  M.  Lenormand,  et  la  Marguerite  deSchubert,  chantée  par  Mme  Ruefl. 
~  A  la  dernière  soirée  musicale  de  M"°  Martin,  M.  Joseph  White  s'est  fait  entendre 
dans  la  Cavatine  de  Raft  et  le  trio  en  ut  mineur  de  Mendelssohn.  Il  a  eu  un 
grand  succès  avec  la  Zamacueca,  danse  chilienne,  transcrite  par  lui  pour  le  violon 
et  pleine  d'effets  originaux  et  inattendus.  —  L'audition  des  élèves  de  M™0  Canivet, 
entièrement  consacrée  aux  œuvres  de  M.  Théodore  Lack,  a  été  un  grand  succès 
pour  toutes.  Parmi  les  morceaux  les  plus  applaudis,  signalons  particulièrement 
la  belle  et  brillante  paraphrase  à  deuxpianos  sur  Coppélia,  qui  produit  toujours  un 
effet  prodigieux,  et  le  duo  sur  la  Juive,  merveilleusement  interprété  par  la  char- 
mante virtuose  M"''  Depecker,  professeur  aux  cours  de  M""  Canivet,  et  M.  Staub, 
l'élève  favori  de  M.  Diëmer.  Cette  intéressante  séance  fait  grand  honneur  au  par- 
fait enseignement  de  M""  Canivet  et  à  celui  de  son  intelligente  collaboratrice, 
M"0  Depecker.  —  Très  réussie  également  la  réunion  des  élèves  de  M110  Barbier-Jussy, 
où  nous  avons  entendu,  entre  autres  jolies  choses,  bisser  avec  enthousiasme  l'Oi- 
seau-Mouche, la  ravissante  bluette  de  M.  Théodore  Lack.  Très  remarquées  aussi  les 
jolies  marches  à  quatre  mains  de  M.  Georges  M&thi&s  :  Marche  chinoise  eiMarchemau- 
resque. —  La  réunion  annuelle  des  élèves  de  piano  de  Mrop  Chauvin  avait  lieu  jeudi 
dernier,  à  la  salle  Erard,  devant  un  nombreux  et  brillant  auditoire.  Les  élèves  de 
MmL'  Chauvinjouent  toutes  en  musiciennes,  quelques-unes  en  véritables  virtuoses, 
teiles  que  M11"  Vaucorbeil,  Goguet  et  Jeanne  Tavant.  Cette  dernière  a  exécuté  la 
célèbre  Valse  arabesque  de  M.  Th.  Lack  avec  beaucoup  de  charme  et  d'élégance. 
Tous  nos  complimentsau  vaillant  professeur  sur  la  perfection  de  son  enseignement. 

—  La  Gironde  du  26  avril  nous  apporte  le  grand  succès  de  M""  Rose  Delaunay  à 
la  représentation-concert  donnée  par  la  Société  des  soirées  intimes  de  Bordeaux. 
Elle  a  surtout  été  acclamée  dans  l'Amour  est  un  enfant  trompeur,  de  Martini,  et 
dans  la  Tarentelle,  de  M.  Th.  Dubois,  morceau  très  difficile  qu'elle  a  enlevé  avec 
un  brio  étourdissant  et  qui  a  été  bissé  d'enthousiasme. — Au  compte-rendu  du 
dernier  concert  de  M"1  L.  Steiger,  notre  rédacteur  a  oublié  de  mentionner  l'exé- 
cution par  la  jeuDe  artiste  du  beau  concerto  capriccioso  de  M.  Th.  Dubois  et  le 
grand  succès  qu'elle  y  a  obtenu.— M1K'  Bertucat,  l'excellent  professeur  de  chant, 
a  donné  son  concert  la  semaine  dernière  et  a  été  fort  applaudie.  Parmi  les  mor- 
ceaux qui  ont  produit  le  plus  d'effet,  citons  la  jolie  Valse  mélancolique  de 
M.  Th.  Dubois,  très  bien  chantée  par  M"°  Bertucat  et  un  chœur  de  jeunes  filles 
aux  voix  ravissantes.  —  Le  21"  concert  donné  au  profit  de  l'hôpital  Hannemann, 
salle  Pleyel,  a  été  très  brillant.  M""  J.  Duran,  de  l'Opéra-comique,  y  a  très  bien 
chanté  la  valse  du  Pardon  de  Ploérmel  et  deux  ravissantes  mélodies  de  M.  Emile  Bour- 
geois. M™  Cornélie  Gouay  s'y  est  fait  applaudir  aussi,  ainsi  que  M""  deTchertoff; 
M.  Carlo  Schmidt  très  applaudi  dans  la  Charité  de  Faure.  L'un  des  succès  de  la 
soirée  a  été  pour  le  charmant  duo  de  M.  Emile  Bourgeois,  la  Tourterelle  et  le  Papillon, 
fort    bien  dit   par  M""   J.    Duran   et  de  Tchertoff  et  accompagné  par  l'auteur. 

—  Brillante  et  nombreuse  assemblée  au  concert  du  violoniste-compositeur  Péna 
vaire,  qui  a  fait  applaudir  plusieurs  de  ses  œuvres  vocales  et  instrumentales,  fort 
bien  interprétées  par  M™1  Carol- Vincent,  de  Roskilde,  de  Bar  et  MM.  Gillet,  Di- 
mitri,  Rbnchini,  de  Léry,  etc.  Les  fragments  du  Contrai  et  de  la  Fée  de  Mérindol, 
opéras  de  M.  Pénavaire,  ont  été  fort  appréciés.  —  Le  programme  très  intéressant 
du  concert  donné  par  M"°  Lucie  Jusseaume,  premier  prix  du  Conservatoire,  avait 
attiré  un  nombreux  auditoire  à  la  salle  Erard,  où  la  jeune  pianiste  a  été  vivement 
applaudie.  Grand  succès  aussi  pour  les  artistes  remarquables  qui  lui  prêtaient 
leur  concours  :  M-  Leroux-Ribeyre,  M.  Paul  Viardot,  M""  Marie  Panthès  et 
M.  Charles  Jobert.  —  Le  29  avril,  M'1'  Kryzanowska  a  donné,  Salle  Erard,  un 
concert  de  charité,  avec  le  quatuor  classique  et  le  concours  de  M"°  Novvocka. 
De  nombreux  applaudissements  on  t  accueilli  non  seulement  les  morceaux  de  Chopin 
et  de  Liszt,  exécutés  par  M""  Kryzanowska  avec  beaucoup  de  brio  et  d'expression, 
mais  encore  ses  compositions:  Gavotte  et  Romance  en  la.  —  Salle  Érard,  ven- 
dredi 11  avril,  concert  avec  orchestre,  sous  la  direction  de  Ed.  Colonne,  donné 
par  M11"  Louisa  Collin,  premier  prix  du  Conservatoire  de  Paris  et  professeur  au 
Conservatoire  de  Nancy.  Cette  soirée  a  été  un  véritable  triomphe  pour  elle.  Avec 
un  tel  professeur,  le  Conservatoire  de  Nancy  doit  espérer  beaucoup  des  élèves 
d'une  artiste  dont  la  place  serait,  certes,  à  Paris  parmi  nos  pianistes  les  plus  émi- 
nents.  —  Très  réussi  le  concert  donné,  vendredi  dernier,  salle  Kriegelstein,  par 
M"*  Clarisse  Yvel,  une  jeune  et  charmante  cantatrice  qui  fait  grand  honneur  à  son 
professeur,  M™"  Vachot.  M11"  Clarisse  Yvel  a  été  applaudie  àla  fin  de  chacun  de  ses 


morceaux;  on  lui  a  même  fait  bisser  l'Espoir  en  Dieu,  la  nouvelle  et  si  belle  mélodie  de 
Faure.  —  Au  festival  Galin-Paris-Chevé,  dimanche,  au  Trocadéro,  les  exécutions  d'en- 
semble et  les  épreuves  de  lecture  à  vue,  par  les  élèves  de  l'école,  alternaient  avec 
d'agréables  intermèdes  où  nombre  d'artistes  aimés  du  public  se  sont  fait  applaudir, 
entre  autres  M""  de  Montalant,  M""  Noblet.  MM.  Gennaro,  de  Feraudy,  de  la  Co- 
médie Française,  Palianti,  Boussagol  et  Frémaux,  de  l'Opéra.  Ce  dernier  a  obtenu 
un  vif  succès  avec  l'air  d'église  de  Stradel'a,  transcrit  par  Lefëbure-\Vely,  avec 
accompagnement  par  les  élèves  des  cours  de  violon,  lesquels  se  sont  également 
distingués  dans  les  pizzicati  de  Sylvia,  qui  leur  ont  été  bissés.  Le  baryton  Chardot 
a  dit  d'une  voix  pleine  de  charme  la  mélodie  de  M.  Léon  Schlesinger,  Si  tu  vou- 
lais, accompagnée  par  l'auteur.  —  Pleine  d'entrain  et  de  gaieté,  la  soirée  du  cercle 
œ  La  Franquette  »,  dimanche,  au  théâtre  de  la  Galerie  Vivienne.  La  partie  musi- 
cale a  révélé  plusieurs  artistes  d'un  réel  mérite  :  M'"0  de  Montcaup,  qui  a  charmé 
l'assistance  en  chantant  le  Clair  de  lune,  de  Campana,  M"°  Montelly,  très  applaudie 
dans  une  valse  chantée,  M.  Barcier,  dont  l'agréable  voix  de  baryton  a  rendu  à 
merveille  le  Rêve  du  prisonnier,  de  Rubinstein.  —  Le  violoniste  Achille  Dien  est 
un  artiste  de  très  grande  valeur,  comme  on  l'a  pu  voir  à  la  salle  Érard«  Parmi 
les  morceaux  inscrits  au  programme  de  M.  Dien,  il  convient  de  citer  la  char- 
mante Mélodie  de  M.  Bourgault-Ducoudray.  Une  Étude  de  concert  du  même  auteur  a 
été  interprétée  avec  toute  la  fougue  voulue  parM"'  Marie  Jaëll,  qui  a  fait  entendre 
également  la  poétique  romance  sans  paroles,  Souvenirs  lointains,  de  M.  Léo  De- 
libes.  M"1  Leroux-Ribeyre  a  fait  apprécier  la  pureté  de  sa  voix  et  de  son  style 
dans  plusieurs  mélodies.  —  Dans  un  grand  concert  donné  dernièrement,  on  a  fort 
applaudi  le  baryton  Jules  Diaz  de  Soria  dans  des  mélodies  de  Lassen  et  le  trio 
d'Hamlet,  chanté  avec  Mm"  Panchioni  et  S.  Van  Brock.  Un  autre  baryton  du  plus 
grand  talent,  M.  Chassaing,  a  chanté  aussi  avec  succès  les  Hameaux,  de  Faure,  et  son 
duo  du  Crucifix  avec  le  ténor  Dupuy,  qui,  de  son  côté,  s'est  fait  applaudir  dans  la 
romance  deLakmé.  Mm0 Panchioni  aétë  très  applaudie  dans  l'Ave  Maria  de  Gounod, 
M"0  Van  Brock  dans  l'air  de  Psyché  et  le  Rêve  du  Prisonnier,  de  Rubinstein.  Très 
belle  soirée.  —  Mardi  dernier,  audition  des  élèves  de  M.  Béer  en  son  hôtel  de  la 
rue  Duperrë,  au  milieu  d'un  public  des  plus  choisis.  Très  bonne  interprétation 
de  fragments  de  Lakmé  par  Mlk'  Dagmar  et  M.  Obert.  M™"  Kévary,  de  l'Opéra- 
Comique,  a  fort  bien  chanté  la  légende  du  Paria,  accompagnée  par  l'auteur,  Léo 
Delibes,   qui  a  été  chaleureusement  fêté. 

Concerts  annoncés.  —  La  Société  «  Euterpe  »  donnera  une  audition  de  la  Lyre 
et  la  Harpe,  de  M.  Saint-Saëns  et  du  Requiem  de  Schumann,  avec  le  concours  de 
M""  Menuisier  et  Lalo,  de  MM.  Warmbrodt  et  Auguez,  le  5  mai,  salle  Erard.  — 
Vendredi  soir  9  mai,  à  la  salle  Pleyel,  concert  de  M""1  Marie  Rueff.  —  Le  concert 
de  Mm0  Marie  Minaldi  n'a  pas  eu  lieu  le  8  aval  dernier,  par  suite  de  l'indispo- 
sition de  plusieurs  artistes.  Il  est  remis  à  une  date  ultérieure. 

NÉCROLOGIE 

De  Rome  on  annonce  la  mort  du  compositeur  Alessandro  Orsini,  ex- 
bibliothécaire et  depuis  1873  professeur  de  chant  à  l'Académie  de  Sainte- 
Cécile.  Pendant  plusieurs  années  il  avait  été  chef  d'orchestre  et  avait 
écrit  la  musique  de  plusieurs  opéras,  dont  un  seul,  la  Modista  alla  carte, 
fut  représenté.  Outre  quelques  ballets,  on  lui  doit  aussi  diverses  compo- 
sitions religieuses,  un  Ave  Maria,  un  Benedictus,  un  Hymne  de  la  Pentecôte, 
etc.,  différentes  pièces  d'orchestre,  et  un  recueil  de  42  Études  d'harmonie 
pratique.  Enfin, il  avait  publié  un. petit  écrit  intitulé  Considérations  générales 
sur  l'art  du  chant,  et  s'était  vu  couronner  pour  plusieurs  cantates  envoyées 
à  différents  concours  :  Lamberti  di  Pavia,  il  Genio  di  Roma,  et  une  cantate 
écrite  pour  l'inauguration  du  monument  de  Gavour  à  Turin.  Orsini  était 
né  à  Rome,  le  24  janvier  1842. 

—  A  Cheltenham  vient  de  mourir  le  compositeur  John  Barnett,  dont  les 
opéras,  inconnus  de  la  génération  actuelle,  eurent  à  leur  heure  une  cer- 
taine vogue.  Né  en  1802,  à  Bedford,  de  parents  prussiens,  Barnett  com- 
mença son  éducation  musicale  sous  la  direction  de  C.-E.  Horn  et  da 
Price,  ce  dernier  chef  de  chœurs  au  théâtre  Drury  Lane  ;  plus  tard  il  de- 
vint élève  de  F.  -Ries,  pour  l'harmonie.  Ses  premiers  essais  au  théâtre 
datent  de  1825,  alors  qu'il  lit  représenter  au  Lyceum  une  bouffonnerie 
musicale  intitulée  Avant  le  déjeuner.  Cinq  ans  après  il  donna  Charles  XII. 
grand  opéra,  au  théâtre  Covent  Garden.  En.  1832  il  fut  engagé  par 
Mme  Vestris,  au  théâtre  Olympic, .  en  qualité  de  directeur  musical.  L'ou- 
vrage qui  établit  le  mieux  sa  réputation  fut  le  Sylphe  de  la  Montagne, 
produit  au  Lyceum.  Cet  opéra  fut  suivi  de  deux  autres  :  la  Belle  Rosemonde 
et  Farinelli.  En  1841  il  se  retira  à  Cheltenham  pour  s'adonner  au  pro- 
fessorat, situation  qu'il  conserva  jusqu'à  sa  mort. 

Henri  Heugel.  direcleur-géi anl . 

En  vente  chez  ALP.  LEDUC,  éditeur  de  musique 

3,  rue  de  Grammont,  à  Paris. 

DIX    PIÈCES    POUR   ORGUE   OU    PIANO-PÉDALIER 

Prélude.  —  Choral  et  Allegro.  —  Minuetto.  —  Absoute.  —  Toccata.  — 
Andante  religioso  en  forme  de  canon.  —  Rapsodie  sur  des  Noëls.  — 
Offertoire  ou  Communion.  —  Scherzo.  —  Antienne  dans  le  mode  phrygien 
ecclésiastique.  —  Sortie  sur  l'antienne  «  Adoremus  in  œternum  ». 

PAR 

Eugène  GIGOUT 

Organiste  de  Saint-Augustin. 
Prix  :  8  francs,  net. 
En  vente  chez  M.u'.kau  et  Noël,  22,  passage  des  Panoramas,  Paris,  édi- 
teurs des  œuvres  de  Tschaïkowsky,  Gottschalk,  Alard    et  do    la  Méthode 
de  A.  Le  Carpentier,  etc.  : 

TSCHAÏKOWSKY,  op.  66.  La  Belle  au  Bois  dormant,  ballet  en  trois  actes.' 
Grand  succès  à  l'opéra  de  Saint-Pétersbourg. —  Partition,  danses  diverses, 
morceaux  détaillés. 


mritniLitiE  < 


3084  —  5ttme  ANNEE  —  N°  19.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES  Dimanche  11  Mai  1890. 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 


Henri    HEUGEL,     Directeur 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne»  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement, 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  ù\,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  3(J  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  trais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Liszt  et  Thalberg.  Une  lettre  de  Liszt.  Ernest  Legouvé.  —  II.  Bulletin  théâtral: 
De  l'utilité  des  répétitions  générales  en  public,  H.  Moreno;  première  représen- 
tation du  Béjaune,  aux  Variétés,  et  reprise  d'un  Lycée  de  jeunes  filles,  à  la 
Renaissance,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Le  théâtre  à  l'Exposition  (24"  article), 
Arthur  Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LE    RÊVE    DU    PRISONNIER 

célèbre  mélodie  de  Rubinstein,  transcrite  et  variée  pour  piano  par  Ch. 
Neustedt.  —  Suivra  immédiatement:  L'Oiseau-mouche,  caprice  pour  piano, 
de  Théodore  Lack. 

CHANT 
Nous  publierons   dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant  :  C'est  ma  mignonne  amie,   n°  6  des  Rondels  de  Mai,  de  M.  B.  Co- 
lomer,   poésie  de   Lucien   Dhugcet.   —  Suivra  immédiatement:   le  Sentier, 
de  Louis  Diémer,  poésie  de  A.  de  Montferrier. 


LISZT    ET    THALBERG 


UNE  LETTRE  DE  LISZT 


Je  vais  faire  une  profession  de  foi  bien  hardie.  J'adore  le 
piano!  Toutes  les  moqueries  dont  il  est  l'objet,  tous  les  ana- 
thèmes  dont  on  l'accable,  me  révoltent,  comme  autant  d'actes 
d'ingratitude,  devrais-je  le  dire,  comme  autant  d'absurdités, 

Le  piano  est  pour  moi  un  des  dieux  Lares  de  notre  foyer 
domestique.  C'est  grâce  à  lui,  à  lui  seul,  que  nous  possédons 
à  nous,  chez  nous,  sous  toutes  ses  formes,  le  plus  poétique 
et  le  plus  intime  de  tous  les  arts,  la  musique.  Qui  apporte 
dans  nos  logis  un  écho  des  concerts  du  Conservatoire?  Le 
piano.  Qui  nous  donne  l'opéra  au  coin  du  feu?  Le  piano.  Qui 
réunit  quatre,  cinq,  six  voix  amies  dans  l'interprétation  d'un 
chef-d'œuvre  de  musique  vocale,  comme  le  trio  de  Don  Juan, 
le  quatuor  de  Moïse,  voire  même  le  finale  du  Barbier?  Tou- 
jours le  piano.  Supprimez  le  piano,  comment  pourrez-vous 
avoir  l'exquise  joie  d'entendre  Faure  de  tout  près  ?  Je  dis 
Faure,  je  pourrais  dire  Taffanel,  Gillet,  tous  les  instrumen- 
tistes, car  tous  les  instruments  sont  ses  tributaires;  ils  ont 
tous  besoin  de  lui,  lui  seul  n'a  besoin  de  personne. 

Auber  me  disait  un  jour  :  Ce  que  j'admire  peut-être  le  plus 
dans  Beethoven,  ce  sont  quelques-unes  de  ses  sonates,  parce 
que  là  sa  pensée  se  montre  toute  seule,  dans  sa  pure  beauté, 
dépouillée  de  l'ornement  des  richesses  orchestrales.  Or,  pour 
qui  ont  été  composées  les  sonates  de  Beethoven  ?  Pour  le 
piano.  Je  ne  puis  oublier  que  l'œuvre  entière  de  Chopin  a 
été  écrite  pour  le  piano.    En  outre,    il    est   le  confident    des 


rêves  de  l'homme  de  génie,  de  tout  ce  qu'il  n'écrit  pas.  Ah! 
si  le  piano  de  Weber  avait  pu  répéter  ce  que  l'auteur  de 
Freischiltz  n'a  dit  qu'à  lui  seul  I 

Enfin,  dernière  supériorité,  le  piano  est  de  tous  les  ins- 
truments le  seul  qui  soit  progressiste.  Un  Stradivarius  et  un 
Amati  restent  supérieurs  à  tous  les  violons  d'aujourd'hui,  et 
il  n'est  pas  bien  sur  que  le  cor,  la  flûte,  le  hautbois  n'aient 
pas  autant  perdu  que  gagné  à  toute  cette  surcharge  de  clefs 
ou  de  pistons.  Seul,  le  piano  s'est  toujours  enrichi  en  se 
transformant,  et  chacun  de  ses  agrandissements,  ajoutant 
quelque  chose  à  sa  puissance  d'expressiou,  lui  a  permis  de 
renouveler  l'interprétation  même  des  maîtres  anciens.  Un  jour, 
Thalberg  jouant  chez  moi  une  sonate  de  Mozart  sur  un  Pleyel, 
Berlioz  me  dit  :  Ah  !  si  Mozart  était  là,  il  entendrait  son  ad- 
mirable andante,  tel  qu'il  se  le  chantait  à  lui-même  au  dedans. 

Un  de  nos  plus  chers  souvenirs  de  musique  est  donc  d'a- 
voir non  seulement  connu,  mais  pratiqué,  goûté  dans  l'inti- 
mité, les  trois  grands  triumvirs  du  piano,  Liszt,  Thalberg  et 
Chopin. 

L'arrivée  de  Thalberg  à  Paris  fut  une  révélation,  je  dirais 
volontiers  une  révolution.  Je  ne  connais  que  Paganini,  dont 
l'apparition  ait  produit  le  même  mélange  d'enthousiasme  et 
d'étonnement.  Tous  les  deux  excitèrent  le  même  sentiment  qu'on 
éprouve  devant  l'inconnu,  le  mystérieux,  l'inexplicable.  J'ai 
assisté  au  premier  concert  de  Paganini  (c'était  à  l'Opéra)  à  côté 
de  Bériot.  Bériot  tenait  dans  sa  main  le  morceau  qu'allait 
jouer  Paganini.  «  Cet  homme  est  un  charlatan,  me  dit-il,  il 
n'exécutera  pas  ce  qui  est  imprimé  là,  attendu  que  c'est 
inexécutable».  Paganini  commence.  Je  l'écoutais  et  je  regar- 
dais Bériot  avec  anxiété!  Tout  à  coup  Bériot  s'écrie  tout  bas: 
«  Ahl  le  scélérat.  Je  comprends.  Il  a  modifié  l'accord  habi- 
tuel de  l'intrument.  » 

Pareille  surprise  au  premier  concert.de  Thalberg.  C'était  au 
Théâtre-Italien,  dans  la  journée,  au  foyer  du  public.  J'y  as- 
sistais à  côté  de  Julius  Bénédict,  qui  fut,  on  le  sait,  le  seul 
élève  de  Weber,  comme  pianiste.  Je  n'oublierai  jamais  sa 
stupéfaction,  son  émerveillement.  Penché  fiévreusement  sur 
l'instrument  dont  nous  étions  tout  près,  les  regards  attachés 
sur  ces  doigts  qui  lui  faisaient  l'effet  de  magiciens,  il  en 
croyait  à  peine  ses  yeux  et  ses  oreilles.  Pour  lui,  en  effet, 
comme  pour  Bériot,  il  y  avait,  dans  les  oeuvres  imprimées 
de  Thalberg,  quelque  chose  qui  ne  s'expliquait  pas.  Seule- 
ment, le  secret  n'était  pas  cette  fois  dans  l'instrument  mais 
dans  l'instrumentiste.  Ce  n'était  pas  les  cordes  qui  étaient 
autres,  c'étaient  les  doigts.  Une  combinaison  nouvelle  de 
doigtés  avait  permis  à  Thalberg  de  faire  dire  au  piano  ce 
qu'il  n'avait  jamais  dit  auparavant.  L'émotion  de  Bénédict 
était  d'autant  plus  vive  que  le  pauvre  homme  se  trouvait 
dans  une  situation   d'esprit  et  de    cœur   toute   particulière. 


i46 


LE  MÉNESTREL 


Sa  jeune  femme  qu'il  adorait,  était  partie  le  matin  pour 
rejoindre  ses  parents  à  Naples.  La  séparation  ne  devait  pas 
durer  moins  de  six  mois.  Il  en  avait  un  chagrin  profond,  et 
c'était  pour  le  distraire  que  je  l'avais  amené  à  ce  concert. 
Mais  là,  se  fit  alors  en  lui  le  plus  étraDge  amalgame  de  mari 
et  de  pianiste.  A  la  fois  désespéré  et  enchanté,  il  me  rappelait 
ce  personnage  de  Rabelais  qui,  entendant  les  cloches  de  l'é- 
glise sonner  presque  au  même  moment  le  baptême  de  son  fils 
et  le  service  mortuaire  de  sa  femme,  pleure  d'un  œil  et  rit 
de  l'autre.  Bénédict  éclatait  à  la  fois  en  exclamations  comi- 
ques et  touchantes.  Il  allait  de  sa  femme  à  Thalberg,  et  de 
Thalberg  à  sa  femme.  «  Ah!  chère  Adèle,  c'est  affreux  !  Ah! 
cher  Thalberg, c'est  délicieux!  »  J'ai  encore  dans  l'oreille  ce 
duo  original  qu'il  chantait  à  lui  tout  seul. 

Le  triomphe  de  Thalberg  causa  à  Liszt  une  irritation  pro- 
fonde. Ce  n'était  pas  de  l'envie...  Il  était  incapable  d'aucun 
sentiment  bas!...  C'était  la  colère  d'un  roi  détrôné.  Il  appelait 
dédaigneusement  l'école  de  Thalberg,  l'école  du  pouce.  Mais 
il  n'était  pas  homme  à  se  laisser  prendre  sa  place  sans  se 
défendre,  et  alors  s'engagea  entre  eux  une  lutte  d'autant  plus 
curieuse,  que  l'antithèse  était  aussi  grande  entre  les  deux 
hommes  qu'entre  les  deux  talents. 

On  a  parlé  cent  fois  de  l'attitude  de  pythonisse  qu'avai  tLiszt 
au  piano.  Rejetant  sans  cesse  ses  longs  cheveux  en  arrière,  les 
lèvres  frémissantes,  les  narines  palpitantes,  il  promenait  sur 
l'auditoire  des  regards  de  dominateur  souriant;  il  avait  quelque 
peu  un  air  de  Comédien,  il  ne  l'était  pas,  il  était  Hongrois... 
Hongrois  sous  ces  deux  faces  :  à  la  fois  Maggyar  et  Tzigane. 
Vrai  fils  de  la  race  qui  danse  en  faisant  sonner  ses  éperons!... 
Ses  compatriotes  l'ont,  bien  compris  en  lui  envoyant,  pour 
témoignage  d'honneur,  un  grand  sabre. 

Rien  de  pareil  chez  Thalberg.  C'était  l'artiste  gentleman; 
un  mélange  parfait  de  talent  et  de  respectahiliUj.  Il  semblait 
avoir  pris  pour  règle  d'être  tout  le  contraire  de  son  rival.  Il 
entrait  dans  la  salle  sans  fracas,  je  dirais  volontiers  sans 
déplacer  d'air.  Après  un  salut  digne  et  plutôt  un  peu  froid, 
il  s'asseyait  sur  son  siège  de  piano,  comme  sur  Une  chaise 
ordinaire. 

Le  morceau  commencé,  pas  un  geste!  Pas  un  jeu  de  phy- 
sionomie! Pas  un  regard  jeté  sur  l'auditoire.  Si  les  applaudis- 
sements éclataient,  une  respectueuse  inclinaison  de  tête  était 
toute  sa  réponse.  Son  émotion,  très  profonde,  j'en  ai  plus 
d'une  preuve,  ne  se  trahissait  que  par  un  violent  afflux  de 
sang,  qui  empourprait  ses  oreilles,  sa  figure  et  son  cou. 
Liszt  semblait  saisi  par  l'inspiration  dès  le  début;  àla  première 
note  il  jetait  son  talent  à  toute  volée,  comme  les  prodigues 
jettent  leur  argent  par  la  fenêtre  sans  compter,  et,  si  long 
que  fût  le  morceau,  sa  verve  endiablée  ne  faiblissait  jamais. 

Thalberg  commençait  lentement,  posément,  avec  calme, 
mais  avec  un  calme  ému  ;  sous  ces  notes,  tranquilles  en 
apparence,  on  sentait...  à  quoi?  je  ne  puis  le  dire,  on  sentait 
l'orage  futur.  Peu  à  peu  le  mouvement  s'accélérait,  l'expres- 
sion s'accentuait,  et  par  une  série  de  crescendo  gradués,  il 
vous  amenait,  haletant,  jusqu'à  une  explosion  finale  qui 
emportait  l'auditoire  dans  une  émotion  indescriptible. 

J'ai  eu  la  rare  bonne  fortune  d'entendre  ces  deux  grands 
artistes,  le  même  jour,  dans  le  même  salon,  à  un  quart  d'heure 
d'intervalle,  à  un  concert  donné  par  la  princesse  Belgiojoso, 
pour  les  Polonais.  Là  m'apparut  d'une  façon  palpable,  évi- 
dente, la  différence  caractéristique  de  leurs  talents.  Liszt 
élait  incontestablement  plus  artiste,  plus  vibrant,  plus  élec- 
trique. Il  avait  des  sonorités  d'une  délicatesse  qui  les  faisait 
ressembler  à  un  pétillement  d'étincelles;  jamais  doigts  n'ont 
bondi  ?i  légèrement  sur  le  piano,  mais  en  même  temps  sa 
nervosité  lui  donnait  parfois  quelque  chose  d'un  peu  sec, 
d'un  peu  cassant.  Je  me  rappelle  toujours  qu'après  un  morceau 
où  Liszt,  emporté  par  sa  fougue,  avait  très  fort  tapé  sur  les 
touches,  le  cher  et  charmant  Pleyel,  s'approcha  de  l'instru- 
ment et  regarda  les  cordes  avec  une  expression  de  pitié! 

Que  faites-vous  donc,  mon  cher  ami?  lui  dis-je  en  riant.  


Je  regarde  le  champ  de  bataille,  me  répondit-il  d'un  ton  mé- 
lancolique, je  compte  les  blessés  et  les  morts. 

Thalberg  ne  tapait  jamais.  Ce  qui  constituait  sa  supério- 
rité, ce  qui  faisait  du  plaisir  de  l'entendre  une  volupté  pour 
l'oreille,  c'était  le  son.  Je  n'en  ai  jamais  ouï  un  pareil.  Si 
plein!  Si  rond!  Si  gras!  Si  velouté!  Si  doux  en  étant  si  fort! 
Enfin,  que  vous  dirai-je?  la  voix  de  l'Alboni. 

A  ce  concert,  en  entendant  Liszt,  je  me  sentais  dans  une 
atmosphère  toute  chargée  d'électricité  et  toute  sillonnée 
d'éclairs, 

En  écoutant  Thalberg,  il  me  semblait  nager  en  pleine  lu- 
mière. 

Le  contraste  entre  les  deux  caractères  n'était  pas  moins 
saillant  qu'entre  les  deux  talents. 
J'en  eus  la  preuve  à  propos  de  Chopin. 
11  ne  faut  comparer  personne  à  Chopin,  attendu  qu'il  ne 
ressemble  à  personne.  Tout  en  lui  n'était  qu'à  lui.  Il  avait 
un  son  à  lui,  un  toucher  à  lui,  un  jeu  à  lui.  Tous  les  artistes 
ont  exécuté  et  exécutent  encore  avec  un  grand  talent  les 
œuvres  de  Chopin,  mais  en  réalité,  il  n'y  a  que  Chopin  qui 
ait  joué  Chopin.  Seulement,  il  n'avait  jamais  été  l'homme- ni 
des  grands  concerts  ni  des  grandes  salles.  Il  n'aimait  que 
les  auditoires  d'élite,  et  les  salons  restreints,  comme  il  ne 
voulait  pour  instrument  qu'un  Pleyel,  et  pour  accordeur  que 
Frédéric.  Nous,  les  fanatiques,  nous  nous  indignions  de  ses 
réserves,  nous  réclamions  pour  lui  le  grand  public,  et  un 
jour,  dans  une  de  ces  belles  envolées  d'enthousiasme  qui 
m'ont  fait  faire  plus  d'une  maladresse,  j'écrivis  dans  la  Gazette 
musicale  de  Schlesinger:  «  Que  Chopin  se  jette  donc  bravement 
à  l'eau!...  Qu'il  annonce  une  grande  soirée  musicale!  Et 
que,  le  lendemain,  quand  reviendra  l'éternelle  question  :  Quel 
est  le  plus  grand  pianiste  aujourd'hui,  Liszt  ou  Thalberg? 
le  public  réponde  comme  nous,  c'est  Chopin  !  » 

Soyons  francs,  j'aurais  mieux  fait  de  ne  pas  écrire  ce  mot-là. 
J'aurais  dû  me  rappeler  mes  relations  amicales  avec  les  deux 
autres.  Liszt  m'en  voulut  pendant  plus  de  deux  mois.  Le 
lendemain  du  jour  où  parut  l'article,  Thalberg  élait  chez  moi 
à  dix  heures  du  matin;  il  entra  en  me  tendant  la  main  et 
en  me  disant  :  «  Bravo  !  votre  article  n'est  que  juste.  » 

Enfin,  un  jour,  cette  rivalité,  qui  en  réalité  n'avait  jamais 
été  qu'une  émulation,  éclata  sous  une  forme  plus  accentuée 
et  plus  saisissante. 

Jusqu'alors  aucun  pianiste  n'avait  osé  affronter  une  salle 
de  grand  théâtre,  un  auditoire  de  douze  ou  quinze  cents 
personnes.  Thalberg,  poussé  par  le  succès,  annonce  un  con- 
cert au  Théâtre-Italien,  non  pas  au  foyer,  mais  sur  la  scène. 
Il  y  joua  pour  la  première  t'ois  son  morceau  sur  Moïse.  Le 
succès  fut  un  triomphe. 

Liszt,  piqué  au  jeu,  vit  là  comme  un  défi,  et  il  annonça 
un  concert  à  l'Opéra. 

Pour  cheval  de  bataille,  il  prit  le  concert-stùck  de  Weber. 
J'étais  au  concert.  Il  m'avait  envoyé  une  loge,  en  me  priant 
de  rendre  compte  de  la  soirée  dans  la  Gazette  musicale. 

J'arrive,  tout  plein  d'espoir  et  de  joie.  Un  premier  regard  jeté 
sur  la  salle  me  serre  un  peu  le  cœur.  Du  monde,  beaucoup 
de  monde  sans  doute,  mais,  çà  et  là,  des  vides  qui  m'inquié- 
taient. Mes  craintes  avaient  raison.  Demi-succès.  Dans  un 
entracte,  je  rencontre  Berlioz,  avec  qui  j'échange  mes  im- 
pressions pénibles,  et  je  rentre  chez  moi  fort  tourmenté  de 
mon  article  à  faire.  Le  lendemain,  à  peine  installé  à  ma 
table,  m'arrive  une  lettre  de  Liszt.  Cette  lettre,  la  voici,  et 
je  suis  heureux  d'en  reproduire  la  principale  partie,  car  elle 
montre  un  Liszt  inconnu,  un  Liszt  modeste!  oui,  modeste. 
Cela  ne  m'étonna,  moi,  qu'à  moitié.  Car  une  circonstance 
assez  particulière  m'avait  déjà  fait  voir  une  fois  ce  Liszt-là. 
C'était  chez  Scheffer,  qui  faisait  son  portrait.  Tout  en  posant, 
il  prenait  des  airs  d'inspiré.  Scheffer,  avec  sa  brusquerie 
primesautière,  lui  dit  :  «  Mais  que  diable  !  Liszt,  ne  prenez-donc 
pas  avec  moi  ces  figures  d'homme  de  génie  !  Vous  savez 
bien  que  je  n'en  suis  pas  dupe.   » 


LE  MENESTREL 


147 


Que  répondit  Liszt  à  ces  paroles  un  peu  rudes  ?  Il  se  tut 
un  moment,  puis  allant  à  Scheffer  :  «  Vous  avez  raison, 
mon  cher  ami.  Mais  pardonnez-moi,  vous  ne  savez  pas 
comme  cela  vous  gâte  d'avoir  été  un  enfant  prodige!  » 

Ce  mot  me  semble  absolument  délicieux  de  simplicité,  je 
•dirais  volontiers  d'humilité. 

Eh  !  bien,  la  lettre  que  je  cite  textuellement,  a  le  même 
caractère. 

«  Vous  m'avez  témoigné,  dans  ces  derniers  temps,  une  af- 
fection si  compréhensive,  que  je  vous  demande  la  permission 
de  vous  parler  d'ami  à  ami!  Oui,  mon  cher  Legouvé,  c'est  à 
ce  titre  que  je  viens  vous  confier  une  faiblesse.  Je  suis  très 
heureux  que  ce  soit  vous  qui  rendiez  compte  de  mon  concert 
d'hier,  et  j'ose  vous  demander  de  vouloir-  bien,  pour  cette 
fois,  pour  cette  fois  seulement,  garder  le  silence  sur  les  côtés 
défectueux  de  mon  talent.  » 

Eh!  bien,  je  le  demande,  est-il  possible  de  faire  un  aveu 
plus  difficile,  avec  plus  de  délicatesse  et  de  franchise  cor- 
diale? Gonnait-on  beaucoup  de  grands  artistes  capables  d'é- 
crire ce  mot  :  les  côtés  défectueux  de  mon  talent  ? 

Je  lui  répondis  immédiatement  ce  mot  :  «  Non,  mon  cher 
ami,  je  ne  ferai  pas  ce  que  vous  voulez  !  Non.  Je  ne  me  tairai 
pas  sur  les  côtés  défectueux  de  votre  talent,  et  cela  pour  une 
raison  bien  simple,  c'est  que  vous  n'avez  jamais  eu  plus  de  talent 
qu'hier.  Dieu  me  garde  de  nier  la  froideur  du  public,  et  de 
vanter  votre  triomphe,  quand  vous  n'avez  pas  tri"omphé!  Ce 
■serait  indigue  de  vous;  permettez-moi  d'ajouter  et  de  moi. 
Mais  qu'est-il  donc  arrivé  ?  Et  pourquoi  ce  demi-échec  ?  La 
faute  en  est  à  vous  !  Ah!  maladroit  que  vous  êtes!  Quelle 
erreur  de  stratégiste  vous  avez  commise  là  !  Comment  !  mal- 
heureux !  au  lieu  de  mettre,  comme  au  Conservatoire,  l'or- 
chestre derrière  vous,  de  vous  placer  directement  en  contact 
avec  le  public,  d'établir  entre  vous  et  lui  un  courant  élecL 
trique,  vous  coupez  le  fil  !  Vous  laissez  ce  terrible  orchestre 
à  sa  place  ordinaire.  Vous  jouez  à  travers  je  ne  sais  combien 
de  violons,  de  basses,  de  cors,  de  trombones,  il  faut  que 
votre  voix,  pour  arriver  à  nous,  passe  par-dessus  tout  ce 
bacchanal  orchestral!  Et  vous  vous  étonnez  du  résultat!  Mais 
mon  cher  ami,  pourquoi,  il  y  a  deux  mois,  au  Conservatoire, 
avez-vous  produit  avec  le  même  morceau  un  effet  si  prodi- 
gieux? Parce  que,  seul,  en  avant,  avec  tout  l'orchestre  der- 
rière vous,  vous  aviez  l'air  d'un  colonel  de  cavalerie  à  la 
tête  de  son  régiment,  lancé  en  plein  galop,  le  sabre  à  la 
main,  et  entraînant  ses  cavaliers,  dont  l'enthousiasme  n'était 
que  l'accompagnement  du  sien!  A  l'Opéra,  le  colonel  avait 
quitté  sa  place  et  s'était  mis  à  la  queue  de  son  régiment  ! 
Le  beau  sujet  de  surprise,  que  la  voix  ne  soit  pas  arrivée  à 
nous  vibrante  et  retentissante  !  Voilà  ce  qui  s'est  passé,  mon 
cher  ami,  et  voilà  ce  que  je  dirai.  Et  j'ajouterai  qu'il  n'y  a  que 
Liszt  au  monde  qui  aurait  pu,  dans  des  conditions  pareilles, 
produire  l'effet  que  vous  avez  produit!  Car  enfin  votre  échec 
eût  été  un  grand  succès  pour  tout  autre  que  vous. 

»  Sur  ce,  mauvais  stratégiste,  je  vous  envoie   un    cordial 
serrement  de  main,  et  je  commence  mon  article.  » 

Le  dimanche  parut  mon  article,  et  j'eus  le  grand    plaisir 
de  l'avoir  satisfait. 

E.  Legouvé. 


BULLETIN    THEATRAL 


DE  L'UTILITÉ  DES  RÉPÉTITIONS  GÉNÉRALES  EN  PUBLIC 
Dante  nous  échappe  encore  cette  semaine,  bien  qu'on  l'ait  répété 
généralement  mardi  dernier,  devant  toute  la  presse  assemblée  et  en 
présence  d'une  salle  bondée  comme  pour  une  première  représentation. 
Auteurs  et  directeurs  ont  pour  habitude  de  se  plaindre  beaucoup 
de  ces  sortes  d'expériences  avant  la  lettre,  auxquelles  ils  se  croient 
cependant  obligés,  par  déférence  pour  la  critique  et  par  crainte 
d'indisposer  les  puissants  seigneurs  de  la  plume.  Ils  prétendent 
qu'on  ne  peut  emporter  de  là  que  des  impressions  mauvaises  et 
superficielles,  puisqu'on  ne  voit  pas  l'œuvre   encore   dans    sa  com- 


plète maturité  d'étude  et  de  mise  en  scène.  Cela  est  bien  possible. 
Mais  avouons  aussi  que  le  système  des  auditions  préventives,  s'il 
a  des  inconvénients,  présente  aussi  un  avantage  considérable,  celui 
de  mettre  l'œuvre  face  à  face  avec  un  public  de  circonstance,  qui 
n'est  pas  encore  celui  qui  doit  la  juger  définitivement  et  dont  l'atti- 
tude cependant  porte  des  enseignements  précieux  et  des  indications 
qu'un  directeur  habile  et  des  auteurs  clairvoyants  savent  mettre  à 
profit  d'une  séance  à  l'autre. 

Voici  déjà  plusieurs  œuvres  que  nous  voyons  sortir  plus  vigou- 
reuses de  cette  expérience;  on  les  croyait  aux  abîmes  et  voici  qu'a- 
près un  travail  intelligent  de  refonte  et  d'allégements,  elles  rebon- 
dissent à  la  surface,  à  la  grande  surprise  de  ceux  qui  les  pleuraient 
déjà  comme  des  partitions  défuntes.  Pour  ne  parler  que  de  la  der- 
nière, n'est-ce  pas  ce  qui  arriva  pour  Ascanio?  Supprimez  la  répé- 
tition générale  devant  un  public  provisoire,  et  voyez  ce  qui  en  serait 
résulté.  Auteurs  et  directeurs,  réduits  à  leurs  seules  impressions  et 
se  concertant  entre  eux,  n'y  auraient  certainement  pas  vu  plus  clair 
qu'aux  répétitions  précédentes.  On  perd  toutes  notions  véritables 
des  choses  trop  vues  et  trop  ressassées.  Mais  voici  des  auditeurs 
nouveaux,  avec  des  impressions  neuves,  et  de  suite  la  lumière  se  fait. 
Ou  voit  où  sont  les  ombres  et  les  longueurs,  on  taille  de  côté  et 
d'autre,  et  l'on  arrive  à  la  première  représentation  avec  une  œuvre 
plus  resserrée,  moins  diffuse,  et  qui  porte  en  elle  plus  de  vie  et 
plus  de  sang  qu'on  ne  pouvait  le  supposer.  C'est  certainement  à 
cette  épreuve  publique  de  la  répétition  générale  qu' 'Ascanio  doit 
d'avoir  échappé  au  désastre  qui  l'attendait. 

Il  ne  nous  appartient  pas  encore  de  porter  un  jugement  sur  Dante, 
la  nouvelle  partition  de  M.  Benjamin  Godard.  Mais  certainement 
l'œuvre  peut  tirer  profit  de  l'expérience  qu'elle  vient  de  faire,  tout 
au  moins  au  point  de  vue  de  la  mise  eu  scène.  M.  Paravey,  dont 
on  connaît  pourtant  le  zèle  et  la  rare  inlelligence,  a  mis  deux 
années  bientôt  à  s'apercevoir  que  son  théâtre  n'était  pas  suffisam- 
ment machiné  pour  reproduire  les  enfers  et  le  paradis  de  Dante. 
Après  nous  avoir  servi  déjà  la  merveilleuse  lanterne  magique  à'Esclar- 
monde,  il  rêvait  cette  fois  de  créations  encore  plus  émouvantes.  L'en- 
fer de  Dante  !  Le  paradis  du  même  !  Quel  vaste  champ  ouvert  aux  ri- 
chesses de  son  imagination.  Et  qu'a-t-on  vu,  bon  Dieu?  Quelque 
chose  d'assez  ridicule,  des  ombres  chinoises  se  mouvant  dans  un 
milieu  enflammé,  et  encore  n'y  voyait-on  pas  grand' chose.  A  l'appa- 
rition d'Ugolin,  il  ne  manquait  qu'Ugolin  lui-même.  Paolo  et 
Françoise  restaient  dans  la  coulisse;  mais  on  nous  contait  ce  qu'ils 
devaient  faire  en  scène.  C'était  une  sorte  de  réédition  de  la  fable 
du  bon  La  Fonfaine  : 

Je  vois  bien  quelque  chose, 

Mais  je  ne  sais  pour  quelle  cause 

Je  ne  distingue  pas  très  bien. 

La  bon  M.  Paravey  avait  oublié  d'éclairer  sa  lanterne.  Le  paradis 
n'était  pas  mieux  partagé.  Jamais  ciel  ne  se  vit  plus  sombre  et  plus 
brumeux.   Dans   la    salle,    tout   le   monde   ouvrait    son    parapluie. 

Eh!  bien,  n'est-ce  pas  heureux  que  là  encore  il  y  ait  eu  une 
expérience  préalable,  et  qu'on  ait  pu  prendre  quelques  jours  pour 
aviser  et  réparer  ce  qui  est  réparable  "? 

C'est  donc  mardi  seulement  que  nous  aurons  la  «  première  »  de 
Dante.  Et  il  y  aura  eucore  lundi,  dans  la  journée,  une  nouvelle 
répétition  générale  devant  la  critique  assemblée. 

H.  Moreno. 

Variétés.  Le  Béjaune,  folie-vaudeville  en  trois  actes,  de  MM.  Burani 
et  Cermoise.  —  Renaissance.  Un  Lycée  de  Jeunes  filles,  vaudeville  en 
trois  actes  et  quatre  tableaux,  de  M.  A.  Bisson. 

Trois  représentations,  tel  est  exactement  l'actif  du  Béjaune,  que 
les  Variétés  nous  ont  offert  la  semaine  dernière.  L'erreur-folie- 
vaudeville  de  MM.  Burani  et  Cermoise  a  donc  trop  peu  vécu  pour 
que  nous  nous  croyions  obligé  de  lui  consacrer  une  pompeuse  orai- 
son funèbre.  Mais  nous  nous  tiendrions  pour  tout  à  fait  incivil, 
si  nous  ne  rendions  un  hommage  posthume  aux  efforts  demeurés 
stériles  de  M.  Lassouche,  un  général  fantoche  dont  nous  connais- 
sions, de  longue  date,  des  parenls  très  proches;  de  M.  Cooper,  un 
bon  Belge  que  nous  avioUs  une  fois  déjà  rencontré  quelque  part 
ailleurs;  de  M.  Germain,  qu'on  se  rappelait,  avec  joie,  avoir  tant 
applaudi  dans  le  garde  champêtre  du  Fétiche:  et  de  M"'e  Grassot,  à 
qui  le  changement  de  boulevard  n'a  pas  porté  bonheur.  Nous  nous 
considérerions,  de  plus,  comme  absolument  peu  galant  si  nous  n'en- 
voyions nos  compliments  à  M"cs  Durand  et  Folleville. 

Pendant  que  les  "Variétés  se  désolaient,  la  Renaissance,  à  l'exemple 
de  ses  pensionnaires,  dansait,  en  signe  d'allégresse,  un  quadrille 
échevelé.  M.  Samuel,  à  qui  les  pièces  nouvelles  n'avaieut,  jusqu'à 


148 


LE  MENESTREL 


présent,  que  modérément  réussi,  vient,  eu  effet,  de  mettre  la  main 
sur  un  succès,  en  reprenant  la  très  amusante  pochade  de  M.  Bisson, 
un  Lycée  de  Jeune-s  filles.  Il  n'y  a  là  aucune  prétention  à  la  comédie, 
mais  simplement  une  veine  de  bonne  et  franche  gaîté  adroitement 
exploitée.  La  direction  nous  a  fort  agréablement  présenté  la  chose, 
de  jolies  femmes,  de  ravissants  costumes  ;  en  consultant  l'affiche 
d'un  peu  près  on  verra  même  avec  quelle  prodigalité  elle  s'est  at- 
tachée à  n'avoir,  du  côté  de  ces  dames,  que  des  noms  à  particules  ! 
C'est  M.  Montcavrel  qui  joue  Gavenecadas  avec  sa  bonhomie  habituelle, 
et  l'amusante  Mn'e  Aubrys  qui  personnifie  l'amoureuse  Polymnie. 
M.  Guy  a  dessiné  d'une  façon  originale  la  silhouette  du  pion  Sulpice  et 
s'est  taillé  un  joli  succès  de  virtuose  en  jouant  adroitement  du  vio- 
lon. M.  Eegnard  est  un  Vol-au-Yent  de  bonne  marque,  M"e  Berthier 
une  élégante  et  vivante  Tambourine  et  Mlle  Boulanger  une  ravis- 
sante Valentine.  MM.  Gildès,  Calvin  fils,  MUe  Berthin  sont  amu- 
sants et  les  jolies  personnes  de*"*  et  d'***  complètent  un  ensemble 
des  plus  affriolants. 

Paul-Emile  Chevalier. 


LE  THÉÂTRE  A  L'EXPOSITION  UNIVERSELLE  DE  1889 


(Suite) 

LE   GRAND   THEATRE   DE   L'EXPOSITION 

Près  du  pilier  sud  de  la  tour  Eiffel  et  bordant  l'avenue  de  Suf- 
fren,  on  avait  élevé,  sous  le  nom  de  Palais  des  Enfants,  un  bâti- 
ment qui  changea  vite  de  destination  et  dont  on  fit  bientôt  un 
théâtre,  le  Grand  Théâtre  de  l'Exposition,  qu'on  appelait  indiffé- 
remment aussi  le  Grand  Théâtre  Parisien.  Moins  grande  que  celle 
du  Théâtre-International,  situé  tout  à  côté,  mais  assez  vaste  encore, 
la  salle,  éclairée  à  la  lumière  électrique,  pouvait  contenir  un  millier 
de  spectateurs.  Elle  comprenait  simplement  un  parterre  et  un  amphi- 
théâtre avec  promenoir.  Partout  on  fumait  et  l'on  buvait.  La  scène, 
petite,  était  assez  bien  disposée  ;  mais  ses  dimensions  restreintes 
rendirent  impossibles  les  représentations  que  l'Opéra-Comique  eut 
un  instant  la  pensée  d'y  donner;  car  c'est  là  que  ce  théâtre  avait 
formé  le  projet  d'offrir  au  public  un  certain  nombre  de  pièces  choi- 
sies parmi  celles  qui  formaient  son  répertoire  à  l'époque  de  la  Révo- 
lution. En  raison  de  l'exiguïté  du  local  il  fallut  renoncer  à  ce  pro- 
jet, qui  reçut  alors  un  commencement  d'exécution  dans  la  salle  de 
la  place  du  Châtelet,  mais  qui  ne  rencontra  que  l'indifférence  du 
public. 

La  salle  du  Grand  Théâtre  de  l'Exposition  était  entourée  d'une 
sorte  de  grand  bazar  très  vivant  et  très  animé,  avec  cafés,  brasse- 
rie, jeu  de  petits  chevaux,  marchands  de  toutes  sortes,  découpeurs 
de  silhouettes,  etc.  Elle  était  simplement  fermée  par  un  rideau  de 
tapisserie,  qu'il  suffisait  d'écarter  pour  y  pénétrer.  Ouverte  au  public 
dès  la  fin  de  mai,  sous  la  direction  de  Léon  Sari  (dont  ces  jours 
derniers  on  annonçait  la  mort),  on  n'y  vit  d'abord  que  des  spectacles 
d'un  intérêt  médiocre  et  d'une  originalité  douteuse.  Eatie  autres, 
«  la  belle  Fatma,  »  déjà  bien  connue  des  Parisiens,  vint  y  trôner 
dès  la  première  semaine  de  juin.  Cela  n'attirait  qu'une  foule...  rela- 
tive, et  il  fallait  à  la  curiosité  du  public  un  aliment  plus  subs- 
tantiel. Celui-ci  ne  devait  pas  tarder  à  lui  être  offert. 

Une  dame  fanatique  de  l'Exposition,  comme  tout  le  monde,  M"1"  Mon- 
teaux,  voyant  l'embarras  de  Sari,  lui  parla  avec  enthousiasme 
d'une  troupe  très  curieuse  de  Gitanas  que,  dans  un  récent  voyage 
en  Espagne,  elle  avait  eu  l'occasion  de  voir  à  Grenade,  et  lui  affirma 
qu'il  y  avait  là  de  quoi  affrioler  les  spectateurs  et  les  attirer  de 
tous  côtés.  Sari  ne  se  le  fit  pas  dire  deux  fois,  et  envoya  aussitôt 
en  Espagne  un  agent  qu'il  chargeait  de  rechercher  et  de  ramoner  au 
plus  vite  la  troupe  en  question.  Ce  ne  fut  pas  chose  absolument 
facile  :  les  Gitauas  furent  bien  retrouvées,  mais,  on  ne  sait  pourquoi, 
elles  avaient  peur  de  Paris,  et,  malgré  leur  misère  relative  là-bas, 
elles  hésitaient  à  venir  ici.  L'assurance  d'une  fortune  inespérée 
nuit  pourtant  par  les  décider  :  on  leur  offrait  dix  francs  par  jour, 
défrayées  de  tout,  à  elles  qui  d'ordinaire  gagnaient  à  peine  quel- 
ques sous  (Chivo  touchait  cinquante  francs  pour  lui  et  ses  trois 
lilles  :  Soledad,  Mathilda  et  Viva),  et  on  leur  comptait  immédia- 
tement une  ceitaine  somme  à  titre  d'avances.  De  telles  offres  les 
séduisirent,  et  ce  fut  alors  une  joie,  un  entrain,  une  galté  qui 
tenaient  du  délire.  Elles  étaient  presque  en  guenilles  ;  avec  le  quel- 
que argent  qu'on  leur  donne  elles  achètent  ces  étoffes  voyantes  et 
bariolées  qu'elles  aiment  à  la  folie,  elles  se  taillent  et  se  préparent 


des  costumes  présentables,  elles  font  leurs  paquels  et  —  en  route  pour 
Paris  !  Ole!  Ole!  Cinq  jours  et  six  nuits  de  voyage  !  On  arrive,  érein- 
tées,  fourbues,  n'en  pouvant  plus,  on  débarque  à  l'hôtel  de  la  Smala, 
et  deux  jours  après  on  se  présente  au  public,  Dieu  sait  avec  quel 
succès  —  un  succès  qui  ne  se  démentit  pas  un  instant  pendant  plus 
de  quatre  mois. 

«  Les  Gitanas  de  Grenade  avec  leur  capitan  »  formaient  une  troupe 
composée  de  onze  personnes  :  huit  femmes  :  Soledad  (l'étoile  de  la 
compagnie),  Mathilda,  Viva,  Pepa,  Dolorès,  Reyes,  Lola,  Anlonia, 
et  trois  hommes  :  Chivo  (le  capitan),  Antonio  et  Manuel.  Peu  après, 
une  seconde  étoile,  la  Maccarona,  venait  se  joindre  à  ce  personnel, 
et  ne  contribuait  pas  pou  à  entretenir  l'enthousiasme  du  public.  On 
vit  venir  aussi  par  la  suite  Pichiri,  un  comique  vraiment  impayable, 
puis  quelques  autres  danseuses  :  Juana,  Zola,  Sanchez  et  Goncep- 
cion.  Dès  le  début  de  la  troupe,  qui  eut  lieu  vers  le  10  juillet,  le 
nombre  des  représentations  fut  fixé  à  cinq  par  jour,  savoir  :  dans 
la  journée,  à  deux  heures  un  quart,  tiois  heures  vingt-cinq  et 
quatre  heures  et  demie;  le  soir,  à  huit  heures  et  à  neuf  heures  un 
quart.  Le  prix  des  places  variait  d'un  franc  à  cinq  francs  —  et  la 
salle  ne  désemplissait  pas. 

On  sait  ce  que  sont  les  gilanos  d'Andalousie,  qui  ont  surtout  leurs 
grands  centres  à  Grenade,  Séville  et  Malaga:  d'anciens  nomades 
venus  on  ne  sait  d'où  sur  la  'erre  ibérique,  une  sorte  de  bohémiens 
d'Espagne,  mais  qui,  fixés  à  demeure  aujourd'hui  en  certaines  par- 
ties du  pays,  ont  fini  par  se  mêler  à  la  race  autochtone,  et, 
tout  en  perdant  leur  langage,  leur  dialecte  originaire,  ont  conservé 
dans  le  croisement  une  partie  de  leurs  mœurs  et  de  leurs  coutumes 
primitives.  En  particulier,  leurs  danses,  essentiellement  primesau- 
tières  et  originales,  n'ont  rien  perdu  de  leur  couleur,  de  leur  saveur 
et  de  leur  caractère  absolument  personnels.  Si  les  hommes,  avec 
leurs  pantalons  à  bottes,  leurs  courtes  vestes,  leurs  ceintures  rouges 
et  leurs  larges  sombreros,  ressemblent  \olontiers  à  tous  les  autres 
Espagnols,  les  femmes  sont  plus  typiques,  surtout  lorsqu'elles  se 
livrent  à  ces  danses  endiablées,  enfiévrées,  effrénées,  auxquelles  elles 
semblent  prendre  pour  le  moins  autant  de  plaisir  que  les  spectateurs, 
et  où  elles  apportent  un  entrain,  une  ardeur,  une  fougue  et  comme 
une  sorte  de  furie  vraiment  saisissante.  Il  fallait  les  voir,  là,  sur 
ce  théâtre,  dans  ces  costumes  bariolés  qu'elles  portent  avec  tant  de 
crânerie,  la  jupe  voyante,  le  corsage  souple,  le  fichu  sur  le  cou,  les 
bras  nus,  un  gros  accroche-cœur  collé  à  chaque  tempe,  une  fleur 
dans  les  cheveux,  et  une  cigarette  fichée  derrière  l'oreille  quand 
elles  ne  l'avaient  pas  aux  lèvres.  Elles  semblaient  heureuses  seu- 
lement de  se  montrer,  et  la  vue  de  leur  joie  mettait  aussitôt  le 
public  en  belle  humeur. 

Mais  c'était  bien  autre  chose  quand,  l'œil  en  feu,  le  regard  plein 
d'ardeur,  les  narines  gonflées,  le  sourire  provocant,  tout  le  corps 
en  quelque  sorte  crispé  de  plaisir,  l'une  ou  I  autre  commençait  la 
danse  où  elle  voyait  se  renouveler  une  fois  de  plus  les  sensations 
que  déjà  cent  fois  elle  avait  éprouvées, sensations  qui  étaient  toujours  ' 
pour  elle  une  source  nouvelle  de  bien-être  étrange  et  d'ardente  sa- 
tisfaction. Car  il  semble  que  ces  femmes  soient  nées  pour  la  danse, 
et  que  la  danse  soit  pour  elles  comme  une  sorte  d'é  ément  naturel. 
«  Nous  avons  tous  applaudi,  disait  un  chroniqueur,  ces  tangos,  ces 
baile  del  novio,  ces  allegrias,  ces  fandangos,  ces  panaderas  d'un  cachet 
si  spécial.  Il  y  avait  là  Juana,  souple  comme  une  panlhère,  avec  son 
torse  flexible,  sans  corset,  et  ses  déhanchements  pleins  de  promesses- 
Mathilda,  la  meilleure  danseuse  peut-être,  qui  levait  la  jambe 
comme  la  Goulue,  et  avait  même  des  notions  de  pointes;  le  dan- 
seur Pichiri,  un  grand  gaillard  au  teint  olivâtre,  sec  comme  une 
allumette,  qui,  sanglé  dans  son  étroite  culotte,  avait  des  tortille- 
ments de  reins  les  plus  extravagants.  Il  y  avait  aussi  Pepa.  une 
grosse  réjouie,  canaille  achevée,  potelée  comme  une  caille,  avec  les 
plus  beaux  bras  du  monde;  dans  le  masque  gouailleur,  quelque 
chose  de  notre  grande  Thérésa.  Pour  danser,  elle  se  campait  sur 
l'oreille  un  feuire  d'homme;  mais  avec  Pichiri  commençait  un  cer- 
tain tango  que  l'univers  entier  a  applaudi.  Soulevant  do  sa  main 
gauche  sa  jupe,  comme  si  elle  craignait  de  la  perdre,  le  poignet 
appuyé  sur  sa  croupe  extra-andalouse,  elle  exécutait  une  certaine 
danse  du  ventre  autrement  suggestive  que  le  trémoussement  froid 
et  mécanique  de  la  rue  du  Caire.  Pendant  chaque  pas,  les  cris  guttu- 
raux, les  interpellations  rauques,  les  castagnettes,  les  tambourins- 
formaient  un  concert  assourdissant  et  dont  l'entrain  allait  en  cres- 
cendo. La  danse  finie,  les  spectateurs  envoyaient  des  bouquels  que 
les  danseuses  se  piquaient  sur  leurs  cheveux,  ce  qui  formait  les 
casques  les  plus  gracieux  du  monde.  »  Il  y  avait  aussi  Soledad,  la 
plus  jeune  des  trois  filles  de  Chivo  et  la  plus  jolie  de  la  troupe, 
bien  qu'elle  n'eût   encore  que  quatorze   ans,   prodigieuse   d'agilité. 


LE  MENESTREL 


[49 


de  souplesse  et  de  grâce;  puis  la  Maccarona,  celle  qu'on  appelle 
«  la  reine  des  gitanes,  »  et  qui  était  bien,  comme  danseuse,  la  plus 
étrange  créature  qui  se  puisse  concevoir.  C'étaient  là  les  deux  étoiles 
de  la  compagnie  andalouse,  et,  quand  venait  le  tour  de  l'une  ou  de 
l'aulre,  une  grande  pancarte,  sur  l'un  des  côtés  de  la  scène,  annon- 
çait son  nom  (1). 

Mais  il  est  temps  de  faire  connaître  le  milieu  dans  lequel  se 
produisaient  ces  hauts  faits  chorégraphiques  et  peu  académiques, 
et  de  quelle  façon  ils  se  manifestaient. 

La  petite  scène  du  «  Grand  Théâlre  »  de  l'Exposition  représentait, 
dans  un  mignon  décor  très  lumineux  et  très  gai,  quelque  chose 
comme  l'extérieur  d'une  posada  quelconque.  Au  lever  du  rideau, 
danseurs  et  danseuses,  assis  sur  des  chaises,  étaient  placés  eu 
ligne  au  milieu  et  en  travers  du  théâtre,  les  trois  hommes  au  centre, 
les  femmes  sur  les  côtés.  Ceux  des  hommes  qui  ne  dansaient  pas 
jouaient  de  la  guitare,  et  formaient  le  seul  orchestre  chargé  de 
rylhmer  la  musique  des  pas,  orchestre  accompagné  d'une  paît  par 
les  castagnettes  des  danseuses,  fort  habiles  à  s'en  servir,  de  l'autre 
par  les  mains  des  autres  femmes,  qui  marquaient  la  cadence  en  les 
frappant  l'une  contre  l'autre,  et  parfois,  dans  les  moments  solennels, 
par  une  sorte  de  bruyant  trémolo  obtenu  avec  les  deux  pied-.  Par- 
fois encore,  dans  les  eas  excentriques,  et  pour  exciter  les  danseurs, 
qui  pourtant  semblaient  n'avoir  pas  besoin  d'encouragements,  ces 
femmes  poussaient  de  temps  en  temps  des  cris,  et  comme  des  appels 
à  pleine  voix,  entremêlés  de  olè!  olè!  vigoureux  (2).  Enfin  il  arrivait 
que,  au  plus  fort  de  certains  pas  échevelés  où  les  dauseurs  eux- 
mêmes,  par  leurs  exclamations  et  leurs  piétinements,  couvraient  la 
molle  et  flasque  sonorité  des  guitaies,  celles-ci  s'arrêtaient,  l'accom- 
pagnement géuéral  devenant  alors  uniquement  rythmique  à  l'aide 
des  mains,  des  pieds,  des  castagnettes,  des  tambours  de  basque  et 
des  cris  de  toutes  sortes.  Alors  la  scène  et  la  salle,  les  specta- 
teurs et  les  danseurs  étaient  complètement  étourdis,  ceux-ci  se  gri- 
saient eux-mêmes  de  tout  ce  tapage  aussi  bien  que  de  leur  éton- 
nantes évolutions,  et  le  public,  saisi  de  toutes  manières,  enfiévré 
par  les  yeux,  par  les  oreilles  et  par  l'esprit,  éclatait  en  applaudis- 
sements et  criait  bis  de  tous  côtés.  Au  reste,  le  caractère  musical, 
tel  qu'il  se  produisait  soit  par  la  guitare,  soit  par  le  chant  (car 
parfois  un  couplet  se  mêlait  à  la  danse)  était  très  particulier  et  très 
étrange  ;  cela  tenait  beaucoup  du  plain-chant  au  point  de  vue  de 
la  tonalité,  avec  toujours  un  rythme  vif,  marqué  et  pétulant,  et 
c'est  cet  assemblage  si  peu  habituel  et  vraiment  curieux  qui  était 
tout  à  fait  caractéristique. 

Tous  ces  pas  d'ailleurs,  généralement  si  savoureux,  si  originaux, 
étaient  loin  de  se  ressembler,  outre  que  chaque  danseur,  chaque 
danseuse,  avait  sa  personnalité  propre  et  bien  tranchée.  J'ai  remar- 
qué un  tango  dan:-é  par  la  Juana,  une  tille  pas  belle,  mais  d'une 
physionomie  remarquable  et  un  peu  sauvage.  Puis,  un  baile  (tel  no- 
vio  où  brillait  la  MathilJa,  qui  commençait  par  une  soite  de  scène 
de  pantomime  et  se  terminait  en  une  espèce  de  jaleo  très  animé.  Il  y 
avait  ensuite  un  tango  à  quatre  parMaccaron  etPichiri,  la  Reyes  et  la 
Dolorès,  qui  aurait  fait  pâmer  un  hypocondre,  mais  qui,  je  dois  le  dire, 
ne  serait  pas  de  mise  dans  un  couveut  de  demoiselles,  non  plus  que  le 
tango  à  cinq  où  se  montraient  Juana,  Zola,  Concepcion,  Dolorès  et  le 
seul  Pichiri.  L'un  des  giands  succès  était  pour  Soledad  dans  son  olle 
gracioso;  elle  avait  là-dedans  des  trémoussements,  des  sauts,  des 
mouvements  de  croupe,  des  tours  de  hanches,  des  poses  et  des  atti- 
tudes tantôt  étranges  et  brutales,  tantôt  souples  et  félines,  auxquels 
sa  grâce  charmante  et  sa  vivacité  donnaient  une  étonnante  saveur. 
Su  rivale  ou  plutôt  son  émule,  la  Maccarona,  n'était  pas  moins  bien 
accueillie  dans  son  tango  allegtia,  qui  formait  comme  une  espèce 
de  scène  :  elle  commençait  par  chanter  un  ou  deux  couplets,  que 
suivait  un  pas  comique  ;  sa  danse  ensuite  devenait  tranquille  et 
presque  langoureuse,  puis  s'animait  peu  à  peu,  se  développait  dans 
une  sorte  de  crescendo  en  des  évolutions  qui  passaient  presque  à 
l'état  de  contorsions,  et  se  terminait  enfin  d'une  façon  folle  en  une 
espèce  d'emportement  furieux,  d'une  audacs  et  d'une  hardiesse  ex- 
traordinaires. Il  y  avait  encore  un  fandango  à  quatre,  où  dansaient 

(I)  (Jn  lisait  dans  le  Figaro,  à  propos  de  la  Maccarona:  —  «  C'est  Maca- 
rena  qu'il  faudrait  dire  et  écrire.  C'est,  bien  entendu,  un  surnom.  La 
Macarena  signifie  en  argot  espagnol  :  la  reine,  la  plus  chouette,  la  plus 
gironde.  C'est  un  sobriquet  faubourien.  Il  ne  faut  pas  oublier  que  la  Ma- 
carena  est  une  danseuse  faubourienne  et  que  ses  danses,  étant  donnée  la 
différence  de  latitude,  sont  l'équivalent  de  celles  des  partenaires  de  notre 
quadrille  naturaliste:  ses  déhanchements  représentent  les  levées  de  jambe 
et  les  trémoussements  de  la  Grille  d'Égout  parisienne.  »  C'est  égal,  je 
préfère  encore  le  surnom  espagnol  au  sobriquet  parisien. 

l2)  Olèl  olèl  (Hardi!  hardi!). 


Chivo  et  ses  trois  filles  :  Viva,  Mathilda  et  Soledad,  et  qui  était 
bien  l'une  des  choses  les  plus  curieuses  qu'on  pût  imaginer  par 
l'entraînement,  la  fougue  et;  si  l'on  peut  dire,  la  sauvagerie  à  la- 
quelle ils  se  livraient. 

Tout  cela,  ou  ne  saurait  trop  le  répéter,  eut  un  succès  monstre, 
et  il  faut  le  dire  aussi,  très  mérité.  C'est  que  c'était  de  l'art,  un  art 
populaire  sans  doute,  mais  un  art  sui  generis,  très  coloré,  véritable- 
ment original,  intéressant  sous  beaucoup  de  rapports  et  fait  pour 
exciter  l'attention.  Tous  ces  gens-là,  les  Chivo,  les  Pichiri,  les  Sole- 
dad, les  Maccarona,  les  Mathilda,  avaient  vraiment  le  diable  au 
corps,  et  se  livraient  avec  une  ardeur,  un  abandon,  surtout  une  sin- 
cérité qui  justifiaient  leur  succès  et  provoquaient  les  applaudisse- 
ments. Aussi  ces  applaudissements  ne  leur  étaient-ils  pas  prodigués 
seulement  par  le  public  vulgaire,  mais  par  les  spectateurs  plus  dé- 
licats et  plus  raffinés,  par  ceux  qui  savaient  voir,  apprécier  et  com- 
piendre.  On  peut  bien  dire  que  tout  le  Paris  artiste  et  lettré  s'est 
donné  pendant  longtemps  rendez-vous  au  Grand-Théâtre  de  l'Expo- 
sition pour  y  contempler  «  les  Gilanas  et  leur  capitan.  »  En  parti- 
culier, tout  le  personnel  de  l'Opéra  y  a  passé,  et  l'on  y  a  vu  plus 
d'une  fois  la  gentille  Rosila  Mauri  et  la  jolie  Mlle  Subra  applaudir 
de  toutes  leurs  forces  l'aimable  Soledad  et  l'étonnante  Maccarona. 
(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (8  mai).  —  J'avais  été  mauvais 
prophète  en  prédisant  que  M.  Gailhard,  contre  qui  s'acharne  le  destin, 
serait  le  seul  à  ne  pas  voir  Salammbô.  Il  l'a  vue,  enfin!  Après  avoir  dû  partir 
de  Bruxelles,  la  semaine  dernière,  sans  avoir  fait  la  connaissance  de 
l'œuvre  de  Reyer,  il  nous  est  revenu,  courageusement,  le  soir  de  la  clôture 
théâtrale;  et,  cette  fois,  la  chance  l'a  favorisé:  on  n'a  pas  fait  relâche. 
J'ai  aperçu,  pendant  un  entr'acte,  le  directeur  de  l'Opéra  se  dirigeant  vers 
la  loge  de  Mme  Caron,  qu'il  est  allé  féliciter,  —  ce  qui  m'a  fait  penser  que 
la  paix  pourrait  bien  être  faite  ;  —  je  l'ai  vu,  ensuite,  penché  sur  le  bour- 
relet de  sa  loge,  très  absorbé,  pendant  tout  le  temps  qu'a  duré  le  spectacle  ; 
et  je  me  suis  laissé  dire  que,  lorsque  tout  fut  terminé,  il  n'avait  point 
caché  son  enthousiasme,  accompagné  du  ferme  propos  de  monter  Salammbô 
à  l'Opéra.  Je  vous  donne  mes  documents  pour  ce  qu'ils  valent.  Quoi 
qu'il  en  soit,  cette  visite  de  M.  Gailhard  a  beaucoup  fait  parler  ici,  et 
elle  a  été  une  des  curiosités  de  cette  dernière  représentation,  d'autant  plus 
brillante  que  Mme  Citron  et  M.  Renaud  y  faisaient  leurs  adieux;  —  celui- 
ci  pour  tout  de  bon;  —  celle-là  peut-être  nous  reviendra,  car  on  parle 
d'elle  pour  créer  VOtello  de  Verdi,  l'hiver  prochain.  Ces  adieux  ont  été 
très  enthousiastes,  surtout  pour  M">e  Caron.  Je  ne  me  rappelle  pas  avoir  vu 
jamais  pareilles  ovations  et  pareil  déluge  de  fleurs.  La  veille,  les  adieux 
des  autres  avaient  été  également  très  chaleureux;  la  triomphatrice,  ce 
soir-là,  a  été  Mllc  Merguillier,  acclamée  et  rappelée  cinq  ou  six  fois,  avec 
une  insistance  prouvant  bien  l'estime  où  le  public  bruxellois,  malgré  sa 
froideur,  tenait  cette  réelle  artiste.  Mm°  Fierens-Peters  et  Mlle  Samé  ont  eu, 
elles  aussi,  mais  plus  modérément,  leur  part  de  regrets  bruyants  et  fleuris. 
Et,  en  somme,  c'a  été  pour  tous  et  pour  toutes  une  fête  que  M11"  Sanderson, 
du  fond  d'une  loge,  a  contemplée  avec  bien  certainement  le  vif  désir  de  la 
mériter,  à  son  tour,  l'année  prochaine.  —  Le  théâtre  de  la  Monnaie,  à  peine 
fermé,  —  en  compagnie  de  la  plupart  des  autres  théâtres  —  s'est  rouvert 
presque  aussitôt  hier  pour  le  dernier  Concert  populaire.  L'attrait  par- 
ticulier et  exceptionnel  de  ce  concert  était  M.  Hans  Richter,  qui  l'a 
dirigé  tout  entier  et  à  qui  on  a  fait  un  triomphe  absolument  extraordinaire 
et  absolument  mérité.  Assouplissant  l'excellent  orchestre  des  Concerts 
avec  toute  l'autorité  de  son  talent  et  de  son  prestige,  il  nous  a  donné,  de 
plusieurs  fragments  symphoniques  de  "Wagner,  suivis  de  la  Rapsodie  hon- 
groise de  Liszt  et  de  la  symphonie  en  ut  mineur  de  Beethoven,  une  inter- 
prétation merveilleuse,  idéale,  qui  a  transporté  l'auditoire  dans  un  vé- 
ritable élan  d'enthousiasme.  Ce  que  M.  Joseph  Dupont  avait  préparé 
admirablement  ,  le  capellmeister  viennois  l'a  achevé  et  complété  d'une 
incomparable  façon.  Quel  chef  d'orchestre!  Quel  bras,  quel  rythme,  et 
quelle  clarté!  Et  comme  la  plupart  de  nos  chefs,  ceux-là  mêmes  qui  pré- 
tendent posséder  les  traditions  de  Wagner,  avec  notes,  commentaires 
et  partitions  originales,  feraient  bien  de  lui  demander  humblement  quel- 
ques petits  conseils!  —  L.  S. 

—  Voici  le  bilan  du  théâtre  de  la  Monnaie,  de  Bruxelles,  pour  la  saison 
qui  vient  de  s'écouler.  On  a  donné  pendant  celte  saison  23  ouvrages, 
dont  12  opéras,  10  opéras-comiques  et  un  ballet,  au  lieu  de  38  ouvrages, 
dont  17  opéras-comiques,  trois  ballets  et  un  oratorio  (le  Francisais  de 
Tinel),  qui  avaient  été  donnés  pendant  la  campagne  précédente.  Les  nou- 
veautés sont  au  nombre  de  trois  :  Esdarmonde  (il  représentations),  Sa- 
lammbô (32),  la  Meunière  de  Marhj  (4).  Les  deux  dernières  œuvres  seulement 
étaient  inédites.  Comme;  reprises  :  Aida  ('<•),  h  Vaisseau  Fantôme  (8),  Ma- 
non (12),   le  Songe    d'une   nuit  d'été  (7),    tes  Fumeurs  de  Kiff  (8),  auxquelles 


150 


LE  MENESTREL 


s'ajoutent  les  œuvres  du  répertoire  :  Mignon  (17),  Hamlet  (13),  les  Hugue- 
nots (13),  le  Maître  de  chapelle  (10),  Faust  (10),  la  Juive  (8),  le  Caïd  (8),  le 
Pardon  de  P'.oërmel  (6),  Si  j'étais  Roi  (6),  l'Africaine  (6),  te  Favorite  (3),  fe  i?0( 
(Fis  (4),  iio&ert  fe  Diable  (une!...)  Parmi  tous  ces  auteurs,  Ambroise Thomas 
a.  la  corde  avec  quarante-cinq  représentations,  et  Massenet,  parmi  les 
modernes,  en  a  trente-trois.  Voilà  déjà  des  indices  de  toute  une  esthé- 
tique, Ambroise  Thomas  pour  les  aînés,  Massenet  pour  les  jeunes.  Rêver 
atteint  à  trente-deux  grâce  à  l'intérêt  de  nouveauté  qui  s'attache  à 
Salammbô,  et  Wagner  avec  son  Vaisseau  Fantôme,  repris  à  la  fin  de  la 
saison,  arrive  à  huit  représentations.  C'est  tout  ce  que  son  nom  fournit 
en  un  hiver. 

—  La  date  de  l'inauguration  de  la  statue  de  Weber  au  Eichenhain, 
près  Eutin,  est  définitivement  fixée  au  1er  juillet.  La  cérémonie  sera 
précédée  et  suivie  d'un  grand  concert  de  musique  sacrée  et  profane, 
dont  "Weber  fera  seul  les  frais.  Les  plus  célèbres  artistes  de  l'Allemagne 
prendront  part  à  cette  solennité. 

—  L'Exposition-Beethoven  qui  s'ouvre  le  10  mai  courant  à  Bonn  (Prusse 
rhénane)  et  qu'accompagnera  une  série  de  concerts  de  musique  de  cham- 
bre, promet  d'être  un  événement  artistique  du  plus  haut  intérêt.  Un  grand 
nombre  d'institutions  publiques  ou  privées,  sans  compter  les  particuliers, 
ont  mis  généreusement  à  la  disposition  du  comité  les  reliques,  manuscrits, 
souvenirs,  etc.,  qui  ont  trait  à  Beethoven  et  à  son  œuvre.  Dans  le  nombre 
il  y  a  toute  une  série  de  documents  précieux,  des  manuscrits  de  jeunesse, 
de  nombreuses  pages  de  la  maturité,  un  grand  nombre  de  lettres  de 
toutes  les  périodes  de  la  vie  du  maître,  le  piano  de  Beethoven,  les  instru- 
ments à  cordes  qui  lui  appartenaient,  le  cornet  acoustique  dont  il  se  ser- 
vait pendant  sa  surdité,  et,  ce  qui  est  peut-être  le  plus  intéressant,  la 
collection  complète  des  portraits  peints,  gravés  ou  dessinés,  parus  de  son 
vivant  ou  depuis  sa  mort. 

—  On  raconte  que,  ces  jours  derniers,  l'empereur  d'Allemagne  a  fait 
venir  au  palais  impérial  un  savant  japonais,  le  Dr  Shoé  Tanaka,  qui  a 
étudié  à  Berlin  les  sciences  physiques  et  s'est  particulièrement  occupé  de 
lia  théorie  des  sons.  Le  Dr  Tanaka  a  présenté  à  l'Empereur  et  à  l'Impéra- 
trice un  nouvel  instrument  de  son  invention  qu'il  appelle  enharmonium, 
construit  et  accordé  de  manière  à  comprendre  tous  les  tons  justes,  tels  qu'ils 
existent  dans  la  nature  et  tels  que  la  science  les  a  mesurés.  On  sait  que 
nos  instruments  actuels,  surtout  ceux  à  clavier,  sont  en  réalité  très  discords, 
lia  même  touche  correspondant  à  des  sons  absolument  différents,  tels  que 
sol'  dièse  et  la  bémol,  mi  bémol  et  ré  dièze,  etc.,  dont  la  fonction  harmo- 
nique et  le  nombre  de  vibrations  ne  sont  nullement  correspondantes.  Le 
D1'  Tanaka,  afin  de  comprendre  dans  son  clavier  tous  les  sons  vrais,  a  du 
naturellement  en  modifier  la  disposition  actuelle.  Dans  son  audience  au 
palais  impérial,  le  D1'  Tanaka  était  accompagné  de  l'organiste  Papendick, 
qui  a  joué  alternativement  sur  un  harmonium  ordinaire  et  sur  le  nouvel 
enharmonium  différents  morceaux  de  maîtres,  afin  dj  faire  mieux  saisir  la 
dïfférence  de  l'harmonie  pure  et  de  l'harmonie  factice 'de  nos  instruments 
actuels.  Rappelons  à  ce  propos  que  le  savant  physicien  Helmholtz,  à  qui 
l'on  doit  de  si  importantes  découvertes  au  point  de  vue  acoustique,  s'était 
déjà  fait  construire,  il  y  a  vingt  ans,  un  harmonium  accordé  selon  les 
données  de  la  physique  expérimentale.  Seulement,  l'instrument  n'étant  pas 
pratique,  on  ne  put  en  faire  usage.  Il  serait  vraiment  intéressant  que 
ce  que  Helmholtz  avait  alors  tenté  fut  enfin  réalisé  aujourd'hui.  Ajoutons 
qne  le  Dr  Tanaka,  qui  parle  couramment  les  langues  européennes,  vient 
de  publier  un  opuscule  :  Etudes  dans  le  domaine  de  l'accord  pur,  qui  fait  du 
bruit  dans  le  monde  savant  d'outre-Rhin. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne  :  —  Berlin  :  l'Opéra  royal  a  joué, 
le  19  avril,  les  Huguenots  pour  la  230e  fois.  La  première  représentation, 
sur  ladite  scène,  avait  eu  lieu  le  20  mai  1842.  Un  nouvel  opéra-comique  de 
M.  Peter  Gast,  le  Mariage  secret,  vient  d'être  accepté  par  la  direction  du 
théâtre  Kroil,  pour  être  représenté  aj  cours  de  la  présente  saison.  — 
Breslau  :  deux  nouveautés  viennent  d'être  produites  au  théâtre  municipal: 
le  Juge  de  village,  opéra-comique  en  un  acte,  tiré  de  la  Cruche  cassée  de 
Kleist,  musique  de  H.  Kahn,  et  Naieshda,  opéra  du  compositeur  anglais, 
M.  Goring  Thomas.  —  Cologne  :  le  théâtre  municipal  vient  de  produire, 
avec  un  très  heureux  résultat,  la  quatrième  nouveauté  de  sa  saison: 
lalanlhe,  la  (die  du  roi,  opéra  romantique  du  chef  d'orchestre,  M.  Mùhldor- 
fer.  —  Dresde  :  le  Roi  malgré  lui,  de  M.  Chabrier,  a  remporté  le  25  avril, 
au  théâtre  de  la  Cour,  un  succès  des  plus  francs.  L'interprétation,  aux  mains 
de  M""s  Schuch  et  Friedman,  de  MM.  Scheidemantel,  Erl  et  Nebuschka,  ■ 
était  do  premier  ordre.  —  Hambourg  :  réussite  pour  un  opéra-comique 
en  trois  actes  de  M.  Félix  von  Woyrsch,  intitulé  la  Guerre  des  femmes.  — 
Leipzig  :  le  théâtre  municipal  vient  de  représenter  pour  la  première  fois 
un  grand  ouvrage  lyrique  en  quatre  actes  de  M.  J.  J.  Abert,  intitulé 
les  Almohaden,  qui  ne  semble  pas  avoir  produit  une  impression  bien  favo- 
rable. La  partition  manque  d'unité,  et  l'intérêt  n'est  éveillé  qu'à  de  trop 
rares  intervalles.  Interprétation  satisfaisante',  surtout  en  ce  qui  concerne 
M""  Moran-Olden.  —  Muxicn  :  le  théâtre  de  la  Cour  a  remporté  une  nou- 
velle victoire  artistique  en  remettant  à  la  scène  un  ancien  opéra  de  Spohr 
presque  totalement  oublié  :  Pielro  d'Albano.  Les  beautés  de  la  partition 
font  passer  sur  la  faiblesse  du  livret  et  suffiront,  espère-t-on,  à  maintenir 
l'ouvrage  au  répertoire.  —  Ol.mDtz  :  un  nouvel  opéra  romantique  de 
M.  Rudolf  Thomas,  les  Roses  d'Helga,  a  rencontré  bon  accueil  au  théâtre  muni- 
cipal.   —   Piugue  :    malgré   son    titre    prédestiné,    l'opérette    de   Suppé, 


la  Chassr  au  bonheur,  n'a  pas  eu  de  chance  au  théâtre  allemand.  Un  plus 
heureux  sort  a  été  réservé  à  un  opéra-comique  de  M.  Richard  Mandl, 
Nâchlliche  Werbung,  paroles  allemandes  de  M.  Oscar  Berggruen,  représenté 
sur  la  même  scène.  Ce  petit  ouvrage  avait  déjà  été  joué  à  Rouen,  avec 
un  livret  français. 

—  Deux  prix  de  la  «  fondation  Félix  Mendelssohn-Bartholdy  »  seront 
décernés  le  1er  octobre  prochain.  Chacun  de  ces  prix,  dont  l'un  est  destiné 
aux  compositeurs,  l'autre  aux'  artistes  exécutants,  s'élève  à  1,500  marks 
(1,875  francs).  Tous  deux  doivent  être  attribués  à  des  artistes  qui  auront 
accompli  leurs  études  dans  des  écoles  musicales  d'Allemagne  subven- 
tionnées par  l'Etat,  sans  distinction  d'âge,  de  sexe,  de  religion  ou  de  na- 
tionalité. 

—  MmeGaroline  de  Serres  vient  de  donner  à  Vienne  sa  dernière  réunion 
musicale.  Au  programme,  sonate  de  M.  Saint-Saëns  pour  piano  et  vio- 
loncelle avec  M.  Hellmeisberger  fils.  Puis,  la  grande  cantatrice,  M"10  Ma- 
rianne Brand.t  a  chanté  admirablement  l'air  de  Samson  et  Dalila,  une 
délicieuse  composition  de  M™  Viardot,  l'Étoile,  et  plusieurs  romances  de 
M.  Robert  Fischoff,  qui  a  joué  avec  Mmc  de  Serres  de  remarquables  varia- 
tions à  deux  pianos  que  le  Ménestrel  va  publier  bientôt.  Réunion  d'élite 
d'aristocratie,  de  monde  officiel  et  d'artistes. 

—  Un  curieux  procès  est  pendant  à  Vienne  entre  Mme  Schônerer,  direc- 
trice du  théâtre  An  der  Wien,  et  les  trois  auteurs  habituels  de  cette,  scène, 
MM.  Millocker,  Wittmann  et  Bauer.  Dans  le  contrat  que  ces  derniers 
avaient  passé  avec  la  direction  relativement  à  leur  plus  récent  ouvrage, 
le  Pauvre  Jonithan,  figurait  une  clause  interdisant  à  M"™  Schônerer  d'in- 
terrompre les  représentations  de  la  pièce  tant  que  la  moyenne  des  recettes 
quotidiennes,  d'une  semaine  à  l'autre,  ne  tomberait  pas  au-dessous  de 
mille  guldens.  Or,  cette  moyenne  s'était  maintenue,  pendant  la  dernière 
semaine  de  mars,  au  chiffre  de  1,600  guldens.  Ce  qui  n'empêcha  pas  la 
directrice  de  retirer  la  pièce  pour  livrer  sa  scène  à  une  troupe  de  Munich, 
en  exécution  de  conventions  antérieures.  MM.  Millocker,  "Wittmann  et 
Bauer  réclament  de  ce  fait  le  paiement  des  dommages-intérêts  stipulés 
dans  leur  traité,  soit  trois  mille  guidons.  La  défenderesse  refuse  de  se 
soumettre  à  pareille  obligation,  alléguant  le  cas  de  force  majeure.  La 
parole  est  au  tribunal. 

—  A  Munich  a  eu  lieu,  au  théâtre  de  la  cour,  la  première  représentation 
d'un  nouvel  opéra  de  M.  Victor  Nessler,  l'auteur  du  Preneur  de  rats  de 
Harlem  et  du  Trompette  de  Sackingen.  La  nouvelle  pièce  est  intitulée  la  Rose 
de  Strasbourg.  La  musique  de  M.  Victor  Nessler  a  obtenu  un  grand  succès 
auprès  du  public  qui  aime  les  mélodies  faciles.  La  mise  en  scène  est 
très  pittoresque  et  les  tableaux  représentant  le  vieux  Strasbourg,  la  place 
de  la  Cathédrale  et  l'arrivée  des  Zurichois  avec  la  bouillie  de  millet,  ont 
été  vivement  applaudis. 

—  M.  Edouard  Lassen,  le  fameux  capellmeisler  de  Weimar,  vient  de 
célébrer,  dans  cette  ville,  le  soixantième  anniversaire  de  sa  naissance. 

—  M.  Pierre  ï'schaïkowsky  vient  de  terminer  un  opéra  intitulé  la  Fille 
du  Capitaine,  qui  va  être  monté  au  théâtre  impérial  de  Saint-Pétersbourg. 
Le  livret  est  tiré  d'une  nouvelle  de  Pouchkine.  L'action  se  passe  à  Saint- 
Pétersbourg,  d'abord  au  jardin  d'été,  puis  sur  le  quai  du  canal  d'hiver, 
près  l'ermitage  impérial. 

, —  On  télégraphie  de  Florence  à  l'Italie,  de  Milan  :  «  Le  début  de 
M™10  Arnoldson  dans  le  Barbiere.  donné  hier  soir  au  théâtre  Nicolini,  de 
Florence,  a  soulevé  un  véritable  fanatisme;  depuis  longtemps  on  n'a  vu 
pareil  succès;  on  a  constaté  que  c'est  la  seule  diva  qui  rappelle  Adelina 
Patti.  Après  chaque  morceau  il  y  a  eu  des  applaudissements  enthou- 
siastes, après  chaque  acte  des  rappels  insistants.  Le  public  en  délire  a 
donné  et  obtenu  le  bis  de  plusieurs  morceaux;  le  théâtre  était  rempli  par 
un  public  choisi.  Après  le  spectacle,  les  chœurs  ont  fait  une  belle  séré- 
nade à  l'éminente  artiste.  »  A  bientôt  Mignon  avec  la  même  artiste. 

—  Un  opéra  nouveau,  Ginevra  de  Monreale,  du  maestro  Bonavia,  vient 
d'être  représenté  sur  le  théâtre  royal  de  Malte.  Le  succès  du  compositeur 
et  de  ses  interprètes  semble  avoir  été  très  grand. 

—  Thorgrim,  le  nouvel  opéra  de  M.  F.  H.  Cowen,  que  vient  de  produire 
le  théâtre  Drury-Lane,  à  Londres,  a  remporté  un  succès  très  prononcé.  Le 
livret  de  M.  Joseph  Bennett  n'est  pas  suffisamment  dramatique,  mais  ce 
défaut,  paraît-il,  est  amplement  racheté  par  les  qualités  de  la  partition, 
qui  est  non  seulement  très  scénique  dans  son  ensemble,  mais  encore 
pleine  d'élévation  et  de  vigueur.  MIlc  Zélie  de  Lussan  a  fait  du  rôle  d'Olof 
une  superbe  création,  et  M.  B.  Mac  Guckin  personnifiait  Thorgrim  avec 
beaucoup  d'autorité  et  de  caractère. 

—  Le  Figaro  de  Londres  annonce  que,  par  ordre  de  la  princesse  Béatrice 
d'Angleterre,  deux  mélodies  juives  ont  été  utilisées  comme  musique  de 
scène  pondant  les  tableaux  vivants  représentés  au  château  d'Osborne  : 
Eslher  devant  Assuérus  et  le  Couronnement  d'Estker.  C'est  M.  Lazarus,  chef  de 
musique  d  infanterie  légère  de  la  marine  royale,  qui  a  été  chargé  de 
l'instrumentation  de  ces  mélodies,  dont  la  première,  intitulée  Zigdal,  se 
chante  pendant  les  fêtes  du  Nouvel  an,  et  la  seconde,  Hodu,  aux  cérémo- 
nies de  la  nouvelle  lune.  La  Reine,  particulièrement  frappée  de  la  beauté 
de  ces  chants,  les  a,  parait-il,  fait  arranger  en  «  Kyrie  »  pour  la  chapelle 
de  Saint-Georges,  au  château  de  Windsor.  C'est  peut-être  pousser  un  peu 
loin  la  manie  de  l'adaptation  ! 


LE  MENESTREL 


151 


—  L'Opéra  italien  de  New-York  vient  de  représenter  Lakmé,  avec 
]y[mG  patti.  Triomphe  complet  pour  l'ouvrage  de  Delibes  et  son  admirable 
interprète.  Dans  L'air  des  clochettes,  qui  a  été  bissé,  les  applaudissements 
partaient  presque  après  chaque  phrase,  MM.  Ravelli  (Gerald)  etMarcassa 
(Nilakanla)  ont  fait  une  excellente  impression. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Voici  le  nom  des  candidats  appelés  à  prendre  part  au  concours  défi- 
nitif pour  le  Grand- Prix  de  Rome.  Nous  les  donnons  dans  l'ordre  de 
leur  admission:  1.  M.  Carraud,  élève  de  M.  Massenet;  2.  M.  Lutz,  élève 
de  M.  Guiraud;  3.  M.  Bachelet,  élève  de  M.  Guiraud;  4.  M.  Silver,  élève 
de  M.  Massenet;  5.  M.  Fournier,  élève  de  M.  Delibes.  C'est  samedi  pro- 
chain que  les  concurrents  entreront  en  loge. 

—  La  Commission  supérieure  des  théâtres  était  convoquée  cette  se- 
maine par  le  ministre  des  beaux  arts,  qui  désirait  la  consulter  sur 
diverses  questions  relatives  aux  théâtres  subventionnés,  en  vue  des  expli 
cations  qu'il  sera  appelé  à  fournir  à  la  Chambre,  devant  la  commission 
du  budget,  sur  le  même  sujet.  Il  a  été  question,  notamment,  de  la  ré- 
fection des  décors  du  répertoire  de  l'Opéra,  qui  sont,  comme  l'on  sait,  en 
assez  mauvais  état,  —  en  bien  plus  mauvais  état  encore  qu'on  ne  le  sup- 
pose. 

—  On  se  souvient  que  le  projet  du  gouvernement,  relatif  à  la  recons- 
truction de  l'Opéra-Comique,  a  été  approuvé  par  la  commission  de  la 
Chambre  à  laquelle  il  avait  été  renvoyé.  A  son  tour  la  Commission  du 
budget  était  appelée  hier  à  donner  son  avis  sur  ce  projet,  au  point  de 
vue  financier,  comme  elle  est  tenue  de  le  faire  pour  tous  les  projets  de  loi 
qui  engagent  le  Trésor.  M.  Antonin  Proust,  rapporteur  du  budget  des 
beaux-arts,  chargé  de  la  question,  a  proposé  d'émettre  un  avis  favorable 
au  projet  de  loi.  Mais  la  commission,  par  dix  voix  contre  huit,  s'est  pro- 
noncée contre.  Toutefois,  à  la  suite  d'un  échange  d'observations,  la  com- 
mission a  chargé  M.  Antonin  Proust  de  reprendre  la  question  à  l'origine 
même  et  de  rechercher  si  la  concession  du  terrain  de  la  place  Boieldieu, 
faite  par  le  duc  de  Choiseul  à  l'Etat  il  y  a  un  siècle,  entraînait  pour 
l'Etat  les  obligations  que  les  héritiers  prétendent  exister  aujourd'hui,  no- 
tamment celle  de  reconstruire  le  théâtre  par  lui-même,  sous  peine  de 
déchéance  du  legs.  M.  Antonin  Proust  a  reçu  tous  les  documents  du 
ministère  et  en  a  commencé  l'examen.  Il  a  retrouvé,  en  particulier, 
la  copie  du  jugement  dans  le  procès  intenté  en  1882  et  gagné  par  la 
famille  de  Choiseul,  au  sujet  de  l'attribution  d'une  loge.  Ce  jugement 
constate  la  validité  de  la  donation  faite,  en  1781,  par  la  famille  de 
Choiseul  au  roi  de  France,  de  l'emplacement  actuel  du  théâtre,  sous  la 
condition  que  cet  emplacement  servirait  à  la  construction  d'une  salle  de 
spectacle,  et  sous  la  réserve  que  la  donation  perdrait  son  effet  en  cas 
d'affectation  contraire.  Il  est  assez  curieux  de  remarquer,  à  ce  propos, 
que  l'acte  de  donation  même  n'a  pu  être  retrouvé  dans  les  archives  de 
l'État. 

—  De  son  côté,  M.  Bourgeois,  ministre  de  l'instruction  publique  et  des 
beaux-arts,  a  mis  le  conseil  des  ministres  au  courant  de  l'étal  actuel  de 
la  question.  Le  projet  de  loi  tendant  à  la  reconstruction  du  théâtre  sur  la 
place  Boieldieu,  avec  emprise  de  cinq  mètres  sur  cette  place,  ayant  été 
repoussé  par  la  commission  de  la  Chambre,  M.  Bourgeois  est  décidé  a 
reprendre  le  projet  de  M.  Fallières  et  à  le  soutenir  devant  la  Chambre.  Il 
est  certain,  et  nous  l'avons  dit  déjà,  que  si  la  Chambre  ne  vote  pas  le 
crédit  qu'on  lui  demande,  elle  perdra  bénévolement  sans  profit  pour  per- 
sonne, si  ce  n'est  pour  les  héritiers  Marinier,  un  terrain  dont  la  valeur 
n'est  pas  moindre  aujourd'hui  de   trois  à  quatre  millions. 

—  L'assemblée  générale  des  auteurs  et  compositeurs  dramatiques  a  eu 
lieu  mercredi  dernier,  sous  la  présidence  de  M.  François  Coppée,  vice- 
président,  remplaçant  M.  Victorien  Sardou,  encore  souffrant.  Le  rapport, 
présenté  par  M.  Paul  Ferrier  et  adopté  à  l'unanimité,  a  obtenu  un  succès 
sans  précédent.  Les  applaudissements,  soulignant  nombre  de  passages  et 
plusieurs  fois  répétés  après  la  lecture,  s'adressaient  à  la  fois  au  rappor- 
teur et  à  la  Commission  tout  entière,  dont  les  importants  travaux  de  l'an- 
née méritaient  d'ailleurs  cette  juste  appréciation.  Ce  rapport  a  été  imprimé 
et  sera  mis  à  la  disposition  des  intéressés  chez  les  agents  généraux, 
MM.  Roger  et  Debry.  Entre  autres  documents  les  intéressant,  ils  y  trou- 
veront toutes  les  améliorations  introduites  dans  les  traités  des  théâtres  de 
Paris,  des  explications  sur  les  différentes  mesures  relatives  à  l'admission 
des  auteurs  nouveaux,  des  renseignements  relatifs  au  projet  de  loi  sur  la 
pibpriété  littéraire  présenté  à  la  Chambre  par  M.  Philippon,  et  enfin  le 
texte  d'un  article  additionnel  aux  traités  de  certains  théâtres  de  Paris  et 
qui  intéressera  plus  particulièrement  les  jeunes  auteurs,  auxquels  la  Com- 
mission a  voulu  ouvrir  les  scènes  importantes  dont  l'accès  leur  était 
d'un  si  difficile  abord.  Les  élections  pour  la  nomination  de  cinq  nouveaux 
commissaires  ont  donné  les  résultats  suivants  : 

Votants:  100.  —  Majorité  absolue:  54. 
Ont  été  élus: 

Auteurs:  MM.  Ludovic  Ilalévy 92  voix. 

Camille  Doucet 87 

Edouard  Pailleron 70 

Henri  Bocage 00 

Compositeur:    M.   J.  Massenet 93 


Venaient  ensuite:  MM.  Jules  Barbier,  57  voix,  et  Gaston  Marot,  1K.  \,:, 
Commission  se  trouve  donc  ainsi  composée  :  MM.  Camille  Doucet,  Ludovic 
Halévy,  Edouard  Pailleron,  Henri  Bocage,  J.  Massenet,  Philippe  Gille, 
Victorin  .foncières,  Léo  Delibes,  Henri  de  Bornier,  Armand  d'Artois, 
François  Coppée,  de  Courcy,  Albert  Dolpit. 

—  A  l'Opéra,  MM.  Jean  et  Edouard  de  Reszké  vont  prendre  leur  congé 
annuel  du  13  mai  au  13  septembre.  M"'c  Melba  et  M.  Lassalle  ne  partant 
pas  avant  le  Ie1'  juin,  donneront  avant  leur  départ  quelques  représentations 
d'Hamlet  et  de  Rigoletlo.  A  partir  du  mois  prochain,  M"  Peeter-Fk-rens, 
la  nouvelle  falcon  que  vient  d'engager  la  direction  de  l'Opéra,  abordera 
successivement  tous  les  rôles  de  son  répertoire.  Aujourd'hui,  représen- 
tation populaire  à  prix  réduits.  On  donnera  les  Huguenots. 

—  On  attend  d'un  jour  à  l'autre  l'arrivée  à  Paris  de  M.  Camille  Saint- 
Saëns,  mais  il  ne  fera  qu'y  toucher  barre.  Il  prendra  juste  le  temps  d'as- 
sister à  une  représentation  d'Ascanio  et  repartira  pour  une  destination 
inconnue.  Quel  amour  des  voyages  mystérieux! 

—  Nous  lisons,  dans  le  Journal  iks  publications  légales,  l'avis  suivant  : 
«  D'un.  acte...  il  appert  que  la  Société  Paravey  et  Gie,  ayant  pour  objet 
l'exploitation  du  théâtre  national  de  l'Opéra-Comique,  a  été  modifiée  comme 
suit  :  le  capital  social,  qui  était  de  300,000  francs,  a  été  porté,  à  la  date 
du  31  mai  1889,  à  la  somme  de  380,000  francs.  »  Ce  que  c'est  que  les 
entreprises  prospères! 

—  Nous  annoncions  récemment  que  le  dernier  fils  survivant  de  Georges 
Kaslner  venait,  en  mourant,  de  léguer  la  superbe  bibliothèque  de  son 
père  au  Conservatoire.  Nous  apprenons  aujourd'hui  que  M.  Ambroise 
Thomas  et  M.  Weckerlin  viennent  d'être  avisés  que  la  bibliothèque  du 
Conservatoire  allait  être  appelée  à  recueillir  un  second  héritage,  plus 
précieux  encore  peut-être.  Il  s'agit  cette  fois  de  la  très  riche  collection 
d'autographes  de  musiciens  (lettres  et  manuscrits)  réunie  au  cours  de 
vingt  années,  à  force  de  soins  et  d'efforts,  par  M.  le  marquis  de  Queux 
de  Saint-Hilaire,  l'un  des  plus  intelligents  et  des  plus  avisés  collection- 
neurs de  ce  temps.  Or,  M.  de  Saint-Hilaire,  dont  nous  faisions  connaître 
la  mort  il  y  a  quelques  mois,  a  légué  par  testament,  au  Conservatoire, 
cette  collection  infiniment  précieuse  que  nous  avons  été  à  même  d'appré- 
cier et  qui  formera  un  fonds  spécial  d'une  extrême  importance  dans  la 
bibliothèque  de  cet  établissement. 

—  Nous  pouvons  annoncer  que  la  première  soirée  des  «  Grandes  audi- 
tions musicales  de  France  »  sera  donnée  lé  mardi  3  juin,  à  neuf  heures, 
au  théâtre  de  l'Odéon.  Le  spectacle  sera  composé  de  Béatrice  et  Béncdict,  de 
Berlioz,  et  de  fragments  musicaux  pris  dans  l'céuvre  du  maître  et  exécutés 
par  M.  Charles  Lamoureux  et  son  orchestre.  Voici  le  prix  des  places  pour 
cette  soirée  :  Premières  loges,  baignoires  d'avant-scène,  baignoires,  fau- 
teuils d'orchestre,  fauteuils  de  balcon,  la  place,  25  francs.  Deuxième 
étage  :  deuxièmes  loges  de  face,  seconde  galerie,  10  francs  la  place.  Par- 
terre, 10  francs.  Deuxième  balcon,  deuxièmes  loges  de  côté,  avant-scène 
des  secondes,  5  francs  la  place.  Les  places  du  3e  étage  et  du  4'-  étage 
seront  doublées.  On  peut  louer  dès  à  présent  ses  places  au  secrétariat  de 
la  société:  8,  rue  Favart.  Ajoutons,  comme  dernier  renseignement,  iq.ue 
Béatrice  et  Bénédict  sera  interprété  par  Mme  Bilbaut-Vauchelet,  MM.  Euged 
et  Mouliérat. 

—  On  a  relevé  le  compte  des  recettes  faites  par  les  théâtres  de  Parie, 
de  1848  à  1889  inclusivement,  soit  pour  une  période  de  quarante-deux 
années.  Il  en  résulte  que  dans  cet  espace  de  quarante-deux  ans,  le  total 
de  ces  recettes  s'est  élevé  au  chiffre  invraisemblable  de  730  (sept  cent  trente) 
millions!  lien  résulte  encore  que  le  double  prélèvement  de  10  0/0  fait 
d'une  part  au  profit  de  l'assistance  publique,  de  l'autre  pour  les  droits 
des  auteurs,  a  rapporté  à  l'une  et  aux  autres  la  bagatelle  de  73  millions. 
—  Et  l'on  nous  chicane  pour  deux  ou  trois  millions  nécessaires  à  la  re- 
construction de  l'Opéra-Comique,  qui  entre  assurément  pour  sa  bonne 
part  dans  un  tel  résultat  ! 

—  On  a  établi  aussi  la  progression  des  recettes  pendant  la  période  donU 
nous  venons  de  parler.  Le  chiffre  annuel,  qui 'était  de  6,431,251  francs  eu 
1849,  avait  déjà  doublé  dix  ans  plus  tard,  car  il  s'élevait  en  1839  à 
12,452,314  francs;  en  1869  il  atteignait  15,198,000  francs,  et  voici  le. compte 
des  onze  dernières  années  : 

1879 20.619.310 

1880 22.614.018 

1881 27.434.418 

1882 29.068.592 

1883 29.144.600 

1884 29.984.0')4 

•1885.    .    .' 25.590.077 

1880 25.074.458 

1887.   .......  22.062.440 

1888 23.007.975 

1889  (Exposition)    .  32.138.998 

—  Aux  renseignements  que  nous  avons  donnés,  la  semaine  drniiri'C, 
sur  le  Voyage  de  Chaudfonlaine,  l'opéra  bouffe  belge  plus  que  centenaire 
que  la  troupe  de   M.  Albaiza  doit  venir  jouer  prochainement  aux  Nou- 


152 


LE  MÉNESTREL 


veautés,  ajoutons  ceux-ci,  que  nous  apporte  l'Éventail,  de  Bruxelles  : 
«  Pour  ces  représentations  parisiennes,  dit  notre  confrère,  M.  Alhaiza  a 
fait  faire  une  adaptation  française  plutôt  qu'une  traduction  du  livret,  par 
M.  Henri  de  Fleurigny,  l'auteur  de  Fin  de  siècle,  qui  donnera  l'hiver  pro- 
chain plusieurs  pièces  inédites  au  Molière.  M.  Thys,  l'amusant  Golzan, 
conservera  son  rôle  qu'il  jouera  en  français,  mais  avec  l'accent  liégeois. 
L'excellent  Charvet,  qui  a  chanté  les  basses  bouffes  à  ce  même  théâtre  des 
Nouveautés,  représentera  li  batelier  Girard,  et  le  rôle  de  Marie  Bada  sera 
joué  par  une  jeune  fille  qui  a  obtenu  un  premier  prix  de  chant  au  Con- 
servatoire de  Liège.  Elle  est  excellente  musicienne  et  possède  une  voix 
superbe.  » 

—  Le  Congrès  américain  a  repoussé,  samedi  dernier,  un  projet  de  bill 
qui  consacrait  la  reconnaissance  de  la  propriété  littéraire  et  artistique  dis 
étrangers  aux  Etats-Unis.  La  Chambre  n'étant  pas  en  nombre  lorsque  ce 
vote  a  été  rendu,  on  espère  généralement  que  la  question  sera  reprise  dans 
une  séance  prochaine  et  qu'un  résultat  favorable  sera  obtenu.  Il  s'est,  en 
effet,  formé  aux  États-Unis  une  association  puissante  (Copyright  league) 
composée  d'écrivains,  d'artistes,  d'éditeurs,  d'hommes  politiques,  et  son- 
tenue  par  un  grand  mouvement  d'opinion  publique,  qui  a  fait  depuis 
plusieurs  années  les  effortsles  plus  énergiques  pour  faire  entrer  les  États- 
Unis  dans  le  concert  des  nations  qui  reconnaissent  à  la  propriété  litté- 
raire et  artistique  un  caractère  international. 

—  En  attendant  que,  selon  sa  coutume,  notre  collaborateur  Camille  Le 
Senne  nous  rende  compte  du  Salon  annuel  en  ce  qui  touche  le  théâtre  et 
la  musique,  nous  voulons  signaler  à  l'attention  de  nos  lecteurs  la  belle 
statue  de  Méhul  exposée  par  M.  Croisy  et  qui  doit  être  érigée  prochai- 
nement à  Givet,  ville  natale  de  l'illustre  auteur  à'Euphrosine,  de  Joseph  et 
de  l'halo.  La  statue  de  M.  Croisy,  pour  laquelle  l'artiste  s'est  inspiré  de 
documents  précis  et  certains,  est  d'un  beau  caractère,  d'une  allure  sévère 
et  d'un  mouvement  plein  de  noblesse.  Elle  reproduit  bien  la  physionomie 
que  l'esprit  prête  à  l'immortel  auteur  de  taDt  et  de  si  beaux  chefs-d'œuvre, 
et  fait  le  plus  grand  honneur  à  l'artiste  qui  l'a  conçue.  N'oublions  pas, 
à  ce  sujet,  de  rappeler  que  la  souscription  pour  le  monument  de  Méhul 
à  Givet  reste  ouverte  au  Conservatoire,  et  que  tous  les  musiciens  se  feront 
honneur  en  prenant  part  à  l'hommage  dont  l'initiative  est  due  au  Comité 
que  préside  M.  Ambroise  Thomas. 

—  Mariages  artistiques.  Cette  semaine  a  été  célébré  le  mariage  de 
M.  Joseph  Aichainbaud,  fils  de  l'excellent  professeur  du  Conservatoire, 
avec  Mllc  Jeanne  Paulin.  —  Le  lundi  19  de  ce  mois,  aura  lieu  à  Saint- 
Sulpice  le  mariage  de  M.  Gabriel  Pierné  avec  Mlle  Louise  Bergon.—  Enfin 
on  annonce  le  très  prochain  mariage  de  M.  Charles  Lamoureux  et  de 
M"  Brunet-Lafleur. 

—  Une  dépèche  télégraphique  annonce  la  réussite  complète  de  la  Cowpe 
et  lesLèvres,  l'opéra  tiré  du  poème  d'Alfred  de  Mussetpar  M.  Ernest  d'Her- 
villy,  musique  de  M.  G.  Canoby,  qui  a  été  représenté  ces  jours  derniers 
au  Théâtre  des  Arts  de  Rouen. 

—  C'est  au  moment  où  le  théâtre  de  la  Monnaie  termine  sa  saison 
annuelle  que  paraît,  à  Bruxelles,  un  fort  beau  livre  le  concernant  et  don- 
nant l'histoire  complète  de  ce  théâtre  qui,  dans  ces  dernières  années,  a  vu 
grandir  encore  son  importance  par  la  représentation  d'oeuvres  françaises 
inédites  qui  ont  eu  le  retentissement  que  l'on  sait.  Le  Théâtre  de  la  Monnaie 
depuis  sa  fondation  jusqu'à  nos  jours,  tel  est  le  titre  de  ce  beau  volume 
publié  avec  un  luxe  rare  et  un  goût. véritable,  et  que  son  succès  appelait 
tout  naturellement  à  un  succès  considérable  chez  nos  voisins.  Dédié  à  la 
reine  des  Belges,  il  a  pour  auteur  un  des  nôtres,  un  de  nos  compatriotes, 
qui  n'est  point  un  écrivain  de  profession,  mais  simplement  un  chanteur, 
qui,  après  s'être  fait  applaudir  vivement  sur  cette  scène  importante,  a  voulu 
retracer  son  existence  et  son  histoire  :  c'est  M.  Jacques  Isnardon,  un  jeune 
artiste  goûté  naguère  à  l'Opéra-Gomique  au  sortir  de  ses  classes  du  Conser- 
vatoire, et  qui  s'en  est  allé  ensuite  à  Bruxelles  tenir  avec  succès  l'emploi  des 
basses  chantantes.  M.  Isnardon  a  eu  en  mains  toute  une  série  de  documents 
précieux  et  inédits,  il  a  su  les  employer  avec  intelligence  et  sagacité,  et 
il  en  a  tiré  les  éléments  d'un  livre  bien  fait,  fort  intéressant,  véritablement 
curieux  et  neuf,  que  précëue  une  préface  vive  et  piquante  de  notre  colla- 
borateur Arthur  Pougin  et  qu'accompagne  toute  une  suite  de  gravures  et 
de  documents  de  toute  sorte  du  plus  vif  intérêt,  reproduits  avec  talent 
par  M.  Dardenne.  C'est  là  une  publication  de  premier  ordre,  et  telle 
qu'on  en  souhaiteiait  pour  chacun  de  nos  grands  théâtres  parisiens. 

La  place  de  professeur  de  flûte  au  Conservatoire  de  Rennes  et  de 
flûte  solo  à  l'orchestre  du  théâtre  est  vacante.  Un  concours  pour  l'obten- 
tion de  cette  place  aura  lieu  à  Rennes,  le  lundi  2  juin  1890.  Les  artistes 
qui  désireraient  prendre  part  à  ce  concours  sont  priés  de  s'adresser  di- 
rectement à  M.  le  directeur  du  Conservatoire' de  Rennes,  et  de  poser 
leur  candidature  avant  la  date  du  25  mai  1890,  dernier  délai. 

CONCERTS   ET  SOIRÉES 

La  Société  des  instruments  à  vent  vient  de  clore  sa  douzième  sai- 
son musicale  par  une  séance  extrêmement  brillante.  Le  public  a  pris  le 
plus  grand  plaisir  à  l'audition  de  tous  les  morceaux  portés  au  programme  : 
le  septuor  de  Hummel,  dit  avec  un  style  très  pur  et  un  ensemble  merveilleux, 


par  MM.  Diémer,  Taffanel,  Gillet,  Garrigue,  van  "Waeffelghem,  Delsart  et 
de  Bailly  ;  le  Rondino  de  Beethoven;  des  pièces  de  Rameau  pour  clavecin, 
flûte  et  basse,  supérieurement  interprétées  par  MM.  Diémer,  Taffanel  et 
Delsart;  des  fragments  d'un  sextuor  de  M.  Diémer;  le  charmant  scherzo 
à  deux  pianos,  de  M.  Saint-Saêns,  et  deux  pièces  de  Mozart,  pour  harmo- 
nica (joué  sur  le  Célesta  Mustel),  flûte,  hautbois,  alto  et  violoncelle. 

—  Le  concert  avec  orchestre  donné  par  M.  Delaborde  a  été  un  véri- 
table événement,  cet  éminent  artiste  ne  paraissant  depuis  quelques 
années  que  très  rarement  en  public.  Au  programme  se  trouvaient  inscrits 
à  côté  de  deux  grandes  œuvres,  les  concertos  en  sol  de  Beethoven  (avec 
cadences  de  Delaborde)  et  en  mi  \>  de  M.  Saint-Saëns,  toute  une  série  de 
courtes  compositions,  9  études  et. 9  préludes  de  Chopin,  le  Roi  des  aulnes  et 
la  12e  rapsodie  de  Liszt,  une  étude  de  Rubinstein,  etc.  M.  Delaborde  est 
l'un  des  plus  merveilleux  virtuoses  de  l'époque  actuelle  :  avec  lui  on  n'a 
pas  à  redouter  ces  mièvreries  efféminées,  ces  fades  pâmoisons  sur  chaque 
note,  ces  recherches  raffinées  de  l'effet  à  tout  prix,  chères  à  toute  une 
école  moderne;  on  est  frappé  au  contraire  par  la  fougue,  la  hardiesse  de 
son  exécution,  la  puissance  et  souvent  la  noblesse  de  son  jeu,  par  le  res- 
pect de  l'œuvre  que  respire  toute  l'interprétation.  On  a  pu  admirer  ces 
multiples  qualités  dans  le  concerto  de  M.  Saint-Saëns,  cette  œuvre  si  ori- 
ginale, si  intéressante,  l'une  des  meilleures  assurément  du  répertoire 
moderne  du  piano,  et  dans  le  concerto  de  Beethoven,  dont  il  a  su  dire 
l'admirable  andante  avec  un  sentiment  profond  et  le  finale  avec  une  verve 
juvénile,  une  couleur  bien  remarquable.  Son  interprétation  de  la  12°  Rap- 
sodie de  Liszt,  de  certaines  études  de  Chopin,  celle  en  tierces,  celle  en 
ut  mineur,  op.  25,  n°  12  notamment,  de  l'étude  en  ut  de  Rubinstein,  du 
Roi  des  aulnes  de  Liszt,  de  Vélude  d'après  une  valse  de  Chopin  de  M.  I.  Phi- 
lipp,  du  chœur  des  Derviches-tourneurs  de  Beethoven-Saint-Saëns,  a  été  le 
triomphe  de  la  virtuosité  la  plus  étonnante.  Inutile  d'ajouter  que  le  public 
a  fêté  M.  Delaborde  par  de  longs  et  enthousiastes  applaudissements. 
M.  Garcin  a  conduit  l'orchestre  avec  habileté. 

—  M.  Delsart  vient  de  donner  une  intéressante  séance  avec  le  concours 
de  Mm°  Krauss  et  de  MM.  Widor  et  L.  Diémer.  Il  a  fait  entendre  le  beau 
concerto  de  M.  Saint-Saëns  et  trois  charmantes  pièces  de  M.  Widor: 
andante,  allegro  et  valse  (bissée),  et  a  joué  toutes  ces  œuvres  si  diverses  de 
style  et  de  sentiment,  avec  une  égale  perfection  :  il  est  superflu  de  louer 
une  fois  de  plus  les  belles  qualités  de  sonorité,  de  charme  et  de  finesse 
de  ce  très  excellent  artiste.  M.  Diémer,  après  avoir  interprété,  avec  M.  Del- 
sart, la  sonate  pour  piano  et  violoncelle  de  Chopin,  a  joué  seul,  avec  la 
prodigieuse  technique  dont  il  dispose,  le  Coucou  de  Daquin,  une  orientale 
de  sa  composition  et  une  valse  de  M.  Godard.  Mnie  Krauss,  admirablement 
en  voix,  a  dit  avec  un  style  superbe  le  Doux  appel,  une  des  plus  délicieuses 
inspirations  de  M.  "Widor,  et  Ici-bas  tous  les  lilas  meurent,  une  jolie  mélodie 
de  M.  Ch.  Lefebvre.  Le  concert  s'est  terminé  par  une  transcription  sur 
Lohen'jrin  pour  huit  violoncelles.  I.  Ph. 

NÉCROLOGIE 

Un  artiste  fort  remarquable,  le  grand  violoniste  Hubert  Léonard,  qui 
a  continué  pendant  un  demi-siècle  les  nobles  traditions  de  cette  superbe 
école  belge  illustrée  par  Wéry,  Ch.  de  Bériot,  Robberechts,  Vieuxtemps 
et  tant  d'autres,  est  mort  mardi  dernier  à  Paris,  où  il  était  fixé  depuis 
plus  de  vingt  ans  et  où  il  continuait  à  se  livrer  à  l'enseignement.  Léonard - 
était  né  à  Bellaire,  près  de  Liège,  le  7  avril  1819.  Après  avoir  commencé 
son  éducation  musicale  à  Liège,  il  vint  la  terminer  à  Paris,  au  Conser- 
vatoire, dans  la  classe  d'Habeneck,  et  fit  partie  des  orchestres  de  l'Opéra- 
Comique  et  de  l'Opéra.  Mais  bientôt,  confiant  dans  son  talent,  il  entre- 
prit uns  série  de  voyages  artistiques  en  Allemagne ,  en  Suède ,  en 
Autriche,  en  Belgique,  voyages  auxquels  il  dut  d'établir  solidement  sa 
renommée,  que  justifiaient  ses  éminentes  qualités,  un  son  superbe,  un 
style  très  pur  et  l'intelligence  la  plus  sûre  des  œuvres  des  maîtres.  Lui- 
même  se  livra  à  la  composition,  et  on  lui  doit,  outre  plusieurs  concertos, 
toute  une  série  d'études  remarquables  et  diverses  fantaisies,  parmi  les- 
quelles ses  Souvenirs  d'Haydn  et  ses  Souvenirs  de  Grétry  lui  valurent  à  Paris 
un  succès  d'enthousiasme.  Nommé  vers  1850  professeur  au  Conservatoire 
de  Bruxelles,  Léonard  y  forma  nombre  d'excellents  élèves,  et  ne  quitta 
cette  situation  que  pour  venir,  en  1807,  s'établir  à  Paris  qu'il  aimait  et 
que  depuis  lors  il  ne  quitta  plus.  Au  nombre  de  ses  élèves  les  plus 
réputés,  il  faut  citer  MM.  Léopold  Auer,  Emile  Sauret  et  Paul  Viardot. 
Tous  ceux  qui  ont  connu  et  approché  Léonard,'  qui  ont  été  à  même  de 
l'apprécier,  regretteront  en  lui,  en  même  temps  qu'un  grand  artiste,  un 
honnête  homme,  un  grand  cœur  et  le  meilleur  des  compagnons. 

Arthur  Pougin. 

Henri  Heugel.  directeur-gétant. 

En  vente  chez  Mackar  et  Noël,  22,  passage  des  Panoramas,  Paris,  édi- 
teurs des  œuvres  de  Tschaïkowsky,  Goltschalk,  Alard  et  de  la  Méthode 
de  A.  Le  Carpentier,  etc.  : 

TSCHAÏKOWSKY,  op.  GO.  La  Belle  au  Bois  dormant,  ballet  en  trois  actes. 
Grand  succès  à  l'opéra  de  Saint-Pétersbourg.—  Partition,  danses  diverses, 
morceaux  détaillés. 


Dimanche  18  Mai  1800. 


3085  -  56-  ANNEE  -  N°  20.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Cn  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  l'r.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste  :  Georges  Bizet  (1°'  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Semaine 
théâtrale:  première  représentation  de  Dante,  à  l'Opéra-Comique,  Arthur  Pougin; 
reprises  de  la  Grande-Duchesse  de  Gérolslein,  aux  Variétés,  et  de  Jeanne,  Jeannette 
et  Jeannelon,  aux  Bouffes,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  La  musique  et  le  théâtre 
au  Salon  des  Champs-Elysées  (1"  article),  Camille  Le  Sesne.  —  IV.  Nouvelles 
diverses,   concerts  et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

C'EST    MA    MIGNONNE    AMIE 

n°  6  des  Rondels  de  Mai,  de  M.  B.  Colomer,  poésie  de  Lucien  Dhuguet.  — 

Suivra  immédiatement:    le  Sentier,    de   Louis  Diémer  ,   poésie  de  A.   de 

MONTFERRIER. 

PIANO 
Nous   publierons   dimanche   prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano:  L'Oiseau-mouche,  caprice,  de  Théodore  Lack.  —  Suivra  immédia- 
tement:  Valse-sérénade,  d'ANTONiN  Marmontel. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


GEORGES   BIZET 


On  écrit  beaucoup  sur  les  musiciens  célèbres;  on.  fait  à 
leur  sujet  de  l'histoire,  avec  des  documents  d'origine  diverse, 
avec  des  renseignements  sur  l'homme,  avec  de  la  critique 
ou  de  l'analyse  largement  appliquée  à  l'œuvre. 

Les  notes  que  je  consigne  ici,  d'après  des  souvenirs  déjà 
lointains,  n'ont  point  de  prétention  à  l'histoire  et  à  la  cri- 
tique; elles  ne  sont  qu'une  modeste  et  familière  chronique 
des  choses  vues  et  vécues  —  des  croquis  sur  nature,  que  je 
vais  donner  tels  que  je  les  retrouve,  au  hasard  des  impres- 
sions et  au  courant  de  la  plume,  me  souciant  seulement  de 
rester  Adèle  à  la  vérité. 


J'ai  vu  Georges  Bizet,  pour  la  première  fois,  le  soir  de  la 
représentation  des  Pèclieurs  de  perles,  le  30  septembre  1863.  — 
Il  avait  vingt-cinq  ans.  —  L'ouvrage  avait  été  bien  accueilli 
et  de  nombreux  rappels  réclamaient,  avec  les  artistes,  le 
jeune  compositeur.  Ma  mémoire  l'évoque  encore  très  nette- 
ment, arrivant  sur  la  scène,  ramené  d'autorité  par  ses  inter- 
prètes, Ismaël,  Morini  etMU0  de  Maësen,  un  peu  étourdi,  la  tête 
baissée,  ne  laissant  bien  voir  qu'une  forêt  de  cheveux,  blonds, 
drus  et  fri*és,  couronnant  un  visage  rond,  encore  un  peu 
enfantin,  me  sembla-t-il,  animé  de  la  vive  lumière  des  yeux, 


qui,  alors  très  mobiles,  enveloppaient  toute  la  salle  de  regards 
à  la  fois  ravis  et  confus. 

A  Rome,  d'où  il  venait,  il  avait  eu  pour  compagnons  le 
peintre  Seillier  et  le  sculpteur  Tournois;  la  seconde  année  de 
son  séjour  lui  était  arrivé  celui  qui,  après  avoir  été  simple- 
ment pour  lui  un  camarade  de  Conservatoire  dans  la  classe 
de  composition  de  F.  Halévy,  allait  être  son  ami  le  plus 
intime  et  le  plus  cher,  Ernest  Guiraud,  à  qui  j'aurai  plus 
d'une  fois  recours  pour  contrôler  ou  compléter  les  souvenirs 
que  je  réunis  dans  ces  pages. 

Plein  d'une  fougue  juvénile  que  les  premières  épreuves  de 
la  vie  de  Paris  devaient  un  peu  calmer,  cédant  à  un  constant 
besoin  d'activité,  il  faisait  dans  la  campagne  romaine  ou  dans 
les  montagnes  de  fréquentes  excursions,  durant  lesquelles, 
marcheur  infatigable,  il  entraînait  ses  amis  jusqu'à  quatre 
ou  cinq  lieues  du  gite,  que  tous  n'avaient  point  la  force  de 
regagner  d'un  pied  aussi  léger  que  le  sien.  Ce  sport  ne  l'em- 
pêchait pas  de  travailler,  de  préparer  l'avenir. 

Quand  je  l'ai  connu,  beaucoup  plus  tard,  le  voyant  si  sou- 
cieux des  choses  de  son  art,  j'ai  voulu  savoir  comment 
s'était  révélée  sa  vocation  musicale. 

Le  frère  de  sa  mère  était  le  musicien  Delsart.  Son  père, 
modeste  artisan  jusqu'à  l'âge  de  vingt-cinq  ans,  s'était  alors 
seulement  mis  en  tête  d'étudier  la  musique  et  avait  fini  par 
l'enseigner.  Point  d'atavisme  bien  net,  par  conséquent. 

Le  père,  pris  tardivement  de  ce  goût  pour  la  musique, 
avait  résolu  de  faire  de  Georges  Bizet  un  compositeur.  Dès 
ses  premières  années  il  le  dirigea  dans  ce  sens,  et  la  vive 
intelligence  de  l'enfant  répondit  aux  intentions  paternelles. 
D'autres  ont  raconté  comment,  tout  d'abord,  il  étonna  ses 
professeurs  et  se  fit  prédire  par  eux  une  brillante  carrière. 
Ce  qu'on  n'a  pas  dit,  je  crois,  c'est  que,  si  bien  doué  qu'il 
fût  pour  la  musique,-  il  se  sentit  d'abord  entraîné  surtout 
vers  les  études  littéraires. 

Ceux  qui,  dans  le  petit  appartement  de  la  rue  de  Douai 
qu'il  occupa  jusqu'à  ses  derniers  jours,  ont  vu  sa  biblio- 
thèque, très  complète,  très  variée,  et  les  titres  des  livres  qu'il 
aimait,  soigneusement  reliés,  méthodiquement  rangés,  savent 
combien  ce  goût  a  persisté  chez  lui  et  quelle  place  le  com- 
merce des  maîtres  de  la  littérature,  la  fréquentation  des 
vieux  conteurs,  ont  tenue  dans  l'économie  de  son  existence. 

«  —  Je  ne  me  suis  donné  qu'à  contre-cœur  à  la  musique, 
me  disait-il  un  jour;  quand  j'étais  enfant,  on  me  cachait 
mes  livres  pour  m'empècher  de  sacrifier  les  études  musicales 
aux  études  littéraires.  » 

En  songeant  à  cette  carrière  si  brillante  en  sa  brièveté  du 
compositeur  de  Carmen,  je  me  suis  souvent  pris  à  douter  de 
la  fidélité  de  ma  mémoire  au  sujet  de  ce  que  je  viens  de 
rappeler.  Bizet,  rebelle  à  l'enseignement  musical,  ce  père  lui 


154 


LE  MÉNESTREL 


enlevant  ses  livres  pour  le  pousser  au  piano,  cela  réappa- 
raissait quelque  peu  invraisemblable,  tout  au  moins  quelque 
peu  paradoxal  raconté  par  ce  garçon  d'esprit  ! 

Et  je  ne  me  serais  certainement  pas  risqué  à  enregistrer 
ce  détail,  si  Ernest  Guiraud,  prudemment  consulté,  ne 
m'avait  affirmé  avoir  reçu  pareille  confidence. 

Les  paroles  de  Georges  Bizet  à  ce  propos  m'ayant  fort  sur- 
pris, me  sont  restées  très  présentes.  —  Avec  cette  singulière 
acuité  de  certains  souvenirs,  je  revois  le  lieu  même  où  il  me 
les  a  dites.  —  C'était  sur  le  boulevard  Poissonnière,  non  loin 
du  restaurant  Vachette,  dans  un  lent  va-et-vient  à  la  porte 
d'un  cercle  où  quelque  parent,  je  crois,  l'attendait.  Et,  tou- 
jours, il  parlait,  oubliant  l'heure,  entraîné  par  ce  retour  sur 
son  existence  d'écolier,  émettant  d'intéressantes  théories  d'art, 
son  accent  s'imprégnant  parfois  de  quelque  amertume,  car 
il  était  à  ce  moment  de  sa  vie  où  déjà  il  avait  lutté  et 
souffert... 


C'est  seulement  neuf  ans  après  cette  soirée  des  Pêcheurs  de 
Perles  que  j'ai  réellement  connu  Bizet.  — Peu  de  temps  avant 
notre  première  rencontre,  l'éditeur  Choudens  m'avait  chargé 
de  mettre  des  paroles  sous  la  musique  de  deux  valses  de 
Godfrey,  compositeur  anglais,  chef  de  musique  célèbre 
alors  chez  nos  voisins,  et  dont  toutefois  le  dictionnaire  de 
Fétis  n'a  jamais  enregistré  le  nom.  —  C'est  une  valse  restée 
fameuse,  les  Gardes  de  la  Reine,  qui  l'avait  mis  quelque  temps 
à  la  mode  en  France. 

Pour  me  faciliter  ma  tâche,  il  m'avait  remis  ce  qu'on  ap- 
pelle familièrement  un  «monstre  »,  sorte  de  maquette  repro- 
duisant au  moyen  de  mots  sans  suite  la  forme  musicale  du 
morceau.  Cette  fois  ce  «  monstre  »  était  de  Bizet,  chargé  de 
l'adaptation  et  qui,  au  lieu  d'aligner  banalement  des  paroles 
quelconques  dénuées  de  sens  et  simplement  faites  pour  in- 
diquer les  points  d'appui,  s'était  amusé  à  écrire  une  fantaisie 
familière,  d'une  ironie  fine,  qui  me  donna  le  désir  vif  de  con- 
naître l'homme. 

Je  retrouve,  dans  mes  papiers  anciens,  ce  jalon  musical  que 
voici  : 

Cette  valse  est  admirable; 

C'est  un  morceau  ravissant. 

Oui,  Godfrey  seul  est  capable 

De  trouver  pareil  accent. 

L'harmonie  irréprochable 

Indique  un  cœur  innocent. 

Ah  !  c'est  vraiment  adorable. 

C'est  neuf,  c'est  intéressant  ! 

Voilà  de  la  mélo'die, 

Ou  je  ne  m'y  connais  pas  ! 

Ta  grande  âme  répudie 

Le  tapage  et  le  fracas. 

Va,  Godfrey,  quoi  qu'on  en  die, 

Tu  m'as  l'air  d'un  rude  gas. 

De  ton  œuvre  que  j'envie, 

Moi  je  fais  le  plus  grand  cas. 

Cette  valse  est  admirable 
C'est  un  morceau  ravissant. 
Oui,  Godfrey  seul  est  capable 
De  trouver  pareil  accent. 

Gounod,Meyerbeer,  Berlioz  et  Rayer 
Ne  sont  près  de  toi  que  poussière; 
Mozart  et  Weber,  Schumann  et  Wagner 
Çont  morts  !  Allons  !  qu'on  les  enterre  '. 

De  Lajarte  et  d'Azevedo 

Sois  l'idéal,  sois  le  rêve  ! 

Dans  le  ciel  l'illustre  Scudo 

Te  murmure  aux  filles  d'Eve. 

Voyager  en  ta  bémol 

C'est  peut-être  raide, 

Il  faudra  rentrer  en  sol 

Sans  secours,  sans  aide, 

Module  bien  simplement 

Pas  d'enharmonique, 

Et  que  l'accompagnement 

Soit  très  sympathique. 


Ah!  quelle  valse!  c'est  un  morceau  ravissant 
Oui,  Godfrey  seul  est  capable 
De  trouver  pareil  accent! 

l'n  dîner  chez  l'un  des  directeurs  de  FOpéra-Comique, 
Camille  du  Locle,  nous  réunit  bientôt.  Nous  étions  à  table 
l'un  près  de  l'autre,  et  ce  fut  à  propos  de  ces  valses  de  God- 
frey que  nous  échangeâmes  nos  premiers  mots.  —  Georges 
Bizet,  bien  que  très  jeune  encore,  n'était  déjà  plus  le  gros 
garçon  dont  nous  avions  eu  la  rapide  vision  à  la  première 
représentation  des  Pêcheurs  de  Perles. 

L'air  très  doux  et  très  fin  sous  le  binocle  inamovible,  la 
lèvre  presque  continuellement  arquée  par  un  sourire  imper- 
ceptiblement moqueur,  il  causait  doucement,  d'une  voix  un 
peu  sifflante  et  de  cet  air  détaché  des  choses  que  je  lui  ai 
toujours  connu,  parlant  de  ce  qui  le  touchait  avec  ce  senti- 
ment de  vraie  et  noble  modestie  qui  ne  consiste  pas  à  pa- 
raître douter  de  sa  propre  valeur,  mais  bien  à  laisser  voir 
qu'avec  la  conscience  de  ce  qu'on  vaut,  on  garde  toujours 
le  regret  de  n'avoir  pas  mieux  fait  ce  qu'on  s'est  donné  la 
tâche  de  faire. 

Il  avait  fait  alors  représenter  au  Théâtre-Lyrique  de  la 
place  du  Chàtelet,  après  les  Pêcheurs  de  Perles,  la  jolie  Fille  de 
Perth  et  il  se  préparait  à  aborder  avec  un  petit  ouvrage  la  scène 
de  l'Opéra-Comique,  dont  Camille  du  Locle  tenait  à  honneur 
de  lui  ouvrir  les  portes.  —  Et  ce  n'était  pas  par  hasard  que 
ce  soir-là  le  jeune  directeur  nous  avait  placés  coude  à  coude 
à  sa  table.  —  De  cette  rencontre  allait  naître  une  collaboration 
d'où  sortit  tout  d'abord  ce  petit  acte  qui  s'est  appelé  Djamileh 
et  qui  prend  date  —  dans  le  répertoire  du  compositeur,  — 
entre  la  jolie  Fille  de  Perth  et  Carmen, 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


Opéiia-Comique.  —  Dante,  drame  lyrique  en  quatre  actes,  paroles 
de  M.  Edouard  Blau,  musique  de  M.  Benjamin  Godard.  (Première 
représentation  le  13  mai  1890.) 

M.  Paravey,  directeur  du  théâtre  national  de  l'Opéra-Comique, 
n'est  pas  un  homme  superstitieux  et  pusillanime.  Ayant  une  grosse 
partie  à  jouer,  il  n'hésite  pas  à  la  risquer  sur  le  chiffre  13.  N'ayant 
pu,  comme  il  l'avait  rêvé,  donner  la  première  représentation  de 
Dante  le  jour  anniversaire  de  l'apparition  du  Roi  dYs,  de  M.  Edouard 
Lalo.  c'est-à-dire  le  7  mai,  il  ne  s'est  nullement  effrayé  de  la  pen- 
sée de  remettre  cette  solennité  à  une  date  fatidique.  D'où  il  appert 
que  c'est  le  mardi  13  mai,  à  huit  heures  du  soir,  que  le  public 
de  l'Opéra-Comique  a  été  appelé  à  juger  l'oeuvre  nouvelle  de 
MM.  Edouard  Blau  et  Benjamin  Godard. 

Il  y  avait  peut-être  quelque  audace,  de  la  part  d'un  librettiste,  à 
prendre  le  grand  Florentin,  l'auteur  de  la  Divine  Comédie,  du  Banquet, 
de  la  Vita  nuova,  pour  héros  d'une  œuvre  lyrique,  et  à  présenter  à  la 
scène  un  Dante  jeune  et  amoureux,  car  si  nous  savons  par  lui-même 
que  Dante  a  été  passionnément  amoureux,  si  nous  pouvons  rai- 
sonnablement supposer  qu'il  fut  un  temps  où  il  était  jeune,  nous 
avons,  en  esprit,  quelque  peine  à  nous  le  figurer  ainsi,  et  nous  ne 
nous  le  représentons  guère  qu'au  déclin  de  son  existence  dramatique 
et  tourmentée,  vieilli  avant  l'âge  (il  mourut  à  peiae  âgé  de  cin- 
quante-six ans),  la  physionomie  austère,  le  front  sombre  et  sillonné 
de  rides,  tel  enfin  que  nous  le  font  connaître  la  tradition  et  les 
portraits  fort  authentiques  qui  sont  restés  de  lui.  Ce  n'est  pourtant 
pas,  quoi  qu'en  aieot  dit  la  plupart  de  mes  confrères,  la  première 
fois  que  Dante  s'est  trouvé  transformé  ainsi  en  héros  d'opéra,  et  si 
on  ne  l'a  pas  mis  aussi  souvent  à  la  scène  que  le  Tasse,  toujours 
est-il  qu'en  1832  on  représentait  au  théâtre  Carcano,  de  Milan,  un 
drame  lyrique  intitulé  Dante  e  Béatrice,  dont  la  musique  avait  été 
écrite  par  le  compositeur  Carrer,  artiste  parfaitement  inconnu  du 
reste. 

A  tout  prendre,  et  si  l'on  voulait  faire  abstraction  du  préjuge 
traditionnel  que  je  sigoalais  à  l'instant,  c'e9t  pourtant  une  figure 
chevaleresque  et  dramatique,  avec  un  côté  vraiment  théâtral,  que 
celle  de  ce  grand  homme  qui  fut,  comme  le  disait  un  de  ses  historiens,, 
poète,  soldat,  publiciste,  philosophe,  homme  d'Étal  et  simple  citoyen, 
fondateur  d'un  art  et  d'une  langue,  tantôt  l'un  des  chefs  de  sa  cité 


LE  MENESTREL 


155 


républicaine,  tantôt  proscrit,  presque  mendiant,  théologien,  mem- 
bre tertiaire  d'un  ordre  religieux  et  ardent  apôtre  d'une  théorie  po- 
litique opposée  a  la  puissance  temporelle  des  papes,  Guelfe  et 
Gibelin,  condamné  au  feu  par  un  tribunal  révolutionnaire,  pour- 
suivi comme  hérésiarque  par  l'Inquisition  et  placé  après  sa  mort 
jusque  dans  le  Vatican  parmi  les  docteurs  de  l'Église,  qui  corres- 
pond à  tout  et  réunit  en  lui  tous  les  extrêmes  et  tous  les  contrastes... 
Ce  fut  un  homme  prodigieux  en  tous  sens,  qui,  vivant  en  des 
temps  singulièrement  troublés,  à  la  fin  de  ce  sombre  moyen-âge, 
dut  aux  hasards  de  sa  naissance  de  se  trouver  fatalement  et  acti- 
vement mêlé  aux  compétitions  ardentes,  aux  luttes  intestines,  aux 
guerres  civiles  dont  l'Italie  était  alors  le  théâtre  ensanglanté;  qu<, 
soldat  courageux,  prit  part  à  dix  batailles,  politique  éminent  devint 
l'un  des  cinq  prieurs  de  Florence  et  le  plus  influent,  philosophe 
généreux  avait  le  plus  profond  amour  de  la  liberté  et  du  droit  popu- 
laire, polémiste  ardent  combattit  la  papauté  par  des  écrits  dont  la 
puissance  même  lui  devint  fatale;  avec  cela,  esprit  profond  et  cer- 
veau encyclopédique,  qui  étudiait  l'histoire  et  la  scolastique,  la 
théologie  et  les  sciences  physiques,  voire  l'alchimie  et  les  sciences 
occultes,  qui  savait  le  latin,  le  français,  le  provençal,  cultivait  le 
dessin,  la  musique,  et  chantait  à  ses  heures  ;  qui  entretenait  des 
relations  intimes,  fraternelles,  avec  les  hommes  les  plus  distingués 
de  son  temps  :  le  grand  architecte  Arnolfo,  le  peintre  Cimabue, 
dont  il  reçut  des  leçons  de  dessin,  un  autre  peintre  illustre,  Giotto, 
avec  qui  il  vint  à  Paris  et  fréquenta  l'Université  et  les  écoles  de 
théologie,  le  mosaïste  Gaddi,  le  savant  Cecco,  l'écrivain  Francesco 
Barberino,  les  fameux  troubadours  Guido  Gavalcante,  Gino  di  Pistoia, 
son  homonyme  Dante  di  ilajano  et  tant  d'autres;  poète  immortel 
enfin,  génie  créateur  et  profond  qui  fixa  les  règles  de  l'art  d'écrire 
et  auquel  l'Italie  doit  la  langue  admirable  qu'elle  parle  depuis  cinq 
siècles,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas,  en  ces  temps  d'horribles  discordes 
civiles,  d'accumuler  sur  lui  les  haines  politiques,  les  haines  reli- 
gieuses, les  haines  littéraires  qui  empoisonnèrent  sa  vie  et  pendant 
vingt  années  le  firent  errer  de  ville  en  ville,  toujours  proscrit,  tou- 
jours exilé,  toujours  malheureux,  jusqu'à  ce  qu'enfin  il  mourût 
presque  subitement  à  Ravenne,  au  moment  peut-être  où  il  allait 
lui  être  donné  de  revoir  sa  chère  Florence,  dont  il  était  éloigné 
depuis  si  longtemps. 

Depuis  longtemps  aussi  l'Italie,  lui  rendant  la  justice  qui  lui  est 
due,  a  glorifié  comme  il  le  méritait  son  illustre  concitoyen.  Si  Ra- 
venne a  tenu  à  conserver  son  tombeau,  qu'on  peut  contempler  dans 
l'église  des  Minorités  de  Saint-François  (on  sait  qu'il  est  mort  sous 
la  robe  et  la  capuche  des  Franciscains),  Florence,  qui  s'apprête  à 
le  fêter  dignement,  lui  a  élevé  un  monument  à  Santa  Groce,  ce 
Panthéon  des  gloires  nationales,  et  Vérone  lui  a  érigé  une  statue 
sur  la  place  qui  porte  son  nom,  Piazza  Dante,  dont  le  caractère 
austère  et  sombre  s'accorde  bien  avec  ce  qu'on  sait  de  son  existence 
si  fière  et  si  tourmentée.  Je  dis:  ce  qu'on  sait  de  son  existence, 
car  certaines  parties  de  la  vie  du  grand  poète,  dont  Boccace  a  été 
le  premier  historien,  sont  restées  en  effet  entourées  d'un  voile 
épais  et  d'une  profonde  obscurité.  Ce  qu'on  en  sait  néanmoins  suffit, 
et  amplement,  à  donner  un  intérêt  suffisant  à  ?ine  action  dramatique 
dont  il  est  le  moteur  et  le  héros.  Je  ne  m'étonne  donc  pas  outre 
mesure  que  M.  Edouard  Blau  ait  fait  choix  de  cette  noble  et  mâle 
physionomie  pour  sujet  du  drame  qu'il  confiait  à  l'inspiration  de 
M.  Benjamin  Godard.  Il  ne  s'agit  que  de  savoir  de  quelle  façon  il 
s'en  est  servi  et  le  parti  qu'il  en  a  su  tirer.  C'est  ce  que  je  vais 
essayer  de  faire  connaître. 

Au  premier  acte  de  l'action  imaginée  par  M.  Blau,  nous  voyons 
Dante,  en  pleine  jeunesse,  de  retour  à  Florence  d'un  voyage  entre- 
pris pour  ses  études,  sans  doute  à  l'époque  où  il  fréquentait  l'Uni- 
versité de  Padoue.  Il  revient  le  cœur  plein  d'amour  pour  sa  Béatrice, 
anxieux  de  la  revoir,  mais  juste  au  moment  où  Guelfes  et  Gibelins 
se  disputent  la  prééminence  dans  la  vieille  cité  reconstruite  par 
Gharlemagne.  Un  seigneur  influei.t,  son  ami,  Simeone  Bardi,  vou- 
lant le  rendre  utile  à  son  parti,  le  fait  élire  prieur  de  Florence. 
Mais  Simeone,  qui  a  rendu  un  éminent  service  au  vieux  Portinari, 
le  père  de  Béatrice,  et  qui  en  a  obtenu  la  promesse  de  la  main  de 
sa  fille,  s'aperçoit  que  celle-ci  aime  Dante  et  qu'elle  en  est  aimée. 
11  jure  donc  de  défaire  ce  qu'il  a  fait,  et  de  précipiter  le  nouveau 
prieur  de  la  situation  où  il  l'a  élevé. 

Au  second  acte,  Simeone  ourdit  un  complot  qui  doit  amener  le 
renversement  de  Dante.  Il  est  confirmé  dans  ses  projets  par  une 
confidence  de  Gemma,  l'amie  de  Béatrice,  qui  vient  le  supplier  de 
renoncer  à  celle-ci,  dont  la  santé  est  mise  en  péril  par  l'annonce 
d'un  mariage  qui  lui  est  odieux.  Bientôt  Béatrice  et  Dante  se  re- 
trouvent ensemble,  et  leur  passion  éclate  dans  toute  son  intensité. 


Au  moment  où  ils  éclfàngent  un  serment  d'éternel  amour,  Simeone 
pénètre  à  la  tèle  des  conjurés,  qui  ont,  envahi  le  palais,  prêt  à 
faire  poignarder  Dante  si  Béatrice  ne  fait  le  serment  de  se  consacrer 
à  Dieu  et  d'entrer  au  couvent.  Béatrice  jure  et  son  amant  est  sauvé, 
mais  un  ordre  de  Charles  de  Valois,  qui  entre  dans  Florence  avec 
les  soldats  français,  prononce  l'exil  de  Dante,  qui  est  obligé  de 
s'éloigner. 

Au  troisième  acte,  nous  assistons  au  songe  du  poète,  qui  a  re- 
vêtu, un  peu  tôt  au  gré  de  l'histoire,  le  costume  de  moine  sous 
lequel  son  image  nous  est  si  familière.  Nous  sommes  aux  environs 
de  Naples,  au  pied  du  Pausilippe,  près  du  tombeau  de  Virgile,  où 
Dante  vient  chercher  tout  à  la  fois  l'inspiration  pour  ses  vers  et  la 
consolation  pour  ses  malheurs.  Brisé  de  fatigue  et  de  douleur,  il' 
s'endort  sur  une  pierre,  et  là  voit  Virgile  lui  apparaître  en  songe, 
drapé  de  blanc,  le  front  ceint  du  laurier  d'or.  Le  chantre  de  l'Enéide 
dicte  alors  à  l'amant  de  Béatrice  le  poème  qu'il  devra  écrire,  et 
pour  l'inspirer,  après  avoir  fait  paraître  à  ses  yeux  l'enfer  et  ses 
horreurs,  il  évoque  le  ciel  et  lui  montre,  resplendissante  au  milieu 
d'un  nuage  azuré  qu'entourent  de  lumineux  rayons,  l'image  de  sa 
bien-aimée  qui  semble  l'appeler  aux  cercles  de  lumière.  Puis  la  vision 
disparait,  Dante  s'éveille,  et  le  paysage  reprend  sa  forme  première. 
Le  quatrième  acte  nous  mène  au  couvent  où  s'est  retirée  Béatrice, 
qui  n'a  pas  encore  pris  le  voile  et  prononcé  ses  vœux.  Le  chagrin  a 
miné  sa  santé,  malgré  les  soins  de  son  amie  Gemma,  qui  ne  l'a  pas 
abandonnée.  Au  moment  où  l'infortunée  exhale  ses  plaintes  dou- 
loureuses, paraissent  Dante  et  Simeone.  Celui-ci,  repentant  et  contrit 
de  sa  mauvaise  action,  vient  la  relever  du  serment  que  par  la  force 
il  lui  a  arraché  et  la  jeter  dans  les  bras  de  celui  qu'elle  aime.  Dante 
et  Béatrice  entrevoient  le  bonheur  prochain. . .  mais  il  est  trop  tard. 
Cette  suprême  émotion  a  brisé  dans  l'âme  de  la  jeune  fille  ce  qui 
restait  de  force  à  son  corps  épuisé.  Après  un  élan  de  joie  irrésistible, 
elle  chancelle  tout  à  coup  et  tombe  pour  ne  plus  se  relever.  Le  ciel 
seul  peut  désormais  réunir  les  deux  amants. 

Je  ne  chicanerai  pas  M.  Blau  sur  les  entorses  qu'il  a  volontaire- 
ment données  à  l'histoire,  sur  la  façon  dont  il  a  travesti  ou  mécon- 
nu certains  faits  parfaitement  avérés.  Il  a  usé  là,  et  tout  à  sa  guise, 
de  son  droit  absolu  de  poète  dramatique.  Qu'il  ait  oublié  le  mariage 
très  authentique   de   Béatrice   Portinari   avec  Simeone  Bardi,  celui, 
non  moins  certain,  de  Dante  avec  Gemma,   dont  le  poète  n'eut  pas 
moins  de  sept  enfants,  c'est  ce  dont  je  n'ai,  pour  ma  part,  ni  cure, 
ni  souci.  J'aurais  voulu  seulement,  dans  son  livret,  une  action  plus 
serrée  et  plus  vive,  un  mouvement  moins  factice,  plus  de  vie  réelle, 
et  par- dessus  tout  plus  de  situations  foncièrement  dramatiques  ou, 
pour  mieux  dire  peut-être,  plus  véritablement  scéniques.  Il  est  cer- 
tain, entre  autres  et  pour  ne  citer  qu'un  exemple,  que  le  finale  du 
premier  acte  est  insuffisant  sous  ce  rapport  et  n'offre  pas  les  éléments 
nécessaires  au  développement  naturel  et  majestueux  de  l'idée  mu- 
sicale telle  qu'elle  doit  se  présenter  dans  un  tableau  de  ce  genre. 
Ce  n'est  assurément  pas  la  passion  qui  manque  dans  ce  livret,  c'est 
la  mise  en  œuvre  et  en  action  de  l'élément  passionnel.  Cette  réserve 
faite,  il  ne  m'en  coûte  nullement  de   constater  que  son  poème   est 
construit  et  écrit  avec  beaucoup  de  soin.  On  y  trouve  de  fort  jolis 
vers,  très  capables  de  provoquer  et  d'aider  l'inspiration  du  musicien. 
Mais  c'est  à  celui-ci  que  j'ai  affaire  maintenant,  et  ma  tâche,  en 
ce  qui  le  concerne,  ne  sera  ni  toujours  facile,  ni  toujours  agréable. 
Je  tiens  à  déclarer,  tout  d'abord,  que  je  compte  M.  Godard  au  nom- 
bre de  nos  artistes  les  mieux   doués  et  les  plus   dignes   d'estime. 
Son  plus  grand  tort,  à  mon  sens,  est  d'avoir  en  lui-même  une  con- 
fiance beaucoup  trop  grande,  de  ne  pas  se  surveiller  assez  scrupu- 
leusement, de  croire  avec  trop  de  facilité  que  tout  ce  qu'il  fait  est 
digne  d'éloges,  et  par  conséquent  de  livrer  sans  contrainte  au  public 
des  choses  qui  ne  sont  pas  au  point  ou  qui  ne  méritent  pas  de  lui 
êlre  offertes.  En  un  mot,  M.  Godard  ne  sait  pas  raturer,  ne  sait  pas 
se  corriger,  semble  ne  pas  reconnaître  la  valeur  du  travail  et  de  la 
réflexion  qui,  d'une  idée  parfois  médiocre,  savent  tirer  les  éléments 
d'une  page  excellente,  soit  par  la  grâce  ou  la  nouveauté  de  l'agen- 
cement harmonique,  soit  par  l'ingéniosité  des  développements,  soit 
par  le  soin  apporté  à  l'accent  rythmique,  soit  enfin  par  la  puissance, 
ou  la  délicatesse,   ou  le  relief  donné  à  l'instrumentation.  Il  paraît 
ignorer  complètement  la  sagesse  du  précepte  de  Boileau,  aussi  par- 
faitement applicable  à  la  musique  qu'à  la  poésie  : 

Hâtez-vous  lentement,  et,  sans  perdre  courage, 
Vingt  fois  sur  le  métier  remettez  votre  ouvrage  : 
Polissez-le  sans  cesse  et  le  repolissez  ; 
Ajoutez  quelquefois,  et  souvent  effacez... 

Je  soupçonne  M.   Godard   de   ne  se  point  hâter  assez  lentement, 


156 


LE  MENESTREL 


et  je  croirais  volontiers  qu'il  n'a  jamais  effacé  une  note  de  sa  vie 
de  toutes  celles  qu'il  a  pu  écrire. 

Pour  en  venir  à  sa  partition  de  Dante,  je  suis  étonné,  je  l'avoue, 
qu'un  artiste  de  son  âge  et  de  sa  génération  y  ait  montré  si  peu  de 
souci  des  progrès  et  de  l'évolution  qui  se  sont  produits  dans  la  mu- 
sique depuis  un  quart  de  siècle.  11  semble  que  cette  partition  date 
de  trente  ans,  tellement  les  procédés  en  sont  arriérés  et  surannés. 
Je  ne  parle  pas  du  manque  d"originalité  ;  c'est  là  son  péché 
mignon.  On  y  rencontre  des  imitations  flagrantes  de  M.  Gounod, 
comme  daus  le  duo  du  second  acte  entre  Dante  et  Béatrice,  ou  de 
Verdi,  comme  dans  le  finale  de  ce  même  acte,  qui  nous  reporte  aux 
jours  triomphants  de  l'ancienne  école  italienne,  ou  d'Auber,  comme 
dans  le  duo  du  quatrième  acte,  ou  d'Halévy,  comme  en  divers  au- 
tres endroits.  On  voit  ce  que  peut  devenir  l'unité  d'une  œuvre,  avec 
de  pareilles  façons  d'agir.  Quant  à  l'inspiration  générale,  elle  est 
souvent  bien  pauvre,  et  cette  pauvreté  n'est  pas  relevée  par  l'habi- 
leté de  la  main,  par  fa  fermeté  du  travail.  Ce  n'est  pas  donner  du 
piquant  à  son  inspiration  que  de  terminer  la  plupart  de  ses  morceaux 
sur  la  médiante  ou  sur  la  dominante,  au  lieu  de  les  faire  tomber  tout 
naturellement  sur  la  tonique  ;  ce  n'est  pas  donner  de  la  force  à  son 
instrumentation  que  de  la  bourrer  à  tout,  propos  de  trombones,  de 
grosse  caisse  et  de  timbales,  mais  simplement  de  la  brutalité  ;  ce  n'est 
pas  relever  l'idée  mélodique  que  d'abuser,  sans  rime  comme  sans 
raison,  des  oppositions  éternelles  de  forte  au  piano  et  de  piano  au 
forte;  ce  n'est  pas  corriger  la  mollesse  de  la  déclamation  que  de 
placer  les  temps  forts  de  la  phrase  musicale  sur  les  syllabes  fai- 
bles de  la  phrase  poétique,  et  vice  versa.  Tout  cela  seulement  dénote 
le  manque  de  soin,  le  manque  de  travail,  le  manque  de  conscience 
artistique  et,  comme  je  le  disais,  le  trop  de  confiance  en  soi. 

J'ai  d'autant  plus  regret  à  émettre  de  pareilles  critiques  que, 
comme  je  le  disais  aussi,  je  tiens  M.  Godard  pour  un  de  nos  ar- 
tistes les  mieux  doués,  pour  l'un  de  ceux  qui  me  semblent  appelés 
à  faire  'le  plus  d'honneur  à  notre  jeune  école  française.  Il  faut  donc, 
dans  son  intérêt  propre,  lui  ouvrir  les  yeux  sur  ses  défauts,  et 
tâcher  de  le  convaincre  que  toute  oeuvre  sortie  de  ses  mains  n'est 
point  par  cela  même  un  chef-d'œuvre. 

J'avais  pourtant  été  bien  disposé,  par  les  premières  pages  de  sa 
partition.  Tout  le  chœur  d'introduction,  très  crâne  d'allure,  m'avait 
semblé  très  coloré,  plein  de  mouvement  et  de  chaleur,  et  la  canti- 
lène  de  Dante  :  le  ciel  est  si  bleu  sur  Florence  !  quoique  médiocrement 
chantée,  m'avait  paru  d'une  inspiration  délicate  et  charmante,  avec 
son  caressant  accompagnement  de  harpe.  Mais  bientôt  nous  tom- 
bions, et  pour  n'en  presque  plus  sortir,  daus  le  vide  et  la  banalité. 
Non  seulement  certains  morceaux  sont  insignifiants,  mais  ils  sont 
manques,  comme  l'interminable  duo  de  Dante  et  de  Simeone  et  l'air 
de  Dante  au  premier  acte,  comme  la  romance  de  Béatrice  au  second, 
comme  l'air  éternel  qu'elle  chante  au  quatrième.  Je  ne  trouve  guère 
à  signaler,  comme  dignes  de  quelque  attention,  que  la  péro- 
raison du  duo  des  amants  au  second  acte,  l'invocation  de  Dante  à 
Virgile,  qui  ne  manque  ni  d'élan  ni  d'ampleur,  certains  fragments 
de  la  scène  des  enfers  et  du  chœur  des  damnés...  et  c'est  tout.  Si 
certaines  pages  ont  été  accueillies  encore  le  premier  soir  avec  faveur, 
telles  que  l'épisode  de  Gemma  dans  son  duo  avec  Simeone  au  second 
acte,  et  les  strophes  qu'elle  dit  au  début  du  quatrième,  elles  le 
doivent  surtout  au  goût  et  au  talent  remarquable  qu'y  a  déployées 
MUe  Nardi. 

Car  c'est  en  grande  partie  à  cette  aimable  artiste  que  reviennent 
les  honneurs  de  la  soirée.  Son  talent  de  cantatrice,  3on  intelligence 
de  comédienne,  joints  h  sa  voix  si  souple,  si  chaude  et  si  pure,  lui 
ont  valu,  dans  le  rôle  de  Gemma,  un  succès  indiscutable  et  mérité 
à  tous  égards.  M1"  Simonnet,  dont  on  se  rappelle  le  rayonnant 
triomphe  daus  le  Roi  d'Ys,  n'a  pas  trouvé,  en  Béatrice,  un  rôle  ap- 
proprié à  sa  personne  et  à  ses  moyens  ;  elle  briserait  bientôt  sa  jolie 
voix  si  l'on  devait  la  contraindre  à  lutter  ainsi  longtemps,  non 
seulement  contre  les  fureurs  d'un  orchestre  désordonné,  mais  contre 
le  diapason  terrible  dans  lequel  elle  est  obligée  de  se  mouvoir  :  tous 
les  efforts  très  intelligents  de  l'artiste  ne  sauraient  surmonter  de 
telles  difficultés.  M.  Gibert,  qui  représente  Dante,  et  dont  la  voix 
est  dans  le  haut  superbe  et  pleine  d'éclat,  élève  malheureusement  le 
cri  à  la  hauteur  d'un  principe,  phrase  très  mal  et  articule  d'une 
façon  déplorable,  avec  un  accent  que  je  ne  saurais  définir;  il  n'y  a 
donc  pas  à  l'Opéra-Comique  un  régisseur  capable  de  faire  connaître 
aux  artistes  comment  on  doit  prononcer  le  français?  Quant  à 
.M.  Lhérie,  il  nous  a  donné  la  caricature  la  plus  curieuse  d'un  traître 
de  mélodrame  transporté  sur  une  scène  lyrique;  il  a  des  mouve- 
ments de  corps,  des  roulements  d'yeux,  des  excès  de  gestes,  tout 
cela  retour  d'Italie,  qui  sont  les  plus  étonnants  du  monde. 


Parlerai-je  de  la  mise  en  scène?  Elle  aussi  elle  est  étonnante,  pro- 
digieuse, inénarrable,  peut-être  retour  de  Nantes,  où  M.  Paravey  opé- 
rait avant  d'être  appelé  à  diriger  les  destinées  d'une  scène  parisienne 
largement  subventionnée.  Non,  vous  ne  sauriez  vous  faire  une  idée, 
si  vous  ne  l'avez  vu,  de  ce  qu'est  le  tableau  burlesque  du  rêve  de 
Dante  ;  et  si  vous  l'avez  vu  vous  ne  sauriez  imaginer  ce  qu'il  était 
avant  d'être  accommodé  et  raccommodé  comme  il  l'est  à  l'heure  ac- 
tuelle. Il  n'y  a  pas  un  boui-boui  à  Paris  où  l'on  oserait  se  permettre 
une  telle  plaisanterie,  où  l'on  se  moquerait  ainsi  de  cet  excellent 
publie  parisien,  si  longanime  et  si  bonasse.  J'aime  mieux  terminer 
cet  article  en  adressant  à  M.  Danbé  et  à  son  excellent  orchestre  les 
éloges  que,  eux  du  moins,  méritent  sans  restriction.  C'est  la  partie 
la  plus  agréable  de  ma  tâche. 

Arthur  Potigin. 

Variétés  :  La  Grande-Duchesse  de  Gérolstein,  opéra-boufîe  en  trois 
actes  de  MM.  Meilhae  et  Halévy,  musique  de  J.  Offenbach.  — 
Bouffes-Parisiens  :  Jeanne,  Jeannette  et  Jeanneton,  opv.ra-comique  en 
trois  actes  de  MM.  Clairville  et  Delacour,  musique  de  M.  P. 
Laeome. 

Voilà  Mlle  Jeanne  Granier  absolument  lancée  dans  le  répertoire 
de  Mme  Schneider.  Après  avoir  remporté  un  très  grand  succès  dans 
le  rôle  de  Boulotte  de  Barbe-Bleue,  elle  vient  de  triompher  une  fois  de 
plus  sous  l'élégant  uniforme  de  la  grande-duchesse  de  Gérolstein. 
La  souplesse  de  son  talent  et  sa  merveilleuse  intelligence  des  choses 
de  la.  scène  lui  permettent  maintenant  d'aborder  tous  les  genres  et 
lui  assurent  dans  chacun  une  réussite  complète.  Parisienne  absolu- 
ment exquise  et  capiteuse,  comédienne  de  tact  tout  en  jouissant 
d'une  exubérance  communicative,  chanteuse  d'un  mérite  rare  pour 
le  genre  de  théâtre  qu'elle  a  choisi,  elle  n'a  qu'à  paraître  pour  en- 
lever tous  les  suffrages,  et  lorsqu'elle  détaille  une  phrase  un  peu 
large  sur  les  notes  graves  qu'elle  possède  si  pleines  et  si  veloutées, 
la  salle  entière  l'acclame  en  délire.  Ecoutez-la  chanter  la  phrase  de 
l'air  de  la  déclaration  sur  les  si,  ut,  ré  graves,  rappelez-vous  la  ma- 
nière dont  elle  disait  également  cerlain  passage  de  l'Evohé  d'Orphée 
aux  Enfers,  et  dites  s'il  ne  court  pas  à  ce  moment,  dans  le  public, 
comme  un  frisson  de  volupté.  Pleine  d'entrain  dans  les  couplets 
du  Sabre,  elle  a  fait  montre  de  sensibilité  dans  son  duo  avec  Fritz 
et  déployé  son  brio  habituel  partout  ailleurs.  Le  «  mauvais  soldat  v, 
c'est  toujours  M.  Dupuis,  comédien  merveilleux  à  qui  l'on  pardonne 
aisément  de  ne  plus  avoir  de  voix.  M.  Baron  joue  le  baron  Puck  à 
la  grande  joie  de  ses  admirateurs,  M.  Germain  a  fait  du  prince 
Paul  un  singe  en  délire  et  M.  Chalmin,  à  défaut  de  fantaisie,  se  sert 
de  son  organe  puissant  dans  le  rôle  du  général  Boum.  M110  Crouzet 
est  une  ravissante  Wanda.  Le  petit  orchestre  des  Variétés  exécute 
brillamment  la  musique  d'Offenbach,  qu'on  entend  chaque  fois  avec 
plus  de  plaisir. 

De  l'opéra  bouffe,  nous  passons  à  l'opéra-comique  avec  Jeanne,  Jean- 
nette et  Jeanneton  de  M.  Laeome,  que  les  Bouffes  ont  repris  cette  se-  ' 
maine.  Partition  tout  à  fait  charmante  qui  avait  été  fort  bien  accueillie, 
en  1876,  lors  de  sa  première  apparition  aux  Folies-Dramatiques,  et 
que  le  public  des  Bouffes  a  semblé  écouter  avec  une  nouvelle  salis- 
faction.  Les  trois  rôles  de  femmes  sont  distribués  à  Mmcs  Lardinois, 
Thuillier-Leloir  et  Noëlly,  qui  toutes  trois  ont  trouvé  le  moyen 
d'avoir  leur  succès  personnel  au  cours  de  la  soirée  :  M"1'  Lardinois 
en  enlevant  avec  facilité  l'air  à  vocalises  du  deuxième  acte, 
MmG  Thuillier-Leloir  en  disant  très  finement  les  couplets  du  troi- 
sième acte  et  M'"e  Noëlly  en  détaillant  d'une  façon  amusante  la 
Chanson  des  Jeunes  et  des  Vieux.  M.  Piccaluga  reste  chanteur  impec- 
cable sous  le  costume  du  marquis  de  Noce  et  MM.  Gaillard,  Phi- 
lippon  et  Désiré  tiennent  leurs  rôles  de  façon  amusante. 

Paul-Éhile  Chevalier. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THEATRE 

AU    SALON    DES    CHAMPS-ELYSÉES 


(Premier  article.) 

C'est  l'année  des  bouchées  doubles,  car  on  a  coupé  la  poire  en 
deux,  et  tout  do  même,  par  un  miracle  qu'explique  l'amour-propre 
en  éveil  de  chaque  syndicat  rival,  cela  fait  deux  poires.  Le  Salon 
des  Champs-Elysées  ne  se  porte  pas  trop  mal  pour  un  décapité 
exposant,  comme  on  l'appelle  dans  le  clan  Mcisson'ier.  Et  quant 
aux   Cbamp-de-Marsupiaux,  ainsi    défini   par    les  Champs-Élyséens 


LE  MENESTREL 


im 


amis  de  la  littérature  tintamarresque,  leur  Salon,  leur  Sélection,  leur 
Galerie  (avec  toutes  sortes  de  majuscules)  a  fort  bon  aspect,  malgré 
l'absence  du  lot  de  «  maîtres  »  jeunes  ou  vieux  restés  au  Palais 
de  l'Industrie.  La  quantité  a  donc  gagné  et  la  qualité  n'a  pas 
perdu.  Dans  ces  conditions,  on  m'excusera  de  passer  sur  les  consi- 
dérations préliminaires  et  ie  commencer  par  le  véritable  commen- 
cement, c'est-à-dire  par  les  tableaux. 

La  première  toile  qui  nous  intéresse  est  un  immense  tableau  de 
Munkaczy,  plafond  pour  le  musée  de  l'Histoire  de  l'art,  à  Vienne, 
allégorie  de  la  Renaissance  italienne,  placé  dans  le  salon  carré, 
toujours  un  peu  salon  d'honneur.  La  première  impression  n'est  pas 
déplaisante.  Les  comparses  de  talent  qui  entourent  les  hommes  de 
génie  dans  la  galerie  peinte  par  M.  Munkaczy  ne  font  pas  trop 
mauvaise  figure;  la  coloration,  blonde  et  souple,  a  même  quelques 
caresses  pour  le  regard.  Quand  on  étudie  plus  attentivement  cette 
toile  kilométrique,  on  trouve  le  dessin  lâche  et  la  composition 
soporeuse,  les  architectures  suspectes  et  les  corps  sans  solidité. 
Bref,  un  énorme  trompe-l'œil,  mais  qui  ne  produit  pas  une  illusion 
durable.  C'était  un  proverbe  aimé  des  Grecs  qu'il  ne  faut  pas 
chanter  plus  haut  que  la  lyre.  On  pourrait  en  faire  son  profit,  même 
dans  la  colonie  hongroise  du  quartier  de  Villiers. 

M.  Benjamin  Constant  n'a  pas  voulu  ménager  les  nerfs  des  spec- 
tateurs sensibles  avec  la  «  Sonate  au  clair  de  lune  »,  d'un  grand 
sentiment  mais  d'une  exécution  euténébrée  qui  tourne  au  rébus. 
Le  Beethoven  assis  devant  le  clavier,  sur  lequel  glisse  un  pâle  rayon, 
a  plutôt  l'air  de  bénir  un  cercueil  que  d'improviser  une  sonate,  et  les 
assistants  ressemblent  plus  à  une  famille  en  deuil  qu'à  une  réunion 
de  musiciens  concertants.  A  placer  dans  la  même  série  peu  réjouis- 
sante :  «  l'Art  domine  tout  ».  dernières  paroles  de  Feyen-Perrin, 
illustrées  et  commentées  par  Achille  Cesbron  en  une  toile  assez 
habilement  traitée  qui  représente  un  violoncelliste  jouant  un  grand 
morceau  au  pied  du  lit  du  peiutre,  tandis  qu'un  bouquet  d'azalées 
s'effeuille  et  qu'une  bougie  brûle  près  du  profil  ascétique  de  Feyen. 
Enfin,  à  titre  de  compromis,  de  terme  moyeri  entre  ces  tristesses, 
la  note  doucement  rêveuse  qui  se  dégage  du  tableau  de  M.  Ozambre  : 
«  Musique  de  chambre  ».  Deux  jeunes  geus  au  piano,  et,  au  pre- 
mier plan,  une  jeune  fille  assise  qui  laisse  bercer  sa  pensée  au 
charme  mélancolique  de  la  mélodie. 

Quelques  grands  tableaux  décoratifs,  pour  n'en  pas  perdre  l'habi- 
tude :  la  «  Ronde  des  Damnés,  »  de  M.  Marius  Poujol,  Dante  aper- 
cevant Paolo  et  Francesca  di  Ri  mini  dans  la  tourmente  des  volup- 
tueux; la  Jeanne  d'Arc  à  l'oriflamme  de  M.  Aman  Jean,  bonne 
illustration  pour  le  quatrième  tableau  du  drame  de  Jules  Barbier, 
destinée  au  musée  d'Orléans,  assez  visiblement  inspirée  des  procédés 
d'Olivier  Merson;  sans  oublier  la  vaste  toile  de  M.  Jules  Lefebvre, 
dont  la  mise  en  scène  animée  ferait  tant  d'effet  si  la  censure 
voulait  le  permettre  et  s'il  se  trouvait,.,  mais  il  se  trouverait  certai- 
nement... une  actrice  de  bonne  volonté  pour  représenter  l'héroïne 
principale  —  à  la  Porte-Saint-Martin  et  à  la  Galté  :  «  lady 
Godiva.  »    ■ 

Cette  lady  Godiva,  d'après  la  légende,  était  la  femme  du  comte  de 
Coventry.  Timide  comme  un  agneau,  douce  comme  une  colombe,  sa 
chasteté  était  sans  tache  et  sa  pudeur  scrupuleuse.  Un  jour  que  les 
habitants  de  Coventry  suppliaient  leur  suzerain  de  diminuer  les 
charges  publiques  —  ni  impôts,  ni  emprunt  —  elle  intercéda  pour 
eux  :  —  «  De  par  Dieu,  s'écria  le  dur  guerrier,  homme  d'imagina- 
tion sous  une  rude  écorce,  je  ne  remettrai  aucune  des  taxes  que 
vous  ne  vous  aliiez  promener  à  cheval,  nue  comme  l'enfant  qui  vient 
de  naître,  d'un  bout  à  l'autre  de  la  ville.  »  Il  pensait  sauver  ainsi 
la  caisse,  mais  lady  Godiva  le  prit  au  mot.  —  «  Je  ferai  ce  que  vous 
dites,  s'il  le  faut  pour  sauver  ces  pauvres  gens.  »  Le  comte,  fort 
marri  de  son  imprudence,  ordonna  qu'au  jour  de  l'épreuve  on  ne  mit 
pas  le  pied  dans  la  rue  et  que  chacun  restât  chez  soi,  portes  closes, 
fenêtres  barrées.  Bref,  on  ferma  la  Bourse  et  les  grandes  adminis- 
trations chômèrent.  Tout  porte  à  croire  que  les  employés  et  les  pe- 
tits commerçants  en  profitèrent  pour  aller  faire  un  tour  dans  la 
banlieue  de  Coventry  et  s'y  livrer  aux  douceurs  de  la  pêche  à  la 
ligne.  Seul,  un  boulanger,  mù  par  une  curiosité  coupable,  hasarda 
un  œil  à  travers  sa  porte  entrebâillée  et  fut  cruellement  puni,  car  il 
perdit  subitement  les  deux  yeux.  Comme  il  lui  arrive  souvent,  la 
justice  céleste  avait  fait  l'usure. 

Sur  cette  donnée,  passablement  égrillarde,  M.  Lefebvre  a  peint  un 
tableau  sobre  et  même  sévère,  mais  que  réveillent  les  carnations 
savoureuses  de  la  charitable  lady,  nue,  en  effet,  comme  l'enfant  qui 
vient  de  naître.  Le  décor  n'en  reste  pas  moins  triste,  mais  il  fait  son 
métier  de  repoussoir. 

Si  des  grands  tableaux  nous  passons  aux  grandes  œuvres,  arrêtons- 


nous  dans  la  salle  des  Henner.  Le  maître  peintre  a  fait  deux  envois. 
Ils  sont  mieux  que  parfaits;  ils  sont  suggestifs  dans  leur  étrangeté 
voulue.  A  première  vue,  on  baptiserait  l'un  la  Madeleine  aux  Camé- 
lias; c'est  la  «  Mélancolie  »  aux  yeux  bleus  reflétant  l'infini  des 
stériles  appétences,  au  teint  pâle,  aux  trails  ravagés,  une  mélancolie 
bien  moderne,  qui  a  dû  faire  de  bien  mauvaises  lectures  ;  et  l'autre, 
que  les  promeneurs  irrévérencieux  ont  baptisé  «  l'Institutrice  fatale  », 
est  le  portrait  de  Mmc  Roger-Miclos,  l'excellente  virtuose  casquée  de 
sa  lourde  chevelure  d'ébène.  Dans  un  tout  autre  genre  de  facture, 
et  d'une  valeur  artistique  moindre,  mais  très  vivant,  très  parlant  en 
sa  pose  qui  fait  face  au  public,  l'«  Emile  Blavet  »  de  M.  Chartran. 

Vous  plairait-il  de  revenir  aux  tableaux  de  genre?  Voici  deux 
Rochegrosse  qui  nous  intéressent  à  un  point  de  vue  particulier, 
celui  du  portrait  moderne  en  oripeaux  antiques.  Le  premier  est  le 
combat  de  cailles,  toute  une  famille  du  patriciat  romain  rangée  au- 
tour de  la  table  sur  laquelle  se  déchirent  à  coups  de  bec  les  oiseaux 
balailleurs.  M.  Rochegrosse  ayant  cette  année  le  parti  pris  de  mo- 
derniser le  genre  historique,  la  mère  de  famille  qui  préside  à  cette 
distraction  iûlime  ressemble  prodigieusement  à  Mmc  Paul  Mounet 
qui  fut  M110  Barbot.  Dans  l'autre  Rochegrosse,  «  l'arrivée  de  la  nou- 
velle au  harem  »,  seconde  ressemblance.  Elle  rappelle  étonnamment, 
cette  nouvelle,  la  première  jeunesse  de  Mllc  Legault  (qui  commence 
à  peine  la  deuxième).  Elle  a  les  cheveux  blonds,  très  clairs  et  très 
envolés,  les  yeux  faussement  naïfs,  l'air  absorbé  de  Tète  de  linotte. 
Les  autres  femmes  font  sa  toilette  et  s'amusent  de  son  ahurissement. 
M.  Rochegrosse  semblait  destiné,  lors  de  ses  brillants  débuts,  à 
quelque  chose  de  plus  et  de  mieux  que  la  reprise  des  procédés  de 
M.  Lecomte  de  Nouy,  même  améliorés.  Cette  petite  mascarade  n'en 
est  pas  moins  fort  amusante. 

Il  n'est  pas  loin,  M.  Lecomte  de  Nouy,  avec  une  scène  d'opéra- 
comique:  promenade  en  gondole  à  Venise.  Toujours  des  personnages 
découpés  dans  les  buis  des  tons  les  plus  variés.  De  ce  tableau 
cruellement  froid  on  tirera  une  bonne  gravure. 

Plus  vivant  le  «  récit  du  torero»  de  M.  Worms  suivant  la  formule, 
d'ailleurs  habile,  de  toutes  les  wormseries  passées,  présentes  et 
futures.  Il  ressemble  à  Jolly,  ce  torero.  Il  a  l'air  de  M.  Perrichon 
racontant  comment  il  a  tué  le  taureau  lors  de  son  dernier  voyage  en 
Espagne. 

Très  théâtrale  la  composition  que  M.  Glaize  intitule  Sainte  Agnès. 
La  patronne  des  ingénues  de  la  scène,  et  même  de  la  ville,  traverse 
la  plus  rude  épreuve  qu'ait  jamais  subie  sa  sainteté.  Elle  a  été 
conduite  par  l'ordre  du  préteur  dans  un  mauvais  lieu.  Ce  tableau 
tout  en  longueur,  qui  fait  d'abord  songer  à  une  parade  de  saltim- 
banques en  costumes  mythologiques,  contient  cependant  quelques 
morceaux  curieux  d'une  exécution  osée,  par  exemple  l'éphèbe  sus- 
pect qui  fait  le  boniment  au  public,  à  fleur  de  toile,  et  aussi  l'ivro- 
gne titubant  qui  s'appuie  sur  le  bras  d'un  compagnon  d'orgie.  Mais 
l'ensemble  manque  d'unité,  et,  quant  à  la  sainte  Agnès,  vêtue 
d'une  longue  robe  aux  plis  lourds,  qui  joint  les  mains  au  milieu 
du  tableau,  elle  donne  l'impression  d'un  anachronisme  de  bibelot, 
d'une  statuette  en  bois  du  quinzième  siècle  égarée  au  milieu  de 
figurines  de  Tanagra. 

M.  Maillart  nous  montre  Jeanne  d'Arc  écoutant  les  voix  célestes  : 
saint  Michel,  sainte  Marguerite  et  sainte  Catherine.  La  Sainte  Cécile 
de  M.  Matignon  «  ...  Et  souvent,  le  soir,  les  petits  oiseaux  venaient 
chanter  auprès  d'elle  »,  est  une  composition  d'un  bon  sentiment 
poétique.  M.  Poncet  (Orphée)  s'est  appliqué  à  traduire  sur  la  toile 
un  passage  des  Géorgiques.  arrangées  par  Delille  : 

Près  du  Strymon  glacé,  dans  les  antres  de  Thrace, 
Durant  sept  mois  entiers  il  pleura  sa  disgrâce; 
Sa  voix  adoucissait  les  tigres  du  désert, 
Et  les  chênes  émus  s'inclinaient  dans  les  airs. 

La  peinture  de  M.  Poncet  est  aussi  du  Delille.  M.  "Wagrez,  en  une 
vaste  composition  décorative,  dous  montre  une  scène  du  Décameron, 
prise  au  moment  où  la  reine  prononce  ces  mémorables  paroles  dans 
le  bois  sacré  propre  aux  devis  élégants  :  «  Valeureuses  jeunes  fem- 
mes, comme  dans  les  nuits  sereines  les  étoiles  sont  l'ornement  du 
ciel,  et  comme  au  printemps  les  fleurs  sont  l'ornement  des  prés 
verts,  ainsi  les  bons  mots  sont  l'ornement  des  belles  manières  et  des 
entretiens  agréables.  »  M.  Jean-Paul  Laurens,  en  de  moindres  pro- 
portions, et  avec  une  certaine  sécheresse  de  pinceaux,  représente 
la  fondation  des  jeux  Floraux.  Sept  troubadours  en  robes  rouges, 
sept  Dantes.  C'est  beaucoup. 

(A  suivre.)  Camille  Le  Senne. 


458 


LE  MENESTREL 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


Nouvelles  de  Londres  :  La  courte  saison  d'opéra  anglais  par  la  troupe 
Cari  Rosa  s'est  terminée  samedi  avec  deux  représentations  :  Carmen  et 
Mignon,  les  deux  pièces  les  plus  heureuses  de  la  série.  L'ensemble  de  la 
troupe  a  laissé  beaucoup  à  désirer,  surtout  du  coté  masculin  :  M.  Mac 
Guckin.  le  ténor  indispensable,  n'a  plus  que  quelques  rares  notes  dans 
la  voix.  MUo  Zélie  de  Lussan  a  été  très  appréciée  dans  le  rôle  de  Carmen, 
qu'elle  chante  avec  une  jolie  voix  ;  mais  elle  manque  complètement  d'au- 
torité pour  personnifier  la  bohémienne,  qu'elle  joue  tout  à  fait  à  côté,  en 
accentuant  le  côté  espiègle  du  rôle.  Le  public  a  aussi  fait  un  gros  succès 
à  Mlle  Fanny  Moody,  une  fort  jolie  Mignon,  ayant  une  bonne  voix  et  d'ex- 
cellentes intentions  ;  malheureusement,  cela  ne  supplée  point  au  manque 
d'école  de  la  chanteuse  ni  aux  maladresses  de  la  comédienne.  A  propos 
de  cette  représentation,  je  dois  vous  signaler  les  mutilations  qu'on  a  fait 
subir  à  la  partition  d'Ambroise  Thomas.  Non  seulement  le  prélude  du 
troisième  tableau,  le  duo  :  »  As-tu  souffert?»  et  la  berceuse  ont  complète- 
ment disparu,  mais  on  a  encore  pratiqué  une  coupure  inouïe  au  beau 
milieu  de  l'air  :  «  Connais-tu  le  pays  ?  »  ;  je  n'en  aurais  pas  cru  capable 
l'excellent  chef  d'orchestre  M.  Goossens.  Thorgrim,  le  nouvel  opéra  de 
M.  Frédéric  Cowen,  considérablement  raccourci  après  la  première  repré- 
sentation, n'est  réellement  qu'un  succès  d'estime  et  ne  se  maintiendra 
pas  au  répertoire.  —  A  la  Société  Philharmonique,  après  le  grand  et 
légitime  succès  remporté  par  la  nouvelle  symphonie  en  sol  de  Dvorack. 
dirigée  par  le  compositeur,  c'était  le  tour  de  M.  Mancinelli,  qui  est  venu 
conduire  une  nouvelle  suite  d'orchestre  de  sa  composition  :  «  Scènes  véni- 
tiennes «.Malgré  l'accueil  très  bienveillant  du  public,  j'aurais  de  grosses 
réserves  artistiques  à  formuler  contre  cette  œuvre  bruyante  et  vide.  L'au- 
teur s'est  du  reste  attiré  de  nombreuses  protestations  en  faisant  répéter  un 
scherzo  des  plus  vulgaires.  —  L'invasion  des  pianistes  continue  :  Sta- 
venhagen,  Sappelnikoff,  Teresa  Careno,  Paderewski,-  Franz  Rummel, 
Sophie  Menter,  etc.,  font  tous  en  même  temps  appel  au  public  qui  ne 
sait  où  donner  de  la  tète.  Je  ne  sais  si  c'est  à  cette  cause  ou  peut-être  au 
très  mauvais  temps  qu'il  faut  attribuer  les  nombreux  vides  constatés  au 
premier  concert  Paderewski,  fort  maladroitement  annoncé  du  reste  comme 
le  lion  de  la  saison  parisienne.  Après  tout,  ce  sont  les  absents  qui  avaient 
tort;  car  dans  un  programme  très  éclectique,  le  pianiste  polonais  a  affirmé 
une  grande  souplesse  de  talent  et  un  mécanisme  impeccable  :  son  exécu- 
tion par  trop  vigoureuse  choque  au  premier  abord;  mais  l'artiste  sait  la 
tempérer  par  des  touches  d'une  délicatesse  charmante,  et  la  fougue  de 
ce  tempérament  artistique  finit  par  avoir  raison  de  l'auditoire  le  plus 
prévenu.  Le  public  se  portera  en  foule  à  ses  prochains  concerts.  —  L'émi- 
nent  chef  d'orchestre  viennois  Hans  Richter  a  commencé  lundi  sa  nou- 
velle saison  de  concerts,  avec  son  dernier  programme  de  Bruxelles.  Foule 

énorme  et  succès  considérable,  surtout  pour  les  fragments  wagnériens. 

La  saison  d'opéra  italien  sera  inaugurée  lundi  19  mai  à  Covent-Garden  : 
on  jouera  Faust  pour  la  rentrée  des  frères  de  Reszké  et  le  début  de  M",c  Nuo- 
vina.  Jeudi  22,  les  Pécheurs  de  perles,  pour  le  début  de  M.  Cobalet.      A.G.N. 

—  Le  successeur  du  docteur  Henry  "Wylde  à  la  célèbre  chaire  universi- 
taire du  Gresham  professorship  of  music  est  désigné.  C'est  le  docteur 
J.-F.  Bridge,  organiste  de  Westminster  Abbey,  examinateur  des  Universités 
d'Oxford  et  de  Cambridge,  et  compositeur  d'un  grand  nombre  d'oeuvres 
religieuses  très  estimées.  Le  docteur  Bridge  l'a  emporté  sur  six  redou- 
tables concurrents.  Comme  thèse,  il  avait  choisi  le  sujet  suivant  :  «  Du 
siècle  de  musique  anglaise  qui  a  suivi  immédiatement  la  fondation  du 
Gresham  chair  of  music.   » 

—  Il  ne  faut  pas  toujours  se  fier  à  l'annonce  de  certains  succès  faite 
par  certains  journaux.  Voici  ce  que  nous  trouvons  aujourd'hui  dans  une 
correspondance  de  Munich,  au  sujet  du  nouvel  opéra  de  M.  Nessler,  dont 
nous  avons  annoncé  la  récente  apparition  en  cette  ville  :  —  «  Le  nouvel 
ouvrage  de  Victor  Nessler,  l'auteur  du  Trompette  de  Sàkkingen,  a  fait  ici  un 
four  des  mieux  conditionnés.  Die  Rose  von  Strassburg  (la  Rose  de  Strasbourg) 
est,  comme  texte,  un  très  plat  pastiche  des  Maîtres-Chanteurs,  comme 
musique,  un  très  méchant  ramassis  de  lieux  communs,  distillant  l'ennui 
le  plus  noir.  Le  compositeur  n'en  a  pas  moins  été  l'objet  d'un  rappel, 
mais  c'est  sans  doute,  dit  un  critique,  parce  que  le  public  voulait  se 
payer  la  tète  de  l'auteur  célèbre  du  Trompette.  C'est  bien  possible  après 
tout.  » 

—  Un  début  à  sensation  nous  est  signalé  de  Vienne,  au  théâtre  An  der 
Wien.  C'est  celui  de  la  diva  hongroise  Icka  Palmay,  dans  Mam'zelle 
Nitnuche,  qu'elle  interprétait  pour  la  première  fois  en  langue  allemande. 
Depuis  l'époque  des  Gallmeyer  et  des  Geistinger,  dit  un  journal,  Vienne 
n'a  pas  applaudi  une  chanteuse  d'opérette  aussi  piquante,  aussi  gracieuse. 
Avec  Mam'zelle  NUouche  semblent  revenir  les  beaux  jours  du  théâtre  An 
der  Wien. 

—  Nos  confrères  italiens  ne  sont  pas  d'accord  entre  eux  en  ce  qui  con- 
cerne Verdi  et  l'opéra  que  le  maitre  serait  en  train  d'écrire,  ainsi  que 
nous  l'avons  rapporté  d'après  le  Trovatore.  «  Nous  ne  le  faisons  pas  avec 
plaisir,  bien  au  contraire,  dit  le  Mondo  arlislico,  mais  nous  devons  démen- 
tir la  nouvelle  donnée   par  notre  excellent  collègue  le  Trovatore,  à  savoir 


que  Verdi  serait  sur  le  point  d'écrire  un  nouvel  opéra  :  Romeo  e  Giuletta, 
et  cela  après  informations  prises  auprès  de  qui  nous  pouvions  les  obtenir 
d'une  façon  indiscutable.  Nous  pouvons  ajouter  qu'en  effet  il  en  a  eu  un 
moment  l'idée  aussitôt  après  Otelio,  mais  qu'il  l'a  abandonnée  pour  ne 
point  distraire  de  son  Néron  Arrigo  Boito,  qui  lui  aurait  construit  le 
livret.  »  A  cela  le  Trovatore,  un  peu  piqué,  répond  en  ces  termes  :  — 
«  Démenti  à  un  démenti.  A  la  dernière  heure  nous  recevons  le  Mondo 
artistico,  qui  prétend  démentir  la  nouvelle  donnée  par  le  Trovatore  du 
25  avril:  Verdi  écrit!  Quoi  qu'en  dise  le  Mondo,  le  Trovatore  affirme  que 
Verdi  écrit,  et  précisément  Giulietla  e  Romeo.  »  Souhaitons  que  ces  frères 
ennemis  finissent  par  s'entendre,  soit  au  sujet  de  Romeo  e  Giulietla,  soit 
au  sujet  de  Giulietta  e  Romeo,  car  ici  tout  parait  reposer  sur  une  transpo- 
sition de  noms. 

—  Les  spectateurs  italiens  ne  paraissent  pas  plus  s'accorder  que  leurs 
journaux.  Un  ténor,  nommé  Giordano,  qui  avait  été  engagé  à  Triestepour 
y  chanter  les  Pécheurs  de  perles,  s'y  était  vu  si  mal  accueilli  qu'il  n'avait 
pas  pu  terminer  la  représentation.  Or,  le  même  artiste,  dans  le  même 
ouvrage,  vient  d'obtenir  un  succès  éclatant  au  Costanzi  de  Rome.  Tant  il 
est  vrai,  dit  à  ce  propos  un  critique,  que  «  la  scène  est  une  mer  instable!» 

—  A  Florence,  il  avait  été  question  de  transformer  le  théâtre  Rossini 
en  une  grande  salle  de  concert.  Ce  projet  a  été  abandonné,  mais  l'exis- 
tence du  théâtre  n'en  parait  pour  cela  pas  moins  menacée.  On  parle 
aujourd'hui  d'en  faire  «  une  église  anglaise  »,  ce  qui  est  on  ne  peut  plus 
édifiant. 

—  Dépêche  de  Florence  :  «  ISHxjmne  à  la  Paix  de  M"e  Augusta  Holmes 
a  été  exécuté  vendredi  avec  un  succès  considérable  :  chaque  strophe  était 
soulignée  parles  cris  de  :  Vive  la  France!  Au  milieu  des  ovations  et 
sous  une  pluie  de  fleurs,  on  a  redemandé  deux  fois  l'Hymne  A  la  Paix. 
L'auteur  a  été  rappelé  à  trois  reprises.  Le  Comité  de  l'Exposition  a  de- 
mandé deux  nouvelles  représentations  :  on  donnera  ensuite  une  repré- 
sentation populaire.  » 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 
M.  Gailhard,  au  lieu  et  place  de  M.  Ritt,  gravement  malade,  a  été. 
entendu  vendredi  par  la  Commission  supérieure  des  théâtres,  présidée  par 
M.  le  ministre  des  Beaux-Arts.  La  séance  a  duré  deux  heures,  pendant 
lesquelles  M.  Gailhard  a  donné,  sur  la  gestion  artistique  et  financière  de 
l'Opéra,  depuis  1885  jusqu'à  ce  jour,  des  explications  dont  la  Commission 
verra  le  compte  qu'elle  peut  en  tenir.  Il  faut  considérer,  d'ailleurs,  que 
M.  Gailhard  se  remue  beaucoup  depuis  quelque  temps  pour  tenter  d'effacer 
les  impressions  fâcheuses  qu'a  laissées  dans  le  public  sa  gestion  désas- 
treuse à  l'Opéra,  en  collaboration  avec  le  digne  M.  Ritt.  Voici  qu'il  vient 
enfin  de  réengager  Mme  Caron,  ce  qui  nous  promet  une  belle  reprise  de 
Sigurd  et,  probablement  aussi,  la  prochaine  apparition  de  Salammbô.  Mais 
pourquoi  ne  faire  toutes  ces  belles  choses  que  contraint  et  forcé  et  jamais 
d'abondance?  Cela  prouve  une  bien  courte  vue  et  un  manque  complet 
d'intelligence  artistique.  Nous  avons  vu  les  mêmes  errements,  déjà, 
au  sujet  de  M"16  Melba,  dont  les  directeurs  ne  voulaient  à  aucun  prix,  ne 
lui  trouvant  «  aucune  espèce  de  talent  ».  Il  a  fallu  de  bien  grandes 
pressions  encore  pour  les  amener  à  cet  engagement  qui  leur  a  fait  tant 
d'honneur.  Avant  de  partir  pour  Londres,  M"10  Melba  va  donner  une  série 
de  représentations  d'Hamlet;  c'est  le  rôle  d'Ophélie  qui  lui  a  valu  son 
grand  succès  à  Paris,  on  sera  donc  heureux  de  l'y  revoir,  car  c'est  là, 
certainement,  qu'elle  trouve  à  utiliser,  avec  le  plus  d'avantage,  ses  mer- 
veilleuses   qualités. 

—  Toujours  la  question  de  l'Opéra-Comique  qui  se  traîne  dans  les 
mêmes  ornières.  La  commission  du  budget  a  entendu  cette  semaine 
M.  Bourgeois,  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts,  sur 
les  conséquences  financières  du  projet  relatif  à  la  reconstruction  de  l'Opéra- 
Comique.  Le  ministre,  après  avoir  tout  d'abord  déclaré  qu'il  faisait  sien 
le  projet  déposé  en  dernier  lieu  par  son  prédécesseur,  M.  Fallières,  a  in- 
sisté sur  les  raisons  qui  militent  en  faveur  delà  reconstruction  du  théâtre 
sur  son  ancien  emplacement.  Il  a  expliqué,  notamment,  que  les  recettes 
de  l'Opéra-Comique,  qui,  pendant  les  dix  dernières  années  antérieures  à 
l'incendie,  s'élevaient  en  moyenne  à  172,000  francs  par  mois,  étaient  tombées, 
depuis  deux  ans,  à  143,000  francs  par  mois.  C'est  donc  une  diminution 
mensuelle  de  30,000  francs  dans  les  recettes  du  théâtre,  depuis  son  instal- 
lation place  du  Chàtelet.  Si  cette  situation  devait  se  prolonger,  a  ajouté 
le  ministre,  la  subvention  de  l'Etat  deviendrait  insullisante  et  force  serait 
de  l'augmenter.  Or,  combien  coûterait  la  reconstruction  sur  la  place 
Boieldieu  ?  —  3,480,000  francs.  Les  sommes  versées  par  les  compagnies 
d'assurances,  jointes  à  la  vente  des  anciens  matériaux,  réduisent  la  dé- 
pense réelle  à  2,413,000  francs.  En  empruntant  cette  somme,  à  i  50  0/0, 
l'amortissement  se  ferait  en  trente  années,  moyennant  une  annuité  de 
118,000  francs.  Or,  comme  dans  l'état  actuel,  :1  faut  payer  à  la  Ville  de 
Paris,  pour  prix  de  location  de  la  place  du  Chàtelet,  80,000  francs  par  an, 
il  suffirait  en  somme,  d'une  dépense  supplémentaire  de  38,000  francs  par 
an  pour  être  propriétaire,  au  bout  de  trente  ans,  du  théâtre  reconstruit  sur 
son  ancien  emplacement.  Après  le  ministre,  M.  Delaunay,  rapporteur  de 
la  commission  spéciale,  a  été  également  entendu;  il  a  repris  les  argu- 
ments de  M.  Bourgeois  et  les  a  appuyés  de  considérations  relatives  aux 
droits  de  la  famille  de  Choiseul.  Malgré  tout,  la  commission  du  budget, 
par  12  voix  contre  8,  a  maintenu  l'avis  défavorable  qu'elle  avait  précé- 
demment émis.  Le  projet  n'en  sera  pas  moins,  .d'ailleurs,  incessamment 


LE  MENESTREL 


1ÏJ9 


déposé  sur   le  bureau   de  la  Chambre,  et   le   ministre  des  beaux-arts  se 
joindra  au  rapporteur  pour  en  demander  l'adoption. 

—  A  l'Opéra-Comique  on  presse  beaucoup  les  répétitions  de  la  Basoche, 
petite  œuvre  dans  le  genre  gai,  de  MM.  Albert  Carré  etMessager.  En  voici 
la  distribution  :  Clément  Marot,  M.  Soulacroix  ;  le  duc  de  Longuoville, 
M.  Fngère  ;  Jehan  Léveillé,  M.  Carbonne  ;  Roland,  M.  Cobalet  ;  Maître 
Guillot,  M.  Grivot;  Louis  XII,  M.  Maris  ;  Marie  d'Angleterre,  M'™  Lan- 
douzy  ;  Colette,  Mmo  Mole.  On  voudrait  donner  la  première  avant  la  fin 
du  mois.  Mais  voilà,  M.  Paravey  se  demande  avec  inquiétude  si  son  théâ- 
tre est  suffisamment  machiné  pour  suffire  à  la  mise  en  scène  de  la  Basoche. 
Nous  verrons  bien. 

—  On  assure  que  M.  Bertrand  vient  d'écrire  à  M.  Cantin  pour  le  prier 
de  convoquer  les  membres  de  la  société  propriétaire  de  l'Eden-Théàtre. 
Il  lui  proposerait,  à  la  charge  par  la  société  de  reconstruire  la  salle  et 
d'installer  des  galeries,  de  reprendre  lui-même  l'exploitation.  Il  avisera, 
par  la  suite,  au  genre  de  spectacle  qu'il  conviendra  de  donner.  L'archi- 
tecte se  fait  fort  d'opérer  en  trois  mois  la  réfection  partielle  de  la  salle 
par  l'installation  de  deux  nouvelles  galeries.  Le  nombre  des  places  attein- 
drait deux  mille,  ce  qui  ferait  une  augmentation  de  plus  de  huit  cents. 
Le  promenoir  disparaîtrait,  et  le  problème  de  l'acoustique  de  la  salle 
serait  en  même  temps  résolu.  C'est  le  plan  Schmidt,  qui  avait  été  primi- 
tivement adopté  par  M.  Garvalho.  La  dépense  s'élèverait  à  350,000  francs 
environ. 

—  M.  Antoine  nous  menace  d'un  nouveau  «  théâtre  libre  »  à  jet  continu, 
c'est-à-dire  d'un  théâtre  où  l'on  jouerait  tous  les  jours  et  où  le  public  se- 
rait admis  comme  autre  part.  Voici  son  petit  boniment,  tel  qu'il  l'envoie 
aux  journaux  :  «  La  nouvelle  salle  de  spectacle  sera  édifiée  sur  un  empla- 
cement en  façade  sur  le  boulevard,  non  loin  de  l'Opéra.  La  salle  contiendra 
900  places.  Elle  sera  de  dimensions  telles  que  des  comédiens  parlant  au 
diapason  naturel  seront  facilement  entendus  de  toutes  les  parties  de  l'édi- 
fice. Les  places  coûteront  50  0/0  meilleur  marché  que  dans  la  moyenne 
des  théâtres  actuels.  La  décoration  de  cette  salle,  les  dégagements,  les 
foyers,  l'aménagement  matériel  seront  empruntés  aux  installations  les 
plus  rationnelles  des  théâtres  étrangers.  La  scène,  pourvue  d'une  machi- 
nerie, d'un  éclairage  et  de  dégagements  inconnus,  permettra  la  réalisation 
sans  entr'actes  de  n'importe  quelle  conception  dramatique,  quelles  que 
soient  son  importance  ou  sa  nature.  Un  orchestre  aménagé  comme  à 
Bayreuth  permettra,  le  cas  échéant,  de  faire  des  exécutions  musicales.  Le 
Théâtre-Libre  comportera  une  troupe  de  trente-cinq  artistes  des  deux 
sexes.  Ils  recevront  des  appointements  annuels  et  jouiront  de  la  participa- 
tion aux  bénéfices.  Ils  joueront  tous  les  emplois  que  la  direction  leur 
assignera.  —  Les  rôles  importants  seront  remplis  tour  à  tour,  dans  le 
même  ouvrage,  par  plusieurs  artistes.  Les  noms  de  ces  artistes  ne  paraî- 
tront jamais  sur  les  affiches  publiques,  lesquelles  mentionneront  simple- 
ment l'heure  du  spectacle,  l'ouvrage  représenté  et  l'auteur  de  cet  ouvrage. 
Le  spectacle  sera  renouvelé  tous  les  quinze  jours,  quel  que  soit  le  sort  de 
l'œuvre  représentée;  s'attarder  sur  un  succès,  ce  serait  recommencer  l'en- 
combrement et  ralentir  la  production.  Il  y  aura  seize  spectacles  par  saison. 
Les  premières  représentations  de  chacun  de  ces  spectacles  seront  données 
à  bureaux  fermés,  devant  une  salle  composée  de  la  presse,  d'invités  et  des 
membres  honoraires  du  Théâtre-Libre.  Ceux-ci,  privilégiés,  conserveront 
dans  la  nouvelle  combinaison  leurs  droits  de  possession  d'un  fauteuil  à 
l'abonnement  sans  que  le  prix  de  cet  abonnement  soit  modifié.  Ils  jouiront 
des  seize  spectacles  de  la  saison.  En  cas  de  difficultés  avec  la  censure,  le 
Théâtre-Libre,  reprenant  pour  un  soir  sa  forme  ancienne,  donnera,  en 
représentation  privée,  l'œuvre  qui  aura  causé  la  contestation.  Sur  tous  les 
autres  points,  le  Théâtre-Libre  rentrera  dans  la  catégorie  des  théâtres 
ordinaires,  —  les  ouvrages  à  représenter,  leur  mise  en  scène  et  leur  dis- 
tribution restant  sous  la  direction  exclusive  de  M.  Antoine.  »  Voilà  un 
beau  théâtre  lyrique  pour  l'avenir. 

—  La  reprise  d'OEdipe  roi  avec  la  musique  de  Membrée  a  eu  lieu  cette 
semaine,  avec  un  grand  succès,  à  la  Comédie-Française.  Mounet-Sully  a  été 
superbe  ;  son  frère  Jean-Paul  s'est  fait  applaudir  dans  le  personnage  de 
Tirésias,  qu'il  avait  interprété  lors  de  la  représentation  du  théâtre  d'O- 
range. La  partition  de  Membrée  est  devenue  partie  intégrante  d'OEdipi; 
elle  est  à  la  fois  élégante  dans  les  deux  idylles  et  dramatique  dans  la 
scène  où  Œdipe  s'est  crevé  lesyeux.  Nous  espérons  entendre  la  partition 
complète  dans  un  de  nos  grands  concerts,  avec  le  développement  orches- 
tral que  comporte  l'œuvre  importante  de  Membrée,  qui  ne  contient  pas 
moins  de  douze  morceaux. 

—  Dans  sa  dernière  séance,  la  Commission  des  auteurs  et  compositeurs 
dramatiques  a  procédé  à  la  formation  de  son  bureau  pour  l'exercice  1890- 
1891.  Ont  été  élus  :  MM.  Camille  Doucet,  président;  Ludovic  Ilalévy,  Fran- 
çois Coppée,  Edouard  Pailleron,  vice-présidents;  Philippe  Gille,  trésorier; 
Paul  Ferrier,  archiviste;  Armand  d'Artois,  Albert  Delpit,  secrétaires. 

—  L'assemblée  générale  annuelle  de  l'Association  des  artistes  musiciens 
a  eu  lieu,  mardi  dernier,  au  Conservatoire.  M.  Eugène  Gand  présidait,  en 
l'absence  de  M.  Golmet  d'Aage,  empêché  par  une  indisposition  heureuse- 
ment sans  gravité.  Le  rapport  sur  les  travaux  de  l'année  a  été  présenté  par 
M.  Paul  Hougnon,  secrétaire.  L'assemblée  a  constaté  avec  une  vive  satis- 
faction que  l'exercice  1889  avait  été  exceptionnellement  fructueux.  On  a 
encaissé,  en  ell'et,  une  somme  de  312,381  fr.  13  c,  chiffre  le  plus  élevé  qui  ait 


jamais  été  atteint  depuis  la  fondation  de  la  Société,  en  1843.  Le  chiffre 
des  cotisations  n'entre  dans  cette  somme  que  pour  54,960  fr.  50  c;  celui 
des  rentes  de  l'Association  y  figure  pour  107,210  francs.  Le  surplus  de  la 
recette  est  dû  à  l'encaissement  du  legs  Boucicaut,  100,000  francs,  et  aux 
legs  et  dons  de  M"10  Erard,  de  MM.  Heugel,  d'Aoust,  Baillot,  Ritt  et  Gail- 
hard,  etc.  Pour  très  brillante  qu'elle  soit,  la  situation  de  l'Association 
ne  lui  permet  pas  encore  de  faire  droit  à  toutes  les  demandés  de  pensions 
qui  se  produisent,  mais  le  comité,  dans  la  mesure  du  possible,  atténue 
cet  état  de  choses  en  accordant  aux  ayants  droit,  dont  la  situation  ne  per- 
met pas  d'attendre  la  liquidation  de  leur  pension,  des  allocations  presque 
équivalentes  à  la  pension  qu'ils  pourraient  recevoir.  C'est  ainsi  que  368 
sociétaires,  pensionnaires  ou  ayants  droit  à  la  pension  reçoivent  sur  les 
revenus  de  l'Association  plus  de  100,000  francs;  le  surplus  en  secours 
pour  cause  de  maladie,  accidents,  situations  imprévues,  etc.  Le  rapport, 
qui  constate  que  le  nombre  total  des  membres  de  l'Association  était,  au 
1er  janvier  1890,  de  5,940,  a  excité  à  plusieurs  reprises  les  applaudissements 
de  l'assistance.  Il  a  été  procédé,  aussitôt  après  sa  lecture,  à  l'élection  de 
quatorze  membres  du  comité.  Le  nombre  des  présents  était  de  209;  206 
seulement  ont  pris  part  au  vote.  Ont  été  élus  pour  cinq  ans  :  MM.  Colmet 
d'Aage,  par  205  voix;  Rougnon,  205;  Garcin,  202;  Dancla,  202;  Ernest 
Altès,  201  ;  Jules  Cohen,  200;  Lebouc,  199;  Wettge,  198;  Benjamin  Godard. 
197;  Taskin,  197;  Danhauser,  182;  Paul  Girod,  145.  Pour  trois  ans: 
MM.  Papaïx,  par  125  voix  ;  Charles  Caillon,  par  117.  M.  Guilmant,  dont 
les  pouvoirs  expiraient,  et  qui  ne  se  représentait  pas,  a  réuni  79  voix  ; 
puis  venaient  MM.  Gandon,  Maillet  du  Boullay,  etc. 

—  Aussitôt  la  campagne  de  M.  Brasseur  terminée,  les  Nouveautés  ne 
fermeront  pas  leurs  portes,  cet  été.  Comme  nous  l'avons  annoncé  déjà, 
M.  Alhaiza  l'intelligent  directeur  du  théâtre  Molière,  de  Bruxelles,  vient  s'y 
installer  pour  y  faire  représenter  le  Voyage  de  Chaudfontaine,  le  charmant 
opéra-comique,  plus  que  centenaire,  de  Jean-Noël  Hamal,  découvert  naguère 
dans  la  poussière  de  la  bibliothèque  du  Conservatoire  de  Liège,  et  joué 
en  Belgique,  avec  un  énorme  succès.  Complétons  nos  renseignements.  Le 
livret,  écrit  en  patois  liégeois,  a  été  traduit  et  adapté  à  la  scène  française 
par  M.  Henri  de  Fleurigny.  C'est  à  tort  que  certains  journaux  ont  dit  que 
M.  Alhaiza  venait  à  Paris  avec  la  troupe  de  son  théâtre.  C'est  une  troupe 
toute  nouvelle  qu'il  a  formée  expressément  et  qui  est  composée  des  meil- 
leurs éléments.  Les  trois  rôles  de  femmes  seront  chantés  par  M!ls  Rachel 
Neyt,  la  charmante  dugazon  du  théâtre  de  la  Monnaie,  M1,c  Zelo  Duran, 
qui  a  joué  pendant  tout  l'hiver,  avec  un  vif  succès,  l'opérette  à  l'Alhambra 
de  Bruxelles,  et  MUo  Bastin,  une  lauréate  du  Conservatoire  de  Liège, 
douée,  paraît-il,  d'une  très  belle  voix.  L'orchestre  sera  celui  des  Nouveautés, 
et  les  chœurs  sont  recrutés  à  Paris,  parmi  les  meilleurs  sujets.  Les  études 
ont  commencé  et  la  première  est  dès  à  présent  fixée  au  lundi  2  juin.  Le 
spectacle  commencera  par  une  comédie  inédite  de  M.  H.  de  Fleurigny, 
intitulée  :  La  Chanson  du  Tzigane,  interprétée  par  Mllcs  Suzanne  Richmond 
et  Jenny  Diska,  MM.  Deval,  Berthal  et  Mortier.  M.  Vidal  s'est  chargé 
de  composer  l'ouverture,  la  musique  de  scène  et  celle  de  la  Chanson  du 
Tzigane. 

—  Comme  on  parle  beaucoup  de  M.  Saint-Saëns  en  ce  moment,  de  son 
voyage  mystérieux  à  Las  Palmas  et  de  son  prochain  retour  parmi  nous, 
M.  Colonne,  qui  est  toujours  à  l'affût  des  actualités,  en  profite  pour  orga- 
niser au  Trocadéro,  le  samedi  31  mai,  à  deux  heures,  une  sorte  de  festival, 
où  ne  seront  exécutées  que  des  œuvres  de  l'auteur  d'Ascanio. 

CONCERTS  ET  SOIRÉES 
Avant  de  quitter  Paris,  M.  Paderewsky  a  donné  à  la  salle  Erard 
une  dernière  séance  de  piano,  au  bénéfice  d'une  œuvre  de  bienfaisance. 
Il  avait  composé,  pour  la  circonstance,  tout  un  petit  programme  de  compo- 
sitions françaises  qui  ont  fait  le  plus  grand  plaisir.  C'est  le  charmant 
Rigaudon  de  Léo  Delibes  qui  a  eu  les  honneurs  de  la  séance,  avec  une 
petite  œuvre  de  M.  Pierné.  Ces  deux  numéros  ont  été  bissés  d'acclama- 
tion. Très  remarquée  aussi  \d.Cliansondu  rouet,  de  Francis  Thomé.  Quanta 
l'exécutant,on  l'a  fêté  de  la  bonne  manière. G'estl'enfantgàté  des  Parisiennes. 

—  Dimanche  dernier,  salle  Pleyel,  brillante  audition  d'oeuvres  de  M.Léo 
Delibes  interprétées  devant  l'auteur  par  les  élèves  de  Mlle  Hortense  Pa- 
rent. Les  morceaux  d'ensemble  à  dix,  douze  et  dix-huit  mains,  découpés 
dans  Lakmé,  Sijlvia,  le  Roi  s'amuse,  etc.,  etc.,  ont  émerveillé  l'auditoire. 
Parmi  les  solistes,  on  a  particulièrement  applaudi  MUe  Louise  S.,  qui  a 
joué  le  ravissant  divertissement  de  Coppélia  :  «  Fête  de  la  Cloche  »,  tout 
entier  de  mémoire  avec  une  maturité  de  talent  bien  remarquable.  A 
l'issue  de  la  séance,  en  quelques  paroles  empreintes  d'une  cordialité 
toute  sympathique,  le  maître  a  exprimé  sa  .satisfaction  et  chaleureuse- 
ment félicité  les  élèves  et  leur  professeur. 

—  M.  Louis  Diémer  vient  de  remporter  de  grands  succès  au  Cercle  philhar- 
monique de  Bordeaux,  où  il  s'est  fait  entendre  tour  à  tour  sur  le  clavecin 
et  sur  le  piano  forte.  Les  pièces  des  Clavecinistes  d'Amédée  Méreaux  ont 
paru  tout  à  fait  charmantes,  et  la  Grande  valse  de  concert  de  M.  Diémer  lui- 
même,  enlevée  d'une  façon  vertigineuse,  a  achevé  de  mettre  le  feu  aux 
poudres.  Acclamations  pour  l'auteur  et  l'exécutant. 

Soirées  et  Conceiits.  —  Matinée  musicale  particulièrement  brillante  dimanche 
dernier,  chez  M.  Delsart.  L'impression  produite  a  été  d'autant  plus  vive  que  le 
programme  était  court  et  composé  avec  un  goût  vraiment  exquis.  Il  réunissait 
les  noms  de  Beethoven  et  de  Schumann  à  ceux  de  MM.  Massenet,  Widor,  Fauré 


160 


LE  MÉNESTREL 


et  Diaz.  M.  de  Soria  a  fait  admirer,  dans  plusieurs  morceaux  de  chant,  une  voix 
pure  et  une  diction  élégante  et  distinguée;  II.  TafJanel  a  étonné  et  ravi  une  fois 
de  plus  par  le  velouté,  la  douceur  et  le  charme  des  sonorités  qu'il  tiie  de   son 
instrument;  M.  Rémy  a  joué  en  excellent  virtuose  une  jolie  berceuse  et  un  tam- 
bourin de  Leclair.  Enfin  M.  Delsart  a  été  acclamé  après  l'exécution  de  sa  trans- 
cription de  deux  pièces  de  M.  Widor.  Le  piano  était   tenu  par  JIM.    Widor  et 
Leitert.  —  VEuterpe,   société  chorale  d'amaleurs,  a  fait  entendre  lundi   dernier, 
salle  Erard,  avec  le  concours  de  1T"  Lalo,  de  M"0  Menusier  et  de  MM.  Warm- 
brodt  et  Auguez,  la  Lyre  et  la  Harpe  de  M.  Saint-Saëns  et  le  Requiem  de  Schumann. 
L'exécution  n'a  rien  laissé  à  désirer.  L'œuvre  de  M.  Saint-Saëns  est  d'une  inspi- 
ration noble,  très  soutenue  et  vraiment  poétique.  Le  Requiem  est  à  la  fois  austère 
et  d'une  expression  pénétrante.  Entre  ces  deux  ouvrages,  Mm°  Marie  Jaëll  a  joué 
avec  une  verve  exubérante  Etude  en  forme  de  valse,  Souvenir  d'Italie  de  M.  Saint-Saëns 
et  la  Toccata  de  Schumann.  —  Très   agréable  soirée  musicale    chez  M.  Gustave 
Sandoz,  où  on  a  pu  applaudir  M™°  Masson  dans  Y  Ave  Stella  de  Faure,  puis  dans 
le  beau  duo  Crucifix  du  même   auteur  avec  l'excellent  baryton  Chassaing,  très 
apprécié  aussi  dans  le  Rêve  du  Prisonnier  de  Rubinstein.A  citer  encore  le  violoniste 
Herman  et  la  pianiste  virtuose  M"*  Descales.  Intermèdes  par  M.  Albert  Sanson, 
du  Vaudeville.  —  C'est  dimanche  dernier  que  M"°  Lafaix-Gontié  donnait,   salle 
Erard,  la  grande  audition  annuelle  de  ses  élèves,  audition  qui  a  prouvé,  une  fois 
de  plus,  toute  l'excellence  de  l'enseignement  du  professeur.  Plusieurs  jolis  chœurs, 
'parmi  lesquels  la  Fêle  de  Sila  de  M.  Lacome,  ont  été  parfaitement  chantés.  A  citer 
parmi  les  morceaux  de  piano  :  Balletiino  et  1'  Oiseau-Mouche  de  M.  Lacis,  qui  sont  de 
toutes  les  fêtes.  —  M1"  Joséphine  Martin  a  joué,  à  la  belle  soirée  qu'elle  a  donné 
chez  elle,  deux  de  ses  ravissantes  compositions,  V Aurore  et  Mazourka  pastorale. 
MIle  Léonie  a  supérieurement  chanté  la  Colombe  de  Membrée,  avec  accompagne- 
ment de  violoncelle.  Les  deux  sœurs  ont  été  acclamées.  Grand  succès  pour  les 
excellents  chanteurs,  MM.-  Paul   Seguy,  Lauwers,  Rondeau,  et  pour  M™1  Ferrari 
et  M.  White,  l'excellent  violoniste.  —  Très  intéressante  audition  d'élèves  donnée 
mardi  dernier  par  M""  Jenny    Howe   et  Sarah   Bonheur.    Bonnes  voix  bien    po- 
sées   et  diction   intelligente.  —   Dimanche  4  mai,  audition  des  élèves  du  cours 
de  W'  Jane  Béchet,  sous  lhabile  direction  de  M.  André   "Wormser.   Nous  cite- 
rons particulièrement  MllcB  Geors-ette  P.,  Madeleine  L.,  Suzanne  M.,  Pauline  J., 
qui  ont  joué  avec  un  style  parfait  et  une  remarquable  qualité  de  son.  Très  bonne 
exécution  du  Passepied   de  Delibes   et  de  Dansons   la    Tarentelle  de  Trojelli,  par 
M""  Juliette  et  Flore  H.  Grand  succès  également  pour  M""  Suzanne  C.,  Mar- 
guerite et  Geneviève  H.  —  Lundi  soir  5  mai  a  eu  lieu  à  la  salle  de  Géographie  le 
concert  annuel  de  M.  Frémaux,  de  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire.  Un 
trio  de  M.  Cabassol  pour  piano,  violon  et  violoncelle  (lre  audition),  une  berceuse  de 
M. Frémaux  (4° audition), laBohémienne  de  MUo  C.  Chaminade,  ont  permis  à  la  violo- 
niste Marie  Saintel  de  montrer  une  fois  de  plus  sa  grande  virtuosité,  son  brillant 
mécanisme  et  la  perfection   de  son   style.  —  Le   groupe  de  fillettes  que  nous 
avons  entendues  à  la  séance  d'élèves  de  M1"0  Edouard  Lyon  font   le  plus  grand 
honneur  à  l'enseignement  de  leur  distingué  professeur  de  piano.  Nous  citerons, 
comme  étant  douées  de  qualités  particulièrement  sérieuses,  Mllc9  IIortenseB.  (qui 
a  exécuté  les  variations,  op.  42,  de  Beethoven),  Lëa  K.  (Fantaisie,  de  M.Godard), 
Jenny  S.  (la  Paix,'àe  M.  Delibes),  Thérèse  M.  [valse  posthume  de  Chopin),  Alice  H., 
Marie  II.,  Hortense  et  Claire  B.  Des  intermèdes  d'un  haut  goût  artistique  étaient 
offerts  par  M"0  Jeanne  Lyon,  dont  la  superbe  voix  a  fait  sensation,  MUo  M.  de 
Lapeyrière,  qui  dit  la  poésie  à  ravir,  et  le  violoniste  Ed.  Nadaud.  —  Grand  succès 
au  concert  de  la  société  d'amateurs  la  Tarentelle  pour  M""-'  Cognault,  qui  a  chanté 
d'une  façon  magistrale  l'air  du  second  acte  d'Hamlet  et  la  valse  du  Pardon  de  Plocr- 
mel  ;  pour  M.   Dubulle,  qui    s'est  fait  vivement  applaudir,   et  pour  un  excellent 
violoniste,  M.  Cousin,  directeur  du  Conservatoire  de  Versailles.  L'orchestre  a  eu, 
lui  aussi,  sa  part  légitime   d'applaudissements.  —   «  Les  Mathurins  »  continuent 
bravement  et  victorieusement  la  campagne  qu'ils  ont  si  bien  commencée.  A  leur 
dernière  soirée,  ils  se  sont  offert  le  luxe  d'un  petit  orchestre  sous  la  direction 
sévère  de   il.   Lucien  Grus.    On   a  exécuté  avec  succès  une  Marche  guerrière  de 
M.  L.  Schlésinger,  d'un  sentiment  très  mâle,  plusieurs  petites  pièces  très  réussies 
de  M.  Marcel  Fournier,  parmi  lesquelles  une  pimpante  Séguedille  et  une  originale 
Marche  nègre,  et  des  morceaux  de  MM.  -Weckerlin,  Cieutat,  Elsen   et  Desormes. 
La  partie  lyrique  était  remplie  par  les  Maris  de  Juanita,   un  petit  opéra-comique 
de  MM.  Bouchard  et  Carré  fils,  pour  lequel  M.  Gaston  Lemaire  a  écrit  une  par- 
tition séduisante,  dans  laquelle  nous  avons  remarqué  une  romance  pour  baryton, 
un  trio  bien  conduit  et  une  valse  d'un  rythme  facile.  La  partie  dramatique  com- 
prenait un  gai  vaudeville  de  M.  L.  Pujol,  Chez  les  Frotlc-Mouillard,  un  petit  drame 
en  vers  sonores  et  d'un  bon  sentiment   seénique   de   M.   de  Lihus,  Honneur!  et 
une  piécette  en  vers  rieurs  et  spirituels  de  M.  Jules  Perrin,  le  Mariage  interrompu. 
Les  membres  du  cercle  se  sont  prodigués  la  soirée  entière,  ravissamment  soutenus 
par  M"01  d'Yeu,  Mario,  Pitter,  Camm,  Marmier,  Marcel,  la  plupart  élèves  du  Conser- 
vatoire. —  Le  concert  donné  jeudi  à  la  salle  Erard,  par  la  Société  chorale  d'amateurs 
(fondée   par  Guillot  de  Sainbris),   peut  compter   comme  une  nouvelle  victoire  à 
l'actif  de  cette  célèbre  et  laborieuse  institution  musicale.  La  composition  du  pro- 
gramme, où  se  reflétait  le  goût  raiïrué  des  organisateurs,    la  perfection   de  l'exé- 
cution, l'excellence  des  solistes,  tout  concourait  à  faire  de  cette  soirée  un  événe- 
ment artistique.  Le  défaut  de  place  ne  nous  permet  que  d'énumérer  les  principaux 
numéros  du  programme,  ceux  que  le  public  a  le  plus  particulièrement  applaudis: 
le  chœur  a  Retraites  secrètes...  »  de  l'oratorio  Salomon,  de  Ilaendel;  Notre-Dame 
au  peigne  d'or,  du  prince  de  Polignac,  avec  soli  par  M""  Marcella  Pregi;  la  scène 
lyrique  :  les  Lendemains  de  la  vie,  œuvre  de  M.  de  Boisdefïre,  couronnée  au  der- 
nier concours   de  la  Société   des   compositeurs  et  interprétée  par   M"°  Fanny 
Lépine.  M.  Marlapoura  et  les    chœurs;    la  scène   de   la  fonte  de  la  mer  d'airain 
dans  la  Heine  de  Saba,  de  M.  Gotinod,  supprimée  à -l'Opéra  à  cause  des  difficultés 
de  la  mise  en  scène  (soli  par  M""  L.  Menusier,  MM.  Gluck  et   Martapoura);   les 
fragments  de  'Adiré,  opéra  de  M.  Ch.  Lefebvre;   la  première  audition  de  Noce  en 
Finlande,  poésie  de  M.  Paul  Collin,  musique  de  M.  Edmond  Diet.  Le  finale  de  la 
Nativité,  de  M.  Henri  Maréchal,  terminait  le  concert,  que  M.  Matûn  a  dirigé  avec 
beaucoup   d'habileté,  —    Dimanche  11  mai,  très    intéressante    matinée  musicale, 
chez  M'""  Rosine  Laborde,  pour  la  troisième  audition  de  ses  élèves.  M"""  de  Gro- 
ville,   Pons,   Cornet,   Meignant  de  Marsilly,  Levy,  Boisgond,  Mareus,  de  la  Blan- 
chetais,  etc.,    se  sont  montrées  dignes   de    l'émineut    professeur  ;     M.   Charles 
Dancla,  professeur  au  Conservatoire,  M.  Brcmont,    le  remarquable   corniste   des 


concerts  du  Conservatoire,  M™"  Suffit,  pianiste,  avaient  prêté  leur  concours  à 
Mmc  Laborde.  M.  Leydstrom  a  obtenu  un  grand  succès  dans  un  air  de  Jocelyn, 
de  M  Godard,  et  dans  l'interprétation  de  divers  chants  suédois.  —  Beau  programme, 
superbe  exécution,  public  charmé,  tel  est  le  bilan  de  la  soirée  que  M""  Marie 
Rueff  nous  offrait  vendredi  à  la  salle  Pleyel.  M""  Rueil  a  été  fort  applaudie.  Très 
remarqué  aussi,  un  jeune  ténor  de  ses  élèves,  M.  Jules  Gogny,  du  théâtre  de  la 
Monnaie,  qui,  avec  M.  Dimitrr,  a  magnifiquement  interprété  le  Crucifix  de  Faure. 
—  Très  intéressante  audition  des  élèves  de  M.Louis  Diémer,  à  la  salle  Erard.  Belle 
poussée  déjeunes  artistes  pour  l'avenir.  C'étaient  Staud,  Bloch  et  Risler,  anciens 
premiers  prix,  Galand  et  Quévremont,  Pierret,  Baume  et  Catherine,  puis  le  jeune 
Bonnel,  très  intéressant,  Niederhoftreim,  Desespringalle,  Auher,  Blandin,  Morelos 
et  Leroux,  toute  la  lyre  enfin,  et  tout  l'espoir  de  la  belle  classe  de  M.  Diémer  au 
Conservatoire. 

NÉCROLOGIE 
Nous  avons  le  regret  d'annoncer  la  mort  de  M.  Arthur  Rousseau  de 
Beauplan,  ancien  chef  du  bureau  des  théâtres  au  ministère  de  l'inté- 
rieur, ancien  sous-directeur  des  beaux-arts.  M.  de  Beauplan  était  âgé 
de  66  ans,  et  non  de  60  ans,  comme  tous  nos  confrères  l'ont  dit  par 
erreur. 

—  M.  Paul-Victor  Martin,  artiste  fort  distingué,  ancien  premier  prix 
de  violon  dans  la  classe  d'Alard  au  Conservatoire,  professeur  au  Conser- 
vatoire de  Lille  et  fondateur  des  Concerts  populaires  de  cette  ville,  qu'il 
n'a  cessé  de  diriger,  est  mort  à  Lille  le  11  mai,  à  l'âge  de  57  ans. 

—  M.  Alex.  Guilmant  vient  d'avoir  la  douleur  de  perdre  son  père,  Jean- 
Baptiste  Guilmant,  mort  à  l'âge  de  quatre-vingt-dix-sept  ans  et  qui  fut 
organiste  pendant  cinquante  ans  à  l'église  Saint-Nicolas  de  Boulogne-sur- 
Mer,  où  il  jouissait  de  la  plus  haute  estime.  Musicien  de  grande  valeur, 
il  avait  fondé  les  principales  institutions  musicales  de  sa  ville  natale  et, 
après  la  grande  révolution,  alors  que  la  musique  d'église  était  tombée  en 
désuétude,  il  eut  le  mérite  de  fonder  une  maîtrise  qui  est  maintenant  une 
des  plus  célèbres  des  villes  du  Nord.  Son  initiative  et  sa  renommée  lui 
avaient  acquis  l'amitié  des  plus  grands  artistes,  entre  autres  de  Meyerbeer, 
qui  lui  faisait  de  fréquentes  visites. 

—  Les  journaux  italiens  nous  apportent  la  nouvelle  de  la  mort  de  deux 
artistes  qui  ont  joui  d'une  grande  renommée  et  qui  ont  fini  l'un  et  l'au- 
tre d'une  façon  lamentable.  Le  premier  est  le  grand  baryton  Giovanni 
Corsi,  dont  les  anciens  habitués  de  notre  Théâtre-Italien  n'ont  sans  doute 
pas  perdu  le  souvenir.  Né  en  1822  à  Vérone,  Corsi  se  consacra  à  la  car- 
rière lyrique  après  avoir  fait  d'excellents  études  littéraires  à  l'Université 
de  Padoue.  Il  débuta  en  18-44  au  théâtre  Be,  de  Milan,  où  son  succès  fut 
tel  qu'on  l'engagea  aussitôt  à  la  Scala;  il  ne  fit  pas  moins  de  dix-sept 
saisons  â  Milan,  dont  dix  à  ce  dernier  théâtre.  De  1836  à  1839  il  se  pro- 
duisit sur  notre  scène  italienne,  où  il  fut  très  apprécié,  non  seulement 
pour  son  grand  talent  de  chanteur  et  sa  vocalisation  brillante,  mais  aussi 
pour  ses  rares  et  solides  qualités  dramatiques,  après  quoi  il  retourna 
dans  sa  patrie.  H  brillait  surtout  dans  Rigolclto,  Maria  di  Rohan,  Mosè, 
Otello,  Poliuto,  i  Due  Foscari,  Béatrice  di  Tenda,  Luisa  Miller,  Lucrezia  Borgia, 
etc.  Une  maladie  de  la  voix  l'ayant  obligé  d'abandonner  la  scène,  il 
accepta  lss  offres  qui  lui  étaient  faites  de  se  rendre  à  Saint-Pétersbourg, 
où  il  devint  professeur  de  chant  au  Conservatoire.  Une  chute  malheu- 
reuse qu'il  fit  eut  les  suites  les  plus  fâcheuses:  la  gangrène  se  mit  à  un 
pied,  qu'il  fallut  lui  amputer.  Il  revint  alors  en  Italie  s'établir  dans  une 
villa  qu'il  possédait  à  Monza;  mais  sa  santé  était  détruite,  et  c'est  là  qu'il 
est  mort,  le  4  de  ce  mois,  à  l'âge  de  68  ans.  —  Le  ténor  Émilio  Naudin,' 
dont  la  famille  était  d'origine  française,  était  né  à  Parme  le  23  octobre 
1823.  Dès  ses  plus  jeunes  années  il  étudia  la  musique,  et  l'on  assure  qj'à 
l'âge  de  treize  ans  il  composa  un  hymne  à  la  Vierge  et  un  motif  pour 
litanie.  Toutefois,  destiné  aune  carrière  libérale,  il  fit  de  brillantes  études 
au  collège  Marie-Louise,  où  il  remporta  les  quatre  grandes  médailles  d'or 
et  d'argent  pour  les  sections  de  langues,  de  littérature,  de  physique  et  de 
mathématiques.  Cela  n'empêcha  point  l'amour  de  l'art  de  se  développer 
en  lui.  Doué  d'une  belle  voix  de  ténor,  il  se  rendit  â  Milan,  et  au  bout 
de  deux  années  d'études  avec  le  professeur  Panizza  il  fut  en  état  de  dé- 
buter vers  1845  à  Crémone,  où  dès  l'abord  il  fut  bien  accueilli.  Il  se  pro- 
duisit alors  successivement  dans  toutes  les  grandes  villes  de  l'Italie: 
Gènes,  Turin,  Florence,  Borne,  Venise,  Milan,  Bologne,  puis  à  l'étranger, 
et  obtint  de  véritables  triomphes  à  Vienne,  Londres,  Saint-Pétersbourg, 
Moscou,  Lisbonne,  Madrid,  Barcelone,  Berlin,  le  Caire...  C'est  en  1862 
qu'il  vint  à  notre  Théâtre-Italien,  où  il  se  fit  surtout  applaudir  dansLuciœ 
di  Lammennoori  Rigolelto,  Lucrezia  Borgia  et  le  Cosi  fan  lutte  de  Mozart,  et 
c'est  là  que  Meyerbeer  l'entendit  et  fut  charmé  de  sa  voix.  On  sait  que, 
par  son  testament,  le  martre  mit  pour  condition  à  la  représentation  de 
l'Africaine  que  Naudin  y  remplirait  le  rôle  de  Vasco  de  Gama,  qu'il  créa 
en  effet.  Mais  la  voix  de  gorge  du  chanteur  ne  convenait  que  médiocre- 
ment au  répertoire  français,  son  talent  de  comédien  était  absolument  nul, 
et  Naudin.  dont  le  traitement  annuel  était  de  '110,000  francs,  ne  resta  que 
deux  ans  à  l'Opéra.  Il  retourna  en  Italie,  où  il  se  fit  encore  beaucoup  ap- 
plaudir, entre  autres  dans  la  Juive  et,  chose  plus  singulière,  dans  Fra 
Diavolo.  Mais,  frappé  d'une  maladie  terrible,  atteint  d'une  paralysie  qui 
le  lit  tomber  presque  en  enfance,  Naudin,  inconscient  de  sa  propre  exis- 
tence, n'était  plus  que  l'ombre  de  lui-même  lorsqu'il  mourut  à  Bologne, 
dans  les  premiers  jours    de  ce  mois. 

Henri,  Heugel.  direcleur-gciant. 


UEMIXS  DE  FEH. 


BEnGÈRE,  *2f)     l'AUIS. 


3086  —  sa™  m:E  -  v  21. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 


Dimanche  25  Mai  1890. 


(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pus  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENES 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 
Un  an,  Texte  seul  :  lu  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  2u  l'r.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 
Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  3u  l'r.,   Paris  et   Province.  —  Pour  L'Éli'anger,   les  Irais  de  piste  en  s 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Noies  d'un  librettiste:  Georges  Bizet  (2'  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Semaine 
théâtrale  :  Sur  les  motifs  d'Ascanio,  Julien  Tiersot  ;  première  représentation  de 
une  Fi  mille,  à  la  Comédie-Française,  Paul-Émile  Chevalier.  —  III.  La  musique 
et  le  Iheâtre  au  Salon  des  Champs-Elysées  (2'  article),  Camille  Le  Senne.  — 
IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

L'OISEAU -MOUCHE 

■caprice,    de   Théodore    Lack.   —   Suivra    immédiatement:    Valse-sérénade, 

■d'A.NTONIN    MaRMOXTEL. 

CHANT 
Nous  publierons   dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant:  le  Sentier,    de   Louis  Diémer,  poésie   de   A.  de  Moxtferrier.  — 
Suivra  immédiatement:  Suzon,  chanson  de  Joanni  Perroxnet,  paroles  de 
Mme  A.  Perronxet. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


GEORGES   BIZET 


Le  poème  n'avait  pas  été  écrit  spécialement  pour  lui  et 
n'arriva  pas  tout  d'abord  entre  ses  mains.  J'en  avais  arrêté 
la  première  version  durant  l'été  de  1867,  en  m'inspirant  d'un 
souvenir  de  lecture:  —  un  livre,  un  bouquin,  dirais-je  vo- 
lontiers, car  c'était  un  vieux  livre,  du  xvnic  siècle,  un  recueil 
d'anecdotes,  lu  en  province,  tombé  sous  mes  yeux  par  hasard 
et  où  j'avais  trouvé  en  quelques  lignes  une  aventure  ana- 
logue à  celle  de  la  Namouria  d'Alfred  de  Musset.  Si  ce  conte 
charmant  n'est  pas  sorti  en  une  floraison  spontanée  de  l'es- 
prit du  poète  des  Nuits,  s'il  en  a  puisé  par  hasard  l'idée  à 
une  source  étrangère,  dans  le  fonds  que  j'indique,  par 
exemple,  il  serait  curieux  qu'un  bibliographe  retrouvât  un 
jour  et  nous  dit  le  titre  de  ce  recueil,  à  mon  grand  regret 
oublié,  et  dont  je  serais  bien  embarrassé  aujourd'hui  de  re- 
trouver la  trace,  dans  cette  bonne  et  vieille  maison  de  la 
campagne  dauphinoise  où  je  l'ai  autrefois  rapidement  feuilleté. 

Sous  le  titre  même  de  Namouna,  cet  acte  avait  été  d'abord 
confié  par  Camille  du  Locle  à  un  charmant  musicien  et  à  un 
aimable  homme,  naguère  son  collaborateur,  alors  que  se 
contentant  d'être  un  délicat  poêle,  peu  soucieux  encore  assu- 
rément des  charges  d'une  direction,  il  faisait  représenter  à 
l'Opéra  et  à  l'Opéra-Comique  divers  ouvrages  dont  fut  le  Don 
Carlos,  mis  en  musique  par  Verdi,  et  écrivait  ce  Sigurd  qui 
devait,  vingt  ans  plus  tard,  consacrer  la  réputation  musicale 
•d'Ernest  Reyer.  —  Ce  musicien  était  Jules  Duprato,   lauréat 


de  Rome,  d'où  il  avait  rapporté  la  partition  des  Trovatelles, 
dont  le  succès  si  vif  à  l'Opéra-Comique  lui  valut,  avec  la 
collaboration  de  Camille  du  Locle,  la  Déesse  et  le  Berger,  sur  le 
même  théâtre,  et  la  Fiancée  de  Corinthe  à  l'Opéra. 

Or,  Duprato  paressait  agréablement;  il  donnait  au  directeur 
et  à  l'auteur  de  bonnes  paroles,  sans  que  l'ouvrage  avançât 
réellement  d'une  note.  Quand  j'allais  le  voir,  et  que,  sans 
rigueur,  —  il  me  rendra  cette  justice,  si  jamais  ces  pages 
tombent  sous  ses  yeux,  —  je  lui  demandais  où  il  en  était,  il 
se  mettait  gravement  au  piano  et  me  jouait  un  délicieux  air 
de  danse,  une  mélopée  orientale  dite  par  le  chœur,  sur  ces 
vers  qu'on  retrouvera  dans  la  partition  de  Bizet  : 

Indolente, 

Grave  et.  lente 
Et  les  yeux  assoupis, 

Elle  pose 

Son  pied  rose 
Sur  les  fleurs  du  tapis. 

Et  comme  elle, 

Solennelle, 
La  musique  s'endort, 

Soupir  vague 

De  la  vague 
Baisant  le  sable  d'or. . . 

C'est  tout  ce  que  Duprato,  je  crois,  a  jamais  fait  de  Na~ 
mouna.  Sa  musique,  que  je  savais  par  cœur,  m'a  hanté  bien 
des  fois  en  entendant  celle  de  Bizet,  sur  ces  mêmes  paroles, 
l'une  me  gâtant  l'autre  et  réciproquement,  et  il  a  fini  par  s'en 
faire  dans  mon  cerveau  un  tel  amalgame,  que  je  crois  bien 
que  l'air  que  me  chante  encore  quelquefois  ma  mémoire  est 
une  troisième-  version,  monstrueux  accouplement  des  deux 
premières. 

Un  jour,  l'Opéra-Comique,  ayant  établi  le  programme  de  sa 
saison  et  comptant  y  voir  figurer  Namouna,  s'impatienta  sérieu- 
sement :  j'eus  mission  de  mettre  en  demeure  le  compositeur 
de  s'exécuter  ou  de  renoncer  à  l'œuvre.  Duprato  déclara 
qu'il  n'y  renoncerait  pas  ;  mais  il  ne  travailla  pas  davantage, 
et  il  fallut  un  jour  lui  dire  qu'on  ne  comptait  plus  sur  lui. 
Une  lettre  chargée  lui- notifia  cette  décision.  Ce  fut  un  gros 
ennui,  même  un  gros  chagrin  pour  nous  deux.  On  se  parla 
un  jour  d'un  air  pincé;  après  quoi  compositeur,  directeur  et 
auteur,  une  fois  l'incident  clos,  n'en  restèrent  pas  moins  bons 
amis. 

Ce  fut  ainsi  que  l'ouvrage  alla  de  Duprato  à  Ceorges 
Bizet,  qui  ne  s'est  peut-être  jamais  douté  de  toute  cette  di- 
plomatie. 

On  décida  alors    que  le   titre  du   poème  serait    changé    et 


462 


LE  MÉNESTREL 


que  Namoùna  ferait  son  entrée  dans  le  monde  sous  le  nom  de 
Djamileh.  Camille  du  Locle  fut  le  parrain  de  l'héroïne  et  lui 
choisit  ce  nom,  qu'il  avait  recueilli  au  cours  de  l'un  de  ses 
voyages  au  Caire,  où  se  trouva  dès  lors  tout  naturellement 
placé  le  lieu  de  l'action. 

Et  Bizet  se  mit  aussitôt  à  l'œuvre  avec  cette  ardeur,  cette 
conscience,  ce  scrupuleux  souci  de  bien  faire,  cette  sincé- 
rité si  rare,  qui  s'accusaient  dans  toutes  ses  conversations, 
comme  ils  s'affirmaient  dans  toutes  ses  lettres.  C'était  peu 
de  chose  sans  doute  que  ce  léger  ouvrage,  destiné  à  servir 
de  lever  de  rideau  à  la  Fille  du  régiment,  qu'on  jouait  alors 
beaucoup  ;  cela  paraîtrait  d'une  bien  plus  médiocre  impor- 
tance encore  aujourd'hui;  la  conception  et  l'exécution  n'en 
"furent  pas  moins  l'objet  de  préoccupations  aussi  constantes 
et  aussi  sérieuses  que  s'il  se  fût  agi  d'un  opéra  destiné  à 
remplir  toute   une  soirée. 

Tout  fut  écrit  ou  bien  peu  s'en  faut ,  au  Vésinet , 
rue  des  Cultures,  n°  8,  dans  une  petite  maison  rustique, 
cachée  au  fond  d'un  grand  jardin,  où  Bizet,  en  chapeau  de 
canotier,  en  veston  large,  se  promenait  avec  l'aisance  heu- 
reuse d'un  gentilhomme  campagnard,  fumant  sa  pipe,  devi- 
sant joyeusement  avec  ses  amis,  les  recevant  à  table  avec  sa 
bonhomie  toujours  un  peu  narquoise,  entre  sa  charmante  et 
toute  jeune  femme  et  son  père,  qui  était  alors  son  hôte  et 
jardinait  tout  le  long  du  jour  pour  se  délasser  de  la  fatigue 
des  leçons. 
11  me  souvient  d'une  journée  passée  là. 
On  était  encore  au  lendemain  de  la  guerre,  un  lendemain 
qui  durait  déjà  depuis  plus  d'un  an  et  n'avait  point  suffi  à 
effacer  les  traces  de  l'invasion.  Paris  avait  repris  sa  belle 
ceinture  verte;  mais  sous  cette  verdure  doucement  et  joyeu- 
sement réfléchie  dans  les  eaux  lentes  de  la  Seine  se  cachaient 
encore  bien  des  ruines.  On  n'allait  pas  auPecq  ou  au  Vésinet 
sans  quelque  embarras.  Bizet,  pour  m'épargner  tout  contre- 
temps, avait  pris  soin  de  venir  m'attendre  à  la  gare  de  Bueil, 
d'où  nous  gagnâmes  en  voiture  cette  petite  maison  où  il 
s'était  fixé  pour  la  saison. 

La  journée  fut  charmante,  et  Djamileh  fit  un  grand  pas  en 
cette  causerie  menée  a  travers  les  allées  du  jardin.  C'est 
pour  moi  la  caractéristique  du  tempérament  de  Bizet  que 
cette  habitude  de  traiter  ce  qui  l'intéressait  en  agissant,  en 
marchant.  Je  ne  me  souviens  pas  d'un  de  nos  entretiens 
importants  ayant  eu  lieu  autrement  qu'au  cours  d'une  flâ- 
nerie, au  grand  air,  ou  tout  au  moins  debout,  en  allant  et 
venant  dans  son  cabinet  de  travail.  On  en  conta  long,  cette 
après-midi-là,  et  sur  les  destinées  de  l'art  musical  déjà  in- 
fluencées par  la  doctrine  wagnérienne,  et  surtout  sur  l'accueil 
réservé  à  cette  Djamileh,  en  voie  d'éclosion,  et  par  le  public, 
et  par  la  direction  même  de  l'Opéra-Comique,  alors  partagée 
en  deux  courants  contraires,  le  courant  du  Locle  allant  vers 
l'avenir,  le  courant  de  Leuven,  son  associé,  remontant  à 
toute  force  vers  le  passé. 

Les  directeurs,  unis  d'abord  en  un  commun  témoignage 
de  sympathie  pour  Georges  Bizet,  ne  devaient  point  voir  en 
effet  l'œuvre  nouvelle  d'un  œil  également  favorable.  Elle 
n'avait  rien  pourtant  de  révolutionnaire,  cette  modeste  Dja- 
mileh; si  simple  qu'elle  fût  toutefois,  elle  n'était  plus  selon 
la  formule  du  genre  en  honneur  depuis  tant  d'années,  place 
Favart. 

Cela  n'allait  pas  sans  préoccuper  Georges  Bizet.  Nonobstant 
cette  préoccupation,  il  suivait  toujours  tranquillement  son 
chemin,  s'inquiétant  bien  plus  de  faire  ce  que  lui  dirait  son 
sens  artistique  que  d'éviter  ce  qui  pourrait  choquer  un 
public  généralement  hostile  aux  novateurs,  ce  public  qui, 
à  ce  moment-là  même,  dédaignait  Berlioz,  huait  Wagner, 
que  dix  ans  plus  tard  il  devait  acclamer,  aussi  inconscient, 
aussi  moutonnier  dans  le  dédain  que  dans  l'enthousiasme. 

A  l'Opéra-Comique,  ce  public  était  d'autant  plus  redou- 
table à  Bizet  qu'il  le  savait  composé   d'un  fond   d'abonnés, 


gens  très  doux  dans  le  commerce  de  la  vie,  mais  féroces- 
quand  il  s'agissait  d'une  dérogation  aux  règles  de  la  poétique 
locale. 


Le  soir,  Bizet  voulut  me  remettre  sur  le  chemin  de  Paris. 
—  Les  ponts  n'étaient  pas  encore  rétablis.  —  Nous  partîmes 
à  pied,  en  compagnie  de  Mme  Bizet,  pour  aller  chercher  le 
bateau  du  passeur.  Délicieuse  promenade  à  travers  les  îles, 
dans  la  tiédeur  du  couchant,  le  long  du  chemin  ds  halage, 
étroit,  envahi  par  les  herbes  hautes,  où  il  fallait  marcher  à 
la  file  indienne;  joyeux  devis,  souvent  traversés  de  quelque 
mélancolique  pensée,  de  quelque  poignant  souvenir,  éveillés 
par  l'éraflure  d'une  écorce  d'arbre,  blessure  encore  fraîche, 
éclat  d'obus,  coup  de  feu  perdu  dans  les  taillis.  On  parlait 
de  la  guerre,  de  toutes  ces  choses  récentes  et  si  doulou- 
reuses. Et  là-bas,  vers  la  droite,  par  delà  le  massif  du  mont 
Valérien,  la  main  s'étendait,  cherchant  à  désigner  le  point 
où  le  peintre  Henri  Regnault  est  tombé... 

Une  barque  nous  conduisit  jusqu'à  l'autre  rive.  A  l'extré- 
mité d'un  sentier  brillaient  les  lumières  de  la  gare.  Nous 
nous  quittâmes  là.  Je  ne  repris  plus  que  bien  longtemps 
après  le  chemin  des  rives  de  la  Seine  qui  menait  à  la 
résidence  d'été  de  Bizet.  D'aucune  de  mes  visites  je  n'ai 
gardé  un  souvenir  aussi  vif,  et  d'une  impression  aussi  heu- 
reuse, que  celui  de  cette  première  journée. 

Quelque  temps  après,  le  compositeur  m'annonçait  l'achè- 
vement de  Djamileh,  et  nous  touchions  à  ce  moment  où  elle 
allait  tenter  la  périlleuse  fortune  de  la  scène. 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


SUR  LES  MOTIFS  D'ASCAMO 
Il  n'y  a  pas  à  dire,  le  leit-motiv  est  à  la  mode.  On  en  découvre- 
partout,  même  où  il  n'y  en  a  pas.  Si  par  hasard  on  venait  nous 
faire  entendre  aujourd'hui  une  œuvre  lyrique  dépoudlée  de  cet  or- 
nement, il  ne  se  présenterait  évidemment  que  deux  alternatives  : 
ou  en  trouver,  quand  même,  ou  se  résigner  au  four,  le  noir  four. 
Le  leit-motiv,  ou  la  Mort  !  Comme,  dans  Ascanio,  il  y  a  positivement 
des  thèmes  qui  circulent  et  se  reproduisent  de  scène  en  scène,  les 
amateurs  du  genre  ont  été  contents,  car  il  y  avait  pour  eux  une 
ample  matière  à  dissertation  :  je  vous  assure  qu'ils  en  ont  abon- 
damment prolité.  Un  thème,  surtout,  a  intrigué  au  dernier  poiut  des 
personnes,  d'ailleurs  remplies  de  bonne  volonté,  mais  encore  peu  - 
expertes  à  ces  sortes  de  jeux  :  il  a  nom  motif  du  travail,  et  son  exis- 
tence ne  saurait  être  révoquée  en  doute,  même  par  les  plus  sceptiques, 
car  elle  a  été  bien  et  dûment  constatée  par  le  compositeur  lui- 
même,  ainsi  qu'en  fait  foi  une  lettre  écrite  par  lui  à  son  collabora- 
teur, datée  d'Alger,  17  novembre  1887,  et  publiée  dans  le  Figaro  du 
1S  mars  1890  : 

«  Ça  commence,  dit-il  en  parlant  de  la  première  scène  de  son  opéra, 
par  la  peinture  d'une  activité  dévorante  qui  se  calme  à  l'entrée  du 
héros.  Il  parle  sur  un  ton  demi-léger.  Quand  il  arrive  au  dessin  de 
Pagolo,  l'orchestre  joue  à  l'envers  le  motif  du  travail  pour  montrer 
que  Pagolo  a  travaillé  en  dépit  du  bon  sens.  C'est  drôle  comme 
tout.  » 

Cette  idée  de  motif  joué  à  l'envers  pour  exprimer  le  contraire  de 
ce  qu'il  avait  voulu  dire  à  l'état  direct  a  jeté  beaucoup  de  geus 
très  honorables  dans  une  stupéfaction  dont  je  me  refuse  à  sonder  les 
profondeurs,  bien  qu'il  ne  soit  peut-être  pas  très  difficile  d'en  don- 
ner une  idée,  ce  qui  pourrait  être  fait  par  quelques  citations  d'articles 
de  journaux.  Mais  si  partagées  que  soient  les  opinions  sur  ce  sujet 
aussi  délicat  que  considérable,  il  est  un  point  sur  lequel  elles  sem- 
blent se  rapprocher  au  point  de  se  confondre  :  c'est;  qu'on  n'a  pas 
trouvé  cela  drôle  du  tout.  Ce  en  quoi  je  suis,  du  moins  en  principe, 
d'un  avis  tout  contraire.  L'idée  en  elle-même,  encore  qu'un  peu  sub- 
tile, me  parait  en  effet  non  seulement  très  acceptable,  mais  ingé- 
nieuse et  même  comique.  Au  reste,  ce  serait  bien  à  tort  que  l'on 
verrait  dans  ce  motif  à  l'envers  une  innovation  de  toutes  pièces  do 
de  M.  Saint-Saéns  :  l'éminent,  compositeur  s'est  borné  à  une  simple 
application  d'un  procédé  de  contrepoint  très  ancien,  l'imitation  par 
mouvement  contraire.  Tous  les  élèves  d'harmonie  du  Conservatoire 


LE  MENESTREL 


163 


le  connaissent  et  le  pratiquent.  On  en  trouve  d'innombrables  exem- 
ples dans  Bach,  non  employés,  à  la  vérité,  avec  l'intention  expressive 
manifestée  par  M.  Saint-Saëns;  mais  je  serais  fort  surpris  si,  en 
•cherchant  bien  dans  la  tétralogie  des  Nibelungen  et  surtout  dans  les 
Maîtres  chanteurs,  l'on  ne  découvrait  pas  quelques  exemples  de  ces 
sortes  de  plaisanteries  scolasliques.  En  tout  cas,  je  sais  un  ouvrage 
français  où  le  motif  à  l'envers  a  été  employé  avec,  beaucoup  de  bon- 
heur et  d'à-propos,  et  dans  un  esprit  absolument  identique  à  celui 
de  la  première  scène  à'Ascanio  :  c'est  Kerim,  de  M.  Alfred  Bruneau, 
dont  le  succès  fut  compromis  imprudemment  dans  une  aventure  où 
tout  fut  perdu,  fers  l'honneur  —  je  parle  de  l'honneur  du  composi- 
teur, mais  non  de  celui  des  interpièles,  qui  furent  au-dessous  de  tout 
ce  qu'on  peut  lever  de  plus  mauvais  :  j'en  appelle  aux  souvenirs  de 
ceux  qui  ont  assisté  aux  deux  seules  représentations  de.  ce  remar- 
quable ouvrage  au  Châleau-d'Eau,  il  y  a  quelques  années.  Il  y  avait 
à  la  fin  du  second  acte  une  grande  scène  d'ensemble  commençant 
par  un  chœur  nuptial  dont  le  thème  était  une  mélodie  populaire  orien- 
tale assez  développée,  fort  originale  et  d'un  relief  très  accusé.  Après 
diverses  péripéties  qu'il  est  inutile  de  rappeler,  il  arrivait  qu'au  mo- 
ment décisif  tout  était  subitement  rompu.  Alors,  le  chœur  reprenait 
son  chant  nuptial,  mais,  pour  montrer  que  la  situation  était  retour- 
née, il  le  chantait  par  mouvement  contraire,  à  l'envers,  comme  dit 
M.  Saint-Saëns.  Gomme  le  thème  était  bien  rythmé  et  d'une  dimen- 
sion suffisante  pour  avoir  attiré  du  premier  coup  l'attention,  il  était 
facilement  reconnaissable  sous  sa  nouvelle  forme,  et  l'intention  amu- 
sante de  l'auteur  pouvait  apparaître  sans  difficultés  à  l'esprit  de 
l'auditeur  quelque  peu  au  courant  de  ces  sortes  de  procédés. 

Il  n'en  est  pas  absolument  de  même  avec  Ascanio.  D'abord  l'oppo- 
sition qu'avait  voulu  indiquer  M.  Saint-Saëns  se  trouve  exprimée 
d'une  façon  différente  et  beaucoup  plus  claire  par  un  thème  qui, 
exposé  en  mesure  à  quatre  temps,  noblement,  avec  calme,  à  l'en- 
trée de  Benvenulo  et  pendant  tout  le  temps  que  celui-ci  examine 
le  travail  d'Ascanio,  se  transforme  dès  que  le  personnage  de  Pagolo 
intervient,  passe  à  six-huit  dans  un  mouvement  plus  rapide,  et  prend 
un  aspect  sec  et  saccadé  :  l'idée  se  trouve  ainsi  traduite  très  exac- 
tement, mais  sans  «  motif  à  l'envers  ».  Ce  motif  existe,  cèpe ndanl,  mais 
il  est  tout  à  fait  de  second  plan:  ce  sonteinq  notes  entendues  seulement 
(si  tant  est  qu'on  les  ait  entendues)  dans  le  brouhaha  du  lever  du 
rideau,  puis  une  seconde  fois  au  début  de  la  scène,  et  qui,  au  mo- 
ment voulu,  de  ré  la  ré  fa  la  (qui  signifie  :  travail  bien  fail),  devien- 
nent ré  la  ré  si  sol  (représentant  le  mauvais  travail).  Notons  d'ailleurs 
que  l'imitation  n'est  pas  exacte  :  elle  devait  commencer  par  ré  sol  ré. 
Au  fait,  c'est  peut-être  pour  indiquer  que  le  travail  de  Pagolo  est 
incorrect.  Vous  voyez  que  je  ne  demande  pas  mieux  que  d'entrer  le 
plus  possible  dans  l'esprit  de  la  chose.  Enfin,  il  y  a  de  quoi  con- 
tenter tout  le  monde  :  le  «  motif  à  l'envers  »  n'est  pas  un  mythe, 
«'est  entendu;  d'autre  part,  étant  assez  insignifiant  et  insuffisamment 
entendu  au  préalable,  il  est  impossible  de  le  reconnaître  sans  une 
attention  toute  spéciale,  d'autant  que  la  même  idée  est  exprimée  en 
même  temps,  et  mieux  exprimée,  par  un  autre  motif.  Consolez-vous 
donc,  ô  amateurs  angoissés  qui  n'avez  pu  découvrir  le  «  motif  à 
l'envers  »  :  vous  avez  droit  au  moins  aux  circonstances  atté- 
nuantes. 

Je  n'ai  pas  l'intention  de  me  livrer  ici  à  une  étude  de  tous  les 
leit-molifs  à'Ascanio.  D'abord  cela  pourrait  être  un  peu  long,  si  l'on 
en  juge  par  les  dimensions  du  commentaire  des  notes  ré  la  ré  fa  la 
ci-dessus;  et  puis  ce  serait  un  travail  critique  que  je  n'ai  point  à 
entreprendre.  Je  voudrais  seulement  attirer  l'attention  sur  l'origine 
■de  quelques  autres  thèmes,  qui  ne  sont  pas  des  leit-molifs,  mais  qui 
ont  pour  effet  de  donner  une  couleur  et  un  caractère  spécial  à  cer- 
taines parties  de  l'œuvre. 

L'on  sait  que  M.  Saint-Saëns  (on  ne  saurait  trop  l'en  féliciter), 
attache  une  importance  très  grande  à  l'exactitude  de  la  couleur 
extérieure,  dans  ses  œuvres  théâtrales.  Dans  Henry  VIII,  on  retrou- 
vait par  endroits,  et  cela  non  seulement  dans  le  ballet  et  les  scènes 
épisodiques,  mais  même  dans  les  situations  les  plus  intimes  du 
drame,  des  formules  mélodiques  ou  harmoniques  empruntées  aux 
compositeurs  anglais  du  temps  de  la  reine  Elisabeth,  mémo  anté- 
rieurs :  piècQS  de  clavecin  ou  de  virginale,  airs  de  danse  à  l'allure 
noble  et  sérieuse  de  William  ByrJ.  le  Dr  Bull,  Tallis,  Orlando 
Gibbons,  etc.  Je  sais  des  gens  qui  le  blâment  de  ces  emprunts  :  je 
ne  puis,  pour  ma  part,  que  l'en  louer  hautement.  C'est  le  droit, 
c'est  le  devoir  du  musicien  tout  aussi  bien  que  du  peintre  ou  de 
l'écrivain  de  s'inspirer  de  documents  de  l'époque  qu'il  traite,  et 
c'est  faire  acte  d'une  rare  conscience  artistique  que  de  remonter 
aux  sources  authentiques  et  véritablement  sérieuses,  sans  se  borner 
aux  vagues  indications  qui  suffisent  aux  vulgaires  faiseurs  de  pas- 


tiches. Quant  à  la  niaise  et  enfantine  accusation  de  plagiat,  très 
à  la  mode  encore,  et  qu'une  foule  d'amateurs,  chercheurs  de  rémi- 
niscences, coupeurs  de  quadruples  croches  en  quatre,  n'épargnent 
pas  aux  plus  grands  maîtres,  je  ne  m'y  arrête  même  pas  :  ces 
emprunts  de  quelques  notes,  un  rythme,  une  formule  harmonique 
ou  mélodique,  sont  généralement  fort  peu  de  chose,  et  pourraient 
être  remplacés  sans  peine  par  des  éléments  d'égale  valeur;  ils  ne 
prennent  place  définitivement  dans  une  œuvre  qu'après  que  l'au- 
teur se  les  est  assimilés  par  un  travail  personnel;  enlin,  dans  le 
cas  qui  nous  occupe  (comme  dans  tous  les  cas  analogues),  ils  sont 
pratiqués  au  vu  et  au  su  de  tout  le  monde.  M.  Saint-Saëns  n'ignore 
pas  les  progrès  faits  de  nos  jours  par  l'érudition  musicale,  et  il  ne 
cherche  aucunement  à  puiser  à  des  sources  inconnues.  Cela  est  si 
vrai  qu'il  avait  voulu  d'abord  faire  chanter  à  Scozzone,  dans  la 
scène  de  l'atelier,  au  deuxième  acte,  le  madrigal  de  Paleslrina  : 
Alla  riva  del  Tibro,  la  plus  célèbre  de  toutes  les  compositions  pro- 
fanes de  l'auteur  de  la  Messe  du  Pape  Marcel.  A  un  certain  point  de 
vue,  je  regrette  qu'il  n'ait  pas  donné  suite  à  cette  idée,  car  il  eût 
été  curieux  de  voir  quel  parti  il  aurait  tiré  de  ce  morceau,  modèle 
de  pureté  et  d'élégance  harmonique,  mais  où  l'élément  mélodique 
fait  complètement  défaut  :  pour  faire  chanter  par  une  voix  seule 
ce  chef-d'œuvre  de  polyphonie,  le  compositeur  moderne  aurait  dû 
certainement  lui  faire  subir  un  nouveau  traitement  musical  qu'il 
eût  été  évidemment  intéressant  d'étudier.  Mais,  soit  qu'il  ait  été 
arrêté  précisément  par  la  crainte  de  loucher  à  Palestrina,  soit  qu'il 
ait  préféré  un  rythme  plus  vif  et  un  chant  plus  gai,  peut-être  aussi 
considérant  que  Palestrina,  né  un  quart  de  siècle  environ  après 
Benvenuto  Cellini,  avait  quinze  ans  à  peine  à  l'époque  où  se  place 
l'action  d'Ascanio,  et  n'avait  par  conséquent  rien  produit  encore, 
M.  Saint-Saëns  a  remplacé  le  madrigal  par  une  chanson  à  six-huit, 
rythmée  à  la  façon  des  modernes  chansons  napolitaines,  et  qui, 
sur  la  partition,  est  précédée  de  cette  mention  :  «  D'après  une 
chanson  du  xvie  siècle.  »  De  quel  livre  est  tiré  l'original  imité 
par  l'auteur  à'Ascanio,  c'est  ce  que  j'ignore  :  sans  doute  de  quelque 
vieux  recueil  de  Frottole  ou  de  Canzone  alla  napolitana,  à  trois  ou 
quatre  voix,  dont  les  plus  anciens  furent  imprimés  à  Venise 
au  commencement  du  xvic  siècle,  ou  bien  d'un  livre  de  chansons 
pour  le  luth,  genre  très  à  la  mode  à  cette  époque  et  dès  longtemps 
auparavant,  mais  dont  les  vestiges  authentiques  sont  de  la  plus 
grande  rareté.  En  tout  cas,  il  apparaît,  à  la  simple  lecture  de  la 
chanson  de  Scozzone,  que  les  emprunts  de  M.  Saint-Saëns  se  bor- 
nent uniquement  à  quelques  rythmes  notés  à  la  manière  moderne 
et  très  accélérés,  peut-être  aussi  à  quelques  détails  de  tonalité, 
comme  dans  la  phrase  de  début  :  «  Fiorentinelle!  Ah!  qui  m'ap- 
pelle ?  »  où  le  si  bémol  (en  ut  majeur)  donne  à  l'attaque  de  la 
mélodie  un  aspect  de  septième  ton  du  plain-ehant  très  archaïque  ; 
enfin,  le  refrain  :  Bella,  bella  Fiorentina,  peut  avoir  aussi  conservé 
quelque  chose  des  formes  musicales  du  xvi°  siècle.  Mais  tout  le 
développement  du  morceau,  avec  ses  cadences  et  modulations  va- 
riées, est  évidemment  moderne  :  l'ensemble  forme  un  compromis 
entre  les  anciennes  chansons,  lourdement  notées,  et  les  vives 
chansons  populaires  de  l'Italie  de  nos  jours,  et  l'influence  de  ces 
dernières  n'est  pas  la  moindre. 

Une  tendance  analogue  se  manifeste  dans  deux  autres  morceaux 
vocaux  :  d'abord  le  chant  de  provocation  d'Ascanio  devant  le  grand 
Nesle  :  De  par  le  Roi,  avec  sa  ligne  mélodique  franche  et  nette, 
comme  dans  nos  chansons  de  plein  air;  puis  la  gracieuse  et  mélan- 
colique chanson  de  Colombe:  Mon  cœur  est  sous  la  pierre,  dont  la 
coupe  rythmique  a  la  liberté  propre  au  chant  populaire,  en  même 
temps  que  la  mélodie,  en  mineur  avec  le  septième  degré  naturel, 
lui  emprunte  un  de  ses  modes  les  plus  earacléristiques.  Ces  deux 
mélopées  sont  écrites  sans  aucune  harmonisation.  Mais,  dans  l'une 
comme  dans  l'autre,  le  compositeur  s'est  borné  à  s'approprier  des 
formes  usuelles  dans  tout  le  répertoire  de  la  chanson  française,  sans 
imiter  spécialement  aucun  modèle  déterminé. 

C'est  dans  le  ballet  d'Ascanio  que  se  retrouve  le  plus  la  couleur 
du  xvie  siècle  :  cela  d'ailleurs  non  d'un  bout  à  l'autre.  En  effet, 
malgré  le  parti  pris  d'archaïsme  attribué  à  cette  partie  de  l'œuvre, 
la  musique  ne  pouvait  évidemment  pas  se  tenir  dans  l'imitation 
constante  des  airs  de  danse  du  xvie  siècle,  tous  très  lourds  et  abso- 
lument privés  d'entrain  et  de  mouvement.  Aussi  peut-on  poser  en 
principe  que  toutes  les  danses  vives  sont  de  la  composition  de 
M.  Saint-Saëns.  Parmi  les  autres,  quelques-unes  sont  des  pastiches, 
imitant  les  formes  et  les  rythmes  anciens  ,  mais  introduisant 
quelque  chose  de  piquant  et  d'imprévu  qu'on  ne  trouverait  jamais 
dans  la  musique  authentique  du  xvr3  siècle.  Parfois  même  ces  mor- 
ceaux  semblent   avoir   pris    îles   modèles  moins  anciens  :   ainsi  le 


164 


LE  MENESTREL 


commencement  ci;  l'acte  de  Fontainebleau,  avec  son  majestueux 
unisson  du  quatuor  coupé  d'accords  des  trompettes,  puis  des  vois, 
rappellerait  plutôt  Haendel.  Mais  du  moment  que  l'impression  est 
juste,  nous  n'en  sommes  pas  à  deux  siècles  près. 

Un  morceau  entièrement  fait  sur  un  thème  du  xvie  siècle,  c'est  le 
n°  S  du  ballet  :  a  Apparition  de  Phœbus-Apollo  et  des  neuf  Muses.  » 
Ce  thème  est  un  air  de  basse-dame  noté  dans  l'Orchésographie,  traité 
de  danse  du  xvie  siècle  (1SS9),  non  moins  célèbre  que  rare,  et  dans 
lequel  on  trouve,  avec  la  théorie  de  la  danse  de  ce  temps-làj  un 
certain  nombre  d'airs  à  danser  vocaux  et  instrumentaux  :  celui-ci  est 
une  transcription,  arrangée  en  vue  de  la  danse,  avec  accompagnement 
continu  de  tambour  ou  tambourin,  de  la  chanson  de  Clément  Marot, 
Jouissance  vous  donnerai,  citée  par  Rabelais  dans  son  énumération  des 
chansons  à  danser  du  cinquième  livre  de  Pantagruel,  mise  en  parties 
par  plusieurs  compositeurs  du  xvr3  siècle,  et  dont  nous  trouvons 
déjà  une  première  forme  mélodique,  plus  lente  et  nullement  appro- 
priée à  la  danse,  dans  un  des  livres  de  chansons  d'Attaignant  publiés 
à  Paris  en  1331.  Ces  deux  formes  de  la  chanson  ont  été  reproduites 
assez  récemment  dans  un  livre  que  ma  modestie  «  bien  connue  » 
m'empêche  de  désigner  plus  exactement.  M.  Saint-Saëns  a  repris 
textuellement  la  version  de  YOrchésograpkie,  avec  tout  son  développe- 
ment, y  compris  même  la  petite  variation,  très  élémentaire,  du  second 
couplet;  chantée  par  les  violoncelles  et  accompagnée  par  les  instru- 
ments les  plus  doux  de  l'orchestre  (harpes  et  flûtes  dominent,  si  j'ai 
bonne  souvenance),  elle  est  d'un  effet  charmant.  Voilà,  après  un 
siècle  de  popularité  et  trois  d'oubli,  une  nouvelle  fortune,  et  bien 
imprévue,  qui  survient  pour  la  vieille  chanson  de  Marot! 

Le  ballet  n°  3  :  «  Diane,  Dryades  et  Naïades,  »  nous  révèle  un 
procédé  nouveau  et  fort  intéressant,  et  mérite  d'être  analysé  de  très 
près.  Ici,  plus  de  motif  extrait  d'un  vieux  bouquin  et  purement  et 
simplement  replacé  dans  l'œuvre  moderne  avec  les  ornements  né- 
cessaires, mais  une  série  de  petites  formules  mélodiques  et  harmo- 
niques mises  bout  à  bout,  une  mesure  par-ci,  une  cadence  par-là,  et 
formant  par  leur  réunion  un  morceau  nouveau  et  très  homogène.  Ou- 
vrez la  partition  du  Ballet  de  la  Rogne  (1382),  et,  dans  le  premier  ballet 
instrumental,  vous  trouverez,  épars  et  délayés  au  milieu  d'un  fatras 
de  notes,  tous  les  éléments  dont  M.  Saint-Saëns  a  formé  son  pastiche^ 
très  habilement  réussi,  Le  retour  fréquent  des  cadences  au  relatif 
mineur  ou  au  second  degré,  et  l'absence  absolue  de  toute  cadence 
à  la  dominante  qui  pourrait  donner  une  impression  de  tonalité  mo- 
derne, ne  contribuent  pas  peu  à  l'exactitude  de  la  leconslitution  : 
seul,  un  dessin  plus  moderne  vient,  dans  une  période  intermé- 
diaire, relier  deux  fragments  anciens,  mais  il  se  fond  très  bien  dans 
l'ensemble,  qui  est  d'un  travail  infiniment  curieux. 

Le  dernier  morceau  du  ballet  :  «  Apothéose  ».  est  fait  d'après  le 
même  procédé.  Bien  que  les  trompettes  s'y  fassent  entendre,  la 
sonorité  des  instruments  à  cordes  y  domine  ':  lourds  accords  note 
contre  note,  formules  rythmiques,  cadences  au  relatif  mineur  basses 
procédant  par  grands  intervalles  diatoniques,  nombreuses  cadences 
plagales,  tous  les  procédés  harmoniques  du  xvi°  siècle  y  sont  em- 
ployés. 

Une  œuvre  ainsi  conçue  est  donc  du  ressort  de  l'érudition  aussi 
bien  que  de  la  critique  pure  :  elle  est  doublement  intéressante  com- 
portant à  la  fois  l'élément  artistique  et  historique  ou  archéologique 
Déjà,  au  lendemain  de  la  première  d'Ascanio,  un  de  nos  plus  savants 
confrères  nous  donnait,  sur  la  topographie  du  grand  Nesle  et  du 
couvent  des  Qrands-Augustins,  des  renseignements  qui  ont  intéressé 
vivement  les  personnes  habitant  ce  quartier  :  l'on  a  vu  par  cet 
article  que  l'histoire  de  la  musique  y  trouve  aussi  son  compte 
Voila,  certes,  une  façon  assez  imprévue,  instructive  un  tout  cas 
d'apprécier  les  opéras,  et  un  nouveau  chapitre  à  ajouter  aux  cha' 
pitres  innombrables  des  considérations,  toujours  renaissantes,  sur 
1  Utilité  des  Spectacles/  T.,,,-».  m 


Julien  Tiersot. 


^Comédie-Française.    -   Une  Famille,  comédie  en  quatre  actes   de 
M.  Henri  Lavedan. 

Quelques  nouvelles,  je  n'ose  dire  romans,  éparses  çà  et  là  dans 
des  revues,  des  chroniques  légères  signées  d'un  pseudonyme  dans 
la  Vie  parisienne,  des  articles  plus  sérieux  au  Figaro  et  une  tenta 
live  toute  mince  et  assez  insignifiante  au  Théâtre-Libre,  tel  était  le 
bagage  littéraire  do  M.  Henri  Lavedan,  lorsque,  pour  son  vrai 
début,  il  ne  recula  pas  devant  l'idée  de  faire  représenter  quatre 
actes  a  la  Comédie-Française.  Son  audace  lui  a  réussi,  et  tenez 
pour  certain  qu'il  n'en  restera  pas  là  et  que,  dans  un  avenir  très 
prochain,  a  en  juger  par  les  promesses  contenues  dans  cette  pre 
miere  tentative,  il  prendra,  parmi  nos  auteurs  dramatiques  une 
place  enviable,  sinon  tout  à  fait  supérieure. 


Ce  petit  préambule  très  sincère  me  permettra  de  dire,  avec  au- 
tant de  sincérité,  ce  que  je  pense  de  la  nouvelle  pièce  et,  si  j'en 
loue  grandement  les  immenses  qualités,  me  donnera  le  droit  d'en 
blâmer  aussi  franchement  les  erreurs.  Une  Famille  avait  été  annoncée 
et  même  répétée  sous  le  titre  beaucoup  plus  précis  de  Deux  Belles- 
Filles,  et  cette  indécision  dans  le  choix  du  titrj  doit  être  absolument 
l'image  de  l'incertitude  avec  laquelle  l'auteur  a  composé  son  œuvre. 
C'est,  qu'en  effet,  il  y  a  deux  pièces  dans  une  Famille,  et  deux  pièces 
qui  se  disputent  la  place  prépondérante.  Un  drame  intime  d'abord  : 
la  rivalité  et  la  jalousie  de  deux  jeunes  femmes  dont  l'une,  Jeanne 
Le  Brissard,  fille  du  commandaut  Chalus,  veuf  récemment  remarié, 
se  sent  privée  peu  à  peu  de  l'affection  de  son  père  et  voit  s'effacer 
complètement  le  souvenir  pieux  de  sa  mère  morte  ;  l'autre,  Marie 
Ferai,  entrée  par  hasard  dans  une  famille  dont  une  partie  lui  garde 
rancune  d'avoir  usurpé  une  place  qu'elle  n'avait  nullement  con- 
voitée. Une  comédie  très  moderne  ensuite  :  celle  qui  nous  fait 
étudier  le  caractère  pris  sur  le  vif  du  parisien  Le  Brissard  et  nous 
fait  assister  à  l'intrigue  amoureuse  qu'il  ébauche  avec  sa  belle- 
mère.  Nous  serions  fort  étonné  si,  dans  l'esprit  de  M.  Lavedan,  ce 
n'était  pas  le  drame  qui  devait  attirer  de  préférence  l'attention  du 
spectateur,  ne  laissant  à  la  comédie  qu'un  rôle  épisodique.  Mais  le 
spectateur  en  a  jugé  autrement,  non,  cependant,  sans  quelques 
hésitations,  et  ce  sont  précisément  ces  hésitations,  créées  par  l'au- 
teur, qui  constituent  le  défaut  capital  de  la  pièce,  et,  si  vous 
ajoutez  à  cela  que  la  partie  dramatique  est  assez  pauvrement  traitée, 
vous  comprendrez  combien  nous  regrettons  que  M.  Lavedan  n'ait 
pas  saisi  quel  intérêt  il  avait  à  sacrifier  toute  une  partie  maus- 
sade pour  donner  plus  de  développements  à  une  comédie  de  caractères 
se  dessinant  absolument  remarquable  et  se  posant  heureusement 
neuve  en  sa  hardiesse  de  bon  ton.  Car  elles  sont  charmantes,  toutes 
les  scènes  où  paraît  ce  clubman  d'une  correction  bien  à  lui,  spiri- 
tuel à  la  manière  des  salons  élégants,  fat,  écervelé  et  toujours 
presque  impertinent  avec  son  scepticisme  bien  moderne.  Ce  sont 
elles  qui,  avec  un  premier  acte  réussi  de  tous  points  et  une  inter- 
prétation digne  de  la  Comédie-Française,  ont  décidé  d'un  succès- 
presque  compromis  par  des  fautes  faciles  à  éviter. 

M.  Le  Bargy  a  supérieurement  composé  le  personnage  complexe 
de  Le  Brissard;  il  est  impossible  de  s'y  montrer  plus  adroit,  plus 
fin,  plus  parisien  et  même  plus  sympathique  dans  ce  rôle  qui  ne  lui 
attirera  pourtant  pas  toutes  les  sympathies  des  dames.  M'"e  Pierson  a 
partagé,  avec  lui,  les  nombreux  applaudissements  de  la  soirée  en 
nous  donnant  une  M'"e  Cbalus  très  personnelle  et  très  spirituelle. 
Mllc  Bartet  prête  sa  distinction  et  son  organe  merveilleux  à  Mme  Le 
Brissard;  Mme  Baretla  reste  aimable  dans  un  rôle  trop  dramatique 
pour  elle,  et  Mllc  Marsy  élégante  dans  un  mauvais  rôle  de  traîtresse 
de  mélodrame.  MM.  de  Féraudy,  Laroche  et  A.  Lambert  fils  sont 
excellents  dans  des  personnages  écourtés  ou  inutiles. 

Paul-Émile  Chevalier. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THEATRE 

AU    SALON    DES    CHAMPS-ELYSÉES 


(Deuxième  article.) 

Plus  les  artistes  se  multiplient,  plus  la  production  s'exagère,  et 
moins  la  peinture  garde  ces  catégories  précises,  ces  divisions  tran- 
chées qui  faisaient  jadis  la  fortune  et  la  sécurité  des  spécialistes.  On 
rencontre  au  Palais  de  l'Industrie  une  série  de  toiles  qui  ne  sont  à 
proprement  parler  ni  du  Genre  ni  de  l'Histoire  mais  quelque  chose 
de  très  particulier,  de  très  moderne  et  de  fort  complexe,  rentrant  par 
là  même  dans  l'ensemble  des  œuvres  dont  nous  poursuivons  l'exa- 
men sous  cette  rubrique  musicale  et  théâtrale  :  des  tableaux  de 
mise  en  scène.  Est-ce  autre  chose  qu'une  mise  en  scène  de  cin- 
quième acte,  qu'un  décor  de  «  grand  spectacle  »  pour  quelque  drame 
pseudo-historique  genre  Tliéodora,  cette  «  course  romaine  »  de 
M.  Cheea,  un  des  envois  les  plus  curieux  et  les  plus  regardés  du 
Salon  des  Artistes  libres.  Un  merveilleux  hippodrome,  meublé  et 
peuplé  à  souhait  pour  le  plaisir  des  yeux;  au  fond,  sur  les  gradins, 
la  populace  ;  plus  près,  au-dessus  de  la  borue  fatale,  le  Tout-Rome 
sélect,  la  fashion,  le  gratin  des  chevaliers  et  des  belles  patriciennes. 
Les  quadriges  roulent  sur  la  piste:  un  char  est  renversé;  uu  autre 
va  se  briser  sur  cet  obstacle  infranchissable.  Le  cocher  du  troisième 
char,  qui  dessine  un  mouvement  tournant,  gagnera  «  comme  il  aura 
voulu  ».  Et  là-bas,  dans  la  pénombre  des  portiques,  ou  devine  le 
frémissement,   on  entend  les  clameurs  des  parieurs  à  la  cote  euri- 


LE  MENESTREL 


4  Go 


chis  ou  ralissés  par  ce  coup  du  sorl.  Il  y  a  là,  noyés  malheureuse- 
ment dans  une  tonalité  savonneuse,  à  la  Flameng,  des  qualités 
d'exécution,  une  vie  furieuse,  un  diable-au-corps  qui  donnent  l'il- 
lusion d'une  belle  fin  d'acte,  réglée  par  un  régisseur  qui  manierait 
comme  de  simples  ficelles  les  plus  gros  câbles  de  son  métier.  Les 
chevaux  piétinenl,  les  comparses  hurlent,  les  enfants  s'épouvanteut, 
le  public  applaudit.  Au  rideau! 

Voulez-vous  de  la  mise  en  scène  encore  historique,  mais  sans  évo- 
cation de  monde  romain  ?  Voici  «  Moustache  »,  un  tableau  de 
M.  Alexandre  Bloch  que  je  ne  saurais  trop  recommander  aux  con- 
fectionneurs de  drames  patriotiques.  Nous  ne  sommes  plus  au  cirque 
Flavien,  mais  à  l'ancien  cirque  du  boulevard  du  Temple.  «  A  la 
bataille  d'Austerlitz,  raconte  le  lieutenant  Jupin  dans  son  Histoire 
des  chiens  militaires  (?),  le  porte-étendard  venait  de  tomber  trappe  à 
mort;  le  chien  Moustache  saisit  avec  ses  dents  le  glorieux  haillon 
couvert  de  sang,  l'arrache  des  mains  d'un  Autrichien  qui  s'en  était 
déjà  emparé  et  le  rapporte  à  la  compagnie.  Moustache  fut  décoré  (!) 
par  le  maréchal  Lannes  ».  Vous  figurez-vous  l'effet  de  ce  Mous- 
tache rapportant  dans  sa  gueule  le  «  glorieux  haillon  »  en  quelque 
pantomime  de  l'un  des  nombreux  cirques  qui  ont  gardé  tout  ou  par- 
tie des  anciennes  traditions  ? 

Autre  échantillon:  la  note  tragico-comique  (le  genre  se  perd, 
heureusement,  mais  on  ne  saurait  reprocher  à  M.  Louis  Baader 
cette  tentative  de  résurrection,  car  il  est  d'une  évidente,  d'une  aveu- 
glante bonne  foi):  «  la  Fin  d'un  Célibataire  ».  Le  pauvre  vieux  garçon 
expire  dans  un  appartement  d'ailleurs  confortable.  Il  avait  trop 
bien  diné  au  cercle  et  là-dessus  il  a  attrapé  la  forte  culotte  du 
bac  ou  du  pocker.  Une  congestion  l'a  foudroyé  et  déjà  la  femme 
de  ménage  tend  le  trousseau  de  clefs  ramassé  sous  l'oreiller  à  un 
Alphonse  de  barrière  embusqué  derrière  la  porte.  Moralité  :  Mariez- 
vous  pendant  qu'il  est  temps  encore,  ou  si  vous  restez  célibataires, 
allez  mourir  à  l'hôtel.  (N.  B.  —  Le  même  enseignement  ou  du 
moins  la  seconde  variante  de  la  morale,  peut  s'appliquer  aux 
séparés,  aux  divorcés  et  aux  veufs.) 

Suite  du  même.  M.  E.  Chaperon,  l'auteur  de  «  l'Abandonnée  », 
travaille  dans  le  mélodrame  pour  cour  d'assises.  L'abandonnée  a 
étranglé  l'enfant  —  pour  ne  rien  garder  de  celui  qui  l'a  si  vilaine- 
ment trahie  —  brisé  le  berceau,  et  déchiré  sa  propre  chemise.  Elle 
sera  acquittée  haut  la  main  par  un  jury  propice  aux  crimes  pas- 
sionnels. Voulez-vous  maintenant  de  petites  scènes  d'opéra-comique 
ancien  genre.  Voici  les  tableautins  délicatement  fignolés  de 
M.  Georges  Caïn,  «  la  Nouvelle  Servante  »  d'où  venez-vous,  ma 
chère...  —  j'arrive  du  pays...  et  «  une  Noce  sous  le  Directoire  ». 
MUe  Mélanie  Besson  travaille  à  des  scènes  plus  modernes  bien  que 
déjà  un  peu  vieillies  «  Melpomène  chez  la  portière  »  une  apprentie 
Rachel  étudiant  son  morceau  de  concours  dans  la  loge  maternelle. - 
Spécimen  de  gros  anecdotisme;  pas  de  style,  mais  une  certaine 
habileté.  Voulez-vous  une  scène  biblique,  mais  d'un  hiblisme  mis 
au  point  du  Moulin-Rouge  :  voici  la  «  Suzanne  »  de  M.  Brouillet. 
Elle  est  assise  entre  les  deux  vieillards  légendaires,  cette  Suzanne 
aux  robustes  appas  ;  mais  au  lieu  du  costume  historique  (la  garde 
qui  veille  aux  portes  des  établissements  de  plaisir  (!)  n'en  permet- 
trait pas  même  un  semblant  d'exhibition),  elle  porte  un  collant 
mastic  à  la  dernière  mode  et  les  deux  consommateurs  qui  prennent 
à  sa  table  des  apéritifs  variés  sont  des  clubmen  habillés  par  les 
premiers  fournisseurs.  C'est  même  le  défaut  de  l'amusante  compo- 
sition de  M.  Brouillet  (un  succès  à  Paris,  en  peinture;  un  triomphe 
à  l'étranger,  en  chromo)  :  ces  trois  comparses  sont  un  peu  trop 
gravures  de  mode. 

Pêle-mêle  encore,  de  l'anecdotismo  à  la  douzaine,  «  la  Bouteille 
de  Champagne  »  de  M.  Brispot  ;  tout  le  personnel  d'une  ferme 
normande  ou  bretonne  suivant  avec  anxiété  la  manœuvre  savam- 
ment ralentie  du  commis-voyageur  qui  s'apprête  à  faire  sauter  le 
bouchon  d'une  bouteille  de  Champagne.  Nouveau  tableau  de  noce 
villageoise,  «  la  Chanson  de  la  Mariée  »,  tradition  poitevine  par  Jean 
Brunet. 

M.  Vibert,  célèbre  par  ses  cardinaux  d'un  si  beau  rouge  et  d'une 
observation  si  amusante  quand  ne  la  gâte  pas  une  tendance 
caricaturale  confinant  à  la  charge,  s'est  avisé,  cette  fois,  de  nous 
montrer  une  scène  du  «  Malade  imaginaire  ».  Argan  est  devenu 
un  monsieur  d'importance,  un  fermier  général  pour  le  moins,  un 
«  ventre  doré  »  comme  on  dit  dans  l'argot  des  coulisses.  Et  sa 
femme,  l'obséquieuse  M"'"  Argan,  semble,  en  ses  majestueux  ori- 
peaux, une  M"10  de  Maintenon  soignant  un  Louis  XIV  ventripotent. 
Le  brocart,  le  velours,  la  dentelle  habillent  ces  deux  comparses 
d'un  «  Malade  imaginaire  »  dont  Molière  ne  se  figurait  pas  certai- 
nement la  somptueuse  mise  on  scène.  On  a  rappelé  à  M.  Vibert  les 


indications  de  costumes  de  la  comédie  moliéresque  et  notamment 
le  passage  qui  concerne  Argan  :  «  Il  est  vêtu  en  malade.  De  gros 
bas,  des  mules,  un  haut-de-chausses  étroit,  une  camisole  rouge 
avec  quelque  galon  de  dentelle,  un  mouchoir  de  cou  à  vieux  pas- 
sements, négligemment  attaché;  un  bonnet  de  nuit  avec  la  coiffe 
à  dentelle.  »  On  a  eu  raison,  au  point  de  vue  de  l'exactitude  his- 
torique ou  plus  simplement  de  la  couleur  locale;  Mais  M.  Vibert 
répondra  que  c'est  sa  joie  de  peindre  de  belles  étoffes,  de  chif- 
fonner les  velours  et  les  moires.  Et  que  répondre  à  M.  Vibert? 

Verrons-nous  au  théâtre  la  scène  que  M.  de  Richemont  a  empruntée 
au  «  Rêve  »  de  M.  Zola  :  «  Angélique  extasiée  regardait  devant 
elle  dans  la  blancheur  de  la  chambre...?»  Ainsi  parle  le  livret,  mais 
il  parle  mal,  eu.-  la  blancheur  de  la  chambre  c'est  Angélique  elle- 
même,  Angélique  à  l'état  spectral.  Aux  pieds  de  ce  fantôme,  le 
jeune  premier  s'agenouille  comme  devant  une  apparition.  Les 
«  Lions  de  Salammbô  »  sont  une  scène  de  genre  historique  :  le 
crucifiement  des  lions  par  les  paysans  carthaginois.  A  l'Opéra-Co- 
mique,  répertoire  Scribe  et  Auber,  appartient  le  tableau  de  M.  Fré- 
déricHumbert,  «  Louis  XIII  et  M"0  de  Beaufort  »,  commentaire  d'un 
court  passage  de  Michelet  :  «  Pour  faire  échec  à  l'influence  de 
Richelieu  et  ressaisir  le  roi,  la  reine  avait  fait  venir  M110  de  Beau- 
fort.  Louis  XIII  l'aperçoit  pou-  la  première  fois  et  lui  fait  porter  le 
carreau  sur  lequel  il  était  agenouillé  ».  M.  Élouard  Richter,  qui 
sait  composer  et  qui  possèle  même  une  certaine  m.aitrise,  a  la  spé- 
cialité d'un  orientalisme  confiture,  engroseillé.  aux  reflets  d'un  rose 
acide.  Il  nous  en  donne  cette  année  un  nouvel  échantillon  avec  ses 
«  Méditations  de  la  sultane  Scheberazade  »,  l'origine  des  Contes  des 
Mille  et  une  Nuits  :  «  Elle  racontait  au  sultan  les  contes  qu'elle  avait 
médités  pendant  le  jour,  et,  dès  que  l'aube  p  iraissait,  elle  s'arrêtait 
de  parler.  » 

M.  Alexis  Vollon.  qui  continue  avec  honneur  un  nom  difficile  à 
porter,  représente  «  Don  Quichotte  »  non  pas  sur  les  grandes  routes, 
faisant  le  rude  métier  d'un  Cid  errant  et  justicier,  mais  dans  son 
son  cabinet  de  travail  tel  que  nous  le  montre  Cervantes  au  début 
du  livre.  «  Notre  hidalgo  s'acharna  tellement  à  la  lecture  que  les 
nuits  se  passaient  en  lisant  du  soir  au  malin,  et  les  jours  du  malin 
au  soir...  Si  bien  qu'à  force  de  dormir  peu  et  de  lire  beaucoup  il 
se  dessécha  le  cerveau.  »  A  mentionner  en  passant  la  «  Manon 
Lescaut  »  de  Mme  Real  del  Sarte,  la  «  Chanson  »  de  M.  Borione, 
«  Sarah  »  ...la  baigneuse  de  M.  Marius  Vasselon,  la  Sarah  des  Orien- 
tales —  Sarah  belle  d'indolence  —  se  balance,  les  «  Chanteurs 
ambulants  »,  de  M.  Henri  Cain,  enfin  un  assez  aimable  tableau 
inspiré  à  M.  Pascal  Blanchard  par  une  des  pages  les  plus  nouvelles 
du  chef-d'œuvre  sensualiste  qui  s'appelle  «  l'Affaire  Clemenceau  »  :  Ida 
buvant  une  tasse  (on  disait  encore  une  coupe  avant  18"0,  en  style 
noble)  de  lait  pur.  «  ...Non,  le  cœur  d'abord,  dit-elle.  Et  saisis-aut 
la  coupe,  elle  se  met  toute  mouillée,  el  toute  rose,  à  boire  lente- 
ment et  à  petites  gorgées...  la  tête  portée  en  avant,  les  reins  légère- 
ment courbés.   »  Très  suggestif. 

(A  suivre).  Camille  Le  Se.nne. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

Nouvelles  de  Londres  : 

Le  premier  concert  Patti  de  la  saison  a  été  signalé  par  des  témoignages» 
peu  équivoques  de  mauvaise  humeur  de  la  part  de  la  foule  énorme  qui 
emplissait  Albert  Hall.  La  diva,  assez  souffrante,  avait  dû  non  seulement 
remplacer  son  principal  morceau,,  la  Prière  et  Barcarolle  de  l'Etoile  du 
Nord,  par  la  Romance  de  la  Rose,  mais  refuser  tout  bis  contre  son  habitude. 
Le  public,  jugeant  sans  doute  qu'on  ne  lui  en  donnait  plus  pour  son 
argent,  a  protesté  bruyamment,  empêchant  le  concert  de  continuer.  Le 
violoncelliste  Hollman  essaya  vainement  de  tenir  tète  à  l'orage,  mais  re- 
nonça bientôt  à  la  lutte  et  se  retira  de  l'estrade.  La  foule  alors  finit  par 
se  calmer  et  le  concert  se  termina  tant  bien  que  mal. 

La  collaboration  Gilbert-Sullivan  àlaquelle  est  due  toute  cette  série  d'opé- 
rettes anglaises  depuis  Pinafore  jusqu'aux  Gondoliers  vient  de  se  dissoudre. 
M.  Gilbert  destine  son  prochain  libretto  à  M.  Alfred  Cellier,  le  composi- 
teur applaudi  de  Dorolluj.  Quant  à  M.  Arthur  Sullivan,  il  travaille  en  ce 
moment  à  un  opéra  sérieux,  dont  le  sujet  est  emprunté  à  Ivanlmé,  et  qui 
devra  inaugurer  l'hiver  prochain  le  nouveau  théâtre  de  grand  opéra 
anglais  de  M.  Carte. 

Le  second  concert  Paderewsky  a  été  donné  mardi  devant  un  audi- 
toire très  distingué:  pas  encore  la  foule,  mais  un  progrès  très  sensible 
sur  le  concert  de  début.  Le  brillant  pianiste  a  voulu  aussi  avoir  raison 
de  ses  plus  acharnés  critiques,  et  il  a  su  pendant  celle  séance  dompter  sa 
puissante  personnalité  et  l'aire  ressortir  les  côtés  tendres  et  délicats  de 
son   talent.  Son  succès  a  été  des  plus  complets,  surtout  dans  l'impromptu 


466 


LE  MENESTREL 


en  si  bémol  de  Schubert  et  une  étude  de  Chopin  en  fa  qu*il  ajoués  à  la 
perfection. 

Les  deux  soirées  de  début  de  la  saison  d"opéra  italien  à  Covent-Garden 
ont  été  assez  ternes.  M.  Jean  de  Heszké  a  fait  une  brillante  rentrée  dans 
le  rôle  de  Faust,  mais  son  frère  Edouard,  subitement  indisposé,  avait  dû  se 
faire  remplacer  par  unMephisto  très  médiocre.  La  débutante,  MmeNuovina, 
paraissait  visiblement  émotionnée  et  a  eu  plus  de  succès  pour  son  intel- 
ligence dramatique  que  pour  l'ampleur  de  sa  voix,  à  peine  suffisante  pour 
une  aussi  vaste  salle.  Un  jeune  ténor  espagnol,  M.  Valero,  a  été  fort  bien 
accueilli  dans  Carmen  :  il  rappelle  Gayarra  par  certains  côtés,  malheureu- 
sement sous  le  rapport  de  l'émission  de  la  voix  aussi.  Jeudi,  les  Pêcheurs 
de  Perles  doivent  servir-de  début  à  M,  Dufriche,  et  non  pas  à  M.  Cobalet, 
ainsi  qu'il  avait  été  annoncé. 

Il  est  vaguement  question  d'une  courte  saison  d'opéra  français  à  Her 
Majesty's  en  juillet.  Il  s'agit  d'une  série  de  représentations  de  Salammbô 
avec  les  principaux  artistes  de  la  création.  Ce  serait  là  évidemment  le 
grand  événement  musical  de  la  saison,  fort  maigre  autrement  sous  le 
rapport  des  nouveautés. 

—  La  musique,  dans  les  églises  anglaises,  est  menacée  d'un  coup 
mortel  si  les  projets  du  cardinal  Manning  arrivent  à  se  réaliser.  Le 
vénérable  prélat  veut  la  suppression  totale  des  orchestres,  des  choeurs, 
des  solistes,  etc.,  en  un  mot  de  tout  musicien  gagé,  dans  les  églises 
placées  sous  son  autorité.  Les  chants  religieux  ne  devront  avoir  d'autres 
interprètes  que  les  membres  de  la  communauté. 

—  Le  premier  des  trois  petits  opéras  couronnés  récemment  au  concours 
Sonzogno,  Labilia,-  a  été  représenté  l'autre  jeudi,  à  Rome,  au  théâtre 
Costanzi.  Il  est  en  deux  tableaux  et  a  pour  auteurs  MM.  Valle  pour  les 
paroles,  et  Spinelli  pour  la  musique.  La  partition,  à  qui  on  reproche  le 
manque  d'originalité,  mais  dans  laquelle  on  loue  de  grandes  qualités  de 
facture  et  des  détails  charmants,  a  été  accueillie  par  le  public  avec  la  plus 
réelle  sympathie  et  les  applaudissements  les  plus  vifs.  Deux  des  plus 
grands  artistes  de  l'Italie,  Mllc  Bellicioni  et  M.  Stagno,  n'avaient  pas 
dédaigné  de  se  faire  les  interprètes  d'un  jeune  compositeur  à  ses  débuts. 
Us  en  ont  été  récompensés  par  un  très  grand  succès.  —  Quant  au  second 
des  opéras  de  ce  même  concours,  Cavalleria  rusticana,  de  M.  Mascagni, 
représenté  peu  de  jours  après,  ce  n'est  plus  un  succès  qu'il  faut  enre- 
gistrer, mais  un  véritable  triomphe,  et  absolument  éclatant.  «Le  jeune 
compositeur,  dit  ïllalie,  a  été  rappelé  une  vingtaine  de  fois!  Et  pour 
un  opéra  en  un  acte!  Trois  morceaux  ont  été  bissés;  on  voulait  les  bisser 
tous.  M.  Stagno,  qui  a  admirablement  chanté,  et  MUe  Bellincioni,  qui  a 
déployé  tout  son  art  et  son  sentiment,  ont  beaucoup  contribué  à  ce  succès. 
La  partition  a  fait  une  impression  réelle.  Hier,  peut-être,  le  public, 
agréablement  surpris,  a  exagéré  un  peu  ses  applaudissements  ;  mais,  au 
fond,  le  jugement  qu'il  a  porté  est  juste.  Nous  sommes  heureux  de  le 
constater,  nous  réservant  de  parler  du  mérite  réel  de  Cavalleria  rusticana 
après  une  représentationplus  calme.  »  Cette  représentation  eu  a  lieu  deux 
jours  après,  et  l'enthousiasme  ne  s'est  pas  ralenti.  Tout  au  contraire,  bis, 
rappels,  ovations  à  l'auteur  et  à  ses  interprètes,  rien  n'y  a  manqué.  Il 
semble  que  vi  aiment  M.  Sonzogno  a  enfin  découvert  le  compositeur  depuis 
longtemps  cherché. 

—  On  écrit  de  Florence  au  Temps:  «  Une  foule  immense  se  pressait  au 
théâtre  du  Politeama,  pour  la  première  représentation  de  l'Hymne  à  la 
Paix  de  W"  Holmes,  composée  spécialement  pour  les  fêtes  de  Dante  et  de 
Béatrice.  Les  fauteuils  et  les  places  réservées  étaient  occupés  par  toute 
l'aristocratie  de  Florence  et  un  grand  nombre  d'étrangers.  Des  places 
d'honneur  avaient  été  réservées  aux  délégués  français.  A  l'avant-scène 
flottaient  les  drapeaux  italiens  et  français.  Le  chœur  d'ouverture  d'Italiens 
et  de  Français  a  été  salué  par  de  vifs  applaudissements;  les  soli  de  l'Italie 
et  de  la  France,  fort  bien  interprétés  par  Mmcs  Saffo  Bellincioni  et  Singer 
ont  été  bissés.  Le  chœur  des  anges  annonçant  Béatrice  et  le  chant 
de  Béatrice  ont  produit  un  grand  effet.  Le  duo  entre  l'Italie  et  la  France, 
ehanté  avec  beaucoup  de  passion,  a  excité  l'enthousiasme.  A  la  fin  de  la 
cantate,  la  salle  entière  a  demandé  l'auteur.  M110  Holmes,  vivement  impres- 
sionnée par  la  démonstration  de  sympathie,  a  remercié  et  a  été  rappelée 
quatre  fois.  Le  comité  de  l'exposition  lui  a  présenté  un  parchemin  artisti- 
que en  souvenir  des  fêtes  de  Florence.  La  composition  de  M"e  Holmes,  à 
part  toute  autre  considération,  est  jugée  une  puissante  œuvre  d'art.  »  A  la 
suite  do  la  seconde  audition  do  l'Hymne  à  la  Paix,  accueilli  avec  le  même 
enthousiasme  que  le  premier  soir,  un  grand  banquet  a  été  offert  aux  dé- 
légués fiançais  et  à  Mllc  Holmes.  Entre  autres  toasts,  M.  le  comte  de 
Gubernatis,  promoteur  de  l'exposition  Béatrice  et  des  fêtes  de  Florence,  en 
a  porté  un,  dans  les  termes  les  plus  flatteurs,  à  M110  Augusta  Holmes,  dont 
l'œuvre  venait  d'obtenir  un  si  grand  succès.  Enfin,  le  président  du  conseil 
des  ministres,  M.  Cripi,  a  adressé  à  M"°  Ilolmès'la  lettre  suivante  : 

Rome,  16  mai  1890. 
Madame, 
J'ai   reçu  votre   llijniiie  de  la  Paix,  en  l'honneur  de  la  Béatrice  de  Dante,  et  je 
tous  remercie  de  l'hommage  que  vous  avez  bien  voulu  me  faire  de  cette  compo- 
sition remarquable. 

Personne  plus  sincèrement  que  moi  n'applaudit  à  l'inspiration  qui  vous  guide, 
car  personne  plus  que  moi  n'apprécie  les  bienfaits  de  la  paix.  Je  bénis  une  fois 
de  plus  l'art  qui  revêt,  grâce  à  vous,  des  formes  les  plus  chères  au  génie  italien 
d'aussi  nobles  sentiments  et  des  pensées  d'une  portée  aussi  haute. 

Veuillez  agréer,  madame,  l'assurance  de  ma  considération  la  plus  distinguée. 
Tout  dévoué,  f.  crispi. 


—  Le  succès  de  Mme  Sigrid  Arnoldson  à  Florence,  dans  Mignon  et  le 
Barbier  de  Séville,  fait  vraiment  sensation;  toute  la  presse  de  Florence  le 
constate  unanimement. 

—  L'auteur  de  Mèfistofele,  M.  Arrigo  Boito,  dont  nous  avons  fait  con- 
naître le  dévouement  envers  son  malheureux  ami  Franco  Faccio,  vient, 
de  lui  donner  une  nouvelle  preuve  de  grande  affection,  que  révèle  la 
dépèche  suivante,  adressée  de  Rome  par  le  docteur  Giovanni  Mariotti, 
syndic  de  Parme,  au  vice-directeur  du  Conservatoire  de  cette  ville  :  <i  Ar- 
rigo Boito,  auquel,  avant  tout  autre  et  à  diverses  reprises,  Verdi  avait 
offert  inutilement  la  direction  de  notre  Conservatoire,  accepte  aujourd'hui, 
par  un  sentiment  très  noble,  de  devenir  notre  directeur  en  remplacement 
de  son  ami  malade.  Hier  a  été  signé  le  décret  royal  qui  .nomme  Boito 
directeur  honoraire  de  notre  Conservatoire,  lui  confiant  la  suprême  auto- 
rité didactique  durant  l'absence  du  directeur  effectif.  C'est  une  précieuse 
acquisition,  dont  Parme  sera  orgueilleuse  sans  aucune  doute.  »  Quant  au 
pauvre  Faccio,  que  son  ami  Boito  ne  cesse  de  visiter  chaque  jour,  son 
état  est  de  plus  en  plus  misérable.  Il  n'a  plus  conscience  de  lui-même, 
et  ne  reconnaît  plus  personne. 

—  Tandis  que  le  fils  de  M.  Seismit-Doda,  ministre  des  finances  du 
royaume  d'Italie,  se  fait  remarquer  comme  compositeur,  voici  que  le  fils 
du  fameux  médecin  Cantini,  sénateur  de  ce  pays,  se  fait  applaudir  comme 
virtuose  par  son  talent  sur  le  violon.  C'est  un  enfant  à  peine  âgé  de  onze 
ans7"et  dont  l'habileté,  dit-on,  est  déjà  remarquable. 

—  On  doit  représenter  vers  la  fin  de  ce  mois,  au  théâtre  Philodrama- 
tique de  Milan,  un  opéra  nouveau  en  quatre  actes,  Anna  di  Dovara,  du 
compositeur  Gaetano  Zeglioli.  On  parle  aussi  de  l'apparition  prochaine, 
au  théâtre  Manzoni  de  la  même  ville,  d'un  autre  opéra,  Raggio  di  Luna, 
de  M.  Alberto  Leoni,  et  de  l'exécution,  dans  un  salon  particulier,  d'un 
troisième  ouvrage  lyrique,  Gringoire,  paroles  de  Cordelia  (M"D  Virginia 
Trêves),  musique  du  maestro  Scontrino.  Plusieurs  autres  compositeurs  sont 
sans  doute  désireux  aussi  de  voir  luire  pour  eux  et  pour  leurs  œuvres  le 
grand  jour  de  la  représentation;  tels  M.  Vittorio  Baravalle,  qui  vient  de 
terminer  un  Andréa  del  Sarto  sur  un  poème  de  M.  Ghislanzoni;  M.  Giuseppe 
Bensa,  qui  de  son  côté  a  achevé  un  Matteo  Sehinner  sur  un  livret  de 
M.  Tommasucci;  le  comte  Domenico  Selvieri,  qui  a  mis  la  dernière  main 
à  une  Mercede  d'Aulnay;  M.  Leone  Ribeiro,  qui  n'a  pas  moins  de  deux 
opéras  tout  prêts,  Liropeya  et  Grazalema;  enfin,  M.  Smareglia,  qui  en  écrit 
deux  en  ce  moment  avec  la  collaboration  du  poète  Luigi  Illica.  Et  nous  en 
oublions  certainement. 

—  Certains  théâtres  italiens  continuent  d'être  dans  un  état  peu  florissant. 
A  Catane,  à  Parme,  à  Trieste  entre  autres,  on  annonce  la  déconfiture  de 
diverses  entreprises  et  la  fâcheuse  situation  des  artistes  et  employés, 
laissés,  par  les  directeurs,  sur  le  pavé  avec  leurs  appointements  impayés. 

—  Ce  n'est  pas  le  théâtre  Sannazzaro,  de  Naples,  qu'on  accusera  de  se 
lancer  dans  des  tentatives  téméraires  et  des  essais  aventureux.  Dans  sa 
prochaine  campagne,  ce  théâtre  se  propose  d'offrir  successivement  à  son 
public  :  1°  la  Bohémienne,  de  Balfe,  qui  fut  jouée  pour  la  première  fois  au 
Drury-Lane,  de  Londres,  au  mois  de  novembre  1844;  2°  la  Flûte  enchantée, 
de  Mozart,  dont  la  représentation  à  Vienne  date  de  1791  :  3°  enfin,  la  Cec- 
china,  de  Piccinni,  dont  l'apparition  à  Rome  remonte  à  l'année  1760.  Tor- 
niamo  all'antico,  disait  Verdi  dans  une  lettre  restée  célèbre. 

—  On  s'occupe  en  Italie,  parait-il,  de  la  publication  prochaine  d'une 
série  de  lettres  de  Donizetti.  En  attendant,  en  voici  une,  tout  à  fait  humo- 
ristique, que  publie  un  journal  de  Rome,  et  dans  laquelle  l'auteur  de 
iucic  annonçait  à  sa  manière  à  un  de  ses  parents,  Antoine  Vasselli,  le 
succès  que  venait  d'obtenir  à  Vienne,  sur  le  théâtre  de  la  Porte  de  Carin- 
thie,  son  nouvel  opéra  Maria  di  Rohan  : 

Vienne,  6  juin  1843. 
Carissimo  Toto, 
Avec  la  plus  grande  douleur  je  dois  t'annoncer  qu'hier  soir,  5  juin,  j'ai  donné 
Maria  di  liohan  avec  la  Tadolini,  Roccooni  etGuasn.  Tout  le  talent  n'a  pas  suffi  à 
me  sauver  d'une  mer...  d'applaudissements.  Rappels  à  chaque  acte...,  en  somme, 
fiasco  complet  avec  enthousiasme!  Tout  bien,  tout,  tout.  Écris-le  à  Naples,  écris- 
le  à  ta  femme  et  à  ta  fille,  à  toute  la  maison  et  aux  amia. 

Toute  la  famille  impériale,  venue  expressément  de  la  campagne,  est  restée  jus- 
qu'à !a  fin  de  la  pièce  pour...  siffler.  Et  vous  verrez  ce  soir...  quelle  sympho- 
nie, signor  Toto  ! 

Bergamus  et  non  plus  ultra  I  Gaetano. 

—  Le  prix  institué  par  Cincinnato  Baruzzi  à  Bologne,  dit  le  Trovalore, 
est  attribué,  pour  l'année  1891,  à  la  musique.  En  conséquence,  un  concours 
est  ouvert,  avec  un  prix  de  S,500  francs,  pour  «  un  drame  musical  divisé 
en  plusieurs  parties  et  de  proportions  adaptées  à  un  théâtre  de  premier 
ordre  ».  Les  compositeurs  italiens  no  sont  pas  accoutumés  à  pareille  au- 
baine. 

— .  Les  tribunaux  belges  viennent  de  prononcer  le  divorce  entre 
jjmo  Montalba,  la  cantatrice  dont  les  abonnés  de  l'Opéra  ont  gardé  le 
meilleur  souvenir,  et  son  mari,  M.  Renier,  consul  général  en  Belgique. 

—  Relevé  du  répertoire  français  sur  les  scènes  lyriques  de  l'Allemagne 
pendant  la  dernière  quinzaine  :  Berlin  :  la  Fille  du  Régiment,  Carmen,  Fra 
Diavolo.  —  Cassel  :  Roméo  et  Juliette  (-2  fois),  Mignon,  la  Juive.  —  DRESDE  : 
les  Huguenots,  Carmen,  Guillaume  Tell,  la  Muette,  le  Roi  malgré  lui  (3  fois). — 
Francfort  :  Guillaume  Tell,  la  Muette,  le  Prophète,  Faust.  —  Hambourg  :  Car- 
men, le  Prophète,  la  Permission  de  dix  heures.  —  Leipzig  :  Carmen,  Zampa, 
Mignon.  —  Mannueim  :  la  Juive,  les  Huguenots  ("2  fois),  la  Muette.  —  SCHWERIN  : 


LE  MENESTREL 


4  07 


Fra  Diavolo,  Joseph,  les  Huguenots.  —  STUTTGART  :  le  Prophète,  le  Roi  l'a  dit, 
les  Huguenots.  —  Vienne  :  les  Deux  Journées,  l'Africaine,  Guillaume  Tell,  Roméo 
et  Juliette,  la  Juive,  les  Dragons  de  Villars,  Mignon,  Robert  le  Diable. 

— ■  Les  hommages  à  la  mémoire  du  prodigieux  génie  qui  fut  Beethoven 
ne  tarissent  pas  en  Allemagne,  et  surtout  en  Autriche.  A  Oherdœbling, 
près  Vienne,  sur  la  façade  de  la  maison  qui  porte  le  n°  92  de  la  Ilaup- 
strasse,  on  vient  de  poser  une  pierre  rappelant  que  c'est  dans  la  maison 
existant  antérieurement  sur  cet  emplacement  que  l'auteur  de  Fidelio 
écrivit,  en  1803,  son  admirable  Symphonie  héroïque. 

—  Ces  jours  derniers  a  eu  lieu  dans  l'église  de  la  garnison,  à  Berlin, 
en  présence  de  la  famille  impériale,  la  première  audition  de  la  nouvelle 
association  des  musiciens  d'harmonies,  le  Bliiserbrund.  Cet  orchestre  d'un 
nouveau  genre  se  compose  uniquement  de  trompettes,  pistons,  cors, 
trombones  et  timbales,  en  tout,  deux  cents  exécutants.  L'effet  de  la  mu- 
sique religieuse,  interprétée  par  cette  masse  cuivrée,  est,  parait-il,  très 
imposant. 

—  Un  des  plus  jolis  opéras  d'Auber  et  l'un  de  ceux  que  depuis  long- 
temps on  a  le  plus  laissé  oublier,  le  Cheval  de  bronze,  traduit  et  adapté  à 
la  scène  allemande  par  M.  E.  Hamperdinck,  vient  d'obteni  r  au  théâtre 
de  la  Cour  de  "Weimar  un  brillant  succès  qui,  dit-on,  s'adressait  autant 
au  poème  qu'à  la  musique. 

—  Cordélia,  opéra  russe,  inconnu  jusqu'ici  hors  des  limites  de  l'empire 
moscovite,  vient  d'être  traduit  en  allemand  et  va  être  représenté  au 
Deutsche  Landestheater,  à  Prague.  C'est  un  des  meilleurs  ouvrages  de 
Solovieff,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  le  nihiliste  pendu  en  1889. 

—  L'Exposition  Beethoven  s'est  ouverte  à  Bonn  par  une  série  de  séances 
de  musique  de  chambre  consacrées  uniquement  à  Beethoven  et  fournies 
d'une  part  par  le  quatuor  Joachim,  de  l'autre  par  le  quatuor  Hollœnder,  de 
Cologne.  L'exposition  des  portraits,  manuscrits,  reliques  de  tout  genre 
relatifs  à  Beethoven  est,  dit-on,  extrèmemsnt  intéressante.  Parmi  les 
objets  exposés,  se  trouvent  les  appareils  acoustiques  confectionnés  pour 
Beethoven  devenu  sourd,  par  le  célèbre  physicien  Maelzel,  l'inventeur  du 
métronome.  Il  y  a  trois  cornets  de  laiton  construits  en  1813  et  1814.  Deux 
de  ces  cornets  ont  jusqu'à  soixante-dix  centimètres  de  long  et  se  termi- 
nent tous  les  deux  par  une  sorte  de  cuvette,  l'une  fermée  mais  percée 
de  sept  trous  à  sa  partie  supérieure,  l'autre,  ouverte  en  forme  d'entonnoir 
et  qui  s'appliquait  à  l'oreille.  Ces  deux  instruments  portent  encore  les 
cordonnets  de  soie  et  les  fourches  d'acier  au  moyen  desquelles  Beethoven 
se  les  adaptait  à  la  tète  pour  mieux  entendre.  La  vue  de  ces  appareils  a 
fait  sur  tous  les  visiteurs  une  indicible  impression.  Se  iigure-t-on  le 
supplice  du  pauvre  grand  homme  s'affublant  de  ces  mécaniques  pour 
rester  en  communication  avec  le  monde  extérieur,  avec  le  monde  des 
sons  qui  était  sa  vie  même  !  Le  soin  avec  lequel  sont  construits  les  ins- 
truments de  Maelzel  prouve  d'ailleurs  que  celui-ci  s'était  vraiment  dévoué 
à  Beethoven  et  qu'il  avait  cherché  par  tous  les  moyens  physiques  connus 
à  atténuer  la  surdité  du  grand  homme.  Ces  appareils  étaient  jusqu'ici  à 
la  Bibliothèque  royale  de  Berlin  :  par  ordre  de  l'Empereur,  le  ministre 
des  cultes  et  des  beaux-arts,  M.  de  Gossler,  en  a  fait  don  au  Musée 
Beethoven,  où  ils  sont  évidemment  plus  à  leur  place. 

—  Le  célèbre  professeur  de  chant  Mlle  Augusta  Gotze,  établie  à  Leip- 
zig, a  donné  dernièrement  une  brillante  audition  de  ses  meilleures  élèves. 
Toutes  les  scènes  d'opéras  étaient  jouées  en  costumes.  On  a  surtout 
applaudi  le  duo  de  Néron,  de  Rubinstein,"  par  Mlles  Ullrnann  et  Kobers- 
tein,  et  la  romance  de  Mignon,  par  Mlle  Fink. 

—  L'Opéra  impérial  russe  de  Saint-Pétersbourg  fera  sa  réouverture  l'au- 
tomne prochain  avec  Faust,  et  il  jouera,  au  cours  de  la  saison,  Tannhiiuser, 
Norma  et  la  Rognéda  de  Serow,  sans  compter  un  opéra  nouveau  de  M.  Tschaï- 
kowski,  la  Dame  de  pique.  On  parle  aussi  de  mettre  à  la  scène  le  Prince 
Igor,  l'opéra  posthume  de  Borodine.  D'autre  part,  on  annonce  que  le 
théâtre  Arcadia  inaugurerait  sa  prochaine  campagne  avec  la  Vie  pour  le 
Czar,  traduite  en  français!...  Enfin,  le  théâtre  Livadia,  qui  abandonnerait 
ce  nom  pour  prendre  celui  d'Eden-Théàtre,  se  consacrerait  à  l'opérette 
française. 

—  L'opéra  que  M.  Pierre  Tschaïkowsky  doit  faire  représenter  l'hiver 
prochain  à  Saint-Pétersbourg,  la  Dame  de  pique,  a  été  écrit  par  lui  à  Naples 
sur  un  livret  que  son  frère,  M.  Modes  Tschaïkowsky  a  tiré  pour  iui 
d'une  nouvelle  du  grand  poète  Pouschkine  qui  porte  le  même  titre. 
On  compte  que  l'ouvrage  fera  son  apparition  dans  le  courant  du  mois  de 
novembre.- 

—  Au  théâtre  royal  de  Stockholm,  sur  les  vingt-deux  représentations 
données  au  mois  d'avril,  onze  étaient  consacrées  aux  ouvrages  suivants 
du  répertoire  français  :  Carmen  (3  fois),  les  Huguenots  (1  fois),  Lakmé,(3  fois), 
Mignon,  Robert  le  Diable,  Faust  et  Si  j'étais  Roi  (chacun  une  fois). 

—  Le  gouvernement  égyptien  vient  d'allouer  une  subvention  de 
100,000  francs  pour  l'exploitation  du  théâtre  khédivial  de  l'Opéra  du  Caire 
pendant  l'hiver  prochain.  La  saison  sera  de  trois  mois  et  demi  à  quatre 
mois,  partant  du  1er  décembre  pour  prendre  fin  le  lb  ou  le  31  mars.  Elle 
comportera  00  représentations  d'opéra  ou  opéra-comique  —  le  choix  en 
sera  laissé  au  directeur  —  opérettes  et  ballets.  L'intendant  du  théâtre 
khédivial,  M.  Clémente,  est  parti  pour  Paris,  où  il  est  envoyé  pour 
fournir    tous    les    renseignements  dont  peuvent   avoir  besoin    les    direc- 


teurs. Un  des  premiers  soins  de  M.  l'intendant  devrait  être  de  régula- 
riser la  situation  du  théâtre  khédivial  vis-à-vis  des  auteurs,  qui 
jusqu'ici  ont  été  pillés  effrontément  par  les  divers  directeurs  qui  se  sont 
succédé  là-bas  à  la  tète  de  l'Opéra  égyptien.  Voilà  la  première  réforme 
à  opérer,  celle  de  donner  un  peu  d'honnêteté  à  tous  ces  pseudo-impresarii 
sans  foi  et  sans  honneur. 

—  A  New-York,  la  saison  de  l'Opéra  allemand  s'est  terminée  par  une 
perte  sèche,  pour  l'entreprise,  de  730,000  francs,  soit  11,194  francs  pour 
chacune  des  67  représentations  données.  C'est  un  résultat  à  décourager  les 
plus  hardis  et  les  plus   obstinés. 

—  Le  26  mars  dernier  a  eu  lieu,  à  Washington,  un  concert  exclusive- 
ment consacré  à  l'exécution  d'œuvres  d'artistes  américains.  En  voici  le 
programme  :  In  tlie  Mountains,  ouverture  (Arthur  Foote)  ;  pièces  pour  piano 
(Arthur  Whiting)  ;  Ophélia,  poésie  symphonique  (E.-A.  Mac-Dowell) ;  Ga- 
votte pour  orchestre  (Arthur  Bird)  ;  arioso  de  Moniezuma  (F. -G.  Gleason); 
the  Tempest,  suite  (Franck  Van  der  Stucken)  ;  prélude  d'OEdipus  Tyrannus 
(J.-K.  Paine)  ;  Romance  et  Polonaise  (H.  IIuss)  ;  Melpomène,  ouverture 
(W.  Chadwick);  fragments  à'Italia,  suite  (Arthur  "VV'eld);  Mélodies  (Mar- 
garet,  R.  Lang,  Wilson,  G.  Smith  et  YV.  Gilchrist);  the  Star  Spangled  Ban- 
ner,  ouverture  solennelle  (Dudley  Buck). 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

MM.  Ritt  et  Gailhard  sur  la  sellette.  La  Commission  consultative 
des  théâtres  s'est  réunie  cette  semaine,  pour  la  troisième  fois,  sous  ba. 
présidence  de  M.  Léon  Bourgeois,  ministre  des  Beaux-Arts,  assisté  de 
M.  Larroumet,  directeur  des  Beaux-Arts,  vice-président.  La  première 
séance  avait  été  consacrée  tout  entière  à  l'exposé  de  la  situation  de  l'Opéra, 
fait  par  M.  Larroumet,  au  point  de  vue  du  nombre  d'ouvrages  nouveaux 
que  doit  représenter  ce  théâtre,  de  celui  des  représentations  à  prix  réduits, 
de  l'état  des  décors  et  de  celui  de  la  troupe.  Dans  la  seconde,  M.  Gailhard, 
représentant  de  M.  Ritt,  que  la  maladie  empêchait  de  se  présenter  en 
personne,  s'est  attaché  à  démontrer  que  son  co-directeur  et  lui-même 
avaient  strictement  exécuté  toutes  les  obligations  de  leur  cahier  dés 
charges.  Dans  la  séance  d'hier,  la  discussion  générale  s'est  engagée.  Après 
un  échange  d'observations  auxquelles  ont  surtout  pris  part,  outre  le  mi- 
nistre et  le  directeur  des  Beaux-Arts,  MM.  Antonin  Proust,  Hébrard, 
Durier,  Berthelot,  Emmanuel  Arène,  Charles  Garnier,  Denormandie,  etc.. 
la  Commission  a  émis  les  avis  suivants  :  Sigurd,  quoique  joué  à  Lyon  et 
à  Bruxelles,  peut  être  considéré  comme  ouvrage  nouveau  (!)  et  entrer,  à 
ce  titre,  dans  le  décompte  d'ouvrages  de  cette  catégorie  que  doit  la  direc- 
tion de  l'Opéra.  La  question  est  réservée  en  ce  qui  concerne  Roméo  et 
Juliette  (!!).  L'administration  de  l'Opéra  devra  donner  le  nombre  de  repré- 
sentations à  prix  réduits  pour  lesquelles  elle  s'est  mise  en  retard.  Quant 
à  l'état  des  décors,  une  sous-commission  est  chargée  d'examiner  le  maté- 
riel et  de  faire  un  rapport  où  elle  indiquera  les  conditions  dans  lesquelles 
on  pourrait  procéder  aux  améliorations  ou  aux  réfections  jugées  indis- 
pensables. La  Commission  se  réunira  de  nouveau  dès  que  la  sous-com- 
mission aura  déposé  son  rapport,  et  continuera  l'examen  des  autres  ques- 
tions relatives  à  l'Opéra.  Aurions-nous  enfin  un  ministre  des  Beaux-Arts 
ennemi  de  la  fraude  et  soucieux  des  intérêts  dont  il  a  la  garde  !  La  chose 
serait  nouvelle  et  mériterait  qu'on  en  fit  honneur  à  M.  Léon  Bourgeois. 
Qu'il  achève  résolument  l'œuvre  commencée  par  M.  Edouard  Lockroy  et  que 
les  hasards  de  la  politique  n'avaient  pas  laissé  à  ce  dernier  le  temps 
d'achever  ! 

—  A  l'Opéra,  belle  reprise  A'Hamlet,  avec  M"1"  Melba,  mais  sans  M.  Las- 
salle,  qui  est  généralement  indisposé  chaque  fois  qu'on  reprend  l'oeuvre 
d'Amhroise  Thomas  ;  M.  Berardi  l'a  remplacé  très  courageusement,  bien 
que  prévenu  à  la  dernière  heure.  On  lui  en  a  su  gré  par  de  vifs  applau- 
dissements. Pour  Mme  Melba,  elle  a  été  étincelante,  selon  son  habitude, 
dans  le  rôle  d'Ophélie,  si  bien  approprié  à  sa  voix  et  à  ses  moyens.  A  citer 
encore  M.  Plançon,  artiste  d'un  très  réel  mérite.  Jetons  un  voile  sur  le 
reste  de  l'interprétation.  Il  ne  faut  pas  trop  demander  à  l'Opéra  de 
MM.  Ritt  et  Gailhard. 

—  La  première  représentation  de  Zaire,  l'opéra  en  deux  actes  de  M.  Vé- 
ronge  d°.  la  Nux,  est  annoncée  pour  mercredi  prochain.  Le  Rêve,  le  ballet 
de  M.  Gastinel,  ne  passera  que  dans  la  première  quinzaine  de  juin,  le 
mercredi  M  très  probablement.  Les  débuts  de  Mmo  Fierons  dans  la  Juive 
auront  lieu  le  9  juin.  M.  Affre  chantera  le  rôle  de  Léopold. 

—  La  troupe  de  l'Opéra  n'était  déjà  pas  bien  riche  en  sujets  de  talent, 
et  pourtant  elle  va  perdre  l'un  de  ceux-ci  en  la  personne  de  M.  Jean  de 
Reszké,  le  ténor  aimé  des  dames,  qui  décidément  renonce,  pour  le  pro- 
chain hiver,  à  Paris  et  à  ses  pompes.  Il  a  signé  en  effet  des  engagements 
pour  Madrid,  Monte-Carlo  et  Saint-Pétersbourg,  sans  s'inquiéter  le  moins 
du  monde  des  embaras  qu'il  allait  causer  à  l'infortuné  Ritt  et  au  mal- 
heureux Gailhard,  sans  se  soucier  non  plus  de  toutes  les  belles  éplorées 
qu'il  allait  laisser  derrière  lui.  C'est  une  consternation  générale  dans  le 
clan  des  brunes  et  des  blondes.  Les  directeurs  comptaient  sur  la  rentrée 
de  Mu° Richard  pour  parer  en  partie  ce  coup  terrible,  et  voici  qu'elle  aussi 
parait  leur  échapper,  pour  raison  de  santé!  Alas  poor  Yoritt! 

—  A  l'Opéra-Comique,  la  première  représentation  de  la  Basoche,  opéra- 
comique  en  trois  actes,  paroles  de  M.  Albert  Carré,  musique  de  M.  André 
Messager,  paraît  irrévocablement  fixée  au  jeudi  '29  mai. 


168 


LE  MENESTREL 


—  Les  membres  de  la  section  de  musique  de  l'Académie  des  beaux- 
arts,  et  M.  le  comte  Delaborde,  secrétaire  perpétuel  de  cette  Académie, 
se  sont  réunis  cette  semaine  au  Conservatoire,  pour  procéder  au  choix  de 
la  cantate  à  mettre  en  musique  par  les  concurrents  du  prix  de  Rome. 
Neuf  cantates  avaient  été  adressées  au  jury,  qui  a  choisi  une  scène  ly- 
rique de  M.  Fernand  Beissier,  intitulée  Cléopûtre.  M.  Beissier  avait  déjà 
réussi  au  concours  des  cantates  de.  188S,  avec  une  scène  ayant  pour  sujet 
Velléda.  Les  vers  de  la  cantate  ont  été  aussitôt  dictés  aux  cinq  candidats 
admis  au  concours  définitif,  MM.  Carraud,  Lutz,  Bachelet,  Silver  et  Four- 
nier,  qui  sont  immédiatement  entrés  en  loge,  pour  n'en  sortir  que  le 
10  juin  prochain. 

—  Dans  sa  dernière  séance,  l'Académie  des  beaux-arts  a  attribué  à 
M.  Ferdinand  Poise  la  partie  du  prix  Trémont  réservée  à  un  compositeur 
de  musique. 

—  La  Société  des  compositeurs  de  musique  met  au  concours  pour 
l'année  1891  :  1°  Une  Suite  pour  piano,  avec  accompagnement  d'orchestre. 
Prix  unique  de  300  francs.  (Fondation  P!eyel-Wolf).  2°  Un  Trio  pour 
violon  et  violoncelle.  Prix  unique  de  300  francs,  offert  par  la  Société. 
3°  Une  Scène  pour  soli  et  chœur,  avec  piano  remplaçant  l'orchestre.  Prix 
unique  de  300  francs,  offert  par  la  Société.  Les  compositeurs  français 
sont  seuls  admis  à  concourir.  Les  manuscrits  devront  porter  une  épi- 
graphe reproduite  sur  un  pli  cacheté,  renfermant  les  noms  et  adresse  de 
l'auteur.  On  devra  les  faire  parvenir  avant  le  31  décembre  1890,  à 
M.  "Wekerlin,  archiviste,  au  siège  de  la  Société,  22,  rue  Rochechouart, 
maison  Pleyel- Wolf  et  C.  —  Pour  tous  renseignements,  s'adresser  a 
M.  Delphin  Balleyguier,  secrétaire  général  provisoire,  entrepôt  de  Bercy, 
pavillon    Crépier. 

—  Dans  sa  séance  de  jeudi  dernier,  le  comité  de  l'Association  des  artistes 
musiciens  a  procédé  au  renouvellement  annuel  de  son  bureau.  Ont  été 
nommés  :  président,  M.  Colmet  Daage;  vice-présidents,  MM.  Deldevez, 
Ch.  de  Bez,  Emile  Réty,  Eugène  Gand,  Ch.  Dancla  et  Albert  Lhote  ;  secré- 
taires, MM.  Arthur  Pougin,  Verrimst,  Paul  Rougnon,  Ch.  Bannelier,  Le 
Brun  et  Gallon  ;   archivistes,  MM.  Ch.  Laurent  et  Le  Brun. 

—  M.  Saint-Saëns,  dont  on  avait,  à  tort,  annoncé  le  séjour  à  Oran,  est 
arrivé  cette  semaine  à  Marseille,  à  bord  du  paquebot  la  Ville-de-Brest. 
Parti  de  Marseille  par  le  rapide  de  six  heures,  l'auteur  d'Ascanio  est  arrivé 
mardi  matin  à  Paris,  à  neuf  heures.  Il  est  descendu  à  l'hôtel  Terminus, 
où  il  occupe  la  chambre  208,  au  troisième  étage.  M.  Saint-Saëns  a  con- 
firmé les  renseignements  donnés  à  plusieurs  reprises  sur  les  raisons  de 
son  exil  volontaire.  C'est  pour  soigner  sa  santé  qu'il  a  quitté  Paris  pen- 
dant l'hiver,  et  maintenant  il  est  bien  décidé  à  quitter  la  France  chaque 
année,  du  mois  de  septembre  au  mois  de  mai.  Pendant  cet  été,  il  va  se 
fixer  à  Saint-Germain  et  y  travailler  à  de  nouvelles  œuvres.  Il  a  assisté 
mercredi  soir  à  la  représentation  d'Ascanio  à  l'Opéra  :  à  cette  occasion, 
tous  les  rôles    étaient  tenus   par  les  interprètes    qui  les  ont  créés. 

—  Félicien  David  va  voir  enfin  spn  «  monument  »  terminé.  On  sait  que 
par  suite  de  l'insulïisance  des  souscriptions,  il  avait  fallu  s'en  tenir  jus- 
qu'ici au  gros  œuvre  seulement  et  aux  quatre  grandes  colonnades  qui  ne 
supportent  rien.  A  force  d'économiser  de  droite  et  de  gauche  sur  les 
droits  fournis  par  les  partitions  de  David,  la  légataire  universelle,  Mme  Tas- 
tet,  dont  on  ne  saurait  trop  louer  le  zèle  et  le  dévouement  pour  honorer 
la  mémoire  du  grand  musicien,  est  parvenue  à  mettre  de  côté  la  somme 
qu'il  fallait,  et  le  sculpteur  Chapu  s'est  mis  de  suite  à  l'œuvre  pour  l'exé- 
cution du  bas-relief  qui  doit  compléter  le  monument.  C'est  encore  l'affaire 
d'une  année,  mais  c'est  beaucoup  de  voir  enfin  le  but  qu'on  désespérait 
d'atteindre. 

—  M.  Georges  Boyer,  le  charmant  poète  des  Enfants,  fera  samedi  pro- 
chain, dans  la  journée,  au  théâtre  d'Application,  une  conférence  sur 
Gustave  Nadaud  et  ses  chansons.  Il  s'est  assuré  du  concours  de  plusieurs 
artistes  de  choix,  qui  prêteront  à  sa  parole  le  secours  de  leur  voix  en  chantant 
les  plus  jolies  productions  du  maître  chansonnier  tout  à  la  fois  si  popu- 
laire et  si  fin.  Voilà  une  matinée  d'attraction  qui  va  remplir  la  jolie 
petite  >alle  de  M.  Bodinier. 

—  Une  grosse  nouvelle  est  arrivée  cette  semaine  des  Élats-Unis.  Jeudi 
dernier,  on  apprenait  de  source  officielle  que  la  Chambre  des  représen- 
tants, à  Washington,  avait  voté,  par  162  voix  contre  142,  le  nouveau  tarif 
général,  exécutoire  à  partir  du  \"  juillet  prochain,  comprenant  la  sup- 
pression des  droits  de  30  0/0  sur  les  objets  d'art  (peintures,  sculptures, 
gravures,  etc.;  et  de  23  0/0  sur  l'importation  des  livres  étrangers  (sauf 
ceux  en  langue  anglaise).  Ce  résultat,  si  heureux  pour  les  artistes,  les 
écrivains  et  les  éditeurs  français,  est  du  en  majeure  partie  aux  grands 
efforts  de  M.  de  Kératry,  le  délégué  à  Washington  du  syndicat  de  la  pro- 
priété littéraire  cl,  artistique,  qui  lui  a  fait  parvenir  aussitôt  l'expression 
de  ses  plus  chaleureux  remerciements.  Ce  bill  a  été  présenté  par  M.  Mac 
Kinlcy,  mais  il  nu  faut  pas  le  confondre  avec  un  autre  Mil  émanant  du 
même  député,  le  custom  bill,  qui  est  relatif  nu  règlement  des  contestations 
do  douane.  —  Espérons  que  la  reconnaissance  pleine  et  entière  du  droit 
de  la  propriété  littéraire  et  artistique  suivra  de  prés  cet  allégement  aux 
droits  qui  la  frappent. 


—  M.  Paladilhe  s'est  rendu  cette  semaine  à  Montpellier  pour  surveiller 
les  dernières  répétitions  de  Patrie,  qui  a  dû  être  représentée  hier  samedi, 
à  la  représentation  de  gala  offerte  au  président  de  la  République.  Ce  sont 
les  chœurs  de  Toulouse  et  les  artistes  de  Marseille  qui  interprétaient  l'ou- 
vrage de  M.  Paladilhe,  pour  lequel  la  ville  a  dépensé  16,000  francs. 

—  Société  nationale.  —  Au  dernier  concert,  avec  orchestre  et  chœurs  (salle 
Pleyel,  17  mai),  on  a  entendu  une  Suite  pour  orchestre  de  M.  Boellmann, 
quatre  petits  morceaux  de  facture  intéressante  sinon  d'une  inspiration  très 
neuve  ;  un  Chant  laotien  de  M.  Bourgault-Ducoudray,  original  et  d'une  fort 
jolie  couleur  orchestrale;  le  Convoi  du  fermier,  commentaire  musical  d'une 
poésie  de  Brizeux.par  M.Guy  Ropartz,  où  une  mélodie  populaire  bretonne 
est  traitée  dans  un  excellent  sentiment  poétique.  La  chanson  bretonne  était 
d'ailleurs  largement  représentée  à  ce  concert;  les  airs  de  ballet  de  Lysic  de 
M.  Marty,  sont  en  effet  composés  presque  exclusivement  sur  des  thèmes 
tirés  du  recueil  de  M.  Bourgault-Ducoudray.  La  musique  de  scène  de 
Shylock,  de  M.  Fauré,  gagne  singulièrement  à  être  exécutée  au  concert; 
elle  est  exquise  d'un  bout  à  l'autre  :  deux  morceaux  (sur  six)  ont  été 
redemandés  par  tout  l'auditoire.  La  Fantaisie  pour  piano  et  orchestre  de 
M.  de  la  Tombelle  est  de  caractère,  sinon  de  forme,  très  classique. 
Le  Paysage  de  M.  R.  Bonheur  (un  nom  que  nous  voyons  pour  la  première 
fois  sur  les  programmes  de  la  société)  est  beaucoup  plus  moderne  :  le 
sentiment  en  est  délicat  et  raffiné,  la  facture  habile;  on  y  peut  critiquer 
seulement  un  peu  trop  de  réminiscences  de  Wagner.  La  séance  s'est 
terminée  par  le  n°  6  des  Béatitudes  de  M.  César  Franck,  un  chef-d'œuvre 
dont  le  moment  est  venu,  nous  semble-t-il,  de  donner  enfin  une  exécution 
intégrale  :  le  fragment  entendu  l'autre  jour  est  d'une  admirable  beauté. 
MM.  Marsick,  Leprestre,  Dinard,  et  M"0  Marguerite  Allard  ont  prêté  leur 
concours  à  l'exécution,  dont  l'ensemble  a  été  dirigé  avec  une  grande 
autorité  par  M.  Gabriel  Marie.  J.  T. 

—  A  la  dernière  soirée  donnée,  chez  eux,  par  M.  et  Mmc  Louis  Diémer, 
on  a  grandement  fêté  Mmc  la  comtesse  de  Guerne,  qui  a  chanté,  avec 
beaucoup  de  talent  et  une  fort  jolie  voix,  Menuet,  Inquiétude,  du  maître 
de  la  maison,  et  l'air  de  Rigoletto,  Mmo  Conneau  s'est  montrée,  comme  à 
son  habitude,  chanteuse  de  grande  méthode  dans  des  Variations  de  Mozart, 
avec  Mmc  de  Guerne  dans  un  duo  de  M.  Gounod  et,  accompagnée  par 
M.  Gillet,  dans  le  Chant  provençal  de  M.  Massenet.  Ma  Diémer  a  ravi  ses 
nombreux  invités  en  interprétant  merveilleusement  une  Pièce  romantique 
de  sa  composition  et  la  Rapsodie  espagnole  de  Liszt.  Enfin,  très  beau  succès 
aussi  pour  M.  Gillet,  l'incomparable  hautboïste,  et  pour  M  White,  qui  a 
joué  en  maître  du  violon.  MM.  Staub  et  Risler  ont  terminé  la  soirée  en 
enlevant  avec  brio  les  Danses  norwégiennes  de  M.  Grieg.  Puisque  nous  parlons 
de  M.  Diémer,  réparons  l'oubli  que  nous  avons  fait  en  rendant  compte 
de  sa  dernière  audition  d'élèves.  Parmi  les  premiers  prix  nommés,  nous 
n'avons  pas  cité  M.  Stojiowski,  qui  n'est  certes  pas  le  moins  intéressant 
de  ces  artistes  d'avenir  et  qui  a  obtenu  un  très  légitime  succès  en  jouant 
un  concerto  de  sa  façon. 

Soirées  et  Concerts.  —  Dimanche  dernier,  au  Cbàtelet,  à  la  matinée  organi- 
sée par  «  l'Union  du  Commerce  »,  M.  Talazac  a  chanté  une  ravissante  mélodie, 
les  Pommiers,  de  M.  Emile  Bourgeois,  qui  a  eu  les  honneurs  du  bis.  M"0  Valenline 
Marcolini,  une  jeune  violioniste  de  il  ans,  a  joué  avec  un  grand  charme  Absence- 
Elégie,  du  môme  auteur.  Puis,  MM.  Talazac  et  Martapoura  ont  magistralement 
interprété  Crucifix,  de  M.  Faure.  Un  des  grands  succès  de  la  séance  a  été,  comme 
toujours,  joir  le  charmant  duo  la  Tourterelle  et  le  Papillon,  de  M.  Emile  Bourgeois, 
chanté  par  Mm"  Deschamps-Jehin  et  J.  Duran,  de  POpéra-Comique,  et  accompagné 
par  l'auteur.  —  La  jeune  et  intéressante  pianiste,  M1'0  Jacger,  a  douné  son  deuxième 
concert  à  la  salle  Pleyel  devant  un  nombreux  auditoire  qui  lui  a  lait  fête.  Nous 
avoDS  particulièrement  applaudi  le  Sentier,  de  M.  Delahaye,  le  Sclurso  et  Choral,  de 
M.  Th.  Dubois,  V Oiseau- Mouche,  de  M.  Th.  Lack,  que  non»  trouvons  maintenant 
sur  tous  les  programmes,  et  la  célèbre  Valse-arabesque  du  même  compositeur. 
La  parfaite  interprétation  de  cescharmantes  œuvres  avalu  a  la  t-ympathiquo  béné- 
ficiaire un  succès  flatteur  et  bien  mériié.  —  La  deuxième  audition  d'élèves  de 
M"0  Hortense  Parent  était  exclusivement  consacrée  aux  œuvres  de  MM.  Théodore 
Lack  et  Francis  Tbomé.  Parmi  celles  du  premier  de  ces  composileurs  qu'on  a  le 
plus  applaudies,  citons  la  Berceuse-rCverie,  le  Balîettino,  Tzyganyi,  Tunisienne, 
Valse-rapide,  Valse-arabesque,  l'Oiseau-Mouche  et  le  thème  slave  de  Coppèlia,  trans- 
crit pour  deux  pianos.  Les  œuvres  de  M.  Thomé  ont  eu  aussi  leur  succès,  surtout 
la  jolie  transcription  de  la  Chaconne  de  Lully.  —  Charmant  concert  et  des  plus 
variés  que  celui  de  M"*  Thérèse  CastellaD,  la  violoniste  si  distinguée  et  toujours 
si  applaudie.  C'était  d'abord  M.  Léon  Delafosse,  le  jeune  pianiste  d'unsi  beau  pré- 
sent et  d'un  plus  bel  avenir  encore,  qui  a  dit  i  lusieurs  petites  pièces  d'une  façon 
charmante,  entre  autres  I  Oiseau-Mouche-,  de  M.  Théodore  Lack  ;  puis  M""  Komaromi, 
la  brillante  élève  de  Mmu  Marcbesi,  dont  la  superbe  voix  a  été  fort  appréciée  dans 
la  romance  de  Mignon,  le  Soir,  d'Ambroise  Thomas,  et  la  si  expressive  mélodie  de 
M. Faure, Myosotis .  N'oublions  pas  l'organiste,  M"°  Tainc,  qui  a  dit  sur  l'harmonium 
la  valse  lente  de  Sylvia.  Qui  encore?  M1""  Ritter-Ciampi  et  son  mari,  M"*  Fonte- 
nay,  MM.  J.  Papin,  Villcmin,  Devriès  et  Dassy.  li  y  en  avait,  comme  l'on  voit, 
pour  tous  les  goûts.  —  M""  Audousset  a  donné  dimanche  dernier,  a  Neuilly,  une 
matinée  musicale  et  littéraire.  On  y  a  successivement  applaudi  M1"  Taiue,  l'or- 
ganiste, et  M.  Binou,  le  violoncelliste.  Pour  la  partie  littéraire,  M""  S.  Delaunay 
et  M.  Rambert.  M™°  Audousset  a  interprété,  avec  beaucoup  de  succès,  des  œu- 
vres de  Mendelssohn,  Chopin,  Widor  et  un  joli  Prélude  d'Elis  Borde.  —  M.  Ro- 
bert Ton  Brink  a  donné  un  concert  fort  intéressant,  avec  le  concours  de  M"'°  de 
Montalant  et  de  M"  Roger-Miclos.  Il  y  a  eu  des  bravos  pour  tous. 

Henri  Heuoel,  directeur-géiant. 


Dimanche  Ier  Juin  1890. 


3087  -  56-  ANNÉE  -  N°  22.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  l'r.;  Texte  et  Musique  de  P|ano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  l'r.,   Paris  et  Province.  —  Pour  L'Étranger,   les  Irais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste  :  Georges  Bizet  (i<  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Semaine 
tbéàtrale  :  premières  représentations  de  Zaïre  à  l'Opéra  et  de  la  Basoche  à 
l'Opéra-Comique.  Arthur  Pougin  ;  première  représentation  du  Hanneton  d'Heloïse 
et  reprise  des  Provinciales  à  Paris,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  La  musique 
et  le  théâtre  au  Salon  des  Champs-Elysées  (3°  article),  Camille  Le  Senne.  — 
IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LE    SENTIER 

nouvelle  mélodie  de  Louis  Diémer,  poésie  de  A.  de  Montferrier.  —  Suivra 

immédiatement  :  Suzon,  chanson  de  Joamni  Perronnet,  paroles  de  Mme  A. 

Perronnet. 

PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano:  Valse-sérénade,  d'ANTONix  Marmontel.  —  Suivra  immédiatement: 
Dansons  la  Tarentelle,  de  A.  Trojelli. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


GEORGES  BIZET 


La  distribution  de  l'ouvrage  fut  tout  de  suite  faite  pour 
les  rôles  d'hommes,  dont  on  chargea  le  ténor  Duchesne  et 
Potel.  Pour  l'unique  rôle  de  femme,  le  choix  ne  fut  pas  tout 
d'abord  arrêté. 

«  Priola  ou  Galli-Marié,  m'écrivait  le  compositeur  ».  Ce 
fut  à  une  troisième  qu'il  échut. 

Une  jeune  femme,  d'une  beauté  rare  et  d'un  charme  très 
grand,  venait  précisément  de  débuter  dans  le  répertoire, 
sous  le  nom  d'Aline  Prelly.  Elevée  dans  le  monde,  encore 
inexpérimentée,  ayant  grandement  besoin  de  leçons,  elle 
s'était  bravement  lancée  dans  la  carrière  dramatique,  avec 
une  crànerie  enfantine.  Elle  fut  désignée  pour  le  rôle  de 
Djamileh,  dont  plastiquement  elle  réalisait  le  type  idéal. 

Le  personnage,  agréable  à  représenter,  d'une  simplicité 
touchante,  offrait  au  point  de  vue  vocal  bien  des  aspérités 
pour  une  débutante.  On  pensa  que  sous  la  direction  du  com- 
positeur lui-même  tout  irait  au  mieux.  On  fit  une  épreuve 
sommaire,  jugée  satisfaisante  par  le  principal  intéressé,  et 
les  répétitions  commencèrent. 


Elles  furent  amusantes  au  possible.  La  partition  de  Georges 
Bizet  entrait  dans  le  sanctuaire  de  l'Opéra-Comique  avec  des 
airs  d'indépendance  peu  faits  pour  plaire  aux  pontifes.  Il  y 


y  avait  là  le  vieux  régisseur  Avocat,  qu'on  appelait  familiè- 
rement Victor,  homme  de  tradition,  ayant  vu,  je  crois,  la 
première  représentation  du  Pré  aux  Clercs  et  de  la  Dame  blanche, 
regardant  Bizet  d'un  œil  à  la  fois  indigné  et  navré,  écoutant 
parfois  d'un  coin  de  la  coulisse  cette  musique  dont  la  for- 
mule lui  échappait  et  se  retirant  d'un  pas  lourd  vers  son 
cabinet,  avec  un  imperceptible  haussement  d'épaules  et  un 
grognement  de  mauvais  augure.  Il  y  avait  de  Leuven,  le  di- 
recteur, qui,  sous  ses  airs  froids  de  gentilhomme,  dissimulait 
poliment  ses  impressions  en  public,  mais  ne  se  privait  pas 
de  les  exprimer  dans  l'intimité.  On  n'est  pas  pour  rien  l'au- 
teur du  Postillon  de  Lonjumeau,  et  le  Postillon  de  Lonjumeau  était 
si  loin  de  Djamileh!  Les  inspirations  de  Bizet,  si  fines,  si  co- 
lorées, si  pleines  de  séduction  et  de  passion  vraie,  tombaient 
comme  une  pluie  morne  sur  de  Leuven,  habitué  à  la  mu- 
sique facile,  légère  et  courante  des  opéras  de  sa  jeunesse. 
Il  ne  comprenait  pas,  ou,  bien  que  d'un  esprit  fort  subtil,  il 
ne  voulait  pas  comprendre.  Gomme  on  dit,  il  était  buté. 

Un  jour  que  j'étais  en  retard,  il  m'arrêta  dans  le  couloir 
et,  me  faisant  signe  d'écouter  un  air  de  l'ouvrage  qui  nous 
venait  de  l'avant-scène,  il  me  dit  de  son  grand  air  impas- 
sible :  «  Allons,  vous  arrivez  pour  le  De  Profanais!  » 

Pour  Camille  du  Locle,  il  était  aux  anges.  Avec  une  malice 
de  gamin  de  Paris,  il  prenait  plaisir  à  attiser  les  indignations 
de  Victor  et  à  dérider  la  gravité  dédaigneuse  de  son  associé, 
de  Leuven.  Les  petits  détails  matériels  de  l'œuvre  le  ravis- 
saient; très  artiste,  orientaliste  raffiné,  il  courait,  tous  les 
matins,  à  la  recherche  de  quelque  étoffe,  de  quelque  ajus- 
tement original,  de  quelque  meuble  ou  de  quelque  costume 
authentique.  Devant  un  amour  de  l'exactitude  poussé  jusqu'à 
l'extrême  minutie,  moi  qui  estime  qu'au  théâtre,  en  fait  de 
mise  en  scène,  le  semblant  est  presque  toujours  d'un  effet 
plus  grand  que  le  vrai,  je  me  permettais  parfois  de  le  plai- 
santer sur  ce  chiffonnage.  Il  allait  toujours,  habillant  Splen- 
diano-Potel  d'un  bel  abaïl  syrien  de  soie  gros  bleu  strié  d'or, 
Haroun-Duchesne  d'une  veste  superbement  brodée  dans 
quelque  féerique  bazar  de  Constantinople,  et  Djamileh  d'un 
ravissant  costume  d'aimée. 

Le  décor  était  dans  le  goût  hispano-mauresque,  s'il  m'en 
souvient  bien,  avec  une  large  ouverture  sur  le  plein  ciel. 
Une  belle  lanterne  multicolore  qu'on  manœuvrait  en  scène, 
à  un  certain  moment,  pour  l'allumer  quand  tombait  la  nuit, 
devait  faire  l'admiration  des  connaisseurs  et  ravissait  tout 
d'abord  le  jeune  directeur,  ce  qui  était  le  principal,  car 
j'ai  toujours  remarqué,  ayant  déjà  vu  quelques  directeurs  à 
l'œuvre,  combien  le  plaisir  de  mettre  en  scène  est  un  plaisir 
égoïste. 

Une  des  trouvailles  de  du  Locle,  au  cours  des  répé- 
titions,   fut    d'occuper    les    quelques    mesures    précédant, 


170 


LE  MÉNESTREL 


au  lever  du  rideau,  le  réveil  et  la  rêverie  du  ténor,  par 
une  scène  muette,  durant  laquelle  Djamileh  traversait  le 
théâtre,  légère  comme  une  vision,  se  penchait  avec  adora- 
tion vers  son  amant  endormi  pour  lui  baiser  la  main,  et 
s'éloignait,  les  yeux  extasiés.  Le  soir  de  la  première,  cette 
furtive  et  délicieuse  apparition  fit  passer  dans  la  salle  un 
frémissement  de  plaisir.  L'actrice,  qui  n'avait  pas  eu  à  chan- 
ter une  note  dans  cet  épisode,  recueillit  tous  les  suffrages, 
pour  sa  grâce  et  pour  sa  beauté.  Ses  grands  yeux  noirs 
humides  en  disaient  plus  alors  que  la  plus  douce  des  can- 
tiièoes,  et  le  triomphe  eût  été  complet  si  les  choses  avaient 
pu  aller  ainsi  jusqu'au  dénouement. 

Comme  Bizet  n'était  pas  sans  inquiétude  touchant  quelques 
détails  de  l'exécution  de  son  œuvre,  la  voulait  parfaite 
autant  que  possible,  et  entendait  ne  rien  abandonner  de  ce 
qui  pouvait  concourir  à  ce  résultat,  il  décida  que  pour  la 
première  représentation  il  prendrait  la  place  du  souffleur  et 
serait  ainsi  au  premier  rang,  pour  soutenir  ses  artistes  de 
la  voix  et  du  regard,  leur  envoyer  le  mot,  les  mettre  en  garde 
contre  une  faute. 

Djamileh  fut  représentée  à  1"  Opéra-Comique,  le  22  mai  1872. 

Le  soir  de  la  représentation,  Bizet  arriva  ponctuellement, 
très  calme,  et  comme  j'avais  résolu  de  ne  point  l'aban- 
donner, nous  descendîmes  tous  deux  dans  les  dessous  de  la 
scène,  au  moment  où  le  chef  d'orchestre  Deloffre  prenait 
place  à  son  pupitre. 

Bizet  s'installa  dans  la  boîte  du  souffleui,  moi  sur  une 
chaise  au-dessous  et  en  face  de  lui,  dans  l'étroit  passage,  le 
long  de  la  rampe,  en  contre-bas  de  son  poste.  Et  nous  voilà 
nous  regardant  avec  de  gros  yeux,  échangeant  quelques  mots 
rapides,  un  peu  fiévreusement,  tandis  qu'au-dessus  piéti- 
naient les  artistes,  attendant  le  lever  du  rideau. 

Enfin,  on  frappa  les  trois  coups,  le  chef  d'orchestre  leva 
son  bâton  et  Bizet,  l'œil  en  éveil,  commença  sa  besogne  de 
conducteur,  avec  une  sûreté,  avec  une  volonté  froide,  faites 
pour  surprendre  de  la  part  d'un  compositeur  sentant  der- 
rière lui  une  foule  dont  bien  des  éléments  pouvaient  à  bon 
droit  lui  inspirer  de  l'inquiétude. 

Les  premières  scènes  très  applaudies,  l'action  s'engagea 
dans  des  conditions  favorables.  Tout  à  coup,  je  vis  Bizet 
s'agiter  dans  sa  logette;  un  trouble  se  fit  autour  de  nous, 
aussitôt  dissipé  mais  très  appréciable.  Djamileh  venait  de 
passer  trente-deux  mesures  de  la  chanson  persane,  placée 
juste  au  beau  milieu  de  la  pièce.  Et  l'orchestre,  éperonné 
par  Deloffre,  courait  éperdùmènt  pour  rattraper  la  chanteuse. 

A  part  cet  accident,  la  soirée  s'acheva  sans  encombre,  ce 
qui  n'empêcha  pas  Bizet,  près  de  quitter  la  place,  de  se 
pencher  vers  moi  pour  me  dire  :  «  Allons,  un  four  com- 
plet! » 

De  la  modestie,  assurément,  car  si  l'ouvrage  surchargé 
de  musique  avait  paru  un  peu  long,  cela  n'enlevait  rien  à 
la  valeur  de  chaque  morceau.  Le  goût  du  public  ne  l'en- 
trai'jait  guère  alors  vers  les  choses  purement  lyriques; 
l'action  toute  simple  de  Djamileh  n'était  point  faite  pour  le 
séduire,  peu  sensible  qu'il  était  encore  au  développement 
des  passions.  Il  en  serait  tout  autrement  sans  doute  aujour- 
d'hui, où  le  théâtre  musical  vit  précisément  de  ces  déve- 
loppements et  dédaigne  les  complications  et  les  péripéties 
conventionnelles.  Et  il  aurait  été  absolument  impossible, 
dans  Djamileh,  d'user  de  l'un  de  ces  moyens  de  «  théâtre  » 
que  de  Leuven  m'indiquait  parfois,  en  riant  narquoisement, 
et  qu'il  empruntait  à  un   vieil  auteur,  ami    de  sa  jeunesse. 

—  Voyez-vous,  quand  l'action  languit,  c'est  bien  simple  : 
Un  des  personnages  laisse  tomber  une  pile  d'assiettes  et 
voilà  le  public  réveillé! 

Malheureusement,  dans  Djamileh,  il  n'y  avait  point  d'as- 
siettes à  casser.  L'ouvrage  eut  une  douzaine  de  représenta- 
tions, et  seuls  s'en  souviennent  peut-être  ceux  qui  ont  étudié 


de  près  l'œuvre  de  Georges  Bizet,  où  ce  petit  acte  marque  une 
période  d'évolution  dans    la    carrière    du   compositeur    qui, 
bientôt,  allait  donner,  dans  Carmen,  sa  formule  définitive. 
(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THÉÂTRALE 


Opéra.  —  Zaïre,  opéra  en  deux  actes,  de  MM.  Edouard  Blau  et  Louis 
Besson,  musique  de  M.  Véronge  de  la  Nux.  —  Opéra-Comiqoe.  La  Basoche, 
opéra-comique  en  trois  actes,  paroles  de  M.  Albert  Carré,  musique  de 
M.  André  Messager. 

M.  Paul  Véronge  de  La  Nux,  élève  de  Bazin,  grand  prix  de  Rome 
de  1876,  est  plus  heureux  que  M.  Charles  Lefebvre,  son  prédécesseur, 
grand  prix  de  Rome  de  1870.  Quels  ennuis  que  lui  ait  suscités  la 
direction  de  l'Opéra  —  et  l'on  sait  qu'elle  ne  s'en  est  pas  fait  faute, 
—  le  voici  joué  enfin,  et  sa  Zaïre  a  vu  le  jour  devant  le  public 
parisien.  Quant  à  M.  Charles  Lefebvre,  connu  par  de  nombreuses 
et  intéressantes  compositions,  parmi  lesquelles  un  beau  drame  bi- 
blique intitulé  Judith,  il  n'a  pu  réussir  encore  à  aborder  la  scène  à 
Paris,  et,  auteur,  lui  aussi,  d'une  Zaïre  dont  le  poème  lui  avait  été 
fourni  par  M.  Paul  Collin,  il  a  dû  se  résigner  à  la  transporter  en 
province  et  à  la  faire  jouer  à  Lille,  ou  le  rôle  principal  en  était 
tenu  par  une  jeune  artiste  de  tempérament,  Mmc  Fierens,  que  l'Opéra 
vient  précisément  d'engager  et  qui  doit  débuter  prochainement. 
Nous  étions  fort  peu,  parmi  les  critiques  parisiens,  qui  nous  étions 
décidés  à  faire  le  voyage  de  Lille,  pour  y  entendre,  le  3  décembre 
1887,  la  Zaïre  de  M.  Ch.  Lefebvre,  où  l'on  rencontrait  des  pages 
d'une  véritable  valeur,  si  bien  que  la  publicité  donnée  à  l'œuvre 
fut  des  plus  restreintes.  Plus  heureux,  M.  de  la  Nux  voit  la  sienne 
représentée  sur  notre  première  scène  lyrique,  et  toute  la  presse  s'en 
occupe  à  l'envi. 

Il  est  vrai  que  mes  confrères,  pour  la  plupart,  sont  loin  de  se 
montrer  tendres  pour  la  partition  du  jeune  compositeur,  et  je  me 
permettrai  de  trouver  leur  sévéïité  quelque  peu  excessive.  Mais 
avant  d'en  donner  mes  raisons,  i)  me  faut  dire  quelques  mots  de 
l'arrangement  dont  la  Iragédie  de  Voltaire,  réduite  de  cinq  actes  à 
deux,  a  été  l'objet  de  la  part  des  librettistes.  On  sait  que  Zaïre  était 
elle-même  une  imitation  très  libre  de  V Othello  de  Shakespeare.  Pour 
ma  part,  je  confesse  ingénument  que  je  préfère  de  beaucoup  l'ori- 
ginal, Othello  étant  autrement  vivant,  autrement  humain,  autrement 
mouvementé,  autrement  passionné  enfin  que  Zaïre,  si  l'on  excepte  le 
dernier  acte,  où,  étant  donné  le  sujet,  la  passion  s'imposait  d'elle- 
même.  Mais  les  longs  entretiens  de  Zaïre  et  de  Fatime,  les  conci- 
liabules fatigants  de  Nérestan  et  de  Chàtillon,  les  interminables 
tirades  d'Orusmane,  tout  cela,  il  faut  le  dire,  est  bien  froid,  bien 
compassé,  bien  languissant,  en  dépit  de  la  richesse  de  certains  vers 
et  de  quelques  scènes  vraiment  heureuses.  L'action  étant  resserrée' 
en  deux  actes,  tous  ces  hors-d'œuvre  ont  nécessairement  disparu  ; 
le  rôle  de  Fatime  est  réduit  à  ta  plus  simple  expression,  celui  de 
Chàtillon  n'exisle  plus  pour  ainsi  dire,  et  de  l'œuvre  primitive  il 
ne  reste  en  quelque  sorte  que  l'ossature,  la  carcasse  essentielle. 

Ainsi  comprimé,  si  l'on  peut  dire,  le  poème  de  Voltaire  pouvait 
offrir  l'aliment  nécessaire  à  l'inspiration  d'un  musicien  doué  de 
chaleur,  de  passion  et  de  tempérament.  Or,  ce  sont  là,  précisément, 
les  qualités  qui,  jusqu'à  présent  du  moins,  semblent  manquer  à 
M.  de  La  Nux.  Partout  où  il  eût  fallu  de  la  virilité,  de  la  puissance, 
un  sentiment  pathétique  et  chaleureux,  le  compositeur  parait  se 
dérober  complètement.  D'autre  part,  son  inspiration  est  courte,  elle 
se  traduit  en  membres  de  phrase  parfois  élégants  et  bien  venus, 
mais  que  ne  suivent  pas  leurs  corrélatifs,  et  qui  tournent  court 
d'une  façon  fâcheuse.  Enfin,  on  peut  lui  reprocher,  comme  je  le 
faisais  récemment  à  M.  Godard,  de  ne  tenir  aucun  compte  du  mou- 
vement, de  l'évolution  qui  signale  aujourd'hui  la  marche  de  l'art 
musical,  et  de  marcher  un  peu  trop  à  reculons  alors  qu'il  s'agirait 
d'aller  de  l'avant  et,  en  se  garant  de  tout  excès,  de  prendre  sa  part 
des  idées  nouvelles   que  quelques-uns  exagèrent  hop  volontiers. 

Mais  ce  n'est  pas  à  dire  pour  cela  que  la  partition  de  Zaïre  soit 
dénuée  de  toute  espèce  de  talent,  et  je  trouve,  pour  ma  part,  qu'on 
a  été  un  peu  trop  dur  et  cruel  pour  son  auteur.  Si  l'on  peut  repro- 
cher à  cette  partition  un  caractère  trop  tempéré,  une  couleur  trop 
uniforme,  et,  pour  tout  dire  d'un  mot,  une  constante  monotonie,  il 
n'en  est  pas  moins  vrai  qu'elle  est  écrite  avec  beaucoup  de  soin, 
que  les  morceaux  en  sont  généralement  bien  construits,  et  surtout 
que  l'orchestre,  très  sobre,  très  mesuré,   et  cependant  très  vivant, 


LE  MENESTREL 


m 


en  est  remarquablement  conçu.  On  y  remarque  même,  par  instanls, 
un  sentiment  seénique  qui  n'est  pas  très  commun,  comme  dans  la 
scène  ou  Orosmane  ordonne  à  sa  suite  de  sortir  pour  rester  seul 
avec  Zaïre,  et  l'on  pourrait  signaler  telle  ritournelle  de  violons, 
telle  rentrée  de  violoncelles  qui  préparent  ou  font  ressortir  la  dé- 
clamation et  qui  produisent  l'effet  le  plus  heureux. 

Je  ne  veux  pas  prétendre,  car  telle  n'est  pas  ma  pensée,  que 
l'ensemble  de  l'oeuvre  soit  réussi.  Elle  manque,  je  l'ai  dit,  essen- 
tiellement de  force  et  de  passion,  jusque  dans  les  moments  les 
plus  dramatiques,  jusque  dans  la  scène  du  meurtre  de  Zaïre,  qui 
était,  ou  jamais,  de  nature  à  exciter  la  verve  et  l'imagination  d  u 
musicien,  inspiration  qui  est  vraiment  trop  absente.  Mais  je  veu  x 
tenir  compte  au  compositeur  du  respect  qu'il  prouve  de  sa  plume, 
aussi  bien  que  de  l'intelligence  dont  il  fait  souvent  preuve  et  qui 
se  retrouve  dans  maints  détails  intéressants.  Je  ne  veux  pas  ou- 
blier d'ailleurs  que  c'est  là  le  premier  ouvrage  d'un  artiste  qu  i 
jamais  encore  n'a  eu  l'occasion  de  s'entendre  à  la  scène,  et  quand 
je  me  reporte  aux  premières  œuvres  dramatiques  de  certains  com- 
positeurs de  quelque  renom  qui  s'appelaient  Spontini,  Auber,  Meyer- 
beer,  je  dis  qu'il  ne  faut  pas  être  trop  dur  pour  un  musicien  à  ses 
débuts,  et  qu'on  doit  se  garder  autant  que  possible  de  le  décou- 
rager. 

Je  ne  crois  pas  nécessaire,  après  les  réflexions  qui  précèdent,  de 
faire  une  analyse  détaillée  de  la  musique  de  Zaïre.  Je  me  bornerai 
à  signaler  certains  passages  qui  m'ont  plus  particulièrement  frappé. 
Parmi  ceux-ci,  le  duo  de  Zaïre  et  de  Fatime,  qui  contient  un  épi- 
sode charmant:  Orosmane  revient,  il  revient  triomphant!  annoncé  par 
une  élégante  ritournelle  des  violons,  et  qui  se  termine  très  ha  r- 
monieusernent  et  très  heureusement  sur  ce  vers  :  Je  suis  heureuse  et 
ne  sais  rien  de  plus;  puis,  le  chœur  des  captifs,  qui  ne  manq  îe  ni  de 
verve  ni  de  couleur;  et  enfin,  dans  le  finale  du  premier  acte,  toute 
la  partie  dans  laquelle  la  voix  de  Lusignan  plane  sur  l'ensemble 
choral  et  le  domine  avec  une  véritable  grandeur.  Cela  est  d'un  ex- 
cellent effet. 

En  tête  de  l'interprétation,  il  faut  placer  MUe  Eames,  qui  nous  a 
donné  une  Zaïre  idéale.  La  femme  est  charmante  et  d'une  élé  - 
gance  patricienne  ;  la  chanteuse,  douée  d'une  voix  adorable,  juste  , 
caressante  et  d'une  exquise  pureté,  conduit  cette  voix  avec  un 
goùl  parfait  et  phrase  délicieusement;  la  comédienne  enfin  fait 
preuve  d'une  véritable  intelligence  et  ne  laisse  rien  à  désirer. 
M.  Delmas  est  un  superbe  Orosmane,  bon  comédien  et  remarqua- 
ble chanteur,  à  qui  je  reprocherai  seulement  de  traîner  parfois  un 
peu  trop  la  phrase  musicale  et  de  lui  enlever  ainsi  son  nerf  et  sa 
vigueur.  Quant  à  M.  Esealaïs,  qui  représente  Lusignan,  son  bel 
instrument  conserve  toute  sa  puissince  et  sa  sonorité;  peut-être 
cependant  pourrait-il  approfondir  davantage  l'art  des  nuances  el  des 
contrastes.  M.  Jérôme  est  un  Nérestan  suffisant,  et  Mm-  Pack  une 
Eatime  bien  insuffisante  et  par  trop  chevrotante. 


Passons  à  l'Opéra-Comique,  et  occupons-nous  maintenant  de 
la  Basoche.  Nous  ne  sommes  plus  ici  aux  jours  sombres  du 
Roi  d'Ys,  de  Dante  et  d'Esclarmonde,  et  la  Basoche  semble  vou- 
loir nous  ramener  au  vrai  genre  de  l'opéra-omique,  vraiment 
un  peu  trop  négligé  depuis  longtemps.  Seulement,  peut-être  la 
note  est-elle  uu  peu  fo  C-'e,  et  l'opéra-comique  cette  fois  tourne-t-il 
un  peu  trop  vers  l'opérette.  Cette  réflexion  s'applique  surtout  au 
livret,  qu?  je  vais  essayer  de  faire  comprendre,  ce  qui  ne  sera  pa  s 
toujours  facile,  car  il  n'est  pas  toujours  d'uue  absolue  limpidité 

Nous  sommes  sous  le  règne  du  bon  roi  Louis  XII,  dit  «  le  Père 
du  peuple.  »  Ou  sait  ce.  qu'était  alors  la  Basoche,  qui  comprenait 
la  corporation  des  clercs  du  Parlement  et  de  la  Ciur  de*  Comptes 
et  qui,  de  toute  cette  jeunesse  spéciale  formait  une  vaste  association 
gouvernée  par  un  roi  —  le  roi  de  la  Basoche  —  et  toute  une  série 
de  dignitaires  :  chancelier,  grand  référendaire,  maître  des  requêtes, 
garde  du  sceau,  etc.,  jusqu'aux  notaires,  secrétaires  et  huissiers. 
Les  clercs  delà  Basoche  furent,  avec  les  confrères  de  la  Passion, 
nos  premiers  comédiens,  et  ils  obtinrent,  ainsi  que  ceux-ci,  'le 
privilège  de  donner  des  représentations  publiques  qui  étaient  très 
suivies  et  dans  lesquelles  ils  ne  se  gênaient  point  pour  railler  et 
critiquer  les  gouvernants,  le  parlement  et  jusqu'au  souverain  lui- 
même. 

Chaque  année  la  Basoche  élisait  son  roi,  lequel,  entre  autres 
prérogatives,  avait  le  droit  de  frapper  une  monnaie  particulière 
qui  avait  cours  entre  les  clercs  et  les  fournisseurs  attitrés  de  la 
corporation.  La  première  condition,  pour  être  élu  roi  de  la  Basoche, 


était  d'être  célibataire,  et  c'est  justement  là  le  point  de  départ  de 
l'action  imaginée  par  M.  Albert  Carré. 

Au  premier  acte ,  en  effet  ,  nous  voyons  que  les  basochiens 
viennent  de  choisir  pour  leur  roi  le  poète  Clément  Marot.  Mais 
Marot,  qui  s'est  marié  récemment,  a  dû  celer  son  mariage  pour 
obtenir  cette  dignité,  et  confiner  sa  jeune  femme,  Colette,  dans  un 
village  des  environs  de  Paris.  Malheureusement,  Colette  s'ennuie, 
et  elle  vient  à  la  recherche  de  son  époux,  qu'elle  rencontre  à 
l'auberge  du  Plal-d'étain  et  qui  la  supplie  de  ne  point  révéler  leur 
union.  A  cette  même  auberge  descend,  avec  le  due  de  Longueville, 
qui  l'est  allé  chercher  à  la  cour  de  Henri  VIII,  la  princesse  Marie 
d'Angleterre,  sœur  de  ce  prince,  dont  le  mariage  avec  le  roi  de 
Erance  doit  avoir  lieu  prochainement. 

Tandis  que  la  princesse  s'étonne  que  le  roi  ne  s'empresse  pas 
de  la  venir  chercher  lui-même  pour  l'emmener  au  palais,  on  lui 
apprend  qu'il  va  venir,  et  Colette  apprend  de  son  côté  que  son 
mari  a  été,  le  matin  même,  revêtu  de  la  dignité  royale.  Il  s'agit 
ici  du  roi  de  la  Basoche,  ce  que  l'une  et  l'autre  ignorent  également, 
et  ce  qui  fait  le  fond  de  l'intrigue.  En  effet,  Marot  se  présente  à 
l'auberge,  où  la  princesse,  le  supposant  son  époux,  trouve  plaisant 
de  le  faire  souper  avec  elie,  tandis  que  Colette,  furieuse,  veut  abso- 
lument rentrer  en  possession  de  son  mari,  qu'elle  s'imagine  roi  de 
France. 

Cette  situation,  qui  se  prolonge  un  peu  trop  pendant  le  cours  de 
trois  actes  fort  développés,  engendre  naturellement  une  foule  d'inci- 
dents, de  surprises  et  de  quiproquos,  dont  les  uns  sont  plaisants, 
dont  les  autres  abusent  de  la  faculté  d'être  invraisemblables. 
Louis  XII  apprend  l'équipée  de  la  princesse  Marie,  et  s'en  montre 
courroucé.  Il  veut  savoir  avec  qui  la  princesse  a  soupe  au  Plat- 
d'étain,  et,  comme  Colette  s'est  présentée  au  palais  sous  le  costume 
de  la  reine  de  France  qu'elle  croit  être  (!!),  il  l'interroge  sans  en 
pouvoir  obtenir  aucun  renseignement;  il  interroge  de  même  le  duc 
de  Longueville,  qui  est  dans  l'impossibilité  de  l'éclairer  davantage. 
Enfin,  la  princesse  Marie,  c'est-à-dire  la  vraie  reine,  s'offre  à  ses 
yeux,  tout  s'explique,  non  sans  quelque  difficulté,  Colette  est  ren- 
due à  son  époux,  lequel  était  menacé  d'être  pendu  pour  extorsion 
de  qualité,  et  le  mariage  de  Marot  étant  rendu  public,  il  est  obligé 
de  se  démettre  de  sa  souveraineté  et  de  céder  le  trône  de  la  Basoche 
à  un  confrère  plus  foncièrement  célibataire  que  lui. 

Tel  est  le  livret  de  la  Basoche,  qui  ne  manque  ni  de  galté,  ni 
de  mouvement,  mais  un  peu  de  réel  intérêt,  et  à  qui  l'on  peut 
reprocher  une  fantaisie  parfois  excessive.  Nous  retrouvons  ici  les 
procédés  jadis  chers  à  Scribe,  que  pour  ma  part  je  ne  trouve  pas  les 
plus  mauvais,  mais  nous  n'y  trouvons  pas  la  solidité  de  charpente, 
l'ingéniosité  de  détails  et  la  fertilité  d'incidents  logiquement  enfantés 
les  uns  par  les  autres,  qui  en  sauvaient  l'invraisemblance. 

Sur  ce  livret  M.  Messager  a  écrit  une  partition  importante  — trop 
importante  —  dont  la  première  partie,  je  veux  dire  le  premier  acte, 
est  vraiment  le  meilleur.  Ce  premier  acte,  qui  s'annonce  par  une 
eourle  ouverture,  d'une  facture  franche  et  décidée,  contient  plusieurs 
morceaux  fort  bien  venus  :  la  ballade  de  Marot,  sur  les  vers  de 
Clément  Marot  lui-même  :  Je  suis  aimé  de  la  2'lus  belle,  dont  le  tour 
mélodique  est  empreint  de  grâce  et  d'élégance  ;  les  couplets  du  même  : 
Quand  tu  connaîtras  Colette,  qui  sont  fort  distingués;  un  petit  chœur 
de  femmes,  harmonieux  et  d'un  joli  effet;  les  couplets  de  Léveillé  : 
Dans  ce  grand  Paris,  d'un  sentiment  mélodique  pleiu  de  charme  et  de 
grâce;  et  enfin  une  phrase  de  l'air  de  Colette  :  Je  suis  veuve,  dont 
l'accent  est  d'une  mélancolie  pénétrante.  Ce  que  je  ne  pardonne  pas 
à  M.  Messager,  qui  est  capable  d'écrire  de  si  jolies  choses,  c'est  le 
malencontreux  air  de  bravoure  qu'il  a  placé  dans  la  bouche  de  la 
princesse,  et  qui  est  d'un  poncif  désespérant. 

Auseconl  acte,  il  faut  signaler  un  chœur  dansé,  très  franc,  le 
duo  de  Marot  et  de  Colette,  qui  contient  quelques  élans  passionnés, 
et  le  trio,  dont  toute  la  première  partie  est  charmante,  solidement 
construite,  el  tout  à  fait  dans  le  ton  du  véritable  opéra-comii|ue,  avec 
d'excellents  détails  d'orchestre.  Le  troisième  acte  est  le  plus  faible  à 
mon  sens,  bien  que  le  meDuet  qui  firme  l'entr'acte  avec  son  joli 
dessin  de  violons,  soit  tout  à  fait  aimable  et  plein  de  grâce. 

C'est  M.  Soulacroix  qui  personnifie  Clément  Marot.  Son  éloge 
n'est  plus  à  faire;  il  joue  et  chante  ce  rôle  d'une  façon  exquise. 
Celui  du  duc  de  Longueville,  qui  est  mal  tracé,  est  tenu  par  M.  Fûgère, 
qui  en  tire  tout  le  parti  possible,  M1""  Landouzy  représente  la  prin- 
cesse Marie  d'Angleterre,  et  Mme  Molé-Truffier,  la  gentille  Colette  ; 
M100  Landouzy  est  fort  aimable,  et  M"10  Mole  toujours  un  peu  pincée, 
avec  une  voix  toujours  aigrelette.  Les  autres  rôles  sont  convena- 
blement tenus  par  MM.  Carboune,  Baruoll,  Thierry  et  Maris. 
L'ensemble  est  en  somme  très  satisfaisant.  Mais  je  crois  que  la  part 


il '2 


LE  MENESTREL 


faite  à  la  musique  dans  la  Basoche  est  excessive,  et  que  quelques  cou- 
pures pratiquées  dans  cetle  partition  l'allégeraient  très  heureuse- 
ment et  rendraient  la  pièce  plus  alerte  et  plus  vive. 

Arthur  Pougin. 

Folies-Dramatiques.  Le  Hanneton  a"  Héloïse,  vaudeville  en  quatre 
actes,  de  M.  Georges  Du  val.  —  Palais-Royal.  Les  Provinciales  à  Paris, 
comédie-vaudeville  en  quatre  actes  de  MM.  E.  de  Najac  et  Pol 
Moreau. 

Beaucoup  plus  avisé  que  le  hanneton  qui  s'était  tualeneontreu 
sèment  logé  dans  l'oreille  du  pauvre  Rinsbeck,  l'inoubliable  garde 
champêtre  du  Fétiche,  de  joyeuse  mémoire,  celui  de  Ml:e  Héloïse 
s'off.e,  hors  des  regards  indiscrets,  une  petite  promenade  des  plus 
intimes.  Et  comme  la  belle  enfant  pousse  des  cris  de  détresse, 
il  se  présente  un  bon  jeune  homme  qui  se  trouve  très  heuieux  de 
jouer  le  rôle  de  sauveteur.  Mais  au  moment  où  il  va  saisir  la  petite 
bête,  un  oncle  surgit  fâcheusement,  s'explique  mal  la  situation  et 
exige...  un  mariage.  Voilà  comment  Héloïse  est  devenue  la  femme 
de  Chalendrin  et  voilà  pourquoi  tous  les  ans,  pour  têter  l'anniver- 
saire de  ce  grand  jour,  les  deux  époux  vont  passer  une  journée  à 
Nogent  dans  les  bosquets  qui  furent  témoins  de  leur  première  ren- 
contre. Or,  il  y  a  déjà  dix  ans  que  Chalendrin  accomplit  pieusement 
le  pèlerinage  imposé  par  sa  femme,  lorsque  les  beaux  yeux  d'une 
certaine  Delphine  lui  font  prendre  en  grippe  le  hanneton  et  l'hom- 
mage qu'il  doit  rendre  à  son  souvenir.  Il  s'ingénie  alors  à  fuir  sa 
femme  pour  regagner  la  bien-aimée  et,  à  Nogent  même,  nous  assis- 
tons à  des  chassés-cioisés  et  à  des  quiproquos,  auxquels  viennent 
se  mêler  un  joyeux  riveur,  un  jeune  chapelier,  la  nièce  d'Héloïse  et 
une  employée  des  Chalendrin,  chasses-croisés  et  quiproquos  que  je 
m'avoue  absolument  incapable  de  vous  narrer,  et  auxquels  j'ai  ri, 
comme  la  salle  entière,  de  très  grand  cœur.  M.  Gobin  est  un  Cha- 
lendriu  d'un  entrain  merveilleux,  et  MM.  Montbars  et  Guyon  fils 
ne  mauquent  ni  d'esprit  ni  de  galté.  MIle  Leriche  grimace  tant 
qu'elle  peut  le  rôle  de  la  femme  au  hanneton  et  Mlles  Laborie,  Stella 
et  Marie  Patry  sont  avenantes.  C'tst  M.  Baggers  qui  a  semé  de  cou- 
plet-; très  heureux  le  nouveau  succès  de  M.  Georges  Duval. 

Encore  un  vaudeville  ;  celui-ci  vieux  de  douze  ans  déjà,  mais  qui 
ne  semble  écrit  que  d'hier  seulement.  C'est  l'histoire  des  tribulations 
d'une  famille  parisienne  qui,  pendant  l'Exposition  Universelle,  se 
voit  obligée  d'héberger  des  parents  et  amis  qui  leur  tombent  des 
quatre  coins  de  la  province.  On  en  couche  partout,  on  se  blottit 
dans  les  chambres  des  domestiques  au  sixième  étage,  on  se  torture 
et  on  désorganise  son  existence  pour  satisfaire  ses  hôtes  et  on  n'en 
reçoit  que  des  plaintes,  et  en  ne  récolte  de  leur  passage  que  des 
ennuis  et  des  désagréments.  Une  vieille  tante  chasse  les  domesti- 
ques qui  lui  déplaisent,  un  ami  installe  son  appareil  à  douches  en 
plein  salon  et  transforme  la  pièce  en  lac  artificiel,  une  amie  se 
laisse  donner  des  rendez-vous  dans  votre  propre  appartement  et 
vous  compromet  horriblement.  Tout  cela  est  d'une  observation  très 
amusante  et  mis  en  œuvre  avec  une  adresse  remarquable.  La  troupe 
du  Palais-Royal  y  est  absolument  parfaite  de  gaité,  de  finesse  et 
de  bonne  humeur.  Il  faut  citer  en  première  ligne  MM.  Saint-Ger- 
main, Milher,  Galipaux,  Calvin  et  Mmes  MathiLie,  Lavigne  et  Cheirel. 
M'"'s  Bonnet,  Clem,  Dolci  et  Froment  complètent  un  ensemble  qui 
assure  de  nombreuses  représentations  à  cette  très  amusante  reprise. 

Paul-Emile  Chevalier. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THEATRE 

AU    SALON    DES     CHAMPS-ELYSÉES 


(Troisième  article.) 

La  musique  est  en  grand  honneur  parmi  nos  paysagistes,  surtout 
parmi  ceux  qui  ont  le  goût  des  titres  nouveaux  et  qui  répu°-ncnt  à 
intituler  un  effet  de  nuit  «  effet  de  nuit  »  ou  uu  effet  de  matin  «  effet 
de  matin  »,  à  la  manière  de  Corot,  de  Daubigny,  de  Rousseau  et 
autres  simplistes.  Nos  peintres  actuels  de  la  nature  surprise  à  l'aube 
ou  au  crépuscule,  cherchent  des  appellations  plus  compliquées-  il 
en  est,  comme  M.  Hareux,  qui  combinent  l'ancien  procédé  et  la 
nouvelle  manière  avec  un  large  opportunisme  :  «  les  Bords  de  la 
Creuse,  symphonie  matinale  »,  titre  encore  intelligible.  On  en  ren- 
contre comme  M.  Whistler,  qui  poussent  jusqu'au  rébus  avec  le 
«  nocturne  en  bleu  et  argent  »,  et  le  «  nocturne  en  noir  et  or  ». 
Une  jetée,  de  l'eau  bleue,  —  d'un  bleu  pâle  et  transparent  —  des 
petits  bateaux  dont   les  feux   multicolores  ont   l'air   de  jouer   aux 


régates  vénitiennes,  des  alouettes  indécises  et  mouvantes  qui  pour- 
raient être  des  spectres,  qui  sont  peut-être  des  promeneurs,  voilà 
le  nocturne  en  bleu  et  argent  :  un  point  d'interrogation  avec  beau- 
coup de  charme  et  un  très  petit  peu  de  musicalité  symphonique  tout 
autour.  Quant  au  nocturne  en  noir  et  or,  vous  saurez. . .  mais  je  me 
défie  de  mes  facultés  descriptives  sur  un  terrain  aussi  délicat  que  la 
définition  du  «  rienisme  »  préciosé,  fignolé,  raffiné,  enguirlandé,  et 
j'aime  mieux  recourir  aux  lumières  spéciales  d'un  initié.  Donc,  s'il 
faut  en  croire  M.  Gustave  Geffroy  :  «  le  nocturne  en  noir  et  or  s'élabore 
au-dessus  des  pelouses,  autour  de  chevelures  d'arbres,  au  long  d'un 
haut  édifice.  Des  feux  courent  au  ras  du  gazon,  tombant  en  pluie 
lumineuse  à  travers  les  feuillages,  dorent  les  cours  entr'aperçues, 
trouent  l'obscurité.  Des  voiles  de  deuil  s'entrecroisent,  de  déchi- 
rantes lueurs  traversent  l'espace  ;  le  sol  frissonne,  devient  phospho- 
rescent d'une  lueur  verdàtre.  C'est  infiniment  délicat  et  tendre.  Par 
un  prodige  de  sensitivité  et  de  virtuosité,  la  nuit  reste  despotique  et 
mystérieuse  tout  en  étant  clarifiée  et  pénétrée  de  lumière.  »  Si  vous 
n'êtes  pas  renseigné  maintenant... 

Autre  harmoniste,  moins  savant,  mais  plus  compréhensible  que  le 
peintre  des  deux  necturnes,  M.  Lucas,  dont  le  Soir  de  Fête  nous 
montre  une  jeune  musicienne  jouant  du  violon  dans  un  parc  où  le 
sous-bois  s'éclaire  de  la  lueur  orange  des  lanternes  vénitiennes. 
Mais  arrachons-nous  au  charme  perfide  des  concerts  nocturnes  — 
l'ombre  même  «  piquée  »  des  notes  aiguës,  des  notes  amusai  tes 
d'une  lanternerie  fantaisiste,  est  dangereuse  pour  les  virtuoses  comme 
pour  les  chanteurs,  —  et  revenons  à  un  petit  groupe  de  tableaux  de 
pure  mise  en  scène.  Très  original,  très  beau  cinquième  acte  de 
drame  patriotique,  époque  révolutionnaire,  le  Clairin,  «  l'Armée 
française  dans  l'église  de  Saint-Marc  à  Venise  »,  contraste  saisis- 
sant des  va-nu-pieds  et  des  sans-culottes  de  l'armée  républicaine 
avec  les  costumes  éclatants,  les  ors  et  les  écarlates  des  officiants. 
La  tonalité  générale,  un  peu  papillotante,  fait  songer  aux  aqua- 
relles d'Isabey,  mais  l'ensemble  est  plus  net.  Encore  un  finale  mis  au 
théâtre  et  même  en  opérette,  si  j'ai  bonne  mémoire:  la  «  prise  de  la 
Flotte  hollandaise  par  les  hussards  français  » ,  de  M.  Sauzea. 
Et  quelle  pose  théâtrale  ont  prise  les  «  protestants  fugitifs  »  de 
M.  Maurice  Bloir  attendant,  sur  un  pic  des  Cévennes,  l'armée  des 
dragons  qui  ont  surpris  leur  asile  !  On  l'a  dit  très  justement,  et  je 
ne  puis  que  le  répéter  :  le  chef  semble  chanter  un  grand  air  sur 
la  révocation  de  l'édit  de  Nantes.  Nous  retiouvous  un  effet  décoratif 
beaucoup  plus  sobre  avec  le  Détaille  «  En  batterie  »,  artilleur  de  la 
Garde,  régiment  monté.  Oai,  j'entends  les  objections  devant  ce  rendu 
simple,  sans  romantisme  ni  panache.  Évidemment  ce  n'est  pas  de 
Géricault,  mais  la  peinture  de  la'  guerre  moderne  ne  doit-elle  pas 
s'inspirer  aussi  des  sincérités  et  des  sobriétés  du  modernisme  ?  Et 
d'ailleurs  je  le  trouve,  pour  ma  part  fort  logique  dans  son  métho- 
dique emballement,  ce  chef  d'escadron  qui  couduit  la  charge  avec 
autant  de  simplicité  qu'un  bon  chef  d'orchestre  sûr  de  ses  exécutants. 

Je  signale  aux  directeurs  de  théâtre  à  la  poursuite  d'un  «  clou  »" 
mélodramatique  le  tableau  de  M.  Mae-Even  :  «  l'Absente  »,  la  mère 
morte,  apparaissant  en  transparence  à  la  veillée  pendant  que  le  père 
sommeille  et  que  l'enfant  s'attarde  à  quelque  lecture  pieuse.  Rien 
n'est  plus  facile  à  réaliser  soit  avec  un  jeu  de  glaces,  soit  avec  tout 
autre  procédé,  et  l'effet  serait  énorme.  A  quelle  scène  du  Boulevard 
adjugerons-nous  «.  l'Absente  »  ?  Trois  cents  représentations  assurées 
et  pas  de  frais.  Avec  un  clou  pareil  on  peut  se  passer  de  littérature 
et  même  de  dialogue. 

Arrivons  aux  portraits.  Voici  M"lc  Paladilhe,  une  très  belle  étude 
de  Georges  Desvallières,  qui  a  reirouvé  au  Palais  de  l'Industrie  son 
grand  succès  de  l'Exposition  au  cercle  Volney  ;  le  Pierre  Loti  de 
Mmo  Marie  Bon;  un  portrait  de  Gustave  Nadaud,  par  Auguste  de  la 
Brély;  Georges  P.ichard,  l'acteur-auteur,  le  Lafontaine  du  Chàleau- 
d'Eau,  par  M.  Gorguet  ;  M.  JablockoiT  (un  prince  de  la  rampe!), 
par  M.  Jardon;  unbeauDiaz  de  Soria.par  Aima  Tadcma;  M.  G.  Viardot. 
par  Victor  Marec. .  .  J'en  oublie,  et  j'ai  déjà  cité  le  remarquable  portrait 
de  Mmc  Roger-Miclos,  par  Henner. 

Promenades  rapides,  courtes  entrevues,  ce  sont,  tous  les  ans,  les 
mêmes  rapports  entre  la  critique  d'art  et  la  section  intitulée  sur  le 
livret  :  «  Cartons,  aquarelles,  pastels,  miniatures,  vitraux,  émaux, 
porcelaines,  faïences...  »  Et  pourtant,  que  d'oeuvres  charmantes  dans 
ces  salles  peu  fréquentées.  11  me  faut  citer  au  passage  un  bon 
portrait  de  Mlle  Rosita  Mauri  par  M"0  Auboise;  uu  fusain  très  per- 
sonnel, très  puissant  do  M"''  Beaury-Saurel,  dont  le  talent  se  virilise 
chaque  année  :  Mmo  Tessaudier,  de  la  Comédie-Française  (pas  pour 
longtemps);  deux  intéressantes  séries  de  dessins  de  Bida  pour 
l'illustration  des  œuvres  de  Shakespeare;  une  Sarah  Beruhardt  en 
porcelaine,  de  M"0  Bouleau  —  et  comme  elle  a  l'éclat  du  verre,  elle 


LE  MENESTREL 


173 


en  a  la...  solidiLé  !. . .  De  M.  Fournery,  une  aquarelle  d'une  tona- 
lité très  juste  :  l'unique  Denise,  la  Francillon  incomparable, 
M1U"  Barlet.  Le  Mascarille  de  Mlle  Real  del  Sarte  :  Vivat  Mascarillus 
fourbum  imperator,  ne  manque  ni  de  vigueur,  ni  d'esprit.  A  la 
gravure,  quelques  reproductions  d'une  bonne  venue  :  le  Mounet- 
Sully  de  Ciairin,  en  Hamlet,  par  Boilct;  le  Verdi  de  Boldini,  par 
Lafond;  l'Orphée  de  Corot,  par  M"0  Leluc;  Beethoven,  par  Michalek; 
la  Mme  Valmore  de  David,  par  Mougin;  le  Comédien  de  Béraud  et 
la  Javanaise  de  ReDOuard,  par  Paillard;  la  Sonate  de  Leloir,  par 
Ruet;  le  Concert  de  Melzu,  par  Sevrelte;  la  Sortie  de  Bal  de  Romain 
Ribera,  par  Torné;  le  Concert  Serbe  au  Champ  de  Mars,  par  Vil- 
lemsens. 

.Passons  à  la  statuaire.  Et  d'abord,  une  station  devant  l'œuvre  où 
M.  Falguière  a  cru  devoir  faire  une  concession  d'un  goût  qui  me 
semble  au  moins  douteux,  à  la  virilisation  des  modes  féminines, 
la  «  Femme  au  paon  »,  dont  le  marbre  se  dresse  ihéâtralement, 
orgueilleusement,  à  l'entrée  de  la  grande  nef;  c'est,  ma  foi!  il  faut 
bien  dire  le  mot,  c'est  l'aimable  garçon,  c'est  le  joli  jeune  homme 
des  pièces  actuelles,  des  comédies  de  mœurs  genrs  Variétés  ou 
Vaudeville,  c'est  le  camarade  désexé  que  tant  de  mondaines  es- 
sayent d'incarner  dans  la  haute  société  ou  plutôt  dans  la  grande 
bohème  de  Paris,  à  l'imitation  des  excentricités  Belbeuviennes.  On 
se  la  figure  —  Chaumont,  Réjane  ou  Lavigne  —  costumée  en  chas- 
seur, le  chapeau  tyrolien  sur  l'oreille,  les  cheveux  frisés  en  boucles 
serrées,  l'oreille  rose  et  pointante,  librement  dégagée.  L'impression 
est  bizarre,  et,  somme  toute,  assez  équivoque.  Très  heureusement 
traitée,  quant  aux  finesses  du  marbre  (l'artiste  se  double,  chez 
M.  Falguière,  d'un  praticien  fort  expert),  cette  Androgyne  attire  et 
ne  retient  pas.  Aussi  bien,  elle  n'est  pas  esthétiquement  sans  défaut. 
Il  me  faudrait  trop  de  périphrases  pour  expliquer  où  s'affirment  les 
exagérations,  mais  on  peut  s'eu  rendre  compte  à  l'œil  nu.  La  vue 
n'engage  à  rien. 

Plus  innocente  et  plus  vraiment  femme  dans  sa  gaucherie  assez 
primitive,  I'  «  Eve  »  de  M.  Cordier,  commentaire  du  verset  biblique  : 
«  L'Éternel  dit  à  la  femme  :  «  Pourquoi  as-tu  fait  cela?  »  Et  la1 
femme  répondit  :  «  Le  serpent  m'a  séduite  et  j'ai  mangé  du  fruit 
»  de  l'arbre.  »  C'est  une  Eve  grassouillette  et  savoureuse  à  souhait; 
on  croirait  voir  1III"!  Théo  dans  l'opérette  des  Nouveautés.  J'aime 
assez  peu  le  trompe-l'œil  dessiné  en  larges  boucles  sur  la  poitrine 
du  modèle  ;  mais  ce  serpent  qui  parle  à  la  femme  en  se  collant  à 
son  épiderme,  ce  serpent  frôleur  est  une  heureuse  trouvaille. 

Encore  quelques  œuvres  d'inspiration  franche  :  le  monument  de 
Flaubert  —  la  vérité,  l'humble  vérité  célébrée  par  Maupassant, 
écrivant  sous  la  dictée  du  maître  —  et  la  Danseuse  destinée  à  l'hôtel 
du  baron  Alphonse  de  Rothschild.  Voici,  pour  ne  pas  trop  nous 
éloigner  de  Flaubert,  Salammbô  après  la  rupture  de  la  chaînette 
d'or  :  «  On  a  accoutumé  les  vierges,  dans  les  grandes  familles,  à 
respecter  ces  entraves  comme  une  chose  presque  religieuse,  et 
Salammbô,  en  rougissant,  roula  autour  de  ses  jambes  les  deux 
tronçons  de  la  chalue  d'or.  »  Cet  embarras  pudique  rentre  dans  les 
données  normales  de  la  statuaire,  et  M.  Coudray  en  a  tiré  bon 
parti.  Les  sujets  ainsi  spécialisés  ont  plus  d'accent  que  les  banales 
allégories  d'ingénuités  qui  s'inquiètent,  —  d'innocences  qui  s'explo- 
rent. —  De  Carlier,  une  scène  des  Travailleurs  de  la  Mer,  Gilliatt 
saisi  par  la  pieuvre,  groupe  maibre  :  «  ...  Gilliatt  avait  enfoncé 
son  bras  dans  le  trou;  il  se  sentit  saisi...  quelque  chose  qui 
était  mince,  plat,  glacé,  gluant  et  vivant,  venait  de  se  tordre  dans 
l'ombre  autour  de  son  bras.  La  bête  l'avait  happé.  »  De  beaux 
détails  dans  ce  morceau  tourmenté. 

Section  des  «  grands  spectacles  populaires  »,  classe  de  la  mise  en 
scène  pour  quatorze  juillet,  mais  plus  bizarre  que  séduisant  et  plus 
•enlevé  comme  tour  de  force  que  réussi  comme  morceau  de  statuaire, 
le  bas-relief  plàtie  de  M.  Léopold  Mo  ri  ce  :  «  Gluire  à  Marceau  » 
(souvenir  de  la  translation  des  cendres  de  Marceau  au  Panthéon  en 
1889).  Ce  hussard  qui  s'envole  dans  les  bras  de  la  Gloire,  botté, 
éperonné,  sabre  au  flanc,  est  une  silhouette  quelque  'peu  déconcer- 
tante. 

La  Sirène  de  M.  Puech  a  des  ailes,  de  grandes  ailes,  ce  qui  doit  la 
gêner  pour  nager  entre  deux  eaux,  mais  elle  s'acquitte  en  conscience 
de  son  métier  de  mangeuse  d'hommes.  C'est  une  gaillarde.  —  Encore 
;:me  bicu  belle  personne,  mais  dotée  d'un  état  civil  certainement 
tragique  mais  pas  mythologique  pour  un  denier:  Mllc  Adeline  Dud- 
lay,  qui  a  servi  de  modèle  à  la  «  Tragédie  »  do  M.  Roufosse.  Pêle- 
mêle  une  suite  d'allégories  dont  quelques-unes  ne  manquent  pas 
de  vigueur  :  la  Chanson,  de  M.  Charpentier  (qui  nous  montre  aussi 
des  lutteurs  genre  Folies-Bergère,  en  équilibre  professionnel  mais 
instable  :   l'un    d'eux  a  la    tête   en    bas   et  les  jambes  en  l'air)  ;  la 


muse  éplorée  de  M.  Lefèvre;  la  Bacchante  de  M.  Banque;  la  Clytie 
de  M.  Claudius  Marioton  (celle-là  une  statuette)  ;  la  Muse  des  Bois 
de  M.   Pierre    Rambaud,  point   du   tout  poitrinaire. 

On  a  déjà  signalé  aux  lecteurs  du  Ménestrel  le  Méhul  en  bronze  de 
M.  Croisy,  résultat  d'une  souscription  nationale  et  destinée  à  la 
place  de  Givet.  Une  belle  œuvre  et  qui  mérite  qu'on  y  revienne, 
une  figure  sobre  et  sévère,  mais  sans  raideur,  et  bien  française 
d'inspiration  comme  il  convenait  pour  éterniser  les  traits  de  l'auteur 
de  la  CAas.se  du  jeune  Henri.  Aux  statues  décoratives,  la  Sainte 
Cécile,  de  M.  Choppin  ;  la  Joueuse  de  Lyre,  de  Mme  Ducoudray;  la 
Psyché,  de  Luca  Madrassi  ;  l'Armide,  d'Albert  Mulot;  le  Sophocle 
dansant,  de  Pech  ;  la  Harpe  et  l'Ëpée,  de  Georges  Récipon  ;  l'Orphée 
jeune,  de  Mme  Ruggles. 

Aux  bustes,  M.  Mercié  avec  Je  Victor  Hugo  commandé  pour  le 
palais  du  Sénat.  Labiche,  par  M.  Boisseau.  Au  hasard:  Dalayrac, 
par  Basly  ;  Baillet,  de  la  Comédie-Française,  par  Briden  ;  Destouches, 
par  Capellaro  ;  Mme  Roger-Miclos,  par  Cadès  ;  Champfleury,  par 
Guilkmin;  Mlle  Magdeleine  Godard,  par  Lecointe;  Mlle  Chassaing, 
dans  les  Bavards,  par  Henri  Rocq.  De  M.  Guillaume,  un  Emile  Perrin 
où  l'on  retrouve  la  simplicité,  le  calme,  le  soin  du  petit  détail  qui 
caractérise  l'artiste.  Nos  jolies  actrices  —  style  romain  —  sont  repré- 
sentées par  M1Ic  Brandès,  de  Nelsonn,  et  MUe  Francine  Decroza, 
d'Amélie  ColomCier. 

Camille  Le  Senne. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

Nouvelles  théâtrales  de  Berlin  :  l'Opéra  royal  fermera  ses  portes  le 
•1er  juillet  pour  les  vacances  d'été,  et  les  rouvrira  le  1er  septembre.  La 
récente  reprise  des  Maîtres  chanteurs  a  été  un  effondrement  complet,  au 
suj  et  duquel  VAUgenwine  Musikseitung  s'exprime  en  ces  termes  :  «  Nous  étions 
privés  des  Maîtres  chanteurs  depuis  bien  longtemps  à  Berlin.  Voici  qu'on 
nous  les  redonne,  et  nous  sommes  amenés  â  souhaiter  que  cet  admirable 
ouvrage  soit  abandonné  à  tout  jamais  plutôt  que  de  le  voir  représenter  de 
nouveau  d'une  manière  si  peu  artistique,  si  dépourvue  de  tout  caractère 
et  de  toute  poésie  ».  La  troupe  italienne  de  M.  Gardini  a  quitté  le  théâtre 
Kroll  non  sans  quelques  avanies,  pour  céder  la  place  à  l'Opéra  allemand 
d'été,  qui  a  été  inauguré  avec  le  concours  du  ténor  Gôtze  et  de  Mme  Mar- 
cella  Sembrich.  La  Fille  du  Régiment,  la  Somnambule  et  la  Traviata  ont  été 
pour  l'éminente  cantatrice  autant  d'occasions  de  succès  retentissants.  Le 
Théâtre  Central  a  vécu.  La  dernière  représentation  a  eu  lieu  le  30  avril. 
Le  lendemain,  les  démolisseurs  prenaient  possession  de  l'immeuble  qui 
va  être  converti  en  un  nouvel  établissement  lequel  s'intitulera  Théâtre 
Thomas,  du  nom  de  son  propriétaire-directeur. 

—  Voici  qu'on  parle  de  l'organisation  prochaine,  à  Berlin,  d'une  nou- 
velle grande  scène  musicale  qui  serait  placée  sous  la  direction  de 
MM.  Hans  de  Bûlow,  Neumann  et  H.  Wolff.  Construction,  administra- 
tion, répertoire,  tout  serait  calqué  sur  le  fameux  théâtre  de  Bayreuth,  et 
le  nouveau  théâtre  deviendrait  la  scène  wagnérienne  par  excellence. 

—  Du  Musical  Courier  :  «  Le  prince  de  Bismarck,  traversant  un  jour  le 
palais  royal,  s'arrêta  dans  une  salle  où  les  jeunes  princes  prenaient  gaie- 
ment leurs  ébats  aux  sons  d'un  orgue  de  Barbarie  ;  les  enfants  insistèrent 
pour  que  le  prince  de  Bismarck  restât  auprès  d'eux  et  prit  part  à  leurs 
danses.  «  Je  suis  trop  vieux,  s'écria  l'austère  septuagénaire,  mais  si 
le  prince  impérial  veut  danser,  je  tournerai  l'orgue  très  volontiers  !  »  La 
proposition  fut  acceptée.  Le  prince  impérial  se  joignit  à  ses  deux  frères  et 
le  prince  de  Bismarck  se  mit  à  moudre  des  airs  consciencieusement,  tandis 
que  les  enfants  se  livraient  à  une  joyeuse  ronde.  Tout  à  coup  la  porte 
s'ouvrit,  livrant  passage  au  jeune  empereur.  Il  sourit  de  voir  le  redou- 
table chancelier  attelé  à  un  orgue  de  Barbarie,  et,  après  quelques  paroles 
de  bienvenue  à  ses  enfants,  décocha  au  prince  de  Bismarck  ce  trait 
incisif  :  «  A  la  bonne  heure!  Vous  ne  perdez  pas  de  temps  pour  habi- 
tuer l'héritier  présomptif  à  danser  au  son  de  votre  musette.  C'est,  ma 
foi!  la  quatrième  génération  de  Hohenzollern  à  laquelle  vous  vous 
consacrez.   » 

—  Le  tribunal  civil  de  Berlin  vient  de  rendre  un  jugement  qui  inté- 
resse tout  particulièrement  le  monde  des  agences  théâtrales.  Il  établit  la 
nullité  de  certains  contrats  par  lesquels  uns  jeune  artiste,  nouvelle  dans 
la  carrière,  s'oblige  à  versera  l'agent  qui  lui  a  procuré  son  premier  en- 
gagement une  commission,  non  seulement  sur  le  bénéfice  de  cet  enga- 
gement, mais  encore  sur  tous  ceux  qu'elle  réalisera  dans  le  cours  de  sa 
carrière.  Le  tribunal  considère  une  pareille  convention  comme  «contraire 
à  la  morale  »  et  indigne  d'une  sanction  légale. 

—  La  saison  du  théâtre  de  la  cour  de  Gotha,  qui  vient  de  prendre  fin, 
a  été  exceptionnellement  riche  en  productions  nouvelles  ainsi  qu'en  repri- 
ses d'ouvrages  anciens..  Parmi  ces  dernières  on  cite  Jessonda  (de  Spohr), 
Euryanthe,  Joseph,  la  Juive,  Carmen  et  Mignon.  Les  nouveautés  étaient 
Hamlet,  la   Vie  pour  le  Czar,  Don  Pasquale,   et  une  opérette  inédite  en  un 


474 


LE  MENESTREL 


acte,  la  Chanteuse  des  rues,  livret  de  M,  Dôbler,  musique  de  M.  S.  Bach- 
mann,  basse  bouffe  de  la  troupe.  Ce  petit  ouvrage  a  obtenu  un  certain 
succès.  Un  des  événements  de  la  saison  a  été  l'apparition  de  M""c  Klafsky 
(engagée  en  représentations)  dans  Fidelio.  L'opéra  de  M.  Franchetti,  Asraël, 
est  annoncé  pour  la  réouverture.  La  scène  ducale  de  Gotha  se  distingue, 
comme  on  le  voit,  par  une  activité  peu  commune. 

—  La  germanisation  des  termes  de  musique,  dans  les  pays  allemand  s, 
préoccupe  depuis  plusieurs  années  l'esprit  réformateur  de  nos  voisins. 
Mais  jusqu'ici,  malgré  la  campagne  menée  par  les  feuilles  spéciale  s, 
aucun  résultat  appréciable  n'avait  été  signalé.  Voici  qu'on  prête  au  mi- 
nistre de  la  guerre  prussien  l'intention  de  supprimer  les  termes  en  lan- 
gues étrangères  dans  la  musique  employée  par  l'armée  et  de  les  remplacer 
par  leurs  équivalents  allemands.  Ce  n'est  pas  tout.  Les  projets  du  ministre 
comporteraient  en  outre  une  révolution  complète  dans  le  système  de 
l'écriture  musicale.  Les  portées  seraient  à  l'avenir  de  six  lignes  au  lieu 
de  cinq,  afin  de  réduire  le  nombre  des  petites  lignes  supplémentaires  et 
d'arriver  ainsi  à  ce  que  la  première  ligne  supplémentaire  inférieure  et  la 
première  ligne  supplémentaire  supérieure  deviennent  exactement  les 
limites  de  deux  octaves.  Par  ce  moyen,  la  note  formant  le  milieu  de  ces 
deux  octaves  se  trouvera  juste  au  milieu  de  la  portée.  D'autre  part,  les 
notes  de  la  basse  auront  la  même  disposition  que  les  notes  de  la  partie 
haute.  La  clé  de  fa  subsistera,  mais  simplement  pour  indiquer  que  les 
notes  sont  situées  deux  octaves  plus  bas.  Le  ministre  de  la  guerre 
exprime  la  conviction  que  le  patriotisme  et  la  discipline  militaire  sauront 
faciliter  l'accomplissement  de  toutes  ces  réformes.  Son  Excellence  ne  pa- 
rait pas  se  douter  qu'en  pareil  cas  le  patriotisme  et  la  discipline  sont  des 
éléments  d'une  insuffisance  absolue. 

—  Les  8  et  9  courant  aura  lieu  à  Dortmund  le  premier  festival 
westphalien.  Les  œuvres  suivantes  y  seront  exécutées,  sous  la  direc- 
tion de  M.  Janssen  :  la  Consécration  du  foyer,  ouverture,  de  Beethoven  ; 
le  Messie,  de  Haendel  (version  Robert  Franz);  symphonie  en  ut  mineur,  de 
Beethoven;  air  de  la  Création,  d'Haydn,  par  MUo  Oberbeck;  air  d'Ottavio, 
de  Don  Juan,  par  M.  Gudehus;  scène  des  Furies,  d'Orphée  (solo  par 
Mlle  H.  Spies),  de  Gluck;  airs  pour  basse,  par  M.  C.  Perron;  Alléluia  du 
Messie;  prélude  des  Maîtres  chanteurs;  air  du  même  ouvrage,  par  M.  Gu- 
dehus; le;  Préludes,  poème  symphonique  de  Liszt;  différents  soli,  et  enfin, 
Kaisermarsch,  de  Wagner. 

—  A  Cracovie,  le  compositeur  Heinrich  Frœhlich  a  été  poursuivi  à  la 
requête  du  compositeur  Czibulka,  auteur  de  la  Gavotte  Stéphanie;  du  chef 
de  plagiat  de  ce  morceau  dans  une  Krolewna  Gawot  (Gavotte  de  la  Princesse 
héritière)  qu'il  vient  de  publier.  Acquitté  en  première  instance,  il  a  été 
condamné  en  appel,  le  conseil  de  M.  Czibulka  ayant  eu  l'idée  ingé- 
nieuse, mais  originale,  de  demander  au  tribunal  qu'il  ordonne  à  l'un  des 
experts  de  jouer  les  deux  morceaux  sur  son  violon  en  pleine  audience. 
Cette  proposition  a  été  du  goût  des  juges,  et  l'audition  des  deux  gavottes 
a  démontré  à  l'évidence  qu'il  y  avait  plagiat.  Le  défendeur  a,  par  suite, 
été  condamné  à  l'amende  et  aux  dépens,  et  le  tribunal  a  ordonné  la  saisie 
des  exemplaires  existants  de  sa  gavotte  et  la  destruction  des  planches. 

—  On  nous  écrit  de  Stockholm  :  —  «  Le  10  mai,  l'Académie  royale  de 
musique  a  célébré  sa  fête  annuelle  en  présence  de  S.  M.  le  roi,  d'un 
grand  nombre  de  membres  et  d'un  public  d'invités  qui  remplissaient  la 
grande  salle  jusqu'aux  dernières  places.  A  cette  occasion,  M.  Richard 
Henneberg  a  exécuté  avec  un  grand  talent  un  fort  joli  concerto  pour 
piano  et  orchestre,  en  la  mineur,  dont  l'effet  a  été  considérable.  Le  pro- 
gramme portait  aussi  l'exécution  d'une  œuvre  importante  de  M.  Saint- 
Saëns,  le  Déluge,  qui  a  été  accueillie  avec  la  plus  grande  faveur.  Les  soli 
étaient  chantés  par  des  artistes  de  l'Opéra  royal,  M11»  Wolff,  MM.  Straud- 
berg  et  Lundquist,  les  chœurs  par  les  élèves  du  Conservatoire  ;  c'est  le 
célèbre  violoniste  Book  qui  s'était  chargé  du  solo  de  violon,  et  l'or- 
chestre, qui  s'est  montré  entièrement  remarquable,  était  dirigé  par 
M.  Nordquist,  maître  de  la  chapelle  royale.  o  Ab.  L.» 

—  Les  Roumains  eux-mêmes  veulent  avoir  leur  organe  artistique.  Il  se 
publie  depuis  peu,  à  Rucharest,  un  journal  spécial  qui  a  pris  pour  titre 
la  Romania  musicala . 

—  C'est  sur  les  plans  des  architectes  viennois  Fellner  et  Helmer  que 
sera  érigé  le  nouveau  théâtre  de  Zurich.  Le  coût  de  cette  construction,  qui 
sera  dans  le  style  Renaissance,  est  de  neuf  cent  mille  francs.  La  salle 
pourra  contenir  douze  cents  spectateurs.  L'inauguration  est  fixée  au  prin- 
temps de  l'année  prochaine. 

—  C'est  décidément  de  l'enthousiasme,  on  pourrait  dire  de  la  frénésie, 
qu'inspire  au  public  romain  le  petit  opéra  de  M.  Mascagni,  Cavalleria 
rustkana,  dont  nous  avons  annoncé  la  récente  apparition  au  Costanzi. 
Depuis  vingt  ans,  dit  l'Italie,  on  n'a  vu  un  succès- égal  pour  un  composi- 
teur. Devant  ce  succès,  il  est  question  d'envoyer  tout  le  personnel  du 
théâtre  Costanzi  (artistes,  chœurs,  orchestre),  donner  à  Naples  une  série 
de  représentations  de  Cavalleria  rustkana. 

—  Un  procès  engagé  par  l'administration  du  théâtre  de-  la  Pergola,  à 
Florence,  au  gouvernement  italien,  vient  d'être  jugé  par  le  tribunal  civil 
de  cette  dernière  ville.  Le  gouvernement  toscan  avait,  par  un  décret 
accordé  une  subvention  annuelle  de  .16,000  francs  au  théâtre.  Le  ministre 
des  finances  refusait  de  continuer  le  service  du  subside.  Le  ministre  a 
obtenu  gain  de  cause. 


—  M.  89  et  M"c  90,  tel  est  le  titre  d'une  revue  de  MM.  Petrai  et  Rindi, 
agrémentée  de  musique  de  M.  Rispetto,  qui  a  été  représentée  avec  beau- 
coup de  succès  au  théâtre  Manzoni,  de  Milan. 

—  La  compagnie  engagée  pour  la  saison  au  théâtre  du  Lycée,  de  Bar- 
celone,  est  ainsi  composée  :  soprani,  MmM  Russel-Giraud,  Calvi  et  Peydro; 
m  ezzo-soprano,  Mme  Boblio;  ténors,  MM.  d'Enrici,  Zverni  et  Mandolini: 
baryton,  M.  Vinci;  basse,  M.  Tosi;  chef  d'orchestre,  M.  Bimboni.  Outre 
les  ouvrages  du  répertoire  courant,  on  compte  monter  à  ce  théâtre 
Orphée  et  Alceste,  de  Gluck,  et  il  Matrimonio  segreto,  de  Cimarosa. 

—  Les  journaux  portugais  annoncent  que  l'ancien  directeur  du  théâtre 
San  Carlos  de  Lisbonne,  M.  Diego  deFreitas-Brito,  vient  d'accepter  la  di- 
rection du  théâtre  Saint-Jean,  d'Oporto,  sous  la  condition  d'une  subvention 
de  douze  millions  de  reis.  Ce  chiffre,  formidable  en  apparence,  est  plus 
modeste  qu'on  ne  le  supposerait  au  premier  abord  :  le  reis  valant  quelque 
chose  comme  la  moitié  d'un  centime,  la  subvention  en  question  se  réduit 
à  60,000  francs  environ. 

—  La  Post  de  San  Francisco  annonce  que  le  professeur  Boncelli,  de  cette 
ville,  a  réussi,  sur  plusieurs  pianistes,  hommes  et  dames,  l'opération 
chirurgicale  de  la  libération  de  l'annulaire,  et  que  les  résultats  ainsi 
obtenus  sont  merveilleux.  Schumann  aussi  avait  eu  l'idée  de  cette  petite 
opération,  et  il  avait  réussi...  à  s'estropier  pour  la  vie. 

—  On  signale  aussi  de  San  Francisco  la  naissance  d'un  organe  musica1 
«  consacré  aux  intérêts  des  joueurs  de  cithare  ».  Cette  publication  s'in- 
titule gravement  Cithare-Journal  de  la  côte  du  Pacifique. 

—  Ce  n'est  pas  une  sinécure  de  donner  des  concerts  aux  Etats-Unis. 
Voici  le  relevé  des  auditions  données  par  M.  Hans  de  Bulow  pendant  un 
seul  mois.  Après  avoir  «  débuté  »  en  mars  à  New-York  et  s'être  fait 
entendre  à  Boston,  le  célèbre  pianiste  a  joué  de  nouveau  à  New-York,  les 
1er,  2  et  3  avril;  à  Boston,  le  S;  le  7  à  Toronto  ;  le  8  à  Buffalo  ;  le  10  à 
Cleveland  ;  le  11  à  Détroit  ;  les  14,  16,  18  et  19  à  Chicago  ;  le  17  à  Mil- 
■\vaukee;  les  21  et  22  à  Cincinnati.  Le  23  il  devait  êlre  à  Saint-Louis,  le 
2b  à  Pittsbourg,  le  29  à  "Washington  et  le  30  à  Baltimore.  Soit  dix-neuf 
concerts  en  moins  de  30  jours  dans  des  villes  distantes  l'une  de  l'autre 
de  plusieurs  centaines  de  lieues.  Le  7  mai  M.  Hans  de  Bulow  comptait  se 
rembarquer  pour  l'Europe  à  bord  du  steamer  Aller. 

—  Un  Américain  vient  d'inventer  un  instrument  qui  est  certainement 
appelé  à  faire  du  bruit  dans  le  monde.  Ledit  instrument  est  un  trombone 
à  vapeur(l),  de  proportions  colossales,  dont  les  notes,  dit-on,  se  perçoi- 
vent très  distinctement  à  une  distance  de  quatre  milles.  Par  malheur  pour 
l'inventeur,  l'expérimentation  de  ce  monstre  musical  a  porté  l'effroi  chez 
tous  ses  concitoyens,  qui,  assourdis  par  l'insupportable  sonorité  de  cet 
engin  harmonique'd'un  nouveau  genre,  lui  en  ont  fait  interdire  l'usage 
sur  leur  territoire.  Si  bien  que  le  trombone  et  son  auteur  ont  été  obligés 
de  s'expatrier,  ne  sachant  s'ils  trouveraient  ailleurs  moins  d'hostilité  pour 
leurs  exercices. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 
Un  long  débat  s'est  engagé  à  la  Commission  du  budget  sur  la  ques- 
tion des  théâtres  subventionnés.  Nous  avons  déjà  indiqué  les  critiques 
que  le  rapporteur  a  formulées  en  général  contre  le  système  des  cahiers 
des  charges.  M.  Proust  s'est  ensuite  occupé  plus  particulièrement  de 
l'Opéra.  M.  Proust  a  constaté  que  ce  théâtre,  dont  la  construction  avait 
coûté  à  l'Etat  40  millions,  était  sans  aucun  profit  pour  lui.  Il  est  encore 
organisé  comme  sous  l'ancien  régime,  où  l'Académie  royale  de  musique 
était  à  la  fois  théâtre  et  école.  Il  y  avait  trois  jours  de  représentations, 
trois  jours  d'école  et  un  jour,  le  dimanche,  réservé  à  la  chapelle  du  roi. 
Actuellement  on  ne  continue  à  jouer  que  trois  jours  par  semaine;  le  fait 
de  ne  pas  jouer  les  quatre  autres  jours  fait  perdre  60  0/0  de  ressources. 
M.  Proust  croit  qu'à  la  veille  de  l'expiration  de  la  concession  actuelle- 
de  MM.  Ritt  et  Gailhard,  qui  prend  fin  en  1891,  il  est  nécessaire  de  sou- 
lever ces  questions,  de  prendre  position  en  vue  de  l'établissement  d'un 
nouvel  état  de  choses,  et  il  propose,  en  conséquence,  d'enten  Ire  le 
ministre  des  beaux-arts  dans  une  séance  ultérieure.  — ■  M.  Clemenceau  a 
pris  alors  la  parole  et  formulé,  sur  la  gestion  de  l'Opéra  par  les  conces- 
sionnaires actuels,  les  critiques  les  plus  virulentes.  Il  s'est  plaint  que  la> 
direction  actuelle  violât  le  cahier  des  charges,  en  ce  qui  concerne  les 
ouvrages  nouveaux,  qu'elle  n'a  pas  représentés  en  nombre  suffisant;  en  ce 
qui  concerne  la  composition  de  la  troupe,  qui  ne  répond  pas  aux  exigences 
du  service;  en  ce  qui  concerne  les  décors,  qui  ne  sont  pas  restaurés,  ou 
qui  servent  d'une  pièce  du  répertoire  à  l'autre;  enfin  en  ce  qui  concerne 
les  précautions  contre  l'incendie,  qui  ont  été  à  peine  prises  dans  la  salle. 
A  ce  propos  un  long  débat  s'est  engagé  entre  M.  Proust  et  M.  Clemenceau, 
sur  la  question  de  savoir  à  qui  incombe  la  dépense  pour  l'entretien  et 
la  réparation  des  décors.  Le  cahier  des  charges  de  la  direclion  actuelle  est 
insuffisamment  clair  à  ce  sujet;  M.  Clemenceau  croit  que  la  dépense 
incombe  à  MM.  Ritt  et  Gailhard,  M.  Proust  a  déclaré  qu'aux  yeux  du 
ministre  la  question  élait  au  inoins  litigieuse.  Il  a  fait  savoir  en  outre 
que  le  ministre  avait  chargé  une  commission  de  trois  jurico'nsultes  de 
l'étudier  et  de  lui  présenter  un  rapport,  et  qu'en  tout  cas  une  solution 
interviendrait  certainement  avant  l'expiration  du  privilège  actuel.  M.  Cle- 
menceau a  persisté  dans  sos  appréciations  et  a  déclaré  qu'il  combattrait 
les  conclusions  du  rapport,  et  que  dès  maintenant  il  demandait  la  suspen- 
sion du  payement  de  la  subvention  pour  inexécution  du  cahier  des 
charges.  (Le  Temps.) 


LE  MENESTREL 


175 


—  Le  Gaulois, de  son  côté,  donne  les  renseignements  suivants:  M.  «Anto- 
nin Proust  estime  que  le  système  du  cahier  des  charges,  tel  qu'il  existe, 
est  gênant  pour  tout  le  monde  :  et  pour  l'Etat  et  pour  le  théâtre,  sans 
profit  pour  l'art  et  sans  proQt  pour  le  public.  Est-ce  à  dire  que  le  rappor- 
teur des  beaux-arts  soit  partisan  de  la  liberté  absolue?  Non.  Mais  il  con- 
çoit l'organisation  d'un  régime  intermédiaire,  qui  consisterait,  par  exemple, 
à  soumettre  à  la  surveillance  du  parlement  les  conventions  qui  lient  à 
l'Etat  les  théâtres  subventionnés,  la  subvention  étant  maintenue.  Pour 
le  mode  d'exploitation  de  l'Opéra,  M.  Antonin  Proust  a  exposé  un  système 
spécial.  Il  voudrait  voir  reprendre  d'anciennes  traditions  interrompues  et 
admettre  le  personnel  artistique  du  théâtre  —  personnel  de  l'orchestre,  du 
chant  et  de  la  danse  —  à  la  participation  aux  bénéfices  par  groupe.  Le 
personnel  du  chant  comprendrait,  par  exemple,  le  groupe  des  ténors,  le 
groupe  des  basses,  le  groupe  des  barytons,  etc.,  et  les  artistes  de  chaque 
groupe  participeraient  aux  bénéfices  d'après  le  système  des  cachets.  Ils  y 
gagneraient,  et  le  public  aussi,  car  il  arriverait  que  des  artistes  en  renom, 
pour  augmenter  la  part  de  bénéfice  de  leur  groupe,  n'hésiteraient  pas  à 
se  charger  de  certains  rôles  un  peu  sacrifiés  aujourd'hui  ». 

—  L'Académie  des  beaux-arts  a  décerné  le  prix  Chartier  (pour  la  mu- 
sique de  chambre)  â  Mme  la  comtesse  de  Grandval,  et  le  prix  Monbinne 
(pour  un  opéra-comique),  à  M.  Benjamin  Godard,   pour  son  Jocelyn. 

—  L'assemblée  générale  annuelle  de  la  Société  des  concerts  a*  eu  lieu, 
mardi,  au  Conservatoire.  Après  la  lecture  des  divers  comptes  rendus  et  rap- 
ports relatifs  aux  travaux  et  résultats  de  la  session  1890-91,  l'assemblée  a 
été  saisie  d'une  proposition  de  modification  de  l'article  des  statuts  con- 
cernant la  nomination  du  chef  d'orchestre.  Cette  proposition,  signée  de 
33  sociétaires,  avait  pour  but  de  faire  nommer  le  premier  chef  d'orchestre 
pour  cinq  années  au  lieu  de  deux,  durée  actuelle  de  ses  fonctions.  Un 
vote  favorable  a  été  émis  à  la  majorité  absolue  des  voix.  Mais  un  membre 
ayant  fait  observer  que,  d'après  les  statuts  de  la  Société,  les  votes  im- 
portants devaient  réunir  au  moins  les  deux  tiers  des  votants,  il  a  été, 
après  discussion  vive,  procédé  à  une  nouvelle  épreuve.  La  majorité  des 
deux  tiers  n'ayant  pas  été  acquise,  la  proposition  s'est  trouvée  rejetée.  Il 
a  été  ensuite  procédé  à  l'élection  du  premier  chef  d'orchestre  pour  deux  ans  : 
M.  Jules  Garcin  a  été  réélu,  et  l'on  ne  peut  qu'en  féliciter  vivement  la  société.. 

—  Quelle  que  soit  l'incontestable  valeur  des  produits  admirables  de 
l'ancienne  école  de  lutherie  italienne,  on  peut  se  demander  où  s'arrêtera 
la  folie  de  certains  amateurs  pour  certains  instruments.  On  annonce  en 
effet  qu'un  violon  de  Stradivarius,  —  superbe  à  la  vérité,  —  celui  qui  est 
connu  sous  le  nom  du  Messie  et  qui  appartint  naguère  à  notre  grand 
violoniste  Alard,  vient  d'être  vendu  à  Londres  pour  la  bagatelle  de  2,000 
livres  sterling,  soit  50,000  francs  !  A  ce  compte,  il  est  certain  que  dans  un 
avenir  très  prochain  tous  les  beaux  instruments  seront  devenus  la  proie 
des  dilettantes  opulents,  qui  n'en  feront  rien,  et  que  les  artistes,  qui  pour- 
raient s'en  servir  et  les  faire  parler,  pour  la  jouissance  de  tous,  seront 
dans  l'impossibilité  d'en  acquérir  aucun. 

—  Un  lapsus  calami  assez  singulier  a  échappé  à  un  de  nos  confrères  de 
Milan,  le  Cosmorama,  qui,  en  parlant  de  VInno  alla  pace  de  notre  compa- 
triote Wù  Holmes,  qui  vient  d'être  exécutée  avec  tant  de  succès  à  Florence, 
l'intitule  Inno  alla  guerra.  Heureusement  M.  de  Bismarck  n'y  est  pour  rien, 
et  les  fêtes  de  Florence  n'ont  rien  non  plus  de  belliqueux. 

—  Le  violoniste  J.  "Write  s'est  rendu  ces  jours-ci  à  Londres  pour  y  passer 
un  mois. 

—  C'est  un  fort  gentil  petit  livre,  et  fort  gentiment  fait,  ma  foi!  que 
■celui  que  vient  de  publier  sous  ce  titre  :  la  Danse  au  théâtre,  MUs  Berthe 
Bernay  (petit  in  8°,  Dentu,' éditeur).  M"0  Bernay  est  elle-même  une  dan- 
seuse, déjà  retirée  de  la  scène,  quoique  fort  jeune  encore,  après  une  carrière 
de  plus  de  vingt  années  à  l'Opéra.  Son  livre  est  donc  écrit  ex  professo,  et 
et  il  est  non  seulement  agréable,  mais  utile.  Je  passe  sur  la  partie  histo- 
rique, traitée  un  peu  à  bâtons  rompus  et  d'une  façon  tant  soit  peu  in- 
suffisante malgré  les  citations  que  l'auteur  y  emprunte  à  Balzac,  â  Voltaire 
à  Saint-Marc-Girardin  et  à  Lamennais  (!),  qui  n'ont  pas  toujours  formé, 
sans  doute,  ses  lectures  favorites.  Mais  il  y  a  une  partie  excellente  et 
qui  suffirait  à  justifier  le  succès  de  cet  aimable  volume,  c'est  celle  qui  a 
trait  aux  «  études  de  la  danse  au  théâtre  »  et  dans  laquelle  le  travail  pré- 
liminaire des  classes,  les  exercices  des  élèves,  les  études  de  pas,  d'atti- 
tudes, de  positions,  les  pirouettes,  les  arabesques,  les  pointes,  les  plies, 
les  ronds  de  jambe,  etc.,  sont  décrits,  expliqués,  commentés,  —  avec  fi- 
gures â  l'appui,  ce  qui  est  très  pratique,  fort  utile  et  on  ne  peut  plus 
intelligent.  Où  je  ne  suis  pas  de  l'avis  de  M"e  Bernay,  c'est  lorsqu'elle 
croit  pouvoir  affirmer  que  l'art  de  la  pantomime  est  en  progrès  sur  ce  qu'il 
était  au  temps  jadis;  c'est  le  contraire  qui  est  vrai,  et  il  est  certain  qu'on 
ne  trouverait  pas  aujourd'hui,  à  l'Opéra,  une  danseuse  assez  comédienne 
pour  procurer  au  public  les  émotions  que  lui  donnaient,  il  y  a  soixante  ou 
quatre-vingts  ans,  les  Clotilde,  les  Bigottini,  les  Vestris,  les  Montessu,  et 
autres  grandes  artistes  dont  les  critiques  contemporains  nous  ont  raconté 
les  exploits.  Cette  réserve  faite,  je  répète  que  le  petit  livre  de  M11"  Bernay, 
fort  délicatement  illustré  par  M.  Dousdebès,  est  tout  â  fait  charmant. 
J'ajoute  que  l'auteur  est  en  excellents  termes  avec  divers  confrères  qui  ne 
visent  point  d'ordinaire  à  sa  spécialité,  puisque  son  volume  est  précédé 
de  trois  préfaces  :  une  en  vers,  de  M.  Armand  Silvestre,  et  deux  en  prose 
de  MM.  Paul  Arène  et  Gustave  Gœtschy.  C'est  un  luxe  que  tous  les  écri- 
vains ne  pourraient  point  se  permettre.  A.  P. 


—  Un  jeune  écrivain  qui  semble  vouloir  se  lancer  avec  ardeur  dans  le 
vaste  champ  de  l'histoire  musicale,  M.  Henri  de  Curzon,  vient  de  publier 
sous  ce  titre:  tes  dernières  années  de  Piccinni  à  Paris  (Fischbacher,  éditeur), 
une  brochure  substantielle  et  fort  intéressante  dans  laquelle  il  retrace,  à 
l'aide  de  lettres  autographes  et  de  documents  authentiques,  les  malheurs, 
les  angoisses,  la  misère  navrante  qui  aflligèrent  les  derniers  jours  du 
grand  artiste  dont  on  fit  à  tort  le  rival  de  Gluck,  mais  qui  était  lui-même 
un  vrai  créateur,  ce  dont  témoignent  suffisamment  ses  belles  partitions 
de  la  Buona  Figliuola,  de  la  Cecchina  maritata,  de  Roland  et  de  Didon.  Les 
faits  racontés  par  M.  de  Curzon  étaient  connus  déjà,  mais  les  documents 
dont  il  les  accompagne  les  mettent  en  lumière  d'une  façon  plus  complète 
et  nous  familiarisent  davantage  avec  le  caractère  de  l'infortuné  composi- 
teur dont  les  derniers  jours  entre  la  France  et  l'Italie  s'écoulèrent  d'une 
façon  si  douloureuse.  Si  M.  de  Curzon  voulait  compléter  encore  ses  in- 
formations sur  ce  sujet,  il  aurait  à  consulter  la  biographie  de  Piccinni 
insérée  au  tome  deuxième  de  l'intéressant  ouvrage  de  Francesco  Flo- 
rimo  :  la  Scuola  musicale  di  Napoli,  dans  laquelle  il  trouverait  quelques 
faits  nouveaux  et  précis.  Telle  qu'elle  est,  sa  hrochure  se  fait  lire  avec 
plaisir,  et  donne  une  heureuse  idée  de  sa  conscience  d'historien  et  du 
soin  qu'il  apporte  dans  les  recherches  qui  doivent  le  conduire  à  la  vérité. 

A.  P. 

—  Un  livre  plein  d'intérêt  et  d'actualité  vient  de  paraître  à  la  librairie 
E.  Kolb,  ayant  pour  titre  Berlin  tel  qu'il  est.  L'auteur  et  notre  excellent 
collaborateur,  M.  Edmond  Neukomm,  avait  publié,  il  y  a  quelque  temps, 
un  ouvrage  intitulé  Guillaume  11  et  ses  soldats,  qui  obtint  un  succès 
légitime  par  les  révélations  qu'on  y  trouvait  et  les  explications  qui  fai- 
saient comprendre  des  événements  restés  assez  obscurs  pour  le  public.  Le 
nouveau  volume  de  M.  Neukomm  est  tout  aussi  intéressant  et  tout  aussi 
curieux.  L'auteur  nous  initie  à  la  vie  intime  et  publique  des  Berlinois 
en  général  et  même  en  particulier.  Car  il  ne  craint  pas  d'aller  jusque 
dans  la  vie  privée  des  gens,  nous  faisant  faire  connaissance,  par  exemple, 
avec  le  favori  de  Guillaume  II  et  nous  racontant  le  premier  amour  de 
M.  de  Bismarck.  Ajoutons  que  certains  chapitres  concernant  le  théâtre 
et  la  musique  dans  la  capitale  prussienne  sont  très  curieux  et  tout 
particulièrement  intéressants. 

—  Sous  ce  titre  :  Souvenirs  du  second  Empire,  M.  le  comte  de  Maugny 
vient  de  publier  chez  E.  Kolb  un  volume  de  souvenirs  du  plus  haut 
intérêt  et  qui  aura  un  grand  retentissement.  Nul  mieux  que  M.  de  Mau- 
gny, qui  a  marqué  successivement  dans  l'armée  et  dans  la  diplomatie, 
qui  a  été  à  la  fois  un  des  familiers  de  la  cour  des  Tuileries  et  l'un  des 
hommes  les  plus  répandus  de  la  haute  société  parisienne,  n'était  en 
situation  de  faire  revivre  la  brillante  période  du  règne  de  Napoléon  III. 
Les  Souvenirs  du  second  Empire  sont  remplis  de  révélations  intéressantes, 
d'aperçus  nouveaux,  d'anecdotes  amusantes.  Beaucoup  de  portraits  aussi. 
C'est,  de  plus,  une  oeuvre  d'histoire  contemporaine  qui  datera  parmi  les 
mémoires  de  ce  temps-ci. 

—  Le  ministère  des  beaux-arts  vient  d'augmenter  la  subvention  accordée 
par  lui  à  la  Société  des  Concerts  populaires  de  Nantes,  et  de  1,000  francs 
l'a  portée  à  1,500  francs. 

—  Soirées  et  Co-Ncehts.  —  Avant  d'entrer  en  vacances,  l'excellente  Société  Chorale 
d'Amateurs,  dite  Société  (te  Sainbris,  a  donné,  pour  clore  sa  26°  année,  une  matinée 
très  réussie  sous  tous  les  rapports.  Nous  devons  louer  sans  réserve  l'exécution 
merveilleusement  nuancée,  délicate  et  intelligente  des  chœurs  classiques  de 
Joseph,  d'Armide,  d'Obéron,  de  Philèmon  et  Baucis.  Il  importe  aussi  de  mentionner 
la  scène  si  poétiquement  mélancolique  de  Barberine,  de  M.  de  Saint-Quentin; 
M™°  Bataille  eu  a  dit  a  ravir  la  délicieuse  Ballade,  qu'on  a  voulu  réentendre,  avec 
le  joli  chœur  de  femmes  dans  lequel  elle  est  encadrée.  D'autres  mélodies  de 
M.  de  Saint-Quentin  ont  obtenu  un  vit  succè',  ainsi  que  VIphigénie  du  M.  Ch. 
Lenepveu,  la  Fête  japonaise  de  M.  A.  Hignard  et  la  Prière  du  soir  de  M.  Ch. 
Gounod  (poésie  d'Eug.  Manuell.  Tous  nos  meilleurs  compliments  donc  à  cette 
vaillante  phalange  et  à  M.  A.  Maton,  qui  l'a  conduite  une  fois  de  plus  à  la  victoire. 
—  Très  brillante  soirée  musicale,  dimanche  dernier,  chez  M"°  la  comtesse  de 
Beaumont-Castries  M-"  Krauss  a  produit  une  très  vive  impression  en  se  faisant 
l'interprète  chaleureuse  et  passionnée  des  œuvres  des  maîtres.  Elle  a  dit  avec  un 
art  infini  le  Soir  de  M.  Ambroise  Thomas.  M.  Delsart  a  trouvé  des  sons  d'une 
ténuité  exquise  pour  nous  révéler  les  charmes  d'une  délicieuse  sonate  de  Bocche- 
rini,  et  M.  Marsick  a  joué  en  artiste  pénétré  deux  morceaux  de  sa  composition 
et  en  virtuose  accompli  la  mazurka  de  Wieniawski .  —  M™0  Roger-Miclos  a 
donné  un  brillant  concert,  salle  pleyel,  avec  le  concours  de  MM.  Marsick  et 
Plançon.  L'excellente  pianiste  a  été  longuement  applaudie  et  fêtée  dans  tous  ses 
morceaux,  et  M.  Marsick  a  joué  d'une  façon  superbe  la  sonate  h  Kreutzer  et  des 
pièces  de  MM.  César  Cui  et  E.  Lalo.  M.  Plançon  a  fait  bisser  le  madrigal  d'.ls- 
canio.  —  Au  concert  de  M"'  Anna  Meyer,  donné  à  la  salle  Pleyel,  mercredi 
dernier,  la  bénéficiaire  a  supérieurement  exécuté  diverses  pièces  de  Chopin,  dont 
le  Rondo  à  deux  pianos  a  été  fort  applaudi  ;  la  comtesse  de  Méjaw  tenait  une  des 
deux  parties.  M.""  Kevary,  de  l'Opéra-Comique,  Neyt,  du  théâtre  de  la  Monnaie, 
l'excellent  violoniste  Magnus,  le  charmant  diseur  C.  Périer,  et  enfin  M.  Martel, 
de  la  Comédie-Française,  et  M.  Riva,  de  l'Opéra,  participaient  à  ce  fort  intéres- 
sant programme.  —L'audition  des  élèves  du  célèbre  cours  Fabre  a  été  certes  une 
des  plus  intéressantes  de  la  saison.  Tous  ces  petits  virtuoses  font  grand  hon- 
neur à  l'enseignement  qui  leur  est  donné.  La  séance  était  consacrée  principa- 
lement aux  œuvres  d' Antonin  Marmontel,  le  fils  de  notre  grand  professeur.  C'est 
un  musicien  exquis,  qui  prend  une  toute  première  place  parmi  les  maîtres  du 
piano.  Voici  les  morceaux  de  sa  façon  qu'on  a  surtout  applaudis  :  Le  long  du 
chemin,  petite  pièce  des  plus  piquantes,  une  délicieuse  Valse-Sérénade,  un 
intermezzo  d'excellent  style,  puis  la  Chanson  slave,  la  Chanson  arabe  et  une  endia- 
blée Tarentelle.   On  a  fort  remarqué   aussi  la    Chaeonne   de  Théodore  Dubois,  la 


17G 


LE  MENESTREL 


Gigue  de  Wormser,  la  Danse  des  Sylphes,  de  Godefroid,  la  Romance  de  Rubinstein, 
et  la  charmante  transcription  à  six  mains  des  Pizziccali  de  Sylvia,  par  Anschutz. 
Des  artistes  éprouvés  comme  M""  Hillemacher,  M"°"  Sacha  Skoff  et  Herbault- 
Sarrande  prêtaient  leur  concours  à  cette  intéressante  séance.  —  La.  Société  phil- 
harmonique du  IIP  arrondissement  s'est  brillamment  comportée  au  concert  qu'elle 
Tient  de  donner  dans  la  salle  des  fêtes  de  la  mairie,  sous  la  direction  de  MM.  Bar- 
rau  et  Léon  Schlesinger.  Les  exécutions  de  la  49°  symphonie  d'Haydn,  de  la 
marche  de  Rienzi  et  de  la  valse  du  Couronnement,  de  Strauss,  ont  été  des  plus 
satisfaisantes.  Les  couplets  du  Mysoli  de  la  Perle  du  Brésil,  très  soigneusement 
accompagnés  par  l'orchestre,  ont  valu  un  véritable  succès  à  M11"  Jeanne  Duet 
d'Arbel,  qui  s'esi  fait  également  applaudir  dans  une  nouvelle  valse  chantée  de 
M.  Léon  Schlesinger,  qui  a  été  bissée.  Applaudissements  encore  pour  M11"  Adé- 
laïde Barbé,  une  pianiste  de  la  bonne  école,  et  l'excellent  chanteur  comique 
Eugène  Dassy.  —  Les  administrateurs  de  la  tour  Eiffel  ont  compris  que  pour 
engager  la  foule  à  venir  respirer  l'air  du  soir  à  60  mètres  d'altitude,  la  promesse 
d'un  peu  de  bonne  musique  était  indispensable.  Et  ils  ont  chargé  M.  Georges 
Auvray  d'organiser  dans  l'ancienne  brasserie  alsacienne  de  la  première  plate-forme, 
transformée  en  salle  des  fêles,  des  séances  quotidiennes  de  musique  vocale  et 
instrumentale.  Au  premier  programme  figuraient  plusieurs  fragments  d'opéras 
(entre  autres  le  grand  duo  de  Lakmc  et  la  polonaise  de  Mignon}  chantés  par  Mllts  Net- 
tingham,  Mélodia,   Lavigne  et  l'excellent  ténor  Rondeau. 

—  Grand  succès  à  Nantes,  pour  l'exercice  des  élèves  du  Conservatoire, 
si  bien  dirigé  par  M.  Weingaertner.  Avec  l'ouverture  du  Jeune  Henry,  de 
Méhul,  et  divers  morceaux  de  Beethoven,  Mendelssohn,  Chopin,  Rossini, 
Verdi,  Victor  Massé,  Joncières,  qui  ont  mis  en  relief  les  qualités  de  plu- 
sieurs élèves  des  classes  vocales  et  instrumentales  :  M"°s  Guérin,  Marquet 
et  Nantier,  MM.  Audrain,  Cocault,  Royé,  Hervouet,  Busson,  Le  Mestayer 
et  Cartier,  le  programme  portait  le  titre  d'une  œuvre  considérable  de 
M.  Saint-Saèns,  le  Déluge,  dont  l'exécution,  qui  ne  comprenait  pas  moins  de 
140  instrumentistes  et  choristes,  fait  le  plus  grand  honneur  à  M.  Wein- 
gaertner, aussi  bien  comme  chef  d'orchestre  que  comme  directeur  d'une 
école  importante.  Les  soli  du  Déluge  étaient  confiés  à  Mlles  Clerc  et  Bonna- 
font,  à  MM.  Landrin  et  Lavigne,  et  l'ensemble  était  excellent  sous  tous 
les  rapports. 

—  L'exercice-concert  annuel  donné  par  les  élèves  du  Conservatoire  de 
Toulouse  a  eu  lieu  en  présence  d'un  public  très  nombreux.  On  a  particu- 
lièrement applaudi  un  duo  de  violoncelles,  le  trio  de  l'Enfance  du  Christ 
et  les  scènes  du  Mariage  de  Figaro  et  du  Tartuffe.  Les  chœurs  ont  produit 
un  grand  effet.  Mais  le  plus  beau  succès  revient  à  la  classe  d'ensemble 
instrumental,  qui,  après  deux  ans  seulement  d'existence  a  brillamment 
exécuté  la  symphonie  en  ut  de  Beethoven  et  la  Méditation  de  M.  Louis 
Deffès,  directeur  de  l'établissement.  M.  Théodore  Dubois  assistait  au 
concert.  Il  a  quitté  Toulouse  on  ne  peut  plus  satisfait  de  son  inspection 
et  après  avoir  vivement  félicité  le  directeur  de  l'Ecole,  les  professeurs  et 
les  élèves. 

—  Le  samedi  3  mai,  la  Société  musicale  libre  de  Laval  donnait  son 
troisième  concert  annuel  à  ses  abonnés.  Le  programme  était  exclusive- 
ment composé  d'œuvres  de  Félicien  David.  L'orchestre,  qui  comprend 
plus  de  70  musiciens,  tous  amateurs,  a  enlevé  avec  brio  l'ouverture  de 
la  Perle  du  Brésil,  l'andante  et  le  finale  de  la  symphonie  en  mi  bémol.  Ces 
morceaux  ont  soulevé  les  applaudissements  ;  mais  le  succès  le  plus' 
grand  était  réservé  au  Désert.  L'orphéon,  pour  la  circonstance,  avait  prêté 
son  concours  à  la  Société,  et  l'ensemble  était  parfait.  Cette  exécution  fait 
le  plus  grand  honneur  aux  directeurs  de  l'orchestre  et  de  l'orphéon, 
MM.  Auguste  et  Emile  Laurent.  Sur  la  demande  du  public,  une  deuxième 
audition  sera  donnée  dans  le  mois  de  juin. 

—  Au  dernier  concert  de  l'orchestre  municipal  de  Strasbourg,  qui  s'est 
distingué  dans  l'exécution  de  la  Symphonie  pastorale,  d'un  fragment  de  la 
suite  symphonique  de  Moszkowski  et  de  l'ouverture  du  Carnaval  romain, 
de  Berlioz,  grand  succès  pour  un  ténor  d'origine  russe,  M.  Raymond  von 
Zur  Mûhlen,  dans  plusieurs  lieder  et  surtout  dans  le  bel  air  de  Lakmé  : 
«  Prendre  le  dessin  d'un  bijou  »,  chanté  par  lui  en  français,  d'une  façon 
délicieuse.  Le  Journal  d'Alsace  dit  à  ce  propos  :  «  L'audition  de  cette  ra- 
vissante page,  si  imprégnée  de  poésie  et  de  sentiment,  ne  pouvait  être 
offerte  plus  à  propos  pour  faire  naître  le  désir,  bien  partagé  assurément, 
de  faire  connaître  en  son  entier  l'œuvre  lyrique  de  Léo  Delibes,  que 
toutes  les  grandes  scènes  théâtrales,  celle  de  Strasbourg  jusqu'ici  exceptée, 
tiennent  à  honneur  de  posséder  au  répertoire  courant.     A.  Oberdoefeer.  » 

—  A  Valenciennes,  plus  de  180  musiciens  ont  exécuté  un  oratorio-cantate 
avec  un  plein  succès.  Cette  œuvre,  qui  retracé  avec  des  couleurs  très 
vives  les  principaux  traits  de  la  vie  du  Bienheureux  Chanel  martyrisé  dans 
une  ile  sauvage  de  l'Océanie,  a  pour  auteur  le  P.  Garin,  dont  les  com- 
positions musicales  sont,  on  le  sait,  fort  appréciées. 

—  Grand  concours  national  de  musique  d'harmonies,  de  fanfares  et 
d'orphéons,  ouvert,  à  Abbevillu  les  13  et  1G  août  1800.  4,000  francs  de 
prix  en  espèces,  0,000  francs  de  récompenses  :  couronnes,  palmes  et  mé- 
dailles de  vermeil.  Concours  de  fanfares  de  .trompettes  et  concours  de 
trompes  de  chasse.  Concours  d'honneur  pour  les  excellences,  les  supé- 
rieures et  les  premières  divisions  :  300  francs  en  espèces,  1  objet  d'art. 
Concours  d'honneur  pour  les  2mos  et Zmw  divisions  ayant  obtenu  un  premier 
prix  d'exécution;  prix:  couronnes  et  palmes  de  vermeil.  Délai  d'adhésion 
fixé  irrévocablement    au  1™  juin.   Pour   toutes   demandes   de   renseigne- 


ments, s'adresser   au    président    du    comité    d'organisation,   à  la   mairie 
d'Abbeville. 

—  M.  Riquier-Delaunay,  dit  la  Semaine  musicale  de  Lille,  le  sympathique 
artiste  bien  connu,  est  nommé  professeur  de  la  classe  de  chant  des  demoi- 
selles et  du  cours  de  déclamation  lyrique  de  notre  Conservatoire,  en  rem- 
placement de  M.  Queulain,  qui  a  quitté  Lille. 

NÉCROLOGIE 

Un  écrivain  qui  s'est  fait  connaître  par  d'intéressants  travaux  sur 
l'art  musical  et  sur  la  peinture,  M.  Léonce  Mesnard,  auteur,  -  entre 
autres,  d'une  substantielle  étude  sur  Robert  Sehumann,  est  mort  presque 
subitement  à  Grenoble,  le  13  mai,  à  l'âge  de  64  ans.  Il  était  né  à  Roche- 
fort-sur-Mer,  le  14  février  1826. 

—  Nous  avons  le  regret  d'annoncer  la  mort,  à  l'âge  de  cinquante-deux 
ans,  de  Mme  Gigout,  femme  de  l'excellent  et  si  distingué  organiste  de  Saint- 
Augustin.  Mmc  Gigout,  née  Caroline  Niedermeyer,  était  fille  du  compositeur 
Niedermeyer,  l'auteur  de  la  Fronde  et  du  Lao,  le  fondateur  de  l'Ecole  de 
musique  religieuse. 

—  Cetts  semaine  est  morte  à  Paris,  à  l'âge  de  62  ans,  une  artiste  qui 
avait  tenu  naguère  une  place  brillante  sur  les  scènes  lyriques  italiennes, 
Mm0  Fa-ssi,  née  Carlotta  Cattinari,  femme  de  l'agent  dramatique  bien 
connu. 

—  M.  Victor  Nessler,  le  compositeur  alsacien,  vient  de  mourir  à 
Strasbourg,  après  une  courte  maladie.  On  se  rappelle  qu'il  y  a  peu  de 
jours  il  a  fait  représenter  au  théâtre  de  Munich  un  nouvel  opéra,  la  Rose 
de  Strasbourg.  Il  était  l'auteur  du  Trompette  de  Sœckingcn,  du  Preneur  de  rats 
de  Harlem  et  du  Chasseur  magique,  dont  les  trop  faciles  mélodies  avaient  ob- 
tenu dans  l'Allemagne  entière  un  succès  populaire.  M.  Victor  Nessler 
n'était  âgé  que  de  cinquante  ans. 

—  A  Liverpool  est  mort  Thomas  Armstrong,  chanteur  et  pianiste  dis- 
tingué, à  qui  l'on  doit  une  intéressante  Histoire  de  l'art  musical  à  Liverpool. 

—  On  annonce  de  Saint-Pétersbourg  la  mort  d'Ostap  Véressaï,  luthier 
petit-russien  plus  qu'octogénaire,  qui  était  considéré  comme  le  dernier 
survivant  des  «  bardes  »  populaires  de  l'Ukraine.  On  doit  à  la  mémoire 
exceptionnelle  de  ce  vieux  chantre  la  conservation  d'une  foule  de  légendes 
et  de  chansons  de  la  Petite-Russie.  Lors  d'un  voyage  que  Véressaï  avait 
fait  à  Saint-Pétersbourg,  il  y  a  une  dizaine  d'années,  il  lui  est  arrivé  plu- 
sieurs fois  d'avoir  pour  auditeurs  d'augustes  personnages.  Il  est  mort  à 
l'âge  de  quatre-vingt-trois  ans. 

—  On  annonce  la  mort,  à  Monselice,  du  compositeur  Luigi  Formaglio, 
auteur  de  deux  opéras  sérieux  représentés  tous  deux  à  Venise  :  l'un, 
Brenno  all'assedio  di  Chiusi,  au  théâtre  San  Benedetto  en  1832,  l'autre, 
Gismonda  di  Mendrisio,  au  théâtre  Apollo  en  1831. 

—  Un  violoniste  russe  nommé  Poustarnakow,  don  ton  vantait  le  très  grand 
talent  et  qui  habitait  dans  les  provinces  méridionales  de  l'empire,  s'est 
suicidé  récemment. 

—  De  Naples  on  annonce  la  mort  d'un  artiste  qui  a  joui  en  cette  ville 
d'une  certaine  renommée,  Giovanni  Valente,  habile  professeur  de  chant, 
qui  s'est  fait  connaître  aussi  comme  compositeur  .  scénique.  Après 
avoir  fait  représenter  à  Molfetta,  en  1863,  un  drame  lyrique  intitulé 
Roberto  de'  Gherardini,  il  donna  sur  le  théâtre  Nuovo,  de  Naples,  un  opéra 
bouffe,  la  Festa  dell'  Archetiello,  dont  le  succès  se  prolongea  pendant  deux 
saisons,  puis,  au  théâtre  des  Variétés,  un  autre  ouvrage  bouffe,  i  Cabalisli 
di  prima  forza  (12  juin  1873).  Il  écrivit  encore,  en  société  avec  MM.  Buo- 
nomo,  Campanella  et  Ruggi,  un  dernier  ouvrage  du  même  genre,  la  Donna 
romanlica  ed  il  medico  omeopatico,  qui  fut  aussi  bien  accueilli  du  public. 
Depuis  lors,  il  ne  reparut  plus  à  la  scène.  Valente  était  âgé  de 
soi:  ante  ans. 

Henri  Heugel.  directeur-géi  anl . 

Cours  de  musique  lyrique. —  Salons  J.  Lacape,  boulevard  Saint-Martin,  29. 
Toute  personne,  musicienne  ou  non,  y  chante  romances,  airs,  duos,  trios, 
chœurs  des  principaux  opéras  et  opérettes.  Prix  d'admission  :  5  francs 
par  mois. 

A  CÉDER,  dans  bonne  ville  de  province,  préfecture,  magasin  de  musique 
et  pianos,  très  bien  situé.  Bonne  clientèle.  S'adresser  aux  bureaux  du  journal. 

En  vente  au  MENESTREL,  2  bis,  rue  Vivienue 

ïisp     a     t  *    -a 


COMPOSÉ      1"  0  U  II      LA 

FÊTE    NATIONALE 

Du   14  Juillet 

PAR 

L.-A.     BOURGAULT-DUCOUDRAY 


3088  —  5(ime  ANNEE  —  K°  23.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES  Dimanche  8  Juin  1890. 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivierme) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 
'  Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  "2U  ïr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  3U  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sua. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste:  Georges  Bizet  (4°  article),  Louis  Gai.let.  —  II.  Semaine 
théâtrale:  Béatrice  et  Uénediet,  de  Berlioz,  au  théâtre  de  l'Odéon,  Am.  Boutahel; 
le  Voyage  à  Chaud  fontaine,  aux  Nouveautés;  début  de  MmI  Fierens  à  l'Opéra, 
Arthur  Poùgin.  —  III.  La  musique  et  le  Ihéàtie  au  Salon  du  Cbamp-de-Mars 
(4'  article),  Camille  Le  Senne.  —  IV.  Fleurs  d'hiver,  fruits  d'hiver,  Ernest 
Legouvé.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Non  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

VALSE-SÉRÉNADE 

d'ANTONiN  Marjiontel.  —  Suivra  immédiatement:  Dansons  la  Tarentelle,  de 
A.  Trojelli. 

CHANT 
Nous  publierons   dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant  :  Suzon,   chanson  de  Joanni  Perronnet,  paroles  de  Mme  A.  Per- 
ronnet.—  Suivra  immédiatement:  Crfpuscule,  nouvelle  mélodie  de  Darnston, 
poésie  de  Rosemoniie  Gérard. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


GEORGES  BIZET 


En  feuilletant  au  hasard  les  journaux  du  temps,  j'y  retrouve, 
avec  un  vif  intérêt,  les  appréciations  des  critiques  sur  l'ou- 
vrage et  sur  le  musicien. 

Le  critique  musical  du  Figaro  était  alors  B.  Jouvin,  dont 
les  procédés  de  la  jeune  école  commençaient  à  bouleverser 
singulièrement  les  idées.  Dans  ses  conversations,  il  se  mon- 
trait curieux  de  toutes  c>  s  nouveautés;  il  en  recherchait  avec 
empressement  la  genèse;  il  s'élonnait  avec  une  bonne  foi 
naïve  des  impressions  1res  inattendues  qu'elles  lui  appor- 
taient; il  flairait  le  succès  prochain;  mais,  la  plume  à  la 
main,  le  feuilletoniste  attaché  aux  formules  anciennes  repre- 
nait le  dessus  et  il  avait  parfois  la  dent  dure. 

«  M.  Georges  Bizet,  disait-il  à  propos  de  Djamileh,  avait 
écrit  deux  partitions  plus  importantes.  Toutes  deux  avaient 
fait  applaudir  l'imagination  et  la  main  d'un  musicien,  la  main 
avant  l'imagination;  dans  toutes  deux  certaines  idées  précon- 
çues et  scientiliques  se  substituaient  trop  souvent  à  l'inspira- 
tion du  compositeur;  on  eut  dit  qu'en  écrivant,  la  main  de 
Georges  Bizet,  serrée  comme  dans  un  étau,  était  dirigée  par 
celle  de  l'homme  qui  a  plus  bouleversé  encore  l'Allemagne 
musicale  qu'il  ne  l'a  remuée... 

»  M.  Georges  Bizet  a  placé  au  début  de  son  ouverture  la 
marche  en  ni  mineur  du  défilé  des  esclaves:  elle  manque  de 
caractère,  de  mélodie    et  de  rythme;    la  tonalité   s'y  dérobe 


avec  affectation  à  l'oreille  qui  la  voudrait  saisir.  Pour  rendre 
ceci  par  une  imags  corporelle,  figurez-vous  l'auditeur  mar- 
chant sur  des  dissonances  établies  en  masses  superposées  et 
perdant  l'équilibre  à  la  suite  du  musicien  en  posant  le  pied 
à  vide.   » 

Frederick,  de  Paris- Journal  (rien  de  commun  assurément 
avec  notre  éminent  confrère  de  l'Indépendance  belge),  exécutait 
ainsi  qu'il  suit  le  jeune  compositeur  : 

«  Ce  n'est  pas,  nous  le  craignons  fort,  la  ûjamileh  que  nous 
venons  d'entendre  qui  rendra  célèbre  le  nom  de  M.  Bizet. 
L'espace  et  le  temps  nous  manquent  pour  analyser  chacun 
des  morceaux  de  sa  laborieuse  partition,  et  nous  devons  nous 
borner  à  en  dégager  le  sens  général  et  la  valeur  d'ensemble. 
Ainsi  envisagée,  la  musique  de  M.  Bizet  se  présente  sous  un 
aspect  terne,  vague,  confus,  sans  relief,  sans  contour  et  sans 
coloris.  En  l'écrivant,  l'auteur  n'a  dû  jamais  souffrir  de  cette 
fièvre  et  jouir  de  cette  émotion  que  connaissent  seuls  les  musi- 
ciens de  tempérament.  Il  n'est  pas  né  compositeur,  il  l'est 
devenu,  et  sa  musique  a  tout  juste  la  valeur  d'une  amplifi- 
cation correcte  de  rhétoricien.  L'idée  est  complètement 
absente,  et  nous  craignons  bien  qu'elle  fasse  à  jamais  défaut 
au  compositeur.   » 

La  Liberté  parlait  d'autre  sorte,  par  la  voix  de.Victorin  .fon- 
cières : 

«  En  abordant  la  scène  sur  laquelle  ont  été  données  les 
mille  et  quelques  représentations  de  la  Lame  blanche,  en  se 
présentant  devant  le  public  qui  a  acclamé  le  Voyage  en  Chine, 
M.  Bizet,  un  des  plus  ardents  prosélytes  de  la  nouvelle  foi 
musicale,  jouait  gros  jeu.  Deux  partis  s'offraient  à  lui  :  ou 
renier  momentanément  ses  croyances,  et,  sous  le  couvert  fort 
excusable  d'une  fantaisie  d'artiste,  faire  franchement  un 
opéra-comique  selon  la  formule,  ou,  sans  tenir  aucun  compte 
des  préférences  des  habitués  du  théâtre  qu'il  abordait,  com- 
poser un  ouvrage  suivant  son  tempérament,  sans  conces- 
sion d'aucune  sorte,  ne  s'adressant  qu'aux  véritables  connais- 
seurs. 

»  Ce  parti  était  le  plus  dangereux  ;  aussi  M.  Bizet  s'y  est- 
il  arrêté,  et  comme  il  arrive  le  plus  souvent  aux  audacieux, 
sa  hardiesse  lui  a  complètement  réussi.  Aux  applaudisse- 
ments des  amateurs  sérieux  sont  venus  se  joindre  les  bravos 
de  la  foule  ignorante,  qui,  d'abord  dépaysée  dans  ce  nouveau 
milieu  où  la  transportait  l'imagination  poétique  du  musicien, 
a  subi  bientôt,  sans  s'en  douter,  l'influence  irrésistible  du 
parfum  oriental  qu'exhale  la  pariition   de  M.  Bizet.   » 

Dans  l'Avenir  national,  Albert  Wolff  entendait,  en  même 
temps  qu'à  Bizet,  dire  son  fait  à  toute  «  une  école  déjeunes 
musiciens  français  égarés  dans  la  même  voie  funeste  »  : 

«  Il  est  vraiment  pénible  de  voir  un  musicien  d'un  très 
grand  talent  succomber  sous  cet  art  prétentieux.  De  sa  par- 


478 


LE  MENESTREL 


tition  s'exhale  un  parfum  d'ennui  auquel  les  seuls  amis  des 
auteurs  peuvent  résister.  Gela  vous  serre  la  gorge  lentement, 
mais  sûrement.  On  voudrait  résister,  mais  cette  musique 
monotone  terrasse  la  bonne  volonté  et  la  sympathie.  Depuis 
le  commencement  jusqu'à  la  fin,  Djamileh  est  une  suite  de 
lamentas.  De  ci  de  là,  un  éclair  de  gaité,  un  sourire,  '  mais 
aussitôt  M.  Bizet,  chassant  son  naturel,  revient  au  parti  pris. 
Les  sonorités  de  l'orchestre  inspirées  de  Richard  Wagner 
frappent  d'abord,  par  une  certaine  ampleur,  mais  bientôt  les 
altos  et  les  violoncelles  agacent  par  leurs  continuels  gémis- 
sements. Le  compositeur  semble  n'avoir  qu'un  but,  celui  de 
rendre  son  art  incompréhensible.  » 

Pauvre  Bizet I  Voilà  heureusement  des  encouragements  qui 
lui  arrivent: 

«  Djamileh,  dit  le  critique  du  Journal  de  Paris,  est  un 
petit  tableau  oriental  d'une  couleur  exquise,  d'un  charme 
et  d'une  poésie  qui  bercent  et  enivrent,  un  tableau  de  maître 
pour  cette  partie  de  l'œuvre  qu'on  peut  riommer  le  paysage. 
Mais  au  théâtre,  le  paysage  n'est  qu'un  cadre  :  il  faut  encore 
mettre  quelque  chose  dedans.  L'élément  scènique  n'est  pas 
ici  dans  les  incidents,  qui  se  réduisent  à  peu.  Il  est  dans  la 
passion  ardente  et  profonde  de  l'esclave  Djamileh  pour  son 
maître  Haroun.  C'est  assez  pour  animer  et  dramatiser  la  légère 
action  dont  le  musicien  s'est  inspiré.. ...  A  côté  de  ce  senti- 
ment dramatique  que  je  relève  avec  plaisir  dans  la  partition 
de  M.  Bizet  et  qui  s'y  accuse  d'abord  par  la  passion  de 
Djamileh,  et,  en  général,  par  une  expression  très  juste  dans 
la  déclamation,  à  côté  de  cela  le  musicien  a  mis  dans  son 
œuvre  toutes  les  rêveries  et  toutes  les  langueurs  que  le  ciel 
d'Orient  verse  dans  les  esprits.  Son  orchestre  a  des  sonorités 
enivrantes  et  d'une  nouveauté  remarquable.  » 

La  Patrie,  tout  en  portant  haut  le  drapeau  de  la  mélodie, 
ne  méconnaissait  pas  les  grandes  qualités  de  Georges  Bizet. 
Mais  l'épithète  d'homme  de  science  lui  arrivait  encore,  et 
c'était  alors  le  mot  le  plus  accablant  pour  un  compositeur. 
Le  conseil  lui  était  donné  de  prendre  vite  un  parti  pour 
sortir  d'une  voie  dangereuse: 

«  On  peut  rester  savant  et  être  mélodiste;  des  grands 
maîtres  l'ont  prouvé.  Et  s'il  aime  les  Allemands,  qu'il  choi- 
sisse pour  modèles  Don  Juan,  les  Noces,  le  Freischuts.  Ils  sont 
assez  bien    écrits  tout  en  étant  remplis  de  belles  mélodies.  » 

M.  Barbe  (d'Arromanches),  affirme  dans  le  Gaulois  que 
M.  Bizet  a  écrit  une  «  longue,  très  longue,  mais  une  jolie, 
assez  jolie  partition.  »  —  Cela  n'est  point  compromettant 
comme  opinion. 

«  M.  Bizet,  dit  le  critique  du  Soir,  a  des  partis  pris  d'étran- 
geté  qui  me  choquent...  Adepte  de  l'école  nébuleuse  alle- 
mande, on  dirait  qu'il  fait  en  sorte,  parfois,  de  supprimer 
impitoyablement  et  de  propos  délibéré  toute  apparence  de 
rythme  et  de  tonalité.  Je  pourrais  citer  à  ce  sujet  certains 
passages  de  l'air  de  Djamileh  qui  est  bien  la  négation  de  toute 
musique  voulant  produire  autre  chose  qu'une  sonorité  con- 
fuse et  sans  accent.  Je  citerai  ensuite,  comme  exemple  de 
hardiesse  harmonique,  d'une  de  ces  hardiesses  dont 
M.  Wagner  lui  môme  serait  jaloux,  l'introduction  du  mor- 
ceau intitulé  lamenlo.  Ce  morceau  débute  par  un  accord  brisé 
de  mi  majeur,  contre  lequel  vient  se  heurter,  pour  le  plus 
grand  déchirement  de  l'oreille,  un  accord  de  septième  ma- 
jeure pris  sans  préparation  et  frappé  sur  un  si  bémol.  On  ne 
me  reprochera  pas  d'abuser,  dans  ma  critique,  des  définitions 
et  des  explications  techniques;  mais  ceci  est  tellement  hor- 
rible, d'un  effet  tellement  sauvage,  que  je  n'ai  pu  résister 
au  désir  de  l'indiquer,  pour  l'édification  des  personnes  assez 
instruites  musicalement  pour  me  comprendre. 

«  Et  pourtant,  quand  M.  Bizet  veut  bien  ne  pas  persister 
dans  son  système,  il  redevient  un  musicien  civilisé,  et  l'ins- 
piration ne  lui  fait  même  pas  défaut.  Sa  partition  conlient, 
en  somme,  quelques  bons  morceaux,  et  il  est  certaines  pages 
qui  sont  remplies  de  charme  et  de  fraîcheur.  » 

Voici,  dans   le   Bien  public,    une  réflexion    d'une  équité   et 


d'un  bon  sens  assez  rares  dans  ce  conflit  d'opinions  généra- 
lement excessives  : 

«  Il  est  un  des  musiciens  distingués  de  cette  jeune  école 
qui,  en  enlevant  aux  voix  l'intérêt  mélodique  pour  le  fondre 
dans  les  sonorités  de  l'orchestration,  tend  à  s'éloigner  de 
plus  en  plus  des  traditions  de  l'opéra,  tel  que  les  maîtres  et 
le  public  l'ont  compris  jusqu'à  ce  jour.  En  persévérant  dans 
cette  voie,  récoltera-t-elle  les  fruits  de  son  labeur  ?  je  ne 
voudrais  pas  l'affirmer.  Toutefois,  c'est  faire  preuve  de  vail- 
lance artistique  que  de  chercher  des  sentiers  nouveaux, 
surtout  en  sachant  combien  sont  rares  pour  nos  compositeurs 
les  occasions  de  se  faire  entendre  au  théâtre.  » 

Hippolyte  Hostein,  dans  le  Constitutionnel,  s'étend  longue- 
ment sur  le  poème,  sur  certains  détails  de  scène.  Pour  la 
musique,  il  la  traite  assez  sommairement  et  pour  ainsi  dire 
du  bout  de  la  plume.  «  En  somme,  conclut-il,  assez  banale- 
ment, M.  Bizet  est  un  chercheur,  et  il  l'a  bien  prouvé  dans 
Djamileh.   » 

Sylvain  Saint-Etienne  s'ajoute  dans  l'Evénement  aux  nom- 
breux critiques  visant  «  les  tendances  wagnériennes  »  de 
G.  Bizet. 

Il  y  a  là  comme  un  inévitable  refrain  de  ces  couplets  va- 
riés de  la  chronique  musicale  parisienne. 

C'est  surtout  à  l'intention  des  musiciens  que  j'ai  voulu 
recueillir,  au  courant  de  ces  notes,  quelques  pièces  de  cet 
habit  multicolore  dont  la  critique  habilla,  en  son  temps,  la 
petite  partition  de  G.  Bizet.  Que  ces  jugements  leur  paraîtront 
extraordinaires  aujourd'hui,  à  eux  qui  «  savent  lire  »  et  peuvent 
aller  contrôler,  sur  le  texte  même,  ces  opinions  vieilles  de 
près  de  vingt  années.  Et  comme  ce  Bizet  que  font  revivre  ces 
pages,  est  différent  du  modèle!  On  était  pourtant  à  la  veille 
de  cette  Carmen  qui  devait  le  faire  triomphant!  Il  faudrait 
faire  sur  ce  dernier  ouvrage,  à  travers  la  critique,  une  sélec- 
tion pareille  à  celle  que  je  viens  de  présenter  sur  Djamileh. 
Mais,  non  !  il  ne  faut  pas  la  faire  :  cela  ennuierait  trop  de 
gens  !  Rien  n'est  plus  désagréable  aux  hommes  que  de  se 
retrouver  à  quelques  années  de  distance  face  à  face  avec 
leurs  opinions  ! 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


BEATRICE  ET  BENED1CT 
1862-1890 


Berlioz,  dans  une  de  ces  lettres  violentes  qu'il  écrivait  au  mo- 
ment où  sa  passion  pour  Miss  Smithson  l'exaspérait  jusqu'à  la  folie, 
glissait,  entre  deux  blasphèmes,  cette  phrase  étrangement  calme 
et  familière  :  «  A  propos,  je  vais  faire  un  opéra  italien  fort  gai. 
sur  la  comédie  de  Shakespeare  :  Beaucoup  de  bruit  pour  rien.  »  C'était 
en  1833.  Vingt-neuf  ans  après,  Béatrice  et  Bénédict  était  joué  à 
Bade. 

Le  théâtre  de  Bade  avait  coûté  un  million  et  devait  rapporter 
environ  30,000  francs  pendant  la  saison.  Un  article  de  Méry  repro- 
duit dans  le  Ménestrel  du  17  août  1802  eu  donnait  la  description  : 
«  Il  s'épanouit  avec  grâce  dans  la  corbeille  d'arbres  et  de  fleurs  où 
»  il  est  placé.  Le  premier  coup  d'œil  jeté  sur  l'ensemble  de  la  salle 
»  est  suivi  d'un  éloge  spontané  ;  en  arrivant  aux  détails,  l'éloge 
»  continue,  et  quand  tout  est  vu  minutieusement,  on  se  résume 
»  ainsi  :  c'est  beau,  riche  et  charmant.  » 

La  fête  d'inauguration  eut  un  grand  retentissement.  Le  Ménestrel 
consacra  plusieurs  colonnes  à  l'insertion  d'une  chronique  :  Les  trois 
âges  de  Bade  et  d'un  Prologue  d'ouverture  composés  par  Méry,  le 'tout, 
suivi  d'une  analyse  de  l'œuvre.  Dans  le  Journal  des  Débats,  Amédée 
Achard  entonnait  un  chant  pindarique  :  «  Ville  gagnée,  criait-on 
»  autrefois  quand  les  fiers  soldats  d'une  armée  en  campagne  avaient 
»  pu  réussir  à  planter  leurs  drapeaux  victorieux  sur  les  remparts 
»  d'une  ville  emportée  d'assaut.  Eh  bien,  je  puis  écrire  à  présent  : 
»  bonne  nouvelle,  la  bataille  est  livrée  et  c'est  victoire  gagnée.  » 
Mais  les  cordes  trop  tendues  de  la  lyre  ne  pouvaient  résister  long- 


LE  MENESTREL 


179 


temps  :  le  chroniqueur  se  raille  bientôt  lui-même  de  son  incompé- 
tence: «  Ne  serait-ce  pas  l'occasion  de  chanter  avec  la  vieille  et 
populaire  chanson  : 

Au  clair  de  la  lune, 

Mon  ami  Janin, 

Prête-moi  ta  plume 

Pour  écrire  un  brin.  » 

D'autres  journaux  prodiguèrent  sur  le  même  ton  les  éloges. 

Berlioz  reçut  4,000  francs  par  acte,  plus  1,000  francs  pour  avoir 
dirigé  son  œuvre  les  9  et  H  août.  Aucun  ouvrage  ne  devant  être 
joué  plus  de  deux  fois,  on  donna  ensuite  Èrostrate  de  M.  E.  Reyer. 

Béatrice  et  Bénédict  eut  alors  pour  interprètes  Mm°  Charton-Demeur. 
M"é  Monrose,  M1M  Geoffroy,  et  MM.  Montaubry,  Lefort  et  Prilleux. 

Berlioz  put  croire  un  instant  que  son  opéra  serait  porté  par  l'opi- 
nion publique  jusque  sur  la  scène  de  l'Opéra-Comique.  Son  illusion 
fut  courte.  Le  duo  seul  triompha  de  l'indifférence  parisienne; 
Mmes  Viardot  et  Vandenheuvel  le  chantèrent  au  Conservatoire  le 
22  mars  1863.  La  partition,  un  peu  modifiée  et  enrichie  du  trio  du 
2e  acte,  venait  d'être  gravée. 

Béatrice  et  Bénédict  fut  depuis  donné  à  Weimar,  le  10  avril  1863, 
avec  Mlle  Milde  et  M.  Knop  dans  les  deux  rôles  principaux.  Une 
reprise  eut  lieu  à  Bade  les  8  et  10  août  1863  avec  Mme  Charton- 
Demeur,  Mile  Henrion,  M'10  Faivre  et  M.  Jourdan.  Le  duo  se  chanta 
souvent  dans  les  concerts,  et  l'ouvrage  entier  reparut  encore  à  Wei- 
mar, le  13  novembre  1863. 

Bien  accueilli  depuis  sur  plusieurs  scènes  allemandes,  il  a  été 
représenté  récemment  à  Carlsruhe  (1887)  et  à  Vienne  (1890)  avec  des 
récitatifs  ajoutés  par  MM.  de  Putlitz  et  Mottl. 

Les  victoires  musicales  de  Berlioz  à  Bade  lui  avaient  attiré  des 
sympathies  parfois  très  ardentes.  Les  femmes  sensibles  aimaient  le 
musicien-poète  qui  avait  su  les  faire  pleurer  en  écrivant  la  musique 
de  ces  vers  : 

Tu  sentiras  couler  tes  larmes  à  ton  tour, 
Le  jour  où  tu  verras  couronner  ton  amour. 

Il  se  laissait  aimer,  mais  son  âge  le  réduisait  au  désespoir  :  «  Voyez 
donc  ces  joues  creuses,  ces  cheveux  gris,  ce  front  ridé/ disait-il  à 
un  ami  en  froissant  une  lettre  d'amour...  j'ai  soixante  ans,  elle  ne 
peut  pas  m'aimer,  elle  ne  m'aime  pas.  »  Et  les  aveux  les  moins 
déguisés  ne  parvenaient  pas  à  lui  donner  le  change.  Berlioz  était 
l'éternel  révolté  que  rien  ne  trouve  résigné,  pas  même  le  bonheur. 
Ne  soyons  pas  sévère  pour  lui  :  un  autre  vieillard  sentit  la  tête  et 
le  cœur  lui  tourner  sous  les  mêmes  ombrages  de  Bade  ;  nous  en 
avons  pour  preuve  un  joli  madrigal  dans  lequel  Voltaire  se  dénonce 
lui-même  : 

Souvent  un  air  de  vérité 

Se  mêle  au  plus  grossier  mensonge. 

L'autre  jour  dans  l'erreur  d'un  songe 

Au  rang  des  rois  j'étais  monté. 
Je  vous  aimais,  princesse,  et  j'osais  vous  le  dire. 
Les  dieux,  à  mon  réveil,  ne  m'ont  pas  tout  ôté, 

Je  n'ai  perdu  que  mon  empire. 

II 

En  art.  il  faut  marcher  en  avant,  toujours  devancer  quelque  peu 
son  siècle.  En  écrivant  Béatrice  et  Bénédict,  Berlioz  a  méconnu  cette 
loi  du  progrès.  Qu'en  est-il  résulté?  Une  chose  bien  naturelle,  hélas  ! 
ss  partition,  toute  charmante,  toute  délicieuse  qu'elle  est,  n'a  pu 
exercer  qu'une  faible  influence  au  moment  de  son  apparition  et  se 
présente  à  nous  aujourd'hui,  dépourvue  de  cette  liberté  d'allures,  de 
ce  rayonnement,  de  celle  incandescence  qui  distinguent  les  aurores 
naissantes  des  lueurs  affaiblies  du  crépuscule. 

Béatrice  et  Bénédict,  composé  il  y  a  près  de  trente  ans  dans  la 
forme  alors  usitée  de  l'opéra-comique,  ne  peut  pas  être  considéré 
comme  une  œuvre  type.  Les  représentations  de  cet  ouvrage  auront 
malheureusement  pour  résultat  d'égarer  l'opinion  ;  aussi  peut-on  dire 
en  toute  vérité  que  la  Société  des  grandes  auditions  de  France,  dont 
nous  ne  suspectons  nullement  les  intentions,  a  montré  Berlioz  sous 
un  jour  défavorable  et  aura  contribué  à  enraciner  l'idée  que  ses 
œuvres  dramatiques  demeurent  rétrogrades,  chose  vraie  en  ce  qui 
concerne  Béatrice  et  Bénédict,  mais  certainement  fausse  quand  il 
s'agit  de  Benvenuto  Cellini,  de  la  Prise  de  Troie  et  des  Troyens  à  Car- 
Ihaije.  Là  du  moins,  Berlioz  a  donné  sa  mesure  complète,  prenant 
toujours  pour  modèles  les  drames  lyriques  de  Gluck  et  de  Spontini, 
offrant  même  parfois  des  morceaux  d'une  facture  un  peu  vieille, 
mais  n'en  restant  pas  moins,  si  l'on  excopie  Wagner,  le  plus  hardi, 
le  plus   iudépendaut ,   le  plus  vigoureux,  le  plus  novateur,    le  plus 


essentiellement   poète    de    tous    les    musiciens  dramatiques    de  son 
temps. 

Le  sujet  de  Béatrice  et  Bénédict  est  emprunté  à  Shakespeare  (1)  ; 
Berlioz  a  lui-même  écrit  son  livret,  un  enfantillage  parfois  plein  de 
charme.  Il  s'agit  de  vaincre  le  préjugé  antimatrimouial  qui  anime 
l'un  contre  l'autre  Béatrice  et  Bénédict  et  devient  entre  eux  l'occa- 
aion  d'un  échange  ininterrompu  de  railleries,  d'un  petit  commerce 
d'épigrammes  qui  donnent  à  leurs  entretiens  une  tournure  leste  cl 
piquante.  Le  moyen  employé  consiste  à  leur  persuader  qu'ils  se 
consument  d'amour  Pun  pour  l'autre  et  refusent  de  se  l'avouer  pin 
orgueil.  Bénédict  déclare  que  le  monde  ne  finira  pas  par  sa  faute  el 
Béatrice  apprivoisée  l'accepte  par  dévouement  pour  son  sexe,  afin 
qu'il  ne  fasse  pas  le  malheur  d'une  autre  femme.  Un  double  mariage 
devient  le  couronnement  de  ces  innocents  badinages. 

Les  dialogues  de  Béatrice  et  Bénédict  manquent  de  finesse  et  d'es- 
prit. Berlioz  a  mal  copié  Shakespeare.  Par  exemple,  il  fait  dire  à 
Béatrice  parlant  des  exploits  de  Bénédict  :  «  J'ai  promis  de  faire 
dire  une  messe  pour  chaque  infidèle  qu'il  tuerait  ;  je  vais  être  ré  • 
duite  à  mendier  sans  doute.  »  Shakespeare  avait  écrit  :  «  Dites-moi 
combien  il  a  tué  d'hommes...  car,  en  vérité,  j'ai  promis  de  manger 
tout  ce  qu'il  tuerait.  »  Berlioz  était  seul  à  trouver  spirituelles  des 
phrases  comme  celles-ci:  «  C'esl  un  chant  d'amour,  d'amour  poussé... 
jusqu'à...  jusqu'au  bout  enfin. ..  »  —  «  J'ai  fait  une  fugue  pour 
frapper  l'esprit  des  jeunes  gens  et  leur  rappeler  la  fuite  du  temps.  » 
Plus  loin,  il  compare  l'estomac  des  choristes  à  des  éponges,  il  met 
dans  la  bouche  d'un  musicien  ridicule  ce  mot  de  Sponlini  :  «  Mes- 
sieurs, l'ouvrage  que  nous  allons  exécuter  est  un  chef-d'œuvre,»  et 
rappelle  des  manies  de  Fétis  par  certains  détails  de  son  texte. 

Plusieurs  morceaux  de  la  partition,  pris  séparément,  peuvent 
être  considérés  comme  de  petits  chefs-d'œuvre.  Ce  soûl  l'ouverture, 
les  deux  duos,  l'air  de  Béatrice,  le  trio  pour  voix  de  femmes,  la 
marche  nuptiale,  et  le  scherzo  vocal.  Presque  tous  les  autres  ont 
des  qualités  mélodiques,  de  l'aisance,  de  la  clarté,  du  style. 

L'instrumentation  est  admirable  d'ingéniosité,  de  discrétion  et 
de  convenance  dans  l'expression  des  sentiments.  Rien,  absolument 
rien  d'excentrique  ou  de  trop  bruyant.  Dans  sa  partition,  Berlioz  a 
écrit  presque  partout  une  ligne  pour  les  cors  simples  et  une  ligue  pour 
les  cors  à  cylindres,  ce  qui  semble  bizarre,  car  il  a  déclaré  queleson 
des  deux  instruments  était  identique.  Les  harpes  y  apparaissent 
aussi  dans  la  marche  nuptiale,  mais  on  ne  les  a  pas  entendues  à 
l'Odéon.  Dans  le  duo  célèbre  les  violons  se  trouvent  divisés,  et 
vers  la  fin,  deuxpremiers  et  deux  seconds,  également  divisés,  jouent 
à  l'octave  haute  des  autres.  Dans  le  même  duo,  le  hautbois  répète 
avec  persistance  une  noie  haletante  qui  frappe  comme  le  bruit  per- 
sistant d'une  cigale.  Les  couplets  de  Somarone  sont  écrits  pour  gui- 
tare', trompettes  et  cornet,  sans  quatuor.  Le  ravissant  chœur  d'hy- 
ménée  est  accompagné  par  la  guitare  seule. 

M""6  Bilbaut-Vauchelct  prête  une  grâce  mutine  au  rôle  de  Béatrice, 
dont  elle  sait  fort  habilement  graduer  les  effets,  surtout  dans  l'air: 
«  Il  m'en  souvient  ».  Malheureusement  elle  a  manqué  de  chaleur 
à  l'entrée  de  l'allégro.  M.  Engel  a  en  d'excellents  moments:  c'est 
un  artiste  consommé.  M'le  Levasseur,  un  peu  intimidée  d'abord,  a 
partagé  avec  M""  Landi  le  succès  d'interprétation  du  duo.  MM.  Ba- 
diali,  Queuelain  et  Gourdon  remplissent  convenablement  les  aulres 
rôles  d'hommes.  M.  A.  Lambert  s'est  montré  acteur  excellent  dans 
le  personnage  de  Léonalo. 

M.  Lamoureux  semble  porté  à  exagérer  les  sonorités.  Il  a  pris 
certains  mouvements  avec  une  lenteur  et  une  solennité  peut-être 
excessives.  Mais  il  a  rendu  l'ouverture  du  Carnaval  romain,  qui 
commençait  la  soirée,  avec  un  entrain  superbe. 

Les  décors  sont  assez  ordinaires,  et  peu  conformes  aux  indications 
du  livret.  Les  principaux  costumes  sont  riches  et  brillants. 

MUe  Bartet  a  récité  devant  le  buste  de  Berlioz  une  ode  écrite  par 
M.  Georges  Lefevre. 

Et  maintenant,  uous  attendons  les  Troyens. 

Amédée  Boutarel. 

Opéra.  —  Début  de  Mme  Fierens  dans  la  Juive  : 
Mmc  Fierens,  dont  le  début  a  eu  lieu  vendredi  à  l'Opéra,   est  une 
jeune  artiste  belge,  élève  du   Conservatoire   de  Bruxelles,    où    elle 
obtint,  il  y  a  quatre  ans,   un  premier   prix  exceptionnellement  bril- 
lant, qui  fit  aussitôt  bien  augurer  de   son  avenir.  Elle  fut  immédia- 


(1)  On  en  retrouve  les  éléments  dans  l'Arioste  et  dans  une  nouvelle  de 
Bandello.  La  l'rincesse  d'EUde  de  Molière,  Montano  et  Stéphanie,  l'opéra  de 
Berton,  &lV  Héritière  de  Scribe,  présentent  des  analogies  avec  la  donnée  do 
Shakespeare. 


480 


LE  MLNESTREL 


tement  engagée,  ainsi  que  son  maii,  qui  avait  été  Sun  camarade  de 
classe  au  Conservatoire,  par  M.  Bonnefoy,  directeur  du  Grand- 
Théâtre  de  Lille.  C'est  là  que,  tout  en  jouant  les  grands  rôles  du 
répertoire  courant,  où  elle  obtenait  de  véritables  succès,  elle  créa 
d'une  façon  fort  distinguée  la  Zaïre  de  M.  Charles  Lefebvre.  J'eus 
l'occasion  de  l'entendre  dans  cet  ouvrage  et  je  jugeai  qu'il  y  avait 
dans  la  jeuue  cantatrice  l'étoffe  d'une  véritable  artiste,  chez  qui  le 
travail  et  l'expérience  de  la  scène  ne  pouvaient  manquer  de  déve- 
lopper de  précieuses  qualités. 

Depuis  lors,  Mmc  Fierens  est  allée  tenir  son  emploi  à  Marseille, 
où  le  public  l'accueillit  très  favorablement,  et  la  voici  maintenant 
à  l'Opéra,  toute  préparée  à  rendre  les  grands  services  qu'on  est  en 
droit  d'attendre  d'elle.  La  voix  de  la  nouvelle  falcon  est  d'une,  éloffe 
solide,  d'un  timbre  très  flatteur,  et  très  égale  dans  son  étendue 
d'environ  deux  octaves;  le  médium  est  corsé,  et  les  notes  hautes  : 
si,  ut,  ré.  ont  beaucoup  de  vaillance  et  d'éclat.  Cette  voix  est  bien 
conduite,  avec  sagesse,  avec  sobriété  ;  le  phrasé  est  heureux,  l'arti- 
culai ion  excellente,  et  l'on  ne  perd  pas  une  parole.  Avec  cela  de 
bonnes  qualités  de  comédienne,  une  réelle  intelligence  de  la  scène, 
une  physionomie  expressive  et  mobile,  voilà  les  qualités  qui  lui 
ont  valu  l'autre  soir  un  accueil  très  chaleureux.  L'air:  II  va  venir, 
le  duo  du  second  acte,  le  finale  du  troisième  ont  montré  du  premier 
coup  tout  ce  que  peut  faire  Mme  Fierens.  C'est  là,  croyons-nous, 
une  bonne,  très  bonne  acquisition  pour  l'Opéra. 

Nouveautés.  —  Le  Voyage  de  Chaud  fontaine,  opéra  bouffe  wallon  en  trois 
actes,  musique  de  Jehan-Noel  Hamal  (1757),  adaptation  française  de 
M.  H.  de  Fleurigny.  —  La  Clxanson  du  Tzigane,  pièce  en  un  acte,  en  vers, 
de  M.  H.  de  Fleurigny,  avec  musique  de  scène  de  M.  Paul  Vidal. 

Le  Ménestrel  a  déjà  donné  quelques  renseignements  sur  Hamal,  le 
musicien  assurément  distingué  à  qui  l'on  doit  la  gentille  partilion- 
nette  du  Voyage  de  Chaudfontaine,  et  qui  ne  fut  point,  comme  on 
l'on  a  dit  à  torl,le  maître  de  son  illustre  compatriote  Grétry.  Hamal 
était  âgé  de  quarante-huit  ans  lorsqu'il  fit  représenter  ce  petit  ou- 
vrage, écrit  par  lui  sur  un  livret  en  patois  wallon.  On  en  était  alors 
à  la  première  grande  vogue  de  l'opéra-comique  français,  tout  fiais 
éclos,  à  Paris,  par  l'apparition  brillante  des  Troquews,  de  Dauver- 
goe,  joués  avec  tant  de  succès  à  l'Opéra-Comique  de  la  Foire  Saint- 
Germain.  Nos  jeunes  compositeurs  n'avaient  pas  tardé  à  se  lancer 
sur  cette  piste,  et  la  Belgique,  on  le  voit,  ne  voulait  pas  être  en 
retard.  Dans  l'espace  de  deux  années  seulement,  Hamal  donna  à 
Liège  quatre  ouvrages  de  ce  genre:  le  Voyage  de  Chaudfontaine  et  la 
Recrue  ds  Liège  en  1757,  la  Fête  troublée  par  la  pluie  et  les  Hypocondres 
en  1758. 

Les  partitions  de  ces  quatre  ouvrages  avaient  disparu  depuis  lors, 
et  c'est  un  hasard  qui  fit  retrouver,  il  y  a  peu  de  temps,  celle  du 
Voyage  de  Chaudfontaine,  que  M.  Alhaiza  se  mit  en  devoir  de  mon- 
ter au  théâtre  Molière,  de  Bruxelles,  où  sa  résurrection  obtint  un 
tel  succès  qu'il  eut  l'idée  de  venir  nous  la  faire  entendre  à  Paris. 
On  m'assure  que  M .  Gevaert  et  M.  Joseph  Dupont  se  sont  pris  d'une 
sorte  de  passion  pour  cette  musique,  et  cela  ne  m'étonne  nulle- 
lement,  car  non  seulement  elle  est  écrite  avec  une  grande  sûreté  de 
main,  mais  elle  a  des  qualités  de  verve,  de  franchise,  de  gaieté 
sans  prétention  qui,  étant  donnée  l'époque  à  laquelle  elle  a  paru, 
sont  faites  pour  séduire  les  artistes  instruits  et  délicats.  Ce  n'est, 
d'ailleurs,  il  faut  bien  le  dire,  comme  nos  premiers  opéras-comi- 
ques, qu'une  sorte  de  grand  vaudeville,  dont  les  morceaux  ne  com- 
portent point  de  développements.  Des  ariettes,  comme  on  disait 
alors,  des  chansons,  des  couplets,  parfois  précédés  d'un  court  réci- 
tatif, quelques  chœurs,  et  c'est  tout.  On  chercherait  vainement,  dans 
la  partition  du  Voyage  de  Chaudfontaine,  la  trace  d'un  morceau  d'en- 
semble, et  c'est  à  peine  si  l'on  y  rencontre  un  semblant  de  duo. 
Mais  dans  ses  proportions  mignonnes,  cette  partition  est  écrite  de 
main  d'ouvrier,  et  l'on  y  voit  qu'Hamal  était  un  véritable  artiste, 
à  l'instruction  solide,  à  l'imagination  alerte  et  à  la  plume  expé- 
rimentée. 

Le  malheur,  c'est  que  le  livret  sur  lequel  s'est  exercé  à  Liège, 
en  1757,  l'inspiration  du  compositeur,  ne  saurait  intéresser  en  au- 
cune façon  les  Parisiens  de  1890.  Non  seulement  ce  livret  ne 
constitue  pas  une  pièce,  mais  il  est  essentiellement  local,  et  perd 
toute  sa  saveur  à  être  transplanté  dans  un  milieu  tout  différent  de 
celui  qui  l'a  vu  naître.  Chaudfontaine  est  un  petit  pays  situé  près  de 
Liège,  où  l'on  se  rendait  de  cette  ville  en  bateau  pour  y  faire  des 
parties  de  plaisir,  et  c'est  précisément  un  incident  de  ce  geure  qui 
forme  le  canevas  très  léger  du  poème  mis  en  musique  par  Hamal. 
Or,  que  l'on  se  figure  une  pièce  bâtie  sur  les  habitudes  de  nos  cano- 
tiers d'Asnières,  de  Bougival  ou  de  Nogent-sur-Marne  ;  elle  pourra. 


nous  amuser  beaucoup,  nous  qui  sommes  au  courant  de  ces  cou- 
tumes, mais  paraîtra  parfaitement  et  naturellement  insipide  à  cent 
lieues  de  Paris.  C'est  justement  un  peu  là  ce  qui  s'est  produit  aux 
Nouveautés  avec  le  Voyage  de  Chaud  fontaine,  et  ce  qui  empêchera  le 
public  parisien  de  prendre  goût  à  celte  bleuette  musicale,  en  dépit 
de  la  gentillesse  de  la  musique  et  de  la  gaité  très  franche,  très  com- 
municalive,  qu'y  déploient  d'ailleurs  les  interprètes. 

Car  la  pièce  est  jouée  et  chantée  d'une  façon  très  satisfaisante, 
avec  beaucoup  de  verve,  de  crâuerie  et  de  jeunesse.  Il  y  a  là  un 
petit  trio  féminin  tout  à  fait  réjouissant  :  Mlle  Zélo  Duran  (Tonton), 
qui  est  jolie  comme  un  cœur  sous  son  grand  chapeau  de  paille,  et 
dont  la  voix  est  fort  aimable;  M"e  Thérèse  Bastin  (Rose),  à  la  phy- 
sionomie pleine  d'intelligence,  au  jeu  plein  de  finesse  et  de  gaité; 
et  Mlle  Rachel  Neydt  (Adyle),  qui  ne  le  cède  en  rien  à  ses  deux 
compagnes.  Les  deux  rôles  d'hommes  sont  aussi  fort  bien  tenus  par 
M.  Thys  (le  caporal  Golzau),  un  trial  qui  n'est  pas  sans  mérite, 
et  M.  Charvet  (le  batelier  Girard),  comédien  plein  de  rondeur  dont 
la  bonne  voix  de  basse  n'est  pas  à  dédaigner.  Tous  ont  fait  ressor- 
tir de  leur  mieux  la  gaité  trop  locale  du  livret,  dont  les  vers  fran- 
çais sont,  ma  foi.  gentiment  tournés,  et  la  franchise  do  la  musique. 
Dans  celle-ci,  j'ai  surtout  remarqué,  au  premier  acte,  l'air  à 
vocalises  du  sergent  :  Apaisez-vous,  mes  tourterelles,  qui  est  d'un 
très  heureux  effet,  et  le  chœur  final,  qui  est  très  harmonieux;  au 
second,  l'ariette  de  Rose  :  L'entendez-vous?  la  chanson  en  duo  :  Je 
voudrais  faire  un  voyage,  qui  est  d'une  grâce  et  d'une  fraîcheur  char- 
mantes, et  la  ronde  en  chœur  du  cramillon,  dont  la  gaité  élégante 
est  tout  à  fait  comnmnicative,  et  qui  est  réglée  de  la  façon  la  plus 
heureuse  ;  enfin,  au  troisième,  les  couplets  fort  amusants  du  batelier, 
et  l'air  de  Rose  :  Au  diable  la  séquelle,  dans  lequel,  avec  ses  singu- 
liers effets  de  sifflement,  M"0  Bastin  s'est  fait  justement  applaudir 
et  a  mis  la  salle  en  joie. 

En  résumé,  le  Voyage  de  Chaudfontaine  est  aussi  bien  monté  que 
possible.  Reste  à  savoir  si  l'intérêt  très  réel,  mais  un  peu  trop 
rétrospectif  de  la  musique,  suffira  pour  compenser  la  trop  mince 
valeur  du  livret? 

Le  spectacle  commençait  par  une  sorte  de  drame  en  vers  :  la 
Chanson  du  Tzigane,  dont  je  n'ai  pas  bien  compris  l'utilité,  et  qui 
était  loin  d'être  à  sa  place  sur  cette  scène  joyeuse  des  Nouveautés. 
Il  est  inutile  d'insister  là-dessus.  Je  me  contenterai  de  nommer  les 
interprètes  :  M110  d'Arsac;  M"e  Mariane  Chassaing,  une  gentille  sou- 
brette, MM.  Mortier,  Deval,  et  surtout  Montigny,  le  seul  qui  sache 
dire  les  vers.  Akthur  Pougin. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THÉÂTRE 

AU     SALON     DU      C  H  A  M  P  -  D  E  -  M  A  R.  S 


(Quatrième  article.) 

Un  peu  loin,  un  peu  arrière-centenaire  et  Tour  Eiffel  posthume... 
—  Oui,  certainement.  Et  puis  il  y  lait  bien  chaud  en  et'.  Elle  devrait 
avoir  lieu  de  mars  à  mai,  l'Autre  Exposition.  Mais  c'est  vi  aiment 
un  salon,  c'est-à-aire  une  sélection,  un  triage,  une  réunion  de  gens 
de  goût  et  de  talent,  de  valeur  nécessairement,  inégale  mais  de 
tempérament  varié  et  de  tendances  identiques,  se  complétant  les 
uns  les  autres,  formant  un  ensemble  homogène.  Voilà  en  effet  la 
caractéristique  du  hall  aux  peiutures  et  à  la  statuaire  ouvert  dans 
l'ancien  palais  dos  Beaux-Arts,  sous  les  auspices  de  M.  Meissonier. 
On  y  trouve  un  peu  de  tout,  depuis  le  tireur  de  coups  de  pistolet 
jusqu'à  l'allumeur  de  lanternes  magiques,  depuis  les  pasticheurs  de 
Carolus  Duran  jusqu'à  Carolus  lui-même,  depuis  les  peintres  qui 
exagèrent  la  nature  jusqu'à  ceux  qui  se  contententent  de  l'inter- 
préter; on  y  trouve  le  bibelotier,  le  costumier,  l'anecdotier,  l'inven- 
teur d'éclairages  perfectionnés,  le  coloriste-chimiste,  le  metteur  en 
scène  et  même  le  cabotin.  On  n'y  rencontre  guère  le  pompier.  Il  n'y 
a  pas  que  des  chefs-d'œuvre  à  l'Autre  Salon  (qui  vaut  bien  cette 
répétition  de  majuscules),  mais  les  œuvres  banales  y  sont  fort  rares. 

Le  vaste  panneau  de  M.  Puvis  de  Chavannes,  inter  artes  et  natu- 
ram,  destiné  à  l'escalier  du  musée  de  Rouen,  joue  au  Champ-de- 
Mars  à  peu  près  le  même  rôle  que  le  plafond  de  Munkaczy  aux 
Champs-Elysées  :  c'est  le  plal  de  résistance.  Groupement  symbolique 
des  premiers  artistes  qui  furent,  en  effet,  les  premiers  interprètes 
de  la  nature.  Toujours  le  dessin  sommaire  et  le  volontaire  à-peu-près 
du  coloris  dans  le  rendu  des  figures;  mais  un  paysage  d'une  remar- 
quable solidité,  où  se  retrouve  la  maîtrise  du  décorateur  ::  de  belles 
ordonnances,  d'harmonieuses  symétiies,  une  symphonie  qui  serait 
de  Corot  si  elle  n'était  de  Puvis  de  Chavanues:  • 


LE  MENESTREL 


181 


Apres  le  Puvis,  arrêtons-nous  à  la  salle  des  plafonds,  intelligem- 
ment organisée  et  éclairée.  Les  plafonds  sont  placés  dans  leur  posi- 
tion naturelle,  c'est-à-dire  anormale.  Des  ciels  clairs,  de  poétiques 
envolées  :  «  les  Arts  »  par  Gallaud.  Au  milieu,  le  Besnard.  une  magni- 
fique esquisse  du  plafond  qu'il  destine  ù  l'Hôtel  de  Ville.  Nous 
sommes  daus  un  chaos  lumineux  de  mondes  supra-terrestres  :  la 
Vérité  s'élance,  fière,  eu  portant  dans  ses  bras  des  gerbes  de  feu 
dout  elle  éclaire  l'humanité.  Un  peu  rude  de  ion,  mais  une  magis- 
trale esquisse,  un  beau  décor. 

Suite  des  grandes  toiles:  l'allégorie  de  M.  Agache,  «  Vanité  ».  La 
composilion  est  intéressante  :  la  jeune  fille  au  sourire  énigmatique 
qui  tient  entre  ses  doigts  une  boule  de  verre,  symbole  des  félicités 
d'ici-bas,  le  poète  au  laurier  d'or  et  à  la  figure  décharnée,  les  armoires 
vides  qui  remplissent  le  premier  plan,  forment  un  ensemble  très 
iuteUigible,  et  l'allégorie  ne  tourne  pas  au  rébus.  Le  défaut  du  tableau 
—  et  un  défaut  assez  grave  —  est  dans  la  sécheresse,  dans  l'excès 
du  fini,  dans  la  perfection  même  du  rendu.  M.  Agache  traite  les 
natures  mortes  qui  occupent  une  place  importante  dans  cette  «  Vani- 
té »  tiès  bien  meublée,  avec  la  patience  et  la  sûreté  de  main  d'un 
Desgoffes.  C'est  faire  œuvre  de  bon  ouvrier,  mais  en  même  temps 
c'est  enlever  à  l'allégorie  ce  vague,  cette  illusion,  cet  idéalisme  qui 
sont  les  premières  conditions  du  genre. 

M.  Alfred  Stevens,  qui  n'avait  rien  donné  depuis  longtemps....  — 
depuis  le  Salon  où  exposa  Mm0  Sarah  Bernharàt,  prise  d'une  voca- 
tion subite  pour  les  beaux-arts,  —  a  fait  huit  envois  au  Champ  de 
Mars  pour  réparer  le  temps  perdu.  Il  y  a  beaucoup  à  prendre  et 
un  peu  à  laisser  dans  ce  petit  Salon.  Il  faut  prendre  une  œuvre  de 
tout  premier  ordre,  «  la  Musicienne  »,  portrajt  de  harpiste  en  robe 
verle,  un  pauvret  caraco  noir,  d'un  rendu  saisissant  et  d'une  sobriété 
d'exécution  plus  que  méritoire  chez  M.  Stevens.  Il  faut  laisser  «  la 
Jeune  Veuve  »,    commentaire  assez  froid  du  distique  du   fabuliste: 

Le  deuil  enfin  sert  de  parure 
En  atlendant  d'autres  atours... 

Non  seulement  l'exécution  est  sèche  et  dure,  mais  la  composition 
manque  d'uDité,  j'allais  dire  de  vraisemblance.  Ce  Cupidon  joufflu 
qui  se  g  isse  sous  la  table  serait  inexcusable,  s'il  n'était  pas  en 
bois  ou  en  plâtre,  de  figurer  dans  un  décor  tout  moderne  où  le 
portrait  du  mari  (détail  assez  spirituel)  apparaît  en  perspective 
coupé  à  mi-ligure  par  un  battant  de  p  >rte,  mais  laissant  voir  un 
revers  de  redingote  taché  d'une  rosette  rouge.  L'«  Ophélie  »  et 
«  lady  Macbeth  »  rentrent  dans  l'art  décoratif. 

Saluons  eu  passant  M.  Charles  Meissonier  (le  fils),  toujours  fidèle 
aux  galantes  résurrections  du  dix-buiiième  siècle,  un  Saint-Preux. 
UDe  nouvelle  Héloïse  ou  un  Jean-Jacques  et  une  Madame  de  Warens 
dans  un  berceau  de  feuillage  et  de  fleurs,  ainsi  qu'un  «  Goûter  au 
Jardin  »  dans  un  décor  d'opéra-comique-,  et  M.  Prinet,  qui  ne  va 
pas  chercher  si  loin  les  sujets  de  tableaux.  Il  se  contente  de  nous 
montrer  un  petit  chef-d'œuvre  d'observation  et  de  spirituelle  mise 
en  scène,  sans  aucun  sacrifice  à  l'anecdotisme  :  la  «  Leçon  de 
danse  »,  une  troupe  de  gamines  en  tabliers  blancs  et  bas  noirs  étu- 
diant, sous  la  direction  d'uu  violoniste  dégingandé,  les  premiers 
principes  de  l'art  des  Subra  et  des  Mauri. 

Même  série  :  les  Gustave  Courtois,  un  charmant  portrait  de 
Le  Bargy,  de  la  Comédie-Française,  un  peu  idéalisé,  un  peu  «  re- 
garni »,  comme  disent  les  tailleurs,  sous  le  costume  et  la  poudre 
d'un  jeune  seigneur  répertoire  Marivaux  ;  une  composition  plus  im- 
portante mais  passablement  encombrée  :  Lisette  du  Légataire  uni- 
versel, panneau  pour  le  foyer  de  l'Odéon...  Cela  fait  trois  panneaux 
dans  un  seul  tableau,  car  Lisette  se  tient  debout  devant  une  grande 
armoire  normande  dont  les  porles  sont  ouvertes  et  qui,  malgré 
l'habileté  du  trompe-l'œil,  me  parait  un  meuble  bien  gênant.  N'ou- 
blions pas  une  «  Ninon  »,  pour  laquelle  je  donnerais  volontiers  la 
Lisette  avec  tout  son  bric-à-brac  d'hôtel  garni. 

De  M.  Blanche,  qui  a  une  ambition  fort  louable  même  quand  le 
succès  reste  incertain,  celle  de  c. imposer  le  portrait,  une  très  sug- 
gestive étude  d'enfant  en  manteau  de  velours  noir  doublé  de  vert: 
quelque  chose  comme  la  jeunesse  d'Hamlet.  Puis,  la  suite  des 
Béraud,  très  variée:  entre  autres  une  petite  Arlequine  argent  et  noir 
et  une  composition  anecdotique  qui  pourrait  bien  être  transportée 
au  théâtre  par  un  directeur  aimant  la  mise  en  scène  pittoresque: 
«  Rien  ne  va  plus;  »  la  salle  de  jeu  de  Monte-Carlo.  Beaucoup  de 
figures  intéressantes  et  de  types  saisis  dans  la  fièvre  du  jeu,  depuis 
le  joueur  fataliste,  hypnotisé,  jusqu'au  passionné  qui  rentre  on  cou- 
rant dans  la  salle  du  jeu  en  tenant  à  la, main  une  liasse  de  billets 
de  banque.  Faut-il  l'avouer  ?  Je  préfère  à  ces  détails  amusants,  mais 
d'une    exéculiou  lelativemenl  facile,    une    petite   femme  en  veston 


mastic,  en  coiffure  frisée  au  petit  fer,  vue  de  dos,  appuyée  sur  le 
lapis  vert,  d'une  étonnante  vérité  d'attitude. 

Uu  bon  portrait  de  Plançon  en  François  Ier  i'Ascanh,  par  M.  Delé- 
cluse;  de  M.  Paul  Robert  un  intéressant  Paul  Mounet  en  don  Sal- 
luste  de  Ruij  Bios.  M.  Rixens  a  fait  une  série  d'œuvres  d'une  belle 
tenue,  depuis  le  portrait  de  M""  Ducasse  jusqu'à  l'étude  qu'il  intitule 
«  la  Toiletle  ».  Les  Roll  sont  d'une  modernité  intense,  suivant  la 
formule  :  M",c  Jane  Hading,  celle  qui  fut  la  Claire  de  Beaulieu  du 
Maître  de  Forges  et  «  Toute  la  lyre  »  de  Sapho,  un  peu  trop  vernis- 
sée dans  un  décor  de  serre  un  peu  trop  chargé;  Coquelin  cadet,  dé- 
bitant un  monologue.  De  M.  Duez,  un  portrait  de  M.  Georges  Hugo 
en  homme  du  monde,  pas  très  bon,  presque  criard,  assez  préten- 
tieux avec  ses  vagues  réminiscences  de  poses  romantiques  et  qui 
fait  fureur.  M.  Sargent  nous  montre  la  célèbre  tragédienne  Ellen 
Terry  dans  son  rôle  de  lady  Macbeth,  où  elle  semble  surtout  une 
héroïne  des  Niebelungen .  De  Mmo  Madeleine  Lemaire  une  Ophélie  à 
la  Ctiaplin,  dans  un  décor  à  la  Lerolle,  mais  avec  une  profusion  de 
fleurs  merveilleuses,  de  fleurs  qui  seraient  à  elles  seules  la  marque 
et  la  signature  de  Mmo  Lemaire. 

Pour  varier  un  peu  nos  plaisirs,  passons  à  un  symphonisle-lumi- 
nisle  (c'est  !e  vocabulaire  à  la  mode),  M.  Besnard.  11  y  a  sept  Bcs- 
nard  au  Champ-de-Mars,  tous  curieux;  tous  personnels,  mais  de 
plus  en  plus  conformes  à  la  loi  tirée  du  sonnet  de  Baudelaire: 

Comme  de  longs  échos  qui  de  loin  se  répondent 

Dans  une  triomphante  et  profonde  unité, 

Vaste  comme  la  nuit  et  comme  la  clarté, 

Les  parfums,  les  couleurs  et  les  tons  se  confondent. 

Donc,  pour  M.  Besnard,  le  violet  faisandé  est  la  couleur  du  cau- 
chemar, car  c'est  dans  une  brume  violacée  que  baigne  le  modèle 
féminin  intitulé  «  l'Insomnie  ».  Ces  Ions  vifs  et  gais,  rouges,  roses, 
bleus,  sont  la  couleur  de  la  famille,  car  c'est  la  note  dominante  du 
«  Groupe  d'enfants  »;  quant  à  la  femme  aimée,  elle  doit  être  parée, 
en  large,  de  toutes  les  couleurs  de  l'arc-en-ciel,  car  la  «  Vision  de 
jeunesse  »  est  verte,  jaune,  orangée,  ponceau,  lilas...  Mais  derrière 
cette  coloration  tout  austère  et  conventionnelle,  que  d'admirables 
morceaux,  que  de  détails  révélant  la  maîtrise  du  grand  peintre  !  Et 
quel  artiste  aurait  élé  M.  Besnard,  si  les  marchands  de  produits  chi- 
miques n'avaient  en  bocaux  des  suggestions  aussi  perverses.  — 
Autre  symphoniste,  celui-ci  eu  brouillard  majeur  :  Eugène  Carrière. 
II  possède  d'admirables  qualités  d'observateur  et  d'exécutant, 
M.  Carrière,  mais  il  les  noie  dans  une  buée  grise,  couleur  de  mau- 
vais rêve;  et  pourtant  quel  album  intime  d'une  merveilleuse  délica- 
tesse :  ce  sommeil  de  l'enfant  et  de  la  mère,  la  «  Tendresse  »,  la 
«  Coupe  »;  la  jeune  fille  à  la  coiffure;  le  cahier;  le  déjeuner;  de  petits 
Chardins,  vus  à  travers  une  vitre  brouillée.  —  Et  pour  ne  pas  ter- 
miner cette  première  promenade  sans  parler  des  maîtres  étrangers, 
une  très  belle  étude  de  M.  Kuehl  :  une  jeune  femme  en  robe  blanche 
jouant  de  l'orgue  dans  une  tribune  Louis  XV. 

(A  suivre.)  Camille  Le  Senne. 


FLEURS  D'HIVER,  FRUITS  D'HIVER 


Sous  ce  titre,  M.  Ernest  Legouvé  vient  de  faire  paraître  chez  Paul  01-' 
lendorf  un  curieux  petit  volume  qui  contient,  pour  ainsi  dire,  toutes  ses 
impressions  intimes  d'octogénaire.  Il  y  a  là  bien  des  pages  charmantes, 
et  comme  la  meilleure  manière  de  louer  le  livre  d'un  tel  maitre  et  la 
plus  agréable  pour  le  lecteur  est  encore  d'en  citer  des  fragments,  nous- 
avons  choisi  celui  qui  va  suivre  : 

Plus  j'avanc?.  dans    la  vie,  plus   grandissent  en  moi   deux 

goûts  bien  propres  à  la  prolonger.  J'aime  chaque  jour  davantage  la 
campagne  et  la  poésie.  Ces  deux" goûts  se  tiennent  et  s'entretiennent 
l'un  l'autre.  Dès  que  le  mois  do  mai  me  ramène  dans  mon  petit 
village,  je  icdeviens  écolier;  j'apprends  tous  les  jours  quelques  vers 
par  cœur;  je  les  retiens  encore  ;  je  me  les  répète  tout  haut  ;  ce  sont 
mes  compagnons  do  promenade.  Dieu  merci!  les  longs  ouvrages  en 
prose  ne  me  font  pas  encore  peur,  mais  il  faut  compter  avec  mes 
yeux,  voire  avec  nia  lête,  pour  qui  les  lectures  trop  prolongées  sont 
une  fatigue.  La  poésie  a  cela  d'admirable  qu'elle  contient  beaucoup 
de  subîtancos  sous  un  petit  volume.  La  sagesse  et  l'imagination 
humaines  s'y  trouvent  comme  lésumées;  c'est  la  cristallisation  des 
idées  et  dos  sentiments  de  tous  les  temps. 

Luinurliuc  a  dit  : 

Tout  ce  qui  sort  de  l'homme  est  rapide  et  fragile, 
Mais  le  vers  est  de  bronze  et  la  prose  est  d'argile. 


482 


LE  MENESTREL 


.  Ajoutez  un  autre  avantage  de  la  poésie  sur  la  prose  :  elle  est 
portative  ;  on  l'a  dans  sa  tète.  Enfin,  dernier  privilège,  elle  se  prête 
merveilleusement  à  l'exerc'ce  de  la  diction  à  haute  voix.  Les  rimes, 
les  rythmes,  les  timbres,  les  nombre?,  les  lichesses  de  coloris,  les 
mille  nuances  de  sentimenls,  sont  autant  de  sujets  d'étude  délicieux 
pour  nn  passionné  de  diction  comme  moi.  Je  passe  quelquefois  de 
longs  moments  à  chercher  la  note  juste  qui  convient  à  tel  ou  tel 
passage,  à  faire  sur  les  vers  rie  la  musique  parlée.  Allez  doue  es- 
sayer ce  métier-là  à  Paris!  Cherchez  donc  des  intonations  dans  les 
rues,  au  milieu  de  la  cohue  dès  passants  !...  Dieu  sait  pour  qui  l'on  vous 
prendrait!  Taudis  qu'en  plein  bois!  en  plein  champ!  en  plein  ciel  ! 
en  pleine  solitude!..  Dès  que  deux  ou  trois  heures  sonnent,  me  voilà 
parti  en  course,  un  bâton  à  la  main,  le  nez  en  l'air,  les  poches  vides 
mais  la  mémoire  pleine  de  tous  mes  chers  poètes.  Je  dis  tous,  car 
je  n'en  ai  pas  de  préférés,  ou  plutôt  je  préfère  chacun  d'eux  à  son 
tour;  cela  dépend  du  paysage,  de  l'heure  du  jour,  de  la  saison  de 
l'année.  Il  y  en  a  dont  les  vers  me  viennent  d'eux-mêmes  sur  les 
lèvres  par  une  belle  matinée  de  printemps.  Il  y  en  a  d'amtres  qui 
chantent  plus  volontiers  comme  les  merles,  au  milieu  des  brouil- 
lards d'automne.  J'en  ai  pour  les  horizons  lointains  et  bleuâtres.  J'en 
ai.  aussi  pour  les  petits  recoins  sombres,  cachés  au  plus  épais  des 
taillis  de  chênes.  Croirait-on  que  j'en  ai  même  pour  les  heures  de 
sommeil?  L'insomnie  est  la  triste  compagne  de  la  vieillesse.  Pour 
moi,  s'éveiller  et  s'endormir  ne  sont  pas  des  verbes  réfléchis,  ce  sont 
des  verbes  actifs.  C'est  vraiment  moi  qui  m'éveille  et  me  tiens 
éveillé  avec  ma  maudite  imagination  ;  et  c'est  moi  qui  suis  forcé 
de  m'endormir  comme  un  enfant  qu'on  berce.  Eh  bien,  je  me  berce 
avec  des  vers!  Une  certaine  fable  de  La  Fontaine  content  un  certain 
passage  qui  m'a  fait  vingt  fois  l'effet  d'une  goutte  de  chloral  ;  c'est 
dans  l'Alouette  et  ses  Petits  : 

Cependant  soyez  gais,  voici  de  quoi  manger. 

Eux  repus,  tout  s'endort,  les  enfants  et  la  mère. 

Quand  j'arrive  à  ce  vers-là,  il  me  semble  que  mon  lit  devient  un 
nid,  et  je  m'endors  avec  toute  la  couvée. 

Par  exemple,  je  n'emploie  pas  Victor  Hugo  à  cet  usage,  il  est 
trop  éclatant!  ni  Musset,  il  est  trop  excitant!  ni  même  Béranger... 
car  j'apprends  aussi  du  Béranger!  J'en  apprends  bien  d'autres  !  Cor- 
neille, Bacine,  Bégnier,  Casimir  Delavigne,  André  Chénier,  Lamar- 
tine, Boileau.  Tout  cela  vit  côte  à  côte  dans  ma  mémoire.  Victor 
Hugo  aurait  frémi  d'indignation  si  je  lui  avais  dit  qu'après  m'ètre 
récité  avec  enthousiasme  tel  ou  tel  passage  de  la  Légende  des  Siècles, 
une  heure  après  je  disais  tout  bas  avec  délices  ce  morceau  de 
Ducis  : 

Petit  logis  commode  et  sain, 

Où  des  arts  et  du  luxe  en  vain 

L'on  chercherait  quelque  merveille... 

Il  faut  vraiment  être  né  en  1801  pour  se  permettre  de  tels  amal- 
games!... Demandez  donc  à  la  jeunesse  un  pareil  polythéisme!... 
Elle  crierait  au  sacrilège!  Ses  admiratious  sont  trop  exclusives,  ses 
antipathies  trop  violentes.  Pour,  elle,  adorer  rime  toujours  avec 
exécrer.  Elle  n'élève  jamais  une  statue  qu'avec  les  débris  d'une 
autre.  Elle  se  croirait  impie  envers  Shakespeare,  si  elle  ne  lapidait 
pas  Andromaque  avec  Othello.  Mais  quand  on  est  depuis  si  longtemps 
dans  le  monde,  quand  on  a  vu  mourir  tant  de  renommées  réputées 
immortelles,  qu'on  a  vu  s'éteindre  tant  d'étoiles  qui  passaient  pour 
des  étoiles  fixes,  alors  toutes  les  petites  distinctions  de  genres,  de 
temps,  de  modes,  disparaissent;  on  ne  s'attache  plus  qu'à  ce  qui 
survit,  et  on  aime  tout  ce  qui  survit.  On  fouille  à  travers  toutes 
les  cendres  du  passé  pour  y  découvrir  quelque  lueur  qui  y  brille 
encore.  Ce  n'est  quelquefois  qu'une  étincelle  !  Qu'importe,  je  la  re- 
cueille et  je  lui  garde  une  modeste  place  à  côté  du  flambeau  qui 
rayonne  et  de  l'astre  qui  resplendit.  Je  me  fais  l'effet  d'un  ancien; 
j'ai  mon  petit  feu  sacré  à  la  maison. 

Ernest  Legouvé. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

Nouvelles  de  Londres  : 

La  période  assez  laborieuse  des  débuts  touche  à  sa  fin  au  théâtre  de 
Covent-Garden.  Le  public  s'est  montré  ptus  que  réservé  pour  la  plupart 
des  nouveaux  pensionnaires  de  M.  Harris,  qui  a  été  fort  mal  avisé  en 
exhumant  à  leur  intention  des  vieilleries  telles  que  le  Trouvère,  la  Tra- 
viala  et  la  Somnambule,  n'ayant  plus  cours  même  en  Angleterre.  Il  convient 
de  signaler  la  bonne  impression  produite  dans  le  rôle  de  dona  Anna  par 
Uwe  Tabary,  mieux  connue   en   Allemagne  sous   le   nom  de  Basta.  Par1 


contre,  il  serait  peu  charitable  d'insister  sur  les  défailtances  de  Mm°  Gerster, 
qui  remontait  sur  les  planches  après  une  longue  et  cruelle  maladie.io/iengrm, 
avec  les  frères  de  Beszké  et  Mm0  Fursch-Madi,  a  été  le  premier  succès 
franc  de  la  saison  et  a  eu  un  heureux  lendemain  avec  Roméo  et  Juliette, 
qui  a  servi  de  rentrée  brillante  à  Mmc  Melba.  Samedi  ce  sera  le  tour  de 
M.  Lassalle  dans  les  Maîtres  chanteurs,  qui  lui  avaient  valu  un  succès  très 
légitime  la  saison  dernière.  On  répète  activement  le  Prophète  pour  lé  début 
de  Mn,e  Richard,  avec  une  distribution  des  plus  remarquables.  M.  Jean 
de  Reszké  chantera  pour  la  première  fois  à  Londres  le  rôle  dn  Prophète, 
Edouard  de  Reszké  fera  Zacharie,  Cobalet  Obertbal,  Dufriche  et  Montariol 
les  deux  anabaptistes,  et  M™  Nuovina,  Bertha.  La  direction  promet  de 
rétablir  les  trop  nombreuses  coupures  qui  avaient  jusqu'ici  défiguré  le 
chef-d'œuvre  de  Meyerbeer  à  Covent-Garden.  Une  distribution  nouvelle 
des  plus  savoureuses  de  Carmen  serart  celle  dans  laquelle  M.  Jean  de 
Reszké  prendrait  le  rôle  de  Don  José  et  M.  Lassalle  celui  d'Escamillo. 
Il  faut  espérer  que  dans  ce  cas  on  pourra  décider  Mme  Richard  à  chanter 
l'héroïne  de  Bizet.  La  titulaire  actuelle  du  rôle,  M"0  Zélie  de  Lussan,  n'a 
ni  la  conception  artistique,  ni  l'ampleur  vocale  du  rôle,  pour  un  tel  milieu 
et  avec  de  pareils  partenaires.  Pour  l'unique  représentation  des  Pêcheurs 
de  Perles,  on  a  renoncé  cette  saison  aux  tripatouillages  de  M.  Mancinelli, 
et  le  troisième  acte  a  été  exécuté  selon  la  partition  définitive,  avec  le  trio 
de  M.  Benjamin  Godard. 

Mm0  Patti  ne  voulant  pas  s'exposer  à  la  même  mésaventure  qu'à  son 
précédent  concert,  s'est  fait  remplacer  cette  fois  par  M™  Albani,  retour 
d'Amérique.  Malheureusement  le  public  n'y  a  rien  gagné  comme  compo- 
sition de  programme,  même  si  on  ne  tient  pas  compte  des  exhibitions 
pénibles  de  M.  Sims  Reeves,  le  ténor-fantôme,  et  de  Mn,c  Trebelli,  une 
artiste  qui  aurait  pu  se  montrer  plus  soucieuse  de  sa  vieille  réputation. 

Le  succès  de  M.  Paderewski  a  été  grand  à  son  troisième  concert,  donné 
enfin  devant  un  public  très  nombreux.  Pour  sa  quatrième  et  dernière 
séance  l'éminent  pianiste  s'est  assuré  le  concours  de  l'orchestre  Henscbell 
et  exécutera  son  propre  concerto  en  la  mineur,  celui  de  Saint-Saëns  en 
ut  mineur  et  la  Fantaisie  hongroise  de  Liszt.  —  M.  Sarasate,  de  retour 
des  Etats-Unis,  donnera  samedi  son  premier  concert  avec  le  concours  de 
Mml!  Berthe  Marx.  —  La  prochaine  nouveauté  musicale  de  la  Société 
Philharmonique  sera  une  Suite  d'orchestre  en  sol  mineur  de  Moszkowski, 
dirigée  par  l'auteur.  —  A.  G.  N. 

—  Le  jeune  maestro  Pietro  Mascagni,  l'auteur  de  Cavalieria  rusticana, 
est  décidément  le  lion  du  jour  en  Italie,  et  il  semble  qu'on  ne  sache  que 
faire  pour  griser  son  esprit  par  des  procédés  d'une  bienveillance  peut-être 
excessive.  Il  suffira  de  dire  que  la  petite  ville  de  Cerignola,  modeste  com- 
mune de  la  province  de  Foggia,  où  il  est  directeur  de  la  Société  philhar- 
monique et,  croyons-nous,  organiste  à  l'église,  l'a  nommé  citoyen  hono- 
raire ;  que  Livourne,  sa  ville  natale,  fait  frapper  en  son  honneur  une 
médaille  d'or  ;  enfin  que  le  roi  vient  de  le  nommer  chevalier  de  la  Cou- 
ronne d'Italie,  ce  que  les  journaux  trouvent  prématuré,  rappelant  que 
Verdi  avait  écrit  une  vingtaine  d'opéras  quand  il  obtint  cet  honneur. 
Quant  au  succès  de  son  opéra,  il  n'a  été  non  épuisé,  mais  interrompu 
que  par  la  fermeture  du  théâtre,  et  la  représentation  de  clôture  fut  une 
véritable  fête  pour  le  jeune  compositeur,  qui  a  été  l'objet  d'ovations  sans 
nombre.  Après  le  spectacle,  le  jury  qui  avait  décidé  la  représentation  des 
trois  opéras  distingués  par  lui,  s'est  réuni  pour  décerner  les  primes  :  la 
première  a  été  attribuée,  à  l'unanimité,  à  M.  Mascagni,  la  seconde  à  M.  Spi- 
nelli,  auteur  de  Labilia.  Enfin,  on  annonce  que  M.  Sonzogno  a  commandé 
à  M.  Mascagni  un  nouvel  opéra,  dont  le  livret  sera  emprunté,  dit-on,  au 
drame  de  M.  Alexandre  Dumas,  les  Danichc/f. 

—  Le  troisième  opéra  couronné  au  concours  Sonzogno,  Rudello,  musique 
de  M.  Ferroni,  professeur  de  composition  au  Conservatoire  de  Milan,  a 
été  représenté  sans  grand  succès  au  théâtre  Costanzi,  de  Borne,  comme  les 
deux  précédents.  «  Beaucoup  de  savoir,  dit  le  Cosmorama,  grande  mono- 
tonie, aucune  inspiration.  »  Et  le  Trovatore,  de  son  côté  :  «  beaucoup  de 
science,  mais  peu  de  théâtralité  et  de  mélodie,  et  trop  de  mélopée.  »  En 
somme,  chute  honnête. 

—  Bonne  nouvelle  pour  les  compositeurs  français  !  La  Scala  de  Milan 
passe  aux  mains  de  M.  Edouard  Sonzogno.  Et  dès,  à  présent  on  annonce 
pour  la  saison  prochaine  VUamlet  de  M.  Ambroise  Thomas,  le  Sigurd  de 
M.  Reyer  et  le  Cid  de  M.  Massenet. 

—  Trois  opéras  nouveaux  doivent  être  donnés  prochainement  en  Italie  : 
au  théâtre  Dal  Vernie,  do  Milan,  Edilla,  paroles  de  M.  Arkel,  musique  de 
M.  Pizzi  ;  au  Philodramatique  de  la  même  ville,  Linna  di  Dovara,  paroles 
de  M.  Visentini,  avocat  de  Mantoue,  musique  de  M.  Ziglioli,  compositeur 
natif  de  Pescarolo,  organiste  à  Caravaggio  et  qui  jusqu'à  présent  n'est 
connu  que  comme  compositeur  de  musique  religieuse  ;  à  Sant'Areangelo 
(Romagnes),  pour  l'ouverture  du  théâtre,  remis  à  neuf,  la  '/.ingara  di  Gra- 
nata,  musique  de  M.  Bartolucci. 

—  «  Opéras  nouveaux  en  gestation  ».  C'est  ainsi  qu'un  journal  italien 
annonce  toute  une  série  d'ouvrages  qui  attendent  leur  tour  de  représenta- 
tion et  dont  voici  la  liste  :  Manon  Lescault,  livret  de  MM.  Marco  Praga  et 
Domenico  Oliva,  musique  de  M.  Puccini  ;  *  Medici,  poème  et  musique  de 
M.  Ruggero  Leoncavallo,  ouvrage  qui  n'est  que  la  première  partie  d'une 
trilogie  intitulée  Crepusculum  ;  Andréa  del  Sarto,  paroles  de  M.  Ghislanzoni, 
musique  de  M.  Baravella  ;  Matteo  Schivner,  paroles  de  M.  Tommasucci, 
musique  de  M.  Bensa;  il  Trionfo  d'fimore,  musique  de  M.  Giulio  Tanaro  ; 


LE  MENESTREL 


183 


«7  Figlio  délia  Selva,  livret  de  M.  Ghislanzoni,  musique  de  M.  Gesare 
Dell'AUis  ;  Makado,  musique  de  M.  Angelo  Bottagisio  ;  enfin  Gnnlher, 
musique  de  M.  Nino  Rebora. 

—  Au  théâtre  Pezzana,  de  Milan,  grand  succès  pour  une  nouvelle  opé- 
rette du  compositeur  viennois  Sommer,  Cin-Ko-ha,  joué  par  MM.  Grossi, 
Giovannini,  Principi,  et  par  M™!  Morroto,  Ferrara  et  Narducci.  —  Au 
Politeama  Duc  de  Gênes,  à  la  Spezia,  première  représentation  de  la  Ca- 
pricciosa,  ballet  du  chorégraphe  Razzeto,  musique  de  M.  Galleani.  —  A 
Rome,  à  l'école  normale  Vittorio  Colonna,  exécution  d'une  «  idylle  »  en 
trois  actes,  Minoelta,  paroles  de  M.  P.  Rinaldi,  musique  de  M.  A.  d'Esté, 
chantée  par  des  amateurs  et  des  élèves  de  l'école,  et  accompagnée  par 
un  orchestre  improvisé,  qui,  dit  un  journal,  «  a  fait  souffrir  les  oreilles 
bien  organisées  ».  —  Enfin,  à  Milan,  dans  les  salons  de  M.  Giuseppe 
Trêves,  exécution  d'une  opérette  en  un  acte,  Gringoire,  livret  imité  par 
Mrac  Trêves  de  la  comédie  de  Théodore  de  Banville,  musique  de  M.  Scon- 
trino,  chantée  par  Mmc  Adélaïde  Morelli,  MM.  Russitano,  Angelini-For- 
nari,  Cromberg  et  Marini. 

—  A  l'occasion  du  cinquantième  anniversaire  de  la  mort  de  Paganini, 
qui  tombait  le  27  mai  dernier,  on  a  placé  à  Parme,  dans  le  Borgo  Felino, 
sur  la  façade  du  palais  de  M.  le  comte  Filippo  Linati,  sénateur,  une 
pierre  commémorative  rappelant  le  long  séjour  fait  en  cette  demeure  par 
l'illustre  violoniste.  On  sait  que  c'est  à  Parme  que  Paganini  fit  son 
éducation  musicale,  sous  la  direction  de  Rolla  et  de  Ghiretti  ;  c'est  à 
Parme  aussi  qu'il  fut  enterré  et  que  se  trouve  le  riche  tombeau  que  lui 
a  fait  élever  son  fils,  le  baron  Achille  Paganini  ;  c'est  dans  sa  belle  villa 
de  Gaione,  située  à  quelques  milles  de  cette  ville,  que  le  baron  Achille 
Paganini  conserve  religieusement  tous  les  ohjets  qui  rappellent  le  sou- 
venir de  son  père,  un  violon  et  un  violoncelle  d'Amati,  une  mandoline, 
une  guitare  dont  il  se  servait  souvent,  les  manuscrits  de  la  plupart  de 
ses  compositions,  dont  plusieurs  inédites,  ses  innombrables  décorations, 
sa  tabatière  préférée,  des  mèches  de  ses  cheveux,  le  béret  noir  qu'il  por- 
tait à  son  lit  de  mort,  divers  portraits,  les  cadeaux  qu'il  reçut  de  tous 
les  souverains  au  cours  de  ses  voyages  et  de  ses  triomphes,  etc.,  etc.  On 
compte  présenter  prochainement  au  conseil  municipal  de  Parme  une  de- 
mande tendant  à  faire  donner  au  Borgo  Felino  le  nom  de  rue  Paganini. 

—  Le  12  avril  1892  sera  le  second  anniversaire  centenaire  de  la  nais- 
sance d'un  autre  violoniste  illustre,  Giuseppe  Tartini.  Un  comité  vient 
de  se  constituer  à  Pirano,  en  Istrie,  ville  natale  de  cet  artiste  justement 
fameux,  pour  préparer  dignement  la  célébration  de  cette  date  intéres- 
sante. 

■ —  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Cobourg-Gotha  :  Le  chambellan 
von  Rekowski  a  été  relevé  de  ses  fonctions  d'intendant  du  théâtre  de  la 
Cour.  Le  baron  Ebart  est  désigné  pour  le  remplacer.  —  Cologne  :  Le  théâ- 
tre Municipal  a  clôturé  sa  saison  par  une  réprésentation  de  la  Flûte  en- 
chantée donnée  au  bénéfice  des  chœurs  et  du  corps  de  ballet.  —  Dresde  : 
Le  succès  du  Roi  malgré  lui,  de  M.  Chabrier,  au  théâtre  de  la  Cour,  va  en 
s'accentuant.  La  direction  vient  de  recevoir  un  grand  ouvrage  lyrique  du 
compositeur  Félix  Draeseke,  Hérat,  qui  verra  le  jour  dans  le  courant  de 
l'automne.  —  Inspruck  :  Au  théâtre  Municipal  a  eu  lieu  ces  jours  der- 
niers la  première  représentation  de  l'opéra  de  M.  Freudenberg,  Marina 
Faliero,  interprété  par  la  troupe  du  théâtre  Municipal  de  Regensburg. 
Brillant  succès,  dit-on.  —  Vienne  :  M110  Jenny  Broch  est  remontée  sur  la 
scène  de  ses  anciens  succès,  à  l'Opéra  Impérial,  pour  y  donner  deux 
triomphales  représentations  du  Barbier  de  Sécille  et  de  la  Fille  du  Régiment. 

—  C'est  le  professeur  Schapper,  sculpteur  à  Berlin,  qui  a  été  chargé  de 
l'exécution  de  la  statue  de  Wagner,  destinée  à  la  ville  de  Leipzig. 
L'ébauche,  exposée  chez  l'auteur,  représente  le  maître  assis  ;  la  pose  est 
énergique,  les  traits  sont  pleins  d'animation.  L'architecture  du  piédestal 
sera  dans  le  style  Renaissance  et  s'harmonisera  avec  la  façade  du  théâtre 
municipal,  devant  lequel  le  monument  va  être  érigé. 

—  On  commence  à  s'occuper  sérieusement  en  Autriche  de  la  con- 
struction du  théâtre  Mozart,  dont  nous  avons  parlé  déjà,  et  qui  doit 
s'élever  tout  près  de  Salzbourg,  sur  le  Monchsberg,  un  des  sites  les  plus 
souriants  et  les  plus  aimables  de  la  contrée.  Les  architectes,  MM.  Helmer 
et  Fellner,  viennent  de  soumettre  au  comité  qui  s'est  formé  à  Salzbourg 
les  plans  du  nouveau  théâtre.  La  façade  du  monument,  conçue  dans  le 
style  de  la  Renaissance  italienne,  sera  précédée  d'Un  escalier  grandiose 
sous  lequel  un  abri  sera  aménagé  pour  les  visiteurs,  et  qui  sera  flanqué 
d'une  riche  balustrade  ornée  de  figures  allégoriques.  Le  portail  se  com- 
posera de  cintres  supportés  par  une  colonnade  courant  sur  toute  la  largeur 

•  de  la  façade.  L'édifice,  comprenant  plusieurs  étages  élégamment  ornés, 
sur  les  cotés,  par  des  galeries  à  jour,  des  escaliers,  des  balcons  et  des 
statues,  sera  surmonté  d'une  large,  coupole  correspondant  à  la  salle  pro- 
prement dite.  L'intérieur  de  cetie  salle  diffère,  par  son  aménagement,  des 
théâtres  ordinaires;  elle  prend  l'aspect  d'une  salle  de  concert  et  comprend 
environ  1,.*J00  places,  réparties  entre  un  rez-de-chaussée  en  forme  de  gra- 

I  dins  s'élevant  jusqu'à  la  galerie  du  premier  étage,  qui  fait  tout  le  tour 
du  vaisseau,  et  quelques  loges  seulement,  placées  à  la  hauteur  du  balcon 
et  des  galeries.  Toutes  les  places  sont  disposées  de  façon  qu'aucune 
d'elles  ne  soit  à  plus  de  deux  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  scène. 
Derrière  le  balcon  se  trouve  un  grand  foyer  communiquant  avec  les  gale- 
H'  et  les  balcons  extérieurs.  Le  théâtre  sera  entièrement  éclairé  par 
l'électricité.  Enfin,  pour  faciliter    l'accès  do    théâtre  Mozart,    la   ville    de 


Salzbourg  fait  construire  une  route  qui  gravira  en  serpentant  le  Monchs- 
berg et  qui,  partant  des  bâtiments  de  l'Ecole  normale,  près  du  Salzbach, 
passera  par  la  vieille  porte  connue  sous  le  nom  de  Monikathar.  «  Quand 
ce  théâtre  sera  construit,  hasarde  en  raillant  le  Guide  musical,  il  restera  à 
trouver  des  artistes  capables  de  chanter  la  musique  de  Mozart.  Ils  ne 
sont  pas  si  nombreux  qu'on  pourrait  le  croire,  et  ce  sera  l'une  des  diffi- 
cultés de  cette  entreprise  destinée,  dans  l'esprit  de  ses  promoteurs,  à 
contre-balancer  l'influence  de  la  scène  wagnérienne  à  Bayreuth.  »  Sans 
paraître  s'en  douter,  le  Guide  fait  là  la  critique  la  plus  sanglante  de 
l'œuvre  wagnérienne,  œuvre  morbide  malgré  ses  incontestables  beautés, 
et  complètement  destructive  de  l'art  du  chant  et  du  vrai  sens  musical. 
Toutefois,  nous  pensons  que  cet  art  du  chant  n'est  pas  encore  si  complè- 
tement corrompu  qu'on  ne  puisse  trouver  un  noyau  d'artistes  capables 
d'interpréter,  comme  elle  doit  l'être,  la  musique  de  Mozart,  et  d'en  faire 
ressortir  l'immortelle  splendeur.  Mozart  est  «  vieux  jeu  »  sans  doute  aux 
yeux  de  nos  wagnériens.  mais  ceux-ci  n'ont  pas  encore  fait  la  conquête 
de  l'univers,  et  il  se  pourrait  bien  que  l'auteur  de  Don  Juan  ait  conservé 
un  nombre  suffisant  d'adeptes  et  d'admirateurs. 

—  Stockholm,  30  mai.  L'Opéra  a  représenté  avant-hier  pour  la  première 
fois  et  avec  succès  YOtello  de  Verdi.  Principaux  interprètes  :  M.  OEd- 
mann-Otello  et  M110  Oselio-Desdemona,  qui  ont  été  remarquables. 

—  Copenhague,  1er  juin.  —  Le  Théâtre  Royal  vient  de  finir  sa  142°  saison. 
Il  a  représenté  49  pièces,  parmi  lesquelles  16  opéras.  L'opéra  ne  figurant 
que  deux  jours  par  semaine  sur  les  affiches,  le  nombre  des  représentations 
musicales  n'est  pas  grand.  Voici  les  chiffres  des  représentations  pour  cette 
saison  :  Carmen  8  fois,  Don  Juan  1,  la  Mantille  (opéra  danois  en  un  acte)  6, 
Guillaume  Tell  1,  Iphigénie  en  Aulide  6,  Roméo  et  Juliette  6,  Roi  et  Connétable 
(opéra  danois  en  quatre  actes  de  Pierre  Heise)  8,  Faust  3,  la  Fille  du  régi- 
ment 3,  les  Contes  d'Hoffmann  13,  la  Traviata  4,  Fidelio  o,  Fra  Diavolo  6,  Aida  7, 
Taming  of  lire  shrew  2,  Mignon  5. 

—  La  direction  des  Concerts  populaires  de  Bruxelles  se  propose  de 
continuer  la  saison  prochaine  le  système  qu'elle  a  inauguré  cet  hiver 
par  suite  de  la  retraite  volontaire  de  M.  Joseph  Dupont.  Elle  engagerait 
pour  chacun  de  ses  quatre  concerts  un  chef  d'orchestre  différent.  Cet 
hiver  on  a  vu  se  succéder  au  pupitre  :  MM.  Edouard  Grieg,  Rimski- 
Korsakow,  Hans  Richter,  et  deux  Belges  :  MM.  Emile  Mathieu  et  Edgard 
Tinel.  L'an  prochain,  on  y  verrait  paraître  successivement  MM.  Colonne, 
Lamoureux,  Hans  de  Bulow  et  Hans  Richter.  Voilà  qui  ne  sera  pas  sans 
offrir  un  certain  intérêt. 

—  MM.  Barwolff  et  Franz  Servais  sont  réengagés  au  théâtre  de  la 
Monnaie  à  Bruxelles  comme  premiers  chefs  d'orchestre  pour  la  saison 
prochaine.  Comme  précédemment,  M.  Barwolff  dirigera  le  répertoire 
français  et  italien,  M.  Franz  Servais  le  répertoire  allemand.  Comme  se- 
cond chef,  en  remplacement  de  M.  Philippe  Flon,  la  direction  a  engagé 
M.  Léon  Dubois,  ancien  prix  de  Borne  de  Belgique,  compositeur  de 
talent  et  musicien  excellent  qui  a  déjà  été  accompagnateur  à  la  Monnaie. 

—  Edouard  Strauss  et  ses  musiciens  sont  arrivés  sains  et  saufs  à  New- 
York.  Leur  débarquement  a  eu  lieu  sans  incident.  Les  démonstrations 
auxquelles  on  s'attendait  de  la  part  de  la  Ligue  des  travailleurs  ne  se  sont 
pas  produites.  Le  capellmeister  viennois  et  ses  cinquante  instrumentistes 
ont  pris  immédiatement  le  train  pour  Boston. 

—  On  doit  procéder  prochainement,  à  Bilbao,  à  l'inauguration  d'un 
nouveau  théâtre.  A  cette  occasion  sera  exécutée  une  Marche  triomphale, 
due  à  un  jeune  compositeur  de  Bilbao,  M.  Pedro  Martinez. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Aujourd'hui  à  l'Opéra,  continuation  des  représentations  populaires  à 
prix  réduits  avec  l'Africaine  ;  demain  apparition  du  Réue,  le  nouveau  ballet 
de  MM.  Edouard  Blau  et  Gastinel. 

—  Les  frères  de  Reszké  quittent  l'Opéra,  c'est  entendu  et  nous  l'avons 
déjà  annoncé.  Mais  voici  MmE  Melba  qui  veut  les  suivre  dans  leur  retraite. 
Cela  devient  plus  grave.  Elle  fuit  devant  les  procédés  du  farouche  Gailhard, 
qui  ne  veut  pas  lui  accorder  un  tout  petit  congé  d'un  mois,  l'hiver  pro- 
chain. M.  Gailhard  a  tort  de  ne  pas  céder;  Mme  Melba  n'est  certes  pas 
payée  à  sa  valeur  à  l'Opéra,  dont  elle  est  «  l'étoile  »  incontestée.  Il  serait 
peut-être  honnête  et  en  même  temps  adroit  de  le  reconnaître  en  lui  per- 
mettant de  trouver  ailleurs  des  compensations  à  ses  modestes  appointe- 
ments pendant  quatre  pauvres  petites  semaines  de  l'hiver.  Autrement 
Mmo  Melba  parait  décidée  à  payer  son  dédit  pour  aller  chanter  sous 
d'autres  cieux.  Et  alors  que  restera-t-il  à  Pedro  Gailhard  ?  Plus  de  frères 
polonais  et  plus  de  chanteuse  américaine  à  sensation.  Il  est  vrai  qu'on 
vient  de  renouveler  l'engagement  de  Mmo  Adiny  «à  de  belles  conditions», 
nous  disent  les  feuilles  amies  de  cette  belle  cantatrice.  Est-ce  une  com- 
pensation suffisante??? 

—  Il  est  questiou  de  remonter  à  l'Opéra  le  ballet  Sylcia  pour  la  rentrée 
de  Mlle  Subra.  Ce  n'est  pas  dommage,  vraiment.  Pourquoi  M.  Gailhard 
laissait-il  pourrir  dans  ses  magasins  de  la  rue  Richer  cette  petite  merveille 
de  grâce  et  de  finesse?  Et  la  Tempête?  qu'attend-on  pour  en  continuer  les 
représentations  arrêtées  en  pleines  recettes! 

—  Elle  a  été  tout  à  fait  charmante,  la  petite  causerie  de  M.  Georges 
Boyer  sur  Gustave  Nadaud  et  ses  chansons,  pleine  d'aperçus  ingénieux  et 
de  fines  observations.  Aussi  on  a  fait  grande  fête  au  conférencier  et  aux 


-184 


LE  MENESTREL 


trois  artistes  qui  lui  prêtaient  le  concours  de  leur  talent  :  M.  Saint-Ger- 
main, le  diseur  exquis,  M.Gibert,  le  fantaisiste  spirituel,  et  MllG  Darcourt, 
toujours  bien  intelligente  et  bien  originale.  C'est  ainsi  qu'on  a  vu  défiler 
tour  à  tour  un  certain  nombre  des  plus  jolies  chansons  de  Nadaud,  parmi 
lesquelles  la  Bouche  et  l'Oreille,  le  Boulanger  de  Gonesse,  la  Grande  Blessée,  le  Soldat 
de  Marsala,  Cheval  et  Cavalier,  Jalousie,  Oscar  l'irrésistible.  1rs  Dieux,  Bonliomme, 
la  Lettre  de  l'Étudiant  et  beaucoup  d'autres  qui  ont  placé  leur  auteur  à  la 
tête  des  chansonniers  de  notre  époque.  Comme  le  disait  si  justement 
M.  Boyer,  en  appliquant  à  Nadaud  lui-même  l'histoire  de  son  Bonhomme  : 
«  Bonhomme  vit  encore  et  vivra  éternellement.  »  Si  éternellement  qu'on 
ne  comprend  pas  que  l'Académie,  souvent  si  embarrassée  au.  milieu  des 
multiples  candidatures  qui  sollicitent  ses  suffrages,  n'ait  pas  songé  d'elle- 
même  à  ce  véritable  homme  de  lettrss  dont  elle  pourrait  si  facilement 
s'honorer.  Tant  pis  !  le  gros  mot  est  lâché.  Que  la  modestie  de  Nadaud 
me  le  pardonne!  H.  M. 

—  Nous  aurons  encore,  au  Chàteau-d'Eau,  une  saison  d'été  d'opéra. 
Cette  fois,  c'est  M.  Bival  de  Bouville  qui  tente  l'aventure.  M.  Bival  de 
Rouville  est  un  imprésario  intelligent,  qui  n'est  pas  tout. à  fait  inconnu 
des  Parisiens,  puisqu'il  a  fait  déjà  une  petite  saison  lyrique  au  théâtre 
de  la  Gaité.  On  peut  espérer  mieux  de  lui  que  de  ses  prédécesseurs.  Atten- 
dons-le donc  à  l'œuvre. 

—  L'éminent  violoniste  Sarasate  et  Mme  Berthe  Marx,  l'excellente  pia- 
niste, qui  viennent  de  faire  une  longue  et  fructueuse  tournée  de  six  mois 
en  Amérique,  sont  de  retour  en  Europe  et  ont  débarqué  ces  jours  derniers 
en  Angleterre. 

—  C'est  mercredi  prochain  M  juin,  à  quatre  heures,  à  l'hôtel  Drouot, 
que  sera  vendu  le  superbe  violoncelle  du  pauvre  Fischer,  qui  est  toujours 
enfermé  à  l'asile  Sainte-Anne,  où  l'on  désespère  absolument  de  sa  guéri- 
son.  Le  pauvre  artiste,  dont  les  facultés  mentales  ont  été  complètement 
détruites  par  la  perte  de  son  modeste  avoir,  qu'il  avait  placé  dans  une 
maison  de  banque,  joue  toujours  du  violoncelle  à  Saint-Anne,  mais  il  va 
sans  dire  qu'on  ne  lui  a  pas  laissé  dans  les  mains  le  merveilleux  instru- 
ment avec  lequel  il  obtenait  naguère  tant  et  de  si  légitimes  succès.  Celui-ci 
est  un  Carlo  Bergonzi  de  premier  ordre,  qu'accompagne  un  magnifique 
archet  de  Tourte.  L'un  et  l'autre  seront  vendus  par  les  soins  de  Mc  Léon 
Tuai,  commissaire-priseur,  assisté  de  MM.  Gand  et  Bernardel. 

—  Par  suite  de  la  démission  de  Mme  Mérante,  qui  prend  sa  retraite 
pour  raisons  de  santé,  plusieurs  nominations  de  professeurs  de  danse 
ont  eu  lieu  hier  à  l'Opéra.  La  classe  de  Mme  Mérante,  qui  comprenait  les 
sujets  et  les  coryphées,  a  été  scindée  et  aura  désormais  deux  professeurs: 
Mlle  Sanlaville  pour  les  sujets,  Mme  Théodore  pour  les  coryphées, 
jjme Théodore  est  remplacée,  à  la  classe  des  quadrilles,  par  Mlle  Théodore, 
et  celle-ci  a  pour  successeur,  à  la  class3  des  petites,  M"e  Roumier,  qui 
conservera  en  même  temps  son  rang  parmi  les  sujets  de  la  danse. 

.  —  L'assemblée  générale  annuelle  de  l'Orphelinat  des  Arts,  tenue  cette 
semaine  au  Vaudeville,  sous  la  présidence  de  M'm  Marie  Laurent,  pré- 
sentait cette  année  un  intérêt  particulier.  L'aimable  trésorière,  Mme  Coque- 
lin,  n'avait,  en  son  rapport,  à  donner  que  de  bonnes  nouvelles  de  la 
situation  financière  de  l'œuvre  ;  les  recettes  de  l'exercice  1883-90  sont 
supérieures  de  plus  de  23,000  francs  à  celles  de  l'exercice  précédent, 
l'actif  immobilier  s'élève  maintenant  à  la  somme  de  129,443  francs,  la 
somme  placée  à  la  caisse  d'épargne  sur  la  tète  des  pupilles  de  l'Orphe- 
linat est  de  6,921  francs,  soit  une  augmentation  de  1,533  francs  sur  l'année 
dernière,  etc.,  etc.  ;  toutes  ces  bonnes  nouvelles  ont  été  bien  accueillies, 
comme  on  pense,  par  les  gracieuses  sociétaires.  D'autre  part,  M1»'  Marie 
Laurent,  au  début  de  son  compte  rendu  sur  l'état  général  de  l'Orphelinat, 
a  pu  rappeler  que  dix  années  s'étaient  déjà  écoulées  depuis  la  fondation 
de  la  charitable  institution,  qu'en  ces  dix  années  soixante-seize  enfants 
d'artistes  et  de  littérateurs  avaient  été  recueillies,  élevées,  instruites, 
tendrement  choyées,  et  que  sur  ce  chiffre  de  soixante-seize,  dix-sept 
jeunes  filles,  arrivées  à  l'âge  réglementaire  de  dix-huit  ans,  étaient  sorties 
de  l'hospitalière  maison,  amplement  armées  pour  la  rude  bataille  de  la 
vie,  pourvues  de  bons  états  et  d'un  solide  savoir.  Dans  son  intéressant 
rapport,  M'"e  Marie  Laurent  a  ensuite  passé  en  revue  les  divers  événements 
de  l'année  sociale  de  l'Orphelinat,  les  succès  scolaires  des  enfants,  le 
concert  du  l™  juin  de  l'année  dernière  au  Trocadéro,  les  visites  faites 
pendant  l'Exposition  par  les  membres  de  divers  congrès  à  la  maison  de 
Courbevoie,  la  vente  de  charité  organisée  à  la  salle  Georges  Petit,  le  bal 
du  6  mars  dernier  ;  elle  a  donné  ensuite  la  longue  énumération  des  dons 
et  legs  faits  à  l'œuvre  et  a  rappelé  en  terminant  que  l'Orphelinat  des 
Arts  avait  obtenu,  à  l'Exposition  universelle  de  1889,  l'une  des  plus 
hautes  récompenses,  une  médaille  d'or.  La  séance  s'est  terminée  par  la 
réélection  de  M""»  Franceschi,  Marquet  et  Barretta-Worms,  membres 
sortants  du  comité  et  rééligibles. 

—  Festival  Saint-Saéns.  —  Salle  du  Trocadéro.  —  Le  programme  a 
montré  combien  l'œuvre  de  M.  Saint-Siens  a  de  variété  et  a  bien  fait  res- 
sortir le  talent  avec  lequel  ce  compositeur  a  traité  tous  les  genres.  La 
symphonie  en  ut  mineur  a  frappé  l'auditoire  par  sa  majestueuse  ampleur. 
Elle  est  riche  d'idées  et  d'un  développement  superbe.  Sur  l'indication  de 
M.  Saint-Saëns,  certains  mouvements  ont  été  pris  par  l'orchestre  avec  plus 


de  largeur  qu'au  Conservatoire,  étl'effet  de  l'ensemble  s'en  trouve  peut- 
être  augmenté.  On  sait  que  l'auteur  à'Ascanio  écrit  pour  le  piano  avec 
une  maestria  sans  égale,  ainsi  que  l'a  prouvé  son  concerto  en  ut  mineur, 
que  M.  Paderewski  a  interprété  avec  beaucoup  de  finesse,  pas  mal  de  fan- 
taisie et  une  vigueur  tempérée  par  les  dimensions  de  la  salle.  M.  Saint- 
Saëns  excelle  encore  dans  la  musique  d'un  caractère  simple  et  calme  ;  on 
s'en,  est  aperçu  en  écoutant  le  trio  de  l'Oratorio  de  Noël  chanté  par 
jfDie  Krauss,  MM.  Lafarge  et  Auguez.  Dans  un  genre  plus  libre,  nous 
avons  eu  l'air  de  la  Lyre  et  la  Harpe,  dans  lequel  l'orchestre  entraine  la  voix 
dans  un  véritable  tourbillon.  M.  Auguez  a  été  superbe  dans  cette  page 
hardie.  Mme  Deschamps-Jehin  a  fait  bisser  la  chanson  florentine  d'Ascanio. 
M"»  Krauss  a  interprété  en  grande  artiste  l'air  de  Henry  VIII.  M.  Lafarge 
a  chanté  avec  Mme  Deschamps  le  beau  et  très  scénique  duo  de  Samson  et 
Dalila.  M"°  de  Montalant  a  été  longuement  applaudie  dans  la  romance  du 
Timbre  d'argent  avec  violon  solo  par  M.  Remy.  M.  Colonne  a  dirigé  ce 
très  intéressant  programme  avec  une  sûreté,  une  assurance  et  un  entrain 
qui  lui  ont  valu  des  applaudissements  aussi  fréquents  que  légitimes. 

Amédée  Boctarel. 
Soiiiées  et  concerts.  —  L' Institut  musical,  ce  conservatoire  des  dames  et  des 
jeunes  filles  du  monde,  dont  la  réputation  n'est  plus  à  faire,  n'avait  pas  dit  son 
dernier  mot  de  la  présente  année  scolaire  avec  les  remarquables  auditions  d'élèves 
qui  forment,  à  l'institut  de  M.  et  Mmc  Oscar  Gomettant,  le  cours  supérieur  de 
notre  cher  maître  Marmontel,  le  docte  professeur.  Jeudi,  nous  étions  conviés  à 
une  dernière  auditioo,  salle  Pleyel,  des  élèves  de  MBC  Louise  Comettant  et  des 
jeunes  personnes  qui  suivent  l'excellent  cours  de  piano  fait  par  le  distingué  pro- 
fesseur et  compositeur  M.  Dolmestch.  Nous  ne  pouvons  entier  dans  le  détaild'une 
pareille  audition,  dans  laquelle  ont  défilé  une  trentaine  de  jeunes  piauistes  dont 
quelques-unes  sont  dans  l'âge  bien  tendre  encore  de  cinq  à  huit  ans,  dont  quelques 
autres  sont  leurs  aînées  de  quelques  année5,  et  qui  toutes  ont  témoigné  de  l'excel- 
lence de  l'enseignement  que  l'on  reçoit  à  l'Institut  musical.  En  somme,  audition 
des  plus  intéressantes,  agrémentée  par  plusieurs  morceaux  de  violon,  véritables 
morceaux  de  concert,  supérieurement  exécutés  par  le  jeune  et  très  applaudi  vir- 
tuose M.  Henry  Ten  Brinck.  —  L'association  amicale  des  Eûfants  du  Nord  et  du  Pas- 
de-Calais  (la  Betterave)  a  donné  mardi  son  dernier  banquet  de  la  saisou.  La  soirée 
s'est  terminée  par  un  concert  des  mieux  réussis.  Après  Gustave  Nadaud,  plus  en 
verve  que  jamais,  nous  avons  entendu  le  chansonnier  Léon  X.anroff,  MM.  Bacquié, 
de  l'Ambigu,  Durieux,  violoniste,  Claeys,  de  l'Opéra,  qui  a  très  bien  chanté  la 
chanson  bachique  d'Hamlet,  A  Douarnenez,  de  Th.  Dubois,  et  le  Prisonnier,  de 
Rubinstein.  Grand  succès  également  pour  M"c  Madeleine  Jaeger  dans  le  Scherzo 
et  choral  de  Th.  Dubois  et  la  Valse  arabesque,  de  Th.  Lack.  —  Au  concert  de 
M.  Lauwers,  on  a  entendu  avec  beaucoup  de  plaisir  deux  charmantes  pianistes, 
M"'"  Hélène  et  Marguerite  Moulins,  puis  M""  Deschamp»  et  M.  Delaquerrière,  de 
rOpéra-Comique,  sans  oublier  M.  Emile  Bourgeois,  le  maître  accompagoateur.  — 
Nous  lisons  dans  le  Phare  de  la  Loire  :  «  A  l'audition  des  élèves  de  M.  Charles,  le  pro- 
gramme comportait,  comme  attraction,  la  première  audition  de  la  Sonate  roman- 
tique, une  des  dernières  œuvres  de  notre  éminent  concitoyen  M.  Dolmestch. 
M.  Charles  avait  eu  l'idée  originale  de  confier  à  quatre  élèves  différents  les  quatre 
parties  de  l'œuvre,  et  l'auteur,  venu  pour  assister  à  l'exécution,  &'est  montré 
enchanté  et  a  chaudement  complimenté  professeur  et  élèves.  »  —  Matinée  char- 
mante le  30  mai  chez  Mmc  Colonne  pour  l'audition  de  ses  élèves.  On  a  entendu 
une  trentaine  de  morceaux  très  variés,  de  MM.  Ambroise  Thomas,  Saint-Saëns, 
Lco  Delibes,  B.  Godard,  de  M"  Viardot,  de  M"*  Augusta  Holmes,  etc.  Nous 
avons  remarqué  tout  particulièrement  Mllu  de  Montalant,  désormais  classée  hors 
de  pair,  Mlu  Delorn  et  MUc  Leclercq,  qui  chantent  fort  gentiment  Topéra-comique, 
M110  de  Berny,  MUo  Pregi  et  M.  "Warmbrodt.  —  Nous  tenons  à  signaler  l'audition 
des  élèves  de  piano  de  Mllc  Henriette  Thuillier,  dans  laquelle  la  Ballerine,  le 
Menuet  de  l'Infante,  la  Valse  joyeuse  et  lAstrc  des  Nuits,  de  M.  Paul  Rougnon,  ont  été 
brillamment  exécutés  en  présence  de  l'auteur  et  à  son  entière  satisfaction. —  Sur 
l'initiative  et  par  les  soins  de  M.  Alexandre  Batla,  un  superbe  salut  en  musique  a 
été  célébré,  le  29  mai,  dans  la  chapelle  du  château  de  Versailles,  au  profit  de  l'Asso- 
ciation des  artistes  musiciens.  Le  programme,  superbe,  était  défrayé  par  M™0  Alice 
Cognault  et  M11"  Alice  Lavigne,  MM.  Batta,  Maton,  Emile  Renaud,  Berlhelier, 
Mouliérat  et  Auguez.  Ces  deux  derniers  se  sont  fait  vivement  applaudir  dans  le 
Crucifix,  de  Faure,  et  M.  Mouliérat  a  obtenu  aussi  un  grand  succès  dans  l'O 
Salutaris,  du  même  compositeur. 

NÉCROLOGIE 

Nous  annonçons  avec  regret  la  mort  de  Mmc  Tardieu  (née  Charlotte-Eli- 
sabeth d'Arpentigny  de  Malleville),  qui  s'est  fait  connaître  et  applaudir 
sous  le  nom  de  Mu'°  Tardieu  de  Malleville.  Artiste  fort  distinguée,  pia- 
niste de  bonne  école,  Mme  Tardieu  de  Malleville  avait  obtenu  dans  nos 
concerts  des  succès  brillants  et  prolongés.  Elle  avait  aussi  publié  plusieurs 
gracieuses  compositions.  Elle  est  morte  à  Paris  le  29  mai,  à  l'âge  de  60  ans. 

—  Jeudi  dernier,  à  la  suite  d'une  cruelle  maladie,  est  morte  à  quelques 
lieues  de  Paris,  dans  un  village  où  elle  était  allée  réfugier  ses  souf- 
frances, une  artiste  excellente,  dont  le  public  et  les  théâtres  parisiens 
conserveront  longtemps  le  souvenir.  M1"0  Laurence  Grivot,  la  femme  du 
joyeux  trial  de  l'Opëra-Comique,  avait  tenu  une  grande  place  sur  nos 
scènes  de  genre,  et  l'on  se  rappelle,  avec  sa  dernière  et  toute  récente 
création  au  Gymnase  dans  Paris  fin  de  siècle,  le  grand  succès  qu'elle  avait 
obtenu  à  ce  théâtre  dans  l'Abbé  Constantin.  Elle  avait  passé  aussi  avec 
grand  succès  sur  plusieurs  de  nos  scènes  d'opérette,  où  elle  fut  très  re- 
marquée dans  Madame  l'Archiduc  et  la  Jolie  Parfumeuse.  Atteinte  d'un 
cancer  à  l'estomac,  M1""  Grivot  a  succombé,  dans  toute  la  force  de  l'âge 
et  du  talent,  à  ce  mal  terrible  et  sans  remède. 

Henri  Heugel,  directeur-gétant. 


3089  —  S6rae  tsm  —  \°  M. 


Dimanche  \'i  Juin  1890. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


MÉN 


LE 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  q  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.-,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sua. 


S0MMAIEE -TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste  :  Georges  Bizet  (5°  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Semaine 
théâtrale:  Ballet  à  l'Opéra;  le  Rave,  de  M.  Gastinel,  II.  Mobeso.  —  III.  La  mu- 
sique et  le  théâtre  au  Salon  du  Champ-de-Mars  (5°  article),  Camille  Le  Sensé. 
—  IV.  Le  théàlre  à  l'Exposition  (25e  article),  Arthur  Pougik.  —  V.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

SUZON 

nouvelle  chanson  de  Joanni  Perroxnet,  paroles  de  M""  A.  Perronnet.  — 

Suivra  immédiatement  :  Cri'puscule,  nouvelle  mélodie  de  Darnston,  poésie 

de   ROSESIONDE   GÉRARD. 

PIANO 
Nous  publierons   dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano:  Dansons  la  Tarentelle,  de  A.  Trojelli. —  Suivra  immédiatement: 
Un  Sourire,  de  Ed.  Chavagxat. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


GEORGES  BIZET 


Bizet  wagnérien!  que  pensent  aujourd'hui  de  ce  jugement 
ceux  qui  l'ont  prononcé?  N'était-il  pas  plutôt  de  la  famille  de 
Schumann  que  de  celle  de  Wagner,  et  surtout  n'était-il  pas 
bien  lui-même? 

Quand  cette  réflexion  me  revient  à  l'esprit,  dans  ce  voyage 
que  tout  homme  aime  à  faire  de  temps  en  temps  à  travers 
ses  souvenirs  de  jeunesse,  elle  me  fait  relire  un  des  plus 
délicieux  articles  qu'ait  jamais  écrits  Ernest  Reyer.  Il  y  a  là, 
à  côté  d'une  appréciation  sur  la  caractéristique  du  talent  de 
Bizet,  une  page  d'une  merveilleuse  justesse,  sur  ce  qu'on 
appelle  en  matière  de  musique  dramatique  la  «  couleur  lo- 
cale ».  Cette  page,  dont  j'ai  parlé  bien  des  fois  à  propos  de 
tel  ou  tsl  ouvrage,  je  m'étais  prorais  de  la  reproduire  un  jour 
et  je  saisis  avec  empressement  cette  occasion  de  l'extraire  de 
la  volumineuse  collection  des  Débats  : 

«  Voilà  bien  la  vraie  musique  orientale,  telle  que  l'ont 
comprise  du  moins  ceux  qui,  étant  allés  dans  le  pays  même, 
en  ont  rapporté  des  souvenirs.  Elle  est  vraie,  non  par  l'imi- 
tation de  certains  effets  d'instruments  sui  generis,  non  par 
l'emploi  d'une  gamme  toute  différente  de  la  nôtre,  mais  bien 
par  l'accompagnement  qu'elle  fait  au  paysage  que  notre  ima- 
gination évoque  ou  au  tableau  qui  passe  sous  nos  yeux.  C'est 
une  vérité  un  peu  de  convention,  un  peu  habillée,  si  l'on 
veut,  mais  une  vérité  qui  tieot  compte  de  la  délicatesse  de 
nos  oreilles   et  de  la  nature  des  sensations  musicales  aux- 


quelles nous  sommes  habitués.  D'ailleurs,  ne  sait-on  pas  que 
toute  musique  qui  se  déplace,  qui  change  de  climat,  perd  de 
son  influence  en  perdant  de  sa  poésie  et  quelquefois  même 
change  de  caractère.  La  poésie  dé  la  musique  d'Orient,  c'est 
l'immensité  du  désert  ou  la  fraîcheur  de  l'oasis,  c'est  le 
minaret  qui  chante,  c'est  l'eau  du  fleuve  où  les  ibis  vont 
boire,  c'est  le  bleu  du  ciel,  c'est  le  soleil  que  ne  peuvent 
remplacer  au  théâtre  ni  la  rampe  lumineuse,  ni  toutes  les 
féeries  de  la  mécanique  et  du  pinceau.  Vous  ne  ferez  pas, 
malgré  toutes  vos  combinaisons  plastiques,  malgré  tout  votre 
art  de  mise  en  scène,  qu'étant  dans  une  loge  de  l'Opéra- 
Comique  je  me  croie  dans  une  maison  du  vieux  Caire  ou  sur 
les  bords  de  l'île  de  Philœ.  Le  théâtre  ne  donne  pas  à  ce 
point  des  illusions  à  ceux  qui  admirent  la  nature,  et  voilà 
pourquoi  ceux-là  vont  les  chercher,  quand  ils  peuvent,  ces 
chères  illusions,  dans  l'audition  d'une  belle  symphonie  qu'ils 
écoutent,  les  yeux  fermés... 

«  Est-ce  que  les  Parisiens  qui  ont  été  entendre  les  musiciens 
du  Caire  ou  de  Constantinople  à  l'Exposition  universelle  se 
figurent  par  exemple  qu'ils  ont  une  idée  de  la  musique  arabe 
et  des  sensations  qu'elle  produit?  Vraiment,  il  n'est  pas 
besoin  de  tant  d'inspiration,  de  tant  de  science  et  de  toutes 
les  ressources  de  nos  instruments  pour  nous  faire  goûter  un 
chant  de  batelier  sur  le  Nil;  mais  alors  conduisez-nous  au 
bord  du  Nil.  Ici,  dans  ce  milieu  très  civilisé,  il  faut  absolu- 
ment, pour  qu'elle  nous  charme,  que  votre  musique  arabe 
se  civilise  ;  il  faut  qu'elle  prenne  la  forme  la  plus  suave,  la 
pins  poétique;  si,  sous  prétexte  de  couleur  locale,  d'origi- 
nalité, que  sais-je?  vous  faites  du  réalisme,  vous  blesserez 
notre  oreille  et  nous  ennuierez  fort  jusqu'à  ce  que  vous  ayez 
fini  votre  parodie.   » 

Il  me  semble  qu'on  ne  saurait  dire  plus  finement  ni  plus 
juste. 

«  M.  Georges  Bizet,  continue  le  critique,  n'est  pas  tombé 
dans  une  faute  si  grossière,  et  il  s'est  mis  en  frais  de  science 
et  d'inspiration  pour  écrire  ce  lever  de  rideau  de  Djamileh, 
qui  est  d'une  suavité,  d'un  charme  incomparables.  Et  c'est 
pour  celte  raison  que  je  ne  le  compare  à  rien  qui  ait  été  fait 
dans  ce  genre-là. 

»  Ailleurs,  M.  Bizet  voudra  être  plus  réaliste  et  nous 
charmera  moins;  puis  il  abandonnera  tout  à  fait  l'Orient  et  se 
lancera  en  plein  germanisme.  Faut-il  dire  en  plein  wagné- 
risme?  Oui,  car  j'ai  senti  passer  comme  un  souffle  des  Maîtres 
Chanteurs  dans  certaines  pages  de  Djamileh.  » 

—  C'est  le  souffle  de  Gounod  qui  passe... 

—  Eh  quoil  s'écriera  un  troisième  observateur,  ne  recon- 
naissez-vous pas  la  manière  de  Robert  Schumann? 

«  Nulle  part,  ce  n'est  à  proprement  parler  une  réminis- 
cence; c'est,. si  l'on  veut,  une  préoccupation.  Etj'entends  dire 


486 


LE  MÉNESTREL 


par  là,  que  lorsqu'on  se  préoccupe  un  peu  trop  de  ne  pas 
faire  comme  tout  le  monde,  on  finit  toujours  parfaire  comme 
quelqu'un.  A  tout  prendre,  ou  plutôt  à  prendre  quelque  chose, 
Wagner,  Gounod  et  Schumann  ont  du  bon,  et  j'estime  aussi 
que  le  musicien  qui  trébuche  en  faisant  un  pas  en  avant 
est  plus  digne  d'intérêt  que  celui  qui  nous  montre  avec  quelle 
aisance  il  sait  faire  un  pas  en  arrière. 

»  Mais  mon  ami  Bizet  n'est  pas  de  ceux  qui  trébuchent 
jamais;  il  a,  pour  le  soutenir  dans  ses  hardiesses  comme  dans 
ses  défaillances,  une  connaissance  approfondie  des  secrets  de 
l'art,  une  habileté,  une  sûreté  de  main  que  deux  ou  trois 
tout  au  plus  parmi  les  jeunes  possèdent  au  même  degré  que 
lui.  Et  encore  me  paraît-il  tenir  la  tète  de  la  jeune  école.  Ses 
partitions  des  Pêcheurs  de  Perles  et  de  la  Jolie  Fille  de  Perth 
lui  ont  donné  le  pas  sur  des  compétiteurs  moins  heureux  ou 
moins  habiles  que  lui.  Djamileh,  quelle  que  soit  sa  fortune, 
marque  une  étape  nouvelle  dans  la  carrière  du  jeune  maître. 
Il  y  a  dans  cet  ouvrage  plus  que  la  manifestation  d'un  talent, 
il  y  a  l'expression  d'une  volonté.  Et  je  crois  que  si  M.  Bizet 
apprend  que  son  œuvre  a  été  appréciée  par  un  petit  nombre 
de  musiciens  jugeant  sans  parti  pris,  il  en  sera  beaucoup 
plus  fier  que  d'un  succès  populaire.  » 


Bizet  eut,  dans  les  suffrages  de  ses  amis,  de  quoi  se  con- 
soler de  quelques  méchancetés  de  la  presse  musicale. 

Camille  Saint-Saëns,  qui  donnait  en  même  temps  à  l'Opéra- 
Comique  son  premier  ouvrage  :  la  Princesse  jaune,  et  qui  aimait 
en  Bizet  l'homme  et  le  musicien,  lui  adressa,  à  propos  de 
Djamileh,  ce  sonnet  que  j'ai  une  fois  cité  dans  une  de  mes 
chroniques,  mais  qui  n'est  point  assez  connu  pour  que  j'hé- 
site à  le  donner  ici  : 

Djamileh,  fille  et  fleur  de  l'Orient  sacré, 
D'une  étrange  guzla  faisant  vibrer  la  corde, 
Chante  en  s'accorajiagnant  sur  l'instrument  nacré 
L'amour  extravagant  dont  son  âme  déborde. 
Le  bourgeois  ruminant  dans  sa  stalle  serré, 
Ventru,  laid,  à  regret  séparé  de  sa  horde, 
Entr'ouvre  un  œil  vitreux,  mange  un  bonbon  sucré, 
Puis  se  rendort,  croyant  que  l'orchestre  s'accorde. 
Elle,  dans  des  parfums  de  rose  et  de  santal, 
Poursuit  son  rêve  d'or,  d'azur  et  de  cristal, 
Dédaigneuse  à  jamais  de  la  foule  hébétée. 
Et  l'on  voit,  à  travers  les  mauresques  arceaux, 
Ses  cheveux  dénoués  tombant  en  noirs  ruisseaux, 
S'éloigner  la  houri,  perle  aux  pourceaux  jetée. 
Juin  1872. 

Camille  Saint-Saëns  n'écrivit  alors  que  trois  copies  de  ce 
sonnet,  une  pour  Bizet,  l'autre  pour  du  Locle,  qui  lui  fit  les 
honneurs  d'un  album  où  tous  les  poètes  n'étaient  point  faci- 
lement admis,  et  la  troisième  pour  moi.  Je  la  reçus,  superbe- 
ment calligraphiée  sur  vélin,  en  un  rouleau  lié  d'un  lacs  de 
soie  orange,  scellé  d'un  sceau  de  cire  rouge  où  s'entrecroi- 
saient comme  des  serpents  les  deux  §,  initiales  du  compo- 
siteur poète,  très  curieux  de  ces  petits  détails  archaïques, 
comme  il  l'est  des  enluminures  et  des  dessins  fantaisistes 
dont  il  accompagne  ses  lettres  familières,  quand  la  musique 
lui  fait  des  loisirs. 


Au  lendemain  de  Djamileh,  les  artistes  reçurent  de  nous  un 
petit  souvenir  bien  modeste:  Djamileh,  un  éventail,  Haroun, 
un  couteau  arabe,  et  Splendiano,  un  porte-cigare  garni. 

Splendiano,  c'était  Potel,  amusant  compagnon,  artiste  in- 
telligent, chanteur  de  moyenne  force,  classé  comme  trial, 
mais  ayant  des  prétentions  à  compter  comme  ténor ,  titra 
mieux  fait  pour  flatter  son  amour-propre. 

Quand  les  épreuves  de  la  partition  arrivèrent  au  théâtre, 
de  chez  l'éditeur  Choudens,  Potel  remarqua  avec  indignation 
cette  indication  sur  la  distribution  : 

Splendiano.—  M.  Potel,  trial. 


Il  entreprit  Choudens,  qui  n'en  voulut  pas  démordre;  il 
s'adressa  à  du  Locle  et  à  Bizet,  qui  ne  réussirent  pas  à  le- 
calmer.  Puis,  soudainement,  il  devint  muet.  Il  avait  son 
plan. 

Et  quand  la  partition  fut  mise  en  vente,  Choudens,  qui 
croyait  avoir  gagné  la  partie  et  qu'on  ne  prenait  pas  com- 
munément au  piège,  lut  avec  stupeur,  sur  la  première  page, 
cette   triomphante  mention. 

Splendiano.  —  M.  Potel,  ténor. 

Potel  était  allé  tout  bonnement  chez  le  graveur  et,  d'auto- 
rité, il  avait  fait  la  correction  sur  le  bon  à  tirer. 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


Ballet  a  l'Opéra.  —  Le  Rêve,  de  M.  Gastinel. 

Pauvre  Ritt!  Pauvre  Gailhard  !  Quelle,  secouée  encore,  cette  se- 
maine. On  est  vraiment  trop  dur  pour  ces  estimables  directeurs, 
qui  sont  pourtant  la  fleur  de  la  chevalerie  et  de  l'industrie  fran- 
çaises. La  Commission  consultative  des  théâtres  leur  fait  grise  mine, 
et  le  Budget  montre  les  dents;  il  semblerait  qu'on  veuille  leur 
rogner  de  leur  bonne  subvention.  Clemenceau  est  acharné  dans 
l'attaque,  et  Proust  Antonin  assez  mol  pour  la  défense.  Albert  Del- 
pil,  du  Figaro,  les  régale  d'un  véritable  réquisitoire,  qui  ne  comporte 
pas  moins  de  trois  colonnes  du  journal,  où  sont  marqués  un  à  un 
tous  leurs  manquements  au  cahier  des  charges.  D'autres  emboîtent 
le  pas.  Et  Gailhard  ne  sait  plus  où  donner  de  la  tète  ;  c'est  en  vain 
qu'il  se  confond  en  platitudes  de  toutes  sortes,  qu'il  se  prosterne 
aux  genoux  de  Constans,  qu'il  écrit  des  lettres  éplorées  aux  pen- 
sionnaires de  son  théâtre  qui  ne  veulent  plus  de  lui,  qu'il  promet 
tout  ce  qu'on  voudra,  quitte  à  ne  rien  tenir,  son  attitude  piteuse  ne 
parvient  pas  à  désarmer  les  saintes  colères  amoncelées  sur  sa  tète- 
Le  terrain  se  dérobe  sous  ses  pieds,  et  l'heure  de  la  justice  imma- 
nente semble  avoir  sonné  pour  lui  et  Gubetla,  son  vieux  coruDÎice. 

Et  cependant  il  faut  danser,  sourire  avec  grâce  et  pirouet- 
ter d'un  air  serein.  Cet  air,  ce  sera  M.  Gastinel  qui  le  fournira  avec 
beaucoup  d'autres.  Qu'est  M.  Gastinel?  Mais  un  fort  galant  homme, 
qui  cueillit  des  lauriers  universitaires  en  1846,  année  bénie  qui  lui 
valut  le  prix  de  Rome  au  Conservatoire.  1846!  C'estbien  loin;  mais  il 
ne  faut  pas  croire  que  M.  Gastinel  soit  resté  inactif  depuis  cette 
époque.  11  a  écrit  beaucoup  et  dans  tous  les  genres.  Il  a  passé  par 
l'Opéra-Comique,  par  le  Théâtre-Lyrique  et  même  par  les  Bouffes- 
Parisiens,  y  laissant  partout  des  traces  aimables  de  son  talent;  les 
pages  plus  lourdes  de  son  bagage,  telles  que  messes,  oratorios,  mu- 
sique de  chambre,  gros  opéras,  sont  restées  au  fond  de  son  porte- 
feuille, où  leur  poids  même  les  retenait  majestueusement.  Mon 
Dieu,  M.  Gastinel,  qui  est  surtout  rentier  avant  d'être  musicien,  n'a- 
pas  fait  de  grands  efforts  pour  les  en  faire  sortir,  il  faut  lui  rendre 
cette  justice.  Il  sait  ce  qu'a  d'ingrat  la  carrière  de  compositeur;  sa 
modestie,  et  sa  philosophie  ne  se  sont  jamais  effarouchées  de  l'oubli 
où  on  semblait  le  confluer.  Charmant  vieillard  couronné  de  roses, 
il  souriait  dans  l'intimité  à  ses  compositions  qui  lui  rendaient  tous 
ses  sourires;  et  ni  l'auteur,  ni  ses  enfants  ne  s'aperçuient  jamais 
des  rides  qui  se  glissaient  au  milieu  de  la  fraîcheur  et  des  grâces 
pouponnes  de  leur  gentille  personne.  Tout  allait  bien,  quand  M.  Ritt,. 
qui  a  des  tendresses  naturelles  pour  les  hommes  de  sa  génération, 
alla  troubler  cette  quiétude  en  réclamant  de  son  vieil  ami  un  ballet 
scintillant  qui  fit  pâlir  de  jalousie  tous  les  jeunes  malfaiteurs  es  mu- 
sique de  cette  fin  de  siècle.  Alors,  qu'est-il  arrivé?  C'est  que 
M.  Gastinel,  qu'on  avait  laissé  trop  à  l'écart,  confiné  dans  ses  ma- 
nuscrits et  replié  sur  ses  œuvres  amoncelées,  a  écrit,  en  1890,  la 
partition  qu'il  eût  écrite  en  1847  au  sortir  du  Conservatoire,  si  on 
se  fût  adressé  alors  à  la  primeur  de  ses  talents.  Les  temps  ont 
marché,  des  révolutions  se  sont  accomplies,  mais  M.  Gastinel,  immo- 
bile, est  resté  étranger  aux  mouvements  qui  se  produisaient  autour 
de  lui;  il  est  toujours  le  jeune  lauréat  d'antan.  C'est  pourquoi  il  est 
inutile  de  chercher  dans  la  partition  du  ttëve  tous  les  raffinements,, 
toutes  les  curiosités,  toutes  les  surprises,  tout  le  ragoût 'auxquels  nous 
ont  habitué  un  Léo  Delibes,  un  Widor  ou  un  Théodore  Dubois.  Mais  il 
doit  certainement  s'y  trouver  autre  chose,  puisque  la  partition,  publiée 
avec  beaucoup  d'élégance  chez  l'éditeur  Hartmaun,  ne  comporte 
pas  moins  de  133  pages.  Vous  ne  me  ferez  pas  croire  qu'on  imprime 
133  pages  de  musique   sans    rien   mettre  dedans.  Et  tenez,  jo  vous- 


LE  MENESTREL 


487 


•signale  à  la  page  108  «  la  Mikagoura,  pas  japonais  »  qui  n'est  pas 
d'une  couleur  musicale  d'un  japonais  bien  accentué,  mais  qui  est 
■assurément  une  petite  inspiration  originale  qui  mérite  d'être  mise 
hors  pair.  Et  puis,  vous  trouverez  partout  ailleurs  répandue  une  grande 
facilité.  M.  Gastinel  n'est  pas  un  musicien  gêné  dans  les  entour- 
nures; les  idées  sont  chez  lui  nomme  dans  un  sac,  d'où  il  n'a  qu'à 
les  tirer  au  hasard. 

Voulez-vous  qu'à  présent  nous  parlions  de  l'affabulation  qui  a 
servi  de  thème  aux  inspirations  du  musicien.  Pourquoi  pas  ?  J'ai 
■des  lecteurs  qui  tiennent  à  ce  qu'on  leur  raconte  tout.  Sachez  donc 
que  Daïta  est  une  petite  japonaise  qui  ressemble  fort  à  une  petite 
parisienne.  Elle  est  curieuse  et  coquette;  sa  curiosité  la  porte  à 
vouloir  approfondir  les  mystères  de  la  «  Déesse  des  Flots  bleus  », 
sa  coquetterie  à  se  faire  aimer  du  seigneur  Sakouma,  bien  qu'elle 
•ait  un  fiancé,  Yokio,  qui  naturellement  en  enrage.  Ysanami,  déesse 
des  flots  bleus,  entreprend  de  la  corriger  de  ces  deux  défauts.  Elle 
lui  procure  un  rêve  qui  commence  agréablement  au  milieu  des 
-ébats  nautiques  dos  jeunes  nymphes  des  eaux,  mais  qui  finit  dans 
un  affreux  cauchemar,  où  elle  voit  le  terrible  Sakouma  percer 
•d'une  flèche  le  pauvre  Tokio  accouru  à  son  secours.  Dat'ta  se  ré- 
veille heureuse  d'avoir  échappé  à  tant  de  dangers  imaginaires,  et 
désormais  elle  sera  sage  comme  une  image. 

Bien  que  tout  cela  soit  présenté  fort  gracieusement  par  le  poète 
Edouard  Blau,  nous  ne  pouvons  trouver  là  autre  chose  qu'un  de 
ces  petits  divertissements  auxquels  nous  ont  habitués  MM.  Ritt  et 
Gaillhard  et  qui  ne  remplacent  que  fort  imparfaitement  les  grands 
et  beaux  ballets  qu'on  représentait  autrefois.  C'est  l'école  des  Folies- 
Bergère  appliquée  dans  toute  son  horreur  à  l'Académie  nationale 
de  musique.  Je  voudrais  bien  savoir  pour  combien  figurera  ce  ballet 
au  chapitre  des  dépenses  de  l'Opéra.  On  a  pris  les  costumes  de  ci 
de  là,  dans  les  défroques  du  ballet  Yedda,  autre  japonaiserie  repré- 
sentée il  y  a  quelques  années;  et  je  compte  en  tout  un  seul  décor, 
avec  deux  fonds  différents.  Et  M.  Ritt  appelle  cela  pompeusement 
iun  «  ballet  en  deux  actes  et  trois  tableaux  »  !  C'est  se  tirer  à  bon  mar- 
ché des  obligations  du  cahier  des  charges. 

Le  vrai,  le  seul  régal  de  celte  soirée  maussade  a  été  Mlle  Mauri, 
plus  en  grâce  que  jamais,  légère,  aérienne,  et  charmante  au  pos- 
sible. Il  faut  la  voir  dans  son  pas  japonais,  «  la  Mikagoura  »,  dé- 
ployer toutes  les  séductions  de  sa  danse  merveilleuse.  Rien  que  cela 
vaudrait  le  voyage  à  l'Opéra,  s'il  ne  fallait  à  côté  affronter  l'ennui 
de  tant  d'autres  pages  insipides.  Une  mention  encore  à  Mlle  Inver- 
inizzi,  qui  mime  très  spirituellement,  et  puis  restons  en  là  si  vous  le 
voulez  bien. 

H.  Moreno. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THÉÂTRE 

AU     SALON     DU      C  H  A  M  P  -  D  E  ~  M  A  R  S 


(Cinquième  article.) 

La  mise  en  scène  picturale  dont  j'ai  longuement  parlé  à  propos  du 
"hall  des  Champs-Elysées  occupe  au  Champ-de-Mars  une  place  moins 
importante,  mais  encore  appréciable  :  voici,  par  exemple,  les  tableaux 
de  M.  Toulmouche,  cinq  études  féminines  d'une  modernité  toujours 
un  peu  maniérée,  mais  d'une  observation  évidemment  sincère,  et  qui 
semblent  des  illustrations  toutes  prêtes  pour  un  recueil  de  comédies 
de  salon.  De  M.  Frappa,  quelques  fantaisies  genre  Vibert  et  une 
composition  anecdotique  d'une  cerlaine  importance  :  le  bureau  de 
nourrices;  le  médecin  au  milieu  du  troupeau  des  nounous,  tandis  que 
le  papa,  interloqué,  nerveux,  mord  le  bout  de  sa  canne;  de  M.  Jean- 
mot:  le  «  vieux  ménage  »,  les  vrais  Philémon  et  Baucis;  de  M.  José 
Pando,  a  En  attendant  le  beau  temps  »,  des  masques  de  carême  arrêtés 
dans  un  cabaret;  de  M.  Louis  Dtschamps  tout  ce  qu'il  y  a  déplus  nou- 
veau en  fait  d'enfants  pour  album  familial  et  ancien  théâtre  Comte  : 
l'enfant  au  canard,  l'enfant  qui  traîne  le  chapeau  de  la  maman,  sans 
compter  une  Marguerite  en  prières,  une  Gretchen  dans  sa  première 
fleur  d'ingénuité.  Tout  cela  très  gentil,  très  attirant,  et  même  d'une 
excellente  écriture  d'artiste.  Du  Lobrichon  qui  atteindrait  au  style. 

M.  Edouard  Sain  a  peint  une  grande  tarentelle  d'exécution  fort 
complexe  :  la  couleur  de  Léopold  Robert,  les  enfants  des  tableau- 
tins néo-grecs  d'Hamon,  les  figures  de  jeune  fille  dans  le  goût  de 
Raphaël  Colin.  De  M.  Clément  une  curieuse  danse  arabe  et  de 
Mme  Fanny  Fleury  une  étude  à  la  Béraud,  «  la  Chanson  moderne  », 
Mealy  de  l'Eldorado.  A.  signaler  aussi  les  danseuses  de  M.  Georges 
Roussin,  la  leçon  de  plain-chant  de  M.  Moreau  Nélaton,  la  leçon  de 
guitare  de  M.  Lecointe  et  de  bien  amusantes  marionnettes  fort  gen- 


timent peinturlurées:  les  «  musiciens  japonais  »  de  M.  Moore-Huni- 
phrey.  La  «  danseuse  à  sa  toilette  »  de  M.  Willy-Mart^ns  ne  manque 
ni  d'observation  ni  de  jolis  détails...  Encore  de  la  mise  eu  scène  : 
«  la  Cour  d'appel  »,  de  M.  Salzedo,  avec  plaidoirie  de  l'avocat,  et  la 
«  Distribution  des  prix  »  de  M.  Aimé  Perret,  une  grande  paysanne- 
rie visiblement  disposée  pour  l'effet.  De  M.  Dubufe  fils  un  bon 
panneau  décoratif  :  acquis  pour  le  plafond  du  foyer  du  Théâtre-Fran- 
çais. De  M.  Aublet  de  petites  scènes  de  la  Vie  Parisienne  aux  bains 
de  mer,  fort  joliment  troussées  :  le  canal  du  Tréport,  les  jetées,  la 
planche,  et  «  A  l'eau  »,  (du  Pelez,  première  manière,  bonne  manière), 
en  négligeant  certain  grand  décor  luministe  intitulé  «  la  Fête-Dieu  », 
la  cueillette  des  roses,  dans  un  jardin  aux  verdures  outrancières, 
par  une  demi-douzaines  de  jeunes  personnes  en  robe  de  gravure  de 
mode.  Trop  de  papillotement,  trop  de  transparence.  C'est  de  la  chair, 
les  plus  belles  roses;  ce  n'est  pas  du  verre.  Et  c'est  encore  de  la 
chair,  les  plus  jolies  femmes;  ce  ne  sont  pas  des  lanternes  même 
magiques.  Autre  décor  plus  réussi  d'un  Munichois,  M.  Stœker, 
un  tableau  qui  ne  sent  vraiment  pas  la  Nymphenburger  Strasse  :  la 
«  Religieuse  »,  grande  composition  dont  certains  détails  rappellent  les 
procédés  d'Emile  Adan  et  dont  l'ordonnance  générale  fait  penser 
aux  strophes  de  Théophile  Gautier  : 

Au  fond  du  parc  dans  une  ombre  indécise, 
Il  est  un  banc  solitaire  et  moussu... 

La  religieuse  de  M.  Stacker  y  rêve  en  égrenant  son  rosaire,  et, 
sur  le  tapis  de  feuilles  mortes  qui  couvre  l'allée,  dorment  des  flaques 
lumineuses.  N'oublions  pas,  pour  les  amateurs  de  l'aneedotisme 
historique,  les  tableaux  de  M.  Delort  :  «  les  Fugitifs  s  (émigrés  sur 
la  côte  bretonne),  «  Retour  de  l'escadre  »  (curieuse  restitution  des 
modes  premier  Empire),  très  habiles  malgré  la  surcharge  des  dé- 
tails amusants  et  des  accessoires. 

Un  grand  nombre  de  numéros  intéressants  à  la  section  des  dessins, 
aquarelles,  pastels,  etc.  M.  Pierre  Carrier-Belleuse  est  un  des  peintres 
attitrés  du  petit  monde  des  ballerines,  avec  sa  suite  de  pastels  : 
«  la  Toilette  »;  «  l'Attitude  »  (classe  de  l'Opéra);  «  Dans  la  loge  », 
danseuse  tirant  son  maillot;  les  «  Chaussons  neufs  »;  etc.  Très  re- 
marquable aussi,  d'un  faire  délicieux  et  d'une  rare  sûreté  d'observa- 
tion, l'envoi  de  Mme  Marie  Marshall.  L'excellent  professeur  de  chant 
a  fait  là  une  heureuse  incursion  dans  le  domaine  du  pastel,  et  le 
«  Modèle  au  repos  »  comptera  parmi  les  œuvres  de  style  du  palais  des 
Beaux-Arts.  Autre  pastel  à  mentionner  :  «  la  Comédie  »,  de  M.  Perret. 
M.  Renouard  expose  une  suite  de  dessins  d'aspect  original,  comme 
toujours,  et  de  très  vivante  allure  :  «  Soutien  de  famille  »  et 
«  Croquis  de  Drury-Lane  »,  pantomimes  à  Londres.  M.  Forain  nons 
montre  les  originaux  de  deux  douzaines  d'études  à  la  Gavarni  où> 
le  corps  de  ballet  déjà  esquissé  par  M.  Carrier-Belleuse  occupe 
une  certaine  place.  Aux  miniatures,  un  portrait  de  Sarah  Bernhardt 
dans  Jeanne  d'Arc,  par  MUo  Pothin-Labarre  ;  de  Pierrina  Tamburini 
une  étude  d'après  M"0  Mars  et  un  portrait  de  Mm6  Morio,  du 
Théâtre-Italien. 

A  la  gravure,  quelques  envois  de  premier  ordre,  et  tout  d'abord 
les  Marcellin  Desboutin  :  «  Le  Flûtiste  »,  d'après  Franz  Hais,  et 
«  le  Flûtiste  »;  de  M.  Le  Rat,  «  l'Enfance  de  Chopin  »,  d'après 
Gow;  de  M.  Bellenger,  «  Orphée  et  Eurydice  »,  d'après  Watts. 
M.  Auguste  Moru  nous  montre,  dans  un  cadre,  douze  gravures 
d'après  Guillaume  Dubufe  fils,  pour  le  théâtre  d'Emile  Augier.  De 
M.  Théodore  Roussel,  une  eau-forte  c  Pierrot  en  pied  »,  qui  est 
d'ailleurs  un  portrait  de  lady.  De  M.  Baud,  «  Beethoven  »,  puis  «  les 
Mages  »,  série  de  portraits  en  préparation;  de  M.  Egusquiza,  une 
eau-forte,  «  Richard  Wagner  ». 

A  la  sculpture,  l'exposition  la  plus  importante  est  celle  de 
M.  Jean  Baffier,  le  vigoureux  artiste  berrichon.  Il  n'a  pas  envoyé 
moins  de  dix-huit  œuvres,  qui  mériteraient  toutes  une  étude  dé- 
taillée. M.  Baffier  est  le  poète  du  travail  aux  champs  :  c'est  aussi 
un  joyeux  vivant,  un  Gaulois,  un  grand  beuveur  et  rieur;  aussi 
chante-t-il  Rabelais,  Armand  Silvestre  et  les  maîtres  sonneurs  de 
musette  et  de  vielle  du  Nivernais  et  du  Berry.  La  «  Dernière 
Nymphe  »,  de  M.  Michel-Malherbe,  sommeille  doucement,  couchée 
dans  l'herbe  : 

Dors  dans  l'enchantement  de  tes  formes  sacrées, 
Les  dieux  n'habitent  plus  la  grande  ombre  des  bois... 

De  M.  Rodin,  une  Danaïde  qui  a  l'air  d'une  Madeleine  en  pleurs 
—  ot  en  chair  — ;  de  M.  Ringel  d'Islach,  un  bronze  fort  suggestif  : 
la  «  Perversité  »  ;  de  M.  Cordonnier,  une  Electricité  suffisamment 
moderne  et  une  Obsession  qui  ne  manque  pas  de  qualités  drama- 
tiques. De  M.  Alfred  Lenoir,  un  buste  d'Edmond  de  Goncourt,  dur 


188 


LE  MENESTREL 


et  tragique,  un  autre  buste  de  Daumier,  fin  et  souriant.  Et  c'est 
tout.  Les  statuaires  n'ont  pas  déserté  la  nef  du  palais  de  l'Indus- 
trie; les  insurgenls  sont  eu  petit  nombre  au  Champ-de-Mars. . ., 
une  élite,  un  état-major,  si  vous  voulez.  Mais  un  élat-major  sans 
soldats. 

(A  suivre.)  Camille  Le  Senne. 


LE  THEATRE  A  L'EXPOSITION  UNIVERSELLE  DE  1889 
(Suite.) 


LE    KAMPONG    JAVANAIS 

Les  acteurs  annamites,  les  gitanas  de  Grenade,  la  troupe  égyp- 
tienne du  Grand-Thoàtre-Intcrnational  ont  excité  chez  tous  les  visi- 
teurs de  l'Exposition,  Français  ou  étrangers,  une  curiosité  ardente, 
parfois  un  véritable  intérêt  artistique,  surtoat  un  vif  désir  de  con- 
naître ce  dont  jusqu'alors  ils  ne  se  faisaient  aucune  idée.  Il  y  a 
quelque  chose  de  plus,  un  sentiment  indéfini  et  tout  particulier,  de 
la  part  de  ce  public  cosmopolite,  à  la  fois  naïf  et  sceptique,  en 
ce  qui  concerne  les  étranges  et  charmantes  petites  danseuses  qui 
ont  attiré  tant  et  tant  d'amateurs  au  kampong  javanais  de  l'Esplanade 
des  Invalides.  Ici,  à  l'attrait  de  la  nouveauté,  au  plaisir  que  causait 
la  vue  d'un  spectacle  si  curieux,  si  plein  de  grâce  et  de  poésie,  se 
joignait  une  véritable  sympathie,  et  comme  une  sorte  d'affection 
subite  pour  ces  aimables  créatures,  pour  ces  quatre  mignonnes  fil- 
lettes au  teint  bronzé,  au  sourire  presque  mélancolique,  au  regard 
empreint  d'un  vague  étonnemeut,  qui  ravissaient  les  yeux  par  leur 
danse  tout  ensemble  chaste  et  langoureuse,  par  leurs  attitudes  vir- 
ginales, par  leurs  poses  et  leurs  évolutions  d'un  caractère  si  mysté- 
rieux et  d'une  si  étonnante  souplesse.  On  sentait  instinctivement  — 
et  c'est  là  que  gisait  la  différence  avec  tout  ce  qu'on  voyait  ailleurs 
—  que  l'innocence  et  la  pureté  de  tous  ces  êtres  frêles  et  délicats 
ne  pouvait  être  mise  en  doute,  que  leur  physionomie  pudique 
révélait  la  candeur  de  leur  ùme,  et  de  là  résultait  le  mouvement 
sympathique  qui  était  aussitôt  éveillé  de  tous  côtés  en  leur  faveur, 
le  sentiment  presque  touchant  qu'elles  inspiraient  à  tous  et  à  cha- 
cun. Paris,  qu'elles  enchantaient  littéralement,  conservera  longtemps 
le  souvenir  des  petites  Javanaises  qui  l'ont  si  vivement  charmé,  et 
elles  resteront  dans  son  esprit  comme  l'une  des  plus  aimables  sur- 
prises que  lui  ménageait  cette  admirable  Exposition  de  1889. 

Lorsque  les  commissaires  hollandais  eurent  décidé  d'organiser  à 
l'Esplanade  des  Invalides  une  exposition  des  Indes  néerlandaises, 
ils,  songèrent  à  y  joindre  un  élément  tout  particulier  de  curiosité 
et  d'attraction  sous  la  forme  d'un  village  javanais  dans  lequel  on 
amènerait  des  danseuses,  danseuses  qu'on  n'avait  jamais  vues  en 
Europe.  La  chose  n'était  pas  très  aisée,  les  Malais  s'expatriant  dif- 
ficilement et  craignant  toujours  de  s'éloigner  de  leur  pays.  Grâce  à 
l'obligeante  intervention  du  gouvernement  colonial,  tout  s'arrangea 
cependant.  On  obtint  sans  trop  de  peine  l'assentiment  de  quelques 
artisans  indigènes,  mariés  pour  la  plupart,  qui  consentirent  à  s'em- 
barquer avec  leurs  femmes  pour  venir  à  l'Exposition,  où  ils  peuple- 
raient le  kampong.  Les  difficultés  furent  plus  grandes  en  ce  qui 
touche  les  danseuses;  de  ce  côté  pourtant  on  finit  aussi  par  aplanir 
les  obstacles,  en  s'adressant  au  prince  Mangko-Negoro,l'uu  des  rares 
souverains  de  Java  auxquels,  avec  quelques  revenus,  les  Hollandais 
ont  laissé  un  semblant  d'indépendance  et  d'autorité.  Ce  prince,  qui 
réside  à  Solo,  entretient  à  son  service  un  ballet  de  viogl-huit 
danseuses;  il  en  détacha  quatre,  qu'il  autorisa  non  seulement  à 
venir  à  Paris,  mais  à  emporter  leurs  costumes  de  cour  et  de  céré- 
monie, costumes  parfois  très  coûteux,  en  raison  des  riches  ornements 
dont  il  sont  surchargés.  Elles  furent  amenées  en  France  par  une 
personne  qu'elles  connaissaient  bien,  M.  Bernard,  qui  devait  avoir 
la  direction  du  village  javanais,  et  qui,  familier  avec  leur  langage 
et  leurs  coutumes,  ne  cessa  de  les  entourer  de  soins  et  d'une  sol- 
licitude toute  paternelle.  Chacune  d'elles  touchait  80  francs  par 
mois,  et  leurs  pères  et  mères,  qui  les  accompagnaient,  en  recevaient 
chacun  quarante.  Il  va  sans  dire  que  tous  étaient  nourris  et  logés 
aux  frais  de  l'administration. 

Ces  quatre  danseuses  avaient  nom  Tamina,  Wakiem,  Ayou,  soeur 
de  celle-ci,  et  Sariem.  Cette  dernière  était  fille  d'un  des  musiciens 
de  la  troupe  et  d'une  Malaise  encore  jeune,  ouvrière  très  habile  en 
son  genre,  qu'on  pouvait  voir  le  matin,  dans  le  village,  assise  sur  le 
sol,  traçant  sur  des  étoiles  les  dessins  les  plus  étonnants  avec  un 
stylet  de  roseau,  trempé  dans  de  la  cire  liquide.  Elles  étaient  toutes 
fort  jeunes,  car  lamina,    l'ainée,    avait  dix-sept  ans   à     peine,     et 


"Wakien,  la  plus  jeune,  n'en  avait  que  douze.  Toutes  quatre  appar- 
tenaient à  la  première  classe  de  leur  profession,  les  Sarimpi,  sorte 
de  caste  privilégiée,  dont  les  membres  naissent,  vivent  et  meurent 
sur  les  domaines  du  prince.  Dès  leur  enfance  on  les  forme  au  genre 
de  danse  qu'elles  doivent  exercer,  elles  restent  vierges  et  jouissent 
d'une  grande  considération,  au  rebours  des  danseuses  publiques, 
dont  j'aurai  l'occasion  de  parler  tout  à  l'heure,  et  qui,  libres  de 
leur  personne  et  de  leur  conduite,  et  profitant  de  celte  liberté, 
sont  entourées  d'une  estime  médiocre. 

Tamina  et  ses  trois  compagnes  étaient  de  race  javanaise  pure, 
ce  qu'on  reconnaissait,  au  diie  des  initiés,  à  leurs  yeux  noirs  un 
peu  bridés,  à  la  pelitesse  de  leur  taille,  à  la  teinte  brune  légèrement 
cuivrée  de  leur  peau,  enfin  à  la  forme  de  leur  nez,  qui  n'est  pas 
écrasé  comme  chez  les  individus  des  autres  races  océaniennes.  Chez 
elles  la  gorge  est  peu  développée,  le  buste  n'est  pas  toujours  irré- 
prochable, mais  les  extrémités  sont  fines,  les  attaches  délicates,  et 
tous  leurs  mouvements,  leurs  attitudes,  leurs  gestes  se  font  remar- 
quer par  une  grâce  pleine  de  langueur  tt  de  morbidesse  (1). 

Le  kampong  javanais  (2),  fort  intelligemment  installé  par  M.  Martin 
Wolff,  l'un  des  membres  de  la  commission  hollandaise,  était  situé 
à  l'extrémité  de  l'esplanade  des  Invalides,  au  delà  du  village  cochin- 
chinois,  tout  à  côté  du  panorama  de  Tout-Paris.  Je  n'ai  pas  à  le 
décrire  ici,  prétendant  ne  m'occuper  que  du  spectacle  qui  surtout  y 
attirait  les  amateurs.  Au  milieu  même  du  village  s'élevait  un  grand 
pavillon  à  colonnes  de  bambous  :  c'était  la  salle  où  avaient  lieu  les 
danses,  accompagnées  d'une  musique  étrange,  parfois  bizarre,  faite 
assurément  pour  étonner  nos  oreilles  européennes,  accoutumées  à  d'au 
très  résonances,  à  d'autres  sonorités,  mais  qui  n'était  pas  toujours 
sans  douceur  et  sans  charmé.  Cette  musique  n'était  pas  la  même,  ni 
jouée  avec  les  mêmes  instruments  que  celle  qui  se  faisait  entendre 
au  dehors  lorsqu'arrivait  l'heure  des  représentations.  Au  moment 
où  l'une  de  celles-ci  allait  commencer,  une  petite  bande  de  musi- 
ciens faisait  le  tour  du  kampong,  à  la  grande  joie  du  public,  en 
agitant  leurs  ank/angs  ou  ang-klongs.  instruments  singuliers,  faits 
de  tuyaux  de  bambous  de  longueurs  diverses,  qui  rendaient  un  son 
sec  et  mat,  très  net,  mais  sans  intonation  appréciable,  et  dont  l'en- 
semble produisait  comme  une  sorte  de  grelottement  doux,  assez 
semblable  à  celui  de  nombreuses  clochettes  de  bois. 

A  cet  avertissement,  bientôt  connu  de  la  foule,  la  salle  se  rem- 
plissait en  un  instant.  Au  milieu  de  cette  salle  s'élevait  une  plate- 
forme carrée  :  c'était  la  scène  où  les  danseuses  devaient  évoluer. 
Tout  au  fond  de  cette  scène  se  trouvait  groupé  l'orchestre  des  musi- 
ciens accompagnants,  avec  leurs  rebabs,  leur  gamelang,  leurs 
gongi,  etc.  Vêtus  d'une  espèce  de  veston  de  toile,  avec  un  long 
sarong,  pièce  d'étoffe  de  couleur  qui  s'enroule  autour  des  jambes  et 
tombe  jusqu'aux  pieds,   la  tète  coiffée  d'un  turban  fait  d'un  foulard 

(1)  Pour  ces  Javanaises,  comme  pour  nos  Européennes,  la  toilette  est 
une  affaire  d'importance ,  et  elles  y  emploient  un  temps  considérable. 
Une  partie  surtout  de  cette  toilette,  celle  qu'on  pourrait  appeler  le  «  ma- 
quillage, »  est  de  leur  part  l'objet  d'un  soin  extrême,  et  nos  danseuses 
s'y  livraient  chaque  jour,  avant  d'entrer  en  scène,  en  une  longue  et  sé- 
rieuse séance.  Elles  n'y  apportaient  du  reste  point  trop  de  mystère,  et  le 
promeneur  hâtif  qui  parcourait  le  malin  l'esplanade  pouvait  les  voir,  ca- 
quetantes et  joyeuses,  installées  sur  le  balcon  do  leur  case,  dans  leur 
négligé  de  première  heure,  procéder  à  la...  décoration  très  compliquée 
de  leur  visage.  Les  bras,  le  col,  le  haut  de  la  poitrine  déjà  passés  au 
safran,  ce  qui  donnait  à  leur  peau  naturellement  basanée  un  beau  teint 
doré  plein  de  chaleur,  elles  commençaient  par  lisser,  avec  de  petites 
brosses  trempées  dans  l'encre  de  Chine,  leurs  beaux  cheveux  soyeux, 
longs  et  noirs,  qu'elles  relevaient  élégamment  sur  la  nuque,  pour  les 
emprisonner  plus  tard  dans  leurs  coiffures  bizarres.  Cela  fait,  elles  pre- 
naient un  miroir,  et  se  livraient  à  l'opération  délicate  de  la  peinture. 
Entourées  d'une  foule  de  petits  pots  et  d'ingrédients  de  toutes  sortes  :  eau 
amidonnée,  teinture  de  safran,  encre  de  Chine  délayée,  bâtons  de  noir  de 
fumée,  pinceaux,  tampons,  etc.,  elles  étalaient  d'abord  sur  toutle  visage  une 
espèce  d'empois,  puis,  à  l'aide  du  pinceau,  passaient  sur  le  front,  sur  la  ré- 
gion des  tempes  et  sur  les  joues,  en  avant  des  oreilles,  une  couche  d'encre 
de  Chine  qui  s'avançait  en  pointe  vers  l'extrémité  des  sourcils,  pour  simuler 
en  bas,  vers  la  joue,  une  longue  mèche  de  cheveux  légèrement  recour- 
bée; puis,  pour  que  cette  mèche  se  détachât  avec  netteté,,  elles  en 
essuyaient  lus  bavures  au  moyen  d'un  petit  tampon  de  laine,  et  l'entou- 
raient d'uno  mince  couche  de  blanc  étendue  sur  la  peau  voisine.  Le  des- 
sin des  sourcils,  très  minutieux,  très  artistique,  venait  ensuite,  réclamant 
toute  leur  adresse,  ut  elles  terminaient  enfin  cette  partie  si  importante 
de  leur  toilette  en  plaquant  délicatement  sur  le  front,  au-dessus  do  la 
racine  du  nez,  une  petite  mouche  noire.  Tout  cela  fait,  elles  n'avaient 
plus,  avec  le  même  soin  et  la  même  patience,  qu'à  revêtir  le  riche  cos- 
tume sous  lequel  elles  devaient  su  montrer  au  public. 

(i)  Kampong  :  village. 


LE  MÉNESTREL 


LS9 


bariolé  qui  se  roule  daus  les  cheveux,  ils  étaient  là,  accroupis 
devant  leurs  instruments,  fumant  avec  placidité  leurs  longues  ciga- 
rettes odorantes  enveloppées  de  feuilles  de  maïs. 

(A  suivre.)  Artihjh  Pougin. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

Nouvelles  de  Londres.  —  Les  Maîtres  Chanteurs  ont  retrouvé  à  Covent- 
Garden  leur  gros  succès  de  la  saison  dernière.  Sans  rechercher  les  éléments 
divers  de  popularité  de  cette  partition  remarquable,  il  faut  constater  que 
l'interprétation  actuelle  est  absolument  supérieure,  et  qu'elle  a  été  rare- 
ment égalée,  même  en  Allemagne.  M.  Jean  de  Reszké  est  un  Walther 
exquis;  M.  Lnssalle  un  Hans  Sachs  superbe  comme  chanteur  et  comme 
comédien  ;  M.  Montariol  plein  de  vivacité  dans  le  rôle  de  David  et  chan- 
tant très  habilement  sa  partie  si  importante;' enfin  M.  Isnardon  un  excel- 
lent Beckmesser,  franchement  amusant,  sans  jamais  verser  dans  la  charge. 
On  voit  qu'en  ce  qui  concerne  surtout  les  principaux  interprètes,  on  au- 
rait eu  fort  avantage  à  adopter  la  version  française  de  cette  comédie  mu- 
sicale, quelque  peu  alourdie  en  italien.  Après  M"10  Albani,  c'est  Mmc  Ta- 
bary  qui  est  chargée  du  rôle  d'Eva  :  elle  est  dépourvue  de  certaines 
qualités  essentielles  à  la  gentille  héroïne  de  Wagner,  la  fraîcheur  et  le 
charme,  mais  la  cantatrice  est  expérimentée  et  a  très  bien  mené  le  fameux 
quintette  du  dernier  acte.  M.  Mancinelli  parait  avoir  encoie  pioché  cette 
volumineuse  partition  et  a  sagement  rétabli  certaines  coupures  excessives 
de  l'année  dernière.  —  Mardi  dernier,  M",e  Melba  s'est  essayée  pour  la 
première  fois  dans  le  rôle  d'Eisa  de  Lohengrin.  Très  bien  costumée  et  fort 
gracieuse,  elle  a  témoigné  d'une  grande  intelligence  dramatique  dans 
l'interprétation  du  rôle.  Elle  en  a  aussi  chanté  les  parties  douces  ou  ten- 
dres dans  un  style  charmant.  Mais  le  rôle  est  écrit  trop  bas  pour  sa  voix, 
et  elle  a  souvent  manqué  de  souffle  et  d'ampleur  dans  les  ensembles.  Le 
reste  de  la  représentation  a  beaucoup  laissé  à  désirer  :  M.  Jean  de  Reszké, 
visiblement  enroué,  avait  dû  réclamer  après  le  premier  acte  l'indulgence 
du  public,  et  tous  les  autres  paraissaient  plus  ou  moins  mal  disposés, 
surtout  le  héraut,  qui  faisait  peine  à  entendre.  —  M"  Richard  fait  sa 
première  apparition,  vendredi,  dans  la  Favorite,  en  français,  secondée  par 
MM.  Ibos  et  Cobalet.  La  reprise  si  attendue  du  Prophète  est  ûxèe  au 
23  juin.  —  Les  concerts  se  suivent  avec  une  rapidité  vertigineuse,  mais  la 
saison  est  peu  favorable  aux  artistes  de  second  plan  ou  à  tous  ceux  qui 
n'ont  pas  encore  su  imposer  leur  talent  au  public  assez  rebelle  de  la 
métropole.  MM.  Sarasate  et  Paderewski  sont  les  deux  principaux  triom- 
phateurs du  moment.  M.  Sarasate,  avec  ou  sans  orchestre,  exerce  toujours 
une  attraction  puissante  sur  le  public,  particulièrement  sur  la  partie  fémi- 
nine. Quant  à  M.  Paderewski,  il  a  du  lutter  à  force  de  talent  pour  avoir 
raison  des  partis  pris  de  la  critique  locale,  et  le  succès  énorme  de  son 
dernier  concert  le  décidera  sans  doute  à  se  faire  entendre  encore  avant 
la  fin  de  la  saison.  —  Mme  Roger-Miclos,  dont  le  talent  fin  et  distingué 
est  de  plus  en  plus  apprécié  à  Londres,  a  donné  un  excellent  concert 
cette  semaine  avec  le  concours  du  violoniste  Johannes  "Wolff.  —  R  faut 
signaler  aussi  le  concert  d'une  jeune  violoniste  française  d'avenir,  Mllc  Isa- 
belle Levallois,  élève  du  regretté  Léonard.  A.  G.  N. 

—  Mm0  Adelina  Patti,  qui  est  actuellement  dans  sa  propriété  de  Craig 
y  Nos,  est  indisposée  à  la  suite  d'un  refroidissement  qu'elle  a  pris  durant 
la  traversée,  à  son  retour  d'Amérique.  Elle  a  du  résilier  tous  les  engage- 
ments qu'elle  avait  contractés  pour  la  saison  d'été. 

—  Le  compositeur  F.-JI.  Cowen  a  été  choisi  pour  juge  dans  un  concours 
institué  par  le  journal  anglais  Puck,  qui  offre  un  prix  de  vingt  guinées 
pour  la  meilleure  adaptation  musicale  d'un  chant  de  ralliement  destiné 
aux  vélocipédisles.  Ce  chant  porte  le  titre  bizarre  du  Démon  de  la  roue  tour- 
noyante. 

—  Après  s'être  fait  entendre  au  palais  du  Lord  Mayor,  à  Londres,  notre 
jeune  compatriote  Pierre-René  Hirsch  vient  de  donner  au  Prince's  Hall 
delà  même  ville  une  séance  de  piano  dont  la  presse  anglaise  est  unanime 
à.  constater  le  succès.  Parmi  les  œuvres  qui  composaient  le  programme 
très  varié  de  M.  Hirsch,  on  a  surtout  applaudi  la  Vélocité  de  M.  Mathias, 
la  Chaeonnc  de  M.  Th.  Dubois  et  les  Novelelles  de  Schumann.  —  Le  récital 
de  M""!  Carreno  à  Sainl-James's  Hall  est  également  à  signaler.  La  brillante 
pianiste  a  été  acclamée  après  le  Joyeux  Forgeron  de  Haendel,  le  Menuet  de 
Bocchcrini,  et  la  Valse-Caprice  de  Kubinstein. 

—  Nous  n'en  avons  pas  fini  avec  l'enthousiasme  délirant  des  Italiens 
à  l'égarl  de  leur  jeune  compatriote,  le  maestro  Mascagni,  l'auteur  de 
Cavalleria  rustkana.  Tous  les  journaux  illustrés,  le  Secolo  illuslralo,  le  Carro 
di  Tespi,  le  Cicérone,  etc.,  publient  à  l'envi  le  portrait  du  triomphateur. 
D'autres  nous  donnent,  ce  qui  est  peut-être  plus  intéressant,  le  chiffre 
des  recettes  encaissées  pour  les  sept  représentations  de  Cavalleria  ruslwana, 
lequel  ne  s'élève  pas  à  moins  de  46,000  francs.  D'autres  oncore  nous 
apprennent  que,  se  rendant  do  Rome  àLivourne,  sa  ville  natale,  M.  Mas- 
cagni a  été  de  la  part  de  ses  concitoyens  l'objet  d'une  imposante  mani- 
festation ;  il  a  dû  se  rendre  auprès  des  autorités  pour  les  remercier  de 
la  réception  qui  lui  était  faite,  et  le  soir,  tandis  que  la  ville  était  illumi- 


née en  son  honneur,  la  musique  éclatait  sous  ses  fenêtres,  une  sérénade; 
lui  était  donnée  et  une  foule  immonso  applaudissait.  Tout  cela  est  à  la 
fois  un  peu  enfantin  et  un  peu  excessif,  car  enfin,  que  pourra-t-on  faire 
de  plus  le  jour  où,  ce  que  Dieu  veuille,  M.  Mascagni  donnera  un  pendant 
à  Wgolclto  ou  à  Aida.  Précisément,  à  propos  de  l'auteur  à.' Aida  et  de  Hi- 
goletlo,  un  journal,  l'Epoca,  se  laisse  peut-être  un  peu  trop  emporter  par 
son  imagination  en  racontant  ce  qui  suit.  Lorsque,  selon  ce  journal,  Verdi 
apprit  le  succès  do  Cavalleria  rustkana,  il  sortit  de  son  impassibilité  ordi- 
naire et  fit  demander  la  partition  de  l'ouvrage  que  les  Romains  quali- 
fiaient de  chef-d'œuvre.  L'ayant  obtenue,  il  s'enferma  dans  son  cabinet, 
«  exécuta  au  piano  l'heureuse  inspiration  du  jeune  Livournais,  l'éludii, 
l'analysa,  puis,  renvoyant  à  l'auteur  sa  partition,  l'accompagna  de  cette 
seule  phrase  :  Maintenant,  je  puis  mourir  lonlcnt.  Giuseppe  Verdi.  »  Après 
celle-là  il  faut  évidemment  tirer  l'échelle,  et  ce  renouvellement  d'un  mot 
jadis  attribué  à  Mébul  à  l'égard  d'Herold  estdu  plus  heureux  effet.  Enfin, 
ajoutons  que  l'on  ne  sait  encore  si  c'est  aux  Danicheff,  ou  à  Charlotte  Corday, 
ou  à  Severo  Torelli,  ou  à  la  Tosco,  ou  à  toute  autre  pièce  française  que  sera 
emprunté  le  livret  du  nouvel  opéra  commandé  à  M.  Mascagni  par  l'éditeur 
M.  Sonzogno. 

—  De  grandes  fêtes  viennent  d'avoir  lieu  à  Gatane  en  l'honneur  de  Bellini, 
à  l'occasion  de  l'inauguration  du  nouveau  théâtre  qui  porte  son  nom. 
Une  foule  nombreuse  assistait  à  cette  inauguration,  la  ville  était  en  fête, 
les  rues  étaient  pavoisées  et  le  soir  brillamment  illuminées.  Le  lendemain 
s'ouvrait,  dans  quatre  grandes  salles  du  palais  municipal,  une  grande 
exposition  entièrement  consacrée  à  Bellini  et  qu'inaugurait  un  discours  de 
M.  Di  Bartolo,  président  du  Cercle  artistique.  Nous  citerons  les  suivants 
parmi  les  nombreux  objets  qui  figurent  dans  l'exposition  bellinienne  : 
un  bijou  avec  le  portrait  en  miniature  de  la  Malibran  ;  la  médaille  don- 
née à  Bellini  par  le  roi  de  Naples  François  Ier;  le  portrait  de  Bellini, 
miniature  exécutée  par  la  Malibran  (?)  ;  deux  montres  en  or  et  deux 
cannes  lui  ayant  appartenu  ;  la  partition  autographe  du  premier  ouvrage 
dramatique  de  Bellini,  Adelson  et  Salvini,  représenté  au  Conservatoire  de 
Naples;  une  épinette  avec  laquelle  il  étudia,  à  Catane,  les  premiers  élé- 
ments de  la  musique  ;  la  médaille  que  la  commune  de  Catane  lui  décerna 
en  1829  ;  l'autographe  de  la  romance  l'Abbandone  et  celui  d'une  autre 
romance,  composée  en  1828;  une  lettre  de  trois  pages,  adressée  à  M.  Cot- 
trau  en  1830,  et  dans  laquelle  il  déclarait  qu'il  voulait  dédier  à  Catane 
son  opéra  Capuleti  e  Montecchi;  la  médaille  que  la  ville  de  Paris  fit  frapper 
expressément  lors  de  la  mort  de  Bellini  ;  la  partition  autographe  des 
Puritains;  un  piano  qui  lui  a  appartenu;  un  exemplaire  de  la  partition 
lilhographiée  de  Capuleti  e  Montecchi,  avec  son  portrait  sur  la  première 
page,  donné  par  lui  à  la  ville  de  Catane  ;  etc.,  etc. 

—  Au  théâtre  Dal  Verme,  de  Milan,  a  eu  lieu  ces  jours  derniers  la  première 
représentation  de  deux  petits  opéras  en  un  acte  :  il  Veggente  (le  Voyant),  paroles 
de  M.  Gustave  Macchi,  musique  de  M.  Enrico  Bossi,  et  Editha,  paroles  de 
M.  Arkel  d'après  une  nouvelle  de  Carmen  Sylva,  musique  de  M.  Emilio 
Pizzi.  Ces  deux  ouvrages  avaient  été  envoyés  au  concours  Sonzogno,  où 
ils  s'étaient  trouvés  classés  parmi  les  six  ou  sept  jugés  les  meilleurs  à  la 
suite  des  trois  choisis  par  le  jury  pour  la  représentation  à  Rome.  Il  ne 
parait  pas  que  le  succès  en  ait  été  brillant,  et  la  Gazzetla  musicale,  assez 
indulgente  à  son  ordinaire,  les  enterre  elle-même  avec  une  aimable  poli- 
tesse. «  Les  deux  jeunes  maeslri,  dit  ce  journal,  ont  réussi  à  faire  mettre 
leurs  ouvrages  en  scène  au  théâtre  Dal  Verme,  et  à  les  présenter  ainsi  au 
verdict  du  public,  après  celui  du  jury  de  Rome.  Le  public  milanais,  très 
bien  disposé  envers  les  auteurs,  écouta  avec  intérêt,  applaudit  certains 
passages  des  deux  opéras,  appela  plusieurs  fois  sur  la  scène  les  deux 
compositeurs,  mais  ne  subit  aucune  de  ces  émotions  profondes  qui  se 
résolvent  ensuite  dans  l'enthousiasme.  Ce  fut,  en  somme,  un  salut  d'es- 
time à  deux  musiciens  distingués,  qui  ont  su  confirmer  ainsi  la  bonne 
réputation  qui  s'attache  à  leur  nom  ».  Ce  qu'on  reproche  aux  deux  ouvra- 
ges, c'est  la  recherche  de  l'étrangeté,  de  la  nouveauté  à  tout  prix,  qui  les 
entraine  dans  le  baroque  et  dans  l'incompréhensible.  M.  Bossi  est  un 
organiste-compositeur  que  l'on  dit  fort  distingué  ;  M.  Pizzi  est  l'auteur 
d'un  William  RadcU/je  couronné  dans  un  concours  et  représenté  avec  quel- 
que succès  à  Bologne.  Les  interprètes  de  leurs  opéras  étaient  Mmcs 
Bonaplata,  Baus  etOthon,  MM.  Signoretti,  Pessina  et  Bonfante. 

Tjn  autre  opéra  nouveau  a  été  représenté  à  Milan,  celui-ci  au  théâtre 

Manzoni.  Il  a  pour  titre  liaggio  di  luna  et  pour  auteur  un  jeune  artiste, 
M.  Franco  Leoni.  Son  insuccès  a  été  complet,  et  un  journal  croit  pouvoir 
affirmer  que  jamais  œuvre  musicale  ne  fut  plus  complètement  manquée- 
Le  livret  est  de  M.  Zenoni. 

An  théàtro  Manzoni,  de  Rome,  apparition  d'une  opérette  nouvelle  en 

trois  actes  et  en  dialecte  romanesque,  i  Due  Santarelli,  musique  de 
M.  Cesaro  Pascucci,  bien  accueillie  du  public. 

—  A  Naples,  au  Politeama,  première  représentation  d'une  autre  opé- 
rette, Malcmus,  d'une  platitude  exemplaire,  et  dont  on  ne  nous  fait  pas 
connaître  les  auteurs. 

—  Le  municipe  de  Parme  a  décidé  qu'une  chapelle  de  la  grande  galerie 
du  cimetière  de  cette  ville  serait  consacrée  à  la  mémoire  do  Bottesini,  et 
et  que  dans  cette  chapelle  seraient  recueillis  les  restes  du  grand  artiste, 
ainsi  que  ceux  des  professeurs  ot  des  élèves  du  Conservatoire. 


490 


LE  MENESTREL 


—  On  écrit  de  Turin  à  la  Lmnbardia  :  «  A  l'excellent  ténor  De  Negri, 
qui  depuis  quelque  temps  se  trouve  malade  à  Turin,  on  vient  de  faire 
une  très  difficile  opération  chirurgicale,  consistant  dans  l'extirpation 
d'un9  partie  du  foie.  Cette  opération  a  été  exécutée  par  le  distingué  pro- 
fesseur Novaro,  venu  expressément  de  Sienne,  en  compagnie  de  son  col- 
lègue Bbzzolo.  De  Negri  va  mieux.  » 

—  Un  artiste  italien,  le  maestro  Demetrio  Androni,  de  Bologne,  vient 
d'être  appelé  à  la  direction  du  Lycée  musical  de  Corfou. 

—  On  annonce  la  création  prochaine,  grâce  à  une  initiative  absolument 
privée,  d'un  Institut  ou  Conservatoire  de  musique  à  Malte.  Cet  établisse- 
ment serait  placé  sous  la  direction  du  maestro  Paolino  Vassallo,  auquel 
en  est  due  la  première  idée. 

—  De  la  statistique  de  sa  dernière  saison  que  vient  de  publier  l'admi- 
nistration de  l'Opéra  impérial  de  Vienne,  il  résulte  que  du  commencement 
d'août  1889  à  la  fin  de  mai  1890,  ce  théâtre,  dans  un  ensemble  de  300  re- 
présentations, a  offert  à  son  public  70  opéras  divers  et  13  ballets,  soit  un 
total  de  83  ouvrages. 

—  On  nous  écrit  de  Bucharest  que  le  pianiste  Matias  Miquel,  bien 
connu  à  Paris,  vient  d'être  honoré,  par  le  roi,  de  la  croix  de  chevalier 
de  la  Couronne  de  Roumanie. 

—  Un  fait  au  moins  singulier  vient  de  se  produire  à  Barcelone.  Sur 
l'un  des  théâtres  de  cette  ville  on  jouait,  avec  un  grand  succès,  un  drame 
intitulé  Judas.  Ce  drame  en  était  arrivé  à  sa  soixantième  représentation 
lorsque,  tout  à  coup,  un  ordre  du  Vatican,  vint  le  mettre  en  interdit. 
S'inclinant  alors  devant  la  décision  de  la  Congrégation  de  l'index,  tous,  l'au- 
teur, le  directeur  du  théâtre,  les  acteurs,  les  éditeurs,  les  libraires,  tous, 
comme  un  seul  homme,  se  soumirent  sans  mot  dire,  et  de  Judas  il  ne  fut 
plus  un  instant  question.  Ce  sont  cosas  de  Espaha. 

—  La  dernière  représentation  du  théâtre  de  La  Haye  a  été  attristée  par 
un  douloureux  incident.  La  salle  était  absolument  remplie  d'un  public 
nombreux,  qui  se  préparait  à  fêter  les  artistes,  à  l'intention  desquels  il 
avait  apporté  des  fleurs  et  des  cadeaux  de  toutes  sortes.  Mais  le  spectacle 
était  à  peine  commencé,  que  le  chef  d'orchestre,  M.  Granier,  qui  rem- 
plissait ces  fonctions  depuis  quatorze  ans,  tombait  tout  à  coup  de  son 
siège,  frappé  d'une  attaque    d'apoplexie  foudroyante. 

—  Le  gouvernement  égyptien  vient  d'accorder  pour  l'hiver  prochain 
une  subvention  de  100,000  francs  au  théâtre  khédivial  du  Caire,  où  l'on 
jouera  l'opéra  français,  l'opérette  et  le  ballet.  C'est  encore  un  théâtre 
perdu  pour  l'opéra  italien,  s'écrient  avec  amertume  nos  confrères  de  ce 
pays! 

—  De  Buenos-Ayres  les  nouvelles  sont  mauvaises.  Par  suite  de  la  crise 
financière,  l'Opéra,  direction  Ferrari-Ciacchi,  fait  de  fort  mauvaises 
affaires,  malgré  la  réunion  d'artistes  tels  que  MM.  Maurel  et  Tamagno, 
Mmœ  Galli,  Dalti,  Stahl,  Baux,  etc.,  etc.  Nous  ne  le  regrettons  qu'à 
moitié,  en  présence  de  la  conduite  peu  loyale  des  deux  directeurs,  qui 
jouent  là-bas  tous  les  ouvrages  français  avec  des  orchestrations  de  contre- 
bande et  sans  en  avoir  honnêtement  traité  avec  les  auteurs  ou  leurs 
ayants  droit.  Leurs  désastres  ne  peuvent  donc  nous  affliger  beaucoup. 

—  Les  journaux  du  Royaume-Uni  ont  publié  récemment  un  rapport 
médical  sur  l'excellent  effet  sanitaire  produit  par  l'étude  de  la  flûte,  qui 
constitue,  paraît-il,  un  exercice  hygiénique  des  plus  efficaces  et  remplace 
avantageusement  la  marche  au  grand  air.  Le  Musical  Times  conçoit  de  ter- 
ribles inquiétudes  de  cette  découverte  :  «  Le  danger  de  l'affaire,  dit-il, 
c'est  que  des  amateurs  jusqu'alors  inoffensifs  et  qui  n'avaient  pas  les 
moindres  dispositions  pour  la  musique,  vont  se  rendre  insupportables  à 
leurs  voisins,  sous  prétexte  qu'ils  suivent  l'ordonnance  de  leur  médecin.» 

PARIS    ET    DÉPARTEMENTS 

Notre  collaborateur  Moreno  fait  allusion  dans  sa  «  Semaine  théâ- 
trale »  à  l'article  publié  par  le  Figaro  du  9  juin  par  M.  Albert  Delpit 
contre  la  direction  de  l'Opéra.  Cet  article  fait  sensation,  tant  il  est  logi- 
quement déduit  et  irréfutable.  Nous  ne  pouvons  songer,  à  cause  de  ses 
développements,  à  le  reproduire  in  extenso.  Du  moins  pouvons-nous  en 
donner  l'éloquente  péroraison  :  «  ...  A  l'heure  qu'il  est,  l'Opéra  est  le 
théâtre  de  Paris  où  le  public  a  le  plus  de  chance  d'être  brûlé.  Il  y  a 
deux  petites  baignoires  qui  encombrent  les  couloirs  d'évacuation.  Ce  ne 
sont  plus  à  présent  que  des  goulots  de  bouteille.  Ces  deux  baignoires 
n'existaient  pas  dans  le  plan  de  M.  Garnier.  C'est  M.  Halanzier  qui  les  a 
fait  établir.  La  Commission  de  la  Préfecture  de  police  a  ordonné  de  re- 
faire le  passage  :  on  n'a  pas  tenu  compte  de  l'ordre.  Le  préfet  de  police 
a  envoyé  une  injonction  formelle  :  on  n'a  pas  obéi  à  l'injonction.  Bien 
plus,  M.  Ritt  et  son  associé  ont  trouvé  que"  la  sortie  de  l'ampbithéâlre 
n'était  pas  assez,  obstruée.  Alors,  ils  ont  ajouté  un  rang  de  plus  aux 
rangs  qui  existaient  déjà.  Ce  travail  a  été  exécuté  aux  dépens  du  parterre. 
Et  naturellement  c'est  l'Etat  qui  a  payé  (service  des  Bâtiments  civils). 
Enfin,  le  même  M.  Ritt  et  le  même  M.  Gailhard  ont  tranformé  deux  rangs 
de  parterre  en  orchestre.  Résultats  nets  :  augmentation  des  bénéfices  aux 
dépens  de  la  sécurité.  Qui  les  a  autorisés  à  faire  courir  de  gros  risques 
au  public  pour  gonfler  leur  bourse?  Personne.  En  cas  de  panique,  il  su/fit 
d'une  femme  tombant  les  pieds  pris  dans  sa  robe,  et  le  passage  est  bouché,  et  tout 
le  monde  brûle!  Ah!  il  sera  bien  temps  de  s'occuper  de  la  question  quand 


un  nouveau  sinistre  sera  venu  épouvanter  Paris,  la  France  et  l'Europe  ! 
Je  me  résume  en  quelques  lignes  :  1°  La  direction  de  l'Opéra  ayant 
manqué  à  l'article  8  du  cahier  des  charges,  doit  à  l'État  huit  actes,  soit 
au  prix  moyen  de  20,000  francs  l'acte,  160,000  francs.  2°  La  direction 
ayant  manqué  à  l'article  10,  doit  une  amende  d'environ  13,000  francs. 
3°  La  direction  ayant  manqué  à  l'article  57  (Représentations  à  prix  ré- 
duits), doit  une  amende  d'environ  100,000  francs.  Ce  qui  donne  un  total 
de  275,000  francs.  J'ai  suivi  de  près  toutes  les  séances  de  la  Commission 
des  théâtres.  Elle  a  des  échos  sonores,  car  elle  est  nombreuse.  Je  sais 
donc  que  l'Administration  s'était  placée  sur  ce  terrain  des  amendes  :  la 
Commission  a  refusé  de  l'y  suivre.  Elle  a  eu  tort.  En  effet,  à  quoi  eussent 
servi  ces  amendes?  A  remplacer  les  décors  et  les  costumes.  En  triplant 
la  somme,  on  arrivera  peut-être  à  opérer  la  réfection  du  matériel  très 
riche  que  M.  Ritt  et  son  associé,  M.  Gailhard,  ont  dilapidé  de  gaité  de 
cœur!  Faites  rendre  gorge,  Messieurs  les  membres  de  la  Commission  du 
budget!  Je  vous  ai  montré  jusqu'où  ces  messieurs  avaient  rabaissé  la 
dignité  de  l'Art  français.  Je  vous  ai  montré  aussi  que  s'ils  avaient  gagné 
beaucoup  d'argent,  c'était  en  coûtant  très  cher  au  Trésor  public,  en  mena- 
çant la  sécurité  des  spectateurs  confiants  !  » 

—  A  propos  d'incendie  de  théâtre,  on  a  fort  remarqué,  dans  le  même 
Figaro,  un  article  de  M.  Francis  Magnard.  qui  donne  des  documents  ins- 
tructifs et  des  pièces  officielles  au  sujet  du  dernier  incendie  de  l'Opéra- 
Comique.  Il  y  a  là  des  rapports  préventifs  du  colonel  des  pompiers  et  de 
la  Commission  supérieure  des  théâtres,  faisant  pressentir  tout  ce  qui  allait 
arriver  et  indiquant  le  moyen  d'y  remédier,  qui  donnent  fort  à  réfléchir. 
On  est  stupéfait  il  voir,  à  ce  sujet,  l'incurie  des  divers  ministres  des 
Beaux-Arts  qui  se  sont  succédé  rue  de  Valois  sans  rien  faire  pour  prévoir 
la  catastrophe  qu'on  leur  prophétisait.  Et  c'est  M.  Carvalho,  qui  ne  ces- 
sait, lui  aussi,  de  se  plaindre  de  cet  état  de  choses,  qu'on  a  traduit 
devant  la  justice!!!  Heureusement  qu'il  y  a  encore  des  juges  à  Paris. 
Mais  les  ministres  sont  restés  indemnes! 

—  Déjà  des  indiscrétions  dans  les  journaux  au  sujet  du  Mage,  le  pro- 
chain opéra  de  MM.  Jean  Richepin  et  Jules  Massenet,  dontla  représentation 
doit  avoir  lieu  vers  la  fin  de  l'année,  si  rien  ne  vient  à  rencontre.  Avec 
nos  honorables  directeurs  Ritt  et  Gailhard,  on  ne  sait  jamais  ce  qui  peut 
arriver,  ni  quelles  idées  malsaines  ils  peuvent  avoir  derrière  la  tète.  On 
se  rappelle  par  quelles  alternatives  ont  dû  passer  Zaïre  et  ^Iscanio.  Pour- 
quoi ces  épreuves  cruelles  ne  seraient-elles  pas  de  même  réservées  au 
Magel  Ritt  et  Gailhard  sont  de  grands  tortionnaires  de  compositeurs,  et, 
cette  fois  pas  plus  que  les  autres,  ils  ne  voudront  sans  doute  manquer 
à  leur  mission  fatale.  Bientôt  écœuré,  bafoué  et  atteint  dans  sa  dignité, 
nous  verrons  Massenet  boucler  sa  malle  et,  tout  comme  un  autre  Saint- 
Saêns,  cingler  vers  Las  Palmas,  où  l'attend  la  chambre  du  martyr.  Quoi  qu'il 
en  soit,  MM.  Ritt  et  Gailhard,  pour  le  moment,  ont  l'air  de  croire  qu'ils 
trouveront  dans  leur  troupe  médiocre  et  insuffisante  la  distribution  né- 
cessaire au  Mage,  sans  confier  le  rôle  du  ténor  à  une  basse,  et  sans  cher- 
cher parmi  les  spectateurs  une  abonnée  de  bonne  volonté  pour  remplir 
le  rôle  de  l'héroïne.  C'est  bien,  mais  attendons  la  fin.  Ils  nous  disent  aussi 
que  le  Mage  comportera  cinq  actes  et  six  tableaux  :  1.  Le  camp  de  Zarastra  ; 
2.  Les  souterrains  du  temple  de  la  Djahi;  3.  La  salle  du  trône;  4.  La 
montagne  sainte;  5.  La  salle  du  sanctuaire;  6.  La  même  salle,  mais  cette 
fois  en  ruines.  Ce  dernier  tableau  leur  sera  surtout  d'une  exécution  facile, 
puisqu'ils  n'auront  qu'à  choisir  dans  le  tas  de  leurs  décors  qui  tombent 
tous  en  loques  pour  simuler  admirablement  la  désolation  et  les  désastres 
qu'exige  le  poème  de  M.  Jean  Richepin. 

—  La  commission  supérieure  des  théâtres  va  se  réunir  vendredi  pro- 
chain, au  ministère  des  beaux-arts.  Elle  entendra  la  lecture  du  rapport 
fait  par  M.  Charles  Garnier,  au  sujet  de  la  réfection  des  décors  de  l'Opéra. 
M.  Charles  Garnier  était,  avec  MM.  Durier  et  Antonin  Proust,  l'un  des 
membres  de  la  sous-commission  nommée  dernièrement  par  la  commis- 
sion, pour  procéder  aux  constatation^  matérielles  sur  l'état  des  décors  de 
notre  Académie  nationale  de  musique.  Le  rapport  de  M.  Garnier,  qui  a 
été  approuvé  par  ses  deux  collègues,  est  très  circonstancié  et  dit  toute  la 
vérité  sur  la  question.  Les  décors  de  l'Opéra  sont  dans  un  état  déplo- 
rable. Il  y  en  a  sur  lesquels  ne  subsiste  plus  que  la  toile.  La  couleur  a 
complètement  disparu.  La  réfection  des  décors  de  l'Opéra  est  donc  une 
mesure  qui  s'impose  absolument,  et  il  est  probable  que  M.  le  ministre 
des  beaux-arts,  après  avoir  entendu  la  lecture  du  rapport  de  M.  Garnier, 
prendra  des  mesures  à  cet  effet. 

—  De  YÉcho  de  Paris  :  L'opéra  de  M.  Saint-Sâëns  n'a  pas  de  chance.  Il 
y  a  quelques  jours,  c'était  M.  Lassalle  qui  était  forcé  de  se  faire  rem- 
placer par  M.  Bérardi;  hier,  c'était  M.  Cossira  qui  faisait  prévenir,  à 
cinq  heures,  l'administration,  qu'il  était  dans  l'impossibilité  de  chanter 
le  soir  et  qui  a  été  suppléé  par  M.  Affre  dans  le  rôle  d'Ascanio.  Gailhard, 
furieux,  et  qui  s'était  vu  sur  le  point  de  faire  relâche,  a  écrit  l'étonnante 
lettre  qui  suit  à  son  pensionnaire  : 

Paris,  le  13  juin  1890. 
Mon  cher  monsieur  Cossira, 
11  est  inadmissible  pour    un   théâtre   comme   l'Opéra   d'avoir   de    semblables 
alertes  1  Voilà  la  seconde  fois  que  vous  nous  mettez  dans  le  cas  de  faire  relâche 
en  nous  prévenant  de  vos  indispositions  à  la  dernière  heure. 

Je  vous  prie  donc,  à  l'avenir,  de  nous  faire  savoir  avant  onze  heures  si  vous 
n'êtes  pas  indisposé. 
J'ai  bien  l'honneur  de  vous  présenter  mes  salutations. 

P.  Gailiuiid. 


LE  MENESTREL 


491 


Cet  étrange  directeur  a  pourtant  été  chanteur,  et  il  lui  est  arrivé  plus 
d'une  fois  de  se  faire  remplacera  la  dernière  heure.  Mais,  devenu  l'associé 
de  M.  Ritt,  il  défend  aux  chanteurs  d'être  malades  après  onze  heures  du 
matin  :  il  ne  peut,  d'après  sa  lettre,  si  cet  ordre  n'est  pas  respecté,  et  si 
un  artiste  a  le  malheur  d'être  indisposé  après  midi,  assurer  le  service  des 
représentations  annoncées.  L'administration  de  i'Opéra,  quoique  recevant 
une  subvention  très  forte,  n'a  donc  pas  la  précaution  de  faire  apprendre 
les  rôles  en  double,  comme  son  devoir  l'y  oblige.  La  commission  du  bud- 
get fera  bien  de  lire  la  prose  de  M.  Gailhard.  M.  Cossira  a  répondu  à  son 

directeur  : 

Mon  cher  monsieur  Gailbard, 

Je  m'étonne  qu'ayant  été  artiste,  vous  osiez  aujourd'hui  me  tenir  de  semblables 
propos. 

Vous  seriez  bien  aimable  à  votre  tour  de  me  faire  savoir  toutes  les  nombreuses 
fois  que  vos  directeurs  ont  dû  pourvoir  à  votre  remplacement  par  suite  de  vos 
indispositions  pendant  votre  carrière  artistique. 

Vous  trouveriez  peut-être  alors  «  admissible  »  que  ce  ne  soit  que  la  deuxième 
fois  que  pareil  accident  m'arrive. 

Vous  êtes  directeur,  vous  défendez  votre  argent  ;  je  suis  artiste,  je  défends  mes 
intérêts  et  mon  avenir  comme  vous  le  faisiez  jadis. 

Quant  à  m'imposer  de  vous  avertir  à  onze  heures,  je  n'ai  autre  chose  à  vous 
répondre  que  ceci  :  «  Je  vous  avertirai  a  quand  »  je  me  sentirai  dans  l'impossi 
bilité  de  pouvoir  chanter. 

J'ai  l'honneur  de  vous  saluer.  Cossira. 

Paris,  ce  13  juin  1890. 

—  Aimable  entrefilet  du  journal  la  Justice  à  propos  de  l'Opéra:  «Etrange! 
On  signale  le  début  de  M'M  Fierens  à  l'Opéra  dans  la  Juive.  Contraire- 
ment à  ce  qu'on  était  en  droit  de  supposer,  M""  Fierens  est  une  canta- 
trice de  profession,  et  non  pas  simplement  la  locataire  d'un  fauteuil  d'am- 
phithéâtre cueillie  dans  la  salle  par  M.  Colleuille.  Non  moins  étrange  ! 
iime  Lureau-Escalaïs  a  profité  de  l'étonnement  général  pour  ne  chanter 
qu'un  seul  rôle.  Et  par  une  inexplicable  coïncidence,  il  se  trouve  que  ce 
rôle  est  précisément  de  son  emploi.  Mme  Bosman,  qui  à  titre  de  soprano, 
chante  naturellement  un  rôle  écrit  pour  contralto  dans  Ascanio,  s'est  mon- 
trée, dit-on,  fort  mécontente  qu'on  ne  l'eût  pas  essayée  dans  le  rôle  du  car- 
dinal. Que  l'excellente  artiste  veuille  bien  patienter  un  peu.  On  le  lui 
proposera  quelque  jour  «  pour  sauver  la  recette.  » 

—  Voici  tantôt  vingt  ans  que  l'on  s'escrime  de  toutes  parts  pour  amener 
la  reconstitution  de  l'ancien  Théâtre-Lyrique,  débouché  si  utile  pour  nos 
compositeurs  et  pour  l'expansion  de  l'art  français.  Jusqu'à  ce  jour  tous  les 
efforts  ont  été  vains,  malgré  l'ardeur  avec  laquelle  on  a  mené  le  combat, 
et  l'on  a  paru  chaque  fois  s'éloigner  plus  que  se  rapprocher  du  résultat.' 
Et  voici  qu'aujourd'hui,  tout  à  coup,  sans  crier  gare,  au  lieu  d'un  Théâtre- 
Lyrique  on  nous  en  offre  deux  !  Fasse  le  ciel  qu'au  moins  la  moitié  de  cet 
espoir  se  réalise;  nous  nous  tiendrons  pour  satisfaits.  Toujours  est-il  que, 
d'une  part,  on  annonce,  très  sérieusement  cette  fois,  la  prochaine  trans- 
formation de  la  salle  de  l'Eden  en  une  scène  lyrique,  dont  le  directeur 
ne  serait  autre  que  M.  Verdhurt,  l'ex-directeur  de  la  Monnaie  de  Bruxelles 
et  du  Théâtre  des  Arts  de  Rouen,  où  il  a  prouvé  le  souci  qu'il  avait  de 
l'art  français  et  son  désir  de  l'encourager  d'une  façon  efficace.  On  affirme 
que  non  seulement  M.  Verdhurt  se  serait  assuré  déjà  la  possession  de  la 
salle  de  l'Éden  transformé,  que  les  paroles,  sinon  les  signatures,  seraient 
échangées,  mais  que  M.  Verdhurt  aurait  déjà  conclu  des  engagements, 
entre  autres  ceux  de  MM.  Jehin  et  Gabriel  Marie  comme  chefs  d'orchestre, 
celui  de  MUc  Cécile  Mézeray,  et  qu'il  serait  en  pourparlers  très  sérieux 
avec  M.  Engel  et  Mm8  Renée  Richard.  M.  Verdhurt  songerait  à  monter 
Samson  et  Dalila,  de  M.  Saint-Saëns,  les  Troyens  et  la  Prise  de  Troie,  de  Berlioz, 
Gwendoline,  de  M.  Chabrier,  sans  compter  les  trois  ouvrages  inédits  qu'il 
a  produits  la  saison  dernière  à  Rouen:  le  Vénitien,  de  M.  Albert  Cahen, 
la  Coupe  et  les  Lèvres,  de  M.  G.  Canoby,  et  le  Printemps,  de  M.  Alexandre 
Georges.  —  Et  maintenant  —  ne  riez  pas  — voici  qu'il  est  question  d'une 
entreprise  nouvelle  et  quelque  peu  compliquée,  dans  laquelle  trouveraient 
place  à  la  fois  les  trois  personnalités  de  M.  Antoine,  directeur  du  Théâtre- 
Libre  (très  libre),  de  Mmc  la  comtesse  de  Greffûlhe,  initiatrice  de  la  So- 
ciété des  Grandes  Audition  Musicales  de  France,  et  M.  Charles  Lamou- 
reux,  fondateur  des  Nouveaux  Concerts.  On  sait  que  M.  Antoine  a  projeté 
la  construction,  dans  les  entours  de  l'Opéra,  d'un  théâtre  nouveau  des- 
tiné au  vrai  public,  et  dans  lequel  il  transporterait  celles  des  pièces  de 
son  Théâtre-Libre  que  celui-ci  se  montrerait  disposé  à  avaler.  Or,  s'il 
faut  en  croire  les  On-dit,  le  projet  que  M.  Antoine  avaitformé  seul  pren- 
drait corps  avec  l'appui  et  la  participation  de  M"10  de  Greffûlhe  et  de 
M.  Lamoureux,  ce  qui  donne  à  croire  que  nous  aurions  là  au  moins  la 
moitié  d'un  Théâtre-Lyrique.  Si  bien  que  dans  un  avenir  plus  ou  moins 
rapproché,  Paris,  qui  en  est  privé  depuis  si  longtemps,  se  trouverait  à  la 
tète,  sinon  de  deux,  au  moins  d'un  Théâtre-Lyrique  et  demi.  Ainsi  soit-il  ! 

—  Peut-être  aurons-nous  plus  tôt  que  nous  ne  le  pensions  la  solution  de 
la  question  de  l'Opéra-Comique.  Jeudi  en  effet,  au  conseil  du  cabinet 
présidé  par  M.  de  Freycinet,  M.  Bourgeois,  ministre  dos  Beaux-Arts,  a 
annoncé  qu'il  avait  reçu  la  visite  d'un  certain  nombre  de  commerçants 
du  quartier  Favart,  venus  pour  lui  demander  si  l'Opéra-Comique  serait 
reconstruit  ou  pas  !  Les  visiteurs  ont  insisté  pour  qu'une  décision  inter- 
vienne rapidement.  M.  Bourgeois  a  été  chargé  par  ses  collègues  de  se 
mettre  d'accord  avec  la  Commission  spéciale  de  la  Chambre  pour  obtenir 
la  mise  à  l'ordre  du  jour,  dans  un  délai  rapproché,  du  projet  du  gouverne- 
ment relatif  à  la  reconstruction. 


—  Depuis  mercredi  soir,  minuit,  jour  et  heure  auxquels  expirait  le 
délai  de  vingt-cinq  jours  qui  leur  était  accordé  pour  la  composition  de 
leur  cantate,  les  jeunes  logis'tes  du  concours  de  Rome  sont  rendus  à  la 
liberté.  Disons,  pour  être  exacts,  que  deux  d'entre  eux  seulement,  MM.  Car- 
raud  et  Bachelet,  ont  mis  leur  temps  à  profit  jusqu'à  la  dernière  minute. 
Leurs  trois  compagnons  de  captivité,  MM.  Lulz,  Silvère  et  Fournier,  plus 
expéditifs,  étaient  sortis  de  loge  le  samedi  soir  précédent.  Quelques  indis- 
crets de  la  première  heure,  jouant  les  bien  informés,  prétendent  que  le 
concours  sera  cette  fois  particulièrement  brillant,  ce  qu'il  n'est  guère 
possible  de  savoir  encore,  personne  ne  connaissant,  à  l'heure  présente, 
une  seule  note  des  cantates  écrites.  Faisons  remarquer  seulement  que, 
cette  année,  l'Académie  des  beaux-arts  peut  disposer  de  deux  premiers 
grands  prix,  par  cette  raison  qu'elle  n'en  a  point  décerné  l'an  passé.  Les 
candidats  se  sont  réunis  avant-hier,  au  Conservatoire,  pour  tirer  au 
sort  l'ordre  dans  lequel  leurs  cantates  devront  être  exécutées.  Voici  le 
résultat  de  cette  opération  :  1°  M.  Bachelet,  deuxième  grand  prix  en  1887, 
élève  de  M.  Guiraud.  Interprètes  :  Mlle  B.  de  Monlalant,  MM.  Auguez  et 
Imbart  de  la  Tour.  —  2°  M.  Lutz,  élève  de  M.  Guiraud.  Interprètes  : 
Mllc  Eames,  MM.  Plançon  et  Lafarge.  —  3°  M.  Silvère,  élève  de  M.  Massenet. 
Interprètes  :  Mms  Yveîing  RamBaud,  MM.  Clément  et  Fournets.  —  4° 
M.  Fournier,  élève  de  M.  Léo  Delibes.  Interprètes  :  Mme  Fierens,  MM.  En- 
gel  et  Dubulle.  —  5°  M.  Carraud,  élève  de  M.  Massenet.  Interprètes  : 
MM.  Cossira...  et  X...,  et  M""  X... 

—  Voici  l'ordre  dans  lequel  auront  lieu,  cette  année,  les  concours  du  Con- 
servatoire de  musique  : 

CONCOURS   A  HUIS   CLOS 

Lundi      30  juin  Harmonie  (Hommes). 

Mardi      1"  juillet  Solfège,  Instrumentistes. 

Mercredi  2  —           —                    — 

Jeudi       3  —  Solfège,  Chanteurs. 

Vendredi  4  —           —                — 

Samedi    5  —  Violon  (Classes  préparatoires). 

Lundi       1  —  Fugue. 

Mardi        8  —        Harmonie  (femmes). 

Mercredi  9  —  Piano  (Classes  préparatoires,  femmes). 

Jeudi        10  —       Piano  (Classes  préparatoires,  hommes). 

Vendredi  11  —       Orgue. 

Samedi    12  —       Accompagnement  au  piano. 

CONCOURS   PUBLICS 

Samedi     19  juillet  Contrebasse,  Violoncelle. 

Lundi        21  —  Chant  (hommes). 

Mardi        22  —  Chant  (femmes). 

Mercredi  23  —  Tragédie,  Comédie. 

Jeudi         24  —  Harpe,  Piano  (hommes). 

Vendredi  25  —  Piano  (femmes). 

Samedi      26  —  Opéra-Comique. 

Lundi       28  —  Violon. 

Mardi        29  —  Opéra. 

Mercredi  30  —  Instruments  à  vent. 

Le   musée   instrumental  du   Conservatoire  de  musique,  si  riche  en 

instruments  précieux  de  toutes  sortes,  manquait,  jusque  dans  ces  dernières 
années,  de  pièces  de  lutherie  de  hautes  marques.  Depuis  l'année  1887, 
cette  magnifique  collection  a  vu  enfin  ces  vides  regrettables  commencer 
à  se  remplir,  grâce  à  de  généreux  donateurs.  En  1887,  le  général  Daridoff 
laissait  par  testament,  au  musée  du  Conservatoire,  un  très  beau  violon 
de  Stradivarius  daté  de  1708.  En  1889,  Mm°s  Guesnet  et  Croué,  filles  de 
l'illustre  violoniste-compositeur  Alard,  donnaient  au  musée  le  magnifique 
violon  de  Guarnerius  dont  leur  père  se  servait.  Au  commencement  de  cette 
année,  le  musée  s'est  accru,  par  voie  d'acquisition,  d'une  pièce  de  luthe- 
rie qui  est  certainement  une  des  plus  rares  et  des  plus  artistiques  qu'on 
connaisse.  C'est  un  cistre,  sorte  d'instrument  à  cordes  pincées,  dont  la 
tète  et  le  manche  sont  couverts  de  sculptures  d'une  grande  perfection 
d'exécution.  Les  heureuses  proportions  de  l'instrument,  l'élégance  de  sa 
facture,  la  qualité  de  son  vernis,  le  désignent  comme  sortant  de  l'atelier 
de  Stradivarius.  L'étiquette  du  maître  y  est  apposée  et  datée  de  1700. 
Enfin,  un  nouveau  violon  de  Stradivarius  vient  d'entrer  au  musée  en 
vertu  du  legs  de  M.  le  marquis  de  Queux  Saint-Hilaire.  C'est  un  autre 
spécimen  de  la  facture  du  maître  italien.  Celui-ci  est  du  format  dit  longuet 
et  daté  de  1699.  Ce  violon  était  accompagné  d'un  alto,  de  deux  violons  de 
Vuillaume  et  de  plusieurs  archets  de  valeur.  Il  ne  manque  plus  mainte- 
nant au  musée  du  Conservatoire,  pour  compléter  la  trinité  des  grands 
luthiers  italiens,  qu'un  violon  d'Amati,  soit  de  Antoine  et  Jérôme,  soit 
de  Nicolas  Amati. 

—  L'assemblée  générale  annuelle  de  l'Association  des  artistes  drama- 
tiques aura  lieu  le  lundi  16  juin,  à  une  heure  et  demie  dans  la  grande 
salle  du  Conservatoire  de  musique  et  de  déclamation.  Ordre  du  jour: 
1»  lecture  du  rapport  des  travaux  de  l'exercice  1889-1890,  rédigé  et  lu  par 
M.  Eugène  Garraud,  secrétaire-rapporteur;  "2°  élection  du  président  et  de 
sept  membres  du  comité. 

—  Nous  allons  avoir  l'Hippodrome  musical!  Très  prochainement,  grande 
pantomime  de  Jeanne  d'Arc  avec  toute  une  partition  importante  de  M.  Ch.- 
M.  Widor,  écrite  largement  à  grandes  fresques,  comme  il  convient  pour 
ce  hall  immense  :  de  la  musique  à  cheval.  La  tentative  est  intéressante. 

—  Samedi  dernier  a  eu  lieu  le  dîner  annuel  des  membres  de  la  Société 
des  compositeurs  de  musique.  Cette  fois,  pour  se  conformer  à  la  mode  du 


'192 


LE  MÉNESTREL 


jour,  on  s'est  réuni  au  haut  de  la  tour  Eiffel,  rien  ne  donne  de  l'appétit 
comme  le  grand  air!  M.  Camille  Saint-Saèns  a  présidé  les  agapes,  et,  à 
nn  tnast  en  son  honneur,  il  a  répliqué  par  une  charmante  pièce  de  vers 
sur  la  musique.  Après  le  Champagne,  les  garçons  ont  apporté  un  piano; 
le  programme  a  été  court,  mais  d'une  gaieté  folle.  M.  Weckerlin  a  régalé 
ses  confrères  de  quelques  chansons  gauloises,  qu'on  a  fort  applaudies. 
Pour  terminer,  le  président  a  fredonné  un  bout  de  chanson  du  XVIIe  siècle 
trouvée  sur  une  assiette  du  temps. 

—  L'excellent  violoniste  Sarasate,  dont  nous  avons  annoncé  lo  retour  en 
Europe,  a  donné  son  premier  concert  à  Londres,  où  il  a  retrouvé  ses 
succès  ordinaires.  La  tournée  de  concerts  qu'il  vient  d'effectuer  en  Amé- 
rique :  Etats-Unis,  Californie,  Mexique,  comprenait  100  séances,  pour 
chacune  desquelles  il  recevait  3,000  francs,  tous  ses  frais  de  transport 
payés.  Le  pianiste  Eugène  d'Albert,  engagé  avec  lui,  avait  1,000  francs  par 
séance,  auxquels  il  faut  ajouter  une  somme  de  1S0,000 francs  (nous  disons: 
cent  cinquante  mille)  qui  lui  était  payée  par  la  maison  Steinway  pour  jouer 
exclusivement  ses  pianos.  M.  Sarasate  avait  emporté  là-bas  le  superbe 
violon  de  Stradivarius  acheté  récemment  par  lui,  au  prix  de  23,000  francs, 
à  MM.  Gand  etBernardel;  au  sujet  de  cet  instrument,  nous  lisons  dans 
une  lettre  adressée  ces  jours  derniers  par  lui  à  un  de  ses  amis  et  qu'on 
veut  bien  nous  communiquer  les  lignes  suivantes  :  «Un  certain  M.  John- 
son m'a  offert  à  New-York  100,000  francs  de  mon  nouveau  Stradivarius. 
C'est  un  gentleman  qui  a  300  millions  de  fortune  et  qui  a  la  manie  de 
toutes  sortes  de  choses  anciennes.  Je  lui  ai  répondu  que  je  n'achetais  pas 
pour  revendre,  et  je  l'ai  épaté  pour  la  vie.  Je  n'ai  pas  encore  joué  ce  violon 
en  public,  car  jusqu'à  maintenant  il  reste  assez  insensible  à  mes  caresses, 
et  fait  comme  les  femmes  qui  se  savent  trop  belles  :  il  se  laisse  adorer, 
et  ne  se  livre  pas.  En6n,  il  finira  peut-être  par  se  laisser  attendrir.  Dans 
tous  les  cas,  je  l'adore  pour  sa  beauté...  »  De  Londres,  M.  Sarasate  se 
rendra  en  Espagne,  où  il  est  attendu  dans  les  premiers  jours  de  juillet,  et 
il  viendra  à  Paris  au  mois  de  septembre. 

—  La  vente  du  violoncelle  de  Carlo  Bergonzi  appartenant  au  malheureux 
Fischer,  que  nous  avions  annoncée,  a  eu  lieu  cette  semaine.  L'instrument 
a  été  adjugé  pour  la  somme  de  4,500  francs,  à  M.  Cros-Saint-Ange. 
Fischer  l'avait  acheté  6,000  francs,  il  y  a  quelques  années,  dans  des  cir- 
constances assez  singulières.  Se  trouvant  en  Allemagne,  il  avait  été  invité 
à  se  faire  entendre  à  Eissen,  chez  M.  Krupp,  le  fameux  fondeur,  qui 
voulait  sans  doute  goûter  une  musique  moins  brutale  que  celle  de  ses 
fameux  canons.  Arrivé  à  la  gare,  Fischer  monta  dans  une  voiture  de 
M.  Krupp,  qui  l'attendait,  et  sur  laquelle  on  jucha  son  violoncelle,  un  bel 
instrument  italien  soigneusement  enfermé  dans  sa  caisse.  Mais  pendant 
le  trajet  un  accident  se  produisit  par  la  maladresse  du  cocher,  le  malheu- 
reux violoncelle  tomba  sur  la  route  et,  malgré  son  enveloppe,  fut  brisé  en 
mille  morceaux.  On  devine  le  désespoir  de  l'artiste.  Lorsque  M.  Krupp 
lut  informé  de  cet  accident,  il  dit  à  Fischer  que  la  maladresse  de  son 
serviteur  devait  être  réparée  par  lui,  qu'en  conséquence  il  le  priait 
d'acheter  un  autre  instrument  à  sa  convenance,  et  de  lui  envoyer  la  fac- 
ture du  luthier,  qu'il  acquitterait  lui-même.  Ce  fut  alors  que  Fischer,  de 
retour  à  Paris,  ht,  aux  frais  de  M.  Krupp,  l'acquisition  du  violoncelle  de 
Bergonzi  qui  vient- de  passer  aux  mains  de  M.  Cros-Saint-Ange.  Quant 
au  bel  archet  de  Tourte  qui  accompagnait  le  violoncelle  et  qui  était  vendu 
en  même  temps  que  lui,  il  a  été  acquis  pour  300  francs  par  M.  Delsart, 
l'excellent  professeur  du  Conservatoire. 

—  Une  ode  musicale  inspirée  par  la  théorie  de  l'inoculation  rabique. 
Les  journaux  quotidiens  anglais  annoncent  qu'une  députation  aristocra- 
tique va  quitter  Londres  pour  se  rendre  auprès  de  M.  Pasteur  et  lui  re- 
mettre un  album  photographique  d'honneur.  Ce  présent  .sera  accompagné 
d'un  autre  témoignage  d'admiration,  sous  la  forme  d'une  ode,  composée  spé- 
cialement par  lady  Thompson  sur  des  paroles  de  lady  Paget.  C'est  à 
miss  Paget  qu'est  réservé  l'honneur  de  chanter  cette  composition  devant 
l'illustre  savant. 

—  Nous  lisons  dans  VAllgemeinc  Musikzeilung  que  la  Société  de  la  Croix- 
Rouge  à  Bruxelles,  organise  un  grand  concert  franco-allemand,  auquel 
prendront  part  la  musique  du  régiment  d'artillerie  en  garnison  à  Lille  et 
celle  du  16e  régiment  d'infanterie  prussienne  qui  a  ses  quartiers  à  Cologne. 
On  prépare  aux  deux  corps  de  musique  des  réceptions  splendides. 

—  Un  journal  étranger  signale  l'année  prochaine,  1891,  comme  amenant 
les  anniversaires  de  quatre  grands  musiciens  :  ceux  de  la  naissance 
d'IIerold  (28  janvier),  de  Charles  Czerny  (21  février),  et  de  Meyerbeer 
(o  septembre),  et  celui  de  la  naissance  de  Mozart  (o  décembre).  A'propos 
de  ce  dernier,  qu'on  se  propose  fort  justement  de  célébrer  en  Allemagne, 
il  paraît  qu'un  certain  compositeur  nommé  Cari  Goepfart,  de  Bade,  élève 
de  Liszt, est  en  train  d'écrire  un  grand  opéra  intitulé  Sarastro,  sur  un  livret 
en  trois  actes  de  M.  Gottfried  Stommel,  qui  ne  serait  autre  chose  qu'une 
suite  à  la  Flûte  enchantée  !  Broie  d'idée. 

—  Soirée  fort  intéressante  jeudi  dernier,  à  la  salle  Kriegelstein,  où 
M°>°  Pauline Thys  donnait  une  audition  très  brillante  et  très  soignée  d'une 
tragédie  lyrique  en  cinq  actes  et  six  tableaux,  Judith,  dont  elle  a,  selon  sa 
coutume,  écrit  tout  ensemble  le  poème  et  la  musique.  L'orchestre  étant 
remplacé  par  un  piano,  et  les  chœurs  comprenant  seuhment  douze  voix, 


on  comprend  que  l'exécution  n'a  pas  été  absolument  intégrale,  et  qu'il  en 
a  fallu  retrancher  quelques  morceaux  et  quelques  fragments.  La  partition 
s'est  développée  pourtant  dans  ses  parties  essentielles,  et  de  façon  à 
donner  aux  auditeurs  une  impression  assez  exacte  de  la  valeur  de 
l'œuvre,  qui  a  été  accueillie  par  eux  avec  une  sympathie  légitime  et 
marquée.  Il  y  a  là,  de  la  part  du  compositeur,  un  effort  vraiment 
intéressant,  souvent  heureux,  et  qui  ne  peut  que  lui  mériter  des  encou- 
ragements. Nous  ne  saurions  dire,  dans  les  conditions  où  elle  se  pro- 
duisait, si  l'œuvre  nouvelle  de  Mme  Pauline  Thys  est  véritablement  ori- 
ginale, mais  à  coup  sûr  elle  contient  des  pages  dignes  d'attention,  des 
morceaux  bien  écrits,  d'un  bon  sentiment  scénique  et  d'un  effet  certain. 
Nous  avons  surtout  remarqué  toute  l'introduction  très  importante  du  pre- 
mier acte,  la  scène  de  Judith,  le  grand  récit  de  Nathaniel  et  le  sextuor 
du  serment,  au  second,  l'élégie  de  Judith,  au  troisième,  son  duo  avec 
Nathaniel  et  la  scène  d'Holopherne  accompagnée  par  le  chœur,  au  qua- 
trième enfin,  la  grande  scène  de  Judith  et  d'Holopherne.  L'espace  nous 
manque  pour  entrer  danè  plus  de  détails.  Constatons  seulemeut  que  les 
rôles  de  Judith  et  de  Nathaniel  étaient  admirablement  tenus  par  la  belle 
et  pathétique  Mm0  Montalba,  que  l'Opéra  n'a  pas  encore  remplacée  et  qu'il 
devrait  bien  rappeler  à  lui,  et  par  M.  Talazac,  mieux  en  voix  que  jamais, 
et  que  ces  deux  excellents  artistes  se  sont  surpassés.  MM.  Martapoura  et 
Duhulle  ont  produit  aussi  un  très  grand  effet  dans  les  personnages  d'Ho- 
lopherne et  du  grand  prêtre  Eliachim,  et  les  autres  rôles  étaient  remplis 
avec  beaucoup  de  soin  par  MM.  Piroïa,  Gallois,  Lambert  et  Palianti.  Un 
grand  succès  était  réservé  à  M.  Berthelier,  qui  a  exécuté  le  solo  de  violon 
du  prélude  du  deuxième  acte.  L'exécution  était  dirigée  par  M.  Vianesi, 
chef  d'orchestre  de  l'Opéra,  tandis  qu'au  piano  se  tenait  M.  Maton,  le 
maître  accompagnateur  par  excellence.  A.  P. 

—  M1Ie  Moore  est  actuellement  à  Paris,  retour  d'Amérique,  où  elle  a 
obtenu  de  grands  succès,  notamment,  en  ces  derniers  temps,  à  New-York 
et  à  Philadelphie,  où  elle  a  joué  le  nouvel  opéra  de  M.  Sullivan,  les  Gondoliers 
de  Gilberte.  Nous  avons  eu  le  plaisir  d'entendre  cette  charmante  artiste, 
dont  la  voix  nous  a  paru  plus  jolie  que  jamais.  Mlle  Moore  compte  retour- 
ner, dès  le  mois  prochain,  au  pays  des  dollars.  Nous  voudrions,  pour 
notre  part,  qu'un  directeur  parisien  sût  mettre  obstacle  à  ce  projet. 

—  On  a  exécuté  récemment  à  l'église  Saint-Pierre,  à  Dijon,  une  messe 
à  deux  voix  égales  avec  accompagnement  d'orgue,  de  M.  Gihaux-Batt- 
inann,  qui  a  été  accueillie  avec  beaucoup  de  faveur,  et  dont  on  doit  don- 
ner prochainement  une  seconde  audition,  cette  fois  avec  orchestre.  L'auteur 
de  cette  composition  importante,  M.  Gibaux-Battmann,  est  un  tout  jeune 
homme,  petit-fils  d'un  artiste  distingué  mort  il  y  a  deux  ans,  J.-L.  Batt- 
mann,  qui  se  fit  connaître  par  un  granl  nombre  de  compositions  religieuses 
et  de  publications  didactiques  pour  l'harmonium  et  pour  le  piano. 

—  Vendredi  6  courant,  a  eu  lieu,  à  Notre-Dame  de  Paris,  la  séance 
d'expertise  et  d'audition  de  l'orgue  de  chœur  transformé  en  orgue  élec- 
trique par  la  maison  Merklin  et  C'e.  Les  essais  de  cet  orgue  électrique 
ont  été  faits  par  MM.  César  Franck,  Dallier,  Sergent  et  l'abbé  Geispitz, 
en  présence  de  la  commission  d'expertise  et  d'un  grand  nombre  de  mu- 
siciens. 

NÉCROLOGIE 

Nous  avons  conduit  l'autre  jour  au  cimetière  une  artiste  distinguée, 
Mme  Tardieu  de  Malleville,  dont  le  Ménestrel  a  déjà  fait  connaître  la  mort. 
Le  mot  de  distinction  est  celui  qui  convenait  le  mieux  au  talent  comme 
à  la  physionomie  et  à  toute  la  personne,  à  l'esprit  et  au  cœur  de 
M"10  Tardieu.  Plus  encore  que  pianiste,  elle  était  musicienne;  elle  avait 
le  sentiment  intime  des  maîtres  intimes;  elle  ne  jouait  pas  seulement 
avec  ses  doigts,  mais  avec  son  âme,  et  son  âme  était  charmante.  Elle 
avait  vu  se  transformer,  avec  la  technique,  l'esthétique  elle-même  du 
piano  et,  de  cet  instrument  qu'elle  avait  connu,  qu'elle  avait  aimé  plus 
discret  et  plus  modeste,  peut-être  réprouvait-elle  tout  bas  les  excès  un 
peu  tapageurs  et  la  trop  bruyante  popularité.  Nous  étions  un  enfant 
quand  nous  avons  connu  M",B  Tardieu.  Elle  avait  été  le  premier  maître 
do  celle  qui  fut  notre  premier  maître  à  nous.  C'est  donc  presque  un  de 
ses  élèves  qui  lui  donne  ce  souvenir  d'affection  et  do  reconnaissance. 
Nous  l'écoutions  jadis,  il  y  a  déjà  plus  de  vingt  ans.  Nous  lui  devons 
quelques-unes  de  nos  premières  impressions  musicales,  et  c'est  un  peu 
par  idle  que  nous  avons  aimé  d'abord  les  œuvres  les  plus  pures,  les 
plus  saines,  celles  qu'il  faut  souhaiter  de  toujours  aimer  le  mieux. 

Camille  Bellaigue. 

—  Un  excellent  artiste,  aussi  modeste  qu'il  était  vraiment  distingué, 
M.  Pierre  Adam,  ex-alto  solo  de  l'Opéra  et  de  la  Société  des  concerts  du 
Conservatoire,  est  mort  cette  semaine  à  Pari  s  à  l'âge  de  70  ans.  M.  Pierre 
Adam,  bien  connu  et  fort  estimé  dans  le  monde  musical  parisien,  était 
professeur  à  l'Institut  national  dos  Jeunes  Aveugles,  et  il  avait  tenu  jadis 
la  partie  d'alto  dans  la  société  de  musique  de  chambre  que  M.  Lamou- 
reux  fondait,  il  y  a  quelque  trento  ans,  avec  son  concours,  et  celui  de 
MM.  Colonne  et  Rignault. 


Heniu  Heugel.  directeur-géiant. 


i    1IM     1IH-,     1,|       t 


—  [MPHI  UElUE  i 


Dimanche  22  Juin  1890. 


3090  —  56™  ME  —  N°  25.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M   Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 
Un  on  Texte  seul  ■  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province, 
•ment  commet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Etranger,   les  frais  de  poste  en  su». 


Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musiqu 


SOMMAIRE -TEXTE 

il.  Notes  d'un  librettiste  :  Georges  Bizet  (6°  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Semaine 
théâtrale.-  le  Cercle  funambulesque,  Arthur  Pougin;  reprises  de  la  Fille  de  Ro- 
land, à  la  Comédie-Française,  et  de  la  Fille  de  l'air,  aux  Folies-Dramatiques, 
Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Le  théâtre  à  l'Exposition  (26e  article),  Arthur 
Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

DANSONS    LA    TARENTELLE 

•de  A.  Trojelli.  —  Suivra  immédiatement:  Un  Sourire,  de  Ed.  Chavagnat. 

CHANT 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant:  Crépuscule,  nouvelle  mélodie  de  Darjsston,  poésie  de  Rosemoxde 
Gérard.  —  Suivra  immédiatement:  les  Pommiers,  nouvelle  mélodie  d'ÉMiLE 
Bourgeois,  poésie  de  F.  Couturier. 


NOTES   D'UN    LIBRETTISTE 


GEORGES  BIZET 


Les  inquiétudes  de  la  première  soirée  n'étaient  pas  pour 

altérer  la  bonne  humeur  de  Bizet. 

Voici  en   quels   termes,  à  propos 

de   ces   menus  cadeaux 

envoyés  aux  artistes,  il  me  rendait  ses  comptes  : 

»  J'ai  fait  nos  comptes. 

»  "Voici   : 

- 

Eventail 

70  fr. 

Couteau 

20  fr. 

Porte-cigares 

9  fr. 

5  cigares  à  0  fr.  60 

3fr. 

102  fr. 

»  (J'ai  fumé  le  sixième  et  j'ai  l'extrême  délicatesse  de  ne 
pas  -vous  le  faire  payer.) 

y>  J'ai  versé  32  francs,  je  vous  dois  donc  19  francs  que  je 
me  sens  disposé  à  vous   rembourser  lundi. 

»  Autre  chose.  Le  chef  de  claque  est  venu  me  raser  pour 
ses  émoluments.  De  Leuven,  que  j'ai  consulté,  m'a  encao-é 
à  donner  50  francs  à  la  première  et  50  francs  à  la  vingtième. 
Je  me  charge  des  50  de  la  première  ;  si  nous  allons  à  20 
•vous  casquerez  à  votre  tour.  J'avais  pensé  à  une  combinaison 
pour  l'affaire  Paul  de  Musset  :  qu'il  paie  les  machinistes  et 
la  claque  et  nous  lui  permettrons  de  toucher  à  partir  de  la 
100e  représentation.  Qu'en  pensez-vous?» 


Et  voilà  à  quelles  prodigalités  entraînaient,  en  l'an  1872, 
la  représentation  d'un  opéra  en  un  acte  ! 

■  Cette  «  affaire  Paul  de  Musset,  »  à  laquelle  Bizet  faisait 
allusion,  était  née  de  la  modification  du  titre  de  notre  petit 
ouvrage.  Les  journaux  avaient  annoncé  Namouna,  puis 
Djamikh.  Dans  tout  cela,  nous  avions  eu  ou  plutôt,  car  cela 
me  regardait  seul,  j'avais  eu  le  tort  de  ne  pas  me  soucier  de 
la  famille  du  poète.  Paul  de  Musset  réclama  à  la  Société  des 
auteurs,  et  mon  insouciance  amena  une  discussion  dans 
laquelle  les  membres  du  Comité  se  partagèrent  en  deux 
partis,  l'un  soutenant  que  nous  devions  des  droits  d'auteur 
à  Musset,  l'autre  que  nous  n'en  devions  point,  en  vertu  du 
mot  bien  connu  du  poème  : 

J'ai  dit  que  l'histoire  existait.  La  voilà  : 

Puisqu'en  son  temps  et  lieu  je  n'ai  pas  pu  l'écrire, 

Je  vais  la  raconter,  l'écrive   qui  voudra  ! 

L'argument  était  gracieux,  mais  il  faut  bien  avouer  qu'il 
était  faible. 

Ce  léger  débat  ne  pouvait  avoir  qu'une  solution  amiable. 
Il  l'eut.  Je  fis  à  Paul  de  Musset  l'aveu  d'une  légèreté  qu'il 
voulut  bien  excuser,  dans  les  termes  très  courtois  que 
voici  : 

«  Les  explications  que  vous  me  donnez  sont  satisfaisantes  ; 
je  regrette  seulement  qu'en  me  les  donnant  après  la  repré- 
sentation de  la  pièce,  vous  m'ayez  privé  du  plaisir  de  vous 
donner  une  autorisation  dont  je  me  féliciterais  à  présent..... 
Quant  à  la  question  des  droits  d'auteur,  je  désire  qu'elle 
reste  au  point  où  elle  en  est.   » 

A  la  suite  de  cette  lettre  qui  mettait  fin  au  débat  à  peine 
engagé,  un  long  entretien  avec  Paul  de  Musset  me  donna  la 
vive  satisfaction  de  trouver  en  lui  un  homme  très  heureux 
de  cette  modeste  adaptation  du  poème  de  son  illustre 
frère  et  disposé  à  encourager  un  nouveau  travail  de  même 
nature. 

On  a,  avant  et  depuis  ce  temps,  puisé,  toujours  discrète- 
ment, dans  le  riche  fonds  d'Alfred  de  Musset.  A  cette  même 
époque,  G.  Canoby  avait  déjà  écrit  une  partition  sur  la  Coupe 
et  les  Lèvres,  Offenhach  en  allait  écrire  une  sur  Fantasio.  En 
dehors  de  ces  deux  œuvres,  il  n'a  pas,  je  crois,  été  fait 
d'autre  emprunt  à  Musset  que  celui  de  cette  Carmosine  du 
très  fin  et  très  délicat  compositeur  Ferdinand  Poise,  que 
prépare  avec  un  soin  patient  la  direction  de  l'Opéra-Comique. 

De  Djamileh  devaient  dater  entre  G.  Bizet  et  moi  une 
amitié  plus  étroite  et  une  communion  d'idées  plus  constante. 

Des  projets  de  travail  commençaient  à  s'ébaucher.  On  re- 
muait des  sujets,  on  les  passait  au  crible,  on  les  abandonnait. 


4  94 


LE  MÉNESTREL 


Cela  fournissait  la  matière  de  longues  causeries,  où  se  révé- 
laient la  préoccupation  constante  du  compositeur  de  chercher 
une  formule  neuve,  de  faire  faire  à  la  musique  dramatique 
un  pas  en  avant,  et  aussi  cette  crainte  perpétuelle  de  ne  pas 
recueillir  le  fruit  de  longs  et  patients  efforts. 

—  Voyez-vous,  disait-il  avec  la  mélancolie  presciente  d'un 
homme  qui  ne  doit  point  voir  le  triomphe  définitif  de  son 
œuvre,  on  a  beau  se  dépenser,  faire  de  son  mieux;  pour 
réussir  aujourd'hui,  il  faut  être  mort...  ou  Allemand. 

Puis  une  blague  parisienne  éclatait  sur  ses  lèvres  ironiques, 
effaçant  l'impression  amère  de  cette  parole  sortie  du  fin  fond 
du  cœur  de  l'homme  ayant  déjà  souffert  de  la  vie  et  noble- 
ment jaloux  de  la  consécration  définitive  de  son  talent. 

De  tous  ces  projets,  deux  seulement  devaient  se  réaliser, 
dont  l'exécution  fut  heureusement  traversée  par  cette  Car- 
men, qui  a  porté  dans  le  monde  entier  le  nom  glorieux  de 
Bizet  et  dont  les  commencements  furent  pourtant  si  dif- 
ficiles. 

Aujourd'hui,  Carmen  est  classée  dans  la  catégorie  des  chefs- 
d'œuvre. 

Chef-d'œuvre  !  —  «  Un  enfant  qu'on  ne  baptise  générale- 
ment qu'après  la  mort  de  son  père  »,  selon  un  mot  d'humo- 
riste recueilli  par  le  Figaro  et  qui  ne  saurait  être  mieux 
appliqué. 

Cet  ouvrage  n'alla  pas  d'abord  sans  quelque  contretemps. 
On  devait  le  jouer  à  terme  fixe  ;  puis  le  vent  sautait,  il  fal- 
lait accepter  des  délais  indéterminés  et  peut-être  intermi- 
nables. Avec  une  philosophie  rare,  le  compositeur  remisait 
la  partition  commencée  et  se  rejetait  sur  un  autre  aliment. 
«  Carmen  est  remise,  m'écrivait-il;  j'ai  deux  mois  inoccupés, 
je  vous  attends.  » 

Et  on  travaillait  avec  cette  foi  aveugle  que  seule  donne  la 
jeunesse  et  qui  prépare  tant  de  mécomptes. 

Un  des  biographes  de  Georges  Bizet,  M.  Charles  Pigot, 
raconte  qu'après  les  Pêcheurs  de  perles,  Bizet,  vivement  épris  du' 
style  dramatique  de  Verdi,  travaillait  sous  cette  impression 
à  un  grand  opéra  en  cinq  actes,  Ivan  le  Terrible.  Il  ajoute 
que  la  partition  d'Ivan,  terminée,  orchestrée,  fut  présentée  et 
reçue  au  Théâtre-Lyrique,  mais  que  Bizet,  reconnaissant  bien 
vite  l'erreur  qui  l'avait  fait  se  mettre  à  la  remorque  du  com- 
positeur italien,  retira  sa  partition,  qu'il  brûla  quelques 
années  plus  tard.  «  Ceci,  conclut  le  biographe,  se  passait 
en  1865.  » 

J'ai  lieu  de  croire  que  la  légende  entre  pour  une  forte 
part  dans  cette  histoire.  M.  Charles  Pigot  m'attribue,  en  effet 
en  collaboration  avec  Edouard  Blau,  la  paternité  du  poème 
d'Ivan  le  Terrible.  Je  ne  sais  si  Georges  Bizet  a  jamais  fini  cet 
ouvrage  dont  je  me  rappelle  vaguement  lui  avoir  entendu 
parler.  Ce  qui  est  bien  certain,  c'est  que  ni  moi,  ni  Edouard 
Blau,  n'en  avons  jamais  écrit  un  mot  et  qu'on  nous  a  gratui- 
tement attribué  l'œuvre  d'un  autre.  En  1865  d'ailleurs  ie 
ne  connaissais  Bizet  que  pour  l'avoir  vu  un  instant,  comme 
je  l'ai  raconté,  sur  la  scène  du  Théàtre-Lvrique,  à  la  fin  de 
la  première  représentation  des  Pêcheurs  de  perles 

Voilà  un  erratum  que  pourra  utiliser  pour  une  nouvelle 
édition  de  son  livre  l'auteur  de  l'ouvrage,  très  intéressant 
d  ailleurs,  que  je  viens  de  citer. 

Au  cours  de  ces  causeries  communément  consacrées  aux 
choses  de  1  art  musical  ou  de  la  petite  chronique  parisienne, 
nous  parlions  quelquefois  de  cette  guerre  de  ce  doublé 
siège  de  Paris,  dont,  à  chaque  pas,  les  trac  s  demeuraien 
encore  autour  de  nous,  bien  plus  profondes,  bien  p?„.  w 
vantes  que  celles  que  notre  promenade  le  long  des  rives  de 
la  Seine  nous  avait  naguère  montrées 

J'avais  lu  alors  dans  les  yeux  humides  de  Bizet  une 
émotion  profonde,  que  dissimulaient  mal  sa  parole  sifflante 
et  son  sourire  sceptique. 


Et  quand,  de  nouveau,  nous  causions  de  ces  événements 
et  qu'il  les  évoquait  seulement  pour  me  raconter  quelque 
histoire  plaisante  de  garde  national  au  rempart,  je  ne  pou- 
vais m' empêcher  de  chercher,  sous  ces  dehors  d'insouciance 
railleuse,  l'impression  réelle  de  cette  âme  que  je  sentais  si 
délicate  et  si  tendre. 

Ce  n'est  que  bien  des  années  après,  en  me  rappelant  ces 
fugitives  et  légères  causeries,  que,  tourmenté  du  désir  de 
descendre  dans  l'intimité  des  impressions  du  compositeur 
pendant  cette  douloureuse  période  de  1870-71,  je  suis  allé 
frapper  à  la  porte  d'Ernest  Guiraud,  qui  a  ouvert  devant 
moi,  en  me  permettant  d'y  puiser,  un  paquet  de  lettres  de 
son  ami. 

C'est  dans  ces  lettres  que  j'ai  enfin  trouvé  tout  entier 
G.  Bizet,  avec  cette  âme  ardente  de  patriote  que  je  devinais 
et  dont,  par  une  sorte  d'enfantin  respect  humain,  il  sem- 
blait vouloir  sans  cesse  dissimuler  les  émotions. 


Le  8  août  1870,  il  écrivait  de  la  campagne,  de  Barbizon  : 
«  Hier,  anxieux,  désespérés,  ne  pouvant  tolérer  plus  long- 
temps cet  atroce  état  d'indécision,  nous  sommes  allés  à  pied 
à  Fontainebleau  et  là,  à  la  mairie,  nous  avons  lu  la  poignée 
de  dépêches  que  le  Gaulois  publie  aujourd'hui.  Ainsi,  à  trois 
reprises  différentes,  nos  soldats  ont  combattu  un  contre  dix, 
un  contre  cinq,  un  contre  trois!  Ainsi,  l'armée  prussienne 
manœuvre  tranquillement,  sachant  à  merveille  où  sont  nos 
différents  corps  d'armée,  les  bat,  à  son  aise  successivement,, 
et  nos  généraux  ne  savent  rien.  L'empereur  disait  hier  :  «  Je 
»  ne  sais  plus  où  est  Mac-Mahon.  »  C'est  navrant!...  La  Lor- 
raine envahie;  une  bataille  imminente  entre  Metz  et  Nancy, 
et  si  nous  la  perdons!...  Certes,  je  ne  suis  pas  chauvin,  tu 
le  sais;  mais  j'ai  le  cœur  serré  et  les  larmes  aux  yeux  de- 
puis hier!...  Pauvre  pays!...  Pauvre  armée!  Gouvernés  et 
dirigés  par  une  incapacité  désormais  notoire!  Ce  n'est  pas  le 
moment  de  récriminer,  mais  Voncle  au  moins  savait  où  trou- 
ver l'ennemi.  Est-ce  que  la  campagne  de  Sadowa  va  recom- 
mencer?... Je  ne  sais  pas  du  tout,  mais  pas  du  tout  ce  que 
nous  deviendrons.  Mais  ceci  n'est  actuellement  qu'une  ques- 
tion accessoire.  Pourquoi  laisser  des  soldats  dans  l'intérieur?... 
Pourquoi  ne  sommes-nous  pas  tous  employés  à  la  défense 
de  nos  cités?  A-t-il  peur  d'armer  la  nation?  Aujourd'hui,, 
sans  aucun  doute,  se  décide  une  grande  question:  l'invasion 
avec  tous  ses  dangers,  toutes  ses  horreurs!  Inutile  de  te  dire 
que  depuis  trois  jours  je  n'ai  pas  même  essayé  de  tracer  ' 
une  note  !  Si  nous  perdons  la  grande  bataille,  je  ne  sais 
trop  si  je  ne  ferai  pas  mieux  de  rentrer  à  Paris...  J'envoie 
à  Fontainebleau,  où  les  nouvelles  arrivent  incessamment.  Je 
pense  que  ces  messieurs  vont  changer  de  note  et  faire  affi- 
cher les  dépèches  à  Paris...  Espérons!...  Ce  soir,  nous  serons- 
peut-être  fort  à  plaindre.  » 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


LE  CERCLE  FUNAMBULESQUE 
Ce  n'est  pas  un  succès,  c'est  un  véritable  petit  triomphe,  que  le- 
Cercle  funambulesque  vient  de  remporter  avec  la  représentation 
donnée  par  lui,  le  14  juin,  dans  la  salle  des  Bouffes-Parisiens.  Ceux 
d'entre  nous,  les  ouvriers  de  la  première  heure,  qui  depuis  deux 
ans  ont  contribué  do  tous  leurs  efforts,  avec  leur  excellent  prési- 
dent, M.  Félix  Larcher,  à  la  fondation  et  à  l'administration  du 
Cercle,  ont  la  satisfaction  de  pouvoir  se  dire  aujourd'hui  qu'ils 
n'ont  pas  perdu  leur  temps.  Us  ont  remis  en  lumière  une  forme 
d'art  toute  spéciale,  toujours  aimable,  parfois  exquise,  et  depuis 
trop  longtemps  oubliée,  ils  ont  fait  revivre  ce  spectacle  charmant 
de  la  pantomime,  dont  la  génération  actuelle  ne  connaissait  ni  la 
finesse  ni  la  séduction,  et  grâce  au  concours  dévoué,  ardent,  dé- 
sintéressé, d'artistes  do  premier  ordre,  qui  ont  compris  tout  l'inté- 
rêt que  présentait  un  tel  essai  et  qui  n'ont  pas  dédaigné  d'y  prendre 


LE  MENESTREL 


195 


part,  grâce  à  la  collaboration  d'écrivains  et  de  musiciens  fort  dis-     i 
tingués,   ils  ont  obtenu  enfin  un  résultat  qui  non  seulement    a   at- 
teint, mais  dépassé  toutes  les  espérances  qu'ils  avaient  pu  concevoir. 

Les  voici  maintenant  ressuscites,  tous  ces  aimables  types  de 
l'ancienne  comédie  italienne  qui  s'étaient  réfugiés  dans  la  panto- 
mime, Arlequin  et  Isabelle,  Pierrot  et  Colombine,  et  Léandre,  et 
Polichinelle,  les  voici  de  nouveau  sous  nos  yeux,  bien  vivants, 
bien  portants,  bien  plaisants,  avec  leur  gaîté  communicative,  leur 
fantaisie  charmante,  leur  grâce  aimable,  jusqu'à  un  petit  fonds  de 
philosophie  comique  et  particulière,  et  chacun  est  à  même  de  voir 
le  parti  qu'on  en  peut  tirer.  On  se  presse  aujourd'hui  pour  les 
contempler,  leur  présence  est  une  véritable  fête,  et  de  toutes  parts 
on  exprime  le  regret  qu'un  tel  spectacle  soit  si  rare,  qu'il  soit 
réservé  aux  seuls  membres  d'une  petite  société  artistique,  et  que 
le  grand  public  ne  soit  pas  appelé  à  en  profiter  et  à  prendre  sa 
part  du  plaisir  qu'il  procure.  Eh  bien,  que  voulions-nous?  donner 
la  sensation  d'une  jouissance  artistique  presque  inconnue  de  tous, 
imprimer  le  désir  de  la  voir  se  répandre  de  tous  côtés,  faire  revivre 
un  art  en  quelque  sorte  disparu  et  prouver  enfin  que  cet  art,  avec 
sa  forme  originale,  a  sa  raison  d'être  et  sa  nécessité.  C'est  fait,  et 
le  but  est  atteint.  Il  ne  reste  qu'à  poursuivre  (1). 

Voici  le  programme  de  la  dernière  représentation  du  Cercle 
funambulesque  :  1°  Au  public,  à-propos  en  vers  de  M.  Henri  Remond; 
2°  Saint  Pierrot,  pantomime  en  un  acte,  de  M.  Pernand  Beissier, 
musique  de  M.  Pragerolle  ;  3°  Pierrot  puni,  opéra-comique  de 
MM.  Semiane  et  A.  Gères,  musique  de  M.  Henri  Cieutat  ;  4°  les 
Noces  de  Pierrot,  pantomime  en  un  acte,  de  M.  F.  Beissier,  musique 
de  M.  de  Kervéguen;  S0  l'Enfant  prodigue,  pantomime  en  trois 
tableaux,  de  M.  Michel  Carré,  musique  de  M.  André  Wormser. 

Saint  Pierrot  est  un  petit  bijou,  qu'ont  joué  adorablement  Mlle 
Luclwig  et  M.  Berr,  de  la  Comédie-Française.  L'esprit  troublé  par 
la  vue  continuelle  d'un  portrait  de  saint  Antoine,  Pierrot  a  résolu 
de  mener  désormais  une  vie  ascétique  et  exemplaire.  Il  mortifiera 
sa  chair,  il  se  privera  de  toute  espèce  de  jouissance  matérielle,  il 
gagnera  le  ciel  enfin  par  une  conduite  digne  du  saint  homme 
qu'il  a  pris  pour  modèle.  Cela  ne  fait  pas  l'affaire  de  Pierrette,  sa 
femme,  avec  qui  il  veut  rompre  toute  espèce  de  relations  intimes, 
et  qui,  elle,  n'est  point  en  veine  de  sacrifice  et  de  mortification. 
Elle  fait  tous  ses  efforts,  mais  inutilement,  pour  le  ramener  à  des 
sentiments  plus  humains.  Voyant  que  ses  câlineries  et  ses  gentillesses 
sont  en  pure  perte,  elle  emploie  le  grand  moyen,  elle  prendra 
Pierrot  par  son  côté  faible  —  la  gourmandise.  Selon  son  désir,  elle 
lui  sert  sur  une  petite  table  un  repas  éminemment  frugal,  composé 
d'un  petit  pain  et  d'un  verre  d'eau.  Pierrot  fait  une  trempette  qui 
amène  sur  ses  lèvres  une  grimace  significative,  grimace  qu'il 
réprime  aussitôt,  décidé  qu'il  est  à  gagner  le  ciel.  Mais  Pierrette 
s'est  installée,  du  côté  opposé  de  la  chambre,  devant  une  autre 
table  chargé  d'un  petit  repas  succulent,  dont  le  fumet  fait  aussitôt 
gonfler  les  narines  de  son  époux.  On  devine  ce  qui  s'ensuit  :  le 
combat  intérieur  de  Pierrot,  ses  concessions  successives  envers 
lui-même,  et  finalement  sa  déroute  complète.  Il  répudiera  l'héritage 
de  saint  Antoine,  deviendra  un  époux  modèle  et  restera  le  gour- 
mand qu'il  a  toujours  été.  Ce  petit  acte  charmant,  plein  de 
détails  exquis  et  joué  d'une  façon  merveilleuse,  a  littéralement 
enchanté  le  public. 

Je  n'en  dirai  pas  autant  du  vaudeville  à  couplets  intitulé  Pierrot 
puni.  Cola  est  un  peu  enfantin,  sans  prétention  d'ailleurs,  et  cela 
n'a  guère  valu  que  par  la  grâce  coquette  de  Mlle  Lardinois  et  la  jolie 
voix  de  M.  Ghasne.  Les  Noces  de  Pierrot  ont  laissé  aussi  les  specta- 
teurs un  peu  froids,  malgré  le  jeu  toujours  intelligent  et  fin  de 
MUe  Invernizzi  et  les  petites  mines  de  Mmo  Théo.  Mais  de  l'Enfant 
prodigue,  qui  terminait  la  soirée,  on  peut  dire  que  c'est  un  petit  chef- 
d'œuvre  en  son  genre,  et  que  ce  petit  chef-d'œuvre  a  été  joué  d'une 
façon  admirable.  — Le  mot  n'est  pas  trop  gros;  j'en  appelle  à  tous 
•ceux  qui  étaient  là. 

Au  premier  acte,  nous  voyons  Pierrot,  adolescent,  à  table  avec 
son  père  et  sa  mère.  Il  est  tout  songeur.  Que  se  passe-t-il  en  lui  ? 
Il  l'iguore  lui-même,  et  ne  sait  que  répondre  à  ses  parents,  qui  lui 
demandent  avec  quelque  inquiétude  ce  qu'il  peut  désirer.  Mais  voici 
qu'une  jeune  fille,  Phrynette,  se  présente,  et  Pierrot  se  transforme. 
Il  devient  amoureux  fou,  et  tandis  qu'il  croit  son  père  et  sa  mère 
endormis,  il  ouvre  le  tiroir  de  son  père,  emplit  ses  poches  d'or  et 

(1)  Le  désir  exprimé  l'autre  soir  à  ce  sujet,  d'une  façon  unanime,  va 
être  réalisé  au  moins  en  partie.  La  direction  des  Bouffes,  s'emparant  du 
grand  succès  de  la  soirée,  l'Enfant  prodigue,  annonce  une  série  de  repré- 
sentations de  cette  pantomime,  qui  ont  commencé  dès  hier  samedi. 


de  billets  de  banque,  et  s'enfuit  à  la  recherche  de  celle  qu'il  aime. 
Les  pauvres  gens  oiit  tout  vu  et,  surpris,  désespérés,  n'ont  pas  même 
eu  la  force  ou  la  pensée  de  le  retenir.  —  Le  second  acte  nous 
montre  Pierrot  et  Phrynette  dans  un  appartement  luxueux.  Mais  le 
quart  d'heure  de  Rabelais  est  arrivé,  Pierrot  n'a  plus  d'argent,  ses 
créanciers  le  harcèlent,  et  Phrynette  le  menace  de  le  quitter  s'il  ne 
peut  continuer  à  satisfaire  ses  besoins  et  ses  fantaisies.  Pierrot  est 
aux  abois.  Que  fera-t-il?  Son  amour  le  pousse  au  crime.  Il  sort. 
Et  lorsqu'il  revient,  les  poches  pleines  d'un  or  volé  par  lui  au  jeu, 
sa  maîtresse  est  partie  au  bras  d'un  homme  plus  riche  que  lui.  Il 
est  fou  de  douleur.  —  Le  troisième  acte  nous  ramène  dans  l'inté- 
rieur que  nous  avons  vu  au  premier.  Pierrot  père  et  sa  femme,  sans 
nouvelles  de  leur  fils,  sont  toujours  dans  la  désolation.  Le  père 
reste  sévère,  quoique  chagrin,  mais  la  pauvre  mère  est  prête  à  tout 
pardonner.  Tandis  qu'elle  reste  seule,  son  mari  s'étant  absenté,  on 
frappe  à  la  porte.  Elle  ouvre  au  malheureux  qui  vient  implorer  sa 
charité,  et  tout  à  coup  reconnaît  en  lui  son  fils,  hâve,  sans  force 
défiguré,  mourant  de  faim.  La  reconnaissance  est  pathétique;  elle 
soigne  son  enfant,  le  réconforte,  le  couvre  de  baisers...  Mais  on 
entend  les  pas  du  père,  s  Cache-toi!  Ton  père  est  furieux.  Il  faut 
le  préparer  à  ta  vue.  »  L'enfant  se  cache,  et  la  mère,  avec  toutes 
les  précautions  possible,  finit  par  apprendre  à  son  mari  le  retour  de 
son  fils.  Mais  Pierrot  père  est  inflexible.  L'enfant  vient  se  jeter  à 
ses  pieds,  veut  lui  baiser  les  mains,  implore  son  pardon.  Rien  D'y 
fait.  Mais  voici  qu'au  dehors  on  entend  le  tambour  battre  et  le 
clairon  sonner.  C'est  un  régiment  qui  passe.  Pierrot  est  pris  d'une 
idée  soudaine  :  il  s'est  déshonoré;  il  se  réhabilitera  en  se  faisant 
s  oldat  et  en  menant  une  conduite  exemplaire.  Il  présente  un  papier 
à  son  père  en  le  suppliant  d'y  mettre  son  consentement,  celui-ci 
signe  le  papier,  Pierrot  embrasse  ses  mains  avec  respect,  saute  au 
cou  de  sa  mère,  et  part  pour  joindre  le  régiment  qui  passe. 

Ce  petit  drame  mimé,  dont  la  note  comique  est  loin  d'être  exclue, 
mais  dont  le  côté  pathétique  est  poussé  à  une  rare  puissance  quoique 
sans  excès  ni  exagération,  est  mené  avec  un  art  exquis.  A  part 
quelques  longueurs  dans  le  second  acte,  qui  a  besoin  d'être  un  peu 
émondé,  c'est  une  pièce  charmante,  d'un  intérêt  toujours  croissant, 
et  qui  a  ému  les  spectateurs  jusqu'aux  larmes.  II  est  vrai  que 
l'Enfant  prodigue,  je  l'ai  dit,  est  joué  d'une  façon  admirable.  Il  y 
faut  tirer  de  pair  tout  d'abord  M"e  Félicia  Mallet,  qui,  dans  le  rôle 
extrêmement  difficile  et  dramatique  de  Pierrot,  s'est  montrée  vérita- 
blement grande  artiste  et  mime  de  premier  ordre.  L'an  passé  déjà, 
dans  Barbe-Bleuette,  elle  avait  révélé  des  qualités  rares  et  précieuses. 
Cette  fois  elle  a  littéralement  transporté  la  salle.  Elle  a  tout  à  la 
fois  la  grâce,  la  jeunesse,  la  galté,  et  d'autre  part  le  sentiment  dra- 
matique, le  don  du  pathétique  et  des  larmes,  avec  une  étonnante 
sobriété  et  sans  que  jamais,  dans  un  sens  ou  dans  l'autre,  on  puisse 
reprendre  chez  elle  une  fausse  note,  la  moindre  faute  contre  le 
goût  le  plus  raffiné,  le  plus  épuré  et  le  plus  délicat.  Les  représenta- 
tions du  Cercle  funambulesque  n'auraient-elles  servi  qu'à  mettre  en 
lumière  et  en  valeur  le  talent  d'une  telle  artiste,  qu'elles  n'auraient 
certainement  pas  été  inutiles. 

A  côté  de  M110  Félicia  Mallet,  il  faut  citer  surtout  M.  Courtes  et 
M"16  Crosnier,  l'excellente  duègue  de  l'Odéon,  chargés  des  rôles  du 
père  et  de  la  mère  de  Pierrot.  Il  est  impossible  d'être  plus  pleins 
de  bonhomie  et  de  franchise  au  premier  acte,  plus  émouvants,  plus 
touchants,  plus  sobrement  dramatiques  qu'ils  le  sont  l'un  et  l'autre 
au  dernier.  C'est  la  perfection  même,  et  ce  troisième  acte,  ainsi 
joué  par  les  trois  artistes,  nous  donne  la  sensation  de  l'idéal  qu'on 
peut  atteindre  au  théâtre.  Mais  je  m'en  voudrais  d'oublier  MUe  Du- 
hamel, qui  est  tout  à  fait  aimable  dans  le  rôle  de  Phrynette,  et 
M.  Gouget,  qui  représente  avec  beaucoup  de  tact  celui  du  baron 
séducteur.  Tous  ont  droit  aux  mêmes  éloges,  car  tous  ont  contribué 
à  un  ensemble  parfait.  Quant  à  la  musique  fort  élégante  de  l'En- 
fant prodigue,  elle  est  due  à  M.  André  Wormser,  et  elle  a  eu,  elle 
aussi,  sa  bonne  part  du  succès. 

Il  n'y  a  pas  de  petit  art,  a-t-on  dit,  il  n'y  a  que  de  petits  ar- 
tistes. Le  mot  est  absolument  vrai.  Et  pour  ce  qui  est  de  la  panto- 
mime, quand  elle  est  conçue  et  comprise  comme  l'a  été  celle-ci  de 
la  part  de  tous,  auteurs  et  interprèles,  elle  donne  l'impression  d'un 
art  exquis  et  complet. 

Arthur  Pougin. 

Comédie-Française.  —  La  Fille  de  Roland,  drame  en  quatre  actes,  en 
vers,  de  M.  Henri  de  Bornier. 

C'était  en  187;'>,  presque  au  lendemain  de  la  guerre,  et  je  me  sou- 
viens très  bien  du  puissant  effet  produit  par  l'apparition  de  la  Fille 
de  Roland.  Les  spectateurs  de  la  première  représentation,  absolument 


496 


LE  MENESTREL 


enthousiasmés  et  inconsciemment  grisés  par  le  souffle  patriotique  de 
l'auteur,  colportaient  dans  tout  Paris  le  bruit  du  triomphe  de  M.  de 
Bornier;  le  public  se  porta  de  suite  en  foule  à  la  Comédie-Française, 
et  le  délire  du  premier  jour  mit  quelque  temps  à  s'apaiser.  Je  me 
rappelle  aussi,  assez  nettement,  de  combien  de  poésie  et  de  grâce 
Mmc  Sarah  Bernhardl  avait  entouré  le  rôle  de  Berthe  ;  mais  j'avoue 
qu'il  ne  me  restait  rien  de  la  pièce  elle-même  et  à  peu  près  rien  des 
épisodes  les  plus  dramatiques.  L'œuvre  m'était  donc  pour  ainsi 
dire  nouvelle,  lorsque  je  l'ai  réentendue  mercredi  dernier,  et  je 
m'explique  aujourd'hui  pourquoi  l'impression  ressentie  autrefois  avait 
été  si  peu  vive  malgré  les  émotions  fortes  et  nombreuses  auxquelles 
l'auteur  nous  soumet. 

Je  sens  que  malgré  des  beautés  de  premier  ordre,  cette  tragédie 
est  incomplète  ;  que  si  les  personnages  pris  séparément  sont  inté- 
ressants, l'action  est  parfois  trop  languissante  et  coupée  inutilement, 
et  que,  si  ce  que  l'on  nomme  les  coups  de  théâtre  y  sont  souvent 
très  heureux,  ils  y  sont  beaucoup  trop  nombreux  et  me  semblent 
se  nuire  les  uns  aux  autres.  Enfin,  on  ne  trouve  pas  là  la  forme  que 
réclament  d'aussi  nobles  sentiments.  Levers  de  M.  de  Bornier  n'est 
pas  à  la  hauteur  des  idées  qu'il  veut  exprimer.  Qu'il  dise  l'amour 
exalté  de  la  patrie,  la  passion,  la  douleur  ou  la  joie,  il  reste  trop 
fréquemment  dans  la  note  bourgeoise  et  monotone.  Et  c'est  surtout 
cette  monotonie  dans  la  facture  qui  se  répand  sur  la  pièce  entière, 
la  fait  paraître  beaucoup  plus  terne  qu'elle  ne  devrait  paraître  et 
émousse  forcément  les  sensations  qu'on  y  devrait  éprouver. 

L'interprétation  n'est  malheureusement  point  faite  pour  masquer 
ces  défauts  de  la  Fille  de  Roland.  Il  faut,  cependant,  mettre  hors  de 
pair  M.  Silvain,  qui  joue  Ganelon  en  perfection.  M.  Mounet-Sully 
soulève  l'enthousiasme  du  public  bien  plutôt  à  cause  des  choses 
qu'il  dit  qu'à  cause  de  la  manière  dont  il  les  dit.  MM.  Laroche, 
Martel,  Dupont- Vernon,  Laugier.  Villain,  P.  Mounet,  Leitneir,  Co- 
cheris  et  M110  Dudlay,  tous  avec  de  réelles  qualités,  sont  trop  quel- 
conques pour  une  Comédie-Française. 

Folies-Dramatiques.   —   La    Fille  de   l'Air,    opérette    fantastique. 

Après  la  Fille  de  Roland,  la  Fille  de  l'Air;  après  Joyeuse  et  Du- 
randal,  —  les  talismans  de  la  victoire  et  de  la  gloire,  —  l'étoile 
en  brillants  de  la  petite  Azurine,  —  talisman  d'immortalité  des 
génies  de  l'air.  —  Les  jours  se  suivent  et  ne  se  ressemblent  pas 
et,  même  dans  la  grandissime  famille  dramatique,  ou  voit  des  filles 
qui,  entre  elles,  n'ont  aucune  espèce  de  parenté.  Celle-ci,  il  est  vrai 
de  le  dire,  est  l'aînée  de  celle-là  de  quelaue  chose  comme  une  cin- 
quantaine d'années  et  le  temps  n'a  pas  été  sans  lui  creuser  au 
visage  des  rides  assez  marquées.  La  directiou  des  Folies-Drama- 
tiques s'est  appliquée  de  son  mieux  à  badigeonner  toute  sa  frêle 
personne  d'un  cold-eream  réparateur  et  dissimulateur,  et  si  elle 
n'a  pas  réussi  à  nous  la  faire  prendre  pour  une  toute  jeune  per- 
sonne, elle  a  du  moins  l'immense  mérite  d'avoir  fait  de  louables 
efforts.  Elle  a,  de  plus,  appelé  à  la  rescousse  M.  Lacome,  qui  a 
composé  de  jolis  morceaux,  et  M.  Liorat  qui  a  démarqué,  pour  la 
circonstance,  quelques  scies  de"  café-concert.  Enfin  elle  s'est 
attaché  l'épileptique  Germain  qui  a  été  la  joie  de  la  soirée.  C'est 
Mlle  Nesville  qui  porte  les  ailes  légères  d'Azurine  et  se  montre 
gentille.  Mmcs  Stella,  Deval,  Génat  et  "Vernon  ne  sont  nullement 
désagréables,  non  plus  d'ailleurs  que  M.  Larbaudière,  le  téno- 
rino  aux  douces  notes  de  tête.  Je  regrette  de  ne  pouvoir  en  dire 
autant  de  M.  "Vandenne  qui  m'a  paru  horripilant. 

Paul-Emile  Chevalier. 


LE  THEATRE  A  L'EXPOSITION  UNIVERSELLE  DE  1889 
(Suite.) 


Sur  un  signe  du  maître,  l'orchestre  se  met  en  branle  et  fait  en- 
tendre un  morceau  plus  bruyant  que  brillant,  dans  lequel  se  détache 
pourtant  par  instants  comme  une  mélopée  plaintive  et  douce.  Mais 
les  danseuses  entrent  en  scène,  et  l'orchestre  se  tait  aussitôt;  elles 
s'avancent  avec  gravité,  saluent  les  spectateurs  en  ébauchant  à 
peine  un  sourire,  et  s'asseyent  sur  les  chaises  placées  presque  au 
bord  de  l'estrade. 

Mais  bientôt  la  musique  reprend,  et  nos  danseuses,  quittant  leurs 
sièges,  s'apprêtent  à  commencer  leurs  danses.  Nous  pouvons  les 
examiner  tout  à  loisir.  L'aînée,  Tamina,  à  la  physionomie  intelli- 
gente et  douce,  au  regard  peut-être  un  peu  mélancolique,  est  pleine 
de  grâce  sous  son  riche  costume  :  un  corsage  brodé  d'or  qui  s'ar- 
rête sous  les  bras,  le  haut  du  corps  couvert  par  une  sorte  de  pèle- 
rine aux  bords  frangés  qui  cache  le  dos,  les  épaules  et  la  poitrine; 
pour  jupe,  un  grand  sarong  un  pou  flottant,  richement  brodé  aussi, 


dont  les  longs  plis,  traînant  à  terre  en  forme  de  queue,  laissent  voir 
le  bas  des  jambes  et  le  pied  mignon  ;  autour  du  corps  une  large  cein- 
ture, fixée  sur  le  devant  par  une  large  agrafe  de  métal  ;  en  haut 
de  chaque  bras,  un  bracelet  de  mêlai  élégamment,  orné  ;  aux  poi- 
gnets, deux  bracelets  de  perles  ;  enfin,  comme  coiffure,  un  casque 
d'or  merveilleusement  ciselé,  au  cimier  de  plume,  dans  lequel  la- 
chevelure  est  emprisonnée  (1).  A  part  quelques  détails,  le  costume 
de  ses  compagnes  était  presque  de  tout  point  ■  aifi'.  Cependant, 
"Wakiem,  la  plus  jeune  et  la  plus  espiègle,  ne  portait  pas  la  pèle- 
rine que  j'ai  signalée;  le  bronze  de  ses  épaules  et  de  ses  bras  sur- 
gissait de  son  corsage,  brillant,  vivant  et  frémissant,  et,  ainsi  parée; 
chaste  et  modeste  sous  ce  vêtement  qui  laissait  à  nu  le  haut  de  son 
corps  frêle  et  délicat,  elle  semblait,  comme  on  l'a  dit,  la  personni- 
fication d'une  de  ces  idoles  de  l'Inde  qui  inspirent  aux  fidèles  le 
respect  et  la  vénération. 

Leurs  danses,  dont  on  ne  saurait  méconnaître  l'allure  en  quelque- 
sorte  hiératique,  sont  par  conséquent  fort  loin,  on  le  comprend,, 
d'avoir  le  caractère  lascif  et  provocant  de  la  plupart  des  danses  de 
l'Extrême-Orient.  Elles  ne  sont  autre  chose  que  la  représentation 
mimique  de  certains  épisodes  empruntés  aux  grands  poèmes  hindous 
et  particulièrement  aux  chroniques  du  royaume  de  Passey.  l'un  des 
Etats  les  plus  florissants  de  la  Malaisie  avant  l'invasion  musulmane. 
Ces  danses,  dans  lesquelles  la  vivacité  fait  place  à  l'expression,  et 
où  la  pantomime  prend  une  assez  large  part,  se  composent  donc 
surtout  d'évolutions  lentes,  de  poses  gracieuses,  de  marches  caden- 
cées, d'attitudes  soit  sévères,  soit  mélancoliques,  de  mouvements- 
souples  des  bras  et  des  mains,  de  salutations  cérémonieuses,  de 
gestes  pleins  de  langueur,  le  tout  constituant  un  ensemble  d'un- 
charme  séducteur,  tout  empreint  de  poésie  et  d'originalité.  L'un  de 
ces  pas  (si  l'on  peut  ainsi  les  qualifier),  l'un  de  ces  pas  surtout, 
auquel  nos  Javanaises  donnaient,  je  crois,  le  nom  de  Feuille  d'or,. 
et  qui  était  accompagné  par  le  rebab  en  un  motif  d'une  mélancolie 
vraiment  pénétrante,  produisait  sur  le  spectateur  attentif  une  im- 
pression étrange  et  indéfinissable.  En  réalité,  c'était  là,  pour  nous 
autres  Européens,  un  spectacle  saisissant  et  séduisant  par  sa  cou- 
leur, sa  grâce  et  sa  nouveauté. 

Lorsqu'elles  avaient  terminé  leurs  évolutions,  nos  danseuses  sa- 
luaient le  public  avec  un  gentil  sourire,  puis,  gravement,  lentementr 
à  pas  comptés,  descendaient  de  leur  estrade  et,  cheminant  parmi 
la  foule,  sortaient  de  la  salle  pour  rejoindre  leur  case  et  prendre- 
quelques  moments  de  repos  en  attendant  la  séance  suivante.  Mais 
tout  n'était  pas  fini  pour  cela,  et  un  autre  tableau,  d'un  autre  genre,, 
nous  était  offert. 

Il  s'agissait  alors  de  la  véritable  danse  populaire  de  Java.  Quand 
je  dis  véritable,  j'exagère  peut-être,  car,  s'il  faut  en  croire  certains 
voyageurs,  cette  danse  ne  pourrait  guère  être  offerte  à  des  specta- 
teurs, surtout  à  des  spectatrices  européennes,  si  l'on  n'en  estompait 
quelque  peu  les  traits  trop  accentués  et  trop  hardis.  Cette  fois  c'était 
un  danseur  et  une  danseuse  (celle-ci  s'appelait  Lees,  j'ai  oublié  le 
nom  de  son  compagnon),  qui,  dans  le  costume  très  simple  et  très 
rustique  du  peuple  javanais,  venaient  nous  donner  une  idée  de  ce- 
genre  de  divertissement.  Lees  était  ce  qu'on  appelle  là-bas  une  tandak, 
c'est-à-dire  une  danseuse  publique,  de  celles  que  je  signalais  plus 
haut  en  notant  la  différence  essentielle  qui,  au  point  de  vue  social,, 
les  sépare  des  danseuses  de  cour  telles  que  nous  les  faisaient  si 
gracieusement  connaître  Tamina,  "Wakiem,  Ayou  et  Sariem.  «  La 
danseuse  publique  —  disait  à  ce  propos  un  de  mes  confrères,  grand 
voyageur,  qui  les  a  vues  chez  elles,  dans  leur  milieu  —  va  de  ville 
en  ville,  accompagnée  d'un  musicien,  pour  égayer  les  fêtes,  les 
mariages,  les  anniversaires.  Ce  n'est  ni  la  foule,  ni  les  maîtres  des 
maisons  où  elle  exécute  ses  contorsions  lascives  qui  la  paient,  c'est 
chacun  de  ceux  qui  dansent  avec  elle,  et  ses  moeurs  sont  ce  qui  lui 
convient  qu'elles  soient  dans  ce  pays  où  la  femme  est  absolument 
libre,  coquette,  portée  au  plaisir,  et  a  des  droits  égaux  à  ceux  des 
hommes...  Cependant,  tout  en  étant  moins  sérieuse,  moins  classique 
que  celle  des  Sarimpi,  la  danse  que  Lees  exécute  avec  un  de  ses 
compatriotes  n'est  encore  qu'un  pastiche  bien  timide  de  la  choré- 
graphie passionnée  à  laquelle  j'ai  vu  les  Malais  se  livrer  dans  cer- 
tains endroits  spéciaux,  à  Mysteer-Cornelis,  par  exemple,  sur  la  roule 
de  Batavia  à  Buitenzorg,  le  jour  du  marché  d'armes...  » 

Il  est  certain  que  la  danse  de  Lees  et  de  son  compagnon,  pour 
être  moins  sévère,  moins  solennelle,  moins  cérémonieuse  que  celle 

(1)  Nos  danseuses  portaient  co  casque  tantôt  à  la  manière  des  dragons 
ou  des  cuirassiers,  tantôt  en  bataille,  comme  les  chapeaux  de  nos  gen- 
darmes; parfois  aussi,  ce  qui  était  charmant,  leur  tête  mignonne  était 
comme  encadrée  dans  des  touffes  épaisses  de  blanches  fleurs  de  lotus. 


LE  MENESTREL 


497 


que  nous  venions  de  voir,  n'offrait  encore  qu'un  élan  et  un  mouve- 
ment très  relatifs.  Elle  ne  manquait  pas  toutefois  d'une  certaine 
couleur;  mais  elle  n'avait  plus  pour  nous  le  même  attrait  d'absolue 
nouveauté,  et  cette  poursuite,  souvent  gracieuse,  de  l'homme  et  de 
la  femme,  ce  rapprochement  et  cet  éloignement  alternatifs  de  l'un 
et  de  l'autre  sexe  aboutissant  à  un  accord  définitif,  en  nous  rendant 
l'élément  vraiment  humain  et  passionnel,  faisait  d'autant  plus  res- 
sortir le  contraste  de  celte  danse  avec  le  caractère  en  quelque  sorte 
religieux  et  un  peu  mystique  des  lentes  et  douces  évolutions  qui, 
précédemment,  nous  avaient  étonnés  et  charmés  à  un  si  haut  degré. 
Aussi,  le  public  de  l'Exposition  n'accorda-t-il  jamais  au  couple 
populaire  qu'une  attention  distraite  et  secondaire.  Tout  le  succès, 
le  succès  indiscutable  et  constant,  fut  toujours  pour  Tamina  et  ses 
compagnes.  —  Avez-vous  vu  les  petites  Javanaises?  se  demandait-on 
à  chaque  rencontre.  Et  ceux  qui  les  avaient  vues  retournaient  les 
voir;  et  ceux  qui  n'avaient  pas  fait  connaissance  encore  avec  elles 
s'empressaient  de  se  rendre  au  Kampong  pour  les  contempler  et 
les  applaudir.  Si  bien  que  depuis  le  milieu  de  juin  environ,  époque 
où  elles  firent  leur  première  apparition,  jusqu'à  la  fin  d'oclobre,  où 
les  fraîcheurs  de  notre  automne,  excessives  et  douloureuses  pour 
elles,  obligèrent  à  les  renvoyer  dans  leur  pays,  le  pavillon  du  Kam- 
pong ne  désemplit  pas  un  seul  jour,  pas  une  seule  représentation. 
Les  gentilles  Javanaises  ont  été,  on  peut  le  dire,  les  lionnes  de  la 
partie  exotique  de  l'Exposition;  et  elles  ont  laissé  parmi  nous,  dans 
ce  Paris,  souvent  si  oublieux,  mais  qui  a  le  culle  de  la  jeunesse, 
de  la  grâce  et  de  la  beaulé,  un  souvenir  qui  n'est  pas  près  de 
s'éteindre  (1). 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

Nous  avons  rapporté  le  mot  renouvelé  de  Méhul  et  singu'ièrement 
attribué  à  Verdi,  par  un  journal  italien,  à  propos  de  l'opéra  du  jeune 
maestro  Mascagni,  Cavallcria  rusticana  :  «  Maintenant,  je  peux  mourir 
tranquille!  ».  Un  autre  journal,  il  Carrière,  qui  avait  contribué  à  l'expan- 
sion du  canard  en  question,  lui  coupe  aujourd'hui  les  ailes  en  se  disant 
«  autorisé  à  démentir  formellement  cette  étrange  nouvelle.  »  Voilà  beau- 
coup de  solennité  pour  una  beffa. 

—  On  litdansle  Trovatore  :  —  «  Hélas!  c'était  une  chose  prévue,  et  le 
silence  ne  nous  était  imposé  que  par  une  pieuse  et  tendre  amitié!  Mais 
toute  réserve  serait  vaine  désormais,  et  Boito  lui-même,  l'ami,  le  frère 
de  Faccio,  écrit  que  que  sa  folie  est  incurable.  //  n'est  que  trop  vrai,  dit-il, 
toute  espérance  de  guérison  est  perdue.  La  maladie  suit  son  cours  fatal.  Pauvre 
Faccio!  Pauvre  ami  !  » 

—  Les  exigences  ridicules  des  chanteurs,  retour  d'Amérique  ou  non, 
finiront  par  rendre  le  théâtre  impossible  en  Italie,  où  il  n'est  pas  déjà 
très  florissant.  Quelques-unes  des  scènes  lyriques  les  plus  importantes  de 
la  Péninsule  menacent  de  rester  fermées,  les  conseils  municipaux  refu- 
sant de  voter  dès  subventions  dont  ils  trouvent  le  chiffre  excessif.  C'est 
ainsi  qu'à  Gênes  le  conseil  a  repoussé  une  demande  de  100,000  francs 
pour  trois  ans  qui  lui  était  adressée  pour  le  théâtre  Garlo-Felice.  Il  en  est 
de  même  à  Venise  pour  la  Fenice,  à  Trieste  pour  le  théâtre  Communal, 
et  dans  plusieurs  autres  villes.  Les  dice  et  les  divi  seront  bien  avancés 
quand  ils  auront  arrêté  net  le  mouvement  de  l'art  !  Ils  ne  peuvent  pour- 
tant pas  aller  tous  en  Amérique! 

—  On  lit  dans  ['Italie  :  «  Un  associé  de  l'imprésario  de  San  Carlo  de 
Naples  s'étant  retiré,  et  la  municipalité  de  cette  ville  ne  trouvant  pas  suf- 
fi) Un  trait  de  mœurs,  pour  finir.  Tous  les  Javanais  amenés  à  Paris  ne 

revirent  pas  la  terre  natale.  Le  6  juillet,  en  pleine  représentation,  un  des 
leurs,  un  des  musiciens,  nommé  Anan,  mourait  subitement.  Le  commis- 
saire de  police  du  quartier,  M.  Santucci,  prévenu  de  l'accident,  donnait 
aussitôt  l'ordre  de  faire  transporter  le  corps  à  la  Morgue.  Mais  il  avait 
compté  sans  les  compagnons  du  défunt,  qui  s'opposèrent  absolument  à 
l'enlèvement  du  corps,  disant  que  leur  ami  n'était  pas  mort,  qu'il  ne  pou- 
vait mourir  ainsi  loin  de  son  pays,  qu'il  n'était  qu'endormi.  «  Pourquoi 
voudrait-il  nous  quitter?  disaient-ils;  il  était  bien  ici,  au  milieu  de  nous, 
rien  ne  lui  manquait  »,  etc.  Le  commissaire  était  fort  embarrassé.  Il  lui 
faillit  parlementer  pendant  plus  d'une  heure,  à  l'aide  de  l'interprète,  pour 
les  décider  enfin,  leur  dire  qu'Anan  serait  transporté  dans  un  vaste  monu- 
ment, très  décoratif,  le  temple  de  Notre-Dame,  où  le  bien-être  qu'il  trou- 
verait dissiperait  certainement  sa  mauvaise  humeur,  et  où  d'ailleurs  ses 
compatriotes  pourraient  aller  le  voir  dès  le  lendemain,  lui  porter  du 
tabac,  des  friandises,  etc.  Le  lendemain  matin  en  effet,  tous  les  Javanais 
du  Kampong  arrivaient  à  la  Morgue,  dans  seize  voitures,  et  comme  le 
pauvre  Anan  n'était  pas  ressuscité,  ils  consentirent  sans  trop  de  peine  à 
le  laisser    nterrer. 


lisantes  les  garanties  offertes  par  M.  Villani  tout  seul,  a  déclaré  le  contrat 
dissous.  On  croit  donc  que  l'hiver  prochain,  le  San  Carlo  restera  fermé. 
L'argent  de  la  subvention  sera  employé  à  des  réparations  trouvées  néces- 
saires. Cette  nouvelle  a  causé  à  Naples  un  grand  mécontentement.  Il  est 
probable  que  l'on  reviendra  sur  cette  décision  pour  satisfaire  l'opinion 
publique.  » 

—  A  Rome,  dans  l'église  américaine,  concert  d'orgue  et  audition  de 
nouvelles  compositions  religieuses  par  les  élèves  de  l'Académie  de  Sainte- 
Cécile,  en  présence  des  membres  de  l'Académie,  du  représentant  du  mi- 
nistre de  l'Instruction  publique  et  d'un  brillant  auditoire.  On  a  exécuté 
dans  cette  séance  un  motet  à  trois  voix  de  M.  Ugolini,  un  O  salutaris  à 
quatre  voix  de  M.  Bajardi,  un  motet  à  quatre  voix  de  M.  De  Angelis,  et 
un  Benedictus  à  quatre  voix  de  M.  Settaccioli.  —  A  la  salle  Palestrima, 
fête  musicale  et  littéraire  en  l'honneur  de  la  Béatrice  de  Dante,  dans  la- 
quelle ont  été  exécutés  deux  chœurs  pour  enfants  et  une  cantate  à  Béatrice, 
écrits  par  M.  Tonizzo.  —  A  l'Institut  des  aveugles  de  Milan,  exercice 
musical  et  audition  de  deux  œuvres  dues  à  deux  jeunes  élèves  de  compo- 
sition de  l'école  :  un  prélude  symphonique  de  M.  Noseda,  et  une  cantate 
pour  voix  seule,  chœur  et  orchestre,  de  M.  Mascetti. 

—  Il  est  question  de  donner  prochainement  au  théâtre  des  Fiorentini, 
de  Naples,  un  opéra  nouveau  de  M.  Giulio  Cottrau,  Griselda,  et  au  théâtre 
municipal  d'Alexandrie  un  autre  opéra  inédit,  Fiamma,  du  maestro  Havera. 

—  Un  pauvre  diable  de  musicien  du  nom  de  Paolo  Perego,  réduit  par 
la  misère  au  désespoir,  a  tenté  ces  jours  derniers,  à  deux  reprises,  de  se 
suicider  à  Milan  en  se  jetant  sous  les  roues  d'un  train  en  marche.  Les 
deux  fois  on  a  réussi  à  le  sauver.  Ce  désespéré  est  âgé  seulement  de  29  ans. 

—  La  ville  de  Catane,  malgré  ses  80,000  habitants,  n'avait  jamais  eu 
jusqu'ici  que  des  théâtres  indignes  d'elle.  Le  nouveau  théâtre  Bellini, 
dont  nous  avons  annoncé  la  récente  inauguration,  est  un  édifice  somp- 
tueux, élégant,  d'une  riche  architecture,  qui  lui  faitle  plus  grand  honneur 
et  qui  la  dote  enfin  d'un  monument  bien  approprié  à  son  objet.  L'inaugu- 
ration, tout  naturellement  consacrée  à  Bellini,  enfant  de  Catane,  s'est  faite 
par  une  représentation  de  Norma,  dont  la  recette  a  dépassé  16,000  francs. 

—  Un  journal  de  Trieste,  l'Arte,  rappelle  le  souvenir  d'un  compositeur 
mort  il  y  a  quelques  années,  Privitera,  qui  avait  écrit  un  opéra  intitulé 
la  Vergine  del  Caslillo,  dont  la  partition  disparut  dans  les  flammes,  le  théâ- 
tre de  Malte,  où  on  allait  représenter  cet  ouvrage,  ayant  été  complètement 
détruit  par  un  incendie  la  veille  même  de  la  représentation  et  pendant  la 
répétition  générale,  qui  avait  lieu  on  présence  d'un  nombreux  public.  Cet 
artiste  composa  ensuite  un  second  opéra,  iBergolini,  mais  il  ne  put  jamais 
se  décider  à  le  livrer  à  la  scène,  son  esprit  étant  constamment  troublé 
par  le  drame  auquel  il  avait  assisté  et  qui  avait  ruiné  toutes  ses  espérances. 

—  Tableau  de  la  troupe  du  Théâtre-Royal  de  Madrid  pour  la  prochaine 
saison  :  soprani,  Mmos  Tetrazzini  et  Pacini  ;  mezzo-soprano,  Mme  Stahl  ; 
ténors,  MM.  Durot,  Lucignani  etMassimi;  baryton,  M.  Battistini  ;  basses, 
MM.  Uetam  et  Barucchia  ;  chef  d'orchestre  M.  Luigi  Mancinelli. 

—  On  nous  écrit  de  Liège  que  la  partition  du  Voyage  de  Chaud  fontaine, 
dont  les  Nouveautés  donnent  en  ce  moment  les  dernières  représentations, 
ne  dormait  pas  dans  les  archives  du  Conservatoire  de  Liège.  Cette  parti- 
tion, ainsi  que  celles  de  tous  les  autres  ouvrages  de  Jehan-Noël  Hamal, 
faisait  partie  d'une  collection  musicale  très  précieuse  et  très  riche,  celle 
du  compositeur  Léonard  Terry,  qui  la  légua  en  mourant,  il  y  a  quelques 
années,  au  Conservatoire.  Terry  avait  fait  et  publié  à  Liège  une  réduction 
au  piano  du  Voyage  de  Chaudfonlaine,  et,  il  y  a  vingt  ans  environ,  il  faisait 
entendre  le  premier  acte  de  ce  gentil  petit  opéra  au  public  de  Liège,  dans 
un  concert  organisé  par  lui.  M.  Théodore  Radoux,  l'excellent  directeur 
du  Conservatoire  de  cette  ville,  s'occupe  en  ce  moment  de  la  réduction  et 
de  la  publication  d'un  autre  opéra  wallon  de  Hamal,  le  Liégeois  engagé 
(li  Ligeoi  egagi),  qui,  dit-on,  renferme  des  pages  dignes  de  Gluck  et  de 
Haendel.  Il  compte  donner  l'an  prochain,  au  Conservatoire,  par  les  élèves 
de  la  classe  de  déclamation  lyrique,  une  audition  de  cet  ouvrage. 

—  Le  Leipziger  Tagblalt  publie  un  rapport  statistique  sur  les  publications 
musicales  en  Allemagne  pendant  l'année  1889,  rapport  qui  accuse  un  mou- 
vement sensiblement  rétrograde  dans  le  nombre  des  nouveautés,  comparé  à 
celui  atteint  en  1888.  C'est  la  première  fois  depuis  bien  longtemps,  dit  le 
rapport,  que  la  production  musicale  allemande  est  arrêtée  dans  son  mouve- 
ment ascensionnel.  Le  chiffre  total  des  nouveautés  de  1889  s'élève  à  6,650, 
contre  7,169  en  1888,  soit  une  diminution  de  7  0/0.  Cette  diminution  porte 
sur  toutes  les  catégories  d'œuvres,  musique  de  chambre  et  de  piano,  musi- 
que dramatique,  religieuse,  vocale,  symphonique  et  instrumentale.  La 
musique  de  quatuor  a  particulièrement  souffert.  Le  chiffre  en  est  tombé 
de  43S  à  23b.  Par  exemple,  le  nombre  des  ouvrages  de  littérature  a  augmenté 
dans  une  proportion  de  23,8  0/0  (312  volumes  contre  232  en  1888.) 

—  On  écrit  de  Berlin  que.  le  pianisle  Xavier  Scharwenka  est  depuis 
longtemps  en  plein  travail  de  composition  d'un  ouvrage  lyrique  sur  lequel 
on  fonde  de  grandes  espérances.  C'est  un  opéra,  dont  le  sujet  est  emprunté 
à  l'histoire  du  roi  des  Goihs,  Vitigès,  et  qui  aura  pour  titre  Masaswintha. 
Les  deux  premiers  actes  sont  achevés. 

—  Le  directeur  du  Conservatoire  royal  de  Dresde,  M.  Pudor,  ayant 
donné  récemment  sa  démission,  est  remplacé,  depuis  le  lor  juin,  par  un 
des  professeurs  de  l'établissement,  M.  Eugène  Krantz,  artiste  très  actif  et 
ianpiste  de  premier  ordre.  Le  nouveau  directeur  a  fait  lui-même  son  édu- 


LE  MÉNESTREL 


cation  musicale  au  Conservatoire,  de  1858  à  1865,  et  il  y  est  professeur 
depuis  1S69,  non  seulement  d'une  classe  de  piano,  mais  de  la  classe  supé- 
rieure des  chœurs  et  de  celle  de  pédagogie.  C'est  un  homme  d'initiative, 
qui,  dit-on,  fait  autorité  en  matière  d'art,  et  qui  ne  craint  ni  le  progrès 
ni  les  innovations.  Il  a  célébré,  au  mois  de  décembre  dernier,  sa  huit 
centième  coopération  à  des  concerts  de  tout  genre,  soit  comme  exécutant, 
soit  comme  chef  d'orchestre. 

—  Si  nous  en  croyons  la  New  Musikzeilung  de  Stuttgart,  on  peut  lire  sur 
une  pierre  tombale  du  cimetière  de  Madrid  l'inscription  qui  suit  :  «  Ci-gît 
Juan  Pinto,  l'Orphée  espagnol.  A  son  arrivée  au  ciel,  il  unit  sa  voix  à 
celles  des  archanges.  Mais  le  Seigneur  l'eut  à  peine  entendu,  qu'il  s'écria  : 
«  Faites  silence  tous  et  laissez  chanter  seul  le  eantor  de  caméra  Pinto.  » 

—  Un  souvenir  historique  raconté  par  la  même  New  Musikzeitung  : 
ci  En  Angleterre,  sous  le  règne  de  Charles  II,  les  mœurs  étaient  à  ce  point 
sévères,  qu'on  allait  jusqu'à  exclure  les  femmes  de  la  scène.  En  consé- 
quence, les  rôles  féminins  étaient  confiés  à  des  jeunes  gens,  travestis 
comme  il  convenait.  Certain  soir,  le  commencement  du  spectacle  se  faisait 
longuement  attendre.  Le  public  devint  impatient  et  le  roi,  qui  était  arrivé 
depuis  un  bon  moment,  se  montra  fort  contrarié  du  retard.  Au  bout  de  quel- 
ques minutes  il  fit  venir  le  directeur: —  Que  se  passe-t-il  donc  aujourd'hui? 
demanda  le  roi,  avec  courroux,  n'allez-vous  pas  vous  décider  à  commencer 
la  représentation?  —  Veuillez  me  pardonner,  sire,  répondit  le  directeur 
en  s'inclinant  profondément,  mais...  la  reine  n'est  pas  encore  rasée  !  » 
Charles  II  éclata  de  rire,  et  attendit  patienment  que  la  reine  eut  terminé 
sa  barbe.  » 

—  Un  musicien  grec,  qui  a  fait  son  éducation  artistique  en  Italie  et 
qui  depuis  est  retourné  dans  sa  patrie,  M.  Paul  Carrer,  déjà  connu  par 
deux  opéras  représentés,  Marco  Botzaris  et  Frossini,  vient  d'achever  la 
partition  d'un  nouvel  ouvrage,  Marathon-Salamis,  qu'il  se  propose  de  faire 
jouer,  au  cours  de  la  prochaine  saison,  sur  quelques-uns  des  nombreux 
théâtres  de  Grèce,  notamment  à  Athènes,  Syra,  Patras,  Nauplie,  Pirgos, 
Corfou,  Céphalonie  et  Zante. 

—  On  annonce  la  prochaine  mise  à  la  scène,  à  Saint-Pétersbourg, 
d'un  nouvel  opéra  de  Rubinstein,  intitulé  les  Malheureux.  Le  livret  a  pour 
sujet  les  mésaventures  amoureuses  d'un  prince  russe  qui  vivait  vers  la 
fin  du  douzième  siècle. 

—  On  écrit  de  Constantinople,  à  la  date   du   10  juin  : 

Hier  soir,  à  8  h.  1/2,  le  feu  a  entièrement  détruit  le  petit  théâtre  d'été  dit  des 
«  Petits-Champs  ».  La  troupe  française  Claudius,  arrivée  de  la  veille,  devait  dé- 
buter ce  soir  dans  le  Voyage  en  Chine.  Tous  les  costume»  des  pauvres  artistes, 
qu'on  avait  déposés  le  jour  même,  près  de  la  scène,  à  l'endroit  de  l'orchestre,  ont 
été  tous  perdus  ;  le  désespoir  de  ces  pauvres  gens,  dont  ces  oripeaux  étaient  la 
seule  richesse,  faisait  mal  à  voir.  Dans  ce  cas  de  force  majeure, rien  ne  leur  est 
dû,  et  ils  sont  ici  sans  ressources-  Les  dégâts  matériels  ne  sont  pas  très  grands. 
Le  théâtre  était  tout  en  bois,  et  en  une  demi-heure  de  temps  le  feu  avait  tout 
consumé.  Le  propriétaire,  dit- on,  était  assuré,  mais  ce  sont  les  artistes  qui  sont 
le  plus  à  plaindre. 

Le  directeur  Claudius,  dont  il  est  ici  question,  était  un  grand  contrefac- 
teur devant  l'Éternel.  Son  métier  consistait  à  prendre  des  copies  fraudu- 
leuses des  partitions  d'orchestre  de  nos  compositeurs  et  à  les  exploiter  à 
son  profit.  Un  jugement  du  tribunal  correctionnel  de  Marseille  l'avait 
déjà  sévèrement  condamné  à  ce  propos.  A  présent,il  se  contentait  d'exer- 
cer sa  coupable  industrie  à  l'étranger.  Espérons  que  les  flammes  n'au- 
ront pas  épargné  sa  belle  collection  de  contrefaçons  ;  ce  sera  la  seule 
consolation  qu'on  puisse  tirer  de  cet  épouvantable  désastre. 

—  Nous  avons  fait  connaître  récemment  la  vente,  en  Angleterre,  d'un 
des  plus  fameux  violons  de  Stradivarius,  celui  connu  sous  le  nom  du 
Messie,  qu'un  amateur  n'avait  pas  hésiter  à  payer  50,000  francs.  Le 
Scottish  leader  nous  apporte  à  ce  sujet  les  renseignements  que  voici  :  — 
«  Le  monde  musical  apprendra  avec  intérêt  qu'un  violon  fameux  de  Stra- 
divarius vient  de  rejoindre  les  spécimens  du  genre  que  possèdent  déjà  les 
collectionneurs  du  Royaume-Uni.  C'est  un  riche  écossais,  grand  connais- 
seur, qui  vient  d'en  faire  l'achat,  M.  Robert  Crawford,  d'Edimbourg. 
L'instrument  porte  la  date  de  1716,  et  par  ce  fait  appartient  à  la  grande 
période  de  la  carrière  du  maître.  En  1872,  les  Anglais  eurent  l'occasion 
de  le  voir  à  l'Exposition  d'instruments  de  musique,  à  South-Kensington, 
où  son  propriétaire  d'alors,  M.  Vuillaume,  le  fabricant  célèbre  de  Paris, 
l'exposa.  C'était  l'unique  violon  datant  de  l'époque  qui  présentât  toutes  les 
conditions  parfaites  de  conservation.  Il  fut,  en  1760,  la  propriété  du  comte 
Cozio  di  Salabrie,  amateur  italien  renommé.  Après  la  mort  de  celui-ci. 
en  1824,  il  passa  dans  la  collection  célèbre  de  Luigi  Tarisio,  lequel  ne  le 
laissa  voir  à  personne,  tenant  caché  son  trésor  jusqu'à  sa  mort,  en  1854. 
Un  an  après,  les  héritiers  de  Tarisio  vendirent  sa  collection,  et  feu 
Vuillaume  fit  l'acquisition  du  Messie.  L'état  remarquable  de  conservation 
dans  lequel  se  trouvait  le  violon  était  une  garantie  suffisante  pour  affir- 
mer que  pendant  150  ans  de  son  existence,  personne  n'y  avait  touché. 
Vuillaume,  qui  ne  voulait  se  séparer  de  son  trésor  à  aucun  prix  d'argent, 
le  laissa  en  mourant  à  son  gendre,  Alard,  le  violoniste  bien  connu  et 
l'heureux  possesseur  d'une  des  meilleures  collections.  Alors  que  le  Messie 
était  à  l'Exposition  de  South  Kensington,  il  fut  estimé  par  l'expert  de 
Londres  Charles  Read,  d'une  valeur  supérieure  à  600  livres  sterling.  Alard 
le  légua  à  son  gendre,  M.  Crone,  et  aujourd'hui  le  Messie  est  la  propriété 
de  M.  Robert  Crawford,  qui  en  a  donné  le  prix  le  plus  élevé  que  jamais 
ait  atteint  un  violon,  soit  2,000  livres  (cinquante  mille  francs).  » 


—  Les  deux  récitals  que  vient  de  donner  MUc  Clotilde  Kleeberg  au 
Prince's  Hall  de  Londres  lui  ont  valu  des  articles  très  élogieux  de  la  part 
du  Times  et  des  principales  feuilles  musicales  de  la  capitale.  On  s'accorde 
à  considérer  la  jeune  pianiste  française  comme  une  des  plus  brillantes 
virtuoses  de  l'époque.  Parmi  les  morceaux  les  plus  applaudis  de  son  pro- 
gramme on  cite  surtout  \a.Chaconne  de  M.Théodore  Dubois  et  la  Fantaisie  de 
M.  Godard,  tirée  de  ses  belles  Études  artistiques. 

—  Le  Musical  Standard  de  Londres,  qui  plaisante  toujours  si  agréablement 
l'ignorance  des  journaux  français  en  ce  qui  concerne  certains  menus  faits 
divers  de  la  vie  anglaise,  ferait  bien  de  ne  pas  s'exposer  lui-même  à  ce 
qu'on  puisse  lui  retourner  le  compliment.  Il  devrait  éviter  d'annoncer, 
comme  il  le  fait,  sous  la  rubrique  Nouvelles  de  Paris  :  1°  que  la  troupe  de 
l'Opéra  va  prendre  possession  de  l'Eden-Théâtre  pour  y  représenter  Sam- 
son  et  Dalila,  sous  la  direction  de  M.  Verdhurt  ;  2°  que  l'administration  des 
Concerts  populaires  a  engagé  pour  diriger  ses  concerts  MM.  Colonne,  La- 
moureux,  Hans  de  Bulow  et  Richter!  —  Votre  deuxième  nouvelle  de  Paris, 
cher  confrère,  est  tout  bonnement  une  nouvelle  de  Bruxelles. 

—  Les  succès  d'Edouard  Strauss  en  Amérique  font  naître  sous  ses  pas 
les  envies  et  les  provocations  de  concurrents  jaloux.  L'un  d'eux,  Nahan 
jKranko,  vient  d'envoyer  au  kapellmeister  viennois  un  cartel  lui  enjoignant 
de  venir  se  mesurer  avec  lui.  Edouard  Strauss  a  relevé  le  défi.  Les  condi- 
tions de  ce  combat  à  armes  courtoises  (on  ne  s'y  servira  que...  d'instru- 
ments de  musique)  sont  les  suivantes  :  M.  Fianko  disposera  d'un  orches- 
tre égal  en  nombre  à  celui  d'Edouard  Strauss  et  fera  exécuter  un  pro- 
gramme établi  par  Strauss  lui-même,  tandis  que  ce  dernier  fera  jouer 
par  son  orchestre,  sur  la  même  estrade  que  son  concurrent  et  alternati- 
vement avec  lui,  un  programme  élaboré  par  M.  Franko.  Le  but  du  chef 
d'orchestre  américain  est  de  démontrer  que  les  musiciens  de  New-York 
sont  supérieurs  à  tous  ceux  d'Europe.  Il  nous  semble  que  pour  être 
jugée  avec  toute  l'impartialité  désirable,  la  lutte  aurait  besoin  d'être  pla- 
cée sur  un  terrain  et  devant  des  arbitres  plus  essentiellement  neutres. 

—  A  propos  d'Edouard  Strauss,  annonçons,  d'après  les  journaux  améri- 
cains, que  le  célèbre  kapellmeister  a  déjà  été  victime  d'un  vol  de  700  dol- 
lars, qui,  heureusement,  a  pu  être  découvert  à  temps.  Un  soir  de  la 
semaine  dernière,  à  Pittsburg,  en  rentrant  à  son  hôtel,  M.  Strauss  trouva 
la  porte  de  sa  chambre  fracturée  et  vit,  gisant  à  terre,  complètement  vidé, 
le  sac  dans  lequel  il  avait  serré  le  produit  de  ses  concerts,  s'élevant  à 
trois  mille  cinq  cents  francs.  Le  voleur,  un  garçon  de  l'hôtel,  a  été  arrêté 
le  lendemain.  On  a  trouvé  la  somme  dissimulée  sous  ses  vêtements.  Bien 
qu'il  eût  en  sa  posssession  la  clé  de  la  chambre,  il  n'en  avait  pas  moins 
fait  sauter  la  serrure,  pour  détourner  les  soupçons. 

—  M.  Stanton,  directeur  du  Metropolitan  Opéra  House  de  New-York,  a  confié 
à  un  reporter  du  World  qu'il  s'était  assuré  le  droit  de  représentation  en 
Amérique  du  nouvel  opéra  de  M.  Massenet,  le  Mage,  et  qu'il  produirait 
cet  ouvrage,  au  Metropolitan,  le  jour  même  de  la  première  représentation 
à  Paris.  11  projette  également  des  reprises  d'Hamlet  et  des  Joyeuses  Commères 
de  Windsor. 

—  Un  nouvel  opéra-comique  romantique,  le  Roi  des  mers,  a  vu  le  jour  le 
mois  dernier  au  Chestnut  street  Théâtre  de  Philadelphie.  La  critique  locale 
parle  en  termes  favorables  de  la  partition,  due  à  M.  Richard  Stabl,  ainsi 
que  de  l'interprétation. 

—  Les  exhibitions  de  petits  virtuoses  prodiges  deviennent  tellement 
fréquentes,  que  c'est  à  peine  si  à  présent  on  y  fait  attention.  Aussi,  le 
manager  de  miss  Webb,  pianiste  américaine  âgée  de  huit  ans,  prévoyant 
l'indifférence  du  public,  a-t-il  eu  recours  à  un  nouvel  effet  de  mise  en 
scène  pour  mettre  sa  pensionnaire  en  évidence.  Lors  d'un  récent  concert 
à  New-York,  les  auditeurs  virent  apparaître  l'enfant  tenant  une  superbe 
poupée  dans  ses  bras.  Elle  fit  deux  fois  le  tour  de  l'estrade  puis,  avec 
toutes  sortes  de  petites  manières,  assit  sa  poupée  dans  un  petit  fauteuil, 
avant  de  grimper  sur  le  tabouret  du  piano.  Dans  l'esprit  du  manager,  le 
public  a  dû  se  sentir  intimement  convaincu  qu'il  était  en  présence  d'un 
vrai  bébé,  quittant  subitement  sa  poupée  pour  aller  tapoter  une  sonate  de 
Beethoven. 

—  Dans  un  concert  donné  à  San  Francisco  on  a  entendu  deux  composi- 
tions d'un  musicien  américain,  M.  F.  G.  Gleason,  qui  est  le  critique 
musical  du  journal  the  Tribune,  de  New-York,  et  qui  a  fait  son  éducation 
artistique  à  Leipzig  et  à  Dresde,  où  il  a  sucé  le  lait  des  doctrines  wagné- 
riennes  dans  ce  qu'elles  ont  de  plus  farouche.  Les  deux  morceaux  en 
question  sont  l'introduction  d'un  opéra  intitulé  Olhon  Visconti,  et  la  Mar- 
che religieuse  d'un  autre  opéra,  Montezuma.  L'un  et  l'autre,  parait-il,  sont 
parfaitement  incompréhensibles,  d'ailleurs  dépourvus  de  toute  espèce 
d'inspiration,  ce  qui  fait  dire  à  un  critique  que  «  quand  un  compositeur 
n'a  rien  à  dire  de  nouveau,  il  ferait  mieux  de  se  taire  et  de  ne  pas  fatiguer 
son  auditoire  par  un  bruit  insupportable  et  inutile.  » 

PARIS   ET    DÉPARTEMENTS 

Hier   samedi   à   l'Institut,  audition  et  jugement   des   cantates  pour  le 
prix  de  Rome.  Les  cinq  cantates  ont  été  entendues  dans  cet  ordre  et  avec     . 
cette  interprétation  : 

1.  M.  Bachelet,  premier  second  grand  prix  en  1887,  élève  de  M.  E.  Gui- 
raud  ;  interprètes  :  M"0  de  Montalant,  MM.  Imbert  de  la  Tour  et  Mar- 
tapoura  ; 


LE  MÉNESTREL 


199 


2°  M.  Lutz,  élève  de  M.  Guiraud  ;  Ma,°  Lyven,  MM.  Delly  et  Plançon  ; 

3°  M.  Sylver,  élève  de  M.  Massenet  ;  M1"0  Yveling  RamBaud,  MM.  Clé- 
ment et  Fournets  ; 

4°  M.  Fournier,  élève  de  M.  Léo  Delibes,  deuxième  second  grand  prix 
en  1S89  ;  M™  Montalba,  MM.  Engel  et  Dubulle  ; 

5°  M.  Carraud,  élève  de  M.  Massenet;  MUa  Baretti,  MM.'Cossira  et 
Taskin. 

—  Voici  le  jugement  rendu  hier  par  l'Académie  : 
Premier  Grand  Prix,  M.  Carraud. 

2e  Premier  Grand  Prix,  M.  Bachelet. 
1er  Second  Grand  Prix,  M.  Lutz. 
2«  Second  Grand  Prix,  M.  Sylver. 

—  Voici  la  liste  des  morceaux  d'exécution  désignés  pour  les  principaux 
concours  des  classes  instrumentales  du  Conservatoire  :  Piano,  hommes  : 
lre  Ballade  de  Chopin.  —  Piano,  femmes  :  Concerto  en  sol  mineur,  de 
M.  C.  Saint-Saêns.  —  Piano  (classes  préparatoires),  hommes  :  3e  Concerto 
de  Henri  Herz.  —  Piano  (classes  préparatoires),  femmes  :  Concerto  en  la 
mineur,  d'Hummel.  —  Harpe  :  Concerto,  op.  81,  de  Parish-Alvars.  — 
Violon  :  lel  concerto  de  Paganini.  —  Violon  (darses  préparatoires)  : 
19e  Concerto  de  Kreutzer.  —  Violoncelle  :  8e  Concerto  de  Romberg.  — 
Contrebasse  :  Morceau  de  concours  de  M.  Verrimst. 

—  La  Commission  des  théâtres  s'est  réunie  vendredi,  sous  la  présidence 
de  M.  L.  Bourgeois,  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts, 
pour  entendre  la  lecture  du  rapport  rédigé  par  M.  Charles  Garnier,  au 
nom  de  la  sous-Commission  qu'elle  avait  chargée  d'étudier  la  question 
des  décors  de  l'Opéra  et  qui  comprenait,  avec  l'éminent  architecte, 
MM.  Antonin  Proust  et  Durier.  Ce  rapport,  au  dire  des  membres  de  la 
Commission  que  nous  avons  pu  consulter,  est  un  modèle  de  science  théâ- 
trale, de  précision  et  de  mesure.  Il  passe  en  revue  l'état  du  matériel 
tout  entier,  par  comparaison  entre  ce  qu'il  était  lors  de  la  prise  de  pos- 
session par  MM.  Ritt  et  Galhard  et  ce  qu'il  est  aujourd'hui.  Il  conclut  à 
une  réfection  nécessaire  et  laisse  à  la  Commission  le  soin  d'en  recher- 
cher les  moyens.  Une  longue  discussion  s'est  aussitôt  engagée  à  laquelle 
ont  surtout  pris  part,  outre  le  ministre  et  M.  Larroumet,  directeur  des 
Beaux-Arts,  MM.  Proust,  Garnier.  Durier,  Emmanuel  Arène,  Denorman- 
die,  etc.  L'ordre  du  jour  suivant  a  été  voté  sur  la  proposition  de  M.  De- 
normandie  :  «  La  Commission  estime  qu'en  présence  du  litige  qui  existe 
entre  l'administration  des  Beaux-arts  et  la  direction  de  l'Opéra,  il  con- 
vient, avant  de  faire  valoir  les  droits  que  l'administration  peut  avoir  à 
invoquer,  de  tenter  un  règlement  transactionnel.  »  La  sous-Commission 
a  été  chargée  de  préparer  les  voies  et  moyens  de  ce  règlement,  sous  la 
présidence  de  M.  Larroumet,  directeur  des  Beaux-Arts. 

—  Vendredi  dernier,  le  ministre  des  beaux-arts  devait  être  entendu  par 
la  commission  du  budget,  au  sujet  des  subventions  théâtrales.  A  ce 
propos  M.  Francis  Magnard,  du  Figaro,  l'esprit  très  modéré  et  plein  de 
bon  sens  que  l'on  sait,  faitles  réflexions  suivantes,  qui  viennent  à  l'appui 
d'une  thèse  que  nous  avons  souvent  nous-mème  développée  :  «  Ce  n'est 
pas  au  principe  des  subventions  que  nous  sommes  hostile,  comme  on  a 
feint  de  le  croire,  mais  à  leur 'fonctionnement  actuel.  Nous  voudrions, 
au  contraire,  une  caisse  des  musées  largement  dotée;  nous  voudrions  un 
Opéra-type  réalisant  les  meilleurs  conditions  d'art  et  de  spectacle;  nous 
savons  que  cela  coûterait  plus  cher  que  ce  que  nous  avons  et  nous  ne 
regretterions  point  la  dépense,  tandis  qu'avec,  le  système  en  vigueur  la 
dépense  existe  sans  qu'elle  fasse  honneur  au  budget  et  serve  les  intérêts 
de  l'art.  —  La  querelle  n'a  rien  de  personnel;  nous  ne  relevons  d'aucune 
coterie,  nous  n'avons  aucun  candidat  à  présenter  pour  la  direction  de 
l'Opéra.  Bien  plus,  nous  sommes  convaincu  que  les  successeurs  de  M.  Ritt 
ne  le  dirigeraient  pas  mieux,  au  point  de  vue  artistique,  si  on  ne  modi- 
fiait pas  le  cahier  des  charges.  Là  est  le  nœud  de  la  question  :  M.  Ritt 
et  M.  Gailhard  l'ayant  accepté  en  connaissance  de  cause,  ils  sont  tenus 
d'en  remplir  les  conditions,  et  les  irrégularités  de  leur  gestion  donnent 
barre  contre  eux,  mais  c'est  dans  ce  cahier  des  charges,  nous  le  répé- 
tons, que  gît  le  mal.  Il  devrait  être  revu  de  fond  en  comble.  Quand  les 
directeurs  actuels  plaident  leur  cause,  ils  sont  maladroits  en  voulant  nous 
prouver  qu'ils  dirigent  artistiquement  leur  affaire.  Leur  troupe  est  mé- 
diocre dans  son  ensemble,  les  chœurs  et  l'orchestre  chantent  ou  jouent 
comme  on  va  à  son  bureau.  Le  répertoire  est  monotone,  les  décors  sont 
ordinaires,  les  costumes  manquent  d'élégance,  et  dans  les  ballets  jamais 
un  ensemble  de  couleurs  ne  charme  l'œil.  Donc,  direction  antiartistique. 
Où  ils  deviennent  excusables,  c'est  quand  ils  se  plaignent  des  frais  déme- 
surés qu'exige  le  grand  gâteau  monté  qui  s'appelle  le  théâtre  de  l'Opéra, 
de  l'impossibilité  de  varier  le  répertoire  parce  que  l'emplacement  manque 
pour  un  magasin  de  décors.  Ils  peuvent  se  plaindre  de  beaucoup  d'autres 
choses,  de  la  difficulté  de  recruter  des  chanteurs,  de  la  coupe  obligatoire 
en  cinq  actes  pour  les  opéras  quand  même  le  sujet  n'en  comporte  que 
trois,  etc.,  etc.;  bref,  de  ce  cahier  des  charges,  dont  il  faudrait  voter  la 
réforme  en  même  temps  qu'on  admettra  le  principe  des  subventions  — 
car  on  l'admettra  pour  ne  pas  avoir  l'air  de  ne  point  protéger  les  arts  et 
de  dédaigner  le  tutu  des  danseuses.  » 

—  A  l'Opéra,  engagements  sur  engagements,  pour  faire  croire  à  la 
Commission  du  budget  que  la  troupe  est  aussi  nombreuse  que  distinguée. 
Cette  semaine  on  a  enrôlé  coup  sur  coup  le  ténor  Vergnet  et  M""  Durand- 
Ulbach.   De  plus,  on  nous  laisse  entrevoir  la  possibilité  d'une  rentrée  de 


M"10  Richard.  Pourquoi  n'arriver  à  toutes  ces  belles  choses  que  contraints 
et  forcés  et  sous  la  pression  continuelle  de  l'opinion  publique  exaspérée? 
N'aurait-on  pas  mieux  fait  de  s'exécuter  tout  de  suite  avec  grâce? 

—  A  l'Opéra-Comique,  M.  Paravey  vient  de  recevoir  un  drame  lyrique 
en  quatre  actes,  Enguerrande,  paroles  de  MM.  Victor  Wilder  etE.Bergerat, 
musique  de  M.  E.  Chapuis.  M.  Chapuis  est  l'auteur  des  Jardins  d'Armide, 
œuvre  lyrique  couronnée  au  concours  de  la  Ville  de  Paris,  il  y  a  deux  ans. 
Enguerrande  prendra  rang  après  les  innombrables  ouvrages  déjà  reçus  par  le 
directeur  et  qui  attendent  leur  tour  avec  tant  de  résignation. 

—  Dans  sa  dernière  séance,  l'Académie  des  beaux-arts  a  décerné  le 
prix  Bordin,  de  3,000  francs,  dont  le  sujet  était  cette  année  :  De  la  musique 
en  France,  à  M.  Arthur  Coquard,  auteur  du  manuscrit  n°  A,  portant  pour 
devise:  «  L'expression  est  le  caractère  propre  de  la  musique.  » 

—  Lundi  a  eu  lieu,  dans  la  grande  salle  du  Conservatoire  de  musique, 
l'Assemblée  générale  annuelle  de  l'Association  des  artistes  dramatiques. 
M.  Garraud,  secrétaire-rapporteur,  a  d'abord  lu  son  rapport  sur  les  tra- 
vaux de  l'exercice  1889-90.  En  voici  les  passages  les  plus  intéressants  : 
«  La  Société  arrive,  cette  année,  à  la  cinquantième  année  de  son  exis- 
tence. Elle  a  commencé  par  une  première  mise  de  1,000  francs,  don  de 
son  fondateur,  le  baron  Taylor,  et  aujourd'hui  l'Association  des  artistes, 
en  y  comprenant  les  quatre  associations  également  fondées  par  le  regretté 
baron  Taylor,  a  réalisé  la  somme  de  21,938,114  francs  de  recettes.  Sur 
cette  somme,  il  a  été  distribué,  en  secours  et  en  pensions,  7,351,001 
francs.  L'Association  s'est  augmentée  cette  année  de  dix-huit  nouveaux 
sociétaires  perpétuels,  ce  qui  porte  à  3,304  le  nombre  total  de  ses  mem- 
bres. L'Association  a  reçu  de  nombreux  dons  ;  parmi  les  plus  importants, 
citons  :  une  somme  de  1,000  francs,  don  de  M.  Mounet-Sully,  a  l'occa- 
sion de  sa  nomination  de  chevalier  de  la  Légion  d'honneur  ;  une  autre 
somme  de  10,000  francs,  don  de  Gaston  Mélingue,  à  la  mémoire  de  ses 
père  et  mère  ;  une  pension  perpétuelle  de  300  francs,  don  de  M™0  veuve 
Christian,  à  la  mémoire  de  son  mari,  pension  qui  portera  le  nom  de  sa 
fondatrice.  Voici  un  exemple  assez  frappant  de  l'utilité  de  l'Association, 
et  qui  démontre  quels  grands  services  elle  est  appelée  à  rendre  à  tous  ses 
membres:  huit  sociétaires  décédés,  qui  avaient  versé  à  la  caisse,  pendant 
leur  vie,  une  somme  de  3,893  francs,  ont  touché  des  pensions  s'élevant 
à  So,608  fr.  3o  c.  38  pensions  nouvelles  ont  été  créées  cette  année  ; 
Mm°  Jouassain  a  fait  abandon  de  la  sienne  au  profit  des  membres  malheureux 
de  la  Société.  »  Après  la  lecture  de  ce  rapport,  il  a  été  procédé  à 
l'élection  du  président  et  de  sept  membres  du  comité.  Nombre  des  votants: 
240.  M.  Halanzier  a  été  réélu  président  à  l'unanimité.  Membres  sortants 
réélus  :  MM.  Dumaine,  240  voix  ;  Saint-Germain,  239  voix  ;  Pellerin,  240 
voix;  Morlet,  "240  voix;  E.  Bertrand,  220  voix;  Coquelin  cadet,  240 voix. 
Membre  nouveau  :  M.  Raphaël  Duflos,  par  233  voix,  en  remplacement  de 
M.  Laray,  décédé. 

—  On  continue  de  s'entretenir  avec  activité  de  la  reconstitution  si  inté- 
ressante du  Théâtre-Lyrique  dans  la  salle  de  l'Eden-Théâtre.  M.  Verdhurt, 
qui  serait  à  la  tète  de  la  nouvelle  entreprise,  a  adressé  cette  semaine  à 
la  presse  la  note  que  voici:  «  En  dehors  du  répertoire  que  M.  Verdhurt  a 
formé  l'hiver  dernier,  en  vue  de  Paris,  au  nouveau  Théâtre-Lyrique 
français  de  Rouen,  aucun  ouvrage  nouveau  n'a  été  encore  reçu  par  lui 
pour  la  saison  prochaine  de  l'Eden,  où  il  installera  le  Théâtre-Lyrique  en 
septembre.  Les  œuvres  dont  la  représentation  est  jusqu'à  présent  décidée 
sont  donc  seulement  :  Samsonet  Dalila,  le  Vénitien,  la  Coupe  et  les  Lèvres  et  le 
Printemps.  En  outre,  Gwendoline,  de  MM.  Emmanuel  Chabrier  et  Catulle 
Mendès,  Chanson  nouvelle,  de  MM.  Jules  Bordier  et  Henri  Moreau,  reçus 
déjà  l'année  dernière  et  qui  n'ont  pu  être  représentés.  La  troupe  du 
Théâtre-Lyrique  est  en  voie  de  formation.  Les  artistes  —  musiciens,  cho- 
ristes et  danseuses  —  qui  désireraient  en  faire  partie  peuvent  adresser 
leur  demande  écrite  à  M.  Verdhurt,  au  théâtre  de  l'Eden.  Ils  seront  con- 
voqués en  temps  utile  pour  examen  ou  audition.  »  Aujourd'hui,  on 
annonce  que  les  actes  relatifs  à  la  transformation  de  la  salle  de  l'Eden 
sont  signés  par  les  parties,  que  l'ouverture  du  nouveau  Théâtre-Lyrique 
aura  lieu  en  octobre  prochain,  et  que  le  secrétaire  général  de  l'adminis- 
tration sera  notre  confrère  M.  PaulLordon.  S'il  en  est  ainsi,  tout  est  pour  le 
mieux,  et  nous  ne  pouvons  que  souhaiter  longue  vie  et  réussite  brillants 
à  un  théâtre  que  nous  avons  toujours  appelé  de  tous  nos  vœux. 

—  C'est  irrévocablement  mercredi  prochain  que  sera  donnée,  à  l'Hip- 
podrome, la  première  représentation  de  Jeanne  d'Arc,  légende  mimée  en 
quatre  tableaux,  avec  musique  de  M.  Ch.  Widor. 

—  Nous  croyons  qu'il  n'est  pas  inutile  d'insister  sur  l'importance  de  la 
correspondance  suivante  adressée  de  Londres  au  Figaro,  et  qui  rend 
compte  de  l'effet  considérable  produit  dans  la  capitale  du  Royaume-Uni 
par  les  représentations  lyriques  françaises  :  «  Grand  succès  à  Covent- 
Garden  pour  Roméo  et  Juliette,  chanté  en  français  par  M'»e  Melba,  Jean  et 
Edouard  de  Reszké.  Pas  une  loge,  pas  une  place  qui  ne  fut  occupée  ; 
tout  ce  que  l'Angleterre  possède  de  grands  noms  et  de  jolies  femmes 
était  là  réuni.  C'est  par  dizaine  de  millions  qu'il  eut  fallu  estimer  les 
diamants  étalés  sur  les  épaules  nues  !  Ce  qui  s'est  passé  ce  soir  semble 
être  le  début  d'une  révolution  dans  les  habitudes  anglaises  au  théâtre. 
Le  public  de  Londres  parait  prendre  un  plaisir  extrême  à  l'audition  de 
l'opéra  français  et  pourrait  bien  exiger,    dans  l'avenir,  qu'il  fut  substitué 

I      au  répertoire  italien.  La  Favorite  a  été  chantée  en  français,  pour  le  début 


200 


LE  MÉNESTREL 


de  Mnlc  Richard;  Carmen  et  Esmeralda,  du  jeune  compositeur  anglais, 
M.  Goring  Thomas,  seront,  chantés  dans  notre  langue.  MM.  Lassalle,  Jean 
etÉdouard  de  Reszké,  sur  la  proposition  qui  leur  a  été  faite  par  le  co- 
mité-directeur de  Covent-Garden  de  doubler  leurs  cachets  pour  la  saison 
prochaine,  s'ils  consentaient  à  revenir,  ont,  à  ces  conditions,  renouvelé 
leurs  engagements  pour  1891.  M.  Lassalle  a  eu  un  très  vif  succès  dans 
Hans  Sachs  des  Maîtres  chanxurs.  Le  Prophète  ne  sera  donné  qu'après 
les  courses  d'Ascot,  cela  sur  le  désir  exprimé  par  S.-  A.  R.  le  prince  de 
Galles,  qui  tient  à  assister  à  cette  première.  »  Ce  qui  vient  de  se  produire 
pouvait  être  facilement  prévu,  et  pour  les  esprits  attentifs  il  paraissait 
certain  qu'à  un  moment  donné  l'opéra  français  proprement  dit  ferait 
place,  sur  les  scènes  étrangères,  à  l'opéra  français  italianisé.  En  effet,  le 
centre  de  production  musicale  s'est  déplacé  depuis  un  demi-siècle;  d'Italie 
il  est  venu  en  France,  et  de  la  France  il  rayonne  sur  tous  les  pays. 
Puisqu'il  en  est  ainsi,  pourquoi  s'obstinerait-on  plus  longtemps  à  le 
dénationaliser,  et,  par  suite  d'une  habitude  séculaire,  à  chanter  en  italien 
des  œuvres  qui  n'ont  plus  absolument  rien  d'italien?  Le  fait  serait  d'autant 
plus  singulier  que  la  langue  française  est  beaucoup  plus  répandue  de 
tous  côtés  que  la  langue  italienne,  et  que  les  dilettantes  de  tous  pays 
s'accommoderaient  beaucoup  plus  de  la  langue  de  Molière  et  de  Voltaire 
que  de  celle  de  Dante  et  de  Pétrarque,  par  ce  fait  qu'elle  leur  est  beaucoup 
plus  familière.  Pour  ces  diverses  raisons,  nous  croyons  que,  dans  un 
avenir  très  prochain,  toutes  les  grandes  scènes  lyriques  internationales 
substitueront  l'opéra  français  à  l'opéra  italien. 

—  Un  jugement  intéressant.  Le  tribunal  correctionnel  de  Reims  vientde 
juger,  comme  beaucoup  d'autres  tribunaux  déjà,  que  la  reproduction  ma- 
nuscrite d'une  partition  d'opéra  et,  en  général,  de  toute  œuvre  littéraire 
ou  artistique,  constitue  manifestement  la  contrefaçon,  et  que  le  directeur 
qui  fait  exécuter  cet  opéra  sur  son  théâtre,  à  l'aide  de  partitions  manus- 
crites, se  rend  coupable  du  même  délit.  Ce  jugement  est  intervenu  à  la 
requête  d'un  certain  nombre  d'éditeurs  de  musique  qui  avaient  fait  saisir 
entre  les  mains  de  M.  Vilanou,  directeur  du  Grand-Théâtre  de  Reims,  des 
copies  manuscrites  de  partitions  et  de  parties  d'orchestre.  Le  tribunal  de 
Reims  a  donc  condamné  le  prévenu  à  une  amende  et  à  des  dommages - 
intérêts  envers  les  plaignants. 

—  M.  Jules  Gariez,  directeur  du  Conservatoire  de  Caen,  à  qui  l'on  doit 
déjà  nombre  d'écrits  sur  la  musique  et  les  musiciens,  a  publié  récem- 
men,  un  opuscule  de  21  pages  :  Deux  poèmes  sur  la  musique  (Caen, 
Delesques,  éditeur),  qui  avait  été  inséré  d'abord  dans  les  Mémoires  de 
l'Académie  de  Caen.  Cette  brochure  est  une  analyse  assez  curieuse  de 
deux  poèmes  relatifs  à  la  musique  dus  à  un  écrivain  du  dix^huitième 
siècle,  Jean  de  Serré  de  Rieux,  et  compris  par  lui  dans  un  livre  publié 
sous  ce  titre  :  les  Dons  des  enfants  de  Latone.  Le  premier  est  intitulé 
Apollon  ou  l'Origine  des  spectacles  en  musique,  le  second  simplement  :  la 
Musique.  Tous  deux  sont  des  espèces  de  poèmes  didactiques,  curieux  en 
leur  genre  et  non  sans  quelque  intérêt,  que  M.  Jules  Cariez  a  eu  raison 
de  remettre  ingénieusement  en  lumière  et  de  tirer  d'un  complet   oubli. 

—  La  mise  en  scène  de  Salammbô  au  point  de  vue  archéologique,  tel  est  le 
,  titre  d'une   mince  brochure    de  huit  pages  que    vient  de  faire  paraître  à 

Bruxelles  M.  Paul  Saintenoy,  architecte.  C'est  une  appréciation  et  une 
critique  raisonnée  de  la  façon  dont  ont  été  conçus  et  exécutés  par 
MM.  Lynen  et  Devis,  décorateurs  du  théâtre  de  la  Monnaie,  les  décors 
de  l'opéra  de  M.  Reyer.  Les  observations  contenues  dans  ce  petit  écrit, 
dont  l'auteur  estsecrétaire  général  de  la  Société  d'archéologie  de  Bruxelles, 
ne  seront  sans  doute  pas,  le  cas  échéant,  inutiles  aux  directeurs  de 
notre  Opéra,  si,  comme  on  l'assure,  ces  messieurs,  après  avoir  dédaigné 
Salammbô  lorsque  l'ouvrage  était  inédit,  sont  décidés  à  le  monter  aujour- 
d'hui que  le  public  de  Bruxelles  en  a  eu  la  primeur. 

—  A  l'occasion  de  la  superbe  restauration,  ou  plutôt  de  la  reconstruc- 
tion que  M.  Cavaillé-Coll  vient  de  faire  subir  à  l'orgue  de  la  cathédrale 
d'Amiens,  on  vient  de  publier  en  cette  ville  (Langlois,  éditeur)  une 
notice  historique  et  descriptive  sur  les  Grandes  Orgues  ae  la  cathédrale 
d'Amiens.  Cette  notice  est  plus  intéressante  que  ne  le  sont  parfois  les 
brochures  de  ce  genre,  en  ce  qu'elle  retrace  l'histoire  de  l'orgue  d'Amiens, 
qu'elle  rappelle  sommairement  les  admirables  travaux  qui  ont  fait  de 
M.  Cavaillé-Coll  le  premier  facteur  d'orgues  du  monde  entier,  et  qu'elle 
reproduit  des  lettres  de  MM.  Théodore  Dubois,  Guilmant  et  Widor,  dans 
lesquelles  ces  excellents  artistes  proclament  éloquemment  son  incontes- 
table supériorité  sur  ses  confrères  de  tous  les  pays,  même  les  plus  dis- 
tingués. Tous  ceux  qui  auront  en  main  cette  brochure  la  liront  avec 
autant  d'intérêt  que  de   plaisir. 

—  Lundi  dernier,  M.  Louis  Diémer  a  donné  une  nouvelle  audition  de 
ses  élèves,  salle  Érard,  dans  laquelle  on  a  exécuté  exclusivement  de  la 
musique  classique.  MM.  Quévremont,  J.  Baume  et  Bonnel  se  sont  particu- 
lièrement fait  remarquer;  on  a  aussi  fort  justement  apprécié  MM.  Cathe- 
rine, Niederhoffeim,  Désespringalle  et  L.  Aubert.  MM.  Galand  et  Pierret, 
tous  deux  malades,  n'ont  pu  prendre  part  à  l'audition  ;  ils  ont  été  bril- 
lamment remplacés  par  M.  Victor  Staub. 

—  Au  cours  de  musique  siexcellent  de  M°«>  Poulain,  il  y  a  eu  une  audi- 
tion d'élèves   entièrement   consacrée   aux   œuvres  d'Antonin  Marmontel. 


Parmi  les  œuvres  de  piano,  citons  entre  les  plus  charmantes  et  les  plus 
applaudies  :  Le  long  du  Chemin,  cette  petite  pièce  piquante  qui  est  l'un 
des  grands  succès  de  cette  année  avec  la  Valse-Sérénade,  d'une  tournure  si 
gracieuse,  puis  encore  l'Intermezzo,  la  Chanson  arabe,  la  Chanson  slave,  la  Valse- 
Caprice,  la  Tarentelle  à  2  pianos,  etc.  —  Parmi  les  mélodies  :  la  Sérénade, 
la  Chanson- d'Automne,  Aubade,  et  Au  désert,  chantées  tour  à  tour  par 
Mme  Boidin-Puisais  et  M'1"-  J.  Brun.  Toutes  les  élèves  de  Mme  Poulain, 
petites  et  grandes,  se  sont  fort  bien  comportées  et  elles  ont  fait  honneur 
à  leur  professeur. 

—  La  dernière  audition  des  élèves  de  M.  André  "Wormser,  qui  a  eu 
lieu  dimanche,  chez  lui,  a  été  un  nouveau  et  grand  succès  pour  le  sym- 
pathique compositeur  et  son  précieux  enseignement.  Parmi  les  morceaux 
les  plus  appréciés,  citons:  une  ravissante  gigue  du  jeune  maître  et  sa  ma- 
gistrale transcription  à  huit  mains  du  Cortège  de  Bachus  de  Sylvia  ;  la 
Fantaisie  hongroise  de  Liszt,  une  Valse  de  Lack,  le  3e  Concerto  de  Pfeiffer,  etc. 

—  Très  intéressante  séance  ds  En  d'année  à  l'école  de  musique  de 
M.  et  de  Mme  Amand  Chevé.  On  a  applaudi  les  élèves  du  premier  cours 
de  chant  dans  les  chœurs  :  Charmant  ruisseau,  de  M.  Albert  Renaud,  et  la 
Sérénade  napolitaine,  de  M.  Paladilhe.  Se  sont  particulièrement  distinguées 
parmi  les  élèves  solistes,  MUc  A.  Gaston  dans  Malgré  moi,  de  M.  Pugno, 
et  MIle  Chaix  dans  une  Sérénade  de  M.  Viardot. 

—  Mardi  dernier,  salle  Thibout,  très  intéressante  audition  des  élèves 
de  M""  Guéroult.  Le  programme  était  composé  d'oeuvres  modernes  de 
MM.  Lack,  Thomé,  Barbedette,  Bourgeois.  Grand  succès  pour  M1Ie  Gros- 
richard,  dans  le  scherzo  de  M.  H.  Barbedette,  ainsi  que  dans  Mandante  de 
la  première  sonate  du  même  auteur,  pour  piano  et  violon.  Le  trio  en 
ut  mineur  de  M.  Emile  Bourgeois  a  produit  un  très  grand  effet.  Parmi  les 
élèves  de  Mm0  Guéroult  nous  devons  citer,outreMUcGrosrichard,  M"rePeignot, 
Mathenetet  Numa,  qui  ont  été  très  applaudies.  M.  Lemaitre  avait  prêté  à 
cette  charmante  matinée  le  concours  de  son  grand  talent   de  violoniste. 

—  Du  journal  V Indépendant  des  Pyrénées-Orientales,  qui  rend  compte  du 
grand  concours  instrumental  d'orphéons  venant  d'avoir  lieu  à  Perpignan  : 
«...  Vient  ensuite  l'exécution  de  la  cantate  de  M.  Bourgault-Ducoudray, 
la  Mort  de  Rolani,  par  l'orphéon  de  Perpignan,  l'École  philharmonique  de 
Toulouse,  les  orphéons  de  Latour  et  de  l'Isle-en-Jourdain,  les  élèves  du 
Conservatoire  et  la  musique  du  12e  de  ligne.  M.  Gabriel  Baille  conduit  les 
sociétés  chorales  et  M.  Adeilhac  la  musique  du  12e  de  ligne.  Il  est  fâcheux 
que  le  tumulte  épouvantable  produit  par  le  défaut  d'organisation  ait  em- 
pêché d'entendre  la  première  partie  de  la  cantate.  L'œuvre  de  M.  Bourgault- 
Ducoudray  n'en  a  pas  moins  produit  u.i  puissant  effet,  et  chanteurs  et 
musiciens  ont  été  longuement  applaudis.  Le  public  réclame  l'auteur;  les 
invités  des  tribunes  se  lèvent  et  font  une  ovation  à  M.  Bourgault-Ducoudray. 
qui  est  visiblement  ému.  Il  donne  l'accolade  à  M.  Gabriel  Baille  au  milieu 
des  applaudissements  unanimes  de  l'assistance.  » 

—  On  nous  écrit  de  Rennes  pour  nous  signaler  la  dernière  audition 
d'élèves  de  Mrae  Pilet-Comettant,  qui  à  été  particulièrement  brillante.  Le 
défilé  musical  était  aussi  gracieux  à  voir  qu'intéressant  à  entendre.  Parmi 
ces  jeunes  pianistes,  il  en  est  qui  sont  déjà  en  possession  d'un  véritable 
talent;  il  en  est  même  une,  MUc  Bournichon,  qui  compte  aujourd'hui 
parmi  les  jeunes  professeurs  de  la  ville.  Deux  artistes'  de  talent  et  fort 
appréciés  à  Rennes,  M.  Grouanne,  violoniste,  et  M.  Fablet,  violoncelliste,, 
ont,  avec  une  cantatrice  amateur  des  plus  distinguées,  M'"0Galicier,  prêté 
leur  concours  à  cette  audition,  dont  on  gardera  le  souvenir. 

NÉCROLOGIE 

Un  compositeur  français  d'un  réel  talent,  Théodore  de  Lajarte,  est  mort 
brusquement  vendredi  soir,  d'une  congestion  cérébrale.  Il  se  trouvait 
chez  un  de  ses  amis,  rue  Grange-Batelière,  quand,  vers  quatre  heures  du 
soir,  il  a  été  frappé.  Reconduit  à  son  domicile,  rue  Berryer,  il  y  est  mort 
vers  dix  heures,  sans  avoir  repris  connaissance.  Auteur  du  Secret  de  l'oncle 
Vincent,  de  Mam'zelle  Pénélope,  du  Neveu  de  Gulliver  et  autres  petits  opéras 
jouées  de  '1850  à  1870,  Théodore  de  Lajarte  était  aussi  un  critique  musical 
fort  apprécié  et  surtout  un  musicien  érudit.  Il  n'avait  pas  son  pareil 
pour  fouiller  dans  les  vieux  manuscrits  et  reconstituer  la  musique  archaïque. 
Ces  jours-ci,  encore,  il  dirigeait  à  Montpellier  une  fête  artistique  pleine 
de  couleur  locale  et  fournissait  au  correspondant  du  Petit  Journal  des  notes 
intéressantes  sur  le  travail  curieux  auquel  il  s'était  livré  à  cette  occasion. 
C'aura  été  son  dernier  ouvrage.  Théodore  de  Lajarte  avait  soixante-quatre 
ans;  il  était  archiviste  de  l'Opéra  depuis  une  quinzaine  d'années. 

—  On  annonce  la  mort  de  M.  Edmond  Lemaigre,  organiste  et  maître 
de  chapelle  de  la  cathédrale  de  Clermont-Ferrand.  C'était  un  artiste  des 
plus  distingués,  élève  d'Edouard  Batiste.  Pendant  l'été  il  dirigeait  l'or- 
chestre du  casino  de  Royat.  Il  laisse  des  compositions  d'orgue  fort 
estimées 

Henri  Heugel.  directeur-géi ant . 

A  CÉDER,  dans  bonne  ville  de  province,  préfecture,  magasin  de  musique 
et  pianos,  très  bien  situé.  Bonne  clientèle.  S'adresser  aux  bureaux  du  journal. 


mrill  >IIIUE  CHAH. 


3091  —  56™  ANNEE  —  N°  26.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES  Dimanche  29  Juin  1890. 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
{Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journa!,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


TREL 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  "20  l'r.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr,,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus- 


SOMMAIRE-TEXTE 


ï.  Notes  d'un  librettiste  :  Georges  Bizet  ("•  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Semaine 
théâtrale:  La  direction  de  l'Opéra  devant  la  Commission  du  budget;  Jeanne 
■cVArc  à  l'Hippodrome,  H.  Moreno!  —  III.  Le  théâtre  à  l'Exposition  ('26  article), 
Arthur  Pougin.  —  IV.  Histoire  vraie  des  héros  d'opéra  et  d'opéra-comique 
(35=  article)  Puccio  d'Aniello,  Edmond  Neukomm.  —  V.  Nouvelles  diverses,  con- 
certs et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

CRÉPUSCULE 

Nouvelle   mélodie   de  Darston,  poésie  de    Rosemonde  Gérard.  —  Suivra 

immédiatement:  les  Pommiers,  nouvelle  mélodie  d'ÉMiLE  Bourgeois,  poésie 

•de  F.  Couturier. 

PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
-de  piako:  Un  Sourire,  de  Ed.  Chavagnat.  —  Suivra  immédiatement:  Deu- 
xième Valse  hongroise,  de   Théodore  Lack. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


GEORGES  BIZET 


De  Paris,  où  il  était  rentré  et  où  il  faisait  modestement  et 
bravement  son  devoir,  il  écrivait  sous  une  tout  autre  im- 
pression, le  26  décembre  1870.  Les  événements  avaient 
marché  terriblement,  on  le  sait,  entre  les  dates  de  ces 
deux  lettres  : 

«c  L'Officiel  de  ce  matin  me  faisait  espérer  votre  prochain 
retour.  Nepthali  me  dit  que,  vu  votre  conduile  exemplaire, 
vos  supérieurs  demandent  à  vous  garder...  Tu  n'as  sans  doute 
pas  lu  l'Officiel  de  ce  matin  :  les  nombreux  et  importants 
•extraits  des  Gazettes  de  Breslau,  de  Silésie,  ont  fait  ici  une 
impression  excellente.  Avant  de  reprendre  Orléans,  ils  ont 
■été  rudement  éprouvés.  Il  y  a  loin  de  ces  combats  acharnés, 
souvent  heureux,  aux  désastres  de  Forbach,  de  Sedan,  etc.- 
Décidément,  ces  trois  mois  de  République  ont  enlevé  le  plus 
.gros  de  l'épaisse  couche  de  honte  et  d'ordure  dont  cet 
infâme  empire  avait  badigeonné  le  pays. 

»  Je  pressens  que  Gambetta  est  bien  l'homme  que  nous 
•espérions. 

»  Chasser  les  Prussiens  et  garder  la  République!  C'est 
dur,  mais  mon  espoir  augmente  chaque  jour.  » 

Une  curieuse  ec  amusante  lettre  se  place  dans  cette  col- 
lection entre  celles  que  je  viens  de  citer.  Elle  fait  voir  un 
peu  de  la  physionomie  de  Paris  pendant  le  terrible  hiver  du 
siège;    elle   évoque    une  vivante    et    réjouissante   image    de 


celui  qui  fut  l'éditeur  et  l'ami  de  G.  Bizet,  Choudens,  un 
original,  qui  la  «  faisait  »,  comme  on  dit,  au  scepticisme, 
et  dont  les  vives  boutades  d'esprit  n'altéraient  pas  la  foncière 
bonté  de  cœur. 

Cette  lettre  est  du  13  décembre.  Guiraud  est  hors  de  Paris, 
quelque  part  aux  avant-postes.  Marié,  Bizet  est  resté  dans  la 
ville,  son  tempérament  ardent  souffrant  fort  de  cette  situa- 
tion passive: 

«  Cher,  ta  description  enthousiaste  du  palais  que  tu  habites 
nous  rassure  un  peu  sur  ton  sort.  Chaque  jour  nous  pensons 
au  froid,  à  l'humidité,  au  riz,  aux  Prussiens  et  autres  ver- 
mines qui  te  menacent.  Je  continue  à  me  reprocher  mon 
inaction.  Vrai,  ma  conscience  n'est  pas  tranquille,  et  pourtant 
tu  sais,  toi,  ce  qui  me  retient  ici.  Je  me  reproche  sérieu- 
sement de  ne   faire  que  ce  que  la  loi  me  demande.  Enfin  I 

»  Nous  ne  mangeons  plus.  Suzanne  m'a  apporté  tout  à 
l'heure  quelques  os  de  cheval  que  nous  allons  nous  par- 
tager. G...  rêve  poulets  et  homards  toutes  les  nuits... 

»  Choudens  est  venu  tout  à  l'heure  chercher  les  mélodies 
que  je  lui  destinais.  J'ai  dû,  selon  ses  habitudes,  lui  don-, 
ner  préalablement  connaissance  des  paroles.  Tu  connais  les 
vers  d'Hugo  : 

Ceux  qui  pieusement  sont  morts  pour  la  patrie 

J'avais  intitulé  ce  morceau  :  Morts  pour  la  France!  —  A  ce  mot 
Choudens  m'interrompt: 

«  Bien  triste,  mon  ami,  bien  triste  !  Si  ça  vous  est  égal, 
pas  celle-là,  mon  ami,  pas  celle-là!  Ça  m'attristerait  d'avoir 
ça  dans  mon  magasin  !  Quand  le  siège  sera  fini,  nous  man- 
gerons un  gigot,  et  puis,  il  ne  sera  plus  jamais  question  de 
rien  ;  j'ai  beaucoup  souffert  depuis  trois  mois  !  —  J'ai  eu 
l'immense  douleur  de  séparer  mes  enfants  de  leur  père!  J'ai 
mal  mangé  !  Je  ne  mange  plus,  ce  qui  me  l'ait  engraisser 
considérablement!  Je  manque  de  charbon!  Mon  gendre  s'est 
enrhumé  au  rempart  !  Si  par  malheur  votre  affaire  avait  du 
succès,  je  serais  rasé  toute  la  journée  par  :  «  Morts  pour  la 
France,  monsieur,  S.  V.  P.  ?  »  Rasoir,  mon  ami,  rasoir!  — 
Chantez  donc  le  printemps,  les  roses,  l'amour  !  «  Viens  !  Ah  I 
viens  sous  les  bosquets  en  fleurs  !  »  D'ailleurs,  je  suis  étran- 
ger; et  puis,  j'ai  payé  ma  dette  :  Je  me  suis  fait  photogra- 
phier en  franc-tireur,  j'ai  mis  la  vareuse  de  mon  gendre  et 
un  chapeau  tyrolien  que  m'a  prêté  Carvalho.  —  Le  photo- 
graphe va  m'arranger  cela  :  je  serai  entre  Trochu  et  Ducrot. 
On  écrira  au-dessous  en  gros  caractères  :  Défense  de  Paris, 
1870!  Quelle  monstruosité  que  la  guerre!  J'ai  horreur  du 
sang,  surtout  du  mien!  Vous  savez,  je  ne  suis  pas  belli- 
queux! Depuis  trois  mois,  on  abreuve  nos  sillons!  —  En  voilà 
assez!  De  la  musique,  mon  ami,  de  la  musique!  En  faire,  en 
vendre  surtout,  voilà  la  vérité  !  Ah  !  pas  celle-là,  mon  ami, 
je  vous  en  prie,  pas  celle-là? 


202 


LE  MÉNESTREL 


»  Je  ne  change  pas  un  mot!...  Et  les  gestes,  la  panto- 
mime! Tu  vois  cela  d'ici?  » 

Je  n'ai  pu  résister  au  plaisir  de  citer  ce  monologue  du 
maître  éditeur  ;  ne  croirait-on  pas  entendre  un  personnage 
de  Labiche!  Et  de  quel  trait  vif  et  net  Georges  Bizet  l'a 
crayonné  sur  nature  !  Comme  il  est  vivant  et  parlant  pour 
ceux  qui  l'ont  connu  et  fréquenté  ! 

Choudens    était    de   nationalité    suisse,  très   français,  très 
parisien  d'ailleurs,  n'ayant  gardé  de  son  origine  que  le  béné- 
fice de  l'indépendance  d'esprit. 
* 

Pendant  les  jours  de  la  Commune,  Bizet  était  venu  cher- 
cher le  repos  dans  cette  maison  de  la  roule  des  Cultures, 
au  Vésinet,  qu'il  croyait  devoir  être,  durant  cette  période 
troublée,  la  maison  du  silence  et  du  travail. 

Un  immense  découragement  l'avait  pris,  après  le  premier 
siège  et,  durant  les  tristes  épisodes  du  second.  Il  voulait 
oublier  ;  la  canonnade  le  rappelait  à  la  réalité  : 

«  Nous  sommes  ici  campés,  sans  effets,  sans  livres,  et  pas 
moyen  de  rentrer  à  Paris!  On  s'est  battu  hier.  Aujourd'hui, 
le  canon    tonne.    (Cramponne-toi,    v'ià    qu'ça   r'commence). 
Quel  temps!  Quel  pays!  Quel  peuple!  Quelles  mœurs!  » 
Puis,  le  -17  avril  4871  : 

»  Cher  ami,  si  tu  as  quelques  nouvelles  de  Paris,  sois 
assez  gentil  pour  me  les  communiquer.  —  Ici  nous  ne  sa- 
vons rien.  —  Je  lis  des  journaux  de  Paris,  qui  célèbrent  les 
victoires  de  la  Commune;  je  lis  des  journaux  de  Versailles, 
qui  apprennent  aux  populations  abruties  que  la  France  est 
tranquille,  Paris  seul  excepté  (sic).  —  Qui  trompe-t-on  ici  ?  La 
Commune  ment,  je  le  veux;  mais  à  coup  sûr  M.  Thiers  ne  dit 
pas  la  vérité.  —  La  journée  du  14  a  été  chaude.  Durant 
douze  heures,  nous  avons  été  assourdis  par  la  canonnade. 
Il  nous  est  arrivé  des  réfugiés  de  Courbevoie  et  Neuilly,  etc. 
et  tous  s'accordent  à  donner  l'avantage  aux  gardes  nationaux. 

»  Nous  sommes  ici   tout   à  fait  en  sûreté,    hélas  !    On 

peut  se  battre  à  Rueil,  mais  au  Vésinet,  les  Prussiens  sont 
chez  eux.  —  Leurs  patrouilles  se  multiplient,  mais  nous  n'en 
sommes  pas  incommodés,  et,  selon  toute  probabilité,  ils 
n'occuperont  pas  le  Vésinet.  —  Dans  quelques  heures 
l'émeute  aura  un  mois  d'existence,  et  rien,  absolument  rien, 
ne  peut  faire  prévoir  la  fin  de  cette  situation  ruineuse 

»  Les  Prussiens  ont  désarmé  les  gardes  nationales  de  Puteaux, 
Carrières-Saint-Denis,  ed  aitri.  Les  paysans  de  Seine-et-Oise 
ne  sont  certes  pas  partisans  de  la  Commune  ;  mais  ils  ont  un 
grand  dégoût  du  Gouvernement  de  Versailles,  et,  vrai,  il  y  a 
de  quoi  !  Les  circulaires  de  Si.  Thiers  sont,  à  mon  sens,  de 
véritables  monstruosités,  tant  au  point  de  vue  politique  qu'au 
point  de  vue  humanitaire.  Des  militaires  sérieux  avouent 
qu'il  est  plus  que  difficile  de  prendre  Paris.  Neuilly,  Cour- 
bevoie, Meudon,  Clamart  sont  plus  abîmés  par  quinze  jours 
d'escarmouches  que  par  un  siège  de  cinq  mois.  L'Arc  de 
Triomphe  est  endommagé.  Mon  pauvre  ami,  je  suis  absolu- 
ment découragé  et  je  crains  qu'il  n'y  ait  plus  pour  nous 
d'avenir  possible! 

»  Je  vais  tout  à  l'heure  au  village  pour  y  examiner  un 

piano.  Je  voudrais  essayer  de  travailler,  d'oublier.  On  fait 
appel  aux  gardes  nationaux  bien  pensants  !  Il  est  bien  temps! 
Pour  ma  part,  je  ne  bouge  plus.  La  gauche,  la  droite  et  le 
centre  me  soulèvent  le  cœur.  Rochefort  dit  :  «  On  nous  an- 
nonce que  les  escarpes  sont  endommagées;  mais  nous  ne 
pouvons  savoir  s'il  s'agit  des  fortifications  ou  des  soldats  de 
Versailles.  » 

»  Napoléon,  Trochu,  Thiers,  Cluseret,  tout  cela  me  semble 
également  bête  et  répugnant.  A  qui  le  tour?  » 

C'est  au  courant  de  1873  que  mes  souvenirs  me  reportent, 
après  ce  iegard  jeté  sur  la  vie  intime  de  G.  Bizet  pendant 
les  tristes  jours  de  1870-71. 

L'Opéra  venait  de  représenter  la  Coupe  du  Roi  de  Thulé,  ou- 


vrage en  trois  actes,  dont  le  poème,  primé  au  concours  insti- 
tué par  le  ministère. des  Beaux-Arts  ,  en  1867,  nous  jeta,, 
Edouard  Blau  et  moi,  en  pleine  musique. 

Faure  jouait  le  principal  rôle  de  cet  ouvrage.  Eugène  Diaz, 
fils  du  célèbre  peintre,  auteur  de  la  partition  de  la  Coupe  du 
Moi  de  Thulé,  nous  amusait  de  ses  récits.  Il  avait  été,  pendant 
toute  cette  période  de  travail  qui  l'avait  conduit  au  triomphe, 
dans  une  perpétuelle  excitation  d'esprit.  Ayant  terminé  la 
composition  de  son  œuvre,  il  se  souciait  grandement  de 
l'instrumentation,  et,  modeste,  confiant  en  la  science  de  ses 
aînés,  il  allait  tour  à  tour  les  consulter.  A  Bizet  et  à  Guiraud 
il  venait,  anxieux,  demandant:  Que  mettrai-je  là?  Un  accom- 
pagnement de  flûte  ou  un  accompagnement  de  cor?  —  Moi, 
je  mettrais  la  flûte,  disait  Guiraud.  —  Moi,  je  mettrais  le 
cor,  disait  Bizet.  Eugène  Diaz,  perplexe,  soumettait  le  cas  à 
son  père.  Le  vieux  peintre,  très  philosophiquement,  répon- 
dait: »  La  flûte?  le  cor?  mets-les  deux,  comme  ça  tu  ne 
risques  pas  de  te  tromper.  » 

(A  suivre.)    -  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


LA  DIRECTION  DE  L'OPÉRA  DEVANT  LA  COMMISSION  DU  BUDGET 

Eh!  bien,  que  disons-nous  ici  depuis  trois  années?  Que  MM.  Ritt 
et  Gailhard  ne  tiennent  pas  leurs  engagements  envers  l'État.  Et 
nous  pensions  le  prouver  en  meltant  simplement  en  regard  le  texte 
du  cahier  des  charges  et  les  actes  de  leur  direction.  De  quel  nom 
peut-on  appeler  les  gens  qui  manquent  à  leur  signature?M.  Gailhard, 
qui  a  la  moralité  douteuse  du  cabotin,  peut  bien  l'ignorer,  mais 
M.  Ritt,  qui  est  un  ancien  commerçant,  doit  le  savoir. 

Et  pourtant  il  s'est  trouvé  un  tribunal  pour  trouver  que  nous 
avions  qualifié  trop  durement  les  deux  copains,  et  qui,  de  ce  fait, 
nous  a  condamnés,  dans  un  jugement  rendu  d'ailleurs  en  un  fort 
mauvais  français,  à  un  franc  de  dommages-intérêts  !  La  phraséo- 
logie creuse  et  la  fausse  sentimentalité  du  médiocre  avocat  de  ces 
messieurs  et  l'ambition  d'un  substitut  qui  espérait  de  l'avancement 
l'ont  emporté  sur  tous  les  arguments  lumineux  et  sur  toutes  les 
preuves  éclatantes  fournies  par  notre  défenseur.  Le  premier  pré- 
sident, M.  Aubépin,  avait  eu  le  bon  goût  de  tomber  malade  avant 
l'audience  et  de  passer  ses  pouvoirs  à  un  juge  qui.  n'aimant  pas  la. 
musique,  devait  avoir  naturellement  toutes  les  indulgences  pour 
ceux  qui  la  martyrisaient  de  la  façon    la  plus  odieuse. 

Appeler  de  ce  jugement?  J'en  eus  un  instant  l'intention.  Mais 
qui  m'eût  répondu  davantage  des  juges  d'une  Cour  si  bien  épurée, 
au  moment  précis  où  l'influenza  sévissait  à  Paris  avec  tant  de 
force.  J'ai  donc  tout  attendu  du  temps  pour  faire  triompher  ma> 
cause,  qui  était  la  bonne. 

Or,  voici  que  la  commission  du  budget,  qui  depuis  des  années 
fermait  volontairement  les  yeux  sur  les  méfaits  de  MM.  Ritt  et 
Gailhard,  vient  de  découvrir  tout  à  coup  que  l'attitude  des  deux, 
gentlemen  n'était  pas  décidément  des  plus  correctes.  Elle  a  déclaré 
dans  un  vote  formel  et  à  l'unanimité  «  qu'elle  avait  le  regret  de 
constater  que  le  cahier  des  charges  n'était  pas  exécuté  par  la  di- 
rection et  que  l'administration  des  Beaux-Arts  n'avait  pas  tenu  la 
main  à  l'exécution  dudit  cahier  des  charges.  » 

Pdur  marquer  sa  désapprobation,  la  Commission  a  réduit  de  mille 
francs  la  subvention  de  800,000  francs  accordée  à  l'Opéra,  et  de 
mille  francs  aussi  le  traitement  des  Commissaires  du  gouvernement 
chargés  de  veiller  à  l'exécution  du  cahier  des  charges. 

De  plus,  par  un  second  vote,  sur  la  proposition  de  M.  Clemen- 
ceau, il  a  été  convenu  que  «  le  principe  de  la  subvention  de 
l'Opéra  étant  admis,  et  les  799,000  francs  étant  volés  ferme,  l'attri- 
bution en  serait  réservée,  jusqu'au  jour  où  un  arrangement  accep- 
table serait  intervenu  entre  la  direction  de  l'Opéra  et  l'administra- 
tion des  Beaux-Arts  pour  la  réfection  des  décors  (1).  » 

»  En  outre,  le  rapporteur,  M.  Proust,  demandera  dans  son  rapport 
que  toutes  les  précautions  réclamées  par  la  préfecture  de  police,  en' 
cas  d'incendie,  soient  prises  à  l'Opéra  comme  dans  tous  les  autres 

(1)  Il  est  établi  que  les  décors  de  onze  opéras  ou  ballets  sont  en  mauvais  état: 
ceux  de  Çoppélia  et  de  Sijivia,  le*  Huguenots,  Don  Juan,  ta  Favorite,  Hainlet,  Faust, 
Guillaume  Tell,  la  Juive,  le  Prophète,  Robert  le  Diable.  Le  ministre  a  reconnu  que 
de  ce  chef  il  incombe  a  la  direction  une  grande  responsabilité. 


LE  MENESTREL 


203 


théâtres.  La  commission  a  constaté,   en  effet,  que  ces  précautions 
n'avaient  pas  été  prises. 

»  En  ce  qui  concerne  la  troupe,  le  ministre  a  pris  l'engagement 
de  veiller  à  l'exécution  du  cahier  des  charges.  Il  a  reconnu  qu'en 
effet  l'engagement  des  artistes  pour  un  certain  nombre  de  mois 
seulement  oblige  à  un  examen  attentif  pour  savoir  si  les  rôles  sont 
toujours  tenus  en  triple  comme  ils  doivent  l'être. 

»  Quant  aux  représentalions  à  prix  réduits,  il  a  reconnu  qu'il  en 
manque  plus  d'une  vingtaine  sur  le  chiffre  de  celles  qui  auraient  dû 
être  données,  et  il  s'est  engagé  à  contraindre  les  directeurs  de 
l'Opéra  à  payer  cet  arriéré.  » 

Pouvais-je  rêver  un  appel  plus  concluant  que  celui-ci  ?  Et  ce 
n'est  pas  à  vingt  insertions  que  les  directeurs  ont  été  condamnés. 
Il  n'est  pas  une  feuille  de  France  qui  n'ait  inséré  le  jugement  que 
vient  de  prononcer  la  Commission  du  budget.  Qu'en  pensez-vous, 
illustre  Ritt,  aimable  Gailhard? 

Mais  comment  en  a-t-on  pu  arriver  à  cet  état  de  désarroi  et  de 
laissez-faire  sur  notre  première  scène  lyrique  ?  C'est  là  qu'il  convient 
de  rechercher  les  responsabilités.  Ou  a  l'air  de  prendre  pour  bouc 
émissaire  le  malheureux  Commissaire  du  gouvernement  ;  le  plan 
arrêté  de  MM.  Ritt  et  Gailhard  paraît  être  de  se  cacher  toujours 
derrière  lui,  pour  éviter  les  coups  qui  les  menacent.  «  Si  nous  étions 
coupables,  disent-ils  avec  la  belle  audace  qui  les  caractérise, 
pourquoi  donc  nous  a-t-on  servi  chaque  mois  la  subvention?  Est-ce 
que  nous  n'avoDS  pas  là  une  sorte  de  quitus  qui  nous  a  été  donné 
par  le  commissaire  du  gouvernement.  »  A  d'autres,  mes  braves  gens. 
M.  Gouzien  est  assurément  un  fort  galant  homme,  qui  a  peut-être 
poussé  trop  loin  la  courtoisie  à  votre  égard;  mais  on  ne  fera  croire 
à  personne  que  les  divers  ministres  qui  se  sont  succédé  aux 
Beaux-Arts  n'aient  pas  été  tenus  au  courant  tous  les  mois,  soit  par 
rapports  écrits,  soit  de  vive  voix,  de  tout  ce  qui  se  passait  d'anormal 
à  l'Opéra.  Non,  le  commissaire  du  gouvernement  a  rempli  son 
devoir  dans  les  limites  du  possible.  Ceux  qui  n'ont  pas  rempli  le 
leur,  ce  sont  les  ministres  qui,  par  faiblesses  et  complaisances, 
ont  supporté  un  tel  état  de  choses,  malgré  les  avertissements  qui 
leur  arrivaient  de  toutes  parts.  Le  plus  coupable,  c'est  assurément 
M.  Fallières,  qui  a  consenti  aux  nouveaux  directeurs  cet  étonnant 
cahier  des  charges,  où  on  leur  accordait  tout  sans  mesure  et  sans 
précaution  d'aucune  sorte  ;  c'est  ensuite  la  série  des  ministres  qui 
lui  ont  succédé,  et  qui,  tous,  ont  subi  l'ascendant  et  l'impulsion  de 
M.  Constans,  le  grand  protecteur  de  MM.  Ritt  et  Gailhard.  Seul, 
M.  Lockroy  esquissait  un  mouvement  de  résistance,  quand  les 
hasards  de  la  politique  sont  venus  le  renverser  bien  mal  à  propos. 
Depuis,  M.  Bourgeois  est  entré  enfin  résolument  dans  la  voie  du 
droit  et  de  la  légalité.  Il  a  fait  des  enquêtes,  et  on  voit  ce  qui  en 
est  résulté. 

Pour  nous,  qui  ne  relevons  d'aucun  ministre  et  qui  vivons  libre 
et  indépendant,  à  l'écart  de  toute  coterie  et  de  toutes  faveurs,  ce  nous 
est  une  douce  satisfaction  de  pouvoir  parler  hautement  et  de  dénoncer 
les  responsabilités  là  où  elles  se  trouvent.  Oui,  nous  disons  que 
toute  la  toulousainerie  de  Paris  a  joué  là  un  rôle  funeste,  aussi 
bien  M.  Constans,  le  grand  chef  qui  avait  vraiment  de  singuliers 
protégés,  que  M.  Hébrard,  qui  s'est  acharné,  dans  la  Commission 
consultative  des  théâtres,  à  défendre  la  mauvaise  cause  des  direc- 
teurs, soutenu  en  cela  par  M.  Henri  Maret,  le  Rapporteur  surprenant 
dont  les  études  sur  la  direction  de  l'Opéra  ont  fait  les  délices  de 
tous  ceux  qui  étaient  au  courant  de  la  question. 

Puisque  nous  avons  parlé  de  la  Commission  consultative  des 
théâtres,  disons-en  aussi  notre  sentiment  et  déclarons  qu'elle  n'est 
nullement  indépendante,  étant  composée  en  majeure  partie  de 
membres  qui  ne  peuvent  prendre  aucune  attitude  précise.  Ou  ce  sont 
des  fonctionnaires  qui  tiennent  à  leur  place  et  se  gardent  bien  de 
mécontenter  des  directeurs  influents  qui  ont  Constans  dans  leur 
•manche,  ou  ce  sont  des  musiciens  qui  relèvent  plus  ou  moins  de 
MM.  Ritt  et  Gailhard  et  craignent  pour  leur  répertoire.  Les  uns  ou 
les  autres  seront  toujours  dirigés  par  les  trois  ou  quatre  amis  méri- 
dionaux que  les  délinquants  possèdent  dans  la  commission.  De  là,  les 
compromis  et  les  transactions  que  cette  commission  propose  sans 
■cesse  pour  sauver  les  directeurs. 

Enfin,  aujourd'hui  toutes  les  batteries  paraissent  démasquées,  et 
il  est  permis  d'espérer  que  nous  serons  débarrassés  dans  un  avenir 
prochain  de  cette  néfaste  association  qni  a  été  si  fatale  aux  desti- 
nées artistiques  de  notre  première  scène.  Il  ne  nous  parait  pas  pos- 
sible, eu  effet,  qu'on  puisse  songer  à  renouveler  le  privilège  de  gens 
qui  viennent  d'être  ainsi  blâmés  à  l'unanimité  par  la  Commission  du 
budget  des  beaux-arts.  Pour  essayer  d'influencer  le  vote  futur  de 
la  Chambre,  MM.  Ritt  et  Gailhard  laissent  entendre  qu'ils  vont  sus- 


pendre tout  travail  à  l'Opéra,  qu'ils  ajournent  indéfiniment  le  Mar/e, 
de  M.  Massenet,  et  qu'ils  arrêtent  les  engagements  en  cours.  La 
Chambre  ne  se  laissera  pas  prendre  à  ces  menaces  enfantines.  Si, 
en  effet,  les  directeurs  de  l'Opéra  affectaient  de  vouloir  se  mettre  en 
grève,  ils  ne  feraient  qu'aggraver  leur  situation  en  augmentant  leurs 
manquements  au  cahier  des  charges,  qui  les  oblige  à  un  nombre 
d'actes  nouveaux  chaque  année,  comme  aussi  à  posséder  une  troupe 
complète.  Toute  rébellion  un  peu  prolongée  de  leur  part  devrait 
donc  amener  simplement  leur  révocation  immédiate,  et  il  ne  serait 
pas  difficile,  en  attendant  qu'on  ait  trouvé  de  nouveaux  directeurs, 
de  prendre  un  homme  du  métier,  comme  M.  Halanzier  ou  M.  Car- 
valho  par  exemple,  pour  régir  provisoirement  au  nom  de  l'État. 

Nous  avons  parlé  de  révocation;  car  il  n'est  pas  probable  qu'après 
le  vote  de  la  Commission,  MM.  Ritt  et  Gailhard  comprennent  que, 
s'ils  avaient  un  reste  de  dignité,  c'est  leur  démission  qu'ils  devraient 
envoyer  de  suite  au  ministre. 

Trop  de  bassesses  après  trop  d'arrogances  ! 


JEANNE  D'ARC  A  L'HIPPODROME 

...  Et  maintenant,  à  cheval,  messieurs.  Nous  voici  à  l'Hippo- 
drome. C'est  encore  de  la  pantomime,  mais  pas  dans  le  genre  in- 
time comme  celle  que  célébrait  dimanche  dernier  dans  ces  mêmes 
colonnes  notre  collaborateur  Arthur  Pougin.  Cette  fois,  c'est  de  la 
pantomime  grandiose,  de  l'épopée,  puisqu'il  s'agit  de  la  glorieuse 
légende  de  Jeanne  d'Are.  Trois  chapitres  seulement,  les  plus  saillants 
choisis  dans  ce  roman  de  chevalerie:  Domremy,  le  siège  d'Orléans 
et  le  bûcher. 

S'il  s'agissait  ici  d'une  de  ces  cavalcades  à  grand  fracas,  comme 
nous  en  donne  d'ordinaire  l'Hippodrome,  d'un  Skobelef  quelconque 
ou  d'une  chasse  à  courre  en  habits  rouges,  je  ne  prendrais  pas  votre 
temps  pour  vous  raconter  de  tellesbillevesées.  Mais  aujourd'hui,  c'est 
d'une  tentative  véritablement  artistique  qu'il  s'agit,  puisqu'un 
musicien  de  la  valeur  de  M.  Widor  a  bien  voulu  y  attacher  son 
nom.  On  aurait  pu  croire  vraiment  que  c'était  là  un  coup  de  folie. 
Brosser  à  grands  traits  une  telle  partition  en  l'espace  de  quelques 
semaines,  pour  un  établissement  dont  l'amplitude  et  les  échos 
bruyants  pouvaient  à  bon  droit  inspirer  des  inquiétudes  !  Y  rêver 
autre  chose  que  la  musique  hippique  ordinaire  à  ce  hall  immense, 
c'était  d'une  belle  audace!  Peut-être  est-ce  là  ce  qui  a  tenté  M.  Wi- 
dor. Et  la  fortune  lui  a  souri. 

Elle  est  en  vérité  d'une  bonne  pâte,  cette  partition  onctueuse  et 
sonore  dans  toutes  ses  parties;  on  n'en  perd  pas  une  bouchée.  C'est 
déjà  un  tour  de  force  que  de  se  faire  entendre  clairement  dans  un 
pareil  entonnoir.  Mais  ce  n'est  pas  la  seule  qualité  de  cette  œuvre 
spéciale  et  curieuse;  car  l'inspiration  y  est  soutenue  d'un  bout  à 
l'autre.  Nous  aimons  toute  cette  pastorale,  très  fine  et  très  délicate, 
qui  se  déroule  à  Domremy,  avec  l'épisode  charmant  des  voix  d'en 
haut  et  les  apparitions  célestes  ;  nous  aimons  ce  ballet  des  ribaudes 
sous  ies  murs  d'Orléans,  petite  série  de  pages  pittoresques  tout  à 
fait  dignes  de  l'auteur  de  la  Korrigane.  Il  y  a  de  l'émotion  dans  la 
scène  du  bûcher;  tous  les  motifs  typiques  de  l'œuvre  y  sont  ra- 
menés fort  heureusement,  comme  des  souvenirs  qui  viennent 
assaillir  l'héroïne  pendant  sa  marche  au  supplice.  Le  tout  se  ter- 
mine par  un  hymne  patriotique  écrit  sur  des  vers  chaleureux  de 
M.  Dorehain  et  chanté  autour  de  la  statue  de  Jeanne  d'Arc,  qui  a 
jailli  tout  à  coup  triomphante  au  milieu  des  flammes  du  bûcher. 
Il  faut  louer  aussi  sans  réserve  la  mise  en  scène  dont  la  direction 
de  l'Hippodrome  a  entouré  cette  œuvre,  et  souhaiter  qu'elle  con- 
tinue dans  cette  voie  artistique  qui  pourrait  offrir  un  débouché 
nouveau  à  nos  jeunes  musiciens.  M.  Widor  a  démontré  victorieu- 
sement qu'on  pouvait  faire  de  la  musique,  même  à  l'Hippodrome. 
Que  d'autres  le  suivent  hardiment  dans  la  route  qu'il  a  tracée  I 

H.  Moreno. 


LE  THÉÂTRE  A  L'EXPOSITION  UNIVERSELLE  DE  1889 
(Suite.) 


LES  FOLIES-PARISIENNES 

Situé  non  loin  du  chalet  finlandais,  du  chalet  norvégien  et  de  la 
curieuse  taillerie  de  diamants  de  MM.  Boas  frères,  entre  l'extrémité 
de  la  rue  de  l'Université  et  le  Lac,  au  milieu  d'une  sorte  de  petit 
parc  coquettement  aménagé,  le  théâtre  des  Folies-Parisiennes,  dont 
il  faut  bien  rappeler  l'existence,  n'était  rien  autre  chose  qu'un  grand 


204 


LE  MENESTREL 


café-concert.  Placé  sous  la  direction  de  trois  acteurs  parisiens, 
MM.  Daubray,  Scipion  et  Georges  Richard,  qui  n'y  ont  point  fait 
de  brillantes  affaires  (il  s'en  faut  de  tout),  ce  théâtre  a  eu  évidem- 
ment à  souffrir  de  la  concurrence  terrible  que  lui  faisaient  les  divers 
spectacles,  autrement  étranges  et  curieux,  disséminés  dans  la  vaste 
enceinte  du  Champ-de-Mars,  et  que  les  visiteurs  de  l'Exposition  lu; 
préféraient  tout  naturellement,  les  cafés-concerts  ne  manquant  point 
dans  Paris  même  et  s'y  trouvant  en  nombre  assez  considérable  pour 
satisfaire  les  désirs  de  tous  les  amateurs  du  genre. 

Ce  que  le  théâtre  des  Folies-Parisiennes  présentait  de  plus  inté- 
ressant, et  dont  bien  certainement  le  public  se  souciait  le  moins, 
c'était  sa  construction,  qui  offrait  un  caractère  de  véritable  origina- 
lité. Edifié  sur  les  plans  de  M.  Letorey,  architecte,  par  l'ingénieur- 
constructeur  M.  de  Schryver,  inventeur  des  maisons  en  acier  dé- 
montables et  transportables,  ce  théâtre  était  lui-même  complètement 
en  acier,  fondations  et  couvertures  comprises,  et  l'on  peut  bien  dire 
qu'il  était  incombustible.  Les  murs,  les  cloisons,  les  planchers 
étaient  formés  de  panneaux  de  tôle  mince  d'acier  d'un  millimètre  d'é- 
paisseur auxquels  un  emboutissage  convenable  donnait  le  maximum 
de  résistance  ;  les  paro;s  d'un  même  mur,  distantes  de  seize  centi- 
mètres et  constituées  par  les  tôles,  étaient  réunies  au  moyen  de 
larges  plats  boulonnés  sur  les  bords  supérieurs  de  chacun  des  pan- 
neaux. Ainsi  entendue,  la  construction  entière  était  d'une  extrême 
légèreté.  A  l'issue  de  l'Exposition,  ce  théâtre,  démonté  pièce  à 
pièce,  a  été  envoyé  dans  l'Amérique  du  Sud,  où  il  devait  être  trans- 
formé en  salle  de  bibliothèque  publique. 

Pour  le  reste,  quand  j'aurai  dit  que  le  chef  d'orchestre  desFolies- 
Parisiennes  était  M.  Paul  Frémaux,  que  Mlle  Mariquita  y  remplissait 
les  fonctions  de  maîtresse  de  ballet,  qu'on  y  joaait  des  ballets,  di- 
vertissements et  pantomimes  tels  que  les  Petits  Maraudeurs,  les 
Aventures  d'un  Gascon,  un  Drôle  de  contrat,  que  les  danseurs  avaient 
nom  Magron,  Joulins,  Bardoux,  Mmcs  Lebreton,  Ida  Briant,  Léon, 
que  les  chanteurs  s'appelaient  d'Aubreuil,  Mmes  Reine,  Thérèse,  etc., 
enfin,  que  trois  représentations  étaient  données  chaque  jour  à  deux 
heures  et  demie,  quatre  heures  et  huit  heures,  et  que  le  prix  des 
places  était  fixé  à  un  franc  et  deux  francs,  je  n'aurai  rien  à  ajouter 
sur  le  compte  de  cet  établissement,  dont  le  plus  grand  défaut  était 
de  manquer  complètement  d'originalité. 

LES    AISSAOUAS 

Ceux-là  me  font  un  peu  l'effet  d'appartenir  à  la  nombreuse  trjbu 
des  Beni-Farceurs,  et  ce  n'est  pas  le  succès  très  incontestable  qu'ils 
ont  obtenu  qui  modifiera  mon  opinion  à  leur  égard.  Si  je  ne  me 
trompe,  ils  avaient  d'abord  commencé  l'exhibition  de  leurs  exercices 
aussi  étranges  que  parfaitement  répugnants,  au  café  algérien  de 
l'Esplanade  des  Invalides,  et  ce  n'est  qu'ensuite  qu'ils  sont  allés 
s'installer  au  Concert  marocain  de  la  rue  du  Caire,  où  la  vogue 
les  suivit  si  bien  qu'après  avoir  donné  seulement  trois  représenta- 
tions par  semaine,  ils  finirent  par  en  donner  trois  chaque  jour. 

Ces  baladins  d'une  espèce  toute  particulière,  dont  le  sérieux  im- 
perturbable délierait  toute  concurrence,  sont,  paraît-il,  les  pontifes 
d'une  religion  siogulière,  dont  le  prophète,  qu'ils  honorent  à  leur 
manière  (une  bien  vilaine  manière),  répondait  de  son  vivant  au  nom 
de  Mohammed  Ben  Aïssa  —  d'où  leur  nom  d'Aïssaouas.  Pour 
réjouir  la  mémoire  de  ce  prophète,  qui  sans  doute  manifeste  de  rares 
exigences,  ces  excellents  ministres  d'un  culte  heureusement  ignoré 
de  la  plupart  d'entre  nous  passent  un  temps,  qu'ils  pourraient  em- 
ployer d'une  façon  plus  utile,  à  broyer  entre  leurs  dents  du  verre 
qu'ils  avalent  ensuite  (sans  douleur!),  à  dévorer  gloutonnement  des 
couleuvres  et  des  serpents,  à  s'enfoncer  dans  les  yeux  des  épingles 
et  autres  engins,  à  promener  tranquillement  et  en  tous  sens  leur 
langue  sur  un  fer  rouge,  à  marcher  sur  des  lames  de  sabre,  que 
sais-je  encore  ?  Ce  sont  ces  exercices  aimables  et  variés  qu'ils  ré- 
pétaient tous  les  jours  devant  une  foule  qui  semblait  fort  justement 
répugner  à  ce  spectacle,  mais  qui  ne  persistait  pas  moins  à  emplir 
leur  salle  à  chaque  représentalion.  Par  quels  moyens,  par  quels  pro- 
cédés, ces  hommes  parvenaient-ils  à  s'insensibiliser  assez  complè- 
tement pour  pouvoir  sans  danger  se  livrer'  à  des  pratiques  aussi 
singulières  et  en  apparence  aussi  périlleuses?  C'est  ce  que  je  ne 
saurais  dire,  devant  me  borner  à  constater  les  faits.  Il  est  bien  évi- 
dent qu'il  y  a  là  de  la  jonglerie,  mais  elle  est  le  résultat  d'un  ou 
de  plusieurs  secrets  qu'il  nous  est  impossible  de  pénétrer. 

Chose  assez  singulière, ces  Aïssaouas,  dont  le  succès  à  l'Exposition 
fut  si  général  et  si  complet,  se  virent  complètement  dédaignés  du 
public  une  fois  colle-ci  terminée.  Tandis  que  la  recette  totale  de 
leurs  représentations  au  Champ-de-Mars  ne  s'était  pas  élevée,  dit-on 


à  moins  de  400,000  francs,  ils  cherchèrent  vainement  ensuite  pen- 
dant plusieurs  semaines  un  engagement  quelconque,  et  finirent  par 
trouver  seulement,  pour  les  accueillir,  un  café-concert  de  bas  élage 
dans  un  quartier  excentrique,  sur  un  des  boulevards  extérieurs.  Ils 
végétèrent  là  quelque  temps,  sans  pouvoir  réveiller  l'attention  qui 
s'était  si  bien  attachée  sur  eux  primitivement,  puis...  puis' sans  doute 
ils  retournèrent  dans  leur  pays,  car   on  n'en  entendit  plus  parler. 

SPECTACLE   ÉGYPTIEN 

Il  ne  faut  pas  confondre  celui-ci  avec  le  spectacle  fort  intéres- 
sant de  la  troupe  Khédiviale  du  Caire,  que  j'ai  décrit  précédemment 
et  qui  se  donnait  dans  la  salle  du  Théâtre  International.  Ce  «  spectacle 
Egyptien  »  avait  été  organisé  par  les  soins  de  M.  Delore  de  Gléon, 
commissaire  général  de  la  section  égyptienne  à  l'Exposition  univer- 
selle, et  il  fut  inauguré  le  26  juin.  Il  était  situé  dans  cette  éton- 
nante rue  du  Caire,  toujours  si  grouillante  et  si  animée,  à  droite,  en 
montant,  avant  le  théâtre  des  Aïssaouas.  Le  petit  bâtiment  qu'on 
lui  avait  construit  était  curieux  extérieurement,  et  sa  façade,  comme 
nous  disait  le  programme,  était  «  faite  entièrement  de  mouehara- 
biés,  c'est-à-dire  en  petits  morceaux  de  bois  moulés  et  rapportés 
ensemble  avec  un  art  spécial  dont  les  Egyptions  sont  très  fiers.  » 
Un  Egyptien  qui  ne  paraissait  ni  fier  ni  timide,  c'est  1'  «aboyeur»  en 
turban  qui,  dans  un  français  véritablement  exotique,  se  tenait  à  la 
porte  et  adressait  au  public  un  boniment  bien  senti  sur  les  mer- 
veilles qui  l'attendaient  dans  l'intérieur  du  théâtre  pour  la  modique 
somme  d'un  franc  par  personne.  Ici  nous  avions  (comme  aussi  chez' 
les  Aïssaouas,  où  j'ai  oublié  de  la  mentionner)  la  fameuse  danse  du' 
ventre,  spectacle  peu  ragoûtant  dont  j'ai  déjà  eu  l'occasion  de  par- 
ler, puis  la  danse  des  aimées,  plus  gracieuse,  et  la  danse  du  sabre, 
aussi  originale  et  plus  intéressante.  La  danse  du  ventre  étiit  exé- 
cutée par  une  assez  jolie  femme  nommée  Aïoucha,  qui  se  tordait  eê 
se  torturait  ainsi  à  plaisir,  au  son  de  trois  maigres  instruments, 
et  qui  obtint  immédiatement  un  succès  de  curiosité,  parce  qu'elle 
était,  je  crois,  la  première  qui  se  soit  ainsi  exhibée  en  ces  parages. 
Mais  passons.  Nous  allons  lui  trouver  des  émules  ,  sinon  des; 
rivales. 

LA   TENTE   MAROCAINE 

Toujours  à  droite  dans  a  rue  du  Caire,  au-dessus  du  spectacle 
Egyptien  et  du  théâtre  des  Aïssaouas,  se  trouvait  la  Tente  Maro- 
caine. Là  aussi  nous  rencontrions  la  danse  du  ventre  (celle-là  avait 
même  la  prétention  d'être  la  seule  authentique),  avec  d'autres  dan- 
ses variées.  Si  j'ai  bonne  mémoire,  c'est  là  qu'on  pouvait  contem- 
pler une  charmante  jeune  femme  qu'on  appela  aussitôt  a  la  belle- 
Zorah  »  et  qui  méritait  celle  qualification.  Mais  auprès  d'elle  s'en 
trouvait  une  autre  qui  ne  lui  cédait  en  rien,  une  fort  jolie  fille  qui 
n'était  autre  que  la  cousine  de  c  la  belle  Fatma,  »  et  dont  le  vrai 
nom,  un  peu  compliqué,  était  Baya  Mathilde  Akoun  Bent-Eny. 
Fille  d'un  ancien  interprète  militaire  d'Algérie,  qui  pendant  quatrer 
ans  avait  été  précisément  caissier  de  la  troupe  où  figurait  Fatma,. 
elle  avait,  sur  ses  conseils,  consenti  à  marcher  sur  les  traces  de  sa 
cousine  et  su  conquérir  en  quelques  mois  la  réputation  que  celle- 
ci  n'avait  acquise  qu'au  bout  de  plusieurs  années  ;  elle  avait  même 
obtenu  un  prix  de  beauté  au  concours  de  Neuilly.  Elle  était,  on. 
peut  le  dire,  l'étoile  de  la  troupe  qu'exhibait  la  Tenle  Marocaine,  où 
à  ses  côtés  dansait  toute  sa  famille,  voire  son  frère,  Gradoudja,  qui 
portait  un  travesti  féminin. 

Les  exercices  et  les  danses  ne  différaient  guère  ici  de  ce  qu'on 
voyait  au  Spectacle  Egyptien.  Seulement,  l'ensemble  peut-être  était 
un  peu  plus  brillant,  en  même  temps  que  l'orchestre  plus  nom- 
breux. Tous  ces  établissements,  d'ailleurs,  regorgeaient  de  specta- 
teurs. L'Exposition  terminée,  la  troupe  de  la  Tente  Marocaine  trouva 
un  refuge  aux  Montagnes  Russes  du  boulevard  des  Capucines,  après, 
quoi  elle  fui  engagée  au  Village  Japonais  du  boulevard  de  Stras- 
bourg. Je  ne  sais  ce  qu'elle  devint  ensuite. 

Il  y  avait,  à  l'extrémité  et  do  l'autre  côté  de  la  rue  du  Caire,  non, 
loin  du  palais  des  Machines,  une  autre  Tente  Marocaine,  qui  pré- 
tendait, celle-là  aussi,  posséder  la  seule  danse  du  ventre  véritable, 
authentique  et  brevetée  sans  garantie  du  gouvernement  marocain. 
Cette  tonle,  richement  tapissée,  pouvait  contenir  environ  200  per- 
sonnes. Accompagnées  par  deux  seuls  musiciens,  dont  un  jouait  une 
sorte  de  mandoline,  j'ai  vu  là  trois  femmes  exécuter  cette  trop  fa- 
meuse danse  chacune  à  leur  tour,  en  en  marquant  le  rythme  avec 
des  crotales  de  métal  en  guise  de  castagnettes.  Mais  ce  que  je  n'ai 
vu  que  là,  c'est  la  danse  du  derviche  tourneur,  exécutée  par  un 
bonhomme  vêtu  d'une  robe  très  ample  serrée  à  la  taille,  coiffé  d'uni 
long  bonnet  pointu,  qui,  commençaul  à  tourner  lentement,  méthodi- 


LE  MÉNESTREL 


205 


quement,  puis,  s'animaot  peu  à  peu  et  accélérant  toujours  son 
mouvement,  en  arrivait  à  un  tournoiement  en  quelque  sorte  méca- 
nique et  d'une  rapidité  vertigineuse  jusqu'à  ce  que,  essoufflé,  épuisé, 
haletant,  il  s'arrèlât  tout  d'un  coup,  roide  et  immobile,  comme  s'il 
avait  été  fiché  en  terre.  —  Entre  temps,  deux  individus  à  longue 
barbe,  enculotlés  et  enturbannés,  circulaient  dans  la  salle,  porteurs 
de  minuscules  tasses  de  café  qu'ils  offraient  gratis  aux  amateurs. 
Los  personnes  délicates  refusaient  volonliers  ce  breuvage,  en  raison 
de  la  propreté  tout  approximative  des  mains  qui  le  leur  présen- 
taient. 

Dans  tous  ces  établissements  le  prix  d'entrée  était  fixé  à  un 
franc,  la  représentation  ne  durait  guère  plus  de  vingt  minutes,  et, 
à  quelque  heure  que  ce  fût  de  jour  ou  de  soir,  les  salles  étaient 
presque  toujours  boudées  de  spectateurs.  Selon  toute  apparence, 
toutes  les  petites  entreprises  de  ce  genre,  dont  les  frais,  en  somme, 
étaient  minces,  et  dont  les  recettes  étaient  abondantes,  ont  dû  être 
singulièrement  fructueuses. 

LE   CONCERT  TUNISIEN    DE   LA  BELLE   FATMA 

A  l'Exposition  universelle  de  1878.  où  l'on  n'avait  pas,  comme 
cette  fois,  fait  une  large  place  à  l'élément  exotique  et  pittoresque,  il 
y  avait,  auprès  du  pont  d'Iéna.  un  petit  concert  Tunisien,  qui  était 
le  seul  établissement  de  ce  genre  que  l'on  pût  rencontrer.  Un  assez 
maigre  orchestre  s'y  faisait  entendre,  dont  le  principal  musicien 
était  une  sorte  de  colosse,  un  énorme  Algérien,  grand  et  gros,  père 
d'une  adorable  fillette  dont  la  grâce  souple  et  mignonne  contras- 
tait d'une  façon  singulière  avec  celui  qu'on  appelait  «  le  Géant  de 
Souze.  »  Un  jour,  pour  amuser  les  clients,  ce  bonhomme  eut  l'idée 
de  faire  danser  sa  fille,  tout  familièrement.  L'enfant,  à  ce  moment 
âgée  de  sept  eu  huit  ans,  se  mit  alors,  un  peu  gauchement,  sans  y 
mettre  d'intentions,  à  imiter  la  danse  du  ventre,  qui,  à  Alger,  avait 
frappé  sa  petite  imagination.  Elle  obtint  un  succès  fou,  plut  à  tous 
les  visiteurs,  recueillit,  avec  de  nombreuses  caresses,  des  sous  et 
même  de  belles  pièces  blanches,  et  jusqu'à  la  fin  de  l'Exposition 
recommença  chaque  jour  son  petit  exercice,  qu'elle  renouvelait 
même  plusieurs  fois  dans  la  journée.  Cette  enfant,  qui  de  son  vrai 
nom  s'appelle  Rachel  Bent-Eny,  est  devenu  la  séduisante  jeune 
femme  que  nous  connaissons  aujourd'hui  sous  celui  de  «  la  belle 
Fatma  »  et  dont  on  a  tant  parlé  en  ces  dernières  années. 

La  belle  Fatma  ne  pouvait  manquer  de  se  produire  à  l'Exposition 
de  1889,  où  son  succès  paraissait  assuré  d'avance.  Elle  s'y  produisit 
même  en  divers  endroits  successivement,  ce  qui  ne  prouve  pas  que 
ce  succès  ait  été  aussi  spontané  cette  fois  que  la  précédente,  On  la 
vit  d'abord,  dès  les  premiers  jours  de  juin,  au  Grand  Théâtre  de 
l'Exposition,  avant  que  les  Gitanas  de  Grenade  y  vinssent  faire  leur 
bruyante  et  triomphante  apparition.  De  là  elle  passa,  si  je  ne  me 
trompe,  dans  l'une  des  deux  tentes  marocaines  de  la  rue  du  Caire  ; 
puis  enfin  elle  se  mit  «  dans  ses  meubles  »  et  alla  s'installer  préci- 
sément tout  auprès  des  Gitanas,  en  un  coin  de  l'espèce  de  grand 
bazar  au  milieu  duquel  se  trouvait  le  Grand-Théàlre  dont  elle  avait 
été  l'un  des  premiers  ornements. 

C'est  là  que  je  la  vis  pour  ma  part,  dans  ce  petit  établissement 
minuscule  qu'on  avait  baptisé  du  nom  de  Concert  Tunisien  et  qui 
prouverait  qu'on  peut  rencontrer  des  entrepreneurs  de  fumisterie 
même  sur  les  bords  africains  de  la  Méditerranée. 

La  petite  salle,  toute  tendue  de  tapisserie,  mais  qui  n'avait  guère 
plus  d'importance  qu'une  vaste  antichambre,  pouvait  bien  contenir, 
en  les  compressant  avec  énergie,  une  cinquantaine  de  spectateurs 
dont  quelques-uns  seulement  trouvaient  le  moyen  de  s'asseoir  sar  de 
mauvaises  chaises.  On  y  pénétrait  brusquement  en  soulevant  une 
simple  portière,  et  l'on  se  trouvait  aussitôt  en  face  de  la  scène,  c'est- 
à-dire  d'une  estrade  garnie  aussi  de  tapisserie,  sur  laquelle  était 
groupé  tout  le  personnel  de  la  troupe.  Au  fond,  sur  une  sorte  de 
trône  exhaussé  de  deux  marches,  une  grande  glace  derrière  elle,  la 
belle  Fatma,  tenant  un  darabouka  que  ses  mains  mignonnes  frap- 
pent parfois  avec  une  certaine  indolence.  A  sa  gauche,  accroupi  sur 
ses  pieds,  son  père,  le  «  colosse  de  Souze  »,  raclant  avec  fureur  une 
espèce  d'alto  qu'il  tient  comme  un  violoncelle;  auprès  de  celui-ci,  un 
nègre  sans  doute  authentique,  armé  d'un  tambour  de  basque,  et 
une  femme  avec  un  darabouka.  A  droite  de  Fatma,  une  vieille 
femme  tenant  un  tambour  de  basque,  et  trois  danseuses  ayant  cha- 
cune en  mains  un  darabouka.  Enfin,  au  bas  de  l'estrade,  par  consé- 
quent dans  la  salle  même,  un  piano  tenu  par  une  Tunisienne  des 
Batignolles,  dont  le  langage  trahit  une  longue  fréquentation  avec  la 
plus  pure  population  parisienne. 

Le  spectacle  (un  franc  pour  les  civils,  les  militaires  et  les  bonnes 
d'enfants)   durait   bien   une    douzaine    de   minutes,   et  comprenait: 


1°  une  «  danse  algérienne  »,  qui  n'était  qu'une  fausse  danse  du 
ventre  exécutée  avec  un  sans-façon  exemplaire  ;  2°  une  «  danse 
circassienne  »,  qui  avait  la  prétention  d'fttre  une  danse  des  épées, 
mais  dont  l'étude  n'avait  certainement  pas  coûté  grand  mal  à  celle 
qui  s'y  livrait;  3°  enfin,  une  «  danse  tunisienne  »,  exécutée  par  la 
belle  Fatma  en  personne,  mais  qui  ne  devait  pas  faire  perler  la 
sueur  sur  son  beau  front,  car  elle  pouvait  la  répéter  plusieurs  fois 
par  jour  sans  se  fatiguer  outre  mesure. 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


HISTOIRE    VRAIE 

DES   HÉROS   D'OPÉRA    ET    D'OPÉRA- COMIQUE 


XLIV 
PUCCIO  D'ANIELLO 

Nos  lecteurs  doivent  se  demander  si  nous  en  avons  bientôt  fini 
avec  la  série  rouge. 

Tous  ces  tyrans,  tous  ces  conspirateurs  sont  assurément  de  très 
intéressants  personnages  et  ont  inspiré  de  sublimes  accents  aux 
grands  maîtres  de  la  musique  ;  mais  leur  sombre  assemblage  n'est 
pas,  nous  en  convenons,  fait  pour  récréer  l'esprit. 

Passons  à  des  tableaux  plus  riants.  Aussi  bien,  noire  dernière 
scène  a  eu  pour  théâtre  Naples  et  sa  campagne,  le  pays  du  soleil 
et  du  bleu  dans  l'air  et  dans  l'eau.  Ne  trouverons-nous  pas  un  gai 
visage  en  opposition  au  funeste  Masaniello  ? 

Eh  parbleu  !  le  voilà,  en  pleine  place  publique. 

Puccio  d'Anifllo  ! 

Ce  nom  ne  réveille  en  vous  aucun  souvenir...  Puccio  d'Aniello  ? 
...  Permettez-nous  de  vous  présenter  le  personnage  : 

«  Dans  le  siècle  passé,  lisons-nous  dans  le  Vocabulaire  napolitain, 
une  bande  de  comédiens  ambulants  fut  assaillie  par  une  bande  de 
vendangeurs,  près  d'Acerra,  ville  délia  campagna  felice  ;  ils  eurent 
le  dessous  à  cause  d'un  certain  paysan  nommé  Puccio  d'Aniello, 
qui  triompha  d'eux  et  qui  avait  une  figure  de  charge,  nez  long, 
visage  noirci  par  le  soleil.  Consolés  de  leur  défaite,  ils  eurent  l'idée 
d'associer  cet  homme  à  leur  troupe.  Celui-ci  accepta  et  eut  le  plus 
grand  succès.  De  là  son  masque,  son  rôle  et  son  nom  sont  entrés 
au  théâtre  sous  le  litre  de  Polecenella.  » 

Eh  oui  !  c'est  lui-même  !  C'est  le  compagnon  joyeux  de  notre 
enfance.  C'est  Polichinelle  !  Il  a  existé,  il  a  vécu,  mangé  et  ri  comme 
nous.   Qui  eût  cru  cela  ? 

D  aucuns,  à  la  vérité,  s'inscriront  en  faux  contre  cette  origine. 
Les  uns  nous  diront  que  Polichinelle  naquit  tout  d'une  pièce  de 
l'imagination  napolitaine.  D'autres  chercheront  en  lui  tel  ou  tel 
personnage  historique  ;  un  historien  sérieux  a  bien  cru  reconnaître 
Henri  IV  sous  son  habit  pailleté.  Enfin  il  se  trouvera,  et  il  s'en 
est  trouvé,  car  il  s'en  trouve  toujours,  des  gens,  qui,  éprouvant  le 
besoin  de  tout  faire  remonter  aux  Grecs  et  aux  Romains,  affuble- 
ront Polichinelle  de  la  robe  —  prétexte  : 

«  Il  est  avéré,  dit  un  de  ces  gens,  que  Polichinelle  a  diverti  les 
Romains  de  la  République  ;  il  s'appelait  en  ce  temps-là  Maccus. 
Les  farces  atellanes  n'étaient  pleines  que  de  son  nom  et  de  ses  ex- 
ploits. L'identité  n'est  pas  douteuse  :  on  a  déterré  aux  environs  de 
Naples  une  figure  de  bronze  antique  représentait  Maccus,  bossu 
par  derrière  et  par  devant  et  le  visage  orné  de  ce  long  nez  crochu 
qui  a  valu  à  ce  personnage  sou  nom  italien  moderne  :  Pulcinella,  bec 
de  poulet.  On  peut  s'assurer  dufaitdans  Ficoroni,  De  larvis  scenicisn. 

Nous  laissons  à  nos  lecteurs  le  loisir  de  consulter  Ficoroni,  si 
tel  est  leur  goût.  Pour  nous,  nous  nous  contentons  de  la  première 
version,  que  nous  proclamons  la  vraie,  l'incontestable. 

Suivons  donc  les  pérégrinations  de  Puccio  d'Aniello  à  travers  le 
monde  ;  car  il  a  droit  de  cité  dans  tous  les  pays.  Bien  plus,  il 
prend  les  mœurs  des  contrées  où  il  se  trouve  et  personnifie  leurs 
habitants. 

En  France,  c'est  le  marquis  goguenard,  frondeur  et  quelque  peu 
fanfaron  : 

Quand  je  marche,  la  terre  tremble, 
C'est  moi  qui  conduis  le  soleil. 

Nodier  l'appelait  un  personnage  immortel.  Il  ne  se  lassait  pas 
d'applaudir  Polichinelle  rossant  le  commissaire.  Son  aventure 
avec  l'imprésario  d'un  théàtro  do  marionnettes  est  légendaire.  De- 
vons-nous la  rappeler  ?  Le  petit  instrument,  appelé  pratique,  dont 
cet  homme    se   servait,   excitait  particulièrement   sa  curiosité.    Un 


206 


LE  MÉNESTREL 


jour,  il  voulut  s'en  servir  et  fit  à  son  tour  parler  Polichinelle.  Mais 
soudain,  une  angoisse  lui  vint  : 

—  Est-ce  que,  dit-il,  vous  ne  craignez  pas  parfois  d'avaler  ce 
petit  joujou  ? 

—  Oh  !  Monsieur,  c'est  sans  conséquence,  répliqua  le  forain  ; 
ainsi,  celui  dont  vous  vous  servez,  je  l'ai  hien  avalé  cinq  ou  six  fois. 

En  Angleterre,  Monsieur  Punch  est  un  personnage  avec  lequel 
il  faut  compter.  Il  est  mêlé  à  tous  les  événements,  et  cela  depuis 
longtemps  : 

—  Viens  ici,  mon  garçon,  faisait-on  dire  à  l'amiral  Nelson,  après 
la  bataille  d'Aboukir  ;  viens  sur  mon  bord  m'aider  à  combattre  les 
Français.  Je  te  ferai  capitaine  ou  commodore,   si  tu  le  veux. 

—  Nenni,  nenni  !  répond  Punch,  je  ne  m'en  soucie  pas,  je  me 
noierais. 

—  N'aie  donc  pas  cette  crainte,  réplique  le  marin  ;  ne  sais-tu 
pas  bien  que  celui  qui  est  né  pour  être  pendu  ne  court  aucun  risque 
de  se  noyer  ? 

Eu  remontant  plus  haut,  nous  trouvons  la  célèbre  ballade  de 
M.  Punch,  qui  date  de  1793.  Punch  fait  des  infidélités  à  sa  femme, 
mistress  Judith.  Celle-ci  lui  fait  des  remontrances.  Alors  Punch, 
d'un  revers  de  bâton,  lui  fend  la  tête  en  deux.  Les  parents  de  la 
défunte  viennent  à  la  ville.  Il  prend  une  trique  «  et  leur  sert  la 
même  sauce  qu'à  sa  femme  ».  Il  se  prend  ensuite  à  voyager  par 
tous  les  pays,  «  si  aimable  et  si  séduisant  que  trois  femmes  seu- 
lement refusèrent  de  suivre  ses  leçons  si  instructives  ».  11  parcourt 
l'Italie,  la  France,  l'Espagae,  l'Allemagne.  Mais  il  n'alla  pas  plus 
loin  vers  le  Nord,  c'eût  été  une  folie.  On  disait  qu'il  avait  fait  un 
pacte  avec  le  diable,  avec  le  vieux  Nick'las.  A  la  fin,  il  revient  en 
Angleterre,  c  franc  libertin  et  vieux  corsaire  ».  On  l'arrête,  on  ins- 
truit son  procès,  il  est  condamné  à  être  pendu  : 

Alors,  prétendant  qu'il  ne  savait  comment  se  servir  delà  corde  qui  pen- 
dait de  la  potence,  il  passa  la  tète  du  bourreau  dans  le  nœud  coulant  et 
en  retira  la  sienne  sauve.  Enfin,  le  diable  vint  réclamer  sa  dette  ;  mais 
Punch  lui  demanda  ce  qu'il  voulait  dire  :  on  le  prenait  pour  un  autre,  il 
ne  connaissait  pas  l'engagement -dont  on  lui  parlait.  Right  toi  de  roi  loi. 
'  Ah  !  vous  ne  le  connaissez  pas  !  s'écria  le  diable  ;  très  bien!  je,  vais 
vous  le  faire  connaître.  Et  aussitôt  ils  s'attaquèrent  avec  fureur  et  aussi 
durement  qu'ils  le  purent.  Le  diable  combattait  avec  sa  fourche.  Punch 
n'avait  que  son  bâton  !  et  cependant  il  tua  le  diable  comme  il  le  devait. 
Hourra  !  Old-Wick  est  mort  !  Right  toi  de  roi  loi  ! 

George  Sand  nous  a  montré  Polichinelle  dans  le  pays  des  Nei- 
ges. Là,  il  est  doux  et  blond,  et  son  cœur  tendre  s'accommode  d'un 
esprit  franc,  sans  malice.  En  Allemagne,  c'est  Hanswurst,  Jean  Sau- 
cisse, personnifiant,  suivant  Lessing,  la  balourdise  et  la  voracité. 

Mais  que  nous  sommes  loin  de  notre  Puccio  d'Aniello,  de  notre 
Polichinelle  ! 

Gardons-le  précieusement,  ce  trésor  de  galté. 

Et  laissons  dire  les  pince-sans-rire  ! 

(A  suivre.)  Edmond  Neukojw. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

Nouvelles  de  Londres  :  —  La  saison  bat  son  plein  à  Govent-Garden, 
mais  avec  six  représentations  par  semaine,  l'intérêt  artistique  ne  se  sou- 
tient pas  toujours  au  même  niveau.  Il  faut  aussi  reconnaître  que  la 
troupe  est  loin  d'être  complète  et  que  plusieurs  emplois  sont  très  insuffi- 
samment tenus,  entraînant  des  distributions  forcées,  souvent  absurdes 
auxquelles  est  du  l'insuccès  de  certaines  reprises  récentes.  Celle  des  Noces 
de  Figaro  est  de  ce  nombre  ;  sous  la  direction  molle  de  M.  Randegger 
l'interprétation  du  chef-d'œuvre  comique  de  Mozart  a  été  absolument 
lugubre.  M™  Richard  a  fait  un  excellent  début  dans  la  Favorite,  chantée 
en  français.  Le  public  anglais  n'a  pas  été  long  à  reconnaître  les  émi- 
nentes  qualités  de  jeu  et  de  chant  de  l'artiste,  dont  l'emploi  a  été  fort 
négligé  depuis  quelques  saisons  à  Londres.  M.  Montariol,  bien  que  pré- 
venu au  dernier  moment,  s'est  tiré  fort  adroitement  du  rôle  de  Fernand; 
mais  M.  Cobalet  paraissait  mal  à  l'aise  dans  un  rôle  de  baryton.  La 
reprise  du  Prophète  est  jusqu'ici  l'événement  le  plus  considérable  de  la 
saison.  L'opéra  de  Meyerbeer,  bien  que  placé  par  beaucoup  do  musiciens 
au  premier  rang  de  son  œuvre,  n'est  pas  un  des  préférés  du  public  anglais. 
Il  ne  faut  pas  rechercher  le  motif  de  cette  défaveur  ailleurs  que  dans  lé 
caractère  irréligieux  du  sujet,  qui  cboque  le  puritanisme  britannique. 
C'est  dans  ce  même  ordre  d'idées  que  la  critique  locale  s'est  élevée  il  y 
a  un  an,  avec  une  unanimité  touchante,  contre  la  représentation  du  Roi 
d'Ys  :  l'intervention  do  saint  Corentin  dans  le  bel  opéra  de  Lalo  est 
parait-il,  une  profanation  telle  que  nul  public  anglais  ne  saurait  la  tolérer! 
Pareilles  inepties  ne  méritent  pas  d'être  discutées  ;  il  n'en  est  pas  moins 


vrai  qu'encore  l'autre  soir  la  galerie  a  sifflé  les  trois  anabaptistes  comme 
elle  a  l'habitude  de  siffler  les  traitres  de  mélodrames,  et  il  est  certain  que 
le  Prophète  n'a  été  imposé  à  Londres  dans  le  passé  que  par  le  talent  de 
ses  principaux  interprètes  :  Mario,  Gayarre  et  Mme  Viardot.  M.  Jean  de 
Reszké  avait  depuis  longtemps  envie  de  se  faire  entendre  ici  dans  le  rôle 
du  Prophète,  mais  la  troupe  manquait  toujours  d'artiste  capable  de  lui 
donner  dignement  la  réplique  et  il  n'a  fallu  rien  moins  que  l'engagement 
de  Mmo  Richard  pour  permettre  la  reprise  actuelle.  Hâtons-nous  de  cons- 
tater le  succès  énorme  de  ces  deux  artistes,  affirmé  par  les  ovations 
d'un  auditoire  de  gala.  M.  Jean  de  Reszké  a  été  acclamé  après  le  finale  du 
troisième  acte,  bien  que  sa  voix  n'ait  peut-être  pas  toute  la  solidité 
exigée  par  cette  page  redoutable.  La  Fidès  de  Mme  Richard  est  trop  connue 
pour  qu'il  soit  nécessaire  de  l'analyser  ici  :  elle  a  retrouvé  son  succès 
habituel  devant  le  public  anglais,  vivement  impressionné  par  la  concep- 
tion dramatique  du  personnage..  La  voix  de  l'artiste  a  malheureusement 
subi  quelques  altérations  qui  ont  amoindri  l'effet  purement  musical  du 
rôle.  M1"0  Nuovina, actrice  intelligente, est  une  Rerthe  des  plus  énergiques. 
M.  Edouard  de  Reszké  est  un  Zacharie  de  superbe  allure,  mais  a  chanté 
un  peu  lourdement  son  air  du  deuxième  acte.  M.  Cobalet  fait  un  excel- 
lent Oberthal,  rôle  de  son  emploi, et  il  faut  également  citer  MM.  Montariol 
et  Mirandon,  deux  anabaptistes  bien  consciencieux.  La  mise  en  scène  est 
quelconque,  comme  le  plus  souvent  à  Covent-Garden,  à  l'exception  peut- 
être  de  la  catastrophe  finale,  assez  bien  machinée.  Le  ballet,  très  maigre, 
mal  costumé  et  encore  plus  mal  réglé,  a  fait  sourire.  Orchestre  et  chœurs 
convenables  sous  la  direction  de  M.  Mancinelli,  qui  a  fait  rétablir  plusieurs 
pages  le  plus  souvent  supprimées  ici,  mais  en  sacrifiant  le  trio  de  la 
prison. 

—  Les  plans  du  nouveau  collège  de  musique  qui  va  être  érigé  à  Lon- 
dres, avec  la  donation  d'un  million  123,000  francs  léguée  à  cet  effet  par 
M.  Samson  Fox,  ont  été  définitivement  approuvés.  Le  prince  de  Galles  a 
promis  de  venir  poser  la  première  pierre  du  nouvel  édifice  dans  le  cou- 
rant du  mois  prochain.  On  pense  pouvoir  célébrer  l'inauguration  à  l'au- 
tomne. 

—  On  dit  que  la  musique  n'est  pas  un  art  britannique.  Il  y  a  cependant 
peu  de  pays  où  l'on  pratique  plus  la  musique  et  dans  lequel  les  autorités 
fassent  plus  pour  le  développement  de  l'instruction  musicale.  Des  chif- 
fres publiés  par  le  dernier  rapport  de  la  Commission  de  l'instruction 
publique,  il  résulte  qu'en  1889,  dans  les  seules  écoles  du  pays  de  Galles 
et  de  l'Angleterre  proprement  dite,  2,358,560  enfants  ont  appris  le  chant 
et  le  solfège  et  qu'ils  ont  reçu  en  différentes  occasions,  à  titre  d'encoura- 
gement et  de  rémunération,  comme  exécutants  dans  les  festivals,  la 
somme  de  117,928  livres  sterling,  soit  1,948,200  francs.  Il  y  a  six  ans,  la 
proportion  des  enfants  ayant  appris  le  chant  et  sachant  lire  était  de 
20  0/0,  elle  est  aujourd'hui  de  63  0/0.  Depuis  1881,  le  chiffre  des  écoles 
où  l'on  enseigne  la  musique  s'est  élevé  de  3,871  à  12,790. 

—  Une  nouvelle  Académie  de  musique,  c'est-à-dire  une  école  d'instruc- 
tion musicale,  vient  d'être  fondée  à  Glascovv.  La  direction  en  a  été  con- 
fiée à  M.  Alan  Macbeth,  directeur  des  concerts  de  l'Union  chorale  de  cette 
ville. 

—  On  nous  adresse  de  Stockholm  la  liste  des  ouvrages  représentés  à 
l'Opéra  de  cette  ville  pendant  l'exercice  1889-1890  (209  représentations). 
Voici  d'abord  ce  qui  concerne  les  ouvrages  français,  et  ce  qui  prouve  à 
quel  point  notre  répertoire  est  florissant  dans  la  capitale  de  la  Suède  : 
Lahmé  (représentée  27  fois),  Mignon  (11),  Carmen  (II),  Faust  (11),  Robert  le 
Diable  (10),  Roméo  et  Juliette  (9),  Si  j'étais  Roi  (8),  la  Muette  de  Portici  (4),  les 
Contes  d'FIoffmann  (4),  les  Huguenots  (3),  la  Dame  blanche  (3),  les  Diamants  de 
la  Couronne  (3),  l'Étoile  du  Nord  (1).  A  signaler  pour  le  répertoire  italien  : 
Leonora,  de  Donizetti  (18),  Mefistofele'(l%),  Aida  (II),  le  Rarbier  de  SévUle  (10), 
Otello  (8),  Ernani(l),  le  Trovatore  (3) .  Enfin,  des  œuvres  de  Mozart,  Beetho- 
ven, Weber,  Flotow  et  Wagner  ont  occupé  ensemble  19  soirées.  La  saison 
a  été  fructueuse  pour  le  directeur,  M.  Conrad  Nordquist.  On  commencera 
cet  automne  la  construction  du  nouveau  théâtre  de  l'Opéra,  pour  lequel  on 
possède  la  somme  de  quatre  millions  de  francs.  La  troupe  gardera  toutes  ses 
étoiles  de  la  dernière  saison. 

—  On  assure  que  Mme  Materna,  la  grande  cantatrice  qui  obtint  ici 
même,  l'hiver  dernier,  de  si  grands  succès  aux  concerts  Lamoureux, 
serait  décidée  à  se  retirer  dès  l'année  prochaine,  ou  du  moins  à  ne  plus 
paraître  sur  la  scène  de  l'Opéra  impérial  de  Vienne  que  dans  certains 
rôles  du  répertoire  wagnérien  dans  lesquels  elle  n'a  pas  trouvé  jusqu'ici 
de  rivale.  —  D'autre  part,  les  journaux  de  Prague  nous  apportent  la 
nouvelle  de  la  nomination  au  Conservatoire  de  cette  ville,  comme  profes- 
seur de  chant,  d'une  autre  cantatrice  fameuse,  M"c  Mallinger,  qui  fit 
aussi  naguère  les  beaux  jours  de  l'Opéra  de  Vienne,  ainsi  que  de  celui 
de  Berlin. 

—  Les  journaux  de  Vienne  signalent  une  invention  intéressant  tout 
particulièrement  le  monde  musical.  Il  s'agit  d'un  système  imaginé  par 
un  luthier  de  Vienne  du  nom  de  Lutz,  pour  améliorer  le  son  des  instru- 
ment à  cordes  anciens  ou  modernes.  Des  résultats  surprenants  ont, 
parait-il,  été  obtenus  par  le  procédé  de  M.  Lutz,  qui  n'en  a  révélé  le 
secret  à  persoene.  Il  en  sera  probablement  de  ce  procédé  comme  de  ceux, 
très  nombreux,  du  même  genre,  dont  il  a  été  souvent  parlé  et  qui  n'ont 
jamais,  dans  la  pratique,  donné  de  résultat  appréciable. 


LE  MENESTREL 


207 


—  Voici  la  liste  des  nouveautés  promises  par  le  Théâtre  Municipal  de 
Cologne  pour  sa  prochaine  saison:  la  Reine  de  Saba,  de  Goldmark,/eC/teïai 
de  bronze  (version  Ilumperdink),  le  Roi  malgré  lui,  de  Chahrier  et  lidtchcn 
von  Heilbronn,  de  Rheinthaler. 

—  Outre  le  nouveau  théâtre  d'opéra  que  l'on  construit  en  ce  moment  à  , 
Berlin  et  qui  sera  dirigé  par  M.  Angelo  Neumann,  la  capitale  de  l'empire 
allemand  aura,  dit-on,  l'hiver  prochain,  un  troisième  théâtre  lyrique  à  la 
tète  duquel  serait  M.  de  Strantz,  l'ancien  intendant  de  l'Opéra  Royal.  On 
assure  que  dans  cette  entreprise  sont  engagés  de  fort  capitaux  anglais. 
La  quadruple  alliance  ne  serait  donc  pas  un  vain  mot? 

—  On  a  inauguré  récemment  à  Darmstadt  un  monument  élevé  à  la 
mémoire  de  l'abbé  Vogler,  plus  célèbre  comme  professeur  et  comme  théo- 
ricien que  comme  compositeur,  et  dont  la  plus  grande  gloire  est  peut- 
être  d'avoir  été  le  maître  de  ces  deux  grands  hommes  qui  furent  Weber 
et  Meyerbeer.  Précisément,  le  monument  qui  lui  est  consacré  rappelle 
ce  double  titre  de  l'abbé  Vogler  à  la  reconnaissance  de  l'art  et  des  artistes. 
Les  médaillons  de  l'auteur  du  Freischûtz  et  de  l'auteur  du  Prophète  ornent 
le  socle  en  grès  rouge  qui  porte  son  buste  en  bronze,  et  font  revivre  ainsi 
le  lien  qui  unit  jadis  le  vieux  maître  et  ses  deux  illustres  disciples. 

*—  Liszt  avait  facilement  le  mot  pour  rire.  «  Au  cours  d'un  de  ses 
voyages,  raconte  la  Neue  Musikzeilung,  le  maître  se  vit  obligé  de  s'arrêter 
dans  certaine  petite  ville.  On  n'eut  pas  plutôt  signalé  sa  présence,  qu'un 
groupe  d'admirateurs,  parmi  lesquels  le  bourgmestre,  vinrent  le  saluer  et 
lui  offrir  un  banquet  d'honneur.  Déjà  les  convives  avaient  pris  place 
autour  de  Liszt,  quant  le  bourgmestre  remarqua  qu'on  se  trouvait  treize 
à  table.  — ■  «  Ne  vous  alarmez  pas  pour  cela,  fit  le  maître  tranquillement, 
»  je  mange  pour  deux!  » 

—  La  Cavalleria  rusticana  du  jeune  maestro  Mascagni  sera  jouée,  dit-on, 
au  cours  de  la  prochaine  saison  d'automne-carnaval,  sur  plus  de  douze 
théâtres  d'Italie.  Dès  le  mois  de  septembre  on  donnera  cet  ouvrage  à  la 
Pergola,  de  Florence,  avec  MUe  Galvé,  MM.  Valero  et  Pozzi  pour  inter- 
prètes. Quant  à  l'opéra  nouveau  qui  lui  a  été  commandé  par  M.  Sonzogno 
et  au  sujet  duquel  on  a  fait  courir  déjà  tant  de  bruits  divers,  M.  Mas- 
cagni déclare  lui-même  qu'il  ne  sait  encore  quel  livret  il  choisira. 

—  Une  jeune  artiste,  MUe  Teresa  Guidi,  pianiste  distinguée  et  ancienne 
élève  du  Conservatoire  de  Milan,  auteur  déjà  de  plusieurs  opéras,  termine 
en  ce  moment  la  musique  d'un  nouvel  ouvrage  en  trois  actes  intitulé 
Maleschina. 

—  A  la  Scala,  de  Milan,  on  doit  donner,  au  cours  de  la  saison  pro- 
chaine, deux  opéras  nouveaux  :  Lionella,  de  M.  Spiro  Samara,  et  un  ou- 
vrage de  M.  Carlos  Gomes,  dont  on  n'indique  pas  le  titre.  Parmi  les 
artistes  engagés  pour  cette  saison,  on  cite  les  noms  de  MM.  Stagno 
Cardinale,  Terzi,  Caméra,  Ancona,  et  de  Mmes  Bellincioni  et  Rodriguez.  Le 
chef  d'orchestre  sera  M.  Mugnone. 

—  Un  Bacio  alla  Regina,  tel  est  le  titre  d'un  opéra  nouveau  qui  vient 
d'être  représenté  à  Naplcs,  au  théâtre  Sannazzaro,  avec  un  demi-succès. 
Le  livret,  emprunté,  selon  une  coutume  fréquente,  à  un  ouvrage  français, 
a  été  imité  par  M.  Cammarono  d'un  opéra  de  Scribe  et  Boisselot  :  Ve 
louchez  pas  à  la  reine,  et  la  musique  est  due  à  M.  Camillo  De  Nardis,  qui 
dirigeait  lui-même  l'orchestre  ;  on  reproche  à  cette  musique,  «  bien  faite,  » 
d'ailleurs,  de  n'être  rien  moins  que  comique,  malgré  la  nature  du  sujet. 
L'interprétation,  inégale,  était  confiée  à  Mme»  Inès  Biliotti  et  Patalano,  au 
ténor  Mastrobono  et  à  la  basse  Rossi. 

—  Deux  opérettes  nouvelles  ont  vu  le  jour  en  Italie.  A  Rome,  au  théâtre 
Quirino,  Mahmus,  féerie  musicale,  paroles  de  M.  Grassi,  musique  très 
agréable  de  M.  Sassone;  vif  succès  pour  les  auteurs  et  pour  les  inter- 
prètes, M"1C5  Bianchi,  Vergy  et  Polizzi,  ainsi  que  pour  M.  Luigi  Grassi, 
qui  remplissait  lui-même  dans  sa  pièce  la  rôle  masculin  le  plus  impor- 
tant. —  A  Aquila,  Porla-forluna,  musique  de  M.  Quintavalle. 

—  Un  musicien  portugais  distingué,  M.  Alfred  Keil,  auteur  d'un  opéra 
représenté  non  sans  succès  il  y  a  deux  ou  trois  ans,  Donna  Branca,  ne  se 
contente  pas  d'être  un  compositeur  habile;  c'est  encore  un  peintre  d'un 
véritable  talent.  Il  a  ouvert  récemment  chez  lui-même,  à  Lisbonne,  une 
exposition  de  tableaux  dont  il  est  l'auteur,  et  pendant  que  les  visiteurs 
contemplaient  ses  œuvres  en  ce  genre,  un  petit  orchestre,  placé  dans  un 
des  salons,  exécutait  plusieurs  de  ses  compositions,  entre  autres  une  suite 
intitulée  una  Caçada  na  côrte,  le  prélude  de  sa  cantate  Patria,  une  suite 
de  valses  :  Souvenir  de  Vienne,  et  divers  autres  morceaux. 

—  Un  autre  compositeur  portugais,  le  vicomte  d'Arneiro,  qui,  à  la  suite 
d'un  long  voyage  en  France  et  en  Italie,  s'est  fixé  provisoirement  en 
Galice,  travaille  en  ce  moment  à  un  nouvel  opéra  intitulé  Don  Bibas,  qu'il 
destine,  dit  on,  à  un  théâtre  du  Brésil. 

—  Un  des  professeurs  de  l'École  do  musique  de  Barcelone,  le  compo- 
siteur Sabalza,  vient  d'écrire  un  opéra  intitulé  les  Cloches  de  Roncal,  qu'il 
compte  faire  exécuter  dans  un  concert  donné  par  lui,  à  l'Ecole  même, 
en  l'honneur  et  à  la  mémoire  de  son  compatriote  le  fameux  chanteur 
Gayarre.  On  se  rappelle  que  Gayarre  était  natif  de  Roncal. 

—  Après  le  trombone  àvapeur,  dont  nous  avons  annoncé  l'invention,  la 
basse  géante!  Concitoyen  du  premier,  ce  nouvel  engin  musical  est  l'oeuvre 
du  professeur   Geycr,    de  Cincinnati,    qui  nous   menace,    parait-il,  d'une 


tournée  en  Europe  pour  faire  connaître  sa  redoutable  invention.  La  hau- 
teur de  l'instrument  est  de  4m,70,  la  largeur  de  2'",85.  Pour  en  jouer,  il 
est  nécessaire  de  gravir  et  descendre  continuellement  les  degrés  d'une 
petite  échelle,  suivant  la  position  des  notes  sur  la  touche.  —  Puisque 
nous  sommes  sur  le  chapitre  des  instruments  excentriques,  signalons 
encore  une  invention,  celle  du  nasi-flaulo,  dont  on  peut  jouer  tout  en 
fumant  sa  cigarette,  puisqu'on  s'en  sert  à  l'aide  du  nez.  Cette  flûte  nasale 
a,  parait-il,  la  forme  d'une  petite  trompette  et  a  été  imaginée  par  il 
signor  Filippo  Ato,  de  Bari.  Un  compositeur  amasserait  une  fortune 
en  écrivant  un  trio  pour  nasi-flaulo,  basse  géante  et  trombone  à  vapeur. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

On  sait  que,  par  suite  de  récentes  instructions  ministérielles,  un 
mode  nouveau  doit  être  appliqué  pour  le  choix  des  morceaux  que  feront 
entendre,  dans  les  concours  publics,  les  élèves  des  classes  de  chant  du 
Conservatoire.  Pour  ces  concours,  les  élèves  doivent  soumettre  au  choix  du 
Comité  d'examen  des  classes  deux  airs,  l'un  ancien,  l'autre  moderne.  Chaque 
élève  concurrent  peut  indiquer  sa  préférence  et,  après  avis  du  professeur, 
le  Comité  décide  dans  lequel  des  morceaux  présentés  l'élève  doit  concourir. 
En  vertu  de  cette  instruction,  appliquée  pour  la  première  fois,  le  Comité  a 
arrêté  cette  semaine  le  programme  du  concours  de  chant  qui  aura  lieu  les 
lundi  21  et  mardi  "22  juillet.  Classe  de  M.  Bax:  MUe  Blanc,  air  du  Freischûtz; 
MM.  Imbart  de  la  Tour,  l'Africaine;  Théry,  la  Création;  Castel,  Nabuchodono- 
sor.  Classe  de  M.  Boulanger  :  M"cs  Facciotti,  la  Reine  de  Saba;  Morel,  le  Pré 
aux  Clercs;  MM.  Commène,  Lucie  de  Lammermoor  ;  Duvernet,  Za'ira.  Classe 
de  M.  Bussine  :  Mlles  Popovits,  Don  Juan  (donna  Anna);  Thommerel,  Freis- 
chûtz; Cléry,  Sémiramis;  MM.  Dinard,  les  Vêpres  siciliennes;  Leprestre,  les 
Abencérages;  Gasne,  Iphigénie  en  Aulide.  Classe  de  M.  Barbot  :  Mlles  Youde- 
lewski,  Fidelio;  Ibanes,  Lucie;  Médart,  les  Huguenots;  Vauthrin,  le  Serment; 
M.  Vaguet,  les  Abencérages.  Classe  de  M.  Crosti  :  MUes  Bréjean,  Lucie;  Mi- 
chel, le  Barbier  de  Séville;  MM.  Collinet,  Fernand  Cariez;  Lequiem,  les  Vêpres 
siciliennes.  Classe  de  M.  Archaimbaud  :  M"cs  Audran,  Hamlet;  Roussel,  Fi- 
delio; MM.  Victor  Petit,  Robert  Bruce;  Tisseyre,  Robert  Bruce;  Silvestre,  Don 
Carlos.  Classe  de  M.  Warot  :  MUes  Lemeignan,  les  Huguenots;  Vincent, 
Charles  VI;  Pacary,  Obéron;  Mangin,  Fidelio;  Selma,  Freischûtz;  MM.  Chas- 
sing,  l'Africaine;  David,  la  Dame  blanche  (2°  acte);  Grimaud,  Fernand  Cariez  ; 
Defly,  Freischûtz.  Classe  de  M.  E.  Duvernoy  :  MIles  Issaurat,  Norma;  Blan- 
kaërt,  Don.  Juan  (donna  Anna);  Brillant,  Fernand  Cortez;  Bréval,  Freischûtz; 
MM.  Nivette,  le  Messie;  Bérard,  Zampa;  Albert  Petit,  la  Résurrection (Hœn- 
del),  air  de  Lucifer. 

—  M.  Delaunay  a  déposé  cette  semaine,  sur  le  bureau  de  la  Chambre, 
son  rapport  relatif  à  la  reconstruction  de  l'Opéra-Comique.  Les  conclusions 
de  M.  Delaunay  sont  favorables  à  l'adoption  pure  et  simple  du  projet  du 
gouvernement  et  elles  seront  vraisemblablement  discutées  avant  les 
vacancs  prochaines.  On  sait  que  le  projet  du  gouvernement  consiste  sim- 
plement à  reconstruire, sur  l'ancien  emplacement,  sans  autre  modification 
qu'une  avance  de  trois  mètres  sur  la  place  Favart.  Ainsi,  à  une  époque 
où  la  musique  tend  à  s'agrandir  de  toutes  parts,  on  ne  pense  chez  nous 
qu'à  la  refourrer  dans  la  petite  boîte  à  incendie  où  elle  se  mouvait  si  mal 
à  l'aise  ! 

—  Notre  Opéra-Comique  va  fermer  ses  portes.  A  Vienne,  l'Opéra  et  le 
théâtre  An  der  Wien  ont  déjà  clos  les  leurs;  il  en  est  de  même  à  l'Opéra 
de  Berlin,  au  théâtre  royal  de  Stockholm,  au  Costanzi  de  Rome,  à  la 
Scala  de  Milan,  et  dans  la  plupart  des  capitales  et  des  grandes  villes 
d'Europe.  A  Londres  seulement  la  saison  musicale  bat  son  plein,  alors 
que  partout  ailleurs  l'art  est  «  dans  le  marasme  ». 

—  L'Opéra-Comique  perd  une  de  ses  meilleures  pensionnaires.  MlleNardi, 
qui  s'était  fait  justement  remarquer  dans  plusieurs  créations  récentes, 
vient  de  signer  un  brillant  engagement  avec  le  théâtre  de  la  Monnaie  de 
Bruxelles.  On  a  fait  courir  le  bruit  que  M110  Nardi  exigeait  7,000  francs 
par  mois  pour  le  renouvellement  de  son  traité  avec  l'Opéra-Comique.  Il 
est  presque  inutile  d'affirmer  que  ce  bruit  est  absolument  ridicule. 

—  Nous  développions  récemment  cette  pensée  que,  dans  un  temps  peu 
éloigné,  le  répertoire  lyrique  international,  chanté  depuis  plus  d'un  siècle 
en  italien,  le  serait  en  français,  et  cela  parce  que  le  centre  de  la  produc- 
tion musicale,  se  déplaçant,  a  passé  d'Italie  en  F'rance,  et  que,  d'autre 
part,  la  langue  française  est  beaucoup  plus  répandue  que  la  langue  ita- 
lienne dans  la  haute  société  européenne,  où  elle  fait  partie  de  toute  bonne 
éducation.  Le  correspondant  anglais  du  Figaro  exprime  le  même  avis,  au 
moins  en  ce  qui  concerne  Londres  :  «  Je  ne  pense  pas  me  tromper  beau- 
coup, dit-il,  en  disant  que,  dans  un  avenir  prochain,  la  saison  italienne 
de  Londres  sera  une  saison  française.  »  De  Londres,  on  peut  être  sûr  que 
la  coutume  se  répandra  rapidement  ailleurs,  et  déjà  nous  savons  que  la 
Russie  est  toute  prête  pour  cette  réforme. 

—  M.  Ch.-M.  "VVidor  vient  d'adresser  la  lettre  suivante  à  M.  G.  Witt- 
mann,  chef  d'orchestre  de  l'Hippodrome  : 

Paris,  25  juin  1890. 
Mon  cher  monsieur  Wittmann, 
Je  tiens  à  vous  exprimer  ce  soir  môme  ma  profonde  reconnaissance  pour  toute 
la  sympathie  et  tout  le  talent  que  vous  avez  prodigués  a  notre  Jeanne  d'Arc.  L'infa- 
tigable activité  que  vous  avez  déployée  pendant  ces  journées  d'un  travail  aussi  corn- 


208 


LE  MÉNESTREL 


plexe  et  aussi  rapide,  la  sûreté  de  vos  appréciations  m'ont  été  d'un  précieux  con- 
cours. Soyez  mon  interprète  auprès  de  tous  les  artistes  de  votre  orchestre,  dont 
l'exécution  a  été  admirable.  Ch.-M.  Widor. 

—  Le  Ménestrel  publiait  dans  ses  colonnes,  il  y  aura  tantôt  vingt  ans, 
une  excellente  traduction  du  pamphlet  si  incisif,  si  curieux,  si  savoureux, 
de  Benedetto  Marcello,  il  Teatro  alla  moda,  justement  fameux  au  siècle 
dernier.  Ce  qui  était  vrai  il  y  a  cent  cinquante  ans  l'est  encore  aujour- 
d'hui, et  la  critique  si  fine  et  si  spirituelle  que  Marcello  se  permettait  à 
l'égard  des  chanteurs  et  des  cantatrices,  des  directeurs,  des  auteurs,  des 
compositeurs,  des  danseurs  et  de  tout  ce  qui  tient  au  théâtre  n'a  rien 
perdu  de  sa  saveur  et  de  son  à-propos.  La  traduction  donnée  par  le  Mé- 
nestrel avait  été  faite  fort  habilement  par  l'un  de  ses  meilleurs  collabora- 
teurs, Ernest  David,  dont  nous  avons  eu  depuis  à  regretter  la  perte.  Il 
eût  été  fâcheux  qu'elle  restât  enfouie  dans  les  colonnes  d'un  journal. 
C'est  ce  qu'a  pensé  M.  Bourgault-Ducoudray,  qui  a  eu  l'idée  d'en  faire 
une  publication  spéciale,  en  la  faisant  précéder  d'une  préface  écrite  par 
lui-même.  Ce  petit  ouvrage  vient  de  paraître  en  une  charmante  brochure 
de  ISO  pages,  à  la  librairie  Fischbacher,  sous  le  titre  que  voici  :  Le  Théâtre 
à  la  mode  au  XVIIIe  siècle  (il  Teatro  alla  moda),  de  Benedetto  Marcello,  tra- 
duction précédée  d'une  étude  sur  Marcello,  sa  vie  et  ses  œuvres,  par 
Ernest  David.  Tout  le  monde  ainsi  pourra  lire  ce  petit  chef-d'œuvre  de 
raillerie  fine,  spirituelle  et  mordante,  que  seuls  jusqu'à  ce  jour  connais- 
saient les  initiés.  A.  P. 

—  M.  Louis  Pagnerre  vient  de  publier  sous  ce  titre  :  Charles  Gounod,  sa 
vie  et  ses  mœurs  (Paris,  Sauvaître,  in-8°),  un  gros  volume  qui  est  plutôt  un 
recueil  de  documents  pouvant  servir  au  récit  de  la  vie  du  maître,  qu'une 
véritable  biographie  de  l'auteur  de  Faust,  de  Mireille  et  de  la  Rédemption. 
De  nombreux  catalogues,  des  analyses  des  poèmes  mis  en  musique  par 
M.  Gounod,  la  reproduction  un  peu  trop  complaisante  de  jugements  portés 
sur  ses  œuvres  par  des  écrivains  qui  souvent  n'ont  pas  droit  au  titre  de 
critiques,  toute  une  longue  histoire,  trop  longue,  des  démêlés  du  compo- 
siteur avec  Mme  Georgina  Weldon  pendant  et  après  le  séjour  qu'il  fit  en 
Angleterre,  voilà  surtout  ce  qu'on  trouve  dans  le  livre  de  M.  Pagnerre. 
De  renseignements  nouveaux  sur  le  musicien  illustre  qui  aura  tenu  une 
si  grande  place  dans  l'histoire  de  l'art  français  au  dix-neuvième  siècle  il 
n'est  guère  question,  non  plus  que  de  véritable  critique  je  ne  dirai  pas  sur 
les  œuvres,  mais  sur  l'ceuwe  du  maître,  sur  l'ensemble  de  sa  carrière  et  de 
sa  vie  artistique.  C'est  précisément  la  vue  d'ensemble  et  le  jugement  syn- 
thétique qui  manquent  ici,  et  l'on  voit  que  l'écrivain,  trop  préoccupé  du 
détail,  n'a  pas  eu  le  coup  d'œil  assez  vaste  pour  envisager  comme  il  con- 
vient et  dans  tout  son  parcours  une  carrière  inégale  sans  doute,  mais  si 
glorieuse  et  si  bien  remplie.  Néanmoins,  ce  livre,  fertile  en  documents, 
bien  que  ceux-ci  soient  de  valeur  inégale,  sera  fort  utile  dans  l'avenir  à 
celui  qui  sera  suffisamment  armé  pour  entreprendre  une  véritable  histoire 
critique  de  la  vie  et  des  œuvres  de  M.  Gounod.  A  ce  titre  seul  il  mérite- 
rait l'attention,  car  l'auteur  n'est  point  un  fantaisiste  ;  il  remonte  aux 
sources,  et  il  les  cite  avec  une  parfaite  honnêteté.  A.  P. 

—  Un  écrivain  italien  dont  nous  avons  eu  déjà  l'occasion  de  signaler 
quelques  publications,  M.  Leopoldo  Mastrigli,  vient  démettre  au  jour  sous 
ce  titre  :  Manuale  del  caillante,  un  petit  volume  assez  curieux.  Ce  volume 
n'est  pas  un  traité  de  chant,  comme  on  serait  tenté  de  le  croire  d'après 
son  titre  ;  c'est  précisément,  ainsi  que  l'indique  celui-ci,  un  manuel  du 
chanteur,  mais  uniquement  composé  de  préceptes  et  de  conseils  extraits 
d'un  grand  nombre  d'ouvrages  traitant  soit  de  l'art  du  chant  et  des  études 
qu'il  nécessite,  soit  des  soins  à  donner  à  la  voix  et  de  la  façon  de  la  di- 
riger au  point  de  vue  de  son  hygiène  et  de  sa  santé.  L'auteur,  ou  plutôt 
le  compilateur,  a  pris  pour  épigraphe  cette  phrase  de  l'excellente  Méthode 
de  chant  de  M.  Faure  :  a  Pour  rendre  à  l'art  du  chant  son  éclat  d'autrefois, 
il  n'y  a  d'autre  parti  à  prendre  que  de  revenir  aux  fortes  études  qu'exi- 
geait l'interprétation  des  ouvrages  délaissés  aujourd'hui,  et  d'y  ramener 
les  élèves,  sans  se  préoccuper  s'ils  auront  ou  non  à  en  faire  l'applica- 
tion. »  Puis  il  emprunte  ses  préceptes,  ses  citations,  aux  traités  et  aux 
écrits  de  J.-J.  Bousseau,  Grétry,  Crescentini,  Porpora,  Fétis,  Rossini, 
Pier-Francesco  Tosi,  Emmanuel  Garcia,  Lichtenthal,  Berlioz,  Panofka, 
Stendhal,  Reicha,  Richard  Wagner,  les  docteurs  Colombat  de  l'Isère, 
Edouard  Fournie,  Louis  Mandl,  Second,  Mackenzie.  MM.  Djprez,  Faure, 
Délie  Sedie,  Maurel,  Marmontel,  Gamucci,  Lamperti,  etc.,  en  les  classant 
et  en  les  groupant  d'une  façon  systématique  et  rationnelle.  En  résumé, 
c'est  là  un  petit  livre  fort  utile,  et  dont  il  serait  à  souhaiter  que  nos 
jeunes  chanteurs  eussent  ici  le  pareil. 

—  Le  centenaire  de  la  Fédération  :  —  On  sait  qu'à  l'occasion  de  l'an- 
niversaire de  cette  grande  date  de  la  Révolution  française,  M.  Georges 
Boyer  a  composé  un  chant  patriotique  dont  M.  J.  Massenet  a  écrit  la  mu- 
sique. C'est  une  sorte  de  pas  redoublé,  une  mélodie  simple,  mais  très 
rythmée,  qui  dans  la  pensée  de  son  auteur  doit  être  chantée  en  marchant, 
sur  le  refrain  suivant: 

Au  nom  de  la  patrie  et  de  la  liberté, 
Soyons  unis,  car  il  est  temps,  ô  frères, 
A  l'étendard  sanglant  des  guerres 
D'opposer  le  drapeau  de  la  fraternité! 


—  M.  Albert  Jacquot  vient  de  donner,  en  séance  publique  du  Congrès  des 
Sociétés  savantes  réunies  au  grand  hémicycle  des  Beaux-Arts,  lecture  d'un 
mémoire  sur  la  «  Lutherie  d'Art  et  la  Lutherie  en  Lorraine  «.L'assistance 
a  paru  prendre  à  cette  lecture  un  vif  intérêt,  M.  Albert  Jacquot  a  fait 
d'abord  l'histoire  des  instruments  à  cordes  et  à  archet.  Après  un  coup 
d'oéil  rétrospectif  sur  la  lutherie  dans  les  différents  pays,  en  Italie  d'abord, 
où  il  a  mis  en  lumière  les  célèbres  chefs  des  écoles  depuis  Amati  et  Stra- 
divarius, puis  en  France,  en  Allemagne,  en  Lorraine,  il  s'est  occupé  de 
la  construction  du  violon,  fournissant  des  détails  techniques  peu  connus 
jusqu'alors;  il  a  montré  l'influence  exercée  au  XVIe  siècle  sur  la  lutherie 
lorraine  par  l'école  italienne  et  rappelé  Mirecourt.  M.  Jacquot  a  rappelé 
aussi  l'origine  lorraine  de.  nos  anciens  luthiers  les  plus  célèbres,  les 
Yuillaumedès  1681,  les  Lupot  — aujourd'hui  Gand  et  Bernardel  —  dès  1G96, 
les  Chanot  en  1716,  les  Jacquot  (ancêtres  de  la  famille  actuelle)  en  1731. 

—  Un  public  fort  élégant  et  très  nombreux  assistait  samedi  dernier  à 
l'audition  d'élèves  donnée  par  Mme  Marchesi  à  la  salle  Érard,  fin  de  l'an- 
née scolaire  1889-90.  M"es  Risley,  Komaromi,  Bensberg,  Brass,  Devlin, 
Niven,  Mataftine,  Weyprecht  et  Drake  ont  tour  à  tour  fait  la  preuve  de 
l'excellent  enseignement  de  leur  éminsnt  professeur,  et  elles  ont  recueilli 
les  plus  chaleureux  applaudissements  de  l'assistance.  Plusieuis  de  ces 
jeunes  artistes  ont  déjà  signé  d'importants  engagements. 

—  M.  Charles  René  a  clôturé  la  saison  de  ses  cours  de  piano  à  l'Ins- 
titut Rudy  par  une  brillante  séance  donnée  mardi  dernier.  Trente  et  une 
personnes  y  ont  été  entendues  sans  aucune  fatigue,  grâce  à  un  choix 
heureux  des  morceaux,  et  aussi,  grâce  à  une  grande  variété  dans  l'inter- 
prétation des  œuvres  de  styles  et  de  maîtres  différents.  Citons  parmi  les 
numéros  les  plus  applaudis  :  le  Retour,  de  Bizet,  l' Impromptu-valse,  de  Louis 
Diémer  et  une  mazurka  de  Scharwenka.  La  réouverture  des  cours  de 
M.  Charles  René  aura  lieu  le  mardi  7  octobre. 

—  Dans  la  dernière  matinée  d'élève  données  par  M"e  Cortat,  profes- 
seur de  piano,  l'Astre  des  Nuits  et  la  Fête  alsacienne  do  M.  Paul  Rougnon  ont 
été  très  applaudis  en  faisant  valoir  les  qualités  de  grâce  et  de  sentiment 
des  deux  dernières  œuvres  de  l'auteur  de  Ballerine,  du  Menuet  de  l'Infante 
et  de  la  Valse  joyeuse. 

—  Cette  semaine,  à  l'Ecole  Normale  de  musique  dirigée  par  M.  Thurner, 
ont  eu  lieu  les  examens  annuels,  présidés  par  notre  vaillant  et  éminent 
maître  Marmontel.  MM.  Ravina,  Ad-  David  et  Pessard  ont  formé  le  jury, 
qui  a  été  unanime  pour  féliciter  M.  Thurner  sur  les  excellents  résultats 
de  l'enseignement.  Il  y  a  là  de  sérieux  éléments  de  vrai  succès  et  d'a- 
venir. 

—  Malgré  la  chaleur  de  lundi  dernier,  on  se  pressait  dans  les  salons  de 
Mmc  Lafaix-Gontié,  pour  assister  à  sa  matinée  de  clôture  de  la  saison.  On 
y  entendait  et  applaudissait  les  œuvres  de  MM.  Wekerlin,  Delibes,  Widor, 
ainsi  que  celles  de  Mme  Gennaro-Chrétien.  Les  élèves  de  Mm0  Lafaix- 
Gontié  ont  toutes  fait  honneur  à  l'excellent  enseignement  de  leur  distin- 
gué professeur. 

NÉCROLOGIE 

A  Barcelone  est  mort  récemment  un  artiste  qui  s'était  distingué  tour 
à  tour  comme  chanteur,  comme  chef  d'orchestre  et  comme  compositeur. 
Francis  Pedrell,  qui  était  né  à  Palma  de  Majorque,  le  2  avril  1813,  avait 
abandonné  l'étude  de  la  médecine  et  de  la  chirurgie  pour  celle  de  la 
musique,  et  débutait  en  1836  comme  ténor,  sur  le  théâtre  de  sa  ville 
natale,  dans  la  Norma  de  Bellini.  Il  so  produisit  ensuite  à  Valence,  à 
Barcelone,  à  Bilbao,  puis,  ayant  perdu  la  voix  à  peine  âgé  de  trente  ans, 
se  fit  connaître  comme  chef  d'orchestre  et  comme  compositeur.  Il  a  écrit 
quatre  Opéras  dont  un  intitulé  el  Trovador,  qui  vit  le  jour  onze  ans  avant 
le  Trovatore  de  Verdi.  On  lui  doit  aussi  une  zarzuela,  un  hymne  patrioti- 
que pour  chant  et  piano,  une  symphonie,  un  Te  Deum,  une  messe  de  Gloria, 
un  hymne  allégorique,  une  fantaisie  espagnole  et  plusieurs  morceaux  de 
divers  genres.  Pedrell  était  non  seulement  un  musicien  de  talent,  mais 
un  homme  fort  distingué.  Tout  en  poursuivant  sa  carrière  artistique,  il 
avait  obtenu  en  1829  le  titre  de  bachelier  en  philosophie  et  en  1836  celui 
de  bachelier  en  médecine  et  chirurgie. 

—  Le  Conservatoire  de  Saint-Pétersbourg  vient  de  faire  une  perte  sen- 
sible en  la  personne  de  M.Charles  Siecke,  professeur  d'harmonie  et  maître 
des  chœurs.  Il  avait  dirigé  pendant  deux  saisons  consécutives  les  concerts 
de  la  Société  musicale  russe,  tant  à  Moscou  qu'à  Saint-Pétersbourg. 

—  On  annonce  également  de  Russie  la  mort  de  Nicolas  Christianovitch, 
décédé  à  Pultawa.  Quoique  magistrat  de  profession,  il  s'est  fait  un  nom 
dans  la  littérature  musicale  russe,  en  publiant  en  1876  un  volume  de 
lettres  sur  Chopin,  Schubert  et  Schumann.  A  Pultawa,  il  avait  créé  une 
école  musicale  dont  il  a  été  l'âme  jusqu'à  ces  derniers  temps.  Le  défunt 
était  frère  de  M.  Alexandre  Christianovitch,  l'auteur  bien  connu  d'un 
livre  français  sur  l'ancienne  musique  arabe,  publié  à  Paris  en   1863. 

Henri  Heugel.  directeur-géiant. 


i -ii'iipu,  n,,.:  LBIIf 


■  IHPIUNEIUE  «.mil.   —   RUE  BEIlGÈItE,  20, 


Dimanche  6  Juillet  1890. 


3092  -  86™  ANNEE  -  N"  27.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sui. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste  :  Georges  Bizet  (8°  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Bulletin 
théâtral,  H.  M.  —  III.  Le  théâtre  à  l'Exposition  (26°  et  dernier  article),  Arthcr 
Pougin.  —  IV.  Histoire  vraie  des  héros  d'opéra  et  d'opéra-comique  (36*  article)  : 
Tabarin,  Edmond  Neukomm.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

UN    SOURIRE 

de  Ed.  Chavagnat.  —  Suivra  immédiatement:  Deuxième  Valse  hongroise,  de 

Théodore  Lack. 

CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant  :  les  Pommwrs,  nouvelle  mélodie  d'EmiLE  Bourgeois,  poésie  dé 
F.  Couturier.  —  Suivra  immédiatement:  l'Étoile,  mélodie  de  Limnander, 
poésie  de  A.  Van  Hasselt. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


GEORGES  '  BIZET 


Georges  Bizet  venait  fréquemment  à  l'Opéra.  Il  causait 
longuement  avec  Faure,  qui  l'aimait  beaucoup  et  se  trouvait 
tourmenté  du  désir  de  le  voir  réussir  au  théâtre  et  tout  à 
fait  disposé  à  l'y  aider  de  son  autorité,  en  créant  le  maître 
rôle  d'un  ouvrage  de  lui. 

Un  soir,  il  me  dit  :  Il  faut  que  vous  me  fassiez  quelque 
■chose  pour  Bizet.  Il  a  beaucoup  de  talent.  —  Qu'est-ce  que 
vous  verriez?  Il  me  faudrait  un  rôle  très  sympathique.  —  Je 
viens  de  créer  votre  Paddock  de  la  Coupe  du  Moi  de  Thulê.  Je 
voudrais  vous  voir,  Edouard  Blau  et  vous,  vous  associer  pour 
un  autre  ouvrage,  dont  Bizet  serait  le  compositeur  et  qui 
serait  pour  moi,  —  bien  pour  moi. 

Nous  nous  mimes  en  quête  sans  retard.  Et,  tour  à  tour, 
nous  apporlâmes  divers  sujets,  qui  ne  convinrent  pas  à  l'il- 
lustre baryton,  épris  d'un  extraordinaire  idéal. 

Nous  lui  parlâmes,  entre  autres  personnages,  du  Lorenzaccio 

d'Alfred  de  Musset,  sujet  analogue  au  Lorensino  de  Dumas. 

Mais  Faure,  tout  en  reconnaissant  la  valeur  du  drame  ne 
goûtait  pas  le  caractère  du  personnage,  Brutus  cauteleux, 
menant  avec  un  sourire,  jusqu'à  l'heure  de  sa  perte,  l'homme 
qu'il  doit  tuer.  —  «  Je  n'aime  pas,  disait-il,  celui  qui  trahit 
ainsi.  » 

Cette  recherche  consciencieuse  d'un  personnage  réunissant 
toutes  les  qualités,  tous  les  charmes,  tous  les  héroïsmes, 
n'allait  pas  sans  éveiller  la  verve  caustique  de  6.  Bizet. 


—  Eh  bien,  me  disait-il,  avez-vous  trouvé  ? 

Et  comme  je  lui  racontais  nos  efforts  et  les  objections  de 
notre  ami  : 

—  Ce  Faure,  disait-il  avec  une  malice  qui  ne  diminuait 
en  rien  son  affection  et  son  admiration  pour  le  grand  artiste, 
il  veut  tout  1  Non  seulement  il  faut  qu'il  soit  grand,  beau, 
généreux  et  fort,  mais  encore  il  faut  qu'on  puisse  dire  du 
bien  de  lui  quand  il  n'est  pas  en  scène  1 

Enfin,  Bizet  lui-même  mit  fin.  à  ces  recherches  et  à  ces 
hésitations  en  m'apportant  un  matin  un  vieux  numéro  du 
Journal  pour  tous,  contenant  une  traduction  de  la  Jeunesse  du 
Cid  de  Guilhem  de  Castro. 

— Voilà  ce  que  je  veux  faire,  me  déclara-t-il,  très  nettement. 
Ce  n'est  pas  le  Cid  de  Corneille,  c'est  le  Cid  original,  avec  sa 
couleur  bien  espagnole.  Il  y  a  là  une  scène  :  la  scène  du 
mendiant,  qui  est  merveilleuse.  Voyez  cela.  Faure,  j'en  suis 
sûr,  sera  content.  Le  Cid  amoureux,  filial,  chrétien,  héroïque, 
triomphant,  que  pourrait-il  désirer  de  plus  ! 

Ainsi  fut  fait.  Faure,  mis  au  courant  du  projet,  se  déclara 
enchanté,  et  nous  nous  mimes  aussitôt  à  l'œuvre. 


L'impitoyable  histoire  aura  beau  examiner  à  la  loupe  les 
grandes  figures  telles  que  le  Cid,  elle  ne  détruira  pas  la  lé- 
gende. Ce  Rodrigue  Diaz  de  Bivar,  le  grand  Cid,  qui,  son  épée 
Tizona  au  flanc,  fut  couché  par  Chimène  inconsolable  dans 
un  cercueil  «  aussi  noir  que  sa  tristesse  »  en  la  chapelle  de 
Saint-Pierre  de  Cardena,  elle  nous  le  représentera  en  vain 
comme  un  soldat  à  demi-barbare,  un  mercenaire  tour  à  tour 
au  service  des  rois  de  Castille  et  des  rois  des  Maures,  redou- 
table à  tous  et  faisant  brûler  vif,  au  mépris  de  la  parole 
donnée,  Ahmed-el-Moaféry,  le  gouverneur  de  Valence,  son 
prisonnier,  épousant  enfin  une  parente  du  roi,  Ismena  ou 
Chimène,  vieille,  laide,  mais  grassement  dotée  !  Nous  ne 
voudrons  jamais  voir  en  lui  que  le  héros  du  drame  de  Cor- 
neille, ce  poème  de  jeunesse,  «  fleur  immortelle  d'honneur 
et  d'amour  »,  selon  le  mot  de  Sainte-Beuve. 

Ce  n'était  pas  cependant  le  Cid  de  Corneille,  je  l'ai  dit,  qui 
tentait  Bizet;  c'était  celui  de  Guilhem  de  Castro,  plus  naïf, 
plus  proche  du  Romancero.  Il  entendait  qu'on  s'en  tînt  à  cette 
version,  et  recommandait  qu'on  évitât  par-dessus  tout  d'em- 
prunter un  seul  vers  à  Corneille.  Il  redoutait,  non  sans  raison, 
cette  audace  musicale  de  repétrir  le  bronze  du  vers  cornélien. 

En  lisant  dans  Guilhem  de  Castro  cette  «  Scène  du  men- 
diant »  dont  Bizet  m'avait  parlé,  j'en  fus  frappé  et  charmé 
comme  lui.  Elle  m'apparut  simple,  touchante  et  grande. 
Elle  montrait  Rodrigue  de  Bivar  sous  un  jour  tout  nouveau. 
Les  auteurs  nombreux  qui  ont  traité  ce  beau  sujet  du  Cid 
ont  montré  dans  le  héros  le  fils  respectueux  jusqu'au  sacri- 


210 


LE  MÉNESTREL 


fice  de  son  amour,  l'amoureux  Adèle  à  l'amour  jusqu'au 
sacrifice  de  sa  vie  ;  aucun  n'a  vu  en  lui  le  chrétien,  le 
croyant  à  l'âme  évangélique.  comme  l'a  dépeint  Guilhem  de 
Castro,  comme  le  Romancero  l'a  célébré. 

Dans  le  vieux  drame  espagnol,  Rodrigue  est  représenté, 
un  soir  de  bataille,  alors  que  tout  lui  manque,  que  la  for- 
tune le  trahit.  Seul,  à  l'entrée  de  sa  tente,  il  rêve  à  sa 
sombre  destinée,  quand  le  bruit  d'une  querelle  frappe  son 
oreille.  Ses  officiers  ont  surpris  un  homme  dans  le  voisinage; 
brutalement  ils  le  chassent.  C'est  un  lépreux,  un  vagabond... 
Rodrigue  s'interpose.  Il  fait  amener  l'homme  devant  lui.  Il 
donne  à  ses  officiers  une  dure  leçon  d'humanité ,  de 
charité. 

—  Tu  as  faim  et  soif,  dit-il  à  ce  misérable.  Tiens,  mange 
et  bois.  Et  il  partage  avec  lui  son  pain  noir,  ses  oignons 
crus  et  le  vin  de  sa  gourde. 

—  Tu  as  sommeil!  Prends  mon  manteau  et  dors  sur  cette 
pierre. 

Et  tandis  que  le  lépreux  s'endort,  le  Cid  reste  debout  pour 
prier. 

Et,  tout  à  coup,  quand  la  fatigue  enfin  triomphe  des  forces 
du  héros  et  le  couche  à  son  tour  sur  la  terre  nue,  voici  que 
le  pauvre  inconnu  se  lève,  transfiguré,  et  bénit,  au  nom  du 
Seigueur,  le  Cid  chrétien. 

Il  faut  ici  écouter  la  narration  du  Romancero,  qui  a  quel- 
que chose  de  la  simplicité  superbe  des  Ecritures. 

«  Vers  minuit,  alors  que  Rodrigue  dormait,  le  lépreux  lui 
souffla  entre  les  épaules  et  si  fort  fut  ce  souffle  qu'il  lui  tra- 
versa la  poitrine... 

»  Il  se  releva  très  effrayé,  chercha  le  lépreux,  ne  le  trouva 
point  et  demanda  en  criant  de  la  lumière. 

»  On  lui  avait  apporté  de  la  lumière,  et  le  lépreux  ne  pa- 
raissait point... 

»  Il  s'était  recouché,  quand  vint  à  lui  un  homme  tout  vêtu 
de  blanc,  qui  lui  dit  :  Dors-tu  ou  veilles-tu,  Rodrigue  ? 

—  Je  ne  dors  pas.  Dis-moi  qui  tu  es,  toi  que  je  vois  si 
resplendissant. 

—  Je  suis  Lazare,  je  viens  te  parler;  je  suis  ce  lépreux  à 
qui  tu  as  rendu  un  si  grand  service  pour  l'amour  de  Dieu- 
—  Rodrigue,  Dieu  t'aime  bien... 

»  Et  tout  ce  que  tu  entreprendras  dans  la  guerre  ou  autre- 
ment, tu  l'accompliras  à  ton  honneur.  Rodrigue,  Dieu  t'en- 
voie sa  bénédiction. 

»  Et.  ce  disant,  il  disparut...  » 


En  ces  créations  légendaires,  ce  n'est  pas  toujours  la  figure 
du  lépreux  ou  de  Lazare  qui  apparaît.  C'est  bien  souvent 
celle  de  l'apôtre  saint  Jacques,  le  grand  protecteur  des  Cas- 
tillans, que  le  Romancero  montre  parfois  entrant  dans  la 
grande  mêlée,  tout  armé  et  à  cheval  pour  combattre  les 
Maures. 

L'imagination  vive  de  Bizet  s'enflammait  à  ces  récits.  Il 
parlait  avec  une  foi  ardente  de  cette  scène  et  il  nous  com- 
muniquait son  enthousiasme.  Tout  le  drame  évoluait  pour 
lui  autour  de  ce  tableau  du  lépreux,  que  son  modernisme 
musical  mettait  au  premier  rang,  alors  que  les  commenta- 
teurs de  Guilhem  de  Castro  l'avaient  compté  à  son  auteur 
comme  une  faute  de  goût  et  que  Corneille   l'avait  dédaigné. 

J'ai  gardé  très  présente  l'impression  que  produisit  sur 
l'excellent  comédien  Régnier,  homme  d'esprit  et  fin  lettré 
s'il  en  fut,  cette  scène  que  je  lui  racontai  un  soir  en  lui  di- 
sant quelle  place  elle  tenait  dans  les  préoccupations  de  notre 
compositeur. 

Comme  il  aimait  les  belles  choses,  il  s'inclinait  devant 
cette  page  de  l'antique  légende  castillane.  «  Mais,  ajoutait-il, 
moi,  voyez-vous,  j'en  reste  à  Corneille.   » 

Cet  avis  n'allait  pas  sans  nous  préoccuper  fort;  mais  Bizet 
aurait,  je  crois,  donné  à  ce  moment  tout  le  répertoire  de  la 
Comédie-Française  pour  son  tableau  légendaire. 


Il  eut  donc  sa  «  scène  du  mendiant  »,  pour  ne  pas  dire 
sa  «  scène  du  lépreux  *  un  mot  qui,  de  son  aveu  même, 
était  fait  pour  évoquer  une  image  trop  rebutante. 

La  voici  telle  que  je  l'emprunte  au  manuscrit,  rectifié  de 
la  main  même  de  Bizet  et  mis  par  lui  d'accord  avec  sa  par- 
tition. Il  me  semble  qu'il  y  a  là  le  sujet  d'une  comparaison 
intéressante.  Comme  dans  le  Cid  représenté  depuis  à  l'Opéra, 
la  scène  se  passe  dans  le  camp  de  Rodrigue. 

Au  moment  où,  désespérant  de  la  fortune  de  ses  armes,  le 
jeune  chef  va  pénétrer  dans  sa  tente,  des  rumeurs  éclatent 
à  peu  de  distance.  Des  soldats  paraissent,  poussant  et  ru- 
doyant un  mendiant  : 

LES  SOLDATS. 
Hors  d'ici,  misérable!  Hors  d'ici!  Fais-nous  place! 
Va  t'en  ! 

RODRIGUE. 

Quel  est  cet  homme? 

LES  SOLDATS. 

Un  mendiant  qu'on  chasse! 

RODRIGUE. 

Pourquoi  ?  Quel  crime  a-t-il  commis  ? 

LE   MENDIANT. 

Seigneur,  je  demandais  un  asile,  une  aumône  !... 
Ce  que  je  possédais,  les  Maures  me  l'ont  pris  ! 

LES  SOLDATS. 
Il  ment!  C'est  un  bandit! 

RODRIGUE,  prenant  doucement  la  main  du   mendiant. 

Frère,  Tiens  et  pardonne 
Au  zèle  de  ceux-là  qui  devraient  bien  savoir 
Que  la  charité  sainte  est  leur  premier  devoir. 

(Aux  soldats.) 
Eloignez- vous  ! 

LES   SOLDATS. 

Seigneur,  redoutez  sa  présence.. 

RODRIGUE. 
Allez!  votre  doute  est  cruel. 
Un  pauvre  est  l'envoyé  du  ciel: 
Pourquoi  lui  faire  offense? 

(Les  soldats  se  retirent  avec  confusion.) 
Viens  près  de  moi. 

LE  MENDIANT. 

Seigneur. 

RODRIGUE. 

As-tu  faim.  Prends  ceci. 
Es-tu  lassé?  Sommeille  ici 
Dans  mon  manteau  jusqu'au  jour. 
(Il  fait  étendre  le  mendiant  sous  la  tente  et  le  couvre  de  son  manteau.) 

LE  MENDIANT,  d'une  toii  faible. 

Mais,  vous? 

RODRIGUE. 

Frère, 
Moi,  je  reste  debout  jusqu'à  l'heure  dernière. 

(Regardant  le  mendiant  étendu  et  déjà  immobile.) 
Déjà  ses  yeux'  sont  clos. 
(Après  un  silence,  joignant  les  mains.) 
0  trésor  du  sommeil!  0  bienfaisant  repos! 
Il  dort,  insoucieux  des  misères  prochaines, 
Quand  je  veille  désespéré. 
Il  a  des  haillons,  j'ai  des  peines; 
Par  de  plus  rudes  coups  mon  cœur  fut  déchiré. 
Dieu  clément!  ah!  pardonne  à  la  plainte  dernière: 
De  celui  qui  bientôt  paraîtra  devant  toi! 
Ses  regards  aujourd'hui  sont  bien  loin  de  la  terre. 
Il  proclame,  en  mourant,  ta  justice  et  ta  loi. 
Tu  m'as  pris  mon  amour  et  j'ai  courbé  la  tète  ; 
Tu  me  prends  la  victoire  et  je  me  suis  soumis. 
Que  ton  ciel  soit  du  moins  ma  suprême  conquête, 
Que  l'amour  éternel  à  mon  cœur  soit  permis  ! 
Mais,  qu'ai-je  donc?  Un  lourd  sommeil  accable 

Malgré  moi,  tous  mes  sens. 
Dieu!...  je  succombe...  Ah!  oui,  c'est  la  mort  socourable. 
Elle  vient...  Je  le  sens!... 
(Il  tombe  sur  le  sol,  la  tête  appuyée  sur  une  pierre,  et  s'endort.  —  Musique.  — 
Au  bout  d'un  instant  une  vague  clarté  emplit  la  scène  autour  du  mendiant,  qui 
se  lève,  transfiguré.) 


LE  MENESTREL 


211 


LE  .MENDIANT,    debout  devant  Rodrigue. 

0  grand  cœur  !  L'Esprit  saint  te  parle  par  ma  bouche, 
Et  Dieu  par  mes  mains  le  bénit. 

Les  anges  radieux  se  penchent  vers  ta  couche, 
Leur  voix  à  la  mienne  s'unit. 
Je  suis  Lazare  ! 

CHOEUR   CÉLESTE. 

Entends-tu  la  voix  de  Lazare, 
Le  messager  du  Seigneur! 
C'est  la  fin  de  ta  douleur, 
Ton  triomphe  se  prépare! 

LE   MENDIANT. 

Dieu  soutient  le  cœur  docile  à  sa  loi  ! 
Rodrigue,  lève  toi! 

RODRIGUE,  dans  no  r.ve. 

Ah  !  quelles  harmonies 
Etranges,  infinies, 
Planent  autour  de  moi! 

CHOEUR   CÉLESTE. 

La  prière  et  la  souffrance 
T'ont  deux  fois  purifié. 
Le  ciel  te  prend  en  pitié 
Et  te  rend  ton  espérance  ! 

LE    MENDIANT. 

Oui,  Dieu  rendra  l'amour  à  qui  fut  doux  pour  moi  ! 
Lève-toi!  Lève-toi! 

RODRIGUE,    se  dressant  lentement. 

De  célestes  clartés  éblouissent  ma  vue! 

Quelle  splendeur  est  dans  la  nue? 
Quel  feu  divin  échauffe  et  pénètre  mon  cœur  ? 

Des  voix  me  proclament  vainqueur 
Et  font  revivre  en  moi  l'espérance  perdue  ! 


Reprends  pour  le  combat  le  courage  et  la  foi. 
Rodrigue  lève-toi!  lève-toi  !  lève-toi  !... 
(//  disparaît.) 

RODRIGUE,  debout. 

Oui,  j'ai  la  foi  qui  porte  les  montagnes  ! 

Alerte,  compagnons,  nous  avons  trop  dormi  ! 
Appels  de  trompettes  au  loin.  Les  soldats  se  lèvent  de  toutes  parts. 

Cette  citation  donne  bien  la  physionomie  musicale  de 
l'œuvre  à  jamais  perdue  de  Georges  Bizet. 

Je  l'y  retrouve  tout  entier,  élargissant  ses  vues,  accentuant 
la  puissance  de  ses  effets,  développant  la  grandeur  mystique 
de  la  scène,  ajoutant  à  la  prière  du  Gid  des  mots  de  son 
propre  fonds  pour  en  rendre  plus  majestueux  le  rythme,  avec 
l'évidente  préoccupation  de  donner  à  la  voix  de  Faure  un 
point  d'appui  digne  de  sa  magnifique  ampleur. 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


BULLETIN   THEATRAL 


Il  parait  que  Mm0  Fierens  a  fait,  cette  semaine,  son  second  début 
à  I'Opéra  dans  tes  Hwjuenots,  incognito  et  masquée.  Du.  moins  on 
n'avait  pas  fait  appel  à  la  presse  pour  en  juger.  Mais  M.  Gailhard, 
dans  de  petites  notes  officieuses  envoyées  aux  journaux,  se  déclare 
satisfait  et  nous  annonce  que  tout  a  admirablement  marché.  Il  n'y 
a  aucune  raison  pour  ne  pas  croire  cet  homme  de  bien.  Tout  est 
donc  pour  le  mieux  dans  la  meilleure  des  Académies  nationales  de 
musique. 

Pour  demain  lundi,  on  annonce  les  débuts  de  Mme  Durand-Ulbach 
dans  le  rôle  d'Amnéris  ai1  Aida.  Seront-ce  aussi  des  débuts  masqués? 

Le  spectacle  gratuit  du  14  Juillet  sera,  sur  la  demande  du  conseil 
municipal,  composé  du  Rêve  et  de  Zaïre.  On  compte,  pour  enlever 
les  masses,  sur  le  chant  patriotique  qui  termine  le  1er  acte  de 
l'intéressant  opéra  de  M.  Véronge  de  la  Nux. 

A  I'Opéra-Comique,  en  ce  même  jour  de  fête  et  de  haute  liesse,  on 
donnera  Fra  Diavolo  et  les  Noces  de  Jeannette.  En  guise  d'intermède, 
la  Marseillaise,  chantée  par  M.  Mouliérat.  Le  Conseil  municipal  avait 
demandé  qu'on  remplaçât  cette  «  vieille  rengaine  nationale  »  par 
«  l'Expulsion  »  ou  le  «  Bal  à  l'Hôtel  de  Ville  »  de  Mac  Nab,  le  chan- 


tre ordinaire  du  peuple  et  de  ses  élus.  Mais  M.  Paravey,  toujours 
correct,  n'a  pas  voulu  se  prêter  à  une  fantaisie  qu'on  eût  pu  voir 
d'un  mauvais  œil  à  l'Elysée,  dont  il  est  le  directeur  favori  et  fraî- 
chement décoré. 

C'en  est  fait  !  Les  signatures  sont  échangées.  M.  Verdhurt  ins- 
talle définitivement  le  Théâtre  Lyrique  à  l'Éden-Théûlre.  Grand 
bien  lui  fasse,  et  à  nous  aussi  !  Il  ouvrirait,  dès  le  1er  octobre,  avec 
Samson  et  Dalila,  de  M.  Saint-Saëns,  et  le  lendemain  il  donnerait 
la  Coupe  et  les  Lèvres,  de  M.  Canoby.  On  parle  aussi  dans  un  avenir 
prochain  de  Lenick,  opéra  de  M.  Raoul  Pugno. 

Pendant  le  mois  de  septembre  on  procédera  à  la  transformation  de 
la  salle,  de  la  façon  suivante.  Les  deux  premiers  rangs  seront  sup- 
primés et  remplacés  par  une  série  de  loges  découvertes  dans  le 
genre  de  l'ancienne  corbeille  du  Théâtre-Italien.  Entre  les  colonnes, 
on  construira  des  deuxièmes  loges  et  des  fauteuils.  Les  baies  se- 
ront fermées  complètement.  Dans  les  intervalles,  on  placera  de 
grandes  glaces. 

L'inévitable  Ciiateau-d'Eau,  qui  nous  revient  périodiquement  tous 
les  étés  en  même  temps  que  le  choléra,  a  rouvert  ses  portes  fatales 
vendredi  dernier,  avec  Roland  à  Ronceveaux,  opéra  redoutable  de 
M.  Mermet.  Nous  avons  trop  souvent  parlé  ici  même  de  cette  tapa- 
geuse partition  pour  y  revenir  encore.  Elle  est  interprétée  par  le  ténor 
Van-Loo,  qui  a  des  poumons,  et  par  plusieurs  dames  pleines  de 
grâces  qui  ont  des  noms  divers  et  des  talents  variés. 

H.  M. 


LE  THEATRE  A  L'EXPOSITION  UNIVERSELLE  DE  1889 
(Suite.  ) 


LE   CONCERT   ALGÉRIEN 

Concerts  tunisiens,  concerts  marocains,  concerts  algériens,  il  y  en 
avait  de  toutes  sortes,  et  il  faut  convenir  que  l'Afrique  musicale  (!) 
était  amplement  représentée  à  l'Exposition...  Il  n'y  manquait  qu'un 
concert  tripolitain,  et  même  un  concert  congolais.  Je  les  ai  vai- 
nement cherchés  l'un  et  l'autre  ;  à  mon  grand  regret,  je  n'ai  pu  les 
découvrir. 

Mais  pour  pénétrer  au  Concert  Algérien,  il  nous  faut  quitter  le 
Champ-de-Mars,  abandonner  cette  rue  du  Caire  dont  le  souvenir 
grouillera  longtemps  encore  dans  l'esprit  des  Parisiens,  et  franchir 
la  distance  qui  nous  sépare  de  l'Esplanade  des  Invalides. 

Très  curieux,  ce  Concert  Algérien,  dont  le  programme  nous  an- 
nonce des  «  danses  mauresques,  ouled-naïls,  kabyles  et  nègres,  diri- 
gées par  trois  orchestres.  »  Il  va  sans  dire  qu'ici  encore  nous  re- 
trouvons, comme  un  cauchemar,  l'éternelle  danse  du  ventre,  qui 
nous  poursuit  de  ces  hideuses  contorsions.  Il  y  en  a,  fort  heureuse 
meut,  d'un  autre  genre,  et  fort  heureusement  aussi,  les  danseuses 
sont  pour  la  plupart  jeunes  et  jolies.  Une  surtout,  une  petite  Kabyle 
de  quatorze  ans,  toute  mignonne  et  toute  charmante,  qu'on  appelait 
Torkia,  et  qui,  les  bras  nus  et  des  paillettes  sur  les  joues,  exécutait 
la  danse  des  épées  avec  une  grâce  et  une  crânerie  délicieuses.  Cette 
même  danse  des  épées  nous  était  offerte  aussi,  mais  d'une  tout 
autre  façon,  par  une  femme  plus  formée  et  d'un  aspect  bien  diffé- 
rent, à  la  physionomie  énergique  et  rude,  au  regard  sec  et  brillant 
comme  l'acier,  qui,  tournant  sur  elle-même  d'un  mouvement  très 
rapide,  jouait  avec  ses  deux  sabres  recourbés  comme  avec  de  sim- 
ples plumes,  les  agitant  et  les  brandissant  en  cadence,  en  posant  tour 
à  tour  les  pointes  sur  ses  bras,  sur  sa  poitrine,  sur  son  cou,  jusque 
sur  ses  yeux,  et,  avec  une  adresse  étonnante,  les  maintenant  en 
place  sans  cesser  son  tourbillonnement,  dont  elle  augmentait  au 
contraire  la  vivacité,  encouragée  qu'elle  était  par  le  rythme  de  l'or- 
chestre, qui  allait  toujours,  toujours,  toujours  s'accélérant.  C'était 
là  un  spectacle  vraiment  curieux,  intéressant  et  original,  on  peut 
dire  saisissant.  - 

Tranchant  avec  celle-ci,  les  danses  d'aimées  se  faisaient  remar- 
quer par  certaines  attitudes  pleines  de  grâce  et  de  langueur,  par  un 
accompagnement  musical  qui  n'était  pas  toujours  sans  charme,  et 
auquel  parfois  venait  se  joindre  le  chant.  Par  exemple,  les  danses 
de  nègres  et  de  négresses,  grotesques  sans  le  vouloir,  n'avaient  pour 
elles  que  leur  caractère  d'étrangeté  vulgaire.  A  ces  danses  lourdes 
et  sans  grâce  je  préférais  les  chansons  arabes,  d'une  couleur  savou- 
reuse et  pittoresque,  que  chantait  une  des  femmes  en  s'accompa- 
gnant  elle-même  sur  une  sorte  de  luth  oriental  appelé  kouitra. 

En  somme,  les  séances  du  Concert  Algérien  offraient  un  intérêt 
réel  à  qui  était  bien  préparé  pour  voir  et  entendre,  et  l'originalité 
n'en  était  certes  pas  exclue. 


242 


LE  MENESTREL 


LE   CONCERT   TUNISIEN   DU    SOUK 

Je  n'en  saurais  dire  autant  du  Concert  installé  au  Souk  tunisien. 
Celui-ci  était  assez  vulgaire,  et  ne  se  distinguait  par  rien  de  parti- 
culier. Je  me  trompe  :  il  se  distinguait  par  ce  fait  que  les  danses  des 
aimées  y  étaient  accompagnées  —  ô  horreur  !  —  par  un  piano  euro- 
péen, sur  lequel  les  airs  arabes,  parfois  si  curieux,  perdaient  tout 
leur  cachet  et  leur  caractère.  Le  virtuose  qui  tenait  ce  piano  était 
un  juif  arabe  nommé  Bennini-Semmama,  à  qui  le  séjour  de  Paris  fut 
fatal:  il  tomba  malade  ici,  et  mourut  dans  les  derniers  jours  du 
mois  d'août.  Je  ne  sais  qui  lui  succéda  dans  son  emploi. 

Cela  me  rappelle  un  souvenir. 

Dans  les  premiers  jours  de  décembre,  la  cour  de  l'Hôtel  des  ventes 
de  la  rue  Drouot  fixait  les  regards  des  passants,  qui  s'arrêtaient, 
surpris,  devant  un  amas  énorme  de  divans  en  tapisserie  turque,  de 
lanternes  aux  tons  criards,  de  tentures  fanées,  de  guéridons  aux 
couleurs  éteintes,  de  drapeaux  déchirés,  de  tables,  de  bancs,  de  ta- 
bourets... Contre  le  mur,  on  avait  étalé  des  glaces,  sur  lesquelles 
diverses  inscriptions  avaient  été  faites  avec  des  diamants,  entre  au- 
tres celle-ci,  que  j'ai  retenue:  Aïcha,je  t'aime  I  que  son  auteur  avait 
heureusement  négligé  de  signer.  On  se  demandait  d'où  pouvaient 
provenir  ces  étranges  débris,  qui  faisaient,  ainsi  et  pêle-mêle  en- 
tassés, jetés  sans  ordre  sur  le  pavé,  le  plus  singulier  et  le  plus  mi- 
sérable effet. 

Or,  ce  qu'où  vendait  là,  c'était  le  mobilier  du  Concert  du  Souk 
tunisien  à  l'Exposition  universelle.  C'était  la  revanche  du  hasard 
contre  l'odieuse  danse  du  ventre,  qui  venait  ainsi  s'échouer  à  l'Hôtel 
des  ventes,  où  son  succès  était  moins  grand  que  là-bas,  au  milieu 
des  merveilles  de  l'Esplanade.  Car,  il  faut  le  dire,  tout  cela  s'est  vendu 
à  vil  prix,  et  tout  ce  matériel,  qui  comprenait  douze  glaces,  trente- 
deux  lanternes,  six  divans,  deux  grandes  tables  turques,  des  ten- 
tures, des  drapeaux;  des  tapis,  100  tabourets,  50  tables-guéridons, 
a  produit  péniblement  une  somme  totale  de  1,350  francs.  Les 
tabourets  durent  être  vendus  par  douzaines,  à  raison  de  un  franc 
la  pièce;  les  guéridons  trouvaient  à  peine  acquéreurs  à  11  francs 
les  six,  et  on  avait  un  divan  avec  ses  coussins  pour  moins  de 
25  francs!  Sic  transit...! 


Nous  n'en  avons  pas  fini  avec  l'Esplanade  des  Invalides,  qui 
nous  réservait  des  surprises  de  plus  d'un  genre.  C'était  d'abord 
les  fantasias  si  brillantes  des  cavaliers  arabes,  spectacle  superbe  et 
presque  émouvant  que  ceux-ci  donnaient  chaque  jour  au  public 
sur  la  large  place  formée  par  les  façades  des  premiers  bâtiments 
algériens  qu'on  rencontrait  en  arrivant  à  la  porte  du  quai.  C'est 
là  que  neuf  beaux  cavaliers  tunisiens  se  livraient  à  des  évolutions 
curieuses,  pleines  de  couleur  et  de  caractère.  Malheureusement,  et 
malgré  son  succès  très  grand  et  parfaitement  justifié,  ce  spectacle 
dura  peu.  Après  quelques  semaines  à  peine,  ces  pauvres  diables, 
d'une  apparence  si  forte  et  si  robuste,  étaient  pris  de  nostalgie  et 
demandaient  instamment  au  commissaire  général  l'autorisation  de 
retourner  dans  leur  pays.  Il  y  aurait  eu  cruauté  à  les  retenir 
malgré  eux,  et  il  fallut  bien  se  résigner  à  les  laisser  partir. 

C'est  sur  cette  même  place  que,  à  certaines  heures  du  jour  et 
presque  toute  la  soirée,  se  réunissait  et  se  faisait  entendre  la 
nouba  algérienne,  c'est-à-dire  la  musique  des  tirailleurs  algériens 
(turcos),  avec  ses  instruments  aux  sons  perçants  et  criards.  Celle- 
ci  obtenait  aussi  un  vrai  succès,  mais  dû  bien  plus  à  la  curiosité 
qu'au  sentiment  de  l'art,  car  l'art  n'a  pas  grand  chose  à  faire  avec 
cet  assemblage  d'instruments  primitifs,  d'une  sonorité  stridente  et 
d'une  justesse  moins  qu'approximative,  qui  vous  répèle  jusqu'à 
vingt-cinq  fois  de  suite  le  même  motif  de  seize  mesures  sur  un 
rythme  enragé,  scandé  par  le  battement  des  tambours.  Il  n'im- 
porte- ces  braves  gens  avaient  l'air  enchantés  de  se  faire  admirer 
et  de  se  voir  entourés  par  tant  d'amateurs. 

Mais  un  spectacle  unique,  un  spectacle  vraiment  intéressant  par 
son  étrangelé,  par  son  caractère  absolument  neuf,  par  sa  couleur 
toute  particulière,  par  sa  variété  savante,  par  son  luxe  tout  oriental, 
par  son  allure,  par  son  mouvement,  par  le  sentiment  pittoresque 
qui  s'en  dégageait,  par  le  milieu  même  dans  lequel  il  se  produisait, 
c'est  le  grand  défilé  de  la  procession  du  Dragon  de  l'Annam,  pièce 
de  résistance  des  quatre  grandes  fêtes  de  nuit  qui  furent  données 
à  l'Esplanade  quatre  mardis  de  suite,  les  13,  20  et  27  août  et  3  sep- 
tembre. J'ignore  qui  avait  réglé  ce  cortège  étonnant,  prodigieux, 
stupéfiant  et  tel  qu'on  n'en  reverra  jamais,  mais  certainement  celui- 
là,  quel  qu'il  soit,  a  fait  preuve  d'une  habileté  peu  commune  et 
mérite  les  éloges  les  plus  complets   de   tous  ceux  qui  possèdent  à 


un  degré  quelconque  ce  sentiment  de  l'art  dont  je  parlais  il  n'y  a  . 
qu'un  instant. 

Qu'on  se  figure,  parcourant  l'Esplanade,  dont  les  parterres,  la 
pièce  d'eau,  les  pavillons  et  tous  les  bâtiments  étaient  brillamment 
illuminés,  un  cortège  ainsi  composé  :  en  tète,  une  musique  arabe; 
puis,  sur  des  chevaux  de  troupe,  neuf  cavaliers,  dont  quatre  spahis 
et  cinq  Sénégalais,  à  la  tête  noire  fière  et  superbe;  un  groupe  de 
spahis  à  pied;  Tunisiens  et  Algériens  portant  étendards,  oriflammes 
et  bannières;  janissaires  à  pied;  la  nouba  des  tirailleurs  algé- 
riens; dans  des  pousse-pousse,  tous  en  grands  costumes  d'apparat, 
les  acteurs  du  Théâtre  Annamite,  les  aimées  des  différents  concerts 
tunisiens,  algériens  et  marocains,  les  femmes  sénégalaises,  enfin 
les  petites  danseuses  javanaises,  toujours  souriantes,  toujours  gra- 
cieuses, toujours  aimables;  un  grand  palanquin,  portant  encore 
quelques  femmes;  les  Canaques  de  la  Nouvelle-Calédonie,  couverts 
de  leurs  hideux  et  effroyables  masques  de  guerre  ;  les  nègres  du 
Gabon,  du  Congo  et  du  Sénégal,  avec  leurs  musiques  ;  et  enfin,  pour 
fermer  le  défilé,  le  Grand  Dragon  de  l'Annam,  aux  longs  replis 
tortueux,  comme  la  Tarasque  provençale,  entouré  de  ses  prêtres  et 
de  ses  servants.  Ce  long  cortège,  se  déroulant  entre  une  double 
haie  de  porteurs  de  torches  et  de  lanternes,  le  son  de  toutes  ces 
musiques  jouant  ensemble  et  dont  la  cacophonie  semblait  presque 
harmonieuse,  les  cris  et  les  exclamations  des  uns,  les  mouvements 
singuliers  et  les  contorsions  des  autres,  les  applaudissements  du 
public,  tout  cela,  par  une  belle  soirée  d'été,  au  milieu  de  flots  de 
lumière,  avec  des  feux  de  bengale  qui  d'instants  en  instants  sem- 
blaient enflammer  les  arbres  et  les  bosquets,  tout  cela  était  unique, 
féerique  et  sans  précédent.  Qui  ne  l'a  pas  vu  ne  peut  se  figurer, 
dans  de  telles  conditions,  l'effet  d'un  tel  défilé. 


Maintenant,  et  quand  j'aurai  rappelé,  ne  fût-ce  que  pour  mé- 
moire, le  spectacle,  vraiment  grandiose  et  vraiment  artistique, 
celui-là,  que  nous  offrit,  au  Palais  de  l'Industrie  des  Champs- 
Elysées,  l'exécution  superbe  de  la  belle  Ode  triomphale  de  M110  Au- 
gusta  Holmes,  j'aurai,  je  crois,  mis  en  évidence  tout  ce  qui,  de 
près  ou  de  loin,  directement  ou  indirectement,  nous  a  été  offert 
par  l'Exposition  universelle  de  1889  touchant  le  théâtre  et  tout  ce 
qui  s'y  rattache  d'une  façon  quelconque.  C'est  la  première  fois,  je 
l'ai  dit  en  commençant,  qu'une  grande  exhibition  internationale 
nous  met  à  même  de  passer  ainsi  en  revue,'  même  d'une  façon 
incomplète,  une  foule  de  choses  et  d'objets  se  rapportant  à  un  art 
que  tous  les  peuples  civilisés  cultivent  aujourd'hui  avec  une  passion 
si  ardente,  et  qui  semble  avoir  atteint  son  plus  haut  point  de  dé- 
veloppement. Aucune  Exposition  ne  pourra  se  tenir  désormais, 
après  un  tel  exemple,  sans  que  le  théâtie  y  trouve  la  place  qu'il 
est  en  droit  d'occuper  et  d'exiger.  Au  point  de  vue  général,  le 
succès  qu'il  a  obtenu  et  l'accueil  qu'il  a  reçu  eu  celte  circonstance 
n'ont  pas  été  sans  influence  sur  le  succès  d'ensemble  de  l'Exposition  ■ 
même,  et  il  est  certain  que  si  il  y  avait  manqué,  quelque  chose 
manquerait  au  triomphe  colossal  de  celle-ci. 

C'est  ce  qui  m'a  engagé  à  entreprendre  ce  travail,  dont  je  ne 
prévoyais  pas  moi-même  tous  les  développements,  et  ce  qui  me 
fait  croire  que  sa  publication  n'aura  pas  été  peut-être  sans  quelque 
utilité. 

Arthur  Pougin. 


HISTOIRE    VRAIE 

DES   HÉROS   D'OPÉRA    ET    D'OPÉRA- COMIQUE 

XLV 
TABARIN 

Celui-là  est  français,  bien  français! 

Un  écrit  de  son  siècle  le  représente  «  comme  un  des,'  plus  naïfs 
esprits  qui  ayent  été  de  sa  profession,  comme  un  homme  profondé- 
ment versé  dans  la  science  d'Hypocrate  et  de  Gallien,  un  nouveau 
Raimond  Lulle,  un  autre  Paracelse,  un  génie  au  petit  pied.  » 

De  cette  appréciation,  la  fin  seule  est  vraie.  Encore  faut-il  appli- 
quer le  génie  do  Tabarin,  non  à  ses  connaissances  médicales,  imais 
à  ses  facultés  grotesques.  Tabarin  ne  fut  qu'un  paillasse,  mais  quel 
paillasse  ! 

L'homme  de  science,  le  disciple  d'Epidaure,  c'était  sou  maître, 
Mondor,  opérateur  empirique,  qui  vendait  sa  drogue  en  plein  venl, 
sa  drogue,  baume  souverain  «  contre  la  migraine  et  les  vertigots.  » 


LE  MENESTREL 


213 


Le  maître  était  en  habit  court,  vêtu  de  clinquant.  C'était  un 
homme  de  mine  vénérable  avec  ses  longs  cheveux  et  sa  grande  barbe 
blanche.  Il  avait,  en  outre,  de  l'esprit  et  un  peu  de  lettres,  et  eût 
été,  suivant  un  contemporain,  capable,  s'il  eût  voulu,  d'une  vocation 
plus  honorable, 

«  Il  est  civil  et  courtois,  ajoute  le  même  auteur,  ostant  son  cha- 
peau bien  honneslement  et  avec  un  doux  soubris,  quand  il  renvoyé 
le  mouchoir  ou  le  gand.   » 

Tabarin,  son  pitre,  figurait  en  pantalon  large,  le  manteau  de  ses- 
sionnaire  en  écharpe,  ou,  pour  parler  plus  clairement,  deux  aunes 
de  serge  à  plis  ramassés  et  jetées  en  forme  do  chaperon  sur  une 
épaule.  Un  hoqueton  de  toile  verte  et  jaune  complétait  le  costume  : 
c'était  la  pièce  d'honneur  de  son  ajustement.  Il  portait  l'épée  de  bois 
à  la  ceinture,  avait  de  longues  moustaches,  une  barbe,  et  tenait  en 
main  un  immense  chapeau,  qu'il  pétrissait  sans  cesse  entre  ses  doigts 
pour  lui  faire  prendre  mille  formes  bizarres. 

Pour  théâtre  :  quelques  planches  ajustées  sur  des  tréteaux,  avec 
trois  lambeaux  de  tapisseries,  deux  pour  couper  le  vent,  un  troisième 
pour  cacher  le  mur. 

Une  estampe  du  temps  nous  a  gardé  le  spectacle  de  cette  instal- 
lation. 

Sur  le  devant,  Tabarin  et  Mondor.  Derrière  eux,  un  joueur  de  vio- 
lon, uu  joueur  de  rebec,  et  un  valet  qui  ouvre  un  coffre  pour  passer 
des  fioles  à  son  maître. 

Puis  il  y  a  Francisquine,  la  femme  de  Tabarin,  qui  figurait  sous 
les  traits  d'Arlequine.  «  On  pourrait  convenir,  dit  une  mauvaise  langue 
de  l'époque,  que  Francisquine,  jeune  et  jolie,  «  contribua  par  des  ta- 
lents de  plus  d'un  genre  à  l'illustration  du  théâtre  et  de  la  cuisine 
de  son  mari  ».  La  même  langue  ajoute  qu'ils  jouaient  plus  d'une  fois 
pour  leur  propre  compte  la  Farce  de  Francisquine  et  de  Siphane, 
dont  la  péripétie  se  déclare  par  un  œil  poché  et  des  coups  de  pied 
dans  le  ventre  du  héros  de  la  pièce.  C'est  dans  les  Plaisantes  Re- 
cherches d'un  homme  grave  sur  un  farceur,  «  ouvrage  rare  »,  qu'on 
trouve  ces  détails. 

Ils  étaient  plusieurs  à  la  parade  :  le  patron,  plaisant  par  sa  dignité 
doctorale;  Tabarin,  chargé  de  la  partie  burlesque;  sa  femme;  Fris- 
toliu,  valet  de  Mondor;  le  vieux  Siphane,  et  Lucas  Joufflu. 

Mais  le  meilleur  du  boniment  se  passait  entre  Mondor  et  Tabarin. 

Alors  c'était,  dans  la  foule,  du  délire.  Laquais,  chambrières,  éco- 
liers et  bourgeois  remplissaient  la  place,  riant,  suivant  les  témoi- 
gnages contemporains,  sans  discontinuer,  «  depuis  le  lalon  gauche 
jusqu'à  l'oreille  droite.  »  Le  vendredi,  suivant  une  coutume  qui  s'est 
transmise  jusqu'à  nous,  était  jour  de  gala.  Ce  jour-là.  la  place  Dau- 
phine  était  trop  petite.  Un  vendredi,  on  vit  deux  contrôleurs  de 
l'Hôtel  de  Bourgogne    étouffés  par  la  foule.  Quelle  réclame! 

Les  parades  de  Mondor  et  da  Tabarin  ont  été  recueillies.  Elles 
étaient  de  gros  sel  et  bravaient  l'honnêteté.  En  voici  une,  anodine, 
par  hasard  : 

TABARIN. 

Mon  maistre,  lequel  des  deux  a  le  plus  grand  jugement,  l'asne  ou 
l'homme  ? 

LE   MAISTRE. 

Voilà  la  question  d'un  asne,  Tabarin.  As-tu  oublié  que  l'homme  est 
l'honneur  et  le  premier  des  animaux,  et  qu'il  passe  d'autant  en  excellence 
que  son  esprit  est  relevé  par-dessus  leur  nature  terrestre? 


Vous  avez  beau  conter  tout  ce  que   vous  voudrez  :  si  est-ce  que  je  prouve 
qu'un  asne  a  bien  plus  de  jugement  qu'un  homme. 


En  quoy,  Tabarin'.' 


LE    MAISTRE. 


Premièrement,  en  ce  que,  si  un  homme  mesne  un  asne  au  marché  pour 
porter  sa  charge,  l'asne,  comme  plus  judicieux,  marchera  devant.  Si  son 
maistre  luy  fait  le  moindre  signe,  à  dia  ou  à  hue-han,  l'asne  l'entend.  Ne 
sontee  pas  là  des  traits  d'un  grand  jugement?  Il  en  a  bien  plusque  l'homme; 
car,  s'il  vient  à  entonner  son  langage  et  parler  en  langue  asinique,  son 
maistre  n'a  pas  l'esprit  de  l'entendre  seulement;  luy  au  contraire,  il  en- 
tend le  langage  de  son  maistre. 

De  son  vivant  déjà,  les  Farces  de  Tabarin  se  vendaient  dans  la 
rue.  On  criait,  et  la  foule  se  jetait  sur  :  la  Descente  de  Tabarin  aux 
enfers,  avec  les  opérations  qu'il  y  fit  de  son  médicament  pour  la  brûlure  ; 
les  justes  plaintes  du  sieur  Tabarin  sur  les  troubles  et  divisions  de  son 
temps;  la  querelle  arrivée  entre  le  sieur  Tabarin  et  Francisquine,  sa  femme, 
à  cause  de  son  mauvais  ménage... 

Les  succès  de  Mondor  et  de  Tabarin  ne  pouvaient  durer.  La  Fa- 
culté  prit  ombrage  de  la  vente  des  drogues  du  premier;  la  police 


s'émut  des  saillies  du  second.  Ils  furent  poursuivis  tous  deux.  Mais 
ils  étaient  riches,  et  plièrent,  sans  réclamer,  leurs  tapisseries. 

Mondor  se  retira  dans  sa- province.  Pour  Tabarin,  ne  doutant  de 
rien,  il  fit  acquisition    d'une  seigneurie  dans  les  environs  de  Paris. 

Mal  lui  en  prit,   car   ses  voisins,   humiliés   de   sa  compagnie,  le 
tuèrent  méchamment  pendant  une  partie  de  chasse. 

Il  donnait  raison  à  l'aphorisme  qu'il  avait  si  souvent  proclamé  en 
place  publique...  à  savoir  : 

Qu'il  ne  faut  pas  soupirer...  plus  haut  que  sa  guitare! 
(A  suivre.)  Edmond  Neukomm. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

Nouvelles  de  Londres.  —  Semaine  peu  intéressante  à  Covent-Garden, 
avec  la  seule  exception  de  la  reprise  de  Rigoletto  qui  a  fourni  de  nouveau  à 
Mme  Melba  l'occasion  d'un  de  ses  meilleurs  succès.  On  répèle  activement 
YEsmeralda  de  M.  Goring  Thomas,  qui  passera  la  semaine  prochaine,  avec 
la  distribution  suivante  :  Phœbus,  Jean  de  Reszke;  Claude  Frollo,  Lassalle; 
Gringoire,  Montariol;  Esmeralda,  Mmc  Melba;  Fleur  de  Lys,  Mlle  Puikert. 
On  sait  qu'il  ne  s'agit  pas  d'une  véritable  nouveauté,  l'ouvrage  ayant  déjà 
été  représenté  en  anglais  par  la  troupe  Cari  Rosa  en  1883  ;  mais  le  livret  a 
été  complètement  remanié  pour  la  version  française.  Cette  représentation 
française  d'un  ouvrage  anglais,  à  Londres,  est  un  indice  très  significatif 
de  la  transformation  graduelle  que  subit  l'opéra  ici  et  un  heureux  présage 
du  triomphe  définitif  de  l'idiome  français.  De  l'antique  institution  de 
l'opéra  italien  il  ne  reste  plus  que  le  titre;  son  répertoire  italien  a  depuis 
longtemps  cessé  de  plaire,  tandis  que  ses  interprètes  vraiment  italiens  se 
font  de  plus  en  plus  rares.  Ainsi,  la  troupe  actuelle  ne  compte  qu'une  seule 
artiste  italienne  de  premier  plan,  Mm0  Scalchi.  Pourquoi  donc  persister  à 
faire  baragouiner,  par  une  troupe  cosmopolite,  une  langue  complètement 
inconnue  à  la  grande  partie  du  public?  Est-ce  que  la  plupart  des  ouvrages 
qui  font  recette  à  Covent-Garden  n'ont  pas  été  écrits  en  français,  est-ce 
que  la  grande  majorité  des  artistes  favoris  du  public  ne  sont  pas  français 
ou  du  moins  relevant  de  l'école  française,  et,  dernier  point  des  plus  impor- 
tants, est-ce  que  tout  le  monde  ici  ne  comprend  pas  le  français?  Seub,  la 
routine  a  pu  faire  ajourner  jusqu'ici  cette  réforme  si  raisonnable,  et  il  n'a 
fallu  rien  moins  que  l'intervention  toute-puissante  des  frères  de  Reszké 
pour  vaincre  les  dernières  préventions  locales.  La  première  tentative  a  été 
faite  la  saison  dernière  avec  Roméo  et  Juliette.  Le  succès  éclatant  dans  sa 
version  originale  de  cette  partition,  qui  n'avait  réussi  qu'à  demi  en  ita- 
lien, a  ouvert  les  yeux  à  tout  le  monde.  Cette  année,  en  plus  de  Roméo  et 
Juliette  nous  avons  eu  déjà  la  Favorite  et  le  Prophète,  et  nous  aurons  encore 
Esmeralda,  Hamlet  et  peut-être  Carmen.  L'élan  est  donné,  le  reste  n'est  plus 
qu'une  simple  question  de  temps;  la  partie  est  gagnée  d'avance. 

Le  Crystal-Palace  donnait,  l'autre  samedi,  son  grand  festival  annuel. 
L'oratorio  Saint  Paul,  de  Mendelssobn,  était  l'œuvre  choisie  cette  fois,  dont 
l'exécution  était  confiée  à  3,200  choristes  et  300  musiciens.  Par  une  inno- 
vation très  heureuse,  un  chœur  d'enfants  de  SOO  voix  est  venu  ajoutera 
l'effet  grandiose  de  l'œuvre  de  Mendelssohn,  dontle  caractère  éminemment 
choral  devait  bien  se  prêter  à  une  exécution  aussi  colossale.  Le  nombre 
des  auditeurs  s'est  élevé  à  près  de  23,000!  —  Après  l'insuccès  relatif  de 
l'excellente  troupe  du  Gymnase,  tout  à  fait  dépaysée  dans  un  cadre  aussi 
vaste,  M"18  Sarah  Bernhardt  pouvait  seule  ramener  la  foule  dans  cette 
salle  malheureuse  de  Her  Majesty's.  La  tentative  pourtant  était  des  plus 
hardies  :  jouer  Jeanne  d'Arc  en  français,  à  Londres!  La  presse  locale  s'est 
tirée  d'embarras  en  critiquant  la  pièce  de  M.  Jules  Barbier,  sans  nullement 
toucher  la  question  historique.  Malgré  ces  réserves  de  la  critique,  la 
grande  artiste,  bien  qu'à  peine  remise  de  sa  récente  indisposition,  a  su 
vile  conquérir  son  public  et  s'est  fait  rappeler  à  plusieurs  reprises.  L'exé- 
cution de  l'intéressante  partition  de  Gounod,  confiée  à  un  orchestre  et  à 
des  chœurs  suffisants,  est  tout  à  fait  convenable.  —  Mercredi  soir,  dernier 
grand  concert  de  la  saison  au  palais.  Mm0  Albani  a  chanté  VA  ce  Maria  de 
VOtello  de  Verdi,  Mmo  Melba  l'air  de  la  Clochette,  de  Lakmé,  M.  Lassalle  la 
romance  du  Pardon  de  Ploërmel,  M.  Edouard  de  Reszké  l'air  de  la  Flûte 
enchantée,  et  ces  deux  derniers,  avec  l'excellent  ténor  anglais  M.  Lloyd,  le 
trio  de  Guillaume  Tell.  MaU!  Patti  n'a  pas  chanté  à  ce  concert,  ainsi  qu'il  en 
avait  été  .question  ;  mais  on  la  dit  complètement  remise,  et  elle  est  de 
nouveau  affichée  pour  le  prochain  concert  d'Albert-Hall.  La  Société  Phil- 
harmonique annonçait  le  dernier  concert  de  sa  78°  saison  pour  hier  samedi. 
Le  programme  se  composait  de  la  Symphonie  avec  chœurs,  de  Beethoven 
et  du  9e  Concerto  de  Spohr,  exécuté  par  l'éminent  violoniste  belge  M.  Isaye. 
Nous  relevons  les  enchères  suivantes  dans  une  intéressante  vente  de  manus- 
crits et  d'autographes  quia  eu  lieu  la  semaine  dernière  à|Londres  :  Auber, 
Renedictus,  dédié  à  M1"0  Guyemard-Lauters,  23  francs  ;  Beethoven,  six  feuil- 
lets au  crayon,  03  francs;  Gœthe,  un  reçu  au  crayon  pour  le  Tartuffe,  de 
Molière,  10  francs  ;  Haydn,  quelques  lignes  datées  de  Vienne  1803,  156  fr. 
et  un  fragment,  Donanobis,  pour  quatre  voix,  80  francs ;]Liszt,  doux  lettres 
de  Weimar  1851,  32  francs;  Mendelssohn,  manuscrit  d'un  morceau  pour 
piano  à  quatre  mains,  daté  26  mars  1841,  250  francs;  un  Volkslied,  ISS  fr. ; 
huit  lettres,  1837-1844,  380  francs;    Schiller,    cinq  lettres  très  importantes 


214 


LE  MENESTREL 


1793-1803, 1,070  francs;  Schubert,  manuscrit  de  trois  romances,  180  francs; 
Schumann,  marche  n°  2  pour  piano,  100  francs;  "Wagner,  fragment  d'ou- 
verture inédite,  70  francs;  un  feuillet  de  la  partition  de  Rienzi,  63  francs; 
une  page  de  la  partition  allemande  de  Norma,  62  francs.  A.  G.  N. 

—  Une  nouvelle  Lucie  de  Lammermoor.  On  annonce  que  sur  la  demande 
du  tragédien  Irving,  le  compositeur  A.  C.  Mackenzie  travaille  à  une  par- 
tition pour  le  drame  de  M.  Merivale  :  la  Fiancée  de  Lammermoor. 

—  On  vient  d'inauguré  à  Eutin.  dans  le  Holstein,  le  monument  élevé 
par  souscription  nationale  à  l'illustre  auteur  du  Freischiitz  et  à'Obéron, 
Charles-Marie  de  Weber.  Depuis  de  longues  années,  des  souscriptions 
avaient  été  ouvertes  dans  toute  lAllemagne  en  faveur  de  ce  monument. 
Ce  n'est  qu'à  grand'peine  qu'on  a  pu  recueillir  le  capital  nécessaire. 
L'inauguration  a  eu  lieu  mardi,  au  milieu  d'une  afûuence  énorme.  A 
cause  du  mauvais  temps,  le  discours  d'inauguration  du  baron  von 
Libenkron  n'a  pas  pu  être  prononcé  sur  la  voie  publique,  mais  dans  le 
local  couvert,  installé  pour  la  fête.  Une  grande  messe,  exécutée  sous  la 
direction  de  M.  Heins,  a  terminé  la  cérémonie  officielle. 

—  La  propriété  intellectuelle  et  la  contrefaçon  au  temps  de  Weber. 
L'auteur  du  Freischiitz  nous  fait  connaître  lui-même  où  en  étaient  alors 
ces  questions  —  qui  sont  encore  aujourd'hui  au  premier  rang  de  nos 
préoccupations  —  dans  une  circulaire  adressée  à  toutes  les  directions  de 
l'Allemagne  et  que  nous  traduisons  d'après  VAHgemeine  Musikzeitung: 
«  Attendu  qu'en  dehors  de  la  France  et  de  l'Angleterre,  la  propriété  intel- 
lectuelle n'est  nullement  garantie  contre  les  entreprises  spoliatrices,  que 
des  copistes  larrons,  des  éditeurs  de  musique  sans  scrupules  et  même  des 
théâtres  de  premier  rang  se  sont  approprié  mes  œuvres  par  des  voies 
illicites,  je  me  vois  obligé  d'aviser  et  de  vous  importuner  de  la  présente 
déclaration.  J'ai  donc  l'honneur  de  vous  informer  que  l'opéra  Obé'-on,  que 
j'ai  composé  pour  Londres  et  qui  sera  représenté  en  Allemagne  avec  une 
excellente  adaptation  de  M.  le  conseiller  de  la  Cour  Winkler  (Théodore 
Hell),  ne  pourra  être  légalement  acquis  que  de  moi,  directement  Je  solli- 
cite de  votre  obligeance  deux  mots  comme  accusé  de  réception  de  la 
présente  communication,  que  veuillez  bien  ne  pas  considérer  comme  une 
invitation  à  acquérir  mon  œuvre.  Je  sais  fort  bien  que  chaque  scène 
n'est  guidée,  dans  l'établissement  de  son  répertoire,  que  par  ses  ressour- 
ces et  sa  position  spéciale.  Je  ferai  publier  cette  communication,  avec  la 
liste  des  directions  théâtrales  auxquelles  elle  a  été  adressée,  dans  les 
journaux  les  plus  répandus,  afin  que  le  public  en  ait  connaissance  et  que 
les  escrocs  soient  avertis.  J'ai  l'honneur  d'être,  avec  considération. 
(Signé)  Carl  Maria  von  Weber,  —Dresde,  janvier  1826.  — P-S.  11  est  cer- 
taines scènes  pour  lesquelles  cette  circulaire  sera  superflue,  mais  au  point 
de  vue  de  la  bonne  règle,  je  n'ai  pas  cru  devoir  faire  d'exception  en  ce 
qui  concerne  l'envoi.  Je  réclame  de  ce  fait  toute  votre  indulgence  ». 

—  Le  Mozarteum  de  Salzbourg  fait  en  ce  moment  tous  ses  efforts  pour 
augmenter  ses  recettes.  Les  ressources  de  cette  société  internationale  ont 
aidé,  jusqu'à  présent,  au  maintien  du  Musée  Mozart,  à  payer  le  loyer  et 
l'entretien  de  la  maison  où  est  né  l'auteur  de  la  Flûte  enchantée,  et  à  sub- 
venir aux  frais  du  «  Mozarteum  »,  école  de  musique  où  les  élèves  re- 
çoivent gratuitement  l'instruction.  La  Société  voudrait,  nous  l'avons  dit 
déjà,  construire  sur  le  Mont-des-Capucins,  où  est  située  la  maisonnette 
en  bois  qu'habita  le  maître,  un  théâtre  à  l'instar  de  celui  de  Bayreuth  et 
où  se  donneraient  des  représentations  modèles  de  l'œuvre  de  Mozart.  Pour 
arriver  à  couvrir  les  frais,  elle  s'adresse  au  public  artiste  de  tous  les  pays. 
On  peut  devenir  membre  de  la  Société,  moyennant  une  cotisation  annuelle 
minimum  de  1  mark  (1  fr.  25). 

—  Le  nouveau  théâtre  allemand  de  Prague  doit  donner,  au  mois  d'oc- 
tobre prochain,  la  première  représentation  en  allemand  de  la  Salammbô 
de  M.  Reyer. 

—  La  province  de  Wesphalie,  qui,  jusqu'à  ce  jour,  s'était  montrée 
quelque  peu  réfractaire  à  la  musique,  vient  d'opérer  une  heureuse  évo- 
lution dans  la  voie  du  progrès  artistique.  Le  premier  festival  de  musique 
wcslplialien  s'est  tenu  le  mois  dernier  dans  la  ville  manufacturière  de 
Dortmund  et  a  donné  des  résultats  magnifiques  autant  qu'inattendus.  Les 
quatorze  principales  villes  de  la  province  (Munster  seul  s'était  abstenu) 
avaient  tenu  à  honneur  de  se  faire  représenter  par  des  délégations  de 
chanteurs.  On  avait  pu  réunir  un  effectif  choral  de  six  cents  voix,  qui 
ont  donné  avec  un  ensemble  remarquable  dans  la  scène  des  Champs 
Élysées  d'Orphée  et  le  Messie  de  Haendel.  L'orchestre,  fort  de  cent  exécu- 
tants, était  composé  en  grande  parti;.'  de  musiciens  de  Dortmund  et  des 
membres  de  l'orchestre  du  Gùrzenich,  de  Cologne.  Sous  la  direction  de 
M.  J.  Janssen,  la  symphonie  en  ut  mineur  de  Beethoven,  les  Préludes  de 
Liszt  et  l'ouverture  des  Maîtres  chanteurs  ont  été  très  dignement  inter- 
prétés et  applaudis  frénétiquement.  Grand  succès  pour  les  solistes  :  le 
ténor  Alvary,  dans  l'air  de  Joseph;  M"'!  Oberbeck,  dans  plusieurs  mélodies 
de  Schubert,  de  Janssen  et  un  air  de  la  Création  (de  Haydn);  M"0  Spies, 
dans  une  scène  d'Orphée  et  le  baryton  Perron.  Détail  particulier  :  «  L'en- 
thousiasme s'est  élevé  à  un  tel  degré,  dit  VA  II  geme  ine  Musikzeitung,  qu'à 
certain  moment  les  dames  du  chœur  se  sont  mises  à  bombarder  (sic)  les 
solistes  de  roses  et  de  petits  bouquets  ».  En  somme,  l'institution  du  fes- 
tival de  musique  westphalien  a  trouvé  des  suffrages  et  des  appuis  dans 
toutes  les  classes  de  la  société  régionale. 


—  M.  Henri  Reimann  a  donné  il  y  a  quelques  jours,  dans  la  salle  de 
la  Philharmonie,  à  Berlin,  une  séance  historique  d'orgue  qui  mérite  d'être 
signalée  à  cause  de  l'intérêt  éveillé  par  une  série  de  pièces  du  quin- 
zième et  du  seizième  siècle,  presque  toutes  inconnues  et  dont  la  révéla- 
tion a,  parait-il,  transporté  d'admiration  tous  les  auditeurs.  Ces  compo- 
sitions sont  ainsi  désignées  sur  le  programme  du  D1'  Reimann  :  Fan- 
taisie sur  le  choral  Media  vila  in  morte  sumus,  par  Simon  Lohet (1530-1617)  ; 
Ricercare,  de  Palestrina;  Canzona  franeese  (la  Guamina),  de  Guammi  (né 
vers  1350);  Pièce,  de  Nicolas  Le  Bègue  (1630-1702);  Passacaille,  de  Fresco- 
baldi  ;  Fantaisie  sur  les  six  notes  :  ut,  ré,  mi,  fa,  sol,  la,  par  Frohberger 
(1635-1699);  Ciacona,  de  Muffat  (1635-1714);  Prélude  pour  le  choral  Notre 
père...,  par  G.  Bohm  ;  Prélude  et  fugue  de  D.  Buxtehude.  La  Pièce  de 
Le  Bègue,  d'un  sentiment  poétique  intense,  a  produit  une  impression 
profonde.  La  deuxième  partie  de  la  séance  commençait  avec  les  compo- 
sitions de  Bach  pour  se  terminer  avec  celles  de  Mendelssohn,  Schumann 
et  Liszt. 

—  On  lit  dans  l'Eventail,  de  Bruxelles  :  «  A  Berlin,  le  Kroll  Theater, 
opéra  d'été,  vient  de  reprendre  le  Maçon,  avec  un  très  gros  succès,  oui, 
monsieur!  Cet  opéra-comique  n'a  jamais  cessé  d'être  fort  goûté  par  les 
Allemands.  Est-ce  parce  qu'il  s'intitule  là-bas  Maçon  et  Seirurier  (Maurer 
und  Schlosser),  ou  parce  que  nos  voisins  d'outre  Herbesthal  sont  plus  naïfs, 
moins  fin  de  siècle  que  nous  autres  Bruxellois?  Point  ne  le  savons  et 
peu  nous  chaut  a'ailleurs.  Un  détail  de  l'interprétation  mérite  de  ne  pas 
passer  inaperçu.  Le  rôle  de  Mme  Bertrand,  la  bavarde  acariâtre,  est  rem- 
pli par  Mme  Heink,  le  contralto  de  l'Opéra  de  Hambourg,  qui  chante 
généralement  l'Orphée  de  Gluck,  ou  Fricka  de  la  Valkyrie!  On  vante 
beaucoup  la  grande  volubilité  que  cette  artiste  a  déployée  dans  le  dia- 
logue du  Maçon.  » 

—  On  lit  dans  le  même  journal  :  «  Dresde  est  la  première  ville  d'Alle- 
magne qui  aura  donné  Tannhâuser  avec  toutes  les  modifications  et  les 
ajoutes  qu'y  a  faites  Richard  Wagner.  La  première  a  été  un  événement  ; 
on  s'est  arraché  les  billets.  Disons  tout  de  suite  que  le  nouveau  Tannhâuser 
a  été  une  déception  pour  le  public.  Les  parties  nouvelles  se  ressentent 
de  l'influence  de  Tristan  et  jurent  avec  les  parties  plus  anciennes  et  plus 
italiennes.  Le  ballet,  composé  pour  l'Opéra  de  Paris,  demande  une  dou- 
zaine au  moins  de  mimes  de  tout  premier  ordre,  pour  que  les  intentions 
de  l'auteur  soient  rendues  ;  or,  quel  théâtre  au  monde  peut  se  vanter  de 
posséder,  au  grand  maximum,  plus  de  deux  artistes  de  la  danse  qui 
soient  de  premier  ordre?  Une  heureuse  innovation  a  été  de  confier  le 
rôle  de  Vénus,  non  à  une  «  princesse  à  mouchoir  »,  mais  à  une  forte 
chanteuse,  la  grande  cantatrice  Thérèse  Malten,  qui  a  fait  sensation  dans 
le  rôle.  Les  Dresdois  vantent  sa  plastique,  mais  comme  les  comptes 
rendus  de  la  critique  ajoutent  que  cette  Vénus  a  conservé  toute  la  soirée 
un  air  décent,  il  faut  se  méfier.  » 

—  Peu  clémente  aux  artistes,  la  commune  de  Roustchouck  !  Voici  le 
texte  de  l'arrêté  qui  vient  d'être  placardé  dans  ladite  ville  par  ordre  du 
préfet  :  «  En  prévision  de  l'arrivée  parmi  nous  de  nombreux  vagabonds 
étrangers  déterminés  à  livrer  assaut  à  notre  bourse,  il  est  interdit  aux 
artistes  étrangers  d'organiser  ici  des  représentations  théâtrales  et  aux 
musiciens  errants  de  parcourir  la  région  ». 

—  Continuation  de  la  substitution  de  l'opéra  italien  par  l'opéra  français. 
Les  journaux  étrangers  nous  apprennent  qu'en  Russie  l'exemple  de  Saint-   . 
Pétersbourg  commence  à  se  propager  déjà,  et  qu'à  Tiflis  la  troupe   et  le 
répertoire  italiens  vont  être  remplacés,   dès  la  saison  prochaine,  par  une 
troupe  française  jouant  le  répertoire  français. 

—  L'état  de  l'infortuné  maestro  Franco  Faccio  est  tellement  désespéré, 
en  ce  qui  concerne  le  recouvrement  possible  de.  ses  facultés  mentales, 
que  le  tribunal  civil  de  Milan  vient  de  prononcer  l'interdiction  du  mal- 
heureux artiste. 

—  Les  journaux  de  Rome  sont  dans  la  mélancolie.  M.  Sonzogno 
ayant  renoncé  à  l'exploitation  du  théâtre  Costanzi,  et  M.  Canori,  ancien 
directeur  de  l'Argentina,  se  préparant  à  prendre  la  direction  du  théâtre 
Pagliano,  de  Florence,  ils  en  sont  à  se  demander  si  Rome  aura  un 
théâtre  d'opéra  pour  la  prochaine  saison  d'hiver.  Le  Capilan  Fracassa 
s'écrie:  «  Les  nuages  les  plus  épais  s'amoncellent  sur  le  sort  futur  de  nos 
scènes  musicales.  Le  Costanzi  ouvrira-t-il  cet  automne?  Aura-t-on  une 
grande  saison  musicale  l'hiver  prochain  à  l'Argentina?  Personne  ne  pour- 
rait le  dire.  » 

—  Gros  scandale  en  Italie  par  la  représentation  au  théâtre  Dal  Verme, 
de  Milan,  d'un  opéra  intitulé  il  Veggente  (le  Voyant),  dans  lequel,  paraît-il, 
le  personnage  principal  ne  serait  autre,  sous  un  nom  différent,  que  le 
Christ  lui-même,  rédempteur  des  hommes.  Devant  un  tel  fait,  les  journaux 
religieux  se  sont  émus  jusqu'à  Rome,  et  la  Voce  délia  Veritù,  particulière- 
ment, a  pris  vigoureusement  à  partie  le  compositeur,  M.  Enrico  Bossi, 
ancien  maître  de  chapelle  de  la  cathédrale  de  Côme,  aujourd'hui  profes- 
seur au  conservatoire  de  Naples  et  organiste  connu  par  de  nombreuses 
œuvres  de  musique  religieuse.  Devant  l'anathème  qu'il  avait  soulevé  dans 
le  monde  ecclésiastique,  le  maestro  Bossi  a  fait  amende  honorable  au 
moyen  de  la  lettre  suivante,  adressée  par  lui  à  la  Voce  délia  Verità  : 

Naples,  15  juin  1890. 
Très  révérend  et  très  cher  Père  De  Santi, 
Permettez-moi  deux  courtes  et  simples  paroles  relativement  ù  mon  Veggenle,  re- 
présenté il  y  quelques  jours  sur  le  théâtre  Dal  Verme  de  Milan. 


LE  MENESTREL 


215 


Les  journaux  catholiques  de  cette  ville  et  do  plusieurs  autres  m'ont  gravement 
blâmé  pour  le  sujet.  Je  confesse  qu'il  fut  malheureux.  Mais  eu  même  temps  je  dé- 
clare formellement  que  je  n'ai  jamais  eu  la  moindre  intention  d'offenser  les  croyan- 
ces religieuses  et  de  porter  atteinte  à  la  divine  personne  du  rédempteur.  En  ma 
qualité  d'artiste  je  n'ai  eu  d'autre  objectif  que  de  créer,  si  j'avais  réussi,  un  nouvel 
oratorio  religieux,  l'oratorio  scénique,  et  j'ai  pris,  par  légèreté  et  sans  trop  y  faire 
attention,  le  premier  libretto  qui  m'est  tombé  sous  la  main.  (Pas  aimable  pour  sou 
collaborateur,  l'organiste  !)  Je  reconnais  maintenant  ma  hardiesse  et,  bien  que  je 
n'aie  pas  réfléchi  au  cours  de  mon  travail  à  l'offense  qu'il  contenait,  je  reconnais 
que  j'ai  erré.  Mais  je  désire  ardement  que  personne  ne  déluise  de  ce  fait  des  con- 
clusions non  conformes  à  mes  sentiments.  Plutôt  que  de  tomber  sous  telle  accusa- 
tion je  serais  prêt  a  quelque  sacrifice  que  ce  soit,  môme  à  brûler  jusqu'à  la  dernière 
page  mon  Veggente,  qui  d'ailleurs  ne  paraîtra  jamais  plus  à  la  scène. 

Et  je  vous  autorise,  si  vous  le  jugez  convenable,  à  rendre  tout  ceci  public  dans 
un  journal  de  Rome,  car  je  ne  saurais  supporter  une  chose  qui  offense  mes  princi- 
pes absolument  religieux.  Je  puis  avoir  erré,  mais  non  certainement  par  parti  pris 
et  plutût  avec  un  désir  tout  contraire. 

Je  suis,  etc. 

Maestro  Enbico  Bossi. 

—  On  télégraphie  de  Turin  à  l'Italie,  qu'un  nouvel  opéra  comique,  le 
Damigelle  de  Saint-Cyr,  du  maestro  Gesare  Bacchini,  a  obtenu  au  théâtre 
Alfieri  de  cette  ville  un  succès  complet.  Il  va  sans  dire  que  le  sujet  de 
cet  ouvrage  est  encore  emprunté  au  répertoire  français,  et  que  c'est  la 
célèbre  comédie  d'Alexandre  Dumas  qui  en  a  fait  les  frais.  ■ 

—  Au  théâtre  philodramatique  de  Milan,  on  a  représenté,  le  22  juin, 
un  opéra  nouveau  en  trois  actes,  Anna  di  Dovara,  livret  de  M.  A.  Visentini, 
musique  du  maestro  GaetanoZelioli,  et  cette  première  représentation,  qui  n'a 

.  été  suivie  d'aucune  autre,  a  obtenu  un  éclatant  succès  de  fou  rire.  Il  faut  dire 
que  cet  ouvrage,  écrit  en  1863,  il  y  a  vingt-sept  ans,  par  un  musicien  con- 
finé au  fond  de  sa  province  et  sans  moyens  de  se  tenir  au  courant  jour- 
nalier de  l'art,  a  semblé  aux  auditeurs  dater  du  déluge  et,  peu  recomman- 
dable  sans  doute  même  à  l'époque  où  il  a  été  conçu,  n'a  excité  chez  eux 
qu'une  gaieté  folle  et  sans  mesure.  La  Gazsetta  teatrale  italiana  fait  à  ce 
sujet  les  réflexions  que  voici  :  —  «  Devons-nous  parler  de  cette  malheu- 
reuse Anna  di  Dovara,  du  maestro  Zelioli,  représentée  une  seule  fois  au 
Philodramatique"?  Si  cette  première  et  unique  représentation  a  été,  pour 
certains  critiques,  «  une  soirée  joyeuse  et  de  véritable  bonne  humeur  », 
nous  éprouvons,  quant  à  nous,  une  peine  sincère  en  songeant  à  l'amère 
désillusion  qu'a  du  éprouver  ce  pauvre  vieil  organiste  de  Caravaggio, 
qui,  après  avoir  écrit  il  y  a  près  de  trente  ans  un  opéra  qui  ne  se  ressent 
que  trop  de  cette  époque,  et  après  l'avoir  gardé  par  devers  lui  pendant 
tant  d'années  comme  un  trésor,  se  décide  enfin  à  venir  à  Milan,  sa  parti- 
tion sous  le  bras  et  un  petit  magot  à  la  main,  pour  aspirer  la  volupté 
d'un  succès  et  peut-être  l'espérance  de  la  gloire.  Et  ce  vieux  maestro  n'a 
pas  trouvé  un  ami  consciencieux  pour  lui  épargner  le  succès  burlesque 
de  cette  infortunée  Anna  di  Dovara?  Et  pendant  la  longue  période  des  ré- 
pétitions il  ne  s'est  pas  trouvé  un  musicien,  un  professeur,  un  artiste 
pour  lui  conseiller  de  retourner  à  son  orgue  de  Caravaggio,  sans  même 
essayer  de  faire  connaître  ce  petit  avorton  de  piraterie  musicale,  comme 
on  ajustement  qualifié  cette  Anna  di  Dovara?...  N'en  parlons  donc  pas.» 

—  On  annonce  la  fondation,  à  Trieste,  d'une  «  Société  musicale  tries- 
tine,  »  qui  a  pour  but  de  former  des  élèves  dans  le  chant  et  dans  l'exécu- 
tion instrumentale,  et  aussi  d'organiser,  avec  ses  propres  ressources,  des 
concerts  et  de  grandes  fêtes  musicales. 

—  Le  kapellmeister  Fahrbach  remporte  en  ce  moment  de  grands  succès 
à  Madrid,  où  il  a  été  engagé  au  jardin  du  Buen  Retira  pour  une  série  de 
concerts.  Son  répertoire  de  danses  y  fait  rage  et  toutes  ses  dernières 
compositions  sont  accueillies  par  des  applaudissements  enthousiastes. 
Les  valses  la  Jeune  Vienne,  Au  clair  de  lune,  un  Soir  à  Madrid,  Jubile,  Scènes 
de  la  vie  viennoise,  les  polkas  Joyeux  Carillon,  la  Tour  merveilleuse,  Gaudeamus, 
les  marches  Schezemji,  les  Gardes  nobles,  font  tourner  toutes  les  tètes  des  jolies 
Madrilènes  et  tous  les  journaux  sont  pleins  de  la  gloire  du  jeune  maître, 
que  la  reine  Christine  vient  de  faire  chevalier  de  l'ordre  de  Charles  III. 

—  La  colonie  chinoise  de  New- York  fait  construire  dans  cette  ville  une 
salle  de  spectacle  d'après  le  modèle  des  étahlissements  similaires  existant 
au  Céleste-Empire.  Une  troupe  chinoise  a  été  engagée  par  la  direction 
pour  inaugurer  le  nouveau  Chinese  Musical  Hall  le  1"'  août  prochain.  La 
saison  sera  de  six  mois. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

La  question  de  la  reconstruction  de  l'Opéra-Comique  marche  toujours 
admirablement.  M.  Delaunay,  député  et  membre  de  la  commission  spé- 
ciale, chargée  d'examiner  le  projet  du  ministre,  avait  déposé  sur  le 
bureau  de  la  Chambre  son  rapport,  dont  voici  les  passages  les  plus  in- 
téressants : 

Le  projet  qui  vous  est  présenté  aujourd'hui  par  le  gouvernement  a  l'avantage 
d'fltre  le  plus  facilement  réalisable,  puisqu'il  consiste  à  abandonner  la  pensée 
d'une  construction  en  façade  sur  le  boulevard,  pour  s'en  tenir  à  la  simple  re- 
construction du  théâtre  sur  son  ancien  emplacement.  Le  plan  de  ce  théâtre  a  été 
l'objet  de  profondes  études,  tant  au  point  de  vue  de  l'aménagement  intérieur  que 
sous  le  rapport  des  garanties  de  sécurité  en  cas  d'incendie,  si  justement  et  im- 
périeusement réclamées  désormais.  Le  gouvernement  avait  pense  d'abord  à  pro- 
céder par  la  voie  des  concours  entre  architectes,  mai-"  le  Sénat  ayant  iejeté 
toute  ouverture  de  crédit  pour  ce  concours,  il  a  fallu  que  le  ministère  compétent 
lit  dresser  un  projet  do  reconstruction.  La  (açade  du  monument  sera  sur  la  place 
Boieldiei',  où  .-.era  établi  le  grand    vestibule,  avec  les  deux  escaliers  d'honneur; 


à  la  suite  :  la  salle,  ses  couloirs  de  dégagements  et  ses  escaliers ,  enfin,  la  scène  et 
ses  dépendances.  La  salle  comprendra  1,550  places.  La  commission  s'est  préoc- 
cupée, à  ce  sujet,  du  moyeu  d'augmenter  le  nombre  des  places  à  bon  marché  ; 
dans  ce  but,  elle  a  exigé  de  l'architecte  que  l'enceinte  du  parterre  fût  agrandie. 
De  grands  escaliers,  partant  du  rez-de-chaussée  pour  aller  à  tous  les  étages  du 
bâtiment,  seront  pratiqués  de  chaque  coté  du  monument  et  à  ses  diverses  extré- 
mités, de  façon  à  permettre  l'évacuaiion  rapide  de  la  salle.  Il  en  sera  de  même 
pour  la  scène.  Celle-ci  sera  séparée  des  maisons  du  boulevard  par  un  couloir  qui 
servira  de  communication  à  tous  les  étages  entre  les  dépendances  de  droite  et  de 
gauche. 

Un  peu  plus  loin,  abordant  la  question  de  savoir  si  l'Etat  peut  conserver 
la  propriété  du  terrain  de  la  place  Boieldieu  sans  y  établir  l'Opéra-Comi- 
que,  le  rapporteur  fait  allusion  à  la  procédure  commencée  à  la  date  du 
17  janvier  1890  à  la  requête  des  héritiers  de  Choiseul,  tendant  à  établir 
leurs  droits  à  une  revendication  pour  cause  d'inexécution  des  stipulations 
primitives,  et  il  conclut: 

Rassurer  entièrement  la  Chambre  sur  les  conséquences  d'un  procès  de  cette 
naiure  nous  a  paru  assez  difficile,  d'autant  plus  que  la  pièce  principale  du  dos- 
sier échappe  à  toutes  nos  recherches,  et  que  les  réclamants  peuvent  avoir  entre 
leurs  mains  certains  documents  qu'ils  ne  font  pas  connaître.  Dans  de  telles  condi- 
tions, la  commission  ne  voulant  pas  assumer  sur  elle  une  responsabilité  aussi  lourde, 
ne  peut  que  vous  signaler  le  procès  pendant.  La  Chambre,  par  son  vote,  l'arrêtera 
ou  le  provoquera,  suivant  qu'elle  adoptera  ou  repoussera  le  projet  du  gouver- 
nement. 

Ce  à  quoi  la  commission  du  budget  répond  pas  cet  «  avis  »,  rédigé  de 
la  main  de  M.  Antonin  Proust: 

La  commission  du  bupget,  saisie  du  rapport  de  la  commission  spéciale  chargée 
d'examiner  le  projet  de  loi  tendant  à  la  reconstruction  du  théâtre  national  de 
l'Opéra-Comique,  a  été  appelée  à  donner  son  avis  sur  la  combinaison  financière 
destinée  à  réaliser  les  plans  soumis  à  la  commission  spéciale  et  approuvés  par 
elle.  Par  un  premier  vote  la  commission  du  budget  a  repoussé  cette  combinaison, 
qu'elle  a  jugée  onéreuse  dans  ce  moment  pour  le;  finances  publiques.  La  com- 
mission du  budget  a  cependant  exprimé  le  désir  d'être  fixée  sur  la  disponibilité 
du  terrain  sur  lequel  s'élevait  le  théâtre  de  l'Opéra  Comique  et  sur  lequel  le  gou- 
vernement propose  de  le  réédifier.  Cette  question  de  la  disponibilité  ayant  été 
examinée,  et  le  résultat  de  cet  examen  ayant  paru  favorable  aux  droits  de  pro- 
priété revendiqués  par  l'État,  une  nouvelle  discussion  s'est  engagée.  La  commis- 
sion du  budget  n'était  pas,  ainsi  qu'il  vient  d'être  dit,  appelée  à  donner  son 
opinion  sur  le  projet  présenté  par  le  gouvernement,  mais  uniquement  sur  la  com- 
binaison financière  destinée  à  réaliser  ce  projet.  Elle  a,  cependant,  après  avoir 
entendu  le  ministre,  exprimé  l'opinion  que  le  gouvernement  pourrait  rechercher 
le  moyen  de  réédifier  l'Opéra-Comique  à  l'aide  d'une  combinaison  moins  onéreuse 
pour  l'État.  Puis,  par  un  second  vote,  elle  s'est  prononcée  contre  la  combinaison 
proposée  par  le  gouvernement  pensant  que,  dans  la  situation  financière  présente, 
le  sacrifice  demandé  était  hors  de  proportion  avec  le  résultat  que  le  gouverne- 
ment se  propose  d'obtenir. 

—  La  série  des  grandes  épreuves  de  fin  d'année  scolaire  s'est  ouverte 
cette  semaine  au  Conservatoire,  et  nous  avons  à  enregistrer  les  résultats 
des  premiers  concours  à  huis  clos,  ceux  qui  concernent  la  théorie  mu- 
sicale. Voici  la  liste  des  récompenses  décernées  : 

harmonie  (hommes).  —  Jury:  MM.  Ambroise  Thomas,  directeur,  prési- 
dent; J.  Massenet,  Ernest  Guiraud,  Ch.  Lenepveu,  Barthe,  Lavignac, 
Charles  Lefebvre,  Raoul  Pugno,  F.  Thomé. 

./en*  -prix-,  MM.  Legrand,  élève  de  M.  Th.  Dubois;  Bloch,  élève  de 
M.  Taudou ; 

2BS  prix:  MM.  Delafosse  et  Galand.  élèves  de  M.  Th.  Dubois; 

4"a  accessits:  MM.  Staub,  Risler  et  Dupré,  élèves  de  M.  Th.  Dubois; 

2°s  accessits  :  MM.  Jolly  et  Schmidt,  élèves  de  M.  Th.  Dubois. 

solfège  des  instrumentistes  (hommes).  Jury:  MM.  Ambroise  Thomas, 
président;  Barthe,  Canoby,  Mangin,  Mouzin,  P.-V.  de  La  Nux,  Georges 
Pfeifîei',  Th.  Salomé,  Victor  Sieg. 

4™  médailles:  MM.  Gallon,  élève  de  M.  Lavignac;  G.  Maquarre,  élève 
de  M.  de  Martini  ;  Bonnel  et  Jouin,  élèves  de  M.  Grand-Jany. 

2es  médailles:  MM.  E.  Vandevelde,  élève  de  M.  de  Martini;  Jumel,  élève 
de  M.  Lavignac  ;  Ringsdorff  et  Wurmster,  élèves  de  M.  Grand-Jany. 

3es  médailles:  MM.  Martenot,  élève  de  M.  Lavignac;  Iïahn,  élève  de 
M.  Grand-Jany  ;  Cortot  et  Mulet,  élèves  de  M.  Rougnon  ;  Laparra,  élève 
de  M.  Lavignac;  et  Sechiari,  élève  de  M.  Alkan. 

solfège  des  instrumentistes  (femmes).  Même  jury. 

7re»  médailles:  MUea  Salmon  et  Maurel,  élèves  de  M"°  Donne;  Wein- 
gaertner,  élève  de  M"lc  Doumic  et  de  MmcGennaro-Chrétien  ;  Rheims,  élève 
de  M"e  Vernaut  ;  Chambroux  et  Gray,  élèves  de  Mmc  Leblanc. 

2es  médailles:  MUos  Bourgoin,  élève  de  Mme  Maury;  Condette  et  Ponsa, 
élèves  de  M"10  Leblanc;  Lasne,  élève  de  M11"  Donne;  Lopès  et  Bienaimé, 
élèves  de  M"°  Hardouin;  Loutil,  élève  de  M1"  Donne. 

3"  médailles:  M"es  Arger,  élève  de  M"°  Hardouin;  Campagna,  élève  de 
Muo  Papot;  Heidet,  élève  do  Mllc  Donne;  Painparé  et  Deparis,  élèves  de 
M"'  Vernaut  ;  Dupouy,  Dupaingue  et  Denis,  élèves  de  M"c  Donne. 

solfège  rouit  les  élèves  chanteurs  —  Jury  :  MM.  Ambroise  Thomas, 
président  ;  Canoby,  Oscar  Comettant,  Lenepveu,  Lavignac,  de  Martini, 
f.-Y.  de  La  Nux,  Salomé  et  "Weckerlin. 

Élèves  hommes  (19  concurrents)  : 

4'ee  médailles  :  MM.  Bernard  et  Artus,  élèves  de  M.  Heyberger. 

2me  médailles:  M.  Berton,  élève  de  M.  Danhauser. 

3"""  médailles:  MM.  David,  élève  de  M.  Heyberger,  et  Tisseyre  élève  de 
M.  Danhauser. 


21G 


LE  MÉNESTREL 


Élèves  femmes  (23  concurrentes)  : 

4res  médailles:  Mlles  E.  Boyer,  élève  de  M.  Mouzin,  et  Crehange,  élève  de 
M.  Mangin. 

âmes  médailles  :  M,les  Clairville,  élève  de  M.  Mouzin,  et  Cholain,  élève  de 
M.  Mangin. 

3mm  médailles:  Mlles  Michel,  élève  de  M.  Mangin,  et  Giovannetty,  élève 
de  M.  Mouzin. 

—  M.  Gailhard,  l'étonnant  directeur  de  l'Opéra,  a  enfin  trouvé  un  défen- 
seur dans  la  presse,  en  la  personne  de  Bicoquet  de  l'Écho  de  Paris,  dont  il 
faut  lire  le  surprenant  éloge  de  gailhard  : 

...  Et  je  plaide  l'irresponsabilité.  Pourquoi  s'acharner  après  le  protégé  perpé- 
tuel de  l'administration  des  Beaux-Arts?  La  réponse  semble  facile  :  parce  que  le 
Gailhard  est  dénué  de  tout  sentiment  artistique,  de  toute  valeur  intellectuelle  et 
qu'une  déplorable  absence  d'éducation  première  le  rend  impropre  à  l'exercice  de 
ses  hautes  fonctions  directoriales. 

D'accord!...  Tout  cela  est  de  notoriété  universelle.  Mais  pourquoi  s'en  prendre 
à  ce  brave  garçon?  Est-ce  sa  faute,  à  lui,  si  l'on  a  cru,  en  haut  lieu  politique, 
devoir  le  nommer,  puis  le  maintenir  indéfiniment  dans  la  plus  enviable  situation 
théâtrale  qui  soit  au  monde.  On  ne  pouvait  cependant  exiger,  fût-ce  de  l'homme 
le  moins  ambitieux,  qu'il  se  refusât  aux  caresses  de  la  fortune,  aux  aubaines  du 
favoritisme.  Voyez-vous  Gailhard  poussant  le  désintéressement  jusqu'à  dire  de 
lui-même:  «  J'étais  le  dernier  auquel  on  dût  penser  pour  diriger  l'Opéra  ». 

Le  malheureux  n'a  pas  conscience  de  sa  propre  incapacité.  11  s'attribue  même 
quelque  compétence  :  tout  ce  qu'il  a  fait,  il  le  trouve  bien  et  ne  se  rend  aucun 
compte  des  résultats,  si  néfastes  pour  le  grand  art  lyrique,  de  sa  déplorable  admi- 
nistration. De  très  bonne  foi,  il  est  convaincu  que  sa  mission  à  la  tête  de  l'Opéra 
l'obligeait  à  n'observer  aucune  clause  du  cahier  des  charges,  à  laisser  le  matériel 
se  déprécier,  se  détruire  sans  veiller  à  son  entretien  ni  pourvoir  à  son  renouvel- 
lement. Il  croit  aussi,  avec  une  sincérité  désarmante,  que  l'État  l'a  doté,  l'an  der- 
nier, d'une  grosse  subvention,  afin  qu'il  donnât,  ses  principaux  artistes  étant  en 
congé,  des  représentations  indignes  de  notre  première  scène  lyrique  et  dont  pro- 
vinciaux et  étrangers  durent  emporter  un  singulier  souvenir. 

L'associé  de  RUt  (je  mentionne  ce  dernier  nom  pour  mémoire)  doit  donc  être 
mis  hors  de  cause,  je  le  répète,  comme  irresponsable,  ayant  agi  sans  le  moindre 
discernement.  Qu'on  se  borne  à  le  mettre  dans  l'impossibilité  de  nuire  encore  ; 
qu'on  ne  renouvelle  pas  son  privilège  :  cela  va  de  soi,  parbleu  !  Mais  il  faut  s'en 
prendre  a  d'autres  de  l'état  déplorable  dans  lequel  il  laissera  la  troupe,  le  maté- 
riel, le  répertoire,  le  prestige  de  l'Opéra.  Paix  à  Gailhard  ainsi  qu'à  tout  individu 
de  bonne  volonté  I  Sa  candeur  n'est  à  plus  à  démontrer.  Il  a  les  mains  pleines 
et,  s'il  est  innocent,  c'est  bien  de  naissance.  L'essentiel  est  de  le  voir  partir 
après  fortune  faite.  Il  ne  sera  guère  à  plaindre  sur  terre  et,  selon  la  parole  de 
Jésus,  le  royaume  du  Ciel  lui  appartiendra.  Ne  troublons  donc  pas  la  quiétude 
de  ce  bienheureux. 

—  Comment  se  terminera  la  question  de  l'Opéra?  M.  Ritt  offrira  cinq 
cents  mille  francs  pour  la  réfection  des  décors,  à  condition  que  l'on 
renouvelle  son  privilège  pour  sept  années  et  qu'on  le  nomme  officier 
de  la  Légion  d'honneur.  Et  le  ministre  s'empressera  d'accepter  cette  com- 
binaison pour  sauver  la  caisse  de  l'Etat! 

—  Les  auteurs  bernés  par  M.  Paravey  commencent  à  montrer  les  dents. 
On  sait  que  M.  Wekerlin  a  déjà  introduit  une  demande  en  dommages- 
intérêts  devant  le  tribunal  civil.  Voici  à  présent  que  M.  Gastaguier,  ne 
voyant  pas  représenter  son  opéra  les  Normands  dans  les  délais  convenus, 
a  appelé  le  directeur  de  l'Opéra-Comique  devant  le  tribunal  de  commerce, 
qui  a  condamné  M.  Paravey  par  défaut,  deux  fois  de  suite.  Cela  n'empê- 
chera d'ailleurs  pas  le  jeune  directeur,  favori  de  l'Elysée,  de  continuer  à 
recevoir  tout  le  jour  un  ou  deux  opéras.  Quant  à  les  représenter,  c'est 
autre  chose. 

—  Parmi  les  futurs  décorés  de  la  Légion  d'honneur  à  l'occasion  du 
•14  juillet,  on  cite  M.  Ch.-M.  Widor,  l'auteur  de  la  Korrigane,  de  Maître 
Ambros  et  de  Jeanne  d'Arc.  Voilà  une  distinction  qui  s'adresse  bien  et  qui 
ne  rencontrera  que  d'unanimes   approbations. 

—  Une  lettre  de  l'Alboni  adressée  à  M.  Georges  Boyer,  du  Figaro  ; 

Mon  cher  monsieur  Boyer, 
J'ai  lu  dans  le  Galignani  Messenger  un  prétendu   «  Interview  Wilh  Alboni  ». 
Voulez-vous   être  assez  aimable  de    dire  dans  le  Figaro    que,    non  seulement  je 
n'ai  pas  eu  d'entrevue,  mais   que  je  n'ai  pas  l'honneur  de   connaître  l'auteur    de 
l'article  en  question? 
Mille  remerciements  et  mes  bien  sincères  compliments. 

M.-Z.  Albom. 
Ville-d'Avray,  3  juillet  1890. 

—  Les  journaux  belges  démentent  formellement  le  bruit  récemment 
mis  en  cours  et  d'après  lequel  l'administration  des  Concerts  populaires  de 
Bruxelles  aurait  engagé,  pour  diriger  l'hiver  prochain  deux  de  ses  séan- 
ces, MM.  Colonne  et  Lamoureux. 

—  Un  rapport  de  l'Académie  des  Beaux-Arts  :  «  L'ouvrage  ayant  pour 
titre  :  Noies  et  Éludes  d'harmonie  pour  seroir  de  supplément  au  Traité  de 
M.  Heber,  par  Th.  Dubois,  justifie  bien  son  titre.  Comme  le  dit  l'auteur 
dans  une  introduction  claire,  concise  et  résumant  avec  précision  l'objet  de 
son  ouvrage,  nul  traité  ne  répond  mieux  ni  aussi  complètement  que  celui 
de  Reber  aux  besoins  de  l'enseignement  moderne,  et  nul  n'est  basé  sur 
une  théorie  plus  solide  et  plus  simple.  Le  travail  de  M.  Th.  Dubois  est 
un  complément  et  un  commentaire  dont  l'utilité  théorique  et  pratique 
n'échappera  à  personne.  En  ell'et,  l'auteur,  profilant  d'une  expérience  de 
dix-huit  années  d'un  professorat  fécond  en  résultais,  ne  laisse  aucun  point 


de  théorie  dans  le  doute,  aucun  détail  de  réalisation  inexpliqué  ;  il  met  à 
même  les  élèves  qui  veulent  faire  des  études  sérieuses  de  tout  compren- 
dre, de  tout  approfondir,  de  tout  analyser  et  surtout  d'écrire  avec  une 
grande  pureté,  une  grande  clarté  et  une  grande  élégance,  tout  en  ne 
rejetant  aucun  des  éléments  dont  l'art  moderne  s'est  enrichi.  Il  fallait 
conserver  les  traditions  classiques,  base  immuable  de  tout  bon  enseigne- 
ment, et  ne  pas  se  montrer  hostile  aux  progrès  de  la  science  harmonique. 
Cela,  M.  Th.  Dubois  l'a  bien  compris,  et  les  exercices  nombreux 
qui  suivent  chaque  chapitre  de  son  ouvrage  témoignent  à  la  fois  d'un 
grand  sentiment  de  la  tonalité  si  respectée  des  anciens  maîtres,  et  du 
désir  de  ne  rendre  son  enseignement  ni  empirique,  ni  circonscrit  dans 
des  formules.  Ces  Exercices  complètent  utilement  ceux  du  Traité  et  per- 
mettent à  l'élève  d'acquérir  sûrement  une  expérience  indispensable  à  qui 
veut  devenir  réellement  habile  dans  l'art  si  difficile  de  bien  écrire.  Le 
traité  de  Reber,  si  parfait  et  si  excellent  par  la  pureté  et  la  simplicité  de 
sa  doctrine,  par  la  hauteur  de  vues  de  sa  conception,  par  le  grand  senti- 
ment d'art  qui  s'en  dégage,  par  la  nouveauté  de  sa  théorie  sur  les  altéra- 
tions, par  la  sagacité  avec  laquelle  est  traitée  la  partie  qui  a  rapport  aux 
notes  essentiellement  mélodiques,  et  aussi  par  sa  belle  forme  littéraire, 
était  cependant  insuffisant  au  point  de  vue  pratique.  De  plus,  quelques 
lacunes  théoriques  s'y  laissaient  deviner.  M.  Théodore  Dubois  a  résolu  le 
tout  de  la  façon  la  plu3  heureuse.  Il  a,  selon  nous,  rendu  un  véritable 
service  aux  élèves  et  aux  professeurs;  nous  avons  donc  la  conviction  que 
ses  Notes  et  Etudes  d'Harmonie  et  le  Traité  de  Reber  qu'elles  complè- 
tent, forment,  réunis,  un  remarquable  ouvrage  d'enseignement,  résumant 
méthodiquement  et  clairement  tout  ce  qui  concerne  cette  belle  science, 
base  de  toutes  fortes  études  musicales  ». 

—  Par  suite  de  la  mort  du  regretté  Paul  Martin,  une  place  de  profes- 
seur de  violon  est  vacante  en  ce  moment  au  Conservatoire  de  Lille.  La 
direction  de  cet  établissement  invite  les  candidats  à  adresser  leur  demande 
soit  au  directeur  du  Conservatoire,  soit  au  maire  de  la  ville. 

—  Chaque  année,  Mmc  Méreaux  l'artiste  vaillante,  qui  continue  avec  tant 
de  succès  les  traditions  d'enseignement  de  son  mari,  réunit  ses  élèves  pour 
une  audition  spéciale  présidée  par  Marmontel  père.  Ce  maître  et  ami  nous 
affirme  que  l'impression  produite  a  été  excellente.  Les  nombreuses  élèves 
dont  les  noms  ont  figuré  au  programme  ont  toutes  vivement  intéressé;  pas 
une  défaillance  ne  s'est  produite,  et  l'auditoire  est  resté  jusqu'à  la  fin  sous 
le  charme  de  cette  audition  musicale.  Il  est  juste  d'ajouter  que  le  choix 
éclectique  et  varié  des  morceaux  a  donné  aux  jeunes  interprètes  toute 
liberté  pour  affirmer  leurs  belles  qualités  d'exécution.  Plusieurs  morceaux 
concertants  de  Beethoven  et  Weber  ont  fait  valoir  les  sérieuses  qualités 
de  mesure  et  de  style  d'élèves  bonnes  musiciennes.  MM.  Payen,  Dubosc- 
Lettré  et  Bonnière  ont  très  obligeamment  prêté  le  concours  de  leur  talent 
aux  jeunes  virtuoses  qui  tenaient  la  partie  de  piano,  dans  ce  concert  de 
famille.  Désigner  les  plus  méritantes  serait  un  blâme  indirect  pour  celles 
dont  le  nom  serait  passé  sous  silence;  puis,  nous  sommes  heureux  de 
l'affirmer  encore,  toutes,  suivant  leurs  moyens  et  leur  degré  d'avancement, 
ont  fait  acte  de.  bien  dire.  Nos  félicitations  très  sincères  à  Mme  Méreaux, 
dont  l'enseignement  est  si  bien  en  harmonie  avec  la  brillante  école,  le 
style  élevé  de  notre  cher  et  regretté  collaborateur  A.  Lefroid  de  Méreaux. 

NÉCROLOGIE 

Un  compositeur  qui  n'était  point  sans  mérite,  mais  qui  était  en 
même  temps  un  écrivain  effroyablement  prolifique,  Edouard-Georges- 
Jacques  Grégoir,  vient  de  mourir  à  Anvers,  après  une  courte  maladie. 
Né  à  Turnhout  le  7  novembre  1822,  il  était  le  frère  cadet  d'un  pianiste- 
compositeur  fort  distingué,  Joseph  Grégoir,  mort  lui-même  il  y  a  une 
quinzaine  d'années.  Edouard  Grégoir  avait  écrit  et  publié  un  assez  grand 
nombre  de  compositions  musicales  qui  ne  sont  pas  sans  valeur;  mais 
c'est  surtout  comme  musicographe  qu'il  avait  voulu  attirer  l'attention  sur 
lui.  Aussi  inondait-il  les  journaux  belges,  et  même  certains  journaux 
français,  de  recherches  et  de  travaux  de  toutes  sortes,  qui  se  distinguaient 
d'une  part  par  leur  absence  d'intérêt,  de  l'autre  par  une  langue  vraiment 
trop  familière  et  trop  incorrecte.  Il  réunissait  ensuite  tout  cela  en  volumes 
et  c'est  à  peine  si,  dans  l'immense  fatras  publié  par  lui,  on  trouve  par-ci 
par-là  quelques  renseignements  intéressants  et  vraiment  utiles.  Voici, 
toutefois,  la  liste  de  ses  principales  publications  :  Panthéon  musical  popu- 
laire (6  volumes);  Galerie  biographique  des  Artistes-Musiciens  belges;  Histoire 
de  l'Orgue;  Documents  relatifs  à  l'Art  musical  (4  volumes)  ;  Recherches  histori- 
ques sur  les  journaux  de  musique;  Bibliothèque  musicale  populaire  (3  volumes); 
Nouveau  système  d'enseignement  musical  pour  les  Ecoles  (adopté  par  le  Gouver- 
nement); Notice  historique  sur  le  célèbre  compositeur  Louis  van  Beethoven;  Du 
Chant  choral  et  des  Festivals  en  Belgique  ;  Chansons  flamandes  pour  les  Écoles 
primaires  ;  Grétry  célèbre  musicien  belge  ;  Notices  sur  les  Sociétés  et  écoles  de  Mu- 
sique d'Anvers  ;  Mémoire  sur  Gosscc  ;  les  Gloires  de  l'Opéra  et  de  la  Musique  à 
Paris  (7  volvmes);  l'Art  musical  en  Belgique,  sous  les  règnes  de  Léopold  I"  et 
Lèopold  II  ;  Les  Artistes-musiciens  néerlandais;  etc.,  etc.  —  Edouard  Grégoir 
était  d'ailleurs  un  excellent  homme,  absolument  estimable  sous  tous  les 
rapports,  et  qui  laissera  un  bon  souvenir  à  tous  ceux  qui  l'ont  connu. 

Henri  Heugel.  directeur-gérant. 


■    "IMM  .11    m,      , 


3093  —  56me  ANNEE  --  N°  28.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES  Dimanche  13  Juillet  1890. 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  i'r.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste:  Georges  Bizet  (9°  article),  Louis  Gaiaet.  — II.  Semaine 
théâtrale:  Reprise  du  Don  Juan  de  Mozart  par  Charles  Gounod,  Arthur  Pougin. 
—  III.  Les  origines  du  chant  liturgique,  d'après  une  récente  publication  de 
M.  Gevaert,  Julien  Tiersot.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT  , 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
LES  POMMIERS 

nouvelle  mélodie   d'ÉMiLE    Bourgeois,  poésie  de  F.  Couturier.   —   Suivra 
immédiatement:  l'Étoile,  mélodie  de  Limnander,  poésie  de  A.  VanHasselt. 

PIANO 
Nous   publierons   dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano  :  la  Deuxième  Valse  hongroise,  de  Théodore  Lack.  —  Suivra  immé- 
diatement: la  Romance  de  Joconde,  transcrite  et  variée  par  Charles  Neustedt. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


GEORGES  BIZET 


Cet  ouvrage,  qui  devait  avoir  pour  titre  Don  Rodrigue  ou  CM- 
mène  et  non  point  le  Cid,  —  car  Bizet  avait  le  respect  de 
Corneille  jusque  dans  cette  question  du  titre,  —  occupa  dès 
lors  notre  musicien  en  même  temps  que  Carmen. 

En  m'écrivant,  dans  une  lettre  dont  j'ai  cité  la  première 
partie,  «  Carmen  est  remise  »,  il  ajoutait  aussitôt  : 

«   Et  notre  Cid?  Avez-vous  vu  notre  vaillant  Rodrigue"?  » 

Enfin,  le  poème  s'achevait  et  la  partition  marchait  grand 
train.  Bizet  me  tenait  au  courant  du  progrès  de  son  travail. 
Dans  ses  lettres,  qu'il  ne  datait  que  très  rarement  et  que  je 
prends  au  hasard,  s'accuse  cette  conscience  minutieuse  que 
j'ai  déjà  constatée  chez  lui  et,  çà  et  là,  cette  noble  joie 
d'avoir  réalisé  sa  conception. 

Je  citerai,  sans  plus  de  commentaire,  les  principaux  frag- 
ments de  cette  correspondance. 

«  Cher  ami,  grande  nouvelle  !  Le  premier  tableau  du  troi- 
sième acte  est  fini  et  je  ne  puis  résister  au  désir  de  vous  dire 
que  je  suis  content  de  moi.  Ce  tableau  et  le  quatrième  acte 
sont  les  points  culminants  de  notre  œuvre.  Mais  le  quatrième 
acte  ne  m'a  jamais  inquiété,  (—  C'est  celui  dans  lequel  se 
place  l'épisode  du  mendiant)  tandis  que  ce  duo  d'amour  tant 
de  fois  fait  et  si  bien  fait  !...  Car  c'est  toujours  le  même, 
Roméo  et  Juliette,  Chimène  et  Rodrigue,  Raoul  et  Valentine, 
Faust  et  Marguerite...  C'est  toujours  ce  profond  sentiment 
d'amour...  humain,  qu'il  faut  exprimer  avec  des  formes  nou- 


velles... C'est,  en  somme,  la  vraie  pierre  de  touche  du  com- 
positeur dramatique  !  Je  vous  le  répète,  cher  ami,  je  suis  con- 
tent et  j'ai  mille  remerciements  à  vous  adresser  à  tous  deux 
pour  ce  morceau.  J'attends  pour  mettre  en  partition  de  très 
légers  changements  que  vous  serez  bien  gentil  de  m'envoyer 
tout  à  l'heure. . . 

«  Acte  II.  Scène  IIIe.  Après  ces  quatre  vers  : 

RODRIGUE. 

Tu  le  demandes,  comte?  Eh  bien 
Si  tu  n'as  pas  moins  de  courage 
Pour  le  combat  que  pour  l'outrage 
Viens  avec  moi.  Tu  le  sauras! 

»  Je  suis  tellement  lancé  qu'il  m'est  impossible  de  m'arrê- 
ter  pour  chercher  l'accent  ironique  et  interpréter  les  cinq 
vers  du  comte.  Je  vous  propose  donc  de  lâcher  les  cinq  vers 
du  comte  et  les  quatre  vers  de  réponse  de  Rodrigue,  de 
supprimer  complètement  l'épisode  de  la  nourrice  et  de  son 
lait  et  de  remplacer  ces  neuf  vers  importants  par  un  nombre 
égal  de  vers,  mais  de  huit  pieds  seulement.  Du  reste,  en 
voici  un  monstre. 

(L'épisode  de  la  nourrice  et  de  son  lait  »  dont  parle  ici 
Bizet,  venait  en  droite  ligne  de  Guilhem  de  Castro  faisant 
dire  en  substance  au  comte  d'Orgaz  :  «  Tu  as  encore  sur  les 
lèvres  le  lait  de  ta  nourrice  ».) 

»  Gardez-moi  deux  vers  pour  DonDiègue;  ce  vieux  qui  ne 
dit  rien  depuis  si  longtemps  commence  à  me  gêner.  Il  est 
nécessaire  qu'il  déplore  encore  une  fois  de  ne  pouvoir  vider 
lui-même  l'affaire  de  la  gifle.  Envoyez-moi  cela  de  suite,  je 
vous  prie,  car  j'attends  pour  mettre  en  partition.  J'aurai  peu 
de  chose  à  vous  demander  dans  le  second  acte.  —  Je  suis 
content,  cela  vient  vraiment  bien.  »  (Ces  mots  sont  soulignés  dans 

le  texte.) 

* 
*•  * 

Voilà,  au  sujet  de  ce  quatrième  acte,  dont  j'ai  cité  précé- 
demment presque  tout  le  texte  une  lettre  qui  nous  montre 
bien  l'homme  aux  prises  avec  sa  pensée.  C'est  comme  une 
longue  séance  de  travail  racontée  par  le  maître  ouvrier  lui- 
même  : 

«  Mon  cher  ami,  notre  quatrième  acte  est  fini.  J'ai  plu- 
sieurs changements  assez  importants  à  vous  soumettre.  J'irai 
à  Paris  samedi;  pouvez-vous  m'attendre  vers  deux  heures  un 
quart?  ....  Nous  pourrons  causer  et,  s'il  y  a  lieu,  discuter 
les  modifications  en  question.  Voici  : 

»  1°  Je  vous  demande  la  suppression  de  ces  deux  vers  : 
Allez!  —  J'ai  soif!—  J'ai  faim! 
Non!  —  Donnez-moi  de  l'eau!  —  Non!  Seulement  du  pain! 


218 


LE  MENESTREL 


»  Mes  raisons? — 1°  cette  idée  excellente  à  la  lecture,  per- 
dra son  accent  au  théâtre  ;  2°  il  faut  des  temps  qui  font 
longueur  ;  3°  il  y  a  une  fausse  sortie  des  soldats  qui  m'em- 
barrasse beaucoup.  J'ai  besoin  de  lier  immédiatement  la  scène 
suivante.  Vos  rimes  masculines  me  sont  nécessaires  pour  le 
chœur.  Au  reste  voici  : 

Cette  épée  est  à  lui... 

(Morne  silence.  Remettant  l'épée  au  fourreau.) 

Vous  gardez  le  silence  ! 

LES  SOLDATS,   consternés. 

„  (  0  jour  d'épouvante  et  d'horreur  ! 

Monstre  ]  „  J,.  .   ,  „  ,  . 

(  O  désespoir!  O  terreur! 

SCÈNE  ni      ' 
Les  mêmes,  le  mendiant,  soldats. 

DEUXIÈME    GROUPE   DE  SOLDATS. 

Hors  d'ici,  misérable,  etc.... 

»  Nous  gagnons  deux  minutes.  Je  crois  qu'il  n'y  a  pas  à 
hésiter  : 

»  2°  La  Prière  de  Rodrigue.  —  Je  ,suis  désolé  de  vous  de- 
mander de  modifier  ce  morceau  qui  me  plaisait  infiniment, 
mais  j'y  trouve,  au  point  de  vue  musical,  un  obstacle  sérieux 
qui  me  remet  en  mémoire  ce  que  me  disait  un  jour  Méry  : 
«  Dans  un  morceau  d'opéra,  la  réussite  du  musicien  dépend 
du  premier  vers.  » 

»  En  effet,  les  premiers  vers  de  votre  prière  sont  humains, 
l'amour  y  joue  un  trop  grand  rôle  et  j'ai  cherché  deux  jours 
sans  rien  trouver  —  j'ai  alors  abandonné  votre  texte  et  j'ai 
fait  sur  le  monstre  qui  suit  une  vraie  prière  qui   me  satisfait 

assez  —  Je  vous  souligne  par  des ■ —  le  rythme,  qui  est 

impérieux. 

Dieu  clément  —  Ah  !  pardonne  —  à  la  dernière  plainte  — 
De  celui  —  qui,  demain,  —  paraîtra  devant  toi  — 
Oui,  je  veux  —  obéir  —  à  ta  volonté  sainte  — 
Et  mourir  —  en  chantant  —  ta  louange  et  ta  loi  — 
Tu  m'as  pris  —  mon  amour  —  et  j'ai  courbé  la  tête  — 
Tu  me  prends  —  la  victoire  —  et  je  bénis  ton  nom.  — 
O  Seigneur!  —juste  et  bon  —  ta  volonté  soit  faite,  — 
Au  pécheur  —  repentant  —  accorde  ton  pardon.  — 

»  Cet  horrible  monstre  vous  explique  mon  désir.  C'est  le 
soldat  qui  va  mourir  et  Dieu  absorbe  tout. 

»  3°  Après  la  prière,  Rodrigue  s'endort,  mais  je  voudrais 
qu'il  cédât  è  un  sommeil  surnaturel.  Il  a  dit  :  «  Moi,  je 
veille  jusqu'à  l'heure  dernière.  »  Il  doit  prier  jusqu'au  jour, 
jusqu'à  la  bataille,  c'est-à-dire  .jusqu'à  la  mort.  Le  miracle 
commence  là.  La  musique  est  faite  sur  ce  monstre  : 

Mais  qu'ai-je  donc. ..   et  quel  sommeil  étrange 
Vient  envahir  mes  sens? 
Dieu!...  Je  succombe!  Ah!  de  la  mort  c'est  l'ange. 
Je  le  vois!...  Je  le  sens! 

»  Toujours  pardon  pour  cette  poésie  infecte. 

»  4°  Finale.  Simple  bouleversement  des  vers  pour  les  besoins 
musicaux. 

»  Voilà  !  Je  crois,  que  mon  quatrième  acte  est  bien  venu. 
—  La  fin  surtout  a  l'effet  nécessaire  et,  heureusement 
sans  aucun  rapport  avec  le  4™  acte  du  Prophète.  —  Dès  que 
mon  4me  acte  sera  en  partition,  je  vous  enverrai  les  quatre 
actes  avec  toutes  vos  corrections.  —  Je  suis  encore  mé- 
content de  l'extrême  fin  du  finale  du  troisième  acte.  —  C'est 
terne  I  C'est  une  phrase  à  trouver.  —  Je  ne  veux  rien  lâcher! 
En  faisant  de  mon  mieux,  je  serai  encore  bien  au-dessous 
de  ce  que  je  voudrais.  —  Pourtant,  je  serais  peu  sincère,  si 
je  ne  m'avouais  pas  satisfait.  —  A  samedi,  2,  h.  4/â.  » 

Presque  toujours,  dans  ce  fougueux  enfantement,  la  musique 
jaillit,  brisant  le  moule  du  vers.  —  Ce  sont  alors  des 
excuses  délicates  pour  se  faire  pardonner  les  remaniements 
obligatoires  : 

«  Mon  cher  ami,  je  suis  vraiment  confus  de  vous  demander 
tant  de  travail  et  de  bousculer  ainsi  ce  qui  était  si  bien  fait; 


mais  vous  referez  facilement  quelques  vers,  et  moi,  je  referais 
très  difficilement  des  choses  dont  je  suis  content  et  qui  sont 
venues  avec  une  autorité  que  j'appellerais  inspiration,  si  le 
mot  n'était  pas  ridiculement  prétentieux.  —  Procédons  par 
ordre. 

«  Rodrigue  seul.  —  Les  quatre  premiers  vers  (récit)  sans 
changement.  —  L'air  n'est  pas  venu.  —  Je  l'ai  retourné  de 
toutes  les  façons  et  j'ai  bêtement  trouvé  deux  strophes  qui 
feraient  bien,  je  crois.  —  Je  vous  donne  un  monstre 
horrible  qui  vous  indiquera  assez  bien  ce  que  je  désire.  » 

Enfin  l'oeuvre  touche  à  son  terme,  au  milieu  de  toutes  ces 
préoccupations,  de  toutes  ces  recherches  scrupuleuses,  et 
déjà  le  compositeur  songe  au  moment  où  il  faudra  en  pré- 
parer la  mise  à  l'étude. 

«  Après  avoir  terminé,  écrit  et  parachevé  le  2me  tableau 
du  3me  acte,  je  me  suis  aperçu  que  le  morceau  était 
impossible  et  j'ai  dû  le  refaire  presque  entièrement.  —  Non 
seulement  les  idées  étaient  détestables,  mais  la  forme  était 
mauvaise  et  les  dimensions  absolument  exagérées.  —  Je  viens 
de  le  remanier  et,  même  avec  des  idées  que  je  crois  bonnes, 
le  résultat  serait  désastreux  si  je  ne  faisais  de  nombreuses 
coupures  dans  la  première  partie  et  si  je  ne  donnais  à  la 
seconde  une  forme  musicale  très  nette  et  très  saisissable.  » 

Et  après  s'être  ainsi  sévèrement  jugé,  après  avoir  formulé 
quelques  indications,  il  ajoute  : 

«  J'espérais  bien  ne  plus  avoir  à  vous  torturer  pour  le 
3me  acte.  Faites-moi  le  plaisir  de  m'envoyer  ces  petits  chan- 
gements le  plus  tôt  possible. 

»  Le  premier  chœur  du  1er  acte  est  fait.  —  J'en  suis 
content.  —  Seulement,  je  crois  qu'il  faudra  ouvrir  l'acte  par 
ce  chœur  et  ne  commencer  le  divertissement  qu'après.  Il  faut 
que  ce  morceau  ne  soit  pas  gêné  dans  son  effet  ;  c'est  le 
seul  chœur  proprement  dit   que   nous  ayons  dans  l'ouvrage. 

»  Quand  revient  Faure?  Je  vais  me  jeter  dans  le  4me  acte. 
—  J'espère  avoir  complètement  fini  pour  le  retour  du  Cid! 
Lui  plairons-nous?  Espérons-le.  — En  tout  cas,  nous  aurons 
tous  fait  de  notre  mieux,  et  je  crois  que  ce  mieux  là  sera 
presque  bien.  » 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


Reprise  de  Don  Juan,  de  Mozart 

C'est  une  reprise  superbe  que  celle  de  Don  Juan  qui  a  eu  lieu 
cette  semaine  à  Paris,  reprise  tout  à  fait  inattendue  d'ailleurs,  et  d'au- 
tant plus  remarquable  qu'elle  s'est  produite  à  l'aide  d'un  seul  in- 
terprèle ;  mais  cet  interprète  est  de  premier  ordre,  et  comme  depuis 
longtemps  il  est  familier  avec  le  chef-d'œuvre,  on  comprend  faci- 
lement que  l'ensemble  de  l'exécution  de  celui-ci  n'ait  rien  laissé  à 
désirer. 

Pour  parler  sans  ambage  et  sans  métaphore,  je  dirai  tout  de  suite 
qu'il  s'agit  ici  de  l'apparition  d'un  livre  que  M.  Gounod  vient  de 
publier  sous  ce  titre  :  Le  «  Don  Juan»  de  Mozart.  (1)  Mozait  et  Gou- 
nod !  L'auteur  de  Don  Juan  commenté,  analysé,  interprété  par  l'au- 
teur de  Faust  !  Voilà  certes  qui  n'est  pas  commun,  et  qui  est  fait 
pour  piquer  et  exciter  la  curiosité.  L'Allemagne  elle-même,  patrie 
de  Mozart,  n'a  rien  de  pareil  à  nous  offrir.  Je  ne  sache  pas  qu'il 
existe  en  ce  pays  une  glose  importante  sur  le  chef-d'œuvre  du  maî- 
tre due  à  un  de  ses  pairs  et  de  ses  pareils,  et  il  nous  plaît  que  ce 
soit  la  France,  par  la  plume  d'un  de  ses  plus  nobles  enfants,  d'un 
de  ses  artistes  les  plus  illustres,  qui  rende  ce  suprême  hommage  au 
génie  de  Mozart. 

Ce  n'est  pas  d'aujourd'hui  qu'on  connaît  la  juste  et  profonde 
admiration  de  M.  Gounod  pour  le  maître  des  maîtres  et  le  chef- 
d'œuvre  des  chefs-d'œuvre.  Depuis  longtemps  il  l'a  manifestée,  et 
je  retrouve  précisément  dans  mes  notes,  à  la  date  de  1879,  un  frag- 
ment de  journal  dans  lequel,  à  ce  sujet,  on  lui  prêtait  un  projet 
un  peu  chimérique,  mais  suffisamment  significatif.  Cela  s'appelait  : 
un  lUve  de  Gounod,  et  voici  quel  était  ce  rêve  :  —  «  L'auteur  de  Faust 
a  pour  Don  Juan  un  amour  continuel  et  sans  mélange.  Une  de  ses 

(1)  Chez  Paul  Ollendorf,  rue  de  Richelieu. 


LE  MENESTREL 


210 


grandes  préoccupations,  en  ce  moment,  est  de  donner  douze  repré- 
sentations du  chef-d'œuvre  de  Mozart,  douze  représentations  parfai- 
tes. Il  bâtirait  un  théâtre  à  ce  dessein,  qui  serait  démoli  ensuite.  Il 
ferait  plusieurs  fois  le  tour  du  monde,  s'il  le  faut,  et  trouverait  les 
acteurs  dignes  de  chanter  l'œuvre.  Il  leur  ferait  les  rentes  qu'ils 
voudront,  et  leur  dirait  :  «  Etudiez  votre  rôle  à  votre  manière,  vous 
viendrez  ensuite  l'étudier  à  la  mienne.  »  Comme  il  est  besoin  d'ar- 
gent pour  mener  à  bien  les  projets  les  plus  délicats,  il  aurait  des 
souscripteurs.  Mais  on  n'aurait  la  faveur  de  souscrire  qu'après  avoir 
subi  un  examen  et  un  interrogatoire  minutieux.  Gounod  ne  veut  à  ce 
spectacle  que  «  des  amoureux.  »  Les  représentations  auraient  lieu 
deux  fois  par  semaine,  pendant  six  semaines.  Don  Juan  aura  alors 
été  exécuté  selon  le  rêve  charmant  et  prodigieux  que  Gounod  se 
fait.  Le  maître  est  assez  aimé  du  public  pour  réaliser  cette  belle 
chimère.  » 

On  voit  qu'il  s'agissait  eu  effet  d'une  chimère,  mais  dont  l'idée 
même  prenait  sa  source  dans  l'admiration  bien  connue  de  M.  Gou- 
nod pour  Don  Juan.  Cette  admiration,  le  maître  l'affirma  avec  éclat 
quelques  années  plus  tard,  lorsqu'il  fit,  le  2o  octobre  1882,  dans  la 
séance  publique  annuelle  de  l'Académie  des  Beaux-Arts,  une  lecture 
sur  le  Don  Juan  de  Mozart.  C'est  une  pensée  qui  le  hantait  sans  doute, 
et  cette  lecture  est  évidemment  le  point  de  départ  du  livre  que 
nous  avons  aujourd'hui  sous  les  yeux.  Et  si  l'on  veut  se  faire  une 
idée  du  sentiment  que  le  chef-d'œuvre  a  toujours  inspiré  à  M.  Gou- 
nod, il  faut  lire  la  petite  anecdote  qu'il  racontait,  dès  le  début  de 
son  travail,  à  ses  collègues  de  l'Académie. 

Il  avait  alors  treize  ans  et  demi,  ses  succès  au  lycée  Saint-Louis 
lui  avaient  valu  un  congé  de  faveur,  et  sa  mère,  pour  le  récompen- 
ser, l'avait  mené  au  Théâtre-Italien,  où  l'on  jouait  Don  Juan  : 

Il  me  sembla  que  j'allais  pénétrer  dans  un  sanctuaire. 

En  effet,  à  peine  étions-nous  entrés  dans  la  salle,  que  je  me  sentis  en- 
veloppé d'une  sorte  de  terreur  sacrée,  comme  à  l'approche  de  quelque 
mystère  imposant  et  redoutable;  j'éprouvais,  tout  ensemble,  dans  une 
émotion  confuse  et  jusqu'alors  inconnue,  le  désir  et  la  crainte  de  ce  qui 
allait  se  passer  devant  moi... 

Il  fallut  attendre  assez  longtemps  avant  que  le  spectacle  commençât, 
mais  le  temps  ne  me  durait  pas  ;  cette  salle  de  théâtre,  ce  lustre,  tout  cet 
appareil  grandiose,  étaient  déjà  pour  moi  un  éblouissement. 

Enfin,  on  frappe  les  trois  coups  sacramentels  ;  le  chef  d'orchestre  lève 
son  archet,  un  religieux  silence  règne  dans  la  salle  et  l'ouverture  com- 
mence. 

Je  renonce  à  décrire  ce  que  je  ressentis  dès  les  premiers  accords  de  ce 
sublime  et  terrible  prologue.  Commentle  pourrais-je,  lorsque  aujourd'hui 
encore,  après  cinquante  ans  d'une  admiration  toujours  croissante,  mon 
cœur  tressaille  d'y  penser  et  ma  main  tremble  de  l'écrire?...  Tout  ce  que 
je  me  rappelle,  c'est  qu'il  me  sembla  qu'un  dieu  me  parlait;  je  tombai 
dans  une  sorte  de  prostration  douloureusement  délicieuse,  et,  à  demi 
suffoqué  par  l'émotion  :  «  Ah  !  maman  !  m'écriai-je,  ça,  c'est  la  musique  !  » 
J'étais  littéralement  éperdu. 

Ce  sont  des  émotions  de  ce  genre  qui  souvent  décident  de  la  vie 
d'un  artiste.  On  se  rappelle  celle  de  Lesueur,  fils  de  pauvres  cul- 
tivateurs, qui,  âgé  de  sept  ou  huit  ans  et  entendant  pour  la  pre- 
mière fois  une  musique  militaire,  celle  d'un  régiment  qui  traversait 
son  village,  se  mit  à  la  suivre  de  ses  petites  jambes,  et,  enchanté, 
enthousiasmé  et  toujours  courant,  s'écriait  hors  de  lui  :  «  Plusieurs 
airs  à  la  fois!  plusieurs  airs  à  la  fois!  »  Ce  sont  là  les  faits  qui  font 
éclater,  qui  déterminent  les  vocations. 

Aujourd'hui,  après  soixante  ans  de  la  première  impression  per- 
çue, après  avoir  depuis  longtemps  raisonné  son  admiration  tout 
d'abord  instinctive,  M.  Gounod  veut  nous  mettre  à  même  de  la  par 
tager.  Il  nous  présente  un  commentaire  lumineux  de  l'œuvre  qui 
semble  lui  avoir  ouvert  et  tracé  la  route  qu'il  devait  suivre,  et  il 
nous  convie  à  prendre  notre  part  des  émotions  que  cette  œuvre  a 
excitées  en  lui.  «  Don  Juan,  dit-il  dans  la  préface  de  son  livre,  ce 
chef-d'œuvre  incomparable  et  immortel,  cet  apogée  du  drame  lyri- 
que, compte  aujourd'hui  cent  ans  d'existence  et  d'universelle  re- 
nommée :  il  est  populaire,  indiscuté,  consacré  à  jamais.  Est-il  com- 
pris? Cette  merveille  de  vérité  dans  l'expression,  de  beauté  dans  la 
forme,  de  justesse  dans  les  caractères,  de  profondeur  dans  le  drame, 
de  pureté  dans  le  style,  de  richesse  et  de  sobriété  dans  l'instru- 
mentation, de  charme  et  de  séduction  dans  la  tendresse,  d'élévation 
et  de  force  dans  le  pathétique,  ce  modèle  achevé,  en  un  mot,  de 
l'art  dramatique  musical,  est-il  admiré,  est-il  aimé  comme  il  devrait 
l'être?  Je  me  permets  d'en  douter.  » 

Non,  cher  maître,  n'en  doutez  pas.  L'admiration,  qui  dans  son 
premier  élan  est  une  sorte  de  compréhension  intuitive,  éclate  chez 
tous  ceux  qui  sont  à  même  de  connaître  le  chef-d'œuvre,  —  et  de 
l'admiration  à  l'affection  il  n'y  a  qu'un  pas.  Tous  ceux  qui  ont  eu 


le  bonheur  d'entendre  Don  Juan  éprouvent  le  même  sentiment;  il 
s'impose  à  eux  comme  la  splendeur  du  soleil  s'impose  à  tous  les 
êtres  animés,  parce  qu'il  est  lui-même  la  splendeur  de  l'art  et  qu'il 
enveloppe  notre  âme  de  sa  généreuse  chaleur. 

Toutefois,  c'est  pour  le  faire  mieux  comprendre,  aimer,  admirer, 
que  M.  Gounod  s'est  livrée  cet  examen  pénétrant,  à  cette  analyse  si 
claire  et  si  savante  à  la  fois,  si  précise,  si  serrée,  qui  nous  fait,  si 
l'on  peut  dire,  toucher  du  doigt  les  motifs  de  notre  enthousiasme, 
et  nous  met  à  même  de  déterminer  les  causes  de  nos  sensations. 

La  partition  de  Don  Juan,  dit-il  encore,  a  exercé  sur  toute  ma  vie  l'in- 
fluence d'une  révélation  ;  elle  a  été,  elle  est  restée  pour  moi  une  sorte 
d'incarnation  de  l'impeccabilité  dramatique  et  musicale  :  je  la  tiens  pour 
une  œuvre  sans  tache,  d'une  perfection  sans  intermittence,  et  ce  com- 
mentaire n'est  que  l'humble  témoignage  de  ma  vénération  et  de  ma  re- 
connaissance pour  le  génie  à  qui  je  dois  les  joies  les  plus  pures  et  les 
plus  immuables  de  ma  vie  de  musicien. 

Il  y  a,  dans  l'histoire,  certains  hommes  qui  semblent  destinés  à  mar- 
quer, dans  leur  sphère,  le  point  au  delà  duquel  on  ne  peut  plus  s'élever  : 
tels  Phidias  dans  l'art  de  la  sculpture,  Molière  dans  celui  de  la  comédie, 
Mozart  est  un  de  ces  hommes  :  Don  Juan  est  un  sommet. 

Le  livre  de  M.  Gounod  n'est  pas,  comme  quelques-uns  pourraient 
le  supposer,  un  livre  de  combat  :  c'est  simplement  une  œuvre  d'analyse 
et  d'admiration.  Il  n'y  est  pas  prononcé  un  autre  nom  que  celui  de 
Mozart,  et,  pour  Mozart  même,  il  n'est  question  que  de  son  Don  Juan. 
Point  de  polémique,  point  de  discussion,  point  de  comparaison 
avec  quelque  autre  œuvre  que  ce  soit,  Don  Juan  n'appelant  et  ne 
supportant  par  lui-même  aucune  comparaison.  L'auteur  s'est  tracé 
un  cercle  étroit,  et  pas  une  seule  fois  il  n'a  eu  l'idée  de  le  fran- 
chir. On  serait  mal  venu  même  à  chercher  ici  une  ligne,  une 
phrase  sur  l'histoire  de  Don  Juan,  de  son  enfantement,  de  son  succès, 
de  ses  diverses  interprétations.  Il  n'en  est  pas  une  seule  fois  ques- 
tion. M.  Gounod  ouvre  la  partition  italienne,  la  vraie,  celle  dont  la 
division  est  en  deux  actes  (1)  et,  la  prenant  morceau  par  morceau,  en 
commençant  par  l'ouverture  pour  aboutir  au  dernier  finale,  il  ana- 
lyse, il  dissèque  chacun  de  ces  morceaux  successivement  —  avec 
quelle  finesse,  quelle  pénétration,  quelle  sagacité,  quelle  largeur  de 
vues,  je  n'ai  pas  besoin  de  le  dire. 

Que  celui  qui  voudra  jouir  tout  à  son  aise  de  ce  travail  d'un  es- 
prit si  délicat  à  la  fois  et  si  élevé,  si  expert  surtout,  qui  voudra 
apprécier  comme  il  le  mérite  ce  jugement  par  un  maître  de  l'œuvre 
d'un  maître,  prenne  à  son  tour  la  partition  de  Don  Juan,  qu'il  la 
place  sur  son  piano  à  côté  du  livre  de  M.  Gounod,  et  que,  un  œil 
sur  la  partition,  un  œil  sur  le  livre,  il  complète  sa  compréhension 
de  l'œuvre  par  la  lecture  de  son  commentaire.  Celui-là  me  dira 
s'il  a  perdu  son  temps,  et  si  ce  n'est  pas  là  une  véritable  jouis- 
sance ! 

Quant  à  faire  ici,  de  ce  livre  si  curieux,  si  suggestif,  ce  qu'on 
appelle  un  compte  rendu,  je  n'y  saurais  songer.  On  n'analyse  pas 
une  analyse,  on  ne  commente  pas  un  commentaire,  et  ce  serait 
battre  inutilement  les  buissons  que  de  s'égarer  à  la  recherche 
d'une  appréciation  de  détail  parfaitement  impossible  et  absolument 
superflue. 

La  seule  remarque  que  je  pourrais  me  permettre  serait  pour  louer 
la  langue  sobre  et  claire,  ferme,  et  élégante,  employée  par  M.  Gou- 
nod. Mais  quoi?  Chacun  ne  sait-il  pas  que  le  style  littéraire  de  l'au- 
teur de  Faust  n'a  rien  à  envier,  pour  la  grâce  et  la  pureté,  à  son 
style  musical?  IL  nous  l'a  prouvé  à  maintes  reprises,  avec  de  nom- 
breux écrits  moins  importants  que  celui-ci  sans  doute,  mais  pleins 
d'intérêt  et  remplis  d'idées  ingénieuses.  Il  me  suffirait  de  citer  la 
préface  de  son  George  Dandin  (dont  nous  n'avons  malheureusement 
que  la  préface],  celle  des  Lettres  intimes  de  Berlioz,  son  chapitre  sur 
la  Critique,  publié  naguère  dans  le  Gaulois,  son  discours  sur  la 
Nature  et  l'Art,  lu  en  1886  dans  la  séance  solennelle  des  cinq  Aca- 
démies, enfin  une  intéressante  série  d'articles  sur  les  compositeurs 
chefs  d'orchestre,  qui  paraissaient  dans  ce  journal  même  il  y  aura 
tantôt  vingt  ans.  Tout  cela  suffirait  à  justifier  le  désir  exprimé  un 
jour  par  un  membre  de  l'Académie  française,  de  voir  M.  Gounod 
prendre  rang  parmi  ses  collègues  et  entrer  dans  cette  illustre  com- 
pagnie ;  il  y  tiendrait  assurément  sa  place  aussi  bien  —  et  mieux  — 
que  bien  d'autres. 

Et  qui  sait  ?  Le  livre  qu'il  vient  de  publier  ne  pourrait-il  pas  lui 
ouvrir  les  portes  delà  maison  des  Quarante? 

Arthur  Pougin. 


(1)  Cette  édition  est  publiée  au  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  d'après  le  manus- 
crit même  de  Mozart,  qui  est  en  possession  de  M"  Viardot.  Double  texte  français 
et  italien. 


220 


LE1  MENESTREL 


LES  ORIGINES  DU  CHANT  LITURGIQUE 

D'APRÈS    UNE     RÉCENTE    PUBLICATION    DE    M.    GEVAERT 


Il  n'est,  en  toute  chose,  aucun  sujet  qui  mérite  de  nous  intéresser 
autant  que  la  question  des  origines.  Au  point  de  vue  particulier  de 
l'histoire  de  la  musique,  c'est  vers  ce  but,  ce  me  semble,  que 
doivent  tendre  aujourd'hui  tous  les  efforts,  maintenant  surtout  que 
le  terrain  est  presque  entièrement  déblayé  autour  de  nous,  et  que, 
à  part  des  détails  d'intérêt  secondaire,  nous  sommes  parfaitement 
renseignés  sur  tout  ce  qui  concerne  l'évolution  de  la  musique  mo- 
derne. 

M.  Gevaert  aura  eu  l'honneur  d'être  le  premier  dans  le  pays  de 
langue  française  à  aborder  résolument  cet  ordre  d'idées,  où  il 
n'eût  pas  été  possible  de  pénétrer  profondément  tant  que  ce  travail 
préalable  n'était  pas  achevé.  Avec  un  esprit  critique  d'une  rare 
sagacité,  une  érudition  à  laquelle  rien  n'échappe,  une  patience  que 
rien  ne  lasse,  déjà  il  a  reconstitué  pour  nous  la  musique  de  la 
Grèce  antique,  et,  malgré  l'absence  absolue  de  monuments,  réunis- 
sant des  éléments  épars,  il  nous  en  a  montré  les  mouvements 
généraux,  les  principes  constitutifs,  la  vie.  Ce  qu'il  a  fait  pour  l'an- 
tiquité, il  le  continue  maintenant  pour  le  moyen-âge,  époque  pri- 
mitive de  la  société  moderne,  enfance  d'un  monde  nouveau,  se 
rattachant  encore  par  quelques  liens  à  l'antiquité,  mais  faisant 
déjà  pressentir  pour  l'avenir  des  destinées  toutes  différentes  :  pé- 
riode aussi  importante,  en  un  mot,  au  point  de  vue  des  origines, 
que  n'importe  quel  autre  moment  de  l'histoire  de  l'humanité,  et 
plus  encore  à  notre  gré,  puisque  ce  sont  nos  origines  à  nous-mêmes 
que  nous  y  considérons. 

Nous  savons  que  les  chants  de  la  religion  catholique  représentent, 
conjointement  avec  les  chants  profanes  et  populaires  des  races  oc- 
cidentales et  de  celles  qui  vinrent  se  mélanger  avec  elles  au  com- 
mencement du  moyen-âge,  la  matière  primitive,  l'élément  primordial 
d'où  sortit  peu  à  peu  l'évolution  tout  entière  de  la  musique  mo- 
derne. Leur  élude  est  donc,  pour  l'histoire  de  la  musique,  d'un 
intérêt  capital.  Elle  ne  saurait  être  faite  avec  une  certitude  absolue 
pour  les  chants  profanes,  les  monuments  authentiques  de  la  pre- 
mière période  du  moyen-âge  faisant  complètement  défaut,  et  les 
traditions  populaires  (à  quelques  rares  exceptions  près)  ne  pouvant 
pas  être  considérées  comme  remontant  si  haut  :  bienheureux  encore 
si,  dans  quelques  chroniques,  l'on  peut  trouver  de  vagues  indica- 
tions sur  leur  caractère,  leur  esprit,  leur  existence  même.  Mais  il 
n'en  est  pas  de  même  pour  le  chant  religieux,  pour  lequel  celte 
étude  peut  être  tentée  avec  d'autant  plus  de  confiance  que,  contrai- 
rement à  ce  qui  s'est  produit  pour  la  musique  grecque,  nous  pos- 
sédons un  grand  nombre  de  chants  authentiques,  avec  un  nombre 
d'écrits  suffisant  pour  en  préciser  'a  nature  et  les  origines  el  recons- 
tituer les  grandes  lignes  du  lent  mais  1res  sérieux  mouvement 
musical  de  ce  temps-là.  C'est  donc  sur  une  base  d'opérations  par- 
faitement solide  que  M.  Gevaert  a"  pu  établir  son  nouveau  travail  (1), 
lequel,  bien  que  peu  étendu,  nous  en  apprend  plus  long  sur  la 
matière  que  tout  ce  qui  avait  été  écrit  précédemment. 

Et  d'abord,  il  rectifie  nombre  d'erreurs  passées  à  l'état  d'articles 
de  (oi  depuis  des  siècles,  et  dont  l'origine  même  est  parfois  presque 
contemporaine  des  événements  auxquels  elles  ont  rapport.  La  plus 
étonnante  est  celle  qui  a  trait  au  rôle  joué  par  saint  Grégoire  dans 
la  constitution  du  chant  religieux,  lequel,  de  ce  fait,  a  pris  son 
propre  nom  :  le  chant  grégorien.  L'on  connaît  les  anecdotes  rela- 
tives à  la  personnalité  musicale  de  ce  pape,  qui  joua  dans  l'histoire 
politique  de  son  siècle  un  rôle  considérable,  esprit  énergique  et 
puissant,  presque  chef  d'armées,  le  premier  véritable  maître  de 
Rome  depuis  la  ehutf  de  l'Empire  :  cependant  on  nous  le  montrait 
aussi  sous  l'apparence  d'un  humble  maître  de  musique,  foudateur 
de  la  sehola  cantorum,  instruisant  lui-même  les  enfdnts  de  choeur 
—  en  peut-on  douter?  l'on  montrait,  plusieurs  siècles  plus  tarj,  le 
lit  sur  lequel  il  se  tenait  pendant  la  leçon,  le  fouet  qui  lui  ser- 
vait à  châtier  les  écoliers  iuattentifs,  singulières  reliques  d'un  des 
plus  grauds  esprits  de  son  siècle,  d'un  des  hommes  qui  ont  .fait  le 
plus  pour  l'expansion  et  la  domination  du  christianisme.  Or,  le 
biographe  auquel  on  doit  le  récit  de  toutes  ces  belles  choses,  Jean 
le  Diacre,  est  un  fantaisiste  auquel  les  inveutions  ne  coûtaient 
guère  lorsqu'il  s'agissait  d'en  faire  honneur  à  ses  héros  :  la  com- 
paraison de  la  plupart  de  ses  écrits  avec  les  sources  sérieuses  l'a 
démontré   amplement.    Sa    Vita  S.  Grerjorii  Magni,  écrite  vers   882, 

(1)  Les  origines  du  citant  liturgique  de  l'Eglise  latine,  Gand,  Librairie  géné- 
rale, 1890. 


est  de  près  de  trois  siècles  postérieure  au  pontificat  de  Grégoire 
(390-604),  et,  durant  ce  long  intervalle,  aucun  de  ceux  qui  ont 
écrit  sur  la  musique  ou  sur  lui-même  ne  lui  attribuent  le  rôle  que 
l'on  a  dit;  quant  à  lui,  il  a  laissé  un  nombre  considérable  de  lettres 
et  d'écrits  de  toute  sorte,  mais  dans  aucun  l'on  ne  peut  trouver  la 
moindre  trace  de  préoccupations  musicales  :  il  n'y  est  question  de 
musique  qu'une  fois,  et  c'est  pour  en  diminuer  l'emploi  dans  les 
cérémonies  (il  rappelle  à  la  gravité  de  leur  ministère  des  prêtres 
qui  le  négligeaient  pour  cultiver  leur  voix  et  soigner  leur  chant). 
Enfin,  plusieurs  pièces  de  l'antiphoDaire  dit  grégorien  sont  mani- 
festement postérieures  à  son  époque,  et  ce  ne  fut  que  plus  d'un 
siècle  après  sa  mort  que  cette  compilation  put  être  arrêtée  définiti- 
vement. —  Telles  sont  les  conclusions  auxquelles  nous  amènent 
les  sagaees  et  patientes  recherches  de  M.  Gevaert;  et  quoique  je 
sache  bien  avec  quelle  prudence  et  quelle  réserve  il  faut  procéder, 
en  de  telles  matières,  avant  d'acquérir  une  certitude,  il  me  paraît 
que  tous  les  arguments  produits  par  lui  sont  d'une  valeur  inatta- 
quable, qu'ils  sont  déduits  et  coordonnés  selon  les  principes  de  la 
plus  saine  critique,  et  que  ses  conclusions  peuvent  être,  dès  aujour- 
d'hui, adoptées  sans  réserve  (1).  - 

A  combien  d'erreurs  et  de  confusions  avait  donné  lieu,  de  même, 
la  question  des  tons  dits  grégoriens!  Il  faut  reconnaître,  à  la  vérité, 
qu'il  en  est  peu  d'aussi  compliquées.  Saint  Ambroise,  saint  Gré- 
goire, et  les  modes  antiques,  et  ceux  de  l'église  grecque,  tout  cela 
avait  été  mêlé  dans  une  étrange  confusion.  Or,  des  observations  de 
M.  Gevaert  il  résulte,  non  seulement  que  les  tons  grégoriens  et  les 
modes  grecs  présentent  entre  eux  des  différences  considérables,  que 
ce  sont  deux  systèmes  absolument  distincts  (j'avais  eu  déjà  l'occa- 
sion de  faire  les  mêmes  constatations,  bien  qu'avec  d'autres  exemples 
à  l'appui),  mais  même  que  la  doctrine  des  modes  ecclésiastiques  est 
indépendante  de  la  tradition  antique  (M.  Gevaert  la  croit  de  prove- 
nance syro-hellénique)  ;  que  non  seulement  saint  Grégoire  n'a  pas 
eu  à  en  réglementer  l'emploi  (pour  saint  Ambroise,  de  trois  siècles 
antérieur,  est-il  besoin  de  dire  combien  peu  il  eût  été  en  état  même 
d'y  songer),  mais  que  ce  ne  fut  qu'à  la  fin  du  v!i°  siècle,  vraisem- 
blablement sous  le  pontificat  de  Serge  Ier,  que  les  chantres  romains  y 
furent  initiés. 

M.  Gevaert  montre  encore  que,  depuis  la  fin  du  ive  siècle  jusqu'à 
celle  du  vne,  c'est-à-dire  pendant  l'époque  la  plus  active  de  la  for- 
mation du  chant  liturgique,  il  n'existe  aucun  mode  de  notation 
musicala,  le  système  antique  ayant  été  forcément  oublié  aussitôt 
après  l'abandon  des  écoles  païennes,  fermées  sous  Théodose,  et  les 
premiers  essais,  très  rudimentaires,  de  la  notation  neumatique  ne 
remontant  pas  plus  haut  que  la  seconde  date.  Aucun  des  écrivains 
de  cette  période  ne  connaît  de  mode  de  représentation  graphique 
des  sons,  et  quelques-uns  en  nient  jusqu'à  la  possibilité.  Quant  à 
la  prétendue  notation  latine,  dite  boétienne  (notation  par  lettres,  non 
encore  abandonnée  de  nos  jours),  son  origine  n'est,  en  réalité,  pas 
plus  ancienne  que  celle  des  neumes,  et  elle  n'était  pas  moins  incon- 
nue que  les  autres  à  la  même  époque,  bien  que  jusqu'ici,  l'on  ait 
cru  le  contraire  (2). 

Enfin  certaines  attributions  d'hymnes  de  la  liturgie  primitive  à 
saint  Hilaire  de  Poitiers,  au  pape  Damase  et  à  saint  Grégoire  sont 
considérées  par  M.  Gevaert  comme  erronées. 

Ces  premières  conclusions,  toutes  négatives,  étant  arrêtées,  et  la 
question  dégagée  des  inexactitudes  qui  l'encombraient,  il  s'agit  main- 
tenant d'arriver  à  un  résultat  positif  en  recherchant  les  véritables 
origines  du  chant  de  l'église  romaine.  M.  Gevaert  ne  croit  pas  que 
la  première  origine  en  puisse  être  trouvée  antérieurement  au 
deuxième  quart  du  v°  siècle.  On  ne  sait  presque  rien  de  la  liturgie 
aux  quatre  premiers  siècles  du  christianisme  :  sauf  la  mélopée  de  la 
Préface  avec  son  épilogue  choral,  le  Sanctus,  ainsi  que  quelques 
mélodies  d'hymnes  ambrosiennes,  aucun  des  chanls  conservés  par  le 
rite  actuel  ne  parait  se  rattacher  à  une  tradition  aussi  éloignée.  Mais, 
à  partir  du  \c  siècle,  on  voit  la  liturgie  romaine  adopter  peu  à  pou 
ot  s'approprier  des  formes  destinées  à  survivre  jusqu'à  notre  époque; 
l'église  romaine  emprunte  aux  églises  d'Orient  la  psalmodie  antipho- 
nique (introduite  à  Rome  sous  le  pontificat  du  pape  saint  Célestin, 
de  422  à  432),  non  sans  la  modifier  conformément  aux  usages  et  au 
goût  musical  des  peuples  de  l'Occident;  pour  les  chants  responso- 
riaux,  d'origine  italienne,  disent  les  auteurs  du   moyen-âge,  leurs 

(1)  La  discussion  avec  la  Revue  bénédictine,  qui  occupe  les  quinze  der- 
nières pages  du  livre  de  M.  Gevaert,  me  semble,  notamment,  ne  plus 
laisser  le  moindre  doute  à  cet  égard. 

(2)  M.  Gevaert  avait  déjà  traité  ce  sujet,  avec  plus  de  développement,  à 
la  lin  du  premier  volume  de  l'Histoire  de  la  musique  dans  l'antiquité. 


LE  MEiNESTREL 


22d 


premières  formes  paraissent  dater  à  peu  près  de  la  même  époque. 
D'autre  part,  il  résulte  des  observations  les  plus  minutieuses  que 
les  pièces  les  plus  récentes  de  l'Antiphonaire  ont  été  introduites  dans 
la  liturgie  vers  la  fin  du  vu6  siècle  ou  au  commencement  du  vme; 
l'on  a  des  preuves  de  l'existence  de  ce  recueil  vers  l'année  760,  et 
les  auteurs  du  siècle  suivant  en  parlent  comme  d'un  ouvrage  d'un  usage 
général  et  déjà  sanctionné  par  une  longue  habitude.  M.  Gevaert  a 
donc  été  amené  par  là  à  fixer  entre  les  années  425  et  700  la  période 
de  production  du  chant  romain;  il  montre  que  les  papes  Agathon, 
Léon  II  et  Serge  Ier  sont  ceux  qui  ont  eu  sur  sa  formation  l'influence 
la  plus  décisive,  et  que,  si  la  dénomination  traditionnelle  de  «  chant 
grégorien  »  a  quelque  raison  d'être,  c'est  à  Grégoire  III  qu'il  faut 
en  faire  honueur,  ce  pape  étant  très  vraisemblablement  celui  sous 
le  pontifical  duquel  furent  coordonnés  et  réunis  les  derniers  chants 
de  l'Antiphonaire. 

Nous  ne  saurions  entrer  dans  le  détail  d'un  aussi  vaste  sujet  : 
qu'il  nous  suffise  de  dire  que  M.  Gevaert  divise  celte  période  de  pies 
de  trois  siècles  en  deux  parties  :  la  première,  correspondant  à  la 
domination  des  Goths  (jusqu'en  552)  se  rattacherait  directement  aux 
dernières  traditions  de  la  musique  gréco-romaine  et  serait  caracté- 
risée par  un  chant  simple  et  syllabique  imité  des  chants  cilharodiques 
de  l'art  païen;  la  seconde,  contemporaine  de  la  domination  byzan- 
tine et  des  papes  grecs  qui  se  succédèrent  presque  sans  interruption 
au  VIIe  et  au  VIIIe  siècles,  aurait  douné  lieu  à  un  nouveau  style 
musical  très  orné  el  chargé  de  mélismes,  créé  sous  l'influence  de 
l'église  grecque,  non  sans  qu'il  soit  possible,  d'ailleurs,  de  retrou- 
ver parfois  sous  ces  ornements  accumulés  la  ligne  primitive  déjà 
existant  à  l'époque  antérieure. 

Quant  à  la  forme  même  de  ces  chants,  il  est  bien  clair  que  nous 
ne  pouvons  pas  la  connaître  d'une  façon  absolument  certaine,  aucun 
vestige  de  notation  musicale  ne  nous  étant  parvenu  de  cette  époque 
(par  la  pure  et  simple  raison,  exposée  plus  haut,  qu'il  n'existait  pas 
de  notation).- Cependant,  lorsqu'on  considère  que,  malgré  les  alté- 
rations apportées  dans  le  chant  liturgique  par  un  si  long  usage,  ce 
chant,  tel  qu'il  existe  encore,  est,  au  fond,  conforme  à  celui  que 
nous  font  connaître  les  plus  anciens  manuscrits  connus  (par  exemple 
le  manuscrit  de  Montpellier,  du  Xe  siècle  :  l'Antiphonaire  de  Saint- 
Gall,  à  peu  près  de  la  même  époque,  que  publient  actuellement 
les  Bénédictins  de  Solesmes,  pourra  donntr  lieu  aussi  à  d'intéres- 
sants rapprochements),  l'on  peut  être  fondé  à  croire  que,  si  ce  chant 
s'est  conservé  fidèlement  pendant  dix  siècles,  il  n'a  pas  dû  s'altérer 
davantage  pendant  les  deux  ou  trois  siècles  antérieurs.  M.  Gevaert 
nous  en  donne  un  nouvel  exemple  par  un  long  extrait  d'un  traité 
de  musique  du  Xe  siècle,  faussement  attribué  à  Hucbald,  dans  le- 
quel huit  mélodies  de  l'Antiphonaire  sont  cilées  en  exemples  :  or, 
sur  les  huit,  une  seule  s'est  dénaturée,  les  sept  autres  n'ont  pas 
varié  depuis  mille  ans.  —  Par  une  autre  note  de  l'appendice  il 
montre  que  la  composition  des  offices  de  Laudes  et  de  Vêpres  dans 
la  règle  de  Saint-Benoît  (rédigée  veis  740)  est,  à  quelques  détails 
près,  presque  semblable  à  ce  qu'elle  est  encore  aujourd'hui.  Cette 
observation  ne  concerne,  à  la  vérité,  que  les  textes,  mais  il  n'y  a 
pas  de  raison  pour  que  la  musique  ait  varie  plus  que  les  paroles. 

Au  reste,  en  ces  sortes  de  sujets,  il  n'est  rien  qui  vaille  l'analyse 
serrée  et  méthodique  des  monuments  eux-mêmes,  et  M.  Gevaert 
nous  en  annonce  une  dont  l'intérêt  sera  vraiment  de  premier  ordre: 
il  nous  promet,  pour  «  son  premier  moment  de  loisir  »,  de  traiter  à 
fond  la  question  des  modes  et  des  nomes  gréco-romains  dans  les  an- 
tiennes simples,  voulant  dégager  ainsi  des  chants  de  la  liturgie  chré- 
tienne la  matière  primitive,  qu'il  croit  pouvoir  rattacher  aux  tiadi- 
tions  antiques.  Voilà  des  loisirs  qui  seront  bien  employés,  el  il 
faut  souhaiter  qu'ils  viennent  au  plus  tôt. 

Donc,  nous  possédons  assez  de  données  précises,  de  matériaux 
solides  [jour  qu'il  soit  possible  d'entreprendre  enfin,  avec  quelque 
espoir  do  léussite.  une  histoire  définitive  de  la  musique  à  cette 
époque  si  obscure  et  si  troublée,  où  le  plain-chant  élail  la  seule 
forme  d'art  qui  fût  digne  de  es  nom.  C'était  bien  un  art,  en  effet, 
quoique  n'ayant  pas  été  créé  dans  un  but  artistique  :  mais  quelle 
est  l'époque,  quel  est  le  peuple  qui  a  jamais  pu  se  passer  de  mu- 
sique? Aucun,  cela  est  historiquement  démontré.  Les  anecdotes 
abondent  pour  montrer  quel  intérêt  purement  artistique  et  indépen- 
dant de  tout  sentiment  religieux  y  prenaient  parfois  les  gens  du 
moyen- âge.  Nous  avons  vu  plus  haut  qu'un  des  plus  grands  papes 
de  ce  temps  se  voyait  obligé  de  rappeler  à  l'ordre  des  prêtres  qui 
no  voyaient  dans  la  célébration  des  offices  qu'une  occasion  de  faire 
des  effets  do  chanteurs.  M.  Gevaert  nous  conle  encore  une  anecdote 
curieuse  rapportée  par  Grégoire  de  Tours.  Un  jour  que  le  docte 
évêque  avait  à  sa  table  le  roi  Gontran,  celui-ci,  s'extasiaut  sur  le 


chant  d'un  graduel  qu'il  avait  entendu  la  veille  à  la  messe,  fit 
venir  les  officiants  et  les  chantres  et  leur  donna  l'ordre  de  le  lui 
faire  entendre  derechef.  Singulière  chanson  de  dessert,  que  les 
habitués  des  anciens  dîners  du  Caveau  auraient,  assurément,  trouvée 
un  peu  austère  ! 

Cette  histoire,  nous  espérons  bien  que  M.  Gevaert  nous  la  don- 
nera sans  trop  tarder.  Sa  publication  d'aujourd'hui,  peu  étendue, 
ne  peut  en  être  considérée  que  comme  un  premier  chapitre,  ou,  plus 
exactement,  un  résumé  anticipé,  un  canevas  :  l'éminent  auteur  de 
l'Histoire  de  la  musique  de  l'antiquité  nous  la  doit  dans  tout  son  dé- 
veloppement. Il  nous  montrera  alors  le  détail  de  la  création  des 
chants  liturgiques,  leurs  auteurs,  et  le  rôle  exact  de  ceux-ci  dans 
la  composition  soit  des  textes,  soit  des  mélodies;  il  nous  dira  sur- 
tout quel  était  le  véritable  caractère  de  la.  composition  musicale  en 
ce  temps-là,  quelle  part  y  avait  l'imagination,  l'invention,  la  per- 
sonnalité (M.  Gevaert  a  donné  quelques  indications  là-dessus,  mais 
trop  brièvement  et  sans  exemples  à  l'appui,  chose  indispensable 
pour  une  pareille  élude).  Nous  voudrions  aussi  qu'il  étendît  le 
champ  de  ses  observations  quelque  peu  davantage  :  qu'il  insistât 
plus  qu'il  ne  le  fait  sur  la  période  primitive,  représentée  par  le 
chant  des  églises  d'Orient  et  de  celle  de  Milan  avec  saint  Ambroise; 
qu'il  nous  parlât  aussi  du  chant  religieux  en  dehors  de  l'Italie 
avant  la  diffusion  du  chant  romain,  notamment  de  ce  chant  gal- 
lican que  Pépin  le  Bref  et  Charlemagne  eurent  tant  de  peine  à  faire 
disparaître  des  églises  de  France  et  dont  il  reste  peut-être  encore 
ries  vestiges.  Knfin  il  ne  serait  pas  moins  désirable  qu'il  nous  don- 
nât son  avis  sur  quelques-unes  des  questions  à  l'ordre  du  jour, 
non  seulement  celle  de  la  lonalité,  mais  encore  celle,  non  moins 
controversée,  du  rythme  dans  le  plain-chant.  Assurément  ce  pro- 
gramme est  bien  fait  pour  faire  reculer  tout  autre  ;  mais  comme 
il  y  a  fort  longtemps  que  M.  Gevaert  y  travaille,  il  ne  s'élonnera 
pas  que  nous  désirions  le  lui  voir  réaliser;  el  notre  vœu  est  d'au- 
tant plus  naturel  que,  non  seulement  il  nous  a  prouvé  qu'il  est 
dès  à  présent  en  état  de  le  faire,  mais  encore  qu'il  est  le  seul. 

Julien  Tiersot. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 
De  notre  correspondant  de  Belgique  (10  juillet).  —  «  Les  concours  du 
Conservatoire  ont  occupé,  presque  seuls,  pendant  la  quinzaine  dernière, 
l'attention  du  public  qui  s'intéresse  à  la  musique.  Comme  l'an  passé,  je 
vais  brièvement  vous  signaler  les  «  sujets  »  qui  se  sont  distingués  dans 
ces  concours  par  des  mérites  hors  ligne  et  qui  promettent  de  vrais  ar- 
tistes. Il  n'y  en  a  eu  guère  dans  les  classes  d'instruments  à  vent.  Mais 
la  classe  de  violoncelle  de  M.  Jacobs  en  a  produit  un,  M.  Rotondo,  italien 
d'origine,  dont  le  nom  est  à  retenir;  les  qualités  exceptionnelles  qu'il  a 
déployées  annoncent  un  virtuose  de  premier  ordre.  Il  en  a  été  de  même 
dans  la  classe  de  violon  de  M.  Cornélis,  qui  a  mis  en  relief  une  Russe, 
M"e  Von  Stosch,  et  dans  celle  de  M.  Ysaye,  où  M.  Hill,  un  Anglais,  dont 
je  vous  signalais,  lors  du  précédent  concours,  les  rares  aptitudes,  a  rem- 
porté un  des  plus  brillants  premiers  prix  dont  on  se  souvienne  ici  depuis 
longtemps.  Celui-là  surtout  sera,  celui-là  est  déjà  un  artiste!...  Parmi 
les  pianistes,  M.  Storck,  un  Roumain,  s'est  fait  remarquer  particulière- 
ment (classe  de  M.  de  Greef).  Comme  vous  voyez,  ce  sont  les  étrangers  qui, 
en  ce  moment,  tiennent  la  corde  (sans  jeu  de  mots!)  au  Conservatoire  de 
Bruxelles.  Cela  ne  prouve  qu'une  chose  :  l'excellence  de  l'enseignement 
et  la  renommée  de  cet  enseignement  au  delà  de  nos  frontières;  et  il  faut 
croire  que  c'est  simplement  pour  observer  les  lois  do  l'hospitalité  que  nos 
compatriotes  se  laissent  distancer.  Hàtons-nous  de  dire  qu'ils  ne  se  lais- 
sent pas  distancer  toujours  et  que,  eux  aussi,  tiennent  quelquefois  leur 
petite  place  dignement;  il  serait  cruel  de  les  décourager.  Il  s'en  est 
trouvé  notamment  plusieurs,  d'un  réel  mérite,  dans  la  classe  de  piano  de 
M.  Auguste  Dupont  (M110  Hoffmann),  dans  la  classe  de  violon  de  M.  Co- 
lyns,  (M.  Franck),  dans  la  classe  d'orgue  de  M.  Mailly.  Et,  dans  le  con- 
cours de  chant,  ils  ont  été  seuls  vainqueurs.  Ce  concours-là  a  été  très 
brillant.  Il  a  servi  de  très  heureux  début  professoral  à  Mrao  Cornélis- 
Servais,  qui  remplace  son  beau-père,  M.  Cornélis,  admis  à  faire  valoir  ses 
droits  à  la  retraite  après  cinquante  ans  d'un  labeur  fécond,  et  a  consacré 
une  fois  de  plus  la  haute  valeur  de  son  collègue,  M.  Henry  "Warnots, 
dont  la  classe  s'est  encore  distinguée  par  des  résultats  tout  à  fait  sérieux  : 
des  voix  superbes  et  quelques  natures  d'artistes.  A  côté  des  lauréats, 
M.  Fierens,  le  frère  de  la  nouvelle  pensionnaire  de  l'Opéra,  M110  Cuvelier, 
un  mezzo-soprano  magnifique,  MUo  Rollant,  une  gracieuse  chanteuse 
légère,  et  M"lc  Langlois,  une  falcon  qui  parviendra,  —  il  y  en  a  d'autres 
peut-être  plus  justement  applaudis  et  plus  prodigues  encore  d'espérances: 
un  bon  baryton,  M.  de  Backer,  une  chanteuse  dramatique  étonnamment 
bien  douée,  M"°  Goetz,  et  une  chanteuse  à  roulades,  M"eParentani,  ayant 
de  la  sûreté  et  de   «  l'exécution  »  comme  une   artiste  faite.    —  En  dehors 


222 


LE  MENESTREL 


du  Conservatoire,  notre  vie  musicale  a  été  bien  morne.  Le  "Waux-Hall, 
où  l'orchestre  de  la  Monnaie  donne  des  concerts  chaque  été,  a  été  presque 
tout  le  temps  noyé  dans  la  pluie,  et  les  séances  consacrées  aux  écoles 
française,  russe,  allemande,  belge,  etc.,  qu'y  avaient  organisées  M.  Phi- 
lippe Flon,  —  lequel  par  parenthèse  va  quitter  Bruxelles  pour  s'en  aller 
à  Rouen,  —  se  sont  trouvées  bien  dérangées.  La  tentative  n'en  a  pas  moins 
eu  un  commencement  de  réalisation.  Nous  avons  eu  deux  «  Concerts 
Saint-Saëns  »  qui  ont  beaucoup  réussi.  —  Pendant  ce  temps,  la  direc- 
tion de  la  Monnaie  prépare  déjà,  tout  doucement,  sa  réouverture.  Elle 
compte  profiter,  l'an  prochain,  de  l'expérience  difficile  de  ses  commence- 
ments et  ne  rien  négliger  pour  rattraper  le  temps  perdu.  Le  répertoire 
sera  renouvelé  presque  complètement,  fourni  d'oeuvres  nouvelles  et  iné- 
dites, et  la  troupe,  composée  dé  beaucoup  d'éléments  nouveaux,  promet 
d'être  excellente.  A  l'heure  qu'il  est,  presque  tous  les  artistes  sont  en- 
cans. Vous  les  connaissez  :  M"0  Sanderson,  la  créatrice  d'Esc'.armonde  à 
Paris;  Mllc  Nardi,  la  contralto  de  l'Opéra-Comique;  Mm°  Albin-Archam- 
baud,  première  dugazon;  le  ténor  Lafarge,  qui  a  créé  à  Rouen  Samson 
et  Dalila  avec  le  succès  que  l'on  sait;  M.  Dupeyron,  qui  remplira  l'emploi 
de  fort  ténor,  —  une  voix  superbe,  parait-il.  Les  autres  nous  restent  de  la 
troupe  de  l'an  passé  :  Mme  de  Nuovina,  qui  chante  le  grand  opéra  et  le 
demi-caractère;  Mn°  Carrère,  MM.  Bouvet,  Sentein,  Delmas,  Badiali,  etc. 
Tout  cela  formera  un  ensemble  qui  permettra  d'aborder  tout  de  suite  des 
œuvres  importantes  et  donnera  à  la  saison  théâtrale  un  intérêt  artistique 
ininterrompu.  Nous  le  souhaitons  sincèrement  ».  Lucien  Solvay. 

La  musique  aura  une  part  importante  dans  les  grandes  fêtes  qui  vont 

avoir  lieu  à  Bruxelles,  du  20  juillet  au  A  août,  pour  le  soixantième  anni- 
versaire de  l'indépendance  nationale.  M.  Gustave  Huberti  a  été  chargé 
d'écrire  la  musique  qui  accompagnera,  le  20  juillet,  le  grand  cortège  his- 
torique qui  parcourra  la  ville.  Une  cantate  du  même  compositeur,  Naar  de 
School,  sur  des  paroles  de  M.  Emmanuel  Hiel,  sera  exécutée  à  Ixelles,  par 
un  groupe  de  mille  enfants.  Le  21  juillet,  à  A  heures,  sur  la  place  des 
Palais,  devant  la  famille  royale  et  les  grands  corps  de  l'État,  on  exécutera 
un  hymne  :  Union  et  Patrie,  poème  de  M.  Antoine  Clesse,  musique  de 
M.Alfred  Tilman;  cette  exécution  sera  dirigée  par  le  compositeur,  qui 
aura  sous  ses  ordres  quatre  musiques  militaires  et  le  personnel  de  neuf 
sociétés  chorales  ;  on  entendra  ensuite  :  Vlaanderen,  de  MM.  Ryswyck  et 
et  Richard  Hol,  Het  Lied  der  Vlamingen,  de  MM.  Hiel  et  Peter  Benoit,  et 
Ons  Yaderland,  de  MM.  Sevens  et  J.  Block.  Le  23  juillet,  à  11  heures,  au 
théâtre  de  la  Monnaie,  grande  fête  musicale  avec  le  concours  de  800  en- 
fants des  écoles  communales,  dont  voici  le  programme  :  première  exécu- 
tion de  l'oratorio  Kinderlust  en  leed,  paroles  de  M.  Emmanuel  Hiel,  musique 
de  G.  Huberti  ;  le  Prélude,  d'Huberti,  un  chœur  de  Céphale  et  Procris,  de 
Grétry,  les  Norwégiennes,  de  Delibes,  Dans  tes  blés,  de  Gabriel  Pierné,  et  la 
Ruche,  de  Lacome. 

—  Le  jeune  Pietro  Mascagni  continue  d'être  le  héros  du  jour  en  Italie. 
Nous  allons  emprunter  au  compte  rendu  du  concours  Sonzogno,  publié 
par  le  Tcatro  illustralo,  quelques  renseignements  sur  ce  jeune  artiste,  qu'on 
ne  lira  pas  sans  quelque  intérêt.  M.  Pietro  Mascagni  est  le  fils  d'un  bou- 
langer de  Livourne;  il  rencontra  d'énormes  difficultés  dans  son  dessein  de  se 
consacrer  à  la  musique,  et  après  avoir  reçu  à  Livourne  des  leçons  de  MM.  Pra- 
tesi  etSofl'redini,  il  devint  élève  de  M.  Saladino  au  Conservatoire  de  Milan, 
où  il  resta  deux  ans,  grâce  à  l'aide  matérielle  du  comte  de  Larderel, 
mais  sans  cependant  finir  le  cours  régulier  de  ses  études.  Il  parcourut  alors 
diverses  villes  comme  chef  d'orchestre  de  plusieurs  compagnies  d'opérette 
qui  se  disloquaient  l'une  après  l'autre,  jusqu'à  ce  que,  il  y  a  trois  ans,  il 
acceptât  les  fonctions  de  chef  de  la  Société  philharmonique  de  Gerignola, 
petite  ville  située  entre  Eoggia  et  Bari.  Ayant  eu  connaissance  du  concours 
Sonzogno  seulement  deux  mois  avant  le  terme  fixé  pour  celui-ci,  il  ré- 
solutpourtant  de  tenter  l'épreuve,  et  obtint  de  deux  de  ses  amis  de  Livourne 
le  livret  de  Cavalkria  rusticana,  modelé  sur  le  drame  bien  connu  deVerga. 
Ce  livret  lui  parvenait  petit  à  petit,  par  menues  rations  de  quelques  vers 
qui  lui  étaient  adressés  sur  cartes  postales.  Quant  à  la  partition,  elle  fut 
écrite  sans  l'aide  d'un  piano,  que  le  compositeur  nepossédait  pas,  et  elle 
arriva  au  concours  l'une  des  dernières,  le  jour  même  fixé  comme  dernière 
limite  aux  envois.  Cette  partition  produisit  sur  le  jury  une  impression 
extraordinaire,  cette  impression  ne  fit  que  s'accroître  encore  à  l'audition 
de  l'orchestre,  et  l'on  sait  enfin  que  l'œuvre  obtint  auprès  du  public  un 
succès  de  véritable  enthousiasme.  Depuis  un  mois  on  la  traite  à  Rome 
de  chef-d'œuvre.  Nous  ne  saurions  dire  ici  ce  qu'il  en  faut  penser,  mais 
il  n'est  pas  inutile  de  rapporter  ce  mot  d'un  des  membres  du  jury  et 
assurément  des  plus  qualifiés,  M.  Giovanni  Sgambati,  qui  s'écriait,  en 
parlant  de  la  partition  de  M.  Mascagni  :  «  Toute  discussion  est  impossible 
à  propos  de  cette  musique,  qui  fascine  et  qui  émeut.  »  En  réalité,  il 
semble  bien  qu'un  musicien  nouveau  est  né  à  l'Italie,  et  que  son  avenir 
est  assuré. 

—  Les  manifestations  continuent  d'ailleurs  en  l'honneur  du  jeune  artiste. 
On  a  déjà  vu  que  Livourne  lui  avait  fait  fête.  Il  n'en  a  pas  moins  été  à 
Cerignola,  où  il  vient  de  rentrer.  Une  foule  énorme  l'attendait  à  la  gare, 
et  une  immense  acclamation  l'accueillit  à  son  arrivée.  Le  syndic  de  la 
ville,  la  junte  municipale  et  de  nombreux  représentants  do  toutes  les 
classes  de  citoyens  étaient  présents.  Un  imposant  cortège  de  voitures 
raccompagna  en  ville,  où  il  était  suivi  par  la  foule,  qui  ne  cessait  de 
l'applaudir.  Du  haut  des  balcons,  ornés  do  fleurs,  de  plantes  et   de    dra- 


peaux, les  dames  agitaient  leurs  mouchoirs,  tandis  qu'on  faisait  pleuvoir 
sur  le  triomphateur  une  avalanche  de  fleurs  et  de  papiers  coloriés.  Dans 
la  soirée,  musique  et  sérénades  en  son  honneur.  Tout  cela  est  excessif 
sans  doute,  mais  tout  cela  est  curieux  et,  en  somme,  intéressant,  étant 
donné  l'enthousiasme  méridional,  toujours  extrême  en  ses  manifestations. 
Ajoutons  que  les  éditeurs  s'arrachent  déjà  les  compositions  du  jeune 
artiste,  que  le  dernier  numéro  du  Tealro  illustralo  contient  une  romance 
de  lui  et  qu'une  maison  de  Milan  vient  de  publier  un  recueil  de  six  de 
ses  mélodies. 

—  Nous  lisons  dans  le  Mondo  artislico  de  Milan  :  «  Tamagno  ne  chantera 
plus  !  Les  journaux  en  donnent  la  nouvelle.  Le  célèbre  ténor  aurait  déclaré 
que,  une  fois  terminée  sa  saison  actuelle  dans  l'Amérique  du  Sud,  il  se 
retirerait  dans  sa  villa  de  Varese,  pour  ne  plus  jamais  reparaître  à  la 
scène.  »  Le  journal  milanais  se  répand  en  doléances  sur  cette  prochaine 
retraite  du  fameux  chanteur  italien.  Ma  foi,  le  mieux  est  sans  doute  d'en 
prendre  son  parti.  Ces  gens  qui  ne  considèrent  l'art  qu'au  point  de  vue 
de  ce  qu'il  peut  leur  rapporter,  qui  demandent  carrément  un  million  à  un 
directeur  pour  une  saison  de  trois  mois,  et  qui  crient  à  l'insolence  si  on 
a  le  malheur  de  leur  offrir  999,090  fr.  50  c,  —  ces  gens-là,  quelles  que 
soient  la  beauté  de  leur  voix  et  la  puissance  de  leurs  poumons,  ne  sont 
pas  des  artistes  et  ne  nous  intéressent  en  aucune  façon.  Si  un  coup 
du  ciel  voulait  éteindre  en  un  instant  toutes  ces  prétendues  étoiles,  à  qui 
l'on  sacrifie  bêtement  tout  le  reste,  les  théâtres  y  gagneraient  d'avoir  un 
budget  plus  facile  à  équilibrer,  de  pouvoir  former  de  bonnes  troupes  d'en- 
semble composées  d'artistes  consciencieux  et  d'offrir  à  leurs  spectateurs 
des  exécutions  beaucoup  plus  égales,  meilleures  et  plus  respectueuses  des 
ouvrages  qu'ils  mettent  à  la  scène. 

—  La  Société  de  secours  mutuels  des  artistes  dramatiques  italiens  vient 
de  tenir  à  Milan  une  assemblée  extraordinaire,  causée  par  un  fait  fâcheux. 
Sur  le  capital  social,  qui -est  seulement  de  80,000  francs,  plus  de  la  moitié, 
soit  44,000  francs,  avait  été  placée  en  actions  du  Crédit  foncier  de  Cagliari. 
Or,  cet  établissement  étant  en  déconfiture,  la  plus  grande  partie  de  cet 
argent  est  complètement  perdue. 

—  L'Opéra  impérial  de  Vienne,  en  ce  moment  en  vacances  d'été, 
doit  donner,  dit-on,  dès  l'automne  prochain,  la  première  leprésentation 
d'un  opéra-comique  nouveau  qui  portera  ce  titre  assez  singulier  :  Lili, 
Lola,  Lala. 

—  Nous  empruntons  à  la  Neue  Freie  Presse  les  renseignements  complé- 
mentaires suivants  concernant  le  Mozart- Festspielhans  de  Salzbourg  :  Pour 
ce  qui  est  de  l'aménagement  intérieur  de  l'édifice,  la  salle  de  spectacle 
pourra  recevoir  1,300  personnes  ;  le  parquet  de  840  places  sera  élevé  en 
amphithéâtre  de  20  rangs,  jusqu'au  balcon  composé  de  cinq  rangées  de 
places,  à  la  suite  desquelles  se  trouvent  les  loges;  enfin,  tout  au  fond  de 
la  salle,  il  y  a  la  galerie,  avec  321  places,  réparties  entre  12  rangs.  La  loge' 
impériale  est  située  à  l'avant-scène,  à  la  hauteur  du  balcon,  en  face  d'une 
autre  loge  de  gala  destinée  aux  visiteurs  princiers  ;  deux  loges  spéciales 
de  galerie  sont  réservées  aux  artistes.  Le  blanc,  le  rouge  et  l'or  seront 
les  couleurs  dominantes  dans  l'ornementation.  Le  spectacle  commencera 
à  quatre  heures  du  soir  pour  se  terminer  à  huit  heures,  afin  de  faciliter 
aux  visiteurs  des  nombreuses  villes  d'eaux  environnantes  les  moyens  d'y 
assister.  On  sait  qu'Ischl,  Gmunden  et  Gastein  ne  sont  qu'à  une  très  fai- 
ble distance  de  Salzbourg.  C'est  le  kapellmeister  Schuch  qui  a  été  choisi 
comme  directeur  artistique  de  l'entreprise.  L'installation  nécessitera  un 
capital  de  six  cent  mille  florins  ;  qui  sera  employé  comme  suit  :  construc- 
tion du  Festspielhans  :  350,000  florins;  acquisitions  et  nivellement  de  ter- 
rains :  80,000  florins  ;  dépenses  pour  les  deux  premiers  ouvrages  ;  100,000 
florins  ;  avances  :  20,000  florins  ;  fonds  de  réserve  :  50,000  florins. 

—  La  municipalité  de  Nuremberg  a  décidé  d'instituer  des  séries  de  re- 
présentations annuelles  des  Maîtres  Chanteurs,  de  Wagner,  à  partir  de  l'an- 
née prochaine. 

—  On  signale  la  présence  à  Oberammergau  d'Antoine  Rubinstein.  Le 
maître  est  en  excellente  santé  et  charme  tout  le  monde  par  son  entrain 
et  sa  bonne  humeur.  Il  se  dispose  à  faire  une  saison  à  Badenweiler,  dans 
la  Forêt-Noire. 

—  Nous  avons  parlé  d'un  nouvel  opéra  do  M.  G.Gœpfert,Sorns/ro,  qui 
va  être  représenté  prochainement  à  l'occasion  du  centenaire  de  la  mort  de 
Mozart  et  dont  le  livret  est  une  continuation  de  celui  de  la  Flûte  enchantée. 
L'idée  n'est  pas  neuve.  Une  seconde  partis  ajoutée  à  la  pauvre  pièce  qui  a 
inspiré  la  géniale  partition  de  Mozart  a  déjà  été  écrite  et  ce  n'est  rien  moins 
que  Gœthe  qui  en  est  l'auteur.  Mis  en  musique  par  Peter  von  Winter, 
cet  opéra  a  passé  tout  à  fait  inaperçu. 

—  Un  concours  vient  d'être  ouvert  à  Vienne  pour  l'exécution  du  monu- 
ment' à  la  mémoire  de  Mozart.  Des  prix  de  8,000,  1,000  et  500  guidons 
seront  décernés  aux   trois  meilleurs  projets. 

—  On  vient  de  publier  en  Allsmagne  un  volume  de  poésies  dues  au 
compositeur  Peter  Cornélius,  l'auteur  du  Barbier  de  Bagdad  et  de  plusieurs 
autres  opéras,  dont  un  Cid  dont  il  écrivit  les  paroles  et  la  musique.  Cor- 
nélius, mort  en  1874,  était  le  neveu  du  fameux  peintre  de  ce  nom.  Il  fut 
l'un  des  disciples  les  plus  ardents  de  Richard  "Wagner,  dont  il  défendit 
avec  vigueur  les  théories  dans  divers  journaux,  notamment  dans  l'Echo  et 


LE  MÉNESTREL 


223 


la  Nouvelle  Gazette  musicale,  tout  en  les  pratiquant  comme  compositeur. 
C'était  d'ailleurs  un  musicien  de  talent,  et  l'on  assure  que  ses  vers  sont 
ceux  d'un  véritable  poète. 

—  On  écrit  de  Bozen  que  la  section  Bozen  de  la  Société  alpine,  alle- 
mande et  autrichienne  se  prépare  à  ériger,  sur  les  restes  du  château  où 
il  est  mort,  le  4  août  1443  (Hauenstein  am  Sclhern),  une  pierre  commémo- 
rative  en  souvenir  d'Oswald  von  Wolkenstein,  le  dernier  troubadour  de 
cette  région.  L'inauguration  de  cette  pierre  aura  lieu  le  jour  anniversaire 
de  sa  mort,  soit  le  4  août  prochain. 

—  On  annonce  que  le  pianiste  Xavier  Scharwenka  travaille  en  ce  mo- 
ment à  la  partition  d'un  opéra  intitulé  Masaswintha.  Le  sujet  de  cet 
ouvrage  est  parait-il,  tiré  de  l'histoire  du  fameux  roi  des  Ostrogoths,  Vitigès. 
qui  vivait  dans  la  première  moitié  du  sixième  siècle  et  qui  fut  vaincu 
par  Bélisaire. 

—  Les  journaux  allemands  sont  remplis  en  ce  moment  de  biographies 
et  de  portraits  du  compositeur  Robert  Franz,  à  l'occasion  de  l'accomplis- 
sement de  sa  soixante-quinzième  année.  On  sait  que  M.  Robert  Fianz, 
artiste  extrêmement  remarquable,  pianiste  distingué  et  chef  d'orchestre 
habile,  musicien  formé  à  l'école  de  Bach,  dont  il  a  été  l'un  des  premiers 
à  populariser  les  chefs-d'œuvre,  est  le  compositeur  de  lieder  le  plus  fa- 
meux de  l'Allemagne  contemporaine.  Il  en  a  publié  plus  de  quarante 
recueils,  dans  lesquels  l'élévation  de  la  pensée  et  un  charme  pénétrant 
sont  relevés  par  l'excellence  et  la  solidité  de  la  facture.  M.  Robert  Franz 
est  né  à  Halle  en  1815. 

—  Les  autorités  maltaises  ont  une  singulière  façon  d'encourager  le 
théâtre  et  la  musique,  et  les  conditions  imposées  par  elles  pour  l'entre- 
prise du  théâtre  royal  de  Malte  sont  au  moins  singulières.  La  direction, 
dont  le  traité  aura  une  durée  de  quatre  années,  devra  d'abord  déposer 
un  cautionnement  de  35,000  francs,  soit  en  espèces  sonnantes,  soit  en 
première  hypothèque  sur  des  biens  certifiés,  cautionnement  qui  sera  con- 
servé jusqu'à  la  dernière  heure  du  contrat.  Ce  n'est  pas  tout,  et  le  jour 
de    la   signature    de    celui-ci,  il   devra  verser   une   nouvelle   somme   de 

2,500  francs.  Quant  aux  avantages  qu'on  lui  offre  en  retour ils  sont 

nuls,  et  il  n'a  droit  à  aucune   espèce  de   subvention.   Voilà  qui    s'appelle 
favoriser  les  arts. 

—  Les  journaux  turcs  signalent  la  récente  découverte  faite  à  Troie  des 
ruines  d'un  théâtre,  construit  en  forme  d'hémicycle  et  pouvant  contenir 
environ  deux  cents  spectateurs.  Des  inscriptions  grecques  font  remonter 
cette  construction  à  l'époque  de  l'empereur  Tibère.  Les  dalles  et  les  gra- 
dins sont  en  marbre.  Les  fouilles  ont  amené  au  jour  deux  belles  statues 
de  femmes  également  en  marbre.  y 

—  Bans  ses  mémoires,  publiés  par  Y  American  Musician,  Max  Maretzek 
raconte  comment  la  cantatrice  ElizaHeuzler  est  devenue  l'épouse  du  roi  de 
Portugal  :  «  Elle  était  la  fille  d'un  pauvre  tailleur  de  Boston  et  attira  l'at- 
tention d'un  imprésario  par  sa  ravissante  voix,  la  beauté  de  son  visage 
et  l'éclat  de  ses  grands  yeux  noirs.  Elle  avait  déjà  conquis  la  réputation 
d'une  remarquable  cantatrice  dramatique  lorsque  Dom  Fernand,  époux  de 
la  reine  de  Portugal,  Maria  délia  Gloria,  devint  «  son  protecteur  ».  Peu 
de  temps  après  la  mort  de  la  reine,  il  éleva  la  jeune  Américaine  au  rang 
de  comtesse  d'Edia,  et  à  l'expiration  des  délais  imposés  par  son  deuil,  il 
l'épousa  en  légitimes  noces.  Son  mari  étant  un  prince  de  la  famille  de 
Cobourg,  la  fille  du  tailleur  de  Boston  devint  belle-sœur  de  la  reine  Vic- 
toria, tante  du  prince  de  Galles  et  du  roi  des  Belges  actuel,  enfin  belle- 
mère  du  roi  de  Portugal  régnant.  Quand  la  reine  Isabelle  d'Espagne  fut 
envoyée  en  exil,  M.  de  Bismarck  essaya  de  mettre  un  Hohenzollern  sur  le 
trône  espagnol.  Louis-Napoléon  s'y  opposa...  En  même  temps  il  se  forma 
une  puissante  coalition  de  grands  d'Espagne  résolus  à  offrir  le  trône  à 
Dom  Fernand  de  Portugal.  Mais  les  épouses  de  ces  dignitaires  déclarèrent 
qu'elles  ne  paraîtraient  pas  à  la  Cour  si  la  plébéienne  de  Boston  était 
élevée  au  rang  royal.  Un  compromis  fut  décidé  dans  une  réunion  se- 
crète, où  l'on  décida  de  demander  à  Pie  IX  son  autorisation  pour  un 
divorce.  En  fin  de  compte,  Dom  F'ernand  déclara  qu'il  renoncerait  à  la 
couronne  d'Espagne  plutôt  qu'à  sa  femme  Eliza  Heuzler.  Cet  attachement 
héroïque  eut  donc  pour  conséquences  indirectes  la  guerre  franco-alle- 
mande, la  chute  de  Napoléon  III,  la  perte  de  l'Alsace  -  Lorraine  et  la 
situation  indécise  où  se  trouve  actuellement  l'Espagne.  » 

—  Une  nouvelle  salle  de  spectacles,  de  proportions  gigantesques,  a  été 
inaugurée  dernièrement  à  New-York.  Madison  square  garden  est  le  nom  de 
cet  établissement,  voué  au  «  culte  de  Terpsicbore  ».  Les  deux  ballets 
donnés  le  soir  de  l'ouverture  se  nomment  le  Choix  d'une  fleur  nationale  et 
la  Paix  et  la  Guerre.  Le  concours  d'Edouard  Strauss,  et  de  son  orchestre, 
n'était  pas  un  des  moindres  attraits  de  la  soirée. 

—  On  a  inauguré  récemment  à  San  José,  dans  l'Amérique  du  Nord,  un 
Conservatoire  auquel  on  a  donné  le  nom  de  Conservatoire  de  l'Université 
du  Pacifique. 

—  C'est  le  cas  de  dire  de  celui-ci  qu'il  dîne  de  l'autel  et  soupe  du  théâ- 
tre. Il  parait  qu'à  Saint-Antoine,  dans  le  Texas,  un  «  révérend  »  nommé 
Virgile  Maxey,  a  annoncé  solennellement  à  ses  coreligionnaires  et  conci- 
toyens qu'à  partir  du  1er  septembre  prochain  il  prêcherait  chaque  dimanche 
au  temple,  et  que  les  autres  jours  de  la  semaine  il  paraîtrait  au  théâtre 
comme   acteur,  son"  plus  "viTdésir  étant  de  rapprocher  ainsi  la  scène   de 


la  chaire.  Malgré  la  propension  bien  connue  des  Américains  à  l'excen- 
tricité et  leur  sang-froid  en  présence  des  actes  les  plus  bizarres,  on  assure 
que  cet  avis  a  produit  dans  la.  ville  une  véritable  sensation  d'étonnement. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

—  La  Chambre  des  députés  a  repoussé,  lundi,  en  masse  le  projet  de 
reconstruction  de  l'Opéra-Comique  présenté  par  M.  Delaunay.  Voici  com- 
ment le  Journal  officiel  en  rend  compte  : 

M.  Le  Président.  —  La  parole  est  à  M.  DelauDay  sur  l'ordre  du  jour. 

M.  Delaunay.  —  Comme  rapporteur  de  la  commission  chargée  d'examiner  le 
projet  de  loi  concernant  la  reconstruction  de  l'Opéra-Comique,  d'accord  avec  le 
gouvernement,  je  viens  demander  à  la  Chambre  de  vouloir  bien  fixer  la  discus- 
sion de  ce  projet  à  l'ouverture  de  la  séance  de  samedi  prochain.  (Exclamations 
sur  un  grand  nombre  de  bancs.) 

M.  Jolibois.  —  Votre  four  crématoire  sera  toujours  fait  assez  tôt I  (Rires  à 
droite.) 

M.  Le  Président.  —  Je  mets  aux  voix  la  proposition  qui  vient  d'être  faite  par 
M.  Delaunay. 

(La  proposition  n'est  pas  adoptée.) 

Ajoutons  qu'il  est  sérieusement  question  d'établir  un  square  à  la  place 
de  l'ancien  Opéra-Comique.  N'est-ce  pas  délicieux?  On  a  découvert,  en 
effet,  tout  à  coup  que  les  habitants  du  quartier  étaient  privés  de  promenade 
et,  pour  satisfaire  en  même  temps  leur  goût  prononcé  pour  la  musique, 
on  donnera  à  ce  nouveau  jardin  le  nom  de  square  Boieldieu.  Si  tout  le 
monde  n'est  pas  content  après  cela! 

—  Changement  de  spectacle  à  l'Opéra  pour  la  Fête  du  14  juillet.  On 
représentera  Rigolelto  et  le  Rêve,  au  lieu  de  Zaïre  primitivement  annoncé. 

—  Le  nouveau  contralto  de  l'Opéra,  Mm0  Durand-Ulbach,  a  modestement 
effectué  ses  débuts  vendredi  dernier  dans  le  petit  rôle  de  Madeleine  de 
Rigoletto.  Début  masqué,  puisque  cette  fois  encore  on  n'a  pas  convoqué  la 
presse.  Mais  M.Gailhard  n'en  va  pas  moins  chanter  victoire,  comme  pour 
Mmc  Fierens,  qui  pourtant  a  été  si  médiocre,  l'autre  soir,  dans  les  Hugue- 
nots. Les  deux  falcons  de  l'Opéra,  Adiny  et  Fierens,  n'ont  vraiment  rien 
à  s'envier  l'une  à  Vautre.  Quelle  belle  Académie  que  celle  de  Ritt  et 
Gailhard  ! 

—  On  ne  s'endort  pas  à  l'Opéra,  dit  un  de  nos  confrères,  en  annonçant 
que  le  baryton  Martapoura  repète  le  rôle  de  Rigoletto,  que  Mme  Bosmann 
étudie  celui  d'Eudoxie,  que  Mn,e  Domenech  se  prépare  à  chanter  Léonore 
et  que  Mme  Fierens  abordera  prochainement  l'Africaine.  En  voilà  des  beaux 
projets  et  des  palpitants!  Non  certes  les  directeurs  ne  s'endorment  pas! 
Puisse-t-on  en  dire  autant  du  public  quand  on  le  mettra  à  même  d'ap- 
précier ces  merveilles  ! 

—  Et  l'Opéra-Comique  ne  s'endort  pas  non  plus  !  Ses  portes  sont  fermées, 
nous  dit  Nicolet  du  Gaulois,  et  pourtant  les  chœurs  continuent  à  répéter  le 
Benvenuto  de  M.  Diaz.  Ah!  mais,  voilà  du  zèle,  ou  je  ne  m'y  connais 
pas.  Ce  n'est  pas  tout.  D'après  le  Monde  artiste,  le  caisier  du  théâtre  conti- 
nuerait de  payer  à  caisse  ouverte  tous  ceux  qui,  à  tort  ou  à  raison,  préten- 
dent avoir  quelque  chose  à  réclamer  de  M.  Paravey.  Il  n'y  a  rien  de  tel 
qu'une  bonne  comptabilité  pour  indiquer  la  prospérité  d'une    entreprise. 

—  Et  le  Chàteau-d'Eau?  En  voilà  encore  un  qui  est  réveillé.  Roland  à 
Roncevaux  ne  lui  suffisait  pas.  Il  nous  gratifie  à  présent  d'Ernani,  avec  une 
distribution  étonnante,  nous  disent  les  notes  de  la  direction.  Il  vaut 
mieux  le  croire  que  d'y  aller  voir. 

Voici  les  résultats  des  concours  à  huis  clos,  dont  la  série  s'est  ter- 
minée cette  semaine  au  Conservatoire  : 

Harmonie  (femmes).  —  Jury  :  MM.  Ambroise  Thomas,  président;  Léo 
Delibes,  Ernest  Guiraud,  Th.  Dubois,  H.  Fissot,  Ch.  Lefebvre,  Georges 
Marty,  P.-V.  de  la  Nux  etTaudou. 

•/«■  prix  :  M"e  Markreich. 

2"  prix  :  MUcs  Jozin  et  Boulay. 

/"  accessit:  M1'0  Renié. 

2°  accessit  :  Mlle  Jusseaume. 

Toutes  élèves  de  M.  Lenepveu. 

F'uoue.  —  Jury  :  MM.  Ambroise  Thomas,  Th.  Dubois,  Benjamin  Godard, 
H.  Fissot,  Bazille,  Dallier  et  Raoul  Pugno. 

/era  prix  (&  l'unanimité)  :  MM.  Bondon,  élève  de  M.  Massenet,  et  Galeotti 
élève  de  M.  Guiraud. 

2a  prix  (à  l'unanimité)  :  M.  André,  élève  de  M.  Guiraud. 

1<xs  accessit  :  M.  Briouse,  élève  de  M.  Delibes,  et  M"°  Jaeger,  élève  de 
M.  Guiraud. 

2"  accessit:  Mlte  Ri'vinacb,  élève  de  M.  Massenet. 

Violon,  classes  préparatoires.  —  Jury:  MM.  Ambroise  Thomas,  Charles 
Dancla,  Sauzay,  Maurin,  Madier  de  Montjau,  Gastinel,  Ferrand,  Desjar- 
dins  et  Pénavaire. 

Yres  médailles  :  MM.  Monteux,  élève  de  M.  Garcin  ;  Loiseau  et  Willaume, 
élèves  de  M.  Bérou;  Boucherit,  élève  de  M.  Garcin. 

2°»  médailles  :  M11»  Périgot,  élève  de  M.  Bérou  ;  M.  Fleurdelys,  élève  de 
M.  Garcin. 

3"  médailles:  MM.  L.  Perrier,  élève  de  M.  Garcin;  Patthey,  élève  de 
M.  Bérou;  F.  Touche,  élève  de  M.  Garcin. 

Les  concurrents  étaient  au  nombre  de  21,  dont  4  femmes. 

Piano,  classes  préparatoires  (femmes).  —  Jury:  MM.  Ambroise  Thomas, 


224 


LE  MÉNESTREL 


'  Chèné  ;  Jacquinet, 
Boissée,   élève  de 


Tavpet  ;     Rheims, 


Belaborde,  Th.  Dubois,  Alphonse  Duvernoy,  H.  Fissot,  Pierné,  F.  Thomé 
et  Wormser. 

4"  médailles:  MUcs  Ruelle,  Gérard,  élèves  de  Mmc  Trouillebert  ;  Long,  élève 
de  Mm?  Chéné  ;  Moret,  Givry,  élèves  de  M™  Tarpet;  Chambroux,  élève  de 
M™  Trouillebert;  Vivier,  élève  de  M"  Tarpet. 

2"  médailles:  Mlles  Belville,  G.  Bonnard,  élèves  de  Mml 
élève  de  M™  Tarpet;  Boutoille,  élève  de  Mme  Ghènè; 
jjmo  Tarpet  ;  Louise  Lbôte,  élève  de  Mme  Trouillebert. 

3K  médailles:  Mllcs  Bourgoin,  Dupouy,  élèves  de  Mm 
élève  de  Mme  Chèné;  Cellier,  élève  de  M™  Trouillebert;  Mignet,  élève  de 
Mme  Chèné;  A.  Cathiard,  élève  de  Mm°  Tarpet;  Binon,  élève  de  Mme 
Trouillebert;  Barrellier,  élève  de  Mme  Chèné,  et  Solacoglu,  élève  de 
Mme  Tarpet. 

Les  concurrentes  étaient  au  nombre  de  38.  Le  morceau  d'exécution 
était  le  concerto  en  la  mineur  de  Hummel. 

Piano,  classes  préparatoires  (hommes).  — Jury:  MM.  Ambroise  Thomas, 
Diémer,  Cb.  de  Bériot,  Henry  Duvernoy,  Ed.  Mangin,  O'Kelly,  J.  Philipp, 
Rabuteau  et  Wormser. 

/res  médailles  :  MM.  Chadeigne,  élève  de  M.  Anthiome  ;  Wurmser,  La- 
parra  et  Ponsot,  élèves  de  M.  E.  Decombes. 

2es  médailles  :  MM.  Decreus,  élève  de  M.  Decombes,  et  Ravel,  élève  de 
M.  Anthiome. 

3es  médailles:  MM.  Biancheri,  élève  de  M.  Anthiome;  Gallon  et  Cortot, 
élèves  de  M.  Decombes. 

Les  concurrents  étaient  au  nombre  de  18.  Le  morceau  d'exécution  était 
le  3e  concerto  d'Henri  Herz. 

Classe  d'orgue  et  d'improvisation.  (Professeur  :  M.  César  Franck).  Cinq 
concurrents.  —  Jury  :  MM.  Ambroise  Thomas,  président;  E.  Guiraud, 
Bazille,  Th.  Dubois,  Dallier,  Fissot,  Gigout,  Guilmant,  R.  Pugno. 

4eI  prix  :  MUo  Prestat. 

4<*  accessit  :  M.  Tournemire. 

—  Les  concerts  Lamoureux  en  Belgique.  Par  traité  signé  dimanche, 
l'imprésario  Schùrmann  a  engagé  M.  Charles  Lamoureux  et  son  excellent 
orchestre  pour  une  tournée  en  Hollande  et  en  Belgique  au  mois  d'octobre 
prochain.  Les  120  musiciens  composant  l'orchestre  partiront  de  Paris  avec 
leurs  instruments  par  un  train  spécial  qui  les  mènera  directement  à 
Amsterdam.  Tout  le  matériel,  instruments,  partitions,  pupitres,  gradins, 
etc.  (une  caravane  entière),  sera  emporté  de  Paris  sous  la  garde  de  deux  lu- 
thiers et  quatre  hommes  de  service..  Les  frais  s'élèvent  à  plus  de 
10,000  francs  par  concert.  Lamoureux  et  Schùrmann!  Curieuse  associa- 
tion !  Attendons-nous  à  des  querelles  épiques. 

—  M.  I.  Philipp,  un  de  nos  pianistes  les  plus  justement  estimés  vient 
défaire  paraître  un  recueil  d'exercices  spéciaux  extrêmement  ingénieux. 
Ces  exercices  qui  constituent  la  base  la  plus  solide  du  mécanisme,  com- 
prennent six  séries  :  les  extensions,  exercices  de  cinq  doigts,  arpèges, 
tierces,  sixtes  et  autres  doubles  notes,  trilles  et  gammes.  La  seule  indica- 
tion de  ces  matériaux  montre  assez  que  par  leur  classement  logique,  on 
réalise  un  ensemble  des  qualités  les  plus  essentielles  pour  arriver  le  plus 
promptement  possible  à  une  exécution  irréprochable  de  toutes  les  diffi- 
cultés transcendantes  de  la  technique  moderne.  Il  est  permis  de  dire  que 
M.  Philipp  vient  d'ajouter  un  ouvrage  tout  à  fait  original  à  l'enseignement 
du  piano.  Selon  toute  apparence,  les  douze  pages  que  renferme  son  recueil 
d'exercices  de  virtuosité  surnageront  dans  le  naufrage  de  tant  de  gros 
recueils,  que  leur  poids  purement  matériel  entraine  au  fond  de  l'abîme. 

—  Le  Cercle  des  Mathurins  vient  de  donner,  pour  la  clôture  de  la  sai- 
son, une  soirée  musicale  pleine  d'attrait  et  d'intérêt.  Le  ténor  Clément 
(de  l'Opéra-Comique),  MM.  Guidot,  Jean  Périer  et  le  violoniste  Tracol, 
ont  interprété  d'une  façon  très  remarquable  les  compositions  des  membres 
du  cercle:  MM.  Gaston  Lemaire,  Alexis  Noël,  Busser,  etc.  La  jeune  har- 
piste M110  Skoff,  le  petit  Jacques  Berny,  doué  de  merveilleuses  qualités  de 
pianiste,  le  mandoliniste  Gorcinal  et  les  spirituelles  chansons  satiriques 
de  M.  Jules  Oudot.  dites  par  l'auteur,  ont  tour  à  tour  charmé  l'assistance. 


Peur  finir,  les  ombres  chinoises  très  artistiques  de  M.  Bouchard,  le  Voyage 
en  Corse,  une  actualité  brûlante. 

—  Les  concerts  de  la  Tour  Eiffel,  que  dirige  si  habilement  le  chef  d'or- 
chestre Auvray  luttent  victorieusement  contre  le  mauvais  temps,  grâce  à 
l'attrait  des  programmes  et  à  l'excellence  des  solistes  chanteurs,  le  ténor 
Rondeau  auquel  on  bisse  la  Sancla  Maria  et  le  Crucifix  de  Faure,  le  ba- 
ryton Dimitri,  M"cs  Mélodia,  Lavigne,  Nettlingham  et  Maréchal. 

—  Le  mercredi  2  juillet,  Mme  Dignat,  dont  l'enseignement  musical  est 
si  apprécié,  réunissait  dans  ses  salons,  10,  rue  d'Auteuil,  les  nombreuses 
élèves  de  ses  cours  de  piano  et  de  musique  d'ensemble,  ce  cours  spécial 
est  confié  à  M.  Diaz  Albertini  le  disciple  et  continuateur  des  traditions 
d'Alard.  Cette  brillante  audition,  véritable  concert  de  famille,  s'est  termi- 
née par  la  remise  faite  aux  élèves  les  plus  méritantes,  de  certificats  d'é- 
tudes et  de  diplômes  classés  suivant  le  chiffre  des  bons  points  obtenus  et 
des  notes  de  l'année.  Marmontel  père  entend  chaque  mois  les  élèves  du 
cours  supérieur,  et  grâce  à  l'émulation  produite,  les  progrès  des  jeunes 
virtuoses,  sont  des  plus  remarquables. 

—  Les  deux  auditions  d'élèves  données  à  Toulon  par  l'excellent  profes- 
seur M.  Gustave  Baume  ont  été  de  tous  points  réussies.  Toutes  ces  petites 
virtuoses  du  piano  ont  fait  merveille  et  attestent  la  supériorité  de  l'ensei- 
gnement qui  leur  est  donné.  Les  programmes  étaient  composés  avec  un 
goût  charmant.  A  la  première  matinée,  on  a  surtout  remarqué  les  mor- 
ceaux suivants  :  le  charmant  rondo  de  la  Fontaine  de  Jouvence  par  Thomé, 
le  Joyeux  Rigaudon  de  Broustet,  un  Rêne,  mélodie  de  Lassen,  transcrite  par 
Gustave  Lange,  le  Rèoe  du  prisonnier  de  Rubinstein  transcrit  par  Charles 
Neustedt,  Le  long  du  chemin,  d'Antonin  Marmontel,  la  Libellule  et  la  Valse  de 
Pugno  et  enfin  la  superbe  suite  à  deux  pianos  de  Théodore  Lack  sur 
Sylvia.  Dans  la  seconde  matinée,  les  morceaux  les  plus  applaudis  ont  été  : 
Pulcinella,  Marivaudage,  Gavotte,  Romance,  Soir  d'été,  et  Soir  d'hiver,  ces  six 
morceaux  de  Raoul  Pugno,  la  /re  Valse  hongroise  et  la  Valse  rapide  de  Lack, 
la  Gigue  et  il  dolee  farniente  de  Wormser,  la  Valse-Sérénade,  l'intermezzo  et 
le  2°  scherzo  d'Antonin  Marmontel,  et  enfin  l'originale  Sérénade  tunisienne 
de  Georges  Pfeiffer. 

—  Un  intéressant  concert  a  été  donné  le  29  juin  à  Laval  par  la  Lyre 
lavalloise,  avec  le  concours  de  Mllc  de  Montalant,  qui  a  enthousiasmé  le 
public.  M.  Montecchi,  professeur  de  violoncelle  à  Rennes  a  fait  preuve 
de  beaucoup  de  talent  et  de  virtuosité.  MM.  Pavot,  basse,  Robillard  mo- 
nologuiste,  et  Beauchesne,  accompagnateur,  ont  eu  leur  part  de  succès 
dans  ce  concert  organisé  avec  goût  par  M.  Prosper  Morton,  l'habile  direc- 
teur de  la  Lyre. 

NÉCROLOGIE 

De  Naples  on  annonce  la  mort  d'un  artiste  modeste  et  distingué,  Alfonso 
Guercia,  compositeur  aimable,  professeur  de  chant,  et  depuis  de  longues 
annnées  titulaire  d'une  des  classes  de  chant  du  Conservatoire  de  cette 
ville.  Guercia  a  publié  plus  de  vingt  recueils  de  mélodies  à  une  ou  plu- 
sieurs voix,  qui  pour  la  plupart  se  font  remarquer  par  une'gràce  touchante 
et  un  sentiment  pénétrant.  Il  a  abordé  une  fois  la  scène,  mais  sans  grand 
succès,  en  donnant  au  théâtre  Mercadante,  le  14  décembre  1875,  un  opéra 
sérieux  intitulé  Rita,  dont  la  musique  fort  honorable,  manquait  de  chaleur 
et  de  mouvement.  On  doit  encore  à  cet  artiste  une  méthode  de  chant  fort 
importante,  adoptée  dans  les  classes  du  Conservatoire  de  Naples  et  pu- 
bliée' sous  ce  titre  :  L'Arle  del  canto  italiano.  Guercia  était  né  à  Naples  le 
13  novembre  1831. 

—  On  apprend  de  Moscou  le  suicide  d'une  jeune  chanteuse,  Mllc  Olga 
Betuzki,  qui  s'était  fait  remarquer  dans  quelques  villes  d'Italie,  notam- 
ment à  Mantoue.  Cette  infortunée  jeuue  femme,  qui,  dit-on,  était  d'une 
beauté  splendide,  s'est  trouvée,  avec  sa  mère,  réduite  à  la  plus  extrême 
misère,  et  c'est  pour  cela  que  toutes  deux  se  sont  asphyxiées. 

Henri  Heugel.  directeur-géiant. 


En  vente  an  Ménestrel,  2  bis,  rue  Tivienne,  Édition  Sonzogno 


GRAND  SUCCES  DU  THÉÂTRE  ÀRGENTINÀ  À  ROME 

CAVALLERIA    RUSTICANA 


PARTITION  ITALIENNE 


(L'HONNEUR    AU    VILLAGE) 

MÉLODRAME   EN    UN   ACTE 
MUSIQUE   DE 

PIETRO  MASCAGNI 


PRIX  NET  :  10  FRANCS 


IME11IE  i.iniï.  —  RUE  iti.m.i  iu.,  31),  l'ABIS 


30M  —  56™  ANNEE  —  N°  29.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES  Dimanche  20  Juillet  1890. 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  l'r.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  £0  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  l'r.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  Irais  de  poste  eu  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste:  Georges  Bizet  (10'  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Semaine 
théâtrale:  Les  spectacles  gratuits  du  l-'i  juillet;  nouvelles,  H.  Mobeno.  — 
III.  Une  représentation  de  Henri  VIII  au  théâtre  du  Globe,  à  Londres,  en 
juin  1613.  —  IV.  Histoire  vraie  des  héros  d'opéra  et  d'opéra-comique  (37"  article): 
Turlupin,  Edmond  Neukomm.  —  V.  Nouvelles  diverses. 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  la 
DEUXIÈME  VALSE  HONGROISE 

de  Théodore  Lack.  —  Suivra  immédiatement:  la  Romance  de  Joconde,  trans- 
crite et  variée  par  Charles  Neustedt. 

CHANT 
Nous   publierons   dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant  :    l'Étoile,  mélodie   de  Lijinander,  poésie  de  A.   Van  Hasselt.  — 
Suivra  immédiatement:  Vous  ne  m'avez  jamais   souri,  nouvelle  mélodie    de 
G.  Verdali.e,  poésie  de  M.  Helliot. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


GEORGES   BIZET 


L'ouvrage  était,  en  effet,  terminé,  peu  de  temps  après  celte 
lettre  —  non  datée,  —  mais  qui  doit  remonter  au  courant 
de  l'été  de  1873.  Ce  fut  dans  la  dernière  semaine  de  sep- 
tembre de  celte  même  année  que  Georges  Bizet  nous  réunit 
pour  nous  faire  entendre  sa  partition. 

Soirée  tout  intime,  des  plus  intéressantes,  restée  nettement 
présente  à  mon  esprit.  Autour  du  piano,  Edouard  Blau, 
Faure  et  moi;  Bizet,  aux  prises  avec  lui-même  pour  ainsi 
dire,  car  sa  parlition  ne  contenait  sous  la  partie  vocale  que 
des  indications  pour  la  mise  en  partition  définitive  et  il 
devait  improviser,  en  s'aidant  de  ces  jalons,  un  accompa- 
gnement, en  même  temps  qu'il  chantait  tous  les  rôles,  de  la 
plus  pauvre  voix  du  monde,  mais  animant  chaque  phrase  de 
cette  flamme  qui  était  en  lui,  s'interrompant  à  peine  entre 
les  actes  et  ne  quittant  le  clavier  qu'après  avoir  indiqué, 
chanté,  déclamé  jusqu'à  la  dernière  note  cet  ouvrage  qui 
nous  sembla,  à  cet  instant,  définitivement  entré  dans  la  vie. 

Minuit  avait  sonné  depuis  longtemps  que  nous  en  étions 
encore  a  nous  entretenir  de  ce  que  nous  venions  d'entendre, 
Faure  approuvant,  argumenfant  çà  et  là,  Bizet  l'écoutant 
avec  déférence,  puis  tous  nous  demandant  quelle  serait 
bientôt  la  destinée  de  cet  opéra,  qui  le  jouerait,  ce  qu'en 
penserait  Ilalanzier? 

L'influence  de  Faure  devait  compter   pour  beaucoup  dans 


nos  espérances.  —  Et  déjà,  de  concert  avec  lui,  on  se  de- 
mandait quelle  serait  la  Ghimène  de  ce  Rodrigue?  —  On  se 
sépara,  avec  la  résolution  de  se  mettre  dès  le  lendemain  en 
campagne. 

A  travers  les  rues  noires  et  désertes,  Edouard  Blau  et  moi 
nous  reconduisîmes  Faure,  leutement,  en  causant  de  l'avenir 
de  cette  œuvre  d'une  si  vivante  passion  et  d'une  couleur  si 
rare. 

Et  le  lendemain,  Georges  Bizet,  nerveux,  inquiet  de  savoir 
quelle  impression  vraie  il  avait  produite  sur  son  futur  inter- 
prète, accourait  chez  moi  et  ne  m'ayant  pas  rencontré 
m'écrivait  ces  quelques  lignes  : 

«  Je  suis  allé  chez  vous  ce  soir  à  l'heure  du  diner.  Je  ne 
veux  pas  me  coucher  sans  avoir  un  mot  de  vous.  Quelle  est 
votre  impression  sur  la  séance  d'hier?  Qu'avez-vous  dit  en 
sortant?  Qu'espérez-vous?  Que  craignez-vous?  Et  quand  vous 
verrai-je?...  » 

Rassuré  aussitôt  au  sujet  des  craintes  que  sa  modestie 
pouvait  lui  inspirer,  notre  compositeur  devait  recevoir  peu 
après  la  confirmation  de  ce  que  j'avais  pu  lui  dire  d'encou- 
rageant, en  m'inspirant  de  notre  entretien  particulier  avec 
Faure. 

«  J'ai  vu  Faure,  m'écrivail-il  presque  immédiatement.  Il 
m'a  répété  tout  ce  que  vous  m'avez  dit.  J'ai  été  vraiment 
très  touché  de  sa  cordiale  amabilité.  » 

L'avenir  semblait  donc  s'offrir  tout  souriant  à  l'œuvre  nou- 
velle. La  rue  Le  Peletier  et  la  rue  Drouot  nous  semblaient 
toutes  fleuries  de  nos  espérances  et  le  monument  de  l'Acadé- 
mie Nationale  de  Musique  avec  sa  façade  sur  la  première  de 
ces  rues,  et  sur  la  seconde  sa  cour  verdoyante,  ses  bâti- 
ments administratifs  et  ce  beau  cabinet  directorial  où  on 
décidait  de  la  destinée  des  œuvres,  nous  apparaissait  dans 
une  rayonnante  lumière... 

Quelques  semaines  après  l'audition  de  la  partition  de 
Georges  Bizet,  sujet  de  tant  de  beaux  rêves,  le  28  octobre  1873, 
l'Opéra  brûlait! 

Cet  incendie  de  l'Opéra  jeta  les  choses  de  la  musique  dans 
un  grand  désarroi,  en  ce  qui  nous  touchait  tout  au  moins. 
La  Coupe  du  Roi  de  Thulé,  qui  venait  de  dépasser  sa  vingt  et 
unième  représentation,  disparut  dans  cette  catastrophe  et 
notre  Cid,  ou  pour  parler  mieux  selon  les  intentions  de  Bizet, 
notre  Don  Rodrigue,  après  nous  avoir  inspiré  de  grandes  es- 
pérances, commença  à  nous  donner  de  très  sérieuses  inquié- 
tudes. Qu'allait-il  advenir?  Qu'allait  répondre  la  direction  de 
l'Opéra?  Pendant  combien  de  temps  le  mouvement  musical 
allait-il  être  arrêté? 

Enfin,  la  salle  Ventadour  donna  asile  à  la  troupe  de 
l'Opéra,  comme   quelques  mois  auparavant  elle  avait  donné 


226 


LE  MÉNESTREL 


asile  à  celle  du  Théâtre-Lyrique,  pendant  les  réparations 
rendues  nécessaires  par  l'incendie  de  la  scène  de  la  place 
du  Châtelet. 

On  recommença  les  représentations  avec  les  œuvres  du 
répertoire  ;  cela  pouvait  suffire  pour  les  premières  semaines; 
toutefois  la  mise  à  l'étude  d'une  œuvre  nouvelle  s'imposait. 
L'opéra  de  G.  Bizet  était  en  première  ligne  sans  doute  ;  l'ap- 
pui de  Faure  lui  était  assuré;  des  sympathies  nombreuses 
l'entouraient;  mais  le  compositeur  était  encore  fort  jeune, 
ses  collaborateurs  ne  comptaient  à  leur  actif  que  cette  Coupe 
du  Roi  de  Thulé  déjà  disparue  et  un  ou  deux  menus  ouvrages; 
tous  les  trois  manquaient  fort  d'autorité. 

Un  coup  de  fortune  seul  pouvait  les  tirer  d'affaire.  Il  fallut 
bientôt  renoncer  à  cette  fragile  espérance.  Au  Don  Rodrigue 
de  G.  Bizet  fut  préféré  l'Esclave  de  Membrée.  L'Esclave  eut  un 
petit  nombre  de  représentations  et  fut  bientôt  entraîné  dans 
le  tourbillon  où  s'engloutissent  les  œuvres  quelconques. 

Voilà  comment  ne  fut  pas  joué  alors  ce  Don  Rodrigue,  qui, 
hélas  1  ne  devait  jamais  l'être! 


Bien  que  s'occupant  en  même  temps  du  Cid  et  de  Carmen 
et  aussi,  je  crois,  de  cette  délicieuse  Artésienne  qui  vit  le 
jour  vers  la  même  époque,  —  je  ne  contrôle  pas  les  dates, 
je  me  contente  de  me  laisser  aller  au  courant  de  mes  sou- 
venirs, —  Georges  Bizet  eut,  entre  temps,  une  idée  dont  il 
m'entretint  un  jour  très  longuement. 

L'année  précédente,  J.  Massenet  avait  fait  exécuter  avec  un 
éclatant  succès  son  drame  sacré  «  Marie-Magdeleine  »  sur  la 
scène  de  l'Odéon.  L'émulation  de  G.  Bizet  avait  reçu  alors 
comme  un  coup  d'aiguillon. 

—  Ce  petit-là  est  en  train  de  nous  passer  sur  le  ventre,  me 
dit-il,  un  matin. 

Et  tout  de  suite,  il  me  demanda  d'écrire  à  son  intention 
un  poème  dont  Geneviève  de  Paris,  la  sainte  Geneviève  de  la 
légende,  serait  l'héroïne. 

Après  la  lecture  de  certain  travail  historique  sur  l'humble 
bergère  de  Nanterre,  tous  les  tableaux  de  l'œuvre  future  lui 
étaient  apparus  :  Geneviève  enfant  recevant  la  bénédiction  de 
l'évêque  Germain  d'Auxerre  ;  Geneviève  triomphant  de  l'Es- 
prit du  mal,  et  consolant  les  fugitifs  chassés  de  leurs  de- 
meures par  l'approche  d'Attila  ;  le  camp  d'Attila  ;  Geneviève 
conjurant  l'orage,  et  menant  miraculeusement  vers  Paris  as- 
siégé et  affamé  un  bateau  chargé  de  blé  ;  Geneviève  raffer- 
missant le  courage  des  Parisiens  et  finalement  triomphant 
d'Attila  par  la  seule  efficacité  d.e  sa  prière. 

Le  sujet  offrait  une  grande  diversité,  la  partie  symphonique 
y  jouait  un  rôle  important;  l'amour  n'y  intervenait  qu'à  titre 
purement  épisodique.  Le  poème  fut  assez  rapidement  écrit, 
selon  cette  conception  ;  Bizet  le  trouva  à  son  gré  et  un  beau 
matin,  nous  nous  acheminâmes,  tous  deux,  vers  la  cité 
Frochot,  où  habitait  alors  Charles  Lamoureux,  arbitre  des 
destinées  de  Geneviève  de  Paris. 

La  lecture  du  poème  produisit  sur  ce  dernier  l'effet  que 
nous  en  espérions.  Il  encouragea  Bizet  à  se  mettre  prompte- 
ment  à  l'œuvre.  Désenchanté  par  la  récente  mésaventure  de 
Don  Rodrigue  et  aussi  par  certains  retards  apportés  encore  à 
la  mise  à  l'étude  de  Carmen,  déclarant  assez  volontiers,  avec 
l'exagération  naturelle  aux  esprits  déçus,  qu'il  n'y  avait  plus 
rien  à  faire  au  théâtre,  il  ne  demandait  pas  mieux  que  de 
dériver  vers  le  concert  les  forces  dont  le  théâtre  lui  refusait 
l'emploi. 

On  était  au  printemps  de  1875.  Les  études  de  Carmen 
avaient  été  sérieusement  entreprises.  Décoré  presque  à  la 
veille  de  la  première  représentation,  Bizet  à  qui,  à  ce  propos, 
les  envieux  versèrent  encore  quelques  gouttes  de  fiel,  avait 
vu  eniin  son  nouvel  ouvrage  sur  l'affiche.  —  Durant  ces 
mois  rapidement  écoulés,  Geneviève  de  Paris  avait  été  forcé- 
ment délaissée. 


Quand,  au  lendemain  de  Carmen,  Bizet  se  retrouva  libre,  sa 
pensée  le  ramena  aussitôt  vers  cette  figurg,  qui  devait  le 
tenter  alors  d'autant  plus  qu'elle  faisait  un  saisissant  con- 
traste avec  celle  de  l'impétueuse  et  capricieuse  héroïne  de 
Mérimée. 

Mai  venu,  il  comptait  aller,  comme  à  chaque  été,  s'établir 
à  sa  campagne,  à  Bougival 

Il  y  devait  aller,  en  effet,  vivre  ses  derniers  jours! 
(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THÉÂTRALE 


Nous  sommes  loin. déjà  des  fêtes  du  14  juillet;  et  pourtant  il  nous 
en  faut  bien  parler  quelque  peu,  tout  au  moins  à  titre  documentaire.. 
Aux  spectacles  gratuits,  nous  ne  sommes  pas  allé  ;  mais  Nicolet, 
qui  a  eu  plus  de  courage,  nous  en  donne  dans  le  Gaulois,  une  narra- 
tion vive  et  animée  que  nous  lui  empruntons  sans  vergogne  : 

A  I'OpiSra,  il  faut  remonter  à  plusieurs  années  en  arrière  pour  trouver 
une  aussi  grande  affluence  de  public.  On  a  refusé  plus  de  quinze  cents 
personnes.  La  queue  avait  commencé  à  se  former  dans  la  nuit  et,  au  lever 
du  jour,  il  y  avait  déjà  assez  de  inonde  pour  garnir  toute  la  salle.  Beaucoup 
d'appelés  et  peu  d'élus  !  Spectacle  très  attrayant,  du  reste,  et  tout  nouveau 
pour  le  public  gratuit  :  Rigolello,  qui  n'avait  jamais  été  donné  en  représen- 
tation gratuite.  Et  quand  nous  disons  jamais,  nous  voulons  tout  aussi  bien 
parler  de  l'ancien  Théâtre-Lyrique  et  des  Italiens  que  de  l'Opéra.  Puis, 
le  Rêve,  avec  l'incomparable  Mauri!  L'aspect  delà  salle  est  celui  des  années 
précédentes.  Public  très  mélangé.  Les  premiers  arrivants  se  sont  emparés 
des  meilleures  places  et  la  blouse  ne  s'est  pas  effacée  devant  la  redingote. 
L'ouvrage  de  Verdi  et  ses  interprètes  sont  couverts  d'applaudissements. 
Entre  les  deux  pièces,  M.  Gresse,  dans  l'uniforme  popularisé  par  la  gra- 
vure de  Rouget  de  Lisle,  chante  la  Marseillaise,  que  la  foule  répète  en 
chœur. 

Il  était  curieux  de  voir  quel  accueil  ce  public  spécial  ferait  au  ballet  de 
M.  Gastinel.  Eh  bien  !  il  l'a  beaucoup  goûté,  et  la  ravissante  Mauri  a  eu 
presque  autant  de  succès  que  l'hymne  «  patriotique  ».  Elle  se  souviendra 
de  cette  journée  qui  a  été  pour  elle  un  triomphe.  Aussi,  elle  remerciait 
ce  public  bon  enfant  qui  lui  faisait  fête  et  ne  lui  a  pas  marchandé  ses 
œillades  et  ses  sourires.  Ses  camarades  ne  se  sont  pas  montrées  aussi 
prodigues.  Et  pourquoi  cela,  mesdemoiselles?  Le  peuple  souverain  n'a 
qu'un  jour  dans  l'année...  Pourquoi  ne  lui  avoir  pas  donné  la  fête  complète"? 

Après  ce  spectacle,  boulevard  Haussmann,  les  spectateurs  s'étaient 
portés  en  masse  à  la  sortie  du  théâtre,  et  les  applaudissements  de  la  salle 
recommençaient  à  chaque  apparition  d'un  visage  qu'on  croyait  reconnaître. 
Quand  Rosita  Mauri  a  paru  à  son  tour,  toute  emmitouflée,  c'était  du 
délire  dans  toute  cette  foule.  Pour  un  peu  on  aurait  dételé  sa  voiture  et 
on  l'aurait  reconduite  à  son  domicile.  Triomphe  de  la  chorégraphie  sur 
toute  la  ligne  ! 

A  la  Comédie-Fiunçaise,  dès  huit  heures  du  matin,  il  y  avait  sous  le- 
péristyle,  du  monde  pour  attendre  l'ouverture  des  portes.  A  onze  heures, 
il  était  déjà  certain  que  tous  ceux  qui  étaient  venus  avec  l'espoir  d'ap- 
plaudir la  Fille  de  Roland,  n'entreraient  pas  dans  le  sanctuaire.  L'aspect 
d'une  queue  énorme  se  déroulant  autour  du  théâtre  décourage  beaucoup 
de  gens.  A  midi  quarante,  on  ouvre  les  portes.  En.  huit  minutes,  la  salle 
est  comble  du  haut  en  bas.  Force  est  bien  de  congédier  ceux  qui  sont 
encore  à  la  porte. 

Public  de  petits  bourgeois  et  d'ouvriers  et  qui  s'est  placé  avec  une  sorte 
de  respect  de  la  hiérarchie  sociale.  La  salle  marque,  en  effet,  une  sorte 
d'échelle  de  la  toilette.  —  Le  rideau  se  lève.  —  Toute  cette  salle  ainsi 
composée,  écoute  en  silence,  applaudit  avec  frénésie,  rappelle  les  artistes 
avec  fureur.  Le  beau  drame  de  M.  de  Bornier  a  certes  eu  autant  de  suc- 
cès :  il  n'a  jamais  été  autant  applaudi.  Vox  populi  !  Henri  de  Bornier, 
reconnu  dans  la  salle,  est  acclamé. 

A  quatre  heures,  le  spectacle  était  terminé,  et  la  foule  s'écoulait  silen- 
cieuse en  ruminant  les  beaux  vers  de  la  Fille  de  Roland. 

L'aspect  de  la  salle  est  le  même  à  I'Opéra-Comique  qu'au  Français  ;  même 
empressement,  même  public.  Les  portes  n'étaient  pas  plus  tôt  ouvertes 
que  la  foule,  admise  par  fournées,  s'échelonnait  aux  divers  étages  de  la 
salle.  Fra  Diavolo  et  les  Noces  de  Jeannette,  spectacle  bien  fait  pour  attirer 
les  amateurs  !  On  joue  la  délicieuse  ouverture  de  Victor  Massé.  Tout  le  ' 
public  est  dans  le  ravissement.  La  musique  d'Auber  achève  de  transporter 
toute  la  salle.  La  pièce,  l'orchestre,  les  chanteurs  sont  acclamés  !  Du  haut 
en  bas,  ce  no  sont  qu'applaudissements  et  rappels.  Belle  journée  pour 
l'Opéra-Comique.  Ah  !  si  l'on  consultait  le  suffrage  universel  pour  la  re- 
construction ;  mais  ce  suffrage  à  deux  degrés!  mauvais! 

Cette  journée  marque  une  fois  de  plus  le  triomphe  du  répertoire.  L'en- 
thousiasme de  la  sallo  est  au  comble  quand  le  jeune  ténor  Mouliérat 
apparaît,  revêtu  de  l'uniforme  de  lieutenant  au  21°  régiment  de  grenadiers. 
L'hymne  patriotique  de  Rouget  de  Lisle   obtient  soii  succès  accoutumé. 


LE  MENESTREL 


227 


l'artiste  le  chante  avec  une  ardente  conviction,  avec  une  voix  chaude  et 
bien  timbrée.  Au  refrain,  toute  la  salle  l'entonne  avec  lui.  C'est  la  fin 
•  du  spectacle.  Les  échos  de  la  Marseillaise  se  perdent  dans  les  cintres; 
la  salle  se  vide  comme  par  enchantement,  et,  dans  la  foule,  on  entend 
les  uns  fredonner  les  motifs  de  Fra'-Diavolo,  les  autres  le  chant  de  la 
Marseillaise. 

Même  alïïuence  à  I'Odéon:  Horace  et  le  Barbier  de  Sévillel  Corneille  et 
Beaumarchais  ont  fait  salle  comble  !  Très  panachée,  cette  salle!  Au  bal- 
con, on  se  montre  quatre  citoyens  des  faubourgs,  qui  ne  paraissent  pas 
du  tout  gênés  de  se  trouver  à  coté  de  bourgeois  de  la  rive  gauche,  en 
grande  toilette  !  Le  hasard  n'en  fait  jamais  d'autres.  Le  spectacle  est  écouté 
avec  recueillement,  aussi  bien  la  tragédie  que  la  comédie  !  Et  pendant 
que  l'on  joue  sur  la  scène,  aux  portes  des  loges,  qu'on  a  laissées  ouvertes, 
des  retardataires  cherchent  à  happer  un  morceau  du  spectacle,  un  vers  de 
Corneille,  une  phrase  de  Beaumarchais,  par-dessus  les  épaules  des  pre- 
miers arrivants.  D'autres,  se  résignant  à  ne  pas  trouver  de  place  dans  la 
salle,  se  promènent  dans  le  foyer.  Tout  se  passe  à  merveille,  et  le  classi- 
que a,  une  fois  de  plus,  triomphé  sur  la  rive  gauche,  cette  fois  gratis  pro 
populo. 

Tout  semble  donc  s'être  passé  comme  à  l'ordinaire;  les  fiiands  de 
spectacles  gratuits  ont  été  aussi  nombreux  et  aussi  enthousiastes  que 
les  années  précédentes.  Ce  qu'on  a  eu  en  plus  cette  année,  c'est,  la 
veille  de  la  fête  nationale,  le  13  juillet,  la  double  exécution  dans  la 
-cour  du  Louvre  et  au  Champ  de  Mars,  par  plus  de  deux  mille  orphéo- 
nistes, de  la  Fédérale,  cantate  de  MM.  Jules  Massenet  et  Georges 
"Boyer,  sous  la  direction  de  M.  Edouard  Colonne,  revenu  tout  exprès 
d'Aix-les-Bains.  Le  succès  eu  a  été  immense  et  a  valu  aux  auteurs 
les  félicitations  toujours  flatteuses  du  chef  de  l'Ëta',  M.  Carnot,  qui 
assistait,  avec  toute  sa  cour,  à  l'exécution  du  Champ  de  Mars.  Les 
vers  chaleureusement  patriotiques  de  M.  Georges  Boyer  etla  musique 
enflammée  qu'y  a  adaptée  M.  Massenet  pourraient  bien  faire  de  cette 
.Fédérale  autre  chose  qu'une  œuvre  de  circonstance.  La  Marseillaise  n'a 
•qu'à  se  bien  tenir,  d'autaut  que  le  chant  nouveau  célèbre  les  bien- 
faits de  la  paix,  ce  qui  est  moins  usé  que  les  horreurs  de  la  guerre. 


A  I'Opéra,  par  suite  d'indisposition  (de  la  direction?),  le  début  de 
jjme  Durand-Ulbach  dans  Aida  a  été  remis  à  mercredi  prochain.  Nous 
l'attendrons  très  patiemment,  encore  qu'on  nous  annonce  que 
Mme  Fierens  prendra,  ce  soir-là,  la  place  de  Mlle  Adiny,  en  ce  moment 
en  vacances. 

Les  représentations  du  Rêve  vont  être  interrompues  par  suite  du 
départ  de  Mlle  Mauri,  qui  prend,  elle  aussi,  ses  vacances.  M"0  Eames 
est  partie,  pour  le  même  motif.  Ah  !  çà,  qu'est-ce  qui  reste  alors  à 
l'Opéra?  MM.  Ritt  et  Gailhard.  Ce  n'est  pas  régalant.  Espérons  qu'ils 
ne  tarderont  pas   non  plus  à  quitter  la  place. 

Les  études  du  Mage  son',  remises  au  mois  de  novembre  prochain. 
M.  Massenet  en  profile  pour  remanier  le  rôle  de  la  première  chanteuse, 
tout  d'abord  destiné  à  M'Ie  Sanderson,  en  vue  de  Mnle  Melba.  On 
attend  toujours  le  bon  vouloir  de  Mme  Richard  pour  le  rôle  du 
contralto,  mais  ce  bon  vouloir  tarde  bien  à  se  manifester.  Pour  le 
rôle  du  ténor,  nous  disent  les  notes  officieuses  de  la  direction, 
l'auteur  l'a  toujours  destiné  à  M.  Duc.  Pourtant  voici  un  fragment 
■d'une  correspondance  de  M.  Blavet,  du  Figaro,  en  ce  moment  à  Lon- 
dres qui  semble  prouver  qu'on  l'avait  d'abord  offert  à  M.  Jean  de 
Reszké  : 

La  faveur   dont   cet   artiste   jouit   auprès    du    public   londonnien 

■tient  de  l'affolement,  du  délire.  Il  n'y  a  d'yeux  que  pour  lui,  de  sourires 
■et  de  bravos  que  pour  lui.  Dès  qu'il  ouvre  la  bouche,  toutes  les  profes- 
sional  beauties  tombent  en  pâmoison.  Dès  qu'il  la  ferme,  elles  reprennent 
leur  impassibilité  native.  Les  autres  artistes,  eussent-ils  du  génie,  sont 
comme  s'ils  n'étaient  pas.  Ce  dédain  s'étend  jusqu'aux  femmes.  Si  la  galan- 
terie était  proscrite  de  notre  beau  pays  de  France,  ce  n'est  pas  à  Covent- 
Garden  qu'on  la  retrouverait. 

Il  me  faudrait  la  plume  de  feu  Fervacques  pour  décrire,  comme  il 
■convient,  la  journée  du  ténor.  Le  matin,  on  lo  voit  à  Rottcnrow,  caraco- 
lant parmi  les  jeunes  misses  aux  tresses  d'or  flottantes  et  saluant  d'un 
petit  geste  amical  le  prince  de  Galles,  le  duc  d'Orléans  et  les  nobles  lords 
qui  passent  au  galop  de  leur  monture.  Vers  une  heure,  il  répète  à  Covent- 
Garden,  comme  répétait  autrefois  la  Patti,  sans  fatigue,  pour  donner  la 
réplique  aux  camarades.  Après  quoi,  il  fait  gaillardement  honneur  au 
lunch  que  lady  de  Grey,  prévoyante  et  maternelle,  a  fait  servir  dans  le 
■cabinet  directorial.  Et,  le  soir,  il  s'épanouit  dans  sa  gloire  sur  ces  tré- 
teaux transformés  en  autel,  et,  ivre  des  vapeurs  de  l'encens  et  du  parfum 
•des  hosannahs, 

11  s'endort  doucement,  dans  son  rêve  étoile  ! 
Il  faudrait  avoir  l'àme  bien  haute  pour  ne  pas  être  grisé  par  ces  dé- 
monstrations idolâtres  et  pour  ne  pas  les   préférer  aux   suffrages   discrets 
du  public  parisien!  Ces  suffrages-là,  il  est  douteux  que  M.  Jean  de  Reszké 


vienne  les  solliciter  encore.  Je  n'ai  pas  eu  l'honneur  de  ses  confidences, 
mais  M.  Paul  Milliet,  le  librettiste  d'Esmcralda,  les  a  recueillies.  Massenet 
l'avait  chargé  de  dire  au  brillant  ténor  que,  très  désireux  de  lui  voir  créer 
le  Mage,  s'il  était  empêché  cet  hiver,  il  remettrait  la  représentation  de 
son  œuvre  à  l'année  prochaine. 

—  Je  suis  très  sensible  à  l'offre  de  M.  Massenet,  a  répondu  M.  Jean  de 
Reszké,  mais  qu'il  ne  compte  sur  moi  ni  cet  hiver  ni  l'autre.  J'ai  des  en- 
gagements plus  que  je  n'en  puis  accepter;  et  il  est  probable  qu'en  1891, 
après  la  saison  de  Londres,  je  partirai  pour  l'Amérique,  où  je  suis  sollicité 
depuis  deux  ans.  Mais,  alors  même  que  ce  projet  ne  se  réaliserait  pas,  je 
ne  créerai  pas  le  Mage. 

C'est  catégorique,  et  voilà  la  question  de  Reszké  résolue. 

Ce  petit  portrait  du  ténor  favori  des  dames  n'est-il  pas  des  plus 
plaisants?  Nous  sommes  décidément  au  siècle  des  bistrions.  Ils 
triomphent,  ils  nous  submergent.  Tout  pour  le  comédien,  tout  pour  le 
chanteur.  Quel  indice  de  profonde  décadence! 

Les  Folies  amoureuses  de  M.  Emile  Pessard  seront  bien  placées  à 
I'Opéra-Comique,  qui  est  le  théâtre  de  toutes  les  folies.  Aussi  lecture 
en  a-t-elle  été  faite  cette  semaine  et  la  distribution  arrêtée  de  suite  : 
MM.  Fugère,  Albert;  Soulacroix .  Crispin  ;  Carbonne,  Eraste; 
M110  Vuillaume,  Agathe;  Molé-Truffier,  Lisette.  C'est  une  des  dix 
partitions  qui  devront  être  exécutées  à  l'Opéra-Gomique  entre  octo- 
bre et  décembre  et  pour  lesquelles  M.  Paravey  a  pris  des  engage- 
ments. On  sait  qu'il  est  homme  à  les  tenir  tous. 

M.  Verdhurt,  le  directeur  du  nouveau  Théâtre  Lyrique  constitue 
son  état-major.  Il  a  choisi  M.  Georges  Marty  eo  m  me  chef  des  chœurs, 
M.  Lauwers  comme  chef  de  chant  et  M.  Gabriel  Marie  comme  chef 
d'orchestre.  Outre  Samœon  et  Dalila,  il  annonce  la  reprise  de  quelques 
autres  ouvrages  qu'il  va  exhumer  du  fond  des  catacombes  de  l'ancien 
Théâtre-Lyrique.  Qu'il  prenne  garde  de  ne  faire  de  l'Eden  qu'une 
fosse  aux  ours  qui  pourra  entrer  en  rivalité  avec  celle  de  Berne.  Le 
moindre  grain  de  nouveau  mil  ferait  bien  mieux  notre  affaire. 

Il  paraîtrait  qu'une  reprise  de  VOEU  crevé  a  eu  lieu  aux  Menus- 
Plaisirs,  mais  nous  n'y  avons  pas  été  convoqués.  Merci,  Derenbourg. 
Au  jugement  de  nos  confrères,  il  semble  que  la  folie  légendaire 
d'Hervé  n'a  pas  rencontré,  boulevard  de  Strasbourg,  une  interpré- 
tation de  nature  à  hausser  ses  mérites. 

Au  Chate-let  grande  pièce  d'été  :  Orient-express,  quatre  actes  et 
douze  tableaux,  de  M.  Paul  Burani,  musique  de  M.  Gandesone.  C'est 
beaucoup  pour  la  température  que  nous  traversons.  Autant  que  j'ai 
pu  comprendre  à  l'invention  de  M.  Burani,  l'un  des  esprits  les  plus 
fins  de  ce  siècle,  il  s'agit  de  deux  jeunes  couples  qui  font  leur  voyage 
de  noces  à  travers  l'Europe,  ce  qui  nous  fait  voir  avec  eux,  dans  des 
décors  de  carton,  la  Suisse,  le  Tyrol,  le  Danube.  Nous  pensions  même 
pousser  jusqu'à  Constantinople;  mais  arrivés  à  Budapest,  les  jeunes 
mariés  font  la  rencontre  fortuite  de  M.  Gailhard,  l'éternel  voyageur, 
en  quête  de  contraltos  et  de  falcons  destinés  à  tromper  la  confiance 
des  Parisiens,  et  cette  rencontre  les  dégoûte  tellement  qu'ils  re- 
viennent tout  de  suite  sur  leurs  pas  pour  couver  en  paix  leur  lune 
de  miel  dans  la  capitale  de  la  France,  pendant  que  Gailhard  n'y  est 
pas.  On  voit  que  c'est  simple  et  de  bon  goût. 

H.  Moreno. 


UNE  REPRÉSENTATION  DE   HENRI  VIII 

AU  THÉÂTRE   DU   GLOBE 

A    LONDRES,     EN    JUIN    1613 


Nous  sommes  au  temps  de  l'impôt  des  éperons  «  Spur-Money  », 
redevance  que  le  bedeau  de  Saint-Paul,  dans  «  Soutlrwark  »  prélève 
sur  les  cavaliers  qui  voulent  visiter  l'église,  en  partie  occupée  par 
les  «  cockatrices  »  et  leurs  dignes  compagnons  les  filous,  les  cheva- 
liers d'industrie,  c'est-à-dire  les  «  Alphonses  »  du  temps  de  Sha- 
kespeare. 

«  New  Exehange  »  qu'il  faut  traverser  pour  se  rendre  au  théâtre  est 
encore  le  quartier  des  lingères  et  des  tailleurs  de  luxe. 

Dès  la  veille  on  a  fait  savoir  dans  la  ville  par  le  cri  que  pour  cette 
représentation  de  gala  «  les  costumes  seraient  tous  neufs,  que  l'on 
tirerait  le  canon  pendant  la  pièce  et  que  la  plus  grande  pompe  y 
serait  déployée.  »  On  voit  que  les  Anglais  d'il  y  a  doux  cent  soixante- 
dix-sept  ans  entendaient  la  réclame  tout  aussi  bien  que  les  impresarii 
modernes. 


228 


LE  MÉNESTREL 


Aussi  quelle  foule!  c'est  à  peine  si  les  varlets  ou  sergents  de  ville, 
la  masse  à  la  main  et  le  manteau  de  cuir  sur  le  dos,  peuvent  se 
frayer  un  passage.  Lourds  carrosses  qui  se  traînent  plutôt  qu'ils  ne 
roulent,  chevaux  couverts  de  longues  tapisseries  tombant  jusqu'à 
terre  et  balayant  la  boue,  litières  à  bras  emportant  les  «  cockatrices  » 
à  la  mode  chargées  de  bijoux  faux  —  horizontales  de  marque, 
comme  on  dit  aujourd'hui,  —  domestiques  en  livrée  bleue,  soldats 
à  casaque  brune,  bourgeoises  à  bonnets  plais  pendues  a  a  bras  de 
leur  mari,  apprentis  à  toquets  plats,  mules  portant  des  juges,  sou- 
dards en  haillons,  voleurs,  filles,  mendiants,  tout  cela  va  grouillant, 
marchant,  criant,  s'injuriant,  se  poussant,  palaugeant  dans  la  boue 
et  dans  les  immondices,  chacun  s'évertuant  de  son  mieux  pour 
arriver  le  premier  devant  ies  portes  du  théâtre. 


Le  Globe  —  premier  théâtre  de  Londres  —  la  ville  en  bois  —  s'élève 
sur  les  bords  de  la  Tamise,  au  milieu  d'un  terrain  fangeux;  à  travers 
le  brouillard  humide  et  épais  qui  sort  du  grand  fleuve,  pour  s'é- 
tendre comme  un  immense  rideau  gris  sur  la  cité,  on  aperçoit  un 
rideau  rouge  :  c'est  le  drapeau  du  théâtre.  Chaque  troupe  d'acteurs 
a  le  sien,  mais  d'une  couleur  différente  comme  étaient  autrefois  en 
France,  les  affiches  de  spectacle. 

Le  Globe  est  un  édifice  en  bois  qui  ressemble  à  une  forteresse.  Il 
est  à  six  pans,  c'est  un  cône  tronqué  découvert  par  le  haut.  Deux 
toits  pointus,  assez  semblables  à  des  pigeonniers  émergent  juxta- 
posés. C'est  entre  ces  deux  toits  qu'est  planté  le  drapeau  à  hampe 
de  bois  doré  et  qui  annonce  à  la  population  que  le  Globe  ouvrira 
ses  portes. 

C'est  ainsi  qu'aujourd'hui  on  hisse  le  drapeau  national  sur  la  rési- 
dence officielle  du  chef  de  l'Etat  quand  Je  souverain  habile  le 
palais. 

Un  fossé  bourbeux  entoure  l'édifice  qui  n'a  que  deux  portes,  l'une 
réservée  aux  acteurs,  aux  auteurs,  aux  habitués,  aux  gentilshommes 
et  aux  notabilités,  l'autre  au  public. 


Il  est  près  de  trois  heures  de  l'après-midi,  la  foule  va  toujours 
grossissant,  houleuse  et  bruyante,  chacun  veut  pouvoir  lire  l'affiche. 
C'est  une  immense  pancarte  attachée  à  des  poteaux  plantés  autour 
du  théâtre  et  reliés  par  de  fortes  cordes.  Cette  affiche  dont  les  carac- 
tères sont  d'un  rouge  vif  est  ainsi  conçu  : 

a.  ALL  IS  TRUE  an  historical  play  »  c'est-à-dire  :  Tout  cela  est 
vrai,  pièce  historique. 

Pas  un  mot  de  Henri  VIII  ;  Guillaume  Shakespeare  déclare  seu- 
lement qu'il  ne  raconte  que  la  vérité  historique,  la  critique  n'a  pas 
à  s'occuper  de  l'invenlion. 

C'est  en  abrégé  le  procédé  d'Alexandre  Dumas  fils  expliquant  ses 
pièces  dans  une  préface. 

Pendant  qu'on  se  presse  autour  de  la  pancarte,  les  bateleurs,  les 
marchands  de  fruits,  les  débitants  de  tabac,  les  vendeurs  de  livres 
vous  assourdissent  de  leurs  cris  comme  de  nos  jours  les  marchands 
de  journaux  et  les  camelots.  Écoutons!  «  Qui  veut  un  pamphlet?  » 
«  L' Almanach  du  corbeau  »  «  Vénus  et  Adonis  s  par  Guillaume 
Shakespeare,  gentilhomme.  «  A  bas  la  chemise.  »  «  Les  sept  péchés  de 
Londres  »,  etc.,  etc, 

Mais  les  portes  sont  ouvertes  :  on  entre. 

Au-dessus   de  l'entrée   affectée    au   public    payant  se  dresse  une 
colossale  statue  d'Hercule  toute  peinturlurée  de  couleurs  éclatantes. 
Sur  les  épaules  du  fils  d'Alcmène  et  de  Jupiter  uu  globe  d'un  im- 
posant diamètre  sur  lequel  se  lil  l'inscription  suivante  : 
Totus  mundus  agit  histrionem 

Ce  qui  signifie  : 

Le  monde  entier  joue  la  comédie. 

"Vérité  renouvelée  des  Grecs. 

Sur  le  seuil  se  tient  un  homme  vêtu  de  noir  :  c  est  le  receveur. 
C'est  à  lui  que  le  spectateur  remet  son  shilling,  ses  trois  pences 
ou  son  penny  selon  qu'il  ira  s'asseoir  aux  loges,  aux  premières,  aux 
secondes  ou  aux  troisièmes  places. 

II 

Les  privilégiés  entrent  par  le  liring-room  ou  salle  des  répétitions 
séparée  de  la  scène  par  un  rideau.  D'ordinaire  la  scène  est  garnie 
de  feuilles  et  de  branchages,  mais  pour  les  représentations  do  gala 
on  étend  des  nattes  sur  le  sol. 

Un  certain  nombre  de  seigneurs  ont  apporté  leur  tabouret;  ceux 
qui  n'ont  pas  pris  celte  précaution   doivent  payer   un    shilling  au 


valet  de  théâtre  qui  leur  remet  un  escabeau  de  bois  à  trois  pieds  > 
seulement  qu'ils  ne  le  lâchent  pas  une  minute  car  le  loueur  l'aura 
bien  vite  enlevé  pour  le  donner  à  un  autre  moyennant  un  nouveau 
paiement. 

En  attendant  la  pièce,  les  spectateurs  de  l'intérieur  jurent,  voci- 
fèrent, et  criblent  le  rideau  du  fond  de  projectiles  de  toutes 
sortes.,.,  les  gentilshommes  écartent  la  toile  et  répondent  aux  in- 
jures et  aux  projectiles  par  d'autres  projectiles  et  d'autres  injures> 
c'est  une  bataille  en  règle. 

Les  cavaliers  qui  n'ont  pas  de  tabouret  s'assoient  ou  s'étendent 
par  terre  sans  souci  des  besoins  de  la  scène  qui  sera  bienlôt  en- 
vahie. 

Ecartons  le  rideau  et  examinons  la  salle. 

L'intéiieur  est  circulaire  comme  un  cirque,  la  scène  est  séparée 
du  parterre  ou  cour  par  une  rampe  oa  plutôt  par  une  grille  à  hau- 
teur d'homme.  Ce  parterre,  où  l'on  se  tient  debout,  est  exposé  à 
toutes  les  intempéries  de  l'air.  La  scène  est  couverte  par  les  deux 
toits  dont  nous  avons  parlé.  Les  gens  du  parterre  «  understanders  » 
(hommes  du  dessous),  se  tiennent  debout.  Ils  sont  les  ennemis  im- 
placables des  gentilshommes  qui  du  reste  le  leur  rendent  bien. 
Au-dessus  de  la  cour,  ou  parterre,  sont  deux  rangs  de  loges  qui, 
pour  contenir  des  spectateurs  de  distinction,  n'en  sont  ni  moins 
bruyantes  Di  moins  insolentes  que  le  parterre. 

Rien  de  plus  primitif  que  le  décor. 

Voici  celui  de  Henri  VIII. 

Un  soldat  vient  suspendre,  au-dessus  du  rideau,  un  écriteau  qui 
porte  ce  mot  :  «  Londou  »,  ce  qui  informe  le  public  que  la  scène  se 
passe  à  Londres.  Un  autre  accroche  à  la  tapisserie  une  toile  qui  re- 
présente une  fenêtre:  avec  beaucoup  d'imagination  cette  croisée 
indique  une  maison. 

La  décoration  est  complétée  par  un  balcon  élevé  au  fond  du 
théâtre  et  recouvert  d'un  rideau;  ce  balcon  représente  les  mon- 
tagnes, les  toits  des  maisons,  les  fenêtres  où  se  placent  quelquefois 
les  acteurs. 

Il  ne  faut  pas  oublier  la  traverse  :  c'est  un  rideau  placé  au-dessus; 
c'est  derrière  ce  rideau  que  l'on  porte  les  cadavres. des  personnages 
tués  sur  la  scène. 

Comme  on  le  voit,  la  mise  en  scène  est  des  moins  compliquées. 

Deux  loges  soûl  établies  sur  la  scène,  elles  sont  réservées  aux 
musiciens  ;  ce  sont  des  artistes  au  service  de  Sa  Majesté,  ils  jouis- 
sent de  grands  privilèges. 

Mais,  trois  appels  de  trompettes  ont  retenti  ;  comme  les  trois 
coups  frappés  aujourd'hui  derrière  la  toile  ils  annoncent  que  le 
spectacle  va  commeocer. 

Le  rideau  s'écarte  en  deux  parties  et  l'acteur  du  «  prologue  », 
couvert  d'un  manteau  de  velours  noir,  s'avance  avec  une  branche  de 
laurier  à  la  main.  Le  tumulte  s'apaise  peu  à  peu  et  Barbudge  —  • 
c'est  le  nom  du  comédien,  aimé  du  public  à  cette  époque  —  com- 
mence sa  harangue  absolument  comme  au  temps  d'Eschyle,  de 
Sophocle  et  de  Térence;  comme  eux,  il  termine  par  une  formule 
qui  rappelle  celle-ci  :  Plaudite  cives.  Bien  entendu,  le  «  Prologue  » 
a  le  soin  d'insister  sur  le  caractère  essentiellement  historique  de 
l'œuvre. 

Bien  étrange  ce  public,  composé  de  l'élite  et  du  rebut  de  la  popu- 
lation. Aux  loges,  comme  au  parterre,  on  boit,  on  fume,  on  joue 
aux  cartes.  Les  bourgeoises  fument  la  pipe  comme  les  soldats;  sous 
le  voile  de  soie  qui  leur  sert  de  masque  on  voit  passer  le  tuyau  de 
leur  pipe  ;  ainsi  font  les  gentilshommes;  ceux-ci  ont  leur  page  à 
leur  côlé  attendant  que  celui-ci  leur  tende  leur  pipe  qu'ils  allument 
à  une  bougie,  tout  en  dissertant  sur  les  diverses  façons  de  fumer. 
C'est  que  fumer  est  un  art  qui  a  ses  professeurs.  On  discute  sur  la 
meilleure  manière  de  brûler  le  tabac  :  l'un  déclare  que  I'  «  ébullition 
cubéenne  »  est  la  meilleure,  l'autre  que  c'est  V  «  euripe  »,  un  troi- 
sième que  c'est  le  «  whiff  ». 

Avec  1'  «  ébullition  »  on  fait  séjourner  le  plus  longtemps  possible 
la  fumée  dans  l'estomac,  avec  1'  «  euripe  »  ou  l'émet  alternativement 
par  la  bouche  et  par  les  narines  ;  quant  au  «  whiff  »  c'est  une  com- 
binaison très  complexe  qui  lient  des  deux  premières. 

Comme  dans  les  loges,  ils  jouent  aux  caites  et  boivent  sans  se 
soucier  des  injures,  des  délritus  de  toutes  sortes  qui  leur  sont  lancés 
au  milieu  d'un  vacarme  épouvantable  ;  l'atmosphère  est  chargée 
d'une  vapeur  épaisse  et  saturée  des  acres  sen leurs  du  vin,  du  labac, 
de  l'ail.  Si  le  théâtre  n'était  pas  découvert  on  serait  asphyxié  au 
bout  d'une  demi-heure. 


LE  MENESTREL 


229 


m 

Mais  de  formidables  clameurs  s'élèveut  :  les  «  understanders  » 
hurlent,  menacent  d'envahir  la  scène  et  de  piller  le  théâtre  ce  qui 
leur  arrive  assez  souvent  quand  ils  sont  mis  de  méchante  humeur 
par  quelque  incident,  comme,  par  exemple,  un  trop  long  entr'acle. 
Alors,  bagarre!  on  se  cogne  ferme,  pour  peu  qu'on  les  pousse  un 
peu  ils  détruiront  le  théâtre  en  dépit  de  la  résistance  des  acteurs 
et  des  «  gentilshommes  de  l'escabeau  ». 

Cette  fois  entre  le  prologue  et  le  premier  acte  il  s'est  écoulé  plus 
d'une  demi-heure!  Que  s'est-il  passé?  Tout  simplement  ceci  :  la 
reine  Catherine  s'est  fait  attendre  et  le  barbier  n'a  pas  eu  le  temps 
de  la  raser  :  c'est  ce  que  vous  explique  Barbudge,  l'ami  de  Shakes- 
peare, très  respectueusement.  C'est  qu'alors  les  rôles  de  femmes 
étaient  tenus  par  des  adolescents  qui,  bien  que  payés  fort  cher,  ne 
brillaient  pas  par  l'exactitude.  Certaines  comédiennes,  cantatrices, 
ballerines,  en  font  encore  autant  de  nos  jours. 

Enfin  le  souffleur  pread  place,  l'orchestre,  —  un  cor,  un  luth, 
une  basse  de  viole,  un  violon,  —  exécute  un  andante  et  le  premier 
acte  va  commencer. 

Si  les  décors  ne  sont  qu'une  misérable  exhibition  de  haillons,  de 
tapisseries  en  lambeaux,  les  costumes  sont  d'une  richesse  et  d'une 
exactitude  merveilleuses. 

Les  cortèges  sont  splendides.  On  raconte  que  pour  cette  représen- 
tation de  gala  le  directeur  avait  emprunté  les  costumes  de  la  garde- 
robe  de  la  cour  pour  en  vêtir  les  seigneurs  qui  accompagnent 
Wolsey  à  sa  première  entrée,  alors  que  Buckingham  et  Norfolt  de- 
visent sur  les  splendeurs  du  Camp  du  drap  d'or.  Livrées  magnifiques, 
armures  brillantes,  rien  n'a  été  négligé  pour  frapper  les  yeux  du 
spectateur. 

Pendant  qu'on  entraîne  Buckingham  enchaîné,  une  corde  descend 
du  cintre  ;  elle  tient  en  suspens  un  écriteau  sur  lequel  se  détachent  en 
lettres  rouges  ces  mots  :   «  Council  chamber  »  (chambre  du  conseil). 

On  traîne  sur  le  théâtre  une  table  boiteuse  et  voilà  le  changement 
à  vue  opéré.  C'est  simple,  comme  on  le  voit. 


Pendant  l'entr'acte  nouveau  le  tumulte  recommence  de  plus  belle. 
Les  joueurs  de  foujalle  et  de  tick-tack  ont  repris  leur  partie,  les 
filous  se  livrent  à  leur  industrie,  les  beaux  élégants  rajustent  leur 
toilette  en  écoutant  les  injures  grossières  qui  leur  sont,  criées  en 
anglais  et  auxquelles  ils  répondent  en  italien.  Celui-ci  fait  retirer 
sa  prédominante  par  son  page,  cet  autre  fait  parfumer  ses  avant-postes. 

Les  pages  répandent  l'eau  de  rose  sur  la  tête  de  leurs  maîtres 
pendant  que  ceux-ci  envoient  insolemment  des  baisers  aux  femmes 
qui  leur  plaisent.  A  la  vérité,  les  &  cockatiices  »  de  tous  les  étages 
forment  la  majorité  de  la  population  féminine. 

Mais  quels  sont  ces  cris  et  que  veulent  dire  ces  injonctions  réité- 
rées et  violentes  :  «  Brûlez  le  genièvre!  »,  en  même  temps  qu'une 
odeur  pestilentielle  emplit  la  salle  et  persiste  à  y  demeurer  malgré 
le  ciel  ouvert. 

Voyez  là-bas,  adossée  au  parterre,  cette  immense  cuve  vers  laquelle 
les  bouchers,  les  matelots  et  toute  la  canaille  se  dirige  à  la  queue: 
c'est,  comment  dirai-je,  un  réceptacle  d'immondices,  comme  il  en  exis- 
tait autrefois  dans  les  chambrée?,  pour  la  nuit,  et  qui  sert  à  l'usage 
de  tous.  Les  vapeurs  détestables  qui  s'en  exhalent,  empestent  la 
salle  et  du  parterre  comme  des  loges  et  de  la  scène,  part  l'ordre 
impératif:   «  Brûlez  le  genièvre!   » 

Un  valet  apporte  un  petit  réchaud  et  jette  sur  le  feu  du  genièvre 
dont  la  fumée  épaisse  et  l'acre  et  pénétrante  odeur  se  mêle  à  toutes 
les  autres  sans  les  faire  disparaître. 

Un  jour,  on  tenta  de  supprimer  la  cuve.  «  My  God  !  »  il  y  eut 
presque  une  émeute  :  la  lie  du  peuple  s'y  opposa,  et  il  se  pas-a  de 
longues  années  avant  qu'on  y  pût  parvenir. 

Mais  voici  le  spectacle  terminé,  les  acteurs  sont  acclamés,  la  foule 
se  rue  dehors  tout  en  continuant  de  proférer  les  plus  grossières  in- 
jures, tout  en  se  battant.  Il  est  un  peu  plus  de  cinq  heures,  les 
carrosses,  les  chaises,  les  mules,  si  mettent  en  marche  comme  ils 
peuvent,  le  peuple  se  répand  dans  les  tavernes,  les  acteurs  quittent 
leur  costume  que  le  directeur  range  avec  soin,  l'écho  des  bravos  et 
des  acclamations  s'éteint,  le  «  Globe  »  ferme  ses  portes. 

E.m.  de  Lyden. 


HISTOIRE    VRAIE 

DES    HÉROS    D'OPÉRA    ET    D'OPÉRA- COMIQUE 


XLVI 
TDRLUPIN 


«  Il  y  avait  une  fois,  dans  les  dernières  années  du  xvi°  siècle, 
nous  apprend  Victor  Fournel,  trois  garçons  boulangers  du  faubourg 
Saint-Laurent,  unis  d'étroite  amitié,  gais  compagnons  et  grands 
partisans  des  joyeux  passe-temps  du  théâtre.  Or,  justement  leur 
genre  lavori  s'en  allait  peu  à  peu.  Les  soties,  les  plaidantes  mora- 
lités des  Confrères  de  la  Basoche  et  des  Enfanis-sans-souci  avaient 
disparu.  Témoins  de  la  décadence  de  la  Farce,  ils  résolurent  de 
s'en  faire  les  conservateurs  et  de  la  régénérer.  Voilà  donc  nos  trois 
camarades  qui  jettent  aux  orties  le  tablier  blanc  des  mitrons,  et 
qui  s'en  vont  héroïquement  louer  un  petit  jeu  de  paume  à  la  porte 
Saint-Jacques,  ou  plutôt  près  de  l'Estrapade.  La  caisse  n'était  pas 
riche  d'abord  ;  aussi  l'entreprise  s'en  ressentit-elle.  Le  luxe  des  dé- 
cors se  bornait  à  des  voiles  de  bateau  peintes,  que  nos  amis  adap- 
taient, tant  bien  que  mal,  à  leur  théâtre  portatif.  C'était  tout  et 
c'était  assez.  En  effet,  ils  se  trémoussèrent  si  bien  sur  cette  maigre 
scène  que  le  public  ne  tarda  pas  à  accourir  et,  une  fois  venu,  il 
ne  s'en  alla  plus.  Du  reste,  il  n'en  coûtait  que  deux  sols  six  de- 
niers pour  se  dilater  amplement  la  rate  à  ce  spectacle  inénarrable, 
qui  recommençait  deux  fois  par  jour,  d'une  heure  à  deux,  pour 
MM.  les  écoliers,  et  le  soir,  pour  le  vulgaire.  » 

Ces  trois  joyeux  compères,  c'étaient  Gauthier-Garguille,  Gros- 
Guillaume  et  Turlupin. 

Dans  leur  association,  chacun  avait  sa  spécialité. 

Gauthier-Garguille,  presque  toujours  grimé  en  vieillard,  faisait  ie 
savant,  le  maître  d'école.  Il  avait  pour  accoutrement  ordinaire  une 
espèce  de  bonnet  plat  et  fourré,  point  de  cravate  ni  col  de  chemise, 
une  camisole  qui  descendait  jusqu'à  la  moitié  des  cuisses,  uDe , 
culotte  étroite.  Au  dire  de  ses  contemporains,  Gauthier-GarguilU  se 
disloquait  comme  une  marionnette;  mais  son  taleut  mimique  ne 
s'en  ressentait  pas.  Scapin,  raeoute  Tallemant  des  Réaux,  disait 
qu'on  no  pouvait  trouver  meilleur  comédien  que  lui.  Son  taleut  lui 
valut  l'honneur  de  devenir  le  gendre  de  Tabarin.  Ce  n'était  point 
un  mince  avantage. 

Son  compère,  Gros-Guillaume,  ne  parlait  que  par  doctes  senten- 
ces. Il  était  coiffé  d'une  barrette  ronde,  avec  une  mentonnière  de 
peau  de  mouton,  chaussé  de  gros  souliers  gris  noués  d'une  touffe 
de  laine,  vêtu  d'une  culotte  rayée  et  enveloppé  d'une  large  blouse 
blanche,  d'un  sac  plein  de,  laine,  lié  au  haut  des  cuisses.  Son  gros 
ventre,  qu'il  promenait  solennellement  devant  lui,  ne  lassait  point 
l'admiration  des  spectateurs  ;  son  débit  faisait  le  reste,  surtout 
les  jours  où,  souffrant  d'un  accès  de  goutte,  il  cherchait  à  s'étourdir 
par  ses  propres  lazzis. 

Le  troisième  larron,  Turlupin,  avait  modestement  adopté  le  type 
de  valet,  de  même  qu'il  s'était  contenté  d'imiter  le  costume  de 
l'Italien  Briguelli,  qui  attirait  la  foule  au  théâtre  du  Petit-Bourbon. 
L'abbé  de  Marolles,  qui  n'a  pas  craint  d'avouer  ses  liaisons  d'amitié 
avec  Turlupin,  dit  qu'il  avait  infiniment  d'esprit.  Il  en  montra, 
dans  cette  feinte  humilité,  presque  autant  que  sur  ses  tréteaux,  où 
il  dominait  ses  camarades  de  toute  sa  verve  et  de  tout  son  entrain. 

Le  répertoire,  toujours  renouvelé,  s'inspirait  du  goût  du  jour. 
L'invention  n'était  pas  toujours  à  la  hauteur  des  événement?,  mais 
un  mot  drôlement  lancé  suffisait  aux  p'aisirs  de  nos  pères. 

Gros-Guillaume,  habillé  en  femme,  supplie  Turlupin  de  ne  pas  le 
battre  : 

—  Eh,  mon  cher  mari,  je  vous  en  supplie  par  cette  soupe  aux 
choux  que  je  vous  fis  manger  hier  et  que  vous  trouvâtes  si  bonne. 

—  Ah  !  la  carogne  !  Elle  m'a  pris  par  mon  faible.  La  graisse 
m'en  fige  encore  sur  le  cœur. 

Dans  une  autre  scène,  Gauthier-Garguille  cherchait  une  servante 
et  se  plaignait  de  la  saleté  ordinaire  de  ces  tilles,  surtout  do  celles 
qu'il  avait  eues  jusqu'alors,  disant  qu'il  en  avait  trouvé  une  qui  se 
peignait  au-dessus  de  la  marmite.  Alors,  Tabarin  lui  en  proposait  une 
autre  qui  était  un  modèle  de  propreté,  puisqu'elle  se  coiffait  toujours 
à  la  cave. 

Encore  une  fois,  ce  n'était  pas  bie  1  fort,  mais  on  s'en  contentait. 
Richelieu,  qui  aimait  la  grosse  farce,  fit  venir  les  trois  compères  on 
sou  palais;  il  fut  charmé  de  leurs  joyeusetés  et  ordonna  aux  comé- 
diens de  l'Hôtel  de  Bourgogne  de  leur  faire  place  en  leur  compagnie. 

Cette  intrusion  de  la  rue  sur  les  planches  nobles  de  MM.  les  corné- 


230 


LE  MENESTREL 


diens  du  roi  déchaîna  les  colères  de  la  gent  cabotine.  Bruscanxbille, 

dans  son  Paradoxe,  félicite  Turlupin  de  se  frotter  l'échiné  aux  piliers 

du  Louvre,  et  les  petits  vers  qui  suivent  coururent  les  ruelles  : 

Toutefois  à  la  cour  les  Turlupins  restèrent. 

Insipides  plaisants,  boutions  infortunés, 

D'un  jeu  de  mots  grossier  partisans  surannés. 

A  la  vérité,  les  trois  nouveaux  sociétaires,  reniant  l'étiqueLle  qui 
avait  marqué  leurs  succès,  avaient  pris,  pour  faire  honneur  à  leur 
nouvelle  maison,  les  noms  plus  appropriés  de  Fléchelle,  Lafleur  et 
Belleville.  Mais  cette  concession  ne  put  les  protéger  contre  les  haines 
que  leu"  faveur  avait  soulevées.  On  les  attendit  à  leur  première  in- 
cartade, laquelle  ne  tarda  pas  à  se  produire  :  Gros-Guillaume  avant 
contrefait  sur  la  scène  le  tic  nerveux  d'un  magistrat  qui  venait  de 
condamner  à  une  forte  amende  Turlupin  pour  ses  démêlés  avec  l'Ita- 
lien Briguelli,  ils  furent  tous  trois  poursuivis.  Gauthier-Garguille  et 
Turlupin  se  cachèrent,  mais  Gros-Guillaume,  que  son  ventte  indiquait 
aux  recherches  fut  arrêté  et  mis  en  prison. 

Alors  se  produisit  un  épisode  extraordinaire.  Gros-Guillaume  mou- 
rut de  saisissement,  le  premier  jour  de  sa  captivité.  Ce  que  Turlupin 
apprenant,  il  fut  pris  de  fièvre  et  mourut  le  surlendemain.  C'était 
le  tour  de  Gauthier-Garguille;  il  ne  pouvait  abandonner  ses  fi  lèles 
camarades,  même  dans  la  tombe;  il  ne  survécut  au  dernier  que  de 
quelques  heures. 

Ou  fit  sur  ce  trio  sympathique  l'épitaphe  suivante  : 

Gaultier,  Guillaume  et  Turlupin, 
Ignorants  en  grec  et  latin, 
Brillèrent  tous  trois  sur  la  scène 
Sans  recourir  au  sexe  féminin, 
Qu'ils  disoient  un  peu  trop  malin. 
Mais  la  mort,  en  une  semaine, 
Pour  venger  son  sexe  mutin, 
Fit  à  tous  trois  trouver  leur  fin. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

Nouvelles  de  Londres  :  Après  plusieurs  remises  dues  à  des  retouches 
continuelles  de  la  part  du  compositeur,  la  première  représentation  fran- 
çaise d'Esmeralda,  imposée  pour  ainsi  dire  par  une  mélomane  des  plus 
influentes,  a  eu  lieu  samedi  dernier  à  Govent-Garden  devant  une  salle 
superbe.  M.  Goring  Thomas  est  certes  un  musicien  de  talent  qui  a  été  à 
bonne  école,  celle  de  Paris.  Il  y  a  acquis  des  qualités  précieuses  de  fac- 
ture et  de  coloris  symphonique.  Mais  la  première  scène  lyrique  de  Lon- 
dres aurait  pu  lui  demander  autre  chose  que  son  opéra  de  début,  malgré 
les  nombreux  remaniements  qu'on  lui  a  fait  subir.  En  1883,  Esmeralda 
était  l'œuvre  pleine  de  promesses  d'un  jeune  :  aujourd'hui  c'est  la  produc- 
tion mal  équilibrée  et  déconcertante  d'un  musicien  qui  peut   faire  mieux. 

La  pièce  suit  presque  pas  à  pas  le  libre tto  écrit  par  Victor  Hugo  pour 
l'opéra  de  M"°  Bertin,  y  compris  la  mort  des  deux  amants  au  dénouement, 
rétablie  dans  la  version  actuelle.  M.  Paul  Milliet  s'est  acquitté  fort  adroi- 
tement de  la  tache  du  traducteur,  tâche  scabreuse  par  moments,  où  il 
devenait  difficile  de  ne  pas  se  rencontrer  avec  le  texte  primitif  de  Victor 
Hugo.  Mais  il  est  très  fâcheux  que  M.  Milliet  n'ait  pas  assisté  à  la  mise 
au  point  de  son  œuvre  :  il  aurait  pu  empêcher  la  façon  si  cavalière  avec 
laquelle  le  texte  français  a  été  appliqué  à  la  musique,  les  phrases  retour- 
nées, les  rimes  estropiées,  les  fautes  de  prosodie  de  l'effet  le  plus  choquant. 

La  partition  de  M.  Goring  Thomas  a  surtout  les  défauts  de  la  jeunesse  : 
le  manque  d'individualité  et  une  fougue  souvent  excessive.  Le  musicien 
est  hanté  par  les  souvenirs  de  Gounod,  Delibes,  Ambroise  Thomas  :  il 
n'y  a  pas  jusqu'à  Liszt  dont  une  rapsodie  hongroise  n'ait  fourni  le  motif 
qui  accompagne  la  bohémienne  et  qui  est  le  seul  exemple  dans  l'œuvre 
de  l'emploi  de  phrases  typiques.  Du  reste,  la  déclamation  de  M.  Goring 
Thomas  n'a  pas  toujours  l'accent  dramatique  et  ses  personnages  manquent 
complètement  de  relief.  Le  compositeur  parait  plus  à  l'aise  dans  les 
parties  purement  lyriques  de  l'opéra  :  de  ce  nombre,  il  faut  citer  l'air 
d'entrée  d'Esmeralda  et  la  scène  finale  du  premier  acte,  la  romance  de 
l'ini'lius  au  deuxième,  le  duo  d'amour  du  troisième,  plusieurs  phrases 
de  Quasimodo  et  son  air  des  cloches  et  enfin  la-  scène  du  dénouement. 
L'épisode  de  la  cour  des  Miracles  aurait  pu  donner  lieu  à  quelque  re- 
cherche de  couleur  locale,  à  quelque  restitution  archaïque  :  il  n'est  que 
bruyant  et  dill'us.  Les  airs  de  ballet  dans  le  divertissement  intercalé  au 
deuxième  acte,  sunt  très  gracieux;  mais  là  aussi  on  s'étonne  que  le  mu- 
sicien n'ait  pas  songé  à  leur  donner  le  caractère  de  l'époque. 

Soit  pour  insuffisance  de  répétitions,  soit  pour  tout  autre  motif,  l'inter- 
prétation n'a  pas  été  digne  d'une  pareille  distribution.  Il  faut  en  excepter 
pourtant  M.  Jean  de  Rezské,  beau  cavalier  et  chanteur  exquis  dans  sa 
jolie  romance   du   deuxième  acte,  qui   a  été  le  gros  succès  de  la  soirée. 


Mais  Mme  Melba,  probablement  souffrante,  n'a  pas  été  également  heureuse 
dans  toutes  les  parties  d'un  rôle,  écrit  par  endroits  trop  bas  pour  sa  voix. 
Il  en  est  de  même  de  M.  Lassalle  qui  avait  à  lutter  avec  un  très  mauvais 
rôle  et  qui  de  plus  s'est  trompé  en  vieillissant  à  ce  point  son  person- 
nage. M.  Dufriche  a  trouvé  des  accents  fort  émouvants  dans  le  rôle 
malheureusement  très  écourté  de  Quasimodo.  Un  bon  point  à  M.  Montariol, 
un  Gringoire  très  consciencieux,  mais  une  mauvaise  note  à  M"e  Pinkert, 
une  Fleur  de  Lys  absolument  insuffisante.  Chœurs  et  orchestre  trop  éner- 
giques; mise  en  scène  mesquine. 

Il  convenait  de  ramener  à  ses  justes  proportions  un  incident  dont  on  a 
cherché  à  faire  un  grand  événement  artistique,  tout  à  l'honneur  de  l'école 
française.  La  représentation  d' Esmeralda  est  une  nouvelle  consécration  de 
l'idiome  français  à  Covent-Garden,  voilà  tout.  Que  M.  Goring  Thomas  ne 
prenne  pas  trop  à  la  lettre  les  applaudissements  de  complaisance  de 
samedi  dernier  et  qu'il  se  remette  sérieusement  à  "l'œuvre  pour  nous 
donner  bientôt  un  opéra  personnel  et  digne  de  son  talent.  En  attendant, 
le  moment  est  venu  d'infuser  du  sang  nouveau  dans  le  répertoire  aoémi- 
que  de  Govent-Garden.  Déjà  cette  saison  on  a  eu  recours  à  un  tas  de 
reprises  inutiles,  ne  sachant  où  donner  de  la  tète.  Le  public  payant  a  clai- 
rement manifesté  son  dédain  pour  toutes  ces  vieilleries.  Qu'on  annexe 
au  plus  vite  au  répertoire  des  œuvres  telles  que  Samson  et  Dalila,  Lakmè, 
Manon,  le  Roi  d'Ys,  Salammbô,  etc.,  etc.,  et  on  aura  bien  mérité  de  la  mu- 
sique française  à  l'Opéra  de  Londres. 

La  saison  se  terminera  le  28  juillet  par  une  représentation  unique  de 
Carmen  en  français,  avec  Jean  de  Rezské  dans  le  rôle  de  don  José.  D'ici  là 
nous  aurons  la  reprise  à'Hamlet  avec  Lassalle,  Mmcs  Melba  et  Richard. 

M.  Hans  Richter  a  clôturé  sa  saison  de  concerts  par  une  magnifique 
exécution  de  la  neuvième  Symphonie  de  Beethoven,  qui  a  pu  servir  de 
leçon  à  l'orchestre  de  la  vieille  Société  Philharmonique,  dont  la  récente 
interprétation  de  ■  la  même  œuvre  était  d'une  faiblesse  déplorable.  Les 
amateurs  de  musique  symphonique  devront  attendre  maintenant  jusqu'en 
octobre  pour  la  reprise  des  excellents  concerts  de  Crystal  Palace  et  des  visites 
périodiques  de  l'orchestre  Halle  de  Manchester,  le   premier  d'Angleterre. 

Agn. 

—  Le  concert  de  Mm0  Patti  à  l'Albert  Hall  de  Londres,  retardé  par 
suite  d'une  indisposition  de  la  diva,  a  pu  enfin  avoir  lieu.  Des  milliers 
de  spectateurs  emplissaient  l'immense  salle  et  ont  acclamé  la  célèbre 
cantatrice  dans  l'air  des  clochettes  de  Lalcmé  et  quatre  autres  numéros. 
L'ensemble  du  concert  que  dirigeait  M.  Ganz,  était  fort  réussi.  Au  nom- 
bre des  solistes,  il  convient  de  citer  Mmcs  Patey,  Sterling,  Marianne 
Eissler,  MM.  Ed.  Lloyd,  Johannes  Wolff  et  Emile  Bach: 

—  La  Neue  Musikzeitung  de  Stuttgart  consacre  un  article  assez  étendu  à 
La  Musique  dans  le  Jeu  de  la  Passion  d'Obcrammergau.  Nous  en  extrayons  les 
passages  les  plus  saillants  :  «  Le  Jeu  de  la  Passion  d'Oberammergau  n'est 
pas,  à  proprement  parler,  un  drame  ni  même  un  oratorio  :  c'est  un  mé- 
lodrame avec  accompagnement  d'orchestre.  Le  personnel  musical  se  com- 
pose d'un  orchestre  de  3b  membres  et  d'un  chœur  de  24  chanteurs  (appelés 
génies  ou  esprits),  soit  7  sopranos,  7  altos,  5  ténors  et  5  basses,  parmi 
lesquels  deux  solistes.  Le  chef  des  chœurs,  désigné  sous  le  nom  de 
«  Prologue  »,  remplit  un  emploi  presque  entièrement  indépendant.  Le 
chœur,  rangé  en  demi-cercle,  se  tient  à  l'avant-scène,  dans  la  partie  du 
théâtre  qui  est  à  ciel  ouvert,  il  ne  sert  qu'à  donner  l'explication  des 
tableaux  vivants  présentés  d'après  les  récits  légendaires.  Dès  que  le  ri- 
deau du  temple  s'écarte,  le  chœur  se  sépare  par  le  milieu  et  s'éloigne  à 
reculons,  de  façon  à  ne  pas  intercepter  la  vue.  Quand  le  rideau  se  re- 
ferme de  nouveau,  le  chœur  reprend  sa  position  première  et  prépare 
l'auditeur  à  l'action,  tirée  du  Nouveau  Testament,  puis,  quand  celle-ci 
est  engagée,  il  s'efface  derrière  les  piliers.  Le  rôle  du  chœur  n'est  pas 
précisément  un  rôle  actif,  mais  il  n'en  est  pas  moins  important  et  même 
fatigant,  si  l'on  pense  que  la  représentation  dure  huit  heures,  pendant 
lesquelles  le  chœur  est  exposé  à  toutes  les  intempéries.  L'orchestre  est 
dissimulé  dans  un  bas-fond,  comme  à  Bayreuth.  Indépendamment  de 
l'orchestre  symphonique,  il  y  a  une  fanfare;  de  même  que  tous  les  autres 
participants  au  Jeu  de  la  Passion,  les  musiciens  sont  recrutés  exclusivement 
parmi  les  habitants  d'Oberammergau.  —  Pour  ceux  qui  n'ont  pas  assisté 
aux  répétitions,  il  est  difficile  de  se  figurer  comment  il  a  été  possible  à 
de  simples  campagnards  de  se  rendre  maîtres  d'un  travail  aussi  compliqué. 
Les  solistes  et  les  chœurs  chantent  bien  entendu  leurs  parties  de  mé- 
moire, et  l'orchestre  est  grandement  à  la  hauteur  de  sa  tache.  Mais  ce 
n'est  pas  tout  :  les  ensembles,  les  rentrées  sont  d'une  précision  surpre- 
nante; quant  aux  nuances,  aux  'oppositions  du  forte  au  piano,  elles  sont 
exécutées  avec  une  habileté  qu'on  ne  rencontre  guère  que  chez  les  ar- 
tistes de  profession.  Oberammergau  est  un  village  d'artistes  formés  par 
la  nature  chez  qui  l'amour  de  l'idéal  joint  à  la  foi  religieuse  entretien- 
nent constamment  ce  feu  sacré  grâce  auquel  le  Mystère  de  la  Passion,  cette 
perle  du  moyen  âge,  reçoit  tous  les  dix  ans  la  même  admirable  interpré- 
tation. Le  texte  actuel  a  été  élaboré  de  1811  à  1815,  d'après  la  version 
d'origine,  par  un  religieux  d'un  cloître  voisin,  celui  d'Ettal.  C'est  égale- 
ment un  habitant  d'Oberammergau,  Rochus  Dédier,  organiste  et  maître 
d'école  du. village,  qui  a  composé  (de  1810  à  1811)  la  musique  du  Jeu  de 
la  Passion.  Cette  musique  a  été  remaniée  en  181.4.  En  plus  d'une  ouver- 
ture assez  courte,  l'orchestre  exécute  des  accompagnements  très  limpides 
et  d'une  grande  simplicité,  mais  qui  remplissent  admirablement  leur  but. 


LE  MENESTREL 


234 


D'effets  descriptifs  et  de  passages  colorés,  il  ne  peut  naturellement  être 
question.  La  simplicité  du  sujet,  son  caractère  religieux,  bannissent 
toutes  préoccupations  d'art.  Le  rythme  est  souvent  caractéristique  et 
rappelle  par  intervalles  certains  airs  de  danse  des  temps  anciens,  mais  le 
chœur  vient  vite  effacer  cette  impression  passagère  par  son  chant  grave 
et  recueilli.  L'effet  de  ce  chant  est  vraiment  puissant.  Le  chef  des 
chœurs,  le  forgeron  Jacob  Rutz  n'est  pas  seul  à  posséder  une  belle  voix 
et  de  remarquables  qualités  d'exécution;  les  autres  solistes  sont  égale- 
ment bien  doués  et  chantent  avec  sentiment  et  sincérité.  On  peut  se  faire 
une  idée  du  zèle  déployé  par  tous  et  aussi  de  l'aridité  de  la  tâche,  par 
ce  fait  que  le  chef  d'orchestre,  le  maître  d'école  Gruber,  n'a  pas  dirigé 
moins  de  96  répétitions  d'ensemble  (Pends-toi,  brave  Lamoureux!).  Les 
habitants  d'Oberammergau  ont  reçu  les  offres  des  plumes  les  plus  auto- 
risées pour  un  rajeunissement  du  texte  sacré  et  de  la  musique  de 
Dédier,  en  vue  des  représentations  de  1890,  mais  rien  n'a  pu  les  dé- 
tourner du  culte  pieux  qu'ils  ont  voué  aux  traditions  léguées  par  leurs 
ancêtres.  Ils  ont  voulu  maintenir  l'antique  Mystère  de  la  Passion  en  dehors 
de  tout  modernisme  a. 

—  Ala  dernière  réunion  de  l'Association  Gœlhe  à  "Weimar,  M.  le  conseiller 
de  la  Cour  Ruland  a  lu  une  communication  qui  produit  dans  le  monde 
musical  une  véritable  sensation.  Il  paraîtrait  qu'en  opérant  récemment  le 
reclassement  de  la  bibliothèque  de  Gœthe  au  musée  national  qui  porte 
son  nom,  on  a  trouvé  au  fond  d'une  armoire  oubliée  plusieurs  cahiers  de 
musique  écrits  de  la  main  de  Gœthe,  entre  autres  des  devoirs  d'harmonie 
et  des  arrangements  pour  quatuor  d'oeuvres  de  Bach.  Toute  une  collection 
d'ouvrages  de  musique  classique  était  également  enfouie  dans  cette 
armoire:  pièces  religieuses  et  dramatiques  d'anciens  maîtres  italiens, 
compositions  de  Bach  pour  orgue,  etc.  La  plus  grande  partie  de  cette 
musique  provient  de  Leipzig.  Cette  découverte  va  singulièrement  modifier 
l'opinion  que  les  biographes  ont  répandue  dans  le  public  au  sujet  du  peu  de 
goût  musical  qu'avait  le  grand  poète  allemand. 

—  Une  des  compositions  de  Weber  citées  par  le  biographe  Jahn  comme 
ayant  disparu,  vient  d'être  retrouvée  à  Berlin.  C'est  une  canzonetla  pour 
trois  voix  d'hommes,  sans  accompagnement,  dont  le  texte  commence 
ainsi  :  «  Son  troppo  innocente  nell'arte  d'amar  ».  Elle  fut  écrite  en  juil- 
let 1811  à  Starnberg  près  Munich,  le  lieu  même  qui  fut  témoin,  plus  tard, 
de  la  fin  tragique  du  roi  Louis  II  de  Bavière. 

—  Petit  courrier  de  Bruxelles  :  Vous  savez  déjà  avec  quelle  cordialité 
et  quel  enthousiasme  tout  Bruxelles  a  reçu  et  fêté  la  musique  du  3°  régi- 
ment du  génie  français  venu  ici  le  14  juillet  pour  prêter  son  concours  à 
une  fête  de  charité  organisée  par  la  Chambre  de  commerce  française.  Fa- 
vorisé par  une  soirée  splendide,  le  concert  donné  en  plein  air  au  Vaux- 
Hall  avait  attiré  une  telle  foule  qu'on  y  étouffait  et  que,  Français  et 
Belges  s'y  écrasaient  les  pieds  et  s'y  enfonçaient  les  côtes  avec  un  stoïcisme 
plein  de  confraternité.  C'est  à  peine  si  M.  Bourée,  ministre  de  France, 
le  bourgmestre  de  Bruxelles  et  quelques  autres  autorités  avaient  pu  être 
placés  à  l'abri  de  toute  contusion  reçue  au  profit  des  Victimes  du  Travail 
et  des  Français  malheureux.  Ceux-ci  doivent  avoir  fait  une  recette  qui 
leur  permettra  de  donner  à  leur  tour  une  fête  au  bénéfice  des  écrasés.  A 
côté  des  acclamations  purement  patriotiques  et  des  Marseillaises  vigoureu- 
sement enlevées,  succès  pour  les  artistes.  La  musique  du  3°  régiment  du 
génie,  dirigée  par  M.  Plachat,  un  jeune  chef  de  talent,  peut  compter  au 
nombre  des  meilleures  de  l'armée.  Elle  a  joué  avec  beaucoup  d'ampleur  et 
de  maestria,  sinon  avec  cette  finesse  qui  distingue  la  garde  républicaine 
entre  toutes  les  musiques  militaires  :  l'Artésienne,  de  Bizet,  et  des  mor- 
ceaux de  Lakmé,  d'Hamlet,  etc.  Mardi,  avant  son  départ,  la  musique  fran- 
çaise a  donné  une  aubade  au  ministre  de  France,  et  un  second  concert, 
non  moins  réussi  que  le  premier,  au  parc  Léopold.  En  somme,  M.  Charles 
Rolland,  l'excellent  président  de  la  Chambre  de  commerce  française, 
MM.  Nodé-Langlois,  Ricaud,  Bonvallet  et  tous  les  autres  membres  du 
comité  n'ont  qu'à  se  féliciter  d'avoir  fourni  à  la  population  bruxelloise 
l'occasion  de  témoigner  chaleureusement  une  fois  de  plus  ses  sentiments 
de  sympathie  envers  la  France  '. 

—  Il  y  a  quelques  jours,  on  trouvait  dans  les  environs  de  Bruxelles  le 
cadavre  d'un  homme  qui  s'était  l'ait  sauter  la  cervelle.  L'inconnu  n'avait 
sur  lui  aucun  papier  qui  pût  faire  établir  son  identité  ;  mais,  sur  les  in- 
dications données  par  des  gens  qui  prétendaient  reconnaître  le  cadavre, 
on  télégraphia  à  Paris,  à  M.  Oppenheim,  qui  accourut  à  Bruxelles,  et 
reconnut,  dans  le  cadavre  du  suicidé,  son  frère,  Albert  Oppenheim,  ancien 
directeur  du  théâtre  de  l'Alhambra.  A  peine  l'inhumation  avait-elle  eu 
lieu,  qu'une  autre  personne  arrivait,  venant  reconnaître  dans  le  suicidé 
son  frère,  à  lui,  un  Anglais,  descendu  quelques  jours  auparavant  au 
Grand-Hôtel,  et  qui  avait  disparu  mystérieusement.  Lui  aussi,  après 
exhumation  du  cadavre,  a  reconnu  son  frère.  En  attendant  que  ce  mystère 
soit  éclairci,  l'autorité  communale  est  fort  embarrassée. 

—  On  a  annoncé  que  le  compositeur  Mascagni,  l'auteur  de  Cavalleria 
ruslicana  avait  choisi,  parmi  les  nombreux  livrets  qui  lui  ont  été  offerts 
après  le  succès  de  son  premier  opéra,  /  Rantzau,  tiré  du  drame  bien 
connu  de  MM.  Erkmann  et  Chatrian.  Le  maestro  Ettore  Martini  déclare 
maintenant  publiquement  que  depuis  plusieurs  mois  il  travaille  à  un 
opéra  sur  le  mémo  sujet.  N'est-il  pas  plaisant  de  voir  les  deux  composi- 
teurs italiens  se  disputer  une   œuvre  française,  pour  laquelle   ni   l'un  ni 


l'autre  n'ont  eu  même  la  pensée  de  consulter  les  véritables  auteurs  ?C'est 
le  mystère  des  lois  italiennes.  Quand  donc  comprendra-t-on  partout  qu'il 
est  tout  aussi  criminel  de  voler  la  pièce  d'autrui  que  de  lui  dérober  sa 
montre  ? 

—  Le  roi  de  Dahomey  fait  annoncer  dans  une  feuille  coloniale  alle- 
mande la  West  afrikanische  Posl,  qu'il  cherche  des  musiciens  pour  la  for- 
mation d'une  chapelle  royale  destinée  à  se  faire  entendre  pendant  les  repas 
ainsi  qu'aux  fêtes  données  parles  amazones.  Instrumentistes  sans  emploi, 
voguez  bien  vite  vers  la  cour  du  Dahomey!  Vous  y  serez  goûtés,  c'est 
certain  ! 

—  Les  journaux  américains  parlent  très  favorablement  d'un  nouvel 
opéra-comique  produit  récemment  à  l'Opéra  de  Chicago  sous  le  titre  de 
Robin  Hood.  Composée  par  M.  de  Koven  sur  le  livret  de  M.  H.  B.  Smith, 
la  partition  a  conquis  tous  les  suffrages  par  l'originalité  et  le  caractère 
vif  et  enjoué  des  motifs. 

—  En  annonçant  la  récente  production  au  nouveau  théâtre  de  Madison 
Square  Garden,  à  New- York,  d'un  ballet  intitulé  la  Paix  et  la  Guerre,  nous 
avons  omis  d'en  nommer  le  compositeur.  C'est  M.  Cressonnois.  Nous 
réparons  cet  oubli  avec  d'autant  plus  de  plaisir  qu'il  y  a,  parait-il,  dans 
ce  ballet,  un  numéro  qui  fait  fureur.  Il  s'appelle  «  Pizzicati  de  Sijlvia, 
d'après  Delibes.  »  Le  reste  de  la  partition  de  M.  Cressonnois,  dit  V American 
Musician,  est  vulgaire  et  bruyant. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

—  A  l'occasion  de  la  Fête  nationale  du  14  juillet  ont  été  nommés  : 
Officiers  de  la  Légion  d'honneur  : 

MM.  de  Lapommeraye  (Henri),  homme  de  lettres,  président  d'honneur 
de  l'Association  polytechnique  ; 

Ludovic  Halévy,  membre  de  l'Académie  française,  homme  de  lettres. 

Chevaliers  : 

MM.  Gabriel  Fauré,  compositeur  de  musique  ; 

Georges  Ghamerot,  imprimeur-éditeur. 

Pour  M.  Charles  Widor,  dont  on  avait  bien  à  tort  annoncé  la  décora- 
tion, il  continuera  à  se  distinguer  en  ne  portant  rien  à  la  boutonnière.  Il 
est  vrai  qu'en  revanche  on  a  décoié  trois  peintres  et  deux  statuaires 
d'un  mérite  très  relatif. 

—  Le  ruban  violet,  faut-il  le  dire,  a  sévi  de  son  côté,  et  pour  la  même 
occasion,  avec  la  dernière  rigueur.  On  cite  parmi  ceux  qui  en  ont  été 
atteints,  comme  Officiers  de  l'instruction  publique  :  MM.  Louis  Gallet, 
auteur  dramatique,  Gravière,  directeur  du  Grand-Theàtre  de  Bordeaux  ; 
Hartmann,  éditeur  de  musique;  Benoit-Lévy,  publiciste  ;  Pépin,  ancien 
artiste  lyrique;  Vaillard,  second  chef  d'orchestre  à  1  Opéra-Comique  ; 
Vasseur,  professeur  de  musique,  etc. 

Comme  Officiers  d'académie  :  MM.  Georges  Auvray,  compositeur  de 
musique;  Mm6  Baré-Sabati,  professeur  de  musique;  MUes  Bernay,  an- 
cienne artiste  de  l'Opéra;  Bouet,  professeur  de  piano;  Bourgeois,  profes- 
seur de  musique;  Berny,  professeur  au  Conservatoire  de  Toulouse; 
Mllc Bosch,  professeur  de  musique  à  Perpignan;  Batta,  professeur  de  vio- 
loncelle; Gaveau,  professeur  de  musique  à  l'Ecole  Monge;  M"18  Castellano, 
directrice  de  café-concert;  Clément,  professeur  de  musique;  Castellan 
père,  professeur  au  Conservatoire  de  Marseille;  Coquelet,  chef  de  mu- 
sique au  76°  de  ligne;  Dubulle,  artiste  lyrique;  Daudiès,  professeur  à 
l'École  de  musique  de  Nantes;  M"c  Dartois,  artiste  lyrique;  Domerc,  com- 
positeur de  musique;  MllG  Mallet-Fabreguettes,  professeur  de  musique: 
J.  Floury,  auteur  dramatique;  Fuchs,  auteur  dramatique;  Gaune,  com- 
positeur de  musique;  Mmc  Geoffroy,  professeur  de  musique;  Grenoble  dit 
Noblet,  artiste  dramatique;  Herzog,  professeur  de  musique;  Joly,  artiste 
dramatique;  Legros,  compositeur  de  musique;  Landouzy,  professeur  de 
violoncelle;  Laurent,  professeur  au  Conservatoire  de  Dijon;  J.  Lefebvre, 
auteur  dramatique;  Mmo  Lureau-Escalaïs,  artiste  lyrique;  E.  Lefebvre, 
directeur  delà  Philharmonique  de  Reims:  M™  Louise  Dauville,  artiste 
dramatique;  Legay,  compositeur  de  musique;  Mmc  Mesnage,  professeur 
de  piano;  Michot,  artiste  lyrique;  Moch,  artiste  dramatique;  Parent,  ar- 
tiste musicien  ;Perronnet,  compositeur  de  musique;  Mme  Réty,  professeur  de 
chant;  MlleRevello,  professeur  de  chant;  Roche,  professeur  de  déclamation: 
Rehfeld,  professeur  de  musique  à  Périgueux;  Ritter,  professeur  de  musique  à 
Figeac  ;  Roger  dit  Dalbert,  directeur  des  Célsstins  de  Lyon;  Romedenne, 
professeur  de  musique  à  Roanne;  Sallet,  homme  de  lettres;  Straub,  profes-' 
seur  de  chant  à  Lons-le-Saulnier;  Sauvaget,  professeur  au  Conservatoire  de 
Toulouse;  Mlle  Tailhardat,  professeur  de  piano;  Thibout,  facteur  de  pia- 
nos; Toussaint,  caissier  de  la  Comédie-Française  ;  Tridémy,  professeur  de 
musique  à  Charleville;  Volny,  artiste  dramatique;  Warnecke,  professeur 
de  chant  dans  les  écoles  de  Paris;  Mmcs  Verheyden  de  Ladrières,  artiste 
dramatique;  Viguier,  professeur  de  piano. 

—  Souvenir  rétrospectif  de  circonstance.  M.  Georges  Boyer  nous  donne 
dans  le  Figaro  le  programme  des  spectacles  d'il  y  a  cent  ans,  à  l'occasion 
de  la  fête  de  la  Fédération  (13  juillet  1790)  : 

Opéra.  —  Armide,  de  Gluck. 

Théâtre  de  la  Nation.  —  Le  Journaliste  des  Ombres  ou  Momus  aux  Champs 
Élysécs,  à-propos  en  vers,  de  M.  Aude. 

Théâtre  Italien.  —  Le  Chêne  patriotique  ou  la  matinée  du  44  Juillet,  par 
Monvel,  musique  de  Dalayrac. 


232 


LE  MÉNESTREL 


Théâtre  de  Monsieur.  —  La  Famille  patriote  ou  la  Fédération.  Auteur  : 
Collot-d'Herbois. 

Palais-Royal.  —  Les  Deux  Figaro. 

Théâtre  de  la  Montansier.  —  Hélène  et  Francisque  et  Poème  séculaire  ou 
Chant  pour  la  Fédération. 

Ambigu-Comique.  —  V Autodafé  et  le  Manteau. 

Théâtre-Français  comique  et  lyrique.  —  Le  Berceau  de  Henri  LV. 

—  Dernier  concours  à  huis  clos  du  Conservatoire  :  Accompagnement  au 
piano  (professeur  :  M.  Bazille).  Jury  :  MM.  A.  Thomas.  E.  Guiraud,  Th. 
Dubois,  L.  Delahaye,  Heyberger,  Lavignac,  Mangin,  Marty.  —  1er  prix  : 
MM.  Risler  et  Levadé  ;  4"  accessit  :  M"c  Markreich. 

—  Les  concours  publics  ont  commencé  hier  samedi  au  Conservatoire 
par  le  concours  de  contrebasse  et  de  violoncelle,  dont  nous  donnerons 
dimanche  prochain  les  résultats.  Ils  se  continueront  comme  suit  : 

Lundi,  20,  à  une  heure,  chant  hommes  ;  —  Mardi,  22,  à  une  heure, 
chant  femmes;  —  Mercredi,  23,  à  dix  heures,  tragédie  et  comédie  ;  — 
Jeudi,  24,  à  dix  heures,  harpe  et  piano-hommes  ;  —  Vendredi,  23,  à  midi, 
piano-femmes;  —  Samedi,  26,  à  midi,  opéra-comique;  —  Lundi,  28,  à 
midi,  violon;  —  Mardi,  29,  à  une  heure,  opéra;  —  Mercredi  30,  à  dix 
heures,  instruments  à  vent. 

La  distribution  des  prix  aura  lieu  le  dimanche  3  août,  sous  la  prési- 
dence de  M.  Larroumet,  directeur  des  Beaux  Arts. 

—  M.  Massart,  1  excellent  professeur  de  violon  du  Conservatoire,  va 
prendre  sa  retraite.  Il  sera  remplacé  par  M.  Garcin,  qui  dirige  depuis 
plusieurs  années  une  des  deux  classes  préparatoires  de  violon.  Pour  suc- 
céder à  M.  Garcin,  plusieurs  candidats  sont  en  ligne  :  MM.  Ferrand,  Du- 
jardin,  Paul  Viardot,  Lebrun,  Weingaertner,  etc. 

—  De  Nicolet,  du  Gaulois  :  «Nous  avons  dit,  il  y  a  déjà  quelque  temps, 
que  la  famille  dAlfred  de  Musset  s'opposait  à  ce  que  Charles  Gounod 
mit  en  musique  le  drame  de  On  ne  badine  pas  avec  l'amour.  Devançant  l'in- 
tention de  la  famille,  M.  Jules  Barbier  avait,  en  quelques  jours,  établi  le 
livret  du  drame  lyrique.  On  put  croire  alors  que  c'était  peine  perdue. 
Mm!  Paul  de  Musset  ne  voulut  rien  entendre  et  demeura  inflexible  devant 
les  instances  réitérées  du  compositeur  de  Fautt  et  de  Roméo  et  Juliette. 
Mais  il  est  avec  le  temps  des  accommodements.  Tout  parait,  en  effet,  sur 
le  point  de  s'arranger,  et,  d'après  nos  renseignements,  M.  Gounod  serait 
sur  le  point  d'être  mis  en  possession  de  ce  sujet  éminemment  dramatique 
et  pour  lequel  il  ne  dissimule  pas  sa  prédilection.  » 

—  Un  de  nos  confrères  reçoit  du  lac  de  Corne  d'excellentes  nouvelles 
d'Émilia  Laus,  la  charmante  artiste  que  nous  avons  tous  applaudie  à 
l'Opéra,  lors  de  la  représentation  de  la  Tempête.  Fort  souffrante,  à  la  suite' 
du  travail  excessif  que  lui  avait  donné  les  répétitions,  Émilia  Laus  avait 
été  envoyée  par  ses  médecins  sur  les  bords  du  lac  de  Côme.  Mais,  avant 
de.  partir  en  congé,  ses  directeurs,  MM.  Ritt  et  Gailhard,  qui  ont  une 
grande  admiration  —  ce  qui  est  justice  —  pour  le  talent  de  cette  artiste, 
ont  renouvelé  son  engagement,  et  au  mois  de  septembre,  Émilia  Laus, 
plus  belle  que  jamais,  fera  sa  rentrée  dans  la  Tempête. 

—  M.  Edouard  Sonzogno,  le  célèbre  éditeur  milanais,  a  fait  sa  petite 
inspection  annuelle  dans  les  classes  de  chant  de  M""1  Marchesi,  et  là  encore 
il  a  trouvé  deux  sujets  qu'il  a  engagés  de  suite  à  destination  de  l'Italie: 
MUre  Kate  Bensberg  et  Komaromi,'  deux  chanteuses  d'un  grand  talent 
déjà. 

—  Sous  ce  titre  :  les  Conciles  et  Synodes  dans  leurs  rapports  avec  le  tradi- 
tionnisme,  M.  F.  Ortoli  vient  de  faire  paraître  un  petit  volume  (chez 
Maisonneuve)  qui,  s'il  n'est  pas  spécialement  consacré  à  la  musique, 
renferme  néanmoins  d'intéressants  renseignements  à  son  sujet.  On  sait 
quelle  est  la  rareté  des  documents  authentiques  concernant  la  musique, 
soit  sacrée,  soit  surtout  profane,  au  moyen  âge,  et  particulièrement  com- 
bien nous  sommes  peu  renseignés  sur  le  goût  et  le  sentiment  musical  de 
cette  époque.  Le  livre  de  M.  Ortoli,  en  nous  disant  quels  efforts  furent 
faits  en  ces  siècles  pour  arracher  de  la  mémoire  du  peuple  des  chants  se 
rattachant  à  des  traditions  païennes,  en  nous  montrant  en  même  temps, 
par  quelques  traits,  l'influence  universelle  et  populaire  du  chant  religieux, 
nous  donne  à  cet  égard  plusieurs  indications  nullement  négligeables.  — 
Une  observation  de  détail.  Pourquoi  M.  Ortoli  désigne-t-il,  non  sans 
quelque  insistance,  le  pape  Grégoire  Ie''  ou  S.  Grégoire  par  le  nom  d'Hil- 
debrand?  Si  mes  souvenirs  sont  exacts,  il  me  semble  que  ce  nom  appar- 
tient à  un  autre  Grégoire,  le  septième,  lequel  vivait  simplement  cinq  ou 
six  siècles  plus  tard.  Il  n'y  a  pas  si  longtemps  que  M.  Gevaert  nous  a 
enlevé  saint  Grégoire  pour  qu'il  ne  soit  permis  encore  à  un  musicien  de 
relever  une  erreur  de  ce  caractère.  j.  q\ 

—  L'entreprise  des  abattoirs  de  la  rue  Pergolèse  ne  poursuit  pas  sans 
embarras  le  cours  de  ses  hauts  faits.  Le  public  s'y  fait  d'ailleurs  de  plus 
en  plus  rare  et  on  aura  de  la  peine  à  acclimater  chez  nous  des  jeux  aussi 
barbares  et  aussi  ineptes.  Voici  une  véhémente  réclamation  que  la  Société 
protectrice  des  animaux  vient  d'adresser  à   M.   le  procureur  de  la  Répu- 


blique sous  la  forme  d'un  procès-verbal  dressé  sur  la  demande  de  deux  de 
ses  membres,  par  un  huissier  du  tribunal  civil  de  la  Seine. 

L'an  mil  huit  cent  quatre-vingt-dix,  le  3  juillet. 

Par  devant  moi  Jules-André  Rozier,  huissier  près  le  tribunal  civil  de  la  Seine, 
séant  à  Paris,  y  demeurant,  29,  rue  des  Bons-Énfants,  se  sont  présentés  : 
1°  M.  Alexandre  Cuif,  président  de  la  Société  protectrice  des  animaux,  demeu- 
rant à  Saint-Maurice  (Seine),  route  de  Saint-Mandé,  46;  2°  M.  Graudamy,  membre 
de  ladite  Société  protectrice  des  animaux,  demeurant  à  Paris,  2,  rue  Nollet. 

Lesquels  m'ont  exposé  :  Qu'aux  termes  de  li  loi  du  2  juillet  1850,  dite  loi 
Grammont,  tous  les  j^ux-spectacles  qui  ont  pour  effet  de  causer  la  mutilation  ou 
d'amener  la  mort  d'animaux,  tous  mauvais  traitement?,  qu'ils  résultent  soit  d'actes 
directs  de  violence  ou  de  brutalité,  soit  de  tous  autres  actes  volontaires  de  la 
part  des  coupables,  quand  ces  actes  ont  pour  résultat  d'occasionner  aux  animaux 
des  souffrances  que  la  nécessité  ne  justifie  pas  (Arrêt  de  cassation,  22  août  1857 
et  13  août  1838),  tombent  sous  l'application  de  ladite  loi;  —  qu'aux  tenues  d'une 
circulaire  ministérielle  du  4  septembre  1873  et  d'un  an  été  du  préfet  de  la  Gironde 
du  25  août  1873  et  pour  des  faits  analogues  à  ceux  ci-après  exposés,  les  courses 
de  taureaux  ont  été  supprimées  ;  —  qu'il  existe  à  ce  moment  à  Paris  une  société 
espagnole  dont  le  but  est  d'exploiter  un  établissement  de  courses  de  taureaux. 

Que  ces  courses  donnent  lieu  à  des  actes  de  brutalité  dont  notamment  les 
chevaux  sont  victimes  ;  qu'en  effet  ces  animaux  reçoivent  des  taureaux  des  coups 
de  corne  qui  doivent,  malgré  les  caparaçons  dont  ils  sont  en  partie  couverts, 
causer  de  vives  douleurs  ;  que  la  nécessité  ne  ju-jtifie  pas  ces  actes  ;  que  la  pré- 
sence des  chevaux  n'est  pas  indispensable  aux  courses  de  taureaux;  qu'ils  dé- 
sirent intenter  à  ladite  société  une  action  qui  aura  pour  but  d'assurer  la  sup- 
pression des  chevaux  dans  lesdites  courses. 

Que,  pour  appuyer  leur  demande,  ils  me  requièrent  de  constater  les  faits  dont 
je  serai  témoin. 

Déférant  à  cette  réquisition,  je  me  suis  transi  orté  à  Paris,  rue  Pergolèse,  58,  à 
l'établissement  dit  Gran  Plaza  de  Toros,  où,  étant  à  trois  heures  et  demie  de 
relevée,  j'ai  assisté  à  la  représentation  du  jour,  et  pendant  les  cinq  courses  dont 
j'ai  été  spectateur,  à  six  reprises  différentes,  les  chevaux  montés  par  les  picadores 
ont  été  renversés  et  leurs  cavaliers  désarçonnés. 

Il  est  certain  que  malgré  leurs  caparaçons,  qui  quelquefois  sont  déchirés  par 
les  coups  de  corne  des  taureaux,  les  chevaux  doivent  éprouver  de  violentes 
souffrances. 

De  ce  que  dessous  j'ai  dressé  le  présent  procès-verbal  pour  servir  ce  que  ,de 
droit. 

Coût  dix-sept  francs  quarante-cinq  centimes. 

Rozier. 

En  même  temps  qu'il  adressait  ce  procès-verbal  au  procureur  de  la 
République,  le  président  de  la  Société  protectrice  des  animaux  a  écrit  à 
ce  magistrat  une  lettre  dans  laquelle  il  expose  que  «  les  articles  29  et  30 
du  code  d'instruction  criminelle  imposent  non  seulement  aux  fonction- 
naires et  officiers  publics,  mais  encore  à  toute  personne,  l'obligation  de 
donner  avis  au  procureur  de  la  République  des  délits  dont  ils  auront 
acquis  la  connaissance.  »  Il  termine  sa  lettre  en  disant  que  la  Société 
protectrice  des  animaux  fait  cette  dénonciation,  «  afin  d'obtenir  de  la 
justice  française  l'application  d'une  loi  française,  qui  n'est  point  abrogée 
et  qui,  étant  journellement  appliquée  à  des  cochers  et  des  charretiers 
dans  Paris,  doit  l'être  en  vertu  du  principe  d'égalité  devant  la  loi,  aux 
toreadores,  picadores  et  banderilleros  de  l'arène  de  la  rue  Pergolèse.  » 
Voilà  qui  est  bien  dit  et  mérite  d'être  écouté. 

—  M.  Victor  Ullmann,  secrétaire  de  MM.  Abbey  et  Grau,  et  bien  connu 
parmi  les  artistes  en  tournée,  vient  d'être  nommé  directeur  du  théâtre  du 
Khédive  au  Caire.  Il  a  été  choisi  sur  cent  concurrents  qui  se  présentaient. - 
M.  Ullmann  jouera  l'opéra-comique  et  l'opérette,  et  compte  engager  plu- 
sieurs de  nos  étoiles  parisiennes.  Bonne  chance  au  nouvel  imprésario, 
d'autant  plus  que,  grâce  à  M.  Ullmann,  c'est  le  répertoire  français  et  ses 
interprètes  qui  triompheront  cette  année  au  Caire.  Espérons  aussi  que 
M.  Victor  Ullmann  saura  respecter  les  droits  des  auteurs  français. 

—  M.  Gigout  fera  entendre  les  élèves  de  son  cours  d'orgue  et  d'impro- 
visation mardi  prochain,  22  juillet  1890,  à  3  heures  précises.  Cette  audi- 
tion de  fin  d'année  sera  donnée  chez  M.  Gigout,  113  6m,  rue  Jouffroy, 
avec  le  concours  de  M110  Jeanne  Lyon  et  de  M.  Auguez.  Le  programme 
comprend  des  œuvres  de  J.  S.  Bach,  Hiundel,  Mendelssohn,  Niedermeyer, 
Lemmens,  Saint-Saëns,  Ch.  Lefebvre,  Gigout  et  Boellmann.  L'orgue  sort 
des  ateliers  de  la  maison  Cavaillé-Coll. 

—  M.  Campocasso,  dont  le  privilège  vient  d'être  renouvelé  au  grand 
théâtre  de  Marseille  jusqu'en  1892,  avec  une  augmentation  de  subvention 
de  30,000  francs,  s'étanl  attaché  comme  chef  d'orchestre  M.  Miranne,  qui 
conduisait  les  concerts  de  l'Association  artistique,  il  en  résulte  que  cette 
excellente  société  se  trouve  sans  chef  pour  l'instant.  Les  Marseillais  font 
appel  à  un  musicien  de  valeur  pour  occuper  ce  poste  très  enviable. 

—  Au  casino  de  Dieppe,  succès  très  prononcé  pour  une  jeune  canta- 
trice nouvellement  engagée  par  M.  Bourdeau  et  qui  donne  les  plus  bril- 
lantes espérances.  Mllu  Rizzio,  —  c'est  son  nom  —  a  été  rappelée  et  cou- 
verte de  fleurs  après  l'air  de  Sémiramis,  que  lui  accompagnait  M.  Ans- 
chiilz. 

Henri.  Heugel.  directeur-gérant. 

A  LOUER,  près  Cluny  à  heures  déterminées,  salon  pour  études  mu- 
sicales. Écrire  AA  poste  restante,  bureau  25. 

MlEltlE  CUMX.   —   1 


Dimanche  27  Juillet  1890. 


3093  -  56-  ANNEE  -  \°  30.  PARAIT    T0US    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs. 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


S0MMAIEE-  TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste:  Georges  Bizet  (11e  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Semaine 
théâtrale  :  les  concours  du  Conservatoire;  nouvelles,  H.  Moreno.  —  III.  Berlioz, 
son  génie,  sa  technique,  son  caractère,  à  propos  d'un  manuscrit  autographe 
d'Harold  en  Italie,  A.  Montaux.  —  IV.  Histoire  vraie  des  héros  d'opéra  et  d'opéra- 
comique  (38"  article)  :  Triboulet,  Edmond  Neukohh.  —  V.  Nouvelles  diverses. 


MUSIQUE  DE  CHANT 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
L'ÉTOILE 
nouvelle  mélodie  de  A.  Limnander,  poésie  de  A.  Van  Hasselt.  —  Suivra 
immédiatement  :  Vous  ne  m'avez  jamais  souri,  nouvelle  mélodie  de  G.  Ver- 
dalle,  poésie  de  M.  Helliot. 

PIANO 
Nous   publierons   dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano  :  la  Romance  de  Joconde,  transcrite  et  variée  par  Charles  Neustedt. 
—  Suivra  immédiatement:  Joyeux  rigaudon,  de  Edouard  Broustet. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


GEORGES   BIZET 


Vers  ce  temps,  G.  Bizet,  d'ailleurs  très  souffrant,  parut 
tomber  dans  une  mélancolie  profonde,  qui  se  révélait  seule- 
ment par  des  mots  échappés  de  ses  lèvres  comme  malgré  lui. 
A  la  surface,  il  était  toujours  le  même  homme,  souriant, 
parlant  de  tout  de  ce  même  ton  de  persiflage  qui  déguisait 
si  bien  pour  les  indifférents  sa  sensibilité  et  sa  bonté. 

Ce  n'est  qu'après  un  événement  terrible  et  foudroyant 
comme  celui  qui  devait  terminer  cette  carrière  brillaute  et 
tourmentée,  que  l'on  se  rappelle  mille  détails  révélant  en 
l'homme  près  de  disparaître,  comme  un  pressentiment  de  sa 
destinée  prochaine. 

En  plein  épanouissement  de  vie.  alors  que  tout  devait  lui 
parler  de  joie,  d'avenir  et  de  gloire,  G.  Bizet  portait  certaine- 
ment au  fond  de  lui-même  la  notion  obscure  de  quelque 
sombre  dénouement. 

—  C'est  inouï  ce  que  je  me  seus  vieux!  disait-il,  un  soir, 
au  cours  d'une  causerie  dans  le  magasin  de  l'éditeur 
Hartmann. 

Vieux  !  cet  homme  de  trente-six  ans,  plein  d'exubérance 
■et  de  flamme,  au  cerveau  gonflé  de  pensées,  ayant  à  peine 
connu  la  vie,  ne  l'ayant  encore  connue,  il  est  vrai,  que  par 
ses  luttes  et  ses  épreuves  I 

Il  s'en  allait  pourtant,  avec  un  éclat  de  rire,  qui  semblait 
démentir  sa  parole  découragée. 


Presque  toutes  les  années,  il  souffrait  de  la  gorge.  Cette 
affection  devenue  chronique  ne  l'inquiétait  guère  ;  elle  le 
laissait  quitte  moyennant  quelques  jours  de  soins.  Elle  était 
pourtant  douloureuse  parfois,  au  point  de  lui  interdire  tout 
travail. 

Avant  Carmen,  il  m'avait  écrit  à  propos  de  Geneviève  : 

«  Devant  donner  ma  partition  de  Carmen  le  1er  mai,  je  ne 
puis  finir  notre  oratorio  cet  hiver.  Je  le  ferai  en  Mai,  Juin  et 
Juillet.  » 

En  mai,  il  était  malade,  pris  plus  sérieusement  que  de 
coutume,  forcé  de  s'enfermer. 

Un  moment  vint  où  le  mal  prit  un  caractère  assez  aigu. 
C'est  à  cette  période  que  se  rattache  vraisemblablement  ce 
billet,  toujours  sans  date,  écrit  à  Guiraud  : 

«  Angine  colossale.  Ne  viens  pas  dimanche.  Figure-toi  une 
double  pédale  la  bémol-m*  bémol,  qui  vous  traverse  la  tète 
de  l'oreille  gauche  à  l'oreille  droite.  Je  n'en  puis  plus.  Je 
t'écrirai.  » 

Un  mieux  sensible  devait  pourtant  marquer  les  dernières 
semaines  de  son  séjour  à  Paris.  Il  avait  hâte  de  quitter  la 
rue  de  Douai,  d'aller  s'établir  à  Bougival,  au  bord  de  la  Seine, 
où  il  retrouvait  chaque  été  la  vie  indépendante,  si  utile  à  son 
travail  et  si  chère  à  ses  goûts. 

Geneviève  de  Paris  hantait  son  cerveau.  Il  s'en  entretenait 
avec  Lamoureux  ;  il  désirait  se  mettre  à  l'œuvre. 

«  J'ai  vu  Lamoureux  qui  ne  m'a  pas  caché  l'excellente 
impression  que  lui  a  laissée  votre  lecture.  Il  est  enchanté. 
Je  ne  pars  que  jeudi.  D'ici  là,  indiquez-moi  un  rendez-vous. 
Je  sors  tous  les  jours  en  voiture  de  2  à  4. 

»  Je  souffre  toujours,  mais  il  paraît  que  ce  sera  ainsi  jus- 
qu'à la  fermeture  de  l'abcès!...  Charmant!  » 

Cette  lettre  est  certainement  la  dernière  que  j'aie  reçue  de  lui. 


Rendez-vous  pris,  selon  son  désir,  j'allai  le  voir.  Je  le 
trouvai  un  peu  accablé,  souriant  d'un  sourire  encore  mélan- 
colique, plein  d'ardeur  pourtant  à  la  pensée  du  labeur  pro- 
chain. Assis  à  l'angle  de  la  cheminée,  dans  son  fauteuil  de 
malade,  il  me  parla  longuement  et  de  ses  souffrances  pas- 
sées et  de  ses  rêves  d'avenir.  —  La  maladie,  il  en  riait  déjà, 
la  croyant  vaincue!  —  Les  rêves,  il  les  recommençait  avec 
une  satisfaction  toujours  nouvelle!  Bien  loin  déjà  étaient 
Djamileh,  disparue  si  vite,  Carmen,  discutée,  dédaignée  aussi 
par  certains,  l' Arlésienne  plus  heureuse ,  Bon  Rodrigue  même 
arrêté  dans  son  essor  par  l'incendie  de  l'Opéra  et  la  préfé- 
rence accordée  à  un  autre  ouvrage.  Toutes  les  forces  renais- 
santes du  compositeur,  toute  son  ardeur  rajeunie  tendaient 
alors  vers  cette  Geneviève  pour  l'achèvement  de  laquelle  il  s'é- 
tait donné  naguère  trois  mois  :  mai-juin-juillet. 


234 


LE  MÉNESTREL 


C'est  le  seul  jour,  je  crois,  où  Bizet  ne  m'ait  pas  parlé 
debout,  cédant  à  ce  besoin  d'activité,  de  mouvement  qui 
faisait  le  fond  de  son  tempérament.  Il  serait  d'un  ridicule 
sentimentalisme  de  dire  que  j'en  fus  frappé  et  attristé  alors. 
Je  n'y  pensais  pas.  Je  ne  croyais  à  rien  de  grave;  ce  n'est 
que  bien  après  que  l'impression  vaguement  triste  de  cette 
dernière  rencontre  m'est  revenue  —  et  que  j'ai  revu  le  com- 
positeur, dans  le  lointain  pourtant  très  net  de  mes  souvenirs, 
avec  ses  traits  comme  attendris,  son  geste  lent  et  doux,  son 
regard  tout  brillant  devant  les  images  évoquées,  qui  le  len- 
demain allaient  vivre  et  chanter  ! 

Il  disait  :  mai-juin-juillet  !  La  mort  avait  dit  :  juinl 

Deux  jours  après,  le  lendemain  même  peut-être,  il  devait 
partir.  Il  n'existait  du  poème  de  Geneviève  de  Paris  que  le  ma- 
nuscrit original,  sur  lequel  nous  avions  déjà  échangé  des 
idées  et  qui  nous  avait  servi  pour  cette  lecture  à  Lamoureux, 
qui  avait  donné  au  compositeur  cette  certitude  heureuse  du 
placement  de  son  œuvre. 

«  —  Faites  vite  copier,  me  dit-il,  quand  nous  nous  sépa- 
râmes et  expédiez-moi  cela  à  Bougival.  » 


G.  Bizet  devait  avoir  le  manuscrit  de  Geneviève  de  Paris  ;  il  lui 
était  certainement  parvenu  au  lendemain,  sinon  le  jour  même, 
de  son  arrivée  à  Bougival  et  je  n'en  recevais  aucune  nou- 
velle    Je   m'étonnais  de  ce    silence;  j'accusais  déjà  de 

négligence,  d'indifférence,  le  collaborateur,  si  ponctuel  d'or- 
dinaire. 

En  rentrant  chez  moi,  ce  jour -là,  j'y  trouvai  au  milieu 
des  miens,  Mme  Saint-Saëns,  la  mère  ;  on  parlait  de  G.  Bizet. 

Et  comme  je  manifestais  mon  sentiment  au  sujet  de  ce 
silence  inexpliqué  du  compositeur,  Mme  Saint-Saëns  me  dit, 
d'un  ton  singulier  qui  me  frappa. 

—  Il  ne  vous  écrira  pas.  Il  est  très   malade,  très  malade  ! 

—  Comment?  Il  allait  mieux! 

—  Il  est  très  malade. 

Elle  répétait  ce  mot,  avec  un  regard  navré,  une  tristesse 
d'intonation  qui  achevèrent  de  me  troubler. 

—  Mais,  alors,  je  vais  aller  Je  voirl 

Elle  ajouta  lentement  : 

—  Non  !  n'y  allez  pas  ! 

Et  elle  se  leva,  prit  congé. 

Mme  Saint-Saëns  partie,  il  y  eut  parmi  nous  un  silence. 
Du  regard,  j'interrogeai  ma  femme.    Puis,  tout  à  coup,  la 
voyant  troublée,  spontanément,  sans  raisonner,  je  dis: 

—  Il  est  mort  ! 

Une  affirmation  muette  me  répondit,  m'arracha  ce  cri  : 

—  Oh!  ce  n'est  pas  vrai!... 

Je  ne  voulais  pas  croire!  —  Les  réflexions  sottement  ba- 
nales m'arrivaient  en  foule:  je  l'avais  vu,  il  n'y  avait  pas 
huit  jours,  je  lui  avais  envoyé  ce  manuscrit  de  Geneviève... 
Mort!  était-ce  possible? 

La  nouvelle  était  arrivée  le  matin  même.  Elle  avait  causé 
dans  le  milieu  où  Georges  Bizet  était  connu,  admiré,  aimé, 
une  douloureuse  stupeur  ! 

Il  avait  succombé  dans  la  nuit  du  2  au  3  juin,  en  quelques 
instants.  La  cause  de  ce  brusque  et  terrible  dénouement,  on 
n'y  songeait  pas  même  tout  d'abord!  On  voyait  seulement 
l'immensité  de  la  perte  que  l'art  musical  venait  de  faire.  Et 
après  la  douleur  profonde  que  la  disparition  d'un  ami  cher 
peut  causer  à  des  amis,  c'était  cela  seul  qui  importait.  La 
voix  muette,  la  main  glacée  à  tout  jamais!  Voilà  ce  qu'on  se 
disait  en  suivant  deux  jours  après,  au  cimetière  Montmartre 
le  convoi  de  ce  jeune  et  de  ce  vaillant  emporté  en  pleine 
bataille. 

On  dit,  autour  de  cette  tombe  ouverte,  toutes  les  phrases 
d'usage.  Elles  ne  varient  guère  :  la  mort  est  la  grande  nive- 
leuse  des  opinions  :  celui  qui  s'en  va  et  qu'il  faut  louer  ne 
saurait  avoir  été  qu'un  ami  fidèle  et  dévoué,  une  âme  et  un 
esprit  d'élite.  Il  y  a    des    formules  éternelles  pour  des  cir- 


constances pareilles.  Ce  n'était  pas  dans  la  banalité  pom- 
peuse des  lieux  communs  que  résidait  ce  jour-là  le  véritable 
éloge  de  l'ami  et  du  maître,  c'était  dans  la  douleur  de  tous, 
c'était  dans  les  larmes  difficilement  contenues,  dans  les 
paroles  brèves,  étranglées  par  l'émotion,  dans  les  énergiques 
serrements  de  mains  de  ceux  qui  souffraient  profondément 
du  même  coup. 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


LES  CONCOURS  DU  CONSERVATOIRE 
Ils  se  poursuivent  sans  relâche;  la  longue  théorie  des  jeunes  filles 
et  des  jeunes  hommes  concurrents  s'allonge  sous  les  voûtes  du  Con- 
servatoire, au  milieu  des  malédictions  habituelles  de  nos  confrères  de 
la  presse.  C'est  toujours  le  même  concert  de  reproches  qu'on  leur 
fait:  «  Qu'êtes-vous?  Que  savez-vous?  A  quoi  avez-vous  employé 
votre  temps?  Vous  ne  chantez  pas  comme  la  Krauss,  mademoiselle; 
vous  n'avez  pas  la  tournure  de  Jean,  mon  garçon.  Vous  ne  touchez 
pas  le  piano  comme  Planté,  jeune  téméraire.  Joachim  en  pince 
mieux  que  vous,  vous  n'êtes  qu'un  racleur  de  violon.  »  Avouons 
que  ce  petit  radotage  annuel  devient  bien  ridicule.  Le  Conserva- 
toire n'est  qu'une  école  et  on  ne  peut  lui  demander  de  nous  fournir 
en  quelques  années  des  artistes  accomplis.  C'est  comme  si  l'on  disait 
aux  jeunes  sous-lieutenants  qui  sortent  de  Saint-Cyr  :  «  Vous  ne 
valez  pas  Napoléon  Ier  ».  Non,  le  Conservatoire  ne  peut  avoir  la  pré- 
tention de  fournir  des  Faure  et  des  Duprez  tout  fraîchement  émou- 
lus au  sortir  de  ses  classes.  Ce  serait  vraiment  trop  beau.  Tout  ce 
qu'il  peut  faire, 'c'est  de  donner  aux  jeunes  élèves  qu'il  reçoit  de  bons 
principes  d'éducation,  lesquels,  s'ils  tombent  sur  des  natures  bien 
douées,  doivent  mettre  les  jeunes  apprentis  à  même  de  passer 
bientôt  artistes  par  la  pratique  publique  de  leur  art.  Est-ce  que  le 
Conservatoire  a  manqué  à  cette  tâche,  cette  année  plus  que  les 
années  précédentes  ?  Que  non  pas  !  Et  nous  en  trouvons  la  preuve 
dans  les  articles  mêmes  des  critiques  qui  se  montrent  les  plus 
amers. 

Voici,  par  exemple,  M.  Léon  BernardDerosne,  du  Gil  Blas,  si  je 
ne  m'abuse,  qui  déclare  sans  ambages,  à  propos  du  concours  de 
tragédie  et  de  comédie,  «  qu'il  y  a  longtemps  qu'il  n'avait  assisté 
à  un  concours  aussi  médiocre  ».  Puis,  tout  de  suite  après,  il  est 
obligé  de  reconnaître  que  Mllc  Dus,  qui  cependant  n'a  eu  qu'un 
second  prix,  «  a  de  l'énergie  et  du  feu  et  qu'elle  pourrait  aller 
loin.  »  Le  concours  est  médiocre,  c'est  entendu,  et  pourtant  voici 
comment  le  même  critique  s'exprime  à  propos  de  M.  Dehehy  : 

Le  premier  prix  de  comédie  a  été  donné  à  M.  Dehetly,  el  il  lui  a  été  donné 
à  l'unanimité.  Je  serais  étonné  si  le  jeune  lauréat  ne  réussissait  pas  avec  éclat 
dans  son  métier.  Il  a  dix-huit  ans  et  il  connaît  déjà  son  affaire.  Il  est  mince, 
gracieux,  ému,  vibrant  même,  et  cependant  son  jeu  est  mesuré  et  très  attentif. 
Il  a  dit  d'une  façon  vraiment  touchante,  l'admirable  scène  du  Chandelier . 

M.  Auguste  Vitu,  l'émincnt  critique  du  Figaro,  n'est  pas  moins 
élogieux  pour  ce  jeune  homme  : 

M.  Dehelly,  dit-il,  a  conquis  le  premier  prix  d'une  acciamation unanime.  Ce  jeune 
élève  de  M.  Delaunay,  il  n'a  pas  encore  dix-neuf  ans,  est  lui-même  un  jeune 
Delaunay  ;  tel  il  nous  est  apparu  dans  le  rôle  de  Fortunio.  L'accent,  le  geste,  la 
voix  la  plus  tendrement  expressive  et  portant  sans  effort,  tout  cela  e,t  d'un 
charme  juvénile  qui  a  uni  dans  un  accord  parfait  la  décision  du  jury  et  les  ova- 
tions du  public. 

Et  que  nous  dit  également  M.  Vitu  sur  le  compte  de  M"e  Dux? 
Voici  : 

La  personnalité  hors  ligne  de  cette  partie  du  concours,  c'est  une  jeune  fille 
qui  n'a  pas  encore  seize  ans,  M""  Dux,  qui  s'attaquait  au  rôle  d'Hermione.  Excu- 
sez du  peu  1  M"0  Dux  nous  réservait  la  surprise  d'une  voix  pleine,  flexible  et  bien 
timbrée,  d'une  diction  admirablement  juste  eii  même  temps  que  simple,  et,  chose 
presque  incroyable  en  cet  âge  si  tendre,  d'une  autorité  qui  s'impose.  Le  jury  a 
été  séduit  comme  le  public  tout  entier,  car  il  a  décerné  d'emblée  le  second  prix 
de  tragédie  à  M"*  Dux. 

Eh  !  bien  je  n'appelle  pas  un  concours  médiocre  (!),  celui  qui 
nous  donne  deux  grandes  espérances  comme  M.  Dehelly  et  M"e  Dux. 
Je  vais  plus  loin  et  je  dis  que,  le  Conservatoire  ne  produisit-il 
par  an  que  la  graine  seule  d'un  futur  grand  artiste,  son  utilité 
serait  suffisamment  démontrée. 

Les  classes  de  chant  sont  comme  d'habitude  les  plus  décriées,  et 
pourtant  il  semble  y  avoir  unanimité  pour  reconnaître  les  plus  sé- 
rieuses qualités  au  jeune  baryton  M.  Ghasne.  Je  regrette  de  ne  plus 
retrouver  dans  mes    coupures    les  quelques   lignes  très  élogieuses 


LE  MENESTREL 


235 


que  lui  consacre  le  critique  musical  du  Gil  Mas,  qui  ne  passe  pas 
pour  écrire  d'ordinaire  des  articles  de  complaisance,  mais  M.  Vitu, 
déjà  nommé,  déclare  que 

M.  Ghasne,  le  premier  des  deuxièmes  prix,  a  vaillamment  gagné  cette  récom- 
pense; il  s'était  mesuré  avec  l'air  d'Agamemnon  «  Diane  impitoyable  »,  dans 
Vlphigénie  en  Auliâe,  de  Glùcli.  Ce  morceau  de  musique  classique,  tout  en  décla- 
mation scolastique  et  sévère,  ne  porte  pas  beaucoup  son  interprète.  M.  Ghasne 
l'a  dit  avec  une  justesse  bien  remarquable  chez  un  débutant;  il  y  a  mis  du 
style  et  quelque  chose  de  plus.  Sa  voix  de  baryton  est  d'ailleurs  solide  et 
expressive. 

Parmi  les  femmes,  c'est  M110  Bréval  qui  a  eu  l'honneur  de 
«  prendre  aux  entrailles  »  notre  difficile  confrère  et  ami  Victor 
Wilder.  Elle  le  doit  à  «  sa  voix  chaude  et  à  son  tempérament  -vi- 
goureux ».  Eh!  hien,  ce  n'est  donc  rieu  que  de  prendre  Wilder  aux 
entrailles!  Et  vous  voulez  me  l'aire  croire  que  ce  concours  a  été 
médiocre. 

Dans  celles  des  classes  instrumentales  déjà  passées  en  revue,  on 
se  plaît  à  reconnaître  que  le  jeune  Durand  (onze  ans  !)  est  déjà  un 
harpiste  des  plus  distingués,  et  le  jeune  Lachaumé,  premier  prix 
de  piano,  une  nature  artistique  d'élite  : 

Le  concours  de  piano  a  présenté  un  jeune  élève  d'ordre  tout  à  fait  supérieur. 
M.  Lachaumé,  élève  de  M.  Charles  de  Bériot,  a  interprété  le  morceiu  de  concours, 
—  la  1"  Ballade  de  Chopin  —  en  véritable  artiste,  et  l'impression  qu'il  a  produite 
sur  le  public  a  été  une  des  plus  profondes  qui  aient  jamais  été  ressenties  par 
l'auditoire  du  Conservatoire. 

Eh  !  mais,  sans  compter  les  surprises  que  peuvent  nous  réserver 
les  concours  qui  n'ont  pas  encore  eu  lieu,  voici  déjà  six  sujets  qui 
ne  paraissent  pas  tant  à  dédaigner  :  MIlcsDux  et  Bréval,  MM.  Dehelly, 
Ghasne,  Durand  et  Lachaumé.  On  est  doue  bien  mal  venu,  nous  sem- 
ble-t-il,  de  se  lamenter  ainsi  suria  soi-disant  décadence  des  éludes  au 
Conservatoire.  Ah!  si  nos  confrères  voulaient  bien  faire  un  petit 
tour  dans  les  établissements  similaires  de  l'étranger,  ils  commen- 
ceraient sans  doute  à  comprendre  qu'ils  ont  chez  eux  une  école 
sans  rivale  et  qu'ils  ont  bien  tort  de  la  décrier  ainsi. 


Naturellement  peu  de  chose  dans  les  théâtres  pendant  ces  temps 
d'été.  L'Opéra  continue  à  se  dégarnir  peu  à  peu.  Aux  artistes  qui 
courent  la  prétentaine  à  l'étranger  et  que  nous  avons  déjà  signalés, 
il  va  falloir  ajouter  M.  et  Mme  Escalaïs,  qui  prennent  leur  congé,  la 
semaine  prochaine,  et  M.  Plançon,  qui  devrait  déjà  être  parti  et  n'a 
consenti  à  demeurer  que  par  dévouement  pour  l'administration.  Il 
serait  curieux  de  compter  au  juste  les  sujets  qui  restent  et  de  savoir  ce 
que  devient  le  fameux  article  du  cahier  des  charges  qui  enjoint  aux 
directeurs  d'avoir  toujours  tenus  en  triple  les  rôles  de  chaque  ouvrage. 
J'imagine  que  nous  serions  loin  de  compte.  Il  est  inutile  d'ajouter 
qu'avec  tous  ces  départs  les  représentations  déjà  si  médiocres  de 
l'Opéra  sont  tombées  au-dessous  du  niveau  du  dernier  théâtre  de 
province.  Et  c'est  pour  cela  que  MM.  Ritt  et  Gailhard  touchent  huit 
cent  mille  francs  de  subvention  à  l'année  ! 

Qui  l'emportera  du  Mage  ou  de  Salammbô?  Lequel  des  deux  ouvrages 
passera  avant  l'autre  ?  La  lutte  est  commencée  et  les  paris  sont 
ouverts.  Massenet  contre  Royer.  Les  deux  compositeurs  sont  aussi 
pleins  de  talent  l'un  que  l'autre,  et  aussi  pleins  d'esprit.  L'un  a  la 
signature  des  directeurs,  l'autre  leur  parole,  la  partie  est  donc  égale. 
Attendons-nous  à  des  incidents  curieux.  Est-ce  pour  sortir  d'em- 
barras que  MM.  Ritt  et  Gailhard  annoncent  à  son  de  trompe 
dans  tous  les  journaux  que  pour  eux  ils  n'ont  qu'à  se  croiser  les 
bras  jusqu'au  moment  où  les  Chambres  auront  statué  sur  leur 
malheureux  sort.  Il  serait  surprenant  qu'on  les  renvoie  à  leur 
échoppe  et  qu'ensuite  nous  n'ayons  ni  le  Mage,  ni  Salammbô!  Voilà 
qui  serait  regrettable. 

*  * 

Où  en  est  au  juste  M.  Verdhurt  avec  son  Eden?  Construit-il?  ne 
construit-il  pas?  Engage-t-il  ?  N'engage-t-il  pas  ?  Les  bruits  les 
plus  divers  courent  la  presse  à  son  sujet.  Ce  qu'on  nous  annonce 
aujourd'hui  est  démenti  le  lendemain.  On  dit  que  M.  Engel  est  en- 
gagé, mais  ce  pourrait  bien  être  M.  Talazac  ;  on  dit  que  M.  Bouhy 
a  signé.  Pourquoi  ne  serait-ce  pas  M.  Vauthier?  Tout  n'est  ici  que 
conjecture,  sauf  bien  entendu  le  capital  immense  que  M.  Verdhurt 
a  su  sans   aucun  doute  réunir  pour  faire  prospérer  son  entreprise. 


A  la  Comédie-Française  ,  nous  avons  eu  une  agréable  reprise  des 
Petits  Oiseaux  de  M.  Labiche.  Ce  n'est  pas  cependant  sa  plus  vive 
comédie  ;  et  on  fera  bien  de  songer  au  Voyage  de  M.  Perrichon  ou 
à  Cétimare,  qui  sont   des    inventions  autrement  bien   venues.  C'est 


une    bonne    idée  que    d'enrichir   le   répertoire   de   la    Comédie    de 

quelques-unes   des    productions  de  cet    esprit  si  alerte,  si  sain,  si 

français. 

H.  Moreno. 


BERLIOZ 

SON  GÉNIE,   SA  TECHNIQUE,   SON   CARACTÈRE 
A  propos  d'un  manuscrit  autographe  d'HAROLD  EN  ITALIE 


On  peut  affirmer  que  jamais  en  aucun  temps  les  chefs-d'œuvre 
ne  furent  plus  étudiés  et  mieux  commentés  qu'en  celui-ci.  L'esprit 
d'analyse  est  tel  qu'il  n'en  est  point  peut-être  dont  on  ne  recherche 
l'origine,  dont  on  ne  reconstitue  l'histoire.  On  veut  savoir  en  quelles 
circonstances  telle  ou  telle  composition  admirée  a  été  conçue, 
quelles  passions  l'ont  inspirée,  quelles  influences  en  ont  déterminé 
la  forme,  les  tendances.  Il  semble  que  la  vie  même  des  Maîtres 
puisse  fournir  l'explication  de  leur  génie.  «  L'homme,  c'est  le  style  » 
diraient  aujourd'hui,  en  retournant  un  mot  célèbre,  ces  infatigables 
curieux  que  tourmente  le  désir  de  connaître  le  pourquoi  de  toute 
chose.  Aussi,  à  côté  des  travaux  esthétiques  et  techniques  sur  les 
textes,  voyons-nous  se  multiplier  les  biographies  des  auteurs,  et 
même  les  publications  de  correspondances  privées ,  où  on  espère 
découvrir  le  secret  de  leurs  pensées  intimes. 

Il  est  pourtant  un  ordre  d'investigations  auquel  on  n'a  pas  songé 
jusqu'à  ce  jour  et  qui  compléterait  bien  celles  qu'on  multiplie  avec 
tant  d'ardeur.  C'est  l'étude  des  manuscrits  originaux,  où  l'on  peut 
surprendre  le  premier  jet  de  l'inspiration,  retrouver  le  travail  ulté- 
rieur de  la  pensée,  et  suivre  cette  pensée  en  ses  transformations 
successives.  Une  telle  étude  ne  serait  pas  sans  analogie  avec  celle 
qu'on  a  souvent  tentée  utilement  sur  les  cartons  esquissés  par  les 
o-rands  peintres  pour  préparer  leurs  fresques  et  leurs  tableaux.  Elle 
doit  conduire  à  des  remarques  fécondes  et  en  apprsndie  plus  long 
qu'aucune  autre  sur  le  tempérament  d'un  artiste,  ses  procédés,  ses 
aspirations. 

Sans  doute  offre-t-elle  plus  d'une  difficulté,  car  il  est  malaisé  de 
se  procurer  de  semblables  autographes.  La  langue  usuelle  ne  suffit 
pas  non  plus  pour  expliquer  clairement  les  observations  recueillies, 
et  un  exposé  de  cette  sorte,  s'il  se  prolongeait,  deviendrait  inévita- 
blement fastidieux.  Du  moins  en  peut-on  faire  l'essai  sur  des  frag- 
ments connus,  de  dimension  restreinte,  et  où  la  manière  d'un  Maître 
se  révèle  de  la  façon  la  plus  caractéristique. 


Un  des  romantiques  dont  on  s'est  le  plus  occupé  depuis  quelque 
temps  est  Hector  Berlioz. 

Sans  parler  de  ses  propres  écrits  ni  de  ses  mémoires  autobiogra- 
fiques  où  il  s'est  représenté  tel  qu'il  voulait  paraître  à  ses  contem- 
porains et  à  la  postérité,  deux  recueils  de  ses  correspondances  ont  été 
produits  ;  on  a  publié  sur  sa  personne  et  ses  travaux  de  nombreux 
ouvrages.  Enfin  les  critiques  les  plus  qualifiés  ont  décrit  son  génie 
et  les  moindres  particularités  de  sa  vie  en  des  articles  épars  parmi 
lesquels  il  faut  rappeler  les  curieuses  appréciations  de  Robert  Schu- 
mann  et  les  apologies  enflammées  qu'Ernest  Reyer  lui  a  dédiées  à 
plusieurs  reprises,  notamment  au  lendemain  de  sa  mort.  Ses  œuvres 
elles-mêmes  sont  connues  aujourd'hui  de  tous;  elles  figurent  sans 
cesse  aux  programmes  des  associations  symphoniques  à  Paris,  en 
province,  à  l'étranger.  Pour  tout  dire,  par  un  singulier  revirement 
du  "oût,'  après  avoir  été  longtemps  décriées  avec  une  sotte  préven- 
tion, elles  sont  devenues  à  la  mode. 

J'ai  l'honneur  de  posséder  la  partition  autographe  à'Harold  en 
Italie.  Cette  partition  fut  offerte  à  Auguste  Morel,  par  Berlioz  lui- 
même,  en  témoignage  de  l'étroite  amitié  qui  les  unissait  l'un  à 
l'autre,  ainsi  que  l'atteste  la  suscription  suivante  :  «  Manuscrit  auto- 
graphe que  je  prie  mon  excellent  ami  Morel  de  conserver  en  souvenir  de 
moi.  »  Les  héritiers  d'Auguste  Morel  savaient  son  intention  de  me 
léguer  ce  précieux  document  ;  ils  m'en  firent  généreusement  don 
lorsque  Morel  fut  enlevé  à  l'affection  des  siens  par  une  brusque 
maladie.  Je  leur  renouvelle  ici  mon  remercîment. 

Le  manuscrit  à'Harold  est  écrit  en  entier  de  la  main  d'Hector 
Berlioz,  avec  cette  écriture  ferme  où  semble  passer  quelque  chose 
de  son 'caractère.  Les  barres  de  mesures  sont  soigneusement  tracées 
à  la  règle.  Mais  les  corrections,  les  ratures,  les  surcharges  y  abon- 
dent, tantôt  à   l'encre,  tantôt  aux  crayons   rouges  ou  noirs.    On   y 


236 


LE  MÉNESTREL 


trouve  aussi  beaucoup  de  collettes  (1)  rapportées  avec  précaution  sur 
les  feuillets  et  maintenues  par  des  pains  à  cacheter,  au-dessous 
desquelles  on  peut  lire  sans  trop  de  peine  le  texte  primitif.  Des 
modifications  importantes  ont  été  apportées  à  l'instrumentation. 
Souvent  aussi  un  dessin  a  été  noté  au  bas  de  la  page  avec  plusieurs 
variantes,  au  milieu  desquelles  on  suit  les  hésitations,  sinon  de  la 
pensée,  du  moins  de  la  forme  que  cette  pensée  devait  finalement 
affecter. 

Celte  partition  au  bout  de  laquelle  le  maître  a  écrit  les  mots  : 
«  Montmartre  22  juin  1834  »  est  bien  celle  qui  a  servi  à  l'élaboration 
d'Harold. 

Auguste  Morel  l'avait  fait  relier  en  un  seul  volume  avec  un  ma- 
nuscrit de  la  Captive  orchestrée,  que  Berlioz  lui  avait  également 
donné.  —  «  Mon  cher  Morel,  »  a  écrit  Berlioz  au-dessous  du  tilre  : 
«  Conservez  ce  manuscrit  autographe  en  souvenir  de  l'amitié  sincère  que 
je  vous  ai  vouée  et  comme  un  témoignage  de  mon  admiration  pour  vos  rares 
et  magnifiques  facultés  musicales.  »  —  Mais  cette  seconde  partition, 
qui  est  d'une  grande  netteté,  ne  porte  la  trace  d'aucune  retouche. 
C'est  évidemment  une  duplique  que  Berlioz  avait  eu  la  touchante 
attention  d'établir  lui-même  pour  son  fidèle  ami.  Elle  n'a  donc  que 
la  valeur  d'un  autographe,  sans  l'intérêt  très  particulier  qui  s'attache 
au  manuscrit  d'Harold. 

Ces  circonstances  et  l'ensemble  des  considérations  qui  précèdent 
m'ont  engagé  à  tenter  sur  un  fragment  populaire  d'Harold  le  travail 
que  je  souhaiterais  voir  renouvelé  pour  les  pages  les  plus  signifi- 
catives des  maîtres. 

III 

Le  tablean  que  présente  la  Marche  des  Pèlerins  chantant  la  prière  du 
soir  est  bien  dans  la  donnée  romantique  qui  attirail,  je  dis  mieux 
qui  fascinait  Berlioz.  De  ce  romantisme,  qui  caractérise  le  mouve- 
ment intellectuel  de  1830,  Berlioz  se  grisait.  —  «Je  puis  dire  en  vé- 
rité »,  écrivait-il"  de  Lœwenberg,  «   que  jamais  je  n'entendis  exécuter 

Harold  d'une  plus  irrésistible  façon — je  me  jouai  réellement  pour 

moi-même,  sans  penser  au  public,  l'orgie  d'Harold,  à  ma  manière,  avec  fu- 
reur; j'en  grinçais  des  dents!   » —  Et  ailleurs  :  «   il  n'y  avait 

pas  assez  de  violons,  et  les  trombones  étaient  de  trop  honnêtes  gens  pour 
cette  orgie  de  brigands  ». 

Souvent  dans  ses  lettres,  dans  ses  mémoires,  il  revient  à  la  Mar- 
che des  Pèlerins.  —  À  la  première  audition,  le  23  novembre  1834,  il 
nous  apprend  qu'elle  fut  bissée.--  A  Dresde,  «  les  scènes  mélanco- 
liques et  religieuses  d'Harold  ont  paru  réunir  de  prime  abord  toutes  les 
sympathies.  »  —  A  MaDnheim,  «  ce  sont  les  deux  morceaux  d'Harold,  la 
Marche  des  Pèlerins  et  la  Sérénade,  qui  ont  eu  les  honneurs  ».  —  A  He- 
chingen,  la  Marche  des  Pèlerins  fait  encore  partie  du  programme  el, 
malgré  la  douloureuse  lacune  de  la  harpe  que  remplaçait  un  piano, 
malgré  l'absence  des  3e  et  4°  cors,  il  se  sent  heureux.  «  Tout  a  mar- 
ché très  bien,  »  dit-il,  «  avec  précision  et  même  avec  verve.  »  A  Leip- 
zig, à  Londres,  à  Marseille,  à  Lyon,  voici  encore  la  Marche  des  Pèle- 
rins; et  dans  les  Grotesques  de  la  musique,  il  nous  raconte  comment, 
dans  cette  dernière  ville,  la  partie  de  harpe  fut  exécutée  par  l'excel- 
lent chef  d'orchestre,  Georges  Hainl,  «  qui  enleva  les  cordes  voisines  de 
Tut  et  du  si,  et,  sûr  ainsi  de  ne  pouvoir  se  tromper,  attaqua  les  deux  seules 
notes  que  renferme  cette  partie  avec  un  imperturbable  aplomb.  » 

En  out'e  de  son  programme  romantique,  la  Marche  des  Pèlerins 
avait  d'autres  titres  à  la  prédilection  de  Berlioz.  Elle  était  une  pro- 
duction de  cette  période  heureuse  de  la  jeunesse  où  les  longs  espoirs 
soDt  ouverts  et  où  il  semble  à  l'artiste  qu'il  va  conquérir  le  monde. 
—  Enfin  le  sujet  même  d'Harold  évoquait  dans  son  âme  les  souve- 
nirs de  cette  Italie  où  il  avait  passé  quelques  années  remplies  d'im- 
pressions vivaces.  Ces  impressions,  on  les  retrouve  dans  le  troisième 
chapitre  de  ses  Mémoires  décrites  avec  une  couleur  intense,  avec 
une  rare  éloquence  : 

«  0  grande  et  forte  Italie  »,  s'écrie-t-il  en  terminant,  «  Italie  sauvage, 
insoucieuse  de  ta  sœur,  l'Italie  artiste, 

La  belle  Juliette  au  cercueil  étendue  !  » 

Italie  !  Italie  !  —  C'est  encore  sur  cette  invocation  qu'il  achè- 
vera les  Troijens,  magnifique  couronnement  de  sa  carrière  hantée 
toujours  par  cette  lumineuse  vision  ! 

Aussi  il  faut  voir  avec  quelle  ardeur,  avec  quel  amour  il  composa 
la  Marche  des  Pèlerins. 

(1)  La  collette  est  un  morceau  de  papier  collé  sur  la  page.  Elle  couvre 
par  conséquent,  en  la  cachant,  la  première  écriture,  et  c'est  sur  elle  que 
l'auteur  en  fixe  une  nouvelle.  Pour  la  commodité  du  récit,  un  utilisera 
souvent,  au  cours  de  la  présente  étude,  ce  néologisme  familier,  que  le 
lecteur  voudra  bien  excuser. 


Le  16  mai  1834,  dans  la  fièvre  de  la  production,  il  mandait  à  son 
ami  Humbert  Ferrand  :  a  II  y  a  une  marche  des  Pèlerins  chantant  la 
prière  du  soir  qui,  je  l'espère,  aura  au  mois  de  décembre  une  réputation  ». 
—  Et,  en  novembre  :  «  Après  la  première  audition,  la  Marche  des  Pèle- 
rins a  été  bissée  ;  elle  a  aujourd'hui  la  prétention  de  faire  le  pendant  (re- 
ligieux et  doux)  à  la  Marche  au  Supplice  ». 

Ne  sourions  pas  de  cette  expression  naïve  d'enthousiaste  satisfac- 
tion. Nul  ne  peut  aspirer  à  triompher  dans  l'art,  en  dépit  des  obs- 
tacles accumulés  sur  la  route,  s'il  n'a  cette  superbe  confiance  en  soi- 
même.  —  Et  puis,  quand  l'artiste  enfante  quelque  chose,  il  ressent 
une  sorte  d'ébranlement  dans  tout  son  être.  —  Deusl  ecce  Dtusl  — 
C'est  comme  une  échappée  qui  s'ouvre  sur  un  horizon  infini. 
Certes  il  ne  réalise  jamais  complètement  l'idéal  entrevu,  car  il  vise 
toujours  plus  haut  qu'il  ne  peut  atteindre.  Mais,  au  moment  où  l'ins- 
piration jaillit,  il  lui  semble  que  cet  idéal,  il  le  tient!  il  éprouve 
des  sensations  inconnues  à  tout  autre  qu'à  lui  et  en  retrouvera 
l'écho  vibrant  toutes  les  fois  qu'il  entendra  son  œuvre,  tandis  que 
le  public  y  trouvera  seulement  la  parcelle  d'idéal  qu'elle  peut 
réellement  contenir.  —  De  la  l'idée  exagérée  que  l'auteur  peut  avoir 
quelquefois  de  ses  productions. 

Respectons  cette  exagération,  car  elle  prouve  la  sincérité  même 
de  son  émotion. 

Du  moins  Berlioz,  après  le  premier  enivrement  de  la  création,  ne 
demeurait-il  pas  satisfait  de  lui-même. 

«  Dans  la  Marche  des  Pèlerins  »,  —  nous  confie-t-il  dans  ses  Mé- 
moires, —  «  que  j'avais  improvisée  en  deux  heures  en  rêvant  un  soir  au 
coin  de  mon  feu,  j'ai,  pendant  plus  de  six  ans,  introduit  des  modifications 
de  détail  qui,  je  crois,  l'ont  beaucoup  améliorée.  Telle  qu'elle  était  alors, 
elle  obtint  un  succès  complet  lors  de  sa  première  exécution  à  mon  concert 
du -23  novembre  4834  au  Conservatoire  ». 

Six  ans!  six  ans  de  retouches  pour  quelques  pages  de  poésie  des- 
criptive, voilà  qui  est  pour  donner  à  réfléchir  à  certains  de  nos  con- 
temporains, parmi  les  mieux  doués,  qui  sont  toujours  prêts  à  livrer 
au  public  des  œuvres  de  bien  autre  dimension  hâtivement  pensées 
et  hâtivement  écrites,  pour  contenter  servilement  son  caprice  du 
jour!  —  Même  en  tenant  compte  de  ce  grossissement  involontaire 
dont  Berlioz  est  coutumier  toutes  les  fois  qu'il  s'agit  de  lui,  il  est 
certain  qu'il  a  remanié  en  bien  des  points  et  à  des  époques  diverses 
la  conception  primitive  de  la  Marche  des  Pèlerins.  —  Nocturnâ  versate 
manu,  versate  diurnâ.  »  —  Les  différences  d'écritures,  de  notations 
sont  là  pour  en  témoigner. 

Ce  sont  précisément  ces  «  modifications  de  détail  »  rappelées  avec 
tant  d'intérêt  par  le  Maître  dans  ses  Mémoires  que  nous  allons  pou- 
voir curieusement  rechercher  dans  le  manuscrit. 

(A  suivre.)  A.  Montaux. 


HISTOIRE    VRAIE 

DES    HÉROS    D'OPÉRA    ET    D'OPÉRA- COMIQUE 


XLVII 
TRIBODLET 


A  l'Opéra,  on  l'appelle  Kigoletto  ! 

Ah  !  qu'il  tranche  sur  les  joyeux  drilles  qui  précèdent.  Eux,  amu- 
saient tout  le  monde.  Lui,  ne  distrait  personne,  pas  même  son  maî- 
tre. Triboulet  vient  du  vieux  verbe  tribouler,  qui  signifie  taquiner  ; 
ce  nom  prouve  suffisamment  le  genre  d'esprit  dont  notre  homme 
était  pourvu,  encore  que  Rabelais  l'ait  appelé  un  fou  sage. 

Il  traînait,  le  pitre,  ses  chausses  percées  dans  les  rues  de  Blois, 
en  jouant  de  la  cornamuse,  quand  le  roi  Louis  XII,  l'apercevant  d'une 
fenêtre  du  château,  comme  une  horde  de  gamins  l'accablait  de 
pierres,  envoya  un  de  ses  officiers  le  quérir  et  le  garda  aupiès  de 
lui  pour  remplacer  son  fou,  Caillette,  qui  venait  de  mourir. 

La  succession  était  facile,  car  Caillette  ne  brillait  pas  précisé- 
ment par  l'esprit.  Il  jouait  au  souffre-douleurs  et  se  contentait  de 
ce  iule  ridicule.  Un  jour,  des  pages  lui  ayant  cloué  l'oreille  à  un 
poteau,  il  demeura  dans  cette  triste  situation  jusqu'au  passage  du 
roi.  Louis  XII  entra  dans  une  vive  colère  à  la  vue  du  malheureux. 
Il  manda  lout  le  corps  des  pages;  mais  chacun  des  espiègles,  inter- 
rogé à  son  tour,  répondit  effrontément  : 

—  Je  n'y  étais  pas. 
Alors,  le  fou,  piteusement  : 

—  Je  n'y  étais  pas  non  plus. 

Triboulet  dut  la  plus  grande  part  de  son  succès  à  son  physique  : 
ses  oreilles  étaient  d'une  dimension  prodigieuse  ;  une  bouche  dénie- 


LE  MEiNESTREL 


237 


sûrement  fendue  s'étendait  de  l'une  à  l'autre  ;  enlin  il  avait,  comme 
l'a  dépeint  Clément  Marot  : 

Petit  front  et  gros  yeux,  nés  grant  et  taille  à  voste, 
Estomac  plat  et  long,  hault  dos  à  porter  hotte. 

Mais,  d'après  les  contemporains,  son  esprit  était  nul  ou  presque 
nul.  C'était  une  sorte  d'idiot,  qui  faisait  rire  par  ses  palinodies,  et 
dont  François  Ier,  au  service  duquel  il  était  passé  après  la  mort  de 
Louis  XII,  se  défit,  «  pour  cause  qu'il  avait  lassé  sa  patience,  ven- 
dant son  cheval  pour  avoir  du  foin,  et  revendant  son  foin  pour  avoir 
un  cheval.    » 

Les  anecdotes  sur  ce  grotesque  n'en  sont  pas  moins  nombreuses. 
Citons- en  quelques-unes  : 

Menacé  de  coups  de  bâton  par  l'amiral  Bonnivet,  dont  il  avait  mal 
parlé,  Triboulet  demanda  à  François  Ier  de  le  protéger  ;  celui-ci  lui 
répondit  que  si  quelqu'un  était  assez  hardi  pour  le  tuer,  il  le  ferait 
pendre  un  quart  d'heure  après. 

—  Ah  !  sire,  s'écria  Triboulet,  s'il  plaisait  à  Votre  Majesté  de  le 
faire  pendre  un  quart  d'heure  avant. 

Une  autre  fois,  exposé  à  perdre  la  vie  pour  avoir  gravement  insulté 
une  maîtresse  du  roi,  il  n'obtint  qu'une  grâce,  celle  de  choisir  son 
genre  de  mort. 

—  Bon  sire,  dit-il,  par  Sainte-Nitouche  et  Saint-Pansard,  patrons 
de  la  Folie,  je  demande  à  mourir  de  vieillesse. 

Enfin,  avant  la  campagne  de  1525,  entendant  les  conseillers  du  roi 
discuter  les  moyens  de  pénétrer  en  Italie  : 

—  Ces  avis  ne  me  plaisent  point,  dit-il,  vous  ne  pensez  point  à 
l'essentiel. 

—  Et  quel  est  l'essentiel? 

—  C'est  le  moyen  de  sortir,  dont  personne  ne  parle. 

Mais  la  vérité  nous  oblige  à  dire  que  celte  saillie  doit  êtie  portée 
non  au  compte  de  Triboulet,  mais  à  celui  de  son  successeur  Brus- 
quet. 

C'est  Biusquet  également  et  non  Triboulet,  comme  on  le  croit  géné- 
ralement, qui  marqua  sur  le  Calendrier  des  Fous  le  nom  de  Charles- 
Quint,  lorsque  ce  souverain  fit  demander  à  François  Ier  la  permission 
de  traverser  la  France  pour  se  rendre  à  Gand. 

Questionné  par  le  roi  sur  cette  inscription,  il  répondit  qu'il  fallait 
être  fou  pour  passer  dans  les  Étals  d'uD  prince  qu'on  a  maltraité. 

Et  le  roi  lui  ayant  demandé  ce  qu'il  dirait  en  voyant  l'empereur 
repasser  dans  le  royaume  avec  autant  de  sûreté  et  d'éclat  que  s'il 
était  es  Espagne; 

—  Je  ne  dirais  rien,  répliqua  le  bouffon,  mais  j'effacerais  sur-le- 
champ  le  Dom  de  Charles-Quint,  et  je  mettrais  sur  mon  registre  celui 
de  Votre  Majesté. 

Un  détail  caractéristique  : 

Des  gens  qu'on  n'estime  pas,  on  dit  encore  à  Blois  : 

—  Je  m'en  soucie  comme  de  Triboulet. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomji. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

Nouvelles  de  Londres  : 

Les  Anglais  en  ont  toujours  voulu  aux  auteurs  d'Hamlet  d'avoir  osé  s'at- 
taquer au  chef-d'œuvre  de  Shakespeare:  au  librettiste,  on  reproche  le  dé- 
nouement modifié  et  surtout  la  chanson  à  boire;  au  musicien,  d'avoir  pro- 
duit une  partition  sévère  comme  si  le  sombre  prince  de  Danemark 
aurait  pu  être  traité  d'une  façon  folâtra.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que 
cette  belle  œuvre  n'est  pas  appréciée  à  sa  valeur  à  Londres.  Et,  cependant, 
il  y  avait  là  des  éléments  d'interprétation  qui  à  eux  seuls  eussent  du  attirer 
l'attention  du  public,  si  celui-ci  n'était  atteint  de  cette  horrible  lénowlatrie 
dont  les  effets  ont  été  si  funestes  sur  toute  la  saison  musicale.  Eh  bien  ! 
les  absents  ont  eu  encore  cette  fois  bien  tort.  M.  Lasalle  s'est  vite  relevé 
de  quelques  défaillances  vocales,  au  premier  acte,  se  montrant  comédien 
et  chanteur  remarquable  dans  la  scène  de  l'esplanade  et  dans  le  duo  avec 
sa  mère.  M"lc  Richard  est  toujours  excellente  dans  le  rôle  de  la  reine. 
Quant  à  MIEe  Melba,  elle  a  été  l'objet  d'une  véritable  ovation  après  le  qua- 
trième acte  qu'elle  a  chanté  d'une  façon  exquise.  M.  Isnardon  fourvoyé 
dans  le  rôle  du  roi  a  fait  preuve  de  bonne  volonté,  comme  toujours.  Il 
faudrait  peut-être  aussi  tenir  compte  à  l'artiste  qui  personnifiait  le  spectre 
de  l'extrême  soin  avec  lequel  il  a  composé  son  rôle,  au  point  d'adopter  un 
accent  vraiment  de  l'autre  monde. 

La  partition  a  subi  de  nombreuses  mutilations:  coupée  la  phrase  du 
trombone  au  commencement  du  deuxième  tableau;  coupée  la  plus  grande 
partie  de  la  chanson  à  boire;  coupé  le  solo  de  saxophone  au  quatrième 
tableau  ;  coupé  le  prélude  du  quatrième  acte  ;  coupé  enfin  tout  le  dernier 
acte.  Le  ballefall'reusement   costumé   et   atrocement   réglé  n'a  été  qu'une 


parodie  de  la  Fête  du  printemps,  que  sa  délicieuse  musique  a  pu  seule 
racheter. 

Lundi  prochain  pour  la  clôture  définitive,  représentation  extraordinaire 
de  Carmen,  en  français,  avec  la  distribution  suivante:  Don  José,  Jean  de 
Reszké;  Escamillo,  Lassalle  ;  Carmen,  Mllc  Zélie  de  Lussan  ;  Micaela, 
Mme  Melba.  Mais  cette  distribution  quasi  inédite  ne  devait  pas  suffire  à 
l'intelligent  directeur  qui  préside  aux  destinées  de  Covent-Garden.  Pour 
être  shérif  de  Londres  et  titulaire  du  Théâtre  National,  M.  Harris  n'a  pas 
oublié  qu'il  a  été  longtemps  directeur  de  cirque  et  de  féeries.  De  là 
cette  recherche  de  l'imprévu  dans  la  mise  en  scène  qui  nous  a  valu  la  ca- 
valcade de  Faust,  la  voiture  de  maraîcher  de  Rigolelto,  l'introduction  de 
poneys  dressés  dans  Carmen,  enfin  cette  étonnante  procession  du  sacre 
dans  le  Prophète,  qui  a  excité  l'enthousiasme  de  la  presse  locale  et  dans  la- 
quelle on  voit  défiler  des  rois  de  toutes  les  époques.  Pour  cette  représen- 
tation mémorable  de  Carmen,  il  fallait  quelque  nouvelle  exhibition  et  M.  Har- 
ris l'a  trouvée.  Ce  sont  ses  trois  chefs  d'orchestre  qui  en  feront  les  frais  ; 
M.  Mancinelli  dirigera  le  premier  et  le  quatrième  actes,  M.  Bevignani  le 
deuxième  et  M.  Randegger  le  troisième;  avec  l'augmentation  du  prix  des 
places,  le  public  avait  bien  droit  à  son  brelan  de  chefs  d'orchestre. 

Espérons  que  les  mânes  de  Bizet,  justement  irrités  par  la  façon  fort 
irrévérencieuse  dont  on  a  jusqu'ici  traité  son  chef-d'œuvre,  cet  été  à  Covent- 
Garden,  seront  apaisés  par  ce  nouveau  procédé  de  collaboration  au  pu- 
pitre, et  remettons  à  la  semaine  prochaine  quelques  réflexions  sur  les 
renseignements  artistiques  de  la  saison  actuelle.  A.  G.  N. 

—  De  notre  correspondant  de  Belgique  (21  juillet): 

On  a  fait  beaucoup  de  musique,  cette  semaine,  à  Bruxelles,  —  mu- 
sique dans  les  rues,  musique  populaire,  musique  patriotique.  Des  fêtes 
nationales  comme  celles  que  nous  sommes  en  train  de  célébrer,  à  l'occa- 
sion du  soixantième  anniversaire  de  l'indépendance  de  la  Belgique,  ne 
vont  pas  sans  un  certain  nombre  de  festivals  et  sans  quelques  cantates. 
Nous  avons  eu  de  ceci  et  de  cela,  à  foison.  Rien  d'intéressant  à  noter 
parmi  les  premiers.  Parmi  les  cantates,  il  y  a  eu  celle  de  M.  Alfred 
Tilman,  sur  des  paroles  de  feu  Antoine  Clesse,  Union  et  liberté,  exécutée  à 
la  fête  politique  de  lundi  dernier,  en  présence  du  Roi,  et  celle  de  M.  Phi- 
lippe Flon,  Hymne  patriotique,  entendu  mardi  soir,  au  Cercle  artistique. 
L'une  et  l'autre  ont  les  qualités  du  genre,  de  l'effet  et  de  la  sonorité,  rien 
de  plus.  Les  auteurs  n'ont  pas  compté  sur  elles,  d'ailleurs,  pour  conqué- 
rir l'immortalité. 

Plus  curieuse  a  été  l'exécution  d'un  choix  de  vieux  airs  et  de  chansons 
populaires  du  XVIe  siècle,  par  des  groupes  de  musiciens  et  de  chanteurs, 
pendant  la  durée  du  cortège  historique  qui  s'est  promené  dimanche  dans 
les  rues  de  Bruxelles.  Il  y  en  a  eu  de  bien  caractéristiques,  chantant  la 
patrie,  la  révolte  contre  les  oppresseurs,  et  l'amour,  cela  va  sans  dire.  La 
plupart  ont  été  fournis  par  M.  Gevaert  et  par  M.  Gustave  Huberti,  qui  les 
avaient  harmonisés,  et  l'effet  de  quelques-uns  était  vraiment  piquant, 
avec  leur  orchestration  d'une  naïveté  savoureuse  et  d'une  couleur  char- 
mante. Il  est  regrettable  que  l'audition  de  tout  cela  ait  été  si  difficile, 
dans  le  brouhaha  de  la  foule  et  les  hasards  des  rencontres  ;  on  n'en  en- 
tendait, çà  et  là,  que  quelques  bribes,  en  passant.  Mais  l'impression  n'en 
a  pas  été  moins  forte  et  moins  originale. 

L'œuvre  capitale  des  fêtes  actuelles  a  été  le  poème  lyrique  et  sympho- 
nique,  en  flamand,  Kinderlust  en  Iced  (Joies  et  douleurs  de  l'enfant),  paroles 
de  M.  Emm.  Hiel,  musique  de  M.  Gustave  Huberti,  exécuté  au  théâtre 
de  la  Monnaie  par  un  millier  de  voix  d'enfants,  dans  une  fête  scolaire 
dont  le  programme  était  complété  par  quelques  jolis  chœurs  de  MM.  De- 
libes,  Lacome,  etc.  Œuvre  importante,  en  deux  parties,  très  travaillée, 
très  méditée  et  d'un  réel  intérêt  artistique,  comme  le  sont  toutes  les  œu- 
vres de  M.  Huberti.  Ce  que  l'on  peut  reprocher  à  celle-ci,  c'est  d'être  un 
peu  sérieuse,  compliquée,  un  peu  triste  même  pour  une  œuvre  qui  célè- 
bre l'enfance  et  qui  est  destinée  à  être  chantée  par  des  enfants.  L'impor- 
tance que  l'auteur  a  attachée  à  l'expression  des  «  situations  »,  l'a  amené  à 
un  développement  du  dessin  mélodique  qui  se  fait  au  détriment  du  dévelop- 
pement de  la  mélodie  proprement  dite,  et  celle-ci  en  parait  souvent  écour- 
tée.  Il  résulte  ainsi  de  ce  système  que  l'auteur,  pour  donner  plus  d'intérêt 
à  son  œuvre,  surcharge  son  travail  d'orchestre  et  la  sonorité  de  ses  har- 
monies ;  l'exécution  en  devient  très  difficile,  ce  qui  est  un  écueil  en 
pareil  cas  et  le  défaut  ordinaire  de  nos  jeunes  musiciens.  Et  cependant 
l'exécution,  par  les  enfants  des  écoles  communales,  a  été  merveilleuse. 
Ce  qu'on  avait  pioché,  depuis  des.  mois  !...  Ces  critiques  faites,  hàtons- 
nous  de  dire  que  le  nouveau  poème  lyrique  de  M.  Huberti  est  assurément 
une  des  choses  les  plus  marquantes  qu'ait  produites  notre  jeune  école 
musicale.  Très  descriptive,  avec  une  instrumentation  très  distinguée  et 
une  sonorité  superbe,  pleine  et  discrète  à  l'occasion,  elle  est  aussi  d'une 
inspiration  fraîche,  d'une  conception  élevée  et.  d'une  forme  absolument 
«  moderniste  ».  Toute  la  première  partie  est  exquise  ;  et  dans  la  seconde 
partie,  en  général  un  peu  «  cherchée  »  et  tourmentée,  le  choral  fort  déve- 
loppé qui  termine  l'œuvre  a  un  profond  sentiment,  un  charme  de  simpli- 
cité et  de  grandeur  absolument  remarquable.  On  a  vivement  applaudi  le 
poète  et  le  musicien,  et  c'est,  en  somme,  un  succès.        Lucien  Solvav. 

—  A  Milan  a  été  signé  le  contrat  de  mariage  de  la  signorina  Gina  Ri- 
cordi,  fille  du  grand  éditeur  de  musique,  avec  le  nobile  signor  Luigi  Ori- 
goni,  d'une  famille  distinguée  de  Milan.  Verdi  était  venu  expressément 
de  Montecatini  à  Milan  pour  féliciter  la  signorina  et  la  famille  Ricordi  ; 
il  est  reparti  aussitôt  après  pour  sa  villa  de  St-Agata  à  Busseto. 


238 


LE  MENESTREL 


—  A  l'Oratoire  de  Saint-Philippe,  à  Gênes,  on  a  déjà  répété  les  deux 
premiers  actes  de  l'opéra  Crislofolo  Colombo,  le  nouvel  opéra  de  M.  Fran- 
chetti;  l'exécution  orchestrale,  faite  par  cinquante  professeurs  sous  la  di- 
rection de  l'auteur,  a  été,  dit-on,  magistrale. 

—  Le  festival  de  l'Association  générale  des  musiciens  allemands,  qui  s'est 
tenu  récemment  à  Eisenach  empruntait  un  intérêt  particulier  à  l'abon- 
dance des  ouvrages  nouveaux  qui  figuraient  au  programme  ;  celui-ci  ne  dé- 
frayait pas  moins  de  six  séances  sur  lesquelles  trois  ont  eu  lieu  au  théâtre 
pour  l'audition  des  œuvres  chorales  et  symphoniques  ;  deux  séances  étaient 
consacrées  à  la  musique  de  chambre  et  une  aux  compositions  religieuses. 
Le  D1'  Lassen,  le  hofkapellmeister  Richard  Strauss  et  le  professeur  Thureau 
remplissaient  à  tour  de  rôle  les  fonctions  de  chef  d'orchestre.  Les  nou- 
veautés les  plus  applaudies  ont  été  un  quatuor  (op.  8)  de  R.  Kahn,  un 
autre  quatuor  (op.  15)  de  R.  von  Parger,  un  quintette  pour  piano,  deux 
violons,  alto  et  violoncelle,  de  Ph.  Wolfrum,  et  une  sonate  pour  orgue  du 
même,  exécutée  par  l'auteur,  une  ballade  pour  chœur  et  orchestre  de 
E.  Humperdinck,  le  Bonheur  d'Edenhall,  dirigée  par  le  compositeur,  enfin 
toute  une  série  de  mélodies  inédites  que  l'auteur,  Edouard  Lassen,  accom- 
pagnait lui-même  au  ténor  Hans  Giessen.  Les  autres  solistes  s'appelaient 
MmR  Morau-Olden,  Uzielli,  MM.  Prank,  R.  von  Milde,  Hungar,  Gunz,  le 
Dr  Krùcke,  Eugène  d'Albert,  Stavenhagen,  Halir,  Grùtzmacher,  Hollander, 
Schwartz,  Klengel  et  Posse.  Le  grand  succès  du  festival  a  été  pour  le  pré- 
lude de  Penthésilée  de  Draesek,  l'élégie  et  finale  de  la  sérénade  pour  ins- 
truments à  cordes  de  Tschaïkosvki,  enfin  le  Burlesque  pour  piano  etorchestre 
de  Richard  Strauss,  exécuté  par  Eugène  d'Albert  et  dirigé  par  l'auteur. 
A  l'issue  du  festival,  son  président,  le  grand-duc  de  Saxe-Weimar-Eisenach, 
a  réuni  tous  les  artistes  dans  un  banquet  au  château  historique  de  la 
"Wartburg. 

—  Le  lendemain  d'un  concert  à  Leipzig,  raconte  la  Neue  Musikzeitung, 
Paganini  était  allé  faire  une  promenade  dans  les  environs  de  la  ville, 
avec  son  accompagnateur.  Près  du  Bosenthal,  ils  rencontrèrent  un  bon  vieux 
boutiquier  qui  s'escrimait  sur  un  violon  de  la  plus  lamentable  façon.  Mis 
en  bonne  humeur  par  son  succès  de  la  veille,  Paganini  demanda  au  vieillard 
de  lui  confier  son  instrument  pendant  un  instant.  Dès  qu'il  l'eut  entre  les 
mains  il  l'accorda  rigoureusement,  l'épaula  et  en  fit  jaillir  les  traits,  les 
arpèges  et  les  trilles  les  plus  étourdissants.  L'accompagnateur  était  dans 
le  ravissement:  «  Eh  bien?  dit  ce  dernier  au  vieux  campagnard  qui  avait 
écouté  sans  broncher,  sans  dire  une  parole,  que  pensez-vous  de  ce  jeu?  » 
Et  le  vieux,  pour  qui  les  tours  de  force  de  Paganini  n'étaient  sans  doute 
que  des  coups  d'archet  manques,  de  répondre  sur  un  ton  de  bienveillance  : 
«  Voyez-vous,  mon  bon  monsieur,  il  faut  encore  un  peu  étudier;  ensuite 
cela  viendra.  » 

—  Nouvelle  à  la  main  du  même  journal  :  Un  jeune  homme  prenait  des 
leçons  de  violon.  Un  jour  la  cheville  du  sol  glissa  pendant  l'exécution  et 
fit  baisser  la  corde  de  plus  d'un  ton.  Pourtant  l'élève  continuait  à  jouer 
bien  tranquillement  jusqu'au  moment  où  le  professeur  se  décida  à  lui 
crier:  <■  Vous  n'entendez  donc  pas?  Votre  sol  est  trop  bas  d'un  ton.  »  — 
«  Je  le  sais  bien,  répondit  le  jeune  homme  avec  calme,  mais  cela  n'a 
pas  d'importance.  Je  ne  joue  que  pour  mon  plaisir!  » 

—  Le  septième  festival  de  musique  de  Bristol,  qui  se  tiendra  en  octobre 
prochain,  a  été  fixé  ainsi  qu'il  suit  :  première  journée,  mercredi  22  octobre, 
la  Rédemption,  de  Gounod,  huitième  symphonie  de  Beethoven,  suite  de  Peer 
Gynt,  de  Grieg,  quatrième  rapsodie-  hongroise  de  Liszt,  ouverture  des 
Maîtres  chanteurs  et  du  Freischiitz;  jeudi,  Elie,  de  Mendelssohn;  vendredi, 
Judith,  de  Hubert  et  Parry,  la  Légende  dorée,  de  Sullivan,  symphonie  en  si 
mineur  de  Schubert,  la  Chevauchée  des  IValkyries  et  Kaisermarsch  (avec 
chœurs)  de  Wagner;  samedi,  le  Messie,  de  Haëndel.  Se  feront  entendre, 
comme  solistes,  Mmcs  Albani,  Macintyre,  H.  "Wilson,  Hope  Glenn,  MM.  E. 
Lloyd,  Me  Kay  A.  Black,  Watkins  Mills,  B.  Pierpoint,  Worlock.  Le  chef 
des  chœurs,  M.  Rootham,  aura  sous  ses  ordres  trois  cent  soixante-deux 
exécutants  et  sir  Charles  Halle  dirigera  un  orchestre  de  quatre-vingt- 
quinze  instrumentistes. 

—  L'opéra  de  Mozart  Cosi  fan  lutte,  dont  la  dernière  apparition  sur  une 
scène  anglaise  date  de  1812,  vient  d'être  représenté  par  les  élèves  du  Royal 
collège  of  music  à  leur  matinée  annuelle.  Gomme  précédemment  le  Savoy 
Théâtre  avait  été  mis  à  leur  disposition  par  M.  d'Oyly  Carte.  Représentation 
très  remarquable  sous  la  direction  de  M-.  Villiers  Stanford.  L'orchestre  et 
les  chœurs,  comme  les  interprètes,  s'en  sont  tirés  à  leur  honneur.  Un  nou- 
veau livret  anglais  avait  été  confectionné  pour  la  circonstance  par  le  révé- 
rend Marmaduke  Brown. 

—  Encore  une  histoire  américaine  ;  aussi  bien  la  mine  est-elle  inépui- 
sable. Adolphe  Kerz,  qui  se  faisait  appeler  Aphdolekerz,  on  n'a  jamais  su 
pourquoi,  était  le  plus  ingénieux  des  directeurs  de  théâtre.  On  conte  de  lui 
que,  se  trouvant  pris  au  dépourvu  à  Mokemoleû"  (Nebraska),  où  on  lui 
avait  sifflé  une  première  chanteuse  sur  laquelle  il  avait  fondé  de  vastes  espé- 
rances, il  annonça  qu'il  venait  d'engager  une  négresse  à  la  voix  phénomé- 
nale, une  Patti  au  jus  de  réglisse.  Cette  négresse  n'était  autre  que  sa  pre- 
mière chanteuse  passée  au  jus  de  tabac.  Elle  eut  un  succès  fou,  et  Aphdo- 
lekerz, grâce  à  son  ingénieux  stratagème,  récolta  une  pluie  de  dollars,  là 
où  il  n'avait  moissonné  les  premiers  jours  qu'un  déluge  de  pommes 
cuites. 


PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Voici  les  résultats  des  premiers  concours  publics  du  Conservatoire 
national  de  musique: 

Contrebasse  (-classe  de  M.  Verrimst),  7  concurrents.  Morceau  de  concours  : 
premier  morceau  en  sol  de  M.  Verrimst.  Jury  :  MM.  Ambroise  Thomas, 
président,  J.  Garcin,  Casella,  Cros-Saint-Ange,  de  Bailly,  Loëb,  Tolbecque 
et  Tubœuf. 

1Q™  prix:  M.  Pickett.  —2e  prix:  M.  Billard. 

Pas  de  premier  accessit.  —  2e  accessit  :  M.  Leduc. 

Violoncelle.  17  concurrents.  Morceau  de  concours:  1er  morceau  du  8e 
concerto  de  Romberg.  Même  jury  que  pour  la  contrebasse. 

^ers  prix  :  MM.  Schi'denhelm,  Barraine,  élèves  de  M.  Delsart. 

2e  prix  à  l'unanimité  :  M.  Carcanade,  élève  de  Rabaud. 

■/"'s  accessits  à  l'unanimité:  MM.  Furet  et  Choinet,   élèves  de  M.  Delsart. 

2e  accessit:  M.  Ghys,  élève  de  M.  Rabaud. 

Chant  (hommes).  21  concurrents.  Jury  :  MM.  Ambroise  Thomas,  prési- 
dent, Larroumet,  directeur  des  Beaux-Arts,  Massenet,  Léo  Delibes,  Guiraud, 
Bouhy,  Melchissédec,  Vergnet  et  l'affreux  Gailhard. 

Ie'  prix  :  M.  Imbart  de  La  Tour,  élève  de  M.  Bax. 

2es  prix:  MM.  Ghasne,  élève  de  M.  Bussine,  Vaguet,  élève  de  M.  Barbot, 
et  Commène,  élève  de  M.  Boulanger. 

4CC  accessit  (à  l'unanimité):  M.  Grimaud,  élève  de  M.  Warot. 

2CS  accessit  :  MM.  Théry,  Castel,  élèves  de  M.  Bax,  Lequien,  élève  de 
M.  Crosti.  et  Nivette,  élève  de  M.  Ed.  Duvernoy. 

Chant  (femmes).  23  concurrentes.  Jury  :  M.  Ambroise  Thomas,  prési- 
dent, Mme  Viardot.  MM.  Massenet,  Léo  Delibes,  Guiraud,  Lenepveu,  Bouhy 
et  toujours  l'horrible  Gailhard. 

4<*  prix  :  Mlle  Blanc,  élève  de  M.  Bax. 

2»  prix  :  Mlles  Issaurat  et  Bréval,  élèves  de  M.  Duvernoy,  et  MUo  Bréjean, 
élève  de  M.  Crosti. 

4er  accessit  :  Mlle  Lemaignan,  élève  de  M.  Warot. 

2e  accessit:  M110  Cléry,  élève  de  M.  Bussine. 

Tragédie  (hommes).  4  concurrents.  Jury:  MM.  Ambroise  Thomas,  pré- 
sident, des  Chapelles,  Doucet,  Dumas,  Halévy,  Claretie,  Porel,  Ed.  Thierry, 
J.  Barbier,  Mounet-Sully  et  Goquelin  cadet. 

Pas  de  premier,  ni  de  second  prix. 

/<=rs  accessits  :  MM.  de  Max,  élève  de  M.  Vorms,  et  Godeau,  élève  de 
M.  Maubant. 

2e  accessit  ;  M.  Fénoux,  élève  de  M.  Maubant. 

Tragédie  (femmes).  6  concurrentes.  Même  jury. 

4eT  prix  :  M110  Moreno,  élève  de  M.  Worms. 

2e  prix:  Mlle  Dux,  élève  de  M.  Got. 

4"  accessit  :  MllG  Haussmann,  élève  de  M.  Got. 

2e  accessit-:  M110  Hartmann,  élève  de    M.  Delaunay. 

Comédie  (hommes)  8  concurrents.   —  Même  jury. 

4er  prix  :  M.  Dehelly,  élève  de  M.  Delaunay. 

Pas  de   2e  prix. 

4<"s  accessits  :  MM.  Lugné-Poé,  élève  de  M.  Worms;  Baron  et  Schutz, 
élèves  de  M.  Got. 

2es  accessits  :  MM.  Esquier,  élève  de  M.  Worms,  et  Fordyce,  élève  de' 
M.  Got. 

Comédie  (femmes).  15  concurrentes.  —  Même  jury. 

4er  prix   :  Mlle  Moreno,  élève,  de  M.  Worms. 

2es  prix  :  Mllcs  Hartmann,  élève  de  M.  Delaunay  :  Syma  et  Guernier, 
élèves  de  M.  Worms. 

4'K  accessits  :  MUes  Duluc,  élève  dé  M.  Got;  Carlix,  élève  de  M.  Delaunay, 
et  Dux,  élève  de   M.  Got. 

2es  accessits  :  MUes  Gérard,  élève  de  M.  Maubant,  et  Piernold,  élève  de 
M.  Got. 

Harpe  (classe  de  M.Hasselmans).  8  concurrents.  Morceau  de  concours  : 
Concerto  de  Parish-Alvars.  —  MM.  Ambroise  Thomas,  président  ;  Léo 
Delibes,  Georges  Mathias,  E.  Mangin,  Nollet,  P.  V.  de  la  Nux,  Georges 
Pfeiifer,  Baoul  Pugno    et   André   Wormser. 

Pas  de  premier  prix. 

2e  prix  (à  l'unanimité)  :  M.  Durand. 

^ers  accessits  :    Mllc  Achard,  M.  Maignien. 

2K  accessits  :  Mllcs  Loffer  et  Roland. 

Piano  (hommes).  20  concurrents.  Morceau  de  concours  :  ln  Ballade  de 
Chopin.  —   Même  jury. 

4ae  prix  :  MM.  Lachaume,  élève  de  M.  de  Bériot;  Galland  et  Baume, 
élèves  de  M.  Diémer. 

2°  prix  :  M.  Pierrot,  élève  de  M.  Diémer. 

4e'  accessit  :  M.  Argaing,  élève  de  M.  de  Bériot. 

20B  accessits  :  MM.de  Santesteban,  élève  de  M.  de  Bériot;  Niederhofheim, 
élève  de  M.  Diémer;    Roux  (Emile),  élève  de  M.  de  Bériot. 

Piano    (femmes).    38    concurrentes.    Morceau   de   concours  :  Concerto 
en  sol  mineur,  de  M.  C.  Saint-Saëns.  Jury  :  MM.  Ambroise  Thomas,  pré- 
sident, Massenet,    Delibes,   Guiraud,   Th.   Dubois,  Ravina,  L.  Delahaye,  ' 
Pierné  et  Thomé. 
4m  prix  ;  Mllcs  Vannier,  Chapart,  Weyler,  élèves  de  M.  Alphonse  Du- 


LE  MENESTREL 


239 


vernoy;  Allard,  élève  de  M.  Delaliorde;  Përissoud  et  Chrétien,  élèves  de 
M.  Fissot. 

2mes prix  :  MUes  Quanté,  Dieudonné  et  Charmois,  toutes  trois  élèves  de 
M.  A.  Duvernoy. 

4"'s  accessits  :  Mllcs  Etmyn,  élève  de  M.  Fissot;  Painparé,  élève  de  M.  De- 
laborde;  Deldicq,  élève  de  M.  Fissot;  Da  Silva,  élève  de  M.  Delaborde. 

2mcs  accessits  :  M"cs  Steiger,  élève  de  M.  Fissot;  Weingartnër,  Lepitre, 
Bonnard,  élèves  de  M.  Delaborde  ;  Mate,  élève  de  M.  A.  Duvernoy. 

—  La  sous-commission  des  théâtres,  chargée  de  tenter  un  règlement 
transactionnel  entre  le  gouvernement  et  l'administration  de  l'Opéra  au 
sujet  de  la  question  de  la  réfection  des  décors  de  ce  théâtre,  s'est  réunie 
cette  semaine  au  Ministère  des  beaux-arts,  sous  la  présidence  de  M.  Lar- 
roumet.  Un  seul  des  directeurs  de  l'Opéra,  M.  Kitt,  assistait  à  cette  réu- 
nion. M.  Antonin  Proust  a  développé  son  système  de  réfection  des 
décors  en  huit  années,  à  l'aide  des  économies  réalisées  sur  le  magasin 
de  décors  de  la  rue  Richer.  M.  Ritt  a  insisté  sur  l'inutilité  de  ce  maga- 
sin à  une  époque  où,  le  gaz  ayant  été  remplacé  par  l'électricité,  les 
dangers  d'incendie  qui  le  motivaient  n'existent  plus.  Il  a  ajouté  que  si, 
conformément  au  projet  présenté  dernièrement  par  M.  Garnier,  archi- 
tecte de  l'Opéra,  on  autorisait  la  construction  de  ce  magasin  à  l'Opéra 
même,  l'économie  réalisée  suffirait  en  très  peu  de  temps  à  la  réfection 
des  décors.  M.  Larroumet  n'est  pas  de  cet  avis,  considérant  comme  abso- 
lument irréalisable,  faute  de  place,  le  projet  de  M.  Garnier.  Ce  projet, 
d'ailleurs,  coûterait  cher  à  l'État,  qui  est,  parait-il,  décidé  à  ne  faire 
aucuns  frais  pour  l'Académie  nationale  de  musique.  L'administration 
estime,  en  effet,  que  l'Opéra,  ayant  été  doté  une  fois  pour  toutes,  doit 
subvenir  à  ses  propres  dépenses,  en  dehors  de  la  subvention  annuelle. 
On  sait  que  la  question  de  la  subvention  de  l'Opéra  sera  réservée  jusqu'à 
ce  qu'un  arrangement  acceptable,  à  ce  sujet,  ait  été  trouvé.  M.  Larroumet 
a  donc  fortement  engagé  les  membres  de  la  sous-commission  à  mûrir  un 
projet  pendant  les  vacances,  la  question  devant  revenir  sur  l'eau  vers  le 
mois  de  novembre  avec  la  discussion  du  budget  des  beaux-arts.  La  com- 
mission des  théâtres  ne  se  réunira  pas  avant  cette  époque. 

—  Nous  avions  annoncé  que  M.  Antonin  Proust  devait  saisir  la  com- 
mission du  budget  d'une  proposition  consistant  à  diminuer  la  subvention 
accordée  aux  académies  de  musique  de  province,  pour  augmenter  celle 
accordée  aux  concerts  classiques  de  Paris.  Or,  en  présence  des  sollicita- 
tions de  plusieurs  députés,  le  rapporteur  du  budget  aurait  renoncé  à  ce 
projet,  et  cela  est  fort  heureux,  à  tous  les  points  de  vue.  C'était  une  singu- 
lière idée  que  de  diminuer  les  subventions  de  ces  très  utiles  écoles,  déjà 
si  pauvrement  dotées  !  Le  projet  d'ailleurs  était  vu  d'un  mauvais  œil  par 
la  direction  des  beaux-arts,  dont  dépendent  nos  académies  de  musique. 
On  étudie  donc  en  ce  moment,  en  haut  lieu,  d'autres  combinaisons  pour 
améliorer  le  sort  des  concerts  classiques  Ajoutons  que  M.  Colonne  s'est 
vu  refuser  la  subvention  accordée  jadis  à  M.  Pasdeloup  et  qu'il  s'était  cru 
fondé  à  réclamer,  à  titre  d'ancienneté.  Cette  subvention  est  actuellement 
répartie  entre  la  Société  nationale  de  musique  fondée  par  M.  Saint-Saëns, 
l'École  de  cours  d'orgue  de  M.  Gigout  et  le  Théâtre  d'application.  Elle 
n'est  donc  plus  disponible. 

—  Les  fonctions  de  sous-bibliothécaire  de  l'Opéra,  que  remplissait 
Théodore  de  Lajarte,  récemment  décédé,  sont  supprimées.  Le  ministre 
des  beaux-arts  a  pensé,  non  sans  raison,  qu'un  seul  bibliothécaire  suffi- 
sait pour  cet  emploi  dont  M.  Reyer  est  le  glorieux  titulaire  depuis  de 
nombreuses  années.  La  somme  laissée  disponible  par  cette  suppression 
d'emploi  sera  affectée  à  la  création  d'un  poste  d'archiviste-adjoint  et  à 
l'achat  d'ouvrages.  C'est  M.  Banès,  employé  à  la  direction  des  beaux-arts, 
qui  est  appelé  à  ces  fonctions. 

—  D'après  le  Gil  Blas  (à  mettre  au  chapitre  des  illusions)  :  —  Le  square 
que  l'on  devait,  aux  dernières  nouvelles,  aménager  sur  l'emplacement  de 
l'Opéra-Comique,  n'est  point  encore  fait.  Nous  apprenons,  en  effet,  qu'un 
groupe  de  mélomanes  est  en  pourparlers  avec  l'Etat  pour  faire  construire 
à  ses  frais,  bien  entendu,  sur  la  place  Boieldieu,  un  «  Théâtre-Lyrique 
International  ».  C'est  le  projet  Crépinet,  adopté  par  la  préfecture  de 
police,  qui  serait  exécuté.  Ce  théâtre  ouvrirait  le  l01  janvier  1892  au 
plus  tard.  Il  contiendrait  deux  mille  places.  Quant  aux  œuvres  qui  seraient 
jouées,  elles  appartiendraient  à  tous  les  genres  lyriques,  y  compris  le 
genre  italien.  La  direction  serait  confiée  à  M.  Ch.  Epron,  un  homme,  qui, 
dit-on,  est  habile  et  compétent.  » 

—  C'est  à  M.  Théodore  Dubois  que  M.  Jules  Barbier  vient  de  confier 
son  livret  de  Circé.  Il  ne  s'agit  pas  de  la  Circé  antique  :  le  nouvel  opéra 
de  M.  Jules  Barbier  est  en  quatre  actes  et  six  tableaux,  et  son  action  se 
déroule  en  Espagne,  au  moment  des  guerres  du  premier  Empire.  M.  Jules 
Barbier  a  soumis  à  M.  Théodore  Dubois  deux  manuscrits  de  Circê,  le 
premier,  mi-vers,  mi-prose,  le  second  en  vers,  avec  récitatifs.  C'est  cette 
dernière  version  qu'a  choisie  le  musicien.  M.  Théodore  Dubois  va  se 
mettre  immédiatement  au  travail. 

—  M.  Camille  Saint-Saëns  est  allé  à  Dieppe,  présider  une  cérémonie 
fort  intéressante  et  de  caractère  privé.  Il  s'agissait  de  la  remise  officielle 
entre  les  mains  du  conseil  municipal  de  la  ville  de  Dieppe  d'un  legs  im- 
portant consenti  par  lui  en  faveur  d'une  ville  qu'il  aime,  a-t-il  dit,  «  plus 
que  tout  au  monde  ».  La  ville  a  accepté  et  le  «  Musée  Saint-Saëns  »    est 


aujourd'hui  installé  au  premier  du  grand  salon  dus  Bains-Chauds.  Saint- 
Saëns  a  abandonné  son  très  riche  mobilier  personnel  de  l'époque  Louis  XV. 
des  pendules  d'une  grande  rareté,  des  objets  d'orfèvrerie,  des  bijoux,  nom- 
bre de  tableaux,  aquarelles,  dessins  signés  des  premiers  Tnaitres,  sa  biblio- 
thèque, et  surtout  une  collection  d'autographes  de  valeur  inestimable.  Dans 
cette  collection  se  trouvent  des  lettres  de  Voltaire,  de  Liszt,  le  manuscrit 
de  la  marche  de  Faust,  le  manuscrit  d'une  Marche  de  Mozart,  etc.,  etc.  On 
estime  le  tout  à  plus  de  100,000  francs.  En  répondant  au  maire,  Saint- 
Saëns  a  promis  de  perpétuer  son  nom  par  d'autres  legs. 

—  La  Société  des  auteurs  et  compositeurs  dramatiques  vient  de  publier 
son  Annuaire  pour  l'exercice  1889-90.  Nous  en  extrayons  quelques  rensei- 
gnements intéressants.  Voici  d'abord  les  recettes  encaissées  parles  théâtres 
de  Paris,  du  1er  mars  1889  au  28  février  1890  : 

Théâtres  Recettes  Droits  perçus 

Opéra Fr.  4.015.224  16  321.213  20 

Français 2.385.236  01  300.695  60 

Opéra-Comique 1.982.690  50  240.645  90 

Odéon  810.682  30  80.970    » 

Vaudeville 687.582    »  82.550  25 

Variétés 1.454.612    »  177.750  35 

Gymnase, 1.212.204  50  156.455  35 

Palais-Royal 997.456    »  129.200  30 

Nouveautés 828.726    »  '    99.437  35 

Porte-Saint-Martin  ....  1.523.727  75  168.465    » 

Gaité 1.091.619  25  107.929    » 

Ambigu 715.748  50  71.554  73 

Chàtelet 1.927.788  23  200.414  10 

Cluny 324.103  50  32.410  90 

Chàteau-d'Eau 78.443.    »  7.922  05 

Renaissance 277.638    »  33.316  70 

Folies-Dramatiques.  .   .   .  700.860    »  84.102  75 

Bouffes-Parisiens.  ....  546.286    »  65.564  50 

Menus-Plaisirs 416.565  83  41.726  55 

Déjazet 194.445  25  19.444     » 

Beaumarchais    ......  74.649  75  7.462  95 

Boufîes-du-Nord 109.334  25  '    6.441  15 

Eden-Théàtre 1.694.790  50  83.188  35 

Folies-Bergère 1.313.302  50  26.256  45 

Folies-Voltaire 47.243  05  4.723  55 

Théâtre  d'Application.   .    .           672  03 

Totaux 25.408.996  48  2.550.531  06 

Grâce  à  l'Exposition,  nos  théâtres  parisiens  ont  encaissé  23,408,996  fr. 
48  c.  La  différence  est  donc,  en  faveur  de  cet  exercice,  de  7,218,348  fr.37  c. 
Les  auteurs  et  compositeurs  dramatiques  ont  perçu  pour  leurs  droits,  à 
Paris  seulement,  la  jolie  somme  de  2,550,531  francs. 

—  Cette  fois,  les  courses  de  taureaux  si  ridicules  dans  leur  cruauté 
même  paraissent  bel  et  bien  condamnées.  Lors  d'une  démarche  que  faisaient 
près  de  lui  plusieurs  journalistes  pour  une  représentation  de  bienfaisance, 
voici  ce  qu'a  répondu  M.  Constans,  ministre  de  l'intérieur:  «Vous  me  de- 
mandez de  vous  autoriser  à  donner,  au  bénéfice  des  sinistrés,  la  seule 
chose  que  je  n'aie  pas  le  droit  de  permettre.  La  loi  est  formelle  :  elle 
interdit  la  mort  des  chevaux  et  des  taureaux.  Je  ne  saurais  l'enfreindre. 
Quand  on  m'a  demandé,  il  y  a  deux  ans,  la  permission  de  construire  une 
Plaza,  les  temps  étaient  tout  différents.  On  allait,  en  ouvrant  l'Exposition, 
montrer  à  la  foule  les  côtés  caractéristiques  de  chaque  nation.  J'ai  donné 
l'autorisation  sous  la  réserve  que  m'imposait  la  loi  Grammont.  On  devait 
ouvrir  en  mai,  on  n'a  été  prêt  qu'en  juillet.  J'ai  dû  tenir  compte  cette 
année-ci,  des  sommes  dépensées  l'an  dernier  et  j'ai  donné,  afin  de  per- 
mettre de  les  récupérer,  une  seconde  autorisation,  mais  on  en  a  déjà  outre- 
passé les  limites.  Ainsi,  toutes  les  piques  et  banderilles  n'ont  point  les 
dimensions  imposées.  Et  puis,  dernièrement,  on  a  tué  un  cheval.  La 
Société  protectrice  des  animaux  voulait  faire  un  procès.  En  vérité,  la 
Plaza  de  la  rue  Pergolèse  m'a  déjà  donné  plus  de  mal  que  Boulanger. 
Soyez  sur  que  je  ne  renouvellerai  plus  l'autorisation  nécessaire».  C'est  un  De  pro- 
fundis.  Il  y  avait  longtemps  d'ailleurs  que  la  population  parisienne  l'avait 
prononcé,  cet  arrêt,  par  son  abstention  même  à  toutes  les  fêtes  sanglantes 
de  la  rue  Pergolèse,  qui  ne  vivaient  que  de  la  présence  de  quelques  ras- 
taquouères.  Allons,  toréadors  et  picadors,  repassez  les  monts  et  ne  reve- 
nez plus  ;  on  vous  a  assez  vus. 

—  Toujours  bien  amusants  les  ténors.  A  ajouter  au  chapitre  des  aven- 
tures extraordinaires  de  M.  Jean  de  Reszké  à  Londres.  Celle-ci  nous  est 
contée  par  M.  Georges  Boyer,  du  Figaro  :  La  reine  d'Angleterre,  ayant 
désiré  entendre  à  Windsor  lé  ténor  aimé  des  dames,  lui  dépécha  un 
exprès  chargé  de  prendre  jour  avec  M.  Jean  de  Reszké.  Sa  Gracieuse 
Majesté  se  permettait  seulement  de  faire  observer  que,  sauf  un  jour 
déterminé  où  elle  devait  venir  à  Londres  pour  une  réception,  tous  les 
autres  jours  lui  conviendraient.  M.  Jean  de  Reszké,  après  avoir  consulté 
son  block-note,  répondit  à  l'envoyé  de  Sa  Majesté  Britannique  qu'il  était 
sensiblement  désolé,  mais  que  par  une  déplorable  coïncidence  toutes  ses 
journées  étaient  occupées,  sauf  précisément  celle  où  Sa  Majesté  était 
empêchée!  Réponse  fut  donnée  à  la  Reine  et,  le  lendemain,  arrivait  une 


240 


LE  MÉNESTREL 


dépêche  disant  que  Sa  Majesté,  trop  désireuse  d'entendre  M.  Jean  de 
Reszké,  contremandait  la  réception  et  ne  viendrait  pas  à  Londres  au  jour 
indiqué  par  lui  '.  » 

—  M.  Gabriel  Pierné  vient  de  terminer  la  partition  d'un  opéra-comique 
en  trois  actes  intitulé  Don  Luis.  Livret  de  M.  Beaumont. 

—  Le  30  juillet  prochain  sera  célébré,  à  l'église  Saint-Ferdinand  des 
Ternes,  le  mariage  de  notre  confrère,  M.  André  Maurel,  avec  Mlle  Hen- 
riette Wilder,  fille  de  M.  Victor  Wilder,  le  mordant  critique  musical  du  Gil 
Bios.  Les  témoins  de  M.  André  Maurel  seront  MM.  Emile  Bergerat  et 
Alfred  Rambaud,  directeur  de  la  Revue  bleue.  Les  témoins  de  Mllc  Wilder 
seront  MM.  A.  Gevaert,  directeur  du  Conservatoire  de  Bruxelles,  et  René 
d'Hubert,  directeur  du  Gil  Bios. 

—  Erreur  dans  les  palmes  académiques.  C'était  fatal.  Le  Batta,  qui 
en  a  été  honoré,  est  non  pas  professeur  de  violoncelle,  mais  bien  pro- 
fesseur de  violon  et  compositeur  de  talent.  Il  s'appelle  Joseph  de  son 
petit  nom. 

—  M.  Edmond  Neukomm,  dans  son  intéressant  volume  Voyage  au  Pays 
du  déficit  (la  Nouvelle  Italie),  qui  vient  de  paraître  ces  jours-ci  chez  Ernest 
Kolb,  attaque  d'une  façon  très  vive  et  très  juste  la  politique  actuelle  de 
l'Italio.  Il  démontre  que  l'alliance  faite  entre  Crispi  et  l'Allemagne  ne 
peut  être  qu'une  alliance  fatale  qui  conduira  forcément  l'Italie  à  sa  perte. 
L'auteur  oppose  au  tableau  tracé  par  M.  Crispi  de  la  prospérité  de  la 
Nouvelle  Italie,  l'énumération  fidèle  des  misères  dont  elle  pàtit,  des  com- 
promissions dont  elle  souffre,  des  dangers  qui  la  menacent  et  surtout 
des  malentendus  dont  elle  commence  à  s'inquiéter  et  qu'il  est  grand 
temps  de  faire  disparaître.  Ce  livre  est  émaillé  d'anecdotes  amusantes 
sur  la  cour,  le  gouvernement,  le  Quirinal,  etc.  M.  Edmond  Neukomm 
ayant  vécu  en  Italie  et  ayant  fréquenté  le  monde  officiel,  a  fait  certaine- 
ment un  des  volumes  les  plus  curieux  et  les  plus  intéressants  qu'on  ait 
écrits  sur  ce  pays  depuis  longtemps.  Aussi  croyons-nous  qu'il  trouvera 
auprès  du  public  un  grand  et  réel  succès  qu'il  mérite  à  tous  les  points 
de  vue. 

—  L'institution  des  jeunes  aveugles  est  à  classer  parmi  nos  bonnes 
écoles  de  musique.  Jeudi  dernier,  une  séance  d'orgue  fort  intéressante 
avait  lieu  dans  la  salle  des  concerts  de  l'institution.  Le  programme  était 
composé  exclusivement  d'oeuvres  de  M.  Widor  qui  toutes  ont  été  chaleu- 
reusement applaudies.  L'organiste,  M.  Adolphe  Marty,  a  fait  preuve  d'un 
talent  très  remarquable. 


—  Très  intéressante  audition  musicale  mardi  dernier  chez  M.  Gigout. 
L'éminent  professeur  faisait  entendre  devant  un  auditoire  d'artistes,  d'ec- 
clésiastiques et  de  dames  du  monde  quelques  élèves  de  son  école  d'orgue 
Le  talent  de  la  plupart  de  ces  jeunes  organistes  est  déjà  mûr.  Plusieurs 
d'  entre  eux,  MM.  Vivet,  Pickaêrt,  Guiot  et  Dussault,  ont  exécuté  avec  la 
plus  parfaite  intelligence  et  le  mécanisme  le  plus  sur  des  œuvres  an- 
ciennes et  modernes  d'un  haut  intérêt  musical  et  d'une  réelle  difficulté 
d'interprétation.  M.  Saint-Saëns,  présent  à  la  séance,  a,  à  plusieurs 
reprises,  vivement  complimenté  M.  Gigout  et  ses  élèves.  L'illustre  maître, 
très  en  train,  a  fait  à  l'assistance  l'agréable  surprise  d'accompagner  lui- 
même  à  M.  Auguez  l'air  de  la  Lyre  et  la  Harpe  qui  a  été  chaleureusement 
bissé.  Beau  succès  également  pour  M.  Auguez  dans  deux,  mélodies  de 
M.  Boellmann  et  pour  M"0  Jeanne  Lyon  dont  la  charmante  voix  et  la 
parfaite  diction  ont  fait  merveille  dans  l'air  de  Judith,  de  M.  Charles 
Lefebvre  et  dans  les  Adieux  de  Marie  Stuart,  de  Niedermeyer.  Une  telle 
séance  prouve  surabondamment  l'excellence  de  l'enseignement  de 
M.  Gigout  et  les  services  que  son  institut  rend  à  l'art. 

—  Le  petit  opéra-comique  de  M.  Léon  Schlesinger,  un  Modèle  (livret  de 
MM.  André  Degrave  et  Manuel  Lerouge),  dont  nous  avons  signalé  les  bril- 
lants succès  à  Namur  et  à  Blankenberghe,  va  être  joué  aux  Bouffes-Pari- 
siens dans  le  courant  du  mois  de  novembre.  Les  signatures  ont  été  échan- 
gées cette  semaine. 

—  L'Orphéon  de  la  Corogne  qui  a  obtenu  le  premier  prix  au  concours 
d'orphéons  de  l'Exposition  universelle,  vient  d'instituer  un  comité  pour 
l'organisation  d'une  fête  musicale  qui  aura  lieu  au  mois  d'août  prochain, 
en  l'honneur  et  à  l'occasion  du  centenaire  de  l'héroïne  de  la  Corogne, 
Maria  Pita.  Cette  fête  comprendra  un  concours  de  compositions  musicales 
et  l'exécution  de  ces  compositions.  Avis  en  est  donné  aux  compositeurs 
et  aux  sociétés  chorales  qui  devront  s'adresser  directement  au  siège  du 
comité  à  la  Corogne. 

Henri  Heugel.  directeur-géi ant. 

A  VENDRE,  une  grande  collection  de  partitions  d'orchestre  d'ou- 
vrages ljuiques  anciens  et  modernes,  brochées  et  reliées.  —  S'adresser 
aux  bureaux  du  Journal. 

LE  DÉPÔT,  à  Paris,  des  éditions  musicales  de  la  maison  Emile 
Marchand,  de  Bordeaux,  est  transféré  chez  M.  Lissarague,  10,  rue  Taitbout. 


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3096  —  56me  ANNEE  —  N°  31.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES  Dimanche  3  Août  1890. 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste:  Georges  Bizet  (12"  article),  Louis  Gallet.  —  IL  Bulletin 
théâtral,  H.  M.  —  III.  Berlioz,  son  génie,  sa  technique,  son  caractère,  à  propos 
d'un  manuscrit  autographe  d'Harold  en  Italie  (2*  article),  A.  Montaux.  — 
IV.  Histoire  vraie  des  héros  d'opéra  et  d'opéra-comique  (39*  article)  :  Blondel, 
Edmond  Neukomm.  —  V.  Nouvelles  diverses. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

ROMANCE    DE    JOCONDE 

transcrite  et  variée  par  Charles  Neustedt.  —  Suivra  immédiatement:  Joyeux 
rigaudon,  de  Edouard  Broustet. 

CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant  :  Vous  ne  m'avez  jamais  souri,  nouvelle  mélodie  de  G.  Verdalle, 
poésie  de  M.  Helliot.  —  Suivra  immédiatement:  Si  tu  veux!  nouvelle 
mélodie  de  Victor  Staub,  poésie  de  6.  Guérin. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


GEORGES  BIZET 


Après  un  silence  respectueux  de  près  de  cinq  mois,  le 
31  octobre  187S,  un  hommage  public  fut  rendu  à  la  mémoire 
de  Georges  Bizet,  au  Concert  de  l'Association  artistique,  sous 
la  direction  d'Edouard  Colonne  ;  son  orchestre  exécuta  au 
Châtelet,  ce  jour-là,  une  composition  spécialement  écrite  par 
J.  Massenet,  un  Lamento,  après  lequel  furent  dits,  par 
Mmo  Galli-Marié,  la  créatrice  du  rôle  de  Carmen,  des  vers 
qui  m'avaient  été  demandés  pour  cette  manifestation  d'un 
caractère  tout  amical. 

Rien  n'est  plus  difficile  à  faire,  rien  ne  donne  communé- 
ment un  résultat  plus  médiocre  que  ces  improvisations  en 
souvenir  d'un  artiste  aimé.  Il  faudrait  ne  l'avoir  apprécié  que 
dans  ses  œuvres  pour  le  louer  d'un  esprit  libre  ;  quand  on 
l'a  connu,  chéri,  pleuré,  les  formules  poétiques  sont  bien 
incolores  et  bien  froides  pour  traduire  l'émotion  réelle. 
N'y  a-t-il  pas  même  dans  le  souci  matériel,  dans  le  travail  de 
l'ajustement  des  rimes,  comme  une  implicite  négation  de  l'in- 
time douleur? 

C'est  la  pensée,  l'intention  seule  qu'il  faut  compter  alors. 
Ces  vers  récités  par  la  voix  profonde  de  Mme  Galli-Marié, 
tandis  que  chantait  dans  le  lointain  de  l'orchestre  une  phrase 
de  l'Artésienne,  les  journaux  du  temps  n'ont  dû  en  donner  que 
des  fragments. 


Ils  ont,  vaille  que  vaille,  leur   place  marquée  au  courant 
de  ces  notes,  et  je  les  recueille  au  passage  : 


Georges  Bizet!  —  Ce  nom  tout  à  coup  prononcé 

Met,  avec  un  frisson,  un  doute  dans  notre  âme; 

Nous  nous  demandons  si  tant  de  force  et  de  flamme 

Dorment  réellement  dans  l'ombre  du  passé, 

Si  nous  n'allons  point  voir,  rayonnante  de  vie, 

Se  lever  parmi  nous  cette  figure  amie, 

S'il  est  vrai  que  ce  cœur  soit  à  jamais  glacé! 

Oui,  les  rêves  parés  d'irrésistibles  charmes 

Ont  brusquement  fini  dans  le  deuil  et  les  larmes, 

Cet  esprit  que  suivait  le  nôtre  s'est  éteint. 

Oui,  tout  est  vrai:  la  mort,  le  coup  rapide  et  rude 

Pesant  de  tout  le  poids  aveugle  du  destin 

Sur  un  calme  bonheur,  pur  dans  sa  plénitude, 

Sur  une  jeune  gloire  à  son  premier  matin. 

Sa  muse  était  charmante  ;  elle  aimait  la  lumière, 
L'azur,  la  pourpre,  l'or,  les  fleurs  et  les  parfums! 
Le  front  plein  de  lueurs,  en  sa  grâce  un  peu  fière, 
On  la  voyait  marcher  hors  des  sentiers  communs. 
Elle  chantait  l'amour,  la  joie  et  l'espérance 
Et  des  brumes  d'Ecosse  aux  soleils  d'Orient, 
Des  beaux  jardins  d'Asie  aux  déserts  de  Provence, 
Elle  allait,  tour  à  tour  rêvant  et  souriant. 

Sa  tendresse  parfois  et  même  sa  folie 
Mettaient  en  leur  accent  quelque  mélancolie: 
On  eût  dit  qu'elle  avait  comme  un  pressentiment 
Et  qu'elle  entrevoyait,  sur  la  route  trop  brève, 
Cet  abime  où  devait  s'ensevelir  son  rêve, 
Cette'  ombre  où  l'attendait  le  fatal  dénoûment. 

Et  sa  voix  s'élevait  plus  vibrante  et  plus  claire  ; 
La  foule  la  suivait  déjà  sur  les  sommets. 
Carmen  jetait  au  vent  sa  chanson  familière; 
Le  maître  avait  conquis  sa  place  désormais. 

Plus  haut,  plus  loin  encor  l'entraînait  sa  pensée, 
A  de  nobles  accents  son  cœur  avait  battu  : 
Il  voulait  nous  parler  d'héroïque  vertu, 
Nous  montrer  la  patrie  affaiblie  et  blessée 
Et  le  rude  Attila  par  le  Ciel  abattu. 

Mais  la  mort  vint,  avant  la  tâche  commencée. 

Le  silence  se  fit...  On  annonça  tout  bas 

Ce  malheur,  si  cruel  que  l'on  n'y  croyait  pas  ! 

O  toi  que  nous  pleurons,  jeunesse  épanouie, 
Ame  ardente,  gardien  des  purs  trésors  de  l'art, 
Dors  en  paix  maintenant  ;  ne  crains  point  qu'on  oubli 
Ou  qu'on  fasse  à  ton  nom  une  trop  faible  part. 

Non  !  Les  chants  envolés  de  ton  âme,  ô  Poète, 
Revêtent  la  splendeur  auguste  du  tombeau 
Et  le  temps  sacrera  ton  œuvre,  où  se  reflète 
La  lumière  du  vrai,  comme  l'amour  du  beau  ! 


242 


LE  MENESTREL 


Don  Rodrigue  avait  été  complètement  mis  en  musique  par 
G.  Bizet.  Geneviève  de  Paris  devait  rester  à  l'état  de  projet  dans 
son  esprit.  Il  ne  m'est  pas  même  permis  d'affirmer  qu'après 
en  avoir  connu  l'original,  il  en  ait  seulement  ouvert  la  copie, 
arrivée  à  Bougival  à  la  veille  de  sa  mort. 

C'est  donc  simplement  par  erreur  qu'on  a  pu  dire  que,  à 
ce  moment,  le  compositeur  «  travaillait  »  à  Geneviève  de  Paris. 
Il  n'a  pu  exister  aucun  fragment  de  cet  ouvrage  dans  la 
succession  musicale  du  maître  —  et  la  légende  affirmant 
que  certaines  pages  déjà  composées  sur  ce  sujet  ont  été  re- 
cueillies et  complétées  par  M.  E.  Guiraud,  utilisées  avec  de 
nouvelles  paroles,  ne  me  paraît  reposer  sur  aucun  fait  cer- 
tain. 

Don  Rodrigue,  au  contraire,  pouvait,  devait  survivre  à  son 
auteur.  Nous  en  avions  entendu  la  partition  de  la  première 
à  la  dernière  note,  et  ce  quatrième  acte,  dont  le  biographe 
que  j'ai  déjà  cité,  M.  Charles  Pigot,  parle  comme  devant  être 
remanié,  était  au  contraire  précisément  celui  dont  le  compo- 
siteur croyait  avoir  assuré  la  relative  perfection. 

Un  temps  assez  long  s'écoula,  durant  lequel  un  sentiment 
de  respectueuse  discrétion  ne  me  permit  pas  de  m'enquérir 
de  la  destinée  définitive  de  cette  partition.  Je  restais  avec  la 
pensée  qu'un  jour  la  main  d'un  ami  dévoué  pourrait  toucher 
à  l'œuvre  dernière  de  G.  Bizet,  la  mettre  au  net,  l'instru- 
menter et  la  présenter  au  public. 

Il  me  fut  affirmé  alors  que  le  manuscrit  du  compositeur, 
très  sommairement  tracé,  indéchiffrable  pour  d'autres  yeux 
que  les  siens,  resterait  à  tout  jamais  lettre  morte. 

Bien  longtemps  après,  alors  que  je  dus  songer  à  reprendre 
possession  du  poème,  cette  perte  si  regrettable  pour  notre 
art  musical  me  fut  définitivement  confirmée  dans  les  termes 
suivants  par  M.  Ludovic  Halévy  : 

«  J'ai  fait  lire  votre  lettre  à  M™  Bizet  et  il  est  parfaitement 

entendu  que  vous  avez  pleine  et  entière  liberté  de  disposer 

du  poème  du  «  Cid  »   en  faveur  d'un  autre  compositeur.  . . 

Georges  aimait  beaucoup  votre  ouvrage...  Il   m'en  a   parlé 

bien  souvent...  Il  était  plein  de  confiance...    et  la  mort  a 

arrêté  tout  cela!  » 

* 
*.  * 

Je  regarde  souvent  un  portrait  de  G.  Bizet,  agrandissement 
d'une  photographie  faite  très  peu  de  temps  avant  la  triste 
date  du  2  juin  1875  ;  c'est  une  très  fidèle  image  de  l'homme 
tel  que  nous  le  montre  aussi  le  buste  érigé  à  sa  mémoire,  le 
10  juin  1876,  au  cimetière  du  Père-La  Chaise,  par  sa  famille 
et  ses  amis.  Je  ne  sais  si  ce  buste  a  été  fait  du  vivant  du 
musicien;  je  croirais  plutôt  qu'il  est  la  copie'scrupuleuse  de 
l'épreuve  photographique  dont  je  possède  l'un  des  rares 
exemplaires. 

Le  jour  de  l'inauguration  de  ce  buste,  un  hommage  solen- 
nel fut  rendu  à  Georges  Bizet  par  M.  Jules  Barbier,  aunom  du 
comité  de  la  Société  des  auteurs,  et  par  Emile  Perrin  qui 
associa  très  éloquemment  en  cette  occasion  au  nom  du  'com- 
positeur celui  du  peintre  Henry  Regnault. 

«c  Tous  les  deux,  dit-il,  ils  devaient  être  l'orgueil,  ils  étaient 
les  chefs  de  cette  jeune  génération  d'artistes  à  qui  ce  rôle 
est  réservé  de  maintenir  plus  éclatante  encore  la  supériorité 
de  notre  pays  dans  les  arts.  Ils  se  ressemblaient  parle  talent- 
ils  se  ressemblaient  par  le  cœur.  Tous  deux  s'étaient  trem- 
pes aux  fortes  études,  tous  deux  avaient  pris  les  armes  au 
premier  appel  de  la  patrie,  -  tous  deux  ils  ont  été  moisson- 
nes dans  leur  fleur.  Le  clavier  vibrait  encore,  les  couleurs 
étaient  humides  sur  la  palette  quand  s'est  éteint  le  souffle  de 
vie  qui  insérait  à  l'un  ses  mélodies  si  colorées,  à  l'autre  la 
lumineuse  harmonie  de  ses  tableaux.  -  Ils  Se  sont  réunis 
dans  la  mort,  ces  deux  frères  dans  l'art;  un  poète  ancien 
les  représenterait  le  front  ceint  de  lauriers,  errants  comme 
deux  pales  ombres  dans  les  jardins  enchantés.  » 

Georges  Bizet  revit   bien  souvent   dans  nos   causeries,  et 


sur  tous  les  points  du  monde  Carmen  redit  ce  nom  à  la  foule. 
Il  n'est  après  Faust  et  Mignon  aucune  œuvre  qui  ait  plus 
contribué  à  assurer,  à  l'étranger,  l'influence  de  notre  école 
nationale. 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


BULLETIN   THEATRAL 


A  I'Opéra,  continuation  des  débuts  mystérieux.  MM.  Ritt  et 
Gailhard  n'osent  plus  soumettre  au  jugement  de  la  presse  les  ar- 
tistes variés  —  je  n'ai  pas  dit  avariés  —  qu'ils  racolent  à  bon 
compte  sur  tous  les  marchés  d'Europe.  Cette  semaine,  c'était  le  tour 
de  MIle  Consuelo  Domenech,  encore  un  contralto.  S'il  faut  en  croire 
les  comptes  rendus  élogieux  que  l'administration  de  I'Opéiu  envoie 
elle-même  aux  journaux,  M"e  Domenech  a  eu  un  brillant  succès,  comme 
auparavant  Mme  Fierens  ou  Mme  Durand-Ulbach,  toujours  d'après  la 
même  source.  Souhaitons  pour  la  jeune  artiste  qu'il  n'y  ait  rien  à 
rabattre  des  compliments  que  lui  fait  la  direction.  Elle  a  d'aillears 
un  passé  musical  qui  indique  tout  au  moins  qu'il  y  a  chez  elle 
l'étoffe  d'une  musicienne,  sinon  d'une  chanteuse,  puisqu'elle  a  rem- 
porté, il  y  a  quelques  années,  un  premier  prix  de  piano  au  Con- 
servatoire. C'est  dans  la  Favorite  qu'elle  a  fait  ses  premières  armes 
de  cantatrice,  et  MM.  Ritt  et  Gailhard  lui  reconnaissent  «  une  fort 
belle  voix,  de  l'intelligence,  du  goût  et  de  la  beauté.  »  Ce  n'est 
pas  peu  de  chose,  comme  on  voit.  Toutefois  ils  ajoutent  :  «  Si  elle 
veut  travailler  encore,  travailler  beaucoup,  elle  doit  briller  bientôt 
au  premier  rang.  »  Donc,  travaillez,  prenee  de  la  peine,  mademoi- 
selle, c'est  l'avis  de  Gailhard,  ce  grand  oracle  qui  a  mis  trois  ans 
à  reconnaître  quelque  talent  à  Mme  Melba  et  qui  a  entendu  der- 
nièrement, sans  même  s'en  douter,  un  eontrallo  de  premier  ordre, 
M1'3  Bisley,  qu'il  s'est  empressé  de  laisser  échapper.  Quel  homme, 
quel  génie,  quel  artiste  que  ce  méridional  qui  dirige  l'Opéra  et 
M.  Constans  tout  à  la  fois  et  avec  la  même  maestria  ! 

Quelques  jours  auparavant,  nous  avions  eu  la  rentrée  de  la  gra- 
cieuse Mlle  Subra  dans  Coppéiia.  Elle  a  été  tout  à  fait  charmante, 
fine  et  spirituelle  à  son  habitude,  et  le  public  lui  a  fait  un  accueil 
des  plus  chaleureux,  ainsi  qu'à  M.  Hansens,  qui  prenait,  ce  soir-là, 
pour  la  première  fois,  le  rôle  de  Coppélius. 

Parmi  les  lauréats  des  derniers  concours  du  Conservatoire,  il  pa- 
raîtrait que  les  directeurs  de  l'Opéra  auraient  des  vues  sur  le  jeune 
ténor  Vaguet  et  sur.  M"e  Bréval.  Mais  M.  Paravey,  directeur  de 
I'Opéra-Comique,  en  voudrait  bien  aussi,  s'il  faut  croire  Nicolet  du 
Gaulois,  bien  placé  pour  être  renseigné  à  ce  sujet.  Voici  la  petite 
histoire  qu'il  nous  raconte  à  ce  sujet  : 

Parmi  les  lauréats  des  concours  du  Conservatoire,  deux  seront  très  pro- 
bablement revendiqués  parla  direction  de  I'Opéra-Comique. 

C'est  d'abord  M.  Vaguet,  ce  jeune  ténor  qui  s'est  fait  entendre,  tout  à 
son  avantage,  dans  le  duo  final  de  Carmen,  et  qui,  doué  d'une  très  jolie 
voix,  est  d'abord  un  excellent  chanteur  et,  qui  mieux  est,  un  parfait  comé- 
dien. Sa  place  est  donc  tout  indiquée  à  I'Opéra-Comique,  où  il  débuterait 
par  le  rôle  de  Mergy,  dans  le  Pré  aux  Clercs,  et  créerait  ensuite  un  rôle 
important  dans  une  pièce  nouvelle. 

t.  C'est  ensuite  MUe  Bréval,  dont  les  qualités  dramatiques  ont  non  seule- 
ment frappé  le  directeur  de  I'Opéra-Comique,  mais  encore  les  auteurs  d7?n- 
guerrande,  qui  lui  réserveraient  la  création  de  ce  rôle. 

Il  y  a  quelques  jours,  en  effet,  le  soir  du  concours  de  chant,  si  nous  ne 
nous  trompons,  il  y  avait  une  réunion  intime  chez  M.  Wilder,  l'auteur, 
avec  M.Emile  Bergerat,  du  livret  d'Enguerrande.  M.  Auguste Chapuis,  après 
le  dîner,  auquel  avaient  assisté  M.  Paravey  et  aussi  le  dramaturge  du  Capi- 
taine Fracasse,  se  mit  au  piano  et  joua  sa  partition  presque  tout  entière, 
partition  qui  est  très  remarquable. 

On  causa,  naturellement,  de  la  mise  à  l'étude  de  l'ouvrage  pour  la  saison 
prochaine.  Une  seule  chose  tenait  les  assistants  en  haleine  :  à  qui  distri- 
buer le  rôle  capital  de  la  pièce,  celui  d'Enguerrande?  Le  directeur  de 
I'Opéra-Comique,  M.  "Wilder  et  le  compositeur,  à  peine  échappés  du  con- 
cours de  l'après-midi,  avaient  bien  leur  idée,  mais  n'osaient  la  dire.  Ce 
fut  Emile  Bergerat  qui  rompit  le  premier  le.  silence  : 

—  Je  parie,  s'écria-t-il,  que  vous  pensez  à  M"°  Bréval  !. . . 

—  Si  nous  y  pensons!  ripostèrent  les  trois  silencieux...  C'est-à-dire 
qu'il  n'y  a  qu'elle  —  et  qu'elle  réunit  merveilleusement  toutes  les  qualités 
du  personnage. 

Mais  voilà...  MUc  Bréval  n'a  pas  suivi  les  classes  d'opéracomique  et,  par 
conséquent,  elle  n'a  concouru  que  pour  l'opéra,  où  elle  a  obtenu  un  pre- 
mier prix.  La  direction  de  l'Opéra  la  réclamera-t-elle  ?  Les  auteurs  d'En- 
guerrande, le  directeur  de  I'Opéra-Comique,  espèrent  vivement  que  non... 
Car  ils  ont  à  offrir  à  cette  jeune  artiste,  pour  son  début  au  théâtre,  un  rôle 


LE  MENESTREL 


243 


superbe  et  qui  la  placera  tout  de  suite  au  premier  rang.  Dans  l'intérêt, 
donc,  de  cette  jeune  personne,  il  est  à  présumer  que,  malgré  son  prix 
■d'opéra,  elle  entrera  à  l'Opéra-Comique.  Ce  résultat  est  fort  à  souhaiter. 

Si  Mlle  Bréval  peut  être  utile  à  l'Opéra-Comique,  il  est  bien  cer- 
tain que  MM.  Ritt  et  G-ailhard  s'empresseront  d'autant  plus  de  la 
prendre  pour  eux,  ne  fût-ce  que  pour  contrarier  leur  excellent  con- 
frère de  la  place  du  Châtelet. 

Deux  autres  lauréats  du  dernier  concours  du  Conservatoire  vien- 
nent d'être  engagés  à  la  Comédie-Française  :  Mllc  Moreno  et  le  jeune 
Dehelly,  qui  débutera  dans  le  rôle  de  Fortunio  du  Chandelier  d'Al- 
fred de  Musset. 

H.  M. 


Il  y  a  d'autant  moins  de  doute  à  ee  sujet  que  cette  correction  se 
reproduit  encore  deux  fois  avant  la  lettre  C  :  „ 


BERLIOZ 

SON   GÉNIE,   SA  TECHNIQUE,   SON  CARACTÈRE 
A  propos  d'un  manuscrit  autographe  d'HAROLD  EN  ITALIE 

(MARCHE      DES      PÈLERINS) 

(Suite) 

IV 

Le  texte  définitif  de  ce  manuscrit,  tel  que  l'établissent  les  rema- 
niements successifs  de  Berlioz,  est  absolument  conforme  à  celui  que 
présente,  de  la  page  46  à  la  page  58,  la  partition  gravée  d'Harold 
{Paris,  Mcc  SchlésiDger,  Brandus  et  Cie  successeurs).  Les  points  de 
repère  en  chiffres  notés  au  crayon  de  dislance  en  distance,  démon- 
trent d'ailleurs  clairement  que  c'est  sur  ces  feuilles  mêmes  que  le 
graveur  a  effectué  son  travail. 

Dès  la  première  page  on  surprend  quelques  traces  de  grattage.  — 
C'est  d'abord  renonciation  des  3e  et  ¥  bassons  que  Berlioz  semble 
n'avoir  désignés  séparément  qu'à  la  réflexion,  au  lieu  de  les  grou- 
per sous  une  accolade  ;  simple  préoccupation  graphique.  Puis,  aux 
■3e  et  9"  mesures,  Berlioz  a  dû  réparer  une  erreur  matérielle  dans 

les  parties  d'altos,  où  il  parait  avoir  écrit  d'abord  un  ré       - — ■  — \ 

au  lieu  dus/  obligé  Ë    n  ==j  que  comporte  l'unisson  accentué  en  même 

temps  par  la  harpe,  les  violoncelles  et  les  contrebasses. 

Aux  6e,  7e,  12e,  16e  et  17e  mesures  après  la  lettre  A,  nouveaux 
grattages  dans  la  partie  de  contrebasse.  En  les  examinant  avec 
soin,  il  demeure  évident  que  le  maître  avait  noté  d'abord  certains 
passages  de  cette  partie  à  l'unisson  pour  l'œil  des  violoncelles,  c'est- 
à-dire  effectivement  à  l'octave  grave;  il  a  reporté  ces  passages  à  l'oc- 
tave au-dessus,  afin  d'obtenir  une  sonorité  moins  lourde.  —  Des  cor- 
rections identiques  se  retrouvent  plusieurs  fois  dans  la  Marche  des 
Pèlerins,  et,  pour  alléger  ee  commentaire,  je  n'y  reviendrai  pas,  les 
signalant  ici  une  fois  pour  toutes, 

Aux  9%    10e  et  IIe  mesures  après  la    lettre  A,    lorsque   apparaît 
pour  la  première  fois  la  figure  rythmique  si  originale 
4 


qui  intervient  ppp  dans  les  flûtes,  clarinettes,  bassons  et  seconds 
violons  sur  chaque  repos  du  motif  de  la  marche  présenté  par  les 
cordes,  pour  déterminer  le  retour  de  ce  motif,  les  parties  de  2d6S 
clarinettes  ont  été  chaugées  sans  qu'on  puisse  rétablir  la  version 
primitive.  La  position  même  des  notes  et  l'indécision  de  leurs  atta- 
ches peuvent  faire  supposer  que  les  2,k'a  clariuettes  avaient  été 
écrites  à  l'unisson  des  !*"■  comme  à  la  réapparition  de  cette  figure, 
et  que  l'addition  d'une  seconde  partie  distincte  a  eu  lieu  après  coup. 
Au  même  épisode  se  trouve,  dans  la  partie  des  1er3  et  2""  bassons,  la 
marque  d'une  correction  qui  a  son  intérêt.  Par  la  trace  qu'a  laissée 
le  grattage,  il  est  aisé  de  voir  que  cette  partie  reproduisait  d'abord 
exactement  la  partie  de  2'10  flûte  : 


(I)  Le  signe  X  indique  l'endroit  précis  de  la  portée  où  se  placent  les  grattages. 


A  partir  de  la  lettre  C  on  ne  rencontre  plus  de  retouche.  Il  est 
donc  à  peu  près  certain  que  Berlioz  se  sera  aperçu  de  celte  défec- 
tuosité au  cours  de  son  travail,  en  sorte  que  lorsqu'il  est  arrivé  au 
point  de  sa  partition  que  fixe  la  lettre  C,  son  attention  étant  éveillée, 
il  avait  arrêté  la  version  actuelle,  de  façon  à  éviter  dans  la  suite  le 
mouvement   semblable  entre  les  flûtes  et  les  bassons. 

Ce  détail  prouve  que  Berlioz  n'était  pas  bien  maître  de  la  forme. 
Il  lui  fallait  un  certain  effort  pour  trouver  dans  la  langue  des  sons 
la  traduction  exacte  et  pure  en  même  temps  des  impressions  poé- 
tiques qu'il  ressentait  si  vivement.  Il  était  en  possession  moins 
complète  de  sa  technique  que  beaucoup  de  ses  contemporains,  qui 
lui  sont,  à  tant  d'autres  degrés,  si  inférieurs,  et  je  n'apprendrai 
rien  à  personne  en  rappelant  que  ce  grand  artiste  est,  au  point  de 
■vue  absolu,  moins  musicien  qu'eux.  Il  est  toutefois  intéressant  de 
le  constater  d'une  façon  topique  par  des  observations  prises  sur  le 
vif,  et  ces  observations,  nous  aurons  souvent  occasion  de  les  renou- 
veler au  cours  de  cette  étude. 


A  la  quatrième  mesure  après  la  lettre  C  le  second  temps  est 
établi  sur  un  grattage  dans  tous  les  instruments  en  activité,  à  l'ex- 
ception des  altos  et  du  troisième  basson  qui,  en  poursuivant  le 
chant,  font  entendre  la  tonique.  Il  y  a  eu  évidemment  un  change- 
ment dans  l'harmonie,  mais  ici  le  grattage  est  tel  qu'on  est  réduit 
à  des  conjectures.  Il  semble  que  Berlioz  ait  substitué  à  l'accord 
parfait  de  tonique  l'accord  de  sixte,  qui  lui  fournit  un  meilleur  mou- 
vement   de  parties  par  rapport  à  l'accord   suivant.   —  Toujours    la 

forme  ! 

* 

Quatre  mesures  avant  l'entrée  de  l'alto  solo  qui  personnifie  les  rê- 
veries d'Harold,  Berlioz  a  légèrement  retouché  la  partie  de    harpe. 

On  sait  quel  rôle  joue  la  harpe  dans  la  Marche  des  pèlerins  :  «  ...  La 
sonnerie  des  cloches  du  couvent,  écrit  le  maître  dans  ses  Mémoires 
(p.  195),  se  fait  entendre  de  nouveau,  représentée  par  deux  notes 
de  harpe  que  redoublent  les  flûtes,  les  hautbois  et  les  cors...  » 

Jusqu'au  point  de  la   partition    où   nous    sommes,  Berlioz    avait 

écrit  ces  deux  noies  comme  suit 

Au  moment  d'introduire  l'alto  solo,  Berlioz  avait  noté  une  octave 
plus  bas  la  seconde  note  de  la  harpe  j— f     I  f    CM 

Il  a  gratté  cette  version  pour  revenir  à  la  version  précédente.  Il 
est  malaisé  de  découvrir  le  mobile  auquel  avait  d'abord  obéi  Berlioz. 
Peut-être,  avant  de  suspendie  pour  assez  longtemps  «  la  sonnerie 
des  cloches  du  couvent  »,  avait-il  voulu  diminuer  l'effet  cristallin  de 
la  partie  de  harpe  dans  les  notes  élevées,  en  la  reportant  dans  le 
médium,  ne  fût-ce  que  pour  mieux  mettre  en  relief  l'entrée  de  l'alto 
solo,  dont  la  sonorité  voilée  n'est  pas  pour  attirer  l'attention. 

Ce  qui  rend  vraisemblable  cette  supposition,  c'est  que  précisément 
le  texte  définitif  delà  partie  d'alto  solo  se  piésente,  pour  les  deux 
premières  mesures,  sur  un  grattage  profond.  Mécontent  de  l'entrée 

primitive,  Berlioz  a  trouvé  la  version  actuelle  : 
Cette  version  lui  aura  paru,  par  sa  forme  syncopée,  assez  signi- 
ficative pour  être  nettement  perçue  par  l'auditeur,  et  pour  que,  par- 
tant, il  devint  inutile  de  modifier,  pour  une  seule  mesure,  la  partie 
jusque-là  invariable  de  la  harpe,  qui  semble  une  invariable  sonnerie 
de  cloches. 

Ces  deux  corrections  parallèles  prouvent  quel  sens  délicat  le  maître 
avait  des  sonorités  dans  leurs  nuances  les  plus  fugitives,  et  quel  soin 
méticuleux  il  apporlait  aux  moindres  détails. 


244 


LE  MÉNESTREL 


Berlioz  devait  d'ailleurs  1enir  d'autant  plus  à  souliguer  par  un 
procédé  technique  la  première  intervention  de  l'alto,  que  cette  in- 
tervention répondait  au  programmes  esthétique  de  son  œuvre  : 

«  J'imaginai,  dit-il  dans  ses  Mémoires,  d'écrire  pour  l'orchestre  une 
suite  de  scènes  auxquelles  l'alto  solo  se  trouverait  mêlé  comme  un  person- 
nage plus  ou  moins  actif  conservant  toujours  son  caractère  propre  :  je 
voulus  faire  de  l'alto,  en  le  plaçant  au  milieu  des  poétiques  souvenirs  que 
m'avaient  laissés  mes  pérégrinations  dans  les  Abbrusses,  une  sorte  de 
rêveur  mélancolique  dans  le  genre  du  Childe-Harold  de  Byron.  De  là  le 
titre  de  la  symphonie  :  Harold  en  Italie.  » 


«  Ainsi  que  dans  la  Symphonie  Fantastique  »,  dit-il  encore  (p.  194), 
«  un  thème  principal  (le  premier  chant  de  l'alto)  se  produit  dans  l'œuvre 
entière:  mais  avec  cette  différence  que  le  thème  de  la  Symphonie  Fantas- 
tique, Tidée  fixe,  s'interpose  obstinément  comme  une  idée  passionnée 
épisodique  au  milieu  de  scènes  étrangères  et  leur  fait  diversion,  tandis  que 
le  chant  d'Harold  se  superpose  aux  autres  chants  de  l'orchestre,  avec 
lesquels  il  contraste  par  son  mouvement  et  son  caractère,  sans  en  inter- 
rompre le  développement.  » 

Ce  chant  se  superpose,  en  effet,  dans  la  Marche  des  Pèlerins  «  aux 
autres  chants  de  l'orchestre  »  à  partir  de  la  lettre  D,  et  Berlioz  l'a 
signalé  dans  sa  partition  par  la  mention  «  Thème  de  l'Adagio  »  placée 
à  côté  de  la  partie  d'alto  solo. 

Il  n'est  pourtant  pas  présenté  seulement  par  l'alto.  Le  maître,  afin 
de  le  rendre  plus  perceptible  à  l'auditeur,  et  de  le  différencier  mieux 
des  «  autres  chants  de  l'orchestre,  »  a  doublé  l'ait  j  par  une  clarinette 
et  un  cor  soli. 

Il  avait  désigné  d'abord  la  deuxième  clarinette  pour  celte  fonction. 
Jugeant  ensuite  que  le  charme  du  phrasé  devait  primer  toule  autre 
considération,  il  a  biffé  énergiquement  au  crayon  rouge  cette  indi- 
cation, en  y  substituant  celle  de  1°;  puis,  a  effacé  les  pauses  primi- 
tives et  en  a  indiqué  de  nouvelles  au-dessous  de  la  notation,  pous- 
sant le  soin  jusqu'à  accrocher  en  haut,  une  à  une,  les  queues  de  chaque 
note,  pour  que  le  graveur  ne  put  en  ignorer!  Ce  fougueux  avait  une 
étonnante  patience  quand  il  s'agissait  d'assurer  la  bonne  interpré- 
tation de  ses  œuvres  ! 

Quant  à  l'intervention  du  cor  solo,  elle  donne  lieu  à  une  observa- 
lion  des  plus  curieuses. 

Dans  son  beau  Traité  d'instrumentation  (p.  200),  Berlioz  se  rit 
d'une  erreur  technique  qu'aurait  commise  un  des  maîtres  contem- 
porains les  plus  admirés.  Parlant  d  i  trombone  ténor,  dont  l'ex- 
trême limite  au  grave  est  le  mi  $  au-dessous  des  lignes,  J  I 
Berlioz  dit  : 

«  On  voit  que  le  mi  bémol  grave    -^  1  manque  au  trombone 

ténor;  cette  note  donne  constamment  lieu  à  une  foule  d'erreurs  dans 
les  partitions  les  plus  savamment  ordonnées.  Ainsi,  l'un  des  maîtres 
actuels  dont  l'habileté  dans  l'art  de  l'instrumentation  est  une  des 
qualités  éminenles  et  incontestées,  a  commencé  un  de  ses  opéras  par 
plusieurs  mi  bémols  graves  du  troisième  trombone  ténor.  C'est 
l'ophicléide  qui  les  exécute;  le  trombone  ne  fait  que  les  doubler  à 
l'octave  supérieure,  et  l'auteur  ne  s'est  peu  l-è  Ire  jamais  aperçu  que 
son  mi  bémol  n'était  pas  donné  par  l'instrument  pour  lequel  il 
l'écrivit.  » 

En  rapprochant  les  diverses  circonstances  rappelées  par  Berlioz, 
on  reconnaîtra  que  le  compositeur  visé  doit  être  Meyerbeer.  Le  pas- 
sage incriminé  se  trouve  dans  l'introduction  des  Huguenots,  au 
milieu  de  laquelle  Meyerbeer  a  écrit  effectivement  une  série  de 
mi  bémols  graves  avec  indication:  «  Ophicléide  et  3"  Trombone.  » 
Comme  le  1er  et  le  2a  trombones  sont  désignés  pour  rendre  la  même 
note  à  l'octave  supérieure,  l'erreur,  ou,  pour  parler  plus  exactement, 
l'inadvertance  n'a  aucune  portée,  puisque  le  3e  tromboue  n'a  qu'à 
se  joindre  aux  deux  premiers;  et  il  serait  même  très  compréhensi- 
ble qu'à  l'audition,  Meyerbeer  ne  se  fût  pas  aperçu  que  l'ophi- 
cléide produisît  seul  le  mi  grave  au-dessous  des  trois  trombones 
unis. 

Eh!  bien,  ce  qui  est  particulièrement  piquant,  c'est  que  nous 
allons  trouver  une  erreur,  sinon  identique,  du  moins  analogue  dans 
la  Marche  des  Pèlerins.  Si  celte  erreur  n'est  '  pas  arrivée  jusqu'à  la 
gravure,  elle  n'en  a  pas  moins  été  commise  aussi  par  un  des  maîtres 
les  plus  puissants  dans  l'art  de  l'instrumentation,  auquel  il  a  fait 
faire  un  pas  si  décisif,  et  par  celui-là  même  que  la  distraction  de 
Meyerbeer  faisait  sourire. 

En  effet,  je  rappelais  tout  à  l'heure  que  le  thème  de  l'adagio,  en 
se  superposant  au  motif  de  la  Marche,  était  accentué  par  l'alto, 
une   clarinette   et   un  cor  soli.    Le   cor  solo  est  en   mi  t).    Emporté 


par  le  mouvement  de  la  pensée,  Berlioz  avait  écrit  d'abord  pour  le 
cor  la  même  phrase  in  extenso,  qu'il  confiait  simultanément  à  l'alto 
et  à  la  clarinette  soli.  Il  a,  par  suite,  commencé  ainsi  : 

,  etc. 


Ainsi  faisant,  le  maître  notait  évidemment  cette  partie  pour  des 
cors  d'harmonie,  —  les  cors  à  pistons,  et  même  les  cors  à  cylindres 
n'étant  pas  encore  à  cette  époque  en  usage  dans  les  orchestres  : 
(la  façon  dont  la  partie  est  conçue,  le  démontre  d'ailleurs)  —  et 
il  a  perdu  de  vue  que  le  fa  grave  (ré  à  l'œil),  ne  pouvait  être 
fourni  que  par  un  son  bouché  détestable.  Il  s'en  est  aperçu  après 
coup,  soit  en  se  relisant,  soit  en  s'entendant,  et  a  simplement 
supprimé  la  note  en  supprimant  la  mesure.  On  lit  très  aisément 
dans  le  manuscrit  la  mesure  primitive,  au-dessous  de  laquelle 
Berlioz  a  collé  avec  un  pain  à  cacheter  un  carré  de  papier  ordi- 
naire. Il  y  a  tracé  à  la  main  une  portée,  et,  sur  cette  portée,  a 
noté  deux  pauses  pour  les  premiers  et  seconds  cors.  Le  premier 
cor  s'interrompt  donc  pendant  cette  seule  mesure  et  reprend  la 
suite  de  la  phrase  à  la  mesure  suivante. 

L'incident  n'est-il  pas  curieux  ? 

(A  suivre.)  A.  Montaux. 


HISTOIRE    VRAIE 

DES    HÉROS   D'OPÉRA   ET    D'OPÉRA- COMIQUE 


XLVIII 

BLONDEL 


Combien  plus  sympathique  est  le  ménestrel  Blondel,  également 
un  amuseur  de  roi,  mais  dont  le  dévouement  à  son  maître  fut  tel 
qu'il  a  donné  lieu  à  l'une  des  légendes  les  plus  touchantes  de  l'époque 
chevaleresque  ! 

Richard  Cœur-de-Lion,  an  retour  de  la  croisade,  était  reLenu 
prisonnier  par  l'empereur  d'Allemagne;  mais  on  ne  savait  en  quel 
endroit  il  se  trouvait.  Alors,  son  barde  fidèle  se  mit  en  campagne, 
et.  daus  tous  les  châteaux  qu'il  trouvait  sur  sa  route,  il  s'arrêtait 
et  chantait  une  chanson  qu'il  avait  composée  avec  son  maître. 

Car  Richard  se  piquait  de  poésie.  Il  en  avait  pris  le  goût  lors- 
qu'il régnait  sur  le  Poitou,  qui  lui  avait  été  donné  en  apanage,  et 
dont  il  portait  le  titre  de  comte.  A  sa  cour  de  Poitiers  les  trouba- 
dours rivalisaient  de  grâce  et  d'esprit;  et  c'est  dans  leur  fréquen- 
tation qu'il  avait  appris  à  goûter  les  charmes  de  leurs  poésies  et  à 
composer  lui-même  en  cette  langue  romane  qui  dominait  alors  toutes 
les  autres  langues  de  l'Europe. 

Nous  avons  eu   le  bonheur    de  retrouver   une   Sirvente  du  royal 
poète,  composée  pendant  sa  captivité.  On  remarquera  que  cetLe  pièce  ' 
est  sur  des  rimes  consécutives  et  toutes  masculines.  Ce  rythme  uni- 
forme  rendait   mieux   sans    doute,    dans    l'esprit   du  prisonnier,    la 
mélancolie  qu'il  voulait  exprimer  : 

Ja  nuls  hom  près  non  dira  sa  ra\on 
Adrcchament,  si  coin  hom  dolcns  non 
Mas  per  conort  deu  hom  faire  canson. 
Pro  n'ay  d'amis,  mas  paurc  son  li  don; 
Ane  ta  lur  es,  si  per  ma  reqenson 

Soy  sai  dos  yvers  près. 
Or  sapehon  bai  miey  hoi 
Angles,  Normans,  Peyta 
Qu'ieu  non  ay  ja  si  pain 
Qn'ieu  laissasse,  per  aver,  en  preison  ; 
Non  ho  die  mia  per  uulla  retraison, 

Mas  anquar  soi  ie  près. 

Car  sai  eu  ben  per  ver,  certanament, 
Qu'hom  mort  ni  près  n'a  amie  ni  parer. 
&  si  m  lassan  per  aur  ni  per  argent, 
Mal  m'es  per  mi,  mas  pîeg  m'es  per  m 
Qjipres  ma  mort  n'auron  raprochamen. 
Si  sai  mi  laissbn  près. 

No  m  meravilh  s'ieu  ay  lo  cor  dolent 
Que  mos  seuher  met  ma  terra  en  turnu 
No  li  membra  de  nostre  sagrament 
Qtic  nos  f ci  mes  el  San  cominalment. 
Ben  sai  de  ver  que  gaire  longament 
Non  serai  en  sai  près. 

Suer  comtessa,  vostre  prety  sobeiran 
Sai  Dieus,  &  gard  la  belle  qu'ieu  am  t 
Ni  per  cui  soi  ja  près. 


:  6'-  miey  baroi 
in  û"  Gascon, 
compagnon 


LE  MÉNESTREL 


245 


Voici  la  traduction  de  cette  pièce  : 

Jamais  nul  homme  prisonnier  ne  dira  sa  raison  franchement,'  sinon 
comme  homme  malheureux;  mais  pour  consolation  on  doit  faire  chanson. 
Assez  j'ai  d'amis,  mais  pauvres  sont  les  dons  ;  honte  à  eux,  puisque  pour 
ma  rançon, 

Je  suis  depuis  deux  hivers  prisonnier. 

Or,  sachent  bien  mes  sujets  et  mes  barons,  Anglais,  Normands,  Poite- 
vins et  Gascons,  que  je  n'ai  jamais  eu  si  pauvre  compagnon  que  je  lais- 
sasse  pour  argent  en  prison;  je  ne  le  dis  point  pour  reproche, 

Mais  encore  suis-je  prisonnier. 

Car.sais-je  bien  pour  vrai,  certainement,  qu'homme  mort  ou  prisonnier 
n'a  d'amis  ni  parent;  et  s'ils  me  laissent  pour  argent  et  pour  or,  mal 
m'est  pour  moi,  et  pire  pour  mon  peuple;  vu  qu'après  ma  mort  ils  en 
auront  reproche, 

S'ils  me  laissent  ici  prisonnier. 

Je  ne  m'étonne  pas  si  j'ai  le  cœur  souffrant,  vu  que  mon  seigneur  (il 
s'agit  de  Philippe-Auguste)  met  ma  terre  en  tourment;  il  ne  lui  souvient 
plus  de  notre  serment  que  nous  fîmes  au  Saint  ensemble.  Bien  je  sais 
de  vrai  que  guère  longtemps 

Je  ne  serai  en  ça  prisonnier. 

Sœur  comtesse,  que  votre  gloire  supérieure  sauve  Dieu,  et  qu'il  protège 
la  belle  que  j'aime  tant, 
Et  par  qui  je  suis  déjà  prisonnier. 

Blondel  étant  parvenu  dans  le  Tyrol  eut  la  joie  d'y  retrouver  son 
maître,  que  son  chant  attira  à  la  fenêtre  de  sa  prison.  Il  signala 
sa  présence  et  obtint  sa  liberté.  Telle  est  la  légende.  Voici  main- 
tenant le  récit  des  chroniqueurs. 

Jeté  par  la  tempête,  au  retour  de  la  terre  sainte,  sur  les  côtes 
de  l'Illyrie,  entre  Aquilée  et  Venise,  Richard  fut  fait  prisonnier 
par  le  neveu  d'un  marquis  de  Monlferrat,  dont  on  lui  reprochait, 
sans  aucune  preuve,  d'avoir  causé  la  mort.  Celui-ci  le  livra  au  duc 
d'Autriche,  Léopold,  qu'il  avait  traité  d'une  façon  injurieuse  au 
siège  d'Acre,  lequel  le  vendit  pour  60,000  livres  à  l'empereur  Henri, 
qui,  du  chef  de  sa  femme,  avait  des  droits  à  la  couronne  de  Sicile, 
et  regardait  Richard  comme  l'allié  de  l'usurpateur  Tancrède. 

L'empereur  retint  le  roi  d'Angleterre  captif,  à  Mayence  d'abord, 
puis  à  Worms,  d'où  il  le  fit  conduire  secrètement  à  Trifels,  dans 
le  Tyrol.  C'est  là  que  Guillaume  de  Longchamps,  peut-être  sur 
l'indication  de  Blondel,  découvrit  la  prison  de  son  souverain.  Il 
obtint  la  permission  de  conduire  Richard  à  la  diète  de  Hagueoau. 
Là  s'ouvrit  son  procès. 

Outre  les  chefs  d'accusation  qui  précèdent,  l'empereur  reprochait 
à  son  ancien  allié  d'avoir  forcé  le  roi  de  France  à  quitter  la  Pa- 
lestine, d'avoir  conclu  avec  Saladiu  une  trêve  trop  douce,  et  enfin 
d'avoir  laissé  Jérusalem  aux  mains  des  infidèles.  Mais  Richard, 
prenant  la  parole,  s'exprima  en  termes  si  éloquents  et  si  persuasifs 
qu'il  arracha  des  larmes  à  toute  l'assistance.  Avant  même  qu'il  eût 
terminé,  l'empereur  proclama  son  innocence.  Il  courut  à  lui,  l'em- 
brassa, lui  ôta  les  fers  dont  il  était  chargé,  et,  à  partir  de  ce  mo- 
ment, le  traita  avec  le  plus  profond  respect.  Mais  il  n'en  exigea 
pas  moins,  pour  lui  rendre  la  liberté,  une  rançon  de  100,000  marks 
de  pur  argent,  plus,  la  remise  d'otages  pour  la  somme  de  50, 000  marks, 
plus  encore,  la  promesse  de  donner  sa  nièce  Eléonore  de  Bretagne 
au  duc  d'Autriche. 

Ces  deux  dernières  conditions  ne  furent  point  tenues,  et  l'affaire 
s'arrangea  pour  83,000  marks,  sur  les  instances  du  pape.  Puis,  Ri- 
chard retourna  prendre  les  rênes  de  son  gouvernement,  après  quatre 
années  d'absence.  On  l'accueillit  joyeusement  en  Angleterre,  mais 
on  le  sacra  de  nouveau,  pour  effacer  la  honte  faite,  en  sa  personne, 
à  la  monarchie  britannique. 

En  apprenant  sa  mise  en  liberté,  Philippe-Auguste  n'avait  pu 
s'empêcher  de  s'écrier  ; 

—  Tenons-nous  sur  nos  gardes,  le  diable  est  déchaîné! 

La  suite  ne  tarda  point  à  justifier  ces  alarmes. 

En  Orient,  les  cavaliers  se  servent  encore  du  nom  de  Richard 
pour  gourmauder  leur  chevaux,  et  les  mères  pour  effrayer  leurs 
enfants. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 


Nouvelles  de  Londres. —  La  représentation  de  Carmen,  annoncée  à  coups 
de  grosse  caisse,  a  été  très  digne  d'une  saison  inégale  et  presque  nulle  au 
point  de  vue  artistique.  Il  n'est  guère  besoin  do  s'étendre  sur  cette  soirée 


navrante  pendant  laquelle  le  chef-d'œuvre  de  Bizet  a  été  mis  à  toutes  les 
sauces,  avec  trois  maîtres  queux  au  pupitre,  présidant  à  cette  affreuse 
cuisine.  Le  rôle  do  don  José  ne  convient  pas  sous  bien  des  rapports  au 
genre  de  M.  Jean  de  Reszké,  qui  s'est  contenté  d'en  chanter  plusieurs  par- 
ties avec  son  charme  habituel.  Au  point  de  vue  dramatique  le  côté  plas- 
tique l'emporte  chez  lui,  pour  le  moment,  sur  les  recherches  psychologiques. 
M.  Lassalle  n'a  pas  hésité  à  sacrifier  sa  belle  barbe  pour  pouvoir  satis- 
faire davantage  au  dandysme  d'Escamillo;  le  rôle  est  du  reste  fort  mal 
écrit  pour  sa  voix.  Je  glisserai  à  dessein  sur  Mllc  Pinkert  (remplaçant  au 
dernier  moment  Mm0  Melba  souffrante)  une  Micaela  déplorable,  et  sur  l'effet 
grotesque  produit  par  les  deux  contrebandiers  se  donnant  la  réplique 
dans  deux  langues  différentes,  tandis  que  les  chœurs  chantaient  dans  tous 
les  idiomes.  Mllc  Zélie  de  Lussan  est  depuis  quelques  mois  seule  titulaire 
du  rôle  de  Carmen  en  Angleterre.  L'artiste  est  jeune  et  possède  une  jolie 
voix  de  mezzo-soprano,  mais  manque  complètement  d'école  et  de  style. 
Sa  conception  du  rôle  de  la  bohémienne  se  réduit  à  une  série  de  minau- 
deries et  de  variantes  souvent  du  plus  mauvais  goût  :  au  lieu  de  la  capi- 
teuse héroïne  de  Mérimée,  elle  nous  présente  une  sorte  d'enfant  gâtée, 
tout  à  fait  agaçante.  M1,e  de  Lussan  s'est  laissé  griser  par  les  réclames 
banales  d'une  presse  trop  complaisante  et  se  croit  tout  permis  :  lorsqu'on 
chante  du  Mozart  comme  elle  l'a  fait  cette  saison  à  Covent-Garden,  on  a 
encore  tout  à  apprendre.  Qu'elle  se  remette  donc  tout  à  fait  au  travail,  sous 
peine  de  gaspiller  de  précieuses  qualités  naturelles;  pour  le  moment,  elle 
est  tout  à  fait  incapable  de  tenir  d'une  façon  artistique  le  rôle  de  Car- 
men. 

La  recette  s'est  élevée  à  45,000  francs  ;  c'est  là  le  véritable  épilogue 
d'une  saison  heureuse  pour  la  direction,  moins  satisfaisante  pour  les 
agences  qui,  en  dehors  des  représentations  de  Jean  de  Reszké,  sont  restées 
avec  de  gros  paquets  de  billets  sur  les  bras,  et  absolument  navrante  pour 
tous  les  vrais  musiciens.  Nous  voici  revenus  aux  plus  mauvais  jours 
du  système  des  étoiles,  le  ténor  remplaçant  cette  fois-ci  la  prima  donna, 
ce  qui  ne  fait  qu'aggraver  le  cas  au  point  de  vue  de  l'engouement  fémi- 
nin. Tout  a  été  sacrifié  aux  soirées  du  chanteur  à  la  mode,  rien  pour  les 
lendemains,  ni  troupe,  ni  répertoire,  ni  public  payant.  Le  manque  d'en- 
semble et  la  confusion  des  emplois  ont  été  les  traits  caractéristiques  de 
cette  dernière  saison.  M.  Jean  de  Reszké  a  été  l'unique  premier  ténor, 
comme  M.  Edouard  de  Reszké  l'unique  première  basse.  L'emploi  de 
falcon  n'a  pas  eu  de  titulaire;  le  rôle  de  Valentine  des  Huguenots  a  été 
tenu  successivement  par  trois  chanteuses  légères,  Raoul  a  été  chanté  par 
des  ténors  légers,  le  roi  à'Hamlet  a  eu  pour  interprète  une  basse  bouffe. 
Dans  des  conditions  pareilles,  bien  des  représentations  ont  été  indignes 
de  Covent-Garden. 

La  seule  nouveauté,  Esmfralda,  a  été  appréciée,  à  cette  place,  à  sa  juste 
valeur,  et  c'est  la  reprise  du  Prophète  qui  constitue  en  réalité,  avec  celle 
à'Hamlet,  le  seul  événement  artistique  de  la  saison.  On  s'est  peut-être 
aussi  trop  hâté  de  triompher  de  l'adoption  de  l'idiome  français  pour  cinq 
ou  six  opéras  et  en  ce  qui  concerne  les  principaux  sujets  seulement.  Les 
petits  rôles  ont  été  baragouinés  d'une  façon  affreuse,  tandis  que  les  chœurs 
ont  chanté  un  composé  de  toutes  les  langues.  De  pareilles  énormités 
passent  inaperçues  en  italien,  que  peu  de  gens  parlent,  mais  choquent 
en  français,  que  tout  le  monde  comprend. 

Le  moment  est  venu,  dans  l'intérêt  même  de  l'institution  de  l'opéra  à 
Londres,  de  se  prononcer  d'une  façon  formelle  pour  le  genre  français. 
C'est  le  seul  qui  permettrait  la  composition  d'une  troupe  homogène  dans 
tous  les  cas  et  assurerait  la  marche  d'un  répertoire  varié  et  pouvant  s'aug- 
menter de  nouveautés  importantes  tous  les  ans.  Le  système  mixte  ne  sau- 
rait se  prolonger  plus  longtemps.  Il  faudra  prendre  franchement  un  parti: 
ou  bien  revenir  entièrement  au  genre  italien,  qui  ne  produit  plus  ni  chan- 
teurs ni  musiciens,  ou,  marchant  avec  le  progrès,  se  déclarer  définitive- 
ment pour  l'opéra  français.  A.-G.  N. 

—  Nous  avons  fait  connaître  les  détails  delà  cérémonie  qui  accompagnait 
l'inauguration  du  monument  de  Weber  à  Eutin. Voici  à  présent  la  descrip- 
tion du  monument  lui-même.  Il  consiste  en  un  buste  posé  sur  un  socle  en 
granit.  Par  devant,  sur  les  degrés  du  socle,  une  muse  est  assise,' plus 
grande  que  nature,  tenant  une  lyre  à  la  main.  La  tète  est  levée,  contemplant 
le  buste.  Au  bas,  de  l'autre  côté,  deux  enfants  sont  représentés  lisant  dans 
un  cahier  de  musique.  Au-dessus,  un  bas  relief  reproduisant  une  scène 
du  Freischiitz.  Sur  les  côtés,  différents  emblèmes  groupés  avec  goût.  L'en- 
semble du  monument  est  d'un  heureux  aspect. 

—  A  propos  de  l'inauguration  du  monument  de  Weber  à  Eutin,  les 
journaux  allemands  racontent  qu'on  eu  a  toutes  les  peines  du  monde  pour 
réunir  la  partition  et  les  parties  de  la  messe  de  Weber  qui  a  été  exécutée 
à  cette  occasion  à  la  cathédrale  d'Eutin.  Cette  messe  (en  mi  bémol  majeur) 
n'a  jamais  été  publiée  en  partition.  Weber  l'écrivit  à  la  demande  du  roi 
de  Saxe,  pour  la  chapelle  de  la  cour,  à  Dresde,  et  le  manuscrit  fait  aujour- 
d'hui partie  de  la  collection  privée  du  roi  Albert.  Il  existait  toutefois  de 
cette  messe  une  réduction  pour  piano,  dont  quelques  exemplaires  se  trou- 
vaient encore  à  Londres.  C'est  de  là  qu'il  a  fallu  les  faire  venir  pour 
procéder  aux  études  partielles  de  l'œuvre.  Le  roi  de  Saxe  ayant  donné 
l'autorisation  de  copier  le  manuscrit  qu'il  possède,  on  a  pu  reconstituer 
l'orchestre.  A  la  demande  du  roi  Frédéric-Auguste  Ier,  Weber  avait  composé 
un  offertoire  qu'il  ajouta  plus  tard  à  l'œuvre  originale.  Cet  offertoire,  qu'on 
croyait  perdu,  a  pu  être  retrouvé  également,  et  il  a  été  intercalé,  à  Eutin, 
entre  le  Credo  et  le  Sanclus.  C'est  probablement  la  seule  et  unique  exécu- 


246 


LE  MÉNESTREL 


tion  de  cette  messe  de  Weber  qui  ait  eu  lieu  en  Allemagne,  depuis  la 
mort  de  son  auteur. 

—  La  translation  des  cendres  de  Gluck,  de  l'ancien  cimetière  au  nou- 
veau, aura  lieu  vers  la  fin  du  mois.  La  municipalité  a  décidé  d'entourer  la 
cérémonie  d'un  éclat  tout  spécial.  On  profitera  de  la  présence  des  douze 
cents  chanteurs  réunis  à  l'occasion  des  grandes  fêtes  musicales  de  Vienne 
pour  former  un  cortège  imposant  où  on  pourra  dire  que  toute  l'Allemagne 
musicale  aura  été  représentée. 

—  On  vient  d'inaugurer  à  Berlin  un  musée  d'instruments  de  musique 
placé  sous  la  direction  du  ministère  des  Beaux-Arts.  Le  fonds  de  ce  musée 
est  formé  par  la  collection  d'instruments  anciens  que  l'Etat  prussien  acheta 
l'année  dernière  à  M.  Paul  de  Witt,  de  Leipzig.  D'autres  collections,  tirées 
des  musées  de  l'Etat  et  des  bibliothèques  royales,  ainsi  que  divers  dons 
de  particuliers,  ont  rapidement  augmenté  l'importance  et  la  valeur  de  ce 
musée,  qui  est  dès  à  présent,  après  ceux  de  Paris  et  de  Bruxelles,  le  plus 
riche  de  l'Europe.  Parmi  les  instruments  précieux  qu'on  y  voit,  il  y  a  le 
fameux  quatuor  de  Beethoven,  qui  récemment  avait  été  exposé  à  Bonn, 
et  le  violon  d'étude  de  Mozart.  Le  musée  instrumental  de  Berlin  paraît 
être  particulièrement  bien  fourni  en  modèles  d'anciens  instruments  à 
cordes.  On  cite  aussi  ses  vieux  instruments  à  vent,  dont  il  existe,  parait- 
il,  un  orchestre  complet  en  parfait  état  de  conservation. 

—  Les  recettes  de  la  Passion  à  Oberammergau  accusent  déjà  une  plus- 
value  de  80,000  marcs  sur  les  dépenses.  Chaque  représentation  produit 
22.000  marcs.  Les  étrangers,  principalement  des  Anglais  et  des  Américains, 
arrivent  en  foule.  Beaucoup  restent  la  semaine  entière  à  Oberammergau 
pour  assister  une  seconde  fois  à  la  représentation.  Jusqu'à  ces  derniers 
jours  pourtant,  le  temps  n'a  guère  été  favorable. 

—  Ainsi  qu'on  le  sait,  la  conférence  internationale  qui  s'est  réunie  au 
mois  de  novembre  1SS5  à  Vienne,  pour  l'introduction  d'un  diapason  normal, 
a  choisi  comme  ton  normal  le  la  qui  se  termine  par  435  vibrations  en- 
tières, ou,  d'après  le  système  français,  par  870  vibrations  simples,  à  la  se- 
conde. En  vue  d'introduire  ce  diapason  dit  français,  le  chancelier  de 
l'Empire  a  chargé  l'institut  de  physique  de  Gharlottembourg  de  fabriquer, 
d'examiner  et  d'approuver  des  fourches  toniques.  Le  nouveau  diapason 
est  déjà  introduit  dans  les  musiques  militaires,  dans  la  plupart  des  orches- 
tres et  dans  les  conservatoires  de  musique.  Récemment,  le  conseil  supé- 
rieur de  l'instruction  publi  que  a  prescrit  que,  par  l'intermédiaire  des  écoles, 
ce  diapason  devra,  autant  que  possible,  être  introduit  dans  tout  le  pays. 
En  conséquence,  les  écoles  normales  ont  été  avisées  d'avoir  à  se  servir  du 
nouveau  diapason  à  partir  de  l'hiver  prochain,  et  de  faire  changer  le  ton 
des  orgues  et  des  pianos.  En  même  temps,  les  inspecteurs  scolaires  ont 
été  invités  à  veiller  à  l'introduction  du  nouveau  diapason  dans  toutes  les 
écoles  d'Alsace-Lorraine. 

—  Le  compositeur  Franz  de  Suppé,  qui  visite  en  ce  moment  l'Italie,  et 
qui  de  Milan  s'est  rendu  à  Florence,  s'occupe,  dit-on,  d'une  nouvelle 
opérette  en  trois  actes,  le  Paillasse,  dont  le  livret  lui  a  été  fourni  par 
M.  V.  L.  von  Waldberg,  et  qui  sera  jouée  au  théâtre  An  der  Wien  de 
Vienne. 

—  M.  Franz  Kûhmeyer,  de  Presbourg,  déjà  connu  par  son  invention  de 
la  lyre  à  archet  électrique,  vient  de  créer  un  nouvel  instrument,  d'après  le 
système  du  premier,  le  piano  à  arcliet,  dont  il  est  fait  grand  bruit  dans  la 
presse  allemande.  C'est  un  piano  de  la  dimension  des  grands  pianos  à 
queue,  mais  qui  ne  porte  pas  dans  ses  flancs  moins  de  dix  instruments  à 
cordes  :  six  violons,  deux  altos  et  deux  violoncelles.  Des  bandes  de  cuir 
fin,  faisant  l'office  d'archets  et  mues-au  moyen  des  pédales,  circulent  en 
travers  des  cordes.  Quand  on  appuie  le  doigt  sur  une  touche,  l'archet  fait 
vibrer  la  corde  correspondante  tout  le  temps  que  dure  cette  pression  de 
la  touche.  On  obtient,  parait-il,  ainsi  des  s'ons  et  des  effets  enchanteurs. 
Circonstance  curieuse  :  il  se  trouve  que  l'inventeur,  M.  Kûhmeyer,  est 
hors  d'état  d'expérimenter  lui-même  son  piano  à  archet,  n'étant  pas  musi- 
cien le  moins  du  monde;  sa  profession  est  celle  de  fabricant  d'articles  en 
filigranes  d'or  et  d'argent.  Disons,  pour  finir,  que  l'idée  du  piano  à  archet 
était  déjà  connue  au  xvn°  siècle,  et  que  tout  récemment  encore  un  facteur 
parisien  en  a  fait  une  très  heureuse  application. 

—  Sur  la  fin  d'une  saison  théâtrale  désastreuse,  le  directeur  d'une  pe- 
tite scène  lyrique  autrichienne,  désireux  de  montrer  que  les  déboires  n'ont 
pas  tari  sa  verve  spirituelle,  a  fait  publier  dans  différents  journaux,  entre 
autres  le  Tagblatt,  la  communication  carnavalesque  dont  voici  la  traduc- 
tion :  «  Un  mot  d'adieu  au  public  de  l'Opéra!  Que  {Robert)  le  Diable  soit  de 
la  saison  !  Loin  de  me  rapporter  tout  l'Or  du  Rhin  elle  ne  m'a  pas  seulement 
fait  encaisser  de  quoi  payer  le  Porteur  d'eau  et  le  Barbier,  et  il  ne  me  reste 
pus  nu  centime  pour  aller  assister  au  Carnaval  romain  ni  même  au  moindre 
Bal  musqué.  Dieu  sait  depuis  quand  il  ne  m'est  arrivé  de  contempler  un 
Domino  noir,  de  Joyeuses  Commères,  ou  seulement  une  Dame  blanche.  Lorsque 
j'aurai  payé  le  Maçon  et  le  serrurier,  le  Charpentier  (Czar  et  Charpentier), 
le  Trompette  et  la  Danseuse  en  voyage,  il  me  restera  à  peine  de  quoi  aller 
passer  une  Nuit  au  camp.  Je  suis  assurément  économe,  mais  j'ai  Quatre  fils 
Aymon,  qu'il  faut  que  je  nourrisse.  Je  ne  suis  ni  un  Templier,  ni  un  Don 
Juan  et  je  célébrerais  volontiers  mon  Mariage  aux  lanternes,  si  je  rencontrais 
une  riche  Juive  qui  voulût  accepter  de  ma  main  l'Elixir  d'amour  et  devenir 
mu  Fiancée.  Peu  m'importerait  qu'elle  fût  Africaine  ou  même  la  fille  du 
capitaine  commandant  le  Vaisseau-Fantôme.  Je  ne  connais  de  la  Vie  pari- 
sienne que  ce  qu'on  m'en  a  décrit,  j'ai  des  goûts  simples,  je  ne  porte  jamais 


aucun  ornement,  même  pas  une  Croix  dor,  et  suis  satisfait  quand  je  ne  me 
trouve  pas  trop  au-dessous  de  mes  affaires.  C'est  pourquoi  j'invite  le  public 
à  se  rendre  en  foule  aux  représentations  d'adieu  qui  auront  lieu  le  pre- 
mier et  le  deuxième  jour  de  Pâques.  Ne  l'oubliez  pas  :  le  Roi  l'a  dit! 
Signé  :  Ernest  Kônig,  directeur  de  théâtre,  concessionnaire.  »  Comme  on 
sait,  en  allemand  Konig  signifie  le  roi  :  on  saisit  donc  la  dernière  plaisan- 
terie. Étourdissant  de  facétie,  ce  bon  M.  Kônig  !  Cela  n'a  d'excuse  que  les 
grandes  chaleurs  que  nous  traversons. 

—  Une  somme  de  neuf  cent  mille  florins  a  été  votée  pour  la  reconstruc- 
tion, à  Amsterdam,  d'un  nouveau  théâtre,  sur  l'emplacement  de  celui  qui 
a  été  incendié  dernièrement.  Le  projet  d'édification  est  mis  au  concours. 

—  Les  concerts  Lamoureux,  organisés  en  Hollande,  par  l'imprésario 
Schurmann,  auront  lieu  :  le  16  octobre  à  Rotterdam,  à  l'Opéra  ;  les  17, 
18,  19  à  Amsterdam,  grande  salle  de  concerts  ;  20  et  21  à  La  Haye,  salle 
des  Arts-et-Mé tiers. 

—  Un  beau  métier  que  celui  de  musicien  en  Italie,  mais  peut-être  pas 
très  lucratif,  s'il  faut  s'en  rapporter  à  cet  avis  que  nous  trouvons  dans 
les  journaux  de  ce  pays:  «  Il  est  ouvert  à  San  Mauro  de  Piomagne,  pro- 
vince de  Forli,  un  concours  pour  le  poste  de  maître  de  musique,  avec 
obligation  d'instruire  et  de  diriger  le  corps  de  la  bande  municipale,  et 
d'enseigner  le  piano  et  l'orgue  à  tous  ceux  qui  voudront  s'y  consacrer. 
Le  traitement  annuel  est  de  800  francs.  Outre  cela,  il  aura  le  logement 
gratuit  et  une  gratification  annuelle  de  2S0  francs  pour  la  composition  de 
dix-huit  morceaux  d'harmonie  au  moins  et  pour  la  copie  des  parties.  » 
Franchement,  il  y  aurait  plus  d'avantage  à  se  faire  simplement  balayeur 
municipal  qu'à  sortir  vainqueur  d'un  tel  concours  pour  obtenir  une  sem- 
blable situation  artistique.  Huit  cents  francs  par  an  pour  instruire  et  di- 
riger un  corps  de  musique,  sans  compter  les  leçons  de  piano  et  orgue, 
c'est  déjà  gentil  ;  mais  que  dire  des  250  francs  attribués  à  la  composition 
et  à  la  copie  de  dix-huit  morceaux  d'harmonie,  ce  qui  fait  revenir  chacun 
de  ces  morceaux  à  un  peu  moins  de  quatorze  francs,  composition  et  copie 
comprises  ?  Décidément,  c'est  un  beau  métier  que  celui  de  musicien  en 
Italie  —  le  pays  du  déficit,  comme  l'appelle  si  bien  notre  collaborateur 
Edmond  Neukomm  dans  un  livre  récent.- 

—  Singulier  avis  très  personnel  que  nous  trouvons  dans  un  journal 
italien:  —  «  On  invite  la  personne  qui,  peut-être  par  distraction,  a  em- 
porté des  bureaux  du  Mondo  arlhtico  quelques  partitions,  de  vouloir  bien  les 
renvoyer  promptement,  si  elle  ne  veut  que,  ayant  été  vue,  on  ne  mette 
son  nom  à  la  connaissance  de  tous,  sans  pour  cela  renoncer  à  un  procès 
pénal.  »  Distraction  de  dilettante  raffiné,  sans  doute,  ou  de  ténor  dans 
l'embarras. 

—  Une  pierre  commémorative  sera  posée  prochainement,  à  Crémone,  sur 
la  façade  de  la  maison  où  mourut  il  y  a  quelques  années  le  compositeur 
Lauro  Rossi,  qui  jouit  pendant  trente  ans  d'une  véritable  renommée  et  à 
qui  l'on  doit  une  vingtaine  d'opéras,  parmi  lesquels  un  Domino  nero  qui 
devint  presque  aussi  populaire  que  le  Domino  noir  de  notre  Auber,  à  qui 
sans  doute  il  devait  bien  quelque  chose. 

—  Sans  tenir  aucun  compte  d'un  projet  qui  lui  avait  été  présenté  par 
MM.  d'Ormeville  et  Scalise,  le  conseil  communal  de  Naples  a  accepté  les 
propositions  de  la  junte  et  a  de  nouveau  concédé  l'entreprise  du  théâtre 
San  Carlo  à  M.  Marino  Villani.  La  saison  s'ouvrira  par  la  Gioconda  de 
Ponchielli,  avec  M™'  Cataneo  et  Novelli,  MM.  De  Lucià  et  Dufriche  pour 
interprètes.  Trois  ouvrages  viendront  sans  doute  ensuite  :  Cavalleria  ■ 
ruslicana  de  M.  Mascagni,  Cimbellino,  opéra  nouveau  de  M.  Van  Westerhut, 
et  Spartaco,  de  M.  Platania. 

—  A  propos  de  Cavalleria  rusticana,  on  assure  que  l'établissement  mu- 
sical de  M.  Sonzogno  est  littéralement  assiégé  de  demandes  de  la  partition 
du  jeune  compositeur  livournais.  Depuis  son  apparition,  il  en  a  été  déjà 
vendu  et  expédié  hors  de  Milan  environ  3,000  exemplaires. 

—  Au  théâtre  Alfieri,  de  Turin,  très  grand  succès  pour  une  opérette 
nouvelle  du  maestro  Garlini,  i  Diavoli  délia  Corie.  Seize  rappels  au  com- 
positeur, trois  morceaux  bissés,  exécution  excellente,  mise  en  scène 
superbe,  tel  est  le  bilan  de  la  soirée.  —  Grand  succès  aussi,  au  Politeama 
de  Gènes,  pour  une  opérette  d'enfants,  Guglielmo  Embriaco,  chantée  par 
les  élèves  de  l'Institut  Vittorino,  de  Feltre,  à  l'occasion  de  la  distribution 
des  prix.  Le  sujet  est  tiré  de  l'histoire  des  croisades,  et  le  compositeur 
est  M.  Penco. 

—  On  écrit  de  Venise  que  le  théâtre  Malibran,  remis  à  neuf,  est  mé- 
connaissable, et  que  sa  transformation  est  absolument  radicale.  La  nou- 
velle décoration,  de  style  égyptien,  conduite  ingénieusement  et  exécutée 
avec  diligence  et  finesse,  a  été  imaginée  par  M.  Vizzotto  et  exécutée  par 
M.  Bressan.  Le  rideau  est  l'œuvre  des  peintres  Pedrocco  et  Tagliapietra. 
Le  grand  lampadaire  du  centre,  à  la  lumière  électrique,  est  magnifique. 
On  a  dû  procéder  cette  semaine,  par  une  représentation  de  Mignon,  à 
l'inauguration  de  la  salle  ainsi  embellie  et  restaurée. 

—  S'il  faut  en  croire  certains  journaux  étrangers,  le  chiffre  de  la  suc- 
cession laissée  par  le  célèbre  ténor  Gayarre  ne  se  monterait  pas  à  moins 
de  quatre  millions.  Quatre  millions  gagnés  au  cours  d'une  carrière  d'une 
quinzaine  d'années  !  Voilà  pourtant  où  passent  les  subventions  théâtrales. 

Correspondance  de  Barcelone.  —  Barcelone,  25  juillet  1890.  —  Si  notre 
arrière-saison  lyrique  de  Primavera  a  tin  i  piteusement,  notre  saison  d'été 
—  qui  actuellement  bat  son  plein  —  a  fort  bien  commencé.  Le  grand  in- 


LE  MÉNESTREL 


247 


térêt  de  la  «  temporada  »  semblait  devoir  se  concentrer  sur  les  spectacles 
d'opéra  italien  annoncés  au  Teatro-Lyrico.  On  nous  y  promettait  en  effet, 
outre  une  reprise  de  YOrphce  de  Gluck,  YAlceste  du  même  maître,  il  Malri- 
monio  segreto,  de  Cimarosa  —  deux  ouvrages  pour  ainsi  dire  inconnus  ici 
—  et  une  nouveauté...  nouvelle  :  la  Modella,  du  maestro  Oreste  Bimboni. 
Toutes  ces  promesses  ont  été  tenues  ;  mais,  hélas  !  dans  quelles  désolantes 
conditions.  La  direction  —  richissime  cependant  —  de  cet  élégant  Théa- 
tro-Lyiuco,  se  figurant  sans  doute  que  l'attrait  d'oeuvres  inconnues  était 
suffisant  pour  attirer  le  public,  ne  se  préoccupa  point  du  choix  des  inter- 
prètes, et  il  advint  que  cette  superbe  partition  d'AIceste  et  cette  toujours 
charmante  musique  d'il  Matrimonio  segreto  furent  exécutées  d'une  façon 
absolument  lamentable. . .  Quant  à  la  Modella,  le  soi-disant  clou  de  la  sai- 
son, elle  a  piqué  une  de  ces  tètes.  .  modèles.  C'a  été  la  seule  justification 
de  son  titre.  C'est  du  vieux  rabâchage  italien.  Après  une  telle  exhibition, 
il  ne  restait  plus  au  Theatro-Lyrico  qu'à  fermer  ses  portes  ;  c'est  ce  qu'il 
a  fait.  —  Au  Theatre-Gayarre,  on  continue,  avec  succès,  les  représenta- 
tions du  répertoire  courant  d'opéra,  avec  une  troupe  composée  d'éléments 
de  second  ordre,  mais  très  consciencieux.  —  Au  Theatro  del  Eldorado, 
vient  de  débuter  une  assez  bonne  compagnie  d'opérette  italienne,  qui  nous 
a  déjà  fait  entendre  plusieurs  œuvres  inconnues  ici  :  In  Cerca  di  Félicita, 
quatre  actes,  du  maestro  Suppé.  La  pièce  est  peu  intéressante.  La  musique 
ne  se. recommande  guère  que  par  sa  facture  facile  et  gaie:  elle  manque 
d'originalité.  Un  Viaggio  in  Affrica,  du  même  compositeur,  est  une  oeuvre 
sans  importance  quoiqu'en  trois  actes  :  on  y  sent  beaucoup  plus  de 
savoir-faire  que  de  savoir  et  d'inspiration.  Il  uice-almiraglio,  deux  actes 
et  un  prologue  du  maestro  Millôcker.  La  pièce  est  drôle  ;  la  musique  ne 
vaut  pas  cher,  et  elle  a  le  tort  d'afficher  des  prétentions.  Enfin  de 
Milan,  on  nous  apprend  que  M.  Bernis,  directeur  quand  même  del  Liceo, 
vient  de  s'entendre  avec  la  maison  Ricordi,  au  sujet  de  YOtello  de  Verdi, 
qui  sera  représenté  à  Barcelone  l'hiver  prochain,  avec  la  distribution 
suivante,  acceptée  par  les  éditeurs  propriétaires  de  l'œuvre  :  Desdemona, 
Mm0  Kupfer-Berger  ;  Emilia,  Mme  Carottini  ;  Otello,  M.  Gardinali  ;  Yago, 
M.  Laban  ;  Cassio,  M.  Foughi  ;  Rodrigo,  M.  Oliver.  Les  études  seront  faites 
sous  la  direction  du  maestro  Pietro  Nepoti,  et  les  représentations  dirigées 
par  le  maestro  (que  de  maestri,  bone  Deus!)  cavalière  Edoardo  Masche- 
roni.  A.-G.  Bertal. 

—  Il  parait  que  par  les  soins  de  la  municipalité  de  Pampelune,  une 
pierre  commémorative  vient  d'être  placée  sur  la  maison  où  naquit,  le 
16  mars  1844,  l'éminent  violoniste  Sarasate.  Personne  n'admire  plus  que 
nous  l'incomparable  talent  du  grand  violoniste  dont  l'éducation  musicale 
s'est  faite  au  conservatoire  de  Paris.  Mais  en  vérité  de  tels  hommages  ne 
sont-ils  pas  excessifs,  pour  ne  pas  dire  ridicules,  lorsqu'ils  s'adressent  à 
un  artiste  encore  vivant,  et  ne  pourrait-on  appeler  cela  du  cabotinage 
officiel  ? 

—  Voici  le  tableau  exact  et  complet  de  la  compagnie  lyrique  engagée 
au  théâtre  San  Carlos  de  Lisbonne,  pour  la  saison  1890-91  :  soprani, 
jjmcs  Blena  Teodorini,  Nadina  Bulicioff,  Linda  Brambilla  ;  inezzo-soprani, 
Mmcs  Emma  Leonardi  et  Cesira  Pagnoni  ;  ténors,  MM.  Gabrielesco,  Moretti 
et  Mastrobuono;  barytons,  MM.  Delûno  Menotti  et  Maurice  Devriès  ; 
basses,  MM.  Ercolani  et  "Wulmann;  buffo,  M.  Carbone.  Le  chef  d'or- 
chestre est  M.  Marino  Mancinelli. 

—  L'excellent  violoniste  Joseph  White  s'est  fait  entendre  avec  le  plus 
grand  succès  devant  la  reine  d'Angleterre,  au  château  d'Oshorne,  le 
24  juillet,  et  peu  de  jours  après,  à  Londres,  chez  le  prince  de  Galles. 

—  Les  journaux  américains  parlent  très  favorablement  d'un  nouvel  opéra- 
comique  produit  récemment  à  l'Opéra  de  Chicago  sous  le  titre  de  Robin 
hood.  Composée  par  M.  de  Koven  sur  un  livret  de  M.  H.  B.  Smith,  la  par- 
tition a  conquis  tous  les  suffrages  par  l'originalité  et  le  caractère  vif  et 
enjoué  des  motifs. 

—  Voici  qu'on  assure  que  deux  ténors  renommés,  MM.  Aramburo  et 
Anton,  se  font  chefs  de  compagnie  et  réunissent  en  ce  moment  une 
troupe  avec  laquelle  ils  comptent  faire  une  grande  tournée  dans  l'Améri- 
que. Ces  messieurs  s'adjugeront-ils,  comme  artistes,  les  appointements 
qu'ils  ont  coutume  d'exiger  des  impresari  de  profession? 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

C'est  aujourd'hui  même,  dimanche,  à  une  heure,  qu'a  lieu  dans  la 
grande  salle  du  Conservatoire,  la  séance  solennelle  de  la  distribution  des 
prix.  Nous  rendrons  compte,  dans  notre  prochain  numéro,  de  cette  séance 
toujours  intéressante,  et  nous  donnerons  le  texte  du  discours  officiel  pro- 
noncé à  cette  occasion  par  le  représentant  du  gouvernement. 

—  Voici  les  résultats  des  derniers  concours  publics  du  Conservatoire, 
qui  ont  eu  lieu  cette  semaine: 

Oi'éha-Comique  (hommes).  11  concurrents.  Jury  :  MM.  Ambroise  Thomas, 
président,  Capoul,  E.  Guiraud,  Massenet,  Léo  Delibes,  Duprato,  Descha- 
pelles, Jules  Barbier,  Paravey. 

Pas  de  premier  prix. 

2°"  prix  :  MM.  Vaguet  et  Théry,  élèves  de  M.  Ponchard  ; 

4"'»  accessits  :  MM.  IJefly  et  Ghasne,  élèves  de  M.  Ponchard  ; 

2™  accessits  :  MM.  Imbart  de  la  Tour,  Lequien  et  Bérard,  élèves  de 
M.  Acbard. 

Opéra-Comique  (femmes).  5  concurrentes.  —  Mémo  jury. 


Pas  de  premier  prix. 

2e"  prix  :  MUos  Buhl,  élève  de  M.  Ponchard,  et  Lemaignan,  élève  de 
M.  Achard  ; 

4™  accessits  :    Mll(iS    Blanc,    élève  de  M.  Achard,  et  Bréjean,   élève  de 
M.  Ponchard  ; 
2e  accessit  :  MUc  Morel,  élève  de  M.  Achard. 

Violon.  32  concurrents.  Morceau  de  concours  :  1er  morceau  du  2°  concerto 
de  Paganini,  en  ré  majeur.  Jury  :  MM.  Ambroise  Thomas,  président,  E. 
Guiraud,  Ernest  Altès,  Léon  Reynier,  L.  Gastinel,  Madier  de  Montjau, 
Bémy,  Luigini,  Paul  Viardot. 

4"s  prix:  M11"  Schytte  et  M.  Kosman,  élèves  de  M.  Massart;  MUc  Huon, 
élève  de  M.  Sauzay. 

2CS  prix:  M.  Belville,  élève  de  M.  Sauzay;  M.  Quanté,  élève  de  M.  Mas- 
sart. 

4 as  accessits  :  M.  Conus,  élève  de  M. Massart;  M.  Capet,  élève  de  M.  Mau- 
rin  ;  M.  Roillet,  élève  de  M.  Dancla. 

2e!  accessits  :  M.  Monge,  élève  de  M.  Maurin  ;  M.  Lebreton,  élève  de' 
M.  Sauzay;  Mlle  Arton,  élève  de  M.  Massart;  M.  Lespine,  élève  de 
M.  Dancla. 

Opéra  (hommes).  5  concurrents.  Jury  :  MM.  Ambroise  Thomas,  président, 
Léo  Delibes,  E.  Guiraud,  Paladilhe,  V.  Joncières,  Jules  Barbier,  Descha- 
pelles, Ritt. 

Pas  de  premier  prix. 

2CS  prix  :  MM.  Vaguet,  Grimaud  et  Dinard  ; 
Pas  de  1er  accessit; 
2e   accessit  :  M.  Lequien. 
Opéra  (femmes).  5  concurrentes.  —  Même  jury. 
4CI  prix  :  MUe  Bréval  ; 
2e  prix  :  Mlle  Issaurat  ; 
Pas  de  1er  accessit; 
2e  accessit:  Mlle  Lemaignan. 
Tous  élèves  de  M.  Giraudet. 

On  sait  que  les  divers  concours  d'instruments  à  vent  ont  tous  lieu  dans 
la  même  journée  et  devant  un  seul  et  même  jury.  Voici   comment  était 
composé  ce  jury:  MM.  Ambroise  Thomas,  président,  Emile  Jonas,  V.. Jon- 
cières, J.  Garcin,  Madier  de  Montjau,  Taffanel,  Dupont  et  Turban.     . 
Flûte  (professeur:  M.  Altès.) 
Pas  de  premier  prix  ; 

2e  prix  :  M.  Balleron  ; 
4"  accessit:  M.  Deschamps  ; 
2e  accessit  :  M.  Danis. 
Hautbois  (professeur:  M.  Gillet.) 

4'™  prix:  MM.  Busson  et  Gaudard  ; 
2e5  prix:  MM.  Barthel  et  Giraud; 
4er  accessit  :  M.  Gilbert; 
2e  accessit  :  M.  Duverger. 
Clarinette  (professeur  :  M.  Rose.) 
1eI  prix  :  M.  Aubrespy; 
2e  prix  :  M.  Delamothe  ; 
^er  accessit  :  M.  Pujol  ; 
2eB  accessits  :  MM.  Beaudoin  et  Pichard 
Basson  (professeur  :  M.  Jancourt.) 

^ere  prix  :  MM.  Laigre  et  Quentin  ; 
2e  prix  :  M.  Cnudde  ; 
4"  accessit:  M.  Caillol. 
Cor  (professeur:  M.  Mohr.) 

Pas  de  premier  prix  ; 
2e  prix  :  M.  Brin  ; 
4ev  accessit  :  M.  Coyaux  ; 
2e  accessit  :  M.  Roux. 
Cornet  a  pistons  (professeur  :  M.  Mellet.) 
4a  prix  :  M.  Espagnet  ; 
2"  prix  :  M.  Tourneur  ; 
4"'  accessit  :  M.  Grenaud  ; 
2CS  accessits  :  MM.  Pieyre  et  Grossier. 
Trompette  (professeur  :  M.  Gerclier.) 
Pas  de  prix  ; 
4er  accessit  :  M.  Leconte  ; 
2S  accessit  :  M.  Lecherf. 
Trombone  (professeur  :  M.  Allard.) 
Ie'  prix:  M.  Maquaire  ; 
2e  prix  :  M.  Rose  ; 
2"  accessit:  M.  Brousse. 

—  M.  Castaignier,  l'auteur  de  l'opéra  les  Normands,  a  gagné  contre 
M.  Paravey  le  procès  dont  nous  avons  parlé.  Le  directeur  de  l'Opéra- 
Comique  a  été  condamné  à  payer  le  dédit  de  15,000  francs,  plus  2,000  fj>, 
pour  intérêts  et  frais  évalués,  sous  réserve  de  tous  autres  à  peine  de, 
dommages.  D'après  quelques-uns  de  nos  confrères,  c'est  avec  la  subvea*1- 
tion  saisie  que  le  ministère  des  finances  aurait  désintéressé  le  plaignant. 
Diable  !  si  quelques  auteurs  se  mettaient  à  suivre  l'exemple  de  M.  Castai- 
gnier, que  resterait-il  bientôt  de  la  subvention?  Est-ce  à  cela  que  doit 
passer  l'argent  des  contribuables?  On  a  toujours  cru  jusqu'ici  que  cette 
subvention  devait  nous  assurer  de  meilleures  représentations  artistiques, 
et  non  servir  à  payer  les  dettes  d'un  directeur  dans  l'embarras. 


248 


LE  MÉNESTREL 


—  Diantre!  nos  bons  amis  italiens  ne  sont  pas  contents.  Il  faut  voir 
comme  ils  vous  traitent  la  France  du  haut  en  bas,  il  faut  entendre  les 
cris  de  paon  qu'ils  jettent  parce  que  le  Figaro  et  le  Ménestrel  ont  osé  dire, 
déclarer,  imprimer,  publier,  ce  que  tout  le  monde  commence  à  sentir  et 
ce  qui  parait  dès  à  présent  inévitable:  à  savoir,  que,  dans  un  temps  donné 
et  qui  se  rapproche  chaque  jour,  l'opéra  et  le  chant  français  sont  appelés 
à  remplacer,  sur  la  plupart  des  grandes  scènes  internationales,  l'opéra  et 
le  chant  italiens.  Cette  constatation  ne  fait  pas  la  joie  de  nos  voisins,  ce 
dont  on  ne  saurait  s'étonner  ;  elle  les  met  au  contraire  dans  une  véritable 
fureur,  qui  pour  quelques-uns  va  jusqu'à  la  rage.  Tous  les  journaux 
spéciaux  s'occupent  de  cette  grosse  question  en  y  montrant  leur  mauvaise 
humeur  ;  mais  parmi  eux  tous  le  Trovatore,  qui  nous  avait  habitués  à  plus 
d'esprit,  se  distingue  par  une  colère  et  des  invectives  absolument  désor- 
données. Ce  qu'il  y  a  de  plus  curieux,  c'est  que  ces  journaux,  qui  pour 
la  plupart  ne  cachent  jamais  leur  hostilité  contre  la  France  et  leur  appa- 
rent dédain  artistique  pour  notre,  pays,  ne  manquent  pas  une  occasion, 
lorsqu'elle  se  présente,  de  se  faire  une  sorte  de  gloire  du  succès  ou  sim- 
plement de  la  présence  chez  nous  d'un  de  leurs  artistes,  fût-ce  dans  le 
milieu  le  plus  infime.  Nous  ne  parlons  même  pas  d'un  artiste  sérieux  qui 
se  produit  dans  un  théâtre  classé.  Mais  qu'un  prétendu  chanteur  se  fasse 
entendre  dans  un  boui-boui,  qu'une  danseuse  quelconque  enivre  les  ha- 
bitués d'un  bastringue  de  Paris  ou  de  la  province,  vite,  on  constate  le  fait 
comme  un  triomphe,  la  France  est  un  grand  pays,  et  l'art  italien  y  fait 
des  merveilles.  Un  peu  d'unité  ne  ferait  pas  mal  peut-être  dans  la  conduite, 
et  il  ne  faudrait  pas  que  l'appréciation  change  selon  la  nature  des  événe- 
ments. Pour  nous,  qui  voyons  les  choses  de  sang-froid  et  qui  n'avons 
aucune  raison  de  nous  échauffer  la  bile,  nous  nous  sommes  bornés  à 
établir  une  situation,  à  constater  des  faits  suffisamment  publics,  et  à  en 
tirer  tout  naturellement  la  conséquence  que  l'une  et  les  autres  comportent. 
Ce  n'est  pas  notre  faute  si  ces  faits  et  cette  situation  sont  à  notre  avantage. 
Quant  à  ceux  de  nos  confrères  d'outre-monts  qui  déploient  en  cette  cir- 
constance si  peu  de  sagesse  et  de  circonspection,  nous  ne  pouvons  que 
leur  rappeler  le  vieux  proverbe  français  :  Tu  te  fâches,  donc  tu  as  tort. 

—  Relevé  les  noms  suivants  au  sujet  des  nouvelles  distinctions  honori- 
fiques. Officier  de  l'Instruction  publique  :  M.  Bourgeois,  professeur  de 
chant.  Officiers  d'Académie  :  MM.  Altermann,  artiste  musicien  ;  Baratte, 
professeur  de  musique;  MIle  Brun,  professeur  de  chant;  M.  Carron,  pro- 
fesseur de  musique;  M.  Guérout,  professeur  de  chant. 

—  La  Société  des  auteurs  dramatiques,  qui  a  354  membres  seulement, 
possède  un  capital  de  1,003,714  francs.  Elle  sert  à  ses  membres  80  pensions 
de  retraite,  fixées  chacune  à  600  francs  par  an.  On  a  admis  cette  année 
sept  nouveaux  membres,  dont  voici  les  noms  :  MM.  de  Gramont  (Louis- 
Ferdinand),  comte  de  Borreli  (Emmanuel-Raymond),  Cohen  (Félix),  Fey- 
deau  (Georges),  Janvier  de  la  Motte  (Ambroise),  Roger  (Victor).  Ces  mes- 
sieurs ont  eu  pour  parrains  MM.  J.  Massenet,  Alexandre  Dumas,  G.  Obnet, 
Meilhac,  Paul  Moreau  et  Paul  Ferrier. 

—  Voici  une  lettre  assez  curieuse  de  Richard  Wagner  qui  nous  est 
communiquée.  Elle  fut  adressée  au  ténor  Roger  et  n'a  encore,  croyons- 
nous,  paru  nulle  part  : 

Cher  ami, 

J'ai  eu  la  maladresse  de  me  blesser  à  la  main  droite,  de  sorte  que  je  suis  obligé 
de  dicter  ces  lignes.  Vous  sentez  bien  que  je  vous  suis  très  reconnaissant  de 
votre  proposition  et  que  je  suis  très  sensible  à  votre  désir  de  chanter  en  Alle- 
magne et  en  France  mon  Lohengrin.  IL  me  reste  à  vous  prier  de  vous  mettre  en 
rapport  avec  mon  ami  M.  Nuitler,  pour  ce  qui  est  de  la  traduction,  car  c'est  lui 
qui  s'est  chargé  de  la  traduction  de  tous  mes  poèmes,  mais  je  suis  persuadé  que 
vous  vous  entendrez  très  facilement  avec  lui.  Quant  à  M.  Garvalho,  il  m'a  fait 
prier  cet  été  par  M.  E.  Ollivier  de  ne  point  intervenir  dans  la  représentation  de 
mon  Lohengrin  à  Paris  ;  comme  je  n'ai  pas  le  moins  du  monde  envie  de  pro- 
pager mes  œuvres,  auxquelles  je  préfère  laisser  faire  leur  chemin  à  elles  seules, 
j'ai  fait  dire  à  M.  Carvalho  que  je  ne  me  mêlerai  de  rien.  Il  m'est  difficile,  pour 
ne  pas  dire  impossible,  de  lui  écrire,  mais  comme  j'ai  toute  confiance  en 
vous,  cher  ami,  que  je  vous  admire  comme  artiste  et  vous  estime  et  vous  aime 
comme  homme,  je  ne  vous  cache  pas  que  le  seul  intérêt  que  je  pourrais  prendre 
au  Lohengrin  a  Paris,  ce  serait  qu'il  fût  chanté  par  vous.  —  Voulez-vous  vous 
adresser  à  M.  Carvalho  et  lui  dire  cela,  ou  lui  communiquer  cette  lettre?  Je  ne 
sais  pas  me  tirer  autrement  de  l'impasse  où  je  me  vois,  grâce  à  ma  parole  donnée 
à  M.  Carvalho  par  l'entremise  de  M.  E.  Ollivier. 

J'habite  Lucerne  depuis  quelques  mois  et  je  n'en  bougerai  pas  d'ici  long- 
temps; je  crains  bien  que  nous  ne  nous  rencontrions  point,  mais  autant  je  re- 
grette de  ne  pouvoir  vous  admirer  et  vous  remercier  cordialement,  autant  je  suis 
convaincu  que  vous  n'avez  pas  besoin  de  moi. 

Il  me  reste  à  vous  dire  que  quelques-uns  de  mes  amis  avaient  songé  à  monter 
Tannh'ûuser  et  Lohengrin  à  Paris  pour  l'Exposition,  mais  en  allemand;  M""  Schnorr 
(avec  laquelle  vous  avez  chanté  plusieurs  fois  en  Allemague,  lorsqu'elle  était  en- 
core M""  Garrigues),  ma  seule  interprète  en  Allemagne,  avait  eu  l'idée  de 
passer  a  Paris  avec  une  troupe;  M.  de  Bulow  le  seul  chef  d'orchestre  dans  lequel 
j'ai  toute  confiance,  les  accompagnerait;  comme  de  coutume  je  ne  me  mêlerais 
de  rien,  mais  je  vous  demande,  à  vous,  ce  que  vuu*  penseriez  de  cette  entreprise, 
si  vous  vous  décideriez  à  chanter  Lohengrin  en  allemand  à  Paris,  et  si  on  trouve- 
rait un  directeur  de  théâtre  assez  excentrique  pour  tenter  pareille  aventure, 
D'ailleurs  peut-êtro  M'""  Schnorr,  la  seule  Ortrude  que  je  sache,  se  déciderait-elle 
à  chanter  en  français. 


Pesez  et  examinez  tout  cela,  cher  ami,  je  vous  donne  earte  blanche,  en  me  te- 
nant coi  dans  mon  réduit  suisse,  où  je  suis  heureux  de  pouvoir  travailler  en  paix. 

Pour  vous,  mon  cher  ami,  mes  plus  cordiales  amitiés  et  mes  sincères  remer- 
cîments.  Richard  Wagner. 

3  novembre  186S. 

—  Voici  une  lettre  de  M.  Gevaert  qui  honore  à  la  fois  celui  qui  l'a 
écrite,  celle  à  qui  elle  est  adressée  et  celui  dont  elle  parle.  Malgré  les 
résistances  de  Mmc  Lacombe  qui,  dans  sa  modestie,  trouve  qu'on  lui  fait 
la  part  trop  belle,  nous  n'hésitons  pas  à  la  publier: 

Bruxelles,  le  25  juillet  1890. 
Madame, 

Aussitôt  après  avoir  reçu  les  trois  grandes  partitions  que  vous  avez  bien  voulu 
me  faire  parvenir,  j'ai  chargé  mon  secrétaire  de  vous  remercier  de  votre  magni- 
fique don. 

Mais  aujourd'hui,  je  profite  du  premier  moment  de  loisir  que  je  trouve  depuis 
le  commencement  de  mes  concours,  pour  vous  réitérer  l'expression  de  ma  recon- 
naissance et  pour  vous  exprimer  en  même  temps  la  profonde  et  respectueuse 
admiration  que  j'éprouve  pour  vous* 

L'éminent  artiste  dont  vous  portez  si  dignement  le  nom,  —  Louis  Lacombe  — 
était  un  compositeur  du  plus  rare  mérite,  un  maître  de  grand  style,  qui  n'a  pas 
eu  de  son  vivant  —  peut-être  à  cause  de  la  distinction  extrême  de  son  art  —  tous 
les  succès  auxquels  il  pouvait  légitimement  prétendre.  Mais  le  ciel  lui  a  réservé 
un  bonheur  plus  grand,  en  un  certain  sens,  —  de  laisser  après  lui  une  compagne 
telle  que  vous,  madame,  une  artiste  vaillante,  elle  aussi,  ne  vivant  que  pour  la 
gloire  de  son  époux,  que  pour  révéler  au  monde  ses  œuvres  trop  peu  connues. 

J'aurais  été  heureux  et  fier  de  voir  mon  nom  figurer  parmi  les  souscripteurs  a 
la  publication.  Mais,  je  ne  sais  comment  cela  s'est  fait,  je  n'ai  pas  eu  connaissanc3 
de  l'ouverture  d'une  liste  de  souscription.  Maintenant  qu'elle  est  close  —  dn  moins 
je  le  crains,  —  il  ne  me  reste  plus  qu'à  prier  votre  dépositaire,  M.  Maquet,  d'in- 
scrire la  Bibliothèque  du  Conservatoire  de  Bruxelles  pour  un  exemplaire  de  ces 
œuvres  et  des  autres  grandes  compositions  de  Lacombe  dont  elle  ne  possède  pas 
la  partition.  Je  veux  que  nos  disciples  et  nos  artistes  soient  à  même  de  lire  et 
d'étudier  ces  belles  œuvres  d'art. 

Veuillez  agréer,  madame,  l'hommage  de  mon  plus  profond  respect,  de  mon 
entière  gratitude.  Signé:  F. -A.  Gevaert. 

—  Le  mariage  de  MUc  Wilder  avec  M.  André  Maurel  a  été  célébré  jeudi 
dernier,  à  Saint-Ferdinand-des-Ternes,  au  milieu  d'une  grande  affluence 
de  notabilités  de  l'art,  qui  avaient  tenu  à  rendre  cet  hommage  au  distin- 
gué critique.  Les  témoins  étaient,  pour  la  mariée,  M.  Gevaert,  directeur 
du  Conservatoire  de  Bruxelles,  et  M.  d'Hubert,  directeur  du  Gil  Blas  ;  pour 
le  marié,  M.  A.  Rambaud,  directeur  de  la  Revue  bleue,  et  M.  Emile  Ber- 
gerat.  Pendant  la  cérémonie,  se  sont  fait  entendre  d'abord  MM.  Vergnet 
et  Hourdin,  qui  ont  chanté  le  Veni  Creator  ;  puis  M.  Bérardi,  qui  a  dit  un 
O  salutaris,  qui  n'est  autre  que  l'air  de  Rysoor,  dans  Patrie,  de  M.  Pala- 
dilhe  ;  M.  Brun  a  joué  ensuite  l'Hymne  à  sainte  Cécile,  de  Gounod  ;  enfin, 
M.  Duc  a  chanté  l'Ave  Maria,  de  Gounod,  accompagné  par  Mlls  Marie  Tayau 
et  M.  Boussagol.  L'orgue  était  tenu  par  M.  Chapuis,  organiste  à  Saint- 
Roch,  et  l'auteur  à'Enguerrande,  qui  a  exécuté,  pour  la  sortie,  une  grande 
marche  de  fête  de  sa  composition.  Un  lunch  était  servi  dans  le  délicieux 
jardin  de  M.  Wilder,  où  l'on  s'est  rendu  après  la  cérémonie  religieuse. 

—  La  distribution  des  prix  de  l'Ecole  de  musique  classique  L.  Nieder- 
meyer  et  dirigée  par  son  gendre,  M.  Gustave  Lefèvre,  a  eu  lieu  le  2S  courant 
sous  la  présidence  de  M.  Georges  Graux,  député  et  vice-président  du 
conseil  général  du  Pas-de-Calais.  Dans  un  éloquent  discours  fréquem- 
ment applaudi,  M.  Graux  a  rappelé  les  éminents  services  rendus  à  l'art  . 
par  l'Ecole  de  musique  classique,  les  nombreux  et  excellents  organistes 
et  maîtres  de  chapelle  qu'elle  a  formés  et  placés  et  le  dévouement  du 
savant  directeur  qui  la  dirige  avec  une  rare  abnégation  depuis  vingt-cinq 
ans  révolus.  Après  une  allocution  très  émue  du  directeur  et  l'audition  des 
brillants  lauréats  des  classes  de  piano,  la  distribution  a  commencé.  Voici 
les  principaux  lauréats  :  1er  prix  d'harmonie,  Omer  Lélorey  ;  Ie1'  prix  de  con- 
trepoint (ex  œquo),  Auguste  Bentz  et  Edouard  Guibert;  1er  prix  de  fugue  à 
l'unanimité,  Omer  Lélorey;  Ie1'  prix  d'orgue  à  l'unanimité,  Alfred  Mari- 
chelle  ;  1er  prix  de  piano,  Auguste  Bentz;  lor  prix  de  plain-chant,  Edouard 
Guibert;  1er  prix  d'improvisation,  Auguste  Bentz;  prix  d'honneur,  Alfred 
Marichelle. 

—  La  distribution  des  prix  aux  élèves  du  Conservatoire  de  Nantes  a  eu 
lieu  mercredi  dernier,  sous  la  présidence  du  préfet,  qui  a  fait  un  discours 
net  et  bien  senti,  très  élogieux  pour  l'école  et  pour  son  directeur 
M.Weingartner.  Le  grand  succès  du  concert  qui  a  suivi  la  distribution 
a  été  pour  une  joune  violoniste,  M"e  Blanche  Aubineau,  qui  a  remarqua- 
blement joué  le  14e  concerto  de  Kreutzer.  Ont  été  applaudis  également 
Mllc  Nantier  et  M.  Audrain,  les  deux  premiers  prix  de  piano,  M.  Bureau, 
violoncelliste,  MUcs  Guérin  et  Bonnafond,  chanteuses,  et  M.  Royé,  baryton, 
l01'  prix  de  chant. 

—  Très  intéressante  matinée  jeudi  dernier  chez  Erard,  pour  la  clôture 
des  cours  de  Mlle  L.  Tailhardat  ;  l'excellent  professeur  a  fait  entendre  une 
vingtaine  de  ses  élèves,  dont  plusieurs  déjà  très  remarquables.  A  la  fin  de 
la  séance,  toutes  les  élèves  se  sont  réunies  pour  offrir  les  insignes  acadé- 
miques en  diamant  à  M1'0  Tailhardat,  qui  vient  d'être  honorée  de  cette 
distinction. 

Henri  Heugel.  directeur-géiant. 


Dimanche  10  Août  1800. 


3097  -  56-  ANNEE  --  N°  32.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et',  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  $  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement, 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste:  Eugène  Gautier  (13°  article),  Louis  Gallet.  —  II.  La 
Distribution  des  prix  au  Conservatoire,  Arthur  Pougin.—  III.  Bulletin  théâtral: 
La  question  de  l'Opéra,  A.  P.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHAUT 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 
VOUS    NE    M'AVEZ    JAMAIS    SOURI 

nouvelle  mélodie  de  G.  Verdali.e,  poésie  de  M.  Helliot.  —  Suivra  immé- 


diatement :  Si 
GuÉaix. 


veux!  nouvelle  mélodie  de  Victor  Staub,  poésie  de  G. 


PIANO 


Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano:  Joyeux  rigaudon,  de  Edouard  Broustet.  —  Suivra  immédiatement  : 
Dolce  far  niente,  de  André  Wormser. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


EUGENE  GAUTIER 


«  C'est  ici  avant  tout  la  figure  d'un  homme  d'esprit  » 
pourrait-on  dire,  à  propos  d'Eugène  Gautier. 

Bien  que  demeurée,  durant  sa  vie,  souveraine  maîtresse 
de  la  pensée  du  compositeur,  la  musique,  en  effet,  n'illu- 
mine que  très  faiblement  son  souvenir.  Il  est  là,  présenta  nos 
yeux,  avec  sa  verve  railleuse,  son  érudition,  impitoyable 
pour  les  faux  savants,  son  sens  artistique  très  affiné  et  son 
âpre  soif  de  gloire  restée  toujours  inassouvie.  L'historien,  le 
critique  se  dessinent  en  lui  d'un  trait  très  net;  comme  com- 
positeur sa  physionomie  s'estompe,  se  perd  dans  un  indécis 
lointain. 

L'homme  était  de  forte  stature,  portant  haut  la  tête,  plan- 
tée crânement  sur  de  larges  épaules.  Comme  on  dit,  «  il  ne 
perdait  pas  un  pouce  de  sa  taille  »  ;  il  allait,  le  nez  au  vent, 
l'œil  bleu  pâle,  tantôt  vague,  tantôt  pétillant  de  moquerie,  la 
bouche  amère,  les  mâchoires  serrées  et  le  menton  saillant, 
marque  do  la  volonté  tenace;  il  parlait  d'une  voix  mordante; 
sa  parole  abondante  s'échappait  fréquemment  en  fusées  de 
rire;  sur  sa  face  rasée,  comme  celle  d'un  comédien  ou  d'un 
prêtre,  s'épanouissait  à  grande  aise  la  vieille  gaité  gauloise. 
Bien  disant  et  fin  conteur,  il  s'entendait  mieux  que  per- 
sonne à  faire  goûter  le  charme  d'un  mot  ou  la  malice  d'un 
sous-entendu. 

A  le  voir  marcher  seul,  frappant  rythmiquement  d'une 
canne  trop  courte  l'asphalte  du  trottoir,  le  regard  porté   au- 


dessus  de  la  foule,  comme  en  quête  d'un  «  au-delà  »  inac- 
cessible, on  l'aurait  pris  pour  quelques  rêveur  détaché  de  la 
vie;  interpellé  au  passage,  il  redescendait  tout  à  coup  sur  la 
terre,  se  répandait  en  libres  propos,  faisant  pétiller  comme 
des  charges  de  fulminate  ses  phrases  courtes,  pressées,  abon- 
dantes en  traits  vifs,  défaisait  d'un  mot  une  réputation  nais- 
sante, humiliait  d'un  sourire  une  gloire  de  la  veille. 

Conscient  peut-être  d'une  infériorité  professionnelle,  épris 
d'un  idéal  très  haut,  fort  d'une  très  réelle  science,  il  chargeait 
parfois  à  fond  sur  les  favoris  du  moment,  dont  il  avait  de- 
puis longtemps,  pensait-il,  mesuré  la  valeur  réelle  et  connu 
les  humbles  commencements. 

C'est  ainsi  que  d'un  compositeur  longtemps  tenu  en  mé- 
diocre estime  par  le  public,  mais  feuilletoniste  spirituel, 
adepte  fervent  de  Berlioz,  en  passe  de  devenir  membre  de 
l'Institut,  et  dont  on  parlait  comme  d'un  homme  à  qui  on 
rend  enfin  une  justice  tardive,  il  disait  avec  un  ricanement 
ironique. 

—  Lui!  musicien?  mais  il  ne  sait  rien!  Il  est  homme  à 
confondre  Lulli  avec  Sully  et  peut-être  même  avec  Bully  ! 


En  Eugène  Gautier,  ce  n'est  pas  cet  impitoyable  railleur 
qu'il  faut  voir;  c'est  surtout  l'artiste  plein  de  son  sujet,  dé- 
sespérant de  l'interpréter  dignement,  cruellement  frappé  de 
n'y  avoir  point  réussi  ou  du  moins  de  n'avoir  pas  fait  parta- 
ger à  la  foule  les  souffrances  des  longs  efforts  que  sa  création 
lui  a  coûtés. 

Quand  j'ai  connu  Eugène  Gautier,  je  puis  dire,  —  tout 
nouveau  venu  que  j'étais  dans  la  carrière  dramatique,  —  que 
je  ne  me  doutais  guère  de  son  existence.  A  peine  avais-je  lu  son 
nom  au  bas  de  quelques  articles  de  critique  musicale.  Il 
écrivait  alors,  je  crois,  au  Journal  officiel;  j'ai  su  depuis,  et 
seulement  de  son  propre  aveu,  qu'il  était  en  outre  chargé 
de  fournir  à  Nestor  Roqueplan,  dont  il  devait  plus  tard 
prendre  la  succession  comme  critique,  les  parties  de  son 
feuilleton  relatives  à  l'appréciation  de  la  musique  dramatique. 

Il  était  pourtant  depuis  longtemps  sur  la  brèche.  Né  en 
1822,  admis  très  jeune  au  Conservatoire,  dans  la  classe 
d'IIabeneck,  il  avait  obtenu  en  1838  le  premier  prix  de  violon. 
Il  avait  tout  de  suite,  semble-t-il,  fait  assez  bon  marché  de 
son  talent  de  virtuose,  pour  s'attacher  surtout  à  la  composition 
musicale.  Elève  d'Halévy,  il  donnait  à  Versailles,  en  1845,  à 
23  ans,  son  premier  ouvrage  :  l'Anneau  de  Marie,  que  devaient 
suivre  à  Paris  beaucoup  de  petits  opéras  en  un  ou  deux  actes: 
les  Barricades,  Murdock  le  Bandit,  Flore  et  Zëphire,  Choisy-le-Boi, 
le  Mariage  extravagant,  le  Docteur  Mirobolan,  Schabaham  II,  la 
Bacchante,  Jocrisse,  le  Trésor  de  Pierrot,  représentés  soit  à 
l'Opéra-Comique,  soit  au  Théâtre-Lyrique,  et  parmi  lesquels 


250 


LE  MENESTREL 


le  Mariage  extravagant  fut,  je  crois,  le  plus  heureux  devant  le 
public. 

Cette  liste  des  principales  œuvres  dramatiques  d'Eugène  Gau- 
tier données  de  1848  à  1864,  ne  constituepas,  même  augmentée 
d'une  cantate  officielle  exécutée  le  15  août  1861,  un  bagage 
musical  bien  riche,  et  le  compositeur,  arrivé,  en  1869,  à 
l'âge  de  47  ans  n'avait  pas  encore  connu  cette  joie  d'être 
nommé  comme  l'auteur  de  quelqu'un  de  ces  petits  chefs- 
d'œuvre  qui  mettent  un  homme  hors  de  pages. 

La  noble  ambition  le  tenait  de  se  consacrer  enfin  à  une 
partition  où  il  mettrait  tout  ce  qu'il  sentait  en  lui  de  forces 
longuement  amassées,  d'expérience  et  de  science.  Il  voulait 
que  tout  d'abord  le  sujet  pris  isolément,  fût  à  lui  seul  un 
attrait,  une  garantie  de  l'intérêt  que  le  public  attacherait  im- 
médiatement à  l'œuvre,  sans  même  en  connaître  une  note. 
Il  avait  longuement  tâtonné,  cherché;  son  choix  s'était 
enfin  arrêté  sur  une  idée  de  comédie  conforme  à  ses  vues  et 
lui  inspirant  cette  confiance  dont  il  avait  besoin  pour  se 
mettre  au  travail,  suivant  un  mot  qui  devait  lui  échapper 
un  jour  dans  un  de  ces  entretiens  où  se  formulaient  ses 
craintes  et  ses  ambitions  : 
—  Je  n'ai  pas  assez  de  talent  pour  me  passer  d'une  bonne 

pièce. 

* 
*  * 

Cette  idée,  il  l'avait  trouvée  dans  une  de  ces  exquises 
études  dont  se  compose  l'œuvre  d'Octave  Feuillet.  Par  quels 
prodiges  d'habileté,  par  quelle  suite  de  finesses  diploma- 
tiques, obtint-il  l'autorisation  de  s'en  emparer,  de  la  faire 
sienne,  c'est  ce  que  je  n'ai  pu  que  pressentir  plus  tard,  en 
le  voyant  à  chaque  instant  soucieux  de  ne  pas  démériter  de 
la  confiance  que  le  fin  et  spirituel  auteur  du  Roman  d'un  Jeune 
Homme  pauvre  lui  avait  accordée. 

Son  choix  fait,  il  se  mit  aussitôt  en  campagne,  et  c'est  à 
ce  moment  que  je  fis  sa  connaissance. 

Une  lettre  m'arriva,  le  4  novembre  1869.  A  l'écriture  de  la 
suscription,  je  la  pris  pour  une  lettre  de  Ferdinand  Poise, 
avec  qui  j'étais  alors  en  relations  constantes.  C'a  toujours 
été  un  plaisir  pour  moi,  une  naïve  satisfaction  de  nommer 
celui  qui  m'écrit  sur  la  seule  inspection  de  l'adresse.  Cette 
fois,  ma  pénétration  était  en  défaut.  La  lettre  n'était  pas  de 
Ferdinand  Poise  :  elle  était  d'Eugène  Gautier;  grave  comme 
il  convient  entre  gens  qui  ne  se  connaissent  point  et  ne 
laissant  rien  pressentir  du  libre  esprit  de  celui  qui  l'écrivait  : 

»  Monsieur,  j'ai  à  vous  faire,  de  la  part  de  M.  de  Leuven, 
une  proposition  qui,  si  elle  vous  agrée ,  me  procurera  le 
plaisir  d'entrer  en  relations  avec  vous.  Comme  il  s'agit 
d'une  affaire  importante  et  pressée,  je  vous  serais  bien  obligé 
si  vous  pouviez  m'indiquer,  le  plus  tôt  possible,  une  heure 
où  je  pourrais  vous  voir,  chez  vous  ou  ailleurs.  (Excepté 
cependant  le  vendredi  de  neuf  à  onze  heures  du  matin,  jour 
et  heure  de  mon  cours  au  Conservatoire.)» 

Il  m'a  semblé,  depuis,  que  toute  la  modestie  peut-être  in- 
consciente de  l'homme  était  enfermée  dans  cette  parenthèse. 
Il  avait  fait  représenter  dix  ouvrages,  et  il  sentait  que  son 
nom  n'avait  pas  pénétré  encore  à  travers  les  couches  pro- 
fondes de  la  foule;  écrivant  à  un  humble  débutant,  il  gardait 
la  crainte  de  n'être  pour  lui  qu'un  inconnu  ;  il  éprouvait  le 
besoin  d'établir  qu'il  tenait  par  quelque  lien  au  monde  artis- 
tique, qu'il  était  quelqu'un  dans  la  grande  famille  musicale, 
préoccupation  qui  n'eût  point  été  celle  d'un  homme  sûr  de 
la  simple  notoriété  de  son  nom. 

Il  avait  alors  produit  bien  plus  que  Victor  Massé,  par 
exemple.  Mais  Victor  Massé  était  l'auteur  des  Noces  de  Jeannette, 
et  en  fût-il  resté  là  que  c'eût  été  suffisant  pour  le  dérober 
à  l'oubli.  Pareille  fortune  n'était  point  advenue  et  ne  devait 
jamais  advenir  à  Eugène  Gautier.  Il  y  tendait  depuis  nombre 
d'années  sans  résultat,  s'épuisant  en  efforts  dont  il  espérait 
trouver  enfin  le  prix  dans  le  succès  de  l'œuvre  dont  l'idée 
venait  enfin  de  s'emparer  victorieusement  de  son  esprit. 
(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


CONSERVATOIRE  NATIONAL 

DE    MUSIQUE    ET    DE    DÉCLAMATION 


DISTRIBUTION  DES  PRIX 


C'est  dimanche  dernier  qu'a  eu  lieu  au  Conservatoire,  sous  la 
présidence  de  M.  Gustave  Larroumet,  directeur  des  Beaux-Arts,  la 
distribution  des  prix.  Assisté  de  M.  Ambroise  Thomas,  directeur  du 
Conservatoire,  et  de  M.  Des  Chapelles,  chef  du  bureau  des  théâtres, 
M.  Larroumet  était  entouré  de  M.  Ludovic  Halévy.  membre  de 
l'Académie  française,  de  M.  Léo  Delibes,  membre  de  l'Académie  des 
Beaux-Arts,  de  M.  Emile  Réty,  chef  du  secrétariat,  et  de  la  plupart 
des  professeurs  du  Conservatoire,  réunis  sur  l'estrade. 

Dans  cette  langue  claire,  précise  et  limpide  qui  lui  est  familière, 
M.  le  directeur  des  Beaux-Arts  a  prononcé  le  discours  d'usage,  semé 
d'aperçus  ingénieux,  de  remarques  pénétrantes,  et  surtout  d'heu- 
reux conseils  paternellement  adressés  à  son  jeune  auditoire.  Il  s'est 
félicité  du  résultat  amené  par  les  mesures  prises,  depuis  une  année, 
dans  le  but  d'améliorer  la  marche  de  l'enseignement  en  ce  qui 
concerne  les  études  scéniques,  et  a  annoncé  la  forme  définitive  qui 
allait  être  donnée  aux  règles  établies  ainsi  à  titre  provisoire.  On 
remarquera  la  petite  mercuriale  lancée  par  M.  Larroumet  à  l'adresse 
des  auditeurs  des  concours  qui  se  permettent  de  se  livrer  à  des  mani- 
festations intempestives  et  impertinentes,  lorsque  les  décisions  du 
jury  ne  sont  pas  conformes  à  leur  sentiment.  Il  faut  espérer  que 
cette  leçon,  donnée  avec  autant  de  tact  que  d'à-propos,  ne  sera  pas 
perdue.  M.  Larroumet  a  rendu,  dans  les  termes  les  plus  délicats, 
un  hommage  bien  mérité  à  M.  Ambroise  Thomas,  et,  en  rappelant 
les  décorations  à  propos  de  l'Exposition  universelle,  il  a  fait  ressortir 
ce  fait  que  M.  Mounet-Sully  était  le  premier  comédien  décoré  «  sans 
autre  titre  que  celui  de  comédien  ». 

Au  surplus,  voici  le  discours  complet  de  M.  le  directeur  des  Beaux- 
Arts  : 

Mesdemoiselles  et  messieurs. 
L'an  dernier,  je  remplissais  un  devoir  en  vous  disant,  avec  une  netteté 
nécessaire,  quels  enseignements  ressortaient  de  vos  concours  et  quelles 
mesures  s'imposaient  à  l'administration  pour  vous  ramener  à  une  notion 
plus  juste  de  vos  études.  Cette  année,  la  leçon  a  porté  ses  fruits,  vous 
avez  suivi  nos  conseils  avec  une  docilité  salutaire  et  les  résultats,  en 
justifiant  notre  intervention,  sont  tout  à  votre  honneur.  Vous  vous  laissiez 
aller  sur  une  pente  dangereuse,  en  essayant  de  vous  affirmer  comme 
artistes  avant  de  cesser  d'être  des  élèves  et  en  négligeant  les  maîtres  du 
passé  pour  ceux  du  présent.  Le  mal  est  en  partie  conjuré  :  vous  ne  faites 
plus  une  concurrence  aussi  visible  aux  artistes  du  dehors,  le  répertoire 
classique  a  repris  sa  place  dans  vos  études  et  vos  juges  constatent  avec 
plaisir  un  sérieux  effort  de  votre  part  pour  approfondir  cette  grammaire 
indispensable  de  l'art  musical  et  dramatique,  dont  les  règles  essentielles- 
sont  la  correction,  la  simplicité  et  la  justesse.  Je  suis  heureux  de  consta- 
tâtes ces  résultats  et  de  vous  en  féliciter. 

L'administration  n'a  donc  plus  qu'à  donner  une  forme  définitive  aux 
règles  provisoires  qu'elle  avait  établies  au  début  de  l'année  classique. 
Elle  profitera  de  l'expérience  acquise  en  tenant  compte  de  certaines  néces- 
sités mises  en  lumière  par  la  pratique  des  examens  et  des  concours.  Si, 
pour  la  déclamation  dramatique,  nous  n'avons  rien  à  modifier  en  ce  qui 
concerne  le  choix  et  le  nombre  des  scènes,  il  nous  a  semblé  que,  pour  le 
chant  et  la  déclamation  lyrique,  il  importait  de  ne  pas  appliquer  aussi 
rigoureusement  les  mêmes  prescriptions.  Rien  de  plus  net  que  les  mots 
classique  et  moderne  appliqués  à  la  tragédie  et  à  la  comédie  ;  avec  les  œuvres 
musicales,  ils  ont  une  signification  moins  précise.  En  outre,  l'étude  d'un 
morceau  de  chant  est  plus  complexe  et  plus  longue  que  celle  d'une  scène 
en  prose  ou  en  vers.  Il  y  a  donc  lieu  de  laisser  quelque  souplesse  aux 
programmes. 

Vos  concours  ne  sont  pas  seulement  des  épreuves  scolaires  ;  ce  sont 
aussi  des  spectacles,  avec  toutes  les  conséquences  d'éloge  ou  de  blâme 
public  et  de  contrôle  par  l'opinion  que  ce  mot  renferme.  Du  jour  au  len- 
demain, vous  passez  de  l'ombre  discrète  de  la  classe  à  la  pleine  lumière 
de  la  scène  ;  une  petite  scène,  sans  décors,  sans  costumes,  mais  enfin  une 
scène.  Il  y  aurait  là  un  danger,  si  le  public,  qui  vient  vous  juger  en  même 
temps  que  vos  juges,  n'arrivait  ici  avec  un  grand  fond  de  bienveillance,  et 
n'était  tout  disposé  à  vous  tenir  compte  des  moindres  qualités,  en  consi- 
dérant les  défauts  comme  une  nécessité  de  la  jeunesse  et  de  l'inexpérience  ; 
mais  il  y  a  certainement  un  grand  avantage,  outre  les  joies  d'amour- 
propre  que  vous  en  retirez  :  celui  d'apprendre  votre  nom  au  public  et  de 
préparer  son  attente  pour  le  jour  où  vous  paraîtrez  définitivement  devant 
lui. 

Je  voudrais,  cependant,  que  vos  camarades  et  vos  amis,  une  fois  mêlés 
à  ce  public,  voulussent  bien  en  prendre  les  habitudes,  c'est-à-dire  garder 
une  réserve  d'autant  plus  convenable  qu'ils  sont  chez  eux  et  ne  pas 
accueillir  la  proclamation  des  jugements  par  des  manifestations  bruyantes 


LE  MENESTREL 


251 


que  ne  connaissent  plus  les  vrais  théâtres,  même  lorsque  d'autres  noms 
et  d'autres  intérêts  dramatiques  sont  en  jeu.  Il  y  a,  je  vous  assure,  quel- 
que chose  de  fâcheux  à  voir  l'avis  raisonné  d'hommes  éminents,  qui 
s'acquittent  avec  abnégation  d'un  rôle  fort  pénible,  ainsi  commenté  par 
des  tumultes  indiscrets.  Cette  année,  l'illustre  président  de  nos  jurys  a  dû 
couper  court  à  une  scène  de  ce  genre;  je  le  sais  disposé,  s'il  était  néces- 
saire, à  prendre  dans  l'avenir  un  parti  encore  plus  énergique  ;  mais  je 
suis  sûr  qu'il  aura  suffi  de  vous  avertir  et  qu'il  n'y  aura  plus  matière  à 
sévérité. 

Encore  un  conseil,  et  j'en  aurai  fini  avec  la  partie  la  moins  agréable  de 
ma  tâche.  Ce  conseil,  je  vous  l'ai  déjà  donné,  mais  je  le  renouvelle  avec 
d'autant  plus  d'insistance  qu'il  me  semble  de  plus  en  plus  nécessaire. 
Vous  continuez  à  trop  compter  sur  le  jeu  et  pas  assez  sur  la  diction.  Le 
jeu,  vous  n'y  pouvez  arriver  que  d'une  façon  très  incomplète,  car  il  vous 
manque  le  mouvement  d'une  vraie  représentation,  les  costumes,  les  acces- 
soires, en  un  mot  tout  ce  qui  le  soutient  et  l'explique  ;  ne  jouez  donc  que 
juste  assez  pour  faire  valoir  votre  diction.  Celle-ci,  au  contraire,  vous  ne 
la  travaillerez  jamais  trop  ;  elle  ne  sera  jamais  trop  attentive,  ni  trop 
nette.  Faire  sortir  d'une  phrase  musicale  ou  d'une  période  de  vers  ou  de 
prose  tout  ce  qu'ils  contiennent  de  sens  et  d'expression,  donner  la  cou- 
leur, l'accent,  la  vie  à  une  pensée  mélodique  ou  littéraire,  communiquer 
à  l'oreille  et  à  l'esprit  ce  qu'un  musicien  ou  un  poète  a  su  mettre  de  vérité, 
de  sentiment  et  d'émotion  dans  un  assemblage  de  sons  ou  de  mots,  telle 
est  la  tâche  essentielle  du  chanteur  et  du  comédien.  Tout  le  reste  n'est 
qu'accessoire.  Voyez  la  trace  qu'ont  laissée  les  grands  artistes  dans  l'his- 
toire de  l'art  :  tous  ceux  qui  ont  attaché  leur  souvenir  à  des  oeuvres 
durables  étaient  des  diseurs;  par  un  accent  juste,  par  une  intonation 
expressive,  ils  avaient  le  secret  de  transporter  une  salle.  Quant  aux  acteurs 
plus  ou  moins  habiles  dans  l'emploi  des  moyens  matériels,  qu'en  est-il 
resté?  Une  impression  passagère  comme  eux  et  des  succès  d'une  soirée. 
Il  en  est  ainsi  dans  toutes  les  sortes  d'art:  peintres,  sculpteurs,  musiciens 
et  littérateurs,  les  plus  grands,  ce  sont  les  plus  sincères,  ceux  qui  donnent 
le  moins  aux  artifices  d'arrangement  et  de  trompe-Fœil,  pour  appliquer 
tout  leur  effort  à  ce  qui  mérite  de  durer,  à  ce  qui  est  vraiment  l'art,  je 
veux  dire  la  reproduction  loyale  de  la  nature  et  de  la  vérité. 

Au  demeurant,  mesdemoiselles  et  messieurs,  vos  concours  de  cette  année 
sont,  en  plusieurs  parties,  pleins  de  promesses.  Il  serait  prématuré  de 
dire  qu'ils  ont  produit  des  révélations,  mais  tels  noms  qui  vont  être  pro- 
clamés tout  à  l'heure  sont  de  ceux  que  répétera  souvent  la  sympathie 
publique.  Dans  quelques  mois,  ils  paraîtront  sur  les  affiches  de  nos  théâ- 
tres ;  je  leur  souhaite  d'y  retrouver  l'accueil  qu'ils  ont  reçu  ici.  L'opinion 
est  quelquefois  sévère  pour  le  Conservatoire  ;  c'est  qu'elle  en  attend  beau- 
coup ;  il  doit  rajeunir  et  renouveler  chaque  année  le  personnel  des  artis- 
tes qu'elle  aime  et  qui  satisfait  ce  besoin  d'art,  de  poésie,  d'élégance,  de 
charme,  un  des  plus  impérieux  et  des  plus  nobles  de  notre  cher  Paris. 
Tâche  difficile,  certes,  et  que  les  institutions  les  plus  parfaites  ne  peuvent 
remplir  qu'avec  l'aide  d'une  puissance  capricieuse,  qui  s'appelle  le  hasard. 
Nous  choisissons  parmi  ce  qu'il  nous  donne  et  nous  le  formons  de  notre 
mieux.  Mais  tout  ce  que  peuvent  la  sollicitude  de  l'Etat,  le  zèle  de  l'ad- 
ministration et  le  talent  des  maîtres,  je  crois  que  le  Conservatoire  le 
réalise  avec  succès.  Prenons  la  moyenne  de  tout  ce  qui  se  dit  ou  s'écrit 
à  son  sujet,  et  nous  arriverons  à  cette  assurance  qu'il  y  a  ici  une  insti- 
tution toujours  capable  de  perfectionnements,  mais  sans  rivale,  et  qui 
mérite  bien  de  l'art  français. 

Messieurs,  cette  sollicitude  du  public  pour  le  Conservatoire  s'est  attestée 
cette  année  comme  les  années  précédentes  par  des  libéralités  et  des  dons 
dont  je  dois  remercier  publiquement  les  auteurs.  Le  musée  instrumental, 
déjà  si  riche,  a  reçu,  par  le  testament  du  marquis  de  Queux  de  Saint- 
Hilaire,  un  violon  de  Stradivarius  et  plusieurs  instruments  de  valeur;  la 
bibliothèque  doit  au  même  donateur  une  collection  d'autographes  de  mu- 
siciens. M.  Albert  Kastner  vous  a  légué  la  belle  bibliothèque  musicale, 
riche  de  dix  mille  volumes,  formée  par  son  père,  Georges  Kastner,  mem- 
bre de  l'Académie  des  Beaux-Arts  et  du  comité  des  études  du  Conserva- 
toire, musicien  érudit,  théoricien  distingué,  auteur  de  nombreux  et  im- 
portants ouvrages  sur  la  musique. 

Une  grande  artiste,  dont  le  nom  est  inséparable  des  plus  belles  œuvres 
musicales  du  siècle,  l'admirable  interprète  du  répertoire  classique,,  la 
créatrice  du  Prophète,  Mm°  Viardot,  re  s'est  pas  contentée  de  vous  consa- 
crer, cette  année  encore,  comme  membre  des  jurys  de  chant,  son  expé- 
rience et  son  autorité.  Elle  a  fait  connaître,  par  une  lettre  adressée  au 
ministre  des  Beaux-Arts,  son  intention  de  léguer  au  Conservatoire  la 
partition  d'orchestre  autographe  du  Don  Juan  de  Mozart.  Ai-je  besoin  de 
vous  diie  le  prix  inestimable  de  cette  libéralité?  Voir  de  ses  yeux,  tou- 
cher de  sa  main  les  pages  où  le  génie  a  laissé  son  empreinte,  assister  au 
progrès  de  son  inspiration,  à  ses  recherches,  à  ses  trouvailles,  quelle  joie 
et  quelle  leçon  !  Nous  les  devrons  à  Mmc  Viardot,  et  je  lui  renouvelle,  au 
nom  du  ministre,  l'expression  de  notre  profonde  reconnaissance. 

Il  y  a  dans  l'histoire  certains  hommes  qui  sont  destinés  à  marquer  dans 
leur  sphère  le  point  au  delà  duquel  on  ne  peut  plus  s'élever  :  tels  Phi- 
dias dans  l'art  de  la  sculpture,  Molière  dans  celui  de  la  comédie.  Mozart 
est  un  de  ces  hommes  :  «  Don  Juan  est  un  sommet.  »  Vous  connaissez, 
messieurs,  cette  juste  appréciation;  elle  est  d'un  maître  qui  vous  a  donné, 
cette  année  même,  la  joie  artistique  d'entendre  l'auteur  de  Faust  com- 
menter l'auteur  de  Don  Juan.  En  publiant  son  pénétrant  travail  sur  ce  que 


l'on  a  justement  appelé  :  «  le  maître  des  maîtres  et  le  chef-d'œuvre  des 
chefs-d'œuvre  »,  M.  Charles  Go.unod  ne  s'est  pas  révélé  comme  écrivain 
d'art  :  nous  connaissions  déjà  ce  côté  de  son  riche  talent;  mais  avec  cette 
étude  sur  le  modèle  achevé  du  drame  lyrique,  il  a  fait  à  votre  bibliothè- 
que musicale  un  cadeau  qui  venait  à  son  heure,  en  même  temps  que  la 
libéralité  de  M""5  Viardot,  et  j'ai  le  droit  de  le  compter  au  nombre  de  vos 
donateurs. 

C'est  pendant  les  fêtes  de  l'Exposition  universelle  qu'avait  lieu,  l'an 
dernier,  la  distribution  des  prix  au  Conservatoire,  et  je  constatais  quelle 
glorieuse  part  ses  maîtres  et  ses  élèves  prenaient  à  cette  éclatante  mani- 
festation de  la  vitalité  française.  Au  moment  où  ces  fêtes  allaient  finir, 
ils  ont  voulu  rendre  hommage  à  leur  chef  et  célébrer  le  triomphe  com- 
mun d'une  manière  délicate  et  touchante  en  la  personne  de  M.  Ambroise 
Thomas.  Avec  le  concours  de  leurs  confrères  étrangers,  ils  lui  ont  offert 
un  banquet  dont  il  n'oubliera  jamais  la  cordialité  et  l'émotion.  L'hommage 
que  nous  vous  avons  rendu  ce  jour-là,  mon  cher  maître,  n'était  pas  seu- 
lement national  :  présents  ou  absents,  tous  ceux  qui  comptent  dans  la 
patrie  universelle  de  l'art  y  étaient  associés  et  ils  fêtaient,  à  votre  sujet, 
leur  amour  commun  pour  cette  noble  chose  qui  est  la  joie  et  le  charme 
de  la  vie,  en  même  temps  qu'ils  attestaient  leur  sympathie  pour  votre 
personne  et  leur  admiration  pour  votre  talent. 

Peu  de  temps  après,  les  confrères,  les  élèves  et  les  collaborateurs  de 
M.  Ambroise  Thomas,  recevaient,  eux  aussi,  leur  juste  part  de  récompen- 
ses pour  les  services  qu'ils  avaient  rendus  à  l'art  français.  Le  ministre  des 
Beaux-Arts  s'était  empressé  de  signaler  à  son  collègue  le  ministre  du 
Commerce,  commissaire  généralde  l'Exposition,  les  mérites  de  M.  Garcin, 
l'éminent  chef  d'orchestre  de  la  Société  des  concerts  ;  de  M.  Godard,  l'auteur 
applaudi  de  Jocelyn  et  de  Dante;  de  MM.  Delsart  et  Diémer,  les  virtuoses 
si  appréciés  du  public,  tous  professeurs  au  Conservatoire,  et  il  obtenait 
pour  eux  la  croix  de  chevalier  de  la  Légion  d'honneur,  comme  aussi  pour 
M.  Taffanel,  le  flûtiste  sans  rivaux,  qui  vous  appartient  par  la  Société  des 
concerts,  et  pour  M.  Vianesi,  chef  d'orchestre  de  l'Opéra,  dont  la  plupart 
des  collaborateurs  ont  étudié  parmi  vous. 

Dans  le  personnel  des  théâtres,  la  même  distinction  était  conférée  à 
M.  Paravey,  directeur  de  l'Opéra-Comique,  qui  déploie  l'activité  et  le  zèle 
les  plus  méritoires,  dans  une  entreprise  singulièrement  difficile.  C'est  à 
la  fois  comme  sociétaire  de  la  Comédie-Française  et  comme  professeur 
au  Conservatoire  que  M.  Worms  voyait  consacrer  en  sa  personne  la  vigueur 
du  talent,  le  dévouement  à  ses  élèves,  la  droiture  du  caractère.  Son  ca- 
marade, M.  Mounet-Sully,  décoré  sans  autre  titre  que  celui  de  comédien, 
marquait  la  fin  de  l'injuste  préjugé  qui  avait  longtemps  pesé  sur  une 
profession  dont  il  s'honore  et  qu'il  honore  ;  pour  appliquer  une  mesure 
aussi  libérale,  il  était  impossible  de  trouver  un  homme  qui  la  justifiât 
plus  complètement. 

Quatre  croix  d'officier  de  la  Légion  d'honneur  sont  encore  venues  ré- 
compenser des  mérites  éprouvés  dans  l'art  musical,  la  littérature  drama- 
tique et  l'enseignement.  M.  Léo  Delibes,  professeur  de  composition  au 
Conservatoire,  l'auteur  de  Coppélia,  de  Sylvia,  du  Roi  l'a  dit,  de  Lakmé,  est 
de  ceux  qui,  en  représentant  les  meilleures  qualités  de  leur  pays,  accusent 
à  chaque  œuvre  nouvelle  l'originalité  gracieuse  de  leur  talent;  quant  au 
maître,  il  n'en  est  pas  de  plus  sûr  ni  de  plus  aimé.  Prononcer  le  nom  de 
M.  Henri  de  Lapommeraye,  votre  professeur  de  littérature  dramatique, 
c'est  provoquer  par  cela  même  l'expression  de  la  sympathie  générale  pour 
la  droiture  de  l'homme,  la  loyauté  de  l'écrivain,  l'éloquence  chaleureuse 
du  conférencier.  Entre  nos  auteurs  dramatiques,  M.  Edouard  Pailleron  est 
un  de  ceux  que  vous  étudiez  le  plus  volontiers  et  auxquels  vous  devez  le 
plus  ;  il  en  est  peu  qui  reproduisent  avec  autant  de  vérité  et  de  bonheur 
l'ironie  spirituelle,  l'émotion  légère,  la  langue  brillante  qu'aime  notre 
temps.  Quant  à  M.  Ludovic  Halévy,  membre  de  votre  comité  d'enseigne- 
ment pour  les  études  dramatiques,  j'ai  été  personnellement  bien  heureux 
qu'une  mesure  officielle  vînt  enfin  lui  rendre  une  justice  tardive  et  répon- 
dre à  la  grande  estime  que  font  le  public,  ses  confrères  et  tous  les  lettrés 
de  ce  talent  ingénieux  et  souple,  qui,  au  théâtre,  est,  avec  son  collabora- 
teur, M.  Henri  Meilhac,  un  témoin  si  ingénieux  et  si  vrai  des  mœurs 
contemporaines  et  qui,  dans  le  roman  ou  l'observation  satirique,  est  ar- 
rivé sans  effort  à  ce  qu'il  y  a  de  plus  enviable,  l'originalité  littéraire,  en 
créant  plusieurs  figures  charmantes  et  un  type  inoubliable. 

Messieurs,  cette  revue  d'œuvres  et  de  noms  est  un  devoir  pour  moi  ; 
elle  est  aussi  une  consolation  pour  nous  tous,  en  montrant  la  féconde 
vitalité  de  l'art  et  des  lettres  dans  nos  pays,  au  moment  où  j'ai  à  rappeler 
la  perte  qu'il  a  faite  en  la  personne  d'Emile  Augier.  Ce  n'est  pas  seulement 
un  maître  du  théâtre  contemporain  qui  a  disparu  avec  lui,  c'est  un  de 
ceux  qui,  depuis  les  origines  de  l'art  dramatique  en  France  et  à  travers 
l'histoire  universelle  du  théâtre,  ont  laissé  la  trace  la  plus  profonde  et  la 
plus  durable  dans  le  domaine  de  la  comédie.  Plusieurs  de  ses  œuvres 
sont  de  celles  que  l'avenir  classera  parmi  les  chefs-d'œuvre  ;  pour  nous, 
ses  contemporains,  si  nous  avons  subi  le  deuil  de  sa  mort,  nous  aurons 
eu  la  joie  de  lui  faire  de  son  vivant  une  place  digne  de  lui,  de  le  con- 
naître et  de  l'aimer. 

J'ai  encore  un  devoir  à  remplir  en  rappelant  ce  que  doit  le  Conserva- 
toire à  Mmo  Erard.  C'est  elle  qui,  en  1887,  offrait  au  ministre  des  Beaux- 
Arts  de  remplacer  d'un  seul  coup  tous  les  vieux  instruments  dont  vos 
classes  de  piano  étaient  obligées  de  se  servir  par  un  nombre  égal  d'ex- 
cellents modèles  sortis  de   sa  maison.   Je  voudrais  pouvoir  vous  lire  la 


252 


LE  MÉNESTREL 


lettre  qu'elle  écrivait  dans  cette  circonstance;  elle  est  un  titre  d'honneur 
pour  celle  qui  l'a  écrite  et  pour  le  Conservatoire  ;  le  nom  de  Mme  Erard 
est  de  ceux  que  vous  oublierez  d'autant  moins  que,  par  une  initiative  qui 
a  trouvé  de  généreux  imitateurs,  elle  ajoute  à  plusieurs  de  vos  prix  les 
plus  utiles  et  les  plus  intelligentes  libéralités. 

Je  me  serai  acquitté  de  toutes  mes  obligations,  messieurs,  lorsque  j'au- 
rai mentionné  Ascanio,  où  le  talent  de  M.  Saint-Saêns  s'est  affirmé  une 
fois  de  plus  avec  ses  qualités  d'innovation  originale  et  de  force;  Salammbô, 
par  laquelle  M.  Ernest  Rayer  a  poursuivi  hors  de  France  son  œuvre  fran- 
çaise et  magistrale  de  renouvellement  musical  ;  lorsque  j'aurai  rappelé 
l'honorable  carrière  de  Vaslin,  professeur  de  violoncelle,  mort  cette  année, 
et  salué  dans  sa  retraite  volontaire  Mme  Doumic,  professeur  agrégé  de 
solfège  au  Conservatoire  pendant  plus  de  trente  ans  ;  enfin  proclamé  les 
distinctions  que  le  ministre  des  Beaux-Arts  m'a  chargé  de  conférer  en  son 
nom  avec  le  regret  que  le  nombre  de  décorations  de  la  Légion  d'honneur 
données  au  Conservatoire  à  la  suite  de  l'Exposition  universelle  ne  lui  ait 
pas  permis  d'en  attribuer  une  de  plus,  selon  l'usage,  à  propos  de  la  céré- 
monie qui  nous  réunit. 

Regrettons  avec  M.  Larroumet  qu'on  se  soit  cru  obligé  de  déroger 
pour  cette  fois  à  une  coutume  heureuse  et  dont  les  effets  sont  loin 
d'être  excessifs,  déplorons  qu'on  marchande  ainsi  à  un  personnel 
si  méritant  que  celui  du  Conservatoire  une  de  ces  décorations  qui 
sont  accordées  ailleurs  avec  une  prodigalité  parfois  si  singulière,  et 
constatons  que  son  excellent  discours  s'est  terminé  au  bruit  des 
applaudissements  chaleureux  qui  l'avaient  scandé  déjà  à  diverses 
reprises. 

Après  ce  discours,  et  à  défaut  de  la  décoration  absente,  M.  le  direc- 
teur des  beaux-arts  a  proclamé  les  distinctions  suivantes,  accordées 
par  le  ministre  à  divers  professeurs  :  officiers  de  l'instruction  publique, 
M.  Delaunay,  professeur  de  déclamation  dramatique,  et  M.  Gillet, 
professeur  de  hautbois;  officiers  d'académie,  M.  Grand-Jany,  répé- 
titeur de  sollège,  et  M.  Allard,  professeur  de  trombone. 

Puis,  M.  Dehelly,  premier  prix  de  comédie,  a  fait  l'appel  de  tous 
les  lauréats,  qui  sont  venus  recevoir  leurs  récompenses,  et  le  con- 
cert a  commencé.  En  voici  le  programme. 

1°  Première  Ballade Chopin. 

M.  Lachaume. 

2°  Air  de  l'Africaine Meyerbeer. 

M.  Imbart  de  la  Tour. 

3°  Fantaisie  appassionata Vieuxtemps. 

M110.  Schytte. 

4°  Air  du  FreischiUz "Weber. 

M'Ie  Blanc. 

5°  Scène  du  IIe  acte  de  Piièdre Racine. 

Phèdre " M»«  Moreno. 

QEnone Dux. 

Hippolyte MM.  de  Max. 

Théramène Lugné-Poé. 

6°  Scène  du  IIIe  acte  Au  Chandelier Alfred  de  Musset 

Fortunio M.  Dehelly. 

Jacqueline M»=  Hartmann. 

7°  Scène  du  IIIe  acte  à'Jphigénie  en  Aulide Gluck. 

Clytemnestre M111*  Bréval. 

Iphigénie Issaurat. 

Seul,  le  second  numéro  de  ce  programme  n'a  pu  être  exécuté,  par 
suite  d'une  indisposition  de  M.  Imbart  de  la  Tour.  Tout  le  reste 
a  obtenu  un  vif  succès,  et  il  faut  signaler  surtout  les  applaudissements 
qui  ont  accueilli  le  jeu  si  élégant  de  M.  Lachaume,  la  rare  virtuosité 
de  M"e  Schytte,  la  belle  voix  de  Mlle  Blanc,  la  superbe  nature  artis- 
tique de  Mlle  Bréval,  enfin  les  qualités  et  le  tempérament  tout  excep- 
tionnels de  Mlle  Moreno  et  de  M.  Dehelly,  qui,  tous  deux,  on  le  sait 
déjà,  sont  engagés  à  la  Comédie-Française.  Pour  répondre  aux 
détracteurs  habituels  du  Conservatoire,  on  n'aurait  qu'à  leur  signaler 
les  noms  de  M"»  Bréval,  de  Mlle  Moreno  et  de  M.  Dehelly.  Une 
école  qui  produit,  en  une  seule  année,  trois  sujets  de  cette  valeur, 
n'est  pas  inutile  et  ne  manque  certainement  pas  à  sa  mission. 

Pour  terminer,  voici  la  liste  des  legs  et  dons  particuliers  dont 
profitent,  cette  année,  les  élèves  dont  les  noms  suivent  : 

Prix  Nicodami  (500  francs),  partagé  entre  MM.  Bondon  et  Galeotti, 
premiers  prix  de  fugue;  ' 

Prix  Doumic  :  M"e  Markreich,  premier  prix  d'harmonie; 

Prix  Guérineau  (270  francs),  partagé  entre  M.  Imbart  d'e  la  Tour 
et  M"°  Blanc,  premiers  prix  de  chant; 

Prix  Henri  Herz  (300  francs):  M»e  Périssoud,  premier  prix  de  piano  ; 

Prix  George  Hainl  (900  francs)  :  M.  Schidenhelm,  premier  prix 
de  violoncelle  ; 

Prix  Pomin  (435  francs)  :  M"e  Moreno,  premier  prix  de  tragédie  et 
premier  prix  de  comédie. 

Selon  leur  généreuse  habitude,  MM.  Gand  et  Bernardel  font  don 


d'un  violon  à  chacun  des  premiers  prix  de  violon,  eettte  année  au 
nombre  de  trois:  Mlle  Schytte,  M.  Kosman  et  M"|  Huon,  et  d'un 
violoncelle  à  M.  Barraine,  premier  prix  de  violoncelle  (son  collègue 
en  premier  prix,  M.  Schidenhelm,  bénéficiant  du  prix  George 
Hainl). 

Enfin,  tous  les  premiers  prix  de  piano  reçoivent,  M.  Lachaume 
et  Mlle  Vannier,  un  piano  offert  par  la  maison  Erard,  MM.  Galand 
et  Baume,  M"es  Chapart,  Weyler,  Allard  et  Périssoud,  un  piano 
offert  par  la  maison  Pleyel-Wolff.  On  voit  que  les  traditions  de 
générosité  se  perpétuent,  chez  nos  grands  facteurs  et  nos  grands 
luthiers,  en  faveur  des  élèves  du  Conservatoire. 

Arthur  Pougin. 


BULLETIN    THÉÂTRAL 


Tout  à  l'Opéra!  La  grosse  nouvelle  de  la  semaine,  touchant  ce 
Panthéon  des  gloires  directoriales  et  administratives,  c'est  la  distri- 
bution aux  membres  de  la  Chambre  du  rapport  de  M.  Anlonin  Proust 
sur  le  budget  des  beaux-arts  pour  l'exercice  1891.  Ce  document 
fort  étendu  contient  uue  étude  particulièrement  intéressante  sur  la 
question  de  l'Opéra,  qui,  on  s'en  souvient,  a  soulevé  au  sein  de  la 
commission  un  débat  très  vif,  tant  au  sujet  de  la  direction  artis- 
tique à  imprimer  à  ce  théâtre,  qu'en  ce  qui  touche  la  question  toute 
spéciale  de  la  réfection  des  décors.  Voici  le  début  du  travail,  très 
instructif  de  M.  Antonin  Proust,  que  ses  développements  ne  nous 
permettent  pas  de  reproduire  en  son  entier  : 

L'Opéra  reçoit  annuellement  sur  le  chapitre  14  une  subvention  de 
800,000  francs,  à  laquelle  il  convient  d'ajouter  la  dotation  de  la  caisse  des 
retraites  et  le  service  de  la  bibliothèque  publique  figurant  au  même  cha- 
pitre 14,  la  première  pour  30,000  francs,  le  second  pour  6,000  francs.  La 
commission  du  budget  a  émis,  à  propos  de  la  subvention  de  l'Opéra,  trois 
votes,  le  premier  réduisant  de  1,000  francs  la  subvention,  le  second  rédui- 
sant de  1,000  francs  les  traitements  des  fonctionnaires  chargés  del'inspecc- 
tion  de  l'Opéra  (à  prélever  sur  le  chapitre  2);  le  troisième  réservant  l'affec- 
tation des  800,000  francs  jusqu'au  moment  où  un  arrangement  acceptable 
sera  intervenu  entre  le  ministre  et  la  direction  de  l'Opéra  pour  la  réfec- 
tion des  décors.  Le  premier  vote  a  été  émis  sur  la  proposition  de  notre 
collègue  M.  Fouquet,  le  second  sur  la  proposition  de  notre  collègue 
M.  Horteur,  le  troisième,  en  suite  d'un  ordre  du  jour  présenté  par  notre 
collègue  M.  Pichon,  et  ainsi  conçu  :  La  commission  du  budget  a  eu  le  regret 
de  constater  que  le  cahier  des  charges  de  la  direction  de  ï Opéra  n'a  pus  été  exécuté 
et  que  l'administration  n'a  pas  tenu  la  main  à  l'exécution  du  cahier  des  charges. 
La  commission  du  budget  a,  en  outre,  demandé  qu'une  note  émanant  de 
la  préfecture  de  police  fût  insérée  dans  le  rapport,  indiquant  nettement 
quelles  sont  les  mesures  que  prescrit  cette  administration  contre  les  risques 
d'incendie  que  peut  présenter  le  théâtre  de  l'Opéra. 

Le  rapporteur  entre  ensuite  dans  une  série  de  considérations  fort 
intéressantes,  au  point  de  vue  historique,  sur  les  divers  régimes 
auxquels  l'Opéra  a  été  soumis  depuis  plus  d'un  siècle,  sur  les  ques- 
tions de  régie,  de  direction  personnelle  et  responsable,  .sur  les  varia- 
tions du  chiffre  de  la  subvention,  etc.  De  ce  tableau,  généralement 
exact,  nous  ne  retiendrons  que  la  constatation  des  conditions  impo- 
sées à  M.  Louis  Véron,  lorsqu'il  obtint  le  privilège  de  ce  théâtre 
en  1831  (1)  : 

Il  ne  pouvait,  dit  le  rapporteur,  exploiter  sur  la  scène  de  l'Opéra  que 
les  genres  attribués  jusqu'alors  à  ce  théâtre,  à  savoir:  1°  le  grand  ou  le 
petit  opéra,  avec  ou  sans  ballet;  2°  le  ballet-pantomime.  A  cet  effet,  il 
était  tenu  de  monter  au  moins,  dans  chaque  année  d'exploitation:  un  grand 
opéra  en  trois  ou  cinq  actes;  un  grand  ballet  en  trois  ou  cinq  actes  ;  deux 
petits  opéras,  soit  en  un  acte,  soit  en  deux  actes;  deux  petits  ballets,  soit 
en  un  acte,  soit  en  deux  actes. 

Ainsi,  il  y  a  soixante  ans,  l'Opéra  était  tenu  de  donner  chaque 
année  six  ouvrages  nouveaux,  formant  un  ensemble  de  dix  à  dix-huit 
actes.  Heureux  temps!  heureux  Opéra  !  heureux  public  !  Depuis  lors 
nos  progrès  ont  été  à  reculons. 

Mais  passons.  Après  avoir  passé  en  revue  toutes  les  directions  qui 
se  sont  succédé  à  l'Opéra  depuis  la  Révolution  et  le  premier  Empire, 
après    s'être   arrêté   surtout  sur  les   trois   plus  récentes,  celles   de 

(1)  Je  dis  a  généralement  exact  »,  quoique  j'aie  une  erreur  à  relever  dans  ces 
lignes  du  rapport  :  ï  ...  Le  régime  de  la  subvention  ne  date  en  réalité  que  de  1757, 
époque  à  laquelle  le  corps  de  la  ville  de  Paris  reçut  la  charge  d'entretenir  l'Opéra.  » 
C'est  en  1757,  au  contraire,  que  la  ville  de  Paris  s'exonéra  de  cette  charge,  quj 
pesait  sur  elle  depuis  le  25  août  1749.  «  En  mars  1757,  les  prévôt  des  marchands 
et  écbevins,  désirant  se  décharger  du  soin  de  cette  administration,  cédèrent  le 
privilège  à  MM.  Rebel  et  Francœur  pour  trente  ans,  àcommencerdul"avrill757.» 
(Voy.  Rapport  sur  l'Opéra,  présenté  au  corps  municipal  le  17  août  1791  par  J.-J.  Le- 
roux, officier  municipal,  nommé  administrateur  au  département  des  Etablisse- 
ments publics,  Paris,  1791,  in-8"). 


LE  MÉlNESTREL 


253 


MM.  Emile  Perrin,  Halanzier  et  Vaucorbeil,  M.  Proust  en  arrive  à 
la  direction  présente,  et,  malgré  les  termes  très  mesuiés  du  rapport 
il  est  facile  de  voir  qu'il  ne  s'en  montre  que  médiocrement  satisfait. 
Voici  toute  cette  partie  très  importante  de  cet  important  document  : 

La  mort  de  M.  Vaucorbeil  amena  la  concession  du  privilège  à  M.  Ritt 
le  lor  novembre  1884.  La  concession  de  M.  Rilt  prend  fin  le  1er  novembre 
1891.  La  Commission  du  budget  nommée  cette  année,  et  chargée  de  l'exa- 
men du  budget  de  1891,  a  donc  eu  à  examiner,  indépendamment  de  la 
question  même  de  la  subvention,  la  question  du  renouvellement  du  pri- 
vilège de  l'Opéra.  Avant  de  s'occuper  de  cette  seconde  question,  la  Com- 
mission a  du  rechercher  si  l'administration  qui  rédige  les  cahiers  de 
charges  et  qui  en  surveille  l'exécution,  avait  montré  la  prévoyance  et  la 
vigilance  nécessaires.  Au  sujet  de  la  prévoyance  il  avait  été  déjà  signalé 
dès  l'année  1885  que,  prenant  en  considération  la  mauvaise  situation 
laissée  à  l'Opéra  par  la  commandite  de  1879,  le  gouvernement  n'avait  pas, 
en  ce  qui  touche  la  conservation  du  matériel  et  les  garanties  à  prendre 
pour  sa  réfection,  inséré  sur  le  cahier  des  charges  les  stipulations  né- 
cessaires. Dès  ce  moment,  la  commission  du  budget  avait  cherché  le 
moyen  de  reviser  le  cahier  des  charges  sur  ce  point  en  dégrevant  la  di- 
rection de  certaines  dépenses  qui  pèsent  sur  l'immeuble,  et  en  profitant 
de  ce  dégrèvement  pour  prévoir  la  réfection  du  matériel  et  y  pourvoir 
moyennant  une  convention  nouvelle  avec  la  direction.  Le  Sénat  ayant 
refusé  d'entrer  dans  cette  voie,  les  choses  demeurèrent  en  l'état,  et  bien 
que  la  direction,  qui  avait  intérêt  à  rajeunir  les  décors  des  pièces  du  ré- 
pertoire, eût  appelé  l'attention  de  l'administration  des  beaux-arts  sur 
l'obscurité  du  cahier  des  charges,  aucune  mesure  ne  fut  prise.  Ce  n'est 
que  deux  ans  après  que  la  commission  des  théâtres  fut  saisie  delà  ques- 
tion par  M.  Lockroy,  mais  sans  qu'il  fût  donné  suite  à  une  première 
délibération  de  cette  commission.  Deux  années  s'écoulèrent  encore. 

La  commission  des  théâtres  ayant  été  récemment  convoquée  pour  exa- 
miner cette  question,  il  fut  décidé  d'abord  que  l'on  procéderait  à  un  exa- 
men des  décors  existants,  puis  il  fut  proposé,  sur  les  conclusions  de  la 
sous-commission  qui  avait  procédé  à  cet  examen,  que  si  neuf  des  ou- 
vrages du  répertoire  appelaient  une  réfection  presque  complète,  la 
dépense  de  cette  réfection  fût  répartie  sur  plusieurs  années,  à  charge 
par  la  direction  actuelle  de  solder  la  part  de  cette  dépense  qui  lui  incom- 
berait. La  commission  des  théâtres  émit  en  définitive  le  vœu  qu'une 
transaction  intervint  entre  l'administration  des  beaux-arts  et  la  direction 
pour  le  règlement  de  la  question  des  décors.  Dans  le  même  temps,  le 
ministre  a  fait  donner  connaissance  à  la  commission  consultative  des 
théâtres  d'un  rapport  de  l'administration  des  beaux-arts,  relevant  un 
certain  nombre  de  griefs  de  cette  administration  contre  la  direction  de 
l'Opéra.  Ces  griefs  se  rapportent: 

1°  A  l'appréciation  des  ouvrages  représentés;  quelques-uns  de  ces  ou- 
vrages doivent-ils  être  considérés  comme  nouveaux,  tels  que  Sigurd,  Ro- 
méo et  Juliette  ? 

2°  A  l'obligation  par  le  concessionnaire  de  l'Opéra  de  donner  un  certain 
nombre  de  représentations  à  prix  réduits. 

3°  A  l'insuffisance  de  la  troupe.  La  commission  des  théâtres  n'a  pas 
cru  devoir  s'arrêter  à  des  faits  qui  n'avaient  soulevé  de  la  part  de  l'admi- 
nistration aucune  observation  au  moment  où  ils  s'étaient  produits  et 
pour  lesquels  elle  n'avait  pas,  dans  le  cas  où  ils  eussent  été  répréhen- 
sibles,  usé  des  moyens  que  lui  donne  le  cahier  des  charges.  Elle  a  au 
contraire  très  vivement  insisté  sur  la  question  de  la  conservation  du 
matériel  de  l'État,  en  exprimant  le  regret  que  des  mesures  n'aient  pas 
été  prises  plus  tôt.  Il  n'est  pas  douteux  en  effet  que,  depuis  1879,  les 
cahiers  des  charges  de  l'Opéra  sont  très  obscurs  sur  ce  point. 

Il  est  donc  nécessaire  de  réparer  le  mal  qui  a  été  fait  de  ce  côté  comme 
il  a  été  nécessaire  de  réparer,  il  y  a  quelques  années,  le  mal  fait  par  la 
conservation  de  la  caisse  des  retraites  de  l'Opéra,  rétablie  en  1879,  sur 
des  bases  tellement  étroites,  que  l'on  devait  forcément  aboutir  à  un 
déficit  préjudiciable  aux  intérêts  des  contribuables.  Il  a  fallu,  pour  ce 
dernier  objet,  en  1887,  que  la  commission  du  budget  mît  l'administration 
des  Beaux-Arts  en  demeure  de  liquider  la  caisse  des  retraites  de  1879, 
pour  éviter  un  désastre,  sauf  à  la  reconstituer  dans  de  meilleures  condi- 
tions. La  commission  spéciale,  nommée  à  cet  effet,  a  conclu  à  la  liqui- 
dation et  a  repoussé  la  reconstitution  de  la  caisse  des  retraites  de  l'Opéra. 
Mais  il  n'est  pas  douteux  que  si  le  Parlement  n'eût  pas  avisé,  on  eût  été 
encore  de  ce  côté  aux  prises  avec  des  difficultés  qu'il  était  aisé  de  pré- 
voir dès  1879. 

La  commission  du  budget  de  1891  s'est  prononcée  en  faveur  du  main- 
tien des  subventions  aux  théâtres  et  aux  concerts.  Elle  a  voté  la  subvention 
de  800,000  francs  qui  lui  parait  indispensable  pour  la  gestion  de  l'Aca- 
démie nationale  de  musique,  sous  les  réserves  indiquées  plus  haut,  et  il 
résulte  de  la  discussion  à  laquelle  elle  s'est  livrée  que  le  régime  de  notre 
premier  théâtre  lyrique  est  défectueux  à  bien  des  points  de  vue.  En  1878, 
le  régime  de  l'Académie  nationale  de  musique  a  été  examiné  dans  ses 
moindres  détails  par  la  commission  consultative  des  théâtres.  Cette  com- 
mission s'est  tout  d'abord  préoccupée  de  l'installation  matérielle,  qui  lui 
paraissait  défectueuse.  Outre  qu'elle  a  en  effet  constaté  que  «  la  salle  est 
envabie  par  un  trop  grand  nombre  de  places,  que  la  scène  n'avance  pas 
assez  dans  la  salle,  que  la  musique  souffre  beaucoup  de  cette  disposition; 
que  le  spectateur  et  l'artiste  sont  trop  loin  l'un  de  l'autre  et  que  celui-ci 


dès  lors  est  le  plus  souvent  impuissant  à  exercer  sur  celui  qui  l'écoute 
cette  action  directe,  immédiate,  puissante,  qui  les  met  en  communication 
et  détermine  le  succès  »,  elle  a  dû  reconnaître  «  que  les  scènes  de  répé- 
tition faisaient  défaut,  que  le  magasin  des  décors  était  insuffisant  et  que 
la  réserve  sur  les  bas-côtés  de  la  scène  était  étroitement  mesurée.  »  La 
commission  des  théâtres  de  1878  s'est  demandé  ensuite  s'il  ne  serait  pas 
possible  de  retirer  de  la  salle  de  l'Opéra  un  produit  plus  grand  en  mul- 
tipliant le  nombre  des  représentations  et  en  donnant  plus  de  variété  aux 
spectacles.  Appelée  à  se  prononcer  sur  le  mode  d'exploitation  de  l'Aca- 
démie nationale  de  musique,  la  commission  de  1878  avait  été  presque 
unanime  à  penser  que  la  gestion  directe  par  l'Etat  était  manifestement 
favorable  aux  intérêts  de  l'art  et  aux  intérêts  du  public.  Sans  mécon- 
naître que  l'intérêt  privé  représenté  par  un  directeur  personnellement 
engagé  qui  gère  pour  son  compte  à  ses  risques  et  périls  et  sous  sa  res- 
ponsabilité, présente  de  réelles  garanties,  elle  estimait  qu'une  gestion 
directe  par  un  délégué  de  l'État  était  désirable,  tout  au  moins  à  titre 
provisoire,  ne  fût-ce  que  pour  rétablir  le  lien  rompu  entre  le  Con- 
servatoire de  musique  et  l'une  des  scènes  qui  complètent  son  enseignement. 

A  cette  observation,  que  la  concession  privée  présente  l'avantage  que, 
dans  le  cas  où  il  y  a  perte,  c'est  l'entrepreneur  qui  paye,  elle  répondait 
que  si  l'on  se  reporte  au  passé,  on  constate  que  toutes  les  fois  qu'il  y  a 
eu  perte,  c'est  l'État  qui  a  payé,  et  que,  en  revanche,  l'État  n'a  pas  tou- 
jours participé  aux  bénéfices  quand  ces  bénéfices  se  sont  produits.  Les 
travaux  de  la  commission  de  1878  ont  été  d'ailleurs  si  complets  que  l'on 
ne  peut  que  conseiller  à  ceux  de  nos  collègues  qui  désirent  étudier  la 
question  de  l'Opéra  de  consulter  les  rapports  et  les  procès-verbaux  de 
cette  commission. 

A  l'heure  actuelle  et  avant  que  l'on  discute  les  conditions  dans  les- 
quelles pourra  être  gérée  l'Académie  nationale  de  musique  à  l'issue  du 
privilège  de  M.  Ritt,  on  est  en  présence  de  la  réfection  des  décors.  Va- 
t-on  demander  que  la  réfection  s'applique  aux  ouvrages  dont  les  décors 
sont  usés  et  qui,  pour  quelques-uns,  sont  visiblement  surannés,  ou  de- 
mandera-t-on  que  la  réfection  s'applique  à  un  répertoire  renouvelé?  Ce 
dernier  parti  est  certainement  le  plus  sage  que  l'on  puisse  prendre,  car 
on  ne  saurait,  sans  méconnaître  le  rôle  de  l'Académie  nationale  de  mu- 
sique, dans  notre  système  d'enseignement,  la  condamner  à  redire  éter- 
nellement les  mêmes  choses. 

Le  dernier  paragraphe  du  rapport  affecte,  comme  on  va  le  voir, 
un  caractère  général  : 

La  commission  du  budget,  tout  en  appelant  l'attention  du  ministre  sur 
la  nécessité  de  pourvoir  à  bref  délai  à  la  vacance  qui  va  se  produire  le 
1er  novembre  1891,  n'a  pas  à  déterminer  les  conditions  dans  lesquelles 
devra  être  géré  l'Opéra,  à  l'issue  du  privilège  de  M.  Ritt.  Elle  manquerait 
cependant  à  son  devoir  si  elle  ne  réclamait  pas  une  réforme  de  l'admi- 
nistration des  théâtres  subventionnés.  Il  parait,  en  effet,  qu'il  est  indis- 
pensable de  rattacher  plus  étroitement  le  Conservatoire  national  de  musi- 
que et  de  déclamation  aux  théâtres  d'État.  On  comprend  difficilement  que 
les  théâtres  littéraires  ne  soient  pas  plus  reliés  au  Conservatoire  de  décla- 
mation et  que  les  théâtres  de  musique  soient  indépendants  du  Conser- 
vatoire de  musique.  En  1881,  un  décret  avait  institué  une  commission 
chargée  d'étudier  et  de  résoudre  cette  question.  La  Chambre  pensera 
peut-être  comme  nous  que  c'est  à  la  solution  de  ces  questions  de  réor- 
ganisation de  nos  scènes  subventionnées,  qu'elle  doit  s'attacher. 

La  Chambre  s'élant  séparée  jeudi,  la  discussion  sur  ce  rapport 
ne  pourra  s'ouvrir  qu'à  la  reprise  de  la  session.  Mais  déjà  l'admi- 
nistration de  l'Opéra,  sentant  qu'elle  est  touchée  et  voulant  profiter 
du  «  silence  de  la  tribune  »,  prend  la  Darole  à  elle  seule  et  inonde 
les  journaux  de  communications  pleines  d'intérêt,  dont  nous  allons 
donner  deux  exemples. 

Première  communication  : 

M.  Lassalle  fera  sa  rentrée  dans  Ascanio  en  septembre  ;  Mme  Rose  Caron, 
la  ravissante  Brunehild,  effectuera  la  sienne  dans  Sigurd.  Le  Rêve,  le  char- 
mant ballet  de  M.  Gastinel,  interrompu  en  plein  succès  par  le  congé  de 
Mlle  Mauri,  sera  repris  en  septembre.  Nous  apprenons  aussi  que  la  di- 
rection reprendra,  cet  hiver,  les  ouvrages  des  auteurs  qui  ont  honoré 
l'Académie  nationale  de  musique,  pendant  le  cours  du  privilège  qui  ex- 
pire en  1891. 

Nous  aurons  donc  les  reprises  d'Ascanio,  Sigurd,  le  Cid,  Patrie,  Roméo  et 
Juliette,  la  Tempête  et  les  Deux  Pigeons,  indépendamment  de  l'ouvrage  nou- 
veau qui  sera  monté  cet  hiver. 

Deuxième  communication,  complétant  la  première  : 

Mllc  Domenech  fera  son  second  début  dans  Aida  le  mois  prochain. 
Mmc  Durand-Ulbach  fera  son  troisième  début  dans  ta  Favorite.  Ces  deux 
artistes  chanteront  ensuite  le  rôle  de  la  reine,  A'Hamlel,  au  retour  de 
M.  Lassalle  et  de  M"10  Melba. 

M.  Duc,  qui  vient  d'aborder  le  rôle  de  Rhadamès  d'A'ida,  répète  maintenant 
l'Africaine,  qu'il  chantera  bientôt  pour  le  dernier  début  de  Mmc  Fiérens  ;  le 
même  soir,  M.  Martapoura  chantera  le  rôle  de  Nélusko. 

M.  et  Mmc  Escalaïs  sont  en  congé  depuis  avant-hier,  jusqu'à  la  fin  du 
mois;  pendant  l'absence  de  M™  Escalaïs,  Mme  Bosman  abordera  quelques 


254 


LE  MENESTREL 


rôles  de  princesse,  qu'elle  n'a  pas  encore  chantés  :  Inès  de  l'Africaine, 
Isabelle  de  Robert,  etc. 

On  commence  à  s'occuper  de  la  reprise  de  Sigurd,  qui  doit  avoir  lieu 
dans  les  premiers  jours  d'octobre  pour  la  rentrée  de  Mme  Rose  Caron,  avec 
presque  tous  les  interprètes  de  la  création  :  Mmc  Bosman,  MM.  Lassalle, 
Gresse,  Martapoura.  Les  seuls  interprètes  nouveaux  seront  :  M.  Duc 
(Sigurd)  et  M118  Domenech  (Uta). 

Mllc  Bréval  et  M.  "Vaguet  se  mettront  à  la  disposition  de  l'Opéra  le 
15  septembre  :  il  est  question  de  l'Africaine  pour  M"e  Bréval  et  de  Roméo 
pour  M.  Vaguet. 

Quelle  activité,  quelle  fécondité,  quelle  férocité  dans  le  travail  ! 
C'est  inouï  de  voir  tant  de  choses  que  ça  dans  un  seul  théâtre,  et 
il  y  a  de  quoi  faire  pâlir  Parave,y  lui-même  ! 

Pourvu  que  le  personnel  ne  périsse  pas  à  la  tâche,  et  ne  succombe 
pas  sous  un  pareil  effort  !  Mais  non,  il  suivra  l'exemple  de  son  chef, 
et  l'on  assure  que  Ritt  est  Gailhard,  plus  Gailhard  que  jamais. 

A.  P. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

Nous  avons  parlé  de  la  fureur  des  journaux  spéciaux  italiens,  causée 
par  la  substitution,  sur  divers  théâtres,  du  chant  français  au  chant  italien. 
Depuis  lors,  les  feuilles  politiques  sont,  à  leur  tour,  entrées  en  branle  à 
ce  sujet,  et  voici,  particulièrement,  ce  qu'on  peut  lire  dans  l'une  des  plus 
importantes  de  Turin,  la  Gazzetta  Piemontese  :  —  «  Une  recommandation 
sérieuse.  Nous  recommandons  chaudement  aux  impresari  et  aux  publics 
italiens  les  noms  de  la  signora  Melba,  de  MM.  de  Reszké  et  Lassalle,  artistes 
lyriques.  Ces  braves  gens  ont  réussi,  grâce  à  leur  influence,  à  faire  que 
la  langue  italienne  soit  bannie  du  théâtre  de  Covent-Garden  de  Londres  et 
remplacée  par  la  langue  française.  Si  jamais  il  arrivait  qu'un  jour  ou 
l'autre  il  leur  prît  fantaisie  de  venir  s'essayer  sur  nos  théâtres,  rappelons- 
nous  bien  ce  fait,  afin  de  leur  témoigner  comme  il  convient  notre  recon- 
naissance. »  Nous  nous  garderons  bien  de  flétrir,  par  un  commentaire 
quelconque,  la  grâce  et  le  parfum  de  cette  prose  expressive. 

—  Nous  avons  dit  que  le  théâtre  Malibran,  entièrement  restauré,  remis 
à  neuf  et  transformé,  devait  faire  son  inauguration  avec  la  Mignon  de 
M.  Ambroise  Thomas.  Cette  inauguration  a  eu  lieu  en  effet,  de  la  façon  la 
plus  heureuse,  et  voici  ce  qu'en  dit  un  de  nos  confrères  italiens  :  «  Mignon, 
la  douce  et  charmante  fille  d'Ambroise  Thomas,  montée  et  dirigée  avec 
une  vaillance  sans  pareille  par  le  maestro  Giovanni  Bolzani  et  interprétée 
avec  art  et  sentiment  par  d'excellentes  artistes,  Adelina  Borghi  (Mignon), 
Vera  Domelli  (Philine),  Cesira  Pagnoni  (Frédéric),  Gioacchino  Bayo  (Wil- 
helm),  Ezio  Fucili  (Lothario)  et  Alfonso  Rosa  (Laërte),  à  eu  une  réussite 
splendide,  un  vrai  succès.  »  —  A  propos  de  cette  réouverture  du  Malibran 
transformé,  le  critique  du  journal  la  Venezia  a  publié  une  intéressante 
chronique  sur  ce  théâtre,  qui,  par  rang  d'âge,  est  le  troisième  des  théâtres 
de  Venise.  L'ancien  San  Luca  (aujourd'hui  Goldoni)  est  le  plus  vieux  de 
tous,  ayant  été  fondé  en  1629  et  étant  âgé  par  conséquent  de  deux  cent 
soixante  et  un  ans  ;  il  est  probable  que  celui-là  est  le  doyen  de  toutes  les 
scènes  européennes  et  même  de  l'univers  entier;  vient  ensuite  le  Camploy, 
qui  n'est  guère  moins  âgé,  puisqu'il  date  de  1633,  puis  le  Malibran,  dont 
nous  ignorons  le  premier  nom,  qui  remonte  à  1677,  et  qui  a  donc  encore 
plus  de  deux  siècles  d'existence.  A  la  suite  de  ces  trois  patriarches,  vien- 
nent le  San  Benedetto  (aujourd'hui  Rossini),  érigé  en  1733,  et  enfin  la 
Fenice,  qui  accomplit  son  premier  centenaire,  puisqu'elle  date  de  1790. 
Parmi  les  anecdotes  rapportées  par  le  chroniqueur  de  la  Venezia,  nous 
reproduirons  celle-ci.  Lorsque  la  Malibran  vint  chanter  au  théâtre  qui 
porte  aujourd'hui  son  nom,  l'imprésario  Giovanni  Gallo  lui  dit:  «  Après  la 
représentation,  je  vous  compterai  3,000  lires  (francs).  »  Il  se  présente  en 
effet  le  lendemain  à  l'hôtel  qu'habitait  -l'admirable  artiste,  et  lui  dit  : 
a  Voici  la  somme  convenue.  »  —  «  Quelle  somme?  quelle  somme?  » 
s'écrie  aussitôt  la  Malibran,  qui  avait  été  émue  de  l'accueil  qui  lui  avait 
fait  le  public  vénitien.  «  Gardez  cet  argent  pour  vos  bambins.  De  vous  je 
ne  veux  autre  chose  qu'un  baiser.  »  Et  il  parait  que  l'imprésario  ne  se  le 
fit  pas  dire  deux  fois.  Il  garda  son  argent  et  embrassa  de  bon  cœur  la 
cantatrice. 

—  Nous  avions  annoncé,  d'après  les  journaux  italiens,  que  le  théâtre  de 
la  Scala  de  Milan  subirait  l'influence  de  M.  Edoardo  Sonzogno.  Les  mêmes 
journaux  affirmaient,  la  semaine  dernière,  que-tout  était  changé,  et  que 
c'était  M.  Giulio  Ricordi  qui  l'emportait.  Nouveau  revirement  aujourd'hui, 
que  le  Trovatore  fait  connaître  en  ces  termes  :  «  Grand  rechangement 
de  scène.  A  la  Scala  ce  n'est  plus  Ricordi,  mais  de  nouveau  Sonzogno,  qui 
s'empare  de  la  prochaine  saison.  Les  opéras  choisis  sont  :  le  Cid,  Cavalleria 
rusticana,  Lionella,  de  Samara,  Gabriella,  de  Gomes,  et  peut-être  Orphée,  si 
l'on  peut  traiter  avec  la  Hastreiter.  »  Lionella  et  Gabriella  sont  deux  ouvrages 
nouveaux. 

—  On  lit  dans  le  Trovatore:  a  Treize  est  le  nombre  des  compagnies  ita- 
liennes d'opérette  aujourd'hui  existantes,  dont  neuf  en  dialecte  et  cinq  de 
marionnettes  (ce  qui,  par  parenthèse,  fait  quatorze).  Avant  qu'il  soit  long- 


temps, et  par  suite  de  la  suppression  des  subventions,  les  compagnies  de 
marionnettes  se  multiplieront,  et  on  les  verra  occuper  la  Fenice  de  Venise, 
l'Argenlina  de  Rome,  le  Philharmonique  de  Vérone,  et  qui  sait,  avec  le 
temps,  peut-être  la  Scala  de  Milan  !  » 

—  Plusieurs  opéras  nouveaux  sont  annoncés  comme  devant  être  repré- 
sentés prochainement  sur  divers  théâtres  d'Italie  :  au  théâtre  de  l'Union, 
de  Viterbe,  il  Testamenlo  dello  zio,  du  maestro  Galassi  ;  à  Sant'Arcangelo  di 
Rimini,  la  Zingara  di  Granata,  de  M.  Bartolucci,  qui  servira  de  premier 
début  scénique  à  un  nouveau  baryton,  M.  Cesare  Buggi;  et  au  théâtre 
Communal  de  Bologne,  Pellegrina,  de  M.  Clementi.  Ce  dernier  ouvrage, 
qui  devait  être  représenté  l'hiver  dernier  au  théâtre  Brunetti,  de  la  même 
ville,  vient  de  donner  lieu  à  un  procès  intenté  aux  directeurs  par  le  com- 
positeur, qui  a  gagné  sa  cause,  tout  comme  M.  Castagnier  gagnait  la  sienne 
récemment,  dans  les  mêmes  conditions,  aux  dépens  de  M.  Paravey. 

—  Le  28  juillet  a  été  exécutée,  dans  l'une  des  églises  de  Turin,  la  messe 
annuelle  en  commémoration  de  la  mort  du  roi  Charles-Albert.  Cette  messe 
était  due,  cette  fois,  à  un  artiste  de  Novare,  le  compositeur  Antonio 
Quartero. 

—  M.  Italo  Piazza,  professeur  de  flûte  au  Lycée  musical  Rossini,  de 
Pesaro,  vient  de  publier  en  cette  ville,  à  l'imprimerie  Federici,  sous  le 
titre  de  Dissertazione  storico-critica  sul  Flauto,  un  petit  résumé  historique,  fort 
bien  fait  et  très  intéressant,  de  l'instrument  cher  à  Tulou.  On  se  demande 
seulement  pourquoi,  en  rappelant  le  souvenir  des  grands  flûtistes  de  l'Alle- 
magne et  de  l'Italie,  il  néglige  complètement  la  France,  qui  a  produit  de 
si  grands  artistes  en  ce  genre,  les  Devienne,  les  Tulou,  les  Dorus,  les 
Forestier  et  autres. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Berlin  :  A  l'Opéra  royal,  on 
annonce,  comme  première  nouveauté  de  la  saison,  la  production  de  Hiarne, 
opéra  de  Bronsart.  —  GiRLSRUHE  :  Le  théâtre  de  la  Cour  montera  au  com- 
mencement de  la  saison  les  Troyens,  de  Berlioz,  sous  la  direction  de 
M.  Félix  Mottl.  Le  nouvel  intendant  Bûrklin  a  augmenté  le  traitement 
de  tous  les  choristes  et  musiciens  ;  c'est  le  premier  acte  de  son  admi- 
nistration. Une  nouvelle  salle  de  spectacle  a  été  inaugurée  le  6  juillet, 
avec  une  représentation  de  l'Étudiant  pauvre,  par  les  artistes  du  théâtre  Cari 
Schultze,  de  Hambourg.  Stadgartentheater,  tel  est  le  nom  du  nouvel  établis- 
sement. —  Hombourg:  Deux  très  brillantes  représentations  de  Fidelio  vien- 
nent d'être  données  au  Casino  avec  le  concours  d'anciens  et  de  nouveaux 
élèves  du  fameux  Conservatoire  Raff  de  Francfort,  et  sous  la  direction  de 
professeurs  de  cette  institution.  Le  directeur  Maximilien  Fleisch  était  au 
pupitre  du  chef  d'orchestre.  —  Munich:  L'opéra  de  M.  Chabrier,  Gwendo- 
line,  est  inscrit  au  nombre  des  nouveautés  promises  par  le  théâtre  de  la 
Cour  pour  la  saison  qui  va  s'ouvrir.  —  Vienne  :  La  date  de  la  première 
représentation  du  nouveau  ballet  de  M.  Paul,  intitulé  la  Danse,  est  fixée  au 
4  octobre.  Un  grand  luxe  de  mise  en  scène  sera  déployé  pour  ce  ballet, 
qui  ne  comportera  pas  moins  de  dix-huit  tableaux. 

—  L'Opéra  de  Berlin,  actuellement  fermé  jusqu'au  30  août,  vient  de 
publier  son  rapport  statistique  pour  l'exercice  1889-90,  pendant  lequel 
274  représentations  ont  été  données.  Le  compte  fait  des  représentations 
depuis  le  1er  janvier  1890,  s'élève  au  chiffre  de  147.  Le  répertoire  com- 
prenait 39  ouvrages,  de  dix-neuf  compositeurs.  Les  auteurs  les  plus  sou- 
vent joués  étaient  "Wagner  (33  représentations),  Verdi  (28),  Mozart  et 
Meyerbeer  (chacun  14),  Bizet  (7),  Nicolaï,  Nessler,  Beethoven,  "Weber, 
Hofmann  (chacun  S  représentations).  A  signaler  la  production  à'Olello, 
de  Verdi,  de  Kulhchen  von  Heilbronn,  de  Reinthaler,  et  les  reprises  des 
Huguenots  et  du  Bal  masqué. 

—  La  question  d'une  nouvelle  scène  lyrique  à  établir  à  Berlin  revient 
très  sérieusement  sur  le  tapis.  La  police  a  donné  son  autorisation  au 
projet,  et  des  pourparlers  sont  engagés  pour  l'achat  du  terrain,  situé  dans 
Postdamer  et  Augustastrasse .  Sur  les  trois  millions  300,000  marks  auxquels 
le  capital  a  été  fixé,  un  million,  représentant  les  parts  de  fondateurs,  a 
déjà  été  souscrit.  L'entreprise  sera  administrée  par  M.  Fellinger,  qui 
s'adjoindra  M.  Angelo  Naumann  comme  directeur  artistique.  La  salle  sera 
aménagée  en  vue  de  recevoir  2,300  spectateurs. 

—  Les  préparatifs  des  prochains  Festspiede  à  Bayreuth  sont  menés  très 
activement.  Les  décors  de  Tannhâuser  ont  été  commandés  à  MM.  Briickner 
frères,  de  Cobourg.  Pour  le  ballet  du  Venusberg,  auquel  une  très  grande 
importance  va  être  donnée,  on  a  engagé  une  bonne  partie  du  personnel 
chorégraphique  de  l'Opéra  de  Berlin.  Les  fonctions  de  régisseur  général 
seront  dévolues  à  M.  Kranich,  du  théâtre  grand-ducal  de  Darmstadt.  Le 
nombre  total  des  représentations  est  fixé  à  neuf  pour  Parsifal  et  à  deux 
pour  Tannhâuser.  Les  engagements  des  solistes  ne  sont  pas  tous  conclus; 
on  compte  en  recruter  un  grand  nombre  dans  l'école  spéciale  fondée 
récemment  à  Bayreuth  par  M.  Kniese  pour  l'éducation  des  chanteurs 
■wagnériens. 

—  La  10°  fête  chorale  de  l'Union  des  Chanteurs  de  la  Basse-Silésie,  qui  a 
eu  lieu  récemment  à  Grùneberg,  coïncidait  avec  le  23e  anniversaire  de  la 
fondation  de  cette  institution.  Trente-neuf  sociétés,  sur  cinquante  et  une 
dont  se  compose  l'Union,  prenaient  part  au  festival,  qui  présentait  une 
animation  et  un  éclat  exceptionnels.  Les  compositions  chorales  de  MM. 
Seyffert,  Handwerg,  von  Eyken,  von  Potbertsky,  exécutées  par  six  cents 
chanteurs,  ont  eu  les  honneurs  de  la  journée. 


LE  MENESTREL 


255 


—  On  annonce  que  M,m  Pauline  Lucca,  la  célèbre  cantatrice  allemande 
va  quitter  définitivement  la  scène,  après  avoir  donné  une  série  de  repré- 
sentations d'adieu  à  Francfort  et  à  Munich.  Elle  a  l'intention  de  se  con- 
sacrer à  l'enseignement  musical.  Dans  l'avenir,  elle  passera  sept  ou  huit 
mois  par  an  à  Vienne,  et  le  reste  de  l'année,  sans  interrompre  ses  cours, 
dans  sa  maison  de  campagne  du  Traunsee,  où  elle  fera  construire  un 
petit  théâtre  d'opéra  à  l'usage  de  ses  élèves. 

—  On  lit  dans  la  correspondance  viennoise  du  Figaro  :  «  Le  15  août 
commencera  à  Vienne  le  grand  concours  des  Sociétés  chorales  allemandes. 
On  compte  sur  15  à  20,000  chanteurs.  On  sait  que  Vienne,  en  dépit  de 
1866,  est  pour  les  tireurs,  les  chanteurs,  les  gymnastes,  toujours  une  ville 
foncièrement  allemande.  Gomme  il  y  a  dix  ans  aux  tireurs,  on  fera  cette 
fois  aux  chanteurs  une  réception  magnifique.  Pour  les  concerts,  on  a  fait 
construire  au  Prater  un  hall  énorme,  et  qui  est  véritablement  un  chef- 
d'œuvre  dans  son  genre.  On  y  voit,  du  reste,  l'influence  des  grandes 
constructions  du  Champ  de  Mars.  Seulement  le  tout  est  en  bois,  ne  devant 
servir  qu'une  quinzaine  de  jours.  Ce  hall  vient  d'être  vendu  sur  place  à 
une  Société  de  Munich,  qui  en  fera  un  palais  dédié  au  roi  Gambrinus. 
Il  y  a  une  tribune  pour  8  à  10,000  chanteurs,  en  outre  de  la  place  pour 
20  à  30,000  buveurs  de  bocks.  » 

—  M.  B.  Rollfuss,  directeur  d'une  école  de  piano  à  Dresde,  publie,  dans 
le  Zcitschrift  fur  Inslrumentenbau,  toute  une  série  d'idées  de  réformes  con- 
cernant la  fabrication  des  pianos,  qui  méritent  certainement  l'attention 
des  grands  facteurs.  M.  Rollfuss  réclame,  en  première  ligne,  l'uniformité 
des  touches,  sous  le  rapport  de  la  longueur  et  de  la  largeur,  dans  tous 
les  pianos.  De  cette  façon  disparaîtront  certaines  hésitations  d'exécution 
que  l'on  remarque  souvent  chez  le  pianiste  qui  joue  sur  des  touches  plus 
larges  ou  plus  étroites  que  celles  auxquelles  il  est  habitué  ;  ensuite  il 
préconise  l'arrondissement  des  rebords  des  touches  blanches,  pour  la  faci- 
lité du  placage  et  de  l'arpègement  des  accords  et  l'emploi  d'un  doigté 
plus  rationnel.  M.  Rollfus  désigne  également  une  hauteur  normale  pour 
la  position  du  clavier  ;  il  devra  être  situé  toujours  à  53  centimètres  du 
sol.  La  dernière  proposition  de  M.  Rollfuss,  si  elle  est  prise  en  considé- 
ration, ne  contribuera  pas  peu  à  la  réhabilitation  du  piano.  Il  s'agit,  en 
effet,  de  munir  cet  instrument  d'un  système  d'étouffoirs  qui,  au  besoin, en 
amortira  si  profondément  la  sonorité  qu'elle  ne  pourra  être  distinguée 
dans  la  pièce  voisine.  Le  projet  de  M.  Rollfuss  comporte  en  outre  une 
foule  de  perfectionnements  techniques  trop  longs  à  expliquer. 

—  S'il  faut  en  croire  la  Gazelle  de  Francfort,  la  jeune  et  charmante  vio- 
lioniste  Teresina  Tua,  dont  nous  annoncions  le  mariage  il  y  a  quelques 
mois  à  peine,  serait  depuis  trois  semaines  gravement  malade  en  cette 
ville. 

—  La  Espaïia  artistka  nous  apprend  qu'on  représentera  prochainement, 
au  théâtre  du  Lycée  de  Barcelone,  un  nouvel  opéra  du  compositeur  Tho- 
mas Breton,  l'heureux  auteur  des  Amants  de  Teruel.  Cet  ouvrage,  dont  le 
sujet  est  tiré  d'une  légende  catalane,  aura  pour  titre  Jean  Garin.  Il  est  à 
quatre  personnages  seulement,  soprano,  mezzo-soprano,  ténor  et  basse. 

—  Au  nombre  des  artistes  engagés  pour  la  prochaine  saison  du  grand 
théâtre  de  Cadix  on  cite  Mmes  Pacini  et  Paoli,  MM.  Rawner,  Suagnez,  Bat- 
tistini,  Bosch  et  Ercolani.  Le  chef  d'orchestre  sera   M.  Urrutia. 

—  Très  grand  succès  à  Lisbonne,  au  théâtre  de  la  Rua  dos  Condes,  pour 
une  opérette  fantastique,  o  Reino  dos  mulheres  (le  Royaume  des  femm  es), 
livret  traduit  du  français  par  M.  Souza  Bastos,  musique  de  M.  Freitas 
Gazul. 

—  On  sait  que  M.  Augustus  Harris,  le  directeur  du  théâtre  de  Covent- 
Garden,  a  été  récemment  nommé  shériff  de  Londres.  Ses  artistes  ont  ou- 
vert entre  eux  une  souscription  avec  le  produit  de  laquelle  ils  ont  acheté 
—  et  lui  ont  offert  —  la  grande  chaîne  d'or  qu'il  devra  porter  dans  ses 
nouvelles  fonctions. 

PARIS    ET   DÉPARTEMENTS 

La  direction  de  l'Opéra  vient  de  renouveler,  jusqu'à  la  date  de  l'expira- 
tion de  son  privilège,  les  engagements  de  MM.  Duc  et  Delmas. 

—  M.  Francis  Magnard,  dans  le  Figaro,  n'est  pas  tendre  pour  la  direc- 
tion actuelle  de  l'Opéra.  Il  termine  ainsi,  en  termes  d'autant  moins  flat- 
teurs qu'ils  sont  plus  mesurés,  son  examen  du  rapport  général  de  M.  Antonin 
Proust,  dont  nous  reproduisons  plus  haut  les  parties  principales  :  — 
«  Voilà,  mis  en  relief,  les  traits  principaux  du  travail  de  M.  Proust. 
A  supposer,  ce  qui  est  bien  possible,  qu'ils  n'aboutissent  pas  à  des  réali- 
sations, il  est  excellent,  je  le  répèto,  qu'on  ait  dit  tout  haut  que  l'Opéra 
n'est  pas  à  la  hauteur  des  exigences  du  goût  contemporain,  que  son  réper- 
toire est  monotone  et  sa  troupe  insuffisante.  Il  est  clair  d'autre  part  que 
s'il  n'est  remanié  profondément,  le  principe  même  des  subventions  sera 
mis  en  péril  devant  des  députés  ruraux  trop  disposés  à  marchander  des 
dépenses  artistiques  dont  profitent  évidemment  fort  peu  les  habitants 
de  Pamiers  ou  de  Puget-Théniers,  mais  qui  défendent  —  ou  devraient 
défendre  —  le  patrimoine  intellectuel  de  la  France.  »  M.  Magnard,  un 
peu  plus  haut,  dit  plus  crânement  :  «  Le  budget  des  beaux-arts,  tel  qu'il 
se  poursuit  et  comporte,  notamment  en  ce  qui  touche  la  subvention  de 
l'Opéra,  ne  nous  en  donne  pas  pour  notre  argent.  »  Il  n'y  a  certainement 
qu'une  voix  sur  ce  point. 


—  On  parait  s'occuper  à  l'Eden,  transformé  en  Théâtre-Lyrique  par 
M.  Verdhurt.  Les  répétitions  de  Samson  et  Dalila,  de  M.  Saint-Saêns,  sont 
sérieusement  commencées,  de  façon  à  pouvoir  faire  l'inauguration,  avec 
cet  ouvrage,  vers  le  15  octobre.  M.  Verdhurt  compte  donner  ensuite  la 
Jolie  Fille  de  Perth,  le  second  opéra  de  Bizet,  dont  l'apparition  à  l'ancien 
Théâtre-Lyrique  remonte  au  mois  de  décembre  1867;  cet  ouvrage  sera  joué 
par  MM.  Engel,  Isnardon,  Boyer  et  MUo  Cécile  Mézeray,  qui  tout  d'abord 
l'auront  joué  à  Monte-Carlo.  On  annonce  que  M.  Chabrier  aurait  promis 
à  la  direction  son  nouvel  opéra,  Brisais,  et  l'on  parle  aussi  de  quelques 
autres  ouvrages.  Les  engagements  se  poursuivent  d'ailleurs,  et  l'on  donne 
comme  conclus,  avec  ceux  de  M.  Talazac  et  de  Mmc  Renée  Richard,  ceux 
du  ténor  Lubert  et  de  M.  Dinard,  jeune  basse  qui  a  obtenu  un  second  prix 
d'opéra  aux  récents  concours  du  Conservatoire. 

—  Avant-hier,  chez  M.  Choudens,  MM.  Emile  Zola  et  Louis  Gallet  ont 
fait  entendre  à  M.  Verdhurt  le  drame  lyrique  qu'ils  ont  tiré  du  roman 
le  Rêve  et  dont  M.  Bruneau'.  a  écrit  la  musique.  Résultat  de  l'audition  : 
le  Rêve  sera  représenté  cet  hiver  au  Théâtre-Lyrique. 

—  L'autre  Théâtre-Lyrique,  celui  du  Ghàteau-d'Eau,  se  prépare,  paraît- 
il,  à  monter  un  ouvrage  inédit,  le  Ducd'Albe,  opéra  en  trois  actes,  dû.  à  la 
plume  de  M.  Ventéjoul. 

—  La  Société  des  «Grandes  auditions  musicales  »  dont  les  intentions 
sont  excellentes,  mais  dont  le  début  a  laissé  quelque  peu  à  désirer,  a 
formé,  dit-on,  le  projet  -de  donner,  vers  le  mois  d'octobre  prochain,  une 
partie  de  la  Prise  de  Troie,  de  Berlioz,  qui  n'a  jamais  encore  été  exécutée 
en  public.  Les  études  doivent  commencer  dès  les  premiers  jours  du  mois 
prochain. 

—  De  Nicolet,  du  Gaulois  :  «  Le  vent  tournerait-il  au  lyrisme  du  côté 
de  la  Porte-Saint-Martin?  On  prête  à  M.  Duquesnel  l'intention  de  monter, 
l'hiver  prochain,  sur  la  scène  du  boulevard,  les  Contes  d'Hoffmann,  d'Offen- 
bach.  L'acte  supprimé  serait  rétabli  pour  la  circonstance,  ce  qui  mettrait 
l'ouvrage  en  cinq  actes,  comme  il  fut  répété  à  l'Opéra-Comique.  De  plus, 
un  grand  ballet  serait  ajouté  au  second  acte,  de  façon  à  donner  à  la  mise 
en  scène  une  plus  grande  importance.  » 

—  Ceci  devient  sérieux,  et  Reyer  doit  être  content.  Voici,  précédé  de 
l'exposé  des  motifs,  le  texte  du  projet  de  loi  présenté  par  M.  Maxime 
Lecointe  et  qui  vient  d'être  distribué  aux  députés  : 

EXPOSÉ  DES  MOTIFS 
Messieurs, 

Il  est  pénible  d'avoir  à  rechercher  quelles  nouvelles  charges  pourraient  être 
imposées  aux  contribuables.  Mais  certains  dégrèvements  ont  été  reconnus  indis- 
pensables. L'un  a  déjà  été  voté;  d'autres  ne  sont  pas  moins  nécessaires  pour 
arriver  à  une  meilleure  répartition  de  l'impôt. 

Lorsque  nous  avons,  dès  le  début  de  cette  législature,  demandé  l'abolition  d'im- 
pôts mal  répartis  et  justement  impopulaires,  on  nous  a  objecté  que,  non  pas  le 
gouvernement,  mais  nous-mêmes  devions  rechercher  et  organiser  des  ressources 
nouvelles  susceptibles  de  remplacer  celles  dont  nous  demandons  la  suppression. 

Pour  dégrever  les  objets  de  consommation  commune  et  de  première  nécessité, 
il  nous  faut  donc  demander  de  frapper  les  objets  qui  sont  plutôt  de  luxe  et  d'a- 
grément. 

C'est  ainsi  qu'une  taxe  vous  est  proposée  sur  les  vélocipèdes  ;  qu'une  autre  existe 
sur  les  billards,  etc. 

De  même  les  pianos,  par  leur  prix  élevé,  ne  sont  pas  à  la  portée  de  tous  et 
leurs  propriétaires  peuvent,  par  conséquent,  supporter  une  taxe  modérée. 
PROPOSITION   DE    LOI 
Article  unique 

Tout  propriétaire  de  pianos,  orgues,  harmoniums,  etc.,  sera  assujetti  à  une  taxe 
de  10  francs  par  objet. 

La  Chambre  venant  d'entrer  en  vacances,  ce  projet  de  loi  ne  peut  être 
discuté  présentement.  Elle  aura  le  temps  de  réfléchir  d'ici  la  rentrée,  et 
nous  voulons  espérer  qu'elle  fera  alors  à  ce  projet  saugrenu  l'accueil  qu'il 
mérite  à  tous  égards. 

—  Un  accident  qui  aurait  pu  avoir  des  suites  assez  graves,  est  arrivé, 
il  y  a  plusieursjours,  à  Mm0  Christine  Nilsson,  aujourd'hui  comtesse  de 
Casa-Miranda.  Au  moment  où  elle  montait  en  wagon  à  la  gare  de  l'Est, 
pour  se  rendre  à  Lucerne,  son  pied  a  glissé  et  elle  est  tombée.  Une  de 
ses  jambes,  prise  entre  le  marchepied  et  le  rebord  du  quai  d'embarque- 
ment, a  été  froissée  violemment.  Mme  Nilsson  a  dû  rentrer  aussitôt  à  son 
hôtel,  rue  Clément-Marot.  Les  médecins  appelés  pour  la  soigner  ont 
constaté  qu'il  n'y  avait  pas  de  fracture,  mais  simplement  une  forte  entorse. 
Toutefois,  elle  ne  peut  encore  marcher. 

—  Signalons  un  livre  en  son  genre  très  curieux  et  très  instructif,  en 
dépit  de  son  apparence  un  peu  sèche  etl'oa  pourrait  presque  dire  rébarba- 
tive. C'est  celui  que  M.  J.  Gallay  vient  de  publier  sous  ce  titre  à  la  librairie 
Chamerot:  «  Un  inventaire  sous  la  Terreur,  état  des  instruments  de  musique 
relevé  chez  les  émigrés  et  condamnés,  par  A.  Bruni,  délégué  de  la  Con- 
vention, avec  introduction,  notices  biographiques  et  notes.  »  On  sait  que 
la  Convention,  après  avoir  décrété  la  confiscation  des  biens  des  émigrés, 
dont  elle  déclarait  les  propriétés  biens  de  la  nation,  s'occupa  de  sauver  au- 
tant que  possible  de  la  destruction  les  objets  d'art  saisis  dans  les  palais, 
dans  les  églises  et  dans  les  maisons  des  émigrés.  Des  commissions  furent 
nommées  à  cet  effet,  et  des  dépôts  furent  créés,  dont  l'un,  celui  des  Menus- 
Plaisirs,  fut  spécialement  affecté  à  la  garde  et  à  la  conservation  des  ins- 


256 


LE  MÉNESTREL 


truments  de  musique.  L'un  des  commissaires  nommés  et  délégués  par  la 
Convention  fut  précisément  l'excellent  violoniste  Bruni,  qui  fut  chef  d'or- 
chestre au  théâtre  Feydeau  et  à  qui  l'on  doit  de  nombreux  opéras.  Bruni 
visita  plus  de  cent  maisons  d'émigrés  ou  de  condamnés,  et  fit  l'inventaire 
des  instruments  relevés  et  sauvés  par  lui.  C'est  cet  inventaire  que  M.  Gallay 
a  eu  la  chance  de  retrouver,  et  l'heureuse  idée  de  publier,  en  l'accompa- 
gnant' de  notes  intéressantes  et  en  le  faisant  précéder  d'une  introduction 
fort  bien  faite,  dans  laquelle  il  démontre  que  la  musique  était  en  grand 
honneur  chez  plusieurs  grands  seigneurs  de  l'ancien  régime,  et  même 
chez  certains  bourgeois  fortunés  qui  possédaient  parfois  un  matériel  d'or- 
chestre complet,  servant  naturellement  à  d'intéressantes  exécutions  mu- 
sicales. Si  défectueux  et  insuffisant  que  soit  l'inventaire  de  Bruni,  il  a 
encore  servi  à  son  commentateur  à  mettre  en  lumière  les  noms  d'un  cer- 
tain nombre  de  luthiers  et  de  facteurs  restés  jusqu'alors  inconnus.  C'est 
là  d'ailleurs  un  document  fort  instructif,  non  seulement  à  son  point  de 
vue  spécial,  mais  en  ce  qui  concerne  même  l'histoire  de  la  Révolution.  A 
ce  double  titre,  et  aussi  en  raison  du  soin  apporté  à  sa  publication,  on 
doit  de  la  reconnaissance  à  M.  Gallay  pour  l'avoir  tiré  de  l'oubli. Le  livre 
est  publié  d'ailleurs  avec  un  goût  parfait,  dans  un  format  superbe,  et  il 
s'adresse  aussi  bien  aux  bibliophiles  qu'aux  historiens,  aux  lettrés  et  aux 
curieux  des  choses  de  la  musique.  A.  P. 

—  Berlioz  compositeur  et  écrivain,  sa  vie  et  son  œuvre,  par  P.  Galibert, 
tel  est  le  titre  d'une  brochure  parue  récemment  à  Bordeaux  (impr.  Gou- 
nouilhou,  in-8°  de  80  pp.).  Cette  brochure  n'est  autre  chose  que  le  texte 
d'une  conférence  faite  par  l'auteur  à  Bordeaux,  sous  le  patronage  de  la 
Société  philharmonique.  Elle  ne  contient  ni  vues  nouvelles,  ni  faits  in- 
connus, mais  elle  donne  un  résumé  exact,  précis  et  judicieux  de  la  vie  et 
de  la  carrière  de  Berlioz,  tracé  par  un  admirateur  du  maître  qui  a  su 
éviter  la  déclamation  et  rester  dans  les  bornes  d'ane  appréciation  saine  et 
raisonnée,  tout  en  étant  absolument  sympathique.  Ces  quatre-vingts  pages, 
écrites  familièrement  et  sans  prétention,  suffiraient  à  faire  connaître  Ber- 
lioz à  celui  qui,  par  impossible,  n'aurait  jamais  entendu  parler  du  poète 
de  la.  Damnation  de  Faust,  de  l'Enfance  du  Christ  et  de  la  Symphonie  fantas- 
tique. On  peut  recommander  seulement  à  l'auteur  d'avoir  une  confiance 
moins  ingénue  dans  la  véracité  des  Mémoires  du  maître,  et  de  ne  pas 
accepter  comme  paroles  d'Évangile  tout  ce  que  ceux-ci  contiennent.  Il  en 
pourrait  éprouver  un  jour  quelque  désillusion,  car  si  jamais  livre  a  donné 
des  entorses  à  la  vérité,  c'est  bien  celui  que  nous  connaissons  sous  le  titre 
de  Mémoires  de  Berlioz.  A.  P. 

—  Le  ténor  Degenne,  que  les  Parisiens  ont  le  regret  de  ne  plus  ap- 
plaudir et  qui,  en  ce  moment,  remporte  de  très  grands  et  très  légitimes 
succès  à  Dieppe,  vient  d'être  nommé  chevalier  de  l'ordre  du  Portugal. 

—  M.  Manoury,  le  baryton  bien  connu,  qui  était  allé  à  New-York 
pour  prendre  la  place  de  directeur  du  Conservatoire  de  musique  de  cette 
ville,  laissée  vacante  par  le  départ  de  M.  Bouhy,  vient  de  rentrer  à  Paris. 
L'excellent  chanteur,  après  une  année  d'exil,  a  eu  la  nostalgie  du  pays 
natal  et  du  théâtre  ;  aussi  a-t-il  donné  sa  démission  pour  venir  récolter  à 
nouveau  les  applaudissements  de  ses  compatriotes. 

—  On  annonce  le  mariage  de  M.  H.  Dupont-Vernon,  de  la  Comédie- 
Française,  professeur  au  Conservatoire  national  de  musique,  avec  M"e 
Rothmann,  fille  d'un  officier  supérieur  en  retraite. 

—  La  roulade  remplaçant  la  pirouette,  et  le  jeté-battu  s'effaçant  devant  le 
récitatif.  Il  paraît  qu'unejeune  danseuse  du  second  quadrille,  à  l'Opéra, 
Mlle  Drouineau,    s'est   découvert   une  si  belle    voix  de    contralto    qu'elle 


abandonne   l'avenir    d'une  Rosita     Mauri    pour   le    présent   d'une   Renée 
Richard.  Elle  vient  de  signer  un  engagement  pour  Montpellier. 

—  La  représentation  de  Salammbô  est  fixée,  au  Grand-Théâtre  de  Rouen, 
au  13  octobre  prochain  au  lieu  du  23.  On  a  avancé  la  date  à  l'occasion 
de  l'inauguration  de  la  statue  de  Gustave  Flaubert,  qui  aura  lieu  ce 
jour-là. 

—  On  nous  écrit  de  Bourges  :  «  Sur  l'initiative  de  MM.  de  Laugaudière, 
conseiller  municipal,  ancien  conseiller  à  la  Cour  d'appel  de  Bourges,  et 
Boissier-Duran,  professeur  de  musique  très  distingué  de  cette  ville,  il 
vient  de  se  former  un  comité  pour  continuer  et  propager  le  mouvement 
favorable  qui  s'est  produit  à  l'égard  du  grand  compositeur  Louis  Lacombe. 
Ce  comité,  dont  M.  Boissier-Duran  a  été  nommé  président,  compte  ouvrir 
une  souscription  pour  placer,  dans  le  foyer  du  théâtre  de  la  ville,  un 
buste  du  maître  regretté  ;  il  veui  aussi  organiser  un  festival  pour  l'audi- 
tion de  quelques-unes  de  ses  œuvres  capitales  et  s'occuper  de  vulgariser 
ses  autres  compositions.  On  sait  que  déjà  la  municipalité  a  donné  le  nom 
de  Louis  Lacombe  à  l'une  des  places  de  Bourges  et  que  les  amis  et  admi- 
rateurs du  vaillant  artiste  ont  fait  placer  une  plaque  commémorative  sur 
la  maison  où  il  est  né.   >. 

NÉCROLOGIE 

Nous  avons  le  regret  d'annoncer  la  mort,  à  l'âge  de  78  ans,  de  M.  Au- 
gustin Vizentini,  père  de  M.  Albert  Vizentini,  qui  vivait  retiré  à  Sens 
depuis  plusieurs  années.  Né  à  Paris  en  1811,  il  était  l'un  des  fils  de  Louis 
Vizentini,  qui  fut  doyen  des  sociétaires  de  l'ancien  Opéra-Comique  et 
l'une  des  meilleures  ganaches  qu'ait  connues  ce  théâtre.  Administrateur 
habile,  esprit  actif  et  laborieux,  il  fut  successivement  régisseur  général 
de  l'Opéra,  du  Théâtre-Lyrique,  de  la  Porte-  Saint-Martin,  du  Châtelet, 
du  Vaudeville,  directeur  de  l'Odéon  (où  il  monta  la  Fille  d'Eschyle,  d'Au- 
tran),  administrateur  des  théâtres  royaux  de  Bruxelles,  du  Grand-Théâtre 
de  Lyon,  du  Caire,  directeur  à  Gand,  Lille,  etc.  Vizentini  était  surtout 
un  fort  habile  metteur  en  scène. 

—  Nous  apprenons  la  mort  à  Paris,  à  l'âge  de  6i  ans,  d'un  artiste 
dramatique  qui  tint  quelquefois,  durant  sa  longue  carrière,  l'emploi  de 
trial,  Amédée  Isaac.  Il  avait  subi  1'  opération  de  la  trachéotomie,  prati- 
quée il  y  a  trois  mois  par  le  docteur  Aragon,  à  l'Hôtel-Dieu.  L'affection 
du  larynx  qui  l'a  emporté  le  tenait  éloigné  de  la  scène  depuis  près  de 
quatre  ans.  Amédée  Isaac  joua  à  l'étranger  et  principalement  en  pro- 
vince, à  Marseille,  à  Bordeaux,  etc.,  et  aussi  à  Paris,  aux  Variétés  et 
aux  Folies-Marigny.  C_'t  artiste  mo  deste  a  laissé  un.  excellent  souvenir 
partout  où  il  a  passé  et  a  surtout  été  apprécié  pour  son  excellente  régie 
et  ses  connaissances  de  mise  en  scène. 

—  On  annonce  la  mort  à  Rome,  à  l'âge  de  3S  ans,  de  M.  Antonio  Leo- 
nardi,  professeur  d'harmonie  à  l'Académie  de  Sainte-Cécile,  auteur  d'un 
opéra,  Jacopo,  représenté  sans  s  uccès,  il  y  a  deux  ans,  au  théâtre  Argen- 
tina. 

—  A  Cuneo,  où  il  était  pour  faire  une  cure,  est  mort  presque  subitement 
le  violoniste  Carlo  Roncati,  ancien  élève  du  Conservatoire  de  Milan,  ex- 
directeur de  la  bande  municipale  de  Mondovi.  Il  avait  écrit  la  musique 
de  quelques  ballets  et  s'était  fait  connaître  aussi  comme  compositeur  de 
musique  religieuse,  entre  autres  par  une  messe  de  Requiem  qui  a  été - 
exécutée  à  ses  funérailles.  11  était  âgé  seulement  de  41  ans. 

Henri  Heugel.  directeur-géianl. 


En  vente  AU  MÉNESTREL,   2bi\  rue  Vivienne,  HENRI    HEUGEL,   Éditeur-propriétaire. 


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-  IMI'HIMKIUE   CUA1Z.    — 


Dimanche  47  Août  1890. 


3098  -  56™  ANNEE  -  N°  33.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  %  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Cn  an,  Teste  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sui. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste.  Eugène  Gautier  (14°  article),  Louis  Gallet.  —  II  Semaine 
théâtrale  :  Les  théâtres  et  le  droit  des  pauvres,  Arthur  Pougin.  —  III.  Berlioz,  son 
génie,  sa  technique,  son  caractère,  à  propos  d'un  manuscrit  autographe  (VHarold 
en  Italie  (2"  article),  A.  Montacx.  —  III.  Histoire  vraie  des  héros  d'opéra  et 
d'opéra  comique  (39"  article)  :  Ange  Pitou,  Edmond  Neukomm.  —  IV.  Nouvelles 
diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

JOYEUX  RIGAUDON 

de  Edouard  Broustet.  —  Suivra  immédiatement  :  Dolce  far  niente,  de  André 
Wormser. 

CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant:  Si  tu  veux!  nouvelle  mélodie  de  Victor  Stalb,  poésie  de  G. 
Goérin.  —  Suivra  immédiatement  :  Hymne  aux  astres,  nouvelle  mélodie  de 
J.  Faure,  poésie  de  Frédéric  Bataille. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


EUGENE  GAUTIER 


Je  devais  la  connaître  bientôt,  cette  triomphante  idée.  Eu- 
gène Gautier  vint  me  voir,  et  aussitôt  me  mit  au  courant  d'un 
projet  dont  la  réalisation  devait  être  l'unique  objectif  des 
dernières  années  de  sa  vie.  Il  s'agissait  d'un  opéra-comique 
à  tirer  de  la  Clé  d'or,  délicate  et  charmante  nouvelle  d'Oclave 
Feuillet. 

Eugène  Gautier  ne  disait  pas  «  opéra-comique  »,  il  disait 
«  comédie-lyrique  ».  Avec  un  instinct  alors  bien  rare,  surtout 
chez  un  homme  nourri  des  traditions  les  plus  pures,  on 
pourrait  dire  aussi  les  plus  fâcheuses  de  la  scène  de  la  place 
Favart,  il  s'orientait  vers  l'avenir.  L'évolution  musicale 
qu'il  prévoyait  et  qui  n'est  point  encore,  malgré  les  années 
écoulées,  un  fait  absolument  accompli,  lui  semblait  une  né- 
cessité, une  conséquence  naturelle  de  l'état  des  esprits. 

C'en  élait  fait,  selon  lui,  de  la  forme  classique  de  l'opéra- 
comique,  —  en  quoi  il  avait  bien  raison.  Il  attribuait  à  Grétry 
une  opinion  qui  avait  à  ses  yeux  force  de  dogme  et  qu'il 
s'était  promis  d'appliquer,  trouvant  ainsi  dans  les  préceptes 
du  passé  un  appui  pour  sa  marche  vers  l'avenir. 

La  comédie  musicale  devait  rejeter  tout  élément  parasite, 
ne  tirer  son  intérêt  que  d'elle-même;  l'action  et  l'émotion  se 
partageaient  l'œuvre.  A  l'action,  la  prose  ;  à  l'émotion,  la  mu- 
sique. 


«  Toutes  les  fois  qu'il  y  a  émotion,  il  y  a  musique  »,  ains 
disait  Gautier,  en  se  réclamant  de  Grétry. 

Cette  première  rencontre  entre  le  compositeur  et  moi  fut 
remplie  par  l'exposition  de  ces  théories.  Eugène  Gautier  avait 
d'ailleurs  aux  lèvres  une  foule  d'aphorismes  dont  la  répéti- 
tion le  charmait  : 

«  Le  genre  n'est  rien  ;  le  tout  est  d'avoir  du  talent.  » 

«  En  art,  on  ne  fait  pas  ce  qu'on  veut;  on  fait  ce  qu'on  peut.  » 

Ces  deux  formules  particulièrement  le  ravissaient;  il  ne 
s'apercevait  pas  qu'elles  constituaient  de  simples  truismes  ; 
il  les  énonçait  magistralement... 

Quand  nous  nous  séparâmes,  ce  jour-là,  je  restai  avec  la 
joie  d'être  devenu  l'ami  d'un  homme  de  l'esprit  le  plus 
original  et  le  plus  rare  et  la  vague  crainte  d'avoir  rencontré 
en  lui  un  artiste  s'égarant  sur  sa  véritable  vocation. 

Il  me  mit  entre  les  mains,  en  me  quittant,  un  volumineux 
manuscrit.  C'était  un  projet  d'adaptation  de  la  Clé  d'or,  projet 
élaboré  selon  les  idées  de  de  Leuven,  dont  Eugène  Gautier 
avait  été  naguère  le  collaborateur  et  était  resté  l'ami. 

De  Leuven,  alors  directeur  de  l'Opéra-Comique,  tenait,  selon 
Eugène  Gautier,  la  fortune  de  l'œuvre  entre  ses  mains,  et  il 
fallait  se  hâter  de  donner  à  cette  œuvre  une  forme  définitive. 

Mais  de  Leuven  n'était  pas  seul  à  la  tête  de  notre  seconde 
scène  musicale.  Il  l'administrait  en  compagnie  de  du  Locle, 
et  ce  double  courant  que  j'y  ai  signalé  à  propos  de  la  Djami- 
leh  de  Georges  Bizet,  devait  se  faire  sentir  plus  fortement 
encore  à  propos  de  la  Clé  d'or  d'Eugène  Gautier.  Cette  fois 
seulement,  de  Leuven  était  pour  et  du  Locle  était  contre. 

Moins  heureux  que  Bizet,  Gautier,  pris  entre  ces  deux  cou- 
rants, devait  s'y  noyer;  il  était,  dès  ce  moment,  écrit  que  la 
Clé  d'or  ne  serait  point  jouée  à  l'Opéra-Comique. 

Le  compositeur,  à  ce  moment,  ne  se  doutait  pas  des 
flottantes  destinées  de  son  œuvre:  il  était  plein  de  joie  et 
d'arJeur;  il  demandait  d'abord  que  cette  œuvre  existât;  il  la 
voyait  déjà  vivante  et  palpitante  entre  ses  mains;  il  n'était 
encore  que  dans  le  jardin  enchanté  des  illusions,  au  pied  de 
ce  calvaire  du  théâ're,  qu'il  devait  mettre  sept  ans  à  gravir. 


Avant  de  pénétrer  dans  les  profondeurs  du  manuscrit  d'Eu- 
gène Gautier,  il  fallait  lire  ou  plutôt  relire  la  nouvelle  origi- 
nale d'Octave  Feuillet. 

Qui  ne  s'est  senti  ému  .et  retenu  par  le  charme  subtil  de 
cette  nouvelle,  perdue  au  milieu  d'œuvres  diverses,  comme 
une  fleur  au  parfum  suave  clans  un  bouquet  élégant?  Qui  ne 
s'est  étonné  que  le  maître  romancier  ait  sacrifié  à  la  mu- 
sique une  fable  sentimentale  qu'il  eut  pu  si  ingénieusement 
présenter  sous  la  forme  dramatique? 

Suzanne  est  une  jeune  fille  au  cœur  d'or,  pure  comme  un 


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LE  MÉNESTREL 


lis,  douce  comme  un  ange,  flère  pourtant  et  capable,  à  l'oc- 
casion ,  d'un  mouvement  de  révolte  contre  l'indignité 
humaine;  en  la  sincérité,  en  la  naïveté  de  son  esprit,  elle 
s'est  éprise  d'un  fantôme  qui  n'avait  pas  de  nom  encore. 
—  Je  n'aimais  personne,  dit-elle,...  j'aimais,  voilà  tout. 
«  Parmi  les  fantômes  dont  j'étais  assiégée,  je  ne  le  cachais 
pas,  au  reste,  il  en  était  un  que  je  craignais  plus  que  tous 
les  autres  et  que  j'évoquais  cependant  plus  souvent.  Ses 
traits,  —  à  quel  souvenir  ou  à  quel  pressentiment  les  avais-je 
empruntés?  —  ses  traits  respiraient  une  sorte  d'orgueil  sou- 
cieux que  ma  présence  changeait  en  tendre  sourire.  Ses  yeux, 
semblaient  promettre  tout  ce  qu'une  femme  peut  souhaiter 
dans  son  ami,  dans  son  maître,  dans  son  époux...  l'honneur, 
le  géDie,  la  bonté...  Eh  bien!  tel  que  je  le  rêvais...  Dieu 
me  l'a  envoyé!...  Ce  songe  divin,  ce  fantôme  adoré,  il  est 
là!  vivant!  Il  m'aime  !  Il  est  mon  époux! 

Or,  cet  homme  à  qui  tant  d'enthousiasme  s'applique,  cet 
homme  vu  sous  des  traits  si  rayonnants,  c'est  Raoul  d'Athol, 
un  élégant  et  correct  monsieur,  très  blasé  et,  comme  nons 
dirions  aujourd'hui,  tout  à  fait  «  fin  de  siècle  ».  Le  soir 
même  de  ses  noces  avec  cette  délicieuse  Suzanne,  il  confie 
à  un  ami,  Georges  Vernon,  qu'il  n'a  aucune  espèce  d'amour 
pour  elle,  qu'il  l'a  épousée  tout  uniment  pour  faire  une  fin, 
et  se  déclare  tout  simplement  prêt  à  concevoir  pour  sa 
femme  «  l'affection  calme  qu'un  homme  d'honneur  doit  à  la 
mère  de  ses  enfants.  » 

Cet  entretien,  mortel  pour  la  romanesque  affection  de  la 
jeune  fille,  un  hasard  le  lui  fait  surprendre.  Et  quand,  dans 
la  chambre  nuptiale,  elle  se  trouve  seule  en  présence  de 
Raoul,  elle  lui  dit  nettement  qu'elle  sait  toute  l'affreuse  vé- 
rité... Elle  sera  madame  d'Athol  pour  le  monde;  mais  pour 
lui  elle  ne  sera  jamais  qu'une  étrangère. 

Froid,  correct  toujours,  avec  une  légère  pointe  d'ironie 
pour  ces  idées  d'enfant,  il  s'éloigne  pourtant,  tandis  qu'elle 
pleure  son  rêve  perdu,  qu'elle  se  désespère  de  sentir  encore 
vivant  et  saignant  dans  son  cœur  son  amour  pour  un  être 
indigne  d'elle. 

La  suite  de  ce  roman  sera  la  lente  reprise  de  l'âme  de 
Raoul,  la  conquête  patiente  tentée  et  réalisée  par  Suzanne, 
de  ce  mari  tout  d'abord  cantonné  dans  sa  froideur,  dans  sa 
fierté  blessée.  La  jalousie  s'en  mêle.  Raoul  se  croit  trahi  par 
son  meilleur  ami,  ce  Georges  Vernon,  confident  de  la  pre- 
mière heure  et  qui  secrètement  adorait  Suzanne,  au  moment 
même  où  on  l'a  donnée  à  un  autre. 

La  vérité  éclate  dans  une  scène  finale  violente,  brève  et 
touchante  :  Raoul  et  Suzanne  possèdent  enfin  l'amour  auquel 
l'homme  ne  croyait  plus,  auquel  la  jeune  fille  avait  cru  trop 
vite. 

La  clé  d'or  n'intervient  dans  tout  ceci  que  pour  donner 
son  titre  à  l'ouvrage.  C'est  la  clé  d'un  bracelet  que  Suzanne 
n'a  jamais  quitté  ;  elle  l'a  remise  à  son  mari,  comme  un 
symbole  de  l'abandon  qu'elle  faisait  d'elle-même  ;  elle  la  lui 
a  reprise  dans  sa  colère  de  l'amour  méconnu  ;  elle  la  lui 
rend  dans  sa  joie  de  l'amour  reconquis. 

A  l'époque  où  cette  petite  étude  fut  écrite,  on  ne  nous 
parlait  pas  encore  de  roman  psychologique.  On  avait  alors  la 
chose  sans  le  mot.  L'œuvre  d'Octave  Feuillet  fourmille  de 
ces  analyses  délicates  dévoilant  des  «  états  d'âme  »  par  qui 
l'action  devient  plus  saisissante  et  plus  humaine.  Mais  un 
constant  souci  du  mouvement  dramatique  dirigeait  alors  l'é- 
crivain au  cours  de  ces  études  et  en  renouvelait  incessam- 
ment l'attrait.  Aujourd'hui,  l'analyse  l'emporte  sur  l'action  ; 
l'œuvre  se  fait  ainsi  plus  grave  et  moins  vivante.  C'est  sans 
doute  pourquoi,  comptant,  beaucoup  de  romanciers  de  haute 
valeur,  nous  comptons  si  peu  d'auteurs  dramatiques.  Octave 
Feuillet  aura  été  l'un  et  l'autre. 


En  relisant  le  texte  original  de  la  Clé  d'or,  après  bien    des 


années  écoulées  depuis  cette  adaptation  qui'  tenait  si  fort  au 
cœur  d'Eugène  Gautier,  je  me  demande  si  auteur,  librettiste 
et  musicien  ne  se  sont  pas  alors  également  trompés  en  cher- 
chant là  le  thème  d'un  ouvrage  lyrique. 

«  Toutes  les  fois  qu'il  y  a  émotion,  il  y  a  musique,  avait 
dit  le  compositeur.  »  Peut-être  eùt-il  été  plus  juste  de  dire  : 
«  Toutes  les  fois  qu'il  y  a  exaltation  ou  expansion,  il  y  a 
musique  ». 

Et  là,  l'émotion  se  doublait  de  la  plus  fine  analyse  ;  et 
quand  la  musique  intervenait,  c'était  pour  couper  court  à 
celte  minutieuse  constatation  que  suivait  l'auteur  à  travers 
l'âme  de  ses  personnages.  Lyrisme  inopportun,  assurément. 
Mais  à  quoi  bon  ces  réflexions  rétrospectives?  Je  n'avais  point 
assez  d'expérience  pour  m'en  aviser  au  moment  voulu  et 
faire  voir  au  compositeur  que  la  musique,  au  lieu  de  donner 
des  ailes  au  drame,  allait  ne  lui  être  qu'une  agréable  entrave. 

Il  était  écrit  que  la  Clé  d'or  serait.  Elle  fut. 
(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


LES  THEATRES  ET  LE  DROIT  DES  PAUVRES 

Puisque  aussi  bien  le  théâtre  en  ce  moment  nous  met,  nous 
autres  critiques,  à  la  portion  congrue,  profitons  de  son  repos  et  de 
son  nonchaloir  pour  aborder  une  fois  de  plus  une  question  qui  le 
touche  et  l'intéresse  d'une  façon  toute  particulière,  celle  du  droit 
des  pauvres.  Jamais  on  ne  s'en  occupera  trop,  de  cette  question  si 
importante  et  si  douloureuse  pour  lui,  jamais  on  ne  battra  trop  en 
brèche  cet  impôt  sinon  injuste  dans  son  principe,  du  moins  ter- 
rible dans  ses  proportions,  et  qu'on  dirait  inventé  par  un  ennemi 
juré  de  l'art  et  de  la  gloire  intellectuelle  du  pays. 

Justement,  un  jeune  membre  fort  distingué  du  conseil  supérieur 
de  l'assistance  publique,  M.  Cros-Mayrevieille ,  administrateur  des 
hospices  de  Narbonne,  auteur  déjà  d'un  Traité  remarqué  de  /'admi- 
nistration hospitalière,  a  publié  récemment  sous  ce  titre  :  «  Le  droit 
des  pauvres  sur  les  spectacles  en  Europe,  origine,  législation,  jurispru- 
dence (1),  »  une  sorte  de  traité  complet  de  la  matière,  un  livre 
bourré  de  chiffres  et  de  documents,  fort  bien  fait  d'ailleurs  à  son 
point  de  vue  et  à  tous  les  points  de  vue,  dans  lequel,  cela  va  sans 
dire,  il  défend  le  droit  des  pauvres  de  toutes  façons,  en  s'eflbrçant 
d'en  établir  non  pas  seulement  la  nécessité,  ce  qui  se  compren- 
drait, mais  la  légitimité,  ce  qui  est  plus  contestable.  On  sent,  à  la 
chaleur  de  son  plaidoyer,  que  l'auteur  est  un  M.  Josse  en  son 
genre,  orfèvre  par  conséquent,  et  cela  ne  pouvait  ne  pas  être.  M.  Cros- 
Mayrevieille  prend  la  défense  de  ses  pauvres,  ce  qu'après  tout  je 
ne  saurais  blâmer.  Il  me  permettra  bien  de  prendre  à  mon  tour  la 
défense  de  l'art  et  des  artistes,  qu'il  traite  un  peu  trop  cavalièrement 
et  qui  pourtant,  l'un  et  les  autres,  rendent  quelques  services  et  ont 
droit,  eux  aussi,  à  l'existence. 

M.  Cros-Mayrevieille  raopelle  ,  dans  son  Introduction  ,  cette 
phrase  si  vraie  de  La  Bruyère  :  «  Il  faut  chercher  seulement  à 
penser  et  à  parler  juste ,  sans  vouloir  amener  les  autres  à  notre 
goût  et  à  nos  sentiments;  c'est  une  trop  grande  entreprise.  »  De 
même  que  lui,  je  prends  cette  pensée  à  mon  profit.  Je  n'espère  pas 
plus  le  convaincre  qu'il  ne  m'a  convaincu  moi-même.  Mais  nous  ne 
sommes  pas  seuls  au  monde,  et  l'on  peut  nous  entendre.  Je  discu- 
terai donc. 

L'auteur  part  de  ce  principe,  cher  aux  partisans  du  droit  des 
pauvres,  que  c'est  là  un  impôt  établi  sur  le  plaisir,  et  qu'aucun,  par 
conséquent,  ne  saurait  être  plus  sensé  ni  plus  légitime.  «  C'est,  dit- 
il,  une  taxe  de  consommation  pesant  seulement  sur  le  spectateur, 
sur  ce  consommateur  bénévole  qui,  en  entrant  dans  une  salle  de 
spectacle,  démontre  qu'il  possède  du  superflu  et  peut  s'offrir,  grâce 
à  ses  ressources,  des  plaisirs  qui  ne  sont  pas  indispensables.  En 
effet,  on  n'est  pas,  à  tout  prendre,  obligé  d'aller  au  théâtre,  an 
cirque,  au  concert  et  d'acquérir  une  place  comme  on  est  obligé 
d'acheter  le  pain  qui  sert  à  la  subsistance  de  chaque  jour.  »  Certai- 
nement, nul  n'est  obligé  d'aller  au  spectacle  ou  au  concert.  Mais 
j'ai  toujours  entendu  dire  que  la  splendeur  de  l'art,  le  talent  des 
artistes,  le  génie  des  écrivains  et  des  musiciens  comptaient  pour 
quelque  chose  dans  la  fortune  et  la  gloire  d'un  grand  peuple,  qu'ils 

(I)  Un  volume  in-8°,  chez  Berger- Levrault. 


LE  MENESTREL 


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servaient  à  établir  son  influence  au  dehors,  qu'ils  n'étaient  pas  inu- 
tiles à  son  expansion  morale  et  matérielle.  Or,  si,  par  des  exigences 
excessives,  vous  finissez  par  rendre  impossible  l'exercice  industriel 
de  cet  art,  si  vous  éloignez  et  diminuez  le  public,  si  vous  en  arri- 
vez à  réduire  les  artisles  au  silence,  croyez-vous  que  vous  aurez 
fait  de  bien  bonne  besogne,  et  que  vous  aurez  rendu  à  votre  pays 
un  service  fort  appréciable? 

Mais,  dites-vous,  il  y  a  confusion.  Ce  ne  sont  pas  les  entreprises 
théâtrales  qui  paient  l'impôt,  c'est  le  spectateur.  Et  la  preuve,  c'est 
que  la  loi  du  7  frimaire  an  V,  qui  a  commencé  à  régulariser  le 
droit  des  pauvres,  tombé  en  désuétude  pendaut  la  Révolution,  dit 
textuellement:  «  Il  sera  perçu  un  décime  par  franc  (deux  sous 
pour  livre)  en  sus  du  prix  de  chaque  billet  d'entrée...  »  Ceci  est  abso- 
lument spécieux.  En  fait,  si  je  veux  ouvrir  et  fonder  un  théâtre  et 
que  j'établisse  le  compte  de  mes  frais  journaliers,  il  faut  qu'avant 
toute  chose  je  songe  que,  sur  ma  recette  brute,  l'assistance  publique 
viendra  percevoir  un  dixième  et  l'empochera  bravement  avant  que 
je  puisse  solder  un  sou  de  mes  dépenses.  Que  mes  affaires  arrivent 
à  être  en  mauvais  état,  que  je  sois  dans  l'impossibilité  de  payer  mon 
personnel,  mes  artistes,  mes  employés,  mes  ouvriers  (je  ne  dis 
même  pas  mes  fournisseurs,  et  je  ne  parle  que  de  ceux  qui  n'ont 
que  moi  pour  vivre  et  pour  manger),  que  je  sois  moi-même  à  deux 
doigts  de  la  faillite,  l'assistance  publique  est  là,  impitoyable,  qui 
laissera  fermer  mon  théâtre  sans  me  permettre  même  de  crier  grâce- 

M.  Cros-Mayrevieille  appelle  cela  «  des  dissertations  plus  ou  moins 
sentimentales.  »  Il  en  parle  à  son  aise.  S'il  était  au  nombre  des 
pauvres  diables  que  les  exigences  de  l'assistance  publique  ont  mis 
si  souvent  par  centaines  sur  le  pavé,  qui  ont  été  réduits  par  elle  à 
la  faim  pour  nourrir  d'autres  pauvres,  peut-être  se  montrerait-il 
moins  optimiste.  Il  est  bien  près  de  me  prendre  en  pitié  parce  que, 
dans  mon  Dictionnaire  du  théâtre,  j'ai  précisément  raconté  un  fait 
précis  en  ce  genre  :  «  Il  y  a  une  quarantaine  d'années,  disai>je, 
on  vit  le  directeur  d'une  des  grandes  scènes  du  boulevard  mis  en 
faillite  après  trois  années  d'exploitation,  en  laissant  un  passif  de 
200,000  francs.  Pendant  le  cours  de  sa  direction,  il  avait  dû  prélever 
sur  ses  recettes,  avant  toute  chose  et  sous  le  nom  de  droit  des 
pauvres,  une  somme  de  330,000  francs  au  profit  de  l'administration 
des  hospices.  Si,  comme  on  n'a  jamais  cessé  de  le  demander,  cette 
taxe  n'avai'  été  prélevée  qu'après  le  prélèvement  des  frais  quotidiens  du 
théâtre,  la  part  des  pauvres  eût  été  mince  sans  doute,  mais  le  direc- 
teur n'aurait  pas  subi  la  faillite  et  n'eût  pas  laissé  sans  place  et 
sans  pain  plus  de  cinq  cents  artistes,  employés  et  ouvriers  de  toute 
sorte,  que  l'assistance  publique  se  garda  certainement  de  secourir. 
La  moralité  du  fait  est  facile  à  tirer  et  ne  prouve  pas  la  moralité  de 
la  taxe  qui  en  amène  de  semblables,  s 

Au  risque  de  faire  sourire  M.  Cros-Mayrevieille,  je  lui  avouerai  que 
je  crois  encore  ces  observations  pleines  de  justesse.  D'ailleurs,  si 
vous  trouvez  votre  principe  équitable  moralement,  que  ne  l'appliquez- 
vous  d'une  façon  plus  complète.  C'est  le  spectateur,  dites-vous,  qui 
paie  le  droit  des  pauvres;  que  ne  lui  faites-vous  payer  un  droit 
aussi  à  l'entrée  de  nos  musées?  Car,  enfin,  le  visiteur  de  musée 
prend  un  plaisir,  lui  aussi,  et.  pour  reprendre  vos  paroles,  on  n'est 
pas  obligé  d'aller  au  musée  comme  on  est  obligé  d'acheter  le  pain 
qui  sert  à  la  subsistance  de  chaque  jour.  Mais  les  musées  sont 
gratuits,  m'allez-vous  dire.  Raison  de  plus  !  "Vous  serez  sûr,  ici  du 
moins,  de  ne  léser  aucun  intérêt. 

Mais  la  vérité  est  que  l'État  ne  vous  le  permettrait  pas,  parce 
que  l'État  sent  bien  que  la  diffusion  de  l'art  est  un  besoin  de  la  so- 
ciété. Et  voilà  pourquoi  je  trouve  votre  impôt  mauvais,  appliqué  au 
théâtre  ou  au  concert  ;  et  pourquoi  je  blâme  l'Etat  de  vous  laisser  faire. 

Encore  voudrais-je  au  moins,  comme  je  le  disais  plus  haut,  que 
cet  impôt  ne  fût  perçu  qu'après  le  prélèvement  des  frais  de  chaque 
jour.  Il  y  aurait  ici  un  commencement,  je  ne  dirai  pas  d'équité, 
mais  de  moralité.  Ici,  vous  me  répondrez  par  ces  paroles  de  M.  de 
Lavenay  :  —  «  Il  y  a  une  loi  écouomique  à  laquelle  aucune  indus- 
trie ne  peut  échapper  :  la  loi  du  profit  moyen  des  capitaux.  Si,  par 
le  dégrèvement  de  l'impôt,  l'industrie  théâtrale  devenait  plus  fruc- 
tueuse, une  concurrence  nouvelle  et  plus  ardente  s'établirait  et 
irait  toujours  grandissant  jusqu'à  ce  qu'elle  eût  ramené  cette  indus- 
trie au  point  de  ne  plus  donner  à  la  masse  des  entrepreneurs  que 
le  profit  moyen  des  capitaux  engagés  par  eux.  D'autre  part,  l'avan- 
tage momentané  que  les  directeurs  tireraient  de  ce  dégrèvement, 
serait  bien  vite  annihilé  par  les  prétentions  qui  surgiraient  autour 
de  leur  industrie  :  prétentions  des  propriétaires  de  l'immeuble,  pré- 
tentions des  auteurs,  des  artistes,  des  employés,  exigences  du  public 
qui  voudrait  plus  de  luxe  sur  la  scène,  encore  plus  de  confortable 
dans  la  salle.   »  Vous  me    permettrez  de  vous  dire   que    malgré    le 


luxe  dont  elle  est  entourée,  il  n'y  a  là  qu'une  hypothèse,  et  qu'on 
ne  raisonne  pas  avec  une  hypothèse.  Cela  ne  se  discute  pas. 

Ce  qu'il  y  a  de  vraiment  singulier,  c'est  que  de  toutes  les  indus- 
tries la  plus  chargée  par  l'impôt  soit  précisément  celle  du  théâtre 
(puisque  industrie  il  y  a),  c'est-à-dire  justement  la  plus  difficile  et 
la  plus  aléatoire  de  toutes,  celle  qui  exige  non  seulement  une  rare 
habileté  administrative,  mais  de  vastes  connaissances  artistiques  et 
un  goût  tout  particulier,  outre  qu'elle  est  soumise  au  caprice  et  à 
l'inconstance  du  publie  et  qu'il  lui  faut  enfin,  pour  s'exercer,  la 
disposition  de  capitaux  considérables.  Il  y  a  là,  en  vérité,  une 
injustice  criante,  et,  quoi  qu'on  en  puisse  dire,  une  inégalité  cho- 
quante en  ce  qui  concerne  la  répartition  des  charges  entre  les 
citoyens.  Mais  combien  il  est  difficile,  dites-vous,  de  remplacer  cette 
taxe  !  Ça,  ça  ne  me  regarde  plus,  c'est  affaire  au  législateur.  Ce 
n'est  pas  parce  qu'une  iniquité  sociale  paraît  nécessaire  qu'elle 
devient  respectable.  Je  ne  conteste  pas  que  les  pauvres  ont  besoin 
de  manger,  mais  ce  n'est  pas  une  raison  pour  enlever  leur  pain  à 
ceux  qui  l'ont  honnêtement  gagné  et  qui,  eux  aussi,  ont  droit  à 
l'appétit. 

Je  me  permettrai  ici  une  toute  petite  réflexion.  Qui  dit  assistance 
publique  doit  dire  aussi  ordre  et  économie  la  plus  stricte.  Or,  si  je 
suis  certain  qu'il  y  a  beaucoup  d'ordre  dans  l'administration  de 
l'Assistance  publique,  je  ne  le  suis  pas  autant  qu'il  y  règne  une 
économie  aussi  grande  qu'on  le  pourrait  désirer.  Il  y  a  là  un  luxe 
d'emplois  et  d'employés,  un  ensemble  de  traitements  plus  ou  moins 
considérables  qui  me  donnent  beaucoup  à  réfléchir.  Le  patrimoine  des 
pauvres  devrait  être  géré  au  rabais,  si  l'on  peut  dire,  et  il  ne  me 
semble  pas  qu'il  en  soit  tout  à  fait  ainsi.  Je  ne  serais  pas  fâché, 
je  l'avoue,  qu'on  me  mit  en  regard  du  chiffre  des  ressources  de  cette 
administration  le  chiffre  de  ses  dépenses.  Peut-être  y  aurait-il  bien 
là,  avant  toutes  choses,  quelques  réformes  utiles  à  opérer,  quelques 
économies  à  réaliser.  Je  sais  bien  que  c'est  une  grosse  affaire  que 
l'administration  d'une  telle  fortune  ;  encore  faudrait-il  que  cela  se 
fit  dans  les  meilleures  conditions  possibles. 

Veut-on  savoir,  maintenant,  ce  qu'a  produit,  à  Paris  seulemenl,  le 
droit  des  pauvres  sur  les  spectacles  depuis  son  rétablissement  en. 
1796  jusques  et  y  compris  l'année  1887  î  Voici  le  chiffre  exact  : 
106  millions  828,301  fr.SO  c.  !  Un  joli  denier,  n'est-il  pas  vrai? 

J'ai  fait  ce  total  d'après  un  des  nombreux  et  très  curieux  tableaux 
publiés  dans  le  livre  de  M.  Cros-Mayrevieille.  Car,  je  le  répète,  son 
livre  est  fort  bien  fait  et  fort  intéressant.  Je  ne  lui  reproche  que  son 
esprit  absolument  exclusif.  Selon  l'auteur,  il  n'y  a  rien  à  faire 
pour  changer  ou  modifier  la  situation,  aucune  réclamation  ne  sau- 
rait être  admise,  aucune  objection  contre  le  droit  des  pauvres  ne 
supporte  ni  l'examen  ni  la  discussion,  et  tout  est  pour  le  mieux 
dans  le  meilleur  des  mondes  —  imposables.  Je  suis  moins  satisfait, 
je  l'avoue,  considérant  les  choses  à  un  point  de  vue  diamétralement 
opposé.  M.  CrosMayrevieille  pense  aux  pauvres,  ce  qui  est  d'une  belle 
âme  et  d'un  bon  cœur.  Je  pense,  moi,  aux  milliers  de  gens  qui 
vivent  du  théâtre,  qui,  je  le  répète,  ont  droit  aussi  à  la  pitié,  pour 
eux  et  leurs  familles,  el  qu'un  désastre  réduit  parfois  à  la  misère  et 
à  la  faim.  Est-ce  juste?  Et  lorsqu'il  arrive  que  ce  désastre  est  causé 
par  les  exigences  d'une  administration  sans  ménagement,  sans  scru- 
pule et  sans  entrailles  pour  ce  petit  peuple  si  intelligent,  si  labo- 
rieux et  si  plein  de  courage,  est-ce  moral? 

Là  est  toute  la  question. 

Arthur  Pougin. 


BERLIOZ 

SON  GÉNIE,  SA  TECHNIQUE,  SON  CARACTÈRE, 
A  propos  d'un  manuscrit  autographe  d'HAROLD  EN  ITALIE 

(MARCHE     DES     PÈLERINS) 

IV 

(Suite) 

Au  même  endroit,  la  partie  des  seconds  violons  qui  reproduisent 
le  thème  de  la  marche,  a  été  changée,  ainsi  que  la  basse. 

C'est  la  première  et  la  seule  fois,  dans  tout  le  morceau,  qu'une 
demi-période  de  ce  thème  finit  par  une  figure  mélodique  dessinée 
comme  suit  : 


Avant  comme  après  ce  passage,  toutes  les  périodes  de  la  marche 
et  tous  les  membres  de  ces  périodes  finissent  par  une  figure  mélo- 


260 


LE  MENESTREL 


dique  dessinée  comme  suit  :   I  J    j 


tHc — * — r 


Pourquoi  Berlioz  a-t-il  suspendu  ainsi,  en  ce  seul  endroit  et  sans 
raison  apparente,  la  poétique  uniformité  de  son  dessin  ? 

Il  faut  encore  chercher  l'explication  de  cette  anomalie  dans  la 
difficulté  que  le  maître  avait  à  plier  la  forme  à  la  conception  pré- 
méditée de  son  imagination. 

Par  la  trace  du  grattage  et  l'attache  du  dernier  groupe  des  cro- 
ches, il  est  évident  que  Berlioz  avait  bien  écrit  d'abord  la  fin  de 
cette  demi-période  comme  les  précédentes  ;  et  il  semble  même  que 
ce  fût  :   ~:0s*-=p=f>jLj  f ^fr^j^  —  iiiiis  n'oublions  pas  que  Berlioz 

tenait  pendant  ce  même  temps  à  «  superposer  »  le  thème  de  l'adagio, 
dont  le  dessin  obligé  pouvait  être  d'autant  moins  altéré  que,  — 
présenté  d'abord,  au  commencement  d'IIarold,  en  une  mesure  ternaire, 
—  il  se  trouvait  à  présent  encastré  en  une  mesure  binaire,  ce  qui 
le  rendait  moins  aisément  reconnaissable  à  l'oreille.  Berlioz  n'aura 
donc  pu  faire  marcher  simultanément  les  deux  motifs  en  les  res- 
pectant scrupuleusement  tous  deux  et  en  donnant,  à  la  fin  de  la 
demi-période,  une  harmonie  pure,  élégante  et  significative.  C'est 
pourquoi,  afin  de  tourner  une  difficulté  technique,  il  a  été  amené 
à  modifier  légèrement  le  dessin  de  la  marche  et  à  y  substituer  la 

version  actuelle, 


qui  a  le  tort  de  constituer,  sans 

raison  esthétique,  une  exception  et  une  sorte  d'irrégularité  dans  la 
symétrie  mélodique  de  la  marche. 

Ce  qui  donne  à  ces   déductions  une  grande  vraisemblance,  c'est 
que  la  basse  a  été  parallèlement  changée. 

*  * 
Un  peu  plus  loin,  vingt-quatre   mesures   avant  la  lettre  E,  voici 
une  variante  très  intéressante,  qui  affecte  tout  le  quatuor  et  a  en- 
traîné une  variante  latérale  dans  la  partie  du  premier  basson  : 

\ERSION   PRIMITIVE   (1) 

G  H  I  J  K, 


VERSION    ACTUELLE    : 

L'alto  solo  ne  change  pas,  —  non  plus  que  la  clarinette  et  le  cor 
soli  qui  doublent  toujours  son  chant. 

(Le  1er  basson,  qui  suit  les  violoncelles  de  l'orchestre  à  l'octave  ai- 
guë, a  été  gratté  pour  suivre  les  modifications  de  la  nouvelle  version.) 


(1)  Il  y  a  ici  une  erreur  de  gravure  impossible  à  corriger  au  dernier 
moment.  La  clef  d'ut  seconde  indiquée  faussement  partie  d'alto  solo  doit 
être  une  clef  d'ut  troisième  ligne. 


Ce  passage  a  coûté  à  Berlioz  un  certain  effort,  car  le  texte  pri- 
mitif est  écrit  lui-même,  de  ci,  de  là,  sur  de3  gratlages,  si  bien  que 
le  texte  actuel  est  établi  sur  une  collette  dont  les  portées  sont  tracées 
à  la  plume.  Dans  la  partition  gravée,  la  mesure  B  est  notée  en  entier 
en  doubles  cordes  pour  le  1er  violon,  1 1  J1  i  ji  1  en  sorte  qu'en  cor- 
rigeant les  épreuves,  Berlioz  a  encore  apporté  cette  légère  retouche 
à  la  version  définitive  de  son  manuscrit. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  maître  fut  bien  inspiré  dans  ces  remanie- 
ments successifs,  car  il  est  aisé  de  voir  quelles  améliorations  a 
apportées  chacun  d'eux. 

Dans  son  ensemble,  le  texte  originaire  était  passablement  tour- 
menté, et,  aux  mesures  EF,  où  la  partie  de  violon  est  demeurée 
illisible,  l'harmonie  paraît  ne  pas  avoir  été  très  heureuse. 

Voyons  maintenant  la  seconde  version  : 

Par  les  doubles  cordes  ajoutées  aux  premiers  violons  et  aux  altos 
pendant  les  mesures  B  et  C,  Berlioz  a  rendu  l'harmonie  plus  com- 
plète. Le  mouvement  des  basses  et  l'harmonie  des  mesures  DE  et  F 
sont  incontestablement  préférables.  Enfin,  à  la  mesure  I,  la  partie 
de  violoncelle,  se  séparant  de  celle  des  contrebasses  et  passant,  de 
la  mesure  H  à  la  mesure  I  et  de  celle-ci  à  la  mesure  J,  par  mou- 
vements contraires  au  mouvement  des  contrebasses,  est  à  tous 
égards  bien  meilleure  et  conçue  dans  un  esprit  plus  polypho- 
nique. 

*'* 

Au  cours  des  mesures  suivantes,  la  partie  de  second  violon  a  été 
fortement  grattée.  Elle  poursuit  actuellement  le  motif  delà  marche, 

en  même  temps 
que  le  ier  hautbois 
et  la  1"  flûte,  celle-ci  à  l'octave  supérieure.  Il  est  difficile  d'ima- 
giner ce  qu'elle  pouvait  bien  être  précédemment,  car  les  parties  de 
lra  flûte  et  de  Ier  hautbois  ont  été  écrites  de  primesaut  telles  qu'elles 
sont  aujourd'hui.  On  ne  conçoit  pas  bien  comment  les  seconds 
violons,  à  qui  depuis  l'intervention  de  l'alto  solo  était  réservé  le 
thème  de  la  marche,  aient  pu  énoncer  autre  chose. 

Evidemment,  dans  toute  cette  partie,  la  pensée  de  Berlioz  a  hésité. 

*'* 
De  la  lettre  F  a  la  lettre  G,  Berlioz  avait  noté  d'abord  la  sonnerie 
de  cloches  imitée  par  la  harpe  comme  précédemment,   soit  : 


jygg    .    I    ,    I  r    if— 


Il  a  biffé  très  fortement  à  l'encre  cette  notation  et  y  a  substitué 
la  suivante  : 


pour  revenir  à  la  lettre  G  à  la  précédente. 

Plus  ioin,  à  l'endroit  où  l'épisode  en  ut  majeur  (canto  religioso) 
prend  fin  et  où  la  marche  retourne  dans  le  ton  initial  de  mi  t)  majeur, 
il  modifiera  encore  par  une  correction  aussi  énergique  la  version 
primitive,  pour  doubler  de  nouveau  l'ut  grave;  —  et  cela  pour  une 
seule  fois,  car  à  partir  de  ce  moment  la  notation  primitive  est 
maintenue. 

Quelle  a  été  son  intention  ? 

On  a  quelque  peine  à  la  démêler,  d'autant  plus  qu'à  la  lettre  F 
il  a  eu  soin  de  mettre  la  note  suivante  :  «  le  diminuendo  commencera 
ici,  mais  il  ne  doit  devenir  apparent  qu'à  la  lettre  G  ». 

L'ut  tj  de  la  harpe  étant  toujours  appuyé  par  les  deux  cors  en  ut, 
pourquoi  a-t-il  tenu  à  l'accentuer  davantage,  alors  précisément  qu'il 
demandait  un  diminuendo  à  ses  interprèles? 

C'est  que  sans  doute  il  faut  entrevoir  le  tableau  que  Berlioz  aura 
entrevu  lui-même  par  les  yeux  de  son  imagination  charmée. 

A.  ce  point  de  la  marche,  la  troupe  des  Pèlerins  chantant  la  Prière 
du  soir  est  arrivée  tout  auprès  du  couvent.  Le  son  de  la  cloche  vibre 
plus  distinctement  à  ses  oreilles  et,  du  fond  du  sanctuaire  sortent, 
comme  par  bouffées,  les  accents  d'un  psaume  que  se  renvoient 
l'orgue  et  les  voix  intérieures  auxquelles  s'associent  les  Pèlerins. 
Quand  la  pieuse  théorie  s'éloigne,  les  sons  de  la  cloche  lui  par- 
viennent de  nouveau  affaiblis. 


LE  MENESTREL 


364 


Ce  qui  justifie  cette  supposition,  c'est  que  la  correction  signalée 
trouve  précisément  sa  place  aussitôt  avant  et  aussitôt  après  le  canlo 
niigioso  qui  alterne  entre  les  flûtes,  clarinettes,  et  le  quatuor. 

Quand  on  étudie  de  près  Berlioz,  il  faut  toujours  compter  avec 
•cette  préoccupation  du  pittoresque  qui  hantait  le  musicien. 

(A  suivre.)  A.  Montaux. 


HISTOIRE    VRAIE 

DES    HÉROS    D'OPÉRA    ET    D'OPÉRA-COMIQUE 


XL1X 

ANGE  PITOU 

Celui-là  chanta,  comme  Blondel,  les  malheurs  des  rois,  mais  sans 
luth  et  en  petits  vers  marqués  au  coin  d'une  malignité  perfide.  Il 
opérait  sur  la  place  publique,  en  pleine  révolution;  il  y  avait  quel- 
que courage  à  cela. 

Ange  Pitou  a  raconté  lui-même  ses  débuts  aux  carreaux  des 
Halles. 

s  En  1794,  après  le  9  thermidor,  dit-il,  je  fis  imprimer  le  Tableau  de 
Paris  en  vaudeville.  J'avais  tout  perdu  ;  je  résolus  de  chanter  moi- 
même,  tout  en  me  souvenant  que  Corneille,  pour  avoir  fait  la  fameuse 
chanson  :  l'Occasion  perdue  et  retrouvée,  eut  pour  pénitence  l'Imitation 
de  Jésus-Christ  à  mettre  en  vers,  et  que  Jean-Baptiste  Bousseau 
faillit  être  exilé  pour  quaranle-un  couplets. 

»  Le  chant  réjouit  l'àme,  me  dis-je,  le  fripier  se  pare  de  l'adresse 
du  tailleur;  le  comédien  joue  le  seigneur  et  emprunte  le  génie  du 
poêle  :  pourquoi  rougirais-je  plus  de  vendre  mes  chansons,  qu'un 
libraire  un  volume  qu'il  n'a  pas  fait?  Cette  propriété  est  le  fruit  de 
mon  éducation.  Mais  si  l'ouvrage  ne  vaut  rien?  Je  ne  vendrai  pas 
«hat  en  poche.  —  liais  les  convenances,  les  préjugés  même  ne 
s'opposent-ils  pas  à  celte  résolution  sage  en  elle-même,  qui  con- 
traste pourlant  avec  l'opinion  qu'on  doit  avoir  de  toi? —  Le  premier 
■devoir  est  rempli,  lorsque  je  gagne  la  vie  à  la  sueur  de  mon  front. 
Je  ne  vis  pas  avec  deux  onces  de  paiD.  (Nous  étions  au  mois  de 
mai  1795  ;  j'étais  rédacteur  de  la  séance  aux  Annales  patriotiques 
et  littéraires,  et  l'agiotage  du  papier  faisait  monter  mon  traitement 
-à  un  sou  par  jour). 

a  D'après  ces  réflexions,  je  me  levai  un  jour  à  quatre  heures  du 
matin  ;  je  venais  de  faire  imprimer  des  couplets  contre  l'agiotage  ;  je 
vais  les  vendre  :  j'étais  confus,  mais  il  fallait  manger.  Je  me  mets  à 
chanter  :  des  pleurs  roulaient  dans  mes  yeux,  pendant  que  le  sou- 
_riie  s'épauouisiait  sur  mes  lèvres.  A  six  heures  j'eus  gagné  cent 
écus  en  papier,  et  je  retournai  à  l'Assemblée.  Ceux  qui  travaillaient 
à  d'autres  journaux,  dans  la  même  loge  que  moi,  se  trouvaient  heu- 
reux de  partager  mon  pain;  mais  la  manière  dont  je  le  gagnais 
donnait  matière  à  un  rire  caustique  qui  me  déplut.  Au  bout  de  quinze 
jours  je  cédai  la  place,  et  les  laissai  jeûner  glorieusement.  Au  reste, 
la  mauvaise  honte  et  la  crainte  firent  place  à  la  tranquillité  et  à 
une  vie  pénible,  mais  moins  austère.  La  multitude  s'accoutuma  à 
m'entendre;  on  me  chercha  une  origine  :  ceux-ci,  pour  me  perdre, 
inventèrent  sur  mon  compte  cent  fables  plus  honorables  les  unes 
que  les  autres.  D'abord  ils  me  firent  piètre,  pour  avoir  droit  de  me 
faire  proscrire,  puis  attaché  à  la  maison  de  Bohan  ,  ensuite  évêque, 
confesseur  de  nonnes,  gouverneur  de  l'enfant  d'uu  grand  seigneur. 

»  Une  femme,  entre  deux  âges,  m'accosta  un  jour,  après  m'avoir 
-entendu  chanter,  et  me  dit  d'un  air  tout  scandalisé  : 

»  —  Comment  monsieur,  vous  chanteur  !. . .  Faut-il  qu'une  de  vos 
péuitenles  vous  moralise!... 

»  Je  souris.  Elle  insista. 

»  —  Mais,  madame,  lc  vous  méprenez-vous  point? 

»  —  Oh!  certainement  non. 

»  —  Hé  bien  !  madame,  si  j'étais  aussi  indiscret  que  Santeul? 

»  —  Que  voulez-vous  dire? 

•  —  Que  je  pourrais  tout  révéler  à  votre  mari,  sans  divulguer  la 
confession. 

»  Un  autrejour,  un  Prémontré  vint  chez  moi,  de  grand  matin,  me 
demander  si  je  ne  suis  pas  de  son  ordre,  et  dans  queilc  maison  j'ai 
étudié.  Il  y  avait  vingt-cinq  ans  qu'on  avait  voulu  m'envoyer  à  Metz 
faire  mon  noviciat  chez  ces  moines  :  mais  comment  avait-il  pu  savoir 
cette  particularité  ? 

«  Suivant  les  uns,  je  disais  la  messe  tous  les  jours,  et  je  trouvais 
même  des  personnes  qui  assuraient  y  avoir  assisté.  Le  lendemain,  on 
voulait  que  je  fusse  maître  de  musique.  Enfin,  j'ai  été  forcé  de  faire 


le  médecin  malgré  moi.  Et  si  je  publiais  mes  scènes  à  tiroir  du 
temps  que  j'ai  chaulé,  on  jugerait  que  j'ai  été  plus  ami  de  la  société 
et  de  la  joie  qu'ennemi  du  gouvernement.  » 

Dans  la  suite,  Ange  Pitou  changea  de  langage.  Il  se  présenta 
comme  le  royaliste  le  plus  militant  qui  eût  existé  pendant  la  Bévo- 
lution  et  se  targua  de  son  internement  à  la  Guyane  pour  attendrir  le 
cœur  très  importuné  des  Bourbons  ;  car  en  vérité  il  avait  élé  con- 
damné à  la  déportation  perpétuelle  par  le  Directoire,  après  quinze 
arrestations  suivies  de  quinze  avertissements  charitables.  Mais  il 
s'était  évadé.  A  son  retour  à  Paris  il  obtint  sa  grâce  de  Napoléon, 
empereur,  à  la  condition,  très  superflue,  qu'il  ne  le  chansonnerait 
pas. 

Ange  Pitou  n'eut  garde  de  manquer  à  sa  promesse.  Cayenne  avait 
laissé  des  souvenirs  peu  charmeurs  dans  son  esprit;  il  employa  ses 
loisirs  à  conter  son  séjour  dans  ce  paradis  de  la  fièvre,  et  en  pré- 
senta le  récit  au  public  sous  ce'  titre  à  effet  :  Voyage  à  Cayenne  et 
chez  les  anthropophages. 

Quand  les  Bourbons  furent  revenus,  il  inonda  Paris  de  ses  bro- 
chures. Il  se  plaignait  de  l'abandon  dans  lequel  on  le  laissait.  Ses 
chansons,  disait-il,  avaient  fait  plus  de  40,000  prosélytes  à  la  cause 
royale;  elles  lui  avaient  rapporté  plus  de  260,000  francs,  qu'il  avait 
employés  à  servir  ses  rois  légitimes.  Pour  se  débarrasser  de  lui,  le 
roi  Louis  XVIII  finit  par  lui  accorder  une  petite  pension  de  quinze 
cents  francs. 

Ange  Pitou  mourut  bien  oublié,  en  1828.  Il  était  un  moment  sorti 
de  son  silence,  pour  demander  qu'on  élevât  une  chapelle  à  saint 
Charles  sur  l'emplacement  de  l'ancien  Opéra,  où  avait  élé  assassiné 
le  duc  de  Berry. 

Mais  sa  pension  ne  fut  pas  augmentée  pour  cela. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 
Nos  compositeurs  de  musique  ne  chôment  pas,  dit  l'Italie  ;  voici  en 
effet  la  nomenclature  de  quelques  opéras  nouveaux  qui  iront  enrichir, 
espérons-le,  le  répertoire.  M.  Puccini,  l'auteur  des  Villi,  a  terminé  une 
Manon  Lescaut.  M.  Pizzi,  l'auteur  d'Edith,  écrit  un  opéra  dont  on  ignore 
encore  le  titre.  M.  Carlos  Gomes,  outre  le  nouvel  opéra  qui  sera  représenté 
cet  hiver  à  la  Scalâ  de  Milan,  Gabriella,  vient  de  terminer  Murena,  livret 
de  MM.  Parravicini  ot  Tannaz,  et  il  Cavalier  bizzarro,  livret  de  M.  Crisa- 
fulli  ;  il  est  en  train  d'écrire  aussi  une  Vanda,  livret  de  M.  Vincenzo 
Valle,  et  de  suite  après  il  compte  composer  une  Grazilla,  sujet  indien, 
livret  de  M.  Giulio  Barny.  Enfin,  M.  Sarno,  de  San  Giorgio,  a  mis  en 
musique  le  drame  :  V Impératrice  dei  Balcani,  écrit  par  le  prince  Nikita  du 
Monténégro.  —  Si  l'on  ajoute  qu'un  jeune  compositeur  génois,  M.  Trucco, 
vient  de  terminer  un  opéra  en  deux  actes  intitulé  gli  Arrimanni,  on  verra 
qu'en  effet  les  musiciens  italiens  ne  paraissent  pas  en  train  de  flâner. 

—  Il  va  sans  dire  que  nous  n'avons  pas  converti  le  Trovatore  à  nos  idées 
touchant  la  grosse  question  de  la  substitution  de  l'opéra  français  à  l'opéra 
italien.  A  vrai  dire,  nous  ne  pouvions  l'espérer.  Mais  notre  confrère 
apporte  dans  sa  réponse  tant  de  bonne  grâce  et  de  courtoisie  que  nous 
serions  mal  venus  à  ne  point  lui  en  savoir  gré.  Il  veut  bien  déclarer  que 
le  Ménestrel  est  un  des  très  rares  journaux  (uno  dei  pochissimi)  qui  savent 
lire  et  comprendre  l'italien,  et  c'est  justement  parce  qu'il  en  est  ainsi  que 
nous  avions  regretté  les  paroles  acerbes  qu'il  adressait  à  la  presse  fran- 
çaise en  général,  comme  le  fait  encore  aujourd'hui  la  Gazzetta  musicale. 
Dans  la  question  qui  nous  occupe,  les  récriminations  ne  serviraient  de 
rien  et  resteraient  stériles.  Laissons  aller  les  choses  ;  elles  nous  montre- 
ront, en  fin  de  compte,  qui  a  tort  ou  raison. 

—  Il  paraît  qu'on  en  fait  de  jolies,  dans  certaines  villes  d'Italie,  pour 
qu'un  critique  sérieux  et  modéré  comme  M.  F.  D'Arcais  puisse  écrire  ce 
qui  suit  dans  son  feuilleton  de  l'Opinione  :  —  «  Il  faut  savoir  qu'à  Naples 
et,  en  général,  dans  les  provinces  méridionales,  les  représentations  d'o- 
pérettes sont  parvenues  à  un  degré  d'obscénité  dont  on  ne  saurait  se  faire 
une  idée  à  Borne  et  dans  les  autres  provinces  d'Italie.  L'opérette,  qu'elle 
soit  de  Suppé,  de  Lecocq,  ou  d'autres,  n'est  plus  qu'un  prétexte  aux  plus 
immondes  turpitudes.  L'art  n'a  plus  rien  à  faire  ici,  et  dans  ces  triviales 
parodies  on  ne  reconnaît  pas  plus  les  opérettes  françaises  que  les  alleman- 
des. La  faute,  qu'on  me  permette  de  le  dire,  revient  en  grande  partie  aux 
autorités  qui  ont  la  charge  de  la  police  des  théâtres.  Gomment  peut-on 
laisser  faire  dans  un  théâtre  ce  qui  ne  serait  toléré  dans  aucun  autre  lieu 
public?  Il  y  a  à  Naples  un  grand  nombre  de  petits  théâtres  qui  peuvent 
être  comparés  aux  plus  ignobles  spéculations  ;  il  serait  temps  que  le  gou- 
vernement intervint  au  nom  de  la  décence  et  en  ordonnât  la  clôture  sans 
autre  forme  de  procès  !  Et  qu'on  ne  vienne  pas  me  dire  que  je  combats  une 
forme  de  l'art  qui  doit  être  libre.  Je  ne  combats  point  l'opérette,  bien  que 
je  n'éprouve  pour  elle  aucune  sympathie.  Je  reconnais  qu'il  n'y  a  aucun 


262 


LE  MÉNESTREL 


inconvénient  à  représenter  la  Donna  Juanita  de  Suppé  ou  le  Jour  et  la  Nuit 
de  Lecocq,  telles  que  les  ont  écrites  leurs  auteurs,  et  telles  qu'on  les  re- 
présente à  Vienne  et  à  Paris.  Mais  ni  Suppé,  ni  Lecocq  ne  reconnaîtraient 
leurs  opérettes  s'ils  les  entendaient  et  s'ils  les  voyaient  sur  certains  théâtres 
d'Italie,  et  particulièrement  sur  ceux  des  provinces  méridionales  !  Et  ils 
seraient  les  premiers  à  protester  contre  le  massacre  qu'on  en  fait  en  les 
réduisant  à  n'être  qu'une  offense  continuelle  aux  lois  du  bon  goût.  » 

—  Nous  avons  annoncé,  d'après  certains  journaux  étrangers,  que  la 
jeune  et  célèbre  violoniste  Teresa  Tua  était  gravement  malade  en  Alle- 
magne. Rectifions  et  complétons  la  nouvelle.  Ce  n'est  pas  en  Allemagne, 
mais  à  Rome,  que  se  trouvait  l'aimable  artiste,  mariée  depuis  une  année 
environ.  Quant  à  sa  maladie,  elle  était  précisément  la  suite  naturelle 
de  cette  union,  et  nous  apprenons  que  la  jeune  épouse  vient  de  donner  le 
jour  à...  deux  jumeaux,  de  sexes  différents. 

—  Les  mélomanes  génois  n'auront  pas  à  se  plaindre  de  leur  prochaine 
saison  lyrique  d'automne.  On  annonce  en  effet  qu'ils  auront  le  choix, 
pour  cette  saison,  entre  trois  scènes  musicales  qui  seront  ouvertes  à  la 
fois:  le  théâtre  Paganini,  le  Politeama  génois  et  le  Politeamadelareine 
Marguerite.  D'aucuns  craignent  déjà  que  ce  régime  ne  soit  quelque  peu 
excessif. 

—  L'Académie  de  l'Institut  royal  de  musique  de  Florence  vient  de 
nommer  MUc  Augusta  Holmes  membre  correspondant  de  cette  compagnie. 
On  se  rappelle  le  très  grand  succès  qu'a  obtenu  récemment  à  Florence 
l'Hymne  à  la  paix  de  MUe  Holmes. 

—  On  parle,  à  Milan,  d'un  nouveau  théâtre  qu'on  aurait  le  projet  d'élever 
dans  un  quartier  très  populeux,  rue  Giuseppe  Giusti,  entre  la  porte  Volta 
et  la  porte  Tenaglia. 

—  Au  théâtre  Garignan,  de  Turin,  on  compte  donner,  pendant  la  pro- 
chaine saison  d'automne,  un  opéra  nouveau  de  M.  Serravalli,  Andréa  del 
Sarto,  qui  serait  chanté  par  M™  Busi,  le  ténor  Guttica,  le  baryton  Spara- 
pani  et  la  basse  Serbolini. 

—  Une  plaque  commémorative  vient  d'être  apposée  à  Wùrzbourg  sur  la 
façade  de  la  maison  de  l'Humbertgasse  où  "Wagner  a  résidé  pendant 
l'année  1833. 

—  Le  Journal  de  Dresde  vient  de  publier  une  étude  assez  curieuse  sur  le 
séjour  de  Wagner  à  Paris,  à  l'époque  de  la  production  du  Tannhàuser  à 
l'Opéra,  d'après  des  communications  fournies  par  un  des  intimes  du 
maître,  le  peintre  Ernest  B.  Kietz,  connu  par  son  célèbre  portrait  d'Henri 
Heine.  Tous  les  incidents  qui  ont  marqué  les  trois  légendaires  représen- 
tations de  Tannhàuser  à  Paris,  ainsi  que  les  intrigues  de  cour  qui  les  ont 
précédées,  ont  été  si  souvent  relatés  en  ces  derniers  temps,  que  nous 
croyons  superflu  d'y  revenir.  Nous  ne  retiendrons  de  cette  partie  du  récit 
de  M.  Kietz,  que  cette  affirmation  que  les  représentations  en  question 
ont  été  suspendues  par  ordre,  ce  qui  est  en  contradiction  avec  les  propres 
déclarations  de  Wagner,  prétendant  que  c'est  sur  sa  demande  formelle 
que  la  pièce  a  été  retirée.  ■ —  Très  amusant,  ce  que  raconte  M.  Kietz  du 
perroquet  du  Wagner.  Le  maître  le  surnommait  «l'esprit  de  monfoyer».  Du 
matin  au  soir,  cette  intéressante  bête  criait  à  tout  venant,  en  scandant  ses 
mots  :  «  Wagner  -  est  -  un  -  grand  -  homme  !  »  C'est  le  maître  lui-même 
qui,  dans  un  accès  d'ironie,  avait  enseigné  ces  vaniteuses  paroles  à  son 
c  esprit  ».  Quand  éclata  l'insurrection  de  mai,  à  Dresde,  et  que  Wagner 
dut  s'enfuir  et  quitter  précipitamment  sa  femme,  ses  amis,  et...  son  perro- 
quet, ce  dernier  scandalisa  tous  les  familiers  de  la  maison  en  clamant  sur 
un  ton  vengeur  :  Richard-Liberté  ! 

—  L'Opéra  de  Vienne  vient  d'accepter  un  opéra-comique  sans  dialogue, 
de  Johann  Strauss,  livret  de  M.  Doczi,  intitulé  le  Chevalier  Pazman.  Ce 
nouvel  opéra,  conçu  dans  un  ordre  d'idées  très  élevé,  sera  représenté  pour 
la  première  fois  le  19  novembre  prochain,  à  l'occasion  de  la  fête  de  l'im- 
pératrice d'Autriche. 

—  On  assure  que  la  direction  de  l'Opéra  impérial  de  Vienne  songe  à 
faire  traduire  en  allemand  et  à  offrir  à  son  public  l'opéra  fortuné  de 
M.  Pietro  Mascagni,  Cavalleria  ruslicana. 

—  Deux  pièces  religieuses  de  Schubert,  découvertes  tout  dernièrement, 
ont  été  entendues,  pour  la  première  fois,  au  récent  festival  de  musique 
d'Eisenach.  Ces  compositions  datent  de  1828,  l'année  de  la  mort  du  maître: 
ce  sont  un  Tantum  errjo  et  un  Offertoire,  tous  deux  pour  chœurs  et  or- 
chestre. 

—  M'"e  Emma  Nevada,  qui  vient  de  terminer  une  grande  tournée  en 
Espagne,  est  allé  prendre  quelque  repos  à  Ems.  M.  Strakosch,  son  impré- 
sario, qui  vient  de  rentrer  à  Paris,  nous  dit  que  les  succès  artistiques  et 
financiers  ont  été  absolument  merveilleux.  L'enthousiasme  des  Andalous 
n'a  pas  eu  de  limites  :  fleurs,  ovations,  sérénades,  tout  a  été  prodigué. 
La  diva  a  interprété,  avec  son  immense  talent,  le  Barbier,  la  Somnambule, 
Lakmé,  Faust  et  la  Traviata,  et,  à  chaque  représentation,  la  salle  était 
archi-comblc.  Dans  Lakmé,  qui  a  été  son  grand  triomphe  et  qu'elle  a 
chanté  à  Séville,  Malaga,  Cordoue,  Grenade  et  Gibraltar,  on  lui  a  chaque 
fois  bissé  le  «  Pourquoi  ?  »,  et  trissé  1'  «  air  des  Clochettes  »  ainsi  que 
le  grand  duo  du  premier  acte  dans  lequel  le  ténor  Del  Pepa  lui  donnait 
supérieurement  la  réplique. 


—  Voici  le  tableau  de  la  troupe  de  MM.  Stoumon  et  Calabresi,  pour  la 
prochaine  saison  du  théâtre  de  la  Monnaie  de  Bruxelles  :  chanteuses, 
M™5  de  Nuovina,  Sanderson,  Nardi,  Paulin-Archainbaud,  Carrère  et  Wolff  ; 
ténors,  MM.  Lafarge,  Dupeyron,  Delmas  et  Froment  ;  barytons,  MM.  Bouvet 
et  Badiali  ;  basses,  MM.  Vérin,  Sentein  et  Chapuis.  La  réouverture  se  fera 
par  Faust,  et  quelques  autres  reprises  permettront  d'attendre  l'apparition 
du  Siegfried  de  Richard  Wagner,  avec  la  version  française  de  M.  Victor 
Wilder. 

—  On  lit  dans  l'Éventail,  de  Bruxelles  :  «  Anvers  aura  bientôt  une  scène 
néerlandaise  d'opéra.  Le  comité  a  arrêté  déjà  une  liste  de  vingt-cinq 
œuvres  qui  seront  représentées  au  nouvel  opéra  flamand,  et  parmi  les- 
quelles nous  citons:  Charlotte  Corday,  de  P.Benoit;  la  Pacification  de  Gand, 
du  même;  Gunlaughi,  du  même:  Karel  van  Gelder,  de  Gittens  et  Benoit; 
Philippine  de  Flandre,  de  D.  Delcroix  et  L.  Van  Gheluwe  ;  Parisina,  de  Git- 
tens et  Keurvels  ;  Stella,  de  N.  de  Thière  et  H.  Waelput  ;  la  Fille  de  Palma, 
de  Gittens  et  Keurvels.  On  interprétera  également  Préciosa,  de  Weber, 
Struensee,  de  Meyerbeer,  et  Peer  Gynt  de  Grieg.  »  —  Les  choses  ne  parais- 
sent pas  aussi  avancées  que  le  dit  notre  confrère. 

—  Nouvelles  de  Londres.  — La  question  brûlante  de  Covent-Garden  n'est 
pas  encore  résolue.  Les  propriétaires  de  l'immeuble  désirent  toujours  en 
disposer,  mais  malgré  la  modicité  relative  du  prix  demandé,  ni  M.  Au- 
guste Harris,  ni  la  compagnie  Cari  Rosa  dont  il  relève,  n'ont  voulu  s'en 
rendre  acquéreurs.  On  espère  qu'une  nouvelle  combinaison  permettra  la 
conservation  de  Covent-Garden  comme  première  scène  lyrique.  Mais  dans 
ce  cas  allé  échapperait  probablement  à  M.  Harris,  ce  qui  nous  vaudrait 
deux  saisons  d'opéra  rivales.  Les  amateurs  verraient  avec  plaisir  la  fin  du 
monopole  actuel.  En  attendant,  M.  Lago  vient  d'organiser  une  saison  d'au- 
tomne à  ce  même  théâtre,  qui  commencera  le  18  octobre.  Le  genre  sera 
presque  exclusivement  italien  et  les  prix  seront  considérablement  réduits. 
On  attribue  à  M.  Lago  l'intention  de  monter  YOtello  de  Verdi  ainsi  que 
son  Simon  Boccannegra,  et  de  reprendre  il  Matrimonio  segreto,  Anna  Bolena, 
Oberon  et  Tannhàuser.  Avec  une  troupe  d'ensemble,  la  saison  serait  des  plus 
intéressantes.  —  Deux  nouvelles  opérettes  françaises  viennent  d'entrer 
en  répétition  à  Londres  :  le  Capitaine  Thérèse,  de  Planquette,  au  Prince 
of  Wales,  ei  la  Cigale  et  la  Fourmi,  d'Audran,  au  Lyric.  A.  G,  N. 

—  On  exécute  en  ce  moment,  à  Londres,  d'importants  travaux  d'agran- 
dissement au  Royal  Collège  of  music,  dont  les  locaux  sont  devenus  insuffi- 
sants pour  le  nombre  toujours  croissant  de  ses  élèves.  Ce  qui  n'empêche 
pas  la  Royal  Academy  d'en  compter  pour  sa  part  environ  un  millier,  et  le 
Guildhall  d'en  avoir  plus  de  2,000.  Assurément,  si  l'Angleterre  ne  devient 
pas  une  nation  musicale,   ce  n'est  pas  faute  d'encouragements. 

—  L'exposition  d'Edimbourg  vient  de  s'enrichir  d'une  section  musicale 
fort  importante  et  remplie  d'intérêt.  La  Collection  historique  de  musique,  — 
c'est  ainsi  que  cette  section  a  été  dénommée,  est  divisée  en  trois  groupes  : 
1°  instruments  ;  i"  livres  et  manuscrits  ;  3°  portraits.  Dans  le.  deuxième 
groupe  on  remarque  une  très  curieuse  collection  de  psautiers  écos- 
sais, anglais  et  flamands  du  XVI0  et  du  XVIIe  siècle.  Parmi  les  manus- 
crits se  trouve  une  partition  autographe  du  Messie,  accompagnée  de  notes 
au  crayon,  noms  de  chanteurs,  observations,  etc.,  de  la  main  même  de 
Hiendel.  A  citer  encore  un  amusant  autographe  de  Franz  Liszt,  adressé  à 
M.  Lichtenstein  et  protestant  énergiquement  u  contre  les  albums,  les  col- 
lections d'autographes  et  tout  ce  qui  y  ressemble  »,  puis  une  foule  de  let- 
tres, pour  la  plupart  fort  intéressantes,  signées  des  noms  de  Beethoven, 
Spohr,  Mendelssohn,  Sterndale  Bennett,  Tausig,  Wagner,  Berlioz,  etc. 

—  Suite  du  mouvement  en  faveur  de  l'adoption  de  la  langue  française 
pour    l'opéra,    dans    les   théâtres    étrangers.  L'exposition    universelle  qui 

.  doit  avoir  lieu  à  Chicago  en  1893  comprendra,  dit-on,  un  théâtre  d'opéra 
modèle,  où  seront  représentés,  en  français,  les  chefs-d'œuvre  lyriques  de 
tous  les  pays.  Le  projet  a  été  soumis  a  la  Ville,  qui  l'a  adopté  en  prin- 
cipe, à  la  condition  que  tous  les  artistes  de  l'orchestre  soient  Américains. 

—  Diantre!  les  journaux  argentins  paraissent  avoir  une  égale  propension 
à  l'enthousiasme  et  au  mépris,  et  ils  joignent  le  culte  de  la  beauté  à  celui 
d'une  austère  morale.  Un  journal  de  Buenos-Ayres,  parlant  d'une  troupe 
lyrique  qui  se  trouve  en  cette  ville,  assure  que  la  partie  féminine  forme 
une  réunion  superbe  de  Junons  et  de  Vénus,  mais  que  par  malheur  il  ne 
s'y  trouve  que  de  rares  Lucrèces  pour  beaucoup  de  Messalines  !!!  Le  rédac- 
teur y  a  donc  regardé  de  bien  près? 

PARIS    ET    DÉPARTEMENTS 

Le  ministre  des  beaux-arts  et  la  direction  de  l'Opéra  sont,  dit-on, 
sur  le  point  de  s'entendre.  MM.  Ritt  et  Gailhard  abandonneraient  une 
somme  assez  importante  pour  la  réfection  des  décors,  et,  en  échange,  ils 
obtiendraient  une  légère  concession  dont  il  n'est  pas  temps  encore  de 
parler.  «  Parler  de  concession,  même  très  légère,  de  l'Etat  à  MM.  Ritt 
et  Gailhard,  ne  nous  semble  pas  très  sérieux  »,  dit  à  ce  sujet  un  de  nos 
confrères.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  paraît  que  nous  n'aurons  pas  de  sitôt  le 
Mage  do  M.  Massenet,  notre  Académie  spéciale  de  musique  manquant 
pour  le  moment  du  contralto  nécessaire  à  l'exécution,  de  cet  ouvrage.  A 
défaut  de  Mm'  Renée  Richard,  dont  les  exigences  étaient  telles  à  l'Opéra 


LE  MÉNESTREL 


263 


qu'elle  a  signe  un  engagement  à  l'Éden  avec  M.  Verdhurt,  M.  Massenet 
ne  pourrait-il  confier  la  partie  de  contralto  à  un  premier  violon?  MM.  Ritt 
et  Gailhard  trouveraient  ce  moyen  plus  économique.  Il  parait  toutefois 
qu'en  attendant  le  Mage,  nous  aurons  décidément  une  reprise  de  Sigurd, 
avec  Mlue  Caron,  après  quoi  l'on  veut  bien  nous  promettre  Salammbô, 
dont  la  distribution  serait  la  suivante  : 

Salammbô  11"°  Rose  Caron. 

Matho  MM.  Duc 

Amilcar  Lassalle 

Le  grand-prêtre  de  Tanit         Vergnet 

Nar  Havas  Delmas 

Spendius  Melchissédec 

Seulement,  voilà  un  ennui.  On  assure  aujourd'hui  que  la  Société  des 
auteurs  est  absolument  décidée  à  ne  pas  compter  Salammbô  comme  ou- 
vrage nouveau  à  l'actif  de  la  direction  de  l'Opéra.  Il  faudrait  donc  en 
monter  un  autre  dans  le  courant  de  l'année.  Si  M.  Ritt  avait  pu  prévoir 
ça,  il  ne  se  serait  certainement  pas  tant  avancé.  Qu'allait-il  faire  — 
dans  cette  galère  —  avec  Reyer. 

—  MUe  Bréval  ne  débutera  pas  à  l'Opéra  avant  deux  mois.  Son  début 
doit  avoir  lieu  dans  la  Juive,  et  MM.  Ritt  et  Gailhard  veulent  donner  à 
leur  nouvelle  pensionnaire  tout  le  temps  d'étudier  son  rôle  à  loisir. 
Mllc  Bréval  chantera  ensuite  Valentine  des  Huguenots. 

—  L'Opéra-Comique,  toujours  d'une  activité  fébrile,  fait  annoncer  déjà 
que  sa  réouverture  se  fera  le  1er  septembre,  avec  Mireille,  «  le  grand  succès 
de  la  saison  dernière  ». 

—  La  Marcliande  de  sourires,  de  Mme  Judith  Gauthier,  qui  eut  un  si  grand 
succès  de  mise  en  scène  à  l'Odéon,  va,  paraît-il,  être  transformée  en 
drame  lyrique  pour  l'Opéra-Gomique.  C'est  M.  André  Wormser,  l'heureux 
auteur  de  l'Enfant  prodigue,  qui  sera  chargé  de  la  mettre  en  musique. 

—  S'il  en  faut  croire  les  bruits  qui  courent,  les  engagements  continue- 
raient ferme  à  l'Éden  de  M.  Verdhurt.  On  en  signale  encore  cette  semaine 
quelques-uns,  entre  autres  celui  de  Mme  Herbert,  femme  de  l'ancien  artiste 
de  l'Opéra-Comique.  Néanmoins,  la  distribution  de  Samsonet  Dalila  est  loin 
d'être  arrêtée  encore,  et  on  ne  signale  que  M.  Engel  comme  chargé  défi- 
nitivement du  rôle  de  Samson.  Le  Rêve,  l'opéra  de  MM.  Zola,  Gallet  et 
Bruneau,  dont  nous  avons  annoncé  la  réception,  est  divisé  en  quatre  actes 
et  huit  tableaux,  dont  voici  les  titres:  1.  La  maison  des  brodeurs;  —  2. 
La  lessive  ;  —  3.  La  mère  d'Angélique  ;  —  4.  La  procession  de  la  Fête- 
Dieu  ;  —  5.  La  chambre  d'Angélique  ;  —  6.  La  cathédrale  ;  —  7.  L'extrême- 
onction  ;  —  8.  L'apothéose. 

—  M.  Camille  Saint-Saëns,  qui  était  allé  passer  quelques  semaines  à 
Dieppe,  est  de  retour  depuis  plusieurs  jours,  et  s'est  installé  aussitôt  à 
Saint-Germain,  où  il  travaille,  parait-il,  non  à  un  nouvel  opéra,  non  à 
une  histoire  de  la  musique,  comme  on  l'a  dit,  mais...  à  un  volume  de 
vers,  qu'il  compterait  publier  prochainement. 

—  A  la  série  des  dons  et  legs  faits  en  faveur  de  divers  lauréats  des 
concours  du  Conservatoire,  que  nous  avons  mentionnée  dans  notre  der- 
nier numéro,  il  faut  joindre  les  archets  offerts  par  M.  Charles  Peccatte  à 
tous  les  premiers  prix  de  violon  et  de  violoncelle,  savoir  :  MUo  Schytte, 
M.  Kosman,  M110  Huon,  st  MM.  Schidenhelm  et  Barraine. 

—  Une  nouvelle  sujette  à  caution,  qui  nous  est  fournie  par  les  jour- 
naux italiens.  Selon  nos  confrères,  le  jeune  maestro  Spiro  Samara  aurait 
reçu  commission  d'un  éditeur  de  Paris  pour  écrire  un  opéra  dont  le  sujet 
serait  tiré  d'un  épisode  de  la  Révolution  française,  ledit  opéra  devant  être 
représenté  sur  un  de  nos  théâtres.  Ceci,  chers  confrères,  est  trop  en  dehors 
de  nos  usages  et  de  nos  coutumes  artistiques  pour  que  nous  y  puissions 
croire  un  seul  instant. 

—  Nous  apprenons  avec  plaisir  que  M.  Masson,  membre  de  la  Société 
des  concerts  du  Conservatoire  et  professeur  de  chant,  vient  d'être  nommé 
officier  de  l'Instruction  publique. 

—  M.  Auguste  Tolbecque  vient  de  publier  sous  ce  litre  modeste  : 
Quelques  considérations  sur  la  lutherie  (Paris,  Gand-Bernardel,  in-8°  de  49  pp.), 
un  opuscule  fort  intéressant  et  qui  en  dit  plus  qu'iln'est  gros.  M.  Tol- 
becque, qui  fut  en  son  temps  l'un  des  plus  brillants  premiers  prix  de 
violoncelle  du  Conservatoire,  et  qui  depuis  ses  plus  jeunes  années  n'a 
cessé  de  s'occuper,  avec  une  ardeur  passionnée,  des  questions  de  facture 
et  de  lutherie,  est  plus  qualifié  qu'aucun  autre  pour  les  rendre  familières 
au  public.  Il  connaît  du  moins  ce  dont  il  parle,  et  il  ne  parle  qu'à  bon 
escient.  Il  s'élève  tout  d'abord,  dans  sa  brochure,  contre  la  manie  sotte 
de  certains  amateurs,  et  même  de  certains  artistes,  de  juger  un  instru- 
ment non  sur  sa  valeur  sonore,  mais  d'après  son  aspect  extérieur,  ce  qui 
a  amené  certains  luthiers  (pourquoi  ne  pas  nommer  Vuillaume,  et  M.  Jac- 
quot,  et  quelques  autres?)  à  se  jeter  dans  une  imitation  maladroite  des 
vieux  instruments  au  lieu  de  faire  franchement  du  moderne  avec  les 
dualités  modernes.  M.  Tolbecque  déplore  ensuite,  fort  justement,  l'excès 
de  sonorilé  donne:  au  piano,  avec  lequel,  dans  la  musique  d'ensemble,  ne 
peuvent  lutter  les  instruments  à  cordes,  qui  sont  étouffés  sous  les  efforts 
de  leur  ambitieux  rival.  Il  donne  enfin  d'excellents  conseils  sur  la  mar- 
'  lu  i  suivre  dans  les  réparations  des  violons  et  violoncelles,  réparations 
dont  1rs  suites  peuvent  être  si  dangereuses  lorsqu'elles  sont  confiées  à 
un  luthier  inhabile   ou    inattentif.   Où  je  ne  suis  plus  de  son  avis,   c'est 


lorsqu'il  voudrait  voir  la  résurrection  de  l'ancien  ténor  et  sa  substitution 
au  second  violon  dans  le  quatuor  à  cordes;  mais  où  je  partage  complè- 
tement ses  vues,  c'est  lorsqu'il  préconise  l'emploi,  absolument  logique  et 
rationnel,  de  la  contrebasse  en  ut,  à  quatre  cordes  en  quintes.  En  résumé, 
et  à  part  la  réserve  que  j'ai  faite,  la  brochure  de  M.  Tolbecque  est  excel- 
lente, et  on  voudrait  la  voir  entre  les  mains  de  tous  les  artistes  et  de 
tous  les  luthiers.  —  A.  P. 

—  M.  Clément  Loret,  organiste  à  Saint-Louis-d'Antin  et  professeur 
d'orgue  à  l'École  de  musique  classique,  a  publié  dans  la  Revue  archéologique 
un  article  plein  d'intérêt  dont  il  vient  de  faire  un  tiré  à  part  sous  ce 
titre  :  Recherches  sur  l'orgue  hydraulique  (Paris,  Ernest  Leroux,  in-8°  de 
31  pp.).  Après  avoir  constaté  que  l'invention  de  l'orgue  hydraulique  est 
attribuée  par  Athénée  et  Vitruve  à  un  barbier  d'Alexandrie  nommé  Ctési- 
bius,  contemporain  d'Héron,  M.  Loret  étudie  le  mécanisme  de  cet  instru- 
ment, il  explique,  en  les  interprétant  et  en  en  démontrant  l'exactitude,  long- 
temps contestée,  les  passages  de  Héron  et  de  Vitruve  qui  y  sont  relatifs; 
enfin,  il  en  donne  une  description  complète  et  détaillée,  appuyée  par  des 
dessins  fort  utiles,  et  il  montre  de  quelle  façon  on  pouvait  le  jouer  et  le 
parti  qu'on  en  pouvait  tirer.  Nous  ne  saurions  entrer  ici  dans  des  détails 
techniques  qui  exigeraient  trop  de  développements,  mais  ce  que  nous 
pouvons  affirmer,  c'est  que  cette  reconstitution  d'un  instrument  aujour- 
d'hui oublié  est  fort  intéressante,  en  même  temps  que  très  utile  au  point 
de  vue  historique.  M.  Loret  constate  d'ailleurs  que  l'orgue  hydraulique 
resta  en  usage  jusqu'au  douzième  siècle,  bien  qu'alors  l'orgue  à  soufflets 
existât  depuis  longtemps,  puisque  saint  Augustin  en  fait  mention  dès  le 
quatrième  siècle,  ainsi  que  Cassiodore.  A.  P. 

—  On  a  représenté  cette  semaine,  aux  Menus-Plaisirs,  une  opérette  en 
un  acte  et  à  deux  personnages,  paroles  de  M.  L.  Reab,  musique  de 
M.  Hervé.  Titre:  les  Bagatelles  de  la  porte;  interprètes:  M.  "Worms  et 
M-8  Stelly. 

—  Un  orgue  muni  d'un  clavier  à  touches  expressives.  Tel  est  l'ins- 
trument que  M.  Barthélemi  Laurent,  l'inventeur  breveté,  exposera  le 
18  courant  et  jours  suivants,  dans  les  salons  de  la  maison  Alexandre  et 
fils,  106,  rue  de  Richelieu.  Ceux  de  nos  lecteurs  que  pareille  matière 
intéresse,  ne  manqueront  pas  d'aller  se  rendre  compte  de  la  valeur  de 
cette  nouvelle  invention. 

—  La  direction  des  théâtres  municipaux  de  Nantes  parait  décidée  à 
monter  cet  hiver,  à  la  salle  Graslin,  le  Lohengrin  de  Richard  Wagner. 
Les  choses  se  présentant  d'une  façon  normale,  avec  une  direction  qui 
n'affiche  pas  la  prétention  de  violenter  le  public,  nous  espérons  bien 
que  ce  bel  ouvrage  sera  accueilli  tout  au  moins  avec  le  respect  qui  lui 
est  du. 

—  On  lit  dans  la  Semaine  musicale,  de  Lille  :  «  Dans  sa  réunion  générale 
de  dimanche  dernier,  l'Association  des  Concerts  populaires  de  Lille  a 
choisi,  à  l'unanimité,  M.  Paul  Viardot  comme  directeur,  en  remplacement 
de  M.  Paul  Martin.  Très  remarquable  violoniste,  M.  Viardot  s'est  déjà  fait 
entendre  à  Lille,  dans  des  concerts,  et  sa  réputation  de  virtuose  est  établie 
partout.  C'est  là  un  excellent  choix,  qui  ne  peut  manquer  de  donner  une 
activité  nouvelle  à  notre  Société  des  Concerts  populaires.  » 

—  En  183o,  raconte  la  Neue  Musikzeitung,  Liszt  entreprit  une  tournée  dans 
la  province  française.  Il  s'arrête  dans  la  petite  ville  de...  pour  y  donner 
le  concert  annoncé.  Mais  les  habitants  ne  s'intéressaient  que  médiocre- 
ment aux  choses  de  l'art,  et  lorsque  le  maître  parut  sur  l'estrade,  il  se 
trouvait  dans  la  salle  tout  juste  sept  auditeurs.  Liszt  s'avança  très  calme, 
et,  s'inclinant  profondément  devant  la  masse  des  banquettes  vides,  il 
prononça  ce  petit  speech  :  «  Mesdames  et  Messieurs,  je  suis  extrêmement 
flatté  de  pouvoir  vous  saluer  ici;  mais  cette  salle  n'est  pas  assez  belle,  on 
y  étouffe  littéralement.  Voulez-vous  avoir  la  bonté  de  me  suivre  à  mou 
hôtel,  où  je  vais  faire  transporter  le  piano'.'  Nous  y  serons  là  tout  à  fait 
entre  nour,  et  j'exécuterai  mon  programme  en  entier  ».  La  proposition 
fut  acceptée  à  l'unanimité,  et  Liszt  régala  ses  invités  non  seulement  d'un 
concert  divin,  mais  encore  d'un  excellent  souper.  Le  lendemain,  lorsque 
l'illustre  virtuose  parut  pour  son  deuxième  concert,  la  salle  était  trop 
petite  pour  contenir  la  foule  des  dilettantes. 

—  A  l'occasion  do  l'inauguration  de  la  statue  de  Gay-Lussac  qui  vient 
d'avoir  lieu  à  Limoges,  on  a  exécuté,  avec  le  concours  des  sociétés  orphéo- 
niques  et  des  élèves  des  écoles  primaires,  une  cantate  dont  la  musique  a 
été  écrite  par  M.  Charreire,  maître  de  chapelle  de  la  cathédrale.  Un  autre 
compositeur,  M.  Ruben,  a  reçu,  pour  la  même  circonstance,  les  palmes 
académiques. 

NÉCROLOGIE 
Le  fils  du  grand  chanteur  Darder,  M.  Alcide  Lemaire,  est  mort  il  y 
a  huit  jours,  après  quelques  heures  de  maladie,  en  son  domicile,  91,  rue 
de  Lacondamine.  Alcide  Lemaire,  qui  disait  et  chantait  les  œuvres  de 
son  père  avec  un  art  infini,  avait  publié,  il  y  a  six  ans,  un  recueil  de 
poésies  sous  ce  titre  :  Gavroche  poète,  recueil  qui  se  fit  remarquer  par  le 
sentiment  délicat  de  son  inspiration.  Il  laisse  un  grand  nombre  de  ma- 
nuscrits, que  les  difficultés  de  la  vie  l'avaient  empêché  d'éditer.  Il  était 
âgé  de  39  ans. 

Henri  Heugel.  directeur-géianl. 


264 


LE  MÉNESTREL 


En   vente   au   MÉNESTREL,    2hh,    rue    Vivienne,    HENRI   HEUGEL,    Éditeur   (Propriétaire  pour   tous  Pays) 

AMBROISE   THOMAS 


MIG-ITOIT 

Opéra- comique  en  3  actes. 

Partition  piano  et  chant,  française net.  20  > 

_            —               —      italienne net.  20  i 

_            _               —      allemande net.  20  i 

—              —       anglaise net.  \5  > 

—  pour  chant  seul,  française net.  4  > 

—  piano  solo  (à  2  mains) net.  10  > 

—  —          simplifiée net.  10  > 

_                         —(ai  mains) net.  20  > 

Arrangements    divers  pour    pia 


HAMLET 

Opéra  en  S  actes. 

Partition  piano  et  chant,  française net. 

—  —  —      française,  version  de  ténor    .   .   .  net. 

—  —  —      italienne net. 

—  —  —      allemande net. 

—  pour  chant  seul,  française net. 

—  piano  solo  (à  2  mains net. 

—  —      (à  4  mains) net. 

Le  Ballet  (Fête  du  printemps)  extrait net. 

no    et    autres    instruments. 


FRANÇOISE      IDE      RIMIUI 

Opéra  en  4  actes  avec  prologue  et  épilogue. 

Partition  piano  et  chant net.      20    »      I      Partition  pour  chant  seul net.        i 

—  —  italienne net.      20    »      |  —  solo  (à  2  mains),  in-8" net.      12 

Arrangements    divers    pour    piano    et    autres    instruments. 

PSYCHÉ 

Opéra  en  4  actes. 

Partition  piano  et  chant net.  20 

—        piano  solo  (à  2  mains) net.  12 

En  préparation  :  Partition  italienne net.  » 


LE     OAID 

Opéra  bouffe  en  2  actes. 

Partition  chant  et  piano,  in-8° net.  15 

—  pour  chant  seul net.  4 

—  pour  piano  solo net.  10 


Arrangements    diver 


pour    piano    et    autres    instruments. 


10 


LE     SONGE     L'TTZlnTE     USTTTIT     L'ETE 

Opéra  en  3  actes. 
Partition  piano  et  chant net.      20    »     |     Partition  pour  chant  seul   ....  net.        4    »     |     Partition  pour  piano  solo  .... 

Arrangements    divers    pour    piano    et    autres    instruments. 

RAYMOND  I  LA     TONELLI 

Opéra-comique  en  à  actes.                                          i                                            Opéra  bouffe  en  2  actes. 
Partition  piano  et  chant net.      15    »      I     Partition  piano  et  chant nef.     12 

Arrangements    divers    pour    piano    et    autres    instruments. 


L.A.    TEMPETE 

Ballet  fantastique  en  3  actes. 

Partition  piano net    10    » 

divers    pour    piano    et    autres    instruments. 


LE    PA.NIEK    FLEURI 

Opéra-comique  en  1  acte. 
Partition  piano  et  chant net.    8  » 

Arrangements    divers    pour    piano    et    autres    instruments. 

MÉLODIES  DIVERSES 

LE    SOIB I» -A.  S  S  I  F  DL.  O  R.  E    G  R.O  Y  A  *X  CE    FLEUR    X>  E    NEIGE,    ETC. 

COMPOSITION   POUR   PIANO 

JL.A.    DÉROBÉE,     Fantaisie  sur  air  breton. 


LEO   DELIBES 


SYLVIA 

en  3  actes. 


OOPPELIA  I 

Ballet  en  3  actes. 

Partition  piano  solo  (à  2  mains) net.      10    »  Partition  piano  solo  (à  2  mains) net.      10 

—  —         (à  4  mains) net.      20    »      |  —  —         (à  4  mains) ■   .  net.      15 

PIÈGES     DÉTACHÉES 
Arrangements    divers    pour    piano    et    autres    instruments. 

SUITES     D'ORCHESTRE 

:  JEAE"     LE     InIVELLE 

Opéra  en  3  actes. 
Partition  piano  et  chant,  française,  net.      20    »     |     Partition  piano  et  chant,  italienne,  net.      20    »    |    Partition  piano  solo  (à  2  mains),  net.      12 


Arrangements    divers    pc 

L^ILIVCIÉ 

Opéra  en  3  actes. 


Partition  piano  et  chant,  française ne, 

—  —  italienne ne, 

—  —  allemande ne 

—  piano  solo  (à  2  mains! 

—  —        (à  4  mains) 


divers    pot 


piano    et    autres    instruments. 

L^     SOURCE 

Ballet  en  3  actes. 

Partition  piano  solo  (à  2  mains) net. 

Suite  concertante  à  4  mains 

PIÈCES  DÉTACHÉES 

1.  Danse  Circassienne.  —  2.  Mazurka.  —  3.  Romance. 

Suite  d'Orchestre. 

piano    et    autres    instrt 


LIT 


Partition  piano  et  chant 


LE     IR  O  I     L'^ 

Opéra-comique  en  3  actes. 
net.      15    »    |    Partition  piano  solo  (à  2  mains) 


Arrangements    divers    pour    p 

LE    ROI    S'AMUSE 

Musique  de  scène  pour  le  drame  de  V.  Hugo. 

Partition  piano  solo  (à  2  mains) net.        4 

—  (à  4  mains) ■ 10 

PIECES  DETACHEES 

Arrangements  divers  pour  piano  et  autres  instruments. 

Suite  d'Orchestre. 

MÉLODIES    DIVERSES 

Sérénade  de  Ruy-Blas.   —   Sérénade  à   Ninon.   —   Chanson  de  Barberine.  —  Vieille  chanson.  —  Épithalame 

Chrysanthème.  —  A  ma  Mignonne,  etc. 

COMPOSITIONS   POUR   PIANO 

Souvenir    lointain.   —   Romance    hongroise   sans  paroles.    —    Rigaudon. 


no    et    autres    instruments. 

LE     PAS    LES    FLEURS 

Valse  intercalée  dans  le  ballet. 

LIE    OOSSAIEE 

Transcrite  par  l'Auteur  pour  piano  à  2  et  à  4  mains. 
Orchestrée  par  l'Auteur. 

Chanson  hongroise. 


li.  20, 


3099  —  56ae  ANNEE  —  N°  34. 


Dimanche  M  Août  1890. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  %  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Noies  d'un  librettiste:  Eugène  Gautier  (15e  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Semaine 
théâtrale  :  Wagnériens,  wagnérisme  et  littérature  wagnérisante,  Arthur  Pougin. 
—  III.  Berlioz,  son  génie,  sa  technique,  son  caractère,  à  propos  d'un  manus- 
crit autographe  i'Harold  en  Italie  (3"  article),  A.  Montauï.  —  IV.  Nouvelles 
diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

SI    TU    VEUX  ! 

nouvelle  mélodie  de  Victor  Staub,  poésie  de  G.  Guérin.  —  Suivra  immé- 
diatement :  Hymne  aux  astres,  nouvelle  mélodie  de  J.  Faore,  poésie  de 
Frédéric  Bataille. 

PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano  :  Dolce  far  mente,  de  André  Wormser.  —  Suivra  immédiatement  : 
Verglas-Galop,  de  Franz  Hitz. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


EUGENE  GAUTIER 


La  Clé  d'or  m'occupa  durant  les  derniers  mois  de  1869  et  le 
commencement  de  1870.  Il  s'agissait  alors  seulement  de  donner 
au  scénario  sa  forme  définitive.  Pour  corser  l'ouvrage,  le  com- 
positeur avait  imaginé  une  sorte  de  prologue  se  passant  en 
Afrique  et  servant  d'entrée  en  matière  brillante  à  cette  co- 
médie intime,  d'une  note  si  discrète.  Cela  ne  me  séduisait 
guère.  Octave  Feuillet  en  fit  d'ailleurs  aussitôt  justice,  en 
appuyant  son  opinion  d'un  mot  qui  charma  Gautier  et  le 
consola  vite  de  la  perte  de  ce  tableau  : 
.    —  Ce  serait  une  paillette  sur  un  habit  noir! 

Ce  fut  ainsi  que  l'on  se  contenta  d'une  action  telle  qu'elle 
découlait  naturellement  de  la  source  première. 

Lu  à  de  Leuven  et  à  du  Locle,  ce  scénario  ne  rencontra 
point  d'objection;  mais  le  choix  du  compositeur  devint,  à  partir 
de  ce  jour,  un  sujet  de  malignes  escarmouches  entre  les 
deux  directeurs.  Quand  de  Leuven,  de  son  air  grave  de  gent- 
leman, prononçait  le  titre  de  la  Clé  d'Or  et  le  nom  d'Eugène 
Gautier,  du  Locle  se  laissait  choir  de  son  siège,  en  apparence 
évanoui,  foudroyé.  Il  tenait  Gautier  pour  un  homme  d'esprit, 
pour  un  journaliste,  point  pour  un  musicien.  En  manière 
d'argument  contre  son  associé,  il  se  faisait  apporter  par  le 
vieux  Victor,  régisseur  de  la  scène,  le  répertoire  du  théâtre. 


—  Victor,  combien  la  Bacchante  de  M.  Eugène  Gautier  a- 
t-elle  eu  de  représentations? 

Et  Victor,  d'un  doigt  tremblant,  montrait  sur  le  livre  le 
nombre  infime  des  représentations  de  la  Bacchante,  morte  à 
peine  née  sur  la  scène  de  l'Opéra-Comique. 

—  Vous  voyez,  continuait  Du  Locle.  Et  il  s'en  allait,  lais- 
sant de  Leuven  abasourdi,  n'osant  plus  parler  de  cette  mal- 
heureuse Clé  d'or  et  de  son  musicien,  pour  un  temps  du 
moins;  car,  grâce  à  l'obstination  de  Gautier,  quelques  se- 
maines après  la  campagne  recommençait. 


La  guerre  de  1870  vint  couper  court  à  ces  discordes  in- 
times. Les  événements  se  précipitaient.  Au  mois  de  juillet, 
l'Opéra-Comique  représentait  un  petit  ouvrage  d'Ernest  Gui- 
raud,  le  Kobold,  que  j'avais,  en  compagnie  de  Charles  Nuitter, 
improvisé  pour  utiliser  les  services  d'une  jeune  et  charmante 
danseuse,  M"e  Trevisan,  engagée  pour  créer  un  important 
rôle  de  mime  dans  le  Timbre  d'argent,  de  Camille  Saint-Saëns, 
provisoirement  mis  à  l'écart.  Pendant  les  répétitions  et  les 
représentations,  la  foule  grondait  autour  du  théâtre;  on 
criait  :  «  A  Berlin  !  »  dans  la  salle  et  dans  la  rue.  Gautier 
intervenait  un  instant  pour  me  dire  tout  le  bien  qu'il  pen- 
sait de  ce  petit  ouvrage,  ma  première  œuvre  représentée, 
pour  en  publier  une  appréciation  encourageante.  Puis,  le 
4  Septembre  arrivait.  Tout  Paris  s'écoulait  comme  un  torrent 
le  long  des  boulevards.  Mme  Gueymard  nous  apparaissait, 
debout  dans  une  Victoria,  chantant  la  Marseillaise  ;  dans  une 
autre  voiture,  on  entendait  Gailhard,  comme  elle  artiste  de 
l'Opéra,  crier  :  «  Vive  la  République  !  »  de  toute  la  force  de  ses 
poumons  d'acier.  Toutes  les  questions  d'art  sombraient  dans 
cette  grande  tourmente.  Les  théâtres  allaient  fermer  leurs 
portes  au  public,  ouvrir  leurs  foyers  aux  ambulances.  Un 
seul  drame  terrible  allait  se  jouer,  qui  s'appelait  l'Invasion. 

Eugène  Gautier  disparut  pour  un  temps,  emporté  loin  de 
moi  par  la  violence  du  flot. 


La  chute  de  l'Empire  lui  avait  été,  je  crois,  fort  pénible. 
Il  ne  dissimula  pas,  dès  la  première  heure,  son  affeclion 
pour  le  régime  disparu,  son  amertume,  son  scepticisme  à 
l'endroit  du  régime  nouveau.  Il  se  disait  aristocrate,  victime 
née  de  la  démocratie  terroriste. 

—  Je  suis,  disait-il,  un  candidat  perpétuel  à  la  guillotine. 

Comme  en  réalité  il  était  de  roture,  il  se  réclamait  volon- 
tiers d'un  Gautier  qui  aurait  été,  selon  la  chronique,  ménes- 
trel à  la  cour  des  ducs  de  Normandie.  C'était  toujours  un 
lien  indirect  avec  l'antique  noblesse  française. 

Tout  cela  était  dit  le  plus  plaisamment   du   monde;    tout 


266 


LE  MÉNESTREL 


cela  aussi  ne  l'empêchait  pas  de  tenir  à  grand  honneur  de 
faire  correctement  son  devoir  de  patriote. 

Quand  je  le  revis,  en  ces  jours  troublés  et  tristes  de  l'au- 
tomne et  de  l'hiver  1870,  il  m' apparut  sous  la  forme  du  par- 
fait garde  national  :  képi,  vareuse,  ceinturon  bridant  un 
ventre  prépondérant,  mais  toujours  rasé  de  frais,  belliqueux 
sans  faste  et  avant  tout  artiste,  ayant  conservé  au  milieu  des 
gardes  au  rempart,  des  corvées  aux  boucheries,  sa  foi  ro- 
buste en  l'avenir,  son  amour  inaltérable  de  l'œuvre  chère 
par-dessus  toute  chose,  et  déjà  vivante,  immortelle,  bien 
que  réellement  n'existant  pas  encore.  Tout  passerait!  Tout 
reviendrait!  Les  empires  pourraient  tomber  et  aussi  les  ré- 
publiques! La  Clé  d'or  demeurerait! 

Ce  furent,  pendant  les  dernières  semaines  si  lentes  du 
siège,  des  conversations  bien  amusantes,  des  récits,  des 
projets  ébauchés,  achevés  entre  deux  tours  de  garde,  tandis 
que  grondait  sur  Paris  le  canon  prussien,  impuissant  à  faire 
taire  la  voix  enthousiaste  de  cet  artiste  pour  qui  les  choses 
de  la  musique  l'emportaient  sur  toutes  les  angoisses  de  la  pa- 
trie, gouailleur  toujours,  leste  d'allures  comme  un  moineau 
franc,  se  souciant  moins  des  héros  et  des  dieux  que  d'un 
grain  de  chènevis  ou  pour  mieux  dire  d'une  note  bien 
piquée! 

Consciencieusement,  il  faisait  son  service  à  son  secteur  ; 
il  y  mettait  même  une  évidente  coquetterie  de  vieux  garçon. 
De  là,  quand  il  ne  pouvait  s'échapper,  il  m'écrivait  ses  im- 
pressions toutes  franches  et  vives. 

Je  donnerai,  sans  y  rien  atténuer,  quelques  extraits  des 
lettres  d'Eugène  Gautier.  Il  y  a,  par-ci  par-là,  des  phrases 
qui  éclatent  d'une  gaité  toute  gauloise.  Autrefois  on  les  au- 
rait arrangées,  édulcorées,  ponctuées. 

A  quoi  bon!  le  grand  maître  de  ce  siècle  n'a-t-il  pas  res- 
titué à  l'histoire  le  mot  de  Cambronne,  et  les  naturalistes  ne 
nous  ont-ils  pas  habitués  à  appeler  les  choses  par  leur 
nom!  Il  faut  prendre  tels  qu'ils  viennent  «  les  documents 
humains.  »  Les  lecteurs  des  journaux  du  matin  en  voient 
aujourd'hui  bien  d'autres. 

«  Les  mauvais  temps,  m'écrit-il  dans  l'hiver  de  1870,  des 
gardes  réitérées,  des  inquiétudes  sur  la  santé  de  ma  sœur 
m'ont  empêché  d'aller  vous  voir. 

»  Si  cela  vous  est  possible,  attendez-moi  samedi  ;  à  moins 
de  service  militaire,  je  serai  chez  vous  vers  une  heure  et 
demie.  Ne  me  répondez  pas,  à  moins  de  contre-ordre. 

»  J'ai  passé  samedi  une  triste  nuit,  tantôt  au  rempart  dans 
la  neige,  et  le  reste  du  temps  dans  une  baraque  ouverte  à 
tous  les  vents.  J'ai  rapporté  à  la  maison  un  coryza,  pre- 
mière qualité,  et  un  abrutissement  presque  complet,  causé 
par  les  raisonnements  d'un  charcutier,  garde  national  et 
philosophe,  qui  a  bien  voulu  essayer  de  refaire  mon  éduca- 
tion politique,  à  l'aide  d'arguments  dans  lesquels  on  retrou- 
vait des  mots  et  des  phrases  tirées  du  Siècle  et  du  Rappel, 
comme  l'on  retrouve  des  pépins  dans  les  digestions  des  gens 
qui  ont  mangé  du  melon  :  je  crois  la  comparaison  juste.  Ce 
qui  nuisait  un  peu  à  l'élégance  de  son  langage,  c'est  qu'il 
disait  :  J'ai  zévu  et  Nous  avons  tété.  C'est  en  songeant  que  cet 
électeur  disposait  pour  sa  part  de  nos  destinées  que  j'ai  enfin 
compris  la  beauté  du  système  démocratique. 

»  Un  autre,  ne  trouvant  pas  sans  doute  qu'il  entrait  assez 
de  vents  par  les  ais  mal  joints,  produisait  de  temps  en 
temps  derrière  lui  des  explosions  subites  qu'il  accompagnait 
de  ce  vœu  patriotique:  «  Pour  les  Prussiens!  » 

»  Enfin,  une  nuit  charmante! 

»  J'ai  bien  besoin  de  voir  un  homme  bien  élevé  et  de 
causer  avec  un  artiste  intelligent.  » 


Tout  s'était  dispersé,  évaporé  définitivement.  On  avait 
épuisé  sur  les  théâtres  tous  les  refrains  patriotiques  con- 
formes à  la  situation,  depuis  les  vers  de  Musset  sur  le  Rhin 


allemand  jusqu'à  ceux  de  Béranger  :  En  avant,  Gaulois  et 
Francs!  mis  en  musique  par  Léo  Delibes ,  puis  le  silence 
s'était  fait  sur  Paris,  le  silence  et  l'ombre le  gaz  sup- 
primé, les  rues  désertes,  les  boulevards  sans  voitures,  les 
Halles  vides....  C'était  la  ville  affamée,  bombardée. 

De  rares  lettres  continuaient  à  s'échanger  entre  nous.  On 
s'était  souhaité,  d'un  cœur  plus  ardent  que  de.  coutume,  la 
bonne  année,  —  quelle  bonne  année,  celle  de  1871  !  —  Et 
Eugène  Gautier,  reléguant  cette  fois  au  second  plan,  sa  chère 
Clé  d'or,  m'entretenait  de  ses  préoccupations  présentes  : 

«  Cher  ami,  merci  de  vos  bons  souhaits  que  je  vous  re- 
tourne; cette  année  sera  meilleure  pour  nous,  n'en  doutez 
pas  —  mais  nous  sommes  rudement  éprouvés  ;  —  j'espère  que 
votre  famille  et  vous  serez  préservés  de  cette  tempête  infer- 
nale. Les  Lauriers  préservent  de  la  foudre. 

»  Nous  sommes  dans  la  plus  grande  inquiétude  :  nous 
avons,  rue  du  Cherche-Midi  et  dans  tout  le  faubourg  Saint- 
Germain,  des  amis  intimes  dont  nous  sommes  sans  nouvelles 
depuis  trois  jours,  et  nous  savons  que  deux  obus  sont  tombés 
sur  une  maison  qu'ils  habitent  !  De  plus,  grâce  aux  bons  soins 
de  la  municipalité  du  IXe  arrondissement,  nous  mourons 
presque  de  faim  !  Et  le  ministre  m'a  mis  sur  le  dos,  en  plus 
de  mon  cours  de  composition,  le  cours  de  chant,  que  la 
maladie  d'un  de  nos  rares  collègues  demeurés  à  Paris  laisse 
sans  direction  !  Mon  temps  et  mon  bois  s'épuisent;  il  m'est 
impossible  en  ce  moment  de  décrocher  ma  lyre;  il  me  sem- 
ble, au  milieu  de  ces  privations  et  de  ces  douleurs,  que  la 
musique  s'est  momentanément  retirée  de  moi  ! 

»  On  attaque  demain  Saint-Denis,  dit-on,  et  nous  sommes 
de  garde  le  16  au  bastion  Saint-Ouen  !  !  !  !  On  nous  entretient, 
à  l'exercice,  de  gardes  coupés  en  deux  au  IXe  secteur  et  de 
têtes  emportées  au  Xe.  Cela  vous  monte  l'imagination!  — 
Mais,  sargent...  ne  craignez  rien...  j'obtempérerai  bientôt  à 
votre  invitation  et  je  me  mettrai,  nonobstant,  à  notre  joli 
finale . 

»  Soignez  votre  chère  famille  et  votre  précieuse  santé. 
Plutôt  que  la  mort  de  Tyrtée  ou  celle  de  Kœrner,  préférons 
toujours  cette  mort  qu'Arlequin  appelle  la  belle.  —  A  vous 
de  cœur.  » 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


WAGNÉRIENS,  WAGNÉRISME  ET  LITTÉRATURE  WAGNÉRISANTE 
Voici,  enfin,  un  Théâtre-Lyrique  qui  se  fonde,  le  voici  qui  s'ins- 
talle à  l'Eden,  avec  un  directeur  qui  ne  paraît  pas  précisément 
épouvanté  de  certaines  audaces.  Il  semblerait  que  ce  fût  là  une 
bonne  occasion  à  saisir  pour  nos  ardents  wagnériens.  Je  n'ai  ce- 
pendant pas  entendu  dire  qu'aucun  d'eux  ait  tenté  encore  aucune 
démarche  auprès  de  M.  Verdhurt  pour  l'engager  à  offrir  au  public 
parisien  l'un  ou  l'autre  des  chefs-d'œuvre  de  leur  idole.  Ce  serait 
le  cas  pourtant,  s'ils  ont  véritablement  autant  de  confiance  dans  le 
succès  qu'ils  le  disent,  ou  plutôt  qu'ils  le  crient  chaque  jour. 

Il  n'est  peut-être  pas  sans  intérêt  de  poser  à  nouveau  cette  ques- 
tion de  la  représentation  en  France  des  œuvres  de  Wagner,  car  les 
adorateurs  du  maître  ne  cessent  d'en  entretenir  le  public,  et  de 
ressasser  à  ce  sujet  la  même  série  de  raisonnements  et  d'arguments 
qu'ils  nous  servent  depuis  si  longtemps  et  dont  nos  oreilles  com- 
mencent à  être  un  peu  rebattues.  Justement  trois  écrits  de  genre 
divers,  mais  à  lui  consacrés,  ont  paru  récemment,  dont  il  n'est  pas 
inutile  de  dire  quelques  mots.  Ces  trois  écrits,  dont  les  auteurs  ont 
fait  preuve  d'un  incontestable  talent,  nous  viennent  d'ailleurs  de 
trois  pays  différents,  bien  que  tous  trois  publiés  en  langue  française. 
L'un,  Essais  de  critique  musicale  (1),  a  pour  auteur  notre  fort  distingué 
confrère  M.  Louis  de  Romain,  directeur  d'un  petit  journal  très  vi- 
vant et  très  agissant,  Angers  artiste;  le  second,  «  Parsifal,  de  Richard 
Wagner,  légende,  drame,  partition  (2),  »  est  l'œuvre  d'un  écrivain 
belge,  M.   Maurice  Kufferath,    qui   depuis   longtemps   s'est  fait  re- 

(1)  Paris,  Lemerre,  1  vol.  in-12. 

(2)  Paris,  Fischbacher,  1  vol.  in-8°. 


LE  MENESTREL 


267 


marquer  dans  la  grande  bataille  wagnérienne  ;  le  troisième  enfin, 
Wagner  et  Liszt  d'après  leur  correspondance  (1),  est  dû  à  un  musico- 
graphe suisse,  M.  William  Cart,  qui  n'était  connu  jusqu'ici  que  par 
un  excellent  petit  livre  sur  Jean-SébastieQ  Bach. 

Le  livre  de  M.  de  Romain,  qui  est  très  polémique  et  qui  est  loin 
de  manquer  d'intérêt,  n'est  autre  chose  qu'un  recueil  des  article3 
écrits  pour  rendre  compte  des  belles  el  si  curieuses  séances  de 
l'Association  artistique  d'Angers.  M.  Louis  de  Romain,  qui,  avec 
M.  Jules  Bordier,  est  l'un  des  soutiens  les  plus  fermes  et  l'une 
des  chevilles  ouvrières  de  cette  association,  est  en  même  temps  un 
wagnérien  endurci.  Je  n'ai  nulle  envie  de  le  lui  reprocher,  estimant 
qu'on  n'est  pas  le  maître  de  ses  opinions,  et  qu'on  les  subit  par  le 
fait  d'une  tendance  naturelle  de  l'esprit  et  de  l'imagination.  Je  me 
borne  à  constater  le  fait.  On  les  subit  parfois  même  un  peu  trop, 
et  M.  de  Romain  nous  le  prouve  lui-même,  en  imitant  un  peu 
servilement  les  façons  d'être  de  ses  coreligionnaires  musicaux.  Avec 
les  formes  très  courtoises  d'un  homme  bien  élevé,  il  se  montre  très 
dédaigneux,  et  même  quelque  peu  méprisant  pour  tous  ceux  qui 
ont  le  malheur  de  penser  autrement  que  lui,  et,  s'il  ne  le  dit  pas, 
il  laisse  entendre  volontiers  que  ceux  d'entre  nous  qui  n'admirent 
pas  Wagner  en  tout,  sur  tout  et  partout,  n'entendent  rien  à  l'art  et 
sont  incapables  d'en  comprendre  les  manifestations  et  les  beautés. 
Mais  nous  commençons  à  connaître  cette  façon  de  raisonner,  et  il 
faut  bien  nous  y  faire. 

Par  malheur,  M.  de  Romain  ne  s'en  prend  pas  seulement  à  nous 
autres,  critiques,  philosophes  artistiques  ou  simples  spectateurs.  Il 
veut  agir  aussi  sur  nos  jeunes  artistes,  sur  nos  compositeurs,  et  il 
leur  donne  les  conseils  les  plus  dissolvants,  entre  autres  celui-ci  : 
«  Que  le  jeune  compositeur  se  défie  des  maîtres  qui  lui  disent 
d'écouter  chanter  en  lui  le  génie  de  sa  race.  »  On  avait  cru  juste- 
ment jusqu'ici  que  chaque  race  avait  son  sens  propre  de  l'art,  sa 
visée  personnelle  en  ce  sens,  et  que  c'était  là  précisément  ce  qui 
consumait  sa  force,  sa  puissance  et  son  originalité.  Il  semblait  que 
les  Hollandais  ne  devaient  pas  peindre  comme  les  Vénitiens,  que  les 
sculpteurs  de  la  Renaissance  italienne  ne  travaillaient  point  comme 
les  statuaires  de  la  Grèce  antique,  que  les  poètes  français  ne  res- 
semblaient pas  à  ceux  de  l'Allemagne,  et  que  c'est,  je  le  répète, 
dans  ces  différences  que  se  révélaient  les  qualités,  la  grandeur 
artistique  et  le  génie  de  chaque  raee.  Mais  nous  avons  changé  tout 
cela.  Jeunes  musiciens  français,  oubliez  ceux  qui  ont  fait  la  gloire 
de  votre  pays,  méprisez-les,  fuyez  le  souvenir  pernicieux  de  Ra- 
meau, de  Monsigny,  de  Méhul,  d'Herold  et  de  tant  d'autres,  dont 
l'influence  ne  pourrait  être  pour  vous  que  débilitante  et  fatale.  Un 
seul  artiste  doit  être  étudié  par  vous  ;  c'est  l'auteur  des  Nibelungen 
et  de  Parsifal;  fréquentez-le  exclusivement,  imitez-le,  copiez-le,  et 
dites  un  adieu  sincère  et  sans  retour  à  cette  France  indigne  de  vous 
donner  un  modèle.  Là,  est  la  gloire,  là  est  l'honneur,  là  est  le  salul. 
Ceci  peut  paraître  d'autant  plus  singulier  que  Wagner,  dont  M.  de 
Romain  se  recommande,  était  d'un  avis  tout  opposé.  C'est  lui  qui. 
dans  le  discours  emphatique  qu'il  adressa  aux  spectateurs  le  jour 
de  l'inauguration  du  théâtre  de  Bayreuth,  s'écria  avec  l'orgueil 
qu'on  lui  connaît  :  Nous  avons  montré  enfin  que  nous  avons  un  art  alle- 
mand! Wagner  croyait  donc,  lui,  à  ce  génie  des  races,  dont  son 
admirateur  fait  si  bon  marché.  Et  si  l'art  de  Wagner  est  si  profon- 
dément allemand  qu'il  le  disait,  lui  qui  devait  s'y  connaître,  ayant 
travaillé  dans  ce  but,  pourquoi  donc  vouloir  à  toute  force  nous 
l'imposer? 

Au  reste,  M.  de  Romain  a  une  manière,  originale  à  mon  sens,  de 
caractériser  le  génie  musical  français  en  le  mettant  en  regard  du 
génie  musical  allemand  ;  parlant  de  Rameau,  de  Méhul  et  de  Féli- 
cien David,  il  les  traite  simplement  de  «  mélodistes  aimables  et 
faciles,  qui  semèrent  l'esprit  à  pleines  mains.  »  Si  M.  de  Romain 
n'a  vu  que  cela  chez  ces  trois  artistes  admirables,  je  suis  bien 
obligé  de  déclarer  qu'il  a  la  vue  courte.  Mais  il  faut  bien  toujours 
réserver  à  Wagner  la  gloire  d'avoir  «  inventé  »  le  drame  lyrique, 
dont  aucun  musicien  n'avait  eu  l'idée  avant  lui.  Et  ici  le  souvenir 
de  Rameau  et  de  Méhul  était  gênant.  Après  cela,  je  ne  suis  pas  bien 
certain  que  M.  de  Romain  —  et  je  le  dis  sans  aucune  intention 
blessante  —  connaisse  intimement  l'un  et  l'autre. 

Quant  à  la  défense  de  l'art  wagnérien  présentée  par  l'écrivain 
dans  quelques-uns  des  chapitres  les  plus  importants  de  son  livre: 
Exielwjr,  A  chacun  son  dû,  Pro/ios  d'un  indépendant,  Musique  el  natio- 
nalisme, elle  ne  sort  pas  des  lieux  communs  auxquels  nous  sommes 

(I)  Ce  travail  fort  important  n'a  encore  été  publié  que  dans  le  recueil 
fort  eatimé  intitulé  Bibliothèque  universelle  el  Revue  suisse,  numéros  de  jan- 
vier, février,  mars  et  avril  1890. 


depuis  longtemps  habitués  sur  ce  sujet.  Que  ces  lieux  communs 
soient  relevés,  comme  ils  le  sont  en  effet,  par  une  forme  élégante 
et  châtiée,  ils  n'en  restent  pas  moins  ce  qu'ils  sont,  et  l'on  ne 
saurait  s'y  appesantir  davantage. 

Avec  le  Parsifal  de  M.  Maurice  Kufferalh,  nous  ne  sortons  pas, 
bien  entendu,  de  la  plus  pure  admiration  wagnérienne.  Mais  cette 
fois  le  jeune  écrivain  belge  s'est  abstenu  de  toute  espèce  de  polé- 
mique. J'oserai  dire  que  son  livre  y  gagne.  C'est  un  livre  tran- 
quille, bien  construit,  d'un  style  sobre  et  ferme,  qui  résume  avec 
une  clarté  lumineuse  la  genèse,  l'histoire  et  l'analyse  poétique  et 
musicale  de  cette  dernière  œuvre  du  maître  de  Bayreuth.  L'auteur 
nous  fait  connaître  les  origines  internationales  de  la  légende  de 
Parsifal,  il  nous  met  au  courant  de  la  manière  dont  Wagner  s'est 
emparé  de  ce  sujet  et  l'a  traité  au  point  de  vue  scénique,  et  il 
nous  donne  enfin  une  sorte  de  critique  thématique  de  la  partition, 
qu'il  analyse  d'un  bout  à  l'autre  et  dans  tous  ses  détails.  C'est  là, 
je  le  répète,  un  travail  fort  bien  fait  dans  sa  forme  dithyrambique, 
et  qu'on  ne  peut  consulter  qu'avec  fruit.  Mais  par  sa  nature  même 
il  échappe  un  peu  à  l'analyse,  et  je  ne  puis  que  le  recommander 
en  toute  conscience  à  ceux  qui  ont  vu  comme  à  ceux  qui  n'ont 
pas  vu  Parsifal.  Il  intéressera  également  les  uns  et  les  autres. 

On  a  publié  à  Leipzig,  en  1887,  la  correspondance  de  Liszt  et 
de  Wagner,  el  l'année  suivante  les  lettres  de  Wagner  à  trois  de  ses 
amis,  Uhlig,  Fischer  et  Heine,  attachés  à  des  titres  divers  au 
théâtre  de  Dresde.  C'est  cette  correspondance,  d'un  intérêt  capi- 
tal (surtout  celle  avec  Lizst),  que  M.  William  Cart  a  entrepris  de 
traduire  en  français  et  de  résumer  dans  l'espace  relativement  court 
de  116  pages  in-octavo.  C'était  une  besogne  assurément  difficile, 
dont  il  s'est  tiré  tout  à  son  honneur,  sinon  à  l'honneur  de  Wagner, 
et  qu'il  a  accomplie  avec  autant  de  soin  que  de  conscience  et  d'in- 
telligence. Son  récit  est  réellement  captivant,  et  les  réflexions  dont 
il  accompagne  les  lettres  ou  fragments  de  lettres  publiés  par  lui, 
les  analyses  qu'il  donne  des  autres,  les  jugements  qu'il  est  amené 
à  porter  sur  Wagner,  considéré  comme  homme  ou  comme  artiste,  l 
dénotent  un  esprit  singulièrement  indépendant  et  élevé. 

M.  William  Cart  n'est  point  français,  je  ne  crois  même  pas  qu'il 
appartienne  à  la  Suisse  française;  de  plus,  on  ne  saurait  lui  repro- 
cher d'être  anti-wagnérien,  car  il  ne  cache  pas  son  admiration 
pour  les  éminentes  qualités  et  le  génie  du  maître;  mais  cette  admi- 
ration ne  va  point,  comme  chez  nous,  jusqu'au  fétichisme,  et  elle 
n'empêche  pas  l'écrivain  de  découvrir  et  de  faire  connaître  les  côtés 
faibles  —  souvent  très  faibles  —  de  l'ancien  révolutionnaire  saxon 
devenu,  par  intérêt  et  par  ambition,  le  plat  courtisan  du  roi  Louis 
de  Bavière  (1). 

Cette  correspondance,  il  faut  bien  le  dire,  est  tout  à  l'avantage 
de  Liszt,  qui  s'y  montre  animé  d'une  bonté  vraiment  évangélique, 
affectueux,  pitoyable,  dévoué,  généreux  moralement  et  matérielle- 
ment, toujours  prêt  aux  sacrifices  et  aux  bons  offices,  le  cœur  sur 
la  main,  la  bourse  constamment  ouverte,  et  sans  cesse  sur  la  brèche 
au  service  de  son  ami.  Elle  est,  au  contraire,  peu  flatteuse  pour  Wag- 
ner, qui  s'y  dévoile  orgueilleux,  hautain,  exigeant,  égoïste,  toujours 
mendiant,  jamais  satisfait,  infatigable  dans  ses  désirs  el  ses  deman- 
des continuelles,  accusant  la  terre,  le  ciel  et  les  hommes  de  ses 
mésaventures,  s'estimant  beaucoup,  méprisant  les  autres  et  ne 
pensant  jamais   qu'à  lui. 

Je  passerai  sur  le  coté  moral  de  l'homme,  pourtant,  pour  m'en 
tenir  à  l'artiste,  et  aux  réflexions  dont  il  est  l'objet  sous  la  plume 
de  M.  Cart.  Mais  précisément  je  commencerai  par  constater  l'immo- 
ralité de  l'artiste  et  de  son  œuvre,  cette  œuvre  qui,  selon  quelques- 
uns,  doit  si  bien  grandir  et  hausser  les  intelligences.  On  a  déjà  fait 
remarquer  sous  ce  rapport,  dans  l'œuvre  du  maître,  l'amour  inces- 
tueux et  pourtant  si  passionné  de  Siegmund  et  de  Siegelinde,  qui 
savent  parfaitement  qu'ils  sont  frère  el  sœur  ;  puis  la  scène  où 
Brunehilde,  victime  d'une  situation  étrange,  succombe  à  son  propre 
époux  sous  les  traits  d'un  autre  ;  puis,  la  haine  monstrueuse  de 
Siegfried  pour  son  père  nourricier.  Tout  cela  est  indigue,  au  seul 
point  de  vue  humain  ;  mais  tout  cela  est  souligné  encore  par  la 
musique.  Ecoutons  M.  Cart,  et  comme  il  parle  précisément  de  celte 
scène  de  Siegmund  et  de  Siegelinde  : 

(1)  Puisque  le  nom  du  roi  Louis  est  venu  sous  ma  plume,  je  ne  puis 
m'empècher  de  faire  cette  remarque  singulière  :  le  roi  Louis,  protecteur 
intrépide  de  Wagner,  mort  fou;  Charles  Baudelaire,  l'un  de  ses  premiers 
el  de  ses  plus  farouches  admirateurs  en  France,  mort  fou  ;  Frédéric 
Nietzsche,  l'un  de  ses  plus  fougueux  apôtres  en  Suisse,  mort  fou;  enfin, 
Emile  Scarria,  l'un  de  ses  interprètes  les  plus  énergiques  et  les  plus 
convaincus,  mort  fou!  C'est  une  fatalité. 


268 


LE  MENESTREL 


La  musique,  du  commencement  à  la  fin,  n'est  que  la  glorification  de  la 
passion,  de  son  ivresse,  mais  aussi  de  son  néant.  Tantôt  elle  éclate  en 
cris  frénétiques,  tantôt  elle  couve,  langoureuse,  mourante,  et  c'est  sous 
cette  apparence  mensongère  de  tendresse  idéalisée  qu'elle  distille  son  ve- 
nin le  plus  mortel...  Wagner  n'est  pas  embarrassé  pour  trouver  une 
expression  musicale  à  cette  démence  :  dissonances  tour  à  tour  criantes, 
subtiles,  morbides,  rytbmes  énervés,  résolutions  retardées  et  toujours  inat- 
tendues, toutes  ces  armes  abondent  dans  l'arsenal  de  l'enchanteur.  Ce 
qu'on  éprouve,  quand  on  a  subi  cette  musique,  ce  n'est  plus  de  l'exci- 
tation, ce  n'est  plus  de  l'agacement,  c'est  un  trouble  profond,  une  souf- 
france aiguë  ;  on  est  déchiré  entre  deux  obsessions,  le  dégoût  de  la  vie  et 
l'exaspération  des  sens.  On  regrette  d'être  accessible  au  langage  de  la 
musique,  on  rougit  de  ce  qu'on  s'est  laissé  dire  et  de  ce  qu'on  a  entendu. 
On  ne  croit  plus  au  bien  et  on  doute  de  la  possibilité  du  bonheur...  Di- 
sons-le franchement,  Tristan  est  à  nos  yeux  l'œuvre  la  plus  malsaine,  la 
plus  dangereusement  immorale  de  l'art  moderne.  Elle  est  mille  fois  pire 
qu'un  mauvais  roman,  car  la  parole  trouble  et  pervertit  dans  le  sens  pré- 
cis les  mots,  la  musique  trouble  et  pervertit  d'une  façon  plus  générale  :  en 
surexcitant  les  nerfs,  elle  fausse  toutes  les  facultés  à  la  fois...  L'auteur 
de  Tristan  a  profané  la  musique,  le  langage  de  l'idéal. 

Ailleurs,  en  parlant  de  l'impression  produite  par  la  musique  de 
Wagner,  l'écrivain  dit  : 

L'horizon  de  Wagner  ne  dépasse  pas  ses  appétits  mortels.  Nous  en 
appelons  ici  à  tous  les  musiciens  :  qui  a  jamais  demandé  à  Bach,  à 
Beethoven,  joie,  courage  ou  consolation  sans  trouver  ce  qu'il  y  cherchait? 
Wagner  peut  donner  l'ivresse,  il  peut  agir  comme  un  narcotique,  mais 
qui  aurait  jamais  reçu  de  lui  une  salutaire  et  heureuse  impulsion  ?  Tou- 
jours il  parle  de  lui-même  et  pour  lui-même.  C'est  ce  qui  fait  sa  force, 
mais  aussi  sa  faiblesse.  Il  s'impose,  mais  on  respire  de  soulagement  en 
lui  échappant. . . 

Pour  ce  qui  est  de  l'influence  exercée  sur  l'art  par  "Wagner, 
M.  Gart  en  parle  ainsi  : 

On  peut,  sans  exagérer,  dire  que  Wagner  pèse  aujourd'hui  de  tout  son 
poids  sur  la  musique  dramatique  de  tous  les  pays.  L'Allemagne  n'a,  de- 
puis longtemps,  mis  au  jour  que  des  œuvres  non  viables.  En  France  la 
production  est  considérable,  étonnante;  mais  elle  est  sous  le  coup  de  la 
puissance  dissolvante  du  tyran  d'outre-Rhin.  Il  a  éteint  les  uns,  asservi 
les  autres.  Quelle  terrible  revanche  il  prend  là  pour  la  chute  de  Tann- 
hàtiscr!  La  musique  de  théâtre,  il  faut  bien  le  dire,  est  pour  le  moment 

dans  une  impasse Si  Wagner  n'avait  pas   existé,  la  musique   serait 

incontestablement  plus  pauvre  de  bien  des  nuances,  de  bien  des  moyens 
d'expression;  niait  elle  se  porterait  mieux,  et  toute  notre  génération  avec 
elle. 

M.  Cart  caractérise  d'une  façon  originale  la  musique  de  Wagner: 
Le  cœur  n'y  trouve  que  rarement  son  compte,  l'oreille    pas   toujours, 

l'imagination    bien    souvent,    l'intelligence  presque    toujours,    les    nerfs 

toujours  et  sans  exception. 

Enfin,  l'auteur  fait  une  remarque  qui  ne  sera  pas  du  goût  de 
tous  les  adorateurs  du  dieu  de  Bayreulh  : 

Si  j'étais  wagnérien,  dit-il,  je  n'éprouverais  pas  une  bien  vive  satis- 
faction en  voyant  qae  le  groupe  le  plus  militant  parmi  les  sectateurs  du 
«  maître  »  est  formé  de  tout  ce  qui,' des  deux  côtés  de  l'Océan,  est  hysté- 
rique, décadent,  détraqué,  déséquilibré.  Ce  sont  là  des  alliés  dont  on  se 
passe  volontiers. 

Voilà  l'artiste  dont  quelques-uns  ne  cessent  depuis  vingt  ans  de 
nous  vanter  les  œuvres,  de  nous  prôner  le  génie,  de  faire  ressortir 
à  nos  yeux  la  grandeur  et  la  puissance.  Hélas  !  nous  le  connaissons 
ce  génie,  nous  éprouvons  et  nous  sentons  comme  vous  cette  puis- 
sance et  cette  grandeur,  et  c'est  parce  que  tout  cela  nous  semble 
manifestement  hostile  à  notre  race  et  à  notre  propre  génie,  c'est 
parce  que  ces  qualités  si  étonnantes  nous  semblent  renfermer  un 
élément  morbide  et  pervers,  parce  que  l'influence  peut  en  être  néfaste 
et  dépravante  pour  les  nôtres,  que  nous  n'avons  cessé  d'en  com- 
battre les  effets  dissolvants.  J'ajoute  que  la  lecture  des  lettres  de 
Wagner  ne  peut  que  confirmer  cette  opinion  en  faisant  connaître 
nettement  ses  volontés,  en  prouvant  qu'il  a  agi  sciemment,  qu'il 
n'a  pas  fait  autre  chose  que  ce  qu'il  voulait  faire,  et  que  cet  homme 
n'a  mis  ses  admirables  facultés  artistiques  qu'au  service  des  pas- 
sions les  plus  malsaines  et  les  plus  démoralisantes.  Qu'on  les  lise, 
ces  lettres,  qu'on  les  étudie,  qu'on  en  savoure  à  loisir  le  suc  em- 
poisonné, et  l'on  siura  à  quoi  s'en  tenir.  Et,  si  je  veux  parler  au 
seul  point  de  vue  musical,  je  dis  que  les  œuvres  de  ce  maître 
sont  en  contradiction,  en  opposition  flagrante  avec  notre  tempérament 
artistique,  avec  notre  idéal,  avec  les  principes  qui  n'ont  cessé  de 
nous  guider  en  matière  d'art,  et  que  jamais  elles  ne  sauraient  nous 
convenir. 


On  me  dira  que  je  suis  intolérant.  A  d'autres  !  voilà  vingt  ans  et 
plus  que  je  prouve  le  contraire,  et  ma  carrière  de  critique  est  assez 
longue  déjà,  surtout  elle  a  été  assez  laborieuse  pour  qu'on  puisse 
s'en  convaincre.  Je  ne  crains  pas  le  dieu  Wagner,  soyez-en  per- 
suadés; je  n'y  crois  pas,  voilà  tout,  je  n'ai  pas  la  foi.  Ce  n'est  pas 
ma  faute.  Et  après  tout  j'ai  bien  le  droit  de  penser  autrement  que 
vous  sans  être  taxé  de  folie,  ou  sans  qu'on  me  fasse  passer  pour 
un  Aliboron.  M'apportez-vous  la  preuve  de  la  lumière?  Ètes-vons 
infaillibles?  Tenez-vous  en  vos  mains  la  vérité  révélée,  et  à  quel 
signe  la  reconnaissez-vous?  Si  oui,  vous  devez  me  convaincre;  si 
non,  permettez  que  j'entre  avec  vous  en  discussion  —  parlant,  en 
contradiction. 

Je  ne  vous  crois  pas  très  nombreux,  messieurs,  et  vous  me  faites 
un  peu  l'effet  d'un  brillant  état-major  que  ne  suivrait  aucun  soldat. 
Mais  vous  êtes  remuants,  incisifs,  vous  avez,  passez-moi  l'expres- 
sion, un  énorme  toupet,  votre  verbe  est  éclatant  et,  dans  votre  petite 
école,  vous  criez  avec  tant  d'ensemble  et  d'énergie  que  vous  finissez 
par  ameuter  les  passants  et  par  leur  faire  lever  le  nez  en  l'air. 
Mais,  corne  de  bœuf!  je  ne  demande  pas  mieux,  pour  ma  part,  que 
le  public,  le  vrai  public,  soit  appelé  à  être  juge  du  procès  qui 
nous  divise,  qu'il  soit  mis  à  même  d'apprécier  la  valeur  de  la  cause 
que  vous  défendrz  avec  un  talent  qui  pourrait  être  plus  utilement 
employé.  Oui,  j'en  appelle  au  suffrage  universel.  Qu'on  le  joue, 
votre  Wagner,  pour  l'amour  de  Dieu  !  qu'on  nous  le  serve,  qu'on 
nous  en  sature  ;  mais  surtout  le  vôtre,  le  vrai,  celui  qui  n'est  pas 
au  coin  du  quai.  Qu'on  nous  donne,  non  pas  Tannh'àuser,  non  pas 
Lohengrin,  vieilles  défroques  méprisées  aujourd'hui  de  ceux  qui  ont 
le  culte  véritable  de  l'idole,  mais  Siegfried,  mais  Tristan,  mais  Parsifal, 
mais  la  note  vraie,  pure,  sans  tache,  sans  tare,  et  sans  alliage.  Nous 
verrons  bien  l'effet  produit  sur  le  public.  Si  celui-ci  acclame  les  œuvres, 
tant  mieux  pour  vous,  et  dans  ce  cas  vous  pouvez  être  certain  que  je 
serai  avec  lui,  car  c'est  qu'alors  je  me  serai  trompé,  et  je  n'ai  jamais 
hésité  à  revenir  d'une  erreur.  Mais  si,  par  impossible  (il  faut  tout 
prévoir),  s'il  lui  arrivait  de  bâiller  tout  d'abord  et  de  faire  le  vide 
après  dix  représentations,  du  moins  vous  n'auriez  plus  le  droit  de 
vous  plaindre,  l'épreuve  étant  faite,  vous  n'auriez  plus  le  droit  de 
crier  à  la  persécution,  vous  qui  depuis  tant  d'années,  êtes  les  per- 
sécuteurs, et  votre  patriotisme  enfin  serait  satisfait  puisque,  pré- 
tention étrange  !  vous  affirmez  sérieusement  que  c'est  par  patriotisme 
que  vous  voulez  nous  imposer  Wagner,  ses  théories,  ses  erreurs, 
et  se3  œuvres.  Pour  ma  part,  et  je  le  dis  avec  la  plus  absolue  sin- 
cérité, j'appelle  ce  moment  de  tous  mes  vœux.  Car  alors,  ou  nous 
serons  tous  d'accord,  ou  nous  en  aurons  fini  avec  la  scie  wagné- 
rienne. 

Vous  avez  d'ailleurs,  je  l'ai  dit,  une  excellente  occasion.  Vous 
avez  le  Théâtre-Lyrique  de  M.  Verdhurt,  vous  avez  même  la  fameuse 
grande  Société  des  Grandes  Auditions  Musicales,  dont  le  comité 
directeur  est  précisément  composé  de  personnages  à  votre  dévotion. 
Adressez-vous  à  l'un  ou  à  l'autre,  à  tous  deux  même  à  la  fois, 
chapitrez-les,  convertissez-les,  et  les  amenez  à  ce  que  vous  désirez'. 
Que  si  vous  ne  mêliez  pas  à  profit  les  circonstances,  si  vous  n'agis- 
sez pas,  si  vous  ne  faites  pas  un  mouvement,  c'est  que  vous  avez  le 
culte  tiède,  ou  mieux  :  c'est  que  vous  n'avez  pas  vous-mêmes  con- 
fiance en  la  bonté  de  votre  cause,  c'est  que  vous  redoutez  le  juge- 
ment de  la  foule  plus  que  vous  ne  voulez  le  dire,  c'est  qu'enfin  vous 
n'êtes  pas  fâché  de  vous  faire  passer  pour  des  victimes,  alors  que 
vous  n'êtes  que  de  simples  fumistes. 

Arthur  Pougin. 

P.-S.  —  L'autre  samedi  l'on  avait  bien  voulu  me  convier  à  une  pre- 
mière représentation  qui  se  donnait  au  théâtre  des  Batignolles.  Dans 
cette  petite  salle  où  j'entrais  pour  la  première  fois,  et  où  j'eus  l'honneur 
de  me  rencontrer  avec  mon  très  éminent  confrère,  M.  Sarcey,  j'ai  fait  la 
connaissance  d'un  public  tout  spécial,  convaincu  et  frémissant  bien  que 
loustic  et  gouailleur,  qui  s'amuse  pour  son  argent,  et  n'est  point  sans 
amuser  la  très  rare  partie  des  spectateurs  non  habitués  de  l'endroit.  J'y 
ai,  de  plus,  appris  le  nom  d'un  nouvel  auteur  dramatique  qui  ambitionne 
la  gloire  des  Bouchardy,  des  Dugué,  des  d'Ennery  et  autres  grands  sei- 
gneurs du  trémolo.  Je  m'en  voudrais  de  décourager  le  dramaturge  qui  a  J 
perpétré  Jeanne  Dalbret,  d'autant  que  c'est,  parait-il,  une  toute  jeune  per- 
sonne, M""  Marie  Privât;  mais,  dans  ce  débul,  son  évidente  bonne  volonté 
s'est  laissé  submerger  par  le  flot  par  trop  débordant  des  réminiscences, 
des  banalités  courantes  et  des  développements  faciles.  Attendons-la  donc 
à  un  autre  essai  plus  personnel,  et  souhaitons-lui,  pour  cette  prochaine 
tentative,  une  troupe  qui  la  défende  mieux,  dans  son  ensemble,  que  celle 
du  théâtre  des  Batignolles. 

Paul-Emile  Chevalier. 


LE  MENESTREL 


269 


BERLIOZ 

SON  GÉNIE,   SA  TECHNIQUE,  SON  CARACTÈRE, 
A  propos  d'un  manuscrit  autographe  d'HABOLD  EX  ITALIE 


IV 

(Suite) 

Voici  maintenant  une  relouche  extrêmement  intéressante  qui 
nous  révélera  encore  d'autres  aspecls  de  la  personnalité  si  complexe 
du  mailre. 

Entre  la  lettre  F  et  la  lettre  G,  Berlioz  a  complètement  refait  la 
partie  d'alto  solo. 

Il  l'avait  d'abord  écrite  comme  suit  : 


Le  texte  est  fortement  bàtonné  à  l'encre,  et  tout  au  bas  de  sa 
partition,  sur  les  portées  demeurées  libres,  Berlioz  a  noté,  comme 
un  projet,  au  crayon  et  en  clef  de  fa,  le  trait  que  voici,  qui  est,  à 
peu  de  chose  près,  le  trait  actuel  : 


Il  est  évident  que  Berlioz,  mécontent  du  dessin  primitif  confié 
a  l'alto  solo,  a  cherché  autre  chose,  en  se  préoccupant  seulement 
de  la  ligue  musicale,  de  la  pureté  harmonique,  et  en  négligeant 
son  application  instrumentale.  Mais  n'est-il  pas  bizarre  qu'il  ait 
poursuivi  son  esquisse  en  clef  de  fa,  comme  s'il  l'entendait  menta- 
lement mieux  ainsi?  Ce  procédé  de  travail  eût  été  moins  surpre- 
nant chez  un  maître  habitué  à  la  pratique  quotidienne  d'un  instru- 
ment, et  porté,  par  suite,  à  comparer  les  sonorités  cherchées  à  celles 
qu'il  rencontre  sans  cesse  sous  ses  doigts,  parce  qu'il  les  sent 
plus  nettement  avec  la  notation  sous  laquelle  il  a  coutume  de  les 
percevoir.  On  serait  peu  surpris,  par  exemple,  de  rencontrer  une 
esquisse  de  ce  genre  dans  un  manuscrit  de  Schumann,  qui,  on  le 
sait,  composait  toujours  au  piano;  et  moins  encore,  dans  le  manus- 
crit d'un  maltie  qui  aurait  joué  du  violoncelle.  Mais,  chez  Berlioz, 
qui  ne  jouait  guère  que  de  la  guitare,  toujours  écrite  en  clef  de  sol, 
l'usage  d'un  tel  moyen  d'essai  est  pour  dérouter  l'observateur. 

Quoi  qu'on  en  ait  dit,  le  mailre  n'a  évidemment  pas  dessiné  cette 
broderie  pour  le  violoncelle,  ce  qui  eût  été  contraire  à  l'esprit  comme 
à  l'unité  du  morceau  ;  mais  il  l'a  sûrement  pensée  en  clef  de  fa, 
puisqu'elle  comprend  un  ii  grave  qui  n'existe  pas  sur  l'alto.  — 
d'est  après  coup  qu'il  l'a  adaptée  définitivement  à  cet  instrument 
dans  une  troisième  version  écrite  à  la  plume,  d'une  main  très  ferme, 
au-dessous  même  du  projet  au  crayon,  et  qui  est  entièrement  con- 
forme ii  la  version  gravée: 


Beconnaissons  du  moins  que  celte  troisième  version  est  bien 
supérieure  à  la  première,  surtout  par  l'élégance  du  contour,  en 
sorte  que  le  labeur  du  maître  n'a  certes  pas  été  en  pure  perte. 

Pendant  les  sept  dernières  mesures  de  ce  trait  et  les  trois  sui- 
vante?, le  quatuor  est  établi  sur  une  collette  au-dessous  de  laquelle 
la  page  est  restée  à  peu  près  blanche.  A  peine  sur  cette  page  ren- 
contre-l-on  des  fragments  de  notation  aux  altos  du  quatuor,  dont  on 
retrouve  quelques  traces,  d'abord  dans  les  1ers  violoncelles,  puis  dans 
la  version  définitive  des  altos. 

Dans  le  manuscrit  à'Harold.  il  y  a  assez  fréquemment  de  ces 
projets  à  peine  indiqués,  de  ci  de  là,  par  quelques  points  de  repère, 
au-dessus  desquels  Berlioz  a  écrit  complètement  sa  partition.  On 
peut  en  induire  que  le  maître  prenait  en  quelque  sorte  des  notes 
pour  donner  une  fixité  relative  à  une  conception  d'ensemble  autour 
de  laquelle  flottait  sa  pensée.  C'est  après  une  féconde  gestation  que, 
lorsqu'il  reprenait  la  plume,  cette  pensée  devait  sortir  toute  armée 
de  son  cerveau. 

.*. 

Deux  mesures  avant  le  Canlo  religioso,  quand  le  morceau  passe 
du  ton  de  mi  $  majeur  au  ton  d'ut  majeur,  le  quatuor  et  le  1er  bas- 
son sont  écrits  sur  un  grattage  très  marqué.  Il  semble  que  tous  ces 
instruments,  —  sauf  les  contrebasses  en  la  dernière  mesure,  — 
aient  eu  d'abord  à  tenir  le  si  sensible  se  résolvant  sur  l'ut  naturel  qui 
détermine  la  tonalité  du  Canto  religioso.  C'est  pour  accentuer  da- 
vantage la  transition  et  préciser  mieux  d'avance  cette  tonalité,  que 
Berlioz,  éclairé  sans  doute  par  une  audition,  aura  fait  articuler  par 
tous  les  instruments  en  activité  le  sol  $  dominante,  indiqué  d'abord 
seulement  par  les  sourds  pizzicali  des  contrebasses. 

A  partir  du  Canto  religioso,  et  jusqu'au  moment  où  elles  font  en- 
tendre un  fa  #,  les  flûtes  étaient  placées  d'abord  dans  le  milieu  de 

Plus  tard,  Berlioz  les  a  reportées  à  l'octave  supérieure  par  le  signe 

8"  ajouté   au  crayon  ;    et,  pour  que  toute  erreur  fût 

impossible,  il  a  confirmé  ensuite  ce  signe  avec  une  encre  d'une 
autre  nuance  que  celle  dont  il  s'est  servi  pour  le  texte  de  sa  parti- 
tion. Plus  loin,  il  a  ajouté  de  la  même  manière  la  mention  loco,  ce 
qui  ne  laisse  aucun  doute  sur  son  intention.  Berlioz  a  dû  tenir  tout 
particulièrement  à  cette  rectification,  car,  dans  la  partition  gra- 
vée (1),  les  flûtes  sont  réparties  sur  deuxportées  et  écrites  au-dessus 
des  lignes  : 


Deux  mesures  après  la  lettre  J,  les  deux  flûtes  étaient  unies 
d'abord  en  une  seule  partie  : 

(1)  Cette  partition  contient  une  erreur  que  Berlioz  a  laissé  passer.  Au  bas  de  la 
page  52,  on  y  lit  l'indication  P"  flûte,  au  lieu  sans  doute  de  l'indication  1"  flûte, 
car  rien  dans  le  manuscrit  n'autoriserait  l'intervention  de  Voctavin,  qui  n'a  rien  à 
taire  dans  une  composition  de  ce  caractère.  D'ailleurs,  la  notation  au-dessus  des 
ignés  qui  va  suivre  prouve  bien  qu'il  y  a  là  seulement  une  méprise  du  graveur. 


270 


LE  MÉNESTREL 


l-r-J-r-4 


ïU, 


Berlioz,  en  les  reportant  à  l'aigu,  les  a  modifiées  comme  suit  : 


On  voit  dans  ces  diverses  retouches  une  nouvelle  preuve  de  l'at- 
tention méticuleuse  que  le  maître  accordait  aux  moindres  détails 
pouvant  améliorer  son  œuvre. 


Au  début  du  Canto  religioso,  relevons  encore  une  correction,  cette 
fois  purement  graphique,  dans  la  partie  d'alto  solo. 
Après  les  premiers  arpèges, 


et  jusqu'au  moment  où  le  morceau  retourne  en  mi  tf  majeur, 
Berlioz  avait  écrit  deux  noires  à  chaque  morceau  avec  la  mention 
«  segue  »  : 


.g     f.         £■     ■£-        -r-    -0- 
■r    -»  &     -r  ■*■     -»- 


Il  a  substitué  à  ces  deux  noires  une  blanche  par  temps  avec  la 
mention  «  arpeggiato  »  et  a  minutieusement  reproduit  cette  notation 
plus  claire  à  l'oeil  de  l'exécutant,  en  biffant  la  notation  primitive 
pendant  les  15  mesures  qui  suivent  : 


La  composition  de  ces  accords  à  quatre  cordes  est  aussi  fréquem- 
ment retouchée,  tant  à  l'encre  qu'au  crayon  rouge. 

On  peut  penser  que  ces  changements  ont  été  introduits  sur  les 
conseils  d'un  virtuose  ayant  la  grande  pratique  de  l'alto,  peut- 
être  de  Paganini,  pour  qui,  on  le  sait,  Berlioz  avait  écrit  Rarold 
en  Italie.  Les  circonstances  romanesques  dans  lesquelles  Berlioz  fit 
la  connaissance  de  Paganini  et  conçut  à  son  intention  cette  sympho- 
nie avec  alto  principal  sont  trop  connues  pour  qu'il  soit  utile  de  les 
rappeler.  On  ne  peut  que  renvoyer  le  lecteur  aux  Mémoires  de  Ber- 
lioz, pages  193  et  194.  Ce  qu'il  faut  retenir,  c'est  la  considération 
en  laquelle  ce  maître,  qui  avait  le  sentiment  si  vif  et  si  légitime  de 
sa  valeur,  prenait  les  avis  de  tels  ou  tels  musiciens,  —  quelquefois 
parmi  les  plus  humbles, —  familiarisés  par  un  usage  quotidien  avec 
les  ressources  et  les  exigences  d'un  instrument.  J'ai  entendu  conter 
à  ce  sujet  certaines  anecdotes  dont  l'authenticité  ne  me  paraît 
point  assez  assurée  pour  qu'on  les  puisse  reproduire  ici.  Mais  le 
fait  qu'elles  circulent  constitue  une  sorte  de  tradition,  je  n'ose  dire 
de  légende,  qui  atteste  ce  trait  du  caractère  de  Berlioz,  le  respect 
qu'il  avait  pour  son  art,  l'accueil  empressé  qu'il  faisait  à  tout  ren- 
seignement pouvant  accroître  son  expérience  technique  et,  partant, 
l'intensité  et  la  sûreté  de  ses  moyens  d'expression.  Le  manuscrit  de 
la  Marche  des  Pèlerins  nous  en  fournira  d'autres  preuves. 


Au  cours  du  Canto  religioso,  on  remarque  encore  quelques  légères 
retouches  dans  les  répliques  des  cordes  qui  alternent  en  dialoguant 
avec  les  instruments  de  bois,  et  aussi  dans  la  partie  des  contre- 
basses qui  poursuivent  sourdement  le  dessin  de  la  Marche  ;  ces  der- 
nières sont  plus  intéressantes. 

Neuf  mesures  avant  la  rentrée  en  mi  fcj  majeur,  Berlioz  avait  écrit, 
dans  les  quatre  parties  du  quatuor,  la  mention  :  «  ôtes  les  sourdines  », 
qu'il  a  fait  prendre  à  partir  du  Canto  religioso. 

Son  premier  plan  avait  donc  été  de  ne  voiler  la  sonorité  des 
cordes  que  pendant  le  Canto  religioso,  de  façon  à  mieux  différencier 
cet  épisode  du  reste  de  la  Marche  et  à  souligner  on  môme  temps  la 
couleur  mystique  des  accords  présentés  par  le  quatuor. 

A  l'audition,  il  se  sera  aperçu  qu'une  autre  intention  devait  pri- 
mer celle-là.  C'est  celle  de  donner  aussi  nettement  que  possible  à 


l'auditeur  l'impression  poétique  d'un  exode  de  pèlerins  s'avançant 
dans  le  crépuscule,  puis  disparaissant  peu  à  peu  dans  les  ombres  du 
soir.  Les  moyens  mis  en  œuvre  lui  auront  paru  insuffisants  ;  le  maî- 
tre n'aura  pas  réussi  à  obtenir  de  l'orchestre  un  decrescendo  assez 
marqué,  et  se  sera  décidé  alors  à  maintenir  les  sourdines,  en  accen- 
tuant davantage  les  nuances  primitives,  car,  à  partir  de  ce  moment, 
non  seulement  il  a  biffé  fortement  la  mention  :  «  ôtez  les  sourdines  », 
mais  encore  il  a  multiplié  au  crayon  rouge,  jusqu'à  la  fin  du  mor- 
ceau, les  indications  p.  perde.ndo,  dimin.,  pp.,  ppp.  et  même  pppp. 
(A  suivre.)  A.  Montaux. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (21  août)  : 

Plusieurs  journaux  parisiens  et  certains  journaux  bruxellois,  tels  que- 
YÉventail,  ont  publié  prématurément,  de  la  nouvelle  troupe  de  la  Mon- 
naie, un  tableau  assez  inexact.  Aujourd'hui,  bien  qu'il  n'ait  pas  encore 
été  distribué  officiellement,  je  vous  envoie  le  tableau  définitif  de  la 
troupe  de  MM.  Stoumon  et  Calabresi  ;  j'en  élimine  naturellement  les 
détails  insignifiants.  Le  voici  : 

Chefs  de  service  :  MM.  Barwolf  et  Franz  Servais,  premiers  chefs  d'or- 
chestre ;  Léon  Dubois,  second  chef  ;  Gravier,  régisseur  général  ;  Léon 
'  Herbaut,  régisseur;  Lafont,  maître  de  ballet;  Louis  Barwolf,  bibliothé- 
caire. 

Artistes  du  chant  :  Ténors  :  MM.  Lafarge,  Dupeyron,  Delmas,  Isouard, 
Froment  ;  —  Barytons  :  MM.  Bouvet,  Badiali,  Vallier,  Besnard,  —  Basses: 
MM.  Vérin,  Sentein,  Ctiallet  et  Chappuis  ;  —  Cantatrices  :  Mmes  Dufrane, 
de  Nuovina,  Sybil  Sanderson,  Nardi,  Carrère,  Paulain-Arcbainbaud, 
Neyt,  Wolf,  Langlois  et  Walter. 

Danseuses  :  M1IeB  Teresita, ,  Riccio,  premières  danseuses  ;  Ratero,  deu- 
xième danseuse  ;  Dierickx,  troisième  danseuse  ;  —  Danseurs  :  MM.  Lafont,. 
Ducbamps,  ITansen  et  Desmet  ;  huit  coryphées,  trente-deux  danseuses  et 
douze  danseurs. 

Orchestre:  quatre-vingt-un  musiciens;  musique  de  scène,  un  chef  et 
vingt  musiciens. 

Chœur:  trente  femmes,  quarante-quatre  hommes,  huit  enfants. 

On  remarquera,  dans  cette  liste,  le  nom  de  MUe  Dufrane,  l'ancienne 
pensionnaire  de  l'Opéra  de  Paris,  que  la  direction  a  engagé  pour  tenir 
dans  le  répertoire  courant,  l'emploi  de  falcon.  Elle  débutera,  dès  la  pre- 
mière semaine  de  la  saison,  avec  le  ténor  Dupeyron,  dans  Robert  le  Diable 
ou  dans  les  Huguenots.  M1Ie  Langlois,  nouvellement  engagée  aussi,  est  une 
des  lauréates  du  dernier  concours  du  Conservatoire  de  Bruxelles,  où  elle 
avait  révélé  des  moyens  peu  ordinaires  et  une  vraie  nature  artistique. 
Elle  doublera  Mllc  Dufrane  dans  les  rôles  de  falcon,  et  créera  peut-être 
le  rôle  de  Brunehild  dans  le  Siegfried  de  Wagner,  qui  sera  la  première 
grande  nouveauté  de  la  saison. 

La  réouverture  est  fixée  au  4  septembre  ;  elle  aura  lieu  par  Faust,  avec 
Mues  ,je  Nuovina  et  Paulain-Arcbainbaud,  MM.  Lafarge  et  Vérin.  Le  len- 
demain, Esclarmonde,  avec  Mlle  Sybil  Sanderson.  Roméo,  Carmen  et  Manon 
suivront  de  près  ;  puis  la  Flûte  enchantée.  Don  Juan  ne  viendra  probable- 
ment que  plus  tard.  Et  l'on  songe  aussi  à  une  reprise  d'Obéron.  —  Les  autres 
tbéàtres  s'apprêtent,  eux  aussi,  à  rouvrir  leurs  portes.  Nous  en  aurons 
cependant,  cette  année,  deux  de  moins  que  l'an  dernier,  la  Bourse  et 
l'Eden,  qu'on  ne  reconstruira  pas.  En  revanche,  les  Galeries  se  vouent 
décidément  à  l'opérette. 

En  attendant  de  vous  parler  de  tout  cela,  j'ai  à  vous  dire  quelques 
mots  des  concours  de  fin  d'année  qui  ont  eu  lieu  récemment,  après 
Bruxelles,  aux  Conservatoires  de  Liège  et  de  Gand.  Concours  très  inté- 
ressants l'un  et  l'autre,  au  point  de  vue  de  leurs  résultats  et  de  la  mar- 
che des  études. 

A  Gand,  la  direction  si  vaillante  et  si  intelligente  de  M.  Adolphe 
Samuel  a,  cette  année  encore,  réalisé  un  nouveau  progrès.  Les  concours 
ont  eu,  en  général,  un  éclat  inaccoutumé.  Et  peut-être  les  dernières 
acquisitions  faites  dans  le  corps  professoral  y  sont-elles  aussi  pour  quel- 
que chose.  On  sait,  en  effet,  que  M.  Jules  Deswert  a  été  nommé  tout 
nouvellement  professeur  de  la  classe  de  violoncelle,  et  M.  Joban  Smit 
professeur  de  la  classe  de  violon.  Comme  toujours,  le  grand  succès  a  été- 
pour  la  classe  de  chant  de  M.  Bonheur.  Elle  a  mis  en  relief  une  artiste 
tout  à  fait  exceptionnelle,  douée  à  la  fois  d'une  voix  et  d'un  tempérament 
rares,  M110  Tnooris,  qui  a  remporté  le  premier  prix  par  acclamation,  avec 
la  plus  grande  distinction  et  félicitations  publiques  du  jury.  Viennent 
ensuite,  au  point  de  vue  des  résultats,  le  concours  de  violoncelle  (profes- 
seur, M.  Deswert)  et  celui  d'art  de  la  scène  (professeur,  M.  Rey).  C'est 
surtout  par  la  bonne  tenue  de  la  classe,  par  la  valeur  hautement  accusée 
de  l'enseignement  que  ces  deux  classes  se  sont  distinguées,  plus  encore 
que  par  la  valeur  même  des  concurrents.  Pour  la  première  année  que 
M.  Deswert  prenait  part  au  concours,  il  a  su  affirmer  l'excellence  de  sa 
méthode.  Deux  premiers  prix:  MM.  Albert  Smit  et  Jean  Dubois.  Et  quant 
à  M.  Rey,  le  parti  qu'il  a  su  tirer  des  éléments,  assez  ordinaires,  qu'il 
présentait,  est  pour  lui  une  nouvelle  victoire,  qui  s'ajoute  à  toutes  celles 


LE  MÉNESTREL 


271 


•qu'il  a  remportées  déjà  ;  et  celle-ci  n'est  pas  moins  précieuse,  bien  au 
■contraire.  Parmi  les  lauréates,  il  y  a  surtout  à  .citer  M'10  Van  Ackere, 
(1er  prix  avec  distinction),  une  voix  de  falcon  généreuse,  avec  une  vraie 
nature  d'artiste.  Puis  la  classe  de  piano  (femmes),  professeur  M.  Heynde- 
richs,  dont  le  concours  n'a  jamais  été  aussi  brillant.  Nous  avons  remar- 
qué spécialement  M110  Duquesne  (1er  prix  par  acclamation,  avec  grande 
distinction),  très  douée,  et  MUc  Gassée  (2e  prix  avec  distinction),  une 
enfant  qui  sera  un  jour  une  grande  artiste...  si  elle  veut.  Sur  le  même 
rang,  il  faut  classer  l'examen  pour  le  diplôme  de  capacité  (piano),  qui  a 
été  extraordinaire  au  point  de  vue  de  la  difficulté  des  épreuves.  M"15  Acart 
s'est  jouée  des  obstacles  et  a  remporté  son  diplôme  par  acclamation,  avec 
grande  distinction.  Le  sexe  faible,  décidément,  est  partout  le  sexe  fort  ! 
A  citer,  parmi  les  instruments  d'orchestre,  la  classe  de  M.  Léonard 
.(flûte).  Enseignement,  d'ailleurs,  de  premier  ordre.  On  peut  en  dire  au- 
tant de  la  classe  de  hautbois  (professeur,  M.  Lebert)  et  de  la  classe  de 
■  cor  (professeur,  M.  Deprez).  Les  concours  de  solfège  supérieur  (professeurs, 
MM.  Nevejans  et  feu  Devos)  ont  été...  renversants:  14  premiers  prix  sur 
22  concurrents  et  concurrentes  !  Enfin,  samedi,  dernier  concours,  non  le 
moins  important  et  assurément  le  plus  brillant  de  tous  :  harmonie  et 
•composition.  C'est  M.  Samuel  qui  donne,  comme  on  le  sait,  le  cours  de 
composition,  et  c'est  lui  qui,  depuis  huit  mois,  donne  par  intérim  le  cours 
supérieur  d'harmonie  ;  quand  il  l'a  repris,  les  élèves  ne  savaient  rien,  ce 
cours  étant  tombé  peu  à  peu  à  néant;  en  huit  mois,  M.  Samuel  l'a  relevé 
au  point  d'arriver  à  ce  résultat  :  sur  dix  concurrents  et  concurrentes,  sept 
premiers  prix,  dont  un  par  acclamation  avec  la  plus  grande  distinction, 
un  avec  grande  distinction  et  trois  avec  distinction  !  Et  outre  cela  deux 
seconds  prix  (dont  un  avec  grande  distinction),  qui  valent  les  premiers 
prix.  Voilà  qui  en  dit  plus  que  tous  les  éloges. 

Au  Conservatoire  de  Liège,  les  concours  de  cette  année  n'ont  pas  fait 
■moins  d'honneur  à  son  directeur,  M.  Théodore  Radoux,  et  ils  n'ont  pas 
été  moins  brillants.  Une  artiste,  une  vraie  artiste,  s'est  révélée  dans  la 
classe  de  déclamation  lyrique,  Mlle  Lejeune;  encore  insuffisamment  ex- 
périmentée, ells  a  montré  des  qualités  naturelles  si  vives  et  déjà  si  per- 
sonnelles qu'on  peut  augurer  le  plus  grand  bien  de  son  avenir.  C'était  la 
première  fois  que  MUe  Lejeune  concourait;  le  jury  lui  a  accordé  un  second 
prix  avec  distinction,  en  espérant,  pour  l'an  prochain,  un  premier  prix 
éclatant.  Dans  ce  même  concours,  on  a  remarqué  aussi  un  jeune  ténor, 
•doué  d'une  voix  charmante,  et  qui  promet  beaucoup,  M.  Maréchal.  Le 
•Conservatoire  de  Liège  est,  comme  on  sait,  une  vraie  pépinière  de  violo- 
nistes. Cette  fois  encore,  les  concours  de  violon  ont  présenté  un  attrait 
puissant  pour  le  public  liégeois.  Les  trois  séances  (qui  ont  pris  deux  jour- 
nées) ont  fait  défiler  dans  de  multiples  épreuves  vingt  et  un  concurrents. 
Ce  chiffre  n'avait  pas  encore  été  atteint,  et  cette  extension  prise  par  les 
■cours  de  violon  peut  passer  à  bon  droit  pour  un  nouvel  éloge  rendu  à  la 
•valeur  et  au  zèle  des  professeurs  :  MM.  Heynberg,  R.  Massart,  Thomson 
■et  Dossin.  Dix-huit  récompenses  ont  été  accordées,  parmi  lesquelles  il 
faut  compter  six  premiers  prix.  Un  seul  concurrent  dans  la  classe  d'orgue, 
M.  Pierre  Van  Damme,  qui  a  remporté  la  médaille  de  vermeil,  avec  dis- 
tinction. Cinq  concurrents  dans  la  classe  de  piano,  et  quatre  lauréats  : 
M.  Mawet,  Mll6S  Servais,  Sampoix  et  Hannot.  Pour  cette  dernière,  le  con- 
cours a  été  un  véritable  triomphe.  Aussi  a-t-elle  obtenu  la  médaille  en 
vermeil  par  acclamations  et  avec  des  félicitations  toutes  spéciales  de 
M.  Radoux.  Ajoutons,  pour  finir,  un  détail  qui  n'est  pas  sans  intérêt  et 
qui  prouve  la  prospérité  du  Conservatoire  de  Liège  :  234  concurrents  se 
sont  présentés  devant  les  différents  jurys.  Placé  sous  l'énergique  et  puis- 
sante direction  de  M.  Th.  Radoux,  depuis  bientôt  vingt  ans,  le  Conser- 
vatoire de  Liège  n'a  cessé  d'accroître  à  l'étranger  la  renommée  plusieurs 
fois  séculaire  des  musiciens  liégeois.  Espérons  qu'il  en  sera  ainsi  pen- 
dant plusieurs  autres  siècles  encore  !  Lucien  Solvay. 

—  Il  y  aura,  l'an  prochain,  cent  cinquante  ans  qu'est  né  l'un  des  artistes 
■qui  comptent  parmi  les  plus  grandes  gloires  musicales  de  la  Belgique. 
C'est,  en  effet,  le  11  février  1741  qu'a  vu  le  jour  à  Liège,  au  n°  28  de  la 
rue  des  Récollets,  l'illustre  auteur  de  Richard  Cœur  de  Lion,  de  Zémire  et 
Azor,  de  l'Epreuve  villageoise,  du  Tableau  parlant  et  de  tant  d'autres  jolis 
chefs-d'œuvre,  André-Ernest-Modeste  Grétry.  L'une  des  plus  importantes 
associations  musicales  de  Liège,  la  Société  royale  la  Legia,  s'est  réunie 
récemment  en  assemblée  générale,  à  l'effet  de  rechercher  de  quelle  façon 
il  conviendrait  de  célébrer  un  tel  anniversaire  et  d'examiner  divers  pro- 
.  jets  présentés  dans  ce  but.  Rien  n'a  été  arrêté  définitivement  encore, 
mais  la  Legia  va  se  mettre  en  mesure  de  solliciter  immédiatement  de 
l'État,  de  la  province  et  de  la  commune  des  subsides  qui  permettent  de 
faire  les  choses  de  la  façon  la  plus  honorable  et  la  plus  digne  de  l'artiste 
■célèbre  dont  il  s'agit  de  rappeler  le  souvenir  et  le  génie.  Nul  doute  que 
nos  voisins,  qui  s'entendent  merveilleusement  à  organiser  des  fêtes  de 
ce  genre,  ne  préparent  à  cette  occasion  une  solennité  imposante  et  extrê- 
mement remarquable. 

—  Dans  quelques  jours,  dit-on,  sera  célébré  à  Bruxelles  le  mariage  de 
M11'  Gevaert,  fille  de  l'éminent  directeur  du  Conservatoire  de  cette  ville,  avec 
un  jeune  chanteur  d'avenir,  M.  Fierens,  ancien  élève  de  cet  établissement. 
M.  Fierens,  qui  est  engagé  pour  la  prochaine  saison  au  Grand-Théâtre  de 
Lille,  est  le  frère  de  Mmc  Fierens,  de  l'Opéra. 

—  L'Indépendance  belge  nous  donne,  cette  fois  complet,  l'itinéraire  de  la 
grande  tournée  de  concerts  que   M.  Lamoureux  et  son  orchestre   doivent 


effectuer,  au  mois  d'octobre  prochain,  en  Hollande  et  en  Belgique  :  Le  16, 
à  Rotterdam;  les  17,  18  et  19,  à  Amsterdam;  les  20  et  21,  à  La  Haye  ;  le 
22,  à  Harlem;  le  23,  à  Arnheim;  le  21,  à  Utrecht;  le  23,  à  Anvers;  le  26, 
à  Bruxelles  ;  le  27,  à  Liège;  le  28,  à  Gand  ;  le  29,  à  Bruxelles.  C'est  dans 
la  salle  de  l'Alhambra  qu'auront  lieu  les  deux  concerts  de  Bruxelles. 
Le  programme  du  premier  sera  entièrement  français;  celui  du  second, 
entièrement  wagnérien. 

—  On  lit  dans  le  Guide  musical  :  «  Les  vacances  théâtrales  ont  déjà  pris  fin 
dans  un  certain  nombre  de  théâtres  d'outre-Rhin.  A  Dresde  et  à  Munich 
la  saison  d'hiver  vient  de  s'ouvrir.  Chose  curieuse,  sur  une  des  scènes  la 
première  œuvre  jouée  a  été  le  Tannhàuser,  de  Wagner,  d'après  la  version 
de  Paris.  On  sait  que  depuis  que  le  théâtre  de  Bayreuth  a  annoncé  une 
reprise  du  Tannhàuser  d'après  la  version  de  Paris,  la  plupart  des  théâtres 
allemands,  qui  s'en  étaient  tenus  jusqu'ici  à  la  version  primitive  de  l'œu- 
vre, se  sont  empressés  de  mettre  à  l'étude  les  remaniements  écrits  par 
Wagner  en  1861  pour  le  Grand-Opéra.  Il  en  a  été  ainsi  à  Berlin,  à 
Dresde,  à  Munich,  à  Carlsruhe,  etc.  Cependant,  aux  yeux  de  plus  d'un 
sincère  admirateur  du  maître  de  Bayreuth,  la  version  de  Paris  n'ajoute 
rien  à  l'œuvre  primitive,  ou  plutôt  elle  lui  enlève  son  unité.  La  grande 
scène  du  Venusberg  composée  en  1860,  diffère  si  foncièrement  par  le  style 
des  autres  parties  de  l'ouvrage  qu'on  ne  peut  s'empêcher  d'être  désagréa- 
blement impressionné.  Le  nouveau  Venusberg  qui  fut  écrit  après  Tristan 
est  conçu  tout  à  fait  dans  le  style  de  cet  ouvrage  ;  selon  le  point  de 
vue  où  l'on  se  place,  cette  grande  scène  fait  tort  aux  parties  anciennes, 
ou  se  distingue  d'elle  par  l'absence  de  mélodie.  Aussi,  le  choix  du  Tann.- 
hduser  comme  unique  ouvrage  destiné  à  faire  les  lendemains  de  Parsifal 
aux  fêtes  dramatiques  de  Bayreuth  l'été  prochain,  est-il  loin  de  rencon- 
trer l'approbation  unanime  dans  le  camp  wagnérien.  Quoi  qu'il  en  soit, 
on  prépare  dès  à  présent  très  activement  cette  reprise  au  théâtre  Wagner. 
Il  y  a  déjà  eu  quelques  répétitions  cet  été  à  Bayreuth.  M.  Kniese,  le  chef 
des  chœurs,  vient  d'ouvrir  dans  cette  ville  une  école  de  musique  où  sont 
admis  tous  les  artistes  qui  désirent  participer  aux  fêtes  théâtrales  de 
l'année  prochaine.  De  son  côté,  M"  Cosima  Wagner  qui,  soit  dit  en 
passant,  ne  songe  nullement  à  quitter  Bayreuth  pour  aller  s'installer  à 
Londres,  a  eu  de  nombreuses  entrevues  avec  les  machinistes,  peintres, 
décorateurs  et  couturiers.  Les  maquettes  et  les  dessins  des  costumes  ont 
été  approuvés  et  le  travail  d'exécution  a  commencé.  On  suivra  d'ailleurs 
exactement  les  indications  de  Wagner  pour  la  mise  en  scène  du  Grand- 
Opéra  de  Paris,  qui  ne  furent  pas  en  beaucoup  de  parties  exécutées  à  la 
lettre  en  1861.  » 

—  C'est  le  27  de  ce  mois,  qui  correspond  au  15  août  du  calendrier 
russe,  que  doit  s'ouvrir,  à  Saint-Pétersbourg,  le  premier  des  grands  con- 
cours institués  par  Antoine  Rubinstein  en  faveur  des  compositeurs  et  des 
pianistes  de  tous  les  pays.  On  se  rappelle  ce  que  nous  avons  dit  de  ces 
concours,  dont  nous  avons  fait  dès  longtemps  connaître  l'économie,  et  qui 
doivent  avoir  lieu  tour  à  tour  dans  les  quatre  grandes  capitales  du  con- 
tinent européen  ;  le  second  aura  lieu  à  Berlin  en  1893;  le  troisième  à 
Vienne  en  1900  ;  le  quatrième  à  Paris  en  1903,  pour  recommencer  ensuite 
par  Saint-Pétersbourg,  toujours  de  cinq  ans  en  cinq  ans. 

—  L'Opéra  allemand  de  New-York,  'qui  va  rouvrir  le  26  novembre  au 
Metropolitan  Opéra  House,  sera  encore  plus  éclectique  que  l'année  der- 
nière. Le  répertoire  s'enrichira  cette  année  des  ouvrages  suivants  :  le  Roi 
d'Ys,  Eselarmonde1,  Asraël  (de  Franchetti),  le  Vassal  de  Ssigeth  (de  Smareglia), 
le  Templier  et  la  Juive,  le  Mage,  dont  la  première  représentation  aura  lieu, 
parait-il,  le  même  jour  qu'à  Paris  (?)  et  les  ballets,  Porcelaine  de  Mismie,  le 
Rêve  (de  Gastinel)  et  la  Source.  De  plus,  on  prépare  les  reprises  de  Carmen, 
Uamlet,  les  Joyeuses  Commères  de  Windsor  et  la  Sauvage  apprivoisée.  Dans  le 
tableau  de  la  troupe  nous  relevons  les  noms  suivants  :  Mmes  Minnie  Hauk, 
Wartegg,  Jenny  Broch,  H.  Rothe,  MM.  Gudehus,  Reichmann,  Fischer  et 
Behreas.  M.  Antoine  Seidl  est  engagé  comme  premier  chef  d'orchestre. 

—  Le  manager  Hammerstein  va  rouvrir,  dans  les  premiers  jours  d'octobre, 
le  Harlem  Opéra  House  (New-York)  pour  une  saison  lyrique  anglaise.  En 
plus  du  grand  répertoire  international,  il  est  dans  l'intention  du  directeur 
de  monter  les  ouvrages  suivants  à  titre  de  nouveautés  :  les  Pêclieurs  de 
Perles,  Silvana  (de  Weber),  le  Ca'id,  Si  j'étais  roi,  le  Roi  l'a  dit  (de  Delibes), 
et  Zampa.  La  saison  s'ouvrira  avec  Ernani,  la  Muette,  Faust  et  le  Bal  masqué. 
M.  G.  Hinrichs  sera  le  chef  d'orchestre. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

—  D'une  interwiew  qu'un  rédacteur  du  G  il  Bios  a  eue  récemment  avec 
M.  Gailhard,  il  semblerait  résulter  pour  l'Opéra  une  situation  au  moins 
singulière.  Comme  notre  confrère  demandait  à  l'associé  de  M.  Ritt  ce 
que  l'Opéra  comptait  faire  la  saison  prochaine  et  comment  cette  saison 
serait  employée,  celui-ci  lui  répondit  qu'il  n'en  savait  absolument  rien. 
«  Nous  restons  les  bras  croisés,  dit-il,  sans  rien  faire,  sans  rien  pouvoir 
entreprendre,  attendant  que  le  ministre  décide  et  que  nous  sachions  enfin 
à  quoi  nous  en  tenir.  »  La  question  de  la  réfection  des  décors  n'étant 
pas  résolue,  les  directeurs  de  l'Opéra  ont  eu  à  ce  sujet  un  entretien  avec 
M.  Larroumet,  directeur  des  beaux-arts,  qui  leur  a  demandé  s'ils  étaient 
prêts  à  accepter  une  transaction.  Sur  leur  réponse  affirmative,  M.  Larrou- 
met leur  ayant  demandé  ensuite  s'ils  étaient  disposés  à  faire  un  sacrifice 
pécuniaire  :  «  Oui,  aurait-il  été  répondu  ;  mais  comme  nous  ne  devons  rien, 
absolument    rien,    que    nous    donnera-t-on    en  échange?  »  Et  là-dessus  les 


272 


LE  MÉNESTREL 


pourparlers  auraient  cessé,  et  aussi  l'activité  proverbiale  de  l'Opéra.  Il 
n'est  plus  question  de  Salammbô,  non  plus  que  du  Mage,  parce  que  pour 
l'un  comme  pour  l'autre  de  ces  deux  ouvrages  il  faudrait  faire  des  frais 
considérables,  ce  qui  serait  «  une  perte  sèche  »  si  la  direction  passait 
en  d'autres  mains.  «  Et  si,  ajoute  M.  Gailhard,  confiants  dans  notre  cause, 
nous  entreprenons  ces  études,  on  ne  manquera  pas  de  penser  que,  nous 
résignant  d'avance  à  subir  toutes  les  exigences,  nous  reconnaissons  im- 
plicitement que  nous  devons  les  subir.  Or,  nous  sommes  loin  de  cette  pensée- 
là.  »  Pour  de  l'aplomb,  c'est  vraiment  là  un  joli  aplomb.  Mais  ces  mes- 
sieurs auraient  bien  tort  de  se  gêner,  puisqu'on  les  laisse  faire.  Tout  ce 
qu'on  peut  dire,  c'est  qu'on  n'a  jamais  vu  des  gens  qui,  après  tout,  sont 
chargés  d'une  fonction  publique,  se  moquer  avec  plus  d'effronterie  du 
gouvernement,  des  chambres,  du  ministère  et  du  public.  Quant  à  l'art 
et  aux  artistes,  nous  n'en  parlons  pas,  ceci  ayant  toujours  été  pour  eux 
chose  absolument  inconnue. 

—  «  Et  voilà  la  série  des  changements  de  spectacle  pour  cause  d'indispo- 
sitions ou,  pour  mieux  dire,  pour  cause  d'insuffisance  du  personnel,  qui 
va  recommencer.  Vendredi,  en  effet,  on  a  dû  donner  Aida  au  lieu  de  Roméo 
et  Juliette,  M.  Gossira  se  trouvant  souffrant. 

—  M.  Roger,  agent  général  de  la  Société  des  auteurs  dramatiques,  com- 
munique la  note  suivante  à  nos  grands  confrères  :  «  Plusieurs  journaux  ont 
annoncé  que  la  commission  des  auteurs  dramatiques  avait  l'intention  de 
ne  pas  compter  Salammbô  dans  le  nombre  des  ouvrages  nouveaux  qui  doivent 
être  représentés  tous  les  ans  par  le  théâtre  de  l'Opéra.  La  commission  des 
auteurs  ne  s'était  pas  encore  occupée  de  la  question  ;  elle  a  décidé,  dans 
sa  séance  d'hier,  que  ce  qui  a  déjà  été  fait  pour  Sigurd  serait  fait  pour 
Salammbô  et  que  l'ouvrage  de  M.  Reyer,  s'il  est  représenté  à  l'Opéra,  sera 
compté  parmi  les  ouvrages  nouveaux.  » 

—  Ce  monsieur  Paravey  est  infatigable.  On  a  fait  toute  une  histoire, 
autrefois,  des  travaux  d'un  nommé  Hercule  ;  qu'était-ce  que  cela  en 
comparaison  de  ce  que  nous  annonce  la  direction  de  l'Opéra-Comique  dans 
la  note  suivante, qu'elle  veut  bien  communiquer  aux  journaux:  «La  saison 
prochaine  à  l'Opéra-Comique.  M.  Paravey  va  immédiatement  s'occuper  des 
spectacles  du  mois  de  septembre,  spectacles  qui  seront  faits  pour  la  grande 
partie,  avec  le  répertoire  :  Carmen,  Mignon,  la  Dame  blanche,  le  Pré  aux 
Clercs,  Mireille.  La  Basoche,  de  M.  André  Messager,  ne  sera  reprise  qu'aux 
environs  du  15  septembre.  Entre  temps,  Mlle  Yve,  une  jeune  cantatrice 
sur  laquelle  on  compte  beaucoup,  fera  son  premier  début  dans  le  Pré  aux 
Clercs  probablement  ;  le  baryton  Renaud  se  fera  entendre  pour  la  première 
fois  dans  le  Roi  d'Ys  ;  Colombine,  le  petit  acte  de  M.Gustave  Michiels,  fera 
son  apparition  sur  l'affiche,  et  l'on  commencera  à  s'occuper  de  Benvcnuto, 
de  M.  Diaz,  qui  sera  la  première  grande  nouveauté  de  la  saison.  » 

—  On  annonce,  à  l'Eden-lyrique  de  M.  Verdhurt,  la  réception  d'un  ballet 
en  deux  actes  et  trois  tableaux  de  M.  Catulle  Mendès,  les  Formoses,  —  c'est 
ainsi  qu'on  nomme  les  fées  en  Roumanie,  —  dont  la  musique  sera  confiée, 
par  la  direction,  à  M.  André  Messager.  A  ce  même  théâtre  on  annonce 
encore  l'engagement  de  Mmc  Galliné,  mezzo-soprano. 

—  Nous  avions,  d'après  nos  confrères  du  grand  format,  annoncé  l'en- 
gagement à  l'Éden  de  Mm,!  Renée  Richard.  Les  choses  étaient  loin  d'être 
aussi  avancées  qu'on  l'avait  dit,  et  l'on  n'en  était  encore  qu'aux  pour- 
parlers. Or,  ces  pourparlers  sont  aujourd'hui  rompus,  et  M,ne  Richard  n'a 
rien  conclu  avec  M.  Verdhurt.  Voilà  une  bonne  nouvelle  et  une  bonne 
aubaine  pour  MM.  les  directeurs  de  l'Opéra,  qui  depuis  un  mois,  on  le 
sait,  demandent  un  contralto  à  tous  les  échos  des  entours  de  ce  théâtre. 
Ils  n'auront  garde  de  laisser  échapper  une  telle  occasion,  et  nous  allons 
certainement  réentendre  Mm;  Richard  à  l'Opéra. 

—  M.  Xavier  Leroux  est  chargé  de  la  partie  musicale  de  Cléopàlre,  le 
drame  nouveau  de  MM.  Victorien  Sardou  et  Emile  Moreau,  que  Mme  Sarah 
Bernhardt,  —  avant  de  partir  pour  sa  grande  tournée  de  deux  années  à 
travers  Je  monde,  —  doit  créer,  au  commencement  d'octobre,  à  la  Porte- 
Saint-Martin.  C'est  M.  Massenet,  lui-même,  qui  a  présenté  son  élève  aux 
auteurs.  La  tâche  de  M.  Leroux  se  bornera  à  la  composition  de  quatre 
numéros  de  musique  de  scène  exécutés  par  un  orchestre  placé  sur  le 
théâtre.  Au  premier  acte,  à  l'arrivée  de  Cléopàtre,  une  symphonie  orien- 
tale, avec  accompagnement  de  harpes  et  de  cithares.  Au  deuxième,  une 
sorte  de  petit  ballet-divertissement,  ballet  de  poses  et  de  gestes  exécuté 
par  douze  aimées,  avec  accompagnement  à  bouche  close.  Le  troisième 
morceau  est  une  symphonie  sur  des  barques  qui  traversent  le  Nil.  Le 
quatrième,  une  invocation  à  Typhon,  le  dieu  des  tempêtes,  par  les 
prêtres  du  temple  d'Osiris. 

—  La  bibliothèque  de  l'Opéra,  qui  était  fermée  depuis  six  semaines  pour 
cause  de  vacances,  est  rouverte  au  public  et  'aux  travailleurs  depuis  le 
18  août. 

—  M.  Colombat,  de  l'Isère,  bien  connu  par  ses  travaux  sur  le  bégaie- 
ment, le  zézaiement  et  les  autres  vices  de  prononciation,  par  ses  cours 
d'orthophonie  au  Conservatoire  et  à  l'Institution  nationale  des  sourds- 
muets,  a  été,  ces  jours  derniers,  le  héros  de  la  triste  aventure  suivante, 
ainsi  raconté-;  par  un  de  nos  grands  confrères  :  —  «  Des  cris  de  :  «  Au 
secours!  »  retentissaient  hier  soir,  vers  neuf  heures,  dans   la   maison   du 


boulevard  Saint-Michel  qui  porte  le  n°  55.  La  concierge  monta  aussitôt 
l'escalier  et  arriva  devant  l'appartement  de  M.  le  docteur  Colombat,  de 
l'Isère,  d'où  les  cris  sortaient.  En  même  temps,  le  domestique  du  docteur 
s'élançait  dans  l'escalier,  effaré  et  continuant  d'appeler  au  secours.  La 
concierge  pénétra  dans  l'appartement  et  trouva,  au  milieu  d'une  chambre, 
le  docteur  Colombat,  en  chemise.  Dans  la  main  droite  il  avait  un  revolver 
fumant  encore  et  de  la  main  gauche  il  tenait,  serrées  contre  sa  poitrine, 
toutes  les  valeurs  qu'il  possédait.  Voici  ce  qui  s'était  passé.  Le  docteur 
Colombat  était  malade  depuis  un  certain  temps,  au  point  qu'il  y  a  trois 
jours  on  avait  dû  le  faire  garder.  Dans  la  soirée  d'hier,  il  avait  prié  son 
domestique  de  lui  préparer  un  lait  de  poule.  Le  domestique  avait  exécuté 
les  ordres  de  son  maître.  Mais  à  peine  celui-ci  avait-il  avalé  le  lait  de 
poule,  qu'il  disait  à  son  domestique  d'une  voix  menaçante  :  «  Scélérat, 
tu  m'as  empoisonné  !  »  Puis  il  saisit  son  revolver  et  en  déchargea  deux 
coups  sur  le  malheureux  garçon,  qui,  par  bonheur,  ne  fut  pas  atteint. 
Lorsque  la  concierge  arriva  auprès  de  lui  et  courageusement  voulut  lui 
prendre  le  revolver  qu'il  tenait,  le  docteur  Colombat  était  redevenu  calme. 
Cependant,  un  attroupement  s'était  formé  devant  la  maison,  et  les  gar- 
diens de  la  paix  arrivaient  pour  s'emparer  du  meurtrier.  Le  docteur  se 
laissa  prendre  et  emmener  au  commissariat  de  police  du  quartier  sans  la 
moindre  résistance.  Le  commissaire  de  police  reconnut  immédiatement 
que  M.  Colombat  était  atteint  d'aliénation  mentale  et  le  fit  conduire  à 
l'infirmerie  du  Dépôt  ». 

—  A  l'occasion  du  15  août,  la  petite  plage  de  Saint-Pierre-en-Port  était 
en  fête.  M.  Déledicque  avait  organisé  un  fort  joli  concert,  dans  lequel  on 
a  eu  la  bonne  fortune  d'entendre  Mlle  Merguillier,  qui  a  chanté  en  per- 
fection YAve  Maria  de  Gounod.  A  côté  d'elle  on  a  beaucoup  fêté  aussi 
Mlle  Yon,  dans  le  Sancta  Maria  de  Faure,  M.  Déledicque  dans  la  Sérénade 
de  Schubert,  et  Mme  Raux,  qui  tenait  fort  bien  le  piano  d'accompa- 
gnement. 

NÉCROLOGIE 

Une  artiste  dont  la  carrière  a  été  assez  obscure,  mais  qui,  il  y  a 
vingt-cinq  ans,  était  bien  connue  du  grand  monde  littéraire  et  artistique, 
par  le  fait  de  l'affection  aussi  sincère  que  désintéressée  qui  l'unissait 
à  Auber,  Mlle  Pauline  Dameron,  est  morte  aux  derniers  jours  de  la 
semaine  dernière.  Fort  jolie,  d'une  physionomie  douce  et  d'une  élégance 
patricienne,  douée  d'une  voix  fort  agréable  sinon  fort  étendue,  M110  Da- 
meron avait. obtenu  aux  concours  du  Conservatoire,  en  1845,  un  premier 
accessit  de  chant  et  un  premier  prix  d'opéra-comique.  Elle  fut  engagée 
néanmoins  à  l'Opéra,  où  elle  débuta  dans  le  courant  de  1846  et  où,  dans 
l'espace  de  deux  ou  trois  ans,  elle  se  montra  dans  Rachel  de  la  Juive, 
Alice  de  Robert  le  Diable,  Isabelle  de  Charles  VI,  Marie  de  Robert  Bruce, 
Lazarillo  de  la  Xacarilla,  etc.  Puis,  elle  créa  les  rôles  de  Zeptèle  et  de  la 
Princesse  dans  deux  opéras  d'Auber,  l' Enfant  prodigue  et  Zerbine  ou  la  Cor- 
beille d'oranges,  et  un  autre  rôle  dans  la  Nonne  sanglante  de  M.  Gounod. 
Malgré  des  qualités  réelles,  elle  ne  .sortit  jamais  du  second  rang  et  ne 
parvint  pas  à  s'imposer  au  public.  Elle  quitta  l'Opéra  après  vingt  ans  de 
service  environ,  belle  encore  et  dans  tout  l'éclat  de  sa  grâce.  Elle  prit 
soin  de  la  vieillesse  d'Auber,  et  ne  le  quitta  pas  jusqu'à  ses  derniers 
jours.  Nous  nous  rappelons,  aux  heures  les  plus  sombres  de  la  Commune, 
l'avoir  rencontrée  un  jour,  sur  le  boulevard,  au  bras  du  vieux  maître,  qui 
pouvait  alors  à  peine  se  traîner.  Au  milieu  de  la  chaussée  passait  l'en- 
terrement d'un  chef  de  fédérés,  avec  accompagnement  des  drapeaux  rouges 
obligés.  Auber  considérait  cela  de  ses  yeux  tout  grands  ouverts,  avec  un 
sentiment  de  profond  dégoût,  et  la  physionomie  de  sa  compagne  était 
empreinte  d'une  indicible  mélancolie.  Mlle  Dameron,  atteinte  dépuis  long- 
temps déjà  d'une  sorte  de  maladie  de  langueur,  y  a  succombé  à  l'âge  de 
soixante-cinq  ans. 

—  Un  des  critiques  les  plus  réputés  de  l'Italie,  le  marquis  Francesco 
d'Arcais,  est  mort  le  15  août  à  Castelgandolfo,  d'un  cancer  à  l'estomac. 
Issu  d'une  ancienne  et  noble  famille  de  Sardaigne,  il  était  né  à  Cagliari 
le  15  décembre  1830,  et  avait  étudié  sérieusement,  la  musique  tout  en 
faisant  ses  humanités  à  Turin.  Dès  1854  il  se  vit  chargé  du  feuilleton 
musical  de  l'Opinione,  le  premier  journal  de  cette  ville,  qu'il  suivit  plus 
tard  à  F'lorenc6,  puis  à  Rome,  et  il  s'y  lit  une  véritable  réputation,  grâce 
à  la  solidité  de  sa  critique,  et  bien  que  son  sentiment  artistique  fût  sin- 
gulièrement en  retard  sur  son  temps.  Ecrivain  élégant  d'ailleurs,  esprit 
très  cultivé  et  très  fin,  d'Arcais,  après  avoir  joint  la  critique  dramatique 
à  la  critique  musicale,  devint  en  1878,  directeur  de  l'Opinione,  et  conserva 
ces  fonctions  jusqu'en  1889,  époque  à  laquelle,  sans  renoncer  à  son  feuil- 
leton, il  devint  rédacteur  politique  du  journal  français  l'Italie.  H  avait 
collabore  à  la  Gazzetta  musicale  de  Milan  et  à  la  Nuova  Anlologia.  D'Arcais 
s'était  aussi,  mais  avec  peu  de  succès,  essayé  dans  la  composition  dra- 
matique. Il  avait  abordé  la  scène  avec  trois  ouvrages  bouffes  :  l'un,  i  Due 
Preccltori,  représenté  vers  1865  ;  le  second,  Sganarello,  donné  au  théâtre 
Re,  de  Milan,  au  mois  d'avril  1871  ;  le  troisième  enfin,  la  Guerra  amorosa, 
petit  opéra  à  deux  personnages,  représenté  à  Florence.  On  lui  doit  aussi 
une  Messe  funèbre,  l'Addio  del  Condannato,  scène  dramatique  pour  bary- 
ton, et  quelques  romances  et  mélodies  vocales. 

•  Henri  Heugel.  directeur-géiant. 


:   FEB.    —  l'II-llIMEUIE   CUA1X.   —   HUE 


3100  —  56me  AME  --  If  35.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES  Dimanche  31  Août  1890. 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  %  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sui. 


S0MMAIEE -TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste  :  Eugène  Gautier  (16°  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Semaine 
théâtrale:  Le  centenaire  d'Herold,  Arthur  Poggin.  —  III.  Berlioz,  sou  génie, 
sa  technique,  son  caractère,  à  propos  d'un  manuscrit  autographe  d'Harold  en 
Italie  (4"  article),  A.  Montaux.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

DOLCE    FAR    NIENTE 

■de  André   Wormser.    —  Suivra  immédiatement  :    Verglas-Galop,  de  Franz 
Hitz. 

CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant:  Hymne  aux  astres,  nouvelle  mélodie  de  J.  Faure,  poésie  de 
Frédéric  Bataille.  —  Suivra  immédiatement:  Les  Yeux,  nouvelle  mélodie 
des  mêmes  auteurs. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


EUGENE  GAUTIER 


Après  le  siège  prussien,  la  Commune.  Aux  premiers  jours 
de  cette  nouvelle  période  d'épreuves,  Eugène  Gautier  m'é- 
crivait : 

«  Je  vis  dans  une  alternative  de  bronchite  et  de  garde 
nationale  qui  ne  m'ont  pas  permis  de  vous  voir,  ni  de  vous 
répondre.  Hier,  me  fiant  sur  la  chaleur  d'une  matinée  de 
printemps,  je  suis  parti,  après  avoir  ôté  un  double  gilet, 
sur  le  Comité  central,  puisqu'on  ne  doit  plus  dire  l'impériale, 
de  l'omnibus  du  square  Montholon,  qui  devait  me  conduire 
chez  vous.  Arrivé  devant  la  porte  Denis,  j'ai  été  pris  d'une 
sensation  de  froid  si  vive  que  je  n'ai  pas  cru  devoir  continuer 
ma  route.  Le  soir  j'ai  eu  un  horrible  étouffement,  etc.... 

»  Je  vous  prie,  si  vous  passez  dans  mon  quartier,  venez 
me  voir;  sinon  je  recommencerai,  demain  mercredi,  le  voyage 
de  la  Salpétrière,  d'autant  plus  que  vous  m'avez  promis  des 
vers  et  que  j'aime  mieux  le  bruit  de  la  lyre  que  celui  du 
chassepot. 

»  J'ai  aperçu  Du  Locle  dans  la  cour  de  l'Opéra,  le  jour 
de  l'assassinat  du  général  Lecomte  ;  je  puis  attester  qu'il 
n'a  pris  aucune  part  à  ce  crime,  car,  à  l'heure  juste  où  il 
se  commettait,  il  était  rue  Drouot,  dans  l'état  major  du  vénérai 
Perrin,  que  les  horreurs  du  siège  ont  fort  engraissé. 

»  Et  maintenant,  à  bientôt,  «  Cytoyen  pote  »,  comme  disait 


le  grand   Maximilien,   dans  ce  français  sentwientalo-guillotinesque 
inventé  par  ce  malfaiteur  de  Jean-Jacques  Rousseau. 

«  Tous  ces  événements  ont  flétri  mon  cœur.  J'ai  hâte  de 
l'ouvrir  à  vos  accents.  » 

Le  nuage  passé,  le  beau  temps  revenu,  l'Opéra-Comique 
rouvert,  Eugène  Gautier  se  remit  en  campagne.  La  Clé  d'or 
avançait,  prenait  corps;  toutefois,  le  dissentiment  entre  les 
deux  directeurs  à  son  sujet  ne  s'arrangeait  pas.  Gautier  sen- 
tait l'hostilité  grandir  contre  lui.  Il  s'écoula  ainsi  bien  des 
mois,  durant  lesquels  rien  ne  fut  perdu  pour  le  travail.  Le 
compositeur  avait  foi  en  son  étoile. 

Un  jour  vint  où  la  fortune,  une  fortune  inespérée,  parut 
lui  sourire. 

Au  théâtre  Ventadour,  abandonné  par  les  Italiens,  on  s'était 
mis  en  tête  de  restaurer  le  Théâtre-Lyrique.  Tout  de  suite, 
las  des  tiédeurs  et  des  difficultés  rencontrées  à  l'Opéra- 
Comique,  Eugène  Gautier  se  tourna  de  ce  côté. 

Et  bientôt,  il  put  m'apprendre  que,  bien  que  non  terminée, 
la  pièce  était  reçue,  allait  être  mise  à  l'étude.  Il  y  eut,  en 
effet,  un  commencement  d'exécution.  L'ouvrage  fut  distribué, 
le  rôle  principal,  celui  de  Raoul  d'Alhol,  confié  au  ténor 
Audran,  artiste  de  valeur,  qui  venait  de  faire  une  longue  et 
heureuse  campagne  en  Belgique;  une  maquette  de  décor  me 
fût  même  montrée  et  je  pus  croire  un  instant  que  la  première 
représentation  était  proche. 

Ce  fut  une  période  heureuse,  mais  brève.  Tout  s'écroula 
bientôt.  La  ruine  subite  du  projet  de  restauration  du  Théâtre- 
Lyrique  balaya  poème,  musique,  interprétation  et  maquettes. 
Il  fallut  se  retourner  encore  une  fois  du  côté  de  l'Opéra- 
Comique  et  certain  soir,  je  crus  que  Du  Locle  revenait  à  des 
sentiments  meilleurs  au  sujet  du  musicien.  Je  l'écrivis  à  ce 
dernier  avec  quelques  réticences,  ne  voulant  pas  lui  donner 
de  fausse  joie. 

«  Que  signifie,  me  répondit-il,  votre  question  qui  excite  en 
moi  «  un  trouble  inconnu,  un  secretémoi  »,  —  style  d'opéra- 
comique? 

Faut-il  que  bannissant  la  haine  et  la  vengeance 

Mon  cceur  se  rouvre  à  l'espérance? 

Faut-il  que  dans  ce  cœur  charmé, 
Ainsi  qu'une  statue  élevée  sur  un  socle, 
Se  dresse  désormais  l'image  de  Du  Locle 

Nommé  par  moi  :  le  Bien-Aimé! 

»  Je  rentre  au  plus  vite  mettre  ceci  en  musique.  A  ce 
soir,  n'est-ce  pas?  » 

A  part  «  élevée  sur  un  socle  »  qui  bousculait  la  règle,  la 
joie  du  triomphe  entrevu  avait  fait  s'exprimer  en  vers  le  com- 
positeur cahoté  entre  des  fortunes  si  diverses.  L'intention  du 
moins  y  était. 


274 


LE  MENESTREL 


Du  Locle  devait  descendre  bientôt  de  ce  socle  où  Eugène 
Gautier,  très  conscient  de  sa  résistance,  venait  ironiquement 
de  le  placer.  L'Opéra-Comique  laissa  de  côté  la  Clé  d'or  et 
annonça  le  Fantasio  arrangé  d'après  A.  de  Musset,  et  mis  en 
musique  par  Offenbach. 

«  Je  n'ai  pas  travaillé,  me  mandait  alors  Eugène  Gautier, 
peut-être  sous  le  coup  du  désenchantement  causé  par  cette 
nouvelle  ;  j'ai  le  cœur  malade  au  physique  et  au  moral. 

»  Je  vais  m'y  mettre.  Quelle  âme  d'artiste  ne  serait  pas 
échauffée  par  la  pensée  que,  comme  l'on  disait  autrefois  en 
parlant  de  Ruy  Bios  : 

...  Là-bas,  tout  au  bout  des  chemins, 
A  Fantasio  qui  se  lève  un  peuple  bat  des  mains! 

»  Il  y  a,  je  crois,  un  pied   de  trop  clans   le  dernier  vers, 

mais  vous  pouvez  le  prendre  pour  le  f iche  dans  le  

de  celui  qui  ne   trouverait  pas  la  musique  de  la  Clé  d'or  la 
première  musique  du  monde!  » 


Tout  passe  pourtant.  Fantasio  lui-même  passa.  Même,  il 
passa  vite.  Et  le  courant  de  Leuven  reprit  le  dessus.  De  nou- 
veau plein  de  courage,  Eugène  Gautier  partit  pour  la  cam- 
pagne et  plus  vite  qu'il  n'en  avait  eu  d'abord  l'intention.  Je 
ne  sais  si  les  lettres  que  je  repasse  ici  coïncident  exacte- 
ment avec  les  dates  des  événements,  mais  elles  s'appliquent 
trop  exactement  aux  événements  eux-mêmes  pour  que  je  me 
soucie  de  les  coordonner.  Souci  qui  serait  d'ailleurs  peine 
perdue,  car,  comme  celles  de  Georges  Bizet,  elles  sont  géné- 
ralement sans  date. 

»  Mon  cher  ami,  le  '1er  de  ce  mois,  comme  je  rentrais  chez 
moi,  rue  de  Laval,  ma  concierge  m'a  annoncé,  le  sourire 
sur  les  lèvres,  que  la  petite  vérole  était  dans  la  maison.  J'ai 
pris  mes  clics  et  mes  clacs,  j'ai  porté  mon  chat  dans  une 
maison  de  santé,  j'ai  pris  le  bras  de  ma  sœur,  et  en  wagon!  » 

Puis,  dans  un  autre  mot  : 

»  Je  reçois  aujourd'hui  votre  lettre,  plus  tatouée  qu'un 
chef  sauvage;,  les  timbres  rouges  et  bleus,  etc.,  la  couvrent 
presque  entièrement.  On  y  lit  aussi  deux  ou  trois  fois  le 
mot  :  inconnu,  ce  qui  est  désagréable  pour  quelqu'un  qui 
court  après  la  gloire Ce  n'est  pas  moi  qui  ai  fait  an- 
noncer la  Clé  d'or.  Je  me  suis  contenté  de  la  finir  à  très  peu 
près.  Et  lorsque  du  Locle  le  voudra,  je  suis  disposé  à 
entrer  en  répétitions.  Je  ne  parle  pas  de  Leuven,  car  aucune 
opposition  ne  viendra  de  lui.  » 

Enfin,  ces  deux  lettres,  peut-être  d'une  époque  antérieure, 
mais  se  rattachant  au  même-  fait! 

Il  était  fixé  à  Donville,  près  de  Granville,  dans  la  Manche. 
Il  attendait  là,  en  travaillant,  une  lettre  que  lui  avait  pro- 
mise de  Leuven  pour  Octave  Feuillet,  qui  restait  toujours, 
comme  de  juste,  le  magistral  conseiller  en  tout  ce  qui  tou- 
chait à  la  Clé  d'or  : 

«  Cher  ami,  je  suis  parti  sans  vous  voir,  car  je  suis  parti 
de  rage!  —  On  semblait  le  faire  exprès  pour  m'empêcher  de 
travailler.  Commissions,  examens,  réorganisation  du  Conser- 
vatoire et  de  la  chapelle  que  je  dirige.  J'ai  pris  la  jolie  pièce 
que  je  vous  dois,  ma  malle  et  mon  bâton  de  voyage  et  je 
suis  venu  m'établir  au  milieu  d'un  désert.  J'ai  devant  moi 
des  rochers  et  derrière  moi  la  mer!  Je  ne  puis  être  ici  dé- 
rangé que  par  les  congres  et  les  lézards.  J'ai  donc  reçu  le 
beau  manuscrit  que  vous  avez  bien  voulu  m'envoyer  et  j'ai 
repris  mon  morceau  après  le  chœur  des  paysans.   » 

Le  désert!  La  retraite  qui  ne  peut  être  troublée  que  par 
les  lézards  ou  les  congres!  Illusion  d'artiste  amoureux  de 
solitude  et  de  silence. 

«  Mon  cher  ami,  dit  la  seconde  lettre,  le  paysan  bas-nor- 
mand est  si  stupide,  que  moi,  qui  demeure  à  quinze  lieues 
de  Saint-Lo,  je  ne  puis  arriver  à  savoir  encore  d'une  manière 
certaine,  au  bureau  de  la  voiture,  qui  fait  trois  fois  par  jour 
le  trajet  de  Saint-Lô  à  Granville,  si  Feuillet  est  chez  lui  I 
Voulez-vous  bien  réclamer  de  ma  part  à  Leuven  les  quelques 


mots  qu'il   m'a  promis  pour  notre  illustre  collaborateur - 

J'ai  travaillé  et  j'ai  fait  tout  le  morceau  d'entrée:  Ah! Madame,, 
que  d'élégance!  J'en  suis  satisfait.  Hâtez-vous  de  m'envoyer  les 
quelques  mots  que  je  réclame,  car  j'ai  reçu  une  lettre  du 
Conservatoire,  qui  me  rappelle  pour  les  premiers  jours  de- 
septembre. 

»  Du  reste,  j'ai  encore  perdu  une  illusion  relativement  au 
calme  de  la  campagne  :  j'ai  devant  ma  fenêtre  une  .maison, 
en  construction  clans  laquelle  on  tape...  en  se  dépêchant,, 
comme  si  on  construisait  l'Arche  de  Noé  et  que  le  déluge  fut 
proche  !  A  ma  droite,  on  ferre  des  persiennes,  en  arrachant 
de  longs  cris  de  douleur  à  une  muraille  en  pierres  meulières 
à  laquelle  on  fait  des  ponctions  avec  un  vilbrequin   de   fer 

long  comme  ça A  ma  gauche,  un  savetier  cogne  de  toutes 

ses  forces  et  sans  discontinuer,  sur  la  semelle  des  savates 
de  mes  convillageois!  Semelles  moins  épaisses  et  moins  in- 
sensibles que  la  plante  des  pieds  avec  quoi  les  Bas-Normands 
marchent  sur  des  culs  de  bouteilles,  ou  la  cervelle,  grâce 
à  laquelle  ils  éprouvent  quelques  vagues  sensations  de  dou- 
leur ou  de  bien-être!  Après  huit  jours  de  recherches,  on  m'a 
envoyé  de  Granville,  sur  un  chariot  mérovingien,  une  cen- 
taine de  cordes  rouillées,  tendues  dans  une  espèce  de  sale 
caisse  d'emballage,  qu'on  m'a  assuré  être  un  piano;  j'ai  de- 
mandé l'accordeur  à  grands  cris  :  le  seul  que  possède  Gran- 
ville est  un  marin  parti  pour  la  pèche  de  la  morue!  Aussitôt 
de  retour,  il  sera  à  ma  disposition  ! 

»  J'étais  venu  m'enterrer  dans  Donville,  parce  que  nous 
avions  des  amis  qui  demeuraient  dans  ce  sillon!  Au  moins, 
disais-je,  après  les  fatigues  du  travail  et  de  l'inspiration!  !  ! 
sous  les  grands  arbres,  au  bord  de  la  fontaine,  je  jouirai, 
comme  récompense  et  comme  repos,  des  doux  épanehements 
de  l'amitié!  Nous  nous  sommes  brouillés  à  propos  d'un  gigot 
(car  il  est  ici  plus  difficile  de  se  procurer  de  la  viande  que 
du  temps  du  siège),  à  ce  point  que,  moi  et  ma  sœur,  nous 
n'osons  plus  sortir  le  soir  de  peur  d'un  coup  d'escopette  de 
leur  part,  et  que,  sans  rien  dire,  nous  faisons  essayer  notre 
cidre  par  Marie,  crainte  d'empoisonnement!  Et  cependant,  au 
milieu  de  tout  ça  (suis-je  assez  Mozart?),  j'ai  fait  un  nou- 
veau chef-d'œuvre  et  j'en  sens  un  autre  qui  grouille  dans 
ma   tête... 

»  Dans  ce  moment,  je  ne  sais  pour  quelle  cause,  sous  la 
fenêtre  de  ma  chambre  humide,  où  les  champignons  (cette 
moisissure  que  l'on  a  la  faiblesse  de  traiter  parfois  comme 
un  aliment)  croissent  en  liberté,  les  enfants  du  village  pous- 
sent des  cris  affreux  avec  un  ensemble  qui  fait  songer  au 
massacre  des  innocents;  des  chiens  bruyants  se  précipitent 
à  leur  secours;  sur  ce  fond  coloré  se  détache  un  cantique 
que  hurlent  des  petites  filles  jouant  à  la  procession?  Quel 
calme  !    Quelle  paix!... 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


LE  CENTENAIRE  D'HEROLD 
Le  Ménestrel  faisait  remarquer,  il  y  a  plusieurs  semaines  déjà, 
que  l'année  1891  verrait  le  centenaire  de  quatre  grands  artistes  : 
celui  de  la  mort  de  Mozart,  et  celui  de  la  naissance  d'Herold,  de 
Meyerbeer  et  de  Charles  Czerny.  Il  n'y  aurait  rien  d'étonnant  à  ce 
que  messieurs  les  wagnériens  de  Prusse,  intolérants  comme  les 
nôtres  et  comme  les  sectaires  de  tous  les  pays,  fissent  tous  leurs 
efforts  pour  empêcher  la  commémoration,  à  Berlin,  de  la  naissance 
de  l'illustre  auteur  des  Huguenots,  du  Prophète  et  de  Struensée.  On. 
sait  que  Wagner,  qui  fut  plus  d'une  fois  son  obligé,  n'en  a  pas 
moins  exhalé  sur  lui  sa  haine  et  son  mépris,  non  seulement  comme 
artiste,  mais  comme  juif,  ce  qui  était  un  crime  irrémissible  aux 
yeux  de  ce  farouche  chrétien.  Il  n'en  sera  pas  de  même  pour 
Mozart  à  Vienne,  et  sans  doute  dans  toute  l'Allemagne.  Celui-là  est 
si  grand  quo  porsonne  encore  n'a  osé  y  toucher,  et  l'on  peut  être 
certain  d'avance  que  son  anniversaire,  loin  de  passer  inaperçu, 
sera  célébré  dignement,  noblement  et  comme  il  le  mérite. 


LE  MENESTREL 


275 


11  s'agit,  pour  nous,  de  ne  point  nous  laisser  faire  la  leçon,  et  de  fêter 
•  de  notre  côté,  comme  nous  le  devons,  le  centenaire  de  notre  grand 
Herold,  de  l'auteur  de  Marie  et  du  Muletier,  de  la  Clochette  et  des 
.Rosières,  de  Zampa  et  du  Pré  aux  Clercs.  Et  nous  n'avons  pas  de 
temps  à  perdre  pour  soDger  à  nous  y  préparer,  car  c'est  le  28  jan- 
vier 1891  que  tombe  l'anniversaire  de  sa  naissance.  J'ai  été  assez 
heureux  il  y  a  quelques  années,  faisant  partie  du  comité  de  la 
Société  des  compositeurs  de  musique,  pour  obtenir  de  la  Société 
qu'elle  fit  placer,  sur  la  maison  natale  d'Herold,  rue  des  Vieux- 
Augustins  (aujourd'hui  rue  Herold),  une  plaque  commémorative.  Je 
veux  espérer  que  mon  initiative  ne  sera  pas  cette  fois  moins  chan- 
ceuse, et  que  l'Opéra-Gomique  tout  au  moins,  qui  jouit  des  chefs- 
d'œuvre  d'un  de  nos  artistes  les  plus  admirables,  tiendra  à  hon- 
neur de  glorifier  sa  mémoire  comme  il  convient,  et  ne  se  fera  pas 
tirer  l'oreille  pour  prouver  à  l'Europe  que  la  France  sait  digne- 
ment consacrer  le  souvenir  de  ceux  qui  l'ont  émue,  consolée  et 
charmée. 

Il  faut  bien  dire  que  l'Opéra-Gomique  ne  sait  pas  tirer  tout  le 
parti  qu'il  pourrait  du  répeitoiie  de  ce  maître  enchanteur.  De  la  Clo- 
chette et  des  Rosières,  de  Marie,  du  Muletier,  de  l'Illusion  il  n'est 
jamais  question,  et  Dieu  sait  pourtant  si  le  publie  verrait  ces  ouvrages 
charmants  avec  un  véritable  plaisir  !  Seuls,  Zampa  et  le  Pré  aux 
Clercs,  ces  deux  chefs-d'œuvre,  n'ont  jamais  pour  ainsi  dire  quitté 
l'affiche  depuis  leur  création.  Mais  aussi,  quelle  carrière  pour  tous 
■  deux,  surtout  pour  le  dernier!  C'est  à  peine  si  l'on  s'en  rend  compte, 
•et  il  n'est  pas  inutile  de  le  rappeler  avec  quelques  détails. 

Zampa,  dont  la  première  représentation  remonte  au  3  mai  1831, 
atteignait  sa  425""=  le  5  septembre  1871.  La  reprise  du  19  janvier  1886 
était  la  527me.  En  cette  année  1886  il  obtenait  5  représentations 
•seulement,  et  6  en  1887;  mais  on  le  jouait  24  fois  en  1888.  Je  n'ai 
pas  le  compte  pour  1889,  non  plus  que  pour  le  commencement  de 
la  présente  année,  mais  je  crois  bien  qu'on  ne  doit  pas  être  loin  de 
la  600mc.  C'est  bien  autre  chose  encore  pour  le  Pré  aux  Clercs,  qui 
parut  pour  la  première  fois  à  la  scène  le  15  décembre  1832.  Le  7  oc- 
tobre 1866  il  atteignait  sa  885me  représentation,  et  on  le  donnait  ce 
jour-l'a  avec  la  413me  de  Marie,  dont  une  reprise  —  la  dernière  !  — 
avait  eu  lieu  peu  de  mois  auparavant.  Mais  ce  qui  est  remarquable, 
■et  singulièrement  rare,  c'est  que  plus  on  avance  et  plus  les  repré- 
sentations du  Pré  aux  Clercs  sont  nombreuses  et  fréquentes,  et  plus 
le  public  y  accourt  en  foule.  Le  11  oelobre  1871  on  en  célèbre  la 
.millième,  le  10  septembre  1878  a  lieu  la  l,200mc,  le  15  octobre  1881 
la  l,300me,  enfin  le  17  avril  1886,  la  1,400™".  On  en  donne  encore 
■cette  dernière  année  18  représentations,  puis  25  en  1887  et  19  en  1888, 
de  sorte  qu'on  doit  être  aujourd'hui  tout  près  de  la  l,500me.  Il  n'y  a, 
dans  tout  le  répertoire,  que  la  Dame  blanche,  qui  puisse  lutter  avec 
une  telle  fortune.  Le  Domino  noir,  seul,  je  crois,  a  dépassé  la  l,000me 
depuis  déjà  quelques  années. 

Et  il  ne  faut  pas  croire  que  le  succès  des  deux  grands  chefs- 
d'œuvre  d'Herold  soit  circonscrit  à  la  France.  L'étranger  n'a  cessé, 
lui  aussi,  de  leur  faire  un  brillant  accueil.  Seulement,  à  l'inverse 
de  ce  qui  se  produit  chez  nous,  c'est  Zampa  qui  est  ici  le  favori. 
Pour  donner  une  idée  de  la  vogue  de  cet  ouvrage  au  dehors,  je 
constaterai  qu'il  a  été  joué  à  Bruxelles  (à  la  Monnaie),  dès  le  mois 
d'avril  1832  ;  à  Vienne  (théâtre  de  la  Porte  de  Carinthie),  au  mois 
■de  mai  de  la  même  année  ;  à  Londres,  simultanément  en  avril  1833 
sur  deux  théâtres,  en  italien  au  King's-Theatre  et  en  anglais  à 
•Covent-Garden  ;  à  Naples  (théâtre  du  Fondo),  aussi  en  1833;  à  Milan, 
(Seabi),  en  septembre  1835;  à  Lisbonne  (théâtre  San  Carlos),  en 
juillet  1839  ;  à  Venise  (Fenice),  en  1843  ;  à  Londres  (Saint-James), 
en  français,  en  janvier  1850,  et  à  Londres  encore  (Covent-Garden), 
en  italien,  en  août  1858;  à  Madrid,  en  espagnol,  en  1863;  à  Londres 
toujours  (Gaiely),  en  anglais,  en  octobre  1870;  enfin,  de  nouveau  à 
la  Scala  de  Milan,  avec  une  traduction  nouvelle  et  des  récitatifs  de 
Franco  Faceio,  en  janvier  1889. 

On  comprend  que  ces  renseignements  sont  malgré  tout  fort  in- 
complets. Ils  le  sont  plus  encore,  malheureusement  en  ce  qui  con- 
cerne le  Pré  aux  Clercs,  Je  puis  cependant  indiquer  que  celui-ci  a 
fait  son  apparition  à  Bruxelles  en  avril  1833,  quatre  mois  seulement 
après  sa  création  à  Paris;  qu'il  a  été  donné  en  français  à  Londres 
(Princess's-Théâtre),  en  mai  1819;  à  Naples  (théâtre  philharmonique) 
en  1872;  à  Naples  encore  (théâtre  Bellini),  mais  avec  une  traduction 
différente,  en  février  1880  ;  et  de  nouveau  à  Londres  (Covent-Garden), 
cette  fois  en  italien  au  mois  de  juin  de  la  même  année.  On  voit 
que  le  génie  de  notre  Herold  n'est  pas  moins  apprécié  au  dehors 
que  dans  sa  patrie. 

Pourquoi  l'a-l-on  si  complètement  oublié  à  l'Opéra,  où  il  a  été 
musicalement,  si  l'on  peut  dire,  le  régulateur  du  ballet  moderne,  et 


oîi  il  a  obtenu  en  ce  genre  des  succès  éclatants,  frayant  ainsi  la  voie 
à  son  digne  continuateur  Adolphe  Adam,  qui  lui-même  a  eu  pour 
brillant  successeur  M.  Léo  Delibes  ?  Herold  a  donné  à  ce  théâtre 
cinq  ouvrages  de  ce  genre  :  Astolphe  et  Joeonde,  la  Fille  mal  gardée, 
Lydie,  la  Relie  au  bois  dormant  et  la  Somnambule,  dont  le  triomphe 
surtout  a  été  complet  et  s'est  traduit  par  un  total  de  120  représenta- 
tions. La  dernière  reprise  de  la  Somnambule  (ballet  charmant  par 
lui-même)  date  de  1857,  et  depuis  lors  on  n'a  pas  entendu  à  l'Opéra 
une  seule  note  d'Herold,  qui  pendant  dix  ans  a  été  chef  du  chant 
à  ce  théâtre,  ou  il  a  fait  représenter  aussi  un  joli  petit  opéra  en  un 
acte,  Lasthénie,  auquel  malheureusement  son  sujet  grec,  peu  goûté 
du  public,  n'a  pas  permis  de  dépasser  une  trentaine  de  représen- 
tations. 

Si  j'avais  l'honneur  d'être  directeur  de  l'Opéra-Comique,je  voudrais 
m'arranger  de  façon  à  donner,  le  28  janvier  1891,  la  1,500e  représen- 
tation du  Pré  aux  Clercs.  Pour  que  la  soirée  fût  complètement  con- 
sacrée au  souvenir  et  à  la  gloire  du  maître,  je  compléterais  l'affiche 
du  jour  avec  une  bonne  reprise  soit  du  Muletier,  soit  de  l'Illusion. 
soit  même  des  deux  à  la  fois,  et  je  voudrais  solenniser  cette  fête  par 
une  grande  manifestation  en  l'honneur  de  l'artiste  immortel  auquel 
l'Opéra-Comique  est  redevable  de  triomphes  si  éclatants  et  si  prolon- 
gés. Je  voudrais  faire  plus  encore,  et  fêter  un  double  anniversaire. 
Après  avoir  ainsi  célébré  dignement,  le  28  janvier,  le  centenaire  de 
la  naissance  d'Herold,  je  voudrais,  le  3  mai  suivant,  donner  la  600° 
représentation  de  Zampa,  juste  soixante  ans,  jour  pour  jour,  après  la 
première  apparition  du  chef-d'œuvre.  Voilà  qui  serait  digne  de 
l'Opéra-Gomique,  digne  d'Herold,  digne  de  la  France  musicale.  Que 
M.  Paravey  consulte  à  ce  sujet  son  chef  d'orchestre,  mon  vieux  ca- 
marade Danbé,  qui  donnait  il  y  a  quelques  années,  au  Palais  de 
l'Industrie,  un  si  brillant  festival  à  la  mémoire  d'Herold.  Je  suis  bien 
sur  que  celui-là  ne  me  démentira  pas,  et  qu'il  se  multiplierait  avec 
joie  pour  donner  à  la  célébration  du  centenaire  du  maître  tout  l'éclat 
qu'il  doit  avoir.  Il  y  va,  d'ailleurs,  de  l'honneur  de  1  Opéra-Comique, 
et  il  ne  faut,  à  aucun  prix,  qu'une  telle  date  passe  inaperçue  pour 
nous. 

Mais,  je  l'avoue,  cela  ne  me  suffirait  pas  encore,  et  pour  que  la 
manifestation  fût  complète,  je  voudrais  que  nos  trois  théâtres  ly- 
riques y  prissent  part  à  la  fois.  (Je  dis  nos  trois  théâtres  lyriques 
parce  que  nous  en  aurons  trois  alors,  l'Eden  étant  sans  doute  en 
pleine  exploitation.)  Si  MM.  Ritt  et  Gailhard  étaient  vraiment  sou- 
cieux du  bon  renom  de  l'Opéra  et  de  l'honneur  de  l'art  national, 
ils  n'y  manqueraient  certainement  pas.  Sont-ils  gens  à  faire  preuve 
de  quelque  initiative  et  à  prendre  un  peu  de  peine  à  ce  sujet? 
toute  la  question  est  là.  —  Mais  que  faire?  diront-ils,  et  comment 
s'y  prendre?  —  Ceci  est  à  étudier;  avec  de  la  volonté  et  un  ferme 
dessein,  on  arrive  à  tout.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  le  nom 
d'Herold  a  paru  plus  de  trois  cents  fois  sur  les  affiches  de  l'Opéra, 
qu'il  a  tenu  à  ce  théâtre  un  emploi  extrêmement  important,  et  que 
cela  mérite  bien  de  la  part  de  celui-ci  un  souvenir,  que  la  gloire 
du  maître  justifierait  d'ailleurs  de  toutes  façons.  Et  quand  on  a 
cinq  grands  mois  pour  se  préparer,  on  a  tout  le  temps  nécessaire 
pour  chercher  et  trouver.  Quant  à  l'Eden,  rien  ne  serait  plus  facile 
assurément  que  d'y  organiser,  pour  une  telle  circonstance,  une 
cérémonie  intéressante  et  digne  d'un  si  noble  sujet.  Et  si  en  effet 
nos  trois  grandes  scènes  musicales  combinaient  intelligemment 
leurs  efforts  en  vue  d'un  résultat  commun  à  obtenir,  quoique  par- 
ticulier à  chacune  d'elles,  nous  montrerions  à  l'Europe  que  la 
France  a,  tout  comme  d'autres,  le  culte  du  génie,  le  juste  souci 
de  ses  gloires,  et  le  respect  affectueux  des  grands  hommes  qui 
l'ont  illustrée. 

Le  nom  d'Herold  marque  une  date  dans  l'histoire  de  la  musique 
française.  Avec  lui,  la  musique  dramatique,  se  dégageant  des  en- 
traves qui  la  retenaient  encore,  répudiant  définitivement  et  pour 
jamais  la  formule,  à  laquelle  Boieldieu  avait  déjà  porté  les  pre- 
miers coups,  conquiert  son  entière  indépendance,  élargit  son  vol, 
se  poétise  et  s'idéalise  complètement,  et  s'élance  à  la  recherche  de 
destinées  nouvelles.  C'est  dans  une  série  de  chefs-d'œuvre  que  cet 
artiste  merveilleux  affirme  et  développe  son  génie  primesautier,  si 
vivace,  si  souple  et  si  varié.  Il  donne  successivement  Marie,  chef- 
d'œuvre  de  grâce  et  de  jeunesse,  Zampa,  chef-d'œuvre  d'énergie  et 
de  passion,  le  Pré  aux  Clercs,  chef-d'œuvre  de  tendresse  et  d'élé- 
gance, puis  meurt  au  seuil  de  la  quarantième  année,  trop  jeune 
pour  avoir  pu  remplir  jusqu'au  bout  la  mission  qui  lui  semblait 
dévolue,  mais  après  avoir  assez  fait  pour  sa  gloire,  et  en  laissant 
derrière  lui  ce  sillon  de  feu  qui  marque  le  passage  des  êtres  pré- 
destinés. 
Comme    Weber,  à  qui    il    ressemblait    par   certains   côtés,    avec 


276 


LE  MENESTREL 


lequel  il  possédait  tant  d'affinités,  comme  Weber,  dont  il  avait 
l'audace,  la  grandeur  et  la  fierté,  Herold  a  trop  tôt  disparu.  Il  nous 
a  été  enlevé  au  moment  même  où  il  prenait  pleine  possession  de 
son  génie,  où  il  avait,  avec  l'expérience,  conquis  la  faculté  de  le 
maîtriser  et  de  le  diriger,  où  il  était  prêt  enfin  à  produire  de  nou- 
veaux chefs-d'œuvre,  plus  grands  sans  doute  encore  que  ceux  qu'il 
nous  a  laissés.  C'est  bien  à  Herold,  nature  tendre,  poétique  et  rê- 
veuse, musicien  pathétique  et  passionné,  esprit  tout  ensemble  médi- 
tatif et  résolu,  artiste  au  coeur  toujours  ému,  vibrant  et  endolori, 
c'est  bien  au  doux  poète  de  Marie,  au  chantre  énergique  de  Zampa, 
au  peintre  mélancolique  du  Pré  aux  Clercs,  qu'on  peut  appliquer 
ces   beaux  vers  de  Lamartine  : 

Notre  oreille,  enchaînée  au   son  qui  la  captive, 

Voudrait  éterniser  la  note  fugitive  ; 

Et  l'âme  palpitante  asservie  à  tes  chants, 

Cette  âme  que  ta  voix  possède  tout  entière, 
T'obéit  comme  la  poussière 

Obéit,  dans  l'orage,    aux  caprices  des  vents. 

N'oublions  pas  enfin  qu'Herold  est  de  la  race  des  immortels, 
et  qu'en  le  glorifiant  nous  glorifions  le  pays  qui  l'a  va  naître,  ce 
pays  qui  est  le  nôtre  et  dont  nous  avons  le  droit   d'être  fiers. 

Arthur  Poitgin. 


BERLIOZ 

SON  GÉNIE,  SA  TECHNIQUE,  SON  CARACTÈRE, 
A  propos  d'un  manuscrit  autographe  d'HAROLD  EN  ITALIE 


(Suite) 

Nous  arrivons  maintenant  à  la  relouche  la  plus  curieuse  de  la 
Marche,  et  qui  donne  lieu  aux  observations  les  plus  caractéristiques 
sur  le  tempérament  artistique  de  Berlioz. 

A  partir  de  la  lettre  K,  dès  la  seconde  réapparition  de  la  sonnerie 

de  cloches  représentée  par  la  succession  des  notes  ^X> — p^'iX  | 
confiées,  la  première  aux  flûtes,  hautbois  et  harpe,  la  seconde  aux 
cors  et  à  la  harpe,  se  trouve  une  double  correction  qui  se  pour- 
suivra jusqu'à  la  fin. 

La  pensée  première  de  Berlioz  avait  été,  en  rapprochant  ces  deux 
notes  d'une  mesure,  de  prolonger  le  si  de  telle  sorte  qu'il  vînt 
heurter  l'ut  naturel  de  la  mesure  suivante.  Sans  doute,  dominé  par 
le  souci  d'une  imitation  réaliste,  voulait-il,  pour  compléter  son 
tableau,  reproduire  l'effet  des  cloches  qu'on  mettrait  successivement 
en  branle  assez  vite  pour  que,  dans  le  tranquille  silence  du  soir, 
les  vibrations  de  l'une  durent  encore  quand  l'autre  sonne. 

Quelle  qu'ait  été  d'ailleurs  sa  préoccupation  esthétique,  l'intention 
est  certaine. 

En  effet,  la  partition  manuscrite,  comprend  en  cet  endroit  une 
page  blanche  sur  laquelle  se  trouve  noté,  comme  en  projet,  le  dessin 
de  la  marche,  seulement  aux  altos,  puis  aux  violoncelles,  et  la 
sonnerie  de  cloches  présentée  comme  suit  par  les  flûtes,  hautbois 
et  cors,  sans  que  rien  encore  soit  indiqué  pour  la  harpe: 


Cors  en  ut  \   — ■ -t 


On  voit  qu'à  ce  moment  précis,  Berlioz  songeait  à  prolonger  le  si  pen- 
dant unemesure  entière  contre  l'attaque  des  cors  produisant  l'ut  naturel. 

Au  cours  de  son  travail  il  s'est  ravisé,  et  éprouvant  sans  doute 
quelque  scrupule  sur  la  possibilité  technique  de  cet  effet,  il  l'a 
atténué.  Sur  le  feuillet  initial  il  a  ajusté  une  nouvelle  page  où  il  a 
écrit  le  texte  entier  de  sa  partition,  mais  en  notant  cette  fois  le 
passage  en  question  comme  ci-après: 


Cors  on  ut 
Harpe 


et  ainsi  jusqu'à  la  fin  de  la  marche. 


On  voit  que  le  si  n'était  plus  prolongé  que  d'un  temps.  Mais 
l'effet  n'en  subsistait  pas  moins,  irrégulier  de  forme  et  pénible  pour 
l'oreille. 

C'est  seulement  en  entendant  son  oeuvre,  —  peut-être  même  en 
lisant  les  critiques  dont  elle  était  l'objet,  —  que  Berlioz  aura  renoncé 
à  cette  prolongation  malheureuse.  Le  musicien  l'emporta  finalement 
sur  l'artiste  hanté  par  le  désir  de  faire  passer  dans  son  art  une 
impression  toute  matérielle  qu'il  croyait  d'abord  donner  à  son  tableau 
plus  de  relief  avec  plus  de  vérité  ;  et  finalement,  le  maître,  qui 
aimait  la  pureté  du  style  plus  qu'on  ne  le  croit  généralement,  et 
qui  avait  pour  la  forme  ce  respect  mêlé  d'un  peu  de  crainte  que 
la  forme  inspire  à  ceux  qui  ne  la  possèdent  pas  complètement,  a 
reculé  devant  ce  choc  de  septième  inusité,  dur  et  sans  réalisation. 

Jusqu'à  la  fin  de  la  marche,  il  a  effacé  à  l'encre  les  liaisons  et 
les  noires,  de  telle  sorte  que  le  si  ne  durant  plus  qu'une  mesure, 
le  passage  se  présente  très  régulièrement  comme  dans  la  partition 
gravée. 


Il  n'en  a  pas  agi  ainsi  lorsque  l'ut  ne  suit  pas  imméliatement  le 
',  ce  qui  montre  bien  à  quelle  considération  a  obéi  Berlioz: 


Berlioz  se  révèle  là  sous  un  de  ses  aspects  les  plus  personnels. 
Il  y  avait  en  lui  deux  tendances  opposées  qui  se  combattaient  et 
l'accaparaient  tour  à  tour.  Il  avait  un  sentiment  intense  du  pitto- 
resque qui  lui  faisait  trop  souvent  rechercher  l'effet  dans  de  puérils 
procédés  d'imitation  réaliste,  et,  par  une  singulière  anomalie,  il  avait 
un  sentiment  non  moins  vif  de  cette  idéale  beauté  de  la  forme  qu'il 
avait  peine  à  accomplir.  Ce  romantique  adorait  Virgile,  et  l'on  sait 
que  c'est  au  Divo  Virgilio  qu'il  a  dédié  ses  Troyens.  —  Tel  Goethe- 
s'éprit  de  l'antiquité  grecque. 

Il  était  aussi,  plus  que  qui  ce  fut,  l'homme  de  son  temps.  S'il 
avait  toutes  les  nobles  passions  des  artistes  de  sa  génération,  il  en 
avait  aussi  les  enfantillages.  Ce  Samson  aux  longs  cheveux  aimait  à 
exciter  la  colère  des  Philistins.  Il  faut  voir  comme  il  revient  volontiers 
dans  ses  lettres,  dans  ses  divers  écrits,  sur  cette  sonnerie  de  cloches- 
qu'il  s'était  complu  à  établir  sur  deux  notes,  dont  l'une  était  étran- 
gère à  la  tonalité  du  morceau  !  —  Pourquoi  ne  pas  le  dire?  Il  y  avait 
quelque  effort  dans  ce  rapprochement  de  sons  et  quelque  naïveté 
dans  le  plaisir  qu'il  en  éprouvait.  C'étaient  ces  sentiments,  c'était  ce- 
besoin  d'étonner  le  bourgeois  qui  l'avaient  amené  sans  doute  à  écrire 
la  version  primitive  du  passage  signalé  : 

«  Les  opinions  sur  ma  musique,  raconte-t-il  dans  ses  Mémoires, 
furent  au  moins  aussi  divergentes  à  Bruxelles  qu'à  Paris.  Une  dis- 
cussion assez  curieuse  s'éleva,  m'a-t-on  dit,  entre  M.  Fétis,  qui  m'était 
toujours  hostile,  et  un  autre  critique,  M.  Zani  de  Ferranti,  artiste 
et  écrivain  remarquable,  qui  s'était  déclaré  mon  champion.  Ce  der- 
nier, citant,  parmi  les  pièces  que  je  venais  de  faire  exécuter,  la 
Marche  des  Pèlerins  d'Harold  comme  une  des  choses  les  plus  intéres- 
santes qu'il  eût  jamais  entendues,  Fétis  répliqua  :  «  Comment  voulez- 
vous  que  j'approuve  un  morceau  dam  lequel  on  entend  presque  constamment 
deux  notes  qui  ne  sont  pas  bans  l'harmonie  !  »  (Il  voulait  parler  des  • 
deux  sons  ut  et  si  qui  reviennent  à  la  fin  de  chaque  strophe  et  simu- 
lent une  lente  sonnerie  de  cloches.) 

«  Ma  foi  I  répondit  Zani  de  Ferranti,  je  ne  crois  pas  à  cette  ano- 
malie: mais  si  un  musicien  a  été  capable  de  faire  un  pareil  morceau 
et  de  me  charmer  à  ce  point  pendant  sa  durée,  avec  deux  notes 
qui  n'entrent  pas  dans  l'harmonie,  je  dis  que  ce  n'est  pas  un  homme, 
mais  un  Dieu  !» 

o  Hélas,  eussé-je  répondu  à  l'enthousiaste  italien,  je  ne  suis  qu'un 
simple  homme;  et  M.  Fétis  n'est  qu'un  pauvre  musicien,  car  les 
deux  fameuses  notes  entrent  toujours,  au  contraire,  dans  l'harmonie.- 


LE  MENESTREL 


277 


M.  Fétis  ne  s'est  pas  aperçu  que  c'est-  grâce  à  leur  intervention 
dans  l'accord  que  les  tonalités  diverses  terminant  les  strophes  sont 
ramenées  au  ton  principal  et  qu'au  point  de  vue  musical,  c'est  pré- 
cisément ce  qu'il  y  a  de  curieux  et  de  nouveau  dans  cette  marche, 
et  sur  quoi  un  musicien  véritable  ne  peut  ni  ne  doit  se  tromper  un 
seul  inslanl.  Je  fus  tenté  d'écrire  dans  quelque  journal  à  Zani  de 
Ferranli,  quand  on  m'eut  raconté  ce  singulier  malentendu,  pour 
démontrer  l'erreur  de  Fétis;  puis,  je  me  ravisai  et  me  renfermai  dans 
mon  système,  que  je  crois  bon,_  de  ne  jamais  répondre  aux  criti- 
ques, si  absurdes  qu'elles  soienl. 

«  La  partition  A'Harold  ayant  été  publiée  quelques  années  après, 
M.  Fétis  a  pu  se  convaincre  par  ses  yeux  que  les  deux  notes  entrent 
toujours  dans  l'harmonie.  » 

Dans  ce  passage  de  ses  Mémoires,  Berlioz  a-t-il  dit  toute  la  vérité 
et  rien  que  la  vérité?  —  Quand  on  vient  d'étudier  de  près  le  manus- 
crit de  la  Marche  des  Pèlerins,  on  a  le  droit  d'en  douter.  Si  grande 
que  soit  notre  admiration  pour  le  maître,  on  se  demande  involontai- 
rement si  son  récit  ne  cache  pas  quelque  maligne  tticherie.  On  a 
démontré  récemment  que  l'histoire,  complaisamment  racontée  par  lui 
dans  ses  Mémoires,  d'Habeneek  déposant  son  bâton  de  commande- 
ment pour  prendre  une  prise  de  tabac  au  moment  le  plus  périlleux 
du  Requiem,  est  de  pure  invention,  et  que  l'imagination  de  Beilioz, 
atteint  d'une  sorte  de  manie  de  la  persécution,  en  a  seule  fait  les 
frais.  —  Eh  bien!  on  peut  craindre  qu'il  n'en  soit  de  même  pour  l'his- 
toire de  Fétis  commettant  une  erreur  aussi  grossière  dans  son  appré- 
ciation de  la  Marche  des  Pèlerins,  —  ou  plutôt  que  les  faits  ainsi 
présentés  ne  soient  qus  l'expression  très  -altérée  de  la  vérité. 

On  voit  que  finalement  Berlioz  se  réfère  à  la  partition  gravée,  qui  pa- 
rut, dit-il,  «  quelques  années  ApitÈs  »  l'année  où  se  place  le  récit  (1840). 

N'est-il  pas  permis  de  supposer  que  lorsque  Fétis  tint,  siDon  le 
propos  que  Berlioz  lui  attribue,  du  moins,  un  propos  analogue,  la 
Marche  des  Pèlerins  avait  été  exécutée  plusieurs  fois  dans  les  concerts 
telle  que  Berlioz  l'avait  d'abord  écrite  et  que  le  manuscrit  nous  la  révèle? 
Celte  supposition  est  d'autant  plus  vraisemblable  que,  —  on  s'en 
souvient,  —  le  maître  nous  a  dit  lui-même  y  avoir  «  pendant  plus  de 
six  ans  introduit  des  modifications  de  détail.  »  La  partition  gravée  qui 
reproduit  le  texte  ainsi  remanié,  a  donc  dû  être  publiée  très  long- 
temps après  la  première  audition  qui  eut  lieu  à  la  fin  de  1834.  — 
S'il  en  est  bien  ainsi,  il  est  hors  de  doute  que  Fétis  a  entendu  le 
passage  en  question  sous  la  forme  que  Berlioz  lui-même  a  implici- 
tement condamnée,  puisqu'il  l'a  modifiée  en  faisant  disparaître  l'in- 
correction signalée  plus  haut.  —  Qui  sait  même  si  ce  n'est  pas  la 
critique  de  Fétis  qni  a  ouvert  les  yeux  à  Berlioz?  car  cette  critique 
a  dû  être  formulée  bien  avant  la  date  que  semble  vouloir  lui  assigner 
l'auteur  à'Harold,  et  en  d'autres  termes.  Elle  visait  sans  doute  ce 
qu'ily  avait  de  fautif  dans  la  prolongation  du  si  sur  l'ut  sans  résolution, 
et,  dans  ce  cas,  il  faut  convenir  qu'elle  était  fondée,  et  que,  ce  jour- 
là,  Fétis  était  mieux  inspiré  que  le  jour  où  il  reprochait  à  Beethoven 
d'avoir  présenté  dans  l'admirable  adagio  de  la  symphonie  en  ut  mineur 
le  renversement  complet  de  la  septième  de  sensible  avec  la  note  sub- 
stituée placée  à  la  partie  inférieure  (Traité  complet  de  la  Théorie  et  de 
la  Pratique  de  l'Harmonie,  p.  49).  — Berlioz  se  faisait  la  partie  belle 
en  le  raillant  sur  les  faits  ainsi  arrangés,  et  il  commettait  une  véri- 
table niche  en  le  renvoyant  à  la  partition  gravée  où  Fétis  ne  pouvait 
retrouver  ce  qu'il  avait  entendu.  Il  y  avait  de  quoi  déconceiter  le 
farouche  théoricien,  qui  dut  ne  pas  en  croire  ses  yeux...  ou  ses 
oreilles  ! 

L'observation  de  Fétis  n'était  pas  d'ailleurs  pour  détonner  en  ce  temps 
où  les  œuvres  de  Berlioz  donnaient  lieu  à  des  polémiques  passionnées. 
N'était-ce  pas  Robert  Schumann,  novateur  ordent  (dont  on  ne  saurait 
certes  suspecter  le  libéralisme)  à  la  recherche  des  sentiers  non  encore 
frayés,  — ■  combattant  le  bon  -combat  contre  les  Philistins  sous  les 
pseudonymes  romanesques  de  Florestan,  Eusebius,  Raro,  qui,  après 
avoir  entendu  la  Symphonie  fantastique,  discutait  avec  vivacité  le  sys- 
tème de  la  musique  à  programme  et  s'écriait  en  terminant  :  «  ...  Il  y  a 
encore  beaucoup  de  bon  et  de  mauvais  ci  dire  à  ce  sujet  :  mais  pour 
aujourd'hui,  il  faut  m'arrêler  là  !  Puissent  ces  lignes  amener  Berlioz  à 
rester  maltro  de  son  penchant  vers  V excentricité  ;  puissent-elles  obtenir 
des  suffrages  sans  restriction  pour  sa  symphonie,  non  comme  la  page 
maîtresse  d'un  maître,  mais  comme  une  œuvre  qui  par  so7i  originalité  se 
distingue  entre  toutes.'... 

Étrange  ironie  des  choses  !  —  Trente  ans  plus  tard,  Berlioz  adres- 
sait les  mêmes  reproches,  avec  plus  de  vivacité,  et  aussi  avec  bien 
plus  d'éloquence,  à  Richard  Wagner,  dont  il  se  refusait  à  comprendre 
la  géniale  introduction  de  Tristan  et  Yseull  (A  travers  chants,  p.  314 
à  :J17). 

(A  suivre.)  A.  Montaux. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ETRANGER 

Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  CHBMNtrz  :  Le  Thalia-Thealer  a 
fêté  dernièrement  le  2o°  anniversaire  de  sa  fondation.  —  Gottingue:  La 
direction  du  nouveau  théâtre  municipal,  dont  l'inauguration  est  fixée  au 
-lor  octobre,  est  échue  pour  trois  ans  à  M.  N.  Bersll.  —  Vienne:  L'opé- 
rette que  le  maestro  Suppé  est  en  train  de  composer  pour  le  théâtre  An  der 
Wien  s'appellera  Ver  Bajazzo.  Les  librettistes  sont  MM.  Victor  Léon  et 
H.  von  "Waldberg. 

—  L'infatigable  Angelo  Neumann,  vient  de  contribuera  faire  connaître, 
hors  des  limites  de  sa  patrie,  où  il  est  déjà  célèbre,  le  compositeur  russe 
Solovieff,  auteur  d'une  Cordélia,  dont  le  livret  est  emprunté  à  la  Haine,  le 
drame  de  M.  Sardou.  C'est  le  18  août  que  cet  opéra  a  été  donné  pour  la  pre- 
mière fois  à  l'Opéra  de  Prague,  avec  un  succès  considérable.  «  La  musique, 
ditle  correspondant  d'un  journal  de  Berlin,  est  admirablement  adaptée  aux 
situations;  elle  est  d'une  inspiration  élevée  et  se  rapproche  par  l'orches- 
tration de  l'école  wagnérienne,  tandis  que  l'invention  mélodique  fait  spn- 
ger  aux  maîtres  de  l'école  italienne.  Les  chœurs  sont  admirables  et  im- 
posants. Le  compositeur,  qui  assistait  à  la  représentation,  a  été  ovationné 
comme  rarement  musicien  l'a  été.  » 

—  Les  éditeurs  Breitkopf  et  Hartel,  de  Leipzig,  viennent  de  publier,  dit- 
on,  deux  compositions  inédites  de  Beethoven.  La  première  est  la  réduction 
pour  piano  solo  d'un  concerto  en  mi  bémol  pour  piano  et  orchestre;  la 
seconde  comprend  seulement  le  premier  morceau  d'un  autre  concerto,  en  ré 
majeur,  pour  piano  et  orchestre,  en  partition. 

—  Les  deux  fils  du  compositeur  et  chef  d'orchestre  Cari  Reinecke,  dont 
la  renommée  est  grande  en  Allemagne,  MM.  Cari  et  Franz  Reinecke,  vien- 
nent de  fonder  à  Leipzig  une  grande  maison  d'édition  et  de  commerce  de 
musique.  Ils  ont,  pour  commencer,  publié  une  série  de  lieder  de  leur  père, 
et  diverses  compositions  pour  le  piano  de  MM.  GarlWolf,  Ebert-Buchheim 
et  de  notre  compatriote,  M.  Charles  Gouvy. 

—  On  sait  qu'une  grande  Exposition  internationale  doit  avoir  lieu  à 
Palerme  en  1891.  En  conséquence  de  ce  fait,  le  conseil  municipal  de  la 
métropole  sicilienne  a  décidé  d'accorder  la  direction  du  Grand-Théâtre  à 
un  entrepreneur  pour  une  durée  de  trois  années,  avec  une  subvention  de 
100,000  francs  pour  la  première  et  pour  la  troisième  année,  et  de 
180,000  trancs  pour  la  seconde,  qui  comprendra  la  grande  saison  de  l'Ex- 
position. Mais  ce  qui  rend  les  Palermitains  perplexes,  c'est  que  l'on 
construit  en  ce  moment  un  nouveau  Grand-Théâtre  et  que  l'architecte, 
M.  Basile,  ne  s'engage  nullement  à  achever  l'édifice  pour  cette  époque 
importante  et  exceptionnelle.  On  comprend  l'émotion  qu'a  pu  soulever 
une  pareille  nouvelle.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  comité  de  l'Exposition  vient 
de  décider  l'ouverture  d'un  concours  pour  la  composition  d'une  grande 
cantate  qui  devra  être  exécutée  le  jour  de  l'inauguration.  Un  prix  de 
500  francs  est  attribué  à  la  poésie  couronnée,  un  prix  de  2,000  francs  à  la 
musique.  Il  va  sans  dire  que  ce  concours  est  exclusivement  italien. 

—  Le  jeune  compositeur  Pietro  Mascagni  fait  décidément  perdre  le  sens 
commun  à  ses  compatriotes.  A  la  répétition  générale  de  son  opéra,  Caval- 
leria  rusticana,  à  Livourne,  la  foule  qui  s'était  massée  devant  les  portes  du 
théâtre  Goldoni  pendant  qu'y  pénétraient  les  invités,  a  fini  par  se  ruer 
sur  le  parterre  en  dépit  de  la  résistance  des  employés.  Il  fallut  quérir  la 
force  armée  pour  rétablir  l'ordre.  Ce  fut  pis  encore  le  lendemain,  à  la  pre- 
mière représentation  ;  on  dut  avoir  recours  aux  carabiniers,  aux  gardes  de 
sécurité  publique  et  même  à  la  troupe  pour  maintenir  la  tranquillité  au 
dedans  et  au  dehors  de  la  salle,  que  le  public  menaçait,  comme  la  veille, 
d'envahir  de  force  et  par  tous  les  moyens  possibles.  «  Décidément,  dit  à  ce 
sujet  la  Lombardia,  le  maestro  Mascagni  et  sa  Cavalleria  rusticana  rendent 
fou  le  bon  public  livournais.  Désormais  le  sublime  et  le  ridicule  font 
plus  que  de  se  toucher,  ils  se  confondant.  »  Il  n'a  pas  fallu,  à  cette  pre- 
mière représentation,  moins  d'une  demi-compagnie  d'infanterie  pour 
défendre  les  portes  du  théâtre,  tandis  que  les  places  réservées  étaient  gar- 
dées t>ar  des  carabiniers.  Quelle  rage  ! 

—  Deux  opéras  français,  Mignon  et  Carmen,  feront  seuls  les  frais  de  la 
saison  d'automne  au  théâtre  de  Varèse.  On  donnera  22  représentations  de 
ces  deux  ouvrages. 

—  A  l'occasion  des  fêtes  qui  seront  célébrées  à  Rome  pour  le  treizième 
centenaire  du  pape  Grégoire  le  Grand,  il  sera  tenu  en  cette  ville  un  grand 
congrès  international  de  liturgie,  auquel  seront  invités  tous  les  savants 
et  artistes  qui  s'occupent  de  liturgie,  d'archéologie  musicale  et  d'art  reli- 
gieux. On  croit  que  ce  congrès  sera  honoré  de  la  présence  du  pape.  A 
cette  occasion,  il  y  aura  une  grande  exposition  des  œuvres  littéraires  et 
musicales  les  plus  anciennes  et  les  plus  classiques,  «  catholiques,  ecclé- 
siastiques et  historiques.  » 

—  La  Gazzelta  musicale  nous  donne  cette  amusante  silhouette  d'un 
artiste  un  peu  excentrique,  Antonio  Soldano,  flûtiste  non  sans  talent, 
ancien  élève  du  Conservatoire  de  Naples,  où  il  vient  de  mourir  à  l'âge 
de  08  ans;  «  Excellent  virtuose,  mais  sans  fortune,  et  peut-être  non  par 
sa  faute  ;  c'était  un  toqué.  Il  manquait  de  pain,  mais  on  le  voyait  partout, 
et  toujours  il  avait  à  manifester  quelque  idée  nouvelle  sur  la  construc- 


278 


LE  MÉNESTREL 


tion  de  tel  ou  tel  instrument.  Je  ne  sais  combien  de  nouveaux  instru- 
ments il  avait  en  idée,  ni  à  combien  d'oeuvres  profanes  ou  religieuses  il 
avait  eu  espoir  de  donner  la  vie,  car  chaque  jour  il  se  présentait  au  Con- 
servatoire pour 'en  faire  approuver  une  nouvelle;  mais  il  se  bornait  à  dis- 
courir de  leur  mérite,  et  se  contentait  ensuite  de  montrer  un  grand  por- 
tefeuille, dans  lequel  étaient  entassés  de  nombreux  cahiers  de  papier  de 
musique,  des  mémoires  de  découvertes  et  inventions,  des  projets  de 
réforme  des  conservatoires.  Le  soir,  il  s'en  allait  jouer  de  la  flûte,  et 
souvent  très  bien,  dans  les  salles  des  cafés,  où  quelquefois  pour  toute 
récompense  de  ces  concerts  improvisés,  il  n'obtenait  autre  chose  qu'une 
tasse  de  café  et  quelques  échaudés,  alors  qu'il  n'avait  pas  pris  d'autre 
nourriture.  Mais  il  ne  se  plaignait  jamais  de  sa  misère,  et  ne  demandait 
rien  à  qui  que  ce  soit.  Tout  le  jour  il  parcourait  la  ville  :  à  qui  avait  la 
patience  de  l'écouter  il  montrait  son  portefeuille,  faisait  l'énumération  de 
ce  qu'il  contenait,  puis  se  plaignait  que  lui,  le  réformateur  de  toutes  les 
branches  de  Fart,  il  dût  donner  des  concerts  de  flûte  pour  vivre...»  Il  ne 
faut  pas  trop  plaindre  de  tels  illuminés.  Ils  ont  toujours  conservé  leurs 
illusions,  et  ils  ont  traversé  la  vie  sans  jamais  perdre  l'espoir,  en  culti- 
vant l'art  avec  une  passion  sincère. 

—  Antoine  Rubinstein,  qui  était  allé  s'établir  en  villégiature  à  Baden- 
vveiler,  dans  la  Forêt-Noire,  est  retourné  à  Saint-Pétersbourg,  où  sa  pré- 
sence était  nécessitée  par  l'ouverture  de  son  premier  concours,  fixée, 
comme  nous  l'avons  dit,  au  27  du  présent  mois  d'août.  On  assure  que  le 
grand  artiste  a  mis,  à  Badenweiler,  la  dernière  main  à  toute  une  série 
de  compositions  nouvelles,  entre  autres  une  ouverture  à  grand  orchestre, 
divers  morceaux  de  piano  et  plusieurs  licder. 

—  Vient  de  paraître,  à  Frameries,  la  quatrième  année  de  l'Annuaire 
officiel  de  la  musique  en  Belgique,  par  M.  Jules  Dufrane,  secrétaire  com- 
munal. Cet  annuaire  n'est  autre  chose  que  le  répertoire  complet  de  toutes 
les  sociétés  musicales  :  orphéons,  harmonies,  fanfares,  philharmonies,  etc., 
qui,  on  peut  bien  le  dire,  couvrent  le  sol  de  la  Belgique,  où  l'étude  de  la 
musique  a  toujours  été  en  si  grand  honneur.  Veut-on  se  faire  une  idée 
approximative  de  leur  nombre  général?  on  peut  juger  par  induction. 
Malines  possède  29  sociétés  musicales,  Anvers  en  compte  33,  Louvain  41, 
Liège  43,  Gand  47.  Quant  à  Bruxelles,  il  ne  s'y  en  trouve  ,pas  moins 
de  71;  mais  ce  n'est  pas  tout,  les  cinq  communes  suburbaines  qui  ont 
chacune  leur  autonomie  municipale,  mais  qui  n'en  font  pas  moins  partie 
intégrante  de  Bruxelles,  comptent  :  Schaerbeek  21  sociétés,  Saint-Josse- 
ten-Noode  8,  Molenbeek  11,  Saint-Gilles  13  et  Ixelles  22;  de  sorte  que 
pour  toute  l'agglomération  bruxelloise  et  une  population  d'environ 
500,000  âmes,  on  ne  trouve  pas  moins  de  cent  trente-six  sociétés  musi- 
cales !  Qu'on  dise  donc  que  les  Belges  n'aiment  pas  la  musique  ! 

—  La  réouverture  des  concerts-promenades  de  Covent-Garden,  à  Londres, 
a  eu  lieu  la  semaine  dernière  sous  la  direction  du  chef  d'orchestre 
G.  Crove  et  avec  le  concours  de  Mmes  Marie  Roze  et  Belle  Cole,  de  MM.  Carro- 
dus,  Davies  et  B.  Foote. 

—  Toute  une  série  de  festivals  de  musique  sont  annoncés  en  Angle- 
terre pour  l'automne.  Nous  avons  déjà  fait  connaître  les  programmes  des 
prochaines  fêtes  musicales  de  "Worcester  et  de  Bristol.  Il  nous  reste  à 
parler  de  ceux  de  Norwich  et  de  Cheltenham.  Le  premier  commencera  le 
14  octobre  avec  Judas  Machabée;  le  15  on  entendra  le  Lamentatio  Davidi,  de 
Schùltz,  pour  voix  de  basse  et  accompagnement  de  quatre  trombones  et 
orgue;  la  nouvelle  cantate  du  docteur  Parry,  V Allegro  ed  il  Penseroso 
(d'après  Milton);  le  Stabat  Mater,  de  Ros'sim,  et  la  musique  de  scène  com- 
posée par  le  docteur  Mackenzie  pour  le  nouveau  drame  la  Fiancée  de  Lam- 
mermoor.  Le  16  octobre,  Sir  Arthur  Sullivan  dirigera  son  Martyre  d'An- 
lioche.  Le  principal  numéro  du  concert  du  17  octobre  sera  VElie  de  Men- 
delssohn.  L'orchestre  et  les  chœurs,  formant  un  effectif  de  350  exécutants, 
seront  dirigés  par  les  auteurs  et  le  chef  d'orchestre  Randegger.  Au  nombre 
des  solistes,  on  annonce  M",ei  Nordica,  Lehman,  Damian,  MM.  E.  Lloyd 
et  Henschel.  —  Le  festival  de  Cneltenharn  aura  lieu,  du  27  au  30  octobre, 
sous  la  direction  de  M.  J.  A.  Mathews.   Le  programme   comprendra  une 

i velle  œuvre  chorale  composée  spécialement  pour  la  circonstance   par 

le  révérend  Canon  Bell  sur  une  poésie  de  M.  C.  H.  Lloyd;  l'oratorio  The 
liepenlance  of  Nineveh,  du  professeur  Bridge;  le  Stabat  Mater  de  Dvorak;  la 
première  partie  de  la  Création,  d'Haydn,  et  l'inévitable  Messie.  Ont  été  en- 
gagés comme  solistes  :  MM.  Piercy,  Mac  Kay,  Banks  Breretin,  Mmes  Nor- 
dica, "Williams,  Hilda  Wilson  et  Ilope  Glcnn. 

—  L'opéra  de  Mozart  Cosi  fan  tulle,  dont  la  dernière  apparition  sur  une 
scène  anglaise  date  de  1842,  vient  d'être  représenté  par  les  élèves  du  Royal 
collage  of  music  à  leur  matinée  annuelle.  Comme  précédemment,  le  Savoy 
Théâtre  avait  été  misa  leur  disposition  par  M.  d'Oyly  Carte.  Représentation 
très  remarquable  sous  la  direction  de  M.  Villiers  Stanford.  L'orchestre  et 
les  chœurs,  comme  les  interprètes,  s'en  sont  tirés  à  leur  honneur.  Un  nou- 
veau livret  anglais  avait  été  confectionné  pour  la  circonstance  parle  révé- 
rend Marmaduke  Brown.  Nous  voulons  espérer  que  cette  adaptation  an- 
glaise était  meilleure  que  l'adaptation  française  qui  valut,  il  y  a  quelque 
vingt-cinq  ans,  à  notre  ancien  Théâtre-Lyrique,  un  four  si  conditionné  à 
l'adorable  chef-d'œuvre  de  Mozart. 

—  Mme  Adelina  Patti  s'est  fait  construire  dans  son  splendide  château  de 
Craig-y-Nos  un  théâtre,  dont  l'inauguration,  absolument  intime,  a  eu  lieu 
ces  jours  derniers,  en  présence  d'un  petit  nombre  d'invités.  La  façade  do 


ce  théâtre,  sur  laquelle,  en  lettres  d'or,  est  inscrit  son  titre  :  Patti-Théâtre, 
est  dans  le  style  italien.  Une  large  galerie  relie  l'édifice  au  château.  Les 
dimensions  de  l'auditorium  sont  de  42  pied  s  sur  27.  Le  plafond  est  supporté  par 
douze  colonnes  corinthiennes  ;  les  murailles  sont  divisées  en  panneaux  ; 
le  plancher  peut  s'élever  au  niveau  de  la  scène,  et  changer  le  théâtre  en 
salle  de  bal.  Dans  le  jour,  l'éclairage  se  fera  par  des  lanternes  placées  au- 
dessus  d'un  plafond  en  verre  opaque.  Le  soir,  un  foyer  central  de  seize 
lumières  électriques  et  des  appliques  de  trois  lumières  chacune  éclaireront 
la  salle.  Ce  théâtre  bijou  contient  180  personnes  assises,  mais  il  y  a  place 
pour  200.  Les  fauteuils  sont  couverts  de.  peluche  de  soie  bleue.  La  décora- 
tion, non  tout  à  fait  terminée  encore,  sera  bleu  et  or.  A  l'orchestre  il  y  a 
place  pour  seize  musiciens.  Le  proscenium  a  20  pieds  de  large  et  19  de  haut. 
Nous  passons  le  détail  des  ornements.  Sur  les  panneaux  du  cintre  on  lit 
le  nom  des  grands  compositeurs  avec  Rossini  au  centre  ;  c'était  indiqué. 
Shakespeare  lui  fait  vis-à-vis,  au-dessus  de  la  galerie.  Les  rideaux  de 
tableaux  sont  fort  élégants,  en  peluche  de  soie  bleue.  Le  rideau  des  actes 
représente  un  portrait  de  Mme  Patti  en  Sémiramide  conduisant  un  char  à 
deux  chevaux.  Ce  rideau  a  été  peint  par  M.  White,  un  artiste  fort  connu 
en  Angleterre.  La  pièce  représentée,  à  laquelle  Mme  Patti  et  M.  Nicolini 
n'assistaient  que  comme  spectateurs,  était  un  opéra-comique  anglais,  The 
Coastguard,  de  M.  Hulley,  qui  conduisait  lui-même  l'orchestre  composé  de 
quatorze  musiciens.  La  véritable  ouverture  de  ce  théâtre  n'aura  lieu  que 
l'année  prochaine.  Mm0  Patti  y  chantera  ses-  principaux  airs  et  le  célèbre 
acteur  anglais  Henri  Irving  y  déclamera  ses  rôles  les  plus  connus.  Ajou- 
tons enfin  que  le  Patti-Théâtre  a  une  double  entrée  :  l'une  communiquant 
avec  le  château,  pour  les  invités  ;  l'autre  consacrée  au  public,  pour  les 
jours  où  il  sera  donné  des  représentations  de  bienfaisance. 

—  Miss  Alice  Shaw,  la  célèbre  siffleuse  américaine  a  trouvé  en  M.  Frank 
M.  Steven's,  critique  musical  à  Londres,  un  éloquent  défenseur  de  sa 
cause  et  de  sa  profession  :  «  On  a  tort  de  prétendre,  écrit-il,  que  le  sif- 
flage  est  anti-artistique  et  indigne  de  la  considération  des  musiciens;  c'est 
une  idée  absolument  fausse.  Cultivez  cet  art,  pratiquez-le,  et  bientôt  il 
prendra  rang  au  nombre  des  progrès  dignes  du  respect  des  critiques  et  de 
l'admiration  du  public.   »  A   quand  la  fondation  d'une  école  de  siffleurs? 

—  Voici  pour  la  prochaine  saison,  le  tableau  de  la  troupe  du  Théâtre- 
Royal  de  Madrid  :  Mmcs  Tetrazzini,  Marcella  Sembrich,  Pacini,  Morelli, 
Bordalba,  Stahl;  MM.  Durot,  Lucignani,  Masin,  ténors;  Battistini,  bary- 
ton ;  Uetam,  Urrutia,  Vanrell.  basses  ;  Baldelli,  buffo  caricato.  Le  chef 
d'orchestre  est  M.  Luigi  Mancinelli. 

—  Une  troupe  d'opéra  italien  dans  les  prix  doux  vient  de  s'installer, 
pârait-il,  à  Madrid,  dans  la  salle  de  l'Alhambra.  Le  prix  d'entrée,  qu'on 
aurait  de  la  peine  à  trouver  plus  modique,  est  fixé  à  75  centimes. 

—  Au  Tivoli  de  Madrid,  on  a  donné  récemment  la  première  représen- 
tation d'un  «  jeu  comique  »  intitulé  los  Nuestros,  paroles  de  M.  Estremera, 
musique  de  M.  Chapi,  l'un  des  zarzueleristes  les  plus  favoris  du  public 
espagnol.  Ce  petit  ouvrage  a  été  fort  bien  accueilli. 

—  Au  grand  concours  musical  qui  a  eu  lieu  ces  jours  derniers  à  Ge- 
nève, les  trois  grands  prix  du  concours  d'honneur  entre  les  sociétés  qui 
avaient  remporté  un  premier  prix  ont  été  obtenus  :  pour  les  sociétés 
chorales,  par  l'Union  artistique  de  Besançon;  pour  les  harmonies,  par 
l'Harmonie  de  l'Union  du  Creuzot  ;  pour  les  fanfares,  par  le  Cercle  des 
Dix-Sept,  de  Vitry-le-François.  Le  prix  d'honneur  offert  par  M.  Carnot, 
consistant  en  un  buste  en  pâte  de  Sèvres  du  général  Desaix,  a  été  gagné 
par  la  Lyre  de  Troyes.  Les  sociétés  françaises  ont  fait  un  pèlerinage  au 
cimetière  de  la  Châtelaine,  sur  la  tombe  des  soldats  français  morts  en  1871. 

—  Nous  lisons  dans  l' American  Art  Journal:  «  Une  relique  littéraire  d'un 
intérêt  tout  spécial  pour  les  musiciens  est  arrivée  le  21  juillet  par  le 
transatlantique  la  Normandie;  c'est  le  manuscrit  original  de  l'oratorio  Jeanne 
d'Arc,  comprenant  cent  parties  de  chœurs  et  cent  vingt-cinq  parties  d'or- 
chestre, toutes  écrites  de  la  main  du  célèbre  Gounod  (!!!).  Ces  manuscrits 
ont  été  consignés  entre  les  mains  de  M.  Willoughby,  imprésario  de  Mar- 
guerite Mather,  et  seront  utilisés  pour  la  production  de  Jeanne  d'Arc  par 
miss  Mather  au  théâtre  Palmer,  dans  les  premiers  jours  de  septembre.  La 
musique  servait  à  l'origine  pour  un  oratorio,  ayant  été  composée  il  y  a 
trois  ans  à  l'occasion  de  l'anniversaire  du  couronnement  de  Charles  VII  à 
Reims  et  exécutée  dans  la  cathédrale  de  cette  ville  par  un  chœur  de 
600  voix  et  un  orchestre  de  175  exécutants.  Aux  manuscrits  était  jointe 
une  lettre  autographe  de  Charles  Gounod,  dont  voici  la  teneur  :  «  La  mu- 
sique de  Jeanne  d'Arc,  dont  je  vous  remets  le  manuscrit  original,  a  été 
entièrement  remaniée  en  vue  de  l'adaptation  scénique,  en  Amérique,  de 
l'histoire  de  la  divine  fille,  d'après  la  légende  de  mon  confrère  Jules  Bar- 
bier. Comme  vous  avez  acquis  le  droit  exclusif  d'utiliser  ma  musique 
pour  les  représentations  américaines,  il  est  entendu  que  vous  êtes  seule 
autorisée  à  la  produire  sous  les  réserves  du  contrat  passé  à  Paris  le 
13  juin.  Je  suis  heureux  que  l'entreprise  de  New-York  ait  été  confiée  à 
une  artiste  aussi  distinguée  que  vous  et  j'ai  le  ferme  espoir  que  le  succès 
en  Amérique  égalera  le  succès  en  France.  »  Le  représentant  de  miss  Ma- 
ther déclare  que  M.  Gounod  a  reçu  des  propositions  pour  aller  diriger 
son  œuvre  aux  représentations  do  miss  Mather  et  de  sa  troupe.  Nous  pou- 
vons, ici,  à  Paris,  confirmer  ce  fait,  mais  en  ajoutant  que  M.  Gounod,  qui 
avait  tout  d'abord  accepté  ces  propositions,  s'est  ravisé  ensuite  et  a  renoncé 
à  partir  pour  l'Amérique. 


. 


LE  MÉNESTREL 


279 


—  Un  chanteur  italien  du  nom  de  Reltramo,  qui  se  trouvait  à  Monte- 
video, est  devenu  fou  subitement  en  cette  ville.  Il  craint  à  chaque  ins- 
tant d'être  assassiné,  et  la  manie  de  la  persécution  engendre  chez  lui  la 
manie  du  suicide.  On  a  du  transporter  le  malheureux  artiste  dans  un 
hospice  d'aliénés,  et  l'on  doute  qu'il  puisse  revenir  à  la  raison  et  à  la 
santé. 

PARIS   ET    DÉPARTEMENTS 

La  direction  de  l'Opéra  ne  s'endort  pas,  oh  non  !  Si  MM.  Ritt  et 
Gailhard  boudent  le  gouvernement  et  se  moquent  de  leur  cahier  des 
charges,  s'ils  refusent  absolument  de  s'occuper  d'aucune  œuvre  nouvelle, 
ils  emploient  bien  leur  temps,  surtout  à  envoyer  aux  journaux  des  com- 
munications palpitantes  d'intérêt.  Qn'on  en  juge.  La  dernière  nous 
apprend  que  la  direction  da  l'Opéra  :  1°  vient  d'engager  une  chanteuse 
légère,  M""  Loventz,  qui  vient  de  Marseille  et  qui  débutera  le  mois  pro- 
chain dans  les  Huguenots;  2°  que  M.  Duc  a  dû  chanter  vendredi  Vasco  de 
Gama  de  l'Africaine;  3°  que  M.  Lassalle  fera  le  o  septembre,  retour  de 
Londres,  sa  rentrée  dans  le  rôle  de  Benvenuto  de  VAscanio  de  M.  Saint- 
Saëns  ;  4°  ...  C'est  tout.  Vous  ne  trouvez  pas  que  c'est  assez  comme  ça? 
On  assure  pourtant  que  ces  messieurs  sont  très  fatigués  —  malgré  les 
courses  qu'ils  font  dans  tous  les  quartiers  de  Paris  à  la  recherche  du 
contralto  qui  leur  manque  toujours. 

—  Au  dernier  moment,  nous  apprenons  qu'après  bien  des  lenteurs,  bien 
des  hésitations,  bien  des  tiraillements,  l'Opéra  a  pris  une  résolution 
héroïque  et  s'est  enfin  décidé  à  monter  Salammbô.  La  nouvelle  serait  officielle 
depuis  vendredi,  et  les  études  vont  commencer  sur-le-champ. 

—  Dans  la  nuit  de  jeudi  à  vendredi,  vers  minuit,  un  commencement 
d'incendie  s'était  déclaré  au  théâtre  de  l'Opéra  dans  les  appareils  de  ma- 
nœuvre des  accumulateurs  de  veilleuse.  Grâce  à  la  promptitude  des  secours 
apportés  par  les  sapeurs-pompiers  des  postes  les  plus  voisins,  le  feu  fut 
éteint  après  un  quart  d'heure  de  travail.  Les  dégâts  sont  insignifiants.  On 
nous  assure  qu'ayant  eu  connaissance  de  ce  commencement  d'incendie, 
l'Administration  des  beaux-arts  et  la  préfecture  de  police,  comprenant 
l'immense  responsabilité  qui  leur  incomberait  en  cas  de  malheur,  se- 
raient décidées  à  exiger  de  MM.  Ritt  et  Gailhard,  comme  on  l'a  exigé  de 
tant  d'autres,  l'établissement  de  nouvelles  sorties  pratiques  et  suffisantes 
pour  les  fauteuils  d'amphithéâtre  et  pour  le  parterre.  Espérons,  cette  fois, 
que  la  nouvelle  est  vraie,  et  que  la  direction  des  beaux-arts  et  la  préfec- 
ture de  police  ont  enfin  pris  la  résolution  d'agir  énergiquement  et  sans 
délai. 

—  Demain  lundi,  lor  septembre,  réouverture  de  l'Opéra-Gomique  avec 
le  Barbier  de  Séville,  joué  par  Mme  Landouzy,  MM.  Delaquerrière,  Fugère, 
Soulacroix  et  Fournets,  suivi,  dès  le  lendemain,  de  Mireille.  Le  jeudi 
suivant,  la  Basoche  reparaîtra  sur  l'affiche.  Puis,  dans  le  cours  de  ce  mois 
de  septembre,  on  retrouvera  quelques-uns  des  grands  ouvrages  du  réper- 
toire, c'est-à-dire  Mignon,  Carmen,  le  Roi  d'Ys,  pour  le  début  du  baryton 
Renaud,  le  Pré  aux  Clercs,  pour  celui  de  MUe  Clarisse  Yvel,  la  Dame  blanche, 
etc.  Dès  la  réouverture  effectuée,  on  s'occupera  des  premières  études  du 
Bencenuto  de  M.  Eugène  Diaz,  et  l'on  reprendra  celles  du  petit  ouvrage 
de  M.  Gustave  Michiels,  Colombine.  S'il  faut  en  croire  les  notes  officielles 
adressées  à  la  presse  par  la  direction,  ces  deux  mois  de  fermeture  ont  été 
bien  employés  à  l'Opéra-Comique.  On  a  complètement  refait  le  plancher 
de  la  scène,  qui  en  avait  le  plus  grand  besoin,  et  l'on  a  fait  quelques 
améliorations  heureuses  dans  la  salle.  Ces  travaux  doivent  être,  à  l'heure 
qu'il  est,  complètement  terminés,  et  la  scène  et  la  salle  doivent  avoir 
repris  leur  physionomie  habituelle. 

—  Il  parait  que  les  services  de  la  scène  n'étaient  pas  encora  complète- 
ment constitués  au  Théâtre-Lyrique  de  l'Eden.  En  voici  l'état  définitif, 
toujours  d'après  les  notes  officielles,  dont  la  fréquence  de  la  part  de  nos 
scènes  musicales  devient  décidément  alarmante  :  chefs  d'orchestre, 
M.  Gabriel  Marie,  qui  dirigera  les  études  et  les  représentations  de  Samson 
et  Dalila,  et  M.  Thibaut,  qui  dirigera  les  représentations  de  la  Jolie  Fille  de 
Perlh;  chef  des  chœurs,  M.  Georges  Marty;  accompagnateur  des  chœurs, 
M.  G.  Bondon;  accompagnateur  du  chant,  M.  Paul  Fauchey;  maître  de 
ballet,  M.  Théophile;  régisseur  général,  M.  Baudu.  M.  Verdhurt,  qui 
avait  fait  démentir  avec  fracas  la  nouvelle  de  l'engagement  de  M.  Morlet, 
laquelle  n'avait  pourtant  rien  de  déshonorant,  fait  cependant  annoncer 
aujourd'hui  cet  engagement;  alors,  pourquoi  la  fureur  de  ces  derniers 
jours?  Quoi  qu'il  en  soit,  M.  Morlet  débutera  dans  le  petit  opéra  de 
M.  Alexandre  Georges,  le  Printemps,  qui  complétera  l'affiche  de  l'inaugu- 
ration, avec  Samson  et  Dalila.  Pour  ce  qui  est  de  ce  dernier  ouvrage,  on 
laisse  supposer  que  c'est  Mmc  Rosine  Bloch  qui  en  établira  le  rôle  prin- 
cipal; tout  au  moins  assure-t-on  que  des  pourparlers  très  actifs  sont 
engagés  avec  cette  artiste,  et  que  ces  pourparlers  sont  sur  le  point 
d'aboutir. 

—  >IM"  Virginie  Haussmann,  que  les  Parisiens  se  rappellent  avoir 
applaudir;  lors  des  représentations  de  Jocclyn,  vient  de  signer  un  bel  enga- 
gement avec  ce  même  Théâtre-Lyrique  de  l'Eden.  Premier  prix  de  notre 
Conservatoire,  M"0  Haussmann,  qui  est  douée  d'une  belle  voix  de  mezzo- 
soprano  et  d'une  grande  intelligence  de  la  scène,  a  toujours  remporté  de 
très  grands  succès  à  l'étranger,  et  notamment  en  Ralie,  avec  Mignon, 
Carmen,  Aida,  la  Favorite... 


—  Est-ce  l'annonco  de  la  prochaine  ouverture  du  Théâtre-Lyrique  à 
l'Eden,  est-ce  l'espoir  de  voir  prendre  fin  très  prochainement  la  dictature 
de  MM.  Ritt  et  Gailhard  à  l'Opéra,  est-ce  le  nombre  très  engageant  des 
nouveautés  toujours  promises  par  M.  Paravey  ?  Nous  ne  savons;  mais 
toujours  est-il  qu'en  ce  moment  nous  assistons  à  une  éclosion  féroce  de 
partitions  d'opéras  de  tous  genres.  Après  le  Rêve,  de  M.  Bruneau,  les  For- 
moses,  de  M.  Messager,  et  la  Marchande  de  sourires,  de  M.Wormser,  annon- 
cés ces  jours  derniers,  voici  qu'on  nous  promet  encore  :  Héliogabale,  opéra 
en  trois  actes  de  M.  H.  Céard,  musique  de  M.  Bruneau  ;  le  Prince  Noir, 
drame  lyrique  en  quatre  actes  de  M.  Victor  Capoul,  musique  de  M.  Du- 
prato,  et  un  livret  d'opéra  tiré  du  Chevalier  de  Maison-Rouge,  par  MM.  Emile 
Blavet  et  Paul  Millet  pour  M.  Spiro-Samara.  A  ce  propos,  nous  nous  sommes 
amusés  à  rechercher  les  ouvrages  sur  les  livrets  français  annoncés  depuis 
une  année  seulement,  et  voici  la  liste  terrifiante,  bien  que  très  incom- 
plète, du  titre  des  opéras  et  des  opéras-comiques  que  nous  avons  pu 
dresser  :  un  opéra  sur  le  Tasse,  de  M.  Ambroise  Thomas  ;  On  ne  badine  pas 
avec  l'amour,  de  M.  Gounod  ;  Omphale,  de  M.  Ernest  Reyer;  Werther  et  le  Mage, 
de  M.  Masseiiet;  Kassia,  de  M.  Léo  Delibes;  Montalte,  de  M.  Guiraud;  Ciicé, 
de  M.  Théodore  Dubois;  Carmosine,  de  M.  Poise;  Fiesque  et  quatre  actes  sur 
un  épisode  de  la  Jacquerie,  par  M.  Edouard  Lalo  ;  Ruy  Blas,  par  M.  Ben- 
jamin Godard  ;  les  Folies  amoureuses,  par  M.  Pessard  ;  le  Barde,  par  M.  Gas- 
tinel  ;  le  Roi  Kean,  par  M.  Litolff;  le  Flibustier,  par  M.  César  Cui;  Thamara, 
par  M.  Bourgault-Ducoudray;  la  Messe  de  Minuit,  par  M.  Limnander  ; 
Briséis,  par  M.  Chabrier  ;  Lenik,  par  M.  Raoul  Pugno  ;  le  Marchand  de  Venise, 
par  M.  Louis  Deffès  ;  Benvenuto,  par  M.  Diaz  ;  le  Sicilien,  par  M.  Wekerlin; 
Calendal,  Deïdamia,  et  Ping-Sin,  par  M.  Henri  Maréchal  ;  le  Légataire  universel, 
par  M.  Pfeiffer;  les  Normands,  par  M.  Casteignier;  la  Clianson  nouvelle,  par 
M.  Jules  Bordier  ;  la  Montagne  noire,  par  M,la  A.  Holmes  ;  Judith,  par 
Mmc  Thys  ;  Enguerrande,  par  M.  Chapuis  ;  Beaucoup  de  bruit  pour  rien,  par 
M.  Puget;  Don  Luis,  par  M.  Pierné  ;  le  Duc  d'Albe,  par  M.  Ventéjoul;  Co- 
lombine, par  M.  G.  Michiels;  le  Duc  d'Athènes,  de  M.  Alph.  Duvernoy;  la 
Ciguë,  de  M.  Gennevraye;  le  Chevrier,  de  M.  Charles  Lecocq;  Folie I  de 
M.  Ed.  Audran  ;  Persévérance  d'amour,  de  M.  le  marquis  d'Ivry  ;  le  Persan, 
de  M™  Olagnier;  le  Marquis  Mascarille,  de  M.  J.  Ten  Brinck...  et  tous 
ceux  que  nous  oublions  ! 

—  Voici,  d'après  notre  confrère  "Willy,  de  la  Paix,  le  sujet  de  Thamara, 
l'opéra  en  quatre  tableaux  commandé  à  M.  Bourgault-Ducoudray.  De- 
puis quatre-vingts  jours,  Bakou,  la  ville  sainte  des  Guèbres,  est  assiégée 
par  Nour-Eddin,  sultan  des  Perses.  La  maladie  et  la  famine  vont  forcer 
les  Guèbres  à  se  rendre,  quand  on  apprend  qu'une  jeune  prêtresse, 
Thamara,  sacrifiant  sa  virginité  et  sa  vie  pour  sa  patrie,  se  rendra  chez 
le  sultan,  se  donnera  à  lui,  et  le  tuera  quand  il  reposera  à  ses  côtés. 
Thamara  part  pour  le  camp  ennemi,  mais  en  voyant  avec  quelle  bonté 
le  puissant  Nour-Eddin  l'accueille,  sa  haine  tombe,  elle  se  prend  à  l'ai- 
mer. Pourtant  le  sentiment  de  sa  patrie  opprimée  finit  par  l'emporter  et, 
après  une  nuit  d'amour,  elle  poignarde  le  sultan  endormi,  met  le  feu 
aux  tentes  et  se  sauve  vers  Bakou.  Les  Persans  fuient.  Les  Guèbres 
acclament  leur  libératrice.  Mais  Thamara  ne  peut  survivre  à  celui  qu'elle 
aimait,  et  elle  se  frappe  mortellement  au  milieu  des  cris  de  victoire  de 
son  peuple. 

—  Encore  une  note  qui  nous  parait  émaner  de  l'officine  infatigable  de 
l'Opéra,  ce  qui  se  reconnaît  à  son  caractère  à  la  fois  descriptif,  pittoresque 
et  savoureux  :  —  «  Connaissez-vous  le  Codonophone?  Nous  l'ignorions  en- 
core hier  et,  à  l'Opéra,  c'est  à  peine,  avant-hier,  si  l'on  en  avait  vague- 
ment entendu  parler.  Il  est  pourtant,  croyons-nous,  appelé  à  faire  beau- 
coup de  bruit  dans  le  monde.  Imaginez  un  instrument  grand  à  peu  près 
comme  une  armoire  à  glace  et  qui  produit  à  lui  tout  seul  autant  de  tapage 
que  vingt-cinq  grosses  cloches.  Comme,  si  grands  qu'ils  soient,  il  n'est 
pas  toujours  commode  d'installer  un  carillon  dans  les  cintres  d'un  théâtre, 
on  cherchait  depuis  longtemps.  Wagner,  pendant  vingt  ans,  étudia  la 
question  ;  il  avait  besoin  de  cloches  pour  le  Rhcingold.  A  Vienne,  on  crut 
avoir  résolu  le  problème,  grâce  à  une  corde  de  contrebasse,  à  laquelle  il 
fallait  d'ailleurs  joindre  le  secours  d'un  tam-tam.  Aujourd'hui,  le  vérita- 
ble remplaçant  des  cloches  est  trouvé  ;  il  fonctionne  merveilleusement  et 
par  le  procédé  le  plus  simple.  Il  y  a  trois  ans,  à  l'exposition  d'Anvers, 
M.  Gailhard  avait  remarqué  un  jouet  d'enfant  assez  curieux  :  c'était  une 
série  de  tubes  en  métal  sur  lesquels  on  frappait  et  qui  rendaient  des  sons 
très  vibrants.  Il  commanda  des  tubes  du  même  genre  et  les  essaya  dans 
le  ballet  de  M.  Gastinel,  le  Rêve.  Le  résultat  était  déjà  satisfaisant,  mais 
il  fallait  une  habileté  extraordinaire  pour  ne  pas  faire  de  fausses  notes; 
un  coup  frappé  un  centimètre  trop  haut  ou  trop  bas  dérangeait  tout.  C'est 
alors  que  M.  Lacape  intervint;  dans  une  sorte  de  buffet,  grand,  nous  l'a- 
vons dit,  comme  une  armoire  à  glace,  il  enferma  vingt-cinq  tubes  de 
métal  sur  lesquels  viennent  frapper  des  marteaux  mis  en  action  par  les 
touches  d'un  clavier.  Le  Codonophone  était  né.  Tout  d'abord  on  est  arrivé 
à  la  perfection,  on  le  verra  le  mois  prochain,  lors  de  la  reprise  du  Rêve. 
Le  plus  long  tube  à  lm,40,  le  plus  court  0m,60  environ,  et  un  tube  pesant 
2  kilogs  produit  le  son  d'une  cloche  de  80  kilogs.  C'en  est  donc  fait  des 
cloches  au  théâtre.  »  S'il  en  pouvait  être  de  même  de  MM.  Ritt  et 
Gailhard  ! 

—  Merci,  mon  Dieu  !  Les  théâtres  d'opérettes  menaçaient  de  nous  man- 
quer, voici  qu'il  s'en  présente  un  nouveau.  Le  Paradis-Latin,  vendu  par 
M.  Marcel  Simon,  est  transformé  en  salle  de  spectacle  par  M.  Desfossez. 


280 


LE  MÉNESTREL 


L'ouverture  doit  avoir  lieu  avec  les  Noces  d'Olivette,  de  M.  Edmond  Audran, 
qui  a  dirigé  les  répétitions.  La  nouvelle  salle  portera  désormais  le.  nom 
de  théâtre  d'Opéra-Bouffe, 

—  A  propos  d'une  remarque  qui  avait  été  faite  à  son  sujet  dans  le 
Figaro,  M.  Hans  Richter,  le  célèbre  chef  d'orchestre  allemand  qui  s'est 
rendu  fameux  surtout  par  son  admirable  exécution  des  œuvres  wagné- 
riennes,  a  adressé  à  ce  journal  l'intéressante  lettre  que  voici,  qui  est  un 
courtois  hommage  rendu  par  lui  à  la  musique  et  aux  musiciens  français  : 

Monsieur, 

Dans  son  numéro  du  18  de  ce  mois  le  Figaro  publie,  sous  la  rubrique  <c  Cour- 
rier des  théâtres  »,  une  correspondance  de  Vienne  dans  laquelle  il  est  dit  que  je 
dirige  les  œuvres  de  Wagner  de  la  main  droite  et  celles  des  maîtres  français 
(Carmen,  par  exemple)  de  la  main  gauche,  ce  qui  serait,  d'après  votre  correspon- 
dant, un  signe  de  mépris  de  ma  part  pour  la  musique  française. 

Ce  jugement  m'est  très  pénible,  comme  artiste,  et  je  prends  la  liberté  de  vous 
donner  quelques  mots  d'éclaircissement,  que  vous  voudrez  bien  publier  dans  la 
forme  qui  vous  conviendra. 

Votre  correspondant  n'a  probablement  jamais  dirigé  d'orchestre  ;  sans  cela,  il 
saurait  combien  la  partie  physique  de  cette  activité  artistique  est  elle-même 
fatigante.  Qu'il  essaie  de  tenir  le  bâton  du  chef  d'orchestre  cinq  à  six  heures  de 
suite  pendant  plusieurs  jours,  et  il  verra  combien  tous  les  nerfs  et  tous  les  muscles 
du  bras  sont  surexcités.  Comme  chef  d'orchestre  des  plus  occupés,  je  me  suis 
exercé  pendant  des  années  à  me  servir  aussi  bien  de  la  main  gauche  que  de  la 
main  droite  ;  j'évite  ainsi  la  fatigue  trop  précoce  du  bras  droit,  fatigue  qui  entraî- 
nerait pour  moi,  à  trt>s  bref  délai,  un  repos  forcé.  Mais  pour  que  mes  collabora- 
teurs ne  soient  pas  troublés  par  cette  nouvelle  façon  de  tenir  le  bâton,  je  ne 
dirige  de  la  main  gauche  que  les  œuvres  qui  sont  les  plus  connues  de  mon 
orchestre,  uar  exemple  Rienzi,  Lokengrin,  Carmen  et  quelques-uns  des  opéras 
italiens  que  nous  jouons  le  plus  souvent. 

Des  sept  opéras  que  votre  correspondant  cite  comme  étant  le  répertoire  de  la 
semaine,  il  y  en  a  cinq  que  je  conduis  moi-même  ;  il  est  donc  bien  naturel  que 
la  main  gauche  vienne  en  aide  à  la  droite  ;  et  un  reproche  à  ce  sujet  est  d'autant 
moins  justifié  que  votre  correspondant  lui-même  reconnaît  que  la  représentation 
n'en  a  pas  moh'S  été  très  réussie. 

J'ai  trop  souvent  prouvé  l'admiration  vraie  et  rincère  que  m'inspire  la  musique 
française,  cette  musique  si  aimable  et  si  spirituelle,  pour  ne  pas  protester  contre 
cette  allégation  :  il  n'y  a  certes  pour  moi  aucune  espèce  de  mépris,  mais  au 
contraire  une  grande  vénération  pour  les  maîtres  français  ! 

Je  suppose,  monsieur  le  rédacteur  en  chef,  qu'après  ces  éclaircissements  et  en 
votre  qualité  de  gentleman  et  de  Français,  vous  me  disculperez  devant  les  lecteurs 
du  Figaro  de  la  petite  faute  de  goût  dont  te  Figaro  m'a  accusé. 

Veuillez  agréer,  etc. 

Hans  Richter, 
Premier  chef  d'orchestre  à  l'Opéra  impérial  et  royal  de  Vienne. 

Vienne,  22  août  1890. 

—  On  vient  d'inaugurer,  au  cimetière  Montmartre,  le  monument  consa- 
cré à  M"  Carlotta  Patti-de  Munck,  enlevée  si  prématurément  à  l'affec- 
tion de  tous.  Il  se  compose  d'une  stèle  en  pierre  de  3  mètres  10  de  hau- 
teur et  de  1  mètre  07  de  largeur.  Au  milieu  se  trouve  un  médaillon  en 
bronze,  la  date  de  sa  mort,  27  juin  1889,  et  une  poésie  que  composa  pour 
elle  Alphonse  Karr  : 

A  CARLOTTA  PATTI 

Ahl  je  vous  reconnais,  chère  petite  Orphée! 
C'eBt  vous,  cette  ûlleule  à  laquelle  une  fée 
Fit,  au  temps  de  Perrault,  un  don  si  merveilleux 
Que  veulent  en  vain  mettre  au  rang  des  contes  bleus 
Seuls  les  gens  envieux  et  tristes. 
Oui,  le  don  est  réel,  car  je  vois  et  j'entends 
Émeraudes,  rubis,  topazes,  améthystes 
Ruisseler  à  travers  les  perles  dé  vos  dents! 
Nice,  septembre  1886.  Al.  Karr. 

Une  élégante  vasque  d'un  mètre  72  sur  un  mètre  S0  entoure  la  stèle. 

—  Toujours  grande  aflluence  aux  festivals  du  palais  de  l'Industrie, 
très  bien  organisés  par  M.  Mayeur.  On  a  fait  fête  dernièrement  à  une 
débutante,   M"e  Maréchal,  dont  la  voix  et  la  méthode  sont  excellentes. 

—  M.  Federico  Parisini  vient  de  publier  la  sixième  et  dernière  livraison 
du  premier  volume  de  son  Catalogo  delta  Biblioteca  del  Licco  musicale  di  Bo- 
logna,  dont  il  est  le  très  actif  et  très  laborieux  conservateur.  J'ai  le  regret 
d'être  obligé  d'accentuer  encore  les  critiques  que  j'ai  déjà  exprimées  sur 
les  premiers  fascicules  de  cet  ouvrage  important.  Non  seulement  la  clas- 
sification est  défectueuse  et  incomplète,  mais  les  œuvres  elles-mêmes  sont 
mal  classées  et  placées  dans  des  sections  auxquelles  elles  ne  devraient 
pas  appartenir.  Ainsi,  l'on  trouve  simplement  une  section  d'Histoire  gé- 
nérale de  la  musique,  qui  devrait  être  complétée  par  trois  sous-sections, 
comprenant  l'une  les  Temps  anciens,  l'autre  le  Moyen-Age,  la  troisième  les 
Temps  modernes.  De  même,  l'histoire  de  la  notation,  si  importante,  et  que 
l'auteur  fait  entrer  dans  l'Histoire  générale  de  la  musique,  devrait  former  un 
chapitre  spécial.  D'autre  part,  je  vois  que  M.  Parisini  fait  entrer  dans 
l'Histoire  générale  de  la  musique,  qui  paraît  bonne  à  tout  pour  lui,  la  Storia 
del  canlo,  de  G.  Fantoni,  qui  devrait  naturellement  figurer  dans  l'histoire 
du  chant,  la  Scuola  musicale  di  Napoli,  de  Francesco  Florimo,  dont  la  place 
logique  est  dans  la  section  des  conservatoires,  les  Éludes  philosophiques  sur 
l'histoire  de  la  musique,  de  J.-B.  Labal,  qui  eussent  dû  être  classées  sous  la  ru-, 
brique  :  Philosophie,  esthétique.  L'Histoire  du  Théâtre  ne  forme  à  tort  qu'une 
section,  alors  qu'il  faudrait  distinguer  entre  le  théâtre  lyrique  et  le  théâ- 


tre non  lyrique.  Et  pourquoi,  dans  cette  Histoire  du  Théâtre,  comprendre 
des  ouvrages  comme  les  Notes  de  musique,  de  M.  Reyer,  qui  rentrent  dans 
la  critique,  YOEuvre  dramatique  de  Berlioz,  de  M.  Ernst,  les  Rossiniane,  de  Gar- 
pani,  le  Richard  Wagner,  de  MM.  Malherbe  et  Soubies,  dont  la  place  est 
toute  marquée  dans  la  Biographie.  Puis,  des  erreurs,  comme  la  double 
mention  du  Dictionnaire  des  Théâtres,  de  Léris,  qui  est  catalogué  deux  fois 
dans  le  même  chapitre,  d'abord  anonyme,  puis  avec  le  nom  de  l'auteur... 
Je  n'en  finirais  pas  de  ces  critiques,  malheureusement  trop  nombreuses  et 
trop  graves.  Avec  tout  cela,  ou  malgré  tout  cela,  beaucoup  d'intérêt  dans 
ce  livre,  et  beaucoup  de  soin  apporté  à  la  reproduction  de  documents  de 
la  plus  grande  importance  :  préfaces,  avertissements,  dédicaces  absolument 
précieux  d'anciens  ouvrages,  descriptions  fort  utiles  de  traités  peu  connus, 
détails  historiques  du  plus  grand  intérêt,  qui  montrent  à  quel  point 
M.  Parisini  a  nettement  conscience  de  l'utilité  de  son  travail.  En  somme, 
et  en  dépit  de  ses  imperfections,  ce  catalogue,  lorsqu'il  sera  achevé, 
constituera  une  sorte  de  grande  bibliographie  de  la  musique  comme  je 
crois  qu'il  n'en  existe  encore  dans  aucune  langue.  —  A.  P. 

—  Le  Livre  moderne,  journal  littéraire,  publie  sous  ce  titre  :  «  Amusettes 
bibliographiques  »,  la  curieuse  énumération  des  parodies  théâtrales  ins- 
pirées par  certaines  œuvres  contemporaines.  En  voici  quelques-unes  con- 
cernant les  opéras  :  la  Favorite  devient  Nannand  et  Nonor;  le  Prophète  : 
l'Ane  à  Baptiste;  Tannhauser  :  Panne  aux  Airs;  Roméo  et  Juliette  :  Romain  et 
Julienne  et  Rhum  et  eau  en  juillet.  Faust  enfin  devient  le  Petit  Faust;  mais  ici, 
du  moins,  la  parodie  est  un  petit  chef-d'œuvre. 

—  La  saison  bat  son  plein  à  Dieppe,  en  ce  moment.  Les  concerts  du 
Casino,  fort  bien  composés,  sont  très  assidûment  suivis  par  une  foule  des 
plus  élégantes  qui  a  fait,  dernièrement,  un  triomphe  à  M.  Degenne  et 
à  M110  Pelosse  dans  le  duo  du  premier  acte  de  Lakmé.  Grand  succès  aussi 
pour  M"?e  G.  Ferrari,  MUe  Tarquini  d'Or  et  M.  Engel. 

—  Mme  Gabriella  Ferrari,  la  musicienne  bien  connue  à  Paris,  vient 
de  se  faire  entendre  à  Aix,  aux  grands  concerts  si  artistement  dirigés 
par  M.  Edouard  Colonne.  La  charmante  artiste  a  été  l'objet  d'un  très 
grand  succès  comme  pianiste  et  aussi  comme  compositeur,  M™  Ed.  Co- 
lonne ayant  chanté,  avec  tout  le  charme  que  l'on  sait,  plusieurs  de  ses 
mélodies  parmi  lesquelles  la  Boucle  blonde,  qui  a  été  redemandée  par  la 
salle  entière. 

—  A  Aix  toujours,  et  toujours  au  Grand  Cercle  des  bains,  on  avait  eu 
l'avant-veille  une  merveilleuse  représentation  à'Hamlet  avec  Mme  Melba 
dans  le  rôle  d'Ophélie.  La  grande  artiste  a  été  acclamée,  rapp3lée,  fêtée, 
couverte  de  fleurs.  A  côté  d'elle,  MUe  Nardi  et  M.  Maurice  Devriès  ont 
été  aussi  fort  applaudis.  Mme  Melba,  très  sollicitée,  a  dû  donner,  quel- 
ques jours  après,  une  nouvelle  représentation  dans  laquelle  elle  a  chanté 
Lucie  de  Lammermoor. 

—  Grâce  à  l'initiative  de  l'Association  chorale  d'hommes  à  Strasbourg,  il 
vient  de  se  constituer  une  Union  des  Chanteurs  d'Alsace-Lorraine,  à  laquelle 
soixante-dix  sociétés  ont  spontanément  adhéré. 

NÉCROLOGIE 

Nous  avons  le  regret  d'annoncer  la  mort  de  M.  Maxime  Cherubini, 
petit-fils  de  l'illustre  auteur  de  Médée,  de  Loddiska  et  des  Deux  Journées,  qui 
a  succombé,  à  l'âge  de  trentvcinq  ans,  aux  suites  d'une'pleurésie. 

—  De  Munich  on  signale  la  mort  du  compositeur  Robert  van  Hornstein, 
professeur  au  Conservatoire  de  cette  ville  depuis  1873.  Né  en  1833,  à 
Stuttgard,  il  avait  fait  ses  études  au  Conservatoire  de  Leipzig.  Il  s'était 
fait  connaître  par  un  grand  nombre  de  lieder  et  de  morceaux  de  piano 
et  avait  écrit  la  musique  de  deux  opérettes  :  Adam  et  Eve  et  der  Dorfadvo- 
kat,  ainsi  que  celle  d'une  pièce  de  Shakespeare.  Il  se  rattachait,  dit-on,  à 
l'école  de  Lachner  et  de  Mendelssohn. 

—  Un  artiste  italien,  M.  Sgarzi,  qui  occupait  à  Constantinople  une 
situation  importante,  a  succombé  en  cette  ville  sous  le  poignard  des  as- 
sassins. Directeur  de  la  musique  du  Sultan  et  chef  d'orchestre  de  l'Opéra- 
Italien,  c'est  lui  qui  avait  dirigé  récemment  à  Yldiz-Kiosque  le  grand 
concert  organisé  à  l'occasion  de  la  visite  de  l'empereur  d'Allemagne  à 
Abdul-Hamid.  C'est  précisément  en  revenant  d'Yldiz-Kiosque,  où  il  avait, 
ces  jours  derniers,  dirigé  un  autre  concert,  qu'il  fut  assailli  par  quatre 
malfaiteurs  qui  le  dévalisèrent  et  le  laissèrent  mourant  sur  le  grand  che- 
min. Il  succombait  dès  le  lendemain  à  ses  blessures. 

—  A  Gand  est  mort,  à  l'âge  de  57  ans,  M.  Edouard  de  Vos,  artiste  dis- 
tingué, qui  était  professeur  au  Conservatoire  et  directeur  artistique  de 
la  fameuse  Société  royale  des  chœurs  de  Gand,  l'une  des  associations  cho- 
rales les  plusjustement  célèbres  de  la  Belgique. 

Henri  Heugel.  directmr-géi ant . 

A  VENDRE  :  Choron,  Principes  de  composition  des  Écoles  d'Italie,  adoptés 
par  le  Gouvernement  français  pour  servir  à  l'instruction  des  élèves  des 
maîtrises  des  cathédrales,  dédié  à  l'empereur  Napoléon.  —  L'ouvrage,  très 
bien  conservé,  est  magnifiquement  relié.  Le  prix  marqué  de  chaque  volume 
est  de  180  francs.  Total  524  francs. 


3101  —  56* 


—  N°  36. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 


Dimanche  7  Septembre  1890. 


(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les'manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  3  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus- 


SOMAIEE-  TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste:  Eugène  Gautier  (17"  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Semaine 
théâtrale:  La  saison  qui  s'ouvre,  Arthur  Pougin;  première  représentation  du 
Pompier  de  Justine,  aux  Folies-Dramatiques,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Berlioz, 
son  génie,  sa  technique,  son  caractère,  à  propos  d'un  manuscrit  autographe 
d'Barold  en  Italie  (5"  et  dernier  article),  A.  Montaux.  —  IV.  Nouvelles  diverses. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

HYMNE    AUX    ASTRES 

nouvelle   mélodie  de  J.  Facre,   poésie   de  Frédéric  Bataille.   —   Suivra 
immédiatement:  Les  Yiux,  nouvelle  mélodie  des  mêmes  auteurs. 

PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piaivo:  Verglas-Galop,  de  Franz  Hitz.  —  Suivra  immédiatement:  Roses 
et  Papillons,  de  Paul  Barbot. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


EUGENE  GAUTIER 


L'hiver  venu,  la  partition  étant  d'ailleurs  fort  avancée, 
Gautier  ne  pouvait  rester  inactif.  De  temps  en  temps  une 
espérance  nouvelle  semblait  luire  du  côté  de  l'Opéra  - 
Comique. 

Les  pèlerinages  de  la  rue  Favart  recommencèrent  alors. 
On  allait  au  cabinet  des  directeurs,  —  comme  en  un  sanc- 
tuaire où  l'on  espère  un  miracle.  —  Y  aller,  en  pareil  cas, 
ce  n'est  rien;  les  y  trouver,  c'est  une  autre  affaire. 

Généralement,  les  directeurs  n'y  sont  jamais  lorsqu'on  va  leur 
parler  d'un  ouvrage.  Nous  en  faisions  la  pénible  expérience. 
Ce  qui  étonne,  c'est  que  de  loin  en  loin  pourtant  et  comme 
obéissant  à  quelque  irrésistible  fatalité,  ils  jouent  quelque 
chose  de  nouveau.  Prenez  les  meilleurs,  ceux  qui,  avant  de 
s'asseoir  dans  le  fauteuil  directorial,  ont  montré  les  plus 
excellentes  dispositions,  une  fois  en  place  ils  présentent  le 
phénomène  d'une  cristallisation  qui  les  immobilise  et  leur 
fait  considérer  comme  le  pire  ennemi  celui  qui  tente  de  les 
tirer  de  cet  état. 

Ces  amères  réflexions  étaient  communément  les  nôtres 
quand,  en  attendant  le  bon  vouloir  ou  le  loisir  des  maîtres 
du  lieu,  nous  montions  de  longues  factions  mélancoliques 
sur  la  place  Favart.  Que  de  projets  ébauchés,  que  de  lièvres 


levés  dans  ce  va-el-vient  de  sentinelles  perdues!  Un  avenir 
couleur  d'aurore  consolait  du  présent  couvert  de  brume.  De 
la  Clé  d'or  qu'on  ne  jouait  pas,  on  passait  à  d'autres  sujets, 
qui  viendraient  ensuite  et  s'imposeraient! 


On  choisissait  dans  ce  fonds  merveilleux,  ou  plutôt  on  ne 
savait  que  choisir.  Deux  de  ces  sujets  revenaient  fréquem- 
ment dans  cet  entrelien.  L'un  d'eux  surtout  ravissait  parti- 
culièrement Gautier,  qui,  tout  en  le  racontant,  le  créait  pour 
ainsi  dire,  —  conte  des  Mille  et  une  Nuits  qu'il  avait  tiré  je 
ne  sais  d'où,  qu'il  appelait  Bécri  et  qui  me  frappait  comme 
une  lumineuse  et  à  la  fois  mystérieuse  vision  d'Orient,  his- 
toire d'amour  poursuivie  à  travers  les  jardins  enchantés 
créés  par  l'imagination  d'un  buveur  de  vin  de  Schiraz. 

Puis,  un  autre,  d'un  linéament  plus  net,  légende  aussi 
pourtant,  venue  de  l'Himalaya,  qu'il  contait  avec  une  saveur 
et  un  charme  tout  particuliers  et  que  ma  mémoire  me  redit 
ainsi  : 

«  Un  rajah  des  bords  du  Gange  avait  une  maîtresse,  une 
femme  qu'il   adorait  et  qui,  elle,  ne  vivait  que  pour  lui. 

»  Forcé  de  partir  pour  la  guerre,  ce  fut  avec  des  larmes 
qu'il  la  quitta. 

»  Or,  à  la  guerre  il  fut  tué. 

s  C'était  un  souverain  juste,  un  homme  au  cœur  vaillant 
et  pur.  Quand  il  parut  devant  Brahma,  le  Dieu  l'accueillit 
avec  un  sourire  et  lui  fit  une  place  à  sa  droite. 

»  Mais  le  guerrier  demeurait  triste  au  milieu  des  splen- 
deurs du  ciel.  L'amour  de  sa  maîtresse  lui  paraissait  plus 
doux  que  les  joies  du  paradis. 

—  Que  veux-tu?  demanda  Brahma. 

—  Je  veux  vivre!  Dix  siècles  de  tourments  en  échange 
d'une  nouvelle  existence  humaine,  voilà  seulement  ce  que  je 
demande. 

»  Avec  un  regard  de  pitié,  le  Dieu  inclina  la  tête.  Et  soudai- 
nement le  rajah  se  retrouva  à  la  porte  de  son  palais,  où  nul 
ne  l'attendait  plus. 

»  Par  les  jardins,  sans  être  vu,  il  y  pénétra.  A  travers  les 
allées  d'arbres  fleuris ,  il  marcha  dans  l'ombre  jusqu'au 
kiosque  où  celle  qu'il  aimait  avait  coutume  de  se  retirer,  et 
où  maintenant  elle  devait  le  pleurer  dans  son  inconsolable 
solitude. 

»  Comme,  pour  la  surprendre  dans  le  silence,  il  marchait 
doucement,  un  léger  murmure  de  voix  vint  à  son  oreille  et 
ensuite  le  bruit  ailé  d'un  baiser. 

»  A  travers  les  nattes  du  kiosque,  ayant  regardé,  il  vit  celle 
qu'il  aimait  pâmée  aux  bras  de  son  successeur. 

»  Il  invoqua  la  mort  et,  reparaissant  devant  Brahma  : 


282 


LE  MÉNESTREL 


—  0  Dieu!  je  t'ai  demandé  une  nouvelle  existence  au  prix 
de  dix  siècles  de  tourments.  J'ai  revécu,  je  viens  subir  ma 
peine. 

»  Et  le  Dieu,  le  regardant  avec  bonté,  lui  dit  : 

—  Dix  siècles  de  tourments!  Tu  viens  de  les  souffrir!  » 


C'est  de  cette  légende  que  devait  sortir,  peu  de  temps 
après,  le  Roi  de  Lahore,  le  premier  grand  ouvrage  de  J. 
Massenet  représenté  à  l'Opéra.  J'avais  d'abord  pensé,  pour 
le  jeune  compositeur,  à  mettre  en  œuvre  cette  amoureuse 
et  pittoresque  fable  de  Beeri  qu'Eugène  Gautier  m'avait 
contée  ;  mais  ce  dernier,  très  disposé  à  me  laisser  faire  de  la 
légende  du  rajab  tout  ce  que  je  voudrais,  se  montra  ferme- 
ment résolu  à  se  réserver  le  second  sujet. 

«  Bien  certainement,  cber  ami,  je  songe  à  Becri.  C'est  un 
sujet  que  je  me  réserve  absolument.  J'en  ai  déjà  même  parlé 
à  un  directeur  comme  d'un  opéra-ballet  que  je  compte  écrire 
quand  le  moment  sera  venu. . . 

»  Attendons  que  j'aie  fait  entrer  la  Clé  d'or  en  répétitions, 
ce  qui,  j'espère,  sera  bientôt,  et  nous  reparlerons  de  cela. 
Mais  pour  me  résumer,  je  garde  mon  sujet  et  l'espérance  de 
le  traiter  bientôt!  » 

Il  n'en  a  plus  jamais  été  question. 

Tandis  que  s'éloignait  de  plus  en  plus  aux  regards  navrés 
de  Gautier  le  tbéâtre  de  l'Opéra-Comique,  but  chimérique  de 
ses  efforts,  un  Théâtre-Lyrique  naissait  au  square  des  Arls- 
et-Métiers  :  la  Gaîté  passait  du  drame  à  la  musique,  et  un 
effort  sérieux  y  était  tenté  en  faveur  de  la  jeune  école 
française. 

Là,  après  la  Jeanne  d'Arc  de  Jules  Barbier,  illustrée  de  la 
partition  de  Gounod,  œuvre  mixte  bien  choisie  pour  servir 
de  transition  entre  le  drame  et  la  musique,  devaient  défiler, 
entre  autres  œuvres  lyriques,  sous  la  direction  d'Albert  Vizen- 
tini,  le  Paul  et  Virginie  de  Victor  Massé,  le  Bravo  de  Salvayre, 
le  Timbre  d'argent  de  Saint-Saëns  et  la  Clé  d'or  d'Eugène 
Gautier. 

Car  elle  fut  reçue  et  brillamment  reçue  enfin,  cette  Clé 
d'or,  Gautier  ayant  mis  rapidement  le  cap  sur  ce  port  nou- 
vellement ouvert  auquel  il  devait  cette  fois  aborder,  oubliant 
en  un  instant  toutes  les  vicissitudes  et  tous  les  souffles  con- 
traires que  l'ouvrage  subissait  depuis  tantôt  six  années. 

Tout  plein  de  joie,  il  s'empressa  de  m'envoyer  la  copie  que 
voici  de  cette  réception  officielle  : 

«  Paris,  le  30  novembre  1873. 
»  Mon  cher  Gautier,  c'est  encore  tout  ému  de  votre  lecture 
que  je  reçois  avec  enthousiasme  la  Clé  d'or.  Ce  m'est  une 
joie  de  restaurer  le  Théâtre-Lyrique;  ce  me  sera  un  honneur 
d'inscrire  en  tète  des  triomphes  que  je  rêve,  le  grand  et 
légitime  succès  de  MM.  Octave  Feuillet  et  Eugène  Gautier. 
Inutile  d'ajouter  que  tous  mes  efforts  tendront  à  ce  que  le 
cadre  soit  digne  du  tableau.  Votre  :  Vizentini.  » 

*  * 

Il  n'était  aucunement  question  là-dedans  du  modeste 
librettiste  à  qui  l'œuvre  devait  la  vie  lyrique.  Le  composi- 
teur avait  sans  doute  oublié  de  le  nommer;  mais  il  éprouvait 
alors  une  telle  joie  qu'on  n'avait  pas  la  force  d'en  vouloir  à 
son  égoïsme.  Pour  beaucoup,  le  librettiste  est  un  objet  de 
première  nécessité  qu'on  entoure  de  soins,  qu'on  couvre  de 
fleurs  pendant  la  genèse  de  l'œuvre,  et  qui  devient  une  quan- 
tité négligeable  quand  on  en  a  obtenu  l'enfant  qu'on  en  vou- 
lait. C'est  si  naturel! 

Dès  qu'une  œuvre  musicale  a  vu  le  jour,  la  personnalité 
du  compositeur  devient  d'ailleurs  prépondérante  sur  tous  les 
points.  C'est  à  lui  qu'on  attribue  la  disposition  métrique  des 
vers,  l'ordonnance  des  scènes,  la  conception  lyrique  com- 
plète. Et  de  fait,  cette  opinion  courante,  faite  pour  offenser 


quelque  peu  la  vanité  communément  chatouilleuse  des 
poètes,  repose  sur  des  traditions  anciennes  en  qui  les  esprits 
même  les  plus  au  courant  du  mouvement  de  leur  époque 
ont  gardé  une  foi  complète. 

Au  temps  de  la  musique  italienne,  au  temps  même  de  la 
musique  française  du  commencement  de  ce  siècle,  le  com- 
positeur faisait  assez  volontiers  son  morceau  en  s'inspirant 
plus  ou  moins  de  la  situation.  Le  librettiste  arrivait  alors  et 
devait  couler  dans  ce  moule  son  métal  lyrique.  Il  faisait  des 
paroles  sur  de  la  musique.  Il  y  a  heureusement  bien  longtemps 
qu'à  de  rares  exceptions  près,  les  musiciens  au  contraire  se 
sont  mis  à  faire  de  la  musique  sur  des  paroles,  que  leur  sens 
littéraire  s'est  éveillé,  que  chez  quelques-uns  même,  qu'il  ne 
faut  pas  citer  afin  de  ne  pas  déplaire  aux  autres,  il  s'est  affiné 
de  telle  sorte  que  non  seulement  respectueux  de  leur  texte, 
ils  sont  encore  soucieux  de  sa  valeur  littéraire  et  tiennent  à 
honneur  de  s'y  conformer  scrupuleusement. 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


LA  SAISON  QUI  S'OUVRE 

Que  -  sera,  pour  nos  théâtres  lyriques,  la  saison  qui  s'ouvre,  et 
que  nous  donnera-t-elle  ?  J'entends  bien  que  de  part  et  d'autre  il 
est  question  de  beaucoup  de  projets  ;  mais  de  ces  projets  je  sais 
ce  qu'en  vaut  l'aune,  et  l'expérience  m'a  appris  que  sous  ce  rap- 
port il  y  a  loin  de  la  coupe  aux  lèvres.  Dès  que  la  période  des 
vacances  annuelles  est  .terminée,  nos  directeurs  abreuvent  les 
journaux  de  communications  pleines  d'intérêt  dans  lesquelles  ils 
promettent  au  public  monts  étonnants  et  merveilles  prodigieuses  ; 
puis,  le  temps  s'écoule,  les  semaines  succèdent  aux  semaines,  les 
mois  remplacent  les  mois,  tout  ce  beau  feu  s'en  va  en  fumée,  et 
le  bon  public  s'aperçoit,  quand  la  saison  est  terminée,  qu'on 
ne  lui  a  pas  donné  le  quart  même  de   ce  qu'on  lui  avait  promis. 

En  vérité,  que  fait-on  donc  dans  nos  théâtres  lyriques  pour  que 
la  production  s'appauvrisse  ainsi  de  jour  en  jour,  et  à  quoi  y 
emploie-t-on  son  temps?  Nos  artistes  ne  sont-ils  plus  du  même 
bois  que  ceux  du  temps  passé,  et  ne  peut-on  obtenir  d'eux  ce 
qu'on  obtenait  naguère  de  leurs  prédécesseurs  ?  Je  vois  cependant 
ce  qu'on  faisait  sur  nos  deux  grandes  scènes  musicales  il  y  a  juste 
un  demi-siècle,  en  1840,  et  il  me  semble  qu'il  y  a  de  quoi  donner 
le  vertige  à  nos  administrations  actuelles. 

A  l'Opéra,  sous  la  direction  Duponchel,  on  donnait  en  cette 
année  1840  :  le  Drapier,  opéra  en  trois  actes,  d'Halévy;  les  Martyrs, 
opéra  en  quatre  actes,  de  Donizetti  ;  le  Diable  amoureux,  ballet  en  . 
trois  actes  et  huit  tableaux,  de  Benoist  et  Reber;  la  Favorite,  opéra 
en  quatre  actes,  de  Donizetti.  Ensemble,  quatre  ouvrages  donnant 
un  total  de  quatorze  actes. 

Voici  maintenant  le  bilan  de  l'Opéra-Comique  pour  la  même 
année,  sous  le  principat  Crosnier-Cerfbeer  :  la  Fille  du  régiment, 
deux  actes,  de  Donizetti;  Carline,  trois  actes,  de  M.  Ambroise 
Thomas;  l'Élève  de  Presbourg,  un  acte,  de  Luce-Varlet;  la  Perruche, 
un  acte,  de  Glapisson  ;  Zanetta,  trois  actes,  d'Auber;  le  Cent-Suisse, 
un  acte,  du  prince  de  la  Moskowa  ;  l'Opéra  à  la  Cour,  trois  actes, 
d'Albert  Grisar  et  Boieldieu  fils;  l'Automate  de  Vaucanson,  un  acte, 
de  Luigi  Bordèse  ;  la  Reine  Jeanne,  trois  actes,  d'HippolyteMoupou; 
la  Rose  de  Péronne,  trois  actes,  d'Adolphe  Adam.  Ici,  nous  trouvons 
un  total  de  vingt  et  un  actes,  répartis  en  dix  ouvrages!  On  ne  se 
contentait  pas  alors,  à  l'Opéra-Comique,  de  recevoir  les  pièces;  on 
les  jouait,  sans  se  faire  faire  des  procès  par  les  auteurs. 

En  résumé,  à  cette  époque,  on  travaillait,  à  l'Opéra  comme  à  l'Opéra- 
Comique,  on  produisait,  et  les  compositeurs  pouvaient,  plus  heureux 
que  ceux  d'aujourd'hui,  caresser  l'espoir  de  paraître  de  temps  à 
autre  à  la  scène.  Et  les  chanteurs,  qui  sans  donte  valaient  bien 
ceux  de  l'heure  présente,  ne  se  faisaient  pas  trop  prier  pour  prendre 
de  la  peine  et  faire  ce  qu'on  leur  demandait.  Veut-on  établir  une 
comparaison?  Voici  quel  était  alors  le  personnel  de  l'Opéra,  per- 
sonnel fixe  et  qui  n'était  pas  toujours  en  voyage  et  sur  les  grands 
chemins,  comme  nous  le  voyous  maintenant  :  Duprez,  Levasseur, 
Massol,  Barroilhet,  Poultier,  Dérivis  fils,  Alexis  Dupont,  Wartel, 
Serda,  Ferdinand  Prévost,  M"lcs  Dorus,  Stoltz,  Nau,  Julian.  A  l'Opéra- 
Comique,  on  trouvait  Chollet,  Roger,  Couderc,  Masset,rrJIpclccr, 
Moreau-Sainti,Grignon,  Marié, Henry,  Bicquier,  Sainte-Foy,  M'!1'"5  Da- 


LE  MENESTREL 


283 


moreau,  Anna  Thillon,  Darcier,  Zoé  Prévost,  Rossi-Caccia,  Boulan- 
ger, Révilly,  Bertaud.  Je  ne  veux,  pour  ma  part,  faire  aucun  paral- 
lèle, mais  enfin,  il  me  semble  que  les  troupes  d'il  y  a  cinquante 
ans  n'étaient  pas  trop  au-dessous  de  celles  d'aujourd'hui. 

Voyons  donc  enfin  ce  qu'on  nous  promet  pour  cette  saison.  A 
l'Opéra,  après  s'être  bien  fait  tirer  l'oreille,  après  avoir  fait  les  gros 
yeux  au  ministère  et  juré  ses  grands  dieux  qu'on  ne  ferait  rien 
tant  que  certaines  difficultés  ne  seraient  pas  résolues,  on  a  fini  par 
comprendre  qu'on  faisait  fausse  route  et  l'on  s'est  décidé  à  déclarer 
que  la  Salammbô  de  M.  Reyer  allait  entrer  en  répétitions.  C'est  bien. 
Mais  est-ce  à  cela  que  se  bornera  tout  l'effort  à  faire  en  vue  du 
renouvellement  d'un  répertoire  archi-usé  et  qui  exigerait  vraiment 
un  peu  plus  de  variété"?  Et  le  Mage,  de  M.  Massenet,  dont  on  par- 
lait tant  il  y  a  quelques  mois  ?  n'en  est-il  décidément  plus  ques- 
tion ?  Et  ne  songe-t-on  point  à  un  nouveau  ballet?  Et  aurons-nous 
du  moins  sûrement  Thamara,  le  petit  opéra  commandé  en  sa  qualité 
de  prix  de  Rome  à  M.  Bourgault-Ducoudray,  qui  attend  son  tour 
depuis  vingt-huit  ans,  puisque  ce  prix  lui  a  été  décerné  en  1862  ?  Car 
enfin,  il  ne  faudrait  pas  que  nous  fussions  obligés  de  nous  contenter, 
pour  cette  saison,  des  cinq  actes  de  Salammbô,  que  je  suis,  en  ce 
qui  me  concerne,  enchanté  de  voir  pénétrer  à  l'Opéra,  mais  qui,  en 
réalité,  ne  constitue  pas  un  ouvrage  essentiellement  nouveau  et 
qu'on  s'en  va  chercher  maintenant  à  Bruxelles,  alors  qu'on  l'a  dédai- 
gné quand  on  pouvait  l'avoir  dans  toute  sa  fleur  et  sa  fraîcheur,  ce 
qui  est  le  fait  d'une  administration  quelque  peu  incohérente.  Voilà, 
dira-t-on,  bien  des  exigences  !  Nullement.  Ces  réflexions  sont  sim- 
plement motivées  par  le  désir,  légitime  sans  doute,  de  ne  pas  voir 
l'Opéra  se  soustraire  aux  conditions  déjà  si  bénignes  de  son  cahier 
des  charges,  et  de  l'engager  à  prendre  un  peu  de  souci  des  plaisirs 
du  public,  qu'il  traite  généralement  avec  un  laisser-aller,  j'allais 
dire  un  sans-gêne  par  trop  exemplaire. 

Quant  à  l'Opéra-Comique,  qui  recommence  avec  vigueur  le  jeu 
des  petits  papiers  et  qui  inonde  les  journaux  d'une  prose  tout  par- 
ticulièrement savoureuse,  on  voit  de  plus  en  plus  que  les  promesses 
ne  lui  coûtent  guère.  Par  malheur,  c'est  avec  lui  surtout  que  pro- 
mettre et  tenir  font  deux.  Essayons  pourtant  de  voir  où  nous  en 
sommes  de  ce  côté.  On  nous  annonce  tout  d'abord  la  très  prochaine 
représentation  d'un  petit  ouvrage  en  un  acte,  Colombine,  dû  à  la 
plume  on  ne  peut  plus  inconnue  de  M.  Gustave  Michiels.  Ceci 
pourrait  passer  pour  une  quantité  négligeable,  n'était  l'interprétation, 
qui  promet  d'être  excellente,  étant  confiée  à  MM.  Fugère  et  Grivot 
(Pierrot  et  Cassandre),  et  à  Mmes  Mole  et  Auguez  (Colombine  et 
Arlequin).  Mais  le  gros  morceau  qu'on  se  prépare...  à  préparer  avec 
une  activité  fébrile,  c'est  le  Benvenuto  en  trois  actes  de  MM.  Gaston 
Hirsch  pour  les  paroles  et  Eugène  Diaz  pour  la  musique.  On 
compte  donner  cet  ouvrage  en  octobre;  étant  données  les  coutumes 
de  la  maison,  nous  pourrons  nous  estimer  heureux  si  on  nous  l'offre 
en  décembre.  Ici  les  interprètes  seront  M.  Renaud,  le  nouveau 
baryton,  qui  fera  ses  débuts  par  le  rôle  de  Benvenuto,  M.  Lorrain, 
l'ancienne  basse  chantante  que  nous  avons  connu  à  l'Opéra,  qui 
ensuite  a  été  en  Italie  et  que  nous  avons  retrouvé  l'an  passé  aux 
Italiens-Sonzogno,  Mmc  Jehin-Deschamps  et  M110  Yvel. 

Après  Benvenuto  on  nous  fait  espérer  Enguerrande,  le  drame 
lyrique  que  M.  Emile  Bergerat,  aidé  de  notre  ami  "Wilder,  a  tiré 
de  son  roman  publié  sous  le  même  titre,  et  dont  la  musique  a  été 
commandée  à  M.  Chapuis,  un  jeune  compositeur  de  talent.  Pour 
celui-ci,  comme  pour  Benvenuto,  la  date  est  fixée,  et  c'est  le  mois  de 
février  qui  est  choisi.  Que  Jupiter  le  veuille,  et  protège  les  auteurs  ! 
En  tous  cas,  la  distribution  n'est  point  arrêtée  encore,  et  l'on  en 
est  même  à  chercher  une  Enguerrands,  qui,  paralt-il,  n'est  pas  fa- 
cile à  découvrir.  Entre  temps,  M.  Paravey  qui  n'est  pas  chiche  de 
projets,  se  propose  d'offrir  à  son  public,  d'ici  le  mois  de  janvier, 
deux  petits  actes  :  l'Amour  vengé,  de  M.  de  Meaupou,  à  qui  a  été 
décerné  le  prix  Cressent,  et  un  Jour  de  fête,  de  M.  Diet,  un  jeune 
compositeur  qui,  si  j'ai  bonne  mémoire,  a  eu  deux  levers  de  rideau 
joués  aux  Menus-Plaisirs  et  aux  Bouffes-Parisiens. 

Mais  dans  tout  cela,  que  deviennent  donc  certains  ouvrages,  de- 
puis longtemps  reçus,  et  même  commandés,  ouvrages  qui  attendent 
impatiemment  leur  tour  et  qu'on  semble  avoir  profondément  oubliés? 
Sans  parler  même  du  Sicilien  de  M.  Weckerlin,  qu'advient-il  du 
Marchand  de  Venise,  de  M.  Louis  Deffès,  qui,  par  traité,  devait  être 
joué  avant  le  lBr  janvier  1891?  Et  des  Folies  amoureuses,  de  Regnard, 
transformées  eu  opéra-comique  avec  musique  de  M.  Emile  Pessard ? 
Et  du  Légataire  universel,  du  même  Regnard,  transformé  aussi  en 
opéra-comique  avec  musique  de  M.  Georges  Pfeiffer?  Je  me  suis 
même  laissé  dire  que  la  distribution  de  ce  dernier  ouvrage  avait 
été  presque    arrêtée.  Et  j'allais  oublier  l'ouvrage   que  M.   Poise  a 


écrit  sur  une  adaptation  du  superbe  drame  de  Musset,  Carmosine, 
dont  l'histoire  est  déjà  longue  et  incidentée  et  qui,  reçu  une  pre- 
mière fois  par  M.  Paravey  et  ensuite  abandonné  par  lui,  a  été 
récemment  de  sa  part  l'objet  d'une  seconde  réception,  en  vertu  d'un 
traité  par  lequel  la  représentation  en  est  fixée  au  cours  du  prochain 
mois  d'octobre,  condition  qui,  à  l'heure  présente,  semble  diffi- 
cile à  accomplir.  Certains  auteurs,  paralt-il,  se  montreraient  peu 
satisfaits,  en  particulier  M.  Deffès,  qui,  s'il  faut  en  croire  les  bruits 
qui  courent,  serait  disposé  à  réclamer  vigoureusement  son  droit. 
M.  Paravey,  qui  reçoit  tant  de  pièces,  pourrait  bien  recevoir  de  ce 
côté  certain  papier  timbré  dont  la  vue  est  toujours  désagréable.  Mais 
ceci  le  regarde.  Tout  ce  que  le  public  peut  lui  demander,  c'est  de 
ne  pas  dépenser  son  activité  en  pure  perte,  et  de  faire  en  sorte  que 
les  affiches  ne  soient  pas  stéréotypées.  —  Que  M.  Paravey  se  rappelle 
ce  que  son  prédécesseur  Crosnier  faisait  en  1840  ;  cela  ne  pourra 
que  l'inciter  à  un  travail  effectif  et  fructueux. 

De  l'Eden  lyrique  nous  ne  pouvons  trop  parler.  Jusqu'ici,  les  pro- 
jets connus  de  M.  Verdhurt,  qui  est  sans  doute  plein  de  bonne  vo- 
lonté, consistent  surtout  à  transporter  à  ce  nouveau  théâtre  les 
ouvrages  inédits  qu'il  a  montés  à  Rouen  la  saison  dernière.  C'est 
ainsi  que  le  premier  spectacle  comprendra  Samson  et  Dalila,  de 
M.  Saint-Saëns  et  le  Printemps,  de  M.  Alexandre  Georges,  qui  seront 
suivis  à  courte  échéance  de  la  Coupe  et  les  Lèvres,  de  M.  Canoby. 
Ajoutons  à  cela  les  reprises  de  la  Jolie  Fille  de  Perth  et  de  la  Statue, 
un  acte  de  M.  Jules  Bordier,  Chanson  nouvelle,  qui  vient  d'être  reçu,  et 
c'est  à  peu  près  tout  ce  que  nous  savons  de  précis  sur  les  premiers 
efforts  du  nouveau  théâtre.  Pourquoi  M.  Verdhurt,  qui  semble  beau- 
coup plus  porté  vers  le  drame  lyrique  que  du  côté  de  l'opéra- 
cornique,  ne  nous  donnerait-il  pas  une  belle  reprise  d'un  des  chefs- 
d'œuvre  du  grand  répertoire?  Pourquoi  ne  nous  offrirait-il  pas  l'Ar- 
mide  ou  YAlceste,  de  Gluck,  ou  VOEdipe  à  Colone,  de  Sacehini,  ou 
le  Fernand  Cortez,  de  Spontini?  Il  y  aurait  là  une  tentative  inté- 
ressante et  intelligente  à  faire,  et  dont  le  résultat  pourrait  bien  être 
considérable.  En  tout  cas,  pourquoi  ne  pas  essayer?  A  défaut  de 
succès  matériel,  il  y  aurait  là  matière  à  un  grand  succès  artistique, 
et  un  succès  artistique,  affirmant  le  bon  renom  d'une  entreprise, 
n'est  pas  à  dédaigner  à  ses  débuts. 

Arthur  Pougin. 

Folies-Dramatiques.  —  Le  Pompier  de  Justine,  comédie  bouffe  en 
trois  actes,  de  MM.  A.  Valabrègue  et  Davril. 

Justine,  c'est  une  cuisinière  au  service  de  M.  Blanchinet,  huis- 
sier. Le  pompier,  c'est  cet  huissier  lui-même,  et  c'est  aussi  son 
domestique,  Germain.  Vous  ne  saisissez  pas  très  bien,  n'est-ce 
pas?  Je  vais  essayer  de  vous  faire  comprendre.  Blanchinet  délaisse 
sa  femme  pour  une  Mmc  Durosoir  et,  dans  le  but  de  dépister  sa 
légitime  à  lui  et  le  légitime  de  son  illégitime,  il  se  déguise,  chaque 
fois  qu'il  se  rend  chez  sa  belle,  en  pompier  fort  barbu.  Or,  Justine 
a  rencontré  le  beau  pompier  dans  la  rue  et  en  est  tombée  immé- 
diatement amoureuse,  ce  qu'elle  explique  très  candidement  à  Ger- 
main, qui  l'aime  et  qui  veut  l'épouser.  Germain,  en  singe  très  malin, 
prend  alors  le  parti  de  se  déguiser  aussi  en  pompier  non  moins 
barbu,  et  comme,  sur  ces  entrefaites,  Justine  a  quitté  le  service 
des  Blanchinet  pour  entrer  à  celui  des  Durosoir,  les  deux  faux 
pompiers  toujours  barbus,  chacun  courant  après  sa  chacune,  se 
retrouvent  dans  la  maison  de  ces  derniers.  Mais  Mmo  Blanchinet  a 
été  avisée,  par  un  soupirant  mal  reçu,  que  son  mari  la  trompait, 
et  elle  se  met  aussitôt  à  sa  poursuite.  Bien  entendu,  comme  dans 
tout  bon  vaudeville  qui  se  respecte,  au  moment  ou  elle  croit  pincer 
l'infidèle,  c'est  sur  son  domestique  qu'elle  met  la  main.  Bien  en- 
tendu encore,  M'M  Durosoir  et  Justine  se  trompent  aussi  de  pompier 
et  nous  sommes  lancés  dans  une  série  d'imbroglios  à  en  perdre  la 
tête.  Oh  !  ces  huissiers  !  Vont-il  donc  maintenant  prendre,  au  théâ- 
tre, la  place  des  notaires  et  des  avoués?  Tout  s'explique  finalement, 
ou,  plus  justement,  tout  s'arrange  sans  trop  s'expliquer  :  Blanchinet 
renonce  à  ses  escapades;  Justine,  convaincue  que  sur  les  deux 
pompiers  il  n'y  en  a  même  pas  un  de  vrai,  épouse  Germain,  et 
M.  Durosoir  qui,  en  bon  mari,  ne  s'est  aperçu  de  rien,  continue  à 
soigner  les  animaux  qu'il  élève  en  très  grande  quantité  dans  son 
appartement.  —  On  a  beaucoup  ri  à  cette  nouvelle  bouffonnerie  de 
MM.  Valabrègue  et  Davril,  principalement  au  second  acte,  qui  est 
étourdissant  de  drôlerie  et  de  mouvement.  Le  trio  en  G,  Gobin, 
Germain  et  Guyon,  a  été  cocasse  à  un  degré  beaucoup  plus  élevé 
que  celui  de  la  température  extérieure,  et  M"e  Leriche,  moins  gri- 
macière qu'à  son  ordinaire,  n'en  a  été  que  plus  amusante. 

Paul-Emile  Chevalier. 


284 


LE  MENESTREL 


BERLIOZ 

SON  GÉNIE,  SA  TECHNIQUE,  SON  CARACTÈRE, 
A  propos  d'un  manuscrit  autographe  d'IIAROLD  EN  ITALIE 


IV 

(Suite) 

Les  retouches  que  Berlioz  a  apportées  aux  dernières  pages  de  la 
Marche  des  Pèlerins,  pour  n'être  pas  aussi  curieuses  que  celle  qui 
nous  a  si  longtemps  retenus,  n'en  sont  pas  moins  des  plus  heureuses. 

Et  d'abord,  les  répliques  des  allos,  violoncelles  et  contrebasses 
qui  dialoguent,  en  s'espaçant  de  plus  en  plus,  avec  la  sonnerie  des 
cloches,  étaient  primitivement  écrites  pour  l'archet.  La  mention 
pizz.  est  ajoutée  avec  une  encre  moins  noire  que  le  texte,  et,  ce 
qui  achève  de  le  prouver,  c'est  que  Berlioz  a  effacé  au  crayon  ronge 
une  liaison  qui  prolongeait  d'un  temps  une  des  dernières  notes  des 
violoncelles  et  contrebasses,  et  qui  n'avait  plus  d'effet  possible  du 
moment  que  les  sons  n'étaient  plus  soutenus  par  l'archet.  Ainsi 
faisant,  le  maître  estompait  davantage  le  thème  de  la  marche,  déjà 
réduit  aux  instruments  graves  les  plus  ternes  de  l'orchestre,  comme 
si  le  bruit  des  pas  des  pèlerins  se  perdait  peu  à  peu  dans  l'éloi- 
gnement. 

C'est  dans  la  même  intention,  et  avec  un  sentiment  poétique  très 
délicat,  que  Berlioz  a  relouché  les  dernières  mesures  confiées  aux 
violoncelles  et  contrebasses  soli  sur  lesquelles  expire  le  motif  delà 
marche,  entrecoupé  de  pauses  et  de  soupirs,  qu'on  n'entend  plus  que 
vaguement,  comme  par  bouffées. 

Berlioz  avait  noté  d'abord  la  partie  des  contrebasses  à  l'octave 
aiguë  pour  l'œil,  c'est-à-dire  à  l'unisson  pour  l'oreille,  des  violoncelles. 
A  la  réflexion,  il  a  bàtonné  celte  notation  et  a  écrit  les  contrebasses 
à  l'unisson  pour  l'oeil,  c'est-à-dire  à  l'octave  grâce,  pour  l'oreille,  des 
violoncelles.  Eu  rejetant  ainsi  les  contrebasses  dans  leurs  sonorités 
les  plus  indécises,  à  l'extrémité  de  leur  échelle,  le  maître  a  donné 
à  ce  dernier  bruit  lointain  quelque  chose  de  plus  vague,  de  plus 
mystérieux,  comme  si  le  crépuscule  avait  fait  place  à  la  nuit  dont 
l'ombre  enveloppe  lentement  la  nature. 

Un  trémolo  des  cordes,  indiqué  ppp.  y  succède,  pareil  à  un  léger 
souffle  de  brise;  ce  trémolo  supporte  quelques  arpèges  d'alto,  der- 
nière songerie  d'HaroId  lorsque  les  pèlerins  ont  disparu,  et  que  le 
mélancolique  rêveur  s'est  retrouvé,  loin  de  toute  agitation  humaine, 
dans  la  solitude  endormie  des  Abruzzes.  Un  son  harmonique  de  la 
harpe  apporte  l'écho  affaibli  du  tintement  de  cloches  déjà  entendu 
et  un  son  harmonique  de  l'alto  y  répond,  sur  un  accord  ppp.  des 
cordes  allégées  des  contrebasses,  comme  un  long  soupir  qui  s'exhale 
de  la  poitrine  d'Harold  "à  celte  évocation  fuyante  de  ses  premières 
croyances.  —  Ainsi  finit  l'œuvre. 

Comme  musique  pittoresque,  je  ne  connais  rien  de  plus  accompli 
que  cette  dernière  page  de  la  Marche  des  Pèlerins. 

Il  est  difficile  d'envelopper  mieux  notre  âme  d'impressions  d'une 
mélancolie  troublante  et  de  faire  passer  avec  plus  de  magie  devant 
les  yeux  de  notre  imagination  un  paysage  d'une  aussi  rare  poésie. 

Il  est  curieux  de  voir  que,  pour  arriver  à  traduire  ces  sensations 
qu'il  éprouvait  profondément,  Berlioz  ail  talonné  sur  les  moyens 
d'expression. 

Il  s'y  est  repris  à  trois  fois  pour  la  dernière  note   de  la  harpe. 

C'était  d'abord  le  son  toujours  répété,  j».  <  |  ^ZZ3  voilé  seule- 
ment par  une  simp'e  indication  de  nuance  (pppp).  Il  l'a  ensuite 
reporté  à  l'octave  grave,  comme  pour  en  transformer  la  sonorité  en 
une  sorte  d'écho,  fj  \  h  ^j  Mais  cette  transformation  cher- 
chée dans  l'échelle  grave  altérait  trop  l'effet  de  la  sonnerie  primi- 
tive, qu'il  fallait  rappeler,  tout  en  la  modifiant,  pour  donner  à 
l'auditeur  l'impression  entrevue. 

Finalement,  Berlioz  s'est  arrêté  au  son  harmonique  actuel,  qui  lui 
fournissait  un  son  aigu,  proche  parent  du  son  représentant  au  cours 
de  la  marche  la  sonnerie  des  cloches  du  couvent,  —  qui  le  rappelait 
donc,  —  et  qui  pourtant  avait  bien  la  féerique  couleur  d'un  son  nou- 
veau, presque  surnaturel,  altéré,  aminci,  comme  un  son  qu'altèrent, 
qu'amincissent  le  vent,  la  distance,  l'état  de  l'atmosphère,  et  qui  n'en 
parle  que  plus  éloquemment  à  notre  âme  touchée. 

Celle  dernière  version  est  écrite  ù  l'encre  violette,  ainsi  que  la 
mention  «  son  harmonique  ». 

Peut-être  celte  trouvaille  ful-elle  duo  à  la  connaissance  que  Ber- 
lioz fil  entre  temps  du  harpiste  Parish-Alvars.  Le  maître  se  félicite 


avec  enthousiasme  de  cette  connaissance  dans  sa  Se  lettre  à  Ernst 
(p.  275  des  Mémoires),  écrite  de  Dresde  vers  1841-42,  c'est-à-dire 
avant,  ce  semble,  que  la  partition  d'Harold  ait  été  publiée.  Il  rendra 
plus  tard  hommage  à  l'habileté  du  célèbre  virtuose  anglais  à  propos 
des  doubles  notes  synonymes,  dans  son  Traité  d 'instrumentation,  où 
il  a  décrit  merveilleusement  le  parti  qu'on  peut  tirer  des  sons 
harmoniques  de  la  harpe. 

Si  Berlioz  s'est  repris  à  trois  fois  pour  la  dernière  note  de  harpe, 
dans  la  Marche  des  Pèlerins,  il  a  bien  hésité  aussi  pour  la  dernière 
note  de  l'alto  solo.  —  Des  variantes  sont  perceptibles  sur  le  manus- 
crit, et  ces  variantes  sont  établies  sur  un  grattage  qui  cachait  peut- 
être  un  arpège,  au  lieu  de  la  note  tenue  que  Berlioz  lui  aurait  avec 
raison  substituée.  Mais,  le  grattage  effectué,  le  maître  n'a  plus  été 
indécis  que  sur  la  meilleure  notation  graphique  à  adopter;  il  a  tou- 
jours voulu  un  son  harmonique,  dont  l'usage  et  l'effet  devaient  lui 
être  beaucoup  plus  familiers  pour  l'alto  que  pour  la  harpe,  car,  à 
travers  d'épaisses  surcharges  pratiquées  avec  une  encre  très  noire, 
on  lit  aisément  les  mots  :  son  réel,  doigt  effleurant  la  corde,  doigt 
appuyé,  et  on  distingue  une  note  carrée. 

On  peut  en  conclure  que  Berlioz  s'est  arrêté  à  la  noie  unique  et 

son  harmonique  *T< 

à  la  notation  simple  constituant  la  version  actuelle      In  .'       p     sur 

le  conseil  d'un  virtuose,  peut-être  de  Paganini,  dont  il  signale  préci- 
sément daDs  son  Traité  d'instrumentation  la  prestigieuse  habileté 
pour  les  sons  harmoniques,  et  pour  qui,  on  se  le  rappelle,  Harold  était 
écrit. 

V 

Nous  voici  arrivés  au  terme  de  cette  étude.  —  Peut-être  ai-je 
trop  longuement  arrêté  le  lecteur  sur  des  menus  faits  qu'il  aura  jugés 
de  mince  importance.  C'est  que  rien  de  ce  qui  touche  à  une  person- 
nalité comme  celle  de  Berlioz  ne  parait  indifférent.  Si  l'allraction 
du  sujet  m'a  fail  illusion  sur  l'intérêt  de  cerlaines  constatations, 
cette  passion  même  de  consciencieuse  recherche,  cette  admiration 
déférente  de  l'oeuvre  seront  mon  excuse. 

Du  moins,  ce  minutieux  examen  nous  aura-t-il  conduits  à  de  sûres 
observations. 

Nous  sommes  entrés  dans  l'intimité  de  la  pensée  du  maître,  et, 
en  surprenant  le  secret  de  son  labeur,  nous  l'avons  vu  luttant  avec 
la  forme  pour  arriver  à  l'idéal  poursuivi,  comme  Jacob  lullanl  avec 
l'Ange  pour  arriver  à  Dieu  !  —  Nous  l'avons  vu  soucieux  des  moindres 
détails,  s'efforçant  d'assurer,  même  par  la  clarté  matérielle  de  l'écri- 
ture, par  le  choix  des  meilleurs  signes  et  des  meilleures  disposi- 
tions graphiques,  par  la  soigneuse  revision  des  nuances,  une  exé- 
cution aussi  précise  que  possible  de  son  oeuvre.  Nous  l'avons  vu, 
dévot  de  son  art,  ne  se  lassant  jamais  de  remanier  son  esquisse 
primitive,  profitant  de  tous  les  conseils,  utilisant  tous  les  progrès  . 
survenus  au  cours  de  son  travail,  ne  ménageant  jamais  ni  son  temps 
ni  sa  peine,  qui  paraissent  ne  pas  compter  pour  lui  quand  il  s'agit 
d'approcher  plus  près  de  la  perfectiou.  Nous  l'avons  vu,  combattu 
par  des  tendances  opposées  de  son  génie,  sur  le  point  de  sacrifier  la 
pureté  plastique  à  son  extraordinaire  acuité  de  sensations  pittoresques, 
puis  revenant  loyalement  à  uu  programme  esthétique  plus  sain,  et 
triomphant  en  quelque  sorte  de  lui-même  pour  réaliser  le  beau,  qui 
doit  être  l'objectif  de  tout  artiste  vraiment  digne  de  ce  nom,  et  qui 
est  irréalisable  si  l'on  s'éloigue  des  règles  qui  sont  la  condition,  la 
base  même  de  tout  art.  Nous  l'avons  vu  enfin  mettant  à  point  son 
tableau  musical  par  de  vives  retouches  qui  témoignent  d'un  sens 
afflué  des  sonorilés,  d'un  superbe  tempérament  poétique. 

Si  nous  avons  surpris  aussi  quelques  défaillances,  quelques  tâton- 
nements singuliers  chez  un  maître  qui  esl  devenu  un  puissant  chef 
d'école,  quelque  tricherie  dans  les  commentaires  qu'il  a  faits  lui- 
même  de  son  œuvre  et  des  critiques  dont  elle  fut  l'objet,  il  n'y  a 
rien  là  qu'il  faille  regretter.  Les  génies,  quand  nous  les  regardons 
de  loin,  nousparaissenteomme  des  colosses  de  granit  que  nous  saluons 
avec  une  sorte  de  crainte  respectueuse.  Si,  en  les  regardant  de  près, 
nous  découvrons  en  eux  quelque  humaine  lacune  qui  diminue  un 
pou  celte  admiration  banale  et  tout  d'une  pièce,  il  y  a  dans  l'ordre 
nouveau  des  sentiments  qu'ils  nous  inspireut  udo  exquise  compen- 
sation. Ils  nous  étonneot  moins  et  nous  les  aimons  davantage,  préci- 
sément parce  qu'ayant  vu  leurs  faiblesses,  nous  les  voyons  plus 
près  do  nous.  Ne  sont-cc  pas  ceux  dont  les  défauts  mêmes  nous  altirent 
que  nous  lisons  le  plus  volontiers,  et  nos  livres  de  chevet  ne  sont-ils 
pas  plutôt  ceux  qui  caressent  notre  penchant  que  ceux  qui  arrachent 
notre  admiration  "? 

N'exagérons  pas   d'ailleurs  la   portée  de   ces  examens  critiques. 


LE  MENESTREL 


285 


Ils  salisfonl  la  légitime  curiosité  de  notre  esprit;  ils  aiguiseut  la 
pénétration  de  notre  sens  artistique;  ils  rendent  plus  sur  notre 
jugement  en  nous  apprenant  toutes  les  modalités  de  la  peosée; 
enlin  ils  ouvrent  des  horizons  nouveaux  à  nos  efforts  créateurs,  en 
nous  montrant  comment  tel  ou  tel  génie  s'y  est  pris  pour  arriver  à 
l'expaosion  complote  de  son  inspiration.  —  C'est  par  là  seulement, 
qu'ils  sont  utiles.  —  Mais  ils  ne  sauraient  modifier  notre  appréciation 
de  l'œuvre  qui  en  est  l'objet.  Si  cette  œuvre  est  vraiment  belle,  elle 
ne  peut  l'être  plus  ou  moins,  parce  qu'elle  a  été  produite  en  une 
seule  venue  ou  après  de  nombreuses  transformations,  —  par  la  puis- 
sance de  l'imagination  s'enfièvrant  peu  à  peu  elle-même  dans  l'eni- 
vrement d'une  émotion  étrangère  à  l'art  ou  sous  l'incitation  et  dans 
le  transport  d'une  délirante,  improvisation  au  piano.  —  Les  circon- 
stances sont  contingentes;  le  beau  créé  est  éternel  !  —  Peu  importeut 
les  moyens  si  la  fin  est  radieuse,  et  nous  devons  notre  plus  affec- 
tueuse gratitude  aux  maîtres  qui,  eu  enfantant  de  nouveaux  chefs- 
d'œuvre  ont  accru  les  plus  pures  joies  que  nous  puissions  goûter 
ici-bas  ! 

A.    MoNTAUX. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (4  septembre).  —  C'est  aujour- 
d'hui même  qu'a  lieu  la  réouverture  de  la  Monnaie,  trop  tard  malheu- 
reusement pour  que  je  puisse  vous  en  parler  avant  la  semaine  prochaine. 
Je  crois  cependant  pouvoir  vous  assurer  que  cette  réouverture  sera  excel- 
lente, à  en  juger  par  les  répétitions  générales,  dont  le  succès  a  été  très  vif. 
Faust  nous  revient  avec  MmG  de  Nuovina,  qui,  à  la  fin  de  la  saison  der- 
nière, l'avait  joué  déjà  et  s'y  était  fait  justement  applaudir,  M.  Lafarge, 
le  ténor  si  apprécié  à  Rouen,  Mmc  Paulin-Archainbaud,  une  dugazon  dont 
on  dit  du  bien,  M.  Sentein,  la  basse  de  l'an  dernier,  et  M.  Bouvet,  qui 
chante  Yalentin.  Samedi,  nous  aurons  Esclarmonde  avec  M"0  Sibyl  Sander- 
son,  MM.  Dupeyron,  Bouvet  et  Vallier,  et  les  études  de  cette  reprise  pro- 
mettent aussi  des  représentations  supérieures  à  celle  de  l'hiver  passé. 
M.  Massenet  est  ici  depuis  plusieurs  jours  et  il  a  donné  à  cette  reprise 
des  soins  tout  particuliers.  Tout  annonce,  en  somme,  de  bonnes  soirées, 
qui  seront  suivies,  espérons-le,   d'autres  soirées  non  moins   intéressantes. 

Je  vous  ai  parlé  déjà  des  «  reprises  »  importantes  qui  sont  décidées  : 
Roméo  et  Juliette,  Manon  et  la  Flûte  enchantée  avec  M110Sanderson,  Salammbô, 
Oberon,  Don  Juan,  etc.,  auxquelles  il  faut  ajouter  Joli  Gilles,  le  joli  ouvrage 
de  M.  Poise,  et  je  vous  ai  parlé  aussi  de  Siegfried,  qui  sera  la  première 
nouveauté  de  la  saison.  Plusieurs  journaux  ont  parlé  d'autres  nouveautés. 
Or,  voici,  à  ce  sujet,  des  renseignements  puisés  à  bonne  source  et  que 
je  vous  certifie  exacts.  A  part  Siegfried,  rien  n'est  encore  absolument  cer- 
tain, sauf  cependant  en  ce  qui  concerne  la  Basoche,  qui  sera  montée  dans 
le  courant  de  l'hiver.  Il  se  pourrait  que  l'on  montât  l'Otello  de  Verdi  ;  le 
maître  avait  paru  exiger  comme  principale  interprète  Mme  Caron ,  et 
celte  exigence  semblait  devoir  éloigner  toute  éventualité  d'entendre  l'œuvre 
à  Bruxelles;  mais  Verdi  ne  serait  pas  éloigné  de  renoncer  à  la  grande 
artiste,  le  caractère  du  personnage  de  Desdémone  étant,  en  somme, 
moins  dramatique  que  fait  do  charme  touchant  et  de  passive  naïveté,  et 
pouvant  convenir  à  d'autres  mieux  encore  qu'à  Mmo  Caron.  D'autre  part, 
cet  obstacle  même  étant  soulevé,  rien  ne  dit  qu'Otello  sera  joué  à  la 
Monnaie.  Verdi  et  les  Italiens  sont  bien  peu  dans  le  mouvement.  Et 
alors,  ce  qui  est  beaucoup  plus  probable,  c'est  que  nous  aurons  comme 
primeur  le  'Werther  de  M.  Massenet,  qui,  lui  aussi,  abandonnerait  son  idée 
d'avoir  M11"3  Caron  pour  interprète  et  confierait  le  rôle  principal  à 
M110  Sanderson. 

Enfin,  il  est  aussi  question  du  Diable  à  la  maison,  un  opéra  allemand  de 
Goetz,  dont  la  musique  est  charmante,  parait-il. 

Entre  tout  cela,  la  direction  hésile.  Il  est  possible  qu'elle  choisisse  plus 
d'un  de  ces  ouvrages-là,  au  lieu  de  se  contenter  d'un  seul.  Mais  en  tout 
cas,  toutes  les  probabilités,  je  le  répète,  sont  pour  Werther. 

Les  derniers  jours  de  concerts  en  plein  air,  au  Waux-Hall,  onl  été 
très  contrariés  par  le  mauvais  temps.  On  avait  organisé,  pour  hier,  un 
concert  consacré  à  M.  Massenet  et  dirigé  par  lui  ;  la  pluie  l'a  empêché  d'a- 
voir lieu.  De  son  côté,  le  cercle  des  Arts  et  de  la  Presse  avait  arrangé  la 
semaine  dernière  une  soirée  au  profit  des  victimes  de  Saint-Etienne,  où 
l'on  a  entendu  M"c  Loventz  (de  son  vrai  nom  Lovenssohn),  une  de  nos 
compatriotes,  engagée  récemment  à  l'Opéra  et  qui  a  pleinement  réussi. 

Lucien  Solvay. 

—  On  assure  que  M.  Servais,  qui  est  chargé  de  la  direction  musicale 
des  œuvres  wagnériennes  à  la  Monnaie  de  Bruxelles,  médite  une  nouvelle 
disposition  de  l'orchestre,  conforme  à  celle  qui  est  adoptée  à  Munich  : 
tous  les  violons  seront  rangés  suivant  une  diagonale  qui  partira  du  coin 
de  gauche  de  l'orchestre,  contre  la  rampe,  pour  aller  aboutir  au  coin 
opposé,  de  façon  à  former  une  ligne  mélodique  occupant  toute  la  largeur 
de  la  salle.  Les  contrebasses  seront  rangées  sur  une  ligne  le  long  de  la 
rampe.     Le  chef,  qui  sera  au  milieu   de  l'orchestre,   aura  les   altos   à   sa 


droite  et  les  violoncelles  du  même  côté,  plus  loin.  Les  cuivres  seront  à 
l'extrême  droite,  sauf  les  tubas,  qui  occuperont  l'extrême  gauche  avec  les 
harpes  —  et  les  cors  qui,  avec  les  bois,  seront  groupés  à  la  gauche  du 
chef,  de  façon  à  faire  pendant  aux  violoncelles. 

—  A  l'Opéra  impérial  devienne,  on  a  donné  tout  récemment  la  200e  repré- 
sentation de  J.ohengrin.  A  cette  occasion  on  se  rappelle  naturellement  les 
commencements  si  dilliciles  de  Richard  Wagner,  Tannhâuser  el I^ohengrin ;  il 
les  vendit  jadis  pour  une  aumône  à  l'Opéra  devienne,  mille  florins  l'un  dans 
l'autre.  L'affaire  fut  excellente  pour  l'Opéra,  qui  encaissait  les  plus  belles 
recettes  du  monde  avec  les  deux  ouvrages.  "Wagner  essaya  à  plusieurs 
reprises  de  faire  annuler  ce  traité  léonin,  toujours  sans  le  moindre  succès. 
Un  jour  pourtant  on  lui  demanda  son  opéra  de  Tristan  et  Iseult,  et  il  ne 
le  donna  qu'à  la  condition  que  l'ancien  contrat  serait  complètement 
revisé.  Il  fallait  bien  passer  par  là,  et  le  compositeur  fut  amplement  dé- 
dommagé. Plus  tard,  après  1876,  il  fut  appelé  à  Vienne  pour  diriger  ledit 
Tannhduser  et  trois  autres  opéras  de  sa  composition,  quatre  soirées  en 
tout.  Il  demanda  20,000  florins  (40,000  francs),  frais  d'hôtel  et  voyage 
payés.  Tout  lui  fut  accordé.  L'hôtelier  présenta  même  un  mémoire  pour 
meubles  détériorés  par  le  jeune  Siegfried  Wagner.  L'enfant  s'était  amusé 
à  tracer  son  nom  sur  du  satin  bleu  de  ciel  avec  ses  doigts  mouillés  d'encre 
noire  —  total  800  florins.  Le  caissier  paya  sans  broncher. 

—  Puisque  nous  parlons  de  l'Opéra  impérial  de  Vienne,  faisons  con- 
naître un  cas  assez  singulier  :  c'est  que  le  nouveau  directeur  de  ce  théâtre, 
M.  le  docteur  Max  Burckhardt,  cumule  cet  emploi  avec  les  fonctions  de 
professeur  de  droit  à  la  Faculté  de  Vienne.  Il  vient  d'annoncer  qu'il  fera 
son  cours  cette  année  comme  à  l'ordinaire,  et  il  publie  déjà  le  programme 
des  matières  qu'il  traitera. 

—  Au  reste,  il  paraît  qu'à  l'Opéra  de  Vienne  on  se  permet,  avec  les 
œuvres  des  compositeurs,  certaines  libertés  qui  confinent  à  la  licence. 
C'est  un  correspondant  du  Figaro  qui  le  déclare  en  ces  termes:  —  «  ...  Je 
me  permets  de  vous  envoyer  quelques  petits  renseignements  sur  l'Opéra 
de  Vienne,  que  deux  lettres  récentes  ont  mis  en  causé  dans  votre  courrier. 
Je  dois  reconnaître  que  le  spectacle  comporte  toute  la  variété  désirable  et 
que,  depuis  douze  jours,  nous  avons  eu  douze  opéras  différents;  oh!  la 
quantité  existe,  mais  la  qualité,  c'est  différent;  à  vous  d'en  juger.  Hier 
nous  avons  eu  la  Juive,  mais  quelle  Juive  écourtée  !  La  sérénade  de  Léopold, 
tous  ses  duos,  la  moitié  de  la  Pàque,  au  second  acte,  et  bien  d'autres 
morceaux  encore,  supprimés.  Mais,  le  comble,de  tout  ceci,  c'est  le  ballet. 
J'avais  toujours  cru,  et  vous  aussi,  n'est  ce  pas?  qu'Halévy  en  avait  com- 
posé un  fort  joli  dans  son  troisième  acte.  Il  parait  que  nous  étions  dans 
l'erreur,  car,  à  Vienne,  on  nous  a  servi,  sur  une  musique  étrangère  à  la 
Juive,  et  quelle  musique!  un  petit  pas  de  deux  dansé  ou  plutôt  chahuté 
par  une  danseuse  et  un  danseur.  Le  tout  dure  cinq  minutes,  aux  applau- 
dissement du  bon  public  viennois.  Du  reste,  c'est  un  tour  de  force  que 
de  vouloir  donner  en  deux  heures  un  quart  la  Juive.  » 

—  La  liste  des  nouveautés  pour  la  saison  qui  vient  de  s'ouvrir  à  l'Opéra 
de  Vienne  a  été  arrêtée  comme  suit  :  le  Fugitif,  opéra-comique  de 
M.  Raoul  Mader,  chef  des  chœurs  du  théâtre;  Manon,  de  M.  Massenet; 
le  Barbier  de  Bagdad,  de  Peter  Cornélius;  le  Chevalier  Pasmann,  de  Johann 
Strauss;  enfin,  le  ballet  de  MM.  Gaul  et  Hastreiter,  la  Danse,  qui  ouvrira 
la  série. 

—  Dans  la  dernière  année  scolaire,  le  Conservatoire  de  Vienne,  qui  est 
un  des  meilleurs  de  l'Europe,  a  été  fréquenté  par  919  élèves.  Au  point  de 
vue  des  nationalités  et  des  provinces  diverses  de  l'empire,  ces  élèves  se 
répartissent  ainsi  :  Basse-Autriche  (la  ville  de  Vienne  comprise),  605  ; 
Hongrie,  63,  Bohème,  40  ;  Moravie,  33  ;  Galicie,  31  ;  Transylvanie.  14  ;  Ty- 
rol,  10  ;  Styrie,  9  ;  Croatie,  9;  Haute-Autriche,  8;  Carniole,  7  ;  Trieste,  7; 
Silésie,  4  ;  Carintbie,  4;  Bukovine,  4  ;  Slavonie,  1.  En  ce  qui  concerne  les 
élèves  étrangers,  on  compte:  Russie,  21;  Allemagne  16;  Roumanie,  11; 
Amérique,  6  ;  Angleterre,  4  ;  Italie,  2  ;  Suisse,  2  ;  Grèce,  2  ;  Turquie,  2  ; 
Serbie,  1  ;  Egypte,  1. 

—  Les  grandes  fêtes  musicales  de  Vienne  ont  réussi  avec  éclat.  On 
estime  à  plus  de  430,000  le  nombre  des  curieux  qui  étaient,  rangés  sur 
le  parcours  du  cortège  historique,  entre  l'hôtel  de  ville  et  le  Prater. 
Les  réceptions  des  sociétés  aux  différentes  gares  ont  été  l'occasion  de 
manifestations  bruyantes,  surtout  lors  de  l'arrivée  des  Berlinois,  où  les 
hymnes  patriotiques,  les  fanfares,  les  discours  de  députés  du  Reichsrath 
se  succédaient  sans  Irève.  Les  chanteurs  ont  été  logés  un  peu  partout. 
Des  écoles  ont  été  transformées  en  dortoirs,  et  un  grand  nombre  de  visi- 
teurs ont  reçu  l'hospitalité  chez  l'habitant.  Un  des  chars  les  plus  admirés 
dans  le  cortège  était  celui  de  Schubertbund,  où  le  maître  était  représenté 
assis,  entouré  d'un  groupe  de  bourgeois  viennois  en  costumes  de  l'époque. 
Après  le  premier  concert,  auquel  assistaient  20,000  personnes,  un  banquet 
d'environ  15,000  couverts  a  été  servi  au  Prater. 

—  La  statue  de  Mendelssohn  que  vient  de  terminer  le  sculpteur  Werner 
Stein  et  qui  est  destinée  à  Leipzig,  a  été  expédiée  à  Brunswick  pour  être 
coulée  en  bronze.  Mendelssohn  est  représenté  enveloppé  dans  sa  houppe- 
lande légendaire.  La  main  droite,  qui  tient  un  bâton  de  chef  d'orchestre, 
est  appuyée  sur  un  pupitre;  de  la  gauche  il  tient  un  cahier  de  musique. 
La  tête,  encadrée  par  de  légères  boucles,  est  d'une  grande  noblesse  d'ex- 
pression. La  slalue,  qui  mesure  2  mètres  8d  reposera  sur  un  socle  de  granit 


286 


LE  MÉNESTREL 


de  Suède,  orné  de  différents  motifs  allégoriques.  Sur  le  devant,  une  muse 
est  assise,  attentive  aux  accents  de  quatre  petits  génies  qui  chantent  et 
jouent  à  ses  pieds.  Le  monument  aura  une  hauteur  totale  de  sept  mètres 
et  sera  érigé  devant  le  nouveau  Concert-Haus.  L'inauguration  aura  lieu  le 
4  novembre  prochain,  pour  l'anniversaire  de  la  mort  de  Mendelssohn. 

—  Le  huitième  festival  de  musique  palatin  vient  d'avoir  lieu  àNeus- 
tadt,  sous  la  direction  de  MM.  F.  Langer,  Max  Bruch  et  Krumbholz,  qui 
ont  fait  entendre  plusieurs  ouvrages  importants  de  leur  composition. 
Trente-deux  Sociétés  chorales  étaient  représentées,  formant  près  de  mille 
exécutants.  Le  meilleur  du  succès  s'est  reporté  sur  la  cantatrice  Hœch- 
Lechner,  de  Carlsruhe. 

—  Le  théâtre  de  la  Cour  de  Gobourg-G-otha  a  représenté  pendant  l'exer- 
cice 1889-90  vingt-huit  opéras  différents,  parmi  lesquels  quatre  nouveautés  : 
Hamlet,  joué  cinq  fois  ;  Jessonda,  de  Spohr,  la  Malédiction  du  chanteur,  de 
Langert,  chacun  quatre  fois;  et  la  Vie  pour  le  Czar,  trois  représentations. 

—  La  petite  ville  de  Raïn  sur  le  Lech  vient  de  consacrer  le  souvenir 
de  son  illustre  enfant,  Franz  Lachner,  en  ornant  la  maison  où  il  est  né 
d'un  médaillon  en  marbre  dédié  à  sa  mémoire.  Plusieurs  sociétés  musi- 
cales assistaient  à  la  cérémonie  d'inauguration,  présidée  par  le  kapcllmeister 
de  Kammerlander.  —  Une  autre  cérémoaie  du  même  genre  nous  est  si- 
gnalée. Il  s'agit  encore  d'une  plaque  commémorative  que  l'on  vient 
d'élever  sur  les  ruines  du  château  Hauenstein,  dans  le  Tyrol,  à  la 
gloire  d'Oswald  von  Wolkenstein,  surnommé  le  dernier  ménestrel,  mort 
à  Hauestein  le  4  août  1445. 

—  L'empereur  Guilhaume  II  vient  de  faire  don  à  tous  les  grands  con- 

.  servatoires  d'Allemagne  d'un  exemplaire  des  œuvres  musicales  complètes 
de  son  aïeul  Frédéric  le  Grand,  publiées  récemment  à  Leipzig,  par  les 
soins  de  la  maison  Breitkopf  et  Hsertel. 

—  Le  Musical  Standard  raconte  qu'une  surprise  musicale  a  été  ménagée 
par  l'empereur  et  l'impératrice  d'Autriche  à  l'archiduchesse  "Valérie,  la 
veille  de  son  mariage.  Le  baron  Bezecny,  directeur  des  théâtres  de  la 
Cour,  fut  chargé  d'inviter  un  célèbre  quatuor  vocal  de  Vienne  à  se  rendre 
à  Ischl,  avec  la  recommandation  de  ne  souffler  mot  à  personne  de  ce 
déplacement.  De  la  station,  les  chanteurs  furent  conduits  à  la  maison  du 
maître  des  cérémonies;  on  les  installa  dans  une  pièce  où  on  leur  remit 
quatre  exemplaires  d'un  chant  d'amour,  qu'on  les  pria  d'apprendre.  Un 
repas  succulent  leur  fut  servi  dans  la  même  pièce,  qu'ils  ne  devaient  pas 
quitter  avant  qu'on  les  fît  demander.  Quand  la  nuit  fut  venue  on  les 
amena,  à  travers  les  bois,  dan&  les  jardins  de  la  villa  impériale.  Placés 
sous  un  épais  bouquet  d'arbres,  en  face  la  terrasse  principale,  ils  atten- 
daient le  signal  convenu  pour  attaquer  leur  chant.  Enfin  l'impératrice 
parut,  tenant  sa  fille  par  la  taille  ;  derrière  marchaient  l'empereur  avec 
le  fiancé.  Comme  ils  se  tenaient  silencieusement  sur  la  terrasse,  le 
prince  de  Hohenlohe  donna  le  signal,  et  de  dessous  les  arbres  s'échap- 
pèrent les  sons  d'une  tendre  chanson  d'amour  dont  les  paroles  et  la  mu  - 
sique  avaient  été  composées  par  la  jeune  fiancée.  L'archiduchesse  éleva 
vers  ses  parents  un  regard  baigné  des  larmes  de  l'émotion  et  de  la  recon  - 
naissance.  Puis  l'empereur  descendit  dans  le  jardin,  et  remit  à  chaque 
chanteur  une  épingle  de  cravate  en  diamants. 

—  On  lit  dans  la  correspondance  de  Londres  du  Figaro:  «  En  dehors 
d'une  saison  d'automne  à  Covent-Garden  sous  la  direction  de  M.  Lago, 
saison  italienne  à  prix  réduit,  mais  qui  sera  très  suivie,  je  le  pense,  on 
m'annonce  que  nous  aurons  au  mois  de  novembre  jusque  fin  avril  une 
saison  d'opéra-comique  français.  Des  'engagements  importants  sont  déjà 
signés  et  la  direction  musicale  est  confiée  à  M.  Dubois,  chef  d'orchestre 
très  apprécié  à  Londres.  Mon  opinion  personnelle  est  que  si  cette  entre- 
prise est  bien  conduite,  elle  doit  réussir  très  complètement.  On  s'imagine 
à  tort  qu'à  Londres,  pendant  les  mois  d'hiver,  les  théâtres  sont  aban- 
donnés. Au  contraire;  la  haute  finance,  le  haut  commerce  ne  quittent  pas 
la  capitale,  où  les  affaires  les  retiennent  ;  on  va  donc  davantage  au  théâtre, 
parce  que  les  autres  plaisirs  sont  beaucoup  moins  nombreux;  puis,  le 
succès  des  représentations  françaises  à  Covent-Garden  indique  clairement 
le  goût  anglais.  Avec  un  répertoire  tel  que  celui  que  j'ai  sous  les  yeux  et 
qui  sera  celui  du  futur  Opéra-Comique  de  Londres,  si  les  œuvres  de  nos 
grands  maîtres  sont  convenablement  montées,  il  est  permis  d'espérer  un 
excellent  résultat.  ». 

—  Mieux  vaut  tard  que  jamais.  On  annonce  que  deux  auteurs  anglais, 
MM.  Sims  et  Pettitt,  viennent  de  terminer  une  «  brillante  »  parodie  de  la 
Carmen  de  notre  regretté  Bizet.  La  musique  de  cette  parodie  sera  écrite 
par  M.  Meyer  Lutz. 

—  Celle-ci  est  bien  anglaise.  Il  vient  de  se  former  à  Londres  une  société 
qui  prend  le  nom  d' Edison Phonographic  (on  aurait  pu  ajouter  :  and  cxcentric) 
Toy  and  Automaton  Company  (Limited),  au  capital  de  7,500,000  francs 
(300,000  livres  sterling),  en  actions  de  25  francs  chacune  (1  livre  sterling), 
pour  garder  le  monopole  d'un  mécanisme  ingénieux  qui  se  place  dans 
les  poupées  et  qui  reproduit  le  chant  avec  l'exactitude  du  phonographe. 
Ainsi,  on  pourra  acheter  désormais  une  poupée  qui  chantera  avec  la  voix 
de  Talazac  ou  avec  celle  de  M"10  Rose  Caron,  selon  l'air  que  le  mécanisme 
aura  enregistré.  La  Société  ne  fabriquera  pas  les  poupées,  mais  seule- 
ment les  mécanismes,  qui  seront  de  toutes  les  dimensions  et  que  les 
fabricants  de  bébés  articulés  adapteront  à  leur  fantaisie.  Une  poupée  re- 
viendra, croit-on,  à  25  schillings  tout  compris  (32  francs  environ).  Voilà 
une  invention  assez  «  fin  de  siècle  »,  n'est-il  pas  vrai? 


—  Un  pendant  au  festival  Hœndel,  qui  de  temps  immémorial  se  tient  tous 
les  trois  ans  à  Londres,  va  être  institué  dans  cette  même  capitale  en  1892. 
Ce  sera  le  festival  triennal  Mendelssohn.  On  sait  que  les  œuvres  de  ce  maître 
sont  plus  populaires  en  Angleterre  que  partout  ailleurs  ;  cela  tient  au  long 
séjour  qu'il  fit  à  Londres  et  à  l'amitié  dont  l'honorait  la  reine  Victoria,  à 
qui  il  a  dédié  son  admirable  Symphonie  écossaise.  Les  festivals  Men- 
delssohn seront  célébrés  avec  le  même  éclat  et  sur  le  même  pied  que 
ceux  en  l'honneur  de  Hœndel  ;  c'est-à-dire  qu'ils  recevront  la  participation 
de  cinq  mille  chanteurs  et  de  cinq  cents  instrumentistes.  Ils  auront  lieu 
dans  la  grande  nef  du  Crystal  Palace,  qui   contient  25,000  places  assises. 

—  Le  festival  de  Birmingham  de  1891  promet  d'être  exceptionnellement 
brillant.  Trois  ouvrages  de  grandes  dimensions  y  seront  exécutés  pour  la 
première  fois,  savoir  :  le  nouveau  Requiem  de  Dvorak,  un  oratorio  du 
docteur  Mackenzie,  intitulé  le  Dieu  de  vie,  et  une  cantate  de  M.  H.  Mac 
Cunn,  dont  le  titre  n'est  pas  encore  connu. 

—  Voici  le  résultat  du  premier  concours  Rubinstein,  qui,  comme  nous 
l'avons  dit,  vient  d'avoir  lieu  à  Saint-Pétersbourg.  Des  deux  prix  de 
5,000  francs  chacun  qui  faisaient  l'objet  de  ce  concours,  l'un,  celui  de 
composition,  a  été  décerné  à  M.  Busoni,  de  Helsingfors;  l'autre,  celui 
d'exécution  sur  le  piano,  a  été  attribué  à  M.  Dubassoff,  de  Saint-Péters- 
bourg. —  C'est  à  Berlin,  qu'aura  lieu,  en  1895,  le  second  concours. 

—  On  assure  que  le  baryton  Gilardoni,  qui  a  renoncé  à  ses  succès  scéni- 
ques  pour  se  livrer  à  l'enseignement  du  chant,  vient  d'être  chargé  de  la 
direction  du  Conservatoire  de  Moscou,  et  qu'il  doit  aller  prendre  pro- 
chainement possession  de  son  poste. 

—  On  vient  de  construire  à  Varsovie  un  nouveau  théâtre  qui  prendra 
le  nom  de  Théâtre-Impérial  russe,  et  dont  la  salle  est,  dit-on,  plus 
vaste  que  celle  de  l'Opéra  impérial  de  Vienne.  On  pense  que  l'inaugu- 
ration de  ce  théâtre  pourra  avoir  lieu  dans  le  courant  du  prochain  mois 
de  novembre. 

—  Est-ce  que  les  Italiens  reviendraient  sérieusement  à  Rossini  ?  Ils 
pourraient  assurément  faire  plus  mal.  Toujours  est-il  qu'il  y  a  longtemps 
que  le  grand  homme  ne  se  sera  vu  à  une  fête  pareille  à  celle  qu'on  lui 
prépare  au  Théâtre-National  de  Rome,  où  l'on  va  jouer  coup  sur  coup 
trois  de  ses  opéras  :  Cenerentola,  l'italiana  in  Algeri  et  le  Comte  Ory.  Le 
premier  de  ces  ouvrages  a  dû  être  représenté  cette  semaine,  ayant  pour 
interprètes  Mmes  Guerrina  Fabbri,  Augusta  Fiano  et  Quarenghi-Osanna,  et 
MM.  Chinelli,  Pini-Corsi,  Carbone  et  Ceccarelli. 

—  Deux  «  premières  «imminentes  en  Italie  :  à  Santarcângelo  (Romagne), 
la  Zingara  di  Granata,  opéra  de  M.  Adelelmo  Bartalucci;  et  au  théâtre 
Social  d'Alba  (Piémont),  Lina  di  Monferrato,  drame  lyrique,  paroles  de 
M.  Pablo  Dell'Elsa,  musique  de  M.  Agostino  Roche. 

—  Les  compositeurs  italiens  ne  se  lassent  pas  de  perpétrer  des  opéras. 
Voici  la  liste  des  plus  récemment  terminés  par  leurs  auteurs  :  Maometto  II, 
de  M.  Ausonio  de  Lorenzi-Fabris  ;  Cdmoens,  de  M.  Gamillo  de  Nardis  (li- 
vret de  M.  Francesco  Cimino)  ;  la  Castellana,  de  M.  Vittorio  Bellini  ;  il 
Profeto  velato  del  Korasan,  de  M.  Vincenzo  Ferroni  ;  Caritea,  de  M.  Benia- 
mino  Cesi  ;  enfin  gli  Arimanni,  de  M.  Trucco,  qu'on  espère  voir  repré- 
senter cet  automne  au  théâtre  Paganini,  de  Gênes. 

—  On  vient  de  donner  à  Messine  la  représentation  d'une  parodie  de 
Lohemjrin  qui  peut  sembler  un  peu  tardive  et  qui  est,  musicalement,  l'œu- 
vre de  deux  nobles  dilettantes,  le  prince  Ruffo,  qui  dirigeait  l'orchestre 
en  personne,  et  le  marquis  Squillace.  La  bizarrerie  burlesque  du  livret, 
dont  l'auteur  est  M.  Citarella,  n'a  pas  paru  toujours  très  heureuse,  et  l'on 
reproche  à  la  musique  un  caractère  un  peu  trop  sérieux  pour  la  circons- 
tance. Quelques  morceaux  pourtant  ont  fait,  plaisir. 

—  On  vient  de  fonder  en  Sardaigne,  à  Cagliari,  un  cercle  musical  qui 
a  pris  le  nom  de  Cercle  Mario,  en  souvenir  du  célèbre  ténor  Mario,  qui, 
on  le  sait,  était  natif  de  Cagliari. 

—  On  a  exécuté  récemment  à  Pérouse,  dans  la  basilique  de  sanLorenzo, 
une  grand'messe  à  quatre  parties  du  maestro  Agostino  Mercuri  et  des 
vêpres  du  même  compositeur.  Les  soli  de  la  messe  étaient  chantés  par 
MM.  Angeletti,  Parroi,  Pasquali  et  Santini,  et  l'œuvre  a  produit  sur  les 
auditeurs  une  impression  excellente.  Le  comité  des  fêtes  qui  doivent  avoir 
lieu  prochainement  en  cette  ville  pour  l'inauguration  du  monument  du 
roi  Victor-Emmanuel,  a  chargé  M.  Mercuri  de  la  composition  d'un  hymne 
populaire  qui  sera  chanté  à  cette  occasion. 

—  La  ville  de  Trieste  ne  possède  pas  moins  de  cinq  théâtres,  tous  im- 
portants :  1°  le  Théâtre  Communal,  qui  est  la  grande  scène  lyrique  et  qui 
peut  abriter  l,S0O  spectateurs  ;  2°  le  Politeama,  qui  ne  contient  pas  moins 
de  2,800  places;  3°  l'amphithéâtre  Fenice,  qui  en  compte  2,014;  4°  le 
Théâtre  Philodramatique,  qui  en  a  1,290  ;  5°  et  le  Théâtre  Armonia,  qui 
en  a  seulement  1,060.  C'est  un  total  de  9,000  places  environ  qui  sont 
chaque  jour  à  la  disposition  des  amateurs. 

—  On  nous  écrit  de  Christiania,  20  août  :  s  J'apprends  par  le  Ménestrel 
que  l'on  songe  à  monter  Peer  Gynt,  d'Ibsen  et  Gi'ieg,  au  nouvel  Opéra 
flamand  d'Anvers.  On  ferait  bien  alors  de  s'adresser  au  théâtre  de  Christia- 
nia, où  Peer  Gynt  sera  repris  cet  automne,  après  un  repos  involontaire  de 
quinze  ans.  Un  incendie  détruisit  tout  le  matériel  en  1875,  alors  que  le 
chef-d'œuvre  d'Ibsen  n'avait  encore  été  joué  que  35  fois  de  suite.  M.  Grieg 


LE  MÉNESTREL 


287 


a,  pour  cette  prochaine  reprise,  refait  et  augmenté  la  partition.  Le  rôle 
principal,  quelque  chose  comme  le  Faust  norwégien,  sera  tenu  par 
M.  Bjœrn  Bjœrnson,  le  fils  du  grand  poète.  Peer  Gijnt  n'a  encore  été  re- 
présenté qu'à  Christiania  et  à  Copenhague,  dans  cette  dernière  ville  avec 
les  créateurs  norvégiens  de  Peer  (Pierre)  et  de  sa  mère  Asa,  M.  Henri 
Clausen  et  MUe  Parelius.  A  présent,  l'œuvre  est  traduite  pour  les  scènes  de 
Suède  et  de  Finlande.  En  librairie  c'est  une  des  couvres  les  plus  vendues 
du  Nord.  » 

—  Le  choléra  fait  des  siennes  en  Espagne.  Grâce  à  lui,  on  a  dû  reculer 
à  une  époque  indéterminée  la  réouverture  de  divers  théâtres,  entre  autres 
le  théâtre  Lopez  Ayola,  à  Badajoz. 

—  Contre  l'ordinaire  en  cette  saison,  Lisbonne  a  un  assez  grand  nombre 
de  théâtres  ouverts  :  le  Colysée,  avec  opéra  italien  ;  le  théâtre  des  Re- 
creios,  avec  un  spectacle  d'opérette;  et  trois  scènes  secondaires  de  vaude- 
ville et  de  variétés. 

—  On  assure  qu'à  l'occasion  de  l'Exposition  universelle  de  Chicago,  qui 
aura  lieu  en  1893,  un  grand  congrès  musical  international  sera  tenu  en 
cette  ville.  Hum!...  International.  C'est  bien  loin  de  l'Europe,  Chicago! 

.  — Veut-on  savoir  combien  il  existe  de  théâtres  à  New- York?  Il  n'y  en 
a  pas  moins  de  vingt-huit,  dont  voici  la  liste  :  l'Academy  of  music,  le 
Metropolitan  Opéra  House,  le  Grand'Opera  House,  le  Harlem  Opéra  House, 
l'Amberg  théâtre,  le  Bijou  théâtre,  le  Broadway  théâtre,  le  Casino  théâtre, 
le  Daly  théâtre,  le  théâtre  de  la  3e  avenue,  le  théâtre  de  la  5e  avenue, 
le  théâtre  de  la  14e  rue,  le  Lyceum,  le  Madison  théâtre,  la  New-Gaiety, 
le  New-Park,  le  Nibo's  Garden.  le  Palmer  théâtre,  le  théâtre  du  Peuple, 
le  Pilling  théâtre,  le  Comik  théâtre,  le  Proctor  théâtre,  le  Standard 
théâtre,  le  Star  théâtre,  le  Thalie  théâtre,  le  Tony  Pastor  théâtre,  le  théâ- 
tre d'Union  Square  et  le  "Windsor  théâtre.  —  Ce  n'est  pas  tout.  A  cette 
liste,  il  faut  ajouter  celle  des  treize  théâtres  que  l'on  compte  à  Brooklyn, 
qui  peut  être  considéré  comme  un  faubourg  de  la  grande  métropole  amé- 
ricaine ;  la  voici  :  l'Academy  of  music,  le  Brooklyn  théâtre,  l'Amphion 
théâtre,  le  Criterion  théâtre,  la  Gaieté,  le  Grand  Opéra  House,  le  Grand 
Théâtre,  l'Hyde  and  Behman  théâtre,  le  Jacoh's  théâtre,  le  Jacobs  Lyceum, 
la  Lee  Avenue  Academy,  le  Proctor  théâtre  et  la  Zip  Casino.  Selon  toute 
apparence,  les  New-Yorkais  ne  sont  pas  près  de  s'ennuyer.  A  tout  le 
moins,  ce  ne  sera  pas  faute  de  distractions. 

—  On  roman  d'amour  au  théâtre,  raconté  par  un  journal  de  Buenos- 
Ayres.  «Ugo  Fraschetti  était  un  des  bons,  des  meilleurs  barytons  que  l'on 
comptait  dans  les  troupes  italiennes  d'opérette  ;  où  qu'il  se  présentât,  il 
était  accueilli  avec  une  faveur  toute  particulière.  Depuis  un  peu  plus 
d'une  année,  il  s'était  énamouré  d'une  des  plus  jolies  choristes  de  la 
Compagnie  Tomba,  et  il  fut  quelque  temps  au  comble  du  bonheur.  Mais 
celle-ci,  inconstante  comme  toutes  les  femmes  de  théâtre,  se  détacha 
promptement  de  lui,  et  de  Milan,  où  elle  se  trouvait,  s'envola  avec  un 
jeune  et  riche  Brésilien  qui,  outre  un  amour  très  vif,  lui  offrait  un  bien- 
être  et  des  bijoux  que  le  pauvre  baryton  ne  pouvait  lui  procurer.  Ugo 
Fraschetti,  lorsqu'il  apprit  son  abandon,  en  fut  tellement  frappé  que  sa 
raison  s'égara  et  qu'il  fut  atteint  de  folie  ;  l'artiste  autrefois  tant  fêté  dut 
être  transporté  et  enfermé  dans  un  hospice  d'aliénés,  d'où  il  sortit  au  bout 
de  quelques  mois,  l'esprit  guéri,  mais  le  cœur  plus  endolori  que  jamais, 
et,  pour  comble  de  malheur,  il  avait  perdu  la  belle  voix  qui  le  faisait  si 
vivement  applaudir.  Il  apprit  il  y  a  quelques  mois  que  son  infidèle,  la 
gentille  Fiammetta,  était  partie  pour  Buenos-Ayres.  Il  était  alors  en  Italie, 
sans  voix  et  sans  ressources  ;  il  s'enrôla  comme  choriste  dans  une  compa- 
gnie d'opérette  qui  se  rendait  aussi  à  Buenos-Ayres,  et  cela  dans  le  but 
de  se  trouver  plus  près  de  celle  qu'il  aimait  toujours.  Et  maintenant  on 
peut  le  voir  chaque  soir,  sur  la  scène  du  théâtre  Saint-Martin,  dans  les 
rangs  des  choristes,  chargé  parfois  d'un  rôle  insignifiant,  gagnant  à  peine 
de  quoi  manger,  tandis  que  sa  belle,  en  compagnie  de  son  riche  protec- 
teur, éblouit  la  ville  par  son  luxe,  ses  toilettes  et  son  opulente  beauté.  Il 
n"a  pas  cessé  de  l'aimer...  » 

PARIS    ET    DÉPARTEMENTS 

MM.  Ritt  et  Gailhard,  qui  ne  se  refusent  plus  rien,  ont  racheté  à 
M1""  Caron  son  congé  de  trois  mois  en  février,  mars  et  avril  1891,  afin 
que  cette  artiste  n'abandonne  par  son  rôle  de  Salammbô  pendant  cette 
période  de  temps,  l'ouvrage  de  M.  Reyer  devant  passer  en  novembre.  On 
ne  tardera  pas,  du  reste,  à  afficher  au  tableau  des  répétitions  les  études 
de  Salammbô,  qui  sera  la  première  nouveauté  lyrique  de  la  saison  à  l'Aca- 
démie de  musique.  La  scène,  comme  le  personnel  de  l'Opéra  de  Paris, 
permettront  d'y  donner  des  morceaux  de  cet  ouvrage  supprimés  à  Bru- 
xelles. Les  chœurs  commenceront,  dès  le  15  de  ce  mois,  les  premières 
répétitions.  Leurs  parties  sont  déjà  distribuées.  La  partie  chorégraphique 
sera  des  plus  curieuses  et  des  plus  intéressantes.  Elle  comprendra  trois 
ballets  :  le  premier,  au  premier  acte,  au  milieu  de  la  troupe  des  merce- 
naires ;  le  second,  à  la  toilette  de  Salammbô  ;  le  troisième,  au  quatrième 
acte. 

—  Voici  une  petite  note  émanant,  comme  toujours,  de  l'administration 
de  l'Opéra,  et,  comme  toujours  aussi,  destinée  à  jeter  de  la  poudre  aux 
yeux  du  public  et  même  de  la  direction  des  beaux-arts  :  «  A  l'Opéra,  avec 
lea  nouveaux  engagements  faits  depuis  quelques  mois,  la  troupe  est 
maintenant  composée  de  la  façon  suivante  :  Ténors  :  MM.  Duc,  Escalaïs, 
Vergnet,  Cossira,  Affre,  Vaguet,  Jérôme   et  Téqui  ;  barytons  :  MM.   Las- 


salle,  Melchissédec,  Bérardi  et  Martapoura  ;  basses  :  MM.  Grosse,  Delmas, 
Plançon,  Dubulle,  Fabre,  Bataille  et  Ballard  ;  fortes  chanteuses  : 
Mmes  Caron,  Adiny,  Fierens,  Bréval  et  Pack;  chanteuses  légères  : 
Mraes  Escalaïs,  Melba,  Eames,  Bosman,  Lovents,  d'Ervilly,  Agussol  et 
Dartoy;  contralti  :  M""*  Domenech.  Durand-Ulbach,  Héglon  ;  cette  der- 
nière, élève  de  M"  Marie  Sasse,  et  qui  n'a  encore  chanté  sur  aucune 
scène,  est  engagée  depuis  samedi.  »  Ce  qu'on  oublie  d'ajouter,  c'est 
qu'avec  le  système  ingénieusement  combiné  des  engagements  partiels  et 
des  congés ,  il  n'y  a  jamais  en  exercice  qu'une  moitié  à  peine  de  ce 
nombreux  et  brillant  personnel.  D'où  les  incessants  changements  de  spec- 
tacle improvisés  dont  l'Académie  nationale  nous  donne  le  non  moins 
brillant  exemple. 

■ —  M110  Lovents  ou  Lovenz,  dont  nous  avons  annoncé  déjà  l'engagement 
et  qui  est  comprise  dans  le  tableau  ci-dessus,  s'appelle  réellement  Amélie 
Lowensohn,  et,  de  par  ce  nom,  semble  être  au  moins  d'origine  allemande. 
Elle  raisait,  la  saison  dernière,  partie,  du  personnel  du  Grand-Théâtre  de 
Marseille.  Lauréate  du  Conservatoire  de  Bruxelles,  elle  est  la  nièce  de 
M.  Van  Goor,  qui  tint,  sous  la  direction  Letellier,  l'emploi  de  troisième 
basse  à  la  Monnaie,  et  qui  est  actuellement  «  circonciseur  »  de  la  com- 
munauté israélite  de  Bruxelles. 

—  Pas  de  chance,  l'Opéra-Comique,  pour  sa  réouverture,  et  l'on  croirait 
que  l'exemple  de  l'Opéra  influe  sur  ses  destinées.  Cette  réouverture,  affi- 
chée pour  lundi  avec  le  Barbier  de  Séville,  a  failli  presque  ne  pouvoir  avoir 
lieu.  En  effet,  l'administration  s'est  trouvée,  dans  l'après-midi,  en  pré- 
sence de  l'indisposition  de  trois  des  principaux  artistes  qui  devaient  con- 
courir à  l'exécution  de  l'ouvrage  annoncé.  Il  était  difficile  de  composer 
un  spectacle  sans  M"0  Simonnet,  Mme  Landouzy  et  M.  Delaquerrière,  qui 
se  déclaraient  malades  avec  certificats  de  médecins  à  l'appui.  Heureuse- 
ment, M"e  Chevalier  a  accepté  de  reprendre  au  pied  levé,  dans  le  Domino 
noir,  le  rôle  d'Angèle,  qui  fut  son  rôle  de  début  à  l'Opéra-Comique.  Elle 
en  a  été  récompensée  par  le  brillant  succès  que  lui  a  fait  le  public. 

—  Quelques  renseignements  sur  le  Benvenuto  de  M.  Diaz,  dont  les  répé- 
titions vont  commencer  à  l'Opéra-Comique.  Dans  le  milieu  si  artistique 
et  si  pittoresque  de  la  vie  florentine  au  seizième  siècle,  s'engage  une 
action  "dramatique  intense  dont  Benvenuto  Celhni  est  le  héros.  Autour  de 
lui,  les  principaux  personnages  sont  :  M.  de  Montsolm,  seigneur  de  la 
cour  de  France,  plus  tard  ambassadeur  du  roi  François  Ier  à  Rome;  sa 
fille  Delphe,  fiancée  à  Benvenuto  ;  Pasilia,  connue  par  sa  beauté,  son 
charme  et  ses  richesses;  Pompéo,  frère  de  Pasilia,  sculpteur  aux  gages  de 
Cosme  de  Médicis.  Le  livret  de  M.  Gaston  Hirsch  est  divisé  en  quatre 
actes  et  six  tableaux.  1er  acte.  —  La  place  du  Grand-Duc  à  Florence,  au 
moment  de  la  fête  donnée  par  Médicis  à  l'occasion  de  l'inauguration  de  la 
statue  de  Persée.  2e  acte.  —  La  demeure  de  Pasilia,  vue  du  côté  du  jardin, 
avec  une  colonnade  donnant  sur  une  rue  qui  aboutit  à  l'Arno ,  et  le 
palais  du  duc  de  Florence  en  perspective.  3e  acte.  —  La  salle  basse  du 
château  de  Sant'Agnolo,  devenu  depuis  le  Château  Saint-Ange.  C'est  dans 
ce  troisième  acte  que  sera  intercalé  le  ballet,  avec  deux  changements  à 
vue.  4e  acte.  —  La  salle  d'honneur  du  château,  avec  larges  fenêtres  ou- 
vertes sur  le  Tibre.  La  pièce  de  MM.  Hirsch  et  Diaz  s'appellera  sur 
l'affiche  Benvenuto  tout  court.  Et  pour  finir,  pas  la  moindre  ressemblance, 
pas  le  moindre  point  de   contact  avec  VAscanio  de  l'Opéra. 

—  On  assure  que  lors  de  la  réapparition  de  Mignon  qui  doit  avoir  lieu 
très  prochainement  à  l'Opéra-Comique,  peut-être  cette  semaine,  le  rôle 
de  Philine  sera  chanté,  pour  la  première  fois  à  Paris,  par  M"1"  Landouzy. 

—  A  propos  de  l'Opéra-Comique.  On  sait  que  le  théâtre  où  est  installé 
l'Opéra-Comique  actuel,  ex-théâtre  de  Paris,  ex-théâtre  des  Nations,  etc., 
etc.,  appartient  à  la  ville  de  Paris.  Un  traité  de  location  a  été  passé 
entre  l'État  et  la  ville,  pour  une  durée  de  trois  années,  à  dater  du 
1er  juillet  1888.  Le  loyer  annnel  est  fixé  à  80,000  francs.  Or  ce  traité 
expirera  le  30  juin  prochain.  Mais  son  renouvellement  est  presque  cer- 
tain. On  voit  en  effet  figurer  au  budget  municipal  de  1891,  parmi  les 
recettes,  une  somme  de  40,000  francs,  montant  du  loyer  de  l'Opéra- 
Comique  pendant  le  second  semestre  de  l'année  prochaine. 

—  Puisque  nous  en  sommes  aux  théâtres  appartenant  à  la  ville  de 
Paris,  donnons  à  ce  sujet  quelques  détails.  Outre  l'Opéra-Comique,  la 
ville  possède  encore,  on  le  sait,  le  Chàtelet  et  la  Gaité;  le  prix  de  loca- 
tion du  premier  de  ces  théâtres  est  de  150,000  francs  par  an  depuis  le 
mois  d'octobre  1887;  auparavant,  il  était  de  173,000  francs.  Pour  la  Gaité, 
le  prix  de  location,  qui  était  autrefois  de  101,000  francs,  a  été  abaissé  à 
85,000  francs  le  15  octobre  1887.  L'Opéra-Comique,  le  Chàtelet  et  la  Gaité 
constituent  donc  pour  la  ville  un  revenu  annuel  de  315,000  francs  ;  il 
faut  ajouter  à  cette  somme  ce  que  rapportent  les  boutiques  installées  au 
rez-de-chaussée  de  l'Opéra-Comique  et  du  Chàtelet,  soit  19,100  francs 
pour  le  premier,  113,100  francs  pour  le  deuxième.  Voilà  les  recettes; 
voyons  maintenant  les  dépenses  qui  incombent  à  la  ville  de  Paris, 
comme  à  tout  propriétaire.  H  y  a  d'abord  les  primes  annuelles  pour 
l'assurance  contre  l'incendie.  Cela  s'élève  à  13,284  fr.  85  c.  pour  le  Chà- 
telet, à  6,688  fr.  60  c.  pour  l'Opéra-Comique,  à  7,666  francs  pour  la  Gaité. 
Les  dépenses  nécessitées  par  les  travaux  d'entretien  se  montent  à 
17,200  francs  pour  l'Opéra-Comique,  à  9,000  francs  pour  la  Gaité,  à 
7,000  francs  pour  le  Chàtelet.  Enfin,  les  frais  de  surveillance  et  de  con- 
trôle dans  les  trois  théâtres  municipaux  atteignent  3,300  francs.  Il  faut 
également  faire  figurer  parmi  les  revenus  artistiques  de  la  ville  de  Paris 


288 


LE  MÉNESTREL 


une  somme  de  139,100  francs  pour  la  location  du  terrain  municipal  aux 
concerts,  cirque,  etc.,  installés  dans  les  Champs-Elysées,  ainsi  que  le 
produit  de  la  location  des  marionnettes  et  guignols.  Ces  théâtres  minus- 
cules sont  au  nombre  de  quatre  aux  Champs-Elysées;  chacun  d'eux  paie 
à  la  ville  une  redevance  annuelle  de  600  francs.  Au  bois  de  "Vincennes 
on  compte  deux  guignols,  payant  chacun  HO  francs;  le  théâtre,  des  ma- 
rionnettes de  la  place  des  Vosges  -îst  taxé  à  200  francs.  Enfin,  le  grand 
théâtre  de  prestidigitation  du  Ranelagh  paie  36  francs  par  an,  soit  environ 
la  quatre-millième  partie  de  ce  que  paie  le  Chàtelet. 

—  Comme  les  années  précédentes,  la  direction  de  l'Odéon  fera,  cette 
année  encore,  une  large  part  dans  ses  travaux  à  l'élément  musical,  avec 
le  concours  de  M.  Charles  Lamoureux  et  de  son  orchestre.  En  effet,  parmi 
les  ouvrages  dont  M.  Porel  annonce  la  représentation  pour  la  saison  qui 
s'ouvre,  nous  remarquons  les  trois  suivants  :  1°  Alceste,  drame  lyrique  en 
cinq  actes,  en  vers,  d'après  Euripide,  par  M.  Alfred  Gassier,  avec  les  chœurs 
«  originaux  »  et  la  musique  d'orchestre  de  Gluck  ;  2°  Roméo  et  Juliette. 
drame  en  neuf  tableaux,  en  vers,  traduit  de  Shakespeare  par  M.  Georges 
Lefèvre,  avec  musique  de  scène  et  entractes  tirés  de  la  partition  de 
Berlioz;  3°  Conte  d'Avril,  comédie  héroïque  en  six  tableaux,  en  vers, 
d'après  la  Douzième  Nuit  de  Shakespeare,  par  M.  Auguste  Dorchain,  avec 
musique  nouvelle  de  M.  Widor. 

—  Le  vieux  compositeur  Henry  Litolff  ne  renonce  pas  au  travail,  ni  à 
l'espoir  de  se  voir  représenter  de  nouveau,  un  jour  ou  l'autre.  Il  vient  de 
terminer  la  partition  d'un  grand  drame  lyrique,  le  Roi  Lear,  en  quatre  actes 
et  cinq  tableaux,  dont  son  collaborateur,  M.  Jules  Adenis,  a  tiré  le  livret 
de  la  célèbre  tragédie  de  Shakespeare. 

—  Notre  confrère  Oscar  Comettant  se  trouve  en  ce  moment  à  Rotter- 
dam, d'où  il  se  rendra  prochainement  à  La  Haye  et  à  Amsterdam.  Le  but 
de  M.  Comettant,  en  visitant  la  Hollande,  est  de  rechercher  les  meilleures 
œuvres  des  compositeurs  néerlandais  vivants,  en  vue  de  composer  le  pro- 
gramme d'un  concert  où  il  ne  sera  exécuté  que  des  compositions  néerlan- 
daises et  qui  sera  donné  à  Paris,  par  la  maison  Pleyel,  au  bénéfice  de  la 
caisse  de  l'Association  des  artistes  musiciens.  Des  pianistes  et  des  chan- 
teurs néerlandais  seront  exclusivement  chargés  de  l'exécution  du  pro- 
gramme. 

—  On  sait  que  M.  J.  Danbé,  l'excellent  chef  d'orchestre  de  l'Opéra- 
Comique,  était,  cette  année,  directeur  de  la  partie  musicale  au  Casino  de 
la  charmante  station  thermale  d'Argelès-de-Bigorre,  où  son  succès  a  été 
très  grand.  Avant  son  départ,  ses  auditeurs  et  ses  amis  lui  ont  offert, 
au  Casino,  un  punch  pendant  l'entr'acte  de  son  dernier  concert,  et 
M.  Armand  Silvestre  lui  a  lu  le  sonnet  humoristique  suivant  : 

Les  oiseaux  d'Argelès  disaient,  dans  les  buissons: 

—  C'est  triste  de  chanter  toujours  les  mêmes  choses! 
Tous  nos  airs  sont  usés  et  l'on  dit  que  les  îoses 
Elles-mêmes  en  ont  assez  de  nos  chansons. 
Vienne  un  magicien  dans  l'art  divin  des  sons 

Qui  de  motifs  nouveaux  nous  révèle  les  gloses  I 

—  Profondément  ému  de  leurs  plaintes  moroses 
Tu  répondis,  Danbé,  à  l'appel  des  pmsons. 

Ton  archet  triomphant  qui  fait  rêver  les  merles, 

Secoua,  dans  les  airs  le  flot  d'or  de  ses  perles, 

Le  rossignol  pensa  :  mes  beaux  jours  sont  finis  1 

Très  attentivement  la  fauvette  l'écoute 

Et,  le  printemps  qui  vient,  nous  entendrons,  sans  doute, 

De  nouvelles  chansons  monter  du  cœur  des  nids  ! 

—  Mmc  Muller  de  la  Source  ouvrira  à  partir  du  1er  octobre  un  cours  de 
chant  gratuit  (deux  heures,  deux  fois  par  semaine)  pour  quatre  jeunes  filles 
de  16  à  20  ans.  Il  sera  perçu  un  droit  d'inscription  dont  le  produit  inté- 
gral constituera  deux  prix  de  fin  d'année.  On  peut  s'inscrire  jusqu'au 
25  septembre  chez  Mmc  Muller  de  la  Source,  18,  rue  de  Berlin,  tous  les 
matins,  de  9  heures  à  11  heures. 


—  Sait-on  quels  sont  les  appointements  alloués  aux  premiers  sujets, 
pour  la  prochaine  saison,  au  théâtre  de  Monte-Carlo  ?  Un  de  nos  con- 
frères, qui  est  allé  ces  jours-ci  tenter  la  fortune  au  pays  du  soleil  et  du 
trente  et  quarante,  nous  rapporte  des  renseignements  sur  le  budget  de 
cette  importante  scène.  Nous  en  extrayons  les  chiffres  les  plus...  respec- 
tables. Artiste'  engagés  au  mois  (huit  représentations  par  mois)  :  M"e  Vuil- 
laume,  7.000  francs  par  mois;  M.  Engel,  10,000;  MM.  Boyer  et  Isnardon, 
6,000  chacun  (ce  dernier  touche,  en  outre,  des  appointements  comme 
administrateur  général).  MmKPeretli,  Buhl,  Leclerc,  Toudouze,  MM.Nigri, 
Delersy,  Fronti,  dont  les  appointements  varient  entre  1,000  et  2,000  francs. 
Artistes  engages  au  «  cachet  »  :  MmcNordica,  4,000  francs  par  représentation; 
Mmc  Arnoldson,  3,000;  M'"e  Deschamps-Jehin,  1,500;  MM.  Jean  de 
Reszké,  6,000;  Duc  et  Melchissédec,  1,500;  Fugère  et  Queyla,  2,000. 
Diable!  on  ne  lésine  pas  sur  les  frais,  à  Monte-Carlo,  et  M.  Bias 
inaugure  royalement  sa  direction  monégasque.  Ajoutons  à  ces  rensei- 
gnements que  la  saison  commencera  le  27  décembre  1890  pour  finir  le 
28  avril  1891. 

—  Un  de  nos  confrères  avait  annoncé  le  prochain  divorce  du  colonel 
Henry  Mapleson,  qui  avait  épousé  Mmc  Marie  Rôze,  la  cantatrice  française 
qu'on  a  entendue  avant  la  guerre  à  l'Opéra-Comique.  L'imprésario  Maple- 
son écrit,  à  ce  sujet,  que  «  son  mariage  avec  Mme  Marie  Roze  a  été  dé- 
claré illégal  comme  n'ayant  pas  été  contracté  conformément  aux  lois 
(sic).  »  Il  termine  en  disant  :  «  Je  n'ai  rien  à  ajouter,  sauf  que  j'ai  obtenu, 
pour  elle,  dernièrement,  de  1res  beaux  engagements  artistiques  en  Angle- 
terre, où  elle  est  l'idole  du  public.  Pour  se  consoler  du  passé,  elle  con- 
serve, en  sus  de  très  beaux  souvenirs,  des  économies  que  je  crois  non 
moins  belles  et  ses  magnifiques  bijoux,  tandis  que  moi  je  conserve  mon 
admiration  pour  sa  beauté,  son  talent  et  sa  jolie  voix.  » 

—  Au  Casino-Théâtre  de  Paramé,  l'orchestre  de  M.  Bourdeau  obtient 
toujours  de  très  beaux  succès.  A  l'une  des  dernières  soirées  de  gala,  le 
public  a  salué  de  bravos  unanimes  M.  Caron,  de  l'Opéra,  qui  interprétait 
pour  la  première  fois  une  nouvelle  composition  de  Faure,  Hymne  aux 
astres,  appelée,  croyons-nous,  à  un  succès  retentissant.  L'interprète  avait 
d'ailleurs  remarquablement  dit  cette  page  très  inspirée. 

—  La  semaine  dernière  a  eu  lieu,  au  Casino  de  Boulogne-sur-Mer,  un 
grand  festival  organisé  en  l'honneur  de  M.  Saint-Saëns  dont  les  œuvres, 
parfaitement  exécutées  par  l'orchestre,  ont  été  très  applaudies  du  public. 
L'excellent  violoniste  Diaz-Albertini  prêtait  à  cette  fête  le  concours  de  son 
talent  et  a  été  grandement  fêté.  L'auteur  d'Henry  VIII,  très  vivement 
sollicité,  s'est  mis  au  piano  et  a  été  l'objet  d'ovations  enthousiastes. 

—  Le  23  août  a  eu  lieu,  à  l'église  d'Étretat,  une  grande  fête  religieuse 
dont  le  succès  a  dépassé  toutes  les  prévisions.  Sur  le  programme,  très 
bien  composé,  nous  relevons  les  noms  de  M""  Delaquerrière  de  Mira- 
mont,  qui  a  chanté  de  façon  supérieure  l'Ave  Stella  de  Faure,  accom- 
pagnée par  le  violoncelle  de  M.  Baretti  ;  Mme  Trebelli,  qui  a  fait  admirer 
sa  belle  voix  dans  un  Ave  verum  de  Hiendel  ;  MUc  Auguez,  de  l'Opéra- 
Comique,  qui  a  dit  avec  beaucoup  de  charme  \'0  Salutaris  de.  Nieder- 
meyer,  et  M.  Delaquerrière,  dont  le  talent  bien  connu  a  été  des  plus  appré- 
ciés dans  l'air  de  Joseph.  Enfin  MmBS  Auguez  et  Trebelli  ont  interprété  le 
Crucifix,  de  J.  Faure,  et,  se  réunissant  à  M.  Delaquerrière,  ont  terminé  ce 
très  beau  concert  par  le  trio  de  Curschmann,  Ti  preglio.  M.  Krehmer  tenait 
l'orgue  avec  beaucoup  d'autorité. 

—  Un  grand  concours  international  de  musique,  organisé  par  la  fanfare 
en  Ut,  aura  lieu  à  Dijon  les  15  et  16  août  1891.  Nul  doute  que  les  sociétés 
musicales  de  France  et  de  l'étranger  ne  répondent  en  masse  à  l'invitation 
de  cette  Société,  dont  on  se  rappelle  encore  le  brillant  concert  au  Troca- 
déro  pendant  l'Exposition, 

Henri  Heugel.  directmr-géiant. 


Paris,  AU  MÉNESTREL,  2Ms,  rue  Vi vienne,  HENRI    HEUGEL,   Éditeur-propriétaire. 


L-A.  BOURGAULT-DUCOUDRAY 


RAPSODIE  CAMBODGIENNE 


Exécutée    aux    CONCERTS    LAMOUREUX 


Grande  partition  d'orchestre,  prix  net  :  25  fr.  —  Parties  séparées  d'orchestre,  prix  net:  50  fr. 

CHAQUE    PARTIE    SUPPLÉMENTAIRE,    PRIX    NET:    2    FR.    50    C. 


310-2  —  56me  ANNEE  —  ,V  37, 


Dimanche  H  Septembre  1890. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri    HEDGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste  :  Eugène  Gautier  (18"  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Semaine 
théâtrale:  Variations  sur  le  Mage  et  Salammbô,  H.  Moreno;  première  représen- 
tation du  Secret  de  Gilberte,  à  l'Odéon,  Paul-Emile  Cbevalier.  —  III.  Les  débuts 
et  le  sifflet  au  théâtre,  Em.  de  Ltdex.  —  IV.  Histoire  vraie  des  héros  d'opéra 
et  d'opéra-comique  (40'  article)  :  Le  roi  d'Yvetot,  Edmond  Neukomm.  —  V.  Nou- 
velles diverses. 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos,  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 
VERGLAS -GALOP 
de  Franz   Hitz.  —  Suivra  immédiatement  :   Roses  et  Papillons,    de   Paul 
Barbot. 

CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant:  Les  Yeux,  nouvelle  mélodie  de  J.  Faure,  poésie  de  Frédéric 
Bataille.  —  Suivra  immédiatement:  Mystère I  nouvelle  mélodie  des 
mêmes  auteurs. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


EUGÈNE  GAUTIER 


J'eus,  un  soir,  à  propos  de  cette  fausse  idée  que  se  fait  la 
foule  de  la  façon  dont  on  écrit  un  opéra,  la  surprise  de 
m'enlendre  dire  paT  un  illustre  personnage,  alors  ministre 
des  Beaux-Arts,  homme  aimable  et  spirituel,  mais  assurément 
bien  dégagé   des  choses  de  l'art  musical  : 

—  Quand  vous  devez  faire  un  opéra,  n'est-ce  pas?  le  com- 
positeur vous  donne  d'abord  sa  musique  ? 

Je  lui  assurai  avec  respect  et  discrétion  qu'il  avait  pu  en 
■être  ainsi  «  dans  le  temps  »,  mais  que  nous  avions  changé 
tout   cela. 


Je  ne  pouvais  en  vouloir  à  Gautier,  tout  entier  au  succès 
■de  ses  démarches,  de  ne  mettre  exclusivement  en  avant,  à 
côté  du  sien,  que  le  nom  brillant  du  principal  auteur  de 
la  Clé  d'or.  Dans  un  moment  d'enthousiasme  intime,  mon 
compositeur  m'avait  une  fois  appelé  le  «  Quinault  moderne  »; 
cela  pouvait  racheter  bien  des  choses  ! 


Nonobstant  l'enthousiasme  de  Yizenlini,    il  fallut  près  de 
deux    ans  pour  que  la  Clé  d'or  arrivât  au  grand  jour  de   la 


rampe.  Reçue  le  30  novembre  1875,  elle  ne  devait  être  repré- 
sentée que  le  11  septembre  1877. 

La  question  de  distribution  ne  fut  pas  petite  affaire.  Il 
s'agissait  tout  d'abord  de  trouver  la  Suzanne  idéale.  Il  arriva 
ce  qui  ne  manque  pas  d'arriver  en  pareil  cas.  Des  artistes 
furent  nommées  dont  le  compositeur  n'aurait  pas  voulu  s'il 
avait  été  livré  à  lui-même,  et  qui,  présentées  par  le  directeur, 
lui  apparaissaient  tout  à  coup  sous  des  couleurs  presti- 
gieuses, tant  chez  lui  la  crainte  était  grande  de  compromettre 
par  une  résistance  quelconque  l'avènement  d'un  ouvrage  qui 
devait  faire  époque  dans  sa  vie. 

J'ai,  à  propos  de  l'une  d'elles,  ce  joli  billet  d'Octave  Feuillet, 
que  Gautier  avait  consulté  : 

«  J'ai  écrit  à  Gautier  au  sujet  de  Mlle  X***.  Il  avoue  qu'elle 
a  près  de  quarante  ans,  mais  comme  MUe  Mars  a  joué  la 
duchesse  de  Guise  à  soixante  ans,  il  en  conclut  que  Mlle  X*** 
nous  convient  à  merveille  pour  un  rôle  d'ingénue,  sauf 
qu'elle  est  un  peu  jeune.  » 


Ce  n'était  pas  seulement  le  rôle  de  Suzanne  qui  préoccu- 
pait Gautier,  c'était  celui  de  Georges  Vernon,  c'était  surtout 
celui  de  Raoul  d'Athol.  Il  y  fallait  à  la  fois  un  chanteur  et 
un  comédien.  Pour  Georges  Vernon,  il  avait  d'abord  songé  à 
Melchissédec,  qui  était  alors  à  la  Gaité,  où  il  avait  créé  le 
principal  rôle  du  Timbre  d'argent  de  Saint-Saëns.  Ce  fut 
finalement  à  Bouhy  que  le  rôle  échut.  Il  avait  toutes  les 
qualités  désirables  pour  le  mettre- en  valeur. 

Pour  Raoul  d'Athol,  Gautier  eut  une  idée  qui  rentrait  bien 
dans  son  parti  pris  de  fonder  son  succès  sur  le  plus  grand 
nombre  d'attractions  possible. 

A  cette  comédie  de  Feuillet,  -il  entendit  donner  non  seule- 
ment un  chanteur,  mais  un  comédien  de  profession  pour 
principal  interprète.  Un  charmant  artiste  faisait  alors  les 
beaux  jours  du  Gymnase,  Frédéric  Achard,  qui  avait  dû 
autrefois  embrasser  la  carrière  lyrique,  et,  jeté  par  suite  de 
je  ne  sais  quelles  circonstances  dans  la  comédie,  regrettait 
toujours  sa  première  vocation. 

Ses  débuts  dans  un  rôle  de  comédien-lyrique  devaient  être 
un  événement.  Gautier  mit  tout  en  œuvre  pour  s'assurer 
le  concours  de  cet  artiste.  11  y  parvint,  et  les  répétitions 
purent  commencer. 

Dès  lors  aussi,  le  compositeur  travailla  à  ajouter  à  son 
œuvre  tout  ce  qui,  au  point  de  vue  épisodique,  pouvait  en 
corser  l'intérêt  musical.  Travaillé  du  même  désir  que 
Meyerbeer  dans  le  Pardon  de  Ploërmel,  il  y  voulait  mettre  un 
peu  de  tout,  à  côté  de  l'action  principale,  sans  se  soucier 
trop    de    l'embarrasser,     de    l'alanguir,   avec    cet    aveugle 


290 


LE  MENESTREL 


égoïsme  du  musicien  jaloux  avant  tout  de  se  tailler  une  part 
magistrale.  C'est  ainsi  qu'il  dut  y  avoir,  au  second  acte,  une 
série  d'airs  populaires  et  un  morceau  original,  une  chanson 
groënlendaise,  de  la  façon  même  du  compositeur.  De  tout 
cela,  il  ne  devait  finalement  demeurer  que  l'air  du  Rossi- 
gnolet,  dont  nos  érudits  confrères  de  la  Revue  des  Traditions 
populaires  nous   ont   certainement  indiqué  naguère  l'origine  : 

S'il  y  avait  autant  d'fiévreux 
Gomme  il  y  a  d'cœurs  amoureux, 
—  Chante,  rossignol,  chante,  — 
Le  genre  humain  disparaîtrait 
Et  le  monde  finirait, 
Chante,  Rossignolet  ! 

Puis    une    autre,    moins  connue,   je  crois,  et  d'un  grand 
charme  rustique  : 

Par  là  vint  à  passer 

Un  jeune  chevalier; 
Il  me  vit  dans  la  pâture 
Mes  moutons  j'allais  gardant! 

Fillette,  allons,  gai,  gai, 

Fillette,  allons  gaiment  ! 


Quand,  suivant  l'expression  consacrée,  «  on  descendit  en 
scène  »,  l'œuvre,  déjà  très  touffue  comme  dialogue,  apparut 
tout  embroussaillée  de  musique;  il  fallut  bientôt  songer  à 
des  coupures. 

Le  compositeur,  surmené  par  un  travail  peut-être  poussé 
au  delà  de  ses  forces,  en  proie  à  des  préoccupations,  à  des 
inquiétudes  constantes,  parfois  chimériques,  résultant  sans 
doute  d'un  très  fâcheux  état  de  santé,  suivait  les  répétitions 
presque  machinalement. 

Et,  comme  on  le  savait  fort  mécontent  de  sa  situation  phy- 
sique et  qu'on  lui  demandait  de  ses  nouvelles,  il  répondait, 
poussant  l'amour  du  mot  jusqu'à  le  pratiquer  à  ses  propres 
dépens  : 

—  Ça  ne  va  pas.  On  me  conseille  l'idiothérapie.  Ça  me 
réussira  peut-être. 

Au  fond  de  cet  esprit,  alors  évidemment  abattu  par  une 
cause  impénétrable,  veillait  toujours  le  sentiment  de  la  vo- 
lonté; il  s'exerçait  pour  ainsi  dire  mécaniquement. 

Il  arrivait  que,  d'accord  avec  Vizentini,  nous  pratiquions 
une  coupure  dans  une  scène,  sans  que  le  compositeur  parût 
prêter  grande  importance  au  fait. 

Le  lendemain,  quand  on  arrivait  à  cette  scène  et  qu'on  la 
disait  en  supprimant  le  passage  condamné  la  veille,  Gautier 
se  tournait  vers  Vizentini  : 

—  On  a  donc  coupé,  là  ? 

—  On  a  coupé,  répondait  froidement  Vizentini. 

—  Ah! 

Et  après  cette  exclamation  philosophique,  le  compositeur 
retombait  dans  son  silence   résigné. 

Seulement,  la  répétition  terminée,  il  montait  tranquille- 
ment au  bureau  de  copie  et  faisait  rétablir  les  pages  sup- 
primées. 

Le  travail  de  la  coupure  était  à  recommencer  le  len- 
demain. 

Je  crois  que,  durant  ces  jours  de  travail  pénible,  nous 
avons,  sans  nous  en  rendre  compte, bien  fait  souffrir  le  pauvre 
compositeur. 

(A  suivre.)  Louls  Gallet. 


SEMAINE   THÉÂTRALE 


VARIATIONS  SUR  LE  MAGE  ET  SALAMMBO 
Il  n'y  a  pas  en  vérité  de  direction  plus  ondoyante  et  diverse  que 
celle  de  notre  Opéra.  Que  fera-t-elle,  ou  plutôt  que  no  fora-t-elle  pas  1 
Depuis  la  verte  semonce  qu'elle  reçut  de  la  Commission  du  Budget, 
elle  a  passé   déjà  par  trois  phases  différentes.  Celle  du  méconten- 
tement  d'abord  :  «  Ah!    c'est    comme   ça!   on   prétend  nous   faire 


rendre  gorge;  eh!  bien,  nous  allons  nous  mettre  en  grève.  Nous  ne 
ferons  plus  d'engagements,  nous  ne  monterons  plus  d'ouvrages  nou- 
veaux. Paris  sera  sevré  de  musique!  » 

Puis,  la  réflexion  venant,  et  s'apercevant  que  cette  attitude  de 
révolte  ne  pouvait  qu'aggraver  leur  mauvais  cas,  ils  entrent  réso- 
lument dans  la  deuxième  phase  : 

—  Du  nouveau  !  Eh!  bien  si,  nous  allons  en  donner  aux  Parisiens, 
mais  seulement  du  nouveau  qui  reviendra  de  Bruxelles.  Nous  allons 
tourner  agréablement  notre  cahier  des  charges;  ce  ne  sera  pas  la 
première  fois.  Reyer,  donnez-nous  Salammbô.  Cet  ouvrage  que  nous 
avons  honni  et  conspué,  nous  allons  l'adorer. 

—  Mais... 

—  Mais  quoi  ?  Dans  un  interwiew  resté  célèbre,  vous  avez  pro- 
mis solennellement  que  Salammbô  ne  viendrait  à  l'Opéra  que  lorsque 
nous  n'y  serions  plus.  Est-ce  cela  qui  vous  gêne?  Des  mots,  mon 
cher  maître,  des  mots,  dont  nous  seuls  pourrions  vous  garder  ran 
eune.  "Vous  devez  savoir  le  cas  que  nous  faisons  des  injures.  En 
avons-nous  assez  entendu  de  toutes  les  couleurs  !  Est-ce  que  cela 
nous  empêche  d'arrondir  chaque  jour  notre  petit  magot?  Eh!  bien, 
alors...  Oublions  tout.  Que  diable!  Salammbô  vaut  bien  un  raccom- 
modement. 

—  Topez  là,  vous  êtes  les  plus  étonnants  directeurs  que  je  con- 
naisse... j'en  parlerai  à  Clemenceau.  Au  fait,  pourquoi  donc  vous 
attaque-t-il  ?  De  quoi  vient-il  se  mêler  ?  Est-ce  que  le  Général  ne 
lui  suffit  pas?  J'irai  le  voir.  Mais,  sapristi!  dites-moi  donc,  j'avais 
entendu  dire  que  vous  aviez  pris  un  engagement  antérieur  avec 
mon  jeune  confrère  Jules  Massenet. 

—  En  effet,  il  a  notre  signature,  mais  vous  avez  notre  parole. 

—  C'est  juste,  nous  sommes  aussi  bien  lotis  l'un  que  l'autre,  et  je 
puis  m'appuyer  sur  votre  parole  comme  il  peut  s'appuyer  sur  votre 
signature. 

Et  ce  fut  une  rage  entre  auteur  et  directeurs.  On  s'aima  autant 
qu'on  s'était  détesté.  Les  deux  compères  Ritt  et  Gailhard  en  ou- 
blièrent leurs  habitudes  de  sévère  économie.  Il  fallait  avoir  Vergnet 
pour  le  rôle  du  grand  prêtre,  on  eut  Vergnet.  Mmc  Caron,  autrefois 
tant  décriée  par  la  direction,  aujourd'hui  si  admirée  d'elle  parce 
que  les  circonstances  l'exigent  impérieusement,  Mme  Caron  avait  un 
congé  de  trois  mois  en  plein  cœur  de  l'hiver,  vite  on  le  lui  rachète. 
De  la  misérable  mise  en  scène  de  Bruxelles,  il  ne  devait  rien  rester. 
Gailhard  promettait  de  faire  des  prodiges;  rien  ne  lui  coûterait. 
On  vivait  donc  sur  des  roses.  Reyer  ne  reconnaissait  plus  les  gens 
qu'il  avait  tant  maudits  autrefois.   Il  allait  les  reconnaître. 

Nous  entrons,  en  effet,  dans  la  troisième  phase.  Plus  de  Salammbô! 
Tout  pour  le  Mage! 

Un  nouveau  personnage  était  venu  fort  insidieusement  jeter  une 
note  discordante  au  milieu  de  toute  cette  joie.  Avouons  toutefois  qu'il 
en  avait  un  peu  le  droit.  C'était  Jules  Massenet,  son  papier  à  la 
main.  Tant  qu'il  avait  pu  croire  qu'on  ne  pourrait  se  passer  de  lui, 
il  avait  fait  le  dédaigneux,  comme  un  compositeur  qui  ne  tient  pas 
autrement  à  être  joué  :  «  Vous  voulez  mon  œuvre  ;  je  ne  vous  la 
refuse  pas.  Mais  donnez-lui  une  interprétation  éclatante.  Je  ne  la 
trouve  pas  dans  votre  troupe,  tant  s'en  faut  !  »  On  pria  Jean  de 
Reszké  pour  le  principal  rôle  ;  refus  très  catégorique  du  prestigieux 
ténor,  qui  entend  désormais  se  consacrer  uniquement  à  la  musique 
de  Wagner.  Autant  dire  qu'il  veut  se  retirer  dans  un  cloître.  Pre- 
mière douche  pour  le  compositeur  du  Mage.  Il  avait  rêvé  de  Sybil 
Sanderson  pour  son  héroïne;  les  directeurs  ne  purent  s'entendre  avec 
la  jeune  artiste,  qui,  sans  doute,  eut  plus  de  prétentions  que  de  véri- 
table talent.  Ce  n'était  plus  une  douche,  c'était  un  véritable  bain 
froid  où  on  plongeait  notre  éminent  maestro:  «  Ah!  c'est  comme 
cela  ;  eh  !  bien  n'en  parlons  plus.  Laissons  le  Mage  tranquille.  Il 
attendra.  »  Et  il  s'en  alla,  avec  l'idée  qu'on  allait  courir  après  lui 
pour  le  faire  revenir  sur  cette  intempestive  décision,  qui,  selon  lui, 
devait  jeter  les  directeurs  dans  un  affreux  désespoir. 

Mais  quand  il  vit  qu'on  se  retournait  tout  bonnement  d'un  autre 
côté,  cela  ne  fit  pas  son  affaire.  C'est  donc  lui  qu'on  vit  entrer,  un 
beau  jour,  comme  le  spectre  de  Banquo,  dans  le  cabinet  de  la  di-< 
rection. 

—  Voyez-vous  ce  papier? 

—  Oui.  Eh  bien? 

—  Reconnaissez-vous  au  bas  cette  signature  fulgurante? 

—  La  nôtre.  Mais  cela  n'a  pas  d'importance. 

—  Erreur  !  Avec  cela  je  vous  traînerai  devant  les  juges  consulaires, 
âmes  loyales  et  intègres  de  commerçants  qui  ne  badinent  pas  avec 
les  engagements  pris. 

—  Se  peut-il?  Mais  vous  nous  avez  dit  que  vous  ne  trouviez  pas 
d'interprètes  dans  notre  troupe. 


LE  MENESTREL 


291 


—  J'en  trouverai.  Voyons,  vous  avez  bien  au  magasin  des  acces- 
soires quelque  baryton  défraîchi  dont  on  pourra  réviser  les  cordes  ; 
vous  avez  bien  des  ténors  qui  savent  faire  les  gestes.  Ricliepin  et 
moi  nous  adorons  la  pantomime.  Nous  aurons  tout  le  corps  de  balle!, 
un  merveilleux  corps,  pour  nous  y  aider.  Si,  avec  cela,  vous  me  trou- 
vez seulement  une  chanteuse  à  laquelle  il  reste  trois  notes  dans 
la  voix,  je  remanierai  ma  partition  pour  ce  registre,  peu  étendu 
il  est  vrai,  mais  qui  offre  encore  des  ressources  à  un  compositeur 
tel  que  moi. 

—  Soit!  Mais,  s'écrièrent  triomphalement  en  chœur  les  deux  com- 
pères, nous  n'avons  pas  de  contraltos  1 

—  Que  sil 

—  Nous  en  avons  sur  le  papier,  pour  la  forme,  pour  donner  le 
change  au  ministre.  Mais  ils  ne  chanteDt  pas! 

—  Qu'importe!  Vous  en  avez  un  qui  joue  du  piano  et  qui  a  même 
eu  un  premier  prix  au  Conservatoire  sur  cet  instrument  fallacieux. 
Cela  pourrait  indisposer  Eeyer.  Mais  moi,  j'en  suis  ravi,  parce  que 
j'ai  pris  le  parti  de  lui  faire  jouer  tous  ses  morceaux  sur  un  piano, 
qae  deux  de  vos  huissiers  apporteront  en  scène  au  moment  voulu. 
Je  compte  avec  cela  sur  un  effet  nouveau.  Ainsi  donc,  c'est  dit, 
c'est  entendu,  n'est-ce  pas?  Songez-y.  Tribunal...  âmes  intègres... 
loyales...  respect  des  engagements... 

Et  l'ombre  de  Massenet  se  retira.  Les  directeurs  en  restèrent 
effondrés  dans  leur  chaise  curule.  A  ce  moment  Reyer,  non  sans 
inquiétude,  frappa  à  la  porte  :  «  J'ai  toujours  votre  parole"?  —  Oui 
mais  il  a  notre  signature.  C'est  juste.  J'irai  voir  Clemenceau.  » 

On  voit  qu'il  n'y  a  pas  qu'en  politique  et  dans  les  coulisses  du 
boulangisme  qu'il  se  passe  des  choses  vraiment  amusantes  et  même 
extraordinaires. 

H.  Moreno. 

Odéon.  —  Le  Secret  de  Gilberte,  pièce  en  5  actes,  en  prose  de 
M.  Théodore  Massiac. 

Auteur  nouveau,  pièce  nouvelle,  nombreux  artistes  nouveaux  pour 
le  théâtre,  en  voilà  plus  qu'il  n'en  fallait  pour  donner  à  la  réou- 
verture de  l'Odéon  un  certain  intérêt.  L'auteur,  M.  Théodore  Mas- 
siac, journaliste  de  mérite,  s'est  fait,  au  Gil  Blas,  la  spécialité  des 
indiscrétions  théâtrales;  c'est  lui  qui,  avant  chaque  première  à  sen- 
sation, court  de  droite  à  gauche,  furète  dans  tous  les  coins,  inflige 
des  interviews  aux  auteurs,  aux  interprètes,  aux  machinistes,  aux 
costumiers  et  autres,  pour  donner  à  ses  lecteurs,  avides  de  primeurs, 
des  renseignements  avant  la  lettre. 

La  pièce,  c'est  l'histoire  d'une  jeune  fille  prise  de  force  par  un 
goujat  et  qu'un  galant  homme  épouse  malgré  sa  faute;  sujet  assez 
peu  original,  déjà  plusieurs  fois  mis  à  la  scène,  mais  qui  n'en  reste 
pas  moins  d'une  grande  difficulté  à  traiter.  M.  Théodore  Massiac 
n'a  pas  hésité  devant  cette  difficulté  et,  s'il  ne  l'a  point  complète- 
ment surmontée,  du  moins  a-t-il  su  en  tirer  quelque  profit.  Son 
début  comme  auteur  dramatique  reste  très  honorable  et  promet, 
lorsque  l'expérience  sera  venue,  quelqu'un  avec  qui,  sans  doute,  il 
faudra  compter. 

Les  artistes  nouveaux,  ce  sont  d'abord  Mlle  Rosa  Bruck,  qui  a 
joué  avec  beaucoup  de  talent,  et  plus  de  charme  qu'à  son  ordinaire, 
le  rôle  de  l'héroïne;  puis  Mme  Solesmes,  une  mère  glapissante  de 
mélodrame,  très  déplacée  au  second  Théâtre  Français;  enfin  M.  Paul 
Reney  qui,  malgré  un  fâcheux  défaut  de  prononciation,  a  fait 
montre  d'une  grande  distinction  et  d'une  grande  justesse  de  senti- 
ment, et  M.  Monvel,  qui  n'est  point  sans  qualités.  Parmi  les  anciens 
pensionnaires  de  la  maison,  j'ai  à  nommer  M.  Calmeltes,  doué  d'une 
excellente  tenue.  Le  reste  de  l'interprétation  est  tellement  insigni- 
fiant qu'il  n'y  a  rien  à  en  dire. 

Vendredi  dernier,  la  ravissante  Suzette-Simon-Girard  a  reconquis 
son  public  parisien,  au  théâtre  de  la  Galté.  La  séduisante  pièce 
de  MM.  Duru  et  Chivot  a  retrouvé  sa  vogue  de  l'année  dernière  et 
Mmo  Gélabert,  MM.  Simon-Max,  Alexandre  et  Vauthier,  qui  a  pris 
possession  du  rôle  de  Giraflor,  ont  été  très  applaudis.  La  pantomime 
anglaise,  la  valse  de  la  Reine  Indigo,  qu'on  redemande  toujours 
trois  fois,  et  le  défilé  du  cirque  Blackson  and  C°  restent  les  clous 
4e  ce   Voyage  de  Suzette,  qui  est  en  passe  de   devenir  bi-centenaire. 

Paul-Émile  Chevalier. 


LES  DÉBUTS  ET  LE  SIFFLET  AU  THÉÂTRE 


J'ai  déjà  eu  l'occasion  de  le  dire  plusieurs  fois  dans  ce  journal  : 
Je  repousse  le  sifflet  en  quelque  circonstance  et  sous  quelque  pré- 
texte qu'il  se  puisse  produire  :  c'est  pour  moi  un  principe  absolu; 


je  ne  l'admets  donc  pas  pour  les  débuts  des  artistes  en  province. 
Je  considère  d'ailleurs,  je  le  dis  tout  d'abord,  les  débuts  comme 
une  véritable  hérésie  en  fait  d'art  dramatique,  et  j'espère  qu'il  en 
sera  fait  justice  un  jour  par  tous  comme  du  sifflet. 

Il  y  aurait  tout  un  livre  à  faire  sur  les  débuts  en  province, 
en  racontant  le  rôle  odieux  qu'y  joue  le  sifflet,  mais  la  question  ne 
saurait  être  traitée  ici  à  fond.  Je  me  bornerai  à  présenter  quelques 
observations. 

Ce  qui  rend  le  sifflet  particulièrement  odieux  dans  la  période  des 
débuts,  c'est  qu'il  est  infligé  à  des  artistes  entièrement  inconnus  et 
qui  sont  condamnés  parfois  avant  d'avoir  été  entendus. 

Par  exemple,  il  n'est  pas  rare  de  voir  les  habitués  d'un  théâtre  se 
venger  sur  le  débutant  du  directeur  qui  n'aura  pas  voulu  ou  pas 
pu  conserver  un  comédien  qui  avait  l'année  précédente  conquis 
les  faveurs  du  public.  On  ne  s'inquiète  pas  si  cet  artiste,  profitant 
des  sympathies  qu'il  a  su  rallier,  n'a  pas  voulu  imposer  au  direc- 
teur des  conditions  trop  lourdes. 

On  ne  se  demande  pas  si,  à  la  suite  de  circonstances  particulières, 
les  rapports  sont  devenus  impossibles  entre  le  directeur  et  l'ar- 
tiste. Cet  artiste  se  retire,  l'on  siffle  son  remplaçant. 

El  quand  celui-ci  aura  été  forcé  de  partir,  ce  sera  le  tour  d'un 
autre,  puis  d'un  troisième.  J'ai  entendu  siffler  ainsi  et  échouer 
quatre  dugazons,  dont  deux  n'ont  pu  être  engagées  ailleurs  parce 
qu'elles  se  présentaient  avec  ce  précédent  pénible  : 

«  Elles  sont  tombées  à  tel  théâtre  ». 

A  toutes  les  observations  qui  leur  étaient  faites,  les  siffleurs 
répondaient  : 

—  Ça  nous  est  égal,  nous  voulons  madame  X. 

—  Mais  elle  est  engagée  ailleurs. 

—  Ça  ne  nous  regarde  pas! 

Or,  il  arriva  que  de  guerre  lasse,  pour  sortir  de  l'interminable  pé- 
riode des  débuts,  la  cinquième  chanteuse  agréée  était  inférieure 
aux  quatre  autres! 

Le  répertoire  avait  été  entravé  pendant  deux  mois. 

Et  comme  en  province  la  société  ne  va  guère  au  théâtre  qu'après 
les  débuts  terminés,  ce  fut  une  campagne  désastreuse  pour  le  direc- 
teur, qui  avait  dû  payer  cinq  voyages  et  verser  cinq  avances. 

*  * 

L'usage  des  débuts  a  donné  lieu  et  donne  chaque  jour  matière  à 
contestation,  à  procès  ;  tantôt  c'est  un  directeur,  qui  prétend  que  le 
publie  n'a  pas  accepté  l'artiste  et  dont,  pour  une  raison  quelconque, 
il  veut  faire  résilier  son  engagement;  tantôt,  fait  curieux,  c'est  un 
artiste  qui,  pour  des  raisons  inconnues,  affirme  que  les  sifflets  l'ont 
emporté  sur  les  bravos  pendant  que  le  directeur  prétend  le  contraire. 

Tantôt  encore  c'est  un  artiste  qui  se  fait  siffler  pour  ne  pas  rester, 
ou  un  directeur  qui  est  accusé  d'avoir  fait  siffler  son  pensionnaire. 

Le  tribunal  de  Rouen  fut  saisi,  en  1828,  d'une  affaire  où  l'appré- 
ciation d'un  début  se  compliquait  des  particularités  les  plus  bizarres. 
M.  Nicolo  Isouard,  qui  avait  acquis  une  certaine  célébrité  dans  les 
départements,  avait  assigné  le  directeur  du  théâtre  des  Arts  pour 
faire  juger  qu'ayant  été  sifflé,  lors  de  ses  trois  débuts,  son  enga- 
gement ne  pouvait  subsister.  Le  directeur,  au  contraire,  entendait 
faire  décider  que  l'acteur  avait  été  applaudi. 

Il  parait  que,  dès  avant  les  débuts  de  M.  Nicolo,  sa  femme,  qui 
avait  été  engagée  en  même  temps  que  lui  comme  première  chanteuse, 
avait  été  forcée  de  se  retirer  sous  l'explosion  des  sifflets.  Soit  dépit 
contre  le  public,  soit  dévouement  conjugal,  M.  Nicolo  ne  voulut  pas 
rester  attaché  au  théâtre  des  Arts. 

Il  se  mit  à  rechercher  une  chute  comme  on  recherche  un  triom- 
phe ;  il  aposta  des  siffleurs  dans  la  salle  et  s'efforça  de  justifier,  par 
le  désordre  de  son  jeu,  les  marques  d'un  mécontentement  sollicité! 
Mais  le  public  était  dans  la  confidence,  et  les  prévisions  de  l'acteur 
tournèrent  contre  lui.  Plus  il  jouait  mal,  plus  le  parterre  applau- 
dissait,   et    ses    applaudissements    couvraient   toujours   les    sifflets 

amis. 

M.  Nicolo  arriva  de  la  sorte  au  terme  de  ses  débuts,  déconcerte 
dans  son  plan  par  une  mystification  semblable  à  celle  qu'il  avait 
préparée  pour  les  spectateurs.  Vainement  vint-il  dire  devant  le  tri- 
bunal que  les  applaudissements  qui  avaient  lutté  contre  les  sifflets 
étaient  immérités  et  injurieux  pour  lui. 

Le  tribunal,  par  jugement  du  18  juin  1828  (Gazette  des  Tribunaux, 
19  et  21  juin),  rejeta  ses  prétentions,  attendu,  entre  autres  motifs, 
qu'il  était  établi  que  les  spectateurs  l'avaient  agréé  ;  que  le  direc- 
teur, seul  juge  en  cette  matière,  avait  décidé  qu'il  était  admis, 
d'après  la  manifestation  de  l'opinion  du  public;  que  l'administration 


292 


LE  MENESTREL 


municipale  avait  par  son  silence  confirmé  la  décision  du  directeur, 
puisqu'en  maintes  occasions  elle  avait  eu  soin  de  faire  exécuter  les 
votes  du  parterre  relativement  au  renvoi  d'un  acteur,  et  qu'elle 
n'avait  rien  exigé  à  l'égard  de  M.  Nicolo.  Le  tribunal  condamna  en 
conséquence  cet  aeteur  à  exécuter  son  engagement  sous  une  con- 
trainte de  8,000  francs  et  en  1,200  francs  de  dommages-intérêts. 
Les  faits  de  ce  genre  ne  sont  pas  isolés,  et,  si  nous  nous  bornons  à 
rappeler  celui-ci,  c'est  parce  que,  fùt-il  unique,  il  suffirait  à  prouver 
le  côté  ridicule  du  sifflet  en  tant  que  procédé  de  réception.  Une 
arme  dont  on  peut  faire  un  pareil  usage  est  une  arme  condamnée  par 
la  moralité  publique. 

*  '  * 

En  maintes  circonstances,  par  exemple  quand  les  débuts  d'un  ar- 
tiste ont  excité  des  désordres,  l'autorité  peut  intervenir,  mais  en 
tout  autre  cas.  c'est  aux  tribunaux  de  décider. 

Mais  où  seront  les  éléments  sur  lesquels  la  justice  pourra  statuer"? 

«  L'acteur,  fait  justement  observer  Lacan,  a  pu  être  applaudi  le 
premier  jour  et  sifflé  les  jours  suivants  :  ou  bien  sifflé  au  premier 
début  et  applaudi  dans  les  autres. 

);  Il  peut  y  avoir  aussi  égalité  dans  les  ovations  et  dans  les  revers, 
et  alors  où  les  tribunaux  puiseront-ils  les  éclaircissements  qui 
devront  former  leur  conviction  (1)?  » 

Lacan  estime  qu'en  général  il  faut  considérer  le  résultat  des  der- 
niers débuts  de  préférence  aux  premiers,  parce  que,  dit-il,  l'artiste 
qui  débute  sur  un  terrain  nouveau  peut  manquer  d'aplomb  la  pre- 
mière fois  et  ne  retrouver  la  plénitude  de  ses  moyens  qu'aux  repré- 
sentations suivantes. 

L'argument  peut  être  rétorqué,  attendu  que  tel  artiste  qui  a  eu 
un  début  favorable  à  la  première  représentation  peut,  pour  une 
cause  ou  pour  une  autre  accidentelle,  avoir  des  défaillances  aux 
dernières  représentations. 

Et  il  aura  été  sifflé  pour  ces  défaillances,  jugé  sur  ces  défaillances 
et  condamné. 

Le  24  juin  1888  M.  Roblin,  artiste  dramatique,  soutenait  devant 
le  tribunal  de  Rouen  que  son  premier  début  au  théâtre  des  Arts,  au- 
quel il  était  soumis  comme  acteur  rentrant,  s'était  fait  sans  opposition 
et  que  son  engagement  dès  lors  devait  sortir  son  effet.  Le  directeur 
prétendait  que,  loin  d'avoir  été  applaudi,  l'acteur  avait  été  repoussé 
parle  public;  que  l'administration  municipale  l'avait  elle-même 
reconnu,  en  engageant  dans  une  lettre  la  direction  à  pourvoir  au 
remplacement  de  M.  Koblin.  pour  éviter  les  scènes  de  désordres  que 
sa  réapparition  pourrait  occasionner. 

Le  tribunal  accueillit  cette  défense  et  débouta  l'acteur  de  sa  de- 
mande (2). 

Huit  jours  après,  le  public  redemandait  M.  Roblin;  —  il  est  vrai 
qu'on  ne  le  lui  rendit  pas. 

Il  y  a  aussi  le  cas  où  un  directeur  a  fait  tout  son  possible  pour 
s'attacber  un  acteur  en  l'enlevant  à  la  troupe  du  tbéâtre  où  il  a 
réussi,  et  qui  tout  à  coup,  ne  trouvant  pas  que  le  public  a  fait  un 
accueil  suffisamment  favorable,  use  de  son  droit  et  le  prie  d'aller  cher- 
cher fortune  ailleurs,  sous  prétexte  qu'il  a  été  sifflé. 

Ce  fut  ce  qui  arriva  au  Havre  en  1834.  Voici  les  faits  exposés  par 
M.  Toudouze,  plaidant  contre  le  directeur  du  thoàtre  du  Havre  devant 
le  tribunal  de  cette  ville. 

A  ses  premiers  débuts  M.  Toudouze  n'avait  vu  se  manifester  contre 
lui  qu'une  opposition  assez  faible.  Il  n'en  avait  pas  été  de  même  du 
troisième.  La  salle  s'était  divisée  en  deux  camps,  et  il  était  devenu 
difficile  de  savoir  qui  des  siffleurs  et  des  applaudisseurs  avaient  la 
majorité.  Pour  faire  cesser  le  tumulte,  le  régisseur  était  venu  annon- 
cer que,  par  ordre  du  maire,  M.  Toudouze  ne  jouerait  plus  sur  la 
scène  du  Havre,  et  qu'il  achèverait  seulement  la  pièce  commencée  si 
tel  était  le  bon  plaisir  du  public;  mais  alors,  et  par  un  de  ces  retours 
subits  auxquels  est  si  sujette  l'opinion  des  masses,  l'acteur  avait  été 
applaudi  par  ceux-là  mêmes  qui  l'avaient  sifflé,  et  la  pièce  finie,  on 
lui  avait  les  honneurs  d'une  quasi-ovation. 

Comme  la  défense  du  maire  subsistait  toujours,  le  directeur  pré- 
tendit que  M.  Toudoaze  avait  été  congédié  par  le  publie  et  que  l'en- 
gagement ne  pouvait  avoir  d'effet.  Le  tribunal  du  Havre  accorda  à 
M.  Toudouze  un  mois  d'appointements,  à  titre  d'indemnité,  outre  la 
somme  qu'il  avait  déjà  reçue  sur  son  premier  mois,  et  pour  frais  de 
voyage.  La  cour  de  Rouen  confirma  ce  jugement. 

J'entends  qu'on  me  dit  : 

(1)  Lacan,  page  238. 

(2)  Gazette  des  Tribunaux,  27  juin  1828. 


«  Est-ce  à  dire  néanmoins  que  lorsque  l'acteur  est  en  scène,  il 
»  relève  tellement  des  spectateurs  devant  lesquels  il  paraît  qu'il 
»  pourra  dépendre  du  premier  venu  de  le  renverser  à  sa  fantaisie, 
»  sous  le  poids  d'une  cabale  organisée  d'avance  méchamment  et  par 
»  des  motifs  indépendants  de  la  nature  de  son  jeu?  Non...  En  pareil 
»  cas  le  recours  devant  les  tribunaux  est  ouvert,  le  principe  général 
»  consacré  par  l'article  1382  est  applicable,  l'acteur  a  une  action  en 
»  dommages-intérêts  contre  l'instigateur  de  la  cabale  et  ses  com- 
»  plices.  » 

Vraiment, vous  nous  la  baillez  belle  avec  votre  article  138'2! Gomme 
si  tous  les  comédiens  et  surtout  les  comédiennes,  particulièrement  en 
province,  étaient  en  situation  d'intenter  une  "action  en  dommages- 
intérêts  ! 

Le  temps  et  l'argent,  tout  leur  manque,  sans  compter  dix  autres 
raisons  qui  leur  enlèvent  tout  pouvoir  d'agir. 

Il  faut  se  trouver  dans  les  conditions  qui  étaient  faites  à  M11"  Mélina 
Marmet,  du  Grand-Théâtre  de  Lyon,  contre  le  sieur  Chenaud,  pour 
se  porter  partie  civile  et  obtenir  gain  de  cause,  et  au  prix  de  quels 
soucis  encore  (1)  ! 

En  dehors  de  ces  conditions,  le  comédien  doit  subir  l'avanie  des 
sifflets  sans  protester.  Est-ce  juste  ? 

E.  M.  de  Lyden. 


HISTOIRE    VRAIE 

DES    HÉROS   D'OPÉRA    ET    D'OPÉRA- COMIQUE 


LE  ROI  D'YVETOT 

A  u  noble  pays  de  Caux 
Y  a  quatre  abbayes  royaux 
Six  prieure^  conventueux 
Et  six  barons  de  grand  arroy, 
Quatre  comtes,  un  duc,  un  roy. 

Ainsi  parle  V Ancienne  Chronique  de  Normandie.  Le  royaume  d'Yvetot 
existait  donc?  Parfaitement?  Gilles  André  de  la  Roque,  dans  son 
Traité  de  la  Noblesse,  relève  dans  les  registres  de  l'Echiquier  ou  an- 
cien Parlement  de  Normandie  un  arrêt  de  1392  qui  donne  le  titre 
de  roi  aux  seigneurs  d'Yvetot.  Et  ce  titre,  ils  le  conservèrent  jusque 
fort  avant  dans  l'histoire.  Au  moment  de  livrer  la  bataille  d'Arqués, 
Henri  IV  se  retourna  vers  ses  amis  et,  avec  sa  belle  humeur  tradi- 
tionnelle : 

—  Si  je  perds  le  royaume  de  France,  leur  dit-il,  je  suis  du  moins 
en  possession  du  royaume  d'Yvetot. 

Il  conserva,  dans  la  suite,  et  sans  doute  en  souvenir  de  cet  inci- 
dent ,  une  tendresse  toute  particulière  pour  le  souverain  de  ce 
royaume  lilliputien. 

Il  l'avait  affranchi  de  toute  redevance  et  de  toute  vassalité  envers 
la  couronne  et  lui  témoignait  en  toute  occasion  la  plus  cordiale  dé- 
férence . 

—  Je  veux,  disait-il  à  propos  d'une  cérémonie  qui  se  préparait, 
qu'on  garde  une  place  honorable  à  mon  petit  roy  d'Yvetot,  selon  la 
qualité  et  le  rang  qu'il  doit  tenir. 

Plus  tard,  sous  Louis  XIV,  le  titre  de  roi  d'Yvetot  disparut,  par 
suite  de  l'extinction  de  la  famille  de  Bellay,  qui  le  portait. 

Mais,  nous  demandera-t-on,  le  roi  d'Yvetot,  le  roi  de  la  chanson, 
le  roi  de  l'opéracomique,  a-t-il  réellement  existé,  comme  l'a  dépeint 
le  doux  poète  : 

Se  levant  tard,  se  couchant  tôt. 
Dormant  fort  bien  sans  gloire, 
Et  couronné  par  Jeanneton 
D'un  simple  bonnet  de  coton  ? 

L'a-t'on  vu,  l'a-t'on  connu,  l'a-t'on  fêlé,  ce  roi  modèle,  ce  roi-idéal, 
cet  oiseau  bleu, 

Qui  n'agrandit  pas  ses  Etats, 
Fut  un  voisin  commode, 
El,  modèle  des  potentats. 
Prit  le  plaisir  pour  codel 

Ce  dernier  trait  nous  permet  de  répondre  affirmativement,  car  le  roi 
d'Yvetot,  contemporain  de  Louis  XIII,  Charles,  marquis  du  Bellay, 
fut  un  des  plus  joyeux  compagnons  de  son  temps.  Son  royaume 
était  le  rendez-vous  de  tous  ceux  qui  se  plaisaient  aux  gaies  aventures. 
Ami  du  faste,  jaloux  do  son  prestige,  et  prodigue  à  l'excès,  il  avait 

(1)  Gazelle  des  trib.  25,  26,  31  mai  1846. 


LE  MENESTREL 


293 


fait  de  sa  cour  le  centre  de  tous  les  plaisirs.  Les  spectacles  s'y  succé- 
daient sans  interruption.  On  y  dansait,  on  y  chantait,  on  y  festoyait 
sans  trêve.  Et  comme  le  roi,  très  friand  de  popularité,  tenait  à  ce  que 
chacun,  dans  ses  états,  prit  sa  part  de  ses  réjouissances,  la  fête,  du 
palais,  s'étendait,  bruyante  et  continue,  jusqu'aux  extrêmes  frontières 
du  royaume.  Partout  s'élevaient  des  mais  enguirlandés,  autour  des- 
quels on  dansait  chaque  jour.  Les  cabarets  ne  désemplissaient  pas.  Et 
comme  la  réputation  de  cette  vie  folle  s'était  répandue  dans  les  con- 
trées voisines,  de  toute  part  arrivaient  bateleurs  et  bohémiens,  jon- 
gleurs et  comédiens,  sûrs  d'un  accueil  gracieux  autant  que  profitable, 
car  le  souverain  se  mêlait  volontiers  à  la  foule,  buvant  avec  les 
hommes,  dansant  avec  les  filles,  et  semant  partout  l'or  qui  semblait 
germer  sous  ses  pas. 

Ce  train  de  vie  ne  pouvait  durer  toujours.  Le  loi  d'Yvetot  connut 
les  douleurs  du  krach.  Sa  fortune  et  celle  de  la  reine,  qui  était  de  la 
maison  de  Rieux,  menaçant  de  fondre  dans  le  creoset  des  dissi- 
pations royales,  il  fallut  procéder  à  la  séparation  des  deux  époux. 
La  marquise  du  Bellay  retourna  dans  sa  famille,  tandis  que  son 
mari  prenait  le  chemin  de  Paris,  où  il  fit  bonne  figure  à  la  cour. 
Devenu  très  fier  et  très  digne,  en  dépit  d'une  double  gibbosité  qui 
ornait  sa  poitrine  et  son  dos,  il  ne  daignait  donner  la  main  à  per- 
sonne, même  aux  plus  grands  seigneurs  de  France. 

Louis  XIII  l'affectionnait  pour  cette  belle  tenue.  Il  l'appelait  volon- 
tiers mon  cousin  et  ne  tarissait  point  en  éloges  sur  cette  majesté  dé- 
chue, dont  l'histoire  n'aurait  sans  doute  jamais  mentionné  le  souve- 
nir, sans  la  chanson  joyeuse  de  JBéranger  et  la  muse  facile  d'Adolphe 
Adam. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

Il  paraît  qu'on  doit  célébrer  aujourd'hui  même,  14  septembre,  à  Ber- 
lin, le  centième  anniversaire  de  la  première  représentation  en  cette  ville 
du  merveilleux  chef-d'œuvre  de  Mozart,  les  Noces  de  Figaro.  On  sait  que  la 
vraie  «  première  »  de  l'ouvrage  avait  eu  lieu  à  Vienne,  quatre  ans  aupa- 
ravant, le  28  avril  1786,  avec  un  succès  prodigieux,  succès  qui  fut  encore 
dépassé  peu  de  temps  après  par  celui  de  Prague,  qu'un  biographe  de 
Mozart  constatait  en  ces  termes  :  «  Dès  la  première  représentation,  le 
succès  égala  celui  que  la  Flûte  enchantée  obtint  plus  tard.  Je  ne  m'écarte 
en  rien  de  la  vérité  en  disant  que  l'opéra  fut  joué  pendant  tout  l'hiver 
sans  interruption  et  qu'il  porta  un  remède .  efficace  à  la  détresse  où  l'en- 
trepreneur Bondini  se  trouvait  alors.  L'enthousiasme  du  public  était  sans 
exemple;  on  ne  pouvait  se  fatiguer  d'entendre  Figaro.  Réduit  pour  le  cla- 
vecin, extrait  en  quintette  pour  la  musique  de  chambre,  arrangé  pour  les 
instruments  à  vent,  métamorphosé  en  contredanses,  l'opéra  se  reproduisit 
sous  toutes  les  formes,  sans  qu'il  fût  possible  aux  amateurs  d'en  éprouver 
de  la  fatigue.  Les  chants  de  Figaro  retentissaient  dans  les  rues,  aux  pro- 
menades, et  l'aveugle  de  la  guinguette  était  obligé  d'apprendre  Non  più 
andrai  farfallone  amoroso,  s'il  voulait  réunir  un  auditoire  autour  de  son 
violon  ou  de  sa  harpe.  » 

—  Le  1er  octobre  prochain  verra  s'ouvrir  à  Berlin  un  nouveau  Conser- 
vatoire privé,  nous  voulons  dire  non  officiel,  dont  les  fondateurs  entre- 
trepreneurs  sont  MM.  0.  Eichelberg  et  Wegener. 

—  Le  bilan  de  l'exercice  1888-89  à  l'Opéra  de  Vienne  (1er  août  au  30  mai) 
présente  les  chiffres  suivants  :  Soixant-dix  ouvrages  lyriques  et  treize 
ballets  ont  formé  le  répertoire  de  la  saison,  donnant  un  total  de  trois 
cents  représentations.  Les  nouveautés  ont  été  au  nombre  de  sept  :  cinq 
œuvres  lyriques  et  deux  ballets.  On  a  repris  onze  opéras  et  quatre  ballets. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  Les  scènes  royales  et  municipales 
rouvrent  partout  leurs  portes.  A  Berlin,  l'Opéra  Royal  a  effectué  sa  réou- 
verture le  31  août  avec  Lohengrin;  à  la  même  date,  le  théâtre  de  la  cour 
de  Carlsruhe  inaugurait  sa  saison  avec  Fidelio.  A  Hambourg,  ce  sont  les 
Noces  de  Figaro  qui  formaient  le  spectacle  de  réouverture;  à  Stuttgart, 
c'était  Ekkelwrd,  opéra  de  M.  Abert.  —  Le  nouveau  Thomas-Theater  (ancien- 
nement Central-Theater)  de  Berlin  a  été  inauguré  le  6  septembre,  avec 
les  Contes  de  Fées,  de  Raimund.  Le  Kroll's-Theater  a  terminé  sa  saison 
lyrique  par  une  représentation  de  Jean  de  Paris,  de  Boieldieu,  avec  le 
concours  du  célèbre  ténor  Emile  Gûtze  et  du  baryton  C.  Mayer,  en- 
gagés spécialement.  —  Le  Freischûtz  a  reparu  le  4  septembre  sur  la 
scène  du  théâtre  municipal  de  Leipzig  avec  une  décoration  et  une 
mise  en  scène  nouvelles.  Le  tableau  de  la  fonte  des  balles  a  produit  un 
grand  effet. 

—  Un  des  chefs  d'orchestre  les  plus  estimés  de  l'Allemagne,  M.  Ludwig 
Deppe,  vient  de  mourir  subitement  à  l'âge  de  soixante  ans,  pendant  un 
séjour  aux  eaux  de  Pyrmont.  Il  devait  le  meilleur  de  sa  notoriété  aux 
festivals  do  musique  silésiens  qu'il  dirigeait  depuis  de  longues  années.  Il 
a  occupé  pendant  quelques  mois  le  poste  de  premier  kapellmeister  à  l'Opéra 


de  Berlin,  poste  qu'il  a  brusquement  abandonné  pour  des  raisons  d'ordre 
artistique.  Il  enseignait  le  piano  habilement  et  a  laissé  un  nombre  res- 
pectable de  compositions. 

—  En  revenant  de  Badenweiler  à  Saint-Pétersbourg,  Antoine  Rubins- 
tein  s'est  arrêté  une  journée  à  Cologne  et  y  a  assisté  à  un  concert  de  la 
Société  philharmonique.  Prévenu  de  sa  présence,  l'orchestre  a  exécuté,  en 
l'honneur  du  maître,  son  ravissant  ballet  de  Feramors,  qui  a  provoqué  un 
grand  enthousiasme.  Un  des  assistants  a  alors  poussé  un  vigoureux 
«  Hoch  »  pour  Rubinstein,  auquel  la  salle  entière  et  l'orchestre  se  sont 
associés.  L'auteur  de  Néron,  confus  de  cette  ovation  inattendue,  s'est  hâté 
de  regagner  la  porte,  suivi  par  les  acclamations  de  ses  admirateurs. 

—  On  envoie  de  Saint-Pétersbourg  au  Signale  de  Leipzig  les  renseigne- 
ments suivants  sur  le  concours  Rubinstein,  dont  nous  avons  fait  con- 
naître les  résultat.  Les  concours  a  commencé  à  une  heure  de  l'après-midi. 
D'après  le  règlement,  les  fonctions  de  président  du  jury  devaient  être 
remplies  par  le  directeur  du  Conservatoire  de  Saint-Pétersbourg,  et  ce 
directeur  s'est  trouvé  être  Rubinstein  lui-même.  Il  avait  été  loin  de  pré- 
voir ce  cas,  lorsqu'il  y  a  quatre  ans  il  institua  la  iondation  qui  porte 
son  nom  ;  c'était  alors  Dawydow  qui  était  à  la  tète  du  Conservatoire.  Les 
jurés  étaient  MM.  le  professeur  Abel,  inspecteur  du  Conservatoire  de  Mu- 
nich, le  professeur  L.  Auer,  directeur  des  concerts  symphoniques  de 
Saint-Pétersbourg,  Van  Arc,  professeur  au  Conservatoire  de  Saint-Péters- 
bourg, Coenen,  directeur  du  Conservatoire  d'Amsterdam,  A.  Hamerick, 
directeur  du  Conservatoire  de  Baltimore,  remplaçant  Niels  Gade,  de  Co- 
penhague, le  professeur  Sohansen,  du  Conservatoire  de  Saint-Pétersbourg, 
le  professeur  Kundinger,  pianiste  de  la  cour,  Puchalsky,  directeur  de 
l'École  de  musique  de  Kiew,  Safonow,  directeur  du  Conservatoire  de  Mos- 
cou, le  docteur  Swedbom,  professeur  au  Conservatoire  de  Stockholm,  Slatin, 
directeur  de  l'École  de  musique  de,  Charkow.  Les  concurrents  compre- 
naient trois  Italiens  :  MM.  Bayardi,  Busoni  etCesi;  deux  Russes:  MM.  Du- 
bassow  et  Schor,  et  un  Américain,  M.  Fairbanks.  Il  s'était  présenté  encore 
deux  autres  concurrents-compositeurs  qui  ont  dû  être  éliminés,  leur  tra- 
vail n'ayant  pas  rempli  les  conditions  énoncées  dans  le  programme.  Les 
auditions  ont  pris  trois  journées  entières  et  ont  commencé  par  les  compo- 
siteurs Busoni  et  Cesi  ;  ensuite  sont  venus  les  pianistes.  M.  Busoni  con- 
courait à  la  fois  pour  les  deux  prix  ;  il  a  présenté  un  concertstùck  pour 
orchestre,  une  sonate  pour  violon  et  piano,  deux  petites  pièces  et  une 
cadence  pour  le  4e  concerto  de  Beethoven;  il  a  exécuté  lui-même  tous  ces 
ouvrages.  Le  19  août,  à  deux  heures,  ont  été  proclamés  vainqueurs  M.  Fer- 
ruccio  Busoni,  pour  l'épreuve  de  composition,  et  M.  Dubassow  pour  celle 
d'exécution  au  piano.  On  leur  a  décerné  à  chacun  le  premier  prix  de 
3,000  francs.  Il  n'y  a  pas  eu  de  second  prix  ni  de  mention..  Ajoutons  que 
M.  Busoni  vient  d'être  nommé  professeur  de  piano  au  Conservatoire  de 
Moscou  à  partir  du  1er  septembre. 

—  Il  y  avait  à  la  Monnaie  de  Bruxelles,  voici  quelques  années,  un  jeune 
coryphée  ténor  du  nom  de  Mansuède,  dont  l'emploi  était  des  plus  mo- 
destes et  qui  ne  faisait  en  aucune  façon  parler  de  lui.  Depuis  lors  la  fortune 
a  souri,  paraît-il,  au  jeune  artiste,  car  s'il  faut  en  croire  le  Bavard,  de 
Marseille,  le  susdit  viendrait  de  signer,  à  raison  de  3,000  francs  par  mois, 
un  engagement  pour  une  grande  tournée  en  Amérique. 

—  On  lit  dans  l'Éventail,  de  Bruxelles  :  «  Le  ministère  des  Beaux  Arts 
de  France  a  envoyé  récemment  les  palmes  d'officier  d'académie  à  M.  Flon, 
chef  d'orchestre  du  Waux-Hall,  à  M.  Sennewald,  chef  de  la  musique  des 
pompiers,  et  à  M.  Segers,  président  de  la  Phalange  artistique,  pour  remer- 
cier ces  messieurs  du  concours  dévoué  qu'ils  ont  prêté  à  la  fête  de  bien- 
faisance organisée  au  Waux-Hall,  le  14  juillet  dernier,  par  la  colonie 
française  de  Bruxelles.  » 

—  On  doit  jouer  le  mois  prochain,  au  théâtre  de  Namur,  un  opéra- 
comique  inédit,  le  Reitre,  paroles  de  MM.  Manuel  Le  Bouge  et  André 
Thomas,  musique  de  M.  Charles  Mêlant.  M.  Mêlant  est  un  jeune  compo- 
siteur belge  qui  s'est  déjà  produit  au  théâtre,  et  qui  est  connu  par  plu- 
sieurs recueils  de  jolies  mélodies  vocales. 

—  Les  Suisses  veulent  maintenir  l'usage  de  VAIpenhorn  (cor  des  Alpes). 
Un  concours  d'exécution  sur  cet  instrument  cher  aux  touristes  roma- 
nesques vient  d'avoir  lieu  à  Rigi-Klosterli.  L'unique  prix  a  été  accordé  à 
M.  Joseph  Ulrich,  de  Muotathal. 

—  Un  journal  italien  annonce  la  très  prochaine  publication  d'un  livre 
dont  il  nous  donne  le  titre  en  français,  le  Déclin  d'une  étoile,  et  qui,  dit-il, 
paraîtra  simultanément  en  trois  langues  :  en  français  à  Paris,  en  allemand 
à  Vienne,  et  en  anglais  à  Londres  et  à  New- York.  Il  ne  nous  fait  pas 
d'ailleurs  connaître  le  nom  de  l'auteur  et  nous  apprend  seulement  que 
cet  ouvrage  est  consacré  à  MmB  Adelina  Patti,  dont  il  retracera  la  car- 
rière depuis  ses  plus  jeunes  années  jusqu'au  temps  présent. 

—  Les  chanteurs  continuent  à  se  croire  les  bienfaiteurs  de  l'humanité 
souffrante,  et  à  faire  preuve  de  la  simplicité  modeste  qui  les  caractérise. 
On  lit  à  ce  sujet  dans  la  Lombardia,  de  Milan  :  «  Dans  les  cercles  artis- 
tiques milanais,  on  assure  que  les  frères  Corti,  impresari  de  la  Scala,  ayant 
télégraphié  à  Tamagno  pour  lui  proposer  de  chanter  la  Cavallcria  rusticana 
de  Mascagni,  et  lui  demandant  quelles  seraient  ses  conditions  pour  quinze 
représentations  etTamagno  aurait  répondu  en  demandant  100,000  francs,  en 
s'engageant  pourtant,  pour  cette  somme,  à  chanter,  durant  la  saison,  un 


294 


LE  MÉNESTREL 


autre  opéra  choisi  par  lui.  »  Les  directeurs  de  la  Scala,  enchantés  sans 
doute  de  cette  réponse...,  ont  engagé  aussitôt  le  ténor  De  Negri  pour  les 
représentations  de  Cavalier  ia  rusticana. 

—  Nous  avons  dit  que  le  théâtre  de  Varèse  allait  fournir  sa  saison 
d'automne  exclusivement  avec  deux  opéras  français,  Carmen  et  Mignon. 
Il  en  est  de  même  au  théâtre  de  Modène,  où  les  deux  mêmes  opéras, 
Mignon  et  Carmen,  feront  les  frais  de  la  même  saison.  Les  deux  héroïnes 
d'Ambroise  Thomas  et  de  Bizet  seront  personnifiées  à  Modène  par  Mmo  De 
Vita,  à  Varèse  par   la  signora  Parboni. 

—  On  a  donné  au  théàire  Manzoni,  de  Milan,  la  première  représenta- 
tion de  l'opéra  nouveau  depuis  quelque  temps  annoncé  :  Non  toccate  la 
Regina.  Le  poème  de  M.  Almerindo  Spadetta,  détestable  sous  tous  les 
rapport,  distille,  paraît-il,  la  pitié  et  l'ennui.  La  partition  de  M.  Sarria  ne 
semble  guère  meilleure,  et  retarde  d'un  quart  de  siècle  sur  les  idées  cou- 
rantes, sans  que  la  fraîcheur  de  l'inspiration  puisse  faire  passer  sur  l'in- 
suffisance de  la  forme  et  de  la  facture.  Cela  n'a  pas  empêché  le  composi- 
teur d'être  l'objet  de  vingt  rappels  et  de  voir  deux  de  ses  morceaux  bissés. 
Les  interprètes  étaient  Mmes  Spaziani  et  Garbini-Mazzoni,  le  ténor  Mauri, 
le  baryton  Scotti  et  le  bouffe  Goletti. 

—  D'un  travail  intéressant  signé  du  nom  fort  estimé  de  M.  Giulio  Roberti, 
et  dont  la  Gazzelta  musicale  de  Milan  commence  la  publication  sous  ce  titre  : 
Claudio  Monteverdi,  il  résulterait  que  le  nom  du  glorieux  artiste  qui  fut 
maître  de  chapelle  du  duc  de  Mantoue  et  qui,  quoique  prêtre,  fut  l'un 
des  plus  illustres  créateurs  de  l'opéra  italien,  a  été  altéré  jusqu'à  ce  jour 
et  écrit  d'une  façon  incorrecte,  sous  la  forme  Monteverde.  C'est  sous  cette 
forme,  en  effet,  que  nous  avons  toujours  été  habitués  à  le  connaître,  et 
c'est  pourquoi,  avant  même  de  commencer  son  travail,  M.  Giulio  Roberti 
publie  la  petite  note  que  voici  :  —  «  Depuis  environ  trois  cents  ans 
jusqu'aujourd'hui,  on  a  toujours  écrit  Monteverde;  mais  comme  il  résulte 
de  la  façon  la  plus  irréfragable  de  nombreuses  lettres  de  l'illustre  maître 
qui  ont  été  découvertes  dans  les  archives  des  Gonzague  de  Mantoue  et 
récemment  publiées  par  l'excellent  archiviste  Stefano  Davari  dans  les 
Actes  de  la  R.  Académie  Virgilienne,  qu'elles  sont  invariablement  signées 
Monteverdi,  et  qu'on  lit  aussi  Monteverdi  dans  divers  documents  de  ces 
mêmes  archives,  je  crois  opportun  de  substituer  cette  forme  à  celle  com- 
munément adoptée  jusqu'ici.» 

—  M.  Oscar  Chilesotti,  dont  j'ai  eu  l'occasion  de  signaler  ici  même,  à 
diverses  reprises,  les  travaux  très  intéressants,  vient  de  mettre  au  jour 
une  nouvelle  publication  qui  ne  le  cède  en  rien  à  ses  aînées.  Sous  ce 
titre  :  Da  un  codice  lauten-buch  del  cinque-cento,  M.  Chilesotti  a  réuni  99  pièces 
de  luth  qu'il  a  extraites  du  manuscrit  volumineux  d'un  luthiste  allemand 
du  xvic  siècle  et  qu'il  a,  d'après  la  tablature  de  l'époque,  traduites  en  nota- 
tion moderne.  C'était  là  un  travail  d'autant  plus  délicat  et  difficile  à  effec- 
tuer que  la  tablature  changeait  naturellement  avec  le  nombre  des  cordes 
appliquées  à  chaque  instrument,  et  que  celui-ci,  on  le  sait,  subit  de  telles 
transformations  que  de  six,  le  nombre  de  ces  cordes  fut  porté  parfois 
jusqu'à  vingt-trois;  ce  qui  faisait  dire  au  célèbre  Matteson  que  si  un 
luthiste  parvenait  à  l'âge  de  quatre-vingts  ans,  il  en  aurait  certainement 
passé  soixante  rien  qu'à  apprendre  à  accorder  son  instrument.  Toutefois 
il  ne  s'agit,  dans  le  livre  de  M.  Chilesotti,  que  du  luth  à  six  cordes.  Les 
pièces  qui  y  sont  transcrites,  avec  un  soin  et  une  intelligence  qu'on  ne 
saurait  trop  louer,  constituaient  évidemment  le  répertoire  de  l'artiste  qui 
avait  formé  le  recueil  d'où  on  vient  de  les  tirer  après  trois  siècles.  Mais 
si  elles  sont  de  valeur  inégale,  il  n'en  faudrait  pas  conclure  que  leur 
ensemble  n'offre  qu'un  pur  intérêt  historique;  l'intérêt  artistique  est  fort 
loin  d'en  être  exclu,  et,  bien  qu'il  s'agisse  d'une  époque  où  les  formes 
musicales  étaient  loin  d'être  ce  que  nous  les  voyons  aujourd'hui,  telle  de 
ces  pièces  vous  frappe  encore  par  sa  franchise,  sa  fraîcheur  et  son  origi- 
nalité. Il  y  a  là-dedans  des  chansons  italiennes,  françaises  et  allemandes, 
des  polonaises,  des  mascarades,  des  madrigaux,  des  villanelles,  et  surtout 
des  airs  de  danse  :  gaillardes,  courantes,  saltarelles,  allemandes,  voltes, 
pavanes,  etc.,  dont  certaines  sont  tout  à  fait  caractéristiques.  Je  croirais 
volontiers  que  quelques-unes  de  ces  pièces,  surtout  parmi  les  chansons, 
sont  antérieures  même  au  xvr3  siècle;  mais  ce  qui  est  certain,  c'est  qu'il 
en  est  qui  pourraient,  soit  en  conservant  leurs  harmonies,  soit  en  apai- 
sant ce  qu'elles  ont  parfois  de  heurté  et  de  brutal  pour  nos  oreilles  expé- 
rimentées, donner  lieu  à  des  transcriptions  et  à  des  interprétations  inté- 
ressantes. Par  cette  publication  tout  à  la  fois  précieuse  et  curieuse  (que 
les  éditeurs,  MM.  Breitkopf  et  Hiertel,  ont  entourée  d'un  soin  tout  parti- 
culier), M.  Chilesotti  a  rendu  à  l'art  un  nouveau  service  dont  on  ne  peut 
que  lui  savoir  beaucoup  de  gré.  A.  P. 

—  La  famille  du  regretté  Gayarré  va  ériger  au  Roncal  un  monument  à 
la  mémoire  du  grand  ténor  qui  a  tant  fait  de  bien  à  sa  ville  natale.  C'est 
Benlliure,  le  sculpteur  à  la  mode,  qui  s'est  chargé  de  ce  travail,  et  sa  ma- 
quette est  fort  belle.  Sur  un  piédestal  en  gradins  de  marbre,  composé  de 
cinq  marches  de  peu  de  hauteur,  et  dont  la  base  rectangulaire  mesure  six 
mètres  dans  son  côté  le  plus  grand,  repose  une  magnifique  urne  cinéraire, 
dont  les  faces  et  les  angles  sont  formés  de  spleudides  hauts-reliefs  qui  re- 
présentent des  groupes  d'anges  chantant  les  mélodies  des  opéras  qui  consti- 
tuèrent le  répertoire  de  Gayarré  ;  leurs  noms  sont  capricieusement  gravés 
sur  les  quatre  côtés  de  l'urne.  Sur  la  façade  principale  de  celle-ci,  appuyée 
sur  une  de  ses  faces,   on  voit  une  jolie  figure  qui  représente  la  Musique. 


Sur  l'urne  on  voit  deux  autres  figures  représentant  l'Harmonie  et  la  Mélo- 
die. Toutes  deux  soutiennent  un  cercueil  couvert  de  fleurs,  de  couronnes, 
de  lauriers  et  d'autres  attributs.  Sur  l'un  des  côtés  on  a  gravé  la  simple 
inscription  suivante:  «  Julian  Gayarré.  »  Enfin,  sur  le  haut  du  cercueil^ 
apparaît  la  figure  principale  qui  sert  de  couronnement  au  monument; 
elle  représente  un  Génie,  qui,  en  entendant  la  voix  du  grand  ténor  résonner 
encore  dans  la  tombe,  se  pose  sur  le  cercueil  avec  les  ailes  ouvertes  et 
écoute  dans  une  attitude  vraiment  sublime.  Le  monument  doit  être  en 
marbre  et  bronze,  et  les  figures  de  grandeur  naturelle.  Bien  que  le  sculp- 
teur Benlliure  refuse  toute  espèce  de  rétribution  pour  son  travail,  on 
estime  que  les  frais  d'érection  de  ce  monument  ne  s'élèveront  pas  à 
moins  de  135,000  francs. 

—  Les  journaux  portugais  nous  apprennent  qu'à  Evora,  un  riche  et 
intelligent  dilettante,  M.  Barahoria,  vient  de  faire  construire  à  ses  frais 
et  d'offrir  à  la  ville  un  superbe  théâtre  qui  prendra  le  nom  de  Théâtre 
Garcia  de  Resonde.  Ce  cadeau  princier  lui  a  valu,  de  la  part  de  la  popu- 
lation, une  ovation  brillante  et  chaleureuse. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Les  projets  de  l'Opéra,  indépendamment  du  Mag  :  1°  une  reprise 
i'Ascanio;  M.  Saint-Saëns  a  demandé  pour  cette  reprise  le  rétablissement 
de  quelques  morceaux,  incongrûment  coupés  par  la  direction,  et  aussi 
de  nombreux  changements  dans  les  mouvements  de  la  partition  qu'on 
avait  pris  souvent  à  contresens  ;  2°  une  reprise  de  Sigurd,  pour  le  com- 
mencement d'octobre,  dit-on,  avec  Mmcs  Caron,  Bosman,  Domenech  et 
M.  Duc  ;  3°  rentrée  de  Mme  Melba  dans  Bamlet,  si  M.  Lassalle  ne  tombe 
pas  malade  ce  soir-là  ;  4°  une  reprise  de  Patrie,  l'opéra  de  M.  Paladilhe, 
pour  la  seconde  quinzaine  d'octobre;  b°  une  reprise  du  Rêve  de  M.  Gasti- 
nel,  pour  la  rentrée  de  MUc  Mauri.  Et  voilà. 

—  En  attendant  cette  belle  succession  de  reprises,  nous  avons  eu,  cette 
semaine,  celle  de  Zaïre,  l'intéressant  opéra  de  M.  Véronge  de  la  Nux,  avec 
tous  les  interprètes  de  la  création.  Il  n'avait  été  fait  aucune  répétition 
préparatoire  pour  cette  reprise  ;  aussi  l'orchestre  s'en  est  il  donné  à  cœur 
joie,  prenant  toutes  les  licences  possibles  avec  la  partition  du  jeune 
auteur.  C'était  vraiment  pitoyable.  Et  l'on  donne  huit  cent  mille  francs 
de  subvention  par  an  à  MM.  Ritt  et  Gailhard  pour  nous  faire  assister  à 
des  soirées  pareilles  ! 

—  Au  sujet  du  Mage,  dont  la  représentation  est  annoncée  pour  cet  hiver 
à  l'Opéra,  une  difficulté  semble  devoir  surgir.  Un  auteur  anglais,  célèbre 
à  Londres,  a  publié  il  y  a  quelques  années  un  fort  beau  roman  sur 
Zoroastre,  dont  M.  Bernard-Derosne  a  fait  une  traduction  française.  L'au- 
teur anglais  et  son  traducteur  ont  des  raisons  de  croire  que  leur  livre  a 
servi  à  M.  Richepin  pour  la  confection  de  son  livret  du  Mage.  L'auteur 
anglais  demande  donc  que  son  nom  figure  sur  l'affiche,  et  M.  Bernard- 
Derosne  réclame  sa  part  de  droits.  M.  Bichepin  riposte  que  Zoroastre 
appartient  à  tout  le  monde  et  que  son  ouvrage  est  de  lui  seul.  De  là, 
conflit  devant  la  Société  des  auteurs.  La  commission  de  la  Société,  décla- 
rant n'avoir  pas  en  mains  des  éléments  de  contrôle  suffisants,  attendra  la 
représentation  du  Mage  pour  se  prononcer. 

—  Un  de  nos  confrères  raconte  que  M.  Ritt  voyant  un  jour  un  «  homme 
de  lettres  »  s'aventurer  sur  la  scène  de  l'Opéra,  pendant  un  entr'acte,  en 
simple  redingote,  fit  une  grimace  épouvantable  et  rappela  à  ce  personnage 
mal  vêtu  que  l'habit  de  soirée  était  de  rigueur  dans  les  coulisses  de 
l'Opéra.  N'était-ce  pas  le  cas  de  lui  répondre  que  l'habit  ne  fait  pas  le 
moine?Ainsi  nous  voyons  tousles  soirs  M.  Gailhard  parader  sur  les  planches 
en  bel  habit  noir,  avec  une  cravate  blanche,  et  cependant  il  a  toujours 
l'air  d'être  en  blouse,  tant  ses  manières  de  troubadour  provençal  restent 
sous  le  frac  lourdes  et  empruntées.  Celui-là  peut  bien  mettre  autant 
d'habits  qu'il  voudra,  et  les  uns  par-dessus  les  autres,  ce  n'est  jamais 
cela  qui  lui  donnera  l'air  d'un  gentilhomme.  Son  tailleur  s'en  morfond  et 
s'en  désespère. 

—  A  l'Opéra-Comique,  lecture  aux  artistes  du  Renvemito  Cellini  de 
M.  Diaz,  qui  sera  représenté  cette  saison,  s'il  plaît  à  Dieu  et  à  M.  Para- 
vey.  Voici  la  distribution  des  rôles,  le  ténor  qui  devra  interpréter  Pompeo 
restant  encore  à  trouver  : 

Benvenuto  Cellini  MM.  Renaud 

Pompeo  X. 

De  Montsolm  Lorrain 

Andréa  Carbonne 

Orazio  Bernaërt 

De  Cagli  Gilibcrt 

Chevalier  Ugolini  Maris 

Covernisi  Lonati 

Pasilea  Mmcs  Deschamps-Jehin 

Delphe  Clarisse  Yvel 

Cet  X  n'est  certainement  pas  le  plus  mauvais  de  la  bande.  Il  va  sans  dire 

que  les  costumes  seront  exécutés  par  la  maison  Millet. 

—  Au  Théâtre-Lyrique  de  l'Éden,  on  mène  de  front  les  études  de  Samsom 
et  Dalila  et  de  la  Jolie  Fille  de  Perlh,  qui  doivent  alterner  sur  les  premières 
affiches.  C'est' M"10  Rosine  Bloch,  MM.  Talazac  et  Bouhy  qui  tiendront 
les  principaux  rôles  dans  l'opéra  de  M.  Saint-Saëns. 


LE  MÉNESTREL 


295 


—  Nous  avons  annoncé  déjà  sommairement  le  procès  que  M.  Gounod 
allait  avoir  à  soutenir  contre  des  entrepreneurs  américains.  C'est  hier 
samedi  que  cette  affaire  a  dû.  venir  au  tribunal  de  commerce,  et  voici 
comment,  clans  le  Figaro,  M.  Georges  Boyer  a  résumé  les  griefs  que  les 
directeurs  américains  croient  avoir  contre  l'auteur  de  Faust.  —  «  Il  s'agit, 
on  le  sait,  d'une  tournée  que  ce  dernier  devait  faire  en  Amérique.  Au 
mois  de  juin  de  l'année  derriièi'3  l'affaire  était  conclue,  conditions  accep- 
tées, mais  l'avant-veille  du  jour  où  l'on  devait  terminer,  M.  Gounod  se 
récusa,  prétextant  son  état  de  santé.  On  assure  qu'à  ce  moment  des  pro- 
positions très  avantageuses  lui  étaient  faites  pour  aller  en  Russie  diriger 
quelques  concerts  dans  le  courant  de  janvier  et  février  1890.  Cette  affaire 
n'eut  pas  lieu,  quoiqu'ayant  été  annoncée.  Quelques  mois  plus  tard,  re- 
grettant la  tournée  d'Amérique,  il  chargea  un  intermédiaire  de  reprendre 
cette  affaire  pour  la  saison  1890-1891.  On  devait  lui  payer  un  million  de 
francs,  plus  les  frais  de  voyage  aller  et  retour,  frais  de  séjour  et  d'hôtel 
pour  lui  et  une  autre  personne  avec  un  domestique.  Il  s'engageait  pour 
cette  somme  à  diriger  comme  chef  d'orchestre  soixante  exécutions  de  ses 
œuvres  :  opéras,  oratorios,  messes  et  autres  œuvres  instrumentales  et 
vocales.  Cette  tournée  devait  se  faire  en  quatre  mois,  du  26  octobre  1890 
au  23  février  1891.  M.  Gounod  envoya  son  agent  en  Amérique,  avec  une 
autorisation  de  traiter  en  son  nom.  L'agent  partit  dans  le  courant  du 
mois  de  mars  et  revint  à  Paris  le  1er  juin,  après  avoir  préparé  la  tournée 
dans  les  principales  villes  de  l'Amérique  du  Nord.  Quelques  détails  res- 
taient à  régler.  Le  22  juin  dernier,  M.  Gounod  ayant  signé  les  conditions 
acceptées  par  les  Américains  et  imposées  par  lui,  on  envoya  à  New- 
York  une  copie  du  projet  signé  du  maître,  et,  le  9  juillet,  un  de  ces 
messieurs  s'embarquait  avec  les  fonds  nécessaires  pour  remplir  les  termes 
des  conventions,  c'est-à-dire  :  1°  le  dépôt  de  300,000  francs  au  nom  de 
M.  Gounod  chez  un  banquier  de  Paris,  désigné  par  lui  ;  2°  une  somme 
de  100.000  francs  à  lui  verser  directement  entre  ses  mains,  comme 
avances,  et  3°  les  avances  et  frais  de  voyage  pour  une  troupe  lyrique, 
chœurs  et  orchestre,  ce  qui  montait  à  la  somme  de  700,000  francs  à 
débourser  avant  le  départ  d'Europe.  En  pareil  cas,  c'est  peu  de  chose 
pour  des  Américains.  Gounod  devait  faire  sensation  là-bas.  Qu'on  en 
juge  par  les  conditions  suivantes,  faites  par  les  directeurs  propriétaires 
d'un  grand  théâtre  : 

Il  est  bien  entendu  que  pendant  seize  représentations  (quatre  par  semaine), 
vous,  fournissant  M.  Gounod,  les  artistes,  les  chœurs,  l'orchestre  avec  leurs 
instruments,  la  musique  et  les  costumes,  vous  prélèverez  d'abord,  sur  la  recette 
de  chaque  représentation,  la  somme  de  six  mille  dollars  (30,000  francs),  puis  le 
reste  de  la  recette  sera  partagé  entre  vous  et  nous. 

Signé  :  D'Orsak  et  Th.  Andrews, 

Directeurs  propriétaires. 
Ce  n'est  que  le  14  juillet  dernier,  alors  que  le  directeur  américain  allait 
débarquer  en  Europe,  que  M.  Gounod  prévint  son  agent  que,  craignant 
les  ennuis  qui  pourraient  résulter  pour  lui  de  son  ancien  procès  avec 
jjme  Weldon,  il  renonçait  à  la  tournée  et  chargeait  un  membre  de  sa 
famille  de  régler  cette  affaire,  décidé  qu'il  était  à  ne  plus  prolonger  une 
correspondance  inutile  et  agaçante  pour  lui.  Le  délégué  des  directeurs  de 
l'entreprise  arriva  à  Paris  le  19  juillet,  prévint  l'agent  d'avoir  à  prendre 
rendez-vous  dans  le  plus  bref  délai  possible  pour  terminer  et  remplir 
toutes  les  conditions  exigées  par  M.  Gounod.  Apprenant  le  désistement 
du  maître,  qui  ne  répondait  même  pas  à  la  sommation  faite  par  huissier 
le  4  août,  l'Américain  a  engagé  son  procès  pour  l'audience  du  tribunal 
de  commerce  du  16  août.  M.  Gounod  ayant  fait  défaut,  on  renvoya  à 
quinzaine  (le  30  août)  cette  affaire.  M.  Gounod  ayant  constitué  agréé  au 
moment  de  l'audience,  le  tribunal  a  dû  remettre  encore  à  une  autre 
quinzaine.  Donc,  cette  affaire  sera,  comme  nous  l'avons  dit,  appelée 
■samedi  prochain  13  courant.  » 

—  Le  journal  l'Italia  croit  savoir  que  le  ténor  Oxilia  vient  d'être  engagé 
tout  à  la  fois  à  l'Opéra  de  Paris  et  à  Saint-Pétersbourg,   et  qu'en  cette 


ville  il  devrait  donner  cent  représentations  à  raison  de  7,000  francs  l'une. 
Le  Trovatore  paraît  être  un  peu  incrédule  en  ce  qui  concerne  ce  chiffre, 
et  quant  à  nous,  nous  affirmerions  volontiers  qu'il  n'est  en  aucune  façon 
question  de  M.  Oxilia  à  notre  Opéra. 

—  Les  lauréats  des  derniers  concours  du  Conservatoire.  M110  Moreno, 
1er  prix  de  comédie  et  de  tragédie,  débutera  au  Théâtre-Français,  le 
samedi  20  septembre  prochain,  dans  la  reine  de  Ruy  Blas.  M.  Dehelly, 
1er  prix  de  comédie,  débutera  au  Théâtre-Français,  le  7  octobre,  dans  le 
Chandelier.  Ml,c  Syma,2cprix  de  comédie,  débutera  à  l'Odéon,  le  dimanche  21, 
en  matinée,  dans  Psyché,  et  le  lundi  29,  dans  le  Philosophe  sans  le  savoir. 

—  L'infortuné  Duc  d'Albe  (pas  celui  de  Donizetti,  celui  de  M.  Ventéjoul) 
ne  verra  décidément  pas  la  lumière  de  la  rampe,  au  moins  pour  l'heure 
présente.  Le  non  moins  infortuné  Théâtre-Lyrique  du  Chàteau-d'Eau  a 
terminé,  en  effet,  ses  représentations  sans  pouvoir  parvenir  à  offrir  au 
public  l'opéra  nouveau  tant  et  si  longtemps  annoncé  par  lui. 

—  La  réouverture  des  concerts  Lamoureux,  au  Cirque  des  Champs- 
Elysées,  n'aura  lieu,  cette  année,  que  le  dimanche  9  novembre,  à  deux 
heures  et  demie,  M.  Charles  Lamoureux  et  son  orchestre  s'étant,  comme 
nous  l'avons  dit,  engagés  à  donner,  du  13  au  31  octobre,  une  série  de 
concerts   en  Belgique  et  en  Hollande. 

—  Notre  ami  et  collaborateur  Albert  Soubies  vient  de  faire  paraître  le 
seizième  volume  de  son  si  intéressant  et  si  curieux  Almanach  des  spectacles, 
qui  forme  déjà  une  collection  si  fertile  et  si  précieuse  en  renseignements 
de  toutes  sortes.  Nous  lui  emprunterons  quelques  détails  d'un  intérêt  par- 
ticulier. D'abord,  le  nombre  des  représentations  données  à  l'Opéra-Comi- 
ques,  en  l'année  1889,  de  certains  ouvrages  du  répertoire  :  le  Roi  d'Ys,  64  ; 
Mignon,  30  ;  Carmen,  47  ;  les  Noces  de  Jeannette,  31  ;  les  Rendez-vous  bourgeois, 
26  ;  le  Pré  aux  Clercs,  23  ;  le  Barbier  de  Séville,  22  ;  la  Dame  blanche,  21  ;  les 
Dragons  de  Villars,  21.  Ensuite,  le  nombre  total  de  représentations  obte- 
nues, depuis  leur  apparition  première,  par  certains  ouvrages  du  répertoire 
de  l'Opéra  :  les  Huguenots,  861  ;  Guillaume  Tell,  767  ;  Robert  le  Diable,  763  ;  la 
Favorite,  609  ;  Faust,  539;  la  Juive,  323;  le  Prophète,  464;  l'Africaine,  436; 
Hamlet,  230;  Aida,  132.  Sans  oublier  l'adorable  ballet  de  Coppelia,  qui  a 
atteint  le  chiffre  rare  de  125  représentations.  Ajoutons  que  les  recettes  de 
nos  grands  théâtres  en  l'année  d'exposition  1889  ont  été  :  pour  l'Opéra, 
3,999,221  fr.  75  c.  (autant  dire  4  millions)  ;  pour  la  Comédie-Française, 
2,396,417  fr.  20  c;  pour  l'Opéra-Comique,  1,954,986  fr.  70  c;  enfin,  pour 
l'Odéon,  825,039  fr.  12  c;  soit,  pour  nos  quatre  grandes  scènes  nationales, 
un  total  de  9  millions  175,664  fr.  77  c.  ! 

—  M.  Silver,  second  prix  de  Rome,  achève  la  musique  d'un  acte  en 
vers  à  deux  personnages,  qui  va  être  joué  cet  hiver,  et  dont  le  livret  est 
de  M.  Ed.  Guinand. 

—  Nous  lisons  dans  Nantes-Lyrique  :  «  M.  Morvand  est  arrivé  à  Nantes 
cette  semaine.  Nous  nous  sommes  entretenus  avec  lui  de  la  question  de 
Lohengrin.  Notre  nouveau  directeur  est  irrévocablement  décidé  à  monter 
l'opéra  de  Richard  Wagner.  Il  a  signé  le  traité  avec  les  éditeurs,  et  dans 
ce  moment,  il  est  en  pourparlers  avec  M.  Lamoureux  pour  que  celui-ci 
lui  cède  les  superbes  décors  qui  n'ont  pu  servir  malheureusement  qu'une 
fois  à  l'Éden-Théàtre,  mais  qu'on  a  revus  cette  année  à  Genève,  où 
Lohengrin  a  remporté  un  véritable  triomphe.  » 

—  Au  Casino  de  Cabourg,  joli  succès  pour  une  petite  pièce  d'orchestre, 
L'enfant  dort,  de  M.  Thurner.  Il  a  fallu  la  bisser. 

Couns  et  leçons.  —  M.  et  M""  Léon  Delafosse  reprendront  leurs  cours  et  leçons 
de  piano  à  partir  du  1"  octobre,  chez  eux,  62,  rue  de  Provence.  —  M"'  Elie  de 
Lavallée  reprendra  ses  cours  et  leçons  particulières,  51,  rue  de  Maubeuge,  à  partir 
du  22  septembre  courant. 

Henri  Heugel,  directeur-géiant. 


Paris,  AU  MÉNESTREL, 


rue  Vivienne,  HENRI    HEUGEL,   Éditeur-propriétaire. 


L-A.  B0URGAULT-DUC0UDRAY 


RAPSODIE  CAMBODGIENNE 

Exécutée    aux    CONCERTS    LAMOUREUX 


Grande  partition  d'orchestre,  prix  net:  25  fr.  —  Parties  séparées  d'orchestre,  prix  net:  50  fr. 
CHAQUE    PARTIE    SUPPLÉMENTAIRE,    PRIX    NET:    2    FR.    50    C. 


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En    vente    chez   BEL1N   Frères,    52,    rue    de    Vaugirard.  —    Dépôt    exclusif. 
(Édition    du    MÉNESTREL) 


CHANSONS  IDE    L'ÉCOLE 

ET    DE    LA    FAMILLE 
Sur    des    airs  populaires    des  prorinces   tle    France 

PAR 

FRÉDÉRIC    BATAILLE 

Ancien   instituteur,    officier    d'académie,    chargé    de    la    classe    primaire    au   lycée    Michelet 
avec  une  lettre  de  M.   MICHEL  BRÉAL 

Prix  net  —  Prix  net 

95CENTIMES  ARRANGEMENTS    A    UNE,    DEUX    ET    TROIS    VOIX  «s  centimes 

PAUL    KOTTŒLNTOlSr 

Professeur    au.    Conservatoire    national    cle    musique    cLe    Paris 
En  vente   AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne,  HENRI    HETJGEL,   éditeur  -  propriétaire  pour  tous  pays. 

PETITE  MÉTHODE  ÉLÉMENTAIRE 

PIANO 

Cemposéc  pour  les  petites  mains  et  suivie  d'un  recueil  d'exercices,  d'études  et  de  petites  fantaisies  très  faciles  sur  des  mélodies  d'auteurs  célèbres 

PAR 

EMILE    DECOMBES 

Professeur  au  Conservatoire  de  Musique 

TABLE    DES    PETITES    FANTAISIES 

Contenues  dans  cette  Méthode 
(Accentuées,  soigneusement  doigtées  et  classées  par  ordre  de  difficulté  progressive) 


N°»  1.  —  Andante. 

2.  —  Air  suisse. 

3.  —  Musette. 

4.  —  Triste  raison. 

5.  —  Air  du  ballet  de  Psyché  (A.  Thomas). 

6.  —  Dernière  rose  d'été. 

7.  —  Petite  valse. 


Nos    8.  —  Petite  marche. 

9.  —  Valse  des  adieux  (G.  Nadaud). 

10.  —  Mélodie  (Schumann). 

11.  —  Obéron,  barcarolle  (Weeer). 

12.  —  Chanson  de  Fortunio  (Offenbach). 

13.  —  Fleur  des  Alpes  (Wekerlin). 

14.  —  La  Flûte  enchantée  (Mozart). 

N°  22.  —  Mignon,  entr'aetc-gavotte  (A.  Thomas). 


Nos  15.  —  Romance  de  Joseph  (Méhul). 

16.  —  Romance  (Martini). 

17.  —  Le  Roi  s'amuse,  passepied  (Léo  Dembes). 

18.  —  Mignon,  «  Connais-tu  le  pays  »  (A.  Thomas). 

19.  —  Les  Noces  de  Figaro  (Mozart). 

20.  —  Mignon,  «  Elle  ne  croyait  pas  »  (A.  Thomas). 

21.  —  Le  Roi  l'a  dit,  sérénade  (Léo  Délires). 


MORCEAUX    D'ENSEMBLE 

1  23.  —  Adieu,  à  trois  mains  (Schubert).  N°s  25.  —  L'Éloge  des  larmes,  à  4  mains  (Schubert). 

24.  —  Sérénade,  à  trois  mains  (Schubert).  26.  —  Les  Plaintes  de  la  jeune  fille,  à  6  mains  (Schubert) 


Prix   net,    brochée  :    2   fr.    50.    —   Cartonnée  :    3    fr.    50. 

LES  PETITS  DANSEURS 


PAR 

L.    STREABBOG,    A.    TROJELLI,    RUMMEL,    FAUGIER,    H.  VALIQUET,    ETC. 


—   IMI'ItlMEUIE    ' 


3103 


56™  ANNEE  —  <\°  38. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 


Dimanche  î\  Septembre  1890. 


(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 

,      MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

lin  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste:  Eugène  Gautier  (19°  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Semaine 
théâtrale  :  Du  Mage  et  de  Salammbô,  H.  Moreno  ;  reprises  du  Duc  Job,  à  la  Co- 
médie-Française, et  de  la  Belle  Hélène,  aux  Variétés,  Paul-Emile  Chevalier.  — 

III.  Un  virtuose  couronné  (1"  article),  Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Esthée.  — 

IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

LES    YEUX 

nouvelle  mélodie  de  J.  Faure,   poésie   de  Frédéric  Bataille.  —    Suivra 
immédiatement:  Mystère!  nouvelle  mélodie  des  mêmes  auteurs. 

PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano:  Roses  et  Papillons,  de  Paul  Barbot.  —  Suivra  immédiatement: 
Petit  chéri,  gavotte  de  Franz  Behr. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


EUGENE  GAUTIER 


La  Clé  d'or  fut  enfin  donnée  avec  Frédéric  Achard  etBouhy. 
Le  rôle  de  Suzanne,  après  bien  des  tergiversations,  fut  créé 
par  Mlle  Marimon,  que  Gautier  avait  finalement  acceptée  ou 
choisie  à  cause  de  ses  grandes  qualités  de  vocaliste.  Mme  Girard, 
de  l'Opéra-Gomique,  et  Mlle  Sablairolles  restèrent  chargées 
des  deux  autres  rôles  féminins,  et  les  deux  personnages 
comiques  eurent  pour  interprètes  l'excellent  Grivot  et  le  fan- 
taisiste Christian. 

Au  sujet  de  ce  dernier,  Eugène  Gautier  n'avait  pas  été 
sans  inquiétudes.  Il  se  demandait  quelle  figure  allait  faire 
ce  Jupiter  de  l'Orphée  aux  enfers  sous  les  traits  et  sous  l'habit 
d'un  gentilhomme  de    campagne,  bellâtre  et  batailleur. 

■<  J'ai  eu  peine  à  décider  Gautier,  m'avait  écrit  à  ce  propos 
Vizentini,  qui  pour  Laubriant  voulait  Soto,  une  basse,  tandis 
qu'il  faut  un  ex-beau,  homme  de  tenue,  rôle  habillé  et 
composé.  Je  voulais  Christian,  non  le  cascadeur  d'Orphée,  le 
Christian  de  l'Odéon,  un  vrai  comédien.  Gautier  a  accepté  et 
nous  voilà  très  bien  montés  ». 

Chistian  se  montra  très  digne  le  soir  de  cette  première 
représentation,  très  ému  d'ailleurs,  très  pénétré  de  son  im- 
pottance. 


Le  malheur  fut  que  chaque  fois  qu'il  ouvrait  la  bouche, 
le  public  s'attendait  à  voir,  comme  des  lèvres  de  la  prin- 
cesse du  conte  tombaient  les  diamants  et  les  perles,  s'en 
échapper  un  calembourg  ou  un  coq-à-1'âne. 

Il  avait  tellement  habitué  la  foule  à  ses  fantaisies  que, 
même  sous  le  frac,  l'air  sévère,  le  front  noyé  dans  une  per- 
ruque blonde  correctement  bouclée,  il  ne  pouvait  dépouiller 
le  vieil  homme,  et  qu'en  ses  mains  gantées  de  blanc  on 
cherchait  instinctivement  le  tonnerre  en  fer-blanc  doré  de 
papa  Piter. 


Il  y  eut  encore,  au  cours  de  ce  premier  acte,  un  de  ces 
mots  d'innocente  apparence,  dont  nul  n'aurait  pu  calculer 
d'avance  la  portée. 

Suzanne  chantait;  elle  disait  complaisamment  ses  joies  et 
ses  rêves.  —  Le  morceau  était  long;  musicalement  il  se 
délayait. . . 

Et  tout  à  coup,  selon  le  texte,  sa  confidente  lui  répondait: 

—  Aimez  votre  mari,  madame,  aimez  le  tant  que  vous  vou- 
drez, mais,  je  vous  en  prie,  ne  le  lui  dites  pas,  ne  le  lui 
dites  jamais,  surtout  comme  vous  venez  de  me  le  dire! 

Et  le  public  de  souligner  malignement  ce  qui,  naturelle- 
ment écrit,  devenait  tout  à  coup  une  cruelle  ironie  à  l'adresse 
du  compositeur  ! 


Cette  impression  ne  contribua  pas  peu  à  égayer  de  façon 
fort  regrettable  le  commencement  d'une  soirée  qui  dut  mettre 
bien  des  angoisses  dans  le  cœur  du  compositeur,  s'il  put  se 
rendre  compte  alors  du  véritable  sentiment  de  ses  juges. 

Mais  il  y  a  des  grâces  d'état  pour  de  telles  situations. 
Tandis  qu'il  me  semblait  que  cette  première  représentation 
avait  été  désespérante,  j'entendais  autour  de  moi  ces  paroles 
banalement  triomphantes  que  certaines  gens  trouvent  encore 
le  courage  de  dire. 

Je  revois,  dans  le  couloir  obscur  de  la  régie  de  la  Gaité, 
à  minuit  passé,  la  sœur,  les  amis  du  compositeur,  le  cher- 
chant, l'emmenant;  j'entends  les  mots  brefs,  entrecoupés  ; 
les  «  Vous  êtes  content!  Ça  a  bien  marché!  »  «  Vous  verrez 
la  seconde!...  »  «  En  somme,  on  est  content!  »  qui  sont  la 
menue  monnaie  dont  se  payent  l'orgueil  blessé  ou  l'illusion 
complaisante. 

Tout  cela,  à  distance,  m'apparait  profondément  triste. 


La  presse  fut  très  panachée.  Frédéric  Achard  récolta  quel- 
ques conseils  aigres-doux  pour  avoir  déserté  la  comédie  pour 
la  musique;  il  fallait  s'y  attendre;  d'autres  critiques  heureu- 


298 


LE  MENESTREL 


sèment  le  coDsolèrent  d'avoir  couru  les  risques  de  cette 
équipée  lyrique.  Au  résumé,  il  n'en  demeure  pas  moins 
un  très  remarquable  artiste ,  heureux  de  garder,  dans  une 
carrière  brillamment  poursuivie,  le  souvenir  de  ces  quelques 
représentations  durant  lesquelles  il  combattit,  pourrait-on 
dire,  en  franc-tireur. 

Je  ne  retrouve  pas  les  extraits  des  journaux  qui  eurent  à 
rendre  compte  de  l'ouvrage.  Je  me  souviens  seulement  d'y 
avoir  été  quelque  peu  malmené,  payant  ainsi  la  faute  d'une 
adaptation  qui  eût  dû  se  passer  de  musique. 

Aujourd'hui  on  reverrait  peut-être  cet  ouvrage  sans  tant  de 
sévérité.  Il  apparaîtrait  comme  un  aimable  e?sai  de  conci- 
liation entre  l'opéra-comique  ancien  et  cette  comédie-lyrique 
toute  moderne,  dont  il  n'existe  pas  encore  de  spécimen 
absolu. 


Il  me  semble  que  j'ai  perdu  Eugène  Gautier  le  jour  même 
de  cette  première.  Du  moins  ne  l'ai-je  revu  que  par  hasard. 
Le  lien  qui  nous  .avait  si  longtemps  uni  était  rompu. 

Il  a  disparu  presque  obscurément,  achevé  peut-être  par 
cet  insuccès  d'une  œuvre  si  longtemps,  si  chèrement  caressée. 
C'est  le  refrain  tristement  banal  de  bien  des  existences 
d'artiste. 

Et  souvent  je  me  suis  reproché  d'avoir  été,  au  cours  des 
représentations  de  la  Clé  d'or,  peu  iDdulgent  pour  les  fai- 
blesses et  les  illusions  du  compositeur,  d'avoir  participé  à 
des  «  blagues  »  qui  lui  devaient  être  pénibles.  Il  demeure 
dans  mon  souvenir  comme  un  artiste  délicat,  dont  le  rêve 
planait  bien  au-dessus  de  la  réalité  permise  à  ses  moyens, 
comme  un  homme  d'esprit  joyeusement  satirique,  ingénieux 
et  fin. 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


Du  Mage  et  de  Salammbô 

C'est  décidément  une  nouvelle  «  question  »  et,  puisque  les  théâtres 
ne  sont  pas  encore  fort  entrés  dans  la  vie  militante  et  qu'ils  nous 
laissent  des  loisirs,  pourquoi  ne  pas  y  insister?  Bien  qu'au  fond  il 
n'y  ait  pas  un  puissant  intérêt  à  savoir  si  le  Mage  passera  avant 
Salammbô,  ou  si.  au  contraire,  M.  Reyer  distancera  M.  Massenet,  il 
y  a  l'a  pourtant  une  petite  page  d'histoire  musicale  assez  piquante 
et  qui  peut  divertir  un  instant. 

Pour  notre  part,  nous  apporterons  aussi  un  document  à  la  cause, 
et  puisque  les  interwiews  sont  à  la  mode,  nous  aurons  le  nôtre  tout 
comme  nos  grands  confrères.  Notre  excellent  correspondant  de 
Bruxelles,  M.  Lucien  Solvey.  a  saisi  au  passage  M.  Massenet,  venu 
pour  surveiller  au  théâtre  de  la  Monnaie  les  dernières  répétitions 
d'Esclarmonde,  et  voici  le  rapport  qu'il  nous  envoie  : 

Ayant  appris,  par  les  journaux,  que  la  question  du  Mage  révolutionne 
Paris,  et  ayant  vu  les  reporters  français  aller  sonner  à  la  porte  de 
M.  Reyer,  l'interviewer  et  apprendre  de  lui  des  choses  mystérieuses,  je 
me  suis  dit  que,  M.  Massenet  échappant  aux  dits  reporters,  il  était  de 
mon  devoir,  puisque  le  maître  est  à  Bruxelles,  de  m'en  emparer,  de  mon 
côté,  et  de  faire  profiter  te  Ménestrel  de  ma  capture.  Ainsi,  espérais-je, 
cette  grave  question  du  Mage  serait  peut-être  élucidée. 

Justement,  j'ai  rencontré  M.  Massenet  au  Salon,  le  jour  de  l'ouverture. 
Je  l'ai  pris  par  le  bouton  de  l'habit,  et  voici  l'explication  qu'il  a  bien 
voulu  me  donner  aussitôt  : 

«  —  Il  se  peut,  m'a-t-il  dit,  que  mon  éditeur,  mon  librettiste  ou  moi 
ayons  dit  un  jour  à  MM.  Ritt  et  Gailhard  que,  les  interprètes  rêvés  ve- 
nant à  nous  manquer,  nous  préférions  renoncer  à  voir  monter  le  Mage 
cette  année.  Gela  est  même  certain...  On  dit  tarit  de  choses  quand  on  est 
de  mauvaise  humeur!...  Mais  ce  n'étaient  là  que  des  paroles,  et  on  ne  se 
délie  pas  d'un  traité  rien  que  par  des  paroles.  Si  MM.,  Ritt  et  Gailhard 
avaient  voulu  être  réellement  fixés  au  sujet  de  nos  intentions  définitives 
et  avant  de  préparer  d'autres  projets,  leur  premier  devoir  était  de  nous 
demander  notre  renonciation  formelle,  par  écrit,  en  échange  d'un  nouveau 
traité  les  obligeant  à  monter  le  Mage  l'année  suivante.  Renoncer  purement 
et  simplement,  et  verbalement,  eût  été,  de  ma  part,  une  duperie;  et  nous 
n'aurions  plus  eu  droit  à  rien  du  loul  l'année  suivante. 


S 


Tant  pis  pour  les  directeurs  de  l'Opéra  si,  avec  une  légèreté  incroyable, 
ils  se  sont  lancés  dans  une  autre  affaire  sans  s'être  assurés  qu'ils  le  pou- 
vaient réellement.  Je  n'y  puis  rien.  J'ai  cru  qu'il  était  de  mon  intérêt,, 
toute  réflexion  faite,  de  faire  jouer  le  Mage  cette  année  et  de  réclamer 
l'exécution  du  traité.  Je  ne  veux  pas  m'inquiéter  d'autre  chose;  toutes 
ces  discussions  de  ménage  qu'on  mêle  aux  questions  d'art  sont  malheu- 
reuses et  inutiles.  Qu'on  attende  mon  ouvrage,  et  qu'on  le  juge,  —  bon 
ou  mauvais;  voilà  tout. 

Quant  à  M.  Reyer,  on  a  annoncé,  me  dites-Tous,  dans  son  propre  jour- 
nal le  Journal  des  Débats,  qu'il  publierait  sur  cette  affaire  des  révélations- 
accablantes...  Je  me  demande  lesquelles?  Nous  sommes  liés  d'amitié. 
Voudrait-on  nous  brouiller?  Et  pourquoi  M.  Reyer  m'en  voudrait-il? 
D'avoir  changé  d'avis  et  de  désirer  que  le  Mage  soit  joué  à  l'Opéra  après- 
avoir  exprimé,  un  instant,  le  désir  contraire?  Mais  cela  n'arrive-t-il  pas 
à  d'autres  qu'à  moi,  de  changer  d'avis?  N'y  a-t-il  pas  des  compositeurs- 
qui  avaient  juré  que  jamais  ils  ne  remettraient  les  pieds  à  l'Opéra,  et 
qui  y  rentrent  aujourd'hui  avec  transport?... 

Et  M.  Massenet  d'ajouter  aussitôt,  avec  un  malin  sourire  : 

—  Notez  bien  que  je  n'ai  pas  nommé  M.   Reyer!...  » 

S'il  m'était  permis  maintenant  de  hasarder  une  humble  appréciation 
personnelle,  je  dirais  que  la  négligence  et  la  légèreté  de  MM.  Ritt  et 
Gailhard  me  semblent  tout  à  fait  extraordinaires,  —  si  extraordinaires 
qu'elles  pourraient  bien  cacher  quelque  chose.  Leur  amour  subit  pour 
Salammbô  a-t-il  été  vraiment  bien  sincère?  J'en  doute.  L'opinion  à  peu 
près  générale  ici,  sur  cette  question  du  Mage,  —  dont  on  parle  un  peu 
aussi,  —  c'est  que  ces  messieurs  savaient  parfaitement  ce  qui  allait 
arriver,  qu'ils  l'attendaient  avec  impatience  et...  qu'ils  en  sont  ravis. 

Ritt  et  Gailhard  diplomates,  voilà  une  chose  à  laquelle  on  ne  s'atten- 
dait pas! 

Lucien  Solvay 

Bien  entendu,  nous  laissons  à  notre  correspondant  son  appréciation 
personnelle  de  la  conduite  de  MM.  Ritt  et  Gailhard  en  tout  ceci. 
Supposer  qu'ils  se  soient  ainsi  amourachés  de  Salammbô,  nulle- 
ment pour  ses  beaux  yeux,  mais  seulement  pour  apaiser  les  colères- 
inquiétantes  de  M.  Reyer,  compositeur  bien  en  cour,  qui  a  son  libre 
parler  dans  les  ministères  et  chez  les  députés  influents  et  qui  de 
plus  possède  un  feuilleton  justement  redouté,  cela  est  malheureu- 
sement probable.  Mais  de  là  à  croire  qu'ils  voulaient  simplement 
berner  notre  maestro  et  lui  faire  des  promesses  fallacieuses  avec 
l'arrière-pensée  de  ne  pas  les  tenir,  cela  est  bien  noir,  même  pour 
un  Ritt  et  un  Gailhard!  Et  d'ailleurs,  M.  Reyer  est  homme  d'in- 
finiment trop  d'esprit  pour  se  laisser  tromper  ainsi. 

Lisez  son  charmant  feuilleton  du  Journal  des  Débats  (18  septem- 
bre 1890).  Il  vous  conte  tout  bonnement  comme  les  choses  se  sont 
passées.  Tout  est  droit  et  honnête  dans  la  maison  Ritt  et  Gailhard;. 
ce  n'est  pas  comme  autrefois,  quand  on  n'y  jouait  ni  Sigurd  ni 
Salammbô.  Pourquoi  ce  revirement  subit?  M.  Reyer  croit  nous  en 
devoir  donner  les  motifs.  Il  a  bien  tort;  personne  ne  les  lui 
demande.  Il  a  mille  et  mille  fois  raison  de  s'être  remis  avec  la 
direction  de  l'Opéra,  puisque  de  ce  raccommodement  dépendait  le- 
sort  de  deux  de  ses  ouvrages.  S'il  nous  l'avait  demandé,  nous  lui 
aurions  donné  le  conseil  d'agir  comme  il  a  fait;  peut-être  même  lui 
avons-nous  donné  ce  conseil  sans  qu'il  nous  l'ait  demandé,  et  c'est 
pour  cela  probablement  qu'il  l'a  suivi. 

Oh  !  ce  n'est  pas  dans  la  musique  qu'il  faut  chercher  les  grands 
caractères  et  les  abnégations.  Là,  plus  que  partout  ailleurs,  c'est  la 
lutte  pour  la  vie.  Pensez  donc  :  deux  théâtres  en  tout,  et  dirigés 
par  quels  mécréants,  pour  satisfaire  aux  besoins  de  toutes  les  ima- 
ginations musicales  qui  demandent  à  se  faire  jour  en  France  !  On 
n'a  pas  le  choix  ;  chacun  joue  des  coudes  pour  arriver  plus  vite, 
et  la  place  reste  souvent  au  plus  habile  plutôt  qu'au  véritable  com- 
positeur de  talent.  Il  faut  se  résigner  et  savoir  faire  des  risettes  à 
un  Ritt  ou  à  un  Paravey,  sous  peine  de  voir  ses  œuvres  condamnées  à 
un  éternel  oubli.  Pardonnons  donc  à  nos  compositeurs  ces  compro- 
missions si  naturelles  et,  pourvu  que  leur  œuvre  sorte  pure  et 
blanche  de  l'aventure,  ne  regardons  pas  de  trop  près  s'ils  ont  été 
éclaboussés  eux-mêmes  dans  la  mêlée. 

En  sa  qualité  de  musicien,  peut-être  eùt-on  pu  demander  à  M.  Reyer 
de  ménager  davantage  l'art  des  nuances  et  des  transitions.  Mais 
qu'importe!  puisque  le  résultat,  un  peu  plus  tôt  un  peu  plus  tard, 
devait  toujours  être  le  même. 

En  ce  qui  nous  concerne,  nous  avons  tout  fait  pour  qu'on  réserve 
aux  œuvres  de  M.  Reyer  un  meilleur  sort  à  l'Opéra  ot  pour  qu'on  y 
ramène  leur  belle  interprète,  Mmc  Caron.  Nous  ne  pouvons  donc  que 
nous  réjouir  avec  ce  compositeur  de  l'heureux  résultat  de  nos  efforts 
communs.  Mais  nous  sommes  arrivés  à  un  point  de  la  route  où 
nous  allons  forcément  bifurquer  et  tirer  chacun  de  notre  côté.  Lui, 


LE  MENESTREL 


299 


il  a  obtenu  satisfaction  et  n'a  plus  rien  à  demander  aux  directeurs 
de  l'Opéra;  toutes  ses  colères  se  sont  évanouies  et  il  tresserait 
volontiers  des  couronnes  de  roses  aux  «  deux  gentlemen  »  que  dans 
le  temps  il  eût  volontiers  voués  aux  orties.  Cela  est  bien  et  c'est 
naturel.  Pour  nous,  nous  n'avons  qu'à  continuer  dans  la  route  où 
nous  nous  sommes  engagés.  Reyer,  c'est  quelque  chose  dans  la 
musique,  mais  ce  n'est  pas  toute  la  musique,  et  nous  avons  encore  à 
obtenir  pour  d'autres  ce  que  nous  avons  obtenu  pour  lui. 

Ceci  dit,  comme  nous  avons  donné  plus  haut  les  raisons  qu'allé- 
guait M.  Massenet  pour  sa  défense,  il  est  juste  que  nous  repro- 
duisions une  partie  du  feuilleton  de  M.  Reyer',  qui  donne  aussi  les 
siennes.  Nous  passerons  rapidement  sur  la  «  première  entrevue  cor- 
diale »  que  l'auteur  de  Salammbô  eut  de  suite  avec  Gailhard,  sur  la 
loyale  poignée  de  main  de  M.  Ritt,  sur  les  agréments  de  sa  propriété 
de  Brunoy  «  où  il  se  promène  commodément  assis  dans  une  petite 
Toiture  attelée  d'un  gentil  poney  à  tous  crins  »,  sur  la  conversa- 
tion qu'eut  le  compositeur  avec  le  vénérable  directeur  «  sous  un 
immense  parasol  »,  à  côté  de  «  belles  vaches  normandes  qui  ten- 
daient vers  l'herbe  humide  leurs  grands  mufles  noirs  »,  toute  une  idylle 
charmante  enfin,  tout  un  paysage  délicieux  bien  fait  pour  encadrer 
cette  nouvelle  lune  de  miel,  qui  durera  ce  que  durent  les  lunes. 
Nous  arrivons  de  suite  au  passage  caoital  de  son  article  : 

...  Bien  avant  qu'il  fut  question  de  Salammbô,  M.  Massenet  l'avait  dé- 
claré à  qui  voulait  l'entendre  —  il  me  l'avait  dit  à  moi-même  en  des 
termes  et  dans  une  circonstance  que  je  pourrais  lui  rappeler  si  sa  mémoire 
lui  faisait  défaut  —  que,  n'ayant  pas  la  distribution  qu'il  désirait,  le  Mage 
ne  passerait  pas  cet  hiver.  Il  fit  la  même  déclaration  à  MM.  Ritt  et 
Gailhard,  en  présence  de  son  collaborateur,  M.  Richepin,  et  de  M.  Hart- 
mann, son  éditeur.  Bien  que  tous  les  trois  eussent  l'air  d'être  parfai- 
tement d'accord,  M.  Ritt  les  engagea  à  réfléchir  encore,  et  leur  promit 
même  de  ne  prendre  aucune  décision  avant  huit  jours. 

On  parla  de  Salammbô.  M.  Massenet,  en  excellent  confrère  qu'il  a  toujours 
été  pour  moi,  fit  l'éloge  de  ma  partition  ;  M.  Hartmann,  qui  ne  me  garde 
pas  rancune  d'être  retourné  chez  l'éditeur  de  mes  premiers  ouvrages, 
parla  dans  le  même  sens  que  M.  Massenet.  Si,  à  ce  moment-là,  M.  Ritt 
eût  proposé  aux  auteurs  du  Mage  de  déchirer  le  traité  existant  et  de  le 
remplacer  par  un  traité  nouveau,  stipulant  l'ajournement  de  l'opéra  de 
MM.  Richepin  et  Massenet,  il  est  à  croire  que  la  substitution  de  Salammbô 
au  Mage  se  fût  faite  sans  la  moindre  difficulté.  On  ne  peut  songer  à  tout 
ni  tout  prévoir. 

Pendant  plus  de  quinze  jours,  les  journaux  annoncèrent  que  Salammbô 
passerait  cet  hiver  et  en  donnèrent  la  distribution.  On  parla  même  des 
grands  frais  de  décors  et  de  mise  en  scène  que  projetait  de  faire  la  direc- 
tion de  l'Opéra. 

M.  Richepin,  assis  sur  un  rocher  de  la  côte  armoricaine,  était  absorbé 
dans  la  contemplation  de  cet  Océan  qu'il  a  chanté  en  vers  si  harmonieu- 
sement cadencés.  M.  Massenet,  tout  entier  à  Esclarmonde,  dans  un  coin 
retiré  du  Brabant  méridional  d'où  nulle  gazette  ne  vient,  où  nulle  gazette 
n'arrive,  ignorait  tout.  Seul,  l'éditeur  Hartmann  savait  les  nouvelles, 
laissait  dire,  laissait  faire  et  attendait  sans  doute  le  moment  propice  pour 
intervenir.  Cependant,  aucune  communication  émanant  de  la  direction  de 
l'Opéra  n'avait  encore  paru  dans  les  échos  de  théâtre,  MM.  Ritt  et 
Gailhard  attendant  toujours  l'autorisatioji  qu'ils  avaient  demandée  au 
ministre  et  sans  laquelle  ils  ne  pouvaient  prendre  aucun  engagement  for- 
mel envers  moi. 

Mais  voilà  qu'un  beau  matin  parait  dans  le  Figaro  une  note  qui  avait 
toutes  les  apparences  d'une  note  officielle  et  qui  était  rigoureusement 
exacte,  à  cela  près  que  l'autorisation  impatiemment  attendue  n'était  pas 
encore  arrivé3  à  l'Opéra.  Le  jour  même,  M.  Hartmann  montait  en  wagon 
à  la  gare  de  Lyon  et  arrivait  très  ému  chez  M.  Ritt,  auquel  il  avait  eu 
soin  d'annoncer  sa  visite  afin  d'être  bien  sûr  de  le  rencontrer.  Comme 
aucun  sténographe  n'assistait  à  l'entretien,  tout  ce  que  j'en  puis  savoir, 
c'est  que  les  arguments  de  M.  Ritt  et  le  souvenir  d'une  renonciation  for- 
melle qu'il  s'efforçait  de  rappeler,  ne  purent  faire  fléchir  la  volonté  réso- 
lument exprimée  par  M.  Hartmann  de  s'en  tenir  aux  termes  du  traité 
que  les  directeurs  de  l'Opéra  et  les  auteurs  du  Mage  avaient  signé. 

Le  lendemain,  à  peine  entré  dans  le  bureau  de  M.  Gailhard,  je  recevais 
sur  la  tète  une  douche  d'eau  glacée  dont  je  suis  encore  tout  engourdi. 

Après  la  mise  en  demeure  de  M.  Hartmann,  les  directeurs  de  l'Opéra 
écrivirent  à  M.  Massenet  pour  lui  proposer  deux  distributions:  l'une, 
dans  le  cas  où  il  consentirait  à  l'ajournement  du  Mage,  avec  Mllie  X...  et 
MUc  Z...,  à  qui  deux  des  principaux  rôles  de  l'ouvrage  étaient  primitive- 
ment destinés  et  dont  l'engagement  ne  peut  se  faire  que  dans  un  an; 
l'autre,  s'il  persistait  dans  sa  nouvelle  détermination  de  passer  cet  hiver, 
avec  des  inturpiètes  qu'il  serait  libre  de  choisir  parmi  les  artistes  qui 
font  partie  de  la  troupe  de  l'Opéra  actuellement.  M.  Massenet  n'hésita 
pas  à  répondre  que  c'est  cette  dernière  distribution  qu'il  acceptait.  Reste 
maintenant  à  la  fixer  d'une  manière  définitive  et  de  façon  à  ce  qu'il  n'y 
ait  plus  à  y  revenir. 

Pourquoi  cette  détermination  soudaine  d'accepter  sans  discussion  au- 


jourd'hui ce  dont  on  déclarait  ne  pas  vouloir  il  y  a  six  semaines?  Pourquoi 
ce  brusque  changement  de  front  ?  Je  n'en  sais  rien.  Et  même,  si  je  le 
savais,  trouverais-je  peut-être  que  ce  n'est  pas  à  moi  le  premier  qu'il 
appartiendrait  de  le  dire.  Toujours  est-il  qu'on  s'en  est  fort  étonné. 

Deux  mots  encore  et  j'ai  fini   : 

Aucun  traité  n'a  été  signé  entre  les  directeurs  de  l'Opéra  et  moi  pour 
la  représentation  de  Salammbô  pendant  l'hiver  1S91-IS92,  avec  Mnie  Caron 
comme  principale  interprète  de  l'ouvrage,  bien  entendu.  J'ai  simplement, 
et  je  m'en  contente,  la  parole  de  M.  Ritt. 

En  réponse  à  une  lettre  que  je  lui  avais  adressée  dans  le  but  de  savoir 
si  ses  intentions  étaient  bien  telles  que  son  éditeur  les  avait  fait  con- 
naître, M.  Massenet  m'a  donné,  au  sujet  de  sa  nouvelle  détermination, 
des  explications  très  nettes,  accompagnées  de  protestations  auxquelles 
j'ai  été  très  sensible  et  dont  je  me  trouve  très  honoré.  Je  n'en  attendais 
pas  moins  de  sa  franchise  et  de  son  amitié.  Que  puis-je  lui  offrir  en 
échange?  Mes  vœux  les  plus  sincères  pour  son  prochain  succès,  qui  n'est 
pour  lui  peut-être  qu'une  espérance,  qui  est  une  certitude  pour  moi.  Les 
quelques  privilégiés  qui  ont  eu  la  bonne  fortune  d'entendre  la  partition 
du  Mage  affirment  qu'elle  sera  le  digne  pendant  de  celle  du  Cid.  S'il  en 
est  ainsi,  la  partie  est  gagnée  d'avance,  et  je  serai  —  que  personne 
ne  me  fasse  l'injure  d'en  douter  —  un  des  premiers  à  m'en  réjouir. 

È  finita  la  commedia!  Ce  qu'il  y  a  de  plus  curieux  et  de  plus  in- 
quiétant là-dedans,  c'est  de  voir  MM.  Ritt  et  Gailhard  annoncer 
gravement  qu'ils  représenteront  Salammbô  dans  l'hiver  1891-1892, 
comme  s'ils  étaient  certaius  d'être  encore  à  cette  époque  directeurs 
de  l'Opéra.  Ah!  çà,  la  paix  est  donc  faite  avec  la  commission  du 
budget.  Nous  faudra-t-il  subir  encore  sept  années  la  honte  d'une 
pareille  direction?  J'en  appelle  au  ministre  des  beaux-arts.  S'il  a 
conscience  de  sa  mission  et  quelque  honnêteté  dans  l'âme,  il  com- 
prendra que  cette  petite  farce  a  assez  duré  et  qu'il  est  temps  d'y 
mettre  fin  pour  son  honneur  et  pour  celui,  de  l'art  musical,  si  impi- 
toyablement maltraité  par  MM.  Ritt  et  Gailhard. 

H.  Moreno. 

Comédie  Française.  —  Le  Duc  Job,  comédie  en  quatre  actes,  en 
prose,  de  Léon  Laya.  —  Variétés.  La  Belle  Hélène,  opéra  bouffe  en  trois 
actes,  de  MM.  Henri  Meilhac  et  Ludovic  Halévy,  musique  de  J.  Offen- 
bach. 

Oh!  ce  Due  Job,  en  avons-nous  assez  entendu  parler  par  tous  ceux 
de  nos  aînés  qu'intéressent  les  choses  du  théâtre.  Comme,  en  parlant 
de  la  belle  âme  du  sergent,  duc  de  Rieux,  on  sentait  poindre  sur  la 
paupière  battante  du  narrateur  une  larme  mal  dissimulée  !  Et  puis,  on 
se  souvenait  du  triomphe  d'une  interprétation  remarquable,  et  l'on 
était  toujours  sous  l'impression  causée  par  une  série  de  trois  cents 
représentations  presque  consécutives  !  Ils  l'ont  revu,  leur  Duc  Job;  mais 
nous  l'avons  revu  avec  eux!  Ils  n'ont  pu  retenir,  cette  fois  encore,  de 
furtives  larmes,  nées  beaucoup  peut-être  du  souvenir  de  celles  versées 
il  y  a  une  trentaine  d'années,  et  s'ils  se  sont  doucement  gendarmés 
devant  l'accueil  plutôt  sceptique  que  la  génération  nouvelle  a  fait  aux 
amours  assez  banales  de  Jean  et  de  sa  cousine  Emma,  ils  ont  bien 
voulu  reconnaître  que,  dans  l'ensemble,  la  comédie  avait  légèrement 
vieilli  et  qu'elle  se  réclamait  par  trop  de  ce  genre  ohnète  dont  on  nous  a, 
depuis,  si  complètement  dégoûtés.  Nous  aurions,  du  reste,  très  mau- 
vaise grâce,  et  l'on  pourrait  justement  nous  accuser  de  parti  pris,  si 
nous  ne  reconnaissions  que  ces  quatre  actes  ne  sont  pas  sans  certaines 
qualités  et  que,  principalement,  la  fin  du  second  contient  une  fort  jolie 
situation,  très  bien  venue  et  simplement  présentée,  qui  n'est  point  sans 
amener  après  elle  sa  petite  dose  d'émotion  réelle.  J'avoue  que  je  fais 
assez  bon  marché  de  la  plupart  des  autres  scènes  touchantes  que  con- 
tient la  pièce,  et,  si  je  ne  puis  guère  me  laisser  prendre  à  ces  artifices 
lacrymatoires,  c'est  surtout  parce  que  le  caractère  du  héros  m'appa- 
raît,  en  cette  fin  de  siècle,  d'une  indigence,  d'une  naïveté,  d'une  indo- 
lence désespérantes.  Ce  soldat,  retour  des  campagnes  d'Afrique  où 
il  -vient  de  gagner  valeureusement  son  galon  de  sergent,  passe  son 
temps  de  congé  à  pleurnicher  comme  une  petite  fille,  et,  s'il  se 
révolte  par  hasard  et  montre  une  âme  mâle,  ce  n'est  point  dans 
l'intérêt  de  son  amour  contrarié,  mais  bien  pour  stigmatiser  de 
pauvre  petits  boursiers  de  quatre  sous  qui  n'en  peuvent  mais.  Il 
pleure  trop,  ce  bon  duc  Job,  pour  que  nous  puissions  pleurer  tout  le 
temps  avec  lui,  et  dame!  dès  l'instant  où  il  ne  nous  attendrit  plus, 
nous  sommes  très  enclins  à  le  trouver  presque  ridicule. 

Je  ne  sais  quel  accueil  le  public  fera  à  cette  reprise.  Peut-être 
y  prendra-t-il  goût;  mais  dans  ce  cas.  il  faudrait  en  rendre  respon- 
sable, pour  une  très  large  part,  une  distribution  qui  compte  trois 
interprètes  d'une  valeur  incontestable.  M.  Got,  d'abord,  qui  jouait 
naguère  le  duc  Jean  lui-même,  que  l'âge  a  fait  monter  au  grade 
d'oncle  et  qui  reste  un  artiste  merveilleux.  M1,e  Reichenberg,  encore, 
qui  est  bien  la  plus  délicieuse   et   la   plus  jeune   Emma    que   l'on 


300 


LE  MENESTREL 


puisse  rêver.  Enfin  M.  de  Féraudy,  qui  jouait  pour  la  première  fois 
Jean  de  Rieux,  et  qui  a  été  digne  de  ses  deux  grands  partenaires.  Si 
j'avais  un  reproche  à  lui  faire,  ce  serait  celui  d'accuser  trop,  par 
une  tenue  penchée  et  une  allure  nonchalante,  le  caractère  mou  et 
indécis  du  personnage,  mais  il  a  fait  preuve  de  tant  de  saines  et 
solides  qualités  que  je  m'en  voudrais  de  gâter  le  succès  qu'on  lui  a 
fait  par  de  minimes  critiques.  Mmo  Montaland,  MM.  Boucher,  Gar- 
raud,  Samary,  Joliet  et  Clehr  complètent  l'interprétation  sans  bien 
grand  éclat. 

Et  maintenant  tout  à  la  joie,  car  voici  reparaître  la  Belle  Hélène. 
toujours  plus  jeune  et  encore  plus  belle  qu'à  son  ordinaire.  C'est 
Jeanne  Granier  qui,  après  avoir  fait  siens  le  rôle  de  Boulotte  de 
Barbe-Bleue  et  celui  de  la  grande-duchesse  de  Gérolstein,  vient  encore 
de  s'approprier  celui  de  la  reine  de  Sparte  et  d'y  remporter  un  succès 
complet.  Elle  a  dit  l'invocation  à  Vénus  et  le  duo  du  Rêve  avec  un 
brio  et  un  sentiment  tels  que  la  salle  entière  trépignait  d'aise  et 
qu'on  l'aurait  fait  recommencer  indéfiniment.  Paris,  c'est  toujours  le 
beau  Dupuis,  qui  remplace  le  chant  par  une  espèce  de  roulement  de 
la  langue  et  de  la  glotte  du  plus  réjouissant  eiièt  et  demeure  comé- 
dien impeccable.  Baron  est  un  étourdissant  Galchas,  et  Lassouche  a 
très  curieusement  composé  le  personnage  de  Ménélas.  MUe  Crouzet 
est  un  adorable  petit  Oreste  d'étagère,  et  MM.  Chalmin,  Raiter,  ûu- 
play,  Prika,  M"cs  Delys,  Derval  et  Rhène  jouent  leurs  rôles  respectifs 
avec  entrain  et  grâce.  Compliments  aux  chœurs  aussi,  qui  ont  donné 
avec  ensemble  et  justesse,  innovation  due,  sans  doute,  à  l'initiative 
de  M.  Albert  Vizentini. 

Paul-Émile  Chevalier. 


UN   VIRTUOSE   COURONNÉ 


i 

Le  violoniste  Salomon,  qui  donnait  des  leçons  au  roi  d'Angleterre 
George  III,  disait  un  jour  à  son  auguste  écolier  : 

—  Les  joueurs  de  violon  peuvent  se  diviser  en  trois  classes  :  à  la 
première  appartiennent  ceux  qui  ne  savent  pas  jouer  du  tout,  à  la 
seconde  ceux  qui  jouent  mal,  et  à  la  troisième  ceux  qui  jouent  bien  ; 
Votre  Majesté  s'est  déjà  élevée  jusqu'à  la  seconde  classe. 

Ce  n'est  pas  au  Grand  Frédéric  que  ce  mauvais  compliment  aurait 
pu  s'adresser.  Un  artiste  de  l'Opéra  de  Berlin  ayant  eu  l'imprudence 
de  dire  que  le  roi  s'entendait  nrieux  à  la  guerre  qu'à  la  musique,  Sa 
Majesté  l'envoya  au  corps  de  garde  à  la  discrétion  des  soldats.  Ceux- 
ci  mirent  à  l'infortuné  chanteur  un  uniforme  et  des  moustaches  et 
lui  firent  faire  l'exercice  à  coups  de  canne  pendant  deux  heures.  Après 
quoi,  ils  le  firent  chanter  et  danser  pendant  deux  heures  encore  et 
finirent  par  lui  faire  tirer  une  quantité  considérable  de  sang  par  le 
chirurgien.  Puis  ils  le  renvoyèrent-chez  lui. 

C'est  que  Frédéric  II,  notre  «  virtuose  couronné  »,  n'entendait  pas 
raillerie  en  matière  d'art.  Il  se  croyait  un  grand  musicien  et  surtout 
un  inimitable  virtuose.  Voltaire  a  d'ailleurs  déclaré  «  qu'il  jouait  de 
la  flûte  aussi  bien  que  le  meilleur  artiste  ».  Et  comme  ces  mots  se 
trouvent  dans  un  pamphlet  dirigé  contre  le  conquérant  de  la  Silésie 
par  l'auteur  de  la  Henriacle,  on  peut  croire  qu'ils  sont  vrais. 

Mais  tout  le  monde  ne  pensait  pas  de  même,  si  l'on  en  ju<*e  par 
l'aventure  dont  le  futur  roi-mélomane  fut  le  héros  malheureux.  Il 
était  alors  prince  royal  et  voyageait  incognito  en  Hollande.  Un  jour, 
il  lui  vint  à  l'idée  d'éprouver  sur  la  foule  son  talent  de  virtuose. 
S'étant  arrêté  dans  une  petite  ville,  il  s'inscrivit  à  l'auberge  sous  le 
nom  de  Muller,  «  attaché  à  l'orchestre  de  l'Opéra  de  Berlin  »,  et  fit 
annoncer  à  son  de  trompe  un  concert  donné  par  un  pauvre  musicien 
allemand. 

L'Allemagne  était  alors,  comme  maintenant,  remplie  de  musiciens 
vagabonds,  et  pas  plus  qu'à  présent  ils  n'inspiraient  confiance  aux 
aubergistes.  Celui  de  la  petite  ville  honorée  de  la  présence  de  l'auguste 
visiteur  n'échappait  pas  à  la  règle.  Assez  mal  prévenu  par  la  figure 
souffreteuse  et  la  mise  râpée  du  prince,  il  ne  dissimulait  pas  ses 
appréhensions.  Cependant  il  lui  en  coûtait  de  refuser,  déprime  abord, 
ses  services  à  un  garçon  qui,  après  tout,  pouvait  avoir  du  talent.  Il 
monta  donc  à  sa  chambre  et  lui  tint  ce  langage  : 

—  Mon  bon  ami,  vous  ne  payez  guère  de  mine,  et  sans  doute 
encore  moins  de  monnaie.  Qui  dit  musicien  dit  sans  le  sou,  chacun 
sait  ça.  "Vous  allez  donner  un  concert,  c'est  fort  bien  ;  mais  rien  ne 
prouve  que  vous  fassiez  recelte.  Vous  ne  connaissez  peut-être  pas 
les  habitudes  d'ici  :  le  public  ne  paye  qu'en  sortant,  s'il  est  content. 


Je  ne  doute  pas  de  votre  talent:  encore  voudrais-je  savoir  à  quoi 
m'en  tenir.  Donc,  avant  tout,  jouez-moi  un  morceau.  Nous  verrons 
ensuite  si  je  puis  faire  quelque  chose  pour  vous. 

Le  prince  trouva  la  proposition  fort  naturelle,  et  comme  il  était 
flatté  de  se  produire,  même  devant  un  auditeur  unique,  il  tira  son 
instrument  de  son  étui  et  commença  les  premières  mesures  d'une 
sonate  de  son  maître,  le  flûtiste  Quanlz.  Mais  au  bout  d'un  instant 
l'aubergiste  l'interrompit  : 

—  Mon  garçon,  dit-il,  je  ne  veux  pas  vous  décourager;  mais  je 
suis  sûr  que  vous  ne  feriez  pas  vos  frais  chez  nous.  Si  j'ai  un  bon 
conseil  à  vous  donner,  c'est  de  prendre  un  autre  métier.  Mais  comme 
après  tout,  je  puis  me  tromper,  faites  un  essai  dans  une  ville  où 
l'on  soit  moins  difficile  qu'ici.  La  diligence  va  passer  dans  une 
heure.   Vous  ferez  bien  de  retenir  votre  place  d'avance. 

Frédéric  fut  assez  mortifié  de  ce  résultat.  Il  n'avait  à  sa  disposi- 
tion ni  corps  de  garde,  ni  chirurgien,  et  dut  prendre  galamment 
son  parti  de  sa  mésaventure,  tout  en  faisant  ses  réserves  sur  les 
bravos  habituels  de  ses  courtisans.  A  son  retour  à  Berlin,  il  reprit 
ses  études  musicales  et  les  poursuivit  avec  ténacité,  malgré  l'oppo- 
sition tyrannique.  et  les  brutalités  cuisantes  de  son  père,  Frédéric- 
Guillaume  Ier. 

L'histoire  a  conservé  le  souvenir  de  ce  desposte.  Il  passait  ses 
journées  à  exercer  ses  soldats,  et  ses  soirées  à  boire  en  compagnie 
de  ses  généraux  et  de  ses  ministres.  On  voit  à  Berlin,  dans  un  mu- 
sée consacré  spécialement  à  la  famille  régnante,  la  table  et  les 
chaises  de  jardin,  à  hauts  dossiers  à  jour,  où  prenaient  place  ce 
roi-soudard  et  ses  intimes.  Cette  réunion  s'appelait  le  Collège  de 
Tabac  et  se  tenait  tantôt  à  Polsdam,  tantôt  dans  une  île  de  la  rivière 
d'Havel.  On  s'y  grisait  d'importance,  et  le  roi  ne  se  privait  pas  d'y 
laisser  paraître  le  fond  de  sa  nature  brutale.  Un  jour,  comme  l'am- 
bassadeur de  l'empereur  Charles  VI,  placé  entre  le  souverain  et  son 
premier  ministre,  soutenait  une  opinion  qui  ne  plaisait  pas  à  Fré- 
déric-Gui.laume,  celui-ci  lui  appliqua  un  vigoureux  soufflet  sur  la 
joue. 

L'assemblée  fut  stupéfaite.  Seul,  le  diplomate  impérial  ne  laissa 
rien  paraître  :  sans  interrompre  son  discours,  il  abattit  le  revers  de 
sa  main  sur  la  joue  du  premier  ministre,  avec  ces  deux  mots  : 

—  Faites  passer! 

Lorsqu'il  sortait  de  cette  tabagie,  le  roi  était  ivre,  et  alors  mal- 
heur à  qui  tombait  sous  sa  main.  Dans  la  rue,  tout  le  monde  s'en- 
fuyait à  son  approche.  S'il  rencontrait  une  femme,  il  l'apostrophait 
en  ces  termes  :  —  Va-t'en  chez  toi,  gueuse;  une  honnête  femme  doit  être 
dans  son  ménage...,  et  il  accompagnait  cette  remontrance  d'un  soufflet, 
ou  d'un  coup  de  pied  dans  le  ventre,  ou  de  quelques  coups  de  sa 
canne  de  sergent,  dont  il  ne  se  séparait  jamais. 

Au  château,  c'était  une  véritable  terreur.  Quand  on  entendait  de 
loin  ses  lourdes  bottes  résonner  sur  le  parquet,  tout  le  monde  se 
cachait  dans  les  armoires  ou  sous  les  lits.  Un  jour,  sa  fille,  qui  - 
devint  la  margrave  de  Bayreuth,  tomba  évanouie  sous  les  coups  de 
bâton  :  on  dut  la  retirer  de  ses  mains;  sans  cela  il  l'eût  assommée. 
Une  autre  fois,  il  faillit  étrangler  le  prince  royal  avec  un  cordon  de 
rideau  :  on  arriva  juste  à  temps  pour  sauver  le  jeune  prince,  qui 
avait  perdu  connaissance;  il  en  fut  quitte  pour  quelques  jours  de 
cabinet  noir,  avec  une  correction  à  la  sortie. 

C'est  que  ce  Vandale  était  irrité  d'avoir  un  fils  plein  d'esprit,  qui 
cherchait  à  s'instruire,  et  qui  faisait  des  vers  et  de  la  musique. 
Voyait-il  un  livre  dans  les  mains  du  prince  héréditaire,  il  le  jetait 
au  feu;  le  prince  jouait-il  de  la  flûte,  le  père  cassait  la  flûte. 

Un  jour,  les  choses  allèrent  plus  loin,  et  l'instrument  favori  d'Ap- 
pollon  fut  cause  d'un  drame  tel  que  l'histoire  des  cours  n'en  offre 
pas  de  pareil. 

Lorsque  le  prince  royal  se  promenait  dans  les  rues  de  Potsdam, 
il  eotrait  volontiers  chez  un  apothicaire,  dont  la  fille  jouait  pas- 
sablement du  clavecin.  Frédéric  l'accompagnait  de  sa  flûte  :  c'étaient 
do  véritables  petits  concerts  qui  se  prolongeaient  le  plus  souvent 
jusqu'assez  loin  dans  l'après-dîner. 

Cette  innocente  distraction  ne  pouvait  demeurer  longtemps  ignorée 
du  roi.  Lorqu'il  en  eut  connaissance,  il  fut  pris  d'uu  violent  accès 
de  colère  :  il  fit  arrêter  la  fille  de  l'apothicaire  et  lui  fit  faire  le 
tour  de  la  place  de  Potsdam,  conduite  par  le  bourreau  qui  la  fus- 
tigea sous  les  yeux  de  son  fils. 

Ce  spectacle  révolta  le  prince,  qui  prit  la  résolution  de  s'enfuir 
pour  échapper  aux  mauvais  traitements  et  aux  persécutions  dont  il 
était  l'objet.  Il  s'en  ouvrit  à  un  de  ses  amis,  le  lieutenant  Katt,  qui 
lui  promit  do  l'assister.  Le  jour  et  l'heure  étaient  déterminés;  mais 
l'entreprise  ne  pouvait  rester  cachée  à  Frédéric- Guillaume.  Informé, 


LE  MENESTREL 


201 


jusque  dans  ses  moindres  détails,  du  plan  d'évasion  de  son  fils,  il 
fit   arrêter  en  même  temps  le  prince  et  son  compagnon  de  voyage. 

Le  roi  crut  d'abord  que  sa  fille  était  du  complot,  et  comme  il 
était  expéditif  en  fait  de  justice,  il  la  jeta  à  coups  de  pieds  par  une 
fenêtre  qui  s'ouvrait  jusqu'au  plancher.  La  reiue  arriva  juste  à 
temps  pour  l'empêcher  défaire  le  saul,  en  la  retenant  par  sa  jupe. 
Pour  le  prince,  son  père,  après  l'avoir  assommé  de  coups,  le  fit 
transférer  à  la  citadelle  de  Custrin,  située  au  milieu  d'un  marais, 
et  où  il  fut  enfermé,  sans  domestiques,  dans  une  espèce  de  cachot. 

Frédéric  était  depuis  quelques  semaines  dans  ce  réduit,  où  per- 
sonne n'était  admis  à  le  voir,  lorsqu'un  jour  un  vieil  officier,  suivi 
de  quatre  grenadiers,  entra  dans  sa  chambre,  fondant  en  larmes.  Le 
prisonnier  ne  douta  pas  que  sa  dernière  heure  était  venue;  mais 
l'officier,  toujours  pleurant,  le  tit  prendre  par  ses  hommes,  qui  le 
placèrent  à  la  fenêtre,  et  qui  lui  tinrent  la  tête,  tandis  qu'on  coupait 
celle  de  son  ami  Katt  sur  un  échafaud  dressé  immédiatement  devant  lui. 

Le  prince  s'évanouit.  Quand  il  revint  à  lui,  l'horrible  vision  subsis- 
tait. Tout  le  jour  le  corps  de  Katt  demeura  sur  l'échafaud  devaut  la 
fenêtre  qui  avait  été  élargie  pour  que  l'infortuné  ne  perdit  aucun 
détail  du  terrifiant  spectacle  qu'il  avait  sous  les  yeux. 

Avec  cette  scène,  tout  n'était  point  encore  fini.  Le  roi  n'en  voulait 
pas  demeurer  là:  son  dessein  était  de  faire  couper  la  tête  à  son  fils, 
comme  il  l'avait  fait  pour  le  lieutenant  Katt;  il  considérait  qu'il 
avait  trois  autres  garçons,  et  que  c'était  assez  pour  la  grandeur  de 
la  Prusse.  Les  mesures  étaient  même  déjà  prises  pour  l'exécution, 
lorsque  les  cours  étrangères  intervinrent;  une  lettre  de  l'empereur 
décida  du  salut  de  Frédéric. 

Il  lui  fut  donc  fait  grâce,  et  même  il  fut  mis  en  liberté,  mais  à 
la  condition  qu'il  vivrait  à  Custrin  en  petit  bourgeois  et  s'applique- 
rait à  connaître  l'administration  des  domaines,  en  assistant  journel- 
lement aux  séances  de  la  chambre  chargée  de  cotte  partie,  et  en 
prenant  place  auprès  du  plus  jeune  conseiller. 

Le  prince  n'eut  pas  la  permission  de  reprendre  l'uniforme  :  il  lui 
fut  prescrit  de  ne  s'occuper  que  des  affaires  d'administration,  et  il 
reçut  l'ordre  spécial  de  ne  point  parler  français,  ce  qui  était  une 
grande  privation  pour  lui,  car  il  professait  le  plus  profond  mépris 
pour  la  langue  allemande. 

Cette  répulsion  instinctive  s'accrut  de  cette  défense.  Frédéric  se 
plongea  dans  la  lecture  des  poètes  et  des  philosophes  français,  apprit 
à  les  connaître,  et  se  prépara,  par  cet  apprentissage,  au  rôle  prépondé- 
rant qu'il  devait  remplir  dans  le  mouvement  littéraire  du  siècle  dernier. 

Lorsqu'il  eut  quitté  Custrin,  sur  une  lubie  bienveillante  de  son 
père,  il  se  cloitra  dans  le  château  de  Eheinsberg,  où  il  se  livra  à 
son  goût  pour  les  lettres,  au  point  qu'on  appela  cet  endroit  le 
Séjour  des  Muses.  C'était  un  acheminement  vers  Sans-Souci ,  qui  fut 
la  mosquée  sainte  de  l'esprit  de  Vollaire.  A  Rheinsberg,  dédaignant 
le  métier  des  armes,  bien  que  son  père,  par  un  revirement  d'opi- 
nion, lui  eût  donné  un  régiment,  le  prince  eDgagea  une  correspon- 
dance suivie  avec  Maupertuis,  Algarotti  et  surtout  Voltaire. 

«  Le  principal  fardeau  tomba  sur  moi,  dit  ce  dernier.  C'était 
des  lettres  en  vers,  c'était  des  traités  de  métaphysique,  d'histoire, 
de  politique;  il  me  traitait  d'homme  divin,  je  le  traitais  de  Salomon; 
les  épilhètes  ne  nous  coûtaient  rien.   » 

Mais  les  prédilections  de  Frédéric  demeurèrent  pour  sa  flûte. 
Pendant  les  premiers  mois  de  son  séjour  à  Custrin,  il  avait  obtenu 
de  s'adjoindre  un  valet  de  chambre,  et  il  s'était  empressé  d'engager 
en  cette  qualité  le  flûtist-J  Fredersdorf. 

Naturellement,  on  ne  faisait  pas  de  musique  en  ville.  Mais  on  allait 
au  loin,  sous  prétexte  de  la  chasse,  chercher  les  endroits  les  plus 
écartés,  dans  l'épaisseur  des  bois,  pour  y  jouer   des   duos  de  flûte. 

Sans  doute,  le  roi  fut  mis  au  courant  de  ces  bucoliques  ;  mais  sa 
fureur,  désormais  calmée,  fit  place  à  une  immense  pitié,  qu'il  tra- 
duisait en  ces  termes  résignés  : 

—  Mon  fils  n'est  qu'un  petit  maître  et  un  bel  esprit  français,  qui 
gâtera   toute  ma    besogne. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Esïrée. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

De  nuire  correspondant  de  Belgique  (18  septembre). 

—  Avant,  de  vous  parler  de  la.  réouverture  de  la  Monnaie,  j'ai  préféré 
attendre,  pour  formuler  une  appréciation  exacte  sur  la  nouvelle  troupe, 
que  cette  troupe  eût  défilé  à  peu  près  tout  entière  devant  le  public  ou 
BU6,  tout  au  moins,  les  débuts  fussent  assez  avancés  pour  être  intéressants. 


Ce  qui  s'est  passé,  du  reste,  jusqu'à  présent,  n'a  pas  été  bien  considérable! 
Nous  avons  eu  Esclarmonde,  Faust  et  les  Huguenots,  pour  tout  potage.  Ce 
potage,  il  est  vrai,  n'a  pas  été  .mauvais,  et  il  nous  permet  même  d'espérer 
que  le  dîner  tout  entier,  cet  hiver,  sera  bon.  La  débutante  la  plus 
curieusement  attendue,  c'était  M"0  Sibyl  Kanderson,  et  je  vous  laisse  à, 
penser  si  la  reprise  d' Esclarmonde,  avec  elle  sur  la  scène  et  M.  Massenet 
dans  la  coulisse,  a  été  animée.  M"0  Sanderscn  avait  une  peur  bleue;  elle 
qui  avait  eu,  à  la  «  première  »,  à  Paris,  tant  d'aplomb,  était  ici  plus 
morte  que  vive,  et  ce  n'est  guère  que  dans  le  fameux  duo  des  roses 
qu'elle  s'est  remise  un  peu.  Heureusement,  le  public,  le  terrible  public 
bruxellois,  a  été  charmant;  il  a  tenu  compte  de  toutes  ces  émotions  et  fait 
à  la  jolie  Américaine  un  succès  tout  à  fait  encourageant.  M'10  Sanderson 
m'a  paru  avoir  fait,  depuis  sa  saison  à  Paris,  de  réels  progrès;  le  médium 
de  sa  voix  s'est  affermi  et  développé,  et  elle  chante  avec  plus  de  grâce 
que  jamais.  Pour  ce  qui  est  du  contre-soi  et  du  centre-/»,  elle  a  brave- 
ment renoncé  à  l'un  et,  dès  le  second  soir,  a  remisé  l'autre,  qui  lui  avait 
joué  un  mauvais  tour  le  soir  de  ses  débuts,  le  soir  de  la  grande  peur. 
Le  contre-ré  et  le  contre-mi  nous  restent.  Nous  nous  en  contentons,  — 
et  nous  souhaitons  même  que,  définitivement,  la  cantatrice-phénomène 
que  l'on  connaissait  fasse  bientôt  place  tout  à  fait  à  la  cantatrice-artiste 
tout  court  que  Roméo  et  Juliette,  lundi  prochain,  vont  nous  faire  connaître, 
espérons-le 

A  côté  de  la  nouvelle  Esclarmonde,  nous  avons  eu  un  nouveau  Roland, 
M.  Dupeyron  :  voix  superbe  et  généreuse,  et  qui  a  tout  de  suite  «  em- 
ballé »  le  public.  Et  nous  avons  eu  aussi  un  nouveau  Pborcas,  M.  Vallier, 
qui  remplacera  dans  certains  rôles  M.  Renaud  et  qui  a  réussi  ce  soir-lâ 
à  peu  près  par  un  ensemble  de  mêmes  qualités  naturelles.  M.  Massenet 
avait  soigné,  surveillé,  dorloté,  pendant  tout  le  cours  des  répétitions,  cette 
reprise  d' Esclarmonde  ;  et  l'œuvre,  ainsi  présentée,  a  paru  faire  plus  de 
plaisir  que  l'année  dernière,  où  cependant  nous  avions  Mmc  de  Nuovina, 
qui  n'était  pas  désagréable  du  tout.  Mais  Mme  de  Nuovina,  si  elle  n'a 
plus  eu  l'occasion  de  triompher  dans  Esclarmonde,  a  retrouvé  son  succès 
dans  Faust.  Et  c'est  dans  Faust  aussi  qu'on  nous  a  présenté  M.  Lafarge,  le 
ténor  tant  applaudi  des  Rouennais,  l'an  passé.  M.  Lafarge  est  un  jeune 
séducteur  d'une  corpulence  bien  considérable  ;  mais  il  chante  vraiment 
très  joliment,  avec  beaucoup  d'art  et  une  aimable  voix;  on  lui  a  fait  un 
succès  très  mérité,  et  ce  succès,  j'ai  tout  lieu  de  le  supposer,  se  confirmera. 

Nous  voilà  donc,  direz-vous,  avec  deux  ténors  parfaits,  deux  idéals  de 
ténors  ?  Pas  encore.  M.  Dupeyron,  qui  avait  si  bien  réussi  dans  Esclarmonde, 
grâce  sans  doute  aux  bonnes  leçons  de  l'auteur,  a  perdu  énormément  de 
terrain,  quelques  jours  après,  dans  les  Huguenots .  On  a  reconnu  que,  avec 
sa  très  belle  voix,  il  lui  reste  encore  à  apprendre  à  chanter.  Aura-t-il  le 
temps?  Peut-être.  Mais  de  grâce,  qu'il  se  dépèche!  Et  en  définitive,  ces 
deux  ténors  se  réduisent  à  un  ténor,  —  tout  au  plus  un  ténor  et  demi. 

Par  contre,  nous  avons  deux  falcons,  —  même  trois  :  Mmc  de  Nuovina, 
qui  a  fait  ses  preuves,  Mmc  Langlois,  que  nous  entendrons  plus  tard  seule- 
ment, et  M™  Dufrane  qui,  dans  les  Huguenots  déjà  nommés,  a  été 
chaudement  applaudie  pour  ses  qualités  d'acquis  et  son  expérience,  qui 
à  défaut  d'une  toute  première  fraîcheur,  viendront  à  point  dans  le  réper- 
toire courant  et  lui  seront  précieuses. 

Enfin,  autre  début,  favorable  également  :  celui  de  M",e  Paulin-Archaim- 
baud,  une  première  dugazon  d'une  sveltesse  excessive,  et  qui  ne  chante 
pas  mal,  avec  une  voix  un  peu  dure. 

Les  autres  artistes  qui  nous  restaient  de  la  saison  précédente,  ont  fait  à 
peu  près  tous  une  bonne  rentrée,  particulièrement  M"0  Carrère,  l'élé- 
gante princesse  d'opéra,  très  en  progrès,  MM.  Bouvet,  Badiali  etSenfein, 
en  attendant  la  dernièro  venue,  Mlle  Nardi,  qui  doit  débuter  prochaine- 
ment dans  les  Dragons  de  Vdlars.  Lucien  Solvay. 

—  A  Namur,  lundi  dernier,  à  l'occasion  du  Jubilé  royal,  grande  fête 
musicale.  Au  programme,  entièrement  r.ational,  figuraient  les  noms  de 
Gevaert,  H.  Balthasar-Florence,  Tinel,  etc.  Parmi  les  œuvres  déjà  connues, 
on  a  surtout  acclamé  la  ravissante  mélodie  Aimer,  de  H.  Balthasar-Flo- 
rence, pour  ténor,  violon  solo,  chœur  et  orchestre.  L'excellent  ténor 
amateur  M.  A.  Moussoux,  ainsi  que  Mlle  Cl.  Balthazar-Florence,  qui 
tenait  la  partie  de  violon,  ont  été  bruyamment  applaudis.  Quant  à  la 
Cantate  jubilaire  composée  pour  la  circonstance  par  M.  H.  Balthasar- 
Florence,  elle  a  valu  un  triomphe  incontesté  et  incontestable  au  maître 
belge.  Jamais  nous  n'avons  vu  l'enthousiasme  du  public  namurois  monter 
à  pareil  diapason.  Cette  cantate  est,  de  l'avis  de  musiciens  érudits,  une 
œuvre  de  premier  ordre;  elle  dépasse,  et  de  beaucoup,  la  valeur  de  tous 
les  ouvrages  similaires  composés  en  Belgique  depuis  bien  des  années.  On 
nous  en  promet  une  nouvelle  audition. 

—  Les  récentes  fêtes  musicales  de  Vienne,  dont  nous  avons  rendu 
compte,  ont  donné  un  bénéfice  de  30,000  florins  à  l'Association  des  chan- 
teurs allemands.  C'était  le  quatrième  festival  organisé  par  cette  institu- 
tion. Le  premier  avait  eu  lieu  à  Dresde  en  18GS,  et  s'était  soldé  par  un 
déficit  de  173,000  marks;  le  deuxième  fut  tenu  à  Munich  on  187-i  et, 
aboutit  à  un  délicit  de  3.000  florins  environ;  enfin,  l'avant-dernier,  à 
Hambourg  en  188u2,  produisit  un  excédent  de  20,000  marks.  A  Vienne, 
le  nombre  des  chanteurs  présents  s'élevait  à  13,80J;  à  Dresde,  on  comp- 
tait 10,000  participants  ;  à  Munich,  8,000;  à  Hambourg,  0,000. 

—  On  lit  dans  la  correspondance  viennoise  du  Figaro  :  «  Rien  de  nou- 
veau pour  le    moment    à  l'Opéra.   Il  est  question  pourtant    d'y   créer    un 


302 


LE  MÉNESTREL 


nouveau  titre,  celui  de  Generalmusikdirector,  directeur  général  de  musique, 
et  ce  titre  serait  conféré  au  directeur  actuel,  M.  Jahn,  chef  d'orchestre  de 
premier  ordre.  Ce  titre  nous  vient  de  Berlin;  il  a  été  inventé  pour  Spon- 
tini,  et  Meyerbeer,  si  je  ne  me  trompe,  a  été  le  dernier  à  le  porter. 
J'avoue  que  je  ne  l'aime  pas  beaucoup.  Il  sonne  tout  à  fait  militairement. 
On  dira  désormais  «  général  de  musique  »  comme  on  dit  général  de  cava- 
lerie. Jadis  l'Opéra  de  Vienne  se  trouvait  sous  la  haute  direction  de 
quelque  aristocrate,  portant  le  titre  officiel  de  musikgraf,  comte  de  mu- 
sique. A  l'armée,  on  connaît  un  «  capitaine  de  musique  »,  et  l'on  appelle 
ainsi  le  chef  de  bataillon  chargé  des  affaires  de  la  fanfare.  Voilà  bien  des 
titres  musicaux.  Attendons-nous  à  voir  apparaître  bientôt  un  maréchal 
de  musique,  voire  un  feldzeugmeister  de  musique.  C'est  ainsi  que  tout  se 
militarise  aujourd'hui,  même  cet  art  qui  adoucit  les  mœurs.  » 

—  Les  journaux  allemands  nous  font  savoir  que  le  fameux  ténor  Franz 
Nachbaur  songe  à  prendre  sa  retraite  et  à  abandonner  définitivement  le 
théâtre.  Né  en  1833  en  Wurtemberg,  Nachbaur  Et  ses  premières  études 
au  Conservatoire  de  Stutlgard,  et  alla  ensuite  se  perfectionner  en  Italie 
avec  Lamperti.  Depuis  trente  ans  ses  succès  ont  été  grands  dans  toute 
l'Allemagne,  et  particulièrement  à  Munich,  où  il  resta  plusieurs  années 
et  où  il  était  le  chanteur  favori  du  roi  Louis  de  Bavière. 

—  Bévue  des  écrits  sur  la  musique  récemment  publiés  en  Allemagne. 
Le  Thkhre  de  la  cour  de  Carlsruhe,  par  "W.  Harder,  suivi  de  l'Opéra  de  Carls- 
ruhe,  par  J.  Siebenrock  (Carslruhe,  Braun);  —  Dictionnaire  encyclopédique  du 
théâtre  allemand,  publié  sous  la  direction  de  MM.  A.  Oppenheim  et  E.  Gesske 
(Leipzig,  Beissner);  ce  sont  les  deux  derniers  fascicules  (34  et  35)  de  cet 
ouvrage  important,  qui  viennent  de  paraître  ;  —  Mélodies  errantes,  étude 
musicale,  par  Wilhelm  ïappert  (Leipzig,  Liste  et  Warcke),  livre  dont  le 
point  de  départ  est  intéressant  et  curieux,  l'auteur  y  développant  cette 
théorie  d'une  évolution  dans  la  musique  comme  dans  la  nature;  pour 
le  prouver,  il  prend  à  leur  source  les  thèmes  des  plus  anciennes  mélodies 
populaires  de  l'Allemagne,  et  les  suit  d'âge  en  âge  à  travers  les  mille 
transformations  qu'elles  subissent  entre  les  mains  des  compositeurs,  illus- 
tres ou  obscurs,  qui  les  ont  employées  ou  les  emploient  encore  soit  déli- 
bérément, soit  inconsciemment;  —  Musique  et  Littérature,  par  Edouard  Hans- 
lick  (Berlin,  Paetel)  ;  ce  volume  forme  la  cinquième  partie  de  l'ouvrage 
de  l'éminent  critique  viennois  intitulé  l'Opéra  moderne;  on  y  trouve  des 
chapitres  pleins  d'intérêt  sur  l'opéra  de  jeunesse  de  Bichard  Wagner,  les 
Fées,  et  sa  symphonie  en  ut,  sur  sa  correspondance  avec  Liszt,  dont  le  Mé- 
nestrel a  rendu  compte  récemment,  sur  les  nouvelles  compositions  vocales 
et  instrumentales  de  Johannes  Brahms,  sur  le  Don  Juan  de  Mozart,  sur  les 
opéras  de  Gluck  et  ceux  de  Méhul  (d'après  le  livre  intéressant  de  notre 
collaborateur  Arthur  Pougin,  dont  l'écrivain  fait  le  plus  grand  éloge),  sur 
Henri  Heine,  sur  l'impératrice  Marie-Thérèse  considérée  comme  musi- 
cienne, sur  les  Souvenirs  de  M.  Legouvé,  etc.,  etc.;  —  Catéchisme  de  l'esthéti- 
que musicale,  par  H.  Bitter  (Wurzbourg,  Hertz),  cet  ouvrage  a  réuni  un 
grand  nombre  de  faits  intéressants  se  rattachant  à  la  philosophie  de  l'art 
musical  telle  que  Baumgarten  l'a  définie  dans  ses  travaux  ;  —  La  Musique 
en  Bohême,  par  le  comte  B.  Prochzka  (Vienne,  librairie  de  la  Revue  austro- 
hongroise),  brochure  contenant  les  biographie»  des  compositeurs  qui  ont 
illustré  la  Bohème  pendant  les  XVIIIe  et  XIXe  siècles,  entre  autres  Sech- 
ter,  Moscheles,  Dreyschock,  Schuloff,  Goldschmidt,  Kisser,  Hanslick,  etc.; 
—  Guide  à  travers  la  littérature  de  l'orgue,  par  B.  Kothe  et  Th.  Forchammer 
(Leipzig,  Leuchart),  grand  ouvrage  pédagogique,  dans  lequel  les  auteurs 
dressent  un  puissant  catalogue  non  seulement  de  toutes  les  compositions 
spéciales  à  l'orgue,  mais  aussi  de  toute  la  musique  pour  orgue  et  instru- 
ments divers,  des  transcriptions  pour  l'orgue,  de  la  musique  de  chant  et 
des  chœurs  avec  accompagnement  d'orgue,  des  ouvrages  théoriques  et 
des  écrits  publiés  sur  l'orgue  ;  M.  Forchammer  propose  comme  modèles 
aux  organistes  allemands  les  ouvrages  de  deux  artistes  français,  MM.  Guil- 
mant  et  Widur. 

—  L'opéra  du  jeune  compositeur  Pietro  Mascagni,  Cavalleria  rusticana, 
continue  à  faire  florès  sur  les  scènes  lyriques  de  l'Italie  et  est  en  train  de 
conquérir  celles  de  l'Allemagne.  L'éditeur,  M  Sonzogno  a  confié  la  ver- 
sion allemande  de  Cavalleria  rusticana  à  notre  confrère  M.  0.  Berggruen, 
qui  aura  bientôt  terminé  sa  tâche,  et  vers  la  fin  du  mois  d'octobre  l'œuvre 
du  jeune  artiste  italien  paraîtra  sur  plusieurs  théâtres  allemands  à  la  fois. 
L'Opéra  impérial  de  Vienne  n'attend  que  les  épreuves  du  texte  allemand 
pour  prendre  une  décision  définitive;  plusieurs  théâtres  de  cour  en  Alle- 
magne comptent  également  sur  Cavalleria  rusticana  pour  la  saison  pro- 
chaine. 

—  Un  souvenir  de  la  jeunesse  de  Weber,  raconté  par  un  journal  de 
Hambourg  à  propos  de  la  récente  inauguration  du  monument  érigé  à 
Eutin.  En  170G,  Charles-Marie  de  Weber  se  rendit  à  Munich  avec  son 
père  le  major  de  Weber  pour  y  prendre  les  leçons  de  Valesi  et  de  l'orga- 
niste de  la  cour,  Kalcher.  Le  major  se  lia  d'amitié  avec  le  commandant  de 
LûtgendorlV,  qui  s'était  fait  un  nom  comme  auteur  de  nombreuses  comé- 
dies, et  bientôt  Charles-Marie  de  Weber  et  Ferdinand,  le  fils  de  Lûtgen- 
dorff,  étaient  devenus  île  tels  inséparables  qu'on  ne  les  appelait  pas 
autrement  que  Castor  et  Pollux.  Los  deux  enfants,  qui  étaient  du  même 
âge,  s'aimaient  d'une  si  tendre  affection  qu'ils  ne  crurent  pas  devoir  sur- 
vivre à  une  séparation,  et  lorsque  le  major  de  Weber  annonça  son  inten- 
tion d'aller  se  fixer  à  Fribourg  en  Saxe,  les  deux  jeunes  amis  décidèrent 
ie  mourir  ensemble.  Au  milieu  de  la  nuit,  par  un  beau  clair  de  lune,  ils 


se  glissèrent  hors  du  logis  paternel  et  se  dirigèrent  vers  un  parc  des 
environs  de  Munich,  connu  sous  le  nom  de  «  Jardin  anglais  ».  Arrivés 
sur  le  bord  d'un  cours  d'eau  artificiel,  ils  adressèrent  de  solennels  adieux 
à  cette  terre  de  misère,  s'étreignirent  tendrement  et  se  jetèrent  ensemble 
au  fond  de  l'onde.  Fort  heureusement,  des  promeneurs  les  avaient  obser- 
vés et  ils  furent  très  facilement  sauvés,  l'eau  n'ayant  à  cet  endroit  que 
peu  de  profondeur.  Une  verte  réprimande  et  un  bon  rhume  de  cerveau 
furent  la  punition  qui  attendait  nos  jeunes  gens,  mais  leur  amitié  n'en 
souffrit  nullement.  Une  correspondance  très  suivie  s'échangea  entre  eux. 
Lùtgendorff,  devenu  un  peintre  célèbre,  reçut  son  illustre  ami  chez  lui  à 
Prague,  en  1813,  et  ht  son  portrait  l'année  suivante,  en  1814.  On  ignore 
ce  que  ce  portrait  est  devenu.  Mais  des  contemporains  dignes  de  foi  le 
qualifièrent  de  chef-d'œuvre. 

■ —  Le  petit  bout  de  dialogue  que  voici  fait  le  tour  de  la  presse  musicale 
étrangère  :  Le  compositeur  Goldmark  à  une  jolie  compagne  de  voyage  : 
—  «  Je  suppose,  madame,  que  vous  ignorez  qui  je  suis.  »  —  Elle.  «  En  effet, 
monsieur,  je  l'ignore.  »  —  Lui  :  <c  Eh  bien  !  madame,  je  suis  Cari  Goldmark, 
l'auteur  de  la  Reine  deSaba  !  »  —  Elle.  «  Ah  !  vraiment  !  Est-ce  une  bonne 
situation?  »  Tableau  ! 

—  D'après  une  communication  reçue  par  VAllgemeine  Musikzeitung , 
Antoine  Bubinstein  prépare  un  volume  de  Pensées  sur  l'art  musical,  les 
musiciens  et  la  culture  de  la  musique.  On  annonce  également  que  le 
maître  vient  de  terminer  une  ouverture  pour  la  tragédie  de  Shakespeare  : 
A  ntoine  et  Cléopâtre. 

—  Ce  n'est  point  comme  directeur,  ainsi  que  nous  l'avons  annoncé 
d'après  plusieurs  journaux  italiens,  mais  comme  professeur  de  chant 
que  l'ex-baryton  Giraldoni  a  été  engagé  au  Conservatoire  impérial  de 
Moscou. 

—  Sous  le  titre  de  Haydn  à  Londres,  nous  trouvons,  dans  la  Nette  Musik- 
zeitung de  Stuttgart  une  série  de  piquantes  anecdotes  dont  l'auteur  de  la 
Création  a  été  le  héros  pendant  ses  deux  séjours  dans  la  capitale  anglaise. 
Voici  l'une  d'elles  qui  est  assez  plaisante.  Un  jour,  un  lord  richissime 
se  présente  à  lui  et  lui  demande  s'il  serait  disposé  à  lui  enseigner  le 
contrepoint  à  raison  d'une  guinée  la  leçon.  «  Volontiers,  répondit  Haydn; 
quand  désirez-vous  commencer?  —  Mais  à  l'instant  même,  fit  le  lord.  » 
Et  il  tira  de  sa  poche  la  partition  d'un  quatuor  de  Haydn  en  observant 
qu'il  possédait  déjà  à  fond  les  principes  ainsi  que  les  règles  de  l'har- 
monie et  de  la  composition.  «  Pour  aujourd'hui,  ajouta-t-il,  nous  allons 
analyser  ce  quatuor.  Expliquez-moi  la  contexture  générale  du  morceau, 
car  je  ne  l'approuve  pas  entièrement,  et  donnez-moi  les  raisons  qui  vous 
ont  guidé  dans  le  choix  de  certaines  modulations  et  de  certains  mouve- 
ments. »  Haydn  fut  interloqué  de  ce  singulier  discours;  mais  la  pensée  des 
guinées  à  récolter  le  calmèrent  un  peu,  et  il  répondit  avec  humilité  : 
«  Si  tel  est  le  désir  de  mylord,  je  suis  prêt  à  présenter  la  justification  de 
mon  œuvre.  »  L'Anglais  examina  les  premières  mesures;  à  chaque  note 
il  avait  quelque  chose  à  objecter.  Haydn,  qui  n'avait  pas  l'habitude  des 
discussions  techniques,  se  contentait  de  répondre  tranquillement  :  J'ai 
écrit  ceci  parce  que  c'est  plus  juste,  cela  parce  que  c'était  nécessaire, 
tel  passage  à  cause  de  l'effet,  et  ainsi  de  suite.  Mais  l'Anglais,  irascible, 
ne  l'entendait  pas  de  cette  oreille;  à  l'aide  d'arguments  fantastiques,  il 
s'efforçait  de  démontrer  à  Haydn  qu'il  avait  continuellement  péché  contre 
la  règle. Le  maître,  bien  entendu,  ne  cessait  de  protester.  Enfin,  il  s'écria: 
«  Eh!  bien,  mylord,  je  vous  conseille  d'arranger  le  quatuor  à  votre  ma- 
nière; ensuite  vous  le  ferez  exécuter.  Nous  verrons  bien  alors  lequel  est 
le  meilleur.  »  —  «  Et  pourquoi  le  vôtre  serait-il  meilleur?»  clama  l'An- 
glais. —  «  Parce  que...  parce  que  c'est  ainsi  !  »  Mais  l'Anglais  n'en  vou- 
lait pas  démordre  et  comme  il  s'entêtait  dans  sa  manie  batailleuse,  Haydn 
finit  par  lui  dire  avec  aigreur  :  «  Ecoutez,  mylord,  j'ai  cru  que  je  devais 
vous  apprendre  la  musique;  je  vois  que  c'est  vous  qui  voulez  me  l'en- 
seigner. Excusez-moi,  mais  je  n'ai  pas  les  moyens  de  payer  vos  leçons 
une  guinée.  »  Bon  gré,  mal  gré,  l'Anglais  dut  céder.  Mais  Haydn  eut 
soin  à  l'avenir  de  défendre  sa  porte  à  cet  élève  trop  savant. 

—  Le  167e  festival  des  «  Trois  chœurs  »,  qui  s'est  tenu  à  Worcester  du 
7  au  12  courant,  a  dépassé  en  éclat  et  en  succès  toutes  les  précédentes 
réunions.  La  cérémonie  d'inauguration  a  eu  lieu  dans  la  cathédrale  et 
réunissait  toutes  les  masses  chorales  et  instrumentales  dans  un  ensemble 
d'un  caractère  imposant.  L'exécution  du  Paulus  de  Mendelssohn,  également 
dans  la  cathédrale,  a  été  irréprochable  sous  la  direction  de  M.  C.-L.  Wil- 
liams, dont  on  a  applaudi  une  cantate,  la  Dernière  Nuit  à  Béthunic,  chanbée 
par  Mmcs  Albani,  Wilson,  MM.  J.  Jones  et  Brereton.  Mais  le  point  culmi- 
nant du  festival  était  l'oratorio  dramatique  de  M.  Bridge,  organiste  de 
l'abbaye  de  Westminster,  intitulé  le.  Repentir  de  Ninive,  qui  a  été  exécuté 
en  première  audition  le  M  septembre  au  matin.  Cet  ouvrage,  dont  le 
poème  a  été  tiré  de  la  Bible  par  M.  Bennet,  est  divisé  en  trois  parties  ; 
il  a  été  accueilli  de  la  façon  la  plus  chaleureuse. 

—  A  la  dernière  soirée  classique  «  des  Promenades-concerts  de  Covent- 
Garden  »  à  Londres,  miss  Sherwin  a  eu  un  succès  très  prononcé  en  chan- 
tant les  couplets  du  Mysoli  de  la  Perle  du  Brésil.  A  côté  d'elle,  M.  J.  Bad- 
cl i lie  s'est  fait  applaudir  dans  le  solo  de  Jlùte  obligé. 

—  On  lit  dans  l'Italie,  de  Borne  :  «  Aux  premiers  jours  du  mois  d'oc- 
tobre on  rouvrira  le  Costanzi  avec  spectacle  d'opéra.  Cet  hiver,  c'est 
encore  M.  Sonzogno  qui  est  l'imprésario  de  ce  théâtre.   L'orchestre   sera 


LE  MÉNESTREL 


:m 


le  même  que  l'année  dernière.  Le  programme  n'est  pas  encore  fixé,  mais 
la  saison  s'ouvrira  probablement  avec  Cavalleria  rusticana,  de  M.  Mascagni. 
Il  parait  que  M.  Canori  a  toujours  l'intention  de  donner  pendant  le  car- 
naval, à  l'Argentina,  une  série  de  spectacles  grandioses  avec  des  artistes 
d'élite;  il  commencerait  avec  l'Africaine.  Mais  avant  d'arrêter  son  pro- 
gramme, il  veut  se  mettre  d'accord  avec  M.  Sonzogno  pour  ne  pas  avoir 
de  concurrence  entre  les  deux  grands  théâtres.  Il  est  donc  possible  qne  la 
direction  de  l'Argentina  soit  assumée  par  l'éditeur  milanais  et  M.  Canori. 
Dans  ce  cas,  pendant  le  carnaval,  tout  le  personnel  du  Costanzi  passe- 
rait à  l'Argentina  et  le  Costanzi  serait  fermé.  Une  décision  à  ce  sujet 
sera  prise  par  MM.  Sonzogno  et  Canori,  dans  le  courant  du  mois,  à 
Florence.   » 

—  On  vient  d'inaugurer  à  Naples,  dans  le  quartier  nouveau  et  un  peu 
excentrique  du  Vomero,  un  théâtre  qui  a  pris  le  nom  de  Théâtre-Excel- 
sior.  peut-être  un  peu  ambitieux.  Ce  théâtre,  construit  en  bois  et  en 
maçonnerie,  est,  paraît-il,  gracieux  et  fort  élégant.  Le  parterre  peut 
contenir  400  spectateurs,  il  y  a  deux  rangs  de  loges,  la  décoration  est  fort 
jolie,  le  foyer  très  agréable  et  l'édifice  est  éclairé  au  gaz. 

—  On  ne  s'ennuie  pas  à  Milan.  Au  Nouveau-Politeama,  une  troupe  de 
pantomime  et  de  danse  joue  en  ce  moment  une  pièce  dont  voici  le  titre 
affriolant  à  la  fois  et  plein  d'ampleur  :  Jérusalem  délivrée  ou  le  Retour  du 
mystérieux  pè'erinage  de  la  Terre-Sainte  et  la  chute  du  terrible  Rambaldo  le  San- 
guinaire, avec  Stenterello,  chef  du  peuple,  héros,  conjuré  et  punisseur  du  cri- 
minel. Ajoutons  que  Stenterello  est  l'un  des  types  populaires  du  théâtre 
burlesque  italien  moderne. 

—  La  saison  d'hiver  ne  s'annonce  pas  d'une  façon  trop  favorable  pour 
tous  les  théâtres  d'Italie.  Il  parait  certain  qu'à  Venise  la  Fenice  restera 
fermée,  et  l'on  craint  qu'il  en  soit  de  même  au  Philharmonique  de  Vérone 
et  au  Grand-Théâtre  de  Brescia.  Pour  le  théâtre  Carlo-Felice,  de  Gènes, 
la  municipalité  parait  se  faire  tirer  l'oreille  pour  accorder  une  subven- 
tion; au  Politeama  de  Palerme  on  a  dû  proroger  le  délai  fixé  pour  la 
présentation  des  candidatures  à  l'exploitation,  et  pour  le  théâtre  Civique 
de  Cagliari  rien  n'est  fait  encore.  Il  est  certain  que  les  déplorables  con- 
ditions économiques  dans  lesquelles  se  débat  l'Italie  sont  loin  d'être 
favorables  aux  théâtres,  et  que  les  municipalités  hésitent  tout  naturelle- 
ment à  accorder  des  subventions,  les  contribuables  ployant  déjà  sous  le 
faix  des  impôts  existants. 

—  La  réapparition,  au  Théâtre  National  de  Rome,  du  vieil  et  charmant 
opéra  de  Rossini,  Cenerentola,  a  été  pour  l'œuvre,  si  complètement  et 
depuis  si  longtemps  oubliée,  et  pour  ses  interprètes,  un  succès  aussi 
éclatant  qu'inattendu.  On  dit  merveille  de  la  superbe  voix  du  contralto, 
Mlle  Guerrina  Fabbri,  du  talent  de  chanteur  du  ténor,  M.  Chinelli,  du 
jeu  plein  d'entrain  et  de  gaîté  du  buffo  caricato,  M.  Carbone,  de  l'originalité 
comique  du  baryton,  M.  Pini-Corsi,  et  enfin  de  la  grâce  tout  aimable  de 
jlmcs  Quarenghi  et  Sporeni.  En  somme,  grande  surprise  pour  le  public  et 
triomphe  sur  toute  la  ligne. 

—  Au  théâtre  Niccolini,  de  Florence,  dit  l'Italie,  après  Cavalleria  rusti- 
cana, on  jouera  la  Griselda  de  M.  Giulio  Cottrau.  Cet  opéra  a  déjà  été 
représenté  avec  succès  à  Turin  en  1878  et  à  Malte  en  1880.  L'auteur,  qui 
est  aussi  un  critique  distingué,  y  a  fait  depuis  des  changements  impor- 
tants ;  il  a  écrit  de  nouveaux  morceaux  de  genre  mélodique  et  d'une 
facture  exquise;  il  a  aussi  rafraîchi  l'orchestration.  M.  Cottrau  aura  à 
Florence  la  chance  d'avoir  pour  interprètes  Mlle  Berenat,  une  des  sympa- 
thiques connaissances  du  public  romain,  Mile  Riso,  le  baryton  Casini, 
qui  dans  ce  moment  obtient  un  grand  succès  à  Lucques  dans  l'Africaine,  et 
le  ténor  Bonard.  L'orchestre  sera  dirigé  par  M.  Fornari. 

—  Les  pauvres  artistes  se  ressentent,  et  l'on  peut  dire  d'une  façon 
cruelle,  de  l'état  déplorable  des  affaires  dans  la  République  Argentine  — 
qui  n'est  pas  en  ce  moment  la  république  de  l'argent.  Voici  quel  était,  à 
la  date  du  6  août,  ce  qu'on  pourrait  appeler  le  bulletin  théâtral  de  Buenos- 
Ayres  :  Opéra,  fermé,  la  troupe  Consigli  disloquée;  Politeama,  fermé,  la 
troupe  Ciacchi  en  état  de  dissolution;  théâtre  Onrubia,  fermé,  la  compa- 
gnie dissoute,  choristes  et  emplois  accessoires  déjà  partis,  l'entreprise 
leur  ayant  payé  le  voyage  de  retour;  théâtre  Saint-Martin,  fermé,  la 
troupe  Gargano  débandée,  la  direction,  furieuse,  cherchant  vainement  à 
ramener  les  fugitifs  ;  théâtre  Doria,  rouvert,  mais  sans  aucun  concours  de 
public;  Variétés,  fermé  jusqu'à  nouvel  avis;  théâtre  Goldoni,  fermé  jus- 
qu'à nouvel  avis;  théâtre  du  Passe-Temps,  fermé  jusqu'à  nouvel  avis; 
théâtre  Iris,  fermé  jusqu'à  nouvel  avis;  théâtre  Dante,  fermé  jusqu'à 
nouvel  avis.  Ainsi,  sur  dix  théâtres,  un  seul  était  ouvert,  et  il  ne  parve- 
nait pas  même  à  faire  ses  frais. 

—  Le  Grand  Opéra  Home  de  Philadelphie  a  eu  dernièrement  la  primeur 
d'un  ouvrage  lyrique  de  M.  G.  Hinrichs,  intitulé  Onti-Ara,  qui  a  été  favo- 
rablement accueilli. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

A  l'Opéra,  le  ténor  Vaguet,  lauréat  des  derniers  concours  du  Conser- 
vatoire, fera  son  premier  début  dans  Faust.  M.  Vaguet  a  commencé  à 
répéter  son  rôle  au  foyer.  Il  sera  prêt  à  aborder  la  scène  le  15  octobre. 
Son  second  début  aura  lieu  dans  Roméo.  Dans  le  courant  d'octobre  au- 
ront également  lieu  les  débuts  de   M"-  Luventz   dans  la   reine  des  Hugue- 


nots, et  ceux  de  MUo  Bréval  dans   la   Juive.  La  reprise  de  Sigurd  est,    dèj 
maintenant,  fixée  au  lundi  0  octobre, 

—  A  propos  de  la  reprise  de  la  Zaïre  de  M.  de  laNux,  qui  vient  d'avoir 
lieu  à  l'Opéra,  le  feuilletoniste  de  la  Nazione,  de  Florence,  M.  Biaggi,  a 
fait  le  relevé  de  toutes  les  Za'ircs  musicales  qu'a  inspirées  la  célèbre 
tragédie  de  Voltaire  avant  cette  dernière  venue.  Il  en  compte  neuf,  dues 
aux  compositeurs  suivants  :  Pierre  Winter  (Londres,  1805);  Vincenzo 
Federici  (Milan,  1806);  Vincenzo  Lavigna,  le  maître  de  Verdi  (Flo- 
rence* 1809);  Antonio  Gandini  (Modène,  1829);  Bellini  (Parme,  1829); 
Mercadante  (Naples,  1831);  Antonio  Marni  (Modène,  1845);  le  due 
Ernest  de  Saxe-Cobourg-Gotha  (Gotha,  1840);  enfin,  M.  Charles  Lcfebvre 
(Lille,   1887). 

—  A  la  suite  d'une  difficulté  survenue  mercredi  soir  au  cours  de  la 
représentation  de  Faust,  entre  M.  Plancon  et  le  chef  de  l'orchestre  de 
l'Opéra,  celui-ci,  sur  les  observations  de  M.  Ritt,  a  donné  sa  démission 
qui  a  été  tout  aussitôt  acceptée.  Nous  savons  que  ces  sortes  de  choses 
finissent  toujours  par  s'arranger.  Elles  ne  s'arrangeraient  pas  cette  fois, 
qu'il  n'y  aurait  d'ailleurs  pas  lieu  de  beaucoup  le  regretter.  M.  Vianesi 
avait  assurément  des  qualités  brillantes  pour  un  chef  d'orchestre  italien; 
c'était  un  improvisateur  plein  d'entrain  et  précieux  pour  les  théâtres  où 
l'on  doit  préparer  une  représentation  d'opéra  en  quelques  jours.  A  l'Opéra, 
il  n'était  pas  tout  à  fait  à  sa  place,  il  n'avait  pas  une  maturité  de  talent 
suffisante,  ni  une  science  de  musicien  assez  complète.  Il  en  est  résulté 
souvent  bien  des  exécutions  qui  étaient  loin  d'être  irréprochables.  On 
le  reverra  avec  plaisir  à  la  tète  d'un  des  grands  orchestres  de  l'étranger. 

—  Depuis  le  16  septembre  M.  Verdhurt  a,  de  par  son  bail,  pris  régu- 
lièrement possession  de  l'Eden,  et  dès  la  première  heure  les  ouvriers  se 
sont  mis  à  l'oeuvre  pour  l'aménagement  de  la  salle.  Les  travaux  qui  ont, 
du  reste,  été  préparés  à  l'avance  sur  chantier,  marcheront  rapidement. 
Ainsi  que  cela  a  été  annoncé,  l'ouverture  du  Théâtre-Lyrique  se  fera  pro- 
bablement vers  le  13  octobre  prochain.  Les  bureaux  de  location  et  d'abon- 
nement seront  ouverts  à  partir  du  1er  octobre.  —  Voici  la  distribution  du 
Rêve,  de  MM.  Emile  Zola,  Louis  Gallet  et  Bruneau,  telle  qu'elle  a  été 
arrêtée  hier,  d'un  commun  accord,  entre  MM.  Verdhurt  et  Bruneau  : 

Félicien  MM.  Engel. 

L'évéque  Jean  d'Haulecœur  Dufriche. 

Hubert  Claeys. 

Angélique  Mmc5  Boucart. 

Hubertine  Montalba. 

L'ouvrage  passera  dès  les  premiers  jours  de  novembre. 

—  Samedi  dernier,  ainsi  que  nous  l'avons  annoncé,  est  venue,  devant 
le  tribunal  de  commerce,  l'affaire  du  directeur  américain  contre  M.  Gou- 
nod.  Déjà  remise  du  16  août  au  30,  puis  de  cette  dernière  date  au 
13  septembre,  l'affaire  a  été  une  fois  encore  remise  à  quinzaine.  Il  est 
peu  probable  cependant  qu'elle  soit  terminée  avant  le  mois  prochain.  De 
quinzaine  en  quinzaine,  en  effet,  on  passe  souvent  d'une  année  à  l'autre. 
M.  Gounod  a  choisi  comme  agréé  Me  Houyvet  ;  Mcs  Richardière  et  Sabatier 
représentent  ses  adversaires. 

—  C'est  le  dimanche  19  octobre  qui  est  la  date  fixée  pour  la  réouverture 
des  concerts  du  Chàtelet,  sous  la  direction  de  M.  Colonne. 

—  L'administration  des  Concerts  Lamoureux,  62,  rue  Saint-Lazare, 
demande  des  violons,  altos,  violoncelles  et  contrebasses.  Les  inscriptions 
sont  reçues  tous  les  jours  de  2  à  5  heures. 

—  A  Marseille,  par  suite  de  la  nomination  de  M.  Mirane  aux  fonctions 
de  chef  d'orchestre  du  Grand-Théâtre,  l'Association  des  concerts  clas- 
siques se  trouvait  sans  directeur.  C'est  M.  Jules  Lecocq,  de  Spa,  qui  vient 
d'être  appelé  à  diriger  cette  Société. 

—  Mlle  Juliette  Folville,  la  jeune  artiste  liégeoise  qui  fil,  il  y  a  quelques 
années,  applaudir  à  Paris,  sous  les  auspices  de  M.  Oscar  Comettant,  son 
triple  talent  de  pianiste,  de  violoniste  et  de  compositeur,  vient  de  terminer 
la  musique  d'une  Alala  en  deux  actes,  dont  le  livret,  tiré  du  célèbre  récit 
de  Chateaubriand,  lui  a  été  fourni  par  notre  confrère  Paul  Collin. 

—  L'Institut  Musical  (20e'  année),  fondé  et  dirigé  par  M.  et  Mm0  Oscar 
Comettant,  13,  Faubourg-Montmartre,  annonce  la  réouverture  de  ses 
cours  complets  de  musique  pour  le  vendredi  10  octobre  1890.  M.  Mar- 
montel  père,  l'éminent  professeur,  fera  lui-même,  comme  les  années 
précédentes,  le  cours  supérieur  de  piano. 

—  M.  Giraudet,  de  l'Opéra,  professeur  au'  Conservatoire,  a  repris  ses 
cours  et  leçons  de  chant,  ainsi  que  ceux  de  mise  en  scène,  dans  ses  salons 
de  la  rue  Caumartin,  n°  62. 

—  Beau  succès  à  Dijon  d'une  sorte  d'arrangement  à  trois  voix  de  la 
Marseillaise,  par  M.  Alexandre  Marchand. 

—  Fort  remarquée,  au  concert  de  bienfaisance  donné  dernièrement  au 
théâtre  de  l'Ambigu,  une  charmante  mélodie  de  M.  J.  Verdalls,  chantée 
par  M"°  Germaine  Henriot  :  Vous  ne  m'avez  jamais  souri.  Bis  d'acclamation. 
Cette  petite  production,  dont  la  réussite  est  partout  la  même,  s'annonce 
comme  un  des  succès  de  cet  hiver. 


304 


LE  MÉNESTREL 


JEANNE     SAMARY 


L'art  dramatique  et  la  Comédie-Française  ont  fait  cette  semaine  une 
perte  inattendue  et  singulièrement  cruelle  en  la  personne  de  Mmc  Jeanne 
Samary-Lagarde,  qui  a  succombé  jeudi  dernier,  à  peine  âgée  de  trente- 
trois  ans,  dans  tout  l'épanouissement  du  talent  et  de  la  beauté,  aux  suites 
d'une  fièvre  typhoïde.  Mmc  Jeanne  Samary,  qui  était  née  le  4  mars  1857, 
et  qui  avait  été  élève  de  la  classe  de  Bressant  au  Conservatoire,  d'où 
elle  sortit  avec  un  brillant  premier  prix,  avait  été  nommée  sociétaire  de 
la  Comédie-Française  à  vingt-deux  ans,  quatre  ans  après  ses  débuts,  qui 
avaient  dévoilé  en  elle  une  comédienne  de  race,  appelée  au  plus  brillant 
avenir.  En  effet,  ses  succès  depuis  lors  n'avaient  cessé  de  s'accroitre 
dans  cet  emploi  des  soubrettes,  qui  a  toujours  été  tenu,  sur  notre  grande 
scène  littéraire,  par  des  artistes  éminentes  qui  en  ont  été  la  gloire  et 
l'honneur,  les  Quinault,  les  Dangeville,  les  Bellecour,  les  Devienne,  les 
Contât,  les  Brohan  et  tant  d'autres.  D'un  talent  aussi  solide  et  aussi  sain 
dans  le  genre  classique  que  plein  de  grâce  et  de  souplesse  dans  le  réper- 
toire moderne,  elle  se  montrait  aussi  supérieure  dans  Tartufe,  dans  les 
Précieuses  ridicules,  dans  le  Bourgeois  gentilhomme,  qu'aimable  et  toute  em- 
preinte de  fantaisie  dans  les  nombreuses  créations  dont  chacun  conserve 
le  souvenir  :  Petite  pluie,  l'Étincelle,  Socrate  et  sa  femme,  Monsieur  Scapin, 
Chamillae,  la  Souris,  le  Petit  Hôtel,  Volte-face,  et  surtout  le  Monde  où  l'on 
s'ennuie,  où  son  succès  fut  si  éclatant  et  si  complet.  Mme  Jeanne  Samary 
qui  était  non  seulement  une  grande  artiste,  mais  une  femme  charmante  et 
une  mère  pleine  de  tendresse,  sera  longtemps  regrettée  et  de  tons  ceux 
qui  l'admiraient  et  de  tous  ceux  qui  l'aimaient. 

—  L'Opéra  vient  de  faire  une  perte  sensible  en  la  personne  de  Mme  Mé- 
rante,  professeur  de  la  classe  de  perfectionnement  de  la  danse,  morte  le 
13  septembre  à  Courbevoie,  à  la  suite  d'une  douloureuse  maladie.  Le 
public  parisien  avait  surtout  connu  cette  artiste  aimable,  cette  danseuse 
pleine  de  grâce  et  d'élégance,  sous  le  nom  de  Zina  Bichard,  lorsqu'elle 
débuta  avec  succès  à  l'Opéra  en  1857.  Elle  s'appelait  en  réalité  Zénéide 
Bichard,  et  arrivait  de  Bussie,  son  pays,  où  elle  était  née  en  1832  et  où 
elle  avait  conquis  une  réputation  méritée.  E1U  fut  fort  bien  accueillie 
lorsqu'elle  se  montra  pour  la  première  fois,  le  12  janvier  1857,  dans  le 
divertissement  du  Trouvère,  après  quoi  on  la  vit  dans  l'abbesse  de  Robert 
le  Viable,  dans  Roméo  et  Juliette,  la  Reine  de  Saba,  leCheval  de  bronze,  la  Favo- 
rite et  la  plupart  des  ouvrages  du  répertoire,  puis  aussi,  cela  va  sans 
dire,    dans  divers    ballets,    entre  autres  la  Vivandière,    Giselle  et   le  Diable- 


à-Qualre.  La  danse  était  alors  à  l'Opéra  dans  un  véritable  éclat,  et  Zina 
Bichard  s'y  trouvait  en  compagnie  de  Mme  Ferraris,  de  l'infortunée  Emma 
Livry,  de  MUcs  Beaugrand,  Vernon,  Fonta,  Marquet,  Fiocre,  etc.  Elle 
quitta  pourtant  ce  théâtre  en  1874,  partit  pour  l'Italie,  se  fit  applaudir  à 
la  Scala  de  Milan,  puis  revint  à  Paris,  parut  à  la  Porte-Saint-Martin  dans 
une  reprise  de  l'éternelle  Riche  au  bois,  et  enfin  rentra  à  l'Opéra  sous  la 
direction  de  M.  Halanzier.  C'est  alors  que  l'auteur  anonyme  (M.  Félix 
Cohen)  du  petit  livre  publié  sous  ce  titre  :  L'Opéra,  eaux-fortes  et  quatrains, 
lui  consacra  ces  quatre  vers  : 

D'autres  touchent  le  sol,  elle  l'effleure  à  peine; 

On  la  cherche,  elle  fuit  à  travers  les  roseaux. 

C'est  une  fleur  d'hiver  que  li  brUe  promène 
Sur  la  cime  des  eaux. 
Elle  avait  épousé  Mérante,  et  bientôt  renonça  à  ses  succès  personnels 
pour  se  consacrer  entièrement  à  l'enseignement.  Professeur  de  la  classe 
de  quadrille,  puis  de  celle  des  coryphées,  elle  remplaça  M""1  Dominique, 
il  y  a  quelques  années,  à  la  tète  de  la  classe  de  perfectionnement. 
C'est  elle  qui  a  formé,  notamment,  Mllc  Subra.  Depuis  plus  de  trois 
mois  que  durait  sa  maladie,  elle  avait  dû  se  faire  suppléer  par  M"c  San- 
laville. 

—  A  Florence  est  mort,  le  7  de  ce  mois,  le  compositeur  Domenico 
Bertini,  ancien  élève  de  Pacini  et  de  Michèle  Puccini.  Né  à  Lucques  le 
26  juin  1829,  il  fut  successivement  maître  de  composition  de  la  Congré- 
gation de  Sainte-Cécile  de  cette  ville  et  chef  d'orchestre  au  théâtre  (1853), 
directeur  de  l'Institut  musical  de  Massa-Carrara  (1857),  et  en  1862  alla 
se  fixer  à  Florence.  Il  s'est  beaucoup  produit  comme  compositeur  de 
musique  religieuse,  avec  de  nombreuses  messes,  des  Magnificat,  motets,  etc. 
Il  a  écrit  aussi  deux  opéras  :  Non  ti  scordar  di  me  et  Cinsica  Sismondi,  qui 
n'ont -jamais  été  représentés.  On  lui  doit  encore  un  ouvrage  théorique 
publié  en  1866  sous  ce  titre  :  Compsndio  di  principî  di  murica,  secondo  un 
nuovo  sistema.  Enfin,  il  s'occupait  aussi  de  critique  musicale,  et  a  été  l'un 
des  collaborateurs  du  Boccherini,  de  Florence,  et  de  la  Scena,  de  Venise. 

—  De  Londres  on  annonce  la  mort,  dans  un  âge  très  avancé,  d'une 
cantatrice  italienne  renommée  en  son  temps,  Mmc  Maria  Palmieri,  qui  a 
brillé  pendant  longues  années  sur  des  scènes  importantes,  entre  autres 
la  Scala  de  Milan,  par  la  beauté  de  sa  voix  et  son  très  réel  talent. 

Henri  Heugel.  directeur-géianl. 

—  En  vente  chez  Steyl  et  Thomas  à  Francfort,  quatre  danses  dans  le  style 
ancien  de  M.  Ed.  de  Hartog,  petites  pièces  dont  on  dit  grand  bien. 


En  vente  AU   MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne,   HENRI    HEUGEL,   éditeur  -  propriétaire. 

LES  PETITS  DANSEURS 

Collection  de  Danses  célèbres  arrangées  et  doigtées  très  facilement  pour  les  petites  mains 

PAR 

L.    STREABBOG,    A.    TROJELLI,    FAUGIER,    H.  VALIQUET,    ETC. 


S[08        1. 

STREABBOG. 

_        «Lis 

STREABBOG. 

2. 

FAUGIER  .   . 

—    3. 

TROJELLI.  . 

—     i. 

TROJELLI.  . 

—     5. 

STREABBOG. 

—    6. 

FAUGIER  .   . 

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FAUGIER  .   . 

—    8. 

FAUGIER  .   . 

—     9. 

STREARBOG. 

—  10. 

STREABBOG. 

—   11. 

FAUGIER  .   . 

—   12. 

FAUGIER  .   . 

Le  beau  Danube  bleu,  valse  (Johann  Strauss). 

La  même  à  4  mains 

Tout  à  la  joie  !  polka  (Ph.  Fahrbach) 

Valse  du  Couronnement  (Strauss) 

Urpluie  aux  Enfers,  quadrille  (Offenbach).  .  . 
La  Vie  d'artiste,  valse  (Johann  Strauss).  .  .  . 
Pour  les  Bambins,  polka  (Ph.  Fahrbach)  .    .    . 

Les  Ivresses,  valse  (S.  Piulevesse) 

La  Dame  de  cœur,  polka  (Ph.  Fahrbach)  .  .  . 
Les  Feuilles  du  matin,  valse  (Johann  Strauss). 
Le  sang  viennois,  valse  (Johann  Strauss)  .  .  . 
Mam'zelle  Nitouche,  quadrille  (Hervé)  .  .  .  . 
Le  Retour  du  Printemps,  polka  (Schindler)  .   . 


î°s  13. 

VALIQUET.  . 

—   14. 

TROJELLI.   . 

-   15. 

VALIQUET.  . 

—    16. 

STREABBOG. 

—   17. 

VALIQUET.  . 

—    18. 

FAUGIER.    . 

-   19. 

STUTZ.   .    . 

—   20. 

STUTZ.   .    . 

—   21. 

GODARD  .   . 

22. 

GODARD  .    . 

—  23. 

VALIQUET.  . 

-  24. 

VALIQUET.  . 

-   25. 

TROJELLI.  . 

Le  Petit  Faust,  ouverture-valse  (Hervé)   .    .    . 

Gloire  aux  dames  I  mazurka  (Sthobl) 

La  Journée  de  Mlle  Lili,  valse 

Aimer,  boire,  chanter,  valse  (Johann  Strauss). 

Le  Petit  Faust,  quadrille  (Hervé) 

Le  Verre  en  main,  polka  (Fahrbach) 

Les  Petites  Reines,  valse 

Les  Jeunes  Valseurs,  valse 

Rébé-Polka 

Rébé-  Valse 

Dam  mon  beau  château,  quadrille 

La  Journée  de  M"e  Lili,  polka 

Les  Cancans,  galop  (Strauss) 


3    » 

3  » 

4  » 
4  » 
3    » 

3  » 
2  50 

2  50 

4  » 

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L'ALBUM  COMPLET  CARTONNÉ  (25  numéros  à  2  mains),  avec  une  couverture  en  couleurs  de  BOUISSET,  prix  net:  MO  fr. 

En  vente  au  MÉNESTREL,  2  w»,  rue  Vivienne 

EXERCICES  DE  VIRTUOSITÉ 


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3104 


Sli™  ANNEE  —  V  39. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 


Dimanche  28  Septembre  1890. 


(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri    HEUGEL,     Direcieur 

Adresser  franco  à  M.  Hkkiu  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste:  Jean  Conte  (20"  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Semaine 
théâtrale  :  On  demande  un  chef  d'orchestre,  H.  Moreno  ;  reprise  de  la  Maîtresse 
légitime,  à  l'Odéon,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Un  virtuose  couronné  (2"  ar- 
ticle), Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée.  —  IV.  Nouvelles  diverses. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

ROSES    ET    PAPILLONS 

de  Paul  Barbot.  —  Suivra  immédiatement  :  Petit  chéri,  gavotte  de  Franz 
Behr. 

CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant  :  Mystère  I  nouvelle  mélodie  de  J.  Faure,  poésie  de  Frédéric 
Bataille.  —  Suivra  immédiatement  :  le  Mois  de  mai,  chant  de  quête  de 
la  Champagne,  n°  1  des  Mélodies  populaires  de  France,  recueillies  et 
harmonisées  par  Julien  Tiersot. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


JEAN    CONTE 


Jean  Conte,  prix  de  Rome  ! 

Un  académicien  très  jeune,  bien  qu'il  soit  parmi  les  doyens 
de  l'illustre  compagnie,  M.  Ernest  Legouvé,  dont  les  quatre- 
vingts  printemps  enseignent  à  notre  génération  l'art  raffiné 
de  la  vie,  écrivait  naguères,  dans  le  livret  de  l'Amour  africain, 
une  complainte  sur  les  éternels  déboires  des  pensionnaires 
de  la  villa  Médicis. 

Oyez  les  tristes  contre-temps 
D'un  mélancolique  jeune  homme, 
D'un  jeune  homme  de  soixante  ans 
Que  l'on  appelle  un  prix  de  Rome. 

Cette  institution  du  prix  de  Rome  date  de  1803.  Depuis 
87  ans,  la  France  a  donc,  bon  an  mal  an,  possédé  un  jeune 
compositeur  sur  l'avenir  duquel  elle  était  en  droit  de  fonder 
de  sérieuses  espérances.  Combien  de  grands  musiciens  Rome 
nous  a-t-elle  rendus  sur  ce  total  respectable  de  néophytes? 
Le  compte  en  serait  vite  fait. 

Le  premier  lauréat  fut  Androt,  qui  mourut  un  an  après  sa 
victoire,  ne  laissant  pour  tout  bien  qu'un  petit  opéra  et  un 
De  Profanais.  Il  faut  aller  jusqu'en  1812  pour  trouver  le  nom 
brillant  d'Herold,  jusqu'en  1819  pour  saluer  celui  d'Halévy, 
jusqu'en  1830  pour  noter  l'avènement  de  Berlioz.  De  1830  à 
1840  c'est  Charles  Gounod  et  Ambroise  Thomas  que  la  renom- 


mée proclame;  dans  les  dix  années  suivantes   Victor  Massé 
seul  apparaît. 

En  comptant  ceux  qui,  ayant  été  ou  n'ayant  pas  été  à  Rome, 
depuis  cette  première  moitié  du  siècle,  ont  toutefois  marqué 
leur  place  dans  l'art  musical,  il  est  permis  de  dire  que  le 
séjour  de  la  villa  Médicis  n'est  en  général  qu'un  agréable 
incident  dans  la  carrière  des  compositeurs  «  arrivés  ». 


Le  temps  passé  à  Rome  est  pour  le  musicien  un  temps  béni; 
—  c'est  la  période  lumineuse  du  rêve,  l'aurore  souriante  de 
la  vie,  un  aimable  et  quotidien  commerce  avec  de  libres  et 
jeunes  esprits,  pleins  de  sève,  de  foi  et  d'espérance,  peintres, 
statuaires,  ciseleurs,  architectes,  édifiant  chaque  jour,  à 
chaque  heure,  le  monument  de  leur  gloire  future. 

Là,  le  compositeur  aussi  bâtit  sa  maison  dans  le  nuage, 
cette  maison  où  il  sera  heureux,  où  il  sera  glorieux;  une 
porte  lui  apparaît,  toute  grande  ouverte,  celle  du  théâtre,  où 
sera  représenté  son  premier  ouvrage,  suivi  d'une  foule  d'autres  ; 
derrière  le  théâtre,  une  coupole  plus  haute  s'élève,  dans  un 
rayonnement  de  soleil,  celle  de  l'Institut,  où  jeune  encore 
peut-être  il  ira  s'asseoir  ! 

Mais  toute  cette  fortune  repose  sur  quelques  minces  pages, 
dépositaires  de  sa  pensée,  bien  fragile  point  d'appui  pour 
une  entreprise  aussi  ardue  I  —  Dans  ce  groupe  des  élèves  de 
la  Villa  Médicis,  le  musicien  est  le  moins  favorisé  :  il  peut 
regarder  avec  envie  le  peintre,  son  compagnon  de  travail  et 
de  plaisir,  parfois  le  confident  de  ses  espérances.  Pour  celui- 
là  le  présent  donne  de  plain-pied  sur  l'avenir  ;  il  produit,  et 
immédiatement  il  trouve  des  juges  :  il  a  l'école  des  Beaux- 
Arts,  le  Salon  annuel,  les  Cercles,  les  vitrines  des  marchands 
pour  y  exposer  son  œuvre  ;  son  talent  s'y  formule  sans  inter- 
médiaire. Le  statuaire  a  plus  de  peine,  plus  de  frais,  mais 
comme  le  peintre  il  peut  se  mettre  en  communion  immédiate 
avec  le  public.  La  matérialité  de  leur  art  est  une  garantie 
que  ne  saurait  jamais  avoir  le  musicien,  esclave  et  souvent 
victime,  comme  l'auteur  dramatique,  de  cette  formidable 
puissance  secondaire  :  l'interprétation,  le  talent  d'autrui  se 
substituant  à  leur  propre  talent  pour  faire  vivre  l'œuvre  ou 
pour  la  tuer  ! 

Et  encore,  dans  la  plupart  des  cas,  cette  interprétation, 
désirable  et  redoutable  à  la  fois,  manque-t-elle  au  compositeur 
retour  de  Rome  !  —  Il  a  bien,  il  est  vrai,  le  devoir  d'envoyer 
à  la  fin  de  ses  études  un  ouvrage,  qui  est  généralement  exécuté 
—  une  fois  —  devant  un  auditoire  d'élite,  par  la  Société  des 
concerts  du  Conservatoire.  C'est  tout.  Désormais  l'Etat  est 
quitte,  ou  se  tient  pour  quitte  vis-à-vis,  du  lauréat.  Il  rend 
celui-là  à  la  circulation  et  en  adopte  un  autre.  Pas  un  théâtru 
où   l'hospitalité   lui   soit  assurée  pour   sa  première    œuvre  ! 


306 


LE  MÉNESTREL 


L'Opéra  ne  doit  pas  être  ce  théâtre,  l'Opéra-Comique  ne  veut 
pas  l'être.  Autrefois,  le  Théâtre- Lyrique  pouvait  l'être;  mais 
il  n'y  a  plus  de  Théâtre-Lyrique.  On  en  voit  quelquefois  le 
fantôme  traverser  une  scène  quelconque  pendant  quelques 
semaines;  il  s'évanouit  bientôt,  et  durant  un  ou  deux  ans  on 
n'en  reparle  plus. 

C'est  pourquoi,  après  les  premières  années  de  lutte,  d'espé- 
rance et  de  désespérance,  le  compositeur  pauvre,  retour  de 
Rome,  se  résigne  et  se  noie  dans  l'ombre  des  coulisses  où 
il  exerce  quelque  emploi  auxiliaire,  se  consume  dans  le  dur 
labeur  du  professorat  ou  finit  au  fond  de  quelque  orchestre, 
dans  la  peau  d'un  modeste  instrumentiste. 


Et  c'est  ainsi,  pourrait-on  dire,  qu'en  tendant  chaque  année 
aux  jeunes  compositeurs  cet  appât  brillant  du  prix  de  Rome, 
on  leur  procure  le  moyen  d'aller,  durant  trois  ou  quatre  ans, 
se  perfectionner,  libres  de  tout  souci,  dans  un  art  qu'au 
retour  on  ne  leur  donnera  pas  la  possibilité  d'exercer. 

Il  en  est  qui,  philosophiquement,  cherchent  à  s'en  conso- 
ler :  il  en  est  qui  fièrement  en  meurent;  il  en  est,  en  plus 
petit  nombre,  qui  s'en  vengent  :  ils  se  font  critiques  d'art  I  Ce 
sont  les  plus  malheureux. 


J'ai  connu  quelques-uns  de  ces  heureux  d'un  jour,  destinés 
à  devenir  le  «  mélancolique  jeune  homme  »  de  la  complainte  : 
celui  dont  la  figure  m'apparait  la  plus  nette  est  ce  Jean 
Conte,  dont  il  me  semble  qu'on  pourrait  dire  qu'il  a  goûté 
dans  sa  vie  deux  heures  de  pure  et  ineffable  joie,  la  première 
quand  il  a  été  proclamé  lauréat  de  l'Académie  des  Beaux- 
Arts,  la  seconde  quand,  dix-neuf  ans  après,  par  une  chance 
des  plus  extraordinaires,  la  toile  s'est  levée  sur  son  premier, 
sur  son  unique  ouvrage,  représenté  à  l'Opéra-Comique. 


Jean  Conte  était  de  Toulouse,  autant  dire,  n'est-ce  pas? 
musicien  dans  l'âme  I 

Violoniste,  compositeur,  élève  de  Carafa,  il  était  déjà  chef 
d'orchestre  du  petit  théâtre  Comte,  lorsqu'il  obtint,  à  2S  ans, 
le  prix  de  Rome,  pour  la  composition  d'une  cantate,  Acis  et 
Galatée,  dont  Camille  du  Locle  était  l'auteur. 

Ce  jour-là,  le  librettiste  promit  solennellement  au  compo- 
siteur que  si  jamais  il  était  directeur  de  l'Opéra-Comique,  il 
lui  jouerait  certainement  un  ouvrage,  parole  qui  devait  être 
scrupuleusement  tenue. 


Douce  physionomie  que  celle  de  Jean  Conte,  nature  simple 
et  bonne,  âme  naïve  et  chaude  d'artiste,  que  j'aime  à  évo- 
quer parmi  ces  disparus  que  la  renommée  ne  devait  point 
tirer  de  leur  ombre  modeste,  dont  l'avenir  ne  répétera  pas  le 
nom,  mais  dont  on  se  souvient  avec  une  amitié  affectueuse. 

Je  le  vois  encore,  à  son  pupitre  de  second  violon  ou  d'alto 
de  l'Opéra,  ou  dans  quelques  rares  rencontres,  avec  ses 
traits  tout  ronds,  respirant  la  bonté  et  la  finesse,  non  sans 
quelques  furtifs  mouvements  d'humeur  bourrue,  le  teint 
bistré,  les  cheveux  blancs  coupés  en  brosse  comme  la  mous- 
tache, de  petite  taille,  d'allure  discrète,  et  quand  il  parlait, 
surtout  quand  il  parlait  de  ses  espérances,  distillant  pour 
ainsi  dire  chaque  parole,  comme  pour  mieux  garder  à  la 
pensée  toute  sa  saveur. 

Après  Rome,  il  avait  cherché  à  se  faire  jouer;  en  réalité, 
il  revenait-  au  bon  moment,  à  la  veille  de  l'ouverture  du 
Théâtre-Lyrique,  où,  dans  la  seule  année  18G0,  vingt-trois 
ouvrages  furent  repris,  ou  donnés  pour  la  première  fois. 
Trente  années  écoulées  ont  changé  bien  des  habitudes  dans 
nos  théâtres!  —  Vingt-trois  ouvrages  en  un  an!  Comme  cela 
doit  paraître  invraisemblable  à  nos  contemporains! 

Jean  Conte  n'eut  point  sa  part  des  bonnes  grâces  de  la 
direction  du  Théâtre-Lyrique.  Los  premières  ardeurs  calmées, 


les  premiers  mécomptes  subis,  il  se  tourna  vers  l'enseigne- 
ment; il  écrivit  des  méthodes,  d'agréables  pages  instrumen- 
tales, devint  professeur  à  l'école  des  frères  de  Passy,  et  enfin 
fit  partie  de  l'orchestre  de  l'Opéra  et  de  la  Société  des  con- 
certs. 

Ce  fut  dans  cette   sorte  de    retraite    qu'il    s'était   faite   au 
milieu  de  la  foule  même,  dans  la  quiétude  d'une  vie  labo- 
rieuse et  méthodique,  que  vint  tout  à  coup  le  troubler  l'am- 
bition d'avoir  une  pièce  sur  l'affiche  de  l'Opéra-Comique. 
(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


ON  DEMANDE  UN  CHEF  D'ORCHESTRE 
Les  «  questions  »  s'accumulent  à  l'Opéra,  comme  dans  toutes  les 
maisons  dont  la  direction  n'est  ni  bien  franche  ni  bien  nette. 
Après  celle  du  Mage  et  de  Salammbô,  dont  nous  avons  entretenu 
nos  lecteurs  dimanche  dernier,  voici  la  «  question  du  chef  d'or- 
chestre »  qui  s'impose  à  nos  méditations. 

La  situation  de  M.  Vianesi  à  l'Opéra  paraît  en  effet  fortement 
ébranlée.  Il  y  a  beau  jour  d'ailleurs  que  des  manœuvres  sourdes 
sont  dirigées  contre  lui  dans  le  personnel  du  théâtre.  Les  chanteurs 
trouvent  qu'il  ne  se  prête  pas  assez  à  leurs  fantaisies,  aux  effets 
qu'ils  entendent  produire  parfois  au  détriment  du  rythme  et  de  la 
mesure.  Les  chefs  du  chant  rêvent  tous  plus  ou  moins  de  le  rem- 
placer au  pupitre.  Les  danseuses  voudraient  qu'il  sacrifiât  davan- 
tage la  musique  symphonique  des  ballets  modernes  aux  exigences 
de  leurs  ronds  de  jambe  et  de  l'élévation  de  leur  ballon.  On  voit 
que  ce  n'est  pas  une  situation  commode  que  celle  de  chef  d'or- 
chestre à  l'Opéra.  Le  papa  Ritt  lui-même  ne  peut  plus  sentir  son 
batteur  de  mesure  depuis  le  jour  oîi  celui-ci,  en  véritable  fils  d'Ita- 
lie et  descendant  de  Machiavel,  a  voulu  lui  subtiliser  sa  place  au 
moyen  d'une  combinaison  mystérieuse  mijotée  avec  cet  excellent 
Gailhard,  qui  avait  rêvé  de  jeter  son  vieil  associé  et  complice  par- 
dessus bord  en  en  faisant  le  seul  bouc  émissaire  de  toutes  les  pe- 
tites infamies  commises  à  l'Opéra  (1). 

A  l'Opéra,  il  n'y  avait  donc  à  peu  près  que  M.  Vianesi  qui  fût 
satisfait  de  lui-même,  lui  et  ses  musiciens,  pour  lesquels  il  avait 
des  bontés  qui  pouvaient  passer  pour  des  faiblesses.  Il  accordait  des 
congés  sans  rechigner  à  tous  ceux  qui  en  demandaient,  désireux  de 
gagner  au  dehors  des  cachets  supplémentaires.  Il  s'ensuivait  dans 
l'orchestre  de  notre  Académie  un  certain  désarroi  dont  on  s'aperce- 
vait bien  les  soirs  où  il  y  avait  un  trop  grand  nombre  de  remplaçants. 
Les  exécutions  étaient  donc  moins  bonnes,  mais  M.  Viasesi  y  gagnait 
en  popularité  parmi  ses  musiciens.  Aussi  ceux-ci  s'empressent-ils 
de  signer  une  pétition  pour  demander  son  maintien  à  la  tête  de 
l'orchestre  de  l'Opéra  (2). 

(1)  Dans  l'Écho  de  Paris  du  27  septembre,  M.  Henry  Bauer  fait  une  allusion  à 
cette  petite  histoire,  en  termes  un  peu  vifs  peut-être,  mais  bons  néanmoins  à 
reproduire  pour  l'édification  de  nos  lecteurs.  Parlant  de  l'incident  Vianesi  : 
«  On  remarquera,  dit-il,  que  Gailhard  ne  paraît  pas  en  toute  cette  aBaire.  L'illus- 
trissimo  signor  Crispino  s'essaie  à  nous  jouer  un  tour  de  sa  façon.  Sentant  qu'il 
a  révolté  tous  les  artistes,  lassé  l'opinion,  irrité  le  Parlement,  il  affecte  une  gri- 
mace nouvelle.  Ce  n'est  plus  le  cuistre  arrogant  et  menteur,  stupidement  ignorant 
qui  taillait  le  plus  beau  morceau  de  l'œuvre  de  Reyer  et  renvoyait  les  composi- 
teurs français  à  Bruxelles;  ce  n'est  plus  le  mercanti  d'une  direction  qui  aura  été 
la  honte  et  le  scandale  de  ce  temps;  le  Gailhard  fait  le  bon  apôtre  et  rejette 
toute  la  faute  sur  son  compère  :  «  c'est  de  lui  que  vient  le  mal,  à  lui  seul  incombe 
la  responsabilité  des  mille  et  une  turpitudes;  moi,  j'étais  plein  de  bonnes  inten- 
tions, de  générosités,  de  visées  artistiques;  quand  je  serai  tout  seul,  vous  me 
verrez  à  l'œuvre.  »  Ce  farceur  convoite  l'héritage  et  flaire  les  souliers  du  mort. 
11  compte  escroquer  l'investiture  officielle,  et  sitôt  qu'il  pressent  un  concurrent, 
il  lui  propose  une  association  éventuelle.  La  direction  Gailhard -Vianesi  fut  une 
espérance  hasardeuse  durant  la  dernière  maladie  de  M.  Ritt.  Mais  le  vieux  per- 
siste: pareil  à  son  parent,  le  vieux  rat  de  la  fable, 

C'était  un  vieux  routier,  il  savait  plus  d'un  tour, 
Môme  il  avait  perdu  sa  queue  a  la  bataille. 

il  se  délie  des  blocs  enfarinés,  il  n'ignore  rien,  laisse  dire  et  empoche.  » 

(2)  M.  Louis  Besson  s'exprime  ainsi  dans  l'Événement  sur  le  compte  de  cette 
pétition  :  «  Une  des  causes  —  je  ne  dis  pas  la  cause  —  de  la  popularité  de 
M.  Vianesi,  auprès  des  artistes  musiciens,  c'est  la  grande  bonté  qu'il  montre  pour 
sa  brillante  phalange.  On  n'ignore  pas  que  M.  Vianesi  accorde  volontiers  des  congés 
à  ses  artistes,  et  qu'il  leur  permet  toujours  de  se  faire  remplacer  par  des  musiciens 
du  dehors.  On  ajoutai!,  même,  hier  soir,  qu'à  la  dernière  reprise  de  Bornéo,  par 
M.  Affre,  M.  Vianesi  n'avait  pas  voulu  rétablir  dans  le  ton  de  la  partition  (le  ton 
de  si  naturel)  l'air  de  Roméo  :  «  Ah  I  lève-toi,  soleil  I  »  que  M.  Jean  de  Reszké 
avait  transposé  en  si  bémol,  parce  que,  le  soir  du  début  de  M.  Affre,  vingt  musi- 


£   MEiNESTKIiL 


307 


Gailhard  aussi  soutiendrait  volontiers  le  «  maestro  »  à  cause  du 
complot  mystérieux  dont  nous  avons  parlé.  Mais,  sentant  la  cause 
mauvaise,  il  a  bien  soin  de  rester  à  Biarritz  pour  y  soigner  ses 
«  hémiplégies  faciales  «.  Quand  il  reviendra,  il  est  probable  que 
l'affaire  Vianesi  aura  été  réglée  à  son  désavantage,  et  il  en  feindra 
toute  la  désolation  possible.  A  Italien,  Toulousain  et  demi. 

lia  suffi,  en  effet,  d'une  étincelle  pour  mettre  le  feu  à  cet  incendie  si 
bien  préparé.  Un  bis  que  le  maestro  aurait  refusé  à  M""3  Lureau-Escalaïs, 
un  mouvement  trop  ralenti  au  "gré  de  la  basse  Plançon,  en  voilà 
assez  pour  déchaîner  des  colères  qui  ne  demandaient  qu'à  partir  en 
guerre.  Immédiatement  M.  Ritt,  qui  n'a  rien  oublié,  prend  fait  et 
cause  pour  ses  pensionnaires,  et  voilà  un  chef  d'orchestre  par  terre. 
Car  il  me  parait  difficile,  malgré  toute  sa  souplesse  italienne,  qu'il 
puisse  s'en  relever  facilement.  Il  s'est  lui-même  condamné  en  don- 
nant sur  l'heure,  sa  démission  verbale.  Cette  parole  imprudente, 
il  voudrait  bien  la  rattraper,  mais  elle  n'est  pas  tombée  dans  l'oreille 
d'un  sourd  et  le  papa  Ritt,  acharné  à  sa  proie  comme  tous  les  vieil- 
lards, en  tirera  tout  le  parti  possible. 

Sera-ce,  au  résumé,  un  bien  grand  mal  que  le  départ  de  M.  Vianesi  ? 
Nous  ne  le  pensons  pas.  Nous  avouons  avoir  eu  sur  son  compte  beau- 
coup trop  d'illusions,  et  nous  avons  certainement  salué  son  entrée  à 
l'Opéra  de  fanfares  intempestives.  Que  voulez-vous"?  Il  était  resté 
dans  noire  souvenir,  depuis  son  apparition  à  l'ancien  Théâtre-Italien 
de  Paris,  comme  un  chef  d'orchestre  plein  d'entrain  et  de  verve.  Fraî- 
chement ganté  de  blanc,  il  n'avait  certes  pas  son  pareil  pour  enlever 
une  exécution  du  Barbiei-e  ou  de  la  Sonnambula.  Sans  doute  en  son  en- 
fance on  l'avait  abreuvé  de  Champagne  Rossini  et  on  l'avait  bercé  avec 
les  douces  cantilènes  de  Bellini.  Il  les  avait  dans  le  sang  et  les  expecto- 
rait d'intuition.  C'était  vraiment  un  aimable  maestro  et  sa  vogue  fut 
grande.  Il  faut  croire  que  notre  art  français  réclame  d'autres  qualités  en- 
core, moins  de  fantasmagorie  et  plus  de  sérieux  au  fond.  Toujours  est- 
il  que  lorsque  l'éminent  chef  d'orchestre  italien  dirigeait  les  Huguenots, 
il  avait  toujours  l'air  de  diriger  gli  Ugonotti,  comme  il  faisait  à  Londres 
ou  à  Saint-Pétersbourg,  avec  le  sans-façon  qu'on  y  met.  Il  avait  eu 
soin  pourtant  de  se  faire  naturaliser^  français;  mais  sa  nature  était 
plus  forte  que  sa  naturalisation.  N'insistons  pas  sur  la  série  de 
déceptions  qu'il  nous  a  procurées.  Qu'il  s'empresse  de  redevenir 
un  simple  citoyen  de  la  patrie  des  Crispi  et  des  Crispins,  comme 
il  est  né,  et  qu'il  ne  quitte  plus  le  terroir  où  il  a  poussé  ses  pre- 
mières années.  C'est  ce  qu'on  peut  lui  souhaiter  de  mieux. 

Voilà  donc  une  succession  ouverte,  en  attendant  celle,  beaucoup 
plus  désirable  encore,  de  la  direction  elle-même. 

Quel  sera  le  successeur  de  M.  Vianesi?  Il  semble  tout  désigné  à 
l'avance.  M.  Danbé  se  trouvant  déjà  pourvu  ailleurs  et  dans  des 
conditions  financières  qu'il  ne  pourrait  espérer  de  la  rigide  écono- 
mie de  M.  Ritt,  M.  Colonne  ayant  déjà  fort  à  faire  avec  ses  beaux 
concerts  du  Chàtelet  et  les  diverses  entreprises  auxquelles  il  est 
attaché,  il  n'y  a  qu'à  se  tourner  du  côté  de  M.  Joseph  Dupont, 
l'ancien  chef  d'orchestre  de  la  Monnaie  de  Bruxelles.  Celui-là  a 
une  autorité  et  aussi  une  dignité  d'artiste  que  nul  ne  saurait  con- 
tester. Prenons  le  talent  où  il  se  trouve  et  surtout  n'allons  pas  lui 
demander  des  lettres  de  naturalisation.  Ce  serait  trop  bête  et  trop 
mesquin. 

H.  Mobeno. 

Odéon.  —  La  Maîtresse  légitime,  comédie  en  4  actes,  en  prose,  de 
Louis  Davyl.' 

Le  titre  seul  de  cette  comédie  vous  en  rappelle  suffisamment  le 
sujet,  et  je  ne  me  crois  pas  obligé  d'y  revenir  et  de  vous  le  narrer 
dans  ses  détails.  Il  s'agit  là  d'un  chaleureux  et  noble  plaidoyer  en 
faveur  de  la  femme  qui  aime  un  homme  qu'elle  ne  peut  épouser. 
L'auteur  s'attache  à  nous  démontrer  que  les  liens  du  mariage  ne 
sont  point  les  seuls  à  légitimer  une  union  dans  laquelle  la  femme 
vit  une  vie  d'amour,  de  dévouement  et  d'abnégation,  et  que  si 
Marthe  ne  peut  devenir  M™  Dalesmes  qu'au  baisser  du  rideau, 
elle  est  digne  cent  fois  de  l'être,  ou  d'être  tenue  comme  telle,  dès 
le  commencement  même  de  l'action.  Louis  Davyl  avait,  lors  de  la 
première  représentation,  en  1874,  grandement  gagné  son  procès,  et, 
chaque  fois  que  l'Odéon  a  repris  la  Maîtresse  légitime,  chaque  fois 
le   publie  y  est  venu  applaudir.  Cette  fois  encore  la  partie  drama- 

ciens  étrangers,  pour  le  moins,  avaient  pris  place  à  l'orchestre,  et  que  ces  vingt 
musiciens,  non  habitués  aux  transpositions,  môme  quand  elles  ont  pour  but  de 
rétablir  une  tonalité  originale,  auraient  pu  suivra  les  parties  recopiées  et  annotées. 
Cette  petite  histoire,  entre  cent  autres,  est  probablement  exagérée.  Cependant, 
nous  le  répétons,  il  faut  attendre.  En  tous  cas,  la  pétition  de  l'orchestre  est  dores 
et  déjà  considérée  comme  un  acte  de  partialité,  et  nous  ne  doutons  pas  que 
l'administration  supérieure,  d'accord  avec  les  directeurs  de  l'Opéra,  ne  prenne, 
dans  un  sens  ou  dans  m  autre,  d",s  mesures  favorables  avant  tout  à  l'art  français. 


tique  de  la  pièce  a  produit  sou  effet  accoutumé,  et  bien  des  jolis 
yeux  rougis  se  dissimulaient  mal  derrière  le  grand  éventail  de 
plumes.  Mais  tout  vieillit  si  vite  en  cette  fin  de  siècle  que  la  partie 
légère  et  de  comédie  pure  a  semblé  avoir  pris  déjà  quelques  rides 
précoces,  et  le  personnage  trop  sympathique  et  toujours  trop  spiri- 
tuel du  poète  Jean  Duluc  n'en  est  pas  une  des  moindres  causes. 
Oh!  le  raseur  de  profession  qui,  à  sa  première  entrée  en  scène,  ne 
craint  pas  de  s'écrier  :  «  Vous  savez  que  j'ai  en  horreur  les  gens 
qui  font  de  la  morale  »,  et  qui  ne  peut  apparaître  sans  morigénera 
droite  et  à  gauche  et  sans  se  moquer  le  plus  aimablement  qu'il 
peut,  d'ailleurs,  de  tous  les  gens  à  qui  il  daigne  parler,  en  les 
fouaillant  de  son  esprit  qui  sent  quelque  peu  le  commis-voyageur. 
S'il  était  né  seulement  quelques  années  plus  tard  et  qu'il  ait  tant 
soit  peu  versé  dans  la  belle  manie  de  psychologie  moderne,  comme, 
en  s'analysant  sincèrement,  il  en  arriverait  à  haïr  sa  pédante  petite 
personne!  Il  lui  sera,  néanmoins,  beaucoup  pardonné,  car,  sans 
lui,  Dalesmes  n'épouserait  pas  Marthe,  et  la  petite  Geneviève  Boul- 
mier  ne  mettrait  pas  à  nu  le  délicieux,  mais  fantasque  petit  cœur 
de  jeune  fille  qu'elle  possède  en  cachette. 

L'interprétation  actuelle  de  la  Maîtresse  légitime  est  confiée  à 
Mmf>  Antonia  Laurent,  qui  est  touchante,  el  à  M.  Albert  Lambert 
père,  qui  est  correct  et  très  froid.  M.  Dumény  personnifie  à  souhait 
Jean  Duluc  et  M'le  Déa-Dieudonné  est  absolument  charmante  sous 
les  traits  de  Geneviève.  MM.  Montbars,  Paul  Reney,  Cornaglia  et 
Mme  Crosnier  demeurent  toujours  solides  au  poste. 

Paul-Emile  Chevalier. 


UN   VIRTUOSE  COURONNÉ 

(Suite.) 


Revenons  donc  à  cette  flûte,  cause  de  tant  d'horreurs.  Loin  de  la 
délaisser,  après  de  si  cruelles  épreuves,  le  prince  royal  ne  fit  que 
se  passionner  davantage  pour  son  instrument  favori. 

Il  en  joua  tant  qu'il  en  garda  toute  sa  vie  la  tête  penchée  à  gauche, 
avec  toute  une  déviation  du  corps  du  même  côté. 

Un  musicien  de  sa  chapelle  a  pu  dire,  non  sans  raison  : 

Si  vous  croyez  que  le  roi  aime  la  musique,  vous  vous  trompez  : 

il  n'aime  que  la  flûte. 

El,  de  fait,  dans  sa  vieillesse,  ayant  perdu  plusieurs  dents,  Fié- 
déric  cessa  de  jouer  de  la  flûte  et  se  désaffectionna  de  la  musique. 
Cependant  il  serait  injuste  de  lui  refuser  un  certain  goût  musical, 
doublé  d'un  flair  artistique  très  réel. 

Nous  ne  parlerons  que  pour  mémoire  de  ses  volumineuses  com- 
positions, dont  M.  Jules  Simon  a  rapporté  un  spécimen  pour  prix 
de  son  philanthropique  voyage  à  Berlin.  Frédéric  II  n'a  pas  composé 
moins  de  cent  morceaux  pour  la  flûte  ;  mais  il  n'en  écrivait  que  la 
partie  principale  et  chargeait  du  reste  son  organiste,  Jean  Frédéric 
d'Agricola,  auteur  de  plusieurs  opéras,  entre  autres  d'une  Clemensa 
di  Tito,  citée  par  Voltaire  en  des  circonstances  particulièrement 
dramatiques,  car  il  semble  écrit  que  rien  ne  va  sans  le  drame  dans 
la  vie  du  grand  Frédéric. 

Mais  laissons  la  parole  au  philosophe  de  Ferney  : 

«  Il  y  avait  dans  les  prisons  de  Spandau  un  vieux  gentilhomme 
de  Franche-Comté,  haut  de  six  pieds,  que  le  feu  roi  avait  fait  enlever 
pour  sa  belle  taille  ;  on  lui  avait  promis  une  place  de  chambellan, 
et  on  lui  en  donna  une  de  soldat.  Ce  pauvre  homme  déserta  avec  quel- 
ques-uns de  ses  camarades  ;  il  fut  saisi  et  ramené  devant  le  feu  roi, 
auquel  il  eut  la  naïveté  de  dire  qu'il  ne  se  repentait  que  de  n'avoir 
pas  tué  un  tyran  comme  lui.  On  lui  coupa,  pour  réponse,  le  nez  et 
les  oreilles  ;  il  passa  par  les  baguettes  trente-six  fois  ;  après  quoi  il 
alla  traîner  la  brouette  à  Spandau.  Il  ia  traînait  encore  quand 
M.  de  Valory,  notre  envoyé,  me  pressa  de  demander  sa  grâce  au 
très  clément  fils  du  très  dur  Frédéric-Guillaume. 

o  Sa  Majesté  se  plaisait  à  dire,  que  c'était  pour  moi  qu'elle  fai- 
sait jouer  la  Clemensa  di  Tito,  opéra  plein  de  beautés,  du  célèbre 
Metastasio,  mis  en  musique  par  le  roi  lui-même,  aidé  de  son  compo- 
siteur. Je  pris  mon  temps  pour  recommander  à  ses  bontés  ce.  pauvie 
Franc-Comtois  sans  oreilles  et  sans  nez,  et  lui  détachai  cetle  se- 
monce : 

Génie  universel,  âme  sensible  et  ferme, 

Quoi!  lorsque  vous  régnez  il  est  des  malheureux? 

Aux  tourments  d'un  coupable,  il  vous  faut  me'.tre  un  terme, 

Et  n'en  mettre  jamais  à  vos  soins  généreux. 


308 


LE  MENESTREL 


Voyez  autour  de  vous  les  prières  tremblantes, 
Filles  du  repentir,  maîtresses  des  grands  cœurs, 
S'étonner  d'arroser  de  larmes  impuissantes 
Les  mains  qui  de  la  terre  ont  dû  sécher  les  pleurs. 

Ah  !  pourquoi  m'étaler  avec  magnificence 
Ce  spectacle  brillant  où  triomphe  Titus  ? 
Pour  achever  la  fête  égalez  sa  clémence 
Et  l'imitez  en  tout  ou  ne  le  vantez  plus. 

«  La  requête  était  un  peu  forte,  mais  on  a  le  privilège  de  dire 
ce  qu'on  veut  en  vers.  Le  roi  promit  quelque  adoucissement,  et 
même  plusieurs  mois  après  il  eut  la  bonté  de  mettre  le  gentilhomme 
dont  il  s'agissait  à  l'hôpital  à  six  sous  par  jour.  Il  avait  refusé 
cette  grâce  à  la  reine  sa  mère,  qui  apparemment  ne  l'avait  demandée 
qu'en  prose.  » 

Voltaire  eut  d'autres  occasions  d'éprouver  la  science  musicale  de 
Frédéric  le  Grand. 

On  sait  que  notre  compatriote  jouait  le  rôle  d'un  agent  secret 
auprès  du  roi  de  Prusse.  Il  avait  été,  suivant  son  propre  aveu; 
dépêché  chez  ce  monarque  pour  sonder  ses  intentions  et  préparer 
une  alliance  avec  la  France.  A  La  Haye,  il  s'était  procuré  des 
copies  de  toutes  les  résolutions  secrètes  des  hautes  puissances,  très 
mal  intentionnées  contre  la  France.  Puis,  en  Prusse,  il  avait,  fort 
de  cette  expérience,  traité  d'égal  à  égal  avec  Frédéric.  Il  lui  en- 
voyait de  sa  chambre  à  son  appartement  ses  réflexions  sur  un  papier 
à  demi-marge,  et  le  roi  répondait  sur  une  colonne  à  ses  demandes. 
Un  jour,  Voltaire  écrivit  : 

«  Doutez-vous  que  la  maison  d'Autriche  ne  vous  redemande  la 
Silésie  à  la  première  occasion?  » 

Voici  la  réponse,  en  marge   : 

Ils  seront  reçus,  Biribi 
A  la  façon  de  Barbari,  mon  ami. 

Cette  citation  prouve  que  Frédéric  appréciait  la  chanson  française. 
Mais  là  se  bornait  sans  doute  sa  connaissance  de  notre  musique 
nationale,  car  il  n'en  parle  jamais  dans  ses  lettres,  tandis  qu'il 
s'occupe  souvent  de  l'art  italien,  pour  exhaler  d'ailleurs  sa  prévention 
contre  lui. 

Cette  prévention,  il  l'affichait  en  toute  occasion.  Lorsque  le 
musicien  Reichardt  lui  fut  présenté,  il  lui  adressa  la  parole  en  ces 
termes  : 

—  D'où  êtes-vous  ? 

—  De  Kœnisberg. 

—  Où  avez-vous  appris  la   musique  ? 

—  A  Berlin  et  à  Dresde. 

—  Êtes-vous  allé  en  Italie  ? 

—  Non,  Sire,  mais... 

—  C'est  votre  bonheur.  Gardez-vous  des  Italiens  modernes. 

Or,  ces  «  Italiens  modernes  »  n'étaient  autres  que  Piccinni,  Sac- 
chini,  favoris  du  succès,  et,  parmi  les  débutants,  Paisiello  et  Cima- 
rosa.  C'est  indiquer  suffisamment  combien  l'éloignement  du  roi  pour 
la  musique  italienne  était  grand. 

Par  contre,  s'il  n'aimait  pas  la  mélodie  transalpine,  il  ne  compre- 
nait pas  qu'on  pût  se  servir  d'une  autre  langue  que  de  la  langue 
italienne  pour  accompagner  la  pensée  musicale.  De  sorte  que  pour 
sa  plus  grande  satisfaction,  et  pour  obtenir  l'idéal  de  son  goût,  il 
faisait  composer  des  opéras  italiens  par  ses  musiciens  allemands'.  Il 
en  donnait  lui-même  le  plan,  en  surveillait  paroles  et  musique,  et 
n'en  permettait  la  représentation  qu'après  en  avoir  soigné  tous'  les 
détails. 

Avant  lui,  l'opéra  n'existait  pour  ainsi  dire  pas  à  Berlin.  Alors 
que  partout  ailleurs  l'art  lyrique  apparaissait  entouré  de  mille  séduc- 
tions, on  en  était  encore,  en  cette  ville,  aux  Mystères,  —  et  quels 
Mystères!...  Dans  le  Christ  mourant,  opéra  très  goûté  du  public  au 
momeQt  où  le  traître  Judas  se  pendait,  après  s'être  ouvert  le  ventre 
Satan  reprenait  en  écho  ses  dernières  paroles;  puis  il  rassemblait 
dans  un  panier  les  entrailles  de  l'apostat  et,  s'asseyant  dessus,  il 
entonnait  un  air  de  bravoure. 

Frédéric  II  eut  donc  tout  à  créer.  Il  fit  construire  une  salle  de 
trois  cents  pieds  de  long  par  un  de  ses  chambellans,  nommé  Kno- 
bersdorf,  qui  n'était  pas  architecte;  [puis,  dérivant  du  même  prin- 
cipe économique,  il  forma  son  menu  personnel  en  réquisitionnant 
tout  ce  qui  se  trouvait  à  sa  portée.  Les  choristes,  les  employés  du 
théâtre  étaient  à  peine  payés.  Par  contre,  les  plus  belles  voix  et  les 
meilleurs  danseurs  de  l'étranger  furent  à  ses  gages.  Alors  que  le 
poète  italien  attaché  à  l'Opéra  n'avait  que  douze  cents  livres  de 
gages,  la  Barbarini,  danseuse  vénitienne,  touchait  à  elle  seule  plus 
que  trois  ministres  d'État  ensemble. 


Il  est  vrai  que  c'était  la  Barbarini,  c'est-à-dire  la  favorite,  à  laquelle 
l'histoire  a  créé  une  légende  de  toute-puissance,  dont  il  ne  faut 
assurément,  vu  l'esprit  absolu  du  roi  et  son  indépendance  en  ma- 
tière d'affection,  ne  prendre  que  la  moitié. 

Pour  le  poète  italien,  il  se  paya  un  jour  par  ses  mains  :  il  décousit, 
dans  une  chapelle  du  premier  roi  de  Prusse,  de  vieux  galons  d'or 
dont  elle  était  ornée.  Frédéric  II  fut  informé  de  ce  rapt,  mais 
comme  il  ne  fréquentait  guère  les  chapelles,  il  dit  qu'il  n'y  per- 
dait rien.  Il  venait,  d'ailleurs,  d'écrire  une  dissertation  en  faveur 
des  voleurs,  qui  est  imprimée  dans  les  recueils  de  son  académie,  et 
il  ne  jugea  pas  à  propos  cette  fois-là  de  détruire  ses  écrits  par  des 
faits. 

Les  premières  représentations  à  l'Opéra  de  Berlin  étaient  géné- 
ralement précédées  de  festins  de  gala,  les  seuls  que  le  roi  se  per- 
mît au  cours  de  l'année.  Rompant,  ces  jours-là,  avec  ses  habitudes 
parcimonieuses,  il  traitait  ses  invités  avec  un  luxe  qu'on  ne  con- 
naissait pas  à  Potsdam.  C'était  un  très  beau  spectacle,  parait-il,  de 
le  voir  à  table,  entouré  de  vingt  princes  de  l'empire,  servi  dans  la 
plus  belle  vaisselle  d'or  de  l'Europe,  trente-deux  pages  et  autant  de 
jeunes  heiduques  superbement  parés,  portant  de  grands  plats  d'or 
massif.  Les  grands  officiers  paraissaient  alors,  mais  hors  de  ces 
occasions  on  ne  les  connaissait  pas. 

On  allait  ensuite  à  l'Opéra,  où  le  roi,  mais  le  roi  seul,  applaudis- 
sait ses  premiers  sujets,  la  Barbarini,  cela  va  sans  dire,  et  aussi 
Mme  Mara,  l'idole  du  publie  et  l'étoile  de  la  troupe  lyrique  rassem- 
blée par  l'auguste  imprésario. 

III 

Le  Mercure  de  France  publiait  en  1780  l'article  suivant  :  «  Nous 
avons  une  triste  nouvelle  à  annoncer  à  nos  lecteurs  :  Le  roi  de 
Prusse  vient  d'ordonner  dans  ses  étals  le  rétablissement  de  la  tor- 
ture. Ce  cruel  instrument,  que  nous  croyions  pour  jamais  rélégué 
dans  le  vieil  arsenal  du  moyen  âge,  a  donc  de  nouveau  vu  le  jour. 
Et  contre  qui  ce  roi  sage  et  bien-aimé  emploie-t-il  ainsi  la  question 
ordinaire  et  extraordinaire?  Sans  doute  contre  un  vassal  insolent  et 
rebelle,  contre  un  misérable  dont  les  crimes  ont  fait  le  désespoir  de 
la  justice  ?  Non  pas,  mais  contre  une  jeune  et  belle  femme  de 
vingt  ans,  une  artiste  aimée  de  tous,  contre  une  cantatrice  de  sa 
chapelle  privée.  Il  est  vraiment  affligeant  d'avoir  à  raconter  comment 
un  prince,  naguère  devenu  maître  de  deux  cent  mille  Autrichiens, 
n'a  point  rougi  d'employer  en  face  de  l'Europe  les  mêmes  moyens 
pour  dompter  une  faible  créature,  n'ayant  d'autre  défaut  qu'une  voix 
touchante  et  capable  de  charmer  les  cœurs,  ceux  des  tyrans  exceptés. 

»  Il  s'agit  de  Mme  Mara,  nom  qui  sera  bientôt  cher  à  tous  les 
Français,  car  sans  doute  nous  l'aurons  parmi  nous.  La  malheureuse 
persécutée  échappera  à  son  bourreau,  et  la  France  sera,  comme 
toujours,  prompte  à  redresser  les  torts  des  autres  gouvernements 
envers  les  faibles  et  à  prendre  la  victime  sous  sa  protection. 

»  Voici  le  fait:  Ma,e  Mara  ne  peut  chanter  parce  que  Mmc  Mara  est 
malade.  Le  roi  ordonne  qu'elle  chante;  et,  en  conséquence  de  cet 
ordre  inique,  des  soldats  viennent  l'arracher  de  son  lit  de  douleur 
où  elle  vient  de  recevoir  les  sacrements,  la  jettent  dans  une  voiture 
qui  ne  sert  qu'à  transférer  des  condamnés  au  lieu  du  supplice  et 
la  traînent  jusqu'au  théâtre. 

»  Là,  un  officier  avec  ses  six  dragons  la  reçoit;  et,  après  l'avoir 
prise  des  mains  du  sous-officier  de  gendarmerie  qui  escortait  la 
voiture,  il  l'accompagne  jusqu'à  sa  loge,  où  il  se  pose  en  sentinelle 
pour  voir  par  ses  yeux  que  Sémiramis  ne  néglige  aucun  des  soins 
de  sa  toilette.  Se  figure-t-on  une  pareille  barbarie?  Une  jeune 
femme,  sans  égards  pour  ce  qu'on  doit  à  la  pudeur  de  son  sexe,  à 
son  orgueil  d'aviiste,  exposée  aux  regards  offensants  d'un  lieutenant 
de  dragons  !  Mais,  ce  n'est  pas  tout,  lorsqu'elle  entre  eu  scène,  deux 
grenadiers  se  placent  à  ses  côtés  .et  voilà  les  géants  fameux  de  la 
garde  de  Potsdam,  l'amour  et  le  joujou  de  l'ambition  des  rois  de 
Prusse,  qui  se  mettent  à  surveiller  les  sons  d'une  cantatrice,  tou- 
jours prêts  à  l'écraser  de  leurs  baïonnettes,  au  cas  où  elle  ferait 
mine  de  vouloir  se  taire. 

»  Et  tandis  que  de  telles  horreurs,  dignes  du  moyen  âge,  se 
passent  sur  la  scène,  le  docte  et  philosophique  Berlin  est  assis 
tranquillement  au  parterre  et  se  réjouit  de  voir  son  sage  roi  causer 
et  rire  avec  un  prince  du  Nord  qui  le  visile  en  ce  moment. 

»  En  vérité,  tout  cela  semble  incroyable,  et  nous-mêmes  n'y  ajou- 
tons foi  que  parce  que  nous  le  tenons  d'une  source  irrécusable.   » 

De  savants  critiques  ont  préteudu  que  le  rédacteur  du  Mercure  de 
France  avait  forcé  la  note,  que  les  rancunes  patriotiques  du  moment 
lui  avaient  seules  dicté  ce  foudroyant  article  et  que  le  grand  Fré- 
déric n'éla;t  pas  au«-i  lyran  qu'on  voulait  bien  le  dire. 


LE  MÉNESTREL 


309 


Malheureusement  pour  la  mémoire  de  ce  héros,  si  cher  aux 
esprits  superbes  affranchis  de  préjugés  mesquins  de  patriotisme,  les 
souvenirs  et  les  lettres  de  la  cantatrice  Mara,  écrits  longtemps  après 
l'article  du  Mercure  de  France,  n'en  attestent  que  trop  l'exactitude  et 
la  sincérité. 

Ce  fut  en  l'honneur  du  grand-duc  Paul  de  Russie  que  Mme  Mara 
dut  chanter,  sur  le  théâtre  de  la  cour,  non  pas  Sémiramis,  mais 
Armide. 

«  Je  grelottais,  dit-elle,  sous  mon  manteau  de  reine,  et  ma  pauvre 
tête,  déjà  si  endolorie,  avait  à  supporter  le  poids  d'un  diadème 
dérisoire.  Oui,  murmurais-je,  tandis  que  la  fièvre  battait  mes  tempes 
à  coups  redoublés,  oui  je  chanterai,  mais  comme  on  chante  sous 
le  fouet.  Je  veux  qu'au  lieu  de  le  charmer,  ma  voix  l'épouvante 
et  lui  porte  jusqu'au  fond  de  l'âme  cette  haine  qu'il  ne  serait  point 
permis  à  mes  paroles  d'exprimer.  Vous  dire  à  quel  point  je  l'abhorais, 
cet  homme,  il  n'y  faut  point  songer.  Je  ne  voyais  en  lui  qu'un 
barbare  (ce  que,  du  reste,  avant  comme  après,  il  n'a  pas  cessé 
d'être  à  mes  yeux),  un  barbare  menteusement  fardé  devant  l'Europe 
par  des  panégyristes  gagés  ». 

Cet  appareil  de  torture  que  le  rédacteur  du  Mercure  de  France 
reprocha  si  eomplaisamment  à  Frédéric  est  indiqué  avec  plus  de 
précision  encore  dans  le  récit  de  la  victime.  La  Mara  nous  montre 
à  sa  gauche  l'officier  lui  désignant  du  doigt  la  scène,  et  à  sa  droite 
le  médecin  lui  tâtant  le  pouls  et  se  demandant  si  la  patiente  pourra 
supporter  jusqu'au  bout  l'épreuve . 

Cependant  elle  est  entrée  en  scène.  Elle  se  décide  à  chanter  ; 
mais  sa  voix  chevrote;  ses  notes  sont  incertaines  et  ses  gestes 
automatiques.  Toutefois,  comme  elle  pressent  une  catastrophe  qui 
porterait  un  coup  fatal  à  sa  réputation,  elle  se  raidit  contre  le  mal 
qui  l'accable;  la  colère  et  l'indignation  servent  la  résolution  qu'elle 
a  prise  de  triompher  par  le  fait  seul  de  sa  volonté,  dût-elle  mourir 
au  milieu  de  son  triomphe.  Du  moins  le  grand-duc  Paul  pourra 
dire  qu'il  a  vu  la  Mara  digne  de  sa  renommée. 

Elle  fut  sublime.  Chaque  fois  que  les  incidents  de  la  pièce  lui 
fournissaient  le  motif  d'une  allusion  contre  son  persécuteur,  le  timbre 
de  sa  voix  devenait  plus  clair,  plus  mordant,  plus  implacable.  Le 
grand-duc  se  penchant  hors  de  sa  loge  et  agitant  son  mouchoir  avec 
frénésie  donna,  le  premier,  le  signal  des  applaudissements.  Ce  fut 
alors,  contre  l'étiquette,  une  frénésie  générale;  mais  la  Mara  tom- 
bait évanouie,  aussitôt  le  rideau  baissé,  et  il  fallut  la  transporter 
chez  elle  où  elle  resta  plusieurs  jours,  comme  elle  le  direlle-même, 
entre  la  vie  et  la  mort. 

Nous  ne  serions  pas  éloignés  de  croire  qu'en  la  circonstance  Fré- 
déric eût  obéi  plutôt  encore  à  une  vieille  rancune  qu'au  dépit  d'un 
dilettante  blessé.  Mm0  Mara,  pour  être  la  première  cantatrice  de  la 
cour,  n'en  avait  pas  moins  gardé  une  certaine  liberté  d'allures  et  de 
langage  qui  devait  déplaire  à  ce  faux  philosophe,  le  plus  despote 
des  rois.  Il  n'ignorait  pas  qu'elle  frondait  volontiers  ses  goûts  et 
ses  préférences  de  musicien,  et  qui  sait  si  elle  n'avait  pas  déjà  dit 
tout  haut  ce  qu'elle  devait  écrire  plusieurs  années  après  à  un  de  ses 
amis  de  Leipzig: 

«  Berlin  est  à  coup  sûr  une  belle  ville,  mais  qu'on  pourrait  croire 
habitée  seulement  par  des  tambours,  car  on  n'y  entend  que  battre 
la  caisse  du  malin  au  soir.  En  fait  de  sociétés,  je  ne  vois  que  celles 
où  l'on  ne  me  demande  pas  de  chanter.  J'ai  vendu  ma  voix  au  roi 
de  Prusse,  elle  ne  m'appartient  done  plus  et  je  n'en  puis  disposer  à 
mon  gré  ». 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (2b  septembre)  :  Après  plu- 
sieurs remises,  la  reprise  de  Roméo  et  Juliette  vient  d'avoir  lieu  ce 
soir  même.  Je  n'ai  que  le  temps  de  jeter  quelques  mots  à  la  poste 
sur  cette  représentation  très  attendue,  qui  avait  d'autant  plus  d'intérêt 
que,  pour  M"c  Sanderson,  c'était  pour  ainsi  dire  un  véritable  début.  Il 
semble,  en  effet,  qu1 'Esclarmonde  ne  compte  pas  :  Esclarmonde  est  pour  elle 
un  cas  spécial,  une  création  faite  pour  ainsi  dire  par  l'auteur  bien  plus 
que  par^son  interprète.  Mais  voici  que  M110  Sanderson  se  met  à  voler  de 
ses  propres  ailes  et  entre  de  plain-pied  dans  le  répertoire.  Elle  y  était 
entrée,  certes,  déjà,  à  La  Haye,  où  elle  passa  une  saison  avant  d'aller  à 
Paris;  mais  on  en  sait  si  peu  de  chose!  Cette  fois,  le  début  est  tout  à 
(ait  officiel,  et  il  compte  réellement.  Le  succès  de  la  «  débutante  »  a  été 
très  mrable,    sinon    très    brillant.    Elle  avait   très   peur,  comme  dans 


Esclarmonde,  ou  à  peu  près.  Mais  une  fois  remise,  elle  a  fait  une  Juliette 
fort  jolie,  fort  agréable,  sinon  très  émue  et  très  émouvante.  C'est  M.  La- 
farge  qui  chantait  Bornéo.  Pour  lui  le  succès  n'a  pas  été  douteux. 
M.  Lafarge  est  chanteur  aussi  adroit  que  «  diseur  »  habile.  Il  a  interprété 
tout  son  rôle  en  artiste  de  premier  ordre,  avec  infiniment  de  talent,  et  il 
a  été  applaudi  avec  autant  de  chaleur  que  de  justice.  Le  reste  de  la  dis- 
tribution n'a  offert  rien  de  bien  surprenant  ni  de  particulièrement  digne 
d'être  signalé.  —  Samedi,  nous  aurons  les  débuts  de  Mllc  Nardi  dans 
les  Dragons  de  Villars.  Lucien  Solvay. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  Baden-Baden.  Une  brillante  saison 
d'opérettes  vient  d'être  clôturée  ici  avec  la  représentation  de  la  Vie  pa- 
risienne d'Offenbach.  —  Berlin.  B  vient  de  se  constituer  une  société  au 
capital  d'un  million  de  marks,  pour  l'exploitation  d'un  Eden-théàtre  qui 
va  être  érigé  sur  l'avenue  Unter  den  Linden.  M.  A.  Bonacher,  de  Vienne,  a 
été  choisi  comme  directeur  artistique.  —  L'ancien  Konigstàdtische  Theater 
se  consacre  dorénavant  au  drame  populaire,  et  change  son  nom  contre 
celui  de  Biirgerlisches  Schauspielhaus.  —  Stanley  en  Afrique  a  quitté  l'affiche 
du  Victoria  Theater  après  362  représentations,  et  a  été  remplacé  par  une 
autre  pièce  à  grand  spectacle  intitulée  le  Million,  dont  les  auteurs  sont 
MM.  A.  Mosko-wski  et  Nathanson  pour  le  livret,  M.  Baida  pour  la  mu- 
sique et  M.  Gredelue,  de  Paris,  pour  la  partie  chorégraphique.  Le  succès 
paraît  avoir  été  considérable.  —  Cobourg.  Le  public  du  théâtre  de  la  Cour 
a  fait  un  accueil  extrêmement  chaleureux  à  la  reprise  du  Mariage  secret  de 
Cimarosa,  remonté  entièrement  à  neuf.  —  Cologne.  Le  théâtre  municipal  a 
rouvert  ses  portes  avec  la  Flûte  enchantée.  La  première  nouveauté  de  la 
saison  sera  le  Roi  malgré  lui,  de  M.  Chabrier;  ensuite  viendra  la  Reine  de 
Saba,  de  Goldmark.  —  Dresde.  Un  nouvel  opéra  de  M.  Alban  Foerster  verra 
prochainement  le  feu  de  la  rampe  au  théâtre  de  la  Cour.  Titre  :  Dos 
Lorle.  —  Hambourg.  Le  théâtre  Cari  Schultze  a  subi  un  fiasco  lamentable 
avec  une  opérette,  le  Convive  pâle,  dû  à  la  collaboration  de  deux  musi- 
ciens, MM.  A.  Zamora  et  Hellmesberger  jeune,  et  d'autant  de  libret- 
tistes, MM.  Victor  Léon  et  H.  von  Waldberg.  —  Biga.  Le  théâtre  muni- 
cipal offrira  cette  année  à  ses  habitués  les  nouveautés  suivantes  :  Béatrix 
et  Bénédict,  de  Berlioz,  Jean  le  paresseux,  de  M.  A.  Ritter,  et  le  Maître  Voleur, 
de  M.  Lindner. 

—  Correspondance  de  Berlin  adressée  à  notre  confrère  l'Eventail, 
de  Bruxelles  :  «  L'Opéra  a  rouvert  ses  portes  et,  en  moins  d'une 
semaine,  a  gratifié  son  public  de  quatre  œuvres  de  Wagner  :  Lohengrin, 
Tannhduser,  le  Vaisseau  Fantôme  et  Tristan.  Pour  ceux  qui  aiment  cette  note- 
là,  c'est  parfait;  mais  les  autres?  Encore,  si  l'interprétation  avait  été 
remarquable,  le  mal  n'eût  pas  semblé  grand;  mais  elle  a  été  médiocre. 
L'Opéra  de  Berlin,  qui  n'a  pas  de  forte  chanteuse,  est  obligé  d'emprunter 
tantôt  celle  de  Hambourg,  Mm0  Sucher,  tantôt  celle  de  Dresde,  Mm°  Mal- 
ien, tantôt  celle  de  Leipzig,  Mm3  Moran-Olden.  Mme  Thérèse  Malten,  qui 
a  chanté  Yseult  dans  Tristan,  venait  d'apprendre,  dans  l'après-midi,  que 
sa  villa,  située  près  de  Dresde,  était  atteinte  par  l'inondation.  Elle  avait 
donc  fait  solliciter  l'indulgence  du  public...  par  une  bande  verte  posée  en 
travers  des  affiches  annonçant  la  représentation.  M.  Gudehus,  son  parte- 
naire à  Dresde,  à  Bayreuth  et  dans  cette  soirée,  est,  si  l'on  veut,  un 
consciencieux  chanteur  sans  talent  transcendant,  mais  sa  voix  est  tout  à 
fait  sur  le  déclin.  L'orchestre,  lui,  n'avait  même  pas  eu  un  raccord.  D'ail- 
leurs, pas  plus  pour  Tristan  que  pour  les  autres  ouvrages  du  maître,  il  n'y 
a  eu  de  répétitions.  On  dirait  vraiment  que  M.  l'intendant  de  Hochberg 
cherche  à  dégoûter  le  public  berlinois  des  ouvrages  wagnériens.  Le 
pauvre  homme  ne  s'aperçoit  pas  qu'il  est  en  train  de  le  dégoûter  de  l'Opéra 
lui-même.  Du  train  dont  vont  les  choses,  le  déficit  de  cette  année  dépas- 
sera certainement  celui  de  l'année  dernière,  qui  a  été  considérable.  » 

—  On  signale,  à  Berlin,  une  intéressante  collection  d'intruments  an- 
ciens parmi  lesquels  se  trouvent,  entre  autres,  une  épinette  de  voyage  de 
Frédéric  le  Grand,  un  piano  à  queue  dont  "Weber  se  servit  pendant  plus 
de  vingt  ans,  le  piano  de  voyage  de  Mozart,  et  le  grand  piano  à  queue  de 
Mendelssohn,  qui  sortait  des  ateliers  d'Érard.  Nous  avouerons  que  nous 
ne  sommes  pas  sans  quelque  scepticisme,  aujourd'hui,  à  l'endroit  des 
reliques  de  ce  genre.  On  a  tant  découvert,  depuis  un  quart  de  siècle,  de 
pianos  ayant  appartenu  à  Mozart  et  à  Beethoven!... 

On  assure  que  la  municipalité  de  Stockholm,  patriotiquement  émue 

des  succès  remportés  par  la  jeune  cantatrice  Sigrid  Arnoldson,  aurait 
décidé,  à  l'unanimité,  de  faire  placer  une  pierre  commémorative  sur  la 
maison  où  est  né  «  le  rossignol  suédois  ».  Voilà  qui  s'appelle  ne  pas 
perdre  de  temps! 

_  Mme  patti  vient  de  signer,  par  l'intermédiaire  de  M.  Daniel  Mayer, 
un  engagement  avec  M.  Julius  Zet,  de  Saint-Pétersbourg,  pour  aller  donner 
douze  représentations  à  Saint-Pétersbourg  et  à  Moscou.  La  diva  recevra, 
pour  ces  douze  représentations,  qui  auront  lieu  dans  le  courant  de  janvier 
et  de  février,  12,000  guinées  (318,000  francs),  et  aura  ses  voyages  payés 
pour  elle  et  sa  suite.  Les  compagnies  de  chemins  de  fer  russes  mettront 
un  train  spécial  à  la  disposition  de  Mme  Patti. 

—  Les  journaux  italiens  nous  apprennent  que  leur  compatriote,  le  jeune 
maestro  Ferrucio  Busoni,  qui  a  remporté  le  prix  de  composition  au  récent 
concours  Bubinstein,  vient  d'être  nommé  professeur  de  piano  au  Conser- 
vatoire de  Moscou. 


310 


LE  MÉNESTREL 


—  L'émule  de  Tamagno  et  de  Masini,  le  fameux  ténor  Roberto  Stagno, 
est  devenu,  paraît-il,  un  collectionneur  émérite,  ce  qui  l'a  conduit  à 
l'étude  du  violon.  «  Nous  avons  eu,  dit  à  ce  sujet  un  de  nos  confrères 
italiens,  l'occasion  de  faire  connaître  la  passion  prédominante  de  l'illustre 
artiste  pour  les  choses  d'art  et  d'antiquité.  Il  y  a  quelque  temps,  l'intel- 
ligent et  patient  collectionneur  eut  la  chance  de  trouver  et  d'acquérir,  en 
Espagne,  un  violon  de  Stradivarius  de  la  plus  belle  époque  du  célèbre 
facteur  crémonais,  puisqu'il  porte  la  date  de  1715.  Maintenant,  Stagno  a 
presque  complété  une  petite,  mais  splendide  collection,  en  faisant  l'ac- 
quisition de  trois  autres  violons,  un  Rugger,  un  Rergonzi  et  un  Guarne- 
rius,  qui  seraient  dignes  d'une  exposition.  Depuis  quelque  temps,  le 
divo  ténor  étudie  le  violon,  —  sans  prétention  à  devenir  un  Paganini,  — 
mais  uniquement  dans  le  but  de  tenir  sa  partie,  pour  sa  propre  satisfac- 
tion, dans  des  quatuors  classiques.  » 

—  Le  jeune  maestro  Mascagni  et  son  opéra  Cavalleria  rusticana  conti- 
nuent d'affoler  non  seulement  le  public,  mais  les  artistes  italiens.  A  la 
première  à  Florence  de  «  l'opéra  à  la  mode,  »  dit  la  Nazione,  assistait  tout 
un  noyau  d'artistes  :  le  ténor  De  Lucia,  les  frime  donne  Maria  Durand,, 
Medea  Rorelli,  Giuseppina  Gargano,  arrivée  tout  exprès  de  Bologne,  Eva 
Tetrazzini,  Damerini,  les  maestri  Lombardi  et  Seppilli,  les  impresari  Bolelli, 
Massimini  et  Lambertini,  le  fameux  tragédien  Tommaso  Salvini,  la 
signora  Pia  Marcbi  Maggi,  le  baryton  Sparapani,  la  basse  Wulinann, 
enfin  beaucoup  de  professeurs  de  l'Institut  musical,  un  grand  nombre  de 
critiques  et  presque  tous  les  musiciens  de  Florence.  —  Gela  devient  déci- 
dément une  rage,  et  si  le  jeune  Mascagni  ne  devient  pas  fou,  c'est  qu'il 
a  la  tête  solide  et  qu'il  est  doué  d'une  modestie  à  toute  épreuve. 

—  La  municipalité  de  Gènes  s'est  enfin  décidée  à  accorder  la  subven- 
tion de  60,000  francs  que  l'imprésario  Massimini  lui  demandait  pour  la 
prochaine  saison  d'hiver  au  théâtre  Garlo-Felice.  Le  programme  de  la 
nouvelle  direction  comprend,  avec  Flora  Mirabilis,  le  Cid  et  la  Cavalleria 
rusticana  du  jeune  compositeur  Mascagni,  encore  inconnue  du  public 
génois,  deux  opéras  entièrement  nouveaux,  il  Re  Lar,  de  M.  Antonio 
Cagnoni,  et  Bianca  d'Andorra,  de  M.  G.  Elia.  —  On  annonce  encore,  pour 
le  cours  de  cette  saison,  l'apparition  de  deux  autres  opéras  inédits  :  à 
Alexandrie,  Fiamma,  de  M.  Ravera,  et  à  Alba  (Piémont),  Lina  di  Monfer- 
rato,  paroles  de  M.  Paolo  dell'Elsa,  musique  de  M.  Agostino  Roche. 

—  Les  nouvelles  que  nous  avons  de  la  santé  du  pauvre  Faccio,  dit  fe 
Trovalore,  sont  de  plus  en  plus  mauvaises.  Tout  espoir  est  désormais  perdu, 
au  point  que  le  conseil  de  famille  vient  de  décider  de  le  transporter  dans 
une  maison  de  santé. 

—  On  nous  écrit  de  Rome,  dit  le  Mondo  artistico,  que  l'on  prépare  au 
théâtre  Costanzi,  pour  le  15  octobre,  un  spectacle  attrayant.  La  troupe  du 
professeur  Giozza,  dirigée  par  Mme  Adélaïde  Tessero,  représentera  l'Arté- 
sienne de  Daudet,  avec  les  intermèdes  musicaux  de  Bizet.  C'est  tout  un 
genre  parisien  que  M.  Sonzogno  importe  en  Italie.  Nous  souhaitons  le 
succès  à  cette  heureuse  tentative.  —  Ajoutons  que  Mmc  Tessero  est  l'une 
des  premières  comédiennes  de  l'Italie. 

—  La  gentille  petite  ville  de  Pouzzoles,  si  joliment  assise  sur  le  golfe 
de  Naples,  s'apprête  à  rendre  un  digne  hommage  aux  deux  artistes  illus- 
tres dont  elle  a  pieusement  conservé  le  souvenir,  Gianbattista  Pergolèse 
et  Antonio  Sacchini.  On  sait  que  le  premier  y  est  mort,  à  la  fleur  de  l'âge, 
le  16  mars  1736,  et  que  le  second  y  naquit  le  23  juillet  1734.  Une  double 
fête  va  réunir  leurs  deux  noms,  et  l'on  doit  inaugurer  prochainement  à 
Pouzzoles  les  bustes  en  marbre  de  l'auteur  de  la  Serva  padrona  et  de  l'au- 
teur à'OEdipe  à  Colone.  La  cérémonie  doit  avoir  lieu  avec  l'éclat  qu'elle 
comporte,  et  en  présence  d'un  représentant  du  ministère  de  l'instruction 
publique.  Nous  n'oublierons  pas  de  faire  remarquer,  à  ce  sujet,  que  déjà, 
dans  la  cathédrale  de  Pouzolles,  où  repose  le  corps  de  Pergolèse,  un  mo- 
nument a  été  élevé  à  sa  mémoire. 

—  On  vient  de  donner  à  Sant'Arcangelo  (Romagne),  la  première  repré- 
sentation de  la  Zingara  di  Granata,  opéra  en  quatre  actes,  musique  de 
M.  Adelelmo  Bartolucci.  Le  succès  du  compositeur  —  dont  on  connaît 
déjà  un  opéra,  Giordano  Bruno,  représenté  en  1884  —  paraît  avoir  été  très 
vif,  et  il  a  été  l'objet  de  vingt-deux  rappels.  Par  malheur,  l'interprétation 
de  son  œuvre  était  très  inégale,  et,  d'autre  part,  le  livret  sur  lequel  il  a 
écrit  sa  partition  est  extrêmement  médiocre,  pour  ne  pas  dire  plus.  Les 
journaux  italiens  ne  nous  font  pas  connaître  le  nom  de  l'auteur  de  ce 
livret  malencontreux,  mais  ils  adressent  de  vifs  éloges  au  compositeur, 
qui  dirigeait  lui-même  l'exécution  de  son  opéra,  et  qui  avait  pour  inter- 
prètes MmM  Théa  Dorri  et  Lucaszewka,  le  ténor  Pellegrini  et  la  basse 
Balisardi. 

—  La  profession  de  musicien  n'est  décidément  pas  lucrative  en  Italie. 
Dans  une  ville  de  la  province  de  Gênes,  à  Finalborgo,  on  demande  un 
maître  de  musique  à  qui  l'on  offre  un  traitement  annuel  de  treize  cent 
cinquante  francs,  pour  :  1°  diriger  l'orchestre  symphonique  et  la  bande 
municipale  ;  2»  composer  ou  transcrire  les  morceaux  destinés  à  cette  der- 
nière ;  3°  jouer  l'orgue  à  l'église;  4°  tenir  au  besoin  la  partie  de  violon 
principal  ;  5°  donner  gratuitement  l'éducation  musicale  à  huit  élèves,  dont 
deux  pour  l'orgue.  Il  faut  avouer  que  l'artiste  qui  acceptera  ces  condi- 
tions et  qui  sera  capable  de  les  remplir  n'aura  pas  de  temps  à  perdre,  et 
qu'il  ne  volera  pas  les  112  fr.  50  c.  qui  lui  seront  généreusement  octroyés 
:i  la  lin  de  chaque  mois  ! 


—  La  saison  rossinienne  inaugurée  au  Théâtre-National  de  Rome  avec 
Cenerentola,  s'est  continuée  avec  l'italiana  in  Algeri,  qui  n'a  pas  obtenu 
moins  de  succès.  Tous  les  journaux  le  constatent,  et  voici  ce  qu'en  dit 
l'Italie  :  —  «  L'italiana  in  Algeri  a  eu  hier,  au  Nazionale,  un  véritable  suc- 
cès. La  pièce  est  un  opéra  bouffe,  développé  avec  une  trivialité  surpre- 
nante de  langage.  Il  paraît  que  nos  aïeux  n'étaient  pas  aussi  délicats  que 
nous  en  fait  du  choix  des  vocables  ;  ils  toléraient  sur  la  scène  ce  que  l'on 
n'entend  aujourd'hui  que  dans  la  bouche  des  grosses  commères  du  marché. 
Mais  malgré  cela  il  y  a  des  scènes  vraiment  comiques  et  amusantes.  La 
musique  est  gaie,  alerte  ;  elle  fait  deviner  le  Rossini  du  Barbiere.  On  y 
sent  la  jocondité  du  jeune  homme  exubérant  de  vie,  sans  souci,  qui 
écrit  sans  effort  et  même  sans  réflexion.  Elle  est  d'une  spontanéité  admi- 
rable. Les  roulades,  quelquefois  ennuyeuses,  et  les  cadences  convention- 
nelles y  abondent;  il  y  a  des  fragments  qui  ont  vieilli  et  de  beaucoup, 
mais  il  y  a  des  morceaux  d'une  facture  exquise,  qui  révèlent  le  génie. 
Ceux  qui  ont  fait  hier  le  plus  d'impression  sont  l'ouverture  ;  la  romance 
du  ténor;  le  finale,  d'une  vivacité  entraînante,  qui  éclate  comme  le  gaz 
d'une  bouteille  de  Champagne;  on  l'a  bissé;  le  quatuor  Carimacan  !  et  le 
célèbre  trio  du  Pappataci  (bissé),  ainsi  que  le  grand  air  du  contralto,  dont 
on  a  fait  répéter  trois  fois  le  rondeau.  Cet  accueil  fait  à  un  opéra  écrit  au 
commencement  du  siècle  est  la  meilleure  preuve  de  la  valeur  des  inter- 
prètes. »  Ces  interprètes  étaient,  comme  pour  Cenerentola,  Mmos  Fabbri  et 
Quarenghi,  MM.  Ghinelli,  Carlione  et  Pini-Corsi. 

—  La  correspondance  madrilène  du  Figaro  nous  donne  ces  détails  sur 
une  artiste  fort  distinguée  et  très  populaire  en  Espagne  :  «  Mrae  Cepeda  a 
inauguré  la  petite  série  de  représentations  d'opéra  qu'on  a  commencé  à 
donner  par  abonnement  exceptionnel  à  la  Zarzuela.  Quelle  grande  artiste 
et  quel  aimable  caractère!  Voilà  une  :emme  qui  a  fait  sa  carrière  sans 
autre  réclame  que  son  mérite  personnel.  Jamais  une  ligne  demandée  aux 
journaux,  jamais  la  moindre  réclame.  Elle  a  parcouru  tous  les  théâtres  d'Eu- 
rope, trouvant  partout  un  accueil  chaleureux  et  se  tenant  toujours  sur  la 
plus  grande  réserve,  de  peur  de  faire  croire  qu'elle  voulait  du  bruit.  » 
La  modestie  est  toujours  l'apanage  du  talent.  Ne  jurerait-on  pas,  en  lisant 
ces  lignes,  qu'il  s'agit  d'un  chanteur  ou  d'un  comédien  français? 

—  L'Ilustracion  musical  de  Barcelone  annonce  la  mort  tragique  d'un 
vénérable  musicien  espagnol,  M.  Bartholomé  Blanch,  depuis  de  longues 
années  fixé  à  Buenos-Ayres,  où  il  a  été  l'une  des  victimes  innocentes  des 
événements  récents  qui  ont  ensanglanté  cette  ville.  Le  27  juillet,  à  huit 
heures  du  matin,  il  venait  de  se  lever  et  procédait  à  sa  toilette,  lorsqu'une 
balle  venue  du  dehors  le  frappa  mortellement;  il  tomba  foudroyé.  Bartho- 
lomé Blanch  était  né  le  30  novembre  1816,  et  avait  été  l'un  des  meilleurs 
élèves  du  fameux  collège  de  Montserrat.  où  plus  tari  il  était  devenu  pro- 
fesseur. On  lui  doit  d'intéressantes  compositions  religieuses. 

—  Revue  des  écrits  sur  la  musique  récemment  publiés  en  Angleterre. 
Les  Musiciens  de  tous  les  temps,  dictionnaire  abrégé  de  biographie  musicale, 
par  David  Baptie  (Londres,  J.  Gurwen),  petit  ouvrage  qui  ne  contient  pas 
moins  de  douze  mille  noms,  en  ne  donnant,  bien  entendu,  que  les  rensei- 
gnements essentiels  relatifs  à  chacun' d'eux.  —  Beethoven,  par  M.  A.Rudall 
(Londres,  Sampson  et  Low),  petite  notice  sans  -particularité  saillante.  — 
Manuel  d'éducation  à  l'usage  des  chantres  d'église,  par  J.  Austin  Blake,  organiste 
à  Wanstead  (Londres,  Straker).  —  Vade-mecum  du  prêtre  et  du  maître  de 
chapelle,  par  le  Rév.  J.-L.  Francis  (Londres,  Masters).  — Les  instruments  de 
musique  et  leurs  patries,  par  Mary  E.  Brcwn  et  "W.  A.  Brown  (New-York, 
Dodd  et  Mead),  ouvrage  important  dans  lequel  on  rencontre  d'utiles  ren- 
seignements, entre  autres  des  descriptions  d'instruments  jusqu'ici  incon- 
connus,  tels  que  ceux  employés  par  certaines  peuplades  sauvages  de 
l'Amérique  du  Nord.  —  Guide  du  chef  de  musique  amateur  et  conseils  aux 
orphéonistes,  par  "Wright  et  Round  (Liverpool,  Wright  et  Round).  —  Anec- 
doctes  musicales  et  historiettes  concernant  les  grands  musiciens  (Londres,  Georges 
Gill),  recueil  d'anas  sans  valeur  et  sans  intérêt.  —  Dictionnaire  noté  du  plain- 
cliant,  par  le  Rév.  J.  "W.  Doran  et  S.  Nottingham,  2e  partie  :  les  Cantiques 
(Londres,  Novello,  Ever),  bonne  et  utile  publication,  dont  une  3°  partie 
paraîtra  prochainement.  —  L'Harmonie,  sa  théorie,  sa  pratique,  par  Ebenezer 
Prout  (Londres,  Augener);  ce  traité,  dû  à  l'un  des  musiciens  les  plus 
solides  de  l'Angleterre  et  conçu  dans  un  ordre  d'idées  essentiellement 
moderne,  semble  appelé,  par  l'indépendance  même  de  ces  idées,  à  sou- 
lever de  vives  controverses,  mais  fixera  certainement  l'attention  de  tous 
les  artistes  sérieux  et  désireux  de  s'instruire.  —  Histoire  populaire  de  la 
musique,  par  J.-E.  Matthew  (Londres,  Grevel),  ouvrage  faible,  un  peu  trop 
fertile  en  erreurs  et  en  omissions  de  tous  genres.  —  Traité  des  intervalles, 
du  tempérament  et  des  principes  de  musique,  par  W.  B.  Woolhouse  (Londres, 
G.  Woolhouse).  —  La  musique  populaire  :  Revue  rétrospective  de  l'Exposi- 
tion internationale  de  Glascow;  Rapport  sur  le  développement  des  sociétés 
chorales  en  Ecosse,  par  Robert  A.  Mar  (Edimbourg,  Menzees).  —  Les  Tra- 
vaux de  l'Association  musicale,  15e  session,  1888-89  (Londres,  Novello,  Ewer), 
volume  où  sont  réunis  les  rapports  lus,  durant  l'année,  aux  séances  de 
cette  société,  entre  autres  :  les  Instincts  de  la  forme  musicale,  par  E.  H.  Tur- 
pin;  les  Cadences,  par  F.  Corder;  la  Viola  di  gamba,  par  E.-J.  Payne;  les 
Lois  du  progrès  dans  la  musique,  par  E.-F.  Jacques. 

—  Un  congrès  international  pour  la  propriété  littéraire  et  artistique 
doit  se  réunir  à  Londres  dans  les  premiers  jours  d'octobre.  La  Société  des 
auteurs  et  des  compositeurs  dramatiques  s'y  fera  sans  doute  représenter 
par  des  délégués  de  sa  commission,  comme  elle  l'avait  fait,  l'année  der- 
nière, pour  le  congrès  de  Berne. 


LE  MÉiNESTREL 


IJ  I 


—  Les  adaptations  scéniques  du  roman  célèbre  de  Walter  Scott,  la 
Fiancée  de  Lammermoor,  n'ont  pas  toujours  été  heureuses.  Le  drame  de  John 
Calerait,  réprésenté  à  Edimbourg  en  1823,  celui  de  Victor  Ducange,  donné 
à  la  Porte-Saint-Martin  le  23  mars  18i8,  celui  de  Charles  Dickens  et  Pal- 
grave  Simon,  joué  à  Londres  quelques  années  plus  tard,  l'opéra  de  Carafa 
écrit  pour  MmcSontag  en  1831,  n'ont  laissé  de  leur  passage  que  des  traces 
aujourdhui  bien  oubliées.  Seul,  le  chef-d'œuvre  de  Donizetti  se  maintient 
au  répertoire  des  scènes  lyriques  italiennes  après  plus  d'un  demi-siècle 
d'existence,  grâce  à  deux  épisodes  admirables.  Le  nouveau  drame  que 
M.  Herman  Merivale  a  tiré  du  récit  du  grand  poète  et  qui  vient  d'être 
représenté  au  Lyceum  de  Londres,  ne  parait  pas,  lui  non  plus,  appelé  à 
jouir  d'un  long  succès,  malgré  la  présence  de  deux  interprètes  merveil- 
leux, M.  Irving  et  MUe  Ellen  Terry  dans  les  rôles  principaux  de  Ravens- 
wood  et  Lucie.  M.  Mackenzie,  l'auteur  de  Colomba  et  du  Troubadour,  a  écrit 
pour  ce  drame  des  intermèdes  symphoniques  et  des  entr'àctes  que  l'on  dit 
remarquables  et  conçus  dans  une  langue  musicale  très  moderne,  ce  qui  ne 
l'empêche  pas  de  se  dérouler  péniblement  devant  les  yeux  du  spectateur 
sans  parvenir  à  l'émouvoir  et  à  l'intéresser  comme  il  faudrait. 

—  Le  cri  du  jour  chez  nous  est  :  Trop  de  pianos!  trop  de  pianistes! 
En  Angleterre  on  se  plaint  qu'il  n'y  en  a  pas  assez.  C'est  du  moins  ce 
qui  parait  ressortir  du  décret  récemment  rendu  par  le  School  Board  (minis- 
tère de  l'instruction  publique)  décret  qui  impose  l'étude  du  piano  dans 
les  écoles  communales  du  Royaume-Uni.  Le  commerce  est  dans  la  joie. 
Il  y  a  de  quoi! 

—  Voilà  de  quoi  faire  ouvrir  les  yeux  à  nos  professeurs.  Un  artiste 
anglais,  M.  Marshall-Hall,  vient  d'être  appelé  à  Melbourne  en  qualité  de 
professeur  de  musique  à  l'Université  de  cette  ville,  avec  un  traitement 
de  mille  livres  sterling,  soit  23.000  francs.  Nous  n'en  sommes  pas  encore 
là  en  Europe,  où  l'on  aime  mieux,  au  lieu  de  rémunérer  comme  il  con- 
vient le  talent  d'un  professeur  distingué,  donner  100,000  francs  par  an  à 
un  chanteur  qui  souvent  chante  faux  et  qui  parfois  ne  sait  pas  phraser, 
mais  qui  crie  à  g...  osier  que  veux-tu. 

—  Les  journaux  du  Rrésil  nous  apportent  la  nouvelle  de  l'apparition  et 
du  succès  d'un  opéra  nouveau  dû  à  un  compositeur  brésilien,  M.  José 
Gama  Malcher,  qui  a  fait  son  éducation  musicale  au  Conservatoire  de 
Milan.  L'ouvrage  est  intitulé  Bug-Jargal,  et  le  livret  italien  a  été  écrit  par 
M.  Valle,  qui  nous  semble  devoir  s'être  inspiré  quelque  peu  d'un  nommé 
Victor  Hugo. 

PARIS   ET    DÉPARTEMENTS 

Rentrées  sur  rentrées  et  reprises  sur  reprises  à  l'Opéra.  MUe  Mauri  a 
reparu  dans  le  Rêve,  toujours  acclamée.  Mme  Melba  et  Mme  Caron  se  pré- 
parent à  reparaître  l'une  dans  Bamlet  et  l'autre  dans  Sigurd.  On  a  repris 
Ascanio  avec  M.  Lassalle,  et  nous  aurons  bientôt  les  débuts  de  Mlle  Loventz 
et  de  M.  Vaguet.  Voilà  du  palpitant  ! 

—  Nous  trouvons  dans  TÊcho  de  Paris  un  nouvel  article  de  M.  Henry 
Bauer  sur  la  direction  de  l'Opéra.  Il  dédie  ce  petit  billet  doux  à  M.  Bour- 
geois, ministre  des  beaux-arts.  Nous  en  reproduisons  la  conclusion  : 
«  En  ce  moment,  les  deux  associés  s'entendent  à  merveille  et  leur  intérêt 
est  identique  :  il  leur  importe  de  gagner  du  temps,  de  faire  taire  les 
journaux,  afin  d'obtenir  le  renouvellement  de  leur  privilège  et  surtout 
l'abandon  des  revendications  de  l'Etat  au  sujet  du  matériel  ruiné.  Aussi 
n'ont-ils  point  hésité,  les  finauds,  à  concéder  toutes  les  satisfactions  appa- 
rentes ;  pour  tel  politicien  frotté  d'art,  c'est  le  réengagement  d'une  dan- 
seuse ;  aussitôt  MUe  X...  est  gardée  en  bonne  place.  Mais  leur  plus  habile 
manœuvre  a  été  la  réconciliation  avec  Reyer,  la  reprise  de  Sigurd,  la  pro- 
messe de  Salammbô  et,  partant,  la  rentrée  de  Mme  Caron.  Du  coup  ils 
rangèrent  à  leur  cause  Reyer,  qui,  sous  une  roideur  superficielle,  est  le 
plus  aimable,  le  plus  sensible  des  hommes  :  ils  s'en  firent  un  précieux 
avocat.  Mais  la  reprise  d'une  artiste  valeureuse,  le  retour  tardif  d'un  noble 
ouvrage  doivent-ils  absoudre  une  direction  ignominieuse  et  assurer  à  un 
faiseur  effronté  une  nouvelle  carrière  ?  Du  reste,  la  question  va  plus 
haut;  elle  touche  l'intérêt  de  la  chose  publique.  Il  y  a  quatre  ans,  je 
signalai  le  premier  la  dilapidation  du  matériel,  la  ruine  du  fonds  de  dé- 
cors et  de  costumes  que  les  tenanciers  rapaces,  sûrs  de  l'impunité,  n'avaient 
cure  ni  d'entretenir  ni  de  réparer.  Toutes  mes  prévisions  se  sont  vérifiées; 
à  l'estimation  la  plus  modérée,  la  réfection  du  matériel  ne  coûterait 
pas  moins  de  huit  cent  mille  francs  à  un  million.  Heureusement,  le  ministre 
des  beaux-arts,  M.  Bourgeois,  est  Parisien  ;  intelligent,  bien  informé, 
ayant  le  goût  des  choses  artistiques,  je  ne  puis  croire  qu'il  assumera  sur 
lui  de  donner  quittance  aux  deux  directeurs  de  l'Opéra  et  de  grever  d'un 
million  le  budget  de  la  République.  L'accueil  réservé  au  Parlement  à 
cette  demande  de  crédit  ne  serait  point  ordinaire.  Qu'attend  donc  le  mi- 
nistre des  beaux-arts  pour  aborder  ce  règlement  de  comptes?  ces  pauvres 
diables  de  Ritt  et  de  Gailhard,  bénéficiant  chacun  d'un  joli  million, 
sont-ils  donc  si  intéressants  et  méritent-ils  d'être  épargnés  ?  Pour  moi,  je 
ne  cesserai  de  réclamer  la  réfection  du  matériel  de  l'Académie  nationale 
aux  frais  de  ses  destructeurs.  C'est  affaire  d'intérêt  public,  c'est  un  devoir 
pour  nos  ministres.  La  casse  payée,  qu'il  plaise  à  la  République  de  nom- 
mer Pedro  Gailhard  son  premier  directeur.  Ceci  est  affaire  de  goût  et 
d'odorat.  ;> 

—  M.  Camille  Saint-Saëns  est  parti  samedi  dernier  pour  Evian,  où  il 
doit  prendre  une  dizaine  de  jours  de  repos.  De  là,  il  reviendra  directement 


à  Paris,  afin  de  se  consacrer  sans  réserve  au  travail  des  études  de  Samson 
et  Dalila,  dont  il  prendra  la  direction  à  l'Eden-Théàtre.  Puis,  il  ne  tardera 
pas  à  regagner  les  pays  chauds.  C'est  le  compositeur-hirondelle.  Il  s'en  va 
avec  les  premiers  froids  pour  ne  revenir  qu'au  printemps. 

—  Voici  le  programme  des  fêtes  qui  ont  lieu  aujourd'hui  même,  di- 
manche 28  septembre,  à  la  Côte-Saint-André  (Isère),  à  l'occasion  de  l'inau- 
guration de  la  statue  d'Hector  Berlioz  :  De  huit  heures  à  neuf  heures, 
réception  des  sociétés  musicales  ;  à  neuf  heures  et  demie,  à  la  gare  de 
la  Côte,  réception  de  M.  Bourgeois,  ministre  de  l'instruction  publique  et 
des  beaux-arts,  et  des  membres  d'honneur  du  comité:  MM.  Larroumet, 
directeur  des  beaux  arts  ;  Ambroise  Thomas,  Ernest  Reyer,  Gounod,  Léo 
Delibes,  Massenet,  Saint-Saëns,  de  l'Institut;  Henri  Delaborde,  président 
du  comité  de  Paris;  Edmond  Robert,  préfet  de  l'Isère;  Henri  Couturier, 
sénateur;  Jules  Ronjat,  procureur  général  près  la  cour  de  cassation; 
Lombard,  député  ;  Mattei,  sous-préfet  de  Vienne.  —  A  dix  heures,  inau- 
guration de  la  statue,  discours  du  ministre  et  de  M.  Ambroise  Thomas, 
directeur  du  Conservatoire,  —  Poésie  dite  par  M.  Salomon,  ex-artiste  de 
l'Opéra.  —  Exécution  de  morceaux  tirés  de  l'œuvre  de  Berlioz,  par  la 
Société  philharmonique  de  Vienne,  le  Cercle  choral  de  Vienne  et  l'Union 
chorale  de  Grenoble.  —  A  midi  et  demi,  banquet  de  trois  cents  couverts 
sous  la  balle.  —  Dans  l'après-midi,  festival  par  vingt-huit  sociétés  musi- 
cales. —  Le  soir,  illuminations,  bal  et  feu  d'artifice.  —  Le  service  d'or- 
dre sera  fait  par  deux  escadrons  de  cuirassiers  venus  de  Lyon. 

—  Le  «  Théàtre-Lyrique-Populaire  »  du  Chàteau-d'Eau  a  vécu.  Il  est 
aujourd'hui  remplacé  par  le  Théâtre-Historique,  qui  s'apprête  à  offrir  à 
son  public  une  Marie  Stuaii  nouvelle,  due  à  MM.  Lucien  Cressonnois  et 
Charles  Samson.  Une  part  très  importante  dans  ce  drame  est  faite  à  la 
musique,  qui  a  été  confiée  à  M.  Paul  Cressonnois.  Celui-ci  fait  annoncer 
qu'il  a  intercalé  dans  sa  partition  des  airs  de  Clément  Marot,  de  Luther, 
du  châtelain  de  Coucy,  de  David  Rizzio,  l'amant  infortuné  de  la  reine 
d'Ecosse,  et  de  Marie  Stuart  elle-même.  M.  Paul  Cressonnois  est-il  bien 
certain  de  l'authenticité  des  airs  annoncés  par  lui? 

—  Le  gouvernement  d'Alsace-Lorraine  vient  d'autoriser  un  certain  nom- 
bre de  représentations  françaises  sur  les  scènes  de  Strasbourg,  de  Mulhouse, 
de  Colmar  et  de  Metz.  C'est  la  troupe  de  l'imprésario  Simon  qui  a  obtenu 
cette  autorisation.  Son  répertoire  se  compose  de  :  les  Petits  Oiseaux  de  La- 
biche, une  Tempête  sous  un  crâne,  les  Espérances,  les  Folies  amoureuses,  Eux, 
Démocrite,  le  Dépit  amoureux,  le  Baiser,  un  Mari  qui  pleure,  et  des  monologues, 
dits  par  Mm°  Marie  Kolb  et  M.  Coquelin  cadet.  Comme  bien  on  pense,  la 
nouvelle  de  ces  représentations  françaises  a  été  accueillie  avec  joie  par  une 
grande  partie  du  public  alsacien. 

—  Don  Juan  réhabilité.  D'après  une  légende  accréditée  dans  la  pro- 
vince de  Séville  et  recueillie  par  un  correspondant  de  la  Neue  Musikzeitung, 
Don  Juan  de  Marana,  le  héros  de  l'immortel  chef-d'œuvre  de  Mozart, 
n'aurait  pas  été  le  pécheur  impénitent  que  nous  ont  montré  Molière  et 
Da  Ponte.  Loin  de  mourir  le  blasphème  à  la  bouche,  il  aurait  fini  au  con- 
traire dans  la  peau  d'un  philanthrope.  Certain  soir,  en  sortant  d'une 
orgie,  —  ainsi  débute  le  récit  —  Don  Juan  parcourut  la  ville  en  quête 
d'une  nouvelle  aventure.  Vint  à  passer  un  enterrement.  Il  arrête  le  cor- 
tège et,  railleusement,  s'informe  du  défunt  :  «  Nous  enterrons  Don  Juan 
de  Marana,  »  lui  fut-il  répondu.  Un  peu  frappé  par  cette  réplique,  mais 
toujours  gouailleur,  notre  héros  se  mit  à  suivre  le  convoi  à  travers  les 
ruelles  tortueuses.  Enfin  on  arriva  à  l'église.  Pendant  que  les  chants  fu- 
nèbres ébranlaient  les  voûtes,  pareils  aux  voix  du  jugement  dernier,  on 
plaça  la  bière  devant  l'autel,  on  enleva  le  couvercle,  et  Don  Juan,  en  se 
penchant  pour  regarder,  se  reconnut  lui-même  au  fond  du  cercueil.  Ter- 
rifié, il  recule  et  tombe  sans  connaissance.  Le  lendemain,  lorsqu'il  rouvrit 
les  yeux  dans  l'église  déserte,  il  lui  sembla  qu'il  s'éveillait  dans  une  vie 
nouvelle  et  que  c'était  son  existence  passée  qui  avait  été  enterrée  par 
les  esprits.  Il  employa  toutes  ses  richesses  à  l'établissement  d'un  hôpital 
chrétien,  l'Hospicio  de  la  Caridad,  et  se  consacra,  pour  le  reste  de  sa  Tie, 
au  repentir  et  à  la  piété.  On  montre  encore  aujourd'hui,  derrière  l'église 
Omnium  sanclorum,  à  Séville,  une  maison  d'apparence  modeste,  dont  le 
balcon  masque  en  partie  une  large  fenêtre  qui  tient  à  la  fois  du  style 
mauresque  et  du  style  gothique.  C'était  la  demeure  de  Don  Juan.  Elle  est 
actuellement  la  propriété  de  la  famille  de  Montijo  y  Teba,  d'où  est  issue 
l'ex-impératrice  Eugénie. 

—  M.  Campo-Casso,  directeur  du  Grand-Théâtre  de  Marseille,  vient 
d'engager,  dit-on,  M.  Georges  Chevalier,  comme  premier  fort  ténor,  aux 
appointements  de  7,000  francs  par  mois  pour  dix  représentations.  Com- 
ment veut-on  que  les  théâtres  puissent  se  soutenir  avec  les  prétentions 
des  chanteurs  actuels,  lorsqu'un  seul  interprète  grève  déjà  chaque  repré- 
sentation de  700  francs  de  frais. 

—  On  nous  écrit  d'Aix-les-Bains  que  M.  Colonne  et  son  excellent  orches- 
tre ont  exécuté  avec  le  plus  grand  succès  la  belle  Rapsodie  cambodgienne 
de  M.  Bourgault-Ducoudray,  qui  avait  été  accueillie  l'hiver  dernier  à  Paris 
avec  une  faveur  si  marquée. 

—  Les  Folies-Dramatiques  annoncent  les  dernières  représentations  du 
Pompier  de  Justine.  La  première  représentation  de  Gillette  de  Narbonne  est 
fixée  à  mercredi  prochain  1er  octobre. 

Henri  Heugel.  directeur-géiant. 


312 


LE  MÉNESTREL 


Paris,  AU  MÉNESTREL,  2Ws,  rue  Vivienne,  HENRI    HBUGBL,   Éditeur-propriétaire. 


L.-A.  BOURGAULT-DUCOODRAY 

RAPSODIE  CAMBODGIENNE 

Exécutée    aux    CONCERTS    L  AMOUREUX 


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(Édition    du    MÉNESTREL) 


CHANSONS   DE    L'ÉCOLE 

ET    DE    LA    FAMILLE 
Sur    îles    airs  populaires    des  provinces   de    France 

PAR 

FRÉDÉRIC    BATAILLE 

Ancien    instituteur,    officier    d'académie,    chargé    de    la    classe    primaire    au   lycée    Michelet 

avec  une  lettre  de  M.   MICHEL  BRÉAL 

Prix  net  —  Prix  net 

«s  centimes  ARRANGEMENTS    A    UNE,    DEUX    ET    TROIS    VOIX  «5  centimes 

PAUL    EOTJG^TON 

Professeur    au    Conservatoire    national    de    musique    cle    r»aris 

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En  vente  AU   MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne,   HENRI    HEU  GEL,   éditeur  -  propriétaire. 


LES  PETITS  DANSELRS 


L.    STREABBOG,    A.    TROJELLI,    FAUGIER,    H.  VALIQUET,    ETC. 


N"  1. 
_  iw 
2_ 

—  3. 

—  4. 

—  5. 

—  6. 

—  8. 

—  9. 

—  10. 

—  11. 

—  12. 


STREABBOG.  Le  beau  Danube  bleu,  valse  (Johann  Strauss). 

STREABBOG.  La  même  à  i  mains 

FAUGIER  .   .  Tout  à  la  joie  !  polka  (Ph.  Fahrbach) 

TROJELLI.   .  Valse  du  Couronnement  (Strauss) 

TROJELLI.  .  Orphée  aux  Enfers,  quadrille  (Offenbach).    .    . 

STREARROG.  La  Vie  d'artiste,  valse  (Johann  Strauss).   .   .   . 

FAUGIER  .   .  Pour  les  Bambins,  polka  (Pu.  Fahrbach)  .    .    . 

FAUGIER  .   .  Les  Ivresses,  valse  (S.  Pillevesse) 

FAUGIER  .   .  La  Dame  de  cœur,  polka  (Pu.  Fahrbach)  .    .    . 

STREABBOG.  Us  Feuilles  du  matin,  valse  (Johann  Strauss). 

STREABBOG.  Le  sang  viennois,  valse  (Johann  Strauss)  .    .    . 

FAUGIER  .   .  Uam'zelle  Nitouelie,  quadrille  (Hervé)   .... 

FAUGIER  .   .  Le  Retour  du  Printemps,  polka  (Schindler)  .    . 


N°B  13.  VALIQUET.  .  Le  Petit  Faust,  ouverture-valse  (Hervé)  .   .   . 

—  14.  TROJELLI.  .     Gloire  aux  dames!  mazurka  (Strobl) 

—  15.  VALIQUET.  .     La  Journée  de  MUe  Lili,  valse 

—  1G.  STREARROG.  Aimer,  boire,  chanter,  valse  (Johann  Strauss). 

—  17.  VALIQUET.  .     Le  Petit  Faust,  quadrille  (Hervé) 

—  18.  FAUGIER.  .     Le  Verre  en  main,  polka  (Fahrbach) 

—  19.  STUTZ.   .    .     Les  Petites  Reines,  valse 

—  20.  STUTZ.   .   .     Les  Jeunes  Valseurs,  valse 

—  21.  GODARD  .   .     Bébé-Polka 

—  22.  GODARD  .  .     Bébé-Valse 

—  23.  VALIQUET.  .     Dans  mon  beau  château,  quadrille 

—  24.  VALIQUET.  .    La  Journée  de  Ma°  Lili,  polka 

—  25.  TROJELLI.  .     Les  Cancans,  galop  (Strauss) 


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L'ALBUM  COMPLET  CARTONNÉ  (25  numéros  à  2  mains),  avec  une  couverture  en  couleurs  cle  BOUISSET,  prix  net  :  iO  fr. 


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3I0S  —  56 


Dimanche  S  Octobre  1890. 


«EE  -  \°  40.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    H  EU  G  EL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Pjano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste  :  Jean  Conte  (21e  article),  Loois  Gallet.  --  II.  Se- 
maine théâtrale  :  Inauguration  de  la  statue  de  Berlioz  à  la  Cote-Saint- 
André,  Julien  Tiersot;  reprise  de  Gillette  de  Narbonne,  aux  Folies-Drama- 
tiques, Pal'l-É.mile  Chevalier.  —  III.  Un  virtuose  couronné  (3e  article), 
Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée.  —  IV.  Nouvelles  diverses. 


MUSIQUE  DE  CHANT 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
MYSTÈRE! 
nouvelle  mélodie  de  J.  Faure,  poésie  de  Frédéric  Bataille.  —  Suivra 
immédiatement:  le  Mois  de  mai,  chant  de  quête  de  la  Champagne,  n°  1 
des  Mélodies  populaires  de  France,  recueillies  et  harmonisées  par  Julien 
Tiersot. 

PIANO 
Nous   publierons   dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de   piano  :   Petit  chéri,  gavotte  de  Franz  Behr.  —  Suivra  immédiatement  : 
Allegretto  pastoral,  de  Théodore  Lack. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


JEAN    CONTE 


Camille  du  Locle  était  co-directeur  de  ce  théâtre!  A  cette 
nouvelle  tous  les  souvenirs  de  la  vingt- cinquième  année 
avaient  assailli  comme  une  troupe  ardente  et  bruyante  le 
cerveau  du  compositeur.  La  promesse  de  son  cantatier  de- 
venu directeur,  caressée,  couvée  depuis  près  de  virjgt  ans 
allait  pouvoir  se  réaliser  !  C.  du  Locle,  qui,  sous  des  allures 
souvent  bizarres,  sous  des  dehors  d'une  rudesse  ou  d'une 
froideur  parfois  déconcertante,  n'aimait  rien  tant  qu'à  faire 
aux  gens  la  surprise  de  leur  être  agréable  ou  utile,  décida, 
un  beau  matin,  que  le  moment  était  venu  de  donner  à  Jean 
Conte  cette  joie,  attendue  depuis  tant  d'années,  de  la  com- 
mande d'un  ouvrage. 

Il  me  chargea  d'en  écrire  le  livret,  en  me  désignant  le 
sujet  qu'il  croyait  propre  au  tempérament  du  compositeur  : 
Beppo,  petit  poème  de  lord  Byron,  dont  le  seul  titre  trans- 
porta Jean  Conte  au  paradis  ! 

C'était  Venise,  le  carnaval,  une  aventure  galante  et  légère, 
des  volées  de  cloches  traversant  les  clameurs  joyeuses  d'une 
foule  de  masques,  tout  ce  qu'il  avait  rêvé  naguère,  tout  ce 
qu'il  avait  vécul  L'élève  de  Carafa,  adepte  fervent  de  l'école 
italienne,  crut  certainement,  ce  jour-là,  avoir  saisi  par  le 
bout  des  ailes  cette  gloire  du  théâtre,  qui  jusqu'alors  avait 
volé  si  haut  et  si  loin  de  lui! 


Rien  ne  va  sans  encombre  dans  les  choses  de  la  vie  théâ- 
trale . 

Écrire  la  partition  de  Beppo,  la  corriger,  la  perfectionner, 
y  chercher  l'emploi  de  motifs  nouveaux,  ce  fut  la  joie  de 
quelques  longs  mois  qui,  malgré  son  impatience,  durent 
paraître  brefs  au  compositeur  tout  à  son  œuvre,  —  suppliant 
pourtant  de  temps  en  temps  le  directeur  de  l'Opéra-Comique 
de  lui  donner  ce  tour  spontanément  promis  et  qui,  nonob- 
stant ses  excellentes  dispositions,  menaçait  de  se  faire  un 
peu  attendre. 

Il  vint  enfin,  ce  moment  «  où  commence  la  peine,  »  selon 
le  mot  de  Grétry,  où  le  compositeur  livre  son  œuvre  aux 
flots  changeanls  du  théâtre,  où  ses  droits  sur  elle  s'amoin- 
drissent de  tout  ce  que  gagnent  les  influences,  les  exigences 
de  la  maison,  où  les  pages  les  plus  étudiées,  les  plus  labo- 
rieusement écrites  deviennent  plus  légères  qu'un  brin  de 
duvet  devant  le  souffle  de  l'opinion  des  familiers  de  la 
direction. 

Le  pauvre  lauréat  de  Rome  connut  bientôt,  au  cours  des 
répétitions,  l'amertume  des  petites  critiques  discrètes,  des 
observations  faites  «  dans  son  intérêt  »  par  celui-ci  ou  celui- 
là,  il  sentit  l'aiguillon  de  plaisanteries  pourtant  innocentes 
sur  la  fragilité  des  œuvres  en  un  acte.  On  lui  parla  de 
«  vieux  jeu  »  ;  il  ne  voulait  pas  croire,  qu'il  y  eût  un  autre 
«  jeu  »  que  celui  de  sa  jeunesse.  La  muse  de  Carafa  le 
possédait  encore  tout  entier.  En  vain,  pendant  des  années, 
il  avait  vu  défiler  sur  la  scène  de  l'Opéra  tout  le  répertoire, 
confondant  les  noms  de  Rossini,  de  Meyerbeer,  d'Halévy,  de 
Gounod,  de  Weber,  de  Mozart,  affirmant  l'incessant  mouvement 
de  la  création  musicale,  la  perpétuelle  variété  des  formules  : 
il  n'avait  rien  voulu  oublier. 

On  s'en  aperçut  bientôt  à  l'avant-scène,  pendant  les  der- 
nières répétitions.  Cette  musique  aimable  et  légère  en  pre- 
nait à  son  aise  avec  les  exigences  de  l'action.  De  loDgues 
ritournelles  précédaient  les  diverses  parties  des  morceaux  : 
l'artiste  durant  ce  temps  ne  savait  que  faire  de  sa  personne. 

—  Eh  bien,  disait  tranquillement  Jean  Conte,  allez  au  fond 
et  revenez  I 

Bien  que  le  personnel  du  théâtre  de  la  place  Favart  n'eût 
pas  perdu  le  respect  des  traditions  du  genre  italien,  ces 
théories  du  compositeur  sur  le  mouvement  scénique  étaient 
médiocrement  goûtées.  Cela  le  rendait  réellement  malheureux. 
Lui,  habituellement  de  si  égale  humeur,  de  si  facile  compo- 
sition, il  se  promenait  silencieusement  sur  la  scène,  ne  ré- 
pondant que  par  monosyllabes  à  mes  questions.  Il  se  sentait 
sur  un  terrain  hostile;  dépaysé,  ses  dix-neuf  ans  de  solitude, 
de  silence,  de  stérilité  pesaient  évidemment  sur  lui  d'un 
poids  lourd.  Il  entrevoyait  le  grand  abime  qui  s'était,  durant 


314 


LE  MENESTREL 


ces  années,  creusé  entre  lui  et  le  monde  présent.  Comme 
le  «  mélancolique  jeune  homme  »  de  la  complainte,  il  mé- 
ditait sur  les  tristes  contretemps  de  la  carrière  et  sur  la  pré- 
caire gloire  des  lauréats. 

On  répétait,  en  même  temps  que  Beppo,  le  Florentin,  livret 
de  Saint-Georges,  musique  de  Gh.  Lenepveu,  ouvrage  né  de 
ce  concours  que  l'Etat  avait  organisé,  à  propos  de  l'Expo- 
sition de  1867,  et  qui  avait  donné  à  l'Opéra  la  Coupe  du  Roi 
de  Thulé,  au  Théâtre-Lyrique  un  petit  acte  :  le  Magnifique,  et  à 
l'Opéra-Comique  le  Florentin,  poème  choisi  par  la  direction,  et 
dont  le  sujet,  offert  aux  compositeurs  rivaux,  reposait  précisé- 
ment sur  un  concours  ouvert  dans  Florence,  pour  une  figure 
nue.  Le  ténor  devait  sortir,  comme  de  juste,  vainqueur  de 
ce  tournoi  pictural. 

Saint- Georges  était  alors  au  déclin  de  sa  carrière.  Il  avait 
toute  l'ardeur,  toute  l'activité  d'un  jeune  homme.  Il  suivait 
les  répétitions  avec  une  assiduité  exemplaire,  s'intéressant 
aux  moindres  détails  de  la  mise  en  scène.  Là  encore,  les  deux 
courants  de  Leuven  et  du  Locle  se  heurtaient  fréquemment  : 
de  Leuven  plein  de  foi  dans  l'œuvre  de  celui  qui  avait  été 
son  collaborateur,  du  Locle  sceptique,  criblant  d'épigrammes 
discrètes  l'œuvre  conçue  selon  des  formules  déjà  démoné- 
tisées. 

Dans  certain  décor,  Saint-Georges  ne  trouvait  pas  assez 
d'air.  Il  voulait  plus  d'ouvertures,  plus  de  fenêtres,  plus  de 
voies  praticables  !. . . 

—  Allons,  ne  vous  fâchez  pas,  disait  Du  Locle,  en  sa  pla- 
cidité gouailleuse,  on  vous  en  mettra  des  portes  et  des  fenê- 
tres, on  vous  en  mettra  quatre  ou  cinq,  si  vous  voulez  ! 

Et  tout  doucement,  il  ajoutait  : 

—  Ça  fera  une  par  représentation  ! 

Jean  Conte  assistait  quelquefois  à  ces  petites  scènes.  Bien 
que  n'en  souffrant  pas  pour  lui-même,  il  en  restait  navré. 
Il  apprenait  là  de  quelle  fragilité  sont  les  œuvres  au  théâtre. 
Son  Beppo  tant  aimé  lui  semblait  de  verre  dans  ce  milieu;  il 
eût  voulu  le  couvrir  d'une  enveloppe  capitonnée,  le  mettre 
à  l'abri  des  chocs,  et  ce  n'était  pas  sans  angoisse  qu'il  voyait 
s'approcher  le  jour  de  la  représentation,  à  la  fois  désiré  et 
redouté. 

Il  vint  pourtant,  ce  jour  préparé  par  dix-neuf  années  d'at- 
tente ;  il  vint,  si  je  ne  me  trompe,  le  30  novembre  1874. 

Il  marque  l'un  des  souvenirs  les  plus  curieux,  je  dirais, 
si  je  ne  craignais  de  paraître  prétentieux,  les  plus  philoso- 
phiques qui  soient  restés  dans  mon  esprit. 

Je  rejoignis  Jean  Conte  au  théâtre  quelques  instants  avant 
le  commencement  du  spectacle.  Le  sort  de  Beppo  était  confié 
à  trois  artistes  :  Mlle  Franck,  le  baryton  Neveu  et  le  ténor 
Chelly.  Nous  avions  fait  à  nos  interprètes  la  visite  obligatoire  ; 
nous  leur  avions  prodigué  les  encouragements  et  les  com- 
pliments usuels  et  nous  étions  venus  sur  la  scène,  y  atten- 
dant le  Place  au  théâtre!  traditionnel  auquel  les  auteurs  ne  cè- 
dent que  lorsque  le  rideau  va  réellement  se  lever. 

Jean  Conte  voulait  entendre  son  ouverture  de  derrière  la 
toile. 

Quand  elle  commença,  je  vis  dans  la  demi-obscurité  de 
la  scène  son  visage  s'illuminer,  rayonner  d'une  félicité  im- 
mense. 

C'était  tout  un  tableau  pittoresque,  cette  ouverture  :  le  car- 
naval vénitien,  le  mouvement  de  la  foule,  la  joie  des  mas- 
ques, puis  tout  à  coup,  l'Angelus,  l'Ave  Maria  traversant  cette 
gaieté,  l'apaisant  pour  un  instant,  enfin' le  paroxysme  de  la 
folie  succédant  à  ce  calme  religieux  d'une  minute. 

Jean  Conte  suivait  toutes  les  phases  de  cette  scène  :  il 
sautillait,  faisait  claquer  ses  doigts  comme  des  castagnettes, 
s'apaisait,  se  découvrait  aux  tintements  de  l'Angelus,  faisait  le 
signe  de  la  croix,  fléchissait  le  genou,  puis  soudainement 
repartait,  esquissant  une  pirouette.  Il  était  fou  de  plaisir,  de 
satisfaction  intense.  Il  vivait  son  œuvre! 


Je  crois  que  dans  ces  quelques  minutes,  il  a  repassé  toute 
sa  vie,  éprouvé  la  suprême  et  exquise  jouissance  de  l'homme 
qui  a  donné  un  corps  à  son  rêve.  Il  avait  traversé  près  de 
vingt  ans  d'une  existence  humble,  laborieuse,  peut-être  dou- 
loureuse ,  accusant  la  destinée  de  ne  lui  point  payer  ce 
qu'elle  lui  devait.  Eh  bien,  il  était  payé  ! 


Quelques  soirées  suffirent  pour  dévorer  Beppo.  Le  poème 
n'en  a  jamais  été  imprimé;  la  partition  n'en  a  jamais  été 
gravée.  A  peine  le  compositeur,  brutalement  replongé  dans 
son  obscure  sphère,  a-t-il  songé  à  en  publier  quelques  mor- 
ceaux choisis  pour  ses  élèves,  projet  irréalisé  d'ailleurs. 

Presque  en  même  temps  que  Beppo  disparaissait  le  Florentin, 
son  grand  compagnon  d'infortune.  Il  y  avait  pourtant,  dans 
ce  dernier  ouvrage,  un  clou  qui  devait  captiver  la  curiosité 
de  la  foule. 

Le  maître  peintre,  Carolus  Duran,  avait  brossé  la  figure 
nue,  principal  élément  du  drame.  Quand  elle  paraissait,  un 
rayon  électrique  partait  du  fond  de  la  salle  et  l'illuminait 
tout  entière.  Qu'est  devenue  cette  toile,  restée  le  vestige  le 
plus  durable  d'une  œuvre  qui  avait  pourtant  sa  valeur  mu- 
sicale? Elle  a  vraisemblablement  disparu  dans  l'incendie  de 
l'Opéra-Comique. 

En  songeant  à  Jean  Conte  je  ne  sépare  jamais  son  souve- 
nir de  celui  de  ce  suprême  instant  où  il  a  goûté  la  quin- 
tessence des  joies  de  la  vie.  J'ai  eu  alors  la  rare  vision  d'un 
homme  complètement  heureux,  ayant  conjuré,  en  cette  heure 
bénie,  la  malchance  de  ses  destinées  académiques. 

Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


INAUGURATION  DE  LA  STATUE  DE  BERLIOZ  A  LA  COTE-SAINT-ANDRÉ 
Le  mot  de  Montaigne  :  «  Nul  n'est  prophète  en  son  pays,  »  ne 
cesse  pas  trop  de  demeurer  exact  encore  aujourd'hui,  malgré  les 
apparences.  Seulement,  dans  notre  siècle  de  vapeur  et  d'électricité, 
les  choses  vont  plus  vite;  les  grandes  injustices  elles-mêmes,  bien 
qu'il  ne  s'en  commette  pas  moins  qu'autrefois,  sont  réparées  plus 
tôt.  Shakespeare  et  Sébastien  Bach  ont  attendu  un  siècle  et  plus 
avant  d'être  admirés,  connus  même  :  pour  Berlioz,  voilà  moins  de 
trente  ans  qu'il  est  mort,  et  déjà  la  réparation  est  complète,  défini- 
tive. Comme  de  coutume,  c'est  le  pays  natal  qui  est  demeuré  le 
plus  longtemps  indifférent;  mais  enfin  ce  dernier  hommage  qui 
manquait  a  été  rendu,  et,  depuis  une  semaine,  la  statue  de  Berlioz 
se  dresse  sur  l'esplanade  de  la  Côte-Saint-André,  dominant  la  vaste 
plaine  dauphinoise,  au  pied  de  laquelle,  au  loin,  le  Bhône  coule  à 
grands  flots  et  qu'enserrent  presque  de  toutes  parts  les  montagnes  : 
d'abord  les  coteaux  couverts  de  vignes,  terminés  par  un  large  pla- 
teau boisé  et  verdoyant,  qui  abritent  la  Côte-Saint-André  du  côté  du 
nord;  plus  loin,  le  lourd  massif  de  la  Grande-Chartreuse;  et,  tout 
à  l'horizon,  les  sommets  neigeux  des  Alpes,  spectacle  digne  de- 
là contemplation  éternelle  du  fier  génie  que  l'on  a  enfin  fêté  dans 
sa  ville. 

Ce  que  j'ai  dit  de  l'indifférence  momentanée  des  habitants  de  la 
Côte  à  l'égard  de  celui  que  l'on  a  beaucoup  appelé,  dimanche,  «  le 
plus  illustre  de  ses  enfants  »,  était  d'ailleurs  sans  aucune  arrière- 
pensée  arrière.  Les  choses  devaient  être  ainsi;  il  était  même  impos- 
sible qu'il  en  fût  autrement.  Lorsqu'il  y  a  quelques  années,  j'allai  pour 
la  première  fois  visiter  le  pays  de  Berlioz,  M.  Marcel  Paret,  le  vénérable 
maire  de  la  Côte  et  doyen  du  conseil  général  de  l'Isère,  qui,  à  la  céré- 
monie d'inauguration  de  la  statue,  a  fait  aux  étrangers  les  honneurs 
de  la  ville,  voulut  bien  déjà  me  guider  dans  mon  pèlerinage  :  iï 
me  parla  surtout  de  la  famille  du  compositeur,  de  ses  origines, 
de  ses  propriétés,  de  la  fortune  qu'elle  avait  laissée,  de  ce  qu'était 
devenue  cetto  fortune,  des  héritiers  d'Hector  Berlioz,  des  dernières 
visites  faites  par  lui  à  sa  ville  natale,  visites  qui  furent  rares  ; 
mais,  do  musique,  il  n'en  fut  aucunement  question.  Dans  la  ville, 
on  me  montra  la  maison  «  de  ses  pères  »,  jadis  maison  bourgeoise, 
à  ce  moment  transformée  en  une  brasserie;  et  je  n'ai  pas  pu  voir 


LE  MENESTREL 


315 


la  chambre  où  il  est  né,  laquelle,  servant  à  je  ne  sais  quel  usage 
idoine  à  cette  estimable  exploitation,  avait  été  à  moitié  détruite. 
Entre  temps,  j'entendis  répéter  la  fanfare  du  lieu,  et  ce  qu'elle 
tentait  d'exécuter  ne  ressemblait  aucunement  à  du  Berlioz.  II  est 
très  clair  que  la  musique  de  l'auteur  de  la  Damnation  de  Faust  était, 
est  encore  complètement  inconnue  de  ses  compatriotes,  ceux-ci 
n'ayant  aucun  moyen  de  l'entendre,  avec  les  ressources  musicales 
d'un  simple  chef-lieu  de  canton.  Berlioz,  dans  ses  Mémoires,  ra- 
conte que  son  père  exprimait  dans  les  dernières  années  de  sa  vie 
le  plus  vif  désir  de  connaître  «  ce  terrible  Tuba  mirum  »  dont  on 
avait  tant  parlé  :  après  cela  il  pourrait  dire  :  Nunc  dimitte  servum 
tuum  Domine  »;  mais  il  mourut  avant  que  ce  vœu  eût  pu  être  accom- 
pli. La  revanche  prise  de  notre  temps  par  le  compositeur  ne  devait 
donc  venir  en  aucune  façon  de  l'initiative  de  ses  compatriotes  : 
ceux-ci  ne  pouvaient  que  suivre  le  mouvement  venu  des  centres  ar- 
tistiques. J'imagine  même  que  quelques-uns  doivent  être  un  peu 
surpris  de  tant  d'hommages  rendus  à  un  homme  qui,  dans  leur 
esprit,  n'a  rendu  aucun  service  à  son  pays,  puisqu'il  s'est  borné  à 
composer  de  la  musique;  mais  enfin  on  leur  a  dit  que  ce  musicien, 
parti  de  chez  eux,  y  revenait  grand  homme  :  ils  n'ont  pas  demandé 
mieux  que  de  le  croire;  au  fond  même  ils  sont  enchantés  d'avoir 
Tin  grand  homme  à  eux,  et  ils  l'ont,  après  les  autres,  célébré  de 
leur  mieux. 

La  cérémonie  de  l'inauguration  de  la  statue  d'Hector  Berlioz  à  la 
Côte-Saint-André  n'a  ressemblé  en  rien  à  la  fête  similaire  qui  a  eu 
lieu  à  Paris  en  1886.  Celle-ci  affectait  un  caractère  sévère,  un  peu 
triste  —  le  temps  brumeux  qu'il  faisait  y  contribuant  —  mais  très 
digne,  presque  recueilli.  Tout  ce  qui,  à  Paris,  s'intéresse  aux  choses 
du  grand  art,  était  accouru  pour  rendre  hommage  à  la  mémoire  du 
maître;  l'assistance  se  composait  presque  exclusivement  de  l'élite 
du  monde  artistique  et  musical.  Qu'on  me  permette  encore  un  sou- 
venir :  au  square  Vintimille,  transformé  pour  un  instant  en  une 
enceinte  festivale,  un  assez  grand  nombre  des  meilleures  places 
avaient  été  réservées,  et  les  gardiens  refusaient  de  les  laisser  oc- 
cuper, assurant  qu'elles  étaient  pour  «  MM.  les  membres  du  conseil 
municipal  »  ;  mais  il  n'en  vint  pas  un  seul,  et  il  fallut  bien 
les  abandonner  aux  simples  mortels  :  la  politique  avait,  pour  une 
journée,  entièrement  cédé  le  pas  à  l'art.  A  la  Côte,  il  en  a  été 
tout  autrement.  La  cérémonie  était  présidée  par  M.  Bourgeois,  mi- 
nistre de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts,  qu'on  ne  saurait 
trop  remercier,  d'ailleurs,  de  s'être  dérangé  pour  rendre  hommage 
au  grand  musicien  ;  auprès  de  lui  étaient  M.  Ribière.  son  chef  de 
cabinet;  puis  le  préfet  de  l'Isère  et  ses  sous-préfets;  les  sénateurs 
et  députés  du  département,  le  président  du  conseil  général  et  de 
nombreux  conseillers  généraux;  des  représentants  de  l'Université, 
de  la  magistrature,  de  l'armée,  que  sais-je  encore?  Il  n'y  manquait 
que  des  musiciens  :  s'il  n'était  venu  M.  Reyer,  qui  ne  saurait  faire 
défaut  dans  une  fête  donnée  en  l'honneur  du  maître  dont  il  fut  un 
des  premiers  fidèles,  ainsi  que  M.  Colonne,  à  qui  Berlioz  doit  une 
si  grande  part  de  sa  gloire  posthume,  il  ne  s'en  serait  pas  trouvé  un 
seul  à  la  Côte-Saint-André  :  je  ne  puis  citer,  après  eux,  que 
M.  Salomon,  l'ancien  ténor  de  l'Opéra,  venu  là  beaucoup  plus 
comme  Dauphinois  que  comme  musicien  (il  a  l'honneur,  en  effet, 
d'être  le  concitoyen  de  Berlioz).  De  compositeur,  en  dehors  de  l'au- 
teur de  Sigurd,  pas  un  seul.  Peut-être,  après  tout,  les  organisateurs 
de  la  fête  de  la  Côte  n'ont-ils  pas  cherché  à  en  attirer  beaucoup. 
Je  me  trompe,  cependant,  en  disant  que  la  musique  n'était  pas  suf- 
fisamment représentée  :  elle  l'était,  au  contraire,  surabondamment, 
et  ce  par  vingt-huit  fanfares  venues  de  tous  les  coins  du  pays, 
lesquelles,  à  un  moment  donné,  se  sont  mises  à  jouer  toutes  à 
la  fois. 

Au  reste,  fêle  populaire  très  gaie  et  très  animée.  Il  faisait  un 
temps  splendide;  des  arcs  de  triomphe  s'élevaient  à  toutes  les  entrées 
de  la  ville  ;  les  maisons  étaient  pavoisées,  ornées  de  fleurs  et  de 
branchages;  toute  la  population  et  celle  des  pays  environnants, 
étaient  sur  pied;  l'on  se  réjouissait  de  saluer  le  ministre,  d'admirer 
son  escorte  de  hussards  et  de  gendarmes  à  cheval;  l'on  a  joué  la 
Marseillaise,  tant  et  plus  ;  et,  quand  toutes  les  autorités  eurent  pris 
place  sur  l'estrade,  M.  Homais  ne  manqua  pas  de  dire  quelques 
phrases  bien  senties  sur  le  spectacle  imposant  que  présentaient  les 
vingt-huit  fanfares  rangées  autour  de  la  statue,  et  de  prononcer  de 
sages  réflexions  sur  la  puissance  du  génie,  qui  finit  toujours  par 
triompher  de  la  routine.  —  Mais  pardon  :  je  me  croyais  au  comice 
agricole  de  Madame  Bovary,  et  j'oubliais  que  nous  étions  en  Dauphiné, 
et  non  dans  la  belle  Normandie.  La  vue  des  Alpes  aurait  dû  suffire 
à  m'y  faire  penser. 

Je  n'ai  pas  à  parler  de  la  statue,   qui   n'est  qu'une  répétition  de 


celle  de  la  place  Vintimille,  à  Paris,  œuvre  de  M.  Lenoir  :  elle  est 
suffisamment  connue  et  appréciée  pour  qu'il  ne  soit  pas  nécessaire  de 
la  décrire  à  nouveau. 

Deux  discours  seulement  ont  été  prononcés,  ce  qui  est  très  bien. 
M.  le  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts  a  parlé 
le  premier,  et  il  a  dit  des  choses  excellentes  :  que  «  Berlioz  est 
grand  entre  les  plus  grands  ;  nul  n'a  participé  avec  plus  d'invention 
et  de  courage  à  ce  grand  mouvement  de  la  pensée  romantique  par 
lequel  notre  siècle  a  marqué  sa  place  originale  dans  le  développe- 
ment du  génie  national  »  ;  qu'il  a  fait  pour  la  musique  «  ce  que 
Victor  Hugo  a  fait  pour  la  poésie,  Delacroix  pour  la  peinture,  Rude 
et  Barye  pour  la  statuaire  »;  que  «  plus  que  personne  il  a  éprouvé 
ce  que  la  légèreté  et  la  routine  des  contemporains  peuvent  réserver 
de  déboires  aux  génies  créateurs  »  ;  mais  qu'aujourd'hui  était  achevée 
«  la  grande  œuvre  de  justice  et  de  réparation  que  notre  temps  a 
entreprise  envers  les  grands  hommes  qui  ont  honoré  ce  siècle  en  ou- 
vrant des  voies  nouvelles  dans  le  domaine  de  la  pensée  et  de  l'art.  » 
«  Pour  moi,  a-t-il  dit  en  terminant,  en  répondant  à  votre  appel, 
j'ai  voulu  publiquement  attester  ce  sentiment  d'admiration  universelle 
qui  fait  de  la  mémoire  de  Berlioz  une  gloire  nationale;  j'ai  voulu 
aussi  saluer  au  nom  de  tous  cette  vaillante  école  française  dont  il  fut 
le  chef  et  dont  les  maîtres  contemporains  ont  voulu  mettre  au  service 
de  votre  œuvre,  aujourd'hui  réalisée,  leur  nom,  leur  illustration  et 
leur  dévoué  concours.  Au  nom  du  gouvernement  de  la  République, 
je  vous  félicite  et  je  vous  remercie.  » 

M.  Ernest  Reyer  lui  a  succédé.  Fidèle  dans  les  bons  comme  dans 
les  mauvais  jours,  il  s'est  toujours  trouvé  présent  chaque  fois  que 
l'occasion  est  venue  de  manifester  en  faveur  de  son  maître.  Discours, 
articles,  concerts  ou  festivals,  il  n'a  rien  négligé  de  ce  qui  pouvait 
assurer  son  triomphe.  Je  ne  relis  jamais  sans  émotion  les  lignes 
qu'il  écrivit  au  lendemain  de  la  mort  de  Berlioz,  avec  une  douleur 
si  sincère,  si  profonde,  si  eommunicative.  Qui  s'étonnerait  de  voir, 
sinon  de  tels  sentiments  s'émousser  avec  le  temps,  du  moins  leur 
expression  s'atténuer  en  une  certaine  mesure  ?  Ce  que  M.  Reyer  était 
presque  seul  à  écrire  il  y  a  trente  ans,  tout  le  monde  l'a  répété 
depuis  :  le  redire  encore  est  aujourd'hui  manquer  d'originalité;  mais 
peu  importe,  l'intention  étant  toujours  excellente.  Cela  est  pour 
dire  que  M.  Reyer,  dans  son  dernier  discours,  n'a  guère  fait  que 
répéter  ce  qu'il  avait  déjà  dit  dans  celui  de  la  place  Vintimille,  dans 
son  article  nécrologique  et  dans  nombre  de  feuilletons  du  Journal 
des  Débats;  mais  il  eût  été  tout  à  fait  inutile  d'en  agir  autrement, 
car  si,  pas  plus  que  M.  Bourgeois  dans  les  fragments  ci-dessus  cités, 
M.  Reyer  n'a  rien  appris  à  ceux  qui  sont  familiers  avec  l'œuvre  de 
Berlioz  ou  qui  ont  seulement  lu  ses  Mémoires,  ce  qu'il  a  dit  a  paru 
être  parfaitement  inconnu  et  nouveau  pour  le  public  qui  l'écoutait. 
II  s'est  donc  borné  à  raconter  la  vie  du  compositeur,  en  résumant 
ses  Mémoires  presque  chapitre  par  chapitre.  Le  lieu  était  des  plus 
favorables  pour  évoquer  les  souvenirs  de  sa  jeunesse,  que  M.  Reyer 
a  rappelés  ainsi  : 

Berlioz  aimait  sa  ville  natale  et  a  parlé  en  vrai  poète  des  sites  ravis- 
sants qui  avoisinent  cette  délicieuse  vallée  de  l'Isère  et  où,  tout  enfant, 
une  vision  lui  était  apparue  qu'il  n'oublia  jamais.  C'est  vers  ce  pays  où 
était  éclos  son  premier  rêve  que  ses  secrètes  pensées  et  les  battements 
de  son  cœur  le  ramenèrent  sans  cesse,  comme  s'il  trouvait  dans  ce  sou- 
venir plus  d'orgueil  à  ses  triomphes,  moins  d'amertume   à  ses  douleurs. 

Il  a  apprécié  ainsi  qu'il  suit  le  caractère  de  son  génie  : 

Ce  n'est  pas  de  Berlioz  qu'on  peut  dire  :  Il  n'est  jamais  grand  dans  les 
petites  choses,  mais  il  est,  en  revanche,  toujours  petit  dans  les  grandes. 
La  puissance  de  ses  inspirations  a  plus  d'une  fois  fait  éclater  le  moule  où 
il  prétendait  les  enfermer.  Une  simple  mélodie  de  quelques  mesures,  la 
Captive,  devient  tout  un  poème  par  le  développement  qu'il  donne  à  la 
pensée  première,  par  l'adjonction  de  l'orchestre  à  la  voix;  les  Troyens,  si 
soigneusement  minutés  par  lui,  trompent  ses  calculs  en  arrivant  à  la 
scène  et  prennent  les  dimensions  de  deux  grands  opéras. 

Je  regrette  seulement  de  trouver,  tout  au  début  du  discours,  une 
phrase  où  il  est  question  d'un  pays  où  Berlioz  a  trouvé  ses  premiers 
succès,  «  mais  où  son  patriotisme  aussi  bien  que  sa  dignité,  j'en 
ai  la  conviction  intime,  lui  défendraient  d'aller  les  chercher  aujour- 
d'hui »,  car  j'ai  pour  ma  part  uns  autre  «  conviction  intime  »,  à 
savoir  que  le  patriotisme  n'a  rien  à  faire  dans  l'estime  accordée  ou 
refusée  aux  œuvres  d'art  :  j'espère  que  M.  Reyer  en  conviendra  le 
jour  où  Sigurd  et  Salammbô  reviendront  à  leur  tour  d'Allemagne 
couverts  d'applaudissements,  ce  qui  ne  saurait  tarder.  S'il  tenait 
absolument  à  un  effet  de  ce  genre,  il  n'avait  qu'à  rappeler  que  Ber- 
lioz avait  obtenu  de  son  vivant  de  grands  succès  en  Russie,  ce  qui 
n'aurait  pas  été  accueilli  avec  de  moindres  transports  d'enthou- 
siasme. 


316 


LE  MENESTREL 


M.  Reyer  a  terminé  en  répétant  sa  phrase  finale  du  discours  de 
la  place  Vintimille,  ne  pensant  pas,  sans  doute,  qu'il  lui  fût  possible 
d'en  trouver  une  plus  belle  :  «  Honneur  à  Berlioz,  à  l'un  des  plus 
illustres  compositeurs  de  tous  les  temps,  au  plus  extraordinaire 
peut-être  qui  ait  jamais  existé.  »  Cetle  péroraison  de  l'éminent  maître 
français  a  été  couverte  de  longs  applaudissements. 

Entre  temps,  M.  Salomon  a  lu  une  pièce  de  vers  composée  par 
un  poète  de  la  Côle  Saint-André  en  l'honneur  de  son  grand  compa- 
triote ;  puis  la  Philharmonique  de  Vienne  (musique  d'honneur)  a  joué  la 
Marche  troyenne  et  les  Francs-Juges  de  Berlioz,  qui  furent  écoutées 
un  peu  distraitement;  enfin  on  alla  banqueter,  sous  la  présidence  de 
l'honorable  M.  Bourgeois.  De  nombreux  toasts  furent  prononcés  au 
dessert  :  à  M.  Garnot,  au  ministre,  au  Dauphiné,  à  l'art  français,  à 
l'armée,  à  la  revanche;  on  a  même  bu  à  la  mémoire  de  Berlioz  :  c'est 
M.  Reyer  qui  a  eu  cette  idée  étonnante! 

J'allais  oublier  de  parler  des  distinctions  honorifiques  qui  furent 
conférées  à  diverses  personnes  au  cours  de  cetle  imposante  céré- 
monie :  On  a  distribué  cinq  palmes  académiques,  dont  une  au  pré- 
sident de  la  Philharmonique  de  Vienne  (les  autres  étrangères  à  la 
musique,  naturellement);  on  a  même  décerné  une  décoration  du 
Mérite  agricole.  L'on  m'en  voudrait  de  ne  pas  faire  connaître  aux 
futurs  historiens  de  la  musique  le  nom  de  l'eslimable  titulaire  de 
cette  distinction  :  C'est  M.  Mouton,  horticulteur  à  Vienne. 

Pendant  ce,  temps  les  vingt-huit  fanfares  défilaient  dans  les  rues, 
bannières  déployées,  puis  chacune  d'elles  allait  prendre  possession 
de  l'emplacement  désigné  d'avance  pour  y  donner  son  concert  :  il 
y  en  avait  sur  tous  les  carrefours  de  la  ville,  oh,  tout  le  jour 
durant,  l'on  a  exécuté  du  Joly,  du  Moulin,  du  Blémant,  du  Seymat, 
du  Rigollier,  du  Comberousse,  etc.,  en  l'honneur  de  Berlioz. 

Et  le  soir  il  y  a  eu  un  grand  feu  d'artifice  dont  la  pièce  princi- 
pale représentai!...  Berlioz  lui-même,  debout  et  accoudé  devant 
son  pupitre,  dans  l'attitude  que  lui  a  donnée  le  statuaire. 

Berlioz  en  feu  d'artifice!  Quel  rêve!!... 

Mais,  si  les  feux  d'artifice  passent,  la  statue  reste:  c'est  ce  qui 
vaut  le  mieux  de  tout. 

Julien  Tiersot. 

Folies-Dramatiques.  —  Gillette  de  Narbonne,  opéra-comique  en  trois 
actes,  de  MM.  Ghivot  et  Duru,  musique  de  M.  Edmond  Audran. 

Cette  Gillette  de  Narbonne  est  très  certainement  l'une  des  parlitions 
les  mieux  venues  de  M.  Edmond  Audran,  et  parmi  les  très  nombreux 
couplets  qui  la  composent,  il  y  en  a  plusieurs  qui  sont  d'une  ins- 
piration fort  agréable  et  d'un  tour  mélodique  aimable.  Son  succès 
fut  assez  vif,  lorsqu'elle  apparut  pour  la  première  fois  aux  Bouffes, 
en  1882,  presqu'au  lendemain  des  représentations  légendaires  de  la 
Mascotte,  et  cette  reprise  pourrait  bien  ne  pas  passer  inaperçue.  Le 
livret  de  MM.  Chivot  et  Duru  semble  écrit  tout  exprès  pour  le  théâtre 
populaire  des  Folies-Pramaliques;  ses  imperfections,  ses  lourdeurs 
deviennent  là  presque  des  qualités,  et  toute  la  partie  chevaleresque 
de  la  pièce,  qui  n'avait  que  modérément  plu  au  passage  Choiseul,  a 
transporté  le  public  des  hautes  galeries  du  théâtre  de  la  rue  de  Bondy. 
On  a  donc  beaucoup  applaudi  et  beaucoup  bissé,  et  pourtant  l'ado- 
rable Gillette  de  la  création,  Mme  Grizier-Montbazon,  n'était  pas  sur 
la   scène. 

C'est  M"c  Zélo-Duran,  une  étoile  qui  déserle  le  ciel  de  Bruxelles 
où  elle  était  1res  admirée,  qui  a  repris  le  rôle.  Nous  avions  déjà 
entendu  la  jeune  chanteuse  lors  des  représentations  que  M.Alhaiza 
vint  donner,  le  printemps  dernier,  aux  Nouveautés,  et  notre  im- 
pression reste  la  même  toujours.  Mllc  Zélo-Duran,  qui  est  une  belle 
fille  bien  en  chair,  quelque  chose  comme  un  Rubens  fin  de  siècle, 
sait  parfaitement  son  métier,  a  une  assez  bonne  voix,  sauf  toutefois 
dans  le  registre  élevé,  et  n'est  pas  sans  charme;  mais  elle  manque 
encore  de  ce  chic  qui,  seul,  pourrait  en  faire  une  vraie  divetle 
parisienne.  M.  Huguet  succède  à  M.  Morlet  dans  le  rôle  de  Roger 
de  Lignolle  qu'il  chante  avee  une  emphase  et  un  sérieux  tout  à  fait 
hors  de  saison:  M.  Huguet  prendrait-il  les  Folies-Dramatiques  pour 
notre  Académie  de  musique?  Il  ferail,  dans  ce  cas,  bien  peu  d'hon- 
neur à  son  directeur,  M.  H.  Micheau.  M.  Lamy  a  repris  sa  création 
d'Olivier  et  y  re-te  le  ténorino  charmant  que  l'on  sail.  Griffardin, 
c'est  maintenaut  Germain,  c'est-à-dire  les  contorsions  et  les  grimaces 
simiesques  à  jet  continu.  M"0  Nesville,  très  en  progrès,  nous  a  donné 
une  fort  gentille  Rosita  ;  mais  qui  donc  lui  a  appris  à  se  lenir  en 
scène  et  qui,  encore,  lui  donne  des  conseils  pour  ses  costumes? 

Paul-Emile  Chevalier. 


UN   VIRTUOSE   COURONNÉ 

(Suite.) 


IV 

L'histoire  de  la  Mara  donne  la  mesure  des  exigences  tyraniques 
de  Frédéric  II.  Il  était  coutumier  du  l'ait,  et  s'il  n'avait  qu'un  mé- 
diocre souci  de  la  liberté  individuelle  et  des  intérêts  personnels  de 
ses  sujets,  il  traitait  plus  lestement  encore  la  grande  famille  artis- 
tique dont  il  se  croyait  appelé  à  régenter  les  destinées. 

Il  ne  le  prouva  que  trop  avec  la  Barbarini,  dont  nous  avons  eu 
déjà  l'occasion  de  parler. 

Cette  incomparable  ballerine  avait  signé,  à  Venise,  en  1743,  par 
les  soins  du  comte  Cataneo,  diplomate  prussien,  un  engagement 
pour  la  saison  du  carnaval  à  Berlin.  Mais  elle  avait  compté  sans  un 
jeune  seigneur  anglais,  lord  Stuart  Mackenzie,  qui,  s'étant  épris 
d'elle,  voulut  l'emmener  en  Angleterre  pour  l'épouser.  Aussi  la 
signora  crut-elle  pouvoir  ne  prendre  aucun  souci  de  son  contrat, 
lorsque  le  comte  Cataneo  en  vint  réclamer  l'exécution  prompte  et 
fidèle. 

Frédéric  n'élait  pas  homme  à  se  contenter  d'une  pareille  défaite.. 
Il  enjoignit  sur  l'heure  à  son  envoyé  de  réclamer  l'intervention  de  la 
République  de  Venise  et  d'exiger  d'elle  l'extradition  delà  danseuse. 

Malheureusement  pour  le  succès  de  sa  requête,  présentée  en 
termes  impératifs,  le  comte  Cataneo  n'était  pas  accrédité  officielle- 
ment en  qualité  d'ambassadeur  prussien.  Aussi  la  République  de 
Venise  répondit-elle  au  roi  par  une  fin  de  non-recevoir.  En  vain, 
Frédéric  fit-il  agir  les  ministres  de  France  et  d'Espagne  à  Venise, 
et  même  son  représentant  à  Vienne,  le  comte-  Dohna  :  le  gouver- 
nement vénitien,  qui  ne  s'était  pas  toujours  montré  aussi  soucieux 
de  la  liberté  individuelle,  continua  à  faire  la  sourde  oreille. 

Alors,  Frédéric,  qui  depuis  cet  incident  était  en  proie  à  la  plus 
vive  colère,  eut  recours  à  un  expédient  extra-légal  pjur  avoir  enfin 
raison  de  la  résislance  de  la  sérénissime  république.  Capello,  am- 
bassadeur de  Venise  à  Londres,  s'étant  imprudemment  fourvoyé, 
en  revenant  à  son  poste,  sur  les  terres  du  roi  de  Prusse,  celui-ci 
fit  saisir  immédiatement  ses  équipages. 

Le  gouvernement  vénitien  dut  céder;  il  fit  arrêter  et  mettre  en 
lieu  sur  la  belle  Barbarini.  Cette  première  partie  de  l'expédition 
réussit  assez  bien  :  la  danseuse  avait  une  mère,  qui,  préférant  sans 
doute,  et  pour  cause,  le  séjour  de  Berlin  à  celui  de  Londres,  se 
prêta  complaisamment  à  l'opération  tentée  par  la  république  de 
Venise.  Mais  il  fallait  mener  la  captive  jusqu'à  complète  destina- 
tion, et  ce  déplacement  forcé  ne  laissait  pas  que  d'offrir  certaines 
difficultés.  Une  escorte  respectable  de  sbires  et  de  policiers  devait 
bien ,  accompagner  jusqu'à  la  frontière  vénitienne  la  berline  de 
voyage  où  gémissait  la  pauvre  Barbarini,  que  sa  mère  essayait  vai- 
nement de  consoler.  Mais,  plus  loin,  aurait-on  facilement  raison  de 
cette  belle  échevelée,  qui  poussait  des  cris  à  fendre  l'âme,  et  sur- 
tout pourrait-on  parer  aux  coups  de  main  que  tenterait  nécessaire- 
ment son  adoratiur? 

Le  comte  Dohna.  qui  surveillait  de  haut  et  de  loin  toutes  les 
phases  de  l'enlèvement,  en  avait'  confié  la  direction  à  un  de  ses- 
anciens  intendants,  un  juif  nommé  Mayer.  Ce  Mercure  d'un  nou- 
veau genre  sut  comprendre  les  exigences  de  sa  mission.  Pendant 
que  la  berline  entraînait  vers  Berlin  l'inconsolable  Barbarini,  Mayer 
s'efforçait  de  faire  miroiter  aux  yeux  de  sa  captive  la  perspective 
séduisante  de  la  félicité  qui  l'attendait  à  la  cour  do  Prusse. 

Tout  alla  bien  jusqu'à  Goritz  :  mais,  aux  portes  de  cette  ville,  se- 
dressa  la  silhouette  désespérée  de  lord  Stuart  qui  réclamait  énergi- 
quement  sa  danseuse.  A  vrai  dire,  sa  revendication  était  appuyée 
par  une  bande  de  laquais  armés  de  solides  gourdins.  Mais  si  l'in- 
tendant du  comte  Dohna  n'était  pas  la  bravoure  même,  il  était  du 
moins  incorruptible  ;  il  ne  voulut  pas  entrer  en  composition  avec 
l'Anglais, qui  se  vengea  de  ses  refus  en  le  rossant  d'importance.  Lord 
Stuart  eût  infailliblement  assommé  le  courtier  en  enlèvements  sans 
la  police,  qui,  avisée  à  temps,  mit  fin  au  combat  en  arrêtant  et  je- 
tant en  prison  notre  Roland  furieux.  Celui-ci  ne  fut  relâché  que 
lorsque  Mayer  fut  définitivement  hors  de  son  atteinte. 

Alors  il  piqua  droit  sur  Berlin:  mais  là  de  nouvelles  épreuves 
l'attendaient.  La  Barbarini,  que  Mayer  avait  peut-être  persuadée  ou 
que  la  cruelle  ténacité  de  Frédéric  avait  sacs  doute  domptée,  venait 
de  débuter  à  Berlin  sous  les  plus  heureux  auspices.  Lord  Stuart 
n'en  persista  pas  moins  à  fatiguer  de  ses  prières  et  de  ses  réclama- 
tions la  police  prussienne,  les  ministres  et  les  ambassadeurs.  Il  alla 


LE  MENESTREL 


317 


même  jusqu'à  écrire  directement  au  roi  pour  l'apitoyer  sur  son 
infortune.  Il  faut  lire  cette  singulière  correspondance,  écrite  dans 
la  langue  diplomatique,  c'est-à-dire  en  français,  pour  se  faire  une 
idée  exacte  de  la  folle  passion  de  l'amoureux  Anglais  et  de  la  bruta- 
lité du  roi  de  Prusse. 

Aussi  bien,  la  patience  n'était  pas  la  qualité  dominante  de  Fré- 
déric. Il  fit  signifier  à  lord  Stuart  que,  s'il  ne  s'éloignait  pas  dans 
les  vingt-quatre  heures,  il  l'enverrait,  sans  le  moindre  égard  pour 
sa  nationalité,  dans  la  forteresse  de  Spandau. 

Mackenzie  ne  se  fit  pas  répéter  cette  royale  sommation,  qui  pouvait 
avoir  de  graves  conséquences. 

Quant  à  la  Barbarini,  les  applaudissements  de  la  Cour  et  les  fa- 
veurs particulières  de  Frédéric  changèrent  complètement  le  cours 
de  ses  idées. 

Elle  fut  pendant  quelques  années  l'idole  du  peuple  berlinois,  jus- 
qu'au jour  où  une  seconde  intrigue,  qui  cette  fois  se  termina  par 
un  bon  et  solide  mariage,  souleva  de  nouveau  un  furieux  conflit 
entre  le  monarque  et  la  danseuse. 

Le  conseiller  privé  de  Gouci  s'étant  épris  de  la  Barbarini  et  voulant 
en  faire  sa  femme,  malgé  la  vive  opposition  de  sa  famille.  Frédéric, 
exaspéré,  écrivit  au  jeune  rebelle  des  lettres  où  il  insultait  grossière- 
ment la  ballerine  et  signa  contre  elle  un  ordre  d'expulsion. 

Correspondance  et  serments  s'échangèrent  dès  lors  plus  que  jamais 
entre  la  Barbarini,  exilée  à  Londres,  et  Couei,  resté  à  Berlin.  Frédé- 
ric fit  mettre  sous  les  verrous  son  conseiller  privé  ;  mais  cette  fois 
la  résolution  de  la  danseuse  fut  irrévocable,  et  son  mariage  avec  Couci 
devint  un  lait  accompli.  La  police  prussienne  voulut  encore  la  tra- 
casser; mais  elle  parla  haut  et  fermai  au  roi,  qui,  pour  avoir  le 
dernier  mot,  relégua  les  deux  époux  dans  un  de  leurs  domaines 
éloisné  de  Berlin. 


Frédéric  ne  témoignait  guère  plus  d'égards  pour  les  artistes  fran- 
çais que  pour  les  chanteurs  et  les  danseuses  italiennes,  et  cela  ce- 
pendant à  une  époque  où  il  affectait  la  plus  grande  admiration  pour 
notre  politique,  notre  gouvernement,  nos  mœurs,  notre  littérature 
et  noire  langue. 

Le  ravisseur  de  la  Silésie,  qui  devait  respecter  un  moulin  (et  en- 
core l'exactitude  de  celte  anecdote  n'est-elle  pas  bien  prouvée) 
appliquait  aux  choses  du  théâtre  l'absence  de  préjugés  qui  carac- 
térisait sa  manière  polilique. 

Nous  eu  trouvons  l'exemple  dans  cetle  supplique  d'une  troupe  de 
comédiens  français,  que  Blaze  de  Bury  a  découverte  dans  les 
archives  secrètes  de  Berlin  : 

«  Sire, 

»  Pleins  de  confiance  dans  l'équité  ei  la  justice  de  Votre  Ma- 
jesté, les  acteurs  de  la  comédie  française  osent  en  réclamer  les 
effets. 

»  Les  ordres  de  Voire  Majesté  pour  le  renvoi  duspeitacle  français 
nous  ont  été  signifiés  hier,  1°'  avril,  par  une  circulaire  de  M.  d'Arnim 
en  date  du  31  mars.  Sire,  nous  nous  trouvons  dans  la  plénitude  de 
nos  engagements.  Nous  avons  été  appelés  par  les  ordres  de  Sa  Ma- 
jesté à  son  service;  par  ses  mêmes  ordres,  ainsi  que  le  portent  nos 
contrats,  nous  avons  été  réengagés,  les  uns  pour  un  an,  les  autres 
pour  deux  et  trois  années.  Le  nom  de  Votre  Majesté  nous  a  servi 
de  garant,  et  l'état  le  plus  affreux  va  devenir  le  fruit  d'une  con- 
fiance  si  légitime. 

»  L'année  théâtrale  commençant  immédiatement  à  Pâques,  nous 
ne  pouvons  espérer  aucune  place  dans  notre  patrie,  où  presque  tous 
nous  avons  refusé  de  retourner,  d'après  l'assurance  de  notre  sort  au 
service  de  Votre  Majesté.  Notre  ruine  est  inévitable.  Nous  allons 
perdre  le  fruit  de  nos  travaux,  en  ce  qu'on  nous  renvoie  sans  les 
dédommagements  que  nous  assurent  nos  engagements,  nos  droits  et 
les  usages  sur  la  foi  desquels  nous  nous  expatriâmes. 

»  Nous  n'osons  point  supplier  Votre  Majesté  de  daigner  ordonner  la 
révocation  de  ses  ordres  pour  le  cours  de  cette  année  théâtrale,  ce  qui 
ferait  notre  bonheur  ;  mais  nous  prendrons  la  liberté  d'exposer  sous 
ses  yeux  ce  qui  s'est  pratiqué  dans  toutes  les  cours,  ce  qui  se  pra- 
tique partout  où,  dans  de  pareilles  circonstances,  on  donne  à  chaque 
acteur  la  moitié  de  son  engagement  quand  il  l'a  pour  plus  d'une 
année,  et  son  année  d'appointements  lorsque  son  engagement  ne 
renferme  que  ce  terme. 

«  Serions-nous  les  premiers  et  les  seuls  étrangers  à  qui  le  nom 
sacré  de  Frédéric  aurait  causé  des  larmes?  Non,  Sire,  nous  osons 
1  espérer.  Votre  Majesté  n'avoit  point  connu  nos  dioits.  Elle  les  con- 


noit   et   elle    ne    souffrira   pas    que   nos   gémissements    se    fassent 
entendre  au  milieu  des  acclamations  et  des  éloges  de  l'Europe. 

»  Berlin,  2'avrill778. 
»  Lamberti   et  sa  femme;  M"0  Fleury;  Courcelle;  Doiuval;  Chéri- 
court  et  sa  femme  ;  Oyez;  M1IcHenneguy;  M110  Sauvage;  Julien;  le  Bauld 
de  Nam;  L'Amant;  Tissot;  D.  Monroze  fils,  MUe  Perrin.   » 

Celte  requête  demeura  sans  effet.  Les  comédiens  français  rega- 
gnèrent leurs  foyers  comme  ils  purent;  nombre  d'entre  eux  restèrent 
en  route  :  Frédéric  ne  s'inquiéta  pas  plus  d'eux  que  s'ils  n'exis- 
taient pas. 

C'était  la  contre-partie  de  l'aventure  dont  le  célèbre  violoncelliste 
Duport  fut  la  victime. 

Ce  musicien,  dont  la  réputation  était  universelle,  avait  eu  le 
malheur  de  plaire  extraordinairement  à  Frédéric.  Vainement  celui- 
ci  s'était-il  efforcé  delegarder  pour  sa  musique  de  chambre;  Duport, 
venu  pour  quelques  mois  seulement  en  Prusse,  ne  s'était  laissé 
séduire  par  aucune  offre,  par  aucune  promesse. 

Alors,  le  roi,  pour  le  conserver,  eut  recours  à  un  stratagème  qui 
laisse  bien  loin  derrière  lui  tout  ce  qu'une  imagination  tyrannique 
peut  rêver.  Dans  une  fête  offerte  à  l'illustre  virtuose,  à  l'occasion  de 
son  départ  prochain,  quelques  musiciens  de  la  chapelle  royale, 
payés  pour  cette  besogne,  enivrèrent  si  bien  leur  éminent  camarade 
qu'ils  lui  firent  signer  un  engagement  par  lequel  Duport  entrait 
en  qualité  de  tambour  dans  les  régiments  du  roi. 

Quitter  la  Prusse  après  cet  enrôlement,  c'était  s'exposer  à  la  peine 
capitale  comme  déserteur.  L'infortuné  virtuose  se  vit  donc  contraint 
à  rester  dans  le  Brandebourg.  Les  présents  du  roi  et  un  riche  mariage 
qu'il  contracta  peu  de  temps  après,  ne  purent  le  consoler  jamais  de 
la  perte  de  sa  liberté. 

Duport  fut  donc,  contre  son  gré,  l'astre  rayonnant  de  la  chapelle 
royale,  de  l'orchestre  de  l'Opéra  et  surtout  des  concerts  de  musique 
de  chambre,  qui,  jusque  fort  avant  dans  la  vieillesse  de  Frédéric, 
eurent  lieu  tous  les  soirs  sans  interruption,  au  point  qu'en  temps 
de  guerre  il  arriva  souvent  que  lorsque  sa  musique  lui  faisait 
défaut,  par  suite  d'un  accident  de  route  ou  tout  autrement,  le  roi, 
dans  les  villes  conquises,  mandait  auprès  de  lui  des  musiciens  de 
l'endroit  pour  l'accompagner. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

Les  dates  des  représentations  de  Bayreuth,  pour  l'été  prochain,  sont 
dès  à  présent  fixées.  Il  y  en  aura  vingt.  Parsifal  en  aura  dix,  Tannhiiuser 
sept  et  Tristan  trois.  On  sait  que  Tristan  n'entrait  pas  d'abord  dans  le 
programme  de  cette  série,  mais  le  plébiscite  des  patrons,  des  sociétés  pro- 
tectrices de  l'œuvre  et  des  habitués  du  pèlerinage  de  Bayreuth  a  été  à  ce 
point  unanime  qu'il  a  fallu  faire  une  place  à  l'ouvrage;  toutefois  on  n'a 
pas  pu  la  faire  bien  grande  :  trois  représentations  seulement,  le  20  juillet, 
le  5  et  le  1S  août.  C'est  Parsifal  qui  cuvre  la  série  le  19  juillet,  pour  la  ter- 
miner le  19  août.  Les  autres  représentations  de  Parsifal  auront  lieu  les  23, 
26,  29  juillet,  les  2,  6,9,  12  et  16  août.  La  première  du  Tannhauser  aura  lieu 
le  22  juillet,  les  six  autres  représentations  de  l'ouvrage  les  27,  30  juillet, 
3,  10,  13  et  18  août.  Les  trois  premières  de  la  série  seront  donc  :  Parsifal, 
19  juillet;  Tristan,  le  20,  et  Tannhauser,  le  22.  La  direction  musicale  est 
partagée  entre  MM.  Hermann  Levi,  de  Munich,  et  Félix  Mottl,  de 
Carlsrube;  la  direction  de  la  scène  confiée  au  régisseur  de  Munich, 
M.  Anton  Fuchs;  celle  de  la  partie  chorégraphique  du  Tannhauser  à 
M"0  Virginia  Zucchi,  de  Milan.  Le  choix  des  interprètes  n'est  pas  encore 
définitivement  arrêté. 

—  Le  docteur  A.  Kohut  publie  dans  la  Neue  Musikzeitung  une  lettre 
inédite  de  "Wagner,  qui  montre  à  quel  point  le  «  maître  »  avait  le  souci 
de  ses  intérêts  pécuniaires  et  avec  quelle  habileté  il  s'entendait  à  les 
défendre.  Cette  lettre  est  adressée  au  directeur  du  théâtre  de  Prague, 
M.  "Wirsing.  En  voici  la  traduction  : 
Monsieur  le  Directeur, 

Je  ne  pourrai  vous  céder  le  droit  de  représentation  des  quatre  parties  de  ma 
tétralogie,  l'Anneau  du  Nibelungen,  qu'à  des  conditions  qui  me  garantiront  une 
solide  exécution  de  mes  œuvres  à  votre  théâtre.  Je  vous  énumère  ci-après  lea 
dernières  conditions  auxquelles  je  puis  vous  abandonner  ce  droit  :  1°  engage- 
ment de  représenter  les  ouvrages  dans  leur  ordre;  c'est-à-dire  commencer  par 
l'Or  du  Rhin  et  la  Vallcyrie  et  produire  ensuite,  après  un  délai  facultatif  et  isolé- 
ment, Siegfried  elle  Crépuscule  des  Dieux;  2°  versement  immédiat  d'une  avance  de 
cinq  mille  marks  allemands;  3°  fixation  d'un  droit  proportionnel  do  10  0/0  à  pré- 
lever sur  les  recettes  brutes  (abonnement  compris),  à  partir  de  la  première  re- 
présentation de  ebaque  ouvrage  jusqu'à  trente  années  après  la  mort  de  l'auteur. 
La  direction  du  théâtre  national  est  autorisée  à  retenir  5  0/0  à  chaque  représen- 
tation jusqu'au  remboursement  intégral  de  l'avance  de  5,000  marks;  4"  la  direc- 


318 


LE  MÉNESTREL 


tion  devra  se  procurer  à  ses  frais,  chez  l'éditeur  Schott  iîls,  à  Mayence,  les  par- 
titions,  etc..   —   Dans  le   cas   où   vous   considéreriez    ces    conditions   comme 
inacceptables,  je  vous  prierais  de  vouloir  bien  renoncer  à  votre  projet. 
Bayreuth,  10  septembre  1878. 

Avec  considération,  votre  dévoué, 
Richard  Wagnîr. 

—  Tandis  que  quelques-uns,  parmi  nos  modernes  critiques,  ne  cessent 
de  railler  notre  répertoire  lyrique  et  de  conspuer  les  maîtres  français  au 
profit  d'une  école  bruyante  qui  prétend  tout  effacer,  voici  comment,  en 
Allemagne,  on  juge  notre  musique  et  nos  musiciens.  Les  lignes  suivantes 
sont  tirées  d'un  journal  étranger  qui  rend  ainsi  compte  d'une  récente 
reprise  du  Maçon  faite  à  l'Opéra  royal  de  Dresde  :  —  «  Hier  au  soir  on 
donnait  le  Maçon  et  le  Serrurier,  d'Auber  (on  sait  que  c'est  le  titré  adopté 
en  Allemagne  pour  cet  ouvrage).  Costumes  et  décorations  d'une  fraîcheur 
exquise.  Orchestre  admirable  pour  sa  finesse,  principalement  au  com- 
mencement de  l'ouverture,  qui  est  enchanteresse.  Le  mérite  d'un  orchestre, 
quand  il  interprète  une  œuvre  étrangère,  est  de  s'approcher  autant  que 
possible  de  l'original.  Il  faut  que  la  chapelle  de  notre  ville  soit  composée 
d'artistes  de  premier  ordre  pour  se  distinguer  ainsi  dans  tant  de  genres 
différents.  La  musique  d'Auber,  entre  toutes  les  autres,  si  simple  et  facile 
dans  le  chant,  ravit  par  ses  nuances.  M.  Hagen,  kofkapellmeister,  les  fait 
si  bien  ressortir  que  le  compositeur  lui-même  aurait  applaudi  à  une  si 
exacte  interprétation  d'un  de  ses  plus  beaux  opéras-comiques.  Impossible 
d'être  une  Henriette  plus  alerte  que  Mm0  Schuch,  parfaitement  à  sa  place 
dans  les  œuvres  comiques.  Son  admirable  duo  du  troisième  acte  avec 
MUe  Loffler  a  été  bissé;  le  chœur  des  paysans  qui  l'accompagne  est  un 
joyau...  »  Bref,  cette  reprise  du  Maçon  a  obtenu  un  succès  complet,  et  les 
interprètes,  parmi  lesquels  il  faut  encore  citer  MM.  Riese,  Eichberger, 
Erl  et  Decarli,  et  Mlle  Reuther,  s'y  sont  tout  particulièrement  distingués. 
Ajoutons  que  le  dialogue  parlé  est  conservé  là-bas,  et  que  des  œuvres 
légères  et  fines  comme  le  Maçon  ne  sont  point  alourdies  par  de  pesants 
récitatifs.  On  sait  d'ailleurs  que  le  Frasc/iûfs  et  autres  ouvrages  allemands 
sont,  en  dépit  des  contempteurs  français  de  notre  opéra-comique,  comme 
lui  entremêlés  de  dialogue. 

—  M.  Paul  de  Witt,  directeur  du  Journal  de  facture  instrumentale  de 
Leipzig,  vient  de  céder  au  Musée  royal  de  Berlin  une  importante  collec- 
tion d'anciens  instruments  de  musique  parmi  lesquels  se  trouve  le  propre 
clavecin  de  Bach.  Cette  précieuse  relique  avait  été  vendue  par  le  fils  du 
grand  Bach,  Friedemann,  dans  un  moment  de  gène,  au  comte  de  Voss, 
puis  devint  la  propriété  du  directeur  de  musique  Rust,  à  Dessau.  C'est 
le  descendant  de  ce  dernier,  le  professeur-docteur  W.  Rust,  qui  a  cédé  à 
M.  de  Witt,  le  clavicembalo  de  Bach,  sous  la  condition  expresse  que  cet 
instrument  ne  serait  jamais  revendu  qu'au  gouvernement  prussien;  ce 
qui,  on  le  voit,  a  eu  lieu  effectivement.  Une  première  collection  d'ins- 
truments anciens  appartenant  à  M.  de  "Witt  avait  déjà  été  acquise  par  le 
gouvernement,  il  y  a  quelques  années  à  peine. 

—  La  New  Musik  Zeitung  de  Sttutgard  publie  le  portrait  et  la  biographie 
de  M.  Eugène  Goura,  l'un  des  chanteurs  les  plus  renommés  de  l'Allema- 
gne, qui,  ainsi  que  son  camarade  Henri  Yogi,  célèbre  cette  année,  à 
Munich,  le  vingt-cinquième  anniversaire  de  son  entrée  dans  la  carrière 
lyrique.  M.  Goura,  dont  la  voix  de  basse  est  toujours  superbe,  faisait  son 
premier  début  au  théâtre  le  14  septembre  1863  ;  ce  n'est  qu'après  s'être 
produit  à  Leipzig,  à  Hambourg  et  dans  diverses  autres  villes,  qu'il  fut 
attaché  au  Théâtre  royal  de  Munich,  dont  depuis  lors  il  ne  s'est  jamais 
éloigné  ;  le  soir  de  son  jubilé,  il  en  -était  à  sa  deux  mille-cent-cinquante- 
cinquième  représentation  !  Sur  les  cent  trente-neuf  rôles  successivement 
remplis  par  lui,  il  a  joué  102  fois  Wolfram  du  Tannhâuser,  97  fois  Don  Juan, 
88  fois  Hans  Sachs  des  Maîtres  Chanteurs,  84  fois  le  Vaisseau  fantôme,  etc. 
En  dehors  de  son  service  au  théâtre,  M.  Goura  a  pris  part,  comme  chanteur 
de  lieder  et  d'oratorios,  à  341  concerts.  Son  compagnon,  le  ténor  Yogi,  qui 
a  fait  son  éducation  musicale  sous  la  direction  de  Franz  Lachner,  n'a 
jamais,  croyons-nous,  chanté  ailleurs  que  sur  la  scène  royale  de  Munich 
et  à  Bayreuth  ;  ses  débuts  remontent  au  5  novembre  1865,  et  il  doit  sur- 
tout sa  renommée  à  son  interprétation  extrêmement  remarquable  des 
œuvres  de  Richard  Wagner.C'est  lui  qui, lors  delà  mise  à  la  scène  à  Munich 
du  Rheingold  (22  septembre  1869)  et  de  la  Walkùre (26  juin  1870),  établit  les 
deux  rôles  de  Loge  et  de  Siegmund,  qui  lui  valurent  un  double  triomphe. 
Son  succès  ne  fut  pas  moins  éclatant  à  Bayreuth,  lorsqu'on  1876  on  y 
représenta  la  Tétralogie  et  qu'il  parut  dans  ce  rôle  de  Loge,  qui  est  resté 
l'un  de  ses  plus  beaux  titres  à  l'admiration  du  public. 

—  On  a  donné  le  14  septembre,  à  l'Opéra  royal  de  Berlin,  pour  le 
centième  anniversaire  de  la  première  représentation  des  Noces  de  Figaro, 
de  Mozart,  la  388°  représentation  de  ce  chef-d'œuvre. 

—  La  Frète  musil.alische  Vereinigung  (Libre  Réunion  musicale)  de  Berlin 
a  donné,  au  cours  de  la  dernière  saison,  douze  soirées  d'auditions,  dans 
lesquelles  ont  été  exécutées  115  compositions  nouvelles,  dont  69  déjà  pu- 
bliées et  46  inédites.  De  ces  dernières,  10  ont  trouvé  des  éditeurs.  M.  Phi- 
lippe Roth,  président  de  la  réunion,  fait  annoncer  que  la  première  soirée 
de  la  présente  saison  aura  lieu  le  6  octobre,  dans  la  salle  Bliithner. 

—  Extrait  de  la  correspondance  viennoise  du  Figaro  :  «  Après  le  transport 
des  ossements  de  Beethoven  au  grand  cimetière  central,  nous  allons  avoir 
celui  des  restes  du  chevalier  Gluck.  Il  aura  lieu,  très  solennellement,  lundi 
prochain.  Les  artistes  de  l'Opéra  et  la  grande  société  chorale  do  Vienne 


exécuteront  sur  la  nouvelle  tombe  du  maître  des  morceaux  d'Armide  e* 
d'Orphée.  Comme  toujours,  les  anthropologues  seront  admis  à  mesurer  le 
crâne,  ce  qui  du  reste  ne  cous  apprendra  plus  grand'chose  sur  les  capa- 
cités musicales  de  l'illustre  défunt.  Ces  enterrements  —  seconde  édition, 
revue  et  corrigée  —  ont  quelque  chose  de  déplaisant.  Espérons  qu'en 
voilà  assez.  » 

—  Une  anecdote  assez  curieuse  racontée  par  un  de  nos  confrères  au 
sujet  de  Mmo  Pauline  Lucca,  la  célèbre  cantatrice  allemande,  dont  nous 
avons  annoncé  la  prochaine  retraite.  Parmi  ses  nombreux  admirateurs 
figure  depuis  longtemps  le  prince  de  Bismarck.  Or,  il  y  a  quelques  an- 
nées, aux  vitrines  de  nombreux  magasins  de  Berlin  et  d'ailleurs,  on  pou- 
vait apercevoir  exposée  une  photographie  représentant  M.  de  Bismarck 
debout  à  côté  de  l'actrice.  Grand  scandale  naturellement  par  toute  l'Alle- 
magne. Le  prince,  dans  un  moment  d'oubli  folâtre,  avait  effectivement 
posé  avec  Mme  Pauline  Lucca  devant  un  appareil  photographique,  ne 
pensant  pas  du  tout  que  la  photographie  tomberait  dans  le  domaine  pu- 
blic. L'empereur  Guillaume  Ier  montra  une  grande  mauvaise  humeur. 
M.  de  Bismarck  écrivit  à  l'empereur,  lui  expliqua  toutes  les  circonstances 
de  l'aventure  et  lui  exprima  tout  son  regret  de  l'indiscrétion  qui  avait  été 
commise  à  son  égard.  La  lettre,  de  même  que  la  photographie,  fut  pu- 
bliée, au  grand  désespoir  du  chancelier.  Quant  à  Pauline  Lucca,  elle  fut 
enchantée,  quoique  cet  incident  eût  mis  fin  à  son  intimité  avec  son  vieil 
ami.  Elle  n'en  devint,  en  effet,  que  plus  célèbre. 

—  On  annonce  la  reprise  à  la  Monnaie,  dit  l'Éventail,  de  Bruxelles,  de 
Coppélia,  le  ravissant  ballet  qui  n'a  plus  été  donné  en  entier  depuis  plu- 
sieurs années.  Il  faudra  chercher  une  danseuse,  car  il  n'en  est  pas,  dans 
le  personnel  chorégraphique  de  la  Monnaie,  qui  puisse  danser  le  rôle 
principal  de  l'œuvre  de  Delibes. 

—  A  Bruxelles,  un  arrêté  ministériel  récent,  communiqué  à  l'Académie 
de  Belgique,  vient  d'adjoindre  M.  L.  de  Casembroot,  bibliothécaire  du 
Conservatoire,  à  la  commission  chargée  de  la  publication  des  œuvres  des 
anciens  musiciens  belges.  Cette  commission  s'occupe  activement  de  l'édi- 
tion complète  des  œuvres  de  Grétry.  Sept  opéras  ont  paru  jusqu'ici  et 
dans  l'ordre  suivant  :  Richard  Cœur  de  Lion,  Lucile,  Céphale  et  Procris  (deux 
livraisons),  les  Méprises  par  ressemblance,  l'Épreuve  villageoise,  Anacréon, 
(deux  livraisons),  le  Tableau  parlant  ;  les  Evénements  imprévus  sont  à  l'im- 
pression. La  partition  de  l'Embarras  des  richesses  est  en  préparation.  On 
sait  que  le  comité  est  composé  de  MM.  Gevaert,  président,  Samuel, 
Radoux,  Ed.  Fétis,  tous  quatre  membres  de  l'Académie,  et  de  M.  Victor 
Wilder,  qui  a  été  nommé  membre  adjoint,  comme  vient  de  l'être  M.  de 
Casembroot.  La  commission  avait  perdu,  dans  le  courant  de  l'année,  l'un 
de  ses  auxiliaires  les  plus  érudits  :  M.  le  chevalier  Léon  de  Burhure. 

—  La  Cavalleria  ruslicana  du  maestro  Mascagni  continue  son  heureuse 
fortune.  Les  trois  représentations  qui  en  ont  été  données  à  la  Pergola  de 
Florence  ont  produit  plus  de  20,000  francs.  Quant  à  la  soirée  de  gala  où 
elle  a  été  donnée  en  présence  des  souverains,  la  recette  a  dépassé  17,000  fr. 
On  annonce  maintenant  que  l'ouvrage  va  faire  son  tour  d'Europe,  à  com- 
mencer par  Saint-Pétersbourg,  Moscou,  Vienne,  Berlin,  Dresde,  Ham- 
bourg, Buda-Pesth,  Prague,  Madrid,  Barcelone,  Amsterdam  et  Stockholm. 

—  Au  théâtre  Pagliano,  de  Florence,  on  prépare  un  grand  concert  dans 
lequel  sera  exécuté  un  Hymne  patriotique  pour  chœur  et  orchestre,  dont  la  - 
musique  est  due  à  une  jeune  élève  de  l'Institut  musical  de  cette  ville, 
MUe  Palmira  Orso,  qui  compte  en  diriger  elle-même  l'exécution.  Les  pa- 
roles de  cet  hymne,  qui  est  une  sorte  de  glorification  du  règne  et  des 
actes  de  Victor-Emmanuel  II,  sont  du  père  de  la  jeune  maestra,  lieute- 
nant-colonel de  réserve. 

—  Tandis  que  certains  journaux  de  Naples  assurent  que  la  nouvelle 
impresa  du  théâtre  San  Carlo  n'a  pas  encore  fait  le  dépôt  du  cautionnement 
exigé  par  son  traité  avec  la  muicipalité,  d'autres  publient  le  tableau  sui- 
vant de  la  troupe  appelée  à  défrayer  la  prochaine  saison  :  soprani,  Mrats  Ca- 
taneo,  Calvé,  Del  Torre  et  Patalano  ;  contralti,  Mmcs  Novelli,  Guarnieri  et 
Alassio  ;  ténors,  MM.  De  Lucia,  Galli  et  Zerni  ;  barytons,  MM.  Maurel, 
Borghi  et  Vinci  ;  basses,  MM.  Rossi  et  Di  Grazia.  Chef  d'orchestre  M.  Lom- 
bardi.  Parmi  les  œuvres  qui  doivent  être  représentées,  on  cite  Hamlet, 
Carmen,  Gioconda,  Cavalleria  ruslicana,  Spartaco,  Cimbelino,  et  divers  ouvra- 
ges du  répertoire  courant, 

—  Un  directeur  dramatique  italien,  le  professeur  Giozza,  avait  ouvert 
un  concours  d'eeuvres  scéniques,  avec  trois  prix,  dont  l'un  de  1,000,  le 
second  de  600,  et  le  troisième  de  400  francs.  Il  n'a  pas  été  envoyé  à  ce 
concours  moins  de  127  ouvrages  de  tout  genre  (excepté  du  genre  lyrique), 
se  décomposant  ainsi  :  b'4  comédies,  41  drames,  15  bozzetti  (croquis  scéni- 
ques), 9  scènes,  3  esquisses  dramatiques,  2  proverbes,  1  monologue,  1  «  bi- 
zarrerie comique  »,  et  1  fantaisie  dramatique.  99  de  ces  ouvrages  sont  en 
prose,  et  28  en  vers.  En  ce  qui  concerne  le  nombre  des  actes,  33  sont  en 
un  acte,  14  en  deux,  29  en  trois,  un  en  six,  et  les  autres  en  quatre  ou 
cinq  actes.  Enfin,  si  l'on  considère  la  provenance,  on  constate  que  Home 
a  envoyé  31  manuscrits,  Naples  20,  Triosto,  Florence  et  Përouse  5  cha- 
cune, Milan  et  Viterbe  4,  Turin,  Venise,  Lugano,  Gènes  et  Païenne  3, 
Catane,  Bologne,  Livourne,  Cesena,  Lodi,  Torre-Maggiore,  Pistoie  et  Spez- 
zia  2.  Les  autres  villes  en  ont  envoyé  chacune  un.  Les  ouvrages  présentés 
donnent  un  ensemble  total  de  cinq  cent  soixante-seize  actes  ! 


LE  MÉNESTREL 


319 


—  A  Fabricco,  petite  ville  de  la  province  d'Emilie,  on  a  exécuté  récem- 
ment, dans  une  soirée  de  bienfaisance,  une  cantate  avec  chœur,  intitulée 
il  Trionfo  délia  musica,  mise  en  musique  par  M.  Antonio  Pegrelfi,  direc- 
teur de  la  bande  municipale,  sur  des  vers  de  M.  Gesare  Magnanini. 

—  Voici  la  composition  de  la  troupe  du  Théâtre-Royal  de  Madrid  pour 
la  saison  1890-91  :  Prime  donne  Soprano,  Gemma  Bellincioni,  Goncetta  Bor- 
dalba,  Adélaïde  Morelli-Gremonesi,  Regina  Pacini,  Marcella  Sembrich, 
Eva  Tetrazzini;  mezzo-soprani  et  contralti,  Mmcs  Amelia  Stahl,  Maria  Peticb  ; 
ténors,  MM.  Durot,  Lucignani,  Masin,  Roberto  Stagno  ;  barytons,  Battis- 
tini,  Cotogni,  Tabuyo;  basses,  Borucchia,  Uetam,  Wanrell,  Ponsini,  Ver- 
daguer;  basse  comique,  Baldelli;  première  danseuse,  Félicita  Garozzi  ; 
maître  de  ballet,  Moragos.  —  Chefs  d'orchestre,  MM.  Luigi  Mancinelli, 
Emanuele  Perez,  Francesco  Carbonell;  directeur  des  chœurs,  Gioachino 
Alminano ;  organiste  et  maestro  concertatore,  Gregorio  Matios;  accompagna- 
teur au  piano,  Antonio  011er.  —  Premiers  ouvrages  au  répertoire  :  Otello, 
Amleto,  Lakmé,  Simon  Boccanegra,  Edgar.  Caualliera  rusticana,  Gioconda, 
Orfeo,  etc. 

—  Les  œuvres  de  notre  regretté  Bizet  continuent  de  triompher  en  Es- 
pagne. A  Barcelone,  au  théâtre  Gayarre,  la  Jolie  Fille  de  Perth  vient  d'ob- 
tenir un  succès  éclatant,  et  il  en  est  de  même  à  Sabadelle,  où,  pour  la 
première  fois,  Carmen  vient  d'être  représentée,  traduite  en  espagnol. 

—  M.  Lago  ouvrira,  le  18  de  ce  mois,  une  saison  lyrique  à  Govent- 
Garden.  A  la  tète  de  la  troupe  se  trouvent  Mm°  Albani  et  M.  Maurel.  On 
cite  parmi  les  autres  artistes  engagés  Mmes  Tavary,  F.  Moody,  Damian 
(débuts),  les  sœurs  Ravogli,  Emma  Strômfeld,  MM.  Padilla,  Galassi  et 
Gianini.  Au  répertoire  :  Otello  de  Verdi,  Gioconda,  Tannhiiuser  (pour 
M.  Maurel)  et  l'Étoile  du  Nord. 

—  Le  compositeur  anglais  Villiers  Stanford  met  la  dernière  main  à 
un  grand  oratorio  intitulé  Eden,  qui  est  destiné  à  être  exécuté  au  prochain 
festival  de  Birmingham. 

—  A  Bangor,  dans  le  pays  de  Galles,  a  eu  lieu  dernièrement  le  tradi- 
tionnel festival  connu  sous  le  nom  de  Welsh  National  Eisleddfod,  antique 
restitution  dont  le  but  est  de  conserver  et  de  répandre  la  langue,  la  lit- 
térature et  les  chants  celtiques.  La  cérémonie  avait  été  entourée,  cette 
année,  d'une  pompe  extraordinaire,  à  cause  de  la  présence  de  la 
reine  de  Roumanie,  qui  avait  demandé  à  être  admise  dans  l'association. 
Le  vénérable  «  archidruide  »,  M.  Vale,  âgé  de  plus  de  quatre-vingt-dix  ans, 
lui  a  souhaité  la  bienvenue  au  nom  de  la  nation  cambrienne,  et  a  donné 
lui-même  l'investiture  â  la  royale  postulante  en  attachant  sur  sa  poitrine 
le  ruban  de  l'ordre  des  Bardes.  Une  explosion  d'enthousiasme  a  alors 
éclaté  dans  la  salle.  A  la  séance  du  lendemain,  la  reine  a  reparu  sur 
l'estrade  et  a  lu  une  adresse  de  remerciements  en  vers,  à  laquelle  le 
maire  de  Bangor  a  répondu  en  termes  émus.  Le  président  a  fait  remar- 
quer que  c'était  là  première  fois,  depuis  six  cents  ans,  que  Y  Eisleddfod 
était  honorée  de  la  présence  d'une  reine.  Carmen  Sylva  a  tenu  à  cou- 
ronner elle-même  le  vainqueur  du  concours  de  poésie,  le  révérend  Jones, 
curé  de  Llanrcost.  Le  prix  consistait  en  une  somme  de  25  livres 
sterling  et  un  siège  en  chêne  sculpté,  sur  lequel  le  barde  victorieux  prit 
place  immédiatement,  tandis  que  le  président  étendait  un  glaive  au- 
dessus  de  sa  tête.  Ensuite,  le  révérend  Jones  céda  galamment  son  siège 
d'honneur  à  la  souveraine  et  le  concours  se  continua,  suivi  de  l'appel 
des  lauréats. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Une  «  rumeur  légère  »  au  sujet  de  l'Opéra,  dit  M.  Louis  Besson,  de 
l'Événement.  On  dit  qu'à  la  fin  du  privilège  qu'on  a  concédé  aux  tenants 
actuels  de  l'Académie  nationale  de  musique,  on  réunirait  les  deux 
théâtres  subventionnés  de  l'Opéra  et  de  l'Opéra-Gomique  sous  la  seule  et 
unique  direction...  de  qui?  Je  vous  le  donne  en  mille.  De  Gailhard  en 
personne!  Ainsi  donc,  voici  un  directeur  qui  s'est  rendu  impossible  à  la 
tète  de  notre  première  scène  lyrique,  un  directeur  que  l'opinion  publique 
rejette  avec  dégoût,  et  tout  aussitôt  il  se  trouverait  un  ministre  pour  lui 
confier  deux  théâtres  au  lieu  d'un!  Il  est  vrai  qu'on  ajoute,  pour  compléter 
la  nouvelle,  qu'à  l'Opéra-Gomique  M.  Gailhard  garderait  M.  Paravey 
comme  administrateur.  M.  Paravey  administrateur  !  Quel  rêve!  Tout  cela 
est  trop  invraisemblable  pour  ne  pas  reposer  sur  un  fond  de  vérité.  Nous 
vivons  à  une  époque  fertile  en  événements  curieux.  Tout  le  temps  de 
l'opérette,  dans  cet  amusant  gouvernement  de  Gérolstein  ! 

—  Et  pendant  qu'on  raconte  toutes  ces  belles  choses,  voici  1'  «  admi- 
nistrateur» Paravey  en  présence  d'un  nouveau  procès.  Quand  nous  serons 
à  dix,  nous  ferons  une  croix,  qui  ne  sera  pas  celle  de  la  Légion  d'honneur 
qu'on  a  si  généreusement  octroyée  à  ce  pétulant  imprésario.  MM.  Deffès 
et  Adenis,  auteurs  d'un  opéra  en  quatre  actes  tiré  du  Marchand  de  Venise, 
de  Shakespeare,  ouvrage  qui,  par  traité,  devait  être  représenté  en  1889, 
puis  en  1890,  assignent  M.  Paravey  en  exécution  des  conventions  ou  en 
paiement  du  dédit  stipulé,  soit  25,000  francs,  plus  20,000  francs  de  dom- 
mages-intérêts. 

—  Encore  une  démission  à  l'Opéra.  M.  Ritl,  toujours  irrité  et  toujours 
irritable,  comme  la  plupart  des  vieillards  mal  portants,  a  proposé  dans 
un  moment  de  méchante  humeur  au  ténor  Cossira  de  résilier  son  enga- 
gement, ce  que  celui-ci  a  accepté  sur-le-champ.  On  comprend  de  reste 
qu'après  s'y  être  fourvoyé,  un  artiste  n'hésite  pas  à  sortir    d'une  pareille 


maison  quand  il  en  trouve  l'occasion.  M.  Cossira  succédait  à  M.  Jean  de 
Reszké.  C'est  M.  Affre  qui  succédera  à  M.  Cossira.  Quel  est  le  ténor  qui 
viendra  après  M.  Affre?  Dimiimendo,  toujours  diminuendo,  c'est  la  devise  de 
M.  Ritt,  fort  expert  dans  l'art  d'alléger  son  budget.  En  voilà  un  que  son 
poids  ne  doit  pas  empêcher  de  flotter! 

—  Demain  lundi,  nous  aurons  à  l'Opéra  la  rentrée  de  Mme  Melba,  la 
brillante  cantatrice,  dans  llamlet,  puis  mercredi,  dit-on,  celle  de  Mmo  Caron 
dans  Sigurd. 

—  Rentrées  : 

M.  Ambroise  Thomas  est  de  retour  à  Paris  depuis  mercredi,  en  superbe 
santé. 

M1,c  Van  Zandt  est  arrivée  avec  sa  mère,  de  passage  seulement  pour 
quelques  semaines.  Elle  chantera  cet  hiver  Mignon,  Hamlet  et  Lakmé  un 
peu  partout  en  Russie,  où  elle  a  signé  pour  une  journée  un  fort  bel  enga- 
gement: cent  cinquante  mille  francs  pour  trente  représentations  à  Varso- 
vie, Kief,  Odessa,  Moscou  et  Saint-Pétersbourg. 

Notre  vaillant  Marmontel  et  son  fils  Antonin  ont  aussi  rallié  Paris, 
après  avoir  pris  leurs  vacances  habituelles  dans  les  Pyrénées.  Tous  deux 
se  sont  remis  à  l'œuvre  immédiatement.  Le  père  a  recommencé  à  donner 
ses  conseils  si  précieux  à  la  nombreuse  phalange  d'élèves  qui  l'attendaient 
impatiemment.  Pour  le  fils,  il  met  la  dernière  main  à  un  charmant 
petit  lot  de  compositions  qu'il  rapporte  des  Pyrénées  et  qui  ne  seront  pas 
indignes  de  celles  qui  ont  fait  si  justement  déjà  sa  réputation. 

—  M.  Camille  Saint-Saëns  est  rentré  à  Paris.  Il  est  revenu  ces  jours 
derniers  par  le  train  de  la  Savoie,  accompagné  par  le  violoniste  Diaz 
Albertini.  Il  vient  diriger  les  répétitions  de  Samson  et  Dalila  au  Théâtre- 
Lyrique.  Le  même  train  ramenait  M.  Colonne  d'Aix-les-Bains. 

—  On  a  écrit  quelque  part  que  M.  Joseph  Dupont,  le  remarquable  chef 
d'orchestre  dont  il  est  tant  question  pour  prendre  la  succession  de  M.Via- 
nesi  à  l'Opéra,  était  flamand  d'origine,  et  on  paraissait  y  mettre  quelque» 
insistance.  La  chose  n'aurait  pas  à  nos  yeux  grande  importance.  Fùt-il 
flamand,  M.  Dupont  n'en  perdrait  pas  pour  cela  une  parcelle  de  sa  haute 
valeur.  Pourtant,  par  amour  de  la  vérité,  rétablissons  les  faits.  M.  Dupont 
est  non  pas  flamand,  mais  wallon,  par  conséquent  de  la  partie  de  la  Bel- 
gique, dite  française. 

—  Plusieurs  directeurs  de  province,  forts  de  leurs  traités  avec  l'édi- 
teur Choudens,  se  disposent  à  représenter  Salammbô.  Vous  en  croyez  peut- 
être  M.  Reyer  enchanté.  Pas  du  tout,  et  cela  se  comprend.  Car,  mainte- 
nant que  voilà  sa  partition  ajournée  à  l'Opéra,  il  eût  bien  mieux  aimé 
qu'on  ne  tentât  rien  en  province,  avec  des  ressources  naturellement  mé- 
diocres, avant  l'épreuve  de  Paris.  Plus  l'œuvre  sera  jouée  ici  et  là,  moins 
elle  pourra  passer  d'ailleurs  pour  une  «  nouveauté  »  à  l'Opéra.  Et  qu'en 
pensera  le  ministre?  Mais  les  directeurs  précités  ne  se  paient  pas  de 
mots;  ils  ont  de  bons  traités  en  poche  et  ils  en  demandent  l'exécution. 
Voilà  les  inconvénients  du  succès. 

—  C'est  demain  lundi,  6  octobre,  qu'a  lieu  la  rentrée  des  classes  au 
Conservatoire.  On  sait  que  tout  élève  qui  n'est  pas  présent  à  la  rentrée 
est  considéré  comme  démissionnaire,  à  moins  de  cause  très  grave.  Les 
concours  d'admission  pour  les  diverses  classes  sont  fixés  aux  dates  sui- 
vantes :  mercredi  22  octobre,  chant  (hommes)  ;  jeudi  23,  chant  (femmes); 
mardi  28,  déclamation  dramatique  (hommes);  mercredi  29,  déclamation 
dramatique  (femmes);  vendredi  31,  déclamation  dramatique,  hommes  et 
femmes  jugés  admissibles  aux  deux  séances  précédentes;  mardi  4  novem- 
bre, violoncelle;  mercredi  5,  harpe;  piano  (hommes);  vendredi  7,  violon- 
lundi  et  mardi  11,  piano  (femmes)  ;  vendredi  14,  instruments  à  vent.  Le 
registre  d'inscription  pour  les  aspirants  sera  ouvert  au  secrétariat  du 
Conservatoire,  à  partir  de  demain  lundi  6  octobre. 

—  Les  journaux  américains  annoncent  avec  gravité  et  mystère  qu'un 
contrat  vient  d'être  passé  entre  la  cantatrice  Emma  Abbott  et  M.  Edmond 
Audran,  aux  termes  duquel  celui-ci  s'engage  à  livrer  en  1893  la  partition 
d'un  grand  opéra,  dont  miss  Abbott  est  la  librettiste.  Comme  aux  profes- 
sions de  cantatrice  et  d'écrivain,  miss  Abbott  joint  encore  celle  d'impre- 
saria,  elle  a  pris  l'engagement  de  produire  l'ouvrage  en  question  pendant 
la  saison  1893  au  cours  d'une  tournée  européenne  et  avec  un  déploiement 
de  luxe  scénique  qui  n'aura  jamais  été  égalé.  Aux  reporters  qui  sont 
venus  l'interviewer,  mis  Abbott  n'a  pas  voulu  révéler  le  secret  de  son 
scénario  ;  elle  s'est  contentée  de  confesser  que  «  c'est  le  plus  grandiose 
qu'on  ait  écrit  depuis  que  le  monde  existe,  qu'il  contient  les  situations  les 
plus  variées,  depuis  la  tendresse  aux  couleurs  romantiques  jusqu'aux 
passions  les  plus  violentes  !  »  Sa  foi  en  l'auteur  de  la  Mascotte  n'est  pas 
moins  exaltée.  «  Je  considère,  dit-elle,  M.  Audran  comme  le  plus  grand 
génie  musical  et  dramatique  contemporain  (!!)  D'autres  peuvent  peut-être 
lui  être  comparés  au  point  de.  vue  de  l'habileté,  mais  le  feu  de  jeunesse 
et  d'enthousiasme  qui  l'anime  lui  donne  une  supériorité  considérable  sur 
tous  ses  confrères.  »  Nos  condoléances  aux  «  confrères  »  ! 

—  Dans  une  collection  d'autographes  qui  sera  vendue  à  Berlin  le  13  de 
ce  mois,  ligure  une  très  curieuse  lettre  de  Mendelssohn.  On  lui  avait  de- 
mandé de  faire  des  cours  do  musique,  et  voici  sa  réponse  :  «  Il  me  faut 
refuser,  car  je  ne  suis  pas  en  état  de  parler  musique,  avec  méthode,  une 
demi-heure  durant,  à  plus  forte  raison  toute  une  séance.  C'est,  je  crois 
bien,  une  chose  que  je  ne  pourrais  apprendre  à  faire,    et  j'ai  renoncé   à 


320 


LE  MÉNESTREL 


toute  satisfaction  de  ce  côté.  Plus  je  vais,  plus  je  m'attache  fermement  à 
poursuivre  le  dessein  que  j'ai  formé  d'être  eu  musique  un  praticien  et  non 
un  théoricien.   »  Cette  lettre  porte  la  date  de  Dusseldorf,  3  janvier  1833- 

—  On  met  la  dernière  main  à  la  construction  du  théâtre  des  Arts  de 
Bordeaux,  qui  va  s'élever  sur  les  ruines  de  l'ancien  théâtre  Louit,  détruit 
par  un.  incendie  il  y  a  deux  ans.  L'ouverture  de  cette  nouvelle  salle  de 
spectacles  est  annoncé  pour  le  23  octobre  prochain,  et  il  a  vraiment  fallu 
des  prodiges  d'activité  pour  arriver,  en  quelques  mois  seulement,  à  édifier 
ce  théâtre,  qui  sera,  dans  son  genre,  une  petite  merveille  de  bon  goût 
artistique.  Tout  y  a  été  fait  en  vue  de  la  commodité  des  spectateurs,  et 
l'on  peut  dire  que,  tant  sous  le  rapport  de  l'éclairage  (qui  se  produira  à 
l'aide  d'un  procédé  nouveau)  que  des  aménagements  spacieux,  coquets  et 
confortables,  le  théâtre  des  Arts  sera  bien  le  théâtre  «  moderne  »  par 
excellence. 

—  Les  Concerts  populaires  de  Lille  vont  reprendre  prochainement  à 
l'Hippodrome,  sous  la  direction  de  M.  Paul  Viardot,  qui  fera  commencer 
les  répétitions  d'orchestre  dès  le  14  octobre.  Le  premier  concert  aura  lieu 
le  9  novembre  prochain  et  le  second  le  30  du  même  mois. 

—  L'Institut  musical  (20e  année),  fondé  et  dirigé  par  M.  et  Mme  Oscar 
Comettant,  annonce  la  réouverture  de  ses  cours  complets  de  musique 
pour  le  vendredi  10  octobre  1890.  L'éminent  professeur,  M.  Marmontel 
père,  fera  lui-même,  comme  les  années  précédentes,  le  cours  supérieur  de 
piano.  Le  cours  de  deuxième  degré  sera  fait  par  M.  V.  Dolmetsch,  an- 
cien élève  de  M.  Marmontel,  attaché  spécialement  à  YInstitut  musical. 
Cours  d'accompagnement  :  M.  Garcin,  professeur  de  violon  au  Conser- 
vatoire, chef  d'orchestre  de  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire. 
Cours  de  chant  :  M1,e  Jeanne  Lyon.  Cours  de  composition  et  d'orchestra- 
tion :  M.  Victorin  Joncières.  Cours  d'harmonie  :,Mme  Renaud  Maury, 
professeur  au  Conservatoire.  Cours  de  solfège  et  piano  élémentaire  : 
Mme  Louise  Comettant,  élève  de  M.  Marmontel.  Des  certificats  d'études 
et  des  diplômes  d'honneur  seront  délivrés  chaque  année  aux  élèves.    On 

.  s'inscrit  à  Y  Institut  musical,  13,  Faubourg-Montmartre,  tous  les  jours  de 
2  à  6  heures. 

—  Cours  et  leçoss.  M"°  Henrion,  de  l'Opëra-Comique,  a  repris  ses  leçons  par- 
ticulières et  ses  cours  de  déclamation  lyrique  du  mercredi,  86,  avenue  de  Villiers. 
—  Mmc  Isabelle  Roy  a  repris  ses  leçons  particulières  et  cours  de  piano  du  jeudi 
à  partir  du  1"  octobre,  43,  bouletard  Saint-Germain.  (Examen  mensuel  par 
M.  André  Wormser).  —  Ou  annonce  la  réouverture  des  cours  Schiller,  5,  rue 
Geoffroy-Marie,  sous  la  direction  de  M.  et  M™"  Charles  Masset.  Parmi  les  profes- 
seurs, on  compte  MM.  Crosti,  Bussine,  Warot,  Barbot,  Melchissédec  (chant  et 
opéra),  Maubant,  Laroche,  Dupont- Vernon,  M™' A.  Fargueil  (déclamation),  MM.  de 
Bériot,   Delaborde,   Decombes   (pianoi,  Bérou   (violon),   Rougnon  (solfège  et  har- 


monie) etc.  —  M"e  Donne,  professeur  au  Conservatoire,  reprendra  ses  cours  le 
7  octobre,  50,  rue  de  Paradis.  —  M™  Rosine  Laborde,  de  l'Opéra,  reprend  ses 
cours  et  leçon*  chez  elle,  66,  rue  de  Pontbieu,  le  lundi  6  octobre.  —  M.  I. 
Philipp,  de  retour  à  Paris,  reprend  ses  leçons  chez  lui,  1,  rue  de  Chàteaudun 
et  à  la  maison  Érard;  —  Les  cours  de  Mlu  Chassevant  sont  rouverts  depuis  le 
1"  octobre,  6,  rue  de  Saint-Pétersbourg.  M"«  Chassevant  fait  gratuitement  des 
démonstrations  de  sa  méthode  aux  professeurs  et  aux  mères  de  famille,  les  lundis 
et  jeudis,  de  5  à  7  heures.  —  M™0  Breton-Halmagrand  reprendra  le  3  novembre 
ses  cours  de  musique  (anciens  cours  Lebouc),  3,  place  des  Victoires,  avec  le 
concours  de  MM.  Alphonse  Duvernoy,  Charles  Lefebvre,  Paul  Viardot  et  de 
M"»  Cécile  Monvel.  —  A  partir  du  15  octobre  1890,  M.  et  M'"1  A.  de  Groot 
ouvriront  chez  eux,  23,  rue  de  Rocroy,  un  cours  de  piano,  d'harmonie  et  de 
musique  d'ensemble.  —  MM.  Engel  et  Isnardon,  les  deux  artistes  bien  connus  du 
public  parisien  qui  les  a  si  souvent  applaudis  et  regrette  de  ne  plus  les  entendre, 
viennent  d'ouvrir,  31,  rue  Victor  Massé,  un  cours  de  chant  complété  par  des 
cours  de  déclamation  lyrique  et  dramatique,  de  mise  en  scène  et  d'études  de 
répertoires  français  et  italien.  Le  nom  seul  des  deux  excellents  chanteurs  est  une 
garantie  de  la  solidité  des  études  qui  se  feront  dans  cette  nouvelle  école.  — 
M"°  x.  Weingaertner,  l'excellent  professeur  de  piano  et  de  solfège,  reprend  ses 
cours  et  ses  leçons  chez  elle,  36,  rue  d'Enghien.  —  M""  Rizzio  annoncent  l'ouver- 
ture de  leurs  cours  de  chant,  piano  et  solfège  pour  le  6  octobre,  5,  rue  Boehard- 
de-Saron.  —  Le  cours  de  piano  de  Mmc  Roger-Miclos  ouvrira  à  la  même  date, 
62,  avenue  de  Wagram.  —  M™c  Edouard  Lyon  a  repris  ses  leçons  particulières  en 
attendant  la  réouverture  de  ses  cours  de  piano,  de  chant  et  d'accompagnement, 
qui  aura  lieu  dans  la  première  semaine  de  novembre.  —  M.  Paul  Viardot,  que  ses 
nouvelles  fonctions  de  directeur  des  Concerts  populaires  de  Lille  n'obligent  pas  à 
quitter  Paris,  reprendra  ses  cours  à  son  nouveau  domicile,  16,  rue  de  Bruxelles.  — 
M"1  Marie  Rueff  reprendra  le  1"  octobre  ses  cours  de  chant  chez  elle,  22,  cité 
Trévise  et  à  l'institut  Rudy,  7,  rue  Royale.  Le  cours  d'ensemble,  dirigé  par  elle  et 
par  M.  Dimitri,  rouvrira  à  la  même  époque.  —  M.  A.  Brody  reprendra  ses  cours 
et  leçons  particulières  dans  son  nouveau  domicile,  4i,  rue  de  Maubeuge,  à  partir 
du  6  octobre. 

Henri  Heugel.  directeur-géi ani . 

Études  de  Mes  Ragot,  not.  à  Paris,  rue  Louis-le-Grand,  11,  et  Me  Jules  Carlet, 

avoué  à  Paris,  rue  des  Petits-Champs,  95. 
Le  6  octobre  1890,     An    lliniPATIHM  en  l'étuc'e 


à  une  heure 


de  Mp  Ragot 


D'UN  FONDS  DE  MARCHAND  DE  MUSIQUE 

à  Paris,  passage  Choiseul,  So,  compren.  clientèle,  achalandage,  matériel  et 
droit  au  bail  jusqu'au  1er  avril  1895.  Mise  à  prix  :  100  fr.  Marchandises 
à  dire  d'experts.  Loyers  d'av.  à  remb.  1,250  fr.  Consign.  pour  ench.  500  fr. 
S'adr.  à  Me  Ragot,  notaire,  à  Me  Carlet,  avoué  et  à  M.  Graux,  administrât, 
rue  du  Pont-Neuf,  9. 


Pour  paraître  très  prochainement,  au  Ménestrel,  2  bis.  rue  Yivieune,  Henri  HEUGEL,  éditeur-propriétaire. 


MÉLODIES  POPULAIRES 


PROVINCES  DE  FRANCE 


1™  Série 

No,  .  Prix 

1 .  Le  Mois  de  Mai 5  fr. 

Chant  de  quête  de  la  Champagne. 

2.  La  Chanson  des  métamorphoses 5     » 

Version  du  Morvan. 

3.  Celui  que  mon  cœur  aime  tant 2  50 

Chanson  de  l'Angoumois. 

4.  Le  Pauvre  Laboureur 5    » 

Chanson  de  la  Bresse. 

5.  La  Pernette , 3    » 

Version  de  la  Franche-Comté. 

6.  Briolage 2  50 

Chant  du  laboureur  berrichon. 

7.  La  Bergère  et  le  Monsieur 2  50 

Chanson  dialoguée.  Version  d'Auvergne. 

8.  Le  Rossignol  Messager 4    » 

Version  bressane. 

9.  En  passant  par  la  Lorraine 5    » 

Version  du  pays  messin. 

10.     Le  Chant  des  livrées 5    « 

Chanson  de  noces  du  Berry. 

Chaque  série  de  10  N     en  un  recueil  in-8°,  Prix  net 


•2  e  Série 


La  Mort  du  Roi  Renaud 

Version  de  la  Normandie. 
C'est  le  vent  frivolant 

Ronde  française  du  Canada. 
Le  Retour  du  Marin 

Version  poitevine. 
Voilà  six  mois  qu'c'était  le  printemps  .... 

Version  bourguignonne. 
Là-haut  sur  la  montagne 

Pastourelle.  Version  de  l'Alsace. 
Le  Joli  Tambour 

Version  de  la  haute  Bretagne. 
Rossignolet  du  Bois  joli 

Chanson  populaire  de  la  Bresse. 
Les  Répliques  de  Marion 

Chanson  dialoguée.  Version  du  Berry. 
La  Mort  du  Mari 

Version  normande. 
Rondes  bretonnes 

Haute  Bretagne. 


5  » 
4  » 
2  50 


5  » 
3  » 
2  50 
2  50 

5     » 


5  fr.  —  Les  2  Séries  réunies  en  un  recueil  in-8",  Prix  net  :  8  fr. 

RECUEILLIES  ET  HARMONISÉES  PAR  JULIEN  TIERS0T 

Nota.  —  Les  chansons  n°"  i,  9,   10,   12  et  20  sont,  en  partie,  avec  chœur  à  l'unisson.  —  Il  existe  deux  éditions  de  la  chanson  n" 
En  passant  par  la  Lorraine  :  une  avec  chœur  (n"  9)  et  l'autre  pour  voix  seule  (n°  9  bis). 


3106  —  56me  ANNEE  —  !\°  41. 


Dimanche  12  Octobre  1890. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivieune,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  su». 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste:  Louis  Lacombe  (22*  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Semaine 
théâtrale:  Rentrée  de  M"1  Melba,  à  l'O  éra;  première  représentation  de  Colom- 
bine,  à  l'Opéra-Comique,  H.  Moreno;  premières  représentations  de  l'Art  de  tromper 
les  Femmes,  au  Gymnase,  et  de  En  scène,  Mesdemoiselles,  à  la  Renaissance,  Paul- 
Éhile  Chevalier.  —  III.  Un  virtuose  couronné  (4°  article),  Edmond  Neukomm  et 
Paul  d'Estrée.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

PETIT    CHÉRI 

gavotte  de  Franz  Behr.  —  Suivra  immédiatement  :   Allegretto  pastoral,    de 

Théodore  Lack. 

CHANT 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant  :  le  Mois  de  mai,  chant  de  quête  de  la  Champagne,  n°  1  des 
Mélodies  populaires  de  France,  recueillies  et  harmonisées  par  Julien 
Tiersot. —  Suivra  immédiatement:  Celui  que  mon  cœur  aime  tant,  chanson 
de  l'Angoumois,  n°  3  des  mélodies  populaires  de  France,  recueillies  et 
harmonisées  par  Julien  Tiersot. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


LOUIS   LACOMBE 


Il  y  a  dans  les  bureaux  de  la  Société  des  auteurs,  compo- 
siteurs et  éditeurs,  de  la  rue  du  Faubourg-Montmartre,  un 
buste  dont  le  profil  rappelle  celui  d'Hippocrate  de  Gos  ;  cette 
ressemblance  était  plus  accentuée  encore  chez  l'original. 
C'est,  avec  moins  de  lassitude  dans  les  traits,  le  même  crâne 
nu  cerclé  de  cheveux  rares,  la  même  barbe  courte  et  sur- 
tout le  même  pli  du  front  entre  les  yeux,  marquant  l'obsti- 
nation de  la  pensée.  L'arête  du  nez,  le  trait  des  lèvres  et 
surtout  la  façon  de  porter  la  tête  en  avant,  emmanchée  obli- 
quement sur  les  épaules  rendues  comme  gibbeuses  par  l'ha- 
bitude de  marcher  ou  de  se  tenir  toujours  voûté,  complètent 
cette  relation  physique. 

Ce  buste  est  celui  du  compositeur  Louis  Lacombe,  qui  fut 
un  noble  esprit  et  un  haut  caractère,  et  qu'on  s'occupe 
d'honorer,  mort,  avec  plus  d'ardeur  qu'on  n'en  a  mis  à  l'en- 
courager, vivant. 

Bieu  qu'il  n'ait  pas  obtenu  de  la  vie  tout  ce  que  sa  valeur 
en  aurait  pu  attendre,  il  est  pourtant  un  de  ceux  dont  la 
trace  restera  lumineuse  dans  l'histoire  musicale  de  ce  temps. 
On  lui  élève  un  monument  à  Bourges,  sa  ville  natale  ;  on 
recueille  ses  œuvres  posthumes  ;  il  est  possible  qu'il  prenne 
enfin  devant  la  génération  actuelle,  la  place  que  ses  contem- 


porains lui    ont   refusée,  ou   du    moins  qu'ils   lui   ont   faite 
bien  étroite. 

Louis  Lacombe,  que  j'ai  connu  seulement  en  1881,  est  de: 
ceux  que  j'ai  le  moins  vus  et  qui  m'ont  le  plus  intéressé. 
Né  en  1818,  il  appartenait  au  groupe  des  romantiques  et  ne 
se  mêlait  plus  depuis  assez  longtemps  au  mouvement  mu- 
sical courant;  il  était  d'ailleurs,  il  avait  toujours  été,  paraît- 
il,  un  isolé,  ne  sortant  que  rarement  de  sa  solitude1  et  de 
son  silence,  produisant  alors  quelque  œuvre  magistrale,  dont 
la  valeur  remettait  tout  à  coup  en  lumière  un  nom  que  dans 
le  public  beaucoup  avaient  presque  oublié,  que  d'autres 
connaissaient  à   peine. 

J'étais,  je  l'avoue,  au  nombre  de  ces  derniers.  Le  nom  de 
Louis  LacomDe  se  rattachait  pour  moi  au  souvenir  d'un 
jeune  et  remarquable  pianiste,  qu'il  avait  été  en  effet,  et 
que  je  croyais  depuis  longtemps  rayé  du  nombre  des  vivants. 

Lui-même  devait  m'apprendre,  en  se  présentant  à  moi,  que 
compositeur  toujours  militant  et  pianiste  autrefois  célèbre 
ne  faisaient  qu'une  seule  et  même  personnalité.  Il  devait 
avoir  alors  soixante-trois  ans. 

Depuis  cette  rencontre,  d'où  datèrent  des  relations  pro- 
longées durant  toute  cette  année  et  les  premiers  mois  de 
l'année  suivante,  j'ai  voulu  connaître  mieux  le  passé  artis- 
tique d'un  homme  au  sujet  duquel  j'avais  eu  tout  d'abord  à 
me  reprocher  ma  presque  complète  ignorance. 

Les  biographies  sont  peu  prodigues  de  détails  sur  la  vie 
du  compositeur.  Ce  n'est  qu'en  1888  qu'un  intéressant  travail 
de  M.  Henri  Boyer,  son  compatriote,  Louis  Lacombe  et  son 
œuvre,  a  éclairé  d'un  jour  complet  les  origines  et  les  actes  de 
cette  carrière  laborieuse.  ,.,..j--\ 


Un  des  traits  que  vise  le  biographe  dans  la  race  berri- 
chonne à  laquelle  appartenait  Louis  Lacombe,  est  cette 
«  force  tranquille  »  qui  précisément  devait  me  frapper  tout 
d'abord  en  lui  et  me  semble  la  caractéristique  de  son  talent. 
Mais  il  ne  manque  pas  de  lui  accorder  en  même  temps 
l'imagination,  qu'il  avait  en  effet  très  ardente  et  très-vive.  Un 
quart  d'heure  d'entretien  avec  lui,  sur  un  sujet  pris  ,à> cœur; 
suffisait  pour  s'en  apercevoir.  Il  apportait  dans  la  causerie 
une  passion,  une  impétuosité  de  jeune  homme,  sagement 
tempérées  par  la  plus  respectueuse  attention  accordée  aux 
raisonnements  de  son  interlocuteur. 

Comme  quelques  intelligences  d'élite  dont  la  floraison  trop 
hâtive  n'épuise  pas  prématurément  les  forces  et  n'empêche 
pas  l'homme  de  tenir  toutes  les  promesses  de  l'enfant,  il 
avait  été  un  petit  prodige. 

M.  Henri  Boyer  raconte   qu'un  soir,  son  père  jouait  aux 


322 


LE  MÉNESTREL 


échecs,  et  tout  en  méditant  quelque  combinaison  tapait  à 
petits  coups  sur  la  table.  L'enfant  dans  un  coin  paraissait 
indifférent  à  ce  qui  se  passait  autour  de  lui.  Pourtant,  quand 
la  partie  fut  terminée,  il  s'approcha  de  son  père  et  se  mit  à 
lui  chanter  un  air,  dont  ce  dernier  avait  machinalement  mar- 
qué le  rythme  sur  le  bois  du  meuble. 

Louis  Lacombe  fut  tout  d'abord  un  simple  pianiste.  Il 
obtint  un  premier  prix  en  exécutant  la  sonate  en  la  de 
Hummel.  Le  virtuose  n'était  encore  qu'un  enfant.  Pour  l'asseoir 
au  piano  «  on  entassa  livres  sur  livres,  et  comme  ses  petites 
jambes  erraient  dans  le  vide,  Zimmermann  (son  maître)  lui 
mit  son  propre  chapeau  sous  les  pieds.  » 

Liszt  lui  cria:  «  Vous  me  rappelez  mon  enfance!  » 

Ce  n'était  pas  modeste,  mais  c'était  fort  flatteur. 

Après  cet  heureux  début  sa  route  était  tracée  :  il  n'avait  plus 
qu'à  partir  pour  cette  pérégrination  pénible  et  brillante,  parfois 
traversée  de  rudes  épreuves,  qui  entraine  forcément  les  vir- 
tuoses à  travers  le  monde,  s'ils  veulent   vivre  de  leur  talent. 

Louis  Lacombe  y  connut  bien  des  jours  pénibles  ;  il  y 
goûta  aussi  la  joie  de  bien  des  triomphes. 

Il  en  revint  classé,  catalogué  sous  la  rubrique  :  pianiste. 
Si  bien  que  lorsqu'il  voulut  se  révéler  compositeur,  il  ren- 
contra des  difficultés  énormes. 

«  Pianiste  virtuose,  il  fallait  qu'il  restât,  nous  dit  encore 
M.  Henri  Boyer.  La  place  qu'on  lui  mesurait  au  soleil  n'était 
elle  pas  assez  belle  ?  Que  venait-il  faire  dans  la  galerie  de  la 
composition?  » 


Nonobstant  ces  réserves,  la  volonté  ferme  de  l'homme 
devait  renverser  tous  les  obstacles.  Il  fit  exécuter  au  Conser- 
vatoire, le  25  mars  1847,  une  symphonie  dramatique  en 
quatre  parties,  Manfred,  d'après  le  poème  de  Byron;  puis, 
ce  fut,  le  31  mars  1850,  également  au  Conservatoire,  une 
autre  symphonie,  Arva  ou  les  Hongrois. 

Un  peu  plus  tard,  au  Palais  de  l'Industrie,  dans  un  Festival 
organisé  par  Delaporte,  5,000  exécutants  venus  de  tous  les 
points  de  la  France  firent  connaître  de  lui  un  chœur,  avec 
musique  militaire  :  Cimbres  et  Teutons,  dont  l'effet  fut  immense 
sur  un  public  de  quarante  mille  auditeurs. 

Après  bien  des  travaux,  après  un  deuil  qui  le  tint  éloigné 
pendant  plusieurs  années  du  monde  musical,  Louis  Lacombe 
devait  encore  triompher,  en  1878,  avec  sa  symphonie  Sapho. 

Un  concours  avait  été  institué  par  le  ministère  des  beaux- 
arts  pour  une  composition  de  ce  genre,  et  Louis  Lacombe 
avait  envoyé,  comme  par  acquit  de  conscience,  cette  parti- 
tion prise  comme  au  hasard  dans  sa  bibliothèque. 

Il  comptait  déjà  parmi  les  «  disparus  ».  Plusieurs  jurés 
demandèrent  quel  était  ce  Lacombe  dont  on  avait  à  apprécier 
le  travail, 

—  Eh  quoi?  s'écria  Saint-Saëns,  vous  ne  connaissez  pas 
Lacombe?  Je  vais  vous  le  faire  connaître. 

«  Alors,  raconte  le  biographe,  avec  cette  prodigieuse  faci- 
lité de  lecture  qui  l'ont  rendu  célèbre  en  Europe,  Saint-Saëns 
prit  la  grande  partition  d'orchestre,  et,  réduisant  à  première 
lecture  toutes  les  parties,  chantant  la  mélodie, donna  à  ses 
collègues  une  superbe  audition  des  beautés  de  cette  Sapho, 
presque  contestée  avant  d'avoir  été  entendue.  L'effet  fut 
irrésistible  et  la  symphonie  de  Lacombe  classée  la  première  ». 

Au  théâtre,  le  compositeur  ne  connut  guère  que  la  mince 
satisfaction  d'un  petit  acte,  la  Madone,  joué  en  1861,  au 
Théâtre-Lyrique,  en  grande  partie  devant  les  banquettes, 
selon  le  sort  presque  commun  à  tous  les  levers  de  rideau. 
Précédemment  il  avait  donné  au  théâtre  Saint-Marcel,  alors 
dirigé  par  Bocage,  un  ouvrage,  l'Amour,  poème  de  M.  P.Niboyet. 
C'était,  non  pas  comme  on  l'a  dit,  un  simple  acte,  mais 
bien,  selon  les  renseignements  que  je  tiens  de  M.  P.  Niboyet 
lui-même,  une  légende  en  sept  tableaux,  qui  étaient  de 
véritables  actes. 
Bocage  avait  été  fort  enthousiasmé  de  la  pièce  ;   la  musi- 


que, dont  Fiorentino,  Théophile  Gautier  et  d'autres  critiques 
firent  un  grand  éloge,  était  fort  belle. 

«  Par  malheur,  ajoute  le  poète,  un  drame  lyrique  dont 
ceux  de  Gœthe  et  de  Schiller  m'avaient  donné  l'idée  ne 
pouvait  pas  réussir  là,  malgré  un  bon  petit  orchestre  formé 
de  chefs  d'attaque  du  Théâtre-Italien.  » 

Louis  Lacombe  avait  encore  écrit  divers  ouvrages  drama- 
tiques, dont  le  plus  important  est  un  Winkelried,  grand  opéra 
en  quatre  actes  et  cinq  tableaux,  paroles  de  MM.  Lionel 
Bonnemère  et  Moreau-Sainti  ;  la  représentation  a  dû  en  avoir 
lieu  naguère,  au  théâtre  de  Genève. 

Enfin,  le  compositeur  s'est  plus  d'une  fois  essayé  dans  la 
musique  bouffe.  Ce  n'était  là  pour  lui  qu'un  délassement 
d'esprit.  La  Muse  grave  le  reprenait  bientôt  et  lui  dictait  des 
œuvres  d'une  conception  grandiose,  telle  que  son  oratorio  : 
le  Songe  de  Jeanne  d'Arc,  dont  il  avait  écrit  lui-même  les 
paroles. 

Voilà  bien  des  choses  apprises  peu  à  peu  et  tardivement, 
que  j'aurais  été  heureux  de  savoir  quand  Louis  Lacombe 
vint  à  moi,  un  jour  de  l'été  de  1881,  pour  m'exposer  une 
idée  qui,  intéressante  et  simple  en  son  premier  énoncé,  allait 
bientôt,  —  développée  par  son  auteur  en  tous  ses  détails  — 
m'apparaitre  formidable. 

'(A  suivre.)  Loms  Gallet. 


SEMAINE  THÉÂTRALE 


Nous  avons  eu  lundi  à  I'Opéra  la  rentrée  de  Mmc  Melba  dans  Hamlel, 
et  il  ne  fallait  rien  moins  que  le  scintillement  de  cette  étoile  pour 
mettre  quelque  lueur  au  ciel  si  terne,  bien  qu'académique,  de  la 
maison  d'art  tenue  par  MM.  Rilt  et  Gailhard. 

La  soirée  a  fait  quelque  tapage  et  on  y  a  entendu  autre  chose 
que  les  battoirs  salariés  d'une  claque  officielle.  Il  y  avait  à  l'or- 
chestre quelques  gants  de  la  meilleure  marque  qui  ont  bien  voulu 
se  déboutonner  pour  une  fois  et  joindre  leurs  applaudissements  à 
ceux  de  Polyte  et  de  Gugusse,  les  admirateurs  patentés  de  tout  ce 
qu'on  entend  sur  la  scène  de  l'Opéra.  Et  ce  n'est  pas  peu  de  chose 
pour  une  cantatrice  de  dégeler  ainsi  un  public  momifié  par  une 
série  de  lamentables  représentations,  résigné  d'ailleurs  à  son  triste 
sort,  sachant  bien  qu'il  ne  peut  rien  attendre  de  mieux  d'une  direction 
aussi  démonétisée.  Il  s'est  donc  réveillé  pour  un  soir,  étonné  et  charmé, 
et  retombera  demain  dans  son  atonie  ordinaire,  dans  ce  sommeil 
engourdi  qu'on  ne  saurait  comparer  à  celui  du  juste,  puisqu'il  se 
produit  le  plus  souvent  au  milieu  de  cacophonies  épouvantables. 

Donc,  Mmo  Melba  a  triomphé  une  fois  de  plus,  et  avec  elle  la 
belle  œuvre  d'Ambroise  Thomas,  qui  reste  une  dos  plus  nobles 
partitions  de  ce  temps.  Après  le  quatrième  acte,  il  a  fallu  relever 
trois  fois  le  rideau.  C'est  là  en  effet  le  point  culminant  du  succès 
pour  Ophélie.  Lassalle,  lui,  en  fort  bonne  disposition  de  voix,  le 
rencontre  dans  la  superbe  scène  de  l'esplanade  et  dans  les  scènes 
dramatiques  du  3e  acte,  aux  couleurs  si  sombres,  qui  font  un  saisis- 
sant contraste  avec  les  scèues  poétiques  et  lumineuses  du  tableau 
qui  suit. 

MUe  Domenech,  qui  s'essayait  pour  la  première  fois  dans  le  rôle 
de  la  Reine,  possède  vraiment  une  voix  agréablement  timbrée  et  qui 
sonne  bien.  Elle  est  meilleure  assurément  que  la  collection  de  Ma 
jestés  pitoyables  que  MM.  Ritt  et  Gailhard  ont  fait  défiler  tour  à 
tour  sous  nos  yeux,  depuis  le  départ  de  M"10  Richard.  Mais  pourquoi 
nous  l'avoir  présentée  ainsi  attifée,  comme  une  jeune  pensionnaire 
sortant  du  couvent  dans  des  vêtements  trop  étriqués?  Elle  a  l'air  de 
la  petite  fille  de  son  fils.  A  quoi  pensait  donc  notre  étonnant  Gail- 
hard quand  il  l'a  lâchée  ainsi  fagotée  sur  la  scène?  Sans  doute  à 
Constans  et  à  ses  pompes. 

On  l'a  dit  souvent,  il  n'y  a  .pas  de  petits  rôles  pour  un  véritable 
artiste.  M.  Pol  Plançon  l'a  prouvé  à  nouveau,  en  chantant  d'une  ma- 
gnifique voix  la  partie  du  Roi.  Il  y  a  été  tout  à  fait  remarquable. 
On  n'a  rien  à  regretter  d'Edouard  (de  Reszképour  les  profanes) 
quand  on  a  Pol  dans  sa  troupe.  N'oublions  pas  la  gentille  M"°  Su- 
bra,  qui  a  été  la  grâce  et  le  sourire  du  ballet. 

A  l'OpÉRA-CoMiQUE,  petit  ragoût  nouveau  à  la  façon  de  M.  Paravoy. 
Voilà  bien    près    d'une    année   qu'on   répétait  cette   Colombine  qu'il 


LE  MENESTREL 


323 


nous  a  servie  l'autre  soir.  On  ne  saurait  trop  répéter  les  bonnes 
choses  pour  les  mener  à  leur  point  de  complète  maturité.  Il  ne  s'a- 
gissait que  d'un  acte  en  la  circonstance,  mais  il  y  a  des  chefs- 
d'œuvre  qui  n'en  comportent  pas  davantage. 

Que  vous  dirai-je  de  la  donnée  du  poème  extraordinairement 
neuve  imaginée  par  M.  Sarlin?  Pierrot  et  Arlequin  courtisent  Co- 
lombine,  qui  est  gardée  de  près  par  le  vieux  Gassandre.  Le  vieux 
Cassandre  est  rossé,  ce  qui  le  fait  consentir  à  l'union  d'Arlequin 
avec  Golombine.  Pierrot  en  est  pour  ses  frais.  C'est  à  peine  si  au- 
jourd'hui on  peut  supporter  ces  pantalonnades,  même  en  pantomime. 
Vous  jugez  de  ce  qu'il  a  pu  en  être  quand  on  prend  la  peine  de 
nous  les  expliquer  longuement  en  vers  et  en  prose,  avec  circonstance 
aggravante  d'une  partition  lourde  et  prétentieuse.  M.  Miehiels  — 
celui-ei  est  le  musicien  —  nous  parait  de  ces  personnes  importantes 
qui  prennent  une  massue  pour  écraser  les  mouches  ou  qui  embou- 
chent la  trompette  du  jugement  dernier  pour  chanter  un  madrigal. 
La  pauvre  Colombine  n'en  réchappera  pas. 

Les  interprètes  font  de  leur  mienx:  Mlle  Auguez,  avec  sa  jolie 
mine,  Mmc  Mole,  avec  sa  grâce  ordinaire,  Fugère,  avec  sa  verve  et 
son  talent,  Grivot,  avec  sa  malice  spirituelle. 

Ne  me  demandez  pas  pourquoi  M.  Paravey  a  cru  pouvoir  perdre 
son  temps  à  faire  représenter  cet  innocent  badinage.  Il  doit 
avoir  pour  cela  d'excellentes  raisons.  L'Opéra-Comique  actuel  n'est 
pas  un  théâtre  où  l'on  fasse  du  sentiment.  On  n'y  épouse  pas  les 
pièces  pour  leurs  beaux  yeux;  il  faut  encore  qu'elles  apportent 
leur  dot  avec  elles. 

H.  Moreno. 

Gymnase.  —  L'Art  de  tromper  les  femmes,  comédie  en  trois  actes, 
de  MM.  P.  Ferrieret  deNajac.  —  Renaissance.  En  scène.  Mesdemoiselles, 
revue  en  trois  actes   de  MM.   Charles  Clairville    et  Georges  Boyer. 

Ne  vous  alarmez  point,  madame,  et  n'allez  pas  croire,  sur  la  foi  du 
titre  inventé  par  MM.  Fenier  et  de  Najae,  que  nous  avons,  dans 
noire  sac,  un  tour  de  plus  de  la  façon  de  ces  deux  habiles  auteurs. 
Je  vous  assure  qu'ils  ne  nous  ont  rien  appris  de  nouveau,  rien,  abso- 
lument rien,  et,  si  vous  doutez  de  ma  parole,  vous  pouvez  y  aller 
voir.  Vous  vous  convaincrez  alors  facilement  que  l'avocat  Loriquois 
n'emploie  pour  tromper  sa  femme,  la  crédule  Hermine,  ou  délaisser 
la  lingère  à  la  mode,  la  soupçonneuse  Colinette,  au  profit  d'une  très 
jolie  étrangère,  Casilda,  que  des  trucs  que  nous  connaissons  tous  de 
longue  date,  que  vous  connaissez  mieux  que  nous,  très  certaine- 
ment, et  dont  nous  rougirions  de  nous  servir.  Pour  son  épouse 
légitime,  monsieur  en  est  encore  à  la  bienheureuse  chasse,  aux  bour- 
riches commandées  chez  le  marchand  de  comestibles,  aux  clients 
à  aller  voir  la  nuit,  aux  réunions  de  labadens  ou  aux  conférences  ; 
pour  l'illégitime,  moins  bonne  enfant  pourtant,  il  ose  toujours  invo- 
quer l'arrivée  inattendue  de  sa  belle-mère,  les  dîners  de  famille, 
les  affaires  à  plaider  eu  province  et  s'écrit  à  lui-même  des  lettres 
qui  le  mandent  en  toute  hâte.  Vous  voyez  que  tout  cela  est  bien 
éventé  et,  véritablement,  madame,  si  le  divin  hasard  permettait  que 
je  me  trouve  en  position  pour  agir,  à  votre  égard,  comme  notre  héros, 
je  croirais,  pour  ma  modeste  part,  vous  faire  mortel  affront  en  recou- 
rant à  d'aussi  piteux  subterfuges.  Et  remarquez,  je  vous  prie,  que  ce 
Loriquois  se  pose  en  dilettante  de  ce  genre  de  sport  tout  à  fait  spé- 
cial ;  il  se  croit  raffiné  dans  cet  art  de  tromper  les  femmes,  dont  il 
joue  de  si  enfantine  façon.  Pauvre,  n'est-ce  pas,  madame?  Aussi  je 
reste  bien  convaincu  que,  loin  de  vous  fâcher  comme  l'irascible  et 
jalouse  Colinette  ou  de  croire  tout  bénévolement  à  ces  sottises 
comme  la  trop  innocente  Mm0  Loriquois,  vous  vous  ririez  à  belles 
quenottes  du  nigaud  qui  essaierait  de  vous  berner  si  naïvement  et 
lui  serviriez  quelque  spirituelle  leçon  de  votre  manière  qui  le  ferait 
rentrer  tout  penaud  dans  le  droit  chemin. 

Allez  au  Gymnase,  malgré  tout,  et  vous  y  rirez;  de  fait,  je  vous 
mets  au  défi  de  ne  point  désarmer  en  face  de  la  bonne  humeur  et 
de  la  finesse  de  M.  Noblet  et  de  la  fantaisie  si  nature  de  M.  Numès. 
Vous  pourrez,  de  plus,  applaudir  MUe  Marguerite  Ugal  le,  que 
M.  Koning  arrache  à  l'opéreite,  et  qui  retrouve  dans  la  comédie 
ses  succès  passés.  Vous  y  rencontrerez  aussi  M.  Nertann,  un  elub- 
man  sur  le  retour,  que  vous  avez  souvent  reçu  dans  votre  saloo, 
vous  y  ferez  la  connaissance  de  M.  Hirsch,  un  garçon  de  magasin 
très  drôle,  et  de  M.  Richemond,  un  apprenti  avocat  bien  naïf.  Enfin 
vous  aurez  l'immense  satisfaction,  en  voyant  de  fort  jolies  femmes 
comme  M11"*  Depoix,  Demarsy,  Lécuyer  et  Varly,  de  pouvoir  vous 
dire  que  vous  êtes  cent  fois  plus  jolie  encore. 

Et  puisque  je  suis  en  train  de  vous  parler  de  jolies  femmes,  vou- 
lez-vous que  je  vous  en  signale  quelques-unes  encore  que  l'on  peut 
voir  tous  les  soirs,   à  la  Renaissance,  évoluer  sous  les  ordres  de  la 


resplendissante  Decroza,  que  vous  vous  rappelez  assurérn»nt  avoir 
applaudie  déjà  dans  le  Fétiche.  MM.  Clairville  et  Georges  Boyer  ont 
jeté  tout  ce  petit  monde  sur  la  scène  et,  installés  dans  les  frises  du 
théâtre,  ils  tiennent  de  main  de  maître  les  ficelles  qui,  pendant 
trois  actes,  font  mouvoir  ces  gracieux  pantins  pour  notre  plus  grande 
joie.  Courez  voir  En  scène,  Mesdemoiselles,  vous  vous  y  amuserez 
beaucoup  et  applaudirez,  comme  il  convient,  M'lc8  Dezoder,  Aubrys, 
George,  Raphaël,  Burty,  MM.  Regnard,  Georges,  Bellot,  Victorin, 
Gildès  et  tant  d'autres  dont  je  m'excuse  d'oublier  les  noms.  Si, 
encore,  j'osais  vous  donner  un  conseil,  je  vous  recommanderais  de 
bien  suivre  la  dernière  scène  ;  vous  y  comprendriez,  madame,  com- 
bien la  direction  de  l'Opéra,  où  vous  avez  très  certainement  votre 
loge,  se  moque  de  vous,  et  vous  vous  empresseriez,  dès  le  lendemain, 
de  suspendre  un  abonnement  qui  ne  peut  que  vous  discréditer  auprès 
desgensde  bien.  Vous  devriez,  alors,  de  sincères  remerciements  à 
MM.  Clairville  et  Boyer  qui,  non  seulement,  vous  auraient  fait  passer 
une  soirée  des  plus  agréables,  mais  qui,  de  plus,  vous  auraient 
rendu  un  signalé  service. 

Paul-Éhile  Chevalier. 


UN   VIRTUOSE  COURONNÉ 


(Suite.) 

Dans  le  Camp  de  Silésie,  opéra  de  circonstance,  d'où  Meyerbeer 
devait  tirer  plus  lard  l'Étoile  du  Nord,  on  entend  le  vieux  Frédéric 
jouer  de  la  flûte  dans  la  coulisse.  Et  de  fait,  sous  la  tente  aussi 
bien  que  dans  la  salle  de  musique  de  Sans-Souci,  les  gammes  et  les 
arabesques  du  royal  virtuose  résonnaient  à  toutes  les  heures  du  jour. 

Le  matin,  il  s'exerçait  sous  la  direction  de  son  maitie,  Quantz, 
pour  lequel  il  professait  une  véritable  vénération  et  qui,  seul,  eut 
avec  lui  son  franc-parler,  poussé  le  plus  souvent  à  l'extrême,  ce 
qui  faisait  dire  aux  beaux  esprits  de  la  cour  : 

—  Quantz  mène  le  roi,  M"  Quantz  mène  son  mari,  le  chien  de 
Mme  Quantz  mène  Mme  Quanlz,  donc  c'est  le  carlin  de  Mrae  Quantz 
qui  gouverne  la  Prusse. 

Un  jour,  Frédéric  apprit  par  les  gazettes  qu'un  jeune  flûtiste, 
élève  de  Quantz,  venait  d'obtenir  un  immense  succès  à  BerliD.  Il  le 
fit  venir  aussitôt  à  Sans-Souci  et  put  s'assurer  que  sa  réputation 
n'était  pas  surfaite. 

Alors,  le  roi,  prenant  à  part  son  professeur  : 

—  Vous  m'avez  négligé.  Votre  élève,  qui,  je  le  parierais,  n'a  pas 
plus  travaillé  que  moi,  m'a  devancé. 

—  Je  conviens,  répondit  Quantz,  que  j'ai  employé  avec  lui  un 
moyen  plus  expéditif  qu'avec  Votre  Altesse. 

—  Et  lequel,  demanda  Frédéric,  piqué  de  cette  préférence? 

Le  musicien  fit  un  geste  qui  voulait  dire  que  le  moyen  en  ques- 
tion, c'étaient  le  sélrivières. 

—  Oh!  pour  celui-là,  reprit  le  prince  en  riant,  je  conviens  que  je 
ne  saurais  m'y  faire.  Tenons-nous  en  aux  autres. 

Il  n'en  demeurait  pas  moins  féru  de  sa  virtuosité.  Les  concertos 
succédaient  aux  concertos,  les  solos  aux  solos.  Invariablement,  le 
concert  commençait  à  sept  heures  du  soir.  Mais  longtemps  avant 
cet  instant,  le  roi  s'exerçait  pour  se  faire  l'embouchure.  Lorsque  son 
instrument  était  suffisamment  échauffé,  les  musiciens  étaient  intro- 
duits. C'était  la  fine  fleur  de  la  chapelle  royale  :  Graun,  les  frères 
Benda,  Charles-Philippe-Emmanuel  Bach,  tous  virtuoses  de  premier 
ordre,  ce  qui  n'empêchait  pas  le  royal  soliste  de  s'emporter  contre 
eux  et  de  les  rendre  responsables  de  ses  propres  accrocs,  lesquels 
étaient  fréquents. 

Généralement  le  roi  jouait  trois  concertos,  ou  deux  concertos  et 
un  solo  de  sa  propre  composition  ou  de  celle  de  son  maître,  et  son 
choix  était  grand,  car  Quantz  n'a  pas  composé  moins  de  300  con- 
certos et  200  solos  pour  flûte,  avec  accompagnement  de  clavecin. 
Debout,  en  avant  des  musiciens,  le  maître  indiquait  de  la  main  le 
mouvement  de  chaque  morceau.  De  temps  en  temps  il  criait  bravo 
pour  encourager  son  élève  ou  pour  lui  permettre  de  reprendre 
haleine  sans  qu'on  s'en  aperçût  :  c'était  un  privilège  que  n'avait 
aucun  autre  musicien.  Un  jour,  un  nouveau  venu,  le  pianiste 
Fasch,  qui  n'était  pas  au  courant  des  habitudes  de  la  maison,  crut 
devoir  surenchérir  sur  son  chef  en  criant  bravissimo.  Furieux,  le  roi 
courut  a  lui,  la  flûte  levée.  Sans  l'intervention  de  Quantz,  il  l'eût 
assommé  surplace,  ce  qui  lui  aurait  laissé  de  cuisants  regrets,  car  il 
payait  ses  flûtes  cinquante  ducats. 


324 


LE  MENESTREL 


Ce  Fasch  avait  succédé  comme  accompagnateur  à  Charles-Philippe- 
Emmanuel  Bach,  parti  dans  des  circonstances  mémorables,  dont  le 
début  n'est  pas  sans  ressemblance  avec  la  triste  aventure  de  Du- 
port. 

Bach,  ayant  trouvé  une  place  de  maître  de  chapelle  à  Hambourg, 
demanda  sa  retraite,  mais  ne  reçut  pas  de  réponse.  Peu  de 
temps  après,  il  renouvela  sa  requête,  mais  sans  plus  de  succès. 
Alors  le  vieux  Quantz  profita  d'un  moment  de  bonne  humeur  de 
son  royal  élève  pour  lui  dire  : 

—  Sire,  M.  Bach  sollicite  de  Voire  Majesté  la  grâce  de  son  congé. 

—  De  quoi  se  plaint-il,  répondit  brusquement  le  roi  ? 

—  Il  ne  se  plaint  pas;  mais  il  a  trouvé  à  Hambourg  une  place 
avantageuse,  et  il  voudrait  qu'il  lui  fût  permis  d'aller  l'occuper. 

—  J'augmente  ses  appointements. 

—  Ce  n'est  pas  ce  qu'il  demande,  Sire,  il  voudrait  partir. 

—  Eh  bien,  qu'il  parte. 

—  Je  puis  donc  lui  annoncer  qu'il  a  l'agrément  de  Votre  Majesté? 

—  Qu'il  parle,  mais  seul.  Sa  femme  est  prussienne,  ses  enfants 
sout  mes  sujets  ;  ils  ne  peuvent  quitter  le  royaume  sans  ma  volonté. 

Dans  la  suite,  l'affaire  s'arrangea,  et  Bach,  plus  heureux  que  Duport, 
put  s'éloigner  avec  sa  femme  et  ses  enfants. 

Son  successeur,  Fasch,  dont  les  débuts  avaient  été  si  malencon- 
contreux,  fut  plus  tard  en  grande  faveur  auprès  du  roi,  qui  prit 
même  de  lui  des  leçons  de  clavecin.  Ce  détail  a  été  mis  en  doute  par 
plusieurs  biographes  du  grand  Frédéric;  mais  il  est  fort  plausible, 
car  on  trouve  dans  sa  correspondance  ce  billet  à  son  fidèle  Algarotti  : 

«  J'ai  fait  des  vers  que  j'ai  perdus,  j'ai  commencé  à  lire  un  livre 
que  l'on  a  brûlé,  j'ai  joué  sur  uu  clavecin  qui  s'est  cassé,  et  j'ai 
monté  sur  un  cheval  qui  est  devenu  estropié.  » 

Cet  épisode  doit  se  placer  après  la  visite  du  grand  Jean-Sébastien 
Bach  à  Sans-Souci. 

Un  soir,  au  moment  de  commencer  le  concert,  Frédéric  ayant, 
suivant  son  habitude,  jeté  les  yeux  sur  la  liste  des  étrangers  arrivés 
à  Potsdam  pendant  la  journée,  s'écria: 

—  Messieurs,  le  vieux  Bach  est  ici. 

Manié  sur  l'heure,  le  ce  èbre  musicien  dut  quitter  la  table  où  il 
venait  de  s'installer,  pour  se  présenter,  en  habit  de  voyage,  devant 
le  roi.  Celui-ci  l'embrassa  à  plusieurs  reprises  et  lui  demanda  sur- 
le-champ  d'improviser  une  fugue  à  six  parties  dont  il  lui  donna  le 
thème. 

9*Bach  dut  ensuite  essayer  tous  les  clavecins  de  Silbermann  qui  se 
tfô'ùvaient  au  château.  Le  lendemain,  ce  fut  le  tour  de  toutes  les 
orgues  de  Potsdam  et  de  Berlin.  Puis,  l'Opéra  donna  une  représen- 
tation de  gala  en  l'honneur  du  vétéran  de  l'école  classique. 
£bî[près  son  retour  à  Leipzig,  Bach  écrivit  une  fugue  à  trois  voix  sur 
le  thème  que  lui  avait  donné  le  roi,  un  ricercare  à  six  voix,  quelques 
(fanons  aVè'c  l'inscription  Thematis  regii  elaborationes  canonicœ;  il  y 
joigDit  un  trio  pour  la  flûte,  le  violou  et  la  basse,  et  il  dédia  le 
tout  à-  Frëcfër'ic  II  sous  le  titre  d'Offrande  musicale  (Musikalisches 
Opferi).'"  <>n°û. 

Ces  œuvres  défrayèrent  pendant  quelque  temps  les  concerts  de 
sUns-§otic'îl,'n¥àîs  bientôt  le  roi  revint  à  sa  chère  flûte,  d'autant  que 
Quantz  venait  de  perfectionner  cet  instrument  par  l'addition  d'une 
(âeï'ètFinvèrrtioTi  ffè  là  pompe  d'allonge  pour  la  partie  supérieure. 
s'Lo'rs?ju.e)'cel!  aHme^mourut,  ce  fut  un  grand  chagrin  pour  Fré- 
déric, qiii'lè'cotisidërailcomme  un  ami.  S'il  n'avait  pas  fait  sa  for- 
tfin;e''dilréc(t;emën'<,'''ilJ,y''àlvalt  du  moins  contribué  par  l'exemple  de  sa 
vîr'tilbsi%; "En  ié'fïè't,')p'a'r  ''esprit  d'imitation,  tout  le  monde  voulut 
jfttfér1  dé'la  'flûte  'dahâ'lèà  Etats  du  roi-musicien.  A  Potsdam  comme 
âf'Béttlii,  on;'è'nïéhMt  'de'  toussotes  les  sons  de  la  flûte,  comme  en 
te'm'p's'  ordinàit-e'  ceux  d'û.l;iiianV."Cet  engouement  eut  pour  résultat 
dffenWchïr- lfe'  'btfâvé 'QAia'iitzV  'qui'  avait  fondé  une  fabrique  de  ces 
instruments  dans  un  faubourg  de  la  capitale  prussienne. 

J3    BOjl80n03    XU9b    JJO     ,*.0ll9Ufl00    EÏOll 

noe  Ut  fiûtsm  un    ob  slleo  eb  n^oiJie. 
-iio-i  Odfi  ab  Biiiom  èaoqmoo  ssq  b'xi  sias 

.(Eeavsiiocèijd6'Vii'taoac.ii(iièi'lttl'isùffisant?p1us,leroi  Frédéric  II  tourna 
aésivues  .'vers  lfeisJCJhoses  ,déithléâtfe':eit'lsèl11t"impresario. 
oiDèà  le  débat  dpistem  rfegnty'Mlse'mit 'èhUerdii1  de  réaliser  une  idée 
oaiiles8éqtpapdui-'idèpai»'longte*i^]  Néus* '"â'v!6hs"vu  comment  l'Opéra 
dènBerlin  s/éleva  U  Dêlfrotit  felUlaïé'nt  ïà'.' c^tistruéïidh  de  la  salle,  les 
engagements,  ides  <  antféte8"iet  la11  pré'p'ak-a'tion  Sëé'1  spectacles.  Le  roi, 
qui  guerroyait  elntSilésleljldirigéait  de  Wiii' tout  tfdmotiyèment,  réglant 
dhaqùeiiétaili'Vo^ou^'aW^éSinWfldreB'pai'ttolàWtésV'éf  donnant  ses 
OOd-teâ  commc',te'il>s0<'/â't''ùgi,ud'brgâh'iser'rlvlile  'cëmp'agrië  parallèle 
àila  sierine^M  eian&ïuo  eh èaeisl  liaiue  iul  îup  oa.aoBlct'iu.  . 

Tandis  qu'on  se  battait  à  Molwit*,'<&uPragWfer'&)  Hônenfriedberg, 


Quantz  formait  l'orchestre  et  Graun  voyageait  pour  recruter  une 
troupe  d'opéra.  De  son  côté,  Voltaire  s'inquiétait,  en  France,  des 
projets  lyriques  et  dramatiques  de  son  royal  ami,  qu'il  n'avait  point 
encore  visité  à  Sans-Souci,  mais  qu'il  avait  vu,  dès  le  commencement 
de  son  règne,  au  château  de  Meuse,  près  de  Clèves. 

Après  avoir  fait  des  vœux  pour  une  paix  prochaine,  l'auteur  de 
SIéivpe  écrivait  : 

o  Ce  qui  me  donne  une  sécurité  parfaite,  c'est  une  douzaine  de 
faiseurs  et  de  faiseuses  de  cabrioles  que  Votre  Majesté  fait  venir  de 
France  dans  ses  Étals.  On  ne  danse  guère  que  dans  la  paix.  Il  est 
vrai  que  vous  avez  faitpayer  les  violons  à  quelques  puissances  voisines. 
Au  lieu  de  douze  bons  académiciens,  vous  avez  donc,  Sire,  douze 
bons  danseurs.  Cela  est  plus  aisé  à  trouver  et  beaucoup  plus  gai. 
On  a  vu  quelquefois  des  académiciens  ennuyer  un  héros,  et  des 
acteurs  de  l'Opéra  le  divertir.  Cet  Opéra  dont  Votre  Majesté  décore 
Berlin  ne  l'empêche  pas  de  songer  aux  belles-lettres.  Chez  vous 
un  goût  ne  fait  pas  tort  à  l'autre.  » 

Voltaire  termine  en  offrant  au  roi  de  lui  expédier  de  bons  acteurs 
de  tragédie.  Mais  cette  partie  du  programme  fut  remise  à  plus  tard. 
Aussi  bien,  la  troupe  française  recrutée  un  peu  partout,  et  négligée 
pour  d'autres  plaisirs,  ne  causa-t-elle  qu'une  médiocre  satisfaction 
à  l'hôte  du  Grand  Frédéric. 

Un  jour,  comme  ce  souverain  désirait  voir  une  représentation  de 
Brutus,  tragédie  de  Voltaire,  le  poète  français  demanda  des  sujets 
pour  figurer  les  gardes  et  les  licteurs. 

Le  roi  lui  dit:  «  On  vous  donnera  des  hommes». 

Or,  il  advint  que  Voltaire  ne  put  arriver  à  faire  mouvoir  comme 
il  le  désirait  ces  hommes.  Il  criait  et  jurait  de  si  belle  façon  que  le 
roi  vint  à  ce  bruit  et  lui  demanda  ce  qu'il  avait. 

—  Comment,  ce  que  j'ai?  dit  Voltaire.  Votre  Majesté  me  promet 
de  me  donner  des  hommes,  et  on  me  f...  des  Allemands. 

Frédéric,  qui  était,  suivant  l'expression  d'un  contemporain,  dé- 
pouillé de  tout  germanisme,  rit  beaucoup  de  cette  sortie,  mais  il 
n'en  changea  point  pour  cela  ses  figurants.  S'il  dépensait  beaucoup 
d'argent  pour  son  Opéra,  son  plus  grand  soin  était  de  s'en  rembour- 
ser au  détriment  de  la  tragédie  et  de  la  comédie.  Nous  avons  vu 
comment  fut  traitée  la  troupe  française  de  Laubertin  ;  ce  n'était  pas 
un  cas  isolé  :  un  directeur  de  Rouen,  La  Noue,  venu  à  Berlin  où  il 
avait  été  appelé,  à  grands  renforts  de  promesses,  par  Frédéric,  ne 
reçut  de  ce  prince  aucune  allocation,  ni  même  le  moindre  dédom- 
magement. La  guerre  de  1741  avait,  prétendait  le  monarque,  épuisé 
toutes  ses  ressources;  de  sorte  que  La  Noue  fut  obligé  de  payer  de  sa 
propre  bourse  ses  pensionnaires  et  qu'il  dut  les  rapatrier,  toujours  à 
ses  frais,  jusqu'à  Paris. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (9  octobre).  —  Mllc  Nardi  est  venue 
apporter  un  appoint  précieux  à  la  troupe  de  la  Monnaie.  Accueillie  dans 
les  Dragons  de  Villars  avec  une  faveur  peu  ordinaire,  elle  a  été  fêtée,  accla- 
mée par  tous,  dès  le  premier  jour.  Sa  voix  superbe,  d'un  timbre  si  riche 
et  d'une  si  rare  homogénéité,  ont  fait  merveille,  avec,  outre  cela,  ses  qua- 
lités de  bonne  musicienne,  fécondes  déjà  en  résultats  et  plus  fécondes 
encore  en  promesses.  Le  succès  de  Mlle  Nardi,  très  grand  dans  les  Dragons, 
a  été  plus  considérable  encore,  quelques  jours  après,  dans  Mignon.  Je 
n'ai  pas  besoin  de  vous  détailler  ses  mérites,  vous  les  connaissiez  avant 
nous  à  Paris,  et  peut-être  avez-vous  lieu  de  les  regretter  un  peu.  Si 
l'Opéra-Gomique  n'a  rien  fait  pour  garder  une  artiste  si  intelligente,  ce 
n'est  pas  nous  assurément  qui  en  sommes  fâchés,  et  je  suis  certain 
que  la  Monnaie  s'en  trouvera  particulièrement  bien,  cette  année.  Aussi, 
celle-ci  se  hàte-t-elle  d'en  profiter.  Après  les  Dragons  et  Mignon,  donnés  à 
peu  près  coup  sur  coup,  elle  nous  annonce  Carmen,  encore  avec  M"1-'  Nardi, 
—  et  bientôt  après  la  Basoche,  toujours  avec  Mlle  Nardi,  dans  le  rôle  créé 
par  Mmc  Mole.  On  met  les  morceaux  doubles,  comme  vous  voyez  :  autant 
on  avait  perdu  du  temps,  l'an  dernier,  autant  on  s'efforce  d'en  gagner, 
cette  fois.  Une  activité  dévorante  règne  dans  tous  les  coins.  M.  Massenel 
préside  aux  répétitions  de  Manon,  dont  il  veut  que  la  reprise  soit  tout  à 
fait  soignée,  avec  M"0  Sanderson,  une  Manon  comme  il  l'a  rôvée.  Pendant 
ce  temps,  on  achève  de  préparer  la  reprise  de  Salammbô,  qui  passera  la 
semaine  prochaine,  on  songe  à  Werther,  et  les  études  de  Siegfried  se  pour- 
suivent doucement,  —  plus  doucement  même  qu'on  ne  l'avait  espéré  en 
commençant.  Divers  incidents  viennent  d'éclater,  en  effet,  qui  ne  sont 
pas  sans  inquiéter  quelque  peu  ceux  qui  s'intéressent  à  cette  prochaine 
grande  «  première  ».  Le  plus  grave  n'est  pas  celui  qu'on  a  raconté  déjà; 
je  veux  parler  du  différend  soulevé  entre  M.  Franz  Servais,  qui  doit  diri- 


LE  MENESTREL 


325 


ger  l'exécution  de  Siegfried,  et  le  traducteur,  notre  confrère,  M.  Victor 
Wilder,  au  sujet  de  certains  mots,  non  conformes  à  la  prosodie  wagné- 
rienne  et  que  M.  Servais  avait  cru  devoir  modifier.  Ce  différend  est  du 
reste  aplani.  Mais  il  y  en  a  un  autre,  que  je  tiens  des  intéressés  eux- 
mêmes  et  qui  est  plus  dangereux.  M.  Servais  réclamerait  vainement  l'or- 
chestration complète,  la  «  grande  orchestration  »  de  l'œuvre,  celle  qui  a 
servi  aux  représentations  de  Bayreuth;  la  direction  ou  les  éditeurs  se 
refuseraient  à  lui  fournir  autre  chose  que  la  petite  orchestration  pour 
soixante  musiciens,  qui  sert  aux  représentations  ordinaires,  dans  les  petits 
théâtres  allemands.  De  là,  conflit.  M.  Servais  insiste  pour  que  l'interpré- 
tation soit  telle  qu'il  la  rêve  et  qu'il  la  comprend;  il  réclame  un  supplé- 
ment d'instruments  et  d'instrumentistes,  et  menace  même  de  tout  aban- 
donner... Cédera-t-on?  Ou  bien  le  bâton  du  chef  d'orchestre  passera-t-il 
de  ses  mains  dans  celles  de  M.  Barwolf,  qui  parait  avoir  peu  de  dispositions 
pour  conduire  un  drame  lyrique  de  Wagner,  ou  de  M.  Léon  Dubois,  le 
nouveau  chef  en  second,  très  compétent  en  matière  wagnérienne  malgré 
sa  jeunesse?  Nous  verrons.  Mais  les  commentaires  vont  leur  train. 

L'opérette  a  fait  sa  rentrée  dans  la  bonne  ville  de  Bruxelles.  Le  théâtre 
des  Galeries  s'y  voue  tout  entier.  Il  a  commencé  cette  semaine  par  Fati- 
nitza  et  va  continuer  avec  le  Petit  Faust.  Espérons  qu'il  ne  s'en  tiendra 
pas  aux  reprises  et  qu'il  ne  négligera  pas  les  nouveautés,  dont  nous  avons 
été  bien  sevrés  en  ces  derniers  temps.  Il  y  en  a  de  charmantes,  —  le  Fétiche 
notamment,  dont  la  musique  est  ravissante,  comme  vous  savez.  M.  Durieux, 
le  sympathique  directeur  des  Galeries,  ne  doit  pas  ignorer  cela;  tout  le 
monde  ici  serait  heureux  s'il  voulait  bien  nous  le  prouver.  Sa  troupe  est 
bonne,  et  il  a  tout  ce  qu'il  faut  pour  rendre  la  vogue  à  ce  genre  autrefois 
si  fêté  à  Bruxelles  et  si  injustement  abandonné  depuis. 

Lucien  Solvay. 

— ■  Nouvelles  de  Londres.  —  La  morte-saison  touche  à  sa  fin  et  les  ama- 
teurs qui  ont  dû  se  contenter  depuis  deux  mois  d'une  opérette  médiocre, 
le  Capitaine  Thérèse,  de  Planquette,  et  des  Concerts-Promenades,  dépourvus 
de  tout  intérêt  artistique  cette  année,  n'auront  bientôt  que  l'embarras  du 
choix.  Le  11  octobre,  reprise  des  concerts  du  samedi  à  Crystal-Palace.  On 
sait  que  1  orchestre  dirigé  par  M.  Manns  est  le  meilleur  de  Londres,  le 
seul,  dans  tous  les  cas,  qui  parvienne  à  des  exécutions  d'ensemble  se 
rapprochant  des  grands  orchestres  symphoniques  du  continent.  Les  pro- 
grammes des  dix  premiers  concerts  de  cette  3b°  saison  sont  déjà  publiés 
et  ne  contiennent  aucune  nouveauté  saillante.  J'y  constate  aussi  la  part 
de  plus  en  plus  maigre  faite  depuis  quelque  temps  par  M.  Manns  à  la 
musique  française  :  une  ouverture  de  Berlioz  et  le  ballet  d'Ascanio,  c'est 
tout  pour  dix  concerts  !  M.  Manns,  qui  est  pourtant  d'une  complaisance 
souvent  excessive  dans  le  choix  de  ses  nouveautés,  aurait  dû  déjà  offrir  à 
ses  habitués  la  primeur  du  Wallenstein  de  M.  Vincent  d'Indy,  de  l'Irlande 
de  Mme  Augusta  Holmes,  et  de  la  Rapsodie  cambodgienne  de  M.  Bourgault- 
Ducoudray. 

La  saison  d'opéra  italien  organisée  par  M.  Lago  commencera  le  18  à 
Covent-Garden,  avec  Mefistofele  fort  probablement.  Parmi  les  reprises 
annoncées,  les  plus  intéressantes  sont  celles  d'Orfeo,  Gioconda,  Tannhauser, 
Matrimonio  segreto  et  peut-être  celle  d'Otello.  Avec  une  troupe  d'ensemble, 
et  l'orchestre  sous  la  direction  de  MM.  Bevignani  et  Arditi,  cette  courte 
saison  de  six  semaines,  à  des  prix  populaires,  mérite  à  tous  les  points 
de  vue  de  réussir.  Elle  servira  probablement  aussi  de  prétexte  à  trancher 
la  question  des  droits  exclusifs  réclamés  par  la  compagnie  Cari  Rosa  pour 
divers  ouvrages  tels  que  Faust,  Carmen,  Lohengrin,  etc. 

La  Société  royale  chorale  vient  de  publier  le  programme  de  sa  20°  saison. 
Les  dix  concerts  de  cet  hiver  seront  consacrés  aux  œuvres  suivantes  : 
Élie  et  Saint  Paul,  de  Mendelssohn,  la  Damnation  de  Faust,  de  Berlioz,  le 
Messie  et  Israël  en  Egypte,  de  Haendel,  la  Rédemption  et  Mors  et  Vita,  de 
Gounod,  la  Rose  de  Shavon,  de  Mackenzie,  et  la  Légende  dorée,  de  Sullivan. 
Chœurs  et  orchestre,  mille  exécutants  sous  la  direction  de  M.  Barnby. 

Encouragé  par  le  gros  succès  artistique  de  sa  tentative  de  l'année 
dernière,  M.  Charles  Halle  transportera  de  nouveau,  à  six  reprises,  pen- 
dant la  saison,  son  superbe  orchestre  de  Manchester,  pour  la  plus  grande 
joie  de  tous  les  amateurs  de  Londres.  Espérons  retrouver  sur  le  pro- 
gramme la  Symphonie  fantastique  et  le  Roméo  et  Juliette  de  Berlioz,  dont  la 
belle  exécution  a  produit  une  véritable  sensation  l'hiver  dernier. 

La  saison  des  concerts  populaires  de  musique  de  chambre  commencera 
le  20  octobre  à  Saint-James  Hall.  Parmi  les  pianistes  engagés  cette  année 
on  remarque  :  Paderewsky,  Halle,  Sapelnikoff,  Stavenhagen,  etc.  Le 
quatuor  sera  mené  par  Mmc  Neruda  et  Joachim. 

Carmen,  le  chef-d'œuvre  de  Bizet,  qui  avait  jusqu'ici  échappé  aux  paro- 
disles  anglais,  vient  de  fournir  le  sujet  du  nouveau  burlesque  représenté 
•cette  semaine  au  Gaiety  Tlieatrc.  A  lire  les  comptes  rendus  de  la  presse 
quotidienne,  on  ne  se  douterait  pas  de  l'insuccès  de  cette  production, 
et  cependant,  après  les  applaudissements  de  complaisance  du  public  de 
première,  on  a  franchement  baillé  à  la  seconde.  Pièce  d'un  petit  esprit, 
interprétation  terne,  costumes  d'une  crudité  de  ton  aveuglante,  voilà  le 
bilan  de  cette  triste  parodie,  pour  laquelle  M.  Meyer  Lutz  a  écrit  quelques 
pages  de  fort  aimable  musique. 

Ce  soir,  jeudi,  première  représentation  de  la  version  anglaise  de  la 
Cigale  et  la  Fourmi,  fortement  tripatouillée  pour  l'occasion  et  sans  l'assen- 
timent de  l'auteur.  J'y  reviendrai.  A.  G.  N. 

—  D'après  le  Daily  News,  Mnic  Marie  Rôze  serait  sur  le  point  d'aban- 
donner la  carrière  lyrique  où  elle  s'est  si  brillamment  distinguée.  Au  prin- 


temps prochain  elle  entreprendra  dans  les  provinces  anglaises  une  grande 
tournée  d'adieux  où  elle  se  fera  entendre  dans  tous  ses  meilleurs  rôles. 
Après  une  dernière  apparition  à  Londres,  M""-  Marie  Rôze  ira  se  fixer  à 
Paris,  près  de  sa  famille. 

—  La  manie  du  «  sifflage  musical  »,  qui  peu  à  peu  a  envahi  les  salons 
et  les  salles  de  concerts  des  pays  de  langue  anglaise,  continue  à  se  pro- 
pager d'une  façon  vraiment  alarmante.  L'Eglise  elle-même  n'a  pas  craint 
d'accueillir  cet  art  sacrilège,  ainsi  qu'il  résulte  d'une  petite  note  que 
nous  relevons  dans  une  feuille  religieuse,  la  Church  Review,  qui  dit  que, 
pendant  un  service  récemment  célébré  à  l'église  d'Océan  Grave  (États-Unis), 
une  personne  de  la  communauté  a  sifflé  l'hymne:  «  Plus  près  de  toi,  Sei- 
gneur, »   avec  variations  !  Ce  devait  être  édifiant. 

—  Les  Anglaises  ne  le  cèdent  en  rien  à  leurs  compatriotes  mâles  en 
ce  qui  concerne  le  sentiment  de  la  vanité  et  le  puffisme  mis  au  ser- 
vice d'icelie.  En  voici  un  exemple.  Une  chanteuse  anglaise,  miss  Agnès 
Huntington,  qui,  parait-il,  a  obtenu  de  vifs  succès  à  Londres  dans  le  genre 
de  l'opérette,  et  qui  vient  de  se  rendre  en  Amérique,  fait  répandre  de 
tous  côtés,  parmi  les  Yankees,  le  bruit  que  le  célèbre  violoniste  Joachim 
fut  tellement  enthousiasmé  de  son  talent  en  l'entendant  chanter  et  qu'il 
l'applaudit  avec  une  telle  violence  qu'il  s'en  disloqua  la  main  au  point  de 
ne  pouvoir  jouer  du  violon  pendant  huit  jours.  —  Pas  si  Agnès  que  ça, 
Mlle  Huntington  ! 

—  Verdi  for  ever  !  Voici  ce  qu'on  lit  dans  le  Trovalore  :  «  Sans  rien  enle- 
ver à  l'authenticité  de  la  nouvelle  que  nous  avons  donnée  les  premiers, 
et  que  nous  avons  confirmée  et  confirmons,  à  savoir  que  Verdi  est  en 
train  d'écrire  un  Romeo  e  Giulietta,  nous  rapportons,  comme  un  bruit  qui 
court,  ces  lignes  de  la  Guzzetta  Piemontese  :  -<  Dans  la  paisible  retraite  de 
sa  villa  de  Sant'Agata,  près  Parme,  Verdi,  qui  avait  laissé  entrevoir 
qu'Otello  serait  son  dernier  opéra,  s'apprête  au  contraire  à  donner  le  jour 
à  une  nouvelle  œuvre  musicale.  Ce  nouveau  travail  du  génie  fécond  de 
Verdi  ne  sera  pas  un  opéra  ou  un  drame  lyrique,  mais  plus  précisément 
un  oratorio,  et  il  parait  qu'il  aura  pour  sujet  les  malheurs  de  l'infortuné 
Roi  Lear  célébrés  par  Shakespeare.  Arrigo  Boito  s'attache  en  ce  moment  à 
étudier  la  tragédie  du  poète  anglais  dans  son  texte  original,  afin  d'en  faire 
une  version  rythmique  italienne.  » 

Continuons  d'enregistrer   les   hauts   faits   de   la  Cavalleria  rusticana. 

Constatons  d'abord,  d'après  le  Secolo  XIX,  de  Gènes,  que  l'ouvrage  a  déjà 
rapporté  au  jeune  maestro  Mascagni,  son  heureux  auteur,  environ 
30,000  francs,  tandis  que  l'éditeur  perçoit  pour  sa  part  1.000  francs  par 
représentation.  Le  Trovatore  nous  apprend  ensuite  qu'à  la  Pergola,  de  Flo- 
rence, une  représentation  de  la  bienheureuse  Cavalleria,  donnée  en  l'honneur 
du  compositeur  et  sous  sa  direction,  a  été  splendide.  A  cette  occasion, 
plusieurs  riches  présents  lui  ont  été  offerts  en  présence  et  aux  applaudis- 
sements du  public,  entre  autres  une  coupe  d'argent  par  Vimpresa  du  théâtre, 
un  remontoir  en  or  par  le  ténor  Valero,  une  lyre  d'argent  par  le  baryton 
Pozzi,  une  couronne  par  l'orchestre,  etc.,  etc.  Après  les  grandes  repré- 
sentations de  la  Pergola,  l'ouvrage  a  été  transporté  au  théâtre  Pagliano, 
de  la  même  ville,  où  il  a  dû  être  donné  trois  fois  à  des  prix  populaires, 
et  où  il  a  trouvé  le  même  succès.  A  Bologne,  on  a  dû  le  jouer  samedi 
dernier;  Ancône  l'entendra  à  la  fin  du  présent  mois,  avec  notre  compa- 
triote MHo  Frandin,  et  en  novembre  ce  sera  le  tour  de  Livourne.  Turin 
pourtant  a  donné  lieu  à  une  surprise.  «  Les,  frais  des  dix  représentations 
qui  doivent  être  données  au  Théâtre  Regio  de  cette  ville,  dit  un  journal, 
se  montent  à  4,S00  francs  par  soirée.  Mais,  tandis  que  le  premier  jour  on 
a  encaissé  13,000  francs,  c'est  à  peine  si  la  recette  de  la  seconde  repré- 
sentation a  atteint  2,300  francs,  et  la  troisième  a  été  presque  comme  la 
seconde.  »  Quoi  qu'il  en  soit,  et  à  part  cet  incident,  on  peut  dire  que  le 
succès  se  poursuit  partout  de  la  façon  la  plus  brillante. 

Encouragé  par  l'heureux  résultat  du  concours  qui  lui  a  valu  Caval- 
leria rusticana,  M.  Edouard  Sonzogno  se  prépare,  parait-il,  à  ouvrir  un  nou- 
veau concours  du  même  genre.  Seulement,  il  ne  s'agirait  plus  cette  fois 
d'ouvrages  en  un  acte,  mais  d'opéras  ayant  au  moins  deux  actes  et  trois 
au  plus.  Cette  fois  encore,  et  pour  encourager  les  débutants,  ne  seraient 
admis  à  concourir  que  les  compositeurs  qui  n'auraient  jamais  fait  repré- 
senter un  ouvrage  sur  un  théâtre  public. 

Il  parait  que  Mllc  Lillian   Nordica,   la   cantatrice   américaine  bien 

connue,  s'est  trouvée  prise  tout  à  coup  d'un  violent  amour  pour  les  beaux- 
arts.  Elle  a  chargé  un  sien  ami,  résidant  à  Turin,  d'acquérir  pour  elle 
une  riche  et  précieuse  collection  de  tableaux  anciens  qu'elle  eut  l'occa- 
sion de  voir  et  d'admirer  à  Florence  lors  du  dernier  séjour  qu'elle  fit  en 
cette  ville.  Cette  collection  appartient  à  une  noble  famille  florentine  dé- 
chue de  son  ancienne  splendeur  et  qui,  par  suite  de  revers  de  fortune,  se 
trouve  contrainte  à  vendre  ce  qu'elle  possède  de  plus  précieux.  On  assure 
qu'il  s'y  trouve  deux  Raphaël  et  jusqu'à  un  Michel-Ange.  Elle  n'y  va  pas 
de  main  morte,  Mllc  Nordica  ! 

—  Nous  avons  fait  connaître  le  succès  d'enthousiasme  obtenu  récemment 
à  Rome  par  la  réapparition  d'un  des  premiers  ouvrages  de  Rossini,  Vllaliana 
in  Algeri,  représenté  pour  la  première  fois  à  Venise,  en  1813,  au  théâtre 
San  Benedetto,  avec  la  célèbre  Marietta  Marcolini  dans  le  rôle  principal. 
Il  eût  été  bien  étonnant  que  cet  événement  ne  fit  pas  surgir  quelque 
anecdote  rétrospective.  Nous  tenons  l'anecdote,  que  nous  apportent  les 
journaux  italiens.  L'Italiana  in  Algeri  plaisait  beaucoup  à  la  Marcolini, 


326 


LE  MÉNESTREL 


mais  elle  menaçait  de  ne  la  point  chanter  si  Rossini  n'ajoutait  à  sa  parti- 
tion un  air  pour  elle.  Celui-ci  faisait  la  sourde  oreille,  disant  que  son 
Opéra  était  bien  comme  il  était,  et  qu'il  n'y  ajouterait  pas  une  note.  Chaque 
jour  c'étaient  des  larmes  et  des  discussions.  Enfin,  le  soir  venu  de  la  répéti- 
tion générale,  la  Marcolini  se  refusa  décidément  à  chanter  et  partit  furieuse 
du  théâtre.  Vers  minuit  elle  entendit  frapper  à  sa  porte,  et  le  joyeux 
maestro,  en  manches  de  chemise,  avec  un  manteau  de  velours  sur  les 
épaules,  entra  en  disant  :  et  Marietta.  je  t'apporte  la  cabalelta  !  »  Et,  se 
mettant  au  piano,  il  chanta  le  merveilleux  rondo  final.  L'ardente  Vénitienne, 
folle  de  joie,  lui  sauta  au  cou  en  le  couvrant  de  baisers  et4  accompagnée 
par  lui,  se  mit  à  chanter  ce  morceau  magique.  Le  lendemain  soir  le  théâtre 
croulait  sous  les  applaudissements,  comme  en  ce  moment  à  Rome.  Ce 
fut  la  Marcolini  qui  fit  exempter  Rossini  delà  conscription,  par  l'inter- 
vention de  la  grande-duchesse  Elisa  Bacciocchi,  qui  avait  pour  elle  la 
plus  grande  bienveillance,  et  ce  fut  elle  aussi  qui  fit  engager  Rossini  par 
l'imprésario  de  la  Scala  pour  écrire  la  Pietra  del  Paragone.  Ces  particularités, 
écrit  le  Fanfulla,  nous  les  avons  entendues  de  la  Marcolini  même,  alors 
vieillie  et  retirée  de  la  scène,  qu'elle  avait  quittée,  jeune  encore,  en  1829. 

—  Ajoutons  que  la  Marcolini  créa  en  Italie  cinq  opéras  de  Rossini  : 
l'Equivoco  stravagante  à  Bologne,  il  Cambio  dclla  valigia  à  Venise,  la  Pktra 
del  Paragone  à  Milan,  l'italiana  in  Algeri  et  Sigismondo  à  Venise. 

—  Encore  quelques  opéras  éclos...  dans  les  cartons  des  compositeurs 
italiens  :  V Innominato,  du  maestro  Taccheo  ;  Joie,  du  maestro  Rocco  Tri- 
marchi,  qui  le  «  destine  »  au  théâtre  Costanzi,  de  Rome  ;  Manolillo,  paroles 
de  MM.  Golisciani  et  Crisafulli,  musique  de  M.  Giovanni  Giannetti,  qui, 
dit-on,  pourrait  bien  être  représenté  prochainement  au  théâtre  Bellini,  de 
Naples;  enfin,  Fiamma,  du  maestro  Rovera,  qui  serait  mis  incessamment 
en  scène  à  Alexandrie. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne  :  Berlin,  L'Opérai  royal  vient 
d'ajouter  à  son  répertoire  un  opéra  de  Marschner,  le  Vampire,  qui  date  de 
soixante-deux  ans,  la  première  représentation  ayant  eu  lieu  à  Leipzig 
en  1828.  Le  public  a  fait  un  assez  bon  accueil  à  cette  résurrection,  ainsi 
qu'aux  interprètes,  surtout  au  baryton  Bulss.  —  Brème.  Parmi  les  nou- 
veautés en  préparation  au  théâtre  municipal,  on  signale  les  opéras 
Nadeshda,  de  M.  Goring  Thomas,  l'Épée  du  Roi,  de  M.  Hentschel,  le  Barbier 
de  Bagdad,  de  Peter  Cornélius,    et  le   Chasseur  sauvage,   d'Auguste  Schulz. 

—  Cologne.  Le  Roi  malgré  lui,  de  M.  Chabrier,  va  être  représenté  sous  peu 
au  théâtre  municipal.  On  s'occupe  également  de  la  production  de  la  Reine 
de  Saba,  de  Goldmark.  —  Dresde.  Un  nouveau  théâtre,  de  dimensions  co- 
lossales, et  muni  des  derniers  perfectionnements  relatifs  à  la  sécurité  et 
au  confortable,  va  être  construit  dans  cette  ville,  avec  l'aide  des  capitaux 
viennois.  Cet  établissement  sera  consacré  aux  pièces  populaires  à  spec- 
tacle. —  Leipzig.  La  célèbre  pièce  du  Ghâtelet,  Michel  Strogo/f,  vient  d'être 
montée  au  théâtre  municipal  sous  le  titre  de  Courrier  du  Czar,  avec  une 
excellente  adaptation  allemande  de  M.  Elcho.  —  Koenigsberg.  La  nouvelle 
direelion  Jahn  a  inauguré  sa  saison  au  théâtre  municipal  avec  une  re- 
présentation très  remarquoble,  paraît-il,  A'Aïda.  —  Mayence.  On  annonce 
toute  une  série  de  nouveautés  au  théâtre  municipal,  qui,  jusqu'ici,  ne 
s'était  jamais  signalé  par  beaucoup  d'activité.  Ce  sont  :  le  Crépuscule  des 
Dieux,  les  Maîtres  chanteurs,  Judith  (de  Goetz),  Jessonda  (de  Spohr),  Linda 
di  Chamounix,  Idoménée,  de  Mozart,  Ernani,  et  les  opérettes  le  Pauvre  Jona- 
than, le  Château  enchanté  (de    Millôcker),  les  Gondoliers  (de    Sullivan),  etc. 

—  Munich.  Le  théâtre  de  la  Cour  prépare  une  représentation  à  la  mémoire 
du  .compositeur  R.  von  Hornstein,  dont  on  reprendra  pour  la  circons- 
tance l'opérette  Adam  et  Eve,  qui  n'avait  pas  été  jouée  depuis  1870. 

—  La  Damnation  de  Faust,  qui  n'avait  pas  été  entendue  à  Berlin  depuis 
l'année  1847,  va  être  exécutée  par  les  soins  du  Wagner-Verein  de  cette  ville, 
à  son  concert  du  mois  de  novembre. 

—  S'il  faut  en  croire  l'Éventail,  de  Bruxelles,  les  représentations  dé- 
pourvues de  tout  caractère  artistique  continuent  à  composer  l'ordinaire 
de  l'Opéra  de  Berlin.  Le  14  septembre,  à  l'occasion  du  centenaire  de  la 
première  à  Berlin  des  Noces  de  Figaro,  une  reprise  du  chef-d'œuvre  a  eu 
lieu,  mais  quelle  reprise!  Elle  a  fait  bondir  jusqu'aux  critiques  inféodés 
à  l'établissement  et  chantant  ses  louanges  d'un  bout  de  l'année  à  l'autre. 
Cette  semaine  on  a  repris  le  Vampire,  de  Marschner,  et  c'a  été  le  même 
massacre,  avec  cette  circonstance  aggravante  que  l'ouvrage,  qui  est  déjà 
passablement  démodé  par  lui-même  et  se  traîne  péniblement  de  l'ornière 
de  Mozart  dans  celle  de  Weber,  a  paru,  grâce  à  l'interprétation,  plus  dé- 
modé encore.  Mais  il  fallait  bien  produire  dans  un  bon  rôle  le  baryton 
Bulss,  qui  a  eu  quelque  succès  d'ailleurs,  mais  à  qui  l'on  reproche  de 
manquer  absolument  de  «  démonocratie  »  dans  un  rôle  ultra-romantique  et 
superlativement  fatal  et  sombre.  Un  détail  assez  curieux,  c'est  que  le  li- 
vret de  cet  opéra  est  dû  à  un  certain  M.  "Wohlbruck,  aïeul  de  M110  Olga 
Wohlbruck,  ex-artiste  de  l'Odéon  de  Paris,  actuellement  jeune  première 
au  Schauspielhaus  de  Berlin. 

—  Le  même  journal  nous  apprend  que  la  Société  des  Amis  de  l'opéra 
( Opéra freunde)  qui  sévit  à  Berlin  depuis  quelques  années  et  s'est  donné 
pour  mission  de  déterrer  ou  de  tirer  de  l'oubli  les  partitions  inconnues 
des  grands  et  petits  maîtres  ou  colles  qui  n'ont  pas  réussi  dans  leur  nou- 
veauté, vient  do  donner,  avec  le  concours  d'amateurs  de  talent,  une 
oeuvre  de  jeunesse  de  Haydn,  Baslien  et  Rasl'wnne,  composée  en  1768  et 
jamais  représentée  en  Allemagne,  avec  raison  du  reste,  car  c'est  un  opéra- 


comique  très  médiocre,  et  l'insignifiant  Retour  de  l'Étranger,  de  Félix 
Mendelssohn-Bartholdy,  qui  est  également  un  ouvrage  de  jeunesse.  C'était 
bien  la  peine  assurément  de  fureter  dans  les  bibliothèques  pour  n'en  tirer 
que  cela! 

—  Princesses  de  bastringue.  Il  parait  que  dans  un  grand  établissement 
de  Berlin,  qui  est  à  la  fois  un  café  chantant  et  un  bal  public,  s'exhibent 
sans  scrupule  chaque  samedi  les  deux  «  princesses  »  Pignatelli  et  Dolgo- 
ruki.  La  saison  s'est  ouverte  avec  un  ballet  intitulé  Une  nuit  de  bal,  auquel 
succédaient  des  danses  publiques.  La  princesse  Pignatelli  dirigeait  les 
danses  et  la  Dolgoruki  la  musique. 

—  Un  chanteur  jadis  très  fêté,  M.  Nachbaur,  longtemps  attaché  au 
théâtre  de  Munich,  vient  de  prendre  sa  retraite.  M.  Nachbaur,  qui  était 
un  vrai  ténor,  et  dont  la  voix  avait  un  timbre  d'une  douceur  charmante, 
fut  jadis  un  Lohengrin  très  admiré.  Le  roi  Louis  II  de  Bavière  le  tenait 
en  haute  estime  et  l'avait  comblé  de  cadeaux.  En  1870  il  lui  avait  envoyé 
une  statuette  en  marbre,  sculptée  par  Zumbusch,  et  qui  le  représente  en 
Lohengrin  ;  une  autre  fois  il  lui  envoya  un  Lohengrin  dont  la  nacelle 
était  en  or  et  le  cygne  en  argent.  A  la  femme  du  ténor,  le  malheureux 
souverain  avait  un  jour  donné  une  broche  représentant  le  cygne  de  Lohen- 
grin ;  le  corps  du  cygne  est  formé  par  une  perle  d'une  grosseur  énorme, 
les  ailes  sont  figurées  par  des  diamants,  le  bec  par  des  rubis.  M.  Nach- 
baur possède  en  outre  un  grand  nombre  de  lettres  de  Louis  II  dans  les- 
quelles celui-ci  le  traite  absolument  d'égal  à  égal  et  parle  fréquemment 
de  Richard  "Wagner,  pour  lequel  on  sait  que  son  admiration  était  sans 
bornes.  Dans  une  de  ces  lettres,  le  roi  dit  au  ténor  :  «  Nous  sommes, 
tous  les  deux,  ennemis  de.ee  qui  est  banal,  trivial,  vulgaire;  nos  cœurs 
brûlent  d'un  feu  divin  pour  tout  ce  qui  est  pur  et  idéal.  C'est  pourquoi 
nous  devons  demeurer  de  fidèles  et  sincères  amis,  toute  notre  vie.  » 

—  A  Hambourg,  M.  Pollini,  l'infaligable  directeur,  vient  de  découvrir  un 
nouveau  ténor,  et  cette  fois  c'est  un  garçon  épicier,  qui  répond  par  sur- 
croit au  nom  peu  poétique  et  encore  moins  euphonique  de  Klomerkees. 
Le  phénomène  n'a  que  17  ans,  est,  paraît-il,  doué  d'une  voix  splendide, 
et  ne  manque  pas  d'intelligence.  Quand  il  sera  un  peu  dégrossi,  M.  Pol- 
lini le  fera  débuter.  On  compte  sur  un  succès  d'enthousiasme. 

—  Dans  la  petite  ville  de  Steyer,  ancienne  capitale  de  la  Styrie,  où 
Franz  Schubert  passa  quelques  années  de  sa  trop  courte  existence,  on  a 
inauguré  récemment,  par  les  soins  de  la  liederlafel,  un  buste  du  célèbre 
compositeur.  En  même  temps,  on  a  placé  une  plaque  commémorative  sur 
la  façade  de  la  maison  qu'il  a  habitée  en  cette  ville  de  1819  à  1825.  Cette 
maison  est  celle  qui  porte  le  numéro  16  de  la  place  du  Marché. 

—  Après  avoir  longtemps  vainement  lutté  contre  l'indifférence  du  public 
officiel  et  de  la  haute  société  de  Saint-Pétersbourg,  la  nouvelle  école 
nationale  russe  commence  à  prendre  pied  dans  la  capitale.  On  annonce 
que  l'Opéra  russe  donnera  cet  hiver  le  Prince  Igor,  de  feu  Borodine,  qui 
jusqu'ici  n'avait  pu  forcer  les  portes  du  théâtre.  En  décembre,  l'Opéra  russe 
donnera  aussi  un  nouvel  ouvrage  de  Tschaïkowsky,  la  Dame  de  pique.  Les 
frères  de  Reszké  et  Mme  Melba  sont  engagés  pour  une  série  de  représen- 
tations dans  le  répertoire  français,  Faust  et  Roméo.  A  Moscou,  au  théâtre 
russe,  on  prépare  le  Prophète  et  le  Don  Juan  de  Mozart.  La  nouveauté  de 
la  saison  sera  l'opéra  inédit  de  M.  Arensky,  un  Songe  sur  le  Volga.  La  sec- 
tion moscovite  de  la  Société  musicale  russe  annonce  douze  concerts  syni- 
phoniques,  qui  auront  lieu,  sous  la  direction  de  M.  Safonow,  du  20  octobre 
au  12  avril.  Le  prospectus  ne  dit  rien  sur  les  solistes  engagés,  mais  énu- 
mère  les  œuvres  musicales  qui  seront  exécutées  et  parmi  lesquelles  nous 
citerons  le  Requiem  de  Mozart,  l'Enfance  du  Christ  de  Berlioz,  trois  sympho- 
nies de  Beethoven  (n0!  i,  6  et  S),  les  symphonies  de  MM.  Rubinstein  (en 
la)  et  Tschaïkowsky  (en  fa  mineur),  la  nouvelle  ouverture  {Antoine  et  Clèo- 
pàtre)  de  M.  Rubinstein,  la  Tempête  de  M.  Tschaïkowsky,  la  Mer  de  M.  Glazou- 
now,  V  Ouverture  pascale  de  M.  Rimsky-Korsakow,  des  fragments  de  VArmide 
de  Gluck  et  du  Flibustier  de  M.  Cui,  etc.  A  Saint-Pétersbourg  enfin,  on 
annonce  trois  concerts  de  Mm0  Adelina  Patti.  La  célèbre  diva  se  fera  en- 
tendre dans  la  salle  de  l'Assemblée  de  la  noblesse,  et  elle  paraîtra  en  outre 
dans  trois  opéras,  avec  une  troupe  complète,  au  mois  de  janvier. 

—  Un  correspondant,  du  New-York  World  a  interviewé  Antoine  Rubins- 
tein pendant  son  récent  séjour  à  Badweiller,  et  il  publie  d'étranges  révé- 
lations sur  les  dispositions  d'esprit  du  célèbre  virtuose-compositeur.  Son 
humeur  se  serait  prodigieusement  assombrie  et  toute  sa  façon  de  vivre 
et  de  s'exprimer  reflète,  parait-il,  une  misanthropie  extrême.  Interrogé  au 
sujet  d'une  tournée  aux  États-Unis  qu'il  avait  autrefois  projeté  d'entre- 
prendre, Rubinstein  a  déclaré  qu'il  ne  retournerait  pas  aux  Etats-Unis  et 
certainement  pas  en  1893.  «  D'ailleurs,  ajouta-t-il,  j'espère  bien  mourir 
d'ici-là.  Le  temps  qu'il  me  reste  à  vivre,  je  veux  le  passer  à  Saint-Péters- 
bourg, non  pas,  cependant,  comme  directeur  du  Conservatoire,  car  j'ai 
l'intention  d'abandonner  ce  poste  l'année  prochaine.  Je  ne  puis  plus  sup- 
porter ces  ennuyeux  examens.  »  Si  ces  propos  sont  authentiques,  il  faut 
hélas  !  considérer  l'illustre  auteur  de  Néron  comme  atteint  d'un  spleen 
incurable  ! 

—  Toujours  Gascons,  ces  Américains.  Voici  la  jolie  histoire  que  nous 
rapporte  un  de  leurs  journaux,  le  Progrès,  de  New- York  ;  «  Un  violon  de 
Crémone,  qui  porte  la  signature  de  Stradivarius  et  la  date  de  1790,  e  t 
possédé  à  Pensacola  par  un  de  nos  compatriotes,  M.  Gustave  Neri,  qui  l'a 


LE  MÉNESTREL 


327 


acheté  dans  une  vente  publique  pour  moins  de  2  dollars  (10  fr.).  Il  y  a 
quelques  mois,  dans  le  Texas,  on  lui  offrit  d'acheter  le  précieux  instru- 
ment pour  la  somme  de  2,770  dollars,  et,  bien  que  le  bénéfice  de  2,768  dol- 
lars sur  un  capital  de  /  dollar  TA  cents  ne  soit  pas  une  opération  à  dédai- 
gner, il  crut  cependant  devoir  refuser  cette  offre  séduisante.  Et  voilà 
comment  le  Stradivarius  est  resté  et  restera  peut-être  longtemps  encore 
dans  la  maison  Neri,  à  Pensacola.  »  Il  y  restera  sans  doute  longtemps, 
en  effet,  à  moins  qu'il  ne  se  rencontre  un  nouvel  imbécile  pour  offrir 
quelques  milliers  de  dollars  d'un  instrument  qui  n'est  probablement  qu'un 
simple  sabot,  et  qui,  en  tout  cas,  n'est  point  un  Stradivarius,  car  le 
célèbre  luthier  étant  passé  de  vie  à  trépas  en  1737  aurait  eu  de  la  peine  à 
signer  un  violon  en  1790,  cinquante-trois  ans  après  sa  mort  ! 

—  Une  importante  vente  d'autographes  musicaux  aura  lieu  demain, 
13  octobre,  à  Berlin.  La  pièce  la  plus  intéressante  de  la  collection  est  le 
manuscrit  de  la  célèbre  fugue  pour  quatuor,  op.  134,  de  Beethoven,  trans- 
crite pour  piano  à  quatre  mains,  de  la  main  même  du  maître.  L'existence 
de  ce  manuscrit  réfute  l'opinion  de  certains  musiciens  attribuant  à  Holm 
la  réduction  pour  piano  de  la  fugue  en  question. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

On  sait  que  la  Ville  de  Paris  ouvre  tous  les  deux  ans  un  concours 
pour  la  composition  d'une  grande  œuvre  symphonique  et  chorale,  destinée 
à  être  exécutée  dans  une  solennité  spécialement  organisée  à  cet  effet  par 
le  conseil  municipal.  C'est  cette  fondation,  due  à  l'initiative  du  regretté 
préfet  de  la  Seine,  F.  Herold,  qui  nous  a  valu  déjà  plusieurs  œuvres 
remarquables,  telles  que  le  Paradis  perdu  de  M.  Théodore  Dubois,  le  Tasse 
de  M.  Benjamin  Godard,  la  Tempête  de  M.  Alphonse  Duvernoy,  etc.  Ce  con- 
cours musical  est  toujours  précédé  d'un  concours  poétique,  dans  le  but  de 
fournir  un  livret  aux  compositeurs  qui  voudraient  se  présenter,  pour  le  cas 
où  ceux-ci  n'en  auraient  point  à  leur  disposition,  le  sujet  n'étant  d'ailleurs 
nullement  imposé.  C'est  ce  concours  préliminaire  qui,  n'ayant  donné  l'an- 
née passée  aucun  résultat,  vient  modifier  cette  année  les  conditions  de  l'é- 
preuve musicale.  Il  est,  pour  cette  fois,  supprimé  purement  et  simplement, 
et  les  compositeurs  écriront  leurs  partitions  sur  un  poème  à  leur  convenance, 
qu'ils  choisiront  eux-mêmes,  et  dont  le  sujet  devra  être  emprunté  à  l'his- 
toire, à  la  légende,  aux  grandes  œuvres  littéraires,  à  l'exclusion  des  sujets 
religieux  ou  rentrant  dans  le  genre  théâtral.  Les  autres  conditions  du  con- 
cours restent  d'ailleurs  exactement  les  mêmes  que  parle  passé,  c'est-à-dire 
que  chaque  partition  devra  être  accompagnée  d'une  réduction  pour  chant 
et  piano,  .que  l'artiste  dont  l'œuvre  sera  couronnée  recevra  un  prix  de 
10,000  francs,  et  que  cette  œuvre  sera  exécutée  dans  un  délai  de  sept 
mois  à  partir  du  jour  de  la  décision  du  jury,  aux  frais  et  par  les  soins 
de  la  Ville  de  Paris.  Le  jury  sera  ainsi  composé:  le  préfet  de  la  Seine, 
président;  l'inspecteur  en  chef  des  beaux-arts,  secrétaire;  huit  conseillers 
municipaux;  quatre  membres  désignés  parle  préfet;  enfin,  quatre  membres 
élus  par  les  concurrents.  Le  concours  est  ouvert  dès  aujourd'hui;  les  par- 
titions devront  être  prêtes  au  mois  de  février  1891.  Au  reste,  les  artistes 
désireux  de.  concourir  pourront  se  procurer  à  l'Hôtel  de  Ville  le  programme 
détaillé. 

—  Aujourd'hui,  dimanche,  à  l'Opéra,  représentation  à  prix  réduits  : 
Rigoletto  et  le  Rêve. 

—  A  l'Opéra-Comique,  cette  semaine,  excellente  reprise  de  Mignon,  avec 
Mme  Landouzy  dans  le  rôle  de  Philine.  Elle  y  a  obtenu  le  plus  grand  suc- 
cès :  cantatrice  charmante,  comédienne  fine  et  coquette.  M.  Lorrain  débu- 
tait également  ce  soir-là  par  le  rôle  de  Lothario  :  il  y  a  été  très  bien 
accueilli.  M.  Mouliérat  chantait  Wilhelm  et  M"0  Simonnet  Mignon. 
Becette  :  6,300  francs. 

—  Les  répétitions  d'orchestre  de  Samson  et  Dalila  ont  commencé  cette 
semaine  au  Théâtre-Lyrique,  sous  la  direction  de  M.  Gabriel  Marie. 

—  M"°e  Sigrid  Arnoldson  vient  d'arriver  à  Paris.  La  charmante  artiste 
suédoise  commencera,  le  1er  novembre,  sa  grande  tournée  artistique  à 
travers  la  Bussie,  l'Italie  et  l'Espagne.  Pendant  cette  tournée,  qui  durera 
huit  mois,  Mme  Arnoldson  chantera,  entre  autres  œuvres  françaises  :  Mignon, 
Lakmé,  Roméo  et  Juliette  et  Faust. 

—  Au  mariage  de  MUc  Jeannine  Dumas  avec  M.  d'Hauterive,  qu'on  a 
■célébré  cette  semaine  en  l'église  de  Marly,  il  y  a  eu  une  partie  musicale 
peu  ordinaire,  puisque  la  grande  Alboni  en  personne  y  a  chanté  l'Ave 
Maria.  Une  surprise  qu'elle  a  voulu  causer  à  tout  l'auditoire,  car  personne 
n'en  était  prévenu.  L'effet  a  été  prodigieux.  M.  Plançon  a  également 
chanté,  en  maitre  artiste,  le  Je  crois  en  Dieu  de  Polyeucte. 

—  Mercredi  dernier  a  été  célébré,  en  l'église  Saint-Germain-des-Prés, 
le  mariage  de  M.  Fournets,  de  l'Opéra-Comique,  avec  M"0  Vernaud,  ar- 
tiste peintre.  M.  Fournets  avait  pour  témoins  MM.  Ambroise  Thomas, 
directeur  du  Conservatoire,  et  Paravey,  directeur  de  1  Opéra-Comique. 
Tous  les  artistes  de  ce  théâtre  assistaient  à  la  cérémonie,  heureux  de 
donner  à  leur  camarade,  en  cette  circonstance,  un  témoignage  de  leur 
sympathie.  On  remarquait  également  dans  l'assistance  un  grand  nombre 
d'artistes  de  tous  les  théâtres.  Pendant  l'ollice,  MM.  Delmas  et  Clément, 
de  l'Opéra-Comique,  ont  chanté  plusieurs  morceaux  religieux. 

—  Une  fâcheuse  nouvelle  est  mise  en  cours,  concernant  l'excellent  pia- 
niste Paderewsky,  qui,  étant  en  villégiature  à  Amphyon,   chez   son   émi- 


nente  protectrice,  Mnlc  la  princesse  Brancovan,  aurait  été  victime  d'un 
accident  et  se  serait  cassé  la  jambe.  On  assure  que  le  brillant  virtuose 
devra  garder  le  lit  ot  rester  quarante  jours  étendu  avant  de  pouvoir 
quitter  la  villa  de  la  princesse  Brancovan. 

—  M.  Federico  Parisini,  l'infatigable  conservateur  de  la  bibliothèque 
du  Lycée  musical  de  Bologne,  mène  de  front  trois  publications  d'une 
grande  importance  et  d'un  vif  intérêt  :  le  Catalogue  de  cette  bibliothèque, 
qui  comprendra  trois  volumes  dont  le  premier  vient  d'être  terminé,  ainsi 
que  je  l'ai  annoncé  récemment;  la  Correspondance  inédile  du  célèbre  père 
Martini,  ouvrage  capital  au  point  de  vue  de  l'histoire  de  l'art,  qui  comp- 
tera aussi  trois  volumes,  dont  le  premier  a  paru  il  y  a  deux  ans  et  dont 
le  second  est  sous  presse;  enfin,  le  Catalogue  de  la  collection  d'autographes 
léguée  à  l'Académie  philharmonique  de  Bologne  par  le  docteur-abbé  Mas- 
seangelo  Masseangeli.  Cette  collection  d'autographes  de  musiciens,  formée 
par  un  érudit  en  la  matière,  est  particulièrement  précieuse,  surtout  en  ce 
qui  concerne  les  artistes  italiens,  à  l'histoire  desquels  elle  apporte  des 
éléments  nouveaux  et  non  sans  importance.  M.  Parisini  en  a  dressé  le 
Catalogo  par  lettre  alphabétique,  et  le  huitième  fascicule,  qui  vient  de 
paraître,  contient  la  plus  grande  partie  de  la  lettre  M,  de  Marcolini  à  Mon- 
ieverdi.  L'auteur  accompagne  chaque  nom  de  quelques  notes  biographiques 
et  il  a  le  soin,  lorsque  le  cas  se  présente,  d'indiquer  que  tel  nom  ou  telles 
œuvres  de  tel  artiste,  n'ont  pas  été  mentionnés  dans  la  Riographie  univer- 
selle des  musiciens  de  Fétis  ou  dans  le  supplément  important  que  j'en  ai 
publié.  Ce  recueil  intéressant  est  l'un  de  ceux  que  l'on  devra  consulter, 
dans  l'avenir,  pour  compléter  ou  rectifier  les  renseignements  relatifs  à 
certains  musiciens.  J'ajoute  que  l'édition,  due  à  la  librairie  des  frères 
Merlani,  à  Bologne,  est  très  élégante,  très  correcte  et  d'un  fort  bel  aspect. 

A.  P. 

—  Mme  Ed.  Colonne,  qui  est  de  retour  à  Paris,  reprendra  ses  cours  et 
leçons  de  chant  à  partir  du  15  octobre,  12,  rue  Le  Peletier. 

—  La  rentrée  des  élèves  de  l'école  d'orgue  de  M.  Gigout  s'est  faite  cette 
semaine.  M.  Gigout  s'est  adjoint,  comme  professeur  suppléant,  M.  Léon 
Boellmann,  l'excellent  organiste  du  grand  orgue  de  Saint-Vincent-de- 
Paul. 

—  Le  Cercle  des  Mathurins  a  repris  ces  jours  derniers  la  série  de  ses 
réunions  artistiques.  MM.  Jules  et  Jacques  Berny-Tarrides,  les  joyeux 
chansonniers,  Jules  Oudot  et  Xanroff,  le  baryton  Getty,  très  applaudi  dans 
l'air  du  Bal  manqué,  étaient  les  héros  de  cette  petite  fête  intime,  qui  s'est 
terminée  avec  une  comédie  de  M.  F.  Beissier,  le  Train  '12,  interprétée 
par  M1,e  Chassaing  et  M.  Gautier. 

—  Les  compositeurs  qui  ont  pris  part  au  concours  ouvert  par  la  Saint- 
Hubert  Vichyssoise  sont  prévenus  que  le  jugement  de  ce  concours  a  du  être 
reculé  au  mois  de  mai  prochain.  C'est  l'abondance  des  œuvres  envoyées, 
au  nombre  de  56,  qui  a  mis  le  jury  dans  l'impossibilité  de  terminer  son 
classement  pour  le  mois  de  septembre,  ainsi  qu'il  avait  été  annoncé,  et 
c'est  dans  l'intérêt  même  des  concurrents  que  le  résultat  du  concours  a 
dû  être  remis  à  la  saison  prochaine. 

—  On  annonce  la  publication  à  Beims,  par  les  soins  de  M.  G.  Ménesson, 
facteur  d'instruments  de  musique,  d'un  nouveau  journal  de  musique  pa- 
raissant sous  le  titre  de  Sainte-Cécile.  On  sait  qu'il  existe  déjà  en  province 
deux  feuilles  spéciales  :  l'une  à  Lille,  la  Semaine  musicale,  l'autre  à  Tou- 
louse, la  Musica  sacra,  dont  le  directeur  est  l'excellent  organiste  M.  Aloys 
Kunc. 

—  Une  jeune  cantatrice,  M"e  Bréjean,  récemment  sortie  du  Conserva- 
toire, où  elle  a  obtenu  cette  année  plusieurs  récompenses,  vient  de  débuter 
au  grand  théâtre  de  Bordeaux  avec  un  succès  éclatant.  Tous  les  journaux 
de  la  localité  constatent  l'ovation  qui  lui  a  été  faite  par  le  public  borde- 
lais dans  le  rôle  d'Inès  de  l'Africaine,  et  prédisent  le  plus  brillant  avenir 
à  la  jeune  et  sympathique  artiste. 

—  M.  Jules  Gogny,  un  jeune  ténor  d'avenir,  élève  de  Mmo  Marie  Bueff, 
vient  de  signer  un  engagement  avec  M.  Verdhurt,  directeur  du  Théâtre- 
Lyrique.  Lors  du  dernier  concert  de  Mmc  Bueff,  on  avait  déjà  fort  remar- 
qué le  jeune  chanteur. 

—  Gouas  et  leçons.  M.  Maton,  le  roi  des  accompagnateurs,  reprend  ses  cours  et 
ses  leçons  particulières,  chez  lui,  5,  rue  Nollet.  —  Les  cours  de  piano  élémentaire 
et  supérieur  de  M"°  Roger-Miclos  recommenceront  le  6  novembre,  62,  avenue  de 
Wagram.  —  M""  Jeany  Howe  et  Sarah  Bonheur  ont  repris  leurs  leçons,  24,  rue  de 
Vintim'lle,  et  ouvriront  un  cours  de  chant  d'ensemble,  une  fois  par  semaine,  à 
partir  du  mois  de  novembre.  —  La  réouverture  des  cours  de  piano  de  M""  Hen- 
riette Thuillier  a  eu  lieu  chez  elle,  24,  rue  Le  Peletier,  et  chez  M"1  des  Essarts- 
Boblet,  108,  rue  du  Bac—  Mm"  Laure  Brandin  a  repris  ses  leçons  de  piano,  3,  bou- 
levard Magenta.  —  Les  cours  de  M11"  Tribou,  33,  avenue  d'Antin,  ont  repris  le 
premier  lundi  d'octobre.  Professeurs  :  .chant,  M.  Heltich  ;  piano,  cours  supérieur, 
M.  Falkenberg;  cours  préparatoire,  M.  Falcke;  accompagnement,  M.  L.  Dancla; 
diction,  M.  de  Féraudy;  harmonie,  M.  Falkenberg;  solfège,  M"°  Papot,  professeur 
au  Conservatoire.  —  M""  Coevoet  ont  repris  leurs  cours  complets  d'éducation, 
36,  rue  du  Château -d'Eau.  Les  cours  de  piano  sont  dirigés  par  M""  Céline  Coevoet, 
premier  prix  du  Conservatoire.  —  Une  nouvelle  école  de  musique  et  de  déclama- 
tion vient  de  se  fonder,  4,  rue  Charras,  à  Paris,  ayant  à  sa  tête  pour  la  partie  artis- 
tique un  comilé  composé  de  :  MM.  Edouard  Chavagnat,  compositeur,  président; 
Alfred  Rabuteau,  prix  de  Rome,  vice-président;  Sady-Pety,  de  l'Odéon,  secrétaire; 
B.  Genevois,  du  Théâtre-Italien,  trésorier  ;  Goût,  de  l'Opéra;  A.  de  Vroye.  Cette 
école  donnera  des  auditions  d'élèves  tous  les  quinze  jours,  et  organisera  chaque 


328 


LE  MÉNESTREL 


innée  des  concours  publics  jugés  par  nos  notabilités  artistiques.-  Les  cours  de 
piano  et  leçons  particulières  de  M"  J.  Godchau-Hulman  recommenceront  à  partir 
du  18  octobre  chez  elle,  14,  avenue  de  Wagram.  -  M"  Mackenzie,  la  piamsle 
autrefois  si  applaudie, reprend  ses  cours  de  piano  et  de  chant  à  son  domicile,  8,  rue 
Pierre-Legrand.  —  M1"  L.  Cazelar  a  repris  ses  cours  de  musique  et  ses  leçons  par- 
ticulières. S'inscrire  235,  rue  du  Faubourg-Saint-Honorë.  -  M"  Rosine  Laborde, 
l'éminent  professeur  de  chant,  reprendra  ses  cours  et  ses  leçons  particulières  à 
partir  du  15  octobre,  chez  elle,  60,  rue  de  Ponthieu. 

NÉCROLOGIE 

Nous  avons  le  regret  d'avoir  à  annoncer  la  mort  de  Brasseur,  qui  fut 
un  artiste  comique  de  grand  talent.  On  se  rappelle  les  innombrables 
créations  drolatiques  qu'il  fit  au  Palais-Royal.  Depuis  longtemps  il  s'était 
consacré  à  la  direction  du  théâtre  des  Nouveautés,  ce  qui  ne  l'empêchait 
pas  de  reparaître  sur  la  scène,  dès  qu'il  en  trouvait  le  loisir.  Brasseur 
meurt  victime  d'une  imprudence,  d'avoir  bu,  comme  le  pauvre  Berthelier, 
des  boissons  trop  glacées  après  de  trop  fortes  chaleurs.  Une  foule  sympa- 
thique se  pressait  à  son  enterrement,  qui  a  eu  lieu  dans  la  petite  église  de 
Maisons-Laffîtte. 


—  M.  Talazac,  l'excellent  ténor,  vient  d'avoir  la  douleur  de  perdre  son 
père,  qui  habitait  Bordeaux,  où  il  est  mort  dans  les  premiers  jours  de  ce 
mois.  Les  obsèques  de  M.  Talazac  père  ont  eu  lieu  samedi  dernier,  dans 
l'église  Saint-Ferdinand,  en  présence  d'une  foule  considérable. 

Henri  Hedgel.  directeur-gét  ani. 
DURAND  et  SCHOENEWERK,  4,  place  de  la  Madeleine,  Paris. 


TRAITÉ  PRATIQUE 

D'IIffSTRinVIENTATIOBir 

PAR 

emiivjest  ai  ta  tin 

Professeur  de  Composition  au  Conservatoire  National  de  Musique  et  de  Déclamation. 


Cet  ouvrage  contient  90  exemples  des  grands  maîtres 

:  modernes  de   toutes  les  écoles  et  de  tous  les  pays. 


PRIX  NET  :    6  FRANCS 


Pour  paraître  très  prochaiEement,  au  Ménestrel,  2  *«,  rue  Vivienne,  Henri  HEUGEL,  éditeur-propriétaire. 


LA  CHANSON  DES  JOUJOUX 


Poésies  de  Jules  JOUY. 


Musique  de  Cl.  BLANC  et  L.  DAUPHIN. 


Petit  Noël,  cantique. 

Le  Premier  Joujou,  berceuse. 

Les  Petits  Ménages,  ronde. 

Les  Poupées,  berceuse. 

Les  Ballons  ronges,  ronde. 

Les  Sabots  et  les  Toupies,  menuet-valse. 

Le  Petit  Chemin  de  fer,  ronde. 

Les  Soldats  de  plomb,  marche. 

Les  Petits  Jardiniers,  idylle-valse. 

Le  Cerf-Volant,  ronde  à  2  voix. 


11.  La  Tour-Eiffel,  complainte. 

12.  Les  Pantins,  ronde. 

13.  Les  Chevaux  de  bois,  galop. 

14.  La  Bergerie,  pastorale. 

15.  Les  Volants,  triolets. 

16.  Les  Petite    Cuisines,  rondo. 
17  Les  Poupards,  chanson. 

18.  Les  Petits  Lapins,  chansonnette. 

19.  Les  Polichinelles,  chansonnette. 

20.  Les  Balles,  romance. 


N°s  21.  Le  Jeu  de  Patience,  chansonnette. 

22.  Les  Soldats  de  bois,  ronde. 

23.  Les  Petits  Navires,  barcarolle. 

24.  La  Boutique  à  treize,  boniment. 

25.  Les  Petits  Chasseurs,  chasse. 

26.  La  Lanterne  magique,  ronde. 

27.  Les  Fusils  de  bois,  romance. 

28.  Les  Crécelles,  farandole. 

29.  Le  Petit  Orchestre,  menuet. 

30.  Le  Dernier  Joujou,  marche-retraite. 


Chaque  numéro,  avec  accompagnement  de  piano,  couverture  en  couleurs  de  CHÉRET,  net  :  60  centimes. 
Les  trente  numéros  réunis  en  un  recueil,  couverture  en  couleurs  de  CHERET,  net  :  7  francs. 


VINGT    NUMÉROS    CHOISIS 

Édition  de  luxe,  avec  vingt  compositions  hors  texte  et  cinquante  dessins  dans  le  texte,  couverture,  titre  et  table  en  couleurs  par  Adrien  MARIE, 
un  beau  volume,  format  soleil,  cartonné,  net  :  10  francs  (accompagnement  pour  la  seule  main  gauche). 

"mélodies  populaires 


PROVINCES  DE  FRANCE 


ire  Série 

Prix 

Le  Mois  de  Mai 5  fr. 

Chant  de  quête  de  la  Champagne. 
La  Chanson  des  Métamorphoses 5    » 

Version  du  Morvan. 
Celui  que  mon  cœur  aime  tant 2  50 

Chanson  de  l'Angoumois. 
Le  Pauvre  Laboureur 5    » 

Chanson  de  la  Bresse. 
La  Pernette 3    » 

Version  de  la  Franche-Comté. 
Briolage  . 2  50 

Chant  du  laboureur  berrichon. 
La  Bergère  et  le  Monsieur 2  50 

Chanson  dialoguée.  Version  d'Auvergne. 
Le  Bossignol  Messager 4    » 

Version  bressane. 
En  passant  par  la  Lorraine 5    » 

Version  du  pays  messin. 
Le  Chant  des  livrées 5    » 

Chanson  de  noces  du  Berrv. 


2  e  Série 


11.  La  Mort  du  Roi  Renaud 

Version  de  la  Normandie. 

12.  C'est  le  vent  frivolant 

Ronde  française  du  Canada. 

13.  Le  Retour  du  Marin 

Version  poitevine. 

14.  Voilà  six  mois  qu' c'était  le  printemps  .... 

Version  bourguignonne. 

15.  Là-haut  sur  la  montagne 

Pastourelle.  Version  de  l'Alsace. 

16.  Le  Joli  Tambour 

Version  de  la  haute  Bretagne. 

17.  Rossignolet  du  Bois  joli 

Chanson  populaire  de  la  Bresse. 

18.  Les  Répliques  de  Marion 

Chanson  dialoguée.  Version  du  Berry. 

19.  La  Mort  du  Mari 

Version  normande. 

20.  Rondes  bretonnes 

Haute  Bretagne. 


Prix 
5     » 

4    » 
2  50 


5  » 
3  » 
2  50 
2  50 

5     » 


RECUEILLIES  ET  HARMONISÉES  PAR  JULIEN  TIERSOT 

Chaque  série  de  10  N"  en  un  recueil  in-8',  Prix  net  :  5  Jr.  —  Les  2  Séries  réunies  en  un  recueil  in-8",  Prix  net  :  8  fr. 

Nota.  —  Les  chansons  nod  i,  g,   io,   12  et  20  sont,  en  partie,  avec  choeur  à  l'unisson.  —  Il  existe  deux  éditions  de  la  chanson  n° 
En  passant  par  la  Lorraine  :  une  avec  chœur  (n°  9)  et  l'autre  pour  voix  seule  (n°  9  bis). 


'MPIUULIUK  (t.M«Ai,L  DES 


DE  FEB.  —  IMFHinEHlE  CUA1I.  —  HUE  1 


e,  20, 


3107  —  56me  ANNEE  —  N°  42.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES  Dimanche  19  Octobre  1890. 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


1.  Notes  d'un  librettiste  :  Louis  Laeombe  (23"  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Semaine 
théâtrale:  Reprise  de  Sigurd,  à  l'Opéra,  Arthur  Pougln;  première  représentation 
de  tes  Femmes  des  amis,  au  Palais-Royal,  Paul-Émile  Chevalier.  —  III.  Un 
virtuose  couronné  (h'  article),  Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée.  —  IV.  Nou- 
velles diverses. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

LE    MOIS    DE    MAI 

chant  de  quête  de  la  Champagne,  n°  1  des  Mélodies  populaires  de  France, 
recueillies  et  harmonisées  par  Julien  Tiersot.  —  Suivra  immédiatement: 
Celui  que  mon  cœur  aime  tant,  chanson  de  l'Angoumois,  n°  3  des  Mélodies 
populaires  de  France,  recueillies  et  harmonisées  par  Julien  Tiersot. 

PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano:  Allegretto  pastoral,  de  Théodore  Lack.  —  Suivra  immédiatement: 
Légende  slave,  de  L.-A.  Bourgault-Ducoudraï. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


LOUIS   LACOMBE 


Louis  Laeombe  me  fit  d'abord  une  sorte  de  préface  en 
•forme  de  profession  de  foi.  Ses  paroles  avaient  quelque 
amertume  ;  elles  étaient  d'un  blessé  de  la  vie  ;  il  avait 
'beaucoup  rêvé,  beaucoup  travaillé,  beaucoup  espéré,  beau- 
coup souffert.  —  A  ses  convictions  fermement,  franchement 
républicaines,  .il  attribuait  une  part  des  difficultés  de  sa 
laborieuse  carrière.  —  Bien  des  gens,  pensait-il,  ne  lui 
pardonnaient  pas  ces  opinions;  pour  d'autres,  elles  avaient 
été,  surtout  durant  l'Empire,  un  empêchement  à  le  servir; 
—  mais  il  regardait  encore  vers  l'avenir  avec  un  grand  cou- 
rage et  une  sereine  conviction.  —  Le  Centenaire  de  la 
Révolution  de  1789  était  relativement  proche  !  Déjà  les 
esprits  s'émouvaient,  se  tenaient  en  éveil  :  déjà  on  pouvait 
songer  aux  oeuvres  destinées  à  célébrer  cette  grande  date. 

Lui  avait  conçu  l'idée  d'une  symphonie  ayant  pour  titre  : 
la  Révolution  française.  C'était  cet  ouvrage  qu'il  venait  me 
demander. 

Nous  causâmes  longtemps  de  ce  sujet,  échangeant  des 
idées  sur  sa  forme,  sur  son  caractère,  sur  ses  divisions.  — 
Je  le  concevais  simple,  largement  ordonné,  je  me  représen- 
tais chaque  partie  précédée  d'un  récit  déclamé  en  forme 
d'argument  préliminaire.  — ■  Lui,  au  contraire,  à  mesure 
qu'il  parlait,  entrait  plus  avant  dans  le  détail,  me  laissait 
apercevoir    des  profondeurs    et    des    complications    dont   je 


n'avais  pas  eu  tout  d'abord  le  soupçon.  —  J'hésitais;  je  ne 
voulais  pas,  en  ce  premier  entretien,  le  rebuter.  —  Il  fut 
convenu  qu'il  m'enverrait  par  écrit  l'exposé  complet  de  ses 
idées,  —  dont  la  formule,  suivant  lui,  devait  rester  absolu- 
ment lyrique. 

C'est  dans  les  lettres  de  Louis  Laeombe  que  je  retrouve 
l'historique  de  ce  projet  qui,  finalement,  devait  ne  pas  abou- 
tir. Elles  sont  d'un  artiste  convaincu  et  d'un  esprit  plein 
d'équité,  d'élévation,  de  droiture  et  d'illusions. 

La  première  est  datée  de  Saint-Vaast-la-Hougue  (Manche), 
le  22  juillet  1881. 

Il  m'envoyait  ce  programme,  dont  un  premier  entretien 
m'avait  permis  de  mesurer  l'importance  et  dont  la  lecture, 
tout  en  m'intéressant  très  fort,  devait  accentuer  mes  inquié- 
tudes sur  la  possibilité  de  sa  réalisation  : 

«  Voici  les  notes  dont  je  vous  ai  parlé.  Elles  suffiront,  je 
pense,  pour  vous  indiquer  les  lignes  principales  de  l'œuvre 
à  laquelle  vous  voulez  bien  collaborer.  Si  elles  ne  vous  suffi- 
saient pas,  vous  auriez  l'obligeance  de  me  le  dire  et  je  leur 
donnerais  un  plus  grand  développement. 

»  L'exécution  d'une  symphonie  de  cette  nature  ne  pourrait 
guère  avoir  lieu  que  dans  un  vaste  local,  au  palais  de  l'In- 
dustrie, par  exemple;  on  réunirait  là,  comme  on  l'a  déjà 
fait,  un  nombre  considérable  de  chanteurs,  un  orchestre 
ordinaire  et,  dans  quelques  passages,  une  musique  militaire. 
Il  serait  même  possible,  je  crois,  d'appeler  à  Paris,  à  cette 
occasion,  les  principaux  orphéons  de  France.  Ce  serait  une 
excellente  chose,  surtout  si  le  dernier  morceau,  le  Chœur  des 
peuples,  était  assez  beau  pour  devenir  populaire  et  remplacer 
un  jour  notre  magnifique  chant  national  qui,  il  faut  en 
convenir,  est  actuellement  en  opposition  manifeste  avec  nos 
idées.  Nous  ne  demandons  plus  «  qu'un  sang  impur  abreuve 
nos  sillons  »;  nous  demandons,  au  contraire,  à  les  féconder 
par  d'autres  moyens. 

»  Je  vais  commencer  par  réclamer  de  vous  un  sacrifice, 
monsieur,  en  vous  priant  de  renoncer  au  projet  que  vous 
aviez  formé  d'introduire  la  déclamation  dans  cette  sym- 
phonie. Si  vous  consentez  à  m'accorder  ce  point,  je  vous  en 
serai  vraiment  reconnaissant  et  le  reste  ira  tout  seul. 

»  Me  sera-t-il  permis,  en  terminant,  de  vous  exprimer  un 
désir?  Je  voudrais  que  cette  formidable  épopée,  la  Révolution 
française,  reprit  vie  sous  votre  plume,  sans  qu'aucune  récrimi- 
nation contre  tel  ou  tel  parti  en  vint  diminuer  la  grandeur. 
Les  partis,  quels  qu'ils  soient,  ont  l'esprit  étroit;  il  est  bon 
de  planer  au-dessus  d'eux. 

»  Un  mot  encore. 

i>  Puisque  nous  introduisons  dans  notre  ouvrage  le  Génie 
de  l'Humanité,  la  France,   l'Histoire,  ne  pourrions-nous  y  intro- 


330 


LE  MENESTREL 


duire  aussi,  lors  de  la  vision  du  poète  (Sainte-Hélène),  les 
génies  de  la  mer,  quelque  chose  comme  les  Océanides  de 
Prométhée?  Peut-être  y  aurait-il  un  effet  puissant  dans  cette 
fiction  ?  Rêvez-y.  » 

Puis,  quelques  jours  plus  tard,  comme  certaines  choses 
que  je  lui  avais  dites  tout  d'abord  le  préoccupaient,  il 
m'écrivait  : 

«  Lors  de  notre  première  entrevue  vous  m'avez  paru 
craindre,  pour  la  musique,  les  pensées  philosophiques.  Ne 
les  redoutez  pas  :  lorsqu'elles  sont  lyriques,  élevées,  elles 
conviennent  fort  bien  à  notre  art.  Preuves  :  j'ai  composé 
des  lieder  sur  les  poèmes  de  Victor  Hugo  :  Mlors,  le  Pont, 
Dante,  Jean,  etc.  Beethoven  n'a-t-il  pas  écrit  sa  magnifique 
Symphonie  avec  chœur  sur  l'ode  An  die  Freude,  de  Schiller? 

»  S'il  s'agissait  du  genre  de  philosophie  propre  à  ce  vers  : 
Pour  réparer  des  ans  l'irréparable  outrage,  il  est  clair  que  cela 
n'inspirerait  pas  beaucoup  de  musiciens.  Et  cependant,  je  l'ai 
mis  en  musique  avec  le  songe  d'Athalie,  ce  terrible  vers  ! 
mais,  c'est  là  un  tour  de  force  que  je  ne  recommencerais  pas, 
je  l'avoue. 

«  Sérieusement,  ce  que  vous  ferez  sera  bien  fait,  cher  mon- 
sieur, j'ai  la  plus  entière  confiance  en  vous  et  je  donnerai  la 
plus  scrupuleuse  attention  aux  modifications  que  vous  juge- 
riez bon  de  me  proposer  dans  l'intérêt  de  notre  œuvre.  En  y 
travaillant,  j'écrirai  peut-être  mon  testament  musical,  et  je 
voudrais  laisser  à  notre  chère  France  une  partition  digne  du 
sujet  sublime  que  nous  allons  traiter.  Ce  seul  mot  vous  fera 
comprendre  quel  prix  j'attache  à  la  production  de  cet  ouvrage 
et  quel  espoir  j'ai  mis  en  vous.   » 

Toujours  soucieux  de  tout  ce  qui  devait  concourir  à  la  par- 
faite exécution  du  travail,  il  ajoutait  en  post-scriptum  des 
explications  minutieuses  touchant  le  caractère  prosodique 
de  l'œuvre. 

«  Dans  les  morceaux  qui  exigent  du  mouvement  les  vers 
de  sept  syllabes  me  conviennent  fort;  ceux  de  dix  syllabes 
avec  la  césure  après  la  quatrième,  produisent  un  excellent 
effet  dans  les  passages  grandioses;  les  petits  vers  rapides 
aident  aussi  le  musicien;  les  alexandrins  plaisent  au  récita- 
tif, surtout  lorsqu'ils  sont  coupés,  mouvementés  comme  ceux 
de  Hugo;  enfin,  les  vers  libres  vont  parfaitement  aux  récits 
tandis  que  le  chant,  en  général,  veut  des  strophes  régulières. 
Vous  savez  tout  cela  aussi  bien  que  moi,  cher  monsieur  et 
je  n'ajouterai  qu'un  mot  :  ne  craignez  pas  de  vous  étendre 
un  peu  dans  les  morceaux  de  longue  haleine,  afin  d'éviter 
le  plus  possible  la  répétition  des  paroles,  ce  que  je  déteste.  » 


M'étendre!  c'était  bien  précisément  là  ce  que  je  redoutais! 

La  conception  de  Louis  Lacombe,  trop  vaste  même  s'il  se 
fût  agi  de  quelque  drame  lyrique,  de  quelque  opéra  en  cinq 
actes,  m'épouvantait  bien  davantage  encore  appliquée  à  une 
simple  symphonie,  surtout  à  une  symphonie  destinée  à  des 
centaines  d'exécutants. 

Lui,  voyait  toute  la  France  chorale  accourant  à  son  appel, 
le  Palais  de  l'Industrie  ouvert  à  ses  bataillons  pressés  d'ins- 
trumentistes et  de  chanteurs,  et  la  symphonie  se  développant 
durant  des  heures  ! 

De  la  difficulté  d'une  exécution  convenable  dans  de  telles 
conditions,  de  la  patience  du  public,  il  ne  se  souciait  en 
aucune  sorte.  En  sa  foi  naïve,  il  s'imaginait  que  cette  célé- 
bration du  glorieux  centenaire  lui  serait  permise  telle  qu'il 
la  rêvait,  qu'il  lui  serait  donné  de  «  faire  grand  »  sans  que 
quelqu'un  s'avisât  de  trouver  impertinemment  qu'il  avait 
fait  long. 

Et  sur  le  tronc  primitif  du  projet  déjà  si  lourd,  venaient  se 
greffer,  de  jour  en  jour,  de  nouveaux  épisodes  qui,  bien 
vivants  par  eux-mêmes,  devenaient  mortels  à  l'œuvre'. 

Aux  grandes  apparitions  allégoriques,  aux  chants  victorieux 
des  peuples  secouant  l'antique  joug,  se  mêlaient  les  douceurs 
de  l'idylle,  les  éclats  de  la  joie  populaire!  Les  souvenirs  des 


scènes  qui  suivirent  la  prise  de  la  Bastille,  les  gens  du  fau- 
bourg Saint-Antoine  dansant  sur  les  ruines  de  la  forteresse 
traversaient,  par  exemple,  son  cerveau  toujours  bouillantîjVite, 
il  prenait  la  plume,  pour  me  faire  part  de  sa  trouvaille  : 

«■  Voici  un  tableau  tout  à  fait  populaire.  Il  fallait  jeter 
une  note  gaie  au  milieu  de  ces  événements  graves,  magni- 
fiques ou  lugubres.  L'histoire  fournissait  ces  quatre  mots  : 
(s.  Ici  Von  danse  » .  J'en  rends  grâce  au  ciel  et  j'en  profite. 

<t  Je  vous  remercie  de  votre  petit  mot;  il  me  prouve  que 
nous  allons  travailler  du  même  cœur  à  la  glorification  du 
plus  grand  événement  de  notre  temps  et  peut-être  de  tous  les 
temps.    » 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE  THEATRALE 


REPRISE  DE  SIGURD  A  L'OPÉRA,  EN  ÉDITION  PRINCEPS 

La  semaine  a  été  bonne  pour  l'Opéra,  et  de  plus  elle  a  revêtu  un 
véritable  caractère  artistique  :  le  fait  n'est  pas  de  nature  tellement 
ordinaire  qu'on  ne  s'en  puisse  réjouir,  et  pour  le  théâtre  où  il  s'est 
produit  et  pour  le  public  qui  en  a  été  le  témoin.  Nous  avons  vu 
reparaître  enfin  l'un  des  plus  beaux  ouvrages  que  ces  dernières 
années  ont  vus  éclore,  et  avec  lui  sa  plus  merveilleuse  interprète, 
cette  admirable  artiste  qui  a  nom  Rose  Garon  et  qui  est  bien  l'uni- 
que cantatrice  dramatique  que  nous  ayons  connue  en  France  de- 
puis la  disparition  de  Mmes  Gabrielle  Krauss  et  Fidès  Devriès.  Les 
choses,  il  est  vrai,  ne  se  sont  pas  faites  toutes  seules,  et  il  nous  a 
fallu  batailler  longtemps  dans  la  presse  pour  obliger  l'administra- 
tion de  notre  grande  scène  lyrique  à  se  souvenir  qu'il  existait 
encore  quelque  part  un  opéra  intitulé  Sigurd  et  une  chanteuse 
nommée  Rose  Caron,  tous  deux  exilés,  on  ne  sait  pourquoi,  du  lieu 
où  pourtant  l'un  et  l'autre  avaient  remporté  un  si  vif  et  si  éclatant 
succès.  Enfin,  tout  est  bien  qui  finit  bien,  et  voici  qu'aujourd'hui  Sigurd 
nous  est  rendu,  en  même  temps  que  son  émouvante  et  pathétique 
Brunehild. 

Il  y  a  plus  :  on  nous  a  donné  un  Sigurd  nouveau,  c'est-à-dire  un 
Sigurd  intact,  complet,  sans  mutilations  ni  coupures,  tel  que  nous 
l'avions  entendu  naguère  à  Bruxelles,  et  tel  que  le  public  parisien 
ne  le  connaissait  pas  encore.  Si  l'ouverture,  cette  page  si  chevale- 
resque et  si  colorée  qui  sert  de  digne  frontispice  à  l'œuvre,  nous 
était  familière,  ce  n'est  point  par  l'Opéra,  où  l'on  avait  jugé  inutile 
de  l'exécuter,  mais  par  nos  concerts  symphoniques,  où  le  regretté 
Pasdeloup  nous  l'avait  le  premier  révélée  ;  puis  on  avait  retranché 
un  fort  bel  air  de  Brunehild  au  quatrième  acte,  on  avait  outrageu- 
sement mutilé,  à  ce  même  acte,  le  duo  des  deux  femmes,  et  enfin 
on  avait  estropié  de-ci  de-là  divers  morceaux,  à  l'aide  de  coupures 
aussi  sottes  que  maladroites.  Je  ne  dis  pas  que  quelques  suppres- 
sions, quelques  sacrifices  nécessaires  ne  seraient  pas  à  faire,  à  son 
avantage  même,  dans  cette  partition  si  touffue,  dont  l'exécution  ii  té- 
grale  ne  dure  pas  moins  de  quatre  heures  et  demie,  et  je  crois  que 
Reyer  serait  bien  inspiré  en  s'y  résignant  de  bonne  grâce.  Mais  du 
moins  que  ces  suppressions  soient  faites  non  seulement  de  son 
aveu,  mais  par  lui-même  et  avec  la  pleine  intelligence  de  l'œuvre. 
C'est  le  moins  que  l'on  puisse  demander. 

En  entendant  Sigurd,  je  pense  toujours  involontairement  à  Iphigé- 
nie  en  Tauride,  à  Fernand  Cortez,  à  Obéron  et  aux  Troyens.  On  retrouve 
là  le  caractère  héroïque,  chevaleresque,  plein  de  flamme  et  de  gran- 
deur, qui  distingue  ces  quatre  chefs-d'œuvre,  et  cette  noblesse 
d'accent,  cet  éclat  en  quelque  sorte  métallique  qui  font  frissonner 
l'auditeur  et  l'impressionnent  d'une  façon  si  vive  et  si  profonde.  Je 
me  garderai  bien  de  dire  que  Reyer  imite  Gluck  ou  Spontini,Weberou 
Berlioz,  car  rien  n'est  plus  loin  de  ma  pensée,  et  rien  d'ailleurs  ne 
serait  moins  exact;  mais  il  les  a  si  bien  étudiés,  il  s'est  à  ce  point 
imprégné  de  leur  génie  qu'en  restant  lui-même  et  en  conservant 
sa  personalité  il  leur  a,  à  force  de  le  chercher,  dérobé  le  secret  de 
leur  audace  heureuse,  de  leur  ampleur  superbe  et  de  leur  mâle  élo- 
quence. Je  ne  crois  pas  qu'un  seul  de  nos  musiciens  actuels  ait  ce  sen- 
timent de  la  grandeur  épique  qui  anime  toute  la  partition  de  Sigurd 
et  qui  lui  donne,  avec  le  parfum  do  la  plus  haute  poésie,  une  teinte 
si  chaude,  un  accent  si  hardi  et  une  puisfance  parfois  si  farouche. 
L'œuvre  est  remarquable  à  la  fois  par  son  unité  et  sa  sincérité.  On 
y  sent,  non  seulement  que  l'auteur  n'a  rien  laissé  au  hasard,  non 
seulement  qu'il  y  a  fait  ce  qu'il  voulait  faire,  mais  encore,  qu'après 
s'être  tracé  le  chemin  qu'il  prétendait  parcourir,il  ne  s'est  pas  permis 


LE  MENESTREL 


334 


de  s'en  écarter  un  seul  instant,  et  qu'il  a  été  droit  au  but  sans  se 
soucier  des  avis,  des  conseils  ou  des  indications  de  tels  ou  tels  qui 
eussent  voulu  l'entraÎDer  dans  des  sentiers  qu'il  se  refusait  à  suivre. 
C'est,  en  un  mot,  l'œuvre  d'un  artiste  convaincu,  honnête,  œuvre 
conçue  sans  faiblesses,  écrite  sans  tergiversations,  et  qui  donne 
vraiment  la  caractéristique  exacte  du  génie  qui  l'a  enfantée.  On 
peut  lui  faire,  et  je  lui  ferai,  pour  ma  pari,  quelques  reproches  ; 
mais  ces  reproches  porteront  sur  des  points  de  détail,  secondaires 
en  quelque  sorte,  et  qui  ne  touchent  ni  à  son  ensemble,  ni  à  sa 
portée  générale.  Je  ne  parle  pas  de  l'emploi  des  leitmotive,  que  j'ai 
toujours  considéré,  du  moment  qu'on  en  fait  un  principe,  comme 
une  puérilité  et  un  simple  jeu  d'esprit  musical  parfaitement  inutile, 
n'en  déplaise  à  l'ombre  de  "Wagner  et  à  ses  thuriféraires.  Mais  je 
trouve,  et  je  l'ai  déjà  dit,  que  la  partition  est  un  peu  touffue  et  de- 
manderait à  être  allégée,  éclairée  par  instants  ;  je  trouve  que  l'ins- 
trumentation est  parfois  excessive,  et  que  sa  sonorité|constamment 
stridente  gagnerait  à  être  calmée,  apaisée  en  certains  endroits  ;  je 
trouve  que  le  rôle  de  Sigurd  est  écrit  d'une  façon  quelque  peu  iné- 
gale au  point  de  vue  du  diapason,  et  que  certaines  notes,  trop  graves 
pour  le  ténor,  ne  sortent  pas  comme  il  faudrait  et  forment  un  con- 
traste trop  vif  avec  les  phrases  si  éclatantes  et  si  claires  qui  constituent 
son  caractère  vocal  ;  je  trouve  que  la  chanson  de  Hagen,  au  troisième 
acte,  affecte  une  sorte  de  vulgarité  d'autant  plus  fâcheuse  que  son 
importance  scénique  est  très  considérable.  Mais  ces  défauts  secon- 
daires sont  rachetés  par  tant  et  de  si  nobles  qualités,  par  un  ensem- 
ble si  magistral,  qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  s'y  appesantir  et  qu'on  peut 
facilement  passer  condamnation  en  ce  qui  les  concerne.  Cette  belle 
et  sereine  partition  de  Sigurd  n'en  reste  pas  moins  une  œuvre  hors 
de  pair,  heureusement  et  richement  inspirée,  une  œuvre  mâle  et 
pleine  de  fierté,  sincère,  puissante,  vraiment  française,  et  qui  fait 
le  plus  grand  honneur  à  l'artiste  qui  l'a  signée  de  son  nom. 

Mais  il  est  temps,  après  en  avoir  rappelé  la  haute  valeur,  de  par- 
ler de  ses  interprètes.  Nous  retrouvons  cette  fois,  parmi  ceux-ci, 
trois  des  principaux  créateurs  de  Sigurd  à  Bruxelles  et  à  Paris  : 
Mmes  Caron  et  Bosnian  dans  les  rôles  de  Brunehild  et  d'Hilda,  et 
M.  Gresse  dans  celui  de  Hagen.  M.  Sellier,  qui  avait  personnifié 
Sigurd  à  l'Opéra,  est  remplacé  aujourd'hui  par  M.  Duc,  tandis  que 
M.  Berardi,  qui  jouait  alors  le  grand  prêtre,  succède  à  M.  Lassalle 
dans  le  rôle  de  Gunther,  et  est  lui-même  remplacé  par  M.  Marta- 
poura.  Enfin,  c'est  MUe  Domeneeh  qui  supplée  MIle  Richard  dans  le 
personnage  d'Ota. 

C'est  avecune  véritable  joie  que  le  public  attendait  le  retour  de 
Mme  Caron,  qu'on  l'avait  depuis  si  longtemps  privé  d'applaudir,  et 
c'est  avec  un  véritable  enthousiasme  qu'il  l'a  accueillie,  enthousiasme, 
i'ai  hâte  de  le  dire,  que  justifiait  pleinement  l'incomparable  talent 
déployé  par  l'artiste.  Dès  qu'on  l'a  vue,  au  deuxième  acte,  descendre 
du  lit  où  la  "Valkyrie  vient  de  dormir  son  long  sommeil,  les  applau- 
dissements ont  éclaté,  vigoureux  et  nourris,  pour  saluer  sa  réappa- 
rition, et  ces  applaudissements  l'ont  suivie  tout  le  long  de  ce  rôle 
si  étrange,  si  passionné,  si  dramatique,  dans  lequel  elle  semble 
s'être  incarnée  d'une  façon  vraiment  saisissante.  La  noblesse  de  sa 
démarche,  la  fierté  de  ses  attitudes,  le  feu  qui  jaillit  de  ses  yeux, 
la  passion  qui  couve  sous  son  regard,  font  d'elle,  plastiquement,  la 
réalisation  parfaite  de  ce  type  de  déesse  ardemment  éprise  d'un 
héros  mortel.  Scéniquement,  vocalement,  artistiquement,  elle  n'at- 
teint pas  moins  l'idéal  de  la  perfection  rêvée.  Telle  nous  l'avions 
vue  et  entendue  naguère,  telle  nous  la  retrouvions  l'autre  soir,  su- 
périeure encore  à  elle-même  s'il  est  possible,  cantatrice  au  goût  sûr, 
à  l'étonnante  sobriété,  à  l'accent  pathétique  et  vibrant,  tragédienne 
lyrique  d'une  incomparable  grandeur,  ne  visant  jamais  à  l'effet,  et 
atteignant  les  plus  hauts  sommets  de  l'art  à  force  de  simplicité,  de 
naturel  et  de  puissance  expressive.  La  pureté  de  la  diction,  la  net- 
teté d'une  articulation  superbe  décuplent  chez  elle  les  moyens  d'ac- 
tion qu'un  artiste  possède  sur  le  public,  et  son  rare  sentiment 
musical  vient  compléter  l'ensemble  des  qualités  qui  forment  le  fond 
de  son  talent  merveilleux.  Toute  la  scène  du  réveil  a  été  chantée 
et  jouée  par  elle  d'une  façon  absolument  délicieuse.  Mais  je  ne  sau- 
rais la  suivre  dans  le  reste  du  rôle,  dans  la  grande  scène  avec 
Gunther,  dans  son  duo  avec  Hilda...  Je  me  bornerai  à  constater 
qu'elle  a  été  simplement  admirable  au  quatrième  acte  dans  son  duo 
avec  Sigurd,  et  qu'elle  a  dit  d'une  façon  enchanteresse,  avec  une 
suavité  inouïe  la  mélodie  exquise  écrite  sur  ces  paroles: 

Des  présents  de  Gunther  je  ne  suis  plus  parée, 
Je  porte  la  verveine  et  la  sauge  pourprée 
Qui  brisent  les  enchantements... 
Viens,  Sigurd,  que  crains-tu?  Viens  où  la  lune  éclaire, 


Et,  mirant  son  front  pâle  à  cette  source  claire, 
Argenté  les  flots  écumants. 

La  salle,  véritablement  enivrée  par  ses  accents,  lui  a  fait  à  ce 
moment  une  ovation  enthousiaste  et  lui  a  fait  répéter  cette  phrase 
d'une  pureté  idéale. 

A  côté  de  Mme  Caron,  il  n'est  que  juste  de  citer  élogieusement 
Mme  Bosman,  dont  la  voix  semble  avoir  gagné  en  puissance  et  en 
ampleur,  et  qui  a  acquis  une  très  réelle  autorité.  Mmg  Bosman  est 
fort  remarquable  dans  ce  rôle  d'Hilda,  qu'elle  a  fait  sien  et  qu'on 
ne  saurait  mieux  jouer  ni  mieux  chanter. 

Je  n'essaierai  pas  un  parallèle  inutile  entre  M.  Duc  et  son  pré- 
décesseur, M.  Sellier.  La  voix  de  M.  Duc  est  toujours  superbe,  et  ses 
sonorités  stridentes  conviennent  particulièrement  au  personnage 
de  Sigurd,  à  part  certains  passages  signalés  plus  haut  et  qui  sont 
visiblement  trop  graves  pour  lui,  comme  pour  tous  les  ténors. 

Malgré  toute  l'estime  que  je  professe  pour  le  talent  de  M.  Bérardi, 
j'ai  été  surpris,  je  l'avoue,  de  la  très  grande  supériorité  dont  il  a 
fait  preuve  en  s'emparant  du  rôle  de  Gunther.  Il  l'a  chanté  en  vraj 
grand  artiste,  avec  une  voix  d'un  métal  rare  et  précieux,  et  il  l'a 
joué  en  excellent  comédien.  Il  a  cette  fois  bien  gagné  ses  chevrons. 

Avec  M.  Gresse,  qui  a  retrouvé  son  rôle  de  Hagen,  il  me  faut 
citer  en  terminant  M.  Martapoura  qui  s'est  fort  bien  acquitté,  et  en 
conscience,  du  rôle  du  grand  prêtre,  et  Mu°  Domeneeh,  qui,  malgré 
sa  jeunesse,  s'est  montrée  très  convenable  dans  celui  d'Uta. 

Il  faut  espérer  que,  maintenant  que  le  voilà  remonté,  Sigurd  ne 
quittera  plusjle  répertoire. 

Arthur  Pousin. 

Palais-Roval.  —  Les  Femmes  des  amis,  comédie  en  trois  actes,  de 
MM.  Ernest  Blum  et  Raoul  Toché. 

Elle  n'est  vraiment  pas  consolante  la  morale  de  la  nouvelle  pièce 
de  MM.  Blum  et  Toché  et,  si  nous  n'avions  en  horreur  les  mora- 
listes grincheux  et  pédants,  nous  leur  emboîterions  le  pas  pour  crier 
avec  eux  que  cette  œuvre,  au  moment  où  l'on  déplore  la  dépopulation 
de  la  France,  est  presque  antipatriotique.  Mais  l'on  ne  va  pas,  que 
je  sache,  au  Palais-Royal  pour  y  entendre  de  doctes  discussions 
sur  l'économie  sociale,  et  MM.  Boyer  et  Mussay,  bien  que  gens  for.t 
sérieux  de  leur  nature,  n'ont  jamais  éprouvé  le  désir  de  faire,  dans 
leur  théâtre,  une  concurrence  déloyale  au  Collège  de  France  ou  à  la 
Sorbonne.  Amusons-nous  donc,  puisque  les  deux  spirituels  auteurs 
nous  en  donnent,  une  fois  de  plus,  l'occasion,  et  tâchons  de  ne  pas 
conclure,  d'après  un  système  de  déduction  préconisé  par  certains 
philosophes  bien  pensants,  que,  puisque  dans  cette  comédie  tous  les 
hommes  ont  été,  sont  ou  seront  trompés  fatalement,  il  doit  en  être 
forcément  de  même  dans  la  vie  réelle.  Oh  !  ces  trois  pauvres  mes- 
sieurs Boulinier,  ce  qu'ils  sont  pourtant  convaincus  d'éviter,  par  des 
moyens  préventifs  dissemblables,  l'inévitable  catastrophe  !  Décidé- 
ment, plus  j'y  pense,  moins  je  crois  que  ce  spectacle  puisse  ramener 
à  l'idée  du  mariage  les  trop  heureux  célibataires. 

Comme  à  leur  ordinaire,  MM.  Blum  et  Toché  ont  bâti  leurs  trois 
actes  avec  le  moins  de  matériaux  possible,  et  c'est  vraiment  étonnant 
de  voir  avec  quelle  adresse  et  quelle  dextérité  ils  arrivent  à  nous 
donner  l'illusion  d'une  pièce.  Quelques  épisodes  heureusement 
trouvés  et  présentés  d'amusante  façon;  de-ci,  de-là,  des  scènes  de 
très  bonne  comédie;  de  la  bonne  humeur,  de  l'esprit  partout,  et  le 
tour  est  joué.  Il  est  très  juste  aussi  de  dire  que  la  troupe  du  Palais- 
Royal  défend  merveilleusement  cet  aimable  badinage.  MM.  Daubray 
et  Saint-Germain  sont  parfaits  tous  les  deux;  Mme  Mathilde,  MM. 
Milher,  Calvin,  Pellerin,  Galipaux,  Deschamps,  sont  très  amusants. 
Mme  Lavigne  a  ajouté  un  type  de  plus  à  la  collection  de  ceux 
qu'elle  a  déjà  si  drôlement  créés.  Comme  elle  cherche  des  recom- 
mandations auprès  des  directeurs  de  l'Opéra,  où  elle  doit  débuter 
comme  danseuse,  elle  en  parle  à  un  sien  ami  :  «  Vous  les  connaissez, 
demande-t-elle  ?»  —  «  Je  crois  bien,  répond  l'abonné,  chaque  fois 
qu'ils  veulent  faire  une  économie,  ils  viennent  me  consulter.  » —  «Oh! 
alors,  réplique  l'espiègle  enfant,  vous  devez  les  voir  très  souvent!  s 
Sanglant,  mais  si  juste!  Mmos  Magnier,  Cheirel,  Bonnet  et  Losson 
sont  là  pour  nous  prouver  que  les  Parisiennes  restent  toujours  les 
plus  élégantes  et  les  plus  jolies  femmes  du  monde. 

Paul-Emile  Chevalier. 

P.-S.  —  Vendredi  a  eu  lieu  l'inauguration  du  Casino  de  Paris  au  milieu 
d'une  aflluence  compacte  et  des  plus  élégantes.  Le  Tout  Paris  avait  été 
convié,  par  M.  Lointier,  à  cette  fête  qui  a  réussi  de  tous  points. 

Deux  grandes  salles  décorées  dans  une  teinte  claire  charmante  composent 
l'établissement  nouveau,  autrefois  Skating  :  la  première  consacrée  aux 
promeneurs  et  aux  consommateurs,  avec,  au  milieu,  une  grande  estrade 
pour  des  exhibitions  de  toutes  sortes  et  un  orchestre  entraînant  sous  l'ha- 


332 


LE  MÉNESTREL 


bile  direction  de  M.  Deransart  ;  la  seconde  transformée  en  ravissant 
théâtre  avec  fauteuils,  baignoires  ouvertes,  promenoir,  loges  et  galeries 
d'un  aménagement  très  heureux.  C'est  sur  cette  scène  qu'a  eu  lieu  la  pre- 
mière représentation  du  Capitaine  Charlotte,  ballet  de  M.  Marenco.  Comme 
nous  n'avions  pas  été  favorisé  par  un  service  de  fauteuils,  nous  n'avons 
absolument  rien  vu  de  ce  divertissement  en  deux  actes,  qu'on  nous  a  dit 
être  dansé  par  de  fort  jolies  personnes  transfuges  de  l'Eden.  M.  Lointier 
se  propose  de  monter  de  suite  un  nouveau  ballet-pantomime  de  M.  Maurice 
Lefèvre,  musique  de  MM.  Messager  et  Street.  Voilà  une  idée  artistique. 

P.-E.  C. 


UN   VIRTUOSE  COURONNÉ 


VI 

(Suite.) 

On  remplirait  des  volumes  si  l'on  voulait  raconter  tous  les  traits 
d'avarice  du  Grand  Frédéric.  En  temps  de  guerre,  l'argent  marchait 
toujours  premièrement,  et  l'avidité  qu'en  avait  le  roi  fut  la  cause 
d'innombrables  scènes  de  pillage  et  de  meurtre.  Le  Journal  de  Bar- 
bier a  nommé  Frédéric  un  Mandrin  couronné,  et  il  faut  convenir  que 
cette  comparaison  est  souvent  justifiée.  En  temps  de  paix,  le  roi, 
thésaurisant  en  vue  de  nouvelles  aventures,  vivait  dans  une  crainte 
perpétuelle  :  celle  d'une  requête  d'argent.  Un  jour,  visitant  une  colo- 
nie agricole  qu'il  venait  de  créer,  il  vit  une  certaine  quantité  de 
moissonneurs  formant  une  double  haie  sur  son  passage.  Aussitôt  il  se 
tourne  vers  un  des  personnages  qui  lui  faisaient  les  honneurs  du  pays  : 

—  Que  diable  désirent  ces  gens  ?  Est-ce  qu'ils  veulent  me  deman- 
der de  l'argent? 

—  Oh!  que  non  !  Sire  :  il  sont  plein  de  joie  de  la  bonté  que  vous 
avez  de  visiter  ces  contrées. 

—  Aussi  bien,  je  ne  leur  donnerais  rien. 

Lorsque  Voltaire  vint  à  Sans-Souci,  le  roi  s'était  mis  en  frais  pour 
orner  dignement  le  sanctuaire  de  son  hôte.  On  montre  encore  aux 
visiteurs  la  chambre  de  Voltaire  décorée  de  fleurs  et  d'animaux  en 
relief,  peints  à  vives  couleurs,  et  parmi  lesquels  dominent  les  singes, 
ce  qui  a  donné  lieu  à  une  interprétation  de  malignité  qui,  après 
tout,  était  peut-être  bien  entrée  dans  l'esprit,  toujours  prêt  à  la  satire, 
du  royal  amphitryon. 

Tout  alla  fort  bien  dans  les  commencements  ;  mais  où  les  cartes 
se  brouillèrent,  c'est  lorsque  le  moment  fut  venu  d'acquitter  la  note 
de  ces  embellissements.  Selon  son  habitude,  Frédéric  trouva  le  prix 
excessif  :  4,260  thalers  et  demi  pour  des  rinceaux  et  des  figures  de 
singes,  c'était  exorbitant.  Il  finit  pourtant  par  s'exécuter,  mais  en 
maugréant  contre  les  peintres,  les  sculpteurs  et  les  architectes. 

De  plus,  pour  ce  qui  concerne  Voltaire,  le  roi  s'en  tint  au  décor. 
Jamais  l'auteur  de  Zaïre  ne  fit  aussi  pitoyable  chère.  Peu  ou  pas  de 
bougie  ni  de  sucre;  café,  thé  et  chocolat  de  qualité  inférieure.  Le 
tout  prit  de  telles  proportions  que  Voltaire  se  plaignit.  Frédéric 
parla  de  chasser  ses  intendants,  mais  son  hôte  n'en  fut  pas  mieux 
traité  pour  cela.  Le  roi  donnait  d'ailleurs  l'exemple  à  ses  gens,  en 
chicanant  sur  toutes  les  dépenses  de  son  visiteur.  Un  jour,  il  se 
refusa  obstinément,  à  payer  les  frais  de  savon  portés  sur  le  mémoire; 
mais  il  faut  dire  que  Voltaire  en  faisait  un  terrible  abus,  non  pour  la 
propreté  de  son  être,  comme  on  pourrait  le  croire,  mais  d'une  façon 
qui  lui  avait  dicté  cette  fin  de  lettre,  lorsqu'il  s'était  mis  en  route  : 

«   ...  Il  me  faut  un  bon  lit,  une  seringue  et  le  roi  de  Prusse.  » 

Dans  l'intérieur  du  roi,  et  même  pour  les  réceptions,  en  dehors 
des  jours  de  gala,  tout  se  ressentait  de  sa  ladrerie  A  une  fête,  à 
laquelle  assista  l'ambassadeur  anglais  lord  Malmesbury,  qui  a  laissé 
de  curieux  Mémoires  sur  son  séjour  à  Berlin,  tous  les  appartements, 
sauf  la  salle  de  bal,  étaient  éclairés  par  une  seule  bougie.  Le  souper 
était  mauvais.  Les  vins  étaient  frelatés.  Après  la  danse,  l'ambas- 
sadeur demandant  du  vin  et  de  l'eau,  on  lui  répondit  qu'il  n'y  avait 
plus  de  vin,  mais  qu'on  pouvait  lui  donner  du  thé.  Le  roi  dirigeait 
lui-même  l'éclairage  de  la  salle  de  bal  el,  pendant  cette  opération, 
la  reine,  la  famille  royale  et  tout  le  monde  attendaient  sans  lumière, 
Frédéric  n'ayant  pas  voulu  qu'on  allumât  d'avance. 

Étant  à  Berlin,  il  eut  à  traiter  le  landgrave  de  Hesse-Cassel  et 
la  princesse  de  Wurtemberg.  Dans  ce  but,  il  fit  parvenir  à  son 
contrôleur  de  bouche  une  lettre  dans  laquelle,  après  avoir  fait  une 
sortie  véhémente  contre  la  «  filouterie  »  des  domestiques,  il  faisait 
un  menu  très  détaillé  du  dîner,  fixant  la  qualité  et  le  nombre  de 
plats,  et  toujours  celui  des  bougies,  qui  paraissaient  le  préoccuper 
tout  particulièrement.  Un  jour  qu'il  faisait  venir  une  douzaine  de 
bouteilles  de  vieux  vin  de  Bordeaux,  il  disait  : 

—  Il  faut  que  j'écorehe  un  paysan  saxon  pour  me  rembourser. 


Enfin,  il  écrivait  à  son  ministre  en  Danemark,  qui  lui  demandait 
des  frais  de  représentation  : 

«  Vous  êtes  un  prodigue  :  sachez  qu'il  est  beaucoup  plus  sain 
d'aller  à  pied  qu'en  voiture  et  que,  pour  manger,  la  table  d'autrut 
est  toujours  la  meilleure.  » 

La  seule  circonstance  dans  laquelle  il  ne  lésinât  pas,  c'était  lors- 
qu'il s'agissait  de  ses  flûtes  : 

«  Dans  la  dernière  guerre,  écrit  Malmesbury,  alors  qu'il  donnait 
à  tout  le  monde  de  la  fausse  monnaie,  il  veillait  à  ce  que  son  fac- 
teur de  flûtes  fût  payé  en  pièces  de  bon  aloi,  de  peur  que  celui-ci,  de 
son  côté,  ne  cherchât  à  le  tromper  sur  la  qualité  de  ses  instruments.  » 

De  même,  il  ne  reculait  devant  aucune  dépense  pour  donner  à 
son  Opéra  la  forme  qu'il  désirait.  De  Bohême  il  écrivait  à  Algarotti: 

«  J'attends  tout  ce  qu'il  y  a  de  bon  en  fait  de  chanteurs  d'Italie  ; 
puis  j'aurai  les  meilleurs  chapons  harmonieux  de  l'Allemagne.  Nos 
danseurs  sont  presque  tous  arrivés.  Les  académiciens  les  suivront,, 
comme  de  raison.  La  folie  marche  avant  la  sagesse;  des  mains  armées 
de  lunettes  et  des  mains  chargées  de  compas  doivent  arriver  plus 
tard  que  des  cabrioleurs  français  qui  sautent  avec  des  tambourins.  » 

Ce  métier  d'imprésario  plaisait  particulièrement  à  Frédéric  II.  A 
Bheinsberg  déjà,  le  prince  royal  faisait  des  engagements  au  loin 
pour  les  besoins  de  sa  musique,  à  laquelle  il  adjoignait  volontiers 
des  chanteurs,  et  surtout  des  castrats,  alors  fort  à  la  mode. 

Par  une  lettre  adressée  au  comte  de  Schulembourg,  feld-rnaréchal 
de  la  République  de  Venise,  le  prince  priait  ce  personnage  de  lui 
procurer  un  jeune  soprano  de  quatorze  ou  quinze  ans,  qu'il  lui 
serait  facile  de  trouver,  «  en  en  choisissant  un  qui  ait  appris  l'art 
de  solfier  et  qui  sache  déjà  chanter  quelque  chose,  ayant  bonne 
voix  et  de  l'inclination  pour  la  musique  ». 

Le  comte  répond  qu'il  fera  les  diligences  nécessaires  pour  trouver 
le  soprano  en  question  ;  mais,  en  attendant,  il  offre  au  prince  «  une 
fille  âgée  do  près  de  trente  ans,  qui  possède  parfaitement  la  mu- 
sique et  qui  a  appris  à  jouer  du  clavecin  pour  pouvoir  accompagner 
les  airs  elle-même  ;  avec  cela  de  bonnes  mœurs,  un  esprit  vif  et  d'une 
compagnie  amusante  et  agréable  ». 

Frédéric  refusa,  dans  une  seconde  lettre,  la  fille  de  trente  ans  et 
déclara  s'en  tenir  au  castrat,  qui  lui  fut  expédié  sur  l'heure. 

Il  lui  en  vint  plusieurs,  et  des  plus  célèbres,  pour  son  Opéra  : 

«  Mes  chapons  d'Italie  viennent  d'arriver,  écrit-il  au  comte  de 
Rottenbourg,  en  mission  diplomatique  à  Paris;  on  dit  qu'ils  sont 
d'un  acabit  admirable  et  qu'ils  feront  tourner  la  tète  à  tout  Berlin, 
tant  ils  chantent  bien.  » 

Pour  le  ballet,  on  le  recrutait  un  peu  partout,  mais  surtout  à 
Paris,  où  le  comte  de  Rottembourg  faisait  des  engagements  : 

»  Il  fera  bon  de  se  hâter,  lui  écrivait  le  roi,  pour  que  nous  ayons 
cette  troupe  cabriolante  cet  hiver.  » 

Et  plus  loin  : 

»  J'espère  que  nous  avons  un  baladin  et  une  cabrioleuse ,  sans 
quoi  notre  opéra  aura  l'air  un  peu  déshabillé.  » 

Tout  fut  prêt  à  l'heure  voulue.  Aussitôt  après  le  retour  du  roi,  on 
inaugura  la  salle  nouvelle,  construite  sur  le  modèle  des  théâtres 
italiens,  par  l'opéra  de  Graun,  Cléopâtre  et  César. 

Le  soir  même,  le  roi  mandait  à  sa  sœur,  la. margrave  de  Bayreuth, 
le  succès  qui  venait  de  couronner  son  œuvre.  Suivant  sa  coutume, 
lorsqu'il  était  satisfait,  il  s'exprimait  en  vers.  Les  voici  : 

Lors  vint  du  sein  de  l'Ausonie 

L'harmonieuse  Polymnie 
Qui  joignit  avec  art  à  ses  divins  accords, 

Aux  doux  charmes  de  la  musique 
Tout  ce  qu'a  de  pompeux  un  spectacle  magique 

Où  la  profusion  étale  ses  trésors. 

C'est  là  que  l'Astrua  par  son  gosier  agile 
Enchante  également  et  la  cour  et  la  ville, 
Et  que  Felicino,  par  ses  sons  plus  touchants, 
Sait  émouvoir  les  cœurs  au  gré  de  ses  accents  ; 
C'est  là  que  Marianne,  égale  à  Terpsichore, 
Entend  tous  ces  bravos  dont  le  public  l'honore. 

Felicino  n'était  autre  que  le  célèbre  sopraniste  Félix  Salimbeni, 
et  Marianne  la  danseuse,  M110  Cochois.  Ils  gagnaient  chacun  mille 
francs  par  soirée,  comme  tous  les  premiers  sujets.  C'était  un  joli 
dénier  pour  l'époque  et  surtout  pour  la  bourse  parcimonieuse  du 
Grand  Frédéric. 

Il  est  vrai  qu'on  ne  donnait  guère  que  de  quinze  à  vingt  repré- 
sentations par  an  à  l'Opéra,  pendant  le  carnaval. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée. 


LE  MENESTREL 


333 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 
Qui  croire?  La  Gazzetta  Piemontese  annonçait  que  Verdi  travaillait  à 
un  oratorio  sur  le  sujet  du  Roi  Lear,  et  le  Trovalore  répétait,  en  confirmant 
cette  nouvelle,  que  le  maître  ne  s'en  occupait  pas  moins  d'un  nouvel  opéra, 
Romeo  e  Giulictta.  Nous  avons  tenu  nos  lecteurs  au  courant  de  tous  ces 
bruits.  Mais  voici  qu'aujourd'hui  un  autre  journal,  le  Mondo  artistico,  affirme 
résolument  que  les  nouvelles  de  ses  deux  confrères  sont  controuvées  et 
qu'il  n'est  pas  plus  question,  de  la  part  de  Verdi,  d'un  Roi  Lear  que  d'un 
Roméo  et  Juliette l  Qui  croire?  On  peut  remarquer  cependant  que  la  Gazzetta 
musicale  de  Milan,  organe  de  l'éditeur  de  Verdi,  et  qui  a,  par  conséquent, 
des  raisons  d'être  bien  informée  à  son  sujet,  n'a  pas,  jusqu'à  ce  jour, 
publié  une  ligne  concernant  les  deux  ouvrages  en  question.  Il  semblerait 
bien,  d'après  cela,  que  le  démenti  catégorique  du  Mondo  artistico  a  sa  rai- 
son d'être. 

—  Un  journal  italien  annonce  qu'on  exécutera  au  Théâtre  Social  de  Tré- 
vise,  au  cours  de  la  prochaine  saison,  il  Popolo  Polacco,  «  chant  de  guerre  » 
mis  en  musique  par  le  compositeur  Filippo  Brunetto.  Un  chant  de 
guerre  !  pour  le  peuple  polonais!  A  quel  propos?  Espérons  que  la  diplo- 
matie arrangera  les  choses. 

—  Au  Costanzi  de  Rome,  la  résurrection  du  Comte  Ory  est  loin  d'avoir 
obtenu  le  succès,  que  nous  avons  constaté,  de  celle  des  autres  ouvrages 
de  Rossini,  Cenerentola  et  l'italiano  inAlgeri.  Mais  c'est  l'interprétation  qui, 
cette  fois,  a  été  cause  de  ce  fâcheux  résultat.  Elle  a  été  détestable,  paraît- 
il,  de  la  part  de  tous,  tant  au  point  de  vue  musical  qu'au  point  de  vue 
scénique,  et  à  ce  point  insuffisante  et  mal  préparée  que  le  public,  indi- 
gné, a  fini  par  se  fâcher  tout  rouge  et  par  manifester  sans  réserve  son 
mécontentement  trop  légitime.  —  A  ce  même  Costanzi,  on  a  exécuté,  à 
l'une  des  dernières  représentations  de  Cavalleria  rusticana,  une  ouverture 
inédite  d'un  jeune  compositeur,  M.  Paglioriti,  élève  du  regretté  Terziani. 

—  La  Perseveranza,  de  Milan,  s'avance  peut-être  beaucoup  en  affirmant 
que  le  jeune  maestro  Mascagni,  l'auteur  de  Cavalleria  rusticana,  a  déjà  écrit 
deux  actes  complets  du  nouvel  ouvrage  qui  lui  a  été  commandé  par  son 
éditeur,  M.  Edouard  Sonzogno,  et  dont  le  livret  est  tiré  des  Rantzau, 
d'Erckmann-Chatrian.  En  tout  cas,  et  si  le  fait  était  vrai,  il  dénoterait 
chez  son  auteur  une  singulière  et  rare  facilité  de  travail. 

—  De  Milan  on  nous  télégraphie  le  grand  succès  remporté  au  Théâtre 
Philodramatique  dans  Mignon  par  Mm0  Tériane,  la  brillante  élève  de 
M""5  Marchesi.  Les  journaux  italiens  sont  unanimes  à  le  constater. 

—  Les  premières  semaines  de  réouverture  dans  les  théâtres  allemands 
ci-après  ont  amené  la  reprise  des  ouvrages  suivants  du  répertoire  français  : 
Berlin.  Coppélia.  —  Cassel.  Robert  le  Diable,  Roméo  et  Juliette,  le  Postillon  de 
Lonjumeau,  l'Africaine.— Dresde.  Robert  le  Diable,  le  Roi  malgré  lui  (3  fois),  Car- 
men, le  Maçon,  la  Juive,  la  Dame  blanche,  Joseph.  —  Francfort.  Le  Prophète, 
Mignon,  le  Postillon  de  Lonjumeau,  la  Juive,  la  Fille  du  Régiment,  les  Huguenots, 
l'A  fricaine. —  Leipzig.  Jeanne,  Jeannette  et  Jeanneton,  la  Vie  parisienne,  Carmen, 
(2  fois),  les  Dragons  de  Villars(3  fois),  Faust  ("2  fois).  — Mannheim  :  La  Fille  du 
Régiment,  Faust,  les  Huguenots,  Mignon,  Carmen.  —  Sciiwerin.  Carmen,  Faust. 
Stuttgart.  —  Le  Roi  l'a  dit,  Carmen,  Mignon  (2  fois).  —  Vienne.  Carmen  (2  fois), 
les  Deux  Journées,  Béatrice  et  Bénédic{,  Mignon  (2  fois),  Faust  (3  fois),  Roméo 
et  Juliette,  la  Juive,  la  Fille  du  Régiment,  Robert  le  Diable,  le  Cid,  l'Africaine, 
le  Postillon  de  Lonjumeau. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  Berlin:  Le  théâtre  Frédéric-Guil- 
laume prépare  une  «  soirée  historique  d'opérettes  »  où  seront  ressuscitées 
deux  doyennes  du  genre  :  la  Chanteuse  de  village  (la  Cantatrice  villana  ?),  de 
Fioravanti,  et  la  Chasse,  de  J.-A.  Hiller.  M.  Raiberti,  première  basse  à 
l'Opéra  royal,  quitte  cette  scène  pour  se  consacrer  à  la  carrière  française. 

—  Leipzig  :  On  revient  aux  anciennes  opérettes  françaises  au  théâtre  mu- 
nicipal :  M.  et  M""  Denis  et  la  Permission  de  dix  heures,  d'Offenbach,  ont 
reparu  sur  cette  scène  à  la  plus  grande  joie  du  public.  —  Munich  :  On 
prépare  au  théâtre  de  la  Cour  une  reproduction  de  la  Cendrillon  de  Nicolo. 

—  Munster  :  Le  gouvernement  prussien  a  prononcé  la  désaffectation  du 
théâtre  municipal,  qui  ne  remplissait  plus  les  conditions  de  sécurité  contre 
l'incendie  exigées  par  les  dernières  ordonnances  de  police. —  Sigmaringen  : 
Le  théâtre  de  la  Cour,  fermé  depuis  1885  par  suite  de  la  mort  du  prince 
Antoine  de  Hohenzollern,  va  rouvrir  cet  hiver  pour  une  période  d'essai, 
par  ordre  du  prince  Léopold. 

—  Le  Conservatoire  national  de  Budapesth  célébrera,  au  mois  de  jan- 
vier prochain,  le  cinquantième  anniversaire  de  sa  fondation.  On  prépare 
pour  cette  circonstance  deux  grandes  cérémonies  musicales  qui  seront 
présidées  par  lo  comte  Geza  Zichy,  directeur  du  Conservatoire. 

—  On  demande  un  troisième  acte.  Quand  nous  disons:  «  on  »,  il  s'agit 
du  célèbre  compositeur  viennois  Johann  Strauss,  qui,  fort  ennuyé,  vient 
de  perdre  le  troisième  acte  de  sa  dernière  œuvre,  un  opéra  en  trois  actes 
qui  devait  être  représenté  cet  hiver  à  l'Opéra  de  Vienne,  sous  le  titre  de  : 
le  Chevalier  Pasman.  Cette  œuvre  devait  être  la  nouveauté  principale  de  la 
saison.  En  déménageant  de  sa  villa  de  Schœnau  pour  se  rendre  à  Vienne, 
le  maître  a  égaré  le  dernier  acte  et,  ne  pouvant  le  retrouver,  il  va  être 


obligé  de  lo  composer  de  nouveau.  On  doute,  dans  ces  conditions,  que  le 
Chevalier  Pasman  puisse  être  représenté  encore  dans  le  courant  du  présent 
hiver. 

—  Vogl,  le  célèbre  ténor  wagnérien,  a  décliné  poliment  l'offre  d'un 
spectacle  de  gala  que  l'Intendance  des  théâtres  royaux  de  Munich  voulait 
organiser  à  l'occasion  de  son  jubilé  de  vingt-cinq  ans  de  théâtre.  Cela  ne 
laisse  pas  que  de  surprendre  les  bons  Athéniens  des  bords  de  l'Isar  qu'un 
chanteur  refuse  les  couronnes  et  les  ovations  qu'on  veut  lui  offrir,  la  mo- 
destie n'étant  pas  le  lot  des  ténors  allemands...  ni  des  ténors  généralement 
quelconques. 

—  La  petite  ville  de  Weimar  se  prépare  à  célébrer  prochainement  le 
centenaire  de  sa  fondation  sous  les  auspices  de  Gœthe  et  de  Schiller.  C'est 
le  7  mai  de  l'année  prochaine  que  tombe  cet  intéressant  anniversaire.  Il 
y  aura  toute  une  semaine  des  fêtes  théâtrales  à  cette  occasion.  Outre  le 
Wallenstein  de  Schiller,  le  Faust  de  Gœthe,  le  Chasseur  d'Oûland  pour  le 
drame  et  la  comédie,  il  y  aura  des  représentations  d'opéra.  Le  choix  n'est 
pas  encore  arrêté,  mais  il  est  certain  que  l'on  exécutera  des  ouvrages  de 
Mozart,  de  Gluck,  de  Wagner  et  une  œuvre  posthume  de  Peter  Cornélius, 
l'auteur  du  Barbier  de  Bagdad. 

—  Une  correspondance  de  Dresde  nous  fait  connaître  le  grand  effet 
produit  en  cette  ville  par  la  reprise  du  Joseph,  de  Méhul,  qui  a  eu  lieu 
le  i  de  ce  mois  :  «  Après  les  complications  de  la  Trilogie  de  Wagner, 
après  l'orchestration  magistrale,  mais  encore  tourmentée,  de  Tannhàuser, 
après  le  mysticisme  sentimental  de  Lohengrin,  voici  la  grandeur  religieuse 
du  Joseph  de  Méhul.  C'est  une  sorte  de  decrescendo  qui  repose  l'esprit  de 
tant  de  sensations  violentes.  Hier  soir  une  salle  absolument  comble 
applaudissait  la  reprise  de  Joseph  en  Egypte,  représenté  il  y  a  quinze  ans 
à  notre  théâtre  sous  le  titre  de  Jacob  et  ses  fils.  J'ai  entendu  quelques  spec- 
tateurs émettre  l'idée  que  Joseph  en  Egypte  était  en  quelque  sorte  un  pré- 
lude à  la  Passion  d'Oberammergau.  Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'on  éprouve 
une  émotion  profonde  en  présence  d'une  interprétation  si  exacte  d'un  des 
épisodes  les  plus  pathétiques  de  l'Ancien  Testament,  auquel  la  musique 
s'adapte  avec  la  précision  qui  caractérisait  le  compositeur.  Elle  est  tout 
imprégnée  de  couleur  locale,  sauf  peut-être  un  appel  de  cors  qui  res- 
semble beaucoup  à  une  retraite  allemande.  Le  chœur  des  vierges  égyp- 
tiennes, accompagné  par  deux  harpes,  est  d'un  effet  merveilleux;  les 
ensembles  des  frères  de  Joseph  sont  pleins  d'énergie  ;  au  second  acte, 
dans  la  scène  de  la  nuit,  le  duo  des  deux  frères  est  émouvant;  l'intro- 
duction du  troisième  acte,  avec  flûtes  et  clarinettes,  est  enchanteresse, 
et  la  prière  des  Israélites,  au  lever  du  soleil,  est  une  page  religieuse 
admirable.  »  En  somme,  succès  éclatant  de  cette  reprise  du  chef-d'œuvre 
de  Méhul,  succès  dont  une  part  revient  légitimement  aux  très  remar- 
quables interprètes,  MM.  Stritt  (Joseph),  Nébuschka  (Jacob),  Scheide- 
mantel  (Siméon),  Mme  Schuch  (Benjamin),  et  MM.  Decarli,  Jensen,  Anthes, 
Hofmùller,  sans  oublier  l'orchestre  et  son  chef  fort  distingué,  M.  Schuch. 

—  L'éditeur  Robert  Forberg,  de  Leipzig,  vient  de  publier  un  catalogue 
thématique  complet  des  trios,  quatuors  et  quintettes  de  Haydn,  Mozart, 
Beethoven,  Schubert,  Mendelssohn  et  Schumann.  Ce  catalogue  a  été  dressé 
par  M.  C.  Albrecht. 

—  Encore  une  découverte  !  S'il  faut  en  croire  le  Guide  musical,  on  vien- 
drait de  découvrir  à  Stockholm  (??)  un  concerto  inédit  de  Paganini  pour 
basson  (1  !),  avec  accompagnement  de  violons,  alto  et  violoncelle.  Basso- 
nistes, mes  frères,  méfiez-vous!... 

—  On  annonce  que  M.  Ivar  Hallstrœm,  le  compositeur  suédois,  vient 
de  terminer  la  partition  d'unnouvel  opéra,  intitulé  Alhambra.M.  Hallstrœm, 
qui  est  le  musicien  le  plus  fécond  et  le  plus  populaire  de  son  pays,  a 
déjà  obtenu  au  théâtre  des  succès  retentissants.  Parmi  ses  nombreux 
opéras  déjà  représentés,  on  cite  surtout  Hertig  Magnus,  la  Fiancée  du  gnome, 
la  Montagnarde  enlevée  et  les  Vikings. 

—  Le  Théâtre-Impérial  de  Saint-Pétersbourg  a  rouvert  ses  portes  dans 
les  derniers  jours  de  septembre.  Selon  la  coutume,  c'est  l'opéra  de  Glinka, 
la  Vie  pour  le  Czar,  qui  faisait  les  frais  de  ce  spectacle  d'inauguration, 
avec  le  ballet  le  Talisman.  Au  mois  de  janvier  doivent  commencer,  au 
Petit-Théâtre,  les  représentations  d'une  compagnie  italienne  dont  feront 
partie  M™  Marcella  Sembrich,  le  ténor  Masini,  le  baryton  Cotogni,  et  peut- 
être  Mllc  Borghi-Mamo.  Quant  aux  représentations  de  Mm°  Adelina  Patti, 
que  nous  avons  annoncées  déjà,  on  pense  qu'elles  auront  lieu  au  théâtre 
Panaieff.  Les  concerts  populaires  ont  repris  leurs  séances  le  dimanche 
28  septembre,  au  Petit-Théâtre,  sous  la  direction  du  chef  d'orchestre 
Krouschevsky  ;  on  a  surtout  applaudi,  dans  cette  première  séance,  la  fan- 
taisie de  Glinka,  une  Nuit  d'été  à  Madrid,  et  l'ouverture  du  Tannhàuser. 

—  Si  invraisemblable  que  cela  paraisse,  il  existe  en  Europe  des  artistes 
d'opéra  qui  refusent  d'interrompre  la  pièce  pour  venir  devant  le  trou  du 
souffleur  saluer  le  public  qui  les  ovationne.  Il  est  vrai  que  c'est  à  l'autre 
bout  du  monde  civilisé,  à  Kiew,  en  Russie,  que  ce  phénomène  s'est  pro- 
duit. Les  artistes  du  théâtre  de  cette  ville  russe,  M.  Prianischnikow  de 
l'Opéra  impérial  de  Saint-Péterbourg  à  leur  tête,  sont  résolus  de  refuser 
toute  offrande  de  fleurs  qui  leur  serait  faite  pendantla  représentation, aussi 
bien  que  de  donner  suite  aux  cris  de  bis.  Dès  l'ouverture  de  la  saison, 
ils  ont  mis  leur  résolution  à  exécution. Cela  n'est  déjà  pas  mal.  Mais  ce 
qui  louche  absolument  au  sublime,  c'est  que  les  spectateurs,  loin  de  recon- 


334 


LE  MÉNESTREL 


naître  l'excellente  et  artistique  intention  des  artistes,  se  sont  insurgés  contre 
ce  qu'ils  considèrent  comme  un  manque  d'égards  à  leur  adresse.  Le  soir 
de  la  réouverture  du  théâtre  il  y  a  eu  un  véritable  tumulte,  et  il  a  fallu 
l'intervention  des  autorités  pour  mettre  fin  au  tapage.  On  ne  dit  pas  com- 
ment l'incident  s'est  terminé,  si  ce  sont  les  artistes  ou  les  spectateurs  qui 
ont  finalement  cédé.  C'est  probablement  la  première  fois,  depuis  qu'il 
existe  des  théâtres,  qu'un  pareil  conflit  se  produit. 

—  Nouvelles  de  Londres.  —  La  Cigale  est  un  gros  succès  au  Lyric.  La 
mise  en  scène  en  est  somptueuse  tout  en  restant  dans  le  bon  goût,  et  l'in- 
terprétation excellente  dans  son  ensemble.  La  jolie  musique  de  M.  Audran, 
ou  plutôt  ce  qui  en  a  été  conservé,  a  fait  grand  plaisir,  plusieurs  morceaux 
étant  bissés  et  même  trissés.  Seulement,  comme  cela  se  passe  presque 
toujours  en  Angleterre  en  pareil  cas,  on  ne  s'est  pas  contenté  de  traduire 
l'ouvrage  français  :  M.  Burnand,  éditeur  du  Punch,  a  été  chargé  de  rema- 
nier le  libretto,  qu'il  s'agissait  de  ramener  de  dix  tableaux  à  trois,  et 
M.  Ivan  Caryll,  chef  d'orchestre  du  théâtre,  a  entrepris  de  faire  les  rac- 
cords nécessaires  à  la  partition.  Malheureusement  M.  Caryll  ne  s'est  pas 
contenté  de  composer  un  trio  mélodramatique  et  un  finale  prétentieux  pour 
une  situation  nouvelle  créée  au  deuxième  acte  :  il  a  aussi  retouché  plusieurs 
pages  de  M.  Audran  ou  substitué  sa  propre  musique  à  celle  du  compo- 
siteur original  dans  plusieurs  scènes  conservées  du  poème.  Et  cela  sans 
que  sa  collaboration  ait  été  même  proposée  à  M.  Audran  !  La  chose  par 
elle-même  n'aurait  pas  grande  importance  dans  un  pays  qui  a  élevé  le 
tripatouillage  à  la  hauteur  d'une  institution;  mais  on  a  invoqué,  en  la 
circonstance,  un  argument  contre  lequel  il  convient  de  protester,  dans 
l'intérêt  de  tous  les  compositeurs  étrangers.  On  déclare  sérieusement  que 
M.  Audran  n'a  aucun  droit  de  réclamer  contre  cette  collaboration  forcée 
parce  qu'il  ne  cannait  pas  l'anglais.  Et  c'est  pour  cela  que  M.  Caryll  a  rem- 
placé, par  exemple,  la  courte  introduction  d'orchestre  par  une  pastorale  de 
son  cru  !  Est-ce  assez  grotesque  ? 

Les  deux  spectacles  d'ouverture  définitivement  choisis  par  M.  Lago  sont 
Aida  et  les  Huguenots. 

M.  Sarasate,  toujours  fidèle  au  public  anglais,  fera  sa  rentrée  samedi 
après-midi  et  exécutera  le  Concerto  de  M.  Emile  Bernard,  celui  de  Max 
Bruch  et  la  fantaisie  sur  Otello  d'Ernst. 

M.  Paderewski,  en  dépit  des  racontars  de  quelques  journaux  parisiens, 
sera  bientôt  à  Londres  pour  remplir  ses  engagements,  vers  la  fin  du  mois, 
aux  Concerts  populaires  et  au  Crystal-Palace. 

Le  23e  festival  triennal  se  tient  cette  semaine  à  Norwich  et  offre  comme 
principale  nouveauté  une  version  de  l'Allégro  ed  il  Penseroso  deMilton,  mise 
en  musique  par  le  docteur  Hubert  Parry,  après  Haendel. 

M.  Harris  s'est,  dit-on,  assuré  du  théâtre  de  Covent-Garden  pour  sa 
prochaine  saison  d'opéra.  A.  G.  N. 

—  Une  nouvelle  entreprise  lyrique  vient  d'être  instituée  à  Londres,  sous 
le  titre  pompeux  de  the  Grand  national  Opéra  Company.  Les  directeurs, 
MM.  Edwards  Barri  et  J.  O'Connor,  ont  l'intention  de  puiser  à  pleines 
mains  dans  le  répertoire  anglais.  Qu'en  sortiront-ils  ?  j 

—  Le  théâtre  du  Globe,  à  Londres,  a  donné  ces  jours  derniers  la  pre- 
mière représentation  d'un  opéra  sério-comique  intitulé  le  Corsaire  noir, 
dont  les  paroles  ainsi  que  la  musique  sont  de  M.  Luscombe  Searelle.  Le 
livret  présente  une  assez  faible  imitation  du  Vaisseau  fantôme,  de  Wagner, 
agrémenté  de  quelques  scènes  «  pour  rire  .»  La  partition,  elle,  n'a  nulle 
prétention  au  style  wagnérien,  ce  qui  ne  veut  pas  dire  qu'elle  ait  diverti 
le  public.  Le  baryton  Ludwig  s'est  fait  applaudir  dans  le  rôle  du  Corsaire. 

—  M.  Mapleson  doit  entreprendre  dans  les  provinces  anglaises,  à  la  fin 
du  présent  mois,  une  tournée  de  «  Grand  Opéra  Concert  »  qui  sera  dirigée 

par  M.  Tito  Mattei  et  à  laquelle  prendront  part  Mmcs  Scalchi  et  Dotti,  le 
ténor  anglais  Harley,  le  bouffe  Ciampi  et  une  violoniste,  MUo  Levallois. 
On  parle  aussi  d'une  autre  tournée  que  M.  Mapleson  organiserait  pour 
l'Amérique  avec  le  concours  de  MM.  Torrigi,  Benfratelli,  Darvall,  Gavi- 
rati,  Machwitz  et  le  chef  d'orchestre  Casati,  lesquels  seraient,  dit-on, 
associés  dans  l'entreprise. 

—  Mmc  Marcella  Sembrich  a  fait  son  début  au  Théâtre-Royal  de  Ma- 
drid dans  Lucia.  Elle  a  remporté  un  grand  succès  et  on  lui  a  fait  de  vé- 
ritables ovations  après  l'air  de  la  Folie.  Elle  répète  à  présent  le  rôle 
d'Ophélie  i'Hamlel,  qui  doit  passer  très  prochainement. 

—  Le  compositeur  Chapi,  l'un  des  plus  actifs  et  des  plus  renommés 
de  l'Espagne,  vient  de  terminer  un  opéra,  qui,  pense-t-on,  sera  repré- 
senté dans  un  délai  peu  éloigné  au  Théâtre-Royal  de  Madrid.  La  Escena 
de  Barcelone,  assure  que,  celui-ci  à  peine  achevé,  il  s'est  remis  au  tra- 
vail pour  en  écrire  un  autre  sur  un  livret  de  Pérez  Galdos,  dont  elle  ne 
fait  pas  connaître  le  titre. 

—  La  Gazeta  musical  de  Lisbonne  annonce  que  dé  sérieuses  difficultés  se 
seraient  élevées  entre  le  directeur  du  théâtre  San  Carlos  et  les  artistes  de 
l'orchestre  de  ce  théâtre.  Ceux-ci  se  montreraient  disposés  à  accepter  les 
offres  qui  leur  sont  faites  par  l'administration  du  nouveau  Colisée  le- 
quel les  emploierait  toute  l'année  tandis  que  la  saison  du  San  Carlos  ne 
dure  que  cinq  mois. 

—  Une  nouvelle  Société  philharmonique  vient  de  se  fonder  à  New- 
York  sous  la  dénomination  de  Mclropolitan-Orchcstra.  Elle  a  pour  chef 
M.  Antoine  Seidl  et  compte  soixante  et  onze  exécutants.  Le  premier  con- 


cert, qui  a  eu  lieu  dans  la  nouvelle  salle  de  Madison-Square,  il  pleinement 
réussi.  Le  grand  succès  a  été  pour  la  délicieuse  suite  d'orchestre  de  Cop- 
pélia  et  deux  numéros  du  Bal  masqué  de  Rubinstein  :  Pacha  et  Aimée  et 
Cosaque  et  Petite-Russiennc. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

La  séance  publique  annuelle  de  l'Académie  des  Beaux-Arts  a  eu  lieu 
hier  samedi,  18  octobre,  sous  la  présidence  de  M.  Ambroise  Thomas.  Le 
programme  de  la  séance  était  ainsi  composé  :  1°  exécution  de  la  scène 
lyrique  qui  a  remporté  le  second  premier  grand  prix  de  composition  mu- 
sicale et  dont  l'auteur  est  M.  Bachelet  (Alfred-Georges),  élève  de  M.  Gui- 
raud  ;  2°  discours  de  M.  le  président  et  distribution  des  grands  prix  de 
peinture,  de  sculpture,  d'architecture  et  de  composition  musicale;  3°  pro- 
clamation des  prix  décernés  en  vertu  des  diverses  fondations  ;  i"  Notice  sur 
la  vie  et  les  ouvrages  de  M.  Charles  Questel,  membre  de  l'Académie,  par 
M.  le  comte  Henri  Delaborde,  secrétaire  perpétuel  ;  5°  exécution  de  la 
scène  lyrique  qui  a  remporté  le  premier  grand  prix  de  composition  mu- 
sicale, et  dont  l'auteur  est  M.  Carraud  (Michel-Gaston),  élève  de  M.  Mas- 
senet.  On  sait  que  le  poème  de  la  cantate  de  cette  année,  Cléopâtre,  a  pour 
auteur  M.  Fernand  Beissier  ;  les  trois  personnages  —  réglementaires  — 
sont  Antoine,  Cléopâtre,  et  le  spectre  de  César  ;  en  voici  une  rapide  ana- 
lyse. A  l'issue  de  la  bataille  d'Actium,  Antoine  vaincu  cherche  un  refuge 
dans  le  tombeau  des  Ptolémées  ;  il  y  rencontre  Cléopâtre,  qui  s'est  aussi 
réfugiée  dans  ce  lieu  sacré.  Les  deux  amants,  heureux  de  se  retrouver 
après  tant  d'infortunes,  songent  à  fuir  ensemble,  loin  de  ce  pays  maudit. 
Mais  le  spectre  de  César  apparaît  soudain;  il  ordonne  à  Antoine  de  mou- 
rir ;  le  rival  d'Octave  obéit;  Cléopâtre  se  tue  avec  lui.  —  M110  de  Montaland, 
MM.  Imbert  de  La  Tour  et  Martapoura,  pour  M.  Bachelet;  Mmo  Fiérens, 
MM.  Cossira  et  Taskin,  pour  M.  Carraud,  étaient  hier  les  interprètes  de 
Cléopâtre  à  l'Académie  des  beaux-arts. 

—  La  bibliothèque  de  l'Opéra,  déjà  si  riche  et  si  fournie,  vient  encore  de 
s'enrichir  d'une  importante  série  de  trente-sept  partitions  formant  un  en- 
semble de  quarant-quatre  volumes  et  provenant  de  la  collection  Adam.  Ces 
partitions  sont  signées  des  noms  d'Auber,  Bellini,  Berton,  Bochsa,  Boieldieu, 
Carafa,  Champein,  Cherubini,  de  Feltre,  Gluck,  Gomis,  Halévy,  Herold, 
Kreutzer,  Labarre,  Méhul,  Meyerbeer,  Mozart,  Nicolo,  Paisiello,  Prévost, 
Rossini,  Sacchini,  Spontini,  Vogel,  D  Z  (Dezède).  Ces  37  partitions  sont 
des  partitions  d'orchestre  (celle  du  Pirate  seule  est  pour  piano  et  chant)  qui 
toutes,  sauf  Armide  de  Gluck,  le  Solitaire,  de  Carafa,  et  la  Colonie,  de  Sac- 
chini, manquaient  à  la  bibliothèque  de  l'Opéra. 

—  Plusieurs  de  nos  grands  confrères  publient  en  ces  termes  la  nouvelle 
que  voici  :  «  On  vient  de  vendre  à  Berlin,  aux  enchères  publiques,  la 
seule  partition  autographe  de  Beethoven  qui  ait  été  conservée.  C'est  la 
Grande  Fugue,  datée  de  mai  1827.  Elle  est  écrite  sur  quatre-vingts  grandes 
pages.  Elle  a  été  vendue  1,32b  marks  (1,636  francs).  »  Il  y  a  là  certaine- 
ment une  erreur,  non  dans  le  fait  lui-même,  que  nous  tenons  pour  exact, 
mais  dans  l'assertion  à  laquelle  il  donne  lieu.  Les  manuscrits  autographes 
de  Beethoven  sont  beaucoup  moins  rares  que  les  lettres  de  Molière,  et 
sont  fort  loin  d'être  introuvables.  Il  ne  faudrait  pas  aller  beaucoup  plus 
loin  que  la  Bibliothèque  du  Conservatoire  pour  en  rencontrer  de  très  pré- 
cieux, et  nous  ajouterons  que  nous  en  avons  vu  passer  en  vente  publique, 
ici  même,  à  Paris,  sinon  fréquemment,  du  moins  plus  d'une  fois.  Il  n'est 
donc  pas  exact  de  dire  que  le  manuscrit  qui  vient  d'être  vendu  à  Berlin 
est  «  la  seule  partition  autographe  qui  ait  été  conservée  »,  ce  qui,  on 
l'avouera,  serait  fort  étonnant,  étant  donnée  la  prodigieuse  fécondité  du 
maître  que  Richard  Wagner  a  daigné  corriger. 

—  Les  journaux  allemands  commentent  beaucoup  une  phrase  prononcée 
par  M.  Ernest  Reyer  dans  son  discours  à  propos  de  l'inauguration  de  la 
statue  de  Berlioz  à  la  Côte-Saint-André.  C'est  l'endroit  où  l'orateur  parlait 
d'un  pays  où  Berlioz  a  trouvé  ses  premiers  succès,  «  mais  où  son  patrio- 
tisme aussi  bien  que  sa  dignité  lui  défendraient  d'aller  les  chercher  aujour- 
d'hui ».  Les  journalistes  allemands  se  montrent  fort  indignés  de  cette 
allégation  ;  quelques-uns  vont  même  jusqu'à  dire  qu'ils  espèrent  bien 
qu'après  cela  M.  Ernest  Reyer,  s'appliquant  à  lui-même  les  doctrines  qu'il 
professe,  se  gardera  de  faire  représenter  ses  œuvres  à  Berlin,  comme  il  en 
est  question  pourtant.  Plusieurs  enveloppent  même  le  Ménestrel  dans  l'ana- 
thème  lancé  contre  l'auteur  de  Salammbô.  A  ceux-ci  nous  prendrons  la 
peine  de  faire  remarquer  que  nous  n'avons  nullement  approuvé  la  manière 
de  voir  de  M.  Reyer  en  cette  occasion.  Tout  au  contraire,  M.  Julien  Tiersot 
faisait  suivre  la  phrase  malencontreuse  qu'on  reproche  à  M.  Reyer  des 
quelques  lignes  suivantes  :  «  J'ai,  pour  ma  part,  une  tout  autre  conviction, 
à  savoir  que  le  patriotisme  n'a  rien  à  faire  dans  l'estime  accordée  ou 
refusée  aux  œuvres  d'art.  »  Cette  opinion  est  également  la  nôtre. 

—  Le  Daily  News  annonce  que  des  propositions  ont  été  faites  à  M.  Co- 
lonne pour  une  série  de  concerts  d'orchestre  à  donner  à  Saint-James's- 
Hall,  de  Londres,  aux  mois  de  mai  et  juin  prochains. 

—  Il  nous  revient  que  M.  Jacquot,  l'excellent  luthier  nancéen  dont  la 
réputation  n'est  plus  à  faire,  prépare,  pour  une  Exposition  prochaine, 
toute  une  série  d'instruments  franchement  modernes,  qui  reproduiront 
les  qualités  de  facture  très  habile  qu'on  avait  appréciées  dans  les  beaux- 
violons    et  violoncelles  d'imitation   ancienne  qui  composaient  sa  remar- 


LE  MÉNESTREL 


335 


quable  exposition  au  Champ-do-Mars  en  1889.  Ceci  revient  à  dire  que 
M.  Jacquot  ne  se  cantonne  pas,  comme  jadis  feu  VuiUaume,  dans  une  imi- 
tation étroite  et  servile  des  anciens  luthiers,  mais  qu'il  sait  faire  aussi, 
dans  d'excellentes  conditions,  de  la  lutherie  d'aspect  et  de  qualités  essen- 
tiellement modernes. 

—  Une  représentation  extraordinaire,  au  bénéfice  de  M.  Dumaine,  sera 
donnée  à  l'Opéra,  le  jeudi  soir  30  courant.  En  outre  d'intermèdes  par  un 
grand  nombre  d'artistes  des  principaux  théâtres  de  Paris,  on  jouera  le 
Chapeau  d'un  horloger,  avec  M.  Jolly,  du  Vaudeville,  dans  le  rôle  créé  au 
Gymnase  par  Lesueur;  le  troisième  et  le  quatrième  acte  d'Hamlet,  avec 
M.  Lassalle,  M1"8  Melba  et  M110  Subra;  le  troisième  acte  de  Patrie!  le  drame 
de  Sardou,  dans  un  décor  de  l'Opéra,  avec  le  bénéficiaire  dans  le  rôle  du 
comte  de  Rysoor,  qu'il  a  créé,  et  M.  Goquelin  dans  celui  du  sonneur; 
enfin  un  divertissement  chorégraphique,  probablement  le  pas  de  la  Korri- 
gane, avec  MUe  Mauri.  La  représentation  sera  terminée  par  une  pièce  de 
vers  de  circonstance,  que  Dumaine  lira  au  public  et  à  ses  camarades 
réunis  autour  de  lui. 

—  A  l'Opéra-Comique,  M.  Gibert  répète  le  rôle  de  Dimilri,  qui  sera 
repris  prochainement.  Mme  Bernaërt  étudie  celui  de  la  princesse  Vanda. 
Mmes  Deschamps-Jéhin,  Landouzy,  MM.  Soulacroix  et  Fournets  conser- 
vent les  rôles  qu'ils  ont  joués  la  saison  dernière. 

—  Rendons  à  Faure  ce  qui  appartient  à  Faure.  Le  beau  Credo  que 
M.  Plançon  a  si  magnifiquement  chanté  au  mariage  de  MUe  Dumas,  est 
de  la  composition  de  notre  grand  chanteur,  et  non  de  celle  de  M.  Gounod, 
assez  riche  de  sa  propre  gloire  pour  ne  rien  envier  à  celle  des  autres. 
C'est  donc  à  tort  que  tous  les  journaux  de  Paris  —  y  compris  le  Ménestrel! 
—  ont  annoncé  que  ce  Credo  était  tiré  de  l'opéra  Polyeucte. 

—  Mmo  Nevada  a  quitté  Paris  hier  soir  pour  commencer  la  grande 
tournée  qu'elle  va  faire,  jusqu'en  janvier  prochain,  en  Hollande  et  en 
Scandinavie,  sous  la  direction  de  M.  Ferdinand  Strakosch.  L'habiie  im- 
présario, qui  a  su  entourer  sa  brillante  étoile  de  toute  une  pléiade  d'ar- 
tistes italiens  di  primo  cartello,  donnera  de  grands  concerts  et  aussi  des 
représentations.  Mm0  Nevada  chantera  à  ces  réprésentations  Hamlet,  Mignon, 
Lakmé,  le  Barbier  et  la  Sonnambula. 

—  M,le  Pringle,  une  des  interprètes  préférées  de  Wagner,  avec  qui 
elle  a  travaillé  les  différents  rôles  qu'elle  a  chantés  à  Bayreuth,  vient  de 
traverser  Paris.  La  cantatrice,  très  fêtée  à  Londres,  s'est  fait  entendre 
avec  un  grand  succès,  cette  semaine,  chez  M.  Ten  Hâve,  et  compte,  cet 
hiver,  chanter  aux  concerts  de  M.  Lamoureux. 

—  Hier  a  été  célébré,  à  Notre-Dame-de-Lorette,  le  mariage  de  notre 
excellent  confrère,  M.  Maurice  Ordonneau,  avec  MUe  Pirotte.  L'église  était 
trop  petite  pour  contenir  la  foule  des  nombreux  amis  du  spirituel  etsym- 
patique  auteur  de  Durand  et  Durand. 

—  Un  professeur  italien,  M.  Leopoldo  Mastrigli,  vient  d'appliquer  au 
piano  le  procédé  ingénieux  déjà  employé  par  lui  à  l'égard  du  chant.  Il 
a  réuni  dans  un  élégant  petit  volume,  sous  une  série  de  rubriques  spé- 
ciales, toute  une  suite  de  conseils,  d'observations,  de  préceptes,  d'apho- 
rismes  relatifs  à  l'étude  du  piano  et  empruntés  par  lui  aux  artistes  les 
plus  éminents  et  les  plus  qualifiés,  et  il  a  publié  le  tout  sous  le  titre 
de  Manuale  del  pianista  (Milan,  Hoepli,  in-16).  On  trouve  là-dedans  des 
réflexions  et  des  observations  fort  utiles,  signées  des  noms  de  Beetho- 
ven, Moschelès,  "Weber,  Czerny,  Mendelssohn,  Chopin,  Kalkbrenner,  dé- 
menti, Schumann,  Liszt,  Gottschalk,  Fétis,  Berlioz,  Angeleri,  et  de 
MM.  Marmontel,  Mathis  Lussy,  Edouard  Hanslick,Eschmann-Dumur,  Baz- 
zini,  Kleczynski,  Alfred  Quidant,  etc.  C'est  le  titre  de  «  Manuel  »  qui  ne  me 
parait  pas  convenir  à  une  publication  de  ce  genre,  car  il  va  sans  dire  qu'il 
ne  s'agit  pas  d'un  ouvrage  d'instruction  technique  et  pratique  ;  cet  ou- 
vrage vise  à  la  fois  moins  loin  et  plus  haut,  et  il  s'adresse  plutôt  à  l'àme 
de  l'artiste  qu'aux  doigts  de  l'écolier.  C'est  donc  un  Conseiller  du  pianiste 
plutôt  qu'un  manuel,  au  vrai  sens  du  mot.  Cette  réflexion  faite,  —  ce 
n'est  pas  même  une  réserve,  —  ce  petit  volume,  très  ingénieux,  je  le 
répète,  peut  être  d'une  grande  utilité  et  servir  beaucoup  à  l'éducation  in- 
tellectuelle des  jeunes  artistes.  A.  P. 

—  Le  Cercle  Funambulesque  et  le  théâtre  des  Bouffes-Parisiens  viennent 
de  signer  un  traité  d'alliance.  En  vertu  de  ce  traité,  c'est  aux  Bouffes- 
Parisiens  qu'auront  lieu  cet  hiver  les  soirées  du  Cercle  Funambulesque. 
Ces  soirées  gardent  d'ailleurs  leur  caractère  absolument  privé  et  conti- 
nuent à  être  réservées  aux  seuls  membres  du  Cercle  et  à  leurs  invités. 
D  ne  reste  qu'un  très  petit  nombre  de  places  disponibles  et  le  comité 
sera  obligé,  à  bref  délai,  de  ne  pas  donner  suite  aux  demandes  d'admis- 
sion. Ajoutons  que  toutes  les  communications  relatives  aux  représenta- 
lions  funambulesques  doivent  être  adressées  au  président  du  Cercle,  33, 
rue  de  Chàteaudun,  où  les  inscriptions  sont  reçues  tous  les  jours  de  1  à  4 
heures. 

—  Voici  le  programme  du  premier  concert  Colonne,  dont  la  réouverture 
a  lieu  aujourd'hui  dimanche,  à  deux  heures,  au  Chàtelet:  Ouverture  de 
Phèdre  (Massenet)  ;  Symphonie  pastorale  (Beethoven)  ;  Aria  de  la  suite  en  ré 
(J.-S.  Bach);  Sérénade  de  Namouna  (Ed.  Lalo)  ;  Fragments  de  Samson  et 
Dut ila  (Saint-Saëns)  ;  Prélude  de  Lohengrin  (Richard  "Wagner)  ;  Peer  Gijnt, 
suite  d'orchestre  (Ed.  Grieg)  ;  la  Damnation  de  Faust,  fragments  (II.  Berlioz). 


—  On  sait  que  le  Théâtre  des  Arts,  de  Rouen,  va  donner  prochaine" 
ment  la  Salammbô  de  M.  Reyer.  Voici  la  distribution  de  l'ouvrage,  telle 
qu'elle  vient  d'être  arrêtée  : 


Salammbô 

Taanach 

Matho 

Shahabarim 

Hamilcar 

Spendius 

Narr'Havas 

Giscon 

Autharite 

Le  grand  prêtre  de  Khamon 

Le  grand  prêtre  de  Melkarth 

Le  grand  prêtre  d'Eschmoùn 


M'™'  Dufrasne,  de  l'Opéra. 

De  Béridez. 
MU.  Raynaud. 

DepreBtre. 

Mandaud. 

Montfort. 

Lequien. 

Larcher. 

Gournay. 

Fleurix. 

Paillard. 

Guénaud. 


—  La  Société  chorale  d'amateurs,  dont  le  président  est  M.  Ed.  Guinand 
et  le  chef  d'orchestre  M.  Ad.  Maton,  reprendra,  le  12  novembre  prochain, 
le  cours  de  ses  intéressants  travaux.  Avec  la  Mort  d'Orphée,  la  belle  scène 
si  poétique  de  M.  Léo  Delibes,  qu'elle  compte  faire  entendre  de  nouveau, 
la  Société  produira,  au  cours  de  cette  saison,  plusieurs  œuvres  inédites, 
entre  autres  :  Hylas,  scène  lyrique  de  M.  Théodore  Dubois,  Sonnet  du 
printemps,  chœur  de  M.  Henri  Maréchal,  le  Sommeil  d'Hercule,  chœur  de 
M.  Georges  Hue,   et  Morgane,  scène  lyrique  de  M.  Paul  Vidal. 

—  Dimanche  dernier,  grande  solennité  à  Lyon,  où  le  Caveau  avait 
organisé,  sur  la  scène  du  théâtre  Bellecour,  une  superbe  représentation 
pour  élever  un  monument  au  grand  chansonnier  Pierre  Dupont.  M.  Las- 
salle,  à  qui  l'Opéra  avait  accordé  un  congé,  a  dit  de  sa  magnifique  voix 
la  Vigne,  puis  le  Grenier  de  Béranger,  la  Chanson  française  de  Charles 
Vincent,  et  la  Cosaque.  Ses  compatriotes  reconnaissants  lui  ont  fait  une 
admirable  ovation.  M.  Boudouresque,  venu  exprès  de  Marseille,  a  magis- 
tralement aussi  chanté  les  Bœufs,  les  Sapins,  les  Taureaux,  puis  la  Toussaint 
de  M.  Lacome.  Son  succès  n'a  pas  été  moins  grand.  L'aimable  chanson- 
nier Ernest  Chibroux,  un  des  vaillants  organisateurs,  avec  M.  Camille 
Rov,  de  cette  fête  du  souvenir  pour  un  vrai  poète,  a  fort  joliment  dit 
deux  fantaisies  de  lui,  et  un  poète  du  Caveau  Lyonnais,  M.  Rose,  s'est 
fait  applaudir  aussi.  La  salle,  une  des  plus  vastes  de  France,  était  bondée 
jusqu'au  faîte. 

—  La  jolie  ville  de  Ribeauvillé,  en  Alsace,  a  célébré  dernièrement  avec 
beaucoup  d'éclat  le  cinq-centième  anniversaire  de  la  fondation  de  la  con- 
frérie des  ménétriers  ou  «  chevaliers  errants  »  qui  avaient  pour  patron  le 
seigneur  de  Rappollstein  (ou  Ribeauvillé).  De  tous  les  points  de  la  con- 
trée  la  foule  était  accourue  sur  les  pas  du  pittoresque  cortège  historique, 
en  tète  duquel  chevauchait  fièrement  le  «  roi  des  ménétriers.  »  Mais  le 
principal  attrait  de  cette  fête  populaire  était  la  représentation  en  plein 
air,  dans  le  parc  du  vieux  château,  d'une  pièce  de  circonstance  intitulée 
Die  Pfeiferbrûder,  dans  laquelle  l'auteur,  M.  A.Jahn,  notaire  à  Ribeauvillé, 
avait  reconstitué,  d'après  des  documents  authentiques,  une  cour  de  jus- 
tice des  ménétriers.  La  dernière  fête  officielle  de  la  confrérie  date  de  1789. 
Ajoutons  encore  que  le  compositeur  Richard  Kleinmischel  vient  de  terminer 
un  opéra  en  trois  actes  intitulé  le  Ménétrier  de  Dusenbach,  dont  l'action  se  dé- 
roule à  Ribeauvillé  au  milieu  des  chevaliers  errants  du  quinzième   siècle. 

—  Un  groupe  de  poètes  et  de  chansonniers  vient  de  fonder  le  «  Concert 
Indépendant  »,'  qui,  le  2e  et  le  4e  mercredi  de  chaque  mois,  donnera, 
Théâtre  de  la  Galerie  Vivienne,  devant  des  membres  honoraires,  une 
représentation  privée  composée  de  chansons,  de  fantaisies  et  d'actualités 
inédites.  —  L'Administration  est,  5,  boulevard  des  Capucines.  Pour  la  ; 
première  représentation,  fixée  au  12  novembre,  on  annonce  une  revue  iné- 
dite en  un  acte  et  à  trois  personnages,  de  MM.  Xanrof  et  Bernac,  jouée 
par  les  auteurs. 

—  Une  place  de  professeur  de  chant  (classe  des  élèves  femmes)  est 
actuellement  vacante  au  Conservatoire  de  Nantes,  succursale  du  Conserva- 
toire de  Paris.  Les  artistes,  hommes  ou  femmes,  désireux  de  poser  leur 
candidature  à  cet  emploi  sont  priés  d'adresser  leur  demande,  avant  le 
30  octobre,  à  M.  le  Directeur  du  Conservatoire,  à  Nantes. 

—  Cours  et  leçons.  —  M"*  Grenier,  la  petite-fille  de  Georges  Hainl,  vient  d'ou- 
vrir, 47,  rue  Laffitte,  un  cours  où  l'on  travaillera  le  chant,  le  piano  et  la  musique 
d'ensemble,  sous  la  direction  de  l'excellent  professeur.  —  M.  Béer,  l'excellent 
professeur,  vient  de  reprendre  ses  leçons  et  cours  de  chant,  28,  rue  Duperré.  — 
Les  cours  de  musique  de  M.  Charles  René  (piano,  harmonie,  composition,  con- 
trepoint, fugue,  transposition)  sont  rouverts  depuis  le  H  octobre  à  l'institut  Rudy, 
7,  rue  Royale.  —  M"  Augustine  Warambon,  professeur  de  chant,  a  repris  ses 
cours  et  leçons  depuis  le  15  octobre,  29,  rue  de  Douai.  —  Les  cours  de  piano  de 
M.  Ferdinind  Maunier,  ancien  professeur  à  l'Ecole  française,  sont  transfères, 
pour  cause  d'agrandissement,  64,  rue  de  Provence.  —  M""  M.  Marshall  reprend 
ses  leçons  de  chant,  13,  avenue  de  Clichy,  et  à  SaintrGcrmaiu-en-Laye,  le  samedi 
de  chaque  semaine.  —  Cours  de  chant  et  de  déclamation,  sous  la  direction  de 
M.  Guidon,  pour  les  artistes  et  les  amateurs,  et  leçons  particulières,  39,  rue  de 
Chàteaudun. 


Henri  IIeucel.  directeur -géiant. 


336 


LE  MENESTREL 


Paris,  AU  MÉNESTREL,  2hs,  rue  Vivienne,  HENRI    HBUGBL,   Éditeur-propriétaire. 


L-A.  BOuRGAÏÏLT-DuCOuDRAY 

RAPSODIE  CAMBODGIENNE 

Exécutée    a^lx    CONCERTS    LAMOUREUX 


Grande  partition  d'orchestre,  prix  net  :  25  fr.  —  Parties  séparées  d'orchestre,  prix  net:  50  fr. 
CHAQUE    PARTIE    SUPPLÉMENTAIRE,    PRIX    NET:    2    FR.    50    C. 

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N°  2 
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DU    MEME   AUTEUR  : 

JEUXES     CHANTEURS 


NOTES    ET    CONSEILS 

Extraits   du   Traité   Pratique   LA  VOIX   ET   LE   CHANT 

UN  VOLUME  IN-12,  NET  :  2  Francs 


MÉLODIES  POPULAIRES 

DES 

PROVINCES  DE  FRANCE 


lre  Série 

N«  Prix 

1.  Le  Mois  de  Mai 5  fr. 

Chant  de  quête  de  la  Champagne. 

2.  La  Chanson  des  Métamorphoses 5    » 

Version  du  Morvan. 

3.  Celui  que  mon  cœur  aime  tant 2  50 

Chanson  de  l'Angoumois. 

4.  Le  Pauvre  Laboureur 5    » 

Chanson  de  la  Bresse. 

5.  La  Pernette : 3    » 

Version  de  la  Franche-Comté. 

6.  Briolage , 2  50 

Chant  du  laboureur  berrichon. 

1.     La  Bergère  et  le  Monsieur 2  50 

Chanson  dialoguée.  Version  d'Auvergne. 

8.  Le  Rossignol  Messager 4    » 

Version  bressane. 

9.  En  passant  par  la  Lorraine 5    » 

Version  du  pays  messin. 

10.     Le  Chant  des  livrées 5    » 

Chanson  de  noces  du  Berry. 


2e  Série 

N°>  Prix 

11.  La  Mort  du  Roi  Renaud 5    » 

Version  de  la  Normandie. 

12.  C'est  le  vent  frivolant 4    » 

Ronde  française  du  Canada. 

13.  Le  Retour  du  Marin 2  50 

Version  poitevine.' 

14.  Voilà  six  mois  qu'c'était  le  printemps 4    » 

Version  bourguignonne. 

15.  Là-haut  sur  la  montagne 4    » 

Pastourelle.  Version  de  l'Alsace. 

16.  Le  Joli  Tambour 5     » 

Version  de  la  haute  Bretagne. 

17.  Rossignolet  du  Bois  joli 3     » 

Chanson  populaire  de  la  Bresse. 

18.  Les  Répliques  de  Marion ,   .     2  50 

Chanson  dialoguée.  Version  du  Berry. 

19.  La  Mort  du  Mari 2  50 

Version  normande. 

20.  Rondes  bretonnes 5    » 

Haute  Bretagne. 


RECUEILLIES  ET  HARMONISÉES  PAR  JULIEN  TIERS0T 

Chaque  série  de  10  N"  en  un  recueil  in-8»,  Prix  net  :  5  fr.  —  Les  2  Séries  réunies  en  un  recueil  iu-8",  Prix  net  :  8  fr. 

Nota.  —  Les  chansons  n08  i,  g,   io,   12  et  20  sont,  en  partie,  avec  chœur  à  l'unisson.  —  Il  existe  deux  éditions  de  la  chanson  n°  g, 
En  passant  par  la  Lorraine  :  une  avec  chœur  (n"  g)  et  l'autre  pour  voix  seule  (n°  g  bis). 


^MI'KIIIERIK  ce*r 


mrimiLluE  i 


3108  —  56 


Dimanche  26  Octobre  1890. 


—  N°  *3.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Noies  d'un  librettiste  :  Louis  Lacombe  (24"  article),  Loois  Gallet.  —  IL  Semaine 
théâtrale  :  Une  lettre  de  M.  Ernest  Reyer,  H.  Moreno  ;  première  représentation 
du  Maître,  aux  Nouveautés,  et  reprise  de  Peau  d'Ane,  au  Cbâtelet,  Paul-Emile 
Chevalier.  —  III.  Un  virtuose  couronné  (61  article),  Edmond  Neukomm  et  Paul 
d'Estrée.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

ALLEGRETTO    PASTORAL 

de  Théodore  Lack.  —  Suivra  immédiatement:  Légende  slave,  de  L.-A.  Bour- 

GAULT-DuCOUDRAY. 

CHANT 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant:  Celui  que  mon  cœur  aime  tant,  chanson  de  lAngoumois,  n°  3  des 
Mélodies  populaires  de  France,  recueillies  et  harmonisées  par  Julien 
Tiersot.  —  Suivra  immédiatement  :  La  Mort  du  Roi  Renaud,  version  de  la 
Normandie,  n°  11  de  la  même  collection. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


LOUIS   LACOMBE 


Enfin,  après  bien  des  semaines  écoulées,  durant  lesquelles, 
intéressé  par  cette  conscience  d'artiste  aux  prises  avec  sa 
propre  création,  troublé  à  la  pensée  de  détruire  des  illu- 
sions que  je  voyais  si  profondes  et  si  sincères,  épouvanté 
pourtant  de  la  grandeur  folle  de  la  tâche  à  remplir,  je 
n'avais  pas  encore  eu  le  courage  de  me  mettre  à  l'œuvre,  je 
reçus,  le  17  octobre  1884,  ces  mots  appuyant  une  fois  de 
plus  sur  la  réalisation  de  l'idée  telle  qu'il  la  concevait. 

«  Vous  le  voyez,  j'ai  suivi  l'histoire  pas  à  pas,  ne  m'arrê- 
tant  que  sur  ses  sommets,  liant  les  événements  les  uns  aux 
autres  au  moyen  de  personnages  fictifs  qui  cependant  pren- 
nent part  à  l'action,  précisément  comme  dans  l'épopée,  et 
chargeant  les  faits  seuls  de  louer  ou  blâmer  les  grands  et  les 
petits.  Je  crois  qu'il  nous  faut  suivre  cette  voie,  afin  de 
conserver  à  notre  œuvre  ce  parfum  d'impartialité  qui,  en 
toute  chose,  devrait  être  incorruptible 

«  Je  désire  aussi  que  vous  ne  reculiez  pas  devant  la 
deuxième  partie.  Il  est  indispensable  d'égayer  un  sujet  aussi 
sévère  et,  si  faire  se  peut,  de  le  rendre  populaire.  Je  m'en- 
tends :  je  n'ai  jamais  couru  après  la  popularité,  mais  il  est 
nécessaire  qu'un  ouvrage  de  cette  nature,  de  cette  étendue, 
de  cette  élévation,  contienne  une  forte  dose  de  la  sève  du 
peuple  et  soit  formé  pour  ainsi  dire  de  sa  moelle...   » 


Malgré  ces  belles  raisons,  je  résistais  toujours.  Nous 
échangeâmes  alors  bien  des  observations  ;  entre  le  sens 
pratique  qui  me  conseillait  une  entreprise  moins  ambitieuse  et 
l'âpre  volonté  qui  l'y  poussait,  l'entente  ne  devait  pas  s'établir. 
Il  avait  toujours  présente  à  la  mémoire  l'exécution,  au  Palais 
de  l'Industrie,  de  ce  chant  :  Cimbres  et  Teutons,  qui  lui  avait 
donné  une  satisfaction  si  complète.  En  vain,  j'aurais  voulu 
lui  démontrer  l'impossibilité  d'une  relation  entre  un  simple 
chœur  et  un  ouvrage  en  plusieurs  parties  comme  la  Révolu- 
tion française.  Il  avait  son  idée,  dont  je  "voyais  bien  qu'il  ne 
démordrait  pas. 

Un  jour  enfin,  il  fallut  expliquer  pourquoi  je  ne  me  met- 
tais pas  au  travail  immédiatement.  Autant  pour  moi  que 
pour  lui,  je  lui  demandai  d'acquérir  au  moins,  avant  de 
commencer,  la  certitude  que  ses  peines  ne  seraient  par  per- 
dues, que  les  moyens  d'action  ne  lui  manqueraient  pas,  une 
fois  l'œuvre  achevée.  Simple  et  brève,  ou  encore  destinée  au 
théâtre,  on  aurait  pu  l'entreprendre  sans  autre  souci  que  de 
la  bien  faire,  pour  le  seul  amour  de  l'art;  mais  telle  qu'elle 
s'offrait,  dépassant  les  proportions  humaines,  elle  courait 
fort  le  risque  de  rester  dans  les  cartons  de  son  auteur.  Je 
confessais  mes  scrupules  et  mes  craintes  à  cet  égard. 

«  Votre  lettre  si  loyale  me  touche  beaucoup,  me  répondit- 
il.  Je  voudrais  pouvoir  y  répondre  par  la  promesse  d'une 
attente  prolongée.  Mais  comment  faire?  Je  ne  suis  pas 
éternel,  je  travaille  lentement,  et  il  ne  me  faudra  pas  moins 
de  quinze  à  dix-huit  mois  pour  composer  la  musique  de 
l'œuvre  projetée. 

»  Pouvez-vous  prendre  l'engagement  de  me  livrer  la  moitié 
de  votre  travail  à  la  fin  de  janvier  ou  de  février?  Réfléchis- 
sez. Dans  l'affirmative,  je  vous  attendrais  ;  dans  la  négative> 
je  serai  bien  forcé  de  prendre  d'autres  dispositions,  car  les 
raisons  que  vous  alléguez,  —  raisons  dont  je  sens  tout  le 
poids,  dont  je  comprends  toute  la  gravité,  —  pourront  sub- 
sister demain,  dans  quinze  jours,  dans  trois  mois,  et  je  me 
retrouverais  alors  dans  la  situation  où  j'étais  en  juillet 
dernier. 

»  J'ajouterai,  pour  répondre  comme  je  le  dois  à  votre 
franchise,  que  je  ne  commencerai  à  composer  que  quand 
j'aurai  le  poème  complet;  cette  condition  est  d'une  impor- 
tance capitale  pour  moi,  étant  donnée  ma  manière  de  tra- 
vailler, laquelle  a  sa  raison  d'être,  sa  logique. 

«  Enfin,  il  faut,  si  je  veux  avoir  fini  en  mai  ou  juin  1883, 
que  je  me  mette  à  l'ouvrage  dès  le  1er  mars  prochain,  et 
encore  n'aurai-je  pas  un  instant  à  perdre. 

»  Il  est  difficile  de  s'occuper  si  longtemps  à  l'avance  de 
l'exécution  d'une  symphonie  dont  la  première  note  n'est  pas 
écrite,  dont  le  premier  vers   n'est  pas  fait.  —  Quoi  qu'il  en 


338 


LE  MENESTREL 


soit,  la  première  question  à  résoudre  est  celle-là  :  pouvez- 
vous  me  promettre  d'être  prêt  à  la  date  sus-indiquée?  Quant 
à  votre  bonne  volonté,  je  ne  l'ai  jamais  mise  en  doute  une 
minute,  et  si  votre  réponse  n'était  pas  conforme  à  mes  désirs, 
je  n'en  garderais  pas  moins  le  souvenir  de  votre  cordial 
accueil  ». 

Je  ne  me  sentis  pas  le  courage  de  lui  faire  cette  promesse, 
et  les  choses  durent  en  rester  là.  Il  reprit  ce  volumineux 
programme  dont  l'idée  m'avait  séduit  autant  que  ses  propor- 
tions m'avaient  effrayé.  Je  retirai  du  moins  de  cette  aventure 
le  bénéfice  d'un  lien  amical  avec  un  homme  d'une  grande 
valeur  intellectuelle,  avec  un  de  ces  rares  artistes  que  ne 
domine  aucune  autre  préoccupation  que  celle  de  leur  idéal. 

J'ai  la  conscience  de  lui  avoir  causé  une  grande  peine, 
mais  aussi  de  lui  avoir  épargné  un  grand  mécompte. 


Ces  menus  faits  de  l'histoire  de  nos  musiciens  retiennent 
toujours  mon  esprit,  malgré  leur  apparente  insignifiance, 
surtout  s'appliquant  à  un  homme  dont  l'avenir  éclairera  peut- 
être  l'œuvre  d'une  assez  vive  lumière  pour  que  l'on  se  soucie 
de  ses  commencements,  de  sa  tournure  d'esprit,  du  penchant 
de  ses  idées  et  des  traits  de  son  caractère. 

Tout  récemment  encore,  je  causais  de  Louis  Lacombe  avec 
Lionel  Bonnemère,  qui  fut  pour  lui  un  collaborateur  actif  et 
qui  l'a  connu  bien  mieux  que  moi. 

Il  me  le  dépeignait,  lui  aussi,  comme  un  très  galant  homme, 
d'apparence  un  peu  sournoise,  —  c'est  peut-être  plutôt  d'une 
timidité  ombrageuse  qu'il  faudrait  dire  —  amoureux  de  la 
solitude,  et  d'un  orgueil  d'artiste  non  exempt  de  quelque 
naïveté . 

Et  comme  je  demandais  à  Bonnemère  pour  quelles  causes 
ce  Winkelried,  l'œuvre  maîtresse  du  compositeur  dans  le 
genre  dramatique,  n'avait  pas  été  représentée  : 

«  J'avais  fait  avec  lui,  me  dit-il,  une  cantate  sur  la  ba- 
taille de  Morat,  qui,  faute  de  temps  avant  les  fêtes,  pour 
les  études,  ne  put  être  exécutée.  —  Comme  cette  œuvre,  bien 
que  non  représentée,  nous  avait  valu  quelques  chaudes  ami- 
tiés en  Suisse,  l'idée  nous  vint  d'écrire  un  opéra  national  sur 
Winkelried.  Reçue  au  grand  théâtre  de  Genève,  cette  pièce, 
dont  tous  les  frais  de  copie  furent  payés  par  la  Yille,  entra 
en  répétition;  si  elle  ne  fut  pas  représentée,  c'est  à  la  suite 
de  quelques  incidents  soulevés  par  Louis  Lacombe  lui-même, 
qui  ne  se  rendit  pas  bien  compte  des  nécessités  d'un  théâtre 
de  province.  Il  eut  aussi  de  très  grandes  exigences  comme 
choix  d'artistes.  Pour  tout  dire,  nous  eûmes  surtout  à  nous 
débattre  contre  la  manière  d'agir  d'un  directeur  mort  à  pré- 
sent. 

»  C'est  à  ce  "Winkelried,  le  héros  de  la  bataille  de  Sempach, 
que  se  rattache  une  anecdote  que  je  vous  ai  un  jour  contée, 
touchant  certaines  prétentions  bizarres  de  Louis  Lacombe. 

»  Un  matin,  il  vint  me  trouver  et  me  demanda  si  je  ne  pour- 
rais pas  faire  quelque  démarche  auprès  du  gouvernement 
fédéral  pour  avoir  l'autorisation  de  retirer  de  l'arsenal  de 
Soleure  les  drapeaux  conquis  sur  les  Autrichiens  lors  de  la 
bataille  de  Sempach.  Il  voulait  qu'ils  figurassent  au  dernier 
acte  de  notre  opéra! 

»  Je  lui  dis  que  je  ne  saurais,  pour  ma  part,  faire  une 
pareille  démarche,  d'ailleurs  inadmissible,  les  Suisses  ne 
pouvant  consentir  à  profaner  sur  un  théâtre  des  étendards 
pris  sur  l'ennemi  et  conservés  depuis  des  siècles  à  titre  de 
reliques  nationales.  Comme  argument  pratique,  j'ajoutai  que 
ces  glorieux  trophées  ne  produiraient  d'ailleurs  aucun  effet, 
vu  leur  très  piteux  état... 

»  Lacombe  fut  quelque  temps  avant  de  se  rendre  à  mes 
raisons  !  » 

Où  faut-il  chercher  la  cause  de  l'isolement  dans  lequel  on 
a  tenu,  une  grande  partie  de  sa  vie,  ce  compositeur  pourtant 
très  remarquable?  Peut-être,  en  somme,  dans  cette  tendance, 


constamment  affirmée,  à  placer  trop    haut  son  but,  à  ne  pas 
se  contenter  pour  vivre  des  conditions  de  la  vie  normale. 

En  renonçant  à  écrire,  selon  le  plan  grandiose  tracé  par 
lui-même,  cette  fièvolution  française  que  déjà  il  se  plaisait  à 
considérer  comme  son  testament  musical,  Louis  Lacombe  a 
pu  cependant,  avec  un  juste  orgueil,  considérer  l'ensemble 
de  l'œuvre  qui  lui  survit. 

Il  y  a  dans  cette  collection  bien  des  pages  magistrales,  et 
peut-être  un  jour  se  trouvera-t-il  un  directeur  pour  prendre 
ce  Winkelried  resté  inédit,  le  mettre  à  l'étude  et  le  jouer 
enfin,  rendant  un  tardif  hommage  au  compositeur  mort,  tenté 
qu'il  sera  par  cette  gloire  de  révéler  à  son  pays  un  grand 
artiste  de  plus,  ou  par  ce  plaisir,  très  humain,  de  faire  échec 
à  quelque  compositeur  vivant. 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


Voici  une  lettre  de  M.  Ernest  Reyer  qui  arrive  à  propos  pour 
donner  quelque  intérêt  à  une  «  semaine  »  absolument  vide  d'événe- 
ments intéressant  la  musique  : 

Bruxelles,  22  octobre  1890. 
Mon  cher-Heugel, 

Le  Ménestrel  de  dimanche  dernier  m'apprend  que  les  journaux  allemands 
«  commentant  beaucoup  »  une  phrase  du  discours  que  j'ai  prononcé  à 
l'inauguration  de  la  statue  de  Berlioz  à  la  Côte-Saint-André. 

Cette  phrase,  la  -voici  :  «  Berlioz  trouva  ses  plus  grands  succès  dans  un 
pays  où  son  patriotisme  et  sa  dignité  lui  défendraient  d'aller  les  chercher  aujour- 
d'hui. »  C'est  bien  de  l'Allemagne,  en  effet,  et  particulièrement  de  la 
Prusse,  que  j'ai  voulu  parler.  Les  journalistes  allemands,  qui  ne  pou- 
vaient s'y  tromper,  ne  se  contentent  pas,  à  ce  qu'il  paraît,  de  commenter 
cette  phrase  «  malencontreuse  »,  ils  s'en  montrentindignés  !  Iln'y  a  vrai- 
ment pas  de  quoi.  Et  quand  votre  aimable  collaborateur,  M.  Julien  Tiersot, 
fait  cette  réflexion  que  «  le  patriotisme  n'a  rien  à  faire  dans  l'estime 
accordée  ou  refusée  aux  œuvres  d'art  »,  M.  Tiersot  rend  parfaitement  ma 
pensée.  Depuis  1870  j'ai  continué  à  aimer,  à  admirer  les  maîtres  allemands, 
à  demander,  en  toute  occasion,  qu'on  fit  à  leurs  œuvres  la  plus  large 
place  dans  le  répertoire  de  nos  théâtres  et  de  nos  concerts  ;  je  suis  un 
très  chaud  partisan  de  Richard  "Wagner,  vous  le  savez  bien,  et  j'ai  fait 
campagne  pour  Lohcngriii  contre  les  marmitons  qui  onteu  la  facile  audace 
de  le  siffler.  Mais  depuis  1870  je  ne  suis  plus  jamais  retourné  en  Alle- 
magne, où  j'avais  cependant  beaucoup  de  sympathies  et  quelques  amis. 

Qu'on  joue  à  Paris  Lohengrin  et  tout  le  répertoire  wagnérien,  comme  on 
joue  à  Berlin  et  dans  toute  l'Allemagne  Faust,  Mignon,  Carmen  et  d'autres 
œuvres  françaises,  rien  de  mieux;  mais  faites-moi  le  plaisir  de  me  dire 
ce  qu'on  penserait  chez  nous  d'un  artiste  français  qui  irait,  comme  au- 
trefois Berlioz,  faire  entendre  ses  œuvres  à'  Leipsick  ou  à  Berlin,  et  en 
diriger  lui-même  l'exécution? 

Donc  ma  «  malencontreuse  phrase  »  ne  valait  pas  tant  de  commentaires, 
tant  d'indignation  non  plus  :  la  bien  comprendre  suffisait. 

Croyez  bien,  mon  cher  Heugel,  à  mes  sentiments  affectueux  et  bien 
sincèrement  dévoués. 

E.  Reyer. 

Il  n'y  a  rien  de  tel  que  de  s'entendre.  L'explication  est  nette  et 
loyale,  et  de  nature,  sans  aucun  doute,  à  contenter  nos  susceptibles 
voisins.  Il  est  donc  établi  dès  aujourd'hui  qu'on  peut  représenter 
tout  à  son  aise  les  œuvres  d'Ernest  Reyer  sur  les  scènes  germa- 
niques, sans  craindre  d'essuyer  un  refus  de  la  part  de  leur  auteur; 
mais  quant  à  posséder  celui-ci  en  personne,  bernique  !  C'est  un  hon--- 
neur  auquel  il  faut  renoncer.  Il  consent  à  donner  aux  Prussiens 
son  génie  et  le  meilleur  de  son  âme,  celle  qu'il  a  mise  dans  ses 
partitions,  mais  non  pas  sa  «  guenille,  »  comme  dirait  Molière.  Si 
après  cela  Salammbô  ne  fait  pas  le  tour  de  l'Allemagne,  c'est  que 
les  Allemands  auront  vraiment  bien  mauvais  caractère. 

Mais  que  toutes  ces  petites  questions  de  politique  musicale  sont 
donc  compliquées  !  Que  de  nuances  et  de  distinctions  subtiles  peut 
y  mettre  un  esprit  sagacc  !  Connaissez-vous  au  parlement  une  nature 
plus  véritablement  opportuniste  que  celle  du  Reyer  qui  nous  occupe? 
Dans  la  question  de  l'Opéra,  aussi  bien  que  dans  cette  question  d'Alle- 
magne, on  ne  peut  qu'admirer  la  dextérité  avec  laquelle  il  sait  se 
retourner  et  retomber  toujours  sur  ses  pieds.  S'il  n'eût  préféré  être 
un  grand  musicien,  il  eût  été  un  parfait  diplomate. 

N'importe!  nous  l'aimons  mieux —  et  il  s'aime  mieux  aussi,  nous 
en  sommes  bien  sur  —  quand  il  écrit  tout  simplement  Sigurd  et 
Salammbô. 


LE  MÉNESTREL 


339 


Quelle  aimable  transition,  pour  en  arriver  à  vous  dire  que  la  pre- 
mière de  ces  deux  œuvres  reçoit  toujours  le  plus  favorable  accueil 
à  l'Opéra,  aidée  par  sa  belle  interprète  M",c  Caron,  el  que  les  recettes 
s'en  maintiennent  au  maximum  ! 

Il  n'y  a  pas  de  lettres  qui  tiennent  —  fussent-elles  écrites  avec 
tout  l'esprit  de  M""1  de  Sévigné  — à  côté  de  ce  fait  important  :  Sigurd 
fait  de  l'argent  !  ce  qui  prouve  l'intérêt  qu'on  commence  à  prendre 
en  France  aux  œuvres  d'art  sérieuses. 

Un  autre  fait  bien  curieux.  Ne  voilà-t-il  pas  que  MM.  Ritt  et 
Gailhard  viennent  de  découvrir  un  contralto,  un  vrai,  eux  qui  en 
déclaraient  la  race  à  tout  jamais  perdue!  El  où  l'ont-ils  déniché? 
Tout  à  côté  d'eux.  Us  n'ont  eu  qu'à  étendre  le  bras  jusqu'à  l'Opéra- 
Comique,  pour  l'enlever  dextrement  à  M.  Paravey,  qui  parait  d'ail- 
leurs décidé  à  se  laisser  tout  enlever  avec  la  plus  complète  insou- 
ciance. On  devine  que  nous  voulons  parler  de  Mmo  Deschamps-Jehin, 
qui  sera  évidemment  tout  à  fait  à  sa  place  dans  le  grand  hall  mu- 
sical de  M.  Garnier.  Elle  a  les  poumons  et  la  stature  qu'il  y  faut. 
Débutera-t-elle  dans  le  Mage  de  M.  Massenet?  C'est  bien  probable. 

On  semble  s'occuper  aussi,  à  I'Opéra,  d'une  prochaine  reprise 
d'Henry  VIII,  le  bel  ouvrage  de  M.  Sainl-Saëns.  C'est  M.  Bérardi  qui 
personnifierait  cette  fois  le  sinistre  roi  d'Angleterre,  avec  Mme  Adiny 
pour  compagne.  M110  Domenech  succéderait  à  M"c  Richard  dans  le 
rôle  d'Anne  de  Boleyn.  M.  Affre  répète  déjà  celui  de  l'ambassadeur. 

Enfin,  on  s'attend  à  voir  paraître  bientôt  Mme  Melba  dans  Rigoletto. 

Pendant  ce  temps,  l'élégant  directeur  de  l'Opéra-Comique  ne  se 
croise  pas  les  bras.  Il  a  perdu  tour  à  tour  Talazac,  Mmc  Isaac, 
M"c  Arnoldson,  M"0  Samé,  M.  Bouvet,  MmB  Deschamps-Jehin,  c'est-à- 
dire  toute  l'élite  de  la  troupe  rassemblée  à  grand'peine  par  son 
prédécesseur,  M.  Carvalho.  mais  en  revanche  il  vient  d'engager 
M.  Devineau,  un  jeune  ténor,  sorti  du  Conservatoire  il  n'y  a  pas 
bien  longtemps  et  qui  a  cueilli  depuis  quelques  lauriers  sur  les 
scènes  départementales,  à  ce  que  nous  annonce  M.  Paravey.  Nous 
aurons  encore,  dans  un  avenir  prochain,  les  débuis  de  MlleVuillaume, 
qui  fut  fêtée  à  Bruxelles  et  à  Lyon  et  pour  laquelle  on  reprendrait 
spécialement  V  Esclarmonde  de  M.  Massenet.  Pauvre  enfant  ! 

H.  Moreno. 

Nouveautés.  —  Le  Maître,  étude  de  paysans  en  trois  tableaux,  de 
M.  Jean  Jullien.  —  Chatelet.  —  Peau  d'Ane,  féerie  en  quatre  actes 
et  vingt-huit  tableaux  de  Vanderbuch,  Laurencin  et  Clairville. 

Etude  de  paysans,  voilà  bien  le  seul  titre  que  M.  Jean  Jullien  eût 
le  droit  de  donne'r  au  travail  qui,  soumis  d'abord  à  l'appréciation  du 
public  spécial  du  Théâtre  Libre,  vient  d'être  donné,  pour  et  devant 
tous,  dans  la  salle  des  Nouveautés.  Le  Maître,  en  effet,  ne  manque 
pas  d'un  intérêt  réel  en  tant  que  simple  élude,  et  la  famille  Fleutiaut, 
flanquée  du  ehemineau,  Pierre  Boulas,  et  de  l'homme  d'affaires  taré, 
Dagneux,  est  campée  d'assez  solide  façon  en  un  milieu  qu'on  a  fait 
aussi  réaliste  que  les  planches  peuvent  le  permettre.  La  langue  rude 
du  paysan  attaché  à  sa  terre,  atténuée  cependant  pour  ne  point 
choquer  outre  mesure  les  auditeurs,  la  démarche  lourde  et  fatiguée 
du  travailleur  cassé  aux  labeurs  du  sillon,  l'amour  exclusif,  domi- 
nateur et  indéracinable  de  tout  ce  qui  constitue  la  propriété,  l'égoïsme 
poussé  à  la  sauvagerie  et  rendu  plus  odieux  encore  par  l'absence 
absolue,  non  seulement  de  sentiment,  mais  même  de  sens  moral, 
tels  sont  les  traits  caractéristiques  choisis  par  l'écrivain  pour  nous 
présenter  ses  principaux  personnages.  Et  vraiment,  sur  ce  point,  nous 
sommes  heureux  d'avouer  que  M.  Jean  Jullien  a  bien  fait  ce  qu'il 
voulait  faire  et  que  sa  cause  est  pleinement  gagnée.  Mais  où  nous 
nous  séparons  complètement  de  lui,  c'est  lorsqu'il  prétend,  —  lui  -ou 
son  école,  c'est  tout  un,  ■ —  que  ces  trois  tableaux  constituent  une  pièce, 
ou  pour  mieux  dire  «  la  pièce  »,  l'idéal,  le  type,  qui  synthétisent 
et  condensent  toute  l'esthétique  du  théâtre.  Je  me  suis  toujours 
laissé  dire,  et  cela  sans  jamais  y  contredire,  que  le  théâtre  vivait 
avant  tout  d'action  et  que  plus  cette  action  se  trouvait  noyée,  engloutie 
sous  des  détails  oiseux  ou  inutiles  à  sa  propre  marche,  plus  l'intérêt 
s'amoindrissait  et  moins  la  pièce  existait.  Or,  la  fable  de  M.  Jean 
Jullien  tient  en  cinq  lignes  :  le  père  Fleutiaut,  le  maître,  est  sur  le 
point  de  mourir,  et  déjà  sa  femme  et  son  fils  se  réjouissent  à  l'idée 
du  bien  qui,  sous  peu.  sera  leur.  Survient  un  vagabond  qui  arrache  le 
vieillard  à  la  mort  et  devient  l'hôte  indispensable  de  la  ferme.  La 
mère  et  le  fils,  dépités  déjà  d'avoir  vu  l'héritage  leur  échapper,  mon- 
tent la  tête  au  bonhomme  contre  son  sauveur  qu'ils  finissent  par 
faire  rejeter  sur  la  grande  route.  C'est  tout,  absolument  tout,  avec 
un  petit  roman  d'amour  ébauché  entre  Pierre  Boulas  el  la  fille  des 
Fleutiaut.  Ne  vous  semble-t-il  pas  qu'un  tableau  aurait  suffi  pour 
nous  montrer  cette  petite  histoire  et  poser  très  sufiisammont.  les 
caractères  peu  complexes  des  personnages  et  que,  pour  en  faire  trois 


tableaux,  il  a  fallu  dépenser  vraiment  uue  somme  de  délayage  par 
trop  peu  économisée.  Et  puis,  si  je  voulais  encore  chicaner  l'auteur, 
je  lui  demanderais  en  quoi  consiste  cette  formule  nouvelle  qui  doit 
régénérer  notre  théâtre  anémié,  lui  donner  une  poussée  nouvelle  vers 
la  vie,  et  que  nous  souhaitons  tous  aussi  ardemment. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  tentative  n'en  reste  pas  moins  honorable  et 
il  faut  savoir  gré  à  M.  Jules  Brasseur  du  soin  avec  lequel  il  a  mis 
en  scène  le  Maître.  MM.  Mévislo,  Décori,  Angelo,  Lauret,  et  M"'0  Billy 
ont  su  prendre  le  ton  qui  convenait  à  ce  genre  de  spectacle,  et  Mlle  Luce 
Collas  a  été  absolument  exquise  de  naïveté  champêtre. 

Le  Chatelet  a  repris,  la  semaine  dernière,  Peau  d'Ane,  une  pièce 
qui  fil  la  joie  de  tous  il  y  a  quelque  trente  ans  et  qui  fut  le  point 
de  départ  des  mises  en  scènes  somptueuses.  M.  Harmant,  alors 
directeur  de  la  Gaîté,  avait  prodigué  les  soies,  les  ors,  la  lumière  et 
même  les  cascades,  pas  lumineuses  encore,  pour  faire  de  ce  spectacle 
une  chose  éblouissante  comme  on  n'en  avait  jamais  vue.  M.  Floury 
n'a  eu  qu'à  se  servir  des  traditions  à  lui  léguées  par  son  habile  pré- 
décesseur. Comme  c'est  là,  avant  tout,  un  spectacle  d'enfants,  on  ne 
s'est  pas  mis,  celte  fois,  en  frais  d'une  distribution  capable  d'inté- 
resser les  parents,  et  quand  nous  aurons  nommé  MM.  Alexandre, 
Scipion  et  Angély,  Mmes  Donat,  Miroir  et  Destrées,  nous  aurons  très 
largement  fait  la  part  des  interprètes  des  vingt-huit  tableaux  dus  à 
l'invention  de  Vanderbuch,  Laurencin  et  Clairville. 

Paul-Emile  Chevalier. 


UN   VIRTUOSE  COURONNÉ 

(Suite.) 


VII 

L'Opéra  de  Berlin  ne  ressemblait  à  aucune  autre  institution  du 
même  genre.  Les  représentations  n'y  étaient  pas  publiques.  Les  per- 
sonnages delà  cour,  ceux  de  l'administration  supérieure  et  les  hauts 
officiers  y  avaient  seuls  des  loges,  parmi  lesquelles  figurait  au  pre- 
mier rang  celle  de  l'académie.  Quanl  au  parterre  debout,  qui  s'éten- 
dait depuis  l'entrée  jusqu'à  l'orchestre,  il  était  occupé  par  les  soldats 
qui  pouvaient  y  entrer  librement  et  qui  profilaient  largement  de 
ce  privilège,  en  s'y  étouffant,  pressés  les  uns  contre  les  autres, 
ivres  le  plus  souvent  et  répandant  dans  la  salle  des  arômes  dont 
tout  le  monde  se  plaignait. 

Seul,  le  roi  ne  remarquait  pas  ce  désagrément.  C'étaient  ses  soldats, 
et  comme  tels,  ils  avaient  le  droit  de  sentir  aussi  mauvais  qu'il  leur 
plaisait.  Lui,  debout,  derrière  l'orchestre,  la  lorgnette  à  la  main, 
comme  en  un  jour  de  bataille,  surveillait  l'exécution  musicale,  notant 
dans  leurs  moindres  détails  les  défectuosités  qui  pouvaient  se  pro- 
duire et  menaçant  tout  baut  de  punitions  corporelles  les  musiciens  de 
l'orchestre  qui  se  rendaient  coupables  d'un  contre-temps  ou  d'une 
fausse  attaque,  et  les  artistes  en  scène,  même  les  premiers  sujets, 
qui  se  permettaient  d'introduire  dans  leur  chant,  à  la  mode  italienne, 
des  fioritures  ou  des  rallentando  ne  figurant  pas  sur  le  texte. 

Ces  exigences  étaient  particulièrement  insupportables  à  ces  der- 
niers, dont  l'art  et  la  manière  résidaient  principalement  en  ces 
habitudes  d'indépendance.  Mais  le  roi  ne  l'entendait  pas  ainsi.  De 
même  qu'il  faisait  composer,  par  ses  fournisseurs  ordinaires,  de  la 
musique  allemande  sur  des  paroles  italiennes,  de  même  il  exigeait 
que  ses  chanteurs  italiens  interprétassent  ces  œuvres  hétérogènes 
avec  le  souci  de  la  forme  et  de  l'intégralité  qui  avaient  présidé  à 
leur  élucubration. 

Souvent  on  lui  proposa  d'engager  des  chanteurs  allemands,  mais 
il  repoussait  bien  loin  de  lui  cette  idée.  Il  fit  une  seule  exception 
pourM110  Schmeling,  qui  devint  Mme  Mara.  On  a  vu  comment  il  la 
traitait. 

Encore  l'engagement  de  cette  cantatrice  renommée  n'avait-il  pas 
été  facile.  Le  roi  l'avait  fait  venir  à  Sans-Souci  pour  éprouver  son 
talent.  Il  lui  avait  fait  chanter  les  airs  de  Hasse  et  de  Graun  qu'il 
affectionnait  particulièrement;  puis,  pour  expérimenter  ses  qualités 
de  musicienne,  il  s'était,  malgré  sa  goutte,  dont  il  souffrait  fort,  dirigé 
vers  une  armoire  dont  il  avait  la  clef,  pour  y  chercher  des  morceaux 
manuscrits  de  ces  maîtres,  écrits  spécialement  pour  lui,  et  que 
MUo  Schmeling  déchiffra  magistralement. 

Satisfait  de  ces  résultats,  Frédéric  consentit  à  entendre  souvent 
cette  Allemande,  mais  à  sa  musique  privée.  Ce  n'est  que  longtemps 
après,  qu'elle  fit  partie  de  l'Opéra.  Son  succès  fut  immense,  mais  le 
roi  ne  lui  pardonna  jamais  complètement  son  origine.  La  scène  que 
nous  avons  racontée  et  qui  faillit  lui  coûter  la  vie  en  est  une  preuve. 


340 


LE  MÉNESTREL 


Dans  la  suite,  il  y  eut  une  aventure  rappelant  celle  de  la  Barba- 
rini.  Mm6  Mara  voulut  quitter  Berlin  à  la  fin  de  son  engagement; 
mais  Frédéric  n'admettait  pas  qu'on  se  séparât  de  lui.  Pour  em- 
pêcher le  départ  de  ses  artistes,  tous  les  moyens  lui  étaient  bons  ; 
on  l'a  vu  par  son  procédé  à  l'égard  de  Duport.  Le  mari  de  la  diva, 
violoncelliste  aussi,  fut  donc,  de  la  même  manière,  embauché  comme 
tambour,  et  de  plus  enfermé  à  la  forteresse  de  Spandau.  Plus  tard, 
quand  la  Mara  perdit  sa  voix,  les  choses  s'arrangèrent,  mais  cette 
grande  cantatrice  a  toujours  prétendu  que  son  despote  imprésario 
avait  hâté  la  fin  de  sa  carrière. 

Ce  despotisme,  cette  rage  de  conserver  les  gens  malgré  eux,  Fré- 
déric retendait  à  toutes  les  personnes  de  son  entourage. 

Algarotti,  dont  la  santé  se  trouvait  fort  compromise,  eut  beaucoup 
de  peine  à  obtenir  un  congé  pour  aller  demander  au  climat  de  sa 
patrie  le  rétablissement  de  ses  forces.  A  peine  était-il  à  destination, 
qu'il  recevait  du  roi,  tout  à  l'organisation  de  son  opéra-bouffe,  ce 
billet  laconique  : 

«  Le  temps  commence  à  s'adoucir,  les  alouettes  à  chanter  ;  il  ne 
manque  que  les  hirondelles  et  les  cigognes  ;  j'espère  que  vous  arri- 
verez en  leur  compagnie.  Mon  opéra-comique,  qui  vient  de  débar- 
quer, m'assure  que  votre  santé  se  remet.  » 

Algarotti  mourut  au  bout  de  peu  de  jours,  laissant  à  son  souverain 
maître  le  regret  de  l'avoir  laissé  partir,  afin  de  ne  pas  avoir  joui  do 
sa  société  jusqu'à  son  dernier  moment. 

Pour  Voltaire,  ce  fut  bien  autre  chose.  Lorsque  l'auteur  de  Mérope 
annonça  son  intention  de  reprendre  le  chemin  de  la  France,  Frédéric 
fut  pris  d'une  violente  irritation;  mais  comme  il  ne  pouvait  en  user 
avec  le  grand  philosophe  comme  avec  un  simple  violoncelliste,  il  se 
contint  et,  changeant  de  tactique,  s'efforça  de  retenir  son  hôte  par 
un  étalage  de  séductions  et  de  prévenances  propres  à  frapper  son 
esprit. 

Un  jour,  il  lui  écrivait  de  son  appartement  un  billet  où  se  trou- 
vaient ces  lignes  : 

«  ...  Je  vous  respecte  comme  mon  maître  en  éloquence  ;  je  vous 
aime  comme  un  ami  vertueux.  Quel  esclavage,  quel  malheur,  quel 
changement  y  a-t-il  à  craindre  dans  un  pays  où  l'on  vous  estime 
autant  que  dans  votre  patrie,  et  chez  un  ami  qui  a  un  cœur 
reconnaissant  !...  » 

Cette  épître,  appuyée  d'une  clef  de  chambellan,  d'un  ordre  au  cou 
et  de  vingt  mille  francs  de  pension  vint  à  bout  des  résistances  de 
Voltaire  ;  mais  bientôt  il  sentit  les  lisières  dans  lesquelles  on  le  tenait. 
Le  roi  le  faisait  appeler  à  tout  moment,  l'exhibait  à  tout  venant  et 
l'emmenait  avec  lui  quand  il  se  mettait  en  voyage,  pour  qu'il  ne 
lui  prît  point  fantaisie  de  s'enfuir. 

Une  de  ces  courses  où  Voltaire  suivait,  seul,  dans  une  chaise  de 
poste,  fat  marquée  par  une  aventure  qui  égaya  fort  l'entourage  de 
Frédéric  II.  Un  jeune  page,  que  Voltaire  avait  fait  gronder  quelques 
jours  auparavant,  s'était  promis  de  s'en  venger.  En  conséquence, 
comme  il  allait  en  avant  pour  faire  préparer  les  chevaux,  il  prévint 
tous  les  maîtres  de  poste  et  postillons  que  le  roi  avait  un  vieux 
singe  qu'il  aimait  passionnément,  qu'il  se  plaisait  à  faire  habiller 
à  peu  près  comme  uu  seigneur  de  la  cour,  et  qu'il  s'en  faisait 
toujours  suivre  dans  ses  petits  voyages  ;  .que  cet  animal  ne  respec- 
tait que  le  roi  et  que  d'ailleurs  il  était  fort  méchant  ;  que  si,  par 
hasard,  il  voulait  sortir  de  sa  voiture  on  se  gardât  bien  de  le 
souffrir. 

D'après  cet  avertissement,  lorsqu'aux  postes  Voltaire  voulut  des- 
cendre de  sa  voiture,  tous  les  valets  d'hôtellerie  s'y  opposèrent  for- 
mellement, et  lorsqu'il  étendait  la  main  pour  ouvrir  la  portière,  on 
la  cinglait  de  coups  de  canne,  pour  la  plus  grande  joie  de  l'assis- 
tance, mais  pour  la  plus  grande  fureur  du  poète,  dont  le  visage  se 
contractait  d'une  façon  tout  à  fait  simiesque.  Ne  sachant  pas  l'al- 
lemand, il  ne  pouvait  s'exprimer  que  par  gestes,  ce  qui  redoublait 
l'hilarité  de  tous  les  gens  accourus,  sur  l'avis  du  petit  page,  pour 
voir  le  singe  du  roi. 

Tout  le  voyage  se  passa  de  la  sorte,  et,  ce  qui  mit  le  comble  à  la 
colère  de  Voltaire,  c'est  que  le  roi  trouva  le  tour  si  plaisant  qu'il  ne 
voulut  point  en  punir  l'auteur. 

Cette  historiette,  qui  a  éfé  racontée  par  M""'  de  Genlis,  décida  du 
sort  de  'Voltaire.  Sous  l'empire  de  son  exaltation,  il  envoya  ce  por- 
trait de  Frédéric  à  la  margrave  de  Bayreuth  : 

Assemblage  éclatant  de  qualités  contraires, 
Ecrasant  les  mortels  et  les  nommant  ses  frères, 
Misanthrope  farouche  avec  un  air  humain, 
Souvent  impétueux  et  quelquefois  trop  fin., 
Modeste  avec  orgueil,  colère  avec  faiblesse, 
Pétri  de  passions  et  cherchant  la  sagesse, 


Dangereux  politique  et  dangereux  auteur, 
Mon  patron,  mon  disciple  et  mon  persécuteur. 

La  margrave  manqua  de  discrétion,  et  les  -vers  de  Voltaire  par- 
vinrent au  roi,  qui  en  ressentit  un  vif  ressentiment.  Un  refroidisse- 
ment sensible,  auquel  succéda  promptement  une  brouille,  qui 
d'ailleurs  ne  fut  que  temporaire  dn  côté  du  roi.  s'ensuivit.  Pour 
Voltaire,  il  ne  pardonna  jamais  à  son  royal  ami  ce  qu'il  appelait  ses 
légèretés  à  son  égard.  Il  s'en  vengea  par  la  publication  de  Mémoires, 
pendant  longtemps  considérés  comme  un  pamphlet,  mais  qui,  en 
réalité,  donnent  une  image  fidèle  du  roi-conquérant  qui  terrorisa, 
pressura  et  massacra  ses  peuples,  tout  en  faisant  croire,  aux  sons 
de  sa  flûte,  à  l'Europe,  qu'il  n'existait  pas  dans  le  concert  de  ses 
rois  un  prince  plus  ami  des  doux  plaisirs  lyriques. 

Quant  à  l'aventure  du  singe,  elle  eut  son  pendant.  A  son  retour 
de  Prusse,  Voltaire  acheta  un  de  ces  animaux,  auquel  il  donna  le 
nom  de  Monsieur  le  Duc  et  qui  avait  un  rare  talent  d'imitation.  Il 
l'habitua  insensiblement  à  copier  les  gestes,  la  tournure  et  même 
les  tics  de  Frédéric  II  ;  puis  il  prit  plaisir  à  l'accabler  d'injures, 
à  lui  tirer  la  langue  et  même  à  lui  caresser  les  reins  à  grands 
coups  de  canne,  exercice  qu'il  appelait  battre  le  roi  de  Prusse  par 
ambassadeur. 

(A  suivre.)  Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 
Après  avoir  reposé  pendant  cent  trois  ans  au  cimetière  viennois  de 
Matzleindorf,  les  restes  mortels  de  Gluck  viennent,  ainsi  que  nous  l'avons 
dit,  d'être  transférés  au  nouveau  cimetière  central.  Nous  ne  suivrons  pas 
nos  confrères  de  Vienne  dans  leur  reproduction  des  répugnantes  consta- 
tations anatomiques  auxquelles  l'exhumation  a  donné  lieu.  Nos  lecteurs 
voudront  bien  se  contenter  de  savoir  que  ce  n'est  qu'avec  les  plus  grandes 
précautions  que  le  docteur  Weissbach  a  pu  rassembleranatomiquement  les 
différentes  parties  du  squelette,  pour  les  déposer  dans  un  cercueil  de  luxe 
orné  d'inscriptions  et  d'emblèmes. 

—  La  musique  réformée  (Zur  Reformation  der  Musik).  Sous  ce  titre  auda- 
cieux M.  Huth,  de  Hambourg,  vient  de  publier  un  placard  de  huit  pages 
in-4°  où  il  développe  les  avantages  d'un  nouveau  système  tonal  et  har- 
monique imaginé  par  lui  sur  des  bases  qui,  à  ce  qu'il  prétend,  satisfont 
à  la  fois  les  besoins  de  l'art  et  la  logique.  Une  série  d'instruments  spé- 
ciaux construits  par  M.  Huth  lui  a  permis,  parait-il,  d'obtenir  tous  les 
résultats  pratiques  que  comporte  son  système  :  simplification  de  la  lecture, 
unification  du  doigté  dans  tous  les  tons  et  sur  n'importe  quel  instrument, 
établissement  d'un  nouveau  système  harmonique  épuré  qui  supprime 
toutes  les  exceptions,  etc.,  etc.  C'est  une  révolution  complète,  comme  on 
le  voit;  rien  n'y  manque,  pas  même  la  notation  en  couleurs  et  la  substi- 
tution d'une  «  gamme  harmonique  de  vingt  tons  »  à  notre  gamine  diato- 
nique usuelle.  Tous  ces  procédés  se  rattachent  directement  à  la  théorie 
du  son  que  M.  Huth  explique  à  l'aide  de  formules  nouvelles,  plus  claires, 
selon  lui,  et  qui  permettent  plus  aisément  l'application.  Nous  ne  deman- 
dons pas  mieux  que  de  le  croire,  mais  il  est  bien  difficile  de  se  prononcer 
sur  le  mérite  d'un  système  tant  qu'il  n'est  pas  entré  dans  la  pratique. 

—  La  Berliner  Morgemeitung  jette  un  cri  d'alarme  qui  a  trouvé  de  l'écho 
dans  toute  la  presse  allemande  :  «  La  chanson  populaire  se  meurt  en 
Allemagne!  Le  peuple  ne  chante  plus!  »  Et  sur  ce  thème  désolé  le  journal 
en  question  brode  toute  une  longue  variation  en  mineur  :  les  ateliers  ne 
retentissent  plus  de  ces  refrains  joyeux  dont  l'ouvrier  allemand  aimait 
jadis  à  accompagner  son  travail  ;  dans  les  rues  c'est  le  silence,  entrecoupé 
seulement  par  le  fredonnement  de  quelque  chanson  vulgaire  ou  obscène. 
Il  n'y  a  plus  guère  que  les  provinces  polonaises  où  les  gens  du  peuple 
sachent  encore  s'égayer  par  des  refrains  populaires  ;  ailleurs,  tout  est 
tristesse  et  ennui.  Et  ainsi  de  suite.  Le  mal  vient,  parait-il,  de  l'école,  où 
la  véritable  chanson  populaire  est  abandonnée  au  profit  de  la  musique 
sacrée  à  trois  ou  quatre  voix  qui  est  enseignée  aux  enfants,  pour  honorer 
l'inspecteur  religieux,  une  puissance!  A  la  moindre  occasion  le  maître 
de  musique  fait  étudier  à  ses  jeunes  élèves,  qui  n'en  peuvent  mais,  un 
psaume  ou  un  motet  de  sa  composition,  voire  même  un  fragment  d'ora- 
torio. La  Berliner  Morgenseitung  conclut  en  réclamant  la  cessation  de  cet 
abus  et  le  retour  de  la  chanson  populaire  dans  les  écoles  allemandes. 

—  La  Société  philharmonique  de  Berlin  a  repris  ce  mois-ci  ses  con- 
certs symphoniques,  qui  offrent  aux  amateurs  l'avantage  de  pouvoir  en- 
tendre de  bonne  musique  à  des  prix  modérés.  A  la  première  séance,  ont 
été  exécutées  trois  œuvres  encore  nouvelles  pour  le  public  de  la  société  : 
la  suite  d'orchestre  de  Bizet  intitulée  Roma,  dont  la  seconde  partie  (alle- 
gretto vivacc)  et  la  dernière  (carnaval)  ont  surtout  obtenu  un  vif  succès, 
une  ouverture  descriptive  d'un  jeune  compositeur  polonais,  M.Nokowsky, 
qui  a  été  assez  bien  accueillie,  et  un  concerto  de  flûte  sur  des  thèmes 
finlandais  intitulé  Pirum-Polska,  de  M.  Anderssen,  qui.  a  été  bruyamment 
applaudi» 


LE  MENESTREL 


341 


—  Qu'on  dise  donc  que  la  musique  ne  conduit  pas  à  tout!  Les  journaux 
étrangers  nous  apprennent  que  l'ex-chef  célèbre  de  la  police  de  Berlin, 
M.  Krueger,  mis  récemment  à  la  retraite,  avait  cultivé  l'art  d'Orphée 
dans  sa  jeunesse,  non  en  amateur,  mais  en  praticien,  et  que  pendant 
plusieurs  années  il  avait  tenu  la  partie  de  flûte  dans  l'orchestre  d'un  des 
petits  théâtres  de  la  capitale  prussienne. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Bayueuth.  Le  vieux  théâtre  mar- 
gravien  a  représenté  le  22  octobre,  pourla  première  fois,to  Légende  de  sainte 
Elisabeth  de  F.  Liszt,  avec  décors  et  costumes  et  sous  la  direction  du  Kapell- 
meister  J.  Kniese.  —  Brunswick.  L'intendance  du  théâtre  de  la  cour  vient 
d'être  confiée  au  gentilhomme  de  la  chambre  prince  de  Wangenheim.  — 
Hambourg  :  Mlle  Olga  Polna  vient  d'effectuer  un  très  heureux  début  dans  le 
rôle  de  Mignon,  où  elle  a  fait  preuve  de  brillantes  qualités  vocales  et  dra- 
matiques. —  Prague.  Le  théâtre  national  allemand  prépare  une  reprise  de 
l'Enfant  des  bruyères  de  Rubinstein.  Au  théâtre  tchèque,  c'est  tout  une  série 
d'opéras  nouveaux  en  trois  actes  qui  va  être  livrée  au  public:  Amaranthe,  de 
M.  H.  Trnecek  ;  Viola,  de  M.  "W.  Weiss  ;  l'Enfant  du  Tabor,  de  M.  G.  Bendel  ; 
Perditla,  de  M.  C.  Kavarovic.  —  Vienne.  A  l'Opéra  de  Vienne  les  reprises 
suivantes  sont  à  l'étude:  le  Tribut  de  Zamora,  de  M.  Gounod,  avec  Male  Materna 
dans  le  rôle  d'Hermosa,  précédemment  tenu  par  M"'e  Lucca;  Néron,  de 
M.  Rubinstein,  avec  MUe  Lola  Beeth,  MM.  Winkelmann  et  Semmer,  la 
Gioconda,  de  Ponchielli,  avec  MllB  Schlager.—  Weimar.  Le  théâtre  de  la 
cour  fêtera  au  printemps  le  cinquantenaire  de  sa  fondation.  On  montera 
plusieurs  grands  ouvrages  de  Gluck  et  de  Wagner,  ainsi  qu  un  opéra  pos- 
thume de  Peter  Cornélius  :  Gïinlod  ou  bien  le  Cid. 

—  Un  facteur  d'orgues  allemand,  M.  Martin  Hechenberger,  vient  de 
construire  pour  la  ville  de  Passau,  en  Bavière,  le  plus  grand  orgue  que 
l'on  ait,  parait-il,  connu  jusqu'à  ce  jour  en  Allemagne.  L'instrument  nou- 
veau possède  93  registres  avec  5,097  tuyaux,  dont  le  plus  long  mesure  au 
delà  de  3  mètres,  3  claviers  à  mains   et  un  pédalier. 

—  Le  propriétaire  du  musée  Wagner  à  Vienne,  M.  Nicolaus  Oesterlein, 
prépare  la  prochaine  publication  du  troisième  et  dernier  volume  de  son 
grand  catalogue  d'une  Bibliothèque  Richard  Wagner.  Ce  volume  contiendra 
un  compte  rendu  de  tous  les  écrits  qui  ont  été  publiés  sur  le  maître  de 
Bayreuth  et  sur  ses  œuvres  jusqu'au  13  février  1883,  jour  de  sa  mort. 

—  A  l'Opéra  impérial  de  Vienne  on  a  donné,  le  5  de  ce  mois,  la  300e 
représentation  de  Faust  du  M.  Gounod. 

—  Nous  avons  annoncé  déjà  que  le  Conservatoire  de  Pesth  se  prépare 
à  célébrer,  au  mois  de  janvier  prochain,  le  cinquantième  anniversaire  de 
sa  fondation.  On  organisera  pour  cette  solennité  deux  grands  concerts- 
festivals,  qui  promettent  d'être  brillants.  Le  programme  du  premier  de  ces 
concerts  comprendra  une  Cantate  solennelle  expressément  écrite  pour  la 
circonstance  par  M.  le  comte  Geza  Zichy,  président  du  Conservatoire,  un 
Poème  symphonique  de  M.  Edouard  Bartay,  directeur  de  l'établissement,  et 
une  Rapsodie  hongroise  de  Liszt.  La  pièce  de  résistance  de  la  seconde  séance 
sera  la  Symphonie  avec  chœurs  de  Beethoven,  à  l'exécution  de  laquelle 
prendront  part  toutes  les  corporations  musicales  de  Pesth. 

—  Deux  importantes  nouveautés  sont  annoncées  au  théâtre  impérial  de 
Saint-Pétersbourg  :  le  Prince  Igor,  opéra  posthume  de  Borodine,  dont  les 
concerts  ont  fait  connaître  quelques  fragments  très  remarquables,  et  un  nou- 
vel ouvrage  lyrique  de  Tschaïkowski,  la  Dame  dépique.  Déplus,  on  compte 
sur  la  présence  de  Mmc  Melba  et  des  frères  de  Reszké,  qui  apporteront 
leur  contingent  d'attraction  à  la  saison  actuelle.  Pour  M">°  Melba,  on 
compte  tout  au  moins  sans  MM.  Ritt  et  Gailhard,  qui  n'entendent  pas  se 
dessaisir  de  leur  «  étoile  ».  C'est  bien  assez  d'avoir  perdu  Jean  !  —  A 
Moscou  on  prépare  la  production  d'un  opéra  inédit  un  Rêve  sur  le  Volga, 
œuvre  d'un  tout  jeune  compositeur,  M.  Antoine  Arensky,  un  jeune  artiste 
qui  a  déjà  attiré  l'attention  sur  lui  par  plusieurs  compositions  fort  dis- 
tinguées. 

—  Les  affaires  théâtrales  continuent  de  ne  pas  être  brillantes  en  Italie. 
Le  Politeama  de  Naples,  qui  avait  essayé  d'ouvrir,  a  dû  refermer  ses 
portes  après  deux  représentations  infructueuses  de  l'Ebreo  d'Apolloni.  Au 
Politeama  de  Palerme,  un  nouveau  directeur  s'était  mis  sur  les  rangs, 
mais  en  raison  de  l'état  avancé  de  la  saison  et  de  la  «  défiance  des  ténors,  r. 
il  a  renoncé  à  ses  projets.  A  Gènes,  il  parait  bien  certain  maintenant  que 
le  grand  théâtre  Carlo-Felice  restera  fermé  tout  l'hiver.  Il  en  est  de  même 
à  Venise,  où  la  société  propriétaire  du  théâtre  de  la  Fenice  n'a  pu  parvenir 
à  s'entendre  avec  l'imprésario  Piontelli  ;  par  conséquent,  point  de  saison  de 
carnaval".  A  Ancône,  la  municipalité  a  refusé  une  pauvre  petite  subvention 
de  3,000  francs  à  un  entrepreneur  qui  proposait  d'ouvrir  le  théâtre  des 
Muses  et  d'y  donner  Cavalteria  rusticana.  Enfin  à  Crémone,  une  pétition 
signée  par  une  centaine  de  citoyens  a  été  adressée  au  municipe,  lui  de- 
mandant le  vote  d'une  subvention  qui  rende  possible  l'ouverture  du  théâtre 
de  la  Concorde  avec  un  spectacle  d'opéra,  dont  la  ville,  disent  les  signa- 
taires, tire  honneur  et  profit.  —  De  tout  cela  on  voit  que  la  situation  n'est 
pas  florissante. 

—  C'est  le  10  octobre  qu'a  eu  lieu  à  Rome,  au  théâtre  Argentina,  par  les 
artistes  de  la  compagnie  Giozza,  la  première  représentation  de  l'Artésienne, 
de  M.  Alphonse  Daudet,  avec  la  musique  de  Georges  Bizet.  L'insuccès  du 


drame  proprement  dit  parait  avoir  été  complet,  l'alternance  de  la  musique 
et  du  dialogue  déroutant  le  public  italien,  à  qui  ce  procédé  ne  plaît  que 
médiocrement,  et,  d'autre  part,  l'interprétation  étant  absolument  mauvaise, 
par  suite  surtout  de  l'insuffisance  des  études  et  des  répétitions.  Au  contraire, 
les  intermèdes  de  Bizet,  dont  l'exécution,  dirigée  par  M.  Leopoldo  Mugnone, 
paraît  avoir  été  excellente,  ont  produit  un  grand  effet  et  une  très  heureuse 
impression. 

—  On  écrit  de  Rome  à  la  Perseceranza  que  le  fameux  théâtre  Argentina, 
dont  la  restauration,  il  y  a  deux  ans,  n'a  pas  coûté  moins  d'un  million 
et  demi,  exige  encore  en  ce  moment  des  réparations.  Que  font  donc  les 
architectes  là-bas?  On  voit  bien  que  l'argent  n'a  pas  de  prix,  en  Italie. 

—  Très  vif  succès  au  théâtre  Niccolini,  de  Florence,  pour  un  opéra  sé- 
rieux en  quatre  actes,  Griselda,  paroles  de  M.  Enrico  Golisciani,  musique 
de  M.  Giulio  Cottrau.  L'œuvre  n'était  pas  entièrement  nouvelle,  ayant  été 
représentée  pour  la  première  fois  au  théâtre  Alfieri,  de  Turin,  le  25  sep- 
tembre 1878  ;  mais  le  compositeur  avait  entièrement  remanié  sa  partition, 
pour  laquelle  il  avait  écrit  plusieurs  morceaux  nouveaux,  et  c'est  un 
opéra  refait  en  grande  partie  que  le  public  florentin  vient  d'accueillir  de 
la  façon  la  plus  favorable.  On  a  surtout  applaudi  au  premier  acte  l'intro- 
duction, un  air  de  ténor,  un  brindisi  et  un  air  de  soprano,  au  second,  un 
finale  développé,  et  au  troisième  un  air  de  baryton  et  le  finale.  M.  Giulio 
Cottrau,  qui  a  été  l'objet  de  quinze  rappels,  avait  pour  interprètes 
fil1»»  Elena  Boronat,  Riso  et  Checchi,  le  ténor  Da  Caprile,  le  baryton 
Casini  et  la  basse  Baldelli,  qui  tous  ont  partagé  son  succès. 

—  On  voudrait,  dit  le  Trovalore,  rouvrir  au  prochain  printemps  un  des 
plus  sympathiques  théâtres  de  Turin  avec  un  spectacle  d'opéra,  et  cela 
sur  l'initiative  de  quelques  Turinais  auxquels  leur  sens  de  l'art  et  leurs 
moyens  de  fortune  permettent  de  faire  les  choses  noblement.  Les  œuvres 
tout  d'abord  choisies  jusqu'ici  seraient  la  Statue  de  Reyer  et  la  Jolie  Fille 
de  Perth  de  Bizet,  Dinorah  (le  Pardon  de  Ploërmel)  serait  aussi  représentée, 
étant  donné  que  l'on  puisse  trouver  pour  l'exécution  de  cet  ouvrage  une 
protagoniste  et  un  ténor  léger  de  grande  valeur. 

—  Le  journal  le  Secolo,  qui  a  toutes  sortes  de  raisons  d'être  bien  infor- 
mé, nous  apprend  que  les  dix  représentations  données  à  Florence  de 
l'opéra  du  jeune  Pietro  Mascagni,  Cavalleria  rusticana,  ont  produit  une 
recette  totale  de  68,000  francs,  Il  est  certain  que  pareil  fait  ne  s'est  jamais 
présenté  en  Italie  pour  un  opéra  en  un  acte. 

—  Au  théâtre  Paganini,  de  Gènes,  où  une  saison  d'opéra  doit  s'ouvrir  à 
la  fin  de  ce  mois,  on  prépare  la  première  représentation  d'un  opéra  nou- 
veau, gli  Arimanni,  dû  à  un  compositeur  génois,  M.  Trucco,  dont  le  nom 
est  encore  inconnu  à  la  scène. 

—  Le  concours  annuel  de  musique  d'harmonie  de  la  ville  d'Emael,  dans 
le  Limbourg  belge,  qui  a  commencé  le  11  octobre,  s'est  terminé  trois  jours 
après,  par  la  plus  extravagante  épreuve  qu'on  puisse  imaginer,  mais  il 
parait  qu'elle  est  de  tradition.  Il  s'agissait,  pour  les  deux  musiques  muni- 
cipales, les  -<  rouges  »  et  les  «  bleus  »,  déjouer  simultanément,  aussi  long- 
temps que  leurs  forces  le  leur  permettraient,  le  prix  étant  réservé  à  celle 
des  deux  sociétés  qui  finirait  la  dernière.  Pleins  d'entrain  pour  attaquer, 
les  malheureux  musiciens  ne  savaient  plus,  au  bout  d'une  heure,  ce  qu'ils 
jouaient.  Les  faces  se  congestionnaient,  les  cheveux  se  hérissaient,  chacun 
soufflait  ce  qu'il  voulait,  mais  il  soufflait  quand  même.  Enfin,  après  trois 
heures  et  demi  d'un  charivari  infernal  accompagné  par  les  cris  et  les  voci- 
férations de  la  foule,  les  «  rouges  »  durent  céder,  leur  grosse  caisse  venant 
de.se  crever!  —  Voilà  qui  s'appelle  encourager  la  musique. 

—  Nouvelles  de  Londres.  M.  Lago  est  en  train  de  faire  défiler  devant 
le  public  les  artistes  nouveaux  qui  composent  en  grande  partie  sa  troupe 
actuelle,  etqui  se  sont  déjà  produits  dans  Aida,  les  Huguenots,  Faust,  le  Tro- 
vatore  et  Lucie,  avec  des  résultats  divers.  Il  y  aurait  bien  des  réserves  à 
formuler  sur  les  moyens  vocaux  ou  l'éducation  artistique  delà  plupart  des 
nouveaux  venus;  mais  le  public,  devenu  sceptique  à  l'endroit  des  réputa- 
tions italiennes,  n'a  pas  voulu  se  montrer  exigeant,  se  contentant  d'un 
ensemble  plus  ou  moins  favorable.  Il  convient  de  citer  cependant  M"=  Giu- 
lia  Ravogli,  unmezzo-soprano  de  quelque  mérite,  et  les  deux  ténors  Gian- 
nini  et  Perotti,  doués  de  voix  généreuses.  Prochainement  Robert,  la  Gioconda 
et  Mefislofclc,  ce  dernier  ouvrage  pour  la  rentrée  de  Mme  Albani.  —  Grande 
foule  au  premier  concert  Sarasate  et  succès  enthousiaste.  L'éminent  violo- 
niste, très  en  faveur,  a  exécuté  trois  morceaux  en  plus  de  ceux  qui  figu- 
raient sur  son  programme.  A.  G.  N. 

—  Une  information  du  Musical  Standard  nous  apprend  que  c'est  sur  les 
instances  spéciales  de  la  czarine  que  Mmo  Patti  va  se  rendre  à  Saint-Pé- 
tersbourg, et  que  l'engagement  de  la  diva  doit  être  considéré  comme 
ayant  été  fait  officiellement  au  nom  de  la  Cour  impériale. 

—  Voici  le  tableau  complet  de  la  troupe  de  M.  Lago  pour  la  saison  du 
théâtre  Covent-Garden,  de  Londres  :  soprani,  Mmes  Ella  Russell,  Mac-Intyre, 
Stromfeld,  Sofia  Ravogli,  Moody,Peri,  Gambogi,  Inverni,  Norini,  Florenza, 
Vite  ;  mezso-soprani  et  contralti,  Mmos  Giulia  Ravogli,  Desvignes,  Costanzi, 
Damiani  ;  ténors,  MM.  Perotti,  Giannini,Suane,Guetary,Rinaldini,  Lisoni, 
Falletti,  Testa;  barytons, MM.  Maurel,  Padilla, Faentini-Galassi,Orlandini; 
basses,  MM.  Novara,  Meroles,  Fiegna,  Boccolini,  Moro,  Manners;  bouffe, 
M.  Ciampi.  Les  chefs  d'orchestre  sont  MM.  Arditi  et  Bevignani.  C'est 
samedi  dernier  que  cette  troupe  a  débuté,  en  jouant  Aida. 


U2 


LE  MÉNESTREL 


—  La  Glascower  Society  of  Musicians  met  au  concours,  avec  un  prix  de  30 
guinées  (environ  625  francs),  la  composition  d'une  Ouverture  de  concert 
ou  d'une  Poésie  symphonique.  Ne  pourront  prendre  part  à  ce  concours 
que  les  compositeurs  nés  en  Ecosse  ou  y  demeurant  depuis  trois  ans  au 
moins. 

—  Le  célèbre  violoniste  hongrois  Bemenyi,  dont  on  était  resté  plusieurs 
années  sans  nouvelles,  et  qui  est  en  ce  moment  à  Londres,  de  retour 
d'une  tournée  dans  le  sud  de  l'Afrique,  vient  de  signer  avec  une  agence 
de  Boston  un  traité  pour  une  autre  grande  tournée  de  concerts  de  six 
mois  aux  États-Unis  et  au  Canada.  Outre  ses  frais  de  voyage  et  de  loge- 
ment, le  virtuose  recevra  une  somme  de  70,000  francs,  avec  faculté  de 
proroger  le  traité  pour  trois  autres  mois,  aux  mêmes  conditions. 

—  Les  journaux  de  Mexico  enregistrent  les  brillants  succès  de  pianiste 
obtenus  par  une  de  nos  compatriotes,  M110  Mur,  ancienne  élève  de  M.  Lack. 
Mlle  Mur  a  été  tout  spécialement  fêtée,  lors  d'une  récente  matinée  donnée 
à  la  légation  de  France. 

PARIS    ET    DÉPARTEMENTS 

Ainsi  que  nous  l'avons  dit,  c'est  le  samedi  18  octobre  que  l'Académie 
des  Beaux-Arts  a  tenu  sa  grande  séance  publique  annuelle,  sous  la  pré- 
sidence de  M.  Ambroise  Thomas,  assisté  au  bureau  de  M.  Meissonier, 
vice-président,  et  de  M.  le  comte  Henri  Delaborde,  secrétaire  perpétuel.  Il 
est  inutile  de  dire  que  la  salle  était  libéralement  garnie.  Dans  l'hémicycle 
réservé  aux  membres  d-;  l'Institut,  on  remarquait  les  secrétaires  perpé- 
tuels des  autres  académies,  MM.  Camille  Doucet,  J.  Bertrand,  Wallon, 
puis  l'ex-empereur  du  Brésil,  qui  avait  pris  place  auprès  de  MM.  Charles 
Garnier,  Falguière,  Léo  Delibes,  Janssen,  Thomas,  J.  Massenet,  Bonnat, 
Bailly,  Barthélemy-Saint-Hilaire,  Dehérain,  Bouguereau,  Vacherot,  baron 
Larrey,  Léopold  Delisle,  Normand,  Pascal,  Levasseur,  etc.;  dans  la  tri- 
bune de  droite,  Mm"  Carnot;  puis,  çà  et  là,  Mmcs  Pauline  Viardot,  Jules 
Comte,  Camille  Doucet,  Bené  Brice,  MM.  Ernest  Guiraud,  docteur  Schnei- 
der, Lévy,  Gallet,  B.  de  Brauer. . .  C'est  M.  Ambroise  Thomas  qui,  en  sa 
qualité  de  président,  a  prononcé  le  discours  d'usage,  discours  remarquable 
à  tous  égards,  et  qui  a  produit  sur  l'auditoire  une  .impression  excellente. 
Après  avoir  rendu  l'hommage  coutumier  aux  membres  que  l'Académie 
avait  perdus  dans  le  cours  de  cette  année:  M.  Diet,  architecte  de  l'Hôtel- 
Dieu,  M.  André,  architecte  du  Muséum  d'histoire  naturelle,  et  l'éminent 
peintre  Robert  Fleury,  doyen  de  la  section  de  peinture,  M.  Ambroise 
Thomas  s'est  adressé  aux  jeunes  lauréats  de  cette  année,  et  leur  a  parlé 
en  termes  excellents  du  voyage  qu'ils  allaient  faire  en  Italie,  ce  voyage 
qu'il  est  de  mode  pour  quelques-uns  de  railler  aujourd'hui,  mais  que  les 
bons  esprits  tiennent  au  contraire  pour  très  sain  et  fort  utile,  et  dont 
l'orateur  constatait  lui-même  qu'il  avait  conservé  un  souvenir  cher  et 
attendri.  «  Dans  la  vie  charmante  qui  vous  est  offerte,  leur  a-t-il  dit  en 
termes  élevés  et  d'une  voix  sonore,  durant  ces  quelques  années  de  calme, 
de  liberté,  de  travail  et  de  plaisirs,  vous  saurez  vous  inspirer  des  grands 
chefs-d'œuvre  de  l'art  et  des  beautés  de  la  nature.  En  élevant  votre  esprit, 
vous  fortifierez  votre  talent;  par  les  travaux  du  présent,  vous  préparerez 
vos  succès  à  venir,  et  vous  ferez  en  même  temps  acte  de  patriotisme  en 
portant  haut  et  avec  honneur  le  drapeau  de  notre  école  française.  »  Après 
ce  discours,  fort  applaudi,  et  qui  a  été  suivi  de  la  proclamation  des  lau- 
réats, M.  Henri  Delaborde  a  lu  une  notice  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de 
Questel,  qui  a  été  accueillie  avec  une  faveur  méritée.  Mais  il  va  sans 
dire  que  le  gros,  très  gros  morceau  cette  fois,  de  la  séance,  c'était  l'exé- 
cution des  deux  cantates  qui  avaient  valu  à  leurs  auteurs  le  grand  prix  de 
composition  musicale.  Ces  cantates  avaient  été  écrites  par  MM.  Bachelet 
et  Carraud  sur  un  poème  intitulé  Cléopâtre  (Cléopdtre  est  à  la  mode),  dû  à 
M.  Fernand  Beissier,  et  qui  comprend  trois  scènes,  qu'on  peut  analyser 
ainsi.  Vaincu  sur  les  deux  éléments  par  Octave  et  croyant  à  la  trahison 
de  sa  maîtresse,  Antoine  la  maudit  et  accuse  la  fatalité  ;  au  moment  où, 
pour  mourir,  il  s'est  réfugié  dans  le  tombeau  des  Ptolémées,  Cléopâtre  le 
rejoint  et  réveille  sa  passion  en  même  temps  qu'elle  lui  promet  de  nou- 
velles armées  et  la  victoire  à  leur  suite.  Tous  deux  vont  fuir,  lorsque  le 
spectre  de  César,  apparaissant  tout  à  coupa  Antoine,  lui  défend  déporter 
de  nouveau  les  armes  contre  Borne.  Antoine,  désespéré,  se  tue  alors,  et 
Cléopâtre  meurt  avec  lui.  C'est  la  cantate  de  M.  Bachelet,  deuxième  pre- 
mier prix,  élève  de  M.  Guiraud,  qui  a  été  entendue  la  première  ;  elle  avait 
pour  interprètes  Mlle  de  Montaland,  MM.  Imbert  de  la  Tour  et  Auguez, 
et  a  paru  se  distinguer  par  un  heureux  tour  mélodique  et  des  accents 
parfois  pénétrants,  aussi  bien  que  par  une  instrumentation  sonore  et 
vigoureuse;  toutefois,  elle  faiblit  quelque  peu  vers  la  fin,  et  il  semble  que 
l'auteur  ait  manqué  de  souffle.  Celle  de  M.  Carraud,  premier  grand  prix, 
élève  de  M.  Massenet,  est  plus  remarquable  dans  son  ensemble,  quoique 
peut-être  moins  généreuse  au  point  de  vue  mélodique;  mais  on  trouve  ici 
une  sûreté  de  main,  une  autorité,  une  science  de  l'orchestre  qui  sont 
faites  pour  surprendre  chez  un  si  jeune  artiste.  Ajoutons  que  l'exécution 
de  la  scène  de  M.  Carraud,  confiée  à  Mm°  Fierens,  à  MM.  Cossira  et  Taskin, 
a  été  de  tous  points  excellente.  —  En  somme,  cette  séance  de  l'Académie 
a  été,  sous  tous  les  rapports,  particulièrement  remarquable. 

—  La  bibliothèque  musicale  d'Adolphe  Adam  a  été  acquise  par  le  minis- 
tère de  l'Instruction  publique,  qui  en  a  fait  don  au  Conservatoire.  Cette 
bibliothèque  se  compose  de  110  volumes;  il  y  en  avait  une  trentaine  de 
plus  qui  ont  été  offerts  à  l'Opéra.   Environ  deux  années  avant  sa  mort, 


Mmc  Adolphe  Adam  avait  donné  à  la  bibliothèque  du  Conservatoire  les 
partitions  manuscrites  qui  lui  restaient  de  son  mari;  ces  partitions  auto- 
graphes sont  les  suivantes  :  la  Batelière  de  Brientz.  Isaure,  la  Fêle  des  Arts, 
Casimir,  Zambular,  la  Chatte  blanche,  Céline,  Caleb,  Valentine,  le  Muletier  de 
Tolède,  les  Mohieans,  la  Main  de  fer,  le  Toréador,  une  Bonne  Fortune,  le  Sourd, 
la  Bose  de  Péronne,  la  Poupée  de  Nuremberg,  Henri  Y,  le  Pâtre,  Henri  VIII,  Lam- 
bert Simnel  (avec  Monpou),  la  Jolie  Fille  de  Gand,  Guillaume  Tell,  le  Barbier 
châtelain,  les  Comédiens,  Giralda,  Mam'selle  Geneviève,  Falstaff,  le  Diable  à  quatre, 
les  Hamadriades,  Richard  en  Palestine.  —  Ballets  :  la  Fille  du  Danube,  Orfa, 
le  Corsaire,  Giselle,  Faust,  the  Marble  Maiden  (la  Fille  de  marbre).  —  Réor- 
chestrations :  le  Déserteur,  Cendrillon,  Bichard  Cœur  de  Lion,  Zémire  et  Azor, 
Félix,  Aline.  — Un  volume  d'airs  de  vaudevilles;  les  ouvertures  de  Phèdre,  de 
Jeanne  d'Arc,  de  Marie  Stuart  ;  le  Pacha  de  Suresnes,  l'Oncle  d'Amérique  ;  enfin, 
la  Messe  de  Sainte-Cécile.  Ces  116  volumes,  de  même  que  les  autographes,  sont 
reliés  uniformément  en  rouge,  avec  le  nom  d'ADOLPHE  Adam  en  lettres  d'or. 

J.-B.  Weckerlin. 

—  Notre  confrère  M.  Fourcaud  prend,  dans  le  Gaulois,  l'initiative  d'une 
statue  qui  serait  élevée  à  Georges  Bizet.  Il  fait  appel,  pour  la  réalisation 
de  son  projet,  à  tous  les  compositeurs,  aux  directeurs  de  journaux,  à  ses 
confrères,  aux  artistes.  L'idée  de  M.  Fourcaud  trouvera  l'adhésion  de  tous 
ceux  (et  ils  sont  nombreux)  qui  aiment  l'auteur  de  Carmen  et  voient  en 
lui  l'un  des  plus  brillants  représentants  de  l'école  française.  Il  est  ques- 
tion, pour  l'érection  de  cette  statue,  d'une  représentation  de  gala  à  l'Opéra- 
Comique. 

—  Le  concours  d'admission  pour  les  classes  de  chant  du  Conservatoire, 
commencé  mercredi  matin,  ne  s'est  terminé  que  jeudi  à  onze  heures  du 
soir.  Cent  quatre  aspirants  hommes  et  cent  trente  et  une  femmes  s'y  sont 
fait  entendre  ;  il  y  a  eu  34  admissions.  Voici  les  noms  des  admis  et 
admises  :  seize  hommes,  MM.  Simon,  Thomas,  Halary,  Vaillier,  Lefeuve, 
Longuecamp,  Deltombe,  Lamouroux,  Plan,  Andrisse,  Audap,  Bartet.  Colin, 
Duc,  Belhomme,  Salomon  ;  et  dix-huit  femmes,  MUes  Berthet,  Mante, 
Michel,  Delcour,  Grandjeau,  Mauzié,  Bondues,  Mathieu,  Guillon,  d'Espar- 
sac,  Lloyd,  Louis,  Nathan,  Boulleau,  Honnoré,  Vaudevile,  Fournier, 
Laisné. 

—  Une  agréable  surprise  était  réservée  à  M.  Widor,  l'éminent  organiste 
de  Saint-Sulpice,  le  compositeur  de  Maître  Ambros,  de  la  Korrigane  et  de 
Jeanne  d'Arc.  Il  recevait  ces  jours  derniers  une  lettre  du  cardinal  Lavigerie, 
l'informant  qu'il  avait  été  élevé,  par  le  Pape,  a  la  dignité  de  commandeur 
dans  l'ordre  de  Saint-Grégoire. 

—  Concerts  du  Chàtelet.  —  Dimanche  dernier  a  eu  lieu  la  réouverture 
des  concerts  de  l'association  artistique  sous  la  direction  de  M.  Colonne. 
La  salle  était  comble,  l'auditoire  très  chaleureux  et  le  programme  com- 
posé d'oeuvres  de  toutes  les  écoles.  La  Symphonie  pastorale,  la  plus  douce 
et  la  plus  sereine  peut-être  de  toutes  les  œuvres  de  Beethoven,  a  été  rendue 
avec  la  simplicité  de  style  et  l'expression  suave  qui  lui  conviennent. 
L'orage  a  produit  d'ailleurs  le  plus  saisissant  contraste.  Un  fragment  de 
la  Suite  en  ré  de  Bach,  exécuté  pour  la  première  fois  au  Chàtelet,  a  obtenu 
un  succès  d'enthousiasme;  l'on  ne  se  lassait  pas  d'applaudir  cette  page 
délicieuse  et  d'une  suprême  élégance.  La  musique  mélodramatique  «  poul- 
ie drame  d'Ibsen,  Peer  Gynt,  »  de  M.  Grieg,  ne  semble  pas  avoir  une  très 
grande  originalité.  La  troisième  partie  est  un  gracieux  air  de  danse  où 
les  redites  sont  nombreuses,  et  la  quatrième  étonne  par  l'abus  des  instru- 
ments à  percussion.  Les  deux  premières  ont  plu  davantage.  La  brillante 
ouverture  de  Phèdre,  de  M.  Massenet,  renferme  de  larges  idées  mélodiques 
soutenues  par  une  orchestration  souvent  somptueuse;  elle  a  été  acclamée, 
ainsi  que  la  sérénade  de  Namouna,  de  M.  Lalo,  et  deux  airs  de  ballet  de 
Samson  et  Dalila  de  M.  Saint-Saëns.  Le  prélude  de  Lohengrin  a  été  rendu 
avec  autant  de  précision  que  d'ampleur  de  style;  enfin,  la  Valse  des  Sylphes 
de  la  Damnation  de  Faust,  et  la  célèbre  Marche  hongroise,  conduite  et  exécutée 
avec  un  entrain  superbe,  ont  obtenu  leur  succès  habituel. 

Amédée  Boutarel. 

—  Voici  le  programme  du  concert  du  Chàtelet  d'aujourd'hui  :  Dans  la 
foret  (Joachim  Baffi;  Aria  de  la  suite  en  ré  (J.-S.  Bach);  Andante  de  la 
5e  Symphonie  (Mozart);  Jocelyn,  "ragments  symphoniques  (B.  Godard); 
Prélude  de  Lohengrin  (R.  Wagner);  l' Artésienne  (G.  Bizet)  ;  la  Damnation  de 
Faust,  Marche  hongroise  (H.  Berlioz). 

—  M.  Francis  Thomé  a  écrit  pour  Bornéo  et  Juliette,  qu'on  répète  à 
l'Odéon  sans  relâche,  une  partition  qu'on  dit  très  jolie,  et  qui  ne  sera  pas 
un  des  moindres  attraits  du  curieux  spectacle  que  M.  Porel  nous  promet 
pour  jeudi,  30  courant,  irrévocablement. 

—  Les  jeunes  artistes  qui  désireraient  se  porter  candidats,  pour  l'année 
181)1,  aux  bourses  fondées  par  le  conseil  général  du  département  de  la 
Siine  (délibération  du  16  novembre  1881)  sont  invités  à  se  faire  inscrire 
à  l'Hôtel  de  Ville,  escalier  D,  2°  étage,  bureau  des  beaux-arts,  en  appor- 
tant les  justifications  nécessaires.  Ces  bourses,  au  nombre  de  cinq,  de 
1,200  francs  chacune,  devront  être  réparties  entre  les  jeunes  peintres  ou 
sculpteurs  sans  fortune,  nés  dans  le  département  de  la  Seine,  et  qui,  comp- 
tant déjà  un  certain  temps  d'études,  auront,  dans  leur  spécialité,  rem- 
porté le  plus  de  récompenses  au  cours  de  ces  études.  Les  architectes  et 
musiciens  ayant  obtenu  un  deuxième  prix  de  Rome  seront  également 
admis  à  prendre  part  à  ce  concours.  Les  demandes  seront  reçues  jusqu'au 
31  décembre  189J  inclus,  dernier  délai. 


LE  MÉiNESTREL 


343 


—  Au  théâtre  des  Nouveautés,  on  va  commencer  très  prochainement 
les  répétitions  de  Sansonnet,^  nouvelle  opérette  de  M.  Paul  Ferrier,  avec 
musique  de  M.  Victor  Roger,  l'heureux  compositeur  du  Fétiche  et  de  José- 
phine vendue  par  ses  sœurs. 

—  Un  Modèle,  le  petit  opéra-comique  de  M.  Léon  Schlesinger  (livret  de 
MM.  Degrave  et  Lerouge),  vient  d'entrer  en  répétition  au  théâtre  des 
Bouffes,  et  sera  joué  par  Mllc  Mary  Stelly,  la  brillante  Bettina  des  Menus- 
Plaisirs,  MM.  Wolff  et  Périer.  La  première  aura  lieu  dans  les  premiers 
jours  de  novembre. 

—  Mme  Zoé  de  Nori,  la  cantatrice  roumaine  déjà  si  remarquée,  vient  de 
signer  un  engagement  avec  M.  Lago,  pour  la  présente  saison  musicale 
de  Govent-Garden,  où  elle  débutera  dans  un  Ballo  in  Maschtra  de  Verdi. 

—  Le  jc-ur  de  la  Toussaint,  on  exécutera  pour  la  quatrième  fois  à  l'église 
Saint-Eustache,  sous  la  direction  de  M.  Steenman,  la  belle  messe  de  Félix 
Godel'roid.  M.  Ciampi  chantera  les  solos,  et  pendant  l'offertoire  dix  violon- 
celles, accompagnés  de  dix  harpes,  feront  entendre  le  remarquable  Hymne 
au  Seigneur  du  même  artiste. 

—  Nous  apprenons  qu'un  grand  concours  international  de  musique  s'or- 
ganise à  Lyon,  pour  s'ouvrir  au  mois  d'août  1892.  On  sait  qu'à  cette 
époque  se  tiendra  à  Lyon  une  grande  Exposition  nationale  et  coloniale. 
Ce  sera  un  attrait  de  plus  pour  les  sociétés  musicales  qui  répondront  à 
l'appel  du  comité  en  formation,  lequel  sera  composé  des  plus  hautes  nota- 
bilités du  monde  musical,  sous  la  présidence  d'un  de  nos  grands  maîtres 
français,  avec  le  patronage  de  la  ville  de  Lyon  et  du  comité  de  l'Exposi- 
tion nationale.  Avant  peu,  nous  ferons  connaître  les  membres  organisa- 
teurs du  concours  et  son  règlement,  ainsi  que  le  siège  du  comité  auquel 
les  sociétés  pourront  adresser  leur  adhésion. 

Cours  et  leçons.  —  M™1  Emile  Herman,  9,  rue  Gounod,  a  repris  le  1"  octobre 
ses  cours  de  piano,  solfège  et  musique  d'ensemble.  —  Mm0  J.  Gartelier,  professeur 
de  chant,  a  repris  ses  cours  et  leçons  depuis  le  15  octobre,  19  rue  de  Berlin.  — 
Les  cours  de  piano,  chant  et  solfège  de  II""  Félicienne  Jarry,  sont  rouverts,  22,  rue 
Troyon.  —  MllB  Marie  Le  Gallo,  de  retour  à  Paris,  a  repris  ses  cours  et  leçons, 
85,  rue  de  l'Université.  —  M™"  Lafaix-Gontié  a  repris  ses  cours  de  chant  et  piano, 
15,  rue  Pierre  Charron.  —  Les  cours  de  chant  de  Mm0  Rouffe-David  sont  rouverts 
chez  elle,  45,  rue  Rocheehouart.  —  L'école  préparatoire  au  professorat  du  piano, 
fondée  et  dirigée  par  M"°  Hortense  Parent,  a  rouvert  ses  portes  vendredi  dernier 
(2  rue  des  Beaux-Arts).  Plus  de  cinquante  jeunes  professeurs  et  aspirantes-maî- 
tresses assistaient  à  cette  première  leçon  de  pédagogie.  M"0  Parent  continuera 
ce  cours  tous  les  vendredis  à  quatre  heures  et  demie.  On  sait  que  celte  institution 
(dont  la  regrettée  M""  Erard  avait  accepté  la  présidence)  est  en  même  temps  une 
œuvre,  puisque  les  prix  sont  très  réduits  et  la  bibliothèque  entièrement  gratuite. 

—  M"°  Jules  Baschet,  professeur  de  piano,   élève  de  Marmontel,  a  repris  ses 
cours  et  leçons,  tous  les  mardis,  jeudis  et  samedis  chez  elle,  47,  rue  Bonaparte. 

—  Les  cours  de  piano,  de  solfège  et  d'harmonie  de   MIln    Madeleine  Jaeger  ont 
recommencé,  5,  rue  Duperré. 

NÉCROLOGIE 

Un  grand  artiste,  à  la  fois  virtuose  de  premier  ordre  et  compositeur 
plein  de  charme,  de  saveur  et  d'originalité,  le  pianiste  Nicolas  Ruiz 
Espadero,  l'ami  et  l'admirateur  de  Gottschalk,  est  mort  récemment  à  la 
Havane,  où  il  était  né  au  mois  de  février  1833  (et  non  en  1833,  comme 
on  l'a  imprimé  par  erreur).  Cet  artiste  exquis  ne  put  qu'après  la  mort  de 
son  père,  qui  était  opposé  à  ses  goûts,  se  livrer  sans  réserve  à  l'étude  de 
l'art  qu'il  adorait.  Élève  d'abord  du  pianiste  José  Miro,  puis  de  son  com- 
patriote Fernando  Aristi,  il  termina  son  éducation  musi'cale  avec  Fontana, 
tout  en  profitant  des  conseils  et  des  exemples  de  Gottschalk,  avec  lequel  il 
s'était  lié  d'une  étroite  amitié,  mais  sans  jamais  aliéner  les  qualités  essen- 
tiellement personnelles  qui  constituaient  sa  très  grande  originalité.  Cette 


observation  s'applique  aussi  bien  chez  lui  au  compositeur  qu'au  virtuose, 
et  la  preuve  s'en  trouve  dans  ces  lignes  que  Gottschalk  lui-même  con- 
sacrait naguère  à  son  ami  :  «  ...  Éloigné  du  théâtre,  des  luttes  artistiques, 
Espadero  a  pu  se  préserver  de  tout  contact,  bon  ou  mauvais,  qui  aurait 
pu  altérer  les  qualités  naturelles  qui  caractérisent  son  talent.  Ce  jeune 
créole  n'a  encore  connu  ni  la  mode,  ni  les  séductions  du  public,  comme 
si  la  muse  des  tropiques  avait  voulu  éloigner  de  son  favori  toutes  les  in- 
fluences impures  qui  pourraient  flétrir  la  fleur  divine  qu'elle  avait  mise 
dans  son  sein,  la  Heur  mystérieuse  qui  ne  pousse  que  dans  la  solitude, 
qui  s'appelle  le  beauidéal,  et  n'a  de  parfum  que  pour  le  poète...  »  Espadero 
a  publié,  tant  en  France  qu'en  Espagne  et  en  Amérique,  un  grand  nom- 
bre de  compositions,  parmi  lesquelles  nous  nous  bornerons  à  citer  :  Sou- 
venir d'autrefois,  Chant  de  l'âme,  Cantilène,  la  Plainte  du,  poète  (élégie  adorable), 
Ossiayi,  la  Chute  des  feuilles,  Innocence,  Tristesse,  Deuxième  Ballade,  Scherzo, 
Valse  idéale,  Plainte  de  l'esclave,  Sur  la  tombe  de  Gottschalk,  etc.  Il  en  a  laissé 
beaucoup  et  de  fort  importantes  en  manuscrit,  entre  autres  une  Grande 
Sonate,  un  quintette  instrumental,  une  Grande  Valse  satanique  à  deux  pianos, 
un  Ave  Maria  pour  soprano,  des  barcarolles,  des  nocturnes,  ainsi  que  de 
nombreuses  mélodies  vocales.  Après  la  mort  de  Gottschalk,  Espadero 
voulut  bien  se  charger  de  collectionner,  de  classer  et  de  publier  les 
œuvres  inédites  de  son  ami,  ce  que  lui  seul  pouvait  faire,  car  il  savait  de 
mémoire  certaines  de  ces  compositions  qui  n'avaient  même  jamais  été 
écrites  par  leur  auteur.  Il  s'acquitta  de  cette  tache  délicate  avec  un  soin 
religieux  et  un  désintéressement  complet,  le  cœur  étant  chez  lui  à  la 
hauteur  du  talent;  il  mettait  sa  gloire  à  augmenter  celle  de  son  ami,  et 
n'ambitionnait  pas  d'autre  récompense.  Espadero,  je  le  répète,  fut  un 
grand  artiste,  doué  d'une  façon  tout  exceptionnelle.  Étonnamment  popu- 
laire dans  toute  l'Amérique,  il  ne  lui  a  manqué  sans  doute  que  de  venir 
en  Europe  et  de  s'y  faire  personnellement  connaître,  pour  voir  sa  renom- 
mée égaler  sa  haute  valeur  et  ses  nobles  facultés  appréciées  ici  comme 
elles  le  méritaient.  A.  P. 

—  Nous  avons  le  regret  d'annoncer  la  mort  d'un  de  nos  compatriotes, 
l'excellent  violoniste  Sainton,  artiste  d'un  très  grand  talent,  qui  était  fixé 
à  Londres  depuis  près  d'un  demi-siècle,  et  qui  s'y  était  fait  une  situation 
aussi  honorable  que  brillante.  Né  à  Toulouse  le  5  juin  1813,  Sainton  avait 
déjà  en  poche  son  diplôme  de  bachelier  es  lettres  lorsqu'il  vint  se  faire 
recevoir  au  Conservatoire  de  Paris,  dans  la  classe  d'Habenech,  en  1831. 
Il  obtint  le  second  prix  en  1833,  et  le  premier  l'année  suivante,  fit  partie 
de  l'orchestre  de  l'Opéra  ainsi  que  de  la  Société  des  concerts,  puis  bientôt 
alla  faire  une  grande  tournée  de  concerts  à  l'étranger,  se  faisant  entendre 
avec  beaucoup  de  succès  en  Italie,  en  Autriche,  en  Russie,  et  jusqu'en 
Danemark  et  en  Suède.  Après  être  revenu  à  Paris,  il  fit  un  voyage  à  Londres, 
où  son  très  beau  talent  fut  fort  apprécié,  et  bientôt  se  fixa  en  cette  ville, 
où  il  devint  violon-solo  du  théâtre  de  Sa  Majesté,  violon-solo  de  la  reine 
d'Angleterre  et  professeur  à  l'Académie  royale  de  musique,  où  il  forma 
nombre  d'excellents  élèves.  Sainton.  à  qui  l'on  doit  plusieurs  compositions 
intéressantes,  avait  épousé  à  Londres  une  cantatrice  extrêmement  distin- 
guée, M110  Dolby,  devenue  fameuse  comme  chanteuse  d'oratorio  sous  le 
nom  de  Mmc  Sainton-Dolby,  et  qui  est  morte  elle  même  il  y  a  quelques 
années.  Il  avait  conservé  très  vif  en  Angleterre  l'amour  de  son  pays,  et  le 
signataire  de  ces  lignes  a  le  devoir  particulier  de  rendre  un  digne  hom- 
mage à  cet  excellent  artiste  qui  ne  cessa  d'être  un  bon  Français.      A.  P. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Mmo  Croué  a  repris  ses  leçons  de  piano  et  son  cours  de  solfège  du 
jeudi,  71,  rue  Laugier,  près  la  place  Péreire. 


UNE    ANNÉE    D'ÉTUDES 

EXERCICES    ET    VOCALISES    AVEC    THÉORIE 


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(Extraits     du     Traité:     LA    VOIX    ET     LE     CHANT)  pour 

Chaque  volume  in-8°.  Prix  net  :  8  francs  VOIX  DE  FEMMES  ou  TÉNOR 


DU    MEME   AUTEUR  : 

AUX     JETJIVES     CHANTEURS 

NOTES    ET    CONSEILS 

Extraits  du  Traité   Pratique  LA  VOIX  ET  LE  CHANT 

UN  VOLUME  IN-12,  NET  :  3  Francs 


344 


LE  MÉNESTREL 


Pour  paraître  très  prochainement,  au  Ménestrel,  2  bis,  rue  Tiyienne,  Henri  HEUGEL,  éditeur-propriétaire. 


LA  CHANSON  DES  JOUJOUX 


Poésies  de  Jules  JOTJY. 


Musique  de  Cl.  BLANC  et  L.  DAUPHIN. 


Le  Jeu  de  Patience,  chansonnette. 
Les  Soldats  de  bois,  ronde. 
Les  Petits  Navires,  barcarolle. 
La  Boutique  à  treize,  boniment. 
Les  Petits  Chasseurs,  chasse. 
La  Lanterne  magique,  ronde. 
Les  Fusils  de  bois,  romance. 
Les  Crécelles,  farandole. 
Le  Petit  Orchestre,  menuet. 
Le  Dernier  Joujou,  marche-retraite. 

Chaque  numéro,  avec  accompagnement  de  piano,  couverture  en  couleurs  de  CHÉRET,  net  :  60  centimes. 
Les  trente  numéros  réunis  en  un  recueil,  couverture  en  couleurs  de  CHERET,  net  :  7  francs. 


1. 

Petit  Noël,  cantique. 

Nos  ilm 

La  Tour  Eiffel,  complainte. 

N°8  21. 

2. 

Le  Premier  Joujou,  berceuse. 

12. 

Les  Pantins,  ronde, 

22. 

3. 

Les  Petits  Ménages,  ronde. 

13. 

Les  Chevaux  de  bois,  galop. 

23. 

4. 

Les  Poupées,  berceuse. 

14. 

La  Bergerie,  pastorale. 

24. 

S. 

Les  Ballons  rouges,  ronde. 

15. 

Les  Volants,  triolets. 

25. 

6. 

Les  Sabots  et  les  Toupies,  menuet-valse. 

16. 

Les  Petite*  Cuisines,  rondo. 

26. 

7. 

Le  Petit  Chemin  de  fer,  ronde. 

17 

Les  Poupards,  chanson. 

27. 

8. 

Les  Soldats  de  plomb,  marche. 

18. 

Les  Petits  Lapins,  chansonnette. 

28. 

9. 

Les  Petits  Jardiniers,  idylle-valse. 

19. 

Les  Polichinelles,  chansonnette. 

29. 

10. 

Le  Cerf-Volant,  ronde  à  2  voix. 

20. 

Les  Balles,  romance. 

30. 

VINGT    NUMÉROS    CHOISIS 

Édition  de  luxe,  avec  vingt  compositions  hors  texte  et  cinquante  dessins  dans  le  texte,  couverture,  titre  et  table  en  couleurs  par  Adrien  MARIE, 
un  beau  volume,  format  soleil,  cartonné,  net  :  10  francs  (accompagnement  pour  la  seule  main  gauche). 


Paris,  AU  MÉNESTREL, 


rue  Vivienne,  HENRI    HEUGEL,   Éditeur-propriétaire. 


L-A.  BOMGADLT-DDCOUDRAY 

RAPSODIE  CAMBODGIENNE 

Exécutée    aux    CONCERTS    LAMOUREUX 


Grande  partition  d'orchestre,  prix  net:  25  fr.  —  Parties  séparées  d'orchestre,  prix  net:  50  fr. 
CHAQUE    PARTIE    SUPPLÉMENTAIRE,    PRIX    NET:    2    FR.    50    C. 

MÉLODIES  POPULAIRES 


PROVINCES  DE  FRANCE 


lre  Série 

N°»  Prix 

1 .  Le  Mois  de  Mai 5  fr. 

Chant  de  quête  de  la  Champagne. 

2.  La  Chanson  des  Métamorphoses 5    » 

Version  du  Morvan. 

3.  Celui  que  mon  cœur  aime  tant 2  50 

Chanson  de  l'Angoumois. 

4.  Le  Pauvre  Laboureur 5    » 

Chanson  de  la  Bresse. 

5.  La  Pernette '. 3    » 

Version  de  la  Franche-Comté. 

6.  Briolage , 2  50 

Chant  du  laboureur  berrichon. 

7.  La  Bergère  et  le  Monsieur 2  50 

Chanson  dialoguée.  Version  d'Auvergne. 

8.  Le  Rossignol  Messager 4    » 

Version  bressane. 

9.  En  passant  par  la  Lorraine 5    » 

Version  du  pays  messin. 

10.     Le  Chant  des  livrées 5    » 

Chanson  de  noces  du  Berry. 


2e  Série 


11.  La  Mort  du  Roi  Renaud 

Version  de  la  Normandie.  . 

12.  C'est  le  vent  frivolant 

Ronde  française  du  Canada. 

13.  Le  Retour  du  Marin 

Version  poitevine. 

14.  Voilà  six  mois  qu'c'était  le  printemps  .... 

Version  bourguignonne. 

13.     Là-haut  sur  la  montagne 

Pastourelle.  Version  de  l'Alsace. 

16.  Le  Joli  Tambour 

Version  de  la  haute  Bretagne. 

17.  Rossignolet  du  Bois  joli 

Chanson  populaire  de  la  Bresse. 

18.  Les  Répliques  de  Marion 

Chanson  dialoguée.  Version  du  Berry. 

19.  La  Mort  du  Mari 

Version  normande. 

20.  Bondes  bretonnes 

Haute  Bretagne. 


Prit 
5     » 


5  » 
3  » 
2  50 
2  50 


Nota. 


RECUEILLIES  ET  HARMONISÉES  PAR  JULIEN  TIERSOT 

Chaque  série  de  10  N"  en  un  recueil  in-8°,  Prix  net  :  5  fr.  —  Les  2  Séries  réunies  en  un  recueil  in-8",  Prix  net  :  8  fr. 

Les  chansons  n03  i,  9,   10,   12  et  20  sont,  en  partie,  avec  chœur  à  l'unisson.  —  Il  existe  deux  éditions  de  la  chanson  n" 
En  passant  par  la  Lorraine  :  une  avec  chœur  (n"  9)  et  l'autre  pour  voix  seule  (n°  9  bis). 


ÎNl'nniLIUH  CENT 


R.    —  n i"i  un:  . 


e,  20, 


3109  —  56 


Dimanche  2  Novembre  1890. 


m  —  X°  M.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Taris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste:  Louis  Lacombe  (25"  article),  Louis  Gaixet.  —  II.  Semaine 
théâtrale:  La  candidature  de  M.  Wilder  à  la  direction  de  l'Opéra,  H.  Moreno; 
première  représentation  de  Ma  Cousine,  aux  Variétés,  Paul-Émile  Chevalier.  — 
III.  La  statue  de  Georges  Bizet.  —  IV.  Un  virtuose  couronné  (7=  et  dernier 
article),  Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts 
et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

CELUI    QUE    MON    CŒUR    AIME    TANT 

chanson  de  l'Angoumois,  n°  3  des  Mélodies  populaires  de  France,  recueil- 
lies et  harmonisées  par  Julien  Tiersot.  —  Suivra  immédiatement:  La 
Mort  du  Roi  Renaud,  version  de  la  Normandie,  n°  11  de  la  même  collection. 

PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano  :  :  Légende  slave,  de  L.-A.  Bourgaolt-Ducoudray.  —  Suivra  immé- 
diatement: la  nouvelle  Mazurke  Eolienne,  de  Théodore  Lack. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


LOUIS    LACOMBE 


Mes  souvenirs  personnels  étant  peu  nombreux,  et  peu 
abondantes  les  sources  où  tout  d'abord  je  pouvais  puiser 
pour  les  compléter,  la  figure  de  Louis  Lacombe,  apparue 
dans  les  notes  qui  précèdent,  resterait  assez  indécise,  si, 
pour  me  donner  le  moyen  d'en  accentuer  les  traits,  une 
main  pieuse  n'avait  ouvert  devant  moi  la  porte  du  cabinet 
de  travail  où  le  compositeur  a  vécu  la  plus  grande  partie  de 
ses  derniers  jours,  la  bibliothèque  où  sont  réunies  les 
œuvres  de  ceux  qu'il  aimait  et  les  siennes,  les  cahiers  nom- 
breux où  sont  consignés  ses  projets,  ses  essais  littéraires, 
ses  souvenirs  de  famille ,  ses  intimes  pensées  d'homme 
et  d'artiste. 

Dans  cet  appartement,  voisin  des  beaux  ombrages  du  parc 
Monceau,  resté  tel  qu'il  était  du  vivant  de  Lacombe,  plein 
de  vieux  meubles,  d'objets  d'art,  de  ses  portraits  le  montrant 
depuis  l'adolescence,  rayonnant  de  la  douce  joie  du  pre- 
mier succès,  jusqu'à  la  vieillesse,  le  front  ravagé  et  les  yeux 
profonds,  celle  qui  le  pleure  vit  dans  la  mélancolique  dou- 
ceur de  ses  souvenirs. 

Je  me  suis  assis  là,  pendant  deux  heures,  devant  la  table 
tout  encombrée  de  ses  manuscrits  et,  tout  à  coup,  j'ai  revu 
l'homme.  J'ai  parcouru  en  sa  compagnie  toute  sa  longue  et 
laborieuse  carrière.  J'ai  eu  sous  les  yeux  son  àme  tout  ou- 
verte et  j'ai  pu  en  pénétrer  jusqu'aux  plus  intimes  replis. 


Comme  il  m'avait  été  donné  déjà  de  le  conslater  durant 
nos  brèves  relations,  Louis  Lacombe,  en  effet,  n'était  pas 
seulement  un  musicien.  C'était  un  penseur,  un  philosophe, 
un  poète. 

En  des  pages  innombrables,  il  a  répandu  ce  que  son  ima- 
gination, toujours  en  activité,  lui  apportait.  Quelques-unes 
de  ces  pages  ont  été  réunies  dans  un  volume  de  vers  :  Der- 
nier Amour,  paru  chez  Lemerre  en  1886,  par  les  soins  de 
Mme  Andrée  Lacombe. 

Il  y  chante  en  strophes  pleines  d'une  douce  émotion, 
d'une  tendresse  délicate,  cet  amour  qui  lui  était  venu  à  l'âge 
où  les  amours  s'envolent,  ce  Retour  inespéré,  comme  il  le  dit 
lui-même,  charmé,  comme  le  bon  Ronsard,  de  se  sentir  en- 
core un  cœur  si  jeune  : 

Amour,  je  te  connais;  c'est  bien  toi;  c'est  toi-même! 
Ai-je  perdu  l'esprit  et  se  peut-il  que  j'aime? 
Se  peut-il  que  mon  cœur  par  le  chagrin  aigri, 
Sous  ses  voiles  de  deuil  frissonnant  et  meurtri, 
Sorte  de  sa  stupeur,  se  rassérène,  vive,  - 
Et  de  nouveau  s'abreuve  à  cette  source  vive, 
Source  de  pur  amour!  O  mon  Dieu,  se  peut-il 
Que  ce  désir  sans  frein,  que  ce  poison  subtil 
Que  verse  le  sourire  adoré  d'une  femme, 
Une  dernière  fois  bouleverse  mon  âme  ? 

Ces  vers,  datés  du  1er  février  1869  et  qui  forment  le  début 
de  la  première  pièce,  sont  précédés  de  cette  pensée  de  Louis 
Lacombe,  épigraphe  du  recueil,  profession  de  foi  évangélique, 
aveu  dicté  par  une  expérience  amère  de  la  vie  : 

Je  me  suis  fait  un  cœur  de  Christ,  plein  d'amour  et  de  pardon.  —  Ici- 
bas,  j'étais  sans  défense  et  le  monde  m'a  vaincu. 

La  bonté  n'est  pas  une  arme. 


C'est  à  travers  ses  œuvres  inédites  que  je  me  suis  plu  à 
rechercher  l'esprit  et  le  cœur  de  Louis  Lacombe. 

Ses  poésies,  qui  remplissent  plusieurs  de  ces  cahiers,  dont 
j'ai  à  mon  gré  feuilleté  les  pages,  sont  d'une  grande  variété. 
La  forme  en  est  toujours  simple,  la  rime  soignée  ;  au  milieu 
d'une  abondance  de  strophes  parfois  excessive  fleurit  tout  à 
coup  une  pensée  charmante,  piquante,  ingénieuse,  ou  d'une 
philosophie  profonde. 

J'ai  copié  deux  de  ces  poésies  prises  presque  au  hasard 
dans  deux  cahiers  différents  :  il  me  semble  qu'elles  repré- 
sentent bien  le  double  aspect  moral  de  l'homme  que  cet 
entretien  de  deux  heures  avec  son  esprit  venait  de  me  faire 
connaître  à  fond,  en  me  donnant  le  regret  de  ne  l'avoir  pas 
plus  réellement  et  intimement  connu  naguère  : 

La  première  a  été  conçue  «  en  passant  devant  une 
croix  :  » 


346 


LE  MENESTREL 


Divin  crucifié  qui,  du  haut  du  Calvaire, 

Versas  sur  notre  globe  avec  sérénité 

La  loi  de  sacrifice  et  de  fraternité 

Dont  ta  tète  et  ton  cœur  devaient  être  l'ovaire; 

Christ,  miracle  d'amour,  de  foi,  de  charité, 
Qui  rendis  l'espérance  aux  enfants  de  la  terre, 
Toi  qu'on  admire,  toi  qu'on  aime,  qu'on  révère, 
Et  qui  sus,  de  ton  sang,  payer  ta  royauté, 

Tu  ne  portes  pas  seul  le  poids  de  la  croix  sainte  : 
Tout  penseur  généreux  la  sent  peser  sur  lui, 
Dès  qu'il  flétrit  le  vice  et  prend  Dieu  pour  appui. 

Va  !  sur  tous  les  fronts  purs  ta  couronne  est  empreinte. 

On  châtiera  toujours  les  plus  nobles  esprits, 

Car  l'homme  doit  souffrir  :  il  n'est  grand  qu'à  ce  prix  ! 


Cette  image  du  Christ  reparaît  souvent  sous  la  plume  de 
Louis  Lacombe.  Il  est  un  chrétien,  non  pas  seulement  dans 
l'acception  simple  du  mot.  Il  est  hanté  par  la  vision  d'un 
Christ  rénovateur;  ce  républicanisme  qu'il  professait  un  jour 
devant  moi  était,  en  réalité,  une  sorte  de  socialisme  évan- 
gélique. 

—  «  C'était  un  Christ,  me  disait  Mme  Lacombe,  au  cours 
de  cette  si  intéressante  visite.  Il  aimait,  lui  aussi,  les  petits 
et  les  souffrants  ;  mais  il  respectait  et  admirait  les  grands, 
quand  ils  étaient  justes,  généreux  et  bons.  —  Dans  les  notes 
et  réflexions  qu'il  m'a  laissées,  il  y  a  ceci  :  «  La  liberté 
d'un  homme  ne  doit  avoir  pour  bornes  que  la  liberté  des 
autres  hommes.  »  Et  encore  :  «  Si  la  République  ne  devait 
donner  satisfaction  qu'aux  intérêts  matériels,  si  elle  devait 
anéantir  l'Art,  qui  nous  rapproche  un  peu  de  l'infini,  il  vau- 
drait mieux  qu'elle  ne  fût  pas  née.  » 


Il  y  a  une  certaine  relation  entre  ces  idées  de  Louis  La- 
combe et  celles  que  nous  révèle  la  récente  publication,  dans 
la  Nouvelle  Berne,  des  fragments  d'une  correspondance  de 
David  d'Angers,  recueillie  par  M.  Henry  Jouin.  Le  grand 
statuaire  avait  aussi  cette  haute  conception  du  symbolisme 
chrétien.  La  même  tendance  se  retrouverait,  je  crois,  d'ail- 
leurs, chez  les  hommes  de  valeur,  artistes,  écrivains  ou 
politiques  de  cette  génération  de  1830  à  1848,  dont  la  démo- 
cratie était  généralement  toute  spiritualiste  et  chrétienne, 
et  dont  la  République  pouvait  se  proclamer  de  droit  divin. 

«  Depuis  longtemps,  écrit  David  d'Angers  à  Lamennais, 
selon  la  correspondance  que  je  cite,  j'ai  essayé  décomposer 
quelques  sujets  principaux  de  la  vie  du  Christ.  Dans  l'un, 
je  voulais  le  représenter  assis  sur  le  Monde,  écrivant  avec 
son  sang  :  «  Liberté,  Égalité,  Fraternité,  »  ce  qui  semble  le 
résumé  de  sa  morale  sublime.  Nous  avons  foi  dans  cette 
charte  divine,  nous  autres  républicains.  Nos  pères  l'avaient 
inscrite  sur  leurs  drapeaux  que  la  mitraille  de  tant  de  vic- 
toires a  consacrés. 

»  J'ai  cherché  à  rendre  cette  grande  idée  dans  le  faible 
croquis  que  je  serais  heureux  de  vous  voir  accepter.  » 

Ma  seconde  citation  sera  pour  une  très  légère  inspiration: 
Avril,  détachée  d'une  collection  de  douze  pièces,  ayant 
chacune  pour  sujet  l'un  des  mois  de  l'année,  sorte  de  calen- 
drier dont  les  poètes  contemporains  associés  aux  illustrateurs 
nous  offrent  encore  de  nombreux  exemples. 

Voici  1'  «  Avril  »  de  Louis  Lacombe .  : 

Le  poing  sur  la  hanche. 
Leste,  aventureux 
Comme  un  amoureux, 
Avril  passe...  Il  penche 

Sa  couronne  blanche 
Sur  l'arbre  poudreux: 
Son  souffle  fiévreux 
Fleurit  chaque  branche. 


D'un  nuage  blanc 
Il  sort  en  sifflant; 
Dans  la  plaine  il  erre., 

Parfois,  au  buveur 

Il  fait  la  faveur 

D'un  coup  de  tonnerre. 


Ce  n'est  pas  dans  ses  essais  poétiques  pourtant  que  j'ai  le 
mieux  aimé  le  compositeur;  c'est  dans  ses  pensées  détachées,, 
éparses  dans  ces  feuillets  tout  couverts  de  sa  magistrale  et 
ferme  écriture;  prose  ou  vers,  ironie  ou  mélancolie,  humour, 
esprit,  elles  montrent  bien  mieux  le  fond  de  l'homme  que 
les  poésies  proprement  dites;  elles  le  montrent  du  moins- 
sous  un  jour  plus  vif. 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


Puisque  notre  ami  Georges  Boyer,  du  Figaro,  a  dévoilé  ce  mys- 
tère qui  nous  était  aussi  connu  depuis  quelque  temps,  pourquoi 
n'en  toucherions-nous  pas  quelques  mots  à  nos  lecteurs  ? 

Eh  !  bien  oui,  pour  le  jour  qu'on  peut  espérer  prochain  où 
MM.  Ritt  et  Gailhard  devront  quitter  la  place,  plusieurs  candidatures 
à  la  direction  de  l'Opéra  se  dessinent  déjà  assez  nettement.  Nous- 
ne  sommes  pas  autorisés  encore  à  les  nommer  toutes;  mais  celle  de 
M.  Victor  Wilder,  dont  parle  notre  confrère  Georges  Boyer,  est  assu- 
rément une  des  plus  sérieuses. 

Il  n'est  pas  un  inconnu  pour  nos  anciens  lecteurs,  qui  se  rap- 
pellent sa  longue  et  précieuse  collaboration  au  Ménestrel.  Depuis,  il 
bataillait  au  Gil  Blas,  où  il  défendait  avec  une  âprelé  quelquefois 
excessive  les  idées  qui  lui  étaient  chères.  Il  a  un  idéal  d'art  élevé 
et  une  compétence  dans  les  choses  musicales  que  nul  ne  saurait 
lui  contester.  Hâtons-nous  de  dire,  afin  qu'on  ne  nous  prenne  pas 
pour  un  niais,  qu'en  ces  temps  de  Ritt  et  Gailhard,  où  toutes  les 
places  se  donnent  à  la  faveur,  ces  titres  artistiques  exceptionnels 
ne  comptent  absolument  pour  rien.  Est-on  l'homme  de  Conslans  ou 
ne  l'est-onpas?  Tout  est  là. 

Aussi,  M.  Victor  "Wilder,  qui  n'est  pas  un  imbécile,  ne  se  serait-il 
pas  risqué  à  se  mettre  sur  les  rangs,  s'il  n'avait  eu  que  d'aussi  bonnes 
raisons  à  mettre  en  avant.  Il  sait  bien  que  dans  de  telles  conditions, 
le  moindre  citoyen  de  Toulouse  lui  aurait  été  sûrement  préféré. 
Non,  non,  les  titres  artistiques  de  M.  Victor  Wilder,  on  les  prendra 
sans  doute  par-dessus  le  marché,  mais  ce  qui  fait  sa  force  et  le 
pose  du  premier  coup  comme  le  plus  redoutable  des  candidats,  . 
c'est  bel  et  bien  une  excellente  commandite  de  douze  cent  mille 
francs  tout  comptés  qu'il  a  derrière  lui  et  qui  en  fait  un  homme 
considérable.  Il  n'est  pas  probable,  en  effet,  que  ses  concurrents 
puissent  aligner  de  pareilles  piles  de  louis  d'or  sous  les  yeux  du 
ministre  ébloui. 

Aussi,  M.  Bourgeois  l'a-l-il  écouté  avec  beaucoup  de  bienveillance. 
A  la  faveur  de  son  chèque  triomphant  qu'il  agitait  de  temps  en 
temps  dans  les  airs,  il  a  pu  exposer  tout  au  long  son  plan  de  cam- 
pagne. Et  d'abord,  il  donnerait  des  représentations  quotidiennes. 
Pendant  longtemps,  quand  cela  était  contraire  à  leurs  intérêts, 
MM.  Ritt  et  Gailhard  ont  déclaré  qu'avec  les  exigences  d'un  énorme 
théâtre  comme  celui  de  l'Opéra,  jouer  tous  les  jours  était  d'une 
impossibilité  absolue.  Mais,  pendant  l'Exposition,  quand  on  était 
assuré  chaque  soir  d'une  belle  recette,  même  avec  d'épouvantables 
spectacles  et  des  chanteurs  de  carton,  c'est  devenu  la  chose  la 
plus  simple  du  monde.  Donc,  l'expérience  est  faite  et  le  projet  de 
M.  Wilder  n'a  rien  de  chimérique.  Il  pourrait  maintenir  l'abonne- 
ment des  trois  jours  tel  qu'il  existe  à  présent,  maintenir  aussi  tout 
le  répertoire  qui  fait  la  joie  des  abonnés  et  facilite  leur  digestion 
accoutumée.  Car  il  y  a  tels  estomacs  habitués  aux  mélodies  aisées 
des  Meyeibeer  et  des  Halévy  qui  ne  se  prêteraient  pas  aussi  facile- 
ment aux  mélodies  plus  subversives  de  Richard  Wagner,  par 
exemple.  Il  y  a  là  des  ménagements  à  garder  pour  les  organismes 
susceptibles  de  l'aristocratique  faubourg  Saint-Germain.  Toute 
querelle  intestine  entre  les  anciens  abonnés  et  le  nouveau  directeur 
serait  ainsi  écartée. 

Mais  il  se  rattraperait  les  jours  intermédiaires,  qui  lui  donne- 
raient l'occasion  de  créer  une  nouvelle  série  d'abonnements  pour  les 


LE  MENESTREL 


347 


amateurs  plus  robustes.  Là,  la  bannière  de  la  nouvelle  école  serait 
toute  large  déployée. 

Du  Wagner  sans  doute,  il  faut  l'espérer,  mais  sans  excès.  Des 
œuvres  choisies  et  peut  -être  expurgées.  Ah  !  si  la  famille  du  grand 
homme,  mieux  inspirée  dans  son  culte  à  la  mémoire  du  défunt, 
pouvait  consentir  à  débarrasser  ses  œuvres  de  tout  le  fatras  indigeste 
qui  les  obscurcit,  quelles  superbes  et  incomparables  pages  musicales 
viendraient  enrichir  le  répertoire  de  nos  théâtres,  en  dépit  de  leurs 
poèmes  trop  souvent  incongrus!  Mais  le  zèle  de  Cosima  est  farouche 
■  et  n'admet  pas  de  compromissions.  Il  faut  prendre  le  vaste  génie 
de  Wagner  comme  il  est,  avec  ses  prolongements  infinis,  qui  dé- 
passent les  humaines  faiblesses.  Tant  pis  !  C'est  ce  qui  l'empêchera 
de  s'acelimaler  chez  nous,  avant  qu'il  soit  longtemps. 

Et,  à  côté  de  Wagner,  tout  ce  qui  va  de  l'avant  dans  la  jeune 
école.  Comme  les  représentations  seraient  quotidiennes,  il  en  résul- 
terait des  recettes  doubles  qui  perpétuaient  de  monter  un  plus  giand 
nombre  d'ouvrages  qu'on  ne  le  fait  actuellement,  et  jamais  on  ne  se 
serait  vu  à  pareille  fête.  Pour  suffire  à  toute  la  besogne,  M.  Wilder 
aurait  trois  chefs  d'orchestre,  adaptés  chacun  au  genre  d'ouvrage 
qu'il  devrait  conduire.  C'est  ce  qui  se  fait  beaucoup  dans  les  grands 
théâtres  d'Allemagne. 

Voilà,  en  un  résumé  très  bref,  les  projels  de  M.  Wilder.  Il  en  a 
quelques  autres  que  nous  ne  sommes  pas  encore  autorisé  à  dire. 
De  quelque  façon  que  puisse  tourner  une  pareille  entreprise,  il  en 
resterait  toujours  quelque  chose  d'artistique,  on  peut  en  ètie  assuré. 
Et  c'est  ce  qui  nous  ferait  voir  sans  désolation  le  départ  de  MM.  Rilt 
et  (j-ailhard,  qui  piétinent  depuis  bientôt  six  ans  dans  l'abominable 
routine  et  entassent  les  Cid  sur  les  Dame  de  Monsoreau,  sans  aucun 
profit  pour  personne. 

Et  que  font-ils,  ces  chers  amis,  pendant  qu'on  complote  toutes 
ces  jolies  choses  ?  Ils  font  débuter  en  catimini  un  jeune  ténor  échappé 
du  Conservatoire,  M.  Vaguet,  qui  ne  s'est  vraiment  pas  trop  mal 
comporté  dans  Faust,  encore  qu'un  peu  ténorino  pour  le  rôle.  C'était 
un  second  prix  des  derniers  concours  ;  il  en  a  bien  donné  pour  les 
trois  ou  quatre  mille  francs  annuels  qu'il  doit  émarger  au  budget 
de  MM.  Ritt  et  Gailhard,  qui  ne  cesseront  jamais  de  nous  étonner 
•de  leur  faste  et  de  leur  prodigalité. 

H.  Moreno. 

Variétés.  —  Ma  Cousine,  comédie  en  3  actes  de  M.  Henri  Meilhac. 

Que  cela  fait  de  bien  d'entendre,  de  temps  à  autre,  une  comédie 
gaie,  spirituelle,  fine,  élégante  et  de  bon  Ion,  et  combien  nous  avons 
lieu,  après  une  telle  soirée,  de  regretter  que  la  nature  se  soit  montrée 
si  parcimonieuse  de  Meilhaes,  alors  qu'elle  nous  impose  tant  de... 
■Certes,  cette  pièce  nouvelle  ne  saurait  passer  pour  un  modèle  d'inven- 
tion, et  la  trame  n'en  parait  ni  d'une  solidité,  ni  même  d'une  vérité 
incontestables;  mais  il  faudrait  vraiment  avoir  l'esprit  ou  bien  cha- 
grin, ou  bien  jaloux,  pour  penser  à  s'en  plaindre  ou  pour  oser  en 
blâmer  l'auteur.  Qu'importe  que,  par  moments,  la  folie  s'empare  de 
.lui  et  le  mèue  un  peu  trop  à  son  gré,  s'il  sait  profiter  de  cet 
entraînement  et  si,  de  cette  incursion  dans  le  domaine  de  l'extrava- 
gance, doit  naltie  un  trait  piquant  ou  une  observation  vraie.  Car  eu 
plus  de  ses  qualités  d'espril,  de  viyacité  et  de  facilité  aimable, 
TVI.  Meilhac  est  encore  un  profoni  observateur.  Regardez  de  près 
Champcourtier,  le  baron  Arnay  la  Hutte,  Gaston,  Riquette,  et  la 
Berlandet,  et  dites  s'ils  n'ont  pas  été  photographiés  instantané- 
ment dans  leur  propre  milieu  et  transportés  sans  retouches  aucunes 
sur  la  scène.  L'auteur  dramatique  amateur,  homme  du  monde  et 
membre  «  du  Cercle  »,  ne  le  retrouvez-vous  pas,  une  fois  pai  semaine, 
installé  dans  son  fauteuil  à  l'Opéra  et  à  la  Comédie-française?  Le 
baron  infatué  de  sa  personne  n'est-il  pa3  aussi  vivant  et  aussi  nature 
que  le  jeune  gommeux  Gaston?  Cette  Riquette  ne  vous  a-t-elle 
jamais  reçu  dans  son  boudoir  tout  fanfreluche  et  ne  vous  a-t-elle 
pas,  à  vous-même,  laissé  deviner  son  cœur  subtil  de  Parisienne  ? 
L'aimable  coquine,  Mmo  Champcourtier,  ne  vous  a-t-elle  jamais  invité 
à  ses  five-oclock,  et  la  vieille  manicure  ne  vous  a-t-elle  jamais  pro- 
posé, à  d'excellentes  conditions,  du  Champagne  divin  ou  des  cigares 
nec  plus  ultra?  Vraiment,  tous  ces  gens-là  sont  suprenants  de  réa- 
lité. Et  puis,  avec  quel  exquis  sans-façon  M.  Meilhac  les  fouaille 
de  sa  verve  caustique  et  sceptique!  quelle  satire  implacable  habi- 
lement dissimulée  sous  un  charme  continu  et  doré  d'une  enveloppe 
chatoyante  !  Voilà  certainement  en  quoi  consiste  l'art  dramatique,  et 
là  nous  trouvons  le  talent  réel. 

Il  n'y  a  que  des  compliments  a  adresser  à  la  troupe  des  Variétés 
pour  la  façon  très  supérieure  dont  elle  a  interprété  Ma  Cousine. 
M11"  Réjane  est  de  tout  premier  ordre  et  suggestive  à  un  degré  impos- 
sible à  dépasser.  M.  Baron  est  parfait  et  MM.  Cooper  et  Raymond 


très    bien.    Mmo  Crosnier   Mlles  Lender  et  Crouzet  contribuent  pour 

une  très  grande  part  à  cet  ensemble  remarquable,  et  la  direction  des 

Variétés   a    donné  à  la  pièce   une  hospitalité  princière  et  de   tous 

points  réussie. 

Paul-Emile  Chevalier. 


LA  STATUE  DE  GEORGES  BIZET 


Notre  confrère  et  ami  M.  de  Fourcaud,  le  très  éminent  critique 
musical  du  Gaulois,  a  mis  en  avant,  comme  nous  l'avons  dit 
dimanche  dernier,  Vidée  de  dresser  une  statue  à  l'auteur  de  Carmen 
et  de  V  Artésienne.  L'idée  a  fait  rapidement  son  chemin  puisque  la 
souscription  ouverte  à  cet  effet  dépasse  déjà,  en  moins  de  quelques 
jours,  la  somme  de  vingt  mille  francs. 

A  une  époque  où  on  a  la  statue  si  facile,  pourquoi  Georges  Bizet 
n'aurait-il  pas  la  sienne?  Il  y  a  des  titres  évidemment  supérieurs 
à  ceux  de  la  plupart  des  malfaiteurs  politiques  qui  jouissent  de  cet 
honneur.  Car  lui,  du  moins,  n'a  jamais  fait  de  mal  à  son  pays.  Il  l'a 
doté  au  contraire  de  quelques  œuvres  charmantes  ,  qui  eussent  été 
plus  nombreuses  encore  si  la  mort  n'était  venue  l'arracher  brusque- 
ment à  la  gloire  qui  l'attendait. 

Sera-ce  un  buste?  Sera-ce  une  statue?  Une  lettre  de  M.  Saint- 
Saëns,  pleine  de  sens  humoristique,  pose  cette  double  interrogation  : 

Rien  ne  peut  faire  plus  de  plaisir  aux  amis  de  Bizet,  à  ceux  qui, 
comme  moi,  savent  quel  grand  cœur  était  dans  ce  grand  artiste,  que  de 
lui  voir  rendre  les  honneurs  qui  lui  sont  dus. 

Ceci  posé,  permettez-moi  de  vous  soumettre  une  réflexion  qui  m'est 
venue.  Pourquoi  une  statue?  Si  l'on  n'y  prend  garde,  dans  un  siècle,  nos 
villes  seront  peuplées  de  fracs,  de  redingotes  et  de  pantalons  en  bronze,  du 
plus  détestable  effet.  Xotre  costume  masculin  moderne  est  informe  et,  par 
cela,  rebelle  à  la  sculpture.  Serait-ce  diminuer  Bizet  que  de  demander 
pour  lui  ce  qu'on  a  fait  pour  Delacroix,  un  monument  surmonté  d'un 
buste?  Vous  qui  êtes  amateur  d'art  sous  toutes  les  formes,  mon  cher 
Fourcaud,  creusez  cette  idée  :  elle  fera  fortune.  Ce  motif  prête  à  mille  va- 
riations plus  intéressantes  les  unes  que  les  autres.  En  l'adoptant,  on  ferait 
la  joie  des  sculpteurs,  et  l'on  ne  risquerait  pas  d'élever  à  nos  grands 
hommes  des  apothéoses  qui,  avec  lé  temps,  pourraient  devenir  des  piloris, 
quand,  notre  costume  ayant  disparu,  on  en  verra  franchement  tout  le 
ridicule. 

L'œuvre  est  sous  le  patronage  illustre  des  trois  doyens  de  l'Aca- 
démie des  Beaux-Arts,  section  musicale  :  MM.  Amhroise  Thomas, 
Charles  Gounod  et  Ernest  Reyer. 

Le  Ménestrel,  à  qui  la  mémoire  de  Bizet  est  chère,  autant  par  son 
talent  que  par  la  solide  amitié  qui  nous  liait  à  lui,  est  heureux 
d'ouvrir  de  son  côté  une  liste  de  souscription  parallèle  à  celle  du 
Gaulois  sur  laquelle  il  espère  que  tous  les  musiciens  voudront  bien 
s'inscrire. 

LISTE  DE  SOUSCRIPTION 

M.   Henri   Heugel,    directeur  du  Ménestrel.    .    .   .     100  francs. 

M .   Paul-Emile  Chevalier 80        — 

M.  Arthur  Pougin 20        — 

M.  Marmointel,  père 25        — 

M.  Antonin  Marmontel 2o        — 

(A  suivre.) 

Le  Comité  de  l'œuvre  se  réunira,  pour  la  première  fois,  lundi 
prochain,  3  novembre,  au  Grand-Hôtel,  et  s'occupera  de  suite  des 
moyens  de  mener  l'entreprise  à  bonne  fin. 


UN   VIRTUOSE  COURONNÉ 

(Suite  et  fin.) 


Ces  histoires  de  singes  et  de  Voltaire  nous  ont  éloignés  quelque 
peu  de  l'objet  principal  de  cette  étude.  Nous  y  revenons  pour  en- 
visager notre  héros  comme  compositeur. 

Nous  avons  dit  qu'il  donna  le  plan  d'une  centaine  de  morceaux 
pour  la  flûte.  Le  spécimen  qu'en  a  rapporté  M.  Jules  Simon  n'est 
pas  fait  pour  donner  une  grande  idée  d«  l'imagination  musicale  de 
Frédéric  II.  Le  tout  est  coulé  dans  un  moule  uniforme,  d'où  s'é- 
chappent périodiquement  des  traits,  toujours  les  mêmes,  appropriés 
au  talent  du  virtuose.  De  plus,  Quantz  ne  composait  pas  autre- 
ment pour  son  royal  élève.  De  sorte  qu'on  peut  dire  que  le  réper- 
toire des  concerts  de  Sans-Souci,  tenu  religieusement  sous  clef  par 


348 


LE  MÉNESTREL 


le  roi,  et  dont  aucune  copie  ne  fut  répandue,  ne  brillait  point  pré- 
cisément par  son  originalité.  C'étaient  des  exercices,  des  études 
graduées  plutôt  que  des  morceaux  de  concerl,  en  un  mot  de  la 
musique  de  virtuose,  composée  pour  faire  valoir  telle  ou  telle  qua- 
lité d'une  embouchure  en  quête  de  succès. 

Nous  avons  dit  également  que  Frédéric  s'était  occupé,  dans  les 
mêmes  conditions,  de  la  facture  de  quelques  opéras.  On  connait  de 
lui  principalement  il  Re  pastore,  représenté  dans  l'orangerie  de 
Charlottenbourg  et  que  le  roi  tenait  pour  sa  «  plus  grande  victoire 
musicale.  »  Toute  la  cour  assistait  à  celte  exécution.  Il  en  fut  de 
même  pour  une  sérénade,  donnée  en  l'honneur  de  la  reine-mère, 
également  à  Charlottenbourg,  en  1747,  et  pour  laquelle  Frédéric 
avait  composé  plusieurs  morceaux  en  compagnie  de  Quantz,  de 
Nichelmann  et  de  Graun. 

Cette  œuvre  n'est  point  parvenue  jusqu'à  nous,  non  plus  que  la 
partition  d'il  Re  pastore,  dont  on  ne  connaît  que  l'ouverture,  qu'on 
joue  souvent  encore  à  Berlin,  et  qui  affecte  la  forme  d'une  marche. 

L'époque  était  aux  marches  dans  l'armée  prussienne,  et  il  faut 
convenir  qu'elles  avaient  une  saveur  très  particulière.  Nous  en 
avons  un  spécimen  dans  la  marche  de  Dessau,  que  le  vieux  com- 
pagnon d'armes  du  Grand  Électeur  et  de  Fréiéric.  I",  maréchal 
d'Anhalt-Dessau,  vainqueur  de  Hochfelden  et  de  Canova,  appelait 
la  marche  des  dragons  de  Notre-Seigneur.  Meyerbeer  s'est  servi  de 
cette  marche  au  troisième  acte  de  l'Etoile  du  Nord,  dans  la  scène 
du  camp.  On  sait  le  grand  effet  qu'elle  produit. 

—  Avec  une  marche  de  nos  hautboïstes,  s'écriait  assez  présomp- 
tueusement  un  général  prussien  de  la  même  époque,  c'est  un  vrai 
plaisir  que  de  parler  à  l'Europe  à  coups  de  canon. 

Un  autrj  se  plaisait  à  répéter  que  la  marche  des  grenadiers  prus- 
siens ava^t  été  le  héros  de  la  guerre  de  Sept  ans. 

Entre  temps,  de  l'Allemagne  la  marche  avait  gagné  la  France,  où 
Maurice  de  Saxe  lui  donna  son  brevet.  A  l'article  sixième  de  ses 
Rêveries,  où  le  vainqueur  de  Mahon  traite  de  la  manière  de  former 
les  troupes  pour  le  combat,  on  peut  lire,  en  effet: 

«  Je  commencerai  par  la  marche.  Cela  me  met  dans  la  nécessité 
de  dire  une  chose  qui  paraîtra  bien  extravagante  aux  ignorants. 

»  Personne  ne  sait  ce  que  c'est  que  la  Tactique  des  Anciens;  cepen- 
dant beaucoup  de  militaires  ont  souvent  ce  mot  à  la  bouche,  et  croient 
que  c'est  l'exercice  ou  l'ordonnance  des  troupes  pour  les  mettre  en 
bataille.  Tout  le  monde  fait  battre  la  charge  sans  en  savoir  l'usage, 
et  tout  le  monde  croit  que  ce  bruit  est  un  ornement  militaire. 

»  Il  faut  avoir  meilleure  opinion  des  Anciens  et  des  Romains,  qui 
sont  nos  maîtres  ou  qui  devraient  l'être.  Il  est  absurde  de  croire  que 
les  bruits  de  guerre  ne  servent  uniquement  que  pour  s'étourdirles  uns 
les  autres.  Mais  revenons  à  la  marche,  sur  laquelle  je  vois  que  tout  le 
monde  s'étourdit,  se  tourmente  et  se  tue,  et  dont  on  ne  viendra 
jamais  à  bout  si  je  n'en  découvre  le  secret.  Les  uns  veulent  marcher 
lentement,  les  autres  veulent  marcher  vite,  mais  qu'est-ce  que  des 
troupes  que  l'on  ne  saurait  faire  marcher  vite  et  lentement,  comme 
l'on  veut  et  selon  ce  qu'on  en  a  besoin,  auxquelles  il  faut  à  chaque 
coin  un  officier  pour  les  faire  tourner,  les  uns  comme  des  limaçons, 
et  les  autres  en  courant,  pour  faire  avancer  une  queue  qui  traîne 
toujours? 

»  C'est  un  opéra  que  de  voir  seulement  un  bataillon  se  mettre  en 
mouvement:  ou  dirait  que  c'est  une  machine  mal  agencée,  qui  va 
rompre  à  tout  moment,  et  qui  ne  s'ébranle  qu'avec  une  peine  infinie. 
Veut-on  avancer  promptement?  avant  que  la  queue  sache  que  la  tête 
marche  vite,  il  se  fera  des  intervalles,  et  pour  les  regagner,  il  fau- 
dra que  la  queue  coure  à  toutes  jambes;  une  autre  tète  qui  suit  cette 
queue  fera  la  même  chose,  ce  qui  met  bientôt  tout  en  désordre,  et 
vous  met  dans  la  nécessité  de  ne  pouvoir  jamais  faire  marcher  vos 
troupes  avec  célérité. 

»  Le  moyen  de  remédier  à  tous  ces  inconvénients,  et  à  d'autres  qui 
en  résultent,  qui  sont  d'une  bien  plus  grande  conséquence,  est 
cependant  bien  simple,  puisque  c'est  la  nature  qui  le  dicte.  Le 
dirai-je,  ce  grand  mol  en  quoi  consiste  tout  le  secret  de  l'art,  et  qui 
va  sans  doute  paraître  ridicule:  —  Faites-les  marcher  en  cadence... 
Voilà  tout  le  secret,  et  c'est  le  pas  militaire  des  Romains. 

»  C'est  pourquoi  les  marches  sont  instituées,  et  pourquoi  l'on  bat 
la  caisse.  C'est  ce  qu'où  appelle  Tact  (mesure),  et  c'est  ce  que  personne 
ne  sait  et  ce  dont  tout  le  monde  s'avise.  Avec  cela  vous  ferez  mar- 
cher vite  et  lentement,  comme  vous  voudrez;  votre  queue  ne  traînera 
jamais;  tous  vos  soldats  iront  du  même  pied;  les  conversions  se 
feront  ensemble,  avec  célérité  et  grâce;  les  jambes  de  vos  soldats 
ne  se  brouilleront  pas;  vous  ne  serez  pas  obligé  d'arrêter  à  chaque 
conversion  pour  faire  repartir  du  même  pied,  et  vos  soldats  ne  se 
fatigueront  pas  le  quart  de  ce  qu'ils  font  à  présent. 


o  Si  quelqu'un  me  demande  quel  air  il  faut  jouer  pour  faire  mar- 
cher un  homme,  je  lui  répondrai,  sans  ruminer  sur  la  plaisanterie, 
que  toutes  les  marches,  tous  les  airs  à  deux  ou  trois  temps  y  sont 
propres,  les  uns  plus,  les  autres  moins,  selon  qu'ils  sont  marqués, 
que  tous  ces  airs  se  jouent  sur  le  tambour  avec  le  fifre,  et  qu'il  n'y 
a  qu'à  choisir  les  plus  convenables.   » 

Le  maréchal  de  Saxe  ne  parle  pas  des  autres  instruments  com- 
posant les  musiques  militaires,  assez  pauvrement  organisées  d'ail- 
leurs. Les  parties  y  étaient  ainsi  distribuées,  en  Prusse  comme  en 
France  :  deux  hautbois,  deux  clarinettes,  deux  cors  et  deux  bas- 
sons. Plus  tard,  on  adjoignit  à  ces  instruments  une  flûte,  une  ou 
deux  trompettes,  un  contre-basson  et  un  serpent. 

C'est  avec  ces  moyens  restreints  que  les  chefs  de  musique  fai- 
saient exécuter  les  marches,  dont  ils  donnaient  souvent  d'excellents 
modèles.  La  mode  en  vint  à  tel  point  que  des  compositeurs 
renommés  ne  regardaient  pas  comme  indignes  d'eux  d'appliquer  à 
des  marches  militaires  les  ressources  de  leur  talent.  Enfin,  comme 
nous  l'avons  vu,  les  tètes  couronnées  s'en  mêlèrent,  avec,  à  leur 
tête,  le  roi-soldat  Frédéric  II. 

En  1842,  on  a  publié  une  collection  de  «  Marches  favorites  »  pour 
instruments  à  vent,  en  partition,  et  arrangées  pour  le  piano.  Elles 
avaient  exclusivement  pour  auteurs  '  des  membres  de  la  famille 
royale  de  Prusse  :  Frédéric  II,  Frédéric-Guillaume  III,  le  prince 
Frédéric  de  Prusse,  les  princes  Albert  et  Guillaume,  le  prince  royal 
de  Hanovre  et  le  prince  royal  de  Suède  et  Norvège.  Depuis,  l'im- 
pératrice Augusta  a  composé  pour  son  régiment  une  marche  qu'on 
joue  encore  dans  l'armée  prussienne. 

Il  en  est  de  même  pour  deux  marches  de  Frédéric  II,  indépen- 
dantes de  celle  qui  forme  l'ouverture  d'il  Re  pastore  :  la  première, 
dédiée  à  son  régiment  des  Dragons  du  roi,  la  seconde,  écrite  pom 
le  drame  de  Lessing  :  Mina  de  Barhelm.  Naturellement,  les  mu- 
siques militaires  les  jouaient  à  l'envi,  de  façon  qu'elles  étaient 
devenues  de  véritables  airs  nationaux.  Depuis,  on  a  donné  la  préfé- 
rence à  la  marche  de  Dessau.  Mais  comme  l'empereur  Guillaume  II 
recherche  et  favorise  tout  ce  qui  louche  à  son  ancêtre,  on  a  pu 
remarquer  déjà  que  les  musiques  allemandes  ont  repris  ces  vieux 
airs  royaux,  qui  ont  retenti  sur  tant  de  champs  de  bataille,  au 
temps  où  les  musiciens  de  régiment  n'étaient  pas  encore  transformés 
en  brancardiers. 

La  musique  faisait  partie  de  l'attirail  guerrier  de  Frédéric  II  en 
temps  de  guerre,  —  la  musique  et  la  poésie.  Ses  pensées  étaient  à 
la  fois  aux  armes  et  à  l'idylle.  La  veille  de  la  bataille  de  Zendorf, 
il  s'amusait  à  refaire  une  ode  de  Jean-Baptiste  Rousseau. 

Ce  poète  avait  écrit  : 

Les  troupeaux  ont  quitté  leurs  cabanes  rustiques, 
Le  laboureur  commence  à  lever  ses  guérets, 
Les  arbres  vont  bientôt  de  leurs  tètes  antiques 
Ombrager  les  forêts. 

Déjà  la  terre  s'ouvre  et  nous  voyons  éclore 
Les  prémices  heureux  de  ses  dons  bienfaisants, 
Cérès  vient  à  pas  lents,  à  la  suite  de  Flore, 
Contempler  ces  présents. 


A  ces  vers  le  roi  substitua  cette  variante  : 

Les  troupeaux  ont  quitté  leurs  cabanes  rustiques, 
Le  laboureur  actif  sillonne  ses  guérets, 
Un  vert  tendre  et  naissant  sous  leurs  rameaux  antiques 
Orne  les  arbres  des  forêts. 

Déjà  d'un  sein  fécond  la  terre  fait  éclore 
Les  prémices  charmants,  l'espoir  des  moissonneurs, 
Les  chants  sont  embellis  par  les  présents  de  Flore 
Et  Phœbus  brille  sans  ardeurs. 


A  la  veille  d'une  autre  bataille  qui  devait,  comme  il  le  disait 
lui-même,  décider  du  sort  de  l'empire,  de  la  fortune  de  la  maison 
d'Autriche, du  paitage  des  alliés  et  de  la  préséance  de  la  France  ou 
des  nations  maritimes,  Frédéric  écrivait  à  Algarolli  de  lui  envoyer 
un  air  d'un  nouvel  opéra  de  Hasse. 

On  sait  quelle  prédilection  il  avait  pour  ce  grand  musicien.  A 
peine  entré  à  Dresde,  après  la  bataille  de  Kesseldorf,  il  fit  prier 
Hasse  de  faire  exécuter  le  lendemain  son  opéra  d'Arminio.  Malgré 
sa  douleur  patriotique,  celui-ci,  le  Saxon  par  excellence,  il  caro 
Sassone,  comme  on  l'appelait,  dut  s'exécuter. 

Les  jours  de  Dresde  furent  d'ailleurs  des  jours  de  haute  liesse. 
Frédéric  y  trouva   les   deux  plus  jeunes  princes  et  les  deux  prin- 


LE  MÉNESTREL 


349 


cesses,  enfants  du  roi  de  Pologne.  Il  les  consola  par  ses  politesses 
et  donna  l'opéra  en  leur  honneur.  L'histoire  ne  dit  pas  si  c'était 
un  des  siens,  ou  du  moins  un  de  ceux  dont  il  avait  écrit  le  poème: 
car  souvent  il  se  bornait  au  rôle  secondaire  de  librettiste. 

C'est  ainsi  que  G.-aun  mit  en  musique  Cinna,  Iphigénie,  Britan- 
iv'cus,  Milhridate,  Sylla,  Mérope,  imités  de  leurs  auteurs  français  par 
Frédéric  et  mis  en  vers  italiens  par  son  poète  habituel.  Taglia- 
zucchi . 

Le  roi  ne  signait  pas  ses  œuvres,  mais  il  s'arrangeait  de  façon 
à  ce  qu'on  en  connût  l'auteur.  En  tête  de  Sylla,  Tagliazucchi  avait 
tracé  ces  mots  : 

«  Je  me  crois  obligé  d'avertir  le  lecteur  que  cet  ouvrage  est  une 
production,  ou  plutôt  le  délassement  d'un  esprit  supérieur  qui  a  su 
se  rendre  familier  tout  ce  qu'a  de  plus  solide  l'art  de  la  guerre,  les 
spéculations  de  la  bonne  philosophie  et  les  riches  agréments  des 
muses.  » 

Quelquefois,  cependant,  le  roi  sortait  de  sa  réserve  habituelle.  Un 
jour  il  envoya  un  morceau  de  sa  composition  au  comte  de  Sehaum- 
bourg-Lippe,  grand  amateur  de  musique,  pour  lequel  il  professait 
une  vive  amitié.  Celui-ci  l'en  complimenta,  ce  qui  le  ravit  d'aise: 

«  L'approbation  que  vous  donnez  à  ma  symphonie,  lui  écrivit-il, 
m'est  d'un  prix  bien  flatteur  ;  si  j'étais  capable  de  vanité,  je  crois 
que  j'en  prendrais  à  présent.  » 

Après  tout  ce  que  nous  avons  raconté  du  royal  virtuose,  cet  effa- 
cement de  sa  propre  personne  peut  paraître  singulier.  Quoiqu'il  s'en 
soit  défendu,  Frédéric  II  était  bien  le  «  modeste  avec  orgueil  »  de 
Voltaire.  Par  conlre,  ce  qu'on  peut  lui  accorder,  c'est  que  s'il  fut  un 
tyrannique  protecteur  des  arts,  il  se  montra  du  moins  un  dilettante 
éclairé,  doublé  d'un  apôtre  infatigable  du  grand  art.  De  même,  il 
aimait,  tyranniquement  aussi,  les  lettres,  et  la  peinture,  et  la 
sculpture,  comme  en  font  foi  ses  écrits  et  ses  collections.  Il  a  pu 
dire,  non  sans  raison  : 

Mes  organes,  flattés  des  sons  de  l'harmonie, 
Chérissent  tous  les  arts  qu'a  produits  le  génie. 

Ces  vers  ne  sont  pas  bons;  mais  on  peut  les  pardonner  à  notre 
virtuose  couronné,  parce  qu'il  s'y  est,  une  fois  par  hasard,  approché 
de  la  vérité. 

Edmond  Neukomm  et  Paul  d'Estrée. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (29  octobre).  —  Les  débuts  ter- 
minés et  les  nouveautés  étant  encore  en  préparation,  la  Monnaie  traverse 
en  ce  moment  une  période  peu  intéressante.  Le  temps  se  passe  à  faire 
des  reprises  d'ouvrages  joués  l'an  dernier,  avec  cette  seule  différence  que 
les  rôles  en  sont  tantôt  mieux,  tantôt  moins  bien  tenus  par  les  titulaires 
nouveaux  que  par  les  titulaires  anciens.  Tout  l'intérêt  réside  dans  un 
petit  travail  de  comparaison,  quelquefois  bien  stérile,  mais  dont  s'amu- 
sent les  habitués. 

C'est  ainsi  que  nous  avons  eu  ces  jours  derniers  la  reprise  de  Carmen, 
avec  MUeNardi,  qui  s'est  tirée  d'affaire  honorablement,  avec  ses  précieux 
moyens  vocaux  habituels,  mais  dont  le  succès  a  été  cependant  beaucoup 
moindre  qu'il  n'avait  été  dans  Mignon  et  dans  les  Dragons.  On  a  trouvé  que 
M110  Nardi  rendait  le  caractère  du  personnage  avec  une  discrétion  d'ac- 
cent bien  excessive,  qui  lui  enlève  beaucoup  de  sa  couleur  et  de  sa  vé- 
rité. Pour  le  reste  de  l'interprétation,  cette  reprise  de  Carmen  a  été  plus 
que  médiocre,  surtout  du  côté  de  l'orchestre  et  des  chœurs. 

Puis,  nous  avons  eu  Salammbô...  sans  Salammbô,  c'est-à-dire  sans 
Mmc  Caron,  que  remplaçait  Mme  de  Nuovina.  Celle-ci  s'est  attachée  à 
imiter  autant  que  possible  sa  redoutable  devancière,  ce  qui  est  un  tort 
grave,  Mrae  de  Nuovina  n'ayant  rien  de  la  physionomie,  de  la  plastique, 
ni  du  tempérament  de  Mme  Caron.  La  Salammbô  de  M.  Rêver,  qui  nous 
était  apparue  à  la  fois  terrible  et  troublante  et  si  extraordinairement  sug- 
gestive, s'est  trouvée  ainsi  transformée  en  quelque  chose  de  très  gracieux, 
de  très  gentil  et  de  très  sympathique,  avec  beaucoup  de  charme  et  au- 
cune grandeur.  Mmc  de  Nuovina  en  a  fait  une  figurine  aimable,  et  elle  en 
a  dessiné  les  traits  avec  délicatesse,  mais  plus  encore  de  mollesse  et  de 
timidité,  sauf  vers  la  fin  de  l'œuvre,  dans  la  scène  du  duo,  où  elle  a  eu 
du  mouvement  et  de  l'énergie,  parce  qu'elle  a  essayé  là  d'être  elle-même 
et  de  n'obéir  qu'à  sa  propre  inspiration.  Toute  la  partie  d'émotion  douce, 
avec  ces  demi-teintes,  où  Mm0  Caron  mettait  tant  d'accent  avec  tant  de 
simplicité,  est  toujours  bien  jolie,  mais  d'une  joliesse  mièvre,  qui  laisse 
froid.  En  un  mot,  c'est  toujours  l'héroïne  du  roman  célèbre,  et  ce  n'est 
plus  elle;  la  statue  est  descendue  de  son  piédestal.  Ce  n'est  plus  la 
Salammbô  de  Flaubert,  c'est  la  Petite  Salammbô;  et  pour  un    peu,   la  mu- 


sique de  M.  Reyer,  dans  la  bouche  de  sa  nouvelle  interprète,  semblerait 
avoir  été  écrite  par  M.  Lecocq. 

On  a  tenu  compte  des  difficultés  de  la  tâche  qu'avait  Mmo  de  Nuovina 
en  reprenant  une  si  lourde  succession,  et,  comme  elle  avait  évidemment 
fait  preuve  d'une  grande  bonne  volonté  et  même  de  talent,  on  l'a  chaleu- 
sement  applaudie.  Je  lui  conseillerais  cependant  de  ne  pas  trop  se  faire 
illusion  sur  la  valeur  de  ce  succès. 

L'ensemble  de  l'interprétation,  je  me  hâte  de  le  dire,  a  été  fort  satisfai- 
sant. M.  Vallier  n'a  pas  fait  oublier  M.  Renaud  dans  le  rôle  d'IIamilcar, 
mais  sa  belle  voix,  mordante  et  cuivrée,  a  parfaitement  donné.  Quanta 
M.  Lafarge,  bien  que  le  volume  de  sa  voix  soit  un  peu  mince,  il  a  ra- 
cheté ce  qui  lui  manque  de  ce  côté  par  de  l'animation  et  de  l'accent. 

En  dehors  de  la  Monnaie,  rien  de  bien  digne  d'être  signalé,  si  ce  n'est 
les  deux  séances  que  sont  venues  nous  donner  cette  semaine  M.  Lamou- 
reux  et  son  orchestre.  Leur  succès  a  été  considérable,  particulièrement 
dans  l'exécution  des  œuvres  de  musique  française  inscrites  au  pro- 
gramme. On  a  trouvé  généralement  que  l'interprétation  des  œuvres  de 
Beethoven  et  surtout  de  Wagner,  si  admirable  dans  les  détails,  manquait 
un  peu  de  chaleur  et  de  caractère  dans  l'ensemble.  Peut-être  est-ce 
affaire  de  tempérament;  mais  l'impression  produite  ici  par  ces  mêmes 
œuvres,  exécutées  naguère  sous  la  direction  de  M.  Joseph  Dupont  et  de 
M.  Hans  Richter,  n'a  été  ni  dépassée  ni  atteinte.  Néanmoins,  il  y  a  eu 
accord  unanime  pour  acclamer  la  remarquable  discipline  de  ce  superbe 
orchestre  et  de  son  vaillant  chef,  et  c'a  été  pour  tout  le  monde  un 
véritable  régal  et  un  précieux  enseignement.  Lucien  Soi.vay. 

—  Quelques  détails  curieux  relatifs  à  la  prochaine  apparition,  à  la  Mon- 
naie de  Bruxelles,  du  Siegfried  de  Richard  Wagner.  On  sait  que  MM.  Du- 
pont et  Lapissida  devaient  monter  l'œuvre  de  Wagner,  mais  qu'ils  ne 
purent  mettre  leur  projet  à  exécution  à  la  suite  du  désistement  de  plu- 
sieurs artistes.  C'est  ainsi  que  M.  Engel,  après  avoir  accepté  le  rôle  de 
Siegfried,  le  refusa,  et  que  M.  Soulacroix,  qui  avait  promis  de  chanter  le 
rôle  de  Mime,  ne  put'tenir  sa  promesse  à  la  suite  de  son  réengagement  à 
l'Opéra-Comique.  Puis  vint  le  changement  de  direction.  MM.  Dupont  et 
Lapissida  avaient  acheté  à  Mme  Wagner,  pour  une  durée  de  trois  ans,  le 
droit  de  représenter  l'œuvre.  La  maison  Schott  fit  copier  les  parties  du 
quatuor  à  Leipzig,  et  l'harmonie  fut  copiée,  à  Bruxelles,  par  le  bibliothé- 
caire du  théâtre,  M.  Fiévez.  M.  Dupont  avait  collationné  tout  le  premier 
acte  et  corrigé  toute  la  partition.  Il  répéta  même  le  premier  acte,  à  l'or- 
chestre, une  quinzaine  de  fois.  Pour  mettre  cet  énorme  travail  à  profit, 
M.  Dupont  fit  exécuter  cet  acte  aux  Concerts  populaires,  avec  le  concours 
de  MM.  Engel  (Siegfried),  Seguin  (Wotan),  Gandubert  (Mime).  Toutes  les 
parties  d'orchestre  delà  grande  partition,  copiées  sur  la  partition  originale, 
sont  la  propriété  personnelle  de  MM.  Dupont  et  Lapissida.  Ces  messieurs, 
qui  sont  encore,  pendant  toute  cette  année,  seuls  propriétaires  du  droit  de 
représenter  l'ouvrage  à  Bruxelles,  ont  fait  savoir  à  Mme  Wagner  que  pour 
ne  pas  priver  plus  longtemps  le  public  bruxellois  de  la  représentation  de 
cette  œuvre,  ils  faisaient  abandon  de  leur  droit.  Siegfried  avait  été  préparé 
par  les  anciens  directeurs  de  la  Monnaie,  non  seulement  au  point  de 
vue  musical,  mais  encore  au  point  de  vue  matériel.  M.  Lapissida,  qui 
avait  été  à  Dresde  pour  chercher  tous  les  documents  relatifs  au  premier 
acte,  et  à  Vienne  ceux  relatifs  au  deuxième  acte,  avait  fait  construire, 
sur  ses  indications,  les  maquettes  des  deux  décors  et  réglé  leur  plantation. 
Ce  sont  ces  maquettes  qui  ont  servi  à  MM.  Devis  et  Lynen  pour  exécuter 
les  décors.  Seul,  le  premier  tableau  du  troisième  acte,  qui  change  à  vue, 
n'a  pas  été  réglé.  Le  deuxième  décor  de  cet  acte  est  celui  du  dernier  acte 
de  la  Valkyrie. 

—  Une  amusante  histoire  racontée  qar  notre  confrère  l'Eventail,  de 
Bruxelles.  C'était  au  temps  où  Quélus  était  directeur  du  théâtre  de  la 
Monnaie.  La  première  année  de  sa  direction  il  engagea  le  fameux 
Wicart  comme  ténor  «  seul  et  sans  partage  ».  Wicart  était  un  fantai- 
siste et  un  pensionnaire  grincheux  et  ombrageux.  Il  ne  consentait  à 
chanter  que  si  on  l'avait  averti  de  la  représentation  dès  l'avant-veille. 
Et,  cette  condition  étant  observée,  il  ne  se  gênait  pas  pour  faire  savoir  à 
son  directeur,  quelquefois  même  à  l'ouverture  des  bureaux,  que,  souf- 
frant de  la  gorge  ou  de  la  tète,  il  ne  chanterait  pas.  Alors  il  fallait, 
dare  dare,  changer  le  programme  au  grand  préjudice  du  directeur,  au 
grand  désappointement  des  spectateurs.  Wicart  étant,  malgré  tout,  en 
grande  faveur  près  du  public,  Quélus  dut  le  réengager  l'année  suivante. 
Mais  il  eut  soin  d'engager  en  même  temps  un  autre  ténor  —  aux  ap- 
pointements de  1,000  francs  par  mois  —  qui  avait  pour  mission  de  se 
trouver  au  théâtre  chaque  fois  que  devait  chanter  Wicart,  de  se  costu- 
mer et  de  rester  pendant  toute  la  soirée  au  foyer  des  artistes,  prêt  à  en- 
trer en  scène.  Wicart  faillit,  pour  de  bon,  en  faire  une  maladie.  Mais 
le  remède  énergique  de  Quélus  eut  de  si  bons  résultats,  que  jamais  plus 
Wicart  ne  manqua  une  représentation.  Il  consentit  même  à  chanter 
dans  des  ouvrages  annoncés  depuis  le  matin  seulement  et,  à  la  fin  de 
la  saison,  le  ténor  supplémentaire  quitta  Bruxelles  sans  jamais  avoir 
paru  devant  le  public. 

—  Une  société  de  concerts  populaires  vient  de  se  fonder  à  Anvers, 
sur  l'initiative  et  sous  la  direction  du  compositeur  Arthur  Wilford,  ayee 
M.  Henri  Lenaerts  comme  chef  d'orchestre.  Ces  concerts  auront  lieu 
tous  les  dimanches,  à  huit  heures  du  soir,  dans  la  salle  du  Cirque.  La 
première  séance  est  fixée  au  9  novembre. 


350 


LE  MENESTREL 


—  La  tournée  septentrionale  des  concerts  Lamoureux,  organisé  par 
l'imprésario  Schurmann,  parait  obtenir  un  succès  éclatant.  Voici  les  deux 
dépèches  expédiées  de  Hollande  par  M.  Schurmann  : 

La  Baye,  21  octobre:  Trois  concerts  Amsterdam  ont  produit  44,000  francs  recette. 
Ovations  enthousiastes  ont  été  faites  à  Lamoureux.  A  La  Haye,  deux  concerts 
ont  produit  30,500  francs.  Succès  indescriptible.  Demain  concert  à  Haatlem.  Ai 
signé  contrat  avec  Lamoureux  pour  50  concerts  en  Angleterre.  Triomphe  sans 
précédent. 

Rotterdam,  23  octobre  :  Devant  succès  étourdissant  Hollande,  donnerons  samedi 
concert  d'adieu  k  La  Haye.  Déjà  12,000  francs  location.  Maintenez  pour  Bruxelles 
premier  concert  dimanche  26,  second  concert  mercredi  29.  Concert  Anvers  sera 
relardé. 

Entre  les  deux  concerts  de  Bruxelles,  c'est-à-dire  le  lundi  27,  a  eu  lieu 
un  concert  à  Liège.  Voici  comment  l'annonçait  un  journal  de  cette  ville, 
l'Orchestre  :  «  Le  célèbre  orchestre,  composé  de  120  musiens,  arrive  à  Liège 
avec  l'imprésario  Schurmann,  qui  fait  9,375  francs  de  frais  par  jour  pour 
piloter  ces  artistes.  C'est  une  des  tournées  les  plus  coûteuses  que  l'on  ait 
tentées  en  Europe  depuis  celle  qu'organisa  M.  Schurmann  avec  M1"0  Patti, 
à  laquelle  il  paya  un  million  pour  100  concerts.  Les  16  concerts  que  don- 
nera la  célèbre  phalange  coûteront  150,000  francs  à  M.  Schurmann.  On 
comprend,  d'après  ces  chiffres,  que  le  prix  des  places  soit  augmenté  con- 
sidérablement. Voici  un  aperçu  du  prix  que  coûteront  les  places  le  27. 
Loges  à  salon,  12  francs  ;  1er rang,  10  francs;  fauteuils,  10  francs  ;  parquets, 
7  francs;  parterre,  6  francs.   » 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Berlin  :  Au  théâtre  Frédéric- 
Guillaume,  le  public  a  fait  un  accueil  très  chaleureux  à  la  restitution  de 
deux  opérettes. du  siècle  dernier:  la  Chantewe  de  village  (la  Cantatrice  villa- 
na),  de  Fioravanti,  et  la  Chasse,  de  Hiller,  représentées  dans  la  soirée  du 
11  octobre.  La  première  de  ces  deux  pièces  a  vu  le  jour  à  Turin,  en  1795, 
et  fut  donnée  pour  la  première  fois  à  Berlin  en  1810,  fournissant  un 
total  de  75  représentations  jusqu'en  1S28.  Quant  à  la  Chasse,  elle  remonte  à 
1771  et  eut  Leipzig  pour  lieu  de  naissance;  on  l'a  jouée  aussi  fréquemment 
à  Berlin  jusqu'en  1813.  Pour  les  représentations  actuelles  du  théâtre  Fré- 
déric-Guillaume, M.  Pohl,  l'adaptateur,  ne  s'est  pas  contenté  des  remanie- 
ments de  rigueur,  il  a  cru  devoir  composer  tout  un  prologue  dont  l'effet 
ne  paraît  pas  avoir  été  très  heureux.  L'interprétation  est,  elle  aussi,  l'objet 
de  vives  critiques  ;  les  artistes  jouent  sans  intelligence  et  sans  goût,  et  ne 
paraissent  pas  avoir  compris  que  les  fastidieuses  traditions  de  l'opérette 
moderne  étaient  tout  à  fait  déplacées  dans  des  ouvrages  d'un  genre  si 
spécial.  Néanmoins,  la  tentative  a  pleinement  réussi.  —  Brème  :  Un  tour 
de  force  peu  ordinaire  vient  d'être  accompli  au  théâtre  municipal  par  la 
cantatrice  Bettaque,  qui,  remplaçant  une  camarade  subitement  indisposée, 
a  chanté  dans  la  même  soirée  les  rôles  de  Vénus  et  d'Elisabeth  dans  le 
Tannhauser,  et  cela  avec  une  réelle  autorité.  Le  public  l'a  rappelée  après 
chaque  acte.  —  Goettingue  :  Le  nouveau  théâtre  municipal  vient  d'être 
inauguré  par  un  spectacle  de  gala  comprenant  la  représentation  du  Guil- 
laume Tell  de  Schiller.  —  Munich  :  La  liste  définitive  des  nouveautés  et 
reprises,  pour  la  saison  actuelle,  a  été- arrêtée  ainsi  qu'il  suit  :  Gwendoline, 
de  M.  Ghabrier;  la  Serva  padrona,  Bonsoir,  monsieur  Pantalon,  le  Ciel,  de  Peter 
Cornélius,  la  Légende  de  sainte  Elisabeth,  de  Liszt,  Murillo,  de  Langer, 
Asraél,  de  Franchetti,  les  Deux  Journées,  Alcesle,  Die  Folkunger,  de  Kretsch- 
mer,   le  Roi  Hiarne,  de  Marschner,   le  Chasseur  de  rats,  Euryanthe  et  Idomènée. 

—  Une  récente  décision  du  comte  de  Hochherg,  intendant  de  l'Opéra 
royal  de  Berlin,  supprimant  les  entrées  de  faveur  aux  artistes,  inspire  à 
YAUgeincine  ilusikzeitung  cette  judicieuse  réflexion:  «  Nous  nous  étonnons 
de  tout  le  bruit  qui  se  fait  au  sujet  de  la  détermination  de  l'intendance 
royale  de  retirer  à  l'avenir  l'entrée  gratuite  de  l'Opéra  aux  jeunes  chan- 
teurs et  chanteuses.  On  devrait  au  contraire  féliciter  M.  l'Intendant  géné- 
ral d'avoir  songé  à  préserver  la  jeune  génération  artistique  de  l'influence 
d'une  institution  lyrique  qui,  dans  les  conditions  actuelles,  n'a  absolu- 
ment rien  d'édifiant.  Les  entrées  de  faveur  ont  été  maintenues  à  MM.  les 
cadets  et  officiers,  qui,  eux  du  moins,  ne  sont  pas  particulièrement  exposés 
à  un  danger  de  cette  nature.  » 

—  Les  concerts  philharmoniques  de  Berlin,  dirigés  par  M.  Hans  de 
Bulow,  ont  effectué  le  13  octobre  leur  réouverture  avec  le  concours  de 
l'éminente  pianiste  Teresa  Carreflo,  qui  a  exécuté  le  ¥  concerto  de  M.  Saint- 
Saëns  de  manière  à  mériter  les  bruyantes  démonstrations  enthousiastes 
de  la  part  du  public.  Semblable  accueil  lui  avait  été  fait,  trois  jours  au- 
paravant, à  Francfort-sur-le-Mein. 

—  Les  journaux  de  Berlin  nous  apportent  la  nouvelle  du  grand  succès 
que  vient  d'obtenir,  dans  celte  capitale,    le  pianiste  Ludovic  Breitner. 

—  L'éditeur  Artaria,  de  Vienne,  vient  d'e  publier  le  catalogue,  annoté 
par  le  docteur  Guido  Adler,  de  sa  précieuse  collection  d'autographes  mu- 
sicaux de  Beethoven,  la  plus  importante  qui  existe,  puisqu'elle  ne  com- 
prend pas  moins  de  quatre-vingt-seize  ouvrages  manuscrits,  presque  tous 
écrits  entièrement  de  la  main  de  Beethoven.  Ces  manuscrits  sont  devenus 
la  propriété  de  la  famille  Artaria  en  1828,  lors  de  la  vente  après  décès  de 
la  bibliothèque  du  maître.  Au  nombre  des  pièces  les  plus  intéressantes 
se  trouvent  le  finale  de  la  9°  symphonie,  la  musique  pour  le  drame  à'Eg- 
mont,  le  Christ  au  mont  des  Oliviers,  quatre  fragments  des  Ruines  d'Athènes, 
puis  une  quantité  d'œuvres  inédites  de  toutes  catégories,  des  carnets 
d'ébauches,  des  devoirs  d'harmonie  et  de  contrepoint  etc.,  etc. 


—  De  la  correspondance  viennoise  du  Figaro  :  «  L'Autriche  aura  enfin, 
à  défaut  d'autres  réformes,  celle  du  diapason,  décrétée  depuis  1883,  mais 
toujours  retardée.  Los  écoles,  les  théâtres,  les  musiques  militaires,  voire 
les  orgues  de  Barbarie,  seront  désormais  sujets  au  diapason  normal,  qui 
sera  le  même  que  celui  de  Paris.  Défense  absolue  de  donner  désormais  le 
la  autrement  qu'avec  un  diapason  estampillé  et  poinçonné  par  le  gouver- 
nement. Dans  un  pays  où  l'on  parle  dix  langues  diverses,  où  l'on  compte 
douze  Diètes  ou  Parlements,  où  celui  qui  est  empereur  à  Vienne  est  roi 
à  Budapest,  où  tout  change  d'une  ville  à  l'autre,  dans  ce  pays  aux  natio- 
nalités multicolores,  il  y  aura  enfin  une  unité,  celle  du  diapason.  Espé- 
rons que  le  la  unifié  prêchera  d'exemple.  » 

—  Les  journaux  allemands  nous  apprenneut  que  la  Bibliothèque  royale 
de  Munich  vient  d'acquérir,  de  la  famille  Arentin,  toute  une  importante 
collection  de  lettres  du  fameux  compositeur  flamand  Boland  de  Lattre, 
lettres  dont  la  plus  grande  partie  était  adressée  par  l'illustre  artiste  à 
des  membres  de  la  famille  ducale  de  Bavière. 

—  Le  Choeur  philharmoniqne  de  Berlin  doit  exécuter,  dans  lès  pre- 
miers jours  de  novembre,  un  oratorio  posthume  de  Mendelssohn,  Christus, 
laissé  inachevé  par  le  maître.  Tout  le  monde  ne  sait  pas  que  les  deux 
oratorios  célèbres  de  Mendelssohn,  Elias  et  Paulus,  faisaient,  dans  son 
esprit,  partie  d'une  trilogie  qu'il  voulait  compléter  avec  le  Christus,  que 
sa  mort  prématurée  l'a  empêché  d'achever. 

—  On  parle  d'un  changement  de  direction  pour  les  théâtres  royaux  de 
Budapest.  L'intendant  actuel,  M.  de  Beniczky,  a  été  nommé  obergespan 
(préfet)  du  comitat  de  Budapest,  ce  qui  l'empêchera  fort  probablement  de 
se  consacrer  aux  muses.  11  garde  pourtant  les  théâtres  provisoirement, 
et  ce  provisoire  se  prolongera  peut-être  indéfiniment.  Un  fonctionnaire 
public  à  la  fois  préfet  et  directeur  de  théâtre,  c'est  une  spécialité  qu'on 
n'a  pas  encore  vue. 

—  M.  Wsewolodsky,  le  très  aimable  et  conciliant  directeur  des  théâtres 
impériaux  de  Saint-Pétersbourg,  a  demandé  aux  chanteurs  russes  de 
chanter  en  français,  pour  qu'il  n'y  ait  point  de  dissonance,  lors  des  repré- 
sentations avec  le  concours  des  frères  de  Reszké.  Ce  à  quoi  les  chanteurs 
russes  ont  unanimement  consenti.  Les  frères  de  Reszké  chanteront  Faust, 
Lohengrin,  Roméo  et  Juliette,  Mefistofele  et  les  Huguenots. 

—  M.  Edouard  Sonzogno  est  infatigable.  Nous  avons  annoncé  qu'il 
venail  d'ouvrir  aux  jeunes  artistes  italiens  un  nouveau  concours  pour 
la  composition  d'un  opéra  en  deux  actes  au  moins  et  en  trois  actes  au 
plus.  A  peine  celui-ci  était-il  organisé,  que  nous  trouvons,  dans  le  Tea- 
tro  illustrait),  l'annonce  d'un  autre  concours  que  ce  journal  fait  ainsi  con- 
naître :  —  «  Le  résultat  qui  a  couronné  les  précédents  concours  d'en- 
couragement ouverts  aux  jeunes  musiciens  italiens,  —  résultat  qui,  pour  la 
dernière  épreuve,  a  sfjrpassé  toute  attente  et  a  rendu  la  vie  et  l'espé- 
rance à  l'art  national,  —  engage  l'éditeur  Edouard  Sonzogno  à  ouvrir  un 
nouveau  concours  pour  un  opéra  en  un  acte,  avec  deux  prix,  l'un  de 
4,000,  l'autre  de  2,000  francs.  Une  commission  spéciale,  qui  sera  nommée 
en  son  temps,  sera  chargée  de  juger  les  œuvres  présentées  au  concours, 
et  en  choisira  deux  qui  seront  admises  à  l'épreuve  de  la  scène.  Le  juge- 
ment définitif  sera  prononcé  par  la  commission  seulement  après  la  re- 
présentation, qui  aura  lieu  dans  le  courant  de  l'année  1893.  » 

—  On  signale  à  Milan  la  présence  d'une  jeune  et  jolie  cantatrice  russe, 
douée  d'une  fort  belle  voix  de  soprano  léger,  M110  Ewstafiew,  qui  se  des- 
tine à  la  carrière  italienne  et  qui,  dit-on,  est  appelée  à  produire  uue 
véritable  sensation. 

—  Au  théâtre  Philodramatique  de  Milan,  première  représentation  de 
Nerina,  opéra-bouffe  d'un  jeune  compositeur,  le  maestro  Chiappani,  un 
Trentin  qui  a  fait  ses  études  au  Conservatoire  de  Milan,  et  dont  l'œuvre 
n'a  obtenu  qu'un  succès  absolument  négatif.  «  Le  livret  mauvais  quant 
au  sujet,  quanta  la  conduite,  quant  à  la  versification,  ne  pouvait  certaine- 
ment servir  le  maestro  Chiappani,  mais  celui-ci,  de  son  côté,  aurait  dû 
songer  que  le  scolastique  à  tout  prix,  toujours,  à  tout  instant,  ne  peut 
jamais  être  favorable  à  la  musique  destinée  au  théâtre.  »  Ainsi  parle  la 
Gazzelta  musicale.  Le  Trovatore  dit,  d'autre  part  :  «  Il  ne  faut  pas  s'illusion- 
ner :  Nerina  n'est  pas  une  œuvre  viable.  L'auteur  a  voulu  faire  de  la 
musique  bouffe  avec  des  tendances  à  la  musique...  sacrée.  »  Les  inter- 
prètes étaient  Mmcs  Stecchi  et  Ravasio-Prandi,  MM.  Pagano,  Talamanca, 
Pescales  et  Correggioli. 

—  Au  printemps  de  1891  on  donnera  à  Rome,  au  théâtre  Argentina,  la 
première  représentation  d'un  opéra  nouveau,  Orlando  furioso,  dû  au  maestro 
Sangiorgi,  honorablement  connu  déjà  par  quelques  ouvrages.  Le  prota- 
goniste de  cet  Orlando  sera  le  fameux  baryton  Cotogni. 

—  Le  municipe  de  Crémone  a  reçu  une  lettre  du  sculpteur  Bordini, 
chargé  du  monument  à  élever  à  la  mémoire  du  compositeur  Amilcare 
Ponchielli,  l'auteur  d'<  Promessi  Sposi  et  de  la  Gioconda.  Le  sculpteur  avertit 
la  municipalité  que  la  statue  sera  terminée  sous  peu  de  jours,  et  que  le 
piédestal  sera  prêt  prochainement.  On  pourra  commencer  la  mise  en 
œuvre  dès  les  premiers  jours  de  décembre,  et  la  statue  pourra  être  en 
place  vers  la  fin  du  même  mois.  En  conséquence,  l'artiste  insiste  auprès 
du  conseil  communal  pour  qu'il  fasse  choix  de  l'endroit  où  le  monument 
devra  s'élever. 


LE  MÉiNESTREL 


351 


—  A  propos  de  la  prochaine  apparition  au  théâtre  San  Carlos,  de  Lis- 
bonne, du  nouvel  opéra  Frei  Luiz  de  Souza,  du  compositeur  portugais 
Francisco  de  Freitas  Gazul,  les  journaux  de  Lisbonne  rappellent  que  cet 
artiste  s'est  distingué  à  diverses  reprises,  soit  dans  le  genre  de  l'opérette 
légère,  soit  dans  le  genre  delà  musique  sacrée,  et  qu'il  a  obtenu,  en  1888, 
à  l'Exposition  industrielle  portugaise,  le  grand  diplôme  d'honneur  pour 
ses  compositions  religieuses. 

—  L'éminent  violoniste  Sarasate  et  sa  brillante  partenaire,  M",c  Berthe 
Marx,  l'excellente  pianiste,  sont  en  ce  moment  à  Londres,  où  ils  retrou- 
vent, dans  une  série  de  concerts  donnés  à  Saint-Jame's  Hall,  le  succès 
auquel  ils  sont  accoutumés. 

—  M.  Fuller  Mailland,  le  nouveau  critique  musical  du  Times,  auteur 
d'une  intéressante  biographie  de  Schumann,  reçoit  de  ce  journal,  dit-on, 
un  traitement  annuel  de  430  livres  sterling,  soit  11,250  francs,  ce  qui  n'a 
rien  d'excessif  sans  doute,  étant  donné  les  exigences  de  la  vie  anglaise. 
Mais  ce  qui  est  assez  curieux,  c'est  qu'un  supplément  de  7  schellings 
6  pence,  c'est-à-dire  environ  9  fr.  oO  c,  lui  est  attribué  pour  chaque  con- 
cert auquel  il  assiste  en  qualité  de  critique. 

—  La  question  des  études  pianistiques  faciles  à  suivre  même  en  voyage 
vient  d'être  résolue  avec  beaucoup  de  bonheur  par  la  compagnie  améri- 
caine des  chemins  de  fer  East  Tennessee,  Virginia  and  Georgia,  qui  a  décidé 
de  pourvoir  tous  ses  trains  de  pianos.  Excellente  idée  assurément.  Mais 
pour  la  réaliser  d'une  façon  satisfaisante,  la  création  de  wagons  spéciaux 
s'impose  :  les  wagons  pour  «  pianistes  seuls.  » 

—  A  la  recherche  d'une  blanchisseuse  mélomane.  L'avis  suivant  est 
tiré  d'un  journal  américain  —  naturellement  :  «  On  demande  une  per- 
sonne pour  laver  le  linge  d'une  petite  famille,  une  fois  par  semaine.  En 
retour,  on  lui  donnerait  des  leçons  de  violon  ou  de  piano.  »  Voilà  une 
petite  famille  très  économe,  et  ferrée  sur  le  libre-échange. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Samedi  à  deux  heures  a  eu  lieu,  au  palais  de  l'Institut,  la  séance 
publique  annuelle  des  cinq  académies.  Cette  séance  solennelle  était  pré- 
sidée par  M.  Ambroise  Thomas,  président  actuel  de  l'Académie  des  beaux- 
arts,  assisté  de  MM.  Camille  Doucet,  Scheffer,  Hermite  et  F.  Passy,  délé- 
gués des  académies  française,  des  inscriptions  et  belles  lettres,  des  sciences, 
et  des  sciences  morales  et  politiques.  Le  président,  en  ouvrant  la  séance,  a 
prononcé  une  allocution  dans  laquelle  il  a  rendu  un  digne  hommage  à  la 
mémoire  des  membres  appartenant  aux  différentes  Académies,  morts  pen- 
dant le  cours  de  l'année.  Ces  membres  sont  les  suivants  :  MM.  Emile  Augier, 
Pavet  de  Courieille,  Cobet,  Philipps,  Hébert,  Grad,  Péligot,  Cosson,  Diet, 
André  Robert-Fleury,  Charles  Lucas,  Havet,  comte  Daru,  Charton,  Vergé  et 
Calmon.  «  En  me  faisant  ici,  dit-il,  l'interprète  de  vos  regrets  unanimes, 
j'accomplis  un  double  devoir:  celui  que  nous  imposent  à  tous  des  souve- 
nirs de  confraternité  et  d'affection,  et  le  devoir  prescrit  par  nos  statuts 
mêmes,  de  nous  regarder,  —  quels  qu'aient  pu  être  les  travaux  particu- 
liers et  les  titres  de  chacun,  comme  les  membres  d'un  seul  corps  ou  plutôt 
d'une  seule  famille.  »  Après  l'audition  du  rapport  sur  le  concours  du  prix 
Volney,  quatre  lectures  ont  été  faites  :  par  M.  Rousse,  de  l'Académie 
française,  sur  Mirabeau;  M.  Ch.  Lévèque,  de  l'Académie  des  sciences 
morales  et  politiques,  sur  s  Ce  que  la  nature  fournit  à  la  musique  »; 
M.  Fouqué,  de  l'Académie  des  sciences,  sur  «  Le  plateau  central  de  la 
France  »;  et  M.  Ravaisson-Mollien,  de  l'Académie  des  inscriptions,  sur 
«  La  restauration  de  la  Vénus  de  Milo  ».  On  a  beaucoup  applaudi 
M.  Rousse,  et  aussi  M.  Lévèque,  qui  a  développé  d'une  façon  charmante 
et  avec  beaucoup  d'agrément  le  sujet  fort  ingénieux  qu'il  avait  choisi.  On 
voudrait  voir  réunir  en  un  recueil,  qui  serait  certainement  fort  intéressant, 
la  série  des  curieuses  études  sur  la  musique  et  la  sensation  musicale, 
que  M.  Ch.  Lévèque,  qui  est  directeur  du  Journal  des  savants,  a  lues  ainsi 
dans  les  séances  académiques  ou  publiées  à  diverses  reprises. 

—  C'est  au  moment  où  nous  mettons  sous  presse  —  le  tirage  du  Ménestrel 
se  trouvant  avancé  de  vingt-quatre  heures  par  suite  des  fêtes  de  La  Tous- 
saint, —  que  doit  avoir  lieu  l'ouverture  du  Théâtre-Lyrique  (ancien  Eden) 
sous  la  direction  de  M.  Verdhurt.  Force  nous  est  donc  de  remettre  à  hui- 
taine le  compte  rendu  de  Sam*on  et  Dalila,  l'œuvre  de  Saint-Saèns  qui 
compose  le  spectacle  d'ouverture,  aussi  bien  que  celui  de  la  Jolie  Fille 
de  Perlh,  de  Bizet,  qui  doit  en  faire  les  lendemains. 

—  A  propos  de  la  Jolie  Fille  de  l'erlh,  le  Capitaine  Fracasse  de  l'Écho  de 
Paris  nous  donne  les  détails  préliminaires  qui  suivent:  «  Après  le  succès 
de  Martlia,  au  Théâtre-Lyrique,  M.  Carvalho  ayant  promis  à  Georges  Bizet 
de  lui  donner  M"0  Christine  Xilsson  pour  interpréter  la  première  partition 
qu'il  composerait,  demanda  pour  lui  un  livret'  à  MM.  de  Saint-Georges 
et  Jules  Adenis,  qui  lui  apportèrent  la  Jolie  Fille  de  Perlli.  Bizet,  aussitôt 
qu'il  eut  pris  connaissance  de  l'opéra  qui  lui  était  destiné,  s'en  montra 
enchanté,  et,  dans  son  enthousiasme,  il  écrivit  à  de  Saint-Georges  une 
lettre  de  remerciement  dans  laquelle  nous  relevons  le  passage  suivant  : 
«  La  Jolie  Fille  de  Perlh  sera,  de  ma  part,  une  éclatante  révélation,  et 
s  l'avenir  vous  démontrera,  cher  maître,  que  l'homme,  que  l'artiste  que 
y  vous  accueillez,  mérite  votre  confiance  et  votre  amitié.  »  Le  29  décembre 
186G,  la  partition,  entièrement  orchestrée,  fut  remise  à  M.  Carvalho.  Elle 
avait  été  composée  en  six  mois!   Il   semblait  que,  dès   lors,   son  auteur 


n'eût  plus  eu  qu'à  recueillir  les  fruits  de  son  labeur,  mais,  de  même  que 
Lesueur  écrivait  à  la  lin  de  chacune  de  ses  partitions  :  «  Ici  commencent 
les  dégoûts  »,  de  même,  les  amertumes. allaient  commencer  pour  le  jeune 
et  grand  artiste.  Après  des  atermoiements  successifs,  le  jour  même  de  la 
lecture  de  la  partition  aux  artistes  chargés  de  l'interpréter  M"0  Christine 
Nilsson  dut  quitter,  par  ordre,  le  Théâtre-Lyrique  pour  aller  créer  à  l'Opéra 
le  rôle  d'Ophélie  dans  YHamlet  de  M.  Ambroise  Thomas.  Bizet  fut  déses- 
péré. «  Je  viens  de  passer  quinze  jours  atroces, —  écrivait-il  —  mais  enDn 
tout  est  arrangé,  et  le  rôle  de  Catherine  a  été  confié  à  Mllc  Jane  Devriès, 
qui  vient  de  débuter  avec  succès  dans  la  Somnambule.  «  EnDn,  le  28  dé- 
cembre 1867,  eut  lieu  la  première  représentation.  La  presse  fut  excellente 
et  le  public  de  la  première  presque  enthousiaste,  mais,  aux  représenta- 
tions suivantes,  le  vrai  public  resta  froid,  indifférent  devant  cette  parti- 
tion si  chaude,  si  vivante,  si  pittoresque.  Le  jeune  maître  ne  s'était  pas 
trompé  vis-à-vis  du  public  d'élite  de  la  première  représentation  lorsqu'il 
écrivait  à  M.  Galabert,  son  élève  préféré  et  son  ami  :  «  La  partition  de 
la  Jolie  Fille  est  une  bonne  chose.  Je  vous  le  dis  parce  que  vous  me  con- 
naissez. Je  suis  très  content  de  moi.  C'est  bon,  j'en  suis  sûr,  car  c'est  en 
avant!  s  Pour  le  public  de  1867  c'était,  en  effet,  trop  en  avant.  Espérons  que, 
vingt-trois  ans  écoulés,  celui  de  1890  trouvera  que  c'est  au  point.  » 

—  Jennius,  de  la  Liberté,  fait  connaître  ainsi  les  modifications  apportées 
à  la  salle  de  l'Eden  pour  la  transformer  à  l'usage  du  Théâtre-Lyrique  : 
—  «  Nous  avons  été  jeter  un  coup  d'œil  dans  la  nouvelle  salle  du 
Théâtre-Lyrique  de  l'Eden,  qui  a  subi  de  grandes  transformations.  Au 
rez-de-chaussée,  après  les  fauteuils  d'orchestre,  se  trouve  un  parterre, 
ainsi  que  dans  tous  les  théâtres.  Puis,  derrière  ce  parterre,  une  sorte 
d'amphithéâtre  à  plusieurs  rangs  de  fauteuils.  Pour  établir  cet  amphi- 
théâtre, on  a  dû  sacrifier  les  quatre  grandes  baignoires  de  face.  Le  pre- 
mier étage  est  plus  modifié  encore.  Les  immenses  glaces  qui  séparaient 
la  salle  du  promenoir  ont  été  remplacées  par  des  cloisons  tapissées  de 
papier  rouge.  La  salle  se  trouve  donc  aujourd'hui  complètement  close. 
Derrière  les  fauteuils  de  balcon,  une  rangée  de  premières  loges.  Pour 
les  établir,  il  a  fallu  sacrifier  la  moitié  du  promenoir  qui  cependant  est 
encore  beaucoup  plus  large  que  celui  des  autres  théâtres  de  Paris.  A  la 
suite  des  avant-scènes  qui  restent,  quatre  loges  avant-scènes  qui  sont  sans 
contredit  les  meilleures  du  théâtre.  Au  milieu  des  loges  du  premier 
étage  a  été  construit  un  amphithéâtre  semblable  à  celui  du  rez-de- 
chaussée.  Les  places  du  Théâtre-Lyrique,  ainsi  transformé,  se  com- 
posent donc  comme  suit  :  cinq  cents  fauteuils  d'orchestre,  cinquante 
fauteuils  de  balcons  et  sept  cents  places  de  loges,  parterre  et  amphi- 
théâtre. Ce  qui  fait  en  tout  dix-sept  cents  places.   » 

—  Le  peintre  Henri  Gervex  prépare,  dans  son  grand  atelier  de  Neuilly, 
son  plafond  de  la  salle  des  Fêtes  de  l'Hôtel  de  Ville.  Cette  œuvre,  qui 
sera  certainement  une  des  plus  importantes  de  l'artiste,  représente  l'His- 
toire de  la  Musique  dans  toutes  ses  phases:  depuis  les  Égyptiens  jusqu'au 
xvme  siècle,  et  l'allégorie  qui  est  portée  dans  le  nuage  vient  se  relier 
avec  la  musique  moderne,  figurée  par  Ophélie,  dans  la  scène  de  la  folie 
d'Hainlet.  Le  coin  de  l'avant-scène  de  la  salle  de  l'Académie  nationale  de 
musique,  qui  avait  paru  d'abord  très  osé  aux  membres  de  la  Commission 
artistique  de  l'Hôtel  de  Viile,  est  très  original  par  le  contraste  des  cos- 
tumes du  xvc  et  du  xvm°  siècle  se  mariant  avec  nos  costumes  modernes. 

—  C'est  sous  ce  simple  titre:  Traité  pratique  d'instrumentation  (Pans, 
Durand-Schœnewerk,  in-8°),  que  M.  Ernest  Guiraud,  l'un  des  trois  pro- 
fesseurs de  composition  du  Conservatoire,  vient  de  publier  l'un  des  ou- 
vrages théoriques  les  plus  clairs,  les  plus  lucides  et  les  plus  logiques 
que  l'on  puisse  imaginer.  M.  Guiraud,  qui  est  un  esprit  méthodique  et 
réfléchi  en  même  temps  qu'un  praticien  consommé,  a  exposé  en  effet 
d'une  façon  lumineuse  les  principes  de  cette  science  à  la  fois  si  attrayante 
et  si  difficile  de  l'instrumentation,  dans  l'exercice  de  laquelle  tout  com- 
positeur vraiment  doué  peut  déployer  une  personnalité  si  vivace  et  une 
si  grande  originalité,  aujourd'hui  surtout  que  cette  science  a  acquis, 
même  au  théâtre,  tant  d'ampleur  et  une  importance  si  considérable.  Il 
n'est  pas  besoin  de  dire  que  M.  Guiraud  commence  par  faire  connaître  là 
nature  des  divers  instruments  qui  composent  l'orchestre  actuel,  leur 
timbre,  leur  étendue,  leur  sonorité,  leurs  facultés  particulières,  en  don- 
nant toutes  les  notions  nécessaires  en  ce  qui  concerne  les  instruments 
transpositeurs,  et  en  indiquant  les  lacunes  et  les  défauts  de  quelques-uns 
d'entre  eux.  Cette  première  partie  du  livre  n'est  et  ne  saurait  être  autre 
chose  que  l'énumération  et  la  description,  exacte  et  raisonnée,  des  élé- 
ments nombreux  et  divers  qui  sont  à  la  disposition  du  compositeur  et  que 
celui-ci  doit  mettre  en  œuvre  lorsqu'il  veut  jouer  de  cet  instrument  admi- 
rable et  multiple,  de  cet  instrument  aux  cent  voix  qui  s'appelle  l'orchestre. 
C'est  avec  la  seconde  partie  que  l'intérêt  commence  réellement,  intérêt 
puissant  pour  celui  qui  connaît  le  sujet  et  qui  l'a  quelque  peu  pratiqué. 
M.  Guiraud  divise  tout  naturellement  l'orchestre  en  quatre  groupes:  1°  le 
quatuor  des  instruments  à  archet  ;  2°  le  groupe  des  instruments  à  vent  en 
bois;  3°  le  groupe  des  instruments  à  vent  en  cuivre  ;  4°  les  instruments  à 
percussion.  Il  fait  connaître  d'abord  les  effets  que  l'on  peut  produire  avec 
chacun  de  ces  groupes  pris  isolément  :  cordes,  bois,  cuivre  (la  percussion 
ne  saurait  être  employée  seule);  puis  ceux  qu'on  obtient  avec  la  réunion 
des  deux  seuls  premiers  groupes:  cordes  et  bois;  puis,  ceux  que  peut 
donner  l'ensemble  des  trois  groupes  :  cordes,  bois  et  cuivres  :  et  enfin  le 
parti  qu'on  peut  tirer  de  la  masse  orchestrale  tout  entière.  Les  démons- 


352 


LE  MENESTREL 


trations  sont  claires,  et  elles  sont  rendues  saisissantes  par  toute  une  série 
d'exemples,  ou  pour  mieux  dire  de  citations,  merveilleusement  choisies 
dans  les  œuvies  des  plus  grands*  maîtres  anciens  et  modernes,  depuis 
Lully,  Rameau,  Gluck  et  Haydn,  en  passant  par  Beethoven,  Cherubini, 
Méhul,  Herold,  Auber,  etc.,  pour  aboutir  à  l'école  moderne,  c'est-à-dire  à 
Richard  Wagner,  Bizet  et  MM.  Ambroise  Thomas,  Gounod,  Léo  Delibes, 
Verdi,  Saint-Saëns,  Massenet,  Reyer,  Brahms...  Il  va  sans  dire  que  l'au- 
teur fait  connaître  tous  les  détails  particuliers  de  l'instrumentation,  tous 
les  procédés  que  le  compositeur  peut  employer  pour  obtenir  tel  ou  tel  ca- 
ractère: la  grandeur,  la  délicatesse,  la  légèreté,  la  mélancolie,  etc.,  tous 
les  moyens  qu'il  peut  mettre  en  œuvre  pour  produire  les  effets  les  plus 
divers.  Puis,  ce  sont  des  préceptes  excellents,  celui-ci  entre  autres  :  «  Dans 
les  effets  de  masse,  chacun  des  groupes  doit  avoir  une  harmonie  correcte, 
suffisante,  sinon  complète,  les  lacunes  harmoniques  d'un  groupe  pouvant 
rarement  être  comblées  par  un  autre  groupe.  »  C'est  là  un  principe  dont 
il  est  dangereux,  en  effet,  de  se  départir.  L'exemple  de  partition  que  donne 
M.  Guiraud  pour  la  disposition  graphique  de  l'orchestre  reproduit  le  sys- 
tème adopté  en  effet,  aujourd'hui,  par  presque  tous  les  compositeurs  :  en 
haut,  la  famille  des  bois;  au-dessous,  celle  des  cuivres,  les  cors  en  tête; 
plus  bas,  la  percussion,  puis  les  harpes;  et  enfin  le  groupe  des  instru- 
ments à  cordes,  séparé  en  deux  par  les  parties  de  chant,  celles-ci  se  trou- 
vant au-dessus  des  violoncelles  et  des  contrebasses,  qui  terminent  la  page. 
(Je  ferai  remarquer  toutefois  que  Verdi  dispose  sa  partition  comme  on  le 
faisait  très  souvent  en  France  au  commencement  de  ce  siècle,  les  violons 
et  les  altos  tout  en  haut  de  la  page.)  Parmi  les  exemples  cités  par  M.  Gui- 
raud s'en  trouve  un  très  curieux,  qu'il  a  emprunté  au  Traité  d'instrumen- 
tation publié  récemment  à  Londres  par  M.  Ebenezer  Prout,  l'un  des  meil- 
leurs théoriciens  anglais  :  c'est  une  série  de  douze  dispositions  différentes 
du  seul  accord  d'ut  dans  son  état  fondamental,  tirées  de  partitions  de 
douze  maîtres  célèbres  :  Haydn,  Mozart,  Beethoven,  Cherubini,  Schubert, 
"Weber,  Mendelssohn,  Rossini,  Auber,  Meyerbeer,  Wagner  et  Brahms. 
On  peut  voir  là,  d'une  façon  saisissante,  les  différences  de  sonorités  que 
peut  produire  un  seul  accord  par  la  façon  dont  les  notes  en  sont  distri- 
buées dans  les  diverses  parties.  —  Je  ne  saurais  dire  tout  le  bien  que  je 
pense  et  que  l'on  doit  penser  de  l'excellent  et  très  intéressant  Traité  d'ins- 
trumentation de  M.  Guiraud  ;  mais  je  le  recommande  autant  qu'on  peut  le 
faire  à  tous  ceux  qui  prennent  intérêt  à  ces  questions,  à  tous  2eux  surtout 
qui  ont  besoin  de  se  familiariser  avec  elles  et  qui  trouveront  dans  ce  livre 
un  guide  sûr,  un  conseiller  dont  ils  ne  sauraient  trop  fidèlement  suivre 
les  préceptes.  Et  je  félicite  l'auteur  d'avoir  publié  ce  livre  dans  un  format 
commode,  maniable,  qu'on  peut  feuilleter  aussi  facilement  qu'un  roman, 
et  dont  l'aspect  plein  d'élégance  attire  à  la  fois  l'œil  et  l'esprit. 

Arthur  Pougin. 

—  Les  wagnériens  jusqu'ici  n'avaient  pas  encore  osé  toucher  à  Mozart  ; 
voilà  que  ça  vient.  L'un  d'eux, et  des  plus  distingués  d'ailleurs,  commence 
la  destruction  de  l'idole  et  n'hésite  pas  à  dire  son  fait  à  l'auteur  de  Don 
Juan.  Ayant  à  parler  de  MM.  Reyer  et  Massenet,  que  certains  classent  à 
tort  parmi  les  imitateurs  de  Wagner,  il  fait  remarquer  que  «  c'est  admi- 
rateurs qu'il  faut  dire,  car  ils  procèdent  tout  autrement;  »  et  il  ajoute  : 
«  Quant  à  leurs  œuvres,  chacun  son  goût  ;  non  seulement  j'aime  mieux 
entendre  Sigurd  ou  Manon  que  Robert  le  Diable  et  la  Flûte  enchantée,  mais 
encore  j'ose  très  simplement  le  dire.  »  Ce  «  très  simplement  »  est  tout 
simplement  héroïque,  et  Reyer  et  Massenet  n'auront  pas  lieu  de  s'en 
plaindre.  Mais  nous  pouvons  maintenant  nous  attendre  à  entendre  dire  un 
jour  :  Mozart  est  un  polisson!  comme  on  disait  il  y  a  soixante  ans  :  Racine 
est  un  polisson  I  seulement...  il  y  a  encore  des  gens  qui  lisent  Racine,  et 
des  théâtres  qui  le  jouent... 

—  Concerts  du  Chàtelet.  —  La  symphonie  de  Raff,  Dans  la  Forêt,  peut 
être  rangée  dans  la  catégorie  des  œuvres  vraiment  remarquables  parmi 
selles  dont  les  éléments  constitutifs  ne  présentent  rien  d'entièrement  ori- 
ginal. La  meilleure  page,  l'adagio,  débute  par  un  joli  badinage  confié 
à  la  clarinette  et  devient  sérieux  et  grave  en  exposant  un  thème  dont  le 
début  semble  emprunté  au  chœur  des  Sylphes  de  la  Damnation  de  Faust  et 
dont  la  fin  rappelle  une  phrase  du  prélude  de  Loliengrin.  L'ensemble  de 
la  symphonie  est  si  ingénieusement  composé  de  matériaux  assemblés 
çà  et  là  qu'il  faut  du  temps  pour  s'apercevoir  des  analogies  que  nous 
signalons  et  de  quelques  autres.  L'Aria  de  la  suite  en  ré  de  Bach  est  une 
inspiration  d'un  charme  exquis;  c'est  plus  sérieux  que  de  l'Haydn  sans 
être  moins  gracieux,  et  empreint  d'une  élégance  archaïque  dont  il  existe 
quelques  types  malheureusement  trop  rares.  Quant  à  l'andante  de  la 
5e  symphonie  de  Mozart,  c'est  la  perfection  du  genre.  Rien  de  plus  fin, 
de  plus  subtil,  déplus  délicieusement  espiègle  pour  ainsi  dire,  rien  de  plus 
clair  sans  insipidité.  —  Les  fragments  symphoniques  de  Jocclyn  de  M.  B. 
Godard  ont  été  très  applaudis:  l'entr'acte,  si  pittoresque,  la  gavotte,  frêle 
et  délicate  au  point  que  sa  trame  semble  à  chaque  instant  vouloir  se 
rompre,  et  la  scène  du  bal  ont  été  particulièrement  goûtés.  Grand  succès 
pour  les  cinq  morceaux  de  i' Arlésienne ,  dont  la  vogue  se  prolonge  sans 
rien  leur  enlever  de  leur  jeunesse  et  de  leur  ascendant,  parce  que  cette 
musique  renferme  quelque  chose  de  profond  sous  son  apparente  simpli- 
cité. Le  prélude  de  Lohengrin  et  la  Marche  hongroise  de  Berlioz  complé- 
taient le  programme  de  cette  belle  séance.  Amédée  Boutarel. 


—  Programme  du  concert  du  Chàtelet  aujourd'hui  dimanche  :  Sympho- 
nie en  ut  mineur  n°  S  (Beethoven);  ballet  à'Ascanio  (Saint-Saëns);  la 
Chevauchée  des  Walkyries  (R.  Wagner);  Irlande  (Augusta  Holmes);  la  Sici- 
lienne de  Réatrice  et  Bénédicl  (H.  Berlioz);  entr'acte  de  la  Basoche  (Messager)  ; 
'e  Songe  d'une  nuit  d'été  (Mendelssohn). 

—  Dimanche  dernier,  petite  réunion  tout  intime  chez  Mm0  Ambroise  Tho- 
mas. Grand  succès  pour  Mmc  Sigrid  Arnoldson,  la  célèbre  diva  suédoise, 
mieux  en  voix  et  plus  belle  que  jamais,  qui  a  interprété  magistralement  plu- 
sieurs compositions  de  M.  Ambroise  Thomas,  que  l'illustre  maître  a.  voulu 
accompagner  lui-même.  Très  grand  succès  aussi  pour  Mme  Montigny- 
de  Serres,  l'éminente  pianiste. 

—  Au  grand  concert  donné  dimanche  dernier  au  théâtre  du  Chàteau- 
d'Eau  au  bénéfice  des  inondés  du  Midi  et  organisé  par  le  Choral  de  Belle- 
ville,  M.  Caron  (de  l'Opéra)  a  remporté  un  vif  succès  avec  le  nouvel 
Hymne  aux  Astres,  de  Faure,  qu'il  a  dû  bisser  au  milieu  des  acclamations 
de  toute  la  salle.  Très  remarqué  au  même  concert  le  grand  air  de  Psyché, 
d'Ambroise  Thomas,  chanté  par  Mlle  Martinez.  Le  concert  s'est  terminé 
par  la  Marche  fédérale  de  MM.  Georges  Boyer  et  Jules  Massenet,  exécutée 
par  cinq  cents  choristes.  Gros  effet. 

—  M.  Camille  Saint-Saëns,  à  la  veille  de  faire  représenier  Samson  et  Dalila 
au  Théâtre-Lyrique,  publie  un  volume  de  vers  intitulé:  Rimes  familières. 
Nous  venons  de  le  lire  et,  dans  les  «  Strophes  »  comme  dans  les  «  Poé- 
sies diverses  »,  il  est  des  passages  qui  ne  seraient  pas  indignes  d'un  vrai 
poète.  M.  Saint-Saëns  parait  s'abandonner  à  un  certain  pessimisme  à 
l'égard  des  hommes,  et  se  réfugie  dans  l'amour  de  la  nature  et  de  l'art 
idéal.  Le  volume  se  termine  par  une  saynète  dédiée  à  Coquelin  cadet  et 
qui,  sous  le  nom  de  Botriocéphale ,  est  une  sorte  de  bouffonnerie  an- 
tique. 

—  Cours  et  Leçons.  —  M""  Augustine  Yon,  79,  boulevard  de  Courcelles,  recom- 
mence le  1"  novembre  ses  cours  :  de  chant,  de  piano,  de  déclamation  et 
d'accompagnement.  —  M.  Duprez,  professeur  de  mandoline,  11,  rue  Baudin,  a 
repris,  depuis  le  1"  octobre,  ses  leçons  et  ses  soirées.  —  M.  Ciampi  et  M"*  Ritter- 
Giampi,  de  retour  à  Paris,  ont  repris  leurs  cours  et  leçons  de  chant;  sous  le  titre 
de  Société  Chorale,  qui  indique  son  but,  M.  Ciampi  fonde  une  Société  musicale 
dont  il  prend  la  direction. 

NÉCROLOGIE 

Le  théâtre  municipal  de  Strasbourg  vient  de  perdre  son  premier  chef 
d'orchestre,  M.  Hugo  Seidel,  mort  le  samedi  1S  octobre,  après  une  courte 
maladie.  Se  sentant  très  fatigué,  il  avait  dû  se  mettre  au  lit  le  mardi  pré- 
cédent :  le  lendemain  il  se  plaignait  de  très  violents  maux  de  tête  à 
M.  Walther,  premier  ténor  du  théâtre,  avec  lequel  il  était  lié  depuis  de 
longues  années.  Quand  M.  Walther  revint  le  voir  le  jeudi  matin,  il 
trouva  le  pauvre  Seidel,  la  tête  en  sang,  étendu  sans  connaissance  au 
pied  de  son  lit.  B  était  probablement  tombé  sur  le  sol  dans  un  accès  de 
fièvre.  Le  malade,  transporté  à  l'établissement  des  diaconesses,  n'y  a  pas 
repris  connaissance  malgré  tous  les  soins  qui  lui  ont  été  prodigués,  et 
samedi  soir  il  expirait.  M.  Seidel,  engagé  à  Strasbourg  depuis  le  com- 
mencement de  la  saison  théâtrale,  était  précédemment  chef  d'orchestre  à 
Graz.  C'était  un  artiste  de  grand  talent,  excellent  surtout  dans  la  direc- 
tion des  grands  opéras  de  Wagner.  Ses  obsèques  ont  eu  lieu  à  l'église 
Saint-Thomas,  où  le  cortège  a  fait  son  entrée  aux  sons  de  la  marche 
funèbre  de  Siegfried  (de  la  Gœllerdœmme rung)  ;  après  la  cérémonie  funèbre, 
on  s'est  rendu  au  cimetière  Sainte-Hélène,  en  passant  devant  le  théâtre, 
où  le  chœur  du  théâtre,  placé  sur  les  marches  du  péristyle,  a  exécuté  un 
chant  funèbre.  Au  cimetière,  d'autres  chœurs  ont  été  chantés  avant  et 
après  la  bénédiction  do  la  tombe. 

—  On  signale  la  mort  à  Brixam,  dans  le  Devonshire,  de  l'organiste  de 
la  cathédrale,  Mme  Partridge,  qui,  paraît-il.  occupait  cet  emploi  depuis  un 
demi-siècle.  Les  journaux  anglais  affirment  qu'elle  était  la  doyenne  des 
organistes  du  Royaume-Uni. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

—  "L'Annuaire  des  Artistes,  édition  de  1891,  est  en  préparation.  Nous 
engageons  les  artistes,  les  professeurs,  les  sociétés  musicales,  à  envoyer 
à  la  direction,  7,  passage  Saulnier,  à  Paris,  tout  ce  qui  les  concerne  au 
sujet  de  leur  adresse,  de  leurs  œuvres  nouvelles  et  des  récompenses  qu'ils 
ont  reçues.  La  souscription  à  l'Annuaire  (S  francs),  donne  droit  à  cinq 
lignes  d'insertion  gratuite. 

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3109  —  56me  ANNEE  —  N°  45.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES  Dimanche  9  Novembre  1890. 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri    HEUGEL,    Directeur 

Adresser  franco  a  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


j.  —  Notes  d'un  librettiste  :  Louis  Lacombe  l26c  article),  Louis  Uallet.  —  II.  Semaine 
théâtrale  :  premières  représentations  de  Samson  et  Dalila  et  de  ta  Jolie  Fille  de 
Perth,  au  Théâtre-Lyrique,  Arthur  Pougin  ;  premières  représentations  de  Bornéo  et 
Juliette,  à  l'Odéon,  et  de  la  Pie  au  nid,  aux  Nouveautés,  Paul-Émile  Chevalier. 
—  III.  Le  monument  de  Georges  Bizet,  le  tombeau  de  Félicien  David  et  la 
statue  de  Méhul,  H.  M.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 
LÉGENDE    SLAVE 
de  L.-A.  Bourgault-Ducoudray.  —  Suivra  immédiatement  :  Mazurke  Eolienne, 
caprice,  nouveau  de  Théodore  Lack. 

CHANT 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant  :  La  Mort  du  Roi  Renaud,  version  de  la  Normandie,  n°  11  des  Mélo- 
dies populaires  de  France,  recueillies  et  harmonisées  par  Julien  Tiersot. 
—  Suivra  immédiatement  :  La  Mort  du  Mari,  version  normande,  n°  19  de 
la  même  collection. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


LOUIS    LACOMBE 


Parmi  ces  pensées,  il  y  en  a  de  courantes,  que  d'autres  ont 
eues  et  exprimées  d'autre  sorte;  il  y  en  a  de  tout  à  fait 
personnelles. 

Elles  n'étaient  certainement  pas  destinées  à  être  publiées. 
Louis  Lacombe  les  écrivait  pour  lui,  pour  les  siens,  un  peu 
partout,  sous  toutes  les  impressions  et  pour  ainsi  dire  à  la 
marge  de  toutes  ses  œuvres.  Il  les  recopiait  sans  ordre;  elles 
s'échelonnent  ainsi  entre  des  dates,  des  souvenirs  se  rappor- 
tant à  des  événements  de  famille,  des  plans  et  des  tables  ; 
souvent  elles  s'échappent  en  feuilles  volantes,  en  bouts  de 
papier,  hors  du  cahier.  Le  musicien  n'a  pas  eu  le  temps  de 
les  transcrire. 

Ainsi  philosophant,  il  occupait  chaque  heure  de  sa  vie, 
goûtant  incessamment,  au  milieu  de  ses  épreuves,  cette 
admirable  consolation  du  travail. 

Je  les  ai  prises,  en  une  poignée ,  comme  on  prend  une 
gerbe  dans  un  champ,  fleurs  et  folles  herbes,  et  je  les  jette 
ici,  au   soleil,  pêle-mêle,  sans  les  juger,  ni  les  commenter. 


On  porte  un  monde  dans  son  cerveau;  on  rêve  de  grandes  œuvres;  on 
travaille,  on  lutte,  on  meurt,  et  on  laisse  quelques  fragments. 


o  Mirabeau    a  été  tué  par  la  médiocrité, 
tué  comme  Mirabeau. 


disait  Micbelet.   J'aurai  été 


Y  a-t-il  des  âmes  noires? 
organismes  mal  équilibrés.  ( 


Non  !  il  y  a  des  natures   imparfaites,  des 
!  janvier  1863.) 


L'esprit  a  ses  clartés,  la  pensée  a  des  yeux 
On  a  sondé  les  mers,  on  sondera  les  cieux! 
Mais  nul  homme  ne  sait  ce  qu'un  autre  homme  souffre 
Et  Dieu  seul  peut  sonder  le  cœur  humain,  ce  gouffre! 

(22  mars  1865.) 

Il  y  a  des  gens  qui  se  font  des  ennemis  à  la  journée.  Pourquoi?  — 
Pour  rien,  pour  le  plaisir. 

Parmi  tant  de  passions  toujours  prêtes  à  déchirer  ou  à  ravir  le  cœur 
des  hommes,  il  en  est  une  qui  ne  les  tourmente  guère  :  C'est  la  passion 
du  bien. 

Les  Anglais  sont  courageux,  les  Hollandais  sont  courageux;  les  Russes, 
les  Espagnols,  les  Italiens,  les  Allemands  sont  courageux;  les  Français 
ont  la  poésie  du  courage  (25  décembre  1883). 

Le  plaisir  use  l'homme,  le  travail  le  conserve. 

Que  de  gens  prennent  la  force  pour  l'énergie,  l'élégance  pour  la  grâce, 
la  rêvasserie  pour  la  poésie,  la  mièvrerie  pour  la  suavité,  le  faire  pour  le 
talent.  Beaucoup,  même  parmi  les  artistes,  ne  comprennent  que  les  beautés 
de  second  ordre;  celles  du  premier  leur  échappent,  et  ils  ne  les  aperçoivent 
que  quand  tout  ce  qui  était  autour  d'elles  est  tombé  au  contact  loyal  du 
temps. 

Michelet.  —  Un  esprit  de  cœur. 

Godnod  (Charles).  —  Un  dieu  que  la  volupté  a  fait  homme. 

Beethoven.  —  Un  homme  que  l'amour  a  fait  dieu. 

Mis  en  présence  du  génie,  les  hommes  raillent;  en  présence  du  talent, 
ils  haussent  les  épaules  et  doutent;  en  présence  de  la  réputation,  ils  se 
prosternent. 

L'égoïsme  empêche  de  voir  la  patrie;  le  patriotisme  empêche  de  voir 
l'humanité. 

Les  musiciens  qui  ont  des  réminiscences  ressemblent  aux  menteurs 
qui,  à  force  de  répéter  le  même  mensonge,  finissent  par  croire  qu'ils 
disent  la  vérité. 

Le  chagrin,  c'est  encore  la  vie;  l'ennui,  c'est  le  néant. 
L'hypocrisie  est  la  force  des  lâches. 

Il  n'y  a  pas  de  hasard,  il  n'y  a  que  des  coïncidences. 

Mais  l'ordre  n'est  ni  un  hasard,  ni  une  coïncidence  :  il  est  le  résultat 
d'une  conception,  d'un  plan,  d'une  vue  qui  a  embrassé  toutes  choses. 

D'ailleurs,  rien  ne  saurait  entrer  dans  le  domaine  de  la  réalité,  sans 
avoir  préalablement  existé  dans  l'idée;  le  réel  prend  sa  source  dans  l'idéal. 


354 


LE  MENESTREL 


Pas  de  poésie  sans  poète;   pas  de  musique  sans  musicien;  pas  de  créa- 
ture sans  créateur. 

La  matière  fut  un  germe  dans  l'esprit  ou,  si  l'on  veut,  l'esprit  fut  le 
germe  d'où  naquit  la  matière.  Comment?  on  l'ignore;  on  l'ignorera  tou- 
jours. 

Nous  ne  sommes  plus  des  catholiques  et  nous  ne  sommes  pas  encore 
des  chrétiens. 


Et  comme  j'interrogeais  Mme  Lacombe  sur  cette  variété 
d'impressions,  sur  ces  contrastes  de  caractère  s'accusant  à 
tout  instant  dans  les  écrits  du  compositeur: 

—  C'était,  me  dit-elle,  un  austère,  d'une  grande  sévérité 
pour  lui,  d'une  grande  indulgence  pour  les  autres.  Mais  cette 
austérité  ne  l'empêchait  pas  de  se  montrer  parfois  d'une 
gaieté  d'enfant  et  de  rire  aux  larmes,  le  cas  échéant. 

«  Vous  voyez  dans  tous  ces  manuscrits  la  trace  de  son 
érudition.  Elle  était  réellement  profonde,  et  il  l'augmentait 
sans  cesse.  Travailleur  infatigable,  il  se  levait  à  cinq  heures, 
même  l'hiver.  Il  possédait  merveilleusement  les  auteurs 
grecs  et  latins.  Aucun  grand  maître  ne  lui  était  inconnu,  et 
il  disait  qu'il  «  ne  savait  rien  ».  Sa  modestie,  —  modestie 
réelle  —  était  extraordinaire,  bien  qu'il  eut  conscience  de 
son  génie.  Il  annotait  toujours  ce  qu'il  lisait  et  il  lisait 
beaucoup.  Sa  mémoire  était  prodigieuse.  On  rappelait  une 
œuvre  quelconque  ;  il  en  récitait  à  l'instant  des  pages  en- 
tières. Il  savait  Molière,  La  Fontaine  et  Shakespeare  par 
cœur.  Je  ne  saurais  vous  dire  ce  qu'il  avait  de  partitions 
dans  la  mémoire.  Il  entendait  un  opéra,  rentrait  chez  lui  et, 
se  mettant  au  piano,  était  capable  de  le  reconstituer  d'un 
bout  à  l'autre.  Il  réduisait  une  partition  d'orchestre  à  l'ins- 
tant et  avec  la  plus  grande  facilité.  Il  étaient  trois  en  Europe 
de  cette  force  :  Liszt,  Saint-Saëns  et  lui. 

»  Il  ne  contredisait  jamais  et  n'avançait  rien  dont  il  ne 
fût  absolument  certain.  Mais  alors  rien,  ni  personne,  ne 
pouvait  l'entamer  lorsqu'il  avait  arrêté  ses  idées.  Il  n'eût 
pas  commis  un  mensonge,  même  pour  sauver  sa  vie. 

»  C'était  un  marcheur  infatigable,  parce  qu'il  composait 
généralement  en  marchant.  Le  chant  et  l'orchestre  venaient 
d'un  seul  jet  ;  il  ne  cherchait  pas;  ses  idées  l'inspiraient. 
Le  piano  ne  lui  servait  pas  pour  les  trouver.  Il  exécutait  les 
choses  venues  et  les  fixait  sans  ratures.  Voyez  ses  manus- 
crits, ils  sont  d'une  netteté  absolue,  comme  gravés! 

»  Si  un  ami  l'avait  prié  de  vérifier  des  affaires  embrouillées, 
il  y  eût  apporté  une  clarté  merveilleuse  pour  lui  rendre  ser- 
vice ;  pour  ce  qui  était  de  lui,  il  en  eût  été  incapable;  il 
oubliait  la  vie  matérielle  ou -ne  s'en  souciait  pas.  Il  était 
d'ailleurs  d'une  sobriété  absolue;  il  ne  fumait  pas,  ne  pre- 
nait ni  vin  pur,  ni  alcool,  ni  quoi  que  ce  soit  à  l'exception 
de  sa  tasse  de  café,  qu'il  aimait  beaucoup  après  le  déjeuner. 
Il  me  donnait  tout  ce  qu'il  gagnait  et  ne  me  réclamait  en 
échange  que  quelques  pièces  de  cinquante  centimes  pour  ses 
omnibus,  —  cette  monnaie  lui  plaisait  —  et  des  sous  pour 
ses  pauvres. 

»  Sa  bonté  n'avait  pas  de  bornes;  mais  si  l'on  provoquait 
chez  lui  l'indignation,  si  on  le  poussait  à  bout,  il  .devenait 
terrible  de  pâleur  calme,  de  majesté  et  de  courage.  Alors, 
ses  petites  mains  si  fines  eussent  broyé  celles  d'un  hercule. 
Je  l'ai  vu  deux  fois  dans  cet  élat  redoutable;  il  a  failli  en 
mourir.  Ceux  qui  provoquèrent  cette  colère  vivent  encore. 
Je  ne  vous  les  nommerai  pas  :  il  les  avait  rayés  de  son  sou- 
venir. Mais  j'en  ai  vu  un  qu'il  tenait  soulevé,  les  deux  mains 
enfoncées  dans  ses  bras,  suspendu  au-dessus  d'une  cage 
d'escalier,  prêt' à  l'y  jeter » 


A  ce  portrait,  que  je  fixe  pour  ainsi  dire  mot  pour  mot, 
dans  son  mouvement  tout  primesaulier,  bien  des  anecdotes 
peuvent  s'ajouter,  prises  encore  daas  l'intimité  de  cet  inté- 
rieur où  le  musicien  et  la  fidèle  et  dévouée  compagne  de  sa 
vie  laborieuse,  la  confidente  de  ses  travaux,  de  ses  espé- 
rances et  de  ses  déboires,  partageaient,  en  donnant  des  leçons, 


en  faisant  des  cours,   les  charges  de  l'existence  matérielle. 

Voyant  les  années  dont  les  fatigues  et  les  joucis  aggravent 
le  poids  s'appesantir  de  plus  en  plus  sur  lui,  souvent  elle 
le  suppliait  de  la  laisser  pourvoir  seule  aux  besoins  du  mé- 
nage, afin  qu'il  pût  se  consacrer  entièrement  à  ses  œuvres. 

Il  ne  le  lui  accordait  pas.  Cependant,  un  jour  qu'il  se  sen- 
tait plus  triste,  plus  fatigué  que  de  coutume,  et  qu'elle  insis- 
tait davantage  pour  qu'il  y  consentit  : 

—  Eh  bien,  dit-il,  voyons,  tu  as  tes  livres  de  dépense. 
Additionne  ma  part  de  nourriture,  —  ce  que  coûtent  mes 
vêtements,  combien  tu  me  donnes  d'argent  de  poche  pour 
mes  voitures  et  mes  pauvres,  et  dis-moi  à  combien  cel  amonte 
par  mois. 

Le  compte  fut  fait  selon  son  désir.  Alors,  il  prit  les  mains 
de  sa  femme  et  ajouta: 

—  Mon  enfant,  je  t'obéirai.  Je  donnerai  des  leçons  jusqu'à 
concurrence  de  cette  somme  seulement.  Le  reste  du  temps, 
je  l'emploierai  pour  moi. 

Et  il  tint  parole,  tout  heureux  de  la  concession  faite  à  sa 
prétention  touchante,  tout  fier  de  se  dire  que  ses  joies  d'ar- 
tiste ne  coûtaient  rien  au  budget  commun. 


Tous  les  trois  mois  se  reproduisait  entre  ces  deux  êtres, 
liés  d'une  si  étroite  affection,  une  scène  charmante,  en  sa 
vulgarité  bourgeoise. 

La  veille  du  terme,  Lacombe  se  montrait  agité,  inquiet.  Il 
ne  pouvait  rester  en  place.  Enfin,  n'y  tenant  plus,  il  venait 
auprès  d'elle. 

—  Dis-moi,  petite  Andrée,  as-tu  ce  qu'il  te  faut  pour  ton 
loyer? 

—  Oui,  tout. 

—  Bien  vrai  ? 

—  Bien  vrai,  je  le  l'assure. 

—  Oh!  que  je  suis  content! 

Et  il  s'en  allait.  Puis,  au  moment  de  rentrer  dans  son 
cabinet: 

—  C'est  égal!  montre,  veux-tu? 

Aussitôt  on  allait  au  meuble  qui  servait  de  caisse  et  on 
comptait  la  somme  mise  de  côté  chaque  mois  à   cet  effet. 

«  Alors,  raconte  Mme  Lacombe,  qui  semble  revivre  par 
l'évocation  de  ces  souvenirs  toute  une  période  de  bonheur 
tranquille,  de  joie  saine  et  réconfortante,  alors  ses  bons 
chers  yeux  rayonnaient  de  tendresse  !  Il  me  disait  :  mais 
comment  t'y  prends-tu,  ma  pauvre  petite  fée?  Je  le  lui  expli- 
quais, et  tout  heureux,  tout  égayé,  il  retournait  à  sa  be- 
sogne, et  moi  je  me  sentais  fière,  et  je  remerciais  Dieu  qui  me 
donnait  du  travail  et  la  force  nécessaire  pour  l'accomplir, 
procurer  du  calme  et  de  la  sécurité  à  ce  cher  doux  être  si 
naïf,  si  grand,  si  bon  et  si  confiant  en  moi  !  » 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


INAUGURATION    DU    THÉÂTRE-LYRIQUE 
Samson  et  Dalila,  opéra  en  trois  actes,  paroles  de  M.  Ferdinand  Lemaire, 
musique  de  M.  Camille  Saint-Saëns.  —  La  Jolie  Fille  de  Perth,  opéra  en 
quatre  actes,  paroles  de  MM.  H.  de  Saint-Georges  et  Jules  Adenis,  mu- 
sique de  Georges  Bizet. 

Le  tenons-nous  enfin,  suitout  le  conserveruns-nous,  ce  Théâtre- 
Lyrique  tant  désiié,  si  indispensable  à  l'essor  et  à  l'avenir  de  l'art 
français,  et  qui  semble  nous  échapper  et  nous  fuir  chaque  fois  que 
nous  croyons  le  posséder?  Depuis  la  manifestation  si  artistique,  si 
intelligente,  et  l'on  peut  dire  si  grandiose  de  M.  Albert  Vizeutini  à 
là  Galté,  que  d'essais  avortés,  que  de  tentathes  infructueuses  faites 
ici  ou  là  pour  nous  rendre  une  institution  si  essentielle  à  l'ensemble 
de  nos  grandes  entreprises  artistiques,  si  indispensable  à  la  gran- 
deur même  de  l'art  national!  Grâces  soient  rendues  à  M.  Verdhurt 
pour  le  courage  et  l'initiative  dont  il  vient  de  faire  pieuve  à  ce 
sujet,  et  puisse-t-il  enfin  réussir  là  où  tant  d'autres  ont  échoué! 


LE  MENESTREL 


3SS 


C'est  dans  la  salle  de  l'Eden,  complètement  et  heureusement  trans- 
formée ainsi  que  nous  l'avons  fait  connaître ,  c'est  devant  une 
assemblée  choisie,  devant  un  public  visiblement  heureux  d'assister 
à  ce  nouvel  effort,  auquel  ses  sympathies  étaient  d'avance  con- 
quises, que  s'est  effectuée,  le  vendredi  31  octobre  1890  (on  n'est  pas 
superstitieux  dans  la  maison) ,  l'inauguration  du  nouveau  Théâtre- 
Lyrique,  par  la  première  représentation,  à  Paris,  de  Samson  et 
Dalila,  opéra  de  M.  Camille  Saint-Saëns. 

Quand  M.  Saint-Saëns  écrivit  Samson  et  Dalila,  —  c'était  en  1871  — 
il  ne  s'était  pas  encore  produit  à  la  scène.  La  représentation  de  la 
Princesse  jaune  à  l'Opéra-Comique  ne  date  que  de  1872,  et  quant  au 
Timbre  d'argent,  quoique  depuis  longtemps  composé,  il  ne  parut  à  la 
lumière  de  la  rampe  qu'en  1877,  à  la  Gaité,  sous  la  direction  de 
M.  Vizentini.  L'un  et  l'autre  n'avaient  obtenu  qu'un  médiocre 
succès,  et  le  compositeur  semblait  alors  ne  pouvoir  se  reproduire 
à  Paris.  C'est  pourquoi,  après  avoir  seulement  fait  entendre,  dans 
nos  concerts,  quelques  fragments  de  son  œuvre  nouvelle,  entre 
autres  la  jolie  danse  des  prêtresses  de  Dagon  et  le  duo  passionné 
de  Samson  et  de  Dalila,  il  se  décida  h  la  faire  représenter,  le  2  dé- 
cembre 1877,  sur  le  théâtre  de  Weimar.  Sa  réputation  était  depuis 
longtemps  établie  en  Allemagne,  et  il  sentait  là  d'heureuses  chances 
de  succès.  La  traduction,  fort  élégante,  avait  été  confiée  à  un  cri- 
tique éminent,  M.  Richard  Pohl,  et  les  trois  rôles  principaux,  ceux 
de  Dalila,  de  Samson  et  du  grand  prêtre,  avaient  pour  interprètes 
trois  artistes  excellents,  Mlle  von  Millier,  M.  Ferenczy  et  M.  Milde 
(ce  dernier  fort  remarquable,  malgré  ses  soixante  ans).  Quant  à 
l'orchestre,  où  l'on  rencontrait  des  virtuoses  comme  le  violoniste 
Koempel  et  le  violoncelliste  Griitzmacher,  il  était  dirigé  par  un  chef 
de  premier  ordre,  l'excellent  compositeur  Edouard  Lassen.  On 
comprend  qu'avec  de  tels  éléments  et  dans  de  telles  conditions, 
l'exécution  ne  pouvait  qu'être  absolument  supérieure.  Elle  le  fut  en 
effet,  et  le  succès  de  l'oeuvre  s'établit  aussitôt.  Depuis  lors  elle  fut 
jouée  sur  diverses  scènes  allemandes,  mais  jusqu'à  ces  temps  der- 
niers elle  était  restée  inconnue  en  France,  et  c'est  seulement  l'hiver 
passé,  à  Rouen,  que  M.  Verdhurt  eut  l'idée  de  l'offrir  au  public  du 
théâtre  des  Arts.  La  critique  parisienne  fut  conviée  à  cette  repré- 
sentation, Samson  et  Dalila  fut  fort  bien  accueilli,  et  M.  Verdhurt, 
devenu  directeur  du  Théâtre-Lyrique,  crut  ne  pouvoir  mieux  faire, 
pour  inaugurer  sa  nouvelle  entreprise,  que  de  présenter  cet  ouvrage 
aux  spectateurs  parisiens. 

Samson  et  Dalila,  était  qualifié  d'abord  par  son  auteur  de  «  drame 
biblique,  »  et  l'on  peut  dire  que,  musicalement,  l'œuvre  participe  à 
la  fois  de  l'oraforio  et  de  l'opéra.  Le  caractère  de  Dalila,  tel  que 
nous  le  connaissons  d'après  la  Bible,  a  été  toutefois  quelque  peu 
modifié  dans  le  poème,  sans  doute  pour  le  rendre  à  la  fois  plus 
théâtral  et  moins  antipathique.  Ce  poème  a  été  écrit  par  un  cousin 
du  compositeur,  et  celui-ci,  je  crois,  ne  s'est  pas  absolument  borné 
à  sa  collaboration  musicale  et  n'a  pas  dédaigné  de  prendre  quelque 
part  au  texte  qui  devait  appeler  son  inspiration. 

Donc,  le  livret  de  l'opéra  nous  montre  une  Dalila  plus  fanatique 
encore  que  dévergondée,  et  agissant  plus  dans  l'intérêt  de  sa  reli- 
gion que  dans  son  intérêt  propre  et  personnel,  ce  qui  n'est  pas  abso- 
lument conforme  aux  données  reçues.  Avec  une  vertu  qu'on  ne  lui 
connaissait  pas,  elle  fait  bon  marché  des  richesses  qui  lui  sont  pro- 
posées, pour  ne  penser,  en  séduisant  Samson,  juge  des  Hébreux, 
qu'à  venger  les  insultes  faites  au  dieu  Dagon,  le  dieu  des  Philistins, 
qu'elle  adore  elle-même.  C'est  donc  ici,  je  l'ai  dit,  une  fanatique 
farouche  plutôt  qu'une  femme  simplement  perverse,  vicieuse  et  in- 
téressée. A  part  cette  remarque,  le  poème  suit  pas  à  pas  et  serre 
d'aussi  près  que  possible  la  pure  légende  biblique,  depuis  les  séduc- 
tions de  Dalila  sur  Sainsou,  qu'elle  veut  perdre,  jusqu'à  la  destruc- 
tion par  celui-ci,  quoique  aveugle,  du  temple  de  Dagon  pendant  les 
réjouissances  des  Philistins.  Une  plus  longue  analyse  de  ce  poème 
seiait  donc  inutile,  et  nous  pouvons  maintenant  nous  occuper  uni- 
quement de  la  partition. 

Cette  partition,  il  faut  le  déclarer  hautement,  est  une  œuvre  de 
premier  ordre,  et,  à  mon  sens,  la  plus  remarquable  de  toutes  celles 
que  M.  Saint-Saëns  a  produites  jusqu'à  cejour  au  théâtre.  Les  uns  — 
et  je  suis  de  ce  nombre  —  préfèrent  le  premier  acte,  pour  sa  gran- 
deur et  sa  majesté,  d'autres  loueut  surtout  le  second,  à  cause  de  son 
caractère  dramatique  et  passionné,  d'autres  encore  préconisent  sur- 
tout le  troisième  ;  mais  ce  qui  est  certain,  c'est  que  l'œuvre  est 
belle  dans  son  ensemble,  puissante  et  noble,  d'une  pureté  de  ligues 
remarquable,  et  qu'elle  produit  sur  l'auditoire  une  impression  pro- 
fonde à  laquelle  il  ne  saurait  échapper.  J'ai  dit  que,  par  le  fait 
de  son  sujet  même,  elle  tient  à  la  fois  de  l'oratorio  et  du  drame 
lyrique,  et  cette  remarque  touche  surtout  le  premier  acli,  où  l'em- 


ploi des  grandes  masses  chorales  et  le  caractère  de  certaits  chants 
religieux  font  aussitôt  penser  à  Bach  et  surtout  à  Hiendel,  sans 
qu'on  rencontre  d'ailleurs  aucune  imitation  de  l'un  ou  de  l'autre. 

Ce  premier  acte,  qui  se  passe  sur  une  place  de  Gaza,  est  absolu- 
ment superbe,  et  il  en  faudrait  citer  tous  les  morceaux  —  car,  n'en 
déplaise  aux  wagnériens,  la  coupe  des  morceaux  est  partout  nette 
et  franche.  Il  n'y  a  point  d'ouverture,  mais  une  introduction  d'un 
caractère  tout  particulier  qui,  après  quelques  mesures  purement 
instrumentales,  laisse  entendre,  derrière  le  rideau,  les  exclamations 
et  les  lamentations  du  chœur  des  Hébreux,  implorant  le  ciel  et 
réclamant  sa  pitié  pour  leur  infortune.  Cette  entrée  en  matière,  qui 
reproduit  l'impression  de  l'ouverture  du  Pardon  de  Ploërmel,  est 
d'un  fort  bel  effet.  Bientôt  la  toile  se  lève,  et  le  chœur  termine  sa 
déploration.  Puis,  à  cette  page  empreinte  d'une  tristesse  presque 
désolée,  en  succède  une  autre,  ferme  et  vigoureuse  : 

Nous  avons  vu  nos  cités  renversées 
Et  les  gentils  profanant  ton  autel... 

Ici,  un  chœur  en  style  fugué,  d'une  grande  allure  et  d'une  so- 
norité pleine  et  harmonieuse.  L'entrée  de  Samson  donne  lieu  à 
une  sorte  de  dialogue  entre  lui  et  le  chœur,  qui  est  vraiment  partie 
prenante  à  l'action,  comme  dans  le  drame  antique  ;  la  stance  de 
Samson  : 

L'as-tu  donc  oublié, 
Celui  dont  la  puissance 
,  Se  fît  ton  allié  ? 

est  pleine  de  noblesse  et  de  fierté,  et  la  phrase  mélodique  qu'il 
chante  ensuite  et  que  les  harpes  soutiennent  de  leurs  arpèges  : 

Implorons  à  genoux 

Le  Seigneur  qui  nous  aime, 

est  empreinte  d'une  véritable  grandeur.  Il  faut  signaler  aussi  le 
chœur  en  si  p  qui  précède  le  meurtre  d'Abimelech,  scandé  par  de 
vigoureux  accords  frappés  sur  chaque  temps  fort  qui  lui  impriment 
un  caractère  de  sombre  énergie.  Après  celui-ci,  et  lui  faisant  con- 
traste, vient  le  chant  des  vieillards  : 

Hymne  de  joie,  hymne  de  délivrance... 
qui  forme  un  chœur  de  basses  à  l'unisson,  coupé  par  un  solo,  dans 
une  tonalité  de  plain-chant,  sans  note  sensible  ;  et  presque  aussi- 
tôt,  accompagnant  l'entrée  de  Dalila,   un   chœur   de  jeunes   filles 
Philistines  : 

Voici  le  printemps  nous  portant  des  fleurs, 

plein  de  fraîcheur  et  de  grâce.  La  scène  amoureuse  de  Dalila  et 
de  Samson  est  coupée  par  un  intermède  charmant,  la  danse  des 
prêtresses  de  Dagon,  que  les  habitués  de  nos  concerts  connaissent 
depuis  longtemps,  et  qui  à  la  scène  produit  une  impression  exquise. 
Le  rideau  tombe  sur  les  dernières  paroles  enflammées  que  Dalila 
adresse  à  celui  qu'elle  veut  perdre. 

J'insiste  tout  particulièrement  sur  la  valeur  exceptionnelle  de  ce 
premier  acte,  qui  me  semble  être  celui  où  l'auteur  a  eu  à  dépen 
ser  la  plus  grande  somme  de  talent  pour  parvenir  à  varier  ses 
effets  et  à  éviter  la  monotonie.  D'un  bout  à  l'autre  de  cet  acte, 
pour  ainsi  dire,  le  chœur  occupe  la  scène,  toujours  actif,  toujours 
mouvant,  toujours  vivant,  et  le  compositeur  avait  ici  de  grandes 
difficultés  à  vaincre  pour  lui  faire  remplir  son  rôle  en  diversifiant 
saus  cesse  ses  moyens  d'action  et  d'expression,  de  telle  sorte  qu'il 
n'en  résultât  aucune  fatigue  pour  l'auditeur.  Or,  non  seulement 
l'inspiration  du  musicien  n'a  pas  faibli  un  instant,  mais  il  a  su  si 
bien  alterner  les  tons  et  renouveler  ses  couleurs  que  l'oreille,  char- 
mée, ne  songe  qu'à  écouter  toujours  et  à  se  laisser  charmer  encore. 
J'avoue  qu'il  y  a  là,  pour  moi,  l'accomplissement  d'un  tour  de 
force  prodigieux. 

Le  second  acte  s'ouvre  par  un  air  de  Dalila,  un  air  véritable, 
avec  retour  du  premier  motif,  ce  qui  doit  singulièrement  scanda- 
liser nos  jeunes  novateurs.  Le  duo  qu'elle  chante  ensuite  avec  le 
grand  prêtre  a  de  belles  parties.  Mais  le  point  culminant  de  cet 
acte  est  le  long  duo  passionné  qui  le  termine,  entre  Dalila  et  Sam- 
son, morceau  déjà  bien  connu,  mais  dont  l'effet,  ja  n'ai  pas  besoin 
de  le  dire,  gagne  considérablement  en  passant  du  concerta  la  scène. 
lia  obtenu  un  très  grand  succès  à  la  représentation,  et  tout  particu- 
lièrement la  jolie  cantilène  en  ré  p,  à  la  fois  mystérieuse  et  pleine 
d'ampleur,  que  Dalila  fait  entendre  d'abord,  accompagnée  par  les 
flûtes  et  les  violons: 

Oh  !  réponds  à  ma  tendresse 

et  que  les  deux  voix  reprennent  ensuite  dans  un  ensemble  vraiment 
émouvant.  Un  bis  énergique  a  forcé  les  chanteurs  à  répéter  cet  épi- 


356 


LE  MENESTREL 


sodé  charmant,  dont  l'effet  n'a  pas  été  moindre  L  la  seconde  audi- 
tion. 

Je  passerai  volontiers  sur  le  premier  tableau  du  troisième  acte,' 
celui  de  la  prison  de  Samson,  qui  est  d'ailleurs  fort  court  et  qu'on 
pourrait  couper  sans  inconvénient,  car  il  ne  tient  nullement  à  l'ac- 
tion. Mais  au  second  tableau  il  faut  signaler  un  chœur  d'entrée  d'une 
-suavité  mélodique  exquise,  avec  son  dessin  de  violons  plein  d'élé- 
gance, un  divertissement  dansé  d'an  rythme  original  et  distingué, 
et  la  scène  de  Dalila  et  du  grand  prêtre,  qui  offre  cette  particularité 
inattendue  qu'elle  est  écrite  en  style  orné,  dans  le  goût  italien  le 
plus  pur,  avec  de  véritables  vocalises,  ce  qui  a  dû  faire  frémir 
encore  d'une  juste  indignation  nos  ardents  réformateurs. 

Je  ne  m'illusionne  pas  sur  la  valeur  de  l'analyse  très  incomplète 
que  je  viens  d'esquisser.  Mais  je  répéterai,  en  la  terminant,  ce  que 
j'ai  dit  au  commencement  de  cet  article,  que  la  partition  de  Samson 
et  Dalila  est  une  œuvre  de  premier  ordre,  d'une  facture  superbe,  d'un 
style  magistral,  d'une  inspiration  remarquable  et  soutenue,  et  qui 
me  semble  supérieure  à  tout  ce  que  M.  Saint-Saëns  a  produit  jusqu'à 
ce  jour  au  théâtre.  Elle  a  contre  elle,  malheureusement,  le  sujet  sur 
lequel  elle  a  été  écrite,  qui  n'est  point  théâtral,  point  vraiment  pas- 
sionné, qui  n'offre  qu'un  intérêt  médiocre,  et  qui  enfin  ne  laisse 
place  à  aucun  incident,  à  aucune  surprise.  C'est  le  malheur  des 
musiciens  de  ne  pas  savoir,  la  plupart  du  temps,  choisir  les  sujets  qui 
doivent  exciter  et  féconder  leur  inspiration.  Mais  cette  fois  la  valeur  de 
l'œuvre  reste  intacte,  et  l'on  peut  affirmer  qu'elle  est  peu  commune. 

L'exécution  l'a  mise  en  relief,  d'ailleurs,  autant  qu'il  était  pos- 
sible. Mlle  Bloch,  que  nous  n'avions  pas  entendue  depuis  son  départ 
de  l'Opéra,  c'est-à-dire  depuis  huit  ans,  est  une  Dalila  séduisante 
et  superbe;  j'ajoute  qu'elle  a  chanté  et  même  joué  ce  rôle,  difficile 
avec  un  incontestable  talent.  La  voix  de  M.  Talazac  a  malheureu- 
sement un  peu  faibli,  mais  on  sait  comme  il  s'en  sert,  et  il  a  partagé 
le  succès  de  sa  partenaire  ;  je  ne  saurais,  par  exemple,  lui  faire 
compliment  sur  son  costume,  qui  est  tout  simplement  horrible. 
M.  Bouhy,  artiste  toujours  excellent  et  distingué,  donne  beau- 
coup de  relief  au  rôle  important,  mais  ingrat,  du  grand  prêtre.  Mais 
ce  qu'il  faut  louer  sans  réserve,  parce  que  cela  est  plus  rare,  c'est 
l'exécution  d'ensemble,  de  la  part  de  l'orchestre  et  des  chœurs,  qui 
est  absolument  parfaite.  Il  y  a  là  une  conscience,  un  soin,  une 
sûreté,  un  aplomb,  un  sentiment  de  tous  les  détails  el  de  toutes 
les  nuances  qui  devraient  faire  rougir  l'Opéra  et  qui  font  le  plus 
grand  honneur  aux  deux  chefs  de  service,  M.  Gabriel  Marie  pour 
l'orchestre  et  M.  Georges  Marty  pour  les  chœurs.  On  ne  saurait  à 
ce  sujet  leur  adresser  trop  de  louanges,  et  pour  ma  part  je  leur  en 
fais  mon  plus  sincère  compliment.  Il  est  impossible  de  faire  mieux, 
et  l'on  a  peine  à  concevoir  un  tel  résultat,  obtenu  avec  un  person- 
nel neuf  et  qui  se  connaît  à  peine. 

Les  lendemains  de  Samson  et  Dalila  sont  faits  par  la  Jolie  Fille  de 
Perth,  dont  la  représentation  a  eu  lieu  lundi  dernier.  Je  ne  crois 
pas  la  réapparition  de  cet  ouvrage  destinée  à  augmenter  notablement 
ce  qu'on  appelle  la  gloire  de  Bizet,  ce  que  j'appellerai  sa  juste 
renommée.  On  qualifierait  cela  d'.œuvre  de  jeunesse,  si  Bizet,  mal- 
heureusement pour  l'art  français,  n'était  mort  si  jeune.  C'est  à  coup 
sûre  une  œuvre  de  début  et  d'étude,  dans  laquelle  le  compositeur 
essayait  ses  forces,  et  où,  avec  des  échappées  charmantes  et  pleine  s 
de  poésie,  il  est  trop  facile  de  constater  le  manque  d'originalité.  Il  y 
a  même  là  des  ressouvenirs  italiens  si  flagrants  qu'on  a  peine  à  les 
concevoir  de  la  part  d'un  artiste  qui  devait  bientôt  faire  preuve  d'une 
si  grande  indépendance  d'esprit  et  de  plume.  Je  n'en  veux  pour 
preuve  que  la  scène  de  l'ivresse  de  Ralph,  qui  rappelle  si  directe- 
ment la  scène  de  Rigoletto  et  des  courtisans  alors  que  le  héros  de 
Verdi  cherche  sa  fille  chez  le  due  de  Mantoue,  et  certain  passage 
du  duo  de  Catherine  et  Henri,  au  quatrième  acte,  qui  semble  inspiré 
par  le  Donizetti  de  Lucia  di  Lammermoor . 

Le  titre  de  la  Jolie  Fille  de  Perth  est  trop  connu  pour  que  j'aie 
besoin  de  rappeler  que  le  livret  de  l'opéra  qui  m'occupe  a  été  tiré 
par  Saint-Georges  et  M.  Jules  Adenis  d'un  des  romans  les  plus 
curieux  de  Walter  Scott,  que  les  auteurs  français  ont  arrangé  à 
^eur  guise.  Ce  livret  n'est,  à  tout  prendre,  ni  meilleur  ni  pire  que 
tant  d'autres  que  nous  connaissons;  il  ne  manque  même  pas  d'ingé- 
nios  é,  et  les  situations  y  sont  bien  amenées  pour  le  musicien,  qui 
en  a  su  tirer  bon  parti.  Toutefois,  nous  retrouvons  là  la  scène  de  folie 
qui,  pendant  un  demi-siècle,  à  partir  de  la  Nina  de  d'Alayrac,  refaite 
par  Paisiello,  a  défrayé  tant  d'opéras  italiens,  avec  grand  renfort  de 
vocalises  de  toutes  sortes.  Co  ne  sont  pas  les  vocalises  qui  manque  nt 
à  celle-ci,  et  j'ajoute  que  leur  banalité  ne  le  cède  en  rien  à  celles 
qui  ont  obtenu  le  plus  de  succès. 


Il  faut  constater  cependant  que  si  la  partition  est  un  peu  trop 
composite,  écrite  dans  un  style  franco-italien  qui  ne  laissait  guère 
prévoir  les  nouveautés  hardies  et  savoureuses  de  V Artésienne  et  sur- 
tout de  Carmen,  elle  n'en  contient  pas  moins  des  pages  fort  aimables 
et  d'une  heureuse  venue.  Au  premier  acte,  le  chœur  d'introduction 
des  ouvriers,  avec  son  accompagnement  d'enclumes,  et  un  joli 
quatuor  ;  au  second,  le  grand  morceau  d'ensemble  qui  ouvre  l'ac- 
tion, un  air  de  danse  fort  élégant,  entrecoupé  par  des  exclamations 
du  chœur  qui  produisent  un  excellent  effet,  et  l'air  de  Ralph,  qui 
est  fort  intéressant  malgré  sa  réminiscence  verdienne;  au  troisième, 
le  duo  du  duc  et  de  la  bohémienne,  qui  contient  de  jolis  épisodes, 
et  le  finale,  remarquable  par  l'harmonie  de  l'ensemble  choral  et  aussi 
par  la  phrase  pénétrante  de  l'invocation  de  Catherine  à  Henri,  que 
son  accompagnement  de  harpe  rend  plus  charmante  encore;  et  enfin, 
au  quatrième,  le  chœur  adorable  de  la  Saint- Valentin,  qui  a  été  le 
succès  de  la  soirée  el  qu'on  a  fait  bisser.  Le  malheur  est  qu'en 
remplaçant  le  dialogue  original  par  ries  récitatifs,  on  a  alourdi 
cette  partition  conçue  dans  le  vrai  style  de  l'opéra-comique,  on  lui 
a  enlevé  sa  sveltesse  et  son  agilité.  C'est  une  faute  à  mon  sens, 
car  on  a  coupé  ainsi  les  ailes  de  cette  musique  fine  et  délicate, 
dont  la  fantaisie  supporte  mal  une  pareille  entrave. 

Lors  de  la  création  de  la  Jolie  Fille  de  Perth  (26  décembre  1867), 
les  rôles  du  jeune  armurier  Henri  Smith,  de  son  ami  Ralph,  du 
duc  de  Rothsay  et  du  vieux  Glover  étaient  tenus  par  MM.  Massy, 
Lutz,  Barré  et  Wartel;  ils  le  sont  aujourd'hui  par  MM.  Engel, 
Isnardon,  Boyer  et  Ferran,  qui  tous  quatre  sont  excellents,  chacun 
en  leur  genre;  celui  de  Catherine,  qui  servait  naguère  aux  débuts 
de  M"e  Jeanne  Devriès,  est  devenu  l'apanage  de  M1Ie  Mézeray,  et  c'est 
Ml,e  Haussmann  qui  succède  à  Mlle  Ducasse  dans  celui  de  la  jeune 
bohémienne  Mab.  L'interprétation  générale  est  très  satisfaisante,  et 
ici  encore  il  faut  louer  sans  réserve  les  chœurs  et  l'orchestre,  qui  se 
sont  montrés  au-dessus  de  toute  comparaison. 

Arthur  Pougin. 

Odéon.  —  Roméo  et  Juliette,  drame  en  cinq  actes  et  dix  tableaux, 
en  vers,  d'après  Shakespeare,  par  M.  Georges  Lefèvre,  musique 
de  M.  Thomé.  —  Nouveautés.  —  La  Pie  au  nid,  vaudeville  en  trois 
actes,  de  M.  Georges  Duval. 

Le  Roméo  et  Juliette  que  M.  Porel  nous  a  donné  la  semaine  dernière 
n'est  qu'une  adaptation,  et  non  une  traduction,  ce  dont  nous  ne 
pouvons  que  nous  réjouir,  le  théâtre  de  Shakespeare  n'étant  possible 
à  la  scène  française  qu'après  avoir  subi  un  travail  assez  important, 
et  toujours  fort  délicat,  de  remaniement,  d'élimination  et  de  con- 
densation, travail  auquel  M.  Georges  Lefèvre  n'a  eu  garde  de  man- 
quer et  qu'il  a  su  mener  à  bonne  fin.  Des'  vingt  tableaux  dont  se 
compose  le  chef-d'œuvre  original,  l'auteur  n'en  a  conservé  que 
dix,  tout  en  s'appliquant  à  suivre  du  plus  près  possible  son  modèle. 
Ne  voulant  pas  sacrifier  plusieurs  épisodes  caractéristiques,  mais 
secondaires,  il  a  su  les  présenter  de  très  heureuse  façon,  tout  en 
gardant  nette  et  précise  la  grande  ligne  du  drame  passionnel  qui. 
se  déroule  entre  les  deux  seuls  principaux  personnages.  Son  action 
marche  ainsi  franchement  vers  uu  but  déterminé,  sans  trop  s'arrêter 
aux  détails,  et  en  prend  un  inlérèl  d'autant  plus  vif.  Son  dialogue, 
sous  lequel  on  sent  toujours  la  solide  charpente  de  celui  du  grand 
Will,  est  plein  de  poésie,  de  charme,  d'émotion  et  de  tendresse, 
bien  que  l'on  devine,  en  certains  endroits,  la  préoccupation  ou  se 
trouvait  l'auteur  de  ne  point  se  rencontrer  avec  les  effets  heureux 
obtenus  déjà  par  MM.  Barbier  et  Carré.  Par  un  pieux  scrupule, 
M.  Georges  Lefèvre  a  voulu  rétablir  le  dénoûment  original,  sup- 
primé de  longue  date.  Après  que  Juliette  s'est  frappée  d'un  coup 
de  poignard  et  est  tombée  morte  sur  le  corps  déjà  inanimé  de 
Roméo,  Capulet  et  Montaigu  pénètrent  dans  le  cimetière  de  Vérone 
et,  devant  ies  corps  enlacés  de  leurs  enfanis,  abjurent  la  haine  qui 
divisait  leurs  maisons.  Il  se  peut  que  la  morale  gagne  à  cette  appa- 
rition des  deux  vieillards  et  que  l'idée  philosophique  de  cette  ré- 
conciliation devant  la  mort  ne  manque  pas  d'une  certaine  profon- 
deur ;  mais  je  ne  suis  pas  bien  convaincu  que  l'effet  dramatique 
ne  reste  pas  plus  saisissant  lorsque  le  rideau  tombe  sur  le  dernier 
soupir  de  Juliette. 

Le  rôle  de  Roméo  a  mis  en  complète  lumière  M.  Marquel,  qui, 
tout  en  empruntant  sagement  à  l'art  de  M.  Mounet-Sully,  a  fait 
montre  de  qualités  de  force  et  de  charme  absolument  réelles. 
M"0  Rosa  Bruck,  très  en  beauté,  bien  que  de  visage  un  peu  dur,  n'a 
pas  l'organe  enfantin  et  doux  qu'il  faut  à  Juliette,  ce  qui  l'a  em- 
pêchée d'envelopper  de  toute  sa  poésie  et  de  toute  sa  chasteté  cette 
figure  difficile  à  bien  composer.  M.  Albert  Lambert  est  un  frère 
Laurence  plein  d'onction  ;  M.  Dumény,  un  Mercutio  beaucoup  trop 


LE  MÉNESTREL 


357 


moderne;  M.  Calmeltes,  un  Tybalt  de  franche  allure  et  Mra°  A.  Lau- 
rent une  lady  Gapulet  dramatique.  M.  Porel  a,  suivant  son  habitude, 
présenté  la  pièce  avec  un  goût  artistique  absolument  parfait.  Ne 
se  contentant  pas  seulement,  pour  ces  sortes  de  travaux  littéraires, 
de  s'adresser  aux  jeunes  poètes,  il  semble  encore  se  complaire  à. 
faire  la  besogne  des  directeurs  de  théâtres  de  musique  en  appelante  lui 
nos  jeunes  musiciens.  Il  a  donc  commandé,  pour  la  circonstance, 
toute  une  petite  partition  à  M.  Francis  Thomé.  Et  ce  n'est  vraiment 
pas  un  des  moindres  attrails  de  la  représentation  que  cette  délicieuse 
musique  soulignant  de  ses  harmonies  discrètes,  à  travers  lesquelles 
court  toujours  une  mélodie  exquise,  les  passages  principaux  du 
drame.  Voici  M.  Thomé  entré  au  théâtre,  souhaitons  qu'il  se 
trouve  d'autres  directeurs  assez  avisés  pour  l'y  retenir. 

Le  nouveau  vaudeville  de  M.  Georges  Duval,  représenté  lundi 
dernier  aux  Nouveautés,  a  fait  long  feu.  L'on  aurait  juré  que  la 
pluie  inclémenle  qui  dévalait  des  toits  aux  ruisseaux  en  cascades 
torrentueuses  et  qui,  en  quelques  heures,  a  totalement  dévêtu  nos 
pauvres  platanes  du  boulevard,  avait  trouvé  le  moyen  de  filtrer  par 
le  toit  du  théâtre  et  de  détremper  les  effets  nombreux  et  variés  que 
l'auteur  de  la  Pie  au  nid  avait  dû  préparer  avec  un  soin  jaloux.  Le 
feu  d'artifice  entier  a  raté,  et,  cependant,  il  était  suffisamment  com- 
pliqué et  composé  d'une  quantité  assez  respectable  de  petites  pièces 
empruntées  un  peu  partout  et  ayant  déjà  réussi,  pour  qu'on  ait  pu 
croire  que  sur  le  nombre,  un  pétard  consentirait  à  tonner  ou  qu'une 
chandelle  romaine  jetterait,  eu  temps  voulu,  sa  note  claire  et  lumi- 
neuse. La  fatalité  a  voulu  que  rien  ne  prit;  et  les  pauvres  specta- 
teurs, douchés  en  arrivant,  douchés  en  sortant,  l'ont  été  encore  aussi 
désagréablement  pendant  ces  trois  actes.  Et.  pourtant,  l'on  s'était 
promis  de  rire;  l'affiche  portait  les  noms  de  MM.  Maugé  et  Germain, 
et  l'on  se  régalait  à  l'idée  de  voir  ces  deux  joyeux  compères  effacer 
l'impression  pénible  produite  par  ce  vieux  catharreux  que,  sur  celte 
même  scène  et  quelques  jours  seulement  avant,  nous  avions  entendu 
tousser  et  cracher  pendant  de  longues  minutes.  Mais  MM.  Germain 
et  Maugé  se  sont  démenés  en  vain;  la  salle  est  demeurée  froide 
devant  les  énormités  qu'on  lui  débitait,  et  peu  s'en  est  fallu  qu'elle 
ne  se  fâchât  de  cerlaines  grossièretés  que  rien  ne  saurait  excuser. 
Cette  mauvaise  soirée,  que  M.  Duval  aura  le  loisir  de  racheter  faci- 
lement, car  il  ne  manque  ni  d'invention,  ni  de  gaieté,  a  servi  de 
débuts  à  Mmo  Harris  et  à  MM.  Rablet  et  Calvin  fils,  qui,  avec  le  secours 
de  M.  Guy  et  de  Mllc  Davray,  ont  fait  de  leur  mieux. 

Paul-Émile  Chevalier. 

P.-S.  —  C'est  au  milieu  d'une  foule  compacte,  où  les  jolies  femmes 
étaient  en  nombre,  que  l'Exposition  de  Blanc  et  Noir  a  donné  la 
première  des  Projections  humoristiques  de  M.  Albert  Guillaume.  Le 
jeune  et  spirituel  dessinateur  avait  pris  comme  thème  «  La  Table  à 
travers  les  âges  »,  et  les  variations  dues  à  son  habile  crayon  ont 
charmé  et  amusé  les  spectateurs.  M.  J.  Straram,  à  U  tête  d'un  bon 
orchestre,  soulignait  chaque  tableau  par  une  musique  aimable  et 
bien  appropriée  aux  sujets. 


LE  MONUMENT  DE  GEORGES  BIZET 

LE  TOMBEAU  DE  FÉLICIEN  DAVID  —  LA  STATUE  DE  MÉHUL 


A  la  première  réunion  du  comité  pour  le  monument  de  Bizet 
(sous  la  présidence  de  M.  Ambroise  Thomas,  assisté  de  MM.  Four- 
caud  et  Philippe  Gille),  il  a  été  décidé  en  principe  que  ce  monu- 
ment consisterait  en  un  socle  élevé,  surmonté  d'un  buste  et  entouré 
de  figures  allégoriques.  L'exécution  en  sera  confiée  à  MM.  Paul 
Dubois  et  Charles  Garnier. 

Les  souscriptions,  qui  dépassent  présentement  la  somme  de  qua- 
rante mille  franc?,  sont  plus  que  suffisantes  pour  suffire  aux  frais 
d'un  très  beau  monument.  Néanmoins,  pour  honorer  encore  davan- 
tage la  mémoire  du  compositeur  de  Carmen,  il  a  été  décidé  qu'on 
procéderait  à  une  représentation  de  gala,  et  à  cet  effet,  sur  une  liste 
qui  n'était  nullement  préparée,  on  a  nommé  une  sous-commission 
qui  voudra  bien  s'occuper  du  programme  de  cette  représentation. 
On  ne  doit  pas  oublier  non  plus  que  des  représentations  solennelles 
en  l'honneur  de  Bizet  et  au  profit  de  son  monument  sont  encore  pro- 
mises au  théâtre  de  l'Odéon  et  au  Théâtre-Lyrique  de  l'Éden;  de 
même,  M.  Colonne  a  déclaré  que  le  produit  de  son  coueert  d'au- 
jourd'hui dimanche  (dont  on  trouvera  plus  loin  le  programme,  ex- 
clusivement consacré  à  l'exécution  d'oeuvres  de  Bizet)  serait  destiné 
au  même  but. 

Cène  sout  donc  pas  les  ressources  qui  manquent;  elles   sont  au 


contraire  trop  considérables  pour  l'œuvre  seule  qu'on  poursuit. 
Aussi,  quand  le  moment  en  sera  venu,  demanderons-nous  qu'on 
veuille  bien  profiler  de  ce  bel  élan  artistique  pour  détourner  une 
faible  partie  de  ce  pactole  du  côté  de  deux  autres  monuments  de 
musiciens  qui  restent  inachevés  faute  de  fonds  suffisants.  A  Saint- 
Germain,  le  tombeau  de  Félicien  David  n'est  pas  encore  terminé,  et  la 
belle  œuvre  de  Mereié  n'a  pu  recevoir  son  entière  exécution.  A  Givet, 
il  manque  plusieurs  billets  de  mille  francs  pour  la  statue  de  Méhul, 
qui  fut  aussi  un  grand  maître  français,  dont  il  est  resté  un  pur  chef- 
d'œuvre,  Joseph,  partout  en  honneur  et  notamment  sur  les  scènes 
allemandes,  tandis  qu'on  l'oublie  un  peu  trop  chez  nous.  C'est  ainsi 
que  la  jeune  gloire  de  Bizet  pourra  venir  en  aide  à  celle  de  ses 
deux  anciens.  Nous  espérons  qu'on  ne  fera  pas  d'opposition  à  cette 
double  proposition,  qui  constituera  un  acte  de  justice  et  de  répa- 
ration. 

Pour  nous  en  tenir  aujourd'hui  exclusivement  à  Georges  Bizet,  nous 
sommes  heureux  de  reproduire  ici,  dans  son  entier,  la  pièce  de  vers 
de  notre  collaborateur  Louis  Gallet,  qui  sera  récitée  aujourd'hui  même 
au  concert  du  Châtelet  par  M11"  Du  Minil,  de  la  Comédie-Française. 
Une  partie  de  cette  pièce  est  déjà  connue  de  nos  lecteurs,  puisqu'elle 
a  figuré  dans  les  Notes  d'un  librettiste,  qui  sont  actuellement  en  cours 
de  publication  dans  le  Ménestrel.  Mais  la  péroraison  en  est  complète- 
ment inédite. 

A  LA  MÉMOIRE  DE  GEORGES  RIZET 

Concert  du  Châtelet  —  31  octobre  4873. 

Georges  Bizet!  —  Ce  nom  tout  à  coup  prononcé 

Met,  avec  un  frisson,  un  doute  dans  notre  âme  : 

Nous  nous  demandons  si  tant  de  force  et  de  flamme 

Dorment  réellement  dans  l'ombre  du  passé, 

Si  nous  n'allons  point  voir,  rayonnante  dévie, 

Se  lever  parmi  nous  cette  figure  amie, 

S'il  est  vrai  que  ce  cœur  soit  à  jamais  glacé! 

Oui,  les  rêves  parés  d'irrésistibles  charmes 
Ont  brusquement  fini  dans  le  deuil  et  les  larmes, 
Cet  esprit  que  suivait  le  nôtre  s'est  éteint. 
Oui,  tout  est  vrai  :  la  mort,  le  coup  rapide  et  rude 
Pesant  de  tout  le  poids  aveugle  du  destin 
Sur  un  calme  bonheur,  pur  dans  sa  plénitude, 
Sur  une  jeune  gloire  à  son  piemier  matin. 

Sa  muse  était  charmante;  elle  aimait  la  lumière, 
L'azur,  la  pourpre,  l'or,  les  fleurs  et  les  parfums, 
Le  front  plein  de  lueurs,  en  sa  grâce  première, 
On  la  voyait  marcher  hors  des  sentiers  communs. 
Elle  chantait  l'amour,  la  joie  et  l'espérance, 
Et  des  brumes  d'Ecosse  aux  soleils  d'Orient, 
Des  beaux  jardins  d'Asie  aux  déserts  de  Provence, 
Elle  allait,  tour  à  tour  rêvant  et  souriant. 
Sa  tendresse  parfois  et  même  sa  folie 
Mettaient  en  leur  accent  quelque  mélancolie  : 
On  eût  dit  qu'elle  avait  comme  un  pressentiment 
Et  qu'elle  entrevoyait,  sur  la  route  trop  brève, 
Cet  abîme,  où  devait  s'ensevelir  son  rêve, 
Cette  ombre,  où  l'attendait  le  fatal  dénoùment. 

Et  sa  voix  s'élevait  plus  vibrante  et  plus  fière; 

La  foule  la  suivait  déjà  sur  les  sommets. 

Carmen  jetait  au  vent  sa  chanson  familière; 

Le  maître  avait  conquis  sa  place  désormais. 

Plus  haut,  plus  loin  encor  l'entraînait  sa  pensée, 

A  de  nobles  accents  son  cœur  avait  battu; 

Il  voulait  nous  parler  d'héroïque   vertu, 

Nous  montrer  la  patrie  affaiblie  et  blessée 

Et  le  rude  Attila  par  le  Ciel  abattu. 

Mais  la  mort  vint  avant  la  tâche  commencée. 

Le  silence  se  fit...  on  annonça  tout  bas 

Ce  malheur,  si  cruel  que  l'on  n'y  croyait  pas  ! 

0  toi  que  nous  pleurons,  jeunesse  épanouie, 
Ame  ardente,  gardien  des  purs  trésors  de  l'art, 
Dors  en  paix  maintenant;  ne  crains  point  qu'on  oublie 
Ou  qu'on  fasse  à  Ion  nom  une  trop  faible  part. 
Non!  les  chants  envolés  de  ton  âme,  ô  poète, 
Revêtent  la  splendeur  auguste  du  tombeau, 
Et  le  temps  sacrera  ton  œuvre,  où  se  reflète 
La  lumière  du  vrai,  comme  l'amour  du  beau. 


358 


LE  MÉNESTREL 


POUR  Mlle  DU  MINIL 

Concert  du  Châtelet.  —  9  novembre  4890. 

Ces  vers  sont  vieux  déjà  de  plus  de  quinze  années. 
Celle  qui  fut  Carmen  ici  les  avait  dits.... 
Ces  fleurs  du  souvenir,  tontes  fraîches  jadis, 
Tant  de  jours  disparus  ne  les  ont  point  fanées  ! 

Alors,  elles  mêlaient  à  ces  lauriers  amers, 
Que  la  mort  ébrancha  sur  le  front  de  l'artiste, 
Un  parfum  d'amitié  délicat,  doux  et  triste; 

Et  nos  larmes  coulaient  en  entendant  ces  vers 

Mais  le  temps,  qui  nous  fait  nos  tristesses  plus  calmes, 
En  s'enfuyant  nous  montre  aussi  l'homme  plus  grand, 
Et  nous  le  voyons  là  rayonnant  sous  les  palmes  ! 
Tel  que  nous  le  rêvions,  la  Gloire  nous  le  rend. 
Et  nous  n'accusons  plus  la  rigueur  de  la  Vie! 
Elle  a  de  justes  lois  et  de  jusles  retours. 
Son  prix  réel  n'est  pas  dans  le  nombre  des  jours 
Il  est  dans  la  valeur  de  la  tâche  remplie. 

Brève  et  superbe  fut  sa  jeune  floraison  ! 
Avant  d'en  voir  les  fruits  s'il  tomba  sur  la  route, 
Cherchant  en  vain  des  yeux  son  but  à  l'horizoa; 
Du  moins  son  âme  ici  demeure;  elle  m'écoute!... 

—  Maître,  demain  viendra  la  foule  des  amis 
Au  monument  fondé  pour  un  public  hommage, 
Avec  un  tendre  orgueil  saluer  ton  image. 

Ainsi  s'accomplira  ce  qui  le  fut  promis  : 
L'art  réel  honoré  sous  sa  forme  idéale; 
Ta  muse  franchissant  la  porte  triomphale  ! 

Nous  avons  reçu  quelques  souscriptions  pour  le  monument  de 
Bizet,  que  nous  nous  empresserons  de  faire  parvenir  au  Gaulois,  qui 
les  centrali-e:  M.  Léo  Djlibes,  100  francs;  M.  J.  Faure,  100  fr.  ; 
Mlle  Adrien  Marie,  50  francs  ;  M.  Léopold  Dauphin,  10  francs. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


Nouvelles  de  Londres.  —  Les  représentations  d'opéra  italien  à  Covent- 
Garden  se  poursuivent  avec  des  résultats  aussi  peu  satisfaisants  pour  les 
amateurs  de  musique  que  pour  la  caisse  du  théâtre.  La  troupe  essentiel- 
lement italienne  réunie  par  M.  Lago  a  été  bien  vite  jugée  insuffisante 
par  le  public  payant,  et  le  répertoire  également  italien,  auquel  on  a  essayé 
de  s'en  tenir,  a  depuis  longtemps  cessé  de  plaire,  même  à  Londres. 
Mmc  Albani  a  fait  sa  rentrée  dans  la  Traviala,  rôle  qui  convient  peu  à  sa 
nature  passive  et  qui  fait  ressortir  davantage  ses  fâcheuses  exagérations 
de  style.  Peu  de  chose  à  dire  des  reprises  de  Norma  et  de  Gioconda.  L'opéra 
de  Bellini  a  paru  vieilli  ;  quant  à  l'ouvrage  très  surfait  de  Ponchielli, 
pastiche  à  la  fois  de  Victor  Hugo  et  de  Verdi,  on  se  demande  en  l'écoutant 
qui  est  le  pire  paroùiste  du  librettiste  ou  du  compositeur.  Ce  soir,  jeudi, 
Orphée,  dont  il  sera  curieux  d'observer  l'effet  sur  le  public  anglais. 
Samedi,  Lohengrin,  avec  Mme  Albani.  et  lundi  rentrée  de  M.  Maurel  dans 
Rigoletto. 

L'action  intentée  contre  M.  Lago  par  la  maison  Chappell,  propriétaire 
des  droits  de  Faust  pour  l'Angleterre,  a  été  abandonnée.  M.  Lago  a  invo- 
qué l'article  6  de  la  convention  de  Berne  qui  autorise  tout  directeur 
ayant  produit  un  ouvrage  avant  le  mois  de  novembre  18S7,  à  en  conti- 
nuer les  représentations  (?) 

Par  suite  d'un  changement  prochain  de  direction  au  Prince  of  WaJ.es 
Théâtre,  on  renonce  pour  lemoment  ày  monter  la  Basoche.  C'est  un  opéra- 
comique  inédit  de  M.  Goring  Thomas,  auteur  d'Esmeralda,  et  intitulé 
le  Tissu  d'Or,  qui  remplacera  le  CapitaineThérèse  vers  la  fîndel'année.  A.G.N. 

—  Quelques  journaux  de  Londres  ont  pris  la  singulière  initiative  d'une 
«  Ligue  contre  le  tapage,  »  dans  le  sein  de  laquelle  ils  appellent  tous  les 
gens  lassés  par  les  bruits  discordants  dont  retentissent  les  rues  de  la  ca- 
pitale, tels  que  fanfares  de  l'armée  du  salut,  cloches  fêlées,  orgues  de 
Barbarie,  etc.  La  presse  religieuse  appuie  vigoureusement  le  mouvement 
et  va  jusqu'à  réclamer  la  «  suppression  des  chiens  qui  hurlent  la  nuit, 
des  pianos  sur  lesquels  on  pratique  du  matin  au  soir  l'exercice  des  cinq 
doigts,  des  chansons  d'ivrognes  et  des  balayeurs  des  rues  qui  beuglent 
comme  des  taureaux  (sic)   ».   Une  pétition  monstre  s'organise. 

—  Le  festival  de'  musique  de  Norwich,  qui  vient  d'avoir  lieu,  n'offrait 
pas  de  particularité  intéressante  en  dehors  de  la  cantate  du  Dr  Parry, 
l'Allégro  ed  il  penseroso,  qui  a  remporté  un  succès  décisif.  Le  compositeur  a 


traité  le  beau  poème  de  Milton  avec  infiniment  de  tact,  de  goût  et  de  dis- 
crétion, tout  en  employant  les  ressources  complètes  de  l'orchestre  mo- 
derne. On  s'accorde  à  reconnaître  que  les  qualités  dominantes  de  la  par- 
tition du  Dr  Parry  sont  le  charme  et  la  grâce.  Mlle  Macintyre  et  M.  A. 
Marsh  se  sont  fait  remarquer  dans  les  soli.  Les  résultats  pécuniaires  du 
festival  ont  été  peu  satisfaisants,  comparativement  à  ceux  de  la  dernière 
réunion. 

—  Le  commerce  de  pianos  à  Londres  a,  parait-il,  accueilli  avec  des 
railleries  les  propositions  du  ministère  de  l'instruction  publique  (Scbool 
board)  au  sujet  de  la  fourniture  des  pianos  aux  écoles,  conformément  au 
récent  décret  dont  nous  avons  parlé.  Aucun  des  grands  facteurs  n'a  jugé 
ces  propositions  acceptables  et  le  gouvernement  a  dû  se  rabattre  sur  des 
maisons  de  catégorie  inférieure,  qui  ont  consenti  à  livrer  le  modèle  officiel 
à  des  prix  variant  de  450  à  625  francs  ! 

—  Nouvelles  théâtrales  de  Berlin.  —  Une  nouvelle  mesure  administra- 
tive vient  d'être  prise  à  l'Opéra  royal.  Dorénavant,  les  chefs  d'orchestre 
ne  seront  plus  consultés  au  sujet  du  programme  de  la  semaine,  comme 
cela  s'est  toujours  fait  jusqu'à  ce  jour;  l'intendant  général  de  Hochberg 
entend  se  réserver  exclusivement  le  choix  du  répertoire.  —  Une  reprise 
à'Obêfon,  excellente  sous  le  rapport  de  l'interprétation  et  de  la  mise  en 
scène,  vient  d'avoir  lieu  sur  le  même  théâtre.  On  s'était  servi  pour  la 
première  fois  des  nouveaux  récitatifs  composés  par  M.  Wùllner,  et  dont 
on  n'a  pas  paru  enchanté.  —  Mme  Rosa  Sucher  a  quitté  définitivement  la 
scène  municipale  de  Hambourg  et  fait  partie,  depuis  le  1er  novembre,  de 
la  troupe  de  l'Opéra  royal. 

—  Les  lettres  de  Beethoven  en  français  sont  assez  rares.  En  voici  une 
à  qui  sa  forme  et  ses  incorrections  donnent  une  certaine  saveur  de  curio- 
sité et  que  nous  reproduisons  d'après  le  Musical  Standard,  sans  nous  rendre 
d'ailleurs  garants  de  son  authenticité  : 

Mon  très  Cher  Ami  Broadwood, 
Jamais  je  n'éprouvais   pas  un  plus  grand  Plaisir  de  ce  que  me  causa  votre 
Annonce  de  l'arrivée  de   Cette  Piano,  avec  qui  vous  m'honores  de  m'en  faire 
présent,  je  regarderai  comme  un  Autel,  ou  je  déposerai  les  plus  belles  offrandes 
de  mon  Esprit  au  divine   Apollon.   Aussitôt  comme  je  recevrai  votre  Excellent 
instrument,  je  vous  enverrai  d'en  abord  les  Fruits  de  l'inspiration  des  premiers 
moments,   que  j'y  passerai,  pour  vous   servir  d'un  souvenir  de  moi  à.  vous  mon 
1res  cher  B,  et  je  ne  souhaits,  ce  que  qu'ils  soient  dignes  de  votre  Instrument. 
Mon  cher  Monsieur  et  ami  recevez  ma  plus  grande  considération, 
de  votre  ami 

et  très  humble  Serviteur, 

Louis  Van  Beethoven. 
Vienne,  le  3™° 

du  mois  Février  1818. 

—  On  organise,  à  Francfort-sur-le-Mein,  une  exposition  internationale 
d'électricité  où  figureront  les  plus  récentes  applications  téléphoniques.  Il 
est  question  d'établir  un  réseau  téléphonique  qui  reliera  cette  exposition  aux 
principaux  théâtres  lyriques  d'Allemagne.  On  installera  aussi  des  auto- 
mates phonographiques,  qui,  mis  en  mouvement  avec  une  pièce  de  mon- 
naie, exécuteront  des  morceaux  variés  sur  différents  instruments. 

—  A  Weimar,  le  jeune  compositeur  Richard  Strauss,  déjà  très  avanta- 
geusement connu,  vient  de  faire  exécuter  avec  succès,  sous  sa  direction, 
un  poème  symphonique  intitulé  Macbeth.  On  connaissait  déjà  de  lui  deux 
œuvres  du  même  genre  :  Don  Juan  et  Mort  et  Transfiguration.  —  D'autre  part, 
à  Magdebourg,  M.  Heinrich  Hoffmann  vient  de  produire,  à  la  Société  cho- 
rale ecclésiastique,  une  grande  composition  nouvelle,  Edith,  légende  pour 
soti,  chœur  et  orchestre,  écrite  sur  un  poème  de  M.  Heinrich  Seitz  et  qui  a 
été  fort  applaudie. 

—  Le  Daily  News  reçoit  de  son  correspondant  de  Saint-Pétersbourg  les 
détails  suivants  concernant  les  prochains  concerts  Patti  :  «  L'ouverture 
du  bureau  de  location  pour  la  série  des  concerts-Patti  était  annoncée 
pour  hier  matin  à  dix  heures,  mais  dès  la  veille  au  soir  les  souscripteurs 
commençaient  à  affluer.  Pendant  toute  une  longue  nuit,  froide  et  pluvieuse, 
ils  se  tenaient  immobiles,  attendant  patiemment  leur  tour  dans  l'espoir 
de  trouver  une  bonne  place  pour  le  concert.  Vers  cinq  heures  du  matin, 
la  foule  était  si  nombreuse  que  le  chef  de  la  police  dut  se  transporter  sur 
les  lieux  avec  une  armée  d'agents  pour  établir  un  service  d'ordre.  Mais  la 
queue  s'allongeait  de  plus  en  plus,  et  la  police  avait  toutes  les  peines  du 
monde  à  maintenir  l'alignement.  Au  lever  du  soleil  il  y  avait  quinze  cents 
personnes  devant  le  bureau.  Vers  midi  tous  les  billets_,étaient  enlevés,  et 
dans  l'espace  de  deux  heures  on  avait  encaissé  62,500  francs.  » 

—  La  direction  du  théâtre  de  la  Monnaie,  de  Bruxelles,  vient  de  re- 
cevoir, pour  être  joué  au  cours  de  cette  saison,  un  ballet  intitulé  Lesbos, 
dont  la  musique  a  été  écrite  par  M.  Léon  Dubois,  second  chef  d'or- 
chestre à  ce  théâtre  et  ancien  premier  prix  de  Romo  de  Belgique,  sur 
un  scénario  de  M.  Tnéodore  Hannon. 

—  A  Bruxelles,  M.  Gevaert  a  l'intention  de  faire  exécuter,  par  son 
excellent  orchestre,  les  neuf  symphonies  de  Beethoven  dans  les  concerts 
que  le  Conservatoire  donnera  cet  hiver.  Il  y  aura  en  tout  cinq  concerts. 
Les  quatre  premiers  auraient  chacun  deux  symphonies  au  programme  ; 
le  cinquième,  donné  en  dehors  de  l'abonnement  et  dont,  par  conséquent, 
l'accès  devient  possible  à  tous  les  dilettantes  non  abonnés,  sera  consacré 
à  la  Symphonie  avec  chœurs.  Le  produit  net  de  cette  dernière  séance 
sera  destiné  à  la  caisse  de  l'Association  des  Artistes  musiciens. 


LE  MENESTREL 


359 


—  Fin  décembre  ou  commencement  de  janvier  passera,  à  la  Scala  d'An- 
vers, une  opérette  inédite  en  trois  actes,  dont  le  titre  n'est  pas  encore  dé- 
signé. La  partition  est  de  M.  Eugène  Brassine,  qui  dirigeait,  il  a  douze 
ou  treize  ans,  le  Cercle  Bizet,  à  Bruxelles,  et  qui  préside  aujourd'hui 
l'Association  des  Artistes  musiciens  d'Anvers.  M.  Brassine  n'en  est  pas  à  sa 
première  œuvre,  il  a  écrit  déjà  un  nombre  considérable  de  pièces  et, 
tout  récemment  encore,  une  suite  d'orcbestre  en  trois  parties,  exécutée 
avec  grand  succès  par  les  Artistes  musiciens  d'Anvers. 

—  Petites  nouvelles  d'Italie.  —  Le  Secolo  nous  apprend  que  la  Caualleria 
rusticana,  poursuivant  le  cours  de  ses  triomphes,  a  réalisé  au  Costanzi  de 
Rome,  en  cinq  représentations,  une  recette  totale  de  34,000  francs.  Au 
théâtre  Quirino,  de  la  même  ville,  très  gtand  succès  pour  un  nouveau 
ballet  à  grand  spectacle,  Lola,  o  In  allô  mare,  du  chorégraphe  Razzetto, 
avec  musique  de  M.  Galleani.  Toujours  à  Rome,  mais  au  théâtre  Manzoni, 
apparition  d'une  nouvelle  opérette,  Alburnmastara,  dont  on  ne  nous  fait  pas 
connaître  les  auteurs.  —  Au  théâtre  Balbo,  de  Turin,  autre  opérette,  l'Am- 
basciatore,  dont  les  trois  actes  ont  été  mis  en  musique  par  un  compositeur 
amateur,  M.  Luigi  Mantegna.  —  Les  Italiens  veulent  toujours  faire  grand... 
à  peu  de  frais.  On  vient  d'inaugurer  à  Rome,  dans  le  quartier  de  l'Es- 
quilino,  un  nouveau  petit  théâtre  de  marionnettes  auquel  on  a  donné  le 
nom  de  théâtre  Torquato  Tasso.  Que  diable  le  poète  immorM  de  la  Gcru- 
salemme  liberata  a-t  il  à  faire  avec  Meneghino  et  Giangiurgolo?  —  Une 
artiste  italienne,  la  signora  Annie  "Vivante,  annonce  la  prochaine  publi- 
cation d'un  roman  intitulé  Marion,  artista  da  Ca/fè-concerto.  Ce  sera  sans  doute, 
comme  on  dit  aujourd'hui,  «  une  œuvre  vécue,  »  car  on  assure  que,  pour 
l'écrire,  l'artiste  romancière  n'a  pas  hésité  à  s'engager  dans  un  des  établis- 
sements qu'elle  décrit,  et  qu'elle  a  chanté  pendant  quelque  temps  au 
Café  Zolesi,  de  Gênes. 

—  L'opéra  de  M.  Cottrau,  Griselda,  dont  nous  avons  annoncé  la  récente 
apparition,  a  été  représenté  douze  fois  au  théâtre  Niccolini  de  Florence. 
«  C'est,  dit  l'Italie,  la  preuve  la  plus  splendide  du  succès  ;  seuls,  les  spec- 
tacles qui  obtiennent  la  faveur  générale  dépassent  en  Italie  le  nombre  de 
quatre  ou  cinq  représentations.  A  la  dernière  de  Griselda,  de  grandes  ova- 
tions ont  été  faites  à  M.  Cottrau  et  à  MUe  Boronat,  qui  a  tant  contribué  par 
son  talent  au  succès  de  cet  opéra.  •> 

—  La  petite  campagne  d'œuvres  bouffes  rossiniennes  qui  vient  de  se 
produire  avec  tant  de  succès  à  Rome  va  se  poursuivre  au  théâtre  Alfleri 
de  Turin,  où  les  mêmes  artistes  vont  faire  entendre  prochainement  Cene- 
renlola,  l'Italiana  in  Algeri,  etc.  D'autre  part  on  annonce,  au  Costanzi  de 
Rome,  la  réapparition  imminente  de  YOtdlo  du  vieux  maitre,  avec  le  ténor 
Stagno  et  la  Beilincioni  dans  les  deux  principaux  rôles.  A  ce  même  Cos- 
tanzi on  a  dû  donner,  ces  jours  derniers,  un  spectacle  composé  des  inter- 
mèdes de  l'Arlésienne  et  de  la  première  représentation  en  Italie  du  petit 
opéra  de  Georges  Bizet,  Djamileh. 

—  A  Alexandrie  (Piémont),  première  représentation  d'un  opéra  nou- 
veau, Fiamma,  du  maestro  Ravera.  Succès  relatif,  huit  rappels  seulement 
au  compositeur,  ce  qui  semble  un  peu  maigre.  Interprètes:  Mmcs  Amalia 
Nicelli  et  Elena  Bans,  le  ténor  D'Enricf  (peu  satisfaisant),  le  baryton 
Alberti  et  la  basse  Travaglini. 

—  Les  journaux  italiens  annoncent  que  le  compositeur  Zesevich,  qui 
déjà,  il  y  a  une  quinzaine  d'années,  s'était  une  première  fois  fixé  à  Milan 
comme  professeur  de  chant,  et  de  là  était  allé  s'établir  à  Trieste,  revient 
définitivement  à  Milan,  où  il  rouvre  une  école  de  chant.  M.  André 
Zes-îvich,  qui,  croyons-nous,  est  Triestin,  a  fait  naguère  d'excellentes 
études  au  Conservatoire  de  Vienne,  et  a  fait  représenter,  principalement  à 
Trieste,  plusieurs  opéras  italiens  qui  lui  ont  valu  une  notoriété  légitime  : 
le  False  Apparenze ,  Fra^cesca  da  Rimini,  Orio  Soranzo,  il  Mutrimonio  d'un 
ma,  etc.  Il  s'est  fait  connaître  aussi  comme  chanteur,  à  l'aide  d'une  su- 
perbe voix  de  basse  dont  il  se  sert  avec  beaucoup  d'habileté. 

—  Le  28  octobre,  au  théâtre  royal  de  Madrid,  première  et  triomphale 
représentation  d'Hamlet,  de  M.  Ambroise  Thomas.  Succès  éclatant  pour 
M.  Battistini  et  pour  Mmc  Marcella  Sembrich  dans  les  rôles  d'Hamlet  et 
d'Ophélie,  où  ils  ont  été  l'objet  d'applaudissements,  d'ovations  et  de  rappels 
sans  fin.  M"0  Slahl  jouait  la  reine  et  M.  Borucchia  le  roi.  Orchestre  su- 
perbe sous  la  direction  de  M.  Luigi  Mancinelli.  Mise  en  scène  splendide. 

—  M-  Luigi  Mancinelli,  chef  d'orchestre  au  théâtre  royal  de  Madrid, 
vient  d'être  élu,  à  l'unanimité,  directeur  de  la  Société  des  concerts  de  cette 
ville. 

—  Le  journal  le  Globe,  de  Madrid,  consacre  un  bel  article  des  plus  élo- 
gieux  au  célèbre  kapellmeister  Philippe  Fahrbach  :  «  Le  séjour  de  M.  Fahr- 
bach  à  Madrid  a  été  un  véritable  régal  artistique  pour  tous  les  amateurs 
de  musique.  Bien  des  compositeurs  de  musique  légère  seront  tombés  dans 
l'oubli,  que  le  nom  de  Philippe  Fahrbach  restera  encore  comme  celui 
d'un  auteur  de  compositions  non  seulement  originales  et  charmantes,  mais 
encore,  nous  n'hésitons  pas  à  le  dire,  réellement  classiques  en  leur  genre. 
Il  suffit,  pour  s'en  convaincre,  d'entendre  n'importe  laquelle  de  ses  œuvres 
si  nombreuses.  On  y  trouvera,  à  côté  des  ravissantes  mélodies  qui  donnent 
le  mouvement  à  ses  valses,  marches  ou  mazurkas,  une  profonde  connais- 
sance de  la  science  musicale,  de  l'harmonie,  de  l'orchestration,  et  une 
absolue  maestria  de  chaque  instrument  et  de  tous  les  éléments  orchestraux 


qui,  sous  sa  baguette,  vibrent  et  se  fondent  en  un  tout  admirable.  Ses 
introductions  sont  vraiment  des  œuvres  de  maître;  ses  codas  originales  e 
inédites;  on  peut  dire  que  chacune  de  ses  œuvres  forme  un  délicieux 
poème  musical,  et  il  a  cette  intéressante  particularité  que  parmi  ses  (roi* 
cents  poèmes,  il  n'y  en  a  pas  deux  qui  se  ressemblent!  Aussi  le  succès 
obtenu  ici  par  M.  Fahrbach  a-t-il  été  immense,  et  la  direction  des  Jardins 
du  Buen  Retiro  peut  se  féliciter  d'avoir  donné  au  public  des  fêtes  musi- 
cales que  Madrid  n'oubliera  jamais  et  que  nous  espérons  bien  retrouver 
l'année  prochaine  ». 

—  A  Lisbonne,  l'Académie  royale  des  amateurs  de  musique,  qui  vient 
de  reprendre  ses  études  en  vue  de  la  saison  d'hiver,  se  propose  de  faire 
entendre  à  ses  habitués,  au  cours  de  la  saison,  l'admirable  Symphonie 
avec  chœurs,  de  Beethoven,  qui  n'a  jamais  été  exécutée  à  Lisbonne. 

—  Les  Australiens  veulent  faire  parler  d'eux.  A  Brisbane  on  vient  de 
faire  traduire  et  chanter  en  volapuk  (!)  le  Prophète,  de  Meyerbeer,  et  cela 
avec  un  tel  succès  que  le  théâtre  n'a  pas  désempli  pendant  dix  soirées. 
Encouragée  par  le  résultat,  la  direction  prépare  une  prochaine  apparition 
de  la  Traviala,  toujours  en  volapuk.  Quel  charme  cette  langue  doit  prêter 
à  l'exécution  musicale,  surtout  quand  personne  ne  la  comprend  !... 

—  Le  journal  Ihe  Herald,  de  New- York,  ouvre  un  concours,  avec  un  prix 
de  cent  dollars,  pour  la  composition  d'une  valse  originale,  écrite  par  un 
artiste  résidant  aux  États-Unis.  L'œuvre  qui  remportera  le  prix  'sera  pu- 
bliée dans  un  numéro  du  Herald  dont  la  date  est  dès  aujourd'hui  indiquée. 

—  On  vient  d'inaugurer  coup  sur  coup  deux  grands  théâtres  d'opéra  aux 
États-Unis.  Le  28  septembre,  à  Fresno,  une  salle  très  élégante  et  très 
confortable,  pouvant  contenir  1,550  spectateurs,  et  qui  a  coûté  200,000  dol- 
lards,  soit  un  million.  Et  à  Pueblo,  dans  le  Colorado,  le  9  octobre,  un 
théâtre  très  vaste  et  richement  décoré,  dont  les  frais  de  construction  ont 
atteint  juste  le  double,  soit  400,000  dollars. 

PARIS   ET    DÉPARTEMENTS 

Dans  sa  dernière  séance,  l'Académie  des  beaux-arts  a  procédé  à  la 
distribution  des  prix  dont  elle  est  la  dispensatrice.  Le  prix  Trémont  a 
été  partagé  par  elle  entre  deux  peintres  et  un  musicien,  lequel  est 
M.  Ferdinand  Poise.  Cela  parait  un  peu  mince  pour  l'auteur  d'œuvres  si 
exquises,  pour  le  compositeur  si  fin  et  si  élégant  à  qui  l'on  doit  Bonsoir 
voisin,  les  Charmeurs,  la  Surprise  de  l'amour,  les  Deux  Billets,  Joli  Gilles,  l'Amour 
médecin,  et  cette  charmante  Carmosine,  qui  finira  peut-être  par  voir  le  jour, 
quand  il  se  trouvera  à  l'Opéra-Comique  un  directeur  assez  avisé  pour  en 
parer  son  théâtre.  Le  prix  Chartier,  destiné  à  l'encouragement  de  la 
musique  de  chambre,  a  été  attribué  à  Mme  la  comtesse  de  Grandval.  Enfin, 
le  prix  biennal  fondé  par  Monbinne  en  faveur  de  l'opéra-comique,  a  été 
décerné  à  M.  Benjamin  Godard  pour  sa  partition  de  Jocelijn. 

—  Cette  semaine,  à  l'Opéra-Comique,  très  bonne  reprise  de  Dimilri  avec 
le  ténor  Gibert  succédant  à  M.  Dupuy.  Il  est  bien  l'homme  du  rôle  et  a 
su  en  mettre  en  valeur  les  passages  énergiques  aussi  bien  que  ceux  de 
tendresse.  On  lui  a  fait  un  succès  très  mérité, ainsi  qu'à  M"'"  Deschamps, 
qui  reprenait  possession  du  rôle  de  Marpha,  à  la  gracieuse  Mma  Landouzy, 
et  à  MM.  Soulacroix  et  Fournets,  tous  les  deux  en  fort  bonne  condition. 

Nouvelles  du  Conservatoire.   —  M.  Jules  Garcin,  chef  d'orchestre  de 

la  Société  des  Concerts,  est  nommé  professeur  de  violon  au  Conservatoire, 
en  remplacement  de  M.  Massart,  admis,  sur  sa  demande,  à  faire  valoir 
ses  droits  à  la  retraite.  M.  Desjardins,  ancien  premier  prix  de  violon,  élève 
de  M.  Massart,  est  nommé  professeur  agrégé  d"une  classe  préparatoire 
de  violon. 

—  Notre  collaborateur  Arthur  Pougin  est  appelé  à  faire,  dans  le  cou- 
rant de  cet  hiver,  une  série  de  conférences  musicales  au  Théâtre  d'appli- 
cation. Parallèlement  à  M.  Camille  Bellaigue,  qui  tracera  à  grands  traits 
l'histoire  de  notre  opéra-comique,  il  rappellera  les  grandes  phases  histo- 
riques de  l'opéra  français  à  partir  de  Lully  (1671) ,  en  passant  par  la  bril- 
lante période  de  Rameau,  pour  aboutir  à  la  grande  évolution  opérée  par 
Gluck  et  à  l'étude  si  curieuse  de  la  guerre  des  gluckistes  et  des  piccin- 
nistes.  C'est  l'histoire  d'un  siècle  de  musique  sérieuse  qui  sera  ainsi  ra- 
contée aux  auditeurs  attentifs  du  Théâtre  d'application,  avec  exécution  de 
pages  intéressantes  choisies  dans  le  répertoire  des  maîtres  les  plus  illus- 
tres de  la  scène  lyrique  française  à  cette  époque. 

—  Jeudi  dernier,  à  deux  heures,  chez  le  comte  de  Chambrun,  matinée 
musicale  qui  ouvrait  la  série  de  ses  beaux  concerts  classiques.  M,  le 
comte  de  Chambrun,  on  le  sait,  habite  l'ancien  hôtel  de  Mlle  de  Condé.  Les 
auditions  de  musique  sacrée  ont  lieu  dans  une  chapelle  de  construction 
gothique,  réduction  de  la  Sainte-Chapelle.  Le  comte  de  Chambrun  a  fait 
rechercher  à  grands  frais  des  parties  inédites  de  la  musique  de  Bach,  qui 
ont  été  interprétées  par  des  artistes  de  la  plus  haute  valeur.  La  traduction 
française  en  avait  été  faite  par  M.  Victor  Wilder.  L'orchestre  était  dirigé 
par  M.  Colonne,  M.  Guilmant  tenait  l'orgue,  et  on  a  entendu  chanter 
Mmc  Krauss,  MM.  Vergnet  et  Auguez,  qui  ont  obtenu  le  plus  grand 
succès. 

—  L'orchestre  Lamoureux  a  reçu  un  tel  accueil  dans  sa  tournée  belge  et 
hollandaise  qu'il  compte  recommencer  bientôt.  Voici  quel  serait  l'itiné- 


360 


LE  MÉNESTREL 


raire  de  cette  tournée  nouvelle,  dont  la  date  n'est  pas  encore  arrêtée  : 
Amiens,  Reims,  Liège,  Bruxelles,  Gand,  Anvers,  Amsterdam  (trois  con- 
certs), Rotterdam  (deux  concerts),  Harlem,  pourfinir  par  cinquante  concerts 
en  Angleterre,  dont  seize  à  Londres. 

—  Les  journaux  italiens  nous  apprennent  que  le  grand  violoniste  Sivori, 
qui  depuis  bien  longtemps  n'a  guère  quitté  la  France,  se  propose  d'aller 
faire  prochainement  une  grande  tournée  artistique  en  Italie  et  de  se  faire 
applaudir  par  ses  compatriotes.  Il  8e  ferait  entendre  en  Lombardie,  en 
Vénétie  et  jusqu'à  Trieste.  A  ce  propos,  il  nous  semble  curieux  de  repro- 
duire les  éloges  qu'un  journal  français  adressait  à  Sivori  il  y  a  soixante- 
deux  ans,  c'est-à-dire  en  1828,  alors  qu'il  commençait  sa  carrière.  Voici 
ce  qu'on  trouve  dans  le  Journal  des  Arts  du  17  février  1828  :  «  Le  concert 
donné  par  le  très  jeune  virtuose  Gamillo  Sivori  dans  la  salle  de  l'École 
royale  (le  Conservatoire),  le  10  de  ce  mois,  a  eu  le  plus  grand  succès. 
Il  offrait  plus  d'un  charme  capable  d'attirer  les  amateurs;  non  seulement 
on  y  devait  juger  ce  talent  précoce  que  nos  voisins  d'outre-mer  avaient 
déjà  admiré,  mais  aussi    on    devait    entendre    plusieurs   artistes    italiens 

nouvellement  arrivés  dans  la  capitale Mais,  ce  qui  a  ravi  l'assemblée, 

c'est  l'admirable  talent  du  jeune  Sivori.  L'exagération  est  tellement  à  la 
mode  que  nous  n'osons  dire  l'impression  qu'il  a  produite;  ceux  qui  ne 
l'ont  pas  entendu  ne  nous  croiraient  pas.  Il  serait  facile  de  comparer  son 
jeu  à  celui  de  Baillot,  de  Lafont,  de  Bériot,  mais  cela  ne  conduit  à  rien. 
Ce  qui  est  très  positif,  c'est  que,  pour  la  qualité  de  son  et  l'habileté  de 
l'exécution,  cet  enfant  de  dix  ans  a  tout  le  talent  qu'un  artiste  consommé 
peut  ambitionner,  et  que,  pour  l'expression,  chose  bien  plus  étonnante, 
il  la  possède  à  un  degré  que  la  plupart  des  musiciens  ambitionneront 
toujours  en  vain.  »  Et  dans  son  numéro  du  6  avril  suivant,  le  même 
journal  s'exprimait  ainsi  :  «  Le  concert  donné  récemment,  dans  la  salle 
de  la  rue  Chantereine,  par  le  jeune  Camillo  Sivori,  a  été  des  plus  inté- 
ressants. On  a  remarqué  de  nouveau  combien  son  jeu  est  pur,  son 
expression  bien  nuancée,  ses  traits  hardis  et  faciles.  Sa  taille  est  si  petite 
et  ses  doigts  si  courts,  que  son  trois  quarts  de  violon  excéderait  encore 
sa  proportion  et  ne  lui  permettrait  pas  de  démancher,  s'il  ne  le  faisait 
passer  derrière  la  joue  gauche  au  lieu  de  le  tenir  sur  l'épaule  (!).  En  se 
réunissant  au  jeune  Liszt  pour  exécuter  un  duo  de  Mayseder  pour  piano 
et  violon,  le  jeune  virtuose  a  trouvé  le  moyen  d'exciter  des  transports 
unanimes.  Le  petit  Liszt  est  maintenant  bien  grand;  c'est  pourtant  encore 
un  enfant;  et  c'est  un  spectacle  peu  commun  de  voir  réunir  et  transporter 
d'enthousiasme  deux  ou  trois  cents  personnes  qui  se  connaissent  en 
talents.  »  Ce  qui  n'est  pas  plus  commun,  c'est  de  voir  un  artiste  comme 
Sivori,  âgé  de  soixante-douze  ans,  ayant  conservé  tout  son  talent  et  toute 
son  énergie  après  une  longue  et  brillante  carrière  de   soixante-deuz  années. 

—  Concerts  du  Châtelet.  —  Une  excellente  exécution  de  la  symphonie 
en  ut  mineur  a  montré  combien  était  grande,  chez  Beethoven,  cette  sûreté 
de  main  qui  lui  permettait  de  multiplier  les  effets  d'harmonie  et  de  rythme 
sans  engendrer  jamais  ni  obscurité  ni  confusion.  —  Le  ballet  d'Ascanio 
renferme  des  morceaux  d'une  grâce  exquise  mêlés  à  d'autres  dans  lesquels 
a  pris  le  dessus  l'exubérante  fantaisie  du  maître.  Dans  ces  derniers,  la 
phrase  mélodique  semble  constamment  battue  en  brèche  par  quelques 
instruments  à  percussion  aux  sonorités  peu  musicales.  Une  perle  de  la 
plus  pure  limpidité,  c'est  l'andantino  qui  correspond  à  l'apparition  des 
muses.  La  variatioh  pour  flûte  a  été  très  bien  enlevée  par  M.  Cantié,  Le 
finale,  en  mouvement  de  valse,  emprunte  une  forme  originale  aux  accents 
qui  sont  jetés  tantôt  sur  les  temps  forts,  tantôt  sur  les  temps  faibles.  — 
Le  poème  symphonique  :  Irlande,  de  M™  Augusta  Holmes,  a  obtenu  un 
véritable  succès;  c'est  une  œuvre  largement  conçue  et  dans  laquelle  ne 
manquent  ni  les  idées  mélodiques  ni  l'intensité  du  coloris.  L'œuvre  a 
évidemment  une  tendance  descriptive  que  l'on  saisit  même  en  l'absence 
d'un  programme  explicatif  et,  en  ce  sens,  on  peut  dire  que  cette  musique 
est  un  langage  dont  l'effet  sera  d'autant  plus  certain  qu'il  s'affranchira 
davantage  de  toute  violence  non  préparée,  de  toute  boursouflure,  de  toute 
incohérence.  —  L'entr'acte  de  la  Basoche,  de  M.  André  Messager,  est  assez 
finement  écrit  et  a  été  bien  accueilli.  L'auteur  a  débuté  dans  la  musique 
instrumentale  par  une  symphonie  qui,  après  avoir  été  couronnée  dans  un 
concours,  fut  jouée  aux  concerts  Colonne  en  1877.  La  Société  nationale  a 
exécuté  de  lui  un  poème  symphonique  :  Lorelei.  —  La  sicilienne  de  Béa- 
trice et  Bénédict  est  une  jolie  petite  pièce  sans  grande  importance,  mais 
d'une  charmante  sonorité.  La  Chevauchée  des  Walkyries  et  les  fragments 
célèbres  du  Songe  d'une  nuit  d'été  complétaient  le  programme. 

Amédée  Boutarel. 
—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Châtelet,  concert  Colonne,  donné  au  prurit  de  la  souscription  du  monument  de 
G.  Bizet:  Patrie!  (G.  Bizet)  ;  Borna  (G.  Bizet):  Jeux  d'enfanls(G.  Bizet);  la  Jolie 
Fille  de  Penh  (G.  Bizet)  ;  A  la  mémoire  de  Georges  Bizet,  poésie  de  M.  Louis  Gallet,  dite 
par  M""  Renée  Du  Minil,  delà  Comédie-Française;  fragments  de  Carmen  (G.  Bizel); 
airs  des  Pêcheurs  de  perles  (G.  Bizet),  chantés  par  MM.  Auguez  et  Warmbrodt; 
l'Artésienne  (G.  Bizet). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  premier  concert  Lamoureux  :  ouverture  de  Bcnve- 
nulo  Cellini  (Berlioz);  Waltenstein  (V.  d'Indy);  concerto  en  fa  mineur  pour  piano 
(E.  Lalo),  exécuté  par  M.  Louis  Diémer;  ouverture  de  Gwendoline  (Emm.  Cha- 
brier);  Ballade  (Chevillard);  Hyménéed'£sctarm<mde(Massenet);  Cortège  de  Bacchus 
de  Sylvia  (Léo  Délibes). 


—  Mue  Clotilde  Kleeberg,  après  ses  derniers  grands  succès  en  Angle- 
terre, a  été,  pour  la  troisième  fois  rappelée  en  Allemagne,  où  toutes  les 
villes,  grandes  et  petites,  vont  avoir  à  l'applaudir  à  nouveau  ;  chacune 
de  ses  apparitions  est  en  même  temps  un  succès  pour  elle  et  pour  l'école 
française,  dont  tous  les  maîtres  figurent  sur  ses  programmes.  Relevons, 
parmi  les  morceaux  qui  lui  sont  partout  redemandés  :  le  Retour,  de  Bizet; 
la  Chaconne.de  Th.  Dubois;  les  Ailés,  de  Benjamin  Godard,  la  belle  étude 
artistique  qui  lui  est  dédiée. 

—  Mardi  dernier,  brillante  reprise  au  Grand  Véfour  des  soirées  musi  - 
cales  mensuelles  de  l'Association  amicale  des  Enfants  du  Nord  et  du  Pas-de- 
Calais.  Grand  succès  pour  Gustave  Nadaud.  Puis,  on  a  fort  applaudi 
Mllc  Maria  Genoud  et  M.  Gogny,  qui  a  délicieusement  chanté  la  romance  de 
Mignon.  M.  Thery  a  produit  grand  effet  de  son  côté  avec  Mystère,  mélodie 
nouvelle  de  Faure. 

—  Les  Mathurins  continuent  avec  un  succès  persistant  la  série  de  leurs 
réunions  artistiques.  A  celle  du  24  octobre,  nous  avons  applaudi  le  jeune 
baryton  Jean  Périer  dans  une  ravissante  mélodie  de  son  père,  Emile 
Périer,  le  spirituel  chansonnier  Jules  Oudot,  MM.  Maurice  Davanne, 
Alexis  Noël,  Jules  Berny  et  Pollux,  membres  du  Cercle.  Le  clou  de  la 
soirée  a  été  la  représentation  d'une  ancienne  folie-vaudeville,  extraite 
d'une  pièce  jouée  aux  Folies-Dramatiques  pendant  l'exposition  de  185S, 
et  intitulée  les  Influences  de  la  fatalité  sur  une  famille  divisée  par  le  malheur; 
jjne  Francine  d'Yeu,  dans  l'unique  rôle  féminin,  a  fait  preuve  de  qualités 
très  sérieuses. 

—  L'organiste  Mac-Master  a  donné  lundi  un  fort  intéressant  concert- 
audition  à  l'Institut  Rudy,  produisant  plusieurs  de  ses  compositions  qui 
ont  été  très  goûtées.  Le  jeune  ténor  Edmont  Clément,  de  l'Opéra-Comique, 
et  M.  Georges  Clément  ont  uni  leurs  voix  dans  le  duo  du  Crucifix,  de 
Faure,  qui  leur  a  été  bissé.  Mmc  Cécile  Bernier  a  dit  d'une  façon 
exquise  la  Garonne,  de  Nadaud,  et  Mme  Mac  Master  tenait  avec  une  réelle 
autorité  le  piano  d'accompagnement. 

—  L'École  de  musique  de  M.  Thurner  donnera  sa  séance  annuelle 
le  jeudi  6  novembre  courant,  salle  Kriegelstein,  rue  Charras,  sous  la 
présidence  de  notre  vénéré  et  toujours  vaillant  maître  MarmonteL 
Mmes  Boidin-Puisais,  Ludwig,  de  la  Comédie-Française,  MM.  Mazalbert 
et  de  Féraudy  figurent  sur  le  programme. 

—  La  librairie  Fischbacher  (Paris,  33,  rue  de  Seine)  met  en  vente  une 
Notice  sur  Ascanio,  où  l'auteur,  M.  Charles  Malherbe,  analyse  avec  soin 
l'opéra  de  M.  C.  Saint-Saèns.  Outre  les  commentaires  critiques  et  l'étude 
du  système  adopté  par  le  compositeur,  on  trouvera  dans  ce  volume,  élé- 
gamment édité,  de  nombreuses  citations  musicales,  et  notamment  une 
curieuse  table  des  motifs  (conducteurs  ou  rappelés)  dont  on  ne  saurait 
méconnaître  l'intérêt  pratique.  Grâce  à  son  exactitude,  cette  notice  devient 
une  sorte  de  guide  musical,  aussi  utile  pour  la  lecture  de  la  partition  au 
piano  que  pour  l'audition  de  l'œuvre  au  théâtre. 

—  MUe  Wetterwald,  une  jeune  chanteuse  alsacienne  de  talent,  qui  avait 
suivi  à  Paris  les  cours  de  M.  Bax  et  ceux  de  M.  Giraudet  au  Conserva- 
toire, où  elle  faisait  également,  partie  de  la  Société  des  concerts,  vient 
d'être  appelée  à  Athènes  pour  y  professer  le  chant.  Nul  doute  que  les 
bonnes  leçons  puisées  au  Conservatoire  par  la  jeune  maîtresse  de  chant 
ne  produisent  d'excellents  élèves  à  Athènes. 

—  On  nous  signale  un  concert  très  brillant  donné  à  Clermont  (Oise) 
par  la  Société  chorale  municipale,  avec  le  concours  d'artistes  de  talent  en 
tête  desquels  il  faut  citer  Mlle  Burt,  de  l'Opéra,  M.  Fontbonne,  l'excellent 
flûtiste  de  la  garde  républicaine,  Mm0  J.  Thénard,  de  la  Comédie-Fran- 
çaise, et  Mmc  Jeanne  Duc,  qui  a  finement  détaillé  les  spirituelles  chan- 
sonnettes de  Mmc  Perronnet  :  J'aurai  compris  et  les  Souvenirs  de  Grand'Mère. 
La  partie  comique  était  confiée  à  M.  Dassy,  auquel  le  public  a  rede- 
mandé le  Pendu,  de  Mac-Nab,  et  Dans  le  Hangleterre,  de  Mmo  Perronnet. 

—  Cours  et  Leçons.  Les  cours  de  piano  de  Mm"  Dignat  sont  rouverts,  16,  rue 
d'Auteuil;  réminent  maître  Marmontel  y  passe  des  examens  mensuels,  et  un 
cours  d'accompagnement  est  fait  par  M.  Diaz-Albertini.  —  Dè3  les  premiers  jours 
de  novembre,  M™0  Emile  Ratisbonne  a  repris,  13,  rue  du  Mail,  (maison  Erard), 
ses  cours,  leçons  et  matinées  musicales.  —  M"»  Pauline  Boutin  a  repris  chez 
elle,  24,  rue  Richer,  ses  leçons  de  chant,  ainsi  que  sa  fille,  M""  Lenglé-Boutin, 
ses  leçons  de  violon  et  d'accompagnement. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

—  L'administration  des  Concerts  Lamoureux  demande  des  violons  et 
des  contrebasses.  S'adresser  pour  les  inscriptions,  62,  rue  Saint-Lazare. 

En  vente  au  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne 


MÉTHODE    DE   DANSE 

PAR 

PRIX  NET:  7  FR.  (3J-,     DESRAT  PRIX  NET:  7  FR. 

TEXTE  -  DESSINS    -  MUSIQUE 

Nouvelle  édition  augmentée  des  nouvelles  danses  à  la  mode. 


—    nil-IMMIIllF    , 


,  20, 


3111  —  56™  ANNEE  —  if  W.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES  Dimanche  46  Novembre  1890. 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement, 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Cbant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


1.  Notes  d'un  librettiste:  Louis  Lacombe  (27°  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Semaine 
théâtrale:  premières  représentations  de  l'Égyptienne,  aux  Folies-Dramatiques,  de 
Miss  Helyelt,  aux  Bouffes-Parisiens,  et  de  la  Parisienne,  à  la  Comédie-Française, 
Jaul-Éuile  Chevalier.  —  III.  César  Franck,  Julien  Tiersot.  —  IV.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 
LA    MORT   DU    ROI    RENAUD 
version  de  la  Normandie,  n°  11  des  Mélodies  populaires  de  France,  recueil- 
lies   et   harmonisées    par   Julien  Tiersot.  —  Suivra  immédiatement  :  La 
Mort  du  Mari,  version  normande,  n°  19  de  la  même  collection. 

PIANO 
Nous  publierons   dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano  :  Mazurke  Eolienne,  de  Théodore  Lack.  —  Suivra  immédiatement  : 
'Noël  breton,  de  Henry  Ghys. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


LOUIS    LACOMBE 


Louis  Lacombe  est  mort  à  Saint-Waast-la-Hougue,  le  30  sep- 
tembre 1884. 

Il  avait  acheté  là,  en  1877,  deux  bicoques  en  très  mauvais 
état,  qui,  peu  à  peu,  s'étaient  transformées  et  avaient  fini 
,par  devenir  un  ravissant  nid,  une  maison  à  l'aspect  ancien 
et  rustique,  entourée  d'un  tout  petit  jardin,  où  sous  les 
souffles  tièdes  du  Gulf-stream  les  fuchsias  et  les  rosiers  fleu- 
rissent en  plein  hiver,  tapissant  les  murailles  jusqu'au  pre- 
mier étage.  En  ce  coin  béni,  la  campagne  verte  descend  dou- 
cement vers  la  mer,  égayée  de  pommiers,  animée  par  le 
mouvement  lent  des  animaux  au  pâturage.  Les  environs  de 
Saint-Waast  sont  très  accidentés.  Du  haut  de  la  maison  du 
musicien,  la  vue  s'étendait  sur  des  hauteurs  qu'il  aimait  à 
comparer  à  celles  où  se  cache,  à  Naples,  le  tombeau  de  Virgile. 

L'été  de  cette  année  1884  avait  été  presque  entièrement 
rempli  par  un  gros  souci  et  un  gros  travail.  Il  s'agissait  pour 
Lacombe  d'obtenir  de  Lyon  ce  que  Genève  n'avait  finalement 
pu  lui  donner  :  la  représentation  de  son  Winkelried,  resté,  à 
défaut  de  cette  Révolution  française  qu'il  ne  devait  pas  écrire, 
l'œuvre  qu'il  plaçait  en  première  ligne  dans  sa  propre  estime. 

En  tète  de  cette  belle  partition,  si  nettement  tracée,  avec 
de  si  scrupuleux  détails,  je  lis,  en  effet,  celte  noble  et  ten- 
dre dédicace  : 

«  A  Andrée,  ma  femme  bien-aimée.  : 

»  Winkelried  est  peut-être  la  plus  individuelle  de  mes  œu- 


»  vres.  Je  te  l'offre.  Puisses-tu  l'entendre  un  jour  et,  en 
»  l'écoutant,  sentir  se'  poser  sur  ton  beau  front  un  rayon  de 
»  cette  vraie  gloire  à  laquelle  j'aspirai  toute  ma  vie. 

»  Louis  Lacombe. 
»  1er  janvier  1882.  j> 

Venu  à  Lyon  dès  le  1er  juillet,  il  y  était  reçu  par  de  bons 
amis  qui  devaient  l'assister  dans  ses  nouvelles  épreuves,  et 
il  écrivait  aussitôt  à  sa  femme  une  lettre  où  je  trouve  cette 
scène  d'une  si  jolie  naïveté  d'impression  : 

«  Fournier  compte  sur  moi  pour  dîner.  Mon  refus  lui  eût 
causé  un  véritable  chagrin.  Je  me  suis  donc  hâté  de  me 
laver,  de  mettre  du  linge  blanc  et  de  me  rendre  rue  Jarente. 
Là,  pendant  que  ce  brave  artiste  était  allé  se  procurer  le 
reste  du  repas,  sa  petite  femme,  rondelette,  faisait  cuire 
un  poulet.  Elle  m'entendit  arriver,  quitta  son  poulet  pour 
moi,  me  nomma  et  sur  mon  affirmation  que  j'étais  M.  La- 
combe, me  tendit  ses  joues.  Enfin,  ces  deux  braves  êtres 
m'entourèrent  de  soins,  de  prévenances,  et  me  prouvèrent 
une  fois  de  plus  qu'il  est  dans  ma  destinée  d'être  gâté.   » 

Cela,  c'était  l'agréable  préparation  au  dur  labeur  qui  allait 
suivre. 

Le  compositeur  avait  des  juges,  juges  officiels  d'abord, 
car  la  municipalité  lyonnaise  devait  faire  les  frais  de  l'ou- 
vrage, s'il  était  jugé  digne  d'un  tel  honneur,  juges  artis- 
tiques ensuite,  chargés  de  l'élaboration  de  la  sentence,  et 
qu'il  fallait  tour  à  tour  contenter. 

Louis  Lacombe  eut  à  faire  précéder  la  lecture  de  son 
ouvrage  d'une  conférence,  dont  le  texte  original,  retrouvé 
dans  ses  notes,  contient,  outre  des  indications  très  précises 
sur  l'ordonnance  et  le  caractère  de  la  partition,  la  brève  ana- 
lyse que  voici,  du  drame  qui  l'avait  inspirée. 

Winkelried,  par  un  acte  de  dévouement  qui  doit  in- 
failliblement amener  sa  mort,  arrache  ses  compatriotes  à  la 
domination  autrichienne.  Les  Autrichiens,  vous  vous  en 
souvenez,  avaient  de  longues  lances,  les  Suisses  de  simples 
piques.  Winkelried,  suivi  de  ses  guerriers,  s'approche  des 
rangs  ennemis  ;  doué  d'une  force  extraordinaire,  il  ouvre  les 
bras,  saisit  un  certain  nombre  de  lances  qu'il  rassemble  sur 
sa  poitrine  et  ouvre  ainsi  passage  aux  siens.  Légende  ou  his- 
toire, telle  est  la  version  admise.  Le  duc  d'Autriche  fut 
vaincu,  tué.  Les  soldats  furent  dispersés,  et  les  Suisses  vain- 
queurs redevinrent  libres.  Mais  un  acte  héroïque  ne  consti- 
tue pas  une  pièce.  Lionel  Bonnemère  fit  un  scénario. 

Il  suppose  Winkelried  marié  depuis  huit  jours  à  une  jeune  fille 
appelée   Baëteli.    Une  certaine  comtesse,  Anna  de  Valengin, 


362 


LE  MENESTREL 


dame  de  Willisau,  éprise  de  Winkelried,  voulait  l'épouser. 
En  apprenant  son  mariage,  la  jalousie  s'empare  d'elle.  Cette 
jalousie  arrive  à  un  tel  degré  d'intensité  qu'Anna  prend  la 
résolution  de  perdre  Winkelried  et  sa  compagne.  Enfermée 
avec  les  époux  amants  dans  son  propre  château,  assiégé  par 
les  Autrichiens,  elle  se  décide  à  trahir  son  pays  dans  l'es- 
poir de  voir  mourir  la  femme  qu'elle  abhorre.  Les  Autri- 
chiens ayant  pénétré  dans  la  forteresse  par  un  souterrain 
dont  la  comtesse  leur  ouvre  la  porte  se  jettent  sur  les 
Suisses,  se  rendent  maître  de  la  place  et  célèbrent  leur  pré- 
tendue victoire  par  une  orgie  qui  a  pour  dénouement  l'in- 
cendie du  château.  Au  dernier  acte,  la  comtesse  accuse 
Winkelried  du  crime  commis  par  elle  ;  les  Suisses  ajoutent 
foi  à  cette  accusation  et  considèrent  leur  plus  grand  héros 
comme'  un  traître.  Cependant  Winkelried  les  désabuse,  leur 
confie  sa  femme,  car  il  sait  qu'il  va  mourir,  et  les  entraîne 
au  combat. 

Vous  devinez  le  reste.  La  trahison  de  la  comtesse  se  dé- 
couvre. Winkelried,  justifié,  meurt  victorieux.  On  apporte 
ses  restes  à  l'endroit  où,  plus  tard,  on  érigea  une  chapelle 
en  son  honneur.  Baëteli  se  précipite,  désespérée,  sur  le  corps 
du  martyr.  Quant  à  la  comtesse,  elle  passe,  emmenée  par  des 
soldats.  Elle  voudrait  s'échapper  de  leurs  mains,  apercevoir 
une  dernière  fois  celui  qu'elle  a  aimé.  —  A  mort  !  l'infâme, 
s'écrient  les  Suisses.  —  Va-t-en,  misérable,  dit  Baëteli  indi- 
gnée. Va!  je  te  condamne  à  vivre!  La  comtesse  se  débat 
vainement  et  s'éloigne  enfin.  Alors,  un  vieux  maître  chan- 
teur, dont  je  n'ai  pu  parler  dans  ce  court  exposé,  Hans 
Beding,  avise  un  chêne,  y  cueille  une  branche  et  en  forme 
une  couronne  qu'il  pose  pieusement  sur  la  tête  du  cher 
mort  pendant  que  les  drapeaux  suisses  flottent  sur  son  front 
inanimé,  que  les  tambours  battent  aux  champs  et  que  Baëteli, 
agenouillée,  demeure  comme  ensevelie  dans  sa  douleur. 

La  pièce  se  termine  par  un  chant  et  un  ensemble  en 
l'honneur  dé  Winkelried  et  de  la  Suisse. 

L'audition  de  Winkelried  obtint  auprès  du  jury  lyonnais  un 
succès  que  constate  une  dépêche  du  compositeur,  suivie 
d'une  lettre  en  date  du  8  juillet;  pleine  de  promesses  en  ce 
qui  touche  la  facture  de  l'œuvre,  cette  lettre  est  assez  in- 
quiétante sur  l'état  des  forces  de  Lacombe  : 

«  L'audition  s'est  terminée  hier,  à  six  heures.  L'effet  a  été 
considérable.  Il  y  avait  là,  outre  MM.  Dufour,  Luigini,  Aimé 
Gros,  des  amateurs  et  des  artistes  sérieux.  Tout  le  monde 
était  enlevé  après  le  premier  .acte.  La  chanson  d'Hemmau, 
la  scène  mimée,  le  chœur  de  l'Esplanade,  celui  des  Bour- 
geois et,  en  un  mot,  tous  les  morceaux  ont  produit  sensa- 
tion. Mais,  ma  chère  femme,  je  suis  exténué.  Tous  mes 
habits  étaient  mouillés,  comme  au  sortir  d'une  rivière  ;  je 
n'en  puis  plus » 

Il  revint  en  effet,  de  Lyon,  la  poitrine  très  fatiguée.  Peu 
après,  il  désira  aller  à  Saint-Waast,  comptant  qu'il  y  recou- 
vrerait la  santé. 

Là,  il  se  sentit  bientôt  assez  fort  pour  se  remettre  au  tra- 
vail, sur  un  poème  de  Charles  Nuitter,  qui  figure  dans  ses 
recueils  sous  ce  titre  :  le  Comte  Nann,  opéra-comique  en  trois 
actes,  mais  qu'il  intitulait  de  préférence  la  Reine  des  Eaux. 

Il  s'acharnait  à  sa  lâche,  qu'il  redoutait  de  ne  pouvoir 
achever,  se  sentant  très  fatigué,  très  triste 

Le  soir  du  20  septembre,  il  prit  froid  dans  une  promenade 
au  bord  de  la  mer,  à  Réville  ;  il  revint  à  grand'peine,  et, 
en  quatre  jours,  c'en  fut  fait  de  lui.  Une  congestion  pul- 
monaire l'emporta,  ou  plutôt  peut-être,  a-t-on  dit,  une  crise 
d'angine  de  poitrine. 

Ses  dernières  pensées  n'eurent  point  la  douceur  mêlée 
d'amertume  de  celles  qu'on  prête  à  Berlioz  mourant  : 

—  EnQn,  on  va  jouer  ma  musique  ! 

Elles  furent  telles  que  la  mélancolique  modestie  de  Louis 
Lacombe  les  lui  pouvait  inspirer. 


Très  peu  avant  la  date  fatale,  comme  il  était  accoudé  à  sa 
table  de  travail  devant  sa  dernière  partition,  la  tête  dans 
ses  mains,  en  un  morne  silence,  sa  femme  le  regardant,  in- 
quiète, vit  qu'il  pleurait  : 

—  Qu'as-tu  ? 

Il  resta  un  instant  sans  répondre,  puis,  montrant  son  ma- 
nuscrit, alors  presque  complètement  achevé  : 

—  Je  me  demandais  chez  quel  épicier  ceci  irait  enve- 
lopper de  la  chandelle. 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THÉÂTRALE 


Folies-Dramatiques  :  L'Egyptienne,  opéra-comique  en  3  actes  et  11  tableaux, 
de  MM.  Chivot,  Nuitter  et  Beaumont,  musique  de  M.  Charles  Lecocq. — 
Bouffes-Parisiens  :  Mis»  Eelyett,  opérette  en  3  actes,  de  M.  Maxime 
Boucheron,  musique  de  M.  Edmond  Audran.  —  Comédie-Française  :  La 
Parisienne,  comédie  en  3  actes,  de  M.  Henri  Becque. 

Nous  sommes  en  1798,  à  Toulon.  Le  capitaine  Hector,  qui,  pour 
arracher  le  consentement  à  une  mère  sans  entrailles,  se  fait  sur- 
prendre seul  en  ballon  avec  MUe  Delphine  de  Montalban  et  qui  vient 
de  se  marier  le  matin  même,  reçoit  l'ordre  de  rejoindre  sur-le- 
champ  le  corps  expéditionnaire  désigné  par  le  général  Bonaparte 
pour  partir  en  Egypte.  Bien  que  fort  dépité,  notre  officier  fait  ses 
adieux  à  sa  virginale  épousée  et  s'embarque  en  lui  jurant  constante 
fidélité.  Campé  au  Caire  avec  un  détachement  de  troupes,  Hector 
est  blessé  par  des  révoltés  et  recueilli,  mourant,  par  la  belle  Djémileh, 
fille  du  cheik  Aboul-Abbas,  àme  de  la  conspiration. 

L'Égyptienne,  qui  doit  avoir  quelques  liens  de  parenté  avec  Lakmé, 
dès  que  son  malade  est  rétabli,  l'assaille  d'incandescentes  décla- 
rations, si  bien  que  le  beau  Français  oublierait  tous  ses  devoirs  et 
ses  serments  s'il  n'était  arrêté  à  temps  par  l'arrivée  inopportune 
d'Aboul-Abbas,  qui  crie  à  la  violation  de  domicile  et  fait  enfermer 
son  ennemi  dans  un  cachot.  Pendant  ce  temps,  Delphine,  demeurée 
à  Toulon,  s'étonne,  ainsi  que  la  divine  Cléopàtre  sur  la  terrasse  du 
palais  de  Memphis,  de  ne  plus  recevoir  de  messager  du  bieu-aimé, 
et,  comme  Joséphine  a  appris  à  toutes  ses  sœurs  en  opérette  le 
chemin  de  l'Egypte,  la  voilà  qui  s'habille  de  sa  plus  belle  robe  de 
bal,  monte  en  bateau  et  débarque  à  l'improviste.  Mise  au  courant 
de  la  petite  intrigue  entamée  par  son  volage  époux,  elle  attrape 
d'importance  la  séduisante  indigène.  La  descendante  des  Pharaons, 
douée  d'une  bonne  nature,  s'aperçoit  quelle  zizanie  elle  va  semer 
dans  ce  petit  ménage  qui  ne  demande  qu'à  être  heureux  ;  elle  im- 
mole son  amour,  ne  pensant  qu'au  bonheur  de  celui  qu'elle  a  re- 
marqué, et,  sans  hésiter,  elle  s'introduit  dans  la  citadelle  où  gémit- 
Hector,  le  délivre  et  le  replace  à  la  tête  de  son  régiment,  qui  prend 
superbement  le  fort  d'Aboukir. 

Voilà  l'histoire  dans  ses  grandes  lignes;  c'est  simplement  pour 
aboukir  à  la  victoire  de  ce  nom  qu'elle  nous  a  été  contée  une  fois 
de  plus.  Je  pourrais  ajouter  que  Gassegrain,  le  brosseur  inévitable, 
est  de  la  partie,  bamboche  avec  une  femme  chaudron  plus  naïve 
encore  que  les  calembours  dont  il  émaille  le  dialogue,  que  l'Égyp- 
tienne est  aimée  d'un  vilain  barbu  très  ennuyeux  qui  est  le  chef 
des  insurgés,  et  qu'enfin  Delphine  est  suivie  par  l'indispensable 
amoureux,  complaisant  et  idiot,  et  par  une  fille  de  chambre  qui 
n'est  autre  que  la  propre  femme  de  Gassegrain  et  n'entrera  jamais 
en  scène  sans  saluer  son  légitime  d'un  vigoureux  soufflet.  Mais  ce 
sont  là  hors-d'œuvre  que  nous  sommes  habitués  de  longue  date 
à  voir  servir  et  auxquels  nous  préférons  ne  pas  toucher. 

Je  suis  bien  convaincu  que  MM.  Chivot,  Nuitter  et  Beaumont  ne 
sauraient  me  contredire  quand  j'avance  que  leur  Egyptienne  n'a  été 
faite  absolument  qu'en  vue  du  dernier  tableau.  La  chose  ayant  déjà 
plus  ou  moins  réussi,  était  tentante.  Mais,  cette  fois,  les  trois  libret- 
tistes, vétérans  du  théâtre  qui  comptent  plusieurs  aimables  succès  à 
leur  actif,  se  sont  étrangement  fourvoyés  et,  circonstance  aggravante, 
ils  ont  entraîné  dans  cette  mauvaise  aventure  un  musicien  habitué  le 
plus  souvent  à  réussir.  M.  Charles  Lecocq,  en  effet,  n'a  pas  composé 
là  une  de  ses  meilleures  partitions,  et  sa  musique  parait  peu  faite  pour 
relever  la  pièce  de  ses  collaborateurs.  On  dirait  que  les  coups  de 
fusil  et  les  cauounades  lui  ont  monté  la  tête  à  ce  point  que,  délais- 
sant la  grâce  et  la  légèreté,  il  a  voulu  lutter  de  force  avec  la  poudre 
et  emboucher  des  trompettes,  plus  tounitruanles  encore  que  celles  de 
Jéricho,  pour  chanter  l'équipée  amoureuse  d'un  capitaine  de  chevau- 
légers    pendant   la    campagne    d'Egypte.    Romances,    airs,    duetti, 


LE  MENESTREL 


363 


finales,  tout  cela  sent  désespérément  le  grand  opéra  et,  pour  comble 
de  malheur,  les  rares  couplets  bouffes,  accordés  par  les  librettistes 
au  compositeur,  semblent  se  ressentir  de  l'emphase  prodiguée 
ailleurs  et  manquent  de  la  finesse  qu'on  était  en  droit  d'attendre. 
Je  me  rappelle  un  motif  de  valse  assez  entraînant  servant  de  cadre 
au  rondeau  de  la  bataille  des  Pyramides,  un  duo  trop  dramatique, 
dans  lequel  Mllc  Nesville  a  su  mettre  en  lumière  une  phrase 
bien  venue,  et  la  chanson  circassienne  que  M.  Gobin  à  fait 
bisser  d'acclamation,  tant  il  a  su  y  déployer  d'invention  comique  et 
de  fantaisie  étourdissante;  mais  tout  le  reste  bourdonne  confusé- 
ment et  bruyamment  à  mes  oreilles. 

Je  viens  de  vous  nommer  M.  Gobin-Cassegrain  et  Mlla  Nesville- 
Djemileh.  J'ai  aussi  à  vous  parler  de  Mlle  Pierny-Delphine,  fort 
agréable  à  regarder,  et  dont  la  voix  semble  prendre  quelque  déve- 
loppement; du  baryton  agréable  appelée  prendre  la  succession  de 
M.  Euguet,  M.  Hérault,  qui,  s'il  est  celui  de  la  pièce,  n'a  su  être 
celui  de  la  soirée,  sa  vois  manquant  de  portée  et  son  articulation 
étant  assez  défectueuse;  de  M.  Montaubry,  un  autre  baryton,  sombre 
à  faire  rire  ;  de  M.  Guyon.  qui  a  composé  très  curieusement  la  figure 
du  vieux  cheick;  de  MUe  Aciana,  une  personne  bien  en  point;  de 
Mlle  Vialda,  qui  a  bravement  dissimulé  son  feint,  qui  doit  être  de 
lis  et  de  roses,  sous  une  épaisse  couche  de  safran,  et  de  MUe  Génat, 
la  duègne  bien  connue.  Je  m'en  voudrais  de  ne  point  complimenter 
la  direction  des  Folies-Dramatiques  pour  la  manière  dont  elle  a  monté 
l'Egyptienne;  deux  des  onze  tableaux  sont  particulièrement  réussis  : 
celui  de  l'embarquement  de  l'armée  de  l'Egypte,  d'une  très  adroite 
plantation,  et  celui  de  la  prise  du  fort  d'Aboukir,  réglé  de  façon 
tout  à  fait  supérieure. 

Au  théâtre  des  Bouffes,  le  sujet  à  la  Paul  de  Kock,  inventé  par 
M.  Boucheron,  est  de  nature  plus  scabreuse.  Il  s'agit  d'une  jeune 
miss  américaine  qui,  au  cours  d'une  excursion  dans  les  Pyrénées, 
tombe  d'un  pic  escarpé  et  ne  doit  son  salut  qu'à  un  arbrisseau  au- 
quel elle  se  trouve  accrochée.  D'après  les  lois  de  la  pesanteur,  miss 
Hélyett  Smithson,  emportée  par  la  tète,  tombe  dans  une  position 
critique  peu  conforme  aux  lois  de  la  décence.  Vient  à  passer  un 
peintre  qui  délivre  la  pauvre  enfant  évanouie  et,  par  un  scrupule 
de  gentilhomme  correct,  ne  cherche  même  pas  à  voir  le  visage  de 
celle  dont  il  a  cependant  eu  soin  de  prendre  un  croquis  savoureux 
avant  de  la  replacer  dans  une  posilion  convenable.  La  blonde  et 
pudique  américaine,  élevée  dans  des  préceptes  moraux  et  inlran- 
sigeants  par  M.  Smithson,  grand  faiseur  de  dogmes  saints  et  pasteur 
en  activité  de  service,  la  blonde  et  pudique  américaine  donc,  d'ac-' 
cord  avec  son  rigoriste  père,  jure  qu'elle  n'aura  jamais  d'autre  époux 
que  son  sauveur,  non  parce  qu'elle  lui  doit  la  vie,  mais  bien  parce 
qu'il  a  vu  ce  qu'il  ne  devait  pas  voir.  Et  voilà  les  deux  pauvres 
êtres  épiant  tout  le  monde  pour  surprendre  un  mot  qui  les  mette 
sur  la  piste,  Hélyett  dissimulée  dans  un  fauteuil-guérite  qu'elle  roule 
de  place  en  place,  le  bonhomme  Smithson  se  faisant  rembarrer 
par  tous  pour  son  insupportable  indiscrétion.  Le  papa,  le  premier, 
se  lasse  de  cette  chasse  à  l'affût,  et,  pour  couper  court  à  une 
situation  qu'il  voit  sans  issue,  il  appelle  à  son  secours  le  flegma- 
tique James,  soupirant  malheureux.  «  Vous  voulez  épouser  Hélyett? 

lui  dit-il,  «  Oh  !  oui  »,  répond  le  gentleman  yankee.  «  Eh!  bien, 

allez  la  trouver  et  dites-lui  simplement  ces  mots  :  Je  suis  l'homme 
de  la  montagne!  »  Bien  entendu,  James  ne  s'attarde  pas  à  vouloir 
comprendre  :  il  court  après  la  jeune  fille  et  lui  lance  la  fameuse 
phrase.  «  C'est  bien,  James,  je  serai  votre  femme  »  dit  simplement 
Hélyett,  et  James,  au  comble  du  bonheur,  bavarde  tant  et  si  bien 
que  le  truc  du  pasteur  se  trouve  dévoilé.  Tout  est  à  recommencer! 
La  vantardise  d'un  écarteur  landais  les  met  en  défaut;  mais  le 
peintre  est  là,  qui,  devenu  amoureux,  lui  aussi,  de  la  gentille  amé- 
ricaine survient  à  propos  pour  laisser  voir,  par  hasard,  dans  son 
album,  le  croquis  volé  à  l'inconnue  qui,  —  miracle  de  l'art!  —  se 
reconnaît  tout  aussitôt.  Plus  de  doute  possible,  c'est  bien  lui 
«'l'homme  de  la  montagne  »,  et  tout  heureuse,  car  c'est  précisé- 
ment l'artiste  qu'elle  aimait  en  secret,  elle  se  jette  dans  des  bras 
qui  se  referment  amoureusement  sur  elle. 

Vous  voyez,  par  cette  rapide  analyse,  que  la  chose  n'était  pas 
absolument  facile  à  présenter  déeemment  au  public.  M.  Boucheron, 
cependant,  en  a  presque  fait,  laissant  de  côté  des  épisodes  plus 
lestes,  un  conte  pudique.  Avec  de  l'esprit  on  peut  tout  sauver,  sur- 
tout les  apparences.  Cette  fois  encore,  c'est  à  un  musicien  aimé  et 
souvent  applaudi  qu'a  été  confié  le  soin  de  faire  comprendre  à  l'aide 
de  doubles  croches  ce  que  la  bienséance  interdisait  de  dire,  et  de 
noyer  dans  des  flonflons  joyeux  les  propos  trop  osés.  M.  Audran, 
pour  cette  agréable  tâche,  s'est  armé  de  ses  pipeaux  les  plus  légers, 


dans  lesquels  il  a  gentiment  et  modestement  soufflé.  La  musique 
coule  douce,  simple,  mais  aussi  sans  bien  grande  originalité.  Ce 
qui  appartient  en  propre  à  M.  Audran  et  ce  dont  il  faut  le  féliciter, 
c'est,  au  premier  acte,  un  psaume  dit,  en  contrechant  sur  un  air 
de  gavotte  très  joliment  arrangé  qui  est,  certainement,  la  meilleure 
page  de  la  partition,  bien  que  le  public  l'ait  laissé  passer  presque 
inaperçue.  Au  deuxième  acte,  on  a  bissé  le  duetto  du  Point  de  vue 
avec  ses  amusantes  exclamations  monosyllabiques.  Au  troisième 
acte,  je  remarque  un  duetto  bouffe  qui  contient  une  amusante  parodie 
du  «  Pleurez  mes  yeux  »  de  M.  Massenet  et  un  long  duo  d'amour, 
redemandé,  d'où  se  détache  un  agréable  motif  de  valse  avec  accom- 
pagnement des  instruments  à  cordes,  mais  dontl'ensemble  m'a  paru 
plutôt  prétentieux  et  maniéré  et  dont  la  prosodie  m'a  semblé  tout  à 
fait  audacieuse. 

MlleBianca  Duhamel,  qui  a  joué  le  drame  et  la  comédie  a  l'Odéon, 
la  pantomime  à  ce  même  théâtre  des  Bouffes,  et  qui  fut  l'exquis 
Petit-Poucet  qu'on  se  rappelle  bien,  faisait  ses  premiers  pas  dans 
l'opérette.  Elle  n'a  qu'un  tout  petit  filet  de  voix,  légèrement  aigu, 
dont  elle  se  sert  pourtant  adroitement;  mais  le  succès  de  la  soirée 
revient  de  droit  à  la  comédienne,  qui  a  été  charmante.  M.  Montrouge, 
qui  s'est  fait  la  tête  de  Wagner,  est  un  Smithson  parfait,  et  sa 
digne  épouse,  Mme  Montrouge,  nous  a  révélé  une  voix  de  contralto 
qui  ferait  le  bonheur  de  l'Opéra.  M.  Piccaluga  reste  l'exquis  chan- 
teur de  romances  et  M.  Jannin  s'est  taillé  un  triomphe  avec  la  fa- 
meuse phrase  :  «  Je  suis  l'homme  de  la  montagne,  »  qui  va  être 
le  cri  du  jour. 

Fini  de  rire  ! 

Voici  paraître  le  moraliste  sanglant  et  le  philosophe  plein  d'acuité 
et  de  brutale  franchise,  —  j'ai  nommé  M.  Becque,  —  et  c'est  la 
cotreete  Comédie  qui  tient  la  scène. 

Comme  je  vous  ai  déjà  raconté  deux  jolies  petites  histoires,  vous 
me  ferez  grâce  de  la  troisième,  d'autant  que  vous  la  connaissez,  je 
gage.  Si  vous  n'avez  pas  eu  la  chance  de  voir  la  Parisienne  à  la 
Renaissance,  le  mouvement  qui  s'est  produit  dernièrement  autour 
du  nom  et  de  la  personne  de  l'auteur,  vous  a  mis  très  certainement  le 
volume  entre  les  mains,  et  vous  vous  rappelez  Clotilde,  la  perversité 
et  l'inconscience  maladives  faites  femme,  Lafont,  l'amant  aussi 
jaloux  que  maladroit,  du  Mesnil,  le  mari  plus  mari  que  nature,  et 
Simpson,  le  sceptique  froid  et  compassé. 

Je  ne  sais  si  c'est  M.  Becque  qui  a  eu,  lui  seul,  l'idée  de  confier 
sa  pièce  aux  artistes  de  la  maison  de  Molière,  ou  s'il  n'y  a  pas  été 
maladroitement  poussé  par  des  amis  peu  clairvoyants.  Ce  qu'il  y  a 
de  certain,  c'est  que  ces  trois  petits  actes,  qui  paraissaient  charmants 
au  théâtre  de  M.  Samuel  et  qui  auraient  un  très  gros  succès  aux 
Variétés,  par  exemple,  avec  M.  Baron  et  MUe  Réjane,  ont  semblé, 
non  seulement  déplacés  à  la  Comédie-Française,  mais  aussi  incom- 
pl  ets  et,  lâchons  le  mot,  très  froids.  Je  veux  bien  que  l'interpré- 
tation soit  pour  une  très  grande  part  dans  cette  mauvaise  impres- 
sion. Et  de  fait,  M.  Prudhon  n'a  pas  su  tirer  parti  du  rôle  qui  lui 
était  confié;  il  fallait  là  un  art  des  nuances  et  une  pointe  de  fantaisie, 
qu'il  n'a  pas,  et  qui  auraient  enlevé  au  personnage  le  côté  mono- 
tone et  rabâcheur  que  seul  M.  Prudhon  s'est  attaché  à  rendre.  M.  de 
Féraudy  a  fait  de  du  MesDil  un  mari  de  Scribe,  et  Mlle  Reichenberg, 
malgré  toute  sa  grâce,  tout  son  charme  et  tout  son  merveilleux 
talent,  est  restée  de  dehors  trop  honnêtes.  M.  Le  Bargy,  seul,  a  donné 
à  Simpson  son  allure  de  gandin  sec  et  infatué,  mais  le  rôle  n'est 
qu'épisodique  et  tient  fort  peu  à  la  pièce. 

Mon  sentiment,  que  bien  entendu  je  donne  pour  ce  qu'il  vaut, 
est  que  la  Parisienne,  malgré  des  qualités  indéniables  d'observation 
sincère,  malgré  des  mots  justes  et  profonds,  et  malgré  une  langue 
claire,  nette  et  précise,  tient  plus  du  vaudeville  que  de  la  comédie. 
Lafont  est  un  fantoche,  et  du  Mesnil  en  est  un  autre;  si  vrais  qu'ils 
puissent  être  au  fond,  l'auteur  nous  les  montre  tellement  grossis 
qu'ils  deviennent  des  charges.  Si  M.  Becque  a  cru  écrire  une  comé- 
die sérieuse,  ce  dont  je  me  permets  de  douter,  il  s'est  trompé  : 
la  Parisienne  est  de  la  même  famille  que  la  Navette,  et  demande  à 
être  joyeusement  enlevée  par  ses  interprètes;  malgré  toute  la  phi- 
losophie qu'elle  contient,  elle  ne  saurait  être  jouée  et  comprise 
comme  les  Corbeaux  ou  Michel  Pauper. 

Paul-Emile  Chevalier. 

P.-S. —  Le  théâtre  des  Bouffes  a  donné  hier  soir  samedi,  la  première  repré- 
sentation d'Un  Modèle,  opéra-comique  en  un  acte  de  MM.  André  Degrave 
et  Manuel  Lerouge,  musique  de  M.  Léon  Schlesinger.  Les  exigences  de 
notre  mise  en  pages  nous  obligent  à  remettre  à  dimanche  prochain  le  compte 
rendu  de   ce  petit  ouvrage  dont  on  dit  le  plus  grand  bien. 


364 


LE  MÉNESTREL 


CÉSAR    FRANCK 


Lorsque,  dans  la  journée  du  samedi  8  novembre  dernier,  le  bruit 
se  répandit  que  César  Franck  était  mort,  il  n'y  eut  pas,  à  dire  vrai, 
dans  le  public,  une  émotion  très  apparente:  le  boulevard  n'en  sembla 
pas  occupé;  ce  ne  fut  pas  un  événement  parisien.  Mais  dans  l'élite 
de  ceux  en  qui  vit  résolument  le  culte  du  grand  art,  la  douleur  fut 
profonde,  car  tous  pensèrent  qu'en  ce  jour  avait  disparu  l'un  de  ses 
plus  glorieux  représentants,  l'un  des  plus  dignes  continuateurs  des 
sublimes  traditions  des  maîtres,  un  de  ceux  qui,  dans  l'avenir,  pren- 
dront place  parmi  les  premiers  et  les  plus  grands. 

Quiconque  avait  connu  l'homme,  quiconque  était  familier  avec  son 
œuvre,  savait  quelle  âme  droite  et  forte,  quel  fier  génie  il  avait. 
Ceux-là  mêmes  qui  désapprouvaient  sa  tendance  ou  qu'effrayait  son 
coup  d'aile  audacieux  ne  pouvaient  lui  refuser  estime  et  respect.  Le 
langage  tenu  par  eux,  en  cette  funèbre  occasion,  n'est  pas  l'hom- 
mage le  moins  significatif  parmi  tous  ceux  qui  lui  ont  été  rendus. 

Son  œuvre  musicale  était  considérable  et  s'accroissait  chaque  jour 
par  un  travail  incessant  et  acharné.  Ce  ne  sont  guère  pourtant  que 
les  vingt  dernières  années  qui  comptent  réellement  pour  sa  carrière 
de  compositeur.  Dans  sa  jeunesse  (il  était  né  en  1822),  isolé  dans  un 
milieu  si  étranger  à  sa  nature,  il  n'a  guère  produit  que  des  essais 
dans  lesquels  on  aurait  eu  peine  à  prévoir  à  quoi  il  devait  atteindre 
plus  tard.  Pourtant,  en  ces  derniers  temps  encore,  on  a  exécuté  des 
œuvres  de  musique  de  chambre  écrites  à  cette  époque,  dans  lesquelles, 
malgré  une  influence  évidente  de  Schumann  et  des  dernières  œuvres 
de  Beethoven  —  que  d'ailleurs  il  y  avait  quelque  mérite  à  avoir  si 
bien  étudiés  en  ce  temps-là  —  on  trouve  déjà  quelque  chose  de 
l'inspiration  qui  devait  produire  plus  tard  le  quintette  avec  piano,  le 
quatuor  pour  instruments  à  cordes,  les  plus  admirables  compositions 
instrumentales  qui  aient  été  écrites  à  notre  époque,  non  seulement 
en  France,  mais  partout  ailleurs.  La  sonate  pour  piano  et  violon,  les 
grandes  pièces  de  piano  :  Prélude,  choral  et  fugue  et  Prélude,  aria  et 
finale,  d'innombrables  compositions  pour  orgue,  produits  de  la  science 
et  de  l'inspiration  d'un  Sébastien  Bach  moderne,  ne  leur  cèdent  en 
rien.  Dans  la  forme  purement  orchestrale  il  a  produit  les  poèmes  syrn- 
phoniques:  les  Bolides,  le  Chasseur  maudit,  une  symphonie,  et  deux 
pièces  où  le  piano  concerte  avec  l'orchestre:  les  Djinns,  et  les  Varia- 
tions symphoniques.  Enfin,  ses  œuvres  vocales  sont  considérables  :  une 
Messe,  et  de  nombreux  morceaux  religieux;  Ruth,  une  églogue  d'une 
poésie  délicieuse,  par  laquelle  sa  haute  personnalité  fut  pour  la  pre- 
mière fois  révélée  au  public  ;  Rébecca  à  la  fontaine;  Psyché  ;  Rédemp- 
tion, un  oratorio  où  Ton  entrevoit  déjà  les  beautés  sereines  des  Réati- 
tudes  ;  et,  par-dessus  tout,  cette  dernière  œuvre,  une  des  plus  puis- 
santes conceptions  qu'en  notre  temps  un  cerveau  d'artiste  ait  formées. 
Avec  une  œuvre  aussi  considérable,  l'on  aurait  peine  à  concevoir 
que  Franck  ne  fût  pas  arrivé  à  une  célébrité  plus  étendue  si  l'on  ne 
considérait  qu'il  n'a  jamais  abordé  le  théâtre,  qui  seul,  en  France, 
consacre  le  succès  et  la  réputation. 'Il  laisse  encore,  d'ailleurs,  deux 
œuvres  théâtrales  en  manuscrit  :  Hu/da,  entièrement  terminée,  et 
Ghiselle,  dont  il  avait  achevé  la  composition,  mais  non  l'orchestra- 
tion complète,  au  moment  où  la  mort  est  venue  le  prendre.  —  Que 
dire  de  tout  cela  ?  Ce  n'est  pas,  hélas!  le  temps  d'en  parler  aujour- 
d'hui. Mais  ce  ne  seront  pas  les  occasions  qui  nous  manqueront,  et 
sans  doute  ces  occasions  ne  tarderont  guère.  Il  était  de  ceux  pour 
lesquels  la  gloire  ne  vient  qu'après  la  mort.  Mais  elle  vient  sûre- 
ment. 

Ce  qu'il  emporte  au  tombeau,  ce  qui  a  disparu  pour  jamais,  c'est 
l'inspiration  parfois  prodigieuse  qui  l'animait  à  son  orgue  et  faisait 
de  lui  un  des  plus  puissants  improvisateurs  qui  aient  jamais  été.  A 
Sainte-Clotilde,  depuis  trente  aus  et  plus  qu'il  en  était  organiste,  on 
admirait  chaque  jour  davantage  sa  richesse  d'imagination,  sa  variété 
d'effets,  l'incomparable  science  de  ses  combinaisons,  sans  cesse  re- 
nouvelées. Qui  nous  rendra  cela?...  On  l'entendit,  un  jour,  pendant  une 
cérémonie  durant  laquelle  il  avait  à  faire  une  très  longue  improvisation 
attaquer  soudain  le  chant  du  finale  de  la  Neuvième  Symphonie  de  Bee- 
thoven (téméraire  ambition  !),  et,  avec  ce  thème  qui  a  déjà  fourni 
à  un  des  géants  de  la  musique  ses  plus  magnifiques  développements, 
s'élever  à  son  tour,  peu  à  peu,  par  une  progression  lente  et  continue, 
à  ces  hauteurs  auxquelles  n'atteignent  que  les  rares  élus,  et  par 
lesquelles  il  se  révélait  un  digne  frère  do  celui  dont  il  n'avait  pas 
craint  d'emprunter  l'idée  première. 

Ce  qui  lui  survivra,  au  moins  pour  une  génération,  ce  sont  ses 
élèves.  Ils  sont  légion.  Certains  ont  môme  parfois  trouvé  qu'ils  étaient 
trop  nombreux.  Et  la  plupart,  même  ayant  depuis  longtemps  quitté 


son  enseignement,  lui  témoignaient  toujours  îme  déférence  et  un- 
respect  peu  communs.  Quelques-uns  sont  déjà  célèbres  ;  plusieurs 
même,  bien  que  n'ayant  pas  étudié  sous  sa  direction,  sont  venus  à 
lui,  se  faisant  honneur  d'appartenir  à  son  école  :  tels  sont,  parmi 
les  plus  connus,  MM.  Chabrier,  Fauré,  Messager,  Bruneau,  Vi- 
dal, etc.  Parmi  ceux  de  ses  élèves  directs  qui  se  sont  fait  connaître 
à  divers  titres,  bien  qu'aucun,  assurément,  n'ait  eu  encore  le  temps- 
de  donner  toute  sa  mesure,  je  citerai  particulièrement  :  d'abord  le 
regretté  A.  de  Castillon,  qui  a  précédé  le  maître  de  plusieurs  années- 
dans  la  tombe  ;  puis  MM.  Vincent  d'Indy,  Henri  Duparc,  A.  Coquard, 
Albert  Cahen,  Camille  Benoît,  Mlle  Augusta  Holmes,  Broutin,  H.  Dal-- 
lier,  Ernest  Chausson,  Ch.  Bordes,  P.  de  Bréville,  L.  Husson,  F.  Tho- 
mé,  Samuel  Bousseau,  Tolbeeque,  Verschneider,  Chapuis,  G.  Marty, 
Lucien  Hillemacher,  Georges  Hue,  Pierné,  Saint-René  Taillandier, 
Guy  Roparlz,  Raymond  Bonheur,  H.  Kerval,.  de  Wailly,  Quitard, 
Ganne,  Kaiser,  Grand-Jany,  Marcel  Rouher,  Jemain,  de  Serres, 
Bachelet,  Galeotli,  Mmes  Renaud-Maury,  Leblanc-Gaillard,  MUe  Pa- 
pot,  Mlle  Boutet  de  Monvel,  etc.,  etc.  Tous,  dans  cette  nombreuse- 
famille  artistique,  nous  professions  un  véritable  respect  filial  pour 
notre  maître,  le  «  Père  Franck  »,  comme  nous  aimions  à  l'appeler. - 
Nous  serons  fidèles  à  sa  mémoire',  et  nous  saurons  la  garder  non 
seulement  pour  nous-mêmes,  mais  encore  la  faire  revivre  dans- 
l'avenir. 

Il  était  un  travailleur  infatigable,  acharné.  Je  ne  pense  pas  que- 
beaucoup  de  vies  humaines  aient  pu  fournir  une  somme  de  labeur 
comparable  à  celle  à  laquelle  il  a  suffi.  A  vrai  dire,  le  travail  était 
pour  lui  une  fouction  naturelle,  un  besoiri,  sa  seule  distraction,  et 
il  ne  connut  jamais  la  fatigue.  Que  de  fois  nous  l'avons  vu,  après 
une  journée  entière  consacrée  aux  leçons,  la  soirée  passée  à  faire 
répéter  quelqu'une  de  ses  œuvres,  rentrer  chez  lui  en  nous  disant 
qu'il  allait  se  mettre  à  composer,  la  nuit  étant  le  seul  moment  où 
il  fût  sûr  de  travailler  en  paix.  Et  si,  par  un  heureux  hasard,  il  se 
trouvait  avoir  une  demi-heure  de  libre  entre  deux  leçons,  vite  il 
reprenait  la  plume  et  continuait  le  chef-d'œuvre  commencé,  quitte 
à  l'interrompre  encore  à  l'arrivée  d'un  nouvel  élève.  Aux  vacances, 
lorsqu'il  allait  à  la  campagne,  ce  que  d'ailleurs  il  ne  faisait  pas  tou- 
jours, il  n'attendait  même  pas  que  tout  fût  installé  dans  la  maison  : 
il  fallait  qu'il  se  mît  au  travail  dès  l'arrivée,  sur  l'heure.  Cette 
année,  au  mois  de  juillet ,  il  fut  victime  d'un  accident  de  voiture, 
peu  grave  en  soi,  mais  qui  peut-être,  vu  son  âge,  ne  contribua  pas 
peu  à  déterminer  la  catastrophe  finale  :  il  n'en  continua  pas  moins 
sa  vie  régulière  et  animée.  Je  le  vis  alors  au  Conservatoire  —  pour 
la  dernière  fois  —  à  l'époque  du  concours  annuel  de  sa  classe 
d'orgue,  marchant  avec  peine,  pourtant  aussi  actif  que  jamais,  et 
ne  manifestant  aucune  appréhension.  Sa  famille  le  décida  à  passer 
quelque  temps  aux  environs  de  Paris,  à  Nemours:  il  fut  heureux, 
car  il  put  consacrer  toutes  ses  journées  à  la  composition;  le  soir,  il' 
y  avait  un  piano  et  un  harmonium,  l'on  faisait  do  là  musique:  et 
la  musique  c'était  sa  seule  pensée,  sa  vie  entière.  Il  rapporta  de  là, 
dit-on,  d'abord  un  acte  de  son  opéra  entièrement  orchestré,  puis  des 
morceaux  d'orgue,  parmi  lesquels  on  signale  trois  grandes  pièces, 
dont  ceux  auxquels  il  les  a  fait  connaître  disent  que  jamais  il  n'a 
rien  composé  d'aussi  admirable:  le  chant  du  cygne!  A  la  rentrée. 
il  était  à  son  poste,  fit  sa  classe  le  premier  jour  et  parut  à  tous 
être  dans  la  meilleure  santé.  Pourtant,  vers  le  milieu  d'octobre,  il 
fut,  sur  l'ordre  des  médecins,  contraint  de  garder  la  chambre.  Ce 
ne  fut  qu'à  grand'peine  qu'au  moment  où  le  mal  s'aggrava  on  put 
le  décider  à  s'aliter  :il  voulait  rester  debout,  donner  ses  leçons,  tra- 
vailler toujours.  Une  pleurésie  se  déclara.  Bientôt  le  mal  s'étendit 
et  se  compliqua  d'une  péricardite.  Il  ne  sembla  pas  souffrir,  et  s'il 
se  rendit  compte  lui-même  de  la  gravité  de  son  état,  du  moins  il 
n'en  laissa  rien  paraître.  Dans  la  dernière  semaine  d'octobre,  une 
amélioration  sensible  se  manifesta;  les  journaux  en  parlèrent  à  ce 
moment:  les  nouvelles  plus  rassurantes  qu'ils  donnèrent  étaient 
exactes  alors;  mais  cet  état  ne  fut  que  momentané:  à  partir  des 
premiers  jours  de  novembre,  il  devint  de  dIus  en  plus  alarmant, 
sans  que  d'ailleurs  le  malade  se  départit  uu  instant  de  sa  sérénité 
coutumière.  Vendredi  7,  de  nouveau  il  se  sentit  mieux.  Le  soir, 
entouré  de  tous  les  siens,  il  leur  souriait,  cherchait  à  les  rassurer  :. 
«  C'est  bien,  c'est  bien,  »  murmurait-il  avec  cette  confiance  naïve  - 
de  l'homme  qui  vécut  dans  une  continuelle  illusion,  ne  vit  jamais 
le  mal  et  considéra  toujours  la  vie  par  son  beau  côté,  bien  qu'il  n'en 
eût  guère  été  payé  de  retour.  Puis  il  entra  en  agonie  :  elle  dura 
toute  la  nuit,  et  fut  pénible.  Le  lendsmain  samedi,  à  S  heures  du 
matin,  il  expira. 

Ses  obsèques  ont  eu  lieu  le  surlendemain  lundi,  10  novembre,  à 
l'église    Sainte-Clotilde.   Tous    ceux   qui  l'avaient  aimé,  admiré  et 


LE  MElNESTREL 


365 


respecté  élait  là  :  c'est  dire  que  l'affluence  était  considérable.  Les 
cordons  du  drap  mortuaire  étaient  tenus  par  MM.  Léo  Delibcs,  Saint- 
Saèns,  Bussine,  ancien  président  et  fondateur  de  la  Société  natio- 
nale, H.  Dallier,  organiste  de  Saint-Eustache,  Arthur  Goquard,  tous 
deux  ses  élèves,  etc.  A  l'église,  M.  Gigout  était  à  l'orgue:  il  a  fait 
entendre,  sur  cet  instrument  qui,  hier  encore,  résonnait  sous  les 
doigts  du  maître  regretté,  son  Cantàbile  en  si  majeur,  une  de  ses  plus 
belles  pièces  d'orgue,  et  deux  fragments  de  Rédemption;  la  maîtrise, 
accompagnée  par  l'orchestre  de  M.  Colonne,  a  exécuté  le  Panis  ange- 
licus  de  sa  messe  à  troix  voix.  Quant  au  reste  de  la  musique,  on 
nous  permettra  de  n'en  point  parler:  s'il  était  impossible  de  composer 
un  programme  entièrement  formé  avec  son  œuvre,  il  n'y  avait  que 
la  musique  des  maîtres  classsiques  et  incontestés,  Bach,  Beethoven, 
qui  eût  pu  être  admise  :  toute  autre  intervention  ne  pouvait  man- 
quer d'être  considérée  comme  indiscrète.  M.  le  curé  de  Sainte-CIo- 
tilde.  en  quelques  nobles  paroles,  et  dignes  de  celui  qu'elles  vou- 
laient honorer,  a  prononcé  l'éloge  du  défunt.  Un  long  cortège  a 
accompagné  le  corps  jusqu'au  cimetière  du  Grand-Montrouge,  au 
loin,  hors  Paris.  Deux  seuls  discours  y  ont  été  prononcés  :  l'un  par 
M.  Emra.  Chabrier,  au  nom  de  la  Société  nationale,  dont  César 
Franck  était  président,  l'autre  (quelques  mots  seulement,  en  l'absence 
de  M.  Vincent  d'Indy,  très  loin  de  Paris  et  absolument  empêché 
d'assister  aux  funérailles  de  son  maître),  au  nom  des  élèves  de 
César  Franck,  par  M.  Camille  Benoit.  Je  ne  puis  résister  au  désir 
de  citer  la  plus  grande  partie  de  l'allocution  de  M.  Chabrier  : 

«  Il  était  le  cher  maître  regretté,  le  plus  modeste,  le  plus  doux 
et  le  plus  sage.  Il  était  le  modèle,  il  était  l'exemple. 

«  Sa  famille,  ses  élèves,  l'art  immortel,  voilà  toute  sa  vie.  Vers 
la  fin  de  l'automne,  dès  qu'il  rentrait  à  Paris,  nous  lui  demandions  : 
«  Eh  bien,  maître,  qu'avez-vous  fait,  que  nous  rapportez-vous  ?  » 
—  «  Vous  verrez,  répondait-il,  en  prenant  un  air  mystérieux,  vous 
verrez,  je  crois  que  vous  serez  contents...  J'ai  beaucoup  travaillé,  et 
bien  travaillé.  »  Et  il  nous  disait  cela  si  simplement,  avec  une  foi 
si  naïvement  sincère,  de  sa  large  voix  expressive  et  grave,  en  nous 
pressant  les  mains,  les  gardant  longtemps,  presque  sérieux,  son-' 
géant  à  la  fois  aux  chères  joies  qu'il  avait  éprouvées,  lui,  en 
composant,  et  au  plaisir  qu'il  lui  semblait  bien  que  nous  prendrions 
aussi  à  écouter  l'œuvre  nouvelle!.. 

«  Adieu,  maître,  et  merci,  car  vous  avez  bien  fait.  C'est  l'un  des 
plus  grands  artistes  de  ce  siècle  que  nous  saluons  en  vous  ;  c'est 
aussi  le  professeur  incomparable  dont  l'enseignement  merveilleux  a 
fait  éclore  toute  une  génération  de  musiciens  robustes,  croyants  et 
réfléchis,  armés  de  toutes  pièces  pour  les  combats  sévères,  souvent 
longuement  disputés.  C'est  aussi  l'homme  juste  et  droit,  si  humain 
et  si  désintéressé,  qui  ne  donna  jamais  que  le  sur  conseil  et  la 
bonne  parole.  Adieu.  » 

Mais  il  est  de  ceux  qui  ne  disparaissent  pas  tout  entiers,  et  pour 
lesquels  on  peut  dire  que  la  mort  ouvre  une  nouvelle  période  de  vie, 
plus  glorieuse,  et  sans  limites.  Déjà  nous  savons  qu'il  est  question 
de  donner  prochainement  à  Dresde  une  audition  intégrale  des  Béa- 
titudes, son  chef-d'œuvre,  qui  n'a  jamais  pu  encore  être  exécuté  en 
entier.  Un  de  ses  élèves  en  a  été  informé  récemment,  et  se  réjouis- 
sait d'en  donner  la  nouvelle  au  maître,  pour  qui  c'eût  été  un  grand 
bonheur,  car  il  eût  vu  là  la  réalisation  du  plus  ardent  désir  de 
toute  sa  vie  :  mais  c'était  trop  tard,  il  était  mort  sans  avoir  eu  cette 
joie.  Et  ce  n'est  là  qu'un  commencement.  Nous  ne  pouvons  pas, 
chez  nous,  rester  en  arrière  :  nous  avons  reçu  déjà  d'assez  nom- 
breuses leçons  de'ce  genre  pour  que  l'on  puisse  espérer  qu'on  en  pro- 
fitera enfin.  Au  lendemain  de  la  mort  de  Berlioz,  M.  Reyer  écrivait: 
«  On  mettra  peut-être  plus  de  temps  pour  le  glorifier  qu'on  n'en  a 
mis  à  glorifier  Beethoven  ;  mais  on  le  glorifiera  pourtant.  »  Ce  qui 
s'est  si  bien  réalisé  pour  Berlioz  peut  s'appliquer  avec  non  moins 
de  certitude  à  César  Franck  :  il  n'y  a  pas  besoin  d'être  bien  grand 
prophète  pour  l'annoncer. 

Julien  Tiehsot. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (13  novembre).  —  Deux  reprises, 
cette  semaine:  Coppelia  et  Manon.  Le  délicieux  ballet  de  M.  Léo  Delibes 
est  toujours  sur  de  retrouver  son  habituel  succès;  chaque  fois  qu'on  l'a 
joué  ici,  sa  carrière  a  été  longue  ;  et  cependant  que  d'interprétations  bâclées 
il  a  dû  souflrir!  Malgré  tout,  son  charme  est  si  grand  qu'on  l'applaudit 


quand  même;  rien  ne  peut  prévaloir  contre  les  chefs-d'œuvre.  Cette  fois, 
on  l'avait  bien  soigné.  L'orchestre  surtout,  conduit  par  M.  Léon  Dubois, 
en  a  détaillé  avec  soin  les  pages  exquises  et  lui  a  donné  sa  couleur  et  son 
mouvement.  L'interprétation  chorégraphique  est  bonne,  sans  avoir  rien 
de  très  remarquable.  MUc  Riccio  danse  spirituellement  le  rôle  principal. 

La  reprise  de  Manon  a  été,  pour  Mllc  Sybil  Sanderson,  un  vrai  succès. 
On  pouvait  craindre  qu'elle  ne  donnât  pas  au  rôle  la  variété  d'accent  qu'il 
exige,  et  qu'elle  n'y  fut  pas  assez  comédienne.  Certes,  en  certaines  pages 
de  l'œuvre,  elle  n'est  pas  tout  à  fait  la  Manon  dégourdie  presque  cynique, 
qu'on  pourrait  désirer;  elle  est  distinguée,  réservée  presque,  d'un  bout  à 
l'autre  de  la  pièce,  même  là  où  on  lui  pardonnerait  de  ne  pas  l'être  trop. 
Mais  elle  réalise,  par  contre,  dans  les  premiers  actes,  d'une  façon  si 
exacte,  la  physionomie  rêvée  de  l'héroïne,  c'est  un  si  joli  Greuze,  et  elle 
es  t  si  charmante  à  voir  et  à  entendre,  avec  sa  petite  voix  tendre,  qui  s'échauffe 
çà  et  là  d'inflexions  amoureuses  et  caressantes  si  bien  d'accord  avec  la 
musique  de  M.  Massenet,  qu'on  lui  pardonne  ce  qu'elle  n'est  pas  en 
faveur  de  ce  qu'elle  est.  On  l'a  beaucoup  applaudie  et  même  beaucoup 
rappelée.  On  a  associé  à  son  succès  M.  Delmas,  qui  a  chanté  le  rôle  de 
Desgrieux,  lui  aussi,  avec  charme  et  conviction.  M.  Badiali  a  composé 
un  Lescaut  hardiment  conforme  au  personnage  peu  sympathique  qu'il 
représente,  et  a  donné,  une  fois  de  plus,  la  preuve  de  son  intelligence 
artistique  et  de  ses  précieuses  qualités  de  chanteur.  Le  petit  trio  de 
femmes  est  parfait.  Et  l'ensemble,  malgré  un  ou  deux  rôles  secondaires 
insuffisamment  tenus,  portait  la  trace  heureuse  du  soin  méticuleux  pro- 
digué par  l'auteur  à  l'exécution  de  son  œuvre.  En  somme,  c'a  été  une 
très  bonne  soirée. 

MM.  Stoumon  et  Calabresi  n'ont  qu'à  se  féliciter,  jusqu'à  présent,  de 
la  saison  actuelle.  Autant  la  précédente  avait  été  triste  et  désastreuse, 
autant  celle-ci  est  fructueuse.  Si  les  résultats  des  mois  qui  vont  venir 
sont  pareils  à  ceux  des  deux  mois  écoulés  —  et  tout  porte  à  le  croire, 
puisque  l'ère  des  nouveautés  n'est  pas  encore  ouverte  —  ils  auront  rat- 
trapé, et  au  delà,  leurs  pertes  de  l'an  dernier.  Cela  les  encouragera,  sans 
aucun  doute,  à  corser  l'intérêt  du  répertoire.  Espérons-le.  La  première  de  la 
Basoche  estprochaine  ;  celle  de  Siegfried,  retardée  par  suite  des  difficultés  dont 
je  vous  ai  parlé  et  qui  sont  toutes  levées  maintenant,  suivra  de  quelques 
semaines.  Nous  aurons  aussi,  décidément,  Don  Juan  et  la  Flûte  enchantée; 
et  plus  tard,  Lohengrin,  —  sans  compter  Werther,  qui  serait  arrêté  défini- 
tivement si  le  choix  du  ténor  était  fait;  mais  on  hésite:  sera-ce  M.  Lafarge, 
M.  Delmas,  ou  un  autre? 

En  province,  les  choses  ne  vont  pas  aussi  brillamment  qu'à  Bruxelles. 
Dans  nos  deux  principales  villes  belges,  à  Anvers  et  à  Gand,  les  théâtres 
royaux  sont  en  proie  au  plus  noir  des  marasmes;  la  plupart  des  artistes 
engagés  mordent  la  poussière,  et  les  remplaçants  ne  réussissent  guère 
mieux;  c'est  affreux  !  Quant  à  Liège,  mieux  vaut  n'en  point  parler.  Voilà 
où  en  est  la  musique  lyrique  en  Belgique,  cette  année-ci  !  Je  comprends 
que  la  province  se  sauve  de  chez  elle  et  accoure  à  Bruxelles. 

La  période  des  grands  concerts  va  bientôt  s'ouvrir.  Nous  avons  eu 
déjà,  samedi  dernier,  le  célèbre  violoniste  Joachim,  qui  a  inauguré  la 
série  annnelb  des  Concerts  classiques  organisés  par  la  maison  Schott;  aux 
prochains  concerts,  nous  entendrons  Mmo  Carreno  et  M.  Diémer,  qu'on  ne 
connaît  pas  encore  à  Bruxelles,  et  M.  Thomson,  le  violoniste.  Les  con- 
certs de  l'Association  de  sartistes-musiciens,  qui  se  donnaient  depuis  fort 
longtemps  à  la  Grande  Harmonie,  se  donneront  désormais  dans  la  salle 
de  la  Monnaie;  le  premier  de  la  saison  aura  lieu  le  6  décembre,  avec 
Mllc  Sanderson  et  —  greal  attraction  I  —  M.  Massenet,  qui  accompagnera 
lui-même  au  piano  des  mélodies  de  sa  composition.  Les  concerts  du  Con- 
servatoire vont,  eux  aussi,  reprendre  leurs  intéressantes  séances.  On  avait 
annoncé  qu'elles  seraient  consacrées  exclusivement  à  Beethoven  et  à  ses 
symphonies  ;  c'est  une  errreur  :  les  programmes  seront  variés  ;  il  y  aura, 
notamment,  la  neuvième  avec  chœurs,  le  Manfred  de  Schumann  avec 
M.  Mounel-Sully,  et  VEgmont  avec  Mlle  Dudlay.  —  En  ce  qui  concerne  les 
Concerts  populaires,  leur  existence  est  malheureusement  très  compro- 
mise. La  Ville,  après  avoir  retiré  le  subside  dont  ils  avaient  joui  pendant 
de  longues  années,  leur  refuse,  cette  fois,  la  salle  de  la  Monnaie.  A  notre 
avis,  à  l'Albambra,  ils  seraient  aussi  commodément,  puisqu'ils  y  ont  vécu 
longtemps.  Mais  le  parti  pris  de  nos  magistrats  communaux  de  découra- 
ger l'art  musical  et  particulièrement  des  entreprises  comme  celle-là,  ayant 
rendu  de  si  grands  services  au  mouvement  artistique  en  Belgique,  est 
trop  évident,  et  ne  saurait  être  assez  blâmé.  Alors  que  ces  messieurs 
jettent  leurs  subsides  à  la  tète  des  moindres  sociétés  de  pigeons  ou  de 
tireurs  à  l'arc,  s'acharner  à  couper  ainsi  les  vivres  à  l'institution  des  Con- 
certs populaires,  qui,  plus  qu'aucune  autre,  a  fait  connaître  au  public  la 
plupart  des  maîtres  français,  allemands,  russes,  etc.,  a  attiré  sur  la  ville  de 
Bruxelles  l'attention  de  quiconque,  à  l'étranger,  s'occupe  de  musique,  et 
a  valu  à  notre  petit  pays  le  renom  flatteur  d'un  pays  où  l'on  aime  l'art,  — 
avouez-le,  c'est  roide  !  Et  lenom  de  l'échevin  des  beaux-arts,  M.  André, 
qui  dirige  tout  cela,  mériterait  vraiment  de  passer  à  la  postérité. 

Lucien  Solvay. 

—  Peu  de  succès  à  Anvers  pour  la  première  représentation  d'un  opéra 
posthume  d'Henry  Waelput,  intitulé  Stella.  Waelput  était  un  artiste  d'une 
valeur  et  d'une  fécondité  exceptionnelles,  mort  en  1885  dans  toute  la  force 
de  l'âge,  ayant  à  peine  quarante  ans,  en  laissant  un  grand  nombre  de 
compositions  importantes  et  encore  inconnues.  H  est  probable  que  la  fai- 
blesse de  l'interprétation  aura  porté  tort  à  l'œuvre  que  nous  signalons  ici. 


366 


LE  MÉNESTREL 


—  Un  compositeur  belge  fort  distingué,  M.  Erasmo  Baway,  dont  on 
a  justement  remarqué,  entre  autres  oeuvres,  une  composition  symphonique 
d'une  belle  couleur  et  d'une  rare  envergure,  Scènes  hindoues,  vient  de  ter- 
miner la  partition  d'un  drame  lyrique  intitulé  Freya,  écrit  par  lui  sur  un 
livret  de  M.  Bonvaux. 

—  Liste  des  ouvrages  du  répertoire  français  représentés  pendant  la 
dernière  quinzaine  sur  les  scènes  lyriques  d'Allemagne  :  Berlin  :  Carmen, 
Mignon  (2  fois),  le  Corsaire  (ballet).  —  Cassel:  Les  Dragons  de  Villars,  la 
Juive.  —  Cologne  :  Les  Huguenots,  Carmen.  —  Dessau  :  Faust,  les  Huguenots 
(2  fois),  Carmen  (2  fois).  —  Dresde  :  Joseph  (3  fois),  la  Poupée  de  Nuremberg 
(2  fois).  —  Francfort  :  Le  Pardon  de  Ploêrmel,  Mignon,  Faust,  le  Domino  noir, 
Guillaume  Tell,  l'Africaine,  les  Dragons  de  Villars,  Carmen,  Lakmé,  la  Fille  du 
régiment,  Robert  le  Diable.  —  Hambourg  :  Mignon  (3  fois),  Carmen,  Guillaume  Tell, 
le  Postillon  de  Lonjumean,  Roméo  et  Juliette.  —  Mannheim  :  Mignon,  Carmen,  les 
Contes  d'Hoffmann  (2  fois).  —  Munich  :  La  Juive  (2  fois),  la  Part  du  Diable,  les 
Huguenots,  le  Postillon  de  Lonjumeau,  Guillaume  Tell,  Fra  Diavolo  (2  fois),  Bon- 
soir, Monsieur  Pantalon.  —  Pesth  :  Hamlet,  les  Huguenots,  Coppélia,  la  Juive, 
Faust,  la  Fille  du  régiment,  Mignon.  —  Stuttgart  :  La  Fille  du  régiment,  la 
Juive.  —  Vienne  :  Robert  le  Diable,  l'Africaine,  Fra  Diavolo,  Guillaume  Tell, 
Coppélia.  4 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Berlin:  L'éclairage  électrique 
obligatoire  vient  d'être  imposé  à  tous  les  établissements  contenant  plus 
de  huit  cents  places.  —  Asra'èl,  l'opéra  de  M.  Franchetti,  a  été  accepté  à 
l'Opéra  royal.  —  Breslau  :  les  Templiers,  de  M.  Litolff,  ont  été  favorable- 
ment accueillis  à  leur  première  apparition  au  théâtre  municipal.  — 
Brunn  :  Le  théâtre  municipal  a  donné  le  2  novembre  la  première  repré- 
sentation d'une  opérette,  le  Page  Fritz,  qui  a  pour  auteur  MM.  A.  Straffer  et 
von  Weinzierl  pour  la.  musique,  et  MM.  A.  Landsberg  et  B.  Gênée  poul- 
ies paroles.  Franc  succès.  —  Carlsruhe  :  A  l'occasion  de  la  fête  de  la 
grande-duchesse,  le  théâtre  de  la  Cour  représentera  pour  la  première  fois 
en  Allemagne  les  Troyens  de  Berlioz.  L'ouvrage  sera  joué  dans  toute  son 
intégrité,  c'est-à-dire  que  l'on  consacrera  une  soirée  entière,  celle  du 
2  décembre,  à  la  première  partie,  La  Prise  de  Troie,  et  une  autre,  la  sui- 
vante, à  la  seconde  partie,  Les  Troyens  à  Cartilage.  Les  rôles  de  Cassandre  . 
et  de  Didon  sont  échus  à  MmcB  Beuss  et  Meilhac,  celui  d'Enée  à  M.  Ober- 
lânder.  —  Darjistadt  :  On  prépare  la  résurrection,  on  pourrait  presque 
dire  la  réhabilitation  d'un  ouvrage  de  L.  A.  Mangold,  rentré  dans  le  néant 
à  l'apparition  d'un  redoutable  homonyme,  le  Tannhauser  de  Wagner.  Le 
Tannhauser  de  Mangold  date  de  plus  de  45  ans  et  a  été  représenté  pour  la 
première  fois  à  Darmstadt  en  1846.  M.  Pasqué,  actuellement  un  des  pre- 
miers librettistes  allemands,  en  était  alors  un  des  interprètes.  C'est  lui  qui 
a  pris  l'initiative  de  cetle  reprise,  qu'il  considère  comme  un  acte  de  justice 
et  en  vue  de  laquelle  il  a  remanié  le  livret.  —  Francfort  :  La  Princesse 
d'Athènes,  tel  est  le  titre  d'un  opéra-comique  en  un  acte  dont  le  théâtre 
municipal  vient  d'avoir  la  primeur,  et  qui  est  sa  première  nouveauté  de 
la  saison.  Tout  le  succès  a  été  pour  l'étincelante  partition  de  M.  F.  Lux; 
le  livret,  tiré  par  M.  Jacoby  des  Harangueuses  d'Aristophane,  a  été  trouvé 
faible.  Bon  ensemble  d'interprétation.  —  Gr/etz  :  Succès  de  musique  éga- 
lement pour  une  nouvelle  opérette  du  compositeur  E.  von  Taund,  le  Gouver- 
neur, au  théâtre  municipal.  Le  livret  de  MM.  Karpa  et  Legwarth  a  produit 
peu  d'impression.  —  Halle  :  Mignon  vient  d'effectuer  triomphalement  sa 
première  représentation  au  théâtre  municipal.  —  Pesth:  Les  théâtres  de 
cette  ville  ont  fêté  du  24  au  26  octobre  le  centenaire  de  l'introduction  de 
l'art  dramatique  en  Hongrie.  —  Vienne:  A  l'Opéra,  on  vient  de  représen- 
ter pour  la  100e  fois  Roméo  et  Juliette  de  Gounod,  et  on  annonce  pour  le  19 
de  ce  mois  la  première  représentation  allemande  de  la  Manon  de  M.  Mas- 
senet,  traduction  de  M.  Gumbert.  —  Weimar:  Mlle  Marguerite  Petersen, 
une  jeune  cantatrice  danoise,  vient  d'effectuer  d'une  façon  très  heureuse 
son  premier  début  au  théâtre  dans  Mignon. 

—  Le  comte  Geza  Zichy,  amateur  très  militant  et  célèbre  pianiste  de  la 
main  gauche  (il  a  perdu  le  bras  droit  dans  un  duel,),  vient  d'être  nommé 
intendant  général  des  théâtres  royaux  de  Budapest.  Des  deux  cotés  de  la 
Leitha,  nous  voyons  donc  un  musicien  à  la  tète  des  théâtres  de  la  Cour, 
car  le  baron  Bésecny,  intendant  général  des  théâtres  impériaux  de  Vienne, 
est  non  seulement  une  des  premières  capacités  financières  et  adminis- 
tratives de  l'Empire,  mais  en  même  temps,  lui  aussi,  un  pianiste  de  pre- 
mière force. 

—  A  la  Singacadémie  de  Vienne,  les  programmes  des  trois  prochains 
concerts  comprennent,  entre  autres  œuvres,  un  psaume  d'Hermann  Gœtz, 
un  fragment  de  la  Médêe  de  Chérubini,  une  cantate  de  Friedmann  Bach, 
et  diverses  compositions  chorales  de  Palestrina,  Perti,  Vittoria,,  Jean- 
Sébastien  Bach,  Ilacndel,  Morley,Schumann,  Schubert,  Antoine  Bruckner, 
Peter  Cornélius  et  Johannès  Brahms. 

—  A  Vienne,  l'académie  chorale  de  la  Société' Ambrosius  doit  exécuter, 
au  cours  de  la  saison  qui  s'ouvre,  plusieurs  œuvres  de  musique  religieuse 
ancienne  d'une  grande  importance.  On  cite  particulièrement  le  fameux 
Miserere  de  Gregorio  Allegri,  la  Messa  a  cappella  en  la,  d'Antonio  Lotti,  le 
Slabat  Mater  de  Traetta,  la  Missa  ad  regias  agni  dapes  de  Bernabei,  et  les 
chœurs  du  David  pénitent  de  Mozart. 

—  A  Breslau,  la  société  chorale  Bohn  se  propose  de  donner,  dans  le 
courant  de  l'hiver,  quatre  grands  concerts  historiques  dont]  deux  seront 
spécialement  consacrés  à  l'opéra  allemand  de  1783  à  1830. 


—  L'événement  de  cette  huitaine,  à  Saint-Pétersbourg,  est  la  première 
représentation  de  l'opéra  le  Prince  Igor,  de  feu  Borodine,  arrangé  et  terminé 
par  MM.  Bimsky-Korsakow  et  Glazounow.  Il  y  a  deux  musiques  dans  cette 
œuvre,  la  musique  russe  du  type  de  Glinka,  Seroff,  Mousorgsky,  etc.,  et 
une  musique  orientale  délicieuse.  Une  partie  de  cette  action  historique 
se  passe  dans  la  ville  de  Poutivl,  l'autre  dans  le  Stane  du  Khan  de  Polo- 
wesk,  Kontchak.  Les  chœurs  et  ballets  russes  et  tartares  sont  charmants. 
Mmes  Olguina  et  Slavina,  ainsi  que  MM.  Melnikoff,  Vassilieff,  Ougrinowitch, 
Stawrinsky,  etc.,  ont  admirablement  chanté.  Ces  deux  derniers  avaient 
des  rôles  d'ivrognes  gais.  On  a  remarqué  que  dans  cet  opéra  le  peuple  et  les 
princes  boivent  énormément.  Le  premier,  le  troisième  et  le  quatrième 
acte  finissent  par  des  scènes  d'ivrognerie,  ce  qui  achève  de  donner  un 
caractère  national  à  cet  opéra,  dont  les  décors  et  les  costumes  sont  d'une 
splendeur  russo-byzantine  faisant  honneur  au  goût  artistique  du  directeur 
des  théâtres  impériaux,  M.  Wsewolodsky. —  Les  Pétersbourgeois  ont  passé 
des  nuits  glaciales,  depuis  quatre  heures  du  matin  jusqu'au  soir,  à  faire 
queue  pour  avoir  des  billets  pour  les  concerts  de  la  Patti.  On  espère 
l'arrivée  de  Mmc  Melba  pour  le  mois  de  janvier.  Elle  débuterait  dans  le 
même  moment  que  les  frères  de  Beszké.  Voilà  le  grand  Opéra  de  Paris 
chez  nous  ;  il  serait  curieux  de  faire  un  chassé-croisé. 

—  Nous  avons  dit  qu'on  se  préparait  à  célébrer,  à  Saint-Pétersbourg,  le 
vingt-cinquième  anniversaire  de  l'entrée  dans  la  carrière  du  compositeur 
Tschaïkowski.  A  cette  occasion  on  donnera  un  grand  concert  symphonique 
uniquement  composé  d'œuvres  de  cet  artiste  et  qui  sera  dirigé  par  son 
illustre  confrère  Antoine  Buhinstein. 

—  Le  succès  étonnant  de  Cavalleria  rusticana  sur  les  scènes  italiennes, 
que  quelques-uns  jugent  excessif,  suscite  dans  certains  esprits  quelque 
défiance  qu'un  journal  de  Milan,  la  Lanterna,  nous  fait  connaître  avec  une 
franchise  assez  rare:  —  «  Nous  comprenons  facilement,  dit  ce  journal, 
qu'à  une  époque  où  une  myriade  d'œuvres  musicales  s'offrent  à  la  scène 
sans  que  jamais  un  éclair  de  génie  vienne  rompre  la  monotone  obscurité 
des  insuccès,  l'apparition  d'un  ouvrage  qui  a  su  exciter  le  fanatisme  du 
public  devait  être  accueillie  avec  défiance.  Nous  comprenons  de  même 
que  les  exagérations  qui  ont  accompagné  les  débuts  du  jeune  Mascagni 
n'ont  fait  qu'accroitre  les  doutes  sur  la  valeur  musicale  de  la  Cavalleria 
rusticana.  Mais  de  l'attente  mêlée  de  défiance  à  l'ostracisme  projeté  (pro- 
jeté par  la  critique  milanaise),  il  y  a  un  abîme.  Et  si  la  première  pouvait 
être  justifiée  par  l'apparition  surprenante  d'un  génie  fécond  dans  le  monde 
théâtral  moderne,  le  second  révèle  seulement  l'idée  préconçue  de  critique, 
pour  le  seul  plaisir  de  s'ériger  en  censeurs  infaillibles.  —  Si  la  Cavalleria 
rusticana  nous  était  venue  de  l'étranger,  surtout  avec  un  passeport  ludesque, 
on  peut  tenir  pour  certain  que  les  dénigreurs  actuels  de  ce  travail  musi- 
cal auraient  crié  hosanna  à  plein  gosier,  affirmant  avec  une  emphase  de 
circonstance,  qu'on  ne  devait  pas  s'occuper  des  murmures  des  porte-per- 
ruques (parruccani),  mais  bien  s'en  rapporter  au  verdict  du  public,  seul  et 
vrai  juge  !  —  Mais  l'opéra  de  Mascagni  était  né  sous  le  beau  ciel  d'Italie; 
on  ne  pouvait  donc  le  tenir  pour  bon,  par  la  seule  raison  qu'il  ne  por- 
tait point  l'étiquette  allemande,  ni  le  timbre  de  la  maison  Wagner  et  Cie  !!! 
Alors  on  nie  le  succès  de  l'opéra,  on  nie  sa  valeur  musicale,  on  cherche 
avec  art  à  détruire  le  piédestal  sur  lequel  l'opinion  publique  a  placé  le 
jeune  maestro.  Et,  semblables  aux  grenouilles  qui  croassent  après  lalune, 
quelques  prétendus  critiques  montent  en  chaire  et  griffonnent  de  petits 
articles  pleins  de  phrases  retentissantes,  espérant  ainsi  convaincre  le  bon 
public.  Mais  ils  ont  beau  crier,  la  Cavalleria,  bien  que  rusticana,  a  poursuivi 
et  poursuit  sa  brillante  carrière,  marchant  de  succès  en  succès  sur  nos 
principaux  théâtres.  Du  reste,  l'ouvrage  de  Mascagni  se  donnera  sous  peu 
à  la  Scala,  et  nous  verrons  alors  si  le  public  milanais  se  laissera  persua- 
der par  les  balivernes  des  petits  savants  de  la  critique,  ou  si,  jugeant 
avec  son  propre  bon  sens,  il  confirmera  le  verdict  de  tant  d'autres  villes, 
laissant  les  incrédules  avec  un  pied  de  nez,  pied  de  nez  qui  ne  fera  pas 
grand  mal  aux  critiques  milanais.  » 

—  Petites  nouvelles  d'Italie.  —  Le  ministre  de  l'instruction  publique 
vient  d'ouvrir  un  concours  pour  la  composition  de  chants  destinés  à  être 
exécutés  dans  les  écoles  normales,  dans  les  écoles  pTimaires  et  dans  les 
asiles  infantiles.  —  Le  nouvel  opéra  de  M.  Carlos  Gomes  destiné  à  la  Scala 
de  Milan  et  qui  devait  s'appeler  Condor,  a  changé  de  titre  et  sera  joué 
sous  celui  de  Gabriella.  —  Celui  de  M.  Giannelti,  Manoli/lo,  qui  devait  être 
représenté  au  théâtre  Bellini  de  Naples,  passe  avec  armes  et  bagages  au 
grand  théâtre  San-Carlo.  —  A  Borne,  apparition  de  deux  opérettes  nou- 
velles :  l'une,  Faccennone  e  Cordalcnta,  de  M.  Pippo  Tamburi.,  au  théâtre 
Hossini;  l'autre,  en  dialecte  romanesque,  l'Arrabiate  pe'marito,  dont  on  ne 
nous  fait  pas  connaître  l'auteur,  au  théâtre  Métastase.  —  A  Florence,  le 
vieux  maestro  Sborgi  a  fait  entendre  à  quelques  privilégiés,  dans  une 
réunion  intime,  la  musique  d'un  opéra  en  quatre  actes  intitulé  Monaldesca. 
Un  groupe  d'amis  et  de  journalistes  s'est  formé  pour  effectuer  les  démar- 
ches destinées  à  obtenir  la  représentation  de  l'œuvre  du  vieil  artiste.  — 
Le  Pungolo  de  Naples  croit  pouvoir  affirmer  que  M.  Edouard  Sonzogno  a 
chargé  deux  élèves  du  Conservatoire  de  cette  ville,  MM.  Cilea  et  Giordano, 
d'écrire  chacun  un  opéra,  l'un  sur  des  paroles  de  M.  Daspuro,  l'autre  sur 
un  poème  de  M.  Zanardini.  —  L'Académie  philharmonique  de  Bologne 
vient  de  clore  le  concours  qu'elle  avait  ouvert  pour  la  composition  d'une 
messe  à  quatre  voix  et  chœur,  avec  accompagnement  d'orchestre  ;  vingt- 
deux  manuscrits  lui  ont  été  présentés.  —  A  Bologne  aussi,  on  vient  de 
publier  une   grande   Messe  de  Reijuiem  à  quatre  voix,    avec  orchestre,  de 


LE  MENESTREL 


367 


M.  Alessandro  Busi,  professeur  au  Lycée  musical.  Les  critiques  font  de 
cette  œuvre  le  plus  grand  éloge,  et  assurent  que  c'est  la  plus  belle  messe 
de  Requiem  qui,  depuis  celle  de  Verdi,  ait  été  écrite  par  une  plume  italienne. 

—  La  correspondance  romaine  du  Figaro  nous  annonce  que  l'opéra  de 
M.  Jules  Cottrau,  Griselda,  qui  vient  d'être  représenté  à  Florence  avec  un 
si  grand  succès,  sera  joué  prochainement  sur  l'un  des  théâtres  de  Rome, 
où  une  cantatrice  française,  Mme  Dorsay,  en  a  fait  connaître  récemment, 
dans  un  salon  artistique,  plusieurs  morceaux  qui  ont  été  accueillis  avec 
la  plus  grande  faveur. 

—  Un  incident  s'est  produit  récemment  au  théâtre  de  Trévise  pendant 
une  représentation  d'Hamlet,  où  notre  compatriote  M"0  Galvé  remplissait 
le  rôle  d'Ophélie.  M110  Calvé  venait  à  peine  d'achever  le  grand  air  qui 
suit  la  scène  de  l'éloignement  d'Hamlet,  lorsqu'elle  fut  tout  à  coup  prise 
de  faiblesse  et  tomba  évanouie  dans  les  bras  de  l'actrice  qui  jouait  la  reine. 
Il  fallut  baisser  la  toile  et  transporter  la  cantatrice  dans  sa  loge.  Après 
une  assez  longue  interruption,  le  spectacle  fut  repris  à  la  scène  des  co- 
médiens, et  Mlle  Calvé,  remise  de  son  indisposition,  put  reparaître  ensuite,  • 
aux  grands  applaudissements  du  public.  : 

—  Nous  avons  dit  qu'un  petit  cycle  d'opéras  bouffes  de  Donizetti  allait 
succéder,  au  Théâtre  National  de  Rome,  à  la  série  d'opéras  bouffes  de 
Rossini  qui  venait  d'obtenir  tant  de  succès.  Les  trois  ouvrages  choisis 
étaient  VEUsire  d'amore,  la  Recjina  di  Golconda  et  la  Figlia  del  reggimento.  La 
représentation  de  VEUsire  a  eu  lieu  devant  une  foule  énorme  et  visible- 
ment désireuse  du  succès;  mais  l'exécution  générale  était  si  faible  de  la 
part  des  chœurs  et  de  l'orchestre,  si  fâcheuse  en  ce  qui  concerne  le  bary- 
ton chargé  du  rôle  de  Belcore,  que  la  soirée  a  été  navrante.  On  signale 
seulement  les  bonnes  qualités  dont  ont  fait  preuve  MUe  Elena  Teriane  dans 
le  rôle  d'Adina  et  M.  Lombardi  dans  celui  de  Nemorino. 

—  Nouvelles  de  Londres.  —  La  semaine  a  été  meilleure  à  Covent-Gar- 
den.  La  reprise  d'Orphée  constitue  le  principal  événement  artistique  de 
cette  courte  saison  d'opéra,  et  l'impression  produite  est  tout  à  l'actif  de 
M.  Lago,  quand  on  tient  compte  des  éléments  dont  il  pouvait  disposer. 
La  belle  partition  de  Gluck,  depuis  longtemps  délaissée  en  Angleterre  et 
complètement  inconnue  à  toute  une  génération  d'amateurs,  est  sortie 
triomphante  de  cette  épreuve,  et  la  merveilleuse  scène  des  Champs-Elysées, 
surtout,  a  produit  un  enchantement  général.  Le  rôle  d'Orphée  a  trouvé  en 
Mlle  Giulia  Ravogli  une  interprète  de  grande  valeur.  Sans  partager  l'en- 
thousiasme de  la  presse  locale,  qui  a  épuisé  son  répertoire  de  louanges  et 
affronté  toutes  les  comparaisons,  il  faut  néanmoins  constater  le  succès 
très  franc  et  très  mérité  de  la  jeune  artiste.  Certes,  la  voix  est  insuffisante 
dans  le  grave,  et  la  vocalisation  de  l'air  de  Bertoni  n'a  pas  été  d'une 
grande  correction.  Mais  ces  réserves  une  fois  faites,  on  doit  reconnaître 
que  MUg  Ravogli  possède  à  fond  ce  rôle  redoutable,  qu'elle  l'a  tenu  d'un 
bout  à  l'autre  avec  une  conscience  tout  artistique,  et  que,  comédienne 
intelligente,  elle  a  été  très  adroite  dans  la  fameuse  scène  muette.  A  côté 
d'elle,  les  rôles  d'Eurydice  et  de  l'Amour  sont  tenus  d'une  façon  insuffi- 
sante. Faibles  aussi  les  chœurs,  qui  ont  manqué  de  sonorité  dans  la  ter- 
rible scène  de  l'Enfer.  Inutile  d'insister  sur  les  incongruités  de  la  mise 
en  scène  :  le  Paradis  d'Indra  a  été  chargé  de  représenter  les  Champs- 
Elysées,  et  c'est  ce  qu'il  y  avait  de  plus  approchant  comme  couleur  locale. 
Un  bon  point  à  l'orchestre,  dirigé  par  M.  Bevignani.  La  reprise  de  Lohen- 
grin  a  fourni  à  Mme  Albani  l'occasion  de  se  faire  entendre  dans  un  de  ses 
meilleurs  rôles.  Elle  aurait  dû  laisser  le  public  sous  cette  bonne  impres- 
sion et  ne  pas  aborder  celui  de  Valentine,  des  Huguenots,  dont  la  mu- 
sique est  au-dessus  de  ses  moyens.  Une  indisposition  de  M.  Maurel  a 
enlevé  à  la  reprise  de  Rigoletlo  son  principal  intérêt.  On  espère  que 
l'éminent  baryton  français  pourra  faire  sa  rentrée  dans  ce  même  rôle,  ce 
soir  jeudi,  et  Tannhàuser,  avec  Mmc  Albani  et  Maurel,  est  annoncé  pour- 
mardi  prochain.  A.  G.  N. 

PARIS    ET    DEPARTEMENTS 

Le  ministre  des  beaux-arts  a  été  entendu,  cette  semaine,  à  la  com- 
mission du  budget,  relativement  à  la  question  de  l'Opéra  et  aux  difficultés 
qui  s'élèvent  au  sujet  de  la  réfection  des  décors.  Il  a  indiqué  quels  sont 
les  droits  que  l'État  croit  avoir.  Le  conseil  judiciaire  du  ministère  croit 
que  ces  droits  dérivent  de  l'article  34  du  cahier  des  charges.  Aux  termes 
de  cet  article,  la  direction  de  l'Opéra  est  tenue  de  rendre  les  décors  égaux 
en  nombre  à  ceux  qu'il  a  reçus  et  de  les  rendre  en  bon  état  de  réparation.  Le 
ministre  expose  qu'il  a  pu  croire  un  instant  que  l'accord  allait  s'établir 
entre  la  direction  et  lui.  Le  31  juillet,  en  effet,  M.  Ritt  consentait  en  prin- 
cipe à  la  réfection  des  décors.  Mais  l'accord  n'a  pu  s'établir  quand  on  est 
arrivé  aux  questions  de  chiffres.  Le  ministre  demandait  à  la  direction  de 
l'Opéra  un  sacrifice  de  250,000  francs.  A  savoir,  130,000  francs  immédia- 
tement et  100,000  francs  à  répartir  sur  la  subvention  des  deux  années 
restant  à  courir.  Finalement,  M.  Ritt  a  répondu  que  le  cahier  des  charges 
ne  l'obligeait  pas  à  ce  sacrifice  ;  qu'il  avait  fait  une  offre  gracieuse,  mais 
que  l'interprétation  du  traité  ne  faisait  aucun  doute  à  ses  yeux.  Dans  cette 
situation,  le  ministre  déclare  qu'il  se  voit  dans  la  nécessité  de  faire  un 
procès.  Le  procès  ne  peut  être  engagé  aujourd'hui,  mais  seulement  à 
l'expiration  de  la  concession.  Du  reste,  pour  se  couvrir  du  risque,  le 
gouvernement  a  le  cautionnement  de  400,000  francs.  Le  ministre  croit 
donc  que  la  subvention  peut  être  votée  sans  qu'il  soit  porté  atteinte  aux 
droits  de  l'État.  Sous  le  bénéfice  de  ces  observations,  la  commission  a  voté 
la  subvention  pour  1891,  comme  le  demandait  le  ministre. 


—  Ainsi  donc  la  commission  s'est  quelque,  peu  déjugée,  puisque,  dans 
les  précédentes  séances,  elle  avait  décidé  de  supprimer  mille  francs  de 
la  subvention  pour  marquer  son  mécontement  de  la  triste  gestion  de 
MM.  Ritt  et  Gailhard.  Elle  aurait  dû  s'en  tenir  là;  il  eût  été  excellent 
que  les  éminents  directeurs  reçussent  cet  avertissement.  Il  n'est  pas  dit 
d'ailleurs  que  la  Chambre  des  députés  n'y  revienne  pas. 

—  Voici  l'opinion  de  M.  Francis  Magnard,  du  Figaro,  sur  la  question; 
elle  portera  d'autant  plus  qu'elle  émane  d'un  esprit  absolument  modéré  et 
marqué  au  coin  du  bon  sens  :  «  On  discute  sur  l'interprétation  du  contrat 
que  M.  Fallières,  méridional  comme  M.  Gailhard,  paraît  avoir  assez  légère- 
ment signé  autrefois.  C'est,  d'ailleurs,  un  simple  épisode  dans  le  gros  débat 
artistique  soulevé  par  la  direction  de  l'Opéra  et  le  mécontentement  légi- 
time qu'elle  inspire  à  tous  les  artistes.  Le  privilège  de  M.  Ritt  n'est  pas 
encore  en  discussion,  et  nous  supposons  que  son  associé  et  lui  feront 
l'impossible  pour  qu'il  soit  renouvelé.  On  peut  croire  qu'en  jouant  l'autre 
soir  un  acte  entier  de  Lohengrin,  M.  Gailhard  avait  voulu  montrer  que  lui 
aussi  s'intéresse  à  l'art  moderne,  aux  idées  novatrices.  Nous  croyons 
cependant  qu'il  faudrait  dès  à  présent  leur  faire  comprendre  que  leur 
règne  va  finir.  Je  ne  dis  pas  qu'ils  n'aient  pas  fait  de  leur  mieux,  mais 
c'est  précisément  pourquoi  il  faut  les  remplacer.  Leur  mieux  ayant  été, 
comme  dit  le  proverbe,  l'ennemi  du  bien,  il  y  aurait  lieu  d'essayer  une 
autre  direction,  ne  fût-ce  que  pour  voir  comment  elle  s'en  tirerait.  M.  Ritt 
est  très  vieux,  très  cassé  et  très  peu  artiste.  M.  Gailhard  n'a  marqué  son 
passage  dans  le  casino  qu'a  bâti  M.  Garnier  ni  par  le  luxe  des  décors,  ni 
par  l'élégance  des  costumes,  ni  par  l'élan  artistique  imprimé  à  un  orchestre 
endormi,  à  des  chœurs  machinaux,  à  des  premiers  sujets  tout  à  fait  infé- 
rieurs à  leur  fonction.  En  supposant  que  leur  successeur,  quel  qu'il  soit, 
ne  fasse  pas  mieux  qu'eux,  il  ne  fera  certainement  pas  pis;  c'est  impos- 
sible. Une  fois  l'expérience  tentée,  et  si  l'introduction  d'un  esprit  nouveau 
dans  la  vieille  maison  de  musique  n'a  pas  réussi,  on  en  sera  quitte  pour 
en  revenir  aux  errements  du  passé  et  pour  rappeler  au  besoin  l'excellent 
M.  Gailhard,  qui  a  encore,  je  l'espère  pour  lui,  une  longue  carrière  à 
parcourir  et  qui,  dans  l'intervalle,  aura  pu  diriger  supérieurement  l'opéra 
d'Avignon  ou   de  Toulouse.  » 

—  Le  capitaine  Fracasse,  de  l'Echo  de  Paris,  est  encore  plus  catégorique: 
«  La  commission  du  budget,  dit-il,  a  décidé  de  proposer  au  Parlement  le 
vote  de  la  subvention  de  l'Opéra,  en  se  réservant  d'intenter  un  procès 
aux  deux  directeurs,  à  l'expiration  de  leur  privilège,  pour  la  réfection  des 
décors.  Accorder  huit  cent  mille  francs  de  subvention  à  des  gaillards  qui 
refusent  de  payer  250,000  francs  dus  à  l'État,  ce  serait  véritablement  un 
comble.  Nous  pensons,  nous,  qu'il  se  trouvera  un  député  assez  intelligent 
pour  se  lever  et  dire  :  «  Simplifions  la  question  et  supprimons  le  procès, 
en  diminuant  la  subvention  de  250,000  francs.  » 

—  M.  Louis  Besson,  de  l'Evénement,  conclut  ainsi: —  «  Si  un  accord  n'in- 
tervient pas  à  brève  échéance,  il  faut  considérer  que  la  succession  de 
MM.  Ritt  et  Gailhard  sera  virtuellement  ouverte  à  l'expiration  du  privilège 
actuel,  c'est-à-dire  au  1er  décembre  1891  ».  Ainsi  soit-il;  mais  ce  serait  une 
grosse  faute  d'attendre  jusque-là.  Il  se  passe  bien  des  événements  en  une 
année:  M.  Bourgeois,  dontil  faut  reconnaître  lesbonnes  dispositions,  peut 
n'être  plus  ministre.  Le  camarade  de  ces  messieurs,  le  complaisant 
M.  Fallières,  celui  qui  leur  a  consenti  l'étonnant  cahier  des  charges  que 
l'on  sait,  peut  revenir  aux  affaires.  Et  alors  ?  Le  dénouement  est  prévu. 
Si  les  Chambres  étaient  sages,  si  elles  avaient  quelque  souci  des  inté- 
rêts de  Fart  musical,  elles  devraient  nous  débarrasser  de  suite  du  gars  de 
Toulouse  et  de  son  vieux  complice.  Ce  serait  une  satisfaction  donnée  à 
l'opinion  publique. 

—  Pour  des  raisons  toutes  personnelles,  et  d'un  commun  accord, 
MM.  Ritt  et  Gailhard  se  sont,  à  leur  grand  regret,  séparés  de  leur  colla- 
borateur M.  Emile  Blavet,  qui,  depuis  six  ans,  occupait  les  fonctions  de 
secrétaire  général  de  l'Opéra.  Tous  nos  compliments  à  M.  Blavet. 

—  Vendredi  dernier,  Mm0  Melba  a  chanté,  pour  la  première  fois  à  Paris, 
le  rôle  de  Gilda  de  Rigoletlo.  La  brillante  cantatrice  y  a  obtenu  un  très  vif 
succès,  à  côté  de  M.  Lassalle  dans  le  rôle  du  bouffon.  L'air  du  2e  acte  et 
le  fameux  quatuor  lui  ont  valu  de  véritables  ovations.  —  On  dit  que 
MUc  Bréval  sera  prête  à  débuter,  au  commencement  de  décembre,  dans  le 
rôle  de  l'Africaine.  On  annonce  pour  le  même  mois  les  reprises  d'Henri  VI11 
et  de  Patrie.  —  Cette  semaine,  on  a  eu  les  débuts  de  MUe  Lovventz  dans 
la  reine  des  Huguenots.  Pas  de  service  à  la  presse.  On  sait  que  la  direction 
n'ose  plus  soumettre  au  jugement  des  critiques  les  sujets  souvent  extra- 
ordinaires qu'elle  racole  ici  ou  là  dans  les  prix  doux.  Les  notes  officielles 
envoyées  par  l'administration  elle-même  aux  journaux  constatent  que  la 
voix  de  la  débutante  a  de  l'éclat  dans  les  notes  élevées,  mais  qu'elle 
manque  un  peu  d'ampleur  et  parfois  de  sûreté.  Tenons  le  jugement  pour 
bon,  puisqu'il  ne  nous  a  pas  été  possible  de  le  contrôler. 

—  La  commission  théâtrale  pour  l'érection  du  monument  Bizet  s'est 
réunie  cette  semaine,  et  s'est  occupée  spécialement  de  la  grande  repré- 
sentation extraordinaire  qui  doit  être  donnée  à  l'Opéra-Comique. 
M.  Porel  a  annoncé  que  la  représentation  de  V Artésienne,  au  bénéfice  de 
l'œuvre,  était  fixée  à  l'Odéon  au  29  novembre  prochain.  M.  Verdhurt, 
directeur  du  Théâtre-Lyrique,  a  écrit  au  président  de  la  commission  que 
la  représentation  de  la  Jolie  Fille  de  Perth,  organisée  dans  le  même   but, 


368 


LE  MÉNESTREL 


aurait  lieu  la  semaine  prochaine,  et  que  cette  représentation  serait  com- 
plétée par  des  intermèdes  attrayants.  La  commission  a  voté  des  remer- 
ciements à  MM.  Porel  et  Verdhurt,  ainsi  qu'à  M.  Colonne,  qui  a  versé 
à  la  souscription  la  somme  de  2,030  fr.  30  c,  bénéfice  produit  par  le 
concert  du  Chàtelet  de  dimanche  dernier. —  A  ajouter  aux  souscriptions 
faites  au  Ménestrel  :  M.  Paladilhe,  20  francs. 

—  L'Association  des  artistes  musiciens,  fondée  par  le  haron  Taylor,  cé- 
lébrera cette  année,  selon  sa  coutume,  la  Sainte-Cécile,  en  faisant  exécu- 
ter en  l'église  Saint-Eustache,  le. samedi  22  novembre,  la  messe  solennelle 
de  M.  René  de  Boisdeffre  pour  soli,  choeurs,  orgue  et  orchestre.  Les  soti 
seront  chantés  par  MM.  Gibert  et  Renaud  et  l'exécution  sera  dirigée  par 
M.  Danbé.  A  l'offertoire,  MM.  Charles  et  Léopold  Dancla  feront  entendre 
une  Hymne  à  Sainte  Cécile  pour  deux  violons,  harpe  et  orgue,  de  M.  Charles 
Dancla,  et  après  l'élévation,  M.  Georges  Gillet  exécutera  sur  le  hautbois 
une  Prière  de  Mme  C.   de  Grandval. 

—  L'Odéon  continue  ses  incursions  dans  le  domaine  musical.  On  an- 
nonce la  prochaine  apparition  à  ce  théâtre  d'une  adaptation  de  VAlceste 
d'Euripide,  faite  par  M.  Alfred  Gassier,  et  dont  le  rôle  principal  serait 
tenu  par  Mme  Segond-Weber.  La  représentation  de  cet  ouvrage  serait  ac- 
compagnée de  divers  fragments  de  VAlceste  de  Gluck,  dont  l'exécution  serait 
confiée,  comme  à  l'ordinaire,  à  M.  Lamoureux  et  à  son  orchestre. 

'  —  D'autre  part,  on  annonce  aussi  que  le  drame  de  M.  Joseph  Fabre, 
Jeanne  d'Arc,  dont  il  a  été  beaucoup  parlé  en  ces  derniers  temps,  serait 
joué  prochainement  au  théâtre  du  Chàtelet,  et  que  pour  la  représentation 
de  ce  drame  M.  Benjamin  Godard  se  chargerait  d'écrire  un  certain  nom- 
bre de  morceaux.  D'autres  disent  que  ce  sera  M.  Léon  Vasseur. 

—  Le  quatrième  concert  du  Chàtelet  était  donné  au  profit  de  la  souscrip- 
tion du  monument  de  Bizet,  et  ne  comprenait  que  des  œuvres  de  ce  com- 
positeur. Des  auditions  de  cette  nature  ne  manquent  pas  d'engendrer  la 
monotonie  quand  le  musicien  n'a  qu'un  style  et  varie  peu  l'expression  de 
sa  pensée.  Ce  n'est  pas  le  cas  pour  Bizet.  Les  morceaux  qu'on  nous  a 
donnés,  choisis  parmi  les  meilleurs,  montrent  combien  étaient  grandes 
les  ressources  de  cet  homme  de  génie,  mort  avant  d'avoir  donné  tout  ce 
qu'il  promettait,  et  combien  il  excellait  à  peindre  des  situations  diverses 
avec  les  couleurs  appropriées  au  sujet;  le  pinceau  qu'il  emploie  pour 
peindre  Carmen  n'est  pas  le  même  qu'il  emploie  pour  peindre  V Artésienne  : 
Carmen,  c'est  l'Espagne;  l'Arlésienne,  c'est  la  Provence.  En  même  temps 
qu'il  a  une  entente  admirable  de  la  couleur  locale,  Bizet  est  profondé- 
ment nourri  des  traditions  des  maîtres.  Il  les  a  tous  étudiés,  aussi  bien 
les  classiques  que  les  modernes  ;  ce  n'est  pas  le  diminuer  que  de  dire  que 
si,  dans  sa  belle  ouverture  de  Patrie,  on  sent  passer  le  souffle  de  Meyer- 
beer  et  de  Berlioz,  on  sent  dans  Roma  l'influence  de  Mendelssohn,  et  dans 
les  Pécheurs  de  Perles  celle  de  Gluck.  Ce  n'est  que  dans  Carmen  et  dans 
l'Arlésienne  qu'on  sent  une  originalité  propre,  une  âme  d'artiste  qui  a  pris 
possession  d'elle-même.  A  ce  contact  perpétuel  avec  les  maîtres,  Bizet  a 
gagné  deux  qualités  exquises  :  la  pureté  de  la  forme  et  la  grâce  mélo- 
lodique;  il  a  de  plus  la  clarté;  tout  est  net,  limpide  chez  lui,  rien  de 
cette  obscurité  qui  vise  à  la  profondeur,  rien  de  ces  procédés  enfantins 
qui  font  l'admiration  des  badauds;  on  comprend  tout  ce  qu'il  veut  dire 
parce  qu'il  le  dit  honnêtement,  sincèrement  et  clairement  ;  il  connaît  en- 
fin toutes  les  ressources  de  l'instrumentration  moderne ,  et  il  en  use 
avec  sobriété,  ce  qui  est  un  charme  de  plus;  il  n'étouffe  pas  les  instru- 
ments à  cordes  sous  les  herbes  parasites,  il  réserve  les  autres  intruments 
pour  leur  véritable  usage,  pour  leur  véritable  destination,  qui  est  de 
donner  la  couleur  au  discours  musical.  Bizet,  s'il  eut  vécu,  aurait  indu- 
bitablement produit  des  chefs-d'œuvre  ;  une  partie  de  ses  compositions 
ne  sont  que  des  essais  où  le  maître  cherche  sa  voie,  dans  l'Arlésienne,  il 
est  sûr  de  lui  ;  dans  Carmen  aussi  ;  et  c'est  alors  qu'il  meurt  !  La  mort  de 
Bizet  a  été  réellement  une  grande  perte  pour  l'art  français,  il  eût  certai- 
nement réagi  contre  les  tendances  fâcheuses  auxquelles  cèdent  trop  faci- 
lement un  grand  nombre  de  nos  artistes  contemporains;  il  eût  démontré, 
par  l'exemple,  qu'on  peut  faire  beau  et  grand  en  restant  correct  dans  la 
forme,  clair  et  mélodique  dans  l'expression.  —  La  poésie  de  M.  Louis 
Gallet,  si  bien  dite  par  M"0  du  Minil,  avait  sa  raison  d'être,  et  chacun  l'a 
applaudie.  L'orchestre  de  M.  Colonne  a  fait  merveille.  Cet  orchestre,  qui 
n'est  pas  refroidi  par  la  recherche  impeccable  de  l'exactitude  mathéma- 
tique a  ce  qu'il  faut  pour  interpréter  Bizet,  c'est-à-dire,  de  la  chaleur  et 
de  la  jeunesse.  H.  Barbedette. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  La  trilogie  de  M.  V.  d'Indy,  W allenslein,  si 
elle  fait  violence  parfois  à  notre  désir  bien  naturel  d'envisager  d'un  coup 
d'œil  le  plan  général  d'une  œuvre  de  façon  à  pouvoir  nous  rendre  compte, 
à  tout  instant,  du  point  précis  où  en  est  le  discours  musical,  dénote 
néanmoins  une  entente  réelle  des  combinaisons  thématiques,  une  grande 
dextérité  dans  le  maniement  des  sonorités,  et  la  préoccupation  constante 
de  n'acccepter  que  des  motifs  bien  caractéristiques.  L'ouvrage,  qui  se  sou- 
tient depuis  près  de  quatre  ans,  est  toujours  accueilli  avec  succès.  Le 
concerto  en  fa  mineur  de  M.  Lalo  a  été  rendu  par  M.  Louis  Diémeravec  une 
virtuosité  qui  exclut  l'idée  même  d'un  effort  et  avec  une  grande  noblesse 
de  style.  La  salle  entière  a  fait  à  l'exécutant  une  ovation  aussi  chaleu- 
reuse que  légitime.  L'ouverture  de  Gicendoline  de  M.  Emm.  Chabrier  im- 
pressionne vivement  par   l'allure   entraînante  de  mélodies    qui    semblent 


s'immerger  dans  un  océan  de  frémissantes  harmonies;  c'est  là  de  la 
musique  bien  écrite  pour  le  théâtre,  large  et  sans  raffinement.  Le  troi- 
siè  me  morceau  de  la  suite  d'orchestre  à'Esclarmonde,  Hyménée,  a  été  très 
goûté,  car  il  présente  sous  une  face  quelque  peu  nouvelle  le  talent  fin  et 
délicat  de  M.  Massenet.  La  ballade  pour  orchestre  de  M.Chevillard,  œuvre 
distinguée  et  bien  équilibrée,  a  été  favorablement  accueillie.  Le  Cortège  de 
Bacchus,  extrait  du  ballet  de  Sylvia  de  M.  Léo  Delibes,  a  terminé,  sur  une 
note  étincelante  et  spirituelle,  cette  séance  qui  avait  commencé  par  une 
excellente  exécution  de  l'ouverture  de  Benvenuto  Cellini,  de  Berlioz. 

Amédée  Boutarel. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Chàtelet,  concert  Colonne.  —  Symphonie  fantastique  (H.  Berlioz);  Fantaisie, 
op.  15  (F.  Schubert),  par  M.  Bieitner;  ballet  i'Ascanio  (Saint-Saëns)  ;  Scènes  alsa- 
ciennes i  Massenet);  airs  des  Pêcheurs  de  perles  (G.  Bizet),  chantés  par  MM.  Auguez 
et   Waimbrodt;  la  Chevauchée  des  Walkyries  (R.  Wagner). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamtiureux.  —  Symphonie  en  si  bémol, 
n°  4  (Beethoven);  le  Rouet  dOmphale  (Saint-Saëns);  allegro  de  concerto  pour  vio- 
lon (Paganini),  par  M.  Kosman  ;  marche  des  Pèlerins,  i'Barold  (Berlioz);  ouver- 
ture de  Gicendoline  (Chabrier)  ;  les  Murmures  de  la  Forêt,  de  Siegfried  (Wagner); 
fragments  symphoniques  des  Maîtres  Chanteurs  (Wagner).  '.  "itj 

—  On  écrit  de  Toulouse  :  «  Ou  se  rappelle  que  M.  Tapiau,  directeur  du 
Capitale,  adressa  le  mois  dernier,  au  conseil  municipal,  une  demande  en 
avance  de  la  somme  prévue  au  cahier  des  charges  pour  l'achat  des  décors 
né  cessaires  à  monter  le  grand  ouvrage  lyrique  annuellement  imposé  par 
ce  même  cahier  des  charges.  Il  s'agissait  en  l'espèce,  on  le  sait,  du 
Lohengrin  de  Richard  Wagner.  M.  Tapiau  annonçait  qu'il  avait  traité 
avec  M.  Lamoureux  pour  l'achat  du  matériel  ayant  servi  à  l'unique  repré- 
sentation donnée  de  l'œuvre  à  l'Eden,  de  Paris.  Coût:  10,000  francs,  qu'il 

fallait  payer  de  suite.  D'où,  la  demande  d'avances.  Le  conseil  municipal 
émit  un  vote  favorable.  Mais  voici  que  M.  Lamoureux  se  refuse  mainte- 
nant  à  tenir  ses  engagements,  sous  prétexte  que  la  conclusion  du  marché 
s'est  trop  longtemps  fait  attendre.  Des  hommes  de  loi  ont  été  consultés. 
Ils  sont  unanimes  à  déclarer  que  les  droits  de  M.  Tapiau  sont  contes- 
tables. Donc,  sommation  a  été  signifiée  à  M.  Lamoureux  d'avoir  à  livrer 
immédiatement  les  décors  de  Lohengrin.  S'il  s'y  refuse  encore,  on  plai- 
dera. »  —  Voici  les  explications  données  par  M.  Charles  Lamoureux  : 
«  Après  cinq  mois  de  pourparlers  sans  résultat,  malgré  son  grand  désir 
de  donner  la  préférence  à  un  directeur  français  sur  d'autres  offres  plus 
avantageuses,  venant  de  l'étranger,  devant  des  hésitations  indéfinies  et  des 
restrictions  nouvelles  apportées  par  chaque  lettre,  M.  Charles  Lamoureux 
se  décida  à  demander  au  maire  de  Toulouse,  avec  lequel  il  avait  été  mis 
en  rapport  par  M.  Tapiau,  une  réponse  définitive  dans  un  délai  donné. 
C  e  délai  ayant  été  dépassé,  M.  Lamoureux  a  repris  sa  liberté.  Donc,  il  n'y 
a  pas  eu  de  traité,  mais  simplement  des  pourparlers,  dans  lesquels  M.  La- 
moureux a  mis  toute  la  bonne  volonté  possible.  » 

NÉCROLOGIE 

Un  grand  malheur  vient  de  frapper  Mm°  Marchesi,  l'émment  professeur 
de  chant,  et  son  digne  mari,  le  marquis  de  Castrone.  Après  avoir  reçu  le 
matin  même  une  lettre  charmante  et  tout  enjouée  de  sa  fille  Thérèse,  qui 
était  mariée  à  Rome,  elle  recevait,  le  soir,  un  télégramme  lui  annonçant  la 
mort  subite  de  cette  fille  chérie.  La  désolation  de  la  grande  artiste  fait 
mal  à  voir.  Une  messe  a  été  célébrée  jeudi,  pour  le  repos  de  l'âme  de  la 
pauvre  regrettée,  en  l'église  des  Passionnistes.  Tous  les  amis  du  marquis 
et  de  la  marquise  de  Castrone  étaient  reunis  là,  très  tristes  et  très  affligés 
de  ce  douloureux  événement. 

—  Une  dépêche  de  Saint-Pétersbourg  a  annoncé,  cette  semaine,  la 
mort  de  la  comtesse  Louisa  de  Mercy-Argenteau,  dont  la  réputation 
d'esprit  et  de  beauté  fut  grande  sous  l'empire,  et  qui  depuis  la  mort  de 
son  mari,  en  1888,  avait  quitté  la  Belgique  'pour  aller  se  fixer  en  Russie. 
On  sait  que  la  comtesse  de  Mercy-Argenteau  a  fait,  pendant  plusieurs 
années,  de  longs  et  fructueux  efforts  pour  la  propagatioa  de  la  musique 
russe,  et  qu'elle  a  publié  sur  l'un  jdes  artistes  russes  les  plus  en  vue, 
M.  César  Cui,  un  livre  intéressant.  Agée  de  cinquante-trois  ans,  la  com- 
tesse était  fille  du  prince  Alphonse  de  Chimay  et  de  la  princesse  Marie 
de  Caraman  ;  son  mari  était  le  petit-fils  du  fameux  ambassadeur  d'Au- 
triche en  France  qui  fut  l'ami  et  le  conseiller  de  la  reine  Marie-Antoi- 
nette, le  protecteur  de  Gluck  à  Paris,  et  dont  la  liaison  avec  Rosalie 
Levasseur,  cantatrice  de  l'Opéra  et  l'interprète  préférée  do  ce  grand  com- 
positeur, est  restée  célèbre. 

—  Cette  semaine  est  morte  à  Paris,  à  l'âge  de  quarante-quatre  ans, 
Mmc  la  baronne  de  Vandeul-Escudier,  qui  s'était  fait  connaître  avanta- 
geusement comme  pianiste.  Elle  était  la  fille  de  M.  Léon  Escudier,  l'édi- 
teur de  musique,  qui  sur  la  fin  de  sa  carrière  prit  la  direction  du  Théâtre- 
Italien,  qu'il  essaya  vainement  ensuite  de  transformer  en  théâtre 
lyrique  français. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

L'EMPLOI  de  chef  de  la  musique  municipale  de  la  Rochelle  est  ac- 
tuellement vacant.  Appointements,  800  francs.  Les  demandes,  accompa- 
gnées des  références,  doivent  être  adressées  au  maire. 


:  FEB.    —  mi'MMEHIF  CIIAIX.   —   RUE   BERGERE,   20,    PARIS, 


3m  —  56me  année  —  \°  m. 


Dimanche  23  Novembre  1890. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivierme) 
(Les  mnmiscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste:  Alexis  de  Castillon  (28'  article),  Louis  Gallet.  — 
II.  Semaine  théâtrale:  Quelques  indiscrétions  sur  la  prochaine  Jeanne  d'Arc 
du  Châtelet,  Henri  Eymieu;  première  représentation  de  Dernier  Amour,  au 
Gymnase,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  La  Sonate  à  Kreutzer  (1"  article),  Arthur 
Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

MAZURKE    EOLIENNE 

de  Théodore  Lack.  —  Suivra  immédiatement  :  Noël  breton,  de  Henry  Ghys. 

CHANT 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant  :  La  Mort  du  Mari,  version  normande,  n°  19  des  Mélodies  popu- 
laires de  France,  recueillies  et  harmonisées  par  Julien  Tiersot.  —  Suivra 
immédiatement  :  Les  Sabots  et  les  Toupies,  n°  6  de  la  Chanson  des  Joujoux, 
poésies  de  Jdles  Joiy,  musique  de  Clai'dius  Blanc  et  Léopold  Dauphin. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


ALEXIS  DE   CASTILLON 


«  S'il  eût  vécu,  il  eût  été  une  sorte  de  Beethoven  moderne», 
m'a  écrit  un  jour  G.  Hartmann,  à  qui  j'ai  dû  de  connaître 
Alexis  de  Castillon. 

Camille  Saint-Saëns  a  gardé  de  cette  intéressante  person- 
nalité musicale,  qui  traverse  ma  pensée  comme  une  lointaine 
et  fugitive  image,  un  souvenir  attendri,  et  il  en  parle  avec 
une  estime  non  moins  haute. 

Il  se  plaît  à  raconter  son  enfance,  toute  tournée  d'instinct 
vers  la  musique,  dans  un  milieu  où  l'on  n'estimait  que  très 
médiocrement  les  arts. 

Le  vicomte  Alexis  de  Castillon  Saint-Victor  était,  de  par  sa 
naissance  et  son  éducation,  destiné  à  la  carrière  des  armes. 
Mais  aux  qualités  militaires  de  sa  race,  qui  devaient  faire  de 
lui  un  brillant  officier,  s'ajoutaient  des  dons  plus  rares.  Cette 
vocation  musicale,  qui,  chez  Camille  Saint-Saëns  enfant, 
s'était  librement  développée,  favorisée  par  les  soins  d'une 
admirable  mère,  devait,  assez  vivement  contrariée  chez  Alexis 
de  Castillon,  aboutir  tardivement  à  la  production  d'une  série 
d'œuvres  encore  pour  la  plupart  inconnues  du  grand  public, 
mais  tenant  une  très  large  place  dans  l'estime  de  ses  émules. 

*  # 
Il  a  passé  à  travers   le    monde    musical    pour    ainsi    dire 
inaperçu  tout  d'abord  ;    la    mort    lui  a  fait    un  instant    une 
auréole,  puis  son  nom  et  sa    personne   sont  retombés    dans 
l'ombre. 


Dans  l'ombre,  mais  non  dans  l'oubli  pour  quelques  fidèles 
qui  deviendront  foule  si  la  fortune  veut  que  l'on  s'avise  un 
jour  de  faire  entendre,  par  exemple,  cette  belle  paraphrase 
du  Psaume  84,  à  qui  je  dus  l'honneur  de  sa  collaboration. 

Cette  œuvre  importante  est  encore  inédite;  on  n'en  a  jamais 
exécuté  qu'un  fragment  en  1874.  La  partition  originale  porte 
cette  date  :  Les  Forges,  9  septembre  1872, 

C'était  en  cette  même  année  que  Saint-Saëns,  J.  Massenet, 
G.  Bizet,  L.  Delibes,  E.  Guiraud  et  Paladilhe  entraient  avec 
tant  d'ardeur  dans  la  vie  militante  et  commençaient  à  voir 
les  grands  théâtres  s'ouvrir  sérieusement  devant  eux. 


Alexis  de  Castillon,  né  en  1829,  leur  aîné  à  tous,  avait  fait 
plus  lentement  sa  route.  Bien  que  d'esprit  très  éclectique,  il 
ne  s'était  jamais  d'ailleurs  tourné  vers  la  musique  dramatique. 

La  place  qu'il  doit  occuper  dans  ces  notes  est  toute  petite  ; 
celle  qu'il  tient  dans  la  mémoire  de  ceux  qui  l'ont  aimé  est 
considérable.  Je  n'aurais  que  quelques  lignes  à  lui  consacrer 
si  je  n'évoquais  que  mes  propres  souvenirs,  mais  il  suffit  de 
son  nom  pronor.ce,  quand  se  retrouvent  ensemble  ceux  qui 
l'ont  intimement  connu,  pour  faire  aussitôt  revivre  maint 
trait  de  son  existence  laborieuse,  mainte  histoire  racontée  au 
lendemain  de  sa  mert  si  brusque. 

Je  n'ai  de  lui  que  deux  lettres,  écrites  à  propos  de  ce 
Psaume  84,  auquel  il  travaillait  avec  une  conscience  si  minu- 
tieuse et  un  enthousiasme  si  vif. 

«  Mon  psaume  est  fait,  disait-il  dans  la  dernière,  sauf  re- 
»  vision  et  il  ne  reste  plus  qu'à  l'orchestrer.  Dès  qu'il  sera 
»  tout  à  fait  présentable,  je  vous  demanderai  de  vouloir  bien 
»  l'entendre.  Je  pars  tranquille  pour  la  campagne.  » 

Quelque  temps  après,  tout  à  coup,  on  me  dit  :  «  Vous 
savez,  Castillon  est  mort  !  » 


Je  l'avais  connu  trop  peu  pour  me  dire  son  ami;  je  ne 
pouvais  avoir  conçu  pour  lui  cette  affection  vive  qui,  à  cette 
époque,  commençait  à  me  lier  à  Georges  Bizet  et  devait  me 
faire  sentir  si  vivement  le  coup  de  la  nouvelle  de  sa  mort, 
aussi  inattendue  que  celle  de  Castillon. 

Saint-Saëns,  qui  lui  avait  voué  une  amitié  profonde,  fut  à 
peine  averti  plus  vite;  sur  l'annonce  de  la  gravité  soudaine 
de  son  état,  il  accourut!  Si  promptement  qu'il  vint,  il  vint 
trop  tard;  la  mort  avait  fait  son  œuvre;  il  n'eut  pas  la  dou- 
loureuse satisfaction  d'embrasser  vivant  celui  qu'il  avait  tant 
de  fois  soutenu,  encouragé  et  défendu  de  toute  la  force  de 
son  double  talent  de  compositeur  et  de  virtuose. 


370 


LE  MENESTREL 


Et  voilà  maintenant  les  souvenirs  qui  se  multiplient  autour 
de  cette  mémoire  d'une  homme  auquel  il  ne  manqua  que 
quelques  années  pour  affirmer  sa  valeur;  bribes  de  causeries 
anciennes  revenant  soudainement  à  l'esprit  dans  lequel  passe 
la  vision  de  ce  cavalier  de  haute  mine,  aux  cheveux  fauves, 
à  la  moustache  frisée,  aux  grands  yeux  intelligents,  à  l'allure 
militaire  tempérée  par  une  grâce  toute  courtoise,  qui  fut 
Alexis  de  Castillon  ;  fragments  de  lettres  d'amis  parlant  de 
lui  et  qu'on  relit,  sous  le  charme  de  cette  évocation  d'un  ins- 
tant! 

Il  avait  eu  pour  maîtres  Charles  Delioux,  et  Victor  Massé 
et  encore  César  Franck.  Mais,  élève,  il  était  déjà  un  indépen- 
dant; il  se  sentait  fort  de  son  propre  sang,  il  allait  dévorant 
la  route,  respectueux  des  sources  où  il  avait  puisé  les 
principes  de  son  art,  affranchi  toutefois  dès  les  premières 
heures,  pourrait-on  dire,  de  toute  servitude  pédagogique. 

Son  œuvre  n°  1,  une  symphonie,  porte  sur  le  manuscrit 
original  cette  dédicace  :  A  mon  maître,   Victor  Masse. 

C'était  un  premier  essai,  que,  nonobstant  cet  hommage 
rendu  au  charmant  poète  musical  des  Saisons,  Alexis  de  Cas- 
tillon devait  plus  tard  renier.  Entre  ce  numéro  1  et  le  nu- 
méro 17  de  son  œuvre  complet,  qui  est  le  Psaume  84,  son 
écriture  musicale  devait  se  modifier  profondément. 

A  l'influence  de  Victor  Massé,  avait  succédé  celle  de  César 
Franck,  mais  surtout  s'était  faite  dans  l'esprit  du  compositeur 
cette  évolution  naturelle  d'où  devait  se  dégager  son  originalité. 


Les  soins  donnés  à  la  musique,  sa  passion  souveraine,  ne 
l'avaient  fait  ni  mentir  à  ses  origines,  ni  manquer  à  son 
devoir. 

D'abord,  officier  dans  un  régiment  de  cuirassiers,  puis, 
zouave  pontifical,  redevenu  libre  ensuite  pendant  un  certain 
temps  et  tout  entier  à  son  art,  il  reprit  du  service  pendant 
la  guerre  de  1870. 

Il  était  de  l'état-major  du  général  Chanzy,  à  la  prise  et  a 
la  reprise  d'Orléans.  Ce  fut  là,  campant  et  couchant  dans  la 
neige,  pendant  cet  hiver  terrible,  qu'il  contracta  la  maladie 
de  poitrine  à  laquelle  il  devait  bientôt  succomber. 

Cette  mort  qui  nous  frappa  tous  d'un  douloureux  étonne- 
ment,  avait,  suivi  de  très  peu  le  retour  de  Castillon    à  Paris. 

Il  arrivait  de  Pau  où  il  avait  passé  l'hiver.  Il  allait  mieux; 
il  se  sentait  plein  de  foi  et  d'ardeur;  le  psaume  sur  lequel 
il  fondait  à  bon  droit  tant  d'espérances  de  succès  était  achevé. 
Le  soleil  printanier  semblait  lui  promettre  la  vie;  il  en 
jouissait  délicieusement  sans  en  redouter  les  perfides  caresses. 
Un  refroidissement  subit,  une  transition  brusque,  devait  en 
quelques  heures  tout  anéantir,  en  vertu  peut-être  d'une  de 
ces  mystérieuses  destinées  qui  frappent  l'artiste  en  pleine 
jeunesse  pour  lui  assurer,  dans  l'avenir,  une  plus  abondante 
moisson  de  gloire. 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


QUELQUES   INDISCRÉTIONS   SUR   LA   PROCHAINE  JEANNE  DARC 
DU   CHATELET 

On  sait  que  le  Chàtelet  prépare  pour  la  fin  de  décembre  une  pièce 
à  grand  spectacle,  Jeanne  d'Arc,  dont  le  scénario  est  de  M.  J.  Fabre, 
et  qui  comportera  une  importante  partie  musicale  due  à  M.BeDJamin 
Godard. 

M.  J.  Fabre,  ancien  député,  littérateur  érudit,  a  tenu  à  conserver 
à  son  drame  le  caractère  archaïque  qui  lui  convient.  Aussi  s'est-il 
entouré  de  tous  les  documents  authentiques  possibles,  il  a  fait  de 
minutieuses  recherches  sur  l'héroïne,  son  caractère,  sa  vie  à  Dom- 
rémy et  dans  les  camps,  recherches  qui  lui  permettront  de  nous 
présenter  Jeanne  d'Are  sous  un  jour  nouveau.  Eu  effet,  elle  n'était 
pas  en  réalité  ce  qu'on  se  figure,  et  ce  qu'on  se  plaît  à  nous  la 
montrer,  la  femme  guerrière  au  tempérament  viril.  Au  contraire, 
c'était  une  illuminée,  une  extatique,  qui  entraînait  au    combat    les 


solda's  français  par  le  caractère  de  sainteté  et  d'infaillibilité  dont 
elle  était  revêtue  à  leurs  yeux,  mais  qui  ne  combattait  pas  elle-même. 
Jamais  elle  n'a  blessé-  un  ennemi  ;  sur  le  champ  de  bataille,  elle 
marchait  dans  un  rêve  comme  à  Domrémy,  et  lorsqu'elle  fut  prise 
à  Compiègne,  elle  ne  chercha  pas  à  se  défendre.  On  sait  la  résigna- 
tion qu'elle  a  montrée  jusque  dans  la  mort. 

On  voit  donc  par  laque  c'est  une  figure  nouvelle,  que  nous  allons 
apprendre  à  connaître. 

Mais  s:  M.  Tabre  a  révélé  une  Jeanne  d'Arc, M.  Benjamin  Godard, 
qui  écrit  peur  le  Chàtelet  une  partition,  soli,  chœurs  et  orchestre, 
n'ayant  pas  moins  de  quinze  numéros,  tient  aussi  à  rester  personnel. 
Il  ne  voudra  pas  rappeler  la  musique  de  M.  Gounod,  ni  celle  si 
remarquable  deM.Widor;  je  ne  parle  pas  de  l'opéra  de  M.  Mermet, 
qui  eut  un  sort  malheureux. 

Ce  n'est  plus  l'héroïne,  mais  plutôt  la  visionnaire,  la  femme  douce 
pt  résignée,  que  va  nous  rendre  la  musique  de  M.  Godard.  On  sait 
s'il  a  excellé  dans  cette  noie  tendre  en  écrivant  le  rôle  de  Laurence 
dans  Jocehjn.  Mais  ici,  ce  ne  sera  plus  l'amour  sensuel,  mais  le  sen- 
timent mystique,  allié  à  l'amour  de  la  patrie. 

Nous  avons  eu  la  chance  d'entendre  déjà  une  partie  de  la  partition, 
notamment  un  Angélus,  qui  sera  chanté  par  les  paysans  de  Dom- 
rémy, et  accompagné  par  une  note  de  cloche  qui  fait  partie  de 
toutes  les  harmonies  de  cette  page  musicale.  Entre  les  strophes  du 
chœur  s'en  placeront  d'autres,  déclamées  par  M"10  Segond  Weber, 
qui  créera  le  rôle  de  Jeanne.  Elle  s'adressera  aux  cloches,  dont  on 
entendra  la  note  persistante,  tandis  qu'une  musique  de  scène  l'ac- 
compagnera en  sourdine,  extrêmement  délicate,  retraçant  l'état  d'âme 
calme  et  tranquille  de  la  vierge  de  Domrémy  et  la  sereine  paix 
du  crépuscule. 

D'autres  fragments  musicaux  seront  non  moins  intéressants.  A  la 
cour  du  roi  de  France,  nous  entendrons  des  ménestrels  chanter  les 
vieilles  chansons  du  temps  :  la  Ballade  de  Jean  Renaud,  et  d'autres, 
dont  M.  Godard  a  recherché  le  texte  primitif  (1),  en  respectant  les 
harmonies  de  l'époque,  ou  en  en  ajoutant,  qui  sont  dans  le  même 
caractère.  On  doit,  en  effet,  rendre  avec  toutes  les  ressources  et  les 
innovations  de  la  musique  moderne,  le  caractère  qu'on  peut  attribuer 
à  la  musique  d'une  certaine  époque,  même  des  plus  reculées. 

Comme  nous  le  disait  M.  Godard,  un  maître,  Berlioz,  en  a  donné 
l'exemple  dans  maintes  œuvres.  L'Enfance  du  Christ,  si  moderne  au 
point  de  vue  de  l'orchestration,  n'est-elle  pas  empreinte  d'un  ca- 
chet naïf,  d'une  couleur  primitive,  qui  nous  donne  la  sensation  de 
ce  que  devait  être  la  musique  de  l'époque?  A  l'appui  de  notre  Ihèse 
ne  citons  dans  cette  partition  que  cet  admirable  duo  de  deux  flû- 
tes et  harpes.  Et  les  airs  de  ballet  dans  la  prise  de  Troie?  et  la  Mar- 
che troyenne?. . . 

Pour  revenir  à  Jeanne  d'Arc,  M.  Godard  a  cherché  dans  sa 
musique  à  rendre  la  couleur  de  l'époque  avant  tout,  en  conservant 
toute  la  rigidité  du  sujet  historico-rsligieux  qu'il  a  à  traiter,  mais 
en  employant  cependant,  à  côté  des  formes  du  moyen-âge,  le  lan- 
gage musical  de  nos  jours.  Car  il  faut  se  faire  comprendre  de  ses 
contemporains. 

Un  ouvrage  de  ce  genre,  écrit  d'un  bout  à  l'autre  dans  les  for- 
mules de  plain-chant  (car  à  l'époque  de  Jeanne  d'Arc  la  musique, 
même  profane,  suivait  les  règles  harmoniques  des  chants  d'église), 
aurait  été  pour  nous  l'équivalent  d'un  poème  écrit  dans  le  vieux 
français  du  XVe  siècle. 

Le  plus  important  morceau  de  la  partition  est  une  Marche  du 
Sacre  dans  la  cathédrale  de  Beims.  La  figuration  du  Chàtelet  devant 
être  considérablement  augmentée  pour  la  circonstance,  le  défilé  des 
prêtres,  des  chevaliers,  de  toute  la  suite  du  roi  et  de  Jeanne,  durera 
dix  minutes.  On  apercevra  la  grande  nef  de  la  cathédrale  vue  de 
face  dans  toute  sa  longueur,  qui  aura  vingt-cinq  mètres,  distance 
réelle.  Le  défilé  passera  sur  la  scène,  remontera  l'un  des  bas-côtés, 
tournera  derrière  l'autel,  redescendra  par  l'autre  côté  et  entrera 
définitivement  dans  la  grande  nef,  ce  qui  explique  la  longueur  de 
la  page  écrite  par  le  musicien.  C'est  un  maestoso  très  large,  coupé 
à  la  fin  de  chaque  phrase  par  des  sonneries  de  trompettes  accom- 
pagnées par  les  tambours.  Les  sonneries,  d'abord  dans  le  lointain, 
comme  un  écho  venant  du  fond  de  la  cathédrale,  augmenteront  de 
sonorité  à  mesure  que  les  instrumentistes  se  rapprocheront  d'abord 

(1)  Nous  devons  faire  observer  qu'il  n'y  a  pas  bien  loin  à  aller  pour 
retrouver  ce  texte  primitif.  Il  est  tout  au  long  dans  lus  Mélodies  populaires 
des  provinces  de  France  recueillies  et  harmonisées  par  M.  Julien  Tiersot. 
Nous  avons  eu  le  plaisir  d'offrir  cette  superbe  Ballade  de  Jean  Renaud  à 
nos  abonnés  du  chant,  dimanche  dernier. 

Note  ni;  u  Direction. 


LE  MENESTREL 


371 


de  la  scène,  puis  diminueront  de  nouveau  quand  les  trompettes  et. 
les  tambours  atteindront  l'extrémité  de  la  nef.  L'effet  sera,  croyons- 
nous,  très  saisissant. 

L'histoire  rapporte  qu'il  fut  chanté  un  Atteste  fidelei  pendant  la 
cérémonie  du  sacre,  aussi  entendrons-nous  au  Chûtelet  ce  chant,  un 
des  plus  beaux  de  l'Eglise.  Il  a  été  impossible  d'installer  un  orgue 
dans  les  coulisses  du  théâtre;  mais  M.  Godard  a  diminué  dans  son 
orchestre  les  cordes  pour  donner  une  plus  grande  importance  aux 
bois,  et  espère  obtenir  ainsi  toute  la  rondeur  des  sons  d'orgue. 

Parlerons-nous  du  Supplice,  qui  sera  une  véritable  reconstitution 
de  la  scène  de  l'époque,  avec  les  mêmes  chants  religieux,  les  mêmes 
costumes,  recherchés  par  MM.  Fabre  et  Godard  dans  les  manus- 
crits de  la  Bibliothèque  Nationale?  —  Je  crois  que  nous  en  avons 
déjà  trop  dit  pour  la  réputation  de  notre  discrétion,  et  nous  laisserons 
à  nos  lecteurs  le  plaisir  des  surprises,  qui  leur  sont  réservées  par 
l'œuvre  nouvelle. 

Henby  Eïmieu. 

Gymnase.  —  Dernier  Amour,  pièce  en  quatre  actes  de  M.  Georges 
Ohnel. 

Dernier  Amour  n'a  pas  réussi  au  Gymnase  et  ce  qui  est  arrivé, 
mardi  dernier,  devait  fatalement  arriver  un  jour  ou  l'au're,  malgré 
les  soins  d'un  directeur  comme  M.  Koning,  s'attachant  à  rechercher 
toujours  des  iuterprétations  intéressantes  et  s'ingéniant  à  composer 
des  mises  en  scène  attrayantes.  Le  public  s'est  cabré  et  a  refusé 
de  suivre,  une  fois  de  plus,  l'auteur  là  où,  jusqu'à  présent,  il  s'était 
si  docilement  laissé  conduire.  Très  étonné,  il  se  demande,  aujour- 
d'hui, si  c'est  vraiment  là  ce  qu'il  a  tant  applaudi  naguère.  Hélas! 
oui,  cela  et  rien  d'autre;  car  si,  dans  de  précédentes  circonstances, 
votre  auteur  favori  s'est  trouvé  soutenu  par  des  situations  que  vous 
avez  pu  admettre  plus  facilement,  il  n'en  est  pas  moins  réel  que  la 
formule  de  M.  Georges  Ohnet  était  alors  tout  aussi  vieille,  son  inex- 
périence du  théâtre  tout  aussi  indéniable,  son  ignorance  de  la  vie 
tout  aussi  complète,  sa  langue  tout  aussi  vulgaire  et  incorrecte.  Mais 
vous  vous  êtes  laissé  ensorceler  le  plus  naïvement  du  monde  par 
le  conteur  qui,  adroitement,  a  su  vous  prendre  par  votre  côlé 
bourgeois  et  badaud  ;  à  l'euvi,  vous  avez  porté  aux  nues  celui  qui, 
maintenant,  fier  des  bravos  que  vous  lui  avez  prodigués,  et  si  bien 
encouragé  par  vous,  a  le  droit  de  ne  pas  comprendre  pourquoi 
vous  l'abandonnez  tout  à  coup  et  si  complètement.  Car  vraiment  ce 
n'est  point  M.  Ohnet  qui  est  l'unique  coupable  en  tout  ceci.  Il  tra- 
vaille pour  vous  seuls;  jamais,  en  effet,  il  n'a  songé,  je  ne  parle 
bien  entendu  que  de  son  théâtre,  l'oeuvre  du  romancier  ne  me  regar- 
dant pas,  jamais  il  n'a  songé  à  faire  acte  d'artiste  ou  d'écrivain  ;  il 
il  n'a  eu  en  vue  que  voire  amusement  et  peu  lui  importaient,  les 
moyens  employés,  puisque  le  but  semblait  atteint.  Ah  !  bonnes  gens, 
c'est  bien  vous  qui  êtes  la  cause  de  tout  le  mal  et  vous  le  faites,  à 
l'heure  actuelle,  chèrement  payer  à  celui  qui  n'a  été  qu'un  instru- 
ment inconscient  entre  vos  mains  inhabiles. 

Ayant  pour  habitude  de  ne  point  lire  les  romans  de  M.  Georges 
Ohnel,  puisqu'ils,  sont  destinés  au  théâtre  où  je  dois  les  retrouver, 
j'avoue  franchement  que  je  n'ai  pas  compris  grand'chose  à  celte  nou- 
velle pièce.  Le  comte  et  la  comtesse  de  Fontenay  et  Lucy  Audri- 
moot  sont  d'un  dessin  si  mou,  si  hésitant,  si  indécis  que  je  ne  sais 
quelle  espèce  de  gens  ils  sont  el  à  quels  mobiles  ils  obéissent. 
Paul  de  Gravant  reste  l'amoureux  de  pure  convention  d'uDe  bana- 
lité désespéraute  et  Précigny,  Firmout,  Berneville,  Mm"  de  Jessae 
sont  d'encombrantes  inutilités  qui  n'ont  pas  même  l'excuse  d'être 
spirituels  ou  amusants.  Dans  ces  circonstances,  il  étail  difficile  aux 
artistes  chargés  d'interpréter  Dernier  Amour  de  faire  montre  de  leur 
talent.  M.  Koning  doit  une  compensation  à  Mllcs  Sisos  et  Tessan- 
dier  et  à  MM.  Duflos  et  Burguet  et  il  la  leur  donnera,  très  certai- 
nement, en  leur  faisant  jouer  une  vraie  comédie. 

Paul-Émile  Chevalier. 

P.  S.  —  C'est  une  piécette  pleine  de  joyeuse  humeur  que  l'opé- 
rette en  un  acte,  un  Modèle,  que  la  direction  des  Bouffes  vient  d'ajou- 
ter à  son  spectacle.  L'intrigue  imaginée  par  MM.  André  Degrave  et 
Lerouge  est  des  plus  simples  :  deux  amoureux  juvéniles  et  un  bon 
type  de  vieux  pipelet,  leur  conlideiit.  Mais  l'action  est  conduite  avec 
une  gaieté  si  franche  que  le  public  n'a  pas  eu  de  peine  à  se  laisser 
séduire.  La  partition,  écrite  dans  l'esprit  du  livret,  se  dislingue  par 
son  entrain,  son  charme  et  son  élégance.  Le  compositeur,  M.  Léon 
Schlesinger,  est  le  petit-fils  du  regretté  Strauss,  l'ancien  chef  d'or- 
chestre des  bals  de  la  Cour  et  de  l'Opéra  et  l'auteur  de  la  célèbre 
valse  du  Couronnement.  Un  Modèle  est  son  œuvre  de  début  au  théâtre, 
début  d'heureux  augure  pour  l'avenir  du  jeune  musicien.  La  toute 
gracieuse  M110  Mary  Slelly  chante  et  joue  fort  bien  le.  rôle  d'Aimée; 


elle  s'est  fait  applaudir  dans  les  couplets  :  «  Sans  doute,  il  me  trouve 
jolie...  »  et  dans  le  duo:  «  Il  nous  faut,  à  la  mairie...  »,  dans 
lequel  le  jeune  ténor  WollT  lui  donnait  très  fièrement  la  réplique. 
M.  Wolfl'  a  encore  été  fort  goûté  dans  ses  couplets  :  «  Se  troubler  et 
balbutier...  ».  M.  Perrier  enfin  est  un  comique  plein  de  bonhomie 
et  de  rondeur.  P.-E.  C. 


LA  SONATE  A  KREUTZER 


Dans  le  roman  étrange  et  maladivement  psychologique  qu'il  a  ré- 
cemment publié  sous  ce  titre:  la  Sonate  à  Kreutzer  (et  qui  n'a  pas  été 
sans  doute  écrit  en  vue  des  lycées  de  garçons  ou  de  jeunes  filles), 
M.  le  comte  Léon  Tolstoï  a  hasardé  sur  la  musique  en  général,  et 
en  particulier  sur  l'admirable  chef-d'œuvre  qu'il  avait  choisi  pour  en- 
seigne à  son  livre,  —  car  ce  n'est  autre  chose  qu'une  enseigne,  — 
certaines  réflexions  singulières,  certaines  appréciations  d'un  senti- 
ment discutable  et  d'un  pessimisme  dont  on  a  vraiment  lieu  de 
s'étonner  lorsqu'on  songe  à  la  source  qui  l'a  fait  naître.  En  vérité, 
la  musique  n'est  pour  M.  Tolstoï  qu'un  prétexte  au  développement 
de  ses  imaginations  obscures,  et  Beethoven  serait  assurément  stu- 
péfait s'il  lui  était  donné  de  voir  ce  qu'un  cerveau  malade  a  su  dé- 
couvrir de  néfaste  et  de  terrible  dans  une  de  ses  productions  non 
seulement  les  plus  gigantesques  et  les  plus  sublimes,  mais  encore 
les  plus  pures  et  les  plus  noblement  passionnées. 

Mais  aussi,  n'esl-ce  point  pour  discuter  les  hantises  de  M.  Tolstoï 
que  j'ai  pris  cette  fois  la  plume.  Les  idées  bizarres,  pour  ne  pas 
dire  plus,  qu'il  prête  à  son  héros  au  sujet  de  la  Sonate  l  Kreutzer, 
m'ont  simplement  donné  le  désir  de  tracer  un  rapide  historique  de 
ce  chef-d'œuvre,  dont  ceux-là  mêmes  qui  sont  le  plus  intimes  avec 
Beethoven  connaissent  peu  la  genèse  et  la  naissance.  Sa  valeur  et 
sa  beauté  valent  qu'on  s'y  arrête  quelque  peu. 

La  Sonate  à  Kreutzer,  qui  porte  pour  chiffre  d'œuvre  le  n°  47, 
vient  précisément  entre  deux  compositions  vocales  :  Adélaïde  et  la 
belle  scène  Ah! perfido,  bien  après  la  Sonate  pathétique  etle  Septuor, 
aussi  après  les  trois  premiers  concertos  de  piano  et  les  deux  sympho- 
nies en  ut  majeur  et  eu  ré,  mais  avant  la  Sonate  appas sionnata.  Elle 
fut  publiée  en  180o,  peu  de  temps  après  avoir  été  composée,  et  sous 
ce  litre:  Sonata  péril  piano  forte  ad  unviolino,  scritta  in  un  stilo  molto 
concertante  quasi  corne  d'un  concerto,  dedicata  al  suo  amico  Rodolfo 
Kreutzer.  Ou  voit  que  Beethoven  ne  négligeait  pas  d'indiquer  la  gran- 
deur de  son  style:  «  d'un  style  très  concertant,  presque  comme  d'un 
concerto;  »  mais  ce  qu'on  sait  peu,  et  ce  qu'on  verra  plus  loin,  c'est 
que  cette  sonate,  dédiée  à  notre  grand  violoniste  Rodolphe  Kreutzer, 
n'avait  pas  été  écrite  pour  lui,  mais  pour  un  autre  arlisto,  alors  fort 
jeune  et  qui  parait  avoir  été  distingué,  bien   qu'aujourd'hui  oublié. 

Avant  toute  chose,  il  faut  faire  connaître  les  origines  de  la  liaison 
qui  s'établit  entre  Beethoven  et  Kreuzer. 

Kreutzer,  le  camarade  et  le  digne  émule  de  Rode  et  de  Baillot, 
Kreutzer,  qui  était  avec  eux  à  la  tète  de  notre  admirable  école  de 
violon,  si  bnllaute  à  celte  époque,  avait  développé  sou  talent  sous 
les  leçons  directes  de  Stamitz  et  sous  l'influence  de  Viotti,  dont  le 
séjour  en  France  avait  exercé  une  action  si  considérable  sur  le  jeu 
de  nos  violonistes.  Non  seulement  virluose  hors  ligne,  mais  com- 
positeur remarquable,  quoique  de  plus  d'instincl  el  de  seutimenl  que 
de  savoir  el  d'étude,  il  ne  s'était  pas  borné  à  produire  de  nombreuses 
œuvres  pour  son  instrument,  mais  avait  écrit  déjà  plusieurs  opéras, 
parmi  lesquels  il  faut  distinguer,  outre  diverses  partitions  moins 
importantes,  celles  de  Jeanne  d'Arc,  de  Paul  et  Virginie,  de  Lodoïska 
et  de  Charlotte  et  Werther. 

Après  la  campagne  d'Italie  et  le  traité  de  Campo-Formio,  qui  eu 
fut  pour  nos  armes  l'heureux  dénouement,  Kreutzsr  entreprit  un 
grand  voyage  artistique,  au  cours  duquel  il  visita  d'abord  l'Italie 
septentrionale,  puis  l'Allemagne  el  la  Hollande.  Après  s'être  fait 
entendre  avec  le  plus  graud  succès  à  Milan,  à  Florence  et  à  Venise, 
il  partit  pour  Vienne,  où  il  arriva,  précédé  d'une  immense  réputation, 
au  commencement  de  1798  et  au  moment  même  où  le  général  Ber- 
nadette, nommé  ambassadeur  de.  France  près  la  cour  d'Autriche, 
débarquait  lui-même  en  cette  ville.  C'est  là  qu'il  connut  Beethoven, 
alors  âgé  de  vingt-sept  ans  quand  1'j.i-inème  en  avait  trente  et  un,  et 
une  circonstance  particulière  les  fit  se  lier  peut-être  plus  rapide- 
ment et  plus  étroitement  qu'ils  n'eussent  fait  eu  d'autres  conditions. 
Kreutzer,  en  sa  double  qualité  de  compatriote  et  d'artiste  déjà 
fameux,  s'était  vu  tout  naturellement  introduit  à  l'ambassade  de 
France.  Or,    par  suite  de  la  grossesse  de  l'Impératrice,  Sernadotlc 


372 


LE  MENESTREL 


dut  attendre  deux  grands  mois  sa  présentation  officielle  à  la  cour. 
Son  inaction  pendant  ce  temps  étant  complète,  Kreutzer,  qui  con- 
naissait son  goût  pour  la  musique,  ne  se  fît  pas  prier  pour  le  satis- 
faire ;  et  pour  la  lui  faire  meilleure,  il  lui  présenta  Beethoven,  qui 
consentait  volontiers  à  lui  servir  de  partenaire.  C'est  ainsi  que  les 
deux  grands  artistes  charmèrent  durant  plusieurs  semaines  les 
loisirs  de  l'ambassadeur  de  France,  et  que  se  cimenta  entre  eux  une 
cordiale  et  solide  amitié,  amitié  dont  Kreutzer  devait,  quelques 
années  plus  tard,  recevoir  un  témoignage  éclatant  par  la  dédicace 
de  la-sonate  qui  porte  son  nom. 

Mais  j'ai  dit  que  cette  sonate,  quoique  à  lui  dédiée,  avait  été 
écrite  pour  un  autre  artiste. 

Cet  artiste  était  un  jeune  violoniste  mulâtre,  dont  les  origines, 
d'ailleurs  quelque  peu  obscures,  ne  laissent  pas  que  d'être  bizarres. 
Fils  d'un  Africain  et  d'une  Européenne,  on  croit  qu'il  naquit  à 
Bisla,  en  Pologne,  vers  1779  ou  1780,  et  il  portait  un  nom  anglais, 
celui  de  Bridgetower  (Georges-Auguste-Polyscen).  Il  fit  sans  doute  sa 
première  éducation  musicale  en  Angleterre  et  il  était  doué  de  dis- 
positions précoces,  car  on  le  voit  paraître  pour  la  première  fois  en 
public,  en  février  1790,  au  théâtre  Drury-Lane,  où  il  joue  un  solo  de 
violon  pendant  un  entr'acte  d'une  exécution  du  Messie  de  Haendel. 
Son  succès  fut  tel  dès  ce  début  qu'il  fut  remarqué  du  prince  de 
Galles  et  qu'au  mois  de  juin  suivant  il  donnait,  sous  le  patronage 
de  ce  prince,  une  série  de  concerts  en  compagnie  d'un  autre  artiste 
de  son  âge,  le  jeune  violoniste  viennois  Franz  Clément.  Le  jeune 
Bridgetower  devint  bientôt  le  lion  artistique  de  Londres,  où  on 
l'entendit  tour  à  tour  aux  Professional  concerts,  aux  fameux  concerts 
de  Haydn  et  Salomon,  aux  concerts  de  Barthelemon,  où  il  se  fit 
surtout  applaudir  en  exécutant  un  concerto  de  Viotti,  et  aussi  à 
l'une  des  grandes  exécutions  d'oratorio  qui  avaient  lieu  chaque 
année  à  Westminster,  sous  la  direction  de  1  organiste  Joal  Bâtes, 
pour  l'anniversaire  de  Haendel  ;  on  le  vit  cette  fois  auprès  de  ce  der- 
nier, à  l'orgue,  en  compaguie  de  Hummel,  l'un  et  l'autre  vêtus  d'habits 
écarlates.  On  l'appelait  «  le  jeune  prince  abyssinien  »,  et,  grâce  sans 
doute  à  la  protection  du  priuce  de  Galles,  qui  l'avait  admis  dans  sa 
musique,  il  obtint  des  leçons  de  Jarnowick,  leçons  qui  développè- 
rent encore  son  talent  déjà  remarquable. 

En  1802,  Bridgetower  s'éloigna  de  Londres  pour  aller  voir  à 
Dresde  sa  mère,  qui  vivait  en  cette  ville  avec  un  autre  fils,  artiste 
aussi,  mais  celui-ci  violoncelliste.  Là,  il  donna  avec  succès  plu- 
sieurs concerts,  dont  le  dernier  eut  lieu  le  18  mars  1803,  et  c'est 
presque  aussitôt  qu'il  partit  pour  Vienne,  où  l'avait  précédé  une 
renommée  déjà  considérable.  Arrivé  en  cette  ville,  où  il  avait  décidé 
de  se  faire  entendre,  il  se  trouva  immédiaiement  en  relations  avec 
Beethoven,  qui  fut  sans  doute  charmé  de  son  talent,  puisqu'il  con- 
sentit non  seulement  à  écrire  pour  lui-même  une  sonate,  mais  à 
l'exécuter  avec  lui  dans  le  concert  qu'il  organisait.  Ferdinand  Ries, 
l'ami  du  maître,  nous  donne  à  ce  sujet  quelques  détails  dans  ses 
Notices  sur  Beethoven  : 

La  célèbre  sonate  en  la  mineur  (œuvre  47),  avec  violon  concertant,  dédiée 
à  Rodolphe  Kreutzer,  de  Paris,  avait  d'abord  été  écrite  pour  Bridgetower, 
artiste  anglais.  Bien  qu'une  grande  partie  du  premier  allegro  fût  prête  à 
l'avance,  cela  n'en  alla  pas  beaucoup  plus  vite;  Bridgetower  le  pressait 
beaucoup,  parce  que  le  jour  de  son  concert  était  déjà  fixé  et  qu'il  voulait 
étudier  sa  partie. 

Un  matin,  Beethoven  rue  fit  appeler  à  quatre  heures  et  demie  et  me 
dit  :  «  Copiez-moi  vite  cette  partie  de  violon  du  premier  allegro  »  (son 
copiste  ordinaire  était  occupé  ailleurs).  La  partie  de  piano  n'était  notée 
que  çà  et  là.  Bridgetower  dut  jouer  sur  le  manuscrit  même  de  Beethoven, 
dans  le  concert  à  l'Augarten,  le  magnifique  thème  avec  variations  en  fa 
majeur;  on  n'eut  pas  le  temps  de  le   recopier. 

En  revanche,  le  dernier  allegro  en  ta  majeur,  à  6/8,  était  déjà  très  pro- 
prement écrit  en  parties  de  violon  et  de  piano,  parce  qu'il  appartenait 
originairement. à  la  sonate  en  la  majeur,  la  première  de  celles  dédiées  à 
l'empereur  Alexandre  (œuvre  30).  Beethoven  mit  à  la  place  de  ce  mor- 
ceau, qui  était  trop  brillant  pour  cette  sonate,  les  variations  qui  s'y  trouvent 
maintenant. 

Mon  excellent  confrère  "Wilder,  en  étudianl  le  cahier  d'esquisses 
de  Beethoven,  a  pu  confirmer  l'exactitude  du  renseignement  donné 
ici  par  Ries  :  —  «  A  la  suite,  dit-il,  du  trio -œuvre  116  (le  trio  vocal: 
Tremate,  empl,  tremate),  nous  trouvons  le  début  du  thème  du  piemier 
morceau  de  la  sonate  pour  piano  et  violon  en  la  majeur  (œuvre  30, 
n°  1),  puis  un  canon  et  un  ensemble  assez  considérable  de  motifs 
inédits.  Ce  n'est  qu'une  vingtaine  de  pages  plus  loin  que  Beethoven 
reprend  l'ébauche  à  peine  indiquée  du  piemier  morceau  de  sa 
sonate  en  la,  pour  y  mêler  immédiaiement  des  motifs  du  deuxième 
morceau  et  le   thème  du    troisième  morceau  de  la  souate  dédiée  à 


Kreutzer.  Il  semble  résulter  de  ce  mélange  que  ce  dernier  thème 
était  primitivement  destiné  à  la  sonate  œuvre  30.  Cette  conjecture 
est  confirmée  par  Ries,  qui  nous  assure  que  Beethoven  en  détacha 
cet  allegro, parce  qu'il  étaiitrop  brillant  pour  le  caractère  de  l'œuvre.» 
Toujours  est-il  que  Beethoven  exécuta  deux  fois  cette  sonate  avec 
Bridgetower,  dans  les  deux  concerts  que  ce  jeune  violoniste  donna 
à  l'Augarten,  le  17  et  le  24  mai  1803.  Ce  qui  est  singulier,  c'est  que 
précisément  à  partir  de  ce  moment  on  n'entendit  plus  jamais  parler 
de  cet  artiste,  dont  les  commencements  avaient  été  si  brillants,  et 
qu'il  disparut  complètement  de  la  circulation  (1). 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


Serait-il  vrai  que  le  jeune  compositeur  Mascagni,  incomplètement 
satisfait  du  triomphe  inattendu  de  son  petit  opéra,  songerait  à  se  lancer 
dans  1'  a  arène  politique?  »  Une  dépêche  de  Cerignola,  adressée  au  jour- 
nal la  Riforma,  annonce  que  «  le  maestro  Mascagni,  auteur  de  la  Caval- 
leria  rusticana,  présidant  (!!)  un  comité  électoral,  »  a  prononcé  un  discours 
très  applaudi  dans  le  sens  ministériel.  —  Si  jeune,  grand  artiste,  brillant 
orateur,  et  déjà  si  ministériel? 

—  A  Rome,  apparition  de  deux  nouvelles  opérettes  en  dialecte  roma- 
nesque: l'une,  una  Gita  di  piacere,  ovvero  il  Treno  lumaca,  musique  de 
M.  Mascetti,  au  théâtre  Métastase;  l'autre,  Treno  Tropea,  musique  du 
maestro  Pascucci,  au  théâtre  Rossini. 

—  La  grande  exposition  internationale,  qui  doit  avoir  lieu  à  Païenne 
en  1892,  préoccupe  considérablement  la  municipalité  et  les  habitants  de 
cette  ville.  On  voudrait  avoir  comme  primeur,  à  cette  occasion,  la  pre- 
mière représentation  de  l'opéra  que  le  jeune  Mascagni,  l'auteur  de  Caval- 
leria  rusticana,  est  en  train  d'écrire  sur  un  livret  tiré  des  Rantzau,  le  drame 
d'Erckmann-Chatrian.  On  s'occupe  aussi  de  l'hymne  d'inauguration  qui 
doit  être  exécuté  à  l'ouverture  de  l'exposition.  Le  concours  ouvert  pour 
les  paroles  de  cet  hymne  a  été  très  laborieux  pour  les  membres  du  jury, 
qui  n'ont  pas  eu  à  examiner  moins  de  trois  cents  pièces  de  vers.  Il  est 
vrai  que  sur  ces  trois  cents  poésies  la  plupart  étaient  d'une  faiblesse 
extrême,  et  que  cinq  ou  six  seulement  présentaient  quelque  talent  et  un 
peu  de  sens  commun.  La  pièce  couronnés  est  due  à  un  jeune  poète  mes- 
sinois,  M.  Giuseppe  Zapponi-Strani,  à  qui  il  faut  encore  demander  quel- 
ques corrections.  Après  quoi  l'on  s'occupera  de  la  musique. 

—  Pas  fier  et  sans  gêne,  le  municipe  de  Pesaro,  !  Ayant  à  combler  un 
déficit  communal,  qui  n'atteint  guère  que  le  chiffre  de  1,643,167  francs,  il 
a  simplement  résolu  de  le  couvrir  à  l'aide  des  fonds  résultant  de  l'héri- 
tage Rossini.  Et  le  Conservatoire  de  Pesaro,  fondé,  selon  la  volonté  du 
maître,  avei  les  biens  de  cet  héritage,  que  deviendra-t-il  ? 

—  Le  Théâtre-National  de  Prague,  qui  prépare  en  ce  moment  une  re- 
prise de  l'Enfant  des  Landes,  de  Rubinstein,  doit  offrir  cet  hiver  à  son 
public  toute  une  série  d'ouvrages  nouveaux  en  trois  actes  :  l'Enfant  du 
Tabor,  de  M.  C.  Bendel  ;  Amaranthe,  de  M.  Truecek;  Perditta,  de  M.  C. 
Kavarossie,  enfin  Viola,  de  M.  W.  'Weiss. 

■ —  Il  vient  de  paraître  en  Allemagne  un  petit  dictionnaire  humoristique 
des  musiciens,  d'où  nous  extrayons  les  articles  suivants  —  Bach  (Jean-Sébas- 
tien) :  Doit  sa  renommée  principalement  à  ce  fortuné  hasard  qui  lui 
permit  d'écrire  l'accompagnement  d'une  célèbre  mélodie  de  Gounod.  Par 
un  sentiment  de  vanité  inexplicable,  il  a  fait  publier  cet  accompagnement 
sans  la  mélodie  sous  le  titre  de  Prélude,  dans  un  recueil  de  pièces  di- 
verses intitulé  Clavecin  bien  tempéré  ;  mais  à  cause  de  ce  titre  baroque,  il 
trouva  peu  d'amateurs  parmi  les  admirateurs  de  l'Ave  Maria.  Ses  Passions 
sont  réputées  nobles,  bien  que  de  nos  jours  on  ne  sache  plus  les  appré- 
cier. Ses  nombreux  fils  s'appelaient  également  Bach,  au  grand  désespoir 
des  historiens,  —  Czerny,  Charles  :  Homme  au  caractère  hargneux,  qui  ne 
pouvait  pas  souffrir  les  enfants  et  composait  continuellement  des  études 
à  leur  intention.  Depuis  1S57,  année  de  sa  mort,  on  travaille  à  la  classi- 

(1)  On  croit  pourtant  qu'il  ne  mourut  qu'entre  les  années  1840  et  1850, 
en  Angleterre,  laissant  une  fille  qui,  dit-on,  vivait  encore  il  y  a  quel- 
ques années  en  Italie.  Bridgetower  a  publié,  en  anglais,  une  sorte  de 
petit  traité  de  «  l'exécution  de  la  sonate.  »  (Performance  of  the  sonata),  qui, 
parait-il,  ne  manque  pas  d'intérêt,  et  que  M.  Tbayer,  le  biographe  amé- 
ricain de  Beethoven,  mentionne  au  deuxième  volume  de  son  livre,  en  en 
reproduisant  certains  passages  (pages  227-231  et  385-391).  Le  grand  pu- 
bliciste  Czerny  disait  de  Bridgetower  que,  lorsqu'il  jouait  du  violon,  son 
attitude  et  ses  mouvements  étaient  si  ridicules  et  si  extravagants  qu'il 
était  impossible  de  le  regarder  sans  éclater  de  rire.  On  assure  que  Beetho- 
ven n'a  jamais  écrit  son  nom  que  d'une  façon  fautive  et  incorrecte,  ainsi: 
Brischdower.  Il  est  aussi  question  de  cet  artiste  dans  un  des  écrits  de 
MmE  Elise  Polko,  l'historien  musical  allemand  :  Haydn  en  Angleterre 
(pages  18,  28,  38,  etc.) 


LE  MÉNESTREL 


373 


Bcation  de  ces  éludes  sans  parvenir  à  la  terminer.  Cette  fécondité  surna- 
turelle ne  s'explique  que  par  son  agilité  dans  l'art  de  composer...  — 
Wagner,  Richard  :  A  laissé  en  plus  de  ses  œuvres  une  foule  d'héritiers 
nommés  wagnériens  ;  ce  n'est  pas  ce  qu'il  a  produit  de  mieux.  Ces  gens- 
là  connaissent  exactement  la  pensée  qui  se  cache  sous  chacune  de  ses 
notes,  sous  chaque  pause  de  ses  compositions.  Dans  son  instrumentation 
"Wagner  s'est  donné  la  mission  philanthropique  de  rendre  la  musique 
accessible  aux  sourds...  » 

—  Le  compositeur  Pierre  Tchaïkovsky  vient  d'être  l'objet  d'une  belle 
ovation  à  Tiflis.  Le  Caucase  nous  apprend  que  pour  fêter  son  jubilé  de 
vingt-cinq  ans,  la  Société  musicale  russe  a  organisé  le  20  octobre  der- 
nier, au  théâtre  de  la  ville,  un  concert  symphonique  composé  de  ses 
oeuvres  et  qui  a  été  dirigé  par  le  maître  en  personne.  Inutile  de  dire  que 
celui-ci  a  été  l'objet  d'un  accueil  enthousiaste.  Il  y  a  eu  des  adresses  et 
des  poésies;  on  lui  a  offert  un  bâton  précieux  de  chef  d'orchestre.  Trois 
jours  après  le  maître  a  quitté  Tiflis,  se  rendant  directement  à  Saint- 
Pétersbourg,  où  il  vient  présider  aux  études  de  son  nouvel  opéra  :  la  Dame 
de  pique.  Avec  le  concert  symphonique  Tchaïkowsky,  dirigé  par  M.  Ru- 
binstein,  et  l'audition  d'un  nouveau  septuor  de  sa  composition  au  Quar- 
tettverein,  la  première  représentation  de  cet  opéra  formera  le  point  culmi- 
nant de  la  célébration  russe,  dans  la  capitale,  de  ce  même  anniversaire 
des  vingt-cinq  ans  de  la  carrière  de  compositeur  de  l'auteur  d'Eugène 
Onéguine. 

—  La  presse  hollandaise  est  unanime  à  constater  l'immense  succès  que 
vient  de  remporter,  dans  Rosine  du  Barbier,  MUe  Louise  Heymann,  la 
charmante  élève  de  Mme  Marchesi,  qu'on  appelait  en  Italie  le  rossignol 
hollandais.  Sa  voix  est  délicieusement  timbrée,  d'une  grande  agilité,  et 
la  gentille  artiste  s'en  sert  avec  une  habileté  remarquable.  Elle  semble 
appelée  au  plus  brillant  avenir. 

—  Les  représentations  de  MUe  Prevosti  au  théâtre  municipal  de  Bâle 
ont  été  extraordinairement  brillantes  au  dire  des  journeaux  suisses.  Pour 
sa  soirée  d'adieu,  Mlle  Prevosti  a  chanté  le  premier  acte  de  Lucie,  le  dernier  de 
la  Traviata  et  le  second  du  Barbier  où  son  triomphe  a  été  complet,  surtout 
après  les  couplets  du  Mysoli  de  la  Perle  du  Brésil  qu'elle  avait  intercalés 
dans  la  scène  de  la  leçon  de  chant. 

—  A  propos  de  la  célébration  du  huitième  centenaire  de  la  première 
ligue  helvétique  que  la  Suisse  prépare  pour  le  mois  d'août  1891,  M.  Ma- 
this  Lussy,  l'auteur  du  beau  Traité  de  l'expression  musicale,  émet  une  idée 
grandiose.  Après  avoir  constaté,  dans  une  lettre  qu'il  adresse  au  journal 
la  Croix  fédérale,  que  les  poètes  et  les  musiciens  ne  manqueront  pas  de 
répondre  à  l'appel  qui  leur  est  fait  à  cette  occasion,  il  ouvre  à  la  splen- 
deur de  cette  grande  fête  nationale  un  vaste  horizon  musical  : 

A  côté  de  ces  œuvres  nouvelles  il  en  est  une  ancienne,  consacrée  par  le  temps, 
qui,  ce  me  semble,  pourrait  trouver  légitimement  place.  Je  veux  parler  de  ces 
admirables  pages.de  Rossini,  qui  s'appellent  le  Trio  et  la  Conjuration  du  Griitli, 
au  deuxième  acte  de  Guillaume  Tell. 

Ne  pensez-vous  pas  que,  sur  le  Grùtli  même,  dans  toute  la  pompe  de  ce  mer- 
veilleux décor,  sur  cette  terre  où  se  fécondèrent  les  premiers  germes  de  la 
liberté  des  peuples,  dans  cette  prairie  d'où  jaillirent,  au  milieu  des  ténèbres  du 
moyen-âge,  les  clartés  qui  illuminent  les  temps  modernes,  l'exécution  grandiose 
de  l'hymne  rossinien  présenterait  le  spectacle  le  plus  sublime  qui  ait  jamais  eu 
lieu  sur  le  sol  de  notre  chère  Suisse  1  Notre  pays  possède  assurément  tous  les 
éléments  artistiques  pour  réaliser  une  interprétation  idéale  de  ce  chef-d'œuvre, 
pour  évoquer  et  faire  revivre  sous  les  yeux  de  la  génération  actuelle  et  dans  spn 
cadre  naturel,  la  grande  scène  de  1307.  Nous  avons  Warmbroat,  Burgmeyer,  etc., 
nous  avons  d'excellentes  sociétés  chorales,  des  orchestres  parfaits. 

Rossini,  d'ailleurs  ne  mérite-l-il  pas  ce  suprême  hommage  de  la  Suisse  recon- 
naissante? Il  a  popularisé  par  la  musique,  plus  que  Schiller  par  la  poésie,  notre 
héros  dans  le  monde  entier.  Si  Tell  doit  rester  la  personnification  la  plus  haute 
du  patriotisme,  l'incarnation  de  la  révolte  légitime  des  opprimés  contre  les  op- 
presseurs, le  nom  de  Rossini  restera  toujours  joint  au  sien.  Ii  n'y  a  pas  d'opéra 
où  l'œuvre  du  maître  n'ait  été  applaudie,  où  son  épopée  musicale  du  Griitli  n'ait 
éveillé  dans  tous  les  cœurs  l'amour  de  notre  chère  patrie.  Que  la  Suisse  inscrive 
donc  le  nom  de  Rossini  à  côté  de  celui  de  Schiller  sur  la  pyramide  insulaire  du 
lac  des  Quatre-Cantons  I 

Ce  n'est  pas  tout.  Il  faudrait  organiser  dans  tout  le  pays  des  représentations 
gratuites  de  Guillaume  Tell.  Il  faudrait  publier  et  distribuer  dans  toutes  les  écoles 
et  aux  frais  de  la  Confédération  le  Guillaume  Tell,  de  Schiller,  précède  de  la 
scène  du  Serment,  si  magistralement  retracée  par  Jean  de  Mùller.  Semons  à 
pleines  mains  les  grands  exemples  de  notre  histoire  et  le  patriotisme  germera 
plus  que  jamais  sur  notre  vieux  territoire  helvétique. 

Pour  qui  connaît  le  Griitli  et  ce  merveilleux  décor  dont  parle  si  bien 
M.  Mathis  Lussy,  il  y  a,  dans  l'idée  émise  par  lui,  les  éléments  d'un 
spectacle  d'une  grandeur  incomparable  et  dont  tous  ceux  qui  seraient 
assez  heureux  pour  y  assister  conserveraient  un  éternel  souvenir. 

—  Le  premier  des  concerts  populaires  dont  nous  avons  annoncé  la  créa- 
tion à  Anvers  a  obtenu  un  plein  succès.  On  y  a  entendu  une  Petite  Suite 
d'orchestre  en  quatre  parties,  de  M.  E.  Agniez,  un  air  de  danse  de 
M.  Léon  Dubois  :  Pas  des  Courtisanes,  une  Marche  nuptiale  pour  piano  exé- 
cutée par  l'auteur,  M.  Xavier  Carlier,  et  divers  morceaux  de  chant. 

—  Au  dernier  concert  de  la  Société  de  musique  de  Tournai  on  a  exécuté 
deux  œuvres  très  intéressantes  de  M.  Ch.  Lefebvre,  Au  bord  du  NU  et 
Espoir,  paroles  de  M.  Guinand.  Ces  compositions,  admirablement  inter- 
prétées par  les  chœurs  de  la  Société,  ont  obtenu   un  vrai   succès.  L'au- 


teur, présent  à  ce  concert,  a  reçu  un  accueil  enthousiaste.  M.  Mailly, 
l'excellent  professeur  d'orgue  au  Conservatoire  de  Bruxelles,  et  M""'  Mailly 
prêtaient  leur  concours  à  cette  belle  fête  artistique. 

—  MUo  Jenny  Broch,  de  l'Opéra  de  Vienne,  est  en  route  pour  New- 
York  où  l'appelle  un  engagement  au  Metropolitan  Opéra  Housc.  Elle  débutera 
dans  YHamlet  d'Ambroise  Thomas. 

—  La  vente  du  théâtre  de  Covent-Garden  de  Londres,  décidée  en  prin- 
cipe par  le  propriétaire,  et  annoncée  par  nous,  a  été  ajournée  jusqu'à  une 
époque  indéterminée.  Un  contrat  vient  d'être  passé  avec  M.  Augustus 
Harris,  qui  laisse  à  ce  dernier  la  disposition  du  théâtre  pendant  quinze 
mois,  à  partir  du  1er  décembre.  De  son  côté,  le  théâtre  de  Sa  Majesté, 
qu'on  ne  peut  se  décider  à  démolir,  en  dépit  de  tous  les  bruits  qui  ont 
circulé  à  cet  effet,  abritera,  dit-on,  également  l'an  prochain,  une  entre- 
prise lyrique  italienne,  sous  la  direction  de  M.  Lago,  à  qui  l'on  prête 
l'intention  d'y  monter  VOtello  de  Verdi. 

—  A  la  dernière  réunion  de  l'Association  musicale  de  Londres,  une 
véritable  sensation  à  été  causée  sur  les  auditeurs  par  des  flûtes  rappor- 
tées de  Fayoum,  en  Egypte,  et  trouvées  dans  un  sarcophage  datant  de 
plus  de  trois  mille  années.  Le  conférencier,  M.  Southgate,  a  lu  un  rapport 
extrêmement  curieux  et  instructif  relativement  à  ces  instruments.  Les 
autorités  musicales  présentes  à  la  séance  ont  reconnu  que  les  flûtes  égyp- 
tiennes donnaient  tous  les  sons  employés  dans  le  système  moderne  et 
que  les  intervalles  naturels  se  rapprochaient  de  notre  gamme  tempérée 
bien  plus  que  dans  la  cornemuse.  Après  une  longue  controverse,  on  s'est 
mis  d'accord  sur  le  fait  que  les  flûtes  égyptiennes  renfermaient  le  tétra- 
corde  dit  de  Pythagore,  en  même  temps  que  les  notes  de  notre  gamme 
diatonique,  de  telle  sorte  qu'on  peut  affirmer  à  présent  que  le  système 
actuel  nous  vient  d'Egypte  et  non  pas  de  la  Grèce.  Une  seconde  confé- 
rence-audition sur  ce  sujet  plein  d'intérêt  aura  lieu  le  S  décembre  devant 
les  élèves  de  l'Académie  royale  de  musique. 

—  On  signale  à  Edimbourg  la  présence  d'un  violon  ayant  appartenu  au 
czar  Pierre  le  Grand  pendant  son  séjour  dans  les  chantiers  de  la  Clyde. 
L'instrument  possède  un  son  remarquable,  ainsi  qu'on  a  pu  en  juger 
lors  d'une  récente  audition  publique.  Le  nom  du  luthier  est  devenu  in- 
déchiffrable, mais  il  s'y  trouve  une  inscription  portant  que  le  violon  a  été 
remis   à  neuf  en  16U1  par  "Wilric  Balthasar  Dankwart,  à  Stuga. 

Où  il  est   question   d'un   enlèvement,  d'une  chanteuse  d'opérette  et 

d'un  officier  de  dragons.  La  scène  se  passe  à  Buenos-Ayres,  dans  la  Ré- 
publique argentine,  qui  décidément  fait  beaucoup  parler  d'elle  aujourd'hui. 
L'héroïne  de  l'aventure  a  nom  Dolorès  Cortès,  et  elle  obtenait,  chaque 
jour  un  grand  succès  en  jouant  et  en  chantant,  au  théâtre  Onrubia,  la 
Giroflé-Girojla  de  M.  Charles  Lecocq.  Mais  voici  qu'un  soir,  à  l'issue  de  la 
représentation,  l'enlèvement  supposé  de  la  mignonne  Girofla  passa  du 
pays  des  rêves  dans  celui  de  la  réalité.  En  sortant  du  théâtre,  la  jeune 
Dolorès  se  sentit  tout  à  coup  soulevée  de  terre  par  quatre  bras  robustes, 
instantanément  transportée  et  enfermée  dans  une  voiture  ad  hoc,  ,et 
emmenée  par  cette  voiture,  qui  partit  au  galop.  Cris,  appels  désespérés, 
protestations  de  la  belle,  tout  fut  vain.  La  voiture  et  son  précieux  charge- 
ment arrivèrent  dans  la  cour  d'une  belle  habitation  qui  servait  de  refuge 
à  un  élégant  officier  de  dragons,  lequel  faisait  depuis  longtemps  un  doigt, 
ou  plutôt  cinq  doigts  de  cour  à  la  divette,  sans  que  celle-ci  daignât  ré- 
pondre à  sa  flamme  autrement  que  par  le  silence.  Mis  en  présence  de 
son  ravisseur,  qui  se  jeta  aussitôt  à  ses  genoux  en  lui  avouant  son  crime, 
Girofla  fit  mine  de  prendre  les  choses  du  bon  côté  ;  elle  consentit  à  rire, 
à  plaisanter  quelque  peu,  et  le  dragon  entreprenant  était  au  septième  ciel. 
Tout  à  coup  la  captive  déclara  qu'elle  avait  soif,  et  qu'elle  boirait  volon- 
tiers un  verre  de  malaga.  «  J'en  ai  d'excellent!  »  dit  l'officier,  et  il  s'éloi- 
gna aussitôt  pour  donner  des  ordres.  Mais  à  peine  était-il  sorti  de  la 
chambre  que,  prompte  comme  l'éclair,  Dolorès  courait  pousser  le  verrou 
et  s'enfermait  sérieusement.  Après  quoi  elle  allait  à  la  fenêtre,  et  de 
toute  la  force  de  sa  jolie  voix  criait  au  meurtre!  au  secours!  de  façon  à 
ameuter  les  populations  en  un  clin  d'œil.  La  police  accourut,  la  maison 
fut  investie,  Girofla  fut  délivrée,  et  le  dragon,  bientôt  mis  aux  arrêts,  eut 
à  réfléchir  sur  les  inconvénients  résultant  d'un  enlèvement  clandestin. 

—  A  Mittenwald,  près  de  Munich,  on  vient  d'inaugurer  un  monument 
à  la  mémoire  du  luthier  Mathias  Klotz,  qui  fut,  au  dix-septième  siècle, 
l'introducteur  en  Bavière  de  l'art  de  la  lutherie.  Ce  monument,  dû  au 
ciseau  du  sculpteur  Lallinger,  a  été  érigé  sur  la  place  de  l'église  parois- 
siale. L'hommage  estpeut-êtreexcessif.s'adressantàun  artisan  dontle  talent, 
dénué  de  toute  personnalité,  se  borna  à  une  contrefaçon  presque  grossière 
des  instruments  et  des  procédés  de  son  maître,  le  fameux  luthier  Jacques 

■  Steiner,  véritable  artiste,  celui-là,  et  qui,  beaucoup  plus  légitimement  que 
son  médiocre  élève,  mériterait  un  souvenir  de  ce  genre. 

PARIS   ET    DEPARTEMENTS 

S'il  faut  en  croire  M.  Aderer,  le  courriériste  théâtral  du  Temps,  la  di- 
rection de  l'Opéra  songerait  à  représenter  prochainement  le  Fidelio,  de 
Beethoven,  avec  Mmc  Rose  Caron.  On  adopterait  la  belle  version  de  cet 
ouvrage  qui  a  été  donnée  au  théâtre  de  la  Monnaie  de  Bruxelles,  avec 
les  intéressants  récitatifs  composés  par  M.  Gevaert,  qui  font  si  bien  corps 
avec  la  partition  du  grand  maître.  L'œuvre  originale  de  Beethoven  com- 
prend, on  le  sait,  une  partie  dialoguée  qui  ne  permet  pas  de  la  transporter 


•374 


LE  MÉNESTREL 


telle  quelle  sur  la  scène  de  l'Opéra.  Ce  serait  assurément  là  une  mani- 
festation artistique,  dont  nous  croyons  MM.  Ritt  et  Gailhard  peu  capables, 
malgré  la  vraisemblance  que  peut  avoir  la  nouvelle,  puisqu'elle  nous 
vient  du  Temps,  qui  est  comme  l'organe  attitré  et  officieux  de  la  direction 
de"  ces  messieurs. 

—  La  direction  du  Théâtre-Lyrique  (Eden),  va  donner  une  suite  d'audi- 
tions d'oeuvres  symphoniques  et  lyriques  qui  permettra  aux  dilettantes  de 
connaître  les  ouvrages  de  nos  principaux  maîtres  non  exécutés  encore  à 
la  scène.  La  semaine  prochaine,  comme  lendemain  au  grand  succès  de 
Samson  et  Dalila,  aura  lieu  la  première  de  ces  auditions  dont  la  partie 
principale  sera  Rédemption,  poème  symphonie  de  M.  Edouard  Blau,  une 
des  œuvres  les  plus  magistrales  de  César  Franck. 

—  De  plus,  on  prête  à  M.  Verdhurt  l'intention  de  représenter  très 
promptement  le  Lohengrin,  de  Richard  Wagner,  dont  il  a  une  belle 
distribution  dans  son  théâtre  avec  MM.  Engel  et  Dufriche,  M"ie  Fursch- 
Madi  et...  une  Eisa  qui  reste  à  découvrir.  On  parle  aussi,  mais  plus  vague- 
ment, de  la  Vie  pour  le  Czar,  de  Glinka.  Ceci  serait  beaucoup  moins  inté- 
ressant. Si  l'on  veut  faire  une  amabilité  à  l'Ecole  russe  qui  le  mérite  à 
tous  égards,  il  vaudrait  mieux  choisir  parmi  ses  nouveaux  compositeurs, 
qui  ont  fort  dépassé  le  vieux  maître  Glinka.  Qu'on  prenne  le  Néron,  de 
Rubinslein,  ou  le  Flibustier,  de  César  Cui,  voilà  qui  aurait  un  bien  autre 
intérêt. 

—  Le  théâtre  des  Nouveautés  annonce  pour  mardi  prochain,  la  première 
représentation  de  Samsonnel,  la  nouvelle  opérette  de  MM.  Paul  Feirier  et 
Victor  Roger.  Voici  les  six  tableaux  de  cette  fantaisie  ultra-moderne:  l°Au 
Lyrique,  en  1895;  —  2°  La  Présentation  de  Samsonnel;  —  3°  Au  Loyer 
des  artistes  ;  —  4°  A  l'Ambassade  ;  —  5°  Au  Château  des  Catalpas.  —  Un 
duel  sélect.  —  Les  Patineurs;  —  0°  L'Avant-Scène  23  et  23.  —  Il  n'y  aura 
pas  d'entracte  entre  les  deux  tableaux  de  chaque  acte.  Les  décors  sont 
équipés  de  telle  façon  que  les  changements  puissent  être  faits  aussi  rapi- 
dement que  des  changements  à  vue. 

—  On  a  beaucoup  parlé,  ces  temps  derniers,  de  tombes  négligées  ou 
abandonnées,  et  on  a  cité  surtout  celle  de  MUc  Clairon,  la  grande  tragé- 
dienne, que  la  Comédie-Française  s'est  aussitôt  engagée  à  faire  remettre 
en  état.  Mais  s'il  est  des  tombes  oubliées,  il  en  est  d'ignorées.  En  voici 
une  entre  plusieurs  :  Derrière  le  n°  1  de  la  rue  Lekain,  un  petit  enclos 
renferme  une  tombe,  celle  du  banquier  Etienne  Delessert,  mort  à  Passy 
en  1816,  et  inhumé  dans  un  cimetière  dépendant  de  la  communauté  des 
Barnabites  Ses  descendants  achetèrent  le  terrain  pour  posséder  la  sépulture. 
Depuis  1860,  après  l'annexion  des  communes  suburbaines  comprises  dans 
l'enceinte  fortifiée  de  Paris,  Passy  a  pris  l'extension  que  l'on  sait.  On  bâtit 
sur  l'emplacement  de  l'ancien  cimetière,  et  la  famille  Delessert  obtint  la 
permission  de  conserver  la  sépulture  de  son  ancêtre.  Or,  dans  ce  même 
enclos,  il  existe  également  une  plaque  de  marbre  noir  sur  laquelle  on  lit 
l'inscription  suivante  : 

Ici  repose 
Nicolas  Piccini,  maître  de  chapelle  napolitain, 
Génie  fécond,  varié,  créateur 
Célèbre  en  Italie,  en  France,  en  Europe 
Cher  aux  arts  et  à  l'amitié 
Né  à  Bari,  dans  l'Etat  de  Naples,  en  1728 
Mort  à  Paris  le  17  floréal  an  VIII  de  la  République  française. 
Malgré  les  recherches  faites  par  la  ville,  à  la  requête  de  l'ambassade 
d'Italie,  les  restes  de   l'auteur  de  Cecchina,  de  Roland,  de  Didon  et  de  cin- 
quante autres  opéras,  de  l'émule,  sinon  du  rival  de  Gluck,   n'ont  pu  être 
retrouvés.  Et  le  pauvrj  Piccini,    cher  grand   artiste    méconnu,    mort    de 
misère  à  Paris,  n'a  même  plus  une  tombe  pour  recouvrir  ses  restes  ! 

—  Décidément,  les  avis  sont  singulièrement  partagés  au  sujet  du  piano. 
Tandis  que  Reyer  lui  fait  une  guerre  acharnée  dans  le  feuilleton  du 
Journal  des  Débats,  à  Londres,  le  Schoolboard  prescrit  son  enseignement  dans 
les  écoles  primaires;  et  tandis  que  M.  Bourgeois,  notre  ministre  de  l'ins- 
truction publique,  publie  une  circulaire  destinée  à  faciliter  aux  élèves 
des  institutions  féminines,  qui  veulent  s'y  livrer,  l'étude  de  cet  instrument, 
à  la  Chambre,  M.  Vion,  au  nom  de  la  huitième  commission  d'initiative, 
dépose  un  rapport  favorable  sur  le  projet  de  loi  de  M.  Maxime  Lecomte,  qui 
établit  un  impôt  sur  cet  objet  prétendu  de  luxe,  assimilé  ainsi  aux  sim- 
ples toutous.  Mais  ce  n'est  pas  tout,  et  voici  qu'en  Belgique  la  question 
prend  des  allures  politiques.  La  preuve  en  est  dans  ce  programme  d'un 
candidat  aux  récentes  élections  communales  de  Saint-Gilles  (Bruxelles), 
lequel  était  ainsi  conçu  : 

Électeur»! 

Je  suis  candidat  anli-pianiste  !  Le  piano  fait  le  désespoir  de  ceux  qui  ont  en 
horreur  lea  gammes,  les  doubles  croches  et  les  demi-mesures. 

Electeurs,  il  faut,  dan,  l'intérêt  de  l'humanité,  prohiber  l'usage  du  piano. 

électeurs,  votez  puur  moi  en  signe  de  proteslalion  auti-pianistel 

El  79  électeurs  cmt  voté  courageusement,  avec  ensemble,  pour  l'élo- 
quent candidat  anti-pianiste.  Il  est  donc  aujourd'hui  certain  qu'il  existe 
à  Saint-Gilles  79  ennemis  avérés  du  piano.  Voilà  un  instrument  bien 
malade.  Mais  qui  sait  si  la  persécution  ne  lui  rendra  pas  les  forces  qu'il 
semble  perdre  en  ce  moment? 

—  Mercredi  prochain  sera  mise  on  vente  à  l'hôtel  Drouot,  une  impor- 
tante collection  d'autographes.  Nous  empruntons  à  l'intéressant  catalogue 


de  celte  collection  l'extrait  suivant  d'une  très  belle  lettre  que  Méhul 
adressait,  le  14  août  1815,  à  l'abbé  Faucheux,  et  dans  laquelle  il  lui  ap- 
prenait que  l'invasion  lui  avait  été  funeste  :  «  Notre  chère  France,  disait 
l'auteur  de  Joseph,  a  beaucoup  souffert  sur  tous  les  points,  et  moi  j'ai  été 
particulièrement  bien  maltraité.  Ma  petite  maison  de  campagne  (celle 
qu'il  possédait  à  Pantin  et  où  il  cultivait  ses  tulipes),  a  été  envahie  par 
des  soldats  de  toutes  les  nations  qui  se  sont  liguées  contre  la  nôtre. 
L'année  dernière  j'ai  éprouvé  pareil  désastre  et  en  réparant  mes  pertes, 
j'étais  loin  de  m'attendre  que  je  travaillais  vainement...  J'ai  encore  deux 
Russes  à  loger  et  à  nourrir;  tous  les  jours  il  m'en  coûte  de  vingt  à  vingt, 

cinq  francs Il  ajoute  qu'il  a  cependant  réussi  à  sauver  une   partie  de 

ses  tulipes  la  veille  de  la  prise  de  Paris,  en  allant  chercher,  au  bruit  du 
canon,  ses  oignons  et  en  les  entassant  dans  des  paniers.  —  On  sait  que 
Méhul  était  un  horticulteur  amateur  de  premier  ordre,  et  que,  dans  les 
dernières  années  de  sa  vie,  ses  chères  fleurs  étaient  sa  seule  consolation. 

—  Concerts  du  Chàtelet. —  La  Symphonie  fantastique  de  Berlioz  est  un  de 
ces  ouvrages  de  jeunesse  dont  on  oublie  volontiers  les  défauts  tant  est 
puissante  et  vigoureuse  la  sève  qui  les  vivifie.  Faiblesse  dans  la  structure 
musicale,  absence  d'unité,  incohérences,  mélange  de  la  musique  drama- 
tique à  la  musique  symphonique,...  les  défauts  ne  manquent  pas  dans 
cette  composition,  mais  les  qualités  y  sont  de  premier  ordres  et  l'intérêt 
ne  faiblit  pas  si  l'on  se  pénètre  des  idées  qu'a  voulu  rendre  le  musicien. 
Le  troisième  morceau  renferme  des,  pages  d'une  telle  perfection  que 
Schumann  a  pu  les  louer  en  disant:  «  Beethoven  n'aurait  pas  mieux 
l'ait.  »  —  M.  Breitner  a  exécuté  la  Fantaisie,  op.  15,  de  Schubert,  orches- 
trée par  Liszt.  Cette  œuvre,  bâtie  tout  d'une  pièce,  et  dont  tous  les 
thèmes  se  ramifient  à  un  motif  fondamental  exposé  au  début,  produit 
une  impression  d'autant  plus  vive  que  l'attention  s'éparpille  moins. 
M.  Breitner  a  présenté  sous  le  jour  le  plus  favorable  les  grandes  beautés 
de  l'œuvre,  autant  du  moins  que  le  permet  l'insuffisance  de  la  vibration 
des  pianos  dans  les  grandes  salles.  —  Le  succès  des  Scènes  alsaciennes  de 
M.  Massenet  a  pris  d'énormes  proportions  après  le  duo  pour  violoncelle 
et  clarinette  qui  a  été  bissé  avec  une  insistance  presque  tumultueuse  ; 
cette  page  est  pleine  de  charme  et  de  poésie.  —  Autre  succès  pour  des 
fragments  des  Pécheurs  de  perles.  L'air  de  Zurga,  dit  par  M.  Auguez,  l'air 
de  Nadir,  dit  par  M.  Warmbrodt,  et  surtout  le  beau  duo  du  premier  acte, 
ont  mis  en  relief  les  qualités  mélodiques  de  Bizet  et  son  entente  réelle  de 
l'effet  scènique.  —  Le  ballet  d'Ascanio  a  été  bien  accueilli  comme  aux  pré- 
cédentes auditionset  le  concert  s'est  terminé  par  la  Chevauchée  des  W 'alkyries~. 

Amiîdée  Boutabel. 

—  M.  Lamoureux  avait  mis  en  tète  de  son  dernier  concert,  la  symphonie 
en  si  bémol  de  Beethoven.  Le  premier  morceau,  le  Scherzo  et  le  finale 
ont  été  joués  d'une  façon  irréprochable.  Il  nous  a  semblé  que  l'adagio 
avait  été  dit  plus  froidement  et  qu'il  manquait  à  l'exécution  de  cette  œuvre 
incomparable,  le  cachet  de  poésie  qu'elle  exige  de  ses  interprètes.  —  La 
Symphonie  était  suivie  du  Rouet  d'Omphale,  le  poème  symphonique  si  connu 
de  M.  Saint-Saëns.  M.  Saint-Saéns  est  définitivement  classé  au  rang  des 
grands  maîtres.  Celui  qui  a  fait  Samson  et  DalUa,  le  Déluge,  la  Symphonie 
en  ut  mineur,  les  Poèmes  symphoniques,  le  Concerto  en  sol  mineur  etc.,  ne 
le  cède  à  nul  autre,  et  c'est  plaisir  que  de  goûter  ce  style  sobre,  cette  noble 
mélodie,  cette  maestria  sans  égale  que  l'on  remarque  dans  toutes  ses 
œuvres.  — M.  Chabrier,  dont  on  a  fait  entendre  l'ouverture  de  Gwendoline, 
sera  peut-être  classé  un  jour  parmi  les  maîtres;  mais  il  devra  se  défaire 
de  cette  intempérance  de  style  qui  dépare  nombre  de  ses  compositions  : 
l'ouverture  de  Gwendoline  débute  avec  une  telle  furia  qu'il  est  impossible 
au  compositeur  de  se  maintenir  à  un  tel  diapason,  malgré  tous  les  efforts 
qu'il  y  met.  Une  telle  débauche  de  sonorité  finit  par  engendrer  une  véri- 
table souffrance.  —  Quel  contraste  avec  la  Marche  des  Pèlerins  d'Uarold.  de 
Berlioz  !  On  ne  sait  ce  qu'on  doit  le  plus  admirer  dans  cette  œuvre,  qui 
fut  un  des  premiers  succès  incontestés  du  maître  français,  —  la  sobriété 
du  style  et  l'élévation  de  la  pensée,  ou  bien  l'ingéniosité  extraordinaire 
dont  Berlioz  a  fait  preuve  ;  il  y  a  là  des  effets  étonnants,  et  dont  lui  seul 
était  capable.  —  Nous  n'avons  rien  de  plus  à  dire  des  Murmures  delà  forêt, 
de  Wagner,  que  ce  que  nous  en  avons  dit  précédemment.  C'est  un  enfan- 
tillage énorme  et  prétentieux  que  certains  admirent  et  que  M.  Lamoureux 
fait  bien  d'offrir  à  son  public,  puisque  le  public  y  prend  plaisir.  —  La 
Suite  des  Maîtres  Chanteurs  serait  agréable  à  entendre  si  on  l'allégeait  de 
cette  lourde  et  massive  ouverture  qui  ressemble  à  une  étude  de  contrepoint 
mal  digérée.  —  Un  jeune  violoniste  d'avenir,  M.  Kosman,  a  dit  avec  bien 
du  talent  le  premier  allegro  d'un  assez  médiocre  concerto  de  Paganini, 
qui  était,  dit-on,  le  dernier  morceau  de  concours  du  Conservatoire,  et  qui 
n'a  eu  d'autre  mérite  que  de  mettre  en  relief  la  façon  remarquable  dont 
M.  Kosman  exécute  les  doubles  notes  et  les  notes  harmoniques,  dont  le 
Concerto  de  Paganini  est  émaillé.  M.  Kosman  a  été  très  applaudi  et  il 
méritait  de  l'être.  IL  Barbedette. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Chltelct,  concert  Colonne  :  Symphonie  écossaise  (Meadelssohu)  ;  Andanle  du  troi- 
sième Quatuor  [Beethoven);  Scènes  alsaciennes  (Massenet);  prélude  de  Tristan  et 
Iseull  (R.  Wagner)  ;  CaUirhoo  (Cécile  Chaminade)  ;  Intermezzo  (Tschaïkowsky)  ; 
baccha"alc  de  Samson  cl  Dalila  (Saint-Saëns). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  :  Ouverture  d'Arteield  (E.  Gui- 
raud);  symphonie  pastorale  (Beethoven);  Tass'j,  poème  symphonique  (Liszt); 
Danse  macabre  (Saint-Saëns)  ;  les  Murmures  de  la  Forôl  de  Siegfried  (WagLer) 
ouverture  de  Tannhauser  (Wagner). 


LE  MENESTREL 


378 


—  On  assure  qu'aux  termes  d'un  nouveau  règlement  relatif  au  Conser- 
vatoire, —  règlement  que  vient  de  rédiger  M.  Larroumet  et  que  M.  Bour- 
geois, ministre  des  beaux-arts  a  du  signer  hier  —  aucun  élève  du  Conser- 
vatoire ne  pourra,  désonnais,  entrer  directement  à  la  Comédie-Française, 
pendant  les  doux  années  qui  suivront  son  dernier  concours.  Un  stage  a 
l'Odéon  sera  obligatoire,  à  moins  bien  entendu,  que  l'élève  n'aille  faire 
sa  réputation  en  province  ou  à  l'étranger,  et  soit  admis,  au  retour,  à  la 
Comédie-Française. 

—  C'est  M.  Gabriel  Pierné,  grand  prix  de  Rome,  premier  prix  d'orgue 
du  Conservatoire,  qui  vient  d'être  nommé  organiste  de  Sainte-Clotilde, 
en  remplacement  du  regretté  César  Franck  dont  il  était  l'élève.  M.  Pierné 
l'a  emporté  sur  une  véritable  armée  de  concurrents,  dont  le  nombre  ne 
s'élevait  pas  à  moins  de  quarante-neuf.  Annonçons  en  même  temps  que 
M.  Auguste  Bazille,  l'excellent  chef  de  chant  à  l'Opéra-Comique,  le  pro- 
fesseur de  la  classe  d'accompagnement  au  Conservatoire,  vient,  de  son 
côté,    d'être  nommé  organiste  de  Saint-François-Xavier. 

—  Nous  signalerons  aux  curieux  des  choses  de  l'art,  un  très  intéressant 
article  de  M.  Oscar  Comettant,  publié  dans  le  dernier  numéro  delaiVou- 
velle  revue  internationale,  à  propos  d'une  conférence  faite  par  M.  Raymond 
Pilet  au  congrès  des  américanistes  sur  les  airs  originaires  du  Guatemala, 
lesquels,  jusqu'ici,  n'avaient  été  notés  par  aucun  voyageur.  M.  Pilet  les  a 
notés  sur  place,  et  leur  collection  sera  un  nouveau  sujet  d'étude  pour  les 
musiciens  philosophes,  qui  voient  dans  les  airs  populaires  d'un  peuple 
ses  penchants  et  l'état  de  son  esprit,  mieux  que  dans  toutes  les. autres 
manifestations  de  ses  sentiments  et  de  son  imagination.  Ajoutons  que  ces 
airs  indiens  du  Guatemala  sont  tous  écrits  en  mode  majeur,  que  ce  sont 
des  airs  joués  le  plus  souvent  sur  la  marimba,  qu'ils  sont  très  francs  de 
mélodie  et  de  rythme  et  d'un  caractère  original  des  plus  séduisants. 

—  Extrait  de  l'album  d'un  musicien.  —  «  Les  femmes  sont  comme  les 
signes  de  musiques:  il  y  en  a  de  rondes,  de  blanches,  de  noires;  on 
trouve  aussi  parmi  elles  des  croches  et  même  des  doubles  croches  ;  beau- 
coup la  font  ou  la  prennent  à  la  pose,  presque  toutes  poussent  des  soupirs, 
mais  on  n'en  trouve  pas  qui  observent  le  silence.   » 

—  On  annonce  la  très  prochaine  publication,  à  la  librairie  Cïlmann 
Lévy,  d'un  livre  de  critique  et  d'esthétique  musicales  :  la  Musique,  le  bon 
sens  et  les  deux  opéras,  signé  du  nom  du  prince  de  Valori  et  précédé  d'une 
préface  posthume  d'Armand  de  Pontmartin.  Le  livre  est,  paraît-il,  une 
protestation  contre  les  théories  actuelles  des  novateurs  excessifs,  et  une 
revendication  en  faveur  des  vieux  maîtres  injustement  méconnus  par  eux. 
Quant  à  la  préface,  dont  un  de  nos  grands  confrères  a  publié  le  texte  ces 
jours  derniers,  assez  piquante  d'ailleurs,  elle  ne  prouve  pas  en  faveur  de 
la  fidélité  des  souvenirs  de  son  auteur.  Pontmartin  s'y  étend  avec  com- 
plaisance, en  rappelant  les  faits  dont  il  fut  le  témoin  dans  sa  jeunesse, 
sur  un  certain  Macbeth  représenté  à  l'Opéra  en  1827  et  dont  il  attribue  la 
complète  paternité  à  Rouget  de  Lisle  :  «  Protégé,  dit-il,  par  le  vicomte  de 
La  Rochefoucauld,  il  parvint  à  faire  jouer,  mais  non  pas  à  faire  réussir, 
Macbeth,  paroles  et  musique  de  Rouget  de  Lisle;  et,  quand  Macbeth  fut 
tombé  à  plat,  il  écrivait  dans  son  premier  accès  de  colère  d'auteur  sifflé  : 
«  Pour  que  Macbeth  fournit  une  très  honorable  carrière,  il  eût  fallu  que 
»  ce  malheureux  vicomte  ne  fût  pas  un  pleutre,  et  que  Rossini  et  les  rossi- 
»  nistes  ne  fussent  pas  des  intrigants  !  !  »  Or,  c'est  ici  que  les  souvenirs  de 
Pontmartin  le  trahissent  visiblement.  Macbeth,  opéra  en  trois  actes  (et  non 
en  quatre  comme  il  le  dit),  avait  pour  auteurs  des  paroles  Rouget  de  Lisle 
et  Auguste  Hix,  qui  d'ailleurs  ne  signèrent  ni  l'un  ni  l'autre,  car  le  livret 
est  anonyme;  quant  à  la  musique,  elle  n'était  point  de  Rouget  de  Lisle, 
mais  de  Chelard,  artiste  malchanceux  mais  fort  distingué,  qui  avait  obtenu 
le  grand  prix  de  Rome  en  1811,  un  an  avant  Hérold.  Macbeth,  qui  était, 
parait-il,  une  œuvre  remarquable,  n'obtint  pourtant  aucun  succès  et  ne  fut 
joué  que  cinq  fois,  bien  qu'il  eût  pour  interprètes  Mmes  Cinti-Damoreau  et 
Dabadie,  Adolphe  Nourrit,  Dabadie  et  Dérivis.  En  tout  cas,  on  voit  que 
Rouget  de  Lisle  était  complètement  étranger  à  la  musique  de  cet  ouvrage, 
et  qu'il  n'était  même  que  pour  moitié  dans  les  paroles. 

—  Lundi  dernier  a  eu  lieu  la  réouverture  des  séances  de  la  Société 
chorale  dirigée  par  le  baryton  Ciampi.  Le  programme  de  cette  première 
réunion  était  des  plus  intéressants.  De  nombreuses  et  jolies  voix  ont 
exécuté  et  admirablement  enlevé  le  ravissant  chœur  des  pages  de  Françoise 
de  Rimini,  la  délicieuse  valse  de  M.  Lscome,  Goutte  de  rosée  et  d'autres 
chœurs  non  moins  heureusement  choisis  de  Reyer,  Delibes,  Martini,  etc. 
Il  est  tout  naturel  que  cette  jeune  société,  fondée  depuis  l'année  dernière 
à  peine,  par  M.  et  M™10  Ciampi,  sur  des  bases  artistiques  aussi  sérieuses, 
soit  déjà  couronnée  d'un  si  plein  succès. 

—  La  jeune  cantatrice  Mllc  Burt  vient  de  se  produire  avec  succès  à  la 
salle  Hcrz  dans  un  concert  dont  elle  a  été  le  principal  attrait.  Un  de 
ses  morceaux  les  plus  applaudis  a  été  la  mélodie  nouvelle  de  M.  Verdalle, 
Vous  ne  m'avez  jamais  souri,  qui  a  partout  un  si  grand  succès. 

— La  matinée  musicale,  donnée  par  l'École  Normale  de  musique,  jeudi  G  no- 
vembre, salleKriegelestein,  sous  la  direction  de  M.  Thurner,  a  tenu  toutes 
ses  promesses.  Les  élèves  primées  ont  fait  montre  d'un  réel  talent;  des 
maîtres  tels  que  Marmontel,  Ravina,  M"0  Chaminade,  ont  pu  applaudir  la 
netteté,  l'acquis,  le  style  déjeunes  élèves,  qui  élèvent  haut  l'enseignement 
de  leur  maître.  Grand  succès  pour  un  air  à  danser  de  M.  Th.  Dubois,  pour 
l'Oiseau-Mouche,  de  M.   Lack  et   pour  le  merveilleux   ensemble   dans    les 


pièces  à  deux  pianos  sur  Sylvia,  M.  Brian  s'est  surpassé  avec  Lakmé  et 
la  S»  Polonaise  de  Chopin,  M"0  Ilanna  nansen,  une  enfant  étonnante  avec 
lu.';'  Impromptu  du  Chopin  et  une  Rapsoâie  de  Liszt.  Mentionnons  le  précieux 
appoint  de  Mmc  Boidin-Puisais,  Mllc  Maynien,  une  brillante  élève  de  M.  Ch. 
Dancla  ;  M.  Mazalbert  ainsi  que  de  M.  de  Feraudy  et  M»°  Ludwig  de  la 
Comédie-Françiise. 

—  Le  dernier  grand  concert  de  la  Société  Sainte-Cécile,  du  Havre,  a 
été  particulièrement  remarquable.  Les  journaux  du  Havre  sont  remplis 
de  chaleureux  éloges  pour  Mmcs  Bœwilwald  et  Taconet,  qui  ont  chanté  les 
soli  dans  le  deuxième  acte  d'Orphée,  de  Gluck,  pour  les  chœurs,  pour  l'or- 
chestre, si  habilement  dirigé  par  M.  Cifolelli,  et  pour  Mme  L.  0.  Comet- 
tant, qui  a  enlevé  littéralement  le  public  avec  la  tarentelle  de  Gottschalk, 
l'une  des  pièces  de  prédilection  de  M.  Francis  Planté. 

—  Nous  apprenons  de  Rouen,  que  Mnw  Tarquini  D'Or,  vient  d'obtenir 
au  théâtre  des  Arts,  un  très  grand  succès  dans  le  rôle  de  Mignon,  auquel 
elle  donne  une  interprétation  toute  personnelle.  —  La  veille,  elle  avait 
joué  Carmen  avec  non  moins  de  succès. 

—  La  Société  de  musique  de  Perpignan  va  reprendre  ses  intéressantes 
séances  sous  l'habile  direction  de  son  fondateur,  M.  Gabriel  Baille.  Parmi 
les  œuvres  qui  doivent  être  exécutées  pendant  la  saison  figurent  plusieurs 
compositions  de  la  nouvelle  école,  entre  autres,  la  Rapsodie  cambodgienne 
de  M.  Bourgault-Ducoudray. 

lime  Andrée  Lacombe,  le  professeur  de  chant  si  émérite.  à  qui  l'on 

doit  de  beaux  ouvrages  sur  l'enseignement,  est  de  retour  à  Paris  où  elle 
va  reprendre  ses  excellentes  leçons  toujours  si  recherchées. 

—  M.  Léon  Achard,  professeur  au  Conservatoire,  reprend  ses  leçons  de 
chant  particulières,  chez  lui,  164,  faubourg  Saint-Honoré,  à  partir  du 
16  novembre.  Il  rouvre,  en  même  temps,  à  la  salle  Beethoven  (aujourd'hui 
salle  Dicksonn),  passage  de  l'Opéra,  les  lundis  et  vendredis,  d'une  heure 
à  trois  heures,  ses  cours  d'opéra-comique  et  d'opéra. 

—  Cours  et  leçons. —  M.  Auguste  Mercadier,  lauréat  de  l'Exposition  de  1889,  a 
repris  ses  cours  du  lundi  (solfège,  harmonie,  transposition,  accompagnement),  à 
l'Institut  Evelart-Jammès,  54,  Faubourg-Saint-Honoré.  —  Le  violoniste  1.  Men- 
dels  reprendra,  le  8  décembre,  au  Théâtre  d'Application,  18,  rue  Saint-Lazare,  la 
série  de  ses  matinées  de  musique  de  chambre,  avec  le  concours  des  principaux 
artistes  instrumentistes  et  chanteurs.  —  M""  Rouxel  et  de  Tailhardat  ont  repris 
leurs  cours  et  leçons  chez  elles,  3,  rue  Nicolo,  et  à  la  maison  Erard,  leurs  cours 
d'accompagnement  sous  la  direction  de  XI.  Turban.  —  Les  conférences-cours 
traitant  de  l'art  du  chant,  que  W  Lafaix-Gontié  avait  commencées  la  saison  der- 
nière à  l'Institut  Rudy,  seront  reprises  par  elle,  le  vendredi  28  novembre  pour  se 
continuer  les  deuxième  et  quatrième  vendredi  de  chaque  mois  à  4  heures  1/4 
précises  du  soir.  —  M.  Rondeau,  le  ténor  bien  connu,  a  repris  ses  leçons  de 
chant  à  son  domicile,  13,  rue  Mansart. 

NÉCROLOGIE 

D'ItaKe  on  nous  annonce  la  mort  à  Pallanza,  d'un  compositeur  vrai- 
ment distingué,  Emanuele  Biletta,  qui  s'était  fait  connaître  à  Paris  par 
un  ouvrage  en  deux  actes,  la  Rose  de  Florence,  donnée  à  l'Opéra  le  10  no- 
vembre 1856.  Il  avait  donné  précéiemment  à  Londres  un  opéra  intitulé 
Whitc-Magie  et  deux  grands  ballets  :  les  Cinq  Sens  et  la  Lutine:  puis,  à 
Parme,  un  autre  opéra,  t'Abbazia  di  Kelso.  Biletta,  qui  était  né  à  Casal- 
Montferrat  le  20  décembre  1S25,  avait  publié  un  grand  nombre  de  romances, 
canzonnettes  et  mélodies  vocales,  pour  la  plupart  d'un  tour  élégant  et 
d'une  aimable  inspiration,  ainsi  qu'une  méthode  de  chant  fort  estimée. 

_  On  annonce  encore  la  mort,  à  La  Haye,  du  baron  de  Zuylen  de 
Nyvelt,  ancien  ministre  des  Pays-Bas  à  Paris,  où  il  passa  vingt  et  un  ans 
et  où,  'resté  à  son  poste  pendant  le  siège,  et,  secondé  par  l'admirable  dé- 
vouement de  sa  femme,  il  rendit  des  services  qu'on  n'a  pas  oubliés.  A 
son  retour  en  Hollande,  il  était  entré  à  la  première  Chambre  comme 
représentant  de  la  Gueldre.  Le  baron  de  Zuylen  de  Nivelt  était  un  ama- 
teur de  musique  fort  distingué,  compositeur  pratiquant  dont  nous  nous 
rappelons  avoir  entendu  au  Conservatoire  plusieurs  morceaux  sympho- 
niques  écrits  avec  élégance  et  facilité.  Il  était  membre  correspondant  de 
la  Société  des  compositeurs  de  musique. 


Hex'iu  Heugel.  directeur-gérant. 


_  Vient  de  paraître  Au  Ménestrel  :  la  partition  piano  et  chant  (avec  dia- 
logue intercalé)  de  l'opéra-comique  Un  Modèle,  livret  de  MM.  André  De- 
grave  et  Manuel  Lerouge,  musique  de  M.  Léon  Schlesinger,  représenté 
actuellement  avec  succès  au  théâtre  des  Bouffes-Parisiens. 


En  vente  Au  Ménestrel,  2l»s,  rue  Vivienne,  HENRI  HEUGEL,  éditeur-propriétaire. 

DEUX  ROMANCES  SANS  PAROLES 

POUR     PIANO 

DE 

LÉO      DELIBES 

N.  i  N°  2 

SOUVENIR   LOINTAIN  ROMANCE  HONGROISE 

Prix.-3/r.  Prix.-»/,: 

Du  même  auteur:  RIGAUDON,  pour  piano.    Prix:   5  fr. 


376 


LE  MÉNESTREL 


Pour  paraître  prochainement,  AU  MENESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne,  HENRI  HEUGEL,  éditeur-propriétaire. 


SAMSONNET 


Opérette  en  3  actes  et  6  tableau* 


THEATRE 

DES 

NOUVEAUTÉS 


THEATRE 

DES 

NOUVEAUTÉS 


PAUL     FEÏfclfcrEEfc 

Musique  de 

VICTOR     ROGER 

Partition  piano  et  chant.  —  Morceaux   de  chant   détachés.  —  Fantaisies,  danses  et  arrangements  pour  piano  et  instruments  divers 


En  vente  AU  MÉNESTREL,  2bis,  rue  Vivienne,  HENRI  HEUGEL  Édileur-propriétaire. 


P.  LACOME 

SIX  CHŒURS 

A  deux  voix  égales  avec  soli  et  ace»  de  piano. 

(Paroles  convenables  pour  les  pensionnats.) 

Prix  nets: 
N°  1.  Les  Moissonneurs  (les  soli  pour  soprano  et  contralto) 2     » 

2.  La  Fête  de  Sita  (les  soli  pour  soprano  et  contralto) 2     » 

3.  La  Caravane  (avec  un  solo  de  soprano) 1  50 

4.  La  Forêt  (les  soli  pour  soprano  et  contralto) 2     » 

5.  Chantas  (deux  voix  égales  sans  soli) 1  50 

6.  Goutte  de  rosée,  valse  (avec  solo  de  soprano)       2  50 

N.    B.  —  Les  parties  de   chœurs  de  tous  ces  morceaux  sont   publiées 

séparément,  en   petit  format,  avec  les  deux  voix  en   partition,    mais  sans 
accompagnement  au  prix  de  0  fr.  50  c.  net,  chaque  exemplaire. 


FRANCIS  THOMÉ 

JD  I  SI     MÉLODIES 


N"    1.  Madrigal  (1-2) 4 

—  2  Bonjour,  Suzon 4 

—  3.  Ritournelle  (1-2) 5 

—  4.  Sonnet  d'Arvers 4 

—  5.  Si  tu  veux,  faisons  un  rêve 5 

—  6.  Plainte  à  Sylvie  (1-2) 5 

—  7.  Brise  aimée 4 

—  8.  Qui  donc  êtes-vous,  la  belle  ?  (1-2) 6 

—  9.  Nuit - ••••  S 

—  10.  Les  Hussards  (1-2) 5 

Le  recueil  complet,  net  :  6  francs. 


En  vente  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Viv 


e,  HEVRI  HEUGEL.  Éditrar-propriélare. 


AD.  HERMAN 

LES   DÉBUTS  DU  JEUNE  VIOLONISTE 

Fantaisies  faciles  et  chantantes  pour 


VIOLON  ET  PIANO 


N°  1.  Berceuse 

2.  Valse  chantante.  .   .   . 

3.  Bourrée  d'Auvergne  .   . 

4.  Chanson  du  Pâtre.   .   . 

5.  Invitation  à  la  raaznrka 

6.  Pastorale 


Pour  précéder  LES  SOIRÉES  DU  JEUNE  VIOLONISTE,  du  même  auteur, 
de  fantaisies  sur  les  opéras  en  vogue  (moyenne  force). 


CL.  BLANC  &  L  DAUPHIN 

RONDES     ET     CHANSONS     D'AVRIL 

Pris. 

Nos     1.  Muguets  et  Coquelicots,  ronde 5  » 

—  2.  Aux  cerises  prochaines,  chanson 3  « 

—  3.  Les  Caprices  de  la  Reine,  ronde 5  » 

—  4.   Sur  un  nuage  d'or  laqué,  chanson  japonaise 5  » 

—  5.  Bobott'se  marie,  ronde 5  » 

—  6.  Madame  l'hirondelle!  complainte ' 4  » 

—  7 .  Mon  p'tit  bateau ,  ronde 5  » 

—  8 .  Souvenirs . . . ,  mélodie 5  » 

—  9.  Zon,  Zon,  Laridaine,  ronde 5  » 

—  10.  Nuit  d'orage,  récit  dramatique 5  » 


Le  recueil  complet,  net  :  6  francs. 


En  vente,  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Yivienne,  Henri  HEU&EL,  Éditeur-propriétaire. 


MÉTHODE  DE  DANSE  DE   SALON 


Gr.    DESEAT 

Attaché  aux  principaux  pensionnats,  ex-professeur  à  l'établissement  des  bains  de  mer  de  Dieppe 


TEXTE  —   DESSINS 


MUSIQUE 


DEUXIÈME  ÉDITION  AUGMENTÉE  DES  NOUVELLES  DANSES  A  LA  MODE 


Méthode  à  l'usage  des  familles,  des  pensionnats  et  des  professeurs 


Prix  net  :  7  francs. 


3H3  —  56me  ANNEE  —  N°  48. 


Dimanche  30  Novembre  1840. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivierme) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrbl,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Prorince. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sa». 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste:  Alexis  de  Castillon  (29"  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Se- 
maine théâtiale  :  le  vote  des  subventions;  première  représentation  de  Sàmsonnet. 
aux  Nouveautés,  H.  Moreno.  —  III.  La  sonate  à  Kreutzer  (2«  article),  Arthur 
Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
LA  MORT  DU  MARI 
version  normande,  n°  19  des  Mélodies  populaires  de  France,  recueillies 
et  harmonisées  par  Julien  Tiersot.  —  Suivra  immédiatement  :  Les  Sabots 
et  les  Toupies,  n°  6  de  la  Chanson  des  Joujoux,  poésies  de  Jules  Joiy,  musique 
de  Claudius  Blanc  et  Léopold  Dauphin. 

PIANO 
Nous   publierons  dimanche   prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano  une  Chaconne  de   Victor   Roger,    excutée   dans  l'opérette  Sam- 
sonnet.  —    Suivra  immédiatement:  Noël  breton,  de  Henry  Ghys. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


ALEXIS  DE   CASTILLON 


«  Je  crois  bien,  me  racontait  récemment  G.  Hartmann, 
avoir  été  la  dernière  personne  de  noire  monde  qui  ait  vu 
Castillon  debout.  Il  était  venu  cbez  moi  ;  j'étais  sorti  avec 
lui;  je  l'avais  accompagné  jusque  chez  un  pharmacien  de  la 
place  Vendôme,  où  il  achetait  certaines  pastilles  pectorales 
au  lactucarium  dont  il  usait  fréquemment.  Lalo  devait  aller 
le  voir  le  lendemain,  chez  lui,  rue  Bayard,  pour  entendre 
une  de  ses  œuvres.  Mais  Lalo  fut  contremandé  par  lettre. 
Puis,  peu  après,  Lalo  lui-même,  ou  l'un  des  frères  de  Castillon 
vint,  une  après-midi,   m'annoncer  la    mort   du    compositeur. 

»  Nous  partîmes  aussitôt;  nous  trouvâmes  sa  vieille  mère, 
assise  dans  un  fauteuil  près  du  feu  et  gardant  le  pauvre 
garçon. 

»  Elle  avait  compté  sur  Lalo  et  sur  moi  pour  certains  ren- 
seignements ;  elle  nous  dit  textuellement  : 

»  Je  vous  ai  prié  de  venir  pour  nous  donner  les  noms  et 
les  adresses  des  personnes  auxquelles  il  faut  envoyer  des 
lettres  de  faire  part,  car  nous  ne  connaissons  pas  les  gens 
de  la  musique.  » 

Ce  mot  ne  suffit-il  pas  à  faire  mesurer  la  distance  considé- 
rable à  laquelle  Alexis  de  Castillon  s'était  placé  vis-à-vis  des 
siens  Y  Pour  eux,  il  vivait  dans  un  monde  extérieur  et  lointain, 


où  ceux  de  leur  caste  ne  frayaient  point.  Il  y  avait  un  éton- 
nement  autour  de  lui  à  le  voir  s'engager  et  se  complaire 
dans  cette  voie;  l'orgueilleuse  et  naïve  pitié  des  hautains 
seigneurs  découvrant  tout  à  coup  un  ménestrel  parmi  leurs 
pairs. 

Au  convoi,  cet  étonnement  eut  de  quoi  grandir  !  Tout  le 
Paris  musical  était  là,  dans  l'église  Saint-Pierre  de  Chaillot, 
insuffisante  à  coateuir  cette  foule  ;  toute  la  pléiade  :  Saint- 
Saëns,  Massenet,  Bizet,  Lalo,  César  Franck,  Paladilhe,  tous 
ceux  enfin  qui  avaient  aimé  l'artiste  et  l'homme.  Et  autour 
du  catafalque  pompeux,  constellé  de  cierges,  flanqué  de 
torchères  aux  larges  flammes  V6rtes,  couvert  de  fleurs,  bien 
des  larmes  coulaient  ! 

Et  devant  cette  foule  attristée,  recueillie,  devant  ces  témoi- 
gnages de  douleur  sincère,  l'un  des  proches  parents  du  cher 
disparu  avait  ce  mot  : 

«  Alors,  il  avait  donc  réellement  du  talent!  » 


Castillon  s'amusait  beaucoup  de  certains  traits  qui,  dans 
son  milieu  mondain,  décelaient  la  médiocre  estime  en  la- 
quelle on  tenait  la  musique  et  la  singulière  esthétique  qu'on 
y  professait;  il  se  plaisait  à  les  raconter. 

S'étant  mis  assez  tard  à  apprendre  ce  métier  de  musicien 
vers  lequel,  enfant,  il  n'avait  pu  tendre  librement,  ayant  le 
travail  assez  pénible,  piochant  ferme  pour  regagner  le  temps 
forcément  perdu,  il  s'entendait,  par  exemple,  interroger  par 
les  siens  sur  ses  progrès,  sur  ses  travaux.  Pressé  de  ques- 
tions, il  répondait  toujours  tranquillement  :  J'étudie  !  Je 
travaille  ! 

Un  ami  lui  dit  un  jour  : 

—  Enfin,  depuis  le  temps  que  tu  nous  dis  que  tu  travailles, 
quand  seras-tu  capable  de  faire  seulemenl  une  petite  opérette 
dans  le  genre  de  celles  d'Offenbach  I 

—  Oh!  répondit  Castillon,  avec  une  grosse  importance  ma- 
licieuse, il  me  faudrait  bien  du  temps  ! 

Et  il  fallait  voir,  narrait-il,  la  mine  déconfite  du  question- 
neur, se  disant  que  décidément  il  avait  devant  lui  un  bien 
pauvre  musicien. 

Très  éclectique  dans  ses  goûts,  comme  je  l'ai  dit,  et  bien 
que  manifestant  sa  prédilection  pour  la  musique  la  plus 
élevée,  il  s'intéressait  aux  genres  les  plus  différents  et  en 
écoutait  les  productions  avec  intérêt.  Parmi  les  anciens, 
Bach,  Beethoven  et  Schumann  étaient  la  trinité  musicale  à 
laquelle  allaient  les  plus  grandes  ardeurs  de  son  culte.  Parmi 
les  modernes  il  plaçait  au  premier  rang  Saint-Saëns.  Il  l'af- 


378 


LE  MENESTREL 


fectionnai  t  particulièrement  comme  musicien,  comme  homme  ; 
il  lui  était  profondément  reconnaissant  de  la  crâne  attitude 
qu'il  avait  prise,  un  jour,  chez  Pasdeloup,  alors  que,  chargé 
d'interpréter  au  piano  une  de  ses  compositions,  il  avait  dû 
hraverune  tempête  de  cris  et  de  sifflets  et,  accoudé  au  clavier, 
de  l'air  très  froid  qu'il  sait  prendre  à  l'occasion,  s'était  mis 
à  regarder  la  foule  hurlante  comme  pour  dire  :  Quand  vous 
aurez  fini,  messieurs,  je  continuerai  ! 

Castillon  racontait  cette  bagarre  avec  enthousiasme  : 

—  Camille  a  été  superbe,  disait-il  I 

En  ce  qui  le  concernait  en  cette  aventure,  il  affectait  d'en 
rire;  en  réalité  il  en  avait  senti  très  vivement  l'amertume. 

Les  autres  musiciens  modernes  préférés  de  Castillon  étaient 
Bizet,  Massenet,  Lalo  et  César  Franck. 


Quant  à  lui,  Pasdeloup  l'aimait  beaucoup;  il  essayait  toutes 
ses  œuvres,  qui  toutes  n'allaient  pas  sans  encombre,  comme 
le  prouve  l'incident  que  je  viens  de  rapporter.  Quelques 
critiques  lui  reprochaient  de  faire  un  peu  diffus,  de  pousser 
jusqu'à  l'excès  le  développement  musical. 

Alors,  comme  son  éditeur  Hartmann  lui  communiquait  ces 
critiques,  il  entreprenait  de  lui  expliquer  sa  manière  de 
composer,  théories  que  les  musiciens  seuls  seront  en  état  de 
comprendre  bien  nettement,  car  elles  ne  vont  pas  sans  être 
quelque  peu  compliquées  et  ténébreuses. 

Selon  ces  explications,  les  développements  de  l'idée  lui 
venaient  toujours  avant  l'idée  même;  en  d'autres  termes,  il 
s'appliquait  à  simplifier  les  traits  spontanément  éclos  clans 
son  cerveau  pour  en  arrivera  l'essence  pure  de  cette  première 
inspiration;  cette  inspiration  devenait  véritablement  alors  le 
sujet  lui-même  ;  il  reprenait  enfin  ses  idées  premières,  pour 
en  faire  les  développements  de  ce  thème  musical  issu  ainsi 
plutôt  d'un  martelage  opiniâtre  que  d'un  véritable  premier 
jet. 

Alexis  de  Castillon  eut  le  premier  l'idée  de  cette  Société 
Nationale  de  musique  qui  a  rendu  aux  compositeurs  de  cette 
génération  de  si  grands  services.  La  première  réunion  des 
fondateurs  de  cette  Société,  à  la  tête  de  laquelle  se  mit  Saint- 
Saëns,  eut  lieu,  chez  Hartmannn,  dans  cette  petite  arrière-bou- 
tique du  n°  19  du  boulevard  de  la  Madeleine,  qui  fut  le  ber- 
ceau de  la  renommée  de  J.  Massenet  et  le  témoin  de  bien 
des  projets,  dont  plusieurs  se  sont  heureusement  réalisés. 
Ces  fondateurs  furent,  avec  Saint-Saëns,  Bussine,  Guiraud  et 
G.  Hartmann. 

Ce  dernier,  auprès  de  qui  j'étais  allé  rafraîchir  mes  souve- 
nirs sur  Alexis  de  Castillon,  me  rappelait  récemment,  non 
sans  une  juste  fierté,  que  dans  ce  petit  réduit  est  née  aussi 
Marie-Magdeleine,  ce  drame  sacré  qui  fit  d'un  coup  Massenet 
célèbre  et  aiguillonna  l'émulation  de  G.  Bizet.  Hartmann  en  avait 
eu  l'idée,  et  sur  son  projet,  petit  cahier  de  papier  azur,  ex- 
posant cette  idée  associée  à  celle  du  compositeur,  j'avais 
écrit  ce  poème  que,  tout  tremblant  et  bredouillant,  je  leur 
lus,  là,  un  soir,  à  tous  les  deux  et  qui  devait  me  donner, 
comme  au  compositeur,  cette  joie  franche  d'une  première 
rencontre  heureuse  avec  le  public. 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


LE  VOTE  DES  SUBVENTIONS 
Elles  ont  été  votées,  mais,  on  peut  le  dire,  sans  enthousiasme. 
Après  deux  discours  peut-être  bien  intentionnés,  mais  à  coup  sur 
fort  désordonnés  de  MM.  Michou  et  Cousset,  l'un  demandant  comme 
tous  les  ans  la  suppression  totale  des  subventions  aux  théâtres, 
l'autre  se  contentant  d'une  réduction  de  quatre  cent  mille  francs 
sur  celle  de  l'Opéra  seulement,  on  est  arrivé  par  les  votes  à  cette 
constatation  qu'il  y  avait  dans  la  Chambre  des  députés,  sur  518  votants 
deux  cent  deux  membres  favorables  à  la  suppression  totale  et  deux 


cent  trente  (sur  499  votants)  favorables  à  la  réduction  proposée  par 
M.  Cousset,  —  en  sorte  qu'il  eût  suffi  du  déplacement  d'une  vingtaine. 
de  voix  pour  amener  une  diminution  de  plus  de  moitié  dans  la 
subvention  de  l'Opéra.  Et  encore  a-fc-il  fallu,  pour  obtenir  cttte  petite 
majorité,  que  le  ministre  et  le  commissaire  du  Gouvernement  donnent 
de  leur  personne  avec  énergie. 

Le  ministre,  M.  Bourgeois,  a  dû  promettre  des  réformes  : 
...  Je  dirai  simplement,  en  ce  qui  touche  nos  scènes  de  musique,  que 
c'est  dans  le  sens  de  l'enseignement  le  plus  développé  que  doit  être  cher- 
chée, à  mon  avis,  la  réforme  de  l'organisation  de  nos  établissements  na- 
tionaux; que  c'est  en  multipliant  les  œuvres  présentées  au  public,  —  et 
non  seulement  en  multipliant  leur  nombre,  mais  en  variant  autant 
que  possible  leur  caractère...  (Très  bien!  très  bien!)  qu'il  est  nécessaire  de 
procéder;  qu'il  s'agit  non  pas  d'enfermer  sans  cesse  dans  la  contemplation 
des  mêmes  œuvres  consacrées  tous  les  auditeurs  et  les  spectateurs,  mais 
plutôt  de  chercher  incessamment  toutes  les  œuvres  originales,  anciennes 
ou  modernes,  françaises  ou  venues  du  dehors,  qui  pourraient  apporter 
quelque  chose  de  nouveau  à  l'esprit  artistique  ;  qu'il  faut  ainsi  permettre 
à  nos  répertoires  de  s'agrandir,  de  s'élargir  sans  cesse,  afin  que  l'esprit 
de  ceux  qui  en  viennent  jouir  s'élargisse  sans  cesse  lui-même.  (Très  bien  !' 
très  bien  I) 

Le  commissaire  du  Gouvernement,  M.  Larroumet,  a  dû  surenchérir 
encore  sur  ces  promesses  : 

M.  le  ministre,  a-t-il  dit,  déclarait  tout  à  l'heure  qu'il  s'était  préoccupé 
de  faire  produire  à  l'Opéra,  dans  l'avenir,  tout  le  bénéfice  artistique  que 
l'Etat  a  le  droit  de  lui  demander,  en  retour  de  la  subvention  qu'il  lui 
donne,  et,  pour  cela,  dès  son  entrée  aux  affaires,  il  a  prescrit  un  rema- 
niement du  cahier  des  charges  qui  deviendra  exécutoire  à  partir  du  mois 
de  novembre  1891.  M.  le  ministre  en  a  indiqué  tout  à  l'heure  les  grandes 
lignes,  et  je  suis  prêt  à  les  préciser  devant  la  Chambre  si  elle  le  juge 
nécessaire.  (Non!  non!  —  Si'.'  si!  —  Parlez  !) 

En  résumé,  le  but  du  ministre,  c'est  d'ouvrir  l'Opéra  le  plus  large- 
ment possible  à  toutes  les  manifestations  musicales  de  notre  temps  (Très 
bien!  Très  bien!);  c'est  de  mettre  le  directeur  dons  l'obligation  de  continuer 
cette  éducation  musicale  du  public  français,  qui  a  fait  tant  de  progrès 
depuis  trente  ans,  de  ne  pas  s'en  tenir  toujours  aux  mêmes  œuvres  (Tris 
bien!)  et  de  suivre  cette  révolution  de  la  musique,  qui  n'est  plus  repré- 
sentée seulement  par  des  étrangers,  mais  par  des  maîtres  français,  émi- 
nents  aujourd'hui,  illustres  demain...  (Très  bien!);  c'est  de  faire  en  sorte 
que  l'Opéra  soit  largement  ouvert  aux  classes  qui  ne  sont  pas  fortunées. .. 
(C'est  cdal  à  gauche),  et  pour  lesquelles,  surtout  à  Paris,  la  musique  est  un 
noble  besoin.  (Très  bien!  Très  bien!)... 

Messieurs,  je  borne  ici  les  considérations  que  j'ai  l'honneur  de  soumettre 
à  la  Chambre.  Je  fais  simplement  cette  remarque,  en  terminant,  que 
l'administration  ne  songe  pas  à  dissimuler  devant  vous  la  gravité  du  litige 
qui  existe  entre  elle  et  la  direction  de  l'Opéra.  Les  tribunaux  décideront, 
puisque  une  transaction  n'a  pu  ahoutir.  L'Etat  veut  simplement  faire 
rétablir  en  bon  état  le  matériel  qu'il  a  prêté;  il  veut  obtenir  le  remplace- 
ment des  décors  que  la  direction  actuelle  a  utilisés  et  usés.  Mais  ceci  est 
en  dehors  du  débat  actuel.  Il  s'agit  uniquement,  à  cette  heure,  d'assurer 
l'existence  de  l'Opéra.  Je  prie  donc  la  Chambre  de  considérer  que,  si  les 
directeurs  passent,  l'Opéra  reste  et  doit  rester,  pour  l'honneur  de  Paris  et* 
de  la  France!  (Très  bien!  Très  bien!) 

Oui,  il  a  fallu  toute  cette  intervention  d'un  ministre  doublé  d'un 
commissaire  du  Gouvernement,  il  a  fallu  cette  quasi-promesse  que 
justice  serait  faite  de  deux  directeurs  indignes  pour  sauvegarder  le 
principe  des  subventions  aux  théâtres.,  On  a  pu  voir  par  là  le  dan- 
ger qu'il  y  avait  eu  de  conserver  si  longtemps  à  la  tète  de  l'Opéra, 
contre  le  gré  de  l'opinion  publique,  des  personnages  jouissant 
d'une  aussi  juste  impopularité. 

Si  l'on  voulait  persister  à  maintenir  en  place  les  deux  Iristes  sires 
qui  inquiètent  tant  les  artistes,  on  peut  dire  dès  à  présent  que  c'en 
serait  fait  des  subventions,  lors  de  la  discussion  du  prochain  budget; 
l'écart  de  vingt  voix  qui  les  protège  encore  serait  bien  vile  franchi 
aux  accents  d'une  voix  plus  autorisée  que  celle  de  M.  Michou  ;  il  finira 
bien  par  s'élever  un  jour,  même  dans  les  assemblées  politiques,  un 
défenseur  éloquent  qui  prendra  en  mains  les  intérêts  de  l'art  si 
cruellement  outragé.  Le  principe  des  subventions  est  juste  en  soi, 
à  condition  qu'on  surveille  rigoureusement  l'emploi  des  deniers 
publics  qui  les  alimentent.  De  tels  subsides  doivent  satisfaire  un 
idéal  artistique  toujours  plus  élevé  et  sans  cesse  renouvelé.  Si,  au 
contraire,  on  continue  à  les  considérer  comme  de  la  monnaie  de 
complaisance  destinée  simplement  à  emplir  les  poches  d'industriels 
peu  scrupuleux,  le  choeur  des  contribuables  si  vilainement  exploilés 
aura  raison  de  gronder  et  de  tout  renverser  s'il  le  peut  :  les  directeurs 
avec  les  ministres  qui  les  couvrent,  les  créatures  avec  ceux  qui 
les  maintiennent  en  faveur.  Ce  serait  l'affaire  de  quelques  représenta- 
tions tumultueuses  à  l'Opéra,  de  quelques  sifflets  bien  dressé?,  d'un 
scandale  trop  justifié  qui  éclatera  tout  naturellement,  un  soir  ou 
l'autre. 


LE  MENESTREL 


379 


Certes,  nous  reconnaissons  que  le  ministre  actuel  des  Beaux-Arts, 
TVI.  Bourgeois,  qui  vaut  mieux:  que  son  nom,  est  animé  des  meilleures 
intentions  et  parait  décidé  à  faire  strictement  son  devoir.  Puisse- 
l-il  durer  longtemps!  Mais  n'y  a-t-il  pas  un  peu  de  naïveté  dans  la 
menace  du  procès  qu'il  lient  suspendu  au-dessus  de  la  tête  de 
MM.  Bitl  et  Gailhard,  au  sujet  de  la  réfection  des  décors?  Les 
textes  si  vagues  du  cahier  des  charges  méridional  imaginé  par  le 
complaisant  M.  Fallières,  l'ami  et  le  compatriote  de  ces  messieurs, 
peuvent  prêter  à  toutes  les  interprétations,  et  les  avocats  auront 
'beau  jeu  à  se  chamailler  sur  le  sens  qu'on  doit  leur  donner.  Nous 
entendons  déjà  d'ici  le  solennel  M.  Caraby,  avec  sa  voix  de  basse 
■creuse  qui  ferait  encore  mieux  sur  les  planches  de  ses  clients  qu'au 
barreau  de  Paris,  disserter  pesamment  sur  la  prose  ministérielle  et 
épiloguer  sur  les  points  et  les  virgules  :  «  Lisez  les  textes,  messieurs 
les  juges,  nous  devons  le  nombre,  et  non  la  valeur.  Nous  avons  reçu 
tant  d'aunes  de  toiles,  nous  en  rendons  autant  à  la  fin  de  notre 
exploitation.  Que  peut-on  exiger  de  plus?  Qu'il  reste  de  la  peinture 
sur  cette  toile!  Une  telle  prétention  n'est  jamais  entrée  dans  la 
.pensée  de  notre  ami  et  camarade  Fallières.  Nous  nous  en  tenons 
au  texte  qu'il  nous  fournit.  Le  nombrre!  Lenombrrre!!  >> 

A  quoi  bon  s'exposer  à  une  aussi  insupportable  rhétorique,  quand 
il  eût  été  si  simple  à  un  ministre  un  peu  avisé  de  tenir  à  la  Chambre 
•ce  clair  langage  :  «  Messieurs,  je  ne  suis  pas  d'accord  avec  la 
direction  de  l'Opéra  au  sujet  de  la  réfection  des  décors  de  cet  éta- 
blissement national.  Je  lui  demande  pour  remettre  en  étal  un  ma- 
tériel qu'elle  a  laissé  se  détériorer  une  somme  de  deux  cent  cin- 
quante mille  francs  ;  elle  me  la  refuse  énergiquement,  malgré  les 
bénéfices  énormes  qu'a  donnés  son  entreprise.  Je  pourrais  engager 
un  procès,  mais  les  termes  un  peu  indécis  du  cahier  des  charges 
consenti  bénévolement  par  un  de  mes  prédécesseurs  ne  m'assurent 
pas  gain  de  cause.  Je  viens  donc  tout  simplement  vous  demander 
de  réduire  pour  cette  année  la  subvention  de  l'Opéra  à  cinq  cent 
cinquante  mille  francs,  et  de  me  voter  par  surcroît  un  crédit  spé- 
cial de  deux  cent  cinquante  mille  francs  que  j'appliquerai  à  la  ré- 
fection des  décors  de  l'Opéra.  C'est  en  tout  une  allocation  de  huit 
•cent  mille  francs  que  je  vous  demande  comme  d'habitude  pour  le 
•chapitre  spécial  de  l'Académie  nationale  de  musique.  Nous  évite- 
rons ainsi  de  grosses  difficultés  pour  l'avenir  ». 

Je  n'ai  pas  une  grande  idée  de  la  Chambre  actuelle,  mais  je  crois 
cependant  qu'elle  se  serait  rendue  à  une  argumentation  aussi  saga. 

«  Oui,  me  répondra  M.  Bourgeois,  mais  c'était  une  crise  ouverte. 
Les  directeurs  de  l'Opéra  m'envoyaient  le  lendemain  leur  démission 
•et  je  me  trouvais  pris  à  l'improviste  pour  leur  découvrir  un  suc- 
cesseur.—  El  M.  "Wilder,  monsieur  le  ministre?  M.  Wilder,  qui  est  là 
fout  prêt,  avec  sa  commandite  de  douze  cent  mille  francs  dont  il 
peut  justifier  dans  les  vingt-quatre  heures  ?  Est-ce  que  vous  pensez 
trouver  beaucoup  mieux,  même  en  prenant  une  année  pour  ré- 
fléchir ?  » 

En  tout  ceci,  le  ministre  et  la  Chambre  ont  manqué  de  clair- 
voyance et  de  décision.  En  sommes-nous  surpris?  Que  non  pas  ! 
Nous  sommes  depuis  longtemps  habitués  à  ces  façons  sinueuses  de 
procéder,  aussi  bien  dans  les  beaux-arts  que  dans  la  politique.  Ce 
sont  là  jeux  de  parlementaires. 

H.  Mobeno. 

SAMSONNET  AUX  NOUVEAUTÉS 

Opérette  en  5  tableaux  de  M.  Paul  Ferrier. 

Musique  de  Mj  Victor  Roger. 

Il  y  avait  plus  qu'une  idée  d'opérette  dans  le  sujet  traité  par 
M.  Paul  Ferrier.  On  y  pouvait  trouver  le  thème  d'une  comédie  à 
succès.  L'engouement  qu'on  a  aujourd'hui  dans  un  certain  «  monde  » 
pour  le  cabotin,  surtout  pour  le  cabotin  chantant,  l'adoration  du 
•ténor,  pour  l'appeler  par  son  nom,  est  devenu  une  véritable  plaie 
sociale,  et  on  en  pouvait  certainement  tirer  un  drame  poignant. 
M.  Paul  Ferrier  a  préféré  prendre  la  chose  en  plaisantant,  mais  il 
n'en  reste  pas  moins  un  fond  de  satire  dans  sa  petite  œuvre  pour 
rire;  seulement,  il  a  eu  soin  d'enrubanner  son  fouet  de  satin  rose. 

Les  amours  de  la  comtesse  Esperanza  avec  le  ténor  Samsonnet 
restent  donc  dans  la  nuance  aimable,  et  nous  donnent  l'occasion 
d'applaudir  une  fois  de  plus  le  talent  souple  et  ingénieux  de  M.  Paul 
Ferrier.  Soit  qu'il  nous  mène  au  fond  de  l'avant-scène  23,  au  Lyrique 
de  1895,  soit  qu'il  nous  conduise  chez  Paillard  au  milieu  d'un  sou- 
per à  la  mode,  c'est  toujours  la  même  verve  et  la  même  grâce.  Sa 
représentation  de  «  femmes  du  monde  »  au  bénéfice  d'une  œuvre  de 
charité,  son  «  duel  sélect  »  au  château  des  Catalpas  devant  une 
assemblée  de  choix  et  sous  la  protection  des  gendarmes,  sont  des 
inventions   qui  ne    sont  pas   moins  plaisantes.  Tout  cela  est  vif  et 


rapide  et  s'entend  de  neuf  heures  à  minuit  sans  aucun  ennui,  agré- 
menté d'une  musique  également  charmante  de  M.  Viclor  Roger,  le 
compositeur  déjà  applaudi  du  Fétiche  et  de  Joséphine  vendue  par  ses 
sœurs. 

La  pièce  est  interprétée  par  M""  Mily-Meyer,  toujours  bien  fine  et 
amusante;  par  Albert  Brasseur,  qui  donne  de  la  tenue,  peut-être 
même  un  peu  trop,  au  rôle  de  Samsonnet;  par  Germain,  un  grima- 
cier étonnant;  par  Maugé,  plein  de  distinction  dans  le  rûle  de  l'am- 
bassadeur, et  par  Guy,  un  «  docteur  fin  de  siècle  »  des  plus  sédui- 
sants. 

La  première  représentation  s'est  ressentie  de  la  précipitation  que, 
pour  des  circonstances  diverses,  on  avait  apportée  à  la  mise  en  scène 
de  cette  pièce.  Mais  aujourd'hui  qu'elle  esl  complètement  sue  et 
bien  tassée,  elle  marche,  comme  on  dit,  sur  des  roulettes,  qui 
pourraient  bien  la  conduire  plus  loin  qu'on  ne  pensait. 

H.  M. 

p.S.  —  Le  théâtre  des  Folies-Dramatiques,  à  qui  l'Egypte  n'a 
pas  porté  bonheur,  vient  de  faire  une  reprise  de  la  Fauvette  du 
Temple,  la  pièce  militaire  de  MM.  Burani  et  Humbert,  sur  laquelle 
M.  André  Messager  a  écrit  une  partition  souvent  aimable  et  tou- 
jours de  forme  distinguée.  Lors  de  son  apparition,  en  1885,  cet 
opéra-comique  fournit  une  assez  belle  carrière  avec  M"ies  Simon- 
Girard,  Vialda,  MM.  Gobin,  Jourdan,  Simon-Max,  Chauvreau,  Riga 
et  Duhamel;  la  nouvelle  distribution,  bien  que  totalement  différente, 
ne  semble  point  faite  pour  nuire  au  succès.  M.  Gobin  a  gardé  son 
rôle  de  ténor  et  y  est  toujours  aussi  amusant;  c'est  M°'e  J.  Thibault, 
que  des  raisons  domestiques  avait  tenu  éloignée  de  la  scène  quelque 
temps,  qui  chante  la  partie  de  Thérèse  avec  son  charme  habituel. 
MM.  Guyon  fils,  Huguet,  Hérault,  Moret,  Blanchet,  ne  font  nulle- 
ment regretter  leurs  devanciers.  La  mise  en  scène  reste  la  même, 
c'est-à-dire  aussi  auimée,  et  l'assaut  des  zouaves  au  défilé  de 
Chareb  produit  toujours  son  effet  sur  le  public  très  chauvin  du 
théâtre  des  Folies-Dramatiques. 

P.-E.   C. 


LA  SONATE  A  KREUTZER 

(Suite.) 


Oa  a  vu  plus  haut  que  cette  sonate  célèbre  fut  publiée  en  1805, 
c'est-à-dire  deux  ans  après  sa  première  exécution  publique  par 
Beethoven  lui-même,  avec  sa  dédicace  à  Rodolphe  Kreutzer  (1).  Je 
ne  sais  sur  la  foi  de  quel  renseignement  l'écrivain  excentrique  qui 
avait  nom  "W.  de  Lenz  a  pu  imprimer  ceci  dans  son  livre  sur  Beetho- 
ven et  ses  trois  styles  :  «  Kreutzer  ne  comprit  rien  à  cette  œuvre 
colossale,  qui  perpétue  encore  son  nom  quand  l'auteur  de  Lodoïska 
est  oublié  depuis  longtemps.  »  Le  critique  russe  semble  ici  consi- 
dérer Kreutzer  comme  un  artiste  quelconque,  incapable  d'apprécier 
la  valeur  d'une  telle  œuvre.  Or,  non  seulement  Kreutzer  était  un 
virtuose  de  premier  ordre;  mais  il  est  bien  certain  que  pendant  son 
séjour  à  Vienne  et  lors  de  la  liaison  qui  s'était  établie  entre  lui  et 
Beethoven,  il  avait  pu  et  dû,  en  faisant  de  la  musique  avec  lui,  se 
familiariser  avec  les  compositions  du  grand  homme,  et  conséquem- 
ment  se  trouver  à  même  de  juger  comme  elle  le  méritait  celle  dont 
il  recevait  l'hommage  affectueux. 

Mais  il  y  a  quelque  chose  de  plus  étrange  encore  que  cette  asser- 
tion du  glossateur  de  Beethoven  :  c'est  le  jugement  véritablement 
étonnant  porté  sur  la  sonate  à  Kreutzer  par  un  journal  qui  jouissait 
alors  en  Allemagne  d'un  énorme  crédit,  la  Gazette  musicale  univer- 
selle. Quand  les  Allemands  d'aujourd'hui  veulent  nous  faire  croire 
à  leur  infaillibilité  de  tout  temps  en  matière  de  critique  musicale, 
ils  feraient  bien  de  retremper  leur  modestie  dans  la  lecture  atten- 
tive de  certaines  pages  comme  celle  que  voici  : 

Il  faut  être  saisi  d'une  sorte  de  terrorisme  (!!)  musical  ou  entiché  de 
Beethoven  jusqu'à  l'aveuglement  pour  ne  pas  voir  ici  la  preuve  que  de- 
puis quelque  temps  le  caprice,  de  Beethoven  est  avant  toutes  choses  d'être 
autre  que  les  autres  gens.  Cette  sonate  est  écrite  pour  deux  virtuoses  qui 
ne  rencontrent  plus  de  difficultés,  et  qui  en  même  temps  possèdent  assez 
d'esprit  et  de  savoir  musical  pour,  en  y  joignant  l'exercice,  pouvoir  au 
besoin  composer  les  mêmes  œuvres  (!).  Un  presto  plein  d'effet;  un  andante  ori- 
ginal et  beau  avec  des  variations  on  ne  peut  plus  bizarres,  puis  encore  un 


(1)  Elle  parut  chez  l'éditeur  Simrok,  à  Berlin. 


380 


LE  MENESTREL 


presto,  la  composition  la  plus  étrange,  qui  doit  être  exécutée  dans  un  moment 
où  l'on  veut  goûter  de  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  grotesque  (I). 

Voilà  comment,  dans  un  journal  allemand,  en  l'an  de  grâce  1805, 
on  jugeait  Beethoven  et  l'une  de  ses  plus  admirables  conceptions! 

Il  n'y  a  pas  d'autre  mol,  en  effet,  que  le  mot  :  admirable,  pour 
qualifier  un  tel  chef-d'œuvre,  et  celte  sonate  à  Kreutzer  est  une 
véritable  merveille,  devant  laquelle  toute  expression  humaine  semble 
destinée  à  rester  impuissante.  Son  début  seul  est  une  surprise,  et 
l'adagio  de  quelques  mesures  qui  précède  le  premier  presto  et  lui 
sert  d'introduction  est  d'un  caractère  superbe.  On  est  étonné  que 
dans  un  si  court  espace,  en  l'abseDce  de  tout  développement,  le 
sentiment  mélodique  puisse  non  seulement  se  faire  jour,  mais  se 
déployer  avec  une  telle  intensité.  Quant  au  presto,  à  qualre  temps, 
il  a  tout  à  la  fois  la  franchise,  le  mouvement,  l'éclat,  la  puissance, 
et  dans  l'ensemble  une  grandeur  que  ne  semblerait  jamais  comporter 
l'emploi  de  deux  seuls  instruments. 

L'andante  con  variazoni  est  d'une  suavité  exquise,  et  la  phrase 
principale,  établie  tout  d'abord  par  le  piano,  puis  reprise  par  le 
violon,  est  d'une  adorable  eontexture  mélodique,  qui  porte  l'em- 
preinte d'une  mélancolie  pénétrante  et  douce.  La  première  variation 
est  pleine  de  grâce  ;  la  seconde  est  sans  doute  celle  qui  a  paru  le 
plus  bizarre  au  bizarre  rédacteur  de  la  Gazette  musicale  universelle, 
parce  qu'elle  est  particulièrement  difficile  pour  le  violon  et  que 
celui-ci  y  monte  jusqu'au  fa  de  la  quatrième  octave,  note  assez  peu 
usitée  en  effet  sur  cet  instrument  (2);  la  troisième  emprunte  à  la 
tonalité  mineure  une  couleur  toute  particulière;  mais  que  dire  de 
la  quatrième,  qui  forme  à' elle  seule  un  morceau  complet,  et  dont 
la  terminaison  est  si  adorable?  Il  n'y  a  qu'un  Beethoven  pour  écrire 
dételles  pages;  tant  pis  pour  ceux  qui  sont  incapables  de  les  com- 
prendre! 

Pour  ce  qui  est  du  presto  final,  il  est  simplement  prodigieux; 
non  par  l'abondance  des  idées,  mais  par  le  talent  avec  lequel  elles 
sont  mises  eu  oeuvre,  par  la  verve  étonnante  qui  le  caractérise,  par- 
la merveilleuse  unité  qui  le  distingue  en  dépit  —  ou  peut-être  à 
cause  —  des  incises  qui  viennent  à  deux  reprises  rompre,  par  l'in- 
troduction de  quelques  mesures  paisibles  à  2/4,  le  tournoiement 
vertigineux  du  rythme  à  6/8  par  lequel  les  exécutants  semblent 
entraînés  comme  dans  une  sorte  de  tourbillon  destiné  à  les  englou- 
tir. En  réalité,  le  morceau  est  entièrement  construit  sur  une  simple 
phrase  de  huit  mesures  qui  n'est  même  pas  la  phrase  initiale, 
puisqu'elle  ne  commence  qu'à  la  soixante-deuxième  mesure  et 
qu'elle  n'est  pas  dans  la  tonalité  maîtresse;  mais  cette  phrase  est 
en  quelque  sorte  préparée,  précédemment  annoncée,  par  quelques 
échappées  fugitives  soit  mélodiques,  soit  rythmiques,  l'auditeur 
l'attend,  la  pressent,  la  voit  venir  si  l'on  peut  dire,  l'auteut  a  le 
talent  de  la  lui  faire  prévoir  et  désirer,  et  lorsqu'enfîn  il  a  consenti 
à  la  présenter  complète,  il  faut  voir  avec  quelle  adresse,  quelle 
habileté,  quel  génie  il  sait  l'employer,  lu  tournant  et  la  retournant 
de  cent  façons,  la  modifiant  toujours  à  sa  guise,  la  reproduisant 
tantôt  entière,  tantôt  par  fragments,  la  faisant  passer  sans  cesse 
de  l'un  à  l'autre  instrument,  et  surtout  la  modulant  avec  un  art, 
une  science,  un  goût,  une  ingéniosité  de  moyens  qui  semblent 
inépuisables  et  qui  tiennent  vraiment  du  prodige. 

Telle  est  cette  vaste  et  noble  composition,  pour  laquelle  le  docte 
écrivain  de  la  Gazette  musicale  universelle  ne  trouvait  d'autres  épi— 
thètes  que  celles  d'étrange,  bizarre,  grotesque,  et  qui  lui  semblait  le 
produit  d'  «  une  sorte  de  terrorisme  musical.  »  M.  Eugène  Sauzay 
était  mieux  inspiré  lorsqu'il  (lisait  dans  son  Ecole  de  l'accompagne- 
ment, à  propos  de  la  sonate  à  Kreutzer  :  —  «  La  grandeur  est  aussi 
bien  ici  dans  la  pensée  que  dans  la  forme,  et  l'exécutant  n'a,  pour 
l'exprimer,  qu'a  se  laisser  entraîner  par  la  beauté  intérieure.  Le 
titre  du  reste  porte  avec  lui,  comme  on  le  voit,  l'explication  du 
grand  développement  donné  à  l'instrument;  c'est  un  grand  duo,  une 
sonate-concerto.  »  Et  c'est  en  étudiant  et  en  entendaut  de  telles 
œuvres  que  l'on  comprend  de  quel  juste  sentiment  de  sa  valeur 
Beethoven  était  pénétré  lorsqu'il  disait  à  son  amie  Bettina  d'Ar- 
nim  :  —  «  ...  Je  n'ai  point  d'amis;  ma  vie  doit  s'écouler  solitaire; 
mais  je  sais  que  Dieu  est  plus  près  de  moi  dans  mon  art  que  des  autres 
hommes.  Je  marche  sans  crainte  avec  lui,  car.  je  l'ai  toujours  reconnu 
et  compris.  Quant  à  ma  musique,  je  suis  aussi  sans  inquiétude  de 
ce  côté,  le  destin  ne  saurait  lui  être  contraire;  quiconque  la  sen- 

(1)  Gazelle  musicale  universelle,  1805,  page  709. 

(2)  Dans  son  livre  intéressant  :  Beethoven,  ses  critiques  et  ses  glossateurs, 
Oulibicheff  dit  :  «  Il  y  a  là  des  variations  admirables,  mais  assez  mal 
disposées  pour  le  violon.  »  Cette  remarque,  assez  juste,  peut  s'appliquer 
surtout  à  la  seconde  variation,  qui,  tout  en  montant  moins  haut,  est  plus 
gauche  à  jouer  que  la  quatrième,  et  parfois  plus  embarrassante. 


tira  pleinement  sera  délivré  à  tout  jamais  de  toutes  les  misères  que 
les  autres  hommes  tiennent  à  leur  suite.   » 

Mais  qui  sera  capable  de  la  sentir  pleinement?  S'il  fallait  s'en 
rapporter  à  Berlioz,  toujours  excessif  dans  ses  sensations  comme 
dans  sa  façon  de  les  exprimer,  le  nombre  de  ces  élus  serait  bien 
restreint.  Parlant  précisément  des  sonates  de  Beethoven,  il  affirme 
qu'il  ne  connaît  pas  six  pianistes  «  capables  de  les  exécuter  fidèle- 
ment, correctement,  puissamment,  poétiquement,  de  ne  pas  para- 
lyser la  verve,  de  ne  pas  éteindre  l'ardeur,  la  flamme,  la  vie,  qui 
bouillonnent  dans  ces  compositions  extraordinaires,  de  suh're  le 
vol  capricieux  de  la  pensée  de  l'auteur,  de  rêver,  de  méditer,  et  de 
se  passionner  avec  lui,  de  s'identifier  enfin  avec  son  inspiration  et 
de  la  reproduire  intacte.  »  Et,  partant  de  cette  idée  que  les  compo- 
sitions intimes  de  Beethoven  ne  sauraient  être  comprises  d'un  grand 
nombre,  il  ajoute  :  «  L'espèce  d'impopularité  de  ces  merveilleuses 
inspirations  est  un  malheur  inévitable.  Encore,  est-ce  même  un 
malheur?...  J'en  doute.  Il  faut  peut-être  que  de  telles  œuvres  restent 
inaccessibles  à  la  foule.  Il  y  a  des  talents  pleins  de  charme,  d'écla' 
et  de  puissance,  destinés,  sinon  au  bas  peuple,  au  moins  au  tiers- 
état  des  intelligences  :  les  génies  de  luxe,  tels  que  celui  de  Beetho- 
ven, furent  créés  par  Dieu  pour  les  cœurs  et  les  esprits  souve- 
rains (1).  » 

On  sait  que  cette  doctrine  pessimiste  et  décourageante  était  chère 
à  Berlioz;  elle  flattait  son  orgueil  et  constituait  pour  lui  une  sorte 
de  dada.  C'est  encore  lui  qui  a  écrit  quelque  part:  «  Il  serait  déplo- 
rable que  certaines  œuvres  fussent  comprises  par  certaines  gens.  » 
Et  pourquoi  donc?  Quand  vous  élèveriez  jusqu'à  la  vôtre  certaines 
intelligences  ou  rétives,  ou  bornées,  seriez-vous  donc  déshonoré,  et 
cela  ne  serait-il  pas  au  contraire  à  votre  gloire?  Je  gagerais  volon- 
tiers que  Beethoven  n'était  pas  si  difficile,  et  qu'il  n'aurait  pas  tant 
fait  le  dédaigneux  devant  des  applaudissements  sincères,  de  quelques 
mains  qu'ils  pussent  lui  venir.  Tous  tant  que  nous  sommes,  artistes 
et  écrivains,  petits  ou  grands,  nous  travaillons  après  tout,  nous 
devons  travailler  pour  être  compris  du  plus  grand  nombre,  et  peut- 
être  est-ce  notre  faute  lorsque  nous  n'y  réussissons  pas.  Quant  à  ce  qui 
est  de  F  «  impopularité  »  de3  sonates  de  Beethoven,  on  peut  faire 
remarquer  tout  d'abord  que  ce  ne  sunt  pas  là  des  conceptions  d'art 
à  produire  devant  ce  qu'on  appelle  la  foule;  et  d'autre  part  je  suis 
porté  à  croire  que  Beethoven  n'a  pas  à  se  plaindre  même  chez  nous, 
même  en  France,  de  l'impression  produite  par  ses  œuvres  sur  la 
généralité  de  ceux  qui  sont  à  même  de  les  entendre. 

Pour  en  revenir  à  la  sonate  à  Kreutzer,  dont,  particulièrement,  je 
dois  déclarer  que  l'effet  m'a  toujours  paru  infaillible,  je  constaterai, 
en  terminant,  qu'elle  a  été  à  diverses  reprises  l'objet  d'interpréta- 
tions de  divers  genres,  de  ce  qu'on  appelle  des  «  arrangements,  » 
complets  ou  partiels.  On  l'a  transcrite  pour  grand  orchestre,  et  un 
certain  Hartmann  l'a  publiée  en  quintette  pour  piano,  deux  violons, 
alto  et  violoncelle  ;  je  me  rappelle  l'avoir  jouée  moi-même  sous  cette 
forme,  et  quelque  peu  de  sympathie  que  j'éprouve  pour  ces  sortes 
d'arrangements,  je  dois  convenir  que  celui-ci  est  aussi  bien  fait  que 
possible  ;  on  en  a  fait  aussi  une  transcription  pour  piano  seul,  une 
autre  pour  piano  à  quatre  mains,  et  Czerny  a  réduit  séparément  les 
variations  pour  piano  seul,  doigtées  par  lui.  Enfin,  Charles  de  Bériot 
a  pris  l'andante  pour  thème  d'une  de  ses  fantaisies  de  violon  (le  Tré- 
molo, caprice  sur  un  thème  de  Beethoven,  op,  30),  en  le  transposant 
en  ré,  tandis  qu  Emile  Prudent  l'employait  aussi  dans  l'une  de  ses 
fantaisies  de  piano  (Souvenir  de  Beethoven,  op.  9). 

J'ai  à  peine  besoin  dédire  que  l'œuvre  originale  plane,  dans  toute 
sa  noblesse  et  toute  sa  pureté,  au-dessus  de  ces  traductions  diverses, 
plus  ou  moins  habilement  faites,  et  que  toutes  pâlissent  devant  les 
beautés  rayonnantes  du  chef-d'œuvre  en  tête  duquel  Beethoven  a 
associé  à  son  nom  celui  de  Rodolphe  Kreutzer. 

Arthur  Pougin. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

Nouvelles  de  Londres  :  La  saison  de  M.  Lago  se  termine  cette  se- 
maine. Grâce  au  succès  à'Orpliée  et  aux  recettes  produites  par  Lohengrin 
et  Taimhàuser,  cette  courte  exploitation  se  soldera  sans  perte.  Il  est  inu- 
tile d'insister  sur  la  faiblesse  d'ensemble  des  deux  dernières  reprises  ; 
TannhausiT  et  l'Étoile  du  Nord.  Dans  l'opéra  de  Meyerbeer  surtout,  l'entou- 
rage de  M.  Maurel  a  été  au-dessous  de  toute  critique.  L'enseignement 
artistique  de  la  saison  est  une  dernière  preuve,  bien  suporflue  d'ailleurs, 

(1)  Les  Soirées  de  l'orchestre. 


LE  MÉlNESTREL 


381 


de  la  décadence  du  genre  italien.  L'entreprise  purement  italienne  de 
M.  Lago  devait  être  une  protestation  contre  les  saisons  franco-italiennes 
de  M.  Harris,  avec  leur  répertoire  franco-allemand  et  leur  troupe  franco- 
belge  (c'est  le  cliché  en  cours).  Le  résultat  n'a  pas  fait  doute  un  seul 
instant.  Toutes  les  tentatives  de  résurrection  de  l'ancien  répertoire  ita- 
lien ont  échoué  devant  l'abstention  du  public.  Quant  à  la  nouvelle  troupe 
de  M.  Lago,  elle  n'a  révélé  que  deux  artistes  de  valeur  :  M"0  Ravogli, 
dont  le  succès  a  été  naturellement  exagéré  au  milieu  d'un  pareil  entou- 
rage, et  M.  Perotti,  un  ténor  allemand  de  mérite,  surtout  dans  les  opéras 
wagnériens. 

Au  moment  où  on  annonce  comme  certaine  la  tournée  de  l'orchestre 
Lamoureux  en  Angleterre  au  printemps  prochain,  il  est  intéressant  de 
constater  les  préventions  étranges  du  public  de  Londres  en  matière  de 
musique  symphonique.  On  sait  que  M.  Charles  Halle  dirige  depuis  une 
trentaine  d'années,  à  Manchester,  un  orchestre  de  tout  premier  ordre  :  le 
seul  en  Angleterre,  à  l'exception  peut-être  de  celui  du  Crystal  Palace, 
qui,  grâce  à  un  travail  incessant  de  répétitions,  soit  arrivé  à  des  exécutions 
d'une  correction  et  d'un  coloris  remarquables.  Or,  déjà  l'hiver  dernier, 
M.  Charles  Halle  a  eu  l'audace  de  transporter  à  quatre  reprises  sa  vail 
lante  phalange  de  cent  musiciens  à  Londres,  et  malgré  des  programmes 
fort  bien  composés,  la  foule  n'est  accourue  qu'à  la  dernière  audition. 
Sans  se  décourager  devant  la  tiédeur  de  cet  accueil  (au  point  de  vue 
financier  bien  entendu,  parce  que  le  succès  artistique  avait  été  éclatant), 
M.  Charles  Halle  a  voulu  renouveler  l'expérience  cet  hiver,  et  son  premier 
concert  a  été  de  nouveau  donné  devant  une  demi-salle.  Les  pièces  de  ré- 
sistance du  programme  étaient  la  grande  symphonie  en  ut,  de  Schubert, 
et  un  concerto  pour  violon,  de  Viotti,  exécuté  par  Mme  Neruda.  Succès 
très  grand  et  très  mérité.  L'entreprise  de  M.  Halle  est  d'autant  plus  inté- 
ressante, que  son  éclectisme  fait  appel  aux  belles  œuvres  de  toutes  les 
écoles  et  de  toutes  les  originalités.  Camarade  de  jeunesse  de  Berlioz  à 
Paris,  il  a  été  l'initiateur  de  la  musique  du  grand  maître  français  en 
Angleterre.  Tous  les  vrais  amateurs  lui  sauront  gré  d'avoir  fait  figurer 
sur  ses  prochains  programmes  de  Londres  la  Symphonie  fantastique  et 
Harold  en  Italie. 

Le  Daily  News  se  croit  à  même  de  pouvoir  annoncer  positivement, 
sur  la  foi  de  l'éditeur  Ricordi,  que  le  maestro  Verdi  travaille  depuis 
quelque  temps  déjà  à  un  opéra-comique  intitulé  Falstaff,  dont  le  livret  est 
écrit  par  Arrigo  Boito  et  basé  probablement  sur  les  Joyeuses  Commères  de 
Windsor.  L'ouvrage  est  déjà  à  moitié  achevé  et  il  y  a  tout  lieu  d'espérer 
qu'il  pourra  être  prêt  pour  la  saison  de  carnaval  à  Milan.  La  nouvelle 
officielle  paraîtra  dans  le  prochain  numéro  de  la  Gazetia  musicale. 

A.  G.  N. 

—  C'en  est  fait.  MmB  Pauline  Luca  a  fait,  dimanche  dernier,  ses  adieux 
au  public  de  Munich.  Elle  chantera  encore  à  Erfurth,  à  Magdebourg,  à 
Posen  et  à  Varsovie,  puis  elle  terminera  définitivement  sa  carrière  artisti- 
que dans  deux  concerts  qui  seront  donnés  à  Vienne,  au  bénéfice  de  la 
Concordia  (Association  de  la  presse)  et  de  l'OEuvre  des  chaufl'oirs  publics. 

—  La  première  de  Gwendoline,  donnée  l'autre  jeudi  à  Munich,  a  obtenu 
un  succès  considérable.  Après  le  premier  acte  les  interprètes  ont  été 
rappelés  quatre  fois,  et  après  le  second  une  ovation  enthousiaste  a  été  faite 
à  M.  Cuabrier,  qui  a  été  apprié  et  rappelé  un  grand  nombre  de  fois  sur  la 
scène.  La  veille  avait  eu  lieu,  à  l'Opérai  impérial  de  Vienne,  la  première 
représentation  de  Manon,  de  M.  Massenet,  avec  le  ténor  Van  Dyck  dans  le 
rôle  de  Des  Grieux  et  MUe  Renard  dans  celui  de  la  cousine  de  Lescaut.  Le 
succès  a  été  considérable.  Après  le  troisième  acte,  on  a  rappelé  les  inter- 
prètes principaux  et  demandé  l'auteur,  qui  se  trouvait  dans  les  coulisses. 
Mmo  Cosima  Wagner  assistait  à  la  représentation. 

—  Une  des  cantatrices  les  plus  remarquables  et  les  plus  renommées  de 
de  l'Opéra  impérial  de  Vienne,  M'M  Wilt,  qui  se  retire  définitivement  de 
la  scène,  a  signalé  sa  retraite  par  un  acte  rare  de  générosité  intelligente. 
Elle  a  consacré  une  somme  de  100,000  florins,  soit  plus  de  200,000  francs, 
à  la  création  d'une  œuvre  destinée  à  faciliter  leur  carrière  à  de  jeunes 
étudiants  peu  fortunés.  Les  intérêts  de  cette  somme  serviront  à  la  créa- 
tion de  cinq  bourses  en  faveur  de  jeunes  candidats  au  doctorat  des  uni- 
vesités  de  Vienne  et  Graz. 

—  Cerlains  journaux  étrangers  annoncent  qu'on  doit  mettre  en  scène 
prochainement,  à  Saint-Pétersbourg,  un  opéra  nouveau  intitulé  le  Héros 
maure  ou  le  Mameluek  de  Napoléon  7e''.  La  musique  de  cet  ouvrage  serait 
écrite  par  un  jeune  compositeur  autrichien,  M.  A.  Rose,  sur  un  livret  de 
M.  Jokai,  le  fameux  écrivain  hongrois,  traduit  en  russe. 

—  Voici  le  programme  définitif  des  spectacles  qui  seront  donnés  au 
théâtre  San  Carlo,  de  Naples,  pendant  l'hiver.  Les  opéras  promis  sont  : 
Gioconda,  Amleto,  Cavalleria  ruslicana,  Spartaco,  Cimbelina.  Ces  deux  derniers 
sont  nouveaux;  il  y  aura  en  plus  un  opéra  du  répertoire.  On  commencera 
avec  Gioconda.  Les  artistes  principaux  seront  :  Mmcs  Cattaneo,  Calvé,  Del 
Torre,  Navelli  et  Guarnieri,  soprani  et  mezzi-soprani  ;  les  ténors:  De 
Lucia,  Galli  et  Bernardi-Zeni  ;  les  barytons:  Maurel,  Dufriche  et  Vinci; 
les  basses:  Rossi,  De  Grazia  et  Butta  Calice.  Directeurs  d'orchestre: 
MM.  Lombardi  et  Bimboni  ;  directeur  des  chœurs:  M.  Nicoli.  Il  y  aura 
deux  ballets,  un  vieux  et  un  nouveau,  l'iclro  Micca,  de  Manzolti,  et  Egle, 
scènes  fantastiques,  de  Cappini,  avec  musique  de  MM.  Venanzi  et  Stefani. 
Premières  danseuses  :  la  Cornalba  et  la  Robino. 


—  Le  petit  cycle  d'opéras  bouffes  donizettiens  n'est  décidément  pas 
heureux  au  Nazionale  de  Rome,  et  cela  par  le  fait  du  peu  de  soin  ap- 
porté à  l'exécution.  Après  l'Elisire  d'Amore  est  venue  la  Figlia  del  Rcggi- 
mento,  dont  le  succès  a  été  médiocre  par  cette  raison,  en  dépit  de  l'in- 
dulgence d'un  public  pourtant  on  ne  peut  mieux  disposé.  Faibles,  très 
faibles,  et  même  peu  sûrs  de  leurs  rôles  Mrac  Goré  (Marie),  MM.  Lombardi 
(Tonio)  et  Merly  (Sulpice).  «  Dans  l'ensemble,  dit  l'Italie,  belle  musique, 
exécution  médiocre,  spectacle  bon  tout  juste  pour  un  théâtre  populaire, 
mais  rien  de  plus.  » 

—  On  donne  comme  certaine  la  prochaine  représentation  à  Rome,  pen- 
dant la  saison  du  carnaval,  d'un  nouvel  opéra  de  M.  Adelelmo  Barto- 
lucci,  la  Zingara  di  Granata. 

—  Au  théâtre  de  la  F'enice.  de  Naples,  on  a  représenté  tout  récemment 
une  nouvelle  opérette,  la  Fille  mal  gardée,  dont  le  sujet  est  pris  du  fameux 
ballet  de  Dauberval  qui  pendant  plus  de  soixante  ans  a  fait  les  délices 
du  public  français.  L'auteur  de  la  musique,  peu  connu  jusqu'à  ce  jour, 
est  M.  Bertaggia. 

—  Une  pluie  de  premières  représentations  en  Italie.  Au  théâtre  Cari- 
gnan,  de  Turin,  succès  brillant,  .dit  l'Italie,  pour  un  opéra  nouveau  de 
M.  Baravalle,  Andréa  del  Sarto.  «  Tous  les  morceaux,  écrit-on  à  ce  journal, 
ont  été  applaudis,  depuis  l'ouverture,  d'un  genre  délicat,  jusqu'à  la  fin 
de  l'opéra.  Les  plus  importants  sont  un  grand  duo,  un  terzetto  et  un  air 
pour  baryton.  La  musique  est  d'un  style  dramatique  moderne,  d'une  fac- 
ture excellente,  écrite  avec  art  et  goût;  elle  ne  manque  pas  de  mélodies 
belles  et  originales.  Les  interprètes  principaux  étaient  Mlles  Busi  et  Novelli, 
le  baryton  Sparapani,  le  ténor  Cuttica,  MM.  Russitano  et  Cromberg.  Le 
compositeur,  M.  Baravalle,  est  piémontais.  Depuis  plusieurs  années  il 
habite  Rome,  où  l'on  apprécie  beaucoup  sa  musique  de  salon  et  d'or- 
chestre. Il  y  a  quelques  années  il  a  gagné  un  concours  pour  une  messe 
de  Requiem  exécutée  d'abord  à  Turiu,  puis  au  Panthéon  de  Rome.  C'est 
un  compositeur  sérieux,  un  artiste  de  goût;  il  n'a  que  35  ans.  »  —  Le  même 
jour  (20  novembre),  au  théâtre  Paganini,  de  Gênes,  apparition  d'un  nou- 
vel opéra  en  trois  actes  du  maestro  Edoardo  Trucco,  gli  Arimanni.  Succès 
complet,  disent  les  journaux  :  deux  morceaux  bissés,  dix-sept  rappels  au 
compositeur.  Interprétation  remarquable  de  la  part  de  Mmc  Paltrinieri,  de 
MM.  Da  Caprile,  Benfratelli  et  Cerratelli.  —  Enfin,  au  Théâtre  Commu- 
nal de  Bologne,  première  représentation  triomphale  de  la  Pellegrina, 
opéra  en  quatre  actes,  paroles  et  musique  de  M.  Filippo  Clementi.  Les 
destinées  de  cet  ouvrage  avaient  pourtant  été  quelque  peu  troublées 
avant  son  arrivée  devant  le  public,  car  il  avait  été  déjà  mis  en  scène 
deux  fois,  à  Bologne  même  d'abord,  et  ensuite  à  Rome,  sans  pouvoir 
parvenir  à  la  lumière  de  la  rampe.  Bien  que  les  critiques  fassent  à  son 
sujet  de  sérieuses  réserves,  le  succès  a  été  complet,  et  l'auteur  a  été 
l'objet  de  vingt-cinq  rappels,  ce  qui  dénote  une  certaine  chaleur  de  la  part 
du  public.  L'exécution  a  d'ailleurs  été  superbe,  confiée  au  ténor  Marconi, 
au  baryton  Cotogni,  à  MUc  Sthele  et  à  M.  Lanzoni.  Une  singularité  har- 
monique est  ainsi  signalée  dans  le  compte  rendu  que  la  Gazzetla  musicale 
fait  de  cet  ouvrage,  et  vaut  la  peine  d'être  notée  :  »  Quand  le  drame  prend 
fin  avec  la  mort  d'Amelia,  l'orchestre  clôt  l'opéra  avec  la  mélodie  aimable 
et  douce  des  pèlerins,  et  la  musique  poétique  finit  sans  que  l'accord 
final  conclue  sur  la  fondamentale,  mais  bien  sur  le  premier  renversement 
de  la  dominante,  laissant  un  sens  indéfini  et  nouveau  qui  émeut.  Il 
semble  que  l'impression  de  la  dernière  scène  se  poursuive  et  vous  accom- 
pagne en  sortant  du  théâtre.  » 

—  Deux  opéras  nouveaux  sont  sur  le  point  d'être  représentés  à  Lis- 
bonne, l'un  au  grand  théâtre  San  Carlos,  l'autre  au  théâtre  de  la  Trinité. 
Au  San-Carlos,  il  s'agit  d'un  drame  lyrique  en  quatre  actes  et  sept  tableaux, 
d'un  caractère  fantastique,  avec  un  immense  déploiement  de  mise  en 
scène,  intitulé  Irène.  Le  sujet  de  cet  ouvrage  est  tiré  de  la  légende  de 
sainte  Iria,  la  vierge  de  Numance,  qui,  dit-on,  a  donné  son  nom  à  Santa- 
rem.  Il  s'y  trouve  un  grand  ballet  qui  représentera,  assure-t-on,  la  lutte 
des  anges  du  Paradisperiu  de  Milton.  L'auteur  de  la  musique  est  M.  Alfred 
ÎCeil,  dont  un  autre  opéra,  Donna  Branca,  a  obtenu  récemment  un  très 
grand  succès.  —  Quant  à  l'ouvrage  qu'on  répète  en  ce  moment  au  théâtre 
de  la  Trinité,  c'est  un  opéra-comique  en  trois  actes,  qui  a  pour  titre 
A  moira  de  Silvcs,  et  dont  les  auteurs  sont,  pour  les  paroles  M.  Lorjo 
Tavares.  et  pour  la  musique  M.  Joao  Guerreirj  da  Costa.  Les  interprètes 
seront  Mm™  Amelia  Barros,  Blanche,  Queirez,  Portugal,  et  MM.  Joaquim 
Silva,  Augusto,  Diniz  et  Cardoso. 

—  M.  Paul  von  Janko,  l'inventeur  du  nouveau  clavier  de  piano  qui 
porte  son  nom,  entreprend  en  ce  moment  une  grande  tournée  en  Amé- 
rique pour  y  propager  son  système.  La  première  audition  publique,  qui 
a  eu  lieu  le  24  octobre  à  Chickering  Hall,  de  New- York,  a  causé  une  pro- 
fonde sensation.  L'opinion  générale  est  que  le  clavier  Janko  détrônera  à 
bref  délai  les  anciens  claviers  ;  déjà  la  plupart  des  conservatoires  des 
États-Unis  ont  décidé  de  l'adopter. 

—  Le  nouveau  Code  pénal  des  États-Unis  du  Brésil  (promulgué  par  le 
décret  n°  847  du  11  octobre  dernier)  contient  cinq  articles  assurant  une 
protection  efficace  aux  auteurs  étrangers.  Jusqu'ici,  les  auteurs  français, 
qui  alimentent  presque  exclusivement  les  feuilletons  des  journaux  et  les 
théâtres  du  Brésil,  étaient  mis  à  contribution  sans  avoir  aucun  moyen  de 
faire  valoir  leurs  droits.  Désormais,  les  auteurs  français  et  tous  les  au- 
teurs étrangers  y  jouiront  de  la  même  protection  que  les  nationaux. 


382 


LE  MENESTREL 


PARIS    ET    DEPARTEMENTS 

Cest  décidé.  Nous  allons  avoir  Fidelio  a  l'Opéra.  Les  directeurs  ont 
pris  leur  courage  à  deux  mains  et  ont  profité  du  passage  à  Paris  de 
M.  Gevaert,  l'éminent  directeur  du  Conservatoire  de  Bruxelles,  pour  ar- 
ranger toutes  choses  avec  lui.  On  sait  que  M.  Gevaert  a  fait  pour  Fidelio 
ce  que  Berlioz  fit  pour  le  Freischiitz.  Les  récitatifs  qui  remplacent  le  dia- 
logue parlé  ont  été  écrits  par  lui.  avec  tout  le  respect  d'un  maître  mo- 
derne pour  «n  maître  ancien.  M.  Gevaert  a  promis  de  venir  diriger  lui- 
même  les  études.  Fidelio  passerait  en  janvier,  avec  la  distribution  suivante  : 

Léonore  Mmes  Bose  Caron. 

Marceline  Lowents. 

Florestan  MM.  Duc. 

Pizarre  Bérardi. 

Bocco  Plançon. 

Jaquino  Alï're. 

—  Une  autre  distribution  qui  ne  manquera  pas  d'attraction  sera  celle 
qu'on  destine  à  Carmen,  pour  la  prochaine  représentation  qui  en  sera 
donnée  à  l'Opéra  Comique,  pour  le  monument  de  Georges  Bizet. 

José  MM.  Jean  de  Beszké. 

Escamillo  Lassalle. 

Carmen  MmcB  Galli-Marié. 

Micaela  Melba 

(Les  autres  rôles  par  leurs  titulaires  habituels  à  l'Opéra-Comique.) 

Ballet  nouveau  avec  Mllc  Bosita  Mauri. 
L'interprétation  ordinaire  de  M.  Paravey  aura  peine  à  tenir  après  calle- 
hL  II  est  vrai  qu'elle  ne  coûte  pas  au  public  30  francs  la  place! 

—  M.  Verdhurt,  directeur  du  Théâtre-Lyrique,  installé  à  l'ancien  Éden- 
Théàtre,  avait  organisé  pour  hier  samedi  une  audition  des  principales 
œuvres  de  César  Franck,  qui  vient  de  mourir.  On  devait  entendre,  d'après 
le  programme  de  cette  réunion  artistique,  des  «  variations  symphoniques  » 
pour  piano,  exécutées  par  M.  Diémer,  des  fragments  du  Chasseur  maudit, 
de  Ruth  et  de  l'oratorio  intitulé  Rédemption,  le  principal  ouvrage  du  com- 
pos'iteur,  qui  devait  être  chanté  par  Mme  Fursch  Madier.  Mais  Mmc  veuve 
César  Franck,  propriétaire  des  œuvres  musicales  de  son  mari,  et  ses  fils, 
ont  estimé  que  cette  audition  était  trop  chargée,  qu'elle  avait  été  trop 
précipitée  et  qu'elle  ne  convenait  nullement  à  l'œuvre  du  compositeur. 
En  conséquence,  et  se  prévalant  du  droit  qu'elle  prétend  avoir  d'empêcher 
l'exécution  d'œuvres  qui  sont  sa  propriété,  elle  a  introduit  un  référé  pour 
faire  cesser  toute  publicité  soit  par  voie  d'affiches,  soit  par  la  voie  des 
journaux,  el  interdire  la  représentation  annoncée.  Me  Jules  Auffray,  avocat, 
assisté  de  Me  Charles  Martin,  avoué,  s'est  présenté  pour  la  veuve  et  les 
héritiers  de  César  Franck  et  a  soutenu  le  droit  des  demandeurs  de  s'op- 
poser à  une  interprétation  d'œuvres  leur  appartenant:  dans  des  conditions 
qui  ne  leur  paraissaient  point  convenir  à  la  mémoire  du  maître.  En 
l'absence  de  M.  Verdhurt,  qui  ne  s'était  pas  fait  représenter,  M.  le  pré- 
sident avait  remis  à  hier  pour  entendre  ses  observations  et  rendre  sa  dé- 
cision. Hier,  le  président  a  rendu  son  jugement  interdisant  à  M.  Verdhurt 
de  faire  exécuter  dis  œuvres  de  M.  Franck,  ce  soir  ou  tout  autre  jour. 

—  M.  Verdhurt  n'en  avait  pas  moins  l'intention  de  passer  outre,  ainsi 
que  le  prouve  cette  lettre  adressée  au  secrétaire  général  de  la  Société  des 
auteurs  : 

Monsieur  le  secrétaire  gëûéral, 

En  vertu  des  droits  incontestables  que  je  tiens  de  la  Société  des  auteurs,  com- 
positeurs et  éditeurs  de  musique,  —  droits  que  M»  Doumerc,  avocat  de  ladite 
Société,  fera  valoir  demain  samedi,  devant  le  juge  des  référés  —  je  maintiens 
l'exécution  annoncée  des  œuvres  de  César  Franck,  et  je  vous  prie  de  vouloir 
bien  insérer  le  programme  ci-joint. 

Veuillez  agréer,  avec  tous  mes  remerciements,  l'assurance  de  mes  sentiments 
distingués. 

Vendredi  28  novembre  1890.  Henry  ViiriDHunT. 

Que  sera-t-il  advenu  de  tout  cela?  Nous  ne  pourrons  en  instruire  nos 
lecteurs  que  dimanche  prochain. 

—  La  première  représentation  du  Benvenulo,  de  MM.  Hirsch  et  Diaz, 
qui  devait  avoir  lieu  cette  semaine  à  l'Opéra-Comique,  est  irrévocable- 
ment fixée  au  mercredi  3  décembre. 

—  Par  arrêté  du  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts, 
en  date  du  23  novembre,  M.  Ch.-M.  Widor  a  été  nommé  professeur 
d'orgue  et  d'improvisation  au  Conservatoire  de  musique,  en  remplace- 
ment de  M.  César  Franck,  décédé. 

—  Il  est  fortement  question  que  la  Porte-Saint-Martin  doive  représen- 
ter, cet  hiver,  une  pièce  à  grand  spectacle  de  M.  Henri  Meilhac,  mu- 
sique de  M.  Jules  Massenel.  M.  Duquesnel  vient,  dit-on,  d'entamer  des 
pourparlers  avec  M"«  Jeanne  Granier,  qui  créerait  dans  cette  pièce  le  prin- 
cipal rôle. 

—  On  sait  qu'un  procès  avait  été  intenté  à  M.  Gounod  par  un  entre- 
preneur, M.  Coulon,  qui  prétendait  avoir  traité  avec  l'illustre  compositeur 
pour  des  tournées  en  Amérique  et  lui  réclamait  100,000  francs  de  dom- 
mages-intérêts pour  non-exécution  de  cet  engagement.  M.  Gounod  répon- 
dait que  ces  pourparlers  n'avaient  jamais  reçu  de  sanction  définitive  et 
qu'il  avait  toujours  entendu  réserver  son  consentement.  La  correspondance, 


disait-il,  en  faisait  foi.  Ces  jours  derniers,  à  la  suite  du  paiement  d'une 
indemnité  de  10,000  francs,  spontanément  et  de  tout  temps  offerte  par 
M.  Gounod  pour  remboursement  de  frais  de  voyage  en  Amérique,  MM.  Coulon 
et  consorts  se  sont  désistés  de  leur  demande,  et  l'affaire  a  été  rayée  du 
rôle. 

—  Nous  avons  annoncé,  d'après  un  de  nos  confrères,  qu'aux  termes  d'un 
nouveau  règlement  relatif  au  Conservatoire,  —  règlement  qu'aurait  rédigé 
M.  Larroumet  et  que  M.  Bourgeois,  ministre  des  beaux-arts,  devait  signer 
ces  jours  derniers,  —  aucun  élève  du  Conservatoire  ne  pourrait,  désormais 
entrer  à  la  Comédie-Française  pendant  les  deux  années  qui  suivraient 
son  dernier  concours.  Un  stage  à  l'Odéonw  disait-on,  sera  obligatoire,  à 
moins,  bien  entendu,  que  l'élève  aille  faire  sa  réputation  en  province  ou 
à  l'étranger,  et  soit  admis,  au  retour,  à  la  Comédie-Française.  On  assure 
aujourd'hui  que  le  nouveau  règlement  n'a  pas  été  signé  par  M.  Bourgeois. 
Il  est  exact  qu'on  l'a  mis  de  nouveau  à  l'étude  en  ces  derniers  temps, 
mais  il  semble  que  ce  projet  va  de  nouveau  être  abandonné,  comme  toutes 
les  fois  précédentes  où  il  est  venu  sur  le  tapis.  Pour  notre  part,  nous 
regretterons  vivement  qu'il  n'aboutisse  pas,  car  il  eût  été  fort  utile  et  à 
la  Comédie-Française,  et  à  l'Odéon,  et  aux  artistes. 

—  L'Association  des  artistes  musiciens  a  célébré  pour  la  quarante-qua- 
trième fois,  samedi  2"2  novembre,  la  fête  de  Sainte-Cécile,  en  faisant  exé- 
cuter dans  l'église  Saint-Eustache  une  Messe  solennelle  de  M.  Bené  de 
Boisdeffre  pour  soli,  chœurs,  orchestre  et  orgue.  Cette  œuvre  intéressante, 
simple  d'allure,  élégante  de  forme,  d'un  heureux  caractère  et  souvent 
d'un  beau  sentiment  mélodique,  a  produit  sur  la  très  nombreuse  assistance 
qui  se  pressait  dans  l'église  une  excellente  impression.  L'exécution,  fort 
remarquable  sous  tous  les  rapports,  était  dirigée  par  M.  Jules  Danbé,  le 
très  habile  chef  d'orchestre  de  l'Opéra-Comique,  et  les  soli  étaient  chantés 
par  deux  des  meilleurs  artistes  de  ce  théâtre,  MM.  Gibert  et  Benaud,  qui 
ont  su  faire  ressortir  toutes  les  qualités  de  l'œuvre  de  M.  de  Boisdeffre. 
MM.  Charles  et  Léopold  Dancla  ont  exécuté  magistralement,  à  l'Offertoire, 
une  bôlle  Hymne  à  Sainte  Cécile  pour  deux  violons,  harpe  et  orgue,  de  la 
composition  de  M.  Charles  Dancla,  et  après  l'Élévation  M.  Georges  Gillet 
a  dit,  avec  le  son  et  le  style  superbes  qu'on  lui  connaît,  une  Prière  pour 
hautbois  de  Mmc  de  Grandval.  En  résumé,  cette  séance  a  été  aussi  remar- 
quable au  point  de  vue  artistique  que  fructueuse,  au  point  de  vue  maté- 
riel, pour  la  caisse  de  secours  de  l'Association  des  artistes  musiciens. 

—  Les  Matinées-Causeries  du  Théâtre  d'application  recommenceront  le 
mercredi  10  décembre.  M.  Sarcey  inaugurera  d'intéressants  three  oclock's. 
Les  auditions  musicales  ayant  été  un  grand  attrait  de  la  saison  dernière,  la 
campagne  90-91  comprendra  six  conférences  musicales  par  M.  Camille 
Bellaigue  et  par  M.  Arthur  Pougin.  Puis  viendront  des  poètes,  des  litté- 
rateurs, des  comédiens  et  quelques  députés.  Les  conditions  d'abonnement 
sont  sensiblement  diminuées:  la  série  de  douze  causeries,  60  francs;  la 
série  de  vingt-quatre  causeries,  100  francs. 

—  Concerts  du  Châtelet.  La  Symphonie  écossaise  de  Mendelssohn  a  été 
dite  par  l'orchestre  de  M.  Colonne  avec  une  perfection  remarquable. 
Ij'adagio  cantabile  a  été  surtout  rendu  avec  une  intensité  d'expression  digne 
d'éloges.  Pourquoi  M.  Colonne  ne  nous  donnerait-il  pas  un  jour  sa  sym- 
phonie avec,  chœurs,  ou  soit  au  moins  la  partie  purement  orchestrale.  C'est 
là  une  œuvre  de  premier  ordre,  qu'il  ne  faudrait  pas  laisser  ignorer  du 
public  de  l'Association  artistique.  Une  tentative  heureuse  a  été  l'exécution, 
par  tous  les  instruments  à  cordes,  de  l'andante  du  3e  quatuor  de  Beetho- 
ven. C'était  parfait  comme  exécution.  Ce  n'est  que  de  cette  façon  que  l'on 
peut,  dans  un  local  immense  comme  la  salle  du  Châtelet,  présenter  au 
grand  public  les  quatuors  dos  grands  maîtres.  Il  y  aurait  bien  des  tenta- 
tives de  ce  genre  à  faire  en  ce  qui  touche  un  répertoire  si  riche,  d'autant 
plus  que  ces  tentatives  sont  toujours  bien  accueillies  et  très  applaudies. 
Les  Scènes  alsaciennes  de  M.  Massenet  ont  eu  leur  succès  ordinaire.  Cette 
œuvre  très  colorée  provoque  toujours  une  émotion  sincère,  d'autant  plus 
qu'il  s'y  mêle  un  sentiment  vrai  de  patriotisme.  Une  exécution  irrépro- 
chable du  prélude  de  Tristan  et  Yseult  de  Wagner,  n'a  pas  réussi  à  défendre 
cette  œuvre  centre  la  froideur  du  public.  En  revanche,  nous  avons  à  si- 
gnaler un  très  franc  et  très  légitime  succès,  celui  de  Mllc  Chaminade,  dont 
on  a  exécuté  une  suite  d'orchestre  tirée  de  son  ballet  de  Callirhoc.  Les  trois 
premiers  morceaux  sont  charmants,  très  mélodiques,  et  orchestrés  avec 
une  finesse  et  une  délicatesse  de  touche  qu'on  ne  saurait  trop  louer.  Après 
l'exécution  de  l'intermezzo  de  M.  Tschaïkowsky,  extrait  de  sa  première  suite 
d'orchestre  et  qui  n'est  qu'une  œuvre  estimable,  le  concert  s'est  terminé 
par  la  bacchanale  de  Sarnson  et  Dalila  de  M.  Saint-Saéns,  qui  a  été  excel- 
lemment rendue  et  couverte  d'applaudissements.  II.  Bàrbedette. 

Concerts  Lamoureux.  —  La  partition  d'orchestre  du  poème  sympho- 
nique  de  Liszt  :  Tasso,  lamenta  e  trionfo,  est  précédée  -d'une  préface  dans 
laquelle  est  indiquée  très  nettement  la  pensée  du  compositeur.  «Le  Tasse 
a  aimé  et  souffert  à  Ferrare;  il  a  été  vengé  à  Borne;  sa  gloire  est  encore 
vivante  dans  les  chants  populaires  de  Venise.  Ces  trois  moments  sont 
inséparables  de  son  immortel  souvenir.  Pour  les  rendre  en  musique,  nous 
avons  d'abord  fait  surgir  la  grande  ombre  du  héros...  et  pour  cela,  nous 
avons  pris  comme  thème  le  motif  sur  lequel  nous  avons  entendu  les  gon- 
doliers de  Venise  chanter  sur  les  lagunes  les  strophes  du  Tasse  : 

Canlo  l'armi  pietose  el  capitano 

Che'l  gran  sepulcro  libero  di  Cristo  I 


LE  MENESTREL 


383 


...  Nous  avons  ensuite  entrevu  sa  figure  hautaine  et  attristée  glisser  à 
travers  les  fêtes  de  Ferrare;  et  nous  l'avons  suivi  à  Rome,  la  ville  éter- 
nelle, qui,  en  lui  tendant  la  couronne,  glorifia  en  lui  le  martyr  et  le  poète.  » 
La  musique  de  Liszt  répond  bien  à  cette  triple  subdivision;  c'est  une 
amplification  musicale  du  thème  vénitien  qui,  par  lui-même,  produit  l'im- 
pression d'une  tristesse  pénétrante,  d'un  deuil  monotone,  mais  qui  se 
prête  facilement  à  toutes  sortes  de  transformations,  d'abord  en  se  mêlant 
aux  harmonies  étincelantes  d'un  menuet  féerique,  ensuite  pour  acquérir 
la  puissance  de  sonorité,  l'éclat  et  l'ampleur  de  lignes  qui  en  font  le  chant 
triomphal  de  la  péroraison.  La  musique  de  Liszt  n'a  pas  la  grandeur  calme 
et  imposante  de  celle  de  Beethoven,  c'est  la  lave  ardente  du  volcan  plutôt 
que  les  ondes  majestueuses  du  fleuve,  mais  l'impression  qu'elle  produit  sur 
l'auditeur  suffisamment  préparé  n'en  reste  pas  moins  très  intense.  L'or- 
chestre, souvent  en  révolte  avec  les  formes  classiques,  est  toujours  saisis- 
sant d'expression,  souvent  entraînant  et  quelquefois  tumultueux.  — 
L'ouverture  à'Arteveld  de  M.  Guiraud,  exécutée  naguère  aux  Concerts 
Pasdeloup  est  d'une  allure  noble  et  distinguée;  les  idées  mélodiques  y 
sont  nombreuses  et  traitées  d'une  main  sûre;  en  résumé,  œuvre  brillante 
et  succès  légitime.  La  Danse  macabre  de  M.  Saint-Saëns  a  été  acclamée. 
Ce  poème  symphonique  si  intéressant  comme  facture,  et  dans  lequel  on  suit 
avec  tant  d'intérêt  l'antagonisme  des  deux  thèmes  qui  se  développent  côte 
à  côte,  est  depuis  longtemps  classé  parmi  les  œuvres  les  plus  appréciées  du 
répertoire  symphonique.  —  On  a  entendu  encore  une  excellente  exécution 
de  l'admirable  Symphonie  pastorale,  que  rien  ne  peut  atteindre  ni  déflorer, 
car  elle  a  le  don  d'éternelle  jeunesse,  les  Murmures  de  la  forêt  de  Siegfried 
et  l'ouverture  de  Tannhàuser.  Amédée  Boutarel. 

— ■  M™e  Krauss  et  Mme  Conneau  ont  obtenu  jeudi  un  très  grand  succès  à 
la  séance  de  chapelle  du  comte  de  Chambrun  :  à  côté  de  ces  deux  grandes 
artistes,  dont  l'éloge  n'est  plus  à  faire,  on  a  beaucoup  applaudi  aussi  une 
jeune  élève  de  Mmc  Colonne,  M"0  Leclercq,  qui  a  chanté  un  Magnificat  de 
Bach. 

—  Programme  des  concefts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Chàtelet,  concert  Colonne  :  Symphonie  inachevée  (F.  Schubert)  ;  Variations 
(Schumann)  et  scherzo  (Saint-Saëns),  exécutés  par  M.  Louis  Diémer  et  M.  Risler; 
Callirhoe  (Cécile  Chaminade);  Psyché,  poème  symphonique  (César  Franck);  marche 
de  Tannhàuser  (Wagner). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  :  ouverture  du  Freischiitz 
(Weberi  ;  Tasso.  poème  symphonique  (  Liszt)  ;  concerto  en  ut  mineur,  pour  piano 
(Beethoven),  exécuté  par  M""  Roger-Miclos  ;  fragments  de  Roméo  et  Juliette  (H.Ber- 
lioz) ;  prélude  de  Tristan  et  IseuU  (R.  Wagner);  ouverture  de  Rienzi  (Wagner). 

—  Sous  ce  titre  original  :  Histoire  de  100,000  pianos  et  d'une  salle  de  concerts 
M.  Oscar  Comettant  vient  de  publier  à  la  librairie  Fischbacher  un  joli 
volume,  orné  de  5  gravures  hors  texte,  que  voudront  lire  tous  ceux  qui 
s'intéressent  aux  choses  de  l'art.  Dans  la  première  partie  du  volume, 
l'auteur  nous  initie  à  la  fabrication  si  compliquée  et  si  délicate  du  piano  : 
il  remonte  aux  instruments  anciens  hors  d'usage  aujourd'hui,  d'où  est 
sorti  le  piano  «  grand  souverain  »,  pour  lequel  ont  été  écrits  plus  de  la 
moitié  des  chefs-d'œuvre  qui  existent  en  musique;  il  nous  dit  le  rôle 
bienfaisant  et  véritablement  moralisateur  qu'il  joue  dans  la  famille,  dans 
le  Home,  sweet  home.  La  dernière  partie  retrace  l'histoire  de  l'évolution  du 
goût  musical  en  France  par  les  concerts  qui  se  sont  donnés  à  Paris  depuis 
soixante  ans.  Ce  livre  d'un  style  rapide  se  lit  comme  une  longue  et  tou- 
jours intéressante  causerie  instructive  et  souvent  fort  gaie  par  les  anec- 
dotes qu'il  renferme. 

—  Acteurs  et  actrices  de  Paris,  par  Adrien  Laroque  (librairie  nouvelle). 
La  dernière  édition  de  ce  petit  Vapereau  des  artistes  dramatiques  date 
d'un  peu  plus  d'une  année  à  peine,  et  déjà  un  gros  remaniement  s'im- 
posait. C'est  un  travail  bien  minutieux  qu'a  entrepris  M.  Emile  Abra- 
ham... pardon!  M.  Adrien  Laroque,  et  qui  demanderait  une  revision  très 
fréquente.  Il  a  fallu  décrocher  de  cette  galerie  les  portraits  de  ceux  qui 
abandonnent  irrévocablement  la  carrière  :  Thiron,  Dumaine,  Léonce, 
entre  autres,  et  de  ceux,  bien  nombreux,  qui  ne  sont  plus  :  Mmo  Samary, 
Mme  Grivot,  Damala,  Brasseur,  Laray,  Christian,  etc.  Les  nouveaux  com- 
blent les  vides;  c'est  la  loi  naturelle.  Parmi  eux,  les  lauréats  du  Conser- 
vatoire, qui  ont  débuté,  et  d'autres  aussi,  parmi  lesquels  Jean  Coquelin... 
et  Coquelin  lui-même,  Coquelin,  dont  le  petit  livre  ne  contenait  pas  la 
biographie,  puisque  le  célèbre  comédien  nous  avait  quittés  sans  que  nous 
eussions  l'espérance  de  le  revoir.  Enfin,  un  chapitre  spécial  réunit  un 
certain  nombre  d'artistes  en  évidence  et  de  célébrités  qui  n'appartiennent 
à  aucun  théâtre  au  moment  où  parait  cette  nouvelle  édition,  mais  qui 
peuvent  nous  revenir  d'un  instant  à  l'autre,  tels  que  les  deux  Reszké, 
Lafontaine,  M"'cs  Renée  Richard,  Judie,  Jeanne  Granier...  et  bien  d'autres. 

—  Très  belle  réunion,  samedi  dernier,  chez  M.  A.  de  Bertha,  le  com- 
positeur hongrois.  Le  si  remarquable  pianiste  Léon  Delafosse  s'y  faisait 
entendre  et  a  été  acclamé  en  interprétant  d'une  façon  délicieuse,  outre 
plusieurs  œuvres  classiques,  différentes  pièces  de  MM.Lavignac,  A.  de  Ber- 
tha, dont  une  superbe  sonate  pour  piano  et  violoncelle,  et  Th.  Lack, 
parmi  lesquelles  nous  avons  remarqué  la  Valse  rapide.  Grand  succès  éga- 
lement pour  M",;  Renée  du  Minil,  la  charmante  artiste  de  la  Comédie- 
Française,  pour  M"0  A.  Detrois  et  M.  Ronchini,  violoncelliste  des  concerts 
Colonne. 

—  Les  concerts  du  quatuor  vocal  (deuxième  année),  fondés  par  M™  Hui- 
ler de  la  Source,  18,  rue  de  Berlin,  auront  lieu  les  vendredi  19  décembre 


(soirée),  dimanche  18  janvier  (matinée),  jeudi  19  février  (soirée)  et  dimanche 
8  mars  (matinée),  à  la  salle  d'horticulture,  84,  rue  de  Grenelle.  Dans  le 
premier  concert  on  entendra  des  fragments  de  la  Vie  pour  le  Tsar,  deGlinka, 
de  la  Heine  de  Saba,  de  M.  Ch.  Gounod,  du  Bravo,  de  M.  Salvayre,  et  de  la 
Clochette,  de  F.  Ilérold. 

—  Il  vient  de  se  fonder  à  Strasbourg  une  Union  des  Chanteurs  d'Alsace- 
Lorraine,  dont  M.  Bruno  Hilpert  est  le  directeur  artistique.  Cette  nouvelle 
association  prépare,  pour  les  fêtes  de  la  Pentecôte,  de  1891,  un  festival 
solennel.  De  nombreuses  sociétés  seront  convoquées  à  un  concours. 

—  La  réouverture  des  cours  de  musique  de  M"18  Poulaine,  i,  rue  de 
l'Odéon,  a  eu  lieu  récemment.  Depuis  neuf  ans  ces  cours  sont  sous  la  haute 
direction  de  M.  Antonin  Marmontel,  qui  fait  lui-même  le  cours  supérieur. 

NÉCROLOGIE 

Nous  avons  le  vif  regret  d'annoncer  la  mort  d'un  excellent  homme  qui 
fut  un  artiste  fort  distingué,  quoique  d'une  rare  modestie.  Emanuele  Muzio, 
qui  se  fît  remarquer  à  la  fois  comme  compositeur,  comme  chef  d'orchestre 
et  comme  professeur  de  chant,  est  mort  jeudi  dernier  à  Paris,  qu'il  habi- 
tait et  où  il  s'était  fixé  depuis  plus  de  quinze  ans.  Muzio,  qui  était  né  en 
182-5  dans  un  petit  village  situé  dans  l'ancien  duché  de  Parme,  près  de 
Busseto,  était  presque  le  compatriote  de  Verdi  et  devint  l'unique  élève 
que  le  maître  ait  jamais  consenti  à  former.  Il  reçut  même  ses  premières 
leçons  de  piano  de  Marguerite  Barezzi.  la  première  femme  de  l'auteur  de 
Rigolelto,  et  c'est  lui  qui,  plus  tard,  fut  chargé  par  celui-ci  de  la  réduction 
pour  piano  et  chant  de  la  plupart  de  ses  partitions.  Muzio  mena  de  front, 
pendant  plusieurs  années,  la  carrière  de  compositeur  avec  celle  de  chef- 
d'orchestre.  Il  remplit  ces  dernières  fonctions  à  la  Monnaie  de  Bruxelles 
(pour  une  saison  italienne),  au  Her  Majesty's  de  Londres,  à  l'Académie  de 
musique  de  New-York,  à  la  Fenice  de  Venise,  à  Barcelone,  au  Caire  et  au 
Théâtre-Italien  de  Paris  (1876).  Ses  opéras  sont:  Giovanna  la  pazza  (Bru- 
xelles, 1852),  Claudia  (Milan  18-55),  le  Due  Régine  (Milan,  Canobbiana,  1856), 
la  Sorrentina  (Bologne,  théâtre  communal,  1857).  Il  abandonna  pourtant 
la  composition  pour  se  livrer  exclusivement  à  l'enseignement  du  chant, 
et  il  s'était  formé  sous  ce  rapport,  à  Paris,  une  clientèle  aussi  nombreuse 
que  choisie.  Il  fut  le  professeur  de  miss  Clara  Kellogg,  la  célèbre  canta- 
trice anglaise,  et  l'on  assure  qu'il  fut  aussi  le  premier  maitre  de 
MmcB  Carlotta  et  Adelina  Patti.  C'est  Muzio  qui  devait  diriger  au  Caire, 
en  1871,  l'exécution  à' Aida  lors  de  l'apparition  de  cet  ouvrage;  il  en  fut 
empêché  par  les  circonstances,  au  grand  déplaisir  de  Verdi,  qui  le  tenait 
en  haute  estime  et  en  grande  affection.  Tous  ceux  qui  ont  connu  étroi- 
tement Muzio,  et  en  particulier  le  signataire  de  ces  lignes,  conserveront 
un  excellent  souvenir  de  ce  galant  homme  qui  fut  un  véritable  artiste. 

Arthur  Pougin. 

—  L'Angleterre  musicale  vient  de  perdre  un  de  ses  théoriciens  les  plus 
estimés  en  la  personne  du  docteur  Alexandre  John  Ellis,  connu  également 
sous  le  pseudonyme  de  Sharp.  Il  naquit  à  Londres  en  181-4  et  reçut  son 
éducation  musicale  aux  collèges  de  Shrewsbury,  Eton  et  Cambridge,  où 
il  conuuit  fort  jeune  ses  grades  universitaires.  Il  fît  de  l'étude  des  lois 
phonétiques  son  occupation  favorite  ;  les  mémoires,  les  rapports  qu'il  a 
rédigés  sur  le  «  tempérament  »,  la  tonalité,  le  diapason,  etc.,  sont  innom- 
brables. Mais  l'ouvrage  le  plus  considérable  qu'il  ait  laissé  est  le  volume 
intitulé  :  De  la  sensation  du  son,  considéré  comme  la  base  physiologique  de  la 
théorie  musicale,  d'après  Helmholtz. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


nie  AU  IIÉA'ESTREL,  2  l>i 


e,  HENRI  HEUGEL,  édi 


J.    FAUEE 

QUATRIÈME  ET  NOUVEAU  RECUEIL  DE  MÉLODIES 

Prix  net  :  10  Francs 
Lettre  A,  pour  Ténor  ou  Soprano  --  Lettre  B,  pour  Baryton  ou  Mezzo-Soprano. 


N»s    I. 


Espoir  en  Dieu  (Victor  Hugo.) 

Mignonne,  que  déarez-vous?  (Pierre  Vert.) 

Une  fleur,  un  oiseau  (F.  Marth.) 

Ave,  Stella!  (Armand  Silvestre.) 

Soleil  de  Printemps  (L.  Berlot.) 

Priez!  Chantez!  (Jules  Bertrand.) 

Que  les  prés  étaient  beaux!  (A. -S.  de  Beauregard.) 

Notre  père,  prière  du  malin  (à  2  voix.) 

Fleur  jetée  (Armand  Silvestre.) 

Le  Grillon  (Georges  Boyer.) 

Croyance  (Eugène' Manuel.) 

Le  Livre  de  la  vie  (A.  de  Lamartine.) 

Nature  (F.  Mariii.) 

La  Paix  (Jules  Bertrand.) 

Printemps  (Rosemonde  Gérard.) 

L'Oiseleur  (Pierre  Barbier.) 

Ne  jamais  la  voir  (Sui.ly  I'rudhojime.) 

Les  yeux  (Frédéric  Bataille.) 

Mystère!  (Frédéric  Bataille.) 

Hymne  aux  Astres  (Frédéric  Bataille.) 


384 


LE  MENESTREL 


En  vente  au  MÉNESTREL,  2bis,  rue  Vivien  ne,  HENRI  HEUGEL,  Éditeur-Propriétaire. 


CÉLÈBRE  RÉPERTOIRE 

TRAUSS    DE    PARIS 

Ancien    Oïief  d'Orchestre    des   Bals    de   l'Opéra. 

VALSES  —  POLKAS  —  QUADRILLES  —  MAZURKAS 
En  deux  Volumes  de  25  Numéros  chacun. 

LE  PREMIER  VOLUME  ORNÉ  D'UN  PORTRAIT  DE  L'AUTEUR  ET  PRÉCÉDÉ  D'UNE  PRÉFACE 

Chaque   volume,    Prix   net  :    8    francs. 


1" 

VOLUME 

2    VOLUME 

Vos  1.  Valse  du  Couronnement. 

Nos13.  La  Source,  valse. 

Nos  1 .  Le  Délire,  valse. 

N°H3. 

Cherbourg,  valse. 

2.  Jockey-Club,  polka. 

14.  Ana  Maria,  schottisch. 

2.  Soupirs  des  Fleurs,  polka. 

14. 

Schottisch  des  Guides. 

3.  Chants  du  Ciel,  valse. 

15.  La  Cascade,  valse. 

3.  Saint-Pétersbourg,  valse. 

15. 

Fleur  de  noblesse,  valse. 

4.  Orphée  aux  Enfers,  quadrille 

16.  Sans  nom,  polka. 

4.  Le  Petit  Faust,  quadrille. 

16. 

La  Jeunesse,  polka. 

ri.  Lille,  valse. 

17.  L'Écho  trompeur,  valse. 

5.  Les  Armes  historiques,  valse. 

17. 

Un  Bal  à  la  Cour,  valse. 

ij.  Bric  à  Brac,  polka. 

18.  Barbe-Bleue,  quadrille. 

6.  Minuit,  polka. 

18. 

Freischûtz,  quadrille. 

7.  Les  Murmures  du  Bal,  valse. 

19.  Échos  de  France,  valse. 

7.  Suez,  valse. 

19. 

Les  Jours  heureux,  valse. 

8.  Vision,  polka-mazurka. 

20.  Les  Merveilles  du  XVIe  siècle,  polka 

8.  L'Adieu,  polka-mazurka. 

20. 

Mascarade,  polka. 

9.  Stuttgard,  valse. 

21.  Venise,  valse. 

9.  Valse  des  Valses. 

21, 

Danser  c'est  vivre,  valse. 

10.  Casse-cou,  polka. 

22.  Souvenirs  d'Auvergne,  polk.-maz. 

10.  La  Sontag,  polka. 

22. 

La  Bosati,  polka-mazurka. 

11.  Le  Nuage,  valse. 

23.  Valse  de  Venzano. 

11 .  L'Idéal,  valse. 

23. 

Ne  m'oubliez  pas  !  valse. 

12.  La  Belle  Hélène,  quadrille. 

24.  Hébé,  polka. 

12.  Geneviève  de  Brabant,  quadrille. 

2i. 

Joyeuse,  polka. 

25.  La  Chansoa  de  Fortunio,  quadrille. 

25.  Quadrille  sur  des  Airs  napolitains. 

LA  CHANSON  DES  JOUJOUX 


Poésies  de  Jules  JOUY. 


Musique  de  Cl.  BLANC  et  L.  DAUPHIN. 

MSCSCXSÎ-^ ■- 


Petit  Noël,  cantique. 

Le  Premier  Joujou,  berceuse. 

Les  Petits  Ménages,  ronde. 

Les  Poupées,  berceuse. 

Les  Ballons  rouges,  ronde. 

Les  Sabots  et  les  Toupies,  menuet-valse. 

Le  Petit  Chemin  de  fer,  ronde. 

Les  Soldats  de  plomb,  marche. 

Les  Petits  Jardiniers,  idylle-valse. 

Le  Cerf-Volant,  ronde  à  2  voix. 


11.  La  Tour  Eiffel,  légende. 

12.  Les  Pantins,  ronde, 

13.  Les  Chevaux  de  bois,  galop. 

14.  La  Bergerie,  pastorale. 

15.  Les  Volants,  triolets. 

16.  Les  Petite    Cuisines,  rondo. 
17  Les  Poupards,  chanson. 

18.  Les  Petits  Lapins,  chansonnette. 

19.  Les  Polichinelles,  chansonnette. 

20.  Les  Balles,  romance. 


21. 

22. 
23. 
24. 
25. 
26. 


Le  Jeu  de  Patience,  chansonnette. 

Les  Soldats  de  bois,  ronde. 

Les  Petits  Navires,  barcarolle. 

La  Boutique  à  treize,  boniment. 

Les  Petits  Chasseurs,  chasse. 

La  Lanterne  magique,  ronde. 

Les  Fusils  de  bois,  romance. 

Les  Crécelles,  farandole. 

Le  Petit  Orchestre,  menuet. 

Le  Dernier  Joujou,  marche-retraite. 


Chaque  numéro,  avec  accompagnement  de  piano,  couverture  en  couleurs  de  GHËRET,  net  :  60  centimes. 
Les  trente  numéros  réunis  en  un  recueil,  couverture  en  couleurs  de  CHÉRET,  net  :  7  francs. 


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Opérette  en  3  actes  et  5  tableaux 

DE 

FAUX*     FERRIER 

Musique  de 

VICTOR     ROGER 


THEATRE 

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NOUVEAUTÉS 


Partition  piano  et  chant.  —  Morceaux   de  chant  détachés.  —  Fantaisies,  danses  et  arrangements  pour  piano  et  instruments  divers. 


DE  FER.    —  IMPBIMElltF  l 


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(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 


Adresser  ftunco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste  :  Victor  Massé  (30"  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Semaine 
théâtrale:  Malvenuto  Cellini,  à  l'Opéra-Comique,  H.  Moreno  ;  première  repré- 
sentation de  Un  Prix  Montyon,  au  Palais-Royal,  Paul-Emile  Chevalier.— III.  Une 
famille  d'artistes:  Les  Saint-Aubin  (1"  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  la 
CHACONNE 
de   Victor  Roger,  excutée   dans  l'opérette  Samsonnet.    —   Suivra  immé- 
diatement :  Noël  breton,  de  Henry  Ghys. 

CHANT 
Nous   publierons   dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant:  Les  Sabots  et  les  Toupies,  n°  6  de  la  Chanson  des  Joujoux,  poésies 
de  Jules  Joly,   musique  de  Claudius  Blanc  et  Léopold  Dauphin.  —  Suivra 
immédiatement  :  Les  Petits  Chasseurs,  n°  25  de  la  même  collection. 

BJOS      PRIMES 

POUE       L'A-  IT  IST  É  E       1SS1 


Nos  abonnés  trouveront  à  la  8e  page  de  ce  numéro  la  liste  de  nos  FRIMES 
pour  l'année  1891,  b"e  année  de  publication  du  MÉNESTREL,  et  nous  espérons 
qu'elle  sera  de  nature  à  les  satisfaire;  car  nous  avons  mis  tous  nos  soins  à  la 
rendre  aussi  intéressante  et  aussi  variée  que  possible. 

Dans  les  primes  spéciales  réservées  à  nos  abonnés  au  texte  et  à  la  musique  de 
piano,  on  trouvera  d'abord  la  Tempête,  le  charmant  ballet  d'Ambroise  Thomas, 
dont  la  reprise  est  prochaine  à  l'Opéra,  puis  de  ravissantes  compositions  pour 
piano  (Album  Polonais  et  Pièces  diverses)  de  Ph.  Scharwenka,  dont  la  vogue  est 
si  grande  en  ce  moment  en  Allemagne  et  qui  est  encore  peu  connu  en  France. 
C'est  un  artiste  essentiellement  original,  dont  nos  lecteurs  se  trouveront  bien  de 
faire  la  connaissance.  Vient  ensuite,  pocn  les  petites  mains,  un  ravissant  album 
de  danses  faciles  intitulées:  les  Petits  danseurs,  dont  la  couverture  en  couleurs 
de  Firmin  Bouisset  est  un  véritable  petit  chef-d'œuvre.  Si  on  l'ouvre, on  y  trou- 
vera du  Johann  Strauss,  du  Fahrbach,  du  Gung'l,  de  l'Oflénbach,  de  l'Hervé, 
réduit  très  facilement  à  l'usage  des  commencanls  par  les  maîtres  du  genre  en- 
fantin, les  Streabbog,  les  Trojelli,  les  Faugier,  etc.  Pour  les  grandes  personnes, 
nous  donnons  les  danses  du  Strauss  de  Paris,  l'ancien  chef  d'orchestre  des  Bals 
de  l'Opéra,  dont  la  verve,  on  pourra  le  voir,  ne  le  cédait  en  rien  à  celle  du  grand 
Strauss  de  Vienne 

Dans  les  primes  de  chant:  le  quatrième  et  nouveau  volume  des  Mélodies  de 
Faure,  qui  reste  justement  un  de  nos  auteurs  les  plus  recherchés  de  tous  ceux 
qui  s'adonnent  à  l'art  du  chant;  puis  les  Mélodies  populaires  des  jjrovinces  de 
France,  recueillies  et  harmonisées  par  Julien  Tiersot,  charmant  petit  volume  où 
l'on  trouve  toute  la  poésie  naïve  et  toute  la  gaité  malicieuse  de  nos  campagnes; 
le  Fétiche,  de  Victor  Roger,  l'une  des  plus  pimpantes  partitions  que  l'opérette  ait 
données  en  ces  derniers  temps;  enfin  les  étonnantes  Chansons  du  Chat  noir,  où 
l'originalité  de  Mac  Nab  se  révèle  si  exubérante,  rehaussée  encore  par  les  spiri- 
tuels dessins  de  H.  Gerbault  —  véritable  recueil  d'amateur  un  peu  monté  en  cou- 
leur; point  pour  les  demoiselles. 

Dans  nos  GRANDES  PRIMES,  destinées  à  ceux  de  nos  abonnés  qui  sous- 
crivent à  la  lois  à  la  musique  de  piano  et  à  la  musique  de  chant  :  d'abord  la  superbe 

< able 


édition  du  Vklelio  île  Beethoven,  avec  le 

lion   au    piano  de  F. -A.  Gevaert,   la  seule 

lions  qu'on,  va  dnnniT  prochainement  à 

(l'œuvre  de  Beethoven,   deux  autres  pari 

Thomas,  celle  du  Songe  d'une  Nuit  d'été  a 

vienl  de  composer  en  vue  des  serins  italien 

nale  pour  ténor.  C'esl  ainsi  que  le  maître  avait 

(liuvrc,  i'l  il  esl  curieux  de  rapprocher  les  deux  levles,  celui  du  baryton  el  celui 

du  ténor;  on  trouve  là  des  variantes  importantes. 


récitatifs  et  la  réduc- 
informe  aux  représenla- 
Paris.  A  côté  du  chef- 
intéressantes  d'Ambroise 
3  nouveaux  récitatifs  qu'il 
d'Ilaiulet,  version  origi- 
d'abnrd  conçu  cette  dernière 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


VICTOR  MASSE 


C'est   à  la  suite  de  ce    concours   de  1867,  qui    revieut   de 
loin  en  loin  dans  mes  souvenirs,  et  d'où  sortit  la  Coupe  du  Rot  ° 
de  Thuîé,  que  j'ai  connu  Victor  Massé. 

Il  m'apparait  entouré  d'autres  figures,  dont  les  principales 
sont  encore  très  en  relief  dans  ma  mémoire:  celles  d'Emile 
Augier,  de  Théophile  Gautier,  de  Félicien  David  et  d'Emile 
Perrin,  avec  lui  juges  de  ce  concours;  les  autres  étaient  Paul 
de  Saint-Victor,  qui,  je  crois,  ne  s'en  occupa  guère  et  a 
disparu,  lui  aussi,  Charles  Gounod,  Ambroise  Thomas  et 
Francisque  Sarcey,  tous  vivants  encore. 

Il  me  semble  qu'on  ne  revoit  jamais  si  bien  les  pays  et 
les  hommes  que  lorsqu'on  les  a  quittés.  L'éloignement  et 
le  temps  les  mettent,  dans  notre  esprit,  sous  un  jour  où  on 
les  peut  mieux  et  plus  agréablement  considérer  dans  leur 
ensemble  :  les  aspérités  s'adoucissent,  les  points  lumineux 
gardent  tout  leur  éclat.  La  beauté  du  paysage,  la  douceur  de 
l'atmosphère  prennent  une  valeur  spéciale  ;  on  se  souvient 
de  mille  détails  pittoresques  qui,  au  moment  même,  n'avaient 
pas  frappé  ;  de  même,  les  traits  de  l'homme,  ses  paroles,  les 
manifestations  de  son  esprit  et  de  son  caractère  s'accentuent 
en  ce  qu'ils  ont  eu  de  meilleur. 

Voilà  pourquoi,  en  ces  impressions  rapidement  esquissées, 
il  ne  faut  pas  parler  des  vivants. 

Sur  la  roule  conduisant  vers  le  logis  de  Victor  Massé,  j'ai 
donc  rencontré  Emile  Augier,  Théophile  Gautier,  Félicien 
David  et  Emile  Perrin.  Avant  de  l'aborder,  il  faut  que  je 
les  salue  au  passage. 

Emile  Augier  d'abord,  qui  n'a  joué  en  tous  ces  petits 
événements  qu'un  rôle  très  épisodique,  mais  à  qui  me  liait 
bien  longtemps  avant  mon  entrée  «  dans  la  musique  »  un 
affectueux  sentiment  de  reconnaissance 


Je  l'avais  connu  deux  ans  environ  après  mon  arrivée  à 
Paris.  Longtemps  j'avais  hésité  à  aller  le  voir.  Enfin,  une 
lettre  de  son  père,  trouvée  dans  des  papiers  de  famille  et 
témoignant  d'un  réel  attachement  pour  les  miens,  me  fut 
auprès  de  lui  la  meilleure  des  recommandations.  Il  me  fit 
venir  et  m'accueillit,  la  main  tendue,  avec  une  grande 
bonté. 

Il  habitait  alors  place  de  Rivoli.  Un  domestique  discret  et 
prudent,  bien  dressé  à  le  défendre  contre  les  fâcheux,  m'a- 
vait introduit  dans  son  cabinet,  dont  le  balcon  donnait  sur 
les  Tuileries,  logis  lumineux  et  gai,  ouvert  sur  un  vaste 
horizon  parisien:  monuments  riants  sous  le  soleil,  jardins  en 


386 


LE  MENESTREL 


fleurs  peuplés  d'enfants  et  de  promeneurs,  observatoire  per- 
mettant de  voir  la  vie  de  haut,  tel  qu'il  le  fallait  pour  rete- 
nir un  hôte  de  cet  esprit  large  et  net,  curieux  des  choses 
de  la  foule  et  jaloux  de  sa  personnelle  indépendance. 

Sur  une  table,  devant  la  fenêtre,  une  grande  coupe  de 
cuivre  contenait  toute  une  collection  de  pipes  ;  il  puisait 
là  tour  à  tour,  terre,  écume  ou  bruyère,  car  il  était  alors 
grand  fumeur.  Çà  et  là,  des  livres,  des  divans  dans  les  coins, 
peu  ou  point  de  bibelots,  une  table  de  travail  en  bon  ordre  ; 
l'habitacle   d'un  homme  d'esprit,  simple  et  aimant  ses  aises. 

En  veste  de  chambre,  coiffé  d'une  toque  de  soie  noire,  je 
crois  bien  même  d'une  bourgeoise  casquette  de  voyage,  les 
mains  dans  ses  poches,  le  teint  animé,  la  lèvre  souriante,  il 
me  parla  doucement,  paternellement,  entremêlant  ses  con- 
seils de  quelques  traits  généraux,  d'un  aimable  scepticisme. 


C'était  bien  là  le  Dauphinois  «  fin  et  courtois  »,  tel  que  je 
me  l'étais  figuré,  d'après  un  dicton  peu  modeste  de  notre 
commun  pays  d'origine,  mais  que  lui,  du  moins,  réalisait 
complètement. 

Tout  de  suite,  touché  sans  doute  de  la  naïveté  confiante 
avec  laquelle,  très  jeune  débutant,  je  m'exprimais,  visible- 
ment ému  par  le  souvenir  de  son  père,  qu'il  avait  aimé  ten- 
drement, il  lui  plut  de  me  parler  à  cœur  ouvert. 

—  Vous  voulez  faire  du  théâtre  !  —  D'abord,  ètes-vous 
riche?  Pour  faire  du  théâtre,  voyez-vous,  il  faut  commencer 
.  par  assurer  son  indépendance.  Montrez-moi  ce  que  vous 
avez  fait;  je  vous  dirai  franchement  ce  que  j'en  pense.  Et 
je  vous  donnerai  là  une  preuve  de  ma  vraie  sympathie, 
car  communément,  lorsqu'on  est  arrivé,  —  retenez  bien  cela 
—  et  qu'on  vous  apporte  quelque  chose  à  lire,  il  faut  tou- 
jours répondre  que  c'est  très  bien.  C'est  le  moyen  d'être 
agréable  à  l'auteur  ei  utile  à  soi-même. 


Et,  quelques  jours  après,  ayant  lu  ce  que  je  lui  avais  remis, 
un  petit  acte  en  vers,  et  tenant  sa  promesse  de   franchise  : 

—  Il  y  a  une  ou  deux  bonnes  scènes,  me  dit-il  ;  mais,  au 
résumé,  mettez-le  tout  dans  votre  tiroir,  et  faites  autre  chose. 

Je  lui  parlai  alors  d'un  drame,  —  un  drame  en  vers,  bien 
entendu.  —  J'étais  à  cette  époque  de  la  vie  où  on  mentirait 
à  sa  vocation  et  à  la  règle  éternelle  si  on  ne  faisait  pas  son 
drame  en  vers,  comme  nos  aines  faisaient  autrefois  leur 
tragédie. 

Il  en  approuva  le  sujet  et  m'encouragea  à  me  mettre  à 
l'œuvre. 

Le  drame  terminé,  —  il  en  avait  suivi  et  analysé  l'exé- 
cution acte  par  acte,  —  il  me  dit  simplement  :  Je  suis 
content  !  et  me  donna  une  belle  lettre  pour  le  directeur  de 
l'Odéon,  un  directeur  que  je  ne  nommerai  pas  et  que,  du 
reste,  mon  récit  ne  saurait  toucher,  car  il  est  mort. 


Avec  ce  battement  de  cœur  que  connaissent  bien  tous 
ceux  qui  ont  fait  une  œuvre  de  bonne  foi  et  redoutent  la 
terrible  désillusion  si  commune  en  semblable  occurrence,  je 
portai  lettre  et  manuscrit  au  tout-puissant  personnage.  Il 
m'accueillit  avec  la  bienveillance  que  commandait  le  nom 
do  mon  parrain  littéraire,  et  mettant  le  manuscrit,  devant 
moi,  dans  un  tiroir  de  son  secrétaire  :  «  Vous  voyez,  me 
dit-il,  je  le  mets  là  ». 

Je  n'en  pouvais  douter  :  il  le  mettait  là.  Et  très  probable- 
ment il  ne  l'en  devait  tirer  que  pour  me  le  rendre. 

Usant  d'un  procédé  dont  j'avais  trouvé,  je  ne  sais  où,  la 
formule  d'ailleurs  fort  naïve,  je  m'étais  en  effet  avisé,  avant 
de  déposer  entre  ces  mains  redoutables  le  précieux  manus- 
crit, d'en  coller  ensemble,  çà  et  là,  quelques  pages,  au 
moyen  d'une  imperceptible  goutte  d'eau  gommée. 

Quelque  temps  après,  m'arriva  du  secrétaire  du  théâtre 
une  lettre  qui   devait  m'apprendre,    en  style   tempéré,    que 


mon  ouvrage  avait  de  grandes  qualités  dramatiques  et  litté- 
raires, «  qu'il  était  même  bien  écrit,  »  mais  qu'il  ne  saurait 
convenir  à  l'Odéon. 

Si  mon  amour-propre  d'auteur  avait  pu  souffrir  de  ce  juge- 
ment, j'aurais  eu  de  quoi  me  consoler  en  constatant  la  par- 
faite virginité  des  feuilles  que  j'avais  discrètement  collées 
l'une  à  l'autre  et  dont  le  temps  avait  rendu  l'adhérence 
impossible  à  rompre  sans  déchirure. 

L'autocrate  n'avait  pas  lu  ;  mais  il  avait  tout  de  même  une 
opinion  I  Que  l'on  s'étonne  après  cela  que,  de  tout  temps, 
certains  directeurs  se  soient  plaints  de  manquer  d'auteurs  ! 
(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


MALVEXUTO  CËLLIN1  A  L'OPË RA-COMIQUE 

Pourquoi  ne  pas  l'appeler  Malvenuto,  ce  dernier  ouvrage  de 
M.  Eugène  Diaz,  ne  serait-ce  que  pour  le  distinguer  des  opéras  déjà 
écrits  sur  le  même  sujet  par  MM.  Hector  Berlioz  et  Camille  Saint- 
Saëns?  Il  ne  semble  pas  en  effet  d'une  constitution  assez  solide 
pour  pouvoir  espérer  de  bien  longues  destinées. 

Et  cela  est  triste  et  malheureux  pour  M.  Eugène  Diaz,  qui  pos- 
sédait à  ses  débuis  un  véritable  tempérament  d'artiste,  digne  de  tous 
les  encouragements,  et  qu'on  a  eu  le  tort  de  se  laisser  morfondre  à 
la  porte  de  toutes  nos  scènes  depuis  la  fameuse  Coupe  du  roi  de  Thulé, 
qui  lui  valut  autrefois  le  prix  dans  un  concours  demeuré  célèbre 
où  il  l'emporta  sur  des  concurrents  comme  MM.  Jules  Massenet  et 
Théodore  Dubois.  Ce  n'était  pas  un  chef-d'œuvre,  cette  Coupe,  pas 
plus  que  le  Malvenuto  de  l'autre  soir,  oh  !  non,  mais  il  y  avait  là  cer- 
tainement de  la  vitalité  et  un  sentiment  du  théâtre  qui  permettaient 
de  beaucoup  espérer  du  jeune  compositeur.  Si  on.  l'eût  laissé  se 
mêler  au  mouvement  musical  de  son  temps,  nul  doute  qu'il  se  fût 
aperçu  tôt  ou  tard  de  l'évolution  lente,  mais  sûre,  qui  se  produisait 
peu  à  peu  dans  l'art  musical,  et  qu'il  n'eût  voulu  à  son  tour  y  con- 
tribuer pour  sa  part.  Au  lieu  de  cela,  on  l'a  laissé  boire  pendant 
vingt  ans  à  la  même  coupe  qui  lui  avait  valu  son  premier  succès, 
et  il  a  prétendu  nous  verser  derechef  de  ce  vin  qu'on  trouvait  géné- 
reux en  1870  et  qu'il  pensait  s'être  bonifié  encore  en  prenant  de  la 
bouteille.  Eh  bien!  pas  du  tout;  on  en  a  trouvé  le  fumet  légèrement 
éventé. 

Nous  n'en  sommes  plus  aux  formules  italiennes,  qui  ont  eu  sans 
doute  leur  raison  d'être,  mais  qui  paraissent  aujourd'hui  de  la  trop 
vieille  marchandise.  C'est  comme  si  on  voulait  ramener  nos  élégantes 
aux  modes  de  1830.  On  ne  veut  pas  plus  aujourd'hui  des  finals 
surannés  où  les  voix  se  superposent  les  unes  au-dessus  des  autres 
dans  un  échafaudage  sonore,  qu'on  ne  désire  en  revenir  aux  robes  à' 
crinolines.  La  cavatine  qui  ravissait  nos  pères  nous  fait  le  même 
effet  que  les  manches  à  gigot  qui  embellissaient  nos  grand'mères. 
Ce  sont  des  manières  de  faire  qui  ne  peuvent  plus  avoir  qu'un  agré- 
ment rétrospectif.  Autre  temps,  autres  mœurs,  autres  modes,  autre 
idéal  artistique. 

Ah  !  ce  qu'on  eût  donné,  au  cours  de  cette  fastidieuse  soirée,  pour 
entendre  une  idée  vraiment  neuve  et  originale  !...  Mais  il  nous  est 
pénible  d'insister  plus  longtemps  sur  un  sujet  qui  ne  peut  être  que 
désagréable  à  un  excellent  garçon  dont  la  vive  imagination  a,  par 
bonheur,  d'autres  débouchés  que  celui  de  la  musique.  Comme  son 
père  le  célèbre  peintre,  Eugène  Diaz  manie  le  pinceau  avec  talent, 
et  il  fera  peut-être  bien  de  s'en  tenir  là.  Je  ne  parle  pas  de  ses  au- 
tres facultés  créatrices,  qui  lui  ont  t'ait  découvrir  un  mors  destiné  à 
arrêter  net  les  chevaux  emportés.  Il  y  a,  dans  celte  seule  invention, 
de  quoi  racheter  bien  des  partitions  médiocres. 

Le  poème  qui  a  servi  de  thème  au  musicien  est  de  M.  Gaston 
Hirsch,  un  littérateur  distingué  auquel  on  doit  déjà  quelques  bous 
drames  ambiguesques  et  même  des  livrets  d'opérette.  Au  premier 
abord,  sa  nouvelle  histoire  de  Benvenuto  semble  un  peu  obscure,  et 
on  a  peine  à  en  démêler  les  fils.  Mais  cela  tient  à  la  difficulté  de 
suivre  une  action  embroussaillée  de  musique,  quand  les  interprètes 
mâchent  d'une  façon  inintelligible  bien  des  détails  nécessaires  à  la 
clarté  des  situations.  Quand  on  tient  le  livret  en  main,  on  saisit 
fort  bien  que  le  pauvre  Benvenuto  est  entraîné  dans  un  guet-apens 
par  une  ancienne  maîtresse  qu'il  a  abandonnée,  que  pour  défendre 
sa  vie  il  est  obligé  de  tuer  deux  des  spadassins,  apostés  dans 
l'ombre  par   la  jalouse  Pasilea,  que  pour  ce  crime  on  le  fourre  au 


LE  MENESTREL 


387 


cachot  où  il  a  les  plus  jolis  rêves  qu'on  puisse  imaginer,  qu'il 
n'en  va  pas  moins  être  conduit  à  l'écliafaud  quand  une  sorte  de 
sédition  populaire  le  sauve,  ce  qui  lui  permet  de  se  réfugier  en 
France  avec  sa  douce  fiancée  Delphe  de  Montsolm.  Ce  livret  n'est 
pas  inférieur  à  beaucoup  d'autres  ;  il  contient  môme  une  idée  auda- 
cieuse, celle  de  donner  le  ballet  dans  une  prison,  ce  qu'on  n'avait 
pas  encore  osé  au  théâtre.  Voilà  du  piquant,  vraiment.  Oh!  ces 
prisons  d'Italie!  C'est  là  que  je  voudrais  vivre... 

L'interprétation  a  mis  en  pleine  lumière  le  talent  de  M.  Renaud, 
que  nous  ne  sommes  pas  éloigné  de  considérer  comme  le  meilleur 
baryton  que  nous  ayons  actuellement  à  Paris.  La  voix  est  pleine  et 
onctueuse,  montant  facilement,  ayant  beaucoup  des  inflexions  de 
celle  de  Faure,  ce  grand  modèle  qu'on  n'entend  plus  que  trop 
rarement.  Ajoutons  que  M.  Renaud  est  beau  cavalier  et  tient  bien 
la  scène.  Son  succès  personnel  a  donc  été.  des  plus  vifs  et  des 
mieux  mérités.  Mm8  Jehin-Deschamps  est  pour  lui  une  superbe  par- 
tenaire. C'est  plaisir  d'entendre  ces  deux  'belles  voix  chanter 
naturellement,  sans  avoir  recours  à  aucun  de  ces  subterfuges  en 
usage  chez  beaucoup  de  nos  artistes  et  qui  sont  destinés  à  mas- 
quer leurs  défaillances.  Les  directeurs  de  l'Opéra  ont  bien  fait  de 
s'assurer  de  Mme  Deschamps,  qui  seule  peut  prétendre  à  la  succes- 
sion de  Mm0  Richard.  M.  Renaud  pourrait  suivre  également  sa  ca- 
marade sur  notre  première  scène  lyrique.  Il  n'y  ferait  pas  plu? 
mauvaise  figure. 

Il  faut  donner  aussi  des  éloges  au  ténor  Carbonne,  qui  tient 
bien  le  personnage  de  Pompeo  Guasconli  et  dont  la  voix  sonne  à 
souhait.  M.  Carbonne  est  fort  en  progrès.  Une  jeune  débutante, 
Mllc  Clarisse  Yvel,  a  paru  très  sympathiquement  dans  le  rôle  de 
Delphe.  Elle  était  fort  émue,  ce  qui  n'a  pas  empêché  de  démêler, 
au  milieu  de  son  trouble,  de  très  charmantes  qualités  de  chanteuse 
et  une  réelle  distinction  de  talent  et  de  tenue.  M.  Lorrain,  un  ar- 
tiste de  mérite,  n'a  pas  eu,  pour  cette  fois,  l'occasion  de  se  mon- 
trer sous  son  véritable  jour.  Il  sera  mieux  partagé  une  autre  fois. 

H.  Moreno. 

Palais-Royal.  —  Un  Prix  Montyon,  comédie-vaudeville  en  trois 
actes,  de  MM.  Albin  Valabrègue  et  Maurice  Hennequin. 

L'Académie  Française  a  décerné,  par  erreur,  un  prix  de  vertu  à 
un  sieur  Pontbichot  qui  se  croit,  dès  lors,  obligé  de  donner  des 
leçons  de  morale  à  une  clientèle  qu'il  a  su  composer  exclusive- 
ment de  femmes,  mariées  ou  non.  Bien  que  primé  par  la  docte 
assemblée,  Pontbichot  n'en  est  pas  moins  homme;  il  se  laisse  séduire 
par  les  charmes  attractifs  d'une  de  ses  plus  évaporées  et  faciles 
disciples,  et  se  fait  dresser  procès-verbal,  en  plein  bois  de  Clamart, 
par  un  garde-champêtre  défenseur  austère  des  bonnes  mœurs.  La 
pensée  qu'on  va  pouvoir  bafouer,  en  sa  personne,  la  noble  institution 
de  M.  de  Montyon,  lui  est  si  insupportable  que,  sans  hésiter,  il  donne 
au  représentant  de  la  loi  les  noms  et  prénoms  de  son  propriétaire, 
Veauvardin.  Il  n'est  pas  besoin  d'être  Mathieu  de  la  Drôme  pour 
deviner  que  c'est  ce  pauvre  Veauvardin  qui  sera  cité  devant  le 
juge  d'instruction.  Le  malheureux  accusé  fera  tout  au  monde  pour 
prouver  son  innocence  ;  mais  la  dialectique  implacable  d'un  gref- 
fier, qui  se  prend  pour  le  juge  d'instruction,  ne  permet  aucun  moyen 
de  défense  et,  qui  pis  est,  embrouille  l'affaire  à  ce  point  qu'elle  de- 
viendrait inextricable  si' la  justice,  qui  ne  veut  pas  se  laisser  devan- 
cer par  l'Académie,  ne  commettait  aussi  sa  petite  erreur  et  ne  faisait 
retomber  la  faute  du  coupable  sur  la  tête  d'un  sénateur  que  les 
convenances  ne  permettent  pas  de  poursuivre. 

Tel  est  le  fond  de  ia  nouvelle  pièce  de  MM.  Valabrègue  et  Hen- 
nequin, que  le  Palais-Royal  a  représentée  jeudi  dernier  avec  un 
très  grand  succès.  Les  deux  auteurs  se  sont  lancés,  à  corps  perdu, 
dans  la  plus  abracadabrante  folie  que  l'on  puisse  imaginer.  Se 
souciant  fort  peu  et  de  dame  Vérité  et  de  dame  Raison,  ils  n'ont 
cherché  qu'à  faire  rire  et  ils  y  ont  réussi  le  plus  joyeusement  du 
monde,  principalement  au  second  acte,  qui  se  passe  chez  le  juge 
d'instruction  et  qui  est  d'une  fantaisie  et  d'une  vivacité  tout  à  fait 
supérieures. 

Pontbichot,  c'est  M.  Saint-Germain,  qui  a  très  finement  composé 
le  rôle  du  moraliste  cueilleur  de  fraises.  M.  Dailly  est  un  Veauvardin 
étourdissant  de  jovialité  communicative  et  M.  Milher  un  épique 
greffier.  M.  Calvin  a  drôlement  campé  la  silhouette  d'un  vieux  viveur 
gâteux  et  Mm0  Lavigne,  qui  ne  fait  que  paraître,  est  tout  à  fait  dro- 
latique en  cuisinière  qui  a  été  et  est  toujours  rosière.  Le  sexe  faible, 
mais  aimable,  est  encore  représenté  par  Mmes  Dunoyer,  Pierval,  Lise 
Fleurie  et  Renaud. 

Paul-Éjiile  Chevalier, 


UNK     FAMILLE     D'ARTISTES 


LES    SAINT-AUBIN 

Le  samedi  2!)  juin  1839,  à  sept  heures  du  matin,  la  gentille  et 
coquette  commune  de  Nogent-sur-Marne,  rendez-vous  favori  de 
promenade  de  tant  de  Parisiens,  était  mise  en  émoi  par  la  décou- 
verte d'un  double  crime,  commis  avec  nne  audace  rare  et  une  véri- 
table férocité.  Un  jeune  et  précoce  malfaiteur,  à  peine  âgé  de  dix- 
huit  ans,  s'était  introduit  par  escalade  dans  le  jardin  d'une  jolie 
propriété  située  au  n°  33  actuel  de  la  Grande-Rue  et  appartenant 
alors  à  une  vieille  dame  de  soixante-quatorze  ans,  qui  l'habitait  avec 
quelques  serviteurs.  Ayant,  alors  qu'il  croyait  pouvoir  s'avancer  sans 
défiance  et  sans  danger,  été  aperçu  par  l'un  de  ceux-ci,  le  misé- 
rable, saisissant  un  hoyau  qui  se  trouvait  à  portée  de  sa  main,  lui 
en  porta  un  coup  terrible  et  si  bien  assuré  qu'il  lui  fendait  le  crâne 
et  retendait  à  terre,  inanimé,  baignant  dans  son  sang;  surpris  au 
même  instant  par  un  autre  domestique,  il  n'hésitait  pas  à  renou- 
veler son  exploit,  et  avec  une  égale  assurance,  un  égal  sang-froid, 
abattait  celui-ci  comme  il  avait  fait  du  premier,  sans  que  ni  l'un 
ni  l'autre  eût  pu  même  pousser  un  cri.  Puis,  se  dirigeant  alors  du 
côté  de  l'habitation,  qui  lui  était  familière,  il  montait  lestement 
jusqu'au  premier  é'age,  où  se  trouvait  l'appartement  de  la  maîtresse 
du  lieu,  avec  l'intention  bien  évidente  de  l'assassiner  et  de  la  voler; 
mais  il  essaya  inutilement  de  pénétrer  chez  elle,  la  porte  étant, 
ce  qu'il  ignorait,  fermée  à  l'intérieur.  La  vieille  dame,  qui  était 
éveillée  déjà,  entendant  marcher  dans  son  antichambre  et  toucher  à 
sa  serrure,  pensa  que  c'était  quelqu'un  des  siens  qui  voulait  lui 
parler,  et,  en  adressant  quelques  paroles  à  un  petit  chien  qui  lui 
servait  de  compagnon,  elle  se  leva  pour  aller  ouvrir  sa  porte  et 
savoir  ce  qui  se  passait.  Alors,  l'homme  eut  peur,  redescendit  pré- 
cipitamment et  s'enfuit,  en  abandonnant  ses  chaussures  pour  aller 
plus  vite.  Mais  durant  ce  peu  d'instants,  une  grande  agitation  s'était 
produite,  et  déjà  toute  la  maison  était  en  rumeur  :  la  femme  du 
jardinier  ayant  découvert  le  corps  ensanglanté  de  son  mari  et  affolée 
à  celte  vue,  avait  appelé  au  secours  ;  on  était  accouru  du  dehors, 
et  bientôt,  tandis  que  les  uns  s'empressaient  autour  de  la  première 
victime,  d'autres  se  heurtaient,  épouvantés,  au  corps  de  la  seconde, 
l'une  et  l'autre  toujours  inanimées  mais  respirant  encore,  malgré  la 
gravité  de  leurs  blessures,  affreusement  béantes.  On  conçoit  facile- 
ment l'émotion  qui  s'emparait  de  tous  à  la  vue  d'un  tel  spectacle  ! 
Qui  avait  commis  ce  double  crime?  qu'était  devenu  l'assassin?  où 
s  etait-il  réfugié?  avait-il  réussi  à  s'échapper?  On  le  cherchait  inu- 
tilement partout,  on  fouillait  en  vaiu  tous  les  coins,  on  explorait 
sans  succès  tous  les  réduits,  et  l'on  commençait  à  désespérer  de  le 
découvrir,  lorsqu'un  enfant  ayant  eu  l'idée  d'ouvrir  la  porte  de 
communs  isolés  de  la  maison,  on  le  vit  là,  caché,  pâle,  tremblant 
de  peur,  et  l'on  put  s'emparer  de  lui  sans  qu'il  songeât  même  à 
essayer  une  résistance  d'ailleurs  inutile. 

La  vieille  dame  qui  avait  échappé  comme  par  miracle  à  une  mort 
certaine  et  qui  avait  dû,  à  la  précaution  qu'elle  avait  de  s'enfermer 
chaque  soir,  de  ne  pas  tomber  sous  les  coups  d'un  assassin,  portait 
un  nom  que  le  public  parisien  avait  acclamé  pendant  plus  de  vingt 
années  et  qui  était  resté  célèbre  dans  les  fastes  du  théâtre,  un  nom 
que  la  première  elle  avait  rendu  fameux,  et  qu'après  elle,  deux  de 
ses  filles,  dignes  héritières  de  son  talent,  avaient  fait  briller  à  leur 
tour  d'un  éclat  incontesté.  C'était  Mme  Saint-Aubin,  l'une  des  gloires 
de  l'ancienne  Comédie-Italienne  et  de  l'Opéra-Comique,  l'actrice  ini- 
mitable et  charmante  qui  avait  su  remplacer  Mmo  Dugazon  sans  la 
faire  regretter,  et  qui  pendant  vingt-deux  ans  avait  fait  la  joie  des 
spectateurs  de  ce  théâtre,  où  sa  carrière  brillante  n'avait  été  qu'une 
suite  ininterrompue  de  triomphes  retentissants  et  mérités.  C'est  elle 
qui  fait  le  principal  sujet  du  présent  travail,  intéressant  surtout  en 
ce  sens  qu'il  fera  connaître  à  la  fois  et  d'une  façon  intime  quatre 
artistes  qui  ont  brillé,  à  des  titres  divers,  sur  cette  scène  toujours 
aimable  de  l'Opéra-Comique  :  c'est-à-dire,  avec  Mme  Saint-Aubin  en 
personne,  sou  mari,  dont  le  talent  en  son  genre  était  aussi  très  réel, 
sa  fille  aînée,  Cécile,  qui  devint  l'épouse  du  violoniste  Duret  et  qui 
fut  surtout  l'interprète  brillante  et  fidèle  de  Nicolo,  et  enfin  sa 
seconde  fille,  Alexandrine,  dont  la  carrière  fut  plus  courte,  mais  dont 
le  jeu  piquant  et  plein  de  grâce  rappelait  tellement,  dit-on,  celui 
de  sa  mère,  qu'en  l'entendant,  ceux  qui  avaient  connu  celle-ci 
croyaient  l'entendre  encore  (1). 

(l)Le  crime  dont  on  vient  de  voir  retracés,  d'une  façon  très  sommaire,  les  prin- 
cipaux incidents,  donna  lieu,  devant  la  cour  d'assises  de  la  Seine,  a  un  procès 
dont  le  retentissement  fut  immense,  tant  à  cause  de  Ténormité  de  l'attentat  et  du 


388 


LE  MÉNESTREL 


Vers  1760,  un  honnête  homme  nommé  Frédéric  Schrœder,  Hol- 
landais de  naissance,  mais  qui  avait  fait  du  service  sous  les  maré- 
chaux de  Saxe  et  de  Lowendal  et  qui,  en  quittant  l'armée,  s'était 
consacré  au  théâtre,  parcourait  la  province  à  la  tète  d'une  petite 
troupe  de  comédiens  dont  quelques-uns  de  ses  nombreux  enfants 
faisaient  le  principal  ornement.  Frédéric  Schrœder,  qui  sans  doute 
était  lui-même  comédien  ou  musicien,  ce  qu'il  serait  difficile  de 
^savoir  aujourd'hui,  fit  souche  d'acteurs  et  d'actrices,  et  un  beau 
jour  sa  petite  famille  vint  s'abattre  sur  Paris,  où  bientôt  elle  peupla 
nos  théâtres,  surtout  celui  de  la  Comédie-Italienne,  de  plusieurs 
sujets  distingués,  auxquels  le  public  fit  un  accueil  empressé. 

C'est  sous  le  nom  de  Frédéric,  qui  était  le  prénom  paternel,  que 
les  deux  filles  aînées  de  Schrœder  vinrent,  les  premières,  se  présenter 
sur  la  scène  de  la  Comédie-Italienne,  en  la  double  qualité  de  chan- 
teuses et  de  danseuses.  Voici  la  mention  qu'on  trouve  à  leur  sujet, 
à  l'article  débuts,  dont  le  petit  almanach  les  Spectacles  de  Paris  pour 
1763  :  —  «  Le  18  octobre  (1764),  Mlles  Frédéric  sœurs  ont  débuté 
dans  la  danse.  Le  20,  M""  Frédéric  l'aînée  a  débuté  dans  le  chant 
par  la  Servante  maîtresse,  et  a  joué  la  Gouvernante  du  Maître  en 
droit,  Fatiuie  dans  le  Cadi  dupé.  Le  21,  M"e  Frédéric  cadette  a  débuté 
dans  les  amoureuses  de  la  Fille  mal  gardée  et  du  Maître  en  droit.  » 
Ni  l'une  ni  l'autre  pourtant  ne  réussit  d'abord  dans  le  jeu  scénique 
proprement  dil,  et,  sous  ce  rapport,  leur  premier  essai  paraît  avoir 
été  complètement  infructueux.  Pendant  quatre  ans,  en  effet,  on  les 
trouve  comprises  dans  le  personnel  de  la  danse,  et  ce  n'est  qu'à 
partir  de  1768  que,  après  un  nouvel  effort,  on  les  voit  prendre  place, 
cette  fois  sérieusement,  dans  la  troupe  chantante,  où  l'aînée,  Louise- 
Frédérique,  se  fait  bientôt  une  situation  brillante.  Comprise  au  rang 
des  sociétaires,  celle-ci  devient,  dans  l'emploi  des  amoureuses 
d'abord,  des  caractères  ensuite,  et  sous  le  nom  de  Mme  Moulinghen, 
reûdu  fameux  par  elle,  un  des  soutiens  les  plus  fermes  du  théâtre 
et  l'une  des  actrices  favorites  du  public  alors  si  connaisseur,  si 
délicat  et  si  difficile  à  contenter  de  la  Comédie-Italienne.  Grimm. 
dans  sa  Correspondance,  fait  d'elle  un  éloge  assez  vif,  et  voici,  com- 
ment, à  propos  de  sa  mort,  d'Origny,  dans  ses  Annales  du  Théâtre- 
Italien,  apprécie  le  talent  de  Mme  Moulingheu  :  —  «  ....  Elle  eut  à 
vaincre  la  difficulté  de  bien  phraser  les  vers  et  l'habitude  qu'ont 
les  chanteuses  d'élever  trop  la  voix  dans  le  dialogue  ;  mais  le  tra- 
vail fit  évanouir  tout  obstacle  à  ses  progrès.  Bientôt  on  vit  en  elle 
une  grande  intelligence,  un  jeu  fini  dans  les  scènes  muettes,  et 
dans  les  autres  un  débit  agréable.  Elle  mettoit  partout  de  l'enjoue- 
ment, de  la  chaleur,  de  la  vérité,  et  joignoit  à  l'exacte  observation 
du  costume  l'activité  la  plus  surprenante  et  le  zèle  le  plus  infati- 
gable. Elle  mourut  le  28  novembre  1780,  regrettée  du  public  qui 
lui  accordoit  son  estime,  de  ses  camarades  dont  elle  s'étoit  concilié 
l'amitié,  et  de  celui  à  qui  elle  étoit  unie  par  le  lien  conjugal,  et 
qu'elle  rendoit  heureux  (1).  » 

jeune  âge  de  l'accusé,  que  de  la  personnalité  de  M""  Saint-Aubin,  alors  retirée 
du  théâtre  depuis  plus  de  trente  ans,  mais  dont  le  public  n'avait  ni  oublié  le  nom 
ni  perdu  le  souvenir,  et  qui,  naturellement,  fut  appelée  en  témoignage  devant  le 
tribunal.  Ce  procès,  dont  on  peut  lire  le  long  compte-rendu  dans  la  Gazette  des 
Tribunaux,  occupa  les  deux  audiences  des  20  et  21  septembre  1839  (présidence  de 
M.  Poultier  ;  M.  Partarieu-Lafosse,  avocat  général,  M"  Pouget,  défenseur).  Les 
deux  victimes,  qui  avaient  survécu  à  leurs  horribles  blessures,  n'étaient  pourtant 
pas  complètement  rétablies  encore,  et  ne  purent  venir  témoigner  que  la  tête 
enveloppée  de  linges  et  de  bandeaux.  Le  meurtrier,  François  Filleul,  âgé  de  dix- 
huit  ans,  comme  on  l'a  vu,  et  qui  avait  été  employé  comme  domestique  chez  un 
fils  de  M™'  Saint-Aubin,  fut  convaincu,  outre  sa  double  tentative  d'assassinat,  dj 
plusieurs  vols  antérieurs.  Le  jury,  après  cinq  heures  de  délibération,  ayant  déclaré 
l'accusé  coupable  de  vols  commis  chez  diverses  personnes,  de  deux  tentatives 
de  meurtre  avec  guet-apens  et  préméditation,  de  tentative  de  vol  avec  escalade 
et  effraction  dans  la  maison  de  MIU0  Saint-Aubin,  mais  ayant  mitigé  ce  verdict  par 
l'admission  de  circonstances  atténuantes,  François  Filleul  fut  condamné  aux  tra- 
vaux forcés  à  perpétuité  et  à  l'exposition.  —  C'est  à  l'obligeance  de  M.  le  Maire 
actuel  de  Nogent-sur-Marne,  à  qui  j'ai  eu  recours  à  ce  sujet,  que  je  dois  de 
savoir  que  la  maison  habitée  alors  par  M""  Saint-Aubin  est  celle  qui,  comme  je 
l'ai  dit,  porte  aujourd'hui  le  n°33  de  la  Grande-Rue. 

(1)  Louise-Frédérique  Schrœder  avait  épousé  en  1770  un  compatriote  de  son 
père,  Jean-Bapliste-Micnel  Moulinghen,  artiste  modeste  et  distingué  qui  occupait 
depuis  1764  l'emploi  de  chef  d'attaque  des  premiers  violons  à  l'orchestre  de  la 
Comédie-Italienne.  Né  à  Harlem  en  1751,  Moulinghen  avait  appris  le  violon  à 
Amsterdam,  et  était  venu  fort  jeune  à  Paris.  11  se  fit  connaître  quelque  peu  comme 
compositeur,  en  écrivant  la  musique  d'un  petit  opéra,  les  Nymphes  de  Diane,  joué 
je  crois,  en  société,  une  symphonie  à  grand  orchestre  qui  fut  exécutée  au  Con- 
cert des  Amateurs,  vers  1784,  et  un  recueil  de  six  quatuors  pour  instruments  à 
cordes.  Il  quitta  la  Comédie-Italienne  en  1800,  après  quarante-cinq  ans  de  services, 
et  mourut  en  1812.  Il  avait  un  frère  cadet,  Louis-Charles  Moulinghen,  né  comme 
lui  à  Harlem,  en  1753,  et  qui,  comme  lui,  fit  son  éducation  de  violoniste  à 
Amsterdam.  Celui-ci  se  fixa  d'abord  à  Bruxelles,  puis  parcourut  comme  chef 
d'orcheslro  les  provinces  de  France,  en  faisant  jouer  divers  opéras  dont  il  écrivait 


Mmc  Moulinghen  n'était  pas  seulement  une  actrice  fort  distinguée; 
son  talent  comme  danseuse  était  encore  remarquable.  Ce  qui  le 
prouve,  c'est  que  dès  1767  elle  était  comprise  au  rang  des  «  pre- 
mières danseuses  »  de  la  Comédie-Italienne,  et  qu'elle  conserva 
cette  situation  non  seulement  après  avoir  obtenu  ses  premiers  succès 
dans  le  genre  de  l'opéra-comique,  mais  même  lorsqu'elle  eut  été 
reçue  sociétaire  en  1769.  Ce  n'est  qu'à  partir  de  1772  qu'on  la  voit 
abandonner  définitivement  la  danse  pour  se  consacrer  exclusivement 
à  son  emploi  scénique.  Mais  c'est  qu'alors,  après  avoir  remplacé 
d'abord  MUe  Deschamps,  elle  se  trouvait  appelée  à  recueillir  l'héri- 
tage fort  lourd  et  tout  le  répertoire  de  Mme  Favart,  qui  venait  de 
mourir,  et  que  cette  situation  nouvelle  devait  assurément  suffire  à 
son  activité  de  comédienne  et  de  chanteuse.  Elle  ne  parait  pas,  d'ail- 
leurs, avoir  été  trop  au-dessous  de  la  tâche  difficile  qu'elle  avait 
alors  à  remplir  pour -faire  regretter  le  moins  possible  l'actrice  ex- 
quise dont  on  lui  confiait  la  succession.  C'est  au  plus  fort  de  ses 
succès  qu'elle  mourut  elle-même,  presque  subitement,  victime  d'une 
erreur  funeste  et  d'une  insigne  maladresse,  ainsi  que  le  rapporte 
Métra  dans  sa  Correspondance  secrète  :  «  La  Comédie- Italienne  vient 
de  perdre  un  de  ses  principaux  sujets  en  Mme  Moulinghen,  qui  est 
morte  samedi  dernier,  victime  de  l'affreuse  ignorance  d'un  Esculape 
qui  l'a  mal  à  propos  saignée  pour  une  indigestion.  »  Et,  de  leur 
côté,  les  Mémoires  secrets  nous  font  connaître  les  regrets  qu'elle  lais- 
sait derrière  elle  :  «  Mme  Moulinghen,  actrice  des  Italiens,  vient  de 
mourir.  C'est  une  vraie  perte  pour  eux  :  ses  camarades  ayant  appris 
cette  nouvelle  au  moment  de  jouer  les  Vendangeurs,  en  ont  été  si 
affectés  qu'ils  n'ont  pu  y  mettre  leur  gaieté  ordinaire  et  que  le  pu- 
blic s'en  est  aperçu.  » 

Quant  à  la  sœur  de  Mme  Moulinghen,  qui  ne  fut  jamais  connue 
que  sous  le  nom  de  Mllc  Frédéric  cadette,  sa  carrière  à  la  Comédie- 
Italienne  fut  courte.  Reçue  en  1768  parmi  les  «  actrices  à  pension  » 
pour  le  chant,  tout  en  demeurant  comprise  au  nombre  des 
«  danseuses  seules  »,  elle  disparaît  deux  ans  après,  et  si  bien  que  plus 
jamais  on  n'entendit  parler  d'elle. 

Mais  la  famille  tenait  pour  ce  théâtre  plusieurs  sujets  en  réserve. 
Ce  fut  d'abord  un  frère  des  deux  artistes  dont  il  vient  d'être  ques- 
tion, Frédéric-Pierre  Schrœder,  qui,  toujours  sous  le  nom  de  Frédé- 
ric, vint,  en  1773,  débuter  comme  danseur.  Il  se  fit  aussitôt  remar- 
quer, devint  «  premier  danseur  »  en  1779,  et  donna  assez  de 
preuves  de  talent  pour  que  l'Opéra  songeât  à  se  l'attacher.  Il  débuta 
à  ce  théâtre  en  1781  ou  1782,  et  y  fut  admis  aussitôt  comme  dan- 
seur en  double.  Une  note  émanée  de  l'administration,  et  datée  de 
1784,  s'exprimait  ainsi  sur  son  compte  :  «  Il  peut  acquérir  du  talent; 
il  est  jeune  et  a  de  la  légèreté.  »  Il  en  acquit  en  effet,  et  se  fai- 
sait remarquer,  parmi  les  doubles,  auprès  de  Beaupré  et  de  Milon, 
qui,  on  le  sait,  étaient  d'excellents  danseurs.  Il  créa  d'ailleurs  plu- 
sieurs rôles  dans  divers  ballets  représentés  à  cette  époque,  entre 
autres  tes  Sauvages,  la  Rosière  et  le  Coq  du  village,  et  dansa  d'original 
dans  les  divertissements  de  nombreux  opéras  :  Renaud,  la  Caravane, 
Phèdre,  Aspasie,  etc.  Il  était  dans  toute  la  force  de  l'âge  et  du  talent, 
lorsqu'un  accident  douloureux  vint  briser  à  jamais  sa  carrière  :  il 
fit,  vers  1793,  une  chute  tellement  fâcheuse  qu'il  se  blessa  au  point 
de  ne  pouvoir  jamais  reparaître  à  la  scène. 

Nous  ne  sommes  pas  au  bout.  Le  29  avril  1781,  quatre  mois 
après  la  mort  de  sa  sœur,  Mnie  Moulinghen,  une  jeune  artiste,  dési- 
reuse sans  doute  de  recueillir  son  héritage,  vient  débuter  à  la 
Comédie-Italienne,  dans  l'emploi  des  duègues,  sous  le  nom  de 
Mllc  Lambert.  Elle  ne  manquait  pas  de  qualités  au  dire  de  d'Origny, 
qui  en  parle  en  ces  termes  :  «  Cette  actrice  retraça  une  partie  des 
qualités  que  Mmc  Moulinghen,  sa  sœur,  possédait  au  degré  le  plus 
éminent,  quand  elle  joua  le  rôle  de  Mopsa  dans  le  Jugement  de 
Midas,  et  ensuite  ceux  d'Alix  dans  les  Trois  Fermiers,  de  la  duègne 
dans  le  Magnifique  et  de  Claudine  dans  le  Maréchal.  Il  n'est  presque 
aucun  de  ces  personnages  qu'elle  n'ait  faits  avec  succès  :  on  re- 
marqua seulement  que  dans  les  endroits  où  la  diction  doit  être  ra- 
pide, son  organe  était  un  peu  fatigué.  »  Est-ce  ce  défaut  de  voix 
qui  porta  tort  à  la  débutante,  et  rendit  son  essai  inutile?  Toujours 
est-il  que  le  début  de  M"0  Lambert  n'eut  point  de  résultat,  et  que 
la  jeune  artiste  ne  fut  pas  engagée. 

Nous  en  arrivons  enfin  au  sujet  le  plus  précieux,  le  plus  accompli 
de  cette  intéressante  famille  d'artistes,  à  l'adorable  actrice  qui  pen- 
dant plus  de  vingt  ans  tint  le  public  parisien  sous  le  charme  de 
sou  talent  si  fin,  si  souple,  si  varié,  si  enchanteur,  à  cette  créature 

la  musique  :  te  Deux  Contrats,  le  Mari  sylphe,  Horiptième,  le  Vieillard  amoureux,  les 
Ruses  de  l'amour,  les  Amants  rivaux,  les  Talents  à  la  mode,  le  Mariage  malheureux, 
Sylvain.  Moulinghen  cadet  se  fixa  ;\  Paris,  comme  professeur,  vers  17S5. 


LE  MENESTREL 


389 


séduisante  qui  devait  être  l'une  des  gloires  de  la  scène  française  et 
qui  fut  l'une  des  interprètes  les  plus  exquises  du  genre  de  l'opéra- 
comique,  —  à  Mma  Saint-Aubin. 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (4  décembre).  —  C'est  aujourd'hui 
même  que  la  Monnaie  joue  la  Basoche,  avec  MllGSNardi  et  Carrière,  MM.  Ba- 
diali,  Isouard  et  Chappuis.  Les  auteurs  ont  suivi  les  dernières  répétitions 
avec  soin.  Je  vous  dirai  la  semaine  prochaine  l'accueil  que  le  public 
bruxellois  aura  fait  à  leur  œuvre.  Le  caractère  de  plus  en  plus  accentué 
vers  le  genre  de  drame  lyrique  ou  de  grand  opéra  auquel  s'est  aionnée  la 
scène  de  la  Monnaie  depuis  quelques  années  rend  indécis  l'effet  que  pro- 
duira, sur  cette  même  scène,  un  ouvrage  d'allures  relativement  très  légères 
comme  celui  de  MM.  Messager  et  Carré..En  général,  l'opéra-comique  ancien, 
l'opéra  à  dialogue,  devient  d'acclimatation  de  plus  en  plus  difficile  à  la 
Monnaie.  Mais  les  qualités  très  en  dehors  de  la  Basoche  lui  feront  probable- 
ment une  situation  spéciale.  Et  puis,  M.  Messager  a  de  nombreuses  sympa- 
thies à  Bruxelles,  personnellement  et  artistiquement.  On  y  connaît  ses  ten- 
dances musicales  très  avancées,  et  l'on  n'a  pas  oublié  que  c'est  à  Bruxelles 
qu'il  a  fait  en  quelque  sorte  ses  premiers  pas  dans  la  carrière.  Je  me  rappelle 
encore  sa  présence  au  pupitre  de  chef  d'orchestre,  le  soir  de  l'inauguration 
de  l'Eden,  dans  l'été  de  1880,  et  le  succès  que  remporta,  ce  soir-là,  auprès 
des  délicats  plus  encore  qu'auprès  de  la  foule,  un  charmant  petit  ballet  de 
sa  composition,  Fleur  d'oranger,  d'une  grâce  exquise  et  d'une  facture  très 
ciselée,  rappelant  beaucoup  la  manière  et  le  style  du  maître  Léo  Delibes. 
M.  Messager  resta  chef  d'orchestre  de  l'Eden  pendant  plusieurs  mois,  puis 
s'en  retourna  à  Paris;  mais,  ici,  on  s'est  toujours  souvenu  de  lui,  et  l'on 
est  heureux  de  le  voir  revenir  parmi  nous  aujourd'hui,  dans  les  conditions 
où  il  nous  ievient.  —  En  attendant,  un  autre  événement  s'est  accompli, 
d'un  autre  genre,  mais  d'une  importance  capitale.  Je  vous  ai  dit  que  les 
Concerts  populaires  s'étaient  vu  successivement  retirer  par  la  Ville  de 
Bruxelles  le  subside  dont  ils  avaient  joui  pendant  longtemps,  et,  cette 
année  enfin,  la  salle  de  la  Monnaie  où,  l'an  dernier  encore,  ils  donnaient 
leurs  si  artistiques  et  si  intéressantes  séances.  La  "Ville  avait  obéi,  sur  ce 
dernier  point,  à  un  sentiment  de  déférence,  pour  ne  pas  dire  plus,  envers 
MM.  Stoumon  et  Calabresi,  qui,  ennemis  personnels  de  M.  Joseph  Dupont, 
le  directeur  et  l'àme  des  Concerts  populaires,  avaient  menacé  le  collège 
échevinal  de  donner  leur  démission  s'il  accordait  encore  à  ces  concerts  la 
jouissance  de  la  salle  de  la  Monnaie.  La  presse  et  le  public  furent  vive- 
ment émus  de  voir  une  rancune  personnelle  —  dont  nous  n'avons  pas  à 
discuter  le  plus  ou  moins  de  raison  —  entraîner  de  si  fàcheus96  consé- 
quences pour  une  institution  musicale  qui  a  rendu  au  pays  de  si  nom- 
breux services;  car,  privés  de  la  salle  de  la  Monnaie  et  privés  de  subside, 
les  Concerts  populaires  n'avaient  plus  qu'à  mourir,  après  une  existence 
glorieuse  de  vingt-cinq  ans!...  L'émotion  fut  si  vive  que  l'affaire  fut  sou- 
mise au  Conseil  communal,  et  là,  les  Concerts  populaires  interjetèrent 
appel  de  la  condamnation  prononcée  contre  eux  par  le  Collège.  L'arrêt  de 
celui-ci  a  été  cassé  :  le  Conseil,  réformant  la  décision  des  échevins,  vient 
d'accorder  définitivement  aux  Concerts  populaires,  malgré  la  menace  de 
démission  de  MM.  Stoumon  et  Calabresi,  la  salle  de  la  Monnaie.  Espé- 
rons maintenant  que  toute  cette  affaire,  qui  a  fait  beaucoup  de  bruit,  va 
s'apaiser  enfin.  Les  directeurs  de  la  Monnaie  comprendront  que  l'intérêt 
de  tout  le  monde,  et  le  leur,  veulent  que  chacun  oublie  ce  qui  l'a  divisé  pour 
ne  se  souvenir  que  de  l'art,  trop  oublié  en  tout  ceci  ;  et  ils  se  garderont 
bien  de  donner  leur  démission,  que  personne  ne  demande,  ni  ne  souhaite. 

L.  S. 

—  Il  faut  croire  que  les  Anversois,  en  matière  de  spectacle,  font  preuve 
de  quelque  gourmandise.  L'autre  dimanche,  l'affiche  du  Théâtre-Royal 
portait  seulement  les  titres  de  deux  ouvrages,  mais  qui  formaient  à  eux 
seuls  un  menu  musical  qu'on  peut,  sans  être  difficile,  tenir  pour  satisfai- 
sant :  Guillaume  Tell  et  Carmen! 

—  Voici  comment  et  sous  quel  titre  :  Un  opéra  nouveau  de  Verdi,  la  Gazette 
musicale  de  Milan,  organe  de  l'éditeur  du  maître,  confirme  la  nouvelle  que 
nous  avons  donnée  avec  tous  nos  confrères:  —  «  Le  Corriere  délia  Sera  du 
26  courant  annonce  un  opéra  nouveau  de  Verdi.  La  nouvelle  est  parfaite- 
ment exacte.  Depuis  plusieurs  années  le  maître  avait  manifesté  en  diverses 
circonstances,  à  quelques  intimes  amis,  le  désir  d'écrire  un  opéra-comique: 
mais  il  considérait  comme  presque  insurmontable  la  difficulté  de  trouver 
un  sujet  d'un  véritable  élément  comique.  En  fait,  nous  savons  que  Verdi  avait 
lu  tous  les  théâtres  comiques  italiens  et  français  saos  rencontrer  un  sujet  qui 
lui  donnât  pleine  satisfaction.  Verdi  se  trouvant  à  Milan  dans  l'été  de  la  der- 
nière année  18.89,  etcausantprécisémentavecArrigo  Boitodel'opéra-comique, 
celui-ci  prit  la  balle  au  bond  et  lui  proposa  un  sujet;  et  non  seulement 
il  le  lui  proposa,  mais  avec  une  rapidité  merveilleuse,  on  peut  dire  que 
dans  l'espace  de  quelques  heures  il  ébaucha  et  présenta  au  maître  un 
Croquis  :  Falsla/f,  empruntant  ce  personnage  lyrique  aux  divers  drames  et 
comédies  dans  lesquels  Shakespeare  l'a  représenté.  La  proposition  plut  à 


Verdi,  mais  il  déclara  franchement  à  Boito  qu'il  n'accepterait  son  nouveau 
livret  que  dans  le  cas  seulement  où  cela  ne  lui  ferait  négliger  aucun  autre 
travail,  parce  que,  lui  dit-il,  «  je  ne  veux  pas  avoir  le  remords  de  retarder 
d'une  heure  l'achèvement  de  Votre  Néron.  »  Sur  l'assurance  que  lui  donna 
Boito,  Verdi  accepta  son  offre,  et  l'hiver  dernier,  durant  un  séjour  à 
Nervi  Ligure,  Arrigo  Boito  écrivit  une  grande  partie  du  livret. Celui-ci  est 
complètement  terminé  depuis  plusieurs  mois,  et  Verdi  lui-mème"a  composé 
environ  la  moitié  de  l'opéra.  Falsta/f  est  une  comédie  lyrique  en  trois  actes 
et  cinq  tableaux:  les  personnages  sont  importants  et  nombreux.  Nous  ne 
savons  quand  Giuseppe  Verdi  se  décidera  à  faire  représenter  son  nouvel 
opéra,  le  maître  ayant  déclaré  à  diverses  reprises  qu'il  avait  entamé  ce 
travail  pour  son  simple  divertissement,  ne  sachant  pas  quand  il  le  finira. 
Inexacte  est  donc  la  nouvelle  donnée  par  quelques  journaux  relativement 
au  théâtre  et  à  l'époque  où  Falsla/f  pourra  être  mis  en  scène.  Pour  notre 
part,  nous  faisons  des  vœux  pour  que  cela  arrive  promptement,  parce  que 
cela  sera  certainement  un  jour  de  gloire  pour  notre  Italie,  qui  saluera  de 
nouveau  avec  joie  et  orgueil  le  plus  illustre  et  le  plus  fécond  de  ses  fils.» 
De  son  côté,  le  Corriere  délia  Sera  du  27  novembre  caractérise  ainsi  le 
nouvel  ouvrage  :  «  L'opéra  sera  un  opéra  bouffe  dans  la  plus  grande  ac- 
ception du  mot.  Comme  nous  l'avons  déjà  dit,  Verdi  avait  depuis  long- 
temps envie  de  rire,  et  il  s'en  est  payé  une  bosse!  (en  français).  » 

—  Verdi,  venant  de  son  domaine  de  Sant'  Agata  avec  sa  femme,  a  passé 
récemment  quelques  jours  à  Milan,  d'où  il  est  reparti  pour  Gênes,  qu'il 
habitera  tout  l'hiver,  selon  son  habitude. 

—  Le  baryton  Sparapani  a  fait  représenter,  il  y  a  deux  ans,  un  opéra 
de  sa  composition.  Aujourd'hui  c'est  une  prima  donna,  la  signora  Adèle 
Marra,  qui  vient  à  son  tour  d'écrire  un  opéra.  Celui-ci  a  pour  titre  Sara, 
et  son...  autrice,  en  ce  moment  attachée  au  théâtre  Reynach,  de  Parme, 
en  a  chanté  dernièrement,  avec  succès,  une  romance  dans  sa  représenta- 
tion à  bénéfice, 

—  Le  Trovatore  se  plaint  de  ce  fait  que,  pendant  la  prochaine  saison  de 
carnaval,  la  plus  brillante  en  Italie  au  point  de  vue  musical,  quarante- 
neuf  théâtres,  habitués  au  genre  lyrique,  resteront  sans  spectacle  d'opéra. 

—  A  la  dernière  représentation  de  la  Cavalleria  ruslicana  qui  a  été 
donnée  à  Livourne,  on  a  exécuté  deux  compositions  orchestrales  nou- 
velles :  une  Danza  esotica  de  M.  Pietro  Mascagni,  que  le  public  a  voulu 
entendre  deux  fois,  et  une  symphonie,  Etruria,  de  M.  Carlini,  composi- 
teur livournais  comme  son  confrère. 

—  Du  Daily  News:  Aux  bruits  persistants  qui  ont  couru  sur  la  retraite 
prochaine  de  M.  Rubinstein  en  tant  que  virtuose,  nous  avons  souvent 
opposé  les  propres  dénégations  du  maître.  Mais  aujourd'hui  M.  Rubins- 
tein semble  avoir  définitivement  tranché  la  question  dans  un  sens  con- 
traire. Au  commencement  de  la  semaine,  M.  Vert  a  offert  au  grand  pianiste 
une  somme  supérieure  de  beaucoup  à  tout  ce  qu'on  avait  payé  jusqu'à 
présent,  en  Angleterre,  à  un  instrumentiste,  s'il  voulait  consentir  à  entre- 
prendre une  tournée  de  concerts  l'été  prochain,  dans  le  Royaume-Uni. 
Hier,  la  réponse  laconique  mais  catégorique  que  voici  fut  reçue  de  Saint- 
Pétersbourg  par  dépêche:  i  A  Vert,  Cork  street,  Londres.  Je  nejoue  plus 
en  public.  Pas  pour  aucune  somme  d'argent.  Rubinstein  ».  —  M.  Rubinstein 
a  déjà  annoncé  son  intention  de  résigner,  l'an  prochain,  ses  fonctions  de 
directeur  du  Conservatoire  impérial  de  musique.  Il  compte  se  fixer  dans 
la  villa  qu'il  s'est  fait  construire  à  Peterhof,  au  bord  du  golfe  de  Finlande, 
où  il  s'occupera  exclusivement  de  ce  qu'il  appelle  plaisamment  «  gâcher 
du  papier  à  musique  ».  M.  Rubinstein  a  trouvé  un  moyen  très  efficace 
pour  ne  pas  être  dérangé  pendant  qu'il  est  aux  prises  avec  l'inspiration. 
Une  aile  de  sa  villa  est  occupée  par  une  tourelle.  Tout  en  haut  de  cette 
tourelle  se  trouve  le  cabinet  de  travail  de  Rubinstein,  et  lorsque  le  maître 
est  là,  l'escalier  tournant  qui  y  conduit  est  défendu  à  tous,  même  aux 
membres  de  sa  famille. 

—  Un  de  nos  confrères  reçoit  de  Saint-Pétersbourg  cette  dépèche  semi- 
éni^matique  :  «  On  commente  vivement  dans  les  cercles  musicaux  péters- 
bourgeois  le  bruit  qui  circule  du  divorce  éventuel  d'un  très  célèbre  pia- 
niste russe,  qui  songerait,  dit-on,  à  épouser  en  secondes  noces  une  brillante 
jeune  pianiste,  son  élève,  et  qui  abandonnerait  la  direction  de  la  haute 
institution  d'enseignement  musical  à  la  tète  de  laquelle  il  se  trouve  actuel- 
lement. »  Nous  croyons  savoir,  ajoute  notre  confrère,  qu'il  s'agit  de 
M.  Antoine  Rubinstein,  directeur  du  Conservatoire  de  Saint-Pétersbourg. 

—  La  vente  du  théâtre  Covent  Garden  de  Londres,  annoncée  à  diverses 
reprises,  paraît  décidément  ne  pas  devoir  s'effectuer.  On  assure  que  la 
valeur  de  ce  théâtre,  y  compris  son  matériel,  c'est-à-dire  les  décors,  les 
accessoires,  le  mobilier,  les  costumes  et  la  bibliothèque  musicale,  est 
estimée  au  chiffre  de  3,200,000  francs,  ce  qui  ne  présente  assurément 
rien  d'excessif. 

—  La  tournée  de  Mmo  Patti  dans  les  provinces  anglaises  vient  à  peine 
de  prendre  fin  que  déjà  un  nouvel  engagement  est  conclu  entre  elle  et 
son  imprésario  pour  une  nouvelle  tournée  d'automne  l'an  prochain.  —  La 
diva  n'a  pas  accepté  les  offres  qui  lui  ont  été  proposées  par  M.  Ch.  Ma- 
pleson  pour  une  série  de  concerts  en  Amérique  en  1891,  désirant  se 
ménager  en  vue  de  son  engagement  à  l'Exposition  universelle  de  Chicago, 
en  1892. 


390 


LE  MÉNESTREL 


—  Chaque  jour  nous  apporte  la  nouvelle  des  découvertes  les  plus  im- 
prévues, nous  n'osons  dire  les  plus  authentiques.  Voici  qu'on  vient  de 
retrouver  à  Edimbourg,  parait-il,  un  violon  qui  a  appartenu  au  czar 
Pierre  le  Grand,  à  l'époque  où  il  travaillait  sur  les  chantiers  de  la  Clyde. 
Ne  désespérons  pas  de  voir  reparaître  un  de  ces  jours  l'Erard  qui  servait 
aux  distractions  de  Clodion  le  Chevelu. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  —  Breslau  :  Le  ténor  Nachbaur, 
qui  avait  quitté  dernièrement  l'Opéra  de  Munich  avec  l'intention  de  se 
retirer  du  théâtre,  ne  s'est  pas  souvenu  longtemps  de  sa  résolution.  Il  a 
paru  ces  jours  derniers  sur  la  scène  du  Théâtre  Municipal  et  y  a  échoué 
lamentablement  dans  Faust.  —  Dresde  :  L'Opéra  royal  vient  de  terminer,  avec 
la  reprise  A'Armide,  la  tâche  qu'il  s'était  proposée,  de  remonter  à  neuf  les 
principaux  ouvrages  de  Gluck  et  qui  avait  été  commencée  en  1887,  à 
l'occasion  du  centenaire  de  la  mort  de  ce  maître.  —  Leipzig  :  La  dernière 
représentation  de  Fidelio  a  servi  de  début  à  deux  cantatrices  :  M11»  Mohor, 
qu'un  état  maladif  a  empêchée  de  donner  toute  sa  mesure  dans  le  rôle 
d'Eléonore,  et  Mlle  Kayser,  très  applaudie  dans  celui  de  Marcelline.  — 
Munich  :  Le  ténor  Vogl  a  renoncé  à  la  représentation  d'adieu  que  l'inten- 
dance lui  avait  offerte  à  l'occasion  de  ses  noces  d'argent  artistiques. 

—  La  Société  philharmonique  de  Berlin  a  fait  entendre  à  son  dernier 
concert  une  nouvelle  ouverture  de  Rubinstein  intitulée  Antoine  et  Cléopâlre, 
qui  se  distingue,  par  l'originalité  des  thèmes  et  la  richesse  de  l'instru- 
mentation. Le  public  a  fait  à  cette  œuvre  un  accueil  enthousiaste:  il  a 
également  couvert  de  bravos  l'air  de  ténor  de  Lakmé,  chanté  par  M.  Zur 
Mûhler,  et  le  concerto  pour  violoncelle  de  M.  Saint-Saëns,  que  M.  Hugo 
Becker  a  exécuté  dans  la  perfection. 

—  Le  nombre  déjà  très  grand  des  établissements  d'enseignement  musi- 
cal vient  de  s'augmenter  d'une  nouvelle  école  d'un  genre  tout  spécial  : 
l'Ecole  des  aspirants-chefs  d'orchestre.  Voilà  une  institution  où,  évidem- 
ment, tout  doit  marcher  à  la  baguette  ! 

—  On  lit  dans  la  correspondance  berlinoise  du  Figaro  :  «  La  première 
audition  à  Berlin  de  la  Damnation  de  Faust,  de  Berlioz,  vient  d'avoir  lieu. 
Les  Berlinois  jusqu'ici  ont  toujours  été  rebelles  à  la  musique  de  Ber- 
lioz. C'est  qu'on  aurait  tort  de  s'imaginer  en  France  que  tous  les  Allemands 
aiment  et  même  comprennent  la  musique  de  l'école  wagnéro-berliozienne. 
Wagner  a  des  adeptes  très  nombreux,  parce  qu'on  le  joue  tellement  qu'il 
faut  bien  finir  par  l'admirer.  Mais,  en  définitive,  si  on  le  joue  partout  en 
Allemagne  et  nulle  part  en  France,  son  influence  a  été  tout  à  l'inverse. 
Le  public  berlinois,  à  qui  l'on  avait  fait  entendre  jusqu'ici  du  Berlioz, 
avait  paru  plus  dérouté  qu'enthousiasmé  par  ce  compositeur  français  con- 
temporain de  Wagner  et  même  un  peu  antérieur,  qui  s'était  déjà  avisé 
de  prendre  congé  d'Auber,  Adam  et  consorts.  Mais  cette  fois  enfin,  je 
crois  que  les  Berlinois  ont  compris  cette  merveille  qui  a  nom  la  Dam- 
nation de  Faust.  C'est  la  société  wagnérienne  qui  a  monté  ce  chef-d'œuvre 
avec  le  dévouement  artistique  qu'elle  eût  consacré  à  une  œuvre  de  Wa- 
gner lui-même.  M.  Richard  Sternfeld,  qui  est  l'âme  de  cette  importante 
société,  n'a  ménagé  aucun  effort  pour  initier  le  public  aux  beautés  inap- 
préciables de  Berlioz.  M.  Klindworth,  l'éminent  chef  d'orchestre,  avait 
admirablement  mis  l'œuvre  au  point.  Le  rôle  de  Méphistophélès  était 
chanté  par  Blauwaert,  l'artiste  bien  connu  des  concerts  Lamoureux,  dont 
la  voix  n'a  jamais  été  plus  belle  et  le  style  plus  parfait.  Une  belle  soirée, 
en  somme,  pour  l'art  français.  »  Ajoutons  que  dans  le  courant  de  cette 
saison  on  exécutera  la  Damnation  de  Faust  à  Darmstadt,  à  Dusseldorf,  à 
Louvain,  à  Zurich,  et  que  l'Enfance  du  Christ  fera  sa  première  apparition 
à  Moscou.  Voilà  Berlioz  en  bon  chemin  de  tous  côtés. 

—  De  l'Éventail,  de  Bruxelles  :  «  Un  professeur  d'une  école  militaire  des 
environs  de  Berlin  a  commis  une  comédie  renouvelée  de  Minna  de  Barnhelm 
de  Lessing,  et  du  Verre  d'eau  de  Scribe,  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  fin  de 
siècle,  comme  on  voit.  Il  l'a  intitulée  le  Marquis  de  Robillard,  l'a  agré- 
mentée d'une  forte  dose  de  «  scie  patriotique  »  prussienne  et  d'une  série 
de  méchancetés  à  l'adresse  de  la  France  (l'action  se  passe  à  l'époque  de  la 
bataille  de  Rossbach,  ce  qui  fait  que  le  maréchal  de  Soubise  reçoit  son 
paquet)  et  il  l'a  présentée  au  Schauspielhaus,  qui  l'a  acceptée  et  jouée,  et 
qui  vient  de  remporter  avec  ce  chef-d'œuvre  une  veste  qui  vaut  un  ulster 
pour  la  longueur.  » 

—  Un  éclatant  succès  est  signalé  au  Théâtre-Populaire  de  Buda-Pesth, 
celui  d'un  opéra-comique  nouveau  du  fameux  compositeur  Alexis  Erkel, 
l'Étudiant  de  Hassan  (Kassai  diah),  dont  le  principal  rôle  féminin  est  tenu 
par  une  artiste  charmante,  MmoBlaha  (baronne  Splényi),  celle  qu'on  appelle 
«  le  rossignol  de  la  Hongrie  ».  L'œuvre  est  de  premier  ordre,  parait-il, 
d'une  rare  élégance  de  forme,  d'un  sentiment  mélodique  plein  d'originalité', 
et  elle  a  été  accueillie  avec  un  véritable  enthousiasme. 

—  Le  petit  opéra  déjà  célèbre  du  jeune  Pietro  Mascagni,  Cavalleria  rus- 
ticano,  va  faire  son  apparition  en  Allemagne.  On  en  annonce  la  très  pro- 
chaine représentation  au  théâtre  de  la  Cour-,  à  Dresde,  sous  le  titre  de 
Sicilianische  Iiauernehre  (l'Honneur  des  paysans  siciliens). 

—  La  Musikalisches  Wochcnblatt,  à  Leipzig,  a  publié  dans  un  de  ses  der- 
niers numéros  une  composition  vocale  de  Schumann  qui  n'est  mention- 
née dans  ancune  biographie  de  ce  compositeur,  le  manuscrit  ayant  été 
perdu.  Il  n'est  resté  de  cette  œuvre  qu'une  reproduction  publiée  deux  fois 
dans  ÏAlmanach  (allemand)  des  Muses  (éditeur  :  Schad,  à  Nuremberg),   en 


1850  et  en  1837.  Mmc  Schumann,  qui  avait  encore  le  manuscrit  entre  les 
mains  à  cette  dernière  époque  pour  les  corrections  à  faire  dans  la  seconde 
édition,  se  rappelle  vaguement  l'avoir  retourné  à  M.  Schad,  qui  est  au- 
jourd'hui décédé,  mais  elle  ne  peut  rien  affirmer.  En  tous  cas,  l'authen- 
ticité de  cette  composition  —  c'est  un  duo  intitulé  Sominerruh  (Repos  esti- 
val) —  ne  peut  être  mise  en  doute,  car  elle  est  affirmée  par  toute  une 
série  de  lettres  inédites  de  Schumann  que  la  Musikalisches  Wochenblatt  vient 
également  de  livrer  à  la  publicité. 

PARIS   ET    DEPARTEMENTS 

Sous  les  coups  de  la  mauvaise  chance,  le  Théâtre-Lyrique  a  dû 
fermer  ses  portes.  C'était  malheureusement  un  dénouement  prévu,  puisque 
son  directeur,  M.  Verdhurt,  avait  eu  le  tort  de  s'embarquer  dans  une  en- 
treprise aussi  lourde  sans  avoir,  pour  la  mener  à  bonne  fin,  les  subsides 
qu'elle  nécessitait.  On  peut  dire  qu'on  vivait  là  au  jour  le  jour,  dans  l'es- 
poir de  recettes  problématiques  qui  ne  venaient  pas  suffisantes,  sans 
rien  dans  la  caisse  pour  parer  aux  mauvais  jours.  La  décision  des  héri- 
tiers Franck,  interdisant  l'exécution  des  œuvres  de  leur  père,  a  été  le 
coup  de  grâce  donné  au  malheureux  Théâtre-Lyrique.  Nous  ne  voulons 
pas  chercher  à  qui  incombe  réellement  la  responsabilité  de  cette  dernière 
manœuvre;  mais,  ce  que  nous  savons  bien,  c'est  que  de  son  vivant  le 
bon  «  père  Franck  »,  comme  'on  l'appelait,  n'eût  jamais  voulu  s'associer 
à  une  mesure  qui  pouvait  avoir  des  conséquences  si  funestes  pour  l'art 
qu'il  chérissait.  Nous  sommes  appelés  d'ailleurs  à  en  voir  bien  d'autres. 
Nous  avons  subi  déjà  les  «  disciples  de  Wagner  »  qui,  avec  leurs  exagé- 
rations et  leur  intolérance,  ont  fait  chez  nous  tant  de  mal  à  sa  cause  ; 
nous  allons  avoir  maintenant  les  «  élèves  de  Franck  »,  qui  vont  beau- 
coup se  démener  pour  le  rendre  insupportable.  Puissent  au  moins  les 
uns  nous  débarrasser  des  autres  ! 

—  La  représentation  de  Carmen  qu'on  doit  donner  pour  le  monument 
de  Georges  Bizet,  avec  la  distribution  de  gala  que  nous  avons  annoncée 
dans  notre  dernier  numéro,  est  fixée  au  jeudi  soir,  11  décembre. 

—  Sur  une  proposition  signée  de  trente-neuf  de  ses  membres,  le  Conseil 
municipal  de  Paris  a  voté  à  l'unanimité,  dans  sa  dernière  séance,  une 
somme  de  500  francs  en  faveur  de  la  souscription  ouverte  pour  l'érection 
du  monument  à  la  mémoire  de  Georges  Bizet. 

—  M.  Ambroise  Thomas  est  parti  pour  Hyères,  où  il  compte,  non  pas 
demeurer  une  partie  de  l'hiver,  comme  on  l'a  dit  par  erreur,  mais  passer 
une  simple  quinzaine.  C'est  tout  ce  que  peuvent  lui  permettre  ses  tra- 
vaux du  Conservatoire.  M.  Jules  Barbier  lui  a  remis,  avant  son  départ,  le 
livret  du  Tasse  complètement  terminé. 

—  M.  Gounod  a  été  assez  gravement  malade  dans  ces  derniers  temps; 
il  a  d'abord  été  atteint  d'une  bronchite,  qui  a  pris  tout  d'un  coup  des  pro- 
portions inquiétantes;  aujourd'hui,  tout  danger  est  heureusement  écarté. 
Le  compositeur  passe  sa  convalescence  dans  un  château  des  environs  de 
Pont-1'Évèque;  afin  d'obtenir  un  prompt  rétablissement,  il  s'abstient  de 
tout  travail. 

—  M.  Saint-Saëns  va  recommencer  à  voyager.  Il  a  quitté  Paris  la  se- 
maine dernière,  se  dirigeant  vers  l'Espagne;  il  compte  visiter  l'île  de  Ceylan, 
où  il  passera  une  partie  de  l'hiver.  Le  compositeur  annonce  qu'il  ne  sera 
pas  absent  plus  de  quatre  mois  et  qu'il  sera  de  retour  pour  assister  à 
Londres,  au  printemps,  à  la  première  d'Ascanio.  M.  Saint-Saëns  a  l'inten-. 
tion  de  travailler  beaucoup  pendant  son  voyage;  il  va  refaire  le  troisième 
acte  de  Proserpine  et  écrire  la  musique  d'Eviradnus,  deux  actes  d'après  le 
poème  de  Victor  Hugo. 

—  Par  une  coïncidence  assez  singulière,  c'est  au  moment  même  où 
commence  dans  ce  journal  une  étude  importante  de  notre  collaborateur 
Arthur  Pougin  sur  la  famille  Saint-Aubin,  et  particulièrement  sur  la 
grande  artiste  qui  a  rendu  ce  nom  si  célèbre,  qu'un  de  nos  confrères 
publie  la  nouvelle  suivante:  «M.  dePlanard,  ancien  secrétaire  de  la  section 
des  finances  au  conseil  d'Etat,  a  légué  :  à  la  Société  des  auteurs  et  com- 
positeurs dramatiques  une  somme  de  5,000  francs;  à  la  Société  des  lettres, 
sciences  et  arts  de  l'Aveyron,  une  somme  de  5,000  francs;  et  à  l'Etat,  le 
portrait  de  sa  grand'mère  maternelle,  Mme  d'Herbez,  dite  Saint-Aubin.  Ce 
portrait,  peint  par  Henri  Mulard,  représente  l'artiste  dans  le  rôle  de 
Lisbeth,  de  l'ouvrage  du  même  nom  de  Favières  et  Grêtry  (1797).  »  M.  de 
Planard,  fils  de  l'écrivain  dramatique  de  ce  nom,  Eugène  de  Planard, 
à  qui  l'on  doit  nombre  de  comédies  et  d'opéras-comiques,  entre  autres 
le  joli  livret  du  Pré  aux  Clercs,  était  en  effet  le  petit-fils  de  Mme  Saint- 
Aubin.  Son  père  avait  épousé  l'une  des  trois  filles  de  cette  artiste,  celle 
des  trois  qui  n'aborda  jamais  la  scène.  Les  deux  autres,  qui,  comme  leur 
mère,  mais  à  un  moindre  degré,  firent  les  beaux  jours  de  l'Opéra-Comique, 
étaient  Cécile,  qui  fut  M"'0  Durel,  et  Alexandrine,  qui  fut  Mm0  Joly. 

—  On  annonce  la  prochaine  arrivée  à  Paris  de  M.  Robert  Fischhof,  un 
des  compositeurs  les  plus  distingués  de  l'Allemagne  contemporaine.  Il 
écrit  surtout  pour  le  piano,  dont  il  est  en  môme  temps  l'un  des  virtuoses 
renommés.  Nous  pouvons  annoncer  dès  à  présent  que  M.  Fischhof  pro- 
fitera de  son  passage  à  Paris  pour  se  faire  entendre  aux  concerts  de 
l'Association  artistique  de  M.  Colonne.  Il  compte  y  exécuter,  entre  autres 
morceaux,  avec  M"10  Montigny  de  Serres,  ses  belles  Variations  pour  deux 
pianos. 


LE  MENESTREL 


391 


—  Un  de  nos  confrères  publie  les  chiffres  suivants  des  subventions 
allouées  soit  par  les  gouvernements,  soit  par  les  souverains,  soit  par  les 
municipalités,  à  quelques-unes  des  grandes  scènes  lyriques  européennes  : 
Opéra  de  Paris,  800,000  francs  ;  —  Théâtre  royal  de  Berlin,  700,000  francs; 

—  Stuttgard,  623,000  francs  ;  —Théâtre  royal  de  Dresde,  400,000  francs; 

—  Théâtre  impérial  de  Vienne,  300,000  francs  ;  —  San  Carlo,  de  Naples, 
300,000  francs  ;  —  Apollo,  de  Rome,  290,000  francs  ;  —  Théâtre  royal  de 
Copenhague,  250,000  francs  :  —  Théâtres  de  Carlsruhe  et  Weimar, 
280,000  francs  ;  —  Théâtre  de  Munich,  193,000  francs;  —  Scala,  de  Milan, 
173,000  francs  ;  —  Théâtre  royal  de  Stockholm,  130,000  francs  ;  — Bellini, 
de  Palerme.  120,000  francs  ;  —  Monnaie,  de  Bruxelles,  100,000  francs  ;  — 
Théâtre  Regio,  de  Turin,  60,000  francs  ;  —  Pergola,  de  Florence,  40,000 
francs;  —  Grand  théâtre  de  Genève  (régie  de  la  ville),  100,000  francs. 

—  Le  petit-fils  de  Georges  Kastner,  M.  Frédéric  Kastner,  vient  de  faire 
un  nouveau  don  très  précieux  â  la  bibliothèque  du  Conservatoire.  Il  s'agit 
cette  fois  d'un  autographe  important,  celui  de  la  partition  de  Roméo  et  Ju- 
liette, de  Berlioz.  Cette  symphonie,  l'une  des  œuvres  les  plus  intéressantes 
du  maître,  fut  commencée  par  lui  le  24  janvier  1833.  terminée  le  8  sep- 
tembre de  la  même  année,  et  exécutée  sous  sa  direction,  dans  la  salle  du 
Conservatoire,  le  24  novembre  suivant.  Berlioz  en  offrit  le  manuscrit  à  son 
ami  Kastner  par  les  lignes  suivantes,  inscrites  à  la  première  page  : 

Roméo  et  Juliette,  symphonie  dramatique  avec  chœurs,  solos  de  chant  et  pro- 
logue en  récitatif  choral,  dédiée  à  Nicolo  Paganini  et  composée  d'après  la  tragédie 
de  Shakespeare  par  Hector  Berlioz,  paroles  de  M.  Emile  Deschamps.  Partition 
autographe  offerte  à  mon  excellent  ami  Georges  Kastner. 

Vous  me  pardonnerez,  mon  cher  Kastner,  de  vous  donner  un  manuscrit  pareil  : 
ce  sont  ses  campagnes  d'Allemagne  et  de  Russie  qui  l'ont  ainsi  couvert  de  bles- 
sures. Il  est  comme  «  ces  drapeaux  qui  reviennent  des  guerres  plus  beaux  —  dit 
Hugo  —  quand  ils  sont  déchirés.  »  H.  Berlioz. 

Paris,  17  septembre  1858. 

—  Concerts  du  Chatelet.  —  La  symphonie  inachevée  de  Schubert  ne 
comprend  que  deux  morceaux,  mais  tous  les  deux  sont  d'une  grande  sin- 
cérité d'expression  et  d'une  admirable  noblesse  d'inspiration.  —  Les  va- 
riations pour  deux  pianos,  op  46,  de  Schumann,  font  partie  de  cette 
catégorie  d'oeuvres  de  piano  dans  lesquelles  tout  caractère  passionné 
semble  banni  à  dessein,  mais  dont  la  facture,  absolument  trouvée,  donne 
à  l'audition  le  plus  vif  attrait.  M.  Diémer  a  montré,  dans  une  infinité  de 
petites  arabesques  et  dans  la  variation  où  l'accumulation  des  notes  est 
poussée  à  l'extrême,  la  limpidité  extraordinaire  de  son  jeu,  l'aisance  absolue 
et  l'égalité  parfaite  de  son  mécanisme.  M.  Ed.  Risler,  bien  que  très  jeune, 
a  soutenu  la  Intte  en  excellent  virtuose  et  a  fait  preuve  d'éminentes  qua- 
lités pianistiques.  Les  deux  artistes  ont  affronté  avec  un  entrain  superbe 
les  difficultés  du  scherzo,  op.  87,  de  M.  Saint-Saêns,  œuvre  très  mélo- 
dique, pleine  de  verve  brillante  et  d'une  contexture  superbe.  —  JLa  troi- 
sième audition  d\i  poème  symphonique  de  César  Franck,  Psyché,  a  reçu 
un  accueil  favorable,  bien  que  n'excluant  pas  une  certaine  réserve.  La 
partie  orchestrale  est  d'une  sonorité  supérieurement  équilibrée  dans  les 
teintes  douces.  Quand  cet  orchestre  veut  devenir  énergique,  les  cuivres 
dominent,  sans  être  suffisamment  étayés  ou  enveloppés  par  d'autres  sono- 
rités plus  fondues.  La  deuxième  partie  renferme,  à  notre  avis,  les  deux 
plus  jolis  thèmes  de  l'ouvrage;  ce  sont  le  n°  3,  et  le  motif  non  classé  qui 
sert  à  exprimer  la  «réponse  timide  de  Psyché». —  La  suite  d'orchestre  de 
MUc  Chaminade,  Callirhoé,  a  pour  caractéristique  une  recherche  bien  fémi- 
nine des  subtilités  d'orchestration;  elle  renferme  d'ailleurs  de  jolies 
mélodies,  d'un  tour  délicat  et  charmant.  —  Le  concert  s'est  terminé  par 
une  excellente  exécution  de  la  marche  de  Tannliiiuser.       Amédée  Boutarel. 

—  Concerts  Lamoirelx.  —  Après  une  très  belle  exécution  de  l'ouverture 
de  Freischiitz,  M.  Lamoureux  a  donné  une  seconde  audition  du  poème 
symphonique  de  Liszt,  le  Tasse.  En  dépit  de  la  préface  explicative,  il  nous 
a  été  impossible  d'y  découvrir  toutes  les  belles  choses  dont  elle  parle. 
C'est  incohérent  comme  style,  mal  fondu  comme  orchestration,  et  cette 
mélodie  à  tout  faire,  qui  devient  aussi  bien  un  chant  de  désolation  qu'une 
marche  triomphale,  sans  rien  dire  à  l'esprit  et  au  cœur,  ne  marque  qu'un 
grand  effort  pour  arriver  à  un  maigre  résultat.— Le  concerto  en  ut  mineur 
de  Beethoven,  dit  par  M""1  Roger-Miclos  avec  sa  maestria  habituelle  et 
son  style  excellent,  nous  a  reposé  un  peu  de  ces  aridités;  Beethoven  n'en 
cherchait  pas  si  long  pour  émouvoir. —  Les  fragments  de  Roméo  et  Juliette 
de  Berlioz  produisent  toujours  un  grand  effet  sur  le  public.  Quel  dommage 
que  le  motif  de  la  fête  chezCapulet  soit  si  dépourvu  de  distinction  et  de 
grâce  !  En  revanche,  la  Tristesse  de  Roméo,  la  Scène  d'amour  sont  d'une  in- 
comparable élévation;  quant  au  scherzo  de  la  Reine  Mab,  il  n'y  a  pas  de 
paroles  pour  peindre  cette  ténuité  extrême  de  style,  cette  vapeur  musicale, 
ces  bruissements  d'ailes, ces  tintements  de  clochettes,  tous  ces  bruits  de  la 
nature,  presque  imperceptibles,  reproduits  avec  une  finesse  de  touche  qui 
laisse  bien  loin  derrière  elle  le  brutal  orchestre  d'un  Wagner  dans  les 
Murmures  delà  Forêt.—  Après  le  prélude  de  Tristan  et  Yseult,  M.  Lamoureux 
a  donné  l'ouverture  de  Rienzi,  On  sait  que  les  wagnériens  purs  répudient 
cette,  œuvre  dans  laquelle(M.  Lamoureux  abiensoin  de  nous  en  prévenir; 
«  le  maitre  n'avait  pas  encore  mûri  les  idées  qn'il  devait  appliquer  plus 
tard  ».  Quoi  qu'eu  dise  l'éminent  chef  d'orchestre,  le  début  de  cette  ouver- 
ture rappelle  terriblement,  par  ses  procédés,  celui  de  l'ouverture  du 
Tannhauser.  La  coda  est  d'un  style  très  italien  (le  sujet  le  comportait), 
mais  c'est  peut-être  parce  que  le  maitre  n'avait  pas  encore  mûri  les  idées 
qu'il  devait  appliquer  plus  tard    que  cette  ouverture  de  Rienzi  nous  plait 


beaucoup  et   qu'elle  constituait,    â  notre  avis,  une  admirable  conclusion 
du  concert  de  M.  Lamoureux.  il.  Barbedette. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Chatelet,  concert  Colonne  :  symphonie  en  sol  majeur  (Haydn)  ;  adagio  du  Septuor 
(Beethoven)  ;  première  suite  pour  orchestre  (G.  Pieroé)  ;  variations  (R.  Schumann) , 
et  scherzo  (Saint-Saëns),  exécutés  par  MM.  Loui9  Diémer  et  Ed.  Risler;  Psyché, 
poème  symphonique  (César  Franck)  ;  fragments  d'Hérodiade  (Massenet). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  :  Introduction  du  troisième 
acte  de  Lohengrin  (R.  Wagner)  ;  symphonie  en  si  bémol  (Schumann);  Rêverie  (Saint- 
Saëns)  et  Si  tu  veux,  mignonne  (Massenet),  mélodies  chantées  par  M""  Landi  ;  frag- 
ments de  Roméo  et  Juliette  (H.  Berlioz);  prélude  de  Tristan  et  Jseult  (R.  Wagner); 
ouverture  du  Freischutz  (Weber). 

—  Le  petit  théâtre  des  Marionnettes  de  la  galerie  Vivienne  vient  de 
donner  un  nouveau  spectacle,  d'actualité  dans  le  mois  où  nous  sommes  : 
Noël  ou  le  Mystère  de  la  Nativité,  quatre  tableaux  en  vers  de  M.  Maurice 
Bouchor,  avec  une  partie  musicale  très  développée  de  M.  Paul  Vidal. 
Aujourd'hui  où  le  succès  est  définitivement  acquis  à  ce  genre  de  repré- 
sentations si  éminemment  curieux  et  artistique,  il  n'est  plus  nécessaire 
d'insister  sur  ce  qu'il  a  de  spécialement  original;  qu'il  nous  suffise  de  dire 
que  le  poète  a  retrouvé  une  fois  encore  cette  note  lyrique  et  savamment 
naïve  qui  lui  est  personnelle,  avec  une  inspiration  et  des  formes  toujours 
exquises  et  douces,  et  que  le  musicien,  soit  en  employant  les  vieux  airs 
de  nos  noëls  populaires  ou  même  des  chants  de  la  liturgie,  soit  en  s'ins- 
pirant  simplement  de  leur  forme  et  de  leur  accent  (comme  dans  une  ra- 
vissante berceuse  de  la  Sainte  Vierge,  qu'on  entend  pendant  tout  un  acte 
sans  jamais  s'en  lasser),  n'a  pas  été  moins  heureux.  J.  T. 

—  Les  directeurs  des  succursales  du  Conservatoire  et  des  Ecoles  natio- 
nales de  musique  ont  été  appelés  à  Paris,  comme  cela  a  lieu  tous  les  deux 
ans,  pour  exposer  leurs  vœux,  échanger  leurs  idées  et  s'entendre  au  sujet 
de  l'enseignement  et  de  la  discipline  avec  la  direction  des  beaux-arts.  La 
première  réunion  a  eu  lieu  cette  semaine,  à  l'administration  des  beaux- 
arts,  sous  la  présidence  de  M.  Larroumet,  assisté  de  MM.  Deschapelles  et 
Régnier,  chef  et  sous-chef  du  bureau  des  théâtres;  de  M.  Ernest  Reyer, 
inspecteur  général;  de  MM.  Guiraud,  Victorin  .Foncières,  Lenepveu, 
Maréchal  et  Canohy,  inspecteurs  de  l'enseignement  musical,  et  de  M.  Réty 
secrétaire  général  du  Conservatoire,  représentant  M.  Ambroise  Thomas. 
Après  une  courte  allocution,  M.  Larroumet  s'est  retiré,  cédant  la  prési- 
dence à  M.  Ernest  Reyer.  Plusieurs  questions  intéressantes  pour  l'avenir 
de  nos  écoles  de  musique  ont  été  traitées  dans  cette  scéance. 

—  Mm°  Héritte-Viardot,  la  fille  de  l'éminente  cantatrice,  aprèsavoir  été 
professeur  de  chant  pendant  plusieurs  années  aux  Conservatoires  de 
Saint-Pétersbourg  et  de  Francfort,  revient  se  fixer  à  Paris  définitivement, 
10,  rue  des  Saints-Pères,  pour  y  continuer  le  professorat.  Elle  suit  les 
grandes  traditions  de  sa  famille.  Aussi  n'avons-nons  pas  besoin  d'insister 
sur  l'excellence  de  la  méthode  de  son  enseignement. 

—  Mercredi  dernier  a  eu  lieu  en  l'église  Saint-Séverin,  sous  la  prési- 
dence de  MGr  Soulé,  l'inauguration  solennelle  du  grand  orgue,  construit 
par  MM.  E.  et  ,T.  Abbey  de  Versailles.  Cette  séance  a  donné  lieu  à  un 
fort  beau  concert  dirigé  par  M.  E.  Le  Maitre,  organiste  et  maître  de  cha- 
pelle de  l'église,  dans  lequel  on  a  entendu  MM.  Vergnet,Caron,  de  l'Opéra, 
qui  a  chanté  superbement  l'Hymne  aux  Astres  de  M.  Faure;  Rolland, 
Ponchaud,  Brun,  Loeb,  Jules  Franck  et  Garrigue.  C'est  M.  Dallier  qui  a 
fait  entendre  le  nouvel  instrument,  dont  on  s'est  plu  àreconnaitre  les 
grandes  qualités. 

—  M.  Léon  Delafosse,  le  jeune  et  brillant  virtuose  que  Paris  a  déjà 
applaudi,  vient  d'aller  donner  un  concert  à  Nancy  où  il  a  été  l'objet  de 
chaleureuses  ovations.  Les  journaux  de  la  localité  ne  tarissent  pas  d'éloges 
sur  son  merveilleux  et  sympathique  talent.  Des  vingt-deux  morceaux  qu'il 
a  exécutés,  trois  lui  ont  été  redemandés  d'acclamation  :  L'Oiseau-Mouche, 
cette  ravissante  fantaisie  de  M.  Théodore  Lack,  la  Gavotte  de  Bach  et  une 
Valse  de  Chopin.  L'auditoire  a  beaucoup  goûté  aussi  la  nouvelle  Mazurke 
Éolienne  et  la  Valse  Arabesque  de  M.  Lack,  une  Esquisse  de  M.  Théodore 
Dubois  et  des  compositions  de  MM.  Grieg,  Moszkowski  et  Benjamin 
Godard. 

—  On  nous  écrit  de  Besançon  que  l'Union  artistique  de  cette  ville  s'est 
fait  entendre  aux  obsèques  ùe  Mme  Dupuis,  femme  d'un  violoniste  bisontin 
renommé.  Pendant  la  cérémonie  M.  l'abbé  Daguet,  professeur  à  la  maîtrise, 
a  dit  le  beau  Pie  Jesu,  de  M.  Faure,  avec  un  sentiment  remarquable  qui 
a  profondément  touché  l'assistance. 

Henri  Héugel,  directeur-gérant. 

A  VENDRE  superbe  alto  de  J.  B.  Ruger,  authent.,  admirablement  con- 
servé, sonorité   superbe  2,500  fr.   S'ad.    à  M.  E.  Jacqce,  au  Mans.  (Sarthe) 

ON  DEMANDE  : 

Stephen  Heller.  La  Marseillaise,  transcription  p°.  Brandus. 

Liszt.  Feuille  morte,  élégie  p°.  Troupenas. 

Salvador  Daniel.  Mélodie  de  Tunis,  sur  le  mode  Asbein,  chl  et  p°,  chez 
Petit  aine  ou  toute  autre  pièce  du  même  auteur  publiée  chez  Petit  aine. 

N°s32et36de/a  Bibliographie musicalede laFrance pub.  parle  syndicatducom. 
de  musique.—  S'ad.  n  M.  Chatot,  êdit.  de  musique,  19,  rue  des  P.-Champs,  Paris. 


392 


LE  MÉNESTREL 


Cinquante-septième    année     de    publication 


PRIMES  1891  du  MÉNESTREL 

JOURNAL    DE   MUSIQUE    FONDÉ   LE    1er   DÉCEMBRE   1833 

Paraissant  tous  les  dimanches  en  huit  pages  de  texte,  donnant  les  comptes  rendus  et  nouvelles  des  Théâtres  et  Concerts,  des  Notices  biographiques  et  Etudes  sur 

les  grands  compositeurs  et  leurs  œuvres,  des  séries  d'articles  spéciaux  sur  l'enseignement  du  Chant  et  du  Piano  par  nos  premiers  professeurs, 

des  correspondances  étrangères,  des  chroniques  et  articles  de  fantaisie,  etc., 

publiant  en  dehors  du  texte,  chaque  dimanche,  un  morceau  de  choix  (inédit)  pour  le  CHANT  ou  pour  le  PIANO,  de  moyenne  difficulté,  et  offrant 

à  ses  abonnés,  chaque  année,  de  beaux  recueils-primes  CHANT  et  PIANO. 


PIANO 

Tout    abonné    à    la    musique    de    Piano    a    droit  gratuitement    à    l'un    des    volumes    in-8°    suivants  : 


A.  THOMAS 
LA   TEMPÊTE 

BALLET  EN  3  ACTES 
Partition  piano  solo. 


PH,  SCHARWENKA 
ALBUM  POLONAIS 

ET  PIÈCES  DIVERSES  (H  »"•) 
Recueil    grand    format 


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LES  PETITS  DANSEURS 

CÉLÈBRES  DANSES  arrangées  facilement  (2o  nos) 
Volume  cartonné,  couverture  en  couleurs 


STRAUSS  DE  PARIS 
CÉLÈBRE    RÉPERTOIRE 

VALSES  -  rOlKAS  -  QUADRILLES  -  MAZURKAS 
premier  volume  (2o  nOJ) 


u  à  l'un  des  volumes  in-8»  des  CLASSIQUES-MARMONTEL :  MOZART,  HAYDN,  BEETHOVEN,  HTJMMEL,  CL.EMENTI,  CHOPIN,  ou  à  l'un  des 
recueils  du  PIANISTE-LECTEUR,  reproduction  des  manuscrits  autographes  des  principaux  pianistes-compositeurs,  ou  à  l'un  des  volumes  précédents  du  répertoire 
de  STRAUSS,  GUNG'L,  FAHRBACH,  STKOBL  et  KAULICH,  de  Vienne. 


CHANT 


Tout    abonné    à    la    musique    de    Chant    a    droit    à   l'une    des    primes    suivantes  : 


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Un    recueil   in-8°    (20    n«) 


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CHANSONS  DU  CHAT  NOIR 

VOLUME  ILLUSTRÉ 

par    H.    GERBATJLT 


GRANDES     F»FMMES 

N1S  A  I/J 


TRADUCTION  FRANÇAISE 

DE 

G.      ANTHBUNIS 


Partition   chant   et    piano. 


IO 

Opéra  en  3  actes  de 

BEETHOVEN 

Seule  édition  conforme  auac  prochaines  représentai  ions  de  l'Opéra  de  Paris. 


RECITATIFS  &  REDUCTION  PIANO 

DE 

F.    A.    GEVAERT 

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AMBROISE     THOMAS 


LE  SONGE  D'UNE  NUIT  D'ÉTÉ 

Grand.    Opéra    en    trois    actes 

Édition   avec   double  texte  français   et  italien 
NOUVEAUX   RÉCITATIFS 


AMBROISE     THOMAS 


ÏÏAMLET  -  AMLETO 

Grand    Opéra    en    cinq    actes 

Nouvelle  édition  avec  double  texte  français  et  italien 
VERSION  POUR  TÉNOR 


NOTA  IMPORTANT.  —  Ces  primes  saut  délivrées  ffraluttemeiit  dans  nos  bureaux,  2  bis,  rue  Vivieune,  à  partir  du  1er  Janvier  1891»  à  tout  ancien 
ou  nouvel  abonné,  sur  la  présentation  de  la  quittance  d'uboiiiieiuciit  au  ÏIIvY  I^TKCI.,  pour  Tannée  1891.  Joindre  au  prix  d'abonnement  un 
supplément  d*Ur¥  ou  de  DEUX  francs  pour  l'envoi  franco  de  la  prime  simple  eu  double  dans  les  départements.  (Pour  l'Etranger,  l'envoi  franco 
des  primes  se  règle  selon  les  frais  de  Poste.) 

Le8abonûésau(lhaDlpeuYeûlpreinlrelaprimePianoeUice  versa. — Ceux  au  Piano  et  au  Chant  réuais  ont  seuls  droit  à  la  graode  Prime.  —  Les  abonnés  au  texte  seul  n'ont  droit  à  aucune  prime. 

CHANT  CONDITIONS  D'ABONNEMENT  AU  «  MÉNESTREL  »  PIANO 


1"  Mode  d'abonnement  :  Journal-Texte,  tous  les  dimanches  ;  26  morceaux  de  chant  : 
Scènes,  Mélodies,  Romances,  paraissant  de  quinzaine  en  quinzaine;  1  Recueil- 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs  ;  Étranger,  Frais  de  poste  en  sus. 


2°  Mode  d'abonnement  :  Journal-Texta,  tous  les  dimanches  ;  26  morceaux  de  piano  : 
Fantaisies,  Transcriptions,  Danses,  de  quinzaine  en  quinzaine;  1  Recueil- 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an:  20  francs;  Étranger  ;  Frais  de  poste  en  sus. 


CHANT  ET  PIANO  RÉUNIS 

3'  Mode  d'abonnement  contenant  le  Texte  complet,  52  morceaux  de  chant  et  de  piano,  les  2  Recueils- Primes  on  une  Grande  Prime.  —  Un  an  :  30  francs,  Paris 

et  Province;  Étranger:  Poste  en  sus.  —  On  souscrit  le  1""  de  chaque  mois.  —  Les  52  numéros  de  chaque  année  forment  collection. 
4°  Mode.  Texte  seul,  sans  droit  aux  primes,  un  an  :  10  francs. 

Adresser  franco  un  bon  sur  la  poste  a  M.  Henri  HEUGEL,    directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne. 


lHPIUMEiHE  I 


ux.  —  Ki  E  i 


e,  20, 


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S6rae  nom  —  \°  50. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 


Dimanche  H  DftembrÉ  18110. 


(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.", 

MÉNESTREL 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 


Adresser  franco  à  M.  Henïii  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonneirirnt  complet  d'un  an.   Texte.  Musique  de  Chant  et  de  Piano.  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Etranger,   les  Irais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


1.  Notes  d'un  librettiste:  Victor  Massé  (31e  article),  Louis  Gàllet.  —  II.  Bulletin 
théâtral:  La  représentation  de  gala  de  Carmen,  H.  M.;  reprise  de  (a  Fiam- 
mina,  au  Gymnase,  Paul-Émile  Chevalier.  —  III.  Étranges  théories  d'un  éditeur 
russe  sur  la  propriété  artistique,  Henri  Heugel.  —  IV.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LES  SABOTS  ET  LES  TOUPIES 

n°  6  de  la  Chanson  des  Joujoux,  poésies  de  Jules  Jouy,  musique  de  Claudius 
Blanc  et  Léopold  Dauphin.  —  Suivra  immédiatement  :  Les  Petits  Chasseurs, 
n°  25  de  la  même  collection. 

PIANO 
Nous   publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  putio  :  Noël  breton,  de  Henry  Ghys.  —  Suivra  immédiatement  :  Clair  de 
Lune,  de  Théodore  Dubois. 

NOS     PRIMES 

POUR       L'ANNÉE       13  91 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


Nos  abonnés  trouveront  à  la  8e  page  de  ce  numéro  la  liste  de  nos  PRIMES 
pour  l'année  1891,  57e  année  de  publication  du  MÉNESTREL,  et  nous  espérons 
qu'elle  sera  de  nature  à  les  satisfaire;  car  nous  avons  mis  tous  nos  soins  à  la 
rendre  aussi  intéressante  et  aussi  variée  que  possible. 

Dans  les  primes  spéciales  réservées  à  nos  abonnés  au  texte  et  à  la  musique  de 
piano,  on  trouvera  d'abord  la  Tempête,  le  charmant  ballet  d'Ambroise  Thomas, 
dont  la  reprise  est  prochaine  à  l'Opéra,  puis  de  ravissantes  compositions  pour 
piano  (Album  Polonais  et  Pièces  diverses)  de  Ph.  Scharwenka,  dont  la  vogue  est 
si  grande  en  ce  moment  en  Allemagne  et  qui  est  encore  peu  connu  en  France. 
C'est  un  artiste  essentiellement  original,  dont  nos  lecteurs  se  trouveront  bien  de 
faire  la  connaissance.  Vient  ensuite,  pour,  les  petites  mains,  un  ravissant  album 
de  danses  faciles  intitulées  :  les  Petits  danseurs,  dont  la  couverture  en  couleurs 
de  Firmin  Bouisset  est  un  véritable  petit  chef-d'œuvre.  Si  on  l'ouvre,  on  y  trou- 
vera du  Johann  Strauss,  du  Fahrbach,  du  Gung'l,  de  l'Offenbach,  de  l'Hervé, 
réduit  très  facilement  à  l'usage  des  commençants  par  les  maîtres  du  genre  en- 
fantin, les  Streabbog,  les  Trojelli,  les  Faugier,  etc.  Pour  les-grandes  personnes, 
nous  donnons  les  danses  du  Strauss  de  Paris,  l'ancien  chef  d'orchestre  des  Bals 
de  l'Opéra,  dont  la  verve,  on  pourra  le  voir,  ne  le  cédait  en  rien  à  celle  du  grand 
Strauss  de  Vienne. 

Dans  les  primes  de  chant:  le  quatrième  et  nouveau  volume  des  Mélodies  de 
Faure,  qui  reste  justement  un  de  nos  auteurs  les  plus  recherchés  de  tous  ceux 
qui  s'adonnent  à  l'art  du  chant;  puis  les  Mélodies  populaires  des  provinces  de 
France,  recueillies  et  harmonisées  par  Julien  Tiersot,  charmant  petit  volume  où 
l'on  trouve  toute  la  poésie  naïve  et  toute  la  gaité  malicieuse  de  nos  campagnes; 
le  Fétiche,  de  Victor  Roger,  l'une  des  plus  pimpantes  partitions  que  l'opérette  ait 
données  en  ces  derniers  temps;  enfin  les  étonnantes  Clmnsons  du  Chat  noir,  où 
l'originalité  de  Mac  Nab  se  révèle  si  exubérante,  rehaussée  encore  par  les  spiri- 
tuels dessins  de  H.  Gerbault  —  véritable  recueil  d'amateur  un  peu  monté  en  cou- 
leur; point  pour  les  demoiselles. 

Dans  nos  GRANDES  PRIMES,  destinées  à  ceux  de  nos  abonnés  qui  sous- 
crivent à  la  fois  à  la  musique  de  piano  et  à  la  musique  de  chant  :  d'abord  la  superbe 
édition  du  Fidelio  de  Beethoven,  avec  les  remarquables  récitatifs  et  la  réduc- 
tion au  piano  de  F. -A.  Gevaerl,  la  seule  version  conforme  aux  représenta- 
tions qu'on  va  donner  prochainement  à  l'Opéra  de  Paris.  A  coté  du  chef- 
d'œuvre  de  Beethoven,  deux  autres  partitions  très  intéressantes  d'Ambroise 
Thomas,  celle  du  Sonr/e  d'une  Nuit  d'été  avec  tous  les  nouveaux  récitatifs  qu'il 
vient  de  composer  en  vue  des  scènes  italiennes,  et  celle  à'Bamlet,  version  origi- 
nale pour  ténor.  C'est  ainsi  que  le  maître  avait  d'abord  conçu  cette  dernière 
Oeuvre,  et  il  esl  curieux  de  rapprocher  les  deux  textes,  celui  du  baryton  et  celui 
du  ténor;  on  trouve  là  des  variantes  importantes. 


VICTOtt  MASSE 


Quand,  après  ce  concours  du  ministère  des  beaux-arts,  je 
retrouvai  l'excellent  homme,  l'aimable  et  bienveillant  patron 
de  mes  premiers  essais,  il  se  montra  tout  ravi  de  cette  aven- 
ture beureuse  qui  nous  ouvrait,  à  mon  collaborateur  Edouard 
Blau  et  à  moi,  les  portes  du  théâtre. 

Il  me-  gronda  un  peu  d'avoir  été  si  discret  : 

—  Pourquoi  ne  m'avez-vous  pas  dit  que  vous  concouriez? 

—  Parce  que  la  règle  du  concours  m'interdisait  de  vous 
le  dire,  et  aussi  parce  que  je  savais  que  vous  vous  intéres- 
siez à  l'un  des  concurrents. 

—  Enfin,  c'est  très  bien.  Maintenant,  prenez  garde.  Ne 
vous  laissez  pas  trop  prendre  par  la  musique. 

Cette  préoccupation,  je  ne  dirai  pas  cette  prévention  au 
sujet  de  la  musique,  je  l'ai  retrouvée  toujours  en  éveil  chez 
lui  dans  les  années  qui  suivirent. 

Dans  nos  rencontres  trop  rares,  notamment  aux  réunions 
annuelles  de  la  Société  des  auteurs,  comme  il  me  suivait 
dans  cette  carrière  que  ses  encouragements  avaient  contribué 
à  m'ouvrir,  il  ne  manquait  pas  d'ajouter  à  la  poignée  de 
main  amicale  son  «  prenez  garde  »  de  la  première  heure. 

—  Prenez  garde  !  La  musique  vous  envahit. 

Ce  n'était  pas  toutefois  qu'il  détestât  la  musique,  comme 
on  le  pourrait  croire;  mais  l'art  dramatique  pur  l'emportait 
chez  lui  hautement  sur  toutes  les  autres  formes.  Il  avait 
pourtant  donné  à  cette  forme  secondaire,  sinon  par  vocation, 
du  moins  par  amitié  pour  un  compositeur  plus  tard  illustre, 
d'effectives  marques  de  son  intérêt.  Il  avait  écrit  pour  Char- 
les Gounod  le  livret  de  Sapho. 


Je  les  ai  revus  tous  deux,  le  poète  et  le  musicien,  sur  la 
scène  de  l'Opéra,  à  la  dernière  et  encore  récente  reprise  de 
ce  premier  ouvrage  de  l'auteur  de  Faust,  tout  heureux  de  se 
retrouver  après  une  carrière  si  laborieuse  et  si  brillante  de 
part  et  d'autre,  de  sentir  revivre  autour  d'eux  ainsi  leur 
florissante  jeunesse. 

Ce  soir-là,  comme  j'exprimais  à  Emile  Augier  mon  plaisir 
de  le  rencontrer  une  fois  sur  le  terrain  de  la  musique  dra- 
matique, il  me  dit  avec  son  bon  et  fin  sourire  : 

—  Soyez  tranquille;  j'y  suis,  mais  je  n'y  serai  pas  im- 
portun ! 

* 
*  * 

Oa  m'avait  dit  qu'il  ne  fallait  pas  aller  voir  Théophile 
Gautier;  il  n'avait  point  pris  part  aux  travaux  du  jury,  les 


394 


LE  MENESTREL 


choses  de  la  musique  lui  étant  indifférentes,  suivant  une 
très  courante  légende,  que  me  semblait  pourtant  démentir 
son  œuvre  même,  car  je  ne  pouvais  oublier  que  son  nom 
avait  figuré  sur  les  affiches  de  l'Opéra,  sous  le  titre  de  l'un 
des  plus  délicieux  ballets  du  répertoire. 

J'avais  le  plus  grand  désir  de  lui  parler,  de  le  connaître; 
je  le  rencontrais  souvent  dans  la  rue  ou  au  théâtre;  je  le 
regardais  avec  la  respectueuse  admiration  d'un  humble  néo- 
phyte devant  «  le  maître  impeccable  ». 

Dans  une  unique  circonstance,  je  devais  l'approcher  et 
pour  un  instant  trouver  l'occasion  de  lui  adresser  la  parole. 

Je  me  trouvais  dans  le  cabinet  du  secrétaire  de  l'Opéra, 
lorsqu'il  entra,  s'assit,  causa  durant  quelques  minutes, 
puis  s'éloigna  de  son  allure  olympienne. 

Et  tout  à  coup,  immédiatement  après  sa  sortie,  je  m'aperçus 
qu'il  s'en  allait  coiffé  de  mon  chapeau,  machinalement  pris 
sur  la  table  au  lieu  du  sien. 

Je  m'empressai  de  courir  après  lui;  déjà  il  allait  franchir 
le  seuil  de  la  porte  de  la  cour  sur  la  rue  Drouot,  lorsque, 
le  temps  pris  toutefois  de  constater  que  mon  chapeau  lui 
allait  fort  bien,  je  l'abordai,  son  propre  couvre-chef  à  la 
main. 

—  Pardon,  monsieur,  je  crois  que  j'ai  gardé  votre  cha- 
peau. 

«  Gardé  »  était  un  euphémisme  destiné  à  apprivoiser  le 
lion. 

Il  constata  l'échange,  reprit  son  bien,  me  rendit  le  mien 
et  s'éloigna  sans  mot  dire  dans  sa  souveraine  majesté. 

Là  devaient  se  borner  à  tout  jamais  mes  relations  avec  le 
merveilleux  ciseleur  de  phrases.  Ce  jour-là,  du  moins,  j'eus 
l'orgueil  de  me  dire  que  j'avais  quelque  chose  de  commun 
avec  un  glorieux  poète  :  le  même  numéro  chez  le  chape- 
lier. 

*  * 

Dans  une  cour  de  la  rue  de  Larochefoucauld,  au  rez-de- 
chaussée  d'une  maison  aujourd'hui  disparue,  logeait  le  sym- 
phoniste du  Désert,  l'ami  des  roses,  Félicien  David.  Il  me  reçut 
dans  un  salon  à  demi  obscur  et  me  fit  asseoir  à  ses  côtés, 
répondant  par  monosyllabes  à  mes  remerciements. 

Il  avait  l'air  de  n'être  point  présent;  ses  grands  yeux,  lar- 
gement ouverts,  extatiques,  fixaient  quelque  vision  de  rêve, 
ses  lèvres  disaient  :  oui,  avec  des  intonations  différentes  à 
chacune  de  mes  paroles.  —  J'ai  su  depuis  qu'il  avait  fait  de 
cette  affirmation  une  réplique  prenant,  en  son  unité,  toutes 
les  valeurs  les  plus  diverses. 

«  La  parole  est  d'argent  et  le  silence  est  d'or  »,  dit  un 
proverbe  de  cet  Orient  qu'il  avait  tant  aimé  et  d'où  lui  est 
venu  son  plus  pur  rayon  de  gloire.  Son  «  oui  »  constituait 
un  moyen  terme  très  éloquent  entre  la  parole  et  le  silence. 

Un  jour  qu'on  répétait  une  pièce  de  lui  à  l'Opéra-Comique 
et  que  tout  n'allait  pas  très  bien,  quelqu'un  se  risqua  à  lui 
dire  : 

—  Ne  trouvoz-vous  pas  cet  air  un  peu  long? 

—  Euh  !  oui. 

—  Et  puis,  il  est  chanté  peut-être  trop  lentement. 

—  Ouais  ! 

—  L'artiste  ne  vous  a  pas  bien  compris! 

—  Oh!  oui!... 

—  Enfin,  il  faudrait  le  retoucher. 

—  Ouà!... 

—  Ou,  mieux  encore  peut-être,  le  couper! 

—  Oué!...   Ouél!! 

Et  alors,  prenant  sa  partition  sur  le  pupitre,  le  musicien 
s'en  allait  avec  un  regard  et  un  geste  rageurs,  qui  en  disaient 
long  sur  le  sens  de  ce  dernier  «  oué  ».  Et  comme  on  lui 
criait  : 

—  A  demain,  n'est-ce  pas?  Vous  reviendrez? 

—  Ouin! 


Et  il  s'enfuyait  pour  ne  plus  reparaître,  ayant  dit  en  un 
mot  tout  ce  qu'il  voulait  dire. 

Mais  cela  n'est  rien  froidement  écrit.  Il  y  faudrait  le  ton  et 
la  physionomie  d'Eugène  Gautier,  le  premier  narrateur  de 
cette  petite  scène. 

Ces  variations  sur  un  monosyllabe,  cette  impassibilité  ap- 
parente de  fakir  cadraient  pourtant  mal  avec  le  vrai  fond 
de  l'homme.  On  le  sentait  délicat  et  tendre. 

Et  on  ne  saurait  se  rappeler  sans  émotion  cet  enfant  de 
Provence,  ce  doux  poète  du  soleil,  cet  amoureux  de  solitude 
et  de  rêverie,  s'en  allant,  dans  les  derniers  mois  de  sa  vie, 
à  travers  la  forêt  de  Saint-Germain  et,  au  hasard  de  sa  prome- 
nade, greffant  çà  et  là  les  églantiers,  afin  qu'à  la  saison  sui- 
vante, dans  les  taillis  sauvages,  pussent  s'épanouir  en  pleine 
liberté  quelques-unes  de  ces  belles  roses  qu'il  adorait. 
(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


BULLETIN    THEATRAL 


Nous  n'avons  pu  assister  à  la  représentation  de  gala  de  Ja  Carmen 
de  Georges  Bizel,  donnée  au  profit  de  son  «  monument  ».  Il  paraît 
que  cette  représentation  a  été  merveilleuse,  ce  qui  ne  nous  étonne 
pas,  puisque  l'œuvre  était  interprétée  par  des  artistes  tel=  que 
Mmes  Galli-Marié  et  Melba,  MM.  Jean  de  Reszké  et  Lassalle.  Nous 
extrayons  du  Figaro  le  petit  compte  rendu  succinct  qui  donne  bien 
la  physionomie  de  cette  rare  soirée.  Après  avoir  donné  la  composi- 
tion de  la  salle,  où  se  trouvait  réuni  tout  le  high-life  parisien,  le 
«  monsieur  de  l'orchestre  »  parle  ainsi  du  côté  artistique  de  la  repré- 
sentation : 

Galli-Marié,  c'est  encore  la  Carmen  des  anciens  jours,  aux  yeux  de 
flamme,  aux  lèvres  de  pourpre,  aux  attitudes  provocantes.  Elle  s'était  si 
bien  incarnée  dans  le  personnage  que,  après  sept  ans,  il  n'a  rien  perdu 
de  son  relief.  Je  parle  au  point  de  vue  de  la  plastique.  Car  il  a  fallu 
beaucoup  de  courage  à  la  vaillante  artiste  pour  soutenir  le  rôle  d'un  bout 
à  l'autre,  en  dépit  du  rhume  dont  elle  souffrait  visiblement.  Les  palmes 
académiques  que  M.  Larroumet  est  venu  lui  porter,  dans  un  entr'acte, 
au  nom  du  ministre  des  beaux-arts,  équivalent  pour  elle  à  la  décoration 
reçue  sur  le  champ  de  bataille. 

Jean  de  Reszké  est  un  incomparable  don  José.  II  a  marqué  ce  rôle  tra- 
gique à  son  effigie  comme  il  l'avait  fait  pour  tous  les  autres  rôles  du 
répertoire.  On  ne  sait  ce  qu'il  faut  le  plus  admirer  en  lui  du  comédien 
ou  du  chanteur.  Il  a  dit  la  cantilène  :  Lu  fleur  que  tu  m'avais  donnée,  avec 
un  charme  qu'aucune  expression  ne  peut  rendre.  On  l'a  bissée  frénéti- 
quement. 

Le  superbe  toréador  que  Lassalle,  et  comme  sa  belle  voix  sonne  super- 
bement dans  l'air  de  bravoure  :  Toréador,  en  garde!  et  délicieusement  dans 
le  madrigal  :  Si  tu  m'aimes,  Carmen... 

On  ne  peut  rêver  une  Micaela  plus  exquise  que  M"c  Melba.  Mais  comme 
elle  doit  grelotter  à  courir  les  montagnes  avec  les  épaules  nues  et  en 
jupe  courte!  Elle  a  dû  bisser  également  l'air  délicieux  :  On  dit  que  rien 
ne  m'épouvante... 

Auprès  de  ce  brillant  quatuor,  les  artistes  de  l'Opéra-Comique, 
MM.  Lorrain,  Grivot  et  Barnolt  et  Mmes  Chevalier  et  Auguez  ont  fait  très 
belle  figure. 

Grand  succès  pour  le  ballet  dansé  par  une  gentille  escouade  de  pre- 
miers sujets  de  l'Opéra,  Mllc  Mauri  en  tète.  Il  est  charmant,  ce  ballet,  et 
d'une  adorable  couleur  espagnole,  bien  qu'il  soit  fait  avec  des  motifs  de 
l'Artésienne  et  de  la  Jolie  Fille  de  Perth.  Dirai-je  que  Mauri  la  charmeuse 
est  allée  aux  étoiles?  Ce  serait  répéter  ce  que  tout  le  monde  disait  après 
ce  finale  vertigineux,  qu'elle  a  du  bisser,  et  où  elle  évolue  avec  la  légè- 
reté d'un  sylphe  et  la  grâce  d'un  papillon. 

Et  j'ai  quitté  le  théâtre  au  milieu  de  l'enthousiasme  provoqué  par  la 
tragique  scène  finale,  où  Galli-Marié  et  Jean  de  Reszké  nous  ont  donné  le 
frisson. 

La  recette  s'est  élevée  à  4o,000  francs,  ce  qui,  joint  aux  produits 
de  la  souscription,  permettra  d'élever  à  Georges  Bizel  un  mouument 
tout  en  or. 

H.  M. 

Gymnase.  —  La  Fiammina,  pièce  en  qualre  actes  de  M.  Mario 
Uchard. 

C'est  simplement  en  attendant  la  pièce  nouvelle  de  M.  Daudet 
que  M.  Koning  vient  de  reprendre  cette  Fiammina  qui,  il  y  a  plus 
de  trente  ans,  lit  couler  tant  de  larmes,  lors  de  son  apparition  à  la 
Comédie-Française.  Le  succès  fut,  alors,  considérable,  et  M.  Mario 


LE  MÉNESTREL 


395 


TJchard  put,  un  moment,  se  croire  uu  auteur  dramatique  de  haute 
volée.  J'ai  bien  peur  que  celte  dernière  reprise  n'assombrisse  quel- 
que peu  les  rêves  dorés  de  l'excellent  auleur  et  que  l'accueil,  sinon 
froid,  du  moins  assez  réservé,  fait  à  son  œuvre  par  le  public  du 
Gymnase  ne  lui  donne  douloureusement  à  réfléchir  sur  les  vicissi- 
tudes do  la  gloire  théâtrale.  Et  pourtant,  la  pièce  est  loin  d'être  quel- 
conque ;  le  drame  intime  qui  s'y  déroule  est  attachant  et  d'une 
sincérité  qu'on  ne  saurait  mettre  en  doute,  la  fatalité  ayant  voulu 
que  M.  Mario  Uchard  souffrit  lui-même  de  douleurs  pareilles.  Mais 
le  temps  inexorable  a  passé  par  là  ;  et  s'il  n'a  pas  laissé  quelque 
terrible  empreinte  de  son  passage  sur  l'histoire  elle-même,  il  a,  du 
moins,  fortement  entaché  de  vétusté  la  mise  en  œuvre  de  la  comé- 
die, les  moyens  dramatiques  employés  par  l'écrivain  et  jusqu'à  des 
sentiments  qui  pouvaient  paraître  humains  alors,  et  que  notre  positi- 
visme et  notre  scepticisme  nous  forcent  aujourd'hui  à  trouver  «  vieux 
jeu  ».  Je  ne  sais  trop  où  l'on  pourrait  rencontrer,  de  nos  jours,  un 
chevaleresque  Henry  Lambert  qui  s'y  prendrait  aussi  gauchement 
pour  sauvegarder  l'honneur  de  son  père,  —  qu'il  n'aurait  d'ailleurs 
pas  à  défendre,  la  loi  Naquet  se  trouvant  là  pour  simplifier  toutes 
choses.  Je  ne  vois  pas  bien  non  plus  la  Fiammina  de  1890,  aban- 
donnant mari  et  fils,  menant  joyeuse  vie  au  milieu  des  succès  eni- 
vrants de  la  scène  et,  un  beau  jour,  sans  raison  autre  que  la  voix  du 
sang,  se  prenant  d'une  passion  si  forte  pour  cet  enfant,  dont  vingt 
ans  durant  elle  ne  s'est,  pas  une  minute,  souciée,  qu'elle  brise  sa 
vie  sans  hésitation  aucune.  Je  ne  serais  pas  étonné,  d'ailleurs,  si 
cette  mère,  même  en  1857,  n'avait  paru  quelque  peu  bizarre  et  in- 
compréhensible. 

L'interprétation  du  Gymnase  est  bonne  dans  son  ensemble. 
Mme  Teissandier  a  pu  déployer  ses  qualités  dramatiques  dans  le 
dernier  acte;  M.  Paul  Devaux  joue  douloureusement  le  rôle  de 
Lambert  père  ;  je  reprocherais  à  M.  Burguet,  qui  est  charmant,  de 
prendre  souvent  trop  de  temps  et  de  n'avoir  pas  su  escamoter  sa 
scène  avec  lord  Dudley,  qui  ne  gagne  pas  à  être  jouée  ;  M.  Xoblet 
est  fin  à  son  habitude,  M.  Plan  très  correct  et  M.  Nertann  bon  en- 
fant. M,Ie  Depoix  est  toujours  aussi  jolie  et  Mlle  Varly  babille  à  en 
faire  perdre  haleine  aux  spectateurs. 

Paul-Émile  Chevalier. 


ETRANGES    THÉORIES 

D'UN   ÉDITEUR  RUSSE   SUR   LA   PROPRIÉTÉ   ARTISTIQUE 


C'est  là,  sans  doute,  un  sujet  qui  ne  divertira  que  médiocrement 
une  grande  partie  de  nos  lecteurs.  Il  en  est  pourtant,  dans  le  nombre, 
que  ces  questions  de  propriété  artistique  intéressent,  et  c'est  pour 
ceux-là  que  nous  écrivons  spécialement  cet  article,  en  priant  les 
autres  de  vouloir  bien  nous  excuser  pour  cette  fois. 

11  paraîtra  curieux  qu'il  soit  encore  besoin  de  défendre,  à  la  fin 
de  notre  XIXe  siècle,  ce  grand  piincipe  de  la  propriété  littéraire  et 
artistique.  Il  y  a  des  gens  et  même  des  peuples  qui  se  feraient  un 
scrupule  de  nous  enlever  nos  pendules  (ceci  soit  dit  sans  allusion 
blessante  pour  nos  amis  d'Allemagne),  mais  qui  trouvent  tout 
naturel  de  s'approprier  notre  art  et  nos  idées.  On  laisse  en  paix 
les  horlogers,  mais  on  dépouille  sans  vergogne  Victor  Hugo  ou 
Charles  Gounod.  Ce  sont  là  vraiment  manières  de  malandrins,  contre 
lesquelles  la  police  de  tous  les  pays  devrait  sévir  avec  énergie. 

Loin  de  nous  la  pensée  de  nier  le  progrès  qu'a  fait  en  ces  der- 
niers temps  celte  question  de  la  défense  des  droits  artistiques.  Les 
conventions  protectrices  surgissent  de  toutes  parts,  et  la  dernière 
en  date,  le  fameux  contrat  de  Berne,  bien  qu'encore  un  peu 
confus,  apparaît  pourtant  comme  un  nouveau  pas  en  avant.  Que 
dis-je  ?  Le  câble  transatlantique  nous  apporte  la  nouvelle  que 
l'Amérique  elle-même,  qui  fut  si  longtemps  le  principal  repaire  des 
pirateries  littéraires  et  artistiques,  vient  de  reconnaître  que  les  poètes 
et  les  musiciens,  de  toutes  provenances,  avaient  le  droit  d'être  pro- 
tégés dans  leurs  propriétés  intellectuelles  au  même  titre  que  le 
boulanger  pour  son  pain  ou  le  paysan  pour  son  champ.  Si  bien 
qu'on  peut  presque  dire  aujourd'hui  qu'il  n'y  a  plus  guère  que  les 
Hottentots,  avec  quelques  peuplades  reculées  des  déserts  de  l'Afrique, 
qui  ignorent  les  beautés  de  la  protection  artistique. 

Et  cependant,  à  côté  de  ces  Hottentots,  nous  avons  le  regret  de 
devoir  mettre  un  grand  peuple,  un  grand  pays,  ami  de  la  France, 
ce  qui  nous  est  doublement  douloureux.  Oui,  depuis  trois  ans, 
depuis  la   dénonciation   de  la   convention  de   1861,    la    Russie,   qui 


compte  cependant  parmi  les  nations  civilisée?,  se  refuse  à  recon- 
naître qu'il  puisse  exister  une  propriété  littéraire  ou  artistique; 
chacun  des  sujets  du  czar  peut  puiser  à  pleines  mains  dans  le 
répertoire  de  nos  auteurs  et  s'en  faire  des  rentes,  sans  leur  payer 
pour  cela  la  moindre  redevance.  Ces  pick-pockets  d'art  sont  désormais 
protégés  par  les  lois  russes  elles-mêmes,  et  peuvent  détrousser 
tout  à  leur  aise,  sur  la  grand'route  des  arts,  les  passants  étrangers 
qui  s'y  aventurent,  pourvu  qu'il  soit  bien  avéré  que  les  victimes 
sont  de  simples  musiciens.  Cela  ne  tire  pas  à  conséquence  : 

Vous  leur  fîtes,  seigneurs, 
En  les  volant  beaucoup  d'honneurs. 

Un  tel  état  de  choses  ne  pouvait  manquer  de  préoccuper  un 
esprit  aussi  juste  et  aussi  éclairé  que  celui  du  czar  Alexandre.  Il 
a  bien  voulu  s'émouvoir  des  plaintes  que  lui  faisaient  parvenir  ses 
amis  des  bords  de  la  Seine  et  prendre  en  considération  les  intérêts 
injustement  lésés  d'une  nation  sympathique.  Aux  propositions  d'un 
nouvel  arrangement  qui  lui  étaient  soumises  il  n'a  pas  fait  la  sourde 
oreille.  Des  deux  côtés  des  enquêtes  sont  prescrites  pour  mener  au 
mieux  les  négociations. 

Aussitôt  toute  la  bande  des  aigrefins  de  s'émouvoir,  et  l'un  d'eux, 
Je  nommé  Bessel,  éditeur  de  musique  et  grand  contrefacteur  devant 
l'Éternel,  ne  craint  pas  d'exposer  dans  un  journal  qui  passait  pour 
sérieux,  le  Nouveau  Temps,  les  étranges  théories  qu'on  va  lire. 

Il  convient  tout  d'abord  de  présenter  en  quelques  mots  le  citoyen 
Bessel.  Nous  ne  savons  s'il  jouit  dans  son  pays  d'une  grande  consi- 
dération, mais  on  le  tient  chez  nous  en  assez  médiocre  estime.  En 
1872,  il  sollicita  des  éditeurs  français  le  mandat  de  les  représenter 
en  Russie  et  d'y  défendre  leurs  intérêts.  Il  reçut  à  cet  effet  des 
appointements  annuels  du  commerce  de  musique  français,  et  on 
approvisionna  son  magasin  d'éditions  françaises  dans  des  conditioons 
de  bon  marché  exceptionnelles.  On  voit,  par  ce  début,  que  M.  Bessel 
n'a  pas  toujours  été  l'ennemi  des  publications  françaises.  Il  est  vrai 
qu'il  nous  répondra  qu'il  ne  les  aime  pas  moins  aujourd'hui,  tout 
au  contraire,  puisqu'après  en  avoir  poursuivi  pour  notre  compte 
toutes  les  contrefaçons,  il  s'est  mis  tranquillement  à  en  faire  lui- 
même.  Toujours  l'histoire  du  chien  de  gai  de  chargé  de  veiller  sur  le 
déjeuner  de  son  maître  et  qui  finit  par  s'en  régaler  lui-même.  Qu'était^ 
il  donc  arrivé?  Tout  simplement  que  le  sieur  Bessel  consentait  bien 
à  recevoir  des  appointements,  à  accepter  la  musique  française  qu'on 
lui  envoyait,  à  la  vendre  à  ses  concitoyens,  mais  qu'il  n'aimait  pas 
beaucoup  qu'on  lui  en  réclamât  le  prix.  Les  traites  qu'on  tirait  sur 
lui  revenaient  régulièrement  impayées,  et  il  fallut  bien  songer  à 
rompre  un  engagement  dont  il  ne  voulait  que  les  profits  sans  en 
supporter  les  charges.  Les  appointements  furent  supprimés,  les  envois 
de  musique  suspendus  et  la  plupart  des  maisons  parisiennes  se 
fermèrent  devant  lui. 

Dès  lors,  Bessel  passa  dans  le  camp  ennemi.  Il  n'eut  plus  qu'une 
idée:  la  dénonciation  de  la  convention  franco-russe,  afin  de  pouvoir 
piller  tout  à  son  aise  les  éditeurs  français  coupables  d'avoir  voulu 
être  payés  de  la  livraison  de  leurs  marchandises.  Il  y  parvint  en 
188",  et  c'est  lui  naturellement  qui  s'élève  encore  contre  la  reprise 
des  négociations  et  cherche  de  nouveau  à  agiter  l'opinion  pour  les 
faire  échouer. 

Voilà  le  monsieur. 

Voyons  maintenant  son  article  du  Nouveau  Temps  et  les  arguments 
qu'il  emploie  pour  combattre  le  renouvellement  d'une  convention 
littéraire  et  artistique  entre  la  Russie  et  la  France.  L'esprit  de 
M.  Bessel  a  toujours  été  naturellement  confus,  et  ce,  n'est  pas  la 
défense  d'une  mauvaise  cause  qui  a  pu  beaucoup  l'éclaircir.  Il  est 
donc  tout  d'abord  assez  difficile  de  se  reconnaître  dans  son  plai- 
doyer, présenté  sans  ordre  aucun  et  tout  embroussaillé  de  faits  con- 
trouvés  (nous  les  signalerons  au  cours  de  cet  article)  et  de  détails 
oiseux. 

Nous  avons  toutefois  fini  par  démêler,  au  milieu  de  tout  ce  ver- 
biage inutile,  que  les  arguments  principaux  de  M.  Bessel  étaient 
au  nombre  de  trois. 

PREMIER     ARGUMENT 

Tout  plein  de  son  intérêt  direct  et  de  sa  propre  personnalité, 
M.  Bessel  ne  veut  voir  d'abord  dans  les  revendications  f.ançaises 
qu'une  simple  manœuvre  du  Syndicat  des  éditeurs  de  musique.  Ce 
sont  eux  les  pelés,  les  galeux,  les  auteurs  de  tout  le  mal.  II  oublie  ou 
il  gnore  qu'il  s'est  formé  à  Paris  un  Syndicat  de  la  propriété  littérairèet 
artistique,  chargé  de  poursuivre  en  tous  pays  le  respect  desdroilsdes 
littérateurs  et  artistes  français.  Ce  syndical  est  naturellement  corn- 


396 


LE  MÉNESTREL 


posé,  pour  la  majeure  partie,  d'auteurs,  de  membres  de  laSociétédes 
gens  de  lettres,  de  représentants  de  la  Société  des  auteurs  et  composi- 
teurs dramatiques, de  jurisconsultes,  de  peintres,  de  quelques  mu- 
siciens illustres,  etc.,  etc.  ;  les  éditeurs  y  sont  à  peine  au  nombre 
de  trois  ou  quatre,  et  l'assemblée  a  pour  vice-président  un  membre  de 
l'institut,  il.  Thomas,  sculpteur.  C'est  ce  syndicat,  auquel  la  mu- 
sique participe  comme  les  autres  arls,  qui  a  chargé  M.  le  comte  de 
-  Kératry  de  faire  une  humble  démarche  près  du  czar  pour  lui  exposer 
la  triste  situation  faite  en  Russie  aux  auteurs  français,  par  suite  de 
la  dénonciation  du  traité,  de  1861.  Que  le  syndicat  spécial  des 
éditeurs  de  musique  s'intéresse  à  celte  démarche,  c'est  tout  naturel, 
mais  ce  n'est  pas  lui,  chétif,  qui  a  pu  prendre  l'initiative  d'une  si 
importante  mesure. 

Ce  sont  donc  bel  et  bien  les  auteurs  qui  réclament  personnelle- 
ment, et  ce  point  était  important  à  établir.  Car  toute  la  thèse  de 
M.  Bessel  repose  sur  ce  point.  Les  auteurs  ne  réclament  rien,  car 
ils  n'ont  rien  à  gagner  au  renouvellement  de  la  convention,  puis- 
qu'ils ont  abandonné  tous  leurs  droits  à  leurs  éditeurs.  Toute  l'af- 
faire se  réduirait  donc,  d'après  lui,  à  une  simple  querelle  entre 
commerçants  russes  et  français.  Le  czar  voudra-t-il  s'occuper  d'intérêts 
aussi  mesquins  et,  s'il  s'en  occupe,  tranchera-t-il  la  question  en 
faveur  des  étrangers? 

Nous  répondrons  d'abord  que  tout  commerce,  quand  il  est  praliqué 
honnêtement,  comme  c'est  le  cas  on  France,  est  digne  de  sollicitude. 
Mais  en  l'espèce,  si  on  prétend  même  marcher  sur  les  intérêts  très 
légitimes  des  éditeurs  français,  nous  ajouterons  qu'on  ira  directe- 
ment aussi  contre  les  intérêts  de  nos  auteurs,  qui  réclamentà  bon  droit. 
Pour  nous  en  tenir  aux  seules  choses  de  la  musique,  suivant 
M.  Bpssel  sur  le  terrain  restreint  où  il  désire  se  cantonner,  nous 
allons  lui  faire  comprendre  comme  quoi  les  intérêls  des  compositeurs 
sont  intimement  liés  a  ceux  de  leurs  éditeurs. 

Les  compositeurs  français  ne  font  pas ,  comme  se  l'imagine 
M.  Bessel,  abandon  complet  de  tous  leurs  droits  entre  les  mains 
de  leurs  éditeurs.  En  supposant  même  qu'ils  le  fassent,  il  est  clair 
que  si  on  restreint  pour  l'éditeur  le  nombre  des  marchés  où  il  peut 
légitimement  espérer  écouler  ses  publications,  on  restreint  par  cela 
même  le  prix  qu'il  peut  en  donner  à  leurs  auteurs.  Première  atteinte 
directe  aux  compositeurs.  Mais  ce  n'est  pas  tout;  beaucoup  d'auteurs 
se  réservent  des  primes  sur  la  vente  de  leurs  œuvres.  Pour  ne  citer 
qu'un  cas  qui  nous  est  connu,  à  titre  de  preuve,  voici,  par  exemple. 
M.  Faure,  dont  les  mélodies  ont  une  très  grande  vogue  en  Russie, 
qui  a  signé  avec  son  éditeur  un  contrat  qui  lui  assure  0  fr.  25  c.  par 
exemplaire  vendu.  Du  jour  où  la  convention  avec  la  Russie  a  été 
dénoncée,  toutes  ses  mélodies  à  succès  ont  élé  contrefaites  par  les 
éditeurs  russes.  Que  touche-t-il  désormais  sur  ces  exemplaires  de 
contrebande?  Ab  uno  disce  omnes. 

Autre  cas.  M.  Bessel  .croit,  toujours  à  tort,  que  les  compositeurs 
français  cèdent  à  leurs  éditeurs,  en  même  temps  que  le  droit  d'é- 
dition, le  droit  d'exécution  et  de  représentation  sur  leurs  oeuvres. 
C'est  encore  uns  grosse  erreur.  Les  auteurs  se  réservent  les  droits 
d'exécution  et  chargent  seulement  leurs  éditeurs,  moyennant  un  par- 
tage équitable,  d'en  assurer  la  perception  dans  les  pays  étrangers. 
Ce  partage  se  fait  habituellement  par  tiers  :  un  tiers  au  composi- 
teur, un  tiers  au  librettiste  et  un  tiers  à  l'éditeur.  Ainsi  donc,  —tou- 
jours pour  nous  en  tenir  aux  seuls  faits  dont  nous  pouvons  répondre  — 
avant  la  dénonciation  du  traité  avec  la  Russie,  supposons  qu'un  di- 
recteur de  Russie  voulût,  par  exemple,  représenter  l'opéra  Mignon 
d'Ambroise  Thomas.  Il  devait  s'entendre  de  la  location  des  parties 
d'orchestre  avec  l'éditeur.  Ce  prix  était  d'ordinaire  fixé  pour  une 
saison  à  trois-  mille  francs,  tant  pour  les  droits  d'auteurs  que  pour 
le  matériel,  dont  le  partage  se  faisait  comme  suit: 

A  M.  Ambroise  Thomas.                         1,000  francs. 
A  MM.  Jules  Barbier  et  Michel  Carré.     1,000      — 
A  l'éditeur.  1,000      

Depuis  la  dénonciation  du  traité,  il  n'est  plus  rien  touché  du 
tout;  les  directeurs  so  procurent  des  orchestrations  de  contrebande 
ou  font  orchestrer  à  nouveau  par   des  manœuvres  indignes  (i).  On 


(1)  Signalons  particulièrement,  comme  se  livrant  volontiers  à  ce  genre 
d'exercice,  l'honnête  M.  Gunzbourg,  actuellement  directeur  du  théâtre 
municipal  de  Nice,  mais  qui  s'en  va,  tous  les  étés,  diriger  un  théâtre  d'o- 
péra à  Saint-Pétersbourg.  La  presse  parisienne  chante  volontiers  les 
éloges  de  ce  jeune  directeur,  qu'elle  pose  même  quelquefois  comme  un 
candidat  sérieux  à  la  succession  de  MM.  Ritt  et  Gailhard  à  l'Opéra.  Il  est 
bon  qu'elle  soit  avertie  que  ce  candidat  pille  effrontément  les  auteurs  fran- 
çais à  Saint-Pétersbourg,  même  au  mépris  des  engagements  qu'il  a  signés 
avec  les  éditeurs.  Nous  en  avons  toute  les  preuves  en  mains. 


voit,  par  cet  exemple,  si  les  auteurs  sont  touchés  directement  par 
le  manque  de  protection  en  Russie. 

Bien  entendu,  le  cas  n'est  pas  particulier  à  M.  Ambroise  Thomas; 
il  s'applique  à   tous  les  compositeurs  français. 

Nous  pensons  en  avoir  assez  dit  pour  démontrer  que  ce  premier 
argument  de  M.  Bessel  ne  repose  sur  rien  de  sérieux. 

DEUXIÈME    ARGUMENT 

Pourquoi  respecterait-on  en  Russie  les  droits  des  auteurs  français, 
puisque  les  droits  des  auteurs  russes  ne  sont  pas  respectés  en 
France? 

M.  Bessel  n'ignore  pas  qu'il  existe  en  France  un  décret,  le  décret 
de  1852,  qui  interdit  à  tout  sujet  français  de  s'emparer  du  bien 
d'autrui.  même  s'il  se  trouve  lui-même  dépouillé  par  cet  autrui.  C'est 
de  la  chevalerie  poussée  très  loin,  mais  nous  pouvons  peut-être 
nous  en  enorgueillir.  Cela  repose,  en  somme,  sur  un  principe  juste  : 
le  voisin  t'a  pris  ta  montre,  ce  n'est  pas  une  raison  pour  lui  prendre 
la  sienne. 

M.  Bessel  prétend  que  ce  décret  de  1852  n'est  plus  observé. 
Il  se  trompe.  Sans  doute  il  a  pu  craindre,  après  la  dénonciation  faite 
par  la  Russie  du  traité  de  1861,  que  la  France  ne  répliquât  en  rap- 
portant ce  décret  de  1852,  qui  continuait  à  couvrir  les  éditions 
russes.  Il  en  a  eu  une  fière  peur.  Comme  il  voulait  bien  s'approprier 
les  publications  françaises,  mais  non  que,  par  un  juste  retour,  on 
lui  prit  ici  les  siennes,  il  s'empressa  de  céder  la  propriété  de  toutes 
les  œuvres  russes  qu'il  avait  éditées;  dans  sa  précipitation,  il  alla 
même  jusqu'à  vendre  deux  fois  la  même  œuvre  à  des  maisons  diffé- 
rentes. Il  en  fut  ainsi  pour  la  Tarentelle  de  César  Uui,  cédée  par 
lui  d'abord  à  la  maison  Durand  et  Schcenewerk  de  Paris  pour  tous 
les  pays  sauf  la  Russie,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  de  la  recéder,  un 
an  après,  à  la  maison  Breitkopf  et  Haertel,  de  Leipzig.  Il  va  sans  dire 
que  ces  deux  maisons  n'ont  pu  obtenir  de  M.  Bessel  aucune  espèce 
de  satisfaction.  Il  s'est  borné  à  encaisser  ses  deux  parts. 

M.  Bessel  prétend  donc  que  le  décret  de  1852  n'est  plus  observé 
en  France.  Où  prend-il  cela?  Toutes  les  œuvres  russes  publiées  en 
France  ont  été  régulièrement  acquises  par  les  éditeurs,  soit  direc- 
tement des  auteurs,  soit  de  leurs  ayants  droit.  Nous  mettons  au 
défi  M.  Bessel  de  prouver  le  contraire.  Il  invoque  le  cas  de  «  La  vie 
pour  le  Czar  »,  partition  de  Glinka  qui,  dit-il,  aurait  été  publiée 
d'autorité  par  la  maison  Durdilly.  M.  Bessel  a  été  mal  renseigné  ;  on 
a  pu  voir  déjà  que  cela  lui  arrivait  quelquefois.  L'éditeur  Durdilly 
tient  régulièrement  ses  droits  de  la  princesse  Gortschakoff,  seule 
concessionnaire  des  héritiers  Glinka.  De  plus,  quand  cette  œuvre  a 
élé  représentée  à  Nice  en  1890,  les  ayants  droit  ont  touché,  par 
l'entremise  de  la  société  des  auteurs  et  compositeurs  dramatiques 
de  Paris,  tous  les  droits  d'auteurs  qui  leur  revenaient.  Qu'en  pense 
M.  Bessel? 

M.  Bessel  se  plaint  encore  que  «  des  éditeurs  parisiens  ayant  ac- 
quis le  droit  d'éditer  des  œuvres  de  Borodine,  de  Korsakoff,  de- 
Cui,  de  Tschaïkowsky,  et  cela  depuis  plusieurs  années,  ne  profitent 
même  pas  de  leurs  droits  en  les  publiant  »,  ce  qu'il  a  l'air  de  trou- 
ver offensant  pour  l'art  russe.  Ceci  vise  le  cas  particulier  de  l'édi- 
teur Alphonse  Leduc,  qui  ayant  acheté  ces  œuvres  de  M.  Bessel 
lui-même,  n'a  pu  en  obtenir  ensuite  les  orchestrations  qu'à  des  prix 
tellement  ridicules  qu'il  a  dû  s'abstenir  de  toutes  publications. 

Le  second  argument  est  encore  plus  faible  que  le  premier.  11 
n'existe  même  pas,  puisqu'il  ne  repose  sur  rien. 

TROISIÈME   ARGUMENT 

Celui-ci  est  du  dernier  cynisme.  Il  n'y  a  pas  d'égalité,  dit  M.  Bes- 
sel, entre  le  commerce  musical  des  deux  pays.  Les  éditeurs  français 
sont  très  riches,  et  les  éditeurs  russes  très  pauvres.  Donc,  ceux-ci 
ont  raison  de  prendre  à  ceux-là  tout  ce  qu'ils  peuvent  leur  prendre. 
Voilà  qui  est  vraiment  d'une  moralité  charmante. 

C'est  comme  si  les  voisins  du  czar  lui  disaient  :  «  Votre  empire 
est  trop  grand,  nous  allons  vous  en  prendre  un  morceau;  car  le 
nôtre  est  trop  petit  ».  Que  dirait  le  czar?  Il  ferait  avancer  ses  bons 
soldats  et  ses  gros  canons,  et  répondrait  aux  intrus  :  «  Venez  le 
prendre .  » 

Malheureusement,  les  éditeurs  français  n'ont  pas  de  bons  soldats 
ni  de  gros  canons,  et  ils  seront  obligés  de  se  laisser  tondre,  si  le 
czar  n'intervient  pas  et  ne  morigène  pas  sévèrement  ses  sujets 
sur  les  théories  singulières  qu'ils  ont  en  matière  de  propriété. 

El  d'abord,  M.  Bessel  est-il  bien  sûr  que  les  éditeurs  français 
sont  si  riches  que  cela!  C'est  un  métier  qui  n'est  ni  plus  commode 
ni  plus  rémunérateur  que  les  autres,  C'est  comme  partout  :  Quelques- 
uns  y  réussissent,  beaucoup  y  végètent,  d'autres  y  sombrent  complè- 


LE  -MENESTREL 


397 


tement.  Nous  pensons  que  c'est  comme  en  Russie.  On  ne  fera  croire 
à  personne  que  la  maison  Jurgenson  de  Moscou,  par  exemple,  dont 
on  admirait  à  Paris  la  belle  exposition  en  1889,  ne  soit  pas  aussi 
importante  que  nos  plus  importantes  maisons,  non  plus  que  la  maison 
Bulnner  (Rather  successeur),  qui  ne  se  contente  pas  de  son  instal- 
lation de  Pétevsbourg  et  possède  encore  un  comptoir  à  Hambourg. 
Quant  à  la  maison  Mellier,  que  M.  Bessel  cite  avec  complaisance 
comme  ayant  dû  supprimer  tout  commerce  de  musique  par  suite 
du  manque  d'affaires,  nous  ne  pouvons  voir  ici  qu'une  aimable  ironie 
de  la  part  de  notre  spirituel  contradicteur.  La  maison  Mellier  était 
une  maison  française,  et  si  elle  a  dû  supprimer  son  rayon  de  mu- 
sique, c'est  précisément  une  des  conséquences  de  la  dénonciation 
du  traité  de  1861.  Puisqu'il  n'y  avait  plus  de  propriétés  musicales 
françaises  en  Russie  et  qu'on  vendait  partout  des  contrefaçons  de 
nos  auteurs  an  rabais,  la  maison  Mellier  n'avait  plus  de  raison 
d'exister  en  tant  que  maison  musicale.  Pourquoi  M.  Bessel  nous 
oblige-t-il  à  dire  des   choses  qu'il  sait  aussi  bien  que  nous? 

Mais  voilà  quelque  chose  de  bien  plus  extraordinaire  :  M.  Bessel 
avoue  naïvement  que  depuis  1887,  c'est-à-dire  depuis  la  dénoncia- 
tion du  traité  avec  la  France,  le  commerce  de  musique  de  Russie 
périclite  et  subit  une  véritable  crise.  Ce  n'est  donc  pas  le  moment 
dit-il,  de  renouveler  une  convention  qui  l'achèvera.  Tout  au  con- 
traire, cher  monsieur,  renouvelez-la  au  plus  vite.  Elle  vous  sauvera. 
Et  nous  allons  vous  en  donner  les  raisons,  qui  frapperont  tous  les 
esprits  moins  prévenus  que  le  vôtre. 

Il  est  clair  tout  d'abord  que  la  production  musicale  russe,  bien 
que  des  plus  intéressantes  en  ce  moment,  n'est  pourtant  pas  assez 
abondante  pour  alimenter  seule  le  commerce  des  éditeurs  de  Péters- 
bourp.  Le  marché  russe  doit  avoir  recours  à  la  production  étran- 
gère ;  c'est  même  le  meilleur  de  ses  affaires.  Or,  qu'arrivait-il  avant 
la  dénonciation  du  traité?  Si  quelque  boyard  désirait  chanter  une 
mélodie  de  Gounod,  il  allait  chez  M.  Bessel  ou  chez  un  autre,  qui 
la  lui  vendait  très  carrément  deux  ou  trois  francs,  bien  qu'elle  ne 
lui  coûtât  à  lui  que  75  centimes.  On  voit  d'ici  l'écart  de  bénéfices 
que  cette  petite  opération  donnait  à  l'intermédiaire  russe.  Aujour- 
d'hui ce  n'est  plus  cela  ;  tous  les  éditeurs  russes  ont  fait  leur  édi- 
tion spéciale  des  mélodies  de  Gounod  et  chacun  a  essayé  de  la  faire 
meilleur  marché  que  son  voisin,  pour  lui  couper  l'acheteur  sous  le 
nez.  La  mélodie  de  Gounod  ne  vaut  plus  que  quelques  kopecks,  et 
par  suite,  le  bénéfice  du  producteur  est  presque  nul.  De  même, 
M.  Bessel  vendait  autrefois  une  partition  d'Ambroise  Thomas  ou  de 
Delibes  23  ou  30  francs!  A  quel  prix  réduit  doit-il  la  céder  aujour- 
d'hui, en  face  de  la  concurrence  de  ses  collègues  ? 

Si  encore  on  pouvait  dire:  «  C'est  vrai,  nous  vendons  à  vil  prix; 
mais  aussi  nous  vendons  bien  davantage  en  nous  adressant  à  tout 
le  monde,  et  nous  nous  rattrapons  sur  la  quantité.  »  Mais  ce  n'est  pas 
le  cas  en  Russie,  où  la  clientèle  musicale  est  très  restreinte  (M.  Bes- 
sel l'avoue  lui-même).  La  musique  y  est  un  art  que  les  classes  éle- 
vées et  riches  cultivent  seules  ;  et  celles-là  sont  habituées  à  payer 
sans  sourciller. 

Voilà  donc  tout  le  mystère.  La  dénonciation  du  traiLé  avec  la 
France  est  certainement  l'une  des  principales  causes  de  l'état  de 
marasme  où  se  trouve  actuellement  le  commerce  de  musique  russe 
et  que  nous  signale  M.  Bessel  avec  tant  de  complaisance. 

Et  cela  devient  tellement  une  évidence,  que  M.  Fenoult,  le  syndic 
des  éditeurs-libraires  russes,  qui,  en  1887,  réclamait  comme 
M.  Bessel  la  dénonciation  de  la  convention,  demande  énergiquement 
aujourd'hui  qu'on  la  rétablisse. 

Et  d'ailleurs,  quand  nous  voyons  M.  Bessel  crier  misère,  cela  ne 
laisse  pas  que  de  nous  laisser  légèrement  incrédule.  Comment 
pourrait-on  faire  de  mauvaises  affaires  avec  l'ingénieux  système  qu'il 
a  imaginé?  Payer  le  moins  possible  ses  dettes  et  s'emparer  des 
meilleures  publicatious  d'autrui,  sans  qu'il  vous  en  coûte  un  kopeck  ; 
rien  que  des  bénéfices  de  toutes  parts,  sans  aucune  espèce  de  ris- 
ques à  courir.  Avec  cela,  on  peut  aller  flâner  et  faire  son  jeune 
homme  trois  mois  par  année  sur  les  plages  les  plus  huppées,  à 
Dieppe  ou  à  Trouville,  à  Ostende  ou  à  Scheveningue.  Combien 
parmi  les  «  richissimes  éditeurs  parisiens  »,  comme  les  appelle 
M.  Bessel,  ne  pourraient  se  payer  pareilles  fêtes  !  Mon  Dieu, 
peut-être  la  réussite  de  ces  «  richissimes  éditeurs  »  eonsiste-t-elle 
uniquement  dans  le  soin  qu'ils  donnent  à  leurs  affaires  et  dans  le 
labeur  acharné  qu'ils  s'imposent,  pensant  plus  au  souci  de  leur 
honneur  et  de  leurs  échéances  qu'aux  brises  parfumées  de  l'Océan 
et  aux  distractions  qu'on  peut  rencontrer  sur  les  plages  à  la  mode. 
M.  Bessel  y  a-t-il  réfléchi  ? 


Nous  croyons  avoir  suivi  de  point  en  point  le  joli  discours  de 
notre  confrère  de  la  Neva  et  avoir  répondu  à  ses  principales  ob- 
jections. 

Il  ne  nous  reste  plus  qu'à  nous  en  rapporter  à   l'équité  du  czar. 

Henri  Heugel. 


Nous  reprendrons  dimanche  prochain  l'intéressante  étude  de 
notre  collaborateur  Arthur  Pougin  sur  LES  SAINT- AUBIN,  qu'il 
nous  a  fallu  interrompre  cette  fois,  par  suite  de  trop  grande 
abondance  des  matières. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (11  décembre).  —  La  Basoche  a, 
jeudi  dernier,  beaucoup  réussi  à  la  Monnaie.  Ce  n'a  pas  été  un  succès 
d'enthousiasme  ;  mais  le  succès  a  été  très  franc.  Comme  je  vous  le  disais 
l'autre  semaine,  il  faut  toujours  compter  un  peu  avec  les  habitudes  du 
public  de  la  Monnaie,  qui  ne  sont  plus  au  genre  d'opéra  proprement  dit 
et  réellement  «  comique  ».  Bon  gré  mal  gré,  ce  public  doit,  ne  fût-ce  que 
pour  la  forme,  ne  point  paraître  accepter  sans  réserves  une  œuvre  qui 
sort  ainsi  de  ses  habitudes.  La  Basoche  l'a  tant  amusé  qu'il  n'a  pas  osé 
formuler  trop  haut  ses  réserves;  mais  il  les  a  faites  tout  de  même.  A 
part  cela,  tout  a  bien  marché.  La  musique  de  M.  Messager,  avec  sa  dis- 
tinction d'idées  un  peu  courtes  et  sa  forme  un  peu  tourmentée,  parfois  en 
désaccord  avec  la  franchise  d'allures  du  livret,  a  été  goûtée  et  appréciée 
comme  elle  le  mérite,  et  plus  encore  des  artistes  que  du  gros  public. 
Quant  à  l'interprétation,  elle  est  bonne.  M118  Carrère  a  montré  des  qualités 
peu  ordinaires  de  comédienne  et  s'est  tirée,  avec  une  rare  habileté  de 
chanteuse,  des  difficultés  du  rôle  de  Marie,  assez  mal  écrit  vocalement; 
Mlle  Nardi  est  une  charmante  Colette,  sous  tous  les  rapports,  et  M.  Badiali 
a  chanté  à  ravir  le  rôle  de  Clément,  où  sa  jolie  voix  de  ténor-Martin  s'est 
trouvée  remarquablement  à  l'aise.  Une  mention  aussi  à  M.  Chappuis, 
un  amusant  duc  de  Longueville,  et  à  M.  Isouard,  excellent  dans  le  bout 
de  rôle  de  Léveillé.  Les  chœurs,  l'orchestre  et  la  mise  en  scène  sont  très 
satisfaisants.  —  Et  maintenant,  nous  allons  voir  Siegfried,  dont  les  répé- 
titions vont  grand  train  et  qui  sera  prêt  pour  la  fin  du  mois.  En  atten- 
dant, nous  aurons  la  semaine  prochaine  deux  représentations  de  MUg  Ri- 
chard dans  la  Favorite  etla  reprise  de  Rigoletto avec  Mlles  Sanderson  etNardi, 
MM.  Bouvet  et  Lafarge. 

En  fait  de  concerts,  l'événement  de  la  semaine  a  été  le  concert  de 
l'Association  des  artistes  musiciens.  Au  point  de  vue  purement  artistique, 
il  n'offrait  qu'un  médiocre  intérêt,  malgré  l'admirable  exécution  des  Erinnyes, 
qui  étaient  depuis  longtemps  connues^  La  vraie  attraction,  c'était  la  pré- 
sence de  M.  Massenet,  au  pupitre  de  chef  d'orchestre  d'abord,  et  au  piano 
ensuite.  M.  Massenet  a  débuté,  ce  soir-là,  devant  le  grand  public,  comme 
simple  pianiste -exécutant,  en  accompagnant  lui-même  des  mélodies  de 
lui,  chantées  par  Mllc  Sybil  Sanderson.  Le  succès,  comme  vous  pensez 
bien,  a  pris  facilement  les  proportions  d'un  triomphe,  partagé  également 
entre  la  cantatrice,  plus  jolie  que  jamais,  et  le  compositeur-accompagna- 
teur. Le  lendemain,  tous  deux  ont  vu  renouveler  leur  triomphe  dans  une 
soirée  organisée  par  le  Cercle  des  Arts  et  de  la  Presse,  et  dans  laquelle, 
outre  Mlle  Sanderson  et  M.  Massenet,  on  a  pu  applaudir  tour  à  tour 
Mlle  Nardi,  Mlle  Carrère,  M.  Badiali,  dans  de  bien  jolies  mélodies  inédites 
de  M.  Archainbaud,  le  fils  du  professeur  au  Conservatoire  de  Paris,  notre 
excellent  pianiste  M.  Arthur  De  Greef,  et  bien  d'autres  artistes  de  nos  théâ- 
tres et  du  Conservatoire.  Rarement  concert  fut  plus  brillant  et  obtint  plus 
de  succès.  "■  °* 

—  Le  théâtre  national  d'Anvers  vient  de  représenter  pour  la  première 
fois  un  opéra  posthume  de  Waelput,  intitulé  Stella,  qui  a  laissé  le  public 
assez  indifférent. 

—  Un  théâtre  où  l'on  ne  flâne  pas,  c'est  le  Théâtre  Royal  de  Liège. 
Du  28  octobre  au  28  novembre,  on  y  a  représenté  8  grands  opéras,  7  opé- 
ras-comiques, 4  opérettes  et  2  comédies,  soit  21  ouvrages  en  24  représen- 
tations. C'est  joli  comme  quantité,  dit  avec  raison  le  Foyer  de  Liège. 

—  Nouvelles  de  Londres.  —  M.  Maurel  faisait  lundi  dernier  sur  la  scène 
du  Lyceum  et  devant  deux  cents  invités  une  conférence  sur  le  développe- 
ment de  l'art  lyrique  moderne.  Cette  conférence  par  elle-même  ne  méri- 
terait pas  qu'on  s'y  arrêtât,  parce  que  elle  ne  contient  rien  de  bien  neuf 
et  manque  même  de  suite.  Mais  il  serait  intéressant  de  rechercher  le 
pourquoi  de  ses  lacunes  les  plus  flagrantes.  M.  Maurel  qui  a  bien  voulu  faire 
remonter  jusqu'à  la  Renaissance  les  origines  de  l'ancien  opéra,  qui  a  parlé 
des  savants  byzantins  et  des  bibliothèques  de  Constantinople,  de  Torquato 
Tasso  et  d'Erasme,  ne  fait  aucune  allusion  aux  diverses  écoles  de  musique 
qui  ont  dirigé  les  destinées  de  l'opéra,  ne  cite  aucun  nom  de  compositeur! 
Il  feint  d'ignorer  l'évolution  tentée  par  le  génie  de  Gluck  dans  le  sens  de 
la  vérité  dramatique,  comme  il  évite  de  parler  du  retour  offensif  du  genre 
du  clinquant  et  des  résultats  funestes  du  donizettisme  sur  toute  la  musi- 
que moderne.  Enfin,  il  ne  tient  nul  compte  de  Wagner  et  de  la  vaillante 
école  contemporaine  qui  travaille  à  la  transformation  définitive  de  drame 
lyrique.  De  même,  plus  loin,  lorsqu'il  a   traité  la  question  des  attributs 


398 


LE  MÉNESTREL 


nécessaires  à  l'interprète  lyrique,  le  conférencier  a  parlé  de  mezza-gola,  de 
scénographie  et  de  danse  académique,  négligeant  complètement  l'articu- 
lation, la  déclamation,  le  style,  qualités  autrement  indispensables  à  l'ar- 
tiste moderne.  Cette  attitude  de  M.  Maurel  ne  saurait  s'expliquer  que  par 
son  anxiété  bien  évidente  de  ne  rien  dire  de  désobligeant  pour  ses  clients 
ordinaires,  le  public  italien.  Cette  prédilection,  ce  parti  pris  de  M.  Maurel 
pour  le  genre  italien  ne  saurait  faire  doute.  Il  l'a  proclamé  lui-même  dès 
son  arrivée  à  Londres  il  y  a  quelques  semaines,  dans  une  allocution  im- 
primée depuis  et  dont  j'ai  le  texte  sous  les  yeux.  Voilà  ce  qu'y  disait 
M.  Maurel  :  «  En  premier  lieu,  pour  ce  qui  est  de  l'opéra  italien,  j'ai  le 
regret  de  constater  qu'un  groupe  de  chanteurs,  mus  par  des  sentiments 
personnels  sans  doute  peu  raisonnes,  s'efforce  de  lui  substituer  l'opéra 
français,  non  seulement  en  Angleterre,  mais  encore  sur  les  autres  scènes 

de  l'Europe En  disant  que  l'Italie  est  la  patrie  de  la    musique  et  que 

la  langue  italienne  en  est  la  compagne  préférée,  je  dis  une  vérité  telle- 
ment indiscutable, tellement  reconnue,  qu'elle  en  paraît  banale.  Cependant, 
cette  vérité  semble  avoir  été  oubliée  par  ceux  qui,  ne  comprenant  pas 
qu'il  est  impossible  de  modifier  artificiellement  l'ordre  des  choses,  rêve- 
raient de  détrôner,  en  musique  chantée,  la  langue  italienne  au  profit  de 
la  langue  française.  »  Et  d'abord,  rien  n'est  moins  prouvé  que  la  langue 
italienne  avec  ses  consonnes  grasses,  la  monotonie  de  ses  voyelles  ou- 
vertes, la  brusquerie  de  son  accent  sur  la  pénultième  syllabe,  se  prête 
mieux  à  la  déclamation  lyrique  moderne  que  la  langue  française,  si  claire, 
si  souple,  si  pittoresque,  avec  la  chute  si  harmonieuse  de  ses  voyelles 
muettes.  Pour  ma  part,  je  maintiens  la  supériorité  de  la  langue  française. 
Mais  la  question  n'est  pas  là.  L'Italie  ne  fournit  plus  ni  opéras  nouveaux, 
ni  chanteurs  distingués,  et  toute  l'éloquence  de  M.  Maurel  n'empêchera  pas 
qu'il  soit  devenu  absolument  ridicule,  dans  les  capitales  étrangères  ou  l'ita- 
lien est  beaucoup  moins  parlé  que  le  français,  qu'on  continue  à  faire 
baragouiner  en  italien,  par  des  troupes  aussi  peu  italiennes  que  possible, 
des  opéras  qu'on  aurait  tout  intérêt  à  entendre  dans  leur  idiome  original. 
Et,  loin  de  railler  le  groupe  de  chanteurs  qui  ont  mis  le  service  de  leur 
talent  à  l'appui  de  cette  évolution  artistique,  il  convient  de  leur  savoir 
gré  de  leurs  efforts  consciencieux  pour  assurer  à  chaque  oeuvre  une 
exécution  aussi  conforme  que  possible   aux  conditions  de  son  origine. 

A.  G.  N. 
—  Comme  on  le  pense  bien,  nous  aurons  pendant  quelque  temps  l'ac- 
casion  d'entendre  parler  du  Falstaff  de  Verdi.  Il  va  sans  dire  que  les  jour- 
naux italiens  sont  déjà  remplis  journellement  de  réflexions  et  de  détails 
à  ce  sujet.  Tout  d'abord,  ils  commencent  par  rappeler  les  quelques  Falstaff 
qu'a  déjà  produits  la  scène  lyrique  en  divers  pays  ;  1°  Falstaff,  opéra  en 
deux  actes,  de  Sulieri,  donné  à  Vienne  en  1798  ;  2°  Falsia/f,  opéra  de  Ritter, 
représenté  vers  la  même  époque  à  Manheim  ;  3°  Falstaff,  opéra  de  Balfe, 
joué  à  Londres  en  1838  ;  1°  les  Joyeuses  Commères  de  Windsor,  opéra  bouffe 
d'Otto  Kicolaï,  donné  à  Berlin  en  1849,  traduit  en  anglais  et  joué  à  Londres 
en  1864  sous  le  titre  de  Falstaff,  puis  traduit  en  français  et  représenté 
sans  aucun  succès  à  notre  Théâtre-Lyrique  en  1866  ;  5°  Falstaff,  opéra- 
comique  en  un  acte  d'Adolphe  Adam,  qui  servit,  en  1856,  aux  débuts 
d'Hermann-Léon  sur  ce  même  Théâtre-Lyrique.  Ajoutons  que  Falstaff  est 
l'un  des  principaux  personnages  d'un  des  meilleurs  et  des  plus  heureux 
ouvrages  de  M.  Ambroise  Thomas,  le  Songe  d'une  nuit  d'été.  —  Un  de  nos 
confrères  italiens,  sans  doute  particulièrement  informé,  assure  que  le  livret 
du  Falstaff  àe  M.  Boito  contient  1,360  vers.  Sur  quoi  le  Troratore,  toujours 
railleur,  s'écrie  :  «  Mais  s'il  n'y  en  avait  que  1,299,  ou  s'il  s'en  trouvait 
1,301,  quel  malheur!  quel  horrible  malheur!  »  —  Un  autre  croit  pouvoir 
affirmer  déjà  que  l'opéra  de  Verdi  sera  représenté  à  la  Scala  de  Milan, 
qu'il  fera  son  apparition  dans  la  saison  de  1891-92,  que  le  personnage  de 
Falstaff  sera  un  baryton,  et  que  l'artiste  déjà  choisi  pour  remplir  ce 
rôle  sera  notre  compatriote  Victor  Maurel.  —  Voici  qui  est  plus  sérieux 
que  tous  ces  racontars.  C'est  une  lettre  que  Verdi  lui-même  a  adressée  au 
marquis  Monaldi,  en  réponse  à  une  demande  de  celui-ci  concernant  le 
genre  de  son  nouvelouvrage: 

Gênes,  3  décembre  1890. 
Cher  monsieur  Monaldi, 
Que  puis-je  vous  dire  ?  Il  y  a  quarante  ans  que  j'ai  le  désir  d'ecrire  un  opéra- 
comique,  et  il  y  a  cinquante  ans  que  je  connais  (es  Joyeuses  Commères  de  Windsor. 
Pourtant...  les  habituels  mais,  que   l'on  rencontre  partout,  s'opposaient  toujours 
à  ce  que  je  pusse  accomplir  mon  désir.  Boito  a  maintenant  vaincu  tous  les  mais, 
il  a  fait  une  comédie  lyrique  qui  ne  ressemble  à  aucune  autre.  Je  m'amuse  à  en 
faire  la  musique,  sans  projets  d'aucune  sorte,  et  je  ne  sais  même  pas  si  je  la 
finirai...  Je  le  répète,  je  m'amuse...  Falstaff  est  un  triste,  qui  admet  toutes  sortes 
de  mauvaises  actions,  mais  sous  une  forme  divertissante.  C'est  un  type.  Les  lypes 
sont  si  divers! 
L'opéra  est  complètement  comique.  Amen  ! 
Croyez-moi  toujours, 

Votre  bien  dévoué, 
G.  Vehdi. 
On  remarquera  que  Verdi  ne  se  sert  point  de  l'expression  «  opéra  bouffe,  » 
qui  est  si  manifestement  italienne,  mais  qu'il  dit  expressément  «  opéra- 
comique,  »  et  même  «  comédie  lyrique,  »  ce  qui  rentre  dans  le  genre 
essentiellement  français.  Or,  c'est  dans  un  temps  où  certains  esprits  exclu- 
sifs font  ouvertement  chez  nous,  par  amour  des  doctrines  wagnériennes, 
tous  leurs  efforts  pour  tuer  l'opéra-comique,  que  le  plus  grand  des  mu- 
siciens italiens  se  prend  précisément  à  cette  forme  très  française  de  l'art 
lyrique  et  prétend  lui  donner  droit  de  cité  dans  son  pays.  Ce  n'est  pas 
nous  qui  le  regretterons. 


—  Voici  une  autre  lettre  de  Verdi.  Celle-ci  est  adressée  à  l'éditeur  d'un 
livre  récemment  publié  sous  ce  titre  :  les  Hommes  illustres,  qui  lui  avait 
envoyé  un  exemplaire  de  cet  ouviage  : 

Sant'Agata,  12  novembre  1890. 
Distingué  Monsieur  Alipraudi, 
Je  reçois  le  beau  livre  que  vous  avez  bien  voulu  gracieusement  m'envoyer. 
Je  me  sens  un  peu  embarrassé  et  confus  pour  répondre  à  une  telle  courtoisie, 
car  en  voyant  de  quelle  façon  mon  nom  est  cité  dans  ces  pages,  il  y  aurait  sans 
doute  quelque  affectation  à  dire  que  je  ne   mérite   pas   ces  louanges,  et  en  agis- 
sant ainsi  j'accuserais  l'auteur   et  l'éditeur  de  n'avoir  pas  dit  et  imprimé  la  vé- 
rité. 

Mais  si  pourtant  ces  phrases  sont  justes  en  quelque  partie,  j'en  remercie  vive- 
ment l'auteur,  qui  les  a  écrites,  et  l'éditeur,   qui   les  a  imprimées  en  une  aussi 
splendide  édition. 
Je  me  dis,  avec  respect  et  estime, 

Voire  bien  dévoué, 
G.  Verdi. 

—  Petites  nouvelles  d'Italie.  —  Au  théâtre  Rossini  de  Rome,  on  a  fait 
un  très  grand  succès  à  une  nouvelle  opérette,  doot  le  titre  au  moins  ne 
laisse  pas  que  d'avoir  son  importance  :  un  Carnoeale  romano  ai  tempi  del 
marehese  del  Grillo.  L'auteur  du  livret,  M.  Berardi,  a  été,  chose  rare,  rap- 
pelé plusieurs  fois  ;  la  musique,  qui  est  *<  neuve,  sympathique,  piquante  », 
est  l'œuvre  du  maestro  ZuccaniJ  et  plusieurs  morceaux  ont  été  bissés. — 
Au  théâtre  Ristori  de  Turin,  on  a  applaudi  un  croquis  (bozzetto)  musical, 
Sjbina,  paroles  de  M.  Alfredo  Armo,  musique  de  M.  Lace.  —  On  a  décidé, 
à  Rome,  la  construction  d'un  nouveau  politeama,  qui  sera  situé  dans  le 
quartier  Villa  Ludovisi  et  dont  on  espère  faire  l'ouverture  pour  la  pro- 
chaine saison  de  printemps.  —  Le  Comité  de  la  grande  Exposition  nationale 
de  Palerme  a  chargé  le  jeune  maestro  Mascagni,  le  triomphateur  du  jour 
de  par  sa  Cavallaria  rusticana,  d'écrire  la  musique  de  l'Hymne  inaugural  de 
cette  exposition. 

—  Les  7,  8  et  9  décembre,  ont  eu  lieu  à  Turin,  dans  l'église  de  San 
Filippo,  l'exécution  de  trois  œuvres  extrêmement  importantes  :  la  Messe 
du  pape  Marcel,  de  Palestrina,  la  Messe  du  Sacre,  de  Cherubini,  et  la  Messe 
en  sol  de  Mozart. 

—  A  l'Opéra  royal  de  Berlin,  on  a  commencé  les  répétitions  d'un  grand 
opéra  nouveau  en  quatre  actes,  Hiarne,  paroles  de  MM.  Hans  de  Bronsart 
et  Frédéric  Bodenstedt,  musique  de  Mme  Ingeburge  de  Bronsart,  femme 
de  l'intendant  du  théâtre  grand-ducal  de  Weimar.  Mm0  de  Bronsart  s'est 
fait  connaître  déjà  par  un  opéra  intitulé  die  Gôltin  ton  Sais,  exécuté  en 
1867  au  palais  du  prince  Frédéric-Guillaume,  père  de  l'empereur  d'Alle- 
magne actuel,  et  par  la  musique  qu'elle  a  écrite  pour  la  célèbre  petite 
pièce  de  Goethe  :  Jery  und  Bœtely,  qui  fut  représentée  sous  cette  forme,  à 
Weimar,  en  .1873. 

—  Mmo  Pauline  Lucca,  nous  l'avons  dit,  est  sur  le  point  de  se  retirer  de 
la  scène,  après  une  série  de  succès  à  Francfort  et  à  Munich.  Mmc  Lucca 
n'est  cependant  pas  encore  tout  à  fait  la  doyenne  des  chanteuses.  On  la 
croit  née  en  avril  1841,  et  elle  était  certainement  une  des  plus  jeunes 
choristes  de  la  Karls-Kirche,  en  1836.  Elle  tint  ensuite  un  emploi  modeste 
dans  les  chœurs  de  l'Opéra  de  Vienne  avant  ses  débuts  réguliers  dans 
Hernani,  en  1839,  et  à  Londres,  en  1863.  Comme  Mm0  Patti,  Mmc  Lucca  a 
construit  un  charmant  théâtre  particulier  à  sa  maison  de  campagne  du 
lac  deTraun.  Mais  la  prima  donna  autrichienne  utilise  cette  scène  exclu- 
sivement à  l'instruction  de  ses  élèves,  à  qui  elle  se  propose  de  consacrer 
toute  son  énergie  après  sa  retraite. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  — Breslau  :  Le  théâtre  municipal 
vient  d'offrir  à  son  public  Philémon  et  Baucis,  de  M.  Gounod,  qui  a  reçu  un 
accueil  très  favorable.  —  Brunswick  :  En  remplacement  de  M.  von  Rudolli, 
décédé,  le  comte  de  Wangenheim  vient  d'être  nommé  intendant  général 
de  la  scène  ducale.  La  Loreley  du  compositeur  Sommer  va  être  représentée 
sur  ce  théâtre  à  la  fin  de  la  présente  saison.  — Dresde  :  L'opéra-comique 
de  M.  Ritter,  Jean  le  paresseux,  devait  être  représenté  pour  la  première 
fois  le  23  novembre  au  théâtre  de  la  Cour,  mais  au  dernier  moment  le 
compositeur  a  retiré  son  autorisation,  sous  prétexte  qu'il  n'a  pu  assister 
aux  répétitions. L'ouvrage  a  été  définitivement  écarté.  —  Hanovre:  M.Max 
Gabriel,  chef  d'orchestre  au  Residenz-theater,  vient  de  faire  représenter 
une  opérette  de  sa  composition  intitulée  le  Courtier  en  mariages.  Succès 
assez  vif.  —  Leipzig  :  On  prépare  les  reprises  suivantes  au  théâtre  muni- 
cipal :  Hans  Sachs,  de  Lortzing,  la  Chasse,  de  Hiller,  la  Serva  padrona,  de 
Pergolése,  l'Étoile  du  Nord,  le  Vampire,  de  Maronner,  et  le  Chasseur  de  rats  de 
liameln,  de  Nessler.  —  Vienne:  La  Manon  de  M.  Massonetvientd'ètre  produite 
à  l'Opéra  avec  une  excellente  interprétation,  à  la  tète  de  laquelle  étaient 
Mllc  Renard  et  M.  Van  Dyck.  Le  succès  de  la  partition  parait  avoir  été 
assez  indécis.  —  Au  théâtre  An  der  Wien,  succès  complet  pour  une 
opérette  fantaisiste  en  trois  actes  et  un  prologue,  intitulée  la  Femme  du 
Diable  (d'après  Meilhac  et  Mortier),  musique  d'A.  Millier. 

—  Rubinstein  aurait,  dit-on,  l'intention  de  quitter  dans  quelque  temps 
Saint-Pétersbourg,  et  de  remettre  en  d'autres  mains  la  direction  du  Con- 
servatoire. L'illustre  compositeur  se  serait  plaint  des  obstacles  qu'il 
rencontre  à  chaque  pas  dans  la  réalisation  des  réformes  qu'il  propose,  et 
de  l'animosité  qne  lui  témoignent  certaines  coteries  musicales  et  une 
partie  de  la  presse.  Cette  décision  est  très  vivement  commentée  en  Russie; 
on  ne  doule  point  que  Rubinstein,  s'il  prenait  cette  grave  résolution,  ne 
vienne  habiter  Paris. 


LE  MENESTREL 


399 


PARIS    ET    DEPARTEMENTS 

À  l'Opéra,  aujourd'hui  dimanche,  Ascanio  en  représentation  à  prix  réduits. 

—  A  l'Opéra-Comique,  on  va  s'occuper  activement  des  études  A'Enguer- 
rande,  l'Opéra  de  MM.  Emile  Bergerat  et  Victor  Wilder,  musique  de  M.  Cha- 
puis.  C'est  pour  le  rôle  d'Enguerrande,  écrit  dans  la  tessiture  de  mezzo- 
soprano,  que  la  direction  a  songé  à  Mlln  Richard.  —  Au  même  théâtre,  on 
annonce  la  réception  d'un  drame  lyrique  en  quatre  actes,  le  Prétendant, 
de  MM.  A.  Silvestre  et  Gandrey,  musique  de  M.  J.  Urich. 

—  De  l'Événement  :  On  annonce  que  le  Théâtre-Lyrique  va  prochaine- 
ment rouvrir  ses  portes  sous  la  direction  d'un  de  nos  grands  éditeurs. 
Samson  et  Dalila  serait  donné  comme  spectacle  de  réouverture  avec  M",c  Elena 
Sanz  dans  le  rôle  de  Dalila.  Bien,  mais  après? 

—  Concert  du  Châtelet.  —  M.  Colonne,  dont  l'orchestre  réalise  tous  les 
jours  d'étonnants  progrès,  nous  a  donné  une  interprétation  remarquable 
de  deux  œuvres  classiques,  justement  célèbres,  la  symphonie  en  sol  ma- 
jeur d'Haydn  et  l'adagio  du  Septuor  de  Beethoven.  Qu'il  me  permette  deux 
observations  discrètes  à  propos  de  ces  deux  œuvres  :  il  ne  faudrait  pas 
qu'une  partie  du  public  qui  assiste  depuis  longues  années  aux  concerts 
de  l'Association  artistique,  se  figurât  qu'il  n'y  a  qu'une  symphonie  d'Haydn, 
celle  en  sol,  et  qu'il  ne  sût  pas  qu'il  y  en  avait  vingt  autres  aussi  belles, 
ne  fût-ce  que  la  symphonie  en  ré  mineur  (une  merveille);  il  y  a  aussi, 
(je  l'ai  dit  plus  d'une  fois)  un  certain  octuor  de  Schubert,  qui  serait  d'un 
effet  bien  grand  avec  le  doublement  des  instruments  à  cordes.  —  On  a  ac- 
cueilli avec  une  certaine  froideur  la  première  Suite  de  M.  Pierné,  suite 
qui  abonde  en  recherches  ingénieuses.  M.  Pierné  oublie  parfois  que  la 
trame  même  du  thème  orchestral  doit  se  trouver  dans  les  instruments  à 
cordes  ;  il  imagine  sans  cesse  des  couleurs  de  timbre  empruntées  presque 
toujours  aux  autres  familles  d'instruments.  A  force  de  mettre  des  effets 
partout,  on  risque  parfois  de  n'en  mettre  nulle  part,  et  quand  on  se  pré- 
occupe des  couleurs  à  mettre  sans  avoir  une  toile  de  fond  pour  les 
appliquer,  il  est  difficile  de  faire  un  tableau,  ce  qui  ne  nous  empêche 
pas  de  reconnaître  les  incontestables  qualités  artistiques  de  M.  Pierné.  — 
MM.  Diémer  et  Risler  ont  dit  avec  une  précision  et  une  sûreté  de  style 
incomparables  les  Variations  à  deux  pianos  de  Schumann  et  l'étonnant 
Sclierzo  de  M.  Saint-Saëns,  ils  ont  été,  à  très  juste  titre,  très  applaudis. 
—  Si  le  regretté  César  Franck  eût  vécu,  il  eût  été  ravi  de  l'admirable 
exécution  de  sa  dernière  œuvre,  Psyché.  César  Franck  était  un  musicien 
absolument  sincère  ;  il  ne  doutait  pas  que  sa  conception  de  la  musique 
ne  fût  la  vraie.  Il  y  a,  dans  Psyclié,  une  entente  prodigieuse  de  l'orchestre, 
il  y  a  des  chœurs  dans  la  coulisse  traités  avec  un  art  extraordinaire,  mais 
il  existe  et  il  existera  longtemps  des  esprits  fermés  à  la  conception  de  la 
mélodie  continue  ;  il  parait  qu'il  y  a  en  elle  des  mystères  profonds,  des  ar- 
canes merveilleux,  qu'il  faut  une  intelligence  tout  à  fait  supérieure  pour 
approfondir  et  comprendre.  Je  suis  au  nombre  des  esprits  médiocres  que 
la  grâce  n'a  pas  encore  absolument  touchés,  et  je  me  suis  beaucoup  plu 
à  l'audition  du  ballet  à'Hérodiade,  qui  m'a  semblé  très  mélodieux,  très 
chantant,  et  qui  est  fait  pour  complaire  aux  esprits  de  second  ordre. 

H.  Barredette. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  La  symphonie  en  si  bémol  de  Schumann  peut 
être  considérée  comme  le  type  le  plus  exquis  de  grâce  et  d'élégance  que 
l'on  ait  créé  depuis  Haydn  et  Mozart.  Les  phrases  mélodiques  s'y  succèdent 
sans  discontinuer,  se  transforment,  s'effacent  et  renaissent  avec  une  admi- 
rable aisance.  Le  style  ne  vise  ni  à  l'ampleur,  ni  à  la  passion;  il  a  suffi 
au  compositeur  d'égrener  sa  guirlande  mélodique  comme  une  pluie  de 
fleurs,  sans  autre  ambition  que  de  charmer  délicieusement.  Tous  les  dé- 
tails de  l'œuvre,  qui  ne  dédaigne  pas  quelques  excursions  dans  le  domaine 
de  la  pure  virtuosité,  ont  été  rendus  avec  une  netteté  parfaite,  —  Les  frag- 
ments de  Roméo  et  Juliette  de  Berlioz,  comprenant  le  bal  chez  Capulet,  la 
scène  d'amour  et  le  scherzo  ont  été  exécutés  avec  une  correction  qui  n'eût 
pas  été  peut-être  l'idéal  de  Berlioz,  mais  qui  a  l'avantage  de  révéler  des 
beautés  de  détails  qu'une  exécution  plus  fougueuse  et  plus  passionnée 
laisserait  nécessairement  dans  l'ombre.  Le  scherzo,  rendu  avec  une  net- 
teté presque  mécanique,  présente  chacune  de  ses  parties  avec  un  relief  si 
frappant  que  l'on  serait  disposé  à  en  comparer  l'ossature  orchestrale  aux 
ressorts  d'une  machine  compliquée  se  rapprochant  et  s'éloignant  tour  à 
tour  sans  qu'il  en  résulte  jamais  la  moindre  confusion.  —  M"e  Landi  a 
chanté  la  Rêverie  de  M.  Saint-Saëns  :  Puisqu'ici-bas  toute  âme...  et  la  méljdie 
de  M.  Massenet:  Si  tu  veux,  mignonne,...  en  artiste  qui  sait  tirer  parti 
d'un  organe  dont  les  notes  ont,  surtout  dans  le  grave,  une  certaine  am- 
pleur et  un  timbre  séduisant  qui  fait  naître  immédiatement  un  courant 
sympathique.  M"0  Landi  a  eu  dans  la  Rêverie  des  oppositions  de  nuances 
d"un  effet  ravissant;  elle  a  su  d'ailleurs  conserver  à  ce  morceau  le  carac- 
tère de  passion  tempérée  qui  domine  dans  les  vers  de  Victor  Hugo,  et  que 
M.  Saint-Saëns  a  voulu  respecter;  dans  la  mélodie,  elle  a  mis  dans  sa 
manière  de  dire  plus  de  coquetterie,  même  quelque  chose  de  mièvre,  d'af- 
fecté, qui  convient  bien  à  la  musique  superlativement  féminine  de  M.  Mas- 
senet. —  Le  concert,  qui  avait  commencé  par  l'introduction  du  3°  acte  de 
Lohengrin,  s'est  terminé  par  le  prélude  de  Tristan  et  Iseult  et  par  l'ouverture 
du  FreUcliiilz .  Amédée  Boutarel. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Société  des  concerts  du  Conservatoire,  réouverture  de  la  saison  :  symphonie  en 
si  bémol    (Beethoven);   scène  du  Faust  de  Gœthe  (R.   Schumann),   chantée  par 


M""  Eames,  Michart,  MM.  de  la  Tour,  Soulacroix  et  Auguez;  andante  et  scherzo 
de  la  première  symphonie  (G.  Bizet)  ;  air  de  la  Création  (Haydn),  chanlé  par 
M'1"  Eames  ;  ouverture  i'Obéron  (Weber).  Le  concert  sera  dirigé  par  M.  J.  Garcin. 

Châtelet,  concert  Colonne  :  Symphonie  héroïque  (Beethoven);  air  de  lal'.réalion 
(Haydn),  chanté  par  M"0  Jeanne  Leclercq  ;  première  audition  de  Scène  au  camp 
(Paul  Lacombe);  fragmenta  SBérodiade  (Massenet);  Suite  algérienne  (Saint-Saëns); 
air  de  la  Flûte  enchantée  (Mozart),  chanté  par  M""  Jeanne  Leclercq;  introduction 
du  troisième  acte  de  Lohengrin  (R.  Wagner). 

Cirque  des  Champs-Elysée»,  concert  Lamoureux  :  ouverture  de  Sakountala 
(Goldmark);  symphonie  en  si  bémol  (Schumann);  Siegfried-Idyll  (R.  Wagner); 
Symphonie  fantastique  (H.  Berlioz);  chevauchée  de  la  Yalkijrie  (R.  Wagner). 

—  Dans  l'Obstacle,  la  nouvelle  pièce  de  M.  Alphonse  Daudet,  il  y  a  une 
partie  musicale  que  M.  Victor  Koning  vient  de  confier  â  un  tout  jeune 
musicien,  M.  Reynaldo  Hahn.  M.  Hahn  est  un  des  élèves  de  la  classe  de 
M.  Massenet  au  Conservatoire  ;  il  a  à  peine  seize  ans,  et  il  a  déjà  com- 
posé des  mélodies  remarquées. 

—  Georges  Bizet,  sa  vie  et  ses  œuvres,  tel  est  le  titre  d'une  élégante  et 
substantielle  brochure  que  M.  Camille  Bellaigue  vient  de  publier  à  la 
librairie  Delagrave,  et  qui  ne  tire  pas  seulement  son  intérêt  des  circons- 
tances qui  remettent  vivement  en  lumière  en  ce  moment  le  nom  de  l'au- 
teur si  regretté  de  l'Artésienne  et  de  Carmen.  La  notice  de  M.  Bellaigue  est 
un  hommage  éclatant,  et  vraiment  digne  de  lui,  rendu  au  grand  artiste 
que  la  mort  a  ravi  si  prématurément  et  si  douloureusement  à  l'art  et  à 
son  pays,  que  son  génie  était  appelé  à  illustrer.  Elle  sera  lue  non  seu- 
lement avec  plaisir,  mais  avec  un  vif  intérêt,  sa  forme  pleine  d'élégance 
s'alliant  à  un  fonds  solide.  Elle  sera  un  régal  à  la  fois  pour  les  lettrés  et 
pour  les  musiciens.  A.  P. 

—  Dans  une  de  ses  récentes  chroniques  du  National,  notre  collaborateur 
et  ami  Arthur  Pougin  mettait  en  avant  l'idée  de  la  célébration  du  cente- 

.  naire  de  la  Marseillaise.  Depuis  lors,  un  de  nos  confrères,  dans  une  chro- 
nique de  l'Événement,  s'emparant  de  cette  idée,  croyait  devoir  préciser  et 
annonçait  que  cette  fête  devait  avoir  lieu  le  24  avril  prochain.  Il  y  a  là 
certainement  une  erreur.  M.  Arthur  Pougin  rappelait  fort  justement,  dans 
son  article,  que  c'est  à  Strasbourg,  pendant  la  nuit  du  23  au  24  avril  1792, 
que  Rouget  de  Lisle,  en  un  élan  de  fièvre  et  d'enthousiasme,  avait  enfanté 
le  chant  héroïque  qui  depuis  lors  a  fait  le  tour  de  l'Europe  à  la  tète  de 
nos  armées  victorieuses.  Ce  n'est  donc  qu'en  1892,  et  non  en  1891,  qu'on 
pourra  fêter  comme  il  convient  le  centenaire  du  plus  bel  hymne  national 
que  le  monde  ait  jamais  connu. 

—  Mercredi  dernier  a  eu  lieu  l'inauguration  solennelle  des  nouvelles 
grandes  orgues  de  Saint-Séverin.  L'exécution  musicale,  sous  la  direction 
de  M.  E.  Le  Maître,  a  été  tout  à  fait  excellente.  MM.  Dallier,  Vergnet, 
Caron,  Brun,  Loeb,  Franck,  Garrigue,  etc.,  prêtaient  le  concours  de  leur 
talent  à  cette  belle  cérémonie.  Le  succès  de  lajournée  a  été  pour  M.  Caron, 
qui  a  dit  en  remarquable  chanteur  l'Hymne   aux  astres,  de  M.  Faure. 

—  Il  y  aura  cette  année,  comme  les  précédentes,  les  quatre  bals  régle- 
mentaires de  l'Opéra.  En  voici  les  dates  :  Le  premier  aura  lieu  le  10  jan- 
vier, le  deuxième  le  24,  le  troisième  le  7  février  et  le  dernier  le  S  mars. 
De  nombreuses  attractions  rendront  ces  fêtes  dansantes  plus  brillantes  que 
jamais. 

—  La  séance  publique  de  la  Société  philotechnique  (fondée  en  1796)  aura 
lieu  aujourd'hui  dimanche  dans  la  salle  d'horticulture,  avec  le  gracieux- 
concours  de  Mmo  Roger-Miclos,  de  Mllc  Hélène  Rizzio,  de  MM.  Hasselmans, 
de  Vroye,  Engel   etCasella. 

—  Encore  une  tentative  de  décentralisation.  Mardi  prochain,  16  décem- 
bre, aura  lieu  au  Théâtre  des  Arts,  de  Rouen,  la  première  représentation 
d'un  ouvrage  inédit,  Gyptis,  légende  lyrique  en  deux  actes,  paroles  de 
MM.  Maurice  Boniface  et  Edouard  Bodin,  musique  de  M.  Noël  Desjoyeaux. 

—  Le  cercle  des  Beaux-Arts,  de  Nantes,  dont  les  concerts  sont  si  cé- 
lèbres dans  cette  ville  depuis  cinquante  ans,  a  commencé  la  série  de  ses 
fêtes  par  une  soirée  dans  laquelle  on  a  entendu  M.  Soulacroix,  l'excellent 
baryton  de  l'Opéra-Comique,  Mnlc  Molé-Truffier,  sa  ,  digne  partenaire  de 
la  Basoche,  et  Mlk  Juliette  Dantin,  la  jeune  violoniste  que  tout  Paris  con- 
naît. Le  clou  de  la  soirée  a  été  la  représentation,  dans  un  charmant 
décor,  d'un  petit  opéra,  Pierrot  puni,  de  M.  Henri  Cieutat,  dont  la  musique 
est  finement  spirituelle  et  qui  a  été  l'occasion  d'un  très  grand  succès  pour 
les  interprètes  et  pour  l'auteur. 

—  Très  joli  succès  à  Moulins  pour  MUe  Lucie  d'Alvar,  de  l'Opéra,  et  le 
violoniste  Emile  Lévêque,  dans  un  concert  donné  par  la  Loge  moulinoise, 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

—  M.  Wittmann,  chef  d'orchestre  de  l'Hippodrome,  a  l'honneur  de  prévenir 
MM.  les  artistes  musiciens  et  choristes  qui  désireraient  faire  partie  de  l'orches- 
tre symphonique  et  des  chœurs  de  l'Hippodrome  pour  la  saison  1891,  de  se  faire 
inscrire,  soit  par  lettre,  soit  en  se  présentant  au  siège  de  l'administration,  5,  ave- 
nue de  l'Aima,  de  2  à  4  heures. 

Les  auditions  commenceront  à  partir  du  18  courant. 

—  Un  concours  pour  une  place  de  flûtiste  et  une  place  decontrebassiste, 
vacantes  à  l'orchestre  de  l'Opéra,  aura  lieu  prochainement.  S'adresser,  pour 
l'inscription,  de  4  à  b  heures,  à  M.  Colleuillo. 


400 


LE  MÉNESTREL 


Cinquante-septième    année    de    publication 


PRIMES  1891   du  MÉNESTREL 

JOURNAL    DE    MUSIQUE    FONDÉ    LE    1er   DÉCEMBRE    1833 

Paraissant  tous  les  dimanches  en  huit  pages  de  texte,  donnant  les  comptes  rendus  et  nouvelles  des  Théâtres  et  Concerts,  des  Notices  biographiques  et  Études  sur 

les  grands  compositeurs  et  leurs  œuvres,  des  séries  d'articles  spéciaux  sur  l'enseignement  du  Chant  et  du  Piano  par  nos  premiers  professeurs, 

des  correspondances  étrangères,  des  chroniques  et  articles  de  fantaisie,  etc., 

publiant  en  dehors  du  texte,  chaque  dimanche,  un  morceau  de  choix  (inédit)  pour  le  cn.ivr  ou  pour  le  l»ll\o,  de  moyenne  difficulté,  et  offrant 

à  ses  abonnés,  chaque  année,  de  beaux  recueils-primes  CHAMT  et  PIANO. 


PIANO 

Tout    abonné    à    la    musique    de    Piano    a    droit  gratuitement    à    l'un    des    volumes    in-8°    suivants  : 


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recueils  du  PIANISTE-LECTEUR,  reproduction  des  manuscrits  autographes  des  principaux  pianistes-compositeurs,  ou  à  l'un  des  volumes  précédents  du  répertoire 
de  STRAUSS,  GTJNG'L,  FAHRBACH,  STROBL,  et  KAULICH,  de  Vienne. 


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TRADUCTION  FRANÇAISE  —H_       ma      IHMBw        satann       HB  t>M        ^M^  RÉCITATIFS  à  RÉDUCTION  PIANO 


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on  nouvel  abonne,  sur  la  présentation  de  la  quittance  d'abonnement  au  MKAKSTRËL  pour  l'année  1891.  «Joindre  au  prix  d'abonnement  un 
supplément  il'l:\  ou  de  DEUX  francs  pour  l'envoi  franco  de  In  prime  simple  ou  double  dnns  les  départements.  (Pour  l'Etranger,  l'envoi  franco 
des  primes  se  règle  selon  les  frais  de  Poste.) 

LesabomiesauChanlpeuvcntprendre  la  prime  Piano  et  vice  versa.  -  Ceux  au  Piano  et  au  Chanl  réunis  onl  seuls  droit  à  la  grande  Prime.  -  Les  abonnés  au  texte  seul  n'ont  droit  à  aucune  prime. 
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1"  Mode  d'abonnement  :  Journal-Texte,  tous  les  dimanches  ;  26  morceaux  de  ck\nt  : 
Scènes,  Mélodies,  Romances,  paraissant  de  quinzaine  en  quinzaine;  1  Recueil- 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs  ;  Étranger,  Frais  de  poste  en  sus. 


2°  Moded'abonnement  :  Journal-Texte,  tous  les  dimanches  ;  26  morceaux  de  piano  : 
Fantaisies,  Transcriptions,  Danses,  de  quinzaine  en  quinzaine;  1  Recueil- 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs;  Étranger  :  Frais  de  poste  en  sus. 


CHANT  ET  PIANO  REUNIS 

3*  Mode  d'abonnement  contenant  le  Texte  complet,  52  morceaux  de  chant  et  de  piano,  les  2  Recueils-Primes  ou  une  Grande  Prime.  —  Un  an  :  30  francs,  Paris 

et  Province;  Étranger:  Poste  en  sus.  —  On  souscrit  le  10r  de  chaque  mois.  —  Les  52  numéros  de  chaque  année  forment  collection. 
h°..Mode.  Texte  seul,  sans  droit  aux  primes,,  un  an  :  10  francs. 

Adresser  franco  un  non  sur  la  poste  à  M.  Henri  HEUGEL,    directeur  du  Ménestrel,  '2  bis,  rue  Vivienne. 


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;  FEB.   —  MrHlBIEalE  I 


3H6  -  56me  ANNEE  -  «°  51.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES  Dimanehe  21  Décembre  im 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

/dresser  fhanco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement 
Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  -20  fr.,  Paris  et  Province, 
nt  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sua. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste:  Victor  Massé  (32"  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Semaine 
théâtrale:  premières  représentations  des  Douze  Femmes  de  Japhet,  à  la  Renaissance 
et  de  la  Fée  aux  Chèvres,  à  la  Gaîté,  H.  Mokeno.  —  III.  Une  famille  d'artistes: 
Les  Saint-Aubin  (2"  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Revue  des  Grands  Concerts. 
—  V.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

NOËL    BRETON 

de  Henry  Ghïs.  —   Suivra   immédiatement  :   Clair   de   Lune,  de  Théodore 

Dubois. 

CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  chant:  Les  Petits  Chasseurs,  n°  25  de  la  Chanson  des  Joujoux,  poésies  de 
Jules  Jouy,  musique  de  Claudius  Blanc  et  Léopol»  Dauphin.  —  Suivra  im- 
médiatement :  les   Volants,  n°  15  de  la  même  collection. 

NOS  PRIMES  POUR  L'ANNÉE  1891 

VOIR  a  la  huitième  page 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


VIGTOtt  MASSE 


Pour  les  Parisieos  d'avant  1870,  aimant  et  fréquentant  le 
monde  musical,  la  cour,  ou  plutôt  le  petit  jardin  de  la  direc- 
tion de  l'Opéra,  a  été  un  coin  particulièrement  charmant  et 
vivant. 

A  gauche,  l'escalier  obscur,  mais  égayé  de  rires,  montant 
aux  loges  des  artistes,  le  couloir  d'hypogée  où  les  anciennes 
et  les  nouvelles  de  l'école  de  la  danse  passaient  et  repas- 
saient dans  un  continuel  va-et-vient;  à  droite,  l'administra- 
tion, façade  sévère  de  vieil  hôtel,  et,  entre  les  deux  bâti- 
ments, la  vaste  cour  ombragée  de  grands  arbres,  avec  son 
bassin  entouré  de  gazon  et  de  massifs,  autour  desquels,  chaque 
après-midi,  auteurs,  musiciens,  journalistes,  danseuses,  artistes 
du  chant,  se  rencontraient,  caquetaient,  commentant  la  nou- 
velle, redisant  le  mot,  l'anecdote  du  jour. 

Par  les  tièdes  journées,  c'était  un  agréable  lieu  d'attente 
et  de  flânerie;  on  s'attardait  volontiers  dans  ce  coin  familier 
tout  aimable  et  gai,  exquisement  parisien. 

A  l'entrée  de  l'administration,  on  trouvait  Louis,  au  profil 
césarion,  à  la  tenue  correcte,  gardien  plein  de  fermeté  et  de 
tact  de  ce  sanctuaire,  l'immuable  Louis,  encore  aujourd'hui 


ferme  à  son  poste,  regardant  passer  avec  une  sérénité  philo- 
sophique les  directeurs  que  la  destinée  amène  et  remporte. 

On  se  nommait,  on  prononçait  le  nom  de  M.  Emile  Perrin 
et,  si  on  était  attendu,  avec  un  sourire  discret  Louis  ouvrait 
la  porte  du  grand  cabinet  directorial.  Vaste  pièce,  longue, 
ajourée  aux  deux  bouts,  avec  une  table  dans  l'embrasure  de 
la  fenêtre  sur  la  cour  et,  au  fond,  sous  la  lumière  de  l'autre 
fenêtre,  le  grand  bureau  encombré  de  papiers,  de  dessins,  et 
flanqué  d'autres  tables  également  chargées  de  documents  de 
toute  espèce;  — vieux  meubles  d'acajou  aux  cuivres  cise- 
lés, belle  pendule  avec  une  fine  peinture;  çà  et  là,  sur  les 
lambris,  des  tableaux,  des  dessins,  notamment  une  toile 
signée  de  l'occupant  lui-même,  qui  avait  été  peintre  au 
début  de  sa  carrière. 

Physionomie  froide,  un  peu  déconcertante  d'abord,  que  celle 
de  ce  Parisien  de  fine  race,  œil  à  demi  voilé,  regardant  de 
haut,  lèvre  railleuse  et  pourtant,  dans  le  sourire,  l'expression 
furtive  d'une  indulgente  bonté,  faite  pour  rassurer  bien  vite 
le  visiteur,  et  même  l'enhardir  jusqu'à  une  certaine  fami- 
liarité. 

Car  l'homme  enfin  parlait,  et  après  quelques  phrases  lentes, 

oubliant  peut-être  une  attitude  décommande,  peut-être  aussi 

s'abandonnaut  à  la  pente  naturelle  de  son  esprit,  il  abondait 

en  saillies  humoristiques,  et  parfois   un    rire  sonore   éclatait 

sur  ce  masque  de  glace. 

* 
*  * 

On  a  conté  bien  des  fables,  à  propos  de  ce  concours  qui 
me  mettait  en  présence  de  ce  haut  personnage,  devenu  sou- 
dainement pour  nous  une  sorte  de  demi-dieu. 

La  vérité  toute  simple  est  que  lorsque  le  ministère  eut 
l'idée,  en  1867,  d'exposer  de  la  poésie  et  de  la  musique, 
comme  on  exposait  de  la  peinture  et  des  produits  manufac- 
turés, nous  n'avions,  Edouard  Blau  et  moi,  aucunement  l'idée 
de  prendre  part  à  ce  concours,  sur  lequel  couraient  d'ailleurs 
les  bruits  les  plus  décourageants. 

On  affirmait  que  le  prix  était  donné  d'avance  à  un  poète 
ami  de  la  direction  de  l'Opéra;  nonobstant  ce  racontar  mal- 
veillant, que  l'événement  devait  démentir,  nous  avions,  pris 
au  dernier  moment  d'une  soudaine  ardeur,  passé  toute  une 
nuit  à  convertir  en  grand  opéra  cette  Coupe  du  roi  de  Thulé  qui 
n'avait  existé  jusqu'alors  qu'à  l'état  de  simple  opéra-comique. 
Le  manuscrit  original,  tout  raturé,  avait  été  envoyé  au  minis- 
tère, et  nous  avions  attendu,  sans  jmpatience,  un  jugement 
dont  nous  n'espérions  rien  de  bon. 


Nous  avions  emprunté  à  Musset  l'épigraphe  de  cette  œuvre 
légère: 


402 


LE  MENESTREL 


Que  l'on  fasse  après  tout  un  enfant  blond  ou  brun, 
Pulmonique  ou  bossu,  borgne  ou  paralytique, 

C'est  déjà  très  joli  que  d'en  avoir  fait  un 

Et  le  mien  a  pour  lui  qu'il  n'est  pas  historique. 

Le  rapport  officiel  se  dispensa  de  citer  ce  quatrain,  tandis 
qu'il  donnait  au  contraire  tout  au  long  les  épigraphes  géné- 
ralement latines  des  poèmes  mentionnés.  L'Empire,  comme 
on  sait,  était  très  pudibond. 


C'avait  été  pour  nous  une  délicieuse  surprise,  lorsque  le 
directeur  général  des  théâtres,  M.  Camille  Doucet,  nous  avait 
fait  appeler  pour  nous  annoncer  notre  victoire.  Ohl  dans 
quelle  atmosphère  lumineuse  nous  marchâmes  pendant  une 
semaine  !  Ayant  eu  la  naïveté,  l'originalité  de  ne  nous  faire 
recommander  par  personne,  tandis  que  le  nom  des  autres 
concurrents  était  connu  de  tous,  nous  étions  célébrés  comme 
des  phénomènes.  On  nous  trouvait  plus  vrais  que  nature. 

—  J'ai  lu  vos  vers  avec  un  soia  !  disait  l'un  —  Perrin  a 
lu  votre  poème  comme  un  ange,  affirmait  l'autre. 

Qui  est-ce  qui  avait  lu,  en  réalité?  —  Nous  n'en  savions 
rien;  mais  cela  nous  était  bien  égal  ;  nous  étions  ravis, 
nous  sortions  de  l'ombre! 

—  Voulez-vous  que  je  vous  donne  un  sujet?  me  proposait 
un  de  nos  juges  :  je  vous  le  donne;  je  ne  fais  plus  que  de 
la  critique,  moi:  C'est  Carmen;  il  y  a  là  un  opéra  dans  le 
genre  de  Fra  Diavolo,  avec  un-rôle  d'Anglais.  Songez-y! 

Et  dire  que  nous  aurions  pu  faire  cette  Carmen,  sans  pré- 
voir l'autre'  Et  que  peut-être,  malgré  nos  tendances,  il  y 
aurait    eu,   par    déférence  pour    notre    conseiller,    un    rôle 

d'Anglais comme  àa.ns  Fra  Diavolo  !  Et  que  peut-être  enfla 

Bizet  en   aurait   composé  la  musique  !  Ah  !   comme  tout  le 
monde  y  aurait  perdu,  et  lui  le  premier! 


C'est  en  sortant  du  cabinet  de  M.  Camille  Doucet,  tout 
saturé  de  paroles  aimables,  que  j'entrai  dans  celui  d'Emile 
Perrin. 

Après  les  premiers  compliments  échangés,  il  me  dit  pres- 
que brusquement: 

—  Pourquoi  ne  m'avez-vous  pas  apporté  votre  poème  au 
lieu  de  le  présenter  au  concours?  J'en  aurais  fait  composer 
la  musique  par  Gounod. 

—  Ah!  monsieur,  osai-je  répondre  à  cette  communication 
flatteuse,  mais  qui,  un  instant,  m'avait  rempli  d'une  vague 
inquiétude,  car,  suivant  la  morale  du  fabuliste,  «  Un  bon  tiens 
vaut  mieux  que  deux  tu  l'auras  »,  Ah!  monsieur,  il  est  si  dif- 
ficile à  des  nouveaux  comme  nous  de  forcer  même  les  portes 
d'un  petit  théâtre!  Comment  voulez-vous  qu'ils  aient  songé  à 
aborder  l'Opéra?  Nous  ne  vous  avons  pas  apporté  notre  poème, 
parce  qu§  vous  ne  l'auriez  pas  lu. 

Perrin  demeura  un  instant  silencieux,  puis,  regardant  va- 
guement quelque  part,  il  ébauchaun  sourire  et  dit  doucement  : 

—  C'est  bien  possible  ! 


L'aveu  était  de  bonne  foi.  Il  m'en  rappelle  un  autre  qui. 
plus  tard,  me  frappa  et  contribua  à  développer  mon  instruc- 
tion au  sujet  des  mœurs  théâtrales. 

J'entretenais  un  jour  Larochelle,  directeur  de  la  Gaité,  d'un 
drame  dont,  étant  directeur  de  la  Porte-Saint-Martin,  il  n'avait 
pas  voulu  même  entendre  parler  et  qu'alors,  l'ayant  lu,  il  se 
montrait  disposé  à  représenter. 

El  comme  je  m'étonnais  de  ces  dispositions  si  contradictoires: 

—  A  la  Porte-Saint-Marlin,  m'expliqua  t-il  tranquillement, 
nous  ne  voulions  pas  faire  de  nouveaux  auteurs! 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


La  semaine  était  aux  folichonneries. 

C'en  est  une  tout  à  fait  extraordinaire  que  ces  Douze  Femmes  de 
Japhet  qu'on  vient  de  nous  présenter  au  théâtre  de  la  Renaissance. 
Cela  nous  rappelle  ces  bonnes  folies  de  carnaval  qu'on  donnait  au- 
trefois au  Palais-Royal,  comme  la  Mariée  du  mardi-gras.  On  en 
croyait  le  genre  perdu  -et  les  gens  de  belle  humeur,  qui  aiment  ces 
petites  débauches  de  gaîté,  ces  orgies  de  rire  au  moins  une  fois  par 
année,  seront  satisfaits  de  MM.  Antony  Mars  et  Maurice  Desvallières, 
deux  jeunes  auteurs  qui  n'engendrent  pas  la  mélancolie. 

Qu'est-ce  que  ce  Japhet,  si  amateur  des  joies  matrimoniales  qu'il 
va  jusqu'à  prendre  douze  femmes  parfaitement  légitimes  ?  Un  mor- 
mon naturellement,  mais  un  mormon  de  circonstance.  Il  était  venu, 
sans  penser  à  mal,  se  fixer  en  Amérique  pour  y  chercher  fortune. 
Sur  les  bords  du  Lac  salé,  il  rencontre  une  honorable  veuve,  déjà 
mûre,  mais  tenant  de  son  premier  mari  un  commerce  de  conserves 
excessivement  prospère.  Paf  !  il  épouse  le  fonds  et  la  veuve,  puis, 
pour  son  agrément,  il  prend  une  femme  plus  jeune,  les  usages  du 
pays  l'y  autorisant  ;  il  en  prend  une,  puis  deux,  puis  trois,  et  va 
ainsi  jusqu'à  la  douzaine,  sans  trop  s'en  rendre  compte. 

Que  dirait  son  oncle  Baliveau,  de  Paris,  s'il  apprenait  tout  cela, 
Baliveau,  qui  ne  compte  plus  les  infortunes  conjugales,  et  qui  a 
juré  de  déshériter  son  neveu  si  jamais  il  lui  prenait  la  fantaisie  de 
se  marier,  attendu  qu'il  trouve  que  c'est  assez  d'  «  un  »  dans  la  fa- 
mille? Mais  le  Lac  salé  est  loin  de  Paris,  et  l'oncle  Baliveau  ignore 
tout,  ce  qui  permet  à  Japhet  de  couler  des  jours  heureux  entre  ses 
douze  femmes,  toutes  plus  charmantes  les  unes  que  les  autres,  à 
l'exception  de  la  veuve,  qui  regrette  ses  jeunes  années. 

Tous  les  ans,  Japhet  s'accorde  des  vacances  de  deux  mois,  qu'il  va 
passer  célibatairement  à  Paris  près  de  l'oncle  Baliveau.  En  1890,  il 
trouve  cet  oncle  commissaire  de  police  ;  c'est  une  fantaisie  de  cet 
original  millionnaire,  qui  trouve  ce  métier  adorable  parce  qu'il  lui 
procure  l'occasion  de  constater  souvent  des  «  flagrants  délits  »,  et  que 
c'est  toujours  une  satisfaction  de  savoir  qu'on  n'est  pas  «  le  seul  ». 
Mais  quel  commissariat  que  celui  de  l'oncle  Baliveau  !  Tout  capi- 
tonné du  haut  en  bas,  et  meublé  par  le  premier  tapissier  de  Paris. 
Tous  les  arrêtés  de  police  y  sont  richement  encadrés  et  posés  sur  des 
chevalets,  ni  plus  ni  moins  que  des  tableaux  de  Meissonier.  Dans 
les  cellules,  très  confortables,  on  a  mis  des  pianos  pour  la  distraction 
des  prisonniers.  C'est  ce  que  l'oncle  Baliveau  appelle  un  commis- 
sariat fin  de  siècle. 

Et  il  va  s'en  passer  de  belles,  dans  ce  commissariat  !  Imaginez- 
vous  que  les  douze  femmes  de  Japhet  débarquent  à  Paris  pour  le 
surprendre,  qu'elles  descendent  à  l'aventure  dans  un  hôtel  mal  famé, 
que  la  police  les  y  cueille  comme  de  vulgaires  rôdeuses  et  les 
conduit...  où?  naturellement  chez  le  commissaire,  oncle  de  leur 
mari.  Je  renonce  à  vous  raconter  la  suite  d'imbroglios  insensés  qui 
découlent  de  cette  situation.  Baliveau  finit  par  comprendre  que  sou 
neveu  s'est  marié  jusqu'à  douze  fois,  et  qu'au  nombre  de  ces  douze 
femmes  se  trouve  précisément  la  sienne  à  lui,  celle  contre  qui  il  a 
obtenu  le  divorce.  Horreur  et  malédiction  !  Il  chasse  Japhet  avec 
toute  sa  smala. 

Que  fera  le  neveu  pour  reconquérir  la  sympathie  d'un  oncle  aussi 
irascible  que  millionnaire  ?  Il  mariera  à  d'autres  ses  douze  femmes.  Et 
c'est  pourquoi  le  troisième  acte  de  la  pièce  de  MM.  Mars  et  Desval- 
lières se  passe  chez  un  agent  matrimonial,  l'illustre  Cassoulet  de 
Casablanca,  autrefois  premier  ténor  à  Toulouse.  Après  une  série  de 
scènes  fort  amusantes,  le  pkn  de  Japhet  réussit  et  le  voilà  céliba- 
taire comme  devant. 

C'est  fou,  comme  vous  voyez,  mais  il  y  a  bien  longtemps  qu'on 
n'avait  autant  ri.  Joignez  à  cela  de  la  charmante  musique  de  Victor 
Roger,  fine  sans  prétention  et  toujours  gaie,  refrains  de  bonne  hu- 
meur qui  seront  demain  dans  toutes  les  oreilles.  Il  y  a  surtout  r.ne 
série  de  petits  chœurs  pour  les  douze  femmes  de  Japhet  qui  sont 
particulièrement  bien  venus  :  le  bénédicité,  le  finale  du  premier  acte, 
un  quadrille  chanté,  et  surtout  le  joli  ensemble  : 
Nous  venons  de  l'Amérique, 
Sur  un  bateau  transatlantique. 

C'est  donc  tout  un  succès  de  galté,  et  l'interprétation,  qui  est  con- 
venable dans  son  ensemble,  n'y  a  pas  nui.  Les  douze  femmes  de 
Japhet  sont  fort  avenantes  on  leurs  ravissants  costumes  ;  le  bataillon 
en  est  mené  très  rondement  par,  M"e  Alice  Berlhier,  à  laquelle  oiii 
a  très  justement  bissé  les  couplets  du  «  petit  douzième  provisoire  ». 
Du  côté  des  hommes,  M.  Regnard,  qui  a   du    mouvement,  M.  Vie- 


LE  iMENESTREL 


403 


torin,  tout  à  fait  plaisant  dans  le  rôle  de  Cassoulet,  M.  Bellot,  un 
commissaire  fort  joyeux,  Edouard  Georges  avec  ses  airs  ahuris,  et 
enfin  M.  Gildès,  qui  a  de  la  tenue. 

Nous  serions  fort  surpris  si  cette  aimable  folie  n'avait  une  longue 
suite  de  représentations. 

*  '* 

Avec  la  Fée  aux  chèvres,  que  le  théâtre  de  la  Galté  a  représentée 
jeudi  dernier,  nous  sommes  toujours  dans  l'opérette,  mais  d'un 
genre  plus  relevé,  dans  l'opérette  à  grand  spectacle  avec  des  pré- 
tentions de-ci  de-là  au  genre  de  l'opéra-comique.  Le  compositeur, 
M.  Varney,  y  a  naturellement  été  poussé  par  le  choix  qu'il  avait  fait 
de  sa  principale  interprète,  Mlle  Samé,  cette  gentille  artiste  qui 
passa  un  moment  sur  la  scène  de  l'opéra-comique  du  Châtelet,  y 
rît  un  brillant  début  dans  le  Caïd  et  dut  ensuite  aller  jouer  le 
répertoire  au  théâtre  de  la  Monnaie  de  Bruxelles,  sans  qu'on  ait 
jamais  su  pourquoi  M.  Paravey  se  privait  de  la  mieux  douée 
assurément,  au  point  de  vue  du  théâtre,  de  toutes  ses  pension- 
naires. Cela  restera  une  des  étrangetés,  entre  beaucoup  d'autres, 
de  cette  très  bizarre  direction  de  M.  Paravey.  Comme  il  était  dans 
la  salle,  jeudi  dernier,  il  a  pu  voir  quel  accueil  on  a  fait  à  Mllc  Samé,  qui, 
toute  jeune  encore,  devra  assurément  se  corriger  d'une  petite  exu- 
bérance bien  naturelle,  mais  qui  possède  un  ensemble  de  qualités 
vivantes  et  un  tempérament  d'artiste  très  rare  à  rencontrer  en  ce 
moment.  M1Ie  Samé  a  devant  elle  un  superbe  avenir. 

M.  Varney,  dont  ce  n'est  pas  trop  l'affaire,  s'est  cru  obligé  de  lui 
composer  quelques  morceaux  d'exécution,  avec  des  traits  et  vocalises 
coulés  dans  un  bien  vieux  moule;  mais  elle  en  a  tiré  tout  le  parti 
qu'il  était  possible  et,  quand  son  compositeur  a  bien  voulu  s'en  tenir 
au  genre  qu'il  a  plus  l'habitude  de  traiter,  elle  s'est  montrée  alors 
tout  à  fait  charmante.  Il  y  a  là  surtout  une  série  de  petits  trios,  — 
les  trios  ont  porté  bonheur  à  M.  Varney  —  excellemment  écrits 
dans  la  note  bouffe  et  très  joliment  interprétés  par  Mlle  Samé, 
MM.  Vauthier  et  Fugère  :  le  trio  du  déjeuner,  le  trio  militaire  et 
le  trio  des  auvergnats.  Tous  les  trois,  je  crois,  ont  été  bissés.  Puis 
encore,  une  très  jolie  chanson  à  deux  voix  pour  Mll6s  Samé  et  Géla- 
bert.  En  somme,  la  soirée  a  été  bonne  pour  le  musicien. 

La  pièce  est  de  MM.  Paul  Ferrier  et  Albert  Vanloo.  La  donnée 
n'en  est  pas  très  fraîche,  puisqu'il  s'agit  simplement  de  retrouver 
un  testament  égaré  afin  de  rendre  toute  une  fortune  à  son  posses- 
seur légitime.  Cela  s'est  vu  déjà  et  souvent.  Il  y  a  donc  en  présence, 
dans  la  Fée  aux  chèvres,  ceux  qui  veulent  retrouver  le  testament  et 
ceux  qui  veulent  qu'on  ne  le  retrouve  pas.  Heureusement,  ce  n'est  là 
qu'un  cadre  pour  une  série  de  scènes  assez  souvent  amusantes  et 
qui  donnent  l'occasion  de  voir  MUc  Samé  sous  plusieurs  travestisse- 
ments. Car  c'est  elle  la  fée  aux  chèvres,  qui  conduit  toute  l'action, 
comme  Rose,  sa  proche  parente,  dans  les  Dragons  de  Villars. 

Cette  donnée,  très  simple  d'apparence,  offre  aussi  un  pré- 
texte à  des  décorations  splendides  et  à  une  mise  en  scène  d'infini- 
ment de  luxe  et  d'infiniment  de  goût  tout  à  la  fois  (oneques  ne  vis 
de  ballets  aussi  merveilleux),  qui  suffira  à  elle  seule  à  assurer 
une  longue  destinée  à  la  nouvelle  féerie  de  la  Galté,  très  bien 
défendue  par  tous  ses  interprètes,  WUs  Samé  et  Gélabert,  MM.  Vau- 
thier, Mesmacker,  Fugère,  Alexandre  et  Bartel. 


Nous  aurions  voulu  terminer  ce  bulletin  de  victoire  en  annonçant 
que  la  grande  revue  du  Casino  de  Paris  a  également  réussi.  Ce  n'est 
malheureusement  pas  le  cas,  malgré  les  charmantes  femmes  qu'on 
compte  parmi  les  interprètes,  Mmes  Grisier-Montbazon,  Lardinois, 
Stella  et  Lantelme,  et  malgré  l'agréable  musique  du  maestro  Hervé. 

Malheureusement,  cette  revue  se  traîne  sans  aucun  esprit,  pendant 
trois  longs  actes,  dans  la  vieille  ornière  de  toutes  les  revues  passées. 
Pour  soutenir  encore  de  nos  jours  un  genre  aussi  démodé  il  faut 
toute  la  verve  d'un  Blum  et  d'un  Toché,  toute  la  fantaisie  originale 
d'un  Monréal  et  d'un  Blondeau.  Nous  n'avons  malheureusement 
trouvé  ni  l'une  ni  l'autre  dans  la  revue  du  Casino.  Pénible  soirée. 

H.  Moreno. 

P. -S.  —  Les  Mathurins  viennent  de  représenter  avec  un  très  grand 
succès  leur  revue  de  fin  d'année.  Les  auteurs,  MM.  Froyez,  Oudot,  Duret 
et  de  Gorse,  ont  donné  libre  cours  à  leur  esprit  et  à  leur  fantaisie  et, 
merveilleusement  secondés  par  le  crayon  tour  à  tour  humoristique  et 
gracieux  de  M.  Gerbault,  qui  a  composé  des  déshabillés  d'un  goût  exquis, 
ils  ont  gagné  une  bataille  de  plus  sur  cette  petite  scène  de  la  rue  Pigalle 
qui  est  en  train  de  prendre  rang.  La  commère,  c'est  la  jolie  M110  Deval, 
et  il  est  impossible  d'être  plus  fine  et  plus  mignonne  ;  voici  encore  la 
radieuse  MUo  Bonnet,  du  Palais-Royal,  la  captivante  M"c  Derville,  la  sug- 
gestive M110  Savely,  la  belle  M"°  Pitter,  et  aussi  M"08  Renaud,  Préville, 


Cambrai,  Morlet,  toutes  plus  séduisantes  les  unes  que  les  autres.  Les 
membres  du  cercle  qui  leur  donnaient  la  réplique  n'étaient  certes  pas 
gaillards  à  plaindre,  et  beaucoup  auraient  donné  leur  place  dans  la  salle 
pour,  prendre,  dans  les  Coulisses  de  Paris,  l'une  quelconque  de  celles  occupées 
par  MM.  Pujol,  Septime,  Niche,  Froyez,  Pollux,  Oudot,  Collin,  Seralva, 
Philinte  et  James. 

P.-E.  C. 


UNE     FAMILLE     D'ARTISTES 


LES    SAINT-AUBIN 

(Suite.) 
II 

Sœur  des  quatre  artistes  dont  les  états  de  service  viennent  d'être 
rappelés,  Jeanne-Charlotte  Schrceder,  qui  fut  plus  tard  Mmc  Saint- 
Aubin,  naquit  à  Paris  le  9  décembre  1764,  l'année  même  où  ses  deux 
aînées  effectuaient  leur  début  sur  la  scène  qu'elle  devait  illustrer  un 
jour.  Née  d'une  famille  où  tous  étaient  comédiens,  il  eût  été  bien  sur- 
prenant qu'elle  ne  devînt  pas  comédienne  elle-même.  D'ailleurs,  son 
père  n'avait  pas  renoncé  sans  doute  à  sa  profession,  et  il  esta  croire  que 
les  premiers  pas  de  la  fillette  se  firent  sur  les  planches  d'un  théâtre. 
Ce  qui  est  certain,  c'est  que  dès  son  plus  jeune  âge  elle  monta  sur  la 
scène,  car  un  de  ses  biographes  nous  apprend  qu'elle  avait  à  peine 
huit  ou  neuf  ans  lorsque,  sous  le  nom  de  Frédéric  (comme  ses  frères 
et  soeurs,  «  cette  actrice  inimitable  parut  au  petit  spectacle  de  la  cour, 
dirigé  alors  par  le  père  de  M116  Desbrosses  (1)  ;  elle  y  joua,  devant 
Louis  XV,  le  rôle  de  la  fée  Ninette  dans  l'opéra  d'Acajou,  de  Favart, 
et  ce  monarque  applaudit  les  grâces  enfantines  de  la  jolie  débu- 
tante (2).  »  On  raconte  même  que  ce  prince  toujours  ennuyé  se  montra 
si  charmé  de  la  mignonne  fillette,  qu'on  imagina  de  la  lui  présenter 
un  jour  de  façon  différente.  Pour  lui  faire  une  surprise,  on  eut  l'idée, 
lors  d'un  grand  souper,  de  placer  l'enfant  sur  la  table,  au  milieu  d'une 
immense  corbeille  de  fleurs  qui  la  cachaient  entièrement;  à  un  signal 
donné,  elle  devait  se  lever  et  réciter  un  compliment  au  roi;  malheu 
reusement,  l'attente  fut  si  longue,  que  la  pauvrette,  mollement  cou- 
chée, finit  par  s'endormir  profondément;  quand  vint  le  signal,  elle 
était  incapable  de  l'entendre  ;  il  fallut  la  réveiller,  et  au  lieu  de  dire 
ses  vers,  elle  se  mit  à  pleurer.  On  dut  la  consoler  à  l'aide  de  nom- 
breux bunbons. 

A  onze  ans,  la  jeune  Charlotte,  placée  à  bonne  école  poury  apprendre 
son  métier,  faisait  déjà  partie  de  la  troupe  que  la  Montansier,  cette 
intrigante  fieffée  qui  avait  le  génie  du  théâtre,  conduisait  tantôt  à 
Versailles,  tantôt  à  Caen,  à  Tours  ou  à  Angers.  De  là,  et  toujours  sous 
le  nom  de  Mllc  Frédéric,  elle  alla  en  1778  à  Bordeaux,  où  elle  com- 
mença à  obtenir  de  grands  succès,  tant  dans  l'emploi  des  amoureu- 
ses de  la  comédie  que  dans  les  paysannes  ingénues  d'opéra-comique 
qu'on  appelait  alors  a  rôles  à  corset,  »  et  dans  les  travestis,  ce  qui 
prouve  toute  la  souplesse  de  son  talent  naissant.  Engagée  à  Lyon 
après  trois  années  de  séjour  à  Bordeaux,  elle  y  retrouve  les  mêmes 
applaudissements,  et  c'est  là  qu'au  mois  de  novembre  1782,  avant 
d'avoir  accompli  sa  dix-huitième  année,  elle  épouse  l'un  de  ses 
camarades  du  théâtre,  l'excellent  chanteur  et  comédien  Saint-Aubin, 
dont  elle  allait  bientôt  rendre  le  nom  célèbre. 

Celui-ci  s'appelait  réellement  Augustin-Alexandre  d'Herbez;  mais, 
selon  une  coutume  ancienne  et  fréquente,  il  avait,  en  s'adonnant  au 
théâtre,  quitté  son  nom  véritable  pour  prendre  un  nom  d'emprunt,  et  il 
avait  adopté  celui  de  Saint-Aubin.  Né  à  Paris  en  1754,  il  ne  s'était  pas, 
tout  d'abord,  destiné  à  cette  carrière,  et  c'est  vers  un  autre  art  qu'il  avait 
commencé  par  diriger  ses  efforts:  élève  de  Noël  Lemire,  graveur  fort 
distingué,  dont  il  devint  plus  tard  le  collaborateur,  il  avait  appris  sous 
sa  direction  l'état  de  graveur  entaille-douce,  dans  lequel  il  acquit  une 
réelle  habileté  et  qu'il  ne  cessa  jamais  complètement  d'exercer,  même 
au  plus  fort  de  son  activité  scénique  (3).  Par  l'entremise  de  Lemire  il 

(1)  M""  Marie  Desbrosses,  l'excellente  artiste  qui  devint  plus  tard  la  camarade  de 
M  ■*  Saint- Aubin  à  l'Opéra-Comique,  où  elle  fournit  une  carrière  de  cinquante-trois 
ans.  C'est  elle  qui,  quatre  ans  avant  de  prendre  sa  retraite,  créa  d'une  façon  si  déli- 
cieuse le  joli  rôle  de  dame  Marguerite  dans  fa  Dame  blanche. 

12)  Biographie  universelle  et  portative  des  Contemporains. 

(3)  Ce  qui  le  prouve,  c'est  cette  mention  d'une  lettre  de  lui  au  libraire  Duchesne, 
qu'on  tro  uve  dans  un  catalogue  d'autographes  ;  cette  lettre  est  datéede  Paris,  5  ger- 
minal an  X:  —  «  Il  a  autrefois  exercé  la  gravure  avec  quelque  succès;  d'autres 
occupations  l'en  ont  distrait  pendant  nombre  d'années,  mais  il  s'y  livre  de  nou- 
veau... «  J'ai  coopéré  aux  gravures  du  Temple  de  Gnide  de  Montesquieu  par  M.  Le 
«  mire,  l'un  de  nos  maîtres,  à  celle  des  vues  de  la  Suisse  et  de  l'Italie  par  M.  Née...» 
(Catalogue  de  lettres  autographes,  etc.,  2"  série,  n°  9,  novembre-décembre  1863,  Paris, 
Aug.  Lavardet,  in-8".)  —  Parent  du  géographe  Meclelle,  Saint-Aubin  grava  plu- 
sie  urs  cartes  pour  l'atlas  publié  par  ce  savant,  ainsi  qu'un  certain  nombre  de  por- 


404 


LE  MÉNESTREL 


fut,  dit-on,  engagé  par  Lebas  pour  l'aider  dans  divers  travaux  que  celui- 
ci  avait  été  appelé  à  diriger  à  Malines.  C'est  dans  cette  ville  et  pendant 
ce  temps  qu'il  aurait  appris  la  musique  pour  lirer  parti  d'une  1res  belle 
voix  de  haute-contre  qu'on  l'engageait  vivement  à  cultiver,  après  quoi 
il  se  serait  lancé  au  théâtre.  Ce  qu'on  sait  de  certain,  c'est  qu'il 
aborda  très  heureusement  la  scène  à  Lyon,  dans  le  rôle  d'Azor  de 
Zémire  et  Azor,  et  que  de  là  il  passa  à  Bruxelles,  pour  revenir 
ensuite  à  Lyon,  où  il  obtenait  des  succès  très  flatteurs  lorsqu'en  1*781 
vint  y  débuter  Mlle  Charlotte  Schrceder.  Les  deux  jeunes  gens  se  plu- 
rent, s'épousèrent,  et  continuèrent  leur  carrière  en  cette  ville,  aussi 
estimés  de  tous  pour  leur  conduite  que  pour  leur  talent. 

Ils  y  étaient  encore  lorsqu'en  1784  M016  Saint-Huberty,  profitant 
d'un  congé  qui  lui  avait  été  accordé  à  l'Opéra,  alla  donner  une  série 
de  représentations  au  Grand-Théâtre  de  Lyon.  Frappée  de  la  belle 
voix  et  du  talent  de  Saint-Aubin  en  même  temps  que  des  disposi- 
tions et  de  l'intelligence  de  sa  jeune  femme,  elle  prodigua  les  en- 
couragements et  les  conseils  à  celle-ci,  et,  de  retour  à  Paris,  s'em- 
pressa de  faire  expédier  à  son  mari  un  ordre  de  début  pour  l'Opéra. 
Saint-Aubin  vint  en  effet  débuter  à  ce  théâtre,  le  9  décembre  1784, 
dans  Atys,  de  Piccinni,  où  il  se  vit  très  favorablement  accueilli, ainsi 
que  nous  le  prouve  cette  note  du  Journal  de  Paris  :  —  «  Le  sieur  Saint- 
Aubin,  principal  acteur  du  théâtre  de  Lyon,  a  débuté  avant-hier  par 
le  rôle  d'Atys  dans  l'opéra  de  ce  nom.  Sa  voix  franche  et  flexible 
paroît  susceptible  des  inflexions  qu'exigent  les  différens  rôles  dont 
il  pourra  être  chargé.  Son  jeu,  sans  être  consommé,  a  paru  sage 
et  le  résultat  d'une  expérience  réfléchie.  Le  public  l'a  beaucoup 
applaudi  ;  cet  encouragement  lui  donnera  sans  doute  la  facilité  de 
donner  à  ses  talens  tout  leur  développement  aux  représentations 
qui  suivront  ce  premier  début  ». 

Cependant,  après  cette  première  et  heureuse  épreuve,  Saint-Aubin 
dut  retourner  à  Lyon  pour  y  terminer  son  engagement.  11  revint 
ensuite  à  Paris,  et  le  11  septembre  1783  il  paraissait  de  nouveau  à 
l'Opéra,  cette  fois  dans  l'Iphigénie  en  Tauride  de  Gluck,  où  il  jouait 
le  rôle  de  Pylade.  Ce  second  essai  ne  lui  fut  pas  moins  favorable 
que  le  premier,  et  le  30  de  ce  même  mois  de  septembre  il  signait 
l'engagement  qui  l'attachait  au  personnel  de  l'Académie  royale  de 
musique  (1).  Pendant  les  trois  années  qu'il  passa  à  ce  théâtre,  il 
reprit  un  certain  nombre  de  rôles  du  répertoire  courant,  et  fit  au 
moins  uoe  création,  dans  un  opéra  de  Dezèdes,  Alcindor,  dont  le 
succès  d'ailleurs  fut  médiocre,  et  qui  n'obtint  qu'un  petit  nombre 
de  représentations  (2). 

Une  fois  en  possession  du  mari,  l'administration  de  l'Opéra  parut 
vouloir  s'attacher  la  femme,  dont  la  réputation  grandissait  chaque 
jour  en  province.  Toujours  est-il  que  Mme  Saint-Aubin  ne  quitta 
Lyon  que  pour  venir  à  son  tour  débuter  sur  notre  première  scène 
lyrique,  où  elle  fut  engagée  après  s'être  montrée,  le  26  janvier  1786, 
dans  le  rôle  de  Colinette  de  la  Double  Epreuve  ou  Colinette  à  la  Cour, 
opéra  de  Grélry.  Elle  joua  ce  rôle  trois  fois  au  milieu  des  plus  vifs 
applaudissements,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  de  comprendre  que  la 
nature  de  son  physique,  de  sa  voix  et  de  son  talent  conviendrait 
mieux  à  une  scène  moins  vaste,  plus  intime  et  de  proportions  plus 
modestes,  où  ses  qualités  trouveraient  leur  meilleur  emploi  et  acquer- 
raient leur  complet  épanouissement.  Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'elle 
se  montrait  fort  désireuse  de  quitter  l'Opéra  pour  la  Comédie-Ita- 
lienne, et  que  la  Comédie-Italienne  ne  demandait  pas  mieux  que 
de  l'enlever  à  l'Opéra.  La  question  fut  agitée  de  part  et  d'autre,  et 
Saint-Aubin  lui-même  eût  volontiers  suivi  sa  femme  sur  les  plan- 
ches plus  familières  de  ce  théâtre,  où,  finalement,  elle  devait  con- 
quérir son   immense  renommée.  Ceci  nous  est   démontré 'par   deux 

traits  pour  les  éditions  classiques  de  Renouard.  Toutefois,  on  ne  doit  pas,  ce  qui 
serait  facile,  étant  donnée  la  singulière  similitude  des  nom  et  prénom,  confondre 
notre  artiste  avec  l'adorable  graveur  Augustin  de  Saint-Aubin,  si  justement  célèbre 
à  la  fin  du  xvm"  siècle. 

(1)  Dans  le  registre  manuscrit  de  Francœ  jr,  alors  sous-directeur  de  l'Opéra, 
registre  qui  est  conservé  aux  Archives  de  ce  théâtre,  on  trouve  celte  note,  à  la 
date  du  30  septembre  1785  :  —  L'engagement  de  M.  Saint-Aubin  fut  fait  de  ce 
jour  aux  appointements  de  2,500  et  1,500  livres  ». 

(2)  Au  sujet  de  l'engagement  de  Saint-Aubin  à  l'Opéra,  Castil-BIaze  a  bâti  un 
sot  roman  dont  on  peut  lire  les  détails,  comme  à  son  ordinaire  très  précis  et 
très  circonstanciés,  dans  son  livre:  L'Académie  impériale  de  mttsique  (T.  I, 
pp.  474-476).  Selon  le  narrateur,  M"'  Saint-Huberty  se  serait  follement  éprise  de 
Saint-Aubin  lors  de  son  voyage  à  Lyon,  et  c'est  pour  assouvir  sa  passion  qu'elle 
aurait  attiré  le  jeune  époux  à  Pari*,  à  l'aide  d'un  ordre  de  début  à  l'Opéra;  puis, 
Saint-Aubin  se  rappelant  qu'il  était  marié,  aurait  exprimé  le  désir  de  voir  sa  femme 
auprès  de  lui,  et  c'est  pour  le  satisfaire  que,  toujours  par  l'influence  de  M""  Saint- 
Huberty,  celle-ci  aurait  été  appelée  à  son  tour  à  Paris,  comme  on  va  le  voir.  11 
est  à  peine  besoin  de  faire  ressortir  le  ridicule,  plus  encore  que  l'odieux,  de 
cette  fable  absurde,  que  Caslil-Blaze,  qui  ne  reculait  devant  aucun  mensonge  pour 
paraître  bien  informé,  disait  tenir...  de  M™"  Saint-Aubin  en  personne. 


notes  que,  en  sa  qualité  de  secrétaire  du  comité  de  l'Opéra,  le  sous- 
directeur  Francœur  inscrivait  sur  son  registre,  à  une  semaine  de 
distance.  Voici  le  texte  de  la  première  :  —  «  26*  avril  1786.  Lettre 
de  Mr  S'-Aubin  qui  demande  son  congé  pr  entrer  aux  Italiens. 
Refusé.  »  La  seconde  est  ainsi  conçue  :  —  «  3  May  47S6.  Lettre  de 
M.  S'-Aubin  qui  demande  la  retraite  de  sa  femme.  Délibéraiion  du 
Comité  qui  demande  au  ministre  à  se  quelle  (sic)  lui  soit  accordée.  » 
(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Dimanche  dernier,  ouverture  de  la  session  à  la  Société  des  concerts 
du  Conservatoire,  pour  la  soixante-quatrième  année  de  l'existence  de  l'illustre 
compagnie.  La  séance  s'ouvrait  par  la  symphonie  en  si  bémol  de  Beetho- 
ven, où  nous  avons  retrouvé  toutes  les  qualités  habituelles  de  ce  merveil- 
leux orchestre,  une  sonorité  nerveuse  et  vibrante,  un  ensemble  superbe, 
des  nuances  d'un  fondu  remarquable,  et  avec  cela  le  feu,  l'élan,  la  préci- 
sion, on  pourrait  dire  l'inspiration,  qui  font  de  cet  orchestre  le  premier 
de  la  France  et  du  monde.  Après  Beethoven,  Schumann.  Il  s'agissait  cette 
fois  de  la  troisième  partie  de  Faust,  avec  la  traduction  de  M.  Bussine, 
dont  les  soii  étaient  confiés  à  MUe  Eames,  à  Mme  Michart,  à  MM.  de  Latour 
et  Auguez.  Je  ne  cacherai  pas  mon  peu  d'admiration  pour  ce  qu  on  peut 
appeler  le  Schumann  des  grandes  œuvres;  autant  je  sympathise  avec  le 
poète  exquis  des  lieder  et  des  pièces  de  piano,  autant  je  l'apprécie  médio- 
crement lorsqu'il  se  met  aux  prises  avec  les  grandes  forces  vocales  et 
instrumentales,  et  qu'il  veut,  comme  les  maîtres  immortels,  planer  au 
plus  haut  du  ciel.  Je  m'explique  peu  l'enthousiasme  de  quelques-uns, 
qui  voient  en  Schumann  un  prétendu  successeur  de  Beethoven  et  des 
grands  symphonistes.  Peut-être  ai-je  tort  en  pensant  ainsi;  mais  si  ce 
n'est  une  opinion,  c'est  au  moins  une  impression,  et  je  ne  saurais  la  dis- 
simuler. Toujours  est-il  que  ces  scènes  de  Faust  m'ont  laissé  froid,  à  part 
l'air  du  docteur  Marianus,  qui  est  d'un  caractère  plein  d'ampleur  et  tout 
empreint  d'une  mélancolie  profonde,  et  que  M.  Auguez  a  d'ailleurs  chanté, 
à  son  habitude,  de  la  façon  la  plus  remarquable.  Je  citerai  encore,  pour 
être  en  règle  avec  moi-même,  le  «  quatuor  des  enfants  bienheureux  qui 
accueillent  l'âme  de  Faust,  »  pour  quatre  voix  féminines,  qui  est  d'un 
joli  effet  et  d'une  heureuse  couleur.  —  Venait  ensuite  l'andante  et  le  scherzo 
de  la  lre  symphonie  de  Bizet.  La  phrase  initiale  de  l'andante  est  jolie 
et  bien  établie,  mais  le  morceau,  dans  son  ensemble,  ne  présente  pas  un 
caractère  bien  déterminé;  quant  au  scherzo,  charmant,  léger,  coquet,  élé- 
gant et  traité  de  main  de  maître,  c'est  une  page  adorable,  qui  semble  à  la 
fois  tenir  d'Haydn  pour  la  grâce  mélodique  et  de  Beethoven  pour  la  puis- 
sance des  développements  et  la  couleur  instrumentale.  Son  succès  a  été 
très  grand.  Mais  pourquoi  le  programme  (les  programmes  de  la  Société, 
c'est  un  reproche  que  je  ne  cesserai  de  lui  faire,  sont  toujours  sommaires 
et  insuffisants),  pourquoi  le  programme  n'inscrivait-il  pas  cette  symphonie 
sous  son  nom,  puisqu'elle  en  a  un  :  Borna,  sous  lequel  elle  est  connue? 
Quand  on  joue  la  Symphonie  de  la  Reine  d'Haydn,  ou  Jupiter  de  Mozart,  ou 
la  Symphonie  pastorale  de  Beethoven,  on  ne  s'avise  pas  de  les  indiquer  par 
un  simple  numéro  d'ordre.  Quoi  qu'il  en  soit,  constatons,  pour  terminer, 
que  l'air  de  la  Création,  d'Haydn,  ne  convient  que  médiocrement  à  la  voix  . 
si  pure  et  si  charmante  de  M"0  Eames,  et  que  la  séance  se  fermait  par 
l'étincelante  ouverture  i'Obéron,  l'un  des  triomphes  de  l'orchestre  du  Con- 
servatoire. A.  P. 

—  Concerts  du  Chàtelet.  —  La  Symphonie  héroïque  est,  de  toutes  les  œuvres 
de  Beethoven,  celle  où  domine  le  plus  la  note,  austère  et  sombre.  Le 
scherzo,  très  original  de  rythme,  parait  presque  lugubre  malgré  la  vivacité 
de  son  mouvement.  Le  finale  seul  laisse  une  place  à  l'élégance  et  ne 
dédaigne  pas  quelques  incursions  dans  le  domaine  de  la  virtuosité.  Ce 
finale  semble  se  rattacher  par  des  liens  assez  intimes  aux  œuvres  de  la 
première  manière  de  Beethoven.  —  La  Scène  du  Camp,  de  M.  Paul  Lacombe, 
n'a  obtenu  qu'un  succès  d'estime.  L'œuvre  a  paru  d'une  orchestration  un 
peu  creuse,  laible  au  point  de  vue  mélodique,  et  manquant  tout  à  fait 
d'envergure.  —  Trois  fragments  très  délicats  et  très  fins  à'Hérodiade  ont 
été  justement  applaudis.  —  La  Suite  algérienne  de  M.  Saint-Saêns,  divisée 
en  quatre  parties,  renferme,  sous  le  titre  de  «  Bêverie  du  soir  à  Blidah  »,. 
une  pièce  d'un  charme  pénétrant  et  d'une  orchestration  très  soignée 
et  très  poétique.  La  Marche  militaire  française,  qui  forme  le  finale  de  l'ou- 
vrage, est  très  spirituellement  écrite  et  d'un  tour  humoristique  assez  amu- 
sant. —  M"c  Jeanne  Leclercq  a  chanté  d'une  voix  juste,  pure  et  d'un 
timbre  très  agréable  un  air  de  la  Création,  d'Haydn.  L'auditoir6  lui  a  été 
immédiatement  sympathique,  car  on  a  vu,  dés  les  premières  notes,  qu'elle 
chantait  avec  beaucoup  de  goût  et  de  style.  L'air  de  la  Reine  de  la  nuit  de 
la  Flûte  enchantée  lui  a  fourni  l'occasion  d'aborder  des  difficultés  d'un 
caractère  particulièrement  délicat  et  dans  lesquelles  la  virtuosité  joue  un 
rôle  prépondérant.  On  l'a  beaucoup  et  très  légitimement  applaudie.  — 
L'introduction  du  troisième  acte  de  Lohengrin  a  terminé  la  séance. 

Amédée  Boutarel. 

—  Concert  Lamoureux.  —  Le  poème  indien  de  Sakountila  a  tenté  plu- 
sieurs musiciens;  Schubert  a  laissé  des  fragments  inédits  d'une  œuvre 
dramatique  de  longue  haleine  sur  ce   sujet;    l'ouverture  de  M.  Goldmark. 


LE  MEiNESTREL 


405 


est  charmante,  pleine  de  souffle  poétique,  et  a  été  fort  bien  exécutée. 
Grand  succès  aussi  pour  la  symphonie  en  si  bémol  de  Schumann  : 
Schumann  continue  la  lignée  des  grands  maîtres  symphonistes  :  Haydn, 
Mozart,  Beethoven,  Schubert,  Mendelssohn.  Classique  comme  eux,  il  a 
son  caractère  propre.  On  reconnaît  bien  dans  ses  symphonies  quelques 
traces  de  Mendelssohn,  certaines  imitations  de  Schubert  dans  l'élabora- 
tion de  ses  allégros.  Mais  il  est,  par-dessus  tout,  lui-même.  Chacune  des 
symphonies  de  Schumann  a  ses  beautés  individuelles.  Mais,  a  dit  un 
excellent  critique  d'art,  «  en  vie,  en  fraîcheur  et  en  sentiment  de  bonheur 
interne,  celle  en  si  bémol  tient  la  tète.  »  Schumann  avait  eu  la  pensée  de 
l'intituler  Symphonie  du  printemps  ;  le  premier  morceau  devait  s'appeler 
«  le  Réveil  du  Printemps  »,  et  le  finale  «  l'Adieu  du  Printemps.  »  Cette 
oeuvre  est  intéressante  si  l'on  considère  qu'elle  fut  écrite  au  moment  où, 
après  de  longues  épreuves,  l'artiste  obtenait  la  main  de  celle  qu'il  aimait. 
Il  n'y  a  pas  de  musicien  plus  personnel  que  Schumann,  il  mettait  quel- 
que chose  de  lui-même  dans  tout  ce  qu'il  écrivait.  —  Mentionnons  une 
exécution  de  la  Sirgfried-Idyll  de  Wagner,  qui  ferait  un  joli  morceau  si  on 
en  supprimait  les  deux  tiers.  —  On  a  donné  ensuite  une  audition  de  la 
Symphonie  fantastique  de  Berlioz,  moins  bonne  que  la  précédente,  qui  avait 
été  parfaite.  La  cloche  était  fausse;  on  l'entendait  peu  du  reste;  en  re- 
vanche, les  trombones  jouaient  trop  fort.  Dans  la  Chevauchée  des  Wal- 
kyries,  l'orchestre  de  M.  Lamoureux  a  fait  autant  de  bruit  qu'on  pouvait 
le  désirer.  H.  Barbedette. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  :  symphonie  en  si  bémol  (Beethoven)  ;  scènes  de  Faust  de  Gœthc 
(Schumann),  chantées  par  M"c'  Eames,  Michart,  MM.  de  Latour  et  Auguez  ;  an- 
dante  et  scherzo  de  la  première  symphonie  (G.  Bizet);  air  de  ta  Création  (Haydn), 
chanté  par  Mllù  Eames;  ouverture  d'Obéron  (Weber).  Le  concert  sera  dirigé  par 
M.  J.  Garcin. 

Chàtelet,  concert  Colonne  :  ouverture  de  Tannhâuser  (Wagner)  ;  Symphonie  pas- 
torale (Beethoven)  ;  air  de  la  Création  (Haydn),  chanté  par  M11*  Jeanne  Leclercq  ; 
Peer  Gynt  (Ed.  Grieg)  ;  Caligula,  musique  pour  le  drame  d'Alexandre  Dumas  (G. 
Fauré)  ;  air  de  Chérubin  des  Noces  de  Figaro  (Mozart),  par  M""  Jeanne  Leclercq; 
Suite  algérienne  (Saint-Saëns). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  :  ouverture  d'Eslher  (Coquard); 
symphonie  en  si  bémol,  n°  4  (Beethoven);  Marche  élégiaque  (Paul  Lacombe)  ;  air 
de  Fidelio  (Beethoven),  par  M.  Engel;  ouverture  A'Rermann  et  Dorothée  (Schumann); 
Siegfried-Idyll  (Wagner)  ;  les  Adieux  de  Lohengrin  (Wagner),  par  M.  Engel;  Marche 
hongroise  de  la  Damnation  de  Faust  (Berlioz). 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

Les  habitués  des  séances  musicales  du  quatuor  Rosé,  à  Vienne,  ont 
eu  dernièrement  la  primeur  d'un  nouveau  quatuor  de  Brahms,  que  la 
presse  considère  comme  l'œuvre  la  plus  claire,  la  plus  lucide  qu'ait  écrite 
le  célèbre  compositeur.  Certain  critique  constate  même  que,  dans  cette 
œuvre,  M.  Brahms  a  victorieusement  combattu  les  tendances  qui  jus- 
qu'à ce  jour  l'avaient  porté  vers  les  conceptions  obscures  et  diffuses. 
«  C'est  le  calme  après  l'orage,  ajoute-t-il,  l'éclat  du  jour  après  les  ténè- 
bres nocturnes.  »  Ce  quatuor  a  été  composé  pour  les  instruments  à  cordes 
suivants  :  un  violon,  deux  altos  et  un  violoncelle.  C'est  la  seule  dérogation 
à  l'usage  que  M.  Brahms  se  soit  permise. 

—  M.  Julius  Bayer,  le  compositeur  viennois  connu  par  ses  nombreux 
ballets,  livrera  cet  hiver  au  public  deux  nouveaux  et  importants  ouvrages 
chorégraphiques.  Le  premier,  intitulé  la  Danse,  est  destiné  à  l'Opéra  de 
Vienne  et  présentera  l'histoire  de  l'art  chorégraphique  de  chaque  pays, 
depuis  son  origine  jusqu'à  nos  jours.  Le  second,  qui  a  pour  titre  :  Rêve 
de  Noël  d'un  enfant,  sera  représenté  au  théâtre  de  la  Cour,  à  Dresde. 
C'est  le  maître  de  ballet  du  théâtre,  M.  Kôller,  qui  a  écrit  le  scénario. 

—  On  écrit  de  Budapesth  à  la  Nette  Musikzeilung  :  «  Le  jour  de  son  qua- 
tre-vingtième anniversaire,  Franz  Erkel  a  exécuté  en  public  le  concerto 
en  ré  mineur  pour  piano,  de  Mozart,  avec  les  cadences  composées  par  lui 
dans  le  style  de  Mozart.  Des  ovations  enthousiastes  ont  salué  le  vénérable 
musicien,  le  fondateur  du  drame  musical  hongrois  et  des  concerts  phil- 
harmoniques, le  compositeur  de  l'opéra  Hunyadi  Laszlo,  qui  en  est,  ici,  à 
sa  trois-centième  représentation  ». 

—  Il  y  a  peu  de  villes  au  monde  où  le  chant  soit  autant  en  honneur 
qu'à  Leipzig.  On  y  signale  actuellement  l'existence  d'environ  cent  cin- 
quante sociétés  choraies,  dont  la  plupart  sont  dans  une  situation  pros- 
père et  donnent  régulièrement  des  concerts. 

—  Une  jeune  violoniste  qui  porte  un  nom  célèbre  dans  les  fastes  du 
violon  féminin,  M110  Adélaïde  Milanollo,  a  donné  dernièrement,  à  Dresde, 
un  concert  dans  lequel,  dit-on,  elle  a  excité  l'enthousiasme  du  public. 
Nous  ne  croyons  cependant  pas  que  cette  jeune  artiste  soit  parente  de 
M1""  Maria  Milanollo,  aujourd'hui  Mme  la  générale  Parmentier,  qui  naguère 
obtenait  do  si  éclatants  succès  en  compagnie  de  sa  sœur  Teresa,  morte  à 
la  fleur  de  l'âge. 

—  Les  Allemands  voudraient-ils  enlever  aux  Anglais  la  palme  de 
l'excentricité '.'  Voici  le  texte,  assez  original,  d'un  avis  affiché  récemment 
dans  les  couloirs  et  foyer  du  Théâtre-Royal  de  Slultgard  :  a  Par  suite  de 


quelques  incidents  contrariants  (??),  la  direction  du  Théâtre-Royal  fait 
savoir  au  public  qu'il  est  défendu  de  siffler  ou  de  donner  n'importe  quel 
signe  de  mécontentement  pendant  les  représentations.  Les  personnes 
manquant  à  cette  défense  seront  poursuivies.  »  A  la  bonne  heure  si  l'on 
défendait  en  même  temps  aux  artistes  de  chanter  faux,  ou  aux  chœurs 
d'aller  à  contre-mesure.  Mais  dans  ce  cas,  ceux-ci  seront-ils  aussi  pour- 
suivis? —  Ce  n'est  pas  tout,  et  voici  qui  n'est  pas  moins  bizarre,  quoi- 
que plus  intime.  La  direction  du  théâtre  royal  de  Munich  vient  de  pro- 
mulguer un  arrêté  en  cinq  articles  sur  la  manière  de  jeter  des  bouquets 
aux  artistes  en  scène.  Les  contrevenants  auront  à  payer  une  amende  va- 
riant de  cinq  à  vingt-cinq  francs.  Le  sifflet  défendu,  l'enthousiasme  régle- 
menté, c'est  superbe,  et  l'un  complète  l'autre.  Connais-tu  le  pays  où  fleurit 
la  musique?... 

—  De  l'Éventail,  de  Bruxelles  :  «  Un  compositeur  allemand,  du  nom 
de  Humperdinck,  s'est  donné  la  tâche  de  moderniser  le  Cheval  de  Bronze 
d'Auber  en  «  revisant  à  fond  le  texte  (!),  en  le  traduisant,  en  complé- 
tant l'instrumentation  et  en  améliorant  la  partition  au  point  de  vue  du 
contrepoint,  »  c'est-à  dire  en  la  tripatouillant.  Ainsi  «  modernisé,  »  l'ou- 
vrage de  l'auteur  du  Séjour  militaire  a  été  donné  sur  diverses  scènes 
allemandes  et,  le  11  de  ce  mois,  à  Francfort-sur-Mein.  Il  a  beaucoup 
plu,  bien  que  joué  avec  une  lourdeur  toute  germanique.  On  avait,  par 
exemple,  confié  le  rôle  comique  du  mandarin  au  baryton  de  grand-opéra 
Hine  !  Un  détail  de  la  mise  en  scène  a  fait  sourire  les  spectateurs 
attentifs.  Le  quatrième  tableau  s'est  déroulé  dans  un  décor  représentant 
le  Kremlin  !   » 

—  Les  fêtes  projetées  pour  les  noces  d'argent  artistiques  du  composi- 
teur Tschaïkowsky  n'auront  pas  lieu,  le  maître  russe  ayant  fait  savoir 
par  la  voie  des  journaux  qu'il  déclinait  les  honneurs  publics  que  ses 
compatriotes  ont  l'intention  de  lui  rendre. 

—  L'école  russe,  on  le  sait,  a  déjà  fourni  un  grand  nombre  d'excellents 
artistes  ;  aussi  le  gouvernement  impérial  s'occupe-t-il  de  les  encourager 
et  de  leur  fournir  des  moyens  d'études.  Le  tsar  aurait,  assure-t-on,  l'in- 
tention d'établir  à  Paris,  à  l'usage  des  artistes  russes,  une  académie  ana- 
logue à  notre  villa  Médicis  de  Rome.  Il  a  fait  demander  à  M.  le  ministre 
de  l'instruction  publique  de  lui  donner  les  renseignements  nécessaires 
pour  mener  à  bien  cette  installation. 

—  Bruxelles.  —  La  troisième  séance  Schott  a  eu  beaucoup  plus  d'éclat 
que  la  seconde.  On  est  toujours  heureux  d'entendre  M.  Jacobs  ;  on  a  été 
bien  aise  d'applaudir  à  nouveau  M.  Thomson,  et  l'on  a  été  enchanté  de 
lier  connaissance  avec  M.  Louis  Diémer,  le  brillant  pianiste  français. 
L'exécution  des  Papillons,  de  Couperin,  et  du  Coucou,  de  Daquin,  a  été  de 
tous  points  merveilleuse,  évoquant  en  bien  des  choses  le  souvenir  du  jeu 
étincelant  et  délicat  de  Francis  Planté.  Très  chaleureusement  rappelé 
après  les  pièces  qu'il  avait  jouées  seul,  M.  Diémer  a  ajouté  au  programme 
un  morceau  de  sa  composition,  le  Chant  du  Nautonier,  où  le  chant,  exposé  de 
la  main  gauche,  est  accompagné  de  fantastiques  arpèges. 

—  On  vient  d'inaugurer  à  Rome,  dans  la  via  dei  Saponari  (rue  des  Sa- 
vonniers), un  nouveau  théâtre  populaire,  auquel  on  a  donné  le  nom  de 
Théâtre  Marcello  et  qui  est  occupé  en  ce  moment  par  une  compagnie  d'opé- 
rette. 

—  La  reprise,  au  Théâtre-National  de  Rome,  d'un  vieil  opéra  de 
Donizetti,  la' Regina  di  Golconda,  dont  la  naissance  remonte  à  l'an  de  grâce 
1828,  a  obtenu  le  plus  vif  succès.  «  La  musique,  dit  l'Italie,  très  mélo- 
dieuse et  riche  d'inspirations,  est  moins  vieille  qu'on  ne  pourraitle  croire. 
Quelques  morceaux  peuvent,  encore  aujourd'hui,  susciter  un  véritable 
enthousiasme;  citons  parmi  les  meilleurs,  Vouverture,  un  quarletto  (bissé)  ; 
l'air  du  ténor,  le  finale  (bissé)  et  deux  duos  (aussi  bissés).  Il  y  en  a  beau- 
coup d'autres  encore  que  l'on  entend  avec  un  véritable  plaisir.  »  Il  n'est 
peut-être  pas  superflu  de  rappeler  que  cette  Regina  di  Golconda  est  la  sœur 
puinée  d'Aline,  reine  de  Golconde,  opéra-comique  en  trois  actes  de  Vial  et 
Favières  pour  les  paroles,  de  Berton  pour  la  musique,  qui  obtint,  en  1803, 
un  succès  éclatant  au  théâtre  Favart,  et  qui  fut  repris  d'une  façon  très 
heureuse,  en  1847,  à  l'Opéra-National  d'Adolphe  Adam. 

—  Des  trois  opéras  de  la  petite  saison  donizellienne  qu'on  vient  de  don- 
ner au  Théâtre-National  de  Rome,  deux  au  moins,  la  Fille  du  Régiment  et 
la  Regina  di  Golconda,  ont  obtenu  un  succès  éclatant,  ce  qui,  après  la  petite 
saison  rossinienne  qui  avait  précédé,  a  mis  les  amateurs  en  goût.  Il  est 
question  maintenant  de  donner,  toujours  dans  le  genre  bouffe,  un  petit 
cycle  d'opéras  de  Cimarosa  et  un  autre  d'opéras  de  Paisiello.  Ceci  est  fort 
bien  fait.  L'opéra  bouffe  a  toujours  été  le  triompha  des  Italiens,  le  genre 
dans  lequel  leurs  compositeurs  ont  déployé  une  incontestable  supériorité 
et  conquis  une  gloire  aussi  éclatante  que  légitime.  Cimarosa,  Guglielmo, 
Paisiello,  Piccinni  et  bien  d'autres  ont  laissé  dans  ce  genre  de  véritables 
chefs-d'œuvre  bien  à  tort  oubliés,  et  dont  la  connaissance  remettrait  peut- 
être  dans  le  droit  chemin  nombre  déjeunes  compositeurs  qui  s'évertuent 
inutilement  et  essoufflent  leur  inspiration  à  la  recherche  des  grands  effets 
dramatiques.  Qui  sait  s'il  n'y  aurait  pas  là  les  éléments  d'une  renaissance 
pour  la  musique  italienne? 

—  Plusieurs  opéras  nouveaux  seront  offerts  au  public  italien  pendant 
la  prochaine  saison  de  carnaval-carême.  On  cite  entre  autres  la  Corligiana, 
paroles  de  M.  Cimino,   musique   de   M.   Scontrino,   qui  sera  donnée   au 


406 


LE  MÉNESTREL 


théâtre  Manzoni,  de  Milan,  avec  M.  et  Mme  Garulli  dans  les  deux  rôles 
principaux  ;  etgli  Adoratori  del  fuoco,  livret  de  M.  Weil,  musique  de  M.  De 
Lorenzi  Faims,  qui  est  annoncé  au  théâtre  Rossini,  de  Venise.  Ce  dernier 
avait  obtenu  une  mention  honorable  au  récent  concours  Sonzogno. 

—  Au  moment  où  va  s'ouvrir,  pour  les  grandes  scènes  lyriques  ita- 
liennes, la  grande  saison  de  carnaval-carême,  la  plus  importante  de 
l'année,  il  n'est  pas  sans  intérêt  de  voir  quelle  part  considérable  les 
œuvres  françaises  prennent  dans  le  répertoire  de  ces  théâtres.  Voici 
la  liste  des  ouvrages  de  compositeurs  français  qui  seront  joués  au 
cours  de  cette  saison  :  Mignon  (Modène,  Lodi,  Savone)  ;  Faust  (Rome, 
théâtre  Argentina,  Empoli,  Vérone,  Arezzo)  ;  Carmen  (Livourne,  théâtre 
Goldini,  Ferrare,  théâtre  Communal,  Modène,  Brescia,  Crème)  ;  Hamlet 
(Naples,  théâtre  San  Carlo,  Gênes,  théâtre  Carlo  Felice,  Messine)  ;  Roméo 
et  Juliette  (Bologne,  théâtre  du  Corso,  Mantoue,  théâtre  Social)  ;  Fra  Dia- 
volo  (Pavie,  Rimini,  Empoli,  Prato,  Catanzaro,  Città  di  Castello,  Goritz)  ; 
la  Juive  (Carrare,  Vérone)  ;  la  Jolie  Fille  de  Perlh  (Rome,  théâtre  Argen- 
tina, Verceil)  ;  les  Pêcheurs  de  Perles  (Parme,  théâtre  Regio,  Gênes,  théâtre 
Carlo  Felice)  ;  le  Roi  de  Lahore  (Rome,  théâtre  Argentina)  ;  le  Cid  (Flo- 
rence, théâtre  de  la  Pergola)  ;  Mireille  (Rome,  théâtre  Argentina,!.  Voici 
maintenant  la  liste  des  ouvrages  français,  dus  à  des  compositeurs  étran- 
gers, qui  trouvent  place  sur  les  programmes  de  la  saison  :  les  Huguenots 
(Ferrare,  théâtre  Communal,  Cagliari,  San  Remo)  ;  la  Favorite  (Carrare, 
Florence,  théâtre  Nuovo,  Legnago,  Terni,  Crémone,  théâtre  Social); 
l'Africaine  (Gênes,  théâtre  Carlo  Felice,  Rome,  théâtre  Argentina)  ;  Guil- 
laume Tell  (Trieste,  théâtre  Communal,  Centon);  Don  Sébastien  (Cuneo, 
Ravenne)  ;  Dvnorah  (Savone).  —  Avions-nous  tort  de  faire  valoir  la  place 
que,  en  Ralie  même,  les  ouvrages  français  prennent  dans  le  répertoire 
italien  ?  Gageons  que  nos  excellents  confrères  d'outre-monts,  de  ceux  du 
moins  qui  chaque  matin  voudraient  manger  un  morceau  de  la  France, 
vont  encore  tâcher  de  nous  chercher  chicane  à  ce  propos.  Ce  sont  eux 
pourtant  qui  se  sont  chargés  de  nous  fournir  les  renseignements  que 
nous  venons  de  grouper  sur  ce  sujet. 

—  Au  petit  théâtre  de  la  Fenice,  à  Naples,  on  a  donné  récemment  une 
nouvelle  opérette,  la  Gemma  del  sole,  musique  de  M.  Italo  De  Vita.  —  Et  au 
théâtre  Quirino,  de  Rome,  première  représentation,  avec  un  succès  très 
brillant,  d'un  nouveau  ballet  du  genre  fantastique,  i  Thca  zi,  scénario  de 
M.  Razzetto,  musique  de  M.  Galleani.  —  Enfin  on  a  donné  le  24  no- 
vembre,, à  l'Arène  Nationale  de  Florence,  la  première  représentation  d'un 
opéra'comique  en  trois  actes,  le  Damigelle  di  Saint-Cyr,  dont  la  musique  a 
été  écrite  par  M.  Cesare  Facchini  sur  un  livret  qui  doit  sans  doute  quelque 
chose  à  notre  Alexandre  Dumas.  L'ouvrage  parait  d'ailleurs  avoir  obtenu 
un  brillant  succès.  L'exécution  était  excellente,  plusieurs  morceaux  ont 
été  bissés    et   l'auteur  a    été  rappelé  une  quinzaine  de  fois. 

—  A  Pirano,  dans  l'Istrie,  on  a  conçu  le  projet  d'élever  un  monument  à 
la  mémoire  de  l'illustre  violoniste  Giuseppe  Tartini,  l'auteur  de  l'Art  de 
l'archet,  du  Trille  du  Diable  et  de  tant  d'autres  œuvres,  l'un  des  plus  glo- 
rieux représentants  de  l'admirable  école  italienne  de  violon  du  xvme  siècle. 
On  doit  donner  prochainement,  dans  ce  but,  un  concert  en  cette  ville, 
ainsi  qu'à  Trieste,  et  on  annonce  que  M.  César  Thomson,  l'éminent  violo- 
niste belge,  doit  se  rendre  précisément  à  Trieste,  vers  la  fin  du  mois  de 
janvier  prochain,  pour  prendre  part  à  ce  concert. 

—  On  écrit  de  Madrid  au  Figaro  :  «  Tout  d'un  coup,  et  sans  dire  pour- 
quoi, Mmc  Marcella  Sembrich  a  résilié  son  engagement  avec  la  direction 
du  théâtre  royal  de  l'Opéra.  De  là,  désolation  de  l'abonnement,  prières  de 
la  direction  et  de  la  presse  ;  rien  n-'a  fait.  Mmc  Sembrich  quitte  Madrid 
en  plein  succès  et  en  pleine  saison  théâtrale.  On  dit,  pour  expliquer  ce 
départ,  et  je  donne  la  nouvelle  sous  toutes  réserves,  que  la  célèbre  diva  a 
été  prévenue  de  cabales  montées  contre  elle,  et  qu'elle  n'a  pas  voulu  les 
affronter.  Ce  sont  peut-être  des  «  potins  »  de  coulisses,  mais  ce  bruit 
commence  à  se  répandre,  et  il  est  évident  que  sans  une  cause  aussi  grave 
la  célèbre  cantatrice  n'aurait  pas  pris  une  résolution  si  violente.  On  a 
voulu  lui  faire  une  manifestation  de  sympathie  et  l'ambassadeur  d'Alle- 
magne, baron  de  Stuum,  a  pris  le  devant.  Il  a  donné  en  l'honneur  de 
Mmc  Sembrich  un  grand  diner  suivi  de  réception.  A  ce  diner,  où  Mme  Sem- 
brich occupait  la  place  d'honneur,  assistaient,  outre  le  personnel  de 
l'ambassade,  la  duchesse  de  Bailen  et  la  marquise  de  Bolafios,  les  princes 
de  Hohenlohe,  le  ministre  de  Turquie,  le  docteur  Riedel.  Tous  ces  per- 
sonnages sont  connus  à  Madrid  pour  de  véritables  dilettantes.  Après  le 
diner,  les  salons  se  sont  remplis  de  monde.  Le  corps  diplomatique,  la 
haute  société  madrilène,  sont  venus  entendre  chanter  pour  la  dernière  fois 
à  Madrid  la  grande  artiste.  Le  concert. a  été  des  plus  réussis  et  la  réception 
s'est  prolongée  fort  tard.  » 

—  C'est  un  ex-violoniste  français,  ancien  élève  du  Conservatoire,  pressé 
de  s'établir  en  Allemagne,  après  la  guerre,  et  depuis  lors,  dit-on,  naturalisé 
prussien,  qui  prendrait  à  Londres,  parait-il,  la  succession  du  regretté 
Sainton,  un  bon  Français,  celui-là,  comme  professeur  à  l'Académie  de 
musique.  Ce  sujet  de  l'empereur  Guillaume  II  répond  au  nom  d'Emile 
Sauret. 

—  On  lit  dans  la  correspondance  anglaise  du  Figaro  :  «  L'illustre  violon- 
niste  Sarasate  achève  en  ce  moment  une  tournée  en  Angleterre  et  en 
Ecosse  ;  du  18  octobre  au  18  décembre  il  aura  donné  31  concerts,  qui  ont 
produit  la  somme  ronde  de  125,000  francs.  Au  mois  de  juin  prochain,  il 


annonce  à  Londres  une  autre  série  de  six  concerts  qui  ne  seront  certaine- 
ment pas  moins  suivis  que  les  précédents  ;  aucun  instrumentiste  n'a  dans 
le  Royaume-Uni  autant  de  succès  que  M.  Sarasate,  succès  que  partage 
toujours  Mme  Berthe  Marx,  la  gracieuse  et  habile  pianiste.  » 

—  On  vient  de  représenter  à  l'Alhambra  de  Londres  un  nouveau  ballet 
de  Noël,  la  Belle  au  Bois  dormant,  dont  M.  Georges  Jacoby  a  écrit  la  musi- 
que sur  un  scénario  de  M.  Espinosa. 

—  Au  nouveau  Royal  English  Opéra  House,  de  Londres,  on  espère  pouvoir 
donner  dès  le  mois  de  janvier  prochain  la  première  représentation  d'Ivan- 
hoé,  le  nouvel  opéra  sérieux  de  M.  Arthur  Sullivan,  dont  les  grands  suc- 
cès se  sont  restreints  jusqu'ici  au  genre  de  l'opérette. 

— D'après  le  Daily  News,  M.  A.  Harris  aurait  déjà  conclu  plusieurs  en- 
gagements importants  en  vue  de  sa  saison  italienne  de  1891  au  théâtre 
Covent-Garden  de  Londres.  Le  ténor  Perotti,  la  basse  Fiegno,  le  baryton 
Devoyod,  les  sœurs  Ravogli,  M"e  Risley,  élève  de  M»10  Marchesi,  sont 
parmi  les  artistes  de  la  nouvelle  troupe  de  M.  Harris.  L'engagement  de 
M.  Maurel,  bien  que  conclu  en  principe,  n'est  pas  encore  signé.  Il  est 
également  question  de  M"e  Eames  pour  créer  à  Covent-Garden  l'Ascatùo  de 
M.  Saint-Saëns,  sous  la  direction  de  l'auteur. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 
Voici  qu'on  s'occupe  officiellement  du  nouveau  cahier  des  charges  de 
l'Opéra.  La  direction  des  beaux-arts  a  préparé  un  avant-piojet  qui  vient 
d'être  soumis  à  M.  Bourgeois.  Ce  projet  préparatoire  contient  quelques 
innovations  intéressantes.  Il  consacre  le  principe  de  liberté  pleine  et 
entière  dans  la  gestion  artistique.  Le  concessionnaire  ne  serait  plus  tenu, 
comme  dans  le  cahier  des  charges  existant,  par  des  dispositions  limita- 
tives quant  au  nombre,  à  la  nature  des  ouvrages  représentés  et  à  la  na- 
tionalité des  compositeurs.  Chaque  année,  il  dresserait  et  rendrait  public 
le  programme  qu'il  se  proposerait  de  réaliser  au  cours  de  l'exercice,  et 
aurait  la  plus  large  faculté  quant  à  la  composition  de  ce  programme  ar- 
tistique. —  Le  nombre  des  représentations  ne  serait  pas  augmenté  par 
prescription  spéciale,  mais  le  concessionnaire  aurait  la  faculté  de  jouer 
autant  de  fois  qu'il  le  voudrait,  en  dehors  du  minimum  actuel  de.  repré- 
sentations hebdomadaires.  —  Au  lieu  d'établir  des  représentations  à  prix 
réduits,  ce  qui  a  l'inconvénient  de  classer  le  public  en  deux  catégories,  le 
cahier  des  charges  imposerait  l'augmentation  du  prix  des  premières  places  : 
amphithéâtre,  premières  loges  et  orchestre,  et  imposerait,  par  contre, 
l'abaissement  du  prix  de  toutes  les  autres  places,  des  deuxièmes  loges 
inclusivement  jusqu'au  dernier  amphithéâtre.  Ce  régime  serait  permanent. 
—  Ajoutons  que  le  cahier  des  charges  stipule  le  partage  des  bénéfices 
entre  le  concessionnaire  et  l'État,  au  delà  d'un  chiffre  déterminé.  C'est  le 
retour  au  régime  ancien.  En  outre,  par  une  série  de  dispositions  précises, 
il  réglemente  la  question  du  matériel,  afin  d'éviter  le  retour  de  litiges 
comme  celai  pendant  à  l'heure  actuelle,  au  sujet  de  la  réfection  des  décors. 
La  subvention  serait  maintenue  au  chiffre  d'aujourd'hui  et  la  durée  de  la 
concession  fixée  à  sept  années.  —  Le  nouveau  cahier  des  charges  sera 
terminé  vers  la  fin  de  ce  mois.  Il  sera  communiqué  aussitôt  aux  diverses 
personnes  qui  posent  leur  candidature  à  la  succession  de  MM.  Ritt  et 
Gailhard  et  à  ceux-ci  également,  s'il  demandent  le  renouvellement  de  leur 
privilège.  M.  Bourgeois  désire,  en  effet,  que  la  question  soit  définitive- 
ment tranchée  avant  la  fin  du  mois  de  janvier. 

—  On  se  souvient  des  notes  intéressantes  publiées  ici  même  par  M.  Louis 
Gallet  sur  Louis  Lacombe  et  son  œuvre.  Il  y  parlait  surtout  du  grand  opéra 
Winkelried,  laissé  par  ce  musicien  trop  méconnu.  Or,  voici  que  M.  Dauphin, 
directeur  artistique'du  théâtre  de  Genève,  mis  en  éveil  par  l'étude  de  M.  Louis 
Gallet,  vient  d'obtenir  de  Mme  Andrée  Lacombe  l'autorisation  de  représen- 
ter cette  partition  écrite  sur  un  poème  de  MM.  Moreau-Sainti  et  Lionel 
Bonnemère.  L'ouvrage  est  à  l'étude,  et  sera  représenté  vers  la  fin  de  février. 
La  ville  de  Genève  prend  à  sa  charge  la  copie  des  parties  de  chant,  de 
chœurs  et  d'orchestre,  et  l'on  compte  sur  un  vif  succès.  Nous  ne  saurions 
trop  féliciter  de  cette  initiative  artistique  ceux  qui  en  ont  été  les  inspira- 
teurs :  M.  Dauphin,  l'excellent  musicien  et  chanteur  bien  connu  à  Paris, 
et  M.  F.  Dupont,  le  conseiller  administratif,  délégué  au  théâtre  de  Genève 
si  dévoué  à  tout  ce  qui  peut  contribuer  au  bon  renom  artistique  de  son 
pays.  C'est  là  un  véritable  acte  de  justice  en  faveur  d'un  remarquable 
musicien,  trop  dédaigné  de  la  génération  présente,  mais  auquel  l'avenir 
appartient. 

—  Charmante,  la  dernière  représentation  du  Cercle  funambulesque  aux 
Bouffes-Parisiens.  Au  programme,  un  petit  acte  déjà  connu,  qui  a  été 
l'un  des  grands  succès  du  Cercle,  la  Révérence,  de  M.  Le  Corbeiller,  avec 
une  jolie  musique  de  M.  Paul  Vidal,  fort  bien  joué  par  M"°  Duhamel  et 
M.  Tarride;  Cœur  brisé,  pantomime  de  Mllc  Arbel,  musique  de  M.  Georges 
Hue,  et  la  Doctoresse,  pantomime  très  gaie,  construite  sur  une  idée  très 
originale,  de  M.  Hugounet,  musique  de  M.  Missa.  Fort  bien  jouée  par 
M"c  Leriche,  très  curieusement  costumée,  et  M.  Tarride,  déjà  nommé,  la 
Doctoresse  a  été  le  clou  de  la  soirée.  Le  succès  de  cette  soirée  s'est  tellement 
accentué  à  la  matinée  du  lendemain,  qu'on  prête  à  M.  Larcher  le  projet 
de  donner  tous  les  jeudis  une  matinée  funambulesque. 

—  Gyptis,«  légende  lyrique  »  en  deux  actes  de  MM-  Maurice  Boniface 
et  Edouard  Bodin,  musique  de  M.  Noël  Desjoyeaux,  dont  nous  avions 
annoncé  la  prochaine  apparition  au  théâtre  des  Arts  de  Rouen,  vient  d'y 


LE  MÉNESTREL 


40: 


obtenir,  selon  les  journaux  de  cette  ville,  un  éclatant  succès.  Plusieurs 
morceaux  ont  été  bissés,  et  l'auteur  rappelé  à  la  chute  du  rideau,  aux 
acclamations  de  la  salle  entière.  C'est  une  révélation  que  cette  œuvre,  dit-on, 
qui  dénote  un  talent  jeune,  sincère  et  déjà  maître  de  soi.  La  partition  est 
fortement  orchestrée  et  contient  des  mélodies  exquises.  Quelques  rémi- 
niscences dans  le  premier  acte  et  dans  le  ballet  et  un  peu  de  monotonie 
dans  l'accompagnement  d'un  récit;  mais  des  motis  variés  et  élégants  et 
une  instrumentation  sonore  et  puissante.  L'interprétation  est  excellente, 
M,m  Jane  Guy  en  tète:  cette  jeune  artiste,  élève  de  Mme  Marie  Sasse,  a 
fait  preuve  d'un  réel  talent.  Beaucoup  de  sentiment,  de  charme  et  de  force 
dramatique.  Citons  aussi  M.  Mondaud,  M.  Leprestre  et  M"c  de  Béridez. 

—  Tous  ceux  qui  ne  partagent  pas  l'admiration,  proche  du  fétichisme, 
qu'inspirent  à  ses  anciens  disciples  le  seul  nom  de  César  Franck  (et 
j'avoue  très  humblement  que  je  suis  du  nombre)  ne  sauraient  cependant 
ne  pas  être  touchés  de  l'affection  toute  filiale  que  ce  maitre  avait  su  ins- 
pirer aux  élèves  qui  venaient  puiser  auprès  de  lui  les  leçons,  les  ensei- 
gnements et  les  conseils.  Le  moment  n'est  pas  venu  de  faire  entendre 
une  note  discordante  au  milieu  des  apologies  enflammées  qui  surgissent 
de  tous  côtés,  et  d'indiquer  les  réserves  que  la  saine  raison  doit  com- 
mander en  ce  qui  concerne  le  génie  de  celui  que  quelques-uns  appellent 
un  grand  méconnu.  Ce  qu'il  est,  pour  le  moment,  intéressant  de  constater, 
c'est,  répétons-le,  la  profonde  affection,  le  sentiment  respectueux  qu'é- 
prouvaient pour  Franck  tous  les  jeunes  artistes  qui  avaient  été  à  même 
de  l'approcher  et  dont  ils  donnent  en  ce  moment  un  éclatant  témoignage. 
A  ce  titre ,  on  lira  avec  intérêt  la  courte  notice  qu'un  de  ceux-là, 
M.  Arthur  Coquard,  vient  de  publier  sous  ce  simple  intitulé  :  César 
Franck.  IS22-1S90  (in-8°  de  20  pages,  sans  nom  d'éditeur).  C'est  un  résumé 
très  lucide  et  très  complet  de  l'existence  laborieuse  de  l'artiste,  avec  un 
catalogue  de  ses  œuvres  principales.  On  peut  ne  pas  partager  l'enthou- 
siasme excessif  qui  déborde  en  ces  quelques  pages,  mais  on  sera  instruit, 
parleur  lecture,  des  efforts  et  des  travaux  du  vieux  maitre,  et  l'on  saura 
du  moins  de  quelle  somme  de  labeur  s'est  composée  cette  existence'  tout 
entière  consacrée  à  l'art.  A.  P. 

—  C'est  un  régal  pour  les  lettrés  de  lire  tous  les  lundis,  dans  le  Journal 
des  Débats,  les  articles  si  personnels  de  M.  Jules  Lemaitre.  Ce  sera  pour 
eux  un  régal  plus  grand  et  plus  durable  de  les  relire  en  volume.  L'émi- 
nent  critique  publie  aujourd'hui  à  la  librairie  Lecène-Oudin  la  cinquième 
série  de  ses  Impressions  de  théâtre,  qui  présente  la  même  variété  que  les 
précédentes.  Une  des  qualités  de  M.  Jules  Lemaitre,  c'est  de  ne  pas  tri- 
cher, de  ne  dissimuler  aucun  aspect  des  choses,  d'exposer  loyalement  le 
pour  et  le  contre.  Cela  ne  l'empêche  pas  d'avoir  son  opinion,  mais  il  la 
propose  plus  qu'il  ne  l'impose.  Et  quelle  netteté  de  style,  et  quel  relief 
il  donne  à  la  pensée  !  Cette  cinquième  série  continue  dignement  les  quatre 
premières;  elle  prendra  place  à  côté  d'elles  dans  toutes  les  bibliothèques. 

—  Mllc  Clotilde  Kleeberg, après  s'être  fait  entendre  dans  toutes  les  grandes 
villes  d'Allemagne,  a  joué  dans  deux  concerts  à  Copenhague  et  a  remporté 
un  très  grand  succès.  Le  roi  et  la  reine  de  Danemark,  qui  assistaient 
au  concert,  ont  félicité  très  chaudement  la  jeune  artiste.  Samedi  dernier, 
nouveau  triomphe  à  Saint-Pétersbourg,  à  la  Société  impériale  russe  de 
musique  symphonique,  qui  avait  invité  l'excellent;  artiste  à  se  faire 
entendre. 

—  A  l'un  des  derniers  concerts  Lamoureux  du  jeudi  nous  avons 
entendu  un  virtuose  de  grand  avenir,  M.  César  Géloso,  jeune  artiste 
lauréat  de  la  classe  Marmontel,  le  maitre  qui  a  formé  la  presque  généra- 
lité des  pianistes  de  l'école  moderne,  y  compris  les  professeurs  éminents 
qui  ,  à  l'heure  présente,  enseignent  au  Conservatoire.  M.  Géloso  a 
obtenu  un  grand  et  légitime  succès.  Il  a  été  rappelé  trois  fois  par  un 
public  enthousiaste,  que  son  exécution  chaleureuse,  colorée,  sympathique, 
avait  vivement  intéressé. 

—  Très  vif  succès  et  très  légitime,  au  dernier  concert  Lamoureux  du 
jeudi  pour  une  toute  charmante  pianiste,  M"c  Panthès,  qui  a  exécuté 
avec  une  rare  virtuosité  et  un  style  remarquable  le  beau  concerto  en  sol 
mineur  de  M.  Saint-Saëns,  dans  lequel,  en  outre,  elle  a  fait  preuve  de 
superbes  qualités  de  mécanisme.  C'est  là  une  jeune  artiste  qui  fait  prévoir 
pour  elle  un  bel  avenir. 

—  Un  de  nos  confrères  italiens  a  déterré,  sans  doute  dans  les  Archives 
de  la  cour  des  Gonzague,  à  Mantoue,  un  document  assez  curieux  et  qui 
remonte  à  tantôt  trois  cents  ans.  C'est  une  lettre  de  notre  grand  roi 
Henri  IV,  celui  pour  qui  Paris  valait  bien  une  messe,  adressée  à  un 
Arlequin  célèbre  alors  par  toute  l'Italie.  Cet  Arlequin,  qui  de  son  vrai 
nom  s'appelait  Tristano  Marinelli,  était  alors  directeur  d'une  troupe  de 
comédiens  au  service  du  duc  de  Mantoue,  et  faisait  littéralement  fureur 
en  cette  ville.  Henri  IV,  qui,  comme  tous  nos  rois,  aimait  beaucoup  le 
théâtre,  eut  le  désir,  sur  sa  renommée,  de  l'attirer  à  Paris,  et  lui  écrivit 
de  sa  main,  en  italien,  la  lettre  curieuse  dont  voici  la  traduction  : 

De  Paris,  le  21  décembre  1599. 
Arlequin, 
Votre  renommée  étant  venue  jusqu'à  moi,  et  aussi  celle  de  la  bonne  compa- 
gnie de  comédiens  que  vous  avez  en  Italie,  j'ai  désiré  vous  faire  fianchir  les 
monts  et  vous  attirer  dans  mon  royaume.  Vous  ne  manquerez  pas  tans  dojle 
pour  l'amour  de  moi,  de  faire  aussitôt  et  bien  volontiers  ce  voyage  avec  votr; 
compagnie,  car  j'aurai  beaucoup  de  plaisir  à  vous  voir,  comme  à  me  servir  de 
vous,  et  je  vous  promcU  que  vous  serez  les  bienvenus  it  si  bien    traités,  avec 


un  si  utile  et  si  bon  profit,  que  vous  n'aurez  pas  à   regretter,   et  vous  le  rocon 
naîtrez,  le  temps  que  vous  aurez  employé  à  mon  service. 
Priant  Dieu,  Arlequin,  qu'il  vous  ait  en  sa  sainte  garde. 

Henri. 

—  L'Académie  de  musique  de  Toulouse  met  au  concours,  pour  l'année 
1891  :  1°  une  élégie  pouf  harpe,  violon,  violoncelle  ;  2°  un  concerto  de 
piano  avec  orchestre  ;  3°  un  chœur  pour  trois  voix  d'hommes  ;  4°  une 
sérénade  pour  flûte,  clarinette,  cor,  basson  et  piano  ;  b°  un  duo  pour  deux 
voix  de  femmes  ;  6°  une  polonaise  pour  musique  militaire  ;  7°  un  livret 
d'opéra  en  un  acte.  Les  manuscrits  doivent  être  envoyés  (jusqu'au  31  mars) 
au  secrétaire  général  de  l'Académie. 

—  L'Académie  champenoise  met  au  concours  :  1°  une  marche  funèbra 
pour  piano  ayant  pour  titre  Marclw  de  Jeanne  d'Arc  au  bûclter  ;  2°  un  chant 
de  bravoure  intitulé  Chant  de  guerre  de  Jeanne  d'Arc,  sur  des  paroles  de 
M.  A.  Dubrac.  Les  prix  consistent  en  médailles  en  vermeil,  argent  et 
bronze  à  l'effigie  de  Jeanne  d'Arc.  S'adresser,  pour  le  règlement  du  con- 
cours, à  M.  Octave  Rigot,  14,  rue  de  Chàlons,  à  Epernay  (Marne). 

—  L'orchestre  et  les  chœurs  des  Jeunes-Aveugles,  que  l'on  a  rarement 
l'occasion  d'entendre,  doivent  donner  des  auditions  publiques  lundi  et 
mardi  prochains,  22  et  23  décembre,  à  quatre  heures  de  l'après-midi.  Ces 
auditions  auront  lieu  dans  l'élégante  salle  de  concerts  de  l'Institution 
des  Jeunes-Aveugles,  S6,  boulevard  des  Invalides  (angle  de  la  rue  de 
Sèvres).  C'est  à  l'occasion  d'une  vente  de  charité,  organisés  au  profit  des 
anciens  élèves  de  l'Institution,  que  cet  établissement  ouvre,  pendant  deux 
jours,  de  une  heure  à  six  heures,  ses  portes  au  public.  On  sera  admis 
à  visiter  en  détail  cette  école  si  attachante  et  encore  si  peu  connue. 

—  S'il  fallait  en  croire  le  Trovatore,  le  fameux  ténor  Tamagno  se  ]  endrait 
prochainement  de  Trieste  à  Nice,  pour  donner  au  Casino  municipal  de 
cette  ville  quelques  représentations  de  VOtello  de  Verdi,  en  compagnie  de 
M.  Maurel  et  de  la  Pantaleoni.  Tamagno  recevrait  la  bagatelle  de  6,000  francs 
par  soirée,  et  Maurel  4,000.  Pour  peu  qu'on  en  donnât  seulement  2,000  à 
la  Pantaleoni,  cela  ferait  12,000  francs  de  frais  pour  trois  artistes,  sans 
compter  les  frais  courants  de  chaque  représentation,  ce  qui  nous  semble 
excessif  pour  le  Casino  de  Nice,  si  riche  qu'il  puisse  être. 

—  Un  grand  concert  de  charité  a  été  donné  à  Tours,  dimanche 
dernier,  avec  le  concours  des  plus  jeunes  virtuoses  du  Conservatoire. 
Cette  soirée  musicale,  organisée  par  M.  l'abbé  Lange,  directeur  de  mu- 
sique au  collège  de  la  rue  de  Madrid,  à  Paris,  avait  l'attrait  tout 
particulier  de  mettre  en  évidence  des  artistes  de  douze  ans,  tous  élèves 
des  plus  distingués  de  MM.  Hasselmans,  Diémer,  Delsart  et  Garein.  Cette 
petite  troupe  a  trouvé   auprès   du   public  l'accueil  le   plus    sympathique. 

—  Nombreux  public  convié  au  concert  donné  à  l'Institution  Sainte- 
Croix  (de  Neuilly),  le  13  décembre.  Excellente  exécution  des  morceaux 
d'ensemble,  sous  l'habile  direction  du  pianiste-compositeur  A.  Trojelli, 
et  véritable  succès  pour  sa  cantate  (chœur  et  orchestre)  :  Exaltez  sa  Gran- 
deur! Remarquable  interprétation  du  Crucifix,  de  Faure,  par  MM.  Auguez 
et  Warmbrodt.  Enfin,  succès  de  gaieté  avec  les  chansonnettes  dites  par 
M.  Leserre,  surtout  pour  le  Pendu,  la  célèbre  chanson  comico-philosophique 
de  Mac-Nab. 

—  Brillant  succès,  jeudi  dernier,  à  la  salle  de  géographie,  où  MUe  Célanie 
Carissan  donnait  la  première  de  ses  trois  séances  musicales.  La  seconde 
aura  lieu  le  6  janvier,  salle  Pleyel. 

—  Signalons  un  très  joli  volume  de  mélodies  variées  de  MM.  Diet, 
Théodore  Dubois,  Fauré,  Augusta  Holmes,  Charles  Lecocq,  Lenepveu, 
Maréchal,  Massenet,  Palaiilhe,  Saint-Saëns,  Pauline  Viardot  et  Widor 
qui  vient  de  paraître  chez  MM.  Durand  et  Schœnewerk.  Toutes  les  poésies, 
sous  le  titre  collectif  de  Contes  mystiques,  sont  de  M.  Stephan  Bordese, 
et  elles  sont  charmantes,  ainsi  que  la  musique  des  éminents  collaborateurs 
qu'il  a  su  s'assurer.  L'édition  est  faite  avec  beaucoup  de  goût.  Remarqua- 
ble dessin  —  frontispice  de  Rochegrosse. 

NECROLOGIE 
Le  Conservatoire  de  Bruxelles  vient  de  faire  une  perte  bien  sensible 
en  la  personne  d'un  de  ses  meilleurs  et  de  ses  plus  distingués  professeurs, 
l'excellent  pianiste  Pierre-Auguste  Dupont,  frère  aine  de  M.  Joseph 
Dupont,  l'éminent  chef  d'orchestre.  Fils  d'un  musicien  instruit,  Auguste 
Dupont,  qui  était  né  à  Ensival  le  9  février  1827,  avait  fait  d'excellentes 
études  au  Conservatoire  de  Liège.  Il  n'avait  encore  que  vingt-deux  ans 
lorsque,  ayant  publié  déjà  quelques  compositions,  il  entreprit  un  grand 
voyage  artistique.  Après  s'être  fait  entendre  .avec  succès  à  Bruxelles,  il 
alla  donner  une  série  de  concerts  à  Londres  et  dans  les  provinces  anglai- 
ses, puis  partit  pour  l'Allemagne  et  se  produisit  à  Berlin,  à  Dresde  et 
dans  plusieurs  autres  villes  importantes.  De  retour  en  Belgique  après 
une  absence  de  deux  années, il  se  vit  nommer  professeur  d'une  classe  de 
piano  au  Conservatoire  de  Bruxelles,  où  depuis  lors  il  a  formé  toute  une 
pléiade  d'élèves  qui  lui  ont  fait  beaucoup  d'honneur.  Auguste  Dupont  a 
écrit  et  publié  de  nombreuses  compositions,  entre  autres  deux  concertos 
de  piano,  un  grand  trio  pour  piano,  violon  et  violoncelle,  plusieurs  so- 
nates, des  études  et  un  grand  nombre  de  morceaux  de  genre.  Atteint 
depuis  longtemps  déjà  d'une  maladie  douloureuse,  cet  excellent  artiste 
est  mort  à  Bruxelles  le   17  décembre. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


408 


LE  MENESTREL 


Cinquante-septième    année     de    publication. 


PRIMES  1891  du  MÉNESTREL 

JOURNAL    DE   MUSIQUE    FONDÉ   LE    1er   DÉCEMBRE   1833 

Paraissant  tous  les  dimanches  en  huit  pages  de  texte,  donnant  les  comptes  rendus  et  nouvelles  des  Théâtres  et  Concerts,  des  Notices  biographiques  et  Etudes  sur 

les  grands  compositeurs  et  leurs  œuvres,  des  séries  d'articles  spéciaux  sur  l'enseignement  du  Chant  et  du  Piano  par  nos  premiers  professeurs, 

des  correspondances  étrangères,  des  chroniques  et  articles  de  fantaisie,  etc., 

publiant  en  dehors  du  texte,  chaque  dimanche,  un  morceau  de  choix  (inédit)  pour  le  CHANT  ou  pour  le  PIANO,  de  moyenne  difflcullé,  et  offrant 

à  ses  abonnés,  chaque  année,  de  beaux  recueils-primes  CHANT  et  PIANO. 


PIANO 

Tout    abonné    à    la    musique    de    Piano    a    droit  gratuitement    à    l'un    des    volumes    in-8°    suivants  : 

A.  THOMAS  PH,  SCHARWENKA  AUTEURS  DIVERS  STRAUSS  DE  PARIS 


LA   TEMPÊTE 

BALLET  EN  3  ACTES 
Partition  piano  solo. 


ALBUM  POLONAIS 

ET  PIÈCES  DIVERSES  (U  n") 


LES  PETITS  DANSEURS 

CÉLÈBRES  BASSES  arrangées  facilement  (25  n°B) 
Volume  cartonné,  coiivcrLuiv  en  couleurs 


CÉLÈBRE    RÉPERTOIRE 

VALSES  -  POLKAS  -  QUADRILLES  -  MAZURKAS 
Premier  volume  (25  nos) 


<su  à  l'un  des  volumes  in-8"  des  CLASSIQUES-MARMONTEL  :  MOZART,  HAYDN,  BEETHOVEN,  HUMMEL,  GLEMENTI,  CHOPIN  ,  ou  à  l'un  des 
recueils  du  PIANISTE-LECTEUR,  reproduction  des  manuscrits  autographes  des  principaux  pianistes-compositeurs,  ou  à  l'un  des  volumes  précédents  du  répertoire 
de  STRAUSS,  GUNG'L,  FAHRBACH,  STROBL  et  KAULICH,  de  Vienne. 

CHANT 

Tout    abonné    à    la    musique    de    Chant    a    droit    à   l'une    des    primes    suivantes  : 


J.  FADRE 
VINGT  MÉLODIES 


QUATRIEME 


J   TEERSOT 
MÉLODIES  POPULAIRES 

DES  PROVINCES  DE  FRANCE 
Un    recueil   in-8"    (20   n- 


VICTOR  ROGER 
LE  FÉTICHE 


MAC  NA6 
CHANSONS  DU  CHAT  NOIR 

VOLUME  ILLUSTRÉ 

par    H.    GERBAULT 


GRANDES     F»FMMES 

REPRÉSENTANT,  CHACUNE,  LES  PRIMES  DE  PIANO  ET  DE  CHANT  RÉUNIES,  POUR  LES  SEULS  ABONNÉS  A  L'ABONNEMENT  COMPLET  : 

TRADUCTION  FRANÇAISE  b^^hm       ^mt      irairaTi.         «M       ^h  nn  !■!■  RÉCITATIFS  &  RÉDUCTION  PIANO 


G.      ANTHBUNIS 


Partition   chant   et    piano. 


F.    A..    GEVAERT 


Édition    modèle. 


Opéra  en  3  actes  de 

BEETHOVEN 

Seule  édition  conforme  aux  prochaines  représentai  ions  île  l'Opéra  de  Paris 


AMBROISE     THOMAS 


LE  SONGE  D'UNE  NUIT  D'ÉTÉ 

Grand    Opéra    en    trois    actes 

Édition   avec   double   texte  français   et  italien 
NOUVEAUX   RÉCITATIFS 


AMBROISE     THOMAS 


HAMLET  -  AMLETO 

Grand    Opéra    ©ri    cinq    actes 

Nouvelle  édition  avec  double  texte  français  et  italien 
VERSION  POUR  TÉNOR 


NOTA  IMPORTANT.  —  Ces  primes  sont  délivrées  cratultem  -  ■■  t  dans  nos  bureaux,  3  bis,  rue  Vlvieune,  à  partir  du  1"  Janvier  1»!>I.  à  tout  ancien 
ou  nouvel  abonné,  sur  la  présentation  de  la  quittance  d'abonnement  au  11 1  \  I  VI  Bt  i:i.  pour  l'année  1891.  ••oindre  au  prix  d'abonnement  un 
supplément  d'UN  ou  de  DEUX  francs  pour  l'envoi  franco  de  la  prime  simple  ou  double  dans  les  départements.  (Pour  l'Etranger,  l'envoi  franco- 
dès  primes  se  règle  selon  les  frais  de  Poste.) 

LesabonnésauChanlpeuvenlprendrelaprimePianoeUice  versa.- Ceux  au  Piano  el  au  Cbanl  réunis  onl  seuls  droit  à  la  grande  Prime.  -  Les  abonnés  au  texte  seul  n'ont  droit  à  aucune  prime. 

CHANT  CONDITIONS  D'ABONNEiïlEVT  AU  «  MÉNESTREL  »  PIANO 


l,r  Moded'abonnement  :  Journal-Texte,  tous  les  dimanches;  26  morceaux  dc  chant  : 
Scènes,  Mélodies,  Romances,  paraissant  de  quinzaine  en  quinzaine;  1  Recueil- 
Prime,  l'aris  et  Province,  un  an  :  20  francs  ;  Étranger,  Frais  de  poste  en  sus. 


»  Moied'aboimeinenl;  Journal-Texte,  tous  les  dimanches;  26  morceaux  de  piano  : 
KuitaWies,  Transcriptions,  Danses,  de  quinzaine  en  quinzaine;  1  Recueil- 
Prime.   Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs;  Étranger  :   Krais  de  poste  en  sus. 


CHANT  ET  PIANO  RÉUNIS 

3"  Mode  d'abonnement  contenant  le  Texte  complet,  52  morceaux  de  chant  et  de  piano,  les  2  Recueils-Primes  ou  une  Grande  Prime.  —Un  an  :  30  francs,  Paris 

et  Province;  Étranger  :  Poste  en  sus.  —  On  souscrit  le  1er  de  chaque  mois.  —  Les  52  numéros  de  chaque  année  forment  collection. 
4e  Mode.  Texte  seul,  sans  droit  aux  primes,  un  an  ;  10  francs. 

Adresser  franco  un  bon  sur  la  poste  à  M.  Henri  HEUGEL,    directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne. 


'UPRlVfcRfK  ( 


3H7  —  56me  AME  —  if  î>'2. 


Dimanche  28  Décembre  1890. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  ï  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  su*. 


SOMMAIRE -TEXTE 


I.  Notes  d'un  librettiste:  Victor  Massé  (33°  article),  Louis  Gallet.  —  II.  Semaine 
théâtrale  :  Pour  le  jour  de  l'An  de  M.  Gailhard,  H.  Moreno.  —  III.  Une  famille 
d'artistes:  Les  Saint-Aubin  (3"  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Revue  des 
Grands  Concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

LES    PETITS    CHASSEURS 

n°  25  de  la  Chanson  des  Joujoux,  poésies  de  Jules  Jouy,  musique  de  Clau- 
dius  Blanc  et  Léopold  Dauphin.  —  Suivra  immédiatement  :  les  Volants, 
n°  1S  de  la  même  collection. 

PIANO 
Nous   publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique 
de  piano:  Clair  de  Lune,  de  Théodore  Dubois.  —  Suivra  immédiatement  : 
Au  matin,  d'AiVi'ONix  Marmontel. 


NOTES    D'UN    LIBRETTISTE 


VICTOR  MASSE 


Le  directeur  de  l'Opéra  me  parla  tout  de  suite  de  l'avenir 
de  l'œuvre  —  de  ses  intentions  au  sujet  de  la  mise  en  scène. 

Mais  qui  ferait  la  musique  ?  Voilà  ce  qui  le  préoccupait 
fort. 

La  guerre  devait  venir  bientôt  couper  court  à  ces  préoc- 
cupations, réservant  à  M.  Halanzier  le  soin  de  monter  l'ou- 
vrage et  conduisant  Emile  Perrin  à  l'administration  générale 
de  la  Comédie-Française. 


J'ai  pris  le  chemin  des  écoliers  pour  arriver  chez  Victor 
Massé,  mais,  cette  fois,  m'y  voici.  Il  m'a  été  agréable  de 
m'arrêter  en  route  à  revoir  les  visages  de  ceux  qui,  comme 
lui,  sont  maintenant  entrés  à  jamais  dans  le  domaine  du  sou- 
venir. 

Au  coin  de  l'étroite  place,  sur  le  trajet  de  la  rue  de  Laval, 
qui  porte  maintenant  son  nom,  Victor  Massé  habitait,  en 
entrant  à  droite  dans  la  cité  Frochot,  cette  petite  maison 
séparée  de  la  voie  publique  par  un  jardinet,  qu'après  vingt 
ans  je  retrouve,  en  passant  devant  la  grille,  tello  que  je 
la  vis  alors. 

Quand  je  m'y  présentai,  le  compositeur  était  absent  ou 
occupé.  Reçu  par  Mma  Massé,  ayant  à  ses  côtés  deux  belles 
jeunes  filles,  —  ses  filles,— je  dis  quel  motif  m'amenait  et 
tout  de  suite  je  sus  quelle  part  importante  l'auteur  des  Noces 


de  Jeannette  et  de  Galatée  avait  prise  à  notre  succès  et  quel 
plaisir  il  lui  avait  causé. 

Et  à  quelques  mots  que  me  dictait  ma  confusion  d'un 
aimable  accueil,  accompagné  de  paroles  élogieuses  : 

—  Vous  êtes  modeste,  c'est  fort  bien,  me  dit  Mme  Massé 
avec  un  sourire.  Mais,  attendez  ;  goûtez  sans  scrupule  les 
belles  choses  qu'on  vous  dit  ;  vous  voilà  entrés  dans  un 
monde  où  vous  connaîtrez  bientôt  le  prix  de  tous  ces  éloges 
et  où  on  vous  trouvera  autant  de  défauts  qu'on  vous  accorde 
aujourd'hui  de  qualités. 

«  Montez  maintenant  chez  mon  mari.  —  Il  vous  attend  ». 


Tout  en  haut  de  la  maison,  sous  le  comble,  un  étroit  es- 
calier franchi,  je  trouvai  ouvert  le  cabinet  de  travail  de 
Victor  Massé.  Une  pièce  simple,  inondée  de  lumière,  en 
plein  ciel.  Le  musicien,  très  souriant,  très  aimable,  d'une 
étonnante  jeunesse  d'aspect,  m'épargna  tous  les  prélimi- 
naires. 

Il  se  mit  à  parler  immédiatement  de  ce  concours  dont  il 
n'avait  pas   tout  d'abord  accepté  volontiers  d'être  le  juge. 

—  Encore,  ajoutait-il,  s'il  ne  s'agissait  que  des  poèmes  1 
mais  la  musique!  Ah!  par  exemple,  s'il  faut  aussi  prononcer 
sur  la  musique,  je  me  récuse!  Je  serais  un  très  mauvais 
juge,  attendu,  voyez-vous,  que  dans  la  musique  des  autres  je 
n'aime  que  ce  qui  ressemblée  la  mienne! 

Ah  !  l'aimable  homme,  et  combien  peu  personnel,  malgré 
cet  aveu  de  personnalisme  !  Comme  il  aimait  les  maîtres, 
comme  il  était  sensible  à  tout  ce  qu'il  y  a  de  bon,  d'honnête, 
de  charmant  dans  l'art,  dans  la  nature  et  dans  la  vie  ! 


Que  de  fois  depuis  cette  première  rencontre,  durant  la- 
quelle il  m'avait  longuement  interrogé  sur  nos  travaux,  nous 
avons  causé  de  cet  art  si  difficile  du  théâtre  musical,  qui  lui 
était  cher  et  dont  il  n'avait  pas  alors  recueilli  toutes  les  vé- 
ritables et  équitables  satisfactions. 

Il  rêvait  d'un  poème  idéal;  il  le  cherchait;  il  ne  devait  le 
trouver  que  plus  tard,  selon  son  vœu,  en  cette  idylle  dra- 
matique, «  Paul  et  Virginie  »,  dont  la  destinée  première  fut  si 
brillante. 

En  ces  souvenirs  qui  se  pressent  dans  mon  esprit,  passe 
toujours,  devant  la  figure  évoquée,  l'ombre  terrible  de  l'an- 
née 1870.  Je  ne  revis  réellement  Victor  Massé  qu'après  la 
guerre  et  la  Commune. 

Sa  première  lettre  fut  pour  me  dire  : 

«  Avez-vous  dans  votre  bissac  un  beau  sujet  d'opéra  et 
un  beau  rôle  pour  Faure  ?  » 


410 


LE  MENESTREL 


Le  «  rôle  pour  Faure  »,  alors  dans  toute  la  plénitude  de 
son  talent,  était  la  préoccupation  de  tous  les  compositeurs 
de  cette  époque.  Yictor  Massé  devait  l'avoir,  comme  Georges 
Bizet,  qui,  plus  heureux,  au  moins  pour  un  temps,  put  réali- 
ser son  projet,  en  écrivant  la  partition  de  Don  Rodrigue. 

Demander  à  un  librettiste  tout  neuf  s'il  a  un  sujet,  c'est 
lui  poser  une  question  superflue!  Certes,  les  sujets  ne  nous 
manquaient  pas,  mais  bien  les  théâtres,  comme  toujours.  Pour 
ma  part,  j'en  offris  trois  à  Massé,  dont  nous  causâmes;  mais 
où  il  ne  trouva  pas  sans  doute  ce  véritable  duo  de  pur 
amour,  dont  la  pensée  le  tourmentait  depuis  le  commence- 
ment de  sa  carrière,  car  ces  entretiens  restèrent  sans  résultat. 


Je  le  revis  surtout  alors  à  l'Opéra,  où  il  dirigeait  les 
études  des  chœurs,  toujours  très  souriant  et  aimable,  mais 
d'une  grâce  toute  mélancolique. 

Parfois  aussi  je  le  rencontrais  allant  à  l'Institut. 

Alors,  il  prenait  mon  bras  : 

—  Accompagnez-moi!... 

Et  tout  en  marchant  lentement,  péniblement,  manifeste- 
ment touché  par  le  mal  qui  devait  le  prendre  après  des 
années  de  tortures,  il  parlait  des  événements  et  des  hommes 
avec  une  philosophie  résignée. 

L'aurore  de  sa  carrière  avait  été  rayonnante,  pleine  de 
promesses,  la  fin  en  devait  être  consolante  ;  la  période 
moyenne  qu'il  achevait  alors,  abondante  en  laborieux  efforts, 
lui  avait  fait  connaître  aussi  plus  d'un  cruel  désenchante- 
ment. 


Les  Saisons,  qui  paraissent  avoir  été  l'objet  de  sa  spéciale 
prédilection  et  seront  un  jour  peut-être  classées  au  premier 
rang  de  ses  œuvres,  avaient  été  représentées  en  1855-56  sans 
obtenir  le  succès  qu'elles  méritaient. 

Aux  dernières  années  de  sa  vie,  alors  qu'il  avait  déjà 
donné  Paul  et  Virginie  et  qu'il  s'occupait  d'une  Nuit  de  Cko- 
pdtre,  il  fut  question  très  sérieusement  d'une  reprise  à 
l'Opéra-Comique  de  ce  bel  ouvrage,  dont  l'éditeur  Grus  pré- 
parait une  nouvelle  édition,  à  laquelle  le  compositeur  con- 
sacrait tous  ses  soins. 

Yictor  Massé  comptait  bien  sur  cette  reprise,  et  dans  cette 
conviction  il  hâtait  la  correction  et  le  tirage  de  la  parti- 
tion. 

«  Je  vous  prie  d'accélérer  tout  cela,  écrivait-il  à  Grus,  et 
j'ai  de  bonnes  raisons  pour  vous  prier  de  vous  hâter.  Ma  fille, 
madame  Gille,  sort  de  chez  moi  et  m'annonce  que  Garvalho 
montera  les  Saisons  cet  hiver!!  On  attend  que  la  partition 
paraisse  pour  prendre  un  rendez-vous  où  l'on  décidera  la 
distribution  et  où  les  changements  seront  étudiés.  On  me 
parle  de  Mlle  Isaac,  ïaskin,  Talazac  ou  Stéphane,  Bel- 
homme,  etc.,  etc.  Je  le  répète  :  donnez  un  vigoureux  coup 
de  pouce  pour  l'impression  de  l'ouvrage.  » 


Les  retouches  de  Massé  en  vue  de  cette  réédition  avaient 
une  réelle  importance;  il  les  avait  faites  surtout,  de  son 
propre  aveu,  par  amour  pour  son  œuvre.  Jules  Barbier  avait 
modifié  tout  le  deuxième  acte,  lui  avait  donné  plus  de  force 
dramatique;  on  avait  rétabli  dans  le  troisième  acte  la  Chanson 
du  Loup,  primitivement  coupée,  et  le  compositeur  avait  voulu 
que  la  célèbre  Chanson  du  Blé  fût  désormais  dite  par  le 
ténor  au  lieu  de  l'être  par  la  basse.  Selon  lui  le  blé  évo- 
quait une  idée  de  soleil  et  de  clarté,  et  la  basse  profonde  ne 
répondait  pas  à  cette  impression. 

Tout  cela  fut  en  pure  perte.  La  reprise  des  Saisons  n'eut 
pas  lieu. 

(A  suivre.)  Louis  Gallet. 


SEMAINE   THEATRALE 


Pour  le  jour  de  l'an  de  monsieur  Gailhard 
Un  brait  étrange  court  par  la  ville;  M.  Gailhard,  Pedro  de  son  petit 
nom,  songerait  à  jeter  par  dessus  bord  son  vieux  complice,  M.  Ritt, 
et  à  briguer  pour  lui  seul  les  honneurs  de  la  direction  de  l'Opéra, 
qui,  comme  chacun  sait,  va  être  vacante  vers  la  fin  de  l'an  1891.11 
y  a  longtemps  que  nous  sommes  au  courant  de  cette  petite  ma- 
nœuvre déloyale  et  nous  y  avons  fait  déjà  quelques  légères  allusions. 
Aujourd'hui,  le  Figaro  sonne  vigoureusement  la  cloche  d'alarme 
et  met  des  noms  derrière  les  masques.  C'est  tout  un  petit  plan 
machiavélique  auquel  de  hauts  personnages  républicains, —  hauts  par 
la  place  qu'ils  se  sont  attribuée  dans  ce  régime  de  hasard  et  d'aventure, 
—  MM.  Constans  et  Fallières.  prêteraient,  parait-il,  une  main  complai- 
sante. Ces  deux  ministres  sont  les  artisans  de  la  fortune  inespérée 
de  M.  Gailhard  et  ils  entendraient,  continuer  à  le  soutenir  envers  et 
contre  tous,  dût  la  musique  française  en  mourir,  ce  qui  leur  importe 
très  peu,  pourvu  qu'il  reste  un  foyer  de  la  danse  et  de  jolies  femmes 
pour  en  faire  l'ornement.  Et  alors,  voici  ce  qui  aurait  été  décidé. 
Tout  ce  qui  s'est  fait  de  mal  à  l'Opéra,  tout  ce  qui  a  justement 
ameuté  la  presse  et  l'opinion  publique,  ce  serait  la  faute  à  M.  Ritt, 
seul  directeur  de  l'Opéra  nommé  et  reconnu  par  le  ministre  des 
Beaux-Arts.  Lui.  Gailhard,  il  n'a  jamais  été  chargé  que  du  service  delà 
scène  ;  il  n'avait  aucune  voix  au  chapitre  dans  la  direction  de  l'entre- 
prise en  elle-même  ;  il  est  innocent  comme  un  petit  saint  Jean  de 
tous  les  actes  répréhensibles  qu'on  reproche  justement  à  l'administra- 
tion de  M.  Ritt.  Il  les  désapprouvait  et  il  les  désapprouve  encore. 
Le  coup  est  dur  pour  le  pauvre  papa  Ritt,  qui  se  voit  lâché  avec 
une  admirable  désinvolture  par  ce  petit  croquant  de  chanteur  qu'il 
était  aller  ramasser  sur  les  planches  de  l'Opéra  pour  l'associer  à  de 
fastueux  bénéfices  en  l'élevant  jusqu'à  lui,  ce  qui,  à  vrai  dire,  n'était 
pas  encore  très  haut.  Nous  plaindrions  sincèrement  M.  Ritt  de  cette 
mésaventure,  s'il  nous  paraissait  digne  du  moindre  intérêt. 

Mais  alors,  cher  Gailhard  de  mon  cœur,  si  vous  désapprouvez  les 
actes  de  votre  associé,  vous  allez  sans  nul  doute  répudier  aussi  la 
part  de  gain  que  ces  mêmes  actes  vous  ont  procurée.  Il  s'agit  au  moins 
de  sept  à  huit  cent  mille  francs  que  vous  serez  heureux  d'offrir  à 
une  caisse  de  bienfaisance,  à  moins  que  vous  ne  les  portiez  au  ministre 
sur  un  plateau  d'or  pour  mieux  assurer  la  réfection  des  décors ,  que 
vous  avez  laissé  si  bien  tomber  en  poussière. 

Autrement,  nous  continuerons  à  vous  considérer  comme  un  simple 
farceur  et,  vous  aurez  beau  vous  débattre,  votre  nom  de  Gailhard  res- 
tera accroché  avec  celui  de  Ritt,  tous  les  deux  côte  à  côte,  au  même 
pilori,  —  funeste  raison  sociale  dont  la  musique  gardera  longtemps 
le  douloureux  souvenir. 

Si  l'on  nous  débarrasse  de  l'un,  il  faut  aussi  nous  débarrasser  de 
l'autre;  sans  quoi,  que  leurs  patrons  aient  la  honte  de  les  renom- 
mer tous  les  deux,  et  nous  verrons  alors  ce  qu'on  en  pensera.  De- 
vant l'opinion  ils  sont  irrévocablement  condamnés  ;  devant  les 
Chambres  élues  du  pays  ils  n'ont  pas  été  moins  sévèrement  jugés. 
Les  députés  n'ont  cessé  de  manifester  la  répugnance  qu'ils  avaient 
pour  cette  direction  néfaste  et  ne  lui  ont  maintenu  à  contre-cœur 
une  subvention  que  sous  l'espèce  de  promesse  qu'on  leur  a  faite 
de  ne  pas  renouveler  son  privilège.  «  Les  directeurs  passent,  et 
l'Opéra  reste  »,  c'est  la  phrase  finale  du  discours  de  M.  Larrou- 
met,  directeur  des  Beaux-Arts,  lors  de  la  dernière  discussion  du 
budget  devant  la  Chambre  des  députés.  Eh  bien,  nous  verrons  si, 
par  un  bel  exemple  de  favoritisme,  MM.  Constans  et  Fallières  en- 
tendent passer  outre  et  forcer  la  main  au  ministre  des  Beaux-Arts, 
M.  Bourgeois. 

Que  M.  Constans  trouve  ds  l'agrément  à  entendre  chanter  M.  Gail- 
hard et  le  convoque  volontiers  à  ses  réunions  intimes  du  dimanche, 
«  où  Muie  Constans  porte  de  très  jolies  robes  de  velours  noir  »,  c'est 
une  affaire  de  goût  à  laquelle  nous  n'avons  rien  à  voir;  mais  lui 
reconnaître  pour  cela  toutes  les  aptitudes  à  bien  diriger  un  théâtre 
comme  celui  de  l'Opéra,  c'est  aller  beaucoup  trop  loin  et  nous 
nous  regimbons  comme  nos  confrères.  Non,  M.  Gailhard  n'a  rien 
de  ce  qu'il  faut  pour  être  à  la  tête  de  notre  première  scène  lyrique. 
C'est  un  simple  bouleur  d'art,  sans  aucun  goût  ni  idée  relevée.  On 
peut  l'entrevoir  comme  régisseur,  à  cause  de  sa  pratique  du  métier, 
mais  le  poser  en  maître  des  destinées  de  la  musique  en  France, 
c'est  une  simple  plaisanterie,  un  rêve  comme  les  Tartarius  de  son  pays 
ont  coutume  d'en  faire,  mais  qui  ne  devrait  pas  se  réaliser,  si  nous 
avons  un  ministre  des  Beaux-Arls  ayant  conscience  de  ses  devoirs. 

H.  Moreno. 


LE  MENESTREL 


44  I 


UNE     FAMILLE     D'ARTISTES 


LES    SAINT-AUBIN 

II 

(Suite.) 

Ainsi  donc,  Saint-Aubin  se  voyait  tenu  de  rester  à  l'Opéra,  mais 
on  accordait  à  sa  femme  sa  liberté,  et  aussitôt  elle  était  appelée  à 
la  Comédie-Italienne  par  l'ordre  de  début  que  voici  : 

Nous  maréchal  de  Richelieu,  pair  de  France,  premier  gentilhomme  de 
la  chambre  du  Roi, 

Ordonnons  aux  comédiens  italiens  de  laisser  débuter  sur  leur  théâtre 
la  demoiselle  (sic)  S'-Aubin  pour  que  nous  puissions  juger  de  ses  talens. 

Fait  à  Paris,  le  20  mai  1786. 

Le  Maréchal  duc  de  Richelieu. 

Les  choses  allaient  rondement.  Le  3  mai,  Saint-Aubin  demandait 
la  rupture  de  l'engagement  de  sa  femme,  qui  lui  était  aussitôt  ac- 
cordée; le  20  du  même  mois  celle-ci  recevait  son  ordre  de  début,  et 
le  29  juin  elle  faisait  sa  première  apparition  à  la  Comédie-Italienne, 
où  son  entrée  était  presque  triomphale.  Elle  se  présentait  au  public 
■de  ce  théâtre  dans  deux  rôles  charmants,  celui  de  Marine  dans  la 
Colonie,  de  Sacchini,  et  celui  de  Denise  dans  l'Epreuve  villageoise,  le 
joli  petit  chef-d'œuvre  de  Grétry,  et  le  Journal  de  Pans  rendait 
ainsi  compte  de  son  début:  —  «  Une  physionomie  douce  et  fine, 
une  voix  brillante,  une  belle  prononciation,  de  la  grâce  dans  le 
maintien  :  tels  sont  les  avantages  naturels  de  Mme  S'-Aubin,  qui 
a  débuté  à  ce  théâtre.  Ceux  qu'elle  doit  au  travail  et  à  l'étude  ne 
sont  pas  moins  précieux;  une  bonne  manière  dans  le  chant,  de 
l'intelligence  de  la  scène,  de  l'aplomb  et  une  diction  assez  pure  que 
l'habitude  doit  perfectionner  encore,  telle  est  la  réuuion  des  qualités 
qui  ont  valu  à  cette  jeune  actrice  le  succès  le  plus  brillant,  sur- 
tout dans  le  rôle  do  Marine  de  la  Colonie  :  elle  a  laissé  désirer  un 
peu  plus  de  légèreté  et  de  gaîté  dans  celui  de  Denise  de  l'Épreuve 
villageoise.  Mme  S'-Aubin  a  débuté  le  26  janvier  dernier  à  l'Opéra 
dans  le  rôle  de  Colinelte  à  la  Cour,  et  a  été  accueillie  par  le  public 
1res  favorablement;  mais  nous  croyons  qu'elle  peut  se  prometlre 
encore  plus  de  succès  au  Théâtre-Italien.    » 

De  leur  côté  les  Mémoires  secrets  de  Bachaumont,  qui,  on  le  sait, 
ne  brillaient  pas  d'ordinaire  par  une  excessive  indulgence  à  l'égard 
des  comédiens,  et  surtout  des  comédiennes,  s'exprimaient  ainsi 
qu'on  va  le  voir,  et  avec  une  sorte  d'enthousiasme,  au  sujet  du 
début  de  Mmc  Saint-Aubin,  en  transformant  en  éloge  la  réserve 
légère  Au  Journal  deParis:  —  «  Jeudi  dernier  il  y  a  eu  à  la  Comédie- 
Italienne  un  début  très  brillant  et  qui  mérite  d'être  annoncé.  Il 
s'agit  d'une  madame  de  Saint-Aubin,  sœur  de  feue  madame  Mou- 
linghen.  Le  26  janvier  dernier,  elle  avoit  paru  à  l'Opéra  dans  le 
rôle  de  Colinette  à  la  Cour.  On  lui  avoit  déjà  trouvé  une  figure  inté- 
ressante, une  voix  légère,  des  grâces  dans  le  chant,  de  l'esprit,  de 
la  finesse  dans  le  jeu,  et  une  habitude  du  théâtre  fort  rare  en  pareil 
cas.  Ce  succès  ne  s'étoit  pas  soutenu,  on  ne  parloit  plus  d'elle  ;  elle 
a  cru  qu'elle  réussiroit  mieux  sur  autre  théâtre,  et  en  effet  elle  a 
produit  la  plus  vive  sensation.  Le  premier  rôle  qu'elle  a  joué  a  été 
celui  de  Marine  dans  la  Colonie,  où  elle  n'a  rien  laissé  à  désirer 
généralement.  Quant  au  second  rôle  de  Denise  dans  l'Épreuve  villa- 
geoise, comme  le  public  est  gâté  par  la  légèreté  et  la  gaieté,  tenant 
beaucoup  de  l'étourderie  et  de  l'indécence,  qu'y  met  M"c  Adeline, 
la  comparaison  ne  lui  a  pas  été  favorable  aux  yeux  de  tous  les 
libertins  du  parterre  ;  quant  aux  vrais  connoisseurs,  ils  n'en  ont  pas 
pensé  de  même,  et  regardent  cette  acquisition  comme  également 
précieuse  dans  les  deux  genres  pour  ce  spectacle  ». 

Dans  l'espace  de  quelques  semaines,  M"10  Saint-Aubin,  qui  déjà 
déployait  l'étonnante  activité  dont  par  la  suite  elle  devait  donner 
tant  do  preuves,  joua  coup  sur  coup  toute  une  série  d'autres  rôles  : 
Babet  de  Biaise  et  Babel,  Colombine  du  Tableau  parlant,  Isabelle 
d'Isabelle  et  Gertrude,  Cbloé  du  Jugement  de  Midas,  Lindor  de  l'Amou- 
reux de  quinze  ans,  Babet  du  Droit  du  Seigneur,  Agathe  de  l'Ami  de 
la  Maison,  Annelte  d'Annelleet  Lubin,  Jacinthe  de  l'Amant  jaloux,  etc., 
et  le  public,  enchanté,  sous  le  charme  de  ce  talent  tour  à  tour  plein 
de  grâce,  de  finesse,  d'émotion,  de  douceur,  de  gaieté,  et  toujours 
de  la  décence  et  de  la  convenance  les  plus  parfaites,  lui  faisait 
fète  chaque  soir  et  la  couvrait  d'applaudissements  enthousiastes. 
Depuis  les  commencements  de  M""-  Dugazon  on  n'avait  pas  vu  se 
produire  une  artiste  de  cette  valeur,  on  n'avait  pas  assisté  à  un 
début  aussi  brillant,  aussi  remarquable  et  aussi  justement  re- 
marqué. 


Aussi  va-t-il  sans  dire  que  Mrac  Saint-Aubin  fut  immédiatement 
engagée  comme  pensionnaire,  avec  promesse  de  la  première  vacance 
de  sociétaire.  Le  maréchal  de  Richelieu  fixait  ainsi  sa  situation,  un 
mois  après  son  premier  début  : 

Nous  maréchal  duc  de  Richelieu,  premier  gentilhomme  de  la  chambre 
du  Roi, 

Avons  accordé  à  la  demoiselle  S'-Aubin  la  somme  de  trois  mille 
livres  d'appointemens  qui  lui  seront  payés  à  raison  de  250  livres  par 
mois,  à  la  charge  par  olle  de  jouer  l'emploi  d'amoureuse  au  Théâtre- 
Italien  ainsi  que  celui  de  madame  Dugazon  après  les  comédiennes  qui 
sont  déjà  reçues  (1).  Cette  distinction  sur  les  actrices  à  l'essai  est  due  aux 
talens  de  la  demoiselle  S'-Aubin  et  à  la  connoissance  qu'elle  a  de  son 
emploi  et  de  son  état  d'après  le  travail  qu'elle  a  fait  en  province.  Nous  lui 
promettons  en  outre  sa  réception  lorsqu'il  y  aura  des  places  vacantes. 

Fait  à  Paris,  le  28  juillet  1786. 

Le  Maréchal  duc  de  Richelieu. 

La  réceplion  promise  ne  se  fit  pas  attendre,  et  les  succès  de  la 
jeune  artiste  la  rendirent  aussi  prompte  que  facile.  Dès  1788, 
Mme  Saint-Aubin  était  admise  au  nombre  des  sociétaires,  d'abord  à 
quart  de  part  seulement,  et  il  ne  lui  fallut  pas  plus  de  quatre  an- 
nées pour  arriver  au  premier  rang  et  se  voir  attribuer  la  part 
entière,  qu'elle  obtint  en  1792  (2). 

Son  succès  était  justifié  d'ailleurs,  de  toutes  façons,  autant  par 
les  dons  naturels  qu'elle  apportait  à  la  scène  que  par  les  qualités 
qu'elle  devait  au  travail  et  à  l'étude.  Physiquement,  Mm<!  Saint-Aubin 
réunissait  toutes  les  séductions.  Petite  et  mignonne,  suffisamment 
potelée,  avec  des  attaches  fines  et  une  taille  merveilleusement  prise, 
elle  eût  pu  se  dispenser  d'être  jolie,  tellement  tout  on  elle  était 
charme,  et  grâce,  et  sourire.  L'ovale  du  visage  n'en  était  pas  moins 
parfait,  les  yeux  brillants,  la  bouche  petite,  et  la  délicatesse  des 
traits,  jointe  à  un  regard  plein  d'éclat  et  à  une  physionomie  d'une 
expression  et  d'une  mobilité  rares,  prévenaient  aussitôt  en  sa  faveur, 
et  la  faisaient  voir  tout  d'abord  avec  autant  de  plaisir  qu'on  en  éprou- 
vait ensuite  à  l'entendre.  La  grâce  et  le  naturel  de  ses  mouvements, 
la  souplesse  de  sa  démarche,  son  maintien  à  la  fois  décent  et  enjoué, 
une  sorte  de  candeur  virginale  répandue  sur  toute  sa  personne, 
achevaient  de  tenir  les  spectateurs  sous  le  charme  et  lui  conquéraient 
toutes  leurs  sympathies.  Et  les  qualités  de  l'artiste  ne  le  cédaient 
en  rien  à  celles  de  la  femme,  qu'elles  venaient  compléter  à  souhait. 
Un  organe  flatteur,  clair  et  sonore,  une  voix  qui,  pour  n'offrir  pas 
une  grande  étendue,  était  du  timbre  le  plus  agréable  et  qu'elle 
savait  manier  avec  un  goût  parfait,  une  diction  nette  et  dont  la 
justesse  d'accent  était  remarquable,  une  souplesse  d'interprétation 
qui  la  montrait  tour  à  tour  ingénue  ou  piquante,  tendre  ou  coquette, 
naïve  ou  pathétique,  gaie  jusqu'à  la  folie  ou  sensible  jusqu'aux 
larmes,  et  qui  lui  permettait  d'aborder  avec  la  même  supériorité 
tous  les  genres  et  tous  les  emplois:  amoureuses  (Adolphe  et  Clara, 
le  Prisonnier),  soubrettes  (Ma  Tante  Aurore,  l'Amant  jaloux),  grandes 
coquettes  (la  Fausse  Duègne),  premiers  rôles  (Mélidore  et  Phrosine, 
Lodoïska),  et  jusqu'aux  travestis  (les  Deux  Petits  Savoyards,  Jean  et 
Geneviève),  —  tout  cela  faisait  de  M'°e  Saint-Aubin  une  personnalité 
accomplie,  comme  le  type  vraiment  achevé  de  l'actrice  d'opéra- 
comique,  et  légitime  amplement  les  triomphes  qui  n'ont  cessé  de 
l'accueillir  au  cours  d'une  carrière  dont  la  durée  ne  fut  pas  moindre 
de  vingt-deux  ans  (3). 

Je  ne  crois  pas  que  M""5  Saint-Aubin  ait  fait  de  nombreuses 
créations  pendant  les  premières  années  de  son  séjour  à  l'Opéra-Comiqe, 
et  je  pense  que  durant  cette  première  période  de  ses  succès  elle  fut 
surtout  chargée  de  reprendre  les  jeunes  rôles  de  M",e  Dugazon,  qui 
abandonnait  son  premier  emploi  pour  prendre  celui  des  mères.  En 

(1)  C'est-à-dire  que  M™°  Saint-Aubin,  simple  pensionnaire,  était  appelée  à  partager 
les  rôles  du  répertoire  avec  les  actrices  déjà  reçues  sociétaires,  ce  qui,  ainsi  le 
faisait  remarquer  le  maréchal  de  Richelieu,  constituait  une  distinction  d'un  carac- 
tère exceptionnel. 

(2)  Fétis  s'est  trompé  lorsqu'il  a  écrit  ceci  :  —  «  Reçue  sociétaire  à  quart  de  part 
en  1788,  elle  n'eut  la  part  enlière  que  dix  ans  après,  lorsque  le  prodigieux  succès 
qu'elle  avait  obtenu  dans  le  Prisonnier  ne  permit  plus  de  lui  refuser  cet  acte  de 
justice.  »  Il  y  a  là  une  erreur  que  je  puis  relever  d"une  façon  certaine  d'après  les 
registres  d'administration  et  de  comptabilité  du  théâtre  Favart,  qui  ne  laissent  aucun 
doute  à  ce  sujet.  J'y  vois,  en  efiet,  que  dès  1789  M1™  Saint-Aubin  était  à  trois 
huitièmes  de  part,  en  1790  à  trois  quarts  de  part,  et  enfin,  en  1792,  à  part  entière- 

(3i  Elle  possédait  encore  cet  avantage,  inestimable  pour  une  femme,  et  surtout 
au  théâtre,  de  voir  s'écouler  le  temps  sans  paraître  en  ressentir  les  atteintes.  Voici 
ce  que  disait  d'elle  un  critique,  quinze  ans  après  ses  débuts  à  l'Opéra-Comique  :  — 
«  M"'  Saint-Aubin,  véritablement  comédienne,  est  à  l'Opéra-Comique  ce  que 
M"°  Contât  est  à  la  Comédie-Française.  Elle  a  essayé  tous  les  genres,  et  s'est  trouvéo 
bien  placée  dans  tous.. .  M""  Saint-Aubin  a  cet  avantage  bien  rare,  que,  chez  elle, 
les  progrès  de  l'âge  ne  sontpas  aperçus,  tandis  que  ceux  du  talent  deviennent  tous 
les  jours  plus  sensible».  Elle  paraît  en  tout  une  femme  privilégiée.  »  [Année  théâ- 
trale pour  l'an  IX.) 


412 


LE  MÉNESTREL 


tout  cas  je  ne  puis  signaler,  comme  ouvrages  créés  par  elle  à  celte 
époque,  que  les  suivants  :  pour  1787,  la  Suite  du  comte  d'Albert,  Toi- 
nette  et  Louis  et  le  Poète  supposé  (ouvrage  refait  par  ses  auteurs)  ;  pour 
1788,  le  Rival  confident  ;  pour  1789,  la  Vieillesse  d'Annelte  et  Lubin,  la 
Fausse  Paysanne,  les  Deux  Petits  Savoyards  et  Raoul  sire  de  Créqui  ; 
pour  1790,  la  Soirée  orageuse,  les  Rigueurs  du  cloître,  Pierre  le  Grand  et 
Euphrosine  et  Coradin,  où  son  succès  fut  aussi  éclatant  que  celui  de 
Méhul,  débutant  à  la  scène  par  un  chef-d'œuvre.  A  ces  opéras-comi- 
ques, il  faut  joindre,  dans  le  genre  du  vaudeville  et  de  la  comédie, 
que  l'on  jouait  encore  à  cette  époque  au  théâtre  Favart  :  les  Solitaires 
de  Nor'inandie,  Césarine  et  Victor  (1788).  et  Encore  des  Savoyards  (1789). 
Parmi  les  rôles  repris  alors  par  elle,  je  signalerai  surtout  Nina  ou  la 
Folle  par  amour  et  Richard  Cœur  de  Lion,  qui  lui  firenl  le  plus  grand 
honneur  (I). 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concert  Colonne.  —  Après  avoir  brillamment  exécuté  l'ouverture  du  Tann- 
hduser,  l'orchestre  de  l'Association  artistique  a  fait  entendre  la  Symphonie 
pastorale  de  Beethoven,  dont  l'interprétation  a  été  des  plus  remarquables. 
Une  jeune  cantatrice  de  talent,  M110  Jeanne  Leclerq,  a  été  très  applaudie 
dans  l'air  de  la  Création  d'Haydn.  La  voix,  sans  être  très  corsée,  est  très 
pure,  très  limpide,  d'une  justesse  irréprochable,  et  la  méthode  est  excel- 
lente; elle  a  dit,  avec  non  moins  de  succès,  l'air  de  Chérubin  des  Noces  de 
Figaro.  Le  public  a  bissé;  un  wagnérien  a  cru  devoir  protester,  non  pas 
contre  M110  Leclerq,  mais  contre  cette  vieille  perruque  de  Mozart;  la  pro- 
testation n'a  pas  eu  d'écho  et  a  été  même,  pour  la  cantatrice,  l'occasion 
d'une  fort  belle  -ovation.  Per  gynt,  suite  d'orchestre  de  Grieg,  a  été  aussi 
applaudie  qu'à  la  première  audition.  La  musique  de  Grieg  a  une  saveur 
toute  particulière.  Son  orchestration  est  très  sobre,  très  fine,  très  légère,  et 
sa  pensée  toujours  poétique  et  gracieuse.  Après  l'oeuvre  nouvelle  de 
M.  Fauré,  la  musique  pour  le  drame  de  Caligula,  musique  qui  se  signale 
par  un  grand  désir  de  ne  pas  suivre  les  sentiers  battus,  M.  Colonne  nous 
adonné  laSuile  algérienne  deM.Saint-Saêns.  C'est  une  fantaisie  très  agréable 
à  entendre,  pleine  de  recherches  exquises  et  d'effets  brillants.  L'orchestre 
de  M.  Saint-Saëns  est  toujours  merveilleux  à  écouter  ;  il  est  clair,  même  à 
travers  les  complexités  les  plus  grandes.  Le  compositeur  a  une  telle 
entente  des  ressources  de  chaque  instrument  que  chez  lui  rien  n'est  heurté. 
Tout  se  fond  dans  un  ensemble  parfait,  et  comme  la  trame  de  son  orchestre 
est  forte,  solidement  établie  sur  la  partition  des  instruments  à  cordes  les 
combinaisons  les  plus  fines,  les  plus  imprévues  se  jouent  sur  cette  trame 
solide,  sans  jamais  l'annihiler,  ni  même  l'altérer.  C'est  ce  qui  t'ait  que 
M.  Saint-Saëns  est  le  premier  de  nos  symphonistes  français. 

H.  Barbedette. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  La  quatrième  symphonie  de  Beethoven,  que 
l'on  entend  fort  rarement,  n'accuse  pas  avec  une  grande  énergie  le  tem- 
pérament original  du  maître  et  reste  un  peu  au-dessous  de  ses  deux 
puissantes  rivales,  l'Héroïque  et  la  symphonie  en  ut  mineur,  toutes  deux 
écrites  antérieurement.  Le  premier  morceau  semble  assez  ordinaire  si  on 
le  juge  par  comparaison  avec  les  chefs-d'œuvre  de  Beethoven;  c'est  plus 
énergique,  mais  moins  gracieux  que  Mozart.  La  mélodie  ne  cherche  pas  à 
s'insinuer,  elle  veut  s'imposer.  Dans  ce  morceau  se  trouve  un  admirable 
crescendo  qui  ne  produit  pas  un  effet  très  saisissant,  parce  qu'au  moment 
du  tutti,  rien  d'imprévu  ni  de  très  caractéristique  ne  se  présente,  de  sorte 
que  l'on  se  demande  quel  est  le  but  de  ce  superbe  coup  de  génie. 
L'adagio  reste  un  chef-d'œuvre  d'une  inaltérable  limpidité.  Le  scherzo 
parait  bizarre,  avec  ses  rythmes  binaires  qui  bondissent  dans  une  mesure 
à  trois  temps.  Le  finale  est  fin,  alerte,  plein  de  gaieté  et  d'entrain. —L'ou- 
verture A'Hermann  et  Dorothée,  de  Schumann,  est  un  petit  tableau  sym- 
phonique  sans  grande  importance,  dans  lequel  se  trouve  intercalée  à  plu- 
sieurs reprises  une  longue  réminiscence  de  la  Marseillaise.  Pareille 
réminiscence  se  retrouve  dans  le  Carnaval  à  Vienne,  de  Schumann,  et  dans 
deux  mélodies,  l'une  de  Schumann  et  l'antre  de  Wagner,  toutes  deux 
écrites  surun  poème  de  H.Heine.  —L'ouverture  d'Esther,  de  M.  A.  Coquard, 
est  bien  écrite,  sur  des  thèmes  ayant  une  valeur  musicale  réelle,  mais 
non  sans  quelque  tendance  à  l'emphase.  Ce  défaut  se  remarque  aussi 
dans  la  Marche  élégkque  de  M.  Paul  Lacombe,  dont  le  thème  principal  est 
satisfaisant.  Il  semble  que  les  compositeurs  qui  n'ont  pas  l'occasion  d'en- 
tendre leurs  œuvres  aussi  souvent  que  nous  le  souhaiterions,  cherchent 
à  entasser  trop  d'effets  violents  dans  le  même  ouvrage  et  dépassent  ainsi 
les  limites  que  devrait  leur  imposer  la  nature"  du  sujet  traité.  En  mu- 
sique, l'idée  doit  posséder  une  puissance  propre,  et  les  sonorités  excen- 
triques trouvent  leur  justification  dans   cette   idée  même.  —  M.  Engel  a 

(1)  Parmi  les  ouvrages  créés  par  M-«  Saint-Aubin  dans  le  genre  de  la  comédie 
pure,  il  faut  citer  Constance,  de  Demoustier,  Tom  Jones  et  Féllamar,  de  D  esforges, 
le  Convalescent  de  qualité,  de  Fabre  d'Eglantine,  l'Ecole  de  [adolescence,  de  d'Antillyj 
les  Arts  et  l'Amitié,  de  Bouchard,  Louise  et  Volsan,  de  Dejaure,  etc.  Elle  reprit  ensuite 
la  Femme  jalouse,  de  Desforges,  et  l'Epreuve,  de  Marivaux,  deux  ouvrages  qui  prirent 
place,  plus  tard,  au  répertoire  de  la  Gomêdie-Fraaçaise. 


chanté  en  véritable  artiste  l'air  si  difficile  de  Fidelio,  auquel  la  partie  d'or- 
chestre forme  un  commentaire  d'une  poignante  enpression.  Il  a  dit  ensuite 
la  scène  des  adieux  de  Lohengrin  avec  un  art  exquis  de  nuances  les  plus 
délicates  et  une  entente  parfaite  du  style  de  l'œuvre.  La  salle  entière  lui 
a  prodigué  de  légitimes  applaudissements.  —  Siegfried-Idyll  et  la  Marche 
hongroise  de  la  Damnation  de  Faust  ont  terminé  la  séance. 

Amédée  Boutarel. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Conservatoire:   symphonie  en  soi  mineur  (Lalo) ;   chœur  de  Paulus  (Mendels- 

sohn)  ;  concerto  en  sol  pour  piano  (Beethoven),  par  M.  Delaborde  ;  symphonie  en 
ré,  43e  (Haydn);  marche  de  Tannhâuser  (R,  Wagner).  Le  concert  sera  dirigé  par 
M.  J.  Garcin. 

Chàtelet,  concert  Colonne  ;  Roma  (Bizet)  ;  duo  de  Béatrice  et  Bénédicl  (Berlioz), 
chanté  par  M""  de  Montalant  et  Lavigne;  Aria  de  la  suite  en  ré  (Bach);  Caligula 
(G.  Fauré);  Contas  mystiques  :  1.  Prélude  (A.  Holmes),  2.  Premier  miracle  de 
Jésus  (Paladilhe),  3.  Non  credo  (Widor)  ,  4.  En  prière  (G.  Fauré),  chantés  par 
MIIe  Montaland  ;  fragments  du  Songe  d'une  nuit  d'été  (Mendelssohn). 

Cirque  dps  Champs-Elysées,  concert  Lamoureu^:  ouverture  à'Esther  (Coquard); 
symphouie  eu  la  majeur,  n°  7  (Beethoven);  prélude  du  troisième  acte  de  Tristan 
et  Iseutt  (Wagner)  ;  Scherzo  du  Songe  d'une  nuit  d'été  (Mendelssohn)  ;  ouverture 
d'Hennann  et  Dorothée  (Schumann)  ;  le  Venusberg  de  Tannhâuser  (Wagner), 
Grande  Marche  de  fête  (Wagner) . 

—  Musique  de  chambre.  —  M.  A.  Lefort  vient  de  donner  sa  première  séance 
de  musique  de  chambre.  On  y  a  entendu  avec  plaisir  le  beau  trio  pour 
piano,  violon  et  violoncelle  de  M.  C.  Saint-Saëns  et  la  sonate  en  sol  de 
Rubinstein,  remarquablement  interprétés  par  M"  Poitevin-Hainl,  MM.  Le- 
fort et  Casella,  deux  fort  agréables  mélodies  chantées  avec  grand  talent 
par  M.  "Warmbrodt,  et  un  quatuor  à  cordes  (lre  audition)  de  M.  Ch.  Lefebvre. 
La  nouvelle  œuvre  de  ce  compositeur  comprend  deux  morceaux,  divisés 
chacun  en  deux  parties.  J'aime  particulièrement  la  mélancolie  pensive  de 
l'Andanle,  où  l'on  sent  comme  un  reflet  de  Schumann,  et  la  distinction  gra- 
cieuse de  l'intermezzo.  II  y  a  un  peu  de  vague  dans  le  finale.  —  A  signaler 
aussi  la  première  matinée  de  M.  I.  Mendels.  Le  quintette  de  Schumann 
et  la  sempiternelle  sonate  en  la  de  Rubinstein,  avec  la  charmante  virtuose 
Mmc  Hermann  au  piano,  formaient  les  pièces  de  résistance  du  programme. 
On  a  admiré  une  fois  de  plus  les  belles  qualités  de  sonorité  et  de  style 
de  M.  C.  Casella  dans  un  impromptu  de  sa  façon,  et  l'on  a  vivement  applaudi 
l'aimable  promoteur  de  ces  séances  après  la  brillante  exécution  de  deux 
soli  de  Svendsen  et  de  "Wieniawski.  I.  Philipp. 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (23  décembre).  —  Après  avoir  fait  re- 
mettre plusieurs  fois,  pour  cause  d'indisposition,  son  apparition  devant  le 
public  bruxellois,  Mme  Renée  Richard  s'est  enfin  montrée  hier,  dans  la 
Favorite.  C'est  la  première  fois  qu'elle  chantait  à  Bruxelles,  et  elle  a  remporté 
un  très  grand  succès,  par  son  autorité  d'artiste  de  grand  style  et  la  beauté 
de  sa  voix,  dont  les  restes  opulents  sont  encore  superbes.  —  La  veille, 
reprise  assez  médiocre  de  Rigoletto,  dont  on  augurait  mieux  cependant, 
avec  Mll0B  Sanderson  et  Nardi,  MM.  Bouvet,  Lafarge  et  Vérin.  L'action  de 
la  pièce  se  passant  presque  tout  entière  dans  l'obscurité,  Mlle  Sanderson 
y  devait  perdre  nécessairement  un  de  ses  plus  précieux  avantages,  qui  est 
d'être  jolie;  sa  voix  a  paru  un  peu  mince  dans  le  rôle  de  Gilda,  où  elle  a 
mis  néanmoins  beaucoup  d'excellentes  intentions,  une  aimable  chaleur  et 
un  sentiment  dramatique  très  juste.  M.  Lafarge  a  roucoulé  le  rôle  du  duc 
de  Mantoue  avec  plus  de  charme  que  de  passion,  et  M.  Bouvet  a  mis 
dans  celui  du  bouffon  une  expression  parfois  très  touchante.  Il  n'a  man- 
qué à  tout  cela  qu'un  peu  de  mouvement  et  de  passion  pour  être  vrai- 
ment bien.  —  Quelques  jours  auparavant,  autre  soirée  intéressante,  mais 
bien  inattendue,  celle-là:  on  jouait  Faust;  M0"  de  Nuovina  s'étant  trouvée 
malade  au  moment  du  spectacle,  Mlle  Carré re  l'a  remplacée  au  pied  levé, 
sans  le  moindre  raccord,  avec  cette  circonstance  curieuse,  que,  sachant  le 
rôle,  elle  ne  l'avait  jamais  joué  nulle  part,  et  ne  l'avait  même  jamais 
répété  en  scène!  Or,  il  s'est  trouvé  que  Mllc  Carrère  était  une  Marguerite 
absolument  remarquable,  bien  supérieure  à  la  plupart  des  Marguerites 
que  nous  avions  entendues  à  la  Monnaie,  sous  le  double  rapport  du  sen- 
timent et  de  la  voix.  Son  succès  a  été  considérable.  Depuis  Mmo  Caron, 
on  n'avait  plus  vu  à  la  Monnaie  de  pareilles  ovations  dans  le  séduisant 
chef-d'œuvre  de  Gounod.  Cela  a  fait  tout  un  événement  dans  le  public  et 
plus  encore  dans  les  coulisses.  Et  le  fait  est  que  l'on  ne  s'attendait  peut- 
être  pas  à  découvrir  en  cette  artiste,  qui  remplit  avec  beaucoup  de  dis- 
tinction l'emploi  de  chanteuse  légère  de  grand  opéra,  un  tempérament 
dramatique  si  intense.  La  direction  sera  sans  doute  assez  intelligente  pour 
profiter  de  cette  bonne  aubaine.  La  première  de  Siegfried,  qu'on  espérait 
pour  ces  jours-ci,  est  de  jour  en  jo  ur  éloignée  ;  on  nous  la  promet  main- 
tenant pour  la  fin  du  mois  ;  nous  verrons.  On  nous  promet  aussi  Lakmé, 
avec  M"0  Sanderson,  et  Obéron,  avec  M™  de  Nuovina;  ces  deux  ouvrages 
viennent  d'être  mis  à  l'étude.  Et  l'on  ne  parle  plus  de  Werther.  Après  tout, 
ce  sera  peut-être  pour  l'an  prochain,  puisque  Mllc  Sanderson  nous  restera, 
dit-on,  et  que  MM.  Stoumon  et  Calabresi  ont  décidé  de  ne  pas  donner 
suite  à  leurs  velléités  de  démission,  exprimées  si  inopportunément,  comme 


LE  MElNESTREL 


413 


vous  savez,  à  propos  de  l'affaire,  aujourd'hui  apaisée,  des  Concerts  popu- 
laires. Ceux-ci  viendront  bientôt.  Le  premier  aura  lieu  sans  douto  le 
18  janvier.  Les  concerts  du  Conservatoire  ont  recommencé,  eux,  dimanche 
dernier.  M.  Gevaert,  reprenant  une  idée  qu'il  avait  d'abord  abandonnée, 
va  nous  faire  entendre  cet  hiver  la  série  complète  des  symphonies  de 
Beethoven.  La  première  a  été  entendue  au  concert  de  la  distribution  des 
prix;  dimanche,  nous  avons  eu  la  deuxième  et  la  troisième  (Symphonie 
héroïque),  toutes  deux  admirablement  exécutées.  Entre  les  deux  parties,  un 
ténor  allemand,  M.  Hans  Giessen,  a  chanté  une  demi-douzaine  de  lieder 
de  Beethoven,  accompagnés  au  piano  par  M.  Edouard  Lassen.  Cette  audi- 
tion n'a  pas  manqué  d'intérêt,  et  l'on  a  fait  un  succès  à  l'interprète, 
malgré  la  déplorable  façon  dont  ce  M.  Giessen,  fidèle  à  l'habituelle  mé- 
thode des  chanteurs  allemands,  conduit  une  voix  agréable  mais  constam- 
ment gutturale.  —  Vous  connaissez  déjà  le  grand  succès  obtenu  d'autre 
part,  huit  jours  avant,  par  M.  Diémer,  l'excellent  pianiste  français,  au 
troisième  concert  classique;  il  ne  me  reste  plus  qu'à  vous  en  confirmer  la 
nouvelle.  —  De  la  province  m'arrive  aussi  l'écho  d'autres  succès,  obte- 
nus au  Conservatoire  de  Gand  par  une  œuvre  inédite  de  M.  Wùllmer,  un 
compositeur  allemand  de  sérieux  mérite,  et  au  Conservatoire  de  Liège 
par  diverses  auditions,  dont  une  a  été  consacrée  entièrement  aux  œuvres 
de  César  Franck.  Heureusement  que  les  héritiers  du  maitre  français  n'en 
ont  rien  su!  L.  S. 

—  ANamur,  première  représentation  d'un  opéra-comique  inédit,  leReitre, 
livret  détestable  de  MM.  André  Thomas  et  Marcel  Lerouge,  musique  vive 
et  pimpante  de  M.  Charles  Mêlant. 

—  Nouvelles  théâtrales  d'Allemagne.  Berlin:  L'opéra  royal  offrira  à  son 
public  pour  la  Saint-Sylvestre  l'opéra-comique  de  Dittersdorf,  Docteur  et 
Apothicaire. —  Brunswick:  La  première  représentation  d'Bamlet  au  théâtre  de 
la  Cour  vient  d'avoir  lieu  au  milieu  d'ovations  et  d'applaudissements  sans 
fin.  —  Carlsruhe  :  Le  public  du  théâtre  municipal  a  fait  un  accueil  enthou- 
siaste à  la  production  des  Troyens  de  Berlioz.  L'ouvrage  avait  été  monté 
avec  uii  soin  minutieux  sous  l'excellente  direction  du  kapellemeister  Mottl. 
Mme  Beuss-Belce  (Cassandre)  et  MUe  Mailhac(Didon)  ont  été  très  fêtées. — 
Darmstadt  :  Par  ordre  du  grand-duc  de  Hesse,  les  études  du  Tannhàuser  de 
Mangold  ont  été  suspendues.  Celui  de  Wagner  l'a  échappé  belle  !  —  Ham- 
bourg :  Au  théâtre  Cari  Schultze,  on  signale  la  réussite  d'une  opérette 
anglaise  en  trois  actes  composée  sur  un  livret  français  et  intitulé  la  Nu.it 
de  la  Saint-André.  La  musique  est  de  M.  Ivan  Caryls,  le  livret  de  M.  F.  Remo  ; 
les  traducteurs  se  nomment  Wulf  et  Behre.  —  Prague  :  A  l'Opéra  natio- 
nal, YAsraël  de  M.  Franchetti  n'a  pas  obtenu  le  succès  sur  lequel  on  comp- 
tait. Par  contre  Fidelio,  avec  M"e  Lilli  Lehmann,  a  été  un  véritable 
triomphe  pour  l'ouvrage  et  sa  principale  interprète.  —  Vienne  :  A  l'Opéra, 
on  annonce  la  retraite  de  Mme  Rosa  Papier,  après  quinze  années  de 
service. 

—  L'Académie  de  chant  (Singakademie)  de  Berlin  se  prépare  à  célébrer 
le  centième  anniversaire  de  son  existence.  Le  2i  mai  1891  sera  solennelle- 
ment inauguré  un  magnifique  buste  de  son  fondateur,  Charles-Frédéric- 
Chrétien  Fasch,  artiste  médiocre  d'ailleurs,  qui  naquit  le  18  novembre  173b' 
et  mourut  le  3  août  1800.  Le  soir  du  même  jour  on  exécutera  diverses 
compositions  des  directeurs  successifs  de  l'Académie,  savoir  :  Fasch, 
Zelter,  Rungenhagen,  Grell  et  M.  Blummer,  le  directeur  actuel.  Celui-ci 
a  écrit  pour  la  circonstance  une  Cantate  solennelle  (tout  est  solennel  dans 
ce  pays!)  pour  voix  seules,  chœur  et  orchestre. 

—  On  a  célébré  récemment  à  Prague  le  quarantième  anniversaire  de  la 
fondation  de  l'École  des  élèves  de  musique  militaire.  C'est  le  dernier  éta- 
blissement de  ce  genre  qui  existe  en  Europe,  et  c'est  là  que  viennent  se 
recruter  les  excellentes  bandes  militaires  de  l'Autriche.  Nous  avions  aussi 
jadis,  en  France,  une  remarquable  institution  de  ce  genre,  le  Gymnase 
musical  militaire,  qui  fut  dirigé  successivement  par  Frédéric  Berr  et  par 
Carafa,  et  que  l'on  jugea  à  propos  de  supprimer,  il  y  a  précisément  une 
quarantaine  d'années.  C'est  là  l'une  des  causes,  jointes  à  tant  d'autres 
aussi  fâcheuses,  de  la  décadence  de  nos  musiques  militaires,  décadence 
déplorable  dont  nos  gouvernants  paraissent  si  peu  se  soucier  depuis 
tantôt  un  demi-siècle.  N'est-ce  pas  pourtant  une  branche  de  l'art  digne 
d'encouragement  et  de  sollicitude,  que  cet  art  superbe  de  la  musique 
militaire? 

—  Les  admirateurs  de  Mme  Patti  à  Saint-Pétesbourg  sont  dans  la  désola- 
tion :  la  diva  ne  remplira  pas  l'engagement  qu'elle  avait  contracté  pour 
la  série  de  concerts  dant  nous  avons  parlé.  C'est  une  question  d'ordre 
public  qui  a  motivé  cette  brusque  détermination.  H  parait,  en  effet,  que  la 
police  russe,  désireuse  de  protéger  le  public  contre  les  défections  qui  se 
produisent  si  fréquemment  dans  les  concerts,  a  rendu  un  arrêté  qui  l'au- 
torise à  mettre  sous  séquestre,  quand  bon  lui  semblera,  à  titre  de  caution- 
nement, les  sommes  encaissées  pour  tout  concert  annoncé  dans  la  capitale. 
Par  suite  de  cet  arrêté,  qui  a  été  appliqué  aux  souscriptions  des  concerts 
Patti,  l'imprésario  Zet  s'est  trouvé  dans  l'impossibilité  de  verser  à  Mmo  Patti 
l'acompte  stipulé  dans  l'engagement,  et  la  cantatrice  a  préféré  renoncer  à 
son  voyage  et  aux  succès  qui  l'attendaient  sur  les  bords  de  la  Neva. 

—  A  l'un  des  derniers  concerts  de  Saint-Pétersbourg,  on  a  chanté  pour 
la  première  fois  une  grande  ballade  pour  baryton  de  César  Cui  :  les  Deux 
Ménétriers,  sur  une  superbe  poésie  de  Jean  Richepin.  Cette  audition  a  fait 
une  réelle  sensation,  tant  l'allure  du  morceau  est  noble  et  belle.  On  a 
voulu  l'entendre  deux  fois. 


—  On  écrit  de  Saint-Pétersbourg  au  Figaro  :  «  La  direction  des  théâtres 
impériaux,  malgré  la  saison  à  peine  commencée,  a  donné  déjà  plusieurs 
spectacles  nouveaux,  en  fait  de  ballets  et  d'opéras,  au  Théâtre-Marie. 
Après  le  superbe  Prince  Igor  de  Borodine,  il  y  a  eu  la  première  du  nouvel 
opéra  de  Tschaïkowsky  :  la  Dame  de  Pique ,  tirée  de  la  nouvelle  de 
Pouchkine.  Le  succès  a  été  immense  pour  le  compositeur  et  les  artistes. 
M.  FigneretMmc  Medea-Figner  ont  été  fort  applaudis.  Le  tsar,  la  tsarine  et 
la  famille  impériale  assistaient  à  cette  magnifique  représentation.  La  di- 
rection impériale  tient  à  ce  qu'on  sache  bien  que  les  artistes  étrangers 
qui  désirent  chanter  au  Théâtre-Impérial  doivent  apprendre  les  paroles 
russes,  et  si  on  fait  une  exception  pour  les  quelques  représentations  des 
frères  de  Reszké,  c'est  uniquement  parce  qu'on  a  exprimé  en  haut  lieu  le 
désir  d'entendre  Jean  de  Reszké  dans  Roméo  et  Edouard  de  Reszké  dans 
Mefistofele,  de  Boito.  Comme  il  n'y  a  que  deux  mois  de  carnaval,  c'est  avec 
peine  qu'on  a  pu  placer  les  représentations  Reszké-Melba.  En  résumé, 
M.  Wsewolodsky  a  définitivement  créé  l'Opéra  russe,  autrement  dit: 
r Académie  de  musique  nationale  russe.  » 

—  On  écrit  encore  de  Saint-Pétersbourg  :  «  La  question  du  remplacement 
de  M.  Antoine  Rubinstein  au  poste  de  directeur  du  Conservatoire  de  Saint- 
Pétersbourg,  est  encore  pendante  et  paraît  assez  difficile  à  résoudre,  car 
déjà  MM.  Tchaïkowski  et  Napravnik,  le  chef  d'orchestre  de  l'Opéra  russe, 
ont  décliné  cette  succession  pour  laquelle  il  ne  reste  plus  que  trois  can- 
didats sérieux  :  M.  Safonof,  directeur  du  Conservatoire  de  Moscou,  et  les 
professeurs  du  Conservatoire  de  notre  ville,  MM.  Auer  et  Solovief.  Mais, 
comme  eux  non  plus  ne  semblent  guère  disposés  à  assumer  une  charge 
aussi  lourde,  il  se  pourrait  bien  qu'en  fin  de  compte  on  s'adressât  à 
M.  Balakiref,  dont  le  nom  circule  ici  dans  notre  monde  musical  comme 
ayant  certaines  chances  pour  hériter  des  fonctions  que  M.  Rubinstein  doit 
résigner  à  la  fin  de  la  présente  année  scolaire,  c'est-à-dire  au  mois  de  juin 
prochain. 

—  De  Saint-Pétersbourg,  on  nous  télégraphie  le  très  grand  succès  rem- 
porté dans  Lakmé  par  Mlle  Van  Zandt  au  théâtre  Panaieff.  Ovations  sans 
nombre  et  vingt  rappels  devant  toute  la  haute  noblesse  de  Russie  réunie 
pour  cette  circonstance.  —  A  La  Haye,  même  succès  pour  M"5  Louise 
Heymann,  la  charmante  élève  de  Mm"  Marchesi,  toujours  dans  l'ouvrage 
de  Léo  Delibes.  Il  n'y  a  qu'à  Paris  qu'on  n'entend  plus  cette  charmante 
partition.  Le  curieux  directeur  que  nous  avons  à  la  tête  de  notre  Opéra- 
Comique  ne  semble  pas  se  douter  qu'il  laisse  dormir  là  une  des  richesses 
de  son  répertoire. 

—  Une  institution  de  concerts  populaires  du  soir  vient  d'être  fondée  à 
Saint-Pétersbourg,  sous  la  direction  de  M.  Hlavateh,  ex-chef  d'orchestre 
au  Vauxhall  de  Pavlovsk,  avec  l'orchestre  de  la  Société  musicale  impériale 
russe.  Ces  concerts  ont  lieu  tous  les  mercredis,  et  le  prix  des  places,  extrê- 
mement médiocre,  est  de  30  kopeks  à  un  rouble.  Sur  les  programmes  de 
la  série  des  douze  concerts,  que  nous  avons  sous  les  yeux,  nous  voyons 
briller,  à  côté  des  noms  des  compositeurs  russes:  Glinka,  Dargomijski, 
Moniuszko,  Serow,  Soloviev,  Moussorgski,  Rubinstein,  Balakiref,  Mosz- 
kowski,  Iwanow,  César  Cui,  Hlavateh,  Tschaïkowski,  ceux  de  nos  compo  - 
siteurs  anciens  ou  modernes  :  Rameau,  Monsigny,  Grétry,  Berlioz,  Bizet, 
Ambroise  Thomas,  Charles  Gounod,  Léo  Delibes,  Saint-Saêns,  Massenet, 
Ernest  Guiraud,  Weckerlin,  Benjamin  Godard,  etc.  On  voit  qu'une  large 
place  est  faite  sur  ces  programmes  à  l'art  français,  surtout  à  l'art  contem  - 
porain.  On  n'en  saurait  dire  autant  en  ce  qui  concerne  l'Allemagne,  car,  à 
part  quelques  classiques,  on  n'y  rencontre  que  les  noms  de  MM.  Brahms, 
Cari  Reinecke  et  Scharwenka.  Les  premières  séances  de  ces  concerts  popu- 
laires ont  obtenu  un  plein  succès. 

—  Un  chef-d'œuvre!  Un  journal  italien,  la  Frusta  teatrale, ayant  reçu  — 
et  inséré  —  une  correspondance  de  Saint-Pétersbourg  qui  ne  convenait 
pas  au  baryton  Kaschmann,  celui-ci  a  saisi  sa  meilleure  plume,  et  adressé 
audit  journal  un  télégramme  dont  voici  la  teneur  exacte  : 

Votre  correspondance  de  Saint-Pétersbourg  fausse.  Aucun  bis,  sinon  à  Kas- 
chmann, qui  dans  le  Credo  a  obtenu  un  succès  bien  supérieur  à  tous.  Suspendez 
journal.  kaschmann. 

A  la  bonne  heure!  Voilà  un  chanteur  qui  ne  s'endort  pas,  qui  a  la 
conscience  de  sa  valeur,  l'amour  de  la  vérité  et  qui  ne  se  laissera  jamais 
étouffer  par  la  modestie.  La  fin  de  sa  dépêche  surtout  est  héroïque,  et 
Napoléon  Ier  n'eût  su  trouver  mieux  que  ce  cri  plein  d'une  mâle  énergie: 
Suspendez  journal  ! 

—  Rectifions  et  complétons  les  renseignements  que  nous  avons  donnés 
sur  les  ouvrages  français  qui  doivent  être  donnés  en  Italie  pendant  la  sai- 
son de  carnaval-carême.  Ces  renseignements  étaient  exacts  en  ce  qui 
concerne  Fra  Diavolo,  Hamlel,  la  Juive,  Mireille  et  le  Roi  do  Lahore;  ils  étaient 
au-dessous  de  la  vérité  pour  ce  qui  est  des  ouvrages  suivants  :  ainsi,  Car- 
men sera  donnée  daDS  9  théâtres  au  lieu  de  S;  Faust,  dans  7  théâtres  au 
lieu  de  4;  Mignon,  dans  6  théâtres  au  lieu  de  3;  Rvnéo  et  Juliette  et  les 
Pécheurs  de  Perles,  dans  i  au  lieu  de  2;  la  Jolie  Fille  de  Perlh  dans  3  au  lieu 
de  2;  le  Cid,  dans  2  au  lieu  d'1.  En  résumé,  les  ouvrages  de  compositeurs 
français  sont  au  nombre  de  12,  pour  cette  saison,  sur  les  cartelloni  des 
théâtres  italiens.  Nous  n'avons  plus  à  parler  des  opéras  français  de  com- 
positeurs étrangers. 

—  Voici,  d'autre  part,  la  liste  exacte  et  complète  des  opéras  nouveaux 
qui  doivent  être  représentés  en  Italie  au  cours  de  cette  saison  :  à  la  Scala 


414 


LE  MÉNESTREL 


de  Milan,  Lionella,  de  M.  Spiro  Saraara,  et  Condor,  de  M.  Carlos  Gomes; 
au  San  Carlo  de  Naples,  Cimbelino,  de  M.  Van  Westerhout  ;  et  Spartaco, 
de  M.  Platania;  au  Théâtre-Municipal  de  Modène,  Roncisval,  de  M.  Enrico 
Bertini;  au  théâtre  Rossini  de  Venise,  gli  Adoratori  del  fvoco,  de  M.  De 
Lorenzi-Fabris;  enfin,  au  théâtre  Bellini  de  Naples,  Dilara,  de  M.  Oronzo 
Scarano. 

—  Au  Politeama  de  Naples,  on  a  donné  avec  un  succès  très  vif  une 
opérette  nouvelle,  Anfitrione  (est-ce  un  arrangement  de  l'Amphitryon,  de 
Molière?),  livret  de  M.  Alfonso  Fiordelisi,  musique  de  M.  Mattia  Forte. 
Celle-ci,  dit-on,  est  charmante  et  fort  originale. 

—  On  demande  à  Mantoue,  et  l'on  ouvre  un  concours  à  cet  effet,  un 
directeur  de  l'École  communale  de  musique  qui  serait  en  même  temps 
«  professeur  pour  les  instruments  à  archet  »  (violon,  alto,  violoncelle  et 
contrebasse?).  Le  traitement  annuel  attribué  à  ce  fonctionnaire  est  de 
douze  cents  francs.  Ce  n'est  pas  cher,  pour  la  besogne.  On  exigera  sans 
doute  un  virtuose  accompli  dans  tous  les  genres  et  un  administrateur 
expérimenté? 

—  Le  public  italien  n'est  pas  encore  près  d'être  appelé  à  juger  le  Néron 
de  M.  Arrigo  Boito,  qu'on  disait  achevé  depuis  longtemps.  Celui-ci  aurait 
déclaré  qu'il  laissait  momentanément  cet  ouvrage  de  côté  pour  ne  pas 
manquer  la  bonne  occasion  d'écrire  un  livret  pour  Verdi,  celui  de  Falstaff. 
Ce  Néron  est  décidément  insaisissable. 

—  La  Lega  Lombarda  croit  pouvoir  affirmer,  bien  que  la  nouvelle  ne  soit 
pas  encore  officielle,  que  les  promoteurs  d'une  réforme  de  la  musique 
sacrée  en  Italie  s'occupent  en  ce  moment  d'organiser  la  réunion  d'un 
congrès  d'art  religieux  qui  se  tiendrait  l'année  prochaine  à  Milan. 

—  La  Société  du  quatuor  Beethoven  de  New-York  virent  de  donner  son 
premier  concert  de  la  saison  à  Ghickering  Hall,  avec  le  concours  de  la 
pianiste  M,1,e  Dannreuther  et  de  M"e  Gertrude  Griswold,  acclamée  après 
les  strophes  de  Lakmé.  Grand  succès  aussi  pour  le  nouveau  quintette, 
op.  81,  de  Dvorak. 

—  Le  pianiste  Paul  de  Janko,  l'inventeur  du  nouveau  clavier,  est  véri- 
tablement l'homme  du  jour  à  New-York,  où  ses  concerts  sont  suivis  avec 
un  intérêt  toujours  croissant.  Tous  les  genres  sont  représentés  sur  ses 
programmes,  depuis  la  fugue  de  Bach  jusqu'au  morceau  de  salon  mo- 
derne. Trois  numéros  font  particulièrement  sensation  :  la  fugue  de  Bach 
en  ut,  où  chaque  partie  superposée  se  détache  avec  le  même  relief;  le 
Chœur  des  Fileuses,  de  Wagner-Liszt,  dont  l'effet  descriptif  ressort  avec  plus 
de  netteté  que  sur  un  clavier  ordinaire  ;  enfin,  la  pimpante  valse  de  la 
Source,  de  Delibes,  que  M.  Janko  a  transcrite  spécialement  pour  son 
clavier. 

—  L' American  Musician  croit  savoir  que  M.  Alfred  Fischof,  de  Vienne,  est 
occupé  à  la  formation  d'une  troupe  lyrique  italienne  à  la  tête  de  laquelle 
brillerait  Mme  Sigrid  Arnoldson,  en  vue  d'une  tournée  dans  les  États-Unis 
pendant  la  saison  1891-92.  Le  répertoire  comprendrait  :  Roméo  et  Juliette, 
Mignon,  le  Barbier,  Manon,  Lakmé  et  Mireille. 

PARIS   ET   DEPARTEMENTS 

Par  arrêté  du  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux -arts 
et  sur  la  présentation  de  M.  Larroumet,  directeur  des  beaux-arts, 
M.  Henri  de  Lapommeraye,  professeur  du  cours  d'histoire  et  de  littérature 
dramatique  au  conservatoire,  est  nommé  membre  du  jury  d'admission  et 
du  comité  d'examen  des  classes  pour  la  déclamation  dramatique,  en  rem- 
placement de  M.  Edouard  Thierry,  démissionnaire.  L'ancien  administra- 
teur de  la  Comédie-Française  s'est  vu  en  effet,  à  son  grand  regret,  obligé 
de  renoncer  à  ces  fonctions,  qu'il  occupait  depuis  qu'il  avait  remplacé 
M.  Empis  à  la  tête  du  Théâtre-Français,  c'est-à-dire  depuis  1859.  Depuis 
quelque  temps,  il  est  atteint  de  la  cataracte,  sa  vue  s'est  considérablement 
affaiblie,  et,  s'il  peut  encore  écrire,  toute  lecture  lui  est  devenue  impos- 
sible. C'est  lors  du  dernier  examen  du  Conservatoire  qu'il  s'en  aperçut: 
il  ne  put  lire  les  notes  qu'il  avait  prises  sur  les  concurrents  et  qui" de- 
vaient déterminer  son  vote.  Quelque  pénible  que  lui  fût  ce  sacrifice, 
M.  Edouard  Thierry  s'est  alors  décidé  à  se  retirer,  le  mal  étant,  parait-il, 
sans  remède.  Ajoutons  que  M.  Thierry  est  âgé  de  soixante-dix-sept  ans. 

—  Le  cercle  de  la  critique  dramatique  a  procédé,  ces  jours  derniers 
au  renouvellement  annuel  de  son  bureau.  M.  Auguste  Vitu,  par  acclama- 
tion, a  été  nommé  président  pour  l'exercice  1891,  en  remplacement  de 
M.  Hector  Pessard,  président  sortant.  MM.  nector  Pessard  et  Henry  Céard, 
ont  été  nommés  vice-présidents  en  remplacement  de  MM.  Blavet  et  Kerst 
vice-présidents  sortants.  MM.  Nocl  et  Stoullig  ont  été  réélus  archivistes^ 
et  M.  Maxime  Vitu  a  conservé  ses  fonctions  de.  secrétaire. 

—  Tandis  qu'avait  lieu  à  l'Opéra-Comique  la  représentation  de  Carmen, 
en  l'honneur  de  Bizet  et  au  profit  de  son  monument,  le  Journal  de 
Bruxelles,  par  la  plume  de  M.  Rodenbach  (conservons  le  nom  de  ce  <*rand 
homme  aux  générations  futures),  disait  crânement  son  fait  à  l'auteur  de 
l'Arlésiennc,  :  «  Pour  les  artistes,  Bizet  restera  seulement  un  homme  de  joli 
-talent  qui  a  fait  des  accompagnements  délicats  pour  l'Artésienne,  deux 
■œuvres  médiocres  qui  sont  la  Jolie  Fille  de  Pcrlh  et  les  Pécheurs  de  perles,  et 
une  partition  colorée,  pittoresque,  vivante,  qui  s'appelle  Carmen,  coupée 
suivant  les  vieilles  formules,  sans   grande  science   harmonique    et  avec 


des  motifs  d'un  goût  douteux,  comme  cet  air  du  toréador  si  populaire 
qui  n'en  est  pas  moins  un  simple  pas  redoublé..,  »  —  A  la  bonne  heure, 
voilà  qui  s'appelle  du  courage  ! 

—  La  direction  de  l'Opéra  vient  d'accorder  à  Mme  Melba  un  congé  d'un 
mois,  du  15  janvier  au  15  février,  que  l'excellente  artiste  ira  passer  à 
Saint-Pétersbourg.  En  revanche,  nouvelle  qui  sera  agréable  aux  nombreux 
admirateurs  de  la  grande  cantatrice,  son  engagement  à  l'Opéra,  qui  finis- 
sait au  mois  de  mai  prochain,  a  été  prolongé  jusqu'à  l'expiration  du  pri- 
vilège de  MM.  Ritt  et  Gailhard,  c'est-à-dire  jusqu'au  31  décembre  1891. 

—  M.  Fischoff,  le  renommé  virtuose-compositeur  viennois,  est  arrivé  à 
Paris.  Avant  de  se  faire  entendre  chez  M.  Colonne,  il  donnera,  à  la  salle 
Érard,  le  7  janvier,  unepetite  séance  pour  l'audition  de  quelques-unes  de 
ses  compositions.  Le  concours  de  MmeE  Krauss  et  Montigny-de  Serres,  ainsi 
que  celui  de  M.  Marsick,  lui  est  déjà  assuré. 

—  L'adjudication  du  théâtre  des  Nouveautés  a  eu  lieu  cette  semaine,  en 
l'étude  de  Mc  Olagnier,  notaire.  Divers  acquéreurs  s'étaient  présentés. 
C'est  M.  Henri  Micheau,  directeur  des  Folies-Dramatiques,  qui  s'est  rendu 
adjudicataire,  au  prix  de  201,000  francs,  plus  les  frais. 

—  A  l'assemblée  générale  des  actionnaires  du  théâtre  des  Variétés  qui 
a  eu  lieu  lundi,  les  actionnaires  ont  examiné  la  proposition  de  M.  Ber- 
trand touchant  la  cession  de  sa  gérance  à  M.  Vizentini  et  ont  exprimé  le 
regret  de  ne  pouvoir  y  donner  suite.  M.  Bertrand  reste  donc  seul  direc- 
teur-gérant du  théâtre  des  Variétés.  Mais,  d'accord  avec  l'unanimité  des 
actionnaires,  il  a  offert  à  M.  Vizentini  de  conserver  ses  fonctions  d'admi- 
nistrateurgénéral.  M.  Vizentini  a  accepté,  très  touché  de  la  sympathie  dont 
il  a  été  l'objet. 

—  On  écrit  d'Alger  :  «  M.  Saint-Saëns  est  attendu  ici,  venant  d'Alexan- 
drie. Il  a  fait  retenir  dans  la  banlieue,  à  Mustapha,  la  villa  d'Isly. 
M.  Bernard,  premier  prix  de  violon  au  Conservatoire,  l'accompagne  en 
cette  villégiature.  » 

—  Vendredi  prochain,  2  janvier,  au  Théâtre  d'application,  première  con- 
férence de  notre  collaborateur  Arthur  Pougin.  Sujet:  Les  origines  de  l'opéra 
français  au  dix-septième  siècle,  Cambert  et  Lully.  M*e  Vidaud-Lacombe  et 
M.  Auguez  feront  entendre,  sous  la  direction  du  conférencier,  plusieurs 
morceaux  tirés  des  ouvrages  de  ces  deux  compositeurs,  entre  autres 
Pomone,  de  Cambert,  Cadmus,  Amadis  et  Armide,  de  Lully. 

—  La  quatorzième  année  de  V Annuaire  du  Conservatoire  royal  de  musique  de 
Bruxelles  vient  de  paraître.  Il  contient,  comme  d'ordinaire,  tout  ce  qui  a 
rapport  à  l'administration  et  à  l'enseignement  de  l'école,  la  liste  des  lau- 
réats des  concours,  les  programmes  des  auditions  et  des  exercices  publics, 
ceux  des  belles  séances  des  concerts  du  Conservatoire  avec  le  personnel 
de  l'orchestre  et  des  chœurs,  etc.  Comme  «  variétés,  »  l'Annuaire  donne  la 
suite  du  catalogue  (illustré  et  fort  intéressant)  du  Musée  instrumental  du 
Conservatoire.  Ce  catalogue,  qui,  croyons-nous,  est  l'œuvre  du  conservateur 
du  Musée,  M.  Mahillon,  fait  le  plus  grand  honneur  à  ses  connaissances 
vastes  et  variées,  ainsi  qu'à  la  clarté  de  ses  descriptions. 

—  La  troisième  série  du  Théâtre  à  Paris,  de  notre  confrère  Camille  Le 
Senne,  vient  de  paraître  à  la  liqrairie  H.  Le  Soudier,  175,  boulevard  Saint- 
Germain.  Avec  ce  volume  du  plus  vif  intérêt,  qui  comprend,  entre  autres 
grandes  premières  :  Renée,  Francil/on,  Chamillac,  Renée  Mauperin,  Numa 
Roumestan,  le  Ventre  de  Paris,  le  Crocodile,  Lohengrin,  etc.,  et  dont  la  publi- 
cation avait  été  retardée  par  un  accident  typographique,  paraît  une  nou- 
velle édition  des  lre,  2e,  4e  et  5e  séries  composant  un  tableau  complet  de 
l'histoire  du  Théâtre  de  1883  à  1890,  premières,  reprises  et  débuts. 

—  Charmante  matinée  musicale,  lundi  dernier,  chez  M.  et  M"1"  de  Serres. 
Au  programme,  plusieurs  pièces  à  deux  pianos  exécutées  parla  renommée 
pianiste  et  M.  Louis  Diémer,  entre  autres  les  Variations  sur  un  thème  origi- 
nal de  Fischof,  qui  ont  produit  un  merveilleux  effet.  On  a  beaucoup  applaudi 
aussi  une  romance  pour  violoncelle  de  M.  Jacques  Durand,  délicieusement 
interprétée  par  M.  Delsart. 

—  Très  intéressante  audition  des  œuvres  pour  piano  de  M.  Théodore 
Dubois,  chez  Mlle  Hortense  Parent,  l'excellent  professeur.  Tout  son  petit 
monde  d'élèves  a  fait  des  prodiges  en  cette  circonstance.  Citons  surtout 
M"0  Lizzie  P.,  très  applaudie  dans  la  Chaconne,  et  Mllc  Suzanne  R.,  qui  a 
interprété  tout  à  fait  en  artiste  le  scherzo  et  choral,  sans  oublier  M"'"  Lydie 
B.,  très  appréciée  dans  Chœur  et  danse  des  lutins.  La  séance  se  terminait 
par  un  petit  bouquet  de  pièces  choisies  dans  le  charmant  ballet  la  Faran- 
dole :  la  Provençale,  la  Valse  des  Olivettes,  Sylvine,  les  Tambourinaires,  les  Ames 
infidèles,  sont  des  pages  exquises  de  sentiment  et  de  délicatesse. 

—  Le  succès  des  séances  de  piano  de  M.  Léon  Delafossc  va  toujours 
croissant.  La  3IM  séance,  qui  avait  attiré  un  nombreux  auditoire,  avait  lieu 
samedi  dernier  dans  les  salons  de  M.  de  Bertha,  avec  le  concours  de 
M"0  Detrois  et  de  MM.  Lefort,  Touchini  et  Roller;  ces  derniers  ont  exé- 
cuté avec  M.  Delafosse  un  quatuor  d'une  belle  facture  de  M.  de  Bertha,  qui 
a  été  fort  applaudi.  M.  Delafosse  nous  a  ensuite  'tenu  sous  le  charme  en 
interprétant  avec  une  suprême  élégance  de  style  et  un  mécanisme  impec- 
cable diverses  pièces  de  Beethoven,  Schubert,  Schumann,  Chopin,  Saint- 
Saëns,  Théodore  Dubois,  etc.,  et  puis  enfin  de  toutes  nouvelles  œuvres 
exquises  de  Théodore  Lack:  Cloches  lointaines,  Chant  d'avril,  Myosotis,  Mazurkc 
Eolienne,  etc.  Ces  nouveaux  morceaux,  d'un  genre  très  différent,  d'une  fraî- 


LE  MENESTREL 


445 


cheur  d'idées  et  d'une  originalité  incontestable,  ont  produit  grand  effet, 
et  ont  valu  au  brillant  virtuose,  qui  les  a  interprétés  en  véritable  char- 
meur, des  bravos  et  des  bis  enthousiastes. 

—  A  la  dernière  soirée  musicale  de  M.  et  Mm0  Rougnon,  on  a  chaleu- 
reusement applaudi  l'excellent  violoniste  Léon  Toussaint,  puis  le  ténor 
Duchesne  dans  l'air  de  Suzanne,  de  Paladilhe,  et  Rayons  de  Printemps,  de 
Paul  Rougnon,  qui  a,  lui-même,  brillamment  enlevé  un  morceau  classique 
et  sa  charmante  Ballerine,  une  des  meilleures  pièces  de  son  répertoire. 

—  Samedi  dernier,  dans  les  nouveaux  et  élégants  salons  de.  M.  Gaveau, 
charmante  fête  donnée  par  M.  Warot,  l'excellent  professeur  du  Conserva- 
toire, et  Mmc  Warot,  pour  célébrer  leurs  noces  d'argent.  Le  bal  était  pré- 
cédé d'un  brillant  concert  dont  les  élèves  de  M.  Warot  faisaient  exclusi- 
vement les  frais.  On  a  applaudi  particulièrement  M.  Clément,  de  l'Opéra- 
Comique,  dans  l'air  de  Lakmé,  Mlle  Darcy  et  M.  Grimaud,  dans  le  duo 
à'Hamlel,  Mlle  Mante  dans  l'arioso  du  Prophète,  MUe  Selma,  etc. 

—  A  une  réunion  musicale  organisée  par  Mmo  Ambre,  très  brillant  succès 
pour  la  Chanson  béarnaise  de  Maréchal,  chantée  avec  beaucoup  d'entrain 
par  Melchissédec. 

—  Au  dernier  concert  donné  par  le  Cercle  du  Chàteau-d'Eau,  on  a  bissé 
à  Fexcellent  chanteur  Cobalet  la  belle  Marche  vers  l'avenir  de  Faure.  Grand 
succès  aussi  pour  une  des  dernières  mélodies  et  des  plus  charmantes  de 
Paladilhe  :  les  Yeux.  Au  même  concert  on  a  redemandé  à  MUo  Tachel  le 
«  Pourquoi  »  de  Lakmé. 

—  A  la  dernière  séance  d'orgue  de  M.  J.  Stoltz,  on  a  beaucoup  applaudi 
une  jeune  élève  de  M.  N.  Lopez,  Mllc  Félicienne  Jarry,  qui  a  chanté  avec 
un  goût  parfait  plusieurs  compositions  de  son  professeur  et  le  Rêve  du 
Prisonnier,  de  Rubinstein,  qui  a  produit  un  grand  effet. 

—  A  Courbevoie,  samedi  dernier,  dans  un  concert,  grand  succès  pour 
l'Hymne  aux  astres  de  Faure,  remarquablement  interprète  par  M.  Caron. 

—  La  petite  ville  de  Louviers  vient  de  former  un  orchestre  sympho- 
nique  qui  a  fait  ses  premières  armes  en  organisant  une  messe  de  Sainte- 
Cécile,  qui  a  eu  le  plus  grand  succès.  Cela  a  été  toute  une  révolution 
dans  cette  paisible  population,  qui  n'avait  jamais  entendu,  nous 'écrit- 
on,  d'orchestre  symphonique.  Sans  compter  que  trois  artistes  de  Paris, 
trois  artistes  de  grand  talent,  M"c  de  Montalant,  MM.  Auguez  et  Ver- 
gnet ,  étaient  venus  prêter  le  concours  de  leur  talent  à  cette  petite 
solennité.  La  fête  a  donc  été  complète. 

—  Le  Cercle  Philharmonique  de  Bordeaux  vient  de  donner  son  premier 
concert  de  la  saison.  M.  Risler,  un  des  brillants  premiers  prix  de  piano  de 
la  classe  de'  M.  Louis  Diémer,  a  transporté  le  public  en  jouant,  en  véri- 
table artiste,  des  pièces  classiques,  la  grande  Valse  de  concert,  de  son  maître, 
et  la  Chaconne,  de  M.  Théodore  Dubois.  M110  de  Montalant,  la  cantatrice 
souvent  applaudie  à  Paris,  et  M.  Houfflack,  le  brillant  violoniste,  ont  été 
également  l'objet  de  flatteuses  ovations. 

—  Un  nouveau  bruit  de  décentralisation  artistique.  Le  Grand-Théâtre 
de  Montpellier  va  donner  prochainement  la  première  représentation  d'un 
ballet  inédit,  Rose  et  Papillon,  scénario  de  M.  Roux,  maître  de  ballet  à  ce 
théâtre,  musique  de  M.  Laurent  Luigini. 

—  Au  dernier  concert  populaire  d'Orléans,  le  programme  était  presque 
exclusivement  composé  des  œuvres  instrumentales  de  M.  Charles  Dancla. 
Grand  succès  pour  l'exécutant,  le  compositeur,  et  pour  sa  remarquable 
élève  Mllc  Magnien.  Les  journaux  de  la  localité  ne  tarissent  pas  d'éloges 
sur  le  talent  de  cette  jeune  violoniste,  formée  d'ailleurs  à  bonne  école. 

—  Concours  de  Dôle,  17  et  18  mai  1891.  —  Le  Comité  donne  avis  que  le 
règlement  du  concours  est  à  l'impression.  Il  sera  adressé  le  mois  pro- 
chain aux  nombreuses  sociétés  qui  se  sont  déjà  fait  inscrire  et  à  celles 
qui  le  demanderont.  Le  Comité  rappelle  que  les  adhésions  seront  reçues 
jusqu'au  1S  février.  A  ce  règlement  sera  jointe  la  liste  des  récompenses, 
qui  consisteront  en  primes  d'argent,  couronnes,  médailles,  etc. 

—  Mmc  Elisa  Delacour-Bonnamour,  rue  Sainte-Geneviève,  22,  à  Vernon 
(Eure),  compositeur  et  professeur  de  piano,  de  solfège  et  d'harmonie, 
vient  de  reprendre  ses  cours  et  leçons  particulières. 

NÉCROLOGIE 
Le  Danemark  vient  de  perdre  son  artiste  le  plus  glorieux.  Le  célèbre 
compositeur  Niels  Gade,  dont  les  habitués  de  nos  concerts  symphoniques 
ont  appris  à  connaître  le  talent,  est  mort  dimanche  dernier,  21  décembre, 
à  Copenhague,  où  il  était  né  le  22  octobre  1817.  Il  était  donc  âgé  de 
soixante-treize  ans.  La  renommée  de  Niels  Gade  s'était  étendue  bien  loin 
des  frontières  de  son  noble  petit  pays,  et  elle  était  devenue  européenne. 
Nous  ne  saurions  retracer  ici  tous  les  incidents  de  cette  longue,  labo- 
rieuse et  glorieuse  carrière,  soit  comme  organiste,  soit  comme  chef  d'or- 
chestre (entre  autres  au  Gewandhaus  de  Leipzig),  soit  comme  compositeur, 
et  nous  devons  nous  borner  à  rappeler  quelques-unes  de  ses  principales 
œuvres.  Voici  quelles  sont  les  plus  importantes  :  huit  symphonies  à  grand 
orchestre  ;  plusieurs  ouvertures,  parmi  lesquelles  Michel-Ange,  Hamlet,  Sion, 
Message  du  printemps,  Printemps  du  Nord,  Oman,  Dans  la  haut  pays  ;  Kalanus, 
poème  dramatique  en  trois  parties;  Comala,  poème  dramatique;  la  Fille 
durai,  ballade  pour  solo,  chœur  et  orchestre;  Cantate  de  fête,  exécutée  à 
Leipzig  ;  the  Crusaders,  cantate  anglaise  exécutée  à  Londres  ;  la  Nuit  sainte, 
cantate;   deux  cantates,  sur  des  poèmes  d'Andersen;  octuor  pour  4  vio- 


lons, 2  altos  et  2  violoncelles  ;  Quintette  pour  2  violons,  2  altos  et  vio  on- 
celle  ;  Trio  pour  piano,  violon  et  violoncelle  ;  2  Sonates  pour  piano  et 
violon  (en  la  majeur  et  ré  bémol)  ;  Sonate  pour  piano  seul  :  9  Lieder  pour 
deux  voix  de  femmes  ;  Chants  pour  4  voix  d'hommes  ;  5  Chants  pour 
soprano,  contralto,  ténor  et  basse;  2  Suites  de  Chants  danois;  Chants 
populaires  Scandinaves  ;  Novelletten,  4  pièces  pour  orchestre  ;  2  grandes 
Fantaisies  de  piano;  nombreuses  pièces  légères  pour  piano.  Niels  Gade 
n'a  abordé  que  timidement  le  théâtre  ;  il  a  seulement  écrit  un  opéra, 
Moriotta,  dont  le  succès  a  été  i  peu  près  négatif,  et  un  acte  d'un  ballet  qui 
en  avait  trois,  Napoli,  dont  les  deux  autres  étaient  dus,  le  premier  à  Ilells- 
ted  et  le  troisième  à  Pauli. 

—  M110  Louise  Marquet,  maîtresse  de  ballet  à  l'Opéra-Comique  et  naguère 
l'un  des  plus  brillants  sujets  de  la  danse  à  l'Opéra,  est  morte  lundi  der- 
nier, des  suites  d'un  cancer  à  l'estomac.  On  se  rappelle  les  succès  de 
beauté  de  cette  excellente  artiste,  la  grâce  pleine  d'élégance  avec  laquelle 
elle  dansait  le  menuet  de  Don  Juan,  l'intelligence  qu'elle  apportait  dans 
la  grande  scène  de  pantomime  à'Hamlel.  Elle  fut  d'ailleurs  l'une  des  meil- 
leures mimes  de  l'Opéra,  où  pendant  trente  ans,  de  1850  à  1880,  elle  prit 
part  à  l'exécution  de  la  plus  grande  partie  des  ballets  représentés  à  ce 
théâtre.  Sa  dernière  création  fut  le  rôle  de  la  princesse  dans  Yedda,  le 
ballet  d'Olivier  Métra.  Elle  prit  sa  retraite  ensuite,  et  se  consacra  entière- 
ment à  ses  fonctions  de  l'Opéra-Comique,  ainsi  qu'à  la  classe  de  maintien 
dont  elle  était  chargée  au  Conservatoire. 

—  On  annonce  la  mort  auprès  de  Parme,  dans  sa  villa  d'Ozzano, 
d'une  cantatrice  qui  parcourut  en  Italie  une  carrière  courte,  mais  extrême- 
ment brillante,  Mmc  Emilie  Hallez-Torrigiani.  Française  d'origine,  de 
naissance  et  d'éducation,  elle  avait  étudié  le  chant  à  Paris,  mais  elle 
embrassa  la  carrière  italienne,  et  obtint  d'éclatants  succès,  de  1839  à  1844, 
sur  les  théâtres  de  Païenne,  Livourne,  Pérouse,  Naples  (San  Carlo  et 
Fondo),  Padoue,  Bologne,  Parme.  On  lui  fit  des  vers,  on  lui  offrit  des 
couronnes,  on  frappa  des  médailles  en  son  honneur,  et  elle  fut  nommée 
membre  de  l'Académie  philharmonique  de  Rome.  En  1844  elle  épousa  le 
compositeur  Torrigiani,  et  elle  abandonna  alors  le  théâtre  pour  se  consa- 
crer entièrement  aux  soins  de  sa  famille. 

—  De  Polistena  (Calabre)  on  annonce  la  mort  du  compositeur  Michèle 
Valensise,  qui  était  né  le  1er  août  1822.  Il  avait  fait  son  éducation  musi- 
cale à  Naples,  et  commença  par  écrire  plusieurs  opéras,  dont  un,  Eleonora 
da  Toledo,  fut  représenté  avec  succès  au  grand  théâtre  de  Messine.  Il  se 
tourna  ensuite  du  côté  de  la  musique  religieuse,  composa  quelques  orato- 
rios, entre  autres  une  Agonia  del  Cristo,  et,  poète  distingué  en  même 
temps  que  musicien,  écrivit  les  paroles  et  la  musique  de  diverses  com- 
positions d'un  genre  particulier  pouvant  être  exécutées  soit  à  l'église, 
soit  au  concert.  On  lui  doit  aussi  les  vers  d'une  belle  Ode  à  Donizetli.  Il 
était  membre  de  l'Académie  de  SainJe-CéCile  Se  Rome. 

—  A  Bergame  est  mort  le  doyen  des  organistes  de  cette  ville,  Camillo 
Parienti,  qui  était  né  en  1812.11  avait  été  l'élève  de  Mayr  et  de  Donizetti, 
et  depuis  1838  exerçait  les  fonctions  d'organiste  de  la  cathédrale,  où, 
quoique  âgé  de  soixante-dix-huit  ans,  il  faisait  encoi'6  exactement  et  ré- 
gulièrement son  service. 

—  D'Italie  on  annonce  la  mort  des  artistes  suivants.  A  Crer:a,  l'aveugle 
Giovanni  Vailati,  fameux  mandoliniste,  surnommé  le  Paganini  dè\la  man- 
doline. Né  en  1817  à  Santa-Maria,  près  de  Crema,  il  avait  acquis  ufl  talent 
exceptionnel  et  parcouru  triomphalement  toute  l'Europe.  Mais,  victime 
d'un  misérable  qui  l'accompagnait  en  lui  servant  de  secrétaire  et  qui  lui 
avait  volé  le  fruit  de  son  travail,  le  pauvre  aveugle  était  tombé  dans  une 
extrême  misère  et  avait  dû  se  faire  admettre  dans  la  Pia  Casa  dei  poveri  — ■ 
A  Castelnuovo  Bormida,  un  excentrique,  Giovanbattista  Bergatta,  succes- 
sivement ou  tout  à  la  fois  mécanicien,  sculpteur  et  musicien,  dont  l'exis- 
tence fut  très  agitée  et  fertile  en  inventions  de  tout  genre,  dont  il  ne  put 
tirer  aucun  profit.  Entre  autres,  il  imagina  une  harpe  d'un  nouveau 
système,  que,  ne  pouvant  faire  réussir  dans  son  pays,  il  eut  l'idée  de  faire 
connaître  en  France.  Et  comme  il  était  à  la  fois  pauvre  et  courageux,  il  fit 
le  voyage  d'Italie  à  Paris,  à  pied,  avec  sa  harpe!  Voyage  inutile  d'ailleurs, 
car  il  ne  réussit  pas  plus  ici  que  là-bas.  —  A  Naples,  Francesco  Pontillo, 
professeur  de  clarinette  au  Conservatoire  de  cette  ville  depuis  1859,  et 
artiste  extrêmement  distingué,  dont,  depuis  dix  ans,  une  singulière  exal- 
tation religieuse  avait  violemment  altéré  les  facultés  mentales,  sans  qu'il 
fût  absolument  fou.  Il  fallait,  depuis  lors,  placer  auprès  de  lui  un  sur- 
veillant pendant  qu'il  faisait  sa  classe  au  Conservatoire,  ce  qui  ne  l'empê- 
chait pas,  dans  ses  moments  lucideS,  de  faire  admirer  un  mécanisme 
incomparable.  —  Enfin,  à  Rome,  où  il  était  employé  au  ministère  des 
finances,  un  critique  distingué,  Michèle  Castellini,  qui  avait  fondé  en  1859 
le  journal  il  Teatro  ilaliano,  et  qui  ensuite  avait  succédé  à  M.  De  Guber- 
natis  comme  feuilletoniste  théâtral  du  Dirillo. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Pour  paraître  prochainement  chez  les  éditeurs  MAGKAR  et  NOËL: 

LA    DAME   DE    PIQUE 

Opéra  de  P.  Tschaïicowsky 

Venant  d'obtenir  un  grand  succès  au  théâtre  impérial  de  St-Pétersbourg. 

Partition  piano  et  chant,  en  russe,  net:  20  francs 

Partition  piano  solo,  net:  12  francs. 

Arrangements  divers  à  deux  et  à  quatre  mains. 


416 


LE  MENESTREL 


En  vente  :  Au  Ménestrel,  2    bis,  rue  Vivienne,  Henri  HEUGEL,  Editeur. 


ÉTRENNES  MUSICALES  1891 

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LA    CHANSON    DES    JOUJOUX 

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Vingt  petites  chansons  avec  cent  illustrations  et  aquarelles  d'ADRIEN  MARIE 
Un  vol.  cartonné.  —  Prix  net:   IO  francs. 


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LES     SUCCÈS     DU     PIANO 
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1.    LES    MAITRES    FRANÇAIS  ?  2.   LES    MAITRES    ITALIENS 

50  transcriptions  en  2  vol.  g"  in-4"  50  transcriptions  en  2  vol.  gJ  in-4"  50  transcriptions  en  2  vol.  g"  in-4° 

Chaque  vol.  broché,  net  :  15  francs.  —  Relié  :  20  francs,  i   Chaque  vol.  broché,  net  :  15  francs.  —  Relié  :  20  francs.  I  Chaque  vol.  broché,  net  :  15  francs.  -  '  Relié  :  20  francs 


3.   LES    MAITRES   ALLEMANDS 

50  transcriptions  en  2  vol.  gd  in-4° 


MSiïSlIl,  lllf I©1  MAI 


F.   CHOPIN  ?  BEETHOVEN 

Œuvres  choisies,  en  4  volumes  in-8"  Œuvres  choisies,   en  4  volumes  in-8" 

m*        XJ.1Pr0che;.nel' :  25  fr-  Relié  :  45  fr-  Broché,  net  :  25  fr.  Relié  :  45  fr. 

Même  édition,  rchee  en  2  volumes,  net  :  35  francs.  Même  édition,  reliée  en  2  volumes,  net  :  35  francs. 


W.  MOZART 


CLEMENTI 

Œuvres  choisies,  en  2  volumes  in-8° 
Broché,  net  :  14  fr.  Relié  :  24  fr. 
i  édition,  reliée  en  1  volume,  net  :  20  francs. 


HAYDN 

Œuvres  choisies,  en  2  volumes  in-8" 

Broché,  net  :  14  fr.  Relié  :  24  fr. 

Même  édition,  reliée  en  1  volume,  net  :  20  francs. 


Œuvres  choisies,  en  4  volumes  in-8" 

Broché,  net  :  25  tr.  Relié  :  45  fr. 

Même  édition,  reliée  en  2  volumes,  net  :  35  francs. 

HUMMEL 

Œuvres  choisies,  en  2  volumes  in-8" 

Broché,  net  :  14  fr.  Relié  :  24  fr. 

Même  édition,  reliée  en  1  volume,  net  :  20  francs. 


GRAND    CHOIX    DE    PARTITIONS    RICHEMENT    RELIÉES 


IIULRIK   LEWfHALE   DES   CUEM1\S    DE   FEH.    —  IMPRIMERIE   < 


.  —  RUE  tn.in.i;til  , 


BOSTON  PUBLIC  LIBRARY 

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